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LE NOUVEAU

CONSERVATEUR BELGE.

POUR SERVIR DE SUITE A

L'ANCIEN CONSERVATEUR.

TOME X.

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University of Ottawa

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LE NOUVEAU

SERVATEUR

RECUEIL ECCLESIASTIQUE, PHILOSOPHIQUE ET LITTÉnAI&E.

Quod bonum est , tenete. 1. Thessal. 5, I2.

TOME X.

LOUVAIN,

CHEZ VANLINTHOUT ET VANDENZANDE. 1834.

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LE NOUVEAU

CONSERVATEUR BELGE.

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DU PROGRÈS DES SCIENCES

ET DE IiEUn INFI.UENCE SUR I.ES CROTANCES RELIGIEUSES.

« Les ouvrages littéraires ne possèdent plus le privilège exclusif de char-

» mer les loisirs de l'homme et de fixer ralfention des esprits culfi-

» vés j si la lecture des poètes et des grands écrivains séduit Tima-

» gination et orne la mémoire , en y gravant des images nobles ou

» gracieuses , si elle développe et entretient le sentiment exquis du

» goût ; la lecture des ouvrages de science éveille aussi de fécondes

3) idées , fait passer sous nos yeux de magiques tableaux , agite l'âme

» de mouvemens délicieux, devient, en un mot, une source de jouis-

)i sances pures et multipliées. Il n'est , en effet , personne aujourd'hui

» qui n'aime la science , qui n'interroge avec curiosité les savans ,

)> qui ne consulte leurs livres pour y chercher l'explication des phé-

» nomènes et des mervelles de la nature. » ( Ctjvier , Prospectus du Dictionnaire des sciences naturelles. )

Le siècle de Louis XIV, si fe'cond en grands evënemens , ne le fat pas moins en grands hommes : la protection que ce monarque accorda aux lettres et aux arts, se refle'ta sur leurs ouvrages. L'architecture produisit des monuniens dont le ca- ractère de grandeur les fait aise'ment distinguer entre tous ceux dont fourmille Paris ; la Colonnade du Louvre , l'Hôtel et le dôme des Invalides , l'Arc de triomphe élevé en son honneur, sont bien au-dessus de l'Ecole militaire et des autres

6 DU PROGRES DES SCIENCES.

constructions cln règne suivant. La peinture ne prit pas un si £;ran(l essor : il semble que , plus courtisane , elle voulût flatter encore la mollesse tle la cour. Elle excella principa- lement à faire des bergères , des grâces , des enfans et des anges , et si sous la main de Lesueur, de Lebrun et de Lemoine, elle produisit des tableaux remarquables, elle ne put ne'an- moins s'e'lever à ces grandes conceptions qui avaient illustré les e'coles de Raphaël et de Micbel-Ange, et des autres grands maîtres de l'Italie.

Parmi les grands hommes contemporains du grand roi, se dessinent , sur le premier plan , deux grandes figures , celle de l'e'vêqne de Meaux, dont le génie et la mâle e'ioquence forcent l'admiration , et celle de Fe'ne'lon , qui , par la douceur et la suavité de ses écrits, est tant goûté des gens du monde.

Bien d'antres hommes célèbres se distinguèrent dans des genres divers. Molière excella dans la peinture des mœurs, Boileau dans la satire , Racine dans l'expression des plus no- bles et des plus tendres sentimens , madame de Sévigné est encore le modèle le plus achevé du style épistolaire , Descar- tes et Pascal reculèrent les bornes des sciences exactes, Tourne- fort et Jussien enrichirent la botanique de leurs découvertes ; mais les autres sciences naturelles ne suivirent pas la même impulsion , et elles ne produisirent en France aucune décou- verte importante sous ce règne mémorable.

La régence et le règne de Louis XV portèrent la corruption partout. Il semblait que les mœurs du monarque et de la cour desséchaient par leur influence délétère, toutes les sources de la vie sociale , et telle fut l'action de cette influence , qu'elle parut confisquer au profit de l'incrédulité tous les travaux dessavans.

Cependant A^ollrt^av ses Leçomt de Physique exjyérimentale , Gray et Diifay , par leurs Recherches sur l'électricité , Frank- lin, donnèrent une nouvelle vie à la Physique. Buffoti traçait dans une prose harmonieuse VHistoirc du règne animal , mais son ignorance en Géologie laissa un vide immense dans le tableau, d'ailleurs si magnifique, qu'il nous a donné de la formation et de la construction du globe terrestre ; tableau

DU PROGRES DES SCIENCES. 7

qai n'est du reste qu'une brillante hypothèse, incapable de soutenir l'examen le moins approfondi.

Plusieurs autres savans commencèrent à explorer le vaste champ de la Ge'ologie , mais leurs de'couvertes ou plutôt leurs aperçus e'taient loin d'avoir le degré' de probabilité' que celte science a acquis de nos jours. L'inspection des fossiles marins les amena à cette conclusion que la mer avait passé partout, et en comparant l'existence des continens connus par les plus anciens historiens avec cette hypothèse , ils en déduisirent pour l'existence du monde une antiquité effrayante pour l'imagination , et en contradiction manifeste avec les tra- ditions chrétiennes. La découverte de débris d'éléphans en Sibérie sembla augmenter la force de leurs argumens; car pour que cette contrée eût jamais eu une tempéi^ature dans laquelle cet animal eût pu vivre, il fallait supposer un re- froidissement dont la durée embrassait une suite innombrable de siècles. Des calculs chaldéens ou chinois, d'autres docu- mens venus de l'Orient , semblaient confirmer ces conjectu- res , et il faut bien le dire , les écrivains catholiques les plus instruits, privés de faits et d'expériences contradictoires, pa- raissaient plutôt éluder que combattre ces objections, en n'y opposant sans cesse que l'autorité de la tradition.

Tous ces faits embellis et appuyés du sophisme séduisant de Jean-Jacques , de l'épigramme acérée de Voltaire , des froids calculs de d'Alembert , du jargon philosophique de Diderot, devaient entraîner aisément une jeunesse d'ailleurs corrompue par l'immoralité des hautes classes. Ce débordement d'impiété eut pour résultat la révolution, dont les fureurs mirent le comble au mal, en abolissant le culte catholique, et par con- séquent toute instruction religieuse et morale.

Pendant cette horrible tempête, tous les esprits élant tournés vers la politique, les sciences furent presque muettes; la Chimie seule fit de notables progrès. Le célèbre et malheu- reux Lai>oiùer lui avait fait faire un pas immense, par la décomposition de l'air et de l'eau , et en fixant un nomen- clature rationnelle qui détruisit à jamais l'arbitraire de celles que jusqu'alors chaque chimiste adoptait à son gré. Ses im-

8 DU PROGBÈS DES SCIEIVCES.

mortels travaux ne le sauvèrent pas de la hache re'volution- naire, et l'on sait qu'il ne pat pas même obtenir un sursis de trois mois pour mettre la dernière main à des expe'riences commencées , que l'emplirent et continuèrent avec beaucoup de succès, quand la France eut recouvré un peu de tranquil- lité', l^ourcroy , 5erf/io/e^ , Chaptal , Vauqiielin.

L'extension que prit la Chimie donna aux autres sciences une impulsion nouvelle; en Italie, Gahani et /^o/to agran- dirent le domaine de la Physique ; en Allemagne de Born et TFerner ^ en France Deluc , Dolomieu et Dauùenton celui de la Géologie. Précédemment Pallas avait démontré le premier que les dépouilles d'éiéphans et les carcasses de rhinocéros, trouvés avec leurs peaux entières , et des restes de ligamens et de cartillages, n'aui aient pu échapper à la putréfaction dans un pays chaud , que par conséquent ils avaient être trans- portés de leur soi natal dans le sol glacé de la Sibérie, par une violente inondation; Pallas ajoutait que ces restes l'avaient convaincu de la réalité d'un déluge, tout en avouant qu'il n'a- vait pu en concevoir la vraisemblance, avant d'avoir vu par lui-même tout ce qui peut servir de preuve à ce mémorable événement (i).

Mais voilà qu'au commencement de ce siècle , Chateau- briand apparaît avec son Génie du Christianisme, météore lumineux qui devait éclipser tonte la fantasmagorie voltai- rienue. L'abbé Haiiy porte le flambeau de la raison dans les Récherches géologiques : « En jugeant, dit-il, du progrès » qu'ont faire anciennement les causes qui produisent les » comblemens , les attérissemens et autres effets semblables , M par celui qu'elles ont fait depuis des époques connues , on » peut en conclure que nos continens sont d'une date peu an- » cienne, et qu'on avait eu recours, sans fondement, pour >' expliquer leur formation, à des causes qui auraient agi pen- >' dant une longue série de siècles (i). » Mais ce savant s'oc-

(i) Pallas, Observations sur les montagnes j p. 72. (2) Hrtiiy. Minéralogie , t. IV, p. 426.

DU pbogbès des sciences. 9

cupa sortoat de Minéralogie. Rome de Lisle avait ramené l'étude de la cristallisation à des principes plus exacts; Berg- mann avait clierché à pénétrer dans le mécanisme de la struc- ture des cristaux ; Haiiy détermina les lois de la cristallisa- tion , leurs formes primitives et leurs molécules intégrantes. Telle est la sagacité et la perfection de sa méthode, que la décomposition uaécanique d'un cristal offre toujours des ré- sultats conformes aux prévisions rigoureuses du calcul.

Bientôt l'illustre Ciwier embrassa l'étude de la Géologie sur une plus grande échelle : sous sa main le gigantesque mam- mout, le mastodonte et l'anoplotérium reprirent leurs formes et leurs caractères. Ses travaux sur le bassin de Paris qui ont servi de modèle à toutes les études analogues, le confirmè- rent dans les opinions émises par Pallas et Haiiy ; enfin toutes ses recherches le conduisirent à cette conclusion , que le dé- luge est le dernier cataclysme qui ait bouleversé notre globe, et que la date assignée par Moïse à cette catastrophe est désor- mais certaine et incontestable (i).

Un savant physicien a bien voulu rétablir l'omniprésence de la mer, en la supposant la cause génératrice de l'irruption des volcans ; mais outre que son système est plus ingénieux que probable, il ne prouverait rien contre l'époque du déluge, paixe qu'avant cet événement , la mer pouvait avoir d'autres bassins que ceux qui existent actuellement , et qu'il suffit, pour que la science soit d'accord avec la tradition , que la dernière révolution du globe se rapporte au temps indiqué par l'É- criture.

Depuis, quelques écrivains ont voulu, en conservant les dates , substituer un autre système à celui de Mo'ise , mais ils n'ont pas trouvé d'écho. « S'il faut J'aire une autre Genèse, » dit un savant médecin , faime autant in^en tenir à celle de » iJ/oise (2).)) Ecoutons un des chefs de la littérature actuelle : « On ne me soupçonnera pas d'assez mauvais goût, pour avoir

(i) Cuvier, Discours sur les réuolutions du Globe. (2) Cordât, Cours de physiologie, Montpellier, i83i.

10 DU PROGRÈS DES SCIENCES.

» attendu à substituer mes théories aux faits de la re'vélation , » le moment, unique dans les longs âges du christianisme, M il rallie comme le seul palladium de la dernière civi- » lisation, toutes les puissance ralionelles du genre humain (i). »

Le système ge'ne'ralement adopte' par les savans, la division des terrains en primitifs, secondaires et terciaires, concorde très bien avec i'ide'e d'un de'luge , puisque dans les premiers on ne trouve aucun reste d'animaux ni de ve'ge'taux et que leur pre'sence dans les autres suppose une formation poste'rieure qui doit ne'cessairement son origine à de grands courans qui au- raient dissous les terres et les auraient de'posées successivement suivant l'ordre de leur pesanteur spécifique dans les valle'es ils furent arrête's. Partout, en effet, les formations secon- daires se trouvent adosse'es aux montagnes primitives et con- servent le même niveau des deux côle's des vallons on les rencontre.

Si l'on ne trouve pas d'ossemens bumains dans ces forma- tions, c'est parce que Ihomme et le singe e'taient les seuls animaux qui ne napent pas naturellement et dont les corps ne surnagent qu'au bout de quelques jours , tandis que tous les antres , au contraire , flottent quelques heures après leur submersion. Il est e'vident que, les premiers durent ou être broye's par les nombreux de'bris que les eaux traînaient après elles, ou du moins être enterre's à une grande profon- deur , et que les derniers ne durent être recouverts que d'une coucbe peu e'paisse.

Mais ce n'est pas seulement la Ge'ologie qui a concouru à démontrer la ve'rite' de nos traditions. ChampoUion-le-jeune , en découvrant la langue des bie'roglyphes , a prouve' qne le zodiaque de Denderab avait e'té mal explique' , que son exis- tence ne remontait pas plus haut que les premiers empereurs romains, et il a de'truit par toutes les inductions que les incre'dules tiraient de son antiquité' pre'tendue. Abel Remusat a également recueilli dans l'e'tude des langues orientales, des

(i) Charles Nodier, Élémens de linguistique , dans les feuilletons du Temps.

DU PROGRES DES SCIENCES. 11

faits qai clëmeatent ceux qn'allégaaient les philosophes du dix- huitième siècle ; enfin les voyageurs ont fait des de'coavertes également pre'cieuses pour la science et la religion, et ten- dant à prouver les faits racontés dans la Bible , et l'unité d'o- rigine de l'espèce humaine.

Ainsi donc , les progrès de la physique , de l'histoire natu- relle, de la géologie, de l'archéologie, de l'astronomie, l'é- tude des langues , les découvertes des voyageurs ont de nos jours battu en ruine tous les argumens des philosophes du dernier siècle, et il n'est pas douteux que cette circonstance n'ait exercé sur les gens instruits de notre époque une grande influence, en faisant voir que la religion catholique n'avançait rien dans ses enseignemens qui fut contraire aux faits positifs attestés par l'expérience ou démontrés par la science et le calcul.

D'un autre côté, l'impulsion donné aux lettres par Chateau- briand , a porté son fruit ; ses œuvres , celles de Lamartine ont prouvé que le catholicisme était éminemment poétique; et c'était beaucoup que de faire abandonner la vieille mytho- logie pour des sujets chrétiens. Ce mouvement a merveilleu- sement secondé celui de la science , et déjà tous les hommes remarquables par le talent et le génie inclinent vers le catho- licisme : littérateurs et philosophes , tous conviennent de la nécessité , du besoin d'une croyance. Cette concession est un pas immense, car s'il faut une croyance, il faut une religion, et comme on n'en trouve pas encore d'aussi parfaite que la nôtre, sa cause est désormais gagnée auprès de tous les hommes de bonne foi.

L'aperçu rapide que je viens d'esquisser démontre d'une manière irrécusable que l'étude des sciences est d'an haut in- térêt, non seulement pour l'homme du monde, mais encore pour le chrétien , et qu'il est indispensable à quiconque se voue à l'étude d'en prendre au moins une teinture générale, et une idée assez exacte j)oor pouvoir en raisonner en con- naissance de cause. Le littérateur qui les ignorerait, s'expose- rait à d'étranges méprises, qui déconsidéreraient ses ouvrages, quelques parfaits qu'ils fussent d'ailleurs.

J2 DD PROGRÈS DES SCIENCES.

Qae diront à présent les contempteurs de la religion , les ennemis da catholicisme qui font de l'ignorance sa compagne obligée ? Sans doate , ils ne savent pas que les de'convertes de la science ont aussi contribue' au mouvement religieux qui se manifeste en ce moment ; ils ne font pas attention à l'ac- tion salutaire qae les travaux des savans ont eue sur les gens du monde et à l'influence que ceux-ci exercent sur les mas- ses ; les premières classes de la socie'té se reflétant toujours sur le peuple. Il serait d'ailleurs facile de prouver par des calculs sta-'istiques irrécusables que les départemens les plus ignorans sont aussi ceux les crimes sont plus fréquens ; que dans ceux , au contraire , oii l'instruction est pins répandue , on trouve dans les populations plus d'attachement à la religion et plus de moralité publique.

Mais je m'aperçois que cette discussion me mènerait trop loin de mon sujet , et d'ailleurs, j'ai atteint le but que je m'é- tais proposé, si j'ai démontré, comme je l'espère, que si les philosophes du dix-huitième siècle s'emparèrent des découver- tes des savans pour étayer des systèmes anti-chrétiens, leurs argumens et leurs sophismes ont été complètement détruits par l'extension et le perfectionnement de toutes les sciences, et que c'est en partie à leur influence réparatrice que nous devons de voir aujourd'hui une réaction du principe religieux contre l'incrédulité et Tindifierence qui naguère menaçaient encore d'envahir toutes les classes de la société. Annales de Phil. Chrét. tom. VUl , p. i.

13

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TABLEAU SYNOPTIQUE

CONTENANT lEXPOSlTION DE LA DOCTRINE RENFERMÉE DANS LES SAINTES ÉCRITURES, PAR M. l'aBBÉ FRÈRE (1).

Le tableau suivant est une preuve qui parle aux yeux , pour ainsi dire , et prouve la divinité de nos Écritures et de notre foi.

En effet , on peut sans crainte en faire le défi à' tout incre'dule et à tout contradicteur j ils seront impuissans à nous offrir un li- vre , un seul livre, qui contienne un système de doctrine plus su- blime , plus vrai , sur tout ce qui existe , embrassant mieux l'en- semble de ce qui est. Dieu, l'homme, l'univers, et non-seulement l'ensemble, mais encore chaque point en particulier. Oui, que l'on nous montre un livre qui dise quelque chose de mieux que notre Bible sur Dieu, son être, sa substance, ses attributs ; ses oeuvres, l'univers , l'homme ; l'origine , les devoirs , les croyances , la destinée de ce dernier. Oui, sur aucun de ces points, et sur aucun autre de dogme et de morale, il n'est pas de livre, pas de philosophe, qui disent quelque chose de mieux que nos Écritures. Ils peuvent dire quelquefois aussi bien , mais c'est qu'alors ils ont appris d'elles ce qu'ils enjdiseutj c'est de Dieu que les vérités sont sorties pour se répan- dre dans tout le genre humain ; car tous les hommes sont frères , et un jour ils étaient tous rassemblés auprès de leur père , qui leur racontait les merveilles de leur naissance , et les communications qu'ils] avaient reçues de Dieu.

C'est ici un des points les plus essentiels , et que nous recomman- dons à l'attention de tous ceux qui ont mission ou emploi d'ensei- gner la jeunesse, ou qui aiment à prendre la défense de la vérité de Dieu quand elle est attaquée. Les vérités générales sur Dieu ,

(i) Extr. àQ& Annales de Phil. Chrèt. n*» 46 , V. ci-d. tom. VIll , pag. 55o.

14 TABLEAU SYNOPTIQUE ETC.

sa nature , ses attributs j sur l'homme , ses devoirs , ses perfec- tions , ses rares qualités , ses de'fauts , etc. , tout cela est générale- ment connu ; la lumière de PÉvangile a si bien dissipé les te'nèbres, que , sans le vouloir même , les hommes les plus éloignés de croire à l'Évangile, n'ont cependant pas d'autre croyance que celle con- tenue dans ce livre divin. Aussi il n'est personne qui nie toutes ces grandes vérités. Mais ordinairement on n'en connaît pas l'ensemble , l'oriqine ; on ne sait pas que tout ce que l'on connaît sur Dieu et sur l'homme , est venu de la révélation que Dieu en a faite , et se trouve renfermé dans nos saintes Écritures.

C'est cet ensemble et cette généralité des doctrines catholiques, qu'il faut faire remarquer.

Nous prions donc nos lecteurs d'étudier ce tableau avec une at- tention particulière : toute la doctrine catholique y est exposée avec un ordre , une suite et une clarté admirables.

Nous croyons surtout qu'il peut être d'une grande utilité pour ceux qui ont mission et charge d'enseigner aux hommes la ré- vélation de Dieu. On se plaint souvent que les instructions sont vagues , sans ordre , comme faites au hasard ; qu'elles manquent surtout de cet ensemble qui en ferait un cowrs complet de religion, lequel comprendrait toute la doctrine catholique, et attacherait les auditeurs, par la régularité des leçons; les obligerait à ne pas s'ab- senter , par la crainte de perdre le fil de cet admirable enseigne- ment, et surtout par la variété qui entrerait nécessairement dans un tel cours ; car, on le voit , toutes les sciences peuvent être appelées à l'explication de ce tableau , et précisément selon le degré d'in- struction des auditeurs et des maîtres.

E^OSITION DiTVnss.

DÉFINITION

{ DiEi"";32-

, SON ÊTK£.

I SA.

ISUBSTAtr

tout ce qu'il possède , aimer

SES lATTBIB

Disn

=

Opere'e

slasic d'une partie Jid. 6.

LA CRÉATION.

Perfect

pour être uni à Dieu et à un corps régir. Gen. i; 26 28.

Repos

les quii trei pn

L

n. Rom. m; 9—18. Tit. lU ; 3. 1 obtient la rémission des péchas ,

éissance à Dieu. Ges. m; i— 13.

els et e'ternels. Gen. m; l3 24. („.>.. «joi.. »iii ,- ig , 20.

Mariage. Eph. v ; 25—33.

12-

I. vui ; I 39.

Inion et la Paii. Epii. 11 ; i3 22.

CoLoss, I ; 12 , i3.

ers Dieu : Foi , Espérance , Charité.

lATTH. TI.

ers soi-même. Mattb. v ; 39 , 3o. SES EPF*" '* proclioin Matth. vii ; 12.

^rs les créatures. M atth. vx; 20, i5. ^eraios. Rom. siii ; 3 , 4- ^slrats. I Petii. 11 ; i3 , l/^. is et Pères. Eph v ; 25—33. vi ; 4 «ses et Mères. I Petr. m ; 1 , 2. ves et Femmes âgées. ITim. v;4 8. Ilards. Tit. 11 ; 2. 1res. CoLoss. iv; i. Ues. Hebr. xiii; 1^. its. Rom. xiii; i 7. aes liommcs. 1 Petr. y ; 5. «ns. Eph. ti; i 3. rges. I Cor. vu; aS 28.

ies. I TiM. vi; i-j 19. 'iteurs. I Petr. 11; 18. E

PH. vi;5— 8.

Now. Cons. Tom. X , p. 14.

EZEOSrriON de KA SOCTBINX BXNFXSLMÉE dans IiES saintes ÉcaiTUUES.

DÉFI?iITIO>. ,

/ Preuves de son / par lui-même. ( We'cessit^ de le

_. ( Espèce : elle est esprit, i:

cS.«niîJ Proprifc' : trinile' de pers

Q existence..

EiuD. m; 14, l5. Saf. iiii Motifs. Sap. it ; 3. Ps. Livi Uojeus. II Tm. w, 16. Jo

i »4-

Père , Fils et Saiut-Esprit. Posséder l(

uprélieusibilit

«leur. Il Ma

Liberté. Epli. l I Immensité. Bar< ' Bouté. Ps. Lixti

Véii

JOA

/ Sainteté. Levii. su ; a.

) Justice. I EsD. it; i5.

'"i Miséricorde. Ps. xuv ; l3

( Poliencc et Douceur. 'JuD

vu; 4-,. Co»c ; 3-S. I i 6-8.

"""^ (Prôduclio

4^ Jour Le Soleil

I Jour S '-'=* '^°"'

Les Anges. Job La Lumière. Gi Le Firmament.

Séparation de'la Terre d'avec la M, de l'Herbe et des Arbr< la Lune, les Étoiles. Gt !*■ j Gek. ij ao— s3.

Repos du seplprae j SA NATCRE.

i Sa Salure.. ( *»!■"' '"f°"''l fV°"' "" "°',» "V j ( organise qu il doit rigir. Gkn. 1; ab

S Ses rapports. EccLl. xvit ; 1 la. ( Sa Deslinée. Sap. 11 ; a3.

Uieu leur fail Jésus-Cl.risl pa l'envoi du S;

lit dans le nt-Esp,il

I les lio

claient dans l'état de péclié. JoAK. I ; lu , II. Rt en cnvojant Jésus.Clirist pour les sauver. I TiM. i; l5, 16. cmps dcleimiué par la prescience de Uieu, et , pal- sa moit, il obtil t la réconcllialion des tiommcs avec Dieu. 1 Petb. i ; 18 , 19. Sa Nature ;. originel et actuel. Rom. v; 13, l3. , P . , , j Ses causes ; la suggestion du démon , l'orgueil , la désobéîssanc

' '" '^""'^ \ Ses effcls : la séparalion de Dieu, tous les maux temporels et

Impossiliililé d'eu Êlre délivré par des forces créées. Acr. IV ;

■* 4— )■ «'"■ "i 4-7-

de j,!aus-Clirist. I Pkt

des Hommes. I! TiM.

r des Allie

3-18. Tir. m; 3. imission Je, péchés ,

lélivré par d ifime. TiT.

La Prédestination..

( par des Alliances.GiN. ix; 8.17. rvli; i-< La Préparation à l'Évangile J par des Propliéties. Iles. 1 ; I,

( Par l'Election du peuple Juif. Dect.

lidérée eu nside'réo

L le Verbe fait clia

/■ !• ... t Temoignases. DlATT. svli ; Maluro S , ,^^";,. ) Miracles. JoA». x ; 3-, , 38 vine. S ^' 1)'V"»"Ï- ( Propliélies. JoAN. xiv ; a8

( Caractères do sa divinité. JoA». i 1 3o.

i Finale

RÉUEMPTIOU.I

et le salut des lie ( La justi6c3tion

'''^'°'"' J La Nature ( Sa Vie. Loo f liuniuinu. / Sesllircs,,

4"

tat de péché dans leeiuel nous naissons comme enfans d'Adai is sommes établis par la grJco de N.-S. J.-C. TiT. m 1 3--. OA». VI J 44. BoM. vui; 3o.

La Foi en Jésus-Clirist.Ro». i i 16 , l^. ' La Pénitence. Mail ly 1 17. iiii 5, 6.

nielle, les Sacremens,.

Biens qu'elle procun Maux dont elle délivi

qui la confèrent :

qui l'augmentent

T chaque Chrélie à toutes lei " ' Tempo,

( Le Bapli

( La Pénit

La Coni;

. JoA».

/ La Conlirmation. AcT. il; 14 \ L'Euch;.rislie. JoA». VI ; 54- i i.'EilrSme-Onclion. Jac. v; 1 1 L'O.Jro. Lue. un; .9, ™. Q Le Mariage. Bps. v ; aS-SJ.

Epn.

Rom. vui ; 1—39. , rinion et lo Paii ; 8. (loLOSS, 1 ; 12

Eternels. Généralement les Chrétiens,

Spécialement de la Société.

I Dieu : Foi , Espérance, Charité v;39, 3o.

le prochnio Ma les créatures. Matth. vi; ao, ains. Rom. xiii; 3,4, ata. IParn. 11; i3, 14. Maris et Pères. Epn. v ; 25—33. vi ; Mires. I PrTR. m; i , a. igées.lTiM. v;4-

Meigisl

Vieillards. Tu

. CoL<

Le Jugement. Ma

..( La V.e et.

I Enfles. EpB. vi;i-3. Vierges. I Coi!, vu; aS— a8.

Riche» ITlM. Vl; 17 19.

. Serviteurs. I Psrn. 11; 18, Eru. vi; 5-

Nouv, Cons. Tom. X , p. i4.

15

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SUA X.'ÉTAT DE LA RELIGION CATHOLIQUE DANS LE HANOVRE.

Dans les pays appartenant à l'ancien électoral de Hanovre , il n'y avait que cinq congre'gations catholiques, qui n'e'taient pas nom- breuses. Une e'tait restée constamment catholique depuis la réforme, une autre avait été conservée accidentellement par une clause du traité de Westphalie. Les trois autres furent érigées dans le der- nier siècle, deux à la demande de la cour d'Autriche , l'autre pour les étudians qui suivaient l'université de Gottingue. Ce n'est que par les nouveaux accroissemens du Hanovre que le nombre des ca- tholiques s'y est beaucoup augmente. En 1802, la principauté d'Osnabruck fut ajoute'e au Hanovre ; les autres acquisitions sont de 18 14 et 181 5. Il y a quatre congre'gations dans l'Est-Frise , plusieurs dans le comte' de Lingen ; le plus grand nombre est dans le pays d'Osnabruck , d'Arenberg , de Bentheim , d'Eichsfield et d'Hildcsheim. A Arenberg et dans tout le territoire dépendant au- trefois de l'évêché de Munster , la religion catholique était et est encore la seule. Il en est de même d'Eichsfield. Dans les autres provinces, les deux religions se trouvaient mêlées; mais la religion catholique était domiuante. Par le traité de Westphalie du 16 oc- tobre 1648, il fut stipule' que le siège d'Osnabruck serait possédé alternativement par un catholique et par un prince de la maison d'Hanovre , sous lequel la juridiction spirituelle serait de'voiue à l'archevêque de Cologne. En conséquence de cet arrangement , fat dressé, le 25 juillet i65o, l'acte appelé Capitulation perpétuelle d'Osnabruck , qui e'tait jurée par tous les e'vêques séculiers , y compris le dernier duc d'York. Cet acte portail que le souverain temporel n'avait aucun droit d'intervenir dans les matières reli gieuses ou purement ecclésiastiques , et que toutes les ordinations , les visites, les censures, les synodes , la juridiction dans toutes les causes ecclésiastiques , tous les cas matrimoniaux et tout ce qui en dépend , la discipline des églises et des écoles , et les au- tres objets de la même nature , seraient entièrement laisses aux prélats et supérieurs catholiques. Celte garantie de la liberté reli-

16 SUR l'état de la. RELIGIO^ CATHOLIQUE

gieuse , stipulée couformément à l'article 1 3 du traite de Westpha- lie , n'a jamais e'té révoquée. La plus grande innovation en matière eccle'siastique fut celle qai fut introduite par le recez impérial du i5 février i8o3, qui supprima les abbayes, monastères et autres fondations; mais même il fut déclare' expressément, dans la soixante-troisième section , que Cexercice de la religion , tel quil existait )usqtû alors dans chaque pays , serait protégé contre toute espèce de suppression et de vexation, et spécialement que la pos- session et la jouissance des propriétés de PEglise et des fonds des écoles resteraient inviolables ^ conformément aux dispositions du traité de Westphalie, 'En^n , en i8i5, l'Eglise catholique, telle qu'elle existait en Hanovre , fut formellement reconnue par une loi de l'Etat , et confirmée dans la possession de toutes ses immu- nités et privilèges eccle'siastiques.

Après de telles déclarations et de telles garanties, les catholi- ques , qui , dans les nouvelles provinces , forment une population de 200,000 âmes , le sixième de la population totale du royaume, se croyaient entièrement à l'abri de toute intervention de la légis- lation dans ce qui constitue le libre exercice de leur religion , et ils avaient d'autant plus de raisons de s'en flatter , qu'il paraissait exister, même depuis le concordat de 1824, une bonne intelligence entre le gouvernement et le Saint-Siège. Peut-être cette sécurité explique-t-elle en partie le petit nombre de catholiques qui paru- rent à la dernière réunion des Etats. Nous allons donner actuelle- ment Ihistorique des mesures prises contre les catholiques.

En i83i , le projet d'une nouvelle charte constitutionnelle pour le royaume fut porte' devant une réunion de conseillers royaux et un comité des anciens Etats. Dans le chapitre V se trouvaient quel- ques dispositions qui blessaient directement et gravement les droits essentiels des évêques , et , comme l'observait un savant écrivain allemand , le docteur Wein , ces dispositions mettaient entièrement l'Eglise sous le joug du pouvoir civil. L'e'vêque et le chapitre d'Hil- desheim présentèrent au duo de Cambridge, le 5 janvier i832, un mémoire à la fois judicieux, ferme et respectueux, pour demander des modifications sur certains points. Le mois suivant, les doyens ruraux du diocèse d'Osnabruck adressèrent un mémoire pressant au vicaire-général , évêque suffragant , M. Lupkén ( car le Sie'ge est

DANS LE HANOVRE. 17

encore vacant ) , pour le prier de porter à la connaissance du gou- vernement une re'clamatlon fortement motivée, et signe'e d'eux tous, au nom du clergé et des fidèles. Outre l'injustice des réglemcns pour tous les catholiques du Hanovre , le clergé du diocèse d'Osnabruck a des raisons de craindre quelque chose de particulier contre lui. Ou remarque que partout il est parlé , dans la charte, de l'exer- cice de la religion, aucune mention n'est faite de l'évêque dOsna- bruck. Ce silence , et le retard que met le gouvernement à remplir ce Siège , autorisent à croire qu'il a l'intention de laisser les choses comme elles sont , au lieu d'exécuter la convention faite avec le Saint-Siège ; car la bulle de Léon XII Impensa romanorum pon- tificum, enregistrée parmi les lois du Hanovre, le 20 mai 1824, et publie'e avec le placet royal , porte qu'aussitôt que les circon- stances le permettront , l'évêché d'Osnabruck , son chapitre et le séminaire seront érigés sur le même pied que celui d'Hildesheim. En vertu du décret du 25 février i8o3 , les fonds des monastères supprimes devaient être employés à la dotation de l'évêché; et il est à remarquer que, quoique des e'glises, des écoles, une univer- sité , et d'autres établissemens de la même nature , aient été érigés et dotés avec ces fonds , on ne s'est cependant point occupe de l'é- tablissement du siège épiscopal. On en a pourtant encore les moyens sous la main; et^ après les stipulations précédentes, il est inex- plicable comment, dans une loi permanente, il n'est fait mention que d'un administrateur du Siège , si l'intention n'était pas que cela restât ainsi.

Revenons au projet de charte. En conséquence des remontran- ces du clergé, le gouvernement y fit quelques changemens, mais de très-peu d'importance. En mai , le projet fut porté devant les nouveaux Etats, composés principalement d'hommes de loi dispo- sés , comme partout ailleurs , à étendre l'autorité civile aux dé- pens de l'autorité ecclésiastique. siégeaient aussi des hommes remplis de préjugés contre les catholiques. Au fait, pour représen- ter les intérêts du sixième de la population, il n'y avait dans la chambre haute, composée de cinquante à soixante membres, que l'évêque d'Hildesheim , qui ne put que protester contre les mesures que l'on prenait, et se retirer. Dans la chambre basse , sur soixante députés , il ne se trouvait que trois catholiques , qui s'opposèrent T. X. .2

18 SUR l'état de la REUG10^ CATHOLIQUE

en vain aux résolutions de la chambre. Le docteur Sermes, dc'puté de la ville catholique de Meppen, se distingua particulièrement. Le clergé catholique, de son côté, ne s'endormit point. Le 12 sep- tembre , l'évêque et le chapitre d'Hildeshcira présentèrent un se- cond mémoire aux Etats contre la loi fondamentale. Ce mémoire était long et raisonné. Ils montraient combien quelques clauses du cinquième chapitre étaient contraires aux droits essentiels des ëvê- ques, limitaient l'exercice d'une autorité qu'ils croient venir direc- tement de Dieu, et s'immisçaient dans ce qu'il y avait de plus respectable dans la discipline intérieure de l'Eglise. Un comité, au- quel cette remontrance et celle du chapitre d'Hildesheim furent renvoyées , était d'avis qu'on les prît en grande considération ; mais cet avis fut dédaigné , et les chambres adoptèrent la loi propose'e par le ministère. Non-seulement les nouveaux réglemens émanaient du gouvernement, mais la lettre qui accompagnait le projet de loi prétendait que la loi de l'Etat, qui , en 18 15, avait rendu à l'E- glise catholique ses droits , avait attribué à cette église ce qui ap- partenait au pouvoir temporel. Cette lettre était signée du duc de Cambridge et des quatre ministres d'Etat, Alten , Schuttet, Stra- lenheîm et Wish.

Nous avons maintenant à faire connaître les dispositions contre lesquelles le cierge' réclamait. Nous n'avons point la loi sous les yeux , et nous devons nous en rapporter au mémoire du clergé d'Hildesheim, qui, supposant que le texte du projet e'tait entre les mains de ceux auxquels il s'adressait , a cru inutile de reproduire dans leur entier les termes précis , et n'a indiqué que les omissions dont il avait à se plaindre, ou les changemens qu'il sollicitait. Ce clergé commence le mémoire par exposer clairement la diffe'rence entre les cas purement spirituels et les cas mixtes. Il range les premiers sous quatre chefs , et explique la nature da droit du ma- gistrat circa sacra , en posant ce principe, que dans toutes les matières purement spirituelles l'Eglise seule a le droit de juger et de de'cider. Il entre ensuite dans le détail des points qui faisaient l'objet de sa re'clamation.

I. Dans la première section du projet, il est dit que la liberté de culte est garantie awa; membres de la religion évangélique et de la religion catholique. Cette liberté était déjà depuis long-temps

DANS LE HANOVRE. 19

garantie par des traités et des pactes solennels qui reconnaissaient non-seulement les droits des membres de l'Eglise, mais aussi les droits de l'Eglise comme Eglise. Pourquoi ces droits ne sont-ils pas aussi reconnus dans le projet ? Pourquoi n'y garantit-on que la liberté des individus?

2. Dans la deuxième section , il est dit qu'aw roi appartient le droit de patronage et d'inspection compris dans sa souveraineté sur V Eglise, Dans la première rédaction du projet, on disait que le roi possédait ce droit en vertu de sa souveraineté sur le pays. Ce changement de mauvais augure a vivement alarmé les catholi- ques, en ce qu'il indique une prétention à quelque chose de plus que l'inspection ordinaire du magistrat.

3. La troisième section est rédigée de manière à reconnaître à l'Eglise catholique un pouvoir sur les choses purement spirituelles; mais elle exerce son autorité' sur les objets mixtes, comme mariage, éducation , etc.

4. Par la section sept , on exige la permission du pouvoir civil pour toute publication eccle'siastique ; ce qui comprend les mande- mens de carême, les prières à la messe , les actions de grâces, etc. Le clergé demande instamment que l'on excepte tout ce qui est purement spirituel.

5. La huitième section rompt toute communication entre les ca- tholiques et le Saint-Siège, à moins que cela ne passe par les mains du gouvernement. On ue fait point d'exception pour les dispenses dans le for intérieur ou dans les matières les plus délicates j mais toutes les bulles, brefs, rescrits , de'cisions , soit qu'ils soient adres- sés à tous les catholiques , soit qu'ils ne regardent qu'un individu , doivent être soumis à l'inspection et être revêtus du placet royal avant de pouvoir être mis à exécution. Cet article est rendu plus dur encore par la qualification de pouvoir étranger appliquée au Pape.

6. Par la neuvième section , la juridiction ecclésiastique est ren- versée, même en matières purement spirituelles.

7. Dans la dixième section , le droit d'installation des prêtres des paroisses et autres est re'servé à la couronne , et il leur est défendu

20 SUR l'état de 1-a religion catholique

à tous d'exercer aucune fonction ecclésiastique sans avoir obtenu cette installation. C'est une violation flagrante des lois canoniques, et une limitation ou plutôt une violation du pouvoir ecclésiastique ordinaire.

8. La section onzième interdit la déposition ou le renvoi de tout eccle'siastique sans la permission de l'autorité séculière , et cela sans excepter les motifs purement spirituels, l'enseignement de l'hérésie, la désobéissance , etc.

g. La section suivante s'immisce dans l'administration des pro- priétés de l'Eglise , et restreint le pouvoir d'administration conféré par les canons aux supe'rieurs ecclésiastiques , et cela même pour les fonds consacrés à des usages purement spirituels , comme messes , etc.

10. Enfin, ce système d'empiétement est complété parla treizième section , qui porte que les surveillans des fonds de l'Eglise ne seront plus, à l'avenir, choisis par le curé, comme ils l'ont ëte jusqu'ici, mais par les paroissiens , et qu'au lieu de conseillers ils seront ab- solument administrateurs , quoique les comptes aient toujours e'te soumis à l'inspection des deux puissances , et qu'il n'y ait pas eu la moindre plainte sur la gestion.

Les partisans les plus déclarés de l'autorité civile doivent avouer que ces dispositions de la charte du Hanovre touchent à l'essence de l'autorité de l'Eglise, et de savans écrivains d'Allemagne sont d'avis que le clergé n'a d'autre parti à prendre que de refuser d'o- béir à ces re'glemens, quelles qu'en soient les conséquences. On verra par un passage de l'adresse du clergé d'Osnabruck avec quelle force il réclame contre la nouvelle charte :

« Le vrai catholique croit , conformément à la doctrine de son Eglise , que les princes sont placés par Dieu même , et tirent leur autorité de lui et non des suffrages variables du peuple. En con- se'quence, il obéit à l'autorité à cause de la conscience, et regarde la de'sobeissance comme un péché. Le catholique ne connaît qu'un cas les lois temporelles ne peuvent l'obliger , c'est lorsqu'elles sont manifestement contraires aux lois divines ; car alors il doit dire avec l'Apôtre : // vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. C'est un grand sujet d'humihation pour les catholiques , comme

DANS lE HANOVRE. 21

pour nous , de voir que les lois fondamentales du royaume semblent jeter à l'avance, sur leur correspondance à eux seuls avec le Pape et les évèques , l'horrible soupçon d'avoir une tendance dange- reuse pour l'Etat , jusqu'à ce que le ministère se soit bien convaincu du contraire par un examen sévère. Qu'avons-nous fait pour me'ri- ter ce règlement inquisitorial ? Nous autres catholiques du diocèse d'Osnabruck , sommes nous les auteurs ou les fauteurs des derniers troubles (i) de ce royaume, dont la mémoire est encore si fraîche parmi nous? Nos supérieurs ecclésiastiques nous ont-ils excité à y prendre part? Ne nous ont-ils pas au contraire exhortés, dans les termes les plus pressans, à ne point nous y mêler? Rome a-t-elle essayé d'intervenir dans le gouvernement civil de cet Etat? Pour- quoi donc ce soupçon révoltant d'une correspondance coupable entre notre Pasteur suprême et quelques congrégations ou quelques individus catholiques ? Votre Altesse royale et Vos Excellences sont certainement persuadés du contraire , et ont dans leurs mains des preuves de la fidélité de vos sujets catholiques. Ce n'est point l'in- tention de Sa Majesté notre gracieux souverain , Guillaume IV, que les pactes solennels souscrits par ses ancêtres en faveur des ca- tholiques du diocèse d'Osnabruck soient -violés , et que la liberté de religion et de conscience de ses fidèles sujets allemands soit as- treinte, par la nouvelle loi fondamentale, à des restrictions oppres- sives et humiliantes , inconnues à ses nombreux sujets catholiques en Grande-Bretagne et en Irlande , pour l'émancipation desquels Sa Majesté a témoigné une si noble bienveillance ? »

Les chambres comme nous l'avons dit, n'ont même pas voulu prendre ces remontrances en considération ; mais les catholiques ont trouvé de courageux avocats , même parmi les membres d'une autre communion. Le docteur Grote, entre autres, éditeur d'un journal hanovrien , a, dans un long article, plaidé la cause des catholiques sous le rapport constitutionnel , refusant absolument au pouvoir le droit de mettre de telles entraves après les traités exis- tans. Il finit son article en disant que ce serait encore une soile

(i) Allusion aux troubles qui eurent lieu à Gottingue après la révo- lution de juillet.

22 suK l'état de la religion g\tuolique dans le hanovbe.

de satisfaction , si du moins le présent pouvait être considéré comme définitif; mais les termes de la loi sont si vagues, qu'ils laissent craindre aux catholiques de nouveaux empiétemens sur le libre exer- cice de leurs droits religieux. Il est assez remarquable encore que les Etats catholiques ont bien autrement entendu la décision du congrès de Vienne sur la liberté de conscience. Ils en laissent jouir pleinement leurs sujets protestans ; aucune restriction n'a été im- posée sur ceux-ci par aucun Etat catholique. Si un prince catholi- que l'avait tenté, c'aurait été dans toute l'Europe un cri général contre l'intolérance et le fanatisme des catholiques. Que dire donc de la tolérance et de la modération des Etats protestans, qui mo- lestent et oppriment à qui mieux mieux les catholiques ? car plu- sieurs Etats protestans suivent la même tactique. Nous avons vu naguère comment en Prusse on agit envers les catholiques ; on connaît la pragmatique adoptée relativement aux affaires de l'Eglise par des princes ou Etats des bords du Rhin ; et enfin , nous avons donné dernièrement une idée du plan proposé par la conférence de Bade sur ce qui concerne le clergé catholique. Tout cela est dans le même esprit que le cinquième chapitre de la constitution de Ha- novre, et annonce un système suivi contre l'Eglise j système illi- béral, injuste et vexatoire, s'il en fut jamais. V Ami de la Religion, n" 2281.

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RÉFLEXIONS SUR LHISTOIRE DE FRANCE

DE M. MICHELET,

PAR M. LE BARON U'ECKSTEIN (l).

§ III.

Nous avons vu M. Michelet fonder sa théorie de l'iraperson- nalité des Allemands sur la domination de la nature physique ; maintenant il nous montre au moral cette impersonnalite' re'- sultant d'une religion inde'termine'e aussi , quoique cherchant à prendre dans le culte forme et consistance.

D'abord il nous entretient de deux croyances de l'antique Germanie: l'ancienne peu connue; la nouvelle ou l'Odinisme, re've'le'e par les institutions et la mythologie des Scandinaves. Ensuite il e'tablit leurs rapports dans le domaine du culte et de la constitution sociale.

Quant au culte dominant , avant l'e'tablisseraent de l'Odi- nisme, c'est, selon l'auteur, l'adoration des arbres , des élé- mens , des J'ontaines (p. 164 )• Si les Allemands ont un génie vague pour avoir adore les e'ie'mens; les Indiens, les Bactriens, les Pëlasges , les Latins sont coutnmiers du fait. Une partie de l'ancienne religion de la nature embrassait un système phy- siologique et reconnaissait les harmonies pre'existantes entre les organes du corps humain et les diverses parties de l'uni- vers. On avait observe que tout, chez l'homme, e'tait cre'e' en conformité avec la nature ; ainsi la vue correspond k la lu- mière ; l'ouïe correspond à l'espace ; le tact correspond aux

(1) V. ci-dessus tom. IX, p. 40a et 449-

24 RÉFLEXIONS

impressions de l'air; l'odorat se rapporte aux exhalaisons de la terre ; dans l'eaa est le principe de la saveur. Les Indiens céle'braient leur Poorotislia , les Bactriens leur Kaiomors, les Grecs leur Titan , les Scandinaves leur Ymir , Dieu-homme, symbole du monde. Il y a des traces nombreuses de cette ma- nière de voir dans les fables allemandes du moyen-âge. Sacer- dotale, naïve, profonde, elle ne s'adressait pas à tel e'ie'ment isolé ; mais à l'ensemble des e'Iémens. Les e'ie'mens n'e'taient pas des dieux, c'e'taient des génies subalternes. La mythologie populaire les individualisait sous diverses formes.

Les Germains adoraient les arbres comme emblèmes de l'homme et comme figures du système des mondes. L'homme el la femme proce'daient de l'arbre Âskr , type de l'espèce ha- maine; dans le règne ve'ge'tal, les deux sexes se trouvent re'u- nis sur la même tige : la séparation des sexes n'a lieu que dans le règne animal. On supposait nn homme primitif, herma- phroditique , auquel on donnait, pour emblème, l'arbre le plus sublime des végétaux : 1 homme s'en dégageait par la sépara- tion des sexes. Dans l'Edda , le chêne Ygdrasill est un symbole de l'univers , comme l'Ashwattha des Indiens , comme leur Kalpa-Vricsha , figure du temps et de la plénitude des êtres ; car ils se développent dans le temps ; ceci rappelle le chêne de Dodonc , séjour de Zeus et de Dione , du dieu et de la déesse, on des deux principes de l'existence animale, qui se trouvent unis dans le règne végétal.

L'adoration des sources sacrées résultait de l'adoration du principe humide , a la fois fécondé et fécondant. Le cours de la civilisation suivait les fleuves; ainsi ont été vénérés le Gange, le Nil , tant de rivières de la Grèce pélasgique , fleuves qui fertilisaient les campagnes et favorisaient leur culture. Sortie de l'Océan , dans la nuit des temps , la terre était constam- ment restaurée par la pluie, rafraîchie par la rosée. Les Chattes et les Hermundures se disputaient la possession d'une rivière saline : c'était une guerre sacrée, car tout revêlait le costume sacré dans les législations de l'antiquité.

Qu'y a-t-il en cela de vague? C'est de la physiologie excen- trique mais positive.

SUR l'histoire de FRA.NCE. 25

Mais n'en déplaise à M. Michelet, en cela ne consistait pas { la religion ancienne ; elle relevait de qaelqae cliose de plus \ de'termine' , dont les traces efface'es brillent encore dans les \ re'cits des auteurs de l'antiquité' classique , dans la tradition \ des peuples , et dans la coutume du moyen-âge.

Tacite parle de la de'esse Hertlia , adorée dans une île de rOce'an ; les uns croient que c'est l'île de Rngen , les antres l'île de Se'lande : il est probable que les mystères de la de'esse étaient ce'ie'bre's dans les deux contrées. Hertha a toute l'allure d'une De'meter ou d'une Alhe'ne' pélasgique, d'une de'esse de la culture patriarcale du sol , pre'sidant aux travaux domesti- ques des femmes. On pourrait la comparer à Sris ou à Lak- sclimi, de'esse indienne qui repre'sente la terre fe'conde , sortie du sein des eaux : comme telle elle est l'e'pouse de Vishnou , du conservateur des mondes; elle pre'side aux occupations de l'e'pouse, dans la maison patriarcale, aux soins de la mère de famille : en cetle qualité' elle est la fiance'e d'Agnis, dieu du foyer sacre', le plus ancien des Pe'nates. Hertha de même; elle civilise les peuples ; elle leur enseigne le labour ; des vacbes traînent son char ; un voile la couvre , c'est le tissu sacré , brode' par la main des femmes ; toute la vie domestique re- lève d'elle ; sortie des eaux , elle redescend dans les eaux dont elle tirait son origine. On ensevelissait jadis les morts , on les confiait au sein maternel de la terre; plus tard on les brûla, ce qui était surtout la coutume des peuples héroïques. Le mode primitif de la sépulture se rapporte au culte des dieux Chtho- niens cbez les Pélasges , à leur religion des morts; en ce sens ils se disaient Autocblbones : il existe des indices d'un état pareil de cboses cbez les anciens Germains.

Telle était cette religion de la vieille Hertha , ou de l'anti- que Jormum des Scandinaves ; terre enveloppée par l'Océan , embrassée par le serpent Jormungandur son symbole. C'est le même serpent que la mythologie indienne appelle le Gouna, la corde qui enchaîne les mondes et la divinité, car elle 1 at- tache au système des mondes. Celte religion s'alliait à un vieux culte de la lune , et à un antique calendrier sacerdotal , qui servait à régler les assemblées du peuple, h indiquer les divi-

26

KEFLEXIONS

sions du temps, l'époque des ensemenceiuens , delà moisson, etc. , toutes choses dont la science demeurait entre les mains des prêtres; car ils e'taient consulte's sur toutes choses parmi les Germains comme dans l'antique Rome.

A ce culte de Hertha , se joignait celui de Thor , dieu ca- birique , dieu industriel, dieu des me'tiers , invoque' chez les Germains comme chez les Scandinaves.

« Par-dessus ces races et ces religions, sur cette première » Allemagne, pâle, vague, indécise, monde enfant, encore » engage' dans Vadoratlon de la nature , vint se poser une Al- » lemagne nouvelle , comme nous avons vu la Gaule druïdi- » que e'tablie dans la Gaule gallique par l'invasion des Kjmry.» (Pag. i65. )

Il s'agit de rOdinisme. J'ai cite' les rapports directs de TLor avec l'indnstrie et les métiers ; de Hertha avec l'agriculture et les travaux des femmes ; de l'un et de l'autre avec les lois et les rites ; le tout fonde' sur les ordonnances d'un antique sa- cerdoce ; le tout offrant des analogies avec les coutumes et les e'tablissemens des Pe'lasges de la Grèce et de l'Italie, avec les institutions domestiques de l'Inde, si on sait les lire à travers les de'figurations de l'ascèse brahmanique. Voilà pour ce qui est de la première Allemagne si décolorée.

La religion d'Odin, religion guerrière, rappelle le culte d'In- dra et de Siva , chez les Kshatriyas de l'Inde et celui de l'A- pollon Justicier, du dieu du glaive, chez les Hellènes. Je n'assimile rien et ne parle que de certains rapports. Tous ces dieux appartenaient à une religion plus ancienne que celle des hommes de guerre , qui leur confe'rèrent le baptême d'une existence nouvelle. Les Doriens ont me'tamorphosé ainsi leur He'raclès , fils de He're', qui e'tait un ancien dieu de la nature, pour en former un dieu he'roïqne.

Cette religion d'Odin avait sa loi pre'cisè , ses pontifes guer- riers, ses e'tablissemens permanens , ses rites et ses formes. M. Michelet paraît croire que l'Odinisme enveloppa toute la Germanie : Je ne saurais partager cette opinion. Nous le re- trouvons chez les Scandinaves , il re'sista opiniâtrement à la religion chrétienne ; chez les Saxons... chez les Anglo-Saxons...

SUR l'histoire de frasce. 27

enfin chez les Lombards el les Saèves. Mais les Anses des Gotbs ne sont pas les Ases ou les compagnons d'Odin ; rien ne le pi'ouve. Ansa , en sanskrit, signifie une portion d'un tout, entre autre la portion d'une divinité', un demi-dieu; mais je n'insiste pas SUT ce rapprochement. Ermanaric , il est vrai, joue un rôle dans l'Edda Scandinave; il est cite' dans la poe'sie anglo-saxonne; mais c'est e'videmment une importation e'trangère. Quant aux Francs et aux Golhs ils ont invoquer Thor comme dieu de la guerre , en transformant ce porteur du marteau des Cabires en dieu militaire, à cause de sa force. Plusieurs chefs amaîes et me'- rovingiens portent le nom de Thor. Du reste, les compagnons de Thor, qui e'migraient à l'e'tranger , et les associe's d'Odin, changeaient facilement de religion ; la raison en est e'vidente. Les Amales , les Ballhes , les Wodenungs , les Me'rovingiens , les chefs lombards , etc. , e'taient à la fois pontifes et chefs d'arme'e. La politique devait avoir une grande part dans leurs de'terrainations. Pour commander aux peuples conquis il fal- lait se rapprocher de leurs croyances ; et l'exemple des chefs entraînait souvent les compagnons , les parens , les fidèles , car ils exaltaient dans la personne de leurs chefs les fils de leurs dieux, et ne craignaient pas d'offenser les pères en voyant les fils de'sobe'ir aux comraandemens des dieux dont ils tiraient leur origine. En changeant de religion ils ne changeaient pas de moeurs. Sur ces esprits indiscipline's l'action du christia- nisme fut très-lente.

Pour prouver l'Odinisme des Francs on s'est appuyé' sur les Volsnngs de l'Edda , qui sont fils de Sigge, l'arrière-fils d'Odin; la Volsunga Saga , et la tradition anglo-saxonne , de'peignent ces Volsnngs à grands traits, sous des formes be'roïques et my- thologiques d'une antiquité' barbare. Dans ces fils de Sigge on a voulu retrouver les Sicambres (ce qui n'est pas de'montre ) ; mais il est très-possible qu'ils aient été' les ancêtres des Me'- roringiens. Beaucoup de chefs et de héros de cette race por- tent le nom de Sigge , le dieu de la victoire. La religion odi- nique s'est introduite parmi les fils de ce Sigge, ainsi que le prétendent la Saga des Volsungs , et la poésie anglo-saxonne. Le nom des Fraks , c'est-à-dire des Francs , se lit aussi dans

28 KÉFLEXIONS

l'Edda , grâce à la renommée de cette race , renomme'e qui , de bonne henre, a pene'tre' dans le nord Scandinave. Sans se trouver mêle's à la ruine de l'empire gothique, les Scandinaves, comme les A.nglo Saxons , en ont recueilli le souvenir. Ils ont chante' , de bonne heure , Attila et Ermanaric ; ils ont connu The'odoric. Cela indique des communications entre les peuples de la Scandinavie et de la Germanie ; mais les traces de ces communications sont efface'es de l'histoire.

M. Michelet affirme que la religion d'Odin fut beaucoup plus positive que celle qu'elle a supplante'e, en se l'incorporant avec des modifications et suppressions nombreuses. S'il avait ap- profondi le droit et les antiquite's germaniques, cette ancienne religion ne lui paraîtrait plus si vague. Le positif de la reli- gion odinique, pour me servir de l'expression favorite de l'au- teur , re'sulte de son caractère militaire ; c'est la religion d'un camp, mais non pas d'un camp formant une arme'e nationale; c'est la croyance d'un culte d'initie's militaires, groupe's au- tour d'un chef de leur choix , qui ce'lèhre avec eux les mys- tères de son culte. Assis autour de la table ronde, de la table du conseil, ils vivent dans un Asgard terrestre, dans une cite' des Ases. circule la coupe pleine d'ambroisie, coupe mys- tique , s'inspiraient les héros à des actions communes, dé- libe'rant les entreprises communes , se vouant à la cause d'un chef, salue' par eux du titre du fils d'Odin, dont ils étaient les compagnons fidèles. Cette religion a de l'analogie avec celle de rOlympe des Hellènes, avec celle du dieu Indra et de son ciel chez les Kshatriyas de l'Inde. aussi il y a une table , un conseil militaire, une boisson commune, des plaisirs et des fêtes, des batailles et des jugemens. La religion primitive, au contraire, loin d'être vague, comme le prétend M. Miche- let , s'attachait avec force à la culture du sol , à l'industrie , à la vie domestique , aux premiers arts de la paix , à la pieuse commémoration des morts ; la tribu s'y réunissait autour d un sacerdoce de la même origine , mais qui , peu à peu , s'était détaché du peuple pour devenir son instituteur, le gardien de sa foi , de son droit , de son état social.

Il est fâcheux de rencontrer chez un historien , homme aux

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pensées graves , ces accnsations rëite're'es de vague ; car l'in- : certitude de la pensée de IVcrivain se trahit constamment par | ces appellations bannales. Le mot vague ne nous apprend rien | sur la religion ancienne, pas plus que le mot positif ne nous .* en dit sur la religion nouvelle. Il y avait, puisque la poe'sie|| se mêle à tout ce qui concerne les croyances des hommes ,| | dans la croyance primitive une poe'sie qui pe'ne'trait plus avant! (■ dans les entrailles de la nature physique , qu'il s'agissait de'; ' dompter; il y avait, dans l'Odinisme, une poe'sie plus en rap- port avec les sentimens moraux de l'homme auquel il fallait commander l'he'roïsme le plus inde'pendant , l'abne'gation et Fobe'issance la plus cxalte'e. Cependant Ion se tromperait fort . si l'on admettait, dans la religion ancienne, moins de mora- | lite' , et , dans la nouvelle , moins de physique. Des classifica- tions sociales diflfe'rentes donnaient un cai'actère difFe'rent à un fond de croyances communes.

M. Michelet , qui a l'âme poe'tique , et c'est le côte' vrai- | ment brillant de son ge'nie , M. Michelet a très-bien saisi le l caractère profonde'ment se'vère et enthousiaste de l'ancienne ^ poe'sie héroïque des nations germaniques. 11 sent bien leur ' e'pope'e, tout en ne l'ayant, peut-être, pas assez spe'cialise'e ; f comment celte poe'sie ne lui a-t-elle pas fait toucher au doigt | le peu de fondement de son système sur l'impersonnalite' alle-:^ mande? Tout, au contraire, est profonde'ment personnel danS;' cette vieille poe'sie , qui explique si bien le mouvement des races guerrières et leur esprit de conquête au moment de grande migration des peuples.

» L'immense poésie )) he'roïque des Germains, dit-il (p. 172, 173), se résume en Sigfrid et en Tliéodoric. Sigfrid personnifie les Francs ; The'odoric personnifie les Goths. Je dirai que cela est vrai pour ce qui nous reste de ces anciens poèmes; mais, même dans leurs formes du moyen-âge , on voit que d'autres he'ros ont \o\xê an rôle aussi grand , et cela est confirmé , quant à Ermanaric , par le témoignage de Jornandes et de l'Edda Scandinave. Odoacre et les chefs lombards ne furent pas non plus oublie's. Quant aux he'ros anglo-saxons , ils ne dé-

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bordent pas de lear île : mais les Anglo-Saxons ont chanta les héros francs et goths.

La fable de Sigfrid se compose d'un éle'ment mythologique et d'un e'iément historique. Le Sigfrid mythologique est le Vol- sung ou le loup, le fils de Sigraund; race d'hommes fe'roces et vaillans, dont on croyait qu'ils pouvaient se rae'tamorphoser en loups ; croyance que He'rodote retrouve chez les Neures de l'Ukraine, mais qui est très-ancienne dans l'Europe pe'lasgique et latine, et se rapporte, probablement, an souvenir effacé d'un vieux culte, des hommes e'taient immole's. Ce culte et ses sectateurs reçurent une dénomination outrageante de la part de leurs adversaires qui l'abolirent.

Le Sigfrid mythologique est mis en rapport avec la fable de l'âge de fer, succédant à un âge d'or : cet état de troubles et de guerre met fin à un état de concorde et de paix. Le héros enlève les trésors a l'homme de la religion ancienne , au peu- ple industriel , dont on fit un dragon , parce qu'il avait le serpent pour emblème. Ce mythe vous le retrouvez , sous dif- férentes formes , chez les Indiens , chez les Bactriens et dans la haute Asie , les Arimaspes combattent les griffons pour la même cause : un poème antique le célébrait; je veux par- ler des Arimaspées du fameux Aristée de Proconnèse. A cette donnée se rattache ensuite nne idée morale. La malédiction du vieux serpent de l'ancienne religion , persécutée dans cet animal qui est son emblème terrestre et scientifique, s'attache à la possession de l'or ; le héros Volsung périt pour l'avoir enlevé, et avec lui périssent tous ceux qui y mettent la main. L'or devient la cause des divisions entre les amis et les frères , les uns tombent par l'épée des autres. C'est nn feu dévorant} le trésor que le serpent garde est enveloppé de flammes.

Le vieux Sigge, le fils ou descendant d'Odin, est d'abord un Volsung. J'ai déjà eu l'occasion de remarquer qu'il se pouvait que les Mérovingiens tirassent leur origine de la famille des Volsungs , appelée de ce nom , soit à cause de son ancienne religion , soit à cause de ses traditions domestiques et de la férocité de ses moeurs. La fable des Volsungs, dont il ne reste plus trace chez les Francs , a été conservée dans lEdda et la

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Saga islandaise ; elle e'tait connue des Anglo-Saxons. S'il m'est permis de hasarder une conjecture, j'oserai dire que plusieurs Iraits de l'histoire de Clovîs, telle que nous la lisons dans Gre'- goire de Tours , paraissent se rapporter à ces Volsungs , et serablent plutôt tenir de la poe'sie ou de la tradition e'pique et he'roïque que de la ve'ritable histoire. Tel est entre autre le re'cit de la mort de Sigebert-le-Boîteux , roi de Cologne ; il y a des rapports remarquables avec quelques parties des plus importantes du poème des Nibelungen.

« Clovis envoie dire au fils du roi de Cologne , Sigebert-ie- Boîteux : « Ton père vieillit et boîte de son pied malade. S'il

» mourait, je te rendrais son royaume avec mon amitié »

Chlode'ric envoya des assassins contre son père, et le fit tuer,

espe'rant obtenir son royaume et Clovis lui fit dire : « Je

» rends grâces à ta bonne volonté' , et je te prie de montrer tes » trésors à mes envoye's, après quoi tu les posséderas tous. « Chlode'ric leur dit : « C'est dans ce coffre que mon père amas- « sait ses pièces d'or. » Ils lui dirent : « Plonge ta main jus- » qu'au fond pour trouver tout. » Lui, l'ayant fait et s étant tout-à-fait baissé , un des envoye's leva sa hache et lui brisa le crâne. Clovis ayant appris la mort de Sigebert et de son fils,

vint dans celte ville, convoqua le peuple et dit « Je ne

» sais nullement complice de ces choses; car je ne puis re'- » pandre le sang de mes parens , cela est défendu. Mais puis- » que tout cela est arrive', je vous donnerai un conseil, voyez » s'il peut vous plaire. Venez à moi , et mettez-vous sous ma » protection. Le peuple le prit pour roi. » ( Lib. II, c. ^i. ) Je ne doute pas que Clovis nait fait assassiner son parent et les autres rois dont il est question dans la suite de ce passage ; mais les circonstances de ce meurtre en particulier , et des antres meurtres en ge'ne'ral, me paraissent appartenir à la poe'- sie, a 1 ancienne fable des Volsungs, conserve'e dans la bouche du peuple cl confondue, après que les Francs eurent embrasse' le christianisme , avec des circonstances de la vie de Clovis , leur chef. Voici comment je le prouve.

Dans un très-vieux chant de l'Edda , il est question d'un Alf, c'est-à-dire d'un demi-dieu du nom de Voeiundur j c'est

32 RÉFLEXIONS

le Vulcain des Scandinaves ; c'est l'orfèvre parmi les dieux , celai qai fabrique des ornemens pour les de'esses. Il est connu dans la fable anglo-saxonne et germanique; on le retrouve même dans la poe'sie française du moyen-rige , preuve qu'il a été adore' cbez les Francs. Comme le Vulcain des Grecs , ce forgeron est boiteux. Durant son sommeil , un roi le surprend pour le voler, lui coupe le jarret et le force à entrer à son service, pour fabriquer les armes du prince et les bijoux de la reine. Mais le forgeron songeait à la vengeance. Occupe' nuit et Jour à ses travaux d'esclave, il voit accourir les deux jeu- nes fils du roi , qui , pleins de curiosité' , demandent à voir ce que renferme le coffre oii se trouvaient les tre'sors de leur père , dont le boiteux avait la garde. Le coffre e'tant ouvert , Voelundur fait tomber le couvercle sur la tête des jeunes en- fans , et accomplit ainsi une partie de sa vengeance.

Dans cette fable , dont Je ne fais qu'e'noncer quelques cir- constances, nous retrouvons l'homme boiteux; Voelundur est roi des Alfs , prince de ces demi-dieux ; nous retrouvons le coffre , la curiosité de l'homme punie d'une manière cruelle, et le mode de l'assassinat. Quelques-unes des circonstances de celte fable se reproduisent dans la Niflunga Saga, compilation faite par un Norve'gien dans le moyen-âge , sur des mate'riaux en partie très-anciens. Le roi Attila a fait tuer les Niflungs , gardiens du tre'sor que Sigfrid a arrache' au dragon , et dont les Niflungs ses allie's se sont traîtreusement empare's. Mais les Niflungs , qui se méfiaient d'Attila , avaient enfoui le tre'sor dans la terre, et, en mourant , se re'jouissaient d'avoir trompé leur ennemi. Aldrian , fils de Hagen ( Hoegni ) , un des Nif- lungs, n'est pas satisfait de cette vengeance; il lui faut la mort du meurtrier de son père. Entré Jeune au service d'Attila, il lui demande un Jour comment le roi compterait le récom- penser s'il lui livrait le trésor. Attila lui promet de l'élever en puissance au premier rang dans son empire. Le vieil avare et le jeune homme vindicatif s'acheminent la nuit dans la forêt; ils arrivent devant une montagne dont Aldrian avait les clefs. Ouvrant successivement trois portes , il introduit le roi dans le lieu le trésor de Sigfrid avait été caché avec ses armes.

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Alflrîan s'enfonce dans la montagne , et découvre des tre'sors de plas en plus nombreux aux yeux d'Attila qui est dans les transports de la joie. Mais Aldrian , revenant par nn de'tour à l'issue de la montagne, ferme rapidement une première porte, et puis une seconde , et puis une troisième , laissant Attila prisonnier. Puis il roule des rochers e'normes devant l'entre'e de la caverne. Au troisième jour il revient ; Attila e'tait par- venu à arracher l'une des trois portes , sans pouvoir soulever le poids des autres. Il conjure son bon ami Aldrian de lui ouvrir , lui promettant des richesses , du pouvoir et une im- mense expiation pour le meurtre de ses parens. Il implore de sa pitié' un morceau de pain et un peu d'eau ; mais Aldrian , en le félicitant des trésors qu'il a conquis , l'invite à boire cet or , dont il avait une soif si inextinguible, et le roi des Huns meurt de faim au milieu de ses innombrables richesses.

La caverne qui renferme les trésors de Sigfrid rappelle le coffre qui recèle les trésors de Sigebert ; le genre de mort et la trahison qui le détermine , offrent aussi de grandes analo- gies. Sigfrid , dans les Nibelungen , est blessé au talon par ses parens, qui l'égorgent pour posséder ses trésors; circonstances qui font supposer, avec quelque apparence de vérité, que la vie de Clovis , telle que les historiens nous l'ont transmise , est empreinte de locutions symboliques, appliquées à des cir- constances de la vie réelle de ce prince , et renfermant des souvenirs de la famille des Volsungs, les descendans de Sigge, prétendu descendant d'Odin.

M. Michelet a saisi , mais aussi exagéré en poète , et toujours au profit de son système favori, ce mythe de l'or, et le rôle qu'il joue dans l'épopée germanique. L'or arme les Allemands contre les Allemands. « Qui entraîne, se demande-t-il (p. iy3, » 174)» les tribus germaniques dans ces guerres parricides? » C'est celte fatalité terrible dont parlent 1 Edda et les Nibe- I) lungen : c'est l'or que Sigurd enlève au dragon Fafnir , et » qui doit le perdre lui-même ; cet or fatal qui passe à ses » meurtriers , pour les faire périr au banquet de l'avare Attila. »

Tout ce luxe de réminiscences poétiques est pour dire que les Allemands qui , dans les guerres d'Attila et dans d'autres T. X. 3

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guerres se sont de'truits les uns les antres, ont e'te' pousse's à cela par un mobile mystique et poe'lique : voilà une base bien extraordinaire pour des e've'iiemens parfaitement connus dans leurs circonstances principales. Gaulois contre Gaulois combat- taient aussi à la solde de Rome et de Cartbage ; Français lut- tèrent contre Français dans les guerres anglaises, sur les champs de bataille de la ligue et de la re'volution ; ce sont les tristes effets des troubles civils , ce sont aussi les produits des enga- gemens et de la discipline militaire. Pour le poète, il y a , sans contredit , une espèce de fatalité ; cependant ceux qui s'e'gorgent ainsi, ne savent pas qu'ils obe'issent à une volonté , fatale. On dirait, du reste, dès qu'il s'agit des Allemands, que I M. Micbelet lui-même devienne l'esclave de la fatalité', en ex- I pliquant par une fable poe'tique les motifs très -prosaïques qui I mirent les armes à la main aux Germains des arme'es d'Attila l contre les Germains des arme'es d'Âe'tius. A ses yeux, les Ger- I mains sont esclaves de la nature au point que l'or leur com- l mande directement, non pas à cause du butin, mais par suite de sa puissance mystérieuse.

Après la fable de l'or , vient le mythe de la femme , qui joue un grand rôle dans la vieille épopée tudesque. Nul doute que le héros principal de l'épopée des Nibeiungen n'ait quel- que parenté avec Sigebert, roi d'Austrasie , époux de Brune- haut, qui porte le nom de Brutihild dans le poème germani- que. La rivalité de FréJégonde et de Brunehaut se retrouve en partie, dans la rivalité de Chriemhild et de Brunehild de la tradition épique. Cependant je suis loin de croire que ce soit bien réellement l'origine de la fable des Nibeiungen. Brynhild , dans TEdda , est une Valkyrie , un sombre génie femelle qui excite les ennemis de Sigurd au meurtre du héros qu'elle aime , parce que Sigurd , après l'avoir conquise les armes à la main , est forcé de la céder, d'après la promesse qu'il en avait faite à son ami Gunnar, l'homme de la race des Niflungs. Sigurd épouse la sœur de Gunnar, et Brynhild, se regardant comme la première et légitime fiancée de Sigurd , •se brûle auprès du cadavre de son premier amant. Eu tout ceci , rien ne rappelle le roi d'Austrasie et la rivalité de Bru-

sus l'histoire de FRAS'GE. 35

nehaut et de Frëdegoncle : mais je ne nie pas qne l'histoire franqne n'ait puissamment influé sur la forme de'finitive que le poème des Nibelungen a revêtue au moyen-âge.

La Valkyrie , i'iie'roïne de la religion odinique, l'amante de Sigge, du fils d'Odin , est un être à moitié' humain, à moitié' surnaturel, un être douteux, magique, terrible. On peut la comparer aux Amazones de la fable grecque. Elle ressemble aux Apsaras du ciel d'Indra, dieu des guerriers du Radscb- poutana. Ces Apsaras combattent , sur le champ de bataille , auprès des he'ros leurs amans. Quand ceux-ci succombent , dans un baiser elles leur enlèvent l'âme , et les attirent ainsi jusqu'au ciel dindra, au fond des cieux, oii ces he'ros se nour- rissent d'Amrita , c'est-à-dire de la boisson de l'immortalité'. Sur ces femmes he'roïques , M. Micbelet e'met, selon nous, des ide'e bien bizarres.

a L'or et \di femme, dit-il, voilà l'objet des guerres, le but » des courses he'roïques »> (pag. 174)- Nouvelle manie de confondre la fable lie'roïque qui se reflète jusques dans les e'pope'es du moyen-âge, et dont la source est antérieure à l'his- toire, avec les grands e've'nemens de l'histoire, oii l'homme et la femme n'ont rien à faire. Brynbild, la Valkyrie, et Fafnir, le gardien de l'or , ne sont pas les mobiles de la guerre des Goths ou des Francs , pas plus que la toison d'or ou la belle He'lène , et que tant d'e've'nemeus semblables de la fable he'- roïque des guerriers de llnde et de la Me'die , ne sont les cau- ses re'elles de tout ce qu'il peut y avoir d'hiîitorique dans les navigations des Argonautes , dans les invasions des Grecs dans la Troade et l'Asie-Mineure , etc. Que de temps à autres il y ait eu rapt et se'duction ; que l'amour du butin ait e'te' pour beaucoup dans les anciennes expe'dilions militaires, ])ersonne ne le nie; mais il ne s'agit pas de l'or et de la femme des poè- mes Scandinave et germanique , dans les e'tablissemens politi- ques et les conquêtes des Goths, des Francs, des Anglo-Saxons, des Lombards.

Souvent , je ne dis pas toujours, la femme, dans les anciens poèmes , est la personnification d'une de'esse , et cette de'esse c'est très-souvent le territoire conquis, envahi, la beauté' ra-

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vie. Parfois elle est le symbole «le la discorde, portant le trou- ble dans les sens et excitant des jalousies rivales. Il y a, dans tout ceci, un me'Iange de re'alite' et d'ide'alite, ce qui constitue le genre à la fois e'piqne et symbolique.

« L'amour, dit M. Miclielet, ici ( cbez les Germains) n'a » rien d'amollissant ; la grâce de la femme , c'est sa force , sa >i taille colossale. »

Cela est vrai par rapport aux Valkyries , qui ressemblent anx Amazones et sont des êtres fantastiques. Il y avait Aes filles du bouclier {Skîold-moe) comme les appellent les Scandinaves, qui assistaient aux combats; mais ce n'e'lait pas la règle ge'né- rale. De cela l'auteur tire une conse'quence bien forcée; tour- nant avec adresse une vertu en reproche, il attribue la chas- teté' que Tacite loue dans les femmes germaniques à la froideur de leur tempe'rament. Puis il donne un certain e'clat au li- bertinage des mœurs que les e'crivains du moyen âge, et quel- ques anciens reprochent aux Irlandaises et aux femmes bre- tonnes. Sans qu'il en fasse de'cidement une vertu , il lui trouve une excuse dans l'ardeur et la ge'ne'rosite' du sang....

Du reste , nous ne sommes pas au bout des hypothèses ; comme il y avait deux religions dans la Germanie , l'ancienne , que l'auteur appelle la vague; la nouvelle, qu'il de'core du titre de positive, il faut aussi deux conditions aux femmes : sous la religion vague la femme est ne'cessairement esclave , c'est une personnification de la nature; sous la religion posi- tive, la femme est ne'cessairement libre , c'est une personnifi- cation de la volonté. Si cette antithèse n'e'tait pas soutenue, l'hypothèse ne serait pas complète. Nous lisons donc :

« La femme , dans la Germanie primitive, e'iait encore courbée » sur la terre qu'elle cultivait. »

C'est la une interpre'tation fausse d'un passage de Tacite ( Germ. , cap. i5). Les hommes puissans, les chefs et les prin- ces ne pre'sidaient pas en personne a la culture de leurs champs ; ils abandonnaient à leurs femmes les soins domestiques, les champs et l'agriculture. La femme dominait à l'intc^rieur, di- rigeant les travaux ; indice d'une haute dignité', pareille à celle de la matrone de Rome. Les grands s'occupaient des armes.

SUR l'histoire de FRANCE. 37

de la chasse, de la politiqae , des jugemens publics et privés; le reste était abandonne' à leurs e'ponses , aux vieillards qui ne pouvaient plus mener une vie active , et qui avaient les colons sous leur surveillance. Tacite nous de'peint l'existence d'un peuple nouveau et militaire , ente' sur un peuple ancien et agricole qu'il domine. C'est un e'tat re'cent et qui ne se ren- contrait pas sur tous les points de la Germanie. Le culte de Hertha prouve à lui seul le haut rang qu'occupaient les fem- mes dans la société' germaniffue primitive , fonde'e sur les arts de la paix et de l'industrie. Freya , la de'esse de l'amour, avant d'être de'grade'e jusqu'au point nous la i-enconlrons dans le culte odinique , avant detre une Ve'nus profane , e'tait une de'esse sévère, pre'sidant au mariage; et l'e'pouse germanique tirait d'elle son titre de Frau; la vierge germanique, en allemand moderne, est la Jung-Frau , la jeune Freya. Freyr, le frère de Freya, est l'amant de la jeune fille ( Freier en allemand moderne), son futur. époux. Cette assimilation de la femme et de la jeune fille à la déesse , ne suppose pas un état de dégradation du sexe le plus faible.

Cela doit suffire pour prouver que la femme de la Germa- nie primitive, la femme de la religion ancienne n'était pas

exclusivement esclave

Comparer ce qu'il y a de plus récent à ce qu'il y a de plus ancien , pour retrouver partout la filiation des sentimens et des croyances , et cela à des époques de mélange , c'est une manie qui a conduit M. Michelel à un singulier rapproche- ment. Il jette ainsi, sur le fond de sa méthode, une lumière piquante, et prouve jusqu'à quel point la vérité, quand on l'outre et quand on la défigure par esprit de système , peut s'égarer jusqu'au burlesque ; quel que soit , du reste , le talent d'un écrivain à l'imagination riche et fertile.

Ainsi, aux pages i'j^-i'j5, il compare l'ancienne Valkyrie du Nord, la fille du bouclier, l'Amazone germanique à « celte courageuse Anglaise qui, pour retrouver son jeune époux, retourna tous les morts de Waterloo. » Voici sur quelle obscure analogie l'auteur s'est cru en droit d'établir ce parallèle Autour du héros de llnde une Apsara voltige sur le champ

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de bataille, et, quand son amant succombe, cherche à le re- trouver parmi les morts pour l'enlever au ciel d Indra ; ainsi la Valkyrie se ment autour duhe'ros Scandinave de son choix, et, l'ayant cherche' parmi les morts, s'en empare pour le con- duire au Valhalla. La jeune Anglaise c'est, pour M. Michelet, une re've'Iation , un trait de lumière; elle lui fait deviner l'Ap- sara indienne , la Valkyrie Scandinave. Certes , le trait que l'auteur cite est très beau, mais il n'a rien de commun avec les êtres poe'tîques qui lui en rappellent le souvenir. Si sa comparaison e'tait exacte , nos arme'es seraient peuple'es de Val- kyries , femmes ou amantes de nos soldats. Il est vrai qu'en poursuivant l'analogie sur ce terrain , la moderne Anglaise n'aurait pu y figurer d'une manière caractéristique , comme reproduisant « Edith au col de cygne cherchant Harold après la bataille dHastings. »

Dans son ardeur de poe'tiser l'histoire, M. Michelet fait du he'ros germanique, de Sigfrid et de TheoJoric unWargr; nous verrons plus loin le peu de fondement de cette hypothèse. Parce que Sigfrid court les aventures , l'auteur y voit un exile', con- fondant l'exile' avec le Wargus , ou le profanateur des tom- beaux et des temples, la bête féroce, le loup. Dans l'Edda , Sigurd tombe au servage de son beau-père , qui avait e'pouse la mère du Jeune he'ros , sa captive et veuve du père de Si- gurd ; il s'affranchit de ce servage par un exil volontaire. « Le conque'rant du Nord (dit M. Michelet, pag. 173) , le Wargus franc ou Scandinave, c'est Sigurd, c'est Dietrich von Bern. » L'auteur se demande ensuite si Dietrich von Bern est The'o- doric de Ve'rone? Rien n'est plus sûr. Mais quand il ajoute que le tombeau de The'odorlc à Ravenne est un tombeau gothi- que , je m'étonne qu'il puisse reproduire ce vieux conte, tant de fois re'fute'. C'est une architecture byzantine du temps de la de'cadence des arts dans l'empire romain. Il n'y a rien de pe'lasgique, comme le veut l'auteur; c'est tout bonnement une masse informe, c'est l'art non pas dans l'enfance, mais dans la de'cre'pitude delà vieillesse. Les Germains n'avaient ni villes. ni palais, ni ce que nous appelons des temples. Odin, il est vrai, posse'dait un temple à Sigtuna en Suède; mais les Goths

SUK l'histoire de FRANCE. 39

n'onl nulle part laisse de traces Je leurs monumens, et la pré- tendue architecture gothique porte ce nom à contre-sens.

Si en conscience , je suis obligé de refuser aux héros ta- desques le goût des arts , et de repousser la dénomination de Wargns qui leur est faussement appliquée , Je ne saurais non plus admettre que la ruse et la perfidie aient été représentées d'une manière particulièrement haïssable dans les vieilles épo- pées du Nord. Les héros de prédilection de ces poèmes n'ont pas été des hommes simples jusqu'à l'excès presque de la niai- serie, de bons eiifans , ou plutôt de bonnes dupes, pour me servir d'une expression triviale ; à cet égard M, Michelet pré- tend opposer la muse et le génie dès Grecs à la muse et au génie des Allemands. Les Grecs célèbrent la ruse et la perfidie dans leur Ulysse ; les Allemands les maudissent dans leur Hagen. Mais Hagen, tout perfide qu'il est, est un héros; mais ce héros est dépeint avec une faveur marquée dans l'Edda Scandinave. Le meurtre de Sigfrid et la malice de Hagen , qui le conseille, ont même un type religieux dans la mythologie du Nord. Sig- frid, c'est le représentant terrestre du dieu Balldnr; Hagen, c'est le représentant du frère de Balldur, qui est tué par lui. Ces deux personnages appartiennent à une religion ancienne, il y avait opposition entre la lumière et les ténèbres, le bien et le mal; l'Odinisme , dans les temps postérieurs, leur a imposé une forme héroïque.

Pour conclure sur le chapitre de la religion guerrière, je dirai que l'auteur n'aurait jamais méconnaître le caractère de personnalité libre, pour me servir de son expression favorite, qui distingue la religion d'Odin d'une manière très marquée, n n'ose pas la nier; mais il fait tout ce qu'il peut pour en amoindrir le résultat; pour y parvenir il tombe même en con. tradiction avec sa propre tliéorie , fondée , comme nous le sa- vons, sur la mollesse de la race allemande, mollesse qu'il pré- tend prouver par Xinstabililé de ses demeures ; tout k coup , et pour diminuer l'héroïsme de ces mêmes Germains , il les transforme en un peuple casanier. Or, un peuple casanier a nécessairement des institutions fixes. S'il en était autrement il serait vagabond. Quant aux aventuriers allemands qui se par-

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tagent l'empire romain, ce sont, dit-il, de jeunes gens sem- blables aux e'tudians des universite's , buveurs de bière, tapa- geurs qui brisent tout, du reste assez bons enfans. En outre, ce sont des Wargr, des expalrie's. Anime' de cet esprit bostile, voici comment il s'e'nonce sur les races allemandes. « Nous ne » remarquons pas en elles cet esprit d'aventure qui a promené » les Celtes antiques, les Tartares modernes à travers l'Europe » et l'Asie ( pag. i63). »

Était-ce l'esprit d'aventure qui a mis les Celtes en monve- I ment? Qu'une fois e'branle's , cet esprit, sous des chefs he'roï- i qnes, se soit mêle' à leurs expe'ditions, cela se j)eut; mais qu'il I ait détermine' les nombreuses migrations celtiques , il faudrait ^ le prouver et ne pas se borner h l'avancer.

Les Gaulois, en passant les Alpes par saite de causes incon- nues, qui se rapportaient à de grandes commotions internes, I' cbercbaient des terres et non pas des aventures. Les Etrusques et les Romains n'avaient pas envie de partager avec eux; ce fut force'ment , et parce qu'ils se voyaient attaque's et repous- se's , que les Gaulois se livrèrent à la vie guerrière. Ils se trouvaient dans une situation analogue à celle des Gotbs , que les Huns avaient repousse's de leur territoire. Telle n'e'tait pas la position des Francs, des Suèves, des Vandales, des Anglo- Saxons, des He'rules, des Normands; chez eux c'e'taitbien re'el- lement la soif des conquêtes, le ge'nie des aventures. L'odi- nismea inspiré les Anglo-Saxons, les Lombards, les Scandinaves; mais la cause de'torminante de leurs excursions se rapporte à une vieille institution de la Germanie guerrière. Des chefs re- nomme's s'attachaient une jeunesse ardente, l'admettaient à leurs réunions politiques et religieuses, à leurs repas, dans leurs familles : voilà lorigine des fidèles; voilà le premier germe dont s'est développé le système féodal, an temps des Carlo- vingiens, après que l'institution primitive eut envahi les pays conquis , en subissant de nombreuses vicissitudes. C'est cet \ héroïsme germanique qui a complètement changé l'Europe ro- I maine ; l'héroïsme celtique s'est écoulé sans laisser de traces. M. Michelet cite les Tartares; ils courent le monde, mais ce n'est, certes, pas par orgueil d'héroïsme; flottant entre la

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Chine et la Transoxane , ils mènent pendant des siècles une vie nomade. Ce qui les force à se rejeter sur l'Occident, à de'- border sur l'Asie rae'ridionale , à essayer de pe'ne'trer dans la Chine , c'est la politique des Chinois ; tantôt elle essaie de les affamer, tantôt elle cre'e des rivalite's entre les tribus pour s'assurer, sur ces peuples, une longue pre'dominance, et les empêcher de s'accumuler sur les frontières de l'empire. Un Attila, un Gingiskan , un Tamerlan sont, chez ces hordes, des exceptions, des phe'nomènes. Rien chez les Tartares ne rappelle les migrations des Gaulois, des Goths , les expe'ditions des Francs et des Barbares de l'Occident.

M. Michelet dit fort bien « que les premières migrations des Germains sont ge'ne'ralement rajjporte'es à des causes pre'cises;» mais elles ne le sont ni plus ni moins que celles àes Gaulois. Les Germains e'iant les derniers venus, nous les connaissons mieux que les Gaulois, qui datent de l'enfance de la re'publi- qae romaine. Dans ces e've'nemens il y a toujours quelque chose de cache'; nous voyons les effets plutôt que nous com- prenons les causes. La migration des Cimbres paraît contem- poraine de quelque grande re'volution de la nature ; mais le dire de Plutarque, e'crivain peu judicieux, ne forme pas au- torité'. Quand les anciens ignoraient la raison d'un e've'nement , ils supple'aient trop souvent à leur ignorance en inventant une cause; mais je ne vois pas ce qui a pu autoriser l'auteur à soutenir que, selon Tacite , la guerre et la faim aient fre'qnem- ment pousse « les tribus les unes sur les autres. » Cette manière de repre'senter les hommes comme des troupeaux de bêtes fé- roces qui se ruent sur d'autres hommes comme sur des trou- peaux domestiques pour les poursuivre jusque sur la terre e'trangère , me paraît une invention de l'Evbe'me'risme. C'est un système pareil à celui qui fait sortir les hommes de dessons terre, comme Autochihones, qui leur donne des glands pour nourriture, qui les repre'sente comme inventant leur langage en imitant les cris des animaux, etc., etc. Rien de cela n'a de fondement dans l'expe'rience.

Si donc les Germains de M. Michelet sont, d'une part, une race flottante , quand il veut les repre'senter comme des êtres

42 RÉFLEXIONS

impersonnels, enfans de la nature; ils sont, d'antre part, ane race casanière, dès qu'il a inte'rét à leur ravir leur âge d'he'- roïsme et le ge'nie des aventures. Il cite les Frisons , qui n'ont pas e'migre'; mais il y eut des Frisons en Angleterre, et il est probable qu'il y en eut parmi les Francs. Et de plus , cet exemple me paraît mal choisi, car il n'est pas exac^ de dire que leur territoire soit « un sol de'lendu par la nature. » Mo- bile comme la Hollande , le Dithmarseo est le pays des Chances, il a fallu le conque'rir sur les flots, par les travaux et l'indus- trie de lliomme, à l'instar de Venise et de la Lombardie , des valle'es du Nil, du Hoangho et du Gange.

Mais avec M. Michelet on ne sait jamais positivement pour quel système il se de'cide. Par une contradiction nouvelle , à la page 166, il nous pre'sente les mêmes Germains si casaniers comme une race aventureuse, et cela dans le seul but de prou- ver qu'ils ont constamment poursuivi des chimères. Ainsi , dans son hypothèse , les peuples odiniqoes auraient recherche un Asgard, une cite' des Ases ou des dieux ; ils auraient couru l'Europe pour de'couvrir ce Valhalla terrestre, terre promise, comme la Je'rasalem des Croisades. Les voilà transforme's en une sorte de Croise's du paganisme se pre'cipifant à la de'cou- verte d'une terre sainte. Mais l'auteur ne veut pas observer que les fils d'Odin , titre dont s'enorgueillissaient ces pre'tendas descendans des Ases , en se jetant sur l'e'tranger , laissaient leur Asgard derrière eux , au milieu de leur patrie. Ils n'avaient pas besoin de !e chercher ailleurs ; du reste , dans leur système, Asgard devait être partout oîi ils transportaient leurs bataillons. Cette cite' e'tait un camp, et dans ce camp dominait Odin dans la personne de son fils ou descendant , Hengist, Horsa , Sigge, etc., etc. Ce n'est qu'au de'clin de la religion des Ases, ce n'est qu'à l'aurore du christianisme, que certains aventuriers Scan- dinaves allèrent à la rechei'che de cette contre'e mythologique dont ils avaient perdu la connaissance. On les vit courir du côte' de la Russie pour de'couvrir le grand Svilhiod , qu'ils pla çaient h l'Orient , et qtt'ils croyaient être la patrie originelle des Sviar ou Sne'dois. Quelle est donc l'analogie entre les ex- péditions des Croise's et celles des Germains et des Scandinaves?

SUR l'histoire de FRANCE. 43

Me voici parvenu à une des suppositions les plus extraor- dinaires qui ait jamais e'te' avance'e par nn historien ancien ou moderne. A cet e'gard il nous fait entrer dans quelques explications.

Les vieux codes germaniques parlent d'une classe de gens qu'ils nomment les Wargi , dans la loi des Saliens et des Ri- puaires , les Wargr dans celle des Scandinaves, et que la loi d'Edouard le Confesseur (lib. VII, de Vllagatis, des gens hors de la loi ) de'signe sous le nom de Wulfcs-heofod , têtes de loups; ces gens sont les loupa , c'est-à-dire les profanateurs des temples et des tombeaux, chasse's de la communauté' politique et religieuse , des gens mis à jamais hors la loi de leur pays.

Il est encore question (chez Grimm, Ucchtaaltcrthumer ^ pag. 3g6, sur l'autorité' duquel M. Michelet s'appuie), il est question , dis-je, dans la loi lombarde, du TFargangus , c'est- à-dire de l'homme qui s'est e'ioigne' de sa demeure ; gfing voulant dire marche, et IFar signifiant demeure. Il s'agit des mendians , des vagabonds, gens sans asile, mais qui, pour cela, ne sont pas ne'cessairement des criminels, des loups. Eh bien , ces deux sortes de gens , les JFargi et les Wargangi , M. Michelet les confond , les pe'trit comme une même pâte ; voilà, selon lui, l'origine des Clovis, Hengist, Ariovisle , Mar- bod, The'odoric , Afaulph, Gense'ric , etc., etc., voilà leurs compagnons d'armes; d'un trait de plume, ces he'ros des temps barbares, sont transforme's en un vil gibier de potence (pag. 21 3).

« Du jour, dit M. Michelet, pag. 172 , le Wargus a jeté' » de la poussière sur tous ses parens et lance' l'herbe par dessus » son e'paule , ou s'appuyant sur son bâton il a saute' la petite » enceinte de son champ, alors (ju'il laisse aller la plume au » vent, qu'il délibère comme Attila, s'il attaquera l'empire » d'Orient ou l'empire d'Occident, à lui l'espoir, à lui le » monde ! »

On a besoin de lire deux fois pour y croire. Quoi! les Eerserker de la Scandinavie, les descendans d'Odin, ces hom- mes que Wodan enflammait de la rage des batailles, c'e'taient des mendians courant le monde et demandant l'aumône aux

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pays étrangers , c'étaient des criminels en horreur à tous leurs concitoyens ; tout cela c'e'tait la graine d'où devait e'clore un Attila, roi des Huns, qui, soit dit en passant, n'a rien de commun avec les Germains? M. Michelet , e'crivain de bean- conp d'imagination, poe'tise tout. Le Wargus , c'cst-à dire l'homme infâme , qui ouvrait les tombeaux pour voler les morts (loi salique , tlt. 5'j , cap. 5; loi ripuaire , tit. 85-i ) ; le TVargri Feom des Scandinaves , c'est-à-dire l'homme qui envahissait les temples , pour souiller les lieux sacre's ; un m\- se'rable de cette espèce , voilà donc l'e'toffe dont la nature se servait pour fabriquer les conque'rans et les he'ros de l'anti- quité'? Cependant ne jugeons pas avec trop de se've'rite'; sans faire attention aux actions sanguinaires du Wargus , à la pro- fanation de tout ce qui est saint et sacré , l'auteur ayant ren- contre' quelque part les usages symboliques de la Chrene-Chruda, coutume énonce'e dans la loi des Saliens et des Ripuaires , a été saisi par les circonstances pittoresques de cette coutume; son imagination y a trouvé la matière d'un tableau, et la vé- rité historique a été sacrifiée au désir d'intéresser.

Celui qui ramasse l'herbe pure, ou la Chrene-Chruda, n'est pas un Vargus, et n'est pas un Wargangus ; c'est un iiuolvahle , qui ne peut payer le prix du sang , pour le meurtre qu'il a commis, qui ne peut pas satisfaire à la loi. Il entre dans son domaine; il arrache quatre poignées de gazon des quatre coins de son territoire; debout sur le seuil de la porte, jetant un regard inquiet an-dedans de sa maison, dont il va s'éloigner, jusqu'à ce qu'il ait satisfait à la loi , il jette cette herbe et cette terre par dessus l'épaule et en couvre le plus proche de ses parens. Puis, déchaussé, vêtu de la seule chemise, un bâ- ton à la main, il disparaît, après s'être élancé par dessus la haie de son champ.

Jamais le Wargus ne pouvait revoir sa patrie; le mendiant n'y avait aucun intérêt, il n'y avait rien possédé; mais l'autre exilé n'avait qu'à satisfaire à la composition de la loi , pour rentrer dans son droit. Qu'est-ce ensuite que cette plume, que le fugitif laisse aller au vent , pour lui indiquer s'il doit se diriger au hasard , vers l'Orient ou vers lOccident , afin de se

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joindre à ses pareils, qui veulent explorer les contre'es e'tran- gères ? Cela me paraît emprunte à quelque coutume des com- pagnons ouvriers, pue'rilité indigne de la comme'moration de l'histoire : telles sont cependant les circonstances poe'tiques dont M. Michelet a fabrique' un ensemble , en assimilant ce qui devrait être distingue', genre de fusion ou de confusion que l'on rencontre malheureusement plus d'une fois dans son ouvrage.

L'espèce de rape'tisseraent syste'matique que l'auteur fait sa- bir au génie de la nation allemande , ne connaît pas de bornes. Non content de la pre'senter comme vague et inde'lermine'e , il veut encore lui ravir toute originalité, la confondre dans la masse des populations les plus grossières. Les mœurs des Germains , dit-il , sont semblables à celles de tous les autres Barbares. On sait que les sauvages des forets du nord de l'A- me'rique et les Tartares de la baute Asie , menant une vie fai- néante, condamnent leurs femmes à des travaux d'esclaves, et les obligent même à la culture des cbamps ; aussitôt il leur assimile les Germains sur l'autorité de Tacite : « La culture est abandonne'e aux femmes (i63). » Nous avons de'jk eu occasion de discuter le vrai sens de ce passage. Il s'agit de la race guei'- rière chez laquelle les femmes dominaient dans la maison et le domaine. Il ne peut être nullement question des petits cul- tivateurs libres, gens a fortune me'diocre, et qui se pi^e'sen- taient rarement aux assemble'cs politiques de la nation, sinon dans les occasions majeures, leur concours devenait indis- pensable.

Rendons toutefois Justice à M. Micbelet ; s'il cherche à en- lever aux Germains toute originalité', s'il compare leurs mœurs à celles du commun des Barbares; cependant il daigne encore les prote'ger contre l'autorité' de Gibbon et de M. Guizot ; il ne veut pas qu'on les confonde avec ces mêmes sauvages et ces mêmes Tartares. Gibbon , imbu de souvenirs classiques , de'testait les Gotbs, parce qu'ils avaient renverse' l'empire ro- mam : mais , pour être conse'quent , il aurait se maudire lui-même, pour son origine anglo-saxonne. M. Michelet n'en est pas encore à ce point ; lui-même s'est enivre' de la coupe

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ANNALES DU MOYEN-AGE.

magique que la nature lui a presente'e, lorsqu'elle lui a redit cette vieille poe'sie germanique qu'il idolâtre.

Baron d'Eckstein.

ANNAXES DU MOTEN-AGE,

DEPUIS LA DÉC\DENCE DE l'eMPIRE ROMAIN JUSQu'a LA MORT DE CHARLEMAGNE ', PAR M. FRANTIN (1).

Tel est le titre de la première partie d'un livre comme il ne s'en fait guère : œuvre de longue et puissante haleine , de sérieux et patient labeur , d'e'rudilion consciencieuse et vraie , dont un des juges les plus competeus qui soient en Europe , M. Heeren, a dit : « qu'il considérait ce travail comme un des principaux ouvrages » historiques des temps modernes (2). » Ce livre, il est vrai, n'est pas d'hier ; mais il pourrait bien être de demain. A ce titre , il se sépare de ceux que la critique ensevelit entre le feuilleton de la veille et celui du jour. Il se continue d'ailleurs en ce moment, et la comparaison d'une production de ce caractère avec d'autres plus récentes et plus caressées offre plus d'une donnée peut-être pour la solution d'un problème : celui des destinées prochaines de l'art historique en France.

Il se passe en effet quelque chose qui n'a pas été observé que je sache , et qui certes me'rite de l'être , quelque chose qui ne res- semble pas mal à une réaction contre V histoire conjecturale , comme on disait en 1828 au cours de M. Villemain. Écoutez plutôt, par la voix scrai-officielle du doyen de la Faculté' de lettres de Paris (M. Leclerc ) , l'université' dénonçant chaque jour comme des té- mérités les hypothèses historiques de l'érudition allemande. Voyez

(i) Paris^ Gaume frères, nie du Pot-de-Fer , n. 1 , 8 vol. in8°. (2) Notices sauanles de Gœtlini'ue , 1828^ n" 12.

ANNALES DU MOYES-AGE. 47

( présage plus palpable encore ! ) un esprit qu'on n'accusera pas de timidité , M. d'Eckstein , niant une à une , dans ce recueil même toutes les prémisses de l'Histoire de France de M. Michelet. Et ce ne sont pas seulement les prémisses, c'est-à-dire l'exposition des temps qui se perdent daus la nuit du passé , l'exposition des siècles anté-historiques dont l'imminent discrédit me frappe. Ce que le ca- ractère positif de notre nation repousse au fond de tout cela , c'est le rationalisme appliqué aux faits , soit qu'il ait la prétention de donner ce qu'on nomme la formule d'un peuple , de construire à priori les événemens qui ont dii remplir son existence historique, soit qu'il se borne à raconter ces événemens avec un parti pris à l'avance , et qu'il les fasse plier sous un système préexistant dans la pensée de l'écrivain. Eu supprimant l'étude de l'histoire au nom de la philosophie, en devinant les faits par induction de telle loi psycologique ou physiologique , comme en admettant même l'étude des faits pour en subordonner le re'cit à larbitraire de telle ou telle spéculation , on ne laisse guère que du scepticisme dans les esprits. J'oserais donc le prédire, le temps n'est pas loin le public avant tout voudra des faits , demandera des faits. Ce sera le temps des Annales du moyen-âge,

Est-ce à dire que toute l'histoire soit dans les chroniques du temps , que les faits nus suffisent à l'inteHigence , et que Vidée , comme eût dit Platon, doive être absente du re'cit? A Dieu ne plaise! et il s'en faut bien que l'auteur des Annales fausse et ré- trécisse à ce point la mission de l'histoire. La réaction pourrait aller jusque-là , je le sais ; mais à l'instant même la pensée réclamerait ses droits , et la réaction serait vaincue. Avant tout sans doute l'histoire est un récit, et dans tout récit les fait^ prédominent de droit ; mais il faut que de leur exposition jaillisse l'intime corapré- Lcnsion de leurs causes, de leur enchaînement, de leur portée. A ce prix seulement l'histoire est œuvre complète et virile. Ce n'est plus alors un passe-temps d'oisifs, c'est une autorité pleine d'en- seignemens et de majesté; en un mot, la prédominance ou l'assu- jettissement des faits décident de la légitimité ou de l'ille'gitimité de l'histoire: j'applaudis donc à l'historien philosophe, mais je me défie du philosophe historien.

Veut-on des exemples? écoutons, j'y consens, ce qu'on donne

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depuis quelques anne'es comme la philosophie de l'histoire : roman pour roman , il va sans dire que nous pre'férons , vous et moi , les moins ennuyeux ; Walter Scott , par exemple , à M. Bûchez. Mais qu'on prenne d'un côté, je ne dirai pas même la philosophie âpre et tranchante de M. Augustin Thierry, mais le rationalisme aven- tureux de M. Michelet ; de l'autre, la sagesse, la réserve sans timidité deM.Frantin, Tauteur des Annales du moyen-âge^

J'ai hâte de le dire , je ne méconnais point les qualités éminen- tes et trop peu célèbres peut-être de M. Michelet , l'étendue , le nerf, l'acuité de son esprit, le jet vigoureux de sa pensée, le so- bre et mâle coloris de son style , la singulière variété de ses lec- « tures et sa volonté sincère d'être impartial. Je dirai plus , j'aime I M. Michelet parce que c'est un homme de notre âge ; un homme i de conscience et de travail ; un homme qui a cheminé solitaire en dehors des coteries et des prôneurs , cloîtré en quelque sorte dans ses études qui l'ont blanchi et ridé avant le temps , anachorète et martyr de la science , comme l'a dit quelque part un de nos col- laborateurs. Je l'aime , parce qu'il a des envieux hors de nos rangs. Je l'aime encore, parce que, malgré de graves imperfections , son Histoire de France enterre définitivement V Histoire des Fran- çais , cette lourde , sèche et partiale compilation écrite en genevois par M. de Sismondi. Qu'a-t-il donc manqué à M. Michelet pour remplir tout le me'rite qui est en lui, pour que, dès aujourd'hui, l'histoire de France ne fût plus à faire ? Deux choses : d'être moins impatient de la gloire et d'être entièrement, intimement, véritable- ment chrétien.

Il n'a pas su attendre ; il a voulu arriver le premier, arriver vite : de et la précipitation de certains jugemens et le défaut de dé- veloppement de certains pe'riodes de fait , et le manque d'air et d'es- pace que l'on remarque dans son tableau. Son livre a mérité un reproche que n'encourent jamais les esprits médiocres, il est trop plein. Les faits y sont condensés à l'excès ; trop souvent l'attention du lecteur est tendue comme la phrase de l'écrivain jusqu'à la fa- tigue. Puis la rapidité même du récit fausse parfois la couleur des e'véneraens en rapprochant plus qu'il ne convient des faits très-in- dépendans les uns des autres , et qui apparaissent ainsi dans une

AKSALtS DU MO YEN- AGE. 49

sorte de subordioation respective , bien qu'ils se soient succédé à de longs intervalles et sans encbaînement aucun.

L'absence d''une conviction chrétienne , l'absence de foi laisse d'ailleurs au milieu de cette plénitude même une lacune que les plus hautes facultés intellectuelles ne sauraient combler. Comment ne pas voir que l'histoire du moyen-âge, et même l'histoire mo- derne, oîi l'on ne peut creuser sans trouver partout le catholicisme et ses innombrables racines, ont pour le croyant, liomme de génie, | un sens profond , un sens supérieur , inaccessible a toute la péné- f tration du rationalisme , parce qu'il y un centre qui n'est pas seu- lement lumière , mais qui est amour ? Le croyant seul aura sym- | pathie naïve et réelle pour ces âges de croyance, sans rien perdre I de la saine critique et de la clairvoyance du nôtre, au lieu que votre | incrédulité bienveillante ne suffit point à sentir la foi , à lui don- ner vie dans vos récits. L'a, je le reconnais, votre probité histori- que demeure entière , mais votre impuissance n^en est qu'amoindrie. Plus intègre que la plupart de vos devanciers , vous ne voulez rien effacer de 1 histoire , vous ne supprimez pas l'enthousiasme reli- | gieux; mais le reproduire tel qu'il est, le faire jaillir du cœur et | non de la tête, dépasse vos forces. Encore une fois, ceci est le j- tort , non de votre esprit qui est grand , non de votre caractère | qui est généreux , mais de votre point de vue qui tend sans cesse | à remplacer les sentimeus par les idées , mutilant les faits à votre f insu et comme malgré vous. Oh ! qui mieux que M. Michelet pourra remplir ce vide de son livre, quand, redevenu ce qu'il a été, ca- tholique d'esprit et de cœur, il reprendra en sous-œuvre cet ou- vrage , comme fait Gœrrez converti de son Histoire des mytho- logies , pour en faire un monument que tous admireront et que nul ne recommencera plus !

M. Frantin n'a point eu l'ambition de cette lâche de géant, une histoire de France complète. Son sujet, tel qu'il l'a conçu, est en- core assez vaste : c'est une histoire universelle des temps qui sé- parent l'avènement de'fînilif du christianisme, sous Constantin, de la première aurore du monde moderne qui poind aux croisades ; c'est tout à la fois la fin de Rome et de Byzance dans l'ordre po- litique , la rénovation de l'Orient par le mahométisme qui déjà de'borde sur l'Occident , la grandeur et la chute e'galement rapides T. X. 4

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des grandes monarchies barbares (Goths, Bourguignons, Vanda- les , Suèves , Lombards ) , la persistance de la domination franque , et simultanément la renaissance de l'Espagne sous Pelage , l'An- gleterre d'Alfred et de Guillaume-le-Conque'rant , les origines en un mot de toutes les nations modernes. Son livre peut tenir lieu , sinon tout-à-fait de Gibbon, au moins de Lcbeau et de ses vingt- sept ennuyeux volumes sur le Bas-Empire, comme de M. Sismondi et autres qui ont écrit inextenso sur les premiers siècles de notre histoire. Quand il sera termine , il formera l'introduction naturelle de {'Histoire des Croisades par M. Michaud , écrivain de la même école , j'ai presque dit de la même famille.

Voici comment l'auteur expose le dessein de ces Annales.

« La chute de l'empire romain a été l'objet des me'ditations de plusieurs écrivains; la fondation des monarchies modernes a servi de matière aux recherches de plusieurs autres. Mais la plupart de ceux qui ont travaillé a éclalrcir celte période obscure de l'histoire, n'ont point considéré dans leur ensemble les grands événemens qu'elle renferme....

» La ruine de l'empire , résultat des vices accumulés qui étaient nés avec lui ou que le temps avait développés , forme par elle-même un sujet grave, digue d'une étude à part, et qui ne se lie qu'indi- rectement aux re'volutions des autres états. Mais il n'en est pas de même des monarchies modernes. Les peuples qui les ont fondées , ayant paru d'abord dans les provinces romaines en qualité d'hôtes , d'allie's ou de supplians, ont été en quelque sorte des membres de cet empire jusqu'à sa dissolution. Après cette chute , dont les pro- grès ont été successifs et presque insensibles , l état reUgieux et civil des provinces ils avaient pris leurs établissemens a continué de subsister en grande partie ; la langue même des Romains a fini par être la langue officielle du peuple dominant. Les nations nou- velles ayant acquis par ce mélange une double origine , on ne peut la découvrir et la reconnaître pleinement que sous les débris de l'empire romain.

» Le contraste de la ruine et de la naissance des états fournit un des tableaux les plus instructifs et les plus frappans que l'his- toire et la philosophie puissent offrir à la méditation des hommes.

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Si d'un côté, dans la décadence des états, nous de'couvrons les vices inhérensàlcur constitution et qui devaient en amener la chute; de l'autre , dans leur formation , nous voyons les premiers essais d'un peuple grossier qui se dégage de la barbarie , nous voyons ses mœurs et ses coutumes , qui ont fait d'abord toute sa police , se former en lois à mesure que ses intérêts se compliquent. Nous re- connaissons ainsi que la création des gouvernemens n'appartient point à la volonté des hommes ; qu'ils naissent en quelque sorte d'eux-mêmes et se développent par la seule force des mœurs; que le génie ne peut guère qu'en diriger les développemens ; que les états ont plus ou moins de dure'e , scion que les mœurs ont plus ou moins de vigueur; que c'est par cette force secrète et, pour ainsi dire , par cette sève qui y circule , que l'état naît , croît , parvient a sa maturité'. Et comme dans la de'cadence de l'un nous avons suivi les causes de sa ruine, nous pouvons signaler dans celui qui se forme les causes prochaines de son accroissement et de sa splendeur. Conside'raut ainsi d'une même vue la société' civile sous cette double face , nous apprenons à connaître en quoi consiste l'es- prit de vie qui anime les empires.

» Nous apprenons que les lois des peuples ce'lèbres leur survi- vent , soit qu'elles se transmettent en entier à des peuples nouveaux , soit qu'elles se modifient avec des mœurs e'trangères. Ainsi , après la ruine de la puissance romaine , nous voyons dans notre Occident des peuples de diverse origine, vaincus et victorieux, régis d'abord par leurs propres lois , bien que vivant sur un sol commun ; puis, ces peuples venant à se confondre, les usages même se sont con- fondus , et la législation nouvelle s'est empreinte des mœurs et des lois des divers peuples qui avaient mêlé leur sang.

)) D'autre part, les pays limitrophes e'changent leurs lois et leurs coutumes. Des alliances et des intérêts communs, l'ascendant qu'un peuple obtient sur les autres par le génie ou par la fortune , cet esprit d'imitation naturel aux hommes et qui entraîne les nations comme les particuliers, toutes ces causes tendent à mêler et à con- fondre les institutions et les mœurs.

» C'est pourquoi nous devons étudier à la fois les lois et les usages des devanciers et des contemporains pour bien connaître le génie d'un peuple... en démêlant avec soin ce qu'il tient de lui-

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même, ce qu'il a reçu du dehors et souvent des peuples conquis

nous tirerons une instruction solide de l'histoire , qui n'offre qu'un enchaînement ste'rile de faits , si l'on en se'pare la science des mœurs et l'intelligence des causes qui ont présidé aux institutions hu- maines.

» Mais les époques de l'histoire les plus propres à cette étude, ce sont celles , sans doute, le genre humain , en quelque sorte, s'est renouvelé ,... les vieilles sociétés font place à des peuples jeunes , dont la barbarie vigoureuse est destinée à remplacer une civilisation énervée. Alors, la société humaine change de face; des noms de cités et de peuples s'éteignent; d'autres, inconnus juscjue- , paraissent; de nouvelles races viennent s'enter sur les ancien- nes. Ainsi , à la suite d'une violente convulsion de la nature , une nouvelle terre, dit- on, s'est montrée quelquefois avec d'autres co- teaux , d'autres rivages , des aspects inconnus ; et , long-temps après, l'observateur, en étudiant le sol qu'il foule, prétend reconnaître encore la trace de ces grands bouleversemens....

» C'est un tableau semblable que nous nous proposons d'offrir à la me'ditation des lecteurs , dans le plus ce'lèbre empire qui ait paru , celui même dont nous tenons en partie nos lois , et dont nous ne sommes, à vrai dire, qu'un démembrement^ l'empire romain. Nous prendrons notre sujet au point l'on peut marquer la dé- cadence de cet empire , jetant un léger coup-d'œil au-delà. Mais notre récit acquerra plus d'étendue au moment les nouvelles na- tions paraissent sur la scène, mêlent leurs intérêts à ceux de Rome, et lui apportent une nouvelle cause de ruine. Nous lâcherons d'é- clairer cette confusion de peuples qui se pressent l'un sur l'autre , et viennent se perdre tour-à-tour dans l'empire , jusqu'à ce qu'ils parviennent à le renverser. Sur cette scène tumultueuse, nous choi- sirons les peuples et les éveneraens qui ont laissé quelque trace. Nous signalerons les progrès des Barbares jusqu'à leur entier e'ta- blissement, et jusqu'à V époque commence L'histoire moderne , si toutefois les forces ne nous abandonnent pas dans une entreprise de si longue haleine.

» Durant cette pe'riode , nous verrons le christianisme , dans l'obscurité, et combattu dès l'origine, s'élever sur le trône des Ce'- sars, qui ont voulu l'abolir; à la fois détruire l'idolâtrie dans la

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vieille Rome , et attirer à lui les Barbares par l'autorité de la pa- role. Nous les verrons empreindre de son esprit les mœurs , les usages et les lois des peuples nouveaux qui prennent place sur les ruines de l'empire ; donner la forme à leurs gouverncmens ; pré- parer enfin la civilisation moderne à travers la série longue encore des crimes, des excès , des troubles et des désordres , fruits natu- rels des mœurs violentes de ces peuples transplantés tout-à-coup au sein de la société romaine.

» Nous n'ignorons pas qu'un tel sujet, grand dans son dessein, étendu dans son pian , fécond en leçons de morale , de politique et de philosophie , n'offre point toujours un bien vif attrait. La multiplicité des petits faits rebute l'attention; la complication des éve'nemens la fatigue ; le de'sordre qui règne sur ce théâtre se meuvent tant de peuples, la distrait , l'embarrasse , nuit à l'intérêt

en le divisant Mais c'est une raison de redoubler d'efforts pour

tromper la fatigue des lecteurs , en dissimulant ce que le récit a de pénible , par la grandeur des résultats , et surtout par la peinture des moeurs

)) D'ailleurs, le sujet a son intérêt et sa ple'nitude; il embrasse toute une période, et forme le nœud qui lie l'ancienne histoire à la moderne , comprenant cette suite de re'volutions qui remplissent la scène du monde dans cet intervalle, et ouvrant l'intelligence des temps modernes, qu'on ne peut bien connaître sans une élude ap- px'ofondie du moyen-âge.

» Cest surtout sur l'Occident que nous devons porter nos re- gards ; et, parmi les nations nouvelles, nous distinguerons la

nôtre , moins encore par un sentiment d'amour propre et d'affec- tion naturelle , que parce qu'elle a été la plus célèbre de toutes. Elle a vu périr la plupart des états barbares , formés et établis au- tour du sien ; elle en a détruit elle-même plusieurs et a recueilli les héritages de presque tous les autres ; enfin , elle a fonde le nouvel empire des Francs et de Charlemagne , qui a été comme une image de l'empire romain.

» Ainsi , pour assurer notre marche dans une route si longue et si embarrassée, nous aurons successivement devant les yeux, sui- vant la différence des époques , deux objets principaux , auxquels nous rattacherons le reste du récit. Nous suivrons d'abord les

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vicissitudes de l'empire romain jusqu'à sa décadence et à sa chute, rangeant autour de cet empire les re'volutions des e'tats barbares. Puis, nous nous attacherons à la nation qui domine, c'est-à- dire à la nation française, disposant également autour d'elle les: mouvemens des autres barbares, dont elle devient à son tour le centre. Nous la suivrons dans ses progrès et son éle'vation succes- sive jusqu'à la fondation du nouvel empire d'Occident. Nous pour- suivrons de notre marche ; nous retracerons la décadence des nouveaux conquérans et le démembrement de leur monarchie. Nous arriverons ainsi jusqu'à Venlière division de lOccident entre les diverses nations qui s'en partagent présentement les provinces , oii elles ont fondé un nouveau système de lois et de droit public. Alors nous aurons atteint le terme de notre travail. »

Voilà une citation démesurément longue ; mais elle abrège plus que je ne puis dire la tâche de l'auteur de cet article. Il lui eût fallu le double de paroles pour faire connaître bien moins à fond le sujet , le plan , l'esprit , le style même des Annales du moyen- âge.

Le préambule qu'on vient de lire rappelle involontairement le mot de Pline : Quanta dignitas ^ quanta maj estas ; quantum denique numen sit historiœ , cum fréquenter aliàs , tuni lac maxime sensi. Il a je ne sais quoi de simple et de solennel tout ensemble , comme les préambules des historiens de l'antiquité. C'est la gravite naturelle et toute virile d'un de Thou , non la pompe un peu rhe'toricienne d'un Thomas ou d'un Gibbon. Rien de vague dans cette exposition , rien d'indécis et de flottant dans la pensée ni dans la diction de l'historien. On dirait d'un écrivain du xvu" siècle , tant le style est ferme et plein , la conception nette et substantielle. C'est toute la physionomie littéraire de ce temps avec ses contours précis et arrêtés , et ce mouvement calme et vrai d'une force qui n'a pas besoin de s'exagérer, par ce qu'elle est sure d'elle-même : incorruptus ille sanguis , et naUiralis quidem , non fucatus nitor.

M. Frantin réunit en outre les deux qualités que nous espérons un jour dans M. Michelet. Son obscurité ne lui pesait point ; il ne s'est pas hâté de paraître. Il a voué quinze années de sa vie à Xi-

ANWALES DU MOYEN-AGE. 55

laboiation consciencieuse de la première moitié de son œuvre ; et, depuis qu'il l'a publiée, il est rentré dans le studieux silence il s'était si long-temps renferme, pour accomplir, sans précipitation comme sans relâche , sa vocation tout entière. Ce respect pour le public , si remarquable au milieu de cette incontinence de publi- cité qui est une des plaies de notre époque, tient sans doute à la modestie innée de l'écrivain ; mais il est permis de croire que sa conviction religieuse n'y est point étrangère. Les catholiques peu- vent se glorifier des Annales du moyen-âge ; car la foi de l'au- teur est la nôtre , et elle éclate en toute occasion dans son livre , sans affectation , mais sans mauvaise honte , comme aussi sans at- tenter à lindependance de ses jiigemeus. Celui qui écrit ceci ne souscrirait pas toujours à ceux qu'il porte sur la papauté.

Qu'est-il besoin d'insister sur l'exubérante richesse du sujet qu'il s'est choisi ? On l'a dit ailleurs : « Piome vieillissante et ébran- le'e ; le christianisme qui se lève et qui va couvrir le monde; Constan- tin , Julien , Théodose -, les invasions des Barbares et l'empire s'é- croulant pièce à pièce; Attila et ses Huns; avant lui, ces deux autres fléaux de Dieu, Alaric etGense'ric, la monarchie du grand Théodoric , celle des Bourguignons, puis enfin , les Francs et Clovis. Tels sont les faits culminans qui se pressent dans les deux pre- miers volumes, lesquels s'arrêtent aux premiers exploits de Bélisaire. Alors paraissent la vigueur native et i inépuisable activité de la socie'té religieuse , avec son unité de le'gislatiou, maintenue par ses conciles, et la vie dont elle abonde , re'véle'e par ses monastères; la dissolution lente de la socie'té' romaine ; les premiers de'velop- pemens de l'éle'ment germanique dans la civilisation moderne ; puis la fe'odalite' qui commence à poindre du milieu des déchiremens dans lesquels pe'rit la socie'té barbare avec la sauvage royauté qui en était sortie , pour faire place un moment à l'action régulière du pouvoir, concentré dans la main forte des premiers carlovingiens.» Et ce n'est qu'un côté de la première partie des Annales. L'é- clat des armes des lieutenans de .Tuhtinieu dans l'Orient, la légis- lation immense qui a gardé son nom , Narsès l'eunuque , conti- nuant en Italie , Stilicon le Vandale et le Scythe Actius; les Lom- bards , les derniers et les plus fe'roces peut-être des enfans d'Odin ; le drame sanglant de Fre'de'gonde et de Brunehaut ; la grandiose

53 ANNALES DU MOYEN AGE.

figure de saint Grégoire I^', recevant successivement dans l'Église les Goths d'Espagne , les Lombards et les Saxons de la Grande- Bretagne ; l'éclatant e'pisode de Mahomet, qui fournit tout un livre à M. Frantin, et le plus achevé' peut-être de son ouvrage; les révo- lutions de cour de Constautinople et celles qui font grandir la mairie du Palais dans la Neustrie et surtout dans l'Austrasie ; la rivalité des Omraiades et des Alides , cause encore subsistante des inimitiés des Turcs et des Persans ; le premier e'tabiissement des Slaves dans la Germanie; la fin des Goths au-delà des Pyre'nées ; Pelage, pre- mier type du caractère indompté de l'Espagnol moderne , retrem- pant cette noble race et recommençant une nation dans les Âstu- ries ; enfin, la puissance des Abbassides dans l'Orient et dans l'Occident , Charlemagne , qui apparaît debout sur les confins de deux mondes , et qui clôt magnifiquement cette première moitié des Annales , comme il clôt ailleurs le plus grand monument his- torique que l'esprit humain ait élevé , le Discours sur l'Histoire universelle.

On ne peut nier que l'unité ne disparaisse plus d'une fois dans ce double plan ; car, à partir des fils de Théodose, l'Orient et l'Oc- cident suivent des fortunes diverses. Les guerres d'Héraclius contre les Perses, par exemple, n'ont aucun lien réel avec les destinées des Francs, des Goths, des Lombards. M. Frantin sauve, autant qu'il est en lui , cette difficulté du sujet , en faisant prédominer le seul intérêt commun qui fût alors , l'intérêt catholique , égale- ment menacé par les armes de Khosroès et par celles des Barba- res, tous ariens, à l'exception des Francs, comme, plus tard, par le prosélytisme guerrier des fils du Prophète. Attentif à grou- per les faits par masses , il ne quitte un théâtre pour un autre qu'après avoir parcouru d'uue haleine, et avec le développement convenable , une période qui a en elle-même son unité, qui, à elle seule , forme un tout. On ne peut nier que ces événemens si com- pliqués ne se déroidcnt dans son livre avec une clarté de caractè- res peu commune ; et c'est , certes, un des mérites éminens des Annales du moyen-âge.

Pour faire d'un seul coup la part de la critique , nous regret- terons que M. Frantin n'ait pas resserré son récit en plus d'un lieu; qu'il affectionne trop exclusivement le tour un peu lent et uniforme

ANNALES DU MOYETî-AGE. 57

de la période oratoire du siècle de Louis XIV. Nous aurions voulu, dans une telle histoire, des couleurs locales plus tranchées , parfois une critique ])lus incisive et des conclusions plus hardies.

Mais ces imperfections sont largement compensées par des qua- lités supérieures. Les faits qui complètent le tahleau du droit puhlic et domestique de Pépoque, y sont résumés avec une probité histo- rique , telle qu'on ne soupçonne pas même dans l'historien ces mal- heureuses réminiscences, si fréquentes ailleurs, des passions politi- ques de noire âge. De tous les reproches adressés aux Annales^ lors de leur publication, par la nouvelle école historique, et dont les chefs même de cette école ont fait justice depuis. Ainsi, Ton chercherait vainement dans M. Frantin le rêve de M. Sismondi , qui fait d'Ebroïn le chef du parti des hommes libres, au vu^ siècle de notre ère. M. Michelet lui-même, qui s'est gardé de reproduire cette énormité , tronque le récit de cette phase importante de la mai- rie du Palais.

On ne trouve point non plus dans les Annales , l'hypothèse fa- meuse, avancée par M. Guizot dans ses essais, puis retracte'e dans son cours public de 1829 , et abandonnée par M. Michelet, après avoir é?é tant redite et tant célébrée , d'une seconde conquête des Gaules par une nouvelle invasion germanique , au temps de Pepin- le-Gros et de Charles-Martel. M. Frantin a proteste le premier, le texte à la main, contre cette explication du changement de dynastie consomme sous Pépin-le-Bref. Il montre les peuplades transrhe'nanes rompant avec les maires d'Austrasie eo quod non poluerunt regi- bus Meroveis servira, sicui anteà sol! ti fuerant (^\) , et les quatre fondateurs de la puissance carlovingienne , sans cesse occupés à combattre la Germanie , plutôt dépeuplée que réduite par le plus grand de ces grands hommes, par Charlemagne.

Et le Charlemagne de M. Frantin n'est point le Karl d'Augus- tin Thierry, profil mesquin d'un Barbare assez vulgaire. C'est le Charlemagne de l'histoire , le plus national des rois francs , le plus fidèle au vêlement, à l'idiome he'iéditaire de sa race; mais déjà pourtant le représentant le plus complet du moyen-âge : l'élève

(i) Eschempert, collcct. de D. Bouquet, II, 690.

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ANJVALES DU MOYEN AGE.

d'Alcuin el de P. de Pise, le haut protecfeur de la scolastique ; pieux comme un croisé et docte comme un théologien du xi'' siècle; cher aux péleiins , terrible aux infidèles ; homme de guerre , ob- sédé par des rêves de centralisation administrative j simple comme un soldat dans son intérieur , mais non moins fameux au loin par la richesse de ses aumônes que par ses victoires, magnifique , enfin, dans la construction des églises , et portant , aux jours solennels , des pierreries à la garde de sou e'pce. Ge'nie colossal , qui a fait jeter des cris d'admiration à Montesquieu comme à Bonaparte, et qu'on aura tenté en vain de rabaisser à la taille d'un chef de bandes teutoniques.

M. Frantin ne tombe pas non plus dans cet abus de l'érudition , qui a été si souvent le tort de Gibbon , quelquefois celui de Mi- chelet , et qui consiste à exhumer un fait ignore , curieux sans doute et digne d'être connu , mais en le généralisant , en le plaçant sur le premier plan , en faisant d une particularité exceptionnelle un des traits caractéristiques d'uue époque.

Point de notes dans les Annales , point de ces rognures du texte , qui coupent l'attention et qui la divisent, seulement, en marge , une brève indication des sources. Le prince des annalistes, Tacite, n'a pas fait de notes.

Pas de ces complimens à des céle'brite's vivantes , dont M. de Chateaubriand a donné le respectable exemple, mais qu'il avait du moins rejete's dans l'avant-scène d'une préface. De pareilles cour- toisies sentent trop la camaraderie du dix-huitième siècle ou les bien- veillances banales du nôtre; elles sont peu conciliables avec la dignité d'une composition historique.

Il est temps de finir ce long article , mais ce ne sera pas du moins sans avoir rendu hommage à deux magnifiques re'cits de M. Frantin , celui du choc de l'Orient et de l'Occident dans les champs catalauniques Attila vit briser ses flots de barbares, et la bataille de Poitiers le cimeterre musulman recule pour la première fois de- vant la hache franque et la masse d'armes de Charles Martel. J'ose dire que M. de Sîsmondi lui est bien inférieur en ces endroits, sur lesquels M. Michelet a passé si légèrement.

On a pu juger plus haut le style de l'auteur. Dans ces temps de transition et de tâtonnement où, selon la remarque d'un homme

ANNALES DU MOYEN AGE. 59

de goût et de savoir, le néologisme a distendu notre pauvre lan- gue jusqu'à la faire craquer^ ce n'est pas la moindre recommanda- tion des Annales qu'une diction si pleine , si ferme , si simple^ si fidèle aux lois originelles de notre idiome. Elle fait penser, nous lavons dit, à l'élégance pleine d'éle'vation des grands écrivains du xvii« siècle, et pourtant il n'y a rien qui sente le pastiche ou le calque , rien Je ce qu'on a reproche' d'artificiel aux tentatives d'une jeune et brillante e'cole pour renouveler la langue par l'ar- chaïsme et lui rendre quelque chose de sa sève première et de sa physionomie latino-gauloise. Ce mérite d'un style véritablement | classique , dans le vrai sens d'un mot trop profané de nos jours , fait des Annales un livre rare , original même par le contraste | avec ceux du temps qui court , un livre doublement précieux aux 1 ëtablissemens d'instruction publique les cours d'histoire sont | livrés à la science incomplète et fausse de quelques manuels ira- provise's.

Que l'auteur des Annales achève son œuvre. Nous attendons avec confiance son Gre'goire VII pour l'opposer à celui que nous garde si discrètement M. Villemain , et ses Normands pour les comparer avec ceux de M. Thierry. Dès à présent toutefois les An- nales du moyen-âge justifient le magnifique éloge de M. Heeren, et elles se sont conquis une place entre les deux plus belles pro- ductions de l'école catholique , Vllistoire d'Angleterre du docteur Lingard et celle des croisades de M. Michaud.

Th. Foisset.

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LETTRE ENCYCLIQUE

DE S. S. GRÉGOIRE XVI,

A TOUS LES PATRIARCHES , PRIMATS , ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES ,

PAR LAQUELLE SA SAINTETÉ CONDAMNE LES FAROIiSS D'UN CROTANT.

GREGORIUS PP. XVI , VENERABILES FRATRES

Salutem et apostolicam hetiedictionem.

Singulari Nos affecerant gau- dio illustria fidei , obedienlias , ac religionis testimonia , quœ de exceptis ubique alacriter Encycli- cisNoslris litteris datis die 15 au- gusli anni 1832 perlerebantur , quibus sanam , et quam sequi unice Tas sit , doctrinam de pro- positis ibidem capilibus pro Nos- tri officii niunereCalholico Gregi universodenunciavimus.Nostrum hoc gaudium auxerunt editaî in eani rem declarationes a nonnullis ex lis , qui consilia illa , opinio- numqne commenta , de quibus qucrebamur, probaverant, el eo- rum laulores, defcnsuresque in- caute segesserant. Agnoscebanius quidam , nondum sublatum ma- lum illud , quod adversas rem et

Nous avions été comblé de joie, en apprenant les illustres témoi- gnages de foi , d'obéissance et de religion qui ont partout accueilli notre Lettre encyclique du IS août 1832 , dans laquelle nous avons fait connaître , d'après le devoir de notre charge , à tout le troupeau catliolique, la doctrine saine et seule à suivre, sur les difTérens points qui y ont été traités. Notre joie fui augmentée par les déclarations de quelques- uns de ceux qui avaient approuvé les projets et les systèmes dont nous nous plaignions , et qui s'en étaient montrés imprudemment les fauteurs et les défenseurs. Nous comprenions bien quele mal n'était pas entièrement détruit ;

LETTRE ENCYCLIQUE.

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sacrara et civilem adhuc conflari, iinpuclenlissimi libelli in vulgus dispersi , et tenebricosœ quaedam inachinaliones maniCesto porten- debant , quas incirco , niissis lîiense Oclobri ad Venerabilem Fraliem Episcopum Rhedonen- sem litleris, graviter improbavi- mus. At anxiis Nobis , maxime- que ea de re sollicitis pergratum sane , ac jucundum estitit , illum ipsum , a quo prœcipue id nobis moeroris inlerebatur , missa ad Nos declaralione die 11 decem- bris anni superioris, diserte con- firmasse , se doctrinam Nostris Encyclicis lilteris traditani nnice et absolute sequi , niliilque ab illa ailienum aut scripturum se esse, aut probaturum. Dilalavi- mus illico viscera paternfe chari- talis ad Filium , quem nostris monitis pcrmotum luculentiora in dies documenta daturum forecon- fidere debueramus , quibus cer- tius constaret , INostro ipsum ju- dicio et voce et re paruisse.

Verum , quod vix credibile vi- debatur , quem tantae benignita- tis aflectu exccperamus, imme- mor ipse Noslr.ne indulgentiœ cite e proposito defecit , bonaque illa spes , qu;i; deprœceptionis nosfrce /rt<c^« Nos tenuerat, in irritum cessit , ubi primum , celalo qui- d(!m nominc , scd publicis pate- l'actomonumcnlis, nupertraditum ab codem lypis , atque ubiquc pervulgatum novimus libcUum

desécrilsimpudens répandus dans le public et d'obscures menées nous avertissaient trop bien des dangers dont l'Eglise et l'ordre temporel étaient encore menacés ; c'est pourquoi nous désapprou- vâmes liautement ces machina- tions, dans le Bref que nous adressâmes au mois d'oct. 1833 à notre vénérable Frère l'Evéque de Rennes. Mais pendant que cette affaire nous causait une vive in- quiétude , celui-là même qui était le principal auteur de notre affliction , nous rendit à la joie, en nous envoyant , le 1 1 décem- bre dernier , une déclaration dans laquelle il assurait, en termes clairs et formels, qu'il admettait uniquement et absolument la doctrine exposée dans notre Lettre encyclique , et qu'il n'écrirait et n'a})prouverait rien qui y fût con- traire. Nous avons donc aussitôt ouvert les bras de notre cliarité paternelle à notre Fils , plein de confiance , comme nous devions l'être , que , touché de nos avis , il nous prouverait tous les jours d'une manière plus claire et plus certaine qu'il était vraiment sou- mis à notre jugement , d'effet comme de parole.

Mais ( chose à peine croyable ) , après avoir été traité avec une alFeclion si bienveillante , il ou- blia bientôt notre indulgence et sa résolution ; et le bon es- poir que nous avions conçu sur le fruit de notre instruction , se dissipa , aussitôt que nous eûmes a])pris qu'il venait de faire im- primer et de répandre partout un libelle français, jielit de volume, mais gros de perversité , intitulé :

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LETTRE ENCYCLIQUE.

Gallico idiomate , mole quidem exiguum , pravitate tamen in- gentem , cui titulus « Paroles d'un Croyant. )>

Horruinius sane , VV. FF. vel ex primo oculorum obtutu , Auc- torisfjue caecitatem miserati in- telleximus, quonam scienliapro- rumpat , quae non secundum Deutn sit, sed secundum niundi elementa. Enirnvero contra fidem sua illa declaratione solemniter datam , captiosissimis ipse ut plu- rimum verborum , ftclionumque involucrisoppugnandam,everten- damque suscepit catliobcam doc- trinam, quam memoratis Nostris litteris, tum de débita erga Potes- tates subjectione, tum de arcenda a populis exitiosa Indifferentismi conlagione, deque frenis injicien- dis evaganti opinionum, sermo- numque licentiœ , tum demum de damnanda omnimoda consciea- tiœ liberlate , teterrimaque socie- tatum , vel ex cujuscumque falsae religionis cultoribus , in sacrœ et publicse rei perniciem conflata- rum conspiratione, pro auctori- tate humiiitatiNoslrae tradita de- finivimus.

Refugît sane animus ea perle- gere , quibus ibidem Auctor vin- culumquodlibet iideiitatis subjec- tionisque erga Principes disrum- pere conalur , face undequaque perduellionis immissa , qua pu- blici ordinis cladcs, Magistratuum contemptus, legum intractio gras-

Paroles d'un Croyant ; et quoi- que cet ouvrage ait paru sans nom d'auteur, des écrits publics l'ont fait assez connaître.

Nous avons été saisi d'horreur, Vénérables Frères , au premier coup-d'œil que nous y avons jeté, et déplorant l'aveuglement de l'auteur , nous avons compris à quels excès se porte la science , qui n'est pas selon Dieu, mais qui est selon les enseignemens du monde. Car au mépris de la promesse qu'il nous avait faite dans sa déclaration , il a entre- pris , sous le voile trompeur de belles phrases et à la faveur de quelques fictions captieuses, d'at- taquer et de renverser la doctrine catholique que nous avons expo- sée , en vertu de l'autorité con- fiée à notre humilité , dans notre susdite Lettre encyclique , sur la soumission due aux puissances , sur l'obligation de délivrer les peu- ples de la funeste contagion de VIndifférentismey et de mettre un frein à cette exti ême licence d'o- pinions et de discours , enfin sur cette damnable liberté de con- science qu'on étend à tout, et sur cette détestable conjuration d'associations formées de membres appartenant à toutes sortes de sectes et liguées contre l'Eglise et contre la puissance temporelle.

Notre esprit répugne à citer tout ce que l'Auteur a écrit , pour rompre tous les liens de la fidé- lité et de la soumission due aux princes , les efforts qu'il a faits en jetant partout le brandon de la discorde, pour troubler l'ordre public , faire mépriser les magis- trats , enfreindre les lois , et dé-

LETTRE ENCYCLIQUE.

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setur , omniaque et sacrœ et ci- vilis potestatis elementa convellan- tur. Hicûovo etiniquo commento pofestatem Principuni , veluli di- vinae legi infestam , imo opus peccati , et Satanœ poteslatem in calumnise portentum traducit , PrœsidibusqueSacroruiii easdem , aclniperantibusturpiludinis notas inurit ob criniinum molilionum- que f'œdus , quo eos sonmiat inîer se adversus Populorum juracon- junctos. Neqne tanto hoc ausu contcnlus omnigenam insuper opinionum , sermonuni , con- scientiaeque libertatem obtrudit , militibusfjue ad eain a tyrannide , ut ait , liberandam dimicaluris fausta oninia ac felicia conipre- catur , cœtus, ac consocialiones furiali seslu ex universo qua pa- tet Orbe advocat, et in tam ne- faria consiiia urgens atcjue instans coropellit , ut eo eliain ex capite monitaprœscriplaquenostra pro- culcata ab ipso sentiamus.

Piget cuncta hic recensere , quœ pessirao hoc impietatis et au- daciœ faîlu ad divina huraanaque omnia perturbanda congeruntur. Sed illud pra3sertim indignatio- nem excitât, religionique plane intolerandurn est divinaspra>scrip- tionestantis erroribus adserendis ab Auclore alTcrri , et incaulis vcndilari , eumque ad populos legeobedientia3Solvendos,perinde ac si a Dec missus et inspiratus

truire tous les élémens de la puis- sance spirituelle et delà puissance temporelle. De cette supposition nouvelle et injuste . par laquelle il représente la puissance tempo- relle comme contraire et hostile à la loi Divine ; de cette ca- lomnie monstrueuse elle est appelée Yœuvre du péché et la puissance de Satan; de les outrages adressés aux supérieurs ecclésiastiques comme aux prin- ces, sousleprétexte;ibsurded'une alliance criminelle formée entr'eux pour détruire les droits des peu- ples. Non content de cette tenta- tive audacieuse, il prétend faire admettre une liberté absolue d'o- pinions , des paroles et de con- science ; il félicite et bénit les soldats qui vont combattre pour arracher , dit-il , cette liberté à latyrannie; emporté comme par un accès de fureur , il appelle de toutes les parties de la terre les ligues et les associations , les pres- sant , les excitant elles poussant à ces attentats criminels, avec tant de violence que , sur ce point- aussi , nous comprenons bien qu'il foule aux pieds nos avis et nos instructions.

Nous nous lasserions s'il fallait énumérer tout ce qui est entassé dans cette production impie et audacieuse, pour détruire les in- stitutions divines et humaines. Biais ce qui excite particulière- ment l'indignation ; ce que la re- ligion ne saurait absolunient to- lérer , c'est que l'Auteur ose invoquer les lois divines pour se- mer ses erreurs et faire étalage de cet amalgame auprès des lecteurs

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LETTRE ENCYCLIQUE.

esset, postquam in sacralissimo Triuilatis Auguslae nomine pra»- falus est , Sacras Scripturas ubi- que oblendere, ipsarumque ver- ba , quoe verba Dei sunt, ad prava hujuscemodi deliramenfa incul- canda callide audacterqiie detor- quere , quo lidenlins, uliinijuie- hatS. Bevnixrdns,proliicete)tebras offandat , et jno nielle , vel po- tius in melle venenuin propinet , novttm cudens populis evange- lium, aliudqueponensfundamen- tumprœter id , quodpositum est.

Verom tanlam hanc sanaj doc- Irinœ illalain pernicieni silenlio dissimulare ab Eo vetamur, qui speculatores Nos posuit in Israël, ut de errore illos moneanjus , quos Auctor et Consunimalor fidei JESUS Nostrse curœ concredidit.

Quare auditis nonnullis ex Venerabilibus Frafribus Nosiris S. R, E. Cardinalibus , molu proprio , etex cerlascientia , de- que Apostolicœ poteslalis pleni- tudine niemoralum librum , cui tilulus <( Paroles d'un Croijant » quo per iinpiuin Verbi Dei abu- sum Populi corrumpunlur ad omnis ordinis publici vincula dis- solvenda , ad ulramque auotori- talcm labelactandam , ad scdilio- nes in imperiis , tumultus ,

imprudens ; c'est que , se pré- sentant devant eux comme un au- teur inspiré , comme un homme envoyé de Dieu , et commençant son œuvre au très-saint Nom de l'Auguste Trinité , il ose partout afTecler le langage des Saintes- Ecritures , pour délier les peu- ])les de la loi de l'obéissance , et en employer les paroles , qui sont les ]>aroles de Dieu , pour leur incubjuer ces coupables extrava- gances , détournant artificieuse- ment et audacieusement le sens du texle, afin de pouvoir avec d'au tant plus de confiance, comme disait saint Bernard , donner les ténèbres à la place de la lumière, et le poison au lieu du miel, ou plutôt le poison mêlé avec le miel, forgeant ainsiun noue el évangile pour les peuples , et établissant un autre fondeinent que celui qui a été établi.

Mais Celui qui nous a placé comme une sentinelle en Israël , afin d'avertir de l'erreur ceux que Jésus-Christ , l'auteur el le con- sommateur de la Foi , a confiés à nos soins , nous défend de gar- der le silence sur cet énorme at- tentat contre la sainle doctrine. C'est pourquoi , après avoir pris l'avis de quel(|ues-uns de nos vénérables Frères les cardinaux de la sainte Eglise romaine, de notre propre mouvement , de science certaine et de la plénitude de l'Au- torité Apostolique , nous reprou- vons et condamnons le livre inti- tulé : Paroles d'un Croyant, dans lequel , par un abus impie de la parole de Dieu , on séduit les peu- ples et on les invite à rompre tous les liens de l'ordre public, à ébran-

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rebellionesqueexcilandas , foven- das , roborandas , libruin ideo propositiones respective falsas , calumniosas , temerarias , indu- centes in anarcliiam, contrarias Verbo Dei , inipias, scandalosas, erroneas , jani ab Ecclesia pr2s- sertim in Valdensibus , Wiclefi- lis , Hussitis , aliisque id gcneris Hœreticis damnalas conlinenteni , reprobamus , dainnamus , ac pro reprobato et damnato in perpe- tuumbaberivolumus , atque de- cernimus.

Vestrum nunc erit , Venera- biles Fratres , Nostris hisce nian- datis , quœ rei et sacrœ et civilis salus et incolu mitas necessario efflagitat , omni contenlioue ob- secundare , ne scriptum istius- modi e latebris ad exilium cmis- sum eo fiat pcrniciosius, quo magis vesanœ novitatis libidini velificatur, et late ut cancer ser- pit in populis. Muneris vcstri sit , urgere sanam de tanto lioc nego- tio doctrinain , valrilienique no- vatorum patefacere , acriusque pro Cliristiani Gregis cusiodia "vigilare , ut studium religionis , pietas actionum , pax publica flo- reant , et augeantur feliciler. Id sane a veslra fide , et ab impensa vestra pro commuai bono instan- tia fidenteropperimur, ut Eo ju- vante , qui Pater est luminum , gralulcniur , (dicimus cum S. Cy- prjano) fuisse intellcclnm crro- rem , et retusuin , et ideo pros- tratum , quia agnitnm , atqtie delectum.

T. X.

1er et renverser les deux autori- tés , à exciter, fomenter et sou- tenir les séditions , les troubles et les révoltes dans les empires ; nous condamnons ce livre comme contenant des propositions respec- tivement fausses, calomnieuses , téméraires, poussant à l'anarchie , contraires à la parole de Dieu , impies, scandaleuses, erronées, déjà condamnées par l'Eglise , surfout dans les Vaudois , les AVicléfites , les Hussites et autres hérétiques de cette espèce. Et nous voulons et décidons que ce livre soit tenu pour réprouvé et condamné à perpétuité.

C'est à vous maintenant, Vé- nérables Frères , de nous secon- der de tous vos efforts , et de faire tout ce que demande nécessaire- ment le salut de l'Eglise et de l'Etat, de peur que cet écrit, sorti des ténèbres pour la perte des hommes , ne devienne d'autant plus pernicieux qu'on s'abandonne aujourd'hui avec une sorte de fureur au désir de ces nouveautés , et que le mal s'étend comme un cancer parmi les peuples. Faites-vous donc un devoir de propager la saine doc- trine sur cette matière, de faire connaître l'astuce des novateurs , de veiller avec plus de soin que jamais à la garde du Troujjeau de Jésus-Christ, afin fpie l'amour de la Religion , la piété des actions et la paix publique fleurissent et augmentent heureusement. Nous attendons avec confiance cette coopération de votre foi et des soins empressés avec lesquels vous travaillez au bien commun, afin

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LETTRB ETfCYCLrQUE.

Celerum lugendum valde est , quonam prolaliantur liumanœ ra- tiouife deliramenta , ubi quii> no- vis rébus studeat , atqne contra Apostoli monilurn nitatur plus sapere , qtiam oporteat sapere , sibique niraium praeGdens verita- tem qnsererirtam aitumetur ex- tra Catholicaui Ecclesiam, in qua absque vel levissimo erroris cœno ipsa invenitur , quœque idcirco Columna ac firmamentiim ve- ritatis appelatur et est. Probe autem intelligitis , Venera!)iles Fratres , Nos hic loqui etia:a de fallaci illo baud ita pridem in- veclo Philosopbiœsystemate plane improbando , que ex projecta et efFrenala novilatum cupiditate Veritas , ubi cerlo consislit , non quœritur , sanctisque et Aposto- licis traditionibus poslhabitis , doctrinœaliœinanes, futiles, in- certeque, necab Ecclesiaprobatœ adsciscuntur , quibus vcritatem ipsam fulciri , ac sustineri vanis- simi homines perperam arbilran- tur.

Dum vero pro delata divinitns Nobis sanœ doctrin;e cognoscen- dai, decernendœ , custodicndœ- que cura , ac sollicitudine liœc

qu'aidé par Celui qui est le Père des lumières , nous puissions nous réjouir , disant avec S. Cyprien que l^erreur a été comprise et réfutée^ qu' elle a ététerrassée par cela même qu'elle a été reconnue et découverte.

Du reste , c'est un grand sujet d'affliction de voir à quels excès et à quelles extravagances se porte la raison humaine , lorsque s'a- baudonnant aux nouveautés , on s'efforce contre l'avis de l'Apôtre d'être plus sage qu'il ne convient de Vétre, et que se fiant trop à soi-même , on croit devoir cher- cher la vérité hors de l'Eglise Catholique, dans laquelle elle se trouve sans la moindre tache d'er- reur , et qui , pour cette raison, s'appelle et est véritablement la colonneetlefondevientde laver ité. Vous comprenez sans peine, Vé- nérables Frères , que nous par- lons ici également de ce système de philosophie nouvellement in- troduit, de ce système trompeur et absolument indigne d'être ap- prouvé, dans lequel, par cette passion effrénée pour les nouveau- tés , on ne cherche point la vé- rité là elle se trouve certai- nement ; dans lequel dédaignant les traditions saintes et apostoli- ques , on prêche des doctrines vides de raison , frivoles , incer- taines , non approuvées de l'E- glise , et dont des hommes ex- trêmement vains prétendent abu- sivement faire le soutien et l'appui de la vérité même.

Mais pendant que nous sommes occupé à écrire ceci et que nous nous acquittons ainsi de la charge qui nous a été imposée d'en haut ,

LETTRE ENCYCLIQUE.

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scribimus , peracerbum ex Filiî errore vulnus cordi nostro inflic- tum ingemisciîTius, neque in sum- mo , quo inde conficimnr, rnœ- rore spes uUa est consola lionis, nisi idem in vias revocetur jus- titia;. Levemus idcirco simul ocu- los et manus ad Eum , qui sa- pientiœ dux est, et emendator sapientium , Ipsumque inulta prece rogemus , ut dato illi corde docili et animo magno , quovo- cem audiat Patris amanlissimi et mœrentissimi , lœta ab ipso Ec- clesiae , lœta Ordini vestro , L-Bta Sanctae huic Sedi , lœta Ilumili- tati Nostrœproperenlur. Nosccrte fauslum ac feliceni illum duce- nius , diem , quo iilium hune in se reversum paterno sinu com- plecti Nobis contingat , cujus exemple magna in spe sumus , fore ut rescipiscant ceteri , qui 60 anctcre in errorem induci po- tuerunt, adeo ut una apud om- nes sit pro publicœ et sacrœ rei incolumitate consensio doclrina- rum , una consiliorum ratio , una actionum studiorumque concor- dia. Quodlantum bonum ut sup- plicibus votis Nobiscuiii a Do- mino exorelis, abs vestra pastorali solicitudine requirimus et expec- tamus. In id autem operis divi- num pncsidium adprecantes, aus- picem ipsius Apostolicam Bene- dictionem Vobis , Gregibusquc Vestris peramanter iniperlimur.

de connaître , distinguer etgarder la saine doctrine, la cruelle bles- sure faite à notre cœur par l'é- garement de notre Fils , nous fait gémir , et dans la profonde douleurdontil nous accable , nous n'avons d'autre espoir de conso- lation que dans son retour aux voies de la justice. Levons donc ensemble nos yeux et nos mains vers Celui qui est le guide de la sagesse , et le réformateiir des sages ; supplions-le , par un re- doublement de prières , de lui donner un esprit docile et un grand cœur, pour qu'il entende la voix du plus tendre et du plus affligé des Pères , et pour qu'il se hâte de réjouir l'Eglise , et votre Ordre , et ce Saint-Siège , et Nons- même enfin. Il est certain que nous regarderons comme un jour heureux , celui il nous sera donné de voir revenir notre Fils et de le presser contre notre sein pa- ternel; et nous espérons beaucoup que son exemple fera revenir tous les autres , qui , séduits par ses leçons , ont pu se laisser induire en erreur ; c'est alors qu'il y aura entre tous cet accord de doctri- nes , de conseils et de moyens , cette unité d'action et d'affection , qu'il faut pour défendre l'Etat et l'Eglise. Nous attendons de votre sollicitude pastorale , que vous supplierez le Seigneur , de vou- loir bien nous accorder cette grâce signalée. Implorant pour cet effet l'assistance divine , nous vous donnons de bon cœur notre Bénédiction Apostolique , ainsi qu'aux Troupeaux qui vous sont confiés.

5^

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BREF DE SA. SAINTETÉ.

Datum RomîB apud S. Petrum VIT kal. Julias an. mdcccxxxiv , Pontificatus Nostri an. iv.

GREGORIUS PP. XVI.

Donné à Rome à Saint-Pierre, le7descalendesdejuillet(2S5juin) de l'an 183-i de notre Pontificat le 4^

GRÉGOIRE PP. XVI.

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BREF DE S. S. GREGOIRE XYI

AUX ÉV£QU£S BELGIQUE,

POUR LA COLLATION DE GRADES EN THÉOLOGIE.

GREGORIUS PP. XVI

Ad perpétuant rei memoriam.

Catholicae religionis sains et populorum bonum atque ulilitas omnino postulant ut ii omnes qui in sortcm Domini vocati , eccle- siasticœ niilitiœ nomen dare exop- tant , non solum virtutum om- nium splendore pra;fulgeant , quo seipsos praîbeantin omnibus exem- plum bonorum operum , verum ctiamsumma animi contenlionein litteras severioresque disciplinas addiscendas sedulô incumbant, qno possint exhorlari in doctrina sana , et eos qui contradicunt arguere. Cum enim sacerdolis labiis scientia sit custodienda, et lex roquircnda ex ore ejus , tum îgnorantia quse cunctorum mater errornm , maxime in sa- cerdotibus vilanda qui doceiidi officium in populis suscipiunt.

La conservation de la Religion catbolique, de même que lebien et le salut des peuples , demandent absolument que tous ceux qui, ap- pelés dans la vigne du Seigneur , désirent s'enrôler dans la milice sacrée , non-seulement brillent par l'éclat de toutes les vertus , afin qu'ils puissent donner en tout l'exemple des bonnes œu- vres, mais aussi qu'ils s'appliquent de toutes leurs forces à l'étude des lettres et des connaissances sérieuses, afin qu'ils puissent eo;- horter cVaprès la saine doctrine et convaincre ceux qui s'y op- posent. En effet , comme c'est sur les lèvres du prêtre que la science doit se conserver , comme c'est de sa bouche que le peuple doit apprendre la règle de sa conduit

BREF DE SA SAINTETE.

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Qnamobrem jure meritoque Ro- mani Pontiûces omni quidem vi- gilantia et studio id unum vel maxime semper spectarunt , ut ecclesiastici viri non modo vitœ integrilale verum etiain doctrinse laude elucerent et crescerent in scientia Dei. NiLil enim est quod populorom animos ad pietatem et ad religionem magisexcitetat- que inflamniet , quam eorum exemplum et doctrina qui divino se ministerio dicarunt. Atque id- circo providissimis gravissimisque Ecclesiae legibus cautum semper fuit , ut adolescentes clerici vel ab inennte aîtate in seminariis praesertim ad pietatem , probila- tem, omnemque virtutem etdoc- trinam rite efformentur, quo esse possint in tempore verè adjuto- res Dei etChristi ministri , atque operarii missi in vineam suam , qui fructus alïérant , et opponen- les muruni pro domo Israël piae- lientur prœlia Doiiiini, Quod qui- dem si semper , liisce prœserlini asperrimis ac luctuossissimis ci- vilis non minus, quam christianœ reipublica; temporibus magis ma- gisque summopere curandum , quibus perditissimi bomines des- pumantes confusiones suas et se- cundum desideria sua ambulan- tes , tôt opinionum commentis tôt omnigenum scelerum monstris jura qmrque divina et bumana violare , perlurbarc, pcrmiscere moliuntur , et religionis l'unda- menta labefactare , inimo fundi- tuseverteremaximocum omnium Christi fidelium detrimento im- pie nefariequc conantur. Majore igitur vigilantia , cura , et studio est prospiciendum ut ecclesiastici

l'ignorance , mère de toutes les erreurs , doit surtout être évitée par les ministres de Dieu , par ceux qui se chargent d'instruire les peuples. Aussi les Pontifs Ro- mains ont-ils toujours veillé et travaillé avec un soin particulier à réunir , dans le prêtre , l'in- tégrité des mœurs et les lumières j ils ont toujours voulu que le Clergé se distinguât par ses con- naissances , par ses progrès dans la science de Dieu , comme par ses vertus. Car rien n'est plus capable de porter l'esprit des peu- ples à la piété et à la Religion , rien n'est plus propre à l'enflam- mer de ce feu sacré , que l'exem- ple et les lumières de ceux qui se sont consacrés au saint Minis- tère. C'est pourquoi l'Eglise a toujours eu soin, en établissant à ce sujet les lois les plus sages, que les jeunes clercs , dans les séuiinaires , fussent , dès leur bas âge , formés surtout à la piété , à toute vertu comme h toute science, afin qu'ils fussent dans le temps d'utiles instrumens dans la main du Tout-Puissant, de vrais mi- nistres de Jésus-Christ ; afin , di- sons-nous , qu'envoyés travailler dans la Vigne , ils en rapportas- sent des fruits , et que , combat- tant pour le Seigneur , ils servis- sent de rempart à la maisond'Israël. Et s'il a toujours fallu travailler à cette œuvre , la cliose est sur- tout nécessaire aujourd'hui ; c'est dans les temps malheureux et déplorables se trouve non- seulement la Religion mais aussi le pouvoir civil , qu'il faut redou- bler desoinsctd'elTorts ; car nous sommes arrives à une époque

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Er.EF DE SA SAIMETE.

homines non solum virtutis et pielatislaade floreantverum eîiam litteris severioribusque disciplinis potissimuni sacris praesteiit, quo tamquain lucernaj ardentes iu- ceant coraiu hominibus et lo- quenies quae décent sanam doc- trinam , possint vafenimos im- piorum conatusrefiingere, fraudes detegere , et aculcata sophisina- ta , fallacesque erroi'es releilere , atque eoruni obstruere ora, quo- rum labia loquuntur iniquitateni etlinguajmeditantiirmcndaciura. Non mediocri itaque animi nos- tri vob^ptafe a Venerabilibus Fra- tribus Belgi i Archispiscopo et Epis- copis aecepimus, eosprovido con- silio ac vohmtati fel. ineni. Léo- nisXlIPrœdecessoris nostri ultro libenterque obtempérantes , et singulari sollicitudiue eorum gre- gis bono atque nlilitati consulere cupientes, clericorum seminaria eorum in Diœcesibus ita consli- tuisse , lit juniores clerici ad re- ligionem , pietatem , et canoni- cam disciplinam veluti novellœ plantationes in juventute sua ma- ture efformentur, ac litteris sacris- que prœsertim disciplinis naviter- qne scienler erudiantur. Omnes enim cujusqne seminarii clerici quinque annos amœnioribus litte- ris , duo pliilosophicis disciplinis , quatuor vero sacra? Theologiœope- ram navare debent. Ut autem cle- rici studiorum curriculo in semina- riis peracto, majores sacris in stn- diis profectusfacerc possint jiidem Venerabiies fratres altioris ordinis Cathedras Meclilinia3 pro})e senii- narium Metropolilanum consti- tuendas existimarunt , ut prœs- tantiorc ingénie clerici variarum

des hommes corrompus, mar- chant d'après leurs désirs et re- jetant, pour ainsi dire , leurs im- puretés et leurs infamies, essaient par mille systèmes , par mille crimes et monstruosités , de con- fondre , de fouler aux pieds et de détruire tous les droits divins et humains , s'efForçant en outre , }>ar leurs attentats impies , d'é- branler , ou pour mieux dire , de renverser totalement l'édifice de la Religion , au grand détriment de tous les fidèles disciples de Jé- sus-Christ. II faut donc travail- ler avec un redoublement de soins et d'ardeur , pour que les Ecclé- siastiques se distinguent non- seulement par leur vertu et leur piété, mais aussi par leurs con- naissances dans les lettres , dans les sciences sérieuses et relevées , et surtout dans les sciences sa- crées , et qu'ils soient comme des lumières qui éclairent le monde , parlant le langage de la saine doctrine, capables de faire avor- ter les ruses des impies, de ré- véler leurs fraudes, de réfuter leurs sophismesles plus subtils et leurs trompeuses erreurs , de fer- mer la bouche à ceux dont les lèvres ne distillent que l'ini- quité , dont la langue est l'in- strument du mensonge. C'est donc avec un grand plaisir que nous avons appris de nos Vénérables Frères rÀrchevèque et les Evoques de la Belgique , que , pour se conformer aux vœux et aux sages dispositions de notre Prédécesseur Léon Xll , de glorieuse mémoire , et désirant , avec une sollicitude peu commune , de pourvoir aux besoins de leur troupeau , ils ont

BUEF 1)E SA SAINTETÉ.

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Diœcesiam inecclesiasticas disci- plinas penitiùs addiscendas in- cumbant , et majore doctrinœ at qae eruditionis copia instructi , graviora munera obire et: Eccle- siœ ornamento ac prsesidio esse valeant. Amplam propterea do- mum ipsi Venerabiles Fratres coinmuni aère in Metropolitana civitale parandam curarunt , in qua sex professores et quadraginta alurani commorari possunt. Ve- rum ut ejusdem instiluli decus et splendor augeaturalque alum- norum animi acriori quodani sli- mulo ad scientiam acquirendam ■virtutemque amplectendam exci- tentur,atqueinilammenlur,iidem Venerabiles Fratres summopere cuperent doctoris lauream alios- que gradus in sacra Theologia et in jure canonico illis instituti alunmis posse donari qui doctrinse facto periculo , non soluni scien- tiae laude verum eliam egregiis aliis auimi ingeniique doîibus ce- teris antecellunt. Ouocirca a no- bis poslularunt ut commemorafo Mechliniœ institnto seu Magno seminario ex nostra indulgentia facultatem tribuere velimus con- fereudi doctoris laureas ceteros- que gradus quemadmodum in studiorum nnivcrsilatibns fieri solet. Nos ver6 quibus nihil po- tins , nihil gratins , niliilque prœ- stabilius esse potest quam univers! Doniiuici gregis saluli maxiina vi- gilaiitia prospicere et rect;c cccle- siaslicoruminstitutioniproviribus consulere , ut in tantaleinporum asperitate virtutum omnium ap- paratu ornati et spiritu sapicnlia; atquc intellectus repleli , possint œdificare Domini domum fide-

organisé leurs séminaires , diocé- sains de manière que les élèves y sont formés , de bonne heure , comme de jeunes plantes , à la Religion , à la piété , au droit canon , et qu'ils s'instruisent avec soin et solidement dans les lettres et sur-tout dans les sciences sacrées. Tous les élèves de chaque sémi- naire , outre cinq années d'hu- manités , ont à faire un cours de philosophie de deux ans , et un cours de théologie de quatre ans. Or , pour que les jeunes élèves , ajjrès avoir achevé leur cours d'é- tudesdans les séminaires, puissent pénétrer plus avant dans les scien- ces ecclésiastiques, nos Vénéra- bles Frères ont cru devoir ériger , près du sénnnaire métropolitain de Malines , des chaires d'un or- dre plus élevé, afin que les élèves les plus distingués des difFcrens diocèses puissent aller se livrer à des études i)lus sérieuses et appro- fondir vraiment les sciences sa- crées , etque revenant dclàchargés d'une riche moisson de connais- sances et d'érudition, ils soient en état de remplir les emplois les ])lus importans et puissent servir d'ornement et de soutien à l'Eglise. C'est pour cette raison que nos Vénérables Frères ont eu soin de préparer , à frais communs , dans la Métropole , une vaste maison capable de recevoir six proiesseurs et quarante élèves. Mais pour donner plus d'éclat et de splen- deur à cet établissement , pour exciter en même temps et animer, par un aiguillon plus puissant , les jeunes gens à s'enrichir de scien- ces et de vertus , nos Vénérables Frères désireraient vivement que

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BREF DE SA. SAINTETE.

lem , poteules ia opère el ser- mone coram Deo et omni populo, eorumdem V^enerabiliumFratrum volis quam Ubenfissime annuen- dum censuimus. Omnes igitur et singuîos quibus littcrœ favent paterna benevoîentia prosequi vo- ienles et a quibusvis excomnmni- cationis , suspcnsionis , et inter- dicti aliisque ecclesiaslicis censu- ris, sentenlijs, etpœnis, quovis modo , et quacumque de causa latis si quas forte incurrerint , hujus tantum rei gratia absolven- tes et absolulos fore censenfes , auctoritate noslra Apostolica liisce litteris perpétue facullalem faci- rnus atque impertimur ut in am- pla donio seu magno Mechlinia; Clericorum seminario de quo ha- bita menlio est , ils qui codera in seminario seu instiîuto mo- rantes , sludiorum curriculo rite confecto et doctrinse facto pericu- lo , scieiitia et pietafe ceteris an- tecellunt , Doctoris laurea allique gradus tamin sacra Theologia qua in jure canonico libère et licite conferri possint eodem prorsus modo ac ratione , quibus in pu- blicis Atlienœis seu Universita- tibus fieri solet. Atque idcirco concedlmus et indulgemns , vo- lumus atque mandamus ut ii omnes qui eosdem gradus et Doctoris laureas vel in sacra Theo- logia vel in jure canonico eodem ininslituto seu Magno Blechliniae seminario adepli fuerint , omni- bus elsingulisquibusqucjuribns , privilegiis, prœrogativis, indultis quocumque nomine appcUandis utantur , fruantur atque uti et frui possint quibus utuntur et fruuntur vel uti ac frui possunt

les élèves de cette maison qui l'emporteraient sur leurs condisci- ples non-seulement par leur sa- voir mais aussi par d'autres bon- nes qualités du cœur et de l'esprit, pussent recevoir le diplôme de docteur en Théologie et en droit canon et les autres grades usités , après qu'ils auraient donné des preuves de leur capacité. En con- quence , ils nous ont prié de vou- loir bien accorder au susdit éta- blissement ou grand séminaire de Malines , le pouvoir de conférer le grade de docteur et les autres grades , comme cela se pratique dans les universités. Or, comme le plus important et le plus agréa- ble de nos devoirs est de veiller avec soin au salut de tout le Troupeau du Seigneur , et de travailler de toutes nos forces à la bonne instruction des Ecclé- siastiques , afin qu'au milieu des tristes circonstances nous vi- vons, ornés de toutes les vertus et remplis de l'esprit de sagesse et d'entendement , puissans en paroles et en œuvres , ils puissent bâtir une maison fidèle au Sei- gneur ; nous avons éprouvé beau- coup de satisfaction à répondre aux vœux de nos Vénérables Frères. Voulant donc montrer notre bienveillance paternelle à tous ceux , en faveur de qui cette lettre est écrite, et les absolvant , si besoin est , de toute excom- munication, suspense, interdit et de toutes autres censures, sen- tences et peines ecclésiastiques , de quelque manière et pour quel- que sujet qu'ils puissent les avoir encourues ; usant à leur égard de notre autorité apostolique , nous

BREF DE SA SAINTETÉ.

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et poterunt alii omnes qui gradus eosdem et Doctoris laureas pu- blicis in gymnasiis seu Universi- tatibus consequuntur. Haec con- cedimus alqne indulgemus, vo- luuius , prœcipimus atque man- damus deccrnentes lias litteras firmas validas et eflicaces existere et fore suosque pleuaiios et intè- gres efleclus sorliri et oblinere , dicfisque in omnibus et per om- nia plenissinie suiTragan sicque in prsemissis per quoscunique judi- ces ordinarios et dclegatos etiam causarum Palatii Aposlolici Au- ditores sedis Apostolicse nuntins ac sanctae Ronianae Ecclesiae Car- dinales etiam de latere legatos , sublafa iis , et eorum cuilibet, quavis aliter judicandi et inter- pretandi l'acultate et auctoritate jadicari et deliniri dcbcre , ac ir- rituni et inane si secus super bis a quoquam quavis auctoritate scienter vel ignoranter contigerit attentari. Non obstantibus Apos- tolicis ac universalibus provincia- libusque et synodalibus conciliis edilis generalibus vel specialibus constilulionibus et ordinationibus ceterisquc etiam spécial! et indi- vidua nientione dignis in contra- riiun facienlibus quibuscumque. Dalum llonia;apiidS. Petrum sub annule Piscatoris die VIII apri- lis MDGGCXXXIV. Poutiûcatus noslri anno IV. Pru Domino Cardinali Mj^M:\0 A. PICCHIONI suhstlt utils. Colla'uin concordat cum originali. Roniie die la aprilis 1834. J. CAPACCIJNI, secrelariœ sta- tus substilutus.

leur accordons à perpétuité , par cette lettre , le pouvoir de con- férer librement aux élèves de l'é- tablissement ou grand séminaire deMalines , lesquels se distinguant par leur savoir et par leur })iété , auront subi les examens néces- saires , le diplôme de Docteur et les autres grades en Tbéologie et en Droit canon , absolument de la même manière que cela se fait dans les Athénées et dans les Uni- versités. Et c'est pourquoi nous accordons , octroyons , voulons et ordonnons que tous ceux qui au- ront obtenu ces grades elle diplôme de Docteur en Théologie ou ea Droit canon, dans le susdit grand séminaire de Malines , jouissent de tous les droits , privilèges , pré- rogatives , induits , sous quelque nom qu'ils puissent être désignés , dont jouissent et peuvent jouir tous ceux qui obtiennent ces mêmes grades dans les Gymnases publics ou dans les Universités. Nous accordons , octroyons , etc.

Pr Mgr. le Cardinal ALBANI ^ A. PICCHÎOM, Substitut. Collationné et reconnu con- forme à l'original. Rome , le 12 avril iS34- J. CAPPACCINI, Substitut du Secrétaire d'Etat.

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CIRCULAIRE

BES ÉVÉQUES DE BELGIQUE

POUR

L'OUVERTURE DES COURS DE L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUE.

NOS TRÈS-CHERS FRÈRES ,

Nous avons fait naguères un appel à votre générosité , à l'effet de nous aider à établir une Université catholique : nous éprouvons au- jourd'hui la bien douce consolation de pouvoir vous témoigner notre reconnaissance pour le zèle avec lequel vous y avez répondu. Nous nous hâtons de vous annoncer , et nous espérons que vous aurez quelque satisfaction à l'apprendre de notre bouche , que les sous- criptions de cette année suffisent pour commencer cette œuvre im- portante.

Honneur donc aux catholiques belges , qui ofi'rent pour leurs en- tans , dans l'établissement d'une Université catholique , les moyens de faire faire à la science , basée sur la religion , tous les progrès que réclame la civilisation de notre époque. Continuez , fidèles ouail- les , à unir vos efforts aux nôtres ; le Ciel les couronnera d'un heu- reux succès.

Après avoir pris l'avis de plusieurs personnes distinguées par leur position sociale et leur haute capacité , nous avons résolu d'ouvrir l'Université vers le 1"^'' novembre de cette année : cette ouverture aura lieu à Malines , l'Université commencera par la faculté de Théo- logie , la faculté de Philosophie et Lettres , et celle des Sciences mathématiques et physiques. La faculté de Théologie, établie dans le séminaire provincial , sera fréqueuléc par les ecclésiastiques qui

CIRCULAIRE DES ÉVEQUES DE BELGIQUE. 75

ont déjà aclievé leurs conrs de théologie au séminaire diocésain , et qui désirent acquérir une connaissance plus étendue des sciences sa- crées. Notre Saint Père le Pape Grégoire XVÏ a daigné nous autoriser à leur conférer les grades tant en théologie qu'en droit canon , par brel" spécial en date du 8 avril 1834.

Quant à la faculté de Philosophie et Lettres et à celle des Scien- ces , comme elles forment la préparation nécessaire aux autres étu- des , nous avons cru devoir canimencer par elles et nous y borner cette année : mais nous sommes pleins de confiance que déjà dans le courant de la seconde année , nous pourrons compléter l'ensei- gnement académique par l'établissement des facultés de Droit et de Médecine.

Cependant nous aimons à exprimer dès à-présent un vœu que nous désirons vivement voir s'accomplir , c'est qu'à l'Université catholique- les études philosophiques soient fortes et solides. On est généralement convaincu que c'est de que dépend le succès des études en droit et en médecine , et que même , si trop souvent dans ces dernières facultés les élèves répondent peu aux espérances que l'on était en droit de concevoir d'eux , il faut principalement l'attribuer au dé- faut de bonnes études préparatoires. C'est pour cette raison que dans l'Université catholique nous allons offrir aux élèves de la faculté de Philosophie et Lettres , et de celle des Sciences , toutes les facilités qu'eux-mêmes pourront désirer, afin d'approfondir la seconde année les études qu'ils auront commencées la première. Il n'en résultera d'ailleurs aucun obstacle à suivre en même temps cette seconde an- née les y)remiers cours de Droit et de Médecine.

Nous ferons connaître l'époque s'assemblera la commission de- vant laquelle devront se présenter les élèves qui désirent prendre leur inscription. Pour la faculté de Philosophie et Lettres et pour celle des Sciences, les élèves seront tenus d'exhiber un certificat de bonne conduite et un autre certificat constatant qu'ils ont régulière- ment terminé leurs humanités. Aux élèves de la faculté de théologie il suffira de produire un certificat de leur ordinaire.

Nous terminerons celte lettre, N. T. C. F. , comme celle que nous vous avons adiessée au mois de février de celte année , en vous ex- hoi tant de tout notre cœur à ajouler aux cfforls de votre boinie vo- iouléles plus ferventes ju'ièrcs. Nous avons placé l'Univcrsilé catlio-

76 DISCOURS SUR l'origine , LE DEVELOPPEMENT ET LE

lique sous la protection de la Reine des Gieux. L'époque approche l'Eglise célèbre son Iriomphe. Profitez , N. T. G. F. , de ces jours de dévotion pour obtenir les eflPets de sa puissante intercession sur une œuvre qui intéresse si vivement le bien-être de la religion et de la patrie.

Donné en juillet ISS^'.

f ENGELBERT , Archevêque de Malines. f JEAN-JOSEPH , Evêque de Tournay. f JEAN-FRANÇOIS , Evêque de Gand. f CORNEILLE , Evêque de Liège. f JEAN-ARNOLD , Evêque de Namur. f FRANÇOIS , Evêque adm' de Bruges.

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DISCOURS sur l'Origine, le Développement et le Caractère des Types imitalifs qui constituent V Art du Christianisme ; par M. Raoul-Rochetle (1).

L'auteur distingue trois systèmes dans les arts : le système égyp- tien , qui était celui de l'ancienne civilisation orientale; le système grec , qui embrasse toute l'autiquitë classique , et le système chré- tien , qui comprend tout l'art des modernes. L'art chrétien, d'accord en ce point avec l'art antique, qu'il prit aussi la nature pour guide et pour modèle , s'exerce sur des types différens , et de manière à intéresser le sens moral plus encore qu'à flatter le sens physique. L'art du christianisme produisit dans la région imitative une révo- lution pareille à celle que le christianisme lui-même avait opérée dans le monde moral. Mais comment se formèrent les types de ce nouveau monde idéal; et à travers quelles modifications successives l'art chrétien est-il parvenu aux chefs-d'œuvre modernes ? C'est

(i) In-8o. Prix : 2 fr. , et 2 fr. 5o c. franc de port. A Paris, chez Adrien Le Clerc et , quai des Augustins , n" 35.

CARACTÈRE DES TYPES IMITATIFS QUI CONSTITUENT, ETC. 77

ce que M. Raoul-Rochette recherche avec autant de sagacité que d'e'rudition. Nous essaierons de donner une idée abrégée de son travail sur un objet qui peut offrir quelque intérêt h nos lecteurs.

Dans le monde pittoresque , tel que l'a conçu l'art du christia-" nisme, se présentent d'abord deux grandes figures idéales, l'Homme- Dieu et la Sainte-Vierge; puis les apôtres, les martyrs et les autres saints personnages qui appartiennent k l'histoire de lEglise. Dans le premier âge de PEglise, on ne paraît pas avoir eu des portraits authentiques du Sauveur, de la Sainte-Vierge et des apôtres. L'hor- reur que l'on avait pour l'idolâtrie encore subsistante fît compren- dre dans la même proscription les monumens de l'art qui servaient de base et d'ornement au paganisme. Aussi ne citerait-on guère , dans les premiers siècles, un ouvrage d'art sorti de mains chré- tiennes, et Eusèbe semble l'insinuer des portraits du Christ et des apôtres qui circulaient de son temps. Saint Augustin déclare qu'on ignorait de son temps quelle était la figure du Sauveur, ce qui achève de montrer que les images attribuées à saint Luc ou a d'au- tres méritent peu de confiance. Les petites figures du Christ qui circulèrent vers le m siècle étaient probablement l'ouvrage des gnostiques , et étaient faites pour ces sectaires ; les chrétiens purent les adopter à mesure que l'idolâtrie s'affaiblissant , l'ancienne aver- sion pour elle s'affaiblissait aussi. On a encore aujourd'hui de ces figures, et M. Raoul-Rochette a fait graver au frontispice de sa dissertation une pierre sur laquelle est une tête de Christ avec le mot Christou en caraclères grecs; cette pierre est dans le cabinet de M, le marquis de Fortia dUrban.

La plus ancienne image du Sauveur, due h un pinceau chrétien, que le temps nous ait conserve'e , est celle qui se voit à la voûte d'une chapelle du cimetière de Saint-Callixte, à Rome. On y trouve le type de la figure du Christ , tel qu'il avait été fixé d'abord dans le sein de l'Eglise grecque, et tel qu'il fut adopté généralement en occident vers le v* siècle. Le Sauveur y paraît avec une figure ovale, une physionomie grave et douce, la barbe courte et rare, etc. Ce type se reproduit dans toutes les œuvree de l'art byzantin et dans toutes les imitations qui en furent faites en occident.

On peut dire de la Sainte-Vierge la même chose que du Sauveur. Saint Augustin reconnaissait qu'on n'avait pas, de son temps, la

78 DISCOURS SUR l'0RIGI>'E, LE DÉVELOPPEMEJVT ET LE

figure dejla Sainte -Vierge. Les plus anciens portraits ont ete for- més d'après un type idéal qui oCfre l'expression de la beauté et de la pureté. Dans le moyen-âge, on imagina de donner à la Sainte- Vierge une couleur noire , peut-être d'après ces mots du Cantique des Cantiques , nigra sum sed formosa. L'auteur parle ici des ma- dones dites de Saint Luc, si communes en Italie, et qui datent du moyen-âge ; il ne croit pas que leur authenticité puisse soutenir la critique.

Pour les apôtres, nous apprenons encore par saint Augustin qu'on n'avait point leurs portraits véritables, et cependant des images du Christ et des apôtres étaient peintes de tout côté dans les églises; c'est qu'on avait adopté aussi pour eux un type convenu dont on ne s'écartait pas. L'auteur le montre par les sarcophages et par tout ce qui nous est resté de monumens de l'antiquité. Il est assez re- marquable, dit-il, qu'à Rome les scènes de martyre furent à peu près inconnues tant que dura l'ère des martyrs. Il décrit cependant quelques peintures de ce genre qu'il regarde comme des exceptions. Ce n'est que vers la fin du vii^ siècle que les représentations de martyrs se multiplièrent. Alors on voit paraître le crucifix, qui ne se trouve jamais dans les catacombes. Les premiers crucifix furent apporte's de Grèce à Rome vers le même temps, ainsi que ces pein- tures de martyrs et d'anachorètes , qui furent pendant presque tout le moyen-âge la principale occupation des artistes bizantins, pres- que tous moines eux-mêmes , et souvent aussi martyrs pendant les persécutions des iconoclastes. Ces sujets ne se retrouvent plus pour nous que dans des miniatures de manuscrits , ouvrages de moines grecs ou latins.

Enfin l'auteur raconte comment, au lieu de ces maigres ébauches, on vit tout à coup, à la renaissance des arts, le génie et le goût s'élever à une haute perfection.

« A la voix des pontifes , au sein des états libres , toutes les idées chrétiennes se produisent en foule dans le vaste champ qu'avait embrassé la grande trilogie du Dante. Entre les mains d'un Giotto et d'un Orgagna , d'un Nicolas et d'un Jean de Pise, tous ces types sacrés, restés inertes dans la longue léthargie du moyen-âge_^, com- mencent à s'animer et à se mouvoir. Le Sauveur reparaît avec tout

CARACTÈRE DES TYPES IMITATIFS QUI CONSTITUENT, ETC. 79

SOD caractère; la T^ierge, avec toute sa pureté; comme si, au sortir de ces profondes ténèbres du moyen-âge , il s'agissait encore, pour l'un, d'une ascension nouvelle, et, pour l'autre, d'un nouveau triomphe. Tout respire , tout vit , dans le domaine du christia- nisme , par les travaux de l'art qui le féconde. Les apôtres, les martyrs, les docteurs renaissent de toutes parts à une existence qui n'a désormais plus rien à craindre, ni de la main des hommes, ni des atteintes du temps; et déjà , dans la Mort de la Sainte-Vierge , de Giotto , se trouve recréé , en traits impérissables , tout le monde idéal du christianisme, chacun avec sou caractère, son âge, son costume; et déjà le Triomphe de la Mort, d'Orgagna, au Campo Santo de Pise, annonce le Jugement dernier de Michel-Ange. Tout marche, dans cette voie nouvelle, avec un ordre, un accord, une régularité admirables, toujours sous la double et puissante influence de la religion et de la liberté, sans que l'art moderne, qui devait tout au christianisme, empruntât encore presque rien à l'antiquité, sans que le respect des traditions fît rien perdre à l'indépendance du talent et à l'originalité de l'artiste; et cette longue et brillante carrière chaque pas dans la même route est marqué par un nou- veau progrès ; tant de talens divers ne cessent de puiser à la même source ; , partout , des hommes doués de facultés si dif- férentes, mais animés du même esprit, tels que Francia et Ghir- landaio , Pinturicchio et Perugiu, Mantegna et Masaccio, se trou- vent arrivés, presque en même temps, si près de la perfection 5 celte carrière , remplie de trois siècles de travaux et de chefs-d'œuvre , tous chrétiens, par le sujet, par la physionomie, par le costume, aboutit enfin à Fra Bartholommeo , à Léonard de Vinci et à Ra- phaël, par les mains desquels se montre définitivemeut accompli le triomphe des idées chrétiennes , dans le miracle même de l'i- mitation. »

M. Raonl-Rochette déplore, en finissant, les invasions du mau- vais goût , qui s'est écarté de la route tracée par les grands maîtres. Son Discours, qui a été lu à l'Acade'mie des beaux-arts, annonce beaucoup de recherches, d'étude, de tact et de goût. En s'expli- quant sur des sujets qui touchent plus ou moins h la religion , l'au- teur le fait avec une sage réserve que n'ont pas toujours les savans. Son langage offre constamment non- seulement ces égards extérieurs

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80 LIVRE DE MORALE ET d'inSTRUCTION RELIGIEUSE.

qu'on doit à la religion de son pays, mais encore ce respect qui naît d'une conviction inte'rieure et profonde. L'Ami de la Re- ligion , n" 2*279.

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IiIVKE SE raORAIiC ET D'IBTSTKUCTIOSï REI.IGIEUSE

A l'usage des ECOLES ELEMENTAIRES. 1834, in-12.

Ce titre suppose déjà une erreur : pent-il y avoir une morale avant ou sans religion ? Le philosophe répond : Oui. Le bon sens, l'histoire, la raison même répondent : Non. La morale est une rè- gle antérieure à toute société ; l'homme n'a pu la faire ou se l'im- poser à lui-même : elle vient donc de Dieu ; et toute loi divine qui a pour objet de diriger l'homme fait nécessairement partie de la religion.

Du titre passons à l'ouvrage. Il renferme un abrégé de l'ancien et du nouveau Testament, et un abrégé du Catéchisme. Ce n'est pas une œuvre ennemie , car elle ne renferme point des erreurs du moins d'une certaine gravité , mais une oeuvre rivale. Expliquons- nous : Tous les livres catholiques pour l'enseignement religieux étaient soumis jusqu'ici à lapprobation de l'ordinaire. Le Catéchisme e'manait toujours de la même autorité ; les commentaires destinés à le de'velopper n'étaient livre's au public qu'après qu'elle les avait exa- minés et autorises. Le Lii^re de Morale et d'Instruction religieuse paraît avec la seule approbation du conseil royal, qui , peu content du monopole scientifique et littéraire , fait déjà un pas pour s'em- parer du monopole de Ja foi. Ce fait est grave, très-grave ; il exci- tera , je n'en doute point , l'attention des e'vêques.

Si la doctrine ne constitue pas la religion tout entière , elle en est incontestablement l'appui et le fondemnet nécessaire. Enseignez la doctrine, vous enseignez les dogmes, la morale et les principes sur lesquels reposent le culte, la hiérarchie, la discipline, le catho- licisme tout entier : d'où il suit que celui qui se rend maître de l'enseignement religieux aspire à s'emparer de ce qui fait la vie même de la religion. L'auteur usurpe donc une des attributions les

LIVRE DE MORALE ET D INSTRUCTION RELIGIEUSE. 81

plus essentielles de l'e'piscopat en publiant un livre élémentaire de la doctrine chrétienne. Je ne sais comment concilier son entreprise avec la notion qu'il nous donne de l'Eglise. Si elle est, comme il l'affirme , soumise à un gouvernement dont le Pape est le chef visi- ble, il sera facile de prouver que le premier droit comme le premier devoir de ce pouvoir est d'enseigner ce qu'il a la présomption d'en- seigner à sa place ou concurremment avec lui.

C'est à la concurrence que se bornent ses prétentions. Cet ex- trait, dit-il , uniquement destiné aux écoles , ne dispense point du catéchisme diocésain. Mais si le vôtre , que vous n'avez publié sans doute que parce que vous l'avez cru pre'férable, est appris par les élèves pourquoi leur en faire apprendre un second? Si vous avez pu le rédiger , de quel droit défendrez-vous aux instituteurs de le commenter ? La conséquence est rigoureuse. La loi rehgieuse émanée de l'université' doit naturellement être expliquée par ses sub- ordonnés. Que l'évêque fasse apprendre , expliquer son catéchisme , c'est son aS'airej mais les enfans qui sauront de'jà la lettre du li- vre universitaire , et qui , grâce aux doctes commentaires du maître d'école , en auront compris le sens et l'esprit , n'auront que faire des explications du cure'. Apprendre deux fois la lettre, c'est brouiller leur me'moire ; c'est porter la confusion dans leur esprit que de leur en offrir des développemens différens , lors même que le fonds ne se- rait pas changé.

Nous connaissons du reste des diocèses les écoles primaires sont très-fréquentées, et oii la lettre du Catéchisme diocésain n'est apprise que par les soins de l'instituteur. S'il est remplacé par celui de l'université, le cure', qui ne voudra pas commenter ce dernier , sera re'duit à expliquer un texte inconnu. La conséquence de ce nouveau mode de transmettre l'enseignement religieux est de faire demander : A quoi bon des prêtres , lorsque des maîtres d'école nous suffisent?

Etrange prétention de l'université'! Ce n'est pas assez pour elle d'avoir chassé le sacerdoce d'un genre d'enseignement qui ne de- mande d'autre mission que la confiance des pères de famille, et d'autre condition qu'une capacité et une sagesse de conduite recon- nues, il lui faut usurper aussi l'enseignement de la religion, afin d'y porter ses doctrines vides de foi alors même qu'elles sont or- T. X. 6

82 LIVRE DE MOEALE ET d'iNSTRUGTION RELIGIEUSE.

thodoxes. Nous disons vides de foi, cela n'est-il pas évident, lors- qu'en donnant un catéchisme catholique, elle annonce que les protestans auront aussi le leur? Ainsi, la même bouche dira oui et non sur la constitution de l'Eglise , sur les sacremens , sur le purgatoire , sur la grâce , les bonnes œuvres , etc. N'est-ce pas une de'rision , et, ce qui n'est pas moins de'plorable , une leçon cl'indiffe'rence ? Quand le législateur a autorisé la liberté des cul- tes, il n'a voulu , au dire même des philosophes, que respecter des convictions et laisser à chacun la faculté d'y conformer sa conduite. Dès lors il entrait dans sa pensée que celui qui voudrait être catho- lique irait au pied de la chaire de son pasteur, comme le protestant se rend au prêche de son ministre. Mais il n'a pu concevoir la cou- pable hypocrisie qui adresse au calviniste el au catholique des ensei- gnemens contradictoires.

On assure que c'est un philosophe ( M. Cousin ) descende! de la hauteur de ses spe'culations métaphysiques pour parler aux enfans de nos écoles , qui a rédigé le Livre d^ Instruction morale et religieuse. Si cela est, on conçoit comment Rome et Genève lui sont également indifférentes 5 mais on ne comprend pas si facilement comment il peut avec la même conviction adopter tour h tour leur doctrine. On se plaint que la religion s'affaiblit et que sa ruine entraîne celle des mœurs , et on la traite soi-même de manière à prouver qu'on est dé- nué de conviction. Cependant , la religion est-elle quelque chose sans la foi ?

Nous avons supposé jusqu'ici que la doctrine n'était pas altérée ; mais les imitateurs de l'auteur du Livre de morale , etc. , seront- ils aussi circonspects? Voudront ils toujours faire le sacrifice de ce qu'ils appellent leurs lumières , et de ce que nous appelons leurs préjugés ? Quoi ! au xix.'' siècle , faire ce que l'on faisait au i" ! Ré- diger un catéchisme comme saint Cyrille et Bossuet! Pas un pro- grès en morale et en religion, lorsque tout progresse dans le monde l est donc l'obscurantisme, s'il n'est dans une marche aussi ré- trograde ?

Ces réflexions nous dispenseraient d'examiner le mérite intrin- sèque de l'ouvrage. Nous en dirons assez toutefois pour faire jager qu'il suppose une autre témérité que celle d'enseigner sans mission. Dans l'abrégé de l'ancien Testament , l'auteur n'a ni cette exactitude

LIVRE DE MORALE ET d'iNSTRUCTI05 RELIGIEUSE. 83

qui fait éviter jusqu'aux plus légères erreurs , ni cette intelligence du texte qui le dc'veloppe quelquefois, sans jamais s'écarter de son esprit , et sans produire une seule pensée peu en harmonie avec celle de l'écrivain sacre. Citons des exemples : la Bible ne dit nulle part qu'au moment de la création la terre parut telle que nous la voyons au printemps , que les plantes et les arbres étaient cou- verts de Jleurs. Il est probable, au contraire, qu'il y avait aussi § quelques fruits pour nourrir l'homme et les animaux. Elle ne dit pas que la mer fourmillait de poissons , que l'air était rempli doi- seaux. Elle suppose plutôt que Dieu ne créa qu'un couple de cha- que espèce. Le serpent qui séduisit Eve est placé par l'auteur dans les branches de l'arbre de vie ; Moïse n'en dit rien. Dieu n'inflige à la femme, selon notre auteur, que de souffrir beaucoup de ses enfans ; le mot multiplicaho œrumnas tuas dit quelque chose de plus. Dieu ne bénit pas les travaux de Cain; c'est une imagi- nation , et elle n'est pas heureuse. Il n'est conforme ni au bon goût, ni au style de la Genèse, de comparer le péché à un lion i altéré de sang. Abel défiguré, sans vie, nageant dans son sang ^ | offre à Adam et à Eve, qui contemplent son cadavre, non pas Vimage, mais le spectacle et la l'e'alité de la mort. Nous n'en sommes encore qu'à la page 7 d'un livre qui en a 286. A la page 12 , Dieu promet à Sem et à Japhet les plus heureuses destinées, tandis que c'est la multiplication et la supériorité de leur race qu'il annonce. Au lieu de trois anges auxquels Abraham prépare un festin , l'auteur substitue Dieu lui-même , accompagné de deux de ces esprits cé- lestes.

Nous nous arrêtons , pour ne pas faire un volume ; mais qu'on remarque bien que nous n'avons pas dépassé la 16® page. Nous au- rons moins de remarques à faire sur le Cate'chisme. Voici quelques citations prises au hasard :

Page 1Z0. Pourquoi dites-vous que l'homme ne se connaît pas lui-même? R. Parce qu^il ne songe pas qu'il ait rien au-des- sus des bêtes y mettant toute la félicité dans les plaisirs des sens^ Et que faites-vous donc de l'orgueil, qui produit tant d'aveuglement?

Après avoir ënuméré les péchés engendrés par la paresse , parmi lesquels se trouve l'insensibilité, l'auteur dit que celle-ci consiste à Tbêtre ému de rien , ni par les avis , ni par les exhortations ,

6*

84 LIVRE DE MORA.LE ET d'iNSTRUGTIOS RELIGIEUSE.

ni par les bons exemples qui engageai à rempli?' les devoirs que la relio-ion et V Etat prescrivent. Il est vrai que c'est une obligatioa de conscieace que d'obéir à l'Etat, lorsque l'Elat lui-même ne blesse pas la conscieace. Nous sommes loin d'être favorables à tout principe qui, de loin ou de près, conduit à négliger les prescriptions civiles ; mais on pouvait, sans être insensible , ne pas se presser d'obéir aux décrets de l'assemblée constituante qui introduisait une nouvelle con- stitution dans l'Église. Plus d'une âme sensible eut peu de zèle à se soumettre à la convention , et , sans remonter si haut , est-ce par sensibilité que nous devrions approuver et exécuter la loi du divorce , si elle vient à prévaloir ?

Ne suppose-t-on pas l'homme trop parfait ; et , dans tous les cas, ne méconnaît-on pas la doctrine catholique , lorsqu'après avoir de- mandé qu' appelez-vous mourir au péché , on répond : N'en plus commettre.

La définition de l'Eglise est très-catholique , on peut même dire qu'elle est assez ultramontaine. On n'y parle ni des ëvêques , ni des pasteurs du second ordre ; mais seulement d'une société soumise à un même gouvernement ^ dont le Pape est le chef visible. (Voyez pag. 262. ) \ Nous n'avons signalé aucune erreur grave. Nous ne pensons pas que \& Livre d'Instruction , etc. , en renferme aucune de ce genre, bien

i que nous ne l'avons parcouru que très-rapidement. Ce que nous en

1 \ .

avons relevé d'inexactitudes ne suffirait pas sans doute pour exciter

la sollicitude des gardiens de la foi, si elle ne devait être plus alar- mée par la destination qu'on prétend lui donner.

Nous trouvons cependant , dans ce fait , une réflexion consolante. Il ne suffit donc pas d'avoir interrogé les oracles de l'antique sa- gesse, d'avoir visité en Allemagne ses plus savans interprètes , de s'être placé soi-même à leur tête , ou du moins au premier rang des célébrités philosophiques de notre époque, pour trouver dans ces vaines spe'culations des ve'rités utiles. Il faut retourner au Caté- chi.-ime pour parler d'une manière intelligible de Dieu , de l'origine de l'homme , de sa foi , de ses devoirs, et de tout ce qui est néces- saire à une socie'té d'êtres iatelligens. VAmi de la Religion^

85

(VVS'V\AV\AVV\VV\<VV^fV'V»W\'V'VA/W\'W\^At(W*W* WXVV W\^V, A-Vt W\»'V\;VX'\'W\<W\-W\iVV*VV\*Wl ^

ŒUVRES DE SAI.VIEN,

TRADUCTIOIV NOUVELLE AVEC LE TEXTE EN REGARD ; par J. F. GRÉGOIRE ET F. GOLLOMBET (1).

C'est un spectacle bien digne d'être suivi dans tous ses détails que celui de cette lutte longue et opiniâtre que les Pères de PE- glise eurent à soutenir contre les ennemis du christianisme naissant. Jamais victoire ne fut plus long-temps dispute'e; et si l'on n'avait eu pour garant du succès la parole même d'un Dieu , on aurait pu douter du triomphe. Des adversaires redoutables par leur nom- bre et par le faux éclat d'une science trompeuse unirent alors leurs attaques pour étouffer dans son berceau une religion qui venait à jamais confondre leur orgueil et détruire les mensonges qui faisaient leur puissance. C'étaient les néoplatoniciens, qui, mêlant aux dog- mes de l'Académie les rêveries merveilleuses de l'Orient et les sou- venirs des nombres de Pytbagore, voulaient expliquer les mystères de la foi par des déductions métaphysiques ; entreprise insensée et qu'on a voulu renouveler de nos jours. C'étaient des magistrats qui, alléguant que le de'pe'rissement de l'empire coïncidait avec l'appa- rition du christianisme , re'clamaient avec force le rétablissement des antiques cérémonies , et promettaient à ce prix la victoire aux sol- dats et le bonheur aux citoyens.

Au nombre de ceux qui combattirent alors pour la foi nouvelle, Salvien se fait remarquer par la pureté de sa morale , la noblesse de ses sentimens, la gravité mélancolique de son éloquence, l'abon- dance facile et coulante d'un style cicéronien. Il était ne', selon Tillemont, vers Sgo, à Cologne ou à Trêves , et ses parens tenaient un rang considérable dans les Gaules. Il se maria assez jeune à une fille encore païenne , mais qu'il convertit au christianisme. Peu

(i) Deux vohimcs ia-8°. Prix : i5 fr. , et 18 fr. 5o c. franc de port. A Lyon , chez Sauvignct ; et à Paris , chez Bohaire , boulevard des Ita- liens , no 10.

88 OEUVRES DK SALVIEN.

après , ils se séparèrent d'un comnaun accord. On croit que la femme entra dans un monastère, ainsi qu'une fille qu'elle avait eue de Salvieu. Celui-ci vendit ses biens , en distribua le prix aux pauvres, et embrassa la vie religieuse. Tl passa quelque temps à l'abbaye de Le'rins, si célèbre à cette e'poque, et s'établit ensuite à Marseille, il l'ut ordonné prêtre. Tiliemont place sa mort vers 484- ^^^ nombreux ouvrages qu'avait composés Salvien, il n'en reste que deux ; mais cet écrivain eut une grande réputation de son temps. On 1 appelait le maître des évêques , et il était estimé pour son es- prit de modestie, de douceur et de charité. A la vérité, ses ouvra- ges, plutôt moraux que polémiques ou apologe'tiques, n'offrent pas l'intérêt saisissant des écrits de saint Augustin , d'Origènc , de Ter- tullien ; mais, outre qu'ils peuvent être consultés comme de précieux documens historiques, ils ont encore le mérite de l'à-propos pour une époque qui voit avec indifférence la morale attaquée dans ce qu'elle a de plus respectable , et qui , sous ce rapport , ressem- ble à celle qui peut entendre la voix éloquente de Salvien. C'est même cette ressemblance entre la destruction matérielle de l'empire romain et la destruction morale de notre société qui a engagé MM. Grégoire et Collombet à choisir Salvien comme le début d'une œuvre consciencieuse, et que tous les amis des lettrrs et de la re- ligion doivent encourager de leurs vœux la traduction des Pères de l'Eglise les plus remarquables comme apologistes, comme ora- teurs , comme moralistes , comme savans , comme poètes.

Ecoutons les deux traducteurs expliquer dans quel esprit ils ont conçu leurs travaux , et quelles puissantes considérations les ont déterminés à se charger d'une entreprise qui peut-être ne sera pas appréciée autant qu'elle mérite :

« C'est que la grande époque de destruction matérielle doit avoir avecla grande époque de destruction morale une mystérieuse, mais réelle analogie; c'est que les esprits sont sous le poids des événe- mens qui les entourent; c'est que, voyant une seconde fois le monde emporté dans des régions inconnues , ils ne trouvent plus que des accens tristes et des pensées sombres comme la situation. Et ne nous plaignons pas trop de cet état de notre littérature. Le déses- poir est plus près qu'on ne croit du repentir, le fatalisme de la

OEUVRES DE SALVIES. 87

croyance : ces deux nuances sont la transition de la philosophie à la religion.

» Animés par ces considérations , nous nous mîmes à feuilleter les Pères, et nous y trouvâmes ce qui nous cherchions inutilement ailleurs. Nous ne saurions peindre tout ce que nous ont procuié de plaisir ces lectures faites en commun dans les longues soirées d'hi- ver, près d^un foyer araî , à l'heure la pensée est plus mysté- rieuse, plus expansive. Salvien nous parut celui de tous qui avait le plus de rapport avec notre époque de crise et de transition j nous commençâmes à le traduire , et voici que nous l'abandonnons au pubhc. »

Il existait déjà plusieurs traductions de Salvien, mais toutes si imparfaites , si remplies de fautes , qu'on peut dire que cet auteur a été aujourd'hui traduit pour la première fois. L'édition de MM. Gré- goire et Collombet est complète; elle contient les huit livres delà Providence , les quatre livres contre l Avarice , et neuf lettres, restes d'une longue correspondance qui , d'après Gennade , remplis- sait un volume entier. La traduction est élégante et fidèle, et, malgré l'obstacle qu'a présenter la diffusion de Salvien dans cer- tains endroits il est trop plein de son sujet , elle reproduit par- tout l'original avec une vérité de couleurs vraiment remarquable. Le second volume contient des notes philologiques et historiques , oïl les traducteurs n'ont pas voulu mettre toute leur bibliothèque à la manière des Allemands, mais qui, choi.sies avec goût, suffi- sent à la complète intelligence du texte, et à la justification des sens adoptés dans les passages douteux et contestables. Nous désirerions que les notes eussent été indiquées dans le texte , afin d'éviter au lecteur la peine d'aller chercher , à la fin du second volume , des éclaircissemens que quelquefois il ne trouve pas , et le désagrément d'en négliger qui puissent lui être utiles. Ces notes seraient aussi, ce nous semble , plus commodément placées h la fin de chaque volume.

A la tête du premier volume se trouvent quelques pages éloquen- tes où M. Grégoire cherche à venger les Pères de l'Eglise de l'oubli paraît les avoir plongés l'exclusive préférence généralement ac- cordée aux auteurs de Rome païenne :

« Qu'on ne me parle plus de Pcriclès , de Cicéron , de Démos-

88 OEUVRES DE SALVIEN.

thène! Que me fait à moi ce froid ihéleur, qui s'en vient là, de- vant de froides cendres, au milieu d'une assemblée froide et distraite, me jeter quelques phrases froidement compassées et arrangées d'a- vance ! Que me fait à moi ce philosophe orgueilleux qui me débite quelques vagues déclamations contre le luxe , quand toutes ses ver- tus , à lui , ne sont qu'un manteau dont il voile ses vices infâmes et ses turpitudes secrètes ? Que me fait à moi cet orateur qui s'ex- ténue à remuer lindolence de ses concitoyens, quand il n'a pas rougi , lui , de fuir lâchement des combats ? Que me fait à moi ce beau parleur de Rome qui flagelle l''ambileux Antoine de sa molle et flasque éloquence, quand toute sa vie, à lui, ne m'offre qu'un long rêve d'ambition et d'amour-propre? Ah ! rendez-moi les Bouche- d'Or , les TertuUien, les Cyprien , les Gre'goire. A eux, il sied de ce'lébrer les triomphes des martyrs , de fle'trir le luxe des femmes , de ranimer le courage des faibles, et de châtier les tyrans! Ont- ils pâli devant l'appareil des supplices ? ont-ils approché de leurs lèvres la coupe des voluptés? ont-ils balancé devant les séductions? ont-ils abandonné leur poste a l'heure du danger? Toi, rhéteur, tu ne me jettes que des motsj eux , ils me donnent des exemples! Tes pe'riodes sonores ne font que m'effleurer ; eux , ils me remuent et me transportent. »

MM. Grégoire et CoUombet promettent de donner successivement la traduction de Vincent de Lérins, Sidoine Apollinaire, des Lettres de saint Jérôme, de celles de saint Cyprien, de la Cité de Dieu, des Stromates ,àQ TertuUien, etc. Espérons que le succès de Sal- vien les engagera à tenir une promesse que cette première traduc- tion nous rend si pre'cieuse. VAmi de la Religion , 22^0.

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NOTICE SUR M. I.'ÉCDY,

DERNIER ABBÉ DE P RE M O NT R É (1).

M. l'Ecuy a vécu près d'un siècle ; il était le chef d'un ordre florissant ; il a traversé des temps fâcheux ; il a publié beaucoup d'ouvrages. A tous ces titres , sa notice doit offrir de l'intérêt. Elle présentera le contraste d'une époque de calme et d'une époque d a- gitation, et montrera un homme aussi modeste dans la prospérité que résigné dans la disgrâce , et à toutes les époques aussi laborieux qu'exemplaire.

Jean-Baptiste l'Ecuy naquit le 3 juillet 1740, à YvoisCarignan, dans le Luxembourg français , aujourd'hui département des Arden- nes. Il paraît que son nom de famille était TEcuver , qui fut peu à peu abrégé dans l'usage ordinaire. On remarque qu'il reçut la con- firmation à l'âge de cinq ans, des mains de M. de Nalbach, suffra- gant de Trêves, diocèse dont Yvois dépendait alors. 11 commença ses études en 1748 , au petit collège d'Yvois , et reçut la tonsure en 1734 , de M. Hontheim , suffragant de Trêves , l'auteur du Febro^iius. On l'envoya faire sa rhétorique et sa philosophie sous les jésuites , à Charleville , et en 17o8 il fut admis au séminaire du Saint-Esprit. L'année suivante , il prit l'habit à l'abbaye de Prémontré , et y pro- nonça ses vœux le 30 mars 1761. Peu après ses supérieurs le firent passer au collège de Prémontré , à Pazis , pour y suivre le cours or- dinaire des études. Le jeune l'Ecuy reçut les ordres , et fut ordonné prêtre le 22 septembre 1764. Le 25 janvier suivant , il fut reçu ba- chelier en théologie. On le rappela à Prémontré pour y enseigner la philosophie, puis la théologie. De retour à Paris en 1767 , on le chargea d'enseigner la philosophie dans le collège de Prémontré. II ; entra en licence en 1768 , et y eut pour condisciples l'abbé 'de La | Luzerne , depuis cardinal, l'abbé Duvoisin, depuis évêque de Nan- j tes, l'abbé Taillct et autres hommes distingués dans le clergé. L'hea- |

(i) VAini de la ReUi^ion , 2271.

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NOTICE SUR M. L EGUY.

reux caractère de M. l'Ecuy l'avait fait aimer de tous ceux de son âge, en même temps que son application au travail lui procura une place honorable en licence. Il fut reçu docteur le 20 mars 1770.

Pendant sa licence , M. Parcliape de Vinay , abbé général de Pré- montré, était mort le -4 mars 1769. M. Manoury fut élu en sa place, et choisit M. l'Ecuy pour secrétaire. Ils visitèrent ensemble , en 1771 et 1772, les abbayes de l'ordre dans les Pays-Bas. En 1773 , l'abbé le nomma prieur du collège de Prémontré à Paris , sans toutefois lui retirer ses fonctions de secrétaire. En 1776 , M. l'Ecuy soutint sa résompte. Le roi lui accorda une pension de 600 liv. sur l'ab- baye de Beaulieu , et peu après un de ses confrères lui résigna un prieuré simple dans l'évêché de Beauvais. En 1779 , on lui résigna encore un autre prieuré dans le diocèse d'Aire. En 1778 et 1779, son abbé et lui visitèrent les abbayes de leur ordre eu Normandie et en Bretagne. M. Manoury mourut le 18 juillet 1780. Le chapitre général pour Pcleclion d'un nouvel abbé eut lieu en septembre sui- vant. L'abbé de Floreffe y présidait , et M. de Dillon , archevêque de Narbonne et M. Lepelletier de Morfontaine assistaient comme commissaires du roi à l'élection. Le prélat affectionnait M. l'Ecuy , qui fut élu unanimement, le 18 septembre, pour abbé et général de son ordre. Le i^"^ novembre suivant, il fut présenté au roi Louis XVI, et le 4 février suivant, ayant reçu ses bulles, il fut béni abbé par M. de Conlrisson , évêque de Thermopyles, à la place de M. l'évêque de Laon.

Son premier soin fut d'accroître et d'enrichir la bibliothèque de son abbaye. Il aimait les livres, et pendant son séjour à Paris , dans sa jeunesse , il avait appris l'italien et l'anglais. Plus de 50,000 liv. de son propre revenu furent employées à des acquisitions de livres, et au moment de la révolution la bibliothèque était considérable. Le nouvel abbé s'occupa aussi de l'amélioration des études ; ce fut un des objets traités dans les chapitres qu'il présida en 1782, 178S et 1788. On y décida la réforme et la réimpression du Bréviaire et des autres livres liturgiques de l'ordre ; la rédaction du Bréviaire fut confiée à un prémontré, Lissoir , abbé de la Valdieu (1). Il pa-

k (i) Remacle Lissoir est auteur d'un abrégé assez hardi de Febronius. \ Depuis, il donna pleinement dans la révolution, fut administrateur du

NOTICE SUR M. l'eCUY. 91

raîl qu'on y suivit à peu près le Bréviaire de la congrégation de Saint- Vannes. M. l'Ecuy prescrivit l'usage du nouveau Bréviaire par une circulaire latine du i" janvier 1 786 ; elle est imprimée à la tête d'un des volumes du Bréviaire. Il est un autre ouvrage dont M. l'Ecuy avait , vers le même temps , conçu l'idée , tracé le plan et surveillé l'exécution; c'est les Principes de Véloquence sacré ^ 1787, in-12. Ce livre était destiné à l'instruction des jeunes religieux. L'épître dédicatoire et l'avertissement étaient de M. l'Ecuy ; le reste avait été rédigé par un jeune prémontré, J. B. A. Hédonin, mort en octobre 1792 , qui est encore auteur de Y Esprit de Raynal.

L'abbé l'Ecuy établit dans son abbaye des conférences théologi- ques , des cours de mathématiques et de belles-lettres ; il y forma un cabinet de plivsique. Soigneux d'établir la concorde entre les deux branches de l'ordre de Prémontre , il présida plusieurs fois les chapitres de ceux de la Stricte-Observance. Il visita les abbayes de son ordre en Suisse , dans le pays de Porentry et dans diverses parties de la France. En 1787 , le roi le nomma membre de l'as- semblée provinciale de Soissons et président de celle de Laon.

La révolution éclata , et amena une suite de décrets hostiles à la religion et au clergé. Le i'''' novembre 1790 , on signifia à M. l'E- cuy de quitter son abbatiale. Il se retira à Penancourt, qui était sa maison de campagne. Une pension de 6000 liv. lui fut assi- gnée comme indemnité de sa mense abbatiale; mais à peine lui en avait-on payé une petite portion qu'elle fut réduite à 1000 fr. que l'on payait en papier, à perte. Par la suite, ces 1000 fr. furent encore réduits au tiers. C'était assurément une grande chute pour un général d'ordre qui jouissait de 60,000 liv. de rente , et qui j étendait sa juridiction sur tant d'abbayes. Nous devons dire que BI. | l'Ecuy supporta sa disgrâce avec une résignation qu'il devait à la ' modération de son caractère , mais surtout à la religion. Bientôt on vint l'inquiéter dans sa retraite. Il fut incarcéré à Chauny le 2 sep-

dépaitcment îles Ardeiuies en 1790, député suppléant à la législature en 1791 , présiilent des élections pour la convention en 1792, curé con- stitutionnel de Charieville , puis, en 1797, membre du concile de ce parti. Il mourut en 1806, aumônier des Invalides.

92

NOTICE suit M. LÉGUY.

tembre 1793, mais relâché le U du môme mois. Le voisinage de Préraontré lui paraissant dangereux , il se retira , en mai 1794 , à Grandval , maison solitaire près Melun , il vivait avec son frère, comme lui religieux Préinontré. En 1793 , il obtint la restitution de ses livres, qui étaient déposés dans les caisses au district de Chauny. En 1797 , le besoin de s'occuper lui fit prendre quelques élèves qu'il instruisait de concert avec son frère.

En 1801 , M. l'Ecuy vint se fixer à Paris , il avait de nom- i breux amis. Un d'eux , l'abbé Lissoir , ancien abbé de la Valdieu, I le mit en relation avec les rédacteurs du /oMrao/ de Paris, et l'abbé I l'Ecuy y donna des articles jusqu'en 1811. En 1803 , il fut nommé chanoine honoraire de Notre-Dame. En 1806, il devint aumônier de la femme de Joseph Buonaparte , et distribua en cette qualité pendant plusieurs années des sommes importantes pour les pauvres I et pour toute sorte de bonnes œuvres. En décembre 1812, on le ■" chargea de prêcher un discours à Notre-Dame pour l'anniversaire du couronnement, et le IS août 1813 il prêcha dans la même église pour le rétablissement du culte. En 1818, Louis XVIII lui accorda une pension de 500 fr. En 1824, M. l'archevêque le nomma cha- noine de Notre-Dame , et l'admit dans son conseil. Le prélat lui écri- vit à celte occasion la lettre la plus bienveillante et la plus flatteuse. U le chargeait en même temps de l'examen de livres soumis à sou approbation.

Le vénérable vieillard avait conservé toutes ses facultés morales et physiques, quand, le 6 avril 1828, il tomba dans la sacristie de Notre-Dame. On le releva; depuis ce temps il n'a pu marcher, ses jambes lui refusaient le service. Il continua cependant encore de se livrer au travail. La lecture et la prière faisaient ses seules distractions. Sa mémoire conservait encore sa fraîcheur. Ce n'est que sur la fin de l'année dernière que ses forces diminuèrent progressivement. Il supportait avec courage ses infirmités et sa solitude. Enfin , il s'é- teignit doucement , le 22 avril , dans sa quatre-vingt-quatorzième année après avoir reçu tous les secours de la religion. Ses obsèques eurent lieu à Notre-Dame , le 24 , avec un plus grand concours qu'on n'eût pu l'attendre pour un homme qui n'avait plus de con- temporains. Mais le caractère aimable et conciliant de l'abbé l'Ecuy lui avait procuré beaucoup d'amis même parmi ceux qui étaient se-

NOTICE SUR M. l'ÉGUY. 93

parés de lui par une grande différence d'âge. Homme droit , officieux, instruit sur beaucoup de matières , aimant la littérature , avant tou- jours vécu dans la société des gens de lettres , il portait beaucoup d'agrémens dans la conversation. Personne n'eut jamais à se plain- dre de lui ; la médisance , la raillerie , l'épigramme ne sortaient ja- mais de sa bouche. Les relations qu'il avait eues autrefois avec les ^| évêques et avec les membres les plus distingués de l'ancien clergé i! rendaient ses entretiens une espèce de tradition vivante sur cette /,' matière.

D'après ses intentions , son corps a été embaumé par les soins du docteur Martin , son ami , qui le voyait assidûment depuis bien des années, et qui a prolongé sa carrière à force de zèle et de prudence. Le cœur doit être transporté à l'abbaye de Straliow , de l'ordre de Prémontré , à Prague , selon les désirs de l'abbé l'Ecuy , et afin , dit-il dans un écrit qu'il a laissé sur ce sujet , que ses confrères son- gent à prier pour lui. 11 ne voulait pas que l'on crût que la vanité l'avait porté à ordonner ces dispositions , et en effet tous ceux qui ont connu la simplicité de son caractère ne l'en soupçonneront pas. Mais il était naturel qu'il souhaitât que quelque chose de sa dépouille mortelle fût conservé dans une abbaye de son ordre. Lui- même a tracé aussi son épitaphe , que nous donnerons à la fin de cette notice. Dans son testament , il n'a oublié aucun de ses amis, et leur a laissé des marques de souvenir. 11 a prié M. l'archevêque, pour lequel il professait une tendre vénération , d'accepter un petit tableau de sainte Catherine de Sienne , et un exemplaire du livre rare imprimé aux frais de M. le baron de Vincent.

Actuellement , nous donnerons la liste de ses ouvrages ;

1" OEuvres de Franklin , traduites de l'anglais, 1773 , 2 volu- I mesin-4°. '^'' Discours pour la Rosière de Salencij, en 1776, in-8°. | Discours pour l'ouvetiure du chapitre de Prémontré , en 1779, * in-4° ; traduit en latin par l'abbé de Strahow. -4" Jmintor et Théo- . dora, suivi de l'Excursion ou les Merveilles delà nature, 1797, | 3vol. in-12 ; c'est une traduction de l'anglais, de David Mallet. S"» | Nouveau Dictionnaire historique, biographique et bibliographique, in-8', 1803; traduit del'anglais, de Watkins. Q>" Dictionnaire de poche latin- français, 180o, in-12, oblong , réimprimé en 1831. 7" Abrégé

94 NOTICE SUR 31. l'ÉCUY.

de l'Histoire de V Ancien et du Nouveau Testament , 1810 , 2 vol. in-8° , réimprimé en 1 vol. ia-12 et connu sous le nom de Bible de la Jeunesse. Discours pour l'anniversaire du Couronnement

! et pour l'Assomption, 1813, 2 brochures in-8''. 9'' La partie ecclé- siastique du Supplément , en A vol. , au Dictionnaire historique I de Feller , 1818 et 1819; le reste du Supplément, était rédigé par M.Bocous. \Q^ Manuel d'une Mère chrétienne ou courtes Homélies sur les Epîtres et Evangiles des dimanches et fêles , 1822, 2 vol. in-12, avec figures. \\° Annales civiles et religieuses d'Yvois-Ca- rignan et de 3Iouzon , 1822 , in-8''. 12° Un Recueil sur la prise l^e Constantinople , pour faire suite à l'Histoire Bysantine, 1823, fin-fol. imprimé à 60 exemplaires au frais de M. le baron de Vincent ï et de sir Charles Stuart , alors ambassadeurs d'Autriche et d'Angleterre I en France. 13° Strenœ Norberteœ , 1827, in-8''; traduction en vers français d'une élégie latine du jésuite Werpen , sur la conversion de saint Norbert. 1-4° Il est auteur du 8^ volume de l'ouvrage de Bas- sinet, Histoire sacrée de l'Ancien et du Nouveau Testament; ce volume contient les Actes des Apôtres et l'Apocalypse. lo° Il a fourni beaucoup d'articles de littérature au Journal de Paris , de- puis 1801 jusqu'en 1811 ; des notices à \a Biographie utiiverselle , de Michaud , depuis 1811 jusqu'en 182S, et des articles aux trois i premiers volumes de Y Ami de la Religion. 16° Essai sur la Vie S de Gerson , 1832, 1 vol. in-8°.

On assure que cette vie de Gerson n'était point destinée à l'impres- sion; seulement, le manuscrit devait en être déposé à la bibliothèque de l'archevêché pour servir de matériaux aux historiens futurs. Mais , cette bibliothèque ayant été dévastée et anéantie , l'auteur se laissa persuader de publier son ouvrage. La vie de Gerson est précédée d'une longue introduction sur le grand schisme d'Occi- dent , et sur les causes qui l'ont préparé. La vie elle-même est à peu près l'histoire contemporaine , et Gerson y disparait souvent au milieu du récit des grands événemens de cette époque. De plus , nous n'oserions assurer que l'auteur eût fait assez de recherches et eût apporté autant de critique que l'exigeait un sujet si délicat. En- fin , il nous a paru s'expliquer sur certains papes de ce temps avec une dureté qui nous étonne dans un écrivain ordinairement si sage et si retenu. An total, on ne peut se dissimuler que cette production

NOTICE SUR M. l'ÉGUY. 95

se sente de la vieillesse de l'autear ; il avait alors 92 ans, et il est donné à peu de gens de pouvoir écrire à cet âge.

Nous ne compterons pas au nombre des ouvrages de l'abbé l'E- \ cuy une Flore de Prémontré ( Flora Prœmonsfratensis ) , qui fut / faite par ses soins et à ses frais. Les plantes qui se trouvent dans ? le voisinage de l'abbaye y sont peintes. M. Le Marcant de Cam- '' bronne . botaniste de Laon , était chargé de décrire les plantes. Ces descriptions sont faites à la main. Dans les années 1787 et 1788 , il y eut plus de 600 plantes décrites. Le recueil forme trois gros vo- lumes in-folio , grand papier ; c'est un exemplaire unique dont l'abbé . l'Ecuy a fait présent à la bibliothèque publique de Laon. La révo- 1 1 lulion empêcha de continuer cet ouvrage. t

M. l'abbé l'Ecuy a laissé un manuscrit curieux , c'est un abrégé de sa vie : P^itœ mece brève Compendium. Cet abrégé , qui s'arrête en 182A , rappelle les principales époques de sa vie. A la fin , l'au- teur a inséré quelques lettres et discours , une chronologie des abbés de Prémontré ( il était le 57" ), Planctus norbertinus , élégie en vers latins et en vers français , composée par lui en 1820, et au- tres pièces. La vie nous a été fort utile pour la présente notice. Nous nous sommes aussi beaucoup servi d'une notice qui se trouve dans la Biographie ardennoise , de M. BouUait. Le Compendium de M. l'Ecuy est écrit en latin , et d'un style qui prouve que l'auteur avait étudié avec fruit les auteurs classiques.

En 1816, il avait traduit du portugais d'Antoine Pereira de Fi- gueredo l'Abrégé des écrits et de la doctrine de Gerson. Cet ouvrage , que Pereira avait dédié au marquis de Pombal , est dans un esprit que Gerson n'eût sans doute pas approuvé. L'abbé l'Ecuy ne publia pas sa traduction ; un semblable travail s'accordait mal avec la mo- dération de- son caractère.

Nous terminons cette notice par l'épitaphe que M. l'Ecny avait faite pour lui-même , et qui a été gravée sur son tombeau ;

D. O.M.

Lapide sub hoc funereo

R. R. D. D. Joannis Baptistœ l'Ecuy

Conduntur humiks Exuviœ.

96 SUR LA CRISE DE l'ÉGLISE ANGLICANE.

Patriâ Yvodiensis Canonicus regularis professione Studiis doctor Sorbonicus Dignitate abbas Prœmonstrati LP^IP" Totimque ordinis Prœmonstratensis caput ac generalis. Anno MDCCLxxxx Regno procaci libertate deturbato , P^otis Deo jîiratis Ecclesiœ suce , fratrum consortio , infulis Miserahiliter ereptus. Diversis dein exagitatus Hic tandem quiescit Beatœ immortalitati utinam maturus / Transi viator et ont pro eo.

Natus 3 Juin anno mdccxl

Obiit, Ecclesiœ Parisiensis canonicus titularis

Et illustrissimi Parisiensis Archipiscopi vicarius generalis.

Die 22^ mensîs aprilis ,

Anno Dotnini mdcccxxxiv.

SUR S. A CRISE PE I.'ÉGI.ISE ANGLICABTE.

Le célèbre Pitt , pendant son long ministère , avait repoussé toutes les propositions pour la réforme parlementaire , parce qu'il sentait bien que si l'on entrait une fois dans cette voie , tout l'édifice de la constitution anglaise ne tarderait pas à èlre attaqué et ébranlé par des réformes successives ; c'est en efifet ce qui est arrivé depuis la grande mesure prise par lord Grey, Les propositions succèdent aux propositions , et l'alarme commence à se répandre parmi ceux qui tiennent aux intérêts et aux abus de l'Eûlise établie. Ces abus ne sont

SUR LA CRJSE DE l'ÉGLISE ANGLICANE. 97

nulle part plus choquante qu'en Irlande , l'Eglise protestante jouit d'immenses revenus , quoique ses sectateurs ne forment qu un huitième ou même un dixième de la population ; tandis que l'Eglise catholi- que, qui compte pour elle les trois quarts de la population , ne vit que d'aumônes. L'Eglise protestante a envahi à la fois les biens et les églises ; elle reçoit les dîmes , et partout les anglicans sont en minorité. 11 y a même des endroits à peine on en compte quel- ques-uns. Cet état de choses excite depuis long-temps de vives ré- clamations de la part des catholiques. Obligés de pourvoir à l'entre- tien de leur clergé , ils sont obligés en outre de nourrir le luxe des prélats anglicans , dont plusieurs ne résident même pas dans le pays; de payer la dîme à des bénéGciers qu'on ne voit jamais , et qui dé- pensent leurs revenus à Londres ou sur le continent.

Tout le monde sent donc le besoin d'une réforme ; mais l'Eglise anglicane la redoute avec raison , parce qu'elle y voit le terme de sa longue prospérité. Les attaques se sont si fort multipliées depuis quelque temps , que les évêques ont pris l'alarme. Ils se sont adres- sés au roi d'Angleterre , chef et protecteur de l'Eglise , et plusieurs d'entre eux , conduits par les archevêques de Canlorbéry et d'Armagh , primats d'Angleterre et d'Irlande , ont eu une audience du prince , et lui ont exposé leurs inquiétudes. Quelques journaux anglais ont rapporté la réponse de Guillaume ; elle n'a aucun caractère officiel ; mais il y a tout lieu de croire qu'elle est authentique , et , d'après la manière dont lord Grey en a parlé dernièrement à la chambre des lords , on ne saurait en douter. Nous citerons un fragment de cette réponse :

« Dans toutes les circonstances de ma vie , et par conviction , j'ai toujours été porté à étendre la tolérance jusqu'à ses limites équitables; mais la tolérance ne peut pas aller jusqu'à autoriser la licence. Il y a des bornes qu'il est de mon devoir d'empêcher qu'on ne fran- chisse. Je suis attaché à la pure foi protestante , que cette Eglise , dont je suis le chef temporel , répand et conserve dans notre pays. Je ne saurais oublier les événemens qui ont placé ma famille sur le trône que j'occupe. Ces événemens se sont accomplis dans une ré- volution devenue nécessaire , et qui ne s'est pas effectuée , comme on l'a dit souvent , dans l'intérêt des libertés temporelles du peuple, T. X. 7

98 SUR LA. CRISE DE l'kGLISE ANGLICANE.

mais pour la conservation de sa religion. C'est pour la défense de la religion et du pays qu'ont été fondées les institutions politiques en vertu desquelles je règne aujourd'hui ; et celte Eglise d'Angleterre et d'Irlande (le roi a particulièrement appuyé sur ce second mot) , cette Eglise , dont les prélats sont en ce moment devant moi , c'est mon ferme dessein , ma détermination et ma résolution de la maintenir. Les évèques actuels (j'en suis bien satisfait , et je suis bien lieureux de savoir qu'il en est de même du clergé placé sous leur direction) n'ont jamais été surpassés en aucun temps par leurs prédécesseurs en fait de savoir , de piété et de zèle. Si dans les parties secondaires de la discipline de l'Eglise il y a , ce dont je doute fort (le roi insiste beaucoup sur ces derniers mots ) , des abus qui réclament des modi- fications intelligentes , j'ai la pjlus grande confiance dans l'aptitude et dans l'empressement des prélats , qui sont devant moi , à corriger ces abus. »

Il est aisé de voir que tout cela est vague. Le roi promet bien le maintien de l'Eglise protestante ; mais il ne promet pas le maintien de ses gros revenus , et , quand il le promettrait , ce ne serait pas une raison pour que la réforme ne se fit pas. On sait qu'en Angle- terre c'est le ministère qui gouverne sous le nom du roi. Les opinions personnelles du roi n'ont pas beaucoup d'influence sur la marche de l'administration, et , comme les conseillers de la couronne sont responsables , ils ne manquent pas de raisons pour montrer que leur avis est le seul qu'il soit possible de suivre. Dans la circonstance présente , lord Grey, répondant à un membre qui lui avait objecté la réponse faite aux évoques, a répondu qu'il n'avait rien à dire sur celte déclaration , attendu qu'il ne l'avait pas conseillée au roi. On peut donc prévoir que la réponse n'arrêtera rien , et que le plan de réforme ira son train.

Aussi , dans le temps le roi parlait aux évêques , comme nous venons de le voir, M. Ward faisait sa motion à la chambre des com- munes , pour une réforme dans l'établissement de l'Eglise protestante en Irlande. Cette motion excita une scission dans le ministère an- glais ; quatre membres se retirèrent pour ne pas prendre part à une mesure qu'ils regardaient au moins comme inopportune. Le ministère a été reformé tout de suite et lord Althorp n'a écarté la motion qu'en

SDR LA CRISE DE l'ÉGLISE ANGLICANE. 99

proposant une commission laïque d'enquête qui visiterait les paroisses d'Irlande , dresserait un état du nombre des membres du clergé protestant et du montant de leurs bénéfices , ferait connaître s'ils ré- sident ou non , quel est le nombre de leurs ouailles , quel est d'un autre côté celui des catholiques et celui des protestans dissidens , quel est l'état des écoles, etc. La proposition de lord Altliorp a été acceptée, dans la séance du 2 juin, par 296 voix contre 120. Il est aisé de voir par les dispositions du ministère quel sera le résultat de la commission d'enquête.

Aussi le parti de l'opposition a attaqué à ce sujet le ministère dans la séance du 6 juin. Lord Wicllow a blâmé l'établissement de la commission. Lord Grey a soutenu que cette mesure ne préjugeait rien , que personne ne songeait à assimiler l'Eglise d'Angleterre à l'Eglise d'Irlande ; mais que l'on ne pouvait disconvenir que celle-ci avait besoin d'une meilleure répartition des biens. L'archevêque de Cantorbéry et les évêques de Londres et d'Exeter réclamèrent forte- ment pour l'Eglise protestante d'Irlande , et le dernier surtout se plaignit que le ministère faisait violer au roi ses sermens. Lord Brougham répondit aux évêques en se moquant un peu de leurs do- léances. La motion de lord AVicklow , pour que l'on fit connaître la base des travaux de la commissioa , a été adoptée.

100

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MSIiANGES. Jnillet 1 834.

Mort de M. Van Gils. Conversion du docteur anglican King. Mé- daille décernée à M. Triest ; nombre de ses institutions. Différentes religions en Angleterre. Des det'oirs des hommes , par Silvio Pellico. Bénéfices de l'Eglise anglicane. Bibliothèques de Paris. Bi- bliothèque de St.-Pétersbourg. Antiquités découvertes dans l'île de Ceylan. Piéflexions du Franc-parleur sur l'Université catholique.

Hiérographie de M. Ganelli. Séance de l'Acadéaiie de Bruxelles

du 7 Juillet. Lettre de Mgr. PArchevêque de Paris. Conversion de M. Tbeiner.

Le savant et respectable M. Antoine Van Gils est mort le 10 juin dernier au séminaire de Bois-le-Duc. Il était à Tilbourg, dans le Brabant septentrional ,1e 29 juillet 1738. Proclamé prewi/er à l'ancienne Université de Louvain le 17 août 1779, il fut ordonné prêtre à Anvers le 14 juin 1783. Après avoir été successivement lecteur en théologie au collège du Pape et à l'abbaye de Ste.-Ger- trude , il fit sa licence et alla exercer le saint ministère à Eindhoven et à Bois-le-Duc. Rappelé à Louvain , il fut nommé en 1790 pré- sident du collège de Malderus , chanoine de St. -Pierre, et professeur de théologie. Il occupa aussi la chaire de littérature grecque au collège dit des Trots-Langues. Le 11 avril 1794 il soutint les exer- cices accoutumés pour le grade de docteur en théologie , mais l'en- trée des Français dans la Belgique l'empêcha d'être proclamé dans la forme ordinaire. Dans le cours de la même année M. Van Gils fut élevé à la dignité de recteur magnifique de l'Université. Après la suppression de l'Université il fut nommé président et professeur au nouveau séminaire de Bois-le-Duc qui s'ouvrit à Herlaer le 29 jan- vier 1798. Sa conduite ferme et courageuse lui avait mérité, sous le gouvernement impérial , les honneurs de la persécution ; arrêté en 1812 , il vécut en exil à Malines et à Dijon, et n'obtint sa li- berté que le 22 février 1814. Nous espérons qu'une notice détaillée sera consacrée à la mémoire d'un homme si justement vénéré dans la Belgique. Il laisse plusieurs écrits en manuscrit ; parmi ceux qu'il a publics on dislingue De Grondcn eau het Christen-Cutholiek Geloof, tegen overdc Grondcn der Philosophie ; Bois-le-Duc 1800, in-8°; Roomsch-KathoUjk meijerysch Memorie-boek etc. ibid in-8°.

UÉLÂl^GES. 101

Anahjsis epistolarum Pauli, ad usum seminarii Sylvœ- Ducensis , Louvaiu 1816, 3 vol. in,-12.

Un ministre protestant , le docteur King , de Londres , a suivi l'exemple de l'honorable M. Spencer (V.ci-d. t. VII, p. 488) , et s'est fait catholique ; après avoir cherclié la vérité pendant deux ans , il a fait sa profession de foi entre les mains du docteur Baines , évêque de Siga et vicaire apostolique du district de l'Ouest. A New-York , un protestant , M. Gardner Jones , a fait connaître dans un journal de cette ville les sept raisons qui l'ont engagé à se faire catholique. Il déclare qu'il n'a été influencé par aucun catholique, et qu'il doit sa conversion au docteur protestant Brownler et à la manière dont il a défendu le protestantisme dans sa controverse avec trois prêtres catholiques de New-York. Ses sept raisons sont que l'Eglise romaine est la seule catholique , qu'elle remonte jusqu'aux apôtres , qu'elle a résisté aux révolutions et aux hérésies , tandis que les églises séparées n'ont point de règle de foi , rejettent des dogmes anciennement reconnus et des pratiques respectables , et conduisent à l'oubli de la religion. Sa lettre, datée du 18 janvier dernier, a été insérée dans le Wecklij Register et CathoUc Diary de New-York. Depuis, M. Gardner Jones a répondu dans le même journal à des attaques des journaux proteslans.

La direction de la société Montyon et Franklin , a décidé de décerner à M. le chanoine Triest , non-seulement sa magnifique médaille d'or des Bienfaiteurs de V Humanité (1) , mais en outre, de faire graver son portrait , accompagné d'une notice très-développée. Jusqu'à présent, si nous ne nous trompons , cette honorable distinction n'avait eu lieu , pendant la vie des hommes utiles , qui en sont l'ob- jet, que pour M. Paillette, chevalier de la Légion- d'Honneur « qui, 51 dit sa notice biographique , a sauvé plus d'hommes , Français ou « étrangers , que le plus terrible soldat de toutes les armées de la » république ou de l'empire ne pourrait se vanter d'en avoir tué de » sa main. » Celte décision de la société philanthropique de Paris , fut prise après la lecture d'un extrait de la Notice historique sur Gand , ses monumem , ses institutions , sa statistique , etc., dans

(i) La remise de cette médaille a été faite le 21 juin à M. Tiiest, par M. le bourgmestre de Gand , en présence du conseil de Régence et de M. Paillette, envoyé de la société.

102 MÉLANGES.

lequel sont résumés les travaux évangéliques de M. Triest. Cet ex- trait a été envoyé à Paris , certifié et appuyé par la signature de plusieurs citoyens recommandables de Gand. Le livre de M. A. P^oisiny se trouvant entre les mains de beaucoup de personnes , nous croyons inutile de reproduire le passage dont nous parlons.

Voici des renseignemens entièrement neufs et positifs que nous nous sommes procurés sur le nombre des institutions fondées par notre St.-F^incent de Paul , et l'on verra , qu'il n'y a peut-être pas maintenant en Europe un homme, soit prince, soit simple parti- culier , qui ait mieux mérité la juste distinction de la société Mon- tyon et Franklin.

Depuis 1803, il a créé quinze maisons desservies actuellement par deux cents sœurs de la charité de Jésus et de Marie. Servir les malades des deux sexes , soigner les femmes aliénées , instruire les sourdes-muettes , diriger des pensionnats de filles , élever enfin des orphelines et d'autres enfans pauvres , telle est le vœu de ces bonnes sœurs. Ces quinze maisons renferment une population d'environ 1800 individus : elles sont établies à Gand , l'on en compte trois, à Tournai , à Lovendeghem, Eccloo , Bruges, Courtrai , St. -Génois, Renaix , Berleghem , Saffelaer , Melsele , Anvers , Berlhem et Bruxelles. M. Triest est sur le point de faire construire, au rempart des Moines , de cette dernière ville , pour les aliénées et les incu- rables, un hoîel dont tous les plans sont déjà tracés.

Ces mêmes sœurs ont encore à Gand deux pharmacies parfaite- ment tenues ; l'une à l'hospice des femmes aliénées , l'autre à l'in- stitut des sourdes-muettes : elles y distribuent gratis aux pauvres les médicamens qui sont fournis par le bureau de bienfaisance.

Si nous passons maintenant aux institutions desservies par les frères de la charité de St. -Vincent de Paul , qui sont au nombre de 70 , nous trouvons qu'ils possèdent dix maisons dont cinq sont situées à Gand , et les cinq autres à Froidmont , près de Tournai , à Anvers, Louvain , Bruges et St.-Trond. L'établissement de celte dernière ville recevra aussi , avant la fin de l'année, des vieillards, des aliénés et des orphelins.

Ces 10 maisons comptent plus de 2300 individus : ainsi les 2o éla- blissemens fondés ou dirigés par M. le chanoine Triest , renferment plus de -4200 personnes , sans y comprendre 270 sœurs et frères de la charité. Ceux de ces établissemens , dont la disposition et l'éten- due des locaux le permettent , donnent asyle à plusieurs classes d'infortunés , mais toujours du même sexe. C'est ainsi , par exem-

MÉLANGES. 103

pie , que la maison de Tournai , érigée dans le vaste local de l'an- cien séminaire , et dont la population est de plus de 230 individus, est divisée en trois corps de bàtimens bien distincts : l'un est pour les incurables, un autre pour les aliénées, et le troisième pour les orphelines; à Gand , la maison-mère, établie dans l'abbaye de Ter- Laegben , est aflTectée à l'institut royal des sourdes-muettes ainsi qu'aux incurables. Depuis trois ou quatre ans , M. Triest y a même fait construire un local pour les aveugles : mais jusqu'à présent on n'y a présenté qu'une petite fille. Comme elle est seule , elle est éle^ vée avec les sourdes-muettes. Il n'y a rien d'attendrissant comme de voir catiser cette intéressante et spirituelle enfant avec des infor- tunées , privées de l'onïe et de la parole. On lui a créé un langage à part ; elle formule ses idées , même les plus déliées , en palpant soit les mains , soit les vêtemens de ses compagnes , qui lui répon- dent de la même manière. Tout le monde sait que les sourds-muets expriment toutes les lettres de l'alpbabet à l'aide des mains, res- source dont est privé l'aveugle.

Si nous faisons la statistique rapide des diverses espèces d'insti- tutions , desservies par les sœurs de la charité de M. Triest , nous en trouvons 1 1 pour les incurables ; 2 pour les aliénées ; 2 pour les sourdes-muettes; 2 écoles de pauvres filles; 3 pensionnats de jeu- nes demoiselles ; 2 hospices d'orphelines ; 1 maison d'aveugles ; 8 écoles d'externes; 3 ateliers de travail; 1 hôpital : total 3-i. Les institutions, desservies par les frères sont au nombre de 12, savoir; 2 hospices d'aliénés; un institut royal de sourds-muets; 6 écoles de pauvres très-nombreuses; 1 d'orphelins; 1 école d'externes paysans; 1 de vieux-hommes : ensemble 46 institutions fondées dans 23 mai- sons. Le vénérable philanthrope qui croit n'avoir rien fait , tant qu'il reste quelque chose à faire , exécute encore en ce moment de grands projets , et il est probable que sous peu de mois , ses pieux établissemens serviront d'asyle à environ cinq mille individus.

Nous terminerons cet article en disant que la société Blontyon et Franlilin, outre les médailles d'or qu'elle ne décerne qu'avec une très-prudente réserve, publie tous les ans 24 portraits, accompagnés de leurs notices historiques , des bienfaiteurs de rhumanitc et des hommes utiles de tous les pays. Ces portraits gravés sur acier sont tous admirablement exécutes , et celui de notre vénérable concitoyen, sera confié au premier artiste de la capitale. Les personnes qui dé- sirent prendre connaissance de l'excellente et belle publication de la société peuvent s'adresser au libraire Van Ryckeghem à Gand. Journal des Flandres, 173.

104 MiLATfGES.

Des journaux anglais ont donné dernièrement des calculs plus ou moins exacts sur le nombre des sectateurs des différentes religions dans la Grande-Bretagne. Le Morning Chronicle porte plus haut le nombre des dissidens ; et le Standard, journal tory, prétend au contraire que les anglicans dominent. Biais ils s'accordent à comp- ter 144,244 catholiques et 84 chapelles dans le comté de Lancaster, Sur ce nombre , il y en a , dit-on , 60,000 à Liverpool. On estime à 116,000 les dissidens de toutes les sectes diverses. Le Morning Chronicle prétend qu'il y a 160,000 catholiques à Londres. La so- ciété dite de la réformation, qui a pour objet de combattre les pro- grès de la religion catholique et qui est accusée de les exagérer un peu pour jeter l'alarme parmi les protestans , a publié une carte qui offre les noms et la situation des chapelles , séminaires et collèges catholiques. Elle portait à 423 le nombre des chapelles catholiques dans l'Angleterre et le pays de Galles et à 74 celles de l'Ecosse. Il y avait eu , suivant cette carte , 6o nouvelles chapelles en Angleterre depuis 1824 et 23 en Ecosse depuis 1829. Les comtés en Angleterre il y a le plus de chapelles sont ceux de Lancasfre , il y en a 87 ; York , 53; Stafford 23 j Northumberland et Middlesex , cha- cun 19; Warwick et Durham , chacun 14; Harapshire , 12; Lin- coln , 11. Il n'y en a point dans les comtés de Rutland et de Hun- tingdon. Dans le pays de Galles , sur onze comtés il y en a six qui n'ont point de chapelles , et il n'y en a que huit en tout dans la principauté. En Ecosse , les comtés d'Inverness et de Banff sont ceux qui ont le plus de chapelles. Le premier en a 17 , et le second 12. La société de la réforme établit ce qu'elle appelle des stations pour contrebalancer l'action et les progrès de la religion catholique. Elle a jusqu'ici formé 46 stations dans toute la Grande-Bretagne.

DES DEVOIRS DES HOMMES : Traité offert à la jeunesse ; par Silvio Pellico , de Saluées. S'il est un homme digne de tracer à la jeunesse ses devoirs dans la carrière de la vie , c'est sans doute celui qui , éprouvé par de longues infortunes , n'a rapporté d'un affreux exil noblement souffert pendant dix années , qu'un cœur calme et compatissant , et des paroles de paix et d'amour pour tous les hommes. Or , tel fut l'illustre prisonnier des plombs de Venise , et du Sj)ielberg. A lui donc la sublime tâche de nous frayer la route du devoir et des vertus. C'est avec un vif plaisir que nous voyons se publier à la fois plusieurs éditions de ce précieux opuscule , digne de l'auteur de Mie Prigioni. Puisse-t-il tomber entre les mains de

MÉLANGES. 105

tous ceux qui ont voulu lire l'histoire de ses malheurs. Ils pourront ainsi , à l'école de Silvio Pellico , s'instruire et s'édifier tour à tour par la voie des préceptes et par celle de l'exemple.

Un journal protestant, le Libre Examen, donne la notice suivante sur les bénéfices de l'Eglise anglicane. « Dans la cham- bre des pairs d'Angleterre , il y a plus de deux cents propriétaires du droit de présenter aux bénéfices ecclésiastiques , sans compter le lord chancelier et les évêques. On sait d'ailleurs que, malgré les lois contre la simonie, une foule de changeurs et de Irafiqueurs se sont introduits dans le temple. En Angleterre , on achète , on cède, on hypothèque le droit de collation aux bénéfices. Aussi il est facile de prévoir que toute mesure de réforme qui n'aurait point pour ré- sultat de mettre un terme à ce trafic scandaleux rencontrera la plus vive opposition dans la chambre des communes. Il ne serait pas impossible non plus que plusieurs membres , qui appuient ordinai- rement le ministère , votassent contre , dès qu'il s'agira de toucher aux propriétés de l'Eglise. Pour justifier nos craintes à ce sujet, il sufiûra de transcrire la liste suivante , qui renferme le nom des prin- cipaux propriétaires du droit de collation à la chambre haute. Le comte de Craven possède treize bénéfices ; le comte d'Albemarle , neuf; le duc de Cleveland , quatorze ; le duc de Sutherland , huit; le duc de Portland, dix ; lord Yarborough, quinze ; le duc de Bed- ford , vingl-sept ; le comte de FitZAvilliam , trente-un ; le duc de Devonshire , quarante-huit, le duc de Norfolk,, vingt-un. Tous ces seigneurs sont du parti qui soutient le ministère , c'est-à-dire du parti whig ; voici maintenant quelques notabilités du parti tory : le mar- quis d'AUesbury dispose de neuf bénéfices ; le marquis de Bath, de treize ; le comte de Lansdale , de trentredeux ; le duc de Bucking- ham , de treize ; le marquis de Bristol , de vingt ; le comte de Shaf- tesbury , de douze ; le duc de Northumberland , de treize ; le duc de Rutland , de vingt-neuf; le duc de Beaufort , de vingt-neuf. Quant au lord chancelier , il jouit du droit de collation à non moins de huit cent sept places de ce genre. Tous les évêques du parlement en- semble , y compris ceux d'Irlande , disposent d'environ dix-neuf mille bénéfices. On évalue à quatre mille cinquante le total de ceux dont la chambre des pairs peut disposer. Il y a aussi un nombre assez fort de propriétaires de ce singulier privilège à la chambre des communes ; mais ce chiffre est insignifiant quand on le compare à celui de l'autre chambre. »

106

MELANGES.

Bibliothèques de Paris. La bibliothèque royale se composait de 910 volumes sous Charles V, de 1,890 sous François I , et de 16,746 sous Louis XIII. En 1684, elle possédait 50,342 volumes; en 1775, près de loO,000 volumes , et environ 200,000 en 1790. Elle est riche aujourd'hui de plus de 600,000 volumes imprimés , et de 80,000 manuscrits , sans compter plusieurs centaines de mil- liers de pièces relatives à l'histoire générale et surtout à l'histoire de France.

La Bibliothèque Mazarine se composait, en 1684, de 40,000 vo- lumes : elle en compte aujourd'hui 90,000 imprimés, et 3437 ma- nuscrits. On y remarque surtout beaucoup d'anciens livres de droit, de théologie , de médecine et de sciences physiques et mathématiques. Elle possède la collection la plus complète des auteurs luthériens et protestans.

La bibliothèque de l'Arsenal , créée par le marquis de Paulmy , a été acquise, en 1781 , par le comte d'Artois. Elle se compose de plus de 173,000 volumes, sur lesquels il y a environ 6000 manus- crits. Elle est surfout riche en romans , pièces de théâtre , anciennes et modernes , poésies françaises , et possède quelques ouvrages im- portans d'histoire qui ne se trouvent pas ailleurs.

La bibliothèque de Sainte-Geneviève fut fondée en 1624. Elle s'est SDCcessiveraent accrue de 600 volumes à 160,000 , parmi lesquels il y a 3300 manuscrits. On y trouve toutes les collections académiques, et de précieux ouvrages historiques. Ses manuscrits les plus remar- quables sont des manuscrits grecs ou orientaux.

Récapitulation :

Bibliothèque royale 680,000 volumes.

Bibliothèque Mazarine 93,437

Bibliothèque de l'Arsenal. . . . 173,000

Bibliothèque Sainte- Geneviève. 163,500

Total 1,111,937 volumes.

Bibliothèque de Saint-Pétersbourg . La bibliothèque pu- blique impériale possédait , au commencement de 1833 , 263,647 vo- lumes imprimés, et 14,632 manuscrits. Dans le courant de celte année S. M. l'a enrichie par le don de 7728 livres de la bi- bliothèque de Pulawy , de 13 cartons de manuscrits de l'ancienne

MÉLANGES. 107

société des amis des sciences de Varsovie , et -499 caisses de la bi- bliothèque de Varsovie.

On n'a déballé jusqu'à présent que 200 caises ; les ouvrages qu'elles contenaient seront placés au rez-de-chaussée d'un pavillon nouvellement bâti. Toutes les caisses renferment 130,000 volumes d'ouvrages classiques dans presque toutes les langues vivantes. Par achat et par dons particuliers, la bibliothèque s'augmenta en 1833 de 1019 livres et de 12 manuscrits. Autrefois elle était ouverte au public trois fois par semaine , maintenant on l'a fermée à cause de réparation et de l'agrandissement que subit l'édifice.

Des antiquités fort curieuses viennent d'être découvertes dans l'île de Ceylan , aux environs de Topary. Il s'agit de temples circu- laires de cent pieds de haut , surmontés d'obélisques , et entourés de tumulus , comme chez la plupart des nations antiques. Mais la plus surprenante découverte consiste dans une statue haute de plas de cinquante pieds , bien proportionnée , et une autre en adoration devant elle , portées toutes deux sur un soubassement de rochers en tallus , de trente pieds de haut sur quatre-vingts de large. On a cru reconnaître dans la grande figure la divinité Eouddha. Ces deux sta- tues et leur soubassement ont été taillés dans le roc.

Un journal qu'on n'accusera point d'être trop favorables aux ca- tholiques , donne les réflexions suivantes sur l'Université catholique :

« Le clergé qui fut si long-temps à la tête de l'enseignement pu- blic , qui si long-temps eut seul entre les mains ce levier puissant , ne s'est pas endormi au milieu de l'espèce d'apathie, de l'espèce d'indifférence que nos hommes d'état montrent à l'égard de l'instruc- tion, surtout de l'instruction universitaire. Tandis que le haut en- seignement est partout incomplet , que les universités sont à peu près désorganisées , qu'il y règne une espèce d'anarchie , car jusqu'ici on ne s'est occupé de ces utiles établisseraens que pour leur nuire, le clergé se concerte , se coalise , se cotise , sollicite la générosité des fidèles, trouve de l'argent, beaucoup d'argent pour fonder une uni- versité, et il l'appelle catholique, non sans doute par opposition avec les autres , mais parce que c'est son ouvrage , sa création. 11 met à profit cette liberté illimitée de l'enseignement que la charte belge a proclamée , il donne un exemyjle qui paraît être perdu pour le gouvernement qui a le plus grand intérêt à ne pas abandonner

108 MÉLANGES.

l'instraction publique à une classe particulière de citoyens , quelque bonnes , quelque pures que puissent être ses intentions.

« De'jà on annonce que les facullés préparatoires, la faculté des sciences , la faculté de la pliilosopliie et des lettres de l'université catholique seront en état de recevoir des élèves, au mois d'octobre prochain ; ceux qui ont fondé cette grande institution auront donc l'année suivante des jeunes gens bien et duement préparés à suivre les cours de théologie , de droit et de médecine , et c'est un immense avantage qu'ils auront sur l'université ou les universités à établir par le gouvernement, si toutefois elles sont organisées même dans un an ; car qu'on ne s'y trompe pas , la manière dont les jeunes gens sont préparés aujourd'hui à la candidature en sciences , ou en phi- losophie et lettres , et celle surtout dont ils y sont admis , est bien loin , au moins en général , d'offrir des garanties suffisantes. Puis- qu'on ne se décidait pas à régler convenablement le haut enseigne- ment, on aurait dû, ce nous semble, établir au préalable un jury indépendant d'examen , pour la collation des grades universitaires ; alors l'éducation particulière pour l'obtention de ces grades auraient pu avoir des résultats avantageux , réels , positifs , tandis qu'aujour- d hui on devient candidat et même docteur , à-peu-près par suite d'un marché , et la chose est plus ou moins facile selon que l'insti- tuteur qui a préparé les élèves a plus ou moins de crédit , plus ou moins d'influence sur les membres du corps académique.

" Le clergé a donc bien fait , pour ce qui l'intéresse , de combler le vide laissé , comme de propos délibéré par le ministère dans le système de l'instruction publique ; il en avait le droit , et il en a usé ; qu'il l'ait fait soit dans des intentions toutes philanthropiques, soit dans des vues qu'il ne nous appartient pas de pénétrer, il l'a fait , et en cela il s'est montré beaucoup plus sage , beaucoup plus adroit que nos hommes d'état ; il a compris ce que peut l'éducation, nous ne dirons pas pour l'affermissement d'un parti , mais pour la propagation d'une doctrine quelconque. »

M. Ganellt , de Naples , vient de terminer un important ou- vrage en quatre volumes , qui a pour titre : Exposition du système de Hiéroqraphie cryptique des Nations de V Antiqtiité . L'auteur s'est proposé d'établir la théorie universelle des nombreux systèmes de l'Ecriture sainte en usage chez les anciens.

MÉLANGES. 109

Académie royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles. Extrait du bulletin de la séance du 1 juin. M. Dewez , se- crétaire perpétuel, donne lecture d'ane lettre de M. le ministre de l'intérieur et de l'arrêté royal y joint , qui approuve leâ élections faites par l'Académie ; 2" d'une autre lettre de 31. le ministre de l'in- térieur , demandant l'avis motivé de l'Académie sur le mérite et l'u- tilité de l'ouvrage de MM. Courtois et Lejeune , intitulé : Cornpen- dium florœbelgiœ. Une commission, composée de trois membres , est cliargée de faire un rapport sur cet ouvrage.

M. Quetelet , en sa qualité de directeur, communique une lettre de M. le ministre de l'intérieur , en réponse à celle qu'il lui avait adressée , en lui envoyant son rapport sur les travaux de l'Académie. M. le ministre reconnaît que l'Académie a fait tout ce qui dépen- dait d'elle , dans les circonstances elle s'est trouvée , pour accom- plir sa mission , et ajoute qu'il ne peut qu'applaudir à ses efforts et l'engager à y persévérer.

Il est donné lecture des rapports de MM. d'Omalius , Cauchy et Sauveur, sur un Mémoire de M. Morren, relatif aux ossemens fos- siles d'éléphans trouvés en Belgique et sur une nouvelle espèce d'é- léphant fossile qu'il nomme Elephas Macrorynchus. Les conclusions de ces rapports sont que le travail de M. Morren renferme des ren- seignemens d'uu grand intérêt pour la géologie de notre pays. Des remercîmens seront adressés à M. Morren pour cette nouvelle com- munication. .

D'après les recherches de M. Morren , les localités de la Belgique l'on a jusqu'ici rencontré des débris fossiles d'éléphans , senties environs d'Ostende, de Bruges, d'Anvers et de Louvain ; les com- munes de Tamise, de Melsbroeck , de Smermaes et de Niel (pro- vince d'Anvers) enûn les communes de Cheratte , de Chênée et de Chotier , dans la province de Liège.

M. Van Mons communique trois Notices manuscrites : Sur les combinaisons indestructibles par la chaleur que les chlorures métalliques et non métalliques contractent entre eux et avec d'autres composés , et sur le motif chimique de ces combinai- sons; 2" de la matière dont se forment les charges électriques opposées ; 3" du semis des pommes de terre en vue d'en restaurer le plant et d'en améliorer l'espèce.

M. de ReilTenberg met sous les yeux de l'Académie une copie gra- vée des diverses antiquités qu'il avait communiquées dans une séance

110

aiELÀKGES.

précédente , et demande que cette planche soit distriJ^uée avec le bulletin de la séance d'aujourd'hui , afin de mettre les connaisseurs à même de dire leur avis sur ce point d'archéologie.

Il présente ensuite un ouvrage de sa composition intitulé : le Di- manche, récits de Marsilius Brunck , docteur en philosophie de l'u- niversité de ïïeidelberg. Bruxelles, 1834, 2 vol. in-18.

M. Quetelet donne communication de plusieurs lettres de corps savans étrangers, relatives à l'échange des mémoires de l'Académie.

Il communique également l'extrait suivant d'une lettre de M. Bar- low correspondant de l'Académie , sur la construction de ses gran- des lunettes achromatiques à lentilles fluides : « Mes derniers efforts ont surtout eu pour objet la recherche d'une lentille propre à am- plifier l'image d'une planète, sans changer l'oculaire. C'est une petite lentille concave, rendue achromatique et libre d'aberration sphérique, qui est placée à une faible distance derrière l'oculaire. L'image ainsi se trouve amplifiée , mais les fils du micromètre ne sont point agran- dis • au contraire , ils paraissent du moins rendus plus minces , etc.

M. Quetelet lit aussi une note qu'il a reçue de M. Villermé, cor- respondant de l'Académie et membre de l'institut de France ; cette note a pour objet l'influence des terrains marécageux , et particu- lièrement de ceux de l'île d'Ely en Angleterre. Elle porte entr'autres ce qui suit :

SDR 10,000 DÉCÈS QUI ONT EU UEU DEPUIS

L'âge de 10 ans jusqu'à la plus grande vieil- lesse , on en compte pour la période de 10 à -40 ans :

La naissance jus- qu'à l'âge le plus avancé , on en compte avant l'âge de 10 ans accomplis :

Dans l'île d'Ely ....

Dans l'ensemble des districts agricoles , parmi lesquels se range l'île marécageuse d'Ely

Dans l'ensemble de districts en partie agricoles et en partie manufacturiers . .

4731

3505

3828

3712

3U2

3318

MÉLANGES. 111

Dans l'ensemble des districts

manufacturiers .... 4335 3727.

11 faudrait avoir les résultats mois par mois , mais malheureuse- ment ils manquent.

Le secrétaire présente le projet du programme pour le concours de 183o , qui a été discuté article par article , et a subi les mo- difications qui ont été jugées nécessaires. Une huitième question a été ajoutée à la classe des sciences , ainsi qu'il suit :

u Discuter les diverses opinions relatives à la manière dont les élémens sont combinés , dans les composés organiques , et appuyer celle qui paraîtra la plus satisfaisante sur quelques faits inédits dé- pendant de la composition chimique de quelques-uns de ces corps.»

La question suivante a été proposée pour 1836:

« Exposer et discuter les faits qui tendent à établir l'existence des vaisseaux lymphatiques dans les différentes classes des animaux in- vertébrés. 11

Mgr. l'Archevêque de Paris a envoyé la nouvelle Encyclique du Saint-Père à MM. les Curés , avec la circulaire suivante ;

Paris, le 13 juillet 1834.

« Monsieur le Curé , avant de connaître la Lettre Encyclique de notre saint Père le Pape, relative à l'ouvrage intitulé : Paroles d'un Croyant, j'avais eu l'occasion de manifester mon sentiment sur un livre que j'ai vu paraître avec une douleur d'autant plus vive , que j'avais moins lieu de m'y attendre , d'après mes relations avec celui que le public désigne pour en être l'auteur. Le jugement du Doc- teur des Docteurs ne laisse place désormais à aucune hésitation , ni à aucun subterfuge. Quoiqu'il n'y ait point eu de dissidence parmi les prêtres de mon diocèse , à l'égard des doctrines contenues dans cette trop malheureuse brochure , je regarde cependant comme un devoir d'appeler la méditation la plus respectueuse et la plus soumise du clergé de Paris , sur l'instruction que le Souverain- Pontife adresse à tous les évoques, aGn de réunir dans un même esprit et dans une môme action , par cet acte solennel , tout ce qui est, tout ce (jui voudra demeurer catholique. Puisse la voix du Père commun et du Pasteur suprême , retenir sur le bord de l'abîme la brebis qui s'égare, la ramener au bercail, ou préserver au moins du danger toutes celles qui auraient l'imprudence de la suivre !

112

MELANGES.

» Je vons envoie un exemplaire de la nouvelle Lettre Encyclique. Elle vons servira , ainsi qu'à vos collaborateurs , de règle de con- duite dans l'exercice du saint ministère , tant au for extérieur qu'au for intérieur.

» Recevez , monsieur le Curé , l'assurance de mon tendre attache- ment.

» tllYACiNTHE, Archevêque de Paris.»

Il doit paraître prochainement à Mayence un ouvra£;e alle- mand qui a pour titre : Huit jours à Saint-Eusèbe oti Histoire des Séminaires. L'auteur est M. Auguste Theiner , connu dans le monde littéraire par ses talens et aussi par ses attaques contre la religion. Ses connaissances en histoire ecclésiastique l'avaient fait regarder par un gouvernement d'Allemagne comme un instrument utile pour ce qu'on appelle la réforme du clergé catholique, et qui serait la perte du clergé et la ruine de la religion. Theiner, imbu des fausses doctrines qui régnent dans les universités allemandes et entraîné par les exemples qu'il trouvait dans une partie du clergé du pays , céda aux offres qu'on lui fit , attaqua le célibat religieux et voyagea en Europe pour y faire des recherches scientifiques. 11 visita l'Autriche , l'Angleterre , les Pays-Bas et la France. Elevé dans la religion catholique , il fut frappé de ce qu'il vit dans ces pays , et les entretiens de quelques personnes éclairées commencèrent à dis- siper chez lui quelques préjugés. Enfin il alla à Rome , quoi que pussent faire ses amis et le gouvernement qui l'employait. après beaucoup d'irrésolutions , il alla voir le père Kolman , jésuite alsa- cien, dont précisément on lui avait conseillé d'éviter les entretiens. Après plusieurs conférences avec ce père , il se rendit à la maison des exercices de Saint-Eusèbe pour y faire une retraite. Ce fut qu'il recouvra la paix et le bonheur qu'il ne connaissait plus 5 ce fut alors qu'il conçut le dessein de l'ouvrage dont nous avons parlé. Dans la préface , il fait une rétractation très-franche et raconte ses égaremens. Il eut le bonheur d'être admis auprès du Saint-Père ; et , dit-il , pressé par une émotion intérieure bien plus que par l'é- tiquette , je me jetai à ses pieds , et au milieu du repentir le plus sincère et de la joie la plus vive , les yeux baignés de larmes, je fis devant Dieu la belle profession de loi de Fénelon envers l'Eglise romaine. « Voilà, dit le Journal historique, de Liège, auquel , nous empruntons ces détails , voilà des rétractations comme il en I faut; puisse la réaction religieuse, dont on nous parle tant, nous f donner de pareils exemples ! et tout le monde y croira. » L'ouvrage % de M. Theiner s'imprime en italien à Rome, en même temps qu'en allemand à Mayence ; nous espérons pouvoir en rendre compte. Les aveux d'un homme si droit doivent exciter un vif intérêt.

113 TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS,

CHANCELIER D^ANGLETERRE ,

Par SILVIO PELLICO.

Coup d'œil sur l'histoire d'Angleterre sons le règne d'Henri VIII. Quelques traits du caractère de ce roi. Anne de Boleyn , Wolsey, Cranmer. Tragédie de Morus , de Cliénier. Celle de Shakespear. Analyse de celle de Silvio Pellico. Jugement sur cet ouvrage.

Il n'entre guère , peot-êlre , dans notre plan de s'occuper de tragi'dics. Mais celle qni sort de la plume de Pellico me'- rite une exception. Cominent ne pasde'sirer de connaître toutes ces productions , qui sont le fruit de l'âme ardente et du cœur religieux, qui a raconte' avec cette douce e'ioquence, avec celte re'signation clire'tienne, dix ans de prison passe's dans le Sp'.el- Lerg? D'ailleurs, le sujet lui-même entre dans nos travaux; les troubles suscite's en Angleterre par le schisme, les emporte- mens du roi Henri, le supplice qu'il inflige à son chancelier, parce qu'il ne veut pas reconnaître sa ridicule supre'matie re- ligieuse; tout cela constitue un trait d'histoire curieux à oL- «erver. C'est l'acte de martyre d'un saint.

Il est peu d'e'poques dans l'histoire, aussi fortement nuan- cées, aussi pleines d'e've'ncmens , aussi dramatiques, que celle d'Henri VHI, roi d'Angleterre. Quel homme , que Henri VIII ! C'est d'abord un jeune et brillant cavalier , étalant, au milieu des plaisirs, celle geoe'rosité, cette noblesse, ce cordial aban- don, qui donnent si bel air h un prince. Catherine d'Aragon, son épouse, plus âgée que lui de six ans, porte dans toute sa physionomie celte expression de vertu avenante, qui brille T. X. 8

114 TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS.

plas qu'une couronne, et se'dait mieux que la beauté'. Femme ange'lique ! elle aura de bons et de mauvais jours : « Pendant » vingt ans elle sera suspendue, comme un joyau précieux, » au cou de Henri , sans rien perdre de son lustre ; elle l'ai- » mera de cet amour divin et pur, dont les esprits célestes » aiment les bommes de bien; et, lorsque le plus grand » revers l'accablera , elle be'nira encore le roi qui l'aura 1) frappe'e (i). »

Les anne'es passent, et Henri , bouillant de passions et d'in- coîistance, s'abandonne, comme un enfant, à toutes les folles joies que le cardinal Wclsey sème sur sa route. Fils d'un bou- eber d'Ipswik , e'ieve' par l'intrigue , cherchant à surpasser par son faste le roi dont il a capte' la faveur, Wolsey règne seul à Greemvich et à Londres. A qui lui apporterait la tiare, on ne sait ce qu'il donnerait. A Charles-Quint il promet son al- liance ; a François F' une paix honorable, et pour Henri, il n'est pas d'e'garemens dont il ne cherche à Fe'toui'dir. Les sa- lons de Wolsey resplendissent de feux et d'or; des accords eni- vrans, des vins exquis, des beaute's charmantes en renouvellent sans cesse la magie et les se'ductions. Or, Catherine , la vertueuse épouse , ignore ces ruses de la coquetterie , cette causerie fo- lâtre et ce mane'ge hypocrite , auquel la verve d'un esprit ma- lin et rieur donne une agacerie piquante et une apparente ingénuité', Catherine n'est que vertueuse et bonne, tandis que ses filles d honneur ont je ne sais quoi d'astucieux et de perfide qui va mieux au roi. Anne Boleyn , surtout , tout nouvellement débarquée de Calais, avec les bonnes manières et les coutu- mes peu scrupuleuses de la cour de France , Anne Boleyn est charmante, malgré les six doigts de sa main droite, ses dents mal rangées et les tumeurs de son cou , qu'elle dissimule gentiment sous une fraise à dentelle. Mais depuis qu'elle a tou- ché le sol anglais, Anne Boleyn s'est amendée, et elle est de- venue réservée et dévolieuse.

Des remords de conscience eu viennent au roi j il se souvient

(i) Shakespear's fForsks. Henri FUI.

TRAGÉDIE DE THOMAS BIORUS. 115

que Catherine d'Aragon était veuve de son frère lorsqu'il la prit à femme; et, en sa qualité de tlie'ologien, il n'a pas oublié que le Léi^iticjue prohibait, au temps de Moïse, de semblables unions. Vainement cherche-t-on à le rassurer par le chapitre du Deuu'ronome , qui ordonnait au frère d'épouser la veuve de son frère, lorsque celui-ci n'avait pas eu d'enfant, Henri a une conscience timorée et craintive; il a éprouvé des alarmes, des sfiulérèses , et le Bcutcronome , pas plus que la dispense du Pape, ne peut rendre à sou âme le calme et le sommeil. Mais, ici, le mépris fait place à l'indignation; Catherine est traînée devant un tribunal , dont elle renie fièrement la com- pétence. Épouse outragée, elle a des paroles d'oubli pour les injures , mais aussi une éloquence d'entraînement contre la honte et l'humiliation qu'on veut lui imposer : ce n'est plus seulement une épouse : c'est une mèi'e , c'est une reine! Le tribunal hésite ; la passion ne peut s'accommoder d'attendre , et Henri épouse Anne Bolcyn , la luiquenée de V Angleterre , comme on l'appelait toute jeune a la cour de France; l'ambi- tion, l'hypocrisie, l'impudicité ne craignent pas de ceindre la couronne qu'on vient d'arracher à la vertu !

Ici commence toute une ère nouvelle pour la vieille patrie des Edouard et des Dunstan. A Wolsey vient de succéder Cran- mer , vil intrigant, courtisan insidieux et souple, évoque, qui changea dix-sept fols de religion, et se lit un jeu de l'adula- tion et de l'ingratitude , suivant l'intérêt du moment et les in- spirations de la cour. Agent dévoué des passions d'Henri, il a quêté par tout le monde chrétien des consultations , des uni- versités et des docteurs en faveur du divorce de son maître; puis, lorsque le maître est las des retards que Rome apporte à le contenter, Cranmer se trouve pour fouler aux pieds tous les droits de la hiérarchie catholique , et pour répudier la juridiction d'un pontife qui ose parler de justice aux capri- ces des rois. Dès-lors, le masque est déchiré; la vieille religion de l'Angleterre, cette religion à qui elle doit ses plus beaux monumens des arts, et même ses lois |)olitiques; celte reli- gion, qui avait humilié chez elle l'orgueil des despotes, mieux que ne l'ont pu toutes les remontrances des parlemens, est

8*

IIG TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS.

déclarée anti-nationale dans an boudoir, de par une courti- sane , un roi flétri de de'bauclies et un arclievêquc avide et rampant. C'est par le même concile , c'est dans le même boa- doir que les questions de foi sont désormais de'cide'es : On n'ad- mettra plus que trois sacremens au lieu de sept, ou l'on mourra; on ne prononcera plus le mot de Pape, ou l'on mourra; on ne sera plus parent, ami, allié d'un cardinal, ou de toute antre personne suspecte, ou l'on mourra. Un statut de sang, hlondy bill, condamne au feu tous ceux qui contesteront le moindre article du symbole nouveau; et, afin d'enche'rir sur l'inquisition , aucune re'tractalion ne devra être admise.

Alors on vit d'affreuses choses : catholiques, luthe'riens, ana- baptistes e'taient traînes sur des claies par les rues de Londres; il y en avait qu'on chargeait de bois sec, et qu'on prenait plai- sir h voir se de'battre contre le feu ; la vieille comtesse de Sa- lisbury e'tait hache'e sur l'e'cbafaud, oii elle refusa toujours de pre'senter sa tête au supplice : la jeune et belle Anne Askew expirait au milieu des tortures pour avoir voulu discuter sa religion; Thomas Morus et le ve'ne'rable Fisber allèrent au mar- tyre comme les fidèles de la primitive Eglise; enfin, 72,000 individus, de tout cage et de tout sexe, e'taient offerts en ho- locauste aux amours du l'oi !

Henri VIII avait toujours eu la manie de la the'ologie; long- temps avant qu'Anne Boleyn le de'tachât de la communion ro- maine, il s'e'tait e'vertué k combattre Luther; et son livre, De septem sacramentis contra Martinurn Luther uni, lui avait valu le titre de défenseur de la foi. Une fois devenu pontife, son humeur the'ologique n'en fut que plus beliige'rante ; il e'tait prêt à rompre des lances conti'e tout venant. Or, un pau- vre maître d'école de Londres, Lambert, eut l'imprudence de s'essayer avec un aussi rude jouteur. La controverse fut vive de part et d^autre ; elle durait depuis cinq heures; lorsque, tout-à-coup, le roi résumant en deux mots la discussion: « Veux-tu vivre ou mourir?» dit-il à Lambert : Lambert pré- féra la mort.

En même temps les coffres royaux , tant de fois épuisés , s'emplissaient des dépouilles des catholiques. Ce n'était pas assez

TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS. 117

tle tuer, il fallait tout flétrir par la calomnie. Thomas Cromwell digne suppôt du roi , avait reçu ordre de parcourir l'Angleterre, et de mellre au grand jour toutes les turpitudes qu'il lui plai- rait attribuer aux religieux et religieuses. Le livre de Cromwell fait horreur; il n'est pas d'abominations sous le soleil qui ne fussent, suivant lui , commises journellement dans les sanctuai- res. Les moines e'taient des monstres , les nonnes pis que des prostitue'es ; et ce n'e'lait pas encore tout : ces monstres , ces prostitue'es rugissaient dans le plus abrutissant esclavage, et soupiraient après le jour leurs fers seraient ])rise's. Eh bien ! les fers furent brise's, et les esclaves ne bougèrent; on leur ordonna, de par le roi, de quitter ces cloîtres, qui ne leur rappelaient que d'affligeans souvenii's , et ils ne bougèrent j stupides! Il fallut des hallebardiers et des coups de crosse pour leur faire goûter la liberté' !

Alors sortit du ne'ant une foule de gens sans aveu , pour venir prendre leur part de cette honteuse cure'e; une cuisinière, re- çut toute une abbaye , comme re'compense d'uu pudding qu'elle avait fait au gre' du roi. Ces nouveaux riches , associes aux de'- pre'datlons du maître, se firent les apologistes de sa tyrannie. Fiers de leurs tre'sors, jaloux des vieilles familles, qui ne leur accordaieiit qu'une moyenne conside'ralion , il n'était pas de violence dont ils ne se fissent les apôtres. Tout ce qui e'tait plus ancien qu'eux, tout ce qui e'tait mieux acquis que leur fortune les blessait. Aussi, eut-il fallu, pour leur plaire, tout bouleverser, tout changer! Ajoutez que ces fortunes raj)ides et honteusement e'cliues , devinrent un dissolvant actif pour les mœurs; alors on vit, sans doute, les vieux sanctuaires souil- les parla de'bauche ; des danses lascives troublèrent le sommeil de la tombe, et les cloîtres gothiques retentirent nuit et jour des clameurs des orgies, pendant que les vieilles reliques, les châsses des saints , les religieux monumens de la statuaire , formaient d'e'clatans feux de joie au milieu de ces troupes hi- deuses et dissolues.

Or , prenez garde que tout cela s'est passe' à la face du monde, et que les protestans eux-mêmes n'ont pu le nier. Bayle lui- même, le sceptique Bayle, îe fauteur de tout ce qui e'tait anti-

] 18 TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS.

catholique a été ol>!igé de reconnaître que le portrait d'Anne Boleyn , par le grand e'vêque de Meaux., n'était pas charge' : or , Bossuet disait :

« Quand on voudrait la justifier des infamies dont ses fa- voris la chargèrent en mouraiit, M. Burnet ne nie pas que son enjouement ne fut immodeste, se^ libertés indiscrètes , sa con- duite irrégnlière et licencieuse. On ne vit jamais une honnête femme, pour ne pas dire une reine, souffrir des déclarations telles que des gens de toute qualité, même de la plus basse, en firent à cette princesse (i). »

Anne Boleyn jouit peu de sa grandeur et de son crime. lo- souciense et dévergondée , elle porta sur le trône l'adultère et linceste; puis une rivale s'éleva contre elle comme elle s'était élevée contre Catherine d'Aragon , et ii lui fallut périr par ordre de son époux, et par arrêt d'un tribunal présidé par le duc de Norfolk son oncle.

Jeanne Seymour, qui lui succéda, mourut en couches au bout de neuf mois : Anne de Clèves ne plut jamais à Henri j c'était une gros<:e cavale flamande^ disait-il; le divorce en fit justice. Catherine Howard était jeune et jolie comme Anne Boleyn ; elle fut légère comme elle , et porta comme elle sa tête sur l'échafaud avec ses parens et ses complices. Enfin Catherine Parr fut assez heureuse pour mettre un terme aux inconstan- ces du tyran, mais bien- lui prit d'être souple et menteuse, car deux fois la mort plana sur sa tête. A mesure qu'Henri avançait en âge, il devenait plus lourdement stupide; le sr.ng et la débauche en avaient fait une niasse informe d'une obésité repoussante, oii le clignotement de deux yeux rouges révélait seul qu'il y avait encore une âme qui vivait et qui souffrait. Une profonde jalousie , une jalousie qui dégénérait en habi- tude, torturait incessamment cette âme; elle devenait plus sou])çonnense à mesure que ses forces s'en allaient; ses seuls mouvemeiis, ses dernières inspirations n'étaient plus que pour des condamnations à mort, ou pour des modifications à la

(i) Histoire des Farialions , liv. vu.

TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS. 119

religion de l'Etat, qa'i! avait déjà vingt fois modifie'e. On était en 1547; '^ jeune comte de Surrey venait de mourir pour expier le pre'tendu crime d'opposition à la reine; son père le duc de Norfolk allait le suivre, loi'sque Henri tre'passa. Suivant quelques-uns ses dernières paroles furent : nous avorta perdu l'état, la conscience et le ciel. Suivant le plus grand nombre, affaissé , frappe' encore vivant d'une de'composition ge'ne'rale , il arriva au dernier terme comme la brute, sans sentiment, sans espoir et sans regret.

Si maintenant on voulait s'e'lever à de bautes conside'rations , quelle e'poque serait plus curieuse h e'tudier que cette transition de la vieille à la nouvelle Angleterre? que ces persécutions de la reine Marie et de la reine Elisabeth répondant à celles de leur père? que cet abaissement du parlement anglais sanction- nant tous les excès, toutes les turpitudes du maître, le trai- tant de doux et clément [gentle and merci fui) au moment on la potence et le bourreau ne pouvaient suffire au nombre des victimes, et surpassant tout le comble de servilité auquel se prostitua plus tard le parlement-croupion de Cromwell ! Tous les troubles de l'Angleterre, toutes les luttes intestines, tout le sang qui l'a inondée depuis le seizième siècle, accusent la mémoire d'Henri et d'Anne Boleyn. Et si parmi toutes les na- tions civilisées de rEuroj)e, l'Angleterre est la seule qui re- produise l'aspect hideux de Tltide avec ses ])arias et ses fakirs; si elle est intolérante, si chaque année il lui faut de nouvelles lois pour assujettir des esclaves autrement impatiens du joug que les religieux et que les nonnes, dites, quelle en est la cause, si ce n'est Henri VIII et Anne Boleyn? Nous pourrions suivre ce parallèle de l'Angleterre telle que l'avait ftiite le ca- tholicisme, et de l'Angleterre telle que l'a faite la réforme, et nous arriverions, comme Cobbetl , à cette conséquence que tout ce qu'il y a de grand chez elle , tout ce qui lui a donné un empire si puissant sur un grand nombre de peuples, lois civiles et politiques, hiérarchie sociale , équilibre des pouvoirs de l'Etat , tout cela est antérieur à la réforme ; et que tons les abus qui la minent sourdement , le paupérisme qui s'est attaché a elle comme la gangrène , les biens ecclésiastiques se perpé-

120 TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS.

tuant dans lîes familles privilégiées, stipule's comme dot dans les mariages , se transmettant de père en fils par voie he're'di- taire , servant à nourrir la corpuleuse oisiveté des pontifes , qui ont leur famille à pourvoir avant de songer à leur troupeau j tout cela est poste'ricur à la reforme.

Aussi , pour embrasser une pareille e'poque, pour la rendre avec toute sa ve'rité originale , avec toutes ses anomalies de ca- ractère , tontes ses passions et toutes ses erreurs, il faut un de ces ge'nies profonds qui sachent saisir le crime au milieu des transformations par lesquelles il s'efforce , nouveau Prote'e , d'e'- chapper à une investigation se'vère ; un ge'nie qui sache le de'- voiler, mettre à nu ses fibres palpitantes, et s'effrayer lui-même de sa difformité' et de sa laideur. D'un autre côte', Henri VIII est un de ces hommes qu'il faut prendre dans leur entier, car tout inconse'quens qu'ils soient, toutes les actions de leur vie se re'pondent ; il faut suivre le labyrinthe de leurs pense'esj monter avec eux d échelon en échelon dans la voie de perdi- tion qu'ils ont prise, afin de se rendre mieux compte de leurs aberrations, de mieux comprendre tout ce que leur passage sur la terre a eu de bizarre et d'extravagant. Ajoutons qu'il est utile à la morale de voir l'orgueil , un vil libertinage , oh une ambition démesurée, conduisent les peuples et les rois. Si vous ne prenez qu'un des épisodes de la vie de Henri VIII , cet épisode isolé de ses antécédens et de ses suites , n'est plus qu'un fait mort, et dont le tableau ne peut en rien servir à l'intelli- gence des temps et des personnages. Lisez par exemple VHenri VllI de Chénier; l'auteur, imbu de préjugés anti-ca- tholiques, a voulu relever^ ennoblir le caractère d Anne Boleyn; et ce lui a été chose facile, en mettant de côté, et la jeunesse perdue de celte femme à la cour de France, et ses intrigues pour culbuter du trône la reine sa bienfaitrice, et les exécu- tions sanglantes auxquelles elle prêta la main. Il l'a prise dans son cachot, seule avec la fille qu'elle a eue de ce roi qui la persécute , flétrie dans son honneur par l'arrêt qui déclare cette fille illégitime, déçue de toutes ses espérances par la condam- nation qui vient d'être prononcée contre elle, à être pendue ^ ou être écarteléc , suivant le bon plaisir du roi, et, quelque

TRA.GÉDIE DE THOMAS M0RU9. 121

coapable que soit une malheureuse cre'atare , il est impossible que dans une telle position elle n'e'meuve et ne fasse Terser des larmes. Ce sont là, sans doute, d'heureuses combinaisons tragiques, mais pour de l'histoire, non. Quand on veut faire une trage'die historique, il ne faut tenir compte de l'anatlième de Boileau, mais s'attacher à tout un individu, comme Sha- kespear à la vie et la mort de Richard lll.

Shakespear cependant a fait une trage'die d'Henri VIII, et c'est un de ses moins bons ouvrages. La cause en est simple; celte trage'die e'tait e'crite sous les yeux d'Elisabeth , fille d Henri et d'Anne Roleyn ; elle devait être repre'sentee devant cette prin- cesse , et dès-lors il e'tait ne'cessaire d'atte'auer les nuances pour flatter et re'ussir. Shakespear n'a embrasse que douze années de la vie d'Henri VIII : sa jeunesse , les folles joies auxquelles l'entraîna le cardinal V^'olsey , la mort de Buckingham , le di- vorce avec Catlierine d'Aragon, le mariage avec Anne Boleyn, et la pièce est termine'e par le pompeux appareil des re'jouis- sances qui ce'le'hrèrent la naissance d'Elisabeth. Ce qu'il y a de Lien dans cet ouvrage, c'est la dignité parfaite de Catherine; ici la ve'rite' a e'té plus forte que l'adulation; Catherine est grande , est sublime, lorsqu'Iienri VIII la contraignant à par- ler devant les cardinaux charges de f instruction du divorce , elle se lève et dit :

a Sire , je vous demande de me rendre la justice qui m'est » due, et je vous conjure de m'accorder votre pitié', car je » suis une femme des plus infortune'es et une faible e'irangère. » He'las, Sire, en quoi vous ai-je offense' ? quelle faute dans » ma conduite a pu m'attirer votre courroux, que vous ea » veniez à celte pi^oce'dure pour me rejeter et retirer de moi » vos bonnes grâces? Le Ciel m'est te'moin que j'ai e'te pour » vous une e'pouse fidèle et soumise, qui, dansions les temps, » s'est pliee à vos volonte's , qui toujours a craint d'e'veiller ea « vous le moindre dc'plaisir ; et je poussais l'obéissance jusqu'à » me conformera votre humeur, triste ou gaie, suivant que » je vous voyais enclin à la joie ou à la me'lancolie. Quand est >' il arrive' que j'aie contredit vos de'sirs, ou que je n'en aie » pas fait les miens ? Quel homme e'tait votre ami , que je ne

122 TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS.

» me sois pas efforcée d'aimer, même lorsque je savais qu'il » e'tait mon ennemi? et qui de mes amis a conserve mes bon- » nés grâces après qu'il avait perdu les vôtres?.... Sire, rappe* » lez à votre souvenir que j'ai e'te' votre épouse , fidèle à » cette obëissance , sans re'serve , pendant l'espace de plus de » vingt anne'es , et que le Ciel m'a accordé d'être mère de plu- » sieurs enfans de vous. Si, durant tout le cours de cette lon- » gue suite d'anne'es , vous pouvez citer quelques reproches » contre mon honneur, contre le nœud conjugal, quelque » occasion où. j'aie manque' d'amour et de respect envers vo- )) tre personne sacrée, au nom de Dieu, repoussez-moi hau- » tement, et que le mépris le plus ignominieux me ferme la

» porte Du moins, Sire, je vous conjure humblement de

» m'épargner jusqu'à ce que j'aie envoyé en Espagne consulter » mes amis, dont je vais implorer les conseils. Si vous le re- » fusez, au nom de Dieu, que votre volonté s'accomplisse (i).

Et lorsque , insultée par Wolsey , elle s'écrie avec indigna- tion : « Cardinal , je suis prête à pleurer ; je croyais pourtant » être reine, ou du moins j'ai rêvé long-temps que je l'étais.»

La dernière scène du 4" acte, Catherine délaissée à Kim- bulton , passe doucement de vie à trépas, sans effort, sans lar- mes , au bruit lointain des applandissemens qui accueillent le triomphe de sa rivale, est entraînante d'émotion. On ne peut s'étonner que Johnson la mette au-dessus de tout ce qu'il y a de beautés dans les tragédies de Shakespear , et peut-être au- dessus de toute scène d aucun autre poète.

Le caractère d'Henri VIIÏ, dans Shakespear, est manqué ; c'est un juste-milieu, terne et faux ; on reconnaît que le poète avait à parler du père d'Elisabeth. Pour Anne Boleyn , il a parfaitement saisi , dans les premières scènes , cette humeur folâtre et rieuse que lui prête l'histoire ; mais il en a trop fait une jeune fille candide, et trop pris Thypocrisie pour de l'ingénuité , et lorsque le poète met dans la bouche de l'im- pur Cranmer une espèce de prophétie , qui annonce à la fille

(i) Shakcspear's fVorsks. Hcnrj FUI , act. ii , se. 4-

TRAGÉDIE DE THOaiAS MORUS. 123

d'Anne Boleyn , toutes les vertus qu'elle a de'naenties par la suite , depuis la virginùé du Phénix , jusqu'à la douceur , on est pris d'une grande pitié' pour le degré' de bassesse auquel peut se ravaler ce qu'il y a de plus grand parmi les hommes , le ge'nie.

Venons maintenant à Pellico ; il s'est restreint au procès et à l'exe'cution de Thomas Morus , et l'on a pu voir que cette ma- nière de traiter l'histoire ne me semble pas la plus parfaite. Le martyre du chancelier et de l'e'vêque Fisher, est un des plus beaux triomphes du catholicisme, depuis les premiers siè- cles; mais combien ne saillirait-il pas davantage, si, en face de ces deux hommes si dignes et si re've're's , en pre'sence de leurs angoisses , de leur torture, de leur supplice , Pellico avait tracé d'un pinceau e'nergique , toutes les folles joies de leurs oppresseurs ; s'il avait traduit sur la scène, pieds et poings lie's, cet anglicanisme naissant avec ses bizarreries, ses inco- he'rences , son immoralité' honteuse, personnifie'e dans Henri et Cranmer ? Ne pouvait-il pas prendre à tâche de de'voiler tout ce que l'habitude de l'ambilion et de la de'bauche jette d'in- sensibilité' dans le cœur naturellement le plus sensible , celui de la femme? com])ien la foi est intimement lie'e à la pratique des vertus qu'elle enseigne, et combien , lorsque ces vertus viennent à manquer, la foi s'e'tiole vite ? Toutes ces e'tiules morales et ])ien d'autres, eussent pu trouver place dans la trage'die de Pellico. C'aurait e'te' Anne Boleyn , c'aurait e'te' Henri et l'e'vê- que Cranmer, vivant ])ubliquement dans le concubinage, et mettant la religion à l'enchère; puis, lorsque cette longue suite de crimes et d'abrutissemens , aurait jeté' le de'sespoir dans lame du spectateur; lorsque, perdu au milieu de cette mer houleuse des passions, il se serait ccrie comme le prophète, undè i^cniet auxUiwn milii ? alors , la belle et noble figure du chancoh'er se serait leve'e d'autant plus grande (jue les autres se seraient montre'es plus viles : l'effet dramatique, comme l'ef- fet moral, y eiit gagne', et tous les applaudissemeus qui ont entraîne' l'admiration pour la vertu souffrante , eussent acquis une nouvelle force de l'horreur cause'e par le vice hideux et couronne'.

124 TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS.

Mais Pellico a une belle âme, une trop belle âme pour com- Tîrendre la fausseté' , l'ambition , l'ori^ueil avec toutes leurs nuan- ces diverses; demandez-lui des e'raotions douces, et il vous en- chantera, car il a un excellent cœur ; mais cet excellent cœur se prête mal à l'ide'e de ce qui n'est pas noble et pur. Aussi le crime, tel qu'il le repre'seute dans ses ouvrages, n'est-il pas conçu profonde'ment ? son Henri VllI, n'est pas assez caracte'- risé , et il n'a su comprendre Anne Boleyn, que repentante et mise'ricordieuse. Pour Thomas Morus, c'est la belle partie de la trage'die de Pellico; c'est-à-dire, que c'est beau, très-beau : je regrette cependant que le poète n'ait pas cliercbe' à repro- duire davantage tous les traits distinctifs du chancelier, dans l'histoire. A une austérité' de mœurs remarquable , et à cette hauteur de pense'e , apanage ordinaire des philosophes chre'- fiens , Morus savait joindre une gaieté' franche et cordiale , qui ne l'abandonna même pas dans sa prison ; ses re'parties e'taient vives , et revêtant le plus souvent une couleur originale : la justice m'est si chère , disait-il un jour à un plaideur de'sap- pointe', que si mou père plaidait contre le diable^ et qu'il eût tort, je le condamnerais sans hésiter. C'est encore lui qui disait : je suisjîls de Thémis , et aussi ai'eugle que ma mère. Pendant l'instruction de son procès, lorsqu'on lui pre'senta le statut du parlement, qui ordonnait de prêter serment à la supre'matie du roi : cest une arme à deux tranchans , répondit Morus, elle tue l'âme ou le corps. A cela ou lui fit observer qu'il ne devait pas se réputer plus habile que le grand conseil d'An- gleteri'e; j'ai pour moi, re'pliqua 51orus, le grand conseil des chrétiens , qui est toute l'Eglise ; tout cela est historique , et je suis e'ionne' que Pellico ne l'ait pas reproduit dans son œu- vre. Un pareil dialogue aurait mieux fait connaître le chancelier , que les scènes les plus brillantes de vie et d'e'clat.

Le premier personnage de la trage'die de Pellico , qui pa- raît sur le the'âtre , est Anne Boleyn , ou, comme l'appelle la langue mélodieuse de VliaVie , Anna Bulena. Naturellement ge'- néreuse , lasse de voir le sang couler pour elle, elle voudrait sau- ver Morus, mais la colère du roi l'effraye , mais elle est femme , et l'opposition du chancelier à son mariage l'a profondément

TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS. 125

outragée. Un vieux magistrat , enclin à la vertu lorsque la verta ne risque pas de le compromettre , profite des he'sitations de la malheureuse Anne pour lexclteràla pitié'; il lui vepre'sente les malheurs , qui affligent le royaume , et tous ces malheurs lui sont attribue's par la foule. La fille de Morus, Marguerite ^ se précipite alors dans l'appartement de la reine; elle implore la grâce de voir son père.

« Pourquoi mon père , s'e'crie-t-elle, est-il retenu depuis un an » entre ces murs exe'crables? n'est-ce pas pour vous avoir de- » plu? Eh bien! soyez-lui miséricordieuse ; que la franchise de » ses sentimens, que ses pense'es magnanimes, vous e'meuvent de » compassion et de respect ! ne donnez pas le nom de crime à » son opposition loyale et sans haine contre vous ; si l'ardeur » de son zèle l'a entraîne' trop loin lorsqu'il a exprime' combien V il de'sapprouvait votre union avec le roi, songez que , s'il se » trompait, c'e'tait par amour de la patrie, de la justice et » de vous-même! oui , de vous ! Mon père ne fut pas le seul à » craindre que cette union ne vous devînt funeste ; plus d'un » ami s'efforça de vous en de'tonrner ;.... ne vous irritez pas » de mes paroles,.... e'coutez... Puisque Dieu a permis cette » union tant redoutc'e , du moins qu'il la be'nisse; mais il ne » pourra jamais la be'nir, si Anne Boleyn ne devient elle-même » un ange , si les justes pe'rissent pour sa cause , si mon père, » le plus fidèle des ministres du roi, est traité comme un cri- » minel ! »

Je ne connais personne comme Pellico pour rendre les ca- ractères du cœur : lorsque Marguerite dit à Anne Boleyn : Dieu ne pourra bénir votre union si Anne Boleyn ne des^ient un ange , elle est sublime ; aussi , ne nous e'tonnons pas de voir Anne Boleyn s'associer aux douleurs de Marguerite. Mais ici apparaît la hideuse figure du roi; il s'indigne de voir la fille d'un traître dans son palais ; et c'est à grande peine qu'Anne Boleyn parvient h faire rentrer le calme dans cette âme agitée, comme la harpe de David dans l'esprit égaré de Saiil, Mais le farouche, le perfide Henri, ne peut accorder une grâce qu'a- vec une bienveillance hypocrite ; on vient de lui annoncer la condamnation de l'évêque Fisber, l'ami de Morus, et il veut

126 TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS.

profiter de cette circonstance pour vaincre le chancelier , il veut lui offrir la grâce de Fislier , à condition que lui-même il prê- tera le serment voulu ; insensible à ses propres dangers, pourra- t-il être insensible à ceux des autres?

Au second acte nous sommes transporle's dans la prison de Morus. Les douleurs d'un cacliot affreux, les privations de tou- tes sortes , auxquelles il est condamne' , ont ruine' ses forces phy- siques , mais laisse' toute son ancienne vigueur à son âme. Père tendre , ëpoux inconsolé , il promène de tristes regards sur sa famille , dont il est se'pare' pour toujours ; mais il a foi dans la bonté' de la Providence , et il confie tout ce qui lui est cher à sa mise'ricorde. Il est , le malheureux vieillard , priant et calme , lorsque tout- à-coup sa fille est dans ses bras. Des pleurs inondent son visage; depuis un an on avait interdit i entre'e de sa prison à sa famille : serait-ce donc que sa constance a enfia lasse' ses perse'cuteurs ? Mais sa fille ne lui a e'té envoye'e que pour mieux e'branler son courage. Pauvre enfant ! elle voit avant tout les souffrances de son père ; et son père voit quel- que chose au-dessus : son devoir! Les supplications de Margue- rite lui semblent peu dignes de sa fille ; il les repousse avec douceur , mais Marguerite insiste ; elle lui peint sa famille aban- donne'e, ses enfans sans secours, son ami, le vertueux Fisber, pe'rissant sur l'e'chafaud , parce que , lui , Morus , n'aura pas voulu le sauver. Mais, à cela , le chancelier élève sa voix forte et puissante : « Faudra-t-il donc, s'écrie-t il , que je demande à » mon cœur brisé des paroles pleines de l'autorité d'un père » pour les faire entendre à ma fille ? Cesse , m'entends-ta , » cesse de m'exciter à une bassesse ! un oflice aussi vil convient )) mal à ma fille! Ignores-tu, cruelle, que tes accens si chers, tes » larmes, le douloureux tableau de ma famille désolée, l'horrible » idée du coutelas suspendu sur la tète de mon meilleur ami , )> sont un tourment au-dessus de mes forces?

» Marguerite : Mon père !

» Morus : N'achève pas ; essuyons tous les deux d'aussi in- » dignes larmes; retourne vers le roi avec plus de courage; » montre-toi fille de Morus; dis-lai, que je n'ai jamais été son » ennemi et que je ne le serai jamais ; mais , que s'il m'ordonne

TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS. 127

» de briser les autels de mes pères , dabliorrer de nobles et » excellens amis, et de m'elever, puissant et applaudi, sur » leurs exils et sur leurs morts.... je ne puis lui obe'ir. »

Morus a triomphe' daus la lutte si poignante des sentimens du cœur ; sera-t-il plus faible lorsqu'un roi astucieux viendra le tenter dans son cacliot , et s'efforcera de re'pondre , par des snbtilite's tbe'ologiques , à ses ge'nëreux scrupules?

Henri YIII a re'solu de parler lui-même a Morus; mais il ne se dissimule pas toutes les diiîlculte's de cette entrevue ; il en pre'voit les conse'quences : o domarlo , o estingucrlo , ou le dompter, ou le tuer ^ et il en a pris son parti , ho deciso. Celte scène culminante du 3" acte, enti'e Henri et Morus, est grande et belle; le chancelier y conserve tout l'avantage de IMiorame de conscience et de foi, en pre'sence de l'incrédule et de l'hypocrite. Après avoir repousse' les raisons captieuses par lesquelles Henri cherche à justifier son schisme, après avoir de'peint les malheurs dont il est la cause, Morus continue : «i Si M un jour , si après ce règne exe'cre , l'Angleterre repousse vos » traditions iniques, si elle a soif de justice et de tole'rance , M l'iionneur ne vous en appartiendra pas. 0 Henri! il sera con- » signe' à jamais dans l'histoire en caractères de sang, le nom » de celai qui a impose' un nouveau culte, sous peine des sup- »> plices et du gibet.

M Henri : Quoi ! tu oses m'adresser tes reproches ! » Morus : Ce ne sont pas les miens , ce sont ceux que l'bis- » toire fait peser infailliblement sur tout prince cruel , sur M tous ceux qui outragent la conscience. Du moins , vous pou- « vez encore déchirer cette page affreuse....

» Henri : Sans doute, en ployant mon front royal devant H quelque superbe anachorète? je comprends; devant quelque » imposteur, qui m'ordonnera d'appauvrir mes peuples pour » expier mes crimes ?

» Morus : Je ne courbe pas mon front devant les imposteurs, » et pourtant je suis chre'tien et catholique. Eh bien ! vous aussi , » prince, vous ne devez courher votre front que devant les » dignt's ministres de Dieu! ceux-là ne vous imposeront, pour » rexpialioii de vos fautes, que la vertu! Laissons, laissons lu-

128 TB.VGÉDIE DE THOMAS MORUS.

» sage de tout travestir aux seuls esprits abjects , qui en font « leur pâture. Ne les voit-on pas aujourd'hui , dans leur aveuqle » liaine contre ceux qui perse'vèrent dans le culte de leurs )) aïeux, les noircir d'affreuses couleurs dans leurs peintures? » Ne vont-ils pas jusqu'à nier la lumière, ou du moins ne )) s'efForcent-ils pas de l'obscurcir? Qu'il n'en soit pas ainsi de » vous, prince! qu'il n'en soit pas ainsi! le jugement des âmes ») fortes et sages doit être inde'pendant des jugemens vulgaires.

M /fe;in ; L'Eglise britannique....

y>Moriis : .... avait des ministres indignes, mais elle en avait » aussi de justement re've're's ; elle avait des troupes d'hypocri- » tes , mais elle comptait en même temps de sincères adorateurs » de Dieu. Il fallait purifier cette Eglise, l'e'clairer, et non pas » l'arroser de sang. »

Le sort de Morus est décidé; il n'a pas encensé l'idole, et l'idole veut du sang ou des victimes.

Le quatrième acte présente le dégoûtant tableau d'un tribu- nal où les juges tremblent tous autant devant les regards de l'accusé que devant les injonctions du maître. Thomas Crom- well préside la cour ; il interroge les gestes et le visage de cbacnn de ses membres; il rappelle à l'un son fils, sa femme; à l'autre, la place qu'il sollicite et que la volonté du roi peut lui refuser. Automates dociles, les juges cèdent à l'impulsion de Cromvrell ; et le misérable, après avoir tenté le courage du cbancelier, après lui avoir dit que son ami Fisher a renié son Dieu et obtenu sa grâce, après n'avoir retiré de cette infâme supposition que l'indignation et le mépris du martyr, prononce la condamnation à mort. C'est alors que Morus fait entendre ces belles paroles conservées par Pellico.

« De même qu'on vit saint Paul assister au supplice du pre- » mier martyr, et qu'ils sont aujourd'hui tous les deux dans le » ciel, ainsi puissent mes juges avoir part an jour avec moi » à la miséricorde de Dieu ! »

Le cinquième acte est entièrement pris par les détails de l'exécution de Morus. Une foule nombreuse emplit les rues et les places; les citoyens se racontent le courage du chancelier et la douleur de sa famille ; ils sont attendris par l'égarement

TRAGÉDIE DK THOMAS MORUS. 129

de sa fille Marguerite, qui, se'parëe violemment de son père, appelle et demande du secours. Les passions les plus ge'ne'reu- ses fermentent dans les cœurs; mais une main invisible en reprime l'essor ; on se regarde , on fre'mit , on tremLle au seul nom du roi! Bientôt le chancelier paraît environne' de gardes; quelques cris de V^we Monts! se font entendre, mais faibles et isole's au milieu d'un silence de mort. Seul , le vieux ma- gistrat ne craint point de parler à son heure dernière. Il marche avec la paix du juste, dit adieu à son toit paternel ; mais tout à coup de jeunes filles, des enfanss'e'lancent à travers la foule; c'est la famille de Morus. Ils s'agenouillent autour du martyr, et lui : « Avec tout ce que njon cœur de père a de force et de pnis- » sance, mes enfans, je vous be'nis tous, tous d'une e'gale be'- » ne'diction. »

» Marguerite : Notre mère n'a pu nous accompagner à ce » dernier adieu.

» Morus : Soyez-lui toujours en aide, ô mes chers enfans ! » environnez-la de respect et d'amour , et Dieu vous en re'com- » pensera. Supportez avec dignité' et courage la pauvreté' et les » douleurs; je vous en donne l'exemple. Je ne puis vous laisser » d'autres tre'sors ; mais cet exemple vous soutiendra. Que vos » cœurs de'chire's ne me pleurent pas outre mesure; priez pour M moi et je prierai pour vous; puis , tous ensemble, moi, du )) haut du ciel, vous, sur la ten e , nous prierons pour notre » malheureux roi , pour tous ceux qui m'arrachent h vous. Si » jamais un de mes meurtriers se voyait un jourpre'cipite' dans » le malheur , s'il hasardait un pied fugitif sur le seuil de votre » porte, donnez-lui asile, portez-lui secours pour l'amour de n moi , comme vous le feriez pour uu frère ; car j'ai pardonné » a tous! »

Et le cortège se remet en route , et le chancelier monte sans pâlir sur l'e'chafaud, et il renouvelle, à la face du peuple, sa profession de foi , d'une voix haute et ferme , et meurt en em- brassant le bourreau.

J'ai supprime , dans l'analyse du cinquième acte , une der- nière tentative faite auprès de Morus pour obtenir une rétrac- tation. Ceci m'a paru de trop; on ne s'expose pas trois fois T. X. 9

130 TRAGÉDIE DE THOMAS MORL'S.

aux refus d'un homme qu'on veut humilier, et que n'ont in- timide ni le cachot ni la sellette. Morus savait parfaitement que , sitôt qu'il plierait le genou devant Henri , il aurait sa grâce , sans que Henri le lui envoyât dire une dernière fois sur l'e'chafaud.

Je remarquerai en même temps que les prières de la fille de Morus , au acte , pour ohtenir que son père prête le serment exigé, ont quelque chose de pe'nihle. Ce n'est pas ainsi que les filles et les e'pouses des martyrs parlaient à leurs e'poux et à leurs pères, au moment on les traînait à l'ara- phlthc'âti-e. Pauline, dans Corneille, sollicite hien Polyeucte de renoncer à la foi qu'il a emhrasse'c, mais Pauline est païenne; la mère de saint Jean-Chrysostômo suppliait bien son fils de ne pas l'abandonner, pour aller s'enfuir dans le de'sert ; mais c'est que la religion n'exigeait pas de S. Jean un pareil sacri- fice , et d'ailleurs sa mère ne lui demandait qu'une seule chose, de remettre ses desseins pour quelque temps. Attendez » au moins le jour de ma mort; peut-être n'est-il pas e'ioigne'; « ceux qui sont jeunes peuvent espe'rer de vieillir ; mais à mon I) âge, je n'ai plus que la mort à attendre. Quand vous m'au- .) rez ensevelie dans le tombeau de votre père, et que vous » aurez re'uni mes os à ses cendres , entreprenez alors d aussi » longs voyages , et naviguez sur telle mer que vous voudrez, » personne ne vous en empêchera; mais, pendant que je res- I) pire encore , supportez ma pre'sence et ne vous ennuyez point » de vivre avec moi.»

Il faut dire ne'anmoins que la scène dePellico est historique, sinon de la part de la fille de Morus, du moins de celle de sa femme ; elle est d'ailleurs traite'e avec trop de naturel et de charme, pour que ma critique ne soit pas hardie , seulement sous forme de conjecture. J'aurais de'siré enfin que Pellico s'ins- pirât de la lecture des actes des martyrs : il y a dans ces vieux re'cits de la primitive Église des interrogatoires sublimes, et dont plusieurs traits auraient pu parfaitement s adapter à celai de Morus.

Nonobstant ces observations , Tomaso Moro n'en est pas moins an grand et bel ouvrage. Les hautes pense'es , les nobles

ÉTAT DU THÉÂTRE EN FRANGE. 131

sentimens y sont toujours exprimes avec cette e'ioquejice du cœur, que possède si bien Pellico. On y respire d'un bout à l'autre, comme dans une atmospbère de vertu, dont le style si simple, mais si abondant, si moelleux et si facile de 1 auteur des Prisons , semble comme parfume'. Les anciens disaient que la poe'sie e'tait le langage des dieux; jamais on ne peut mieux s'en convaincre qu'en lisant Pellico , en e'coutaut ses douces et eqivrantes me'lodies.

Eugène de la Gournerie.

ETAT BU THEATRE EN FRANCE,

EXTRAIT d'un ARTICLE DE LA REVUE d'eDIMBOURG.

Le critique anglais après avoir passé en revue les productions de MM.Victor Hugo et Alexandre Dumas, ajoute les réflexions suivantes : « Nous insisterons peu sur le me'rite litte'raire de ces œuvres ; d'abord, parce que c'est sur leur tendance morale , ou plutôt im- morale, que nous avons voulu appeler l'attention; en second lieu, parce que le temps nous manquerait : chaque pièce demanderait à elle seule un article; enfin, parce que cette litte'ralure n'ayant que la prétention de la pensée , ne doit pas être jugée sous le rapport poétique. Il est évident que le but des auteurs a e'te' d'émouvoir par la situation, que ces vieux ressorts de l'ancienne tragédie, la Terreur et la Pitié, ont e'té sacrifiés à ce que les Italiens appellent Imbroglio, et qui , à bien dire, convient mieux à une comédie ou à une farce. Beaumarchais a donné , sinon les premiers, au moins les plus remarquables exemples de ce style , et ses deux comédies sont deux morceaux à^ Imbroglio fort amusans, quoique licencieux. II essaya de continuer le même genre dans la suite qu'il donna à ces drames. La Mère coupable , qui conservait encore quelque ré- serve, était pourtant d'un eflet bien pathétique : nous regardons en ye'rité la Mère coupable comme la coupable mère des extrava- gances d'Hugo et de Dumas. Mais Beaumarchais touche le senti- ment avec une graude puissance, et ses imitateurs ne frappent que parla situation. Celui-là émouvait, ceux ci étonnent. Comme pu- res œuvres d'art, ces drames ont des défauts si frappans, que nous ne pouvons les passer sous silence. Le principal , est le peu d'ia-

9*

13^ ETAT DU THEATRE EN FRATVCE.

vention qui pousse les auteurs dans une répétition continuelle et fa- tigante des mêmes caractères et des mêmes situations. Rien de moins nouveau que leurs nouveautés, de plus servile que leurs libertés, de plus menaçant que leurs extravagances. La bâtardise , la séduc- tion , le rapt , l'adultère , l'inceste ; voilà leurs motifs. Le poi- gnard , le poison , la prostitution ; voilà leurs moyens. Et encore cela, ils se l'empruntent l'un à l'autre, ou chacun à sol-même, con- tinuellement , et de la manière la plus monotone.

» Des femmes , que peignent les dix pièces dont nous venons de parler, huit sont adultères , cinq prostituées de dilTérens ordres, six victimes de la séduction , et de ces six deux accouchent pres- que sur la scène. Quatre mères aiment leurs propres fils, ou leurs gendres , et dans trois cas le crime est consomme'. Onze personna- ges sont tués, directement ou indirectement , de ceux dont ils sont aime's ; et dans six de ces pièces les he'ros sont des bâtards ou des enfans trouvés. Et c'est dans l'espace de trois ans que ces horreurs se sont accumulées dans dix pièces sur le théâtre de Paris ! Nous convenons que le crime , et les plus abominables motifs , ont été de tout temps le domaine de la tragédie. Nous n'oublions pas que les familles d'Atrée et de Laïus, dans l'antiquité'; que la Belle pé- ni tente , Jeanne S/iore , George Barnwell , et tant d'autres dans les temps modernes, sont des sujets horribles ; mais, pour la plu- part , ils sont traite's de manière à inculquer des leçons morales. Jamais ils ne choquent la décence ; jamais surtout ils rCallument de passions criminelles. Dans Us premiers temps du drame anglais, on trouve des expressions grossières, une scène un peu libre; mais chez nous le goût moderne a fait justice de ces vieilles et inde'lica- tes licences. Ce qui nous étonne et nous afflige le plus dans l'état actuel du drame français , c'est qu'il n'y ait aucune turpitude qui ne se voie chaque soir , sur chaque théâtre , qui ne soit jetée à ce peuple civilise' par les écrivains les plus populaires, pendant qua- rante , cinquante, soixante représentations; dans le fait, jusqu'à ce que l'auteur ait eu le temps d'imaginer et d'achever quelque chose de plus monstrueux. Il nous semble que la conséquence de ce fait, ou sa cause peut-être , c'est un grand relâchement moral , une grande dissolution sociale dans la nation qui se pre'cipitc chaque soir vers ces sources empoisonnées ; et quand nous dirous à nos lecteurs que

ÉTAT DU THÉATKE EN FRASGE. J 33

les deux hommes (i) que nous avons choisis sout les chefs de la litté- rature française, quand nous leur dirons que des milliers de petits litte'rateurs n'ont d'autre métier ni d'autre occupation que de ren- chérir sur les mauvaises qualités de leurs maîtres, ne conviendront- ils pas avec nous que l'état de l'esprit public en France est un phé- nomène, un effrayant phe'noraène , que le monde civilise n'avait pas encore vu? L'influence du théâtre bien dirigée peut être quelque- fois salutaire, ou au moins innocente; et le long temps pendant le- quel , en France et en Angleterre , cette influence s'est tenue dans les limites de la réserve et de la décence , a laisse' les hommes d'état indécis sur les effets de celle action morale. Mais aujourd'hui cela devient une passion populaire qui appelle , en vérité , l'atlenlion des gouvernemens ; et nous verrons qu'en France le gouvernement se verra force' de censurer le théâtre ou que le the'âtre renversera le gouvernement et la société. MM. Hugo et Dumas se vantent de ce que leur génie s'est ainsi élevé sur les ruines de tout contrôle gouvernemental ; et c'est ainsi encore qu'en Angleterre la licence repousse toute autorité; mais, sans cette autorité, il n'y a plus aucune paix domestique , aucune tranquillité publique

» Ce sujet important demanderait ici un grand développement, mais nous croyons en avoir dit assez pour quiconque désire voir se conserver un reste de solidité sociale et d'ordre moral chez cette grande nation qui, par sa position et sa puissance, est destinée à exercer une si profonde action sur le monde, pour le bien comme pour le mal. »

(i) Victor Hugo et Alexandre Dumas.

134

CONSIDÉRATIONS ORTHODOXES SUR LE CELIBAT ECCLÉSIASTIQUE .

PAR M. l'abbé db l'Étang (1).

Lors d'un procès qui a retenti naguère dans les tribunaux, oa ne demandait la liberté du mariage que pour le prêtre qui voulait renoncer h ses fonctions : aujourd'hui on va plus loin , et l'on pré- tend que le prêtre allie le mariage avec l'exercice de son ministère. Tel est l'esprit d'une brochure qui a paru l'année dernière sous le titre de Nouvelles Considérations sur le Célibat des Prêtres ; l'au- teur, qu'on dit être un prêtre, et qui se cachait, sous le nom de Durosoy , présente l'abolitioa du célibat ecclésiastique comme une mesure aussi facile que nécessaire ; il donne les moyens d'en venir à l'exécution. Son plan , dont nous dirons quelque chose à la fia de cet article , est d'un homme qui traite lestement les matières les plus graves. Ce n'est point ainsi que procède M. l'abbé de l'E- tang. 11 commence par produire des témoignages historiques en fa- veur de l'antiquité de la discipline sur le célibat eccle'siastique. Il s'est contenté d'interroger les monumens des premiers temps de l'Eglise ; car on convient assez que , dans les siècles suivans , les preuves de l'existence de cette discipline sont nombreuses. Le con- cile de Trente , que l'on pourrait dire avoir fermé sur ce point la chaîne de la tradition , a porté un canon exprès contre ceux qui soutiendraient que les prêtres peuvent contracter mariage. Pour montrer la sagesse de cette décision , l'auteur des Considérations orthodoxes discute trois questions : Le célibat ecclésiastique peut-il être aboli ? Doit-il l'être ? Quelle serait pour cela l'autorité com- pétente ?

Sur la première question , M. de l'Etang prouve que le célibat ecclésiastique, tenant à la discipline géne'rale de l'Eglise, ne peut

(i) Brocliure in-8". Prix : 2 fr. , et 2 fr. 25 c. franc de port. A Paris, chez Adi ieii Le Clerc et , iiuprioxrurs-iibraires , quai des Âugustins.

SUR LE CÉLIBAT ECCLÉSIASTIQUE. 135

être aboli que par une mesure générale , ou par un coucile uni- Tersel , ou par le Pape, et qu'une abolition partielle pour la France est ou un rêve ou une source de scandales et de schismes.

Sur la deuxième question , l'estimable auteur considère le célibat sous trois aspects, l'aspect religieux , l'aspect social et l'aspect privé. Que demandent la dignité et l'intégrité de la religion ?

« Voilà que dans notre siècle si profondément empreint dindif- fe'rentisiuc religieux, on se prend tout à coup dune étrange pas- sion pour l'honneur de la religion. Chacun prétend à la réputation de réformateur : on dirait que le peuple veut se idàvG grand-prêtre ; et, aussi bien, pourquoi non? Il s'est bien fait roi! En entendant parler de la religion , vous pensez peut-être qu'on va déchirer tou- tes ces pages si sales d'invectives et de quolibets contre ses dogmes et son culte , qu'on va interdire ces parodies sacrilèges dont le but est d'avilir les choses sacre'es? Vous jugez que pour faire respec- ter la religion il faudrait la respecter soi-même , protéger son sanc- tuaire , ne pas démolir ses temples , ne pas renverser la croix qu'elle présente a nos adorations. Que vous êtes dans l'erreur! Ignorez- vous que pour les maux désespérés il faut des remèdes puissans? Il s'agit de sauver la religion. He' bien, on vient offrir des épouses à ses ministres ! En vérité , ou pourrait ne voir f]u'une indécente plaisanterie , s'il n'était facile d'apercevoir des intentions mauvai- ses. Et pourquoi des paroles pacifiques, quand les pensées sont hos- tiles ? pourquoi ne pas ctre francs ? pourquoi ne pas avouer qu'après avoir en vain tenté d'anéantir la religion par les persécutions, on tente de le faire par le déshonneur? On n'a pu effrayer; on cher- che à sc'duire : la hache s'est emousse'e; on tend des pleines. Cette marche , au reste , n'est pas nouvelle : l'Ecriture elle-même nous en fournit des exemples. Ainsi , les Philistins , ne pouvant dompter Samson, introduisent près de lui Dalila , pour le gagner par ses artifices

» Il est de la dignité de la religion que ses ministres soient voués au célibat, soit à raison de leurs nobles fonctions, soit à cause de l'opinion des peuples, soit enfin pour obtenir le plus de garanties possibles dans l'admission aux ordres

» Nos adversaires nous accusent d'injustes défiances. Pourquoi , disent-ils , cet effroi sans motifs ? Nous n'avons garde de toucher

136 CONSIDÉRATIONS ORTHODOXES

au dogme; à Dieu ne plaise que nous voulions détruire l'édifice res- pectable de la religion : nous voulons seulement le rajeunir, en le débarrassant de ses gothiques ornemcns. Et ne savez-vous pas, ré- pondrai je , que pour qu'un ancien édifice parle au cœur , il n'y faut rien clianger, mais lui laisser cette teinte antique qui lui im- prime tout le charme des souvenirs? Et puis, est-il bien vrai que vous n'attaquiez que la discipline , en attaquant le célibat ecclésias- tique ? Ne voyez-vous pas qu'en même temps vous rendez le dogme moins respectable aux yeux des peuples , et que , sur quelques points du moins , vous les portez à s'éloigner de la foi. Qu'ont fait les pro- testans ? En abandonnant le célibat ecclésiastique, ils se sont vus forcés d'abandonner le dogme : dès qu'ils ont renonce à la virgi- nité pour eux-mêmes , ils ne l'ont plus voulu reconnaître dans la Mère de Dieu ; dès qu'ils ont manifesté leur faiblesse en prenant des épouses, ils se sont sentis incapables de recevoir les aveux de la faiblesse , et ils ont supprimé la confession. N'en doutez pas, les mêmes causes produiraient parmi nous les mêmes effets. Si donc il vous reste quelque attachement pour la foi de vos pères , repoussez tout ce qui pourrait l'altérer. Tenons à honneur de léguer à nos derniers neveux les croyances que nous ont léguées nos ancêtres. »

Sous le rapport social se présentent trois questions , la questioa dépopulation, la question morale, la question financière. D'abord, nous avons partout surabondance de population, et le le'gislateur est bien dispensé de chercher à l'accroître ; ensuite , le prêtre marié perdrait certainement son influence salutaire. Enfin , le clergé est assez pauvre aujourd'hui : serait-il en état de soutenir une famille, et ceux qui poussent au mariage des prêtres seraient-ils dispose's à augmenter, dans cette supposition, le budget du cierge'?

Le célibat eccle'siastique n'est point un joug intolérable, comme on le suppose ; c'est un état auquel le prêtre s'est soumis par choix , et il a des moyens de fidélité'. L'abolition du célibat nuirait au prê- tre à qui on l'offre ; elle susciterait contre lui des méfiances, et serait pour lui une source d'inquiétudes pour l'avenir.

Dans la troisième partie de son écrit , M. de TEtang re'fute spécialement l'auteur des Nouvelles Considérations y celui-ci avait dit :

« Bientôt l'affaire sera discutée à la chambre , et si la loi passe

SUR LE CÉLIBAT ECCLÉSIASTIQUE. 137

dans le sens que nous l'entendons , le roi sera prie' de prendre avec Rome les arrangemens convenables... C'est alors que le Souve- rain-Pontife, voyant les inconvéniens graves qui pourraient résul- ter pour la religion d'un refus obstiné de sa part, comprendra qu'un point de discipline ne doit pas mettre toute la religion en pe'ril... Quant aux moyens à prendre , ils sont faciles : il faut demander cette délivrance au roi , aux chambres surtout. Nous ne pouvons conjecturer d'une manière certaine à quel parti s'arrêtera le Saint- Sie'ge ; mais nous espe'rons qu'il fera un sacrifice aux circonstances pour le bien de la paix. S'il en e'tait autrement, nous pourrions bien voir des choses fort de'sagréables ? n

Ne faut-il pas admirer le tact et la mesure d'un prêtre qui fait intervenir les chambres dans une décision de cette nature, qui veut qu'on force la main au Pape , et qui le menace de choses fort dés- agréables. Singulière obstination de ce prêtre , qui se plaint de l'obstination du Pape! Que l'on remarque aussi ce mot de délivrance ; il est caractéristique. Pour délivrer l'auteur d'un joug qui lui pèse, il faut bouleverser toute l'Eglise. Quelle heureuse délivrance ! M. l'abbé de l'Etang réfute très-bien le plan scandaleux du prêtre dé- goûte de la sainte sévérité de son état , et finit par des vœux pour que la France repousse une innovation qui , en avilissant le sacer- doce et en lui ôtant son influence , nuirait à l'Etat et serait une source de troubles , de divisions et de désordres. Nous citerons ce morceau :

« La France repousse le schisme comme elle repousse l'irréligion, elle a trop long-temps gémi sous le joug de l'impiété qu'on voudrait lui imposer encore. La France a besoin de relever ses yeux vers le ciel pour oublier les crimes de la terre , dont elle fut témoin et vic- time ; elle ne peut donc chercher à se séparer de ses prêtres qui le lui montrent, ce ciel ; elle ne peut ne pas aimer ses prêtres qui con- solent ses infortunés et soulagent leurs douleurs. La France doit avoir perdu les préjugés qu'on lui inspirait contre ses prêtres. On les lui repre'sentait con)me ses ennemis, et ils se de'voucnt pour elle, et un fléau récent a montré leur zèle ; on les lui repre'sentait comme de mauvais citoyens; et elle les voit soumis aux lois; on les lui représentait comme opposés aux lumières, et eux-mêmes propagent les lumières , éloignant seulement des jeunes intelligences ce qui

138 DISSERTATION SUR LA. REUABILITATION

n'ornerait l'esprit qu'aux dépens du cœur ; enfin , on repre'sentait les prêtres comme des hommes ardens, et ils se montrent de mœurs douces et régulières, exclusivement voués à leurs fonctions saintes. La France veut-elle que son clergé conserve ces nobles sentimens ? Qu'elle ne tente rien contre ses institutions , qu'elle n'oublie pas que c'est à l'affraucliisstment de tout lien mondain qu'il doit et ses vertus et sou goût pour la retraite. Que la France donc , par ses organes naturels , s'oppose à toute innovation qui nuirait k lEtat sans aucun avantage pour les particuliers. »

Cette brochure , bien écrite et bien pensée , est une protestation contre de funestes tentatives. L'auteur rappelle à propos , dans son épigraphe , la recommandation faite par le Pape dans son En- cyclique de conserver et de venger par tous les moyens la loi importante du célibat sacerdotal. Il est honorable pour lui d'avoir rempli à cet égard le vœu du Saint Père. L' Ami de la Reli- gion , 2280.

Dissertation svr la Réhabilitation des Mariages nuls , oit l'on traite particulièrement des Dispenses in radiée j par nn professeur en Théologie ( M. l'abbé Carrière, profes- seur du séminaire de Sl.-Sulpice ) (1).

La première édition de cette dissertation parut en 1828 ( 'V. l'Ami de la Religion 1461 , tome LVI ). Elle fut favorable- ment accueillie par les théologiens, et on n'a fait que l'abréger dans la nouvelle théologie de Bailly en 1829, dans la théologie de Tou- louse et dans la circulaire de M. l'évêque de Digne sur les confé- rences ecclésiastiques de i83o. Toutefois, l'estimable et docte au- teur a voulu revoir encore son ouvrage , et est parvenu à l'améliorer. Il annonce modestement qu'il a été aidé dans son travail par les judicieuses observations d'un habile professeiir de théologie.

(i) In-8». Chez Méquignon Junior, rue des Grands-Aiigustins.

DES MARIAGES KULS, ETC. 139

Les augmentations qu'a reçues la Bisserlation forment environ un tiers en sus. L'auteur a mieux spécifié les divers cas le ma- riage peut être nul par défaut de consentement , afin de mieux ex- pliquer les difi'érentes décisions du droit canonique , principalement sur l'erreur et la crainte. 11 s'est beaucoup plus étendu sur la nature des dispenses in radice , et il en a exposé les divers effets avec la manière dont ils sont produits. C'est la principale addition. Au lieu d'indiquer seulement , comme dans la première édition , les divers exemples de dispenses in radice accordées par les Papes , il les a parcourues en détail pour en faire remarquer les circonstances pro- pres à jeter du jour sur la question. Il a cherché à expliquer avec plus de clarté les précautions à prendre pour l'emploi des dispenses in radice, spécialement pour les cas il y a lieu d'y recourir au- jourd'hui en France , et par rapport à la nécessité d'un consente- ment persévérant, laquelle a été contestée par un théologien dis- tingué.

On aajouté parmi les pièces justificatives un rescritdeClémentXIII qui offre un exemple de dispense in radice, et qui est important, surtout pour fixer le sens de certaines expressions employées dans les induits que le Saint-Siège a coutume d'accorder aux évêques pour la dispense de l'empêchement qui résulte des degrés de parenté ou d'affinité. Enfin ,on a mis une table analytique des matières qui présente d'un coup-d'œil un résumé de toute la Dissertation.

On sait que cette Dissertation est destinée à servir de suite et de supplément au Traité des dispenses de Collet , édition de M. Com- pans. On remarquera que l'habile théologien réfute assez souvent l'abbé Baston , auteur d'une Concordance des lois civiles et ecclé- siasticjues sur le Mariage , ouvrage il y a beaucoup d'esprit, de savoir et de recherches, mais il y a aussi des opinions ha- sardées et hardies. L'abbé Baston était un esprit subtil, mais qui ne haïssait pas les paradoxes. Il traite, dans cet ouvrage, beaucoup de questions différentes, et les résout plus par le raisonnement que par l'autorité. On ne voit pas qu'il cite un seul théologien. Ce qu'il, y a encore de singulier dans cet ouvrage, c'est quelauteur, ayant perdu son manuscrit dans un voyage, le refit de mémoire. Il y a peu d'auteurs qui eussent assez de facilité et assez de patience pour entreprendre deux fois le même travail. La Concordance est un in-i2 publié en i^l^. L'Ami de la Religion , i'2']5.

140

COURS D'HISTOIRE

DES ÉTATS EUROPÉENS MODERNES;

Par Frédéric-Samson SCHOELL.

TROISIÈME ET DERNIER ARTICLE (1).

DES FAUSSES DECR^TALES.

Origine des fausses Décrétales. Diverses collections de canons. Recueil d'Isidore Mercator. Il y a des pièces fausses. Elles ont été adoptées par défaut de critique , non par dessein de tromper. Leur succès prouve qu'elles n'ont rien innové. Témoignages du règne de Charleiuagne.

Je demande aux lecteurs la permission de prendre congé de cet immense ouvrage. J'y trouverais, depuis le 9^ siècle, plus de concessions à prendre que d'erreurs à combattre, et J'aurai d'ailleurs plus d'une occasion d'y revenir indirectement dans les diverses parties dliistoire eccle'siastique qu'il peut être utile de traiter. Il importait surtout de rectifier le point de de'part adopte' par l'auteur, et de dissiper cette vieille fable protes- tante de l'ancienne et obscure faiblesse du Saint-Sie'ge ; on avait re'nssi à en faire depuis long-temps un pre'jugé bistorique; le simple re'cit des principaux e've'nemens a de'montré que la vé- rité est précisément le contraire. Pour acbever la tâcbe que je m'étais prescrite , il ne me reste plus qu'à éclaircir la nébu- leuse influence attribuée aussi sans bésitation aux fausses Dé- crétales. Nous sommes en France , il en faut convenir, un sin- gulier peuple; nous admettons avec une inconcevable facilité, tout ce qui nie, tout ce qui fronde, tout ce qui contredit , avec la moindre apparence d'érudition : aussi en doit- on tirer quelque espérance aujourd'hui : ne fût-ce que par vicissitude,

(i) Voy. ci-d. tom. VIII, p. 36i , et tom. IX, Si;.

DES FAUSSES DÉCRÉTA LES. 141

il nons prendra à la fin fantaisie de jnger re'ellement noas-mê- mes , et l'esprit de contradiction nous ramènera à la ve'rite'.

En ge'ne'ral , on ne voit qu'un côte des choses ; on e'tudie l'histoire, quand on l'e'tudie , par de'cou pures , sans suite , sans ensemble. L'ancienne manière de l'e'crire, d'en morceler l'es- prit en petits ou longs chapitres de conside'ratious et d'anec- dotes : cette manière , fort en vogue au isiècle dernier, et si commode pour l'ignorance des lecteurs et des auteurs , a mis le comble à la prévention de nos ide'es. Ainsi jamais on ne nous parle des Décrétales que hors de leur place, hors du cadre des e've'neraens contemporains et ante'rieurs (i). On ne fait nulle attention à l'époque qui a prépare' ce recueil fameux : il ne sera donc pas inutile de retracer en peu de mots ce que nous dit l'histoire de tous les recueils de canons qui furent re'unis à cette e'poque , et de l'e'tat ge'ne'ral de l'Eglise chre'tienne.

Dès le règne de Charlemagne on s'e'tait occupe' beaucoup de travaux de ce genre, et même long-temps auparavant. Il s'e'- tait fait de'jh vers le milieu du 6* siècle deux collections de canons , l'une pour l'orient par Jean le scholastique , et Jusli- nien l'autorisa ; l'autre pour l'occident par Denys-lePetit, à laquelle il ajouta \es Décrétâtes ou lettres dogmatiques des Pa- pes. Vers le même temps, peut-être même auparavant, circu- lait en Espagne une autre collection, antérieure conse'quemment à S.Isidore de Se'ville , et qu'on lui attribua par la suite. Selon le père Burriel , cet e'vêque en re'unit ve'ri table ment une, qui existerait encore (2). il n'est pas du moins de'montre' que S. Isidore

(i) Les lacunes énormes , le manque do méthode et les préjugés , sont les (léfiuils évidens du peu d'ouvrages qui portent en France le noai iX Histoire ecclésiastique. L'auteur de cet article s'est attaché depuis long- temps à cette étude. Il pense que le temps est venu de montrer enfin le christianisme tel qu'il est et qu'il a toujours été. Il espère ne pas tarder beaucoup à publier un premier travail , qu'il veut sur-tout ren- dre utile par sa forme , son cxactitudvO et sa plénitude.

(i) L'auteur de cet article aurait consulter la savante Dissertation publiée par M. do La Sernn-Santander (Prœfatio Jùstorico-crilica in ■veram et gcnuinam collecLioncrn veterum Canonum Ecclesiœ Hispanœ etc. Briix. 1800, in-S"). V. la nouv. édit. de Butler, t. IV, p. 4-^5 , not. a.

142 COURS d'histoire , PAR SCQOELL.

n'ait pris aucune part au recueil qui porta plus tard son nom, qui s'accrut de divers supplemens , empruntés en partie à De- nys-!e-Petit , de De'cre'tales poste'rieures et de conciles tenus après S. Isidore. Ce recueil , dit M. Scliœll , fut porte' en Gaule vers le 8" siècle, et il y en a encore des copies e'critcs à cette e'poque.

Vinrent ensuite les 36 canons de S. Boniface^ au milieu du niêfue siècle; à ces re'glemens particuliers, qui ne peuvent se comparer avec les collections pre'ce'dentes , se rattache cepen- dant un fait inte'ressant. La publication de ces canons paraît avoir suivi le 5^ concile de Germanie, ou S. Boniface fit lire les quatre premiers conciles œcume'niques et souscrire aux évê- ques rassemble's une profession de foi , qu'il envoya au pape Zacharie. Ce fut l'occasion d'une lettre du Pontife à treize e'vê- ques de Gaule.

« Votre foi, dit-il, et votre union avec nous est pre'ciense, » et connue de Dieu et des hommes. Depuis que vous êtes re- »> tourne's à St. Pierre, le prince des apôtres, cjiie Dieu vous » a donné pour maître, vous ne faites plus, par la grâce de Dieu,

» qu'une même socie'ie' et un même hercail Vous avez en

» notre place le très-saint archevêque, notre frère Boniface, lé- » gat du Sie'ge apostolique ; montrez votre constance contre tous ») ceux qui ont des sentimens contraires. •>

Cette re'sistance momentane'e de quelques-uns, sur laquelle on n'a pas d'autre indication, avait probablement pour cause la le'gation apostolique confe're'e à S. Boniface pour la Gaule comme pour la Germanie.

Mais quelle que fût cette petite et courte division, elle sert à constater dans ce temps même l'obéissance ge'nérale de l'e'- piscopat Gallo-Franc au St. -Sie'ge et à la juridiction intermé- diaire d'un légat ; et cependant on était peu accoutumé jusqu'a- lors à cette intervention. Les métropolitains de Gaule n'avaient jamais étépuissans, et nul d'entre eux, pas même celui d'Arles, n'avait reçu du St. -Siège avec le pallium une primatie entière et permanente; on communiquait directement avec Rome.

On commençait à s'occuper de la réforme des abus. Pepin- le-Bref, non encore roi, en 747 > adressa au Pape une consul-

DES FAUSSES DÉCRiTALES. 143

tatîon sur plusieurs points de discipline. Zacliarie VII répondit par 1'] articles, pris dans les anciens canons et clans son au- torité apostolique , comme il le dit lui-même. Charlemagne , qui fit bien plus encore que son père, remporta pre'cieusement de son premier voyage à Rome , en 774, une collection assez con- side'rable. C'e'tait un présent d'Adrien P"^ ; il y avait rassemblé les canons des conciles d'Ancyre , de Ne'oce'sare'e , de Gangres , d'Aiitioche , de Laodice'e , de Sardique , de Carlhage et des au- tres conciles d'Afrique.

« Charlemagne veilla, dit M. Guizot (i) , à l'observation de ces canons et en fit dresser de nouveaux. Il portait la même vi- gilance sur les affaires de l'Eglise , que sur celles du gouver- nement ; non-seulement 33 conciles se tinrent sous son règne dans son empire, mais ses capitulaires sont remplis d'instruc- tions et de re'glemens eccle'siasliques. Il fit perfectionner les Hures de liturgie , re'diger en grand nombre des pénitentiels ^ et publier des recueils d'homélies. » On sait tout ce que son zèle entreprit et exe'cuta pour relever les e'tudes et re'pandre l'in- struction parmi les grands, le peujile même, et surtout dans le cierge'. On mit donc à cette e'poque une grande activité' et une application constante à connaîtie et à re'unir tous les do- cumens de discipline. On cite parmi les travaux de ce genre la collection de 80 canons pre'senle'e ou reçue à Rome par En- gelram , e'vêque de Metz en 784. Voici quelques-uns de ces ca- nons qui nous font connaître quelle e'tait alors la snpre'matie de l'Eglise de Rome.

« 3. Nul e'vêque accuse' de quelque crime que ce soit ne peut être entendu ou poursuivi , sinon dans un concile le'gitime , coDVO({ue' par i'autorile' du Saiut-Sie'ge, à qui, par l'ordre du Seigneur et les me'rites de St. Pierre , a e'te' donne'e une auto- rite' spéciale pour assembler les conciles. "

« 20. Si le métropolitain et les autres juges sont suspects à l'évêque accusé, qu'il soit jugé parle primat ou par le Pape. »

(i) Cours d^ Histoire.

144 COUBS d'histoire , PAR SCHOELL.

« ^3. Si un evêqae accuse appelle au Pape, il faudra s'en te- nir à ce que le Pape aura juge'. »

« 39. Les ordonnances contraires aux canons , aux de'crets des Papes ou aux bonnes mœurs, sont nulles. »

« 56. Le Souverain-Pontife ne sera juge' par personne, parce que le Seigneur a dit que le disciple n'est pas au-dessus du maître. »

Celte collection se re'pandit rapidement dans la Gaule, et si l'on veut mettre pour quelque chose dans ce succès le rae'rite d'Engelram et sa charge d'archi-chapelain, dans laquelle il ve- nait de succe'der re'cemment à S. Fulrade, je suis un peu de cet avis, mais dans un sens tout autre que celui qui semble se présenter d'abord.

Si l'on s'en rapporte à Hincmar , qui vivait dans le siècle suivant, et qui n'estimait guères les canons d'Engelram, ce se- rait pre'cise'ment vers ce temps qu'aurait paru la Collection du Faux Isidore; cet ouvrage apporte' d'Espagne en Germanie, aurait e'te' accre'dite' par Rlculfe , archevêque de Mayence , que quelques-uns même en ont cru l'auteur. Mais on convient que ce ne sont pas les fausses De'cre'tales. Toutefois il faut noter cette deuxième grande collection venue d'Espagne en Germa- nie, et qui obtint en Gaule un grand cre'dit.

En 802 , dans une assemble'e ge'ne'rale au champ de Mai d'Aix- la Chapelle , oh. assista un le'gat du St.Sie'ge , les e'véques lu- rent, par ordre delempereur, un recueil de tons les canons, et promirent de les observer ; l'empereur leur en fit remettre à chacun une copie.

Enfin « entre les anne'es 820 et 849 , on voit paraître tont- » à-coup, dit AL Guizot(i), toujours sous le nom de St. Isidore, ï) une nouvelle collection de canons beaucoup plus considérable. » C'est dans le nord et l'est de la Gaule Franque, dans les dio- » cèses de Mayence , Trêves, Metz , Reims, etc., qu'on la ren- » contre d'abord ; elle y circule sans contestation ; à peine » quelques doutes percent çà et sur leur authenticité'; elle

(1) Cours cl' Histoire , tom. III , leçou 26.

DES FAUSSES DÉGRÉTALES. 145

)) acquiert bientôt une autorité souveraine. C'est la collection dite des fausses Décrétales. Elle a reçu ce nom , parce qu'elle M contient une multitude de pièces e'videmment fausses, et » porte tous les caractères d'une fabrication mensongère. Elle » commence par 60 lettres des plus ancienu éuéques de Rome, » depuis St. Cle'ment jusqu'à Meichiade, c'est-à-dire , de l'an 91 » jusqu'à l'an 3i4, lettres dont aucun monument n'avait en- » core fait mention , et dont la fausseté' e'clate au premier coup- » d'oeil. Les Papes des trois premiers siècles s'y servent con- )> tinuellement de la traduction de la bible de St. Je'rôme, faite » à la fin du 4" siècle ; ils font allusion à des ouvrages du 6" )) et du j'' siècle. La fabrication en un mot ne peut plus être )) aujourd'hui re'voque'e en doute par aucun homme de quel- » que instruction et de quelque sens.... On l'a attribue'e à Be- » noît, diacre de Mayence , qui a fait la seconde collection des

» Capitulaires Elle se re'pandit rapidement; beaucoup la

» prirent pour l'ancienne collection déjà connue sous le nom » d'Isidore ; d'autres la croyant nouvelle , ne songèrent seule- » ment pas à en examiner le contenu. «

Selon M. Schœll (i) , « elle ne peut remonter au-delà de 82g » puisqu'on y trouve des passages emprunte's mot pour mot des

)) actes du concile de Paris de cette anne'e Elle est cite'e

)) pour la première fois dans une lettre de Charles-le-Chauve )) aux e'vèques assemble's à Cressy ou Kiersy en 857. Benoît, » diacre de Mayence, qu'on a soupçonne' de l'avoir forge'e , » l'inse'ra du moins dans une collection des Capitulaires qu'il » publia. ))

On ne sait au vrai ni l'e'diteur ni l'auteur de ce nouveau re>i cueil, hors duquel on ne retrouve aucune trace d''Isidore Mer- cator ou Peccator : ce pseudonyme n'a probablement jamais existe' ; il est vraisemblable aussi que le diacre Benoît ou l'au- teur quelconque de cette compilation a pris à la collection es- pagnole non-seulement le nom d Isidore, mais le premier fonds de son travail; car on ne peut pre'tendre que tout y soit faux;

(1) Cours d'Histoire , tom. I, liv. I'"'' , ch. 9.

T. X. 10

140 COURS d'histoire, par SCnOELL.

Marchetti et Muzzarelli , tout en passant con(îamnation sur ce recaeil , ont très-justement fait celte remarque. J'adopte e'gale- ment leur conjecture qu'il y eut là-dedans plus d'ignorance que d'imposture. Le peu de critique du temps peut très-bien expliquer, sans dessein de tromper, les additions, les interpo- lations et les be'vues ; il n'est pas même certain que les pièces reconnues fausses et qu'on doit ne'cessairement rejeter, le soient re'ellement; car ne s'est-il pas perdu depuis cette e'poque beau- coup de monumens sacre's et profanes? te'moin la Répuùlinue de Cicéron, que les recherches de l'abbe' Moï n'ont pu re'tablir en entier, et que l'on avait complète au g"' siècle.

Si les contemporains et ceux qui suivirent durant plusieurs siècles ne furent pas assez habiles pour discerner la îaussete' de tant de documens , celui qui les rassembla ne pouvait l'être davantage : on ne voit pas que lui imputer une falsification vo- lontaire c'est lui attribuer une supe'riorite'de savoir e'videmment impossible. Quoique ces re'flexions ne soient peut-être pas inu- tiles, peu importe après tout le pauvre anonyme et son ouvrage; il s'agit surtout des conse'quences , et de ce côte' tout est clair et facile.

Ceux qui ont bien voulu lire nos deux articles pre'ce'dens,et qui ne se sont point jusquà pre'sent occupe's de cette question, seront bien surpris quand ils sauront qu'on l'eproche au diacre Benoît d'avoir change' toute la discipline de l'Eglise et son gou- vernement, en introduisant trois principes inconnus : les ap- pellations au St.-Siége , sa soin>eraine juridiction sur les épéques et sur les conciles, c'est-à-dire, en d'autres termes, d'avoir de'- natnre' le pouvoir spirituel , sape' les règles fondamentales de l'Eglise, et fait pre'valoir contre elle les portes de l'enfer, mai- gre' la promesse donne'e à Pierre. Heureusement il n'y a pas d'absurdité' plus facile à re'f uter. Ces trois pre'rogatives du Saint- Sie'ge n'ont jamais e'te' plus fortement exercées qu'au commen- cement par St. Cle'ment , St. Anicet , St. Victor , St. Etienne , St. Jules, St. Innocent, St. Le'on ; les faits sont nombreux et evidens.

Mais il y a plus : quand les faits auraient manque' à la tra- dition, j'oserais dire que le succès des fausses De'cre'tales serait

DES FAUSSES DÉCRÉTALES. 147

tout seul on fait décisif , une preuve invincible contre les pre'- tendues innovations qu'on leur impute : que Benoît ait e'ië un ignorant ou un imposteur, il n'a point cependant falsifie' la doctrine hieVarcliiqne ; qu'il l'ait appuye'e par des pièces de son invention , ce serait une indigne et sotte fourberie ; mais encore une fois, puisque son recueil a e'ie' admis au point de faire loi pendant si long-temps, c'est qu^il ne contient rien au fond de contraire aux coutumes et aux sentimens de i'Egiise. En effet , eût-il paru à l'e'poqae de la plus grande de'grada- tion intellectnelie , au 7^ siècle , l'ignorance et la liberté' des passions ne rendant pas les esprits plus souples, je ne verrais pas encore comment les e'vêques, dont le plus grand nombre e'faicnt fort peu réguliers , eussent adopte' facilement une juridiction si gênante , dont jamais ils n anraient jusque-là entendu par- ler ; mais an 8" siècle il y avait an grand zèle de science et surtout de science eccle'siastique ; on vient de voir combien en particulier on s'appliquait aux recueils de canons. Il y avait donc une connaissance certaine de la discipline, des principes e'tablis, que le siècle communiqua au 9*^, et qui ne permet- taient pas qu'on fût trompé sur le fonds des choses, si l'on pou- vait l'être sur les de'tails de critique. Comment donc n'aurait- on pas même aperçu les nouveaute's des fausses De'cre'tales ? Comment un recueil, dont on n'a jamais connu le ve'ritable compilateur, conse'querament sans autre recommandation que son contenu, anrait-il pu subitement tirer l'e'vêque romain de Te'galite' pastorale au spirituel , de la suje'tion commune au tem- porel , et cbanger un rae'tropolitain , ou patriarche tout au plus , en Souverain-Pontife des e'vêques et des antres métropolitains auparavant indépcndans ?Une pareille révolution faite par une compilation pseudonyme toute seule , serait un événement unique , qui tiendrait du prodige et qu'on n'aurait pas encore assez admiré : une certaine année, à un lever de soleil, l'ap- parition des fausses De'cre'tales aurait fasciné tons les esprits, persuadé à tous ce qu'ils ne voulaient pas la veille, et aveuglé le monde chrétien pour six siècles. Car, encore une fois, on conçoit très-bien que ceux qui prirent ce recueil pour l'ancienne collection déjà connue sous le nom d'Isidore, et ceux çui k

10*

148 COURS d'histoire, par schoell.

crnrent nouvelle , ne songèrent pas à en examiner le travail j mais quant h la doctrine, il fallait hien lexaminer pour l'ap- pliquer au besoin.

Et la preuve que les e'vêques l'ont examine'e , c'est qu'ils l'ont soutenue avec empressement. Le motif qu'on donne de cet em- pressement est très-vraisemblable et très-naturel , sans pour- tant rien expliquer. « Cette collection, dit M. Gnizot, n'était point re'dige'e dans l'inte'rèt exclusif de la papauté. Elle semble même plus spe'cialement destine'e à servir les e'vêques contre les me'tropolitains et les souverains temporels... et ainsi l'inte'rèt du moment , sans pre'voyance de l'avenir , emporta l'assentiment des e'vêques (i). » D'accord; mais ils devaient voir aussi que cette protection de l'e'piscopat contre les me'tropoles , apparte- nait e'galement an cierge' infe'rieur contre 1 épiscopat , et il y avait de quoi refroidir leur zèle; mais les me'tropolitains qui n'y trouvaient pas leur compte devaient re'clamer; mais les souverains temporels devaient mettre bien plus encore d'oppo- sition ; cependant e'vêques , me'tropolitains , princes ; tous ont donne' tête baisse'e dans les fausses Décre'tales! et lorsqu'Engel- ram, l'ami, le cliapelain de Charlemagne , publia ces canons que j'ai rapporte's , et qui avaient ainsi de'ja fait connaître les nouveautés d'Isidore cinquante ans avant lui , personne ne dit mol; pas un me'tropolitain ne s'e'leva contre, et Charlemagne, qui avait tant à cœur d'établir l'autorité métropolitaine, ne se fâcha point ! voilà qui est bien singulier !

Dira-t-on que ce fut Charlemagne lui-même qui disposa les choses à dessein ou par mégarde pour l'accroissement du Saint- Siège ? Cette idée n'est pas plus soutenable. On s'est plu assez souvent à remarquer que Charlemagne s'était réservé la sou- veraineté sur Rome et sur les terres même île la donation, dès avant son sacre impérial. Cela est vrai. Les Papes étaient sous la domination administrative ; leur intronisation ne pouvait avoir lieu sans son consentement ; ses commissaires surveil- laient Rome comme les autres cités, et le jugement des assas-

(i) M. Guizol , Cours dTIisloirc , totn, III.

DES FAUSSES DÉCRÉTALES. 149

sins de Léon III suflarait pour prouver qae Chariemagne n'avait pas prétendu rendre les Papes ni les Romains indépendans. II est certain, au contraire, que jusqu'à Charles-le -Chauve , ils demeurèrent pour le temporel dans une assez étroite dépen- dance des princes carlovingiens; j'ajouterai même, parce que le vrai n'est jamais nuisible au vrai , que la puissance spirituelle du St. -Siège a plutôt été contrainte que favorisée par Char- lemagne.

M. Guizotavu à merveille, et je crois le premier, que Char- lemagne fut un monarque absolu , par position , si l'on veut, autant que par caractère ; mais enfin il agit sans cesse en maî- tre , et particulièrement dans les affaires de la religion. Aucun roi de France avant lui n'y avait mis une main si haute, et ne s était mêlé avec une pareille volonté, de la discipline et du dogme (i), de sorte que l'Eglise perdit sous son règne en li- berté ce qu'il lui fit retrouver en régularité, en science et en distinctions. Il nommait lui-même les évêques , assemblait les conciles, faisait des réglemens ecclésiastiques, et beaucoup d'articles de ses Capitulaires sont devenus des canons; l'activité de son génie s'étendait jusqu'aux moindres détails de la liturgie et de la correction des textes sacrés. Une intervention si géné- rale laissait peu de place à celle du St.-Siége ; ses relations même avec Adrien T' et Léon III , l'amitié personnelle qui s'é- tablit entre eux et lui , le zèle qui lui fit recueillir , sous le nom de Code Carolin, les lettres de leurs prédécesseurs à son aïeul, à son père et à lui-même; sa munificence, sa protection qui mettait Rome et le Pape à l'abri du ressentiment de Gonstanti- nople ; enfin la couronne impériale qu'il reçut de Léon III , tout cela lui donna dans l'Eglise une autorité dont il n'y avait pas d'exemple depuis Constantin, et qui n'était pas même sans danger pour l'avenir. Sans doute , le chef de l'Eglise reçut de la grandeur et de la familiarité du monarque un nouvel éclat extérieur, mais si la dignité brille alors davantage, le pouvoir se sent moins; le pontife agit moins directement, moins sou-

(i) M. Guizot, Cours d'Histoire , lom. II, leçou.

150 coui'.s d'iiistoirk, par schoell.

vent , avec un ton moins ferme ; il rae'nage les habitudes des- potiques d'un ami souverain; il souffre l'impertinence des Ui>res Carolins contre\e 7*^ concileœcume'nique et l'initiative AaJîiiOfjue ajoute' au symbole ; enfin , excepte' la publication de ce concile , on ne voit guère à cette e'poque d'autre acte solennel de juri- diction pontificale; et ces 4^ ans de protection dominante, mai- gre' tout ce qui s'y fit d'utile pour la discipline , n'en furent pas moins le premier e'chec du St.-Sie'ge. L'avantage le plus appa- rent qu'il en ait retire, la donation, a moins servi peut-être à l'inde'pendance temporelle du St.-Sie'ge , qu'elle n'a excite' contre lui la cupidité' des princes. Après cela, on ne se jettera pas , je pense, dans une supposition contraire, que les fausses De'cre'- tales furent un commencement de re'action en faveur du Saint- Sie'ge , après la mort de Gharlemagne. Outre qu'on n'affaiblirait nullement ainsi ce qui a e'te' dit plus haut, il est certain d'ail- leurs que ce prince, non plus que son siècle, n'a point de'menti l'antique tradition de l'autorité spirituelle des Papes , et qu'il l'a reconnue formellement.

En 775 Adrien P'', donnant le pallium à Tilpin, archevêque de Rheims, confirma par l'autorité' de St. Pierre les privile'ges de cette e'glise , et ordonna qu'elle demeurât me'tropole : « que » personne, dit-il, ne présume, dans la suite, de vous dépo- » ser, ni aucun de vos successeurs, sans un jugement canoni- )) que et sana le consentement duPape , si on appelle au Saint- )) Siège... » Il le chargea en outre d'examiner avec deux évê- ques et des missiroyaux les plaintes portées contre St. Lui, archevêque de Mayence.

En 786, Gharlemagne consulta le même Pape sur la manière de recevoir les Saxons apostats.

Dans un capitulaire de 789 , il ordonnait aux moines de suivre le chant romain , pour mieux conserver l'union auec le St.-Siége et l'uniformité dans l'Eglise.

Par le 8 canon du concile de Francfort, on termina une

querelle de limites entre deux évêques, d'après les décisions

anciennes de Zozime , de St. Léon , de Synimaque et de saint

Grégoire : trois autres évêques qui avaient un différend pareil

furent renvoyés au jugement du St.-Siége. Gharlemagne notifia

DES FAUSSES DÉGRÉTALES. 151

aa même concile la dispense tle résidence, qu'il avait obtenue da Pape pour son nouvel archichapelain 1 évêque Hildebolde, comme auparavant pour l'e'vêque Engelram.

Lorsqu'on apprit en Gaule, en 799, l'assassinat de Le'on III, Alcuin , consulte' par le prince , lui re'pondit : « Il y a trois di- w gnite's sape'rieares dans le monde. La première est la dignité 3) apostolique , qui gouverne le sie'ge de St. Pierre... La seconde )) est la dignité' impe'riaîe , qui commande à la seconde Rome... » La troisième est la dignité' royale , oii le Seigneur vous a

)) e'ieve' Vous êtes la ressource de l'Eglise , le vengeur des

» crimes Vous ne devez pas ne'gliger de prendre soin de ce

» chej" (le Pape); le mal des pieds est plus le'ger que celui de » la télé. »

Cliarlemagne ne se contenta pas de donner appui au Pape : il se rendit lui-même à Kome , et comme les conspirateurs avaient accuse' Le'on III de plusieurs crimes , il proposa dans une assemble'e l'examen de ces accusations , à quoi le Pape consentait : tout le cierge' se re'cria : « ^ous sommes tous jugés » par ce siège , qui n'est jugé par personne ; c'est l'ancienne » coutume. Que le Souverain-Pontife nous commande, nous » obe'irons selon les canons. « Le Pape l'e'pondit : « Je suis prêt, » comme mes pre'de'cesseurs , à me justifier par serment, » et il le fit le lendemain publiquement, de'clarant qui! agissait de son plein gré ., sans ai'oir été ni jugé ni contraint , et sans vouloir J'aire loi pour ses successeurs. Il y a encore quelque chose de plus : un capitulaire de 801 contient les paroles suivantes : « Eu me'- )> moire du prince des apôtres , honorons la sainte Eglise ro- » maine et le Sie'ge aportoliquc ; afin que celle qui est la mère j> de la dignité sacerdotale ^ soit aussi notre maîtresse dans les n choses eccle'siastiques. Il faut pour cela conserver à son cgard » l'humilité et la douceur pour supporter avec des sentiraens » de pie'te' le joug que ce Sie'ge nous imposerait , fut-il en quel- )) que sorte intolérable. »

Certes , pour que Charlemagne permît et dît lui-même pu- bliquement de pareilles choses, il fallait bien qu'il fût convaincu du divin caractère de cette supre'matie spirituelle. Il est assez remarquable qu'uu tel dominateur se soit accorde' d'avance avec

152 DE LA TAILLE DE l'hOMME ,

le diacre Benoît, et l'on ne pourra cVisconvenir qu'après un siècle si peu dispose à exage'rer les droits du St. -Siège, et ce- pendant si exact k les reconnaître, les fausses De'cre'tales n'ont rien introduit de nouveau.

Edouard DxnioNT.

VVV VVV VV^ VVX V* A VVV VV^ VV^ VV V VVV VV^ VXX X/»/*. VV^ kiO^ VVV VVV V V\ VV^ VVX \A^

DE LA TAILLE DE L'HOMME,

ET EKT PARTICULIER DE CELLE DES GEANS.

Tel est le titre d'un article reproduit naguères par quelques journaux , et qui ne sera pas de'place' dans notre recueil, parce qu'il touclie d'assez près à la critique sacre'e.

Quelques naturalistes ont e'tudie' les lois que suivent les va- riations de la taille humaine , d'après les différentes races , l'e'tat de civilisation , le climat et l'e'poque. En ge'ne'ral , la taille des femmes est beaucoup moins variable que celle des hommes , et c'est à ces derniers seulement que s'appliqueront les remarques suivantes. Les voyageurs modernes, les naviga- teurs surtout, ont pris avec soin la taille moyenne des divers peuples qu'ils ont visite's. Pour mieux fixer les ide'es à ce sujet, nous allons donner quelques-unes de ces mesures, en ne citant que les extrêmes.

Peuples de petite taille.

Pieds, pouces.

Boschimans montagnards 4 "

Esquimaux 4 "

Papous me'tis d'Offack 4 7

Kamtschadales 4 ^^

Tartares mongols 4 ^^

Peuples de grande taille.

Noaveaux-Ze'landais 5 7

Caraïbes de l'Arae'rique me'ridionale 5 9

Habitans des Iles des Navigateurs 5 10

Patagons, les plus grands 6 »

ET EN PARTICULIER DE CELLE DES GÉANS. 153

Ainsi, la taille des peuples nains est de quatre pieds, et celle des peuples ge'ans est de six pieds ; la moyenne entre ces deux extrêmes est de cinq pieds. Mais, pour obtenir la vraie moyenne de la taille du genre humain , il faudrait mesurer dans cha- que peuplade la même fraction du nombre des hommes qui la composent , et prendre la moyenne de tous les re'sultats. Ce genre de recherches se ferait aise'ment pour une nation en particulier , habitant une portion de la surface terrestre , se'pare'e de toutes les autres par des barrières naturelles.

En suivant celte marche, qui a de'ja fixe' l'attention de quel- ques savans , on apprendrait enfin si la taille des hommes éprouve ou non quelque variation ge'ne'rale. Aujourd'hui, que les circonstances atmosphe'riques sont arrive'es à un e'iat sta- tionnaire, il semble qu'il en soit de même pour tous les êtres organise's , en sorte que le genre humain possède un principe de vie capable d'entretenir à perpe'tuité certaines dimensions moyennes du corps , au milieu de toutes leurs variations acci- dentelles. Mais on peut croire aussi que ce principe se for- tifie, ou bien qu'il s'affaiblit d'une manière continue, ou enfin qu'il doit avoir une marche ascendante et descendante , ana- logue à celle de chaque individu en particulier. Tout le monde sait que l'on n'a point encore trouvé de corps humain à l'état fossile ; il serait donc difficile d'assigner la taille de l'homme à son apparition sur la terre , alors que la chaleur propre da globe pourrait avoir sur l'espèce humaine le même genre d'in- fluence que sur les plantes et les animaux contemporains. Ces animaux et ces plantes qui ont vécu dans les premiers âges du monde , et que l'on retrouve aujourd'hui dans les couches de la terre, ont en effet des dimensions beaucoup plus fortes que les espèces analogues vivantes. Ce genre de pi'euves n*est point encore venu justifier les traditions que les peuples an- ciens nous ont conservées sur l'existence primitive d'une race de géans.

Quoi qu'il en soit de ces époques géologiques, il est à-pea- près certain que la taille de l'homme n'a point varié depuis les temps historiques les plus reculés; c'est ce que prouvent les momies égyptiennes , et ce que prouverait au besoin la

154 DE LA TAILLE DE l'hOMME ,

connaissance des mesures de l'antiquité. En admettant , ce qui est infiniment probable, que ces mesures ont e'te' prises sur la nature humaine , on trouve que la taille des Egyptiens e'tait de cinq pieds deux pouces dix lignes ; celle des Grecs , de cinq pieds quatre pouces six lignes; celle des Romains, cinq pieds un pouce huit lignes , et celle des Arabes , cinq pieds sept pouces. Enfin , il serait bon de connaître les valeurs ex- trêmes de la taille humaine dans son e'tat actuel , c'est-à-dire la taille des plus petits nains et celle des plus grands ge'ans. Rarement les premiers ont eu moins de deux pieds ; mais on ne connaît pas aussi bien la limite des tailles gigantesques ; et c'est pour la fixer avec pre'cision que nous allons donner ici l'histoire des ge'ans les plus remarquables. Dans cette e'nu- me'ration, nous suivrons Tordre des grandeurs, et non l'ordre chronologique ; et pour ope'rer la conversion des anciennes mesures actuelles , nous mettrons à profit des connaissances puise'es dans une étude spéciale de la métrologie ancienne.

Au rapport de Manéthon , Sésostris , ce puissant roi d'E- gypte, qui porta ses armes jusque chez les Scythes et les Thra- ces, et qui, de retour dans sa patrie, fit creuser une foule de canaux et élever des monumens gigantesques par les peuples vaincus, avait lui-même la taille d'un héros. Il portait quatre coudées trois palmes et deux doigts , qui font six pieds qua- tre pouces deux lignes.

Rudsbeck, dans son ouvrage intitulé Athlantis , dit avoir vu lui-même un paysan suédois, dont la taille était de huit pieds de Suède , c'est-k-dire sept pieds trois pouces neuf lignes de Paris.

L'empereur Maximin était originaire de la Tiirace. Entré comme simple soldat dans les armées romaines , ce jeune bar- bare franchit rapidement tous les grades ; et , à la mort de Septime-Sévère , il fut proclamé par les troupes, émerveillées de sa taille et de la vigueur de son bras. En effet , Blaximin avait huit pieds quatre pouces romains , ou sept pieds six pouces de Paris. On raconte de lui des choses extraordinaires; il pouvait briser avec la main des pierres très-dures , arra- cber de jeunes arbres, traîner des chars pesamment chargés.

ET EN PARTICULIER DE CELLE DES GEANS. 155

Il buvait par jour une amphore de vin (26 litres), et man- geait trente ou quarante livres de viande ( dix à treize kilo- grammes ).

Dans la guerre qu'il entreprit contre la Grèce, Xercês, roi de Perse, fit couper la presqu'île du mont Atlios, pour livrer passage à sa flotte. Cet ouvrage prodigieux s'exe'cntait sous la direction de deux seigneurs persans, Bubarès et Artache'e. Ce dernier y mourut de maladie ; c'e'tait un homme d'une taille remarquable, et il ne s'en fallait que de quatre doigts qu'elle atteignît cinq coudées royales. Artache'e avait donc sept pieds dix pouces deux lignes. Sa mort affligea Xercès , et l'arme'e persanne lui e'ieva un monument après lui avoir fait de magni- fiques funérailles.

Ryckius parle d'un Hollandais qui n'avait pas moins de huit pieds et demi du Rhin ; ce qui fait huit pieds deux pouces sept lignes de Paris. Le géant Gabbara , envoyé d'Arabie à l'empereur Claude, avait, selon Pline, neuf pieds neuf ponces romains, lesquels valent huit pieds dix pouces de Paris. Qui ne connaît l'histoire de Goliath, ce géant à l'éca , aux jam- bières et au casque d'airain, qui faisait porter devant lui une cuirasse du poids de six mille sicles (soixante-une livres neuf onces), et qui , armé d'une lance dont le fer pesait six cents sirles (sept livres six onces), sortait du camp des Philistins, et venait se placer devant l'armée de Saiil , proposant de vider la querelle par un combat singulier , et insultant ainsi les guerriers d'Israël durant quarante jours? Ce géant redoutable, auquel le petit David coupa la tête après l'avoir frappé d'une pierre au front, avait de hauteur six coudées et un empan. On a beaucoup discuté sur la taille de Goliath ; mais depuis que l'on a trouvé dans les tombeaux égyptiens les coudées en usage à cetle époque, on peut la fixer d'une manière positive, à neuf pieds de Paris très-exactement. Celte taille de Goliath n'est pas invraisemblable; et, en effet, Deirio, dans ses notes sur VOEc/ipc de Séncque , dit avoir vu, en i572,à Rouen, un Piémontais dont la taille dépassait neuf pieds.

Pline rapporte que l'on vit, sous le règne d'Auguste, un géant et une géante , nommés Pusio et Secundilla , qui n'a-

156 DE LA TAILLE DE l'uOUUE.

vaient pas moins de dix pieds trois pouces romains , c'est-à- dire , neuf pieds trois pouces six lignes de Paris. Leurs sque- lettes e'taient conserve's dans les jardins de Salluste.

Resterait à discuter la taille du géant Ele'azar , Juif de nais- sance, qu'Artaban, roi des Parthes, avait envoyé' à l'empereur Tibère. Josèphe, dans ses Antiquités judaïques , lui donne sept coude'es de haut. S'il a entendu parler de la coude'e romaine, qui e'tait la plus courte de toutes , Eléazar devait avoir neuf pieds six ponces de Paris.

Telle est la limite de la taille des ge'ans dont le souvenir nous a e'te' conserve' par les historiens ; elle contient presque deux fois la taille moyenne de l'homme , et quatre fois trois- quarts celle des nains les pins petits. Mais pour se former, autrement que par des chiffres, une juste ide'e de ces aberra- tions de la nature, il est ne'cessaire de figurer contre une mu- raille, et avec leurs dimensions re'elles, le profil du nain Be'be' à côté d'an Ele'azar, d'un Goliath ou d'un Gabbara.

157

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VOYAGE BE L'ARABIE-PETREE,

PAU MM. LÉOÎf DE LàBORDE ET LINAWT.

Conformité parfaite du récit de Moïse avec la situation actuelle du pays qu'il a décrit. La montagne de Séir-Ezéchiël. Preuves de la ca- tastrophe de Sodôme et Gomorrhe. Découverte de l'ancien lit du Jourdain La terre de Gessen. Rencontre de Jacob et de Jo- seph. — Moïse mettant à mort un Egyptien. Scène du désert. Désolation de l'Idumée prédite par le prophète. Preuve de l'an- cienne fécondité de ce pays. Raisins et sauterelles de ce pays. Inscriptions sinaïtes.

Après avoir donné un premier extrait du bel ouvrage de M. Léon de Laborde (i) , nous allons encore extraire de sa relation tout ce qui peut inte'resser les lecteurs catholiques. Nous prendrons peu de choses de son introduction , quoiqu'il y traite différentes ques- tions qui ont rapport à la Bible. Mais c'est que M. de Laborde nous avertit lui même que ce n'est que superficiellement qu'il traite ces questions ; car il nous annonce qu'il s'occupe d'un autre ouvrage dans lequel entreront ses principales recherches sur la presqu'île de Sinaï , le pays d'Edom , la terre de Canaan , et tout le pays qui a servi de théâtre aux faits contenus dans les cinq livres de Moïse. Nous attendrons donc la publication de ces recherches , et nous nous contenterons de citer les passages les plus remarquables, ceux qui ont le plus de rapport au récit de la Bible. Voici comment il entre en matière dans son introduction :

« C'est au récit de la Bible, rempli de renseignemens si précieux, qu il faut recourir chaque fois qu'on veut remonter à une époque reculée de l'histoire de l'Arabie.

Bien qu'elle ne désigne pas ce pays par son nom (2) , ni dans

(i) Voy. cid. lom. IX, p. 323.

(2) Le ne livre des Paralipomènes , ch. ix , i4, cite les cheick des Arabes. Ezéchiël , ch. xxvii , 21 , parle de l'Arabie et de son com- merce; mais avant lui ce nom n'avait pas paru. Le grand pays qui tou-

158 VOYAGE DE l'aRABIE-PÉTEÉE.

ses limites pre'cises , cependant elle repre'sente son aridité', elle fait connaître ses peuples et les divers territoires, mieux qu'aucun auteur poste'ricur n'a pu le faire.

Sans nous arrêter aux différens noms des campemens des Israé- lites , se rapportant à des circontances ou à des localités qui ont dispara de nos jours, et qui n'ont d'inle'rêt que dans une discus- sion sur la route suivie par ce peuple , nous devons loulefois re- marquer l'analogie qui existe entre l'aspect du pays à cette époque, et celui qu'il offre de nos jours.

Le désert commençait aux environs de Suez, au pays de Ges- sen ; les sources, les palmiers, presqu'aussi rares qu'aujourd'hui, offraient à la vue le même charme après les mêmes fatigues du voyage. Les tarfa , plus abondans, ombrageaient les vallées j le Sinaï , le mont Horeh , étaient arrosés de sources ; le désert , au nord de Tih , était plus aride , plus fatigant que le reste du pays ; la montagne de Seir s'étendait jusqu'à la mer , en côtoyant le chemin de la mer Rouge , qui désigne évidemment la Ouadi-Araha; le pays dUEdom avait sa brillante fertilité ; ce sont les montagnes environnant Petra auxquelles il est facile de reconnaître ces qua- lite's. Les montagnes des Moabites et des Amorrhe'ens conservent le même caractère qui leur est donné; en effet, la constitution du pays est la même.

Plus tard, les prophètes citent une grande quantité de noms de lieux et de villes dans le territoire de chaque peuplade, Moa- bites, Ammonites, Edomites.... Je citerai un passage d'Ezéchiël, qui a rapport à la montagne de Séir; il en décrit fort bien la structure : « Je remplirai ces montagnes des corps de leurs enfans » qui auront été tues , et ils tomberont percés de coups d'e'pées , » le long de vos rochers , de vos vallées , de vos torrens (i). »

» Quant à l'emplacement fixé par la Bible aux différentes pen-

chait de si près aux intérêts de Thistoire sainte est appelé le pays de Vorient ( kedem ) ; les habitans, lesjïls de l'orient, ceux qui habitent vers l'orient. Les lîois , liv. ii , eh. iv , 3o. Les Juges , ch. vi, 3. Jéré- mie , ch. xlix , 28. Tsaïe , ch. xi , 1 4- Job . ch. i , 3. (i) Ezéchiël , ch. XXXV , 8.

VOYAGE DE L'ARABIE-PiTREE. 159

plades , il se rapporte singulièrement à la division des territoires qu'ont adoptée les tribus arabes de nos jours. »

M. de Laborde fait observer , ensuite qu'après les docuraens que nous donne la Bible, un long espace de temps s écoule avant de trouver un auteur qui nous parle encore de l'Arabie. Il faut arriver à Strahon ( premier siècle ) et à Plolémée ( deuxième siècle de notre ère) pour entendre parler encore de l'Arabie. A cette e'po- que , elle était divisée en Arabie- H eureuse , Arabie-Déserte et Arabie-Pétrée. Cette dernière , ainsi nommée de la ville de Pétra , sa capitale, laquelle paraît avoir pris son nom des rochers au mi- lieu desquels elle est assise, avait pour limites à Pouest V Egypte , en tirant une ligne depuis Peluse, et en suivant les terrains cultivés , jusqu'à Suez ; au sud, la mer Rouge , au nord, la Judée et le lac Asphaltique , et à l'est, le Grand- Désert , reculant plus ou moins ses limites selon les besoins de sa population ou ses alliances con- tractées avec les peuples nomades. M. de Laborde pense que l'A- rabie peut être divisée en trois parties.

i" La plus considérable, en déserts rocailleux; 2" en plaines ou déserts de sable ; 3" en pays fertile et habite'.

Nous allons suivre M. de Laborde, et extraire de sa narration ce qui a rapport à la géographie sacrée.

« La première division , qui comprend au-delà des deux tiers du pays, doit s'entendie particulièrement de toute la contrée entre Suez et l'Accabah.

C'est après avoir montre aux plaines à'Homs etd'Hamah, ses pics hardis , ses sommets couverts de neige , que le mont Liban se sépare en deux chaînes qui prennent chacune un nom , l'une celui de Liban , l'autre celui è^ Anti-Liban. Ces deux grands ra- meaux continuent à s'étendre vers le sud , laissant couler entr'eux le ISahar el Casmia , et plus loin le Jourdain, auquel ils font prendre une direction continue , non-seulement à travers le lac de Tibériade et jusqu'à la mer Morte , qui aujourd'hui interrompt son cours , mais aussi , et dans une ligne directe , au milieu de la large Ouadi-Araba, qui s'e'tend jusqu'à la mer Rouge , et qui porte des traces évidentes d'un ancien lit de fleuve.

Cette vallée du Jourdain, Wadi-Araba , long-temps ignorée, retrouvée par Burkhardt qui la traversa , n'avait e'té suivie par

160 VOYAGE DE L^ARABIE-PÉTRÉE.

aucun voyageur européen. J'eus le bonheur, dans mon voyage, par une route de 11 lieues, de pouvoir en indiquer la direction et la configuration; et il ne doit rester, je pense, maintenant aucun doute qu'à une e'poque reculée le Jourdain ait eu son écoulement dans la mer. Cette opinion se trouve admirablement soutenue ])ar le récit de la Genèse , qui nous raconte l'interruption de son cours.

» Lot, levant donc les yeux, conside'ra toute la plaine du Jour- » dain, qui, avant que le Seigneur eût détruit Sodôme et Gomor- » rbe, était partout arrosée d'eau ; jusqu'à ce qu'on vînt à Segor , )) et était comme le jardin du Seigneur, comme le pays d'Egypte. )) Il y avait beaucoup de puits de bitume dans celte vallée de Sit- » tim. Alors le Seigneur fit descendre du ciel sur Sodôme et » Goraorrhe une pluie de souffre et de feu , et il détruisit ces vil- » les , et toute la plaine, tous les habitans de ces villes, et tout ce » qui avait quelque verdure sur la terre.

» Or , Abraham s'ëtant levé le matin , vint au lieu il avait )) été auparavant avec le Seigneur; et , regardant vers Sodôme » et Gomorrhe , et vers tout le pays de la plaine , il vit s'élever » de la terre une fumée semblable à celle d'une fournaise (i). »>

Ce re'cit simple et concis , comme tout le texte de la Genèse , dit M. de Laborde , donne une idée suffisante d'une éruption volcanique ; je n'eu doutai plus lorsque j'en eus sous les yeux les effets.

Lot vit la plaine de Sittim arrosée parle Jourdain comme l'Egypte par le Nil , et après la punition infligée par le Seigneur , la terre avait perdu toute sa verdure , et il s'e'levait de la plaine une fumée semblable à celle d'une fournaise.

Sans discuter les différentes opinions des auteurs qui ont cher- ché à établir, les uns, que la nature dans son cours, les autres, que la volonté du Seigneur , dans son indignation , enflammèrent les puits de bitume dont il est question au verset 10, il reste évi- dent qu'ils furent l'origine du volcan qui détruisit les villes de So- dôme et de Gomorrhe et la plaine qui s'étendait auprès d'elles et qu'ils formèrent , par l'irruption des matières volcaniques, un large

(i) Genèse f ch. xni , 10, et xiv , 10.

VOYAGE DE l'aRABIE PÉTRÉE. lÔl

bassin le Jourdain , en se précipitant , cessa son cours vers la mer Rouge (i). Ce bassin, qui prit plus tard le nom de lac As- phaltique et de mer Morte , devait en effet , dans les premiers temps, et en recevant les eaux du Jourdain , exhaler une fumée semblable à celle d' une fournaise. Depuis , des ëcoulemens souterrains , ainsi qu'une évaporation considérable compensaient le trop-plein de cette espèce d^entonnoir.

La Ouadi-Araba, depuis qu'elle est devenue déserte, s'est en- combrée dans quelques parties de buttes de sable ; mais son encais- sement au milieu des montagnes de granit et de porphyre, ne laisse aucun doute sur celte antique direction naturelle... Quelques voya- geurs ont dit qu'une chaîne de collines flanque sa partie méri- dionale ; on ne doit pas faire attention , pour expliquer un fait aussi ancien, à des collines de formation toute récente, et qui sou- vent même n'ont été composées que par l'agglomération du sable avec les débordemens d'eau saline, ou l'ëvaporation de la mer Morte. »

M. de Laborde trace ici, d'une manière très-sommaire, le ta- bleau historique de la mer Rouge , de sa population , du commerce de cette contrée , des voyageurs qui l'ont traversée , et passe ensuite à la description des belle planches qui forment la partie principale, la plus curieuse et la plus soignée de son voyage. Voici com- ment il décrit le lieu qui sépare la terre de Gessen du de'sert d'Egypte.

« Quelques blocs de granit sans sculpture , des monticules de dé- bris de poterie , indiquent le site d'une ville égyptienne ancienne. L'ouvrage sur l'Egypte appelle ce heu Ahoucheycheyd, notre con- ducteur le nomma Tel Masrouta.

(i) Le Coran, qui paraît contenir qiu'lques-unes des traditions des Arabes sur Sodôme , place celte ville sur le grand chemin. Sodôme dit Mohammed , était située, awant sa destruction , sur le grand chemin; et plus loin , en parlant d'Ailah également : ces deux villes étaient si- tuées sur la voie publique. (Coran, Ledgr. ch. xv.) Bien que ce docu- ment ne remonte pas à une haute antiquité ( le 7e siècle ) , cependant on ne peut douter que Mohammed ne fût plus à portée que tout autre de recueillir les anciennes traditions du pays , et , dans ce cas , elles sont conformes à l'idée de la longue vallée du Jourdain , dont les bords étaient suiyis par la grande route.

T. X. U

1G2 VOYAGE DE l'aRABIE-PKTRÉE.

» Ce lieu cependant offre un autre inte'rêt ; arrivé , on se trouve sur le théâtre de l'un des épisodes les plus touchans de TE- criture. C'est ici la province de Gessen , les enfans d'Isaac s'éta- blirent et se multiplièrent, et c'est qu'eut lieu cette rencontre du père avec le fils , de Jacob , le patriarche , le chef de tribu , avec Joseph , le ministre , le maître de l'Egypte; mais qui trouverait des expressions plus touchantes que le texte même?

« Hâtez-vous de monter vers mon père , et vous lui direz : voici » ce que vous mande votre fils Joseph : Dieu m'a établi Seigneur » sur toute l'Egypte ; descendez donc vers moi , ne tardez point : » vous habiterez eu la terre de Gessen ; vous serez près de moi , » vous et vos enfans , et les enfans de vos enfans , et vos brebis » et vos bœufs , et tout ce que vous possédez ; je vous j nourrirai » (car il y aura encore cinq ans de famine), afiu que vous ne » périssiez pas, vous et votre maison, et tout ce qui est à vous. » Vos yeux voient , et ceux de mon frère Benjamin aussi , que » c'est ma bouche qui vous parle : annoncez donc à mon père toute » ma gloire en Egypte , et tout ce que vous avez vu ; hâtez-vous , et amenez mon père vers moi.

» Et penché sur le cou de Benjamin , son frère , il l'em- brassa et pleura , et Benjamin pleura aussi penché sur son cou...

» Il renvoya donc ses frères, et leur dit lorsqu'ils partaient : n allez en paix. Ils montèrent donc de l'Egypte , et parvinrent au- » près de Jacob , leur père , en la terre de Chanaan , et ils lui di- » rent , savoir ;

» Joseph vit encore , et il règne sur tout le pays d'Egypte.

» Ce que Jacob entendant , il s'éveilla comme d'un profond som- » meil , et toutefois il ne croyait point en eux ; mais ils lui redi- » rent toutes les paroles que Joseph leur avait dites ; et lorsqu'il » vit les charriots que Joseph avait envoyés pour le transporter, » son esprit se ranima , et il dit : // suffit} mon fils Joseph vit )) encore ; j'irai, et je le verrai avant que je meure....

» Israël partit donc avec tout ce qu'il avait , et il arriva avec

» toute sa famille en Egypte ; or , Jacob envoya Judas devant lui,

» vers Joseph , pour l'avertir qu'il se rendrait en la terre de Gessen, » afin que Joseph y vînt à sa rencontre.

» Lorsqu'il fut arrivé, Joseph fit atteler son char, et vint au

VOYAGE DE L ARAEIE-PETREE. Ig3

» même lieu à la rencontre de son père ; et le voyant, il se jeta à » son cou, et pleura en l'embrassant. Israël dit à Joseph: Mainte- )) nantje mourrai avec joie , puisque fai vu ton visage et que je » te laisse vivant {\) . »

« La singulière conformité qui semble exister dans la manière de vivre , les mœurs , le costume des habitans actuels de l'Arabie et les traditions qui nous restent du temps des patriarches, ont donné l'idée de représenter l'aspect de ce pays et de ses mœurs dans l'une des scènes les plus touchantes de l'Ecriture , et qui eut lieu en effet dans ce pays même. De semblables tableaux se reproduisent encore quelquefois au milieu de ces vastes solitudes, pour embellir un in- stant leur aridité. L'homme qu'on pourrait y, supposer étrantrer aux douceurs de la vie , ne l'est pas également aux senlimens de la nature; sa famille, sa tribu, ses troupeaux, sont pour lui une patrie mobile qui sufEit à ses de'sirs , puisqu'il lui reste fidèle et que de temps immémorial il n'en a point cherché d'autres. « Que faites-vous » , dit Pharaon aux frères de Joseph; et ils répondent: « Vos serviteurs sont pasteurs de brebis , comme l'ont été leurs » pères » ; et encore aujourd'hui , si le voyageur les interroge ils répondront : « Nous sommes pasteurs de brebis , comme l'ont été n nos pères. »

» J'ai encore , continue M. de Laborde, à rappeler une autre scène qui peint le caractère et ces premiers mouvemens de la jeunesse du grand le'gislatcur , de Moïse, l'auteur du Pentateuque.

» Moïse étant devenu grand , dit la Bible, sortit pour aller voir » ses frères; il vit l'affliction ils e'taient , et il trouva que l'un :> d'eux, Hébreu comme lui, était outragé par un Égyptien; il re- » garda en même temps de tous côte's , et voyant qu'il n'y avait » personne , il assomma lÉgypticn et le cacha dans le sable. «

M. de Laborde fait sur ce fait les remarques suivantes : u II as- somme l'Egyptien et le cache dans le sable. » La Bible est si con- cise , mais en même temps d'une précision si vraie , que c'est avec une attention fixde sur chaque mot , qu'on peut en retrouver tout le mérite : ici, par exemple, nous retrouvons l'arme du désert , cette petite massue appelée cohbous , formée d'un bâton noueux , puis ,

(i) Genèse , ch. xlv et xlvi.

Il*

164 VOYAGE DE l'aRABIE-PIÎTRÉE.

la position du pays de Gessen sur Ja limite du déscit et du pays cul- tive , car il cache sa victime dans le sable .

C'est que les voyageurs commeacent à s'enfoacer dans les dé- serts de sable, si difficiles à traverser. Voici comment M. de La- borde de'crit ce premier départ : « Une plaine de sable raine'e par les eaux, défoncée par les pas des chameaux, s'étend au sud des tra- ces du canal; c'est avec peine, même avec danger, que nous tra- versons cette plage aride au milieu d'un désert , ce réservoir hu- mide et salin au milieu de la sécheresse.... Le soleil s'e'Ievait déjà près de l'horizon , lorsque les chameaux firent retentir le désert des cris plaintifs que leur arrache le moment on les charge; de longs ravons d'une lumière froide projettent au loin l'ombre des animaux et des hommes , pendant que chacun porte son bagage sur sa monture , puis se laisse enlever par elle en plaçant un genou sur la selle. Voilà le départ , souvenir si vif de ces voyages du de'sert.f »

Nous ne suivrons pas exactement ici M. de Laborde dans sa lon- gue route pour faire le tour de la presqu'île du Sinaï , et parvenir au fond da golfe Elanitique , jusqu'à la ville de Pétra, ancienne capitale du pays des Nabathéens. Nous ne dirons rien non plus de cette ville de pierre, merveille du désert, qui est depuis tant de siècles, assise, silencieuse, avec ses temples, ses palais, ses théâ- tres, ses arcs de triomphe, ses pyramides, d'une exécution si par- faite, et entourée de ses tombeaux vides taille's dans le roc, et plus beaux encore que ses théâtres, ses palais et ses temples. Nous di- rons seulement que M. de Laborde est parvenu le premier à pou- voir prendre les dessins de tous ces monumens , et à rapporter, pour ainsi dire, cette ville en Europe, dans des planches qui peu- vent lutter avec celles du grand ouvrage sur l'Egypte.

Maintenant nous allons nous transporter au nord-est du Sina'i , tout près de la ville de Pétra, et à six lieues seulement de la mon- tagne de Hor , célèbre par la mort d'Aaron , et par son tombeau

que les Arabes y révèrent encore ; et nous allons] voir comment

M. de Laborde constate l'accomplissement des prophéties qui avaient

prédit la ruine et la désolation de ce pays.

« Après avoir traversé une petite plaine, formée par la réunion

de quelques ouadis , on monte avec peine un chemin qui s'élève en

VOYAGE DE l'aKABIE-PÉTBÉE. 165

zig-zag sur une pente rapide ; arrivé au haut de cette montagne appelée El Nackb , on découvre , en se tournant vers le chemin que l'on a suivi, un panorama singulier. Tout le pays, à six lieues à la ronde, se pre'sente en relief dans une sorte de vue cavalière; les montagnes , divise'es par les ouadis , montrent leurs positions et leur direction ; on peut juger ainsi de leur élévation et de l'as- pect général du pays , dont le triste et lugubre caractère est dif- ficile h faire comprendre , à l'aide seul de la plume. Plusieurs pro- phètes avaient annoncé le malheur de l'Idumée ; mais la forte parole d'Eze'chiël peut seule s'élever h la hauteur de cette grande désolation.

« Le Seigneur me dit encore ces paroles : Fils de l'homme , » tourne le visage contre la montagiie de Séir ; prophétise contre )) elle , et dis-lui : Voici ce que dit le Seigneur Dieu : Je viens à )) toi , montagne de Séir , j'étendrai ma main sur toi , et je te » rendrai déserte et abandonnée ; je détruirai tes villes , et je te

» réduirai en un désert Je rendrai la montagne de Séir toute

» déserte et abandonnée , et j'en écarterai tous ceux qui y pas- )) saient et y repassaient. Je remplirai ces montagnes des corps » de ses enfans qui auront été tues , et ils tomberont percés de » coups d'c'pe'es , le long de tes collines , de tes valle'es et de tes )> torrens ; je te réduirai en des solifudes éternelles ; tes villes ne )) seront plus habitées, et tu sauras que c'est moi qui suis le Sei- » neur Dieu (i). »

)) On trouve sur ce sommet les traces bien distinctes d'une an- cienne voie qui s'étend du nord-est an sud-ouest, ou plutôt dePéira a VAaccahah. Celte route était l'ancienne direction du commerce de la mer Rouge et à^^yla, au grand entrepôt de Pélra

)) Sur la pente de la montagne , nous rencontrâmes d'autres rui- nes de villages , qui portent des traces d'une habitation peu an- cienne. Nos conducteurs nous assureront qu'on en trouve à l'iofini sur tout ce versant. Une source abondante , et un réservoir con- struit pour la maintenir , déversent ses eaux dans la plaine , et servent à arroser les terrains cultivés par les Fellahs. La fertilité

(i) Ezéchiël , ch, xxv.

166 VOYAGE DE l'aRAB!E-PÉTRÉE

surprenante de quelques rares enclaves au milieu de cette contrée désole'c , semble être faite pour rappeler que ce pays fut uu jour heureux , alors qu'une main puissante ne s'était pas appesantie sur lui.

» On trouve à Kerac une espèce de blé barbu qui défend le texte de la Bible contre les reproches d'exagération qu'on lui a adressés ; et les vignes de ce pays expliquent , par quelques échan- tillons, la grappe énorme que rapportèrent de leur message les es- pions envojés par Moïse. »

« Aujourd'hui, continue le voyageur, dans ce pays frappé de malédiction , il faut connaître la misère des habitans , pour s'ex- pliquer leur persévérance à faire produire la terre , en dépit des fléaux, compagnons habituels de leurs efforts ; d'aborJ les hommes, ces Bédouins rapaces , qui viennent à l'inlini réclamer du pauvre cultivateur des droits sur ses produits, droits fondés sur une pro- tection précaire , sur d'iuiques habitudes , mais exigés avec trop d'autorité pour les refuser; et puis la sauterelle, qui s'inquiète peu du droit , mais qui vient avec sa troupe , passe sur le champ et s'envole , e'tendant sur toute la route le linceul de ses ravages. »

« Le Prophète la connaissait bien, ainsi que ses ravages, quand )> il disait : La sauterelle a dévoré les restes du gazam....; réveil- » lez-vous , hommes enivrés ; pleurez et poussez des liurleraens , » vous, qui mettez vos délices dans le vin; le vin est ravi de » votre bouche. Une nation est venue fondre sur ma terre, forte, » innombrable; sa dent sévit comme les dents d'un lion, comme » les dents d'un lionceau. Elle a dévasté ma vigne, elle a arraché » Te'corce de mes figuiers , elle les a de'pouille's , ils sont tombés ,

» et leurs rameaux ont blanchi Les laboureurs sont confondus,

» les vignerons poussent des cris lamentables ; plus d'orge , plus » de bled; la moisson des champs a péri ; la vigne est dans la » honte ; l'huile dans la langueur; les grenadiers, les palmiers, les » pommiers et tous les arbres des champs sont dépouillés , et la » joie a fui le visage des hommes

» Comme la lumière de l'aurore s'étend en un moment sur les » montagnes , ainsi un peuple nombreux et puissant a paru sur

» cette terre Avant sa venue , cette terre était un jardin de

» délices; après son passage, elle n'est plus qu'un désert, et rien

VOYAGE DE L'ARABIE-PETRiE. 167

n n'échappe à sa violence. A les voir marcher, on les prendrait )) pour des chevaux de combat ; et ils s'élancent comme une troupe » de cavaliers ; ils franchissent le sommet des montagnes avec un

» bruit semblable à celui des chariots La terre tremble devant

n eux , les cieux sont ébranlés, le soleil et la lune en sont obscur- » cis, et l'on ne voit plus la lumière des étoiles (i). »

Après avoir parcouru une grande partie du désert , M. de La- borde revient visiter en détail le mont Sinaï. Voici ce qu'il nous dit des fameuses inscriptions sinaïtes, que les savans n'ont pas en- core pu déchiffrer en entier.

« Les premiers renseignemens que nous pouvons trouver sur les inscriptions sinaïtes, sont dans Cosmas (2), dans Belon (3), dans la Contemplation du monde de Neitzschitz (4), dans Monconys (5), et dans Kirchpr (6) , qui explique avec plus de hardiesse que de succès, celles du père Tomaso da Novarra , etc. Mais ces rensei- gnemens avaient à peine réveillé ^intérêt , parce qu'il s'agissait des inscriptions peu nombreuses qu'on trouve dans chaque vallée de la presqu'île 5 surtout aux environs de Sinaï. En 1722, le supérieur des Franciscains , en revenant du couvent qu'il avait visité avec plusieurs ecclésiastiques , passa par Ouadi-Mokatteb ; son étonne- ment fut grand à la vue de deux rangs de rochers couverts d'in- scriptions, sur une lieue de longueur , et il chercha à le faire passer dans son re'cit que voici :

« Ces montagnes s'appellent Gebe.l el Mokattah y c'est-à-dire, les montagnes écrites. Car, aussitôt que nous avons quitté les mon- tagnes de Faian, nous en côtoyâmes d'autres pendant une heure de temps, qui étaient couvertes d'écritures en caractères inconnus et creuse's dans ces durs rochers de marbre , à une hauteur , qui , dans quelques endroits, était de dix à douze pieds au-dessus du

(i) Joël, ch. I et II.

(a) Topographia christiana , éd. de Montfaucon.

(3) Liv. n , ch. 69 , p. 294.

(4) Pages 145-167.

(5) Page 449.

(6) OEdipus Egyp. , ch. n , p. lao.

168 VOTAGE DE l'aRABIE-PÉTRÉe,

sol, et quoique nous ayoas dans notre compagnie des hommes qui comprissent l'arabe, ie grec, rbébreu , le syrien, le copte, le la- tin, l'arme'nien , le turc, l'anglais, l'illirien , l'allemand et le bo- hème, il n'y eu avait cependant aucun qui eût quelque connais- sance de ces caractères , qui n'en sont pas moins gravés dans ces durs rochers, avec une grande peine, dans une contre'e oîi l'on ne trouve ni eau ni rien à manger. C'est pourquoi il est probable que ces caractères contiennent quelques secrets cachés, qui ont été, long-temps avant la naissance de Jésus-Christ , gravés dans ces ro- chers par des chaldéens ou d'autres personnes.

» Celte description , qui pèche seulement par l'appréciation de la nature du rocher , qui est de grès friable , au lieu de marbre très-dur , excita vivement l'attention à une époque tout ce qui se rattachait à l'Écriture Sainte , avait un si haut intérêt. L'évêque de Glogher, Robert Clajlon , proposa une somme d'argent consi- de'rable à celui qui ferait le voyage , et rapporterait copie de ces inscriptions, qui, dans son opinion, ne devaient cire rien moins qu'israélites , et servir, comme s'exprime un auteur allemand de l'é- poque , à fermer la bouche à tous les commentateurs imprudens.

)) Pokockc , puis, après lui jMontaigu, rapportèrent quelques co- pies d'inscriptions sinaïles ; mais leurs renseignemens étaient insuf- Csans. Eu 1762, Niebuhr, envoyé par le roi de Danemarck pour explorer l'Arabie , mais spécialement dans le but de copier les e'cri- tures de Ouadi el Mokattcb, rapporta la copie de quelques inscrip- tions en même caractère , qu'il trouva dans les environs de Sinaï. Quarante ans plus tard, MM. Coutelle et Rosière en copièrent soixante-quinze (i). De 1808 à 1820, Seelzeu , Burckhardt et Henicker rapportèrent successivement la description de la vallée , et copie de ses inscriptions. Enfin, ]M. Grey vient de publier (2) cent quatre-vingt-sept inscriptions qud copia en 1820 dans Ouadi- Mokatteb et ses environs ; dans ce nombre on remarque neuf £veci ques et une latine.

» Parmi celles que j'ai rapportées, il s'en rencontre également

(i) Antiquités , vol. v, p- 57.

(2) Transactions qf the royal society , vol. 11, part, i, i832.

VOYAGE DR l'aBABIE-PÉtrÉE. 169

quelques-unes en langue grecque ; elles semblent , par leur briè- veté et les noms propres fréquemment répe'tés, pouvoir donner une idée du contenu de celles dont on n'a pu encore déterminer le caractère....

» Plutôt grattées que grave'es, ces inscriptions ressortent en clair sur la couleur rouge foncée du rocher , et leurs lignes trem- blées annoncent l'inhabilité de ceux qui confiaient à la pierre de ces rochers leurs souvenirs.

» Plusieurs savans philologues se sont occupes vainement de la traduction des inscriptions sinaïtes ; pour les déchiffrer toutes, et pour fixer la date précise de chacune d'elles , il faudra attendre que la paléographie et la connaissance des anciennes langues de l'orient aient fait de nouveaux progrès. L'opinion la plus générale, cependant , est qu'elles ont été gravées par des pèlerins qui visi- taient le Sin;ii vers le sixième siècle.

» De5 dessins d'hommes et d'animaux qui les accompagnent, sont en partie contemporains ; d'autres datent de notre époque : tous indiquent l'enfance de l'art, si toutefois on y trouve quelque chose qui ressemble à l'idée que nous attachons au mot art. Dans ce pays les premiers essais et la décadence de la science du dessin semblent s'unir sans intermédiaire, et le Bédouin, en gardant ses chameaux, dessinera des hommes et des animaux comme les Arabes, à une époque bien reculée, les représentaient. Le capitaine Tuckey, dans un voyage sur la rivière Zaïre , appelée communément le Congo, a trouvé au-dessus de Lomhe , des sculptures modernes sur les ro- chers, qui rappellent le caractère d'enfance de celles de lapresquîle de Sinaï. »

170

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ETUDES hébraïques,

PAR M. l'abbé rossignol (1).

M. l'abbe Rossignol écarte les points-voyelles, ces nitgce dif- ficiles des M Assorèles. Ver soane n'ignore que, les points voyelles retranches , la grammaire he'Iîraïque se re'duit à rien. Elle tient tout entière en dix pages servant d'introtluction à l'ouvrage. C'est l'exposition pure et simple des noms , des pronoms et des verbes , de'pouille's de ce fatras technologique qui fait horreur aux oreilles françaises. Trois lettres suffisent pour marquer la distinction des cas dans les noms; et les pronoms une fois sus, on peut dire qu'on sait les verbes, dont les de'sinences offrent des débris e'videns des pronoms personnels. L'he'bren n'a pas de syntaxe proprement dite. La simplicité de la phrase n'y ad- met point nos complications modernes.

Beaucoup de bons esprits avaient reconnu de'Jà la ne'cessité de ramener la grammaire he'braïque à sa simplicité' native. Ce qui fait la partie ve'ritablement neuve de l'ouvrage de M. Ros- signol , c'est la classification des racines.

Ces racines ne sont point arbitraires. Quatre organes con- courent à l'e'mission de la parole : le gosier , la langue , les dents et les lèvres. De , quatre classes de sons articulans , qui sont les clefs d'autant de racines.

Ainsi, par exemple : Boh-kûi , vcscor et pasco , sont autant de modifications d'un même mot primordial ; caput , en latin ; capo , en italien; cabo , en espagnol; hef , en patois picard, et chef, en français, sont de'rive's de la même racine; dangh- ter , en anglais; tochter , en allemand, sont une même chose que Q'jyciT>if en grec.

Et non-seulement l'auteur donne , d'après ces règles, toutes les racines de l'he'breu ; mais il range par groupes celles qui se lient les unes aux autres , et souvent il les rattache à d'au-

(i) Vol, in-8o, à Dijon, chez Popelain, libraire, Place-St.-Jean, Prix 5 fr.

ÉTUDES HÉBRAÏQUES. 171

très racines grecques ou latines, qui offrent les plus e'ionnantes idenlite's de son et de sens.

C'est ainsi qu'il associe au mot he'brea ans {achab ou acheb.) le mot grec <eyss5r-«6; , traduction exacte du premier. Puis il fait remarquer que si 3nN » e'crit ainsi par des consonnes faibles, signifie aimer; e'crit avec des lettres plus gutturales 3;iP(«g^a6), il veut dire consumé d'amour, etc., etc.

L'espace manque pour multiplier les exemples.

Ces racines sont distribue'es dans une sorte de dictionnaire divise' en trois colonnes. Dans la première sont inscrites les racines , par ordre alpbabëtique ; dans la seconde , le sens ge'ne'ral du mot ; dans la troisième , un de'rive' de l'be'breu , on un cbi fifre qui renvoie aux notes ou ve'ritables e'tudes de la racine. Par ce moyen, il est aise' de juger du petit nombre de mots qu'il faut graver dans la me'raoire , et de la simpli- fication de ce travail.

M. Rossignol fait encore observer que les lettres be'braïques elles-mêmes sont moins étranges qu'elles ne semblent au pre- mier aperçu. Il donne un tableau synoptique des alphabets grec et be'breu ; et les lettres qu'on croirait de prime-abord fort diverses , ne sont que la même lettre tournée en sens contraire.

Ces recherches consciencieuses , ces rapprochemens , ces analogies frappantes , ne lui donnent-ils pas le droit de con- clure que son oui^rage pourra tenir lieu de Maître, de Gram- maire et de Dictionnaire P Et , pour achever du reste de faire connaître ce savant travail , nous ne pouvons mieux faire que de laisser parler l'auteur lui-même.

« Sans se'cheresse ni aridité, cette e'tade est un amusement de philosophe, l'esprit a plus de part que la me'moire. Dès le premier jour, on commence à s'apercevoir qu'on n'est pas en pays dtranger ; on distingue, et là, le type primitif d'une foule de mots re'pandus dans les langues modernes; vieil- les figures qui apparaissent au milieu de notre civilisation , comme les patriarches des premiers siècles , avec toute leur majesté' et leur simplicité' naturelles. A mesure qu'on lève le rideau, l'horizon s'e'tend et devient lumineux; chaque instant

172 CHRESTOMATniE HEBRAÏQUE.

chasse nn nuage, et chaque nuage qui disparaît de'couvre de nouveaux mondes. Avez-vous une racine? c'est l'empreinte qui caractérisera la foule de ses de'rivés. Une nombreuse famille rient se ranger autour de l'ide'e-mère , et former de brillan- tes pléiades, qui empêchent de s'e'garer dans l'immensité du livre. Et puis , quel enchaînement! Etre J'erme, voilà la racine; fidélité, vérité, Dieu, nourriture, sont les de'rivés. Ce groupe d'idées n'est-il pas le texte d'une belle leçon de philosophie ? hdi fidélité n'estelle pas ybrwe , immuable? La rérité n'est-ce pas ce qui est p Et ce qui esZ est Dieu, comme il est lui-même nourriture par essence : il est à l'âme ce que le pain est au corps. » Extr. des Annales de Phil. Clirét. n^ 46.

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Chrestomathie hébraïque , ou Choix de Morceaux tirés de la Bible , avec une traduction française et une analyse grammaticale ; par J. B. Glaire (1).

Le but que M. l'abbé Glaire s'est proposé dans cet ouvrage, qui fait suite à sa Grammaii'e et à son Dictionnaire , est d'ap- planir les difficultés qu'on éprouve ordinairement , quand on veut passer immédiatement de la lecture de la grammaire hé- braïque à l'étude du texte original de la Bible. Il offre en effet un moyen assez facile d'apprendre la langue primitive de nos livres saints sans le secours d'un maître.

Cet ouvrage est divisé en plusieurs numéros , dont chacun contient un texte hébreu , avec sa traduction en français , et une analyse grammaticale. L'ordre méthodique qui règne dans toutes les parties du travail de l'auteur , ne laisse rien à dé- sirer, puisqu'il ne présente les difficultés que graduellement. C'est ainsi que les premiers morceaux du texte sont d'an style plus simple et plus facile à saisir; que dans les premiers nu- méros le français est placé en regard de l'hébreu , et que la

(i) Un volume in-S». Prix : 4 fr. , et 5 fr. franc de port. A Paris, chez l'auteur, impasse Saint-Dominiqued'Enfer , ix° 6; J.-J. Biaise, li- braire-éditeur , rue Férou-Saint-Sulpice , n" 24.

MORCEAUX CHOISIS DES SAINTS PERES , ETC. 173

tradaction, cVabord très-litterale , devient de plus en plus li- bre à mesure qu'on avance. Mais un des plus grands avantages qu'offre cet ouvrage, c'est non- seulement la fidélité' avec la- quelle l'auteur , dans son analyse grammaticale, explique cha- que mot dans tous ses de'tails, et fait remarquer les idiotismes de la langue sacre'e, mais encore le soin scrupuleux qu'il a de citer les paragraphes de sa Grammaire , dans lesquels se trou- vent de'veloppe'es les différentes règles grammaticales dont il fait l'application; car, par ce moyen il aide puissamment les efforts que doit faire la me'moire pour apprendre et retenir ces pre'ceptes de grammaire dont l'e'tude est si sèche et si aride. On saura e'galement gré à M. lahbé Glaire d'avoir mis en tête de sa Chrestomathie un Exercice de lecture , suivi d'une explication qui justifie la prononciation des mots , des syllabes et des lettres. C'est un vrai service rendu à toutes les per- sonnes qui veulent se livrer à l'e'tude de l'he'breu, car la plu- part, effraye'es des difûculte's qu'elles ont à surmonter avant de pouvoir lire dans cette langue, se rebutent dès les com- mencemens. Nous espe'rons que les jeunes eccle'siastiques aux- quels M. l'abbe' Glaire consacre ses travaux, et qui se trouvent dans le cas de pouvoir se livrer dune manière plus spe'ciaie à l'e'tude de l'Ecriture sainte, ne manqueront pas de se pour- voir d'un ouvrage qui peut leur être d'une grande utilité'. L'Ami de la Religion, 2290.

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BIOaCEAUX CHOISIS DES SAINTS PERES SE L'ÉGLISE GRECQUE (!)•

C est sans doute une heureuse idée de donner une édition clas- sique des Pères de l'EgUse ; certes , il n'est pas sans intérêt pour

(i) Paris, Poussiclgue et Hachette, 4 vol. in-12, texte seul, prix 10 fr. Les deux premières livraisons parues, 2 fr. 5o cent. Voyez ci-d. t. IX , p. io6.

174 MORCEAUX CHOISIS DES SAINTS PERES

l'éloquence , de faire revivre le génie de ces puissans modèles , qui , nourris de la plus pure substance des saintes Ecritures , nous ap- paraissent partout empreints de cette première sève du christianisme dont parle Bossuet. Mais la difficulté est de choisir entre les nom- breux chefs-d'œuvre de ces hommes , dépositaires d'une doctrine toujours une et invariable ; de ces docteurs, dont l'autorité proclame le même langage dans tous les temps , pour toutes les conditions , pour tous les peuples , chœur immense et univoque auquel s'unissent, à mesure qu'il avance dans la profondeur des âges , les plus beaux génies que la Providence ait dispensés à la terre.

A Dieu ne plaise , qu'en recommandant ce précieux recueil aux professeurs et aux chefs d'établissemens , notre prétention soit de bannir de l'enseignement les chefs-d'œuvre de l'antiquité païenne ! Ce que nous voulons, c'est que la jeunesse ne soit pas exclusivement renfermée dans les limites de ces régions profanes ; c'est que cette littérature , toute riche qu'elle est , ne revendique pas à elle seule la domination des intelligences, u Ne serait-ce point fausser le goût " des élèves, et leur inspirer contre la religion des répugnances aussi » injustes que funestes, en leur laissant croire que Xa. fiction est l'u- ») nique source du beau ; et que les idées religieuses , dont se com- » pose le christianisme , utiles tout au plus comme règle intérieure des sentimens et des actions , ne peuvent trouver leur place dans » le vaste et brillant empire des lettres? » Ce que nous voulons, c'est qu'il soit possible au maître de rapprocher des noms diverse- ment célèbres , de montrer par quels secrets les prédicateurs de la bonne nouvelle savaient frapper avec vigueur les âmes engourdies dans un long abaissement, s'emparer des cœurs et commander aux passions humaines ; de marquer enlin à chacun sa place dans l'élo- quence , dans la poésie , dans la métaphysique , dans l'histoire et dans l'art de conduire les hommes.

Sans doute , il fallait des vues larges pour embrasser dans toute l'étendue de la puissance de leur action les fondateurs du christia- nisme , les hommes qui ont opéré cette immense révolution morale , sans exemple dans les annales du monde. C'est ce qu'ont tenté des amis de l'enfance , des prêtres de dévouement et de cœur , dont le zèle n'a point défailli eu face des difficultés de cette glorieuse tâche.

DE l'Église grecque. 175

Les Pères grecs, dans leurs écrits , offrent plus d'éclat et de coloris , plus de chaleur et d'entraînement, plus de variété, plus de poésie; ils semblent mieux appropriés au goût du jeune âge. Les éditeurs ont commencer par celle riche moisson : les Pères latins vien- dront en leur temps.

Le premier volume a paru : il est digne de l'œuvre , et répond aux espérances qu'avait fait naître le Prospectus.

Destiné aux classes élémentaires, ce premier volume renferme des extraits de saint Clément, pape ; de saint Ignace d'Antioche, de saint Polycarpe , de saint Clément d'Alexandrie , d'Eusèbe de Césarée , de Théodoret , et les plus belles homélies de saint Chrysostôme sur ré- version des statues. Nous avons la confiance que la suite de l'ouvrage répondra au début ; c'est une joie pour nous de prendre l'engage- ment d'en rendre compte à nos lecteurs 5 car ce livre ne peut man- quer d'obtenir un succès mérité.

A très-peu d'exceptions près , les éditeurs ont été bien inspirés dans leur choix. Le martyre de saint Ignace et de saint Jacques , l'histoire si suave et si touchante du jeune homme devenu chef de brigands, et converti par saint Jean; l'enfance d'Origène, la mort et les funérailles de Constantin , le siège de Nisibe , le massacre de Thessalonique et la pénitence de Tliéodose , sont autant de traits anecdotiques , de grands exemples , pleins d'intérêt pour le jeune âge , qui ne peut s'élever que progressivement aux choses sérieuses. Les éditeurs l'ont compris : il faut à cet âge peu et très-pea de cette morale vague et générale qui ne captive pas les esprits; et ils en ont été sobres. L'enfant se lasse bientôt ; il a bien assez de lutter contre les difficultés grammaticales, sans qu'il faille laborieusement épier et suivre le sens des pensées.

A d'autres titres , la convocation du concile de Nice aurait pu être remplacée avec bonheur : elle manque de couleur et d'attraits. Nous avons pareillement regretté de trouver dans ce premier volume l'é- pître de saint Ignace aux Romains , si élevée , si brûlante de foi , de charité, et du désir du ciel. La traduction de la lettre en est assez facile ; mais est-il un seul commençant capable de sentir , de comprendre le cri sublime de cette âme chrétienne?

176 MORCEAUX CHOISIS DES SAINTS PERES

îlous aurions encore désiré quelques notes grammaticales de plus pour mettre l'élève sur la voie des verbes et des phrases irrégulières.

Nous demanderons la permission de faire une dernière observa- tion. S'il ne faut pas trop se déQer de l'intelligence de l'enfant , il y a aussi danger à ne pas tenir compte des forces naturelles de son esprit. C'est s'élever au-dessus de leur portée, que de les appeler à traduire les homélies de Tliéodoret , sur la Providence , et surtout l'hymne si elliptique de saint Clément à Jésus , sauveur. Cette poésie fraîche , suave et pleine d'âme , offre néanmoins des difficultés tout- à-fait inaccessibles aux commcnçans. Sa place était naturellement marquée dans le volume de vers , à côté de saint Grégoire de Na- ziance et de Synésius , dont elle n'eût pas déparé les chants si neufs, si intimes et si vrais. Cette petite pièce est peu connue. Nous ne pouvons mieux terminer l'examen de ce livre , qu'eu la traduisant littéralement.

A JESUS, SAUVEUR*

Frein des jeunes coursiers indomptés ,

Aile des oiseaux qui ue s'égarent point,

Gouvernail assuré de l'enfauce ,

Pasteur des agneaux du Roi ,

Tes simples enfans

Rassemble-les ,

Pour louer saintement,

Chanter avec candeur ,

D'une bouche innocente ,

Le chef des enfans , le Christ.

O Roi des Saints ,

Verbe triomphateur suprême ,

Dispensateur de la sagesse

Du Père , du Très-Haut ;

Toi , l'appui dans les peines ,

Heureux de toute éternité ,

Sauveur de la race mortelle , Jésus!

DE l'Église grecque. 177

Pasteur , agriculteur ,

Frein , gouvernail ,

Aile céleste

Du très-saint troupeau :

Pêcheur des hommes rachetés,

Amorçant à réternelle vie

L'innocent poisson

Arraclié à l'onde ennemie

De la mer du vice ;

Sois le guide des brehis spirituelles , O saint Pasteur : sois le guide, . O Roi , des enfans sans tache. Les vestiges du Christ Sont la voie du Ciel.

Parole incessante ,

Eternité sans bornes ,

Éternelle lumière.

Source de miséricorde,

Auteur de toute vertu,

La vie irréprochable

De ceux qui louent Dieu , ô Jésus-Christ !

Nous , petits enfans ,

Qui , de nos tendres bouches ,

Suçons le lait céleste

Exprimé des douces mamelles

De ta sagesse , la Grâce des Grâces j

Abreuvés de la rosée de l'Esprit

Qui découle de ta nourrissante Parole j

Chantons ensemble

Des louanges ingénues ,

Des hymnes sincères ,

A Jésus-Christ , Roi.

Chantons les saintes récompenses

De la doctrine de vie j

Chantons avec simplesse

L'enfant tout-puissant.

Chœur pacifique ,

Enfans du Christ ,

Troupe innocente ,

Chantons tous ensemble le Dieu de paix.

T. X. 12

178 MORCEAUX CHOISIS DES SAINTS PERES, ETC.

Ceux qai aiment les rapprocliemeus pourront comparer ce mor- ceau avec Y Hymne de V Enfant à son réveil , dans les Harmonies. Peut-être trouvera-t-onque M. de Lamartine est plus poète, saint Clé- ment, plus clirétien et plus vrai. Les pensées, les sentimens d'un homme fait percent à cliaque instant dans l'hymne moderne ; il est vague d'ailleurs ; un déiste presque pourrait l'avoir fait. Sous un accent enfantin , c'est de la poésie adulte, savante, raisonnée (1). Dans le chant du Père de l'Eglise rien de pareil ; tout est simple , d'une simplicité antique , le vers se brise avec chaque exclamation de l'enfant. Ce ne sont presque que des hémistiches, et cette poésie de courte haleine est un trait de vérité de plus. C'est assez : l'aile du papillon ne s'analyse point; la grâce ne se commente pas. Annales de Phil. chrét. 46.

(i) Nous transcrivons ici cet hymne.

HYflINE DE L'ENFANT A SON RÉVEIL.

O Père qu'adore mon père ! O Dieu ! ma bouche balbutie

Toi qu'on ne nomme qu'à genoux ! Ce uom des anges redouté.

Toi dont le nom terrible et doux. Un enfant inème est écouté

Fait courber le front de ma mère ! Dans le chœur qui te glorifie.

On dit que ce brillant soleil On dit qu'il aime à recevoir

N'est qu'un jouet de ta puissance ; Les vœux présentés par l'enfance ,

Que sous tes pieds il se balance A cause de cette innocence

Comme une lampe de vermeil. Que nous avons sans le savoir.

On dit que c'est toi qui fais naître On dit que leurs humbles louanges

Les petits oiseaux dans les champs , A son oreille montent mieux ,

Qui donnes aux petits enfans Que les anges peuplent les cieux ,

Une âme aussi pour te connaître. Et que nous ressemblons aux anges !

On dit que c'est toi qui produis Ah ! puisqu'il entend de si loin

Les fleurs dont le jardin se pare , Les vœux que notre bouche adresse.

Et que sans loi , toujours avare , Je veux lui demander sans cesse

Le verger n'aurait point de fruits. Ce dont les autres ont besoin.

Aux dons que ta bonté mesure Mon Dieu! donne l'onde aux fontaines

Tout l'univers est convié ; Donne la plume aux passereaux ,

Nul insecte n'est oublié Et la laine aux petits agneaux ,

A ce festin de la nature. Et l'ombre et la rosée aux plaines.

179

VIE DE SAINT mAIffÇOIS X>E SAI.ES , PAR M. LOYAU d'aMEOISE.

La vie la plus connue et la plus csiimée de saint François de Sales était celle de MarsoUier , qui a été réimprimée bien des fois. Elle est écrite avec simplicité. Nulle recherche, nulle prétention, nulle pompe dans le style. M. Loyau d'Amboise a cru que ce genre ne convenait pas au goût du siècle. Son sentiment à cet égard n'est même pas particulier à la vie de MarsoUier. Il pense que les vies des Saints sont presque toutes à refaire, et qu'il faut délivrer ces sortes d'ouvrages non de mysticisme, mais de puérilités. Cet arrêt semble bien sévère. Nous avons beaucoup de vies de Saints; dans le nombre , il en est sans doute qui sont d'un style uu peu su- ranné j mais il en est aussi bien d'autres qu'on lit toujours avec in- térêt, précisément parce qu'on y trouve cette simplicité qui inspire la confiance cl qui paraît convenir spécialement aux livres de piété. Si le public est aujourd'hui d'un autre goût , c'est ce quj nous igno- rons. Il décidera qui, de MarsoUier ou de M. Loyau d'Amboise, fait mieux connaître et mieux aimer saint François de Sales. Pour nous , sans nous prononcer ici à cet égard , nous voyons que nous aurons deux vies du saint évcque pour une , celle de MarsoUier

L'agneau broute le serpolet , La chèvre s'attache au cytise ; La mouche au bord du vase puise Les blanches gouttes de mou lait.

L'alouette a la graine araère Que laisse envoler le glaneur; Le passereau suit le vanneur, Et l'eufant s'attache à sa mère.

Et pour obtenir chaque don , Que chaque jour tu fais éclorc , A midi, le soir, à l'aurore, Que faut il? prononcer ton nom!

Donne aux faialades la santé, Au mendiant le pain qu'il pleure , A l'orphelin une demeure , Au prisonnier la liberté.

Donne une famille nombreuse Au père qui craint le Seigneur; Donne à moi sagesse et bonheur. Pour que ma mère soit heureuse!

Que je sois bon , ((uoique petit , Comme cet enfant dans le temple , Que chaque matin je contemple, Souriant au pied de mon lit.

12*

Ï80 VIE DE SAIST FRANÇOIS DE SALES.

pour ceux qui tiennent à l'ancienne me'thode , celle de M. Loyau d'Amboise [lour la jiunesse, pour les gens du monde, pour tous ceux qui aiment un peu de brillant , de fleurs et de mouvement dans le style. Les inteiitions de M. Lojau d'Amboise sont ex- cellentes; il a voulu réconcilier son siècle avec les vies des Saints, il a cherche' à allécher les gens du monde par l'éclat des images, par les ornemens de Tart , par la variété , par l'harmonie. Admi- rateur de M. Chateaubriand, il envie à plusieurs reprises la magie de son style plein de magnificence. Son enthousiasme, nous le croyons, l'a entraîné un peu loin dans les e'iogcs qu'il fait du célèbre écri- vain ; mais ce n'est pas de cela que nous devons nous occuper. Revenons à la vie de saint François de Sales.

M. Loyau d'Amboise a partagé la sienne en six livres, la jeu- nesse de François de Sales, la mission du Chablais , depuis la mis- sion de Chablais jusqu'à l'épiscopat du Saint, l'episcopat , la fon- dation de la Visitation et le reste de la vie jusqu'à la mort du saint évêque. Dans ces six livres , la narration n'est pas continue et mo- notone : l'auteur l'entremêle souvent par des descriptions et des ré- flexions. Il avoue même qu'il ne s'est point épargne les digressions , et en effet, il y en a quelques-unes. La suivante n'est pas une des moins belles, et nous la donnons comme un cchantilion du style de l'auteur et en même temps comme un le'moignage de ses religieux sentimens. Cette citation est empruntée au récit du voyage de saint François de Sales à Rome pendant sa jeunesse :

« Un soir, François de Sales s'était assis sur un banc de mar- bre, devant cette métropole de Saint-Pierre que le génie de Sixte- Quint venait d'achever. L'astre des nuits montait lentement dans le cieux, et ses regards suivaient sa marche au milieu de ce champ d'azur. Il n'entendait d'autre bruit que celui d'une brise douce (jui froissait à peine l'air. Ce portique, superbe introducteur du pre- mier temple de 1 univers, ces colonnes aussi sveltes qu'un palmier de Délos , celte coupole jetée dans les nuages, les clartés delà lune se «lissant à travers les arcs-boutans , et les dentelures, ce calme, ce silence, le jetaient dans un ravissement auprès duquel ce qu'il avait éprouvé à l'amphithe'àtre de Titus et au Panthéon d'Agrippa n'e'tait qu'une admiration froide. Soudain , il entendit d'un monas- tère peu e'ioigné, des voix de jeunes filles qui chantaient un hymne

VIE DE SAmT FRANÇOIS DE SALES. 181

à la Vierge. Cette mélodie arrivait à lui adoucie par son passage dans l'air el elle lui inspirait le même plaisir que s'il eût écouté les concerts du ciel. Les triomphes de la religion l'entouraient. Devant lui, Dieu dans sa magnificence; presqu'à ses côtés. Dieu dans sa douceur ! Et pourtant il se trouvait dans cette même ville qui s'é- branlait de joie quand des milliers de chrétiens tombaient sous l'on- gle des bêtes ou sous la liache de Dioclétien. Oh ! que la religion est grande, quand on l'envisage dans cette capitale de toutes les gran- deurs ! oîi toute la puissance humaine s'était levée contre le Christ, il a bâti la sienne; et la croix, d'abord cachée dans les souterrains de Rome, est montée d'échelon en échelon jusque sur la coupole de Saint Pierre.

» Ne comprend-on pas que Dieu n'avait point élevé Rome au dessus de toutes les nations pour assouvir le bonheur d'un Cali- gula ou d'un Tibère, mais pour en faire sa ville, la ville de son Christ. Son empire, avant qu'elle commandât au nom de Ja croix n'e'tait qu'une figure grossière de celui que la sagesse éternelle lui* réservait. Aussi , pendant que les barbares faisaient pousser l'herbe avaient été les villes de l'ancien monde , et balayaient devant eux nionumens et peuples, Rome restait immobile. Echappée au torrent qui avait envahi le reste de la terre , Rome se montre de loin comme un phare immense qui guidera les peuples renaissans à la civilisation et aux lumières. Dieu ne lui a point donné d'ar- mées, mais ses droits, qui sont plus forts que des armées. Si elle parle, sa voix ébranle la terre et consterne les oppresseurs. Ils auraient pu, sortis de tant de berceaux différens, si opposés entre eux de lois et d'usages , défigurer la religion du Christ. Mais Dieu, qui a tout prévu , a établi un gardien qui veillera sur cet arbre du miracle. D'un mot il arrêtera les maîtres des peuples , s'ils veulent poser leurs mains sur l'arche sainte. O lois d'une éternelle sagesse ! Les nations ont passé , et elles ne passent point. Des flots de colère, partis de tous les points du monde , se sont rendus contre les murs de Rome et s'y sont brisés; le représent^jnt du Christ n'a point quitté cette chaire, de laquelle Dieu a décidé que sortirait toujours la vérité. 11 y règne , malgré les tempêtes qui ont tout change autour de lui , et il trouve la même soumission dans ses cnfans qu'au temps il imprimait la poussière de ses pieds sur le front des rois. L'hé-

182 VIE DR SA1>T FRANÇOIS DE SALES.

ritace du Christ s'est rétréci, mais la ville éternelle ne cesse point d'en être le centre. Cela fut ordonné par un maître que l'impie peut insulter, mais dont il n'arrête pas la puissance. Il a dit, en condui- sant Pierre à Rome : « Ici je bâtirai mon Eglise, et les portes de l'enfer ne prévaudront jamais contre elle. »

Cette digression ne finit même pas , et l'auteur a ensuite un antre morceau sur Gre'goire VII et sur sa politique. Il est tout en faveur de ce grand Pape , car iM. Loyau d Amboise se montre par- tisan déclaré de l'autorité du Saint-Siège. Dans un autre endroit, il ven-^e la vie religieuse des critiques et des dérisions d'un monde frivole. A la fin de l'ouvrage surtout il y a une très-longue digres- sion où l'auteur compare saint François de Sales avec les philoso- phes anciens et modernes. Il y a des choses vraies et bien sen- ties ; mais il y a aussi parfois des traces d'exagération. Ainsi , M. Loyau d'Amboise dit que Voltaire est passé de mode , comme Ronsard, comme Arislote ; il le croit, puisqu'il le dit, mais n'est-ce pas manifestement une illusion ? Personne assurément ne lit Ronsard, en est-il de même de Voltaire? Peut-on dire que per- sonne ne le lit? L'auteur remarquait lui-même, quelques lignes plus haut, que les adorateurs de Voltaire n'ont rien perdu de leur haine contre la vérité; si Voltaire a encore des adorateurs , il n'est donc point tout-à fait passé de mode.

Quoi qu'un goût pur et une sévère exactitude puissent trouver à reprendre dans ce livre, cependant les sentimens religieux de l'auteur , sa vénération pour saint François de Sales , son zèle pour le faire connaître, ses réflexions, ses raisonncmens , ses digres- sions même, qui ont un bon motif, tout cela le recommande à l'estime des gens de bien. Nous l'engagerions seulement h retran- cher quelque chose de ce luxe d'ornemens dont il a voulu parer son sujet. Une vie des Saints ne doit pas s'écrire comme un ou- vrage d'imagination, et si le romantisme doit envahir tous les gen- res de littérature, souhaitons du moins que les livres de piété soient préservés do tout ce qui y ressemble de près ou de loin. L'Ami de la Religion , »» 2256.

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NOTICE SUR M. CHARI.ES BUTLER,

ÉCRIVAIN CATHOLIQUE ANGLAIS.

La vie de M. Charles Butler serait presque l'histoire des efforts faits en Angleleire , depuis SO ans , pour tirer les catholiques de l'état d'oppression ils étaient. Il prit une grande part à toutes ces tentatives, et, si sa coopération ne fut pas toujours heureuse, elle ne fut pas néanmoins sans éclat , et l'entraîna dans de longues dis- cussions qui firent beaucoup de bruit. D'ailleurs , M. Butler a at- taché son nom à dilïérens ouvrages qui ont eu plus ou moins de succès, et, à ce titre encore, une notice sur ce personnage est sus- ceptible d'iutérét.

Charles Butler naquit à Londres le 1-4 août 17S0, d'an père qui était dans le commerce, et d'une mère qui était Française. Un frère de son père , Alban Butler , était un pieux et savant prêtre , qui est devenu célèbre par son excellent ouvrage des P^ies des Pères, que l'abbé Godescard a traduit en français. Toute cette famille était catholique. Charles Butler fut élevé avec soin dans une école catho- lique à Hammersmith , près Londres ; de , on l'envoya sur le continent , à Esquerchin , école dépendante du collège anglais de Douai. Il termina ses études classiques à Douai même. De retour en Angleterre, vers 1766, il se livra à l'étude du droit sous quel- ques jurisconsultes catholiques. En 1773, il commença à travailler pour lui-même, et entra à Lincoln's-Inu ; mais ce ne fut qu'en 1791 que le barreau fut ouvert aux catholiques. Bl. Butler acquit beau- coup de réputation comme avocat , et sa fortune s'accrut rapidement. 11 avait épousé en 1776 BTarie Eyston , dont il eut deux filles.

En 1787 , on forma un comité pour défendre les intérêts géné- raux des catholiques , et essayer de faire rapporter les lois ancienne- ment portées contr'eux. 31. Butler fui nommé secrétaire de ce comité, et y eut beaucoup d'influence. Actif, remuant, instruit, il fit beau- coup de démarches auprès des ministres et dn parlement , et fut regardé comme l'Ame du comité. Malheureusement ce comité agit comme s'il eût été indépendant des évêques catholiques , qu'il aurait

184 NOTICE SUR M. CHARLES BUTLER.

consulter avant tout. De de fâcheuses diTÏsions que l'on trouve racontées dans divers ouvrages. Voyez les Méinoires pour servir à l'Histoire ecclésiastique pendant le 18^ siècle, tome III , pag. 161. M. Butler lui-même a parlé de ces démêlés dans ses Mémoires des catholiques anglais, et, s'il a mis de la réserve et de la mesure dans ses récits , il relève néanmoins tout ce qu'il a fait et dissimule ses torts. Ces torts ont été exposés par M. Miller dans ses Mémoi- res supplémentaires ^ Londres, 1820, in-8° ; mais il faut avouer que l'ouvrage n'est pas exempt de dureté et môme d'aigreur.

On attribua généralement à M. Butler et la protestation publiée par le comité en 1789, et les livres hleus et rouges, qui parurent à cette époque pour la défense du comité. Pour être juste, nous de- vons faire connaître ce qu'il nous dit à cet égard dans une lettre du 20 avril 1818, que nous avons conservée : « Dans vos Méinoires , vous m'attribuez des ouvrages dont non-seulement je ne suis pas l'au^ teur , mais qui n'ont jamais existé , si vous considérez les Livres hleus comme une publication distincte des lettres du comité. Quel que soit le mérite ou le démérite de ces lettres, la part que le co- mité prit dans cette affaire finit avec elles. Les membres du comité et leurs amis s'abstinrent entièrement de rien écrire, depuis, sur ces contestations. Depuis cette époque jusqu'à présent, aucun catho- lique anglais n'a pris la moindre mesure qui pût affecter, môme de loin , la foi ou la discipline de l'Eglise. La dispute du veto n'a eu lieu qu'avec les Irlandais ; le docteur Milrier , seul , y a pris part, »

M. Butler publia cependant, lors de la dispute sur le veto, une lettre à un catholique romain. 11 fut un des membres du nouveau bureau catholique formé en 1803; mais il n'en était plus secrétaire. Il fit paraître en 1813 et en 1817 des adresses aux protestans anglais pour dissiper leurs préventions contre les catholiques. Ses brouille- ries avec M. Milner aboutirent en 1813 à une exclusion du bureau prononcée contre ce prélat , mesure qui , dans l'opinion des catho- liques , ne fut pas favorable à M. Butler. Cependant, il vécut tou- jours bien avec M. Poynter , vi(;aire apostolique de Londres; et ce prélat, qui n'avait pas moins de zèle que de prudence, nous en a parlé avec estime. Dans ces derniers temps , M. Butler vivait dans les habitudes de la piété. En 1823, sa vue s'afTaiblissant , il cessa de s'occuper des affaires du barreau. Il mourut le 2 juin 1832, âgé de près 8^ ans.

NOTICE SUR M. CHARLES BUTLER. 185

Ses onvrages sont nombreux et variés ; nous indiquerons les plus importans : Horœ Bihlicœ ou Recherches littéraires sur la Bible, Oxford 1799; elles ont eu plusieurs éditions, et les dernières conte- naient quelques dissertations accessoires. Cet ouvrage a été Iraduit en français par M. Boulard , 1810, in-8° ; Horœ juridicœ siih- secivœ , in-8" ; ce sont des documens sur les principaux codes et sur les recueils de lois ; 3°Jbrégé des Révolutions de Vempire d'Alle- magne ; A' des Vies abrégées de Bossuet , de Fénélon , de saint Vincent de Paul , de Thomas à Kentpis, de Rancé , de BoudoUj d'Alban Bvtler , du chancelier de l'Hôpital, du chancelier d'A- guesseau , d'Erasme, de G rotins ; 5' Histoire des Fonnvlaires et des Confessions de foi, 1816, in ; Mémoires historiques de l'Eglise de France, 1817, in-8'. Nous en avons rendu compte dans ce journal , n' 380 ; Mémoires historique^ des Catholiques anglais , 1 8 1 9 , 2 vol. in-8° ; 8" Continuation des Vies des Saints, d'Alban Butler, 1823, in- 8°. On y a ajouté des notices sur quel- ques |)ieux personnages , sur Pie VI ; des Mémoires historiques sur les Jésuites , etc. Ce volume a été traduit en français ; Rémini- cences , 2 vol. în-8° ; le premier volume contient une Lettre sur l'auteur de Junius ; une Lettre sur la musique et sur le charit gré- gorien , et un Discours à l'ouverture de l'Institut pour la mission de Londres en 1815 ; 10 Défense de l'Eglise romaine contre sir Ro- bert Sauthey , in-8" , traduite en français. Paris, 1823 , in-8'' (l). L'auteur y ajouta depuis une ré[)onse à des observalions de l'évêcjue anglican de Londres; 11° Réponse à des Observations contre la sanction du Roi aux bills en faveur des Catholiques ; et un Essai pour prouver la soumission et la fidélité des Catholiques à l'Etat, malgré leur attachement à l'autorité du Pape (2).

(i) L'ouvrage contre le docteur Southey , porte en angKiis le titre de Litre de C Eglise calholinue , par opposition au titre de l'ouvrage de Southey, Z/Vre de l'Ei^lise. L'ouvrage fut suivi dune défense. L'im et l'autre ont en deux éditions. Le livre de Southey donna lieu à une con- troverse , sur laquelle Butler donne quelques détails dans le second vo- lume de ses Réminiscences.

(2) Une liste que nous trouvons dans le Catholic magazine d'Edim- bourg, indique d'autres écrits moins importans ou politiques de M. Butler.

186 NOUVEAUX MONUMENS DÉCOUVERTS AU MEXIQUE.

M. Butler était un homme instruit et laborieux ; il aimait la lit- térature , et ce ne fut que par un exact emploi de son temps qu'il pars'int à concilier la composition de tant d'ouvrages, avec les oc- cupations de sa profession. S'il se méprit dans ses vues politiques lorsqu'il était secrétaire du comité catholique, s'il soutint des me- sures qui auraient été funestes à la religion , ce fut plutôt par défaut de prévoyance que de zèle. Cependant , les catholiques anglais lui ont généralement su peu de gré de sa conduite ; ils ne le trouvaient point assez prononcé , et lui reprochaient quelques concessions aux préjugés des proteslans. Le malheur de M. Butler fut peut-être d'a- voir puisé dans les ouvrages de plusieurs jurisconsultes des idées peu exactes sur les droits et l'autorité de TEglise. Du reste , il y a lieu de croire qu'il n'eût pas approuvé lui-même, dans ces derniers temps , quelques-unes de ses anciennes démarches lorsqu'il était secrétaire du comité. C'est à ceux qui n'ont jamais failli à lui jeter la pierre. L'Ami de la Religion, 2284.

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NOUVEAUX MONUBÏENS DÉCOUVERTS AU MEXIQUE,

ET PROUVANT l'aNCIENNE CIVILISATION DE CE PAYS (1).

M. G. Nebel a été assez heureux pour découvrir des matériaux nombreux, et qui constatent d'une manière positive l'histoire de l'art chez les anciens Mexicains.

Parmi les antiquités monumentales de'criles dans son ouvrage, nous avons remarqué surtout un temple , dont il reste encore au- jourd'hui assez de matériaux pour permettre d'en faire une restau-

Ces écrits dont un Essai sur les maisons d'industrie j un Essai sur la légalité de la presse pour les niaLelots , une édition avec hargrave des commentaires du lord Coke sur le Traité des inom'ances des fiefs de Tho- mas Littleton ( Je travail de BmIIct sur ce cooimenlaire est fort estimé et a eu sept éditions ), une édition ô^nw autre ouvrage de jurisprudence de Féarne.

(i) V. ci-d. tom. Vlir , p. 4G8.

NOUVEAUX MONUMENS DECOUVERTS AU MEXIQUE. 187

ration exacte. Ce temple est d'ane forme pyramidale, mais forme par de hautes assises carrées, qui sont comme autant de gradins. Sur la face principale , des degrés servent à monter sur la pente de cette pyramide, iu^qu'à une certaine hauteur : là, se trouve, sur une plate -forme, la statue du dieu : devant elle, sur une pierre à sacrifice, on immolait des victimes humaines, dont on jetait ensuite les cadavres en bas. Plusieurs petites statues , en terre cuite ou en pierre sculptée , représentent les piètres sacrifi- cateurs, vêtus de la peau d'une victime humaine : cette peau ne re- couvre que le buste , à partir du cou , les bras et la moitié des jambes; le reste a disparu , à l'exception des mains que l'on a lais- se'es pendantes; sur la poitrine, on remarque à toutes les peaux l'ouverture qui a être pratiquée pour arracher le cœur du sa crifié. Il est curieux de voir avec quelle vérité quelquefois ces pe- tites statues sont exécutées. C'était dans ce costume ([ue les prêtres se présentaient au peuple, pour en recevoir des offrandes.

Une chose digne de remarque encore , ce que ces peiqjles con- naissaient l'art de multiplier les empreintes, en les reproduisant, au moyen d'une espèce de matrice en bois, gravée en relief; ainsi l'on a retrouve' plusieurs de ces instrumens de formes différentes, ayant un raanclie pour en faciliter l'emploi. Ceux que M. C. Nebel a dessinés, d après les originaux, représentent des ornemens, et devaient probablement servir à imprimer des étoffes.

Des savans ont prétendu que la civilisation et les arts n'étaient pas d'une origine beaucoup moins reculée dans le nouveau monde que dans l'ancien. Un fait qui viendrait à l'appui de cette opinion, c'est la découverte d'un temple entièrement conserve au milieu dune des forets-vierges du Mexique, et dont la masse était cou- verte d'une végétation forte et vigoureuse, comme celle de ces contrées. M. C. Nebel l'a fait dégager, et Ton a reconnu que ce temple n'e'tait pas seul à celte place : une ville avait existé; les de'combres rencontrées à chaque pas en font foi. Combien de siè- cles ont passer sur ces ruines avant de les avoir ainsi cache'es sous de sombres et épaisses savanes ! Quel vaste champ ouvert à l'historien et à l'archéologue ! Mémorial encyclopédique.

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LETTRE PASTORALE

DE MGR. Ii'ÉVÊÇUE SX BB.UG£S~(i)-

FRANCOIS-REIVÉ BOUSSEN , par la miséricorde de Dieu et la grâce du Saint-Siège Apostolique, Evèque de Bruges, au Cierge et aux Fidèles de notre Diocèse , salut et bénédiction en Notre Seigneur Jésus-Christ.

Nos TRÈS-CHERS FrÈRES !

Notre Saint Père le Pape, Grégoire XV.I , successeur de saint Pierre, Prince des Apôtres, en vertu du pouvoir à lui confie par Je'sus-Christ même, comme au Pasteur universel de l'Église de Dieu, vient, par sa buile du six des calendes de Juin dernier, d'e'riçer définitivement le nouvel évêché de Bruges , auquel il as- signe pour territoire toute la Flandre-Occidentale. Sa Sainteté ériire par la même bulle, l'église paroissiale de Saint-Sauveur en Cathe'dralc, et, tout en lu! conservant son ancien titre, lui donne, ainsi qu'au nouvel évêché de Bruges , saint Donatien pour Patron. La fête de S. Donatien se célèbre le quatorze Octobre, et la nou- velle Cathédrale a eu le bonheur de recevoir ses pre'cieuses reliques.

Nous devons encore vous annoncer, nos très chers frères, que le Saint-Père , dans le consistoire du 23 Juin dernier, a daigne e'ie- yer notre faiblesse à la dignité devêque de Bruges. Maintenant que Mgr. l'archevêque de Malines, en qualité de délégué du Saint- Siège, après avoir publié, en due forme, la bulle d'e'rection de re'vêché , nous a mis en possession du siège, auquel la voix du Vicaire de Jésus-Christ nous a appelé, nous nous sentons le be-

(0 V. ci cl. t. Vir, p. 22'|. L'installation de Mgr. l'évêque de Bruges a été célébrée le 23 juillet dernier. V. le Journal hist. et litt. de M. Rers- ten, t. I , p. 214.

LETTRE PASTORALE.

189

soin , N. T. C. F., de -vous ouvrir notre cœur, et de vous mettre a découvert les pensées et les sentimens dont il est animé.

A ne consuUur que notre repos, nos inclinations et nos capa- cités personnelles , jamais nous n'aurions pu nous résoudre à pren- dre sur nos faibles épaules le terrible fardeau de l'épiscopat. Mais nous aurions cru résister à la voix de Dieu même , en ne pas ac- quiesçant à la volonté bien expresse du Souverain-Pontife et de Monseigneur l'ëvêque de Gand , qui nous appelaient à l'adminis- tration spirituelle de la Flandre-Occidentale. Il y a près d'un an et demi que nous sommes venu résider au milieu devons, en qua- lité d'evêque-administrateur ; durant ce temps , nous avons pu nous convaincre, par notre propre expe'rience, combien étaient fondées nos craintes et nos répugnances pour l'acceptation du far- deau e'piscopal, et combien l'apôtre S. Paul a eu raison de nom- mer l'e'piscopat une bonne œuvre (I. Tim. III), c'est-à-dire, d'après l'interprétation de S. Augustin, de S. Jérôme, de S. Grégoire le- Grand, de S. Ansebne et autres, une forte besogne, une charge difficile.

Toutefois, ce qui nous console et nous encourage, cest de sa- voir avec le même apôtre , que Dieu est fidèle , gu'il ne pev' mettra jamais que nous soyons tentes au-dessus de nos forces (I Cor. X); que Dieu employé souvent ce qui est faible, pour confondre ce qui est fort ( I Cor. I ), et que même , au moment de notre plus grande faiblesse, nous sommes forts (II Cor. XII), parce que nous pouvons tout dans Celui qui nous fort fie [^hxWv). IV).

Déjà depuis long-temps nous connaissions, étant et élevé au milieu de vous , et ayant rempli pendant plusieurs années les fonc- tions de secrétaire de l'c'vêche, nous connaissions , disons-nous toute la vivacité de votre foi, toute l'e'tendue du respect que vous portez envers ceux qui sont constitiies les pasteurs de vos âmes, et qui vous régissent au nom ; de Jésus-Christ même. Mais ce que nous avons vu de nos propres yeux , et entendu de nos propres oreilles, depuis un an et demi que nous re'sidons au milieu de vous, n'a fait qu'augmenter notre respect et notre attachement pour vous , N. T. C. F. ; et nous ne craignons pas de vous appliquer ce que l'Apôtre des nations disait autrefois des fidèles de Rome : Votre foi est annoncée et Xanéa dans tout le monde. (Rom. I.)

Uq autre sujet de consolation se trouve dans la soumission, le

190 LETTRE PASTORALE.

zèle , les vertus et les lumières de nos chers coopërateurs. Nous possédons en effet , N. T. CF. , un c'.ergé qui s'est dislingue' de tout temps par un altacbement inviolable à la Chaire apostolique, à cette Église Romaine, la Mère et la Maîtresse de toutes les églises,; dans laquelle (nous parlons avec S. Augustin ) Dieu a placé la doctrine de la vérité (Epist. CX ) ; un clergé, dont les lumières et le zèle dissipent les ténèbres de l'ignorance, et dont les vertus peu- vent servir d'exemple au troupeau confie à leurs soins. Ce clergé exemplaire, nous en sommes redevables , N. T. C. F. , après Dieu , aux supérieurs ecclésiastiques qui nous ont précédé ; leur courage et leur vigilante sollicitude ont su triompher de toutes les manœu- vres , employées à diverses époques , pour altérer la foi et ternir l'éclat du sanctuaire.

Nous avons organisé notre grand séminaire depuis un an : l'éten- due et la solidité des études qu'on y fait , pre'parent à l'Église de zélés et doctes ministres. Notre petit séminaire est connu depuis long-temps; il peut rivaliser avec les meilleurs collèges du pays.

Il y a aussi, dans notre diocèse, un grand nombre d'cxcellens ' collèges et de maisons d'éducation , l'étude de la religion se joint à la culture des belles-lettres , et d'autres sciences utiles et variées.

Enfin , de nombreuses écoles , dirigées selon l'esprit de la sainte Eglise, donnent aux classes pauvres, ou moins aisées, l'occasion d'apprendre les principes de la religion , et de se procurer une instruction , proportionnée au rang que chacun d'eux occupera plus tard dans la socie'té.

Que dirons nous des hôpitaux et autres e'tablissemens de cha- rité, fondés en si grand nombre et conservés par la religion; de ces asyles, la maladie, la vieillesse , les misères humaines, en un mot , trouvent une retraite assurée et des adoucissemens à leurs peines ; la charité chre'tienne ne rencontre aucun sacrifice trop grand , ni aucune répugnance trop forte pour son héroïsme !

Enfin, nous avons la consolation de voir les ordres religieux, de l'un et de l'autre sexe, se relever en plusieurs endroits de notre diocèse. Les prières de ces âmes ferventes, qui ne sem- blent plus être de la terre, ne manqueront pas d'attirer sur no- tre administration l'abondance des bénédictions célestes; tandis que

LETTRE PASTORALE. 191

leur recueillement , leurs privations , leurs pe'nitences confondront notre lâcheté, et serviront, parleur admirable varie'té, h rehausser la beauté de l'Épouse de Jesus-Christ. (Psalm. XLIV. )

L'esprit d'irréligion, il est vrai, a exercé ses ravages chez nous, comme partout ailleurs ; les bonnes mœurs ont souffert beaucoup , par suite de diverses causes qu'il serait trop long d'énumérer ici : mais nous avons la douce satisfaction, de savoir que la grande ma- jorité de nos dioce'sains n'a pas fle'cbi le genou devant lidole de l'irre'ligion ; et les fruits abondans que les missions ont produits partout elles ont eu lieu , sont une preuve certaine que les mi- se'ricordes du Seigneur sont loin dêtre épuise'es : ils démontrent ce que nous pouvons attendre dans la suite , si la divine Provi- dence daigne nous accorder quelques années de paix.

O vous donc, nos chers coopérateurs! vous, notre joie et notre coM/on/zg (Philipp. IV), aidez noire faiblesse à soutenir le fardeau de l'épiscopat. Jusqu'ici les sentimens étaient partage's sur des questions de haute importance; maintenant Rome a parlé, la cause est finie (S. Augustin). Rendons à Dieu tout-puissant d'im- mortelles actions de grâces, pour cette insigne faveur accorde'e à son Eglise. Pressons-nous autour de la Chaire apostolique, nous res- souvenant avec saint Ambroise , que est Pierre , est l'E~ glise (S. Arab. in Psalm. XL); et avec saint Jérôme, que quicon- que ne recueille pas avec Pierre , dissipe (S. Hier. Ep. LVII ad Damasum Papam). Consolons le cœur affligé de notre Père com- mun , par une soumission filiale et inviolable à tous ses décrets. Soyons un de sentiment et d'action , comme Jésus-Christ est un de nature et de volonté avec son Père (Joann. XVII). Ah! que cest une chose bonne et agréable , que les frères soient unis ( Psalm. CXXXII ') ; que nous servirons bien la cause de Dieu , aussi long-temps que nous nous aiderons les uns les autres en frères ( Prov. XVIII). Et vous tous. Nos Chers Diocésains, imi- tez la soumission et la concorde de vos respectables Pasteurs, n'oubliant jamais que la loi chrétienne est, par excellence, une loi de charité et d'ordre.

Nous ne pouvons finir cette Lettre pastorale, N. T. C. F. , sans vous dire un mot du devoir de reconnaissance que vous avez à remplir envers Monseigneur l'évèque de Gand. Vous savez en

192 LETTRE PASTORALE.

quelles clrconslances critiques ce cligne Pasteur s'est arraclid du mi- lieu de ses ouailles, pour se charger du fardeau énorme d'un dio- cèse de près d'un million et demi d'habitans ! Vous savez avec quel zèle , quelle douceur, quelle prudence il vous a gouvernes diirant des temps difficiles. La reconnaissance exige que vous ne perdiez jamais le souvenir de cette administration paternelle : elle exige que vous adressiez au Ciel de fréquentes prières pour la conserva- tion de ce digne prélat.

Nous mettons notre diocèse , notre administration et notre per- sonne sous la protection de la très-sainte Vierge Marie, de S. Jo- seph,, patron de la Belgique, et des saints Anges gardiens j et, afin de remercier, comme il est juste, la divine Providence, pour l'heureuse érection du diocèse de Bruges , et d'attirer les bénédic- tions célestes sur notre administration , nous ordonnons ce qui suit : I. Le Dimanche qui suivra la publication de notre présente Lettre pastorale , on chantera avant la Messe paroissiale dans toutes les églises de notre diocèse, l'hymne Keni, Creator Spiritus , avec le verset Emilie Spirilum tuum , et l'oraison Deus , qui corda fi- delium,

IL Pendant un mois, à dater de la même publication, chaque prêtre ajoutera aux oraisons de la Messe la collecte de Spiritu Sancto, au lieu de la collecte Ne despicias , qu'on récitera de nouveau après le mois écoulé.

III. Pendant le même espace de temps, on chantera au salut le psaume XC : Qui habilat in adjutorio Allissimi, avec l'oraison pro Episcopo.

Sera notre présent Mandement lu au prône, dans toutes les églises de notre diocèse, le Dimanche qui en suivra la réception. Donné à Bruges, dans la maison de notre résidence e'piscopale, le 26 Juillet 1834.

f FRANÇOIS , Évêque de Bruges. Par Monseigneur l Evêque , A. De Smet, Secre'taire. Lieu )$( du sceau.

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MÉLANGES. Août i834.

Notice de M. de Charapagny. Les infirmités du génie, par M. Madden.

Séance de TAcadémie catholique du 19 Juin. Écrit du P. Bonola sur le Jansénisme. Cours de théologie par M. Bouvier. Histoire de France par M. Mazas. Mort cLe Mgr. l'évèque de Tournai. Médaille donnée par S. S. à M. le chan. Torricelli. Sur les nouveaux Mé- moires relatifs à rastronomie ancienne, lus à l'Académie des Sciences de Paris par M. Biot. Lettre de M. l'abbé Gerbet à Rf^r. l'ar- chevêque de Paris.

Une des grandes notabilités du régime impérial vient de mourir dans un âge avancé, M. Jean-Baptiste Nompère de Cham- pagny , duc de Cadore , a succombé le 3 juillet à de longues in- firmités. Il était à Roanne en lySG, et fut destiné à la marine. Il se trouva au fatal combat du 12 avril 1782, et devint de bonne heure major de vaisseau. Député de la noblesse du Forez, il fut un des premiers à se réunir au tiers et vota avec la majorité. Cela ne l'empêcha point d'être emprisonné sous la terreur, et il ne re- couvra la liberté qu'après le g thermidor. Après le 18 brumaire, Buonaparte l'appela au conseil-d'état, et, en 1801 , l'envoya comme ambassadeur à Vienne. En i8o5, il le fît ministre de l'in- térieur, et c'est comme tel que M. de Champagny fit un rapport sur la restauration des églises de Ste. -Geneviève et de St. -Denis. Devenu ministre des relations extérieures en 1807, il coopéra aux mesures violentes prises contre le Pape et contre les Bourbons d'Espagne. Il se rendit à Bayonne en 1808, et y fui chargé de négociations qui devaient faire tomber dans le piège la maison régnante. On trouve aussi souvent le nom de M. de Champagny dans la correspondance officielle entre le Saint-Siège et Buona- parte , en 1807 et 1808. On peut voir enlr'autres les notes du 20 août et du 21 septembre 1807, les articles proposés le 9 jan- vier 1808, et surtout la note du 3 avril suivant. Dans ses dépê- ches, le ton était tout-à-fait en harmonie avec le fond, et Buo- naparte dictait ses volontés avec !a hauteur d'un maître qui commande. Il faut plaindre le ministre qui s'était cru obligé de se rendre l'instrument d'une politique si injuste , si perfide et si violente.

T. X. 13

194 MÉLANGES.

M. de Champagny se rendit à Vienne en i8og, et y conclut le traite de paix qui amena le mariage de Marie-Louise. C'est à cette occasion qu'il iut créé duc de Cadore. Néanmoins le ministre fut disgracié en 1811. Buonaparte le fit pourtant intendant-géne'ral du domaine de la couronne et sénateur en i8i3. En i8i4, le duc de Cadore suivit Marie-Louise à Blois. Bientôt il reconnut les Bour- bons, et fut nomme pair par le roi ; mais , ayant accepte' des fonc- tions dans les cçnt-jours, il fut privé de la pairie au second retour du roi. Elle lui fut rendue dans la grande promotion de M. Deca- zes. Depuis ce temps, M. de Cadore ne marqua point dans la cliambiie , il votait dans le sens du gouvernement. Une grande fortune, et une famille nombreuse et fort unie, semblaient devoir le rendre aussi heureux qu'il est permis de l'être ici-bas ; mais dans ces derniers temps, les infirmités se firent sentir : le duc se prépara clire'liennement à la mort. Il se confessa à M. le curé de Saint- Valère , qui l'a vu plusieurs fois dans sa dernière maladie. M. de Cadore était recomraandable dans la vie privée par la dou- ceur de ses mœurs , par son caractère conciliant et par toutes les qualités domestiques. Nous devons croire qu'il a gémi le premier de s'être trouve' sous l'influence d'un homme auquel il était diffi- cile de résister , et d'avoir été ainsi entraîné à prendre part à des violences tout-à-fait en opposition avec son caractère.

Les infirmités du génie. Une Revue ame'ricaine rend compte d'un ouvrage publie' snr ce noble et curieux sujet. L'auteur est M. Madden , que la relation d'un voyage en Turquie a de'jà fait connaître avantageusement dans les lettres. 11 paraît s'être proposé un double objet.

D'abord de prouver que les travaux scientifiques et litté- raires n'exercent sur la santé de ceux qui s'y livrent, même avec ardeur, aucune influence funeste.

Ensuite, que plus le genre des études est élevé et grave, plus aussi le degré de longévité est ordinairement remarquable chez les individus.

Pour démontrer ces deux points , M. Madden a choisi dans chaque partie de la science , de l'art et des lettres , un nombre égal d'hommes parmi les plus célèbres ; il a mis ensemble les diverses sommes d'années appartenant à chacun d'eux , et en a composé le tableau comparatif suivant :

MELAITGES.

195

Ans.

Pour chacun.

Philosophes naturalistes,

i494

75

Philosophes moralistes,

1417

70

Jarisconsultes , publicistes.

1394

69

Ecrivains en matière de physi-

que et de me'decine.

i368

68

Ecrivains religieux,

i35o

67

Philologues ,

i323

66

Compositeurs de musique.

1284

64

Romanciers ,

1257

62 i

Ecrivains dramatiques ,

1244

62

Poètes,

1144

57

La force d'intellect chez les individus devient, selon M. Mad- den , une cause de longe'vite', et la vivacité' de l'imagination ne possède pas le même privilège.

Voici les noms des philosophes naturalistes dont se compose le chifFre de i494> *l"i ^^^ ^^ P'"^ favorise' du tableau ci- dessus, et ceux des poètes formant le total de i:44 aos, le plus faihle de tous :

Bacon,

78 ans.

Arioste ,

59 ans.

Buffon ,

81

Burns ,

38

Copernic , Cuvier ,

70

64

Byron , Camoè'ns,

37 55

Davy , Euler, Francklin, Galile'e ,

5i

76 85 78

Collins , Cowley , Cowper , Dante,

56

% 69

56

D^ Halley , Herschel ,

86 84

Dryden , Goldsmith ,

70

44

Kepler, Lalande ,

60

75

Gray , Métastase ,

57

84

La Place,

77

Milton,

66

Leevenhoek , Leihnitz ,

91

70

Pe'trarque , Pope,

68 56

Lin ne ,

72

Shcnstone,

5o

Newton , Tycho-Erahe

84 , 55

Spencer ,

Tasse ,

46

52

Whiston , Woollaston ,

95

62

Thompson, Young ,

48 84

1494

1144

196 MÉLANGES.

Il y a dans la liste des poètes clioisis par M. Madden , de singulières omissions et quelques pre'fe'rences qu'on pourrait lui reprocher. Pour ne rien dire de la France qu'il ne'glige tout-à-fait, on peut lui citer en Allemagne Gœthe, le poète universel, ainsi que ses compatriotes l'ont nomme, qui mou- rut à 83 ans , Klopstock qui en a ve'cu yg et Wielland qui est parvenu au même âge. H y a erreur aussi sur le nombre d'an- ne'es que Camoens a ve'cu. Il est mort à 62 ans et non à 55 comme le pense M. Madden. On pourrait multiplier infini- ment ces observations et de'duire de leur rapprochement que les calculs de M. Madden pèchent contre la justesse. Mais son travail ne laisse pas d'être pour cela très-piquant.

Dans la réunion académique de la religion catholique, qui a eu lieu le i g du mois passé dans une des salles de i'Archigymnase romain sous la pre'sidence du réve'rend père Jean-Baptiste Rosani , procureur-ge'néral des écoles sacre'es et pro-secre'taire de cette Aca- démie, on a lu une dissertation du chevalier Ange-Marie Ricci sur l' influence que la religion catholique a toujours eue sur les pro- grès des lettres et des arts.

On vient de re'imprimer en Italie un ouvrage qui a pour titre : La Ligue de la Théologie moderne avec la Plàlosophie , pour le malheur de l'Eglise. L'ouvrage parut in-12 en 1789, sans nom d'auteur , d'imprimeur ou de pays. Il est suivi d'une lettre sous le nom d'un cure' de ville a un cure' de campagne, pour re'futer les beaux re'glemens que l'on faisait alors à Pistoie et ailleurs sur la re'forme de l'Eglise. Le tout a été traduit en français, et publié à Avignon, chez Seguin, 1820 {1). La Ligue fait assez bien sentir la politique et les manœuvres du parti astucieux qui a troublé et déchiré l'Eglise pendant cent cin- quante ans. On y a joint quelques passages des lettres de Frédéric II, roi de Prusse, pour prouver la conjuration phi- losophique , et un autre écrit qui a pour titre VEsprit du dix- huiticme siècle montré aux imprudcn-; pour leur servir de pré- servatif ou de remède contre la séduction de ce temps. Cet écrit, qui n'a guère qu'une feuille d'impression, avait para

(i) Un volume iu-80. Prix : i fr. jo c. , et 2 fr. franc de port.

MÉLANGES. 197

en 1790, et a pour objet de montrer de plus en plus la ne'- cessite' tle s'attacher à l'Eglise et au. Saiut-Sie'ge. Le volume est termine' par la bulle Auctorem fidei , contre le synode de Pistoie. L'auteur de La Ligue e'tait Ui père Roch Bonola , je'suite , à Novarre ou à Bergame. On a de lui une lettre à Ricci , ui'.e autre sur les Droits originaires des ivcqnes , sous le nom de A. M. A. ]). F. contre les pre'ten tiens du même pre'lat; deux autres lettres sous le nom d'un arclnevêque , publie'es à Ajaccio, contre les lettres pastorales de Ricci du 5 octobre l'jSy et du 18 mai 1788 , et les Doutes proposés aux professeurs de la faculté de théologie deDavie, 179O', in-8\ La Ligue a eu plu- sieurs e'ditions ; Pie VI en a fait l'e'loge, et recommandait de la lire tout entière comme de'voila)at très-bien les artifices des novateurs. Nous ne savons si le petit e'crit V Esprit du dix- huitième siècle est du père Bonola j l'e'dition de M. Seguin ne dit rien qui puisse le faire soupçonner. Cependant nous trou- Tons quelque ressemblance entre cot e'crit et la La Ligue.

Instiluiiones Theologicœ ad usum Seminariorum , auctore J. B. Bouvier , episcopo Cenomanensi (i). Quand M. Bouvier fut appelé' en 181 1 du coUe'ge il enseignait la philosophie au graud-se'minaire du Mans pour y enseigner la théologie, il vit avec peine que les e'ièves n'avaient entre les mains qu'un auteur incomplet et insuffisant. Il essaya d'y supple'er par des additions manuscrites, et depuis il composa et dicta des îraite's entiers adaple's au nouveau di'oit civil. Mais bientôt la perte de temps, l'ennui des dicte'es pour les jeunes gens, les fautes qui s'y glissaient ne'cessairement , le firent songer à livrer à l'impression quelques-uns de ses traités. En 1818 et 1819, il publia les traités de la restitution et des contrats, et succes- sivement il mit au jour d'autres traités qui eurent tous plu- sieurs éditions , et même quelques-uns jusqu'à huit et neuf. Le savant professeur conçut donc le projet de réunir ces traités en un cours de théologie, et il travaillait à l'exécution de ce plan quand il fut a])pelé à gouverner le diocèse auquel il avait déjà rendu tant de services signalés. Les soins de l'adminislra-

(l) Six volumes in-12. Prix, broché, i5 fr. A Paris , chez Mcquignon Junior , et chez. Achicn Le Clerc et C^ , quai des Auguslins , 35.

198 MÉLANGES.

tion ne permettant pas aa prélat de diriger l'e'dition de son cours de tlie'ologie , il en a chargé des eccle'siastiques instruits et laborieux , qui s'y appliquent sans relâche depuis plusieurs mois.

L'ouvrage formera six volumes qui renfermeront les traite's de dogme et de morale. Dans le tome premier sont les traite's de la vraie religion et de l'Eglise; dans le deuxième, ceux de la Foi, de la Trinité' et de l'Incarnation, de la grâce, des Sacremens en ge'ne'ral , du Baptême et de la Confirmation ; dans le troisième, ceux de l'Eucharistie, de la Pe'nitence et de 1 Ex- trême-Onction ; dans le quatrième , ceux de l'Ordre , du Ma- riage , des actes humains , de la conscience , des lois et des pe'che's ; dans le cinquième, celui des pre'ceptes du de'calogue et de l'Eglise; dans le sixième, ceux de la justice et de la restitution , des contrats et des censures , et une table ge'ne'rale des matières. Ce sont tous les ouvrages de the'ologie du pre'lat, à l'exception de la dissertation sur le sixième pre'cepte du de'calogue, du supple'ment au traite' du Mariage et de l'ou- vrage qui a pour titre Traité des Indulgences. M. Bouvier n'a pas cru non plus devoir faire entrer dans son e'dition les traite's de Dieu , de la cre'ation et des anges , ni celui de la religion naturelle ; il les re'serve pour le cours de philosophie, dont il veut faire une pre'paration à la the'ologie.

Ce cours de the'ologie n'a besoin d'autre recommandation que le nom de son auteur. Ses longues e'tndes , l'expe'rience de l'enseignement et celle du ministère reçoivent une nouvelle autorite' de sa dignité' actuelle. Les eccle'siastiques charge'.? de l'e'dition se sont attache's à la rendre digne de la re'putation du docte évêque. Ils ont revu tous les textes cite's dans l'ou- vrage , et ont donne' tous leurs soins à la correction typo- graphique. — LAmi de la Religion n" 2289.

Nouveau Cours d'Histoire de France , depuis les temps les plus reculés de la Gaule Jusqu'au règne de Henri If^; par A. Mazas. 2 vol. in-8°. Prix : 10 fr. , et i3 fr. franc de port. Paris, chez Ilivert.

On se plaint depuis long-temps qu'il n'y ait point d'histoire de France pour la jeunesse. Les ouvrages qu'on avait sur cette matière e'taient ou trop longs ou trop maigres , ou rédige's dans un mau- vais esprit. Le Eagois et AUetz sont décrédités , Royon est partial ,

MiLA.I7GES. 199

hostile à la religion , et propre à donner des idées fausses. L'a- bre'gé en deux \oluraes in-i2, par M. L. , est bien fait, et con- vient à la première jeunesse; mais il est un peu exigu pour les jeu- nes gens sortis de l'enfance, et qui veulent connaître l'histoire de leur pays. C'est sans doute ce qui a fait naître à M. Mazas l'ide'e d'une nouvelle histoire de France qui tint le milieu entre les abré- ge's trop courts et les longues histoires. Or , sous ce rapport , son pian nous paraît assez bien conçu. L'auteur donne deux volumes jusqu'à Henri IV : le premier volume embrasse depuis le commen- cement de notre histoire jusqu'à la mort de Philippe Auguste-, le second va jusqu'à la mort de Henri III. Sans doute, c'est parcou- rir bien des siècles en peu de temps ; mais il est permis d'être court sur les premières races , qui n'ont pas pour nous le même intérêt. Sur ces époques reculées , ce sont les grands traits qu'il faut saisir, et c'est à quoi M. Mazas paraît avoir visé.

L'auteur donne quelques notions sur les temps antiques de la Gaule , sur les Druides , sur l'invasion des Romains et sur l'état du pays sous leur domination. Il a un chapitre sur l'établissement du christianisme dans les Gaules. Ce chapitre embrasse tout le temps des perse'cutions jusqu'à Constantin; il nous a paru offrir yn tableau abrège, mais fidèle, de l'histoire de lEglise des Gaules à cette épo- que. Les époques de Clovis, de Charlemagne , de Hugues Capet, de Philippe-Auguste , sont naturellement celles sur lesquelles l'auteur s'arrête d'avantage. Il parle convenablement des croisades.

Dans le second volume , on rencontre plusieurs règnes remarqua- bles : ceux de saint Louis , de Philippe-le-Bel , de Philippe-de-Va- lois, de Charles V, de Charles VI, de Charles VII, etc. L'auteur peint très-bien saint Louis, Charles V, Louis XII. Ses tableaux de- viennent plus développés à mesure qu il se rapproche de nous. Le règne de François I'"^ embrasse deux chapitres, et les grands traits de ce règne tour à tour brillant et malheureux y sont bien mar- qués ; seulement j'ai été surpris que l'auteur eût omis de parler du concordat avec Léon X, qui forme un des principaux événemens de ce règne.

Son histoire du protestantisme , de son introduction en France , de la conjuration dAmboise, des menées des protestans , est rapide, mais intéressante. Elle fait connaître l'esprit de ces sectaires , qui appelèrent à plusieurs reprises l'étranger eu France , et démasque l'amiral de Coligny , ce politique ambitieux et habile , qui fomenta

200 qi£la5ges.

les troubles dans le royaume , et balança pendant dix ans l'autorité

royale.

Celte courte esquisse suffira pour montrer l'esprit de ce cours d'iiistoîre. On ne peut qu'engager l'auteur à le continuer. Il trou- verait aisément , dans le règne de Henri IV et de ses successeurs jusqu'en i8i4, la matière de deux volumes qui compléteraient son cours et procureraient à la jeunesse une lecture intéressante et in- structive. — VAmi de la Religion 225g.

MM. P. J. Godcfroy , A. J. Mocq et G. J. Labis , vicaires généraux capilulaires de Tournay , ont publié en date du 3o juil- let dernier un mandement à l'occasion de la mort de Mgr. Jean- Joseph Delplancq, dont voici un extrait.

« C'est sous l'impression de la plus profonde douleur, et acca- blés du coup funeste autant qu'inattendu qui vient de nous frapper, que nous nous empressons de remplir auprès de vous un pénible et lugubre ministère. Notre ve'ne'rable évêque , celui qui en arrivant dans ce diocèse, après une viduite aussi longue que douloureuse, avait rempli tous les cœurs d'allégresse, ce père si tendre qui vous portait tous dans son cœur, et qui e'tait si jaloux de la place qu'il avait dans le vôtre , a été enlevé à la tendresse de ses enfans dé- sole's. Le Ciel, dont les desseins sont toujours adorables, même lorsqu'ils sont le plus rigoureux, a voulu ajouter aux maux qui af- fligent ce diocèse , une épreuve plus cruelle encore. Et lorsque nous goûtions la délicieuse espéi^ance de le voir long-temps gouverner le troupeau confie' à ses soins , les portes de l'éternité se sont ouver- tes tout-à-coup devant lui. Ce fut le 27 juillet , vers les quatre heu- res du matin, qu'il termina en paix sa carrière, après avoir reçu, avec les plus édifiantes dispositions , les sacremens de notre Mère la Ste. Eglise.

» N'en doutez pas, N. T. C. F., le bon pasteur que nous pleu- rons, plein de vertus, consumé de zèle et de travaux, avait su pré- voir le jour du Seigneur. C'était dans la méditation de la mort qu'il puisait les règles de ce ministère terrible , qu'il remplissait avec une application si soutenue, et un dévoûment si exemplaire. Nous pouvons bien le dire, nous qui avons été les te'moins de sa con- stante sollicitude , depuis que la Providence l'a chargé du gouver- nement du diocèse de Tournay , ce courageux athlète a combattu dignement les combats du Seigneur. Il a consacré à la gloire de Dieu les années si pleines, mais hélas! si courtes de son épiscopat-

MELANGES.

201

Il a honoré son ministère par une foi vive et inaltérable, et sa re- ligion comme sa vertu ne se démentirent a aucune époque de sa vie. Les qualités qui caractérisaient le vénérable prélat , sont bien propres sans doute à augmenter le regret de sa perte; mais pen- dant que notre amour et notre reconnaissance font couler nos lar- mes sur sa tombe, il nous reste, pour pre'cieuse consolation, la ferme confiance qu'ayant plu au Seigneur pendant sa vie , il a été trouvé juste au tribunal suprême , et qu'il a de'jà reçu la cou- ronne de justice , qui est le prix de ses vertus. »

Mf^r. Delplancq, le vénérable doyen de lEpiscopat Belge était à Thieu dans le Hainaut, le 3o janvier 1766. Il fut nommé desservant à Ville-en-Heshaie , le 9 floréal an XL Transfère' delà à la cure primaire de Hannut le 26 août 1828, il fut nommé l'an- née suivante e'vèque de Tournay et sacré à Namur par Mgr. On- dernard le iS octobre de la même année.

M. J.-B. ToRP.iCELLi, chanoine de Lugano, connu par ses écrits pour la religion et par son zèle pour elle , a reçu du Saint- Père une médaille d'or avec un bref très-honorable. La me'daille offre l'image de Sa Sainteté , et au revers cette épigraphe : benè merenti. Cette me'daille a été transmise à M. Torricelli par Mgr. de Angelis , nonce de Sa Sainteté' en Suisse.

Il fut une époque les journaux vantaient sans cesse les livres de M. Biot, de M. Letronne , de M. Champollion le jeune, comme défendant la religion, comme battant en brèche les doc- trines des Dupuis, des Volney et des Fourrier : quand il fallait obtenir des places lucratives, cumuler sur une seule tête, ce qui pouvait servir à l'existence de trois ou quatre savans, on se vantait de ces éciils, et l'on priait M. le baron Cuvier de les citer dans son éloquent Discours sur l' Histoire des Résolutions de la sur- face de la terre.

Autres temps, autres combinaisons. On a vu de'molir Saint-Ger- main-1'Auxerrols, demander la suppression des évêchés ; on a craint que ces ouvrages dont on était si fier, ne fissent perdre un jour ces places lucratives qu'il est si doux de posséder 5 et dès-lors on a embrasse de nouvelles théories.

S'appuyanl sur la chronologie fabuleuse de Manétlion, contraire à la Bible, comme la ii bien prouve le savant archevêque de Tou- louse , Mgr. de Bouvet , on est remonte à des époques tout-à-fait T. X. 14

202 MÉLANGES.

inconciliables avec les doctrines de MM. Cuvier, Deluc , Buckland, et autres géologues distingues > sur l'e'poque , peu reculée encore, les hommes ont pu être créés et placés sur la terre.

On a été plus loin, on a nié le déluge de Noé , tel que le rap- porte la Bible , et négligeant les sublimes passages du livre de Job , devançant Newton , il suspend la terre dans les espaces que lui assigna la volonté de Dieu , on a prétendu que la Bible , en cela suivie par les principaux Pères de l'Eglise , offrait les erreurs les plus monstrueuses sur la cosmographie et la physique du globe (i).

Toujours émule de M. Letronne, M. Biot a voulu aussi devant les académies venir de'fendre cette haute antiquité' des hommes et des sciences sur la terre : se posant en contradiction avec ses an- ciens écrits , il vient de lire à l'Acade'mie des inscriptions et à l'Aca- démie des sciences, des mémoires il prétend établir qu'environ 33oo ans avant Jésus-Christ, il existait déjà en Egypte toute une astronomie savante, astronomie encore subsistante en iy8o avant Jésus-Christ (c'est-à-dire à l'époque de Joseph, ministre de Pha- raon), et qui n'a jimais cessé d'être cultivc'e; ici, on le voit, il suit Manéthon , et Maaéthon, avons-nous dit, est inconciliable avec la Bible et avec les beaux résultats des travaux du grand Cuvier, des Deluc et des Buckland.

M. Biot va plus loin encore , il nie qu'il y ait eu aucune com- munication entre les Egyptiens et les Chinois, depuis l'an 3285 avant Jésus-Christ. Et comme il admet dès-lors des empires puis- sans et conslitue's, soit en Egypte, soit en Chine, on voit qu'il remonte ainsi pour la dispersion des hommes , si toutefois il admet un centre unique pour la race humaine, à plus de quatre à cinq mille ans , avant notre ère ; ainsi ces travaux se lient et s'enchaî- nent avec ceux de M. Letronne qui , au collège de France , vient, publiquement dans son cours, de nier le de'luge de Noé, et nous le re'pétons , ils renversent tous les résultats établis avec tant de force et de logique par le célèbre M. Cuvier.

M. de Paravcy, dont une coterie philosophique étouffe depuis long-temps les écrits , et arrête les travaux par mille moyens odieux; M. de Paravey qui, pendant trois mois, se vit refuser la communication du planisphère de Dendera , lorsque ce monument

(i) V. ci-<l. fom. IX, p. 339, la réponse de M- Th. l'oisset à un article de M. Letronne.

MÉLANGES. 203

arriva à Paris, et à qui on refuse encore en ce moment la commu- nication des dessins astronomiques rapportés récemment d Egypte par M. CliampoUion, -vient d'écrire à l'académie des sciences qu'il niait tous les résultats des travaux actuels de M. Biot, et qu'il ré- clamait la plus grande part dans les anciens écrits publie's par cet académicien.

Il a déclaré en même temps qu'il avait déjà prouvé, et qu'il était prêt à e'tablir de nouveau l'identité complète de l'astronomie et des constellations , chez les anciens Egyptiens et chez les Chi- nois, qui n'ont fait les uns et les autres qu'emporter de la Chaldée les anciens livres écrits en hiéroglyphes , ces re'sultals des tra- vaux des premiers hommes se trouvaient consacres , comme ils l'é- taient également sur les murs en briques écrites de l'antique Babylone.

L'Académie des sciences a nommé une commission compose'e de MM. Arago, Poinsot et Gérard , qui doit examiner spécialement cette identité des constellations et des méthodes astronomiques des Chinois , des Chaldéens et des Egyptiens j identité que M, Biot re- fuse d'admettre.

Et quand M. Guizot, averti par la clameur publique, lui aura enfin permis de voir les dessins de M. Champollion , sur lesquels M. Biot s'appuie , dessins astronomiques de la plus haute îrapor'- tance , M. de Paravey se fait fort d'e'tablir que ces monumens eux- mêmes ne remontent pas avant l'époque de Joseph, e'poque lE- gypte commença seulement à devenir puissante : ce qui fait que le canal du Fayoum, le puits du Caire, les Pyramides elles-mêmes sont attribués, en Egypte, à Joseph et nullement à tout autre Pharaon antérieur.

La voix du peuple est partout celle de la vérité : dans la Babylo- nie, c'est à Nemrod, à Se'miramis, àNinus, que tous les monumens antiques sont attribués ; en Egypte , c'est à Joseph , et les psaumes de David nous le peignent en effet comme enseignant les sciences aux sages de l'Egypte : dans les Gaules , nous voyons partout , comme sur le Rhin, les monumens antiques attribués à César, et nous savons , en effet , que César et les autres Césars , ses succes- seurs , ont les premiers civilisé la Gaule, y ont construit des camps, des villes, de vastes palais.

Dans deux mille ans d'ici, le voyageur qui traversera les Alpes, apprendra des simples paysans de ces contrées que ces routes faci- les , qui les traversent , ont clé faites par les Français , et com- mande'es par Bonaparte.

204 MÉLANGES.

Ces souvenirs des peuples sont des me'dailles, et MM. Biot, Le- troune et CbampoUion eussent les consulter avant de renouveler les idées de MM. Fourier , Dupuis et Volney; ide'es que M. Fourier lui-même avait abandonnées dans les dernières années de sa vie. Extr. de r Univers Religieux.

La lettre suivante a été adressée par M. l'abbé Gerbet à Mgr. l'Archevêque de Paris.

Trelon par Avesnes (Nord), 19 juillet i834.

« Monseigneur , me trouvant en ce moment loin de Paris , je viens seulement d'avoir connaissance , par la voie des journaux , de la nou- velle Lettre encyclique de S. S. Grégoire XVI , en date du 25 juin dernier.

n Comme cette Encyclique, outre son objet principal, renferme un passage dirigé contre un système de philosophie soutenu dans quelques- uns de mes écrits , elle m'impose par-là même un devoir particulier que je m'empresse d'accomplir. En conséquence, je déclare adhérer unique- ment et absolument, sans séparation ni réserve, à la doctrine promul- guée par cet acte du Souverain - Pontife , improuvant tout ce qu'il im- prouve, condamnant tout ce qu'il condamne, et déterminé à ne rien écrire et à n'approuver rien qui soit contraire à celte doctrine.

31 Vous savez, Monseigneur, que ces dispositions ne sont pas nou- velles d:ins mon cœur. Mais si, pour entrer dans ces scnlimens , j'avais eu besoin d'un puissant exemple , je l'aurais trouvé tout près de moi. Je visite en ce moment des lieux pleins des souvenirs de Fénelon 5 il n'y a point de présomption à vouloir suivre ses traces dans l'obéissance dont la grâce de Dieu applanit la route.

» Veuillez me permettre, INIonseigneur , d'user encore de votre entre- mise pour faire parvenir au Saint-Siège ma déclaration. Je désire égale- ment que ce témoignage de ma soumission reçoive toute la publicité nécessa'ire. S'il peut contribuer à entretenir dans quelques esprits l'o- béissance due à l'autorité divine dont le vicaire de Jésus-Christ est dépositaire , ce sera pour moi uue vraie consolation parmi les tristesses du temps présent. L'Eglise est au-dessus de tout dans mon cœur.

I) J"ai l'honneur d'être , avec le plus profond respect , Monseigneur, votre très-humble et très-obéissant serviteur , Ph. Gerbet.

Réponse de M. l'Archevêque.

Paris, le 24 août i834-

« Monsieur l'Abbé , j'étais à la campagne lorsque votre lettre du 19 juillet m'est parvenue. Aussitôt qu'il m'a été possible , j'ai pris , selon vos désirs , les moyens de faire arriver à Sa Sainteté l'expression de vos sentimens au sujet de la nouvelle Lettre encyclique. Son cœur en éprouvera de la consolation. Je ne vous dis pas, je ne saurais vous dire combien j'en ai éprouvé moi-même en recevant ce témoignage de votre persévérance dans la soumission de votre esprit et de votre cœur aux doctrines enseignées par le chef des docteurs. Avec cette disposi- tion catholique, on marche d'un pas ferme et assuré dans la voie de toute science j sans elle les plus beaux génies ne peuvent faire que de tristes naufrages.

» Recevez , Monsieur l'Abbé , l'assurance du très-sincère attachement avec lequel je suis votre très-humble et très-dévoué serviteur,

» •{• Hkacintue, Archevêque de Paris. »

S\v pPu.^ tXiwieUi) ^ctiirtit.^ c\' jt\>iuvCTuû>t.

205

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RECHERCHES SUR LA PERSONNE DE JÉSUS-CHRIST ,

ET

SUR LES PLUS ANCIENS PORTRAITS QUI LE REPRÉSENTENT.

Lettre d'Abgare , roi d'Edesse , à J.-C. , et réponse de Jésus à Abgare. De l'image miraculeuse d'Edesse. De la statue érigée à J.-C. par rHémorroïsse. Lettre du P. Lcntulus sur la personne de J.-C. Portrait de J.-C. d'après Nicéphore Calliste. De quelques autres portraits, saintes-faces, larmes et sang de J.-C. D'un portrait re- présentant Jésus dans sa jeunesse. Médaille juive de J.-C. Portrait en buste de J.-C. , tiré des catacombes de Rouie. Premières mon- naies chrétiennes frappées à reflîgie de J.-C.

Ce n'est pas un des traits les moins extraordinaires de nos e'vange'listes, qui nous parlent avec tant de soin et de de'tail des moindres actions et des points les plus minutieux , en ap- parence, de la doctrine de leur divin Maître, que de voir qu'ils ne nous disent pas un seul mot de sa personne , de sa pliy- sionomie , de la forme, en un mot, sous laquelle le Verbe- Dieu a paru en ce monde. C'est qu'aussi l'Evangile n'est pas un livre comme un autre : ceux qui ont e'crit ce livre, en nous racontant la vie d'un homme, ont e'te' tellement aijsorbe's par la pense'e que cet homme est Dieu , qu'ils semblent n'a- voir pas fait attention à sa forme corporelle. Et, en effet, on ne s'occupe dans ce livre que du monde ce'lestej ou, s'il est parle' de ce monde terrestre , c'est dans ses rapports avec le monde futur. Quand on croit fermement que Dieu est là, com- ment s'occuper de l'homme, de son enveloppe matérielle? Ils ne nous ont donc rien dit des traits de sa personne.

Cependant il n'est pas permis de supposer que les premiers chre'tiens, qui n'avaient pas eu le bonheur de contempler les traits de Jc'sus , ne se soient pas adresses aux. apôtres et anx T. X. 15

208 RECHERCHES SUR LA PERSONNE

disciples , et ne leur aient fait de nombreuses questions sur les traits extérieurs de la personne du Sauveur. Il n'est pas douteux non plus que les apôtres et les disciples n'aient ré- pondu avec bienveillance et de'tail à ces demandes, et qu'ainsi la tradition ait pu conserver , sinon entière et parfaite , la fi- gure du Christ , du moins les principaux traits de sa personne et de son visage.

Aussi sommes-nous assare's d'excitey vivement la sympathie de nos lecteurs, en recueillant ici, dans un seul article, quel- ques traits de sa vie , qui n'ont pas e'te' cite's par les e'vangë- listes , et les traditions consacrées dans les difTe'rentes églises sur sa personne et les traits de son visage.

Quoique la plupart de ces de'tails ne soient pas d'une au- thenticité' absolue , cependant ils sont respectables , parce qu'ils peuvent être vrais , on au moins nous font connaître ce que l'on a pense' dans les diffe'rens temps de la personne du Sauveur.

LETTRE d'aBOARE, ROI d'ÉDESSE, A jÉSUS-CHRlST , ET REPONSE DE JÉSUS-CHRIST A ABGARE.

Noos allons d'abord citer ces deux lettres si curieuses. Nous ferons ensuite connaître les difTe'rentes opinions qui ont cours parmi les savans sur la foi qu'on peut y ajouter.

Abgare e'tait un roi d'Edesse , ville au-delà de l'Euphrate , en Mésopotamie. Depuis long-temps il était affligé d'une tna- ladie fâcheuse et incurable (i); le bruit des miracles de Jésus- Christ, qui, suivant les évangélistes , s'était répandu dans toute la Syrie (2), arriva jusqu'à lui. Alors il prit le parti d'écrire à Jésus, pour le prier de venir le guérir. Voici la traduction de cette lettre :

(i) Selon Procope , de bello Persico , c'était la goutte; Cédrcne p. 145 , y ajoute la lèpre noire.

(2) Et abiit opinio ejus in totam Syriam, S. Math, ch, iv, v. 24-

ET LES PORTRAITS DE JÉSUS-GHRIST. 207

Copie de la lettre écrite par le roi ALgare à Je'sus, et en- voye'e à Je'rusalem ])ar un courrier nomme' Ananias.

« Abgare, fiJs cl'UcLanias, Toparqae, à Je'sus, sauveur plein » de bonté , que Ion a va dans les environs de Je'rusalem , » salut : J'ai appris que vous rendez la santé' aux malades sans M employer ni remèdes, ni simples , et que d'un seul mot vous » faites que les aveugles voient , les boiteux marchent droit ; » vous purifiez les le'preux ; vous chassez les de'mons et les » esprits immondes ; vous guérissez les maladies inve'te're'es , » et vous ressuscitez les morts. Etant instruit de ces merveil- » les, je ne fais aucune difficulté' de croire l'une de ces deux » choses : ou vous êtes un Dieu descendu du ciel pour ope'rer » ces prodiges; ou vous êtes le Fils de Dieu, qui les faites. » C'est pourquoi je vous prie par cette lettre de prendre la » peine de venir chez moi , et de me gue'rir de la maladie » dont je suis affecté depuis long-temps. Je sais que les Juifs » murmurent contre vous, et qu'ils veulent vous perse'cuterj » ma ville, quoique petite, est assez agre'able; elle suffira pour )> nous deux (i). »

Je'sas reçut cette lettre, mais il n'alla point a Edesse ; il fît à Abgare la réponse suivante :

Copie de la réponse faite par Jésus-Christ à Abgare , et en- voyée par le même courrier Ananias.

(i) Exemplar epistolœ scriptae à rcge Abgaro ad Jesum , et inissœ ad Hierosoljmam per Ananiam cursorcm.

» Abgarus , Uchanise filius , Toparcha , Jesu salvatori bono qui apparuit in locis Hierosolymorum , salutem. Auclilum mihi est de te et de sani- tatibus quas facis , quod sine medicamcntis aul herbis fiant ista per te, et quod verbo tantum cœcos facis videre , et claudos ainbularc , et le- prosos mundas , et immundos spiritus ac daemones ejicis , et eos qui è longis œgrifudinibus afilictanlur curas et sanas, raortuos quoque suscitas. Quibus omnibus auditis de te, statui in anime meo unum esse è duo- bus , aut quia tu sis Deus et descenderis de cœlo ut hnec facias , aut quod filius Dei sis qui hœc facis. Propterea eigo scribens rogaverim te ut digneris usque ad me fatigari , et œgritudineni mea/n quâ jam diù laboro , curare. Nam et illud comperi quod Jud;ci murmurant advcrsùm le, et voluiit tibi insidiari. Est autem civitas mibi parva quidcm scdlio. nesta , quœ sufïiciat ulrique. h

15.

208 RECHERCHES SDR L\ PERSONNE

<( Voas êtes lieureax , ô Aîjgare , d'avoir cra en moi sans ») m'avoir va. Car c'est de moi qu'il est e'crit que ceux qui » m'auront vu ne croiront pas en moi , et que ceux qui ne » m'auront point vu croiront et recevront la vie. Quant à ce » que vous me mandez d'aller vous trouver, il faut que j'ac- ») complisse ici toutes les choses pour lesquelles j'ai e'té en- » voye'; ensuite je retournerai vers celui qui m'a envoyé; et n lorsque j'y serai retourne', je vous enverrai l'un tle mes dis- ciples, afin qu'il vous guérisse de votre maladie, et qu'il » vous donne la vie à vous et à ceux qui sont avec vous (i). »

Examinons maintenant la foi que méritent ces deux lettres. L'auteur qui nous les a conservées est Eusèbe , évêque de Cé- sarée en Palestine, vivant vei's le milieu du iv° siècle, l'un des hommes les plus éclairés et les plus érudits de son temps; il les a insérées dans son histoire ecclésiastique (2), et annonce les avoir tirées des archives; publiques de la ville d'Edesse , oh elles se trouvaient en syriaque. Saint-Ephrem, le Syrien, dia- cre de cette même ville d'Edesse vers l'an S^g, homme dis- tingué par son esprit et par sa vertu, parle de celte histoire comme d'une chose reçue de son temps , de tout le monde , et sans aucune difliculté.

Ea effet , plusieurs auteurs ecclésiastiques de cette époque en font éj^alement mention. Ou peut citer entre autres , le comte Darius, dans une lettre à saint Augustin, Procope , Et>agre, saint Jean Damascène , saint Tliéodore-le-lecteur , et

(i) Exemplum rescripti ab Jesu per Ananiam cursorem ad Abgarum. a Beatus es quia crediJisli in me cùm ipse me non videris. Scriptum est enira de me quia hi qui me vident non credent in me, et qui non vident me ipsi credent et vivent. De eo aulem quod scripsisti milii ut veniam ad te , opportet me omnia propter quœ missus sum hùc ex- plere , et postcaquara complevero , recipi ad aura à quo missus sum. Cùm ergo fuero assuraptus , mittam tibi aliquem ex discipulis meis ut curet œgritudinem tuam, et vitam tibi atque his qui tecum sunt prae- stet. 11 Cette traduction latine est de Rufln, qui l'a traduite du grec d'Eusèbe. (a) Livre i , ch. 1 3.

ET LES PORTRAITS DE JESUS-CHRIST. 209

beaiicoap d'autres anciens auteurs qui ne font aucune difficulté de reconnaître ces lettres pour authentiques.

Vers ces derniers temps, pins d une controverse s'est éleve'e à l'occasion de ces lettres : le P. Noël Alexandre, le critique Dupin et plusieurs autres auteurs catholiques, les ont regar- de'es comme non authentiques. Le Nain de Tillemont, criti- que non moins ce'lèbre, croit cette correspondance ve'ritahle. C'est aussi le sentiment de l'abbé Bergier. « On ne fonde sur » ce monument, dit ce théologien, aucun fait, aucun dogme, aucun point de morale; et c'est pour cela même qu'il ne 3> paraît pas probable que l'on ait fait une supercherie sans j> motifs (i), »

Il faut en eifet convenir, dit un auteur distingué (2), que si cette lettre a été fabriquée , le faussaire n'a pas été mala- droit, car il n'y a aucune expression qui ne convienne parfai- tement au caractère , à l'esprit et à la position du Sauveur j bien plus, il est prouvé que la promesse faite par Jésus à Ab- gare a reçu son accomplissement. Lorsqu'il fut monté au ciel, saint Thomas, l'un des apôtres, envoya par son ordre à Edesse, Thadée , l'un des soixante douze disciples. Celui-ci y guérit le roi, y opéra grand nombre de miracles, et y établit si bien l'Evangile, qu'Edesse, comme on le voit dans l'histoire ecclé- siastique, se distingua plusieurs siècles de suite par la foi et par la piété de ses princes et de ses habitans.

DE l'image miraculeuse d'édesse.

A la lettre que nous venons de citer du roi Abgare , se rat- tache l'histoire d'un portrait dit Vlinage miraculeuse cVEdesse^ ou Portrait de Jésus-Christ peint par lui-même. On dit en elfet

(1) Dictionnaire de Théologie, au mot Abgare.

(2) M. Peignot , tlans son ouvrage intitulé Recherches historiques sur la personne de Jésus-Christ et sur celle de Marie, in-S" , prix 4 f*"- 5 à Dijon , chez Lagier. C'est dans cet ouvrage que nous avons puisé la plupart des détails que nous cousignons ici.

210 RECHERCHES SUR LA. PERSONNE

qu'Abgare, affligé ([ue le Sauveur n'eût pu venir le voir, en- voya à Jérusalem un peintre chargé de faire sou portrait. Mais ce peintre n'ayant pu venir à bout de son dessein, empêclié qu'il était par leclat brillant qui sortait du visage de Jésus, le Sauveur prit la toile sur laquelle le peintre travaillait, la trempa dans l'eau, et l'ayant appliquée sur sa figure, les traits de son ■visage y furent miraculeusement empreints. Ce portrait, trans- porté à Edesse , y aurait, d'après Evagre , historien du v'' siè- cle , saavé la ville assiégée par Cosroës , roi des Perses , et y aurait été conservée Jusqu'en l'année 944 de Jésus- Christ , époque, l'émir d'Edesse la céda à l'empereur romain Lé- capène , qui la fit venir à Constantinople , oti elle arriva le 16 août 944- Nous ne raconterons pas plus au long 1 histoire de cette image , parce que la plupart des auteurs conviennent que plusieurs circonstances au moins sont falsifiées (i).

DE LA STATUE ÉRIGÉE A JESUS-CHRIST PAR l'hÉMORROÏSSE.

Trois évangélistes (2) nous apprennent qu'une femme, tour- mentée pendant douze ans par nn flux de sang rebelle jusqu'a- lors à tous les efforts de la médecine , se glissa dans la foule qui suivait Jésus , et qu'ayant seulement touché la frange ou vêlement du Sauveur, elle fut guérie à l'instant : votre J'ai vow; a sauuée , lui dit Jésus. C'est tout ce que l'évangile nous dit sur ce fait : mais la tradition et l'histoire ont parlé d'une statue que cette même femme fit ériger en l'honneur de Jésus-Christ, pour lui témoigner sa reconnaissance du bien- fait qu'elle en avait reçu. Nous allons faire une revue succincte des écrivains qui nous ont transmis des détails à ce sujet.

Eusèbe deCésarée, mort en 338, nous dit (3) que l'Hémor-

(i) Ceux qui voudront de plus grands détails les trouveront dans les Recherches liisforicjues sur la personne de Jésus-Christ j p. 49 > ^t dans Fleury , histoire ecclésiastique , liv. LV, parag. 3o.

(2) S. Math. IX, 20. S. Marc , v, 25. S. Luc , vui, 43-

(3) Histoire ecclésiastique j lib. vni, ch. 18.

ET LES PORTRAITS DE JÉSUS-GHRIST. 211

roïsse gaérie par Jesus-Christ, habitait la ville de Pane'ade , et que l'on voyait devant la façade de sa maison , au pied d'une fontaine , deux statues d'airain , l'une la représentant elle-même dans une attitude suppliante , et l'autre repre'sen- tant le. Sauveur , debout, enveloppe' dans un manteau, et lui tendant la main. On a ignore' pendant long-temps, continue- t-il , à quel propos cette statue avait e'te' e'rige'e, et même qui elle repre'sentait , parce que ce monument e'tait à moitié' cou- vert de ruines et de terre; mais enfin on a de'couvert la base, et l'on y a trouve' une inscription , portant Ihistoire de son e'rection et le nom de Jésus-Christ, comme e'tant celui qn^elle représentait. Eusèbe dit ensuite qu'il a vu lui-même cette sta- tue , faite selon la ressemblance de la Jigure de Jésus , et cela, continue-til , n'a rien de surprenant, puisque, de son temps l'on voyait beaucoup de tableaux et de dessins repre'sen- tant les apôtres Pierre et Paul , et même le Sauveur.

Aste'rius , e'vêque d'Amase'e , dont plusieurs e'crits ont e'té conservés par Pliotius (i), parle aussi de celte statue en ces termes :

« Cette statue a subsisté long-temps , pour la réfutation de ceux qui osaient accuser les apôtres de mensonge , et elle sub- sisterait encore de nos jours , si Maximin , qui fut empereur avant Constantin , adorateur impie des idoles , voulant persé- cuter le Christ dans le monument qui le représentait , n^eiit fait enlever cette statue d'airain, quoiqu'il n'ait pu faire dis- paraître le souvenir de ce fait. »

Cependant la statue n'avait pas été détruite ; aussi , dit cet auteur, fut-elle recherchée dans la suite, et placée dans la sacristie de l'église {in diaconico ecclcsiœ) ; mais elle en fut tirée du temps de Julien l'apostat, traînée sur la place publi- que et brisée (2).

(1) Voir son Mjrriobihlon , cod. 2ji, clans sa Bibliolheca, in-fol. , p. 15—17.

(2) Voir aussi Soznrnène , 1. v, ch. 21. Pliilostorge ; lib. vu, ch. 3. Uaucluariutn novuni de Combefis, t. i, p. 2G4 , et Jac. Godeti'oy,

212 RECHERCHES SUR LA PERSONNE

Comme Fleury raconte ce fait avec quelques autres circon- stauces , nous allons faire connaître ce qu'il en dit (i).

« Julien (jie' en 33 1 , mort en 363), fit abattre , dit il, cette statue et mettre la sienne à sa place ; mais la foudre tomba sur celle-ci avec tant de violence, qu'elle la coupa par le mi- lieu du corps, lui abattit la tête et l'enfonça le visage en-des- sous. Elle demeura ainsi noircie de la foudre , et s'y voyait encore au temps de Sozomène ( mort vers 4^0 ). Quant à la statue de Je'sus-Clirist , les païens la traînèrent dans la ville par les pieds et la brisèrent. Mais les Clire'tiens la recueillirent et la mii'ent dans l'e'glise , on la gardait encore du même temps de Sozomène. Il est vrai qu'elle n'e'tait que dans la dia- conie ou sacristie, et qu'on ne l'adorait pas, parce que, dit Philostorge, il n'est pas permis d'adorer du bronze ni d'antres matières. Mais on la conservait avec la biense'ance convenable, pour la montrer a ceux qui venaient la voir par de'votion. Quelques particuliers conservèrent soigneusement la tête qui s'e'tait se'parée du corps de la statue comme on la traînait.

Un auteur, Jean d'Antiocbe (2), nomme cette femme Fé- ronique , et rapporte en entier la requête qu'elle pre'senta à Herode, pour obtenir la permission d'élever celte statue. Après quelques louanges adresse'es à ce roi, cette femme y racontait i'bistoire de sa gue'rison ; elle e'tait, dit-elle, afflige'e de celte maladie depuis son enfance; pour le reste, son re'cit est con- forme à celui de l'Evangile, et elle finit, en priant He'rode de lui permettre d'e'lever une statue à son sauveur et bienfaiteur.

Cet He'rode, second du nom, et père de Philippe, celui qui avait fait trancher la tête a saint Jean-Baptiste, accueillit gra- cieusement la demande de Véronique , et lui fit, d'après Jean d'Antioche , la re'ponse suivante :

ad Philostorg. ^ p. 276. Theophilactc , in Lucam , fait aussi mention de cette statue.

(i) Histoire ecclésiastique, lib. xv, 20.

(2) Dit aussi Jean Malala] voii* la Chronographia , Oxonii , 1691 in-80 , p. 3o5.

ET LES PORTRAITS DE JESUS-CHRIST. 213

a Femme , la gue'rison qui a e'té ope're'e sur von s est assu- » re'ment digne d'un beau monument. Allez ; e'n'gez à votre i> sauveur la statue que vous lui destinez , et rendez ainsi à » celui qui vous a gue'rie l'honneur que vous voulez lui » rendre. »

J'ai trouve' cette statue , ajoute Jean d'Antioclie , dans la ville de Pane'ade, chez un certain Bassus, qui de juif s'e'tait fait chre'tien.

LETTRE DE P. LENTULIJS SUR LA PERSONNE DE jÉSUS-GHRIST.

L'antiquité' eccle'siastique n a point fait mention de celte let- tre ; ce n'est que vers le i4* ou le i5« siècle qu'elle a c'te' pu- blie'e et cite'e; il est donc probable qu'elle a e'te' invente'e par quelque auteur du moyen-âge, qui , encore, n'a pas frit grande preuve d'habilete'.

Nous allons d'abord donner quelques renseignemens sur son origine et sur son authenticité' j nous la ferons connaître ensuite.

Il existait dans la bibliotbèque d'Ie'na un manuscrit des e'van- giles, exe'cule' dans le i5" siècle, en tête duquel on lisait :

« On assure qu'au temps de Ce'sar Octave, Publius Lentu- lus, proconsul en Judée, sous le roi He'rode , e'crivit aux se'nateurs romains la lettre suivante, qui fut trouve'e plus lard par Eutrope , dans les Annales de Rome. »>

Venait ensuite la lettre, e'crite en belles lettres d'or.

S'il faut s'en rapporter à ce texte , la non-authenticite' de celte lettre n'est pas douteuse. En effet , ce Publius Lentulus n'est point connu dans l'histoire , et c'est à tort qu'on nous le pre'sente comme proconsul , et ayant exerce les fonctions de gouverneur en Jude'e , avant Ponce-Pilale. C'e'tait Vale'rius Gratus qui remplissait alors ces fonctions, ou , pour parler plus exactement , les fonctions de procurateur de la Jude'e. Gratus fut envoyé' dans ce pays l'an i5 de l'ère vulgaire. Pilate lui succe'da l'an Ci6 , et y exerça cet emploi jusqu'en l'an 38 , cinq ans à-peu-près après la mort de Je'sus , époque il fut de'- nonc^, jugé et condamné à l'exil. Il eut ensuite pour suc-

214 RECHERCHES SUR LA. PERSONNE

cesseur Marcellas. On voit donc qu'il n'est nallement parlé (îe Lentulus.

Quant à cet Eutrope, que l'on dit avoir recueilli cette lettre dans les archives du se'nat, son existence n'est pas plus connue que celle de Lentulus. Suivant les uns, ce serait Vabréi^iateiir de P Histoire romaine ( ue' vers l'an 3io, et mort vers Sgo ), que l'on a voulu faire passer pour chre'tien , parce qu'il a dit que Julien avait perse'cute' le christianisme, mais sans verser de sang. Suivant d'autres , ce serait un Eutrope , disciple d'un certain Ahdias, que l'on dit avoir e'te' premier e'vêque de Ba- hylone, et l'un des soixante-douze disciples du Sauveur. Ces deux, opinions sont aussi dénue'es de preuves l'une que l'antre.

Cependant, si cette lettre nest pas authentique, les rensei- gnemens qu'elle renferme ne sont pas moins curieux, en ce qu'ils parais.sent contenir toutes les traditions qui avaient cours sur la personne du Sauveur Je'sus , à l'e'poque elle a e'té compose'e. Elle pre'sente encore cette circonstance assez parti- culière, que les traits du visage sont semhlaLles à ceux qui sont assigne's à la figure du Sauveur dans le portrait d'une haute antiquité , qui existe dans la chapelle de Saint-Caliste des Catacon)hes, et que nous donnons dans la lithographie jointe à ce , figure 3.

Voici la traduction litte'rale de cette lettre , qui a été repro- dulle plusieurs fois en toutes les langues.

« On a vu dans ce temps })araître un homme, et il vit en- » core , un homme d'une i^rantle vertu, qui se nomme Je'sus- » Christ; on le dit un prophète puissant en œuvres, ses disciples » l'appellent Fils de Dieu. Il ressuscite les morts, et guérit M toute espèce de maladies et d incommodités. Cet homme est » d'une stature haute et hien proportionnée (i). Sa physiono-

(i) Jean-Hciiri Maius (thcologi cognominis Jilius) dans ses Ohserva- tiones sacrœ , lit), in, pag 21, rciiiarque (d'après une lettre de S. Jean Damascène , à l'empereur Théophile, donnée par Combefis , dans son Originum Con slantinopoUtarum ma ni/m lus , p. Ii4), que le Sauveur est représenté exceilenti staturd , junctis superciUis , oculis venustis ; et que Nicéphore (dont nous parlerons bientôt) , lui donne une taille de sept

ET LES PORTRAITS DE JÉSUS-GHRIST. 215

» mie annonce la se ver lie', mais elle a Leaucoap d'expression,

)) de sorte que ceux qui le regardent ne peuvent s'empêcher

n de l'aimer, et en même temps de le craindre. Ses cheveux,

» tirant sur le roux , descendeut lisses jusqu'au bas des oreilles ,

» et de tombent en boucles flottantes avec grâce sur ses

M épaules; ils sont parlage's sur le sommet de la tête à la ma-

n nière des Nazare'ens. Sou front est uni et serein , il n'a aucune

>> tache sur la ligure. Ses joues sont releve'es d'un certain in-

» carnat qui n'est point trop fonce'. Il est d'un aspect agre'able

» et ouvert. Son nez et sa bouche sont très-bien. Sa barbe ,

» assez touffue et de la couleur de ses cheveux , se partage

» en deux au bas du menton. Il a les yeux bleus et très bril-

» lans. On remarque en lui quelque chose de formidable quand

» il re'primande et qu'il fait des reproches, tandis que la dou-

)) ceur et l'amabilité' accompagnent toujours ses instructions et

» ses exhortations. Son visage a une grâce admirable raêle'e

)) de gravité. On ne la jamais vu rire, mais on l'a vu pleurer.

M Sa taille est bien prise; ses mains sont longues et belles, et

)) ses bras ont beaucoup de grâce. Son langage est toujours

» grave et mesure'; mais il parle peu. Enfin on ne peut discon-

» venir, en le voyant que c'est le plus beau des hommes (i).»

palmes (5 pieds, 4 pouces, a lignes), quoique le P. Vavassor , d'après le moine Epiphanius, ne lui donne que six palmes. Voy. son de Jornid Christi , c. ni , n" 5, § 4-

L'Evangile semblerait donner à entendre que Jésus-Christ n était pas très-grand; car s'il eût été d'une taille supérieure, Zachée (S. Luc, XIX, a, 5, 8), n'aurait pas eu besoin de monter sur un sycomore pour le voir et le distinguer dans la foule.

(i) « Hoc teuipore vir apparuit , et arlhuc vivil , vir prredilus potcn- tiâ magnâ ; nomen ejiis Jesiis Christus. Homines eum proplaelam poten- lem dicunt ; discipuli cjus Filium Dei vocant. Morluos viviBcat , et aegros ab omnis generis aegritudinibus et morbis sanat. Vir est altre sta-. tune proporlionalae , et conspcctus vultûs ejus cum severitale , et plenus effîcaciâ, ut spectalores amare eum possint et rursùs timere. Pili ca- pitis ejus vinei coloris usque ad fundamenlum aurium, sine radi..tione et erccii , et à fundaniento aurium usque adhumeros conlorli ac hicidi , et ab bumcris dcorsum pendentes , bilido verlicc dispositi in morem

216 KECHERGHES SUR LA PERSONNE

Tel est le portrait de Je'sas-Christ, trace par le pre'tendu Lenttilus. Il est certain qu'on n'y trouve rien qui re'pugnc à l'ide'e que l'on peut se faire de la personne du Sauveur, ni à ce que nous en dit l'Evangile.

PORTRAIT DE JÉSUS-GHRIST , d'aPRÈS NICÉPHORE CALLISTE.

Nice'pliore Calliste e'crivait sous le règne des Pale'ologues ; on croit qu'il ve'cut jusqu'à l'an i35o. Arrive à l'aurore de la re- naissance des lettres, il s'occupa beaucoup du soin de rassem- bler tous les ouvrages des e'ciivains préce'dens , et forma , de tous les renseignemens qu'il y trouva, xxnQ Histoire ecclésiasti- que qui surpasse en goût et en e'Ie'gance toutes celles qui 1 ont pre'ce'de'e. C'est dans cet ouvrage qu'il trace le portrait suivant de Je's us-Christ.

« Voici le portrait de notre Seigneur Je'sus-Clirist , d'après )> ce que nous en ont appris les anciens, et tel, à-peu-près , » qu'on peut le rendre dans une description par écrit et lou- )) jours imparfaite. Son visage e'tait remarquable par sa beauté » et par son expression. Sa taille e'tait de sept palmes au moins n ( 5 pieds, ^p., 2 lig. ). Ses cheveux tiraient sur le blond ; ils » n'étaient pas fort épais, mais an peu crépus à l'extrémité. » Ses sourcils étaient noirs, mais pas exactement arqués. Ses )) yeux tirant sur le brun et pleins de vivacité, avaient un » charme inexprimable. Il avait le nez long. Sa barhe était » rousse et assez courte ; mais il portait de longs cheveux.

Nazarœornm. Frons plana et pura , faciès cjus sine macula , quam ru- bor qtiidem temperatus ornât. Aspectiis ejus iiigenuîis et gratus. Nasus et os ejus nulle moJo reprehensibilia. Barba ejus multa , et colore pi- loruni capitis Mfurcata : oculi ejus cœrulei et extrême liicicli. In re- prehendcndo et objurgando foi midabilis; in docendo et exhortando blandaâ linguae et amabilis. Gralia miranda vullûs , cum gravitale. Vol semcl eum riilentetn nemo vidit , sed flentem imo. Protracla slatura corporis, maniis ejus reclie et erectte , brachia ejus dclcctabilia. In loquendo ponderaus et gravis , et parcus ioquelâ. Pulcherrimus inter homines satos. »

ET LES PORTRAITS DE JÉSUS-GHRIST. 217

u Jamais le ciseau n'a passé sur sa tête; nulle main d'homme » ne l'a touchée, si ce n'est celle de sa mère, lorsqu'il e'iait » encore enfant. Il penchait un peu la tête, et cela lui faisait » perdre quelque chose de sa taille. Son teint e'iait à peu-près » de la couleur du ùol\^c^^t{/or.<:quil commence à miirir). Son » visaije n'e'tait ni rond ni alonge' , il tenait heaucoup de celui » de sa mère, surtout pour la partie inférieure. Il e'tait ver- » meil. La gravite', la prudence, la douceur et une cle'mence a inalte'iahie, se peignaient sur sa ligure. Enfin il ressemblait » en tout à sa divine et chaste mère (i). »

On voit, par le commencement de ce portrait, que Nice'phore l'a trace' d'après la tradition, siciiti à vcteribus acccpirniis ; et sans doute il aura recueilli soigneusemeut et scru|)uleusement tous les renseigncmens , soit écrits, soit traditionnels, cju'il aura pu de'couvrir sur la personne de Je'sus-Cl<rist. Sa descrip- tion ne diiïère guère de celle du pre'tendu Lentulus, que pour la couleur des yeux du Sauveur, c^ue l'un fait ikus et 1 autre bruns; tout le reste est assez semblable, à part quelques dé- tails e'nonce's dans l'un et omis dans l'autre.

(i) Porro effigies formne Domiiii nostri Jesii Cliristi , siciili à veteri- bus accepiruus, talis propemodiim , cpiiilenus cam cravsiiis veibis com- prebendere licet , fuit. Egregio Is viviiioqiie vultii fnic. Corporis statura ad palmas prorsus septem. Cesariem liabuil siiLflavam, ac non ad- modùm dcnsam , leniter quodam modo ad crispos declinanfem. Super- cilia nigra , non perindè inflexà. Ex oculis fulvis et snbflavesceiilibus miriGca promincbat gratia. Acres ii erant , et nasus longior. Baiba; capilius fiavus nec admodùm demissus. Capitis porrô ca|)illos tulit pro- lixiores. Novacula enim in caput ejiis non ascendit , neque maïuis ali- qua bominis , pr.ieterquam matris , in tcnerâ diintaxat œtate ejus. Col- lum fuit sensim déclive , ilà ut non arduo et extento nimiiim corporis statu esset. Ponô trilici rcferens colorera , non rotundam aut acutam habuit faciem , sed qualis matris ejus erat , paulùm deorsùm versuni vergentem , ac modéré rubicundam : gravitatem atque prudenliam cum lenitate conjunctam , placabililatem iracunJix expertam prœ se feren- tem. Persimile deuiquc per omnia fuit divinœ et immaculatae sua; Genitrici.

218 RECHERCnES SUR LA PERSONNE

DE QUELQUES AUTRES PORTRAITS, SAINTES FACES, SUAIRES, LARMES ET SANG DE JESUS-CHRIST.

Oa parie en cîifFerens endroits de reliques portant le nom de portraits, saintes faces, larmes et sang de Je'sus-Christ. 11 n'entre pas dans notre plan de recbérclier on de discu- ter rantheiiticite' de toutes ces reliques , sur lesquelles il a e'te' compose' des traite's et des ouvrages spe'ciaux. Pour les personnes qui douteraient de cette authenticité' , et qui vou- draient en me'dire, nous nous contenterons de citer le passage suivant de Bossuet (i).

« Savoir, dit-il, s'il reste quelque portion de ce sang et de ces larmes, c'est ce que l'Eglise ne décide pas. Elle tolère même sur ce sujet les traditions de certaines e'glises , sans qu'on doive se soucier de remonter à la source. Tout cela est in- diffe'rent, et ne regarde pas le fond de la religion. Je dois seulement vous avertir que le sang et les larmes qu'on re- garde comme e'tant sortis de Je'sus-Christ, ne sont ordinaire- ment que du sang et des larmes qu'on pre'tend sortir de certains crucifix, dans des occasions particulières, et que quelques e'glises ont conserve's en me'moire du miracle; pense'es pieuses, mais que l'Eglise laisse pour ce qu'elles sont, et qui ne font, ni ne peuvent faire l'objet de la foi. »

d'un PORTRAIT REPRESENTANT JÉSUS-CHRlST DANS SA JEUNESSE.

S'il faut en croire M. Raoul Rochette (2), c'est à une secte d'he're'tiques que l'on doit les plus anciennes figures du Christ et des apôtres. C'est pour l'usage des gnostiques, dit-il, et par la main de ces sectaires, que furent fabrique'es d'abord de petites figures du Christ , dont ils rapportaient le premier mo-

(i) Lettre sur V adoration de la Croix.

{•i) Discours sur l'origine , le développement et le caractère des tjpes imitatijs qui constituent V art du christianisme j in-8°, p. i5. A Pans, chez Adrien Lcclère, i834.

ET LES PORTRAITS DE jisUS-CHRIST. 219

dèle à Pllate Inî-mème (i) Ces statuettes se faisaient d'or,

ou d'argent, ou d'autre manière, à l'instar de celles de Pytlia- gore , de Platon, d'Aristote et des autres sages de l'antiquité, que ces sectaires exposaient couronue's de fleurs, dans leurs conciliabules, et qu'ils honoraient toutes du même eu lie.

Celte superstition qui admettait aussi les images peintes du Christ, e'tait surtout en vogue chez les gnostiques de la secte de Carpocrate (2) , et riiistoii'e a conserve le nom d'une femme, Marcelline , aflîliée à cette secte, pour la propagation de laquelle elle s'e'tait rendue du fond de l'Orient à Rome, et qui, dans l'espèce de petite église gnostique quelle y dirigeait, exposait à l'adoration de ses fidèles des images de Jésus et de saint Paul , à'Honière et de Pytliagore.

A la suite de ces reflexions, M. Raoul Rochette pense que c'est à cette coutume des gnostiques que les chre'tiens doivent l'ide'e d'avoir aussi fait des images du Christ. Nous ne contre- dirons pas sur cela le savant professeur d'arche'ologie , quoi-

(i) Les lîéréliques préfentlaient que Pilale avait envoyé le portrait de J.-C. à Rome , en même temps que les actes de son supplice.

Les acf es dits de Pilate , consistent dans la re/a^/o«c?e la condamnation de J.-C. , et deux lettres adressées à Tibère ; ces actes ont été un grand sujet de discussion pour les savans. S. Justin, martyr, mort en 167, est le premier qui en ait parlé; il en est aussi question dans l histoire du martyre de S. Ignace d^ Anliochc , arrivé l'an 107, et dans V Apologéti- que de Tertullien. Ce sont les plus anciennes autorités que l'on cite en faveur de ces actes. Mais ils ont été rapportés depuis par un grand nombre d'auteurs, et avec de telles variantes, qu'il est plus que pro- bable que ceux que nous avons encore sont apocryphes. On en trouve une traduction en français dans la Collection d'anciens éx^angiles, in-S». Voir aussi le Codex apocryphus nofi testamenti y de Fabricius, t. i , p. 221 , et t. u, p. 455. Et l'excellente dissertation de Dom Calmet, dans le t. m de ses Dissertations , p. 65 1.

(2) C'est ce que nous assurent S. Irénée, adu. hceres., 1. i, cb.xxv, § 6 de l'édition de Massuet , et S. Epiphane, hœrcs. xxvii , § 6. Voir aussi à ce sujet, la dissertation de Jablonsky, de origine imagi- num Christ i Domini in ecclesid christianu , § 10, dans ses Opuscula phi- lolog., t. m, p. 394.

220

RECHERCHES SUR LA PERSONNE

qae, pourtant , la seule tradition, vraie ou fausse, qui attribue des portraits du Christ à Je'sus lui-même, à saint Luc et à d'autres chre'tiens contemporains, puisse faire douter que l'E- glise ait jamais regarde' ces portraits, ou la profession de pein- tre, comme interdits (i). Rien ne s'opposerait donc à ce que la figure dont nous donnons la repre'sentation ( fig. i"=) fût l'ou- vrage d'une main clire'lienne. Cependant nous allons en parler d'après M. Raoul Rochelle , en supposant avec lui que c'est une de ces amulettes que les gnostiques portaient à leur cou.

Ce portrait du Clirist est grave' sur la hase d'un cône tron- que', perce' de part en part, et destine' par conse'quent à être porte'. La matière est une calce'doine blanche, et le travail, oîi se remarque une sorte d'afTectalion du style anliqne, em- preint de se'cheresse, doit s'e'ioigner peu de 1 e'poque d'Alexan- dre Sévère, c'est-à-dire, du 2* ou siècle (2).

On doit remarquer que le Christ y est repre'sente' de profil ; sa figure est jeune et imberbe ; peut-être l'amulette e'tait-elle desline'e à des enfans, et, à cause de cela, a-ton voulu de'- peindre le Christ dans sa jciunesse. Autour de la tête se trouve le nom de CHRIST, en caractères grecs, XPISTOY; au-dessous se voit la figure du poisson , qui e'tait à cette e'poque une tessère , ou marque de reconnaissance , en usage parmi les chre'tiens.

Il ne sera pas sans inte'rêt de donner ici quelques de'tails sur ce point d'archéologie chre'tienne.

Les premiers chre'tiens se servaient du poisson pour se re- connaître, parce que le nom du poisson, quiestlXOYS, /c/z-

(i) Il serait facile de prouver que déjà dès les premiers temps les chrétiens axaient des images de Jésus-Ciirist, des apôtres, etc. L'opinion de M. Raoul Ilochette sur l'origine des plus anciennes figures de J.-C. et des apôtres nous parait sujette à caution. Voyez Devoti , Institutinnes Canonicœ , lom. I, pag. 61 3 ; Binterim , Epislola Catholica prima de prohationibus (heologicis per acla Marlyrum , p. 164 ; et Bergier , Dic- tion, thèol. art. images,

(2) Voir ci-après la fig. 1 ; elle a été faite sur une empreinte en cire, que nous devons à l'obligeance de M. Raoul Rochette. L'original est daus le cabinet de M. Fortia d'Urban.

ET LES PORTRAITS DE JESUS-CHRIST. 221

tus , en grec , est forme' des premières lettres de la phrase suivante :

qui signifie : Jésus-Christ, fils de Dieu, Sauveur. Le mot IX0Y2, poisson qui contient les premières lettres de cette phrase, e'tait donc comme un hiéroglyphe qui leur servait à fiiire la pro- fession de leur foi et de leur croyance , tout e«i paraissant ne prononcer qu'un mot commun et insignifiant; outre cela, le poisson , qui ne peut vivre que dans Veau , e'tait encore une image des chrétiens, qui ne peuvent avoir une ve'ritable vie que celle qu'ils reçoivent dans les eaux du baptême. C'est pour cela aussi qu'ils s'appelaient entre eux i^èôè^ioi , pi sciculi , petits poissons ; et c'est à cette coutume que fait allusion saint Cle'- ment, quand il dit dans l'hymne à Jésus Sauveur ( cl-d. p. 1 76 ) :

Pêcheur des hommes rachetés , Amorçant à rélernelle vie U' innocent poisson Arraché à l'onde ennemie De la mer du vice.

MÉDAILLE JUIVE DE JESUS-CHRIST.

Le révérend R. Walsh, dans un livre tout re'cent, consacre' aux monuroens rares ou inédits du premier âge du christia- nisme (i) vient de rappeler l'attention sur une médaille fort curieuse, déjà connue vers le iS'' siècle. Voici la description qu'il en donne. (Voir la figure 2.)

« La face représente la tétc de Noire-Seigneur, vue de profil , telle à peu près qu'elle est décrite dans la lettre que l'on dit avoir été envoyée par Lentulus à Tihère : les cheveux sont partagés à la manière des Nazaréens , applatis jusqu'aux oreil- les, et ondulans sur les épaules, la liarhe touffue, peu longue,

(i) ^n Essay on ancient Coins , Medals and Gems ^ as illustraling the progressj oj' christianity in the early ^ges , by the Rev. R. Walsh, 3c édit. London , i83o.

T. X. 16

222 REGBEKCnES SUR LA. PERSONNE

mais fourchue, le visage beau, ainsi que le busle , sur lequel la tunique tombe en plis gracieux. )i

Sur la face de la rae'daille est la lettre he'braïque X aleph , qui paraît être i'abre'viation du mot yldonéiiou, notre maître, et le mot 1^£^» , lechou , le nom juif de J('sil<;. Il est à remar- quer que cette tête n'est pas entourée du nimbe ou auréole^ circonstance qui donne quelque poids (i) à l'opinion qui re- connaît une assez haute antiquité' à ce monument. Sur le revers on lit cette inscription hébraïque :

♦n n*^y dtnq "jni uhv2 n3 i^a n'tya (2)-

c'est-à dire : le Messie , Roi ; il vînt en paix , et étant devenu la lumière de l'homme (3) // vit.

M. Raoul Rochelle croit encore que cette me'daille , qui , comme on le voit dans la lithographie que nous en donnons, e'tait destitie'e à être suspendue et portée , servait d'amulette et de tessère à des juifs convertis au christianisme ; il croit aassi qu'elle est conforme aux types gnostiques du premier âge.

PORTRAIT EN BUSTE DE JÉSUS-GHRIST , TIRE DE LA. CHAPELLE DU CIMETIÈRE DE SAIXT-GALLISTE , A ROME,

Enfin, il est encore plusieurs images du Sauveur, qui sont d'autant plus dignes de notre attention, qu'elles sont dues in-

(i) M. Raoul Rochctte ainsi que Heyue , doutent cependant de Fau- thenticité de cette médaille.

(2) Le texte hébreu donné par le R. Walsh est rempli d'incorrec- tions , et est absolument incompréhensible. Kous le rétablissons ici avec le secours de MM. Bore et Cahen , et surtout de M. Munk, qui s'est occupé avec beaucoup de zèle à déchiffrer cette inscription. Il nous a même procuré un exemplaire de la médaille , que nous donnons ici. A la vérité , la troisième et la quatrième ligne de cette médaille sont illisibles : mais une autre très-bien conservée, qui nous a été communi- quée à la Bibliothèque du Roi , donne l'inscription telle qu'elle est gravée sur la médaille Jig. a* , et telle que nous la transcrivons en lettres modernes.

(3) M. Munk nous a fait observer que l'hébreu dit lux ex homine , et non lux hominis ; est-ce une faute de celui qui a frappé la médaille?

ET LES PORTRAITS DE JÉSUS-GHBIST. 223

contestablenient à des pinceaux chre'tiens. Nous avons fait li- tliographier la principale et la plus ancienne de ces images dans la fig. 3. Nous la laisserons de'crire par M. Raoul Rocliette, qui nous fera connaîtx'e aussi les plus lenomme'es de ces pein- tures chre'tienues.

« La plus ancienne image du Christ, due à un pinceaa chre'- tien , que le temps nous ait conserve'e , est sans doute celle qui se voit à la voûte d'une chapelle du cimetière de Saint- Callisfe , et qui est puhlie'e dans le recueil de Bottari (i). Le Saiweur des hommes y est repre'sente' en buste., à la manière des anciennes imag;iiies dypeata des Romains (2); du reste, sous cette forme hie'ratique , qui paraît avoir e'te' de'jà fixe'e à cette époque , telle qu'elle se trouve dans les monumens de l'art clire'tien , à travers toute la pe'riode byzantine, le Christ s'y montre avec le visage de forme ovale le'gèrement alonge'e, cette physionomie grave, douce et me'lancolique , cette barbe courte et rare , ces cheveux , se'pare's sur le milieu du front en deux longues masses qui retombent sur les e'paules , abso- lument comme on le voit figure' sur cinq sarcophages da ci- metière du Vatican , dont le style et l'exe'cution appartiennent, suivant toute apparence , au siècle de Julien (3).

(i) Pillure e ScuUurc sacre , etc. , t. 11, tav. lxx, p. /(2.

(2) Sur cette manière de représenter le Christ en buste j imitée des images sur bouclier, voyez Buonarotli , qui en cite pour exemple la mosaïque, aujourd'hui détruite, du grand arc de Saint-Paul hors des murs , Ditdco sacro, etc., p. 262. Cet usage durait encore au septième siècle , et l'on en a acquis la preuve par la peinture de l'Oratoire de Sainte-Félicité, découvert en 1812 dans les Thermes de Titus , en haut de laquelle était une image pareille du Saui'eur en buste 5 Guattani , Memorie e/iciclopediche , etc., t.i, tiv. xxi.

(3) C'est ropiniou d'un observateur très-cclairé , feu M. Sickler , qui a publié dans YAlinanach ans Rom. , 18 10, le résultat de recherches in- téressantes sur les premiers monumens de l'art chrétien, ûber die Ent- stehung der chrislichen Kunst , p. 179-180. Les sarcophages sont publiés dans le recueil de Bottari, t. 1, lav. xxixxv. L'un de ces monumens, qu'on croit avoir servi de cercueil à Olybrius , fils de Probus , mort en J95, est coniéquemraent un ouvrage du siècle. Voyez Emcric David , Discours historitjues , p. 64 et 92.

16.

224 RECHERCHES SUR LA PERSONNE

» Une aatre image du Christ, qni ofTre a-pen-près les mêmes traits, se retrouve clans une chapelle tlu cimetière de Saint- Pontian (i); et une peinture toute seuiblable avait e'te décou- verte dans la cataconibe de Saint-Calliste , par Boldetti , qui eut le chagrin de la voir pe'rir sons ses yeux , et en quelque sorte sous ses mains , en essayant de la faire enlever de la mu- raille (2). Mais la peinture du cimetière de Saint-Pontian ac- cuse manifestement une e'poque beaucoup plus récente, pro- bablement celle du Pape Adrien P"^ , qui fit restaurer les peintures de ce cimetière, suivant le te'moignage de son bio- graphe (3); et l'on ne peut y voir qu'un te'moignage de l'ha- bitude e'tablie parmi les artistes d'un temps de'jà bien avance dans la de'cadence , de re'pe'ter un type produit à une plus haute e'poque, et consacre' par la tradition. En nous attacliant donc uniquement aux peintures du cimetière de Saint Calliste , qui sont certainement les plus voisines du premier âge du christianisme, et de la meilleure manière, nous sommes à- peu-près sûrs d'y trouver le type de la figure du Christ, tel qu'il avait e'te' fix» d'abord dans le sein de l'Eglise grecque , et ge'ne'ralement adopté par les fidèles d'Occident, au cinquième siècle de notre ère.

» Tout prouve , en effet , que ce type , reproduit invaria- blement dans les œuvres de l'art byzantin que nous connais- sons, fut l'œuvre des artistes grecs; car c'est lui qui se re- trouve dans les miniatures des manuscrits grecs du moyen âge , plusieurs desquels font partie du riche Muséum Chris- tiatium du Vatican (4); et c'est aussi celui qui servit de type

(i) Bottari , Pitture , etc. tom. i, tav. xlih. (a) Boldetti, Osseruazioni , etc., p. 21 et 64.

(3) Anastas. in Hadrian... c. i. Voyez Aringhi , iZom. Sotteran. liv. ii, c. 29, 1. 1, p. 36i sqq. A défaut même de ce témoignage, on ne sau- rait s'empêcher de regarder l'image en question comme une œuvre des •je ou siècles ; telle est aussi l'opinion de M. Sickler, Âlrnanac.h nus Rom. , etc. , p. i83, et celle de M. le Ch. Settele , dans les Au. delV Acad. Rom. d^Archeol. , t. 11, p. y3.

(4) Une de ces têtes du Christ , de style byzantin , tirée de la col.

ET LES PORTRAITS DE JESUS-CHRIST. 225

aax monnaies byzantines , dès l'e'poque la iête du Christ fat employée à cet usage , à partir du règne de Justinien II Rhinotmète. »

PORTRAITS DE JÉSUS-GHRIST d'aPRÈS LES PREMIERES ÎIONNAIES FRAPPÉES EN SON HONiNELR PAR LES EMPEREURS CHRETIENS.

Nous allons terminer cette revue, en citant , d'après le doc- teur Walsh , «ne des premières monnaies qui aient été frap- pe'es à l'ejDfigie du Christ. Celle dont nous donnons la lithogra- phie ( fig. 4 ^^^ ^" *^^ ' ^^ '^^ ''• P'"^ helle fabrique. Elle date du règne de Justinien II , dit Rhinotmète , e'ievé sur le trône impe'iial l'an 685 et mort l'an 711 (i).

Depuis la conversion de Constantin , les empereurs chre'tiens avaient bien mis sur leurs me'dailles , comme sur leurs dra- peaux, la croix, ou le monogramme du Christ, le X, c///grec, surmonté d'un P, rho grec; mais Justinien II fut le premier qui voulût que la figure même du Christ figurât à la place de celle des empereurs , sur les monnaies de l'empire. Voici la description de cette médaille , donnée par Walsh :

« La face représente le buste du Christ, tenant à la main gauche lEvangile ou le livre des prophéties, qu'il semble ex- pliquer par le geste du doigt index de la main droite; la tête est couronnée de rayons. La légende est un mélange de lettres grecques et gothiques, et porte ces mots :

lection des manuscrits grecs du Vatican , est publiée par M. Sickler , qui l'a rapprochée d'une tête de Giotto. Voyez son Almanach ans Rom., tav. n, no 5 et 6, p. 190 et iy6. 3c n'ai pas cité une tète du Christ, en mosaïque, publiée par M d'Agincourt , comme une œuvre des pre- miers siècles, Peinture pi. i3 , n" 22 , parce qu'elle ne m'offre aucune date certaine.

(i) Voir aussi quelques autres de ces médailles dans Eckel , Doclr. Num. , liv. VIII , p. 238 ; et , dans Ducange , famil. Jugiist. Bjrzant., p. 116, i23, 128 et i?>6, et les nombreuses médailles au même type, appartenant aux autres empereurs grecs.

226 HEGHERCHES SUR LA. PERSONNE , ETC.

JESUS CHRISTUS , EEX REGNÂNTIUM ,

Jésus-Christ , Roi des Rois.

Le revers représente l'empereur en roLe à bandes croise'es ; sur la tête il porte une croix ordinaire, et il tient à sa main droite la croix de Justinien , ou la crois grecque.

La le'gende est :

DOMINUS JUSTINIANUS SERVUS CHRISTL Le seigneur Justinien, serviteur du Christ.

A l'exergue on lit :

CONOB, c'est-à-dire, CONstantinopoleôs OBsio-sx-tx, Frappée à C onstantinople.

Tels sont les principaux renseignemens que la tradition et l'histoire nous ont conserve's sur la personne et les portraits du Sauveur. Nous espe'rons qu'ils auront inte'resse nos lecteurs, et qu'aussi ils ne verront pas avec moins de plaisir ceux que nous nous proposons de donner sur la personne de la sainte Vierge Marie.

A. BONTÎETTY , De la société asiatique de Paris.

227

EXAMEN SU MOSAISME ET SU CHRISTIANISME,

PAR M. REGHELLINI^ DE SCHIO. PARIS, 1833, TROIS VOLUBIES lN-8°.

L'examen d'une religion n'est point celui des difficultés que peu- vent faire naître son histoire, ses dogmes, ses lois, ses rits. Si elle nous a conservé des faits pre'cieux omis ou altére's dans les annales de tous les peuples , si elle renferme une le'gislation sage et les maximes de la morale la plus pure , si la foi d'un Dieu unique , créateur, souverainement juste, doue' d'une puissance infinie, d'une bonté sans bornes, est demeurée intacte dans celte seule religion; si elle a été pendant plusieurs siècles la scuIk digne de l'homme et de celui qui lui a donné l'être , l'auteur qui l^cxamine ne peut , sous peine d'une partialité re'voltante, se dispenser de le dire. Cependant, sur toutes ces choses, M. ReghcUini garde un profond silence. Sa bonne foi est-elle néanmoins à l'abri de tout reproche, quand il discute les difficultés que présente la Bible? Pas davantage. Il re- garde comme une approbation de certains actes le simple récit qu'en fout les écrivains sacrés. Ce n'est pas tout. Dans le doute , il pré- sente toujours les faits sous la couleur la plus défavorable. Mais que penser de l'ignorance ou de la mauvaise foi d'un auteur qui attribue l'approbation de certains crimes à celui qui les condamne formellement? Que penser de sa critique, lorsqu'il donne comme incontestablement vrai ce qui est incontestablement faux? C'est dans cet esprit qu'a été écrit V Examen du Judaïsme et du Christia- nisme. Les erreurs y fourmillent; il a été composé sous l'impression d'une haine violente contre le christianisme; sentiment triste, et qui n'a pas eu Tavanlnge de lui donner un peu de verve, car son livre est aussi mal rédigé, aussi lourd qu'il est mal pensé. Ce ne sont pas d ailleurs des erreurs nouvelles qu'il met au jour : ce sont les impiétés de Baylc et de Frérit, avec leur érudition de moins; ce sont les diatribes de Voltaire dépouillées de son esprit. M. Re- ghcUini n'a point lu tout ce que la crilupie moderne a produit de travaux bibliques en Allemagne. Il en est h des objections qui an- noncent une absence totale de sagacité et de logit^uc , et que les

228 EXAMEN DU 3I0SAÏSME

savans protestans d'outre Rhin , fort hardis d'ailleurs sur d'autres points, rejettent avec mépris. Nous ne pouvons e'nurnérer et discu- ter ses innombiables méprises. Il faudrait un ouvrage plus étendu que le sien. Nous nous bornerons à relever les deux erreurs les plus importantes : la première attribue le Pentateuquedi un auteur postérieur aux conquêtes d Alexandre-le-Grand,

« Les livres, dit-il, dont l'ensemble forme la Bible furent écrits depuis le règne de ce conquérant et pendant que les juifs se trou- vaient sous la domination des princes qui gouvernèrent après lui la Judée , l'Assyrie et l'Egypte. Par ils contiennent des idées em- pruntées aux anciennes mythologies grecques et orientales; il est également possible que les rabbins aient connu Lucain, qui décrit un déluge dans lequel Deucalion se sauve avec sa famille, n Tom. i, pag. 8.

Ainsi, ce sont les rabbins qui ont composa la Bible. Nous avions eu tort de dire que M. Reghellini n'écrivait rien de nouveau. Et que pensez-vous de Lucain , de l'auteur de la Pharsale^ que l'on suppose avoir fourni à l'auteur de la Genèse l'idée du déluge? En vérité , la plume tombe des mains quand on veut répondre à des assertions dictées par une aussi grossière ignorance. Hobbes, Spi- nosa, Peyreira , Richard Simon, Voltaire, et parmi les Allemands, Hasse , Frédéric Fulda , Nachtigal , Vater , Le Brecth de Wete, ont bien contesté la date du Pcntateuque , o\i Si&.viaé que les écrits de Moïse avaient été retouchés plus tard ; mais ils n'auraient ja- mais osé s'exposer au mépris public en attribuant à des rabbins et en plaçant dans une époque aussi moderne la rédaction du Pen- tateuque.

C'est, du reste, un fait bien démontré, que les cinq livres de Moïse nous sont parvenus sans altération essentielle. Le savant Ro- senrauller défend leur authenticité par les preuves intrinsèques et par les témoignages nombreux et irrécusables qui l'ont attestée de siècle en siècle (i). Il n'y a qu'un auteur ayant sous les yeux les évé-

(i) Rosenmuller n'a donné les preuves de rauthenticilé du Pentateu- que que dans la seconde édition de son Commentaire sur la Bible, en tête du premier volume j cet ouvrage est en latin.

ET DU CHRISTIANISME. 229

nemens qui puisse les raconter comme le fait Moïse. On voit qu'il est dans le désert quand il les décrit , et que ses discours n'ont ëte pronon- cés qu'en présence du peuple. Ses lois n'ont pu être rédigées après coup ; l'événement qui les a provoquées ou accompagnées est pour eu expliquer la cause et l'occasion. Si ce n'est pas le législateur d'un peuple voyageur, on -n'explique pas pourquoi quelques-unes de ses prescriptions ne sont pas terminées. On explique encore moins cel- les qui n'avaient de rapport qu'à cette position transitoire. Vous voyez à ses récits brises un chef campé sous la tente et occupé de mille soins divers; on peut remarquer les endroits oîi il a posé et repris la plume.

Les preuves intrinsèques sont encore plus de'cisives. C'est une suite non interrompue d'écrivains diflerens par le style, l'cpoque, l'objet de l'ouvrage, qui citent en une multitude d'endroits les li- vres de Moïse , et qui rappellent l'observation de ses lois. C'est la tradition de tout un peuple, ses moeurs, ses fêtes, son culte qui reposent sur ces mêmes livres. Que deviendront les règles de la cri- tique, quelle assurance aurons-nous des faits, si l'on peut braver ainsi un des plus ëvidens ?

Disons un mot des évangiles. Quelques critiques hardis ne font pas remonter leur publication avant la fin du n siècle. Mais aucun , avant M. Reghellini , n'avait eu l'incroyable témérité de la placer au iv" siècle , trente-sept ans après le concile de Nicée. Le passage est trop curieux pour n'être pas cité.

« Le concile de Nicée ne cite jamais ni Mathieu , ni Marc , ni Luc, ni Jean , quoiqu'on lise de temps à autres quelques passages de tous ces évangiles , sans les citer dans le corps des Actes. »

Vous pensez que de la transcription de ces fragmens , oîx le nom des évangëlistes est seulement omis, il va conclare qu'ils existaient. Point du tout.

«Il paraît, dit-il, que ces passages sont des pièces intercallées pour donner un vernis d'antiquité et d'autorité à ces écrits, qui n'existaient pas encore. Il est bien vrai que deux évangiles ont pu exister trente-sept ans après ce cortcile. Julien en fait mention dans une lettre. » Tom. III, pag. i34.

230 EXAMEN DU MOSAÏSME ET DU CHRISTIANISME.

Ainsi, les actes d'un concile universel ne prouvent rien, mais une lettre de Julien est irrécusable. En mettant d'ailleurs a part l'autorité du concile , les témoignages des Pères du iii^ siècle sont si nombreux, si unanimes, il est en outre si universellement re- connu que les évangiles étaient, dès la fin du n*" siècle, répandus dans toutes les églises chrétiennes, que l'on est jugé quand on ose contester ces faits. Mais il y a plus : il est impossible de ne pas attribuer aux auteurs dont ils portent le nom ces livres du nouveau Testament. Oishauscn a très-bien prouvé que le témoignage de Papias, lequel affirme que saint Mathieu avait composé son Evangile en hébreu, ne pouvait être re'cusë. Papias e'tait disciple des apôtres, et il invoque le témoignage du prêtre Jean , disciple de Jésus-Christ. La même autorite garantit l'authenticité de l'Evaugile de saint INIarc. Les plus habiles critiques ont démontre' que l'Évangile de saint Luc était antérieur à l'un des faux e'vaugiles, celui de Marcion ; or, ce dernier remonte h l'an i4o de notre ère ; mais comme Marcion n'a- vait fait que mutiler saint Luc, et qu'il avait voulu donner à son écrit l'autorité déjà acquise à un ouvrage ancien, il n'est pas dou- teux que celui-ci ne remontât jusqu'aux apôtres. Il n'est enfin au- cun critique qui n'attribue au même écrivain les e'pîtres et l'Evan- gile qui portent le nom de saint Jean. Or, la première e'pître de cet apôtre est citée par saint Polycarpe , son disciple.

Un témoignage plus clair et plus décisif sur l'authenticité des quatre évangiles est celui de saint Irene'e. Il était l'ëiève de saint Polycarpe , lequel avait été instruit et fait ëvêque par les disciples de Jésus-Christ. Ayant visité la moitié du monde chre'licn, connu les principales c'glises, vécu en Asie, il était né, dans les Gau- les, oii il fut évêque, à Rome, il fit un voyage avant son épis- copat, personne mieux que lui ne pouvait parler avec connaissance de cause des quatre évangiles. Non-seulement il nomme leurs au- teurs dans l'ordre ils sont aujourd hui , mais il assure qu'ils étaient reçus par toutes les e'glises qu'il avait parcourues, que les héréti- ques leur rendaient témoignage, et que partout on les attribuait aux apôtres. Tertullien et saint Clément d'Alexandrie sont des té- moins non moins pre'cis, quoiqu'un peu moins anciens. On trouvera les preuves de l'authenticité des évangiles , que nous ne pouvons qu'indiquer sommairement , dans l'ouvrage d'Olsbausen , l'un des

J.-J. AMPÈRE, mSTOIRE COMPAREE DES LAITGUES. 231

meilleurs sur cette partie de la critique sacrée. Il re'fute victorieu- sement, non pas des adversaires aussi ignorans que M. Regbellini, mais aussi quelques déistes et quelques protestans, qui, sans être plus dans le vrai , fout remouler au siècle la composition des évangiles.

L'ouvrage de M. Regbellini renferme une multitude d'assertions du genre de celle que nous venons de citer. Il en est dans le nom- bre de bien révoltantes. Il attribue aux juifs et aux premiers chré- tiens la pratique de la communauté des femmes. Ne lui demandez pas de preuves, il ne sait que calomnier à tout prix. Heureusement qu'en comptant sur l'ignorance de ses lecteurs , il n'a pas pensé qu'ils trouveraient dans l'ennui que cause son livre un contrepoison efficace. L'Ami de la Religion, 2288.

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PRINCIPES

FOUR SERVIR A L'HISTOIRE COMPAREE PES IiANGUES.

Rapports de mots. Rapports de formes. Résultats des travaux des savans étrangers. Les langues primitives étaient plus parfaites que les langues modernes. N'a-t-il pas existé une langue monosyllabi- que, la plus riche de toutes ?

L'histoire compare'e des langues est une des sciences qui sont destine'es à jeter un jour inattendu sur l'existence des an- ciens peuples, sur leur origine commune et leurs migrations successives. Plusieurs fois de'jà nous avons fait ressortir les preuves nouvelles que la Linguistique est venue apporter aux récits de nos écritures. Et cependant , à peine l'impulsion a été donnée, à peine cette science est née et a fixé l'attention de quelques hommes qui l'ont étudiée par pure curiosité j mais nous savons que quelques savans chrétiens s'en occupent , et qu'un plus grand nombre désire connaître les règles qui doi- vent le guider dans cette étude. Nous croyons donc faire une

232 J.-J. AMPÈRE ,

chose agréable et utile à nos lecteurs , en leur offrant ici les re'flexions pleines de justesse qu'un savant distingue M. J. J. Am- père, a enlises sur la qiieslion de i'e'lude des langues (i).

M. Ampère fait d'abord observer que les rapports qui exis- tent entre les langues sont de deux sortes : selon que l'on com- pare les mots ou les formes, le vocabulaire ou la grammaire de ces langues.

II fait observer ensuite que l'on peut abuser des rapports de mots, parce qu'on peut à toute force supposer que la bou- che ait prononce', en diffe'rens pays , le même son pour ex- primer la même chose ; il peut se faire aussi que quelques mots aient voyage', et aient e'té naturalise's dans une langue, sans que pour cela on doive conclure que les deux langues sont semblables ou identiques. C est ainsi que les Français ont porté quelques-uns de leurs mots dans toutes les parties du monde, lesquels ont e'té reçus et retenus par les différens peuples. Entrant ensuite dans l'examen intime des rapports des langues entre elles, M. Ampère continue en ces termes : « La comparaison de séries de mots prouve plus que la com- paraison de mois isole's ; mais ici encore il reste beaucoup de place pour le hasard. D'ailleurs , par ce moyen , on ne saurait appre'cier d'une manière exacte le degré d'afîlnité de deux langues, on établit seulement qu'elles ne sont pas entièrement étrangères l'une à l'autre ; et, comme cette méthode de com- paraison a réussi à peu près pour toutes, l'universalité même de ce succès en diminue l'importance; il en résulterait tout au plus, pour les langues comparées, une origine commune, non une fraternité véritable. Un généalogiste croirait-il avoir suffisamment établi la parenté de deux familles, en démon- trant qu'elles descendent toutes deux en ligne directe d'Adam?.... » 11 est des mots fondamentaux qu'on n'eniprunte guère aux autres : tels sont les pronoms, surtout les pronoms personnels.

(i) Ces reflexions sont extraites de l'ouvrage que vient de publier M. Ampère , sous le titre de Littérature et f^oyages , Allemagne et Scandinavie ; vol. ia-S» , chez Paulin. Prix , 8 fr.

HISTOIRE COMPABÉE DES LANGUES. 233

On ne va point chercher dans une langue étrangère une ma- nière de se de'ïigner soi-mrme, de de'signer la isersonoe à qui l'on s'adresse, ou celle de qui l'on parle; tel est le verbe étre^ lien de toute proposition , base de tout langage; tels sont les mots qui servent a dénommer soit les parties du corps , soit les objets naturels les plus frappans, soit enfin les sentimens ou les actes les plus simples et les plus essentiels.

M Tous ces mots primitifs et indispensables forment le fond propre d'une langue, et c'est parmi eux qu'il faut choisir, de préférence, des termes de comparaison.

» Mais si cette comparaison se fait au hasard, on sera son- Tent trompé par 1 apparence d'un faux rapport , et Ton mécon- naîtra celle d'un rapport certain.

» Ce sont ces jeux arbitraires de l'étyraologie qui l'ont si fort discréditée. Le ridicule a fait justice de cette science pré- tendue, qu'aucune difficulté n'arrêtait, qui, de changement en changement, de suppression en suppression, dénaturait complètement un mot pour le ramènera un autre, qui faisait venir laquais de vernacula,

» D'autre part, il est certain que des mots, dont la phy- sionomie semble au premier coup-d'œil complètement diffé- rente, ont un rapport très-réel ; il n'est pas douteux que y'owr ne vienne de dies ^ et que lucua ne soit la racine de rossignol {i), n Embarrassé de cette double difficulté, et averti par un tact pratique exquis, combien les rapports de mots diffèrent de leurs ressemblances ou de leurs dissemblances aj)parentes, W, Jones en était venu à dii'e qu'il n'y avait point de règle, et qu'il fallait s'en rapporter à l'instinct des étymologistes. C'était une ressource périlleuse et un peu désespérée.

» Enfin, plusieurs savans de l'Allemagne et du nord , à la tête desquels on doit placer MM. Frédéric Schlegel , Jacques Grimm , Chrétien Rask et François Bopp , ont posé les vérita- bles bases de la science e'tymologique , par des travaux d'une

(i) Dics , (liiirnus , giorno ( pr. (Ijiorno ) anc. fiançais , y'or,, (r. jour. Lucus , lucinia , lucinolia j it. ussignuolo , fr. rossignol.

234 J.-J. AMPÈRE,

sagacité' et d'une critique admirables. Comme ces travaux, en grande partie inconnus en France , entrepris d'une manière inde'pendante , n'ont pas encore e'te' coordonne's entre eux, même dans les pays qui les ont vus naître, et comme ils ont pour oLjet la grande famille de langues dont font partie les idiomes Scandinaves, je crois utile d'en pre'senter ici , d'une manière syste'matique , les principaux re'sullats.

» Ces re'sullats portent sur les règles qui doivent servir à reconnaître et à mesurer l'analogie qu'offrent les mots de di- verses langues, et sur les rapports plus importans pour la com- paraison de ces langues, de leurs formes grammaticales.

» Je commencerai par les rapports qui peuvent exister entre les mots.

» Je suis oblige' d'entrer ici dans quelques conside'rations sur les e'ie'mens même du langage , c'est à-dire , sur les lettres. Je prie mes lecteurs de ne point penser au maître de grammaire M. Jourdain. L'importance des lois que nous voulons e'tablir, la grandeur des rapports qui en de'rivent, la portée des résul- tats historiques oii ils peuvent nous conduire, commandent la méthode la plus rigoureuse, et demandent grâce pour la minutie ine'vitable des de'tails.

» Il faut d'abord poser en thèse gcne'rale que chacune des consonnes peut se changer en tonte autre consonne , et chacune des voyelles en toute antre voyelle , soit immédiatement , soit en parcourant une se'rie de transformations intermédiaires.

» D'où il suit : 1" qu'aucun changement n'est impossible et ne doit être rejeté' à priori ; ainsi , les deux mots qui parais- sent les plus e'Ioigne's peuvent venir l'un de l'autre, et en se moquant des e'tjmologies qui semblent les plus force'es , on court risque de se moquer d'un fait.

» Qu'on ne peut croire à un changement, par cela seu- lement qu'il est possible, car tous le sont, et que par con- se'quent il faut des raisons particulières pour se de'terminer en faveur dune e'tymologie.

» Ces raisons sont de deux sortes.

» Ou l'on possède les degre's interme'diaires qu'un mot a parcourus en passant d'une langue à l'autre, ou l'on connaît les

HISTOIRE COMPARÉE DES LANGUES. 235

lois générales et particulières qui pre'sident à la permutation des lettres entre ces deux langues.

M De ces lois, celles que j'appelle générales e'taient connues de tout temps, et je me bornerai à les rappeler; elles se ion- dent sur l'analogie organique des lettres. Certaines lettres sont voisines dans la se'rie des sons, elles sont produites par une disposition sembla!)Ie des organes. Le passage de l'une a l'autre est plus naturel, plus fre'quent, par conse'quent plus probable que s'il s'agissait de deux lettres plus dilTe'rentes entre elles. D'après cela on conçoit que les permutations doivent s'ope'rer facilement entre les lettres de même classe , qui ne sont que la même lettre, douce , forte ou aspirée.

» C'est celte loi ge'ne'rale , et depuis long-temps reconnue, du rapport organique de certaines lettres entre elles, qui doit servir de pjoint de de'part dans la comparaison des mots.

» Mais il est des lois particulières qui gouvernent une fa- mille de langues, en vertu desquelles, non-seulement les lettres de même organe se remplacent, mais cncoi'e se reniplacent dune manière constante dans un ordre invariable, et pour ainsi dire dans un sens de'termine'. Celui qui a de'couvert ce principe, M. Jacob Grimm, a montré, pour en donner nu exemple, que dans les mots il y avait un ^7 , en islandais (^Fepn, Armes), il y avait en allemand un J\Waffen)^ mais que la rc'ciproque n'e'tait pas vraie, c'est-à-dire , que e'tait un yen islandais {Yfar^ sur), il y avait en allemand non pas un p mais un b [U Lier) \c est plus que de dire ce qu'on savait , que le p , le/ et le 0 ne sont que la même lettre ar- ticule'e différemment, et que par conse'quent ces trois sons se Substituent facilement les uns aux autres. C'est un pas de plus, et un pas très-important, d'avoir reconnu que, dans une même famille, cette substitution ne se fait pas arbitrairement, mais toujours de la mcme manière, de sorte que les langues, elle s'opère , passent les unes aux autres par une progression re'gulière.

» D'après cela, il doit arriver que des mots qui, dans les diverses langues paraissent assez e'ioignés au premier coup- d'œil, soient reconnus au fond identiques. Seulement, les sons

236 J.-J. AMPÈRE,

qui les composent ont été altcre's diversement, en vertu d'une diirércnce ne'cessaire d'articulation qui repose sur une difie- rence essentielle d'organes.

» Voilà pour les rapports des mot<;. Les rapports i\QsJ'ormes gvaminat:cales sont d'une toute autre importance; on conçoit que le hasard ou certaines circonstances produisent entre les mots une analogie accidentelle. Mais, si le nie'canisme intérieur de deux langues est le même, si les grandes divisions gram- maticales , les déclinaisons et les conjugaisons correspondent et si ces conjugaisons et ces de'clinaisons qui correspondent ont des terminaisons analogues ; si en appliquant à celles-ci les lois du rapport des lettres observe'es entre les racines des mots, ou des lois semblables , on les trouve identiques , quel doute pourra-t-il rester sur l'e'troite parente' des langues que l'on compare ? Au moyen des rapports que nous avons e'tudie's jusqu'ici, on peut de'terminer d'une manière certaine les affi- nlte's des langues entre elles. Plus ces rapports sont nombreux, constans , moins l'alte'ration des sons, soit dans l'inte'rieur àes mots , soit dans les de'sinences grammaticales , est grande , plus les langues sont voisines; ainsi l'existence de ces rapports constate la parente' des idiomes , leur constance , leur nombre, et leur extension en mesure le degré'.

» Mais pour de'terminer l'ordre de filiation, c'est à-dire, le degré d'antiquité relative des langues de même famille, il faut avoir recours à d'autres lois,

» Les changemens re'guliers dont j'ai parlé ont bien lieu éga- lement , soit lorsqu'il s'agit de langues contemporaines , soit lorsqu'il s'agit de langues successives; mais ce n'est pas eux qui peuvent établir le fait de cette succession ni en révéler l'ordre. En un mot, nous savons quand deux langues tiennent l'une à l'autre, nous pouvons apprécier jusqu'à quel point elles se tiennent de près; il reste à indiquer les moyens par lesquels on peut découvrir que l'une a pi'écédé l'autre.

» Ici, les mêmes hommes qui nous ont fourni les principes posés plus haut , nous fourniront encore ceux dont nous avons besoin. Un nom illustre viendra se joindre aux leurs , celui de M. Guillaume de Humboldt , qui a appliqué son immense

HISTOIRE COMPARÉE DES LANGUES. 237

connaissance des langues , et la force d'une des têtes les plus remarquables de l'Europe , à lëtude du langage , conside'ré surtout dans ses rapports avec les pcnse'es. Avec cet appui de plus, après avoir donne' une ide'e de ce qui peut fonder d'une manière précise le rapport de ressemblance entre les langues, Je vais rechercher ce qui peut indiquer leur rapport de suc- cession.

» Une langue est un être qui a son organisation, sa vie; elle s'assimile les e'ie'mens qui lui sont nécessaires, et, par une sorte de vertu plastique, leur donne sa forme. Elle croît, elle produit , pois se de'compose et se dissout , laissant après elle d'autres langues ne'es de son sein,

M Eh bien! ce de'veîoppement successif, si semblable a celai de la vie dans les corps organise's, se fait de même d'après cer- taines lois. La plus importante , celle qui renferme toutes les autres , est celle ci.

En remontant aussi loin qu'il nous est possible dans l'his- toire du développement des langues , nous trouvons celte loi remarquable : c'est que leur richesse essentielle, au lieu de s'accroître, va toujours diminuant.

»> Cette tendance universelle et fondamentale des langues s'ob- serve, et par rapport aux mots, et par rapport aux formes grammaticales dont elles se composent.

1) Prenons les mots; c'est un fait, que plus on s'élève haut dans l'histoire dune langue ou d'une famille de langues, plus on trouve les mots harmonieux , pleins de voyelles retentis- santes ; plus on descend , plus on les trouve e'courte's , appau- vris , pour ainsi dire ; les voyelles sonores cèdent la place aux voyelles sourdes : de sourdes elles deviennent tout-k-fait étouf- fées, mMe/fc.ç enfin, et finissent par disparaître. Les diplithongues se contractent, les consonnes for/cs s'affaiblissent, \qs finales se détachent et se perdent; de tout cela, il résulte que les mots sont moins pleins, moins harmonieux, qu'ils vont tou- jours s'attënuant et s'amaigrissant davantage. Ils perdent de plus en plus la puissance de charmer l'oreille, d'ëbranler l'àuie par les sons : ils se bornent à e'veiller une ide'e dans l'esprit , ils ne sont plus des images , ils ne sont que des signes. Ainsi T. X 17

238 J.-J. AMPÈRE ,

on voit tonte langue commencer par être une peinture et une musique, et finir par être un ali^cbre. En latin on disait ele- mosyna; ce mot est devenu successivement en français almosne, aumône ; en anglais alins qu'on prononce anis. Son histoire est l'histoire universelle des mots.

» Il en est des formes grammaticales, comme des mots. Cest aussi une loi du langage d'aller, j)erdant toujours quelque forme grammaticale , quelque richesse de de'sinence , quelque ressource de composition. A une certaine e'poque de la plupart des langues , les formes sont abondantes , flexibles ; toutes les modifications de l'ide'e peuvent se rendre par les modifications de la racine; les racines elles-mêmes se groupent, et forment, par leur association , des mots compose's , pour expliquer des idées complexes; mais il vient un moment oii cette fe'condité s'arrête , oii cette première sève semble tarir ; les flexions se perdent, les rapports ne s'expriment plus par l'association im- me'diate des racines ; les marques des cas , des temps , des personnes , disparaissent : il est ne'cessaire de les remplacer par des articles, des auxiliaires, des pronoms; la de'pendance respective des ide'es a besoin d'être exprime'e par des pre'po- sitions , des conjugaisons, et il faut alors un mot tout exprès pour e'noncer lourdement ce qu'indiquait d'une manière rapide un simple changement de terminaison. C'est ce qui est advenu, par exemple, à l'italien et au français. Le Romain disait : Je serai aimé (amahor) (i); son descendant est oblige', comme nous, d'employer trois mots au lieu de trois lettres. Pour ren- dre deux mots (Liber Pétri), nous en mettons (juatre ; le Ltire de Pierre; et une expression compose'e , comme !tuai>ilo(juenSy devient une phrase entière : Celui qui parle agréablement.

» Le même principe s'applique à la plus grande partie des langues que nous connaissons : comparez le grec ancien au grec moderne, la langue de Zoroastre au persan d'aujourd'hui.

(i) Des trois lettres de la terminaison ( bor ) , la première indiquait ridée de futur ; la seconde , celle de la première personne j la troisième celle de la passivité.

HISTOIRE COMPARÉE DES LANGUrS. 239

le sanscrit aux dialectes actuels de l'Intloustan , l'angle saxon à l'anglais , le frison au hollandais , l'ancien tudcsque a l'alle- mand , enfin la vieille langue Scandinave, conserve'e en Islande, avec celle qne parlent la Norvège, !e Danneraark , la Suède, vous verrez partout l'ahondance des formes , la ple'nitude des mots diminuer considerahletnent , en passant de l'idiome anti- que à l'idiome moderne.

» Ce re'sultat peut e'tonner d'ahord , il semLle contraire à l'ide'e si naturelle du perfectionnement humain. Mais on doit envisager ce perfectionnement dans son ensemble, et non pas le faire porter sur telle ou telle faculté' de la nature humaine; il est trop clair que pour gagner d'un côté il faut se re'signer à perdre de l'autre : si l'on gagne plus qu'on ne perd , il y a perfectionnement; ainsi l'homme, à mesure que la re'flexion grandit et mûrit en lui, perd beaucoup des qualite's aimables du premier âge, e'poque charmante de l'inspiration et de l'en- traînement ; mais il avance, car il s'e'lève à la maturité', à la dignité' de son âge viril, il gagne en philosophie tout ce qu'il perd en poe'sie. 11 en est du langage comme de l'homme, il faut qu'il renonce à cette abondance, à cette grâce de la jeunesse; mais tandis que sa beauté' mate'rielle diminue, il devient plus pre'cis, moins rapide, moins nombreux peut-être, mais meil- leur pour exprimer les abstractions plus profondes et les com- binaisons plus varie'es de la pense'e. La grammaire est moins riche, les mots sont moins sonores, mais l'art qui augmente reme'die à ces défauts par des tours inge'nieux, par des nuances de'licates ou des associations habiles.

» Il faut avouer même qu'on a pousse' jusqu'au paradoxe l'admiration pour celte richesse primitive des langues , qui , porte'e trop loin, produit la confusion. Elle fournit le moyen d'exprimer rapidement d'un seul mot plusieurs pense'es k-la- fois, mais seulement certaines pense'es ou certaines associations de pense'es; je m'explique : en finnois , par exemple, une le'- gère modification dans la terminaison d'un nom de lieu indi- que, dit-on, si celui qui va vers ce lieu veut y entrer, s'il veut y entrer et en sortir, ou aller auprès sans y entrer. Vollk qui est beau , mais supposons un homme qui n'ait pas décide

17.

240 J.-J. AMPÈRE, HISTOIRE COMPARÉE DES LANGUES.

ce qu'il veut faire, il sait seulement qu'il va à tel endroit , mais il ne sait pas s'il s'arrêtera ou non (i); il est possible qu'il soit fort embarrasse' avec ces trois datifs , dont chacun dit plus que lui ne vent dire, et qu'il pre'fère une langue bien moins pourvue de formes compre'hensives, l'on finit tou- jours, avec des prépositions, par dire ce que l'on veut, un peu plus longuement , il est vrai , mais oii du moins on n'est pas force' de dire, au lieu de ce qu'on pense, ce que la langue a pense pour vous.

» Le ve'ritable point de la perfection des langues n'est donc pas dans l'excès d'une richesse de lexique et de grammaire, souvent fort incommode, en ce qu'elle prive de tout secours étranger, sans être jamais capable de les compenser entière- ment, mais dans ce degré d'abondance mesurée, qui n'exclut pas l'emploi de diverses sortes d'auxiliaires , mais aide en gé- néral à s'en passer, et par la facilité, la rapidité, le mouvement de la phrase , autorise la liberté des inversions ; la langue greC' que et la langue sanscrite sont peut-être celles qui offrent le mieux cette sorte d'avantage.

» Ces deux langues sont placées à on haut degré d'antiquité dans la série dont elles font partie. On ne peut remonter histo- riquement plus loin qu'elles. Peut-être, si on le pouvait, trou- verait-on avant leur âge celui des langues démesurément ri- ches, comme le sont en général celles des peuples peu avan- cés dans la civilisation, des Lapons, des Basques, des nègres Wolof , ou des Indiens de la Delaware ; peut être avant toutes ces langues, toujours plus abondantes en formes à mesure qu'on remonte davantage, trouverait-on enfin les langues plus sim- ples qui ont les devancer. Cette époque de puissance de la fécondité ne fut-elle pas celle de la puberté du genre humain? celle de son enfance n'a-t-elle pas précédé ? n'y a-t-il pas eu

(i) Ne sachant point le finnois , j'ignore si cette langue ne présente pas , ce qui est probable , quelques moyens indirectes de se tirer de J'espèce d'embarras que je suppose ; il est clair que ce n'est qu un exemple pour faire comprendre ma pensée.

VOYAGE EW SUISSE , EN LOMBAROIE ET EN PIEMONT. 241

avant l'époque des langues polysyllabiques et flexibles, celle des langues monosyllabiques sans flexions, dont la langue chi- noise, arrête'e par l'invention pre'mature'e et imparfaite de l'e'- criture , et par-là avorle'e et noue'e , pour ainsi dire , serait reste'e comme un curieux monument?»

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VOTAGE EN SUISSE , EN I.OMBARDIE ET EN PIÉMONT,

PAR M. LE COMTE THÉOBALD WALSH.

« Une connaissance approfondie des hommes et des choses , un rare talent d'observation, et, ce qui est plus pre'cieux en- core, un grand esprit de justice et de ve'rite' , des aperçus historiques aussi profonds qu'inge'nieux , des descriptions qui se font lire avec plaisir, un style naturel, facile et anime, toujours exempt d'empiiase et de pre'lention, une foule d'a- necdotes neuves et piquantes, des de'tails charmans, d'excel- lentes plaisanteries et de l'esprit partout; voilà ce que l'on trouve dans le Voyage en Suisse, en Loinbardie et en Piémont, de M. le comte The'obald Walsh, et ce qui doit le placer bien haut parmi les plus remarquables productions de l'e'poque.

» Nous ne devons pas oublier d'ajouter que M. Thëobald Walsh a joint à son intc'ressant Voyage le tableau re'sumé des éve'nemens de la Suisse depuis i83o , et un Itine'raire, dont les voyageurs sauront appre'cier le me'rile et l'utilité. »

Telle est la notice que re'pand sur l'ouvrage de M. le comte The'obald Walsh le libraire qui s'en est fait l'e'diteur à ses ris- ques et pe'rils; et nous pouvons affirmer qu'elle est d'une exac- titude rigoureuse, si l'on excepte toutefois la profondeur que l'auteur au contraire semble s'attacher à éviter. On a e'crit qu'il a paru jusqu'à ce jour deux cents ouvrages sur la Suisse; celui-ci serait donc le deux cent-unième; et nous n'he'sitons pas à dire qu'il n'est pas seulement destine' à augmenter le chiffre de celte nombreuse collection, mais qu'il y prendra cer- tainement un rang distingue. Ce n'est point ici, en effet, une

242 VOYAGE EN SUISSE,

de ces descriptions banales , faites sur des impressions passa- gères, et le plus souvent d'après les livres, sans connaissance ve'ritable des hommes, des usages , des lieux même. M. le comte The'obald Walsh a étudie' les pays dont il parle ; il en sait la langue; il a fait plus que les traverser rapidement; il lésa, en quelque sorte, habite's; et il a droit de dire que la Suisse est sa chose. « Je l'aime, ajoute-t-il ; je l'ai parcourue dans « tous les sens , à diverses reprises ; j'ai fouille' aux sources de » son histoire , e'tudie' ses mœurs tVautrefois et ses mœurs d'aa- » jourd'hui ; J'ai tâche' de faire ressortir les traits du carac- » tère national et les nuances qui distinguent les habitans des M divers cantons; je me suis mis en relation avec les hommes » les plus marquans du pays, en tous genres; et j'ai puisé, H dans leur conversation , de quoi rectifier mes propres re- » marques et suppléer à leur insuffisance.» On doit avoir con- fiance à un ouvrage écrit dans de telles circonstances et avec de tels élémens , par un homme que le ciel a mis à l'abri des soucis que donnent les besoins de la vie , et son caractère au- dessus des préoccupations de l'ambition et des partis, par un. homme intelligent, érudit et consciencieux. Aussi cet ouvrage est il l'un des plus instructifs , des plus complets, qui aient été publiés sur le même sujet, en même temps qu'il est un des plus variés et des plus amusans.

M. Walsh, après avoir ennméré les sept classes de voyageurs que Sterne distingue : le voyageur sentimental, le voyageur paresseux, le voyageur curieux, le voyageur menteur, le voyageur oiseux, le voyageur vain, le voyageur morose, ne se reconnaît point dans cette classification, et il se range de lui- même parmi les voyageurs sans avcu^W a raison, s'il entend par un écrivain d'une parfaite liberté d'esprit, d'une noble indépendance de sentimens, sans prétention aucune, dont la plume légère et facile ne connaît point l'intolérance, ne tient à rien comme à un système , ne veut enchaîner personne à sa pensée , qui dit les choses tristes et les choses gaies , mais qui cependant aime mieux faire rire son lecteur que de l'émouvoir et lui tirer des larmes.

Pour justifier nos observations, nous ferons quelques cita-

EIÏ LOMBARDIE ET EN PIÉMONT. 243

tions , prises aa hasard : l'auteur consacre un chapitre à la ville de Bâle; son récit est toujours assaisonné de traits anmsans : « En i8i5,le bourgmestre avait, m'a-t-on dit,re'uni quelques amis à souper dans sa maison située proche du rempart : tan- dis qu'on discutait paisiblement, en mangeant , sur la marche des armées et l'issue probable de la campagne , voilà qu'une bombe, lancée au hasard des batteries d'Huningue, enfonce le toit, travei'se l'étage supérieur et tombe avec fracas au milieu de la table. Ce plat , qui n'était pas porté sur le menu , fit perdre l'appétit aux convives, lesquels se dispersèrent tout effrayés. On commença dès-lors , à Bâle, à faire de sérieuses réflexions sur les inconvéniens d'un si importun voisinage qui rendait la clause de la neutralité fout-à-fait illusoire à l'égard de la ville. Il était clair, en effet, que le commandant de Huuingue, manquant de vivres, n'avait qu'à en faire demander aux autorités bâloises , en ayant soin d'appuyer sa requête dune ou deux bombes, pour être assuré de voir aussitôt ar- river le nécessaire, et même le superflu. Il fut résolu, en con- séquence, qu'on insisterait fortement auprès des puissances alliées afin d'être débarrassé de cette fâcheuse sujétion qui en- travait aussi évidemment le libre arbitre des Bâlois, en dépit de l'inscription bienveillante placée par Louis XIV au-dessus de la forteresse : Socils tutclam , liostibus tcrrorem. » Tout le monde connaît l'anecdote suivante j M. Walsh ne lui consacre que quelques lignes. « L'étranger qui se promène sur le pont regarde, avec curiosité, une grotesque figure en bois appa- raissant à une des fenêtres de la haute tour et tirant la langue aux passans par un mouvement régulier que lui imprime le balancier de l'horloge. Cette figure, fort ancienne, remonte à une époque les habitans du petit Bâle étaient en hostilité continuelle avec ceux de la ville. Un plaisant Bâlois imagina de les narguer par cette grimace permanente ; mais ceux-ci opposèrent à l'injurieuse facétie une image encore plus malhon- nête qui mit les rieurs de leur côté. »

En parlant du peintre Holbein, l'auteur dit que c'était un homme d'un caractère original, bizarre, ne travaillant qu'à ses heures , souvent à court d'argent, en prenant peu de souci,

244 VOYAGE EN SUISSE,

en nn mot, nn vrai artiste. II raconte de lai le trait suivant :

« Il avait fait prix avec nn apothicaire pour lui peindre à fresque la façade de sa maison. L'ouvrage avançait lentement, par suite des longues libations que le peintre alte'ré faisait aa cabaret voisin oii l'impatient pharmacopole venait souvent le relancer. Holbein imagina un moyen inge'nieux pour se sous- traire à son importunite'; ce fut de peindre au-dessous de son e'cliafaudage, que recouvrait une toile, deux jambes pendantes qui firent tellement illusion que l'argus lui adressa de'sormais des complimeus sur son infatigable assiduité'. »

.Voulez-vous une ide'e du style descriptif de M. le comte Walsh? vous le trouverez ferme et concis; il ne se perd point en dé- tails inutiles , en phrases prétentieuses ; c'est toujours de Baie qu'il parle :

« Pour qui n'a vu que nos places de guerre fortifie'es a la Vauban et à la Coborn , c'est un aspect frappant et original que celui que pre'sente une ancienne ville suisse avec ses for- tifications du moyen-âge; ce long mur d'enceinte, recouvert d'un toit au-dessous duquel règne une galerie d'où les assie'ge's pouvaient tirer à couvert sur les assaillans; ces fortes tours cre'nele'es s'e'levant d'espace en espace pour servir d'arsenal et de retraite lorsque le mur n'était plus tenable ; ces portes en ogive surmonte'es d'un beffroi d'une e'ie'vation prodigieuse , aux quatre ang'es duquel sont comme suspendues de'le'gantes tourelles destine'es aux vigies , tout ce que vous voyez vous reporte à un temps qui n'est plus. Ce système de de'fense est par lui-même bien autrement pittoresque , parle bien davan- tage à l'imagination que nos ravellns, nos courtines et nos ouvrages à cornes. La poudre à canon a tue' ce que la guerre avait de plus poe'tique. »>

M. Walsh possède les arts et en parle en homme de goût : Il a vu à Baie dans la salle Erasme faisait son cours , les portraits de cet homme ce'lèbre et de Luther. Ces portraits sont de Holbein et celui d'Érasme est regarde' comme un chef- d'œuvre : « C'est , dit-il , le comble de l'art que d'avoir sa re'unir tant de choses dans un simple profil. Rien de ce qui peut re've'ler l'homme supérieur, n'y est omis : le caractère

EW LOMBARDIE ET EN PIÉMONT. 245

pensif de ce front , cet œil qui, bien que voile' par la paupière, semble laisser e'cliapper l'e'clat du feu dont il brille ; cette bou- cbe si expressive dont les lèvres minces et les coins légère- ment releve's indiquent l'atticisme d'un esprit enclin à la rail- lerie ; ce nez effile' qui passait chez les anciens pour l'un des caractères de la sagacité' ; l'effet ge'ne'ral re'sultant de l'ensemble de ces de'tails si finiment sentis et si heureusement rendus , tout enfin , dans cet admirable morceau , rappelle le ge'nie sur le fait. »

Il en vient au portrait de Luther : « Tout ce que j'en puis dire, c'est que le voisinage du premier de ces deux morceaux fait autant de tort à celui-ci que l'inge'nieux et tole'rant Hol- landais en eût pu faire jadis an fougueux re'formateur , s'ils se fussent trouves en pre'sence. Le pinceau de l'artiste n'a re- produit ici que la repre'sentation d'une nature commune, je dirai presque ignoble , à laquelle le mens d'winior semble avoir manque' tout-à-fait. J'aime à croire que le peintre n'a pas rendu fidèlement son modèle ; car, à voir celte large figure , ce regard sans expression , ces traits épais , de'pourvus de caractère mo- ral, on croirait avoir sous les yeux un vrai moine de'froqué ou quelque bon vivant de bas e'tage plutôt qu'un homme ap- pelé, par des facnlte's supe'rieures et par une foi ardente, à consommer une grande re'volution religieuse. Il ne manque au-dessous d'un pareil portrait que ce distique connu du re'formateur :

Wer nicht liebt weib, wein und gesamb, Der bleibt ein narr sein leben lang.

M. Walsh n'oublie ni les monumens, ni les points de vue, ni les traits historiques, ni les e'crivains , ni les hommes su- pe'rieurs en tous genres ; mais il ne raconte pas toujours , il a aussi sa pense'e propre : il dit en parlant du protestantisme qui a tant agite' la ville de Bàle :

« Si l'on e'tudie cette grande révolution religieuse ailleurs que dans les histoires toutes faites , on est amené à juger peu favorablement les motifs qui l'ont déterminée même en met-

246 VOYAGE EN SUISSE ,

tant à part le caractère de plusieurs des principaux acteurs. Il est aise' de se convaincre par les faits que , dans ces abju- rations en masse, lentraînenîent , l'esprit d'imitation, 1 attrait de la nouveauté', les conside'ralions politiques, souvent même 1 inte'rêt prive', ont eu une plus grande part que la conviction consciencieuse. En mainte occasion , des mesures coërcitives sont venues stimuler le zèle des populations indécises , et le protestantisme a eu aussi ses dragonnades. Ici on ne retrouve rien de cette haute moralité', de cette cliaritc' immense, de ce grand caractère de ge'ne'ralion sociale que présente l'avènement du christianisme; le doigt de Dieu ne s'y montre nulle part, et partout se trahit l'œuvre des passions humaines ; on sent enfin qu'on assiste , non à la naissance d'une religion , mais à l'établissement d'une secte. »

L'auteur du Voyage en Suisse se plaît, suivant sa promesse à opposer les mœurs anciennes aux mœurs nouvelles : « L'an- cienne ville impériale, la ville savante et guerrière du moyen- âge n'est plus aujourd'hui qu'un vaste comptoir, une immense fabrique; l'esprit mercantile y a passé son niveau de plomb, et des noms qui se sont jadis illustrés dans la république des lettres et sur les champs de bataille, figurent aujourd'hui sur la porte des magasins et sur les lettres de change. Le descen- dant du fier Baron s'est fait fabricant de rubans, et les M*****, les F****, font parler d'eux sur toutes les places de l'Europe, comme autrefois les Schalor et les Mœneheu dans les tournois de l'Allemagne. » Oii demeure M. de***? deniandai-je a quel- qu'un de Vhôtel de la Cigogne. Un Bâlois qui était présent me répondit : « Nous n'avons pas ici de De. » Voilà des gens bien anti-féodaux , pensai-je à part moi , et je menquis plus tard de la cause de cette singularité; la voici : la ville de Bâle est la .seule de toute la Suisse l'ombrageuse vanité des bour- geois ait imposé le sacrifice de la particule nobiliaire à tous les seigneurs qui ont sollicité chez eux le droit de bourgeoisie; la morgue praticienne n'est pas la seule ni la plus ridicule

« A Bâle , la vie sociale a peu d'intérêt et de mouvement. Les hommes , après avoir employé toute la journée à leui's affaires , se font voiturer à leur maison de campagne ils

EN LOMBARDIE ET EN PIEMONT. 247

passent leur soirée en famille. Dans l'hiver, ils se re'unissent pour boire, fumer, deviser sur le prix des soies et le faux des elfeis publics et parler j)olitique. Les femmes, absorbées par le soin de leurs enlans , la tenue du me'nage , les devoirs de famille, vivent fort retire'es. Les petits parlages de coterie ( Small Talk ) , le tricot, les miroirs explorateurs place's aux deux côte's de la fenêtre , emploient le peu de momens qui leur restent, et le passage du salon d'ete' au salon d'hiver, du salon de gala au salon de famille, forment, avec les mariages et les naissances, les e've'nemens de leur vie monotone. Elles n'ont ni le temps ni la facilite' d'acque'rir des taîens et de cul- tiver leur intelligence ; les jeunes gens terminent pour la plu- p;irt à quinze ou seize ans des e'tudes superficielles, et cher- chent un emploi plus lucratif de leur temps , soit dans le comptoir paternel , soit dans quelque maison de banque ou de commerce à l'e'tranger. Si les arts, les sciences et la litte'- rature sont cultive's à Bâie, c'est par exception et comme à la de'robe'e. Les seuls plaisirs qu'on y connaisse sont les dîners et puis encore les se'jours annuels aux eaux de Bade et de Schinzenach.

» Avec les vieilles mœurs , Bâle a conserve' beaucoup de vieilles institutions. Les lois somptuaires, par exemple, y sont toujours en vigueur , et les Jîâloises qui ont des diamans , ne les peuvent porter qu'aux eaux. Parmi toutes ces femmes de millionnaires, il n'en est aucune qui ose avoir nn cachemire!!! n

Nous avons emprunte' nos citations h un même chapitre de l'ouvrage de M. Walsh. Il n'en est aucun qui n'eût pu nous offrir des re'cits et des traits également inte'ressans. Plusieurs pages du livre nous ont même paru de beaucoup supe'rieures à celles que nous avons transcrites. Tous ceux qui ont par- couru la Suisse et qui voudront rafraîchir leurs souvenirs ou les comple'tcr, tous ceux qui ont le dessein de visiter cette contre'e, et qui voudront se munir d'un guide sincère et in- structif, se procureront le J'oya^c de M. Théobald Walsh ; il ne sera pas moins agréable et utile aux personnes qui ne peuvent voir par elles-mêmes ce pays extraordinaire sous le triple rapport des mœurs , des institutions , de la nature. Kevuc Européenne , 34-

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DÉCOnVCnTES inCFOILTANTES

FAITES PAR M. RUPPELL EN ABYSSINIE.

Etat actuel de FAbyssinie. Nature du sol. Apparence de sa sur- face. — Anarchie générale. Antiquité de son origine. Livres et manuscrits curieux rapportés par M. Ruppell. Une bible; un ouvrage attribué à Salomon ; deux nouveaux livres d'Esdras : addition au livre d'Esther ; le livre d'Enoch j quinze nouveaux psaumes. Code de l'Abyssinie. Corruption. Commerce. Ruines. Inscriptions découvertes. Religion.

Nous avons annoncé l'arrive'e au Caire du savant M. Ruppell , qui vient de terminer un voyage en Abyssinie ; nous annoncions ea particulier que d'iinportans naanuscrits avaient été trouvés par ce voyageur (ci-dessus tom. IX, p. 216). Voici d'autres détails sur son voyage et sur les précieux manuscrits qu'il eu rapporte, extraits du journal qui se publie en français à Alexandrie sous le titre de Moniteur c'gypt'en,

(( M. Ruppell vient de partir pour l'Europe, emportant avec lui une prodigiouse quantité d'objets précieux , et surtout dobjets d'histoire naturelle qu'il a recueillis pendant son séjour en Abys- sinie. La ville de Francfort devra bientôt à ce voyageur illustre une des collections les plus rares et les plus curieuses. A lui est réservé de donner la description , et de faire connaître en même temps le pays qu'il a parcouru, sous ses rapports historiques, geographicjues et statistiques. Voici , en attendant, quelques uns des renseignemens que nous avons puisés dans sa conversation :

Lorsque M. Ruppell se rendit en Abyssinie, il y a trois ans, il n'ignorait pas les dangers qu'il aurait à courir dans son voyage, et ceux qui l'attend ucnt durant son séjour. Mais une volonté ferme et tenace devait triom|)her de tous les obstacles, et il est heureu- sement venu à bout d'accomplir sa belle entreprise.

La première chose qui la frappé dans l'aspect général de l'A- byssinie a été la nature volcanique du terrain. Il est évident que*

DÉCOUVERTES FAITES PAR M. RUPPELL EN ABYSSINIE. 249

dans des temps reculés, ce pays a ëtë bouleversé par les érup- tions du feu central. On y voit peu de vastes plaines, mais des montagnes fort hautes en couvrent la surface. Quelques-unes ont jusqu'à i3,ooo pieds d'élévation au-dessus du niveau de la mer, d'après les observations barométriques de notre voy.igeur. Le som- met de ces montagnes est à-peu-près constamment couvert de neige ; car, même lorsqu'elle vient à fondre, durant le jour, aux rayons ardens du soleil, le froid de la nuit rassemble de nouveau autour des pitons élevés les vapeurs dont l'atmospLère est chargée con- tinuellement. Ces vapeurs qui, sur les montagnes, se condensent en flocons de neige, descendent dans les régions inférieures en pluies abondantes durant toute l'année, mais principalement depuis le mois de mai jusqu'à la fin de septembre. Ces pluies continuelles alimentent ou grossissent les rivières qui parcourent le pays, et surtout l'un des principaux afîluens du Nil , connu sous le nom de Nil Bleu. Aucune de ces rivières n'est cependant navigable, et cet inconvénient est une des causes nombreuses qui entravent toutes les relations commerciales.

Depuis 70 ans surtout , lAbyssinie est on peut dire livrée à une anarchie continuelle. La guerre en est l'état habituel. Dans claque localité la force brutale écrase le faible. Partout, le plus fort et le plus adroit s'empare du pouvoir. Sa réputation de bra- voure lui vaut des partisans qui sont prêts à le seconder dans toutes les circonstances. On se bat de province à province , de village à village. Dans une invasion, ou pille, on brûle, on sac- cage tout , et les habilaus du pays conquis sont emmenés et ven- dus comme esclaves. Tel est le tableau déplorable que pre'sente une contre'e ou il n'y a plus d'autorité suprême reconnue. , on ne peut espérer quelque repos que sous un chef qui fait trem- bler ses voisins. La terreur qu'il inspire est la seule sauve-garde que l'on ait contre les entreprises des autres tribus. Mais ordinai- rement, à sa mort, il y a de terribles représailles du dehors, tandis qu'au dedans on se tue , on s'égorge pour lui succe'der. Nous ne connaissons pas d'état plus effroyable que celui-là, d'après la peinture que nous en a faite M. Ruppell.

Cependant , ce peuple d'Abyssinie , tout detliire' qu'il est par les divisions intestines , u'eu conserve pas moins une haute opi-

250 i>ÉCOUVERTES EN \BYSSINIE ,

nioa de son importance et de l'antiquité de son origine. Il fait remonter son e'tablissement à la dispersion des peuples après la confusion des langues de la tour de Babel ; et comme , d'après lui, on parlait quatre-vingts langues à l'époque de la conslructioa de cette fameuse tour , et qu'il y a dans son pays environ qua- rante dialectes , il en conclut , d'après une logique particulière , qu'il vaut à lui seul autant que tous les autres peuples ensemble. Du reste , les annales que les Abyssiniens ont conservées répon- dent assez bien à l'opinion emphatique qu'ils ont de leur première origine. Ils prétendent que leurs souverains et plusieurs de leurs familles se rattachent , par une filiation non interrompue , au roi Salomon et aux juges place's à la tête des douze tribus d'Israël. Voilà sans doute une antiquité assez respectable ; il ne reste plus qu'à l'établir sur des preuves bien authentiques ; ce qui n'a pas encore été fait (i).

M. Ruppell , qui a rapporte' avec lui une trentaine de manus- crits abyssiniens de différents formats, a pu cependant, à leur aide, et en les corrigeant ou les suppléant les uns par les autres, composer une chronologie satisfaisante depuis J.-G, , et surtout de- puis le treizième siècle. Il n'y a qu'une seule lacune qui se présente au dixième siècle , époque oii le pays fut ravagé complètement par une invasion étrangère. Ces manuscrits , dont le plus ancien ne remonte pas au-delà du quinzième siècle, sont tous écrits sur parchemin ; plusieurs sont même tout-à-fait modernes. L'un d'eux contient une hisloire et une ^<?o^/«/) Aie géne'rales du globe. M. Rup- pell le regarde comme la traduction de quelque ouvrage arabe; car les Abyssiniens ne paraissent pas avoir jamais été en position d'acque'rir des notions suffisantes pour composer un pareil livre. Les deux manuscrits les plus précieux qu'il a pu se procurer sont , en premier lieu, une Bible qui renferme un nouvel ouvrage de Salomon , un ou deux nouveaux livres d'Esdras et une ad- dition conside'rable au livre d'Esther ; le tout complètement in-

(i) Le rédacteur du journal égyptien paraît ignorer les travaux de Bruce, do Ludolf, de Sali, d'Ejriès et de Sylvestre de Sacy sur l'his- toire de TAbyssinie. Voir ci-dessus tom. VII, p. 537-

FAITES PAR M. KUPPELL. 251

connu à l'Europe. Elle conlient aussi le livre d'Enoch (i) et les quinze nouveaux Psaumes , dont l'existence avait déjà été révéle'e aux savans.

Le second de ces manuscrits est une espèce de code que, les Abyssiniens font remonter au concile de Nicée , époque il fut promulgué par un de leurs rois. Ce code est divisé en deux livres. Le premier se rapporte au droit canon , et traite des rapports de l'Église avec le pouvoir temporel, le second est une sorte de code civil qui règle les rapports des divers membres de la société entre eux.

Ces manuscrits , qui embrassent tout ce qu'il y a d inte'rcssant dans la littérature des Abyssiniens , si l'on peut se servir de ce terme, ne renferment aucun ouvrage de poésie ; à moins que l'on ne veuille qualifier de ce nom une espèce de poème sont célé- brés, avec le retour d'une certaine coiisonnance dans les phrases, mais sans aucun rhytiime suivi , les cvénemeus d'une grande ré- volution politique qui se passa au quinzième siècle. Quelques chants d'église présentent aussi le retour de la consonnance dont nous parlons, mais rien de plus. Tout cela prouve que ce peuple n'a jamais eu de véritables poètes. Les manuscrits dont il s'agit sont écrits dans l'ancienne la:jgue du pays , appelée la langue ghiz ou ghez , aujourd'hui comprise de Irès-peu d'individus , si ce n'est dans la partie orientale de l'Abyssinie l'on parle encore un idiome qui a quelques rapports avec l'aucien.

Le code dont nous venons de parler a éprouvé beaucoup de va- riantes , h travers le laps des temps , dans les diflérentes contrées de l'Abyssinie. Le texte qu'en a rapporté M. Ruppell lui a été donné comme le plus pur par le chef d'une de ces familles que l'on fait descendre des juges d'Israël, et qui , de temps immémorial, ont conservé le droit de rendre dans le pavs une sorte de justice. C'est le seul homme honnête que notre voyageur nous a dit avoir ren- contré dans toute l'Abyssinie. Voilà, certes, un bien effroyable peuple , que celui l'on ne pourrait pas même trouver les sept

(i) Le livre d'Enoch, apporté déjà par Bruce, a été traduit en an- glais , mais non en français.

252 DÉCOUVERTES EN ABTSSINIE ,

justes que Dieu demandait à la coupable Sodôrae pour la sauver du feu du ciel. Quant à la justice qui est rendue par les individus en question , il ne faut pas oublier que c'est un droit à peu près illusoire. Cette justice n'ayant pas la force de se faire obéir, oa se conforme à ses décisions ou on les rejette , comme on l'entend. En Abyssinie , chacun se fait son droit à soi-même. La propriété, par exemple, n'y paraît constituée sur aucun principe fixe. Aussi, dans les familles, un père, un mari, donne arbitrairement à une femme ou à un enfant ce qui lui convient. Si les autres murmu- rent contre le partage , ils s'adressent aux juges , quitte à se battre ensuite , lorsqu'ils ne sont pas contens de la décision.

Il est presque inutile de dire que , dans une société ainsi orga- nisée , tous les liens les plus doux et les plus sacrés sont singuliè- rement relâchés. Un mari peut avoir autant de femmes que bon lui semble. Il les prend et les répudie à volonté , et lorsqu'il a recours à l'intervention religieuse pour sanctionner un simulacre de mariage , sa main placée par le prêtre dans la main de la femme à laquelle il s'unit, suffit pour engager sa foi, autant de temps qu'il le veut ou qu'elle le veut j car , les deux sexes jouissent de la même liberté pour se séparer l'un de l'autre. Couçoit-on, avec tout cela, que dans un pareil pays , les membres d'une même famille aient con- servé, à la lettre , la singulière coutume de se nourrir mutuelle- ment , en portant à la bouche les uns des autres les mets dont ils font usage? Lorsqu'on reçoit un étranger, la politesse abyssinienne veut aussi que la maîtresse du logis lui pre'sente pendant le repas, comme à un enfant à la bavette, tout ce qu'il doit manger. C'est une règle qui n'admet pas d'exception.

Quant à leurs principaux alimens , outre le pain fait avec des céréales particulières au pays, ils font aussi usage de la viande de bœuf toute crue. Ils ont soin de la de'pe'cer encore toute fumante au moment l'animal vient d'être tué. Pour la chair de mouton , ils se contentent de l'approcher quelques instans d'un feu vif avant de la manger. Un bœuf ne coûte guère que deux ou trois talaris [i) , et l'on a plusieurs moutons ou une centaine de poules pour le tiers

(i) Le talari vaut à peu près 5 francs de notre monnaie.

FAITES PAR M. RUPPELL. 253

de cette valeur. Quant aux objets de moindre importance, on se les procure par Toie d'e'cbange. Des grains de poivre , des morceaux de sel gemme d'un poids déterminé servent généralement à ope'rer ces transactions. Une trentaine environ de ces morceaux, de sel équivalent à un talari. Le commerce de ces contrées est à peu près nul. Massouah qui est le seul port vienne aboutir le commerce d importation et d'exportation, ne voit jamais les droits de douane s'ëlever au-dessus de 35,ooo talaris dans l'espace d'une année. Qu'est-ce que cela pour toute une contrée aussi vaste que l'Abyssi- nie ; mais, il faut le dire aussi, privée de tout genre d'industrie et presque dépeuplée ? C'est à peine si Massouah compte 2,000 âmes. Gondar, qui en est la capitale, en a tout au plus 6,000. Cette éva- luation est loin de celle de Bruce , qui donne 5o,ooo âmes à cette dernière ville. Il est vrai que depuis les choses ont bien change. La guerre et la barbarie se sont presse'es de de'truire. Aujourd'hui, les deux tiers des maisons de Gondar ne pre'sentent que l'aspect d'une dévastation générale. Au reste, dans tout le pays, les de- meures des habitans sont l'image vivante de la misère. Du chaume ou quelques pierres cimentées, à de'faut de chaux , avec ufl peu de terre glaise, forment les murs des habitations recouvertes en toits d'une forme conique. C'est que vivent pêle-mêle hommes et bes- tiaux, les premiers étendus sur des peaux de bêtes, et ne se ga- rantissant durant la nuit , de l'invasion des lions et des léopards, que par la clôture la plus simple , et par une espèce de cour an- térieure où ces animaux viennent quelquefois dérober le bétail qui a e'te' oublié.

Le pays ne présente nulle part des ruines comparables à celles de l'Egypte et de Nubie, si ce n'est à Axum se trouvent quel- ques obélinquesul' une grande beauté , et quelques labiés de marbre sur lesquelles sont gravées d'anciennes inscriptions grecques con- nues avant M. Ruppcll. Mais nous devons ajouter que lui-même a découvert, au milieu des décombres, trois nouvelles tables en pierre calcaire à^ environ trois pieds de hauteur, sur lesquelles se trouvent gravées des inscriptions en langue ghiz ou éthiopienne , qui re- montent au 4 siècle , et qui ont rapport aux e've'nemens de l'épo- que. Les naturels du pays pre'tendent que beaucoup plus au midi , ou rencontre des restes d'cdiQccs tout-à fait imposaus ; mais il est T. X. 18

254 DÉCOUVERTES E?î ABYSSINIE ,

impossible de s'y rendre , à cause des peuplades ennemies qui ne manqueraient pas de vous dépouiller au passage , et même d'atten- ter à votre yie. Les Galla, principalement, peuples pasteurs et fé- roces, adonnés à une vie nomade, se sont enclavés dans le pays au point de séparer complètement aujoui'd'lnu des peuples d'une même origine. C'est ainsi, qu'au-dtlh de la partie qu'ils occupent, se trouve la province, tout abyssinienne de CafTa, qui a donné son nom à la précieuse graine que l'on cultive dans l'Yémen. Le café y est même, dit-on, supérieur par son arôme et sa qualité à celui de Moka. Malheureusement Texportatiou en est impo'^sihle, soit k cause des pays qu'il faut traverser, soit à cause de l'énormité des droits qu'il faudrait payer sur toute la roule qui sépare l'Abyssinie de l'Egypte.

Si nous passons maintenant aux mœurs des Abyssiniens, nous les verrons sujets aux vices les plus honteux qui puissent flétrir l'humanité. Le vol, le mensonge, la débauche , l'ivrognerie leur sont familiers. Cruels à l'excès , ils tirent de leurs ennemis les vengean- ces les plus atroces. Leur cupidité est telle qu'on ne peut en être garanti que par leur jalousie réciproque.

II est sans doute peu intéressant de connaître la religion que suit un peuple aussi corrompu; car la religion pour lui a cessé, bien évidemment, d'être un frein salutaire. Le christianisme, comme chacun sait , a long-temps fleuri en Abyssinie. La plupart des ha- bitans se disent encore chrétiens cophtes , et reconnaissant pour chef le patriarche qui réside au Caire. C'est de lui que toutes les années ils devraient recevoir une espèce de légat , chargé de con- férer les ordres aux piètres du pays. Mais il paraît que, depuis long-temps, ils ont évité de le demander, à cause de la dépense que leur occasionne un pareil voyage , dont les frais sont à leur charge. En effet , il ne faut pas moins , généralement , de quatre mille talaris pour arriver jusqu'en Abyssinie , à cause des redevances continuelles qu'il faut payer sur la route aux diverses tribus. Les Abyssiniens ne pratiquent donc aujourd'hui qu'une sorte de chris- tianisme dégénéré. Il y a aussi beaucoup de Mahomélans parmi eux depuis le quinzième siècle , époque un souverain musulman de la côte de Somaulis .fît une invasion dans leurs provinces , dont ils ne furent délivrés que par les Portugais établis sur la côte orien-

FAITES PAR M. RUPPELL. 255

taie d'Afrique. Ces derniers, au nombre de cinq cents, vinrent à leur secours sous la conduite d'un fils de Vasco de Gama. Beaucoup de Juifs se trouvent aussi confondus parmi les Abyssiniens , dont on peut même dire que le culte est un grossier me'lange de judaïsme et de christianisme. Ajoutons à cela qu'ils sont très-superstitieux; si on les jugeait par le nombre de fêtes qu'ils chôment dans l'an- née , on les croirait même plus que religieux ; car le nombre de ces fêtes ne s'élèvent pas à moins de deux cents. Il y a une foule de saints dont ils consacrent la mémoire une fois par mois. Ils reconnaissent la Vierge comme mère du Christ , et en cette qualité ils lui adressent de profonds hommages. Leurs églises offrent de tou- tes parts des images grossières des objets de leur culte. II peut être curieux d'apprendre que, vers le quinzième srècle , un artiste ita- lien de Venise, nommé Branca, s'était réfugié dans ce pays, et v avait continué à cultiver la peinture. C'est à lui que l'on doit sans doute les souvenirs informes d'un art dans lequel on prétend qu'il avait quelque habileté. Au reste , toutes les industries de quelque utilité sont exercées dans le pays par des étrangers, et surtout par des Juifs et des Levantins.

Tout prouve , cependant , que l'Abyssinie a joui autrefois des bienfaits d'une civilisation plus ou moins parfaite. M. Ruppell nous a montré quelques médailles abyssiniennes de l'époque bysantine , parfaitement conservées , et qui servent de preuve à certains pro- grès dans les arts, puisque jamais une branche ne prospère et ne fleurit seule. Fasse le ciel , que de beaux jours reviennent pour ce pays, et qu'ils puissent s'enorgueillir dans l'avenir d'occuper un rang parmi les nations policées. »

18.

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BDOSrA7AILT£ DEVANT L'OFFICI ALITÉ DE PARIS (i).

Un des ëvenemens de l'histoire contemporaine sur lesquels il est reste' plus de nuages, est la proce'dure qui eut lieu avant le second mariage de Buonaparte, en 1810. On savait qu'un senatus-consulte du 16 décembre 1809 avait de'clare' le premier mariage avec Jose'jdiine dissous. On avait ouï dire vaguement que l'olTicialite' de Paris e'tait intervenue dans celte affaire; mais on n'avait à cet e'gard aucun renseignement positif. Tabaraud, qui publia en 181 5 une brochure inlitule'e du Divorce de N. Buonaparte avec Joséphine, iu-8' de 56 pages, ne connais- sait presque rien des faits : ce qui n'est pas e'tonnant quand on se rappelle à que! point la presse e'tait encbaîne'e sous le re'gime impe'rial. Les historiens qui sont venus depuis n'ont pu donner que des conjectures assez inexactes. Cest ce qui a engage un eccle'siastique qui s'e'lait trouvé mêle' dans cette af- faire à raconter ce qui s'est passe'. M. l'abbé Rudemare était alors promoteur de i'officialité diocésaine; il est le seul survi- vant parmi les officiaux et les promoteurs de ce temps-là. MM. Le- jeas , Corpet et Boislesve sont morts. M. l'abbé Rudemare , qui a été depuis curé des Blancs-Manteaux , et qui a donné sa dé- mission en i83o, a donc rédigé un récit de la procédure sui- vie à I'officialité relativement au premier mariage de Buona- parte. Ce récit, qui était resté dans ses papiers depuis 1810, il l'a fait imprimer à quelques exemplaires pour plusieurs bibliothèques publiques et pour ses amis. Il a bien voulu noas en adresser un. Ce récit est curieux, et nous avions d'abord songé à en faire une analyse; mais nous en avons reconnu ensuite la difficulté. Ce récit est simple et précis; il est sans phrases , et l'on ne pourrait le mutiler sans lui faire perdre quelque chose de son intérêt. Nous le donnerons donc tel que l'auteur l'a dressé ; c'est une pièce pour l'histoire ecclésiastique et politique de l'époque :

(i) VAmi de la Religion, n" 2808 et aSii.

BUONAPARTE DEVAîïT l'oFFICIALITÉ DE PARIS. 257

Narré de la Procédure à loccasion de la demande en nullité du mariage de Napoléon Buonaparte et de Joséphine Tascher de la Pagerie.

Ils reçurent dans la chambre del'impe'ratrice , aux Tuileries, la be'ne'diction nuptiale, des mains du cardinal Fesch, grand- aumônier, le samedi i" de'cembre 1804.

Les moyens de nullité' qu'on mit en avant, furent :

Le défaut de présence du propre prêtre.

Le défaut de présence des témoins.

Le défaut de consentement de la part de l'empereur.

Le vendredi 11 de'cembre 1809, les deux ofïiciaux de Paris, MM. Lejeas et Boilesve, et les deux promoteurs, MBL Corpet et Rudemare , furent invile's à se rendre le jour même chez rarchi-chancelier, qui avait auprès de lui le ministre des cultes.

n Par un article inse're' au se'natiis-consulte du 16 de ce mois, leur dit-il, je suis, comme vous l'avez pu voir, autorise à pour- suivre par-devant qui de droit , l'efTet des volonte's de Sa Ma- jesté'. L'empereur ne peut espe'rer d'enfant de l'impe'ratrice Jose'pbine. Cependant il ne peut , en fondant une nouvelle dy- nastie, renoncer à l'espoir de laisser un be'ritier qui assure la tranquillité', la gloire et l'inte'grite' de l'empire qu'il vient de fonder. Il est dans l'intention de se remarier, et veut épouser une catholique; mais, auparavant, son mariage avec l'impe'- ratrice Jose'pbine doit être annulé, et mon intention est de le soumettre à l'examen et à la décision de l'ofïicialité. »

Cette cause, dirent-ils aussitôt, est une de celles qui sont réservées, sinon de droit, au moins de fait, au Souverain- Pontife. Je ne suis pas, répondit l'archi-chanceîier , autorisé à recourir à Rome. Il n'est pas besoin, répliquai-je , de re- courir à Rome pour avoir la décision du Pape ; il est à Savonne. A la bonne heure, reprit-il ; mais je ne suis pas chargé de traiter avec lui; et, dans les circonstances actuelles, cela est impossible. Monseigneur, il y a à Paris nombre de cardinaux à qui on peut soumettre celte affaire. Ils n'ont pas ici de juridiction, dit l'arcbi-chancelier. Mais, monseigneur, il

258 BUOÎÏAPA.RTE

existe ici une commission de cardinaux , archevêques et e'vêques assembles relativement aux affaires de l'Eglise. Ils ne forment pas un tribunal, re'pliqua-t-il; 1 officialite' en est un e'tabli pour connaître de ces sortes de causes. Oui, prince, entre par- ticuliers ; mais la dignité e'minente des personnes en cause ne permet pas à l'officialité de se regarder comme un tribunal compe'tent. Pourquoi donc? est-ce qu'il n'est pas libre à S. M. de se pre'senter , si bon lui semble, devant un tribunal e'tabli pour ses sujets et compose' de ses sujets? Qui peut lui en con- tester le droit? Il le peut, continuai je ; mais cela est tel- lement contre l'usage , que nous ne pouvons prendre sur nous de nous regarder comme juges, à moins que ce comité' ne de'cide sur notre compe'tence. Dispose's que nous sommes à faire tout ce qui est en nous pour prouver à S. M. notre de'- vouement , nous ne pouvons nous dispenser de prendre tous les moyens de mettre notre responsabilité à couvert et notre conscience en repos. En nous chargeant de cette affaire , nous devenons un spectacle au monde , aux anges et aux hommes. Mais, dit le prince, nous ne voulons pas que cette affaire soit publique et que les journaux anglais s'en saisissent. Toutes les pièces en seront dépose'es dans la cassette de S. M. (i), et nous vous demandons le plus profond secret. Le ministre des cultes vous fera passer la de'cision que vous demandez. dessus , il lut le projet de requête qu'il e'tait dans l'in- tention de soumettre au tribunal, et dans laquelle il pre'sentait comme moyen de nullité' le de'faut de pre'sence du propre prêtre et des témoins. Sur l'observation qui lui fut faite que tout Paris voulait que le mariage eût e'ie' fait dans les formes à Paris en 1796, il dit que le samedi i"' de'cembre i8o4 , veille du sacre, Sa Majesté, qui, prévoyant ce qui arrive aujourd'hui, n'avait ja- mais voulu consentir que son mariage fût béni , qui s'y était

(i) Ces pièces au nombre de onze, ont été, le 20 janvier 1810, par noire greHier , remises à M. lî. M., duc de Bassano . ministre-secré- taire d'État, qui lui en a donné une décharge restée avec l'inventaire de ces pièces au greffe de l'oflicialité.

DEVANT l'oFFICIALITÉ DE PARIS. 259

même refuse quand la henediction nuptiale Tut donnée dans le château au roi et à la reine de Naples , au roi et à la reine de Hollande, au duc d'Aremberg et à M"" Tascher , fatigue' des instances de l'impératrice, avait dit au cardinal Fesch de leur donner la be'ne'diction nuptiale, et que le cardinal la leur avait donne'e dans la chambre même de l'impe'ratrice , sans témoins et sans cure'. Je demandai l'acte de ce'le'bration. Il n'y en a pas, re'pondit l'arcliichancelier. L'acte de baptême de l'em- pereur?— Je ne l'ai pas, rt'pliqua-t-il. C'est pourtant une pièce qu'il nous est prescrit de nous procurer. Je ne puis vous la procurer, mais je l'ai vue; et il me semble que la parole d'un prince doit vous suffire. Puis il ajouta : Nous de'- sirons que celte aflaire se termine promptement, et avoir le plus tôt possible la décision du tribunal. Monseigneur, ré- pondis-je , cette aflaire , suppose' que la compe'tence du tribunal soit de'cide'e , doit absolument être instruite et jugée comme celle de tous les sujets de S. M. Quoi! dit l'archi chancelier, vous voulez suivre les formes? tout cela va traîner en lon- gueur : j'ai e'té jurisconsulte; eiles tuent le fonds. Quelque- fois, monseigneur; mais elles servent beaucoup à conduire à la coimaissance delà ve'rite',et nous ne pouvons nous y soustraire sans que notre procédure soit frappe'e de nullité'. Nul doute cependant que tout ne se fasse avec les e'gards et la de'ference dus à la majesté impériale. D'ailleurs, rien ne s'oppose à ce que celte seconde question soit encore soumise au comité , sur ce , on se sépara.

Le 26, n'entendant parler de rien , j'écrivis à l'archi-cbancelier :

« Mandés par V. A. S. pour l'entendre sur une affaire à laquelle nous n'étions point préparés, nous n'avons pu préci- ser les points sur lesquels le tribunal diocésain désirait que la commission voulût bien l'éclairer : l'olGcialité craint de compter parmi ses justiciables le chef de 1 État. La majesté du trône, qui lui paraît inconciliable avec les attributions d'un tribunal diocésain , l'importance qu'attache à un jugement le rang suprême se présentant devant la justice , enfin l'usage in- variable de soumettre ces sortes de causes au chef suprême

260 BUONAPARTE

de l'Eglise, tout lui fait une loi de recourir aux lumières du comité' assemblé chez S. A. E. le cardinal Fesch.

« Voici donc les articles sur lesquels le tribunal demande que le comité' veuille bien s'expliquer :

» i''L'officialite' dioce'saine de Paris est-elle compe'tente pour prononcer sur la validité' du mariage de leurs Majeste's ?

» 2" Suppose' quelle le soit, £erait-el!e justifiable de juger cette affaire sans remplir les formalités auxquelles elle est assujettie ?

Enfin ne sera-t-il pas nécessaire d'épuiser tous les de- grés de juridiction?

1) Nous soiumes aux pieds de S. M. Notre amour et notre fidélité sont sans bornes. Tout ce qui n'excède pas nos pouvoirs, S. M, est en droit de l'attendre de notre dévouement. Tout ce qui ne blesse pas notre conscience nous devient un devoir, et nous ne craindrons pas de lui être fidèles , en voyant le plus puissant des souverains soumettre la sienne à un jugement.

1) RuDEMARE , Prom. dioc. »

Nous fûmes sans réponse jusqu'au i^' Janvier, que M. Guyeu, secrétaire des commandemens de madame-mère , écrivit à M. l'oilicial que , chargé des pouvoirs du prince pour suivre auprès de l'officialité une affaire importante et dont l'urgence est extrême, il désirait en entretenir le tribunal.

Le 2 au malin , il apporta la requête de l'arcbi-cbancelier. Cette requête portait que la bénédiction nuptiale départie à LL. MM. n'avait été précédée, accompagnée ni suivie des for- malités prescrites par les lois canoniques et les ordonnances. Elle contenait un nouveau moyen qui nous surprit beaucoup, le défaut de comtentcinent de la part de l empereur ; et finissait par demander au' il fût dit et déclaré que le mariage de LL. MM, a été mal et non valablement contracté , et qu'il sera , comme tel , réputé nul et de nul effet quoad foedus.

Au bas de cette requête , j'écrivis : Je suis d'avis qu'avant toute procédure , la décision des prélats soit attendue.

Elle fut présentée de suite, signée du cardinal Maury, et

DEVAITT l'0FFIGIA.L1TÉ DE PARIS. 261

le tribunal décida qa'on attendrait qu'elle fût indiTidnellement

sigrie'e par les pre'lats.

Le 3 , M. Gayeu l'apporta signëe des cardinaux Maury et Cnzelli, de l'arclievèque de Tours , M. de Baral , et des e'véques de Verceil, M. Canaveri ; dEvreux, M. Bourlier; de Ti'èves, M. Mannay, et de Nantes, M. Du Voisin.

Cette de'cision , portant la compe'tence de l'officialite' et le recours aux trois degre's de Juridiction dioce'saine, me'tropo- litaine et primatiale, statuait sur un point sur lequel la com- mission n'avait certes pas e'te' consultée , c'est-à-dire qiCà moins que le consentement ne fût Lien prouué, le mariage était nul de plein droit! ! ! et ne disait rien sur la forme de proce'dure à suivre.

Ayant pris de nouveau lecture de la requête en pre'sence de M. Giiyeu , je lui observai qu'elle e'tait entortille'e et presque inintelligible. Les de'clarations des te'moins , me re'pondit-il, mettront le tribunal au fait de tout.

Alors il se mit en devoir d'exposer l'affaire à peu près comme avait fait le prince , avec cette diffe'rence que , laissant presque de côte' le de'faut de pre'sence de te'moins et de cure' , il in- sista beaucoup sur le de'faut de consentement, qu'il repre'senta comme un consentement simuld, donne' seulement pour con- tenter l'impe'ratrice. Il ajouta que les te'moins qu'il voulait faire entendre e'taient le duc de Frioul Duroc , le prince de Neufcbâtel Bertliier,le prince vice-graiul-electeur Talieyrand , et le cardinal grand-aumônier Fescb. On fixa pour l'enquête le samedi 6.

Le 6, l'enquête se fit à dix beures du matin, l'offici al et le greffier s'étant transporte's chez les te'moins. Le procès-verbal et les de'clarations me furent remis le lendemain dimancbe, à midi; et, presqu'au même moment, un commissionnaire m'apporta deux lettres, une de M. Guyeu , qui me pro'venait que mes conclusions e'taient attendues ])our le lendemain 8, à onze heures , me menaçant de la colère de S. M., si la sen- tence n'était pas rendue ledit jour à l'heure indiquc'e; et l'autre de l'official me'tropolitain, dans le même seus. Je passai la nuit,

262 BUONAPARTE

et fus prêt ; mais M. Guyea , sans donner de motif, fît remettre la se'ance aa mardi.

Je profitai de ce re'pit pour communiquer mes conclusions a M. l'alibé Desjardins , docteur de Sorbonne , ancien vicaire- ce'ne'ral d'Orléans et cure' des missions e'trangcres ; à M. Lagct- Bardolin , avocat du cierge', et à M. l'abbé Euiery, docteur de Sorbonne et supe'rieur du se'minaire Saint-Sulpice , qui les approuvèrent.

Le tribunal se re'unit donc le mardi 9, à midi, dans le pre'- toire de l'officialite', c'tabli pour lors dans l'ancienne cbapelle haute de l'arcbevêcbe'.

Là, après que M. Guyea eut extravague' pendant une demi- heure et plus sur le non-consentement de l'empereur, disant qa^il n'avait jamais eu l'intention de contracter, et faisant va- loir en faveur d'un homme qui nous fait tous trembler , un moyen de nullité' qui ne fut jamais invoque' utilement que par un mineur surpris ou violente', je fis mon rapport, et donnai mes conclusions comme il suit :

« La question porte'e au tribunal, e'tant unique dans son es- pèce , paraît au promoteur aussi difficile qu'elle est impor- tante. Il n'a, pour le guider dans ses conclusions, ni l'autorité' des jugemens pre'ce'dens, ni celle des jurisconsultes. Il ne voit devant lui , pour se conduire, que la lumière de sa conscience et son de'vouement sans bornes pour S. M. I. et R.

» Mais ce dernier sentiment, grave' dans son cœur en traits profonds, loin d'aplanir à ses yeux la difficulté', la rend plus e'pineuse ; il ne craindra pas d'avouer qu'il concluerait plus hardiment en faveur de S. M. s'il de'sirait moins de lui plaire. S'il tremble, c'est de surprendre en soi un mouvement de zèle pour la personne il ne doit conside'rer que la cause.

» Cependant, recueilli devant Dieu, le promoteur conclura selon ses faibles lumières; et cette liberté' de ministère sera un te'moignage e'clatant en faveur du plus puissant souverain de l'univers, à qui il convient d'avoir pour serviteurs les ma- gistrats les plus intègres et dans leurs saintes fonctions les plus iodépeDdans.

DEVAWT l'oFFIGIALITÉ DE PARIS. 263

La cause a été introduite par un expose' de S. A. S. le prince arclù-chancelier de l'empire, portant :

» i" Que la bénédiction nuptiale départie à S. M. n'a été précédée, accompagnée ni suivie des J'ornialités prescrites par les lois canoniques et les ordonnances ;

» Qu'il n^y a pas eu, de la part de S. M. l'empereur et roi , consentement à ce mariage.

» Ordonnance d'information snr ces deux faits ; audition de témoins, an nombre de quatre. Dépositions faites par écrit, et consignées dans des déclarations sous serment , écrites et signées de chacun des déposans.

» Le tribunal a à s'éclairer sur ces deux points.

» Trois déposans s'accordent à dire , sur les deux chefs , que la bénédiction nuptiale, si elle a eu lieu entre LL. MM.^ a eu lieu sans consentement véritable de la part de S. M. l'em- pereur, sans propre prêtre , sans témoins, et sans pièce autheii- ticjue qui constate son existence.

» Or, un acte dont il n'y a ni titres ni témoins, n'a pas de réalité aux yeux du juge; il n'existe pas, et, s'il n'existe pas, il n'y a lieu à déclarer le mariage valablement ou non vala- blement fait, avec ou sans consentement suffisant : il est non avenu. Ce qui se passe dans le secret d un appartement entre deux personnes, sans aucune trace légale, est, devant la loi, comme ce qui se passe dans l'intéiieur de l'âme, et n'a que Dieu pour juge.

» Si donc nous nous en tenions aux trois déclarations sus- dites , nous n y chercherions des éclaircissemens , ni sur le premier , ni sur le deuxième chef de l'information ; mais nos conclusions seraient que, n'y ayant aucun monument, ni écrit, ni testimonial de mariage entre LL. INDL , il n'y a lieu à ju- gement, puisqu'on ne peut statuer sur la qualité d'un acte qui n'existe pas, ni déclarer nul ou valable ce qui n'est aux yeux de la loi qu'un être idéal et fantastique.

» Mais la déclaration de S. A. E. le cardinal Fesch ne nous permet pas de considérer la cause sous cet aspect. Ici, c'est un témoin et le ministre même de la bénédiction nuptiale. Sa déclaration est un monument qui l'établit incontestablement.

264

BUONAPARTE

Il en a même délivré le certificat a S. M. l'impe'ratrice. La question se pre'sente donc tout entière ; et nous avons à examiner :

» I" Si la ce'le'bralion a e'té revêtue des formalite's prescrites sous peine de nullité' par les saints canons et les ordonnances;

» 2" Si le de'faut allègue' est tel qu'il puisse motiver une sen- tence de nullité'.

.. Quant au premier point, les lois de l'Eglise et de lEtat prescrivent, sous peine de nullité' du lien conjugal, que la ce'- le'bration ait lieu devant le propre prêtre et en pre'sence de deux te'moins, selon le concile de Trente, et de quatre, selon l'ordonnance de Blois,

» Dans le cas actuel, il y a de'faut de pre'sence des te'moins; il est atteste' par les de'clarations annexe'es à l'enquête ; il y a de'faut de pre'sence du propre prêtre. En effet , c'est par S. A. E. le cardinal grand -aumônier que la be'ne'diction nup- tiale a e'te' de'partie hors la pre'sence du cure' : ce fait est e'ga- lement constant. Ce qui ne l'est pas moins, c'est que ces deux de'fauts ne peuvent être couverts par la dispense qu'il a ob- tenue du chef de l'Eglise universelie. S. A. E. n'ayant demandé que les dispenses qui lui sont quelquefois indispensables pour remplir ses devoirs de grand-aumônier ^ et n'ayant point par- ticularisé et nominativement spécialisé la fonction extraordi- naire et curiale qu'il allait exercer auprès de S. M., n'a pu recevoir et n'a reçu ni la dispense des témoins exigés par les lois civiles et canoniques , ni le pouvoir de se substituer au curé, on à l'ordinaire, dont l'intervention est absolument re- quise par le concile et la déclaration de i63g, nonobstant tout privilège et coutume quelconque. Ainsi l'a décidé Grégoire XIII. C'est aussi un sentiment unanimement reçu en France , qu'en fait de mariage , l'évêque seul est ordinaire.

» Louis XIII dans son édit de 162g, et Louis XIV dans celui de 1697, l'ont insinué assez clairement, en ne s'y ser- vant pas du ternie d'ordinaire, mais de celui d'évêque ou d'ar- clievcque diocésain.

« Voilà pour le premier point de l'enquête.

» Pour le second point, relatif au défaut de consentement.

DEVANT l'oFFICIALITÉ DE PARIS. 265

la question se présente environne'e de difficulte's et d'obscurité'. A !a ve'nle' , S. jM. l'empereur ne s'est prête' à la cele'bration qu'avec re'pugnance , et pour céder aux instances de S. M. l'im- pe'ratrice ; à la ve'rite' , il n'a pas voulu se lier par un engage- ment indissoluble ; mais il est difficile d'e'tablir suffisamment qu'il y ait eu défaut du consentement nécessaire à la forma- tion du lien. La question se re'duit à savoir si l'intention for- melle de ne se point lier irre'vocableraent, intention contraire à la nature du lien conjugal, e'tait un obstacle invincible à la formation du lien , ou si le consentement donne' dans la ce'le'- bration suffisait pour en produire les effets essentiels , nonob- stant tonte intention contraire. Question al)struse et très-diffi- cile à re'soudre en droit comme en fait. Si donc l'examen de cette question n'e'tait pas ne'cessaire , il semble qu'il faudrait éviter de s'y engager.

M Mais le seul de'fant de te'moins n'est-il pas un vice qui emporte de soi nullité? Oui, sans doute. La seule difficulté' qui se pre'sente, et elle est grave, c'est qu'un de'faut de formalite's ne peut être favorable à celui qui l'a produit librement. Aussi les tribunaux ont-ils coutume de juger, en pareil cas, que le mariage a e'te' mal et non valablement contracte' par de'faut d'une formalité' essentielle , mais d'enjoindre en même temps aux parties de couvrir incontinent ce de'faut , en renouvelant le'galement leur consentement.

» Il y a donc en ces jugemens deux parties très-distinctes, l'une qui déclare le mariage nul quand fœdus , l'autre qui condamne à le re'liabiliter , et l'on sent que cette dernière est ne'cessite'e par les raisons les plus graves d'e'quite' et d'ordre public.

» Cependant il n'est pas moins vrai que , pour des raisons majeures qui sortent de l'ordre commun, des raisons d'Etat, par exemple, il se pourrait bien qu'il n'y eût pas lieu d'in- sister sur la re'liabilitation. C'est à M. l'official à conside'rer dans sa sagesse si les circonstances pre'sentes ne l'autorisent pas à s'e'carter sur ce point des règles de son tribunal.

» D'après ces observations pre'liminaires , qui lui ont para essentielles pour motiver ses conclusions ,

266 BUON APARTE

» Le promoteur ge'ne'ral du diocèse de Paris , le siëge va- cant , qui a vu :

» i" L'acte présente' an nom de LL. MM. IL et RR. par S. À. S. le prince arcliichancelier de l'empire, duc de Parme, leur procureur fonde', ainsi qu'il appert d'une clause du se- natus-consulte du i6 de'cembre 1809, ledit acte en date da 3o de'cembre même anne'e , portant de'claration d'un mariage ce'le'bre' entre S. M. l'empereur et roi Napole'on et S. M. l'im- pe'ralrice et reine Jose'phine , à Paris, le i^"^ de'cembre 1804, et demande en nullité dudit mariage ;

» Le se'natus-consulte susdit j

1) La de'cision des sept pre'lats, qui porte que cette cause, de'fe're'e à notre ofïicialité , est de notre compe'tence ordinaire : ladite de'cision transcrite dans notre re'quisitoire du 3 de ce mois ;

» Les ordonnances et re'quisitoires ensuite de l'acte ex- positif de la demande ;

M Le procès-verljal d'enquête ;

» 6' Enfin, les de'clarations assermente'es des témoins, en date du 6 janvier 18 10,

Estime I" que le mariage entre LL. MM. l'empereur et roi Napoléon et l'impératrice et reine Joséphine, doit être regardé comme mal et non valablement contracté, et nul qiioad fœ- diis , faute de la présence du propre pasteur et de celle des témoins, voulues par le concile de Trente et les ordonnances;

» 2'' Que les parties doivent cesser de se regarder comme époux , jusqu'à réhabilitation;

1) Que lui, promoteur, doit s'en rapporter, comme de fait il s'en rapporte à la sagesse de M. l'ofïicial , pour pronon- cer , s'il y a lieu , dans les circonstances majeures nous sommes , et pour raisons d'Etat , à déclarer LL. MM. IL et RR. libres de cet engagement , avec faculté d'en contracter an autre.

» Fait et conclu à Paris, le 8 janvier 1810.

» RuDEMARE, promot. dioc. »>

DEVANT l'oFFICIALITÉ DE PARIS. 267

Suit la sentence de M. i'official , dont voici la teneur :

a Nous, Pierre Boilesve , prêtre, docteur en droit canon , chanoine honoraire de l'e'glise me'tropolitaine de Paris, et of- ficiai dioce'sain , le sie'ge vacant, à tous ceux qui ces. pre'sentes lettres verront, salut :

» Savoir faisons que , vu l'acte à nous pre'sente le 3o de'- cembre 1809 , au nom de LL. MM. II. et RR. , par son S. A. S. le prince archi-chancelier de l'empire , leur procureur fonde', ainsi qu'il appert d'une clause du se'natus- consulte du 16 de'- cembre 1809 , ledit acte en date du 3o de'cembre même an- ne'e, portant de'claration d'un mariage ce'le'bre' entre S. M. l'em- pereur et roi Napoléon et S. M. l'impe'ratrice et reine Jose'pbine, à Paris, le i*"" de'cembre i8o4, et demande en nullité' dudit mariage ;

» Et attendu la difficulté' de recourir au chef visible de l'E- glise , à qui a toujours appartenu de fait de connaître et pro- noncer sur ces cas extraordinaires ;

» Vu la de'cision des sept prélats, qui porte que cette cause, de'fe're'e à notre tribunal, est de notre compe'tence ordinaire : ladite de'cision signe'e de tous et transcrite au dos de l'acte susdit ;

» Le se'natus-consulte susdit , les ordonnances et re'quisi- toires ensuite de cet acte, ensemble le procès verbal d'enquête, avec les déclarations assermente'es des te'moins en date du 6 janvier 1810 ;

» Après avoir ou'i M. Rudemare , prêtre, chanoine hono- raire de Paris, et promoteur-ge'ne'ral du diocèse, en ses con- clusions laissées sur le bureau, en date du jour d'hier, et dont expe'dition signe'e de lui sera annexe'e à la pre'sente sentence ;

» Tout conside're', après avoir invoque' le saint nom de Dieu, de qui procède tout jugement ,

») Disons et déclarons que le mariage entre LL. MM. l'em- pereur et roi Napole'on et l'impe'ratrice et reine Jose'phine , a e'ie mal et non valablement contracte', et qu'il est comme tel nul et de nul efl'et , giioadj'œdus ;

268

BUONAPARTE

» Déclarons et prononçons LL. MBI. II. et RR. libres de cet engagement, avec la faculté' d'en contracter un autre, en ob- servant toutefois les formes voulues par le saint concile de Trente et les ordonnances ;

»> Disons que LL. MM. ne peuvent plus se banter ni fre'- quenter, sans encourir les peines canoniques;

» De'ciarons en outre aux parties , qu'à raison de la contra- vention par elles commise envers les lois de l'Eglise, dans la pre'tendue célébration de leur mariage , il est de leur devoir pour re'paration de ladite contravention , de faire aux pauvres de la paroisse Notre-Dame une aumône dont nous leur laissons la libre appréciation.

» Ce fut ainsi fait et Jugé par nous officia! susdit, au pré- toire de l'officialité diocésaine, le mardi g janvier i8io.

» Signé BoiLEsvE , officiai. Signé Barbie , greffier. »

De cette sentence , aussitôt et séance tenante , j'appelai au métropolitain. Mon appel, fondé sur ce que M. l'official , qui a jugé selon sa sagesse, n'en a pas moins j'igé contre la pra- tique ordinaire des tribunaux en pareil cas , fut , le même jour, signifié par notre greffier an promoteur métropolitain, qui , le surlendemain , donna des conclusions conformes à la sentence diocésaine.

Quant à l'official métropolitain , il donna , dans le sens de M. Guyeu , une sentence confirmative qu'il fonda particulière- ment sur le non-consentement de lempereur; de plus, il cen- sura le mode de réparation expressément exigé par les lois canoniques, et réforma la partie de la sentence diocésaine qui la contient, prononçant qu'elle serait annulée et regardée comme non écrite dans ladite sentence.

Le dimanche 14? le Moniteur ayant rendu de l'affaire un compte inexact, et avancé que l'official diocésain avait déclaré la nullité du mariage de S. M. quant au lien spirituel, je m'en plaignis' à l'arcbi-chancelier, lui disant que le tribunal ne dis- tinguait pas dans le mariage le lien civil et le lien spirituel ; qu'il ne connaissait que le lien purement et simplement, aux termes des saints canons, lej'œdus dont la requête demandait qu'on prononçât l'annulation. L'arcbi-chancelier me répondit

DEVAIT l'oI'FICIALITÉ DE PARIS. 269

que les re'dacteurs île joarnaux n'e'taient pas des canoaistes. Et puis, contlnuai-je , comment concilier le silence que vous nous avez recommandé avec la publicité que vous venez de donner à notre sentence? Ne trouvez-vous pas qu'on est en droit de lui faire le même reproche que nous avons fait au mariage, et que, s'il n'en reste aucun vestige dans notre greffe, on est justifie' d'en contester la re'gularité et même l'existence? Le prince alors consentit ;i ce que les conclusions, sentences et appel fussent portés sur les registres des oiïicialités , comme d'usage.

Voilà comme a été terminée cette affaire , dont je ne me suis réservé ce mémorial que pour m'aider à me laver au be- soin devant l'Eglise, dont je fais profession de craindre plus les censures que la colère de S. M., du reprocbe d'usurpation de juridiction , de précipitation et de prévarication.

Paris, 3o janvier 1810. Rldemare, promoteur diocésain.

Ce qui suit est en écriture à la main sur notre exemplaire :

« Les jugeraens hasardés qu'ont portés sur la question da mariage de Buonaparle les nouvelles Histoires de France qui me sont tombées sous la main , celles entr'autres de Rojou , de Monfgaillard et de Gallais , continuateur d'Anquetii , m'ont déterminé à faire d'abord transcrire, puis inijuimer quelques exemplaires de ce Narré qui était resté dans mon porte-feuille depuis 1810, et à en déposer, de moi signés, dans plusieurs bibliothèques publiques de la capitale.

» J'ai cru aussi devoir en remettre à de respectables amis, avec prière de les communiquer aux personnes qui , pensant a faire entrer dans des mémoires du temps cette procédure , leur demanderaient des renseignemens positifs sur la manière, dont a été conduite à l'ofllcialité de Paris , dans des temps difficiles, cette affaire à laquelle j'ai été obligé, par le devoir de ma place , de prendre une part active.

)) Paris, t4 août 1826.

» RuDEMARE, cban. bon. de Paris, ex-promoteur diocésain , et curé de N.-D. des Blancs-Manteaux. »

T. X. 19

2.70 ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES ,

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DES SECOURS

QUE Ii'ÉTUSE DES ANTIQUITÉS ÉGTFTIEMNES

DOIT TROUVER DANS LES ÉCRITS DE LA BIBLE.

DISCOURS LU A l'aGADÉMIE CATHOLIQUE DE ROME PAR LE P. OLIVIÉRI , GÉ^ÉRAL DES DOMINICAINS (1).

Avantages <\e 1 ctucle des antiquités égyptiennes. La statue de Mem- non expliquée. Système de Manélhon. L'Egypte n'est pas aussi ancienne que le disent certains savans. Preuves tirées de la for- mation du sol. De son astronomie. Peuplée par Cham. Amnon Jupiter. La plupart des arts sont antérieurs au déluge.

« Le but des fondateurs de V Académie de la Tieligion catholi- que a ctë de suivre les progrès de l'esprit bumaiu dans toutes les branches des sciences , pour montrer que , loin d'arriver à aucune conséquence défavorable à la religion , chacune des sciences en présente une preuve nouvelle , et en reçoit à son tour une direc- tion plus vraie et des lumières plus grandes. C'est sous ce point de vue , que j'ai cru devoir vous entretenir aujourd'hui des élu- des sur les Antiquités égyptiennes ; déjà un des membres de cette Académie vous a parlé des zodiaques de Denderah , auxquels on avait tenté d'attribuer une antiquité prodigieuse \ il vous a prouve qu'ils ne pouvaient être que modernes ; les vrais savans applau- dirent à ses paroles de toutes les parties de l'Europe, et le nom de monseigneur Testa est rangé parmi ceux des restaurateurs de la science astronomique. Il s'est ensuite trouvé que les peintures égyptiennes des zodiaques du temple de Denderah appartiennent à l'époque de la domination romaine , comme il résulte des in- scriptions soit grecques soit hiéroglyphiques , dans une desquelles

(i) Annales de Phil. Chrél. 5o.

EXPLIQUÉES PAR LES RÉCITS DE LA BIBLE. 271

est nommé Tibère, tandis que dans une autre est mentionné le titre d'Juiocrator. Le petit temple de Esné , dont on faisait re- monter l'origine à 2'joo ou 3ooo ans avant Jësus-Christ , a une colonne peinte et sculptée la dixième année du règne d'Antonin, i4y ans après Jésus-Christ (i).

» Monseigneur Testa avait traité un seul point des antiquités égyp- tiennes. J'ai pense qu'il serait avantageux d'offrir quelques consi- dérations générales sur ces mêmes antiquités dans le but de prou- ver que leur étude exige le secours de la sainte Écriture pour ne pas s'écarter de la vérité, pour acquérir des fondemens plus so- lides et des lumières plus sûres.

» Je dois dire d'abord que je suis bien loin de de'nigrer l'étude des antiquite's égyptiennes; je suis au contraire convaincu qu'elles jettent de la lumière sur 1 histoire , les arts, les sciences, et que par-dessus tout elles doivent servir au triomphe de la religion ; ainsi les efforts de la curiosité humaine pour les explorer , quel que soit le but des investigateurs , aura pour dernier résultat de lui fournir de précieux documens.

« Pour en citer un exemple , vous avez tous entendu dire que le colosse de Memnon, frappé par les rayons du soleil naissant, fai- sait entendre des sons harmonieux ; plusieurs écrivains en ont parlé, le géographe Strabon assure l'avoir entendu lorsqu'il ac- compagnait Elius-Gallus. Il pre'vient, il est vrai, qu'il ne sait si le bruit venait du colosse, ou de sa base, ou de quelqu'un des as- sistans. Or, nous savons aujourd'hui qu'un voyageur anglais, en explorant les ruines de cette antique Thèbes , a découvert la base de la fameuse statue , et qu'il y a remarqué une cavité dans la- quelle un homme pouvait se placer, et produire les sons mys- térieux (2).

» Mais pour en revenir à mon sujet, si nous conside'rons la con- nexion de l'Egypte avec les événemens de l'histoire sacrée , sa

(i) V. ci-d. tom. III, p. 10.

(2) Ce voyageur anglais est M. Wilkinson : quelques auteurs ont voulu douter de sa découverte ; mais ceux-là même ont expliqué le phénomène de la voix de Memnou. Voir eu particulier la Dissertation de M. Letronne.

19.

272 LES ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES,

proximité de la Terre-Sainte, le contact des peuples dans leurs révolutions réciproques, les fréquentes allumions des prophètes aux événemens et au pays de l'Egypte , nous comprendrons bientôt que, pour ne pas se tromper cl obtenir des eclaircissemens cer- tains, l'on est obligé d'avoir recours aux livres sacrés. On ne parle, il est vrai, le plus souvent, que de cavités sépulcrales, de cada- vres conservés avec tout leur appareil. Mais comme on ne se pro- pose rien moins que de refaire avec ces documeus , l'hiètoire des rois qui gouvernèrent l'Egypte, et de l'Egypte elle-même, ce qui comprend l'histoire du moude, quant h son origine et à sa durée, et aussi une grande partie de l'histoire générale ou particulière des autres peuples ; comme on en tire des notions sur les gouver- nemens , la civilisation, les sciences, les arts qui y fleurirent dès les temps les plus anciens ; sur les mœurs , la religion dont nous devons constater l'état, au milieu des plus monstrueuses supersti- tions, pour ne pas confondre les inventions de la folie humaine avec les traces primitives qui viennent de Dieu, et 1 intervention du démon avec les œuvres du Tout-Puissant , on ne saurait ac- corder trop d'attention à celte étude. »

Le savant religieux nous donne ici un tableau rapide des re- cherches faites par les amateurs d'antiquités égyptiennes ; \\ nous les peint fouillant dans les entrailles de la terre, ouvrant les mo- mies, pénétrant dans les nécropolis, descendant dans les puits sacrés, se glissant dans les conduits souterrains, partout oii un temple, une colonne, une inscription leur permettra de déchiffrer une page ou seulement une ligne de cette histoire encore envelop- pée de tant de nuages ; puis il continue en ces termes :

« Tels sont les monumens à l'aide desquels on espère retrouver les noms et les annales de plusieurs des plus anciens rois-hommes des quinze premières dynasties d'Egypte , e'nuraérées par Manéthon. J'ai dit des rois- hommes , car , pour le règne des dieux et des demi-dieux ^ il n'est pas considéré comme historique. On prétend, a partir de la i6® dynastie, e'tablir avec les monumens la succes- sion des Pharaon jusqu'à la 26^ dynastie"', sous le règne de laquelle eut lieu la conquête de l'Egypte par les rois de Perse , et de jusqu'à la 3i® dynastie , sous laquelle l'Egypte fut conquise par Alcxandre-lc-Grand. Les preuves sur lesquelles on s'appuie sont

EXPLIQUÉES PAR LES RECITS DE LA. BIBLE. 273

le Tableau qui se trouve sur la muraille du temple d''Abydos, le tombeau de Ben Hassan , la procession du Ramesseion , le tombeau de Carnah , la procession de Wédinet Abu et autres monumens épars en diffe'rens lieux. Or, à l'aide de ces monumens, on pré- tend justifier les listes des dynasties de Manéthon , qui se trouvent être successives, excepte celles des rois pasteurs, qui sont colla- térales à celles des rois Ic'gitimes.

Les rois pasteurs ont envahi l'Egypte, sous le règne du der- nier roi de la 16"^ dynastie.

Quant à la civilisation de l'Egypte, le professeur Rosellini (i) observe que « les monumens encore debout nous repre'sentent cet )) ancien peuple comme parvenu h un haut degré dans la science » et les arts , sans que l'ont ait aucune trace de principes de sa « constitution civile. » Et parlant d'une des peintures des tombes de Ben-Hassan, il dit encore : « Ce morceau nous offre une des » plus anciennes productions de l'art , auprès de laquelle toutes » les autres peintures données pour antiques peuvent être consi- » dére'es comme modernes. »

Or, on demandera si, pour expliquer les monumens e'gyptiens, on a les mêmes secours que pour les monumens grecs ou latins, c'est-à-dire , si l'on trouve drs écrivains de la langue égyptienne même, qui nous aident à les expliquer. Nous n'avons jamais en- tendu parler d'aucun ouvrage égyptien sur l'histoire ou la poésie, sur les sciences , les arts ou la littérature, nous ne pouvons tirer aucune lumière de ce côté ; on a bien quelques restes de l'an- cienne langue égyptienne dans le copie, qu'on parla ])lus tard, mais les caractères de l'écriture copte, empruntés au grec, ne re- montent pas au delà du io« siècle. Le petit nombre des écrivains qui en ont usé sont chrétiens.

Quant aux plus anciens ouvrages que nous ayons sur l'Egypte, on sait que ce sont des catalogues de rois , les annales de leurs

(1) Le profcs.scur Rosellini de Fisc accompagna Champollion clans sa dernière excursion en Egypte. Plus heureux que celui-ci , et de retour dans sa patrie, il publia sur les antiquités égyptiennes un grand ouvrage Ton regrette de ne pas voir les traditions de la Bible Irailces avec assez de respect. ( Note du P. OUvièri. )

274 LES ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES ,

actious , conservées dans leurs archives par les prêtres, comme aussi les easeignemens secrets de leur doctrine, soustraits à la connaissance du vulgaire.

On conjecture que c'est de h que vient la liste de 38 rois tbébains , donne'e par Eratoslliène , et la liste de la vieille chro- nique, qui, avant le règne des hommes, parle de la domination des dieux et plus tard des demi-dieux , avec une supputation d'an- nées ne'cessairement étrangère à l'histoire , et que l'on doit rap- porter à des doctrines cachées. Mais c'est à cette source que dut puiser Manéthon pour composer son ouvrage grec, ouvrage divisé en deux parties, et présenté au roi grec de l'Egypte, qui le lui avait commandé. Une partie se composait de canons judiciaires, de règles' pour connaître l'avenir; l'autre partie était historique, et contenait les trente dynasties qui avaient régné en Egypte. Nous avons un fragment de la liste de ces dynasties dans Josèphe, nous en avons encore des extraits faits par Jules l'Africain au temps d'Origènc, et que Sincellus a conserves; Eusèbe en avait fait d'au- tres extraits dans sa chronique, nous avons retrouvé dans une traduction arménienne , la partie que nous croyions perdue.

On rencontre à la vérité de notables différences dans les ex- traits faits par Josèphe , Jules l'Africain et Eusèbe; mais, même en dissimulant, en arrangeant pour le mieux ces extraits, et en les comparant ensuite avec les monumens qui paraissent s'accorder avec eux , pour leur donner ou en recevoir des preuves et des éclaircissemens réciproques, c'est eu vain que l'on prétend que les processions successives de séries de rois, ou de personnes appar- tenant à la famille royale, que Ton trouve sur certains monumens, puissent résoudre la grande question de savoir si les dynasties sont successives, ou si quelques-unes d'eutr'eiles sont contemporaines. Eli prenant, d'après cette seconde supposition, les différentes dé- nominations de rois, Buùasiites , Diospolilains , etc., pour des indications de dilTérens royaumes, qui ont pu avoir leurs rois dans le même temps, plusieurs savans, et parmi eux Fourmout, croient voir divers indices de cette cor)temporane'ité , Jusque dans les ca- talogues de Mane'thon , et, dans ce cas, elles peuvent très-bien se concilier avec la série des temps indique'e par la Sainte-Ecri- ture ; tandis qu'en les considérant comme successives , on arrive à un nombre d'anne'es inconciliable avec toute apparence de vérité.

EXPLIQUÉES PAR LES BÉCITS DE LA BIBLE. 275

Mais outre Manélhon et ceux qui ont puisé chez lui, trouvons- nous dans la littérature profane quelques preuves à l'appui des ré- cits des prêtres égyptiens? Nous trouvons qu'avant Manéthon des philosophes de la Grèce, tels que Pjthagore, Thaïes, Selon, Pla- ton et d'autres moins connus , étaient venus chercher l'art et la science en Egypte.

Mais, quoiqu'il en soit, nous ne trouvons par rapport aux évé- nemens historiques, que des faussetés palpables

Avant Manéthon, il faut encore placer le voyage d'Hérodote, père de Phistoire profane; il visita l'Egypte lorsqu'elle avait déjà passé sous la domination des Perses.

Dans son second livre il rapporte les récits que lui avaient faits les prêtres , récits très-oppose's à ceux de Mane'thon , et encore remplis de falsifications étrangères.

Diodore de Sicile alla puiser aux mêmes sources ; quand les Romains se furent emparés de ces contrées , les prêtres lui firent encore d'autres récits contradictoires sur des points de la première importance , comme on jjeut le voir dans sa Bibliothèque.

Un pareil chaos de contradictions força Pétau, le chef des chro- nologistes , à renoncer à établir aucun ordre dans l'histoire de l'Egypte. D'autres hommes distingués ne se sont pas senti plus de courage, et Marsham, qui l'a tenté, a mis a la tête de son livre cette épigraphe d'Aristote : // est difficile de mettre en bon ordre ce qui est mal disposé.

Les monumens découverts plus tard ne peuvent donc puiser qu'un appui défectueux des renseigneraens préexistans sur l'Egypte, et ils seraient propres à devenir une matière à mille erreurs, si l'on prétendait que seuls ils suffisent.... Sans doute ils peuvent être dune grande utilité'; mais, lorsque pour les étudier on suivra les lumières que nous fournissent les Saiiites-Ecritures , on évitera bien mieux les écarts , et on leur donnera des fondemeus bien plus solides et bien plus vrais ; c'est , j'espère , ce qui va vous devenir évident.

Les Saintes-Ecritures nous enseignent que les eaux du dc'liige couvrirent toute la terre, et que tous les hommes furent détruits, excepte' la seule famille de Noé , dont les descendans repeuplèrent le monde. Aujourd'hui les ge'ologues out, en examinant les conti-

276 LES ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES ,

tinens actuels , fait voir avec la dernière e'vidcace que , d'après l'état de ces coutincns, l'antiquité du monde et le déluge ne peu- vent remonter au-delà de l'époque fixée par les chronologistes. La même observation se présente pour l'Egypte : Hérodote nous ap- prend que de son temps la Basse-Egypte était regardée comme un présent du JSil. On voit, d'après Homère, que 1 île du Fare était éloignée d'une journée du rivage égyptien , mais elle le touche aujourd'hui, par un effet des alluvions formées par le fleuve. M. Ro- sellini , dans son troisième volume, en nous déciivant la pierre de Thcbes, nous apprend qu'elle est calcaire, d'un grain très-fin; c'est dans cette pierre que sont creusés les hypogées de la grande Nécropolis ; il observe qu'il n'est pas rare d'y trouver incrustés des morceaux de silex et de pétrifications coquillières. Donc l'E- gypte fut un fond de mer, fut subiijerge'e par les eaux du déluge, et cette prodigieuse antiquité que lui donnaient les prêtres s'e'va- nouit , et toutes les dynasties qui excèdent celte mesure ne sont que des songes.

Nous voyons dans la Genèse la période de sept jours, consa- crée jusque dans la création du monde ; nous avons dans l'histoire du déluge clairement indiquée l'année de douze mois , qui dès-lors était en usage. Nous avons parmi les peuples primitifs une tradition universelle, soit de la semaine, soit de l'année de douze mois, et dès-lors des multiples et des sous-multiples de douze dans la divi- sion des temps. 11 y en a qui prétendent que ce sont de de'cou- vertes faites par les Egyptiens depuis un nombre de plusieurs mil- liers d'années; cependant, quoique les ingénieurs de ces peuples aient su placer les quatre faces des pyramides du côté des quatre points cardinaux , on peut dire que les Egyptiens avaient encore assez tard une année imparfaite et sans rapport fixe avec les sai- sons ; comme aussi la véritable astronomie ne commença à Alexan- drie, sous les rois grecs, que deux ou trois siècles avant J.-G. j Hipparque en fut le princijjal fondateur.

De même, si l'on cherche des observations exactes antérieures à cette époque, ces astronomes n'en trouvent aucune dans leur Egypte; ils n'en purent obtenir de la Chaldée que trois sur la lune, de ^20 ans avant notre ère. Il est manifeste que l'Egypte des Pharaons, quclqu'admiration qu'on ait pour elle, ne put jamais

EXPLIQUÉES PAR LES RECITS DE LA. BIBLE. 277

faire de progrès dans la véritable astronomie ; ainsi l'on peut trou- ver quelque vraisemblance au récit de Josèphe , lorsqu'il dit qu'A- braham , Clialdéen d'origine , apporta aux. Egyptiens les connais- sances astronomiques de son pays (i).

Nous voyons dans la Genèse, queChara, second fils de Noé , fut le père des Égyptiens, et en effet, dans les Psaumes, l'Egypte est appelée le pays de Cham. Jacoh accola fuit in terra Cham. Nous observerons , d'après les Saintes-Écritures , que l'ancienne Thèbes s'appelait No-Amon , Amon-No , c'est-à-dire, habitation A mon ou CJiam , en ajoutant la désinence on.

Nous aussi nous ne devons pas chercher hors de Cham les rois de l'Egypte. Qu'une ville ait pris le nom d'un homme, nous le voyons dès le commencement du monde ; Gain appela la ville qu il bâtit du nom de son fils Enos. Ce Cham ou Amon fut plus tard l'objet d un culte idolâtrique , transporté en Gièce, il prit le nom de Zeu? , àlo? , elles Grecs, traduisant dans leur langue le nom de sa ville Amon No , l'appelèrent Diospolis.

Mais, dirons-nous que celte Amon No, cette Diospolis , fut dès le commencement la capitale de toute l'Egypte ? Je ne le pense pas, et d'apiès les Saintes-Ecritures, nous devons conclure le contraire.

Abraham va en Egypte , pousse' qu'il est par la famine qui af- fligeait la terre de Chanaan; que lui arriva-t-il? Le roi fait en- lever Sara son épouse, qu'Abraham avait en arrivant appelée sa sœur. Or, d'abord ce roi, si nous considérons qu Abraham venait en Egypte par la côte occidentale de l'isthme de Suez ( au moins pa-

(i) Les ailleurs du grand voyage en Egypte ont constaté que l'état de l'atmosphère et Ihorizon de l'Egypte , s'opposent à ce qu'aucune observalion du lever héliacjue du soleil et des étoiles de première gran- deur soit possible. Les recherches de quelques savaus , entre autres de M. de Paravey , ont prouvé qu'il existait en Egypte une année fixe, en même temps qu'une année vague. Les travaux de ce dernier savant démontrent aussi qu'avant Yastronomie savante et alphabétique , appor- tée par Hpparque en M^f,y\t\Q .,\\ y 3,sa\i\iï\ç, aslrononne hiéroglyphique , également savante, mais dont les calculs se renferment dans les bornes aisignées par la Bible. (A oie du. D. des Annales.)

278 LES ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES,

laît-il ainsi), ne devait pas être loin de Thèbes. Ensuite, le fait de lui ravir sa femme nous montre que ce devait être un petit roi; du reste, il y en avait un grand nombre. Abraham avec ses ser- viteurs, n'en poursuivit-il pas cinq, et ne les vainquit-il pas? ceux qui vinrent foudre sur la Palestine même, en avaient combattu quelques autres; n'est-il pas contre la nature des cboscs, qu'auprès d'uu roi puissant, tel que l'aurait été un roi de toute l'Egypte, on eût vu de petits princes guerroyer sans cesse entre eux , et se piller et se de'truire mutuellement? Tant que durèrent ces petits rois, et il n'y en eut pas d'autres à l'origine des peuples, c'est folie de supposer l'érection de vastes monumens. Aucun roi égyptien ne pouvait les construire, pas plus que ne l'eussent pu ces rois dont nous parle Homère , dont les palais consistaient dans une salle , et une pièce dans le fond, de façon que, pour loger avec honneur d'autres rois leurs hôtes, ils étendaient en plein air des couvertu- res de peau , sur lesquelles ils les faisaient dormir à la belle étoile (i); les filles de ces rois allaient elles-mêmes avec leurs servantes laver les tuniques dans les fleuves. Ces mœurs étaient encore générales au temps d'Abraham, et nous ne saurions douter que ce ne fussent celles des principicules de l'Egvpte.

En laissant de côté les progrès sociaux, nous voyons le roi à qui Joseph, petit fils d'Abraham, interpréta les songes, entouré déjà d'une certaine magnificence; peut-être alors son royaume s'é- tendait-il sur une grande partie , et même sur toute l'Egypte. Je dis de l'Egypte d'alors , mais comme ce fut Joseph, qui fit vendre aux Egyptiens, pressés par la disette, les terres qu'ils possédaient, de façon qu ils ne furent plus que les fermiers des rois , on peut dire que de cette époque date la grande puissance de ceux-ci; alors ils eurent les moyens de faire exécuter par de nombreux ouvriers les plus immenses travaux ; c'est un rêve que de se figurer que les pyramides, les labyrinthes, les excavations des montagnes, en un mot, toutes ces constructions si prodigieuses, aient pu être con- struites dans des temps antérieurs.

L'obligation imposée aux Hébreux de faire de la brique, dénote

(i) Voyez dans Homère la réception de Tclémaqiie par Ménélas.

EXPLIQUÉES PAR LES RÉCITS DE LA BIBLE. 279

des progrès toujours croissaos dans les moyens d'exécution, et il faut convenir qu'on se trompe grandement quand on assigne à des monumcns qui exigent une si grande multitude de bras, une épo- que plus reculée.

Ceci se confirme encore par l'observation du professeur Rosellini au sujet de deux pressoirs qu'on voit dans les gravures de son ouvrage. « Ces deux pressoirs , dit-il , montrent combien les Egyp- » tiens avaient encore de simplicité dans leur mécanisme, nous di- )) rons même d'ignorance. » Il fallait donc travailler à force de bras; et c'est le principal caractère des arts me'caniques chez les anciens Egyptiens ; car si nous savons , par les résultats , qu'ils ont eu une immense puissance , nous savons aussi que c'est seulement à force de bras qu'ils ont pu venir à bout de terminer des monu- mens d'une grandeur si effrayante. Il est donc toujours plus im- possible que de tels ouvrages aient été exécutes dans des temps plus anciens. Mais, dira-t-on , les arts et les sciences veulent des mil- liers et des milliers d'années pour être inventés et pour se porter à la perfection à laquelle ils parvinrent chez les Egyptiens.

Cette objection suppose un état primitif d'abrutissement , dont les hommes sont sortis peu à peu , en commençant par acquérir la faculté de parler , et en passant par divers degrés Jusqu'à la der- nière perfection. Cette supposition a eu de la vague dans le siècle passé, lorsque des savans ingénieux prenant un homme machine , l'ont doué peu à peu des sens, l'un après l'autre; mais cette hy- pothèse a être abandonnée à cause de sa folie et de ses funes- tes conséquences. Le fait est que Dieu , en créant l'homme, l'a doué d'une faculté de parler, non -seulement possible, mais réelle , en exercice avec tous les mots nécessaires ; qu'il lui fit donner un nom aux objets qui tombaient sous ses sens; qu'il lui conduisit les ani- maux , afin qu'il les nommât ; en un mot , il ne le créa pas dans l'état d'enfant , mais dans celui d'homme fait ; le soin des trou- peaux et des champs se trouva dès le commencement appartenir au genre humain ; l'art de travailler et de fondre les métaux est en- core anté-diluvien ; la musique exécutée sur les instrumens l'est aussi : on trouve parmi les desccndans de Caïn le père de ceux qui chantaient avec les instrumens, canentium in citharâ et or- gano. L'art d'écrire est anté-dduvien ; on en a des preuves dans

280 LES ANTIQUITÉS ÉGrPTîENKES,

la Bible, outre la prophétie d'Euoch , contenue dans son livre , et citée par l'apôtre St. Jude.

En entendant parler de la supériorité des Egyptiens dans les sciences et dans les arts , nous ne devons pas nous laisser surpren- dre par la conservation de tant de momimens , qui est due en grande partie à la qualité des pierres fournies par le pays. On cite de^ ouvrages prodigieux des Chaldéens , dont il n'y a aucun vestige, parce qu'ils e'taicnt construits avec des briques mal cuites.

Nous avons vu à quelle médiocrité les Egyptiens étaient restes en fait d'astronomie ; nous n'entendons pas dire qu'ils aient été loue's pour la poésie et la musique , qui se retrouvent cependant chez les peuples enfans. Toutefois, le cantique de Moïse après le passage delà mer Rouge, et la musique dont sa sœur l'accompagna, indiquent quelques traces de ces arts en Egypte. Les Egyptiens n'ont pas eu d'écrivains. Nous avons vu, avec le professeur Roselliui , combien ils étaient en retard pour la mécanique; on ne voit pas qu'ils fussent fort avancés dans Part nautique ; Salomon , quoiqu'il eût épousé une fille du roi d Egypte , ne s'adressa pas à lui pour avoir des vaisseaux, mais aux Phéniciens , bien que les ports d E- liongaber et d'Elath fussent sur la mer Rouge , en face de l'Egypte. Je trouve dans Cuvier , que les prêtres égyptiens de toutes les clas- ses ont dit mille extravagances en histoire naturelle.

En peinture, ils ignorèrent la perspective et la gradation des couleurs : tous les hommes étaient peints en rouge foncé, les fem- mes eu jaune. Roscllini a fait observer la ne'gligence des dessina- teurs e'gyjitiens dans les proportions. 11 remarque que les anciens Egyptiens furent, même dans les grands monumens publics, peu attentifs à une rigoureuse régularité de plan. Bien que ion observe dans les figures égyptiennes , une certaine légèreté et un certain mouvement , cependant les pieds et les mains sont tout-à-fait dif- formes dans les figures humaines. Le professeur Paolo Savy , en parlant des animaux , dit : « Les détails sont ordinairement négli- )) gés , et surtout ceux de la tête et des extrémités. »

Je m'arrête, et je conclus que les anciens Egyptiens, dans tous les arts et toutes les sciences, sont restés dans la médiocrité, et trop souvent dans la presque nullité ; que les Ecritures nous font connaître des iaveulions cousidérables qui leur sont antérieures.

EXPLIQUÉES PAR LBS RECITS DE LA BIBLE. 28 1

On me dira peut-être : les apôlres ne representent-ils pas Moïse comme instruit dans toutes les sciences des Egyptiens? Je réponds : qu'il a reçu une éducation parfaite dans le cercle des connaissances égyp- tiennes , mais ces sciences étaient loin de la perfection à laquelle elles arrivèrent plus tard. Moïse n'est pas grand par la science des Egyptiens, mais par la sagesse que Dieu lui communiqua en lui parlant face à face, par l'affranchissement de son peuple, par la manière dont il le conduisit quarante ans dans le désert , par les lois qu'il lui donna , par les miracles que Dieu fit par lui.

Il me reste à parler enfin, du nombre des dynasties Egyptien- nes sur lesquelles iManéthon ne peut être soupçonné d'imposture, et encore ici , l'Ecriture nous donne des lumières admirables. Je ne vous citerai que la dynastie des princes Ismaélites et de ceux d'Aluph ou chefs Iduniéens descendans d'Esaii; ces deux dynasties sont nomme'es dans la Genèse, citées en ligne respective. Je ne crois pas que personne soit tenté de mettre ces deux listes ensemble l'une après l'autre pour en former une seule succession ; pourquoi ne pas dire la même chose des dynasties Egyptiennes? pourquoi ne pas les laisser chacune avec leurs propres dénominations dans les listes de Manéthon , toutes les fois qu'il n'y a aucune raison particulière de les unir. Que l'on s'en tienne exactement aux limites fixées par le déluge aux diverses époques , que l'on suive les autres données, celle entr'autres de l'émigration d'Abraham et de l'état social de son époque , celui du gouvernement de Joseph sur l'Egypte , et 1 on aura pour se guider dans l'histoire de ce pays des lumières que l'on ne saurait trouver ailleurs. »

Le P. Oliviéri , Commissaire du Saint-Office et général des Dominicains à Rome.

282

BIBLIOTHÈQUES SES PEUPLES MAHOMETANS.

Les Musulmans n'ont pas toujours été dans cet état d'ignorance nous les voyons aujourd'hui. Il est vrai qu'Omar ordonna à son lieutenant Amrou de brûler tous les livres qui composaient la se- conde bibliotlicque d'Alexandrie (on sait que la première avait été incendiée accidentellement du temps de Jules-César, sept siècles au- paravant). Mais tous les califes n'ont pas été des Omar. Les noms d'Al-Mansour , de Haroun-ÂlReschyd et d'Al Mamoun , rappellent l'époque les sciences et les lettres, négligées ou inconnues ea Europe , s'étaient réfugiées à Bagdad , des hommes spéciaux étaient envoyés à Constantinople , pour y traduire en arabe les meil- leurs ouvrages des Grecs ; enfin , parmi les conditions de trai- tés de paix imposées par le calife vainqueur, figurait la cession d'une certaine quantité de livres grecs.

Nous avons peu de renseignemcns sur la bibliothèque particulière des califes et sur celle des nombreux collèges qu'ils avaient fondés à Bagdad. Un seul fait pourra faire juger de l'immensité de ces collections. Lorsque Bagdad fut prise par les Tartarcs, l'an 1258, ceux-ci jetèrent tous les livres dans le Tygre , et le nombre en fut si orand, qu'ils formèrent, disent les Arabes, une chaussée sur la- quelle passaient les gens de pied et les cavaliers.

En Egypte, en Mauritanie, en Espagne , en Syrie, à Bokhara , à Samarkand, dans toutes les contrées soumises au joug du Coran, des princes rivaux ou vassaux des califes se distinguèrent par l'a- mour des lettres , et fondèrent des bibliothèques et des acade'mies. Celle des califes d'Egypte e'tait contenue dans 4o salles de leur palais au Caire , et contenait plus d'un million six cent mille volumes , parmi lesquels se trouvaient un grand nombre de manus- crits autographes. Tous ces livres e'taient remarquables par la beauté des caractères et des reliiires enrichies d'or , d'argent et de pier- reries. Pendant les désordres qui signalèrent une partie du règne du calife Moskanser, vers l'an 1080, cette bibliothèque fut dila-

BIBLIOTHÈQUES DES PEUPLES MAHOMÉTANS. 283

pidée par les milices turques qui prenaient des livres en paiement de leur solde arriérée. Un jour le visir lui-même en fît transpor- ter chez lui la charge de 25 chameaux , d'après une autorisation qui, pour 5ooo dinars ( 5o,ooo f. ) qui lui étaient dus, lui adju- geait la valeur de 100,000 dinars {un million de francs) en li- vres. Après le pillage de la maison de ce ministre, les esclaves prirent une partie des couvertures de ces livres pour se faire des chaussures et en brûlèrent les feuillets. Les autres furent mis en pièces, périrent dans les flammes ou dans les eaux, du jNil, ou fu- rent transportés dans les pays étrangers. Le reste enfin demeura entassé par monceaux sur lesquels les vents amoncelèrent une si grande quantité de sables et de terre qu'ils formèrent plusieurs monticules qui subsistèrent long-temps près du Caire , et qu'on nom- mait les collines de livres.

La bibliothèque particulière des califes d'Egypte fut respectée dans cette occasion; elle contenait plus de 12,000 volumes reliés, sans compter ceux qui étaient brochés. Après la destruction du califat d'Egypte, tous ces livres furent vendus par ordre du sultan Sa/a- din , dont les vertus privées, les qualités guerrières et le zèle reli- gieux n'étaient pas favorables aux lettres.

Les Arabes , maîtres deTEspagne, y firent fleurir leur littérature et leurs arts. Les rois , depuis le califat de Cordoue, fondèrent dans leur capitale des académies et des colle'ges. L'un d'eux , Al Hakem II, surnommé Âl-Moskanser , ne se borna pas à attirer à sa cour les hommes les plus célèbres de l'Orient. 11 entretenait en Afrique, en Egypte , en Perse, des agens chargés d'acheter ou de faire copier, à tout prix, les manuscrits les plus précieux. Son palais était con- stamment ouvert aux savans et aux gens de lettres. Il y avait ras- semblé une bibliothèque de six cent mille volumes rangés par ordre de matières, dans différentes salles. Plusieurs furent enrichis de notes savantes de la main même de ce prince. Le catalogue seul formait 44 volumes in folio.

Les cours de Bagdad, du Caire, de Fez, de Cordoue, étaient des foyers conservateurs des lumières. Ce fut chez les Maures d'Es- pagne que Gcrbert , archevêque de Reims , et qui fut depuis un des Papes les plus illustres sous le nom de Sylvestre II, alla ap- prendre la géométrie.

284 BIBLIOTHÈQUES DES PEUPLES MAHOJIÉTANS.

Lorsque, sur les ruines du califat de Cordoue , s'e'tablirent en Espagne plusieurs dynasties, des princes moins puissans élablirent des bibliothèques à Valence , à SeviUe, à Grenade , etc. On eu comp- tait, dit-on, soixante-dix dans la pe'ninsulc. Elles furent successive- ment pillées el détruites par les Espagnols , et leurs débris ont passé dans celle de l'Escurial.

De toutes les bibliothèques publiques dont parlent les auteurs orientaux, la plus considérable était celle que les princes Ammari- des avaient formée à Tripoli de Syrie. Elle se composait de trois millions de volumes. On y comptait cinquante mille exemplaires du Coran , et vingt mille commentaires sur ce code religieux, civil et politique des Musulmans. Elle était annexée à une académie. Cent copistes y jouissaient dun traitement annuel, et il y en avait trente qui ne quittaient cet édifice ni le jour ni la nuit. D'autres hommes étaient spécialement chargés d'acheter en diverses contrées les ouvrages les meilleurs et les plus rares. Sous le gouvernement des Ammarides , Tripoli était devenu le rendez-vous des savans de tous les pays. Lorsque cette ville tomba au pouvoir de Bertrand, comte de Saint-Gille, l'un des chefs des croisés (iiog), les vain- queurs demeurèrent stupéfaits a la vue des livres que renfermait la bibliothèque. Une personne qui se trouvait dans la salle oii étaient les exemplaires du Coran, ayant pris successivement plu- sieurs volumes, et reconnaissant toujours le même ouvrage, déclara que cet édifice ne contenait que des Coran. Cette déclaration fut l'arrêt de la Bibliothèque; les chrétiens la réduisirent en cendres. Le peu de livres qui échappèrent à l'incendie furent dispersés en différens pays.

Ispahan , Scbiraz doivent avoir eu aussi des bibliothèques roya- les fort nombreuses , si l'on en juge par celle du savant Aboul Ca- cein Israaël Saheb Ibu-Abad , la plus considérable qu'ait jamais possédée un particulier, si l'on en excepte celle de M. Boulard.

On peut se faire une ide'e de la richesse de la bibliothèque im- périale deDehIy, d'après la beauté d'un ouvrage qui en faisait par- tie , lors de la révolution qui a consommé la ruine de l'empire mogol. C'est l'exemplaire autographe de Ayyn Ahbery , composé et copié par l'empereur Akbar. Cet exemplaire, sur papier sablé d'or et orné de portraits et de vignettes, a été vendu 16,200 fr., à la vente de la bibliothèque de Langlés, 1825.

HISTOIRE NATIONALE. 285

Les Turcs ottomans ou osmanlis, Tartares d'origine et moins por- tés vers l'e'tude des sciences et dos lettres que les Arabes et les Persans, n'ont jamais formé d'aussi vastes de'pôts de livres. La bi- bliothèque du sërail h Constanlinople , fondée par le sultan Ahmed III, en 17 19, et augmente'e par ses successeurs , peut contenir au moins quinze mille volumes et s'accroît continuellement par suite des con- fiscations. Il y a en outre h Constantinople douze académies, et au moins autant de bibliothèques publiques qui portent les noms de Sainte-Sophie, des sultans Mahomet II, Soliman l^^ , Bajazet II, Osman III et Abd'ul Hamid, de la sultane Validé , des grands visirs Mehemed Kiuproli , Ibrahim Pacha. Rcghib Pacha, etc. Ces biblio- thèques, place'es dans des édifices élégans, ne contiennent guère qu'environ deux mille manuscrits chacune.

Qui croirait aujourdhui que Fez et Maroc ont été dans le moyen âge des villes célèbres par leurs académies et leurs bibliothèques ? Aujourdhui, elles offrent les mêmes traces d'ignorance et de bar- barie que les tribus maures qui errent sur la côte et dans l'inté- rieur de l'Afrique.

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HISTOIRE NATION AI,!:.

Rapport au roi j Arrêté royal du 22 juillet ; Séances de la commission d'histoire du 4 et du 16 août.

Sire,

L'histoire de la Belgique , comme celle de la plupart des nations de l'Europe, n'est encore qu'imparfaitement connue, maigre' les travaux recommandables de plusieurs e'crlvains distingue's.

Ce qui a manqué à ces écrivains c'est moins le talent ; il est juste de le reconnaître que les matériaux qu'ils auraient pu mettre en oeuvre avec succès , et c[ui étaient restes enfon- cés dans la poussière des archives et des bibliothèques.

Cependant , depuis que la Belgique , après tant de vicissitu- des, a recouvré une existence indépendante, la connaissance de tous les faits qui se rattachent à son histoire a acquis un T. X. 20

286 HISTOIRE NATIONALE.

degr^ d'importance qu'elle n'eat à aucune autre époque; aussi les esprits se sont-ils repoi'te's , avec une activité' remarquable, vers les traditions du passé, et l'élude de nos fastes civiques a pris un essor qui s'est manifesté par des indices non équi- voques.

Il appartenait au gouvernement , auquel le vœu national a confié les destinées du pays , de seconder de tout son pouvoir une tendance non moins favorable au développement du patrio- tisme qu'au progrès des lettres.

Dans un rapport que j'ai soumis récemment à Votre Majesté, j'ai retracé ce qui , dès le principe de notre régénération po- litique et maigre les embarras de tout genre qui préoccupaient l'administration , a été fait pour la mise en ordre de nos dé- pôts aux archives; j'ai proposé à Votre Majesté, comme l'une des mesures les plus propres à encourager les investigations sur l'iiistoire nationale , la publication des catalogues de ces dépôts. Votre Majesté a donné son assentiment à cette mesure.

ne s'est pas bornée la sollicitude du gouvernement.

Par une disposition qui date de l'année i832 , la mise en lumière de docuraens intéressans pour l'histoire générale de la Belgique , que renferment non pas seulement les archives de l'Etat, mais tous les dépôts de titres du pays, a été ordonnée : cette publication , confiée aux soins de l'archiviste général du royaume, se poursuit avec activité. Déjà deux volumes de do- cumens ont paru ; le troisième sera imprimé dans le courant de cette année.

Mais il est une autre source précieuse pour l'histoire et à laquelle jusqu'ici il a été trop peu puisé : je veux parler des chroniques , des mémoires , des relations de tel ou tel événe- ment rédigés par des contemporains.

La Belgique était autrefois très-riche en monumens de ce genre : on y comptait peu d'abbayes et de chapitres dans les- quels il ne s'en conservât; les archives des corps administra- tifs et judiciaires en recelaient aussi, quoiqu'en moins grand nombre.

Les événemens qui marquèrent la fin du dernier siècle , ont malheureusement occasionné la perte de beaucoup de nos

HISTOIRE NATIONALE. 287

chroniques , comme d'une quantité' conside'rable de nos char- tes : les unes ont élé de'truites, d'antres sont passe'es à l'e'tran- ger; toutefois il nous en est reste' qui me'ritent l'attention des savans : telle est la chronique de Vanderheyden , dit à Tliymo , pensionnaire ou secre'taire de la ville de Bruxelles pendant près d'un demi-siècle et de plus chanoine et tre'sorier de Sainte- Gudule , mort en i473; on crut long-temps qu'elle avait e'té la proie des flammes lors du bomhai'dement de Bruxelles en 1695. Tels sont encore la chronique d'Emond de Dinter, qui fut successivement secre'taire des ducs de Brabant, Antoine P"", Jean III, Philippe P' et Philippe II; les chroniques flamandes rime'es de Jean Vanhélu et de Declercq, les voyages de Phi- lippe-le-Bean et de Cliarles-Quint , et d'autres ouvrages sans doute qui ne sont pas connus.

Je viens proposer à Votre Majesté la publication de ces chroniques.

Bien des fois déjà, Sire, la même entreprise a e'té tentée, sans avoir en jamais un résultat satisfaisant.

Dans le 16'' et le i'^'^ siècle, des savans isolés en conçurent le projet; mais leurs plans reçurent à peine un commencement d'exécution.

Sous le règne de l'impératrice Marie-Thérèse , ce fut le gou- vernement lui même qui la forma : le comte de Cobenzel fit faiie beaucoup de recherches et d'écrits dans ce but ; il s'as- sura de la coopération d'hommes distingués par leurs connais- sances dans l'histoire du pays , le comte de Nény , chef et président du conseil privé , l'abbé Paquet , historiographe de l'impératrice , Tabbé Nélis , bibliothécaire de l'université de Lonvain , MM. Vanhenrck et Verdussen. Différentes circon- stances , mais principalement la mort du comte de Cobenzel , arrivée en 1770, rendirent infructueux tous les travaux pré- paratoires qui avaient été faits pour la publication du recueil dont le plan avait été adopté par lui.

Plus tard , l'académie impériale et royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles créa dans son sein un comité qu'elle chargea de la mise an jour des chroniques, mémoires et au- tres monumens propres à servir de matériaux à une histoire

20.

288

HISTOIRE NATIONALE.

générale de la Belgique. Cette cre'ation semblait promettre de grands re'siiUats ; mais , soit de'faut de zèle ou de loisir de la part des membres du comité', soit manque des fonds ne'ces- saires, tout ce qui en sortit se re'duisit à l'e'dition , par le mar- quis de Cliasteler, de la clironique de Gilbert , cbancelier des comte's de Hainaut sur la fin du 12'= et au commencement du i3 siècle.

L'œuvre pour l'accomplissement de laquelle l'acade'mie et le gouvernement lui-même s'e'taient en quelque sorte montrés impuissans, M. de Nélis , devenu e'véqne d'Anvers, crut pou- voir l'entreprendre aide' de ses seules forces. Il s'e'tait livré à des recherches étendues sur l'histoire de la Belgique ; il avait un accès aux bi!)liothèques et aux chartriers qui contenaient le plus de richesses : il annonça en i'y83 le dessein de publier, en trente à trente-cinq volumes in-4° , one collection d'histo- riens des Pays-Bas.

Cette entreprise, ainsi que toutes celles dont le projet avait été précédemment conçu , n'eut point de suite. Il faut d'autant plus le regretter que , dans son Prodromiis reruih Belgicarum , le seul monument que nous possédions de ses longs et impor- tans travaux , le savant évêque d'Anvers a prouvé qu'il eût été capable de s'acquitter de la tâche difficile qu'il s'était imposée.

Dans les dernières années de notre communauté politique avec la Hollande, le gouvernement avait résolu de faire pu- blier aux frais de l'état les chroniques belges inédites , et il avait institué une commission à cet effet.

Au mois de septembre i83o, la commission dont je viens de parler n'avait encore livré au public aucun des ouvrages qu'elle avait annoncé l'intention d'éditer j seulement deux de ces ouvrages se trouvaient entre les mains de l'imprimeur : le premier volume de la chronique d'<à; Thymo et quelques feuilles de la cbronique flamande de Jean Vanhélu venaient de sortir de la presse.

Je viens proposer à Votre Majesté de reprendre une œuvre nationale , aussi souvent abandonnée ou interrompue qu'en- treprise. Je ne m'arrêterai pas à démontrer que c'est sous les

HISTOIRE NATIOITA.LE. 289

auspices des gouvernemens seals que àe pareilles entreprises peuvent aujourd'hui être exe'cute'es; seuls ils possèdent les res- sources de tout genre qu'elles exigent : d'une part, en effet, les dépenses qu'elles entraînent ne sauraient être bien oné- reuses pour eux, et de l'autre ils sont de'positaires des maté- riaux les plus importans qui doivent y être employés. Des in- dividus isolés, quels que fussent leurs efforts, n'obtiendraient que des résultats partiels et nécessairement bornés.

Le projet d'arrêté ci -joint a été basé sur celte donnée.

L'article premier institue une commission pour la recbercbe et la mise en lumière des chroniques belges inédites.

Il est évident qu'un aussi grand travail réclame le concours d'un certain nombre de coopérateurs. Les hommes que je dé- signe an choix de Votre Majesté , se recommandent a cette distinction par leurs connaissances et par leurs travaux sur l'histoire nationale.

L'article 2 porte que la commission, aussitôt après qu'elle aura été installée , s'occupera de rédiger un plan pour ses travaux.

Je pense, Sire, qu'à cet égard une grande latitude doit être laissée à la commission.

Par l'art. 3 du projet d'arrêté, une somme annuelle de cinq mille francs , à prélever sur le crédit alloué au budget du département de l'intérieur pour l'encouragement des sciences et des lettres , est mise à la disposition de la commission , jusqu'à ce qu'elle ait rempli la tâche qui lui est confiée.

Il m'a paru de toute nécessité , pour assurer aux travaux de la commission une marche régulière , de lui allouer un subside fixe et sur lequel elle ])uisse compter; elle fera ses arrangemens en conséquence. Il arrivera que , une année , les 5ooo francs ne seront pas dépensés ; une autre année , ils au- ront été insuffisans : le déficit de l'une sera couvert par l'ex- cédant de l'autre.

An surplus, la commission est tenue, d'après le même article, de rendre compte chaque année, au département de l'intérieur, de l'emploi des fonds affectés à ses travaux.

La somme annuelle de 5ooo fr. est destinée à faire face aux

290 HISTOIRE NATIONALE.

frais de copie , aux frais de de'placement des membres de la commission, et aux frais d'impression que ne couvrira pas la vente des ouvrages.

Dans l'art. 4 ^^ dernier , le gouvernement fait espe'rer aux membres de la commission les distinctions ou les re'compenses que leurs travaux auront pu me'riter : c'est un encouragement dont Votre Majesté' reconnaîtra l'opportunité autant que la justice.

J'ose me flatter, Sire, que l'ensemble de ces dispositions re'- pondra aux vues libe'rales de Votre Majesté' , et je les soumets avec confiance à son approbation.

Le ministre de l'inte'riear, Ch. Rogier.

LÉOPOLD , roi des Belges ,

A tous pre'sens et à venir , salut.

Considérant que tons les travaux , qui ont pour objet de re'- pandre des lumières sur l'histoire de la Belgique , me'ritent notre sollicitude ;

Qu'ils doivent contribuer à la fois au de'veloppement du pa- triotisme et au progrès des lettres ;

Que, de'jà , mu par ce motif, nous avons ordonne' la pu- blication des catalogues des archives de l'Etat et celle des do- cumens intéressans pour l'histoire géne'rale du royaume, qui existent tant dans ces archives que dans les autres de'pôts de titres du pays.

Conside'rant que la mise au jour des chroniques belges ine'- dites doit concourir puissamment au même but;

Sur le rapport de notre ministre de l'inte'rieur ,

Nous avons arrêté et arrêtons :

Art. i'^'. Une commission est instituée à l'effet de rechercher et mettre au jour les chroniques belges inédites.

Cette commission est composée de :

MM. de Gerlache , premier président de la cour de cassa- tion , membre de l'académie royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles 5

HISTOIRE NATIONALE. 291

L'abbë de Ram , arcliiviste de l'archevêché et professeur au se'minaire archiépiscopal de Malines ;

Le baron de Reiffenberg , professeur à l'université de Lou- yain , membre de l'académie de Bruxelles ;

Dewez, inspecteur des athénées et collèges, secrétaire per- pétuel de l'académie de Bruxelles ;

Gachard , archiviste général du royaume ;

Warnkœnig , professeur à l'université de Gand ;

Et J.-F. Willeras, receveur à Eecloo.

Art. 2. La commission sera installée par notre ministre de l'intérieur.

Elle s'occupera, dans ses premières séances, de la rédaction d'un plan pour ses travaux, qu'elle soumettra k l'approbation de notre dit ministre.

Art. 3. Il sera mis à la disposition de la commission jusqu'à l'entier accomplissement de la tâche qui lui est confiée , une somme annuelle de cinq mille francs, destinée à couvrir les frais de tonte nature qu'elle aura à supporter.

Cette somme sera prélevée sur le crédit alloué au budget du département de l'intérieur pour l'enconragemeut des sciences et des lettres.

La commission rendra compte de son emploi, chaque année, à notre ministre de l'intérieur.

Art. 4- Nous nous réservons d'accorder aux membres de la commission telles distinctions et récompenses dont nous les au- rons jugés dignes.

Art. 5. Notre ministre de l'intérieur est chargé de l'exécu- tion du présent arrêté, qui sera inséré au Bulletin officiel.

Donné à Bruxelles, le 11 Juillet 1834.

LÉOPOLD.

Par le Roi :

Le ministre de l'intérieur,

Ch. ROGfER.

292 HISTOIRE NATIONALE.

Séance de la Commission d'histoire du 4 aoiît,

A dix heures da matin, au ministère de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur ne pouvant se rendre dans le sein de la commission, M. le secre'taire-géne'ral de son de'par- tement , de'le'gue' à cet effet , de'ciare au nom du Roi qu'elle est installe'e.

On procède imme'diatement à la formation du harean.

M. de Gerlaclie est choisi pour pre'sident, M. le baron de Reiffenberg pour secre'taire , et M. Gachard pour tre'sorier.

Conforme'ment a l'art. i de l'arrête' royal du 22 juillet, la commission s'occupe du plan de ses futurs travaux.

Elle de'cide qu'elle commencera par mettre au jour les do- cumens ine'dits qui suivent, et dont la plupart entraient dans le plan du comte de Cobentzel et de l'e'vêque d'Anvers, de Nelis :

Les Acta sanctorum Belgii , ou les vies des Saints de la Belgique qui doivent comple'ter la collection de Ghesquière ;

2^ L'histoire du Brabant, d'Edmond de Dinter , en latin (XV-^ siècle);

3' L'histoire diplomatique de la même province par Van- derheyden (Pierre) dit a Thymo , en latin, flamand et fran- çais (XV' siècle). On y joindra quelques chroniques de peu d'e'tendue;

4' La chronique flamande de Van Heelu ( Jean), se trouve de'crite la bataille de Woeringen , à laquelle il assista en 1298 (XIII siècle). Cette narration me'trique sera accorapagne'e d'un grand nombre de diplômes et pièces justificatives;

La chronique flamande de Klerk (Nicolas), connue sons le titre de Brabantsche-Jesten ( XV" siècle ) ;

6'LTn corps de chroniques latines des Flandres, disposées de manière à faire voir en quelque sorte leur liaison et leur gé- néalogie et qui comprendra : («) La chronique connue sous le titre de Plandria generosa , avec ses continuations ; {b) les 3 chroniques de St.-Bavon , pre'cédées des annales de son mo- nastère; (c) les fragmens de la chronique de St.-Pierre à Gand; {d) le Monachus Gandensis ^ imprimé à Hambourg, dans un

HISTOIRE NATIONALE. 293

programme académique qu'on ne rencontre plus dans le com- ujerce ; enfin (e) la chronique d'Ancliin, si on peut la recouvrer; ']'' La chronique lie'geoise , en prose , de d'Ootremeuse (XIV' siècle);

8" Les antiquite's de la Flandre, de Philippe Wielant, en français ( XV'' siècle ) ;

9^ La relation française du voyage de Philippe-le Beau en Espagne en i5oi (XVP siècle);

lo" Le re'cit des troubles de Gand , sous Charles-Quint, par un te'moin oculaire, en français (XVI^ siècle).

Tels sont les documens dont l'impression a e'ié arrête'e d'a- bord , et qui seront suivis de ceux qu'une recherche active pourra faire de'couvrir dans le pays ou à l'e'tranger.

La publication des n"' i et 2 ( environ 5 volumes), sera soi- gne'e par M. l'abhe' de Ram ;

Idem du 3 ( 7 volumes), par M. de Relffenberg; Idem des n°' 4 et 5 ( 3 volumes ) , par M. Willems ; Idem du 6 ( I volume ) , par M. Warnkoenig ; Idem du n' 7(1 volume), par M. de Gerlache; Idem du n" 8 ( I volume), par M. Dewez ; Idem des n"' 9 et 10 ( i volume) , par M. Gachard. Le format adopte' est V in-quarto , plus facile à manier que \ in-folio , plus commode que l'/zz-S" pour la disposition des notes et commentaires, et, d'ailleurs, plus convenable pour les grands recueils scientifiques et litte'raires.

La commission discute ensuite les moyens mate'riels de pu- blication. Un rapport sera pre'senté à ce sujet à M. le ministre de l'iute'rieur, et l'on y admettra le principe de l'adjudication publique.

Passant de ces détails mate'riels a l'exe'cation littéraire , la commission se pose cette question :

En quelle langue rédigcra-t-on les discours préliminaires et les notes dont seront accompagnés les textes originaux P

Plusieurs membres , dans l'inte'rèt de la popularité de l'en- treprise , désiraient qu'on employât exclusivement la langue française.

Mais d'autres ont répondu :

294 HISTOIRE ITATIOITALE.

Que les notes en français sur an texte flamand ou latin for- meraient une marqueterie de'sagre'able ;

Que la cliose serait contraire à l'usage gëne'ralement observé, même en France ;

Que les notes philologiques surtout doivent être e'crites dans la langue des textes;

Que, quant à la popularité', il ne faub pas exage'rer celle d'un travail d'e'rudition ; que ceux qui populariseront re'elle- ment l'histoire du pays , seront les hommes de talent et d'ima- gination qui mettront en oeuvre les mate'riaux que la com- mission est charge'e de leur pre'parer ; qu'il serait impossible de donner des traductions de textes souvent barbares ou d'une naïveté' trop crue; que d'autre part, ces traductions double- raient l'entreprise, et qu'enfin les personnes curieuses de con- sulter ces vieux monumens sont cense'es les comprendre.

La commission , après avoir balance' les raisons pour et contre , arrête :

Qu'on donnera les textes sans traduction et les notes dans la langue des textes ; mais que , pour rendre l'usage de ces chroniques plus facile , surtout aux e'trangers , on les fera pre'- ce'der de longues et substantielles introductions, et de tables analytiques en français, tous les faits et particularite's es- sentiels seront re'unis et les passages les plus marquans traduits , s'il est ne'cessaire.

Les introductions contiendront, en outre, des notions litte'- raires sur les auteurs, avec le compte-rendu des recherches dont ils auront e'té l'objet.

Les notes , mises au bas des pages et re'dige'es avec concision , seront strictement re'servées aux passages obscurs.

Les appendices pourront offrir des pièces ine'dites relatives aux textes , des extraits ou des dissertations qui s'y rapporte- ront e'galement.

Des cartes et des planches sont place'es on les jugera indispensables.

Quatre sortes d'objets seront embrasse's dans les tables : les mots vieux oa coiTompus , les choses, les noms de personnes, les noms ge'ographiques.

HISTOIRE NATIONALE. 295

Les possesseurs de pièces historiques , et en ge'ne'ral , toutes les personnes qui s'occupent de l'histoire du jjajs , seront in- vite's à communiquer leurs observations et leurs renseignemens aux e'diteurs. Les manuscrits qu'on voudra bien leur prêter seront conserve's religieusement. On pourra les adresser au ministère de l'intérieur, en indiquant le temps pendant lequel il sera loisible de s'en servir ainsi que le mode de restitution.

Un prospectus sera re'dige', soumis au ministre de l'inte'rieur et publie' incessamment.

On aura la faculté' de souscrire , soit pour la collection en- tière , soit pour chaque ouvrage se'pare'ment.

Séance du iQ août.

A onze heures du matin.

M. le ministre de l'inte'rieur est pre'sent.

Le procès-verbal de la se'ance pre'ce'dente est lu et approuve.

Un registre des archives de lEtat, contenant la correspon- dance du comte de Cobentzel avec MM. de Neny, de Nelis et Paquot , relativement à la publication plusieurs fois projete'e des cbroniques belges, est mis sous les yeux de la commis- sion. Le secrétaire se charge d'en extraire tout ce qui pourrait servir an travail qui doit maintenant paraître.

La discussion est ouverte sur plusieurs objets d'administration.

On règle ensuite les points suivans :

Le titre ge'ne'ral du recueil à publier sera

Collection des chroniques belges inédites , publiées par ordre du gouvernement.

2" Le titre particulier de chaque ouvrage, e'crit dans un antre idiome que le français , sera conçu dans cette langue et dans celle de l'original.

Des extraits des procès-verbaux des se'ances de la com- mission, destine's a mettre le public au courant de ce qu'elle aura fait et provoquer les observations et le concours de per- sonnes ëclaire'es, seront inse'rc's dans \e Moniteur. MM. les ré- dacteurs des autres journaux sont invit(^s à les re'pe'ter.

Après plusieurs autres re'solutions , M. le ministre de Tin-

296 HISTOIRE NATIONALE.

teriear témoigne sa satisfaction à l'assemblée et l'assure de tout l'inte'rêt que lui inspirent ses travaux, qu'il considère comme un des e'ie'mens les plus puissans de nationalité'. Il ajoute qu'il fera dresser des inventaires de tous les documens historiques appartenant au pays et relatifs à son histoire , et qu'il les transmettra à la commission.

La commission remercie M. le ministre de sa bienveillance, et se flatte qu'elle pourra le mettre à même, vers le commen- cement de l'anne'e i835, de pre'senter au Roi et aux Chambres les premiers volumes de la Collection des Chroniques belges. La prochaine séance est fixe'e au 26 octobre.

Pour extraits conformes :

Le secre'laire, Baron De Reiffenberg.

297

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MÉLANGES. Septembre i834.

Décret de la Congrégation de l'Index du 28 juillet. Statistique reli- gieuse de l'Espagne de M. Moreau de Jonnès rectifiée. Ecrit de M. Theiner sur l'histoire des Séminaires épiscopaux. Monumens de l'ile de Malle. Séance de l'Acadéuiie catholique du 17 juillet; dissertation du P. Piaciani. Antiquités asiatiques. Discussion de MM. Biot et Paravey sur l'astronomie égyptienne. Etude des lan- gues orientales en Russie. Adhésions aux Encycliques du Saint- Père ; déclaration de M. Charles de Coux. Discours du R. D. Paul del Signore à la réunion de l'Académie de la Religion catholique, à Rome. Nouv. Traité d'Embryologie sacrée , par M. Rosiau.

Un décret de la congréyation de l'Index (i) du 28 juillet, con- damne les ouvrages suivans : Philosophie du droit, par C. Ler- minier ; de P injlnence de la philosophie du xviii^ siècle sur la législation , et de la sociabilité du xix^ siècle , par le même ; Essai sur l histoire de la philosophie en France au xix* siècle, par Pli. Damiron -, Manuel de philosophie expérimentale , par J.-F. Amice , première version italienne, avec une nouvelle ap- pendice et des observations critiques j Nouveau système de chi- mie organique ^ fondé sur des méthodes nouvelles d'observation, par F. V. Raspail; Mémoires de Casanova de Seirtgalt , écrits par lui-même ; Notre-Dame de Paris, par Victor Hugo ; Obser- vations demi- sérieuses d'un exilé sur V Angleterre , en italien; Jiésumé de l'Histoire de France, par Félix Bodin; les crimes des Papes, depuis saint Pierre jusqu'à Pie J^I , par Lavicomterie; Chansons de Bérenger ; Romans de Pigault-le Brun ; des Papes , lecture utile et agréable pour le peuple de toutes les commu- nions, en allemand; Rome et ses pontifes^ vraie histoire du pontificat, F. Grégoire, traduit du français, en allemand. Ce décret ayant été soumis à Sa Sainteté', elle l'a approuve et en a ordonne' la publication. Donné à Rome le 4 3oiit , et signé J. A.

(i) Los journaux ont dit que c'était un décret de l'inquisition; c'est une erreur.

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MELANGES.

cardinal Sala , préfet de la congrégation ; et Thomas-Antoine Degola , dominicain , secrétaire. On remarque que le livre de chimie de Raspail est le seul condamne avec la formule : donec ex- purgetur.

Il n'est personne qui n'ait entendu parler des travaux de M. Moreau de Jonnès, savant distingué, habile géographe, auteur de plusieurs ouvrages de statistique, et membre peut-être de trente académies. Il a fait inse'rer dans le Journal des Travaux de la Société de Statistique universelle une statisque de l'Espagne. Il y est dit que l'état statistique de la monarchie, dressé en i56o, par ordre de Philippe II, a été perdu, mais que l'on a conservé des données numériques sur le nombre des fonctionnaires et des magistrats : L'état de V Eglise, dit-on, nous est ainsi donné par les vestiges de ce curieux document, M. Moreau de Jonnès compte donc, dans les e'iats re'unis , sous la monarchie de Philippe II , 58 archevêques, 684 e'vêques, i i,4oo abbés, 986 chapitres, 127,000 paroisses , "^,000 hôpitaux religieux , 23,ooj ordres monastiques et congrégations , 5g,5oo couvens , dont 46,000 d'hommes , et i3,5oo de femmes; 3 12,000 prêtres se'culiers , 4^0,000 moines et religieuses , 200,000 frères et autres, et 912,000 eccle'siastiques. Nous copions cet état tel qu'il se trouve rapporté dans le Consti- tutionnel du mercredi 2y août. Mais cet état est plein d'exage'ra- tion. Jamais la monarchie espagnole , même sous Philippe II , n'a réuni 58 archevêques et 684 évêques. La domination de ce prince s'e'tendait alors , à la ve'rité , sur un immense territoire ; elle com- prenait l'Espagne, le Portugal, les Pays-Bas , leMinalais , le royaume de Naples, la Sicile, la Sardaigne et les colonies espagnoles et portugaises en Ame'rique , en Asie et en Afrique. Mais dans tout ce territoire, si différent de celui de la monarchie espagnole ac- tuelle, il n'y a jamais eu autant d'archevêques et d'évêques qu'en compte M. Moreau de Jonnès. Quant à l'Espagne proprement dite, il n'y avait alors , et il n'y a encore aujourd'hui que 8 archevêques et 46 évêques. Le reste du tableau a l'air d'une folie, ii,4oo abbés, 1 217,000 paroisses, 23,ooo ordres monastiques ou congré- gations ! Qui pourrait croire à de semblables calculs ! 23, 000 or- dres monastiques et congrégations, c'est une exagération insensée;

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il nV en a jamais eu autant dans toute la cbrétienté pendant la longue suite des siècles. Les 59,000 couvens et les 400,000 reli- gieux et religieuses sont aussi fort ridicules. Enfin, les 3i2,ooo prêtres se'culiers , et, après cela 912,000 eccle'siasliques, sont évi- demment un double emploi; on a joint au nombre des prêtres se'culiers celui des religieux, des religieuses et des frères iodiqués dans le tableau ci-dessus, et tout cela fait ea effet 912,000, non pas d'ecclésiastiques, mais de personnes consacrées à Dieu. Mais, même après cette explication , la supputation de M. Moreau de Jonnès est prodigieusement enflée. Il paraît qu'il l'a prise dans V Edimbourg Revietv du mois de Juillet i832 (i). Il est e'ton- nant, qu'un homme aussi instruit que M. Moreau de Jonnès re- produise de semblables données , dont un peu d'examen lui aurait montré la fausseté'. Quant aux lecteurs du Constitutionnel qui au- ront parcouru ce tableau, je ne doute point que les trois quarts d'entr'eux n'aient cru que le tableau ci-dessus e'tait la statistique actuelle du clergé en Espagne, taudis que, comme nous l'avons remarque' ailleurs , le cierge' dans ce pays , même en y compre- nant les moines, les religieuses, les domestiques et les employés des monastères, ne s'e'levait pas à i5o,ooo individus. L'Ami de la Religion f 23o6.

On vient de publier , à l'imprimerie du collège Urbain à Rome, la traduction d'un ouvrage allemaud , sous le titre du Séminaire ecclésiastique ou huit jours à Saint-Eusèbe, dont nous avons déjà parlé p. 112. L'auteur est, comme nous l'avons vu, le docteur Augustin TLeiner, jeune allemand de beaucoup d'esprit et de sa- voir, qui, après s'être éloigne' plusieurs années de la saine doc- trine, s'est re'concilié pleinement à Rome avec la vérité et avec l'Eglise qui seule l'enseigne infailliblement. Regrettant amèrement d'avoir dans ses précédens écrits e'té une occasion de scandale pour l'Allemagne catholique, il a voulu lui consacrer dans cet ouvrage les prémices de sa conversion. Comme il connaissait parfaitement

(i) Les erreurs de ce recueil ont été rectitîées dans VAini de la Re- ligion, II" 21 12, 8 juin j833.

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l'ëtat de décadence de la discipline ecclésiastique dans plusieurs parties de l'Allemagne, les vices de l'éducation que le jeune clergé reçoit dans les universités et le peu d'estime que Ion a pour les séminaires épiscopaux , il s'est proposé de ranimer dans ce pays le véritable esprit du sacerdoce , en montrant quel est le caractère propre de l'éducation ecclésiastique et quelles sont les institutions sagement établies dans l'Eglise pour former le clergé. Son histoire des Séminaires est en trois parties. Les deux premières contien- nent les deux périodes depuis le 4*^ siècle jusqu'à Charlemagne , et depuis Charlemagne jusqu'au concile de Trente. L'auteur, qui est familier avec les monumens de l'antiquité , confirme ce qu'il dit par des passages des écrivains de ces siècles. Dans la troisième partie, qui est assez étendue et qui va du concile de Trente jusqu'à nos jours, il relève les services rendus par saint Ignace et sa com- pagnie pour l'éducation du clergé. Il trace l'origine du collège germanique , qui a excité le concile de Trente à rendre son décret pour l'établissement des séminaires dans toute l'Eglise. On voit ensuite comment les évêques et les princes religieux, et surtout les Papes, ont travaille à réaliser le vœu du concile, et comment leurs efforts ont enrichi l'Eglise d'instituts pre'cieux. A la fin du 18" siè- cle , les ravages d'une fausse philosophie et les révolutions politi- ques ont été funestes à l'éducation cléricale. L'auteur expose la ruine des se'minaires surtout en Allemagne, raconte les efforts faits dernièrement pour les rétablir et finit par des réflexions sur les besoins spirituels de l'Allemagne catholique. Le volume est terminé par un appendice de pièces. Au commencement est une leltre , M. Theiner raconte avec candeur ses égaremens, ses voyages et les moyens dont Dieu s'est servi pour le ramener. L'ouvrage, qui a environ 5oo pages, a élé traduit du manuscrit allemand par M. Jac- ques Mazio; on l'imprime en ce moment en Allemagne. L'édition romaine est de 60 bajoques.

Le Temps publie une lettre écrite de Malte, le 3o juillet dernier, par le capitaine d'artillerie Hoart qui, accompagné du ca- pitaine d état-major Bruneau et du chirurgien-major Fourcadc, est allé en Egypte rejoindre les saint-simoniens. On remarque dans cette lettre les détails suivans relatifs aux chevaliers de Malte :

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« Rien n'est plus riche et plus varié, pins digne de la gran- deur du christianisme , que les monumens construits sous l'influence des chevaliers de Malte.

» Le palais du grand-maître présente de vastes salles ornées de colonnes en marbre blanc d'une grande beauté. De tous côtés on aperçoit les portraits des grands-maîtres et des chevaliers qui se sont distingués dans les expéditions militaires contre les Turcs. Il y a surtout un salon très pittoresque par ses planchers recouverts d'une natte jaunâtre, et par ses lambris décorés de tapisseries re- présentant les productions les plus variées et les plus riches de l'A- frique et de l'Asie.... On y respire je ne sais quel parfum oriental qui exalte l'imagination et occasionne la vitesse du pouls.

» C'est surtout l'église de Saint-Jean, sont renfermés les tom- beaux des grands-maîtres et des chevaliers , qui est très-propre à faire pénétrer dans les cœurs cette foi douce et tendre des chre'- tiens, revêtue de toutes les couleurs les plus brillantes de cet orien- talisme oîi l'homme d'action, jusqu'à présent, n'a rêvé que canons, drapeaux, cimeterres , combats, sièges, victoires. Du pavé en marbre du sanctuaire jusqu'à la voûte, il n'y a pas un point il n'y ait un ornement. Le pavé lui-même est une mosaïque variée de mille nuances, de mille tons; chaque chapelle, chaque tombeau a une décoration différente , le marbre, la sculpture, la peinture, l'or et la pierre se disputent d'éclat et de splendeur. Rien n'est plus imposant, plus solennel, plus susceptible d'enthousiasmer, plus entraînant à l'action que de voir ces canons, ces draperies, ces vaisseaux, ces nègres, ces Africains, ces Turcs, ces turbans, ces cimeterres, ces cuirasses, briilans au milieu de ces croix de Malte qui les dominent de toute la puissance de l'énergie et de la constance. Autrefois le nom de chevalier de Malle avait peu de puissance sur mon cœur : maintenant que je me suis promené au milieu de leurs tombeaux , que j'ai touché les monumens de leur grandeur passée, je les admire et mon sang bouillonne au souvenir de Vile Adam et de La Valette .... »

Dans une séance de X Académie Catholique tenue le 17 juil- let dernier , le R. P. Jean-Baptiste Piaciani de la compagnie de Jésus , membre du Collège philosophique et professeur de physique- T. X. 21

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chimie au collège romain, a lu une dissertation savante sur le sujet suivant : Examen et démonstration de la faiblesse de l'accusation intentée par un écrivain moderne contre le gouvernement ponti- fical, d'avoir causé la ruine de l'acadénne de Cimento,...

Ce savant académicien a traité ce sujet avec une force de logique et une clarlc d'expression qui ont ravi l'assentiment et provoqué les éloges de son nombreux et brillant auditoire.

Un savant de Toscane, dans un Mémoire lu publiquement à Paris sur le thermomètre de l'académie de Cimento , a affirmé que des raisons politiques ayant déterminé le prince Léopold de Médicis, protecteur de cette académie , à demander le chapeau de cardinal , on ne voulut accéder à sa demande qu'à condition qu'il sacrifierait l'académie à la haine implacable que la cour de Rome vomissait contre la mémoire de Galilée et de ses disciples. En conséquence, ajoute-t-il , l'académie fut dissoute; on vit Borrelli mendier dans les rues de Rome, et Oliva, les os à demi brisés par les tortures, se soustraire par le suicide aux nouveaux tourmens que lui pré- parait l'inquisition. Plusieurs récits de Galilée et de ses disciples

furent livrés aux flammes La proscription n'épargna pas même

les instrumens : ceux qui échappèrent à la destruction...., etc.

Le docte académicien a d'abord fait voir combien l'auteur de ces déclamations, tout jaloux qu'il paraît de la gloire de l'Italie, a mal servi la réputation de ce pays , et particulièrement celle de la Toscane sa patrie. Ensuite , examinant le but de l'académie de Cimento, le caractère d'Alexandre VII, de Clément IX, du grand duc Ferdinand II et de son frère Léopold, ainsi que d'autres cir- constances, il a fait voir combien les assertions du Toscan sont dénuées de vraisemblance et même tout-à-fait absurdes.

Enfin , les faits en main et appuyé sur le témoignage des écri- vains contemporains et des académiciens eux-mêmes, il a prouvé jusqu'à l'évidence, qu'il n'est rien de plus faux que la préten- due condition imposée au cardinalat de Paul de Médicis ; que l'académie de Cimento n'a jamais été formellement dissoute , mais qu'elle a déclaré et qu'elle s'est anéantie naturellement par des rai- sons toutes simples , et surtout parce que les trois académiciens , Rinaldi, Bouilli et Oliva, quittèrent la Toscane spontanément, au

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déplaisir du grand duc et du prince Léopold ; ainsi, quoiqu'il ait pu advenir ensuite à ces deux derniers, leur destinée ulte'rieui'e n'a rien de commun avec la ruine de l'Acadc'mie , qui ne fui pas la cause, mais qui fut plutôt l'effet de leur retraite; qu'on n'a vu Borelli mendier dans les rues de Rome qu'après quil eut quitté la Toscane pour retourner enseigner h Messine, et que banni de cette ville pour des raisons politiques , il trouva à Rome un asile jusqu'à sa mort; que Oliva Calabresse s'établit à Rome, il trouva une meilleure position qu'il n'avait droit de l'espérer d'après sa conduite ; mais que peu d'années après , ayant été reconnu le fondateur de certains clubs immoraux , il fut mis en prison ; con- duit pour la seconde fois à l'interrogatoire, il se tua en se préci- pitant par une fenêtre. (On ignore d'oîi l'auteur du Mémoire a tiré la circonstance des os à moitié brisés); 5' les écrits de Galilée et de ses disciples n'eurent absolument rien à souff'rir à l'époque, et encore moins à 1 occasion de la promotion de Léopold au cardinalat; 6"^ les instruraens de physique n'en souffrirent pas davantage ; par un l)onheur assez rare à cette époque, il s'en est conservé un très- grand nombre à Fienza, même depuis que cette ville est passée sous la domination impériale. Diaiio di Roma.

L'art antique de la Haute-Asie offre , dans le peu de notions que nous en possédons, et dans les rares monumens qui en subsistent, une particularité nouvelle; c'est que les figures colossales y furent généralement sculptées dans le roc. Tel est, en effet j le caractère essentiellement propre à l'archéologie asiatique , qu'on y trouve les grandes masses de la nature employées comme les seuls élémens qui puissent servir à éterniser la gloire et l'ambition des princes. C'était en perçant, en taillant des montagnes entières, sur la face aplanie desquelles se détachaient d'immenses bas-reliefs et se projetaient d'énormes figures , que l'art babylonien savait honorer les maîtres de ces vastes empires. Un groupe considérable de montagnes, situé sur la route antique de lîabylone à Ecbatane , et qui repond au raout Baghtan de Ihistoire ancienne, offre, en divers endroits et à di- verses hauteurs, des sculptures appartenant aux principales dynas- ties de la Médie et de la Perse. La plus remarquable de ces sculp- tures consiste en un immense bas-relief exécuté à une grande

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hauteur , mais malheureusement trop dégradé pour qu'on ait pu en saisir la composition eutiète. Le tout a élé renfermé dans une exca- vation ou cadre, d'un développement énorme, la plupart des figures n'apparaissent plus maintenant que comme des masses in- formes , privées de détails, mais oîi l'on peut encore en distinguer quelques unes moins maltraitées par le temps, d'un relief considé- rahle, d'une proportion fortement colossale, qui se reconnaissent, à leurs visages barbus, à leurs costumes médiques , pour de grands personnages d'une monarchie asiatique.

En parlant des conquêtes de Sésostris en Asie, et des monumens qu'il y avait laisse's sur sa route , Hérodote assurait qu'il avait vu lui-même plusieurs des images de ce roi, sculptées dans le rocher, en Phenicie et ailleurs. Il ajoutait que deux de ces figures , de pro- portion colossale , avec une inscription en caractères hiéroglyphi- ques allant d'une épaule à l'autre , se trouvaient encore de son temps sur la route qui conduisait de Sardes à Smyrne , et sur celle d'Ephèse à Phocée. Des détails si précis n'avaient pas empê- ché des savans de notre âge de rejeter parmi les fables les con- quêtes de Sésostris et les monumens qu'on en citait. Mais voilà qu'en i833 un voyageur vient de s'assurer par ses propres yeux qu'il existe près de l'ancienne Béryte , en Syrie, une de ces images de Se'sostris , sculptée dans le roc avec une inscription hiérogly- phique efface'e à dessein , mais il se lit encore le nom de Pharaon Rarasès , et avec une inscription persépolitaine , qui date sans doute du temps de Cambyse. Les détails de cette intéressante découverte, déjà connus de feu M. Champollion jeune, sont donne's dans le Bulletin de l' Institut arclu'ologique , i834, janvier, p. 3o-32 ; d'après une lettre de M. Bunsen , ministre de Prusse à Rome.

On sait que M. Biot profita dernièrement de la communica- tion officielle de certains monumens pour émettre des assertions contraires "a la véracité' de nos livres saints ( V. ci-dessus p. 201). Prive' du privilège de la même communication , M. de Paravey prit le parti de citer M. Biot devant ses juges naturels , c'est-à-dire devant l'Académie des sciences , qui institua pour prononcer entre ces deux savans , relativement à l'antiquité de l'astronomie égyp- tienne, une commission composée de MM. Arago, Poinsot et Gi-

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nard, de \ Institut d'Egypte. Sur la demande de cette commis- sion, M. de Paravey -vieul de lui envoyer un mémoire spécial, pour la mettre en état de procéder avec les moyens convenables à l'examen de celte grave question.

Dans ses Recherches sur l'Astronomie égyptienne , publiées cliez Didot , en 1823, M. Biot lui-même posait en principe, que nulle astronomie savante n'existait chez les anciens Egyptiens, dont le ciel toujours nébuleux s'opposait à l'observation des astres (ci-dessus p. 2'jy ).

M. de Paravey, oppose à M. Biot ses contradictions; il expose les emprunts que ce dernier lui a faits , et la manière adroite dont il cherche à les déguiser. Il finit par établir que nulle as- tronomie savante ne peut se démontrer pour une ë|)oque anté- rieure à l'an 23oo à 2400 avant notre ère, époque les Chal- déens se formaient en corps de nation, oîi la tour de Babel, dont il reste encore des ruines immenses dans le pachalik de Bagdad, commençait, à s'élever, et ou les observations des anciens Chal- dëcns donnaient lieu au renouvellement de l'idolâtrie.

Ce n'est pas seulement en Europe que les savans ont pris les peuples de l'Asie pour sujet de leurs éludes et de leurs obser- vations. On dirait, pour ainsi dire, que quelque nouvel univers est à découvrir dans ce monde asiatique , tant les esprits ont d'ar- deur à l'explorer. Voici ce que nous lisons dans le Journal de St. -Pétershourg.

« L'élude des langues anciennes est devenue aujourd'hui la base de toute éducation soignée , et c'est dès notre enfance que nous commençons à nous familiariser avec les antiquités de la Grèce et de Rome ; aussi la connaissance de ces littératures , et surtout de la dernière , est-elle généralement répandue. Mais si 1 étude des auteurs grecs et latins nous pre'sente d'incontestables avantages, celle de l'Orient nous ouvrira une carrière plus vaste et non moins utile. C'est l'Orient qui fut le berceau du genre humain ; c'est que fleurirent les premiers arts.

n Le zèle infatigable des savans anglais nous a dévoilé une partie des immenses richesses arche'ologiques que l'Inde ollVe à nos in- vestigations. Us nous ont fait admirer les temples souterrains de

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Bouddah et de Schiva , devant lesquels l'imagination s'arrête étonnée ; ils nous ont fait entendre les chants du Ramaïana et du Baha-Bharata. Et qui sait combien de chefs-d'œuvre , encore ensevelis dans les temples de Brahma, peuvent être découverts

par leurs savantes recherches !

» La Russie , par sa position et ses ressources , semble appele'e à marcher avec succès sur la trace des explorateurs de l'Orient ; aussi le gouvernement , jaloux de lui assurer tous les genres de gloire auxquels elle a droit de pre'tendre, ne laisse e'chapper au- cune occasion de protéger l'élude des langues orientales , en en- courageant les savans qui s'y livrent avec succès, déjà nous avons plusieurs fois appelé' l'attention du public sur les travaux de nos orientalistes, et les noms de nos Fraehn, nos Schmidt , nos père Hyacinthe, etc., etc., ont été' se placer auprès de ceux dont s'enorgueillissent à si juste titre l'Angleterre, la France et l'Alle- magne. Dans son infatigable soUicitnde , pour la propagation des lumières de l'instruction, dont il dirige le ministère, M. le con- seiller prive' d'Ouvaroff a voulu doter la Russie de l'enseignement de la langue sanscrite , dans laquelle un jeune professeur russe » M. Lentz , a faits des progrès assez remarquables pour nous in- spirer les plus flatteuses espérances. Sur la proposition de ce mi- nistre, S. M. l'empereur a daigne' accorder à M. Lentz un trai- tement avantageux , pendant le séjour de deux années qu'il va farre en Angleterre pour s'y perfectionner. A son retour, une chaire de sanscrit lui sera confiée ; déjà M. Lentz s'est fait con- naître par une e'dition de YUruasia (drame sanscrit du fameux Calidasi , auteur de Sacontala) , avec une traduction latine et des notes publiées cette année à Berlin. Ses travaux ultérieurs doivent donc nous permettre les résultats les plus favorables. »

Tandis que M. de La Mennais demeure fixe dans les prin- cipes que le chef de 1 Eglise a solennellement condamnés, et qu'il s'engage dans les voies malheureuses de l'erreur, l'on voit avec la plus vive satisfaction que ceux qui avaient adhéré aux doctrines de M. de La Mennais , ne cessent de donner des témoignages pu- blics de leur soumission au jugement du Souverain-Pontife.

Aux nombreuses adhésions et rétractations , détermine'es par la

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dernière lettre encyclique , il faut ajouter celle que vient de donner M. Charles de Ceux , dont la soumission n'a jamais été douteuse , dans la lettre suivante adressée à M. l'abbë de Ram , recteur de l'Université Catholique.

« Monsieur l'abbé, » Ma nomination à la chaire d'économie politique dans la nou- velle Université fondée à Malines vient d'obtenir une certaine pu- blicité, et je crois devoir profiter de cette circonstance pour ma- nifester dans toute leur plénitude les sentimens d'obéissance et de soumission dont je suis animé envers le Saint Siège. Plus tôt , j'aurais eu peur , moi simple laïque, d'aller au-delà des convenances en importunant le public de ma profession de foij plus tard, j'é- prouverais la même crainte.

» J'ai toujours considéré l'infaillibilité duSouverain-Pontife comme une vérité fondamentale et inébranlable, et cette conviction, qui fait partie de ma foi, n'a pas été un moment ébranlée. J'accepte donc tous les actes du Saint Siège, j'approuve ce qu'il approuve, j'improuve ce qu'il improuve, j'adhère sans restriction aucune aux deux Encycliques de notre très-saint Père le Pape Grégoire XVI données en date du i5 août i832 et du 25 juin dernier, et je suis déterminé à ne rien écrire et à n'approuver rien qui soit con- traire k ces jugemens.

» En donnant toute la publicité nécessaire à la présente décla- ration , vous me rendrez un véritable service ; elle ne surprendra aucun de ceux qui me connaissent, et ceux qui ne me connaissent pas sauront d'avance la direction qu'aura mon enseignement. » J'ai 1 honneur d'être, etc. C. de Coux. »

Le R. D. Paul dcl Signore , professeur d'histoire ecclésiastique à l'archigymnase romain, a lu dans la sixième réunion que vient de tenir Y/lcarlèinie de la ReUgion catholique , à Rome, un très-beau discours dans lequel il démontre que la tolérance de la philosophie moderne à regard de toutes tes croyances religieuses, sauf la religion catholique, APOSTOLIQUE ET ROMAINE , est Une preuue <jue nos ennemis mêmes semblent nous donner que cette religion est la seule vraie.

Après avoir indiqué sommairement la nature et l'origine du tolèran- lisme , le célèbre Académicien prouve par des argumeus sohdcs tirés de

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l'histoire : que toutes les sectes , bien que divisées et opposées en- tr'elles , sont néanmoins d'accord en un point , c'est qu'elles se posent toujours avec leurs systèmes comme ennemies de la foi catholique dont elles se sont séparées ; que l'indifTérentismc de la tolérance absolue n'ayant rien de précis ni de certain, et ne s'appuyant sur aucune base solide de foi et de morale , ne peut contribuer au bien de la société , parce qu'il divise ses membres en une infinité d'opinions religieuses que, malgré cette tolérance proclamée si haut, on n'en cherche pas moins par tous les moyens secrets et ténébreux que met en usa^e une fausse philosophie, à avilir et à détruire la religion catholique , laquelle réunit tous les caractères de vérité qui manquent à toute opinion reli- gieuse séparée de nous. L'orateur conclut enfin, de cette instabilité et de cette contradiction de principes , de cette incurable manie de bâtir chaque jour des systèmes religieux , de cette haine secrète et de ce mé- pris pour la religion catholique , que la tolérance absolue fournit elle- même une preuve incontestable de la vérité de celle-ci.

Le savant académicien a reçu les plus grands éloges des personnages distingués qui assistaient à cette séance. ( Diario di Ronia. )

Alédecine-Pratique populaire ; Secours à donner aux empoisonnés et aux asphyxiés , et noui'eau traité d'embryologie sacrée; par M. Ro- siau (i). L'auteur s'est proposé d'offrir un guide à ceux que la re- ligion porte à s'occuper du soulagement des douleurs des misères hu- maines. Il a travaillé, dit- il, pour le prêtre et pour le chrétien. Son ouvrage paraît en effet d'un homme consciencieux. Il est dédié à M. l'é- vèque du Mans , qui a lu particulièrement le traité d'embryologie , et qui déclare n'y avoir rien trouvé que de conforme aux principes théo- logiques. Dans la première partie, l'auteur traite des affections morbi- des , de leurs causes , de leurs symptômes , de leur traitement , etc. Dans la seconde , il parle des empoisonnemens , des asphyxies et des moyens d'y porter remède. La troisième partie est l'embryologie, Tauteur a considéré son sujet sous le point de vue religieux et sous ce- lui de la science. Ce volume est terminé par trois appendices : i" l'a- nalyse chimique des poisons : une série de recettes, d'ordonnances et formules pour chaque maladie ; un dictionnaire des mots techni- ques usités en médecine. L'estimable auteur de cet ouvrage paraît join- dre à des connaissances positives le zèle le plus louable et les sentimens les plus propres à inspirer la confiance.

(i) In-8o. Prix, 6 fr., et 8 fr. franc de port. A Mamers, chez l'au- teur , et à Paris , chez Legay , rue de Seine.

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CONNAISSANCES DE DIOISE ET DES HÉBREUX

SUR LA. TERRE HABITEE. EXTR. DE MALTEBRUK.

Merveilleux accord de Moïse et des plus anciens historiens sur l'origine des peuples. Descendans de Japhet en Grèce. Descendans de Sem en Syrie et en Arabie. Descendans de Ham , ou Cham et Chanaan , en Abyssinie.

La geograpliie est une des sciences qui out e'te' le plus ciil- tive'es dans ces derniers temps : grâces aux recherches des e'rudits et aux voyages de quelques hommes anirae's d'un im- mense dësir de connaître les peuples sur lesquels on n'avait que des donne'es vagues et incertaines, la ge'ographie tant an- cienne que moderne , a e'te' renouvele'e ; les plus anciens empires ont e'te' refaits, pour ainsi dire; leur e'tendue , leurs limites ont e'te' fixe'es ; les anciennes conquêtes des he'ros grecs et ro- mains ont e'te' suivies dans tous leurs de'tours ; les ruines des villes les plus incertaines ont e'te' fouille'es , examine'es, fixe'es de nouveau sur les caries. Il e'tait impossible que , dans ces recherches , on ne revînt pas à examiner ce que le plus ancien des livres, la Bible ^ nous a conserve' sur les anciens peuples et les anciens royaumes. On y est revenu donc , et tous les ge'ograplies sont tombe's d accord qu'aucun livre ne donne des rcnseignemens plus clairs, plus certains, plus de'taille's , sur le commencement des peuples, et leurs diffe'rentes transfor- mations ou transmigrations. Pour mettre cette ve'rite' dans tout son jour, nous allons citer le passage suivant, un maître de la science ge'ographique, M. Maltebrun, rend un magnifique hommage aux connaissances que Moïse nous a conserve'es sur la ge'ographie.

« Nous n'avons point d'aperçus ge'ographiques dignes d'at- tention, qui soient antérieurs à ceux de Moïse (an du monde 2460). Les livres de cet historien , et ceux de ses successeurs , con- T. X. 22

310 CONNAISSANCES DE MOÏSE ET DES HEBREUX

tiennent les notions des He'breax, des Phe'niciens , des Arabes, et des autres peuples de l'Asie occidentale (i). Après Moïse, le plus ancien auteur qui nous fournisse l'ide'e d'uiïe gc'ogra- pliie, c'est Homère (an da monde, 3ooo ) ; il nous fait par- courir toute la sphère des connaissances , des traditions et des fables re'pandues en Grèce et dans l'Asie-Mineure (2).

Nés de la même manière, tous les systèmes primitifs durent pre'senter quelques traits de ressemldance.Les bases communes aux premières gëograpliies furent presque toutes prises dans les pre'juge's des siècles pea éclaire's qui les virent naître. D'abord chaque peuple se crut naturellement place' au centre du monde habite'. Cette idée e'taït si ge'ne'ralement répandue que, chez les ïndous , voisins de l'e'quateur, et chez les Scan- dinaves , rapproche's du pôle , deux mots, et même deux mots assez semblables, midhîama et midgavd , signifiant tous les deux la demeure du inilieu , e'taient souvent employés pour de'signer les contre'es qu'habitaient ces deux peuples (3). L'O- lympe des Grecs passait, comme le mont Mérou des Ïndous, pour le centre de toute la terre : tous ces peuples se repré- sentaient le monde habite' comme un vaste disque , borné de tous les côtés par un océan merveilleux et inaccessible; aux extrémités de la terre , on plaçait des pays imaginaires , des îles fortunées et des peuples de Géans ou de Pygmées. La voûte du firmament était supportée par des montagnes énor- mes ou par des colonnes mystérieuses

(i) Bochart , Geogr. Sacra. Michaèlis , Spiciicg. Geogriiph. hc- brœorum.

(2) Voss , Cosmographie des anciens en ail. Schœnemann , geogra- pJiia. Ilom. Schlegel , de géograph. Hoin.

(3) Wahl , VIndostan , 1,229. ~" Suhm , Odin , 10.

Ce que ne dit pas Maltebrun et ce qu'il est facile de compren- dre , par cette croyance répandue chez ces peuples, c'est qu'ils ont une origine commune, et qu'ils ont porté, dans ces pays qu'ils sont allés habiter , la tradition de ce rojauine du milieu . qu'ils form:iicnt dès le oammenccment. Cette vérité sera mise dans tout son jour par les Mé- moires de M. de Paravey , dont nous avons déjà parlé quelque part.

SUR LA TERRE HABITÉE. 311

Il ne faat chercher, clans les livres de Moïse et dans les autres anciens e'crits des He'breax, que ce que l'ensemble du texte engage à y chercher , savoir : des indications sur le sie'ge pri- mitif des nations de l'Asie occidentale. Charge d'une mission plus sublime , l'auteur de hi Ge'nèse n'a pas voulu faire une ge'ographie ; il ne s'explique ]}oint sur la structure ge'ne'rale de la terre ; il n'indique , d'une manière reconnaissable, d'au- tres grands fleuves que le Pltrat ou VEuphrate , et le Nil, qu'il appelle fleuve de Mizraini ou (ÏEgypte. Une ciiaîne de mon- tagnes est nomme'e Ararat ; et, si l'on compare tous les pas- sages oîi il en est parle' (i) , on reste persuade' que c'est dans les branches du Taurus, re'panduesen Arme'nie et en Churdistan, qu'il faut chercher ces fameuses montagnes, près desquelles l'historien he'breu place le second berceau du genre humain (2). Il est certainement remarquable que le point de de'part d'où Mo'ise fait commencer la disj)ersion des peuples, est place' par lui à peu près dans le pays le plus central de toutes les con- tre'es anciennement peuple'es ; car, les Indiens à l'est, les Scandinaves ou Goths au nord, et les Nègres ou Éthiopiens occidentaux, trois races très-anciennement e'tablies dans les contre'es qui portent leur nom , se trouvent à peu près à des dislances e'gales de la Me'sopotamie ou de l'Arme'nie. D'un autre côte', on est frappe' de l'extrême faiblesse de la population de l'Ame'rique, des terres du gi-and Oce'an et de l'Afrique me'ri- dionale, maigre' la beauté' et la fertilité' de ces re'gions. Ces deux circonstances pourraient bien engager un historien judi- cieux à placer en Asie occidentale le point oii a commencer la population du globe, s'il fallait absolument prendre un parti (3).

(i) Gcn. vm, /,. _ Reg. n, 19, y. 37. Isaïe , xxxvu , 38. Jé- rem, li , 27. Tob. i, 24.

(a) Bochart, Phaleg. i, 3.

(3) Cette question aujourd'hui n'est plus douteuse. Les savans de Cal- cutta ont montré que l'histoire des nations , les progrès de leurs émigra- tions et populations, nous ramènent au point central déterminé par Moïse.

Le célèbre William Joncs, président de la Société asiatique, a prouvé dans une dissertation; que tous les peuples de la terre <lesccndaient

22*

312 CONNAISSANCES DE MOÏSE ET DES HÉBREUX

Mais, sans entrer dans des discussions interminables, bornons- nous à exposer ce qu'il y a de plus positif dans le texte de Moïse. Nous y voyons toutes les nations de l'Asie occidentale, que cet bistorien a connues, ramene'es à trois familles : l'une, celle de Scni , comprend des peujiles pasteurs , babitant sous des tentes; l'autre, se compose des nations industrieuses et commerçantes , dont Cham est la soucbe ; enfin , au nord des deux autres, la race de Japhet e'tablit ses belliqueux empires.

Sur un de ces points, l'antique tradition des nations les plus e'claire'cs coïncide d'une manière frappante avec les re'cits de Moïse. Cet auteur , et plusieurs autres écrivains be'hreux , disent positivement que les contre'es riveraines de la Me'diterrane'e , les îles des Gentils , furent peuple'es par les descendans de Japhet. Or , les Grecs et les Romains font descendre le genre humain , c'est-à-dire , toutes les nations à eux connues , de Japetus^ dont le nom ne diffère pas essentiellement de celui de Japhet (i).

Encourage's par cet accord, vraiment surprenant , des bom- mes d'une vaste e'rudilion, ont cbercbe' à fixer le nom et le sie'ge primitif de cbaque peuple descendant de Japbet , de Sem et de Ghara (2). Mais , comment supposer que de simples

d'une souche commune et avaient eu autrefois le même berceau ; d'après cela , il se propose cet intéressant problème ; quel doit être le lieu d'où les différentes peuplades sont parties , comme d'un point central , pour aller habiter les diverses contrées de la terre ? et il montre qu'il n'y a d'autre point propre à satisfaire ce problême , que oelui qui nous est assigné par Moïse. Voyez les Recherches Asiatiques.

(i) Hésiode. Op. dies. v. 5o. Ovid Metam. i. v. 82. Aristoph. Nub. , v. 994- Hor. i. od. 3.

(2) Parmi ces savans , on distingue Bochart , Cumberland , Fourmont, Court de Gebelin , etc. Ce dernier , dans le discours préliminaire sur les origines grecques , parle des connaissances historiques de Moïse d'une manière bien remarquable. « Mais qu'a de commun Moïse avec les Grecs , diront ceux qui affectent de ne faire aucun usage des connais- sances historiques de Moïse , sous prétexte qu'il ne faut pas mêler le sacré avec le profane? Ce qu'il a de coznmun avec les Grecs, poursuit

SUR LA TERRE HABITÉE. 313

noms de familles aient ëte conserve's à travers les vicissitudes des siècles? comment reconnaître les demeures ou les traces des tribus errantes, qui n'e'levaient aucun monument? D'ail- leurs , ces recherches n'appartiennent pas , dans toute leur

Gebelin , le voici : C'est de nous avoir conservé le vrai tableau de leur origine, c'est de nous avoir transmis une tradition infiniment précieuse, dont tes Grecs eux-mêmes ont laissé flétrir la pureté : c'est en appre- nant aux Israélites leur propre origine , d'avoir tracé de main de maître la première carte géographique qui ait existé , restes précieux des an- tiques connaissances qu'on irait acheter au poids de l'or chez les In- diens , les Chinois ou les Mexicains , et qu'on dédaigne parce qu'on les trouve dans l'ouvrage d'un législateur qui , n'eùt-il été qu'un homme ordinaire , aurait droit de nous étonner par ses profondes connaissances dans les arts et dans les sciences , et qui joignait à l'avantage d'être his- torien , celui de poète sublime. " RIoncle primitif, t. ix , p. cslvi.

a La géographie de l'Ecriture, dit le savant Pluche , est d'un prix inestimable. Prenons le Pcntateuque ou la Genèse seule ; voyons l'ori- gine et les premiers progrès des nations. Dans le récit de Moïse , on trouve , je l'avoue , des lieux et des peuples que l'éloignement des temps obscurcit : mais de tout ce qu'il nomme , ce qui est encore reconnais- sable dans des temps postérieurs , justifie sa narration par une étendue de connaissances qui prouvent ou l'inspiration, ou le secours d'une tra- dition fidèle. Vous ne trouverez nulle part chez les profanes une pa- reille exactitude. » Concordance de la Géographie , et Prépar. ét^angél. 1'" partie, pag. io5. Voyez aussi la Géographie ancienne de d'Anville.

Terminons cette note par le témoigna^'c récent d'un Orientaliste mo- derne, qui se distingue par l.i variété et l'étcncUie de ses connaissances :

« De tous les voyages que nous cachent les siècles, dit cet écrivain , le plus imposant, sans doute, fut celui de ce solitaire qui, s'échappant de Memphis , conduisait une nation dans le désert , parlait face à face avec Dieu, et donnait une croyance au peuple législateur Le Pcn- tateuque eft le monument écrit de ce grand voyage , et chose étrange ! si nous nous en rapportons à l'historien qui , de nos jours , a cherché le plus laborieusement les origines, ce livre a reconquis historiquement l'importance que lui attribuaient les croyances religieuses ; Schlosser y trouve la première origine certaine des chronologies. « Ferdinand Denis. La Philosophie des voj-ages , dans la liei-'ue de Pans de dé- cembre i832.

314 CONNAISSANCES DE MOÏSE ET DES HEBREUX

etendae , au plan de ce traite' ; nous nous hornerons aax ré- sultats ge'ographiques les moins sujets à contestation.

DESGENDANS DE JAPHET.

On reconnaît VIon on Icloii des Grecs , père des Ioniens , dans lavan ; et Madai désigne vraisemblablement les Mèdes. Il y a d'autres non)s d'une interprétation plus difficile; tels sont ceux de Gomer , de Magog, et autres. Ils paraissent dé- signer des peuples voisins du Pont-Euxin et du Caucase. Cette mer inhospitalière, ces montagnes redoutables , semblent être les limites de la géographie mosaïque du côté du Nord; da moins les princes mêmes de l'érudition ne nous ont rien appris de positif, dès qu'ils ont voulu conduire les fils de Japhet plus loin (i) ; cependant Tlu'ras pourrait bien avoir du rapport avec les Tliraces , si voisins de l'Asie.

Un des descendans de Japhet, par lavan, est nommé Thars- cJiicli , et serait, selon Josèphe, la souche des Ciliciens , dont Tarsus était la ville principale : cette opinion n'a rien d'in- vraisemblable; elle se rattache à l'explication du nom d'Iavan qu'on vient de donner, ainsi qu'à celle des noms Dodanim ou plutôt Rodanùn , les liabitans de Rhodes et à'EUsa , V Bolide oa bien VElide. Mais il est difficile, malgré les efforts de quel- ques savans modernes (2) , de voir dans ce Tharsis de la Genèse, le pays lointain dont les richesses furent l'objet des voyages entrepris en société par les Hébreux et les Phéniciens , du temps de Salomon. Saint Jérôme a observé , et M. Gosselin (3) a prouvé que le mot Tharachich , dans les passages il est question des voyages que les Phéniciens et les Hébreux fai-

(i) Bochart , Phaleg. Cuniberland , Orig. gentium , Leibnitz , Suhm , etc.

(3) Hartmann, Recherches sur VAsic, i. 69. Comp, Bredavv, Re- cherches ijéogr. II. 253.

(3) Gosselin, Recherches sur la Géographie ancienne , 11, 126 185.

SUR L\ TERRE HABITÉE,' 315

saient en partant du port à'Eziongeber , sur la iner Bouge , ne de'note autre cliose que « la grande mer (i). »

Jamais un mot n'a produit des recherclies plus savantes, ni un plus grand nom])re d'e'crils. Le seul Ophir peut lui être compare' à cet e'gard. Il paraît que VOphir (2) d'où les flottes de Salomon rapportaient les tre'sors de l'Indostan , et VOphir dont parle Moïse (3) , e'taient deux contre'es absolument diffe'- rentes , comme la différence orthographique des deux noms he'braïques aurait le faire voir aux savans qui ont discuté cette question , d'autant plus que, dans la version des Septante, YOpJiir de MoJfse est rendu par Oiipheir, et celui des temps de Saiomon, par Soopheira (4). Le premier e'tait sans doute une contrée de rAra])ie-Henreuse; mais l'autre, la patrie des pierres gemmes, des bois odorife'rans, de 1 or et de l'e'tain , semble devoir être cherché dans les Intles orientales. Les Phéniciens, ignorant probablement la nature des moussons ou vents pério- diques , pouvaient bien avoir besoin de trois ans pour aller à la côte de l'Indostan méridional, pour y faire leurs achats et pour revenir aux ports deTIdumée. Les successeurs de Salomon ayant perdu la souveraineté de ces ports, on conçoit que les navigations des Phéniciens et des Hébreux durent cesser ; et cette première découverte de l'Inde n'eut aucune suite.

DESCEIXDÂNS DE SEM.

Mais , après avoir suivi les indications géographiques des écrivains hébreux jusqu'aux dernières limites de leur mappe- monde , vers l'Orient et le Nord ( ce qui déjà nous a obligé de descendre à des siècles postérieurs à Moïse ) , il est temps de revenir à l'examen des pays désignés comme le séjour des Se. mites ou descentlans de Sem. Les Hébreux étaient à même de

(i) AVahl. Indostan. i, 20. not. 3.

(2) Chron. n , 3 , 6. ISIN.

(3) Gen. x, 29. HSlN.

(4) Cp. Michaël. Spccilcg. gèogr. heh. a, 184 sqq.

316 CONNAISSANCES DE MOÏSE ET DES HEBREUX

bien les connaître , puisque c'e'taient leurs frères et leurs voi- sins. Aussi cette partie de la ge'ographie lie'braïque est bien précieuse j elle indique l'idenlite' d'origine de presque tous les anciens peuples des bords de l'Euplirate, d'une partie de l'Asie- Mineure , de la Syrie et de l'Arabie : identité parfaitement constate'e par la ressemblance de leurs langues ; car l'arabe , l'he'breu , l'arame'en ou ancien syriaque, ont autant de rapport entre eux que l'italien, l'espagnol et le français (i).

\JElam, l'Elymaïs des Grecs, long-temps un royaume in- de'pendant ; VAssur ou V Assyrie et VArain , qui est la Syrie , rappellent incontestablement trois noms des fils de Sem ; le dernier semble connu d'Homère qui en aura fait ses Arimi. Mais ou ne s'accorde pas aussi bien sur Lad , qui nous paraît pourtant être la nation des Lydiens , si puissante dans l'Asie- Mineure. On dispute aussi pour savoir si les Chaldéens , si tristement ce'lèbres dans l'bistoire juive , descendent à^Ar- phacsad , qui est la souche des He'breux et de tant d'autres peuples se'mitiques , et qui paraît s'être d'abord établie dans l'Arménie et dans la Haute Assyrie, l'on trouve une pro- vince Arrapachiits. On a même cberché à retrouver les Chal- déens , tantôt dans les Chalybes des Grecs , tantôt dans les Scythes qui firent une invasion dans l'Asie ; on en a voulu faire une race indigène qui serait la souche des Arméniens et des Curdes (2). Mais toutes ces discussions des savans moder- nes n'ont pu fixer le sens des indications vagues que les écri- vains hébreux, postérieurs à Moïse, donnent en passant sur ce peuple d'abord féroce et conquérant, bientôt riche, civilisé et adonné aux sciences.

C'est dans l'Asie occidentale que la géographie hébraïque , d'accord avec tous les auteurs profanes , indique les plus an- ciens empires que nous connaissons. Leurs immenses capitales, Babel ou Babylone, et ISiiwe ou Ninus , ont dispara. Nous

(1) V^oyez les auteurs cités par Adelung, Midividate , i, 3oo et suiv.

(2) Michaël , Specileg. gcog. 11, 77 ; 104. Schlœzer, dam Eich- horn j répertoire Oriental, vni , ii3. Friederich , dans Eichorn , hilliodicque Orient, x, 425.

SUR Lk TERRE HABITEE. 317

cherchons en vain leurs de'comhres (i) , mais le souvenir des Assyriens et des Chalde'ens est conserve' par l'histoire des peu- ples qu'ils ont soumis. Alors, plus encore qu'aujourd'hui, les ravages de la guerre changeaient l'e'tat et les limites des pays qui devenaient la proie d'un conque'rant. On amenait en cap- tivité' des nations entières ; on leur assignait de nouvelles de- meures (2). Dans les superhes capitales de Ninive et de Bahy- lone , les princes captifs et les hommes les plus distingue's parmi les nations conquises, apprenaient à se connaître ; des caravanes y apportaient tout ce qui e'tait ne'cessaire au luxe barbare de ces temps. De semblables communications ont faire naître les ide'es e'ie'mentaires de la ge'ographie. Toutes les grandes arme'es qui, dans ces siècles, inondaient l'Asie occi- dentale, tiraient leur force principale de la cavalerie. Un e'cri- vain hébraïque dit en parlant des Chalde'ens : <; Leurs che- » vaux surpassent en vitesse les panthères ; leur cavalerie » arrive comme un essaim d'aigles, plus rapides que le vent (3).»> Ces circonstances expliquent à la fois la rapidité des conquêtes dont parle Ihistoire de ces siècles , et l'e'tendue des connais- sances ge'ographiques re'pandues parmi les peuples de lAsie occidentale, mais qui semblent cependant se bornera ce qu'on pouvait connaître au moyen des voyages par terre.

Au midi des empires de Ninive et de Babylone , plusieurs peuples, amis de la liberté', changeaient de domicile au gré de leur humeur inquiète. La géographie des siècles les plus reculés distingue déjà les Eclo/nites , connus des Grecs sous le nom ùi^ Idumécna ; les Madianiics , très-anciennement adonnés au commerce , mais dont le nom disparaît bientôt ; les ]Sa- baïoths ou ISabatliéems des Grecs et des Romains , tribu prin- cipale parmi celles du r.ord-ouesl de l'Arabie , qui font re-

(i) Depuis le moment écriv.iit Maltebrun ,• i8io, plusieurs voj^a- gcurs ont découvert les immenses ruines de Biibylotie et de Ninive, et les ont décrites avec beaucoup de détail ; voir ci-dessus toai. VI, p. 35.

(2) Jcrém. c. 89. Ezéchiël , c. 3o , etc. etc.

(3) Habacuc. 1,6,9.

318 CONNAISSANCES DE MOÏSE ET DES HEBREUX

monter leur origine à Ismaël : beaucoup d'autres tribus arabes du centre et du midi , qui regardent comme leur souclie Joc- tan [Jectan), et parmi lesquelles les Homérites e'tablirent , dans VYemen, un empire long-temps lieureux et puissant (î); enfin, les ce'ièbres Hébreux, qui, d'après leurs propres livres, sont en parente' avec tous ces peuples , et se disent comme eux desceiidans de Sem par Arphacaad ; assertion confirme'e par la ressemblance des langues (2). Moïse connaissait même le nom de Hadramaulh ou Hazarmm>eth , contre'e d'Arabie , encore ainsi nommée de nos jours. De même que nos voya- geurs modernes, il distingue deux cantons du nom de Cha- vilali ou Chaulan (3). Il de'signe Sana sous le nom d'Uzal , encore usité' (4). Semblables aux Be'douins modernes, la plu- jiart des anciens Arabes , et les He'breux eux-mêmes, menaient une vie errante; rois de leurs de'serts, au milieu de leur beu- reuse famille et de leurs troupeaux innombrables, ces patriar- cbes n'avaient rien à envier aux monarques de la terre ; ils ne demandaient au ciel qu'un peu d'ombrage , du gazon et une fontaine. Il y avait aussi des tribus agricoles ; les Home'rites e'ievèrent des digues pour retenir les torrens des montagnes , et des aqueducs pour en distribuer les eaux dans les cbamps (5). D'autres tribus ayant dompte' le chameau , employèrent ce na- vire du de'sert à transporter en Syrie, à Babylone et en Egypte, les parfums et les pierres fines de l'Arabie-Heureuse , et, plus tard, les produits de l'Inde, que le commerce maritime ame- nait sur les côtes de l'Arabie (6). Il est impossible de de'ter- miner à quelle e'poque ont commence' les liaisons des Arabes me'ridionaux avec l'Inde , et leurs e'tablissemens sur la côte

(1) Schultens , Hisioria imp. Joclanid. , 11, 3g, etc. (•2) Gen. X , 21 , 25.

(3) Gen. x , 7 et 29. Micbaëlis , Speclleg. n, 2o3. Hartmann, Recherches 11 , 25.

(4) Niebuhr. Descript. i, 2r)i. (en ail.)

(5) Reiske de Arahum epochd veluslissiinâ. Lips. 1748-

(6) Messudi , IJist. Joclanid. , p. 181.

SUR LA TERRE HABITÉE. 319

orientale rrAfrique; ils connurent l'art d'ëcrire (i) , mais il n'est reste' de leurs plus anciens ouvrages , que des poe'sies admirables , qui ne fournissent aucun renseignement ge'o- graphique.

DESCEÎÎDANS DE HAM OU GHAM.

La troisième race d'hommes connue a Moïse et aux He'brenx est repre'sente'e comme la poste'rite' de Cham ou Ham , troi- sième fils de Noe' ; et les male'dictions dont tous les e'cri vains he'breux la chargent, semblent prouver qu'elle a difFe'rer des peuples se'mitiques, soit pour la constitution physique, soit pour la langue et les mœurs. Le nom même de Ham ou Cliam signifie en he'breu , ou la couleur fonce'e de ces peu- ples, ou la chaleur du climat sous lequel ils habitent (2). Ce nom se retrouve e'videmment dans celui de Cliam ou Chamia, donne' à l'Egypte par les indigènes dans les temps anciens et modernes (3). Il est e'galement incontestable que le nom d'un des fils de Ham, Mizr (au pluriel Mizraim), est le même qui , chez les Arabes et les Turcs, de'signe encore aujourd'hui l'Egypte, principalement le Delta (4). Ce point de la ge'ogra- pbie mosaïque semble donc très-clair, et s'il nous est impos- sible de retrouver d'une manière certaine tous les peuples in- dique's comme descendans de Mizraïm , il nous est pourtant permis de croire que les He'breux connaissaient toute l'Egypte et une partie des côtes africaines du golfe arabique.

On ne peut guère non plus douter que le nom de Kusch , donne' à un des fils de Ham , ne désigne les peuples de l'Ara- bie me'ridionale et orientale , les ge'ographes grecs et ro- mains connurent les villes ou peuples de Saba, de Sabbatha, de Rhegma , et autres , dont les noms , selon les auteurs be'- breux, appartiennent à des descendans de Kusch. Mais que,

(1) Job. , XIX, 24.

(2) nn ou mn. Forstcr , Epist.

(3) Plut, in Iside. Hartmann , Egypten , p. 4.

(4) Edrisi Africa , éd. Hartmann, p. 324-

320 CONNAISSANCES DE MOÏSE ET DES HEBREUX

d'un côte , ces mêmes peuples se soient re'pandus autour du golfe persique, et que de l'autre ils aient envoyé' une colonie en Abyssinie , ce sont des questions pour la solution desquel- les, ni les e'crits des He'breux, ni les autres monumens ne nous fournissent des de'tails assez e'tendus et assez authentiques (i). La ge'ographie des He'breux pre'sente des lumières bien plus pures , quand elle nous retrace l'ancien e'tat de la Palestine. Cette contre'e , tlie'âtre d'une des plus anciennes re'volutions pliysiques consacre'es par l'histoire, de celle qui fit e'crouler Sodôme et Gonoorre dans les abîmes de la mer Morte (2) , de- vait le nom sous lequel les Giecs la connuï'ent, aux Philistins, peujile sorti de l'Egypte, et qui avait d abord cberche un asile en Chypre (3). La Palestine e'tait encore habite'e par une foule d'autres tribus , qui toutes descendaient de Canaan fils de Ham. Celte circonstance pourrait servir à expliquer pourquoi les Phe'niciens , qui parlaient la langue canane'enne , trouvè- rent tant de facilite' à se répandre en Afrique. Le commerce florissant de Tyr et de Sidon nous e'îonnera moins , lorsque nous nous rappellerons combien les auteurs he'breux nomment de villes mure'es dans la Palestine et dans la Syrie. Damas , Héinatli , Hébron , Jéricho, existaient long-temps avant Athè- nes ; Sidon est de'jà ce'lëbre'e par Homère; et la superbe jyr, la reine des mers , nomme'e par les e'crivains hébreux du temps de David, a préparer pendant plusieurs siècles cette grandeur commerciale dont le prophète Ezéchiël traça le bril- lant tableau à une époque Rome, sous le premier des Tarquins , commençait à changer ses chaumières en des mai- sons. Les cèdres du Lihan , les chênes de la Bazanée , les bois les plus précieux du Chitlim { Citiuni , en Chypre), servaient à la construction des flottes de Tyr; son port était le marché

(1) Michaël, Spicileg. géog. 1, i43. Eichorn. Prog. de Kuschœis , Arnsladt , 1774- Ludolf, elc.

(2; Biisching , dans les Annales des Vojages. t. v, p. ô. (3) Michaël. Spicileg. 1,278,308.

SUR LA TERRE HABITEE. 32 1

de l'Asie, de l'Egypte et de la Grèce; les caravanes de l'Ara- bie lieureiise, venues iVÂ(h?i , de Ca?ie et d'autres villes , y apportaient les pierres gemmes, les e'piceries et les e'tofîes de l'Inile ; l'Egyptien y vendait les toiles fines ; Damas y envoyait ses laines, d'une Llancheur e'Llouissante ; l'argent, i'e'tain , le plomb , tous les me'taux de l'Asie mineure y arrivaient par les vaisseaux de TarscJiisch , qui peut-être ici de'signe Tarsus en Cilicie; les Ioniens y achetaient des esclaves, et probablement toute sorte d'ouvrages de nianufarture (i).

Place's dans le voisinage d'une ville refluaient tant de na- tions, les He'breux , qui eux-mêmes vendaient aux Tyriens leurs ble's, leurs huiles et les autres productions de leur soi (2) , ne purent sans doute rester absolument e'trangers aux connais- sances ge'ograpbiques re'pandues dans la capitale de la Phe'ni- cie. Mais en restreignant la sphère de la ge'ographie be'braïque dans une limite qui ne de'passe guère le Caucase au nord , l'Archipel de Grèce à l'ouest, et l'embouchure du golfe Arabi- que au midi , nous avons cru mieux appre'cier le ve'rltable esprit des antiques monumens de la Judée , que ne l'ont fait ces commentateurs trop zéle's, selon lesquels Moïse aurait pre'- tendu nous enseigner comment toute la terre habitable fut divise'e comme par lots entre les descendans de Noe'. Peut-on raisonnablement attribuer à Moïse des notions sur le nord et l'occident de l'Europe , lorsque , chez des e'crivains lic'breux qui lui sont poste'rieurs de six à huit siècles , les Chalde'ens et les Mèdes , originaires des re'gions oîi sourdit l'Eupbrate, sont de'peints comme des peuples qui babitent les extre'mite's de la terre ? »

(i) Ezéchiël , xxyn, 5, 26. (2) Ibid. 17.

322 DE LA PERTE DES MANUSCRITS

tVWVWWVWV •^^VVVVVVVVAIVVVVVVVVVvVVVV^VNA(VVVVVXVVVVVVVVVVV^L^A'VVVVVVVV\lVV%VVVVV\VVVVV^

SE I.A PERTE DES MANUSCRITS

ET DES AUTEURS DE l'aNTIQUITÉ.

Espoir peu fondé de Irouver de nouveaux manuscrits. Les auteurs latins perdus ne peuvent être de grande importance. Les auteurs grecs perdus sont plus nombreux et plus importans. Pourquoi la plupart des copies qui nous restent ne remontent pas au-delà du siècle?

Nous avons parlé avec assez de détail des moyens par lesquels les moines du moyen-âge nous ont conservé les richesses littéraires de l'antiquité que nous possédons en ce moment (i). Nous avons cru devoir compléter ce travail, en insérant ici quelques recherches sur les manuscrits qui ont été perdus, et sur l'espérance qui pour- rait nous rester d'en retrouver encore quelques-uns.

Pendant fort long-temps on s'était flatté de l'espoir que des res- tes précieux de l'antiquité demeuraient cachés en différentes bi- bliothèques de l'Europe, mais surtout dans celles de l'Italie. On ne doutait pas que des recherches faites par des antiquaires , avec zèle et persévérance, ne ramenassent perpétuellement au jour, tantôt des ouvrages entiers , tantôt d'intéressans fragmens d'auteurs grecs et latins. Malheureusement cette espérance était plus flatteuse que rai- sonnable. Les soins , la patience et l'assiduité que les savans italiens du quinzième et du seizième siècle, tels que Pétrarque, Boccace, Poggio, Arétin , Manuzio , mirent à rechercher les manuscrits des auteurs classiques, ne permettent guère de penser qu'ils aient laissé beau- coup à faire à ceux qui viendraient après eux. On voit, diaprés des lettres écrites à cette époque, que l'on n'épargnait ni peines ni dépenses pour parvenir au but que l'on se proposait. Tant que l'imprimerie ne fut pas encore connue , on éprouvait de grands obstacles dans les recherches quel^on voulait faire dans les couvens,

(i) Voy. ci-dessus toai. III, p. 29.

ET DES AUTEURS DE l'aNTIQUITÉ. 323

parce que les moines, tirant un profit considérable des copies qu'ils faisaient de leurs manuscrits, n'aimaient pas, comme de raison, à ouvrir à autrui la source des trésors qu'ils posse'daient. Les choses ctangèrent d'aspect plus tard, quand le stimulant du commerce porta les imprimeurs à joindre leurs efforts h ceux des savans.

Mais par quel malheureux concours d'événemens se fait-il qu'une partie si considérable des anciens auteurs ne nous soit parvenue que dans un état imparfait et mutilé , et qu'il y en ait tant dont nous ne connaissons plus que les noms, quoique bien certainement de nombreuses copies de leurs ouvrages aient été répandues en Italie, dans l'orient de l'Europe et sur les côtes de l'Asie-Mineure? qu'ainsi , par exemple , des auteurs tragiques de la Grèce nous ne possédions qu'un petit nombre de pièces , et que ceux de Van- tique Italie ne nous soient connus que par des fragtnens épars? quil ne nous reste presque rien des poètes lyriques! que Ménan- dre ^ Philémon , et tous les poètes comiques qui les ont suivis sont perdus, tandis que ceux qui ont survécu ne se retrouvent que dans un état de mutilation bien digne de pitié'? Ce sont des questions qu'ont bien souvent se faire les personnes livrées à l'étude de l'antiquité, et qui n'ont jamais e'té e'claircies d'une ma- nière satisfaisante. Il est facile, à la vérité', d'indiquer certaines circonstances qui ont pu contribuer à ces pertes ; mais il est diffi- cile d'expliquer parfaitement la singulière destinée de plusieurs des plus grands monumens litte'raires de l'antiquité'.

A la vérité , pour ce qui regarde les classiques latins , il faut remarquer que l'introduction de la théologie scolastiquc décrédita peu à peu l'étude des anciens auteurs. Il ne faut pas s'étonner, d'après cela, si les manuscrits sur parchemin des auteurs classiques furent employés à relier les nouveaux ouvrages de scolastique , tandis que le petit nombre de ceux que l'on épargnait pourrissait dans quelque coin de ces bibliothèques décrites par Poggio. Ce fut dans un de ces réduits obscurs, que Poggio compare à un cachot dans lequel on n'aurait pas voulu renfermer un criminel, qu'il trouva Quintilien , les Argonauliques de Kalerius Flacus , et le com- mentaire d' Asconius Pœdianus sur les Oraisons de Cicéron.

S'il faut en croire quelques récits, l'œuvre de destruction s'est continue'e bien au-delà du temps de Poggio et d'Are'tin. Le poète

324 DE LA PERTE DES MANUSCRITS

Chapelain raconte qu'un pre'cepteur du marquis de Rouville lui avait dit qu'ayant eu occasion d'envoyer à Saumur acheter des ra- quettes , il avait ëte' suipris de la singulière apparence du parche- min dont elles étaient faites, et, qu'en l'examinant de plus près, il avait cru y reconnaître les titres des 8'', lo et ii« décades de Tile-Live ; qu'il s'était alors adressé au marchand de raquettes , de qui il avait appris que l'apothicaire de l'abbaye de Fontevraud ayant vu dans une chambre de cette abbaye une pile de volumes en parchemin , en tête desquels il avait lu qu'ils faisaient partie de l'histoire de Tite-Live , il les avait demandes à l'abbesse en l'assurant que ces volumes étaient inutiles, parce l'ouvrage était imprimé. L'apothicaire les ayant obtenus, les avait vendus au mar- chand de raquettes qui en avait fait une multitude très-grande de battoirs , et qu'il lui en restait encore douze douzaines. Tel est le récit de Chapelain; on ne saurait guère mettre en doute sa ve'ra- cité, mais il est fort probable qu'd aura été mystifié. Tite-Live €st , du reste, sous ce rapport, un auteur malheureux : tous les efforts que l'on a faits pour compléter son ouvrage ont été inutiles. Pietro délia Valle raconte qu'il avait acheté un Tite-Live complet du bibliothécaire du Grand-Seigneur, et que !e prix convenu était dix mille écus; mais quand il fut question de livrer le manuscrit, il avait disparu : peut être n'avait-il jamais existé.

L'histoire des raquettes de Chapelain, tout apocryphe qu'elle est, me rappelle celle de l'original de la grande Charte anglaise, que sir Robert Cotton sauva d'entre les mains d'un tailleur qui allait la couper pour en faire des mesures. On croira peut-être après cela que ce document , base fondamentale de ces libertés dont les An- glais sont si fiers, aura été déposé dans les archives da royaume: nullement. Il se conserve au Musée britannique entre des papil- lons , des vases étrusques et des curiosités taïtiennes.

Quant à ce qui a été dit, que divers Papes, par un zèle mal en- tendu, avaient contribué à la destruction des trésors de l'antiquité, il ne faut pas ajouter une foi implicite à tout ce que la malveil- lance et l'esprit de secte ont débité à ce sujet. Ainsi , parce que le pape S. Grégoire-le-Grand ne faisait pas grand cas des sciences profanes , on l'accuse d'avoir fait briller la bibliothèque palatine formée à Rome par l'empereur Auguste j mais à cela il faut observer

ET DES AUTEURS DE l'aNTIQUITÉ. 325

d'abord que rien ne prouve que, du temps de Grégoire, qui vi- vait à la fin du sixième siècle, il existât à Rome une bibliothèque palatine. J'ajouterai ensuite que cette accusation ne repose que sur un passage mal compris du Polycratique de Jean de Salisb:ri, e'cri- vain du douzième siècle , qui dit que le saint Pape fit briller de la bibliothèque palatine tous les ouvrages reprobatœ lectionis , ce qui signifie les livres d'astrologie judiciaire, uomme's dans le digeste: Libri improbatœ lectionis. Et , quant à ces livres , il en existe encore assez.

Ainsi encore, Machiavel et Cardan prétendent que S. Grégoire VII brûla les ouvrages de Varron ( i), de peur que S. Augustin , qui avait cité un grand nombre de passages de cet auteur dans sa Cité de Dieu., ne fût reconnu comme plagiaire; mais ceci est passablement ridicule, car toutes les fois que S. Augustin cite Varron, c'est ou- vertement et presque toujours dans le but de le réfuter. D'ailleurs Naudé a prouvé que les ouvrages de Varron n'étaient plus lus de- puis long-temps , et qu'ils ont péri plutôt par ne'gligence que par un acte de vandalisme.

Il paraît, après tout, que sur les auteurs latins dont les ouvrages ont totalement péri , il n'y en a pas beaucoup qui soient dignes de grands regrets de notre part. Les poètes romains qui ont écrit avant le siècle d'Auguste seraient à peine intelligibles aujourd'hui; on peut eu juger par des fragmens qui nous restent à'Ennius et de Lucilius. En conséquence , ou peut hardiment conclure qu'à l'exception des cent cinq livres de Tite-Lii^e , et des harangues et épilres de Cicéron , les pertes que nous avons faites ne sont pas d'une importance majeure. Il ne nous reste , à la vérité , que six comédies de Térencc; mais ce sont sans doute ses meilleures (2).

(1) Voyez dr.ns le Christianisme de Bacon, public par Emery, t. II, p. 332 , des éclaircisseinens sur raccusalion d'avoir voulu anéantir tous les auteurs et tous les monumens de l'antiquité païenne , intentée con- tre S. Grégoire.

(2) Le P. Matthieu Aimerich , jésuite de la province arragonaise et chancelier de l'université de Gandie, qui, après la suppression de son ordre se relira à Ferrare , y a publié en 1784 une notion hislori(|ue et critique des Romains célèbres par leur érudition , parliculièrcment de

T. X. 23

326 DE LA PERTE DES MANUSCRITS

Il n'en est pas de même des auteurs grecs, ce qui est d'autant plus digne de remarque que la langue grecque est demeurée une langue vivante bien plus long-temps que la latine, tandis que les innom- brables monastères re'pandiis dans tout l'empire Byzantin et dans l'Asie-Mineure, semblaient devoir assurer à la postérité les ou- vrages d'une foule de poètes et de philosophes dont il ne nous reste pourtant que quelques fragmens insignifians.

Ea attendant, si l'on y re'fléchit mûrement, on verra que ce sont précisément ces motifs qui peuvent servir en quelque sorte à en expliquer la perte. La langue grecque a continué, à la vérité, à re'gner dans l'empire d'Orient jusque vers le milieu du moyen- âge ; mais elle s'e'tait fort corrompue et mêle'e de tournures latines , françaises et asiatiques. Le résultat en fut que l'on étudia peu la langue des classiques. En Italie , au contraire , le latin avait en- tièrement disparu de l'usage, on continua à l'apprendre comme langue savante ; on s'en servit dans les discussions théologiques et dans tout ce qui avait rapport aux lois. Le grand nombre de cou- vens de l'empire d Orient a e'té aussi plutôt de'favorable qu'avan- tageux à la conservation des anciens auteurs ; les bibliothèques de ces établissemcns , avaient fini par accaparer toutes les copies qui existaient ; les auteurs classiques n'e'taieut e'tudiés que dans les éco- les, et toutes les écoles e'taient dans les couvens ; les professeurs étaient des moines qui ne se donnaient la peine de transcrire des anciens poètes et prosateurs, que les passages qu^ils avaient l'in- tention de citer dans leurs cours ; le reste des volumes était aban- donné pour être mange aux vers, ou bien on coupait les feuillets pour servir d'enveloppe aux livres de classe. On ne doutera point de la Justesse de cette hypothèse quand on réOécliira qu'il existe encore aujourd'hui un grand nombre danciennes copies des trage'-

ceiix dont les ouvrages sont perdus en entier ou en partie : Spécimen Veteris romance liueraturœ deperditœ j vel adhuc latentis ; seu syllabus historiens el crilicus velerum olim notœ erudilionis Romanorum ab Urbe condild ad Ilonorii ^ugusti excessum .• eorum in primis quorum latina opéra , veL oninino vel ex parte desiderantur. Accedunt opportunœ ad- nolationes , multa corolLaria el nonnuUce dissertationes . Vol. in-8°. Voyeï Tellcr^ Journal hist.j mars 1786 , p. 35q j it. Mélanges j tom. II , p. 543.

ET DES AUTEURS DE l'aî^TIQUITÉ. 327

dies les plus faciles dUEscJiyle , tandis qu'on ne connaît qu'un ou deux manuscrits des pièc-es plus difficiles du même poète, Ainsi encore, et par la même raison, les Epinicia de Pindare nous sont parvenus, mais ses Threniy ses Hyporchemata ^ etc., sont perdus.

Les écrits de yiénandre, de Philémon et des autres poètes plus modernes, e'taient regardés comme peu convenables à être mis dans les mains de la jeunesse chiétienne, et Aristophane aurait sans doute subi lemêmesort sans la protection de S. Jean Chrysostôme, dont on connaît la prédilection pour cet écrivain spirituel. La con- servation de tous les ouwrages de Platon et de la plus grande partie de ceux d'Aristote est due aux efforts de l'école d'Alexan- drie pour greffer le platonisme sur le christianisme , ainsi qu'au règne de la théorie scolastique.

Il serait difficile de fixer avec quelque apparence de probabilité l'époque précise tant de précieux restes de l'antiquité ont dis- paru. Procope l'historien , qui florissait dans le sixième siècle , cite une tragédie d'Eschyle que nous ne posse'doos plus, et Simplicius, qui vivait au milieu du même siècle, transcrit de nombreux pas- sages des poèmes d'Empedocle. Photius , patriarche de Constanti- nople dans le neuvième siècle, donne, dans son Myriobiblon , des extraits de plusieurs auteurs qui n'existent plus, ou bien qui ne nous sont parvenus que mutilés. Michel Psellus avait composé , dit-on, dans le onzième siècle, un commentaire sur vingt-quatre comédies de Ménandre ; mais ce fait n'est pas très-certain; et il est bien reconnu que Eustathe , archevêque de Thessalouique , qui e'crivait dans le douzième siècle, ne possédait point d'auteurs que nous n'ayons aussi aujourd'hui , à l'exception de quelques grammai- riens j et il en est de même de l'impératrice Eudoxie Macrembo- litissa, qui composa l'ouvrage intitulé la Couche de Violettes , vers la fin du onzième siècle. Nous pouvons conclure de que les li- vres dont nous déplorons la perte devaient avoir disparu successi- vement avant le dixième et peut-être même avant le huitième siècle.

Pour ce qui regarde les causes de cette disparition , j'en ai déjà dit quelques mots; mais je vais maintenant entrer dans de nouveaux détails à ce sujet. Pierre Alcyonius, dans son traité de Exilio ^ nous apprend que le cardinal Jean de Médicis ( plus tard Pape sous le nom de Léon X) avait coutume de dire que les prêtres grecs

23.

328 DE LA PERTE DES MAI^USCRÎTS

avaient acquis tant de crédit sur l'esprit des empereurs d'Orient , qu'à leur instigation des ordres furent donnes pour brûler plusieurs anciens poêles, surtout les poètes lyriques et comiques, et cela parce qu'ils préféraient les vers de S. Grégoire de Nàzianze, à ceux de Ménandre et d'Alcée. Ce fait est confirmé par une lettre d'E- tienne Geslacliius à Martin Cressius, écrite deConstantiuople en i5y4' De quelques-uns des poètes classiques , les moines se contentèrent deffacer les passages les plus contraires à la décence et à la mo- rale , ou bien ils les corrigeaient et les transmettaient à la posté- rité dans un état qu'ils regardaient sans doute comme bien préfé- rable à l'ancien.

Le plus audacieux innovateur de ce genre fut Maximus Planudes, moine du quatorzième siècle, qui entreprit d'épurer V Anthologie. C'est probablement le même Planudes qui priva Théognis de cent cinquante-neuf vers , que l'on a depuis découverts dans un seul ancien manuscrit. Il serait difficile de décrire toute la confusion que ce compilateur mil dans l'Anthologie.

Je ne dois pas oublier d'indiquer une autre cause encore de la perte de beaucoup d'anciens écrivains. On fit des abrégés des plus vo- lumineux d'entre eux, et ces abrégés, étant d'un usage plus com- mode , finirent par remplacer totalement les originaux. C'est ainsi que nous avons perdu les deux premiers livres du grand ouvrage d^ Athénée , l'original d'Etienne de Byzance , les précieux lexiques d' Harpocrate et de Phrynicus.

Il nous serait possible de déterminer avec plus d'exactitude l'é- poque où les dernières copies de plusieurs anciens auteurs ont dis- paru , si nous savions précisément dans quelle année fut brûlée la grande bibliothèque composée de 36,ooo volumes, et qui était placée dans la basilique des empereurs à Constanlinople. Elle avait été fon- de'e par Constance , et considérablement augmentée par Julien l'a- postat. Ce dernier e'tait livré à une véritable bibiiomanie : « Ceux- )) ci, nous dit-il, dans une de ses e'pîtres, sont amoureux de che- •> vaux, ceux-là d'oiseaux-, d'autres de bêtes féroces ; quant à moi, » j'ai brûlé, avec toute la véiiémente passion d'un enfant, du désir » d'amasser des livres. » La bibliothèque dont je viens de parler ayant été consume'e par le feu , fut reconstruite par l'empereur Zenon dans le cinquième siècle, et fit partie d'un coUe'ge habité par douze

ET DES AUTEURS DE l'aNTIQUITÉ. 329

professeurs. Du temps de Le'on l'Isaurien, vers l'aa 720, elle con- tenait, dit on , 36,5oo Aoliimes, et les derniers historiens bizantins racontent que ce prince , qui était un fougueux iconoclaste , ne pou- vant faire partager son opinion aux professeurs , les renferma dans leur collège , qu'il entoura de matières combustibles , et les brûla ainsi avec leurs livres. Cependant Basnage, dans son Histoire ec- clésiastique, réfute ce récit, et prouve qu'il est question de cette bibliothèque comme subsistant encore dans le siècle suivant. Il y aurait peut-être moven de concilier ces deux assertions, en disant que l'édifice a été incendié accidentellement pendant le règne de Léon, et qu'ayant été reconstruit sous le règne suivant, la biblio- thèque a été de même en partie rétablie.

L'étendue des pertes faites par les sciences et les lettres , lors de l'incendie de la grande bibliothèque d'Alexandrie par Omar, a etë révoquée en doute par les historiens du 18^ siècle. Gibbon surtout déclare (ju'il croit devoir nier à la fois et le fait et ses con- séquences. Mais il est inutile de faire observer que Gibbon, écri- vain très-partial, cherche toutes les occasions de favoriser les païens et les mahométans. Dun autre côté, Orose prétend que les livres de cette bibliothèque furent détruits ou dispersés par les chrétiens, lorsqu'en 891 ils brûlèrent le temple deSérapis; mais on n'ignore pas que cet auteur, fort cre'dule, a rempli son ouvrage d'une foule de bruits populaires , qui ne permettent guère de le citer comme une autorite'.

Après avoir fait connaître quelques-unes des causes de la destruc- tion de tant de précieux monumens des siècles classiques , il reste à examiner pourquoi parmi les copies qui nous sont parvenues il y en a si peu qui soient d'une antiquité' reculée. A très-peu d'excep- tions près, il n'y en a point qui remontent au-delà du 9^ siècle de notre ère.

A ce sujet , il faut remarquer que , dans le moyen-âge , les moi- nes étaient les seuls copistes des anciens livres. Ils ne manquaient pas de loisir pour cette occupation , et les calligraphes , qui, par une longue habitude, avaient acquis un talent considérable pour bien peindre, étaient amplement payés de leurs peines. Or, par les divers motifs que j ai assignés plus haut , les poètes et les phi- losophes classiques étant tombes dans le discrédit , il arriva que les

330 DE LA PERTE DES MA7ÎUSGRITS , ETC.

copistes recevaient cinquante demandes pour les œuvres de saint Grégoire de Nazianze ou de Sedulius , contre une pour celles d'Eu* ripide ou de Virgile. La conséquence naturelle en fut que, pour se dispenser d'acheter du parchemin, qui était un objet de prix, ils songèrent à se servir des ouvrages des auteurs anciens , qui ne faisaient qu'encombrer inutilement les tablettes de leurs bibliothè- ques. Ils imaginèrent d'après cela deux manières d'oblitérer l'écri- ture et de mettre le parchemin en état de recevoir les oeuvres d'é- crivains dont le débit était plus assuré. Tantôt ils effaçaient les caractères par le moyen d'une préparation chimique, tantôt ils les grattaient avec un instrument tranchant : cette dernière méthode s'employait quand le parchemin était d'une épaisseur considérable.

Les manuscrits qui ont subi une de ces deux opérations s'appel- lent codlces palimpsesti ou rescripti , et il existe des preuves cer- taines que plusieurs pièces de théâtre grecques , diverses oraisons de Cicéron et quelques comédies de Plaute ont été perdues de cette façon ; car des fragmens de ces différens ouvrages ont été reconnus sous la nouvelle écriture dont ou les avait surchargés.

J'ai dit plus haut, comme un motif de consolation, que, selon toute apparence , les pertes que nous avons faites , bien qu'incon- testablement fort nombreuses , n'ont pas l'importance et l'inte'rêt que l'on pourrait penser. Par la même raison , jointe à celle de la grande libe'ralité avec laquelle, depuis un siècle, tous les gouver- nemens, tous les établisseraens publics ont donne accès aux savans dans les dépôts de leurs trésors litte'raires, il n'y a pas lieu d'es- pérer que de grandes découvertes restent encore à faire dans ce genre ; celles que nous devons , il y a une vingtaine d'années , à M. Angelo Mai , professsur de langues orientales à la bibliothèque ambroisienne de Milan, et plus tard bibliothécaire du Vatican, sont les dernières qui aient offert quelque inte'rêt. Jusqu'à présent on n'a rien trouvé dans les ruines d'Herculanum et de Pompéï, qui soit digne de fixer l'attention.

Je termine ici une discussion qui probablement paraîtra beau- coup trop longue à plus d'un lecteur, et j'ajouterai seulement que la bibliothèque Laurentienne à Florence , et celles des couvens de la Calabre, sont les seules nous puissions encore espérer de faire quelques découvertes intéressantes. Annales de Phil. Chrét. tom. IX , p. i^.

331

CONSIDERATIONS

SUR Ii'EMFIRE ROMAIN, LA VIE DE S. ANTOIXE, ETC.

Le Journal de? Débats du 12 octobre contient un article de M. St. -Marc Girardin sur la Collection des Pères (i) publie'e par Me'quignon-Havard , dans lequel l'auteur, exauiinant la vie de saint Antoine, e'crite par St. Athanase, se livre à des considéra- tions philosophiques de la plus haute porle'e. Nous en citerons les principaux passages :

« Notre siècle a beaucoup d'esprit, de lumières, d'intelli- gence; il discute, il raisonne à merveille. Pourquoi donc ne créé-t-il rien ? Pourquoi y a t-il sur tout ce que nous faisons un cachet d'avortement et d'impuissance ? Systèmes politiques et systèmes religieux, constitutions, chartes, lois, ordonnances, rituels de toutes sortes de sectes, cultes de toutes sortes de dog- mes, combien n'en naît-il pas chaque jour de notre cerveau? Et combien n'en meurt-il pas aussi chaque Jour! Tant qu'il s'agit de parler et décrire, de raisonner et de critiquer, c'est à mer- veille; aussitôt qu'il faut agir, tout languit et s'arrête : nous

(i) Collectio selccla Ecclesiœ Palruni. <.< Celte excellente collec- » tion , dit M. St.-Marc, interrompue pendant quelque temps, re- » commence aujourd'hui à paraître régulièrement. Les temps sont pins « favorables à celte publication qu'ils ne semblent devoir l'être. Ou » revient aux idées religieuses , et les Pères de l'Lglise ue sont plus dé- )> daignés. Bizarre exemple du changement des esprits ! C'est VEncj- » cLopéiUe aujourd'hui qui est délaissée , et ce sont les Pères qui rc- » prennent laveur. Trois éditions des Pères ont paru depuis quelque » temps : celle de M. l'abbé Guillon , latine et française ; celle » dont nous nous occupons aujourd'iiui , toute latine , et celle de » MM. Gaume , grecque et latine , dont nous avons dernièrement an- » nonce le Saint-Chrjsoslô/ne. Trois éditions des Pères en six ans au » plus , qui l'eût dit il y a soixante ans , sous Voltaire ! «

332

CONSIDERATIONS SUR l'eMPIRE ROMAIN,

sommes excellens pour la discussion, ponr la prédication ;, pour tout ce qui ne demande à Thomme que ses idées et ses paroles; l'action nous manque. Faire des journaux, faire des brochures, faire des lois, tout cela avec ardeur, avec opi- niâtreté , avec se'rieux , et comme si les effets devaient suivre les paroles ; voilà nous brillons. Je ne parle pas de tant de lois qui ne sont que sur le papier; mais voyez ce que sont deve- nues les sectes religieuses, ou soi-disant telles, que nous avons vues e'clore. Tant qu'il a fallu e'crire et parler, elles ont eu de l'e'clat , elles ont fait du bruit. Quand il a fallu agir, s'organiser, être autre chose que des sons et des paro- les, devenir un corps , quand elles en sont venues an /lat cre'a- teur, à l'œuvre, à l'action , alors, à cette dernière et de'cisive expe'rience, elles sont tomhe'es à plat

» Dans notre siècle tout va de cette manière , gros de pa- roles, vide d'effets. A cet e'gard , nous savons bien notre fai- blesse, et nous ne sommes pas dupes de nos phrases. Combien de fois ai -je entendu dire que ce qui nous manquait, c'e'tait le caractère, et personne ne reclamait, excepte' pour soi et tout bas. Nous avons la volonté' qui parle, mais non la volonté' qui fait. L'action vient du caractère et non de l'esprit. Dou- blez notre intelligence et nos lumières , vous ne ferez rien si le caractère n'y est, c'est-à-dire la force qui agit et qui cre'e. Vou- lez-vous une preuve que notre siècle sait fort bien à quoi s'en tenir là-dessus? Sans cesse il parle de la force des choses, de la ne'cessite' , de l'empire des e've'nemens 5 personne, disons- nous, ne peut lutter contre la force des choses; telle est la philosophie du jour : nous avons tous notre coin de fatalisme musulman; nous ne croyons plus à la force de l'homme, ni qu'il soit au pouvoir de quelqu'un de faire rebrousser les e've'nemens. Nous savons commenter les e've'nemens d'une ma- nière savante et inge'nieuse ; nous savons leur trouver toutes sortes de me'rites ; mais nous ne savons guères plus les pren- dre corps à corps , et quand nous pensons avoir contre nous cette force myste'rieuse que nous appelons la force des cho- ses, nous nous de'clarons vaincus d'avance.

» Le monde romain, aux deuxième et troisième siècles,

LA VIE DE S. ATfTOTKE , ETC. 333

avait aassi beaucoup d'esprit , d'intelligence et de lumières. Il raisonnait aussi et discutait à merveille ; comme à nous , il ne lui manquait que l'action et le caractère. Ses œuvres e'taient , comme les nôtres , marque'es d'un signe d'avorte- ment. Voyez ses Stoïciens ! Ils gouvernent le monde sous les Antonins ; et, maigre' tout leur esprit, maigre toute leur sa- gesse, maigre' même tout leur pouvoir, ils ne cre'ent rien, et le dernier de leurs empereurs , Marc-Aurèle , semble laisser l'empire à Commode, comme pour donner la preuve que ni lui-même ni ses sages devanciers n'ont rien pu faire pour ra- jeunir Rome et mettre sa liberté' à l'abri des folies du premier despote venu. Voyez à côte' de rimpuissanae de la philosophie l'impuissance des tentatives religieuses qui se font à cette e'poque ; voyez Apollonius de Tbyanes ; voyez le culte de Mi- tbra ; tant qu'il s'agit de faire des phrases ou de sculpter des idoles, tant qu'il s'agit de sons et de formes, tout va a sou- hait; mais quand il faut en venir à l'action, quand il faut inspirer aux hommes la force de dévouer sa vie et ses biens à ces religions d'essai, alors apparaît la faiblesse et leur im- puissance.

)) D'oii venait au monde romain ce manque d'action et de caractère ? Du manque de foi ; il n'y a que la foi qui donne aux hommes la force d'agir , car il n'y a qu'elle qui leur fasse faire le sacrifice de leur vie, et l'homme ne cre'e rien que par le de'vouement et le sacrifice. Liquitque in vulnere vitam , Toilà le mot de toutes les grandes actions , et quelque e'difice que nous bâtissions, religieux ou politique, il ne durera que s'il est cimente' par le sang des martyrs. Agir, c'est risquer; toute action est un risque, et pour risquer il faut croire. Rome ne croyant à rien ne risquait rien. Que voulez-vous qu'elle cre'ât ?

» C'est dans ce monde romain, ainsi e'puise de foi et inca- pable d'action , que naquit le christianisme , et dès le com- mencement il mai'qua son caractère, il agit; non-sculcment il eut des docteurs , des pre'dicatears , il eut de plus des mar- tyrs. C'est par , c'est par ce caractère d'effîcacite' et de puis- sance qu'il se distingue des œuvres du monde romain, les lais-

334 CONSIDÉRATIONS SUR l'eMPIRE ROMAIN ,

sant à leur néant oi^iginel , et annonçant dès cette heure son immortel avenir. L'intelligence et l'action , la parole et l'œu- vre , voilà dès le commencement les deux forces du christia- nisme ; voilà à quels signes le monde put comprendre que c'e'tait quelque chose d'entier et de complet, quelque chose il n'y avait point de manque et point de lacune. Prenez riiistoire du christianisme; toujours il parle et il agit tou- jours : les deux forces se font e'quilihre et se balancent ; tou- jours à côté de l'intelligence qui persuade par la parole, il y a l'action qui persuade par l'exemple.

» C'est ici que vient se montrer l'utilité de la Thébaïde et de ses pieuses austérités; après les martyrs, après la victoire que leur sang a donnée h l'Église, ce sout les solitaires de la Haute-Euypte , ce sont les disciples de saint Antoine qui per- pétuent l'action dans 1 Eglise. Les évêques parlent, instruisent, enseignent : ils sont l'intelligence. Les anachorètes vivent dans les misères de la solitude, dans le jeûne, dans les veilles, dans les tentations du diable ; ils sont l'action. Ce sont eux qui immolent leurs biens et leur vie à la foi chrétienne , et qui en- tretiennent la tradition du dévouement et du sacrifie. S. Atha- nase discute contre les Ariens; mais dans toutes les discus- sions, il y a la part du doute et du scepticisme. Une religion qui n'aurait contre les hérésies que la force de la discussion serait bientôt ruinée. Il lui faut de plus des exemples et des actions; il faut qu'elle puisse dire : Voyez ce que je fais faire; voyez ces solitaires à qui je fais braver les rigueurs du désert et de la pénitence, qui couchent , sur le sable enflammé, qui vivent d'eau et de pain grossier ; ce sont sans doute pour le philosophe de fort mauvais argumens; pour le peuple, ils sont exccllens, et le peuple a raison. Il sent qu'il y a dans la religion, ((ul inspire ces dévouemens, quelque chose de supé- rieur à la raison , et qui vaut mieux qu'elle; il sent qu'il y a dans l'action quelque chose de plus fort que dans la parole. Il n'y a pas de raisoimement , si bon qu il soit, auquel on ne puisse répondre par un raisonnement également bon , mais que ré- pondre aux austérités de saint Antoine.^ Qu'elles sont inuti- les? — Jamais le peuple ne juge les choses sur leur utilité,

LA VIE DE S. ANTOINE, ETC. 335

et c'est pour cela qu'il est bon jage de la grandeur et de la dignité'. Il juge toujours le motif; et dans les ausle'rite's de saint Antoine , il voit la foi ardente qui les lai inspire , et il cède à l'ascendant de cette foi; il eût langui aux raison- nemens.

» La foi et sa supe'riorite' sur l'intelligence ; parce qu'elle fait agir, voilà ce qui fait le me'rite des solitaires de la Tlie'- Laïde, voilà le service qu'ils rendent à l'Eglise. Ils sont par leurs œuvres les te'moins de la foi chre'lienne ; les docteurs et les ëvêques par leurs paroles en sont les interprètes. Saint Antoine, dans un discours que nous a conserve' St. Atbanase, de'montre admirablement cette supériorité' de la foi sur Je raisonnement. Il s'adresse aux gentils, aux hommes du vieux monde romain , et il leur dit : « Vous n'avez plus aucune foi, » puisque vous avez recours aux argumens. Nous , ce n'est a point des paroles persuasives de la sagesse des Grecs que » nous nous servons; c'est par la foi que nous persuadons, » la foi qui pre'cède et qui surpasse toutes les paroles. » Et ailleurs : «Nous ne sommes que des ignorans qui croyons en » Dieu , dont les œuvres nous re'vèlent la Providence. Eii bien ! » notre foi grossière est efficace et puissante ; car notre culte » se re'pand , tandis que , maigre' tous vos raisonnemens so- » phistiques , vos idoles tombent de toutes parts. Avec tous » vos argumens et vos discussions, vous n'avez pas converti » un cbre'tien au paganisme, tandis qu'avec notre foi nous » diminuons sans cesse le nombre de vos croyans. »

» Repre'sentans de la foi chre'tienne et du dévouement qu'elle inspire, c'e'taient ces moines du désert que saint Athanase in- voquait dans les jours de pe'rll , quand la religion e'tait me- nace'e par l'arianisme. La foi qui raisonne et qui discute avouait pour ainsi dire son impuissance , et faisait un appel à la foi agissante. Alors quelques-uns des solitaires , saint An- toine à leur tête, quittant leurs grottes, leurs ruines, leurs auste'rite's , venaient à Alexandrie exhorter le peuj)le à l'or- thodoxie , et tout ce peuple , repu de paroles et de discussions, sans que de toutes ces discussions aucune peut-être l'eût de'- cide' , courait voir et entendre ces hommes d'action, ces pë-

336 CONSIDÉRATIONS SUR l'eMPIRE ROMAIN ,

nitens vieillis dans le désert, ces nouveaux martyrs du cliffs*- tianisme. Voulez-vous juger de l'ascendant de ces moines? H fallait, quand les juges ariens , envoye's à Alexandrie , voulaient faire le procès à quelque callioiique rebelle aux ordres de l'empereur, il fallait qu'ils défendissent aux moines d'entrer dans la salle du tribunal, et souvent même ils leur ordon- naient de quitter la ville. Cëtait surtout saint Antoine que le peuple e'coutait avec un respect myste'rieux, comme un bomrae que Dieu inspirait : « Tout le monde voulait le voir; les gentils eux mêmes et leurs prêtres venaient à la maison il habitait , disant : Laissez-nous voir l'homme de Dieu. Plusieurs parmi les gentils voulaient toucher ses vêtemens, croyant que cela leur porterait bonheur ; » et ne croyez pas que cet eui])ressement et celte foule troublassent le pieux solitaire. Il avait ce calme et cette assurance qu'ont les hom- mes d'action; « tranquille et toujours e'gal à lui-même, le visage serein, sans mouvement de joie ni de tristesse, il re- gardait la multitude et lui parlait, » Venu à Alexandrie pour aider saint Atbanase , il avait hâte, aussitôt sa tâche accom- plie, de retourner au de'sert avec ses frères. « Les poissons meurent, disait-il, quand on les tire à terre, et les moines s^e'nervent quand ils restent trop long-temps dans les villes. Retournons à la montagne! » Et il y retournait pour repren- dre ses auste'rite's. Mais le monde ne lâche point ainsi sa proie; le bruit des affaires du siècle venait jusqu'à lui. Les empe- reurs qui savaient la puissance de cet anachorète , lui e'cri- vaient de leur main. Alors, maigre' leur renoncement au mon- de, les moines du de'sert se troublaient et s e'norgueillissaient; c'e'tait un e've'nement , c'e'tait un honneur qu'une lettre de 1 em- pereur. ]\Iais saint Antoine , sans se troubler, disait : « Ne vous e'tonnez point que l'empereur nous e'crive , qui n'est qu'un homme ; e'tonnez-vous jdutôt de Dieu qui a e'crit la loi que nous devons suivre , et qui nous l'a envoye'e par son Fils unique! » » Cet ascendant de l'action dans un siècle livre' à la dispute est tout naturel. Voyez aujourd'hui quand un homme a non pas e'crit ou dit, mais fait quelque chose de grand, gagne une ba- taille , exe'cute' un voyage périlleux, affronte' quelques dangers

LA VIE DE S. ANTOINE, ETC. 337

extraordinaires , voyez comme raclmiration et la vogue popu- laire s'attachent à lui; comme ou veut le voir; couime on fait foule à sa demeure ! Tant est grand le pouvoir de l'action ! tant elle subjugue les esprits! Le siècle en cela se fait justice; siècle de paroles et de the'ories, l'action est pour lui quelque cliose d'étrange et de nouveau qui l'e'tonne , qui le saisit , qui le fait courir pour voir Thomuie merveilleux qui agit , et qui fait suivre sa volonté' d'un effet. »

OPINION

DE FRÉDÉRIC SCIILEGEL SUR LAMARTINE (1).

Ce qui se'pare les nations et les rend e'trangères les unes aux autres, c'est bien plus une grande et fondamentale différence dans la direction de leur culture intellectuelle, que toutes les de'limitations et oppositions politiques. Mais il est dans le itionde un principe supérieur, un lien spirituel, par lequel se rap- prochent et s'unissent intimement des nations long-temps en- nemies ou profonde'ment divise'es ; et, de même que ce fut d'abord le christianisme qui , des peuples de la moderne Eu- rope, forma une seule famille, de même touchons-nous peut- être à l'e'poque cette divine religion, se relevant avec une force nouvelle au fond des cœurs oppresses , et renouant les noeuds rompus, réunira ce qui prece'dcmment e'tait se'pare

(i) Le morceau dont nous donnons ici une traduction a paru eu 1S20, sous le simple titre iVnnnonce {anzeigc), dans la cinquième livraison de la Concordia , recueil rédige par Frédéric Schlegel , avec l'assistance de quelques amis. Nous prions nos lecteurs de ne pas perdre de vue que les observations du célèbre critique allemand ne portent que sur le premier \0\umiiAe5 Méditations poétiques , seul ouvrage de Lamartine liublié à cette époque.

338 OPINION DE FRÉDÉRIC SCKLEGEL.

comme par un abîme. La puissance du Verbe vivant pénètre à travers toutes les barrières mate'rielles , et le mur de se'pa- ration des langues tombe lui-même aussitôt que l'esprit est devenu un, et que les âmes sont remplies , pe'netre'es de scn- timens semblables. Le nouveau poète que la France vient de produire, et qui est si spe'cialement sorti du sein de la reli- gion, Lamartine en offre un e'clatant exemple.

Il ne serait pas facile de trouver, dans le domaine entier de l'intelligence, une opposition plus trancbe'e que l'opposition existant entre la poe'sie et le sentiment poe'tique de l'Allemagne, et ce qui, en France, tient la place de l'une et de l'autre. Ici, ce qui forme la note fondamentale de la vie , et de'termine <lans les esprits une vue particulière du monde, c'est comme une divination profonde de l'imagination, un sentiment, un effort qui sévanouit dans l'infini, ou, le plus souvent, ne se majiifeste qu'avec quelque cbose d'e'nigmatique , par fragmens et sous des formes inacbeve'es. Chez les Français , ce que l'on regarde (ou du moins ce qu'on avait regarde' jusqu'à pre'sent) comme la poe'sie la plus parfaite , c'est une expression calcule'e sur tous les rapports et tous les e'gards de la vie de socie'te', tandis que cela ne nous fait guère, à nous autres, que l'effet id'une bonne prose. La poe'sie allemande aime à se reporter de plus en plus vers le passe'; elle plonge ses racines dans la tra- dition populaire , source d'où les vagues de l'imagination s'e'- lancent encore fraîches ; tout au plus le temps actuel et le monde re'el lui fournissent-ils quelques traits d'humeur, qui la rejettent aussitôt dans le domaine de ses fantaisies. Le pre'sent, au contraire , voilà le terrain naturel de l'exposition poe'tique des Français ; ils s'inquiètent peu du choix des vraies couleurs locales dans la repre'sentation du passe', s'altachant à une ge'- ne'ralité idéale, et, du reste, produisant de 1 effet par une vivacité qui en impose, par l'entraînement de la passion et par les coups de théâtre. Mais il y a quelque chose de plus central et de plus profond que le sentiment purement pas- sionné, lequel reste toujours très-près de la réalité prosaïque, et aussi , en tant que reflet magique de l'imagination dans le jeu de ses récits pleins d'énigme, forme, sans aucun doute,

OPINION DE FRÉDÉRIC SCHLEGEL. 339

la matière principale, et, à proprement parler, le corps spiri- tuel de la poe'sie. Cet e'ie'meut plus intime , dans lequel les deux autres sont réunis comme dans leur source primitive et commune, est ce que l'on appelle l'enthousiasme, sentiment supe'rieur à la passion. De l'enthousiasme profond et réellement inte'rieur de'coule toute vie, celle de l'imagination et tout essor intellectuel. Mais il n'y a d'enthousiasme ve'ritable, que celui qui part du fond d'un amour intime, exalté, pénétrant toutj et oii manque cet amour, l'enthousiasme est vide et faux; ce n'est que de la passion. Au reste le véritable enthousiasme lui-même a besoin d'un rayon d'en haut et du souffle d'un esprit supérieur pour prendre son vol vers les resplendissantes clartés.

Cette élévation de l'enthousiasme et cette profondeur du sentiment est précisément la région dans laquelle nous rencon- trons Lamartine, et nous nous unissons à lui si étroitement que la différence de sa langue avec la nôtre disparaît. Les sons que l'on entend forment un écho à nos sentimens les plus intimes; nous croyons , pour ainsi dire , que c'est notre propre langue que nous entendons, parce que nous entendons la langue qui fait le fonds des diCférens idiomes nationaux et leur donne la vie intérieure.

Examinons maintenant de plus près et caractérisons en dé- tail les divers points du sentiment poétique de Lamartine, tel qu'il se manifeste dans ses Méditations. Le premier point et ton fondamental , par lequel notre poète se rattache tout entier à son siècle, c'est un sentiment dont tant de coeurs généreux et de fortes âmes sont puissamment saisis de nos jours, celte tristesse élevée, d'où jaillit un irrésistible désir, qui, brisant les liens de l'opinion, s'élance, à travers l'incroyance domi- nante , vers la vérité et l'amour , ou s'il manque cette voie , trouve un som])re plaisir à parer de poétiques couleurs l'abîme même. Ce dernier genre fait la magie entraînante des chants de lord Bvron, lequel, précisément à cause de cela, est de- venu le poêle favori de tant d'âmes montées à l'unisson de la sienne. L'influence exercée par le poète anglais sur Lamartine, avant que celui-ci ne fût sorti de cet obscur labyrinthe de

340 OPIJVION DE FRÉDÉRIC SGHLEGEL.

peintures de'sespe're'es d'un enthousiasme sans Dieu , apparaît manifestement dans le discours qu'il lai adresse :

Qui que tu sois, Byron, bon ou fatal génie, u J'aime de tes concerts la sauvage harmonie. »

Mais qu'il crie seulement une fois vers le ciel, ce poète de l'enfer, continue le nôtre, et un rayon de la lumière de' vie descendra dans son âme, et son coeur s'adoucira lui-même par la puissance de ses propres accords.

Fais silence , ô ma lyre ! Et toi qui dans tes mains. Tiens le cœur palpitant des sensibles humains Byron, viens en tirer des torrens d harmonie; C'est pour la vérité que Dieu fit le génie

Des vers aussi entraînans par le sentiment et aussi parfaits dans l'expression n'avaient pas, depuis long-temps, e'te' chante's en langue française, et il est très-rare, en général, d'en voir apparaître de pareils.

Plusieurs pièces de ce recueil décrivent les combats du pas- sage de l'état sans espoir de Byron à une espérance nouvelle, pleine d'amour , à travers tous les degrés du plus ardent désir, et certains traits qu on y trouve appartiennent encore à une première époque de sombre inquiétude. La poésie de Lamar- tine est inégale ; cela est essentiellement lié à son caractère ; toutefois, parmi ces premiers chants de sa muse, il n'en est pas un seul ne brillent une foule de passages grandioses et variés.

Le deuxième point de départ de notre poète , l'élément es- sentiel de son inspiration poétique et de sa contemplation du monde, c'est l'amour, non l'amour purement passionné, comme chez la plupart des poètes français , mais élevé , tendre, pro- fond, durable, pénétrant tout, mêlé an souvenir et au désir de la mort, genre de sentiment qui se rapproche le plus de l'amour véritable. Elvire, fille d'un |)oète portugais banni, a été enlevée par la mort au chantre des Méditations , après un bonheur de peu de durée ; mais dès ici-bas et vivant encore

OPINION DE FRÉDÉRIC SCHLEGEL. 341

elle lai apparaissait comme une sœur des Anges , de sorte qu'il ne se sent point se'pare' d'elle, et qu'en s'abandonnant sans re'serve au chagrin de l'avoir perdue, il la voit se promener solitaire et exhalant ses plaintes sur les rivages d un monde sape'rieur. Et de même que l'enveloppe corporelle de ce monde des sens ne le peut se'parer de l'âme aimc'e , de même s'éva- nouit la distance entre le sentiment religieux et un pareil amour, ennohli par la fidélité, sanctifie' par le malheur. Lorsque se lève le'toile solitaire du soir , sa douleur se re'fugie dans une e'glise au milieu des champs : là, de'chargeant son cœur op- presse d'amour, il ose, jusqu'au pied des saints autels, et avec le sentiment de respect dont le pe'nètre la pre'sence de Dieu , , prononcer, du plus profond de son âme, le nom de sa digne Elvire. Il y a quelque chose d'enchanteur dans la promenade du poète avec sa bien-aime'e , sur le golfe de Bahia , le long de ces de'licieux rivages, pleins de grandes ruines et de tou- chans souvenirs. En géne'ral le monde visible se montre à Lamartine comme transfiguré dans le reflet de son amour, et cette profonde manière de sentir la nature est chez lui le troisième élément de l'enthousiasme poétique. Ce genre de descriptions tantôt pleines d'élévation et de magnificence , tanlôt descendant, avec autant d'exactitude que de grâce, aux moin- dres détails, ce genre, disons-nous, qui occupe une si grande place dans la nouvelle poésie anglaise, avait été précédemment transplanté par d'autres sur le sol français et soumis à la même règle générale d'une soigneuse mesure de l'expression. Mais notre poète, ce n'est nullement ce genre de descriptions artificielles de la nature qu'il cherche et nous donne de la plénitude de son cœur; c'est un sentiment plus puissant , tout intime, et, pour ainsi dire, plein de divination. A la vérité, il sait admirablement retracer en quelques grands traits les plus beaux spectacles du monde sensible, soit un magnifique cou- cher du soleil, soit une mer émue, on les feux étincellans de la nuit; mais ce qui prend tout à fait le dessus et l'occupe prin- cipalement, c'est toujours une profonde et douce rêverie. Aussi le moindre comme le plus grand objet de la nature sutfit-il pour émouvoir en lui le sentiment à une grande profondeur;

T. X. 24

342 OPINION DE FRÉDÉRIC SCHLEGEL.

la vue du firmament paré d'e'toiles, on bien, dans la vallée solitaire, une petite source, près de laquelle il tombe plonge dans un doux assoupissement, tandis que son oreille n'entend plus rien que le bruit de l'eau qui murmure, et que ses yeux n'aperçoivent autre cbose que le ciel azuré. La manière par- ticulière dont le poète envisage le monde extérieur, ou plutôt l'aspect sous lequel ce monde s'offre transfiguré à son regard, a été parfaitement exprimé par lui-même. L'àme , s'écrie-t-il, est un rayon de la lumière et de l'amour, et elle est dévorée du désir de remonter à sa source de flamme.

it Je respire, je sens, je pense, j'aime en toi.

« Le monde qui te cache est transparent pour moi. i>

Ce que le poète vient de dire ici avec une si belle brièveté renferme l'essentiel. La nature est transparente pour le vrai sentiment poétique , et si le voyant ne peut ou ne doit pas soulever entièrement le voile, la sombre barrière de l'appa- rence sensible cesse néanmoins de l'arrêter; il devine en la sen- tant, la vie intérieure, ce qui est, pour lui, plus que tout l'éclat des impressions du deliors. Par nn autre effet de ce sen- timent plus profond de la nature, une foule de pressentimens spirituels viennent se joindre, cbez Lamartine, au regard poétique jeté sur les beautés du monde visible, et alors une encbanteresse douceur d'émotion et d'expression encadre les grands traits d'une exposition pleine de simplicité. Plongé dans les calmes lueurs de l'amoureuse étoile du soir, il est tout à coup toucbé au front par un doux rayon de la lune, et il se demande : Quels sont les secrets du monde invisible que ren- ferme ce magique reflet? Est-ce le premier rayon matinal du jour qui ne doit point s'éteindre ; ou bien est-ce l'âme aimée; sont-ce les ombres de parens , d'amis enlevés à notre amour, qui se meuvent au milieu de cette clarté nocturne et nous saisissent au cœur? 11 éprouve un tressaillissemenl inexplica- ble, pense à ceux qu'il a perdus et voudrait savoir si ce n'est point peut-être leur esprit plaintif qui l'efTIeure dans la douce clarté. Certes, ce ne sont pas de fugitives saillies, comme

OPINION DE FRÉDÉRIC SGHLEGEL 343

cliez beanconp d'autres poètes, ni une manière emprunte'e ; c'est une vérité' profonde'ment sentie, laquelle va remuer les cordes les plus intimes de nos secrets pressentimens , d'une manière qui n'est accorde'e qu'au poète ve'ritable , parce qu'en efFet lui seul saisit, par une sorte de divination, ce qu'aucune science ne peut atteindre.

Souvent Lamartine de'crit avec une touche grandiose le cou- cher du soleil ; mais les sublimes clarte's de cet astre ne suf- fisent point à son cœur , qui s'e'lance d'un vol hardi vers un autre soleil. De tout ce qu'e'claire la lumière fugitive de l'œil du jour, rien ne lui semble digne d'envie; mais, de l'autre côte' de la sphère e'toile'e, là, oii le vrai soleil e'claire an autre ciel, se pre'cipite son âme enlvre'e , pour y retrouver l'es- pe'rance et l'amour, et tout ce qui n'a point de nom ici-bas, dans notre prison terrestre ; il voudrait s'élever jusqu'à cette re'gion sur les ailes de l'aurore.

Passons au quatrième e'ie'ment, à l'e'le'ment le plus e'ieve' que nous offre dans ses degre's successifs la poe'sie de Lamartine, et vers lequel tendent tous les autres , nous voulons dire le sentiment de la piéte' jointe à l'inspiration religieuse qui lui est propre. Mais , au lieu de descendre dans le de'lail des cita- tions , prenons tout de suite un passage qui re'sume ce que le poète a saisi dans une pleine clarté', alors qu'il distingue deux langages, l'un physique, borné à la vie commune; l'autre ira- matériel , organe du cœur et de la vie véritable.

Dieu fit pour les esprits deux langages divers ;

En sons articulés l'un vole dans les airs ;

Ce langage borné s'apprend parmi les hommes ,

Il suffit au besoin de l'exil nous sommes ,

Et suivant des mortels les destins inconstans ,

Change avec les climats , ou passe avec les temps.

L'autre éternel , sublime , universel , immense ,

Est le langage inné de toute inteUigence ;

Ce n'est point un son mort dans les airs répandu ,

C'est un verbe vivant dans le cœur entendu ;

On l'entend , on l'explique , on le parle avec l'âme ;

Ce langage senti , touche , illumine , enflamme ;

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344 OPINION DE FRÉDÉRIC SGHLEGEL.

De ce que l'âme éprouve , interprètes brûlans , Il n'a que des soupirs . des ardeurs , des élans ; C'est la langue du ciel que parle la prière , Et que le tendre amour comprend seul sur la terre.

Dans ces paroles se troave , à proprement parler, l'expli- cation complète du caractère particulier de la poésie de La- martine. Il en a e'te' ainsi pour lui. Dans le sentiment du plus ardent de'sir , de l'amour ve'ritable et de la nature iransfigu- re'e, il a retrouve', en même temps que la foi et l'espe'rance , le verbe de vie, comme il arrive à tout vrai poète, à tout vrai voyant , la poésie elle-même n'e'lant autre chose que la pare expression du verbe inte'rieur et e'ternel , qui se re'vèle dans des images et des cbants approprie's à la manière de sentir des peuples, au moyen de quoi cette poe'sie prend racine dans les coeurs et croît, avec les siècles, comme un arbre vivant de riches traditions. Le passage cite' tout à l'heure nous ramène aussi à l'observation par laquelle nous avons commence', sa- voir que Lamartine a brise' complètement, par la puissance de sa poésie, la langue et la manière de sentir françaises.

Ces poétiques épancheraens d'inspiration religieuse ne for- ment que des fragmens , et ils sont inégaux entre eux ; dans le morceau final, il passe en revue les principaux momens de l'Ecriture -Sainte , c'est plutôt une suite de beaux cbants dé- tacliés. Quant à la question de savoir si, par la suite, Lamar- tine atteindra le talent , qui lui manque encore , d'une com- position en grand , je veux dire d'une conception et d'une ordonnance poétiques plus étendues, c'est ce que l'on verra, s'il continue à marcher dans cette nouvelle carrière de poésie sacrée, non pas en n'écoutant que ses .sentimens intérieurs, mais en s'attacbant aux modèles et aux sources de l'Ecriture et de la tradition chrétienne.

Puisse du moins sa musc conserver toujours la même force! car cette muse, ainsi que son amour, n'est pas un feu d'en- thousiasme superficiel , mais une dévorante flamme , qui pé- nètre jusqu'à la moelle, comme la puissance de cette parole, qui sépare l'esprit et l'âme et devant laquelle tremblent tous

OPINION DE FRÉDÉRIC SGHLEGEL. 345

ses sens comme nne victime. De même que , dans la fable païenne, Ganymède emporte' par l'aigle de Jupiter est jeté' tremblant aux pieds des dieux, de même il est saisi d'un ef- froi sacre', lorsque l'aile de flamme de l'inspiration a touclié son cœur. Ses e'motions ne sont pas moins vives , quand il s'abandonne tout entier au jeune souvenir de sa bien-aime'e perdue. Mais bien autrement sublime s'e'lève son vol dans les re'gions supe'rieures de l'enthousiasme poe'tique, lorsque e'mu, de'chire' au spectacle du monde qui s'écroule et de l'univer- selle incrovance que ne peuvent arracher d'un sommeil lé- thargique ni la merveilleuse magnificence de la nature, ni les grandes catastrophes de l'humanité' , il ouvre ainsi passage à ses de'sirs brûlans :

Réveille-nous , grand Dieu ! parle et change le monde ; Fais entendre au néant ta parole féconde. Il est temps ! lève-toi ! sors de ce long repos ; Tire un autre univers de cet autre chaos. Change l'ordre des cieux qui ne nous parle plus ! Lance un nouveau soleil à nos yeux éperdus! Détruis ce vieux palais indigne de ta gloire ; Viens ! montre-toi toi-même et force-nous de croire !

Hauteurs sublimes de la poe'sie , elle devient une avec la divine ve'rite' ! Ainsi s'exprimait dans les chants sacre's et dans les grandes pre'dictions inspire'es de l'ancienne alliance le de'sir brûlant, la sainte impatience de voir arriver le jugement du monde et d'effrayans mais salutaires coups de destruction divine. La poésie, dont nous entendons ici les premiers sons, n'est ])lus , comme l'ancienne poésie , consacrée aux beaux souvenirs et au passé ; elle est entièrement appliquée à la plus haute inspiration divinatrice de l'avenir. Sans doute il faudrait la poitrine et la voix du prophète, pour porter jusqu'à une force entière, une complète clarté, ce premier essor de l'en- thousiasme le plus hardi , et afin qu'il ne se bornât pas à de simples fragmens. Mais le poète ne plane pas toujours sur ces redoutables hauteurs; il sait aussi, descendant à des tons plus doux sur le même sujet et dans le même sentiment , faire vi-

346 OPINION DE FRÉDÉRIC SCHLEGEL.

bi'er les cordes de l'âme humaine , comme , par exemple , dans cette strophe qui termine d'une manière si belle et si suave le recueil entier , et par laquelle , nous aussi , nous ter- minerons cette annonce :

Silence , ô lyre ! et vous silence ,

Prophètes, voix de l'avenir !

Tout l'univers se tait d'avance

Devant celui qui doit venir !

Fermez-vous lèvres inspirées ;

Reposez-vous harpes sacrées ,

Jusqu'au jour , sur les hauts lieux ,

Une voix, au monde inconnue,

Fera retentir dans la nue :

Paix sur la terre, et gloire aux cieux !

De tels accords, pleins de l'amour le plus doux, me'ritent de pre'ce'der aussi la renaissance du verbe inte'rieur et e'ternei dans le monde de la poësie.

Dans l'e'dition de ses œuvres complètes , que Fr. Scblegel avait commence' de publier lui-même, mais qui est reste'e inacbeve'e, on lit (t. X™« , p. 256 et suiv. ) à la date de 1824, une longue note de huit pages ajonte'e an morceau pre'cedent. Quoique cet appendice renferme plusieurs choses intéressantes, nous n'avons point voulu le joindre à notre traduction , parce que nous ne partageons nullement l'ide'e principale qui y est exprime'e, savoir que, dans la deuxième partie de ses Médi- tations poétiques , Lamartine aurait de'vié du vol qu'il avait pris dans la première. Il faut dire, au reste, que Scblegel n'a- bandonnait pas , pour cela , l'espoir de voir Lamartine s'e'le- ver de nouveau à cette haute re'gion de poe'sie religieuse, qu'il regardait comme le domaine naturel , comme la vocation de notre plus grand poète. Si le roi de la critique allemande avait ve'cu une année de plus, il aurait entendu les Harmonies , et aurait donne raison à ses espe'rances. B.ei>ue Européenne , n-XXXVII.

^W\ WVWWWX WVi.-V'WVl WVW\»AA. VWWVVW WVVWVWWV

347

SUR IiES MISSIONS BU I.EVANT.

On sait que M. Auvergne , ecclésiastique français et membre d'une congrégation estimable , a été pourvu l'année dernière par la Propagande d'uu titre d'évêché in parlibus , et envoyé comme délégué ou délégat dans les missions du Levant. Il fut sacré à Rome le I*' mai i833 , sous le titre d'archevêque d'Icone. Il est en outre vicaire apostolique d'Hierapolis. Il doit résider spécialement au Mont-Liban; mais sa mission s'étend en Chypre, en Egypte, en Syrie et en Arabie. Il a la juridiction sur tous les Latins qui se trouvent dans ce pays, excepté sur les Pères de la Terre-Sainte, qui ne relèvent que du Pape. Comme délégat du Saint-Siège, il a encore une mission particulière auprès des diffe'rentes communions catholiques répandues dans ces contrées , comme les Cophtes , les Melchites , les Maronites et les Arméniens. Chacune de ces com- munions a un patriarche et plusieurs évêques. Le dëlégat entre- tient leurs rapports avec Rome, et, d'Antoura , il réside, il se rend dans les différentes provinces qu'il doit visiter.

M. l'archevêque d'Icone s'embarqua à Toulon , le 2 novembre , sur la corvette la C orné lie ; il était accompagne' de M. l'abbé Gui- noir, supérieur du petit-séminaire de Beaucaire, que le zèle en- core plus que l'amitié avaient porté à se consacrer à cette mis- sion. Le 21 novembre, ils arrivèrent à Napoli de Remanie, ils furent transfe'rés sur la gabarre la Lamproie. Ils débarquèrent à Smyriie le 2 décembre. M. Hillereau, évêque de Calëdonie et vi- siteur apostolique à Smyrne, les accueillit avec bonté. Ce prélat est aussi Français, et était arrivé depuis peu de temps dans cette mission. M. l'archevêque d Icône et M. Guiuoir acceptèrent l'hos- pitalité que leur offrirent MM. de Saint-Lazare, qui ont une mai- son à Smyrne. Le jour de la fcte de la Conception, ils assistèrent à l'oflico dans l'cglise des récollets , trois évêques y e'taient réunis, M. Hillereau, M. Auvergne, et un évêque arménien, iM. Paj)as , qui est âgé, et qui s'est retiré h Smyrne. Les prélats furent e'difiés du recueillement des pieux chrétiens qui assistaient à l'oflice.

Le 19 décembre, M. d'Icone, et son grand-vicaire , M.Guinoir,

348

SUR LE8 MISSIONS DU LEVANT.

s'embarquèrent sur la gabarre P Astrolabe. Ils passèrent le jour de Noël dans la rade de Macri, visitèrent les monumeus de l'île de Rhodes, et arrivèrent le i*^^ janvier à Alexandrie, ils célébrè- rent la messe dans l'église desservie par le Pèrede la Terre-Sainte. Le 3 janvier, on remit à la voile, et l'on arriva le 8 à Bairout, les missionnaires furent accueillis par M. Guis, consul de France. Ils se louent beaucoup de son zèle pour la religion et des exem- ples qu'il donne , lui et sa famille. Au bout de deux jours, les deux missionnaires arrivèrent à Antoura , terme de leur voyage. Leurs premiers soins furent de reconnaître l'état des choses et de visiter les patriarches qui re'sident au Mont-Liban. Ils conservèrent le costume européen j seulement ils laissèrent croître leur barbe , sui- vant l'usage du pays.

Le quatrième dimanche de carême, le prélat et son grand-vicaire ouvrirent une mission à Bairout , une des principales villes de Sy- rie. Elle fut annoncée par un mandement adressé à tous ceux qui appartenaient au rit latin. Il y avait quatre missionnaires , deux pour les Francs et deux pour les Arabes. On faisait à chacun d'eux des iuslruclions dans leur langue. Bientôt l'église devint insuffisante pour les uns et pour les autres. Il fallait, pour les Arabes surtout, prendre deux jours dans la semaine pour leur donner des instruc- tions à part. Elles furent suivies aussi régulièrement que celles de l'église paroissiale , et entendues avec des marques touchantes de piété et de componction. Les exercices avaient lieu le matin et le soir; le matin, après la prière et la messe que le prélat célébrait, on prêchait en arabe ; le soir il y avait toujours glose et discours. Quand le discours e'tait en français , la glose était en arabe , et ré- ciproquement. Quelques Francs formaient les chœurs de cantiques. Cet exercice a tellement plu aux Arabes, qu'ils ont demandé qu'on l'établît aussi dans leur église. L'amende honorable , le renouvelle- ment des vœux du baptême et la consécration à la Sainte-Vierge ont été remarquables par les bons efléts que ces cérémonies ont produits. Le Vendredi-saint, on fitja plantation de la croix. Le samedi, le prélat baptisa une jeune négresse. Il ouvrit et ferma la mission par des discours.

Il voulut établir des retraites ecclésiastiques au Mont-Liban , et la première a eu lieu au mois d'avril dernier. Il se proposait

SUR LES MISSIONS DO LEVANT. 349

d'aller à Alep, il avait à traiter des affaires importantes. Son intention e'tait de visiter successivement l'île deCbjpre, l'Egypte, la Palestine, Damas et la Syrie. Il avait vu Ibrahim a Bairout, et en avait été bien reçu , toutefois sans présent. Il se fit traduire en turc , dans le moment même , la lettre du général Lahitte , et l'écouta avec intérêt. M. l'archevêque d Icône se louait beaucoup de la coopération et du zèle de M. Guinoir, et le res])ectable grand- •vicaire se félicitait, de son côté, d'être avec un prélat si pieux, si actif, si dévoué à tout ce qui est du bien de la religion. Cette mission doit exciter un vif intérêt parmi tous ceux qui souhaitent le bien de l'Eglise et le salut des âmes.

La disette des ouvriers est grande. MM. de Saint-Lazare en ont envoyé quelques-uns. Trois jésuites , les pères Riccadonna et Flan- chet, et le frère Henze , sont arrivés au JVlont-Liban en i83i.Ils doivent être suivis de quelques autres. Ils ont commencé deux éta- blissemens , l'un au centre du Mont-Liban, l'autre dans la plaine de Balbek. Ils ont trouvé dans le pays le souvenir des anciens jésuites. Il leur a fallu d'abord apprendre l'arabe, et puis se met- tre à voyager. Le pays est divisé en plusieurs religions. On distin- gue d'abord en Syrie les Grecs schismatiques, les Grecs catholiques et les Maronites. Il y a des Arméniens , des Mahométans de di- TCrses sectes , et des idolâtres , comme les Druses. Ceux-ci ont moins d'éloignement pour le christianisme que les Mahométans. Il n'est même pas impossible , en certains lieux , de faire connaître la vérité aux Mahométans ; car le prince du Liban étant chrétien , quoique vassal des musulmans, on n'a point à craindre dans ce territoire les mêmes persécutions qu'occasionnerait une abjuration dans les pays immédiatement soumis à la domination musulmane.

Dans l'été de i833 , les pères Planchet et Riccadonna firent une excursion à Damas et à Zahlet. A Damas , ils furent reçus chez /es franciscains. Ils officièrent le jour de Saint-Vincent-cle-Paul chez les lazaristes qui occupent l'ancienne maison des jésuites. H y a dans cette ville deux lazaristes, MM. Poussou et Teste, et un seul capucin, le père Thomas. On compte à Damas de 5 à 6000 chré- tiens du rit grec uni ; les schismatiques sont à peu près en égal nombre. Les musulmans se sont emparé de l'ancienne cathédrale, dont ils ont fait une mosquée. Le fanatisme mahométau s'est cou-

350 DESCBIPTIOÎT DE TOLEDE.

serve dans toute sa force à Damas. De cette ville , les mission- naires se rendirent à Zalilet , petite ville sur les limites de la grande plaine de Balbek. Ils y furent reçus à bras ouverts par le- vêque grec-uni, M. Ignace Âggiuri, chez lequel ils passèrent onze jours. Au retour, ils visitèrent les ruines de Balbek, qui est l'an- cienne Hëliopolis ; ou y remarque les ruines imposantes du temple du Soleil. Au Liban, ils passèrent quelques jours chez le patriarche maronite, qui était à sa maison de campagne, et visitèrent le cou- vent Cannubin, résidence ordinaire du patriarche.

Depuis , les missionnaires ont été obligés de quitter Antoura. Le père Riccadonna sest fixé à Bekfaya , au centre du Mont Liban, cil un e'mir lui a bâti une maison. Un autre prince maronite en bâtit une pour le père Planchet en face de la grande plaine de Balbek, entre deux villages, Zahlet et Malaka , se trouvent réunis 4 ^ 5ooo chre'tiens. Ces chre'tiens sont pauvres et ignorans. Les missionnaires ont beaucoup à souffrir de la pauvreté; mais la perspective défaire quelque bien les soutient. Déjà le père Planchet a fait de grands fruits à Bairout, à Blaler et en d'autres lieux. Il exerce en même temps la médecine ; les chre'tiens et les infidèles s'empressent également de le consulter. Le frère Henze passe aussi pour être très-habile dans l'exercice de la médecine.

Nous tirons ces détails d'une lettre de M. Guiuoir, dont on a Lien voulu nous communiquer un extrait , et de plusieurs autres lettres rapportées dans le n" xxxvii des Annales de la Propaga- tion de la Foi. Il est consolant de voir les premiers succès des missionnaires français dans les pays infidèles.

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DESCRIPTION DE TOLEDE.

L'impression particulière que fait e'prouver cette vieille capitale de l'empire des Vi.'jigoths , ce séjour favori de tant de rois de Cas- tille, qui n'a retenu de son ancien éclat que de nombreux monumens d'architecture et le surnom d'impériale {la impérial Tolède) , est encore augmentée par le contraste qu'elle offre , lorsqu'on la com- pare à Madrid , la nouvelle capitale , avec ses bâtisses récentes et

DESCRIPTION DE TOLEDE. 351

son mauvais goût moderne. Le pays entre Madrid et Tolède est nn, assez inégal, et s'élevant insensiblement jusqu'aux hauteurs rocailleuses de la Sierra de Toledo. On arrive à travers une étroite vallée à un enfoncement entouré de roebers, que circonscrit le Tage et au milieu duquel, sur une colline escarpée en forme de terrasse, s'ëlève Tolède avec ses vieux murs , ses vieilles tours, ses portes, ses débris antiques , sa magniflque cathédrale et les ruines de son Alcazar. Cet amphithéâtre de rochers qui empêche toute vue éloi- gnée, excepte' de quelques points très-élevés de la ville, ne laisse place qu'à une petite plaine entre la ville et les collines les plus prochaines : cette plaine qui s'étend le long du Tage, bruyant et écumeux du côté il sort de Tolède, est si petite, que le nom de Vega qu'on lui donne , a l'air d'une de'rision. Quelques e'troits jardins s'abritent à l'ombre du mur de rochers qui domine la ville, et ne peuvent plaire aux yeux ( on les appelle las delicias ) que parce qu'ils reposent des aspects âpres, dépouilie's , pierreux du pays environnant : c'est pourtant que la tradition place les pa- lais et les jardins enchante's des princesses mauresques.

Le caractère géne'ral de la ville est d'accord avec la nature sé- vère qui l'environne. Des murs épais et de fortes tours ferment l'entrée de l'espèce de presqu'île sur laquelle la ville est bâtie. L'é- le'gant écusson sculpté sur la première porte {puerta de Bisagra) , présente l'aigle autrichien près des armoiries d'Aragon et de Cas- tille , et rappelle l'époque mémorable pour l'Espagne , l'Europe et le Nouvcau-3Ionde, les deux monarchies espagnole et autrichienne s'unirent par le mariage de l'archiduc Philippe avec Jeanne -la- Folle, fille de la magnanime, de la sage, de la pieuse Isabelle et de l'habile politique Ferdinand. Ce sont les rois catholiques dont la mémoire, ainsi que celle de leur ministre, le cardinal Ximcnès , est honorée du peuple espagnol plus que celle de tous leurs autres princes, en dépit des jugcmens défavorables des historiens éclaiiés : ce sont ceux dont le gouvernement a donné pour des siècles au caractère national sa direction et ses qualitr's fondamentales ; la fide'lité monarchique et la piété catholique ; qualilc's qui n'ont jamais de'ge'néré en une aveugle servilité , grâce à l'indépendance des cor- porations et à la fierté' espagnole , fondée sur de grandes actions et le souvenir qu'elles ont laissé. Sur la seconde porte , deux colon-

352 DESCRIPTION DE TOLEDE.

nés et la devise bien connue : « Plus oultre , » rappellent la plus magnifique efflorescence de la vie du peuple espagnol au xvi° siè- cle , sous Charles-Quint,

De ce premier et imposant boulevard , on se rend le long des plus antiques murailles de la ville , à la porte véritable d'entrée, la puerta dcl Sol. Son architecture mauresque, les ceintres en fera cheval de la porte et des fenêtres , les élegans ornemens en forme d'arabesques, la main avec la clef, symbole de salut pour les fidèles Musulmans, l'inscription en caractères arabes : Honneur soif, à Dieu , il n'y a pas d'autre Dieu que Dieu., et Mahomet est son ■prophète, tout cela réveille bien vivement le souvenir des merveil- les de la domination arabe en Espagne , du khalifat des Ommiades, de celte lutte de sept siècles entre l'élément chrétien et romain , et l'élément mahométan et arabe , si féconde de deux côtés en he'ros de la poésie et de l'histoire , et qui semble concentrée ici dans un espace resserré comme dans un microcosme. Quand on entre dans les étroites et tranquilles rues de la ville , les souvenirs historiques de toutes les époques de la monarcliic espagnole s'offrent en telle quantité que nous ne pouvons entreprendre de les détailler. La do- mination romaine a aussi laissé ici ses traces puissantes auprès de celles de la monarchie bâtarde des Visigoths. A côté de la porte de Cembron se trouvent les restes d'un théâtre : plus loin , sur les bords du fleuve, celles d'un aqueduc. La domination des Goths est rappelée par les ruines d'une chapelle doivent s être tenus les antiques Conciles de Tolède , et aussi les grandes statues des rois de cette race à la puerta de los Rayes , quoique ce soient des por- traits de fantaisie faits à une époque postérieure. Le caractère do- minant des édifices est celui du moyen-âge, depuis les temps les plus anciens jusqu'à la pleine floraison de l'architecture gothique : c'est souvent aussi l'architecture du xvi* siècle, moins indépendante, moins pure et moins grandiose dans ses masses; mais si riche et si cbarmante dans ses détails, que l'école d'Herrera a élevée à la sim- plicité la plus noble et la plus originale. L'une et l'autre se repro- duisent à Tolède sous toutes les formes, dans de grands et de petits bâtimens , dans des édifices entiers et dans des parties isolées ; et l'impression qu'on en reçoit est rarement troublée par un monu- ment de la barbarie des xvii'' et xvii^ siècles, encore moins par

DESCRIPTION DE TOLEDE. 353

une production du style acade'mique , meilleur assure'ment , de l'é- poque actuelle.

Au-dessus de tous les monumens de cette ville -vraiment histo- rique, s'élève la cathédrale. Dans ses plus vieilles et ses principales parties , qui sont de la fia du xiii" siècle et du commencement du xiv° , l'unité architectonique est souvent brisée par des construc- tions des deux siècles suivans ; mais la beauté de ces appendices laisse à peine le courage de regretter ce défaut. L'intérieur de l'é- glise répond à la richesse de l'architecture et de la statuaire qui en ont orné les dehors. C'est un tel trésor de tableaux, de sculp- tures en or , en argent , en marbre et en bois , de châssis , de ta- bourets , de grilles, de tombeaux et de stalles, que c'est comme la révélation de tout un monde de l'art du moyen âge , non ras- semblé au hasard , ou systématiquement par un faiseur de collections, mais oîi tout est lié par les lois organiques qui ont présidé au dé- veloppement de la civilisation espagnole, dont le foyer puissant était l'Eglise , qui a élevé ce monument de sa magnificence 5 un monde qu'on ne peut regarder quà la hâte et superficiellement en plusieurs jours, et l'on pourrait trouver de l'intérêt et des jouis- sances pour toute une vie d'homme. Il y a pourtant |des gens qui trouvent Tolède horriblement ennuyeuse. Esquisse de P Espagne y par HuBER , tome III,

354

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AVERTISSEMENT SUR I.'ENSEIGN£MENT DE M.BAUTAZN,

PAR M. l'ÉvÈQUE de STRASBOURG (l).

On a ouï parler d'une école particulière qui s'est forrae'e à Strasbourg , et d'an enseignement nouveau qui s'est produit soit dans des e'crits imprime's , soit dans un cours public. M. le'vêque de Strasbourg n'a pas cru pouvoir se dispenser d'e'lever la voix contre l'enseignement d'un prêtre de son dio- cèse, h' Avertissement que nous annonçons, et qui est date' du i5 septembre dernier, est une re'clamation motive'e contre des doctrines te'me'ralres et dangereuses. Ne pouvant reproduire cette pièce en entier, elle a 53 pages, sans compter l'Appen- dix , nous nous bornerons à quelques extraits qui feront juger de la gravite' des matières en discussion et de la mode'ration avec laquelle M. l'e'vêque a proce'de' dans cette affaire. Le pre'lat s'adresse ainsi au cierge' et aux fidèles de son diocèse :

« Lorsque nous sommes arrivé dans ce grand et beau dio- cèse, nous e'tions bien loin de pre'voir les tristes e'preuves qui nous y attendaient, et qui nous sont venues de ceux qui, ou- bliant leurs promesses sacre'es, n'ont re'pondu à notre bienveil- lance que par l'insurbordination. Mais aucune ne nous a frappé si douloureusement au cœur que celle dont nous nous voyons contraint de vous entretenir, après avoir inutilement tenté d'en écarter la nécessité. Faut-il qu'une fin si affligeante succède au plus heureux début !

» A peine étions-nous établi à Strasbourg , que le professeur académique de philosophie vint nous ouvrir son cœur. Il nous confia que, devenu déiste au sortir du collège, et, depuis, toujours mécontent de lui-même , il n'avait cessé de chercher la vérité dans les livres, en France et en Allemagne; et qu'en- fin, ayant eu le bonheur, il y avait plus de trois ans , d'ou-

(i) In-8o. A Paris, chez Potey , rue du Bac, u" 4^-

AVERTISSEMENT SUR 1,'eNSEIGNEMENT , ETC. 355

yrlr l'Evangile, il y avait troavë cette vraie philosophie, dont il avait long-temps senti la soif et le hesoin. Nons le félicitâ- mes du changenoent que la grâce avait ope're' eu lui. Il ajouta que depuis cette heureuse e'poque de sa vie , il s'e'tait donné tout entier à la lecture de nos plus grands the'ologiens , tels que Pascal et Bossuet , Bourdaloue et Masillon , et à une e'tude approfondie de la religion. Ce qui mettrait le comble à son bonheur, nous dit-il ensuite, serait d'entrer dans l'e'tat ecclé- siastique, et de devenir an des apologistes d'une religion trop long-temps méconnue. Sachant sa position dans l'Université , et celle de ses élèves convertis par ses soins , nous convînmes qu'ils se rendraient à Molsheini, que pour lui il suivrait en son particulier et dans les mêmes auteurs les grandes questions théologiques que l'on y étudiait sous la direction d'un habile ecclésiastique.

)) Nous devons à la vérité de déclarer que nos conventions furent fidèlement observées. Ses anciens élèves , devenus ceux de Molsheim , nous édifièrent par leur piété, leur assiduité à l'é- tude, comme ils nous attachèrent par l'aménité de leurs mœurs, la simplicité et la candeur de leur conversation. Les uns et les autres obtinrent successivement les ordres j et nous nous féli- citâmes de ces nouvelles conquêtes pour notre diocèse. Plus lard cependant des inquiétudes nous furent communiquées sur quelques points de leur doctrine particulière. Nous examinâ- mes 5 les explications données par leur premier maître et par enx-mêmes, nous firent penser que peut-être un peu de ja- lousie avait donné lieu h des plaintes non fondées. Nous crû- mes donc devoir par la suite accéder à la demande qu'ils nous firent de prendre la direction de notre petit-séminaire, nou- vellement acquis à grands frais , et sur l ordre du ministère. Ces messieurs s'offrirent d'y travailler sans émolument. Dans nos grands embarras de finance, cette olFre généreuse ne lais- sait pas d avoir son mérite ; elle fut acceptée. La maison fut mise sur un bon pied , les enf'ans soignés et bien tenus. Nous nous applaudissions ; mais pourtant des rapports fâcheux sur l'enseignement de la philosophie nous arrivèrent de temps en temps : nous exigeâmes qu'il se fît en langue latine , comme

356 AVERTISSEMENT SUR l'eNSEIGNEMENT

dans tons les petits-seminaires , et que la philosopliie de Lyon oa du Mans y fût enseigne'e. Cela lut promis, et mal exe'cuté. Nous en fîmes des reproches au supe'rieur de la maison. Ce fut alors que nous le trouvâmes lui-même dans des opinions que nous jugeâmes fausses et dangereuses. Nous espe'râraes le ramener lui et les siens par la conviction. Nous lui envoyâmes les e'crits des plus grands auteurs. Nous fîmes même pour lai un recueil de passages des Pères , et nous les transcrivîmes de notre main. Cependant les plaintes redoublaient de la part de notre cierge; des lettres nous arrivaient des provinces. On nous Llâmait de trop d'indulgence. Nous re'pondîmes que le mal ne nous e'iait plus inconnu , mais que la voie de persuasion nous semblait pre'fe'rable à tout e'clat pre'mature. Nos entretiens con- fidentiels avec le professeur se renouvelèrent, mais sans nous satisfaire. Ses explications n'avaient pas l'ouverture franche et pre'cise que nous de'sirions. Nous prîmes donc le parti de lui adresser six questions , auxquelles il attacherait ses re'ponses. Alors le danger et le faux de sa doctrine parurent à de'couvert. Nous en avertîmes les principaux personnages qui lui e'taient le plus attaches. Ils nous montrèrent un vif inte'rêt pour lui, en de'clarant ne'anmoins qu'étant prêtre il devait obe'ir à son e'vêque. Nous eûmes peu après un dernier entretien avec lui et un de ses principaux élèves. A notre grande surprise, nous le trouvâmes aussi obstine que jamais; nous ne pouvions douter ne'anmoins que leurs ze'Ie's protecteurs ne leur eussent tenu le même langage qu'à nous.

» Enfin , après avoir inutilement employé les deux premiè- res règles de l'Evangile : « Reprenez-le en particulier ; appelez un ou deux te'moins inflnens, » nous nous sommes vu oblige' d'en venir à la troisième : « Parlez à l'Eglise. »

» C'est donc à vous que nous devons exposer aujourd'hui les questions proposées de notre part, et les re'ponses qui leur ont e'te' faites ; nous y joignons nos observations. »

Nous rapporterons simplement les six questions proposées par M. l'évêque , et qui sont relatives aux principes énoncés et développés dans des écrits et dans renseignement public ou particulier :

DE M. BAUTAIN. 357

« I. Pensez -VOUS qne le raisonnement seul ne saffit pas pour prouver avec certitude l'existence du Cre'ateur,et rinfmite' de ses perfections ?

» 2. Pensez-vous que !a réve'lation mosaïque ne se prouve pas avec certitude par la tradition orale et e'crite de la syna- gogue et du christianisme?

» 3. Quant à la re've'lation chre'tienne , je vous demanderai si la preuve tire'e des miracles de Je'sus-Clirist , sensible et frappante pour les témoins oculaires, a perdu sa force avec son e'clat vis-à-vis des ge'ne'rations subse'quentes ? Ne la trou- vons-nous pas en toute certitude dans l'authenticité du nouveau Testament , dans la tradition orale et écrite de tous les chré- tiens ? Et n'est-ce point par cette double tradition qne nous de- vons la démontrer à ceux qui la rejettent ou qui, sans l'ad- mettre encore, la désirent?

» 4- Pouvez-vous attendre d'un incrédule qu'il admette 1? résurrection de notre divin Sauveur, avant de lui en avoir ad- ministré des preuves certaines ? et ces preuves ne sont-elles pas déduites du raisonnement?

» 5. Sur ces questions diverses, la raison ne précède-telle point la foi, et ne doit-elle pas nous conduire à la foi ?

» ISota. Cette question a été transférée ; du 5 elle a été mise à la tête des autres , et changée dans sa rédaction , comme il suit :

« La raison ne précède-t-elle pas la foi dans les questions » premières et fondamentales? »

» 6. Quelque faible et obscure que soit devenue la raison parle péché originel, ne lui rcstc-t-il pas assez de clarté et de force pour nous guider avec certitude à l'existence de Dieu , à la révélation faite aux juifs par Moïse, aux chrétiens p^r notre adorable Homme-Dieu? »

Nons regrettons de ne pouvoir reproduire les réponses du professeur et les observations dont elles sont suivies ; nous y suppléerons par une sorte de résumé qui termine V Ai>ertî^sci)nnt. « Nous v( nons de re'futer sous vos yeux les notions répan- dues dans les six réponses qui nous ont été fournies, et dont voici brièvement quelques conséquence?.

T. X. 25

358 AVERTISSEMENT SUR L'Eî<SEIG;yE5IENT

« Si le spectacle de l'univers ne peut sans la foi nous donner de certitude sur l'existence du Cre'ateur , saint Paul , l'auteur divin de la Sagesse et le Prophète-roi se sont trotnpe's, et nous trompent en même temps : les plus anciens philoso- phes (i), les Pères de l'Eglise, les premiers ge'nies du chris- tianisme , tontes les nniversite's chre'tiennes ont donne' et donnent encore dans une erreur commune.

» Si l'on ne peut aujourd'hui connaître l'existence de Dieu par les preuves qui en ont convaincu les païens , il s'ensuit que la re've'lation a e'paissi sur notre raison les te'nèbres du paganisme, et que, sous ce rapport, nous sommes dans une condition pire qu'ils ne furent au temps de l'idolâtrie.

» 3" En supposant que les incre'dules auxquels on inculque la ne'cessite de la foi , pour s'assurer que Dieu existe , soient capables d'appre'cier cette ne'cessite' suppose'e, l'athée ne serait jamais amené au théisme, et le déiste serait repoussé vers l'athéisme. Car, dira l'athée, comment vouiez-vous que j'aie foi en un Créateur dont vous convenez que l'existence n'est pas démontrée ? Comment, dira le déiste , voulez vous que j'aie foi dans le Christ dont vous avouez que les miracles ne se prou- vent pas, ni par conséquent la divinité? et même, puisque pour croire en Dieu vous exigez la foi, moi qui n'eu ai point, vous me condamnez à ne pas croire en lui.

» 4' Si le témoignage des hommes ne peut jamais donner de certitude aux témoins auriculaires et éloignés, il n'est plus possible d'en obtenir sur la divinité de la révélation chré- tienne : en vain s'exprime-t-on sans cesse avec chaleur sur la foi, l'Eglise, nos livres saints, sur le divin Sauveur des hom- mes, sur son admirable révélation, ce ne sont plus que des mots pompeux et sans conviction; notre croyance est vaine, ne porte sur rien : tout croule.

(i) Un Mercure trismégiste en Egypte, un Sanchoniaton chez les Phé- niciens , un Zoioastre chez les Perses , un Confucius chez les Chinois , un Manothon chez le Egyptiens, un Berose Babylonien; Pythagore, Socratc , Platon , Xcnophon chez les Grecs ; Cicéron , Sénèque , Pline et tant d'autres chez les Romains.

DE iM. BAUTAIN. 359

» Voilà de terribles et effrayantes conse'quences , et pourtant certaines. Si on ne les a point aperçues, est donc la science? Si on a voulu les dissimuler, ce serait mille fois pire. Nous sommes bien loin d'en former le soupçon. Deux choses ici sont presque inconcevables : l'une , que le professeur ayant enseigne' dix ans avant notre arrive'e , sa doctrine soit reste'e inconnue , au point que personne ne nous en ait donné l'e'veil , avant qu'il reçût le sous-diaconat; car assure'ment il ne l'aurait pas obtenu sans avoir dépose' ses erreurs. De notre côté, comment aurions-nous imaginé qu'après avoir reconnu dans le déisme un Dieu créateur, il vînt dans le christianisme enseigner que sans la foi on ne peut être assuré de son existence? La seconde est de les voir, lui et les siens, maintenir avec une confiance égale à leur aveuglement les erreurs palpables que nous venons de relever. Nous avons tout tenté pendant près de deux ans pour nous épargner le chagrin , à nous d'en parler hautement, à eux celui de l'entendre. Nos remontrances ont été reçues avec une obstination imperturbable, souvent dédaigneuse et insultante. On est aile jusqu'à nous défier de publier ces ré- ponses à nos questions ; tant on était convaincu , disait-on , qu'elles ne contenaient que la plus pure doctrine, fliaintenant que la vérité paraît à découvert, le devoir indispensable du professeur et de ses élèves est de condamner eux-mêmes les principes que nous condamnons, d'adopter sincèrement avec nous ceux que l'Eglise enseigne à tous ses enfans. Persévérer contre sa doctrine serait se séparer d'elle , se créer un parti et faire bande à part. Que dirait-on d'un capitaine qui , en présence de Pennemi , détacherait sa compagnie d'un corps d'armée? Nous sommes en guerre, en combat perpétuel avec les ennemis de la foi. Notre devoir est de serrer entre nous les rangs. Notre gloire est dans la résistance à toutes les at- taques; notre force dans notre union. Le généralissime apos- tolique duquel le mot d'ordre arrive à l'univers catholique , vient pour la seconde fois de nous mettre en garde contre les nouveautés en doctrine; et tous les évêques ont répondu à son commandement avec une acclamation spontanée.

» Si notre langage a clé quelquefois sévère, si à nos paroles

25.

360 AVERTISSEMENT SUR l'ïNSEIGNEMENT , ETC.

il s'est mêle quelques durete's , nous pouvons assurer qu'il n'en est point clans notre cœur. Nous sommes , il est vrai , d'autant plus sensible à des refus opiniâtres, qu'ils nous vien- nent de nos propres enfans, de ceux que, dans une toute autre espérance , nous avons donne's au sanctuaire. Qu'ils e'coutent enfin la voix d'un Père. Nous sommes vieux, ils sont jeunes; qu'ils remanient les matières que nous avons débaltces. Sons la conduite d'un guide assure, du savant et admirable cardinal de La Luzerne, ils marcheront d'un pas ferme dans le che- min de la science eccle'siastique : avec leur pe'ne'tration et leurs talens , ils auront bientôt acquis la doctrine uniforme que l'Eglise exige de tous ses prêtres , et la joignant alors à leur conduite e'difiante, ils emporteront l'estime, la Inenveillance de tous leurs confrères, et l'approbation universelle du diocèse. Ce souhait, cet avis seront les nôtres, jusqu à ce qu'ils soient accomplis; comme notre prière de tous les jours est de supplier le Ciel de conserver dans l'unité de la foi tous ceux qu'il a daigne' confier a notre garde. »

A la suite de V Açertissement est un Appendix ou Recueil de quelques phrases détachées qui se trouç>ent dans dii>ers opuscules de M. l'abbé Bautain , 12 pages. Exir. de L'Ami de la Religion, n" i3ii.

361

1»** VVV V%A VVV VVV VV/VVVV VVV VVV VVV VVV fcVV VVV VV^ VV%) VVA, VV\ VX/V VVVXAA VV'V VVV VVV V^

DECRET D'ERECTION

DE L'UB^ÎVERSÎTÉ CATHOLIQUE (1)

ENGELBERTUS , Dei

et Aposîolica3 Sedis gratiâ Archiepiscopus Mechli- niensis et Primas Belgii , JOANNES - JOSEPHUS , eâdem gratiâ Tornacensis, JOANNES FRANCISCIIS, Gandavensis , CORNE- LIUS, Leodiensis. JOAN- NES - ARNOLDUS , Na- murcensis , Episcopi , et FRANCISCUS, Episcopus Ptolomaïdis Administra- tor Brugensis ,

Omnibus et singulis prœ- sentes litteras visuris , lecturis pariter ac au- dituris Salutem in Do- mino sempiternutn.

Quum concordi oniniam ju- dicio ac felici experientià cou- stct sumraa Ecclesia; et Reipa- blicœ commoda obvenire ex

ENGELBERT , par la grâce de Dieu et du Saiiit-Siége apos- tolique Archevêque de Mali- nes et Primat de la Belgique, JEAN -JOSEPH , évêque de Tournay , JEAN-FRANCOfS , évêque de Gand, CORNEILLE évêque de Liège , JEAN- ARNOLD, évêque de Namur, FRANÇOIS , évêque de Pto- lemaïs , administrateur de Bruges.

ji tous et à chacun de ceux qui verront, liront ou en- tendront ces présentes let- tres, salut éternel dans le Seigneur.

Comme il est constant, d'après le sentiment général et une heureuse expérience, que rEt!,lise et l'Etat retirent les plus grands avantages

(i) Ce Dccrct a été publié au nom de rLpiscopat belge par Mgr. l'Ar- chevêque de Malines , le 4 novembre i834, dans Téglise inctropoHlaine,

362 DÉCBET d'Érection

publicis studîoram Universi- des universités publiques dans les- tatibus, in quibus bonarum quelleslesbeaux-artset les sciences artium ac scientiarum docu- sont enseignés à la jeunesse par des

pendant la Messe solennelle que Sa Grandeur célébra à l'occasion de l'Inauguration de l'Université catholique. On lit à ce sujet dans l'U- nion du 6 novembre : « Nous annonçons aujourd'hui à nos lecteurs un événement d'une haute importance, l'ouverture de l'Université ca- tholique , de cette Université sans modèle aux temps nous vivons et qui marquera peut-être une nouvelle ère pour la science Mais quels que soient les résultats futurs de cette institution, elle nous frappe sur tout comme renfermant une éclatante apologie des quatre dernières an- nées de notre histoire. Au commencement de i83o, qui eût osé prédire aux Belges la prochaine création d'un haut enseignement chrétien dans toutes ses parties, eût passé pour fou, et voici cependant que ce miracle s'opère sous nos yeux , sans effort , sans subterfuge , hautement et publiquement, comme la chose du monde la plus simple, comme étant , ce qu'elle est, la plus rigoureuse et la plus claire des conséquences de notre loi fondamentale. Il y a un progrès d'autant plus grand et, si nous osons le dire , d'autant plus providentiel qu'il sera moins remar- qué. Personne ne s'étonnera de ce que les calholiques usent de leurs droits , mais la merveille est que les catholiques aient ce qu'ils n'avaient pas auparavant , des droits. A ceux qui s'étonnent de notre at- tachement pour le régime actuel, nous répondrons seulement : « Allez à Malines , et puis dites ce que doit être notre dévouement s'il se me- sure à notre reconnaissance. »

Nous n'hésitons pas à le déclarer , notre satisfaction ne serait point ce qu'elle est si l'Université catholique était née sous l'influence du monopole , à la suite du triomphe d'un parti sur un autre parti. Grâces au Ciel . ainsi que nous venons de le dire , il n'en est point ainsi , et ce que les catholiques viennent de faire , d'autres Pont fait et d'au- tres peuvent encore le faire. La carrière de l'enseignement est chez nous ce qu'étaient les grands tournois du moyen-âge, tous pouvaient en- trer et dans lesquels la victoire appartenait au seul mérite. En avant les bons conibattans , tel était alors le cri des hérauts-d'armes et tel est aujourd'hui le cri de cette Belgique , qui elle du moins ne veut livrer ses fils qu'aux meilleurs et aux plus habiles. Les calholiques se pré- sentent enfin dans cette glorieuse lice au même titre, sans autre pri- vilège que leurs concurrens. S'il était sur la terre un homme assez insensé pour leur faire un crime d'une si noble ambition, il ressemble- rait au pire des tyrans , à celui qui oserait dire à ses frères : n Le so- leil ne luira que pour moi. »

DE l'université CATHOLIQUE.

363

menta à professoribns ortlio- doxaî fidei cultoribus et de Romano-Calliolicâ Religione rectè sentienlibus int^enuae ju- ■venluli traduntur : liinc No- bis potissiinâ quâdam ratione hocce tempore allaboiandum duximus ad inslaurandam publicam ejusmodi Universita- teiii , quœ celeberrimae quon- dam ac pra3Stanlissimœ Lova- niensis Acadeinise , communi Belgarum luctu infer sœculi decimi octavi exeuntis porcel- las sublalae , normam et ima- ginera referret.

maîtres orthodoxes et professant les principes de la religion catholique- romaine, nous avons cru, surtout pour cette raison , devoir faire tous nos efforts dans les circonstances présentes pour établir une telle Université publique, qui retraçât le plan et la forme de l'ancienne aca- démie de Louvain, établissement autrefois si illustre et si distingué , qui a disparu au milieu des orages de la fin du 13^ siècle, à la grande affliction des Bekes.

Voici ce qu'on nous écrit de Matines :

L'installation de l'Université catholique a eu lieu hier. MM. le Rec- teur , le Vice-Recteur et les professeurs se sont rendus en corps à neul heures et demie au palais archiépiscopal. Un peu après Monseigneur, suivi de ce cortège, est entré clans la métropole que remplissait déjà la foule des fidèles. Des places avaient été réservées dans le chœur pour les autorités constituées, les professeurs et les élèves de l'Université. Un nombreux clergé ajoutait encore à l'éclat de cette imposante cé- rémonie.

Elle a commencé par le Feni Creator , qui a été chanté avec un extrême recueillement. Puis M. le chanoine Genneré , secrétaire de Monseigneur, a lu l'acte d'installation de l'Université. Après la lecture l'acte a été remis à M. le Recteur par Mgr. l'Archevêque qui lui a adressé une petite exhortation pleine d'onction. Ensuite Mgr. l'Arche- vêque a célébré pontificalement la messe du St. -Esprit. Après révaa- gile, M. l'aV)bé De Ram, Recteur de l'Université, est monté en chaire

et a prononcé un discours analogue à la cérémonie

Après la messe , on a chanté le Te Deum , et, après cette action de grâces, le même cortège a reconduit Monseigneur à son palais. A deux heures Monseigneur a reçu le chapitre métropolitain , les autorités municipales, M. Je commissaire du district, les dignitaires et fonc- tionnaires de la nouvelle Université. Une douce cordialité a présidé au dîner et en a fait une véritable fête de famille. Plusieurs toasts ont été portes : par Monseigneur l'Archevêque : A la prospérité du nonuel èiablissemenl ! par MM. le Bourgmestre et le Recteur: A ièpiscopat belge! par M. Rodenbach , commissaire du district : Au Roi et à la Reine des Belges I »

364

DÉCRET d'ÉREGTI05

de re concepta desideria et consilia , ex debito pastoralis officii Nobis commissi , ad Se- demApostolicamdetulimus, et perlilteras, die décima quartâ Novembris aiini mille siini oc- tingentesimi tris^esimi tertii in congrei,^atione Nosfrâ Mechli- nine habita datas, Sanctissimum Dominiim Nostium Gregorium divinà Providenfiâ Papam XVI deprecali sumus , ut eadem assensu etconsensu Aposlolico eonGrrnarcf. Sanclifati Suœ plaçait votis et petilinnibus nosirissummâcum benignilate protinùs annuere , nostrisque conalibus Apostolicam aucfo- ritatem adjungere, prout palet ex ponliiicio diplomate cujus tenor hic de verbo ad verbura sequitur :

GREGORIUS PP. XVI.

Venerahiles Fratres , Salu- tcin et Apostolicam Be?iedic- tioneni. DIajori certè solatio afpci non possiiinus , quàm cùm eos, qui in partent soli- citudinis nostrœ sunt voca- ti , pastorali zelo flagrare , acriterque ad spirituale com- missaruvi sibi Ociiiin bonuni novi7)ius rigilare. Licet porro prœc ip uainfraternita t uni ves- tramin virtutem satis jain tniilta déclarassent , eâqne de causa jure Nobis lœtarilice- ret ; conceptam tainen anima nostro opinionem confirmâ- mnt , nostrumque qaudium abiindè auxerunt obsequen- tissimœ Litterœ , quas die dé- cima quartâ proximè elapsi

Nous avons , selon le devoir de notre charge pastorale , soumis au Siège apostolique les vœux et les projets que nous avions formés à ce sujet ; et par une lettre en date du 14 novenibre 1833 , écrite dans notre réunion tenue à Malines , nous avons supplié notre très-saint Père Grégoire XVI, Pape par la divine Providence , de les confirmer en y donnant son assentiment et son consentement apostolique. Il a plu à Sa Sainteté d'accéder sur le champ à nos vœux et à nos de- mandes et d'associer son autorité apostolique à nos efforts , comme il est prouvé par le diplôme pon- tifical qui suit , dans toute sa teneur littérale :

GRÉGOIRE PP. XVI,

Vénérables Frères , salut et béné- diction apostolique. Nous ne sau- rions éprouver de plus grande consolationque lorsque nousvoyotis ceux qui sont appelés à partager ■notre sollicitude, brûler, d'un zèle vraiment pastoral et veiller avec soin au bien spirituel des brebis qui leur sont confiées. Quoique nous eussions des preuves suffisan- tes de l'ardeur avec laquelle vous remph'sscz ce premier devoir des Pasteurs et que nous pussions nous en réjouir à bon droit, nous avouerons cependant que la lettre si respectueuse que vous nous avez écrite en date du 1-4 du mois dernier , a encore ajouté à la bonne opinion que nous avions de vous , et qu'elle a doublé notre

DE L^UNIVERSITÉ CATHOLIQUE.

365

mensis ad Nos dedistis , et quibus nedùm testruni de Catholicâ in Belgio consti- tnendâ , et à Vobis tantûm recjendû sliidiormn Univer- siiate consiliiim significastis, sed etiam expositis comviodis, quœ tùni animarnni sains , tàm Religio ipsa indèpossunt accipere , Apostolicâ nostrâ Auctoritate prohari ilbid vo- hiistis. Hanc vos ratfonem sequuti , id egistis , qiiod ah antiqnis temporibiis consiie- tiido induxit , quodque débita hui.c Sanctœ Sedi revercntia et obsenantia mérita exigit. Cînii enim ad Romanos Pon- tifices pro concredito Tpsis Àpostolici Officii muricre maxime pertineat Cathoiicarn Fidem tueri , sanctœqne ejus doctrinœ depositum intcgrum ac intemeratum custodire ; Eorutn quoqve esse débet sa- crarum disciplinaruvi quœ p ublicè in Un iversitatib us ira - dîtntur, institutionem mode- rari. Atque hœc cati sa fu it,cur Catholicietia m Principes ci/m de hnjiismodi Acadcmiis seu Unirersitatihvs stiidiortint, statuendiscogitârunt, Aposto- licam Sedem consnlcndam. , Ejiisqxie anctoritalem exqui- rendam duxerint. Hinc cele- hriores , illustrioresqne Eu- ropœ Universitates nonnisi ex sententiâ et assensu Romano- rnm Pontifîcum fn isse consti- tutas grarissimœ ilUtrum his- toriée arnplissimè tcstautnr. J\'obis itaque , quibus persua- sum est ex rectè compuratis stu-

joie, J^ous nous faites part de votre projet d'ériger en Belgique une Université catholique qui sera sons votre seule direction ; vous nous exposez les avantages qui doivent en résulter pour le salut des âmes et pour la Belgique elle- même , et vous désirez en outre que cet établissement soit approuvé par notre autorité apostolique . En agissant ainsi ^ vous vous confor- mez à un ancien usage et vous montrez à ce Saint-Siège les égards et le respect qui lui sont dus. En effet , comme il appartient essen- tiellement aux Pontifes romains, à qui les fonctions du ministère apostolique ont été confiées , de défendre la Foi catholique et de garder piir et intact le dépôt de sa sainte doctrine, c'est à eux aussi de dirigerV étude des sciences sacrées, qui s' enseignent publique- ment dans les Universités. Et c'est pour cette raison que même des princes catholiques , lorsqu'ils songeaient à établir de semblables Académies ou Universités , ont cru devoir consulter le Siège Apostolique et rechercher V appui de son autorité. Aussi n'est-ce que d'après l'avis et du consente- ment des Pontifes romains qu'ont été érigées les plus célèbres et les plus illustres Universités de l'Eu- rope, chose prouvée en détail par des documens authentiques insérés dans leurs atinales. Convaincu donc que des Universités sage- ment organisées sont infiniment utiles à la Religion , ?ious éprou- vons un plaisir singulier à vous obliger et à joindre à vos efforts la puissance de notre autorité

366

DÉCRET d'ÉRECTIOîT

diorumUniversitatihuspluri- inùin emolumentiin Christia- nam Rempnhlicam dimanare, jiicundius nihil accideiepo- test, quàni ni vobis gratifice- mur, et ad Litterarumprœser- tiiii Sacraruvi prœsidinni et increntcntuinsupreniœNostrœ Auctoritatis robur adjicia- mus ; atque hinc sapientissi- mum , quod unà sitmd ini- vistis consdium adprobavius , vestramque de re solicitu- dinem suviuiâ lande ac com- mendatione prosequiuiur. Eo auteiii libentiàs tiestris votis aunuiiiius , qvo certiiis vestrâ inditstriâ , opéra et cura fu- turiim con/idimus vt qnotqtiot ad istam Univers itateui cou- venient benè niorati jnvenes, non scientiâ quœ inflat , sed scientiâ quœ cum charitate œdi/icat , non sapienliâ hujus sœculi , sed sapientlâ cujus initium tiinor Doniini est, imbuantur. At illud probe intelUgitis , T""encrabiles Fra- très , mentoratam mox Uni- versitatem ità quideni consii- tui oportere, nt nihil prorsus derogetur juribus , qtiœ sin- gulis Episcopis circà Cleri- coruni in stiis diœcesanis seiiiinariis institiitioneni, eo- riDuque inlitteris et discipli- nis viuximè T/ieologicis erii- ditionem Tridentini Patres adjudicânint. Agite igitur , et nie, à quo omne datum op- timum et omne doniim perfec- tuin est, dexter P'obis propi- tiusque adsit, ut quœ salnbri- ter cogitastis, féliciter possitis

suprême , dans Vintérêt particu- lier des Lettres sacrées et pour contribuer à en développer l'étude. Aussi , nous approuvons le projet éminemment saqe que vous avez formé ensemble , et nous louons hauteuient le zèle que vous avez déployé dans cette occasion. Nous consentons d'autatit plus volontiers à votre demande que nous sommes persuadé que tous les jeunes gens biens nés qui se rendront à cette Université y puiseront , par vos soins et par votre vigilance , non la science qui enfle, mais la science qui édifie avec charité, non la sagesse du siècle , mais la sagesse dont la crainte du Seigneur est le commencement. Touscomprenez du reste, P^énérables Frères, que cette Université doit être organisée de manière qu'il ti'y soit dérogé en aucune manière aux droits que les Pères du concile de Frente ont attribués à chaque Etêque , de diriger V éducation des jeunes clercs dans les séjjtinaires diocé- sains et de les instruire surtout dans les lettres et les sciences théo- logiques. Mettez donc la main à Vœuvre , et puisse Celui de qui vient toute grâce excellente et tout don parfait, vous accorder sa pro- tection et vous faire exécuterheu- reusement un dessein aussi sage et aussi utile ! En attendant , recevez , P^énérables Frères , comme un témoignage de notre affection paternelle et de notre bienveillance envers vous, la béné- diction apostolique que nous vous accordons de tout notre cœur.

Donné à Rome à Saint-Pierre ,

DE l'université CATHOLIQUE.

367

implere . Intérim Apostolicain Benedictionem , Paternœ Nostrœ charitutis et henevo- lentiœ testimoniiim erga Fra- ternitalesf^estras,peranianter Fobis impertiimir. Datuni. Romœ api(d S. Petrum die ]3 Decevihris anno 1833. Pontificattis NostriatinoIII. Signafum : GREGO- RIUS PP. XVI. In- scriptio erat : Venerahilihus Fratrihus Engelberto Archie- piscopo Mechliniensi, ejusque suff'raganeis in Belgio Epis- copis. Mechliniam.

Tarn prîecellenti suffrai^io tantâque auclorilate snfTuUi , mense Februario prœsentisanni litleras dedimus ad Clerum et fidèles Ecclesiarum ,(juibiis eos- que expertisurnus paratissimos ad conferenda subsidia nostra- rum erigendae Academiœ inco- luinitati ac splendori coiisule- retur.

/e 13 décembre de Vannée 1833, de notre Pontificat la troisième. GRÉGOIRE PP. X ri. —Aux Vénérables Frères E^gelcert, Ar- cheiêque de Matines, et à ses Su f- fragans lesEvèques de la Belgique, à Malines.

Appuyés sur un suffrage aussi puissant , sur une si grande auto- rité, nous avons, au mois de fé- vrier de la présente année , adressé une lettre au clergé et aux fidèles de nos Eglises , et nous les avons trouvés très-disposés à fournir les subsides nécessaires à la conserva- tion et à la prospérité de l'Acadé- mie que nous nous proposions d'é-

Jam verô certam tanto operi atque instituto forinam prœ- scribere , ejusdemque perpé- tuant stabilitatem asserere vo- lentes , Apostolicâ aucloritate et Noslrâ per prœscntes lilferas erigimus et inslituinius sludio- rum Universitaleui , à Nobis suprenio jure ac perpétua sol- licitudine ( salvà in omnibus Apostolicai Sedis aucloritate) regendam et fovendam , quin- que Facultalibus insiruclam , quaruni diguilale ]iriina est Theologiœ , secunda Juris ,

Voulant aujourd'hui donner une forme fixe à cette grande œuvre , à cette précieuse institution, et en assurer pour toujours la stabilité , en vertu de l'Autorité Apostolique et de la nôtre , nous érigeons et nous établissons ])ar les ])rés('ntes lettres une Université (jui sera à jamais dirigée et soignée par nous avec un pouvoir suj)rènie cl une continuelle sollicitude (saufen toute cliose l'autorité du Siège Aposloli- (|ue ) , et composée de ciiu] facultés, dont la jneniière en dignité est celle de Théologie , la seconde celle de

368

DÉCRET d'Érection

tertia Medicînœ , qnarta Phi- losophie^ ac Litterarum, qiiinta Scientiarum Mathematicarum ac Naturalium.

Quijm plurimùm infersit , ut res Academica ab unâ eâ- demque personà firmiter et constanter regatur , hinc ad omnem Universilatis nosirse direclionem deputamus ac de legamus, tamquam Vicarium Nostrum Generalem , Reclo- rem Magnificum , viruin ec- clesiasticum , cujus nominatio et revocalio Nobis reservata permaneat. Eidera Rectori , postquàm in nianibus Illus- tiissirni acReverendissinii Do mini Ai chiepiscopi lecerit fidei proi'essionem juxlà EuUamPii Papœ IV, et juraverit ac pro- niiserit fidelitatem ac obedien- tiarn coctui Episcoporu m Belgii , se(jue pro viribiis curaturum honorem acprosperitatemAca- deniis, plenam polestafem et auctoritatein tribiiinias etelar- giinur , ut , servatis servandis, quoscumque gradus academi- cos conlerie valeat ; ut libéré qnoque ac licite ordinare pos- sit quaecamque pro Universi- talis bono ac protectu in rébus ad instructionem vel discipli- nam perlinentibns necessaria visa luerint. Intérim eidem Rectori strictissiniè in junginius ut INobis singulis annis expo- nat amplam , fidclem et since- rani rclalioneui de totiusAca- dcmiaj statu.

Nobis pariter , post expcti-

Droit , la troisième celle de Méde- cine , la quatrième celle de Phi- losophie et Lettres , la cinquième celle des Sciences mathématiques et physiques.

Comme il importe souveraine- ment que cet établissement acadé- mique soit dirigé avec fermeté et constance par une seule et même personne , nous députons et nous déléguons pour toute la direction de notreLniversité, comme notre vicai- re-général, un Recteur magnifique, de l'ordre ecclésiastique , dont nous nous réservons la nomination et la révocation. Nous donnons et nous concédons à ce même Recteur , après qu'il aura fait profession de foi, selon la bulle du pape Pie IV, entre les mains de l'iUusIrissime et Révérendissime Archevêque , et qu'il aura juré et promis iidélité et obéissance au corps épiscopal de la Belgique, comme aussi qu'il fera tous ses efforts pour soutenir l'hon- neur et la prospérité de l'Académie, plein pouvoir et autorité de confé- rer tous les grades académiques , en observant les règles qui doivent être observées ; de prendre libre- ment et licitement toutes les me- sures qui lui paraîtront nécessaires pour le bien et l'avancement de l'Université dans les choses relati- ves à l'instruction ou à la discipli- ne. Cependant , nous enjoignons très-strictement au même Recteur de nous présenter chaque année un rapport étendu , fidèle et sin- cère sur la situation de toute l'A- cadémie.

Nous nous réservons également

DE l'université GA.THOLIQUE.

369

tam Rectoris Magnifici senten- tiam , reservainus nominatio- nem et revocationem Vice- Rectoris , quiadinstar coadju- toris coiisilio et auxilio praesto sil eideni Rectori , quique eo absente , tegrotante vel morien- te , ipsius vices provisoriè suppléât, ne Acadeniiaaliquod detrimentum patiatur.

Ut auteniin singulis studio- rum classibus seu Facullatibus omnesdisciplinœproearumdem dignitate ac necessilate schola- ribus rite ac plenissimè tradan- tur , talisconslituendus eritdo- cenfiumnumerus, quiperieclae inslitiilioni Academicœ con- gruat. Ad consulendum et providendum uniuscnjusque meritis et bonestaî cuidam œmulationi, volunius , iit inîer ipsos docentes qurcdam liabea- tur tituloruni ac jurium dis- tinctio , scilicet ut alii sint Professores Ordinarii , alii ProfessoresExlraoïdinarii, alii Lectores.

Ad nostram singnlariter curam pertinere judicavinius, ut Professorum tam Ordina- riorum quàm Exfraordinario- rutn ac Lectorum , quorum omnium dcsignatio ac prœ-

senlatio ad Reclorum Masrni-

o

ficum spectat, defmiliva no- minatio k Nobis dumtaxat rata ac fuma liabealur. Volu- nius auleni ut iideiii nouante niuneris sui parles suscipiant, qiiàru in manibus Rectoris Magnifici emiserinlfidei profes- sioncm juxtà lormam Pii Pap;u

la faculté de nommer et de révo- quer , après avoir pris l'avis du Recteur magnifique , le Vice-Rec- teur qui doit seconder le même Recteur de ses conseils et de son action et remplir provisoirement ses fonctions , en cas d'absence , de maladie ou de mort , afin que l'A- cadémie ne souffre aucun dommage de ces événemens.

Mais afin que toutes les sciences soient enseignées convenablement et conipIfMi'ment aux élèves dans chaque classe des études ou faculté , selon la convenance ou la néces- sité , il sera établi un nombre de professeurs qui convienne à l'éta- blissement complet de l'Académie. Pour tenir compte des mérites de chacun et produire une honorable énudation , nous voulons que , parmi les maîtres eux-mêmes, il y ait une certaine distinction de ti- tres et de droits , c'est-à-dire , que les uns soient Professeurs ordinai- res , les autres Professeurs extraor- dinaires, d'autres Lecteurs.

Nous avons pensé qu'il importait spécialement à notre sollicitude , que la nomination définitive des Professeurs tant ordinaires qu'ex- traordinaires et des Lecteurs , dont la désignation et la présentation ap- partient au Recteur, fût exclusive- ment sanctionnée par nous.

Mais nous voulons que ces mê- mes Professeurs ne commencent pas leurs fonctions , avant d'avoir fait profession de foi suivant la forme voulue par le pape Pie IV, entre les mains du Recteur magnifique,

370

DÉCRET d'Érection

IV, nec non jiiramentum à Nobis prrcscriptiim de obser- vandis lideliler Acadeiniœ StaUitisac Ordinationibns , de impendendo Rectori Magnifico debito bonore, deque auxilio eidem pT.Tslando, ac de cu- randà pro viribus Acadeniiœ prosperilate. Si vero , quod Deus avertat , aliquis iriter docentes aliquando reperiatur offlcii sui ac juranienti imme- mor, eumdem à munere re- movendi potestatem Nobis reseivamus.

Nominationem et revocalio- nem Secretarii , aliorunique omnium Academias Ofllciato- rum pertinere decrevimus ad Reclorem Magnificum. Eidem juserit institnendi sumptibus Academicis Collegia seu Pœ- dagogia , quorum Prœsides nominabit et congrua statuta ordinabit. IlliautemPra?sides, anfequàm munus gerendum suscipiant, fidei professionein ac juramentum, prout proCes- soribus, praescribitur eraittant.

In singulis studiorum Fa- cuitatibus Protessores Ordina- rii annuè , juxtà pbirabtatem votorum , eligere debebunt suum Decanum , cui jus erit FacuUatis suœ congn-gationes indicere, iisdemque prœsidere. In illis congregationibus agetur de negotiisad Facultatem per- tinentibus, de mediis ad dis- ciplinarum incrementa spec- tantibus , deque ordinando programmale prœlectionum semestri tempore habendarum .

et prêté le serment exigé par nous d'observer fidèlement les statuts et les réglemens de l'Académie , de rendre au Recteur magnifique l'hon- neur qui lui est , de lui prêter assistance , et de travailler selon leurs forces à la prospérité de l'A- cadémie. Mais si , ce qu'à Dieu ne plaise , il se trouvait jamais parmi les Professeurs un homme capable d'oublier ses devoirs et ses sermens, nous nous réservons le pouvoir de le priver de son emploi.

Nous avons décidé que la nomi- nation du secrétaire et de tous les autres Officiers de l'Académie ap- partiendrait au Recteur magnifique. Celui-ci aura également le droit d'établir aux frais de l'Université des collèges ou pédagogies , dont il nommera les Présidens et aux- quels il donnera les réglemens con- venables. Mais ces Présidens de- vront , avant d'entrer en charge , faire profession de foi et prêter serment, comme les Professeurs.

Les Professeurs ordinaires de cha- que Faculté devront, chaque année, élire à la pluralité des suffrages leur Doyen , qui aura le droit d'indi- quer les réunions de sa Faculté et de les présider. On traitera dans ces réunions des affaires concernant la Faculté , des moyens propres à faire fleurir les études , et du pro- gramme des leçons de chaque se- mestre. Ce programme devra être soumis par les Doyens , avant sa pu!) lira lion , à l'approbation du Recteur magnifique.

DE l'université CATHOLIQUE.

371

Prœfatum programma, prias- quàm puhlicetur, à Decanis ad Kectoris fliagnifici ajipro- bationem deferri débet.

Ut res Academicae optimo consilio peragantur , praifatos Facultatum Decanos unà cum Vice-Rectore pertiuere volu- mus ad Rectoris Magnifici consilium ordinarium , cujus congregatio liabebitur tempnri- bus et dicbus ad Rectoris arbitrium statuendis. Pro so- lemnioribus quibusdam ne- gofiis aut circunistanfiis ab eodem Recfore convocari po- terunt omncs omnium Facul- tatum Professores , qui sub ipsius pra^sidentiâ congregati constituent Senatum seu Cor- pus Academicum.

Porrô in constitnendâ hac studiorum Universitate bùc tendunt conamina noslra , ut ca ipsa sit in œdificalionem Corporis Ciiristi , et per eam glorificelur intemerata Sponsa SalvatorisNostri,quaecoUiirma est ac firmamenlum Veritatis. Quare Magistros et Scholares eliam atque eliam in Domino bortamur, eisque prœcipimus , ut corde et opère teneant ac profileanlur Catliolicaui Fidem ut alienià jjrofanisnovitatibus, quiljus Fidei infegritas macu- lalur , sectenturscienliamqua; cum charilale œdilicat , etdu- cantur sapienliâ cujus initium est timor Domiui.

Cœterum leges aliasque or- dinaliones pro TJniversitatis

Afin que les affaires de l'Univer-

silé se traitent avec une très-irrande

o

prudence , nous voulons que les Doyens susdits forment avec le Vice- Recteur le conseil ordinaire du Recteur, qui les réunira dans le temps et aux jours fixés par lui. Pour certaines affaires et circon- stances plus solennelles , le Recteur pourra convoquer tous les Profes- seurs de toutes les facultés , qui , réunis sous sa présidence, forme- ront le Sénat ou le Corps Acadé- mique.

Tous nos efforts dans l'érection de cette Université tendent à ce qu'elle serve à édifier le Corps da Christ, et que par die soit glorifiée l'Epouse immaculée de notre Sau- veur , qui est la colonne et l'appui de la Vérité. C'est pourquoi nous pressons instamment dans le Sei- gneur les maîtres et les disciples et nous leur enjoignons de tenir et de professer de cœur et d'actions la foi catholifjue , afin qu'étrangers aux nouveautés profanes qui souillent l'intégrité de la foi , ils cherchent la science qui édifie avec la cha- rité , et qu'ils soient dirigés par cette sagesse dont la crainte du Sei- gneur est le commencement.

Au reste, nous aurons soin de faire le plus lot possible avec ma-

372 DÉCRET d'Érection de l'université catholique.

nostniG perpetuo regimine ac felici progressu et pro unius- cujusque Facultatis constitu- tione , quamiM'iniùni niaturo consilio condere curabiinus.

Utautem sfatuta etstatuenda quaecumque prospéré ac félici- ter seniper eveniant , ociilos manusque nostras Icvamus ad Sanclissimam Virginem Ma- riam , cujus noinen divinis benedictionibus et gratiis re- fertum est, et cui tamquam Doniinœ ac Patronœ potentis- simœ Acadeiiiiam nostram suppliciter commendaiiius.

Hœc oninia et sinii,ula, acta et décréta in Congregatione Nostrà liabità Mechliniae die dé- cima iiiensis Junii anno Incar- nationis DoniinicœJiDcccxxxiv, Pontificatûs Sanctissinii Do- niini ISostri GregoriiPP. XVI anno IV, perpetuuni robur habere alque ab omnibus ad quosspeclabit, intégré et lide- liter observari volumas.

f ENGELBERTUS , ArcLie- piscopus Mecbliniensis.

t JOANNES - JOSEPHUS ,

Episcopus Tornacensis. t JOANNES FRA^JCISCUS,

Episcopus Gandavensis. t CORNELIUS , Episcopus

Leodiensis. t JOANNES -ARNOLDIIS ,

Episcopus Namurcensis. t FRÂNCISCUS , Episcopus

Adm'" Brugensis.

turité les lois et autres réglemens nécessaires à la direction perpétuelle et aux progrès de notre Université, ainsi qu'à l'établissement de chaque Faculté.

Mais afin que ce qui est réglé et ce qui doit l'être à l'avenir ait tou- jours un résultat heureux et favo- rable , nous élevons les yeux et les mains vers la très-sainte Vierge Marie , dont le nom est rempli des bénédictions et des faveurs divines, et à laquelle nous recommandons notre Académie , comme à une Maîtresse et Patrone très-puissante.

Nous voulons que toutes ces dis- positions et chacune d'elles en par- ticulier , prises et arrêtées dans no- tre réunion tenue à Malines le dixième jour du mois de juin , l'an de lincarnation du Seigneur MDCCGXXXIV, le quatrième du Pontificat de notre très-saint Père Grégoire XVI , soient valides à tou- jours, et entièrement et fidèlement observées par tous ceux qu'elles concerneront.

t ENGELBERT , Archevêque de

Malines, f JEAN-JOSEPH, Evoque de Tour-

nay. t JEAN-FRANÇOIS , Evoque de

Gand. t CORNEILLE, Evêquede Liège.

t JEAN-ARNOLD , Evoque de Namur.

I FR.VNÇOIS, Evoque administra- teur de Bruges.

373

VVWWV yVWWVWWXIWVVWWVwWVW WMV

V *A^ VVV VVV VV \( vv\ VVV VVV VVV VVV VVX VVV VVV vvv vvvw*

REGLEMENT

POUR L'INSCRIPTION, LES RÉTRIBUTIONS DES COURS ET L'ADMISSION AUX LEÇONS

DE LlTNIVERSITÉ CATHOLIQUE.

Art. I.

Pour être inscrit dans la Faculté de Philosophie et des Let- tres et dans celle des Sciences, on est tenu de se pre'senter devant !a Commission d'admission et d'inscription pre'side'e par le Recteur magnifique , et d'exhiber on certificat de bonne conduite et un autre constatant que l'on a re'gulièrement ter- mine' les e'tudes pre'liminaires.

Art. II.

L'acte d'inscription n'aura son effet que durant l'anne'e aca- de'mique courante. L'inscription devra être renouvele'e tous les ans. Il sera paye' pour la première inscription dix francs, et pour le renouvellement cinq.

Art. III.

Les e'tudians , à l'occasion de leur inscription , promettent d'observer constamment les statuts et re'glemens acade'miqaes , et de remplir les devoirs qui leur sont prescrits.

Art. IV.

Les cours de la Faculté de Philosophie et des Lettres et de celle des Sciences comprennent deux années et sont re'gle's pro- visoirement de la manière suivante :

T. X. 26

374 RÈGLEMENT.

Dans la première année , pour ceux qui se destinent ou à l'étude de la Médecine ou à celle du Droit , l'Introduction à la Philosophie, la Logique, la Métaphysique, la Litte'rature grecque et latine , les principes ge'ne'raux de l'Economie po- litique , l'Introduction à l'Histoire universelle , l'Arche'ologie , les Mathe'matiques e'ie'mentaires , la Physique, les e'ie'meus de Chimie et l'Astronomie physique.

Bans la seconde année , pour ceux qui se destinent à l'étude du Droit, la Philosophie morale, l'Histoire de la philosophie, l'Economie politique , la Statistique, l'Histoire da moyen-âge, l'Histoire moderne , l'Histoire nationale , les Antiquite's grec- ques et romaines, l'Encyclope'die du droit et 1 Histoire du droit romain.

Bans la seconde année , pour ceux qui se destinent à l'étude de la Médecine, la Philosophie morale, THistoire de la philo- sophie, les Mathe'matiques transcendantes , la Chimie ge'ne'rale et applique'e , la Zoologie, l'Anatomie compare'e, la Mine'ra- logie , la Ge'ologie , la Botanique , l'Encyclope'die et l'Histoire de la médecine.

Art. V.

Tons les cours mentionne's à l'article 4 sont respectivement obligatoires ; celui de Litte'rature nationale pour les e'ièves de la première anne'e , et celui de Littérature française et d'His- toire et de la Littérature ancienne et moderne pour ceux de la seconde , seront facultatifs. Il y aura des cours privés pour les langues orientales.

Art. VI.

Les rétributions pour tons les cours de la première année s'élèvent à 220 francs , les mêmes rétributions sont fixées pour ceux de la seconde. Le payement pourra se faire en deux ter- mes, à savoir iio francs au commencement du semestre d'hi- ver et iio francs au commencement du semestre d'été.

Art. VII.

Un programme annoncera tous les six mois l'ordre et la distribution des cours.

RÈGLEMENT. 375

Art. VIII.

La durée ordinaire des leçons est d'une heure ; personne ne pourra quitter les leçons avant qu'elle soit terminée.

Art. IX.

Ne seront admis à fréquenter les cours académiques que ceux qui auront été portés au rôle des étudians , conformément aux. art. 1 , 2 et 3.

Art. X.

Ceux qui , sans avoir €té inscrits , désireront assister aux leçons , y auront l'accès trois fois. Ceux qui voudront suivre un cours pourront s'adresser par écrit au professeur qui trans- mettra leur demande au Recteur magnifique. Le professeur leur communiquera ce qui aura été arrêté.

Fait à Malines , le 18 septembre i834.

Le Recteur de l'Université , P.-F.-X. DE RAM

Le Secrétaire par intérim , BAGUET, Prof.

26

376

REGLEMENT

POUR LES ÉLÈVES DE LA FACULTÉ DE PHILOSOPHIE ET DES LETTRES ET DE CELLE DES SCIENCES

DE L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUE.

Art. I.

Toas les élèves doivent professer la religion catholique et remplir les devoirs qu'elle prescrit.

Art. II.

Ils sont tenus de fre'quenter assidûment les cours obligatoires mentionne's dans le programme. Ils ne pourront jamais s'ab- senter des leçons ni sortir de la ville pour un ou plusieurs jours sans une permission expresse du Vice-Recteur ou du Pre'sident de leur colle'ge.

Art. m.

Les e'ièves externes ne pourront pas , sans une permission spéciale, prendre leur logement dans les hôtels ou les auber- ges ; ils devront être rentrés chez eux pendant le semestre d'hiver à huit heures du soir et pendant celui d'été à neuf.

Art. IV-

Les élèves internes au collège de l'Université observeront le règlement particulier de la maison.

Art. V. Il y aura annuellement deux vacances : Tune du mardi qui

RÈGLEMENT. 377

précède la fête de Pâques jasqu'aa second mardi qni la sait; et l'aatre du premier vendredi d'août jusqu'au premier mardi d'octobre.

Art. VI.

L'entre'e des maisons, dont la re'putation ne serait pas re- connue irréprocliable , est rigoureusement de'fendue à tous les élèves de l'Université.

Art. vil

Les peines académiques seront régulièrement appliquées, selon l'exigence des cas, de la manière suivante : Les admo- nitions, par le professeur respectif ou les autorités académi- ques ; la suspension du droit de fréquenter un cours , par le professeur respectif de concert avec la Faculté; la suspension du droit de fréquenter les cours et la prorogation du temps fixé pour les examens universitaires , par la Faculté respective et le Recteur magnifique; l'exclusion de l'Université, par le Sénat académique.

Fait à Malines, le 21 octobre i834.

Le Recteur de l'Université , P.-F.-X. DE RAM.

Le Secrétaire par intérim , BAGUET, Prof.

378

UNIVERSITAS C4THOLÏCA.

SERIES LECTIONUM

Per Semestre hibernum anni MDCCCXXXIV- mdcccxxxv habendarum.

IN s. FÂCULTATE THEOLOGIGA.

J.-B. ANNOQUÉ, Prof. Ord. et S. Fac. p. t. a Secretis , feriâ II, III, V, et sabbato, horâ III, dabit Introcluctionem generalem in Sacrara Scripluram et Comnientationem in Li- brum Genesis.

H.-G. WOUTERS, Prof. Ord., feriâ IV et VI, horâ IX et dimidiâ, et ferià V et sabbato , horâ VIII, tradet Prolegomena in Historiani Ecclesiasticam , qaani dedacet usque ad Saeou- lum secundum.

P.F.-X. DE RAM , Prof. Ord. et Rector Univ., feriâ IV et VI, horâ XI, expositis praenotionibus de Joris Ecclesiastici publici et privati naturâ , objecto , fonlibus etc., interpreta- bitur Librum primum Institutionum Canonicarum Joannis Devoti.

J.-M. THIELS, Prof. Ord. et S. Fac. p. t. Decanus, feriâ II, III, V et sabbato, horâ X et dimidiâ, tradet Prolegomena in universam Theologiam et Dogmatica; generalis partem pri- mam , quse continebit demonstrationem Religionis Christian»;. N. B. Praelectionum materies potissimiim sumeturex Institu- tionibus Theologicis CL. D. Liebermann.

CNIVERSITAS CATHOLICA. 379

J -B. VERKEST , Prof. Ord. et Praeses Seminarli Provincia- lis , feriâ II , III , IV et VI , horâ VIII , exponet doctrlDara de

Prjncipiis et Moralitate actuum liumanoium.

IN FACLÎLTATE PHILOSOPHI/E , LITERARUM ET DISGl- PLINARUM BIATHEMATICARUM AC PHYSICARUM.

G. G. UBAGHS , Prof. Ord. et Fac. p. t. Decanas , Univer salem in Philosopliiam Introdactionera et Logicam tradet diebus Lunae , Martis , Veneris et Saturni , horâ X.

C. DE COUX, Prof. Ord., (Economiam Politicam docebit diebus Lunœ et Martis , horâ III. Exponet quas generatim per- tinent ad divitias producendas et distribuendas.

G. -A. ARENDT , Prof. Extraord,, Archaeologiam Universam diebus Veneris et Saturni , horâ ÎII , docebit. Mores Institutio- nesque veternm populorum tam ad publicam quam ad privatam eoram vitamspectantes , statum conditionemque reipublicae ac rationen», qua artes scientiasque coluere, explicabit, prœcipaaque antiquitatis omnigenae, quae supersunt, monamenta illustrabit.

J. M(ELLER , Prof. Extraord., Introductionem in Historiam Universalem diebus Mercurii et Jovis , horâ III, tradet. His- toriae Philosopliiam exphcabit eauique accoramodabit ad His- toriam Âiitiqaam et Romanam usque ad Imperii Romani oc cidentahs interitum.

F.-N.- J. G. BAGUET , Prof. Ord., Liieras grœcas docebit diebus Lnnœ, Martis et Mercurii, horâ VIII ; loca Odysseae Homericae seiecta et Xenoj)hontis Memorabilia Socralis interpretabitur , atqne Literaruni Grœcarum Historiam exponet. Literas Latinas docebit diebus Jovis, Veneris et Saturni, horâ VIII, exph- candis Ciceronis Libris de Officiis et scribendi exercitationi- bus instituendiç.

380

UNIVERSITAS GA.THOLIGA.

J.-B. DAVID, Prof. Extraord., horis postea indicandis, Linguae et Literarum Belglcaruin Historiam enarrahit \ loca optimorum auctorum selecta exponet et in Belgicè scribendo discipulorum exercitationes moderabitar.

H.-J. KUMPS, Prof. Ord. et Fac. p. t. a SecretJs , Mathe- matica docebit diebus Mercurii et Jovls , horâ X , Veneris et Saturni horâ XI.

J.-G. CRAHAY, Prof. Ord., Physicam docebit diebus Lunae, Martis , Mercurii et Jovis, liorâ XI. Exponet communes Cor- pornm proprietates, elementa Staticae et Djnamicae, theoriam Caloris , nhysicas Aeris proprietates , tbeoriam Vaporum , Hygrometriam, phœnomenaTuborum Capillarium, Acusticam, Electricitatem.

Rector Unitersitatis , P.-F.-X. DE RAM.

BAGUET , p. t. a Secretis.

381

MÉLANGES. Octobre 1834.

JVotice de Mgr. Jacques Dojle, évèque de Kiklare. It. de M. Fran- çois de Bivaz , abbé de S. Maurice dans le Valais. Séances de l'Académie calholicjue de Rome. Note lue à rAcaJémie des scien- ces de Paris sur les huit arbres liu Jardin des Oliviers de Jérusalem , par M. Boue. Sur la mort du voyageur RicJiarcl Lancier. Dé- couverte d'un village indien caché sous terre. Découverte de la lecture d'une inscription runique. Sur M. Margerin.

L'Eglise catholique en Irlande a perdu cet été un de ses évêques les plus distingués. M. Jacques Doyle , ëvêipie de Kil- dare et Leighiin est mort le i5 juin dernier à Carlow , dans la 48" année de son âge et la i^" de son ëpiscopat. Attaqué depuis long-temps dune maladie lente, on prévoyait sa fin ine'vitable. Il reçut les derniers sacremens la veille de sa mort et fut depuis constamment occupe' de la prière. Cette perte fut vivement sentie en Irlande , M. Doyle jouissait d'une grande réputation. Ce pre'lat avait reçu son éducation ecclésiastique en Portugal , et était entré dans l'ordre des Augustins. De retour en Irlande , il fut professeur de philosophie , puis de théologie au collège de Carlow. Son mérite fit songer à lui pour l'épiscopat , lorsqu'il n'avait en- core que trente-trois ans. Il fut promu en 1819 aux sièges unis de Kildare et Leighiin. On a de lui un grand nombre d'écrits, la plupart avec les initiales J. K. L. qu'il avait adoptées , et qui indiquaient son nom de baptême et le nom de son siège. Les prin- cipaux de ses écrits sont les Droits religieux et civil.<; des catho- liques irlandais 'vengés, dans une lettre au marquis Welle.sley, 1828 ; Défenses de ces droits , 1824; Lettres sur l'état de l'édu- cation en Irlande et sur les sociétés bibliques ; douze Lettres sur l'état de l Irlande , Essai sur les réclamations des catholiques, Réplique à un mandement de l'archevêque protestant de Dublin, etc. Beaucoup de ces écrits ont rapport à la politique. M. Doyle, était zélé Irlandais, et ressentait vivement les soull'rances de ses compatriotes. Tous ses écrits sont empreints de leurs plaintes. Ses lettres aux ministres, ses lettres à son troupeau sont pleines de chaleur et de force. A ses talens comme écrivain , l'évêque de Kil- dare joignait un beau caractère , une âme généreuse , une piété éclairée.

1Î82 aiÉLAWGES.

M. François de Rivaz , abhé de Saint- Maurice dans le Va- lais, est mort au mois de septembre dernier dans un âge peu avancé. M. de Rivaz était à Saint-Gengoulph , dernier village de Savoie, sur ja frontière du Bas-Valais, Il était d'une famille noble el q)ii avait fourni des hommes distingués, Pierre-Joseph de Rivaz, à Saiut-Gengoulph en l'^ii et mort à Moutiers en 1772, est connu par des travaux mécaniques qui lui firent honneur; il perfectionna les horloges, l'exploitation des salines, le dessèchement des marais. Il laissa quelques manuscrits , dont sont fils , Joseph de Rivaz , grand-vicaire de Dijon , a publié l'un : E clair cissemens sur les martyrs delà Légion Théhéenne , 1779, in-8°. Il y a aussi du même des Recherches critiques sur la maison de Savoie. François de Rivaz était peut-être le petit-fds de Pierre- Joseph. Il entra de bonne heure à l'abbaye Saint-Maurice, de l'ordre des Augustins, dans le Bas-Valais. Celte abbaye fut fondée en 5i5 par Sigismond, duc de Bourgogne, en l'honneur des martyrs de la Légion-Tbébéenne et sur le lieu oii l'on croit qu'ils soullVirent la mort. Aœédée de Sayoie la rétablit en 1 136- Elle fut presque entièrement consumée par le feu en 169-2 , et rebâtie dans le dernier siècle sous l'abbé Placide. On y garde l'épée de saint Maurice dans une gaîne d'argent , et ! on y trouve plusieurs restes d'antiquités romaines. Cette abbaye est habitée par des chanoines réguliers ; on en envoie quelques-uns desservir des cures voisines. Ils ont formé à Saint-Maurice un hospice pour les passans et un collège ils se livrent à l'éducation. François de Rivaz enseigna d'abord dans ce collège. Il se livrait aussi à la prédication, A la mort de l'abbé Pierra , il fut élu abbé de la maison et fut préconisé par Pie VIÏ dans le consistoire du 10 mars 1823. Il paraît que le roi de Sardaigne lui avait donné le titre de comte et la croix des SS. Maurice et Lazare. Nous voyons aussi que le monastère de Saint- Maurice est qualifié de chapitre royal ; ce qui pourrait paraître étonnant , l'abbaye n'étant point en Savoie, mais dans le Bas-Va- lais. Mais, comme Pabbé et plusieurs des religieux sont de Savoie, le roi de Sardaigne a voulu apparemment leur donner une marque de bienveillance. L'abbé de Rivaz était un homme régulier ; il a gouverné sagement sa communauté. I! assista en 1826 à la transla- tion des reliques de saint François de Sales à Annecy.

Les trois dernières réunions de l'Académie de la Religion catho- lique de Rome ont mis fin aux exercices de cette année. Dans l'une, M. Beilenghi, camalduie, archevêque deNicosie, traita ce sujet : c'est une opinion fausse et insoutenable que celle de Hume et de M. Biot, d'après laquelle linfluence actuelle des sciences sur les préjugés prouve qu'on ne peut discerner aucun miracle des faits naturels, et eu conséquence qu'il est imjxassiblc de vérifier la réalité des mi-

MÉLàlfGES. 383

racles. Dans la réunion suivante , le père Jacono , procureur-général des Théatins, entreprit de montrer contre M. de Potier, combien il est aisé à un •véritable philosophe et à un sage politique de juger par l'histoire des Papes et des conciles quel est le véritable esprit de l'Eglise catholique. Ces sujets furent traites avec autant de sagesse que de savoir. A la dernière réunion , ce fut le savant prélat , M. Mai , qui porta la parole.

Note lue à l' Académie des Sciences , sur les huit arbres du jardin des Oliviers, de Jérusalem. La note suivante a été com- muniquée à l'Académie des Sciences de Paris , et lue dans sa séance du i8 août par M. Bové , ex-directeur des jardins et cultures d'Ibrahim-Pacha , au Caire.

Il existe dans la province de Fayoum des oliviers dont les sou- ches ont près de 6 mètres de circonférence , et qui ont produit 3 ou 4 grosses branches , dont chacune a à-peu-près un mètre et demi de tour, et 8 h lo mètres de hauteur. Autour d'elles s'élèvent des milliers de rejetons qu'on enlève aujourd'hui pour les replanter en touffes à la manière de nos lilas. Ces arbres paraissent avoir été plantés avant l'ère de Mahomet, car depuis cette époque nulle plantation n'a été faite en Egypte, si ce n'est par les princes actuels.

C'est en Palestine et en Syrie que l'on voit les plus belles planta- tions d'oliviers. A l'est de la ville de Gaza est une forêt assez considérable de ces arbres ; M. 13ové en a vu dont les troncs avaient de 2 jusqu'à 5 mètres de circonférence ; mais les huit arbres du Jardin des Oliviers près de Jérusalem sont les plus gros qu'il ait rencontre's. Leur tronc a plus de 6 mètres de tour ; ils sont entre- tenus par les chrétiens , qui croient généralement que ce sont les mêmes arbres qui existaient du temps de J.-G. , et M. Bové est lui- même porté à le croire, eu calculant l'âge de ces arbres d'après leur grosseur. En effet , ces oliviers ont pu croître d'environ un demi- millimètre par an , de sorte que leur grosseur actuelle suffit pour justifier la haute antiquité que les chrétiens leur attribuent. Au mois d'août i832, lorsque M. Bové examina ces arbres, ils e'taient char- gés de fruits encore verts : leurs branches ne s'étendaient pas plus qu'à 2 mètres du ti^onc de l'arbre , ce qui leur donnait un aspect particulier.

Sur la mort de Richard Lander et des autres Européens qui ont cherche à pénétrer en Afrique. On sait que ce voya- geur déjà célèbre, quoique jeune encore , puisqu'il d('pass;iit à peine sa trentième année, a dernièrement trouvé la mort en Afrique, qu'il explorait dans l'intérêt de la science comme dans celui do la civili-

384 MÉLANGES.

satioa de ces contrées barbares. Richard Lander était parvenu à découvrir la source inconnue du Niger, et on lui doit la solution d'une question qui , pendant bien des siècles, avait embarrassé les géographes. C'est au moment de revenir dans sa patrie latten- dait une renommée si honorable, et des distinctions si bien acqui- ses de la part du monde savant , que le jeune voyageur est tombé dans un coin obscur de l'Afrique , sous les coups de ces mêmes sauvages auxquels il apportait les bienfaits de la civilisation et des arts de l'Europe.

On ne peut s'empêcher de remarquer celte fatalité, attachée à la plupart des voyagLurs qui ont exploré l'Afrique. L'entreprenant Ledyart , qui avait auparavant parcouru la plus grande partie du globe, est mort des effets du climat peu de temps après avoir mis le pied sur le sol africain; le brave m^jor anglais Hougton , volé et abandonne par les hommes qui 1 accompagnaient , a péri miséra- blement dans les déserts de cette contrée inhospitalière. Mungo Paik, ilinstrépar un si grand nombre d'utiles découvertes, attaqué à coups de lances et de flèches par les naturels du pays, trouve son tombeau dans les eaux du Niger. Le major Denhamme n'e'- chappe aux périls de limmense et brûlant désert de Sahara, que pour aller mourir à Sierra-Lcone. Beizoni , cherchant à reconnaître la source du Niger, succombe à Bezin aux atteintes mortelles du climat. Glappcrton est emporte' par le chagrin de voir avorter quel- ques-unes de ses tentatives ; enfin , Richard Lander arrive à la suite de tous ces noms. Mais combien d'autres Europe'ens moins célèbres n'ont-ils pas rencontré la mort sur cette terre ingrate, en échange des bienfaits de la civilisation qu'ils y apportaient, et des fruits d'instruction et de science qu'eux-mêmes s'e'taient flatte's d'y recueillir !

Et cependant, malgré ces désastres, l'esprit humain ne renonce pas à péne'trer dans l'intérieur de ce pays, frappé d'une sorte d'anathème.

La Société scientifique et littéraire du Cap de Bonne-Espérance vient d'ouvrir une souscription , dans le but de couvrir les frais d'une expédition destiné à explorer l'Afrique centrale. Dans l'une des dernières séances de cette société , Ion a lu une lettre du gou- vernement, contenant d'intéressans détails relativement aux entre- prises commerciales de MM. Hume et Muller , qui ont fait de grands progrès dans l'Afriepie centrale , et ont pénétré au-delà de Leilakou. On suppose , d'après une observation faite sur l'om- bre projetée par le soleil , que le i^ décembre i833 , ces messieurs avaient atteint le tropique. Ce sont ces nouvelles qui ont engagé la société scientifique et littéraire à envoyer une expédition pour explorer ces régions, éclaircir les points douteux de leur géogra-

MÉLANGES. 385

phie , donner la nature de leurs productions , et expliquer le? avantages qu'elles peuvent offrir au commerce.

U American, journal de Baltimore, annonce en ces termes la de'couvcrte duo village indien, caché sous terre depuis un espace de temps inconnu :

Les ouviiers d'une mine d'or de la Ge'orgie, en creusant un canal pour le lavage de l'or, viennent de découvrir, dans le Na- coochee Valley, un village indien sous terre, à une profondeur qui varie de sept à neuf pieds. Quelques-unes des maisons sont engagées dans un stratum de gravier aurifère. On en compte 34, construites avec des pièces de Ijois de 6 à lo pouces de diamètre, et de lo à 12 pieds de long. Les murailles ont de 3 à G pieds de haut , et forment une ligne continue ou rue de 3oo pieds. Le système de charpente est le même que celui d'aujourd'hui. Ces bâlimens paraissent fort anciens. On a trouvé dans les chambres des paniers de roseau et des fragmens de vases de terre. On y a aussi trouve beaucoup d'autres meubles et ustensiles , dont l'excel- lent travail atteste qu'ils sont l'ouvrage d'un peuple plus civilisé que ne le sont les Indiens d'aujourd'hui.

La Feuille hebdomadaire danoise ^Dansh ugsshiift) con- tient dans SCS n * iiq et 120 un rapport de larchivisle Finn iVia- gnussen , sur la découverte qu'il vient de faire eu dëchillrant la plus ancienne inscription danoise connue ,\?t pierre runique de Braavalla- Hcide , à BItkingen. Depuis le 12^ siècle, cette célèbre inscription avait été l'objet de recherches infructueuses. L'année dernière , l'académie des sciences de Copenhague envoya une commission com- pose'e de MM. Finn Magniissen , Molbech et Forchhammer, pour décider si ces signes énigmatiques devaient être considères comme des caractères d'écriture ou comme un jeu de la nature. La com- mission se prononça formellement contre celte dernière opinion, sans pouvoir cependant découvrir le sens de l'inscription.

Tout dernièrement, M. Finn Magnussen a eu l'heureuse idée de lire linscription de droite à gauche , et soudain le sens lui en est devenu tout-à-fait clair. Il publie maintenant cette incription qu'il a déchiffrée. Elle est écrite dans l'antique langue du nord, et dans la plus ancienne esj)cce de vers avec allitération ; elle a été gravée peu de temps avant la bataille de Braavalla-Heide , vers l'an 735 d(! J.C., et elle contient une prière aux dieux Odin Frey et aux autres Ases , d'accorder au roi liarald-Hiillekirn la victoire sur les princes perfides Ring et Ole. M. le conseiller Schlegel a fait la remarque que cette manière orientale d'écrire clail la plus ancienne, qu'elle avait été mise hors d'usage par les lettrés romains, lors de

386 MÉLANGES.

l'introduction du christianisme , et qu'elle donne ainsi un caractère important pour reconnaître la^e des runes. Sans doute, cette heu- reuse découverte servira à l'explication de plusieurs autres monumens runiques qui ont été conservés dans une grande partie de l'Europe comme des monumens muets de la plus ancienne histoire.

Quelques renseignemens sûrs , relatifs à M. Margerin , nous mettent à même d'apprécier la vcrilé des faits racontés à son sujet par un jour- nal libéral français. Nous profitons de cette occasion jîour éclaircir par quelques réflexions les questions qui ont été soulevées à propos des rapports éventuels de ce savant avec l'Université catholique.

On se souvient du ton de dérision triomphante avec lequel le Temps parlait de ce fervent adejife de récole saint-simonieniie , Vun de ceux qui ont poussé le plus loin sa philosophie novatrice , se ralliant à l'U- ni\'crsité catholique par excellence. Quand même les faits rapportés par ce journal seraient e-xacts , ce qui n'est point, nous ne verrions pas qu'il y eût lieu à triompher pour les ennemis de notre foi et de la nouvelle Université. Admettons pour un moment la vérité des assertions du Temps, s'ensuivrait-il que les évoques, faute de trouver des pro- fesseurs catholiques , ont appelé à l'enseignement de la jeunesse un homme actuellement saint-simonien ? Comme nous ne pouvons croire que qui ce soit ait pu accueillir une conjecture de ce genre , il en résulterait seulement qu'un disciple de Saint-Simon serait rentré dans le sein de l'Eglise , que cet homme , désireux de réparer ses erreurs , voudrait mettre ses talens et sa science au service de la religion et que IXTni- versité lui ouvrirait ses portes. Cela n'.iurait rien de si nouveau , ni de si blâmable. Si nous nous reportons à l'antiquité, nous voyons tout d'abord St. -Paul devenir immédiatement de persécuteur apôtre. Sur les quatre grands docteurs catholiques , deux avaient été long-temps en- gagés dans les voies du monde et de Terreur, S. Jérôme et S. Augustin. Ce dernier , personne ne l'ignore , avait été philosophe incrédule , puis manichéen. Si nous considérons l'époque actuelle . la plupart des défen- seurs renommés de notre foi , surtout en Allemagne, sont des convertis, venus de l'incrédulité ou de l'hérésie. Cela même n'a rien d'étonnant : on a toujours dit : zélé comme un converti. Et en effet, les hommes qui sont revenus à la vérité après de longs égaremens , ont une ardeur de repentir qui les mène quelquefois pins loin que ceux qui ne sont jamais tombés ; ajoutons qu'ils s'entendent peut-être mieux à prémunir les autres contre les pièges de l'erreur . à raison de la triste expérience qu'ils ont f lile , et qu'une conversion tardive , grâce d'élection que Dieu accorde rarement et qui suppose dans celui qui la reçoit le mérite de la droiture du cœur et de la volonté , est très-souvent un signe qu'on est destiné par la Providence à devenir un instrument de salut pour ses frères. Quant à l'exclusion qu'on voudrait donner aux ouvriers qui ne viennent travailler à la vigne qu'à la neuvième ou à la onzième heure, ceux qui se sentiraient portés à une sorte de défiance et de jalousie n'ont qu'à relire dans l'Evangile la parabole à laquelle nous faisons al- lusion ( Matth XX ) , celles de l'enfant prodigue , de la brebis perdue , etc. ; ils y verront si ce sont les sentimens qu'approuve le divin Maître.

Ces principes posés , et il nous parait difficile que des chrétiens re-

MÉLANGES. 387

fusent de les admettre , nous demandons qu'on veuille bien écouter quelques explications sur le saint-siaionisme , dont l'histoire n'est pas bien connue de tout le inonde. Celte doctrine a eu trois phases Lien distinctes : ce fut d'abord un système d'économie politique , sans mé- lange d'idées religieuses quelconques : ses adhérens , fort obscurs alors , essayèrent d'imaginer une organisation de la société l'inégalité des fortunes fût moins grande que dans la société actuelle : leurs écrits , quoique contenant des vues assez remarquables, étaient à peu près ignorés. La seconde phase commence en i83o et finit en i83i. Les disciples de Saint Simon s'aperçoivent qu'il faut quelque chose de plus qu'un mécanisme pour renouveler la société : ils s'emparent de quelques idées chrétiennes , les défigurent en les isolant , et commencent à se donner pour les précurseurs d'une nouvelle religion encore inconnue. Ils sont passés de la politique à la philosophie : mais comme ils ont pris le panthéisme pour point de départ . les conséquences de ce principe se développent bientôt d une manière cfl'rayante. A la troisième période, ils ont donné à leur doctrine le nom de religion saint-simonienne , et alors ils tombent d'extravagance en extravagance, de scandale en scan- dale. Dès les premiers pas, de graves dissentimens s'élèvent entre eux: plusieurs des chefs se retirent : quelques-uns seulement suivent leur logique jusqu'au bout , et sont bientôt forcés de s'enfuir en Orient au bruit des huées et des sifflets.

A partir de cette troisième phase , rien n'est plus insensé et plus ré- voltant que le saint-simonisme : mais jusque-là , osons le dire , c'est parmi les diverses formes de l'erreur , l'une des moins repoussantes. Plagiaire de la primitive Eglise , il faisait appel à la cliarité , au dé- vouement, et il trouvait en efl'et des hommes qui se dévouaient. Puis, chose remarquable , il vantait sans cesse le christianisme comme ce qu'il y avait jamais eu de plus beau dans le monde : il se donnait, il est vrai, comme un complément et un perfectionnement du christianisme, amené par les progrès de l'humanité ; mais il plaçait notre religion fort au-dessus de ce qui n'était pas cette religion de l'avenir que poursui- vaient ses rêves. Que cela même nous paraisse . à nous catholiques, absurde et blasphématoire, rien de plus nalurc.l, mais il faut recon- naître que ces idées étaient un progrès chez des hommes enfoncés au- paravant dans la fange du matérialisme et respirant toute la haine du dix-huitième siècle contre notre foi ; on peut même dire que pour les déistes et les athées auxquels ils s'adressaient . il y avait une sorte de préparation au christianisme , puisqu'on leur apprenait à le respecter et même à l'étudier.

Lorsqu'ils ont vu s'écrouler risiblement ou ignominieusement la chi- mère qu'ils avaient poursuivie , il y a eu îles chances pour que quelques- uns d'entre eux se retournassent vers ce christianisme (ju'ils commençaient à connaître un peu mieux et pour que les plus sincères d'entre eux sentissent leurs yeux s'ouvrir à la lumière. Ceci n'est pas une simple conjecture : des faits très-remarquables et qui mériteraient d'être mieux connus prouvent que Dieu s'est en effet servi du saint-simonisme pour ramener dans le sein de l'Eglise plusieurs de ses enfans égarés. Un nombre relativement considérable de saint-simoniens a abjuré ses erreurs et nous en connaissons plusieurs qui sont aujourd'hui des modèles de foi et de ferveur. Or, si quelqu'un de ces hommes , devenus fils dévoués

388 MÉLANGES.

et obéissans de l'Eglise , se distinguait par des talens supérieurs et brûlait de les consacrer à la cause de la vérité , croit-on qu'il fût très à pro- pos de le repousser et de l'exclure ? Certes nos adversaires sont plus adroits que nous à cet égard : car dès que l'un des ncMrcs s'égare ou semble s'égarer , ils rap()elient à eux , ils lui tendent les bras , ils le placent parmi eux au premier rang, parce que, comme dit lEvangile, les cnjans du siècle sont j>ius pi'wlens que les enfans de lumière Et après tout, tlans r^fTaire qui nous occupe, ce sont les ennemis du catholicisme qui ont cherclnî d'abord à éveiller des préventions contre M. M.iigerin, d'où il faut conclure qu'ils le regardent comme une acquisition précieuse pour l'Université nouvelle, à moins qu'on n'aime mieux croire à leur bienveillance, à l'intérêt qu'ils lui portent, à la crainte qu'ils ont de lui voir faire un mauvais choix.

Nous avons raisonné jusqu'ici dans l'hypothèse les faits articulés par les libéraux seraient d'une parfaite exactitude. Or , on peut prouver très-facilement (ju'il est faux que M. Margerin ait été, comme ils l'af- firment, une des colonnes de la religion saint-simonienne , un de ses hommes les plus imporlans , un de ceux qui ont poussé le plus loin ses principes. Cette secte avait, on peut s'en souvenir, un organe quoti- dien où étaient relatés soigneusement les noms des dignitaires de la nouvelle église, ceux de tous ses missionnaires, de ses néophytes , ainsi que leurs discours et leurs actes , et ses plus minces écrivains venaient chacun à son tour faire leur profession de foi. Or, il n'y a pas dans le Globe sainl-simonien une seule ligue <le M. Margerin, et son nom ne s'y trouve pas mentionné parmi ceux des nouveaux apôtres , silence tout-à-fait inexplicable s'il eut été en communion avec eux : car, si l'on en croit ceux qui le connaissent , il n est point de ces hommes qu'une secte nouvelle puisse confondre dans la foule et dont elle ne sente pas le besoin de se parer. C'est qu'en effet si M. Margerin a eu quelques relations avec des ilisciples de Saint-Simon , il les a eues au moment ils fai>aient seulement de récoiiomie politique et leur philosophie ne prétendait pas être une religion. Au moment ils fai- saient le plus de bruit, lorsque les doctrines d'Enfantin sur le mariage se manifestaient. M. iNlargerin était en Allemagne, occupé d'observa- tions scienlifiques et de méditations sérieuses. Il s'y liait intimement avec quelques-uns des plus illustres calholi(|ues d'Outre-Rhin qui tous parlent de lui comme d'un homme aussi distingué par sa piété que par ses talens. Nous ignorons s'il est appelé définitivement à faire partie de l'Université catholique , mais il nous semble que quand on lui de- manderait le concours de ses talens , les catholiques devraient trouver plus à applaudir qu'à blâmer. L'Union , 289.

389

VV^ VVV *A^ VVV VVV VVVXAAI «.«^-VV*» VVV VV* VVV VVV VVV VVV VVV VVV VVV VVV VVfc vvv v\^

EXAMEN DE L'HISTOIRE DE FRANCE DE M MICHELET,

CONSIDÉRÉE sous LE RAPPORT DE LA RELIGION.

PREMIER ARTICLE.

Nécessité de rectifier les histoires anciennes et modernes. Défauts des histoires de France. Oubli ou mépris de l'influence du christianisme. Nécessité d'une école historique catholique. Premiers essais de cette école. Examen du livre de Michelet. Ses erreurs sur les traditions religieuses des anciens peuples de la Gaule. Erreurs sur la suprématie du Samt-Siége. Est-il vrai que lu puissance du Saint-Siège n'a été fondée qu'au siècle ? Est-il vrai que le travail n'a été re- commandé aux moines que par St. Benoît?

U histoire est à refaire , ii dit un homme dont les paroles reste- ront. Cette sentence , qui semble plus particulièrement portée contre les auteurs modernes , frappe aussi une grande partie des œuvres de l'antiquité classique. Tout en admirant ce qu'il y a de beau, de noble, de monumental dans la naïve abondance ou l'éloquente concision des historiens de la Grèce et de Rome, on ne saurait s'empêcher de reconnaître combien leurs récits sont incomplets , leur point de vue rétréci, leurs opinions hasardées, en ce qui touche surtout l'origine et l'enfance des peuples, leurs traditions primitives, leurs croyances et leurs mœurs, l'appréciation de leur civilisation naissante. Ce n'est point , au reste , un amer et absolu reproche qu'on adresse à ces illustres écrivains. Peut-on affirmer

qu'il leur fut possible de faire autrement? Nous venons à

une époque qu'on ne peut comparer à celle ils vivaient : nous profitons de leurs travaux et de ceux de leurs successeurs ; mille circonstances semblent conspirer pour nous re'véler un passé mé- T. X. 27

390 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANCE

connu jusqu'ici. Les progrès des sciences archéologiques , la con- naissance des vieux langages, la découverte d'un très-grand nombre de raonumens, viennent donner à ces temps antiques le charme dun monde nouveau. Une immense carrière s'ouvre au génie des découvertes. Des esprits d'un ordre eminent se sont déjà lancés dans cette voie , et quelque jugement qu'on puisse porter sur les tentatives des Nieburh , des Schlosser , des Micali, etc., c'est un point désormais incontestable , que ce que nous savons sur les pre- miers âges de Thumanite, n'est point la vérité, et que, si nous voulons la posséder tout entière , nous avons beaucoup à appren- dre, et peut-être autant à oublier.

Quant h l'histoire moderne ( et je parle naturellement de celle qui en est la partie la plus importante et qui nous inte'resse le plus vivement , l'histoire de notre patrie ) , après nous être res- pectueusement inclinés devant ces immenses et précieux dépôts, véritables trésors de nos annales , qui ont immortalise' quelques beaux noms depuis André Ducbesne jusqu'à don Bouquet , nous pouvons répéter sans injustice ce que tout le monde a dit avant nous, qu'il n'y a point de véritable histoire de France. Presque tous nos historiens , quelle que soit d'ailleurs la diversité de leurs sys- tèmes , semblent s'être entendus pour s'occuper uniquement des sommités sociales. Toute leur ambition s'est bornée à nous laisser la date et la description d'une série déterminée d'e'vénemens, des- quels ils se sont peu mis en peine de chercher les causes, les saites la mutuelle dépendance, et qu'ils font passer devant nos yeux comme les tableaux d'un cosmorama. Les princes, leur famille, leur cour, quelques fameux personnages, les grands guerriers sur- tout et les grandes batailles, voilà ce qui remplit toutes leurs pages. Du vrai peuple français , de son état et de ses diverses classes , des serfs et de leur affranchissement, des bourgeois et de leurs cor- porations , de nos villes , de nos provinces , de leur inépuisable variété de caractère, de législation, de physionomie, rien ou peu de chose; et, ce qui est beaucoup plus grave, un entier oubli de l'immense et permanente influence exercée par le christianisme, dont il n'est guère fait mention que pour laisser percer d'hostiles et inexplicables préjugés contre les Souverains -Pontifes. Ces deux derniers défauts out les plus fâcheuses conse'quences , même sous

DE M. MICHELET. 391

le rapport purement Listorique , car il est impossible de rien com- prendre à la marche des sociétés modernes , si l'on ne cherche la raison de la force civilisatrice qu'elles portent en leur sein, dans l'établissement de la religion chrétienne , et conséqucmment dans l'autorité' exercée par l'Église catholique et par son chef; car, sans l'Eglise point de christianisme, et point d'Eglise sans celui qui en est h la fois le faite , la colonne , le fondement et la pierre angulaire.

Et qu'on ne se méprenne point sur nos intentions. En récla- mant une histoire profondément religieuse, profondément catholi- que , nous n'entendons nullement dire qu'il faille déguiser aucun fait, dissimuler aucun tort, épouser des haines ou des préférences injustes, montrer les hommes et les choses à travers une loupe, un prisme ou un voile selon l'occurence. Non , le temps des réli- cences est passe'. Avant tout , l'histoire doit raconter la vérité' l'entière ve'rité, la seule ve'rité. Le catholicisme est assez beau pour être montré tel que Dieu l'a fait. Que sont les fautes , les crimes d'un certain nombre d'hommes , quels que soient leur rang ou leur nom, comparés à cette magnifique fondation du Christ, se de've- loppant dans la suite des siècles , anoblissant l'espèce humaine faisant l'éducation des peuples , protégeant l'enfance et l'infirmité élevant les petits et les faibles , rétablissant , fondant la ve'ritable institution sociale du mariage , anéantissant an dedans le nom à^ esclave , au dehors celui de barbare, créant à leur place le mot céleste de charité, qui, seul, peut suppléer à toutes les lois hu- maines, qui, seul, renferme le germe d'une civilisation infiniment progressive, et fait luire sur la terre comme un rayon de la cité de Dieu ? Qu'on n'oublie point que le christianisme a deux faces : le côte' humain , car il est fait pour l'homme déchu , me'chant , pé- cheur : et Dieu, sans cesser de veiller à ses immortelles destinées, laisse une grande part dans son œuvre à la liberté' humaine ; le côté divin, par lequel il éclaire et réchauiïe le monde avec la foi et l'amour.

D'après ces indications, on peut voir ce qui nécessite, selon nous, un grand renouvellement des études historiques , renouvellement qui ne peut tarder de s'accomplir , et qui même a déjà commencé. Il s'est en effet opéré une sorte d'insurrection. Une nouvelle école

27.

392 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANCE

s'est hardiment proclame'e. Son début a eu un grand retentisse- ment ; et , si l'on en trouve en partie la cause dans sa rupture avec le passe', dans sa démarche fièie et un peu dédaigneuse , il faut aussi l'attribuer à de brillantes quaîite's , accompagnées de de'fauts non moins éclatans (i). Mais quoiqu'il s'en faille de beaucoup qu'elle re'alise nos espérances , nous serons les premiers à rendre justice à tout ce qu'elle a fait de bien. Sans lui épargner les reproches mérités, nous ne lui refuserons point l'honneur d'avoir jeté du jour sur quelques parties obscures de notre histoire , d'avoir fait de curieuses recherches , d heureuses rectifications à l'aide d'une science puisée aux véritables sources ; nous la louerons de l'élé- vation générale de ses vues , de sa tendance à l'impartialité si éloignée du ton des savans du i8® siècle ; enfin, de quelques ad- mirables pages sur le christianisme, qui, à nc«j yeux, font oublier bien des torts, car ces écrivains, jeunes, la plupart, sont bien loin de partager nos croyances ; et voilà ce qui donne souvent à leurs paroles une singulière autorité.

M. Michelet , dont nous avons à parler aujourd'hui , « est un » homme jeune comme nous , un homme de conscience et de tra- » vail ; un homme qui a cheminé solitaire en dehors des coteries » et des preneurs, cloîtré en quelque sorte dans ses e'tudes qui M l'ont blanchi et ridé avant le temps , anachorète et martyr de la » science.... (2);» il tient un des premiers rangs dans la nouvelle e'cole historique, et il faut reconnaître en lui la plupart des méri- tes que nous avons mentionnés plus haut. Ce qui le distingue en- tre tous , ^c'est une pensée forte et hardie , qui aspire à compren- dre les faits , à les classer, à les dominer quelquefois; une grande richesse d'imagination, un style fortement coloré, une tête chaude,

(i) Ce n'est pas ici le lieu de parler de l'école historique religieuse qui s'est déjà illustrée par des travaux delà plus haute importance. On peut citer le Tableau historique et piitoresque de Paris, par M^ de Saint- Victor ; Y Histoire des Croisades , de M. Michaut ; les Jnnales du moyen- dge , de M. Franlin ; Y Histoire d'Angleterre , du docteur Liugard ; les Mémoires historiques, de M. de Chateaubriand, etc.

(2) Baron d'Eckstein , ci-d. tom, ix , p. l\o-2.

DE M. MICHELET. 393

une parole entraînante, un grand dësir d'être neuf et admiré. Il ne faut point chercher dans son livre l'esprit investigateur de M. Giiizot, la froide et impassible assurance de M. Augustin Thierry, les longues éiucubrations de M. de Sismondi; son His- toire de France est plutôt un vif et pittoresque récit, une syn- thèse rapide des faits, avec l'intention de les rattacher à une loi historique , dont nous tâcherons prochainement d apprécier l'appli- cation : nous nous bornerons, dans cet article, à faire connaître sommairement les idées de l'auteur sur les anciens peuples dont le mélange a formé la nation française , et à relever quelques erreurs relatives aux traditions religieuses de ces peuples et à quelques in- stitutions fondam.entales de l'Eglise.

Personne n^gnore que les premiers habitans de la Gaule furent les Galls ou Celles , peuple irritable, plein d'audace et d'ar- deur; « peuple de guerre et de bruit, dit M. Michelet, ils cou- » rent le monde l'epe'e à la main , moins, ce semble , par avidité » que par un vague et vain désir de voir, de savoir, d'agir; bri- » saut, détruisant, faute de pouvoir produire encore. Ce sont les )) enfans du monde naissant ; de grands corps mous, blancs et » blonds; de Télan , peu de force et d'haleine; jovialité féroce, » espoir immense; vains, n'ayant rien encore rencontré qui tînt M devant eux. » On les aperçoit tour à tour sous la tente d'Alexan- dre, sous les murs de Rome, aux rochers de Delphes, aux champs fut Troie. Aussi haut que l'histoire peut remonter, voilà quels furent les possesseurs du sol que nous occupons; vers la fron- tière méridionale, nous trouvons, il est vrai, d'autres races; au pied des Pyrénées , les Ibères , paisibles agriculteurs qui forment un parfait contraste avec les Galls ; au sud-est, les Phocéens qui posent les fondemens de Marseille , sur les côtes de la Méditerra- née, pratiquées dès la plus haute antiquité par les Phéniciens et les Grecs. Mais l'avenir de la Gaule n'était point là. Tandis que le littoral méridional recevait sa civilisation du midi , le nord et le centre recevaient la leur des Celtes eux-mêmes.

Cette race gallique, « cet élément jeune, mou] et flottant, » fut bientôt modifié. Les Kimry , qui ne sont qu'une tribu celtique, viennent se mêler à celles des Galls ; et ce qu'ils olfrcnt de plus

394

EXAMEN DE L HISTOIRE DE FRANGE

remarquable , c'est qu'ils sont gouvernés par la corporation sacer- dotale des Druides, qui doit avoir une si haute influence sur les destinc'es de la Gaule. Il faut avouer que ce nouvel éicmetil al- téra prodigieusement la nature de la base primitive; car, au lieu de cette «jeune, molle et mobile race de ces Galls, de ces grands » corps mous, blancs et blonds, apparaît tout à coup un peuple )) dont le caractère est la personnalité, l'opiniâtreté, la persistance, » la ténacité; race de pierre, immuable comme ses monumeus drui- » diques » C'est ce que M. Michelet appelle le caillou cel- tique. A côté de ce caillou , César vint poser la brigue romaine. Il y avait de quoi bâtir un inébranlable édifice; mais il man- quait un ciment ; les Germains furent chargés de le fournir. Le type vague et indécis de la race allemande, son esprit e'minemment so- cial, docile, flexible, lui donnait une malléabilité fort propre à servir de lien entre les dures couches celtique et romaine.

Ce peu de mots sufS.t pour donner une idée du système de M. Michelet sur les origines de la nation française, système dont nous verrons plus tard l'application (i). Hâtons-nous de passer à une question d'un plus grand intérêt , et qui rentre plus spécialement dans les attributions des annales.

Le jT volume de V Histoire de France contient de longs et curieux détails sur la religion des Celtes et des Germains, et il faut louer Fauteur de l'importance qu'il semble attacher à ce qui concerne cette partie si essentielle de la vie des peuples. Mais, dans cette savante dissertation, M. Michelet, ou plutôt M. Ara. Tierry , auquel ce travail est textuellement emprunté (du moins pour ce qui regarde des Celtes) , n'a pas assez aperçu, au fond du culte grossier de ces races , la vraie et première notion de la Divi- nité. — Sans doute les Gaulois étaient idolâtres ; ils adoraient les fontaines , les lacs, les pierres, les arbres, les vents, chaque lieu,

(i) Le système de M. l\îichelct a été apprécié à sa juste valeur par un juge (l'une haute compétence en cette matière , M. le B. irEcksfein. Voir la Revue Européenne , w"^ de février, mars et mai i834. Ci-dessus tom. IX, p. 402, 449 î ^^ to™- ^5 P- 23.

DE M. MIGHELET. 395

cîiaque tribu avait son génie favorable ou terrible ; on lui offrait

dVpouvantables sacrifices Mais au milieu de cette foule de

dieux, il est impossible de douter qu'ils ne reconnussent un Dieu souverain, tout-puissant, éternel ,£)/&«, en un mot. Comme tous les autres , les peuples du nord-ouest de l'Europe avaient conservé cette notion d'un Être infini , immense , supérieur à tous les êtres , soit qu'ils l'invoquassent sous le nom de Tarann (i), de Teut{i), d'Hesus(3), ou bien qu'ils ne lui donnassent aucun nom{/l) , preuve plus certaine qu'il était unique, car les noms ne servent qu'à dis- tinguer des êtres semblables. C'est de lui qu'ils se glorifiaient de tirer leur origine (5) ; c'est lui qu'ils appelaient le souverain de toutes choses , à qui toutes choses sont soumises et obéissantes (6); celui qu'ils adoraient au fond des bois ténébreux, sans autre ima- ge, sans autre représentation sensible, que cette secrète horreur que le respect seul voyait (7). L'Edda le nomme Vcternel , l'an- cien ^ l immuable , le père des dieux et des hommes Avant

que le ciel et la terre fussent , il existait; il a formé le ciel , la terre , l'air , et tout ce qu'ils contiennent ; il a créé Vhomme...; il exerce son empire sur ce qui est grand et sur ce qui est pe- tit, sur ce qui est haut et sur ce qui est bas.,,. (8) Des docu-

(i) Lucan , 1. i.

(2) Theut s\^mÇie père dans la langue celtique. Voir Pelioiitier , Histoire des Celtes, etc. , livre ni. Ici., Diclionnaii'ede la langue bretonne. Deric , Introduction à l'histoire ecclésiastique de Bretagne . liv. i , p- i ï3. Huet, Dèmonstralion éuangélicjue , prop. 4-

(3) Chioiiac , Discours sur la nature et les dogmes de la religion gauloise , 36 partie.

(4) « Les Cellibères font des danses en l'honneur d'un dieu sans nom. » Strah. , ni. 4, p- 164. Dans la religion galloise, le Dieu Suprême est le dieu inconnu. Davies , Myth. and rites qf the Brilish ., Druids , et le même , Celtic researches.

(5) Ab Dite Pâtre se prognatos prœdicant. Cœs. Comment, de bello galL'co , lib VI , § 18.

(6) Tacite^ Germania , c. Sg.

(7) Ibid. , c. 9.

(8) Edda Island. Daeraesaga ,3,7, 18.

396 EXAMEN DE L^HISTOIRE DE FRANGE

mens écrits dans l'ancien langage d'Irlande, témoignent qu'un roi nomme Cormac O'Quin , se déclara publiquement contre l'idolâ- trie et pour U adoration dun seul Dieu suprême , tout-puissant , miséricordieux , créateur du ciel et de la terre (i). La base de la religion primitive de l'Irlande , selon M. Adolphe Pictel , était le culte des Cabires , puissances primitives, commencement d'uue série ou progression ascendante qui s'élève jusqu'au Dieu su- prême , Beal. « D'une dualité primitive , dit-il, constituant la force » fondamentale de l'univers , s'élève une double progression de puis- » sauces cosmiques, qui viennent se l'éunir dans une unité' suprême » comme en leur principe essentiel. » Cette conclusion est presque identique à celle qu'a obtenue Schelling , à la suite de ses recher- ches sur les Cabires de Samothrace. D'après ce dernier , la doctrine des Cabires était un système qui s''élevait des divinités inférieures repre'sentant les puissances de la nature, jusqu'à un Dieu supra- mondain qui les dominait toutes (2).

Ainsi cette idée de la Divinité , qu'on s'efforcerait vainement de nous donner comme une conquête de l'esprit humain, comme une abstraction à laquelle les hommes se seraient e'ievés en passant successivement du cuite des objets mate'riels , des phénomènes et des agens de la nature, jusqu'à la déification des forces géné- rales de cette même nature, nous apparaît sous son véritable point de vue, c'est-à-dire, comme une manifestation, une révéla- tion directe de l'être dont elle constatait l'existence : révélation qui a pu être obscurcie, altérée, mêlée à de honteuses et cruelles superstitions , mais qui est demeurée ineffaçable dans toutes les tra- ditions humaines , et qu'il est impossible de méconnaître à son caractère de perpe'tuilé et d'universalité.

On peut en dire autant du dogme de l'immortalité de l'âme.

(i) Alban Butler, The lii'cs offath. and mart. 6 july , note.

(2) Voir M. Michelet, Hist. de France, t. i , p. 4^9. VoirHuet, Démonslr. èvang. , et /llnet. quœst. Bullet , l'Existence de Dieu dé- montrée par la nature. Grotius , Féritè de la religion chrétienne, liv. I , eh. 8. Essai sur l indij[férence , t. m.

DE M, MICHELET. 397

duquel M. Michelet semble faire une doctrine particulière aux Druides, un système à part, une invention qu'ils apportèrent avec eus dans la Gaule [p. ii); or, il est certain que cette croyance, base nécessaire de tout système religieux , était commune à toutes les nations d'origine celtique ou germanique. M. Michelet en re- connait l'existence, chez \es Suèi^es , les Goths , les Saxons et tous les adorateurs d'Odin [p. i65). On la retrouve chez les T/iraces (i), les Gèies (2) , les Germains , les Sarmates , les Scythes , les Bre- tons, les Ibères (3), les Scandinaves (4)- Cette chaîne des peu- ples vient rattacher nos vieux ancêtres , qui ont pu sembler isolés aux extrémités du monde , avec les races orientales dont la civili- sation était plus avancée. Mille autres relations , plus frappantes peut-être par leur spécialité, se font remarquer dans le langage comme dans les détails du culte religieux. Ils avaient conservé l'antique horreur du serpent, le feu céleste, l'arbre au fruit mer- veilleux, la consécration de la virginité, l'expiation par le sang, l'attente d'un métliateur (5). Le christianisme, ici comme ailleurs, n'eut qu'à compléter, développer, purifier, consacrer les croyances universelles, qui ne sont dans leur principe que la religion primi- tivement révélée.

La Gaule avait pris la physionomie romaine. Elle envoyait à Rome des rhéteurs, des come'diens , des sculpteurs, des consuls, des césars. Rome lui renvoyait en échange, avec une libéralité royale, des titres de citoyen, de patricien, de sénateur, des bains , des cirques, des acqueducs , des arcs de triomphe. Un pré- sent plus redoutable avait été celui de son administration fiscale. 11 faut voir, dans Lactance , le tableau de cette horrible lutte entre un fisc affamé et une population qui pouvait souff'rir, mou-

(i) Poinponiiis Mêla , De situ ovbis , liy. n.

(2) Hérodote, lib. iv, eh. g3.

(3) Pclloulier, Histoire des Celtes et autres peuples. Brucker , Hist. crilic. pliitosoph.

(4) Edda Islund , D.icmes. , 3, i5, 49-

(5) M. Michelet, Hist. de France , t. i , p. ii5 et autres.

398 EXAMEN DE l'hISTOIRE de FRANCE

rir , mais non payer. « Tellement grande e'tait devenue la raulli- » tude de ceux qui recevaient, en comparaison du nombre de ceux » qui devaient payer, telle l'énormite des impôts, que les forces M manquaient aux laboureurs, les champs devenaient déserts, » et les cultures se changeaient en foi'êts.... Je ne sais combien » d'emplois et d'employés fondirent sur chaque province, sur cha- )> que ville, magistri, rationales , vicaires des préfets. Tous ces » gens-là ne connaissaient que condamnations, proscriptions, » exactions; exactions non pas fréquentes, mais perpétuelles; et » dans les exactions, d'intolérables outrages.... On mesurait les » champs par mottes de terre, on comptait les arbres, les pieds » de vigne. Ou inscrivait les bêtes, on enregistrait les hommes. » On n'entendait que les fouets, les cris de la torture; l'esclave » fidèle était torturé contre son maître , la femme contre son mari, » le fils contre son père ; et , faute de te'moignage , on les tortu- » rait pour déposer contre eux-mêmes; et quand ils cédaient, » vaincus par la douleur, on écrivait ce qu'ils n'avaient pas dit. » Point d'excuse pour la vieillesse ou la maladie ; on apportait » les malades , les infirmes. On estimait i'àge de chacun , on ajou- « tait des anne'es aux enfans , on en ôtail aux vieillards... Les )) hommes mouraient , et Ion n'en payait pas moins limpôt pour )) les morts (i). « Toute cette oppression retombait des hommes libres sur les colons et les esclaves. Les serfs des Gaules , poussés k l)out , prirent les armes sous le nom de Bagaudes ; les villes furent brûlées, les campagnes dévastées; ils firent plus de mal qu'une invasion de Barbares, a Mais, disait Salvien , comment » sont ils devenus Bagaudes, si ce n'est par notre tyrannie, par la )) perversité des juges, par leurs proscriptions et leurs rapines? » Nous leur imputons leur malheur, nous leur reprochons ce nom n que nous leur avons fait (2). »

Le christianisme avait pénétré dans les Gaules dès le premier siècle. Tant que dura la persécution , ses progrès furent rapides. Chaque ville fut arrosée du sang chre'tien , et Lyon brillait entre

(i) Lact. , De mort, persec. , c. 7, 23^ tracluct. de M. Mich. (2) Salv. , De vero jud. et provid. lib. v.

DE M. MICHELET. 399

toutes, couronnée des reliques de ses dix-huit mille martyrs. Mais, la tempête apaisée^', quand il ne s'agit plus seulement de mourir, mais de vivre ; quand la surexcitatioa entretenue par les cheva- lets , les ongles de fer , les chaises brillantes , les combats de l'am- phithëâtre fut calmée , alors ou vit la société daus son cffravant malaise , telle qu'un grand corps gangrené et presque fétide , sur lequel s'étendait comme un double ulcère de la tète aux pieds, la fiscalité et l'esclavage. En face de cette vivante pourriture, le christianisme parut s'arrêter; il ne défaillait point cependant, il veillait auprès du malade, attendant une crise favorable ou fatale, mais qui pût rendre possible l'application de ses divins remèdes. Tout stimulant humain était désormais inutile. Vainement Constan- tin s'efforça d'introduire l'esprit de modération dans les lois fisca- les ; vainement Gralien et Honorius appelèrent les provinces, et particulièrement la Gaule, à former des assemblées provinciales; le peuple était comme engourdi sous le poids de ses maux ; il se couchait par terre , dit M, Michelet , de lassitude et de déses- poir , comme la bêle de somme se couche sous les coups , et re- fuse de se relever. Dans tout l'empire circulait un seul cri sem- blable à une rumeur confuse : viennent les Barbares. Ils vin- rent, La crise fut terrible, mais elle sauva le monde. Les restes de chaleur, disséminés, refluèrent au cœur; le christianisme, seul principe de vie, s'en empara; les peuples éperdus se jettent dans les bras des évêques , et c'est sous la main d'un évêquc, que se courbe pour la première fois le front d'un Sicambre. « L'uni- » versalité impériale est détruite , mais l'universalité' catholique ap- » paraît. La primatie de Rome commence à poindre , confuse et » obscure. Le monde se maintiendra et s'ordonnera par l'Eglise ; » sa liiérarchie naissante est un cadre sur lequel tout se place et se » modèle. A elle , Tordre extérieur et la vie intérieure. Celle-ci est » surtout dans les moines. L'ordre de St. -Benoît donne au monde )) ancien , «se par l'esclavage , le premier exemple du travail » accompli par des mains libres. Pour la première fois , le ci- » toycn , humilié par la ruine de la cité, abaisse les regards sur » cette terre qu'il avait méprisée. Il se souvient du travail )) ordonné au commencement du monde dans l'arict porté sur » Adam. Cette grande innovation du travail libre et volontaire » fut la base de l'existence moderne {p. 112). »

400 EXAMEÎT DE l'hISTOIRE DE FRANCE

Nous avons cité à dessein ces propres paroles de M. Miclielet , pour donner un exemple de sa manière , de son regard /laut et perçant , et aussi de l'inexactitude et de l'exagération qu'il apporte preMjue toujours dans l'apparente justice de ses jugemens. On a remarqué dans ces phrases, au moins deux singulières assertions. La première surtout, qui regarde la suprématie du pontife romain, ne peut demeurer sans réponse, car il ne s'agit nullement, comme on pourrait le croire, de la puissance temporelle des Papes. M. Mi- chclet a soin d expliquer dans une note toute sa pensée ; c'est bien des droits spirituels du Saint-Siège qu'il veut parler , et dont l'ori- gine ne remonte pas plus haut, selon lui, que le commencement du 5'' siècle. Innocent 1^^ a été le premier Pape qui ait avancé à ce sujet de timides prétentions ; on disputait beaucoup sur le pas- sage TU ES Petrus ; saint Augustin et saint Jérôme ne V inter- prétaient pas en faveur de l'évêché de Rome. Avant le concile d'Ephèse , nul concile rHavait parlé de l'autorité des Papes. C'est le sens, sinon toutes les expressions de l'auteur. 11 est pro- fondément triste et e'tonnant de trouver cette argumentation toute protestante et parfaitement digne du 16" siècle, dans la bouche d'un professeur qui compte parmi les esprits les plus progressifs du 19". En vérité, Luther, Claude, Jurieu , Mosheim , n'auraient pas mieux dit. Quoique tout cela ait été mille fois réfuté, nous croyons re'pondre au vœu d'un grand nombre de nos lecteurs en nous arrêtant un peu là-dessus , et en rappelant une partie des ti- tres sur lesquels se fonde la primatie du Saint-Siége, pendant les quatre premiers siècles de l'Eglise (i).

Remarquons d abord que le passage de saint Innocent V^ , qu'al- lègue M. Michclet, prouve directement contre lui, car le Pape se fonde expressément sur l'antique usage, heata consuetudo , ce qui prouve que ces prétentions , au moins , n'étaient pas nouvelles. Mais il faut remonter plus haut.

(1) Quoique M. Dûment ait liaité cette question dans son examen de l'ouvrage de ScLœll , ci-d. lom. vni , p. 36i , tom. is, p. 617, et tom. x, p. 140 , nous avons cru que ces nouvelles considérations ne seraient pas inutiles dans une si importante question.

DE M. MICHELET. 401

Premier siècle. A peine le divin Rédempteur a-t-il accompli sa mission, que Pierre paraît revêtu de cette prérogative suprême, qui lui avait été conférée d'une manière si solennelle et si souvent cocfirme'e ; c'est lui qui convoque et pre'side l'assemblée oîi fut élu l'apôtre S. Mathias ; c'est lui qui désigne ceux entre lesquels il doit être choisi; c'est lui qui piêc.he le premier 1 Evangile aux Juifs, et qui ouvre l'entrée de TEglise aux Gentils dans la personne de Corneille; il fonde, par lui-même ou par son disciple saint Marc, les sièges patriarcaux d'Anlioclie et d'Alexandrie, ces deux sour- ce? de la juridiction ecclésiastique des premiers siècles sur l'Asie et sur l'Afrique (i). Ses successeurs continuent d'exercer ce pouvoir, en donnant des lois aux églises , ou eu leur envoyant des missionnaires et des pasteurs. Saint Clément, qui monta sur le siège de Rome l'an gi , prescrit des ordres à 1 église de Coria- the, dans une lettre que saint Irénée appelle très-puissante {i). De fort graves autorités placent aussi dans ce siècle la mission de saint Trophime, premier évêque d'Arles et envoyé directement par saint Pierre (3).

i'' SIÈCLE. i5o. Saint Potliin , disciple de saint Polycarpe, est envoyé avec plusieurs ouvriers évangélii|ues dans les Gaules, et, dit M. de Marca , il est préposé à l'église de Lyon, par le décret du pape ^nicet (4).

173. -Le Pape saint Soter adresse aux Corinthiens une instruc-

(i) ( Petrus ) Alexanchiœ Marcum prœfecit. Porrn Anliochenam ( ec- clesiam) primùm Evodic... regenJam tradidit. Kiceph. Hist. eccles. 1. II, ch. 25.

(2) \KuyorciT>])i ypaÇifv , traduit par potenlissimas litteras. St. Irénée , Conlrà hcereses , 1. ni, c. 3 , n. 3.

(3) C'est sur ce fait que St. Zozime fonde les droits qu'il accorde au siège d'Arles, duquel, comme d'une source, toutes les Gaules ont reçu les ruisseaux de la foi. Ep. Rom. Pont., t. i, col. 988. Les évûques de la province d'Arles , réclamant du Pape St. Léon les anciennes pré- rogatives de leur métropole , citent ce fait comme connu dans toute la Gaule et à Rome aussi. Hist. de l'éi^l. gall. , t. 1 , Dissert, prélim.

(4) Tradit. de lEi^l. sur T institution des éi'éip.ies , t. n , p. 5i.

402 EXAMEN DE LHISTOIRE DE FRANCE

tioa pontificale avec des aumônes ; l'évêque de Corinthe , saint De- nis , répond au Souverain-Pontife pour le remercier de l'une et des autres ; il compare sa lettre à l'ancienne épître écrite à la même e'glise par le Pape saint Clément, et dit que ces inonumens res- pectables sont en une vénération qui ne finira jamais (i).

1^7. Les célèbres martyrs de Lyon écrivent de leur prison au Pape saint Eleuthère, atîn de l'engager à pacifier les provinces asiatiques , que Ihe'resie de Montan avait troublées. La lettre fut confiée au piètre Irénée, duquel ils parlaient en ces termes : Nous vous le recommandons avec instance , comme grand zélateur du testament de Jésus-Christ. Si nous savions que le rang don- nât le mérite de la justice , nous vous le recommanderions aussi comme prêtre ; car il est élevé à cette dignité. Plusieurs écrivains ecclésiastiques, dont l'autorité est d'un grand poids, pensent que cette recommandation des martyrs fut cause de l'élévation de saint Ire'née au siège de Lyon (2).

iqo ou environ. Lucius, roi breton et païen, envoie des am- bassadeurs au pape Eleuthère pour lui demander des missionnaires. Deux ecclésiastiques, Fugatius et Damianus furent envoyés par le Pape à ce prince, et devinrent les premiers apôtres de la Bre- tagne ^3).

ig5. Les églises d'Asie s'obstinent à suivre leur coutume, relativement à la célébration de la Pàque ; le Pape saint Victor les menace d excommunication; à cette triste nouvelle, saint Iré- née commence par adhérer au décret de Victor, dans une assem- blée des prélats de la Gaule ; et, après avoir donné cet exemple de soumission , il écrit à Victor pour l'exhorter à user de ména- gement (4).

(i) Bérault-Berc. , Hisl. deVEgl. , t. i , 1. m, p. 209, 210.

(2) Eusèbe, Hist. ecclès. ,Vih. v, c. 4 C'est la conclusion que tirent de celte lettre de St Irénée, D. Massuet, St. Léon, Hallier et le P. Longueval , cités dans la Tradit. de l'Egl. sur rinstit. des eV. , t. 11 , p. 52.

(3) Nennius, p. 108, édit. Bert. : Jng. Sac, vol. n, p. 667, cités par Lingard, Ànt. deVègl. Anglo-Sax. , c. i, p. 10, Rapin. Thoyras, Hist. d'Angl., liv. i, p. 61.

(4) Egl. Gall., t. I, p. 53. B. Bercast. t. i , p. 235.

DE BI. MICHELET. 403

Aucun de ces faits serait-il explicable si la suprême autorité de Rome n'avait été dès-lors universellement reconnue ? Passons aux deux siècles suivans : nous verrons naturellement les preuves se multiplier.

3" SIÈCLE. 245. Une des missions les plus célèbres , dont l'histoire ecclésiastique fasse meutiou , est envoyée dans les Gaules par le Pape saint Fabien. Il ordonna sept évêques, auxquels il adjoignit un grand nombre d'hommes apostoliques, pour aller cul- tiver les anciennes e'glises et en fonder de nouvelles. Grégoire de Tours met au nombre de ces sept pontifes, saint Trophime d Ar- les, dont la mission ne peut, dans aucun cas, être postérieure à cette e'poque (i).

253. Marcien, e'vêque d'Arles, ayant donne dans l'erreur des novatiens , les évêques voisins en prévinrent le Pape saint Etienne, et le Pape tardant à leur re'pondre , ils recourent à saint Cyprien pour appuyer leur re'clamation à Rome. Ce dernier e'crit aussitôt k saint Etienne : Envoyez, lui dit-il, des lettres dans la province et au peuple d'Arles , en vertu desquelles ^ Marcien étant déposé , on lui substitue un autre évêque (2).

257. Saint Xiste II envoie dans les Gaules une nouvelle mis- sion , dont faisaient partie plusieurs évêques qui établirent de nom^ breuses e'glises (3).

Vers 260, au rapport de saint Athanase , saint Denis, évêque d'Alexandrie, avança, en combattant les Sabelliens, quelques ex- pressions suspectes d'arianisme. Plusieurs fidèles scandalisés portè- rent plainte à Rome. Le Pape saint Denis ordonna à l'évêque d'Alexandrie de se justiOer, ce que celui-ci fit , en envoyant au Saint-Siège une apologie. Les explicationc furent reçues et l'e'vêque de'claré d'une doctrine orthodoxe (4).

272. Au rapport d'Eusèbe , Paul de Samosate , déposé au

(i) Greg. Tur. , lib. i, c. 28.

(2) St. Cypr. ad Steph. , epist 67. Trad. de VEgl. , t. 11. 262.

(3) Egl. Gallic. , liv. 1 , p. 79,

(4) St. Athanase , i?e sentent. Dlonys. conirù Ârian. , n. i3.

404

EXAMEN DE L HISTOIRE DE FRANCE

deuxième concile d'Antioche , ne voulut pas céder la maison épis- copale à Domnus , élu à sa place. On eut l'ccours à l'empereur Aurclien , lequel ordonna que la maison serait adjugée à celui au- quel Les éuêques d' Italie et Vévêque de Rome écriraient, en signe de communion (i).

SIÈCLE. Au commencement de ce siècle , l'affaire des Dona- tistes et la cause entre Cécilien et Donat est porte'e devant le pape Mclchiade (2).

3i4. Les Donatistes, déjà condamne's à Rome, le sont de nou- veau dans un concile tenu à Arles. Cependant les Pères d'Arles , avant de promulguer leur jugement, l'adressent au Pape saint Syl- vestre pour qu'il soit revêtu de son approbation et publié sous son autorité (3).

3/[2. L'imposante et triste cause de saint Atlianase occupe une grande partie de ce siècle. Ce saint évèque , déposé par les évèques ariens, assemblés à Tyr , va à Rome, le pape Jules l'avait appelé'. Son innocence est reconnue par le pontife , qui le maintient sur le sie'ge d'Alexandrie. Le même Pape se plaint aux évêques d'Orient de leur conduite : Ignorez-vous, leur dit-il, qu^il est d'usage de nous écrire d abord , et que c'est ici que doit être prononcé te jugement?... C'est ce que nous avons appris de V apôtre saint Pierre, et ce dont je ne vous parlerais pas , vous croyant siiffif^amment instruits si ce que vous venez de faire ne nous avait affligé (4)-

34g. Ursace et Valens s'e'tant rétracte's au concile de Milan, le concile les renvoie au Saint-Siège et lui réserve le jugement.

35 1. Eustate de Sebaste ayant été déposé par le concile de

(1) Euseb. , Hist. ceci., lib. vu, c. 3o. Lettre d'un docteur alle- mand, etc. , lett.

(2) St. Optât, De schisni. Donastis. , lib. i, c. 23, 24. Bergier , Dict. thêol. Voir Pape, note i5.

(3) Conc. , t. I.

(4) /" Epist. Juin ad Euseb. Epist. Rom. pont. Feller. V. Alhanase.

DE M. MIGHELET. 405

Mélitine en Arménie, s'adresse au pape Libère, qui le restitue à son siège (i).

38o. Maxime le cynique avait été ordonne' , contre les règles , évêque de Constantinople j saint Damase écrit à ce sujet à l'évêqiie de Thessalonique : Je vous ai mandé que l'ordination de Maxime ne m! avait point plu... Prenez soin quon élise pour ce siège un évéqué irréprochable (2).

38i. Le pape Damase convoque, de concert avec l'empereur, le concile de Constantinople, et il a déjà proscrit à Rome l'erreur de Macédonius, avant qu'elle soit analhématisée par le concile (3). La même année, Théodose envoie une ambassade à saint Da- mase, pour obtenir la confirmation de Nectaire, élu par le con- cile patriarcal de Constantinople. Ce fait nous a été conservé par une lettre de saint Boniface P"" aux évêques de Macédoine, et il est bien digne , par sa haute importance, de clore cette longue et imposante énumération (4).

Il est difficile d'expliquer comment un aussi grand nombre de faits ont échappé à l'érudit professeur d histoire ; et cependant cha- cun d'eux, pris séparément, suffit pour renverser son opinion, à savoir que l'autorité pontificale n'a commence' qu'au 5 siècle. Que s'il prétend qu'avant le concile dÉphèse, aucun autre n'a constaté cette autorité, nous nous féliciterons, nous et lui, de ce qu'il veut bien s'en rapporter à l'autorité des conciles , mais cette nouvelle asser- tion ne sera pas moins insoutenable que l'autre.

Avant que le concile d'Éphèse , ^"ii , eût déclaré quil n'était douteux pour personne que Pierre, le chef et le prince de l'apos~ iolat, la colonne de la foi, le fondement de T Eglise catholique , maintenant et toujours , vit et juge dans ses successeurs (5) , le

(i) Fellcr, ib. Berg. , Dict. théol. Pape, notes.

(2) IX^ Epist. Damasi ad Ascol. n. 2. Ep. R. P., Trad. de VEgl , p. 88.

(3) Feller , Voir Alhanase , note.

(4) XV^ Epist. Bonif. ad Ruf. et episc. Maced. Tradit. de PEgl., t. I , p. 91 et suiv.

(5) Conc. Ephes. , act. 3.

T. X. 28

406

EXAMEN DE L HISTOIRE DE FRANGE

2^ concile oecuménique de Constantitiople, 38 1, auquel le Pape n'avait point envoyé de légat, mais qu'il avait convoqué conjointement avec l'empereur, députe à Rome trois évêques avec des lettres sy- nodales , conçues dans les termes les plus respectueux. Les Pères du concile se déterminèrent à celte démarche pour s'excuser de ce qu'ils ne pouvaient se rendre à Rome, h cause des troubles de leurs églises ; ils envoyèrent eu même temps les actes du concile , pour en obtenir la confirmation (i).

Avant le concile d Éphcse , le concile de Sardique, 347, com- posé d'environ 3oo évêques de trente provinces, avait reconnu le plus absolu pouvoir au Souverain-Pontife, en matière àe dépositions d évêques. Si un évêque jugé veut en appeler , la cause sera portée au Saint-Siège y qui nommera de nouveaux juges , ou con- firmera le premier jugement... Dans aucun cas il ne pourra être nommé de successeur qu'après la décision de V évêque de Rome (2),

Avant le concile d'Ephèse , on avait vu les légats du Pape , Osius , évêque, et Vitus et Vincentius , simples prêtres, s'asseoir, dans Nicée , 325, à la tête du premier concile œcuménique, et présider à la sainte assemblée (3).

Enfin, si nous remontons au premier de tous les conciles, à celui que Pierre présida dans Je'rusalem , c'est Pierre qui parle avant tous, et un seul parle après lui pour confirmer ses décisions.

M. Michelet n'est pas heureux ici dans le choix de ses autorités; il cite, comme opposans à la suprématie du Pontife romain, saint Augustin et saint Je'rome. Or, il est douteux qu'aucun autre Père l'ait mieux établie que ces deux grands personnages , par leurs pa- roles ou leur conduite. Nous avons eu la curiosité' de vérifier les textes indiqués par M. Michelet ; pour saint Augustin , c'est le Traité i24 in Evang. Joann. Nous avons trouvé dans ce même traite', que Pierre , à cause de la suprématie de son apostolat, portait en sa personne , si Von peut parler ainsi , comme une

(i) Les évoques disent au Souverain-Pontife, qu ils seraient ravis d'' avoir des ailes de colombe , pour aller plus vite uers lui. Théodoret , \. v, c. 9.

(2) Conc. Sardic. . can. 3 et 4-

(3) Socral. , lib. i, c. i3.

DE M. MIGHELET. 407

généralisation figurée de r Eglise (i). Pour saint Jérôme, c'est le lii>re I^^ adi^. Jovin. Voici ce qae nous avons lu ( adv. Jovin ,1. i) : Quoique le fondement de V Eglise repose également sur eux ( les apôtres), cependant, un seul est choisi entre douze ^ afin que , un chef étant constitué , V occasion du schisme soit enlevée (2), Mais il ne s^agit point de torturer des passages isoles des SS. Pères; qu'on se pénètre de l'esprit général de leurs ouvrages; qu'on lise les lettr s de saint Jérôme au pape Damase ; qu'on lise dans saint Augustin , celles qui sont adressées au pape Innocent (3) , et l'on verra si la foi, l'amour, la soumission, ont jamais parlé un lan- gage plus respectueux, plus tendre, plus filial.

Avant de quitter ce sujet , prêtons un moment l'oreille à un magnifique concert, qui s'élève de Rome à Carthage , des bords du Rhône à ceux du Jourdain « 0 Église, mère et racine de

(i) Ecclesiae Petrus apostolus, prop'er apostolatùs sui primatum , ge- rebat 6guratâ , generalitate personain (n. 5).

(2) Licet ex £equo super eos ecclesiœ fortitudo solirletur; tamen, prop- tereà unus inter duodecim eligitur , iit, capite constitufo , schismatis tollatur occasio.

(3) On peut y joindre les lettres à Glorius , etc. , à Optât, à Gene- rosufs , à Fortunatus, etc. , et surtout les réponses du pape Innocent : « Suivant les exemples de Fantique tradition, et l'autorité de la disci- )> pline ecclésiastique, écrit ce Pape aux évêques du concile de Carthage , » vous avez fait éclater votre foi en décidant qu'il en fût référé à notre « jugement, sachant ce qui est au Siège apostolique gardant les » institutions de nos pères, qui ont décidé , par un sentinnent non hu- » main , mais divin , de ne terminer aucune afTaire relative aux provin- 11 ces séparées et lointaines , avant que la connaissance en fût venue à » ce siège, qui devait confirmer la juste décision avec toute son auto- » rite En recourant à celui qu'environne , outre les soins extérieurs, » la sollicitude de toutes les églises . vous vous êtes conformés à l'an- » tique règle, qui, vous le savez comme moi, a été suivie partout et » toujours.... Vous n'ignorez pas que de la source apostolique émanent » sans cesse des réponses h toutes les provinces , surtout lorsqu'il est )> question de la foi , etc. , etc. « (Epit. aux Pères du concile de MUct. D. yiug. Op., t. u, p. 160, édit. Lovan.). C'est ce que M. Michelet appelle la timidité et la nouveauté des prétentions d'Innocent.

28.

408 EXAMEN DE l'histoire UE FRAINCE

» toutes les autres (i), fontaine apostolique (2), à laquelle il faut » que tous se réunissent à cause de sa principauté plus puissante (3), » Eglise à laquelle préside la bouche et le chef de l'apostolat (4) , » l'évêque élevé au faîte apostolique (5) ! Eglise principale , d'oii » est sortie l'unité du sacerdoce (6)! Est-il quelqu'un qui, sesé- » parant de la chaire de Pierre, sur laquelle est fonde'e l'Eglise, )) prétende encore être dans l'Eglise (7)?...

») C'est à Pierre qua été donné le souverain pouvoir de paître » les brebis, et sur lui, comme sur la pierre, a été fondée 1 E- » glise (8). Le Seigneur a laissé les clefs à saint Pierre, et par » lui a l'Eglise (9). Le Seigneur a parlé à Pierre, à un seul, pour » fonder l'unité par un seul (10). Voici un e'dit , un édit péremptoir, n il vient du Souverain-Pontife , de l'évêque des évêques \^i i). Rome » est le fondement consolide par Dieu; c'est le pivot sacré, sur )) lequel tournent et sont soutenues toutes les églises (12). Il est » très-bon et très-convenable que de toutes les provinces , les prê- » très du Seigneur en réfèrent au chef, c'est-à-dire, su siège de » Pierre (i3). Pierre a mérité d'être préfère' à tous les apôtres, et » il a seul reçu les clefs du royaume du ciel pour les communiquer

(i) St. Anaclet , Pape, Epistola ad omnes episc. et Jîcleles , cité par M. de Maistre , du Pape.

(2) S. Ignat. , Epist. ad Rom. , in suscript. I (3) Propter polentiorem principalitatem. St. Iren, , contra hœres. , 1. ni, eh. 3.

(4) Origen. , hom. 55, in Math.

(5) S. Cypr. , Epist. 3, 12.

(6) Id. , Epist. ad Cornel. (j) Id. , De unit. Ecoles.

(8) Orig. , Epist. ad Rom. \. v.

(9) Tertull. , Scorpiac. , c. 10.

(10) S. Pacian. , Epist. 3.

(lï) Tertull., De Pudlcit. c. i. (12) S. Athan. , Epist. adJulium. (i3) S. Hilar., p. 1290, édit. Paris, 1695.

DE M. MICHELET. 409

» aux autres (i) ; il a paru convennable d'écrire à l^e'vêque romain , )) afin qu'il connaisse de nos affaires et qu'il interpose le décret )) de son jugement (•2). Le successeur de Pierre tient sa place et » participe à son autorite (3). Nous n'adopterons que ce que » l Eglise romaine aura a|)[)rouvé (4) ».•••

Enfin, au commencement du 5^ siècle , l'Aquitain saint Prosper, pouvait jnstenient s'écrier : « Rome , siège de Pierre , capitale de » deVordre pastoral, tout ce que tu ne possèdes pas par les ar- » mes , tu le tiens par la religion (5j. » '

Passons à la deuxième assertion de M. Michclel , celle qui re- présente le trai>ail libre et volontaire comme une innovation dans l'Eglise, coïnme une invention de saint Benoît. Malheur à nous, si nous voulions ternir un seul rayon de l'aurcole du glorieux pa- triarebe ; mais elle est assez resplendissante pour qu'on ne vienne pas la souiller d'un iaux éclat. C'est, ce me semble, un parti pris depuis que les haines anti-religieuses se calment et qu'on veut bien rendre, jusqu'à un certain point, justice aux institutions monastiques , de réserver toutes les louanges pour les ordres d Oc- cident. Ces panégyriques ont une contre partie ne'cessaire , l'insulte et la de'rision pour les pauvres moines orientaux. Ce sont des cer- veaux troublés, des imaginations malades, rejetant toute loi, s'a- landonnant à tous les écarts d'un mysticisme effréné (6j. Ou se peint une longue fde de figures, plus ou moins grotesques , les unes échevilées , haletantes, presque furieuses, les autres blêmes et im-

(0 S. Optât. ^ contra Parmen. , 1. vu, n. 3. S. Gregor. Njss., t. 111, p. 3i4- Paris.

(2) S. Basil. , Epist. ad Adianas. , 52.

(3) S. Eplirem , Encom. S, Dasilii.

(4) S. Anibros. , Epist. ad Thcophil.

(5) Sedes Roma Pétri , qu;B pastoralis honoris

Facta caput mundo , quidquid non possidcl armis Religione tcnet. ( S. Prosp. , carni. de ingratis , p. i , c. 2 , v. et s. ) (6) Voyez M. Michelet , t. i , p. ii3, note.

410 EXAMEN DE l'uISTOIRE DE FRANCE

mobiles comme, les idoles de granit qui les avaient devancées et qui leur ont survécu dans la Haute-Egypte. Si l'on voulait bien ré- fléchir, on se ferait d'autres idées; on aurait peine à se défendre de quelque admiration pour ces géans du christianisme , pour ces lutteurs qui ccmbattaient si rudement le grand combat de l'huma- uité, do la chair contre l'esprit. Nous ne savons si le diable prit toutes les formes effroyables ou séductives que nous ont si scrupuleu- sement conservées les légendaires; mais ce qui est sûr, c'est que la plupart de ces hommes avaient vécu à Rome , à Corinthe , à Alexandrie, à Canope; ils avaient bu à la coupe de toutes les Ba- bylones du bas-empire; lorsqu'ils fuyaient au désert, ils emportaient avec eux une légion d ennemis plus redoutables que tous les mon- stres de leurs apparitions. A 1 approche de leurs redoutables assauts, ils recouraient à des armes long-temps éprouvé >. Ceux-ci châtiaient leurs corps par les coups, les autres par le jeûne; Antoine s'en- terrait dans son sépulcre , Pacôme marchait dans les buissons , ïïi- lariou s exténuait par la faim, Jérôme se brisait la poitrine à coups de pierre, et sa main, encore sanglante , traçait ces étonnantes pa- roles : Mon corps est noir et desséché , les abstinences t'ont rendu froid, la chaleur naturelle est éteinte; il semble toutefois que le fond de la concupiscence le soutienne... Je fuis ma cellule comme un témoin qui , sachant mes pensées, peut déposer contre moi,... Etait-il donc indigne de Dieu d'opposer ces sublimes exagérations de la vertu , au monstrueux de'bordement de tous les vices? et lors- que la dégradation du monde romain avait si bien montré jusqu'à quel point l'âme pouvait être soumise à l'empire des sens, de faire voir jusqu'à quel point la matière pouvait être domiue'e par l'esprit?... Fallait-il moins que ces dures pe'nitences pour impressionner ces populations avilies.'* moins que ces victimes volontaires, pour méri- ter aux hommes la pitié de Dieu?... Quon ne croie point que ces so- litaires vécussent sans aucune relation avec leurs semblables : leur vie, 'leurs prodiges, leur soin même de se cacher, attiraient le peu- ple autour d'eux. On accourait des lieux lointains, on les poursui- vait de solitude en solitude; souvent il s'établissait à la porte de la cellule une lutte entre l'humilité' de l'ermite el la curieuse pie'té de la foule. Enfin , après avoir entendu quelque voix du ciel, le moine se montrait avec son corps flagellé et sa face amaigrie ; il consolait

Dli M. MIGUELF.T.

411

les uns, guérissait les autres, les bénissait tous. Il avait droit alors de parler de la vertu du christianisme, de sa rigoureuse morale; ce qu on avait vu préparait les cœurs à ce qu'on allait entendre. Quel effet devait produire, dans les villes toutes païennes , les ré- cits de ces nombreux pèlerins , racontant ce qu'ils avaient vu dans le désert? Sans doute, il y eut des abus, des désordres; on vit de faux moines , de vagabonds sarabaïtes; d'autres qui donnèrent dans les erreurs des Massaliens, rejetant toute espèce de travail , et s'abandonnant kde vagues hallucinations... Mais il n'en est pas moins vrai que le travail des mains était regardé comme un point essentiel de la règle monastique. Saint Augustin a fait un traité expressément sur ce sujet (i). Cassien, qui avait si long-temps vécu avec les moi- nes d'Orient, a laissé le détail de leurs divers travaux. « Travail- )) lez, écrit saint Jérôme, ce dur Stridonien , qui n'c tait point H oisif, lui, dans sa grotte de Bethléem, travaillez, écrit-il à » Rustique, auquel il enseigne la vie d'un véritable moine , faites » des nattes, des corbeilles, sarclez le jardin, greffez des arbres, » faites des ruches d'abeilles, et apprenez de ces petites bêtes à w vivre en communauté ; transcrivez des livres. C'est une coutume » établie dans les inouastèrcs d'Egypte de ne recevoir personne » qui ne sache travailler... » Ailleurs, il raconte comment saint Maie résolut de retourner au monastère qu'il avait quitté : « Je vis » (c'est Maie lui-même qui parle), je vis un sentier plein de M fourmis : les unes traînaient de lourds fardeaux, d'autres char- « riaient du blé , emportaient des cadavres; elles s'aidaient et se

u soulageaient réciproquement Ce spectacle me lit réfléchir, je

» désirai retourner dans les cellules du monastère , oii je pusse » imiter les fourmis que je voyais , travaillant pour la communauté , » et chacun n'ayant rien de propre , toutes choses appartiennent

(i) De opère monach. Voy. Cassien, Institut, monast. St. Jean Climaque lui-même, si versé dans ta vie contemplative, et qui doit son nom à son livre de r Échelle sainte {p^Xtfia^,) au moyen de laquelle on anpreiiil à s'élever, par trente dei;ics , jusqu'à la plus liaute mysticité, recommande dans ce même ouvrage de considérer ai'ec soin en quel temps il faut préférer le travail à la prière; il réprimande /i/c/iei e< pares- seux (jui préfèrent la prière à des travaux pénibles (4" degré).

412 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANGE DE M. MICHELET

)) à tous. » Peut-on désirer une expression plus juste du travail libre et en commun ?

Mais on voudrait que ces communautés se fussent rendues maté- riellement utiles à la société , qu'elles eussent défriche des champs, fait l'iigriculture sur une plus grande échelle D'abord, est- on bien sûr qu'il y eût à cette époque, dans tout l'empire romain, un champ qui pût être cultivé ?... Le fer qui creusait alors la terre, était la pique des légions et l'épieu des barbares; l'engrais qui fécondait les sillons, était le sang humain; c'étaient les cadavres qui s'entassaient depuis la Bretagne jusqu'au fond de la Perse... La bêche des moines se serait émoussée contre les armures et les os- semens. A moins qu'on ne préfère dire qu'ils devaient défricher les sables delà Thébaïde. Encore faut-il savoir que leurs demeures, leurs pauvres plantations e'taient perpe'luellement ravagées par les bêles sauvages, par les voleurs, par les Arabes, par les hérétiques, qui ne manquaient pas de venir de temps à autre donner la chasse aux solitaires. De plus, un certain nombre d'entr'eux avaient combattu dans les persécutions et confessé la foi; on leur avait fait glace de la vie, et ils arrivaient tout couverts des marques de la gracieuse faveur des Césars. Ces marques étaient un bras de moins, la langue arrachée, les mains coupées, les yeux crevés, les mem- bres rompus.. Ceux-ci, certes, ne pouvaient faire de ions travail- leurs, et ils semblent avoir conquis d'assez glorieuses invalides. Quant à saint Simon Stylite, il avait converti au christianisme les Libaniotes et une partie de l'Arabie ; on peut lui pardonner de s'être reposé sur sa colonne. Annales de Phil. Chrét. 49«

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L'ÉVÊQUE "WITTRIANN (1).

Parmi le petit nombre de biograpliies dignes d'inte'rêt, il en est qui ont un charme particulier pour une classe de lecteurs, dans laquelle nous aimons à placer tous les nôtres. Je veux dire les biograpliies de ces hommes parvenus, h force de com- bats et de victoires contre eux-mêmes, à déplacer, au fond de leur cœur, le principe et le terme ordinaires de l'activité humaine, l'amour de soi, pour y substituer cet autre mobile que la langue chre'tienne a nomme' charité, mais que nous pouvons aussi appeler he'roïsme , qui subordonne toute une âme, toute une existence, à des âmes, à des existences e'tran- gères , et fait de ce que nous avons naturellement de plus pre'- cieux , un holocauste continuel. Il s'exhale de cette sorte de re'cîts un parfum fortifiant et suave, qu'une âme bien faite ne respire jnmais sans de'sirer aussitôt de devenir meilleure. Alors, dans ces instans de re'veil et délan de tout ce qui, en nous, est reste' ge'ne'reux et pur, on e'prouve un besoin immense de renouveler sa vie , de se de'pouiller des jours accomplis, comme d'un vêtement souille' par la ])oussière ou la boue du vojaqe, et de traverser des eaux purificatrices, pour rentrer, athlète plus vigoureux , dans la carrière Dieu nous a place's. Sur- tout lorsque lame est jeune et neuve, les grands exemples de perfection morale et de de'vouement religieux, produisent de profondes impressions. Mais aussi, pour employer le seul lan- gage qui puisse rendre notre pense'e tout entière , quel plus sublime spectacle que celui d'un homme ve'ritablementyo««?é' daîis la charité, dans cette charité ^a/ienfc et bienveillante, qui ne connaît ni l'cni>ie, ni la malignité , ni la vanité ; qui

(i) Revue Européenne , 35.

414 l'évêque wittmann^

n'est point ambitieuse , point ai'idc de son propre intérêt, point colère ; gui ne sait ce que c'est de penser le mal , ou de se ré- jouir de rinupdté , mais qui , au contraire, ne trouçe sa joie que dans la vérité , supporte tout, croit tout, espère tout, souf- fre tout (i)? La, et uniquement là, est ia vraie sagessp , la sagesse d'en haut, d'abord liumble , et ensuite pacifique, mo- deste , persuasive , amie des bons , pleine de miséricorde et d'heu- reux fruits , s abstenant de juger , exempte d^ artifice (2). Je le tlemande , y a-t-il dans la re'alite' , peut-on même concevoir ua plus haut apoge'e de toutes les nolUes faculie's de notre nature^ Et cependant, chez le ve'ritai)le héros, tout est simple, sou- vent même petit à l'exte'rieur : point de ces inquiets efforts de la perfectibilité' purement humaine; surtout rien de son osten- tation. C'est que le principe et le point d'appui de riie'roïsrae chrétien sont ailleurs que dans notre moi, si pauvre et si fai- llie ; c'est qu'on n'y arrive que par l'humilité'. Cet aveu du fait de notre ind!t;ence , qui serait, pour tout homme re'fle'chissant, la chose du monde la plus naturelle , si elle n'e'tait qu'une simple ide'e, si elle ne devait pardessus tout, se faire acte, s'incarner , pour ainsi dire, incessamment dans la conduite. Dans la conduite!.... Voilà le point difficile, le terrain du combat, mais aussi le sujet du triomphe, et du plus grand, ^u plus beau triomphe qu'une cre'ature humaine puisse remporter.

Le ve'ne'rable e'vêque Wittmann fut un de ces rares vainqueurs de soi même, dont les regards de Dieu pre'fèrent certainement la lutte à celle que Se'nèque proclamait le plus suhlime spec- tacle que la terre pût offrir au ciel ; l'humanité' et la charité, tels furent comme 1 s deux ]iôies de toute sa vie, d'une lon- gue vie de soixante-treize ans.

Nous avons cru procurer un utile plaisir à nos lecteurs , en leur faisant connaître cet homme admirahle , et, pour cela, nous n'avons rien trouve' de mieux à faire, que de traduire, en entier , la belle oraison funèbre prononce'e par M. l'ablie'

(1) Saint Paul.

(2) Saint Jacques.

L^ÉvÉQUE WITTMATfN. 415

Diepenbrock, chanoine de l'ëglise cathédrale de Ratisbonne , le 2 avril i833. M. l'abbe' Diepenbrock, ainsi qu'il eût ëte' fa- cile de le soupçonner par le morceau que l'on va lire, joint à ses vertus et à sa science eccle'siastique , un talent de poète remarquable. Il s'est fait connaître comme tel, daiis le monde litte'raire de l'Allemagne catholique, par un charmant recueil intitulé : Geisllicfwr Blumen strausz , l'on trouve , à côle' de nombreu.>res pièces originales, une excellente traduction en vers de fragmens des poètes ascëtiqties espagnols les plus esti- més , et d'une des meilleures tragédies de Galdéron.

Oraison funèbre de feu Monseigneur George- Michel Wittmann , docteur en théologie, cvêque nommé de Ratisbonne, doyen du Chapitre de l'église cathédrale , vicaire-général et directeur du séminaire diocésain, membre honoraire de l'Ordre royal bavarois de Louis , prononcé dans l'église cathédrale de Ratisbonne , le 2 avril i833 , au troisième service funéraire.

Depuis quarante-rinq années, chaque jour à certaines heu- res, dans les rues de Ratisbonne, on voyait passer hâtivement, la tête et le regard baissés, un homme vêtu de l'ancien habit ecclésiastique, recevant de tous un salut plein de vénération, qu'il rendait ave: l'iménilé la plus affectueuse, et souvent en- touré d une troupe d'enfans qui s'attachaient à son long man- teau noir. Celaient , d ordinaire, les quartiers les plus éloignés qu'il parcourait, entrant dans les maisons des pauvres et des malades, s'arrétant dans les hôpitaux, dans les écoles et les églises. L'empressement de sa démarche, joint à la piété ré- pandue sur tout son extérieur, trahissait le sublime ministère qu'il allait rem])lir, et partout sa présence inspirait le recueil- lement, le respect et la paix. C'est ainsi que nous l'avons tous vu chaque jour, et depuis quelque temps nous ne le voyons plus; il ne ])asse plus au milieu de nous 5 l'évêque Wiltmann est mort! Trois semaines sont à peine écoulées, depuis qu'un long convoi portait son corps privé de vie à travers les mêmes rues qu'il parcourut si souvent en répandant la bénédiction ,

416 l'évêque wittm\nn.

et des milliers d'hommes se pre'cipitaient pour voir cette fu- nèbre solennité, et saluer une dernière fois sa de'pouille mor- telle; et les mères accouraient, portar.t sur leurs bras leurs petits enfans, pour pouvoir dans la suite graver en eux , comme lin inelTacable souvenir, qu'eux aussi assistaient aux fune'rail- les du saint e'vêque ; et beaucoup de larmes ont e'te' verse'es , autant peut-être qu'il en a essuyé' durant sa vie; et enfin, il a e'te' de'pose' ici même, au pied de l'autel, dans le sombre tombeau ; et , si tous cherchez la place , vous la reconnaîtrez sans peine à la foule agenouille'e autour de cette froide pierre, qu'elle baigne de ses pleurs.

Quel est donc le motif d'un deuil si géne'ral ? C'est la pense'e d'une irréparable perte ; la pense'e qu'une source vivante de be'ne'diclions est tarie, qu'une colonne est renverse'e , sur la- quelle reposait tant de bien , tant de sainteté' : et ce sentiment n'est point une illusion; c'est une ve'rité, une ve'rile' doulou- reuse! Toutefois il ne convient pas que nous chre'tiens, nous nous abandonnions à une tristesse dësespe're'e et aveugle; car noire Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vi- vans; et, si les cheveux de notre tête ont e'te' tous compte's par lui, i! a certainement compte' de même les jours du juste, et le dernier battement de son cœur est dans ses mains comme le premier. Afin donc que notre tristesse soit e'claire'e, salutaire, vraiment chrétienne, considérons ce que la divine Providence nous avait donné dans la personne du défunt et nourrissons soigneusement, au fond de nos cœurs , le souvenir de ses vertus. Toute l'Histoire sainte nous montre que, pour le maintien et l'avancement de son règne ici-bas , le conseil de Dieu est d'agir sur les hommes par d'autres hommes; et il n'y a rien qui nous doive surprendre , puisque Dieu lui même s'est fait homme afin de nous sauver. Sans doute, depuis la première fête de la Pentecôte , l'Esprit divin continue d'opérer invisible- ment dans son Eglise ; mais il se sert d'individus pour agir sur les masses, de même qu'il se servit de douze apôtres pour con- vertir trois mille juifs ; et , lorsqu'il éclaire intérieurement le centurion Cornélius, le trésorier de la reine d'Ethiopie et Saul, il emploie en même temps un secours extérieur, en les adres-

l'évéque wittmanîî. 417

sant à Pierre , à Philippe , à Ananias. Aussi a-t-il existe' , et existera-t-il partout et toujours, clans 1 Eglise, des hommes place's au luilieu de leurs lières, comme supports de la sain- teté', et comme témoins des clioses éternelles; semblables, en cela, à ses hautes montagnes qui servent de point de direction au voyageur e'gare', hrisont la violence des venls destructeurs, renferment dans leurs entrailles les métaux les plus ])récieax, et amassent les eaux du ciel sur leur sommet, d'où elles s éj)anclient dans toutes les directions, en fleuves et en ruisseaux bien- faisans.

Au nomhre de ces hommes de Dieu, ve'ritaLle sel de la terre , qui préservent le genre humain de la corruption et de l'en- gourdissement, la ville et le diocèse de Ratisbonne doivent compter George Michel Wittmann , dont le service funèhre nous rassemble encore une fois en ce lieu aujourd'hui.

L'histoire de sa vie extérieure est extrêmement simple, mais marquée en tout du sceau le plus éclatant de la grandeur d'âme. Il naquit, le 23 janvier 1760, à Finkenhammer , auprès de Pleistein , dans le haut Palatinat, d'une famille aisée, mais dont les sentimens chrétiens sont encore le plus bel héritage. Dès sa plus tendre enfance il manifesta un goût prononcé pour la retraite. Ses parens l'envoyèrent , à l'âge de dix ans , à Missbrunn, chez un curé d'une grande piété. on le trouvait souvent enfermé dans la chapelle de la maison et s'exerçant aux céré- monies du service divin, au lieu de se livrer aux amusemens des enfans de son âge : on l'entendait aussi souvent prêcher seul , lorsqu'il croyait n'être pas écouté. De Misshrunn il alla à Amherg étudier le latin , et y reçut , durant plusieurs années , l'excellente éducation des jésuites. Lorsqu'aux vacances il re- tournait à la maison paternelle, on lui donnait, pour ses étu- des et pour ses exercices de piété, une petite chambre, d'oti il ne sortait que très peu, et jamais pour aller dans le monde. Cet amour de la solitude , marque d'une âme élevée et sérieuse, il le conserva jusqu'à la fin , et ce n'est qu'ainsi qu'il pouvait devenir ce qu'il a été en effet, le citoyen et le témoin d'un monde différent de celui qui s'agite sous nos yeux dans le tour- billon de la vie.

418 l'kvêque wittmanpt.

D'Amberg il se rendit à l'aniversité tl'Heidelberg , il posa la base de cette science étendue et solide , qni , sous la forme la plus simple, Ijrille d'une manière si frappante dans ses écrits et ses leçons. Ce fut de quil fit un voyage à travers une partie de l'AHeinagne, et nous trouvons dans une lettre de lui encore existante, quil e'crivit à ses parens sur ce sujet, la preuve de la maturité' intérieure, de la clarté' du coup d'œil , du ca- ractère se'rieux, de la finesse de tact de ce jeune homme de dlx-neof ans, et de la sensibilité poe'tique de son âme, ou- verte à tout ce que la nature offre de beau et de grandiose. <( Ce ne'tait pas le plaisir que je cbercbais, dit-il, mais la con- » naissance des hommes et de moi-même. » Opposant ensuite au splendide jardin d'un prince, une simple gorge de mon- tagne des environs de Coblentz, dans laquelle l'avait e'gare' une promenade solitaire, il s'exprime ainsi : « J'ai e'prouvé un » plaisir bien autrement vif; j'ai vu les œuvres de Dieu dans » toute leur virginité' et dans toute leur grandeur; aucune ») main d'homme ne les a encore alle're'es ; nulle trace de la w me'chancete' du monde; rien qu'un sentier à peine visible; » point de mensonge, point de vanité'.... » remarquables pa- roles qui nous font lire profonde'ment dans cette grande âme.

Anrès avoir passe' le temps d'e'preuve et de pre'paration au se'minaire de Ratisbonne , il reçut, avec dispense, les ordres sacre's à l'âge de vingt-deux ans , et ce'le'bra , pour la première fois, le saint sacrifice à la fête de l'Epiphanie, sofîrant tout entier à Dieu dans l'or d'un zèle pur, dans l'encens d'une vive pie'te', et dans la rayrrlie du renoncement à soi-même. Il e'tait naturel que l'onction sainte communiquât la plus riche fécon- dité' sacerdotale au fonds si bien prépare' de son esprit et de son cœur, et tout ce que, dans la suite, on a vu en lui d'ad- mirable , a germe' du sein de ce sol béni.

De'jk, depuis environ cinq ans , il remplissait, à la campagne, les fonctions du saint ministère, avec ce zèle qu'inspire la charité', lorsqu'en 1788 il fut appelé' au se'minaire de Ratis- bonne, en qualité' de sous-directeur, et y commença cette car- rière pleine de bonnes œuvres , qu'il a poursuivie sans inter- ruption jusqu'à sa mort, c'est-à-dire à peu près l'espace d'un

l'évèque wittmann. 4! 9

demi-siècle. Dans cet intervalle , plus de mille jeunes gens ont e'te' pre'jtare's par lui au sacerdoce, et l'on peut voir, dans un petit e'crit intitule' : ISom'clles du séminaire de liatisbonnc , les principes qui lui servaient de règles et qu'il a constamment suivis. Mais ce qui produisait sur l'esprit des e'ièves plus d'effet que les leçons , que toutes les exhortations et tous les exerci- ces, c'e'tait l'homme lui-même, l'éle'ment spirituel visiblement fixe en lui, et qui, pour ainsi dire, incorpore' à tout son être, se manifestait dans le moindre de ses actes ; c'e'tait sa foi vi- vante, ine'hranlable , en la personne et en la foi de Je'susChrist son esprit intimement pe'ne'trë du sens profond, plein de mys- tères, de toutes les institutions et de tous les usages de I Eglise ; sa charité' de'vone'e, l'he'roïsme de ses victoires sur lui-même, sa mortification, son humilité', son amour de la prière et du recueillement. Le commerce journalier d'un tel homme ne pou- vait manquer de faire Jaillir dans de jeunes âmes jusqu'à la moindre e'iincelle d'esprit eccle'.siastique. On s'accorde surtout à louer, comme spe'cialement salutaires, les entretiens parti- culiers qu'il avait ordinairement le soir, dans sa chambre, avec les séminaristes, et qu'il savait si bien proportionner à l'e'tat de l'âme et aux besoins de chacun d'eux. Parmi les nombreux objets de sa sollicitude, un des premiers e'tait d'insjiirer aux futurs pasteurs l'amour des enfans et de les remj)lir de zèle pour leur instruction. Ses leçons sur la morale , sur la casuis- tique, la liturgie et l'Ecriture sainte, te'moignaient de sa rare e'rudition et de la clarté de son jugement, en même temps que, par l'e'tonnante originalité' de ses vues, il prouvait d'une ma- nière admirable jusqu'à quelle bauteur la liberté' et l'indivi- dualité' de la spe'culation peuvent s'allier à la plus stricte or- thodoxie.

Telles e'taient de'sormais ses fonctions, au pe'nible accomplis- sement desfjuclles il apportait tous les jours la même ardeur. Chaque nouvelle anne'e lui amenait de nouveaux e'ièves, et il avait la douleur de voir les pre'ce'dens se se'jiarer de lui au moment même oii il commençait à jouir de leurs progrès. Que sur un si grand nombre, tous n'aient pas re'pondn à ses soins, à ses de'sirs et à son attente , cela est dans la nature des cbo-

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LEVEQUE WlTTMANIf.

ses : mais, parmi cenx à qui il a servi de maître et de guide, il n'en est certainement pas un seul, qui, après lavoir quitte', ne se sotnînt de lui avec ve'ne'ration, et ne de'sirât lui ressem- bler sous quelque rapport. Si , en ge'ne'ral , le cierge' de Ratis- Lonne, niênie dans les premières anne'es des houleversemens de notre Eglise, a toujours eu une re'putalion distingue'e, nul doute qu'il ne faille , avant tout , l'attribuer au défunt : mais ce n est que dans l'autre vie que l'on pourra savoir combien d'âmes doivent leur salut aux rayons de lumière dont il a e'té le foyer. Beaucoup de ses anciens e'Jèves , qui sont aujourd bui de dignes j)asleurs, de'clarent à liaute voix qu'après le secours de Dieu, c'est à lui qu'ils doivent, non-seulement d'avoir e'té de'livre's de l'incroyance et du pe'che, mais encore tout ce qu'ils peuvent avoir ope're' de bien : aussi n'est-ce pas dans un sens purement me'tapborique , qu'il doit être appelé' le père spiri- tuel de ce diocèse.

Il devint, en i8o3 , premier supe'rieur du se'minaire , et, en i8o4, l'e'vêque primat lui remit, après la destruction des frères-mineurs, le vicariat de l'e'i^lise calbe'drale , qui avait été jusqu'alors desservie par ces religieux. Le ze'le' ministre du Seigneur accepta avec joie ses nouvelles fonctions, et lorsque, plus tard, le prince voyant qu'elles le surcbargeaient , voulut les lui retirer, il le sapplia de n'en rien faire, disant qu'avec l'aide de Dieu , la cbarge n'e'tait pas trop pesante.

L activité' qu'il prodiguait dans ce nouvel emploi, la ma- nière dont il travaillait sans rclâcbe au confessional, dans la chaire, dans les hôpitaux, dans les e'coles , tout cela ne se peut décrire, et d'ailleurs il me suflit d'invoquer sur ce point le te'moignage de nos deux villes (i). Je ne citerai que quel- ques traits qui taracte'riseront sa conduite tout entière.

Pour lui, comme pour tous les hommes de bien éclairés, l'intérêt des enfans était un point essentiel. Il savait que c^est dans leurs rangs que l'on fait le plus de conquêtes pour le

(i) Ralisbonne est divisé en deux parties, qui forment, pour ainsi dire , deux villes distinguées , dont Tuue s'appelle Stadtamhqf.

l'évêque wittmann. 421

royaume de Diea , et que l'on arrache le plus de victimes au ge'nie du mal. De son infatigable sollicitude pour les e'coles , qu'il visitait re'gulièrement deux fois par jour, dans la ville et à Stadtamhof. Dui'ant plusieurs anne'es, il donna lui-même l'instruction religieuse dans toutes les classes , ce qui lui pre- nait trente-sept heures par semaine. Il e'tait le père des enlaus pauvres et sans parens ; il les nourrissait et les vêtissait; son cabinet e'tait pour eux une ve'ritable garde-robe. Quand ils étaient plus avance's en âge , il les faisait entrer au service de gens reconnus comme bons chre'tiens, ou les plaçaii en appren- tissage chez des maîtres dignes de confiance, et ne ne'gh'geait jamais de s'informer soigneusement de leur conduite. 11 y avait des jours il conduisait à la promenade les e'ièves des e'coles et les orphelins , et il leur distribuait lui-même des rafaîcbis- semens. Jamais il n'e'tait plus heureux que dans leur compa- gnie; tout son être se transfigurait, pour ainsi dire, au milieu de l'innocence qui l'environnait , et ces instans d'un commerce affable, plein de confiance, avec de petits enfans , e'taient la seule re'cre'ation , l'unique joie, que cet homme mortifie' se permît sur la terre. Pourrait-on s'e'tonner , après cela, que, de leur côté , les enfans se sentissent comme magnétiquement at- tirés vers lui, et que, dès qu'ils l'apercevaient, ils courussent a sa rencontre .•*

Il connais.sait exactement toutes les familles de sa paroisse, savait leurs ressources et leurs besoins, ce qui le mit en état de rendre d'importans services au conseil d'administration chargé du soin des pauvres. Son opposition était inflexible, lorsque des gens moins nécessiteux voulaient profiter de la charité publique aux dépens d'autres personnes plus indigen- tes , et il préférait les secourir de ses propres deniers. Sa con- sciencieuse rigueur, en de pareilles circonstances, lui attira plus d'une insulte publique de la part de mendians éhontés; mais il supportait tout cela sans mot dire, comme s'il ne l'eût pas entendu : on le vit même une fois, poursuivi par la clameur de ces misérables, continuer son chemin en silence au milieu du pont, et à travers la ville, jusqu'à sa maison. Ce n'est point un fait rare dans sa vie, que, pour apaiser des T. X. 29

422 l'ÉVÉQUE W1TTMA.NN,

discordes de familles , particnlièrement celles dont l'éducation des erifons avait à soull'iir, il ait pris, n'ayant plus d'autre moyen , le parti de se jeter tout à coup entre les pareiis di- vises, et de réciter à haute voix le Pater noster. Dans la maison des pauvres de Sladtamhof, dont il e'tait administrateur en sa qualité de curé, il distribuait lui-même, tous les lundis, le bois aux pensionnaires, afin d'e'toulTer toute jalousie entre eux, et il les visitait chaque jour , pour les exhorter chaque jour à la paix et k la concorde.

Mais c e'tait surtout dans les jours de calamile's ge'ne'raies, que se montrut sa re'solution, son de'vouement sans bornes, son amour et sa fide'lité de pasteur, et qu il apparaissait, au milieu des plus grands dangers, semblable à un ange de salut envoyé d'un meilleur monde. Ainsi, dans un violent déborde- ment du Danube, on le vit, sur une faible barque, parcou- rir, au péril de sa vie, les parties inondées, portant à ses pauvres en détresse des alimens qu'il leur faisait passer par les fenêtres. Ainsi encore , à la mémorable prise d'assaut de Ratisbonne, le 23 avril 1809, il se trouvait au plus fort du combat, dans les rues sillonnées par les boulets, par les bal- les , et par les soldats en furie , prodiguant ses efforts à ar- rêter les progrès de l'incendie, à secourir, à sauver ce qui pouvait encore être secouru et sauvé, et, lorsque cela n'était plus possible, à porter aux malheureux et aux mourans les consolations de son saint ministère. Il a peint lui-même ces scènes d'borreurs dans un petit écrit fort renjarquahle , où. il compte, aussi fidèlement que possible, toutes les perles, les siennes exceptées ; car il ne sauva que les registres de sa pa- roisse, trésor d'un million, selon lui, et son bréviaire : quant à son mobilier, sa nombreuse bibliothèque et ses manuscrits si précieux , il ne lui en resta pas la moindre partie. Son extérieur calme et tout sacerdotal dans ces momens terribles, exerçait tant d'empire sur les soldats les plus échauffés , que, loin de lui faire aucun mal, ils ouvraient leurs rangs, comme à un ange de paix , pour le laisser passer.

Lorsqu'un t8i3 les troupes françaises, en opérant leur re- traite, apportèrent la fièvre nerveuse dans la ville, l'homme

l'évêque wittmanw. 423

de Dieu se montra entièrement le même. Les malades et les mourans, à moitié' nus et dans un e'tat de de'goûtante malpro- preté', gisaient entasse's par centaines dans l'hôpital de Saint- Mangj la plus effroyable contagion de'cimait ces infortune's ; tous les jours des barques pleines de cadavres descendaient à rUnterwœerth (i), on les enterrait , Wittmann seul visitait 1 hôpital et en de'fendait l'entre'e à ses vicaires, disant qu'ils se devaient à la paroisse; que, pour lui, s'il pe'rissait , il n'y avait point de perte. il se tenait auprès des malades les plus repoussans , leur distribuait les sacremens avec les con- solations spirituelles, et recueillait sur son sein leur dernier soupir; puis il inscrivait soigneusement leur nom et le lieu de leur naissance, pour pouvoir ensuite donner des nouvelles aux familles. Ce fut particalièrement alors que lui servit sa connaissance de la langue française , et qu'il s'estima heureux de la posse'der. Plusieurs semaines se passèrent dans ces pe'ni- Lles exercices, jusqu'à ce qu'enfin il fût atteint et presque re'- duit à la mort par le fléau. Il crut qu'il allait quitter ce monde , et il le de'sira ; mais Dieu , exauçant les prières des fidèles , le rendit à la vie : il n'avait pas encore amasse' tous les fleurons de sa riche couronne.

Du haut de la chaire, qui de nous, n'a-t-il pas, chaque fois, profonde'ment e'mu et e'difie? Son exte'rieur ëtait de'jà à lui seul tout une pre'dication. Il parlait d'une manière ex- trêmement simple, sans aucune recherche des belies expres- sions; mais ce qu'il disait e'tait esprit et force : il l'avait senti il l'avait expe'rimente' lui-même. Dès qu'il ouvrait la bouche on eût dit qu'il ne fiisait que suivre, à haute voix, le cours de ses pense'es incessamment occupe'es de Dieu. Semblable h un bon père de famille, il rompait également le pain de vie aux pauvres et aux bumbles; celui qui en avait faim , se ras- sasiait auprès de lui; mais celui qui cherchait les morceaux de'- licats d'une e'Ioquence apprête'e , n'y trouvait point son compte ; car il ne savait servir , sur la table spirituelle, que du pain

(i) Ilot formé par le Daiiul)R , au nord-est de Ratisbonne.

29.

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et du vin. Toutefois l'inspiration inte'rieare qui le remplissait, de'bordait souvent, comme à son insu, en paroles et en ima- ges e'ieve'es et poe'tiques. Je n'oublierai jamais un passage de ses sermons sur la passion , il met en face de Pilate , Je'- sus-Christ le roi couronné d'e'pines : « Souffrir, voilà toute la » puissance du Christ; son sceptre est un roseau. Le roseau 3) plie et souffre. La tempête de'racine les cèdres : le roseau >j plie. Les torrens se précipitent et emportent les maisons « dans leur cours : le roseau plie sous les flots qui passent, » et se relève. Vient l'été avec ses dévorantes ardeurs ; i'iierbe » et le feuillage altérés courbent la tête : le roseau reste debout » et ne sèche pas. L'ennemi accourt et ravage les cbamps et » les prairies : le roseau protégé par le limon au milieu da- » quel il croît, ne reçoit aucune atteinte. » Lui-même, cet homme dune patience si calme, d'une ébranlabîe persévérance dans tout ce qui est bon et saint, rassemblait à ce roseau : la mort l'a brisé , et maintenant il verdit et fleurit éternellement devant Dieu.

Son zèle était véritablement infatigable. Après avoir travaillé sans relâche toute la journée, pour les vivans , il allait, dans l'obscurité et le silence de la nuit , prier au cimetière pour les morts : car ses sentimens de pasteur s'étendaient au-delà du tombeau, et la mort elle-même ne pouvait arracher la moindre de ses brebis à son amour.

Il entra comme chanoine , en 1821 , dans le chapitre rétabli de la cathédrale, et prit, depuis ce moment, une part plus active aux travaux du conseil ecclésiastique du diocèse. Mais de nouvelles dignités, c'est-à-dire, comme il les envisageait, de nouvelles charges lui étaient réservées : le vénérable évê- que Sailer le demanda, en 1829, pour coadjuteur. Son hu- milité lui fit d'abord refuser cette place, et ce ne fut que par soumission à une volonté supérieure , qu'il l'accepta à la fin, ainsi que celle de doyen du chapitre. Alors le diocèse de Ratisbonne vit briller en même temps , sur son siège , deux des plus éclatantes lumières de l'église catholique d'Allemagne. Ces hommes admirables s'étaient connus et unis d'amitié long- temps auparavant : car, quelle que fût la différence mise entre

l'ÉvÈQUE WITTMANN. 425

eux par leurs dispositions naturelles, par leur genre de vie ante'rienre , et par leurs fonctions , 11 n'y avait ne'anmoins, pour l'un comme pour l'autre, qu'un seul but, une seule foi, un seul amour , qui les tenait lie's par le fond de l'âme , avant qu'ils ne le fussent extérieurement. Place's,'dès le commen- cement , le premier sur un plus large tlie'âtre , l'autre dans un cercle ])lus e'troit , ils travaillèrent tous deux pour le royaume de Dieu, combattirent tous deux contre l'incroyance, contre l'esprit du monde et des te'nèbres : l'un, tel que Jean, le disciple de l'amour, qui tient dans son sein un oiseau appri- voise'; l'autre semblable à Jacques le Juste, avec ses genoux enfle's et durcis par une prière continuelle dans le temple; car le cbristianisme ne de'truit pas plus l'individualité spiri- tuelle d'un homme, que les traits de son visage; mais il la sanctifie et la transfigure. L'amour et la vëne'ration de Sailer pour Wittraanu , s'exprimèrent de la manière la plus toucliante, dans les derniers jours de sa vie lorsqu'après lui avoir re- commandé son diocèse , il ajouta : Maintenant , je puis mou- rir tranquille , et Wiltmann montra bien qu'il e'tait pe'ne'tre' des mêmes sentimens ;i 1 égard de Sailer, par les sanglots dont il fut suffoqué en transmettant aux élèves du séminaire ses pa- roles d'adieu, et par le discours qu'il prononça sur sa tombe. Ce fut pourWittmann une douleur extrêmement vive d'être obligé de renoncer à sa charge de curé de la cathédrale, qui ne pouvait plus s'ajouter à ses nouvelles fonctions : toutefois lobéissance lui fit encore offrir ce sacrifice. Il s'appliqua , en revanche, avec d'autant plus d'ardeur à l'administration de l'évêché, entreprit des voyages fort pénibles pour visiter et confirmer les parties les plus reculées du diocèse, ne faisant souvent qu'un repas, et encore composé pour tous mets, de pains, d eau et de pommes de terre; après quoi, revenu à Ralisbonne, il s'empressait de rendre au conseil épiscopal , le compte le plus exact de sa mission, proposait et prenait des mesures pour remédier à tout ce qu'il avait vu de défectueux. Comme président de l'ordinariat , il mettait la ponctualité la plus consciencieuse à prendre connaissance et soin de toutes les affaires, pénétrait, avec une rare perspicacité et une iné-

426 l'évoque wittmann.

paisable patience, jusque dans les moindres détails, prêtait attention à tous les conseils, et tenait inebranlabieraent à ce qui avait e'te' une fois de'cide par la majorité', même dans le cas très-rare il se trouvait d'un avis difîe'rent.

Qui e'fait plus digne que cet liomme vraiment apostolique, de relever le hâton pastoral de saint Wolfgang (i), tombe des mains de Sailer? Sa Majesté' sentit cela, et ici même, dans cette e'glise, sur le tombeau à peine ferme' de l'e'vêque de'funt, elle nomma Wiltmann son successeur. Les fidèles du diocèse entier glorifièrent Dieu et be'nirent Sa Majesté' pour un choix qui re'parait, mieux que tout autre, la perle qu'ils menaient de faire. Il n'y en eut qu'un seul qui ne se re'jouît pas : celui- était Wittmann lui-même. Une voix iute'rieure et prophétique, et peut-être une clarle' partie du ciel, la nuit, au milieu de sa prière accoutume'e, l'avertit de penser à un autre avenir. Déjà , dans une maladie qu'il avait e'prouve'e l'anne'e préce'dente , il avait dit que lors même qu'il gue'rirait cette fois, ce ne serait pas pour long-temps. Depuis sa nomination, il re'pe'tait avec assurance qu'il ne monterait jamais les degre's du sie'ge episcopal. Et cette pre'diction à laquelle on aimait tant à ne pas croire , s'est he'las ! accomplie. Sa pre'conisation à Rome fut retarde'e par une omission fortuite d'une des formes usi- tées. Le 22 fe'vrier, il assista encore le matin, au conseil eccle'siastique et alla, l'après midi , prêcher au se'minaire. On remarqua avec inquie'tude la difficulté' de sa de'marche et l'embarras inaccoutume' de sa prononciation. Ayant pris l'or- gueil pour sujet de son discours , il expliqua comment ce vice consiste, particulièrement, en ce que nous, pauvres pe'cheurs, ne voulons point être de pauvres pe'cheurs; et je ne sais quoi de particulier, dans sa parole, la faisait ressembler à une parole du monde des esprits. Le lendemain matin, à cinq heures , il e'tait déjà, selon sa coutume , à l'autel ; mais la douleur qu'il avait e'touffée jusqu'alors devint si violente , qu'elle l'obli- gea , le saint sacrifice à peine achevé', de sortir en toute hâte.

(i) Un des premiers évèques de Ratisbonne.

l'évèque ■wittma?(n. 427

Une maladie extrêmement aigaë s'e'tait de'clare'e. La patience avec laquelle, e'tendu sur sa pauvre couche (i), il endura les maux les plus cuisans, fut la patience d'un martyr. A la ve'rile' , les soins et les efforts multiplie's des me'decins réus- sirent à apporter quelque soulagement à ses souffrances. Lui- même il put croire, un instant, qu'il en reviendrait, et, sans doute, sa pense'e se reporta aussitôt sur les devoirs de sa charge : mais tout le monde , lui le premier , ne tarda pas à voir qu'une gue'rison e'tait impossible, et dès-lors il tourna, avec plus de joie , vers la mort son regard de'goûte' de la vie. La con- sternation devint ge'ne'rale ; partout, dans les e'glises et dans les e'coles , on fit, à son intention, des prières publiques. Lui- même e'tait dans une prière inte'rieure continuelle; souvent il demandiiit l'heure, et quand on la lui avait dite, il ajou- tait : « A celte heure la Je'sus-Christ a souffert tel ou tel tour- » ment. » Chaque jour il recevait la sainte Communion avec une ferveur toute se'raphique. Quiconque le visitait recevait de lui un adieu touchant; il reconnaissait même ceux qu'il n'avait vus que quelques fois, et adressait à chacun quelque parole affectueuse et consolante. Il donna sa be'ne'diction so- lennelle aux élèves du se'minaire , et aux personnes de sa mai- son , et dit ensuite : « Je termine en ce moment ma mise'rable » vie; Dieu m'appelle h lui; j'espère en sa miséricorde. » Sen- tant les approches de la mort, il voulut qu'on l'e'tendît sur le plancher, puis ayant fait placer devant lui un crucifix, il dit : « Je sais un chre'tien , je veux mourir sous la croix. » Il demeura ainsi e'tendu, le dernier jour et toute la nuit, dans une paisible attente de sa de'livrance, et le lendemain, jour de la fêle de saint Jean de Dieu , lorsque vint le cre'puscule , qui l'avait si souvent surpris en prière , il ne trouva plus que son corps inanime' ; l'esprit e'tait déjà dans une adoration e'îer- nelle devant le trône de Dieu.

Ainsi ve'cut et agit, ainsi souffrit et mourut ce grand homme, digne des plus heaux jours du christianisme, et, par cela

(i) Depuis nombre d'années Wiltmann Découchait que sur des planches.

428 l'ÉVÉQUE WITTMAITN.

même , don du ciel d'autant plus précieux dans notre âge dé- génère'. Remercions Dieu , avec une vive reconnaissance , de nous l'avoir accorde', à nous qui ne le méritions pas, et de nous l'avoir conservé si long-temps. Mais ce que nous avons surtout à faire, c'est de nous approprier , autant que possible, sa succession spirituelle, le riche he'ritage de ses vertus. Qu'au- cun de nous, quel qu'il soit, ne se retire les mains vides; il y a ici à puiser pour tous ; tout en lui nous avertit et nous exhorte : son éloignement du monde , puisque nous sommes tous au milieu du monde et de ses séductions; son renonce- ment entier à lui-même, puisque nous portons tous, dans notre sein , les passions de l'égoïsme; sa patience et son amour de la croix, puisque nous avons tous à endurer des peines et des épreuves ; sa vie pénitente, puisque nous sommes tous souillés par le péché; son humilité profonde, puisque nous oublions tous si souvent que nous sommes de pauvres pécheurs; son zèle pour la prière , puisque nous avons tous si grand besoin de l'assistance divine : son attachement à sa vocation , puisque nous avons tous , sous peine d'une sévère sentence , des devoirs nombreux a remplir; sa foi persévérante, inébranlable en la personne et en la puissance divine de Jésus-Clirist , puisque nous avons tous à subir la mort avec ses horreurs; sa tendre sollici- tude pour les pauvres et les orphelins, désormais confiés à notre garde, depuis qu'ils l'ont perdu : enfin, elle nous avertit et nous exhorte cette voix qui nous crie du fond de sa tombe : « Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur; ils 0 se reposent de tous leurs travaux, et leurs œuvres les suivent! »

Et vous deux , maintenant, évêques vénérables, qui reposez ici, chacun de votre côté , à l'ombre de l'autel que vous protégeâtes et défendîtes si fidèlement, n'oubliez pas votre église, ne dé- laissez pas votre troupeau; mais, prosternés devant le trône de Dieu , accordez-leur le secours de vos prières! Éloignez, par votre intercession, tout danger de cette ville, de ce diocèse, de toute la patrie! Pour nous, nous nous taisons, laissant à votre souvenir le soin de continuer de parler au fond des cœurs.

Peu de temps après la mort de Wittmann , il parut, à Katisbonne , un petit volume annoncé, dans plusieurs journaux,

SUR LA CONVERSION, ETC. 429

comme renfermant de longs et précieax de'tails sur sa vie, mais qui, en re'alité , se compose, moitié d'ane copie servile, moitié' d'(ine plate amplification du discours de l'abbe' Diepen- brock. Quelques personnes trompées par cette misérable spéculation de librairie , manifestèrent alors le désir que celui qui avait si dignement parlé sur la tombe du saint évêque donnât de lui une biographie complète.

SUR LA CONVERSION

D'UN MOBIii: ANGLAIS' M. SPENCER*

L'honorable et révérend George Spencer, fils de lord Spen- cer et frère de lord Althorp , est rentré il y a quelques années dans le sein de l'Eglise , comme nous l'avons annoncé (i). Il a dernièrement fait lui-même l'historique de sa conversion, dans ane lettre écrite de West-Brunswick , en date du 3 Jan- vier dernier, et adressée à un prêtre catholique, M. Rigby. Cette lettre, pleine de candeur, a paru dans quelques jour- naux, anglais.

« Je fus, dit M. Spencer, ordonné diacre dans l'Eglise an- glicane vers Noël 1822 , étant persuadé à celte époque que tout était bien dans cette Eglise , quoique je n'eusse pas pris beaucoup de peines pour étudier les fondemens et les prin- cipes de son établissement. Quand j'entrai dans le ministère actif comme ecclésiastique, je cherchai h m'en instruire plus pleinement. Je lisais et j'admirais .souvent la liturgie de l'E- glise, et je m'étonnais souvent aussi comment un si bel ouvrage avait pu naître au milieu de la confusion et de la perversité qui, comme l'apprenaient les histoires prolestantes, avaient ac- compagné tous les procédés des principaux acteurs dans réta- blissement de la réforme en Angleterre. J'avais été élevé dans

(1) V. ci-d. tom. VII, p. 488.

430 SUR LA CONVERSION

l'habitadede regarder l'Eglise catholique comme an amas d'er- reurs, et je i:e pensais pas alors que tout ce que j'admirais dans la liturgie de l'Eglise anglicane n'était qu'un abrège' mal en- tendu des beaux offices de l'Eglise catliolique. Ce qui com- mença h modifier mes vues par rapport à l'orthodoxie et à l'excellence de l'Eglise d'Angleterre , ce fut les entretiens que j'eus avec diiîe'rens ministres piotestans des e'glises dissidentes.

» Je recherchais volontiers leur conversation, dansl'espe'rance d'en amener quelques-ans, ainsi que leurs troupeaux , à l'Eglise e'tablie, qu'à mon avis ils n'avaient pas eu de bonnes raisons de quitter. Mais chaque secte que j'eus occasion de connaître semblait avoir des choses assez raisonnables à alle'guer en sa faveur et contre l'Eglise anglicane. Je compris bientôt que ces sectes ne pouvaient être toutes vraies et fonde'es dans leurs <loctrines contradictoires et dans leurs règles pratiques , et je vis clairement des erreurs palpables dans leurs divers systèmes; mais en même temps je de'couvris par leur conversation que je ne pourrais de'fendre chaque partie de mon propre système, et <!ue ces ministres pouvaient m'opposer des argumens aux- quels je n'avais rien à i-e'pondre de satisfaisant. A la fin , je ren- contrai sur les trente-neuf articles une difficulté' qui me prouva que je ne pouvais rester ce que j'e'tais. En signant ces articles, on me demandait mou assentiment à certaines doctrines, sur ce fondement exprès qu'elles pouvaient être prouve'es par des témoignages certains de la sainte Ecriture; et même les pro- testans tiennent comme un principe géne'ral que la sainte Ecriture contient tout ce qui est nécessaire pour le salut , tellement quj tout ce qui n'y est pas renfermé ou ce qui ne peut se prou-er par elle , on ne peut exiger de le croire comme un article de foi ou le regarder comme nécessaire pour le salut. Maintenant je ne puis tirer de l'Ecriture seule une preuve claire et satisfaisante des doctrines dont il s'agit, et pour les établir je me trouve obligé de recourir aux argumens tirés de la raison et indépendans des Ecritures, ou bien d'en appeler à l'assentiment général des chrétiens dans la succession des temps, en d'autres mots, à la tradition de l'Eglise.

u Je sentis que je ne pouvais signer de nouveau les trente-

d'un noble anglais, m. spencer. 431

neuf articles, à moins que cette difficulté ne fût re'solu. Je la proposai h mes supe'rieurs ; mais comme les explications qu'ils me donnèrent ne me satisfirent point, après avoir long-temps me'dite' là-dessus, je de'cîarai à la fin ma résolution de ne plus souscrire aux trente-neuf articles. J e'tais alors plus libre de cliercher la ve'rité, quelque part qu'elle pût se trouver; mais je n'avais pas d'idée qu'elle jmt être dans l'Eglise de Rome. Mes amis me détournaient d'avoir aucune communication avec les prêtres catholiques ; je crus pourtant qu'ils ne devaient pas être exclus du plan général de réunion que je voulais suivre, et, en conséquence, je leur parlais fréquemment. D'abord, je m'attendais à les trouver fort ignorant du véritable esprit de la religion, servilement attachés aux formes, et absolument incapables de défendre ce que j'appelais les absurdités de leur croyance; mais , à mon grand étonnement , chaque conversa- tion que j avais avec eux me faisait voir combien je m'étais trompé. Je trouvais qu'ils entendaient très-bien les dogmes de leur religion, et qu'ils savaient même les expliquer et les soutenir d'une manière victorieuse. Je commençai doue à son- ger qu'il y avait dans la religion catholique plus que je ne soupçonnais, quoique je ne fusse pas convaincu qu'on eût tort d'être séparé d'elle , et que je la crusse dans l'erreur sur plu- sieurs points , et en opposition avec l'Ecriture.

» La première chose qui changea matériellement mes idées sur rEî?Jise catholique, ce fut une correspondance que j'eus pendant six mois avec une personne inconnue qui avait voyagé sur le continent, et, qui, étant entrée souvent dans les églises catholiques, avait été surprise de la beauté et de la piété des cérémonies , et en était venue à douter de la sagesse de la réforme, et à faire des recherches sur ce sujet. Je crus la remettre dans le bon chemin en lui indi(juant quelques argu- mens contre les catholiques , tirés, comme je le pen.sais , de l'Apocalypse et d'autres livres de IM'xriture. La personne soutint avec force que ces raisonneniens n'étaient point tirés de l'E- criture, et, en effet, je nie convainquis qu'ils ne m'étaient venus à res])rit que parce qu'ils avaient été employés par des commentateurs protestans. Je me décidai donc h m'en tenir à

432 SDR LA CONVERSION

la parole de Dieu seule. Je n'ai sa ce qu'e'tait ce correspondant que lorsque j'allai sur le continent pour me pre'parerà recevoir les ordres. J'appris alors que c'e'tait une jeune dame qui e'tait sur le point de se faire catholique, mais qui, pour s'e'clairer de plus en plus, m'e'crivait, ainsi qu'à un ou deux autres minis- tres protestans , pour voir ce que nous pourrions alle'guer en faveur de notre Eglise. Nos réponses affermirent bien plus qu'elles n'ébranlèrent son attachement à la foi catholique. Elle embrassa en effet cette religion , et e'tait sur le point de faire profession chez les Dames du Sacré-Cœur, lorsqu'elle mou- rut de la manière la plus édifiante.

» Cette correspondance me rendit plus disposé à écouter favorablement les catholiques ; mais il se passa trois ans avant que j en vinsse à me décider pour leur croyance. Voici comment la chose arriva. Je fis connaissance, vers 1829, avec M. Am- broise Piiillips, fils aîné d'un membre du parlement. La con- verbion de ce jeune homme à la foi avait eu lieu sept ans au- paravant , et m'avait beaucoup surpris quand j'en entendis parler. Son caractère et sa conversation m'intéi'essèrent, et j'acceptai avec plaisir l'invitation d'aller passer une semaine chez son père, à Garrenden-Park. Je ne songeais point à com- battre ses sentimens, car j étais déjà convaincu qu'on pouvait être bon chrétien étant catholique. Je partis pour Garrenden- Park le dimanche 24 janvier i83o, sur le soir, après avoir prêché deux sermons dans l'église protestante de Brington, dans le Northamptonshire, dont j'étais recteur. Je ne pensais point alors que ces sermons seraient les derniers que je prê- cherais dans une église protestante. Tout le temps que je passai à Garrenden fut presque consacré à des entretiens sur la re- ligion , et je m'aperçus bientôt qu'au lieu d'être capable d'ap- prendre à mieux penser en religion, j'étais obligé de recon- naître que sur plusieurs points il pouvait être mon maître. Je le trouvai très en état de défendre la foi catholique contre mol et contre quelques autres théologiens protestans ])lus ex- périmentés qui se joignirent par occasion à notre conversation» A la fin, trouvant que je disputais avec obstination, et non avec la candeur dont je fais profession , je me décidai à con-

d'un noble anglais, m. spencer. 433

sidérer la cliose sons un nouveau Jour, et avec une déter- mination sincère de suivre la ve'rite'.

» Cette resolution me soulagea beaucoup, et me de'livra de tous mes doutes. Je devais retourner le samedi à Brington y reprendre mes fonctions; mais nous allâmes le vendredi à Ley- cester avec M. Phillips, et nous y passâmes la soire'e avec M. Caestric , missionnaire qui re'side à Leycester depuis quel- ques anne'es. La bonté' et la patience avec lesquelles il e'couta mes objections, ses explications, ses raisonnemens achevèrent de m'ôter toute incertitude. Je sentis que je ne pouvais ni ne devais re'sister plus longtemps, et avant la nuit je de'clarai que j'e'tais soumis à l'Eglise de Dieu. Mon entretien f.vec M. Caes- tric me convainquit pleinement que l'Eglise catholique était l'Eglise fondée par le Sauveur, celle à laquelle il a prorais que les portes de l'enfer ne prévaudraient pas contre elle, et que lui et son Esprit saint résideraient au milieu d'elle ; celle qu'il a ordonné d'écouter, sous peine d'être considéré comme un pa'ïen et un publicain. Je fus convaincu qu'en lui obéissant j'obéissais à celui en qui j'avais placé mon espérance, et qu'ainsi je ne courais aucun risque de m'égarer. Grâces h Dieu, je chassai la pensée qui s'offrit d'abord à moi de retourner dans ma ré- sidence et de remettre à me décidera la semaine suivante. La démarche que je fis le jour suivant en me déclarant catholi- que est telle que je n'y pen.se jamais sans consolation. Il m'était démontré que l'Eglise catholique avait les quatre marques de l'Eglise de Jésus-Christ, qu'elle avait la parole infaillible de Jésus Christ, et qu'elle devait durer jusqu'à la fin du monde. Les protestans nous disent bien qu'elle était d'abord l'Eglise véritable, mais qu'elle tomba ensuite dans l'idolâtrie et dans des doctrines perverses; ils le disent, mais ils ne peuvent montrer comment , quand et elle tomba dans ces excès. Je crus donc plus prudent de m'en rapporter à la parole du Sauveur qu'à celle d'un homme , et si ma résolution de me faire catholique fut j)rompte, je délie de prouver qu'elle fut téméraire et inconsidérée.

» Je vis que l'occasion présente était la plus favorable. J'en- voj'ai de nuit un messager à Brington pour annoncer ma ré-

434 OEUVRES COMPLÈTES DE SAINT JEA» GHRYSOSTOME.

solution, et le samedi matin, 3o janvier, je fis mon abjura- tion du protestantisme dans la chapelle de Leycester. Je n'avais d'autre pensée que de servir Dieu dans le ministère de cette Eglise, que je venais de reconnaître comme la ve'ritable. En conse'quence, j allai m'olfrir au docteur Walsh , évoque catiio- lique du district du Milieu, qui m'envoya au collège anglais à Rome. Jy ai e'te' ordonne' pour la mission d'Angleterre le 26 mai i832 , jour de la fête de saint Augustin, et dans l'église de Saint-Gre'goire, du pontife qui donna la mission à saint Augustin pour aller travailler à la conversion de l'Angle- terre. Je demande à Dieu d'être par sa grâce un humhle in- strument de la conversion do mon pays; e've'nement qui n'est peut-être pas si e'ioigne', et qui est le de'sir le plus ardent de mon cœur. »

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Œuvres complètes de saint Jean Chrysostôme', grec et latin, en 26 livraisons formant 13 vol. grand in-S" (1).

Le nom de saint Jean Chrysostôme semble synonyme de celui de l'e'loquence même , et ce grand, évêque a toujours ëte' re- gardé comme un des plus illustres ornemens de la chaire chré- tienne. Mais ses talens oratoires sont encore les moindres titres de sa gloire aux yeux de l'Eglise : ce qu'on admire le plus en lui, c'est cette piété tendre qui animait ses actions, ce zèle pour réprimer les a!)us, cette sagesse dans son administration, ce courage dans les périls, cette patience dans les souffrances, ce grand caractère enfin, également supérieur aux illusions de la prospérité et aux revers de la fortune. Ce caractère paraît dans ces écrits, qui sont pleins à la fois de douceur et d éner- gie. On est étonné de tout ce que le saint prélat a laissé d'écrits, de la fécondité de son esprit , de l'élégance de son style , de

(i) Le prix de chaque livraison est de 12 fr. A Paris, chez Gaume , rue Pot-de-Fer-Saint-Sulpice. V. ci-d. p. ijS.

OEUVRES COMPLÈTES DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME. 435

la vigueur de ses raisonneraens. Comme oralenr, saint Jean Clirysostôme est au-dessus de la plupart de ceux que la Grèce a le plus admire'. Ses discours et ses commentaires sur l'Ecri- ture ont toujours ^te' en grande estime dans l'Ei^lise; aussi en a-ton fait plusieurs e'ditions. Une des plus belles est celle du chevalier Henri Saville, qui parut à Eaton , en Angleterre, en 1612; 8 vol. in-folio. Elle est en grec seulement. La plus complète est celle du Père de Montfaucon, be'ne'dictin de la congre'gation de Saint-Maur, et un des plus savans hommes de cette e'cole. Cette e'dltion , grecque et latine, est en i3 vol. in-f'. Le premier volume parut en 1718, et le dernier en inSS. Dom Bernard de Montfaucon surve'cut peu à cette grande en- treprise. Il mourut presque subitement, lesi de'cemlire 174N dans l'abbaye de Saint-Germain-des-Pre's , il re'sidait. Son édition renferme beaucoup d'ouvrages qui e'taient encore iné- dits, entr autres vingt-deux liome'lies. On y trouve beaucoup de versions nouvelles, des lacunes remplies, un nouvel ordre dans l'arrangement des pièces, des pre'faces, des avertissemens^ des tables, tout ce qui peut enfin rendre une e'dition agre'able et utile.

Aussi les nouveaux e'diteurs se sont fait un devoir de suivre l'e'dition de Montfaucon ; ils auraient regardé comme une folie de chercher et de collationner de nouveaux manuscrits , après le travail qu'avait fait à cet égard le savant bénédictin dans un temps oîi tous les secours abondaient, et oii il trouvait dans sa congrégation des bibliothèques bien fournies, des manuscrits précieux et des coopérateurs habiles et laborieux. Un savant étranger, M. Thllo , docteur et professeur en théologie à Halle, a été d'avis de reproduire Montl'aucon , en y ajoutant ce qui avait pu être découvert depuis. Voici un i'ragment de sa lettre aux éditeurs cité dans leur prospectus :

« On peut vi.'^er a rendre l'édition de Savile complètement inutile en insérant dans la nouvelle ce que Montfaucon a né- gligé, les f^itœ sancti C/irysostoini , les Homiliœ apiiriœ , etc.... Dans l'état actuel, quiconipte veut approfondir saint Jean Cliry- sostôme a besoin des deux éditions.

Il est clair que tous les écrits de saint Jean Chrysostôme

436 OEtVRES COMPLÈTES DE SAINT JEAN CHRYSOSTÔmE.

qui ont été publiés à une époque postérieure doivent être in- sérés et rangés h leur place, par exemple, VHomilia in pœni- tentiam Ninivitarum , qui se trouve dans Bandini , ( Grœcœ Ecclaiœ vctcria Monwnenta , t. II, Florence, 1763, n" i , se trouve aussi , t. III , 2 , un Spccimcti Comincntarn in Jobum ) ; et aussi celles que Matthaei a publiées pour la pre- mière fois, que Harless a mentionnées dans son édition de Fabricii Bibliotheca grœca , t. VIII , p. 5^5 , et dans sa Brevior Noticia Litteratiirce grœcœ , p. 741- Il n'a pas indiqué les Mat- thœi Lectiones Mosquenses , Leips. , 1779, oii se trouve aussi, vol. I , n* I , une Homélie inédite de saint Jean Chrysostôme. Je sais assez disposé à douter de l'authenticité de celte Homé- lie; cependant il faut l'admettre. Je possède moi-même une partie de ces publications de Matthaei, et Je m'offre de procurer les autres.

» Pour ce qui concerne les notes et les variantes , on pour- rait sans doute faire un cboix , i" dans les Joannis Chrysostorni HOi'œ Eclogœ de Mattbaei , dans les Chrysost. Oratt. IV, du même ; dans les Animach'ersiones in Chrysost. Homil. , du même ; 4" dans Hemsterhusius in Chrysostom. Homilias a Ra- phelio éditas; dans l'édition de Leyde {\']^^) Aes Oradones I et II in laucleni Paidi apostoli , qui sont en têfe des Heni- sterhusii et Falckcnarii Oratt.; dans les Commentaires de Hughes, de J.-A. Bengel et de Giacomelli , sur le livre de Sa- cerdotio ; 7" dans les deux nouvelles traductions allemandes de ce livre par Hasselbach (Stralsund, 1820), et par Rltter ("Berlin , 1821 ). On y trouvera beaucoup de secours pour l'aug- mentation de VOnomasticon, fort incomplet dans l'édition de Montfaucon. L'ouvrage de Neander sur saint Jean Cbrjsostôme doit aussi être consulté. On peut trouver beaucoup de vues excellentes sur saint Clirysoslôme comme orateur et comme théoloaien dans les Introductions de Cramer à sa Traduction

o

des QSuvres de saint Chrysostôme ( Leipsig , 1748 et suivantes, 10 vol. ). D''un autre côté, VAdinonitio de Savile de scriptori- bus reruni Chrysostomi , publiée pour la première fois par Cave [Historia liftcraria , edit. II , Bâle , 1741 , P- 327 et suivantes), méritait d'être réimprimée, La réimpression de Venise offre aussi quelques additions à l'édition de Montfaucon. »

437

TRADITION

CONSERVÉE CHEZ LES ARABES DE L'IDUMÉE

SUB. I.E TOMBEAU S'AARON ;

EXTR. DU VOYAGE DE M. DE LABOUDE DANS l'aRABIE-PÉTHÉE (1).

Le voyageur , sorti de Pe'tra pour retourner à Sinaï , jette un coup-d'œil sur cette contre'e de'sole'e , et y reconnaît plusieurs indications des faits raconte's dans la Bible.

<< Sur la gauche, en remontant vers le milieu s'e'tend la Ouadi-Avaba , longue plaine de sable qui descend de la mer Morte à la mer Rouge , dans une direction re'gulière et con- tinue. On doit reconnaître dans cette disposition le lit d'un Jleuve et celui du Jourdain avant l'e'ruption volcanique qui forma le bassin actuel de la mer Morte. Sur la rive droite , à l'ouest , s'y joint la Ouadi-Gebb , valle'e par laquelle les Fellahs de Pe'tra se rendent à Gaza. En appuyant à l'est , on remarque , au mi- lieu d'une petite plaine , le rocher isolé , appelé' El Aase , sur- monte' d'un tombeau. Plus à droite , un rocher e'ieve' , formant comme le premier rempart aux abords de Pe'tra, s'élève eu forme de tour : un autre le domine. En suivant la même di- rection, on rencontre le mont Hor , le plus haut rocher de la contre'e, au sommet duquel est construit le tombeau à'Aaron. C'est a l'est de ce piton, enclavé au milieu de rochers dont les masses semblent, en s'amoncelant , s'être resserre'es davan- tage , qu'est bâtie la ville de Pe'tra , la capitale des Nabathe'ens. Ce tableau , espèce de demi-panorama , est terminé par la grande chaîne de montagnes qui sépare l'Arabie-Pétrée de l'Arabie- Déserte. »

(i) V. ci-d. p. 167.

T. X. 30

438 SUR LE TOMBEAU d'aARON.

Après avoir décrit cette de'solation et cette solitade M. De- laborde recherche et trouve la preuve de la fertilité' primitive de ce pays dont parle la Bible.

« Notre route, dit-il, nous conduisait sur le dos de la mon- tagne , ayant à notre gauche , à une e'norme profondeur , le fond d'une Ouadi , re'sonnaient de tanins à autre les e'houlfniens de rochers que notre passage entraînait. Ce pays élevé' , me- sure que nous avancions, se couvrait de terre ve'getale , et les herbes qui croissaient de toutes parts , indiquaient à chaque pas la probabilité' d'une culture dont on retrouvait des traces, par des buttes de petites pierres amasse'es de distance en dis- tance, et qui semblaient établir les limites des champs. Ces in- dices reportaient à cette époque l'agriculture nabathéenne florissait , pour être plus tard vantée dans les auteurs arabes. » On s'arrêta h la soui'ce du Dalège : on trouve "a une petite distance les ruines d'un village qui exploitait sans doute la cul- ture de ces environs, à l'époque la ville de Pétra offrait pour ses approvisionnemens tant de chances de gain. Le len- demain , en marchante l'est, nous arrivâmes au point le plus élevé de la montagne, d'où Ion domine d'un côté toute la masse de rocbers qui descendent vers Ouadi-Araha ; de l'au- tre , la gran'.Ie plaine de lArabie-Déserte qui s'étend, sans ho- rizon , vers l'Orient. Ce qui frappe au premier moment , c'est la différence de niveau des deux côtés de la montagne; l'un s'affaissant rapidement en ravins profonds et saccadés, l'autre s'élendant presque au niveau de la montagne dans une grande plaine unie.

» Le chemin par lequel nous étions venus restait à notre droite, et en remontant une petite plaine vers le sud, nous découvrîmes la haute montagne qui domine les rochers des en- virons, et sur laquelle ki tradition a conservé un antique sou- venir. La Bible s'exprime ainsi en parlant du séjour des Israé- lites dans le désert ;

« Et ayant décamj)é de Cadès, ils vinrent à la montagne de » Hor , qui est aux confins de la terre d'Edom, le Seigneur » parla îi Moïse :

» Qu'Aaron , dit-il, aille vers son peuple j car il n'entrera point

SUR LE TOMBEAU d'aARON. 439

» dans la terre que j'ai donnée aux enfans d'Israël, parce qu'il » ae'te' incre'dule à ma parole aux eaux de contradiction. Prends » Aaron et son fils avec lui , et tu les conduiras sur la montagne » de Hor; et quand tu auras de'pouille le père de ses vêtemens , » tu en revêtiras Ele'azar, son fils; Aaron sera re'uni à ses pères »> et mourra en ce lieu.

» Moïse fit comme ie Seigneur lui avait commande, et ils » montèrent sur la montagne de Hor devant toute la multitude; » et lorsque Aaron eut de'pose' ses vêtemens, il en revêtit Ele'a- » zar , son fiis. Aaron e'tant mort au sommet de la montagne, « Moïse et Ele'azar descendirent. Or, toute la multitude voyant )) qu'Aaron e'tait mort , pleuia trente jours sur lui dans toutes » les familles (i). »

« Par des travaux sur la route suivie par les Israélites, tra- vaux trop e'tendus pour les introduire ici , j'ai trouve' une coïncidence remarquable entre cette position et celle qu'on doit assigner au mont Hor de la Bible. Les Arabes , si fidèles dans leurs traditions , ve'nèrent encore aujourd'hui, en haut de cette montagne , le tombeau du prophète Haroun (Aaron ). Burchardt prit le pre'texte d'un vœu qu'il avait fait de sacrifier une chèvre à ce santon pour entreprendre le voyage de Ouadi Mousa ; mais son conducteur refusa de le conduire plus loin que cette plaine , et force lui fut de consommer son sacrifice en bas de la montagne....

» Un vieil Arabe qui sert de gardien à ce lieu ve'ne're', habite au haut du rocher, et reçoit les visites des habitans de Gaza, et des Fellahs de Ouadi Mousa , qui s'y rendent quelquefois dans un but religieux, mais le plus souvent pour cultiver quelques portions de terre ve'ge'tale, que les terrasses du rocher offrent à l'industrie des hommes dans une contre'e aussi aride. »

(i) Nombres XX, 22, 29.

30.

440

sua LES MISSIONS DU LEVANT (i).

Des lettres des missionnaires de Constantinople et du Levant font connaître i'e'tat de la r^^ligion dans ces contre'es. Au collège Saint-Etienne , tenu par BIM. de Saint-Lazare , près Constanti- nople, on a fait cette anne'e la procession de la Fête-Dieu avec la plus grande pompe, hors de la chapelle. Les e'ièves du col- le'ge, en uniforme, chantaient des hymnes et des psaumes. La nouveauté de la cérémonie avait attiré un grand nomhre de personnes; des schismatiqaes €t des Turcs même étaient frappés de ce spectacle. Les conversions sont fréquentes en ce moment à Constantinople. Un prêtre schismatiqne a fait ahjuration , el a été envoyé en Italie pour le soustraire au ressentiment de ses co-religionnaires. Un élève du collège, âgé de vingt et un ans, et d'une famille distinguée du pays, a voulu aussi faire abjuration ; sa famille ne l'a pas trouvé mauvais , et sa mère se dispose à suivre son exemple. Un autre Jeune Arménien a fait la même démarche peu après, et n'a pas été aussi heureux : sa famille irritée l'a redemandé, et il a fallu le lui rendre. Il persévérait néanmoins encore dans ses bons sentimens. Le col- lège est le refuge de tous ceux qui veulent renoncer à leurs erreurs ; on y a reçu dernièrement un jeune Albanais hérétique qui voulait se convertir, et un Arménien qui demandait h être instruit. Un prêtre schismatiqne est encore rentré dans le sein de l'Eglise , et s'est séparé de sa femme. Deux diacres armé- niens ont fait abjuration. Un médecin arménien et sa famille se sont déclarés catholiques. Deux antres laïques sont en voie de conversion et montrent les dispositions les plus faTorables.

M. Elluin , missionnaire, dont nous avons annoncé le départ de Paris l'année dernière , est arrivé à Constantinople le 1 1 dé- cembre. Il donne une relation de son voyage. Il était destiné pour le collège, et se félicite de cette destination.

M. Nurigian , archevêque et primat arménien à Constanti- nople, envoie quelques renseignemens sur la situation de la re- ligion dans le territoire soumis à sa juridiction. Le nombre des

(i) V. ci-d. p. 347.

SUR LES MISSIONS DU LEVANT. 441

calholiques arméniens qu'il gouverne est de 45,000 âmes, dis- persées à Constantinople et les environs , Erzeroum , Tréîji- zonde , etc. Les catholiques n'ont encore que quinze églises ou chapelles, deux à Mouches , sept à Hodourgour , il y a sept villages , quatre à Artoine et dans les villages, une à Tréhizonde qui est à réparer, et une nouvellement hâtle à Constantinople. Mais OM doit tout l'argent emprunté pour cette construction. Dans toutes les autres localités, le culte divin s'exerce dans les maisons , mais librement. La religion catholique jouit d'une liberté complète , en vertu du diplôme accordé par le Grand- Seigneur. Le nombre des prêtres dans le diocèse est de cent six , parmi lesquels il y en a quatre qui se sont convertis de- puis lémancipation. Le nombre des conversions opérées à Con- stantinople depuis trois ans est de trois cent soixante; les con- versions sont bien plus fréquentes depuis qu'on a ouvert l'église. A Ancyre seulement, depuis quelques mois, dix-huit personnes se sont converties.

A Damas , M. Poussou , supérieur des lazaristes , est parvenu à réaliser le projet qu'il avait formé depuis long-temps d'établir des écoles. L'école des garçons a déjà quatre-vingts enfans , et est dirigée par M. Tustet; on y enseigne l'arabe, qui est la langue du pays, et l'italien, qui est fort utile pour le com- merce. Il était plus difficile encore, vu les usages du pays, d'établir une école de filles; cependant on en est venu à bout. M. Poussou ^a bâti une école, et a fait venir du Liban une maîtresse assez instruite. Il se propose d'avoir des filles pieuses pour perpétuer la bonne œuvre , faire le catéchisme aux jeunes filles, et instruire même les femmes du pays. On pourra en- suite étendre cela aux autres missions de Syrie. Le patriarche grec a chargé M. Poussou de faire chaque semaine aux prêtres de sa nation une conférence de luorale , et il leur a ordonné de s'y rendre. Outre cela, M. Poussou fait tous les dimanches et fêles un cours d'instructions. On jouit à Damas d'une grande tranquillité; les musulmans sentendent mieux, esi fait de li- berté religieuse , que d'hypocrites défenseurs des droits de Ihomme et de faux amis des lumières. Le nouveau gouverne- ment du pacha d'Egypte cherche a introduire la civilisation

442

SUR LES MISSIONS DU LEVANT.

européenne; mais cette civilisation , telle qu'il la conçoit, serait pire que la barbarie , ce serait l'impie'te' et la corruption. Il vesiait d'arriver à Damas quatre saint-simoniens chasse's succes- sivement de Conslaiitinople , de Smyrne et d'Alexandrie. On doute qu'ils soient plus heureux en Syrie.

M. Hillereau , prélat français et visiteurapostolique de Smyrne, fait connaître l'e'tat de cette mission. Ce prélat , qui avait reçu d'abord le titre d'évèque de Calédonie, a aujourd'hui celui d'archevêque de Pe'tra ; il est de plus coadjuteur du vicaire apostolique de Constantinoplo , M. Coressi. Smyrne est aujour- d'hui la seule ville de l'Asie-Mineure oîi il y ait un évêque et des églises catholiques. Tout le reste a été envahi parle schisme et l'hérésie. La mission de Smyrne comprend deux îles , Me- telin, qui est l'ancienne Leshos , et Stanchio,et tout le littoral de la Méditerranée, depuis les Dardanelles jusque visa-vis l'é- glise de Chypre. Elle s'étend dans l'intérieur des terres jusqu'à cinq on six jours de marche. Depuis environ cent ans , Smyrne n'avait qu'un vicariat apostolique; Pie Vil l'a de nouveau érigé en archevêché; mais M. Hillereau n'a que le titre d'archevêque de Pétra et de visiteur apostolique. La ville de Smyrne est grande et peuplée : on y compte 80,000 Turcs, et la moitié moins de grecs non-unis ; il y a aussi des arméniens, des pro- testans et des juifs en assez grand nombre. Les grecs et les ar- méniens ont chacun leur archevêque. Les grecs ont plusieurs églises , et en bâtissent une en ce njoinent. Les arméniens n'en ont qu'une. Les protestans ont deux temples, l'un des anglais, et l'autre des méthodistes. Le nombre des catholiques est d'en- viron sept mille, dont neuf cents du rit arméiiien , et deux cents du rit grec ; il peut y avoir quehjues maronites et quel- ques syriens, mais en petit nombre. Les sept mille catholiques se trouvent tous à Smyrne et dans deux villages près la ville. Dans le reste du pays dépendant de celte mission, il y a deux cents catholiques dispersés , cinquante à Metelin , deux familles à Stanchio. Dans Smyrne, il n'y a que deux églises catholiques de médiocre grandeur : l'une appartient aux capucins, et l'autre aux récollets. L'archevêque et le clergé séculier sont sans église. Les récollets ont une autre église dans un des deux villages près

SUR LES inSSIOWS DU LEVANT. 443

Smyrne. Il y avait autrefois à Smyrne quatre maisons de reli- gieux, les capucins , les re'collets, les je'suiteset les dominicains- Les lazaristes ont remplacé les je'suiles. Les capucins remplis- sent les fonctions de cure' des Français; les re'collets desservent la deuxième paroisse , appele'e paroisse italienne. Les premiers sont sous la protection française , et les seconds sous la protec- tion autrichieime. Les lazaristes, qui ne sont que deux, tiennent une e'cole gratuite, et prêchent à la paroisse des capucins. De- puis huit ans environ , les dominicains ont abandonne' leur maison, qui est afferme'e ; ils ne paraissent pas avoir envie de revenir. Les capucins sont au nombre de quatre pères et un frère; les re'collets sont six pères et un fièie. En outre, il y a dix prêtres natifs de Smyrne, dont six ont fait toutes leurs études à la Propagande à Rome , quatre venus des Iles, et deux du rit arménien. Mais parmi les religieux, cinq seulement sa- vent le grec , et deux de ceux-ci sont infirmes : les autres re- ligieux ne savent que l'italien, et ne peuvent pas beaucoup confesser. Les prêtres du pays n'ont pas d'église ni de paroisse à eux. 11 serait nécessaire de faire une nouvelle division de pa- roisses , et d'en confier une au clergé séculier. Les grecs héré- tiques sont à Smyrne très-intolérans pour les catholiques. Les proteslans sont aussi très-ardens ; la société biblique tient une école et répand des livres. De plus, il ne manque pas dincré. dules pour calomnier la religion et le clergé. Malgré tous ces obstacles, il y a de la religion à Smyrne, les églises sont fré- quentées, on satisfait aux préceptes essentiels, on pime à en- tendre la parole de Dieu. 11 y a sept confréries dans les deux paroisses. On prêche dans les deux églises en quatre et cinq langues , en grec , en français , en italien , en turc et en ragusan. ÛJ. llillereau a commencé le ly mars de l'année dernière une visite apostolique qu'il a terminée au mois de novembre. 11 en a envoyé la relation à Rome, et il espère que les ordres et les secours qu'il recevra le mettront en état d'étemlre le bien de sa mission. Le prélat réclamait l'assistance de l'œuvre de la Proj)agalion de la Foi. 11 avait donné au mois de mai i833 une retraite au cleigé du diocèse. La retraite se donnait chez les lazaristes , et M. Daviers , un d'eux , faisait les instructions. II.

444 SUR LES MISSIONS DU LEVAITT.

sy trouva deux évêques , savoir , M. Hillereau et l'e'vêque ar- me'nien , huit religienx, quatre prêtres arme'niens et quinze prêtres se'cnliers. Tout s'est passe' de la manière la plus e'di- fiante. Le visiteur apostolique a ordonne' que tons les quinze jours ils se tiendrait une conférence ecclésiastique chez les lazaristes. Les fidèles, à Smyrne, ont été invités par M. l'évêque à contribuer à l'œuvre de la Propagation de la Foi.

M. Descamps . supérieur de la mission des lazaristes à Sa- lonique, se réjouit d'avoir fait les deux dernières années la procession de la Fête-Dieu avec beaucoup de pompe. Tous les consuls étrangers, sans distinction de religion, ont contribué à orner le reposoir. Cette année, ils y avaient été invités en personne , et ils y sont venus tous; c'était à qui contribuerait à l'éclat de la procession. Il n'y a point d'hôpital à Saloniqae, et c'est la maison des lazaristes qui sert d'asile aux malheureux. M. Descamps a établi une école de garçons qu'il fait lui-mêine, en attendant qu'on lui envoie un frère. Les exercices du ju- bilé, qu'il a donnés ce carême dernier, ont été bien suivis. Il se félicite beaucoup du cboix du nouveau consul de Fraiice , M, Guis, homme religieux. Il était dans les meilleurs rapports avec les consuls américain et anglais ; le premier lui avait confié l'éducation de ses enfans en lui laissant carte blanche ; le con- sul anglais laissait ses enfans assicter aux offices catholiques.

Le P. Eusèbe , mineur observantin , réside à Âlep. Cette ville compte environ 12,000 catholiques , grecs, arméniens, syriens et maronites : ils ont en tout 45 ministres. Les grecs ont leur évêqne , M, Grégoire Chayat. Les arméniens ont perdu le leur , M. Abrabam Coupali, prélat très-vertueux et très-attaché au Saint-Siège. La nation syrienne a son patriarche , M. Pierre- Ignace Giarve, et un évêque. Les maronites ont aussi leur évêque, M. Paul Arocchin ; mais il est bon d'entretenir au mi- lieu de ces peuples des missionnaires eui'opéens pour les con- firmer dans leur attachement au Saint-Siège. On voit de temps en temps des conversions ; le missionnaire en cite plusieurs exemples; il se croyait destiné pour la mission d'Abyssinie. On disait que l'empereur de ce pays avait écrit à Rome , en i833, pour demander des missionnaires. Il était question d'y envoyer

COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE. 445

le père Eusèbe et le père Perpe'tuel de Solère , missionnaires à Je'rusalem. La lettre da récollet annonce un bon religieux et un missionnaire ze'le'.

Pour comple'ter cet extrait des nouvelles relatives aux mis- sions du Levant , nous dirons deux mots de M. Bonamie , e'vê- que de Babylone. Le prélat, parti de France en octobre ï833 , e'iait arrive' à Alep le 6 janvier avec son vicaire - ge'ne'ral , M. Leslrade. Il rend compte de sa traverse'e : il s était arrête' à l'île de Syra, il y a un e'vêque et environ 4ooo catho- liques qui ont trois ou quatre églises; il avait visite' Alexan- drie, et était même allé jusqu'au Caire. De retour à Alexandrie, il s'était embarqué pour Larnaca, dans l'île de Chypre, doù il avait passé à Latakié en Syrie. A la date de sa lettre , en mai dernier, il était encore à Alep, attendai.t «ne caravane qui allât à Bagdad. Le désert qu'il faut traverser est occupé parles Arabes, qui ne laissent point passer les caravanes avant qu'on leur ait donné satisfaction pour quelques griefs. Extrait des Annales de la Propagation de la Foi.

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Histoire nationale. Extraits des Prochs-Verhaux de la Commission royale d'Histoire (1).

Séance du^l octobre, à midi.

A l'ouverture de la séance , M. de Gerlache , président de la com- mission, annonce qu'un de ses membres , M. Dewez , est décodé la veille. Il exprime sur ce malheureux événement des regrets qui sont vivement partagés par l'assemblée.

Le procès- verbal de la séance, précédente est lu et approuvé. Il est également donné lecture de la correspondance. M. le ministre de l'intérieur fait parvenir à la commission différcns catalogues des ma- nuscrits concernant l'histoire de la Belgique conservés à Bruxelles , Liège , Louvain , Gand , Mons et Tournay. Il demande en outre un avis motivé sur des publications projetées et pour lesquelles on sol-

(i) V. ci-d. p. 285.

446

COMMISSION ROYALE D HISTOIRE.

licite des encouragemens pécuniaires , ainsi que sur divers raonu- mens historiques dont l'acquisition est proposée au gouvernement.

M. de ReiiTenberg lit ensuite des extraits de deux manuscrits com- muniqués par MM. Gachard et de Ram.

Le premier de ces manuscrits appartient aux arcliives du royaume, et contient une correspondance du comte de Golientzl avec le chef- président de Neny , l'abbé de Nélis et Paquot , relativement à la publication des monumens inédits de notre histoire et à d'autres des- seins littéraires analogues :

« Minute d'une lettre écrite par le chef-président de Neny , au nom du ministre comte de Cobentzl aux abbés , chapitres et prieurés des Pays-Bas autrichiens , à l'effet d'en obtenir une note de tous les manuscrits qui pouvaient se trouver dans leurs maisons ou dans les archives de leurs églises , concernant l'histoire , soit ecclé- siastique , soit civile de la Belgique.

Mémoire de M. de Neny au comte de Cobentzl pour lui pro- poser de faire imprimer , à la nouvelle typographie académique de Louvain , une collection chronologique de documens historiques déjà publiés, mais rares et exposés à se perdre à cause de leur peu de volume , entre autres les pièces litigieuses destinées à soutenir les droits du souverain.

La collection devait être distribuée en trois parties :

La première, comprenant les écrits antérieurs à l'abdication de Charles-Quint ,

2' La seconde, ceux relatifs aux troubles des Pays-Bas, jusqu'à la mort de Philippe II ;

La troisième enfin , les écrits postérieurs à cette époque.

Les morceaux composés en flamand auraient été imprimés dans cette langue ; mais , dit le mémoire , il serait important d'en don- ner aussi une traduction française,

Cliaque ouvrage devait être enrichi d'une notice historique sur son auteur.

Le comte de Cobentzl à Neny , 7 mai 1760. Il approuve ce projet , et sjiécialement ce qui regarde les traductions françaises des ouvrages flamands.

Nélis an comte de Cobentzl, 11 mai 1760. Il remercie le ministre de lui avoir communiqué le plan de M. de Neny, et de

COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE. 447

l'avoir choisi avec MM. Verdussen et Vanlieurck , pour l'exécuter.

Le même au même y 29 avril 1761. 11 s'occupait de recher- cher des manuscrits, niais il croyait qu'il y en avait peu de curieux restés dans le pays. Il était alors qnestion de réimprimer les ouvrages des Chifllet. Fr. Varrentrapp , libraire à Francfort , auquel on avait parlé de cette entreprise , ne la jugeait pas heureuse. 11 envoya ce- pendant au comte de Cobentzl une liste des écrits des Chiiïlet beau- coup plus complète que celle de JNélis.

Nélis au comte de Cobentzl , 13 mai 1761. 11 plaide en faveur de son projet de publier les écrits des Chifllet, et combat l'opinion de Varrentrapp.

Le comte de Cobentzl à Nélis , i Juillet 1762. La typographie académique trouvait de l'opposition dans l'université; mais, disait le ministre, ils ne doivent pas nous lasser : noîis les vaincrons successivement.

Nélis au comte de Cobentzl, 15 décembre 1763. Il s'était procuré pour son usage particulier une petite imprimerie , et la chose avait été considérée comme une infraction aux réglemens de police. Il demande à être employé ailleurs qu'à Louvain , attendu que ses études n avaient jamais été tournées vers V école,

Le même au même, 24 octobre 1764. 11 se plaint qu'on cher- che fi semer sa carrière de dégoûts ; puis , pour contrebalancer à Louvain ce qu'il appelle vestigia ruris , il sollicite du ministre la permission d'y éiablir sous ses auspices une petite académie qui pour- rait faire renaître le goût étouffé par la mauvaise et frivole philo- sophie de V Université.

Le comte de Cobentzl à Nélis , 23 octobre 1764. 11 n'approuve aucunement le projet d'académie. Ce serait, dit-il , établir uti es- prit de parti, ranimer les jalousies que vous avez déjà essuyées, et produire assurément plus de mal que de bien.

En cette même année 1764, le comte de Cobentzl désirait qu'on imprimât Macquereau , dont Paquot a donné la première partie et dont M. J.-B. Barrois se ])répare à publier la seconde. Il voulait se procurer aussi un recueil des lettres de Granvelle , que M. le ministre Guizot a dessein de faire réimprimer en France.

Nélis au comte de Cobentzl, 6 juillet 1763. Le ministre lui avait envoyé les lettres d'iloppcrus pour les imprimer. Voici un pas-

448 COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE.

sage textuel de cette lettre : « Ces lettres d'Hopperus m'ont fait » penser à celles du président Viglius qui n'ont pas été toutes im- ji primées. M. ïïoynck (Van Papendreclit) les avait destinées toutes » à la presse ; mais son iniprimeur qui n'aimait pas à se mettre si 5> fort en frais , y a opposé tant de difficultés , qu'on a se con- « tenter d'une partie. J'ai vu moi-même dans la bibliollièque de )) M. d'Orlho, à Malines , qui avait hérité de celle de M. ïïoynck , )) ces lettres que ce dernier avait destinées à former le troisième tome )) des lettres de Viglius dans les Analecta Belgica ; et je me « souviens que le chanoine Major les acheta pour environ deux pis- )) tôles. J'ai lu les mêmes lettres , mais éparpillées , dans huit gros « volumes que l'on m'a communiqués du collège de Viglius à n Louvain. »

Nous remarquerons ici que les lettres d'Hopperus sont conservées à la bibliothèque de Bourgogne , et que , quant à celles de Viglius , on n'en trouve aucun recueil manuscrit indiqué dans le catalogue de Major, qui porte seulement sous le n" 6270 : ï^iglii Zwichemi ah Aytta Epistolœ ad Hopperum , Leovardiœ , 1661 , in-8°. Plu- sieurs volumes des lettres de Viglius doivent se trouver à la biblio- thèque de Gœtlingue.

Nélis au comte de Cobentzl , 7 août 1765. Il envoie au mi- nistre une relation du Concile de Trente , par deux théologiens , dont l'un y avait été envoyé pas la gouvernante des Pays-Bas. Il la tenait du comte Garampi , et , moyennant l'agrément de Cobentzl , il se proposait de l'insérer dans un recueil dont on a une partie , qui est devenue une véritable rareté bibliographique et l'on trouve le commencement de l'ancien cartulaire de la ville de Louvain , d'après l'original, compilé vers 1380 , par un certain Lambertus de Insulâ. Un mémoire de M. de Reiffenberg , inséré parmi ceux de l'académie, et qui roule sur les tentatives faites au sein de cette compagnie pour la publication des monumens inédits de notre histoire , contient une notice détaillée de ce qui reste des Analectes , dont l'impression n'a été qu'ébauchée par Nélis.

Le comte de Cobentzl à Nélis , 22 novembre 1765. Le mi- nistre avait fait acheter, à la vente de la bibliothèque des jésuites de Paris , plusieurs porte-feuilles remplis de lettres du cardinal de Granvelle. 11 en envoie l'analyse pour être examinée par Paquet et Nélis , afin de savoir si ces lettres méritaient la publicité.

COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE, 449

Le même au même, "^Q juillet 1766. Ces recherches étaient vnes de mauvais œil par certains docteurs. // est honteux , dit le ministre , que nous ayons dans notre Université des gens si peu faits pour maintenir le bon goût et entièrement livrés à la barbarie pour les sciences et à la rusticité pour les mœurs. Je trouverai moyen de les morigéner.

Nélis au comte de Cobentzl , ^S janvier 1767. Envoi des quatre premières pages imprimées des lettres d'Hopperus. A leur suite l'éditeur se proposait de publier un choix de celles de Granvelle et de Philippe II. ( Il existe deux porte-feuilles à la bibliothèque de Bourgogne , renfermant des lettres autographes de Granvelle avec de longues apostilles de la main de Philippe ; M. de Laserna Santander avait conçu l'idée de les faire imprimer avec une traduction française de l'espagnol, et ce qu'il avait terminé de ce travail fait partie, si nous ne sommes pas dans l'erreur , de la précieuse collection de feu M. Van Hulthem). Nélis changea ensuite de plan, comme on le verra plus bas.

Le même au même , 11 mars 1767. Compte rendu des ma- nuscrits de Butkens qui se trouvaient chez le baron deRaet, maître des postes à Louvain. Quant aux papiers du baron Jacques Le lloy ,

. M. de Raet , allié à sa famille , soupçonnait qu'ils étaient conservés au château de Bunderfeld , du côté de Tirlemont.

Nélis au comte de Cobentzl , 28 mars 1767. Envoi de la première feuille de l'Hopperus ia-4 . (Le libraire Allheer d'Utrecht a acquis le fonds de cette édition et y a ajouté un titre. L'exem- plaire de la bibliothèque du savant Te Water est désigné au cata- logue sous le 1411 , avec cette note : Deest titulus , deindè prœficus ! adsunt autem editoris , qui fuit de Nélis , episcopus ant- uerpuensis , annotationes multce mos nt /ronfe). Manuscrit histori- que de Robert de la Marck soumis à l'examen de Nélis. Cet ouvrage avait déjà été imprimé dans les mémoires de Bellay.

Le même au même, 2 juin 1766. La typographie académique ne possédait que trois presses avec lesquelles on imprimait simulta- nément les mémoires littéraires de Paquot , Hopperus , Morgagni et les thèses des étudians de Louvain.

Le même au même , 13 mai 1768. Projet d'une académie ou société littéraire communiqué à Nélis et sur lequel le célèbre Schoep-

450 COMMISSION BOYALE o'hISTOIIIE.

flin avait été consulté. Cela donna naissance quelque temps après à racadérnie de Bruxelles.

Le comte de Cobentzl à Nélis , 1-4 mai 1768. Des lettres de Philippe II , accompagnées d'une traduction , devaient , comme un choix de celles de Granvelle, servir de complément aux lettres d'Hopperus.

Paquot au comte de Cobentzl, 29 avril 1762. Diverses vues sur la publication des monumens historiques. Les diplômes seraient recueillis à part , comme supplément de Miraeus ; quant aux vies des saints , on les abandonneraient aux Bollandistes , mais il serait à désirer qu'on lit un recueil des ^cta Sanctorum de la Belgique , en suivant l'ordre des temps (ce qu'a exécuté Ghesquière jusqu'au septième siècle). Les ouvrages flamands en prose devaient être ac- compagnés d'une version latine 5 mais , s'ils étaient en vers il aurait suffi d'y joindre des sommaires en latin.

Quant à l'arrangement des pièces , Paquot , qui voulait une col- lection dont toutes les parties fussent liées et formassent un corps , préférait l'ordre géographique.

Il propose d'abord d'imprimer Edmond de Dinter , un manuscrit du prieuré de Bethléem , contenant l'histoire des chanoines réguliers du pays , et la chronique de Bruslhemius qui se conservait à Ever- bode. C'était à Paquot que le ministre envoyait toutes les réponses des abbayes et corporations religieuses , comme à l'historiographe de l'impératrice.

Paquot au comte de Cobentzl, 13 mai 1762. Il pense qu'il faudrait faire copier les pièces suivantes qui appartenaient au mo- nastère de St. Pierre de Gaad :

Annales Flandriœ ab anno 1244 usque ad annum 1356 (coté 5).

Cronyck van Philippe hertog Jans-soone , 1420-1439 ( coté 6) .

Un extrait du Chronodromon seu cursus temporum , 10 , qui contiendrait les généalogies des souverains des Pays-Bas.

Defensio comitis Flandriœ adversus parlementarios régis Fran- corum (n° 16).

Au monastère de St.-Guilain : Les chartes relatives aux privilèges de cette maison et un extrait

COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE. 451

du volurae marqué D , renfermant ce qui regardait les comtes de Flandre et de Hainaut qui allèrent à la croisade , ainsi que les ge'- néalogies des maisons de Ligne , Rumegnies ou Rumigny , Fontaine , Rœulx , etc.

de Corsendonck :

Annalia ( sic) civitatis Busciducensis ah exordio civitatis usquè ad annum 15S0 (n° 2).

d'Everhode :

Outre Brusthemius , un extrait du n" 4, contenant la partie qui était de Jacques de Warnans.

Il faudrait , ajoute Paquet , voir ce que c'est que l'histoire de Liège par George Munteras , laquelle se garde dans la même abbaye et chez les Auguslins de Hasselt, comme je l'apprends du père Man- telius (1762).

de S t. -Gérard : Les chartes du monastère.

d'Epternach :

Cette maison ne semblait pas devoir rien fournir , à moins qu'elle ne possédât des chartes et diplômes.

Le comte de Cobentzl à Paquot, 5 juin 1762. Envoi d'un manuscrit de l'abbaye d'Orval ( les mémoires de Jean d'Anly qui se trouvent à la bibliothèque de Bourgogne , marqués autrefois n" 5261, maintenant -4930). Suivant le vœu de l'abbé, il fallait trouver un copiste assez prudent pour omettre ce qui se trouvait d'injurieux et de préjudiciable aux propriétaires.

Paquot au comte de Cobentzl , IS juillet 1762, Manuscrits dont il propose définitivement l'impression :

1" Brusthemius.

Les mémoires de Jean d'Anly, qui écrivait vers 1583.

3" La chronique de Bethléem.

-4° Le Dinter conservé au prieuré de Corsendonck.

Quant aux ouvrages déjà imprimés qu'il serait bon de publier de nouveau , vu leur rareté , Paquot s'arrêtait d'abord à ceux-ci ;

Joannes Balinus de Bcllo Belgico (imprimé à Bruxelles, chez Rutger Velpius , en 1609, in-8°).

452 COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE.

Bertelii Historia Lnxemburgensis , en y joignant les ouvrages du P. Alexandre Wiltheim , encore inédits.

Antonio Carnero, avec une traduction de l'espagnol.

Le comte de Cohentzl à J.-J. Michaux , sous-bailli de la terre de Samson, par Nanmr , 23 aotît 1763. Invitation de con- courir jiu dessein des chroniques , en communiquant ce qu'il y avait de curieux dans les archives de son bailliage.

Réponse du sieur Michaux , 4 septembre 1762. Presque tou- tes les archives avaient été enlevées par les Français au premier siège de Namur en 1692 ; le château de Samson avait été démoli en 1691 , par trahison , et les archives emportées à Lille , au dire des anciens.

Le comte de Cobentzlà l'abbé de Géronsart , 1 ^septembre 1 764. Le sieur Michaux sera requis d'aller compulser les archives de la terre de Samson (le résultat ne produisit rien d'utile).

Paquot au comte de Cobentzl, 11 mars 176-4. Pièces inédites à publier :

La relation des troubles de Flandre par Weitsius.

Le mémoire de l'abbé de Rolduc sur le gouvernement du duché de Limbourg.

Voici un passage textuel de la lettre de Paquot :

« J'ai appris que les Luciliburgensia ou antiquités du pays de Luxembourg, du P. Alexandre Wiltheim, se trouvent dans l'abbaye de Senones en Lorraine. C'est le plus curieux et le plus savant ou- vrage qui ait été fait sur notre histoire. Votre Excellence trouvera bien le moyen de le faire copier , avec les dessins des antiques qu'il renferme , et il fera le plus bel ornement du fecueil qui paraîtra sous ses auspices.... »

Quelques-unes des lettres suivantes ont rapport à l'impression de Robert Maquereau :

Paquot au comte de Cobentzl , Q juillet 1764. Renseignemens demandés sur les filles naturelles de l'empereur Maximilien l" ; im- possibilité d'en donner de sûrs , vu la confusion et la contradiction des historiens.

Du même au même, 29 novembre 1764. Nouvelles remar- ques sur le P. Wiltheim ; mérite de son travail. De toutes les in- scriptions qu'il renferme à peine s'en trouve-t-il la vingtième partie

COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE. 453

dans les recueils imprimés de Goltzius , Gruterus , Du Choul , Mont- faacon , etc. Wiltheim est le seul qui ait déterré les anciens noms et la véritable situation des localités du Luxembourg , du temps des Romains. Cet ouvrage exigerait environ 120 planches in-folio , ce qui nécessiterait des frais considérables.

Du même au même, 24 octobre 1765. Le commencement de Jacques de Guyse ne mérite aucune attention.

(Malgré ce jugement rigoureux de Paquot, on n'en doit pas moins de reconnaissance à M. le marquis de Fortia pour avoir publié un de Guyse complet, parce que ses fables même témoignent de l'es- prit du temps et peuvent dans certains cas mettre sur la voie de quelques vérités perdues).

Les antiquités de Wieland ayant été presqu'entièrement copiées par P. d'Oudegherst , il ne paraît pas fort utile d'en tirer copie. (Nous en avons donné une analyse dans la première partie des Notices et extraits des MSS. de la bibliothèque de Bourgogne).

Du même au même , 9 décembre 176S. Intérêt que présente- rait un choix de lettres du cardinal de Granvelle ; par exemple de celles relatives à la St. -Barthélémy. Elles exigeraient des notes his- toriques , politiques et même théologiques.

Lettre à Paquot au nom du ministre plénipotentiaire , 13 juillet 1778, pour lui demander un mémoire sur ce qui avait été fait quelques années avant pour le recueil des historiens belges.

Réponse de Paquot , 1k juillet 1778. « Il ne me fut pas dif- ficile , dit-il , de m'apercevoir que la plupart de ceux à qui l'on s'était adressé, ou n'avaient pas compris le but auquel on tendait, ou n'étaient pas d'humeur d'y contribuer , ou n'étaient nullement en état de le faire , quoique avec de la bonne volonté. »

A propos du recueil diplomatique de Le Mire il affirme que « tout y fourmille de fautes , sans compter que les notes aident encore souvent à se tromper. )>

« Je me trouve ici Bruxelles) , ajoute-t-il , destitué de presque tous les livres nécessaires.... Il n'y en a peut-être pas quatre dans la bibliothèque royale , même depuis qu'on y a transporté une par- tie des livres historiques trouvés chez les ex-jésuites. Les listes en- voyées autrefois par les monastères n'ont pas été conservées. » A cette époque, c'est-à-dire en 1778, l'abbé Ghesquicre était chargé T. X. 31

454 COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE.

de la direction du travail de la collection projetée des Analecta Belgica. M. Gérard s'était engagé , de son côté , à fouiller dans les archives du gouvernement.

M. de Reiffenberg lit ensuite l'analyse du manuscrit communiqué par M, de Ram. Ce manuscrit in-folio , provenant de la bibliothè- que de M. de Nelis , porte ce titre : Collèges , Séminaires , Agio- graphes. Voici ce qu'il contient d'essentiel sur l'objet dont la com- mission a à s'occuper ;

Rapport sur rétablissement de l'historiographie , présenté /e 15 septembre 1779 à S. A. le prince de Stahremberg par le conseiller- d'état et privé de Kulberg.

Le 10 mai précédent, M. de Kulberg avait adressé au ministre un mémoire ou rapport sur l'établissement de V historiographie, en général , dans l'abbaye de Caudenberg , et en particulier sur les Analectes Belgiques. Mais il ne connaissait pas au juste les vues du gouvernement.

On n'avait alors aucun plan arrêté , et l'on considérait l'achève- ment des Acla Sanctormn comme le terme auquel on pourrait commencer les Analectes. Jusque-là il ne s'agissait que des maté- riaux. Telles étaient les seules idées auxquelles on se fût fixé.

Au surplus l'intention du gouvernement n'était pas d'employer à ^historiographie au-delà de la somme annuelle de 1500 florins , à laquelle le produit du fonds du Musœmn Bellarmini avait été évalué ; en outre après un certain nombre d'années , il ne devait plus être question de ce subside : de sorte que , observe M. de Kulberg, il fallait faire que l'établissement subsistât par lui-même.

M. de Kulberg témoigne beaucoup de zèle pour le projet des Ana- lectes , accueilli dans toute l'Europe avec applaudissement et devant faire au pays le pins grand honneur. En conséquence il propose un plan pour le réaliser , plan sur lequel il avait conféré avec l'abbé de Nélis qui était entièrement de son avis.

Il s'agissait d'abord de ne pas réduire l'abbé Ghesquière au simple rôle de compilateur pendant nombre d'années , de mettre la main immédiatement au travail de la publication , et , pour cela , de lui associer quelques académiciens habiles tels que M. de Nélis , le baron do Fraula , le doyen de Lierre , Heylen.

Il fallait ensuite trouver à l'abbé Ghesquière un collaborateur

^^t)MMlSSION ROYALE » HISTOIRE. 455

habituel, demeurant aussi à l'abbaye de Caudenberg et communi- quant avec lui à tous les instans de la journée. M. de Kulberg fixe son choix sur l'abbé Lensens , jésuite , qui avait été désigné en 1772 pour travailler aux Analectes Belgiques et qui avait commencé dès- lors à se livrer à ce travail avec l'abbé Ghesquière. M. Warnot , abbé de Caudenberg , à cause de son influence et de sa bonne volonté devait être attaché également à la commission, laquelle serait présidée par un commissaire impérial.

Suivent quelques détails financiers ; tout est réglé avec une par- cimonie que permettaient les habitudes et les ressources monastiques.

M. de Kulberg demandait des assemblées hebdomadaires du comité.

Il pensait qu'en 179S l'emploi des fonds de Musœmn Bellarmini pourrait cesser , et qu'alors toute l'entreprise subsisterait de ses propres bénéfices.

Ainsi à V historiographe Ghesquière , serait substituée une société de gens de lettres occupée de la rédaction des Analectes Belgiques.

Rapport du même , nommé commissaire pour l'établissement des agioraphes et historiographes , au prince de Stahremberg , 7 juillet 1778.

Ce rapport antérieur à l'aulre devenait inutile.

On y lit que les ci-devant jésuites agiographes et historiographes de Bie, de Bue , Hubens et Ghesquière , étaient venus résider à l'abbaye de Caudenberg , pour se conformer aux vues du gouver- nement.

Ils attendaient la remise des archives des Bollandisles , qui avaient été mises confusément et sans inventaire dans des caisses et transpor- tées ainsi à Bruxelles. Cette remise devait s'opérer par l'auditeur de la chambre des comptes , Gérard , chargé de la vente des bibliothè ques des jésuites.

« Ces Messieurs , dit ce rapport, sont dans la plus grande inquié- » tude que , parmi la quantité de papiers intéressans que renfermait Il leur bibliothèque , il n'y en ait d'égarés et de perdus. Ils disent 1) qu'ayant continué de travailler pendant un an et demi , après la » dissolution de leur ordre, dans^leur quartier de la maison pro- )> fesse, ils durent qnilter tout avec la plus grande précipitation,

31.

456 COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE.

» au moment on leur notifia que cette maison était destinée à )> l'Académie militaire , et que depuis ce moment ils n'ont plus été » à portée de savoir ce qu'on avait fait de leurs livres et papiers. Ils » ajoutent que, lorsque la remise sera faite de ce qui a été trans- it porté d'Anvers à Bruxelles , ils seront en état de juger si le tout se ]) trouve , et de désigner ce qui manquera , tant ils étaient fami- n liarisés par un travail continuel avec leurs livres et papiers.

(1 L'historiographe Gliesquière sent plus vivement , à ce qu'il pa- )) raît, de l'inquiétude à ce sujet. Occupé depuis huit ans, au )) moins , à la recherche de tous les matériaux propres à l'ouvrage 1) intéressant des Analectes B&lgiques , il avait environ 200 feuilles )) de notes rassemblées sur des faits et des objets essentiels.

» Il a sollicité, depuis quelque temps, à ce qu'on lui remît ce )) recueil , et tout ce qu'il a pu en retirer jusqu'à présent , à ce qu'il )) assure, consiste en la feuille onzième et la quatorzième.

!) Il serait bien fâcheux pour cet homme que le fruit de tant de travail fût en partie perdu et qu'il se trouvât nécessité de recom- )> mencer. Mais on doit suspendre tout jugement sur cet objet , jusqu'à » ce que la remise des livres et papiers , sans inventaire , vienne » déterminer l'état des choses. »

S. M. I. abandonnait au profit de l'abbaye de Caudenberg et des agiographes les Acta sanctorum publiés ou à publier , moyennant qu'ils se chargeassent de tous les frais et dépenses exigés pour cet ouvrage.

Deux élèves étaient aggrégés aux PP. Jésuites ; c'étaient des re- ligieux de la maison : François-Joseph Reynders , de Bruxelles , âgé de 28 ans , et Jean-Baptiste Fonson , aussi de Bruxelles , âgé de 22 ans.

Suivent des détails sur l'ordre du travail des agiographes. Les volumes des Acta sanctorum étaient tirés à 800 exemplaires. Ils se répandaient dans le monde à mesure qu'ils paraissaient. Au moment delà dissolution des jésuites, il n'en restait dans le magasin des agiographes que deux exemplaires de chaque volume des mois de janvier , février , mars , avril et mai , et une certaine quantité des volumes consacrés aux mois postérieurs ; savoir : juin , juillet , août et septembre ; en sorte qu'il n'y en avait véritablement que deux exemplaires complets.

COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE. 457

C'était la coar de Vienne qui désignait le personnage à qui chaque lome serait dédié , et qui devait approuver le portrait sur toile que faisait exécuter le procureur des jésuites à Vienne, en vertu des ordres de l'empereur. On gravait le portrait en Hollande , et l'on en expédiait une épreuve à Vienne pour y subir la censure de la cour.

Quant à l'ouvrage lui-même , les agiograptes n'admettaient que la censure ecclésiasti(jue , et rejetèrent constamment les prétentions des censeurs royaux.

Pour la continuation des Acta sanctormn , on avait résolu quel- ques réformes propres à abréger le travail ; mais on n'avait pas cru devoir les annoncer, de peur de discréditer le livre. Par exemple , on n'imprimait plus textuellement toutes les vies déjà imprimées d'un Saint , et l'on restreignait les notes et commentaires.

Au moment de la suppression , il y avait dans le magasin des agiographes 880 pages déjà tirées pour le volume à paraître. On s'o- bligeait à les compléter dans un an. Cinquante volumes avaient été donnés dans l'espace d'un siècle et demi.

M. de Kulberg désirait rattacher aux Acta sanctormn la reprise et continuation des Analectes Belgiques,

Avertissement de la continuation de Vouvrage ayant pour titre : Acta sanctormn.

Cet avis était destiné au public.

Marie-Tliérèse avait ordonné celte continuation

Le dernier volume livré au public était le troisième du mois d'oc- tobre. ( On sait que le cinquième volume du mois d'octobre a été imprimé à Bruxelles en 1786 , et le sixième à Tongerloo en 179-4 , de manière que la collection est maintenant composée de S3 volumes in-folio (1).

On annonçait en même temps la reprise des Analectes , assem- blage méthodique de matériaux servant à l'histoire ecclésiastique et civile de la Belgique,

Rapport du conseiller d'état et privé de Kulberg au prince de Stahremberg sur l'établissement des agiographes dans l'abbaye de Caudenberg , 1 0 mai 1779.

(i) On conserve à la bibliothèque de la ville d'Anvers iia pages im- primés du septième volume d'octobre.

458 COMMISSION ROYALE D'HISTOfRE.

M. de Knlberg, dans sod rapport du 15 septembre même année , dit qne , lorsqu'il rédigea celui-ci , il ne connaissait pas bien encore les intentions du gouvernement.

L'adjonction des abbés Lensens et Cornet à l'abbé Ghesquière lui semblait déjà très-utile.

Idée de l'ouvrage annoncé en 1773 sons le titre d'Analectes Belgiqnes , auquel l'historiographe Ghesquière continue de travail- ler sous les auspices de S. M V ir.ipératricereine apostolique et du gouvernement général des Pays-Bas

Ce prospectus signé Ghesquière , et daté de Bruxelles le 20 avril 1779 , n'a point été mis au jour. On y renvoie au programme latin de 1773,

Le travail aurait été divisé en trois parties :

La première aurait contenu toutes les lechercbes qui concernent les provinces et les peuples des Pays-Bas, suivant leurs divers états, sous les Celtes , les-Romains , les Francs ; sous les divers comtes , ducs on seigneurs particuliers ; sous les Bourguignons et la maison d'Autriche.

Ces recherches devaient consister en plusieurs dissertations , ori- ginales sur les comraencemens , le nombre, les dilFérens noms et les limites des anciens peuples des Pays-Bas qui s'y établirent en corps de nation ; sur les origines des villes et de leurs dépendances ; sur l'idiome , la religion , les usages , les mœurs , les sciences , les arts, l'agriculture , le commerce des anciens Belges , et sur d'autres objets également intéressans.

A ces dissertations aurait succédé un abrégé chronologique en forme d'annales , comprenant le plus succinctement possible , ce que les auteurs contemporains ou dignes de croyance attestent avoir été fait par les Belges, soit chez eux, soit en pays étrangers. Le tout orné de cartes , de plans , de médailles et d'inscriptions antiques.

La seconde partie aurait été consacrée aux vrais actes des vies- des Saints des Pays-Bas , selon l'ordre chronologique. L'auteur était bollandiste depuis 1763.

La troizième partie enfin aurait été composée de chroniques , telles que celles de Nicolas de Clerck , de Dinterus . de celle de Corsendonck , de grand nombre de diplômes inédits ou mal publiés , des anciens actes ou procès- verbaux de démarcation des limites , etc.

GOMimssroN royale d'histoire. 459

L'auteur cite même une de ces dernières pièces en français oflPrant la démarcation des anciennes limites de l'empire et du royaume de France , et qu'il avait obtenue par la faveur de feu M. de Choiseul , archevêque de Cambrai.

Ghesquière avait alors 49 ans , ce qui l'empêchait d'espérer d'achever un si grand travail. Il proposait donc pour ses collabo- rateurs :

François Lensens , prêtre , à Malines en 1742 , établi dans la même ville :

Philippe Cornet , prêtre , à Bruxelles en 1738 , établi à Anvers ;

Donatien Dujardin , prêtre, à Ypres en 1738 , élabli dans la même ville ;

Jean de Mersseman, prêtre , en 1739, établi à Dunkerque r,

Corneille Smet , prêtre , à Morselle près d'Alost en 17-42 et élabli dans le même endroit.

Mais Ghesquière déclarait que peu lui importait la profession et le pays de ses associés , attendu qu'il n'en exigeait que de la capacité et un caractère conciliant.

Projet d'une lettre que Ghesquière enverrait aux abbayes , chapitres, etc. , pour obtenir communication des manuscrits , titres , diplômes , etc. , qu'ils possédaient.

Cette lecture terminée, M. Gachard fait remarquer qu'il existe aux archives du royaume des pièces de nature à compléter ces renseigne- mens , et il s'engage à en donner communication.

Le même, au nom de MM. Holvoet et J.-J. Vermeire de Brnges , met à la disposition de la commission trois manuscrits. Le premier est une chronique du monastère de Saint- André ; le deuxième estin- li'ulé : Chronicon comitum Flandriœ ^ ab anno 1321 , ad an- num 14-42 , incerti auctoris. Le troisième est un recueil de pièces de différentes époques.

La commission vote des remercîmcns h MM. Holvoet et Vermeire et applaudit à leur zèle et à leur patriotisme.

Les deux premiers manuscrits sont confiés à M. Warnkœnig et le dernier à M. de Reiffenberg , pour en faire l'examen.

La séance sera continuée demain à 9 heures du matin.

460 comaiissioN royale d'histoire.

Séance du ^S octobre.

Présens tous les membres de la commission , excepté M. l'abbé De Ram.

Miil. de Gerlache, Warnkoenig et Willeras font un rapport sur les catalogues des manuscrits historiques , lesquels ont été commu- niqués par M. le ministre de l'intérieur.

Quoique de simples indications , souvent d'une extrême séche- resse, ne puissent pas fournir beaucoup de lumière. M. de Gerlache signale à l'aftention de la commission , dans le catalogue de l'uni- versité de Liège , les articles suivans :

N' 18. P^ita sancti Huherti , conscripta per Adulphum Has- pard. Historia ahhatiœ Sti. -Huherti in Arduennâ; anni 1326, fol. pap.

16-4, 166. Recueil de paix, privilèges concernant le pays de Liège (XVI^ siècle).

N" 183. Recueil des choses mémorahles concernantes le royaume de Tongres , le pays de Liège et ses environs , depuis son origine jusqu'au commencement de Vépiscopat de Ferdinand de Bavière, ^X" èvéque de Liège , fait par maître Jean d' Oustremeuse ; le reste extrait des chroniques de Jean Dupas, par Jean de Stavelot , jusqu'à l'an 1626, fol. pap.

186. Chronique du pays de Liège , depuis la fondation de la cité jusqu'à l'an 1016, in-folio, écrit en 1601.

M. Gachard entretient ensuite la commission du catalogue de la bibliothèque de Tournay, en ces termes :

Les manuscrits de la bibliothèque de Tournay sont , sur cette liste , au nombre de vingt-sept. La plupart ayant été examinés par le rapporteur , il y a quelques années , il se trouve à même d'en- trer dans des détails sur leur contenu.

Les n"^ 2 , 3 , 8 , 10 , 18 , 19 , 21 , 22 , 23, 24 et 23 con- cernent exclusivement la ville de Tournay et le Tournaisis. Ce sont ou des collections de chartes et autres pièces en copie , ou des re- cueils d'épitaphes, et des notes historiques sur difFérens sujets, ou des mémoires dont la plupart se rapportent à des époques et à des événemens particuliers, comme X Histoire des choses remarquables arrivées à Tournay, de 1366 à 1370 ( 2); la relation du

COMMlSSIO-\ ROYALE d'hISTOIRE. 461

siège de Tournmj en 1681 , écrite par un bourgeois de la ville ( 3) ; le recueil de quelques particularités du siège de Tournay en 1709 ( n'' 19) ; des réflexions historiques sur la persécution exercée contre le chapitre de Tournay en 1710, 1711, 1712, par les Etats-généraux des Provinces- Unies (n° 22).

Le n" 21 , Notes historiques sur Tournay et le Tournaisis par Dufief, contient bien un extrait de la chronique de Gilles li Muisis , de 1308 à 1330; mais ce manuscrit étant du commencement du 11" siècle, ou tout au plus de la fin du 16% il ne paraît pas qu'on s'en puisse servir utilement.

Le 5, Ritmes et refrains des Tournaisiens l'an 1-477, est connu par la description qu'en ont donnée MM. Dumortier et de ReifFenberg , dans les Nouvelles archives historiques.

Le 9 bis , Projet de Vhistoire de Tournay , par Sanderus , l'est également, grâce à la notice insérée par M. Dumortier dans le même recueil.

Le -4 , Manuscrit relatif à l'histoire des Pays-Bas , depuis la réunion des dix-sept provinces jusque vers la fin du l^"" siècle , n'est autre que l'ouvrage de M. de Neny.

Les n""^ 6 et 9 sont des recueils de coutumes de Tournay et de Tournaisis , qui n'intéressent que la jurisprudence , de même que le l'2. Arrêts rendus au grand conseil de Malines , etle n" 13, Divers arrêts rendus dans le pays.

Les n"* 14 et 20 contiennent des généalogies et des blasons.

Le 25 est un recueil formé, en 1586 , d'épitaphes existantes dans les églises de diftërentes villes , nommément Arras et Valen- ciennes.

Le 17 offre une relation des vies de saint Piat et de saint Eleutbère , écrites en vers français dans l'année 1-479, par messire Alard Janvier. A la fin du volume on lit :

Voeilliés , Marie et Dieu , prier Pour messir Alard Janvier. Che livre cliy escripsi neuf En l'an mil nil<^ LXXIX.

Le 11 est un hommage de félicitation à Charles-Quint sur sou

462 COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE.

retour au Pays-Bas en 15-40 , lorsqu'il traversa la France pour pu- nir les Gantois , retour ardemment désiré , dit l'écrivain ( ob divi Caroli desideratissimum in patriam reditum aggratulatio).

Le n" 15 , Chroniques en hrief, commenchant Van trente avant la descente des comtes de Flandre et de Bourgogne , est une chro- nique rimée.

Le 27, P^ieille Chronique de Flandre, est un manuscrit du 17* siècle, qui contient un extrait des antiquités de Flandre par PVeilant , et d'autres fragmens que l'on retrouve ailleurs.

La même observation s'applique au 1*"^ : Histoire des rébel- lions des Flamands contre leur souverain, jusqu'en 1-450, et des guerres de ceux-ci, manuscrit du milieu du 16" siècle.

Enfin le 16 est un recueil de plusieurs entreprises et actions de l'empereur Charles-Quint environ l'an 15-40, petit in -8". Ce dernier , dit le rapporteur , mériterait peut-être de figurer dans la collection qui va être publiée.

Le titre littéral est : Brief recueil de plusieurs entreprinses , belles chasses et entrées faictes par la majesté impérialle , en pour- suivant son voyage d'Argeil [Alger] environ VanXF^ quarante, et ce rédigé par escript , au lieu de repos , par manière d'exerci- tation , par un quidam suivant sadicte majesté en cherchant aven- tures , lequel n'a aultres tesmoings pris que sa propre veue et présence. ( M. de Reiffenberg l'a cité dans ses particularités sur Charles-Quint et sa cour, )

L'auteur ne se nomme pas : il dit seulement qu'il avait été à la cour ; qu'à Luxembourg , la reine Marie prit congé de l'empe- reur , il la quitta « pour veoyr du monde , espérant parvenir avec le temps (après plusieurs services) au nombre des gentilshommes de la maison de l'impériale majesté [ce qu'il fait) , etc. )• 11 ra- conte en eflPet, lui-même, comment il obtint cette distinction près de Burgos.

L'anonyme nous fait accompagner Charles-Quint à Spire , à Nu- remberg , à Mayence , à Inspruck , à Milan , à Paris , à Gênes , en Afrique, et, après que son expédition eût manqué, à Murcie, à Valladoîid , à Burgos , aux royaumes de Catalogne , d'Arragon , de Valence et de Castille. Il raconte ensuite son retour en Flandre par l'Italie et l'Allemagne , enfin sa campagne en Gueldre qui eut pour

COMMISSIOÎf ROYALE d'hISTOIRE. 463

résultat la conquête de cette province. C'est que l'auteur s'arrête.

Celte relation est sommaire , mais intéressante. L'expédition d'A- frique y est plus détaillée que le reste.

Le manuscrit , s'il n'est l'original , est du moins une copie du temps.

Le rapporteur termine en faisant observer qu'il existe encore à la bibliothèque de Tournay un manuscrit historique qui ne figure pas, sans doute par oubli , dans la liste qu'a envoyée le bibliothécaire. Ce manuscrit qui , dans le catalogue général de la bibliothèque , section Histoire - Littérature , porte le n" 19, et qui est intitulé Chroniques anciennes , serait peut-être digne de faire partie des chroniques de Flandre; et, en tous cas, il mériterait d'être con- sulté par l'éditeur de ces chroniques. Il est de la fin du IS"" ou du commencement du lA" siècle, et renferme 246 chap. dont l'avaut dernier précédé de cette rubrique : Comment H rois Philippe de Franche espousa Marie seur li duc de Brahant et son coronément.

Résolu que M. le ministre de l'intérieur sera prié de demander à la régence de Tournay , pour être mis à la disposition de la com- mission , le Recueil des voyages de Charles-Quint , n" 16 de la liste , le n" 17 contenant les vies de saint Piat et de saint Eleuthère , la chronique rimée du 15 , et les chroniques anciennes du 19 de la section Histoire -Littérature , dans le catalogue général.

M. Warnkoenig promet de faire , dans une prochaine séance, un rapport détaillé sur le catalogue de la bibliothèque de Gand.

M. de Reiffenberg se charge d'examiner celui de la bibliothèque de Mons.

M. Willems, après avoir parcouru le catalogue de la bibliothèque de Bourgogne , regrette que les indications en soient d'une concision telle, qu'on peut à peine connaître l'objet d'un manuscrit et qu'on ignore toujours s'il est sur parchemin ou papier , d'une époque ré- cente ou reculée. Il s'est néanmoins attaché de préférence aux ar- ticles qui suivent ;

POUR 1,'histoire de uége.

8525-8832. Les chroniques de Jean d' Outremeuse , translaté de latin en rouman franchois , 4 volumes.

464

COMMISSION ROYALE D HISTOIRE.

10,322. Chronique de Liège terminée 15-47.

8336. Chronique de Liège terminée à l'an 1643 , -4 volumes.

POUR l'histoire Dn BRABANT.

•492-4-4928. Dinteri chronicon ducum Brabantiœ , copie mo- derne.

8420. Copie du même qui a appartenu à Jean Le Mire , évê- que d'Anvers. (Voyez rinfroduction aux mémoires de Vander Vynctt , édition du sieur Lacrosse. )

5421. Premier texte de cette chronique, texte autographe, sui- vant le catalogue , ce qui est une erreur.

4528. Autre copie.

4485. Hertogen van Lothryck , van Brabant en Limbourg (en vers flamands).

4934. Cronyck van Brabant ende van Grimberg.

5467. Extrada è chronicâ vetustissimâ ducum Brabantiœ.

1737. Godefridi de Bullione epistola ad papam de suâ ex- peditione,

9976. Processus inter Joannem , ducem Brabantiœ et Jacobam de Bavariâ.

AQQl . Anticerpsche rym-chronxjkje beginnende met hetjaer 837 tôt 1542.

6154-6161. Annales antuerpienses ab anno 1307 ad 1685.

pocR l'histoire de fla:vdre.

6590-6265 et 2279. Iperii chronicon.

Les numéros 4868, 4494, 7952, 7954, 4535, 7953, 2427, 8370 , 8315, 7708, désignés sous les titres de chroniques, d'an- nales ou de généalogies , paraissent pouvoir servir ; mais , comme ces renseigneraens sont trop vagues , il faudra explorer les biblio- thèques elles-mêmes pour constater leurs richesses historiques.

M. de ReiflFenberg promet à M. Gachard de lui prêter une copie du P^oyage de Philippe -le -Beau en Espagne , par Antoine de Lalaing , laquelle fait partie de sa bibliothèque particulière et dont il a donné un extrait dans le premier volume de ses Archives Phi- lologiques. Il remarque que la bibliothèque de JNamur possède un

COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE. 465

manuscrit précieux renfermant Beda et presque tout Grégoire de Tours , et que ce manuscrit , qu'il a décrit dans son supplément à VArt de vérifier les dates , pourrait être utile au comité de l'his- toire de France , lequel, sous les auspices du ministre de l'instruc- tion publique , prépare une nouvelle édition de Grégoire. Il ajoute que M. Guizot a bien voulu l'assurer qu'il favoriserait de tout son pouvoir les recherches de la commission , et qu'il recourrait à elle chaque fois que les relations étroites de la France et de la Belgique pourraient faire soupçonner que nos annales sont de nature à éclair- cir celles de nos voisins , ou lorsqu'on éprouverait à Paris le besoin de consulter nos dépôts littéraires.

Il annonce qu'il s'est assuré que la chronique d'Anchin , recher- chée par M. Warnkoenig, existe à la bibliothèque du roi, à Paris, et qu'il en fera faire une copie ainsi que des chroniques rimées de Philippe Moustes , de Gand , évêque de Tournay au IS*^ siècle, et dont il n'existe qu'un seul manuscrit.

Enfin , il déclare qu'il est en mesure de mettre immédiatement sous presse le premier volume de l'ouvrage dont on l'a chargé.

MM. Warnkoenig et Willems rendent compte de quelques excur- sions qu'ils ont faites en Allemagne et en France , dans l'intérêt de l'histoire nationale.

M. Warnkoenig dit qu'il s'est activement occupé des travaux pré- paratoires à la publication des chroniques latines de Flandre.

Il a fait transcrire la chronique de Li Muisis , tant pour la par- tie imprimée par M. Goethals-Vercruyce , que pour le reste. Il a en outre examiné le manuscrit original , qu'il colîationnera avec ces copies lorsque M. Goethals, qui le possède, le lui apportera à Gand. Cette collation suffira pour mettre la chronique sous presse.

Le rapporteur désire pouvoir faire graver quelques-unes des belles vignettes qui ornent ce manuscrit , ainsi qu'un fac-similé de l'é- criture.

Il s'est de plus occupé de la chronique des comtes de Flandre , publiée par les Bénédictins dans le troisième volume du Thésaurus Anecdotorum.

Il a fait faire une copie du texte des PP. Martène et Durand , en y ajoutant la pnrtie manquante dont on doit la connaissance au célèbre Lessing qui l'avait trouvée dans un manuscrit de Wolfen-

466 GOMMISSIOJJ ROYALE d'hISTOIKE.

buttel. Cette copie est destinée à servir de base à la collation d'au- tres manuscrits.

Or , trois manuscrits ont fixé son attention : celui de Wolfen- buttel lui-même , celui de l'ancienne abbaye de Clairmarais près de Saint-Omer , et enfin celui de la bibliothèque de Bourgogne.

M. Warnkoenig a écrit , à cet effet , à Wolfenbuttel pour avoir le premier exemplaire en communication. M. Sclivenemann , le bi- bliothécaire actuel , a offert obligeamment ses services pour la col- lation , ce qui a paru suffire. De plus , un fac-similé de l'écriture a été demandé.

M. Schvenemann a aussi donné des renseignemens sur d'autres manuscrits relatifs à l'histoire de Flandre, qui se trouvent dans le dépôt dont il a la garde.

Au commencement du mois d'octobre , M. Warnkoenig est allé à St. -Orner se conservent les manuscrits de Clairmarais. La chro- nique désignée plus haut n'était pas marquée sur le catalogue , et le bibliothécaire ne la connaissait pas. M. Warnkoenig a eu le plai- sir de la retrouver à la suite d'un autre ouvrage , et il a bientôt reconnu que c'était le manuscrit même qui avait servi aux Béné- dictins. Les vingt-deux premiers feuillets, petit in-folio , ont été écrits au commencement du 13" siècle et finissent à la bataille de Bouvines. L'écriture en est belle et nette. Les quatorze derniers ont été écrits après l'année 1348 , la clironique s'arrête. Deux feuil- lets ont été arrachés, ce qui forme, entre les années 1339 et 1346, une lacune qui a trait à l'histoire d'Artevelde. L'écriture et le par- chemin sont de mauvaise qualité.

M. Warnkoenig a consacré deux jours à comparer ce manuscrit avec la copie qu'il possédait. Ce qui lui a fait apercevoir diverses variantes et de nombreuses transpositions de mots.

A la même bibliothèque de St. -Orner , le rapporteur a découvert quatre pages écrites en 961, et contenant des notices généalogiques sur les comtes de Flandre , avec une espèce de panégyrique d'Ar- noul-le-Vieux et de son fils Baudouin III. C'est sans contredit le plus ancien manuscrit original qu'on ait sur l'histoire des comtes de Flandre; aussi M. Warnkoenig s'est-il empressé de le copier.

A son retour de Saint-Omer, il s'est arrêté un jour à Lille, il espérait trouver la chronique d'Anchin que M. de Reiffenberg a

COMMISSION ROYALE D 'HISTOIRE. 467

vue à Paris. En fouillant la bibliothèque de Lille , le rapporteur y a trouvé divers morceaux curieux , savoir ;

I " Une chronique de Tournay , inédite , écrite au quatorzième siècle, en latin, et continuée jusqu'au dix-septième. En voici le titre :

Cronica Tornacensis.

Prologus sequentis operis incipit.

Quoniam traditum tenemus primani constnictionem civitatis Tornacensis prœstantem et memoriâ dignam fuisse , nobiles, etc.

Explicit prologus.

Incipit excerptum ex diœcesis auctoribus coliectum Tornacum itaque GaUiœ Belgicœ civitatem antiquissimam etiam inter suas finitirnas civitates nohilissimam claruisse , etc.

La suite des évêques va jusqu'au mois d'août 1S13 ; mais on y a ajouté les autres jusqu'en 16-49. Le dernier est Franciscus P^il- lanus de Gandaro ex comitibus d'Iseghem, anno regiminis tertio.

Un MS. marqué 769 et provenant de l'abbaye de Clairma- rais. Hoc volumen continet vitam sancti Pétri Tharentasiensis ûrchiepiscopi , vitam B. M. de Ogniaco et genealogiam comitum Flandriœ.

Cronica comitum Flandriœ ab anno 621 ad annum 1490. E. G. 3-4 , fol. (Section d'histoire, au catalogue. )

Le rapporteur avait d'abord pris ce dernier manuscrit pour une copie de la chronique des comtes de Flandre donnée par les Béné- dictins ; mais un examen plus sérieux lui a prouvé que c'était un autre ouvrage : l'histoire fabuleuse de la Flandre , racontée d'une manière très- circonstanciée. La partie chronologique n'en est pas moins bien soignée : la grande chronique est précédée d'une plus abrégée , laquelle va jusqu'à Philippe-le-Bon , duc de Bourgogne et comte de Flandre.

L'auteur de cette histoire a souvent transcrit des passages entiers de la chronique des Bénédictins, mais il a puisé encore dans d'au- tres sources. M. Warnkoenig a vu avec satisfaction que le passage donné par Lessing du manuscrit de Wolfenbuttel se trouve égale-

468 COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE.

ment dans ce manuscrit. Il s'est assuré de plus qu'il a une grande analogie avec celui de la bibliothèque de Bourgogne.

En conséquence il propose à la commission d'envoyer quelqu'un à Lille , pour comparer la chronique des comtes de Flandre avec ce manuscrit , y copier les passages qui ne se trouvent pas dans la première , et faire une transcription complète de la chronique de Tournay.

Le rapporteur a à sa disposition un jeune homme sûr et intelli- gent qui fera cette besogne à peu de frais. Car, de l'aveu de M. le bibliothécaire de Lille , il ne se trouve personne dans cette ville qui , liabitué à lire les anciennes écritures , pût en tirer des copies exactes. D'ailleurs , les manuscrits de ce dépôt ne se prêtent pas à l'étranger.

M. Willems prend alors la parole pour rendre compte du résultat de ses recherches à Cologne.

Elles avaient pour objet : de prendre connaissance des actes et diplômes qui se trouvent dans les archives de cette ville , rela- tivement à la succession du Limbourg et à la bataille de Woeringen, circonstances dans lesquelles Sifrid de Westerbourg , archevêque de Cologne , s'est montré l'adversaire le plus actif et le plus redoutable du duc Jean de Brabant (années 1282 à 1289).

2" D'inspecter et d'explorer les anciens raonumens et tableaux conservés au Musée de Cologne, ou à Woeringen , et qui ont con- sacré le triomphe des Belges , surtout l'inscription sur pierre dont il est parlé dans le livre de Gelenius de Coloniœ Agrippinensis magnitudine.

M. Willems a constaté que les dépôts d'archives des villes de Cologne et d'Aix-la-Chapelle renferment un grand nombre de di- plômes émanés de nos ducs de Brabant , protecteurs du commerce sur le Bhin et avoués supérieurs de la ville d'Aix. Quoique MM. Ritz et de Reiffenberg en aient publié récemment un grand nombre , la plupart sont restés inédits.

Le rapporteur a examiné avec soin les trente volumes in-folio de pièces diverses , déposés à l'hôtel- de-ville de Cologne et connus sous le nom de Farrago Gelenii , ainsi que les anciens cartulaires , re- gistres et documens de cette ville. Cette investigation lui a fait dé- couvrir treize diplômes inédits , se rapportant à son travail sur le

COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE. 469

poème de Van Heelu , et qu'il a copiés avec soin. La plus impor- tante de ces pièces est une convention de paix et de reconciliation entre le duc Jean et l'archevêque Sifrid , pour aplanir leurs dis- sensions. Tarn de occisis in conflictu apud fVarhn et alibi ubi~ cunque , captivis , exactionihus , incendiis , damnis et rapinis quant etiam de destructionibus castrorum , oppidorum et specia- liter (dit l'évêque , fait prisonnier dans la bataille) occasione cap- tivitatis nostrœ.

Une ancienne chronique de Bello TT^oeringensi ex libro manus- cripto monasterii prœdicatorum Coloniensis , que Gelenius a con- servée dans le seizième volume de sa collection, n'a pas moins at- tiré l'attention du rapporteur. Il regrette de n'avoir pas eu le temps de copier d'autres que celles pour lesquelles il s'était rendu à Co- logne. Cependant il se félicite de la promesse qu'a bien voulu lui faire M. Fuchs , secrétaire de la municipalité de cette ville , de transmettre incessamment à M. Warnkoenig une liste complète des chartes des ducs de Brabant que renferme le dépôt confié à ses soins.

Quant aux monumens non écrits , voici ce que M. Willems a trouvé. Au rapport de l'ancienne chronique de Cologne, imprimée par Koelhof en 1499 , les habitans de cette ville , pour perpétuer le souvenir d'une victoire qui avait rendu la liberté à leur commerce érigèrent en 1288, et peu de temps après, une église en l'honneur de saint Boniface { car c'était le jour de la fête de ce saint que la bataille avait eu lieu). Cette église ou chapelle n'existe plus, mais l'inscription autrefois placée au-dessus de la porte de cet édifice se conserve encore au musée. C'est une simple pierre de six à huit pieds de long , sans ornemens et sans figures. On y lit en grands caractères gothiques du temps : Anno M.CCLXXXVIII fuit prœlium in PForingen et hoc in Sabath (sic).

Les huit tableaux de la même bataille , exposés dans ce musée ne méritent aucune attention. Us ont été peints vers 1600 par Jean Van Aken , et sont entièrement de son invention. Nos Brabançons y sont représentés avec des canons et des arquebuses ! !

Lorsque Jean I" , le Victorieux , fit son entrée à Cologne le len- demain de la bataille , les habitans , dans leur reconnaissance pour les services que venait de leur rendre ce ])rince , le proclamèrent bourgeois de la ville , et lui firent présent d'un magnifique hôtel , T. X. 32

470 COMMISSION ROYALE d'hISTOIBE.

nommé depuis la cour de Brahant , avec droit de franchise et d'a- sile. Le rapporteur a reconnu que l'emplacement de ce palais est maintenant occupé par les deux maisons marquées n°* 2119 et 2120 , près de la cathédrale, dans la rue dite AmHof la cour). Les anciens titres de ces propriétés attestent qu'il a fallu , à chaque aliénation du bien, obtenir une homologation du conseil de Brabant.

Quant à Woeringen, il n'y existe plus aucun monument de la bataille. On n'y avait aucune connaissance du missel était inscrit le nombre des morts et des blessés , selon la chronique de Ster- revian Cornerus (Eccard, Corpus hist. ntedii œvi , t. IV, p. 938); seulement M. Willems a pu s'assurer que la bataille a eu lieu dans une bruyère nommée die Fuhlingerheyd.

La commission , après avoir entendu ces détails , décide qu'il sera écrit à M. Lavallée, à Liège , pour l'engager à communiquer les monumens historiques qu'il rassemble et dont il fait un usage éclairé.

Après avoir pris l'avis de plusieurs p rsonnes versées dans la pra- tique de la typographie, la commission arrête l'avis qui sera inséré dans les journaux et adressé aux imprimeurs. Cet avis sera de la teneur suivante :

« La commission royale d'histoire invite ceux de MM. les im- i> primeurs qui désireraient entreprendre l'impression des Chroni- H ques belges , à remettre leur soumission cachetée , aux archives ■!i du royaume , avant le 30 novembre prochain,

» La soumission devra indiquer le prix par feuille , d'après con- ditions suivantes :

)> L'ouvrage sera in-^".

)) Il sera tiré à 500 exemplaires sur papier d'Annonay , 1'" qua- » lité (c'est-à-dire sur papier fabriqué dans le pays à l'imitation de )) celui d'Annonay ).

)i Le caractère choisi pour le corps de l'ouvrage est le cicero ; « mais la poésie sera en petit-romain ou en petit-texte , de même )> que les notes et les pièces justificatives. Les notes marginales se- rt ront en mignonne.

)) Tous les caractères à employer devront être neufs. Le soumis- « sionnaire s'obligera à en avoir une quantité suffisante pour pou- » voir imprimer trois volumes à la fois.

COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE. 471

» Le prix sera établi sans distinction des caractères.

>' II comprendra les corrections , remaniemens et tous autres frais » relatifs à l'impression.

» L'imprimeur sera tenu de fournir au moins trois épreuves.

)) La collection des Chroniques belges est supposée devoir former » 20 à 25 volumes in-4*. »

Plus rien n'étant à l'ordre du jour , la prochaine séance est fixée au premier samedi de décembre , à midi.

Pour extraits conformes :

Le secrétaire de la commission ,

Baron de Reiffeivbkbg.

472

VVVVC'Vfc'VVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVV VVVVVVVVVVV\VVVVV\'VVVVVVVVVV\AfVV^

MÉLANGES. Novembre 1834.

Recherches sur la langue des Siamois. Statistique des journaux. S. Vincent de Lerins. Discours de Mgr. Mai sur la ressemblance des anciennes sociétés secrètes avec les nouvelles. Publication de trois sermons inédits de S. Ambroise , par le P. Léandre Corrieri. Voyage de Pie VII à Gênes en i8i5 , par le card. Pacca. Orai- son funèbre de M. Fan Gils , par M. le prof. Wilmer. Académie de Bruxelles , séance du 22 novembre. Nouv. édition de St. Augustin.

M. Palegoix, missionnaire français à Siam , écrit, à la date de 1833, à la Société géographique de Paris, pour se mettre en rapport avec elle ; il annonce qu'il va parcourir le royaume de Siam et les cinq petits états laociens qui en sont tributaires ; il demande qu'on lui envoie des cartes du pays pour qu'il puisse les contrôler et les rectifier. Dans l'état présent , à peine il arrive à Siam un na- vire de Singapore , ce qui isole complètement cette contrée, et la maintient dans la plus profonde ignorance. M. Pallegoix s'occupe de composer un dictionnaire siamois et une grammaire de cette langue ; il a déjà recueilli 20,000 mots , mais il lui faudra encore trois ou quatre ans pour achever ce travail. Il fera les mêmes re- cherches sur la langue de Laos , qui , du reste , a presque tous les mots siamois , avec quelque altération et une prononciation diffé- rente ; en même temps il s'occupe d'un vocabulaire de la langue hâli , langue sacrée des Siamois.

Le Laos est un pays à peu près inconnu en Europe. M. Pallegoix se propose de pénétrer jusqu'à Vieng-Chaune , la ville royale de la lune. La nation laocienne se divise en trois tribus : Fhoung-Khao (ventre blanc) , Phoung-Dam {\entve noir) , Phoung-Khio (ventre vert). La première ne se tatoue pas , la deuxième se tatoue en noir, et la troisième en vert. On a écrit jadis qu'il n'y avait pas de vo- leurs parmi les Laociens , mais il faut croire que quelque civilisa- tion s'est infiltrée parmi eux , car la ville royale delà lune est presque constamment troublée par des pillages que les autorités ont peine à empêcher.

MÉLANGES. 473

Le nombre des journaux , celui de leurs abonnés , mis en com- paraison avec les populations , forment deux bases d'appréciation des habitudes de lecture d'une nation. En calculant ainsi , on trouve : à Rome , 1 journal sur 31,000 liabitans , à Madrid , 1 sur 50,000, à Vienne sur 11,338 , à Londres sur 10,600 , à Berlin sur 4,074-, à Paris sur 3,700, à Stockholm sur 2,600 , à Leipsick 1,100. Le reste du pays suit la même proportion que la capitale. Il existe en Espagne un journal sur 864,000 habitans ; en Russie 1 sur 684,000 ; en Autriche , sur 376,000 ; en Suisse , sur 66,000 en France, sur 52,000 ; en Angleterre, sur 46,000 ; en Prusse, sur 43,000; dans les Pays-Bas , sur 40,000.

C'est en France qu'un journal, pris isolément, réunit le plus d'abonnés. Mais il n'en est pas de même quand on compare le nom- bre des abonnés avec la population. D'après M. Quetelet , il y a en France un abonné sur 437 habitans, en Angleterre, sur 184; dans les Pays-Bas , sur 100.

Sur les beaux rivages de la Bléditerranée , à deux ou trois lieues d'Antibes , il est une île que d'antiques ruines couvrent de toutes parts ; c'est Lérins , , vers l'an 410, saint Honorât, qui avait conversé avec les solitaires de la Thébaïde , fonda , à l'imitation des monastères de l'Orient , cette glorieuse abbaye qui donna à l'Eglise douze archevêques , douze évêques et plus de cent martyrs. Per- sonne avant lui n'avait voulu habiter cette île , parce qu'elle était peuplée de toutes sortes de reptiles venimeux. Saint Honorât , qui ne cherchait pas les commodités de la vie présente, mais la morti- fication de tout ce qui peut flatter les sens , jugea que cette plage infréquentée serait très-propre à sa pieuse entreprise. Il y débarqua avec ses compagnons.

C^est à Lérins , dans cette académie de sainteté , cette ile bien- heureuse , cette terre des miracles , cette île des saints , celte de meure de ceux qui vivent en Christ (1), que saint Vincent vint prendre l'habit monastique, et qu'il fut élevé a la dignité du sacer-

(i) C'est ainsi que ront a])pcléc saint Hilaire d'Arles, saint Césaire, Sidonius de Clermont , etc. Voyez Gallia Chiistiana , tom. u.

474 MÉL/VMGES.

doce. <i Long-temps ballotte , dit-il dans le prologue de son Com- monitorium peregrini , par les rudes et divers tourbillons de la vie séculière, je me suis enfin abrité au port de la religion, refuge hos- pitalier des misères humaines. , déposant toute pensée d'orgueil et de vanité , apaisant Dieu par le sacrifice de l'humilité chrétienne, je cherche à éviter non-seulement les naufirages de la vie présente , mais encore les flammes de la vie future. » Les détails de sa vie sont enveloppés d'une obscurité séculaire qu'on n'a pu parvenir à dissiper entièrement. Il paraît cependant qu'il avait suivi d'abord la profes- sion des armes , et qu'ensuite il occupa dans le monde des emplois distingués. Sa première éducation avait été soignée ; il était instruit dans les lettres humaines et y avait fait de grands progrès. Arrivé au monastère , il étudia les saintes Ecritures , lut les ouvrages des Pè- res, et devint un théologien profond. Gennade , dans ses Hommes illustres , le représente comme un homme d'une sainteté rare , d'une grande éloquence , et éminemment versé dans les sciences ecclésias- tiques. L'ouvrage le plus remarquable qu'ait publié Vincent est in- titulé : Commonitorium peregrini , Commonitoire du pèlerin. Cet ouvrage , d'une juste et sévère dialectique, a toujours été, pour les dissidens de bonne foi , le guide qui les a ramenés au sein de la vé- ritable Eglise.

Vincent composa le Commonitorium en 434 , trois ans après le concile d'Ephèse , le nestorianisme fut condamné. Il existe un grand nombre de traductions de ce petit et admirable livre , mis avec raison au rang de ce qui nous reste de plus excellent de l'antiquité . Le père Labbe le qualifie de livre d'or , et Bellarmin , à cause de sa brièveté, l'appelle Mole parvum , sedvirtute maximum.

Par une de ces fatalités qu'il faut peut-être expliquer par l'hu- milité même de saint Vincent, cet illustre solitaire dont le livre de- vait avoir un si long retentissement , est mort presque inconnu au monde sous le règne de Théodose et de Valentinien. Le Catholi- que , magasin religieux ^ du 28 octobre.

Le 1 1 octobre , l'Académie de la religion catholique termina sa séance de l'année par une réunion brillante ( ci-dessus p. 382 ) , dans laquelle le savant M. Mai , secrétaire de la Propagande , prononça un discours pour montrer la ressemblance et la liaison des anciennes so-

MÉLANGES. 475

cîétés secrètes avec les nouvelles. L'autenr fit voir que les manx arrivés de 1790 à 1815 sont dus aux manœuvres de ces sectes fa- vorisées par une terrible révolution. M. Mai passa en revue les an- ciennes sectes , leurs mystères et leurs impostures. 11 parla des sectes grecques et asiatiques , des druides , des superstitions égyptiennes , des aruspices , des devins , des astrologues et des charlatans de toute espèce qui trompaient les peuples. De l'orateur passa aux sectes hérétiques et à leurs turpitudes. Comparant les sectes nouvelles avec les anciennes , il fit voir que de part et d'autre c'était la même hy- pocrisie , la même dissimulation , la même ténacilé à garder leur secret. Ces sectes nouvelles ont été frappées par les lois du prince et surtout par les Papes ; mais elles n'en ont pas moins continué dans l'ombre. M. Mai se proposait d'opposer à ce tableau celui de la religion et de la société catholique ; mais , vu l'heure avancée , il se contenta de parler des anciens et des nouveaux apologistes de la religion, parmi lesquels il cita l'ouvrage publié autrefois par le Pape régnant. Ce discours fut fort applaudi par les cardinaux , pré- lats et autres personnages de distinction qui étaient présens.

Le père Léandre de Corrieri, auteur d'un ouvrage latin sur le reliques de la Passion, annoncé ci-d. tom IX , p. 569 , vient de pu- blier , avec des notes et observations critiques trois sermons attri- bués à saint Ambroise. 11 a trouvé ces sermons dans un ancien ma- nuscrit de la bibliothèque sessorienne ; ils portent le nom de saint Ambroise sans plus. Le savant éditeur a entrepris de prouver par des conjectures d'une saine critique qu'il s'agissait de l'illustre archevêque de Milan. Le soin de tirer de la poussière des bibliothè- ques les ouvrages des Pères et des Docteurs de l'Eglise devient encore plus estimable , quand on sait les enrichir de notes pleines d'érudi- tion. C'est ce qu'a fait le père Léandre de Corrieri avec beaucoup d'habileté. L'ouvrage est un volume in-4°, dédié à M. le cardinal deBrignole; il est sorti de l'imprimerie des Beaux-Arts, rue m Arcione.

Ou vient de réimprimer à Modène la Relation du voyage de Pie VU à Gênes dans le printemps de 1815, in-B" , 183-4. C'est un opuscule qui fait partie des mémoires de M. le cardinal Pacca ,

476 MÉLANGES.

et qui fait désirer que Son Eminence publie le reste de l'ouvrage. On a déjà de cet illustre doyen du sacré Collège des Mémoires sur la nonciature du Rhin , et les Mémoires sur son ministère et sur son séjour en France. Ces derniers mémoires ont été traduits en français et il y en a même eu deux traductions , la première par l'abbé James , imprimée à Caen , et la seconde par M. J. F. Queyras , im- primée à Lyon et réimprimée à Louvain. On avait annoncé une traduction des Mémoires sur la nonciature du Rhin ; nous ne croyons pas qu'elle ait encore paru. Il resterait aussi à traduire la Relation du voi/age à Gênes , dont nous venons de parler , ouvrage d'autant plus intéressant , que l'auteur remplissait encore alors les fonctions de secrétaire d'état. Les œuvres historiques du cardinal sont d'ail- leurs marquées au coin d'une sévère exactitude et d'une sage im- partialité.

Lykrede op de plegfige Uitvaart van den îiitmuntenden zeer eerwaardigen Hooggeleerden Heer den Heer Anthonics Van Gils , Président aan het Seminarie van 'S Hertogenhosch te Herlaar , onder St.-Michiels-Gestel , den 20 Juny 1834 , uitgesproken door den T'Veleerwaarden Heer G. P. Wilmer , Professor der H. Gods- geleerdheyd aan het voornoemd Seminarie. Bois-le-Duc , chez Van Gemert , 56 pag. in-8° (1). La publication de ce discours si riche de détails doit être considérée , non-seulement comme un hom- mage rendu à la mémoire du vénérable défunt , mais aussi comme un fragment précieux pour l'histoire ecclésiastique de notre époque. L'auteur n'a rien omis de tout ce qui avait rapport à son sujet ; il nous fait connaître la sagesse et les talens de M. Van Gils , son zèle dans les fonctions ecclésiastiques , sa fermeté inébranlable dans les souflFrances et les persécutions.

Dans les notes , pag. -47 et 48 , l'auteur indique deux écrits de M. Van Gils qui n'ont pas été mentionnés ci-d. p. 100 : De twee Cosijns , eenvoudige Samenspraeken over de Religie-zaeken van dezentyd, Louvain 1796 , in-12 ; on y trouve p. 16 la déclaration

(i) Se trouve à Louvain chez Vanlinthodt et Vandenzande , prix fr. i-a5

MÉLANGES. 477

énergique du 17 janvier 179S , par laquelle la faculté de théologie notifie à la municipalité de Louvain son refus d'assister à l'ouverture du Temple de la Raison. En 1797, à l'occasion de la fameuse dé- claration , M. Van Gils publia l'écrit suivant qui a été traduit en flamand : Motifs de Conscience, qui empêchent les ministres du culte catholique de faire la déclaration exigée par la loi du 7 ven. démiaire an IV ^ « je reconnais que l'universalité des citoyens français est le souverain / et je promets soumission et obéissance aux lois de la république. » La seconde édition a 88 pag, in- 12 ; l'auteur y combat les écrits de MM. Ernst curé d'Afden , et Holea arcbi prêtre de Malines.

Dans une prochaine livraison nous donnerons une lettre inédite de M. Van Gils sur les propositions gallicanes de 1682, qu'il eut la bonté de nous communiquer en 1826.

ACADÉÎIIE ROYALE DE SCIENCES ET BELtES-LETTRES SéanCe du

22 novembre 183-4. M. Quetelet occupe le fauteuil ; M. le baron Reifîenberg remplit les fonctions de secrétaire.

Présens vingt-cinq membres , dont cinq correspondans.

Lecture est donnée du procès -verbal de la séance précédente et de la correspondance.

M. le ministre de l'intérieur adresse à l'Académie les procès-ver- baux de la commission des Chroniques belges inédites.

L'Académie de Naples exprime le désir d'entrer en relation avec la Société.

M. Sylvestre de Sacy remercie l'Académie do titre de correspon- dant qu'elle lui a décerné.

MM. Cauchy , de Reiffenberg , de Gerlache , Fohman et Damor- tier présentent divers rapports sur des Mémoires qui ont été renvoyés à leur examen.

M. Lejeune donne lecture d'une notice sur plusieurs espèces du genre Nasturtium à ajouter à la Flore Belgique. Impression dans le Bulletin.

M. A. Dumon lit une notice sur la formation des volcans éteints de l'Eiffel ( dans les Ardennes de Prusse ) , qu'il a observée pendant son dernier voyage géologique. Impression dans le Bulletin. T. X. 33

478

MELANGES.

M. Dandelin annonce un Blémoire sur la lumière qu'il présen- tera à la prochaine séance.

M. Fohman annonce une Notice anatomique sur le serpent ap- pelé AcLirocord [Achrocordus Javanicus).

M. Dumortier donne lecture d'une Notice sur le genre Maclenia de la famille des Orchidées.

M. de Reiffenherg commence la lecture de son cinquième Mé- moire sur les deux premiers siècles de l'université de Louvain.

M. A. Dumon fait part à l'Académie de son projet d'effectuer la carte géologique de Belgique d'après les mêmes dimensions que celles de France et d'Angleterre. L'Académie décide qu'elle prêtera son concours à cette proposition.

M. Fohman communique des observations sur les tissus élémen- taires des animaux , et présente diverses pièces anatomiques à l'ap- pui de son opinion.

L'Académie procède à la nomination du secrétaire perpétuel , en remplacement de M. Dewez , décédé. Sur 20 votans M. Quetelet obtient 19 sufî'rages (l). En conséquence il est proclamé secrétaire perpétuel; sa nomination sera soumise à l'agréation du Roi.

OUVRAGES PRÉSENTÉS.

M. Schmerling présente son 3*^ recueil d'ossemens fossiles.

M. P^illermé , son Mémoire sur la population de la Giande- firetagne.

M. F^alerius , sa traduction des Elémens de chimie de Michelli.

M. Barlot j ses Recherches sur les lantilles achromatiques.

M. C V^erdyen , son Manuel d'antiquités grecques.

M. V^an Housenhrouck , son Mémoire sur les causes de l'ophtal- mie de l'armée.

On vient de publier à Paris le prospectus d'une édition du livre de la Cité de Dieu , de saint Augustin. L'éditeur commence par un juste éloge de cette importante production.

« Voici , dit-il , un livre qui n'a pas besoin de nos éloges pour être accueilli favorablement. Le nom de saint Augustin porte avec soi sa

(i) On remarquera que M. Quetelet a été nommé à l'unanimité, puis- qu'il ne lui a manqué que sa voix.

MÉLANGES. 479

recommandation , et tout le monde sait que la Cité de Dieu est le plus important ouvrage de ce grand évêque.... Dans quel autre trouver plus de variété^ plus d'érudition, plus d'éloquence ? Tout y entre : histoire, philosophie , politique , religion ; et tout s'enchaîne , tout s'explique , tout marche au but avec ordre , précision, clarté... Qu'est-ce donc que ce livre ? c'est un écrit polémique. Après la défaite des armées romaines par Alaric , tout ce qu'il y avait d'hommes restés Bdèles au culte du passé se répandit en plaintes amères contre les chrétiens. Ils attribuaient les malheurs publics au renversement des autels de Jupiter et des autres dieux protecteurs de l'empire. Ils demandaient compte à la religion nou- velle de l'Italie asservie à un ennemi méprisé et de Rome saccagée par les Barbares. Saint Augustin répondit par la Cité de Dieu, et sa réponse est demeurée sans réplique. Ce livre est l'explication du mystère de la Providence dans la dispensation des biens et des maux ; c'est l'histoire delà philosophie et aussi la philosophie de l'histoire; c'est une piquante biographie des 3o mille dieux selon Varron ; c'est l'exposition la plus lucide et la plus savamment raisonnée des preuves de la divinité du chris- tianisme ; c'est en un mot le jugement dernier de l'antiquité païenne , et l'établissement déBnitif de la croix au sommet du Capitule.

» Lisez ce livre , vous tous qui ne connaissez de saint Augustin ni le génie pénétrant , ni la vaste science ; vous qui , dans ce siècle fatigué du doute et de l'erreur , cherchez partout des doctrines certaines et les saintes inspirations de la vérité. se débattent les plus graves questions qu'il importe à l'homme de résoudre ; se dénoue l'action d'une grande et merveilleuse épopée, réalité imposante qui fait pâlir toutes les fictions d'Homère. C'est le sort de l'humanité qui est en jeu ; devra-t-elle obéir à l'esprit ou rester esclave de la matière? Quels personnages! Un monde qui finit et un monde qui commence ! Quelle lutte ! Les partis sont aux prises depuis quatre siècles. L'un a grandi et multiplié sous le fer qui le décime , dans les bûchers qui le dévorent ; l'autre , c'est l'antique pa- ganisme. Il s'est épuisé à force de frapper , et , bien qu'il se sente dé- faillir et que le fer échappe de sa main , il est encore debout et presse son ennemi par les clameurs d'une populace ignorante et par les sophis- mes de ses orateurs. Mais son heure est venue ; voici descendre des hau- teurs de l'intelligence et de la foi l'éloquent évêque d'Hippone. Dieu avait préparé de loin ce vengeur h son Eglise , et le tenait en réserve pour porter le dernier coup.

» Nous n'essaierons pas de donner ici une analyse de la Cité de Dieu ^ travail inutile à ceux qui l'ont lue, insulHsant à tous les autres. Nous estimons avoir fait plus encore en facilitant à tous la possession du livre même. Ils y verront avec étonnemcnt comme saint Augustin saisit le vieillard de mensonge , le traîne devant l'éternelle vérité , et le juge se-

480 MELANGES.

Ion ses œuvres ; comme il révèle au jour et les turpitudes de ses dieux , et les crimes de ses héros , et les impostures de ses prêtres , et les so- phismes de ses rhéteurs , et les fausses vertus de ses sages ; comme il met à nu toutes ses plaies , comme il le défait pièce à pièce et le pousse déshonoré dans la tombe ; puis , quand il a scellé sur sa tête la pierre qu'il ne lèvera pas , quand il a uni de promener le marteau de la des- truction sur l'édifice d'erreur , et qu'il ne reste plus de l'impure cité que des ruines comme il asseoit sur d'immuables bases le nouvel édifice de vérité la chaste Sion du christianisme , et convie sous ses divins porti- ques les peuples régénérés , en chantant le cantique du prophète : Glo- riosa dicta sunt de te, cwitas Del. »

C'est ainsi que l'éditeur donne une idée sommaire du livre de la Cité de Dieu. Il paraît avoir médité beaucoup ce grand ouvrage. Entraîné par son goût vers les écrits de saint Augustin , il commence par la pu- blication de la Cité de Dieu l'exécution d'un plan plus vaste. Il se pro- pose de reproduire saint Augustin tout entier; il suivra pour cela l'édition donnée autrefois par les Bénédictins. La Cité de ZJ/cm forme le tome VII de cette édition. L'éditeur, en la publiant d'abord , la laissera cependant au même rang dans son édition , et fera paraître plus tard les premiers volumes. Il a pris des mesures pour i-eproduire chaque vol. in-folio en un vol. in-4°. Au prospectus est joint un spécimen du caractère qui a été adopté à l'ouvrage ; ce caractère est assez gros et assez net pour con- venir à toutes les vues. La Cité de Dieu sera divisée en trois livraisons de 20 feuilles chacune. La première livraison paraîtra le i5 janvier pro- chain et les autres de mois en mois. Le prix du volume sera de 9 fr. à Paris, 12 fr. pour les départemens , et i5 fr. à l'étranger. Dans les séminaires , les collèges , et partout se réuniront dix souscripteurs , on passera l'ouvrage à 10 fr. et à 12 fr. pour l'étranger. La souscrip- tion reste ouverte jusqu'au i5 janvier. Quelques exemplaires seront tirés sur grand papier vélin superfin ; ce sera l'édition des évêques.

L'éditeur est M. J. Molroguier , ancien professeur de rhétorique , qui paraît avoir le goût des études graves et solides , et qui a à cœur de faire mieux connaître saint Augustin, et de répandre ses ouvrages soit parmi le clergé , soit parmi les professeurs et les gens de lettres. Il croit avec raison que les écrits du saint et savant docteur seraient , sous plus d'un rapport , utiles à ces derniers. Nous faisons des vœux pour qu'il recueille es fruits de son zèle éclairé. Les lettres doivent être adressées à l'éditeur de saint Augustin , Paris rue de Condé, W ao. V Ami de la Religion , «o 2347-

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LETTRE INÉDITE DE M. VAN GILS

PRÉSIDENT DD SÉMINAIRE DE BOIS-LE-DCC , ETC.

SUR LES SENTIMENS DE L'ANCIENNE FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE LOUVAIN,

PAR RAPPORT A LA DECLARATION GALLICANE DE 1682(1).

Monsieur, très -cher et vénérable ami.

Votre élève et très-bon ami M^ R.... m'a apporté le volume, qui contient la lettre de Mgr. de Chartres { Clausel de Montais ) contre M"" de La Mennais. Je sens profondément tout le prix de cette gracieuse attention, que vous voulez bien conserver pour moi. Agrëez-en , je vous prie , ma plus sincère reconnaissance. Je n'au- rais pas tardé , jusqu'à ce jour, de vous la témoigner sans les an- goisses et le surcroît de pénibles besognes , dont nous nous trou- vons accables ici, dans les circonstances présentes, qui, je pense, ne vous sont pas tout à fait inconnues (2). C'est la même raison aussi pourquoi j'ai différer long-temps de lire l'ouvrage. Mais l'ayant lu depuis, je dois vous avouer, que malheureusement il à vérifié ma crainte , que j'avais pris la liberté de vous témoigner l'autre jour en parlant de cette année de pénible mémoire. J'y vois déjà la discorde et l'animosité se fixer dans le clergé de France, et j'en crains un jour des suites amères , non-seulement pour la

(i) L'éditeur de cette lettre s'est fait un devoir de la reproduire exac- tement d'après la copie , qu'il doit à la bienveillante amilié de l'auteur. La lettre a été adressée, au mois d'août 1826, à un ecclésiastique de Paris, autrefois précepteur des enfans d'une famille respectable de Bois- le-Duc.

(2) La suppression des petits séminaires , l'érection du Collège philo- sophique , etc. ( Note de Vèdil. )

T. X. 34

482 LETTRE ISÉDITE

France, mais aussi pour les autres églises, et nommément pour la nôtre : car , de la part de notre gouvernemeut , on nous accorde aussi des libertés de l'Eglise belgique citées et appuyées par un ministre de culte (i) ; libertés même bien plus étendues que les vôtres (2) : et l'on sait quel usage de ces libertés les hétérodoxes ont fait en tout temps , surtout dans le nôtre. Mais je ne sache pas, qu'aucun individu de notre clergé y ait donné son assentiment.

Quant h la lettre de Mgr. 1 evêque de Chartres , il ne m'appar- tient pas d'en porter un jugement : mais , ce qui me fait de la peine, dans les deux ouvrages oppose's, ce sont ces personnalités, c'est ce style et ces expressions âpres et dures , qui s'y trou- vent et qui ne peuvent qu'agraver la crainte que je viens de vous exprimer.

Un endroit qui m'e'tonne , c'est cette re'ponse ou de'claration de la faculté (de théologie, sans doute) de Louvain, qui se trouve à la page 69. Je remarque d'abord , que la demande de M' Pitt est de l'année 1789 : et la réponse de Louvain serait du 18 no- vembre 1^88! Les réponses des facultés françaises du 5 janvier et du 19 février de la même année de la proposition de M'^Pitt, 1789 : celles des faculte's espagnoles sont encore de la même année 1 789

(i) M. Goubau. (Note de l'êdit.)

(a) Un jurisconsulte avait publié eu 18 16 une Notice sur les Libertés de f Eglise belgique^ Bruxelles, chez De Mat, br. in-12 , de 3o pages, dont on trouve la réfutation dans le Spectateur Belge de M. l'abbé De Foere, t. v , p. i85-225. Avant l'année 1825 le gouvernement hollan- dais fit circuler une note sur la discipline et les libertés de VEglise belgique , et enfin au commencement de l'année 1827 l'on vit paraître à Bruxelles les Observations sur les libertés de l'Eglise belgique ^ attribuées à M. Van Ghert. M. Van Maanen, ministre de la justice, dans une circulaire donnée au mois d'avril 1827 , recommanda cette détestable rapsodie comme devant servir de boussole aux membres du ministère public près les tribunaux dans les procédures oii servaient compromis les ecclésiastiques , etc. Voyez le Courrier de la Meuse ^ laS, 126 et i3i de l'année iSii"}] TEcho des f^t-ais Principes , t. 1 , p. "îqo , et Réfutation des Observations sur les libertés de l'Eglise belgique , par un catholique belge; Alost 1827, in-12. {Note de redit.)

DE M. VAN GILS. 483

du 17 février et du 17 mars! etc. Toutes ces dates, je l'avoue, me gênent un peu pour les concilier. Mais regardons tout ceci comme des errata : Le style et la langue surtout, qui expriment les sentimens desLovanistes, m'étonnent encore. Connaissant depuis ma jeunesse les fermes coutumes de la faculté , je suis bien per- suadé que c'est le premier cas, elle aurait donné ses réponses, en matière qui regardent la dogmatique , en toute autre langue que la latine , et en style si peu grave et si cavalier.

Mais une considération plus grave est celle-ci : en 1789, et même depuis 1787 la faculté de théologie n'existait plus à Louvâin. Dès l'année 1787 ses membres, fidèles à leurs devoirs, furent dé- posés , dispersés , chassés , ou enfin bannis hors le territoire au- trichien. Moi-même j'étais, jusqu^'en 1786, sous-directeur (on le titulait à Louvain lecteur ) du collège ou se'minaire du Pape Adrien VI; et cette anne'e même j'ai vu prendre les dimensions de ma chambre , sous mes yeux , pour en faire les latrines du sémi- naire général que l'empereur Joseph II y fonda l'année suivante. Nota : c'est le même collège du Pape dont on forme actuellement le Collège philosophique. C'est alors que je me suis retire' dans mon diocèse natal de Bois-le-Duc, j'ai vu les membres de la faculté chasse's de Louvain. J'y reçus même l'ofifre , de la part de la cour, d'une leçon de théologie dans la nouvelle faculté. L''universile' a été rétablie pendant la déchéance sous Léopold II en 1790. Alors j'y suis retourné , d'après les ordres de mon supe'rieur , le vicaire apostolique de ce diocèse. J'y restais jusqu'en 1797. Chasse encore alors , ou plutôt recherché à mort par les Sans-Culottes. Il n'est donc pas à concevoir , comment en 1789 l'ancienne faculté' de théologie de Louvain aurait signé la déclaration mentionnée : aussi je désirerais beaucoup connaître les noms des signataires.

Mais vous trouverez peut-être ennuyante celte petite dissertation sur l'authenticité de la déclaration des Lovanistes ; vous voudrez bien toutefois considérer, que je suis le seul membre de l'ancienne faculté de théologie qui subsiste encore en vie; j'ai donc cru, que l'honneur de mon corps exige la déclaration que je vous fais ici, et s'il le faut , à toute la France, nommément à la faculté rétablie ou à rétablir à Paris. Notre ^/A«a Mater, la faculté de théologie, tenait à gloire d'être attachée inviolableujent à ses sentimens de

34.

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LETTRE INEDITE

vénération envers le Pasteur de tous les fidèles, dans tous les temps

de son existence , en faisait profession , elle et tous ses membres. Un exemple très-connu fut celui de Martin Steyaert, célèbre doc- teur en théologie à Louvain et vicaire apostolique de notre dio- cèse de Bois-le-Duc. Dans l'ardeur des disputes sur ce point , et parmi les intrigues du jansénisme naissant dans ce pays , vers l'an i685, Steyaert fut accusé de la même ambiguité en doctrine, qu'on vient d'imputer à Mgr. d'Hermopoiis : Voici la première des 3^ propositions déférées de la part des jansénistes à la faculté , et, à ce qu'on croit , à Rome même, comme enseignées par Steyaert : Prop. I. De quatuor famosis Cleri Gallicani articulis rectè sentitille , qui Romce sentit , ut Roniœ ; Parisiis , ut Parisiis. Sic , vacante lectione theologicâ in academiâ Gallice , sentire poterit y ut in Gallia ; vacante in Hispaniâ , vel Italiâ; sentire,

ut ibi DeclAratio (Steyaertii) : Propositionem abominor et

detestor. Si Ecclesia illam damnare voluerit , mecum J'aciet et me gaudente. Suh ditione Gallorum habilans ( à Ypres , alors sous la domination française ) in ipso fervore quatuor articulorum Cleri Gallicani, publiée me gessi tamquam illos non admittens, atque adeo impediens ne a capitula cathedrali Ypris ( dont il était membre alors) in regesta sua referrentur y édita etiam eodem tempore libella , cui titulus : AcTio Epistolaris , ubi significavi , me jam pridem Romce contraria professum. Paulo past etiam vocatus Duacum ad concursum pra lectione regiâ in theologiâ , ivi quidem , sub promissione viri illic tune magnœ notœ , quod dum docendi essent isti articuli , ipse eos traderet loco mea : sed quum antè concursum jurare vel promitlere unusquisque concurentium deberet , se eosdent articulas traditurum , in fa- ciem universitatis et magistratûs loci discessi , duobus aliis me sequentibus.

Enfin on a attribué à la fermeté des théologiens de Louvain à se tenir à son ancienne doctrine en cette matière , le bonheur de la Belgique autrichienne d'avoir échappé au déchirement janséniste à cette époque.

Quant aux articles même , je déclare , que de mon temps ( et j'ai passé une bonne partie de ma vie à Louvain ) je n'ai jamais entendu traiter dans des actes publics , soit des leçons , soit des

DE M. VAN GlLi 485

disputes en théologie, l^objet de la première proposition de la dé- claration de 1682. On ne le regardait i jmme objet de la science proprement ihéologique , mais plutôt curuuae faisant partie du droit public : et , en conversation , quand on en parlait en particulier , on soutenait ordinairement l'opinion de Fénélon , connue seulement ici depuis l'édition complète de ses OEuvres (tome II, chap. xxxix, page 382). Cette opinion dit : que depuis la conversion univer- selle de toute l'Europe dans l'union catholique, de l'Orient même, de l'Asie et d'une partie de l'Afrique etc. , les constitutions ou les lois constitutives de tous ces peuples , si profondément attachés à la religion catholique , étaient , pour ainsi dire , enracinées dans la foi catholique et dans ses lois comme le seul fondement de la fidélité, et du souverain et de ses sujets; que constiluîionnellement et le souverain ou le pouvoir législatif, et les lois même, devaient être catholiques : en sorte que le législateur, en cessant d'être ca- tholique, et membre reconnu de l'Eglise catholique, cessait détre souverain légitime , et les lois contraires aux lois catholiques , ces- saient d'être lois : et à qui le droit de déclarer la catholicité de tel souveraia et de telles lois? sinon au Chef suprême de l'Eglise? Même il en paraît suivre que tout citoyen ou sujet , en cessant d'être catholique, cessait d'être citoyen, et se constituait félon ou rebelle à la loi fondamentale , et se soumettait aux peines de fé- lonie. Ceci semble pouvoir venir à propos , quand on traite la question si débattue sur l'inquisition. Et en considérant la fermeté et la vivacité des impressions religieuses dans tous les peuples de ce siècle-là , on conçoit aisément qu'elles ne pouvaient manquer de faire naître un pareil droit constitutif. Car la persuasion et les sentimens si intimes , si vifs , si universels , si coustans dans un peuple, et dans tous les peuples, ne sauraient manquer de prendre absolument le dessus, quant au régime des états. Il est vrai, peut- être , que ces lois ne se trouvent pas écrites dans les codes natio- naux (qui n'existaient pas même en bien de pays) mais elles n'en étaient pas moins gravées, comme beaucoup d'autres, dans tous les cœurs, tant des souverains eux-mêmes que de leurs sujets. On en trouve encore des exemples dans les temps présens , même chez les acatholiques , comme en Suède , en Angleterre , en Turquie même , et même naguère dans ma patrie. Et pour les temps passés

486 LETTRE INÉDITE

notre Belgique nous en fournit un exemple péremptoire , dans le 16" siècle , depuis le lègne de l'empereur Charles V, toutes nos provinces étaient sous la domination de la maison d'Autriche en Espagne. Le roi Philippe II en fit cession eu 1698 à sa fille Isa- belle, et à son futur mari Albert d'Autriche, et parmi les articles , ou conditions prescrites , le X™" article est couché en ces termes : « Item : à condition , et aultremenl non ( pour être icelle la prin- » cipale et de plus grande obligation sur toutes les autres ) que » tous les enfants et descendants des dits mariants , imitant la ») piété et religion , que reluit en eux , devront vivre et mourir en » nostre sainte foy catholique , comme la tient et enseigne la » sainte Eglise romaine. Et avant prendre la possession des dits » pays d'en bas, en auront à prester le serment en la forme, que » se trouve couchée après cet article. Et au cas ( ce que Dieu ne )) veuille!) qu'aucun des dits descendants se dévoya de nostre sainte » foy , et tomba en quelque hérésie , après que nostre saint Père » le Pape l'aurait déclaré pour tel, soit prive de l'administration, » possession et propriété des dites provinces , et que les sujets et » vassaux d'icelles ne luy obéissent plus , ains qu'ils admettent et » reçoivent le plus proche catholique , suivant en degré , qui au )> cas du tre'pas de tel fourvoyé de la foy, lui devrait succéder : » et sera tel hére'tique réputé comme si réellement il fut de'cédé » de mort naturelle. »

Suivait le serment solennel à prêter par le nouveau souverain en conformité de cette condition : « Ego juro ad sancta Evangelia... »

En voilà plus qu'assez sur le premier article de la déclaration , que nous n'avons jamais regardé comme très-essentiel, et qui n'est guère plus applicable , les sentimens en cette matière étant tout- à-fait bouleversés ,et la vraie religion regardée politiquement comme assez indifférente. Même on a regardé dans ce pays - ci comme une pratique très-peu sincère de la part des gallicans , et comme une ruse maligne, qu'en traitant les afTaires de 1682 avec ceux d'un sentiment opposé, ils ne manquaient jamais de mettre ce pre- mier article de la déclaration toujours en avant , comme s'il était le plus important; tandis que cette matière était la plus odieuse aux puissaus de ce siècle : mais je vous assure encore que parmi nos théologiens celte proposition n'a jamais été regardée comme de grand

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intérêt , le pouvoir hétérodoxe ayant toujours des moyens assez ef- ficaces pour faire pratiquer le contraire de ce qu'on soutenait dans les temps passés.

Mais ce sont les trois autres articles que la faculté tliéologique de Louvain, et avec elle toute la Belgique, a toujours rejeté avec vigueur , non comme hérétiques ( nous obéissons à l'Eglise qui ne les a pas déclarés tels ) mais comme éloignés de la vérité , comme dangereux , et même comme très-pernicieux à l'Eglise catholique.

Il ne s'agit pas ici de vous détailler les raisons et les autorités théologiques qui établissent notre persuasion ; elles sont connues, alléguées , débattues , refutées , défendues partout : mais souffrez , que je vous raconte à ce sujet, en guise d'anecdote, un entretien, que j'ai eu sur cet objet avec feu le respectable et savant M'Emery, que vous avez connu sans doute; la nariation vous fera peut être apercevoir les principales et peut-être de nouvelles raisons de notre aversion pour la doctrine gallicane.

La nuit avant le dimanche des Rameaux i8io, notre vicaire apos- tolique (i) fut par des gensdarmes enlevé de son lit, de son pres- bytère, de sa paroisse et du diocèse qu'il était chargé de diriger, enfin encagé, avec l'élite de notre clergé, à Vincennes. La cause principale en fut, qu'il ne pouvait se résoudre à prescrire des ce» rémonies religieuses de joie à l'occasion du second mariage de Na- poléon, ni se conformer aux décrets tout à-fait schismatiques sur la hiérarchie de notre Eglise (2). Le clergé de Bois-le-Duc et les catholiques les plus considérables crurent convenir , que je le sui* visse à Paris ( il avait refusé mon offre de l'accompagner ) pour tenter des moyens de le délivrer , ou au moins d'alléger son sort. Je dus donc employer la faveur et les avis de ceux que je croyais y mettre de l'intérêt, et qui par faveur ou par leur place pouvaient fléchir le gouvernement. C'est à cette occasion que je vis entre au- tres M' Emery. Il me témoigna beaucoup de bonté et de l'intérêt pour ma cause. Mais il s'agissait d'abord de détailler les conditions;

(i) A. Van Alphen. (Note de ledit.)

(2) Voyez Vandevelde , Synopsis Monumentorum , t. n, p. 62i-63o , et t. m, p. 879. [Note de Védil. )

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, comme partout ailleurs , la première et la principale était que le vicaire ferait adopter et enseigner la déclaration de 1682. Ma conviction et mon devoir était de re'pondre que M' le vicaire, ce dont j'étais bien assuré, n'y pourrait jamais consentir; que même il risquerait de trouver de la résistance dans son clergé, et peut- être d'autres suites fâcheuses. Ici M"" Emery prit une certaine phy- sionomie de sévérité , et me reprocha que nous regardons les gal- licans comme des hérétiques. Je m'excusais très -humblement de celte imputation comme ci-dessus. ÎToiis rejetez du moins notre sentence comme fausse j et vous la détestez. Je dus l'avouer avec un humble excuse. Et la raison P En séparant toujours le premier article de la déclaration , je répondis que ce n'était pas le lieu d'alléguer les textes, les faits, les autorités, les raisonne- mens , mille fois produits , mille fois discutés scolastiquement : mais je me plaignis d'après nos théologiens, que les Français avaient toujours traité ces questions, uniquement en scolastiques , sans les conside'rer assez moralement pour ainsi dire , ou selon les suites morales qu'on pouvait dès-lors prévoir , et que d'autres , dès-lors , avaient prédites ; suites et couse'quences qui ne pouvaient pas sortir de la vérité. Et quelles sont ces suites P C'était l'abus, qu'en feraient les anciennes ou les nouvelles sectes contre l'autorité sacrée du Saint-Siège et même de l'Eglise; c'était le danger de voir un jour appliquer les mêmes principes , et de les pousser dans 'eurs conséquences contre l'autorité civile ; enfin c'était que nombre de sages dans notre pays se tiennent persuadés , que la révolution en 179-2, dont on souffrait alors les suites, avait en effet une de ses racines et de ses causes dans la déclaration de 1682.

Mais c'est ici que M'' Emery sembla prendre de l'humeur. II me somma de prouver mes assertions : je tachai de le faire avec la plus grande modération possible. La première se prouvait par le fait même, dont toute l'Europe a senti les suites, puisqu'aucune secte, née depuis dans aucun pays, n'a manqué d'appliquer, bien ou mal , ces principes comme des boucliers pour soutenir leur ré- bellion contre l'autorité infaillible de l'Eglise. Nous en sentons en- core , notamment dans la Belgique septentrionale , les effets dans le schisme d'Utrecht , qui soutient les articles , mais les pousse , quant à l'autorité de l'Eglise, jusqu'à toutes leurs conséquences

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il trouve son unique fondement. Napole'on lui-même , dans son ar- deur innovatrice et inquiète, ne fit partout que sonner bien haut ces principes qu'il appelait la religion de Bossuel.

L'autre raison touchée ci-dessus, qui regarde le civil, s'était assez bien vérifie'e en France et ailleurs.

Mais la troisième raison , il fallait la prouver opéreusement. J'al- léguais donc l'injure sanglante, qu'on ne cessait en France, depuis plus d'un siècle, de faire au Saint-Sie'ge, reconnu comme chef spi- rituel y maigre son opposition soutenue par tant de Papes depuis Innocent XI et ses successeurs. Cette injure, et dans son origine et dans toute sa continuation, ne cessait de provoquer une puni- tion e'clalante de la part du suprême et divin Chef de l'Eglise. Dieu l'a infligée , mais dans sa miséricorde \ on sent jusqu'à présent les suites extrêmes pour la religion , qu'on pouvait en redouter. Une autre raison que je crus pouvoir en déduire e'tait : que les curés et les prêtres en France , voyant le peu d'e'gard que leurs évêques portaient au Saint Siège, les imitaient envers eux^ envers les e'vê- ques même , et ils se croyaient en droit d'agir comme évêques dans leurs paroisses, comme les évêques même qui agissaient en Pape, chacun dans son diocèse 5 et enfin les fidèles , voyant le peu de respect des cure's envers leurs évêques , des e'vêques envers leur chef universel , y prirent aussi l'habitude de me'priser leurs curés et leurs prêtres , et se constituaient cure's, chacun dans sa famille; toute la soumission , la vénération , l'obéissance hie'rarchique s éva- nouissaient donc en bien des cœurs français, dans nombre d'endroits de France. L'autorité' sacrée de l'Eglise détruite, il fallait, les cir- constances conside're'es , que l'impiété , la philosophie en naquit et prit le dessus : Or c'est bien la philosophie qui a été une des pre- mières et la principale des causes de la révolution.

Ces raisons touchaient M' Eraery : j'y ajoutais une autre : « Si l'on pousse toutes les conséquences de vos articles et surtout du 3"«, il s'en suivra qu'actuellement (en 181 o) vous n'avez pas un seul évêque , pas un seul curé, pas un seul confesseur le'gitime en France. » A ces mois M'^ Emery prit une physionomie tout-à- fait autre envers moi ; et avec un sourire aimable il me demanda , si l'on connaissait dans ma patrie Les Corrections et yldditions pour les nouveaux opuscules de Fleury. Croyant que sa demande regarda

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les Nouveaux opuscules même(i), je répondis qu'oui! qu'on les connaissait et qu'on les dévorait en Belgique ! et même qu'ils nous confirmaient puissamment dans notre persuasion en cette matière. En connait-on l'éditeur P me demanda-t-il : je répondis, en le fixant, et en souriant moi-même, qu'on ne le connaissait pas, mais qu'on le conjecturait bien , et à ce que je crois , selon la vérité. Et par son sourire il me confirma dans ma conjecture que c'était lui-même. « Mais, ajouta-t-il , toujours avec une bonté et bé- nignité aimable , Je ne vous parle pas des nouveaux opuscules mêmes , mais d'une petite brochure : corrections et additions POUR LES NOUVEAUX OPUSCULES (2). Non , M"^ , répliquais-je , cet ouvrage n'est pas encore connu chez nous : Je le crois bien; il n'est pas encore connu à Paris même , maif; il va sortir des presses aujourd'hui , et je vous en ferai cadeau. C'est dans ce petit ouvrage , que je soutiens la même assertion que vous venez de rn opposer. Cela me coûtera peut-être J^incennes ou Bicêtre ou Vexil / mais on aura pitié , f espère , pour mes an- nées. — Et en vérité on y trouve virtuellement la même assertion page 6.

Au reste je me suis étonné de trouver en ce docte prêtre si peu de ferme attachement à la doctrine gallicane. Il me paraissait assez enclin à y renoncer; et à faire tant de cas, que nous, et je puis dire la catholicité , de la nôtre. Aussi , du temps de l'émigration , dans mes exils et bannissemens ou voyages en Fi'ance , j'ai trouvé, avec e'tonnement , grand nombre de personnages marquans parmi le clergé français qui ne s'y trouvaient pas plus attachés que lui. Tels , par exemple , M"" Pey , l'auteur du traité de V Autorité des deux puissances ; M"" Poittiers , chanoine et ( je crois ) docteur de Rheims , et qui a écrit le Système gallican atteint et convaincu d'avoir été la première et principale cause de la révolution fran- çaise ; M"" (Hulot) l'e'diteur de la Collectio Brevium PU FI, et d'autres en nombre, que nous avons vus ici. Tels plusieurs antres que j'ai trouvés à Paris même , en Bourgogne , lieu de mon exil

(i) Publiés en 1807, i vol. in-ia. {Note de Védit.) (a) Brochure de 74 P^g- in-12. (Note de redit.)

DE M. VAN GILS. 491

en 1812 et 181 3. Enfin je n'y ai trouvé attachas que les ecclésias- tiques du parti anticoncordatiste. Tels que quelques prêtres que nous trouvions comme nous , mais pour une cause fort différente , en exil dans ladite province. Croyant que nous étions de leur caté- gorie, ils nous attaquaient, s'étonnaient sur noire communication avec l'évêque concordatiste, qu'ils regardaient comme intrus, schis- matique , hérétique. Et j'aurais bien voulu voir un bon gallican en venir aux mains sur ce point avec ces gens-là : mais dès que nous nous étions déclarés appartenir à d'autres sentimens , leurs tenta- tives cessèrent.

Enfin dans les pays étrangers on se peine sur le mode et les cir- constances et les causes , qui ont concouru à établir et à continuer la profession de vos articles : dans les commencemens on regarda cette affaire comme l'effet de la passion , à laquelle on a cédé avec trop de complaisance et de condescendance , que 1 on regarderait dans quelques-uns comme de la lâcheté 5 et dans la suite , jusqu'à nos temps , comme un point d honneur à soutenir pour le clergé et la nation, jointe encore une certaine crainte, qu'on ne regarde pas ici comme appartenante îi la prudence et à la fermeté sacerdotale. On se trouve en peine sur les moyens qu'on a employés pour sou- tenir les articles pendant un siècle et demi. C'était toujours le pou- voir civil, forcé le plus souvent par les parlemens,

C'étaient même des moyens peu conformes à la bonne foi, comme les retranchemens , les suppressions de textes des ouvrages d'au- teurs contemporains , français même , etc. , qui pourraient nuire gravement à la propagation des maximes gallicanes. Tel est le re- tranchemeut très-connu du témoignage de Tournely. {De Ecclesia tom. II, art. m, pag. i34; édit. Paris, 17^6, vivente auctore.) Témoignage qu'on trouve retranché dans les éditions données après la mort de l'auteur : Tel est encore la suppression du traité de Fé- nélon de Auctoritate Sum. Pontificis. Ajoutez enfin ici les diffé- rences , les oppositions des auteurs gallicans de première marque , qui , sur des objets de la plus grande importance , soutiennent des opinions opposées. Témoin la dispute entre Bossuet et Choiseuil sur l'indéfectibilité de l'Eglise romaine.

Pardon , mon respectable ami , d'avoir osé mettre votre patience à telle épreuve! c'est votre bonté de m'envoyer la lettre de mon-

492 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANCE

seigneur de Chartres qui m'a mis la plume en main , pour rectifier les opinions sur la faculté tbeologique de Louvain dont j'ai eu l'hon- neur d'être membre, et pour tacher de faire voir que, hormis les raisons et les autorités connues partout , et qu'on n'a point dé- montrées inefficaces , nous avons beaucoup d'autres raisons , pour ainsi dire, morales, qui établiront à jamais, j'espère , ces sentimens d'obéissance et de vénération envers notre Père commun dans ma patrie , dont ils seront à jamais le palladium contre les dangers de la séduction.

Je de'sire que ces sentimens soient connus de la manière et dans les circonstances vous le trouverez convenir. Agre'ez, etc.

EXAMEN DE L'HISTOIRE DE FRANCE

DE M. MICHEI^ET,

CONSIDÉRÉE SOUS LE RAPPORT DE LA RELIGION.

DEUXIÈME ARTICLE (1).

Faux système de M. Michelet , qui devient la cause de ses faux juge- mens. Erreurs sur les rapports de l'église celtique et de Rorae. Pelage, Colomban. Le clergé est le seul défenseur des pauvres, des bonnes mœurs et de la sainteté du mariage. Appréciation de Faction de Charlemagne sur la civilisation de son époque. Incon- cevable assertion sur l'Eucharistie.

Les ide'es de Herder et de Hegel sur la pliilosop')ie de l'his- toire , semblent avoir inspire' la conception historique fonda- mentale de M. Michelet. D'une part le principe identique , immuable, permanent; de l'autre, le principe mobile, im- pressionnable, changeant incessamment de formes. Le premier

(i) V. ci-d. p. 389.

DE M. MIGHELET. 493

est représente par les Celtes , peuple tenace , persistant , opi- niâtre ; race de pierre , immuable comme ses rudes monumens druidiques , peu propre, comme on voit, à l'association et à l'organisation : le second , par les Germains , aa caractère do- cile, flexible, inde'cis , facile à se mouler, les plus disciplina- bles des barbares , ceux dont le génie était le moins individuel ,

le moins original C'est da contact long-temps prolonge' de

ces deux e'ie'mens et de leur action re'ciproque , que se de'duit la loi qui domine et explique tonte la suite de notre histoire. Celte observation ge'ne'rale de M. Michelet , re'duite à de justes limites , a sûrement sa valeur que nous ne contestons point ; mais ce qui mérite un blâme se'vère , ce sont les ten- dances exclusives de l'historien, sa pre'tention de tout re'duire à ce dualisme , de tout appre'cier à l'aide de cette unique loi. Une semblable intention , arrête'e d'avance , le jette dans tous les excès inse'parables de l'esprit de système. Il est triste de le voir re'duit tout d'abord , sous peine d'inconse'quence , à la triste ne'cessiîé d'alte'rer les faits, de de'figurer les personnages, de donner l'exception pour la règle, le type d'un individu pour celui d'une e'poque ; de rechercher , en un mot , dans le choix des couleurs , dans la distribution des ombres et de la lu- mière , beaucoup plus les effets de perspective , que la ve'rité du tableau.

La première application qu'il fait de sa the'orie, nous servira à justifier nos reproches.

Cet esprit d'inde'pendance qui caracte'rise les Celtes, M. Mi- chelet le signale , au premier aperçu , dans les e'glises de ce peuple. L'e'glise celtique , dit-il , est anime'e d'un indomptable esprit d^ individualité et d' opposition ; elle ne se reconnaît point inférieure à l'Eglise de Rome ; elle est son égale , non sa jille , mais sa sœur; elle rejeta sa discipline; de son sein sortirent Pelage qui posa la loi de la philosophie celtique , la person- nalité libre ; St.-Colomban , rude adversaire des Papes ; plus tard, ScotErigcnc , le breton Abailard , et le breton Descartes...

L'histoire du christianisme dans les Iles britanniques est , jusqu'au lo^ siècle, pleine d'obscurite's qui laissent un libre cours aux inventeurs de systèmes ; mais s'il y a quelque chose

494 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANGE

de constaté par les monumens de cette époque , c'est sans con- tredit les rapports de cette église avec le sie'ge de Rome. Sans discuter l'opinion de critiques respectables qui rapportent à St. Pierre la première pre'dication de lEvangile en Bretagne, ce fut le pape Eleuthère qui envoya des missionnaires au prince breton Lucius , avant la fin du i^ siècle. Vers la fin du 4" , St. Kiaran , que les Irlandais appellent le premier de leurs saints, entreprit un voyage à Rome, comme à la vraie source de la foi et de la discipline; il y fut ordonné évêque, selon les auteurs de sa nation , et il ramena avec lui eu Irlande cinq clercs qui devinrent autant de pontifes.

St. Palladius, premier évêque des Scots , reçut l'onction des mains de CélesHn I""^ , en 43i. Une antique tradition attri- bue au même Pape, l'ordination et l'envoi de St. Patrice, le grand apôtre d'Irlande. Peu d'années auparavant, lorsque le pélagianisme s'étendit en Bretagne , les fidèles , non con- tens de recourir aux évêques gaulois, envoyèrent des députés au Saint-Siège , et ce fut encore St. Célestin qui, confirmant la décision d'un concile des Gaules , désigna St. Germain et St. Loup pour aller combattre 1 hérésie pélagienne. Ces re- lations avec la capitale du monde clirétien , étonneront peut- être, si l'on considère qu'il s'agit d'îles à peine connues à cette époque , reléguées hors des limites du monde civilisé , et qui ne pouvaient communiquer avec Rome, qu'à travers 5oo lieues de contrées toujours en proie à de cruelles et interminables guerres.

Pelage lui-même était venu à Rome , et c'est dans ses murs qu'il fut séduit par l'éloquence de Rufin le Syrien, disciple de -Théodore de Mopsuelte. Saint Jérôme nomme comme vrais auteurs du pélagianisme, Rufîin d'Aquilée, Palladius de Ga- lace, Evagrius du Pont, Didyme et Origène. Aussi tout est- il grec et oriental dans cette théorie ; envain y cliercherait-on des traces du génie celtique; le breton Pelage n'inventa rien; il propagea seulement une des mille solutions tentées par l'es- prit humain pour expliquer l'éternelle énigme de l'origine du mal. On sait combien ce problême avait tourmenté les orien- taux , et que de monstrueux systèmes avaient été enfantés. Les

DE M. MICHELET. 495

hérétiques des premiers siècles renouvelèrent presque toutes ces antiques erreurs que les Grecs avaient apporte'es à Alexan- drie. Là , puisèrent leurs doctrines , les gnostiques , les Mani- che'ens, Cerdon, Marcion, etc. Les uns supposèrent l'existence de deux principes, les autres aimèrent mieux recourir à d'in- nombrables ge'ne'rations , de'rivant d'un principe bon , mais se de'gradant toujours à mesure qu'elles s'en e'ioignaient , d'au- tres enfin trouvèrent plus facile de nier l'existence du mal. C'est parmi ces derniers que peut être classe' Pe'lage. Toute sa doctrine se re'duit , en principe , à la ne'gation du pe'che' ori- ginel ; car si l'homme n'est point tombe', qu'a-t-il besoin d'un secours divin pour se relever de sa chute? Pour voir là-dedans, avec M. Michelet, la réhabilitation du libre arbitre, il faudrait établir que le christianisme avait porte' atteinte à la liberté humaine ; et cela devient d'autant plus difficile , que, sans la liberté' humaine , il est impossible de concevoir le christia- nisme. Au lieu donc du triomphe de la dignité individuelle , nous ne trouvons dans le pélagianisme , qu'une exube'rance de l'orgueil qui, voulant tout expliquer, ne fait qu'obscurcir les te'nèbres, et accroître les mystères, chaque fois qu'il veut substituer ses propres inventions aux enseignemens de Pe'ter- nelle ve'rite'.

Le pe'lagianisme se re'pandit rapidement en Bretagne ; mais il ne fit que passer ; trente ans après la mort de Pelage , il avait disparu. Ses progrès furent bien autrement effrayans dans l'Italie, l'Afrique et l'Orient, il fallut pour l'arrêter , de nombreux conciles , et les décrets re'pe'te's des Souverains- Pontifes 5 chez les Bretons, il sufiit des deux missions de saint Germain d'Auxerre. Si l'on en veut trouver des traces après l'année 44^» '^ f'°'^t l^s chercher à l'extrémité méridionale de la Gaule , dans les abbayes toutes romaines de Lérins et de Saint-Victor, ou le moine Cassius l'avait apporté d'Orient. Mais déjà , sous l'étroit manteau du sémi-pélagianisme , il a perdu tout ce qu'il avait d'audacieux et de rationnel. A la place d'une opinion philosophique, il n'y a plus qu'une mesquine et vulgaire hérésie qui dégénère en subtilités scolastiques, et n'a plus la prétention de rendre raison de quoi que ce soit ;

496 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANGE

aassi , c'est en pure perte , ce nous semble , que M. Michelet s'efforce de nous faire de Le'rius, un couvent de philosophes, une pépinière de libres penseurs , une manière d'Alexandrie oc- cidentale ; de tontes ses alle'gations , il ne re'sulterait jamais qu'une école sémi-pélagienne. Triste conclusion, sans doute! pour en venir , fallait-il donc prendre tant de peine , entas- ser les citations, et, ce qui est plus grave, calomnier la me'- moire d'hommes infiniment respectables (i)?

Saint Colomban est encore un type choisi par M. Michelet pour confirmer sa thèse favorite d'une éternelle rivalité entre P Eglise celtique et V Eglise romaine. Le caractère de saint Colomban n'a peut-être pas e'te' ge'ne'ralement appre'cie'; on a fait de lui un brouillon qui troublait l'Eglise et re'sistait au Pape : ses anciens services , ses institutions monastiques (2) , ses fondations , me'-

(i) De tous les noms que cite M. Michelet, pag. 124, note, saint Honorât et saint Hilaire d'Arles , Vincent , Faustus , ce dernier est le seul qu'on puisse , avec quelque raison , accuser de sémi-pélagianisme. Ce fut en combattant les prédestinations dont il fit abjurer les erreurs au prêtre Lucidus , qu'il avança quelques propositions suspectes , les- quelles méritèrent à ses écrits la censure du Saint-Siège. Cette condam- nation , au reste , n'intervint que plusieurs années après la mort de Faustus , dont la mémoire , loin d'être flétrie , a toujours été publiquement honorée dans son diocèse de Riez. ( Voir sur S. Honorât et S. Hilaire le Panégyrique du premier par le second, Bolland. 16 januar.; la Vie de S. Hilaire , par S. Honorât de Marseille ; D. Ceillier , Histoire des au- teurs sacrés et ecclés.; D. Rivet, Hist. litlér. de la France ^ t. 11.) Quant à Vincent de Lérins , on n'a aucune preuve qu'il se soit écarté de la vraie foi. « Avant le profane Pelage, dit-il ( Commonit. cap. 21 ), qui présuma jamais assez du libre arbitre , pour penser que dans toutes les bonnes choses et dans tous les actes , la grâce de Dieu n'était pas né- cessaire ?» Quelque jugement qu'on porte sur la conduite de l'évêque d'Arles , héros si diversement apprécié par le pape Zozime et S. Prosper, ce n'est nullement pour avoir combattu Pelage qu'il fut chassé de son siège , mais bien parce que le peuple d'Arles le regardait comme un intrus, et une créature de l'usurpateur Constantin, dont la chute en- traîna celle de l'évêque.

(2) M. Michelet tombe dans deux singulières méprises , à l'occasion des institutions de S. Colomban. Cette règle , comme on sait , était fort

DE M. MIGHELET. 497

ritaient plus de réserve. Les lettres qui nous restent de lui, sont l'un des monumens les plus curieux de cette époque ; mais on n'en cite guères que ce qu'il y a de plus bizarre , de plus âpre, et le champ est vaste, il faut en convenir. Cependant, parmi ces excès d'un zèle outre' , se lisent des passages inspires par la foi la plus humble, et la plus tendre soumission envers le Chef de l'Eglise. Voici comment il parle à saint Gre'goire le- Gi'and, après avoir vivement soutenu sa tlièse sur la ce'le'bra-

rigoureuse j les plus légers manquemens étaient punis de ludes péni- tences : six coups de discipline à celui qui toussait en commençant un psaume ; cinquante pour des paroles oiseuses ; à celui qui , sans être ma- lade , mangeait avant l'heure de noues , deux jours de pénilencejà celui

qui vomissait reucliarislie par faiblesse d'estomac , vingt jours , etc

0 Dans cet étrange code pénal , dit M. Michelet , bien des choses scan- dalisent le lecteur moderne. Un an de pénitence pour le moine qui a perdu une hostie j pour le moine qui a failli avec une femme , deux jours au pain et à Veau , un jour seulement s il ignorait que ce fût une faute ( 269 , 270 ). î) A lappui , il cite le texte même de S. Colomban : Si quis monachiis dormierit in unâ domo cum muliere , etc. Or, la seule lecture de ce passage prouve combien est fautive et perfide la traduc- tion de M. Michelet. Comment a-t-il pu ne point voir qu'il s'agit ici de la cohabilation sous le même toit , et de rien davantage ? Ignore-t-il que, parmi les conciles si nombreux de cette époque , il en est peu cette cohabitation n'ait été sévèrement prohibée? et surtout dans l'église cel- tique , il était défendu de voyager avec une femme dans le même cliariot , et de s'arrêter dans la même hôtellerie ? ( I. Conc. de S. Patrice , can.'g. ) Il suffit d'ailleurs de lire le pénitentiaire de saint Colomban : Si fornicaverit semel tantùm j tribus anuis monaclius pœniteat ; si sœpius septem annis {,reg. 3).,.. Si quis fornicaverit.... et in notitiam hominiim non venerit , si clericus j tribus annis; si monachus , vel diaconus , quinque annis ; 5/ sacerdos , septem ; si episcopus, duodecim annis (reg. 16). Voilà pour le péché consommé ; voici pour la seule pensée : si quis per cogitationem peccauerit , id est , concupierit homineni occidere , autfor- nicari...., dimidio anno in pane et aqud pœniteat (reg. 1) , et toto se abstineat anno vino et carnihus et communione allaris {reg Sa). Liber depœnitent. mensurâ taxenda. S. Colomb. {Max. Bibl. Patrum. t. 12). On voit qu'il n'y a d'autre scandale que l'inexplicable préoccupation de M. Michelet.

T. X. 35

EXAMEN DE L HISTOIRE DE FKANGE

tion de la Pâqae , et s'être étonne' que la coaturae contraire ne soit pas encore condamnée :

« Je vous exposerais toutes ces choses et beaucoup d'autres, » que la brièveté' d'une lettre ne saurait comporter, en un style » plus humble et plus pur , si ma faiblesse corporelle et le soin n de mes compagnons de voyage ne m'attachaient a ma demeure ; » maigre' le de'sir que j'ai d'aller à cette source vive des eaux » spirituelles, de puiser à cette fontaine vivifiante de la science, n qui coule du ciel et jaillit dans la vie e'ternelle. Et si mon » corps pouvait suivre mon esprit, Rome aurait encore à souf- » frir un me'pris. Car, ainsi que nous lisons dans saint Je'rôme, » que des voyageurs venus à Rome des plus lointains rivages , M demandèrent après (qui pourrait le croire)? quelque chose » au-dessus de Rome ; moi aussi , j'imiterais leur exemple ; car » c'est vous, et non Rome, qui êtes l'objet de mes vœux, sauf » toutefois le respect des saints martyrs desquels j'irais ve'né- » rer la cendre.... 0 bienheureux Père, que la charité vous porte à me répondre, et que l'âpreté de mon langage ne vous » en détourne point; celle-ci tient à mon ignorance, mais mon » cœur brûle de vous rendre tout l'honneur qui vous est dû. » Mon devoir était de vous interroger, de vous conjurer, de » vous invoquer; le vôtre est de ne point rejeter ma prière, » de rompre le pain de la doctrine, selon le précepte du Christ, » à celui qui le demande. La paix soit avec vous et avec les M vôtres ; pardonnez , je vous en supplie , à mon effronterie » (procacitatl mece) , de vous écrire aussi hardiment, et dai- » gnez, an moins une fois, vous souvenir du dernier des pé- » cheurs , dans vos saintes prières à notre commun Maître (i). » Mais c'est surtout dans sa seconde lettre au pape Booiface, que S. Colomban se montre tout entier , avec la rudesse d'un barbare, l'humilité d'un cénobite, l'emportement d'un réfor- mateur et l'amour respectueux, d'un fils : on y trouve de la vraie et simple éloquence , an milieu de phrases toutes relui- santes du phébus du 7 siècle; des puérilités, des jeux de

(0 Epist. 5, ad Greg. pap. (Max. Bitil. PI^ t. la. )

DE M. MIGHELET. 499

mots qui provoquent le rire , à côté de paroles qui navrent et

effraient.

« Quel est le cbe'tif qui, entendant ceci, ne dise aussitôt, » quel est cet effronté parleur qui ose écrire ainsi sans qu'on )i l'interroge? Quel amateur de récriminations ne m'appliquera » cet antique reproche de l'Hébreu à Moïse : Qui t'a établi chefoujuge parmi nous P Je répondrai qu'il n'y a point lieu » à la présomption lorsqu'il s'agit du salut de l'Eglise; et, si » vous vous moquez de la personne, considérez, non celui qui )> parle, mais ce dont il parle; car, quel chrétien pourra dé- » sormais se taire, quand l'arien lui-même éclate à nos côtés? » Il est écrit que les blessures d'un ami sont préférables aux )) emhrassemens d'un ennemi : d'autres, pleins de joie, vous » déchireront en secret; moi , c'est en public que je vous in- »> crimine avec un cœur triste et désolé. Car ce n'est point la » vanité et la jactance qui me portent, moi , homme de néant, » à écrire aux plus hauts personnages , mais bien la douleur » qui me force à vous déclarer , du ton le plus humble, comme » il convient , que vos divisions font blasphémer le nom de » Dieu parmi les nations. Je vous parle conime un ami, comme » un disciple attaché à vos pas; c'est pourquoi je vous parlerai » librement , comme à mon maître , au conducteur du vaisseau spirituel , au mystique pilote ; et je dirai : veillez , car la mer » est orageuse.... ; veillez, car les flots entrent dans la barque » de l'Eglise , et la barque est en péril.... Nous sommes les dis- » ciples de Pierre et de Paul, et nous avons conservé pure la » foi catholique , telle que nous l'avons reçue de vous , suc- » cesseurs des saints apôtres. Daignez donc écouter mes paroles »> avec bienveillance; et, s'il y a quelque chose d'inconvenant, » attribuez-le à l'ignorance, et non à l'orgueil.... Veillez donc, » ô Pape! je vous le répète, veillez : c'est peut-être ^^zrce owe » Vigile n'a pan bien veillé, que le scandale est entré dans » l'Eglise (i)... Il est temps de sortir du sommeil ; le Seigneur

(i) S. Colomban ne parle, ainsi qu'il l'avoue, que d'après des ouï- dire : il n'était point au fait de la question , et n'en savait que ce ^u'il

35.

500 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANGE

» approche ; noas sommes de'jà dans le pe'ril des derniers temps. » Voici queles nations sont troublées, les royaumes cliancèlent; » le Seigneur fera entendre sa voix, et la terre sera e'branle'e. » Mol, que ma faiblesse rend timide, je m'efforce de re'veiller » le clief des chefs {ducum principem) , par mes importunes » clameurs. C'est vous que regarde le danger de l'arme'e du » Seigneur, de cette arme'e presque endormie sur le champ de » bataille ; et ( chose plus de'ploi'able encore) , qui semble plu- )) tôt dispose'e à donner la main à l'ennemi qu'à le combattre. » C'est vous seul qui avez le pouvoir de tout ordonner , de de'- clarer la guerre, d'exciter les chefs, de crier aux armes, de » ranger l'arme'e en bataille , de sonner les trompettes , de » commencer l'attaque en marchant au premier rang.... »

Il poursuit long-temps encore sur ce ton , exhortant le Pape k la vigilance , le rc'primandant , le pressant de dissiper tous les soupçons qui peuvent planer sur le Saint-Siège, non que ces soupçons lui paraissent fonde's, car il sait que la colonne de V Eglise est inébranlable ^ et le conjurant mille fois d'excuser

en avait appris par les schisinatiques. On l'avait assuré que le P. Vigile était cause du scandale arrivé à l'occasion de la condamnation des trois chapitres, et que le cinquième concile avait approuvé JVeslorius ; c'est ce qui le faisait s'écrier : Quia forte non henè vigilai'it Figilius. Saint Colomban aimait les jeux de mots j ailleurs , parlant de S. Léon, mort depuis long-temps , il dit au Pape , avec toute la grossièreté d'un Scot stiipide (Scotum hchelcm , comme il s'appelle Xiùméme) , melior est canis viuus Leone mortuo. Il glose sur son propre nom de Columbanus , le retourne en grec , en hébreu , et s'appelle tour à tour Tli^iç-ri^u. ou Barjona (filius Columhœ). On connaît le titre de sa lettre à Boniface : Pidcherrimo totius Europœ eccLesiarum capiti , papœ prœdulci ^ piœcelso prœsidi , pastorum pastori , reuerendissimo speculatori , humillimus cet- sissiino , mininnis maximo , agrcstis Urbano , micrologus eloquentissimo , exlremus primo , peregrinus indigence , paiipercidus propotenti ( miriim dicta j noua tes ) rara auis , scribcre audel Bonijacio patri Palumbus. Et au pape Grégoire : Domino sancto et in Christo patri Romano , pulcherrimo ccclesiœ decori , totius Europœ flaccentis augustissimo quasi cuidam Jlori , egregio speculatori . . . . ego Barjona vilis in Christo mitto salutcm .

lyE M. nilCHELET. 501

les termes qai pourront offenser son oreille. Car, dit-il en 1) finissant, nous sommes liés à la chaire de Pierre, et si Rome » est grande et renomme'e , c'est par cette chaire qu elle est M grande et renomme'e parmi nous.... Que la paix soit donc » re'tablie le plutôt possible, afin que tous, nous ne formions M plus qu'un seul troupeau du Christ; vous, à la suite de » Pierre ; nous, à la vôtre avec toute Tltalie. Quoi de mei!- » leur que la paix après la guerre ? de plus doux que la re'u- » nion de frères se'pare's depuis long-temps ? Quoi de plus joyeux » que le retour d'un père après de longues années ? de pkis )) ravissant pour une mère que l'arrive'e d'un fils long-temps » attendu ? Ainsi la paix des enfans re'jouira Dieu , notre père, )) dans les siècles des siècles; et l'Eglise, notre mère, tressail- » lera d'une alle'gresse qui retentira dans l éternité' (i). »

Le spectacle qu'offrait alors la chrétienté était bien fait pour exciter ie zèle de saint Colomban. Les beaux jours de VEglise celtique étaient passés, les jours de saint Pallade et de saint Patrice, quand ce dernier prêchait aux peuples, tenait des con- ciles, rédigeait des canons, demandait compte au roi Corotic du sang chrétien qu'il avait versé (2). Après eux vinrent saint Colomb , saint Comgall, saint Brendan, et tant d'autres qui mé- ritèrent à rirlande le nom de Vile des Sainls ; il fut glorieux, le temps des ciildées , des immenses et innombrables abbayes, des écoles florissantes oii affluaient les étrangers. Plus tard , au milieu de longues et sanglantes guerres, la discipline se re- lâcha , les mœurs se corrompirent , les discussions s'échauffè- rent ; mais loin que la ténacité du génie celtique soit la cause unique de tous ces désordres, on doit les attribuer tout autant aux malheurs des temps et à la difficulté des communications, qui laissait une grande énergie aux anciennes traditions des Bur-

(i) Epist. '^'^ Bonif.^ ibid.

(a) S. Pairie, episi. ad Corotic. Bolland. « Que tout homme , craignant Dieu , dit le Saint , ep s'adrcssant aux chrétiens , sache que ceux-ci

I Corotic et les siens) sont séparés de moi et du Christ, mon Dieu....

II n'est point permis de manger ou boire avec eux , de recevoir leurs

502 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANGE

des et des Druides (i). L'arrivée des Saxons menaça de tout ramener au chaos , lorsque saint Augustin fut envoya' par Gre'- goire-le-Grand , et !e salut vint encore une fois de Rome.

Si le ge'nie des Celtes avait long-temps lutte' contre l'Eglise romaine, il n'en fut point ainsi des races germaniques. A peine arrives sur le sol de la Gaule , les Francs deviennent les auxi- liaires de l'Eglise. Dès la seconde génération , ils sont à elle. Il lui suffit de les toucher , les voilà vaincus. Ils vont rester mille ans enchantés. Ces barbares , qui semblaient prêts à tout écraser, ils sont, qu'ils le sachent ou non, les dociles instrumens de l'E- glise. Elle emploiera leurs jeunes bras pour forger le lien d acier qui va unir la société moderne (p. i32 ). Que la conversion des Francs, et la protection accorde'e par Clovis au cierge' ne doi-

aumônes , jusqu'à ce qu'ils aient satisfait à Dieu par les larmes de la pénitence , et rendu à la liberté les serviteurs et les servantes du Christ. » (i) Les dissidences disciplinaires des Bretons ne touchaient point aux choses essentielles du christianisme . elles étaient à peu près exclusive- ment relatives au jour il fallait célébrer la Pâque , et à la forme de la tonsure ecclésiastique (Doct. Lingard , Aiitiq. de régi. Angl. Sax. p. 49). M. Michelet prétend qu'en Irlande on baptisait avec du lait (263). Le texte sur lequel il fonde son assertion, prouve seulement que le lait était employé parmi les cérémonies du baptême des enfans des riches , lac adhibilum fuisse ad haptisandos diuilumjilios. ( Carpent. Suppl. au Gloss. de Ducange). Personne n'ignore que , dès la [)lus haute antiquité, on donnait du lait aux nouveaux baptisés après la communion. Ter- tullien parle d'un mélange de lait et de miel {concordiam lactis et rnelUs ) , qu'on faisait goûter aux catéchumènes en les retirant des fonts sacrés {lib. de Coron, milit. e. 3). C'était un usage établi dans toutes les églises d'Afrique ( id. adv. Marcion. lib. 1 , et codex can. eccles. Afric. c. 37). S. Jérôme le regarde comme universellement reçu dans l'Eglise ( dialog. adi>. Lucif. ) ; il parle aussi d'un mélange de vin et de lait (inisaï cap. 55). Cette coutume dura en Occident jusqu'au milieu du 9e siècle , et elle existait , il y a peu de temps encore , dans quel- ques églises d'Orient , d'après Jean diacre ( epist. ad Senariuni , t. 1 , mus. Ital.). V. Edm. Martenne , De antiq. eccl. ritib. t. i, p. i46. Il est sensible, au premier aperçu, combien cet emploi du lait était en harmonie avec les idées de régénération , de nouvelle vie . d'enfance spirituelle , que la foi catholique a toujours attachées au baptême.

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vent être rapportées en partie à des motifs politiques, c'est ce qu'il serait frivole de contester; mais, pour mieux expliquer l'influence exerce'e par l'Eglise, fabriciuer à un peuple un ca- ractère de fantaisie, cela est indigne de la gravite' historique. Selon M. Michelet, rien de plus soujîle que ces hordes franqnes sortant de leurs forêts; ces doux Sicambres sont les plus ob- se'qnieux des hommes, c'est une cire molle que le premier clerc va modeler à son gre'. Tout cela ne s'accorde guère avec les souvenirs que rappellent les noms de Clovis , de Clotaire , de Chilpe'ric , de Fre'de'gonde... Le Christianisme eut à vaincre dans les Gaules , comme ailleurs , la violence , la cruauté' , la soif de 1 or et de la vengeance , la de'banche sans frein.

Peu de pages dans l'histoire inte'ressent plus que celles qui nous ont conserve' les de'tails de cette e'ducation de nos farou- ches ancêtres. Ce ne fut point l'ouvrage d'un jour, ni d'un siècle. Les e'vêques apparaissent dès-lors comme les pères et les vrais instituteurs. De'jà revêtus d'une magistrature publique sous l'administration romaine, ils devaient bien plus encore la conside'ration dont les peuples les environnaient , à leurs lu- mières et à leurs vertus. Ils avaient sauve' les villes des fureurs d'Attila : Paris n'avait point oublie' le nom de Germain; Troies celui de Loup; Orle'ans, celui d'Anianus. Dans cetîe reconstruc- tion des sociéte's , les e'vêques repre'sentaient seuls la force in- telligente; eux seuls parlaient au peuple de choses morales en même temps qu'ils de'fendaient ses inte'rêts de chaque jour. Prote'ger les faibles et les vaincus, nourrir les pauvres, affran- chir les esclaves , racheter les captifs, recevoir les étrangers (i), maintenir l'inviolabilité' des asiles , n'e'tait pas moins dans leurs attributions , qu'annoncer l'Evangile et corriger les pe'cheurs. Pour suffire à tant de travaux, ils avaient besoin de coope'ra- teurs nombreux et de'voue's ; aussi le soin principal de l'e'pis- copat fut-il de s'entourer d'un digne sacerdoce. Plus de cin-

(i) On ne nourrira point de chiens dans la maison de 'l'éuéque , de peur que ceux qui viennent chercher des secours ne soient mordus ( a^ conc. de Mâcon, can. i3 ).

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quante conciles, au 6 siècle, furent tenas clans la Gaaie pour l'e'tablissement ou le maintien de la discipline. Nulles matières n'y sont plus souvent traite'es que le célibat des prêtres, l'or- ganisation de la hie'rarcliie , la liberté des élections , les peines contre les usurpateurs du bien des pauvres, les secours dûs aux malades et aux indigens.

Les décrets des conciles embrassaient en outre les principaux actes de la vie; les mariages étaient réglés par eux : la pénitence canonique tendait à se substituer aux lois pénales des barbares : bientôt la législation ecclésiastique commence à recevoir la sanction royale ; les premières constitutions de nos rois (de Cliildebert P"", de Clotaire, de Childebert II ) ne sont guère que des recueils de canons.

Ce qui accroissait encore l'éclat de la mitre épiscopale , c'é- tait la position que les bommes qui la portaient, avaient prise vis-à-vis des cliefs de la nation. On va voir que ce n'est pas cbose nouvelle dans l'Eglise , que d'entendre les évêques et les prêtres prendre les intérêts des faibles et des pauvres, contre les vices et les vexations des grands. A peine Clovis a-t-il em- brassé la foi cbrétienne , que S. Rémi lui écrit : « Choisis des ») conseiliers dont la sagesse bonore ton règne ; respecte les a évêques et écoute leurs conseils Soulage les peuples , console » les affligés, protège les veuves, nourris les orphelins, rends » exactement la justice , ne reçois rien des pauvres ni des étran- » gers. Que ton palais soit ouvert à tous , et que personne n'en » sorte la tristesse dans le cœur; emploie au rachat des captifs » les biens de ton domaine paternel (i). » Clotaire voulut exiger que les églises de son royaume payassent au fisc le tiers de leurs revenus; mais Injurlosus, évêque de Tours, lui tint ce langage : « Si tu prétends enlever les biens de Dieu , Dieu t'enlèvera » bientôt ton royaume; car il est inique que toij qui devrais » nourrir les pauvres de tes greniers , tu remplisses tes greniers » du blendes pauvres; » et, plein de colère, il sortit sans sa- luer le roi (2). Un seigneur austrasien , nommé Gontram-

(1) T. I. Conc. Gall. p. 176.

(2) Greg. Tur. Hist. 1. iv , c. 2.

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Boson , fuyant la colère du roi Chilpëric, se réfugia dans la ce'lèbre basilique de Saint-Martin ; le roi , alte'rë de vengeance, re'clama bientôt sa proie. D'abord ce fut une invitation amicale, puis des insinuations menaçantes, puis enfin des mesures com- minatoires capables d'agir par la terreur , non-seulement sur le cierge' de Tours , mais sur la population entière. Un cbef neustrien vint camper avec une tronpe d'hommes arme's aux portes de la ville, et de là, il adressa ce message à l'évêque : » Si vous ne faites sortir Gontram de la basilique , je brûlerai la ville et les faubourgs. » L'e'vêque, qui e'tait saint Gre'goire l'historien 5 auquel ces re'cits sont emprunte's, re'pondit avec calme que la chose était impossible. Mais il reçut un second mes- sage encore plus menaçant : « Si vous n'expulsez aujourd'hui » même l'ennemi du roi , je vais de'truire tout ce qu'il y a de » verdoyant à une lieue autour de la ville, si bien que la char. » rue pourra y passer. » Gre'goire n'en fut pas moins impas- sible ; et le Neustrien, après tant de jactance, se contenta de piller et de de'molir la maison qui lui servait de logement. Peu de temps après , le jeune prince Me'rove'e vint chercher dans la même e'glise an abri contre la fureur de son père Cliilpe'iùc : ce dernier envoya aussitôt une de'pêche conçue en ces termes : « Chassez l'apostat hors de votre basilique , sinon j'irai brûler » tout le pays. » L'e'vêque re'pondit simplement qu'une pareille chose n'avait jamais eu lieu, pas même au temps des rois goths qui e'taient be're'tiques, et qu'ainsi elle ne se ferait pas dans un temps de ve'ritable foi chrétienne. Et Me'rove'e demeura dans son asile (i).

La guerre e'tait sur le point d'e'claler entre les deux frères Sighebert et Chilpëric , ou plutôt entre Brunehaut et Fre'de'- gonde , les deux implacables ennemies: voici comment saint Germain e'crit à la première de ces deux reines : «On dit que » c'est à votre instigation que le glorieux roi Sigebert a re'solu » de porter la de'solation dans cette province ( la Neustrie). Ce >> n'est pas que j'ajoute foi îi ces bruits ; mais je vous conjure

(i) Grcg. Tur. 1. v, c. 4 et 14. Trad. d'Aug. Thieni.

506 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANCE

» (le n'y point donner occasion. Je sais que nous avons mérite' M d'être punis pour nos pe'clie's , mais nous nous flattions que w notre perle e'tait difFe're'e , dans l'attente de notre amendement.. n Je ne cesse de crier à tous de rentrer en eux-mêmes pour I) e'viter la condamnation. Dieu le sait, et cela me suflit : j'ai » souhaite' , ou de mourir pour leur procurer la vie , ou du » moins d'être enlevé' de ce monde avant de voir la de'solation » de ce pays ; mais personne ne m'e'coute.... Je vous e'cris ceci » les larmes aux yeux , parce que je vois comment les peuples » et les rois courent à leur perte en marchant dans les voies » de l'iniquité'.... N'est-ce pas une victoire bien honteuse que » vaincre un frère , ruiner sa propre famille , et de'truire l'he'- » ritage de ses pères (i)? »

Fre'de'gonde ne voyait qu'avec peine Pre'textat re'tahli sur le sie'ge de Rouen ; elle le menaçait de l'envoyer une seconde fois en exil, ti Ici , ou dans l'exil, re'pond Pre'textat , j'ai e'té, je suis » et je serai toujours e'vêque ; mais vous ne serez pas toujours reine : Dieu m'e'lèvera, de l'exil, dans son royaume; mais vous , de votre troue , vous serez précipite'e dans l'abîme , si 11 vous ne de'pouillez votre de'bauche et votre cruauté. » A ces mots, la reine sortit furieuse; mais le jour de la fête de la Re'surrection , Pre'textat e'tant venu à l'e'giise de meilleure heure, et s'e'tant place' dans sa stalle, un meurtier le frappa d'un coup de poignard dans le côte'. L'e'vêque jeta un cri pour appeler ses clercs, mais personne ne venant à sou secours, il e'tendit vers l'autel ses mains teintes de sang , adressant h Dieu sa prière et ses actions de grâces. Les fidèles accoururent enfin, et le prenant entre leurs bras , le portèrent sur son lit. Fre'de'gonde vint aussi , feignant une sincère douleur : « Plût à Dieu , dit-

(i) Script, rer. franc.t. iv , p. 8o. Le même saint Germain, surmon- tant son mal , va Irourer Sigebert au moment de son départ pour la guerre : « Si tu pars sans avoir le dessein de tuer ton frère , tu retour- neras vivant et vainqueur; mais si tu as d'autres pensées , tu mouri-as; car le Seigneur a dit par la bouche de Salomon : tu tomberas dans la fosse cjue tu creusais à ton frère. « Grég. T. 1. iv , c. 46-

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» elle , qu'on pût découvrir l'assassin pour le punir comme il )) me'rite. » " Et quelle antre main a fait le coup , s'e'cria » Pre'textat , que celle qui a tue' les rois , qui a verse' tant de )> sang innocent , qui a t'ait tant de maux à ce royaume La reine ajouta : « Nous avons d'iiabiles me'decins, qui pour- )> ront gue'rir votre blessure ; souffrez qu'ils viennent auprès )> de vous. i> <t Je sens, dit l'e'vêque , que le Seigneur m'ap- » pelle hors de ce monde : mais vous qui êtes l'auteur de tous )) ces crimes, vous seule serez chargée de male'dictions sur la » terre , et Dieu vengera mon sang sur votre tête. >- Comme la reine se retirait, le pontife rendit l'esprit (i).

Le roi Tliierri, plein de ve'néraiion pour Nicetius , qui ne cessait de lui reprocher ses vices et ses crimes , favorisa beau- coup son éle'vatio n sur le siège de Trêves, et voulut l'accompagner lui-même à sa ville e'piscopale , avec un pompeux corte'ge. On arriva le soir, au coucher du soleil, près de la ville; et pendant qu'on dressait des tentes pour y passer la nuit, les cavaliers dé- tachant leurs chevaux , les lâchèrent parmi les moissons des pauvres : le Saint , touché de compassion à cette vue, s'écria aussitôt : « Chassez vos chevaux de Li moisson des pauvres , ou » je vous séparerai de ma communion. » Ceux-ci, humiliés, s'étonnaient que , n'étant pas encore sacré évéque , il parlât d'excommunication. «Le roi, répondit-il, m'a arraché à mon 1) monastère pour m imposer le fardeau de l'épiscopat; la volonté » de Dieu sera faite , mais la mauvaise volonté du roi ne sera » jamais accomplie tant que j'y pourrai mettre obstacle. » Alors, d'un pas rapide, il alla lui-même chasser les chevaux, et puis il entra dans la ville, en triomphe (2).

De toutes les mauvaises passions des mérovingiens , il n'y en avait aucune de plus violente et de plus commune que la luxure. Quoique cet instinct brutal eût déjà fait chasser du royaume Chiidéric , père de Ciovis , leurs descendans n'en re- cueillirent pas moins ce honteux héritage. Sur ce point, la

(i) Greg. Tur. HisL, 1. viii , c. 3i.

(2) Greg. Tur. ^à. VP. c 17. Max. Bihl. Patr. t. n.

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plapart d'entr'eax ne reconnaissaient d'autre règle que leurs appe'tits, d'autre loi que la violence. Il serait superflu, sans doute, de de'velopper ici tous les re'sultats purement humains d'un tel vice , le plus anti-social peut-être de tons , puisqu'il de'truit la socie'te' dans sa base qui est la famille , e'nerve le sens moral dans ce qu'il a de plus intime, épuise la vie dans sa source même. C'est contre ce penchant que se re'unirent tous les efforts des e'vêques; ils employaient tour à tour les prières, les exhor- tations, les menaces, et enfin le terrible châtiment de l'ex- communication ; rien ne les arrêta , ni la puissance de leurs adversaires, ni la disgrâce des rois, ni le poignard des as- sassins.

The'odebert ayant entrepris une expe'dition dans le midi de la Gaule , trouva au camp de Cabrières, Deutérie, dont la beauté et la barbarie sont demeure'es ce'lèbres : se croyant tout permis, parce qu'il pouvait tout, il l'e'pousa , quoiqu'elle fût marie'e aussi-bien que lui. Cette conduite fut d'un funeste exemple, et les jeunes seigneurs de sa cour , après s'être iivre's h tous les de'sordres , se portèrent jusqu'à contracter des mariages inces- tueux (par cela seul ils encouraient, comme le roi lui-même, l'excommunication). Nicetius , e'vêque de Trêves, duquel nous avons de'jà parle' plus haut, n'e'pargnait pas au prince les re- proches, et sur ce qu'il avait fait lui-même, et sur ce qu'il permettait aux autres. Un jour , le roi suivi de ses courtisans entra dans l'e'glise pour entendre la messe; mais après qu'on eut re'cite' les leçons marque'es et pre'sente' l'oblation sur l'autel, saint Nicetius , se tournant vers le peuple s'e'cria : « Nous ne )> consommerons point le sacrifice , que les excommunie's ue » soient sortis de l'e'glise. » Il publiait hautement les crimes des pe'cheurs, et s'il e'chappa à la vengeance de ses ennemis, ce fut par une protection spe'ciale de Dieu ; car il aimait à re'pe'ter qu'il mourrait avec joie pour la justice (i). Le même Nicetius excommunia plusieurs fois Clotaire, pour ses honteux de'por- temens. Ce prince avait d'abord e'pouse' Ingonde; elle avait une

(i) Greg. Tur. rit. PP. c. 17. Max. Bibl. Patr. t. n.

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sœnr nommée Are'gonde, qa'elle pria le roi cle bien marier. Clotaire l'ayant vue , et la trouvant à son gre' , l'e'ponsa loi- même; pais il dit à Ingonde : « J'ai satisfait à ton de'sir , tu voa- » lais pour ta sœur un homme riche et sage , je n'a rien trouve i> de mieux que moi-même ; sache donc que je l'ai prise pour » femme , ce qui , je pense , ne te de'plaira point. » Il e'ponsa encore Gundeuca , veuve de Clodomir, son frère, et d'autres femmes. De ce nombre fut Radegonde, sa captive, fille d'un roi de Thuringe; mais cette princesse , touche'e de la grâce, quitta sesornemens, coupa ses cheveux, et se consacra à Dieu, dans un monastère qu'elle fonda auprès de Poitiers. Clotaire, qui lui avait permis de s'e'loigner , ne put long-temps supporter son absence, et ne pouvant l'engager à revenir, il re'solut d'al- ler lui-même de Tours, il e'tait , à Poitiers, pour l'enlever. Le bruit en vint aux oreilles de Radegonde , qui , pleine d'effroi , écrivit de suite à saint Germain , qui avait accompagne' le roi dans son voyage, afin qu'il employât tout son cre'dit pour dé- tourner le coup dont elle était menacée. Le vieil évèque, pour mieux toucher le roi , se jeta à ses pieds , devant le tombeau de saint Martin, et le conjura, avec larmes, de ne point aller à Poitiers. La vue de ce vieillard prosterné attendrit le roi, et il y eut dans ce règne un scandale de moins (i). Brunehaut , fatiguée de la liberté avec laquelle saint Desiderius de Vienne blâmait ses désordres et ceux de son fils, qu'elle entretenait dans le libertinage, le fit tuer h coups de pierre. Cet exemple n'intimida point saint Colomban ; il ne cessait de presser le jeune roi Thierri de renvoyer toutes ses concubines, et de s'en tenir à un légitime mariage ; mais sa mère Brunehaut l'en dé- tournait toujours , dans la crainte que la présence d'une reine ne lui fit perdre le premier rang et le souverain pouvoir. Un jour que saint Colomban était au palais, elle lui présenta les enfans illégitimes de Thierri ; l'homme de Dieu les voyant, demanda ce qu'ils voulaient. « Ce sont, dit-elle , les fils du roi; )• donnez-leur votre bénédiction. » « Non , répondit saint

(i) G. T. Hist. 1. IV, c. 3. Bantlon. nt. S. liadeg., 1. ii , c. 4-

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)> Colomban , ce ne sont point des fils de roi ; ils ne porteront » jamais le sceptre; ce sont les fils de la de'bauche, car ils sortent des lieux infâmes. » La laxure de Dagobert n'avait point de bornes; il avait trois femmes avec le titre de reines, et an fort grand nombre de concubines ; ce fut un vaste cbamp s'exerça le zèle de saint Cunibert, de saint Arnulf et de saint Amand , l'exil fut la re'compense de ce dernier (i).

Ceci se passait au commencement du 'j'^ siècle. Dès cette époque, l'antique splendeur de l'Eglise avait pâli. Le clergë in- férieur e'tait presque tout entier sorti du sang germain, de la classe des serfs et des esclaves. L'ële'vatioiî subite de ces hommes à demi-barbares , les richesses qui affluaient dans leurs mains ; furent pour eux une e'preuve plus difficile que les perse'cutions. Les e'coles e'piscopales perdaient leur e'clat; tes conciles devenaient de plus en plus rares : cinquante-quatre au sixième siècle , vingt au septième, sept seulement dans la première moitié du huitième (Mich. p. 261 ). La voix puissante de Gre'goire-le-Grand avait cesse' de retentir. Ce Pape, qui avait reconquis à la vraie foi l'Angleterre, l'Espagne et une partie de l'Italie, rappelait .sans relâche le sacerdoce à son ancienne dignité' , poursuivait de ses invectives l'impudicite' des clercs, la simonie, ia promotion irre'gulière des laïcs à l'e'piscopat ; e'crivait lettres sur lettres aux e'vèques et aux rois, pressait la tenue d'un concile, ne craignait point de s'adresser à la reine Brunehaut, et de louer ses vertus, afin qu'elle aidât, par son pouvoir, à la re'forme des mœurs du cierge' : « Car, disait-il dans une de ses lettres, » ce sont les pe'che's des prêtres qui causent la ruine des peu- » pies ; et qui intercédera pour les crimes des laïques , si les prê- n très en commettent de plus grands (2)?.... » Le pontificat de ce grand homme ( auquel aucun homreie en dehors du Chris- tianisme ne saurait être e'gale') fut malheureusement trop court; après sa mort, l'intelligence et la vertu se re'fugièrent dans les

(i) Fredegar. Append. Hist, Franc, cap. 3i , 35, 5g. Boiland et Baudemond. F^it, S. Aniand. (2) Greg. epist. lxix,!. ii.

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monastères; les cellules des enfans de saint Benoît devinrent Aqs forteresses la cii>ilisation se mit à couvert (Châteaab. ). Au dehors , les te'nèbi'es s'épaississaient ; l'enfance et l'incapacité des rois qui ne faisaient que passer sur le trône, les divisions des grands, les guerres de Neustrie et d'Aquitaine, les courses des Sarrazins , tout annonçait un lugubre avenir. Charles Mar- tel , après avoir sauvé la civilisation , tint la conduite d'un vrai barbare.

Quand il eut épuisé le trésor à payer ses troupes, il eut re- cours au pillage des villes , à la confiscation des biens des égli- ses et des monastères ; il chassait sans façon les évêques de leur siège , et installait à leur place ses propres soldats. Au temps de Charles Martel, dit Hincmar, la religion chrétienne fut presque entièrement abolie dans la Germanie , la Belgique et la Gaule (i).

La couronne de France , que le Pape saint Grégoire mettait autant au-dessus des autres couronnes que la dignité royale sur- passe les fortunes particulières , ne pouvait plus tenir sur la tête des faibles enfans de Clovis j elle était prête a tomber, à être mise en pièces. Pépin la mit sur son front, et il était diffi- cile d'en trouver alors un plus digne. Pépin descendait des évê- ques et des saints ; il ne faut point s'étonner qu'il ait voulu donner à son pouvoir la sanction du droit, en demandant l'ap- probation du Souverain-Pontife ; qu'il ait réparé autant que possible les spoliations de son père , protégé le Pape contre les Normands , et rendu aux évêques l'autorité législative. Ce règne était une préparation an règne de Charlemagne.

M. Michelel débute par contester à Charlemagne le titre de Grand; il est dif&ciJe d'entrer plus malheureusement en ma- tière. Pour le débaptiser irrévocablement, l'historien a recours aux citations. Les chroniques de saint Denis , celle de Théophaue , sont apportées en preuve pour établir que Charlemagne est une corruption du nom de Carloman; il pouvait y joindre Frédé- gaire qui donne quelque part le nom de Carolus Magnus à

(i) Hincm. epist. vi, c. 19.

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Carioman, fils aîné de Charles Martel. Noas ne nous chargeons nullement de rendre raison de ces textes, pas plus que de l'i- dentltfi de nom entre les deux frères , qui existerait dans le système de M. Michelet. Quelque nom que le fils de Pépin ait reçu de ses contemporains, c'est un fait que l'autorité' de dix siècles lui a confirme' le nom de Grand ; la question est de sa- voir s'il l'a me'rite'. M. Michelet n'he'site point à le nier : Char- lemagne serait, a l'en croire, un ravageur de provinces peu diffe'rent de Genséric ou d'Attila; sans intelligence de son e'po- que , il fit quelques tentatives en le'gislation , mais ce plagiat de l'administration romaine, n'al)outit à rien, ne produisit rien. Charlemagne mort, son empire fut brise', divise'; rien ne lui survécut; personnage cruel et grotesque , tour-à-tour affublé de la chappe d'un moine ou de la peau de bêle d'un barbare , il n'a guère laissé d'autres souvenirs de ses batailles que la dé- faite de Roncevaux, d'autres institutions que des chants d'église et des liturgies.

Reprenons en détail quelques-unes de ces allégations, et, pour nous y)lacer d'abord au véritable point de vue, n'oublions pas qu'il faut moins voir dans Charlemagne, le roi franc, le maître d'un peuple ou d'un territoire, que l'homme de l'Europe et de la chrétienté : Le prince était grand , dit Montesquieu ; Vhomme l'était dai^antage.

Les guerres de Charlemagne ne furent que des guerres de dé- vastation et de massacre ; rien n'indique quelles aient été

motivées par la crainte d'une invasion (p. 809, 3i i ). Vous l'af- firmez sur votre parole et sans preuve aucune; il en faudrait cependant pour prévaloir contre l'immense majorité, nous pour- rions dire l'unanimité des historiens {i).Le temps des invasions

(i) Sans en excepter l'école moderne. i> M. Guizot remarque judicieu- sement que la plupart de ces expéditions eurent pour motif d'arrêter et de terminer les deux grandes invasions des barbares du nord et du midi. .^ Chàleaub., Etudes hist., t. m, p. 235. —Il y a, selon M. Aug. Tliicrri, entre les conquêtes de Chlodowig et celles de Karle-le-Grand , la distance de Vœuvre de la force hndale à Vœuure de la puissance éclai- rée. Lettres sur l'hist. de Fr., lett. ix , p. i65.

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était passé, dites-vous. Depuis peu, sans doute : an demi- siècle e'tait à peine e'coule' que les Sarrazins ravageaient à leur aise la moitié' de la Gaule; et toutefois, d'après une autorité que vous ne l'e'cuserez pas , ce n'est pas du coté du midi (jue Charles Martel dut avoir le plus d'affaires , Vijwasion germa- nique était bien plus à craindre que celle des Sarrazins ( Mich., p. 290) : voilà ce qui se passait quarante ans avant Cliarle- magne. Ses cendres e'taient à peine refroidies, que les Normands pillent trois cents lieaes de nos côtes ; bientôt ils remontent la Seine et la Loire, brûlent, massacrent, assiègent Paris qui ne dut son salut qu'à un e'vêque et à un moine ( l'e'vèque Gozlin et l'abbe' de Saint-Germaîn-des-Pre's). Charlemagne lui-même avait aperçu de son palais les premières voiles de ces audacieux pirates. Il les reconnut à la le'gèrete' de leurs bâtimens. « Alors, s'e'tant levé' de table, dit le chroniqueur (i), il demeura long- temps le visage inonde' de larmes , et dit aux grands qui l'en- touraient : « Savez-vous, mes fidèles, pourquoi je pleure amè- » rement? Certes, je ne crains pas qu'ils me nuisent par ces i> mise'rables pirateries ; mais je m'afflige de ce que , moi vivant , « ils ont ose' toucher ce rivage, et je suis tourmente' d'une » violente douleur quand je pre'vois tout ce qu'ils feront de o maux à mes neveux et à leurs peuples. » La pre'diction de l'empereur fut accomplie ; qu'on nous dise maintenant ce qui serait advenu, si, aux hommes du ISord, s'e'taient joints ceux de l'Est et du Midi; si Charlemagne n'avait, pendant trente ans refoulé ces peuplades loin de nos frontières ; s'il n'e'tait aile les e'craser au cœur de leurs forêts ; s'il n'avait laisse' sur les Py- rénées et sur le Rhin, à défaut de cordon sanitaire, la terreur de son nom -.quelque soit ce nom dont il vous plaise l'appeler : \ homme-grand , ou Vhomme-fort (2).

Selon M. Michelet, la gloire littéraire et religieuse du règne de Charlemagne tient à des étrangers (334). ^^ j ^'^^t , ce nous semble, un des plus grands mérites de ce prince, lorsque les

(i) Monach. San Gall. Trad. de M. Michelet.

(2) Karl-Man , Thomme fort ou robuste ( Aug. Thierri ).

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ténèbres s'étendaient sur la France , d'avoir appelé' d'alllears le renouvellement et les lainières : d'avoir amené' Paul War- nafride et The'odulfe, d'Italie; attire' Alcuin et Cle'ment, da fond de la Bretagne; Agobard , d'Espagne; Leidrade, d'Iliyrie. L'apparition de tels hommes eut bientôt rallume le feu sacré parmi les Français. Adhalard , Engbilbert, Eghinard, Ambroise Autpert, Benoît d'Aniane (les premiers, parens ou alliés de Charlemagne), quittèrent les emplois et le plus haut rang à la cour pour se livrer a l'étude, à la propagation des lumières, à la réformation des mœurs. L'empereur encourageait, récom- pensait leurs travaux , ouvrait des écoles dans toutes les gran- des villes et auprès des abbayes ; il écrivait aux métropolitains et aux abbés : « Nous vous faisons savoir que nous avons jugé it utile que, dans les évèchés et les monastères, on s'appliquât non-seulement à maintenir la régularité, mais encore à en- » seigner les lettres....; car, quoique ce soit une meilleure » cbose de faire le bien que de le connaître , il faut le con- « naître avant que de le faire (i). » Le zèle de Cbarlemagne pour la saine doctrine et la discipline ecclésiastique éclate à toutes les pages des Capitulaires , comme dans les actes des conciles de Francfort (2) et d'Aix-la-Chapelle.

(i) Lett. de Charlem. à Baugulfe , abbé de Fulde.

(2) M. Michelet parle ea ces termes du concile de Francfort : Trois cents êuêques condamnèrent à Francfort ce que trois cent cinquante eVé- ques venaient cV app7^oui>er à Nicée. Il s'agit, comme on sait, du culte des images; or, les pères de Francfort ne donnèrent nullement dans les erreurs des iconoclastes, condamnées au deuxième concile de Nicée; seulement^ trompés par des actes falsifiés, ils crurent que ce dernier concile, qu'ils nomment, par erreur, de Constantinople , avait obligé de rendre aux images , le culte et l'adoration dus à Dieu , et c'est ce qu'ils condamnèrent. (V. Longuei'aL, t. v , p. 21 et suiv. ) Il nous serait impossible de relever toutes les assertions dénuées de fondement, que M, Michelet énonce avec une assurance imperturbable ; c'est ainsi qu'il rapporte à Charlemagne l'institution des Cours weimiques , accusa- lion empruntée à Voltaire, et qu'il parle avec dérision de la prétendue immoralité de ce prince. V. là-dessus F elier , verbo Charlemagne.

DE M. MIGHELET. 515

Le senl espoir de re'gene'ration était dans le clergé, qni, malgré sa déche'ance, conservait encore incomparablement plus de con- naissances et de noLles qualités que les autres classes ; mais la réforme du clergé ne pouvait s'opérer utilement et régulière- ment que sous l'influence de Rome dont il fallait d'abord ga- rantir l'indépendance. C'est à l'accomplissement de ce grand dessein que se dévoua Charlemagne. Peut-être n'eut-il point toute la conscience de sa mission ( quel grand bomme l'eut jamais)! mais il n'est pas moins certain que , lorsque, à genoux devant la confession de saint Pierre , il déposait aux pieds du Pécheur sa célèbre donation, et jurait avec ses fidèles de main- tenir le pouvoir temporel du Saint-Siège, 11 ne faisait autre cbose que signer la cédule de l'intelligence contre la force brute , de la civilisation contre l'ignorance et la barbarie.

Tout est en germe dans le l'ègne de ce prince, qu'on a jus- tement nommé lepliis grand semeur dea temps modernes (B.dEck- stein). Les écoles des cathédrales promettent l'université; Al- cnin et Pierre de Pise présagent Gerson, Abailard, saint Thomas; Benoît d'Aniane prélude à saint Bernard ; Léon ÎV est le pré- curseur de Grégoire VIL Le sceau de Charlemagne fondait cette biérarcbie catbolique du moyen-age , qui, en tenant compte des abus et des vices, n'en demeure pas moins le plus beau système gouvernemental qu'il eût été donné à l^homme de réa- liser. « Car il avait transporté dans ce monde une image visible » de l'attraction qui entraîne les corps célestes, en enfermant » la terre dans une suite de cercles concentriques, dont la cir- » conférence touchait aux extrémités du globe, dont le point » de rayonnement était à Rome. Du point de vue philosophi- » que, cette conception apparaît dans toute sa grandeur, et » ses résultats n'en sont pas moins éclatans ; car, dès que vous » placez quelque part un pouvoir dont la mission est univer- » selle, vous lui imposez la loi de considérer dans tousses actes » les seuls progrès de la masse humaine ; vous apprenez aux )) peuples que leur fonction est subordonnée , dépendante ; vous » agrandissez le patriotisme de toutes les zones de l'humanité; » rien d'étroit alors, rien de borné; la variété infinie des pen- » chans, des facultés, des forces individuelles, prend son rang

36.

516 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANCE

» dans l'échelle nationale ; la varie'té plas restreinte des nations » a sa place dans le développement indéfini de la grande so- » cie'te'. Les devoirs aussi se trouvent place's avec une re'gularité » correcte et syme'trique. De la part du pouvoir , un de'voue- » ment sans mesure à tous et k chacun des êtres que sa loi » vivifie, que sa puissance prote'ge , que son impulsion perfec- » tienne ; de la part des individus, soumission absolue au pou- n voir, qui re'sume tous les intérêts, tous les besoins, toute j> la vie intellectuelle et morale de l'humanité (i). » Le catho- licisme seul pouvait concevoir et produire une semblable or- ganisation, puisque seul il renferme la vraie et absolue notion du pouvoir, laquelle implique nécessairement l'infaillibilité, l'universalité, la perpétuité.

Tout ceci a complètement échappé à l'habituelle perspica- cité de M. Michelet, et il y a lieu d'en être surpris (2). S'il nous était permis de le suivre jusqu'à la fin de la seconde race, nous trouverions encore bien des inexactitudes à relever, bien des assertions à modifier. C'est ainsi qu'il suppose lestement une excommunication qui n'a jamais existé (p. 364). Il est vrai que lorsque Lothaire, voulant légitimer sa révolte aux yeux du peuple, traîna en France le Pape Grégoire IV, il prit soin de publier que le pontife venait pour excommunier l'empereur et ses partisans. A celte nouvelle , les évêques attachés à Louis, écrivirent au Pape en termes qui, au dire de l'auteur contem- porain , étaient un peu entachés d'audace et de présomption ; mais la réponse du Pape prouve que ces bruits d'anathème n'avaient aucun fondement. Après avoir rudement réprimandé les évêques du ton qu'ils avaient pris avec lui, il ajoute : « Vous prétendez que nous venons fulminer sans aucun sujet, 1) je ne sais quelle excommunication , et vous nous exhortez en termes confus et embrouillés de ne pas le faire , pai'ce que

(i) Feuilleton du National, du 24 août, signé A. A.

(2) De l'influence du christianisme sur la législatiou romaine , sur la législation des barhares et sur le droit civil de la France. Voir VEcho des ferais Principes , t. vni , p. 325.

DE M. MIGHBLET. 517

» ce serait de'shonorer la dignité' impe'riale et avilir la nôtre. » Expliquez-voas , je vous prie ; que signifie ce langage? et di- » tes-noas ce qui de'slionore plus la puissance impe'riale , ou )) de l'excommunication , ou des œuvres dignes de l'excommu- )) nication (i)? )> On connaît la suite de cette affaire. Le Pape, après avoir tenté des voies d'accommodement enlise un prince imbe'cile et des enfans de'nature's, laissa ces honteuses contes- tations se terminer aussi indignement qu'elles avaient commence'. De toute cette trame, il ne demeura que le nom de Champ du mensonge , au lieu te'moin de la scène , comme un monument de la fourberie de Lothaire, qui s'e'tait joue' de la bonne foi du Pape , de la cre'dulitd de l'empereur , et de l'astuce de ses frères.

Plus loin M, Miclielet veut faire d'Hincmar, ni plus ni moins qu'an Pape, un vrai Pape français, un Pape de Rheims , par- faitement indépendant de celui de Rome. Or, il est difficile, dit le savant Thomassia, de se former une idée plus magnifique de la majesté et de la grandeur du siège apostolique , que celle qu'Hincmar nous en a laissée dans ses écrits (2). Sa conduite,

(i) Agobard nous a conservé cette lettre, t. 11, p. 48, édit. Baluz.

(2) Voici un passage d'Hincmar : «La sainte Eglise romaine, la mère, la nourrice et la maîtresse de toutes les Eglises, doit être consultée dans tous les doutes qui regardent la foi et les mœurs , particulièrement par ceux qui, comme nous, ont été engendrés en J.-C. par son ministère^ et nourris par elle du lait de la doctrine catholique. » {Hincm. t. i, p. 161.) Et ailleurs , avec encore plus d'énergie : >t Tout ce que nous prêchons et décernons , nous évêqucs catholiques , selon les sacrés ca- nons et les décrets du Siège apostolique , le Saint-Siège et TEglisc ca- tholique le prêchent et le décernent avec nousj ils ordonnent avec nous, quand nous ordonnons ; et quand nous jugeons , ils jugent avec nous , qui avons été créés évoques pour succéder aux apùtrcs. Mais , lorsque nous maintenons sous l'autorité de la pierre apostolique , les sacrés ca- nons et les décrets des pontifes romains , simples exécuteurs d'une juste sentence , nous obéissons au Saint-Esprit qui a parlé par eux , et nous nous tenons dans la dépendance du Siège apostolique, d'où la religion a découlé, ainsi que la disciphne et les règles canoniques. Ibid., p. 463. V. la tradil. de VEgl. sur L'iuslit. des Eu., t. 11, p. 345 et suiv.

518 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANGE

d ailleurs ëtait en harmonie avec sa doctrine, car son e'iection aa siège deRheims, avait e'té confirmée par le Saint-Sie'ge, et c'est aa Saint-Sie'ge qu'il demanda l'augmentation et le renou- vellement des privile'ges de sa me'tropole.

Mais de toutes les affirmations incroyables du professeur, il n'en est pas de plus incroyable, sans doute, que celle-ci : « Ce fut au g*' siècle , Paschase Ratbert qui , le premier enseigna n d'une manière explicite, la merveilleuse poésie d'un Dieu en- » fermé dans un pain.... Les anciens pères at^aïent entrevu cette » doctrine , jnais le temps n'était pas venu. Ce ne fut qu'au « 9 " siècle que Dieu daigna descendre pour confirmer le genre » humain dans ses extrêmes misères , et se laisser voir ^ toucher^ !> goûter... )) A s'en tenir à la rigueur des termes (et la chose en vaut la peine), nul dans l'Eglise Romaine, et pas plus Pas- chase Ratbert qu'un autre, n'ont enseigne' le <.\ogme d'un Dieu erfermé dans un pain. Pour trouver cette merveilleuse poe'sie, il faut descendre jusqu'à Be'renger, ou peut-être à Luther et an système de Vimpanaiion ; mais pre'tendre naïvement que l'Eglise n'a point cru à la pre'sence re'elle avant le 9* siècle , c'est d'un trait de plume reporter la discussion au temps de Basnage et de Me'lanchton. On n'attend point que nous venions e'iucubrer les subtiles controverses de Rantramme et de Rat- bert, moins encore que nous accumulions les monumens qui attestent la pei'pe'tuite' de la foi catholique, relativement à l'Eucharistie. Ces preuves remplissent d'immenses recueils, et sont dans la me'moire , ou au moins sous la main de tous les catholiques (i).

(1) On peut citer parmi les principaux. Le Traité de l'Eucharistie du carcl. Du Perron, contre Duplessis-Mornai. La Perpétuité de la foi sur V Eucharistie d'Arnauld , Nicole , Renaudot. Schelstrate , De disciplina arcani. Pouget, Institut catholic, t. iv. Le Traité de VEucharislie de Pélisson , et surtout la Tradition de l'Eglise touchant r Eucharistie y 1 vol. in-12, le même auteur a recueilli les passages des soixante-douze Pères ou écrivains ecclésiastiques , antérieurs au siècle , qui établissent d'une manière irréfragable la croyance de l'Église en cette matière,

DE M. MIGHELET. 519

Ce 9"^ siècle fut encore une e'poque de tle'cadence. Comme sous la première race, la de'ge'ne'ration des rois, les incursions, les guerres intestines portèrent de rudes atteintes à l'ouvrage de Charlemagne. La barbarie reparut ; il faut pourtant recon- naître que dans les 9 et lo*" siècles, la civilisation fut loin de descendre aussi bas qu'auparavant. Des noms ce'lèbres reten- tirent dans l'Eglise (i). L'intelligence subissait pe'niblement ton- tes les e'preuves d'une rude et lente e'ducation , et un travail secret de l'esprit apparaissait an-dessous du bouleversement des formes exte'rieares de la socie'te'.

Quand le grain tombe dans un champ, il disparaît à l'œiî du semeur; il faut qu'il se corrompe et meure; il est comme s'il n'e'tait pas. Voilà une image de ce qui se passe au 10^ siècle. L'ordre social paraît ane'anti, l'unité administrative est rompue, l'empire morcelé'; de tristes pressentiraens s'emparent , comme un vertige , de tous les esprits ; un seul soupir sort de tontes les poitrines, un seul cri de toutes les bouches : voici le dernier jour du monde ; voici le jugement de Dieu. Mais la violence même de celte crise annonce une exube'rance de vie; dans ces pensées de mort, brillent des présages de résurrection. Le 1 1' siècle s'ouvre , et déjà la semence jetée par la main de Char- lemagne, croissait en un superbe épi, s'étendait en un arbre immense qui devait long-temps abriter et nourrir l'humanité. annales de Phil. Chrét. 71° 62.

(i) Hincmar, archevêque de Rheims ; Prudentiiis, évêque de Troyes ; Florus , diacre de Lyon; Lupus, abbé de Ferrières ; Christian Drutmar, moine de Corbie ; Walafride Strabon, moine de Fulde ; Etienne, évêque d'Autun ; Fulbert , évêque de Chartres ; Odon , abbé de Cluni ; Abbon et l'illustre Gerbert.

520

GÉOLOGIE.

TABLEAU DES COUCHES DIIMÉRAI.ES SU GLOBE

ET DES FOSSILES Qu'eLLES REMFERMENT.

Nous avons souvent parlé de Géologie, et démontré combien les découvertes toutes récentes de cette science, s'accordent avec le récit que fait Moïse de la création. Mais, comme il est peut-être plusieurs de nos abonnés qui n'ont pas étudié, d'une manière spéciale , cette science , et que , par conséquent , ils doivent avoir de la peine à bien saisir la force et la portée de tout ce que nous avons dit de ces découvertes et de leur ac- cord avec les récits de notre Bible , nous avons essayé de réunir en un seul tableau et de mettre sous leurs yeux trois choses :

La première. La composition actuelle du globe, avec le nom et la place des différentes couches qui le composent à partir de sa surface jusqu'aux couclies les plus profondes auxquelles on ait pu pénétrer.

La seconde. Quelles sont les matières Jbssiles ou objets pétrifiés qui se trouvent dans ces différentes couches.

La troisième. L'indication des passages de la Genèse la création de ces différens fossiles est racontée.

Mais , comme nous ne pouvons renfermer dans ce tableau tous les développemens qu'il peut comporter, nous ajouterons ici quelques détails sur les différons animaux fossiles qui se trouvent dans la terre à partir du CALCAIRE JURASSIQUE.

Calcaire jurassique , sable vert , etc.

Ici la classe des reptiles se multiplie et déploie des formes gigantesques. On y rencontre Vichtyosaurus et le plésiosaurus ; le premier de ces animaux monstrueux vivait, selon Cnvier, la mâchoire d'un dauphin, les dents d'un crocodile, la tête et le sternum d'un lézard , les extrémités d'un cétacé ( mais au nom- bre de quatre ) , et les vertèbres d'un poisson. Le plésiosaurus

TABLEAU des formations géolo^e Humholdt. RAPPORT des couches avec les espèces d'aninhrès Cuvier, Brongniart ^ Bertrand, Boubée,Labèche etautresvec les jours de la création.

Genèse , ck. V. 37.

Genèse , ch. i , v. 24-

L"HOMjHE,Iedern

industrie, tels que des fragn vent que dans les couches le de espèce, dont plusieurs ge

JxiER. Discours surlcs révol. du gioLcAnSo^ 5=e'd.p.i3i,etBouEÉE,GeoZ.pop«^, p.i'jS. Quelques-uns de ces mammifères ont c'ie Duves dans les contrées du nord, recouverts ^ leurs muscles et de leur peau ; preuve seu- ble de la révolution récente qui les a fait rir, et qui ne saurait remonter, dit Cu-

Mammifères marins, cotf""^ ' " l"'"" 'aurait remonter, ait marines, végétaux, poisso" ' au-delà de 5 à 6000 ans, p. 283 CuTiER , p. ii3 et 290.

Coquilles de mer très-abc Cotieb , p. III et 290. cents espèces, la plupart it

Premiers MAMMIFERES '

inconnus , crocodiles , lor embellissaient alors notre riums et les palœotlieriums

Pr

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MAMMIFÈRES I

et au

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ands cétaCL

s qui.

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r taille, on

per,

La découverte de ces animaux siii;^uliers est due à Cuvier. Voy. son Discours , p. 3i5, et ses Recherches sur les quadru- pèdes fossiles , t. m, p. 4^ et 60, 2eétUt.

CuviER. Recherches sur les ossemens des quadr.Joss, , tom. v , p. Syg.

Reptiles, crocodiles , ton ,, / •,•, , r.-

. , ' ', t.uviER, p. 204 cl 33l du Discours

luriers et autres veeetanx ' ' yi " ■• "•'» "" ^^....u.

Reptiles monstrueux qui ont dispari; tortues de mer, quelques plantes mar

(".i;viEB , p. 295 et 3ll ,

Reptiles et végétaux.

Cuvier, p. 3o6.

Gen. ,c. I, V. 21.

Premiers OISEAUX. Reptiles gigantej ^ j^ ,-,p ^^ le sternum d'un lézar, les extrémités d ^gj^ ^ j^ tête d'un lézard , il joignait le cou d'un tenait à la fois de l'oiseau, du reptile e six pieds d'envergure. Huîti

qu

Plantes cicadées et conifères; baml, 'égétaux analogues à ceux de la zone

:;ae]n'.

Coquilles nombreuses.

DX.

35 CuviEB,p.295et 3oS, el s BnoNCNiART, ï'ni/e«H (/e.t terrains qui composent a l'ccorce du globe, Talil. g XI, p. 4'2- u

W CuviER, p. 3oo, et /fe- cherches sur les oisem. des 2; quadr. Jossiles , tora. v, 5 p.249,445,453,47,'ï. ce ta Broncniart, p. 4t8.

Ces roctes primordiales , ces granités , rep cua). Ces roches composent le noyau du S'o„, „•_,„_ un liquide immense. Elles ne renferment Al]"'™ITI VES. La vie n'était donc point encore sur le glo]

Cette admirable concordance de la Genè.'L, de toutes les cosmogonies, celle de Moi'se^**

P v-uviEiv , pag. 290 , et g Bertrand, pag. 123. S CuvIER, pag. 23.

jl^ Genoude. Prolégomè- <! nesduPenlateuque, S p. 66.

Ce tableau de toute la suite des couches aux plus modernes et aux plus superficielles , est en quelque sorte , dit Cu'»o«r« sur les réuol. du globe.

T^ouv. Cens. Belge, t. X, pag. 52o-5

TABLEAU des formations géologiques dans l'ordre de leur super position, par M. Al. delJumholdt. RAPPOP%T

des couches avec les espèces d'animaux et de plantes dont elles renferment les restes , d'après Cuvier, Tirongniart , Bertrand, Boubée,Labèche et autres géologues. CONCORDANCE des faits géologiques avec les jours de ta création.

L'HOMME, le dernier ouvrage de la ci industrie, tels que des fragmeos de briiju vent que dans les couches les plus superf de espèce, dont plusieurs geores vivent et

et de poteries, des scories dp I Iclles du globe. Mammifères de ore dans diverses parties do la t

DEPOTS D ALLUVION.

coquilles FORMATION LACUSTRE AVEC MEUllÈRES.

GRES ET SABLES DE FONTAINEBLEAU.

s KAMUIFËRES TERRESTRES. Pois , crocodiles , tortues , plusieurs soi ienl alors uotre sol , et qui ont e't<!

aai , palmiers qui GYPSE A OSSEMEN3. ,tr?è°L1''pl3re'1esrviiÔns"e°Pa°r'/sT CALCAIRE 8ILICEUX.

remiers MAMMIFERES MARINS. Lamemins ^dauphins inconnus , me utres grands cétacés qui, malgré les forces que semblait lïur donner l'é é de leur taille , ont pe'ri dans la catastrophe qui a bouleversé leur élém

ir- CALCAIRE GROSSIER.

GRES TERTIAIRE A LIGNITES.

8",

C«y„,n. Discours surUj re'fol.ilugl.il,, _

Quelques-uns de ce. mamm/ère. on. i.U trouvés dans les contrées du deleurs muscles et do leur pi silile de la révoIatioD récente qui I

[eU de 5 i 600,

dit Cu-

ï83.

a est duc à Cuvier. Voy. son Oise ^ p. 3i 5, et ses Recfterehes surlesqt ^ pldesjossiles , t. iti , p. 47 et 60 , 2

Bt p. 294 el 33l du Discour'

BLANCHE.

Reptiles monslrueui qui ont disparu de la surface du globe. Crocodiles, grandes rRiip l rriirirAii tortues de mer, quelques plantes marines. I^KAlt...^ TUFFAU.

CHLORITÉE.

Reptile!

SABLE VERT. SABLE FERRUGINEUX. GRF.S SECONDAIRE A LIGNITES.

s OISEAUX. Reptiles gigantesques , l'un , Xiclitrcsaurus , avait la mâchoire d'un danpliin , les dents d'un croc ■■ '• ' ^-..i. Tun cétacé et les vertèbres d'un poisson, le pKjinujauruj lui ressemblait beauc

„uàia..is de u.^...i.„,ù^eV7^^^^f::'i::XÔ^tt:t^!^ calcaire jurassique.

Fergure. Huîtres , po

; bambous , fougères et i

GRES BLANC.

Coquilles nombreos<

SIUSCHELKALK.

calcaire de CAEN.

LIAS MARNEUX.

GRES BIGARRE SALIFERE.

SCHISTE CUIVREUX.

:B,p.aQ5et3o8, el KY,T.TabUaude, nui composent du globe, Tabl,

cherches sur les otsem.dt îc quadr. fossiles ,lom. -v

3 p. 249,445,453,475.

PORPHYRE '^^ QUARTZIFÈRE. '"'■'

ues os de POISSONS, plant, autres vcgélaux acotylédon lières richesses végétales qi

e palmie

S,fnuKèrc

en arLrpdeiloù

. Grandes c

oucl.es de houil

du glolse

(Tous les

naturalistes re-

i de fougères dont c

crrafuï ont FORMATIONS COORDONNÉES DE PORPHYRE , Luerforïl DE GRÈS ROUGE ET DE HOUILLE.

rnAND I Lettres sur les re- lations du globe ^ p. 3o7 f •■ édit. , et CuTiBR « p. 396.

g^res , lycopodiacees de 60 à t douteux , pensent Cuvier (

! à la surface du globe; elle j a commence par le règne v^i^étaK Les terraii ment caracte'rises par des empreintes de VEGETAUX HERBACÉS, roseaui I 70 pieds de Laut. On y trouve encore des zoophytes , des mollusques , di animaux qui vivent sur la terre sèclie et respirent l'air en nature. Il e Bertrand 4 que les mers renfermassent alors des poissons.

FORMATIONS DE TRANSITION.

Ces roclie£ eu»).Cesto un liquide immense, bl La vie n'était donc po

Cette admirable con( de toutes les eosmogoi

AUCUN VESTIGE,

"ol'vEGEVZiE NI AMMa''lT FORMATIONS PRIMITIVES.

Cuv

pag. 297.

Lettres .

i Adolphe

des végétaurjoisiles.

Cov

. P=S-

Genouoe. Prolégomi- les du Pentatettque, p. 66.

Ce tableau de toute la suite des couches du globe , depuis les plus anciennes que l'on connaisse jusqu'aux plus modernes et aux plus superficielles, est en quelque sorte , dit Cuvier, le dernier résumé des efforts de tous les géologistes. Discours sur les révol. du globe.

Nouv. Cons. Belge, t. X, pag. 52o-52i.

COUCHES MINÉRALES DU GLOBE, ETC. 521

avait aussi les extrémités d'nnce'tacé, mais la tête d'on le'zard, et un cou semblable au corps d'un serpent. La se montre e'ga- lement le jnégalosaurus , reptile qui devait avoir au moins soixante-dix pieds de longueur, et qui approchait de la taille de la baleine; le géosaiirus de Cuvier; le plérodactyle , le'zard vo- lant, qui tenait à la fois du reptile, de l'oiseau et du mammi- fère, et dont une espèce avait Sl^ moins cinq pieds d'envergure. Ce terrain renferme encore des restes de crocodiles , de tortues^ de coquilles, à'insectes, et enfin les premiers ossemens d'oiseaux, et principalement d'oiseaux aquatiques , A' ibis , de hérons , de cigognes et d'écliassiers.

Craie de différentes couleurs. Grès tertiaire à lignites.

Encore des reptiles monstrueux, et entr'autrcs le mosasaums, qui devait avoir au moins vingt-cinq pieds de longueur. Croco. dites et coquilles abondantes.

Calcaire grossier.

Premières traces de inamnùfères marins, de baleines , de dau- phins inconnus , de lamantins et de morses. Cuvier remarque que ces grands ce'tace's , malgré les forces que semblait leur donner lénormite' de leur taille, n'ont pu re'sister aux catastro- phes qui ont bouleverse' leur e'ie'ment, et y ont pe'ri.

Gypse à ossemens. Calcaire siliceux. Grès et sables de Fon- tainebleau. Formation lacustre avec meulières .

Première apparition des mammifères terrestres. Ce sont des pachydermes q^ai manquent entièrement parmi les quadrupèdes de nos jours , et dont les caractères se rapprochent plus ou moins des tapirs, des rbinoce'ros et des chameaux. Ces genres, dont la découverte entière est àne à M. Cuvier, sont : les pa- lœothériums , les lophiodons , les anoplotériums , les antracothé- riums , ]es chéropotames ,les adapis. Les plâtrières des environs de Paris renferment une quantité prodigieuse d'ossemens de ces espèces. Avec ces animaux se trouvaient des carnassiers, des rongeurs, plusieurs sortes d'oiseaux , des crocodiles , des tortues et des poissons inconnus.

Dépôts d'allui'ion.

Dans ces terrains, que des ge'ologues ont partagés en diluviens et post- diluviens y il n'y a plus, ni palœothériums , ni anoplo-

522 COUCHES MINÉRALES DU GLOBE ;

tliëriums , ni aacun de ces genres singuliers. Ce sont d'autres pachydermes gigantesques : Véléjj'tant , appelé mammouth, par Jes Russes , haut de i5 à i8 pieds , le mastodonte , dont la forme massive e'talt aussi conside'rable , Vlàppopotame et le rhinocéros. On trouve les de'bris de ces grands quadrupèdes , enfouis au milieu des cailloux et des sables , et presque toujours arrondis ou nse's par le frottement 5 quelques-uns cependant ont été trouve's dans les contre'es du nord , recouverts de leurs mus- cles et de leur peau : preuve sensible d'une révolution récente. Ces mêmes teri'ains meubles , recèlent des mégatJiériums de la famille des paresseux, dont la grande taille devait égaler celle de l'éléphant; des mégalonix , de la même famille , remarqua- ble par l'énorme dimension de ses ongles ; des tapirs, des bœufs , des chevaux , des ours , des hyènes^ des cerfs , des daims, •des sangliers, des lièvres, des chiens , Aescastors , des loutres, des chats , des martres, des rats , des musaraignes , etc. Le plus gi'and nombre de ces genres d'animaux vivent encore dans di- verses parties du globe ; mais plusieurs des espèces que l'on trouve dans les dépôts diluviens ont totalement disparu.

On trouve également , dans ces dépôts, des débris d'animaux marins , confusément mêlés avec les précédens : ce sont des coquilles , des madrépores , des osseraens de poissons , etc. Ces débris portent également les marques d'un rude frottement.

On trouve un grand nombre de cavernes remplies de ces divers débris, empâtés dans des argiles souvent rougeâtres. On attribue le remplissage de ces cavernes , dites cavernes à osse- mcns, à la catastrophe diluvienne. Toutefois , il en est un grand nombre dont le remplissage est plus moderne.

Les dépôts diluviens sont le plus souvent accompagnés de ùlocs erratiques ; on désigne ainsi ces énormes fragmens de ro- chers , plus ou moins arrondis sur leurs angles , et dont le poids, quelquefois est tel qu'il faudrait réunir les puissances les plus énergiques pour les ébranler. On en connaît qui pèsent jusqu'à 3oo,ooo kilogrammes , et dont le volume dépasse mille mètres cubes (i). Ces blocs sont formés des mêmes roches que les

(i) Boubéc. Géologie populaire, pag. i55 , i833. Nous nous sommes

FOSSILES qu'elles renfermeht. 523

cailloux ordinaires , au milieu desquels on les rencontre , ce qui prouve qu'ils ont été' de'tachés des mêmes lieux. Enfin , l'on remarque presque toujours qu'entre les cailloux les plus gros et les blocs les plus petits, qui se ti'ouvent mêle's ensemble, il y a, sous le rapport du volume, des passages si nombreux, qu'il est difficile de de'signer, dans la se'rie de ces débris, ceux qui doivent porter le nom de blocs erratiques, et ceux qui doi- vent rester parmi les cailloux roulés. Cette circonstance prouve que les uns et les autres, même les plus petits, ont été, ainsi que les sables qui les accompagnent, charriés en même temps et par les mêmes eaux.

On comprend dans le terrain post-diluvien tous les dépôts qui se sont formés depuis !a retraite des eaux diluviennes jusqu'à nos jours. Les fossiles qu'on y trouve sont les mêmes espèces qui vivent encore dans le pays. On y trouve même des débris d'ossemens Inimains , des fragmens de briques et de poteries , des scories de forges , des bois travaillés , et ces débris , qui tous attestent la vie de l'homme, ne se trouvent avec quelque fréquence que dans les terrains d'alluvion. Ils sont rares dans le terrain diluvien ; s'il est vrai qu'on en ait trouvé dans le midi de la France, comme quelques naturalistes le prétendent, dans les mêmes cavernes et les mêmes dépôts qui contenaient ceux d'une espèce perdue de rhinocéros et d'autres animaux qu'on trouve ordinairement dans les grottes osseuses (i).

Ainsi donc, comme le dit l'Ecriture, c'est la création de Vhomme qui couronne l'œuvre du Créateur, c'est lui qui a été créé le dernier ; encore ici le récit de Moïse s'accorde avec l'observation et avec les faits les mieux prouvés.

Pour faire mieux ressortir cet accord , r.ous allons mettre sous les yeux de nos lecteurs les paroles du texte sacré.

D'après la Genèse, i. Dieu réunit les eaux dans un seul bas- sin. — Genèse, chap. i, vers. 9. Congregéntur aqiiœ ut appareat arida.

servi (le raiilorité et des recherches de ce savant professeur , pour cette partie de notre travail.

(i) Manuel gèologùjue , par H. Delabèche , pag. 229, i833.

524 COUCHES MINÉRALES DU GLOBE , ETC.

2. Dieu féconde ensaite la terre de ve'ge'taux. Etprotiilit terra herbain virentem et llgnwn pomifcrum. Vers, 12. (Remarquez bien que Moïse met ici lierbam avant lîgnum.)

3. Dieu peuple les eaux de reptiles et de poissons , et les ri- vages d'oiseaux. Vers. 21.

4. Dieu peuple ensuite la terre de quadrupèdes. Vers. 24.

5. Enfin Dieu cre'e l'homme, et complète ainsi ses œuvres. Genèse ,2^.

« On ne saurait trop remarquer, dit un naturaliste moderne, cet ordre admirable , si bien d'accord avec les plus saines no- tions qui servent de base à la ge'ologie positive. Quel hom- mage , ajoute-t-il , ne doit-on pas rendre à l'écrivain inspire' ( i ) ! »

Nous ne pouvons mieux terminer cet article qu'en rappor- tant ces paroles du savant ge'ologue que nous avons cite' plus haut (2) :

« Ici se présente une conside'ration dont il serait difficile de ne pas être frappé ; puisque un livre, e'crit à une e'poque les sciences naturelles étaient si peu éclairées , renferme ce- pendant, en quelques lignes, le sommaire des conséquences les plus remarquables, auxquelles il ne pouvait être possible d'ar- river qu'après les immenses progrès amenés par le dix-huitième et le dix-neuvième siècles; puisque ces conclusions se trouvent «n rapport avec des faits qui n'étaient ni connus , ni même soupçonnés à cette époque, qui ne l'avaient jamais été jusqu'à nos jours, et que les philosophes de tous les temps ont tou- jours considérés contradictoirement et sous des points de vue toujours erronnés; puisque enfin, ce livre, si supérieur à son siècle, sous le rapport de la science, lui est également supé- rieur sous le rapport de la morale et de la philosophie natu- relle, on est obh'gé d'admettre qu'il y a dans ce livre quelque chose de supérieur à l'homme, et quelque chose qu'il ne voit pas, qu'il ne conçoit pas, mais qui le presse irrésistiblement!!! «

Maintenant, si l'on veut jeter un coup d'œil attentif sur le

(i) Demerson. Histoire naturelle du globe terrestre. (2) Boubée , Géologie populaire , p. 66.

PHYSIOLOGIE ET HYGIENE , ETC. 525

tableau , et IMtadier quelques instans , il nous semble qu'il sera facile de se faire une ide'e nette de toutes les formations ge'olo- giques. Nous avons pris pour base, comme nous le disons, le tableau tracé par M. de Humboldt ; mais , tel que nous le don- nons et avec les indications que nous y avons ajoute'es, nous croyons que ce travail n'avait jamais e'te' fait , et qu'il peut pas- ser pour neuf.

Nous espe'rons qu'il sera utile à nos lecteurs, et qu'ils pour- ront y voir une nouvelle preuve de la re've'lation divine de nos livres , et de l'avantage qu'on peut retirer de la connaissance des sciences , pour re'pondre aux demi-savans qui re'pètent en- core les vieilles objections ge'ologiques faites contre la Bible dans le siècle dernier. Annales de Philosophie Chrétienne , n" 5o.

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FHTSÎOÎ.OGIE ET BTGIÈNE

DES HOMMES LIVRÉS AUX TRAVAUX DE L'ESPRIT (i).

Tel est le caractère de divinité qui distingue le christianisme , que les efforts de l'impie'té pour l'aoe'antir oat contribue' à affermir son empire , et que les sciences qui lui paraissaient les plus oppo- sées ou les plus e'trangères , fournissent des argumens invincibles pour prouver la vérité de sa ce'leste origiae.

Le livre que nous annonçons offre une preuve frappante de cette dernière assertion. Cet ouvrage , en effet , destiné à procurer la santé, semblerait ne contenir que des considérations purement ma- térielles , et cependant ou peut en tirer des preuves concluantes en faveur de notre religion; car le résumé de cet ouvrage est que,

(i) Ou Recherchas sur le physique et le moral , les habitudes , les ma- ladies et le j-égime (\cs ^cn^ de lettres, artistes, savaus, hommes d'état, etc. Par J. H. Reveillé-Parise , docteur en médecine; 2 vol. in-S». Paris chez Dentu. Prix : i4 fr.

526 PHYSIOLOGIE ET HYGIENE

pour se procurer une santé inalte'rable , il faut non-sealement être sobre, chaste et tempe'rant , mais encore dompter ses passions et acquérir un grand empire sur elles; or, que veut de plus le catho- licisme ? c'est , en y joignant la charité , dont personne ne s'a- visera de contester l'excellence, tout ce que prêche l'Evangile; avec cette différence que les conside'rations de santé que fait valoir M. Reveillc-Parise sont insuffisantes pour arrêter la fougue de l'âge, l'emportement des sens et le tyrannique empire des passions, tan- dis que la religion chrétienne est seule capable de leur opposer un frein efficace par les conside'rations d'un ordre plus élevé qu'elle fait valoir aux yeux, de ses disciples.

Tandis que l'incre'dulité , en prêchant à l'homme le néant de son avenir, le précipite par cela même dans les plus honteux e'ga- remens , use sa santé, avance sa vieillesse, la religion, par ses enseignemens et sa morale, rend l'homme heureux ici-bas; car la sanle' est une condition indispensable de bonheur, puisque la po- sition la plus brillante dans le monde devient mise'rable sans elle.

Je ne suivrai pas l'auteur dans son discours pre'limiuaire, il discute l'origine et l'utilité' de la médecine ; je pense comme lui que les préventions contre elle s'affaiblissent. Car un fait digne de remarque^ c'est que les gens du monde les plus acharnés contre les médecins , sont les plus enclins à suivre les indications des charla- tans; ce qui m'a toujours fait regarder cette prévention comme la marque certaine d'un esprit borne et re'tréci. Il est impossible d'ail- leurs de ne pas convenir que, par les grands de'veloppemens qu'ont pris aujourd'hui les sciences médicales, elles n'aient contribué aux progrès de l'esprit humain sur plusieurs points importans. Tout le monde sait que l'auatomie et la physiologie sont les deux premiers chapitres dune bonne philosophie.

Vers le milieu du siècle dernier, Tissot fit, sur la santé des gens de lettres , un traite' qui eut beaucoup de vogue, que tout le monde connaît, mais qu'on ne lit plus aujourd'hui, quoiqu'il contienne d'excellens préceptes d hygiène. L'ouvrage de M. Panse est basé sur les mêmes principes , mais il lui est bien supe'rieur par le style , les recherches dont il est parsemé, et la connaissance qu'il suppose dans l^auteur de tous les progrès que les sciences me'dicales ont faits depuis cette e'poque.

DES HOMMES LIVRÉS AUX TRAVAUX DE l'eSPRIT. 527

La première partie contient im excellent traite' de physiologie , la deuxième traite de la physiologie pathologique, et la dernière de l'hygiène la mieux appropriée aux personnes qui s'adonnent aux travaux de l'esprit.

PREMIÈRE PARTIE.

L'auteur commence par tracer les principaux phénomènes de la vie : (( Ainsi chaque organe est fait pour soi , ayant en lui tout ce » qui le complète; il a sa loi, ses conditions, son mode à part » d'existence, et pourtant la raison de chaque partie n'est que dans n le tout ; il y a la vie de la mole'cule , la vie de l'organe et la vie de » l'animal, ou plutôt il y a mille existences et il n'y a qu'une seule » vie ; admirable faisceau que l'étroite union des parties enlr'elles » forme dès la fondation du germe ! Aussi , pe'nétrés de cette idée, » les anciens philosophes regardaient-ils le corps humain comme » la plus frappante image de l'univers , tout se lie à tout dans )) l'espace et dans le leuips ; qui ne reconnaît ici Vunum et Vomnia » des anciens pythagoriciens, Dieu est un et toute chose. »

M. Reveillé-Parise, il faut bien le dire, évite avec soin, dans tout son ouvrage, de s'expliquer sur les différentes questions qui pourraient faire soupçonner ses croyances, et celte réserve doit faire un peu tenir en garde le lecteur qui verrait dans cette der- nière citation un panthe'isme bien prononcé , si M. Parisc rappli- quait au système général de l'univers ; j'aime mieux croire qu'il n'a eu en vue que l'organisation du corps humain.

L'auteur passe aux modes principaux de manifestation de la vie; il définit ensuite les lois les plus générales de la sensibilité , de la contractibilite' ou de la puissance musculaire, et décrit, ainsi qu'il suit, la loi fondamentale du tempérament des personnes livrées aux travaux de l'esprit : « D'un côté , disposition nerveuse originelle » puis excès d'action; enfin, prédominance extrême du système )) nerveux; de l'autre, diminution graduelle et presqu'absolue de la » contractibilite. » M. Parise assure que telle est la condition or- ganico-vitale , le caractère dominant de ce tempe'ramcnt qui se re- trouve partout , et dont son ouvrage n'est que le déveloi)pement et l'application. Suivant Galien, Plutarque, tous les physiologues an-

528 PHYSIOLOGIE ET HYGIENE

ciens et modernes, lorsque le système nerveux a beaucoup d'activité, le système osso-musculaire acquiert peu de développement ; ou, ce qui revient au même , les gens secs et grêles sont seuls capables des travaux de l'esprit; les gens robustes, gras et frais, ne sont bons qu'à faire de la chair et du sang. Heureusement pour ces der- niers, Platon, Buffou, Le'onard de Vinci, le maréchal de Saxe, Mirabeau, Joignaient à beaucoup d'esprit, comme chacun sait, des épaules carrées et une grande vigueur de constitution. L'auteur, en citant ces exemples, veut bien reconnaître qu'il existe en effet quel- ques exceptions au système de Galien , mais il assure qu'elles sont très-rares , et qu'on trouve bien rarement une heureuse coïncidence d'un grand développement dans les deux systèmes a la fois. Il exa- mine ensuite les effets de la loi citée plus haut sur le physique , l'intelligence en général, les actes de l'intelligence en particulier, enfin sur le caractère et les habitudes. « A raison de son intelligence, « l'homme se prétend supérieur aux animaux, il a la conscience de » ce sentiment, il en a l'orgueil; or, quand cette intelligence ac- » quiert un surcroît d'étendue, ce sentiment augmente nécessaire- » ment et dans les mêmes proportions ; cela doit être , et cela est

» en effet Alexandre se fit le Bacchus de l'Inde ; on trouve à

» la fois dans ma famille, disait César, la sainteté des rois qui sont )) les maîtres des hommes, et la majesté des dieux qui sont les maîtres des rois.... Quand la fortune eut comblé Napoléon de ses » faveurs , il prit le titre fastueux de Xliomme du desùn. »

Le lecteur doit lire dans l'ouvrage même toutes les conséquences que l'auteur tire de cette loi. Le désir excessif de louange et de cé- lébrité, l'irascibilité qu'éprouvent les gens d'esprit lorsqu'un désap- pointement prend la place d'un succès; la misanthropie, la sauva- gerie , les boutades qu'on reproche à des hommes du plus grand mérite, en sont les principales; mais je ne puis être d'accord avec lui sur la mobilité qu'il attribue aux personnes douées d'une ima- gination vive, surtout exprimée d'une manière aussi absolue : « Je » le répète , un phénomène extraordinaire serait de voir une sen- » sibilité exquise et une placidité d'âme inaltérable : Socrate seul )) peut-être en a donné l'exemple au monde ; mais rappelons-nous » les constans efforts qu'il fit pour se vaincre : alors faut-il seîon- »> ner que Socrate fut déclaré par l'oracle le plus sage des hom-

DES HOMMES LIVRES AUX TRAVAUX DE l'eSPRIT . 529

» mes. » Que la plupart des gens du monde éprouvent cette alter- native , je le conçois ; mais pourquoi ne citer que l'exemple de Socrate , lorsque tant de génies chrétiens anciens et modernes ont donne au monde l'exemple d'une égalité admirable dans leur con- duite, leurs opinions et leurs systèmes?

M. Parise fait, dans le chapitre X , de nouvelles applications des principes précédens ; il avoue qu'il existe des hommes de lettres dont les principes et la foi politique ou religieuse est inébranlable; mais aussi il assigne une large part au re'giment des girouettes, et fait ressortir avec beaucoup d'esprit les inconséquences des philo- sophes , des poètes et des littérateurs. On verra avec plaisir la dé- finition du génie : « Rien donc de plus démontré que cette vérité; Il le génie , c'est-à-dire l'esprit humain élevé à la plus haute puis- » sance, se compose de facultés opposées, mais qui se combinent » admirablement; c'est Tharmonie des contraires; une organisation )) mobile, irritable, du saug-froid et del'à-plomb; une sensibilité' » exquise toujours excite'e, toujours active, puis une raison me'- » thodique et positive; de l'exaltation et de la précision, de l'ar- » deur et de la perse've'ranee; la patience de concevoir et la patience » d'exécuter : c'est précisément cet ensemble si rare, si précieux, » si difficile à obtenir, qui donne au génie une force inconnue, » irre'sistible quand il apparaît. Muse ou démon, être immatériel » ou simple mode de vitalité, il y a un je ne sais quoi diuconce- » vable, de surnaturel, quelque chose d'humain et de ce'leste qui » le place tout d'abord au sommet de la civilisation , et lui donne )) l'empire du monde. »

Dans les chapitres suivans , l'auteur fait connaître les variétés c^ les dilTe'rences organiques que produit la constitution nerveuse; il assure que ces différentes organisations influent d'une manière in- contestable sur les mœurs et sur les habitudes. « D'après Gall , ces » manifestations procèdent uniquement du cerveau ; mais selon le » plus grand nombre de physiologistes , tout en faisant une large » part à l'action cérébrale , l'instinct et les passions se lient prin- » cipalement à l'ensemble du système nerveux ganglionnaire, aux » excitations viscérales.... Gall a très-bien exposé l'influence géné- » raie du cerveau sur le moral; il a présenté sur cet important » appareil les vues les plus lumineuses ; mais quand il veut assigner T. X. 37

530 PHYSIOLOGIE ET UYGIÈNE

» les limites de chaque sens en particulier , circonscrire nos facul- » tés, parquer nos affections, dire est le bon sens, ici est la » folie, voilà l'organe de l'ambition, voilà l'organe de l'humilité, » etc. , il se perd dans un labyrinthe de conjectures que les faits » abandonnent, que l'expérience dément, » Dans les chapitres sui- vans , l'auteur nous fait connaître les principaux agcns de l'élément nerveux, qui se divise en deux divisions principales, l'appareil nerveux ganglionnaire ou viscéral, et l'appareil cérébro-spinal. Les physiologistes, à l'exception de Gall, ont placé les affections et les passions dans le système viscéral , qui reçoit les impressions du cerveau, et sur lequel il réagit à son tour. Enfin, dans les der- niers chapitres , il discute les rapports du cerveau avec la capacité intellectuelle , et fait connaître les données les plus remarquables que la science possède sur ce sujet; je les transcrirai ici textuelle- ment. « I''*' donnée. Le cerveau ou appareil encéphalique est l'in- » trument de la pensée ; l'appareil nerveux encéphalique est tout Il à la fois actif et passif; 3' les variétés de forme et de structure du cerveau correspondent aux divers degrés de capacité intellec- 1) tuelle; l'homme a le cerveau le plus vaste et la face la plus )> courte de tous les animaux ; la sphère du cerveau peut déter- 11 miner jusqu'à un certain point la sphère de l'intelligence; 6' la » perfection de structure cérébrale doit coïncider avec le volume de i> l'organe. » A l'appui des observations dont chaque donnée est suivie , et qu'il faut lire dans son ouvrage , l'auteur donne la des- cription des têtes de Pascal , Voltaire , Jean- Jacques , Napoléon , Byron , Gall et Cuvier ; il avoue néanmoins que l'action de l'organe, et ses rapports entre cette forme cérébrale et cette activité de fa- cultés mentales , est encore inconnue , et que la nature a jeté un voile épais sur cet important secret. « Acceptons, dit-il, la nature »> humaine telle qu'elle est ; les lois de l'organisation sont l'ordre

» de Dieu ; sauf les cas de folie ou de maladie , l'instrument est

» toujours à la disposition de la puissance de l'homme; ii y a sub- )) ordination de l'organe au moi recteur de la volonté. »

M. Parise considère ensuite la fonction elle-même de l'appareil encéphalique , et la sphère d'activité depuis l'attention la plus légère jusqu'à l'extase contemplative , véritable simplification de l'âme se- lon Plotin. On lit avec intérêt les détails dans lesquels il entre sur

DES HOMMES LIVKÉS AUX TRAVAUX DE l'eSPRIT. 531

les effets produits par les différens degrés de tension de l'esprit , l'accablement auquel sont sujettes les personnes qui poussent à l'ex- trême la force pensante , et qui finissent par compromettre la santé et amènent les accidens les plus fâcheux ; il fait connaître ensuite les avantages du tempérament avec prépondérance nerveuse, les maladies qui en sont la suite ordinaire, les inconvéniens , et finit cette première partie par des considérations sur ce mot d'Aristote, que la plupart des hommes célèbi'es sont atteints de mélancolie. Il attribue avec juste raison la prédisposition à cette maladie, aux travaux et aux efforts d'esprit qu'ils sont obligés de faire pour par- venir à la célébrité , et surmonter les obstacles qu'ils rencontrent dans le monde de la part des hommes et des choses. Les bornes de cet article ne me permettent pas d'entrer dans de plus amples dé- tails, et me forcent à passer immédiatement à la seconde partie.

DEUX1È3IE PARTIE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.

D'après les principes exposés dans la première partie , on entend bien que l'auteur attribue l'origine des affections pathologiques, si fréquentes chez les hommes qui exercent outre mesure les forces de l'esprit , àtine irritabilité qui ébranle à chaque moment l'écono- mie , à la diminution progressive de la contractibiUté, et à l'inégalité de la distribution des forces vitales ; à ces causes il faut joindre la vie trop se'dentaire , le défaut d'air pur et renouvelé, les veilles pro- longées et répe'te'esjla position dans le travail , la rétention des urines et des matières fécales , les erreurs de régime , la solitude et les habitudes bizarres. Après avoir développé Pinfluence de toutes ces causes, M. Parise examine les organes les plus spécialement affectés par les travaux de l'esprit. Il place au premier rang le cerveau et ses dépendances; plus cet appareil a de supre'matie sur l'e'conomie, plus il entraîne de dangers lorsqu'il est activé outre mesure , et s'il est la source du bonheur pour les hommes qui ne vivent que de la pensée, il est aussi l'origine des maux auxquels ils sont exposés; car l'un des effets de la tension continuelle du cerveau est d'affaiblir les autres organes qui se trouvent le plus sous sa dépendance, en les privant de l'influx nerveux nécessaire à leur action. Aussi le système digestif est-il le premier affecté chez les hommes de cabi- net f ensuite le foie , et après le foie le système urinaire.

37.

532 PHYSIOLOGIE ET HYOlÈWE

L'auteur décrit ensuite les principales maladies des gens de let- tres. D'abord les alTections du cerveau, qui toutes sont rapides, toutes ne sont déterminées qu'à la longue ; il énumère tous les gens d'esprit morts d'apoplexie. « Une petite atteinte de cette maladie » peut s'appeler, suivant Ménage, un brevet de retenue de mort; )> Napoléon, qui la craignait, demandait un jour à Corvisard quel- » ques idées positives sur cette maladie. « Sire , lui repondit le )) médecin, l'apoplexie est toujours dangereuse, mais elle a des 5) symptômes avant-coureurs; il est rare que la nature frappe sans » avertir d avance ; une première attaque est une sommation sans )) frais , la seconde une sommation avec frais , mais la troisième est une prise de corps. » Corvisard lui-même donna une cruelle » preuve de la ve'ritë de son assertion. » Plus l'action vitale est forte dans l'encéphale, plus l'appareil digestif se trouve affaibli, et par suite arrivent l'inflammation du foie et de l'estomac , l'ictère , la gastralgie , les coliques nerveuses , les alTections cancéreuses et la constipation. Suivant l'auteur, les calculs des reins et de la vessie, le catharrhe chronique, sont l'apanage le plus ordinaire de la plu- part des savans, et ces maladies, en maintenant l'économie dans un état habituel d'irritabilité, contribuent à la misanthropie, qui conduit par une pente insensible à l'hypochondrie. La mélancolie se caractérise presque toujours par une idée fixe qui s'empare de l'âme , et cette affection , portée à quelques degre's de plus , et à ce point il y a dissonnance entre les perceptions internes et les rapports extérieurs, dégénère en monomanie. C'est ainsi que Pascal voyait toujours un abîme à ses côtés , et que le Tasse entendait des voix qui lui traduisaient ses propres pense'es. M. Parise traite en- suite de la marche des maladies chez les gens de lettres, et réduit à trois principales les circonstances particulières importantes à con- naître dans leur traitement; les accidens nerveux, l'irre'gu- laritc des symptômes , la rapidité des sympathies. Il passe en- suite aux principes généraux de traitement. Il ne pre'tend pas fournir aux yeux du monde les moyens de se traiter soi-même, son opinion est que toute maladie doit être traite'e par un médecin ; mais il donne des préceptes dont la généralité' s'applique aux affections pa- thologiques des hommes livre's aux travaux de l'esprit , et comme leurs maladies proviennent presque toujours d'une sur-activité du

DES HOMMES LIVRES AUX TRAVAUX DE l'i SPRIT. 533

système nerveux , il pense qu'il faut procéder autant que possible par la méthode sédative, et qu'à cause de la tendance des malades aux agitations nerveuses , il ne faut employer les stimulans qu'avec une -extrême réserve. Il assure avoir guéri des savans par un régime approprié à leur tempérament ; des délabremens d'estomac et de poitrine par le lait donné sous toutes les formes, des affections bi- lieuses par l'usage des fruits et du vin blanc coupé d'eau , bu à pro- fusion, quelquefois même par l'usage soutenu des huîtres; le spleen par le galop toute la journée et le Champagne le soir. 11 recom- mande l'exercice , l'air pur , les bains , et ne veut l'emploi de la saignée qu'avec une extrême circonspection. Cette réserve sur la saignée m'a fort émerveillé, accoutumé que je suis a voir de jeunes praticiens faire un étrange abus de la saignée et des sangsues ; je demandais à l'un d'eux, qui ne manquait ni d'esprit ni d instruc- tion , que feriez-vous , si l'ou ne pouvait se procurer de sangsues? j'abandonnerais la me'dccine , me repondit-il sans hésiter. Peut-on pousser plus loin le fanatisme?

En général « la the'rapeutique morale est pour les gens de let- » très, pour les artistes et les savans, celle qui convient par ex- )) cellence; chez eux, tout part de l'imagination, tout émane de » ce foyer de conflagration ; dirigez bien le conducteur^ et vous » obtiendrez de merveilleux effets. » L'auteur finit cette seconde partie par un dernier chapitre sur les rapports des médecins avec les gens de lettres. Je crois comme lui que, si les médecins étaient assez lie's avec leurs malades pour connaître leurs peines morales, s'ils lisaient dans leurs plus secrètes pensées , ils auraient bien plus de moyens curatifs auprès d'eux. Mais , pour que cet épanchement ait lieu , il faut avoir son médecin pour ami. « Si le hasard , 1 oc- 11 casiou, votre heureuse étoile, vous donnent un médecin non- » seulement habile, mais un ami compatissant , empressé, qui sym-

» pathise avec les souffrances de ceux qui se confient en lui ,

)> confiez-vous sans réserve à ce bienfaisant mortel..., nul ne saura i> mieux calmer vos angoisses du corps et de l'àme, parce que nul » n'en connaît mieux la source, m Oh ! sans doute ce serait un trésor qu'un me'decin pareil, non-seulement pour les savans, mais encore pour toutes les gens du monde; car , parcourez l'échelle so- ciale, et dites-moi si vous trouvez un homme d'un caractère un

534 PHYSIOLOGIE ET HYGIENE

peu élevé, qui n'ait des chagrins plus ou moins cuisans provenant de l'esprit ou du cœur ? Si le physique influe sur le moral , les peines de ce dernier influent à leur tour sur le physique , et sont bien souvent la cause dominante d'un grand nombre de maladies.

TROISIÈME PARTIE. HYGIENE.

J'arrive enfin à la troisième partie. L'auteur blâme d'abord les médecins qui veulent qu'aussitôt que la santé se trouve menacée , on renonce absolument aux travaux de l'intelligence ; ce n'est pas là, dit-il, résoudre la question, mais bien la briser; il ne croit pas que ce conseil soit facile à exécuter par la plupart des malades, et il établit ainsi qu'il suit le problème dont les médecins doivent chercher la solution : « étant doDné un tempérament avec pré- » dominance extrême du système nerveux, et l'individu se livrant » aux travaux de l'esprit, indiquer par quels moyens hygiéniques » ces travaux compromettent le moins possible la vie et la santé.» Il est évident que, comme la solution de ce problème dépend de la mesure des forces et de l'appréciation de la nature des choses sur lesquelles doit s'exercer la puissance organique , elle est très- difficile à obtenir, à cause des obstacles qu'on rencontre dans la volonté des malades; car beaucoup de gens d'esprit et de jugement ne veulent jamais comprendre la nécessité d'agir avec méthode et persévérance; ils attendent que le mal ait fait d'effrayans progrès, et quoique bien supérieurs à la plupart des hommes , ils ressem- blent souvent à des enfans mutinés contre la nature ; quelques autres donnent dans un excès opposé, en soignant leur santé avec une excessive minutie ; mais le plus petit nombre est bien certai- nement ceux qui agissent d'une manière rationnelle. A tous ces obstacles, il faut ajouter la position dans le monde, et si Ion con- sidère des hommes de lettres ou des artistes dans une condition inférieure , on trouve que ces obstacles se multiplient par l'obli- gation de fournir aux besoins de la vie, à l'existence d'une famille, et la nécessité de remplir les devoirs des emplois dont on est chargé. Outre l'impossibilité qui souvent se rencontre de faire ces- ser les travaux de l'esprit , il faut encore considérer l'habitude que certains hommes ont pnsc de lire , penser , méditer ou écrire,

DES HOMMES LIVRES AUX TRAVAUX DE l'eSPRIT. 535

qui souvent a dégénéré chez eux en un irrésistible besoin 5 il se- rait dangereux de les sevrer tout-à-coup de ce qui fait leur bon- heur. « Pe'Uarque , fatigué par d'opiniâtres études , se plaignait » de sa santé devant l'évèque de Cavaillon ; celui-ci en pénétra » facilement les motifs, et lui demanda la clef de son cabinet pour » quelque temps 3 Pétrarque y consentit ; mais le poète , malgré » tous ses efforts , ne put y résister que trois jours : Rendez-moi )) la clef de mon cabinet , dit-il à son ami , ou je tombe mort à » vos pieds. » Après ces considérations, l'auteur trouve le meilleur moyen de vaincre tous ces obstacles dans l'étude du tempérament de chaque malade et dans la connaissance des modifications qu'il a éprouvées ou qu'il peut éprouver encore ; il cite comme l'abrégé de l'hygiène , ce passage de Cicéron : « V^aletudo sustentatur no- » titiâ sui corporis et observatione quœ res aut prodesse soleant

» aut obesse postremo arte eorum quorum ad scientiam hœc

» pertinent (i). » Mais , pour étudier un tempérament , il pose pour règle générale d'examiner l'habitude extérieure, les fonctions de la nutrition , l'action des poumons , l'action circulatoire , les fonctions de relation , les organes en particulier , les maladies , l'hérédité , les habitudes acquises , enfin l'influence du moral sur le physique. Il fait connaître, par des exemples frappans, la puis- sauce d'une bonne méthode d'hygiène. Newton , qui était faible et délicat, vécut jusqu'à 85 ans, exempt d'infirmités, malgré ses hautes facultés et ses immenses études , et il dut cet avantage à un régime simple et sévère. Fontenelle , qui fut homme du monde et homme de lettres , a beaucoup écrit ; doué d'une complexion faible, d'une poitrine délicate, il vécut un .siècle, grâces à sa tem- pérance et à sa sobriété; Auguste, Kant et beaucoup d'autres, ont prolongé leur existence par l'effet d'une vie sobre et bien réglée. M. Parise, dans son chapitre intitulé Philosophie de l'Hygiène , nous fait connaître les agens modificateurs de l'économie , les ré-

(i) La santé se conserve par la connaissance que l'on acquiert de son corps, et l'observation de ce qui a coutume de lui nuire ou de lui être utile.... Ensuite par les soins de ceux qui ont fait tic ces choses l'objet de leur science. De qfjiciis , lib. n , p. 86.

536 PHYSIOLOGIE ET HYGIENE

sultats généraux de leurs actions , et pose les bases fondamentales de l'hygiène dans treize théorèmes qu'il serait trop long do répéter ici; il cherche quelle est l'action de l'atmosphère, du climat, de l'électricité, du régime alimentaire, des bains, des soins de pro- preté, des vêtemens, du sommeil et de la veille, de l'exercice et du repos , des sécrétions et des excrétions , enfin des affections et des passions. Il pose eu principe qu'un climat doux et tempéré, un air pur, un régime sobre et uniforme, sont les premières con- ditions pour se bien porter : << Le calcul en a été fait, un homme » opulent et enclin à la bonne chère prend 4o fois plus d'aliment » qu il n'en a rigoureusement besoin ; il faut donc apaiser la faim , n ne jamais l'irriter , ne jamais confondre l'appétit du palais avec » celui de l'estomac ; enfin , faire un choix d'alimens convenables n à son estomac, n II défend le café, qui tue en caressant; mais, en revanche, il est très-partisan du chocolat; il recommande sur- tout la coutiuence et la chasteté : « Quibus neri^i dolent , semper )) J^enuft iniinica , disait Celse , il y a 1800 ans. Mais ce danger » s'accroît encore lorsque ces mêmes individus se livrent avec ar- )) deur aux travaux de lintelligence , et ce n'est pas sans raison » que les anciens faisaient les muses chastes et sobres ; on doit )) donc les imiter , ou renoncer à leurs faveurs. »

Avec ces soins, un exercice convenable, beaucoup de modéra- tion dans les travaux du cabinet , on peut espérer d'obtenir une santé soutenue , surtout si l'on parvient à ne pas laisser prendre trop d'empire aux affections et aux passions , dont l'influence sur l'économie n'est que trop connue, influence que l'auteur décrit à merveille dans une lettre à un magistrat , insérée à la fia du cha- pitre VII ; je ne puis mempêcher d'en citer ici un passage : « A )) toutes les époques de la science , les physiologistes ont considéré » les passions comme de véritables maladies. Ce point de vue est » fondé sur l'observation; dans toutes les passions, en effet, l'har- » monie des actes vitaux a cessé d'exister ; il y a plus : que la » passion soit le mobile des plus belles actions ou des plus cou- » pables égaremens , elle ne peut avoir Heu sans uue sorte d'alié- » nation temporaire, préjudiciable à l'organisme; car c'est la vio- » Icnce de la passion , et non la direction morale , qui en fait le » danger. Remarquez toutefois qu'il ne s'agit ici que de l'individu ,

DES HOMMES LIVRES AUX TRAVAUX DF l'esPRIT. 537

» et nullement de la socie'té : les passions funestes aux inte'rêts de )) cette dernière , sont une sorte de guerre du moi d'un seul contre » le moi de tous. Toujours est-il que le caractère de la passion » reste le même, une perturbation extrême de l'économie, un trou- » ble fatal à son bien-être , parce qu'il est toujours en dehors du » cercle habituel de ses forces. »

Mais quel est le remède le plus efficace pour les dompter? M. Pa- rise les trouve dans la modification organique , la force morale , enfin la nouvelle direction à imprimer aux ide'es , aux sentimens et aux faculte's de l'intelligence. Pour moi , je pense qu'on les trou- verait mieux dans les sentimens religieux , qui seuls peuvent leur opposer une digue infranchissable.

Après avoir fait connaître la différence d'action des agens mo- dificateurs de l'hygiène en raison des constitutions diverses , l'au- teur examine l'ordre à établir dans le travail mental, sous le rapport hygiénique. L'esprit ayant des phases de hauteur et d'abaissement, il faut laisser jaillir le sentiment et la pensée dans les momens d'exaltation ; mais lorsqu'on n'obtient plus rien de l'imagination , il faut quitter l'étude. Buffon s'enivrait de travail , mais il y re- nonçait lorsqu'il sentait que le sang lui montait trop fortement à la tête. Beaucoup de gens de lettres emploient, pour aviver la pensée , des stimulans physiques tels que le café , le vin , les li- queurs, l'opium même; Turgot ne travaillait bien que lorsqu'il avait dîné largement ; Pitt , lorsqu'il avait une affaire importante à dis- cuter , buvait un peu de vin de Porto avec une cuillerée de quin- quina ; un avocat célèbre de Londres se faisait appliquer un vesi- catoire au bras toutes les fois qu'il avait une affaire intéressante à plaider; tous ces excitans offrent beaucoup plus de danger que les excitans moraux ; mais les uns et les autres occasionnent souvent des accidens par l'excès d'excitation du cerveau, et alors il faut par force avoir recours aux sédatifs. Malheureusement la médecine est peu riche sous ce rapport, au moins pour l'efficacité des moyens; les bains de pied, la promenade à l'air libre , les frictions d'e'thcr sur les tempes , sont ceux qui re'ussissent le mieux , mais le repos est le sédatif moral sur lequel on doit le plus compter.

On a beaucoup écrit sur la solitude ; mais pour qu'elle soit effi- cace pour la santé , il faut , suivant M. Parise , se soucier peu de

538 PHYSIOLOGIE ET HYGîÈXE , ETC.

célébrité , avoir une imagination calme , et jouir d'une certaine aisance: « Heureux le penseur philosophe qui consent à rester dans » l'obscurité, qui ne désire et ne veut, dans le culte des muses , » d'autres charmes que ceux de l'étude et d'un loisir consacré aux » jouissances intellectuelles. Sans illusion , sans regrets , sans mé- )) comptes, il compensera les plaisirs douteux de la gloire par ceux » de la "vie intime. Certes, celui-là peut bien demander au dieu j) de la solitude un droit d'asile, un lieu secret oîx l'on demeure, » l'on vit , oii l'on oublie , oii l'on meurt. Dans cette libre et )) douce possession de soi-même , non-seulement les plaisirs de l'es- » prit sont toujours sans mélange d'amertume , mais la santé ob- » tient toujours toutes les garanties possibles de durée. » Cependant la solitude a aussi des dangers dans l'inaction , ou un travail ex- cessif du cerveau.

Dans un dernier chapitre , l'auteur donne un aperçu des moyens propres à rétablir une constitution épuisée. En général , c'est par l'estomac que commence la détérioration vitale ; les digestions de- venant pénibles et peu actives , le sang s'appauvrit , le malade languit d'abord , et l'épuisement arrive ensuite , ainsi que tous les maux qui s'en suivent. On doit, pour y remédier, chercher avec soin la cause de cet état ; mais pour parvenir à la guérison , il est indispensable de trouver chez le malade les trois conditions sui- vantes : la volonté , le temps et la gradation. Ce n'est qu'en vertu de la loi consensuelle des organes, qu'un plan d'hygiène bien conçu peut rétablir l'harmonie des fonctions , mais cela n'a lieu que len- tement. Autant que possible le régime alimentaire doit être préféré à tout autre médicament ; l'air pur , les voyages , les eaux , les bains de mer , produiront des effets merveilleux , pourvu qu'ils soient accompagnés d'un calme entier du système nerveux.

Tels sont en abrégé les principaux objets traités dans ce livre remarquable. Pour en donner une juste idée, il eût fallu entrer dans beaucoup de détails , et multiplier les citations , ce qui aurait allongé cet article outre mesure ; mais j'espère en avoir assez dit pour engager mes lecteurs à se procurer l'ouvrage , et je leur pro- mets dans sa lecture autant de plaisir que d'instruction. An- nales de Phil. Chrét. , 53.

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539

DES PRINCIPAUX HISTORIENS

DE ROME (l).

« Dans la paix et dans la guerre , les mœars e'taient d'une extrême se've'rite : parlout l'union ; l'avarice inconnue 3 le juste et le bon avaient de la force plus encore par la nature que par les lois. Ils faisaient payer aux ennemis leurs querelles et leurs discordes; mais avec les citoyens les citoyens ne luttaient que de vertus. Ils e'taient magnifiques dans le culte des dieux , e'co- nomes au foyer domestique , fidèles à leurs amis. Par ces qua- lite's et par leur audace ils servaient a la fois leur cause et celle de la re'publique ; la paix naissait de la justice. »

Tel est le tableau que Salluste trace des aïeux de ces Romains corrompus , parmi lesquels s'est e'coule'e sa jeunesse, et dont s'il faut croire les biograpbes , il avait partage' les souillures. Il est curieux de mettre en regard les ligres du même bisto- rien sur ses contemporains.

« Quand ils commencèrent à honorer la ricbesse , quand la gloire, le commandement, le pouvoir la suivirent, on rougit de la vertu , on eut bonté de la pauvreté' , l'innocence fut trai- te'e de factieuse. Avec l'or, la luxure, l'avarice et l'orgueil s'em- parèrent de la jeunesse. !>

Au milieu de tontes ces corruptions , un homme se fit re- marquer par ses de'bauches, ses crimes, et par l'audace de son caractère. Cati'lna domina toutes ces têtes ride'es par le vice, il agita la grande cite' en remuant toutes les basses passions de la populace. Ce fut un factieux digne de poser devant le som- bre peintre dont nous allons examiner l'oeuvre. Sallnste avait e'te' dès vingt ans mêle' aux bommes politiques de son e'poque. Il avait connu Gatilina, Cc'sar , Crassus, Cice'ron , Clodius. Son ambition froisse'e l'avait rejeté' dans la solitude , et , fatigue

(i) liewue Euro/KJciine , iv 38.

540 DES PRIXCIPAUX HISTORIEES

des âpres voluple's de sa première jeunesse , et de toutes les folles intrigues de la politique, il se fit austère , au moins dans ses e'crlts , et raconta ses souvenirs aux hommes.

Il n'y a pas de peintre plus e'nei'gique que Salluste; Tacite est encore plus profond peut-être , mais ses tableaux n'ont pas plus de coloris et de relief. Il affectionne surtout le portrait; au de'but de son livre il esquisse ainsi celui de l'homme qui est la première figure de sa composition.

(( Lucins Catilina , d'une naissance noble , fut doue' d'une grande force d'àme et de corps , mais d'un ge'nie me'cliant et de'prave'. Dès son adolescence ses plaisirs furent la guerre in- testine, les meurtres, les rapines, la discorde civile. Voilà les exercices de sa jeunesse. Son corps supportait à un degré' in- croyable la faim, le froid, les veilles. Esprit audacieux, ruse', mobile, feignant et dissimulant tontes choses, ambitieux de ce qui n'e'talt pas à lui, prodigue du sien , ardent au pLiisir^ assez e'ioquent , quoique peu instruit. Son imagination vaste appelait des choses sans bornes, incroyables, toujours trop hautes. »

Tel e'tait cet homme qui avait rempli la ville du bruit de ses criminelles amours avec une vestale et avec tant d'autres femmes nobles! Voilà ce he'ros qui voulait, disait-il, combattre pour les inte'rêts du peuple ! De nos jours on s'est pris d'une beile passion pour détruire l'histoire. Après avoir doute', quel- quefois avec raison, d'une foule de faits historiques, qui avaient été' crus jusqu'alors sans difficulté', il a fallu leur substituer d'autres faits, ou du moins en changer la nature ou le but. Par exemple , un e'crivain demandait il y a peu de temps quel e'tait le but de la conjuration de Catilijia, qui, disait-il, ne de'plaisait pas à Ce'sar; voudrait-on par hasard ennoblir cette guerre de tous les vices de Rome contre ses vertus ? Le but de la conjuration de Catilina e'tait l'ambition de son chef. Et com- bien compte-t on d'hommes politiques conduits par une autre passion? Elle ne de'plaisait pas à Ce'sar, parce qu'il avait son chemin à faire. Est-il quelqu'un qui doute de l'ambition de Ce'sar ?

« Dans une cite' si grande et si corrompue, Catilina ( et ceci

DE ROME. 541

était très-facile) avait pour gardes-da-corps des bandes d'hom- mes infâmes et charge's de crimes. Car tout impudique ou adul- tère qui avait dissipé son patrimoine dans les mauvais lieux ; livre' aux appe'tits grossiers des de'bauches de tontes sortes , celui qui avait vole l'or d'autrni pour en racheter sa honte et sesforfoits, les parricides, les sacrile'ges, les hommes couverts de condamnations , on les redoutant , ceux que leur main ou leur langue nourrissaient par le parjure ou le sang des citoyens , tous ceux enfin que la honte, le besoin, ou la conscience tour- mentaient , ceux-là e'taient les proches et les familiers de Ca- tilina. »

Il serait en ve'rile' difficile d'assigner un but noble à ces amas d'opprobres. Salluste avait passe' par le tribunat ; chasse' da se'nat sous le pre'texte du retentissement de ses aventures ga- lantes, il avait trente ans environ lorsqu'il entreprit de racon- ter cette conjuration de Catilina , dont il avait connu les prin- cijDaux acteurs. Ami de Ge'sar, comme Thucydide l'avait e'té de Pe'riclès , il avait pu scruter à loisir les passions des hommes politiques. Son temps lui livrait une galerie de rares ce'le'brite's. D'abord, avant tout, Ce'sar , riiomme e'tonnant de son siècle, l'homme le plus complet de l'histoire peut-être, mais sali par des vices honteux ; Caton , extrême en ces vertus qui peuvent conduire au crime; l'avide et millionnaire Crassus; Catilina, tout audace et infamie ; enfin Cicéron , orateur souvent ver- beux sans doute, et qu'il est presque de bon ton de de'crier aujourd'hui , mais qui de'livra Rome de ses ennemis , et res- tera un des esprits les plus e'tendus et les plus subtils de l'an- tiquité'.

Ce re'cit de la conjuration est un chef-d'œuvre. Salluste suit pas à pas toutes les phases de cette dramatique histoire ; il peint chaque homme, sonde les replis de son cœur , de'voile ses pen- se'es , ses ambitions, ses de'sordres. S'il rencontre sur son che- min quelque femme qui ait eu de l'influence sur les affaires de son temps, il esquisse sa vie avec cette liberté' qu'a surpasse'e depuis notre Brantôme. Salluste n'est point un historien à illu- sions, un de ces peintres qui vous jettent dans l'admiration des re'publiques antiques, et faussent ainsi les ide'es de la jeunesse.

542

DES PRINCIPAUX HISTORIENS

Vivant dans une société corrompue, corrompu Ini-mêrae, il fait surtout ressortir de ses tableaux cette ve'rité triste et profonde , que presque toujours les hommes politiques n'agissent que par e'goïsme , couvrant leurs passions cupides des mots retentis- sans de patrie ou de liberté. Cet homme voyait le fond des cho- ses ; il n'admirait pas beaucoup plus le peuple que ses maîtres. Lorsque les conjure's furent vaincus , il peint ainsi l'effet produit dans ia cite' :

<t Cependant la conjuration de'couverte, le peuple, qui d'a- bord s'e'tait montre' amoureux des choses nouvelles , et chaud partisan de la guerre, se prit h exe'crer les desseins de Catilina , et à e'iever Cice'ron au ciel; et, comme s'il e'chappait à la ser- vitude, il se répandait en joies et en plaisirs. »

Je sais un gré infini à Salluste d'avoir enfermé son œuvre en soixante petites pages. Elles contiennent plus de science his- torique , d'expérience des hommes , de pensées fortes, de pein- tures énergiques et habilement dessinées, qu'une ibule d'his- toires en plusieurs volumes, et qui jouissent de l'estime. Ce que j'abhorre surtout, dans les lettres, c'est le bavardage , et, il faut le dire , jamais époque ne s'est plus laissé entraîner que la nôtre à cette misérable manie.

César fit rentrer Salluste dans l'ordre des sénateurs , et lui donna le gouvernement de la Numidie, il amassa d'immen- ses richesses par les injustices les plus criantes. C'est cet homme qui parla avec tant d'indignation contre l'avarice et la cupidité. Salluste revint à Rome , et s'amusa à étonner les Romains par son luxe oriental. Il bâtit sur le mont Quirinal un palais splendide, et l'entoura de magnifiques jardins; Rome entière se rendit long temps sous leurs ombrages , oîi se rencontraient les chefs-d'œuvre de la sculpture grecque. Cependant, au sein de la mollesse et des plaisirs, il était assailli de ses souvenirs d'Afrique : la terre d'Annibal , si étrange à peindre, les vicis- situdes si variées de cette terrible guerre contre Jugnrtha, dans laquelle avaient combattu plusieurs hommes qui occupent une place immense dans les annales de Rome, enfin le loisir qui allonge tant les jours , tout engageait le peintre de Catilina à reprendre la plume.

DE RoaiE. 543

Il commence son livre de Jugurllia par quelques pages phi- losophiques , il se prend a vanter l'âme au préjudice du corps. Cet homme, plonge' dans le délire sensuel, semhle se débarrasser de ses attaches puissantes. Peut-être n'était-ce qu'un de ces amers instans de dégoût qui saisissent l'homme endormi dans les voluptés , qu'une de ces lueurs qui apparaissent aux plus aveugles , pour s'évanouir aussitôt au souffle abrutissant des habitudes grossières. Il appelle l'âme incorruptible, éter- nelle, reine du genre humain. 11 gémit de voir admirer la dé- pravation de ceux qui, livrés aux plaisirs du corps, passent leur vie dans le luxe et la paresse.

La satiété était venue pour Salluste ; non-seulement celle des plaisirs, mais celle de l'ambition et du pouvoir. Il est mécon- tent des hommes et des choses. «Véritablement, dit-il, je ne vois pas que la magistrature et la puissance , que tout soin des choses publiques soient maintenant désirables; car ce n'est pas à la vertu qu'on rend hommage. »

Après ce préambule d'homme désabusé , position excellente pour écrire l'histoire, Salluste entre en matière. Il raconte cette guerre, parce qu'elle fut fière et grande, et parce que com- mença la lutte des plébéiens contre la noblesse. On reconnaît au portrait qu'il nous trace de Jngurtha , au début de son li- vre, les habitudes du peintre de Catilina. Un grand écrivain moderne eût tiré plus de parti des descriptions de l'Afrique et des souffrances des armées dans ses déserts. Les anciens crai- gnaient de consacrer trop de pages à ces peintures, ils étaient sobres de mots. Convenons que presque toujours ils faisaient bien ; cependant nous devons de si belles choses aux modernes en ce genre , qu'il y aurait de l'ingratitude à ne les en pas remercier. Il ne faut se fâcher que contre les imitateurs sans génie.

En voyant les hommes de Rome sur cette terre d'Afrique, on ne peut se garder de songer aux tristes destinées de cette partie du monde que la civilisation a tant de peine à atteindre. Il semble que les grandes époques et les grandes nations aient senti quil y avait quelque chose à tenter sur ce sol, que Dieu n'avait pas créé ce continent immense pour servir de demeure

544 DES PRINCIPAUX HISTORIENS

aax lions et aux tigres. Aussi avons-nous va flans le monde antiqaç, comme dans le monde chre'tien, les esprits e'Jeve's chercher à civiliser ces re'gions terribles; noble tâche que Dieu re'serve peut être à la France du dix-neuvième siècle. L'Afrique e'tait pour Rome une sorte de cliamp clos elle envoyait la foule d'hommes qui la gênait dans son sein. La allaient se for- mer les capitaines qui revenaient saisir le pouvoir, appuje's sur les noms acquis parmi les Barbares.

Nous nous inte'ressons beaucoup plus à la première compo- sition de Salluste qu'à la seconde. Les diverses phases de la guerre de Jugurtha , cette victoire qui vole si souvent d'un camp à l'autre, occupent trop de place dans ce re'cit, très-cu- rieux toutefois par la pre'cision avec laquelle il rend compte de la manière de combattre des Romains et des Barbares; Ju- gurtha n'est pas moins qu'Annibal un type de la ruse africaine. L'historien, d'ailleurs, n'est pas toujours en Afrique; il revient souvent au Forum pour initier le lecteur aux affaires intestines de Rome pendant que ses le'gions se battent au-delà de la Me'- diterrane'e. Un des passages les plus remarquables est celui ou Salluste peint le départ de Mari us pour l'Afrique. .Sa harangue au peuple est d'une e'nergie rare; on sent que l'historien y a jeté' toutes ses passions de'mocratiques , on dirait avec plus de raison ses passions de haine contre la noblesse; car, si jai bien juge' Salluste, il n'aimait guère le peuple, et de'testait l'aristo- cratie. Croit-on que ce Marins, ple'béien lui-même, aimât ce peuple que sa parole e'iectrisait, et qui avait la bonté d'avoir foi en lui? Chaque cadavre de plébéien, tombé dans le com- bat, était un degré qui l'élevait vei'S le pouvoir; il ne prisait pas autrement un homme. Voici quelques paroles mises par Salluste dans la bouche hypocrite de l'ambitieux au moment il va quitter Rome :

« Mes phrases ne sont pas arrangées ; je parle peu. La vertu se montre assez elle-même : ceux-là ont besoin d'artifices, qui couvrent par leurs discours l'opprobre de leur vie. Je n'ai pas e'tudié les lettres grecques, je les aime peu ; car elles n'ont pas conduit les savans à la vertu. Mais je suis savant dans tout ce qui peut être utile à la république : frapper les ennemis , veil-

DE ROME. 545

1er snr vos villes, ne rien craindre qae la honte, supporter également l'e'te' et l'hiver, dormir sur la terre, unir la misère

et le travail Votre noblesse me'prise vos ancêtres, parce

qu'elle n'a pas leurs mœurs ; elle nous me'prise parce que nous cherchons à marcher sur leurs traces. Elle vous demande tous les honneurs , non parce qu'elle les me'rite , mais parce qu'ils lui sont dus. Au reste , les plus orgueilleux errent au loin ; leurs aïeux leur ont laisse' tout ce qui e'tait en leur pouvoir : de l'or , des portraits, un grand nom ; mais leur vertu, ils ne le pou- vaient pas. Celle-là seule ne se donne pas. Ils disent que je suis commun, et de mœurs incultes, parce que je ne m'entends point à orner un rej^as; que je n'entretiens pas d'histrions, et que mon cuisinier ne vaut pas mieux que celui d'un paysan. J'aime à vous dire ces choses , Romains ! car j'ai appris de mon père, et d'autres hommes ve'ne'rahles , que les frivohle's conve- naient aux femmes et le travail aux hoinmes, et qu'aux gens de bien la gloire importe plus que les richesses.... Eh bien! qu'ils passent leur vieillesse , comme leur adolescence , livre's à l'impudicite' et à la gourmandise; qu'ils laissent la sueur, la poussière , et toutes les fatigues , à ceux qui les pre'fèrent à l'orgie. Mais ils ne se bornent pas là; car lorsque ces hommes ignobles se sont fait une couronne de leur turpitude , ils vous arrachent le prix h l'honneur.... »

Du jour un homme put prononcer un tel di.scours devant les Romains asserable's , la cause patricienne fut perdue , et l'on marcha rapidement à ce de'plorable e'tat de choses que nous verrons sous l'empire, le chef e'tait nomme' par une multi- tude passionne'e et aveugle, situation tellement de'gradante pour la reine du monde, que Montesquieu la comparait à la re'gence d'Alger.

Marins, après des chances diverses, termina la guerre afri- caine contre Jugurtha. Nous voyons paraître , à la fin du re'cit de Salluste , un jeune homme qui , à peine arrive' au camp de Marins, « de rude et ignorant de la guerre qu'il e'tait, devint en peu de temps le plus habile de tous ; » ce jeune homme est Sylla , celui qui doit relever pour un temps le pouvoir aristo- T. X. 38

546 DES PRIirClPAUX HISTORIENS

cratique. Il amena Jagurtha enchaîne à Marius. Le Jour n'était pas éloigne' ce jeune homme devait chasser de Rome son géne'ral vaincu , j'ai presque dit de'trône'. Horrible temps ,que celui les plus forts d'entre les Romains n'agissaient que pour se de'truire ; l'hypocrisie et l'e'goïsme tenaient lieu de ver- tus. C'e'tait la fin d'une puissance inouïe dans l'histoire, c'e'tail nn monde qui croulait 5 l'humanité' était en travail , elle allait s'e'panonir hien autrement belle et florissante; mais n'antici- pons pas.

On dit que Salluste avait, dans toute la maturité' de son ge'nie, e'crit un autre livre. « Il reprenait les choses, dit M. Ler- minier, depuis le commencement des inimitie's entre Marins et Sylla à leur retour d'Afrique; il avait à raconter les luttes terribles de ces deux hommes, les Gaulois, Mithridate , l'Asie, les fortunes diverses du parti aristocratique et de'mocratique, la mort de Marius , l'abdication de Sylla , la jeunesse de Pora- pe'e , l'e'poque de ses prospe'rités, jusqu'à ce qu il rencontra Ca- tilina, dont il avait e'crit l'histoire. »

Quelle perle, quand on soDge an sujet et à l'historien? On n'a retrouve' que quelques courts fragmens de cet ouvrage.

Salluste fut certainement le créateur de l'histoire à Rome. Son style est admirable par sa concision et sa profondeur au- tant que par le pittoresque de sa phrase. Comme moraliste , il semble qu'il ait voulu racheter les scandaleux de'sordres de sa vie prive'e par l'auste'rité de sa parole et le me'pris qu'il jette à pleines mains sur la débauche et le'goïsme. Salluste fut admirablement place' pour e'crire l'histoire : recevant les con- fidences de Ce'sar, comme Thucydide, son modèle naturel, recevait celles de Pe'riclès.

On sait très-peu de choses sur la vie de Tite-Live , qui suc- ce'da à Salluste comme historien de Rome. Il naquit à Padoue, d'une ancienne famille , sous le consulat de Pison et dp Gabinins , l'an de Rome 695. On ignore s'il fut ou non mêle' aux e've'ne- mens politiques. Tout j)orte à croire cependant qu'il vécut e'ioigne des affaires dans l'e'tude des lettres, e'crivant l'histoire sur les mate'riaux qu'il se procurait avec un infatigable zèle. Son Histoire romaine comprend depuis la fondation de Rome

DE ROME. 547

jusqu'à l'an 'ji^3. On rappox'te qu'il était admis dans le cercle intime d'Auguste, et qu'il lisait son histoire au tjran. On peut douter de cette assertion en voyant les éloges qu'il fait de Brutus et de Cassios , en songeant à son enthousiasme pour Pompe'e. Toutefois il est possible que l'ombrageux dominateur de Rome se soit montre' indulgent pour l'illustre historien, et il v aurait de la te'me'ritë à nier ce fait rapporte' par ses biographes. Peu d'annales sont e'crites avec le talent qui distingue celles de Tite-Live. Il joint à une remarquable e'ie'gance une clarté d'ex- pression bien rare. Ses descriptions sont pittoresques , ses ha- rangues e'Ioquentes. Il classe les faits avec beaucoup d'habileté'; c'est enfin un narrateur parfait, un homme de lettres juste- ment illustre; mais, outre que ce genre d'histoire est peu ana- lysable , il n'a pas une individualité' assez saillante pour qu'il entre dans le plan de ces pages de nous y arrêter plus long- temps. Nous ne ferons aussi que rappeler en passant l'historien d'Alexandre, Quinte Curce, maigre' le charm'^ de son style et rinte'rêt de son livre qui pourrait bien n'êt: 'une sorte de

roman historique. Nous estimons surtout en histoire les œuvres conçues au milieu des tourmentes politiques par des hommes ëclaire's à leurs sanglantes lueurs. Rien ne grandit plus un homme que le contact des sommite's de son siècle ; c'est ce qui donne tant de prix aux me'moires du plus grand capitaine de Rome, si célèbres sous le titre de Commentaires de César.

La première partie des Commentaires est pour nous une œuvre nationale , et sans contredit le monument le plus pré- cieux que l'on possède sur la vie et les mœurs de nos aïeux. Il est permis sans doute de voir dans le soin qu'a mis César à l'examen des Gaules et de l'Angleterre, une sorte de prévision sur les hautes destinées réservées à ces deux grandes nations dans l'histoire de l'humanité. Plus on examine les observations du conquérant , plus on est convaincu de leus profondeur. A voir cet homme pâle et amaigri parles veilles et les débauches, partir pour les Gaules afin d'agrandir une renommée encore trop peu vaste pour essayer la souveraine puissance , on ne peut oublier que dix-huit siècles plus tard un jeune homme, pâle et usé, mais seulement par la pensée et l'étude, entraînait

38.

548 DES PRITTCIPAUX HISTORIETTS

ces mêmes Gaulois en Egypte clans le ])ut aussi d'étonner les hommes, afin de leur imposer un jour sa volontc pour loi. Et ce rapprochement saisit l'âme, et donne encore un attrait de plus au re'cit de Ce'sar.

Il peint les Gaulois comme de grands nmateurs de tontes nou- veaute's, prenant facilement les armes; lenr imagination est mobile et le'gère. Toutefois il a remarque' en eux un côté pro- fonde'ment tragique, une grande v(^ne'ration pour les sacrifices humains qu'ils pratiquent volontiers. Ils aiment à se dire des- cendus de Pluton , et à cause de cette origine lugubre ils comp- tent par nuits au lieu de compter par jours.

Qui ne reconnaîtrait dans ce tableau les traits saillans de notre physionomie moderne? Nous sommes encore aujourd'hui le jouet de notre passion pour la nouveauté' , et à côté de mille exemples de légèreté nous avons donné de trop sanglantes preu- ves de notre caractère sombre dans les horribles hécatombes de nos révolutions.

Jamais guerre ne fut plus acharnée ni plus afFrevise que celle de César dans les Gaules. Son récit donne une haute idée de ce que peut la constance humaine. Nos aïeux ont montré dans leur défense l'acharnement des Espagnols de nos jours contre les soldats de Napoléon. Il faut lire ces descriptions de sièges Gaulois et Romains , également affamés par la dévastation du pays, se traînent au combat , exaltés par les hurlemens des femmes gauloises échevelées. Tous ces récits sont simples; et quoique César se fiit exercé à l'éloquence, on voit que son plus grand effort tendait à ne pas mettre dans une phrase un mot qui ne fût pas de toute nécessité. C'est un homme qui examine un peuple sous tous ses aspects, et dit ce qu'il a vu. Il y a en lui une sorte de dédain pour les ornemens de l'artiste , et il les évite avec sollicitude. La géographie l'occupe beaucoup; il décrit les villes, trace les cours des fleuves et la position des montagnes. La religion, les mœurs, les coutumes, la manière de combattre , offrent à son esprit investigateur une vaste car- rière. Quand un peuple a posé devant un tel peintre, il appa- raît à la postérité dans toutes les nuances de sa vie publique et intime. Je le répète, César a senti qu'il ne foulait pas un

DE ROME. 549

sol qui dût continuer à produire des peuples barbares ; il a senti que ces passions e'nergiques, que cette exaltation dame, celte finesse de tact, cette bravoure incroyable qui caractéri- saient les Gaulois, e'taient des germes fe'conds de fortes ge'ne'- rations à venir, et il les a observe'es avec pre'dilection. C'est un spectacle saisissant que cet homme, le plus e'tonnant peut- être du vieux monde romain : a l'instant ce monde va mou- rir, e'piant le premier cri d'une nation qui doit marcher en tête des destip.e'es nouvelles de Ihumanite'.

Les courts me'nioires que Ce'sar a laisse's sur la guerre ci- vile sont surtout remarquables sous le rapport militaire. Je ne sais si la conquête est plus légitime que la guerre civile, mais celle-ci a quelque chose de plus odieux encore , et l'on peut à peine se garder d'un mouvement de haine en voyant Pom- pée et César faire couler le sang humain pour une passion aveugle , et petite après tout : celle du pouvoir. Tant et de si belles facultés dépensées ainsi nous font jeter sur l'humanité un regard dédaigneux , en nous dépouillant d'une foule d'il- lusions nées de l'optique , à travers laquelle on nous a montre le monde dans notre enfance.

Rome , après avoir dévoré toutes les nations , en était ré- duite à se dévorer elle-même; c'est pour le philosophe un cu- rieux et dramatique spectacle que toute celte décomposition du vieux monde. Dieu semble avoir placé Tacite sur la lisière du monde nouveau pour donner à l'avenir ces graves leçons que malheureusement les peuples n'entendent pas. On n'est pas certain du lieu qui vit naître Tacite , ni de quelle famille il sortit. On sait seulement qu'il passa par les charges publiques , qu'il fut questeur sous Vesj)asien , et qu'il épousa la fille d'A- gricola. Son début dans les lettres fut, à ce qu'il paraît, la vie de son beau-père. Agricola donne à l'écrivain l'occasion de dessiner la physionomie de la Grande-Bretagne; il semble vou- loir reprendre en sous-œuvre la tache de César. Les Bretons sont, en effet, le sujet principal de ses pages. Il peint à grands traits, mais avec une rare intelligence, tout ce qui constitue la vie d'un peuple. Ce i]ui me fait le plus admirer les histo- riens de Rome, surtout Sallusle et Tacite, c'est la brièveté

550 DES PRINCIPAUX HISTORIENS

de lears œuvres. Chaque mot est une pensée. La mort d'A-

grlcola inspire à l'e'crivain des pages d'une noble éloquence. Quant à la fin de ce morceau, que j'ai entendu vanter si sou- vent avec tant d'emphase, c'est beau, sans doute; mais ce pres- sentiment de l'immortalité de l'âme n'a rien de bien admirable cliez un homme qui avait lu Platon , et j'en veux un peu à Tacite d avoir pre'senté en cette occasion cette croyance pres- que comme un doute. L'antiquité' est pleine de fragmens tout aussi beaux sur cette grande verilë, et l'on n'en parle guère.

Ce qui me confirme encore plus dans l'ide'e que Cësar et Tacite ont pressenti la grandeur future des peuples, c'est que, les Gaulois et les Anglais explores, la race germaine a préoc- cupe' l'esprit de Tacite. Son livre, ou plutôt sou chapitre sur la Germanie, « cette terre sans beauté, dont le ciel est rude et l^ aspect triste, » est un des plus substantiels que je connaisse dans aucune langue. Est-ce une simple fantaisie d artiste , une impression de voyage, ou, comme on l'a dit, Tacite avait-il re'solu de faire rougir les Romains de son temps en leur mon- trant les mœurs se'vères de la Germanie ? je n'en sais rien. Quoi qu'il en soit , jamais plus frappant contraste ne s'e'tait présenté dans l histoire ; et les hommes qui reculaient les bor- nes de la débauche , et voyaient tranquillement des milliers de gladiateurs nus se déchirer dans le Cirque , devaient s'é- tonner au moins au récit de ces coutumes germaines si simples et si austères.

Tacite se préparait ainsi aux grands travaux qu'il méditait sur son histoire nationale. Un tel homme ne recherchait pas le pouvoir pour le pouvoir 5 ses vues étaient plus hautes. Il s'était mêlé aux hommes de son temps si fertile en grands criminels, et aussi en vertus sublimes, mais isolées, pour les étudier et les peindre. Il entreprit de raconter l'histoire ro- maine depuis la mort de Néron jusqu'à celle de Domitien. Il nous reste, des histoires , les quatre premiers livres et le com- mencement du cinquième. Leur début est dune magnificence que Bossuet seul a égalée en notre langue.

« J'aborde une époque féconde en catastrophes, ensanglan-

DE ROME. 551

te'e de combats, décliirëe par les séditions, cruelle même du- rant la paix : quatre princes tombant sous le fer j trois guerres civiles, beaucoup d'e'trangères , et souvent des guerres e'tran- gères et civiles tout enseuible; des succès en Orient, des revers en Occident; 1 lUyrie ayile'e ; les Gaules chancelantes; la Bre- tagne entièrement conquise , et bientôt de'laisse'e ; les popula- tions des Sarmates et des Suèves leve'es contre nous: le Dace illustre par ses de'failes et les nôtres; le Parthe lui-même prêt à courir aux armes pour un fantôme de Ne'ron ; et en Italie , des calamile's nouvelles ou renouvele'es après une longue suite de siècles; des villes abîme'es ou ensevelies sous leurs ruines, dans la partie la plus riche de la Campanie ; Rome désolée par le feu , voyant consumer ses temples les plus antiques ; le Capilole même brûlé par la main des citoyens ; les céré- monies saintes profanées; l'adultère dans les grandes familles; la mer couverte de bannis ; les rochers souillés de meurtres j des cruautés plus atroces dans Rome : noblesse , honneurs, opulence, refusés ou reçus, comptés pour autant de crimes ; et la vertu devenue le plus irrémissible de tous; les délateurs, dont le salaire ne révoltait pas moins que les forfaits , se par- tageant, comme un bufin , sacerdoces et consulats, régissant les provinces, régnant au palais, menant tout au gré de leur caprice ; la haine ou la terreur armant les esclaves contre les maîtres, les affranchis contre leurs patrons ; enfin, ceux à qui manquait un ennemi , accablés par leurs amis.

M Ce siècle toutefois ne fut pas si stérile en vertus qu'on n'en vît briller aussi quelques beaux exemples. Des mères ac- compagnèrent la fuite de leurs enfans ; des femmes suivirent leurs maris en exil ; on vit des parens intrépides, des gendres courageux, des esclaves d'une fidélité invincible aux tortures, des tètes illustres soumises à la dernière des épreuves, cette épreuve même supportée sans faiblesse , et des trépas compa- rables aux plus belles morts de l'antiquité. A ce concours inoui d'évéîiemens humains se joignirent des prodiges dans le ciel et sur la terre, et les voix prophétiques de la foudre et mille signes de l'avenir , heureux ou sinistres , certains on équivoques. Non , jamais plus horribles calamités du peuple

552 DES PRINCIPAUX HISTORIENS

romain, ni pins justes arrêts de la puissance divine, ne proa- vèrent au monde que si les dieux ne veillent pas à notre se'- curite', ils prennent soin de notre vengeance. »

( Tracl. de J. L. Burnouf. )

Les livres qui nous restent d'un travail qui s'annonçait ainsi, offrent tous des beaute's dignes de ce morceau. Nous avons surtout remarque' dans le premier la chute et la mort de Galba j dans le second , Vitellius visitant le champ de bataille de Bé- driac; dans le troisième, la bataille et le sac de Cre'mone ; dans le quatrième, le discours de Vocula; enfin, dans ce que nous avons du cinquième , le siège de Je'rusalem.

Les Annales sont ce que Tacite nous a le'gué de plus grand; elles contiennent les cinquante anne'es qui se sont e'coule'es entre la mort d'Auguste et celle de Ne'ron. Nous avons perdu une partie de ce chef-d'œuvre. Quelques indications donneront une ide'e de l'intérêt dramatique de ce qui nous reste : Germanicus , ses combats en Germanie. Le champ de ba- taille de Varus , et les honneurs funèbres rendus aux de'bris de ses infortune'es le'gions. La mort de Germanicus, et l'im- mense douleur de Rome. Agrippine. La guerre contre les Thraces. Tibère. Messaline , et ses de'sordres inouis. Claude et Ne'ron. La mort d'Agrippine. Les horreurs du règne de son fils, qui remplissent presque trois livres entiers.

Je n'ose pas citer la peinture que fait Tacite des orgies de Ne'ron , et de ses noces infâmes. Tout le monde connaît ses chants durant l'incendie de Rome. Il est curieux de noter ici comment l'historien parie des chre'tiens à celte occasion.

« Ne'ron , pour faire tomber ces bruits , livra comme cou- pables , et accabla des peines les plus terribles , des hommes haïs pour leurs infamies, et que le peuple appelait chre'tiens. Ils tiraient leur nom de Christ , mis à mort, sous Tibère, par le gouverneur Ponce-Pilate. Leur funeste superstition , refre'- nee d'abord , se re'pandait de nouveau , non-seulement dans la Jude'e, ce mal prit naissance, mais même dans la ville, afflue et est ce'le'bre' tout ce qui est atroce et honteux. On saisit donc d'abord tout ce qui s'avoua chre'tien , puis une

DE ROME. 553

immense maltitade ; ces hommes furent conTaincus moins du crime d'incendie que de la haine du genre humain, et l'on se fit on jeu de leur mort. On couvrit les uns de peaux de bêtes, pour les faire de'chirer par des«hiens; d'autres furent crucifie's, d'antres jete's dans les flammes, et, dès que la nuit e'tait venue, on s'en servait comme de torches nocturnes. Né- ron avait offert ses jardins pour ce spectacle, et il donnait ces jeux dans le Cirque , mêie' au peuple sous le costume d'un cocher, ou conduisant lui-même un char. C'est ce qui fit naî- tre la pitié; car, quoique ces hommes fassent coupables, ils moururent plutôt par la cruauté d'un homme que pour le bien public. » ( Annales XV . )

Que Néron ait livré les chrétiens aux bêtes, c'est dans l'or- dre , et le contraire étonnerait ; mais que Tacite , le plus éclairé et le plus moral des historiens romains, représente les martyrs comme des criminels, on ne peut alors se garder d'un sentiment de douleur, d'un retour amer sur le néant du génie humain. La société païenne avait comblé la mesure des cri- mes ; elle était tombée à ce point de bassesse ou les nations ne peuvent plus vivre, parce qu'il n'y a de vie pour elles que dans une idée élevée et pure. Dans le monde du paganisme , ce qu'il y a eu incontestablement de plus élevé est la pensée de Platon , ce spiritualisme épuré au-delà duquel était la re- ligion du Christ. Voyez ce que les païens avaient fait des lois morales du grand homme. Cicéron avait eu beau les revêtir de la langue romaine , elles étaient foulées aux pieds , et le cynisme le plus dégoûtant , le matérialisme le plus abject avaient remplacé le culte de Dieu et de l'âme. Cependant, au milieu de cette corruption infecte, des hommes purs et su- blimes, héritiers de la parole de Dieu, préparaient l'avenir de l'univers en mourant pour lui , et réhabilitaient l'humanité par leurs supplices; c'étaient les criminels infâmes de Tacite! C'est ici qu'il faut s'étonner de l'ascendant des préjugés con- teinporains sur les esprits le plus fortement trempés, c'est ici^ encore une fois , qu'on peut se convaincre du néant du génie humain. Il aurait manqué quelque chose à la glorieuse humi- liation des héros du christianisme , s'ils n'avaient été traités

554 DES PRINCIPAUX HISTORIENS

ainsi par la plume la plus éloquente et la plus pare de Rome agonisante.

On a tellement e'puisé, à l'e'gard de Tacite , toutes les for- mules de l'adulation , qu'on ne sait plus comment le louer. C'est qu'en effet jamais peintre n'a e'te' plus admirable, jamais philosophe plus profond. Il pre'sente le monde exte'rieur avec des couleurs inimitables, et e'claire en même temps avec un flambeau magique les plus myste'rieux abîmes de l'âme. Il est tellement artiste , qu'un auteur e'crivait dernièrement : L'art fui le dieu de Tacite. Puis il insinuait que ce besoin de pein- dre avait e'té toute la passion de ce grand homme. Il nous semble qu'au-dessus de cette passion il y avait dans Tacite une ide'e morale très-haute , à laquelle il rapportait tout , et du haut de laquelle il jugeait les actions humaines. C'est ce qui imprime à son œuvre un caractère de grandeur ineffaça- ble, et lui assure une vie immortelle. On ne nous persuadera jamais que Tacite aimait le style pour lui-même, qu'il enten- dait l'art comme on a pre'tendu l'entendre dernièrement, isolé de toute mission sociale ; l'esprit vivifiant circule trop dans ses livres, il y a en lui trop d'indignation contre le crime, trop d'amour du beau et du vrai. <( De meilleurs temps re- vinrent , dit Fre'de'ric Schlegel , et un Romain anime' de toute la noblesse et de toute la grandeur des sentimens antiques , devait encore une fois gouverner le monde civilise', assis sur le trône d'Auguste. De même que Trajan est le dernier parmi les Ce'sars qui ait eu des sentimens romains , et qui se soit montré grand par ses pensées et par ses actions ; de même Tacite, dont on peut faire un élojj;e semblable , termine peu de temps avant lui la série des grands écrivains que Rome a produits. Il avait grandi sous Vespasien et Titus, les premiers Césars qui après Néron gouvernèrent avec douceur. Sous Do- mitien il avait appris à observer et à se taire , et sous Nerva il vécut dans l'attente des temps glorieux dont Rome devait encore une fois jouir sous Trajau.

« La profondeur de son génie, et son talent d'expression si merveilleusement convenable à l'énergie de sa pensée, parais- sent toujours plus inimitables à mesure que l'on voit plus

DE BOME. 555

d'aateurs faire d'inutiles efforts ponr l'imiter. On peat encore l'appeler parfait sous le rapport de l'expression , quoique de'jà a cette e'poque la langue ne fût plus la même , et ne pût plus être celle du grand Ce'sar ou de Tite Live. Selon moi , la lan- gue latine se pre'sente chez ces trois e'crivains dans toute sa pureté' et dans toute sa perfection. Dans Ce'sar, elle a le ca- chet de la grandeur et en même temps de la simplicité' ; dans Tite-Live , elle hrille de tout l'e'clat et de tous les ornemens d'un perfectionnement oratoire , mais sans exage'ration d'aa- cune espèce; dans Tacite, elle a une profondeur, une e'nergie et un art qui respirent la dignité' de la Rome d'autrefois (i). » Aux e'poques de re'ge'ne'ration , lorsqu'une civilisation nou- velle doit surgir , et que l'ancienne va se de'composant dans toutes ses parties, une immense tristesse saisit l'âme des ve'- ritahles grands hommes, de ceux qui sentent de vives et pro- fondes sympathies pour Ihumanite' ; et si, l'œil fixe' sur le passe', ils ne pressentent pas les destine'es futures, oh! alors, ils tomhent dans un de'sespoir morne , et jettent un ge'misse- ment luguhre; puis leur voix devient majestueuse, elle rap- pelle les hautes ide'es morales, la lumière des peuples qui se traînent aujourd'hui dans les agonies de la de'bauche et de l'incroyance. Tel fut Tacite. Il n'est pas corrompu comme Sal- luste, qui s'e'tonrdissait dans les festins et les orgies; ce n'est pas non plus une nature calme comme celle de Tite-Live, qui semble ne voir dans les e've'nemens qu'un beau sujet de livre; il ne songe pas comme Ce'sar à exploiter à son profit les fai- blesses et les crimes des hommes ; c'est une âme se'rieuse et morale , c'est un prêtre du beau , gardien austère de l'ide'e e'ieve'e de Platon , au milieu des ruines sanglantes de cet im- mense pouvoir de Rome , qui pesa sur l'univers. Seulement Tacite n'avait nul pressentiment de la civilisation chre'tienne ; il nous l'a assez prouvé par les e'tranges lignes que nous ve- nons de lire. Il appartenait tout entier au vieux monde ro- main : de Ik les me'lancolies profondes de son âme , et la so-

(i) Histoire de la Littérature ancienne et moderne.

556

DOCTRINE DE MARGION

lennelle douleur de sa parole. C'était, en effet, un magnifique et terrible spectacle que cette mort de Rome , de cette nation qui porta dans l'univers les ide'es grecques sur les ailes de ses aigles, et fit du genre humain un' seul peuple, pour qu'il pût entendre mieux la parole de celui qui datait venir. Rome , comme toujours , ministre aveugle des vues providentielles ( car les socie'le's n'ont guère la conscience de leur œuvre ) Rome, dont aucun peuple n'a jamais e'gale' la puissance, Dieu ne pouvait créer un plus digne pontife pour l'ensevelir!

Amédée Duquesnel.

DOCTRINE DE MARCION SUR I.A RÉDEMPTION.

La littérature des Arméniens a cela de particulier , qu'elle est un fruit du christianisme chez cette nation , la première qui se soit soumise à l'Evangile. L'intérêt de cette littérature est surtout historique et théologique : on y trouve une foule de documens neufs et intéressans, soit sur l'histoire des pre- miers siècles de l'Eglise , soit sur les religions orientales dont les hérésies gnostiques et manichéennes étaient une émana- tion. Nous empruntons à un article des Annales bavaroises , sur \ Histoire ecclésiastique de l'abbé Dœllinger, un fragment très-curieux Eznik , écrivain arménien du cinquième siècle, expose d'une manière très-curieuse la doctrine de Marcion. Selon cet hérésiarque , il y a trois cieux : dans le premier ( quelquefois aussi dans le troisième ) , habite Vautre Dieu , le Dieu étranger (i); le second est le siège du Dieu de la loi ; dans le troisième régnent ses puissances ou ses armées. Dans la terre est Hylé (la matière, la force terrestre). Elle est tou-

(i) Eznik se sert fréquemment de cette expression; elle est originai- rement de Marcion ( voy. Jdst. , Jpolog. 1 , 26). tAu^yciava, ^i rivu IIovriKov uXXov rtvcc vofti^nv /^ii^ovot tou ^tjftiouD'/oo êîov ; ailleurs il l'appelle Iéxoî , le mot arménien odar a ces tleux sens à la fois.

SUR LA RÉDEMPTION. 557

jours considérée abstraclivement dans l'exposition d'Eznik : ses fils sont mentionnes une fois, de manière à ce qne l'ide'e d'Hyle' semble être la même que celle de Satan : il est dit aussi d'elle, qu^elle a ce'de' la terre au Démiurge , pour qu'il en formât l'homme. Après la cre'ation de l'homme , le Dé- miurge vent l'arracher tout à fait à Hylé ; il se montre à lui, et lui ordonne de ne point adorer d'autre Dieu que lui ; au- trement il mourra de mort. L'homme , effraye' , se détache d'Hyle'; celle-ci voit le tour que lui a joue' le Démiurge, et, pour se venger , elle forme des idoles , et les fait adorer aux hommes se'duits par elle. Le Démiurge entre en colère , et condamne les hommes à l'enfer, tous sont pre'cipite's jus- qu'au vingt- neuvième siècle. (Il est difficile de comprendre ce que Marcion a entendu par , le nombre des anne'es du monde jusqu'à l'ère chrétienne e'tant , suivant le plus faible calcul, au moins de 3483). Ensuite vient la doctrine de la Re'demplion , qui par sa singularité mérite d'être donnée tex- tuellement : it Lorsque l'autre Dieu , le Dieu bon qui habite dans le troisième ciel , vit l'humanité ainsi tourmentée entre deux trompeurs, le seigneur des créatures et Hylé , il ressen- tit de la pitié pour ceux qui étaient condamnés au feu. Il envoya son fils pour les sauver, et celui-ci prit une forme hu- maine semblable à celle des fils du Dieu de la loi. « Guéris » leurs lépreux , lui dit son père , ressuscite leurs morts , » rends la vue à leurs aveugles , fais parmi eux de grandes » merveilles de salut jusqu'à ce que le seigneur des créatures » te voie, soit jaloux de toi et t'attache à la croix. Et, après » la mort , tu descendras dans le monde inférieur , et tu dé- » livreras ceux qui y sont. Le monde inférieur n'est pas ac- » coutume à recevoir la vie en lui, et c'est pourquoi tu dois » être crucifié et devenir semblable à un mort, pour que la )) bouche du monde inférieur s'ouvre pour te recevoir, pour 1) que tu puisses y entrer et le rendre vide. » Et , après qu'on l'eut crucifié, il descendit aux enfers , les rendit vides ; et, délivrant les âmes qui y étaient, il les conduisit vers son père dans le troisième ciel. Le seigneur des créatures se courrouça; il déchira dans sa colère ses vêtemens et le voile de son tera-

558 DOCTRINE DE MARCION SUR LA REDEMPTION.

pie ; il obscurcit son soleil ; il revêtit son monde de tristesse , et se mit à se lamenter. Jésus vint pour la deuxième fois au seigneur des cre'atures dans la forme de sa divinité', et lui de- manda compte de sa mort. Lorsque le seigneur du monde vit la divinité' de Je'sus , il reconnut qu'il y avait un autre Dieu que lui. Et Je'sus lui dit : « Il y a un procès entre toi et moi, )) et personne ne doit en être juge que tes propres lois, e'cri- n tes par toi. » Les lois furent repre'sente'es devant eux , et Jésus lui dit : « N'as-tu pas e'crit dans cette loi : Que celui » qui a tué doit mourir , que celui qui a verse' le sang du » juste doit verser son sang à son tour? » El il re'pondit : « Je » l'ai e'crit. » Je'sus lui dit : « Livre-toi donc entre mes mains, " que je te tue ! et que je verse ton sang comme tu m''as tué » et comme tu as verse' mon sang! car je suis plus juste que » toi , et j'ai re'pandu de grands bienfaits sur tes cre'atures. » Et il commença à lui e'nume'rer ses bienfaits envers les cre'a- tures. Mais , quand le seigneur des cre'atures se vit vaincu , il ne sut que dire , parce qu'il e'tait condamné par sa propre loi; il ne sut que répondre , parce qu'il avait mérité la mort ; et il se mit à le supplier instamment : « C'est à mon insu, dit-il, » que j'ai péché et que je t'ai mis à mort; car je ne savais » pas que tu fusses Dieu ; mais je t'ai pris pour un homme : » c'est pourquoi je te donne pour satisfaction tous ceux qui » croiront en toi, et tu feras d'eux ce que tu voudras. » Alors Jésus le quitta , et enleva Paul , qu'il envoya pour annoncer à quel prix nous sommes rachetés, et comment tous ceux qui croient en Jésus sont délivrés du Dieu juste par le Dieu bon. Tel est , en substance , le fondement de l'hérésie des mar- cionites : tous ne le savent pas parmi eux; mais seulement un petit nombre. Ils se transmettent oralement la doctrine que l'autre Dieu nous a rachetés du Seigneur des créatures ; mais comment et par quel moyen , c'est ce que tous ne savent pas. Eznik a-t-il puisé ses documens, c'est ce qu'il n est guère possible de vérifier : ou il a fait lui-même un extrait des ou- vrages de Marcion, ou il avait sous les yeux un résumé de sa doctrine , rédigé peut-être par un disciple de Marcion. Il est encore plus vraisemblable qu'il a fait usage des écrits de Bar-

ESQUISSES SUR LES PYRÉKÉES. 559

desanes contre les marcionites , que cite Moîse de Khorêne (II, 53). Quoi qu'il en soit , les renseignemens qu'il donne sur la manière dont la re'demption e'tait expliquée dans le sys- tème de Marcion sont tout à fait nouveaux. Reloue Euro- péenne , 38.

ESQUISSES SUR XES PTELÉNÉES (I).

J'aime le peuple se'pare' des peuples par d'immenses de'serts ou de hautes montagnes; sur le sable dorment ses pères il vit de siècle en siècle comme une seule ge'ne'ration ; son in- dustrie, ses arts, sa religion , tout esta lui, jusqu'à son cos- tume. Si ses progrès sont moins rapides, sa de'cadence est plus tardive, et les e'trangers viennent de loin emprunter la poe'sie de ses souvenirs , pour les porter dans les pays oti tant de re'- volutions ont passé , qu'on n'y a plus me'moire d'autrefois. Ainsi l'Espagne, l'Ecosse, Tltalie ont tour-k-tour subi l'exploi- tation de notre lilte'rature qui s'est exile'e de la France, parce qu'elle n'y voyait que Paris, ville mate'rielle, tout, hom- mes et choses n'ont qu'un jour , nulle pense'e ne survit pour rattacher le siècle au siècle , le père au fils. Il faut du passe' à la poe'sie, mais sans sortir de notre patrie ne pouvons- nous donc en trouver? N'avons. nous pas toutes les nations de l'Europe sous le ciel de cette belle France , si peu connue , si peu admire'e? L'Italie en Provence, la Suisse dans les Alpes et dans nos Pyréne'es qui semblent sortir de l'oubli long et in- jurieux qui les voilaient. Ne posse'donsnous pas autant de ri- chesses que les compatriotes de Walter Scott dans leurs mon- tagnes si chante'es ?

haut les fontaines sont pures aussi , haut les forêts de sapins s'e'tenderit sur les sommets des monts ondoyans , tantôt blanches , tantôt bleues , comme une cbevelure que vieillit

(i) Rei'ue Européenne^ n" 29.

560

ESQUISSES

l'hiver et que le printemps rajeunit ; haut, l'homme, ac- coutnme' aux grands spectacles de la nature , a besoin de toute sa liberté' pour vivre. Fier comme ses rochers, grand comme ses horizons , religieux comme le bruit de ses cascades et le silence de ses bois, le Toy (i) ne peut se faire à l'air res- serre' des villes, et si parfois il descend au milieu d'elles pour y porter le tribut de son travail , il aime à se faire remarquer par la hauteur de sa taille , par l'orgueil de sa de'marche. On dirait un roi descendu de son trône promenant sa majesté parmi les hommes.

C'est dans ses domaines qu'il faut l'e'tudier ; le soir , quand vous vous e'garez sur les montagnes, que l'air s'e'paissit autour de vous , et que les tonnerres roulent sous vos pieds , vous voyez quelquefois des ombres gigantesques se dessiner immo- biles a travers le brouillard , c'est le pasteur qui garde son troupeau ; un long bonnet de laine brune qui retombe sur le côte , une grande cape de même e'toffe qui l'enveloppe entiè- rement , voilà sa parure ; autour de son visage de grands che- veux noirs, ses regards invariablement fixe's devant lui , et son menton soutenu de ses deux mains qui s'appuient elles- mêmes sur un long bâton plante' à dix pieds dans le roc ; on dirait le ge'nie de la tempête, tant il la suit avec tranquillité'. Rarement il parle français , et s'il possède assez bien cette langue pour converser, ce n'est jamais sans revenir de temps à autre à ses phrases favorites , à ses expressions naturelles doue'es d'une e'nergie qui passerait difficilement chez nous. Du reste, on peut toujours aise'ment le comprendre par le langage de ses gestes; ses traits mobiles disent sa pense'e avant le son de sa voix, et souvent même il a des signes que nul son de voix n'accompagne, et qui ne se traduisent que par une ide'e.

Je m'e'tais un jour hasarde' sans guide sur le sentier qui mène de Campan au Lhie'ris par le territoire de Hastets , la difficulté du chemin m'avait forcé de mettre à mes pieds des sandales de peau d'âne , et d'armer ma main d'un bâton ferré

(i) Nom patois des habitans des Pyrénées.

sua LES PYRÉNÉES. 561

que J'enfonçais dans le rocher pour me soutenir. Je montais paisiblement sur de petits gradins tellement polis par îe pas- sage continuel des gens de la montagne , que sans ma chaus- sure j'aurais infailliblement glisse' jusqu'en bas. Le soleil de midi m'aurait brûle' de ses rayons sans le voisinage d'un petit bois de noisetiers qui m'envoyait en se balançant un souffle encore fraîchi par la rose'e du matin. Toutà-coup j'entendis un grand bruit au-dessus de ma tête ; on eût dit le fracas d'un torrent qui se frayait une route nouvelle , ou i'e'croulement d'un bloc de marbre de'tache' de quelque cime. J'avoue que je ne pus me de'fendre d'un mouvement de frayeur, et ce qui ne contribua pas peu à l'augmenter , ce furent les cris d'un paysan qui montait derrière moi : « De côte', brave, de côté, » me disait-il. Au même instant s'e'leva un nuage de poussière, je n'eus que le temps de me jeter à plat ventre à côte' du che- min pour laisser passer ce qui se pressait tant de descendre. Lorsque je me fus relevé' sain et sauf , j'aperçus déjà à une grande distance une femme charge'e de deux gros fagots de rame'e qu'elle tenait sur chaque e'paule par une des plus fortes branches, et dont le feuillage, traînant après elle, causait ce bruit et cette poussière. J'admirais l'adresse avec laquelle la Toya , pousse'e et retenue en même temps par le poids du far- deau , glissait sur ce penchant , que j'aurais eu tant de peine à descendre à reculons , lorsque je fus rejoint par l'homme dont les cris charitables m'avaient fait une si belle pear. Elle va vite , me dit-il en me saluant; c'est qu'il ne faut pas que le garde la trouve , elle paierait l'amende.

Le montagnard qui me parlait était un habitant du bourg de Campan, et il allait traire ses vaches. Ce sont, me dit- il, celles que vous voyez : Oh! Rougette ! Et il jetait un caillou à l'une d'elles qui broutait tranquillement les feuilles d'un noisetier. L'animal tourna la tête de notre côte' , puis il prit le chemin du sommet de la montagne. Elles y seront aussitôt que nous, dit le paysan. Parties le matin de l'e'table, ces bêtes se re'pandent sans distinction de troupeaux ou de proprie'taire sur les pâturages de la commune, et d'elles-mêmes se rendent à heure fixe au lieu oii leur maître doit les traire. T. X. 39

562 ESQUISSES

Pas une n'y manque ; pas une ne se trompe d'heure ou de rendez-vous 3 à celui qui les liât et les attelle à la charrue, elles apportent leur substance pour nourriture. Etrange leçon que la nature donne à l'homme si souvent oublieux de ceux même qui lui font du bien.

Tout en discourant sur l'instinct des vaches, nous arrivâmes au bout du petit sentier rocailleux j'avais tant de fois tre'- buché. Une vaste lande, couverte de bruyères fleuries, incli- nait sa pelouse vers nous ; çà et quelques cavales à moitié' sauvages paissaient autour d'une petite cabane dont les murs, forme's de cailloux non cimente's , s élevaient à hauteur d'ap- pui pour soutenir un toit de chaume verdi par la mousse. Deux vaches e'taient auprès, la tête tourne'e de notre côté. Je vous l'avais bien dit, brave, en voilà déjà deux qui m'at- tendent, et les autres ne tarderont pas à arriver. En effet, nous avions à peine fait dix pas que nous en vîmes paraître six autres se dirigeant de différens points vers la petite cabane. A mesure qu'elles paraissaient le berger les nommait affec- tueusement dans sa langue et leur adressait quelques compli- mens sur leur exactitude ou leur beauté.

11 entra dans la chaumière dont la porte n'était fermée d'au- cun verrou, y prit un grand vase de bois et se mit en devoir de traire ses vaches. Pour moi, après avoir accepté une écuelle d'excellent lait que je payai généreusement, je continuai ma route.

Je sondai de l'œil en passant le précipice connu dans le pays sous le nom de Traouc cVoqu pet , sans doute à cause de l'explosion qui s'y fait entendre lorsqu'on y jette une pierre. C'est un gouffre d'une immense profondeur. D'après les mon- tagnai'ds il communique avec le Trou de Poiizac , espèce de mare d'eau que l'on trouve à main droite en allant de Bagnè- res à Tarbes , un peu avant Montgaillard. Voici la raison de cette correspondance -• au temps l'on croyait encore à la parole de Dieu et aux vertus des saints, une vache tomba dans le Traouc ; son maître vint prier saint Roch de la lui faire re- trouver; l'homme de l'église iui dit d'aller au Trou de Pou- zac , d'où bientôt il verrait sortir sa bête. La chose arriva comme le saint l'avait prédite.

SUR LES PYRÉNÉES. 563

commence le bois de Hastets ; il faut le traverser pour aller au Lliiéris. Des frênes aux troncs pourris , des chênes en de'cre'pitude , des sapins aussi vieux que le monde, s'unis- sent dans les airs pour cacher le soleil à la terre humide et glissante. Quelquefois dans la fraîche obscurité' de cette voûte , à travers les hranches de'pouille'es d'un arbre mort, se glisse un rayon pâle et tremblant comme le feuillage, alors on croi- rait voir sous les herbes sèches se de'rouler d'e'normes sei- pens ; ce sont des troncs noueux que le temps a de'racine's; la mousse, les champignons, la moisissure qui les couvre , res- semblent aux e'cailles d'un reptile; on craint de l'e'veiller en marchant. D'autres fois il vous semble être entoure de fantô- mes, de specties aux figures grimaçantes, tant les jeux divers des rayons lumineux , seconde's des prestiges d'une imagina- tion effraye'e , prêtent de formes fantastiques aux objets qui vous environnent.

Encore une demi-heui'e de marche et je sors de ce roman- tique passage , un joli vallon creuse devant moi son bassin velouté' de gazons et de fleurs , c'est le Col du Lhiéris. A gauche une e'norme pyramide de rochers menace perpétuelle- ment d'e'craser le voyageur sous ses ruines , et renvoie en e'chos furieux les cris indiscrets qui troublent son repos ; à droite un autre rocher moins e'ieve', moins aride, oii quelques maigres sapins se disputent le peu de tex're ve'ge'tale que le de'luge n'ait pas entraîne dans sa fuite. Placez -vous à e'gale distance de ces deux pitons, vous avez devant et derrière vous un spectacle très-beau mais bien diffe'rent : au nord, la plaine , le se'jour des vivans , avec ses villes dont l'oreille devine au loin le tumulte, avec ses routes oîi l'œil distingue les chariots de toutes sortes, ses rivières charge'es de moulins de foulons et de papeteries , ses champs oh tant de moissons se balancent pour tant de proprie'taires. tout sent l'homme, j'aime mieux la nature , tournons-nous de l'autre côte'.

Au devant de moi descend la montagne , dans le lointain , à une grande profondeur au milieu d'une terre inculte cou- verte de broussailles, une verte prairie coule une belle eau. Puis autour de ce bas fond s'élancent comme un rempart

39.

564 ESQUISSES

inaccessible une triple rangée de montagnes, les unes hranes, les autres blondes, les autres verdoyantes, selon quelles por- tent des sapins, des fougères ou des frênes j elles apparaissent plus ou moins hautes , on dirait une troupe de jeunes filles curieuses-, se haussant les unes au-dessus des autres , pour voir l'étranger qui visite leur demeure. Je m'assis pour contempler ces merveilles , rien ne troublait le silence de ces lieux , que le vol rapide d'un oiseau , ou le murmure d'une source cou- lant goutte à goutte d'un rocher. Il me semblait que tout le monde e'tait ; ma pense'e s'e'largissait pour peupler cette en- ceinte, s'e'levait avec les montagnes et plus haut qu'elles. Il faut quitter les hommes pour trouver Dieu. La nature est son œuvre aux environs des villes comme partout ; mais les ci'éa- tures humaines s'y viennent toujours jeter orgueilleusement entre nous et lui , elles appellent les premières nos regards , elles e'talent devant nous leur flatteuse magnificence, elles sem- blent nous dire : Et toi , tu cre'es aussi. Dans le de'sert vide il n'y a que Dieu. Ce n'est pas moi qui ai creuse' ces vallons , érigé ces montagnes , planté ces forêts ; ce n'est pas moi qui retiens ce rocher sur l'abîme , qui fait distiller ces sources et fleurir ces plantes. L'homme ne sait rien faire que de régu- lier : il lui faut des plans , des compas , des mesures ; ici , tout est désordre; il fabrique pierre par pierre, morceau par morceau : ces monts sont d'un seul jet; il lui faut du temps pour tout achever : ces merveilles datent du même jour. Oh! le scepticisme peut exister dans les villes, mais dans la soli- tude, jamais !

Ma rêverie fut longue , et si la fraîcheur du soir ne m'eût averti qu'il fallait songer à la retraite , je ne sais combien en- core elle aurait duré. Par malheur je m'étais écarté du sentier frayé au travers du bois , je perdis beaucoup de temps à le chercher; enfin j'entendis une voix qui chantait la vieille ro- mance montagnarde, et je ne tardai pas à voir passer un trou- peau poussé par un pasteur au long bonnet.

Il me salua courtoisement et m'adressant le premier la pa- role : « Tout seul! me dit-il, vous êtes un hardi étranger. Il se fait tard , venez avec moi , je vous enseignerai le chemin le

SUR LES PYRÉWÉES. 565

plas court pour Ordensee , et de vous regagnerez facilement Bagnères. » J'acceptai vivement la proposition. Lorsque nous eûmes tourne' la montagne , le pasteur s'arrêta , fit un geste ra- pide accompagne' d'un son de voix inarticulé, et son attitude orgueilleuse sembla me dire : Admirez! voilà mes domaines! En effet la valle'e de Campan e'tait sous nos pieds.

Je n'essaierai pas de peindre ces lieax tant de fois ëbauche's par le pinceau du voyageur. Et, qui se chargerait de de'crire des collines verdoyantes, sillonne'es par de clairs ruisseaux, surtout quand les derniers rayons du soleil couchant jettent sur leur tête un diadème d'or et d'azur, et qu'une nappe de vapeur le'gère, gonfle'e par la brise du soir, erre sur leurs penchans , comme sur le front d'une vierge un voile blanc qui voltige ?

Nos yeux qui s'e'taient abaissés d'abord, remontèrent de cîme en cîme, s'arrétant à chaque échelon , découvrant partout des effets de lumière que mon guide me signalait avec l'intelligence d'un homme habitué à ces sortes de spectacles.

Tout-a-coup il se tut ; sa main , qu'il tenait élevée , retomba pendante à son côté, sa figure prit une teinte de tristesse que je ne lui connaissais pas encore; pensif, il reprit le chemin de sa cabane , mais sa tête se tournait souvent ver§ le Mont Aigu , dont le pic audacieux ne portait plus ses neiges habi- tuelles. Cependant à l'approche du village il reprit la parole pour m'inviter à souper et à dormir chez lui. Je n'osai refu- ser, comptant d'ailleurs le dédommager amplement de son hos- pitalité. A la vue de la cabane, les troupeaux poussèrent quel- ques bêlemens, et nous vîmes accourir sur la porte deux petits enfans , qui prirent aussitôt la fuite. « Ils ont honte à cause de vous , )) nie dit leur père.

A mon entrée dans la cabane mes yeux s'arrêtèrent sur une inscription patoise tracée au-dessus de la porte : la voici ; Jesus-Maria! vioun Diou ayda-noiis (i)! Le pasteur me voyant

(i) Cette inscription se lit à Saint-Lézer ( Hautes-Pyréuées ) sur la maison d'un paysan noiumé Dupicris.

566 ESQUISSES

arrête à celte lecture , m'expliqua comment , lorsqu'on bâtissait sa maisonnette, le vent la renversa trois fois , et l'on n'en put achever la construction qu'après avoir grave cette inscription sur le mur. Je fus reçu par la femme du berj^er et son père, vieillard de plus de soixante-dix-ans ; les enfans, blottis dans un coin de la chambre , le bras devant leur figure, me regar- daient à la de'robe'e , puis se cachaient en riant. La tristesse que j'avais remarquée sur la figure du montagnard, je la trou- val de même peinte sur celle de la Toja; le vieillard souriait au contraire , et ce n'e'tait pas le sourire de la de'cre'pitude. Il y avait du calme et de la dignité' dans le salut qu'il me fit, puis il tendit la main à mon guide, et l'attirant dans ses bras, lui montra par une fenêtre ouverte sur la vallée , la même mon- tagne que regardait si souvent le Toy pendant notre trajet. Le jeune homme et la jeune femme se jetèrent alors sur la poi- trine du vieillard en sanglotant. Je ne comprenais rien à cette douleur, et cependant elle avait quelque chose de si vrai que je me sentais ému. Le vieux montagnard se tourna vers moi et me dit en béarnais : « Excusez, Monsieur, c'est que le pic de Mont-Aigu n'a plus de neige, et je l'ai déjà vu trois fois comme cela ; c'est la dernière. Dieu vient de lui ôter son manteau , pour m'annoncer qu'il va bientôt m'ôter le mien. »

Je me rappelai alors d'avoir entendu quelquefois citer le proverbe , Qui trois J'ois a liu terre de Mont- Aigu assez a vécu , que me développait si bien cette scène de famille. La résigna- tion , la piété avec laquelle le vieillard prononça ces paroles si naturelles en béarnais , me pénétrèrent d'admiration ; j'ad- mirais la simplicité de ces bonnes âmes qui voient partout la main de Dieu , et ne rougissent pas de paraître sensibles aux yeux des étrangers. Le vieux Toy mit fin à cette effusion de douleur en ordonnant à ses enfans de préparer le souper. C'é- tait le brouet que l'on nomme dans le pays paste tourade , on le fait avec de la farine de maïs que l'on a soin de faire préa- lablement griller dans un vase de terre. Le maïs est très-sain , les Pyrénéens ne se nourrissent guère d'autre chose , et je ne sais si c'est au grand usage qu'ils en font qu'ils doivent la force de leur santé.

SUR LES RÉNÉES. 567

On parla peu pendant le repas; quand il fut achevé' toute la maison s'agenouilla devant on crucifix de bois , orné d'un rameau de laurier, he'ni à Notre-Dame de He'as ; je fis comme eux, ce qui ne parut pas peu les e'tonner. L'aïeul prononça une prière patoise , et puis chacun gagna son lit.

De grand matin , je fus re'veille' par des chants ; le de'sir d'en connaître la cause me fit passer la tête dans une petite lucarne pratiquée sur le toit de la chaumière , et j'aperçus de joyeuses troupes de Toys et de Toyas iiai descendaient de tous les points de la montagne vers la valle'e , poussant des cris d'alle'gresse et chantant des cantiques patois, u Etranger, me cria mon hôte» venez-vous à la fête de saint Roch ? )>

Je lui re'pondis en descendant rapidement l'espèce d'e'chelle qui conduisait de mon grenier à la salle basse. La famille avait endosse' les habits du dimanche, la grossièreté' des e'toffes qui les composent n'exclut pas toutefois une certaine e'ie'gance. C'est pour les femmes un capnlet de laine rouge, borde' d'un large velours noir, une brassière de gros drap et un cotillon rouge gracieusement relevé par les bords , pour laisser voir un jupon de toile blanche comme la neige. Le costume des montagnar- des varie selon le canton : on reconnaît aisément le pays des femmes h la couleur de leur capulel : celui des hommes est le même partout, toujours le bonnet de serge, la veste ronde, la culotte sans boucles, les grandes guêtres et la ceinture sans laquelle il n'est pas de jour de fête et dont la couleur est inva- riablement rouge.

Nous nous joignîmes à la troupe d'Ordensée ; tout le monde marchait à pied, le vieux Toy lui seul était porté par un âne ; la foule l'entourait, il avait tous les honneurs de la fête, c'é- tait son dernier pèlerinage.

Ce fut un beau coup-d'oeil pour moi que celui de la vallée de Campan, couverte d'une multitude de groupes animés, tous se dirigeant vers un même point, la chapelle de Saint-Roch. Chaque paroisse de son côté, les unes conduites processionnel- lement par leur clergé avec la croix et la baimière en tête; les autres précédées de leurs autorités civiles ; d'autres revêtues du froc des pénitcns blancs on bleus , et faisant tinter la voix

568 ESQUISSES

raaqne des sonnettes à vaches. Toutes portaient des fleurs et des fruits , toutes rendaient grâces à Dieu , et personne sur leur chemin, personne ne s'arrêtait pour rire ou pour blas- phe'nier.

Entre Campan et Sainte-Marie , à la droite de la route , se trouve un autel de bois, surmonte' d'une statue de saint Roch; l'autel est recouvert d'un toit de chaume et renferme' dans une cabane dont une simple grille ferme J'entree ; un lierre touffu tapisse exte'rieurement les murs de la chapelle. A cette même place s'agenouilla saint Roch lorsqu'il pria Dieu de faire cesser la peste qui de'vorait les habltans de la valle'e, et la tradition porte qu'alors naquit le lierre qu'on y voit aujourd'hui et dont le tronc atteste la vieillesse. La reconnaissance a e'ievé ce tem- ple rustique. Toute l'anne'e les montagnards qui passent par ce lieu se signent pieusement et jettent un sou en dedans de la grille, pour faire dire une grand'messe au jour de la fête. Les paysannes enceintes s'agenouillent devant l'autel afin d'obtenir une heureuse de'iivrance , et les jeunes marie'es y vont de'poser dans de jolis vases la fraîche jonquille ou la fleur odorante de l'e'glantier.

Le lieu de la solennité' e'tait de'jà couvert de monde ; en y arrivant je me crus transporte' dans les environs de Naples > tant la coiffure des femmes avait de rapport avec celle des Napolitaines : c'e'tait aussi un carre' d'e'tolFe e'ie'gamment posé sur la tête, sans ruban, sans e'pingle pour le fixer, et qui ce- pendant ne se de'rangeait jamais , quelque mouvement qu'elles fissent. J'allais m'enque'rir de quel village étaient ces femmes, lorsque Je vis celles d'Ordense'e , an milieu desquelles je me trouvais, ôter lestement leur capulet, le plier en quatre et le replacer ainsi sur le fichu de couleur dont leurs têtes e'taient coquettement enveloppe'es ; cette pre'caution les garantit de la chaleur cause'e par le poids de la laine.

Bientôt commença la ce're'monie. Toutes les voix qui chan- taient naguères sans intervalle et sans mesure , rentrèrent su- bitement dans un religieux silence, d'où elles ne sortaient que pour re'pondre aux paroles du prêtre par un harmonieux unis- son. Pendant la messe, un enfant de chœur promena dans l'as-

SUR LES PYRÉNÉES. 569

semblée un vaste plat d'e'tain , sur lequel s'e'levait autour d'un corps Immain grossièrement sculpté, des flammes de bois pein- tes en rouge; c'était une âme du purgatoire , et les fidèles s'em- pressaient de jeter une petite pièce de cuivre dans ce plat qui leur représentait si grotesquement les souffrances expiatoires de leurs frères. Dieu vous le rende, s'écriait d'une voix rau- que et gutturale ie jeune quêteur , et toute l'assemblée croyait entendre les actions de grâces des morts souffrans (i). La messe dite, l'officiant fit une exhortation patoise , bénit les chapelets et les petites croix qui lui furent présentés de toutes parts , puis le peuple se précipita sur le lierre de saint Roch , pour en cueillir précieusement les rameaux. En un instant l'arbuste fut privé de tonte sa verdure , mais l'an prochain il repoussera , image de cette bienfaisance infinie , que toujours l'on émonde et qui refleurit toujours. La population de la vallée se dispersa bientôt chantant les louanges de Dieu, portant triomphalement des branches du lierre. Pour moi tout ému de ce touchant spectacle , je pris congé de mes hôtes. Je serrai la main du vieux Toy qui me bénit parce que j'étais le seul fils des terres plates auquel il eût vu faire le signe de la croix, et quelques minutes après j'étais sur le chemin de Bagnères.

(i) Cette cérémonie avait encore lieu il y a quelques années ; le dernier évéque de Tarbes Fa supprimée.

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NOUVEAUX VOYAGES ET I)IOUVELI.ES DECOUVERTES

DANS LE CENTRE DE l'aSIE.

La gazette de l'acade'mie de St.-Pe'tersbourg nous donne les de'tails snivans sur un voyage exe'cale' dans le centre de l'Asie, et dont la publication va paraître en Prusse.

« M. Dubois, ge'ologue ce'lèbre , est arrive' à Slmphe're'pol- le-Garret, de retour du voyage qu'il avait entrepris dans les provinces du Caucase , avec l'autorisation de S. M. l'empereur. Il s'e'tait embarque' l'anne'e dernière à Sëvastopol pour l'Ab- basie, dont il avait parcouru tout le littoral depuis Gbe'langik jusqu'à Poti , et à la forteresse de Saint-Nicolas, examinant tout le pays situe' entre la cliaîne occidentale du Caucase et les montagnes neigeuses voisines des sources de la Koura , et s'e'tait rendu à Tiflis pour y passer l'hiver, après avoir de'crit les ruines remarquables à'Onpliss Tsissikké , en Karthalinie.

De Tiflis, il partit au commencement de fe'vrier, pour l'Ar- me'nie , visita Erivan , pe'ne'tra jusqu'à l'extrême frontière de cette province du côte' de la Perse et de la Turquie d'Asie, et l'examina avec une attention particulière sous le rapport de la ge'ognosie et des antiquite's; n'ayant pu monter sur l'Ararat, à cause des neiges profondes qui le couvraient encore à cette e'poque, M. Dubois revint à Tiflis par le Karabakh et Elisa- betbpol.

Il fit encore un nouveau voyage en Kakhétie et dans le Ki- sikh, et revint une seconde fois à Tiflis, d'où il prit la route ordinaire pour se rendre aux eaux mine'rales par Vladi-Cau- case et Catlie'rinograd , examinant en passant les montagnes voisines, et visitant le sommet du Beschtau. De il revint par Stravropol , le long du Kouban , a Kertch , oii il dessina quelques antiquite's nouvellement de'couvertes.

M. Dubois a rapporte' de ce voyage une foule d'observations neuves et intéressantes sur la ge'ognosie , une importante col- lection de pétrifications et de mine'raux, et plus de deux cents

DÉGOUVEBTE DE LA VILLE d'aZAWIE. 571

dessins , parmi lesquels nous citerons une vue ge'ne'rale de tout le littoral de l'Abbasie , avec la repre'sentation exacte des ruines de Pyteus (Pitsounda ou Bitclivinda ), et d'une foule d'autres lieux qui s'y trouvent; une vue de'taille'e de la ville d'Oupliss-Tsikhe', taiile'e dans le roc sur les bords de la Koura, plusieurs vues de l'Ararat, des sites au bord de l'Araxe, dans les environs d'Akhaltsikb , etc. , ainsi que les plans des e'glises et des ruines que l'on trouve dans les provinces me'ridionales du Caucase , et une foule de cartes et profils ge'ognostiques. Son porte-feuille renferme en outre plus de mille petits des- sins de me'dailles, costumes, ornemens d'architecture, etc., etc. De'jà M. Dubois avait parcouru la Crimée avec le même ta- lent d'observation , et avait re'ussi a composer une carte très- de'taille'e et fort exacte de la Cliersonèse, carte si indispensable pour l'histoire de la Russie. Il se propose de se rendre à Berlin pour la publication de son voyage, n

Découverte de /avilie d'Azanie , dans la grande Phrygie , conservant encore la plus grande partie de ses magnifl- ques monumens.

Sur la recommandation de l'Institut, M. Texier , Jeune ar- chitecte plein de zèle et d'instruction , a e'te' envoyé' à Con- stantinople par les ministres de l'inte'rieur et de l'instruction publique, pour e'tudier les monumens de celte ville, et faire des recherches dans diverses parties non explore'es de l'Asie- Mineure. De'jà le voyageur a envoyé' des dessins de monumens Jusqu'ici très- imparfaitement connus. Il explore maintenant rAsie-Mineure , et l'extrait suivant d'une leltre que vient de recevoir son frère , montre tout ce qu'on doit attendre du zèle et du talent de M. Texier. Elle est relative à la ville A'Azanie, dans la gi'ande Phrygie, ville de'jà visite'e par plusieurs voya- geurs (i). Cette lettre contient l'annonce la plus inte'ressante pour les amis des arts.

(i) Le journal des Débats ayanl rendu compte de cette découverte,

572 DÉCOUVERTE DE LA. VILLE d'aZANIE.

(( J'ai trouva des antiquités du plas grand intérêt , un temple magnifique entoure' d'une colonnade ionique; c'est nne chose merveilleuse, et l'Italie ni la Grèce n'ont rien de sem- blable , ni pour la pureté' du style ni pour Ja conservation. Sur les murs de l'enceinte sont encore huit inscriptions grec- ques et latines relatives aux grandes fêtes panhelle'niques et aux actes de l'autorité' publique ; je les ai copie'es toutes. J'ai dessine' et mesure' le temple avec le plus grand soin , car c'est un monument qui doit faire un grand effet à Paris.

» La ville antique a encore presque tous ses monnmens : les ponts de marbre , les quais , les tombeaux de marbre , le tbe'âtre , le cirque enfin. Je ne pense pas que dans toute l'Asie

d'une manière peu exacte , a publié la réclamation suivante de M. Alexan- dre de Laborde. o Monsieur , au moment de publier mon voyage dans r^sie-Mineure , il m'importe de rectifier une erreur qui s'est glissée dans le compte que vous avez rendu des travaux du modeste et courageux voyageur M. Texier.

» Vous dites : La ville antique ct/izani forme une des découfertes les plus curieuses de son voyage. existe un grand temple grec j etc. Ceci n'est point exact , et M. Texier dit lui-même dans ses lettres qu'il a trouvé les traces de notre séjour dans ce lieu. En attendant la pu- blication prochaine de nos dessins , qui prouvera le soin que nous avons mis dans nos travaux , il me suffira de rapporter ici les paroles du res- pectable M. Michaux, tome III, de sa Correspondance sur l'Orient , pag. 1^7 : « Longtemps les voyageurs avaient traversé le pays de Koutaya sans y rencontrer les ruines d'Elanos ou d'Azania. Cette ville grecque était comme perdue et entièrement effacée de la mémoire des hommes, lorsqu'en 1826, M. Alexandre de Laborde, passant à Koutaya, apprit qu'il existait de belles ruines à huit lieues de , à l'ouest , près d'un village appelé ChapDeer. Le voyageur, accompagné de son fils , M. Léon de Laborde, se rendit au lieu qu'on lui avait indiqué, et trouva au penchant d'une colline les restes magnifiques d'une antique cité , deux temples ioniques bien conservés , etc.

» Cette réclamation de ma part n ote rien au mérite de M. Texier qui vient de faire des découvertes bien autrement importantes dans la Cappadoce , province que la violence de la peste en 1827 nous empê- cha de visiter , ainsi que la singulière vallée d'Anarbus près d'Adaua , qui attend encore l'investigation de quelques voyageurs entreprenans. »

DÉCOUVERTE DE LA VILLE d'azAKIE. 573

je trouve rien de si parfait et de si bien conservé. Le tlie'âtre est un monument dans le genre du temple ; il est aussi entier que possible, c'est-à-dire que la scène, cbose si rarement con- serve'e dans les the'âtres antiques , est encore tout entière , mais les colonnes, par suite de quelque tremblement de terre ou autre commotion, se sont e'croule'es , et l'on marcbe dans l'orchestre sur un monceau de de'bris de chapiteaux, de cor- niches sculptées avec un goût admirable, La frise du prosce- nium repre'sente des chasses d'animaux sculpte's presque en relief; on y remarque entre autres le bœuf bossu ou ze'bu , de'vore' par un lion : cet animal n'existe plus maintenant que du côté de l'Inde; puis ce sont des cerfs, des sangliers, dé- vorés par des chiens, des courses de chevaux, etc. Tous ces morceaux admirables sont , abandonnés dans la solitude la plus profonde , car pas une âme ne visite ces ruines. Les co- lonnes sont également d'ordre ionique. Les portes avec leurs ornemens sont encore en place. Les salles des mimes, tous les gradins de marbre, soutenus par des griffes de lion, sont pres- que intacts. Si quelques-uns sont dérangés, ce sont les brous* sailles qui poussent dans les joints qui les ont déplacés. En face du théâtre est le cirque , tout de marbre blanc. C'est comme une ville de fées. Au milieu de toutes ces beautés sont pêle-mêle les maisons du village, bâties presque tontes des débris d'autres monumens.

1) Près du temple est un grand portique , probablement le Gymnase , avec des colonnes d'ordre dorique grec. J'ai fait démolir une muraille pour en extraire un chapiteau que j'ai dessiné. J'ai fait également , près du temple , plusieurs fouilles pour reconnaître la porte d'enceinte dont j'ai retrouvé onze colonnes. Tous ces travaux sont les premiers de ce genre qui aient été exécutés en Asie ; car , jusqu'à présent , les Turcs étaient ennemis jurés de ce genre de recherches. J'ai monté sur le temple, qui a trente-six pieds d'élévation, par le moyen de mon cerf-volant échelle. C'est le fils de l'iman qui m'a fourni tous les agrès pour me hisser : on m'a monté dans un grand panier.

» Mon voyage s'annonce bien; je voyage avec le luxe d'un

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HISTOIRE NATIONALE.

bey ; j'ai toujours ane douzaine d'hommes à ma disposition. J'espère, si je continue à trouver des choses aussi inte'ressan- tes, que mon voyage ne sera pas sans inte'rêt.

)) Ma lettre de Kutaya a te paraître un peu ennuyeuse ; c'est que je venais de bisquer contre mon Tartare ; je l'avais même menace' d'e'crire à l'ambassadeur , mais tout s'est ar- rangé : maintenant il est très-soumis.

» Je suis maintenant à Kedous, l'ancienne £fl!t^i de Strabon; mais je n'y ai pas e'ie' aussi heureux en antiquite's. Il ne reste absolument rien que le fleuve Hermus, qui coule toujours au milieu des volcans ; car nous approchons de la Phrygie cata- cécaiimène ou brûlée. Je vais à Karahissar , l'ancienne Prym- nesia ; de je chercherai Synnada dans les montagnes voi- sines , puis à Eskiclicher ( Boryleum ). )>

HISTOIRE NATIONALE.

Extraits des Procès- Verbaux de la Commission royale d'Histoire (1).

Séance du 5 décembre. M. le ministre de l'inte'rieur , qui prend aux travaux de la commission l'intérêt le plus flatteur , et qui les facilite avec une extrême bienveillance, fait savoir qu'il re- grette que des occupations urgentes et multipliées l'empêchent d'as- sister à la séance.

Après la lecture de la correspondance , le pre'sident dépose sur le bureau le catalogue des manuscrits relatifs à l'histoire de la Bel- gique qui se trouvent à la bihiiothèque de Bruges. Ce catalogue , très-bien rédigé, a été envoyé' par le de'partement de l'intérieur. M. l'abbe' De Ram y joint !a liste des manuscrits relatifs au même objet, conservés aux archives de l'archevêché de Malines.

L'ordre du jour amène l'examen des différentes soumissions pour l'impression des Chroniques.

(i) V. ci-d. tom. X, p. 285, et 445.

HISTOIRE NATIONALE. 575

La commission voit avec plaisir que son appel a été entendu par MM. les imprimeurs , et que tous ils ont vu , dans l'entreprise qui leur était proposée , une affaire d honneur et de nationalité plutôt qu'une spéculation.

Après un mûr examen , l'impression des Chroniques a été adjugée à M. Hayez de Bruxelles , eu égard à la modération de ses prix et aux garanties qu'il présente sous tous les autres rapports.

M. Gachard demande la parole pour diverses communications.

II rappelle à la commission que l'un des ouvrages dont elle a ré- solu l'impression dans sa première séance, est le Récit des trou- bles de Gand sous Charles-Quint par un témoin oculaire. Dans une tourne'e qu'il vient de faire en Flandre, par ordre de M. le ministre de l'inte'rieur , pour l'examen des de'pôts d'archives , il a donné une attention particulière à la recherche des pièces qui peu- vent répandre quelque jour sur les événemens auxquels ce récit est consacré. A Audenaerde , il en a trouvé de fort intéressantes. Jean d'Hollander, dans son mémoire qui fait partie des Analecta Bel- gica de Hoynck van Papendrecht , ne parle pas des commotions po- pulaires qu'il y eut dans cette ville, à l'instigation des Gantois : les documens que renferment les archives serviront à remplir cette lacune; quelques lettres des Gantois et de la gouvernante, et plu- sieurs autres pièces, me'riteut aussi d'être consultées. A Gand, M. Parmentier , archiviste de la ville , qui a commencé d'introduire de l'ordre dans l'important de'pôt dont la garde lui est confiée , et auquel on est redevable déjà de la de'couverle de monumens pré- cieux qui y étaient enfouis (i), lui a montre' la sentence originale de Charles-Quint portée contre les Gantois le dernier avril i54o : elle existe aux archives en français et en flamand. L'un et l'autre texte est e'galement authentique : tous deux e'crits sur un cahier

(i) M. Parmenlicr a, entre autres, recueilli, parmi des papiers qui avaient été regardés avant lui comme insignitians , des pièces du plus haut intérêt sur ce qui se passa à Gand, à l'occasion de la reforme, en i565 , i566, et dans les années suivantes : il eu a formé trois volumes. Il a découvert aussi , dans des papiers du même genre , un original de l'union d'Utrecht , en iSjg, le seul probablement qui existe dans la Belgique. ( De Reiffenberg. )

576 HISTOIRE NATIONALE.

Âe parcliemin , sont scellés du sceau de l'empereur, et portent sa signature; mais, d'après M. Gacliard , le texte français serait ce- lui dans lequel l'acte aurait d'abord été conçu , et cela résulte , selon lui, d'une indication qui se trouve au bas du dernier feuillet écrit de chaque cahier. On lit, en cet endroit, sur l'acte en français : La sentence rendue par V. AI. au fait de Gand , et sur l'acte rédigé en langue flamande : Duplicat de la sentence rendue par V. M. au fait de Gand ^ en flamand. La commission sait que c'est le texte flamand qtj'a publié Jean d'Hollander : M. Parmen- lier , qui a comparé la leçon insérée dans les Analecta Belgica avec le texte original , a reconnu c|u'ellc présentait des fautes nom- breuses et considérables. Il y a encore, aux archives municipales de Gand , un registre qui doit contenir un renseignement aussi curieux que certain sur les faits qui se rattachent à la révolte de cette ville : on y trouve les délibérations de la collace pendant l'année iSSq. M. Gachard espère découvrir dans ce dépôt d'au- tres documens encore , lorsqu'il l'examinera en détail , ce qu'il n'a pas eu le loisir de faire dans sa dernière tournée.

Indépendamment de toutes ces pièces, qui répandent tant de lumières nouvelles sur un des événemens les plus marquans de notre histoire M. Gachard informe la commission que les archives du royaume en recèlent beaucoup qui ne sont pas moins importantes, et oui sont inédites aussi. 11 cite : Un compte, rendu par Thiéri de Herlaer , prévôt-général des Pays-Bas , des exécutions criminel- les faites par lui du 23 juillet iSSg au 26 janvier i543, compte dans lequel figure l'exécution de plusieurs des principaux auteurs de la révolte de Gand, condamnés à mort par Cliarles-Quint ; un manuscrit de la chambre des comptes , se trouvent une relation flamande (2) des troubles qui précédèrent l'arrivée de l'empereur, et des pièces y relatives ; 3 ' quantité de lettres de la reine Marie , gouvernante des Pays-Bas à cette époque , écrites aux villes et aux seigneurs de Flandre , avec les réponses de ceux-ci.

(i) Elle est intitulée . Corl -uerhael van de principaclstc gheschiede- nissen gebeurt hinnen de stadL van Gendt in 't jaer iSBq; ende î54o.

( Idem. )

HISTOIRE 3ÏATI0NALE. 577

Ne serait-il pas fâcheux , dit-il en terminant , que , étant en pos- session d'une collection aussi considérable el aussi riche de docu- mens ignores jusqu'à nos jours sur les troubles de i536, i538 et iSSg, il n'en fut pas fait usage? Il propose donc que de nou- velles de'marches soient faites auprès des héritiers de feu M. Van Hulthem , aûn qu'ils veuillent rechercher , parmi les manuscrits qu'il leur a légués , celui qui est indiqué au commencement de ce rapport. Il est d'autant plus permis de compter sur des dispositions de leur part conformes au vœu de la commission , que , en la mettant à portée de publier l'ouvrage dont il s'agit, ils aideront à l'accomplis- sement des intentions qu'avait annoncées le savant dont la mémoire leur est chère.

M. Gachard présente ensuite à \\ commission la chronique de l'abbaye de Tronchiennes , laquelle était gardée dans les archives de ce monastère avant la suppression des établisscmens religieux. La conservation de ce précieux monument historique est due à M. Ferdinand de Caigny , de Gand, amateur zélé de nos antiquités nationales. La chronique de Tronchiennes se trouvait parmi des pa- piers que lui laissa un de ses parens, qui les tenait d un des der- niers religieux de l'abbaye ; mais tous les feuillets en étaient dis- persés. M. de Caigny la reconstruisit avec autant de discernement que de soin ; et , pour ajouter encore à la reconnaissance des amis de l'histoire nationale , il vient d'en faire don au plus considérable de nos dépôts littéraires , aux archives du royaume.

La chronique de Tronchiennes, écrite dans un latin assez pur, commence à l'année 66 1 , et elle se continue jusqu'à l'année i64o. Elle forme 46 feuillets in-folio ; elle est suivie de notes et de pièces historiques, qui comprennent 17 feuillets. Elle est sur papier.

La commission vote des remercîmens à M. de Caigny , et la chro- nique est remise à M. Warnkœnig , auquel est confié le soin de la publication des chroniques latines de Flandre.

M. Gachard entretient la commission d'un manuscrit qu'il a vu à Audenaerde chez M. J.-F. Demerlier , employé de la régence, à qui il appartient. Ce manuscrit est une chronique de la ville et de la châtellenie d' Audenaerde, compilée par feu M. B. Derantere , beau- père de M. Demerlier, qui consacra à ce travail près de vingt an- nées. M. Derantere était archiviste de la ville : il puisa abondam- T. X. 40

578 HISTOIRE NATIONALE.

ment en ce dépôt, ainsi que dans les archives de l'ancien châtellenie, qu'il avait également à sa disposition. Il s'aida, de plus, des ma- nuscrits de Vandenbroeke, qui fut pensionnaire de la ville et re- ceveur de la châtellenie au commencement du 17'' siècle, ainsi que de ceux du père de Bleckere , de la société de Jésus. Enfin il con- sulta la plupart des historiens connus , tels que Gramaye , Sanderus, Oudégherts, Van Meteren , Hooft , Pierre Bor, Strada, Carpentier, Veranncman , Robyn , Vaernevpyck, Panckoucke, Dewez. Ces ren- seignemens sont fournis par lui-même dans le titre de son ouvrage.

La chronique de M. Derantere commence à l'année 611 , et elle est continuée sans interruption jusqu'à l'année i644' Elle est ré- digée en flamand. Le compilateur y a joint un recueil des chartes qui concernent Audenaerde ; une îiste des gouverneurs de cette ville, depuis l'année i33o, et une liste de ses magistrats , à partir de i36r jusqu'à nos jours. Son manuscrit comprend près de 3ooo feuillets, format in-folio, écriture assez serrée : les événemens du 16" siècle remplissent environ 1900 feuillets; le recueil des chartes en a 258. Dans un très-rapide examen qu'en a fait M. Gachard, il a remarqué que le récit des événemens était en général précédé ou suivi de pièces y relatives , et c'est ce qui explique létendue de cet ouvrage.

Il paraît que sous le gouvernement précédent , il avait été fait des propositions à M. Derantere, dans le but d'acquérir son manus- crit pour l'Etat. M. Demerlier serait disposé à le céder pour cette destination.

La commission croit devoir appeler l'attention de M. le ministre de l'inte'rieur sur le rapport qui pre'cède.

Enfin , M. Gachard donne communication d'une lettre qu'il a reçue de M. Holvoet, archiviste de la Flandre occidentale. « Pour '> autant, dit M. Holvoet dans cette lettre, que mes faibles con- » naissances me permettent de porter un jugement sur les diA^ers » monuraens dont il est fait mention dans les procès-verbaux des » séances de la commission d'histoire , j'ai cru remarquer que, les » actes des Saints exceptés , ils avaient en général plus de rapport » à l'histoire politique qu'à l'histoire des mœurs et de l'industrie. » Cette dernière, qui est assurément la plus intéressante, la plus » instructive et la plus utile , a été généralement ne'gligée par nos » vieux auteurs : c'est à la génération présente qu'est re'.serve'e

HISTOIRE NATIONALE. 579

)) peut-être la gloire de remplir cette immense lacune. Les maté- » riaux authentiques ne manquent pas. Les anciens comptes des » villes et des cbàtellenies sont des mines très riches qui n'ont été )) encore que peu exploitées. La ville de Bruges possède une série ). de comptes commençant en 1289 : les archives du Franc en ren- » ferment une qui commence un siècle plus tard. Je pourrais m'oc- )> cuper , dans mes momens de loisir, d'extraire de ces collections » tout ce qui s'y trouve d'intéressant, et l'envoyer à la commission , )> si elle le juge convenable. » M. Holvoet dit ensuite qu'il est pos- sesseur d'un manuscrit de la chronique de Despars, si souvent citée par les historiens de la Flandre ; qu'il avait commencé , avant la révolution, de le collationner sur l'original, qui appartient à M. de Croeser, à Bruges, mais que les événemens politiques lui ont fait interrompre ce travail; qu'il le reprendra très-prochainement, et que, au fur et à mesure que quelque partie en sera achevée, il l'a- dressera , soit à la commission , soit à l'un de ses membres qu'elle voudra bien lui désigner. Il termine, en faisant observer que, s'il entrait dans le plan de la commission de réimprimer d'anciens ou- vrages devenus rares, la chronique de Flandre, intitulée : Dits die excellente chronike van P laenderen , imprimée à Anvers en i53i , mériterait peut-être cet honneur; qu'elle est très-curieuse, principalement sous le rapport de l'histoire des mœurs , et que ce n'est pas sans peine qu'on parvient à se la procurer aujourd'hui.

La commission, qui apprécie l'importance de la lacune indiquée par M. Holvoet, relativement à l'histoire civile, morale et indus- trielle de la Belgique, lacune qui existe encore, malgré les efforts de plusieurs savans et même de quelques-uns de ses membres à qm l'on doit de précieux matériaux sur cette matière, reconnaît avec lui que le dépouillement des comptes des villes, des chàtellenies , des provinces, doit procurer, sous ces différens points de vue, des lumières aussi certaines qu'abondantes. Elle applaudit donc hau- tement au désir qu'il annonce de compulser ceux de la ville et du Franc de Bruges; elle recevra avec gratitude le résultat de son tra- vail , et elle émet le vœu que son exemple soit suivi dans d'autres localités. Elle l'invite, en outre, à s'occuper le plus tôt possible, ainsi qu'il en exprime l'intention , de la collation de son manuscrit de la chronique de Despars , sur l'original , et à lui en adresser

40.

580 HISTOIRE NATIONALE.

successivement les diffe'rentes parties , avec les variantes et toutes les remarques dont il jugera devoir les accompagner. Quant à V excellente chronique de Flandre ^ la commission, qui en consi- dère la réimpression comme très-utile , regrette que ce travail sorte de ses attributions et du plan qu'elle s'est tracé.

Pour extraits conformes ; Le secrétaire , Baron de Reiffenberg.

Séance du 6 décembre.

La commission arrête un projet de contrat à passer entre elle et M. Haycz, sauf l'approbation et la ratification de M. le ministre de l'intérieur.

M. Willems soumet à l'examen de la commission le résultat de ses recherches pour la composition du Codex diplomaiicus , qu'il se propose de joindre à son travail sur Van Heelu , et qui contient environ i53 diplômes du règne de Jean I"', duc de Brabant, dont la plupart sont inédits.

BI. De Ram informe l'assemblée que M. Goethals-Vercruyce , de Courtrai , lui a fait remettre une copie des passages qui manquent dans le testament attribué à sainte Aldegonde, publié par Mirasus, Diplom. Belg. , t. fil, p. 557 , et Ghesquière , Acta SS. Belgii selecta, t. TV, p. 3o5.

Il sera écrit à M. le président du séminaire de Gand, pour ob- tenir communication de la copie de la chronique manuscrite de Saint- Bavon , qui doit exister dans cet établissement.

M. Warnkœnig lit la notice suivante :

Chronique de li Muisis.

La suite de la chronique de li Muisis se trouve dans la biblio- thèque de mademoiselle le Candele de Ghyseghem, à son château près d'Alost.

C'est un volume sur parchemin, petit in-folio de 60 feuillets de 10 pouces de long et 6 de large , avec 5 vignettes fond en or et coté n' 362. Une main du i6^ siècle a écrit, sur le feuillet de garde , la note suivante :

HISTOIRE NATIONALE. 581

JEgidii li Muisis , monasterii sancti Martini Tornacensis ab- hatis XVII , tractatus de accidentibuf! anni MCCCXLIX , anni CCCL, LI, LU (i), in quo continetur prolixa narratio de destructione Judœorum , de secta flagellantium ac de ingenti mortalitate quce Tornaci tum temporis et in cûris circumvicinis per totum viguerat mundiim , deque aliis pluribus eventibus. Ac- cedit abbatum hujus cœnobii a primo usque ad decimum sextum séries rythniice deducta.

L'écriture de ce manuscrit est beaucoup moins belle que celle du manuscrit appartenant à M. Goethals de Courtrai. La copie a été faite par ordre de li Muisis lui-même , mais d'une autre main que ce dernier manuscrit, écrit également sous ses yeux par un calli- graplie habile. A la première page du manuscrit de Ghyseghem, li Muisis parle de sa chronique en ces termes :

Ego liumilis abbas monasterii sancti 3Iartini Tornacensis or- dinis sancti Benedicti , decimus septimus post restauraiionem cœnobii, postquam déstructura fuit a J^Vandalis et Normanis» considerans in anno MCCCXLIX post festnm omnium sanc- torum , quod est in capite mensis novembris , quod terminus ille erat annus sexagesimus completus , quo fueram monachus in dicta cœnobio , et annus septuagesimus cetatis meœ et XT^III promotionis meœ in abbatem , librum scribi feceram in quo con- tinentur , etc.

Il dit ensuite qu'il a rassemblé et classé les faits , et qu'il a fait copier le tout : compilaveram , ordinaveram , et scribi feceram.

Il résulte de cette notice qui li Muisis est l'an 12^9 ;

Qu'il est entré au monastère l'an 1289 , à l'âge de dix ans ;

Qu'on l'a nommé abbé l'an i33i , à l'âge de 52 ans;

Et qu'il -vivait encore en i352, il avait -^4 ''"s-

Il nous raconte dans cette même préface qu'il avait eu pour ami intime le magister Jean de Harlebeke , très-versé dans l'astrologie et néanmoins très-catholique, qui, l'an 1298, lors de la guerre entre le comte Guy de Flandre et le roi Philippc-le-Gros, lui avait

(i) Nelis se trompe donc en déclarant que la chronique finit en i3f)i luiiiée de la mort tic li Muisis.

( De Reiffenberg. )

582 HISTOIRE NATIONALE.

fait des pronostics jusqu'à l'an 1349, auxquels li Sluisis n'avait pas ajouté foi , quoiqu'ils se soient réalisés par la suite.

Cette continuation de la chronique de li Muisis est une espèce de journal anecdotique , dans lequel les récits historiques étendus sont entremêlés d'un grand nombre d'historiettes. Il y a , en outre» des poèmes qui forment à peu près la moitié de l'ouvrage : par exemple, un sur le pape Clément VI. La destruction des juifs par le feu , l'histoire des flagellans et des caravanes qui arrivèrent par 200 , 400 , 5oo personnes de toutes les parties de la Flandre , de la Hollande et d'ailleurs à Tournay , pour faire pénitence, ainsi que le siège de Calais par les Anglais ( p. 59 et suiv. ) , sont lon- guement racontés.

On voit , par les fréquens pronostics rapportés dans le livre , que le chroniqueur était fort superstitieux. Il en cite entre autres d'un certain Johannes de Mûris ( fol. 35) (i). En parcourant le vo- lume , nous avons rencontré quelques observations dignes d'être annotées :

Par exemple, en parlant du peuple flamand, page 20, il dit : Flandriœ populus est capitosus et mutabilis ; tamen Cornes toto iùlo tempore est dominât us ; et de textoribus et fuilonibus et aliis , qui in guerris maie se gesserant , facta est justitia non modica publica et privata , secundum quod audivi a pluribus fide diffnis.

o

L'an i35o, tout était fort cher à cause de l'altération de la mon- naie. Li Muisis dit :

Masuria bladi vendebatur XX solidorum debilis monetce , et vinum duobus solidis.

Et omnia cara erant propter monetam debilem.

M. de Reiffenberg fait observer que Jesn Cousin , en son histoire de Tournay, publiée i'an 1620 , cite les chroniques de li Muisis ,

(1) C'était peut-être le docteur de Sorbonne , chanoine de Téglise de Paris , conteaiparain de li Muisis et qui est considère comme Tun des restaurateurs de la musique. II s'était aussi beaucoup occupé des ma- thématiques avec lesquelles l'astrologie avait alors d'étroites liaisons.

( Idem.)

HISTOiaE NATJONALE. 583

t. I, p. 60 , 68, 80 , 84, 87 , 94 , 96, 98, 100, 101 , io5 , 106, ii4; et que Sandëius , dans sa Bibl. mari. Belgii, en parlant de la bibliothèque de St. -Martin de Tournay , donne les indications suivantes, t. I, p. 128 :

5g. Liber primus chronicorum jEgidii li M assis ( li Muisis ), ahbaf.is ILVII hujus cœnobii post resfaurationeni.

60. Liber secundus chronicorum jiEgidii li Mussis cum figuris elegantibus.

61. Liber lamentationum JEgidii li Mussis .^ gallico idiomate. La seconde édition de la Bibliothèque historique de la France

porte : 8G3i MS, De vita et obitu Andreœ Ghin de Florentia et Joannis de Pralis , auctore j^gidio li Musis , abbate S.-Mar- tini Tornacensis.

Avec cette note :

Cette vie est citée par Valère André dans sa Bibliothèque des Flandres (sic). André Ghiu est mort en i342 , Jean des Prez en 1349, et li Muisis en i353.

12,634 ^^^' Catalogus antistiturn cœnobii Martiniani , usque ad annum i35o, rilhmo latino et gallico , auctore jEgidio li Musis , hujus cœnobii abbate.

Avec celte note :

« Ce catalogue est cité par Valère André dans sa Bibliothèque des Flandres, Cet abbé est mort en i353. »

17,020 MS. Libri duo chronicorum yEgidii li Musis ( siue Musii)^ abbatis X.V11 cœn. Tornac. post restaurationem , ab anno 972 ad annum i348. ( On a vu tout-à-l'heure que ces chro- niques vont jusqu'en i352.)

Avec cette note :

« Cette chronique est conservée dans la bibliothèque de ce mo- nastère, selon Sanderus , 1. 1 de sa Bibl. des MSS. belg. , p. 128. Elle (était) aussi dans la bibliothèque de M. Colbert , 6994 (d'où elle a passe à celle du roi). L'auteur est mort en i353. Il rapporte beaucoup de choses depuis le temps de St. -Louis jusqu'en i35o (et sur le titre on dit qu'il s'arrête en i348)! qui regardent les affaires de France et de Flandres. «

M. de Reiiïenberg rappelle aussi que le savant Bre'quigny a in- sère' un extrait très-intéressant de la chronique de li Muisis , d'à-

584 HISTOIRE NATIONALE.

près le manuscrit de Colbert, dans les Notices et extraits des manuscrits de la bibliothèque du roi (lySg), t. II , p. -ziS et 23o , et que M. Delpierre de Bruges vient d'en traduire une partie dans ses Chroniques , traditions et légendes.

Ces observations terminées , M. Warnkœnig présente des ren- seignemens sur d'autres MSS. qu'il a examinés chez mademoiselle le Candele, oîi il s'était rendu avec MM. de Gerlache et Wiliems, sur l'invitation de M. le ministre de lintérieur.

Le manuscrit 4^9 > ccrit au iS*" siècle, contient les généalo- gies des ducs de Brabant et des comtes de Flandre.

Celle-ci se trouve aux dix derniers feuillets intitulés :

Catalogus ac genealogia forestariorum , principum et comitum Flandriœ.

Elle finit l'an i43i avec Philippe-le-Bon.

L'histoire fabuleuse est , au commencement , mêlée avec les faits historiques : on rencontre de temps en temps des arbres généa- logiques.

Le manuscrit n" 366 contient une histoire du pays et de la ville d'Alost. Elle est rédigée sans critique et sans citation des sources : écrit en 1770.

On lit à la fin du manuscrit les phrases suivantes :

Hœc comitatus urbisque Alostanœ chronica , lector amantis- sîme , ex veterrimo vitiosoque epitome in urbis Bruxellensis ra- iiocinario nuper reperto , sedulo in quantum valui descripsi , animo ; et quoniam chartam adeo inquinatam reperi

Alosti ^ 18 januarii 1770.

/. B. t'Kint Alostanus , 1770.

N" 84. Cy commencent les chroniques de France : cy com- mencent les chroniques d^ Angleterre. La déclaration du droit que les Anglais prétendent au royaume de France. In-folio , i5® siècle.

363. Une chronique de Flandre , inédite jusqu'en i^^i.

3g I. Description de la Flandre gallicant , par Godefroi.

385. TVetlen van Brushe : annales des bourgmestres et échevins de Bruges, très-bien écrites, avec les armes dessinées.

HISTOIRE NATIONALE. 585

MANUSCRITS DE MM. HOLVOET ET VERMEIRE.

M. Warnkœnig s'est occupé également des manuscrits communi- qués à la commission par MM. Holvoet et Vermeire de Bruges.

Le premier est une copie faite au iG*' siècle de la chronique du monastère de Saint-André de Bruges. Cette chronique , qui a pour auteur un moine de Saint-André nommé Goethals , a déjà fixé en 1829 l'attention de M. Van Praet, qui en a traduit un extrait à la suite de son ouvrage sur l'origine des communes flamandes, p. 83. M. Warnkœnig avait aussi examiné l'original en i832. Cette chro- nique doit être publiée dans une collection des chroniques de Flan- dres. Une copie de l'original se fait dans ce moment à Bruges, et on y comparera le manuscrit de M. Holvoet pour voir s'il s'y trouve quelques additions intéressantes.

Le commencement de cette chronique est surtout curieux ; l'au- teur raconte avec beaucoup de détails l'insurrection des moines de Saint-André , alors soumis à l'abbaye d^AfïIighem , et leur affran- chissement de cette dernière.

Il y a en outre plusieurs chartes des comtes de Flandre du i3^ siècle insérées dans le récit historique, et qui n'existent plus :

Par exemple , une sur les écJievins de Flandre , institution qui n'est mentionnée chez aucun auteur , et que M. Warnkœnig a ex- pliquée dans son Histoire politique et législative de la Flandre au moyen-âge , qui vient d'être publiée.

Le manuscrit communiqué par M. Vermeire est un vrai trésor pour l'histoire de Flandre au moyen âge. Il est écrit vers 1422 et contient la chronique des comtes, mais plus complète qu'aucune autre connue jusqu'à présent.

Il renferme d'abord tout au long l'histoire fabuleuse des temps les plus anciens , comme le manuscrit trouvé par M. Warnkœnig à Lille.

Ensuite la chronique se continue depuis l'an i347 ? °^ ^^ partie imprime'e par les Bénédictins cesse , jusqu'à l'an \^ii\ cette suite forme 21 pages en petit in-folio, écriture très-serrée.

Toute l'histoire de la Flandre sous Philippe d'Artevelde y est racontée.

M. Warnkœnig a fait copier sous sa direction celle partie de la

586 HISTOIRE NATIONALE.

chronique. Malheureusement l'e'criture est si difficile à déchiffrer qu'il a laisser quelques lacunes , qu'on remplira sans doule à l'aide du manuscrit qui se trouve à Lille.

M. Warnkœnig s'est convaincu par l'étude du manuscrit que la suite de la chronique a été faite à Bruges et qu'elle a servi à Custis , qui l'a souvent textuellement traduite dans ses Annales de Bruges.

M. Warnkœnig avait été chargé de rendre compte du catalo- gue des manuscrits de la bibliothèque de l'Université et de la ville de Gand.

Il y a long-temps qu'il avait examiné les manuscrits de cette bi- bliothèque , qui sont relatifs à l'histoire de Flandre. ( Il n'y a guère d'autres manuscrits historiques. )

Il en a même de'crit quelques-uns dans l'introduction littéraire de son Histoire politique et législative de la Flandre au moyen- âge / notamment ceux-ci :

Le numéro 2i3, exécuté à la fin du g^ siècle , contient la vie de saint Amand , fondateur des couvens de Saint-Bavon et de Saint-Pierre à Gand ; on l'a imprimé dans les Acta sanctorum et dans le recueil de Ghesquière , mais plusieurs morceaux n'ont pas ëlé publiés.

M. Pertz a jugé les petites Annales de Saint-Amand , qui se trouvent dans ce manuscrit , dignes d'être insérées dans la belle collection des Monumenta Germaniœ historice , t. II, p. 184.

Le numéro 210, écrit vers l'an ioi4> contient la vie et les mi- racles de saint Bavon; on y trouve des renseignemens très-précieux sur l'état des personnes et sur les mœurs; on l'a continué jusqu'à !oi4- Il fournit quelques variantes notables : par exemple, fol. 33, le mot Dani pour clam , que les Bollandisîes avaient lu dans un passage sur l'invasion des Normands.

M. Warnkœnig s'est assuré que plusieurs parties de ces légendes ne sont pas reproduites même chez Ghesquière, qui semble avoir connu le manuscrit.

Le numéro 10 contient une chronique de Saint-Bavon qui finit en i34o, avec des additions de i345, «349, i35o; M. Pertz l'a également publiée dans son recueil , t. II , p. i85. Elle est tirée de la grande chronique de Saint-Bavon, et sera insérée dans noire

HISTOIRE NATIONALE. 587

collection avec les corrections de quelques inexactitudes, et les va- riantes tirées d'un autre manuscrit de la même chronique qui se trouve aux archives provinciales a Gand.

i5i. Designé comme un recueil astrologique au catalogue , p. 3,5 , et par dom Bertliod dans sa notice manuscrite sur les ma- nuscrits de Belgique.

Cet ouvrage , de 3oo feuillets grand in-folio, e'crit vers 1120, n'est autre que le Liber flnridus de l'ancienne abbaye de Saint- Bavon , contenant près de 1 5o traite's différens sur tout le savoir humain. C'e'tait 1 encyclopédie de l'abbaye, composé par un certain Lambertus Onulphi filius , chanoine de Saint-Omer.

Il est mentionné avec éloge dans plusieurs autres manuscrits du treizième siècle, et même par Custis.

11 contient beaucoup d'ouvrages historiques tels que la chronique des Normands et de leurs invasions , et le plan avec un texte de la petite chronique des comtes des Flandres , le tout enrichi de quelques copies des documens du temps. M. Warnkœnig a publié ce morceau dans l'appendice diplomatique de son Histoire politique et législative de la Flandre au moyen-âge.

Le Liber Jloridus a été souvent extrait; il s'en trouve quelques fragmens à la bibliothèque de Wolfenbuttel. Il mérite d'être exa- miné à fond, non-seulement par ceux qui s'occupent d'histoire po- litique , mais encore par les amateurs de 1 histoire des sciences et des arts : par exemple , de l'astronomie , de la philosophie , même de la musique.

Les numéros 217 , 220, 221 , 222 et 223, sont encore des ma- nuscrits relatifs à l'histoire des 14", iS" et 16^ siècles : quelques- uns sont imprimés , comme le 222 , manuscrit autographe du père Dejonghe , Gentsche gescJiiedenissen (i 566-1 585).

Sous le n 224 se trouve une lettre de Philippe d'Artevtlde écrite aux commissaires du roi de France, Charles VI , l'an i38o, peu de temps avant la bataille de Rosebeque.

Dans le supple'ment du catalogue , il ne se trouve pas de ma- nuscrits importans pour l'histoire belgique , sauf les numéros 120, 54 et 237.

M. de Pieifï'cnberg s'explique , à son tour , eu ces termes :

Le manuscrit de M. Vermeire , que je me suis chargé d'exami-

688 HISTOIRE NATIONALE.

ner , est un recueil de pièces diverses dëjk connues , sur papier et à deux colonnes, copié pour Gilles Appelmau, curé de Ligny, par Gilles de Aspelair , et achevé vers la fin du mois de mars 1472. Il renferme :

Un traité de théologie mystique par Jacohus de Theranio.

Un long extrait de la vie de Charlemagne par le Faux-Turpin, écrivain en faveur de qui M. Villenave a dernièrement re'veillé l'attention , et dont M. le prince d Essling se propose de faire pu- blier une traduction ancienne, tandis que mon savant confrère à la société des bibliophiles français , M. de Monmerqué , prépare une édition du texte même.

Un discours De excellentia sanctœ Aquensis ecclesiœ , qui se retrouve dans A. Thymo et dans le recueil diplomatique d'Au- bert le Mire, Donation pianj,m , p. i4, mais sans le pre'ambule.

Deux chapitres intitules : Genealogia regum Francorum et De regibus Francorum : morceaux sans importance.

Liber Methodii martyris.

Lettre écrite par l'empereur Constantin , quatre ans avant la croisade, à toutes les églises d'Occident, avec d'autres extraits re- latifs à Pierre l'Ermite et aux expe'ditions d'outre-mer.

^^ Le livre, plusieurs fois imprimé, de Brocard ou Burcard , dominicain ; livre traduit en français , pour le duc de Bourgogne Philippe-le-Bon , par Jean Mielot, chanoine de Lille, en Flandre.

Une courte succession des comtes de Flandre, depuis Lideric, le forestier, jusqu'à l^an 1293.

g' Directorium ad passagium faciendum in terram sanctam per christianissimum Francorum regem.

10° Des notes historiques qui n'apprennent rien de nouveau.

11° L'itinéraire de Mandeville , publié en plusieurs langues.

12" Quelques vers et extraits du livre des Propriétés des choses de Barthélemi de Glanville, et des Annales de Jacques de Guyse. Parmi les vers j'ai remarqué ceux-ci qui expriment le prix de cer- taines denrées en 1468 :

Très gheltas olei , vini de meliori Et très mensuras frugum sextaria dictas Vendi pro sola vidit Bruxella corona Ecclesiam Paulus dum rexit papa secundus.

HISTOIRE NATIONALE. 589

Il résulte de cet examen que ce manuscrit ne peut être utile à la commission ; mais M. Vermeire n'en mérite pas moins de recon- naissance pour l'avoir communiqué.

Au nom de M. André Fryxcll , professeur à Stockholm , M. de Reiffenberg demande à la commission s'il ne lui serait pas possible de fournir quelques renseignemens sur des manuscrits historiques, très-précieux , apportes autrefois en Belgique par des prélats ca- tholiques suédois , qui avaient quitte' leur pays au commencement de la réforme ; savoir : les archevêques Gustave Troll et Jean Magnus, et levêque Brask. On sait que Troll était à Anvers en i53o. Le gouvernement sue'dois attache beaucoup d'importance à recouvrer ces manuscrits, soit en original, soit en copie, et M.Fryxell compte sur la sympathie des savans de la Belgique pour l'e'clairer dans ses perquisitions.

Il est décidé que , dès que les caractères de M. Hayez seront fondus , on mettra sous presse A. Thyrao , Philippe Mousque et Van Heelu.

La précipitation avec laquelle doit nécessairement s'imprimer un journal quotidien, ayant été cause que plusieurs fautes typographi- ques se sont glissées dans le compte rendu des quatre premières se'ances, un errata devient indispensable.

Page 461 , ligne i , 1681 , Usez : i58i.

Pag. 462 , lig. 28, fait, lisez : feit.

Ibid. lig. 39, Paris, Wsci: Pavie.

Pag. 466 , lig. 7 et 10, Schvenemann , lisez : Schenemann.

Pag. 467. Le manuscrit 769 n'est pas à Lille, mais à Saint- Omer.

Pag. 4% , lig. 4 > Warim , lisez : JVurinc.

Pag. 470, lig. 9, Sterman , lisez : Herman.

La prochaine séance est fixée au 3^ vendredi de janvier i835.

Pour extraits conformes; Le secrétaire : Baron de Reiffenberg.

590

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MÉLANGES. Décembre 1834.

Notice de S. E. le card. Zurla. It. de Mgr. fFhitfield , archevêque de Baltimore. Nouv. édition du Lexique latin de Facciolati par Forcellini. Notice de M. Marien Bedetli. Economie politique par le vicomte Alban de Villeneuve. Adhésion du comte de Mon- talembert aux Encycliques de SS. Grégoire XVI, Notice sur le Prieuré de Solesmes.

S. E. le cardinal Zurla est mort inopine'ment à Palermc le 29 oc- tobre dernier. M, Placide Zurla e'tait d'une famille noble le 2 avril 1769, à Legnago , dans l'état de Venise, et entra dès sa jeunesse dans l'ordre des catnaldules. II habitait le couvent de Saint- Michel de Murano à Venise. Son Enchiridion tJiéologique , ses éclaircissemens de la mappe-monde du camaldule Maur, et surtout ses dissertations sur Marco Polo et sur les plus fameux navigateurs vénitiens lui avaient fait de la réputation dans le monde littéraire. Devenu abbé de sa congrégation, il se rendit à Rome en 1821 , et Pie VII le nomma préfet des études au collège de la Propagande. En 1823, ce Pontife le décora de la pourpre, et Léon XII le fit vicaire de Rome. Pie VIII lui confia la préfecture de la congréga- tion des études. Le cardinal Zurla était général des camaldules. Au mois de juin dernier , il lut à l'académie romaine d'arche'ologie une dissertation qui fut depuis rendue publique , sur le groupe de la Piété et sur les autres sujets religieux exécutés par Canova II ve- nait d'entreprendre un voyage en Sicile pour y étudier les restes d'antiquités qui abondent dans cette île , lorsqu'il fut frappé à Pa- lerme du coup qui l'a enlevé. La religion et les lettres perdent en lui un de leurs ornemens. U Ami de la Religion, 234i.

S. Em. le cardinal Joseph Albani, premier diacre de Sainte- Marie in via latâ, bibliothécaire de la sainte Eglise , secrétaire des brefs et légat d'Urbin et Pesaro , est mort à Pesaro le 3 décem- bre après une longue maladie qu'il a supportée avec courage, et après avoir reçu avec piété tous les secours de la religion. II était

MÉLANGES. 591

à Rome, le i3 septembre l'jSo , de i'illustre famille qui a donné à l'Eglise Cle'ment XI , et les cardinaux Annibal , Alexandre et Jean-François Albani. Son père était le prince Horace âlbani , et sa mère était de la maison des princes de Massa-Carrara. Le jeune Joseph entra dans la carrière ecclésiastique et occupa différentes places dans la prélature. Il était auditeur général de la chambre lors- quePie Ville déclara cardinal dans le consistoire du 23 février 1801. Pendant les troubles de l'Eglise en 1809, le cardinal Albani par- tagea les disgrâces de ses collègues. Il fut obligé de venir en France et d'y résider quelques années. Pie VII l'avait nommé préfet du bon gouvernement , Léon XII le fit secrétaire des brefs et légat à Bologne. Pie VIII le choisit pour secrétaire d'état , et le Pape ac- tuel l'envoya commissaire extraordinaire dans les légations de Bo- logne , Ferrare , Ravenne et Forli , sans lui ôter la légation d'Urbin et Pesaro. Le cardinal était protecteur de la nation autrichienne et des états du roi de Sardaigne. Le Saint-Père a nommé M. le car- dinal Riario Sforza à la légation d Urbin et Pesaro. Id. 2354.

Mgr. Jacques Whitfield , archevêque de Baltimore, dont nous avons annoncé la mort, était le 3 novembre 1770 à Liverpool, en Angleterre. Son père y faisait le commerce et lui procura les avantages d'une bonne éducation. A l'âge de dix-sept ans, le jeune Whitfield perdit son père. Il accompagna sa mère en Italie elle était allée pour se distraire de sa douleur et rétablir sa santé. A son retour de l'Italie, il s'était occupé quelque temps d'intérêts de commerce , il se trouva en France h l'époque Napoléon décréta que tout Anglais qui était en France serait prisonnier. Il passa la plus grande partie de son exil à Lyon, il fit la connaissance de M. Maréchal, depuis archevêque de Baltimore, et alors profes- seur de théologie au séminaire de Lyon. La piété du jeune W^hitfield le porta à entrer dans l'état ecclésiastique, et il commença l'étude de la théologie sous la direction de l'habile et vertueux directeur. Son jugement , sa pénétration , son assiduité au travail le firent re- marquer dans ses études. En 1809, il fut ordonné prêtre à Lyon. Après la mort de sa mère , il retourna en Angleterre et remplit les fonctions pastorales à Crosby. M. Maréchal étant devenu archevêque de Baltimore, écrivit à M. Whitfield pour l'engager à venir le se-

592 MéL ANGES.

conder dans ses travaux. M. Whitfield céda à ses instances , et arriva aux Etats-Unis le 8 septembre 1817. Attaché presque aussitôt à l'église St. -Pierre de Baltimore, il remplissait les fonctions du ministère avec zèle et piété. En iSaS, un induit spécial lui con- féra le titre de docteur en théologie à Rome. Son nom fut rais le premier sur la liste envoyée au Saint-Siège à la mort de M. Maré- chal pour le choix du successeur (i). M. Whitfield fut adminis- trateur pendant la vacance, fut ensuite choisi par le Pape pour le siège de Baltimore, et fut sacré le jour de la Pentecôte 1828. C'est par ses soins que furent tenus les deux conciles provinciaux de Baltimore en 1829 et eu i833. Sa prudence n'était pas moins grande que sa sollicitude. Jouissant d'une belle fortune , il la consacrait tout entière pour le bien de la religion. Sa cathédrale éprouva ses libéralités , et l'édifice de Saint-Jacques à Baltimore est la dernière preuve de sa générosité. On peut dire de lui ce qui ne convient qu'à un petit nombre, c'est qu'entré riche dans la carrière des hon- neurs , il en est sorti pauvre. M. "Whitfield voyant depuis quelque temps décliner sa santé, avait demandé un coadjuteur qui lui fut accordé 3 c'était M. Samuel Eccleston , pieux ecclésiastique, qui a été élevé en France et qui était en dernier lieu président du col- lège Sainte-Marie à Baltimore. M. Eccleston reçut titre d'évêque de Termie, et fut sacré à Baltimore le i4 septembre dernier par l'archevêque, assisté de M. l'évêque de Boston et de M. levêque d'Arath, coadjuteur de Philadelphie. M. Whitfield était déjà très- faible à cette époque , et cet état de faiblesse augmenta rapidement bientôt après. Il s'occupait cependant encore de ses affaires. Le 7 octobre il perdit l'usage des jambes et ne put plus sortir de son lit. Le 16 octobre il reçut les derniers sacremens des mains de son coadjuteur et en présence de tout le clergé de la ville. Malgré sa faiblesse, il prononça une allocution touchante et dont les assistans furent émus. On lai appliqua l'indulgence à l'article de la mort. Sa patience comme sa piété ne se démentirent jamais. Il rendit le dernier soupir le dimanche 19, à onze heures du matin. M. Deluol,

(i) V. la Notice de M. Maréchal, dans ÏÀmi de la Religion, iS"]^, tom. 6i,

MÉLANGES. 593

supérieur du séminaire, ne le quitta point pendant les derniers jours. Aux obsèques, qui eurent lieu le 21 , il y avait un grand con- cours. M. Eccleston officia et M, Deluol prononça l'éloge du de'funt. M. l'évêque de Termie devient par cette mort archevêque en titre- le prélat a eu trente-trois ans le 28 juin dernier. Le diocèse de Baltimore a l'espoir de le conserver long-temps. Son mérite et sa vertu le rendaient bien digne d'une place. si importante. L'Ami de la Religion , 2342.

Lexicon totius latinitatis , consilio et cura Jacobi Facciolati operâ et studio jEgidii Forcellini, seminarii Patavini alumni, lu- cuhratum ; in hac tertia editione , auclem et emendatiim à Josepho Furlanetto, ejiisdem seminarii alumno. Patavii , typis seminarii 1827-1831 (i). Ce dictionnaire a été reconnu, dès l'époque de sa publication , comme le plus complet et le plus exact qui eût été encore exécuté, et dès-lors son mérite fut établi. L'auteur y a con- sacré plus de cinquante années de travail. Composé dans la terre classique de la latinité, dans le séminaire de Padoue , école antique et ce'lèbre , à laquelle est attachée une imprimerie d'où sont sorties beaucoup d'éditions estimées d'auteurs latins et autres , il y fut publié en 1771 et réimprimé en i8o5. On y trouve tous les mots latins depuis l'origine de la langue jusqu'au 8^ siècle , leur étymo- logie , leurs différentes significations tant au propre qu'au fi"uié établies par des exemples tirés des divers auteurs ; tous les noms propres d'hommes, de femmes, de villes , de fleuves, de monta^aes avec les adjectifs qui en sont dérivés. M, labbé Furlanetto, à qui l'on doit la troisième édition que nous annonçons, donna en 18 16 une Appendice qui fut reçue avec applaudissement , et , depuis il n'a cessé de travailler à perfectionner le travail de ses devanciers. Il a revu avec un soin particulier les étymologies ; ses additions vont à cinq mille mots, que lui ont fournis les inscriptions antiques les marbres trouvés dans les fouilles entreprises depuis soixante

(i) Quatre gros vol. grand in-40 à deux col. , (riiiic exécution très- soignée , ornés des portraits des trois auteurs. Prix : 1 15 francs. A Paris , chez Adrien Le Clere et Ce , quai des Augustiiis , n. 35.

T. X. 41

594 MÉLANGES.

ans , les manuscrits Palimpsestes récemment publie's , et aussi une étude plus approfondie d'auteurs mêmes du siècle d'or de la latinité, qui avaient été examinés assez légèrement par Forcellini. Enfin , il a fait à l'ouvrage au moins dix mille corrections ; aussi cette nou- velle édition a-t-elle ete apcueillie avec un grand empressement par tous les professeurs et les amis des lettres.

M. Marien Bedetti , archidiacre d'Ancôue , a été enlevé l'an- née dernière à ce diocèse. Il était à Ancùne le lo juin 1774- Il y fit son séminaire et s'y distingua par ses succès. On lui confia la chaire d'éloquence ; il s'appliquait encore plus à former les jeu- nes gens à la pieté qu'aux lettres. Le séminaire ayant été fermé en 1798 et changé en caserne, Bedetti ne voulut cependant pas s'en éloigner , et attendit des temps plus heureux. I! refusa des postes avantageux pour saisir l'occasion de rouvrir le séminaire , et il y parvint en effet. JLes évèques d'Ancôae lui donnèrent tous des marques d'estime et des missions de confiance. L'abbé Bedetti ranima le culte de saint Cyriaque , patron d'Ancône, culte que la critique trop sévère de Papebroch avait affaibli. Baroni et lui prou- vèrent très-bien que le Saint avait élc évêque d'Ancône et martyr. C'est à Bedetti qu'on dut le rétablissement de la collégiale de Sainte- Marie et de Saint-Roch. On érigea pour lui une chaire d'histoire ecclésiastique au séminaire. En i83i , il fut nommé archidiacre, qui est la première dignité de la cathédrale. Ses occupations ne nuisaient point à sa piété ; on a trouvé dans ses papiers des réso- lutions qu'il avait prises pour s'exciter à la perfection. Son zèle pour la conversion des juifs trouvait à s'exercer dans une ville ils sont nombreux. Ses inclinations droites, ses senlimens honorables, son désintéressement, sa modestie, sa charité, sa douceur, tout avait contribué à lui procurer de nombreux amis. Il était fort lié entr'autres avec le pieux et savant abbé Baraldi , et il a inséré plu- sieurs articles dans ses Mémoires de religion et de litlérature. On a de lui en outre des épigraphes latines , des leçons sur ce genre , un cours d'histoire ecclésiastique , des opuscules religieux et litté- raires. Il serait à désirer que l'on s'occupât de l'impression de son histoire ecclésiastique qu'il a laissée à la disposition de son évêque. Sa dernière maladie a fait éclater ses sentimens vifs de foi et de

MÉLANGES. 595

pieté. Quand on lui annonça le viatique, il s'écria : Lœtatus sum in his quœ dicta sunt milii. W adressa des choses touchantes à tous ceux qui étaient prësens, et mourut la nuit du 16 au 17 juillet i833. Une notice a paru sur lui dans la Continuation des Mémoires de religion, de Modèue; elle est de M. Peruzzi , chanoine de Feriare et pre'sident de l'université' de cette ville.

Economie politique chrétienne , ou Recherches sur la nature et les causes du paupérisme en France et en Europe, et les moyens de le soulager elle prévenir , par le vicomte Alban de Villeneuve, ancien conseiller d'e'tat et ancien préfet. Cet ouvrage, composé dans un excellent esprit, a sur les ouvrages du même genre des avantages incontestables. Il est le fruit d'une longue expe'rience ; son auteur était dans la position la plus favorable pour observer les faits sur lesquels il appuie constamment ses raisonnemens. Il est d'une impartialité' qui doit dissiper les pre'ventions chez les per- sonnes les plus faciles à eu concevoir. Les ecclésiastiques trouveront en lui un homme religieux , cl la lecture de son livre est d'autant plus propre à inspirer les sentimens dont il est lui- même animé, qu il ne fait nulle part une apologie directe de la religion. Le triomphe de celle-ci est toujours la conséquence nécessaire de 1 impuissance des théories philosophiques qui lui sont opposées.

Les questions auxquelles touche l'écrit de M. de Villeneuve sont les plus hautes et les plus étendues dont l'homme d'état, le prêtre, l'administrateur puissent s'occuper. Religion, philosophie , commerce, industrie , constitutions politiques, toutes ces choses si grandes et si compliquées tout h la fois ne sont point étrangères au paupé- risme. Selon qu'elles sont bien ou mal comprises , dirigées avec sa- gesse ou traitées avec imprudence, elles doivent diminuer ou ag- graver cette plaie; plaie immense , qui doit attirer tous les regards, exciter toutes les sollicitudes ; plaie que M. de Villeneuve a sondée, et sur laquelle il a jeté les plus vives lumières. L'ouvrage forme trois volumes in-8" de plus de 5oo pages chacun, k Paris, chez Paulin, libraire-éditeur, rue de Seine, n" 6.

VAmi de la Religion dans sou du '^3 décembre dit qu'il est invité à publier que M. le comte de Moutalembert , absent de

596 MÉLANGES.

France depuis dix-huit mois , a écrit de Pise , oix il se trouve en ce moment , à S. E. le cardinal Pacca , pour lui transmettre son adhésion à l'Encyclique du i5 août i832, dans la forme prescrite par le Bref du 5 octobre i833, et en même temps à l'Encyclique du 25 juin i834.

Notice sur le Prieuré de Solesmes ; in-8° , prix go cent. , au Mans chez Belon , et à Paris chez Adr. le Clere. Cette no- tice donne une description intéressante de l'église et des monumens que renferme le Prieuré de Solesmes (/^. ci-d. tom. f^JII , p. 82, i85 , 262 et 2^1.)

Le document suivant prouve de la manière la plus formelle l'in- térêt que Mgr. lëvêque du Mans porte aux membres de cette com- munauté :

<( Joannes - Baptista Bouvier , miseraiione divinâ et sanctce Sedis apostolicœ gratiâ , Episcopus Cenomanensis ,

» Universis et singulis has litteras inspecturis , salutem in Do- mino. Notum facimus omnibus , sive clericis , sive regularibus ad quos pertinebit, societatem regularem quae militât sub régula sancti Benedicti et constitutionibus congregationis sancti Mauri, in veteri prioratu sancti Pétri de Solesmis , nostrœ diœcesis Cenomanensis , quamque praedecessor uoster faustœ recordationis auctoritate sua firmavit et stabilivit , ut episcopali legente brachio cresceret, et Sedis apostolicae suffragio , suo tempore postulando , digna fieret , nobis gratam esse et acceptissimam , uosque illius membra paterno affectu indesinenter fovere. Ideb per praesentes testamur falsas pe- nitùs et calumniosas esse assertiones quae à quibusdam circumferun- tur, dictitantibus praedictam societatem novitatibus , opinionibus , systematibusque hujus seculi esse addictam. Hanc enim, certâ scien- tiâ , novimus tam individuè quàm collective adhaerentem in orani zelo universis Ecclesîae catholicae ac Sedis apostolicae decretis , et presentim duabus postremis Litteris Encyclicis S. D. N. Gregorii papœ XVI.

» Quapropter hancce societatem commendamus omnibus supe- rioribus ecclesiasticis , tam secularibus quàm regularibus , ut in- dueutes circà illam viscera caritatis ac paternitatis , uobiscum sint

MÉLANGES. 597

unanimes in fovendo tuendoque proposito fîliorum nostrorum ca- rissimorum , qui magno ac plané meritorio operi instaurandae apud nos rei mouasticae Benedictinas , verâ aboegatione , sub auspiciis nostris incumbunt.

)) Datura Cenomani , in nostro palatio episcopali , sub signo si- gilloque nostris, necnon sub cbirographo secrelarii diœcesis uostrœ, die l'j noverabris i834. JoannesBaptista , Episcop. Cenom. De mandat. LoUin , can. secret, episc. »

On suit à Solesmes la règle de saint Benoît , mais dans le sens des constitutions de Saint -Maur. Seulement , le précédent évêque du Mans , Mgr. Carron ( ci-d. tom. VIII , pag. 3oo ) , les a auto- rises à ne célébrer matines qu'à quatre heures du matin, et à faire usage d'alimens gras trois fois la semaine, hors le temps de l'Avent, durant lequel l'abstinence est la même que celle du carême. L'office se célèbre eu entier au chœur, partie chantée, partie psalmodiée, suivant la règle du cérémonial monastique de Saint-Maur. Les fériés et les simples, on a de quatre à cinq heures de chœur j les fêtes , tantôt sept , huit et quelquefois neuf heures , suivant le rit de l'of- fice. Cet exercice n'a jamais e'té interrompu, bien que, pour cause de maladies ou autres, les solitaires ne se soient quelquefois trouvés que trois ou quatre présens au chœur. Leur intention est de vivre ainsi dans la pratique de leurs exercices jusqu'à ce que , fortifie's dans l'esprit de saint Benoît et des re'formateurs de Saint-Maur , ils puissent présenter assez de garanties de stabilité pour postuler à Rome leur approbation. La maison n'est pas encore nombreuse; elle le serait davantatre si l'on avait accédé à toutes les demandes et SI tous ceux qui sont entrés avaient perse've're'. L'essentiel est de se fortifier dans l'esprit intérieur : les corps qui ont le mieux prospéré ne sont pas ceux qui se sont accrus rapidement.

Les travaux des solitaires ont principalement pour but l'e'tudc de la tradition. Les offices du chœur et les autres exercices régu- liers laissent disponibles aux membres de la communauté environ sept à huit heures par jour. Leur principale occupation est de se livrer aux recherches que nécessite un cours d'antiquité ecclésiasti- que professé par le supérieur de la maison. Ce cours embrasse toutes les questions historiques , dogmatiques, morales, canoniques et critiques qui se rencontrent dans l'étude des monumens des trois

598 MÉLANGES.

premiers siècles. L'étude sérieuse de l'antiquité chrétienne est peut- être la plus forte barrière qu'il y ait à opposer à l'esprit de nou- veauté.

L'Association de Solesmes prépare uu travail historique qui pa- raîtra sous le titre à! Annales ecclésiastiques du diocèse du Mans. Le premier volume de cet ouvrage, dont M. l'évêque du Mans a accepte la dédicace , renfermera une dissertation importante sur l'époque de l'établissement du christianisme dans le Maine : ques- tion vivement débattue entre les critiques du xvii^ siècle. On don- nera aussi dans cet ouvrage le texte pur des Acta Episcopnrum Cenomanensium , publiés déjà par Mabillon au troisième volume de ses Analecta , mais sur une copie très-infidèle. Les éditeurs actuels reproduiront dans le cours de leur travail, avec une entière exactitude , cet important manuscrit , conservé autrefois dans les archives de l'église cathédrale , et aujourd'hui déposé à la biblio- thèque départementale.

Les bénédictins du Mont-Cassin et de Saint-Paul de Rome ont déjà plusieurs fois donné à la petite communauté de Solesmes des marques paternelles d'approbation. Les Pères du Mont-Cassin ont bien voulu promettre la communication des plus importans manus- crits de leur riche bibliothèque. Les bénédictins d'Einsidlen , ou Notre-Darae-des-Ermites, en Suisse, entretiennent aussi avec l'éta- blissement des relations pleines de bienveillance et d'intérêt.

599

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TABLE

DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME

I.

Du Progrès des Sciences et de lenr influence sur les Croyan- ces religieuses. 5

Tableau synoptique contenant l'exposition de la Doctrine renfermée dans les saintes Écritures , par M. l'abbé Frère. 1 3

Sur l'état de la Religion catholique dans le Hanovre. i5

Réflexions sur l'Histoire de France de M. Michelet, par M. le baron d'Eckstein. 23

Annales du inoyen-âge , depuis la décadence de l'Empire romain jusqu'à la mort de Cbarlemagne ; par M. Frantin. 4^

Lettre encyclique de S. S. Gre'goire XVI , à tous les Patriai*- clies , Primats, Archevêques et Evêqnes, par laquelle Sa Sainteté condamne les Paroles d'un Croyant. 6o

Bref de S. S. Gre'goire XVI aux Évêques de Belgique, pour la collation de Grades en Tbe'ologie. 68

Circulaire des Évéques de Belgique pour l'ouverture des Cours de l'Université catholique. 74

Discours sur l'Origine , le Développement et le Caractère des Types imitatifs qui constituent l'Art du Christia- nisme ; par M. Raoul-Rochette. 76

Critique du livre de Morale et d'Instruction religieuse à l'usage des F^coles e'iementaires , par M. Cousin. 80

QSuvres deSalvien, traduction nouvelle avec le texte en regard ; par J. F. Gre'goire et F. Coilouibet. 85

Notice sur M. l'Écuy , dernier abbe' de Prc'montre'. 8g

Sur la crise de l'Eglise anglicane. 96

600

TABLE DES MATIERES.

Mélanges. Juillet 1834. Mort de M. Van Giis. Con- version du docteur anglican King. Médaille de'cerne'e à M. Triest; nombre de ses institutions. Diffe'rentes religions en Angleterre. Des Devoirs des hommes , par Silvio Pellico, Bene'fices de l'Église anglicane. Bi- bliothèques de Paris. Bibliothèque de St. Pe'tersbourg.

Antiquités de'coavertes dans lîle de Ceylan. Re'- flexions du Franc- Parleur sur l'Université' catholique.

Hie'rographie de M. Ganelli. Se'ance de l'Académie de Bruxelles du 7 Juillet. Lettre de Mgr. l'Archevê- que de Paris. Conversion de M. Theiner. 100

IL

Tragédie de Thomas Morus , chancelier d'Angleterre , par Silvio Pellico. 1 13

Etat du the'âtre en France , extrait d'un article de la Re- vue d'Edimbourg. i3r

Considérations orthodoxes sur le Cëlibat eccle'siastique. Par M. l'abbe' de l'Étang. i34

Dissertation sur la Re'habilitation des Mariages nuls, l'on traite particulièrement des Dispenses in radie e; ipar M. l'abbe' Carrière, professeur du se'minaire deS.-Sulpice. i38

Cours d'Histoire des États europe'ens modernes ; par Fre'- déric Samson Schoell. ( Troisième et dernier article. ) Des fausses Décre'tales. i4o

De la Taille de PHorame , et en particulier de celle des ge'ans. iSa

Extr. du voyage de l'Ârabie-Pe'tre'e , par MM. Léon de Laborde et Linant. iS^

Etudes hébraïques , par M. l'abbé Rossignol. 170

Chrestomathie hébraïque ,ou Choix de Morceaux tirés de la Bible; par J. B. Glaire. 172

Morceaux choisis des saints Pères de l'Église grecque. 1^3

Vie de saint François de Sales, par M. Loyau d'Amboise. 179

Notice sur M. Charles Butler, écrivain catholique anglais. i83

TABLE DES MATIERES. 60l

Nouveaux Monumens découverts an Mexique , et prouvant

l'ancienne civilisation de ce pays. i86

Lettre pastorale de Mgr. l'Évêque de Bruges. i88

Mélanges. Août 1834. Notice de M. de Ghampagny. Les infirmite's du ge'nie, par M. Madden. Se'ance de i'Acade'mie catholique du 19 Juin. Écrit du P. Bo- nola sur le Janse'nisme. Cours de the'ologie par M. Bou- vier. — Histoire de France par M. Mazas. Mort de Mgr. l'e'vêque de Tournai. Médaille donne'e par S. S. à M. le chan. Torricelli. Sur les nouveaux Me'moires l'elatifs à l'astronomie ancienne, lus à l'Académie des Sciences de Paris par M. Biot. Lettre de M. l'abbé Gerbet à Mgr. l'arclievêque de Paris. 193

III.

Recliercbes sur la personne de Je'sus-Christ, et sur les plus

anciens Portraits qui le représentent. 2o5

Critique de lexamen du Mosaïsme et du Christianisme,

par M. Reghellini, de Schio. 227

Principes pour servir à l'Histoire comparée des langues. aSi Voyage en Suisse, en Lombardie et en Pie'mont, par M. le

comte The'obald Walsh. 241

De'couvertes importantes faites par M. Ruppell en Abyssinie. 24^ Buonaparte devant 1 Officiallte' de Paris. a56

Des Secours que l'e'tude des Antiquite's égyptiennes doit trouver dans les écrits de la Bible. Discours lu k l'A- cadémie catholique de Rome par le P. Oliviéri , général des Dominicains. 270

Bibliothèques des Peuples mahométans. 282

Histoire Nationale. Extr. des Procès- Verbaux de la Com- mission royale d Histoire. 285 Mélanges. Septembre i834. Décret de la Congrégation de l'Index du 28 juillet. Statistique religieuse de l'Es- pagne de M. Moreau de Jonnès rectifiée. Écrit de M. Theiner sur l'histoire des Séminaires épiscopaux. Monumens de l'île de Malte. Séance de l'Académie T. X. 42

602 TABLE DES MATIERES.

catholique da 17 juillet; dissertation du P. Piaciani. Aotiquite's asiatiques. Discussion de MM. Biot et Pa- ravey sur l'astronomie e'gyptienne. Étude des langues orientales en Russie. Adhe'sions aux Encycliques du Saint-Père ; de'claration de M. Charles de Ceux. Dis- cours du R. D. Paul ciel Signore à la re'nnion de i'Aca- de'mie de la Religion catholique, à Rome. Nouveau Traité d'Embryologie sacre'e , par M. Rosiau. 297

IV.

Connaissances de Moïse et des He'breux sur la terre habi-

te'e. Extr. de Malte])run. 3og

De la perte des Manuscrits et des Auteurs de l'antiquité. 822 Considérations sur l'Empire romain, la vie de S. Antoine, etc. 33 1 Opinion de Frédéric Schlegel sur Lamartine. 33^

Sur les Missions du Levant. 347

Description de Tolède. 35o

Avertissement de Mgr. l'évêque de Strasbourg sur l'En- seignement de M. Bantain. 354 Décret d'érection de l'Université catholique. 36 1 Règlement pour l'inscription , les rétributions des Cours

et l'admission aux leçons de l Université catholique. 373 Règlement pour les élèves de la faculté de Philosophie et des Lettres et de celle des Sciences de l'Université ca- tholique. 376 Universitas catholica. Séries lectionum per semestre hibernnm anni MDCCCXXXIV-MDCCCXXXV haben- darnm. 3^8 Mélanges. Octobre 1834. Notice de Mgr. Jacques Doyle , évêque de Kildare. It. de M. François de Rivaz , abbé de S. Maurice dans le Valais. Séance de l'Aca- démie catholique de Rome. Note lue à l'Académie des sciences de Paris sur les huit arbres du Jardin des Oliviers de Jérusalem , par M. Bové. Sur la mort du voyageur Richard Landcr. Découverte d'un village indien caché sous terre. Découverte de la lecture d'une inscription rnnique. Sur M. Margerin. 38 1

TABLE DES MATIERES. 603

V.

Examen de l'Histoire de France deM.Michelet,conside'rëe

sous le rapport de la Religion. ( Premier article. ) 889

L'Évêque Wittmann. 4^^

Sur la Conversion d'un noble anglais , M, Spencer. 4^9

(Euvres complètes de saint Jean-Chrysostôme. 4^4

Tradition conserve'e chez les Arabes de l'Idume'e sar le tombeau d'Aaron ; extrait du voyage de M. de Laborde dans l'Arabie-Pe'tre'e. 4^7

Sur les Missions du Levant. 44°

Histoire nationale. Extraits des Procès-verbaux de la Commission royale d'histoire. 44^

Mélanges. ISovembre 1834. Recherches sur la langue des Siamois. Statistique des journaux. S. Vincent de Lerins. Discours de Mgr. Mai sur la ressemblance des anciennes socie'te's secrètes avec les nouvelles. Pu- blication de trois sermons ine'dits de S. Ambroise , par le P. Léandre Corrieri. Voyage de Pie VH à Gênes en 181 5, par le card. Pacca. Oraison funèbre de M. Van Gils , par M. le prof. Wilmer. Acade'mie de Bruxelles , se'ance du 22 novembre. Nouv. e'dition de St. Augustin. 47^

VI.

Lettre ine'dite de M. Van Gils , pre'sident du se'minaire de Bois-le-Duc, etc. sur les sentimens de l'ancienne faculté' de The'ologie de Louvain , par rapport à la de'claration gallicane de 1682. 4^"

Examen de l'Histoire de France de M. Michelet , conside're'e sous le rapport de la Religion. ( Deuxième article.) 49^

Ge'ologie. Tableau des Couches mine'rales du globe et des Fossiles qu'elles renferment. ^20

Physiologie et Hygiène des hommes livrés aux travaux de l'esprit. 525

604 TABLE DES MATIERES.

Des principaux Historiens de Rome. Sîg

Doctrine de Marcion sur la Rédemption, 556

Esquisses sur les Pyre'nées. 55q

Nouveaux Voyages et nouvelles De'couvertes dans le centre

de l'Asie. 570

Découverte de la ville d'Azanie , dans la grande Phrygie, conservant encore la plus grande partie de ses magnifi- ques Monumens. 571 Histoire nationale. Extraits des Procès-Verbaux de la Com- mission royale d'Histoire. 574

Mélanges. Décembre 1834. Notice de S. E. le card. Zurla. It. du cardinal Albani. It. de Mgr. Whitfield , arche- Teque de Baltimore. Nouv. e'dition du Lexique latin de Facciolati par Forcellini. Notice de M. M arien Bedetti. Economie politique par ie vicomte Alban de Villeneuve. Âdhe'sion du comte de Montalembert aux Encycliques de S. S. Grégoire XVI- Notice sur le Prieuré de Solesmes. 5qo

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