' i '!! 'i!i|i!|l ;!l!;;iiiiiiiH •iiiiijpii!; !i*il!;'T!i i:::;i;::r:ii:;: lu ! liiii ■il 'i I (I!. 1,1 11,1, ' 'y'h> l'ilill P'fni! l'i! ' ' * " •*' 'jf'l'' '•IL !•< l,îj: .1 '' i "h llii ) i t. è ^ i^'i '!/ Il I I 11 ^ïiC ^ ^ ^ Ov ^. ^• ?: ^ LEÇONS DE PHYSIOLOGIE EXPÉRIMENTALE APPLIQUÉE A LA MÉDECINE TOME P^- L'auteur et les éditeurs de cet ouvrage se réservent le droit de le tra- duire ou de le faire traduire en toutes les langues. Ils ponrsuivionJ. en vertu ' lois discrets et traités, internationaux, toutes contrefaçons foites au iné,= :8 de leurs droits. Le o' pôt légal de cet .ouvrage a été fait à Paris en juin 18S5, et toutes les forma' u es prescrites par les traités sont remplies dans les divers Étais avec lesqurij ra France' a Conclu des conventions littéraires. Oi:iVRJL€i£«: IIE M. €Ii. BERNARD. C^£Z LES MÊMES LIBRAIRES. R«^cherche8 expérimenfaSeg sur les fonctions fin nerf spi- ntrkl x"?! actressoire »le "t^'illis {Mémoires présentés //a-- Uive>s sa- vants étrangers ù VAcad^....^ des Sciences. Paris, 1851, tome XI ) ]%louTelle fonction do foie, considéré comme organe polunienr de matière sucrée chez l'homme et chez les animaux. Paris, 1853. In-4 de 94 pages. SOT S PRESSE : Mémoire sur le pancréas et sur le rôle du suc pancréatique dans les phénomènes digestifs, particulièrement dans la digestion des m.iUères grasses neutres. Paris, 1856, in-4 de 190 pages, avec 9 planches gravées, en partie coloriées. Leçons de physiologie eTcpérimentale appliquée à la méde- cine, faites au Collège de France. Semestre d'été, 1855. 1 vul. in-8, avec figures intercalées dans le texte. 7 fr. Leçons sur les effets des substances toxiques et médicanicn- leuses. Paris, 1857. 1 vol. in-8, avec figures. 7 fr. Leçons sur la physiologie et la pathologie du système ner- veux. Paris. 1858. 2 vol. in-8, avec figures. li fr. Leçons sur les propriétés physiologiques et les altérHtioiis pathologiques des liquides de l'organisme, l'aiis. 1859. 2 \o'. in-8, avec figures. li fr. Introduction à Tétude de la médecine expérimentale. Paiis, 1855, in-8, 400 p. 1 fr. Leçons de pathologie expérimentale. Paris, 1871, 1 v< 1. in-s ' la moitié ou les deux tiers de son poids d'eau, il suffît d'y ajouter du charbon de manière à obtenir une bouillie épaisse que l'on jette sur le filtre, et le liquide qui passe est incolore et débarrassé de toutes les matières albuminoïdes. Mais si le sang est pur, il faudra non-seulement faire une pâte très-épaisse avec le charbon, mais il faudra en outre la battre dans un mortier et y incorporer encore de nouvelles quan- tités de charbon, jusqu'à ce que la masse ait, pour ainsi dire, cessé d'être humide et qu'elle soit redeve- nue pulvérulente. Alors, si l'on ajoute de l'eau à ce charbon, toute la matière sucrée est dissoute et passe dans un liquide parfaitement limpide. Les matières fixées par le charbon, telles que l'albu- mine, la matière colorante du sang, la caséine, l'acide urique, etc., paraissaient réellement combinées avec le charbon et l'on ne peut plus les en séparer par le lavage, même à l'eau tiède. Le sucre, au contraire, ({ui était dans les liquides animaux, quelle que soit son es- pèce, n'a été aucunement retenu par le charbon, et il coule avec le liquide qui filtre; on peut même, par des lavages successifs, obtenir toute la quantité du sucre dont le charbon était imprégné, sans craindre, ainsi que nous venons de le dire, d'entraîner des matières étrangères redissoutes. Je recommande donc le charbon animal comme un moyen très-expéditif et indispensable quand on veut essayer quelque liquide animal au réactif cupro-po- tassique. Quand on voudra, par exemple, dans une clinique, faire cet essai, il suffira d'ajouter un peu de 5i MOYENS DE RECONNAITRE noir animal à l'urine, on jettera sur un filtre, et l'on recueillera le liquide limpide qu'on essayera alors au réactif. Si l'on obtient la réduction caractéristique, on sera beaucoup plus certain d'avoir affaire à du sucre de la deuxième espèce, parce que le charbon a aussi la propriété de retenir l'acide urique, la dextrine, le chloroforme, la cellulose pouvant réduire le réac- tif cupro-potassique. A Taide du charbon animal, on peut même extraire le sucre dans des parties animales semi-soHdes ou l'éduites à l'état de bouillie, ainsi que nous aurons occasion de vous le montrer dans des expériences physiologiques que nous répéterons devant vous. Nous aurions encore à nous occuper des caractères de certaines matières très-voisines des sucres, telles que l'amidon, la dextrine, la gomme, mais ces sub- stances ne se rencontrent jamais à cet état dans l'or- ganisme ; elles pourraient seulement se trouver dans le canal intestinal, comme intermédiaires de la transfor- mation de l'amidon en glucose. Nous aurons, du reste, à exposer ailleurs les phases de ces transformations, et, à ce propos, nous indiquerons à quels caractères ces substances se reconnaissent. Tels étaient, Messieurs, les principaux moyens que je désirais vous indiquer sur la manière de rechercher et de constater le sucre dans les liquides et organes ani- maux avant d'entrer dans l'examen de la fonction qui produit cette matière dans l'organisme animal, et dont nous commencerons l'histoire dans la séance prochaine. Dans les expériences très-nombreuses que nous répé- LES SUCRES ANIMAUX OU VÉGÉTAUX. o3 ferons devant vous, nous aurons souvent occasion de mettre en pratique les procédés que nous ne vous avons indiqués ici que d'une manière abrégée, nous réser- vant d'ajouter les détails que nous aurions omis ici à propos du cas même auquel ils s'appliquent. TROISIEME LEÇON aO DÉCEMBRE 1854. SOMMAIRE : La production du sucre est un phénomène appartenant aux deux règnes des êtres vivants. — Les animaux forment de la matière su- crée. — Le foie est chargé de cette fonction glycogénique, qui jusqu'alors était restée inconnue. — Le foie de l'homme et des animaux renferme tou- jours de fortes proportions de sucre à l'état physiologique. — Observation chez l'homme, expériences sur les animaux dans toute l'échelle zoologique. -Quantité de sucre contenu dans le foie. — Nature de ce sucre; son ana- logie avec le sucre de diabète. — Le sucre qu'on rencontre dans le foie est sécrété dans cet organe; il ne vient pas de l'alimentation. — Expériences à ce sujet. — Examen comparatif du sang avant et après le foie chez un Carnivore. — Le premier sang ne contient pas de traces de matières su- crées, le second en renferme en grande proportion. Messieurs, J'ai cl vous prouver aujourd'hui que la production du sucre est un fait commun au règne animal et au règne végétal. J'ai à vous apprendre ensuite quel est, dans les animaux, l'organe qui accomplit cette fonction glycogénique. On avait cru, jusque dans ces derniers temps, que le règne végétal était seul capable de produire du sucre, et que les principes immédiats en général qui se rencontrent dans le règne animal étaient formés exclu- sivement par les végétaux, oii les animaux ne faisaient que les puiser pour se les assimiler directement ; que les uns produisaient ce que les autres ne faisaient que ORIGINE DU SUCRE DANS L'ORGANISME ANIMAL. 57 détruire. Sans aucun doute il existe entre le règne vé- gétal et le règne animal une sorte de relation nécessaire, mais cependant, comme la vie est plus élevée chez les animaux, comme les phénomènes y sont plus com- plexes, il est naturel de penser que ce qui se passe dans le végétal peut avoir lieu dans des êtres présentant une vitahté supérieure. Quoi qu'il en soit, quand on trouvait du sucre dans un animal, on croyait que cette matière était constam- ment d'origine végétale et avait été introduite par l'ali- mentation. On admettait que la quantité de sucre qui existait dans un animal devait varier en raison môme de la nature de son alimentation ; que l'on devait en trouver chez les herbivores, qui prennent en abon- dance des matières féculentes aisément transformables en sucre, mais qu'on ne pouvait pas s'attendre à en rencontrer chez les carnassiers, nourris seulement de substances azotées ou graisseuses, qui ne peuvent pas, dans l'intestin, se transformer en sucre par les procédés digestifs connus. L'expérience] a démontré qu'il n'en est pas ainsi : le sucre existe normalement dans le sang chez tous les animaux herbivores ou carnivores, et les quantités de sucre qu'on rencontre dans les uns et les autres sont sensiblement égales. Cela tient, Messieurs, à ce qu'il y a une fonction qui produit chez tous ces animaux de la matière sucrée, indépendamment de l'espèce de nourriture à laquelle ils sont soumis. On a lieu de s'étonner qu'une action organique d'une telle importance, et si facile à voir, n'ait pas été décou- 58 ORIGINE DU SUCRE DANS L'ORGANISME ANIMAL. Yerte plus tôt. Cela peut tenir à plusieurs causes. D'a- bord quand on cherche à pénétrer les phénomènes de la vie, on a toujours l'habitude de se tenir à un point de vue ou anatomique, ou chimique, ou physique, et l'on ne se place pas assez au point de vue du phéno- mène vital, qu'il faut cependant surtout considérer quand on veut faire de la physiologie. L'anatomie, en effet, peut permettre d'expliquer, au moyen de la structure d'un organe, le mécanisme d'une fonction, mais elle ne saurait en aucune façon la faire découvrir. On a étudié avec le plus grand soin la struc- ture des cellules et des vaisseaux du foie, sans soup- çonner même l'existence de cette fonction glycogéni- que. La chimie elle-même ne dirige pas ses réactifs sur des substances dont elle ignore l'existence. C'est ce qui est arrivé pour le foie, qu'on a analysé bien sou- vent, sans avoir aperçu cependant qu'il contenait des quantités énormes de sucre. Ni l'anatomie ni la chimie ne suffisent donc pour résoudre une question physiologique; il faut surtout l'expérimentation sur les animaux qui, permettant de suivre dans un être vivant le mécanisme d'une fonc- tion, conduit à la découverte de phénomènes qu'elle seule peut mettre en lumière, et que rien n'aurait pu faire prévoir. Mais il est temps d'aborder les caractères de la fonc- tion qui nous occupe. Il y a dans l'homme et dans tous les animaux un or- gane qui produit le sucre, c'est le foie ; et comme tous les organes qui sécrètent sont imprégnés du produit PRÉSENCE DU SLCRE DANS LE FOIE. o9 de leur sécrétion, comme le rein est imprégné d'urine, le testicule de liqueur spermatique, le pancréas de suc pancréatique, les glandes salivaires de leurs diverses salives, le foie lui-même est imprégné de sucre, et il est le seul organe du corps qui, à l'état normal, présente ce caractère. Pour s'en convaincre, il suffit de prendre le tissu du foie d'un animal quelconque, récemment tué, de le broyer, de le faire cuire avec un peu d'eau, et de rechercher dans le liquide de la décoction la pré- sence du sucre par les moyens ordinaires. Nous allons faire l'expérience devant vous. Voici un foie de bœuf frais récemment apporté de Tabattoir, on en prend un morceau, on le broie, après quoi on le fait bouillir avec un peu d'eau ; puis on jette le tout sur un filtre; il passe un liquide opalin légèrement jaunâtre, que l'on décolore par le noir animal et que l'on filtre de nouveau. Le liquide passe alors parfaitement inco- lore; nous en mettons dans un tube bouché par un bout, nous y ajoutons une quantité égale de réactif cupro-potassique, nous chauffons le mélange à la lampe à esprit-de-vin. Vous voyez se former le précipité abon- dant de protoxyde de cuivre qui est un signe de la pré- sence du sucre de la deuxième espèce; nous faisons bouillir le même liquide avec de la potasse caustique, et nous avons une coloration jaune-brune. Mais nous avons dit que ces réactions n'entraînent pas avec elles une certitude aussi absolue que la fermen- tation alcoolique. Pour achever de vous convaincre que cette réaction est bien due h la matière sucrée, nous plaçons une autre portion de cette même décoction de 60 PRÉSENCE DU SUCRE foie dans le petit appareil à fermentation que je vous ai décrit dans la dernière séance, nous l'exposons à une chaleur de 40 degrés environ, et vous allez voir dans quelques instants la fermentation s'opérer. On devrait employer dans ces expériences de la le- vûre de bière lavée, afin de la débarrasser des traces de sucre et de fécule qu'elle pourrait contenir. La levure que l'on achète chez les boulangers contient toujours de la fécule, ce qui n'a pas d'inconvénients quand cette levure est fraîche, mais, au boutde quelques jours, si la fécule se changeait en sucre, il pourrait peut-être se développer une fermentation. Pouréviter toutes chances d'erreur, nous faisons une expérience comparative en ajoutant de la même levure de bière avecde l'eau pure, dans un autre tube semblable que nous plaçons dans les mêmes conditions de température que le premier. En attendant que cette expérience soit achevée, on va faire bouillir et traiter par le réactif cupro-potassique les décoctions de la rate, du rein, du pancréas, du poumon, des muscles, du cerveau, tous organes prove- nant du bœuf, c'est-à-dire du même animal dont nous avons trouvé le foie très- sucré. Vous voyez qu'aucun de ces tissus ne présente les réactions caractéristiques que nous avons obtenues avec le parenchyme hépatique, c'est-à-dire que leur décoction ne donne lieu ni à la fermentation avec la levure de bière, ni à la coloration par la potasse, ni à la réduction du liquide cupro-po- tassique. Or, si ce dernier caractère, ainsi que nous l'a- vons dit, n'a pas une valeur absolue pour indiquer la présence du sucre, en revanche, il fournit un caractère DANS LE FOIE. 61 négatif excessivement certain, c'est-à-dire que l'ab- sence de réduction du réactif prouve absolument l'ab- sence de matière sucrée. Nous pouvons donc conclure hardiment qu'aucun organe du corps, si ce n'est le foie, ne renferme du sucre à l'état physiologique; Vous pouvez voir maintenant ce que je vous annon- çais tout à l'heure : parmi tous les liquides que nous avons mis avec de la levure depuis trente minutes en- viron, celui qui résulte de la décoction du foie est le seul 011 la fermentation se soit produite, et déjà le tube est rempli en grande partie par un gaz qui est de l'acide carbonique, ainsi que nous allons vous le démontrer. Pour cela nous débouchons ce tube sous le mercure, et nous y introduisons un petit fragment de potasse; en l'agitant, vous voyez peu à peu le mercure monter et le gaz disparaître, parce que l'acide carbonique est ab- sorbé par la potasse. On distille ensuite environ le tiers du liquide qui a fermenté, on y ajoute un peu de chaux, on place le mélange dans un tube que l'on chauffe à la lampe ; au moment de l'ébuintion, en tenant une allumette en- flammée à l'orifice du tube, on aperçoit une petite flamme bleuâtre qui descend dans le tube et est due à la combustion d'une faible quantité d'alcool. Quand la fermentation est complète ment terminée, on peut se servir du réactif au chromate dépotasse, d'après la ma- nière que nous avons indiquée dans la deuxième leçon. Nous n'avons fait l'expérience que sur un petit frag- ment du foie; si nous avions opéré sur le foie entier, nous eussions obtenu des qualités assez considérables 02 DOSAGE DU SUCRE d'alcool. Voici, dans ce flacon, environ 3 grammes d'al- coolrésullant de la fermentation d'un foie de bœuf. Il a été distillé surlachaux,et il est concentré de manière à brûler comme vous le voyez; mais il a toujours con- servé une odeur animale particulière. Maintenant, si nous voulions savoir combien il y a de sucre dans ce foie de bœuf, il faudrait le doser. Pour cela, nous allons employ er devant vous le pro- cédé indiqué par M. Barreswil, qui consiste à calculer la quantité de sucre d'après la réduction et la décolo- ration d'une quantité déterminée d'un réactif cupro- potassique titré. Nous avons fait écrire sur le tableau la composition de quelques-uns de ces réactifs ainsi que la quantité de sucre à laquelle ils correspondent. Réactif de M, Barreswil : Crème de tartre 50 grammes. * Carbonate de soude 40 — Sulfate de cuivre 30 — Potasse à la chaux 40 — Eau, quantité suffisante pour que le tout fasse un litre. iQÛcentimètres cubes de ce réactif sont exactement décolorés par 1 gramme de glucose. Réactif de Fehling : Sulfate de cuivre 40 grammes. Solution concentrée de tarlrate de po- tasse 160 — Lessive de soude ayant un poids spéci- fique =1,12 560 — Eau, quantité suffisante pour que le tout fasse un litre à -f- 15°. DANS LE FOIE. 63 10 centimètres cubes de cette liqueur sont précipités complètement par 11,5 centimètres cuIdcs d'une disso- lution contenant 5 pour 100 de glucose. Nous employons ici un liquide dont la richesse est un peu différente. Voici sa composition : Bicarbonate de potasse (crème détartre) 150 grammes. Carbonate de soude cristallisé 130 — Potasse à la chaux 1 00 — Sulfate de cuivre oO — Eau, quantité suffisante pour que le tout fasse un litre. 1 0 centimètres cubes de ce réactif sont décolorés par 0,05 de sucre de diabète. Voici le sucre qui a été extrait des urines de diabète et qui nous a servi à titrer notre réactif. Il est blanc et très-pur ; nous le devons à l'o- bligeance de M. Quevenne, pharmacien en chef de l'hôpital delà Charité. L'exemple que nous mettons sous vos yeux vous fera comprendre mieux que toutes les descriptions la ma- nière dont on s'y prend pour doser le sucre dans le foie. Nous av(ms là un foie de bœuf dont le poids total est de S'^'^SOO; on a pesé 20 grammes de son tissu frais, qui ont été bi^oyés, dans un mortier, et l'on a fait une dé- coction qui a été jetée dans une épi^ouvette graduée, en y ajoutant l'eau qui avait servi à laver à diverses reprises les vases, pour ne rien perdre. Après le refroidissement, nous lisons actuellement sur l'éprouvette le nombre de centimètres cubes que présente son contenu : ce nom- bre est de 169 centimètres cubes, représentant le vo- lume du tissu du foie et du liquide qui l'accompagne. ()4 DOSAGE DU SUCRE Alors nous jetons le tout sur un filtre, et recueillons, pour le doser, le liquide qui passe légèrement opralin. Mais dans les 169 centimètres cubes de liquide, il faut tenir compte du volume du tissu du foie mêlé au li- quide : c'est pourquoi nous ramasserons avec soin, et sans en perdre, le tissu hépatique resté sur le filtre, nous le ferons sécher dans une étuve à 100 degrés, et, après la dessiccation complète, nous en évaluerons le vo- lume en le jetant dans l'eau mesurée d'un vase gradué. Un grand nombre d'expériences faites à ce sujet nous ont appris que nous trouverions que ce tissu pro- venant de 20 grammes de foie frais déplace 4 centi- mètres cubes d'eau. Il faut donc soustraire 4 centimè- tres cubes des 169 centimètres cubes que nous avions tout à l'heure, ce qui réduit à 165 centimètres cubes la quantité réelle de liquide sucré pour 20 grammes de tissu frais du foie. Afin de reconnaître la richesse en sucre de cette dé- coction hépatique, nous mesurons très-exactement 10 centimètres cubes de notre réactif cupro-potassique, préalablement titré à 0§',05 pour 10 centimètres cubes (ou 5 grammes pour 100), c'est-à-dire que, pour réduire et décolorer 10 centimètres cubes du réactif, il faut une quantité de liquide renfermant O^^OS de sucre. Les 10 centimètres cubes du réactif titré, que nous avons étendus àvolumeégal,à peu près, avec une dissolution récente de potasse à la chaux, pour rendre la précipi- tation de l'oxyde cuivrique plus facile, sont placés dans un petit ballon, sur un feu doux, et lorsque l'ébulUtion commence à se manifester, nous y ajoutons directe- DANS LE FOIE. 65 ment, ainsi que vous le voyez, avec précaution et vers la fin, goutte à goutte, avec une burette graduée, la dé- coction du foie. Nous agitons le liquide à mesure, en allant lentement pour laisser la précipitation s'opérer, en regardant avec soin pour ne pas dépasser les limites de la décoloration du liquide cupro-potassique. Or, dans cette expérience, il nous faut 23 centimètres cubes de la décoction du foie, pour réduire et décolorer complètement les 10 centimètres cubes du liquide titré. Pour calculer maintenant le dosage du sucre dans le foie, nous avons donc les éléments suivants : i ° Poids du foie o'''i,3Û0 2° Liquide total de décoction 165 cent. cub. 3° Quantité de tissu de foie analysé 20 gr. 4° Quantité de liquide de décoction hépatique employéepourréduireet décolorer lOcent. cubes du réactif 23 cent. cub. 5° Quantité de sucre qui, d'après le titre du réactif, correspond à la décoloration de 10 cent, cube 0§'-,0o Pour savoir combien il y a de sucre dans les 165 cen- timètres cubes de décoction hépatique, nous avons la proportion suivante : 23 cent, cubes : 165 cent, cubes : : 06^05 : x = iËl^-M^ =06^358. Ainsi les 165 centimètres cubes de la décoction sucrée provenant des 20 grammes de foie analysés, contiennent donc 0^^,358 de sucre. Si nous voulons avoir la quantité de sucre pour 100 grammes de tissu du foie, nous ferons la propor- tion : BEUîîAUD. I. S 66 PRESENCE DU SUCRE 20 gr; ; O^-.TôS : : 100 gr. : x = ^^^oS^^X 100 ^ ^gr^-^g^^ Ainsi, 100 grammes de tissu du foie frais contien- nent i^\ 790 de sucre. Enfin la quantité de sucre pour la totalité du foie résulte de la proportion suivante : 100 gr. :o300gr. : : 1^^790 : x = ^^^^^^-^1^ = fiisr^siO Le foie entier contient donc 41^'', 870 de sucre. Il importe surtout, pour ces dosages, d'avoir un ré- actif cupro-potassique récemment préparé et exacte- ment titré. Il faut en outre faire l'opération assez vite, et s'arrêter aussitôt que la décoloration complète du réactif est obtenue, sans attendre davantage. En effet, si l'on continue à faire bouillir le liquide cupro-potas- sique, ou si on le laisse se refroidir, on le voit au b'Dut de quelques instants reprendre une teinte bleue qui va en augmentant avec le temps. Quand on en est prévenu cette particularité, due à la réoxydation d'un peu de protoxyde de cuivre dissous sans doute à la faveur de l'acide tartrique, ne peut pas nuire à l'exac- titude de l'analyse, pourvu que l'on arrête l'expérience juste au moment oii la décoloration est obtenue. Nous pourrions vous parler d'autres moyens de do- sage, mais j'aime mieux y revenir plus tard , si nous le trouvons nécessaire. Je me hâte de poursuivre la partie vraiment physiologique de notre sujet. La présence du sucre dans le foie, à l'exclusion des autres organes du corps, ainsi que nous venons de vous le démontrer chez le bœuf, est un fait général dans la DANS LE FOIE. 67 série animale, que nous avons constaté depuis l'homme jusqu'aux invertébrés. Nous allons vous rapporter quel- ques-uns des résultats que nous avons obtenus à ce sujet, vous renvoyant pour le détail des expériences au Mémoire que nous avons publié (1). Les expériences faites chez l'homme, pour corres- pondre physiologiquement à celles faites sur les ani- maux, devraient être instituées sur des individus sur- pris par la mort en état de santé. Nous avons fait cinq observations sur des suppliciés. Sur ces cinq observations, deux ont eu lieu dans la période digestive, et les trois autres chez des individus à jeun depuis la veille : néanmoins tous les foies conte- naient du sucre. Le tableau suivant donne les résultats des recher- ches que nous avons faites pendant les années 1850 et 1851, à l'École pratique, sur des cadavres de sup- pliciés, grâce à l'obligeance de M. le docteur Gosselin, alors chef des travaux anatomiques. (1) Nouvelle fonction du foie considérée comme organe producteur de ma- tière sucrée chez V homme et chez les animaux. Paris, 1853. 68 PRESENCE DU SUCRE DATE de AGE. ALIMEHTATIOH. rOIDS QUANTITÉ poui- DE SUCRE pour l'obs-ervation. 43 DU FOIE. 100 GR. DE FOIE FRAIS. LA TOTALITE DU FOIE. I. — 22 mai 1830. (Aymé.) A jeuu. 1,300 '■XT. '1,79 l3> -2. — 1er fév. 18S1. (Bixner.) 43 A jeun. 1,330 Présence du su- cre coust. mais non dosé. Non dosé. 3. — 1851 (Lafourcade.) " A jeu». 1,173 Non dosé. On en retire de l'alcool par fer- mentation. 4. — 1831 (Viou.) 22 Alimentation mixte. 1,200 2,142 23,704 3. — 1831 (Courtin.) Alimentation mixte. 1,173 On en retire de l'alcool par la fermentation. Une sixième observation a été faite sur le foie d'un homme de trente ans, mort subitement d'un coup de fusil. Cet individu, au moment oiiil fut tué, était assis à boire chez un marchand de vin. A l'autopsie, qui fut faite judiciairement deux jours après par M. Auibroise Tardieu, on ne trouva dans l'estomac que du vin avec très-peu d'aliments. Le foie était dans un état de pu- tréfaction commençante; cependant il contenait en- core du sucre dans les parties les moins altérées ; il pesait 1*'^^ 575. La quantité du sucre pour 100 de tissu du foie choisi dans les portions les plus saines était {^% 10, le sucre calculé pour la totalité du foie 17^', 10. Il est bien entendu que, dans toutes les expériences précédentes sur les hommes, on a fait les mêmes épreuves sur les autres organes, et qu'aucun tissu que celui du foie ne renfermait de sucre, ni qu'aucun DANS LE FOIE DES ANIMAUX. 69 liquide contenu dans les réservoirs ordinaires, ni l'u- rine, ni le sperme, ni la bile extraite de la vésicule aussitôt après la mort ne renfermait de matière sucrée. J'ai poursuivi celte présence du sucre dans le foie, dans la série animale, et j'ai pris, autant qu'il m'a été possible, des exemples dans chaque ordre. Il vous suffira, pour juger de la généralité de la fonction glycogénique dans le règne animal, de jeter les yeux sur la liste suivante, que j'ai fait écrire sur le tableau. Le sucre a été constaté dans le foie. Parmi les Mammifères : 1° Dans les Quadrumanes : sur un Singe cynocéphale (grand Pa- pion). 2° Dans les Carnassiers : sur le Chien, le Chat, le Hérisson, la Taupe, la Chauve-souris. 3° Dans les Rongeurs : sur l'Écureuil, le Cobaye, le Lapin, le Lièvre, le Surmulot. 4° Dans les Ruminants : sur la Chèvre, le Mouton, le Bœuf. 0° Dans les Pachydermes : sur le Cheval, le Porc. Parmi les Oiseaux : 1° Dans lesRapaces : sur la Crécerelle, la Chouette, l'Effraie. 2° Dans les Passereaux : sur le Moineau, l'Hirondelle de chemi- née, le Freux, l'Alouette des champs. 3° Dans les Gallinacés ; sur le Pigeon domestique, le Coq, le Din- don, la Perdrix. 4° Bans les Échassiers : chez la Bécassine. :j" Dans les Palmipèdes : chez le Canard, l'Oie, le Goéland à man- teau noir, la Mouette à pieds bleus. Parmi les Reptiles : 1° Dans les Chéloniens : chez la Tortue terrestre et la Tortue aqua- tique. 2° Dans les Sauriens : chez le Lézard gris des murailles et chez le Lézard vert. 3° Dans les Ophidiens: sur la Couleuvre à collier, chez la Vipère commune et sur TOrvet. 70 PRÉSENCE DU SUCRE DANS LE FOIE DES ANIMAUX. 4° Dans les Batraciens : sur la Grenouille verte, grise, chez le Cra- paud brun et sur la Salamandre aquatique. Parmi les Poissons osseux : l^Dans les Acanthoptérygiens : sur le Bar commune! chez le Thon commun. 2° Dans les Malacoptérygiens abdominaux : chez le Gardon, l'Ablette la Carpe^ le Chevaine ou Meunier, le Barbeau, la Truite commune. 3° Dans les Malacoptérygiens subbranchiens : sur la Morue, le Turbot. 4° Dans les Malacoptérygiens apodes : sur l'Anguille, le Congre. Parmi les Poissons cartilagineux : 1° Dans les Sturioniens : sur les Esturgeons ordinaires. 2" Dans les Sélaciens : sur la Roussette ou Chien de mer, et la Raie bouclée. Parmi les Mollusque^ gastéropodes : Sur la Limnée des étangs, le grand Escargot, la Limace rouge et la limace des caves. Parmi les Mollusques acéphales lamellibranches : Chez l'Huître vulgaire, la Moule commune, l'Anodonte des cygnes, la Moule des peintres. Chez les Articulés, J'ai pu seulement démontrer la présence du sucre dans le foie de quelques Crustacés décapodes, tels que l'Écrevisse commune, le Homard. Nous avons toujours constaté la présence du sucre par les caractères que nous avons indiqués, la réduc- tion du réactif cupro-potassique et la fermentation alcoolique. Ainsi voici des tubes contenant de l'alcool provenant du foie de certains de ces animaux. Nous avons dans ce tube de l'alcool provenant d'un foie d'homme ; dans cet autre tube, de l'alcool extrait d'une foie de chien NATURE DU SUCRE QUI EST DANS LE FOIE. 71 nourri pendant huit mois à la viande. Dans ce qua- trième tube nous avons de l'alcool qui résulte de la fer- mentation du sucre contenu dans des foies de canard. Enfin, nous avons encore ici de l'alcool provenant du foie de poisson, d'un énorme bar. Quoique ces al- cools aient été distillés sur de la chaux ou sur de la potasse, ils ont généralement une odeur animale siii generis. L'alcool de poisson a surtout une odeur fort désagréable. Il résulte donc de tout ce qui précède que la pré- sence du sucre dans le foie est un fait général existant dans toute la série animale, et que la fonction qui pro- duit cette substance appartient à toutes les espèces, quelle que soit leur place dans la série. La proportion du sucre dans le foie à l'état physio- logique varie peu ; elle ne dépasse généralement pas 4 grammes pour 100 du tissu du foie frais. La moyenne serait encore 1/2 à 2 grammes pour 100, chez les mammifères et chez les oiseaux. Dans la classe des Reptiles et des Poissons, la pro- portion est un peu moindre, de même que chez les Mollusques. Maintenant, Messieurs, nous arrivons à nous de- mander quelle est la nature du sucre contenu dans le foie de l'homme et des animaux. D'après les réactions que nous avons mises en usage pour déceler la matière sucrée contenue dans le foie, vous avez pu voir que ce sucre avant les propriétés de brunir sous l'influence de la potasse, de réduire le tartrate cupro-potassique, de fermenter sous l'influence de la levure de bière, devait 72 NATURE DU SUCRE appartenir aux sucres de la seconde espèce, et était analogue au sucre de diabète. L'examen au polarisa- teur établit de même celte similitude en ce que le sucre du foie dévie à droite le rayon lumineux comme le sucre de diabète. Voici comment cette dernière expé- rience a été faite. Un foie de bœuf récemment apporté de l'abaltoir fut coupé en morceaux très-minces. On exprima en- suite, dans un petit sac de crin, le tissu du foie préala- blement chauffé à feu nu dans un vase, pour en con- tracter légèrement la surface extérieure, ce qui facilite beaucoup l'expression du tissu. On obtint de cette fa- çon un jus hépatique rougeâtre sanguinolent qui était sucré autant que possible, puisqu'on n'y avait pas ajouté d'eau. On fit ensuite coaguler au bain-marie toutes les matières albumineuses, et l'on filtra. Le li- quide qui résulta de ces opérations était brun jaunâtre, opalin et comme laiteux. 11 était impossible, dans cet état, de le soumettre à l'appareil de polarisation. C'est pourquoi il fallut le décolorer et le clarifier, en y ajou- tant une quantité suffisante de noir animal neutre, bien lavé et en portant le mélange à l'ébullition au bain-marie pendant quelques instants ; par la fiitra- tion, on eut alors ini liquide incolore et parfaitement limpide. Quelquefois, cependant, il existe dans le foie une sorte de matière opalescente, qui ne peut pas être complètement enlevée par le charbon animal. Il faut alors traiter le hquide par quelques gouttes de sous- acétate de plomb; après quoi on filtre et l'on sépare QUI EST DANS LE FOIE. 73 l'excès de plomb par l'hydrogène sulfuré. C'est dans cette dernière partie de l'opération que l'hydrogène sulfuré, en formant le sulfure de plomb, entraîne complètement la matière opaline, et permet d'obtenir, après une dernière filtration, un liquide hépatique parfaitement transparent et incolore, très-propre à permettre alors l'examen de ses caractères optiques. Mais j'ai reconnu, depuis ces premières recherches, qu'on pouvait, dans tous les cas, se passer de sous-acé- tate de plomb. Le charbon animal suffit toujours ; seulement il faut l'ajouter en très-grande proportion. C'est avec des liqueurs préparées de cette façon que M. Biot a bien voulu constater, au moyen de son ap- pareil, la présence du principe sucré dans le foie, et sa propriété de dévier à droite la lumière polarisée. Parmi plusieurs expériences qui ont été faites, je ne vous en citerai qu'une qui offre un intérêt tout parti- culier, parce qu'elle a été suivie d'une contre-épreuve qui démontre que dans le liquide hépatique, ainsi que nous l'avions préparé, il n'existait pas de substances capables d'induire en erreur, relativement à la pré- sence ou à la quantité de sucre. Dans cette expérience, le charbon animal seul avait suffi pour clarifier complètement le liquide hépatique qui, à l'examen optique, offrit les résultats suivants : Le liquide observé dans un tube de 5lo™'",35 a donné une rotation très-ncianifeste à droite se mesurant par une déviation de 9%o ce qui^ évalué approximativement, représente o28'',316 de sucre par litre de liquide, en supposant le sucre iden- tique avec celui du diabète. 7-i NATURE DU SUCRE QUI EST DANS LE FOIE. Après ce premier examen, on ajouta de la levure de bière au liquide hépatique, et on le plaça à une tempé- rature convenable pour opérer la fermentation. Le len- demain elle était achevée, et le liquide filtré fut soumis de nouveau à l'appareil de polarisation dans un tube de 508"""", 85. Cette fois il ne manifesta plus aucune trace de pouvoir rotatoire qui fût sensible, même h la plaque à deux rotations. Nous devons donc nécessairement conclure de cette dernière partie de l'expérience que ladéviation de +0°,5, qui avait été trouvée dans le premier examen du liquide, était due tout entière à la présence du sucre, puisque, après avoir fait disparaître le sucre par la fermentation, la déviation a été complètement nulle. Celte contre- épreuve ajoute, ainsi que vous le voyez, une grande rigueur à l'expérience, parce que sans cela on aurait pu objecter que certains principes organiques prove- nant de la bile pouvaient se trouver là et intervenir pour une part quelconque dans les phénomènes de ro- tation observés. Cette objection n'est plus possible. Tel est l'examen que nous avons fait il y a deux ans ; mais nous avons aujourd'hui obtenu à froid avec le charbon animal et la pulpe du foie frais un hquide su- cré bien clair. On a pour cela gratté avec un couteau le tissu du foie de façon à en obtenir une pulpe demi- fluide et très-divisée, puis ensuite on a broyé cette pulpe avec une grande quantité de charbon animal, de manière que toute l'humidité fût absorbée et que le mélange fût redevenu pulvérulent, comme vous le voyez ici. C'est alors qu'on a ajouté de l'eau au mé- ORIGINE DU SUCRE QUI EST DANS LE FOIE. T6 lange pour dissoudre le sucre. On a jeté sur un filtre et l'on a recueilli le liquide filtré parfaitement transpa- rent, incolore et sucré. On a mélangé ce liquide de pre- mière fîltralion avec une autre portion du mélange de charbon et de foie de façon à charger de nouveau la première dissolution d'une nouvelle quantité de sucre, et ainsi de suite, on a répété jusqu'à quatre fois l'opé- ration pour avoir une Hqueur toujours de plus en plus chargée de sucre. On a eu un liquide très-clair et in- colore qui a pu facilement être soumis au polarimètre. Nous avons obtenu toujours le même résultat, c'est- à-dire déviation de la lumière polarisée à droite. Ainsi, de tout cela, il résulte clairement que le sucre qui existe dans le foie est de la même nature que celui que les diabétiques rendent dans leurs urines. Mais ce n'est pas assez, Messieurs, de vous avoir montré qu'il y a du sucre dans le foie et qu'il est ana- logue au sucre de diabète; je n'ai encore résolu qu'un des points de la question. Il faut examiner maintenant d'oii vient ce sucre. Bien que les observations que je vous ai citées, dans lesquelles on a rencontré le sucre chez des carnassiers en même proportion que chez les herbivores, soient déjà une preuve que le sucre se forme oii on le trouve, je veux vous démontrer maintenant, par des expériences directement appropriées à ce but, que le sucre ne provient pas de l'alimentation. C'est donc la question d'origine que nous devons nécessaire- ment nous poser et résoudre devant vous, parce que le sucre étant une substance qui entre dans l'alimentation des animaux, on est obligé de se demander si c'est là la 76 FORMATION DU SUCRE source unique du sucre que l'on rencontre dans l'éco- nomie. Nous avons donc à démontrer que, indépendam- ment des substances sucrées ou féculentes fournies par l'alimentation, il y a du sucre qui se produit dans l'in- dividu vivant. Le moyen le plus simple qui se présente à l'esprit, c'est de supprimer les féculents et les matières sucrées dans l'alimentation, et de voir si néanmoins le sucre persiste dans l'économie. Nous avons fait ces expérien- ces sur un grand nombre d'animaux ; nous avons choisi des chiens, et on les a nourris, au Collège de France, exclusivement avec de la viande, pendant six et même huit mois ; au bout de ce temps, les animaux ont été sacrifiés, etl'on a trouvé dans leur foie 1^', 90 pour 100, c'est-à-dire au moins la même proportion que sur des chiens nourris par l'alimentation mixte. Des oiseaux de proie, des Chouettes prises dans leurs nids et nourries exclusivement avec du cœur de bœuf cru pendant trois mois, ont été tuées, et leur foie contenait toujours, seul entre tous les autres tissus du corps, du sucre en quantité normale (l^^SO pour 100). Ces expériences prouvent donc que le sucre persiste malgré l'impossibilité d'introduction de matières fécu- lentes ou sucrées. Il serait absurde de supposer que le sucre ait pu provenir d'une alimentation antérieure, et se localiser dans le foie. D'ailleurs, nous verrons plus loin que le sucre se détruit très-rapidement, etqu'au boutde vingt- quatre heures par exemple, si l'on arrête sa produc- DANS LE FOIE. 77 tion, il n'en reste plus de traces. Comment faire une pareille supposition chez les oiseaux de proie nourris pendant toute leur vie de matières exclusivement mus- culaires? Mais la principale démonstration se tire de l'examen du sang avant et après le foie. Un animal qui ne mange ni sucre ni fécule n'en a pas dans le sang de la veine porte venant des intestins, tandis qu'on en trouve des quantités considérables dans le sang qui sort du foie. Cette expérience est trop importante pour que nous ne la répétions pas devant vous. Vous aurez ainsi la preuve expérimentale d'un point qu'il faut fixer d'abord dans votre esprit avant d'aller plus loin. Voici un chien que nous avons laissé h jeun pendant trente-six heures, et auquel on a fait prendre, il y a trois heures environ, un repas copieux, composé exclu- sivement de tête de mouton cuite. L'animal est main- tenant en pleine digestion. C'est à cette époque et dans ces conditions qu'il faut le prendre, parce qu'au delà de ce temps, l'expérience réussirait moins bien, par des raisons que nous expliquerons plus tard. Je vais le sacrifier par la section du bulbe rachidien, qui est un procédé plus expéditif, et plus expérimental que la strangulation ou l'assommement. Le procédé est extrêmement rapide. De la main gauche, je saisis for- tement le nez de l'animal, et je fléchis le museau en bas, de manière à le rapprocher du cou, afin de faire saillir ia bosse occipitale externe par cette flexion de la tête, et rendre aussi grand que possible l'écartement occi- pito-atloïdien. Alors, avec l'indicateur de la main droite, : 78 FORMATION DU SUCRE armée d'un perforateur aplati (fig. 2), je sens la bosse occipitale externe, et, à 1 ou 2 centimètres en arrière, je plonge l'instrument acéré, rapidement et ohlquement en avant, suivant une ligne di- rigée vers le nez de l'animal. Je pénètre ainsi d'emblée dans le crâne, en traversant les parties molles de la nuque, et en passant entre l'occipital et l'atlas. Je fais, avec la pointe de l'instrument, un mouvement à droite et à gauche pour dilacérer le bulbe rachidien, et l'animal est mort. La vie a donc été surprise et arrêtée dans un état pleinement normal. Je pratique alors une incision au-dessous du rebord des fausses côtes, à droite de l'ap- pendice xiphoïde. Par cette incision étroite, pénétrant dans l'abdomen, j'introduis le doigt de la main gauche, et, en suivant la face inté- rieure du foie jusqu'au niveau de l'hiatus de Winslow, pour saisir le paquet des vaisseaux et nerfs biliaires entre le foie et le duodénum. Dans ce paquet se trouve la veine porte, que je pourrais isoler d'avec le conduit cholédoque, mais il est plus simple de lier tout en masse. Pour cela, pendant que je soutiens avec l'in- dex de la main gauche, en forme de crochet, le paquet des nerfs et des vaisseaiixhépatiques, je passe au-dessous une forte ligature, à l'aide d'une aiguille de Cooper te- nue de la main droite, après quoi un aide serre éner- giquement cette ligature. Fig. 2. DANS LE FOIE. 79 Le sang qui va au foie se trouve donc ainsi arrêté dans la veine porte et ses ramifications, en même temps qu'il ne peut plus refluer des parties supérieures, ainsi que cela aurait lieu sans cette précaution, lorsque j'ou- vrirai largement le ventre et surtout la poitrine, cir- constance qui pourrait ramener dans la veine porte, par reflux, une certaine quantité de sang contenant du sucre provenant alors du foie. J'ouvre maintement largement l'abdomen, vous voyez ici les intestins noirs par la stase du sang qui résulte de la ligature de la veine porte; les vaisseaux chylifères gorgés de chyle, puisque l'animal est en digestion, se détachent en blanc sur la teinte brune de l'intestin. Je passe aussitôt une ligature autour de la veine cave in- férieure, immédiatement au-dessus de l'insertion des veines rénales. Puis ouvrant le diaphragme en avant et du côté de l'appendice xiphoïde, je saisis avec les doigts la partie de la veine cave inférieure située dans le thorax, et j'en fais la ligature entre le foie et le cœur. Ceci fait, je recueille, par une première incision, le sang de la veine porte, et vous voyez aussitôt les intes- tins blanchir à mesure que ce sang s'écoule. Je recueille ensuite le sang des veines hépatiques en ouvrant la veine cave inférieure qui est cernée, comme nous l'avons dit, entre deux ligatures, au point d'abou- chement des veines hépatiques. Nous obtenons donc ainsi le sang qui arrive au foie et le sang qui en sort. Nous traitons ces deux sangs de la même manière: en ajoutant une quantité égale d'eau, 80 FORMATION DU SUCRE puis du charbon animal, nous faisons bouillir et nous jetons sur un filtre pour en extraire la partie liquide décolorée, puis nous essayons ce qui filtre, par le tar- trate cupro-potassique, et vous voyez que le sang des veines sus-hépatiques précipite fortement notre réactif, tandis que le sang de la veine porte n'y fait apparaître aucune précipitation. // 71 existe donc aucune trace de réduction dans le san/j de la veine porte avant son entrée dans le foie^ et par conséquent aucune trace de sucre, puisque nous savons que le réactif cupro-potassique donne un caractère né- gatif absolu. Il y a toujours^ au contraire^ une réduction abondante dans le sang provenant des veines sus-hépati- qiies^ et de plus ^ en ajoutant de la levure de bière ^ nous allons avoir une fermentation. De ces deux réactions comparatives, nous devons donc conclure que le sucre se forme dans le foie, puis- qu'il n'y en a pas dans le sang avant cet oigane, et qu'on en trouve de grandes quantités dans Je sang après. Nous ajoutons de la levure à ces deux dissolu- tions, et vous verrez le sang des veines hépatiques seul fermenter. Enfin, Messieurs, voulons-nous nous assurer que les matières que digérait cet animal ne contiennent elles - mêmes aucune trace de sucre, il nous suffit d'en pren- dre une certaine quantité et de les jeter sur un filtre avec un peu d'eau. C'est ce qu'on a fait, et nous essayons au réactif cupro-potassique ce qui résulte de la filtra- lion des liquides de l'estomac et de l'intestin grêle. Avec aucun de ces liquides nous n'obtenons réduction; par DANS LE FOIE. 81 conséquent il n'y a pas de sucre dans le canal intes- tinal, et nous comprenons facilement dès lors qu'il n'y en ait pas dans le sang de la veine porte, et cependant, je le lépète encore, il y en a de très-grandes quantités dans le sang qui sort du foie. En résumé. Messieurs, nous avons établi aujour- d'hui qu'il existe du sucre chez tous les animaux, et en second lieu, que ce sucre se forme dans l'orga- nisme, et que c'est dans le foie que cette fonction, in- dépendante delà nature de l'ahmentation, doit être lo- calisée. Dans la prochaine leçon, nous étudierons le mécanisme de cette fonction, nous rechercherons les éléments du sang aux dépens desquels le sucre peut être formé, et quelles sont les circonstances physiologiques qui présidentàsa formation, circonstances importantes à déterminer pour arriver finalement à l'analyse patho- logique que nous avons toujours en vue. BERNARD. I. QUATRIEME LEÇON 6 JANVIER 1855. SOMMAIRE : L'expérience force à conclure que le sucre se forme dans le foie. — Réfutation d'une prétendue localisation de la matière sucrée. — Le sucre existe dans le foie avant toute espèce d'alimentation. — La fonction glyco- génique ne commence qu'à une certaine période de la vie intra-utérine. — Le sucre ne saurait se conserver longtemps dans le foie; cette matière disparaît bientôt quand on empêche le foie d'en produire. — La quantité de sucre ne varie pas dans le foie avec la nature de l'alimentation. — Il y a deux sécrétions dans le foie, la sécrétion biliaire et la sécrétion du sucre. —Ces deux sécrétions ne sont pas synchroniques; elles semblent être indépendantes l'une de l'autre. — L'anatomie comparée paraît ap- puyer cette vue. Chez les Limaces, les deux sécrétions sont successives. — Chez les Articulés, les éléments anatomiques sécréteurs semblent distincts. Chez les Mammifères, les éléments anatomiques sont confondus et mé- angés. — Idée générale de la structure du foie chez les Mammifères. Messieurs, . Dans la dernière séance, nous avons établi ce fait fondamental dans l'histoire du diabète, que le sucre qui se trouve normalement dans le foie de l'homme et de tous les animaux s'y forme sur place, et ne peut pas être considéré comme le résultat de l'alimentation. Vous avez vu que le sang qui entre dans le foie ne contient pas de sucre, tandis que le sang qui en sort en présente des quantités considérables ^ Chez un animal Carnivore, cette expérience réussit constamment et avec des résultats invariables, pourvu qu'on ait soin de s'entourer des précautions que nous FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 83 avons indiquées et d'empêcher le mélange des divers liquides sanguins, en liant la veine porte avant d'ou- vrir largement le thorax et l'abdomen. La fig, 3 représente la topoirraphie anatomique ex- VC Fi;r. 3 D, duodénum et masse intestinale; P, pancréas; /-, rate; e, estomac; /, rectum; R, rein droit; 6, vésicule biliaire; ch, conduit cystique ; FF^ foie; F, lobe du foie échancré pour montrer la distribution de la veine porte qui porte le sang dans le foie, et de la veine hépatique qui le ramène ; FP, veine porte contenant du sang non sucré; TV^, veine hépatique contenant du sang très-sucré j d, diaphragme; KC, veine cave; C, cœur. cessivement simple de cette production du sucre dans 84 FORMATION DU SUCRE le foie chez un chien qui avait été mis à jeun pendant \ingt-quatre heures, mais qui, au moment de sa mort, était depuis trois heures en digestion de viande. Les lettres D, P, r, e indiquent l'ensemble des organes digestifs, savoir : le duodénum et la masse intestinale i), le pancréas, P, la rate r et ] 'estomac e. Le contenu de Testomac et de l'intestin consiste en fragments de tête de mouton cuits que l'animal avait mangés, on n'y trouve pas les moindres traces de matière sucrée. Il n'est pas étonnant que le sang pris dans les rameaux V, P\ et le tronc, Y, /*, de la veine porte, venant des organes digestifs, ne renferme pas de sucre. Ce sang, circulant dans une direction ascendante, pénètre dans le foie par deux branches principales; il ne contient à ce moment aucune trace de sucre. Mais il n'en est plus de même quand le sang de la veine porte, après s'être répandu dans tout le foie à l'aide des divisions et sub- divisions, traverse les capillaires, et est repris par les veines hépatiques Y h, V h; alors le sang est chargé de sucre, de sorte que l'on a, en V P, un sang dépourvu de sucre, et en V h^ le même sang surchargé de sucre qui alors se déverse dans la veine cave inférieure et remonte vers le cœur où il se mélange avec le sang veineux de toutes les parties du corps. Cette expérience suffirait à elle seule pour faire ad- mettre, comme conclusion naturelle et nécessaire des faits, que le sucre se produit dans le foie. Cependant nous avons accumulé des preuves de toute espèce au- tour de cette proposition, et nous vous avons fait voir que le tissu hépatique était constamment sucré, et DANS LE FOIE. 8o qu'il était le seul des tissus du corps qui offrît ce ca- ractère. Cette découverte de la production du sucre dans le foie doit changer nécessairement les idées que l'on s'é- tait faites jusqu'ici sur la nature du diabète, fondées sur la croyance que le sucre qui se rencontre dans For- ganisne provient exclusivement de l'alimentation. Cette opinion ne peut plus être soutenue aujourd'hui, depuis que nous avons établi que la matière sucrée se renou- velle constamment dans l'organisme aux dépens des éléments du sang et indépendamment de la nature de l'alimentation. Or, cette fonction glycogénique se trou- vant localisée dans le foie, c'est dans cet organe, on le comprend, que nous devons cherchera placer main- tenant le siège de la maladie. La présence du sucre dans le foie d'animaux actuel- lement, et même depuis longtemps soumis à un régime dépourvu de matières féculentes ou sucrées, était un fait trop évident et trop facile à constater, ainsi que vous l'avez vu, pour qu'on pût songer à le contredire, mais les théories anciennes ne se résignent pas à dispa- raître sans avoir épuisé tous leurs moyens de salut. Si le sucre de foie ne provient pas de digestions récentes, a-t-on dit, ne peut-il pas résulter de matières fécu- lentes ou sucrées contenues dans une alimentation anté- rieure, et qui seraient restées fixées dans le foie, organe, comme on le sait, essentiellement propre à ces sortes de localisations, et ayant la propriété de retenir très- longtemps dans son tissu certaines matières minérales ? Quand en effet, on administre à des animaux certai- m FORMATION DU SUCRE lies préparations métalliques de cuivre, de mercure, d'arsenic, ces métaux se retrouvent en certaine pro- portion dans le foie, et souvent au bout d'un temps très-long. Il en est de même chez les malades qui ont été soumis h une médication cuivreuse, mercurielle ou arsenicale; ils gardent pendant fort longtemps dans le tissu hépatique des quantités plus ou moins considéra- bles de ces substances. C'est d'après la connaissance de cette propriété du foie pour retenir ces substances mi- nérales, qu'on a voulu induire qu'il aurait aussi celle de garder le sucre pendant un temps plus ou moins considérable, et que les chiens, par exemple, que l'on soumet à l'expérience, ont dû, à une certaine époque, manger du pain, lequel s'est transformé en sucre dans l'intestin et s'est localisé dans le foie, où nous le retrou- vons ensuite. Il est facile, Messieurs, de répondre h ces objections nullement physiologiques faites exclusivement pour sauvegarder certaines idées théoriques ; elles vont tom- l)er d'elles-mêmes devant les faits suivants que nous allons exposer en continuant l'histoire de la fonction glycogénique du foie. Et d'abord le sucre existe dans le foie avant toute espèce d'alimeniation, lorsque les animaux sont encore dans la période de la vie fœtale. Vous pouvez constater que des petits poulets pris dans leur coquille présentent du sucre dans leur foie. Nous avons fait la même observation sur des créce- relles et des chouettes, prises également au sortir de leur coquille, nourries exclusivement de viande, et DANS LE FOIE. 87 dont le foie contenait de 1 à 1,50 pour 100 de sucre. Dans ces expériences, il est évidemment impossible d'attribuer à l'alimentation l'origine du sucre dans le foie. Il en est de même chez les Mammifères. Ainsi vous voyez sur cette table des fœtus de veau à différentes époques de leur développement intra-utérin, et qui arrivent tout frais des abattoirs de Paris; nous allons vous convaincre que leur foie est également sucré. On prend un morceau de foie de ce fœtus qui peut avoir de quatre à cinq mois, et dont la longueur est de 60 centimètres. On broie ce tissu hépatique dans un mortier, comme nousle faisons ordinairement, avec une suffisante quantité de noir animal, pour retenir toutes les matières colorantes et albuminoïdes. On y ajoute ensuite de l'eau pour dissoudre la matière su- crée, on jette le tout sur un filtre; le liquide, comme vous voyez, passe parfaitement limpide. Nous mettons dans un tube parties égales de liquide filtré avec notre réactif cupro-potassique, nous faisons bouillir, et vous voyez les changements de coloration et la précipita- tion de l'oxyde de cuivre indiquer la présence du sucre. La fermentation avec la levure de bière achè- vera la démonstration positive de la présence du sucre; on obtiendra de l'acide carbonique et de l'alcool. Mais dans ce cas tout spécial d'un Mammifère her- bivore, on pourrait dire, peut-être, que le sucre qui est dans le foie du fœtus vient de la mère, à l'aide des communications utéro-placentaires. Eh bien! Messieurs, cette nouvelle objection va dis- 88 FORMATION DU SUCRE paraître devant un fait nouveau prouvant bien que la production du sucre dans Je foie est une véritable fonc- tion, qui ne prend naissance qu'à une certaine époque de la vie intra-utérine. Je viens de vous montrer un fœtus de quatre à cinq mois, dont le foie présentait du sucre; en voici un autre qui a environ deux mois, et est encore contenu dans une des cornes de l'utérus. Nous divisons les membranes qui l'enveloppent, nous faisons écouler la grande quantité de liquide qui l'en- toure, et nous extrayons ce fœtus, en l'essuyant avec soin ; nous séparons son foie avec précaution, sans ou- vrir les estomacs que vous voyez ici, et qui, comme cela a lieu toujours, sont remplis d'un liquide légèrement jaune et filant. On prend, comme dans l'expérience précédente, un morceau du foie do ce fœtus, on le traite de la même manière, après quoi on soumet le li- quide obtenu au même réactif cupro-potassique, qui reste parfaitement bleu et ne présente aucune trace de précipité. La fermentation avec la levure de bière n'a pas lieu non plus. Par conséquent, nous sommes bien certains qu'il n'existe pas de matière sucrée dans le foie de ce fœtus. L'absence de sucre dans le foie des fœtus jeunes est un des faits les plus importants à constater pour l'his- toire de la fonction glycogénique, car cela prouve qu'originairement la matière sucrée n'existe pas dans le foie, et que ce n'est, pour les veaux, que vers le qua- trième ou le cinquième mois de la vie intra-utérine que cette matière apparaît dans le tissu hépatique. Ainsi se trouve indiqué le moment de la naissance de la fonc- DANS LE FOIE. 89 tion glycogénique. En effet, nous avons fait un grand nombre d'expériences sur des veaux de tout âge qu'on rencontre en grande abondance dans les abattoirs de Paris, et nous nous sommes assuré que ce n'est qu'à une certaine époque de développement, vers quatre ou cinq mois, que le sucre apparaît dans le foie, d'abord en petite quantité, puis la proportion augmente peu à peu jusqu'au terme de la vie intra-utérine. Chez les fœtus humains, oii la gestation est de la même durée que pour les veaux, le même fait a lieu, à savoir, que primitivement le foie est dépourvu de matière sucrée et que cette matière y apparaît, autant que j'ai pu en juger pardeuxobservations, versle quatrièmeou lecinquième mois. Sur des lapins, des chèvres, des moutons, des cochons d'Inde, nous avons constaté encore l'absence de sucre dans les premiers temps de la vie fœtale, et son apparition ensuite à une époque variable en rapport avec les différences de la durée de la gestation. Toutes ces observations concordent pour indiquer que la fonc- tion glycogénique prend naissance pendant la vie intra- utérine et que la matière sucrée augmente à mesure que l'animal approche de la naissance. Voici, relativement à cette portion, des expériences faites sur des fœtus d'espèces différentes. Quantité de sucre dans le foie. Fœtus humairi de six mois et demi Os"",?? p. 100 Fœtus de veau, sept à huit mois 0^^,80 — Fœtus de chat, à terme ls^;27 — Vous voyez, ainsi que nous l'avons dit, que la pro- portion du sucre va croissant avec l'âge du fœtus. 90 FORMATION DU SUCRE Mais, du reste, Messieurs, tout ceci n'est qu'une sorte de digression sur des questions sur lesquelles nous re- viendrons plus tard, et dont nous parlons ici seulement en passant, parce que nous avons sous la main des sujets d'expériences qui vous permettent de vous parler de l'origine de la matière sucrée dans le foie, tout en vous démontrant l'impossibilité d'aller chercher dans la mère l'origine de la matière sucrée qu'on prétendrait être venue se localiser dans le foie. Nous avons encore bien d'autres manières de démon- trer quele sucre de foie nerésulte pas d'une localisation des matières sucrées provenant de l'alimentation, et nous ne devons pas craindre de les accumuler, parce que chacune d'elles présente la question physiologique sous un jour nouveau. Je vous disais tout à l'heure que certaines substances minérales jouissaient de la propriétéde selocahser dans le foie et d'y rester presque indéfiniment, de sorte que des mois et même des années après l'emploi de ces sub- stances, on pouvait encore en trouver des traces dans le tissu hépatique. Mais il ne saurait en être de même pour le sucre de foie, le plus altérable et le plus fermentescible de tous, et qui, àce titre, ne pouvant rester longtemps dansl'or- ganisme, ne saurait être comparé en aucune façon avec les substances minérales. Loin de séjourner, le sucre se détruit et se renouvelle sans cesse, et ce qui prouve qu'il y a bien une fonction pour le former, c'est qu'on peut le faire disparaître en produisant un trouble dans l'organisme, en faisant, par exemple, mourir lentement DANS LE FOIE. 91 un animal, de façon à laisser se consommer peu à peu la quantité de matière sucrée formée dans le foie, tout en l'empêchant d'en produire de nouvelle. On démon- tre ainsi que le sucre n'existe que quand l'animal est dans l'état physiologique, et que la fonction qui les pro- duit peut s'interrompre et s'anéantir comme tous les autres. Voici par exemple un lapin auquel nous avons coupé hier soir les deux nerfs pneumogastriques. L'animal est mort ce matin, c'est-à-dire environ quinze heures après l'opération. Au moment où nous lui avons coupé ses deux pneumogastriques, il se portait parfaitement bien, et il y avait du sucre dans son foie, comme cela a lieu constamment. En coupant ces nerfs nous avons arrêté dans celorgane la production du sucre, et entre le moment de l'opération et la mort de l'animal, la quan- tité de sucre qui avait été antérieurement formée a eu le temps de se détruire. Nous ne devons plus en trouver la moindre trace, bien que l'animal fût en pleine diges- tion de matières végétales au moment de la section des nerfs. C'est même une circonstance défavorable pour le succès de l'expérience, puisque ces substances ont pu apporterune quantité plus considérable de sucre ajoutée cl celle qui se forme normalement. Nous ouvrons l'abdo- men de ce lapin, nous prenons un morceau de son foie, nous le traitons par les procédés précédemment indiqués, et vous voyez que, par l'ébullition du liquide provenant du traitement, avec le réactif cupro-potassi- que, il n'y a ni décoloration ni précipité. Le sucre a donc disparu, parce que, sous l'influence 92 FORMATION DU SUCRE d'une modification imprimée àla fonction glycogénique, il a cessé de se former. Pendant les maladies graves et surtout aiguës, lors- que les fonctions nutritives sont profondément trou- blées, la fonction du foieelle-même s'arrête, et il ne se produit plus de sucre, aussi n'en trouve- t-on jamais sur les cadavres apportés dans les amphithéâtres et qui ont succombé à des maladies graves. Cependant, nous de- vons dire que, si la mort a été assez rapide pour que les facultés nutritives n'aient été suspendues que peu de temps, il reste encore du sucre dans le foie. C'est ainsi que nous en avons trouvé chez quelques phthisiques, morts à la suite d'une courte agonie, et chez les diabé- tiques emportés presque subitement par des engorge- ments pulmonaires. J'en ai également rencontré chez des individus morts en quelques heures, à la suite d'un empoisonnement par l'arsenic. Il y aurait une étude in- téressante à faire pour rechercher s'il existe des mala- dies qui respectent plus spécialement cette formation du sucre dans le foie. Ce serait même une manière de reconnaître si un individu ou un animal ont succombé à la suite d'une longue maladie, ou sont morts subite- ment. Dans le premier cas, on ne trouvera plus de su- cre dans le foie, tandis qu'il y en aura toujours dans le second, comme cela arrive chez les animaux de bouche- rie qui ont été tués dans un état de santé parfaite. Le goût sucré d'ailleurs d'un foie provenant d'un animal sain ou malade suffit pour établir une différence dans sa composition sucrée. Ainsi, non-seulement le sucre hépatique ne provient DANS LE FOIE. 93 pas d'une alimentation antérieure, dont la matière su- crée aurait été depuis plus ou moins longtemps retenue dans le foie comme les substances minérales auxquelles il est impossible de l'assimiler ; mais nous allons vous faire voir que la quantité de sucre ne dépend pas de la nature actuelle de l'alimentation, car la quantité de sucre que l'on rencontre dans le tissu hépatique ne varie pas sensiblement, soit qu'on soumette un animal à une alimentation exclusivement animale, soit qu'on y introduise des substances féculentes, soit même qu'il ne mange que des substances féculentes seules. Gela ressortira clairement des expériences suivantes, qui, pour être plus comparables, ont été faites sur des animaux de même espèce, sur des chiens, dans les conditions normales de santé. Quautit. de sucre dans le tissu du foie. 1" chien. Nourri à la viande Isi-ZJOp. 100 2^ chien — isi',40 — je'" chien. Nourri avec viande cl pain is^,70 — 2^ chien — [s^,30 — 3^ chien — lg%30 — 1^'' chien. Nourri trois jours avec fécule et sucre exclusivement ier,88 — 2^ chien. Nourri pendant six jours exclusivement. 1^^,50 — Tous ces animaux ont été sacrifiés, autant que possi- ble, à la même période digestive. Vous voyez donc que, à l'état physiologique, l'addition des matières sucrées et féculentes n'a pas sensiblement modifié la quantité de sucre contenue dans le tissu du foie, car les différences observées uniquement dans les fractions ne sont à l'a- vantage d'aucune espèce d'alimentation. Il n'y a donc 04 FORMATION DU SUCRE pas de rapport direct entre la nature des aliments et la quantité de sucre contenue dans le foie. La production de cette substance est une fonction indépendante de ces circonstances extérieures dont nous devons cependant établir les conditions physiologiques pour interpréter les variations qu'elles peuvent apporter à l'état patho- logique, et les effets qui peuvent en résulter. Pour comprendre cette fonction hépatique et nous rendre compte de la manière dont elle peut s'effectuer, revenons à noire expérience fondamentale, dans laquelle nous avons montré que le sang qui entre dans le foie ne contient pas de sucre, tandis qu'on en trouve tou- jours dans le sang qui en sort. La fonction glycogéni- que se trouve donc ainsi limitée dans le tissu du foie, et nous sommes conduits à chercher le mécanisme de celte fonction dans les modifications que le sang subit dans les capillaires en se mettant en contact avec le (issu élémentaire ou les cellules hépatiques. Le foie est un organe glandulaire considérable qui, chez tous les vertébrés, forme une sorte de barrière entre le système circulatoire digestif et le système cir- culatoire général. La veine porte charrie dans le foie une quantité considérable de sang qui, à chaque pé- riode digestive, y arrive chargé des matériaux nutritifs rendus solubles par la digestion. C'est alors, sous l'in- fiuence du tissu hépatique animé par le système ner- veux, que les éléments de ce sang éprouvent des mé- tamorphoses en vertu desquelles ils servent, d'une part, à la production du sucre qui est emporté par les veines hépatiques, et d'autre part à la formation DANS LE FOIE. 9o de la bile qui est excrétée par les voies biliaires. Le système afférent est donc formé par la veine porte, et le système efférent par les veines sus- hépati- ques. Il y a en outre des vaisseaux lymphatiques el l'artère hépatique, mais celle-ci est considérée comme n'ayant aucune influence sur les fonctions de l'organe, parce que la sécrétion de la bile n'éprouve, par suite de la ligature, que très-peu de modifications : nous verrons plus tard s'il en est de même pour le sucre. Toutefois l'artère hépatique contribue à la nutrition propre du foie. Il faut maintenant, pour comprendre la fonction que nous voulons étudier, c'est-à-dire la formation du sucre qui a lieu aux dépens des éléments du sang qui entre dans le foie, que nous nous fassions une idée claire de l'arrangement anatomique des éléments du tissu hépa- tique et de la manière dont ils peuvent agir pour don- ner lieu à une matière sucrée. Vous verrez bientôt. Messieurs, que cette fonction en vertu de laquelle le sang se modifie dans le foie, con- stitue une véritable sécrétion, analogue à toutes les au- tres sécrétions de l'économie, à celle de la bile, par exemple, de sorte qu'il résulte de là que le foie n'est pas un organe simple, mais un organe à fonctions mul- tiples, puisqu'il sécrète d'une part du sucre, de l'autre de la bile. On ne connaissait jusqu'à présent que cette dernière sécrétion. Mais il paraissait étrange qu'un organe si vo- lumineux, qui apparaît de si bonne heure dans le fœ- tus, qui semble si indispensable à la vie de l'animal, 06 FORMATION DU SUCRE ET DE LA BILE puisqu'on le rencontre depuis les invertébrés jusqu'à l'homme, n'eût d'autre fonction que de sécréter une petite quantité de liquide biliaire évidemment peu en rapport avec son volume. Et encore certains physiolo- f^istes refusaient-ils à ce liquide toute participation ef- llcace dans l'acte de la digestion, si bien que la glande la plus volumineuse de l'économie, et certainement l'une des plus constantes dans toute la série animale, se trouvait réduite à un rôle presque nul. Il n'y a plus de doute aujourd'hui, depuis que nous l'avons établi, que l'on ignorait une des plus importantes fonctions du foie, celle par laquelle il concourt d'une manière puissante à la vie de nutrition au moyen de la produc- tion du sucre. Actuellement, Messieurs, il s'agit pour nous, s'il est possible, d'étudier séparément ces deux sécrétions, de voir si chacune d'elles se localise ou non dans les élé- ments anatomiques distincts, et de chercher, par l'ob- servation expérimentale aussi bien que par l'anatomie comparée, à éclaircir ce point difficile de l'organisme vivant. On s'est fait pendant longtemps une très-fausse idée de ce qu'est un organe sécréteur. On pensait que toute sécrétion devait être versée sur une surface interne ou externe, et que tout organe sécrétoire devait nécessai- rement être pourvu d'un conduit excréteur destiné à porter au dehors les produits de la sécrétion. L'histoire du foie étabUt maintenant d'une manière très-nette qu'il y a des sécrétions internes^ c'est-à-dire des sécrétions dont le produit, au lieu d'être déversé à DANS LE FOIE. 97 l'extérieur est transmis directement clans le sang. En effet, dans l'état physiologique on ne trouve jamais le sucre hépatique en dehors du système circulatoire. Quant à la bile, elle n'en présente jamais les moindres traces. Voici donc une glande qui donne naissance à deux produits : le sucre qui entre dans le sang et la bile qui est rejetée au dehors. Quelle relation y a-t-il entre ces deux sécrétions? Sont-ce deux phénomènes concomi- tants, en rapport l'un avec l'autre, ou n'ont-ils ensemble aucune liaison? Peut-on admettre, par exemple, que les matières albuminoïdes du sang, en arrivant au contact des cellules hépatiques, se dédoublent en deux pro- duits, l'un hydrocarboné qui serait le sucre, l'autre azoté qui serait la bile? S'il en était ainsi, ces deux pro- ductions devraient se faire simultanément, mais l'expé- rience semblerait indiquer que le sucre ne se forme pas au même moment que la bile, et qu'il y a, en quel- que sorte, alternance entre ces deux formations, de telle façon que l'une semble s'arrêter au moment de la plus grande intensité de l'autre. Et d'abord, quand on veut suivre sur un animal le phénomène de la sécrétion biliaire, il faut pratiquer une fistule comme nous allons faire sur le chien que vous voyez ici, et pour cela on opère de la manière sui- vante : L'animal, à jeun depuis vingt-quatre heures, est placé sur le dos : nous faisons une incision de 7 à 8 cen- timètres sur le côté droit de l'appendice xiphoïde, sur le bord interne du muscle droit, nous divisions successi- BERNARD. I. 7 98 FORMATION DU SUCRE ET DE LA BILE vement la peau et les muscles, et nous arrivons dans la cavité du péritoine. Nous plongeons le doigt indicateur de la main gauche dans la plaie, et nous allons à la face inférieure du foie accrocher avec le doigt recourbé l'ex- trémité supérieure du duodénum, que nous amenons dans la plaie : maintenant sur la face droite de l'intestin , entre cet organe et le pancréas, nous cherchons le con- duit cholédoque qui est contenu dans un paquet com- mun avec la veine porte, l'artère et les nerfs hépatiques. Nous apercevons le canal cholédoque superficiellement placé dans le point où il vient s'insérer obliquement dans l'intestin, à 3 centimètres environ au-dessous du pylore; nous reconnaissons ce conduit à son aspect nacré. Nous l'isolons en passant au-dessous de lui une sonde canne- lée sur une longueur de 1 centimètre à 1 centimètre 1/2, puis nous plaçons autour de lui deux ligatures, l'une sur le conduit au moment oii il pénètre dans la paroi de l'intestin, l'autre aussi haut que possible du côté du foie, et nous réséquons toute la partie du conduit com- prise entre ces deux fils. Cette dernière ligature, placée du côté du foie, a pour but d'empêcher l'écoulement ultérieur de la bile ; l'autre, celle du côté de l'intestin, pourrait paraître sans utilité : cependant elle sert à em- pêcher l'écoulement du sang qui résulterait de la divi- sion d'une petite artériole qui accompagne ordinaire- ment ce conduit. Ce premier temps étant achevé, nous abandonnons l'intestin, qui revient à sa position naturelle, et nous coupons les fils des ligatures; puis, avec l'index de la main gauche introduit de nouveau dans la plaie, nous DANS LE FOIE. 99 allons chercherla vésicule distendue par labile, et, quand nous sentons sa fluctuation particulière, nous la saisis- sons par son fond avec une pince à pansement intro- duite avec la main droite, et nous l'attirons vers la plaie. Nous introduisons dans son fond un trocart présentant à l'extrémité de sa canule des rainures transversales, sur lequel nous fixons une forte ligature portée au- dessous des mors de la pince à pansements qui main- tiennent toujours la vésicule attirée vers la plaie. Maintenant nous tirons le mandrin du trocart, et nous évacuons au dehors la bile contenue dans la vésicule ; nous recousons la plaie en réunissant d'abord les mus- cles, ensuite la peau, en assujettissant la canule du trocart dans l'angle supérieur de la plaie. Nous atti- rons en même temps la vésicule du fiel vers les parois de l'abdomen; un aide la maintient dans cette position en nouant sur un petit morceau de bois les fils qui ont servi à fixer la vésicule sur la canule du trocart, et cela afin qu'il se forme des adhérences entre les parois de l'abdomen et la vésicule. Maintenant l'expérience est terminée. Au bout de trois ou quatre jours, les adhérences se- ront établies, les fils tomberont, et nous aurons une fistule permanente. L'animal survit en général à cette opération . On com- prend maintenant que la bile ne peut plus être versée dans l'intestin et qu'elle s'échappera de la vésicule au fur et à mesure qu'elle se produira. La vésicule, n'é- tant plus alors distendue par l'accumulation de la sé- crétion biliaire dans l'intervalle des digestions, revient 100 FORMATION DU SUCRE ET DE LA BILE peu ti peu sur elle-même; elle se transforme en une espèce de canal excréteur qui s'ouvre au dehors par la plaie que l'on a pratiquée et qui reste fistuleuse sur ce point. Voici alors ce qu'on observe quand on fait man- ger l'animal. Au moment de l'ingestion des aliments et pendant tout le temps que dure la digestion, la bile n'est sécrétée qu'en très-petite quantité. Ce n'est qu'en- viron sept heures après le repas, c'est-à-dire quand le travail digestif est complètement achevé, qu'on voit la bile couler en très-grande abondance par la fistule. Si l'animal n'avait pas eu la vésicule ouverte, cette bile, au lieu de couler dans l'intestin, se serait accumulée dans la vésicule, et s'y serait mise en réserve pour la digestion suivante, et ce n'est qu'alors qu'elle aurait été évacuée dans l'intestin. Ainsi, la bile qui arrive dans le duodénum au moment de la digestion n'est pas sécrétée au moment même; elle a été formée antérieurement et mise en réserve dans la vésicule. Chez les animaux qui n'ont pas de vésicule, chez le cheval, par exemple, le canal cholédoque est pourvu d'un sphincter très-résistant à son ouverture duodé- nale; le canal cholédoque se dilate pendant l'accumu- iation de la bile, et fait alors l'office de réservoir. Ces faits avaient déjà été constatés par divers obser- vateurs, et l'on savait très-bien que, quand on fait jeû- ner les animaux, on trouve constamment chez eux la vésicule distendue par la bile. Nous verrons plus tard que le sucre, au contraire, se montre en plus forte proportion environ trois ou quatre heures après l'ingestion des aliments, c'est-à- DANS LE FOIE. 101 dire au moment où la digestion intestinale est en pleine activité. Mais cette indépendance des deux sécrétions du foie, celle de la bile et celle du sucre, apparaît d'une ma- nière bien plus nette quand on suit les phénomènes de la digestion chez les animaux des classes mférieures, chez des Mollusques par exemple. Nous avons fait de nombreuses expériences sur des limaces grises [Limax flava), prises dans les regards des conduits d'eau du Collège de France, et se nour- rissant presque exclusivement de cloportes et de larves, par conséquent de matières animales. Nous a\ons con- stamment trouvé du sucre dans leur foie. Nous avons de plus suivi, chez ces animaux, l'ordre de succession des phénomènes digestifs. Voici le résul- tat de nos observations : Quand on examine l'estomac et les intestins des li- maces grises qui sont à jeun depuis longtemps, on y constate la présence d'une certaine quantité de bile très-brune, ne renfermant aucune trace de matière sucrée. Si alors ces animaux viennent à introduire dans leur estomac des substances alimentaires, il se fait une sécrétion de suc gastrique acide qui se mé- lange avec les aliments, dans lesquels on ne constate pas encore les réactions caractéristiques du sucre. Ce n'est qu'au moment oii la digestion intestinale s'effec- ne, et lorsque les aliments sont à peu près compélte- ment descendus de l'estomac dans l'intestin, qu'un li- quide sucré et incolore arrive dans la cavité stomacale par le conduit cholédoque inséré, près du pylore, vers 102 FORMATION DU SUCRE ET DE LA BILE l'extrémité inférieure de l'estomac. A mesure que l'ab- sorption intestinale devient plus active et plus com- plète, la sécrétion de ce liquide sucré dans le foie devient plus abondante, de telle sorte que bientôt l'es- tomac s'en trouve rempli et distendu. La sécrétion du fluide sucré et son déversement dans l'estomac suc- cèdent, comme on le voit, à la digestion stomacale pro- prement dite, et coïncident avec la période de l'ab- sorption intestinale. Le liquide remplit alors le conduit cholédoque, qui communique largement avec l'esto- mac, et il se trouve refoulé par la distension de l'esto- mac jusque dans le foie lui-même, qui subit alors une sorte de dilatation générale très-remarquable et très- visible. Bientôt la plénitude de l'estomac, du canal cholé- doque et du foie diminue, par suite de l'absorption de ce liquide. Cette absorption paraît se faire spécialement dans l'estomac, oii la sécrétion sucrée s'accumule sans qu'il semble en passer des quantités notables dans l'intestin. Lorsque l'absorption de ce liquide sucré incolore est à peu près terminée, on voit apparaître une autre sécrétion provenant également du foie, mais offrant des propriétés et des caractères tout à fait analogues à ceux du fluide biliaire. En effet, au moment de cette deuxième sécrétion, le liquide qui coule par le conduit cholédoque devient graduellement de moins en moins sucré et de plus en plus coloré, au point de n'être plus, vers la fin de la digestion, qu'un liquide biliaire pur, dépourvu de sucre, et ressemblant à celui que nous DANS LE FOIE. 103 avons signalé dans le canal intestinal des limaces à jeun. Alors la turgescence du foie a disparu et son volume diminué. Cette bile noire, sécrétée en dernier lieu, ne paraît pas être absorbée sensiblement; elle sé- journe dans l'intestin, et on l'y retrouve encore plus ou moins épaissie et avec sa couleur brune, à l'époque de la digestion suivante, qui donne lieu de nouveau à la série des phénomènes que je viens de vous indiquer sommairement. Ainsi, Messieurs, chez les limaces, il y a deux sé- crétions hépatiques distinctes, celle du sucre et celle de la bile. Leur production et leur déversement dans l'estomac constituent deux phénomènes successifs. Il y a donc là une séparation physiologique des deux fonc- tions du foie. Mais les organes formateurs de chacune d'elles restent encore confondus dans le même tissu. C'est chez les Articulés, et en particulier chez les Insectes, que la distinction anatomique des deux por- tions du foie, l'une destinée à la production de la bile, l'autre servant à la sécrétion du sucre, semble se trou- ver naturellement instituée de la manière la plus nette. Dans tous les Insectes, soit ailés, soit à l'état de larves (à l'exception des pucerons et des kermès), on trouve, à la terminaison du ventricule chylifique ou estomac, un plus ou moins grand nombre de vaisseaux presque toujours simples, fort déliés, capillaires, lis- ses ou boursouflés, variqueux, tantôt très-longs et re- ployés au milieu des viscères, tantôt courts, mais alors plus multipliés. Ces appendices tubulaires, terminés en cœcums, sont, d'après M. Léon Dufour, des conduits 104 FORMATION DE LA BILE ET DU SUCRE DANS LE FOIE. biliaires, ou les représentants du foie chez les Insectes. Suivant cet auteur, ces tubes renferment un liquide vert, ou jaune, ou brun, ou violet, ou blanc, ou inco- lore, d'une saveur amère comme la bile. Bien que les fonctions de ces organes aient été plus ou moins contestées par divers zoologistes, ce qu'il y a de certain, c'est que nous nous sommes assuré qu'ils ne représentent pas l'élément sucré du foie, car, en ayant réuni un certain nombre et les ayant fait bouillir avec du liquide cupro-polassique, il ne s'est manifesté aucune trace de réduction dans le liquide, à l'œil nu ni même au microscope. Mais indépendamment de ces organes, on rencontre, dans les parois mêmes de l'intestin des Insectes, des cellules parfaitement analogues aux cellules du foie des Vertébrés, et si l'on prend le liquide qui humecte les parois intestinales, et qu'on le traite par le liquide cupro-potassique, on trouve qu'il le réduit. Il y aurait donc chez les Mollusques une séparation physiologique bien évidente des deux fonctions du foie, comme il y aurait chez les insectes une distinction anatomique entre ses éléments. Chez l'homme et les Vertébrés, ces deux fonctions sont également physiologiquement distinctes, ainsi que je vous l'ai dit, mais la question anatomique qui con- siste à localiser chacune d'elles dans des éléments spé- ciaux est beaucoup plus obscure, et l'on ne peut guère faire encore à ce sujet que des hypothèses plus ou moins plausibles, motivées sur la structure particulière de l'organe et la distribution de ses cellules et de ses FORMATION DU SLXRE DANS LE FOIE 105 vaisseaux, hypothèses qui peuvent seulement guider dans les recherches que l'on fera à ce sujet, pour les juger en définitive par des expériences directes. Les parties anatomiques constitutives du foie sont^ chez l'homme et les animaux vertébrés, des cellules groupées les unes à côté des autres, de manière à con- stituer par leur masse un lobule parfaitement visible chez certains animaux, tels que chez le cochon, et moins évident chez d'autres, et chez l'homme en parti- culier. Dans le ceutre de cette agglomération de cellules ou de ce lobule, prend naissance la veine hépatique ; à sa périphérie se distribuent les ramifications de la veine porte ainsi que les conduits biliaires. Ces derniers, par une disposition exceptionnelle, se terminent librement à la périphérie des lobules, sans que l'on puisse établir exactement le genre de rapport qui existe entre eux et les cellules hépatiques. Avant qu'on connût la formation du sucre dans le foie, on avait cherché à mettre en harmonie sa structure anatomique uniquement avec la sécrétion et l'excrétion de la bile. Kôlliker admettait que la bile commence d'abord à être sécrétée dans le centre du lobule qui contient le plus de sang, et qu'elle était en- suite amenée à sa périphérie vers l'embouchure des conduits biliaires, en passant successivement par une sorte d'endosmose de cellules en cellules. Si l'on voulait émettre une hypothèse analogue, re- lativement à la formation du sucre, il faudrait faire marcher ce produit d'une manière inverse à la bile, c'est-à-dire de la périphérie vers le centre du lobule 106 FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. hépatique, pour pouvoir ainsi rester d'accord avec le fait anatomique qui montre le conduit excréteur de la matière sucrée, la veine hépatique, placée au centre du lobule. 11 resterait ensuite à déterminer comment les nerfs interviennent pour faire marcher ces deux sécrétions en sens inverse. Toutes ces questions, qui touchent aux phénomènes les plus intimes de la fonction glycogénique, seront exa- minées dans un autre lieu. Pour aujourd'hui, il nous suffit d'avoir montré que le foie est une organe complexe dans lequel nous reconnaissons déjà deux actes physio- logiques et dans lequel il s'en accomplit encore d'autres sans doute que nous ignorons. CINQUIEME LEÇON 9 JANVIER 1855. SOMMAIRE ; Il y a deux sécrétions dans le foie, l'une externe, celle de la bile; l'autre interne^ celle du sucre. — Le sucre est un produit de sécrétion et non d'excrétion. — Il ne sort pas du sang à l'état physiologique, et ne se trouve dans aucun liquide versé au dehors, pas même dans la bile. — Expériences contradictoires à ce sujet, causes d'erreurs. — Distribution de la matière sucrée dans l'organisme par le foie. — Dans l'abstinence le sang n'est sucré que du foie au poumon; pendant la digestion, le sucre passe dans tout le sang, mais ne sort cependant par aucune sécrétion ou excré- tion. — Ce sont les oscillations de la fonction sécrétoire du sucre qui sont proportionnelles à la quantité de sang qui traverse le foie. — Ces oscilla- tions physiologiques se trouvent chez les diabétiques. — Schème repré- sentant ces oscillations à l'état normal et pathologique. — Expériences sur le sang pris dans différents vaisseaux, chez des chiens à jeun et en diges- tion, pour prouver cette ocsillation de la fonction glycogénique. — Le sang qui arrive par la veine cave inférieure dans le cœur droit est toujours sucré; cathétérisme du cœur droit. Messieurs, Il doit être maintenant bien établi pour vous qu'il y a dans le foie deux fonctions de la nature des sécrétions. 1^'une, sécrétion externe, produit la bile qui s'écoule au dehors; l'autre, sécr étion interne , forme le sucre qui en- tre immédiatement dans le sang de la circulation géné- rale. Nous avons dit aussi que ces deux substances, la bile et le sucre, ne paraissaient pas être le résultat d'un même dédoublement chimique, de matières con- tenues dans le sang amené par la veine porte, parce que les formations biliaire et sucrée n'ont pas lieu au 108 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE même moment; et des observations d'anatomie et de physiologie comparées nous ont porté à conclure qu'il devait y avoir dans le foie des animaux vertébrés, comme dans celui des Insectes, où cette séparation semble nettement établie, des cellules organiques distinctes pour la sécrétion de chacun de ces produits, la bile et le sucre. Comme toutes les sécrétions, celle du sucre ne pré- sente pas une marche uniforme; elle oscille constam- ment entre certaines limites dans l'état physiologique ; elle varie suivant les excitations reçues, soit de l'exté- rieur, soit de l'intérieur, et nous savons qu'il en est de même de toutes les autres sécrétions, salivaire, gas- trique, biliaire, pancréatique, lacrymale, etc. , qui n'ont point une intensité constante, qui peuvent même cesser complètement pendant un certain temps comme la sé- crétion gastrique et pancréatique pendant l'abstinence pour reprendre ensuite leurs cours dans d'autres mo- ments. Nous aurons donc à étudier cette marche de la fonction glycogénique en rapport avec les diverses in- fluences qui peuvent s'exercer sur elle, à déterminer dans quels cas elle augmente et dans quels cas elle dimi- nue, pour arriver ensuite à montrer comment, sous certaines conditions morbides, elle peut s'exagérer pour donner naissance à la maladie diabétique que nous avons toujours en vue. Mais auparavant, nous croyons devoir nous occuper du produit sécrété, le sucre, pour chercher ce qu'il de- vient dans l'organisme, et quel rôle il a à y remplir. Et ce sera là une nouvelle preuve que nous avons réel- DANS L'ORGANISME. 109 lement affaire à un produit de sécrétion dont le ca- ractère est d'être formé par une glande, d'avoir un usage dans l'accomplissement d'un acte vital et de ne jamais sortir au dehors sans avoir été préalablement modifié, dédoublé, décomposé par l'exercice même de sa fonction. Le sucre, en effet, en tant que produit de sécrétion , ne sort jamais de l'économie en nature dans l'état physilogique. Il n'apparaît ni dans les sécrétions ni dans les excrétions. Voici de la salive que nous avons recueillie sur ce chien qui vient d'être sacrifié, elle ne renferme pas de traces de matière sucrée ; nous prenons actuellement l'urine dans la vessie chez ce même animal, nous n'y trouvons pas de sucre. La bile elle-même qui sort du foie rempli de sucre n'en contient jamais. Voici, par exemple, de la bile que nous venons d'extraire de l'animal auquel nous avons fait une fistule biliaire et que nous vous avons déjà montré dans la dernière séance. Nous la décolorons par les moyens ordinaires, nous la traitons par notre réactif cupro-potassique ; vous voyez qu'elle ne le ré- duit pas. Cependant certains observateurs ont prétendu que la bile contenait du sucre. Voilà donc une assertion contradictoire à l'expérience que nous venons de faire devant vous. Mais nous vous avons déjà dit que deux faits bien observés ne sauraient se contredire, que leur antagonisme ne pouvait jamais être qu'apparent, et que, pour les ramener tous deux à leur véritable valeur, il suffisait d'une analyse plus exacte des conditions dans lesquelles on les avait observés. 110 DISTRIBL'TION DE LA MATIÈRE SUCRÉE En effet, Messieurs, si sur un animal tué en état de santé, vous examinez la bile contenue dans la vésicule aussitôt après la mort, vous n'y trouverez pas de sucre, pas plus que dans la bile prise sur notre chien vivant portant une fistule biliaire. Mais si l'on y recherche le sucre un ou' deux jours après sa mort, lorsque la bile est restée dans la vésicule en contact avec le tissu du foie, déjà même le len- demain de la mort de l'animal on y trou- vera du sucre eu quantité notable. Que s'est-il passé là? Il y atout simplement ev endosmose du sucre du tissu du foie dans la vésicule de la bile. Et c'est là un fait fa- cile à comprendre, pai'ce que le sucre est une des substan- ces dont le pouvoir endosmotique est considérable et qui passe le plus aisé- ment à travers les membranes. Ainsi que le représente la figure 4, on peut reproduire ce phénomène en prenant, sur un animal récemment mis à mort, la vésicule du fiel B remplie de bile, et en la DANS L'ORGANISME. Hi plongeant dans du sang ou un autre liquide sucré après avoir lié son col sur un tube de verre et avoir fait ainsi une sorte d'endosmomètre. Ou constate bien- tôt après le contact qu'il y a eu endosmose; le sucre est passé le premier dans la bile, et le liquide est monté jusqu'en G dans le tube de verre; réciproquement la bile passe ensuite au dehors et colore le liquide envi- ronnant A. Il est intéressant de remarquer que ce phénomène n'a lieu qu'après la mort. Pendant la vie, il y a des conditions qui, ainsi que nous le verrons plus tard, empêchent de semblables effets de se produire à travers les membranes. Vous voyez donc. Messieurs, par ce simple fait, combien il importe, pour répéter des expériences physio- logiques, de se placer toujours exactement dans des conditions identiques, et combien la circonstance la plus minime en apparence peut influer sur la certitude des résultats. Les observations sur les phénomènes vi- taux peuvent être aussi concordantes que les expérien- ces les mieux établies que nous présentent la physique et la chimie, mais sous la condition d'être répétées dans les mêmes circonstances. Nous aurons encore bien d autres occasions de vous faire la même re- marque. Ainsi aucune sécrétion ne contient du sucre à l'état physiologique, ni la bile, ni la salive, ni l'urine, ni les larmes. La substance sucrée reste dans l'organisme, il faut dès lors qu'elle serve à quelque chose. Et comme, d'un autre côté, elle ne se trouve pas dans le sang delà plupart des vaisseaux en proportion égale, bien qu'il 112 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE s'en produise des quantités assez considérables, il faut qu'elle se détruise quelque part. Nous connaissons son lieu d'origine quiest le foie, nous devons chercher main- tenant le point oii elle disparaît, de façon àcomprendre l'ensemble du phénomène en le tenant, pour ainsi dire, par les deux bouts, avant d'étudier les variations inter- médiaires. Puisqu'il se forme incessamment du sucre, et que, d'un autre côté, il n'en sort point au dehors, il faut bien que, dans l'état physiologique, il y ait un équilibre parfait entre la formation et la destruction. Car si cet équilibre était un instant rompu, si la sécré- tion prédominait par exemple sur la destruction, ce qui peut avoir lieu de plusieurs manières, l'organisme, ra- pidement saturé de matières sucrées, s'en débarasserait parles voies d'excrétion naturelles, phénomène que nous avons dit constituer le diabète. Étudions donc d'abord la marche du sucre, à partir de son point d'origine. Sécrété par les cellules du foie, le sucre passe avec le sang des capillaires dans les veines sus-hépatiques, et de là dans la veine cave inférieure. C'est au point d'abouchement dans ce dernier vaisseau que le sang est le plus sucré. Là, il se mélange avec le sang qui arrive des parties inférieures du corps, et est conduit dans l'oreillette droite, où le sucre subit une nouvelle dilu- tion par suite de son mélange avec le sang veineux provenant de la veine cave supérieure. De Foreillette droite, le sang passe dans le ventricule, qui l'envoie au poumon. Dans tout le trajet du foie au poumon, le sang est constamment sucré, mais dans des propor- DANS L'ORGANISME. 113 lions très-inégales et d'autant plus faibles qu'il s'éloi- gne davantage de son point de départ. Arrivé au pou- mon, le sucre, mis au contact de l'air et mêlé à toute la masse du sang, peut quelquefois disparaître com- plètement. Ces deux organes, le foie et le poumon, semblent donc être alors, vis-à-vis de la matière sucrée, dans un rapport exactement inverse. Chez un animal à jeun, par exemple, le sang qui arrive au foie ne contient aucune trace de sucre, le sang qui en sort en présente des quantités considérables. Inversement, le sang qui arrive au poumon contient du sucre, et celui qui en sort n'en présente plus de traces. Le sucre, dans cet état physiologique, reste entre le foie et le poumon profondément caché, et ne se montre pas à l'extérieur. C'est ce qui fait qu'on a été si longtemps à découvrir l'existence et la formation fonctionnelle de cette ma- tière dans l'animal. L'analyse du sang tiré des veines superficielles, et qu'on a répétée mille fois, ne pouvait donc le déceler dans ces conditions. Cependant quand on entre plus profondément dans l'analyse du phénomène de la distribution du sucre, et qu'on étudie, d'une manière plus spéciale, les cir- constances dans lesquelles il s'opère, on s'aperçoit qu'il faut apporter une restriction dans l'expression de ce fait général que le sucre ne se trouve, jamais qu'entre le foie et le poumon. Quand on prend un animal, carnassier par exem- ple, à jeun, ou dans l'intervalle qui sépare deux diges- tions, on trouve, en général, ce que nous avons dit BERNARD. I. g 114 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE tout à riieiire, c'est-à-dire jamais de sucre en deçà du foie, ui au delà du poumon. Le sucre se produit dans le premier de ces organes, et il disparaît dans le second. Mais il y a des instants, bien que toujours physiologi- ques, oii les choses ne se passent pas complètement ainsi. Vous savez que toute sécrétion peut augmenter dans certains moments, suivant la quantité de sang qui ar- rive, ou suivant une excitation plus forte du système nerveux. Le foie est soumis également à ces mêmes in- fluences, sa sécrétion continuelle dans l'état physiolo- gique devient beaucoup plus considérable pendant les digestions ; la production de sucre s'augmente dans ces moments pour s'abaisser dans les intervalles digestifs. Entre les repas, la quantité de sucre qui sort du foie est telle, que le sang des veines sus-hépatiques en pré- sente environ en nombre rond une proportion de 1 pour 100, mais quand le sang arrive dans l'oreillette droite, mélangé avec tout le reste du sang veineux du corps, la proportion du sucre est venue beaucoup plus faible. C'est dans cet état de dilution que le sucre arrive au poumon, et dans ces conditions, il y est complètement détruit, c'est-à-dire qu'il disparaît aux réactifs qui le décelaient avant. Mais au moment de la digestion, le foie, qui se trouve placé entre le système circulatoire intestinal et le sys- tème circulatoire général, au lieu de ne recevoir que le sang provenant des artères mésentériques, reçoit, en outre, toutes les matières solubles absorbées par les ca- DANS L'ORGANISME. H5 piJlaires de la veine porte, c'est-à-dire, en définitive, une quantité de sang bien plus considérable, double et même triple chez certains animaux qui ont l'intestin très-long comme les herbivores, de ce qu'elle est, lors- que le même individu est à jeun. Le foie, comme une espèce d'épongé, se gorge de sang et devient à ce moment beaucoup plus volumineux, il s'y opère une espèce de congestion physiologique. La circulation, très-lente dans l'état ordinaire, est singu- lièrement activée, et le flot de sang qui arrive alors dans cet organe déplace probablement la plus grande partie du sucre qui s'y était déjà formé, pour le lancer dans la circulation générale. Chez les diabétiques, je ne serais pas éloigné de croire que cette apparition si rapide du sucre dans les urines au moment de la digestion ne fût due, en grande partie, à un déplacement de cette es- pèce, et que, d'un autre côté, le sucre qu'ils peuvent prendre ne passât dans les urines que par suite d'une suractivité de la circulation hépatique qui permettrait son expulsion immédiate du foie.Maisnous reviendrons sur ces questions que nous ne faisons qu'indiquer en passant. Indépendamment de ce surcroît d'activité causé par un afflux plus considérable de sang, le foie est encore stimulé par le système nerveux, sous l'influence des excitations naturelles apportées par la digestion des matières alimentaires. Quoi qu'il en soit, cette augmentation de la sécré- tion du sucre dans le foie se fait, à l'état physiologique, d'une manière successive et orpaduée. Dès le début de liO DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE l'absorplion digestive, lorsque la veine porte commence à charrier une plus grande proportion de sang dans le foie, la fonction glycogénique, qui semblait sommeiller pendant que l'animal était à jeun, se réveille. Peu à peu l'activité fonctionnelle s'accroît, à mesure que la quan- tité de sang, qui traverse le tissu hépatique, devient elle-même plus considérable, et c'est environ quatre ou cinq heures après le début de la digestion intes- tinale, que cette production du sucre dans le foie est parvenue à son summum d'intensité. Après ce temps, la digestion venant à cesser, l'absorption intestinale se ralentit, et la formation de sucre dans le foie diminue, pour reprendre de nouveau sasuractivité au premier re- pas, et pour continuer à décroître d'une manière gra- duelle à mesure que le sang s'use et diminue dans l'or- ganisme, si l'animal est laissé à l'abstinence. Il existe donc une espèce d'oscillation physiologique dans la fonction productrice du sucre, qui fait que cette fonction, bien que continue, éprouve une surac- tivité intermittente à chaque période digestive. Si, par des expériences que nous vous avons déjà mentionnées, il est prouvé que \; les urines seront constamment sucrées et le diabète continu. DANS L'ORGANISME. 1-25 Il est bien entendu.^ Messieurs, que nous vous repré- sentons ici des cas types d'une simplicité purement idéale, afin de vous faire comprendre la liaison de ces phénomènes nerveux et pathologiques. Entre les ima- ges que nous vous en donnons, vous pouvez concevoir tous les intermédiaires possibles. Mais la marche de toute fonction vitale ne saurait jamais être indiquée complètement par des lignes aussi simples que celles que nous avons figurées ici, car indépendamment des grandes oscillations dont nous donnons la direction générale, en creusant plus profondément le phéno- mène, on trouverait des oscillations de deuxième et troisième ordre que nous aurons à examiner ultérieu- rement. Enfin, Messieurs, cette marche du sucre à travers l'organisme, ces oscillations physiologiques de sa sécré- tion sous rinflueijce de la digestion, et dans l'intervalle des digestions, sa diffusion limitée dans un cas, géné- ralisée dans l'autre, sont des faits trop importants pour que nous n'ayons pas à cœur de les reproduire devant vous, et de les fixer dans votre esprit au moyen des expériences qui ont servi à les établir. Yoici deux chiens, l'un à jeun, chez lequel, par con- séquent, tout le sucre sorti du foie est détruit avant d'avoir traversé le poumon ; l'autre en pleine digestion, chez lequel la matière sucrée est répandue dans tout l'organisme ; nous allons faire sur eux une série d'ex- périences comparatives, qui ne sauraient vous laisser aucun doute sur les phénomènes que je vous ai an- noncés. i'Zi) DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE Nous prenons le premier animal, c'est-à-dire celui qui est à jeun, et nous allons puiser du sang dans dif- férentes parties du corps pour vous montrer qu'il n'y a de sucre qu'entre le foie et le pou- mon. Pour cela nous prendrons du sang dans le cœur droit d'abord. L'animal étant couché sur le flanc gauche, nous faisons une incision longue de 5 à 6 centimètres sur le côté droit du cou, et immédiatement au-dessous de la pean nous trouvons la veine jugulaire externe bien plus volumineuse que l'interne chez les ani- maux, à cause de la prédominance de la face. Nous isolons cette veine des parties voisines au moyen d'une sonde cannelée, et nous plaçons sur elle une ligature du côté de la tête, puis, saisissant la veine entre le pouce et l'index de la 1 main gauche, nous y faisons une incision avec des ciseaux. Par l'orifice que nous venons de pratiquer, nous allons chercher du sang dans le cœur droit en pratiquant une sorte de cathétérisme cardiaque. Nous nous servons pour cela d'une sonde en métal (fig. 6), légèrement courbée vers son extrémité; elle est munie d'un ^'°* ^* robinet R, et offre une ouverture à son bout effilé ; les bords de cette ouverture sont soigneu- sement arrondis pour ne pas couper ou déchirer les vaisseaux. Nous introduisons cette sonde, avec son ro- binet fermé dans la veine jugulaire, nous l'enfonçons à une profondeur variable suivant la taille de l'ani- mal ; ici, pour ce chien de taille moyenne, nous l'en- DANS L'ORGANISME. 127 fonçons à 20 centimètres. Nous tournons d'abord la concavité de l'instrument en avant, puis vers le ster- num, c'est-à-dire en dedans. Nous arrivons ainsi assez facilement dans l'oreillette droite, ce que nous sentons aux mouvements imprimés à la sonde et au jet sac- cadé du sang qui s'en écoule, synchroniquement avec les battements du cœur. Alors, avec une seringue, dont la canule est ajustée dans le bout évasé E de la sonde, nous aspirons une certaine quantité de sang du cœur droit de l'animal. Nous retirons ensuite la sonde et nous lions le bout cardiaque de la veine jugulaire. Cela fait, nous cherchons l'artère carotide du même côté, nous l'isolons du nerf vague, puis nous plaçons une ligature; au-dessous de celle-ci nous pratiquons une ouverture pour extraire une certaine quantité de sang, et nous lions du côté du cœur. Puis, reprenant le bout périphérique de la veine ju- gulaire, nous délions la ligature et nous laissons couler une certaine quantité de sang. Nous avons donc ainsi : 1° du sang venant du cœur droit, c'est-à-dire du sang provenant de la veine cave inférieure et des veines sus-hépatiques, qui s'est mé- langé dans le cœur avec le sang arrivant de la veine cave supérieure ; T Du sang artériel venant de passer à travers le poumon ; 3° Du sang veineux descendant des capillaires de la tête. Nous traitons ces trois sangs absolument delà même manière, en y ajoutant une certaine quantité de sulfate i28 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE de soude cristallisé, solide, et en chauffant dans des capsules de porcelaine. Sous l'influence de la chaleur, le sang se coagule, les matières albuminoïdes sont cris- pées et ratatinées, et un liquide entièrement décoloré s'en sépare. Nous prenons ces liquides et nous les faisons bouil- lir avec le réactif cupro-potassique. Vous voyez que le sang provenant du cœur précipite très-nettement le sel de cuivre, tandis qu'iln'y a ni décoloration ni réduction avec le sang artériel, ni avec le sang veineux provenant des parties périphériques du corps. Le sucre qui se trou- vait dans le cœur droit, et qui provenait du foie, n'a donc pas traversé le poumon, puisqu'on ne le trouve pas dans le sang après cet organe. Il n'est pas non plus dans le système veineux général. Maintenant nous prenons l'autre chien auquel on a fait faire, il y a cinq ou six heures, environ, un repas copieux, mais composé exclusivement de matières ani- males (tête de mouton cuite). Nous opérons de même que sur le premier; nous prenons d'abord le sang du cœur, puis le sang de l'artère carotide et enfin le sang de la veine jugulaire qui revient de la tête. Nous trai- tons ces trois sortes de sang de la même manière que nous avons traité ceux du premier animal, en ajoutant à chacun d'eux à peu près leur poids de sulfate de soude, et en chauffant le mélange dans des capsules de porcelaine. Nous recueillons les liquides très-incolores qui se séparent des parties solides contractées et coagu- lées, nous y ajoutons dans les tubes où nous les ver- sons parties égales du réactif cupro-potassique, nous DANS L'ORGANISME. î2*.) faisons bouillir ce mélange, et vous voyez dans tous des changements de coloration et la formation de pré- cipités qui vous indiquent la présence du sucre. Vous remarquez cependant que le précipité formé est bien plus considérable dans le liquide provenant du sang du cœur de cet animal, que dans les liquides provenant du sang artériel ou du sang veineux de la circulation générale ; il est plus considérable aussi que dans le li- quide provenant du sang du cœur du premier chien à jeun. Ces deux expériences comparatives vous prouvent , Messieurs, qu'il y a eu, au moment de la digestion, une plus grande proportion de sucre formé dans le foie, qu'une partie de ce sucre a été détruite sans doute, mais qu'il en est passé dans le système artériel, et de là dans le système veineux général une certaine quan- tité que nous y retrouvons. Cependant ce sucre, bien que généralisé dans tout l'organisme, ne s'est pas montré dans les sécrétions, car voici de la salive du même chien et son urine qui ne donnent aucun signe de la présence de la matière sucrée avec le réactif cupro-potassique. BERNARD. I. SIXIEME LEÇON 13 JANVIER 1855. SOMMAIRE : La destruction comme la production du sucre est un fait com- mun au règne végétal comme au règne animal. — Circonstances qui peu- vent modifier la sécrétion du sucre. — Altérations de la substance hépa- tique. — Kystes. — Cancers. — Foie gras. — Influences agissant sur la fonction glycogénique. — Influence de l'abstinence. — Cas des animaux hibernants qui ne doivent pas être considérés comme des animaux à jeun. — Influence de l'alimentation. — Influence de l'alimentation graisseuse. — Influence de l'alimentation azotée. — Influence de l'alimentation féculente et sucrée. Messieurs, Pour arriver à tracer l'histoire physiologique du diabète, il faut continuer l'histoire de la formation du sucre dans l'économie animale. Nous connaissons actuellement deux phénomènes que nous ne devons jamais perdre de vue; savoir, d'une part, \di production, d'autre part, la destruction delà matière sucrée, qui se rencontrent simultanément dans tous les organismes vivants animaux et végétaux et sont solidairement unies l'une à l'autre. Au milieu du monde exléiieur, certahis êtres vivants ont pu paraître, au point de vue philosophique, faits pour créer les substances destinées à l'alimentation des autres. Mais au point de vue physiologique chaque in- dividu travaille pour soi et vit comme il peut aux dé- SÉCRÉTION ET DESTRUCTION DU SUCRE. 131 pens de ce qui l'entoure. Si les animaux utilisent pour leur nourriture le sucre qu'ils trouvent dans les végé- taux, on ne peut pas dire que ce soit là la cause finale physiologique de cette substance, car, de même que l'animal, le végétal produit du sucre pour sa propre consommation, et il le détruit dans les périodes succes- sives de son existence. Si l'on suit, par exemple, la série des phénomènes vitaux dans une betterave, on voit que, pendant la première année, la plante accumule dans sa racine les matières sucrées qui s'y trouvent alors en grande abondance ; mais si on la laisse se développer l'année suivante, à mesure que la tige va s'élever et que les bourgeons se formeront pour produire des fleurs et des fruits, on verra le sucre monter de la racine dans la tige, s'y changer de sucre de la première espèce en sucre de la seconde espèce, enfin disparaître peu à peu; et à l'époque de la maturité des graines, la matière sucrée aura disparu dans toute la plante. Le sucre accumulé la première année aura été détruit dans la seconde pour servir au développement complet du végétal. On rencontre donc dans les végétaux les deux phases de production et de destruction du sucre, sous quelque forme que cette matière se présente. On voit ainsi que dans ces deux règnes les phénomènes se ressemblent en ce qu'il y a production et destruction de la matière sucrée. Nous verrons plus tard, en nous occupant plus spé- cialementdeces deux questions, qu'il y a bien d'autres rapprochements à faire entre les deux règnes des êtres vivants au point de vue des actes nutritifs. 132 INFLUENCES QUI MODIFIENT Nous avons actuellement à analyser les conditions diverses dans lesquelles se passent ces phénomènes de production et de destruction du sucre, alîn d'y cher- cher les éléments de la maladie diabétique dont nous poursuivons toujours le mécanisme dans ces recher- ches. Aujourd'hui nous allons étudier toutes les circon- stances qui peuvent influencer la production de la ma- tière sucrée dans l'organisme animal. Ces circonstances sont de trois ordres. En premier lieu, les modifications que peut subir l'élément glandulaire du foie. Secondement, les modifications que peut présenter la circulation de l'organe, soit au point de vue chi- mique de la composition du sang qui le traverse, soit au point de vue des conditions mécaniques de cir- culation. Troisièmement, enfin, l'influence du système ner- veux sur cette sécrétion. On a encore très-peu de données sur l'influence que les altérations de la cellule hépatique peuvent avoir sur la production du sucre. Je n'ai, jusqu'à présent, pu suivre la production du sucre que dans quelques-unes des altérations du foie, et en particulier dans la maladie à laquelle on donne le nom àe foie gras (1), et que Ton peut produire artificiellement sur des oies et des ca- nards en les soumettant à une certaine nourriture. 11 était intéressant de savoir quelle pouvait être, dans (1) Voyez le mémoire de M. Lereboullet sur le Foie gras. ( Mémoires de V Académie de médecine. Paris, 1853, t. XVII, p. 477.) LA PRODUCTION DU SUCRE. 133 ces cas de modifications du tissu hépatique, l'influence exercée sur la production du sucre. Vous savez que les cellules du foie contiennent dans leur intérieur des gouttelettes de graisse à l'état nor- mal. Par suite de la maladie qu'on communique aux canards ou aux oies atteints de foie gras, ces goutte- lettes deviennent d'une grosseur considérable et finis- sent même quelquefois par remplir complètement la cellule hépatique. Dans ces celkiles si chargées de graisse, il semblerait que la production du sucre dût avoir diminué. Cependant il n'en est point ainsi, car, dans l'analyse que j'ai faite d'un foie gras de canard, j'ai trouvé 1,40 pour 100 de sucre dans le tissu du foie. Le foie d'un canard ordinaire ne m'a présenté que 1,27 pour 100 de matière sucrée. On observe assez souvent sur les animaux de bou- cherie un épaississement assez considérable des con- duits biliaires, ce que les bouchers appellent des foies nerveux. Il se forme là du tissu fibro-plastique en quantité plus ou moins grande qui atrophie nécessai- rement les cellules voisines. Aux environs de cette altération, qui du reste est toujours purement locale, la proportion de sucre est nécessairement moindre que dans les endroits oii les conduits ont leur épaisseur normale; mais les fonctions des autres portions du foie n'en sont nullement empêchées, et il n'y aurait que dans le cas oîi ces indurations occuperaient tout l'or- gane que, celui-ci alors ne fonctionnant plus, la mort de l'animal devrait s'ensuivre. 134 INFLUENCES QUI MODIFIENT LA PRODUCTION DU SUCRE. D'autres altérations locales du foie, des kystes, des hydatides, des tumeurs de diverses natures, n'ont d'au- tre effet que de diminuer la masse de la substance fonctionnante du foie; car à côté de ces lésions on trouve des parties saines présentant du sucre dans les proportions ordinaires. C'est ce que j'ai pu constater chez des moutons, par exemple, chez lesquels ces sor- tes d'altérations sont excessivement fréquentes, comme on le sait. Le cancer lui-même, tant qu'il n'a pas envahi tout le tissu de l'organe, n'a qu'une action purement locale; c'est ainsi que je Tai constaté sur un surmulet qui avait la moitié du foie envahi par un cancer encépha- loïde : les parties restées saines fonctionnaient comme d'habitude et étaient parfaitement sucrées. Il est difficile d'établir une relation entre les altéra- tions morbides du foie et la disparition de la matière sucrée dans cet organe chez l'homme, parce que, comme on ne peut les observer qu'après la mort, l'a- gonie, qui l'a précédée dans la plupart des cas, suffit pour faire disparaître le sucre. Nous arrivons à la question d'influence que peut avoir la composition du sang. Cette influence est d'au- tant plus importante à considérer que le foie est tra- versé sans cesse par le sang delà veine porte, et que ses éléments sont nécessairement variables par suite de toutes les substances très-diverses, suivant la nature de l'alimentation, qui sont absorbées dans le tube diges- tif. C'est surtout là que nous pourrons constater ces différences dans la composition du sang, car nous ver- INFLUENCE DE L'ALIMENT. SUR LA PROD. DU SUCRE. i3o rons que le fluide, pris dans le système circulatoire général, varie beaucoup moins non-seulement entre deux individus de même ordre, mais entre des indi- vidus d'ordre différent, entre les carnassiers et les her- bivores, par exemple. Quelle est donc l'influence que ces substances de nature si diverse, introduites dans l'alimentation et la veine porte, peuvent avoir sur la formation du sucre ? Ceci, comme vous le voyez, touche de très- près à la question du diabète. Depuis Rollo, tous les médecins ont l'esprit fixé sur l'ahmentation qui convient dans cette maladie. M. Bouchardat (!) proscrit l'usage des féculents et des matières sucrées. Des faits dont j'ai été témoin dans la pratique de M. Rayer prouvent évidem- ment l'utilité d'une alimentation azotée. En effet, quoique nous ayons élabU qu'il y a dans l'organisme une fonction qui produit du sucre indé- pendamment de la nature de l'alimentation, et que conséquemment cette matière ne saurait provenir exclu- sivement du dehors, cela n'empêche pas qu'il puisse aussi y avoir une origine extérieure pour la matière sucrée dont nous avons à faire la part. Nous allons pour celte raison examiner l'influence de la nature des diverses substances absorbées dans les voies digestives. Ces substances se ramènent à trois ordres, quelle que soit la variété de l'ahmentation, savoir : les matières graisseuses absorbées à l'état de division extrême, les matières albuminoïdes et féculentes absorbées h l'état de dissolution. (1) Mémoires de r Académie de médecine. Paris, 1852, t. XVI, p. 69. m INFLLENGE DE L'ALIMENTATION Mais avant- d'étudier le rôle de ces diverses sub- stances dans la production du sucre, c'est-à-dire l'in- fluence des alimentations de diverse nature, il importe de savoir quels sont, au point de vue de la fonction glycogénique, les effets d'une alimentation nulle, c'est- à-dire d'une abstinence complète. Nous aurons ainsi un point de comparaison qui nous servira à isoler le phénomène sur lequel doit porter l'expérimentation. Voici comment nous avons institué l'expérience. Nous avons choisi quatre chiens de même âge et à peu près de même taille : le premier ne recevait que de l'eau pure, le deuxième de l'eau plus de la graisse, le troisième de l'eau plus de la gélatine, le quatrième de l'eau plus de la fécule. Pour apprécier le rôle appartenant à chaque substance alimentaire, nous n'avons eu en quelque sorte qu'à soustraire par la pensée, de chacun des trois derniers chiens, le chien à l'eau pure, et la différence était nécessairement due à la substance surajoutée à l'eau. Nous vous avons déjà dit qu'après la privation des aliments, la production du sucre dans le foie con- tinue à avoir lieu uniquement aux dépens des maté- riaux du sang. Mais les oscillations physiologiques qui se manifestent dans l'état normal, oii les digestions se succèdent à des intervalles plus ou moins éloignés, cessent nécessairement d'avoir lieu pendant l'absti- nence. La sécrétion sucrée décroit alors progressi- vement, à mesure que le liquide sanguin diminue de quantité, car il ne se répare plus avec les sub- stances que lui fournissait la digestion, et, néanmoins, SLR LA PRODUCTION DU SUCRE. 137 les sécrétions liquides et gazeuses, par les glandes sa- livaires, les reins et le poumon, se produisent encore pendant un certain temps. La sécrétion du sucre parle ^ foie persiste aussi comme les autres, mais elle va en di- minuant, et finit par disparaître complètement trois à quatre jours environ avant la mort de l'animal soumis à une diète absolue. Il ne faudrait pas croire que cette diminution et cette disparition du sucre dans le foie, sous l'influence de la privation d'aliments, dépendent simplement de ce que l'animal use et détruit progressivement la quan- tité de matière sucrée qu'il avait formée pendant sa dernière digestion. Nous vous avons déjà dit, et nous aurons encore plus d'une fois l'occasion de vous mon- trer qu'il faut à peine quelques heures à un animal pour consommer toute la quantité de sucre qu'il a dans le foie, de sorte que, s'il ne s'en formait plus, dès le lendemain déjà, après vingt-quatre heures de jeûne, le tissu hépatique en serait dépourvu. Mais il n'en est point ainsi, parce que, dans l'abstinence, il se refait encore du sucre aux dépens du sang qui traverse inces- samment le foie. Seulement, à mesure que ce sang s'use et s'appauvrit, par suite de l'absence de nourri- ture, la sécrétion sucrée du foie diminue d'énergie, et finit, avant les dernières périodes de l'abstinence, par s'éteindre comme les autres fonctions. Pendant les premiers jours de l'abstinence, la sécré- tion sucrée se maintient encore assez considérable ; car sur un chien à jeun depuis trente-six heures, j'ai trouvé encore une proportion de J ,255 de sucre pour 100 du 138 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION lissu du foie ; et sur un autre chien à jeun depuis quatre jours, il y avait 0,93 pour 100. Dans les jours suivants, la quantité de sucre formé va en diminuant plus rapidement pour ne cesser toutefois d'une ma- nière complète que lorsque l'animal, après avoir perdu les quatre dixièmes de son poids, est désormais voué à une mort inévitable. Sur des chiens, des lapins ou des cochons d'Inde morts d'inanition, je n'ai jamais rencontré de sucre dans le tissu du foie ; mais sur deux chiens adultes, à l'abstinence complète, l'un depuis quinze jours, l'autre depuis douze jours (ce dernier buvait de l'eau), j'ai trouvé encore très-évidemment du sucre dans le foie. Chez les chiens, la production du sucre ne s'arrête guère, ainsi que nous l'avons dit, que trois jours environ avant la mort^ seulement, quand on approche de cette période de l'inanition, la quantité de sucre hépatique est excessivement faible ; et pour faire la recherche du sucre dans le foie à ce moment, on devra avoir soin de ne pas sacrifier les animaux par hémorrhagies, mais bien par la section du bulbe ra- chidien, comme nous le faisons habituellement, parce que dans le premier genre de mort, le sang non sucré des organes abdominaux voisins, qui ti'averse le tissu hépatique pour s'écouler au dehors, lave en quelque sorte l'organe, et lui emporte la petite quantité de sucre qu'il contenait, de sorte qu'on pourrait, dans ces cas, attribuer à l'abstinence l'absence du sucre dans le foie. Du reste, le temps nécessaire pour que la production du sucre dans le foie s'éteigne sous l'influence de l'ab- stinence est variable suivant l'âge et la taille des ani- SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 139 maux, leur classe, leur espèce, et la faculté de résister plus ou moins longtemps à l'inanition. Parmi les Ver- tébrés, les oiseaux sont les animaux chez lesquels, dans des circonstances égales, la privation de nourri- ture éteint le plus rapidement la production du sucre dans le foie. Ainsi, au bout de trente-six ou de qua- rante-huit heures d'abstinence, chez les petits oiseaux, tels que les moineaux, le foie est déjà complètement dépourvu de matière sucrée. Après les oiseaux vien- nent les mammifères, surtout quand ils sont jeunes. J'ai expérimenté à ce point de vue sur des rats, des chiens, des chats et des chevaux. Chez les rats et les lapins, il suffit de quatre à huit jours ; chez les chiens, les chats et les chevaux, il faut douze à vingt jours, pour que le sucre disparaisse complètement dans le foie. Ce laps de temps peut devenir moindre, si pendant l'abstinence on fait prendre de l'exercice aux animaux, ou bien il peut être plus considérable, si, dans les mêmes circonstances, on condamne les ani- maux au repos, en même temps qu'on leur fournit de l'eau à boire. Les reptiles et les poissons se distinguent des ani- maux à sang chaud par une résistance beaucoup plus considérable aux effets de l'abstinence et par une dis- parition plus lente du sucre dans le foie. C'est ainsi q\ie des crapauds, des couleuvres et des carpes pré- sentaient encore, cinq à six semaines après leur dernier repas, du sucre d'une manière très-évidente dans le tissu du foie. Du reste, l'augmentation de la tempé- rature ambiante active d'une manière évidente cette r,0 INFLUEiNGE DE L'ALIMENTATION disparition du sucre hépatique en accélérant sans doute les phénomènes nutritifs. L'abaissement de tempéra- ture agit d'une manière inverse. En même temps que le sucre disparaît, on voit d'autres fonctions se modifier. La respiration, par exemple, qui est dans un rapport si intime avec la destruction du sucre, se ralentit. Il y a cependant un cas d'abstinence apparente qu'il est intéressant de considérer ici : c'est celui des ani- maux hibernants, des marmottes, par exemple, qui s'endorment aux approches de l'hiver et restent dans cet état, sans manger, pendant un temps considérable. Il était curieux d'observer les phénomènes de la nu- trition chez ces animaux pendant leur sommeil, et en particuHer la sécrétion si importante du sucre. M. le professeur Valentin, de Berne, a fait à ce sujet des expériences très- intéressantes dont je vous indiquerai en passant les résultats principaux. Les phénomènes de l'hibernation chez les marmottes s'annoncent cinq ou six jours avant le sommeil réel par uue perte complète d'appétit. L'animal refuse tous les aliments qu'on lui présente. La marmotte mâle qu'ob- serva M. Valentin pesait 2 livres 1/3, et n'avait pas mangé depuis quelques jours lorsqu'elle s'endormit. Son premier sommeil dura vingt-cinq jours, au bout desquels elle se réveilla pendant quelques instants, puis se rendormit le jour suivant, et resta onze jours dans un état complet d'hibernation. Elle se réveilla ensuite de nouveau, rendit de l'urine et des selles pour la pre- mière fois depuis le commencement de son sommeil. SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 141 et le lendemain elle se rendormit encore pendant trois jours. La marmotte fut alors tuée par asphyxie. Elle n'avait donc pas mangé depuis environ (rente-neuf jours, et l'animal n'avait perdu que 3 onces de son poids. A l'autopsie, on trouva que son foie donnait une décoction claire et neutre, réduisant énergiquemeut le liquide cupro-potassique, brunissant par la potasse, fermentant très- bien par la levure de bière et faisant tourner à droite le plan de polarisation. Par le dosage, on trouva que cette décoction hépatique contenait 2,87 pour 100 de sucre, c'est-à-dire qu'il y en avait autant que chez d'autres rongeurs à l'état normal. Quand on ouvrit l'estomac, on y trouva une matière neutre d'un blanc grisâtre qui existe habituellement pendant le sommeil hibernal de ces animaux. Voici donc, Messieurs, un fait extraordinaire : d'une part, une quantité considérable de sucre dans le foie; d'autre part, une privation de nourriture qui dure trente-neuf jours. Ceci ne ressemble en rien à ce qui a heu chez un animal non hibernant. Si l'on cherche à quoi cela peut tenir, on n'a pour s'en rendre compte que la présence de cette matière jaunâtre qui se trouve sécrétée dans l'estomac, et qui, sans doute, est réab- sorbée par la veine porte pour servir à la formation du sucre. Pendant l'hibernation, toutes les fonctions sont, du reste, excessivement ralenties, et la perte par consé- quent beaucoup moins considérable que chez les ani- maux à jeun. Les animaux qui n'hibernent pas ont, au contraire, pendant l'abstinence, l'estomac parfaitement vide. On 442 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION ne peut donc pas comparer un animal à hibernation complète, comme la marmotte, à un animal à jeun, ni même à un animal dont l'hibernation est incomplète et qui se réveille de temps en temps pour manger, comme les loirs et certains rongeurs et insectivores. Ces derniers animaux peuvent mourir de faim et ren- trer dans le cas ordinaire des animaux à jeun; ils ne se rendorment plus et meurent réellement d'inanition : c'est ce qui est arrivé sur un jeune hérisson qu'avait observé Valentin, qui mourut au bout de deux mois, ne présentant que des phénomènes d'un sommeil in- complet, et dont le foie n'offrit plus à l'autopsie aucune trace de sucre. Dans la marmotte qui a fait le sujet de l'expérience citée plus haut, il est question d'une sorte de diffusion de la matière sucrée dans l'organisme; car on constata qu'outre le tissu du foie, il y avait encore des traces de sucre dans la bile, dans le diaphragme, dans la capsule surrénale droite et dans l'estomac. Cette dif- fusion n'est pas physiologique et doit être considérée comme purement cadavérique, car, ainsi que nous l'avons démontré ailleurs, après la mort il se produit une endosmose de la matière sucrée dans la bile et dans les organes qui environnent le foie. C'est ainsi seulement qu'on peut comprendre que la diaphragme ait été sucré, de même que la capsule droite, la plus rapprochée du foie, tandis que la gauche, en étant plus éloignée, ne présentait pas de traces de sucre. Nous venons de voir le rôle de l'abstinence sur la production du sucre; nous avons distingué le cas des SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 143 animaux hibernants qui ne doivent pas être considérés comme animaux h jeun. Nous avons maintenant à examiner les rôles de chaque ahmentation en particu- lier. Voyons d'abord l'influence de l'alimentation grais- seuse. Rollo recommandait de donner de la graisse aux diabétiques. M. Thenard et Dupuytren leur faisaient manger du lard; il importe donc d'examiner l'action spéciale de cette alimentation. Nous avons nourri des chiens avec du lard et avec de l'axonge, et nous avons trouvé ce fait très-curieux, que sous l'influence de cette alimentation, le sucre dimi- nuait dans le foie absolument de la même manière que si l'animal avait été mis à Fabstinence absolue. r Un chien de taille moyenne fut nourri pendant trois jours avec du lard non salé, cru et complètement privé de parties musculaires. Chaque jour l'animal mangea bien, et même avec appétit, 125 grammes de cette substance grasse coupée en morceaux; le troi- sième jour, le chien fut sacrifié par la section du bulbe rachidien, trois heures après son dernier repas, c'est- à-dire au moment où la digestion était en pleine acti- vité et la production gylcogénique à son summum. Le foie qui donnait une décoction jaunâtre et limpide, contenait 0,88 de sucre pour 100 du tissu. 2° Un autre chien robuste, de taille moyenne, sou- mis à l'abstinence absolue pendant huit jours, fut nourri pendant les six jours qui suivirent avec de la graisse de porc (saindoux) fondue et tiède, dont on lui injectait chaque jour dans l'estomac, au moyen de la 444 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION sonde œsophagienne, 90 centimètres cubes, et aussi- tôt après, sans relirer la sonde, 180 grammes d'eau or- dinaire. L'animal fut tué au bout de ce temps. A l'autopsie, la quantité de sucre dans le tissu hépa- tique n'était que de 0,57 pour 100. L'alimentation a\ec la graisse a donné sur ces deux chiens ce résultat identique, savoir : la diminution du sucre dans le tissu du foie. La graisse était cependant parfaitement absorbée et digérée, seulement elle ne servait à rien pour la production du sucre. Car nous avons constaté que, sous le rapport de la quantité de sucre qu'il contient, le foie des animaux soumis à la diète graisseuse est tout à fait comparable à celui des animaux complètement privés d'aliments. Il y a ici une remarque à faire au sujet de la particularité d'absorption que présente la matière grasse. C'est à travers le foie, placé comme une espèce de fdtre organique entre le système circulatoire général et l'intestin, que passent la plupart des substances in- troduites dans le tube digestif et dissoutes par les sucs intestinaux. Or, quelle que soit la diversité des aliments, leurs principes fondamentaux sont seulement, comme nous l'avons dit, de trois espèces, savoir : les màtièies azo- tées ou albuminoïdes, les matières féculentes ou su- crées, et les matières grasses. De ces trois ordres de substances, les dernières seules ne passent pas par le foie, et sont presque exclusivement absorbées par les chylifères, pour arriver directement au poumon, en SUR LA PRODUCTION BV SUCRE. 145 suivant le canal thoracique qui les verse dans la circu- lation veineuse générale» On peut donc, au point de vue de leur absorption, diviser les matières alimentaires en deux classes : r celles qui traversent le foie en sortant de l'intestin; 2° celles qui, charriées par les chylifères, sont portées directement dans le poumon. C'est ainsi que les choses se passent chez tous les mammifères. Chez les oiseaux, les reptiles et les pois- sons, oii il n'y a pas de vaisseaux chylifères propre- ment dits, il y a un autre mécanisme d'absorption de la graisse, ainsi que nous le verrons plus tard. Le passage de la graisse à travers un système devais- seaux différents de ceux de la veine porte est non-seu- lement un fait physiologique, mais il est en rapport avec la structure de l'organe hépatique; car, si l'on pousse une injection de graisse dans la veine porte, elle ne passe que très-difficilement dans les veines sus- hépatiques, elle se fixe dans le tissu du foie. Les ana- lyses de Lehmann viennent encore confirmer ces faits. Ce chimiste a trouvé que le sang qui arrive dans le foie contient, quoique en faible quantité, de la matière grasse, mais que le sang qui en sort en présente beau- coup moins. Le sang de la veine porte renferme en moyenne, sur des chevaux, 0§',04 de graisse, et le sang des veines hépatiques seulement 0^',000o. Cette impossibilité où se trouve la graisse de traverser le foie est en rapport avec l'inutilité de cette substance pour former le sucre; son action à cet égard peut donc être considérée comme nulle. Le régime conseillé BERNARD. I. 10 U6 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION par Rollo équivalait donc à l'abstinence, et l'on ne doit pas s'étonner qu'il ait obtenu d'heureux résultats avec sa méthode, puisque la formation du sucre est nécessairement diminuée par suite de l'alimentation graisseuse, qui n'exerce aucune action sur le foie. Nous arrivons maintenant à l'alimentation azotée. Voici les expériences que nous avons faites à ce sujet. r Un chien adulte et de petite taille, pesant 4^^\ 91 , fut d'abord soumis à une abstinence absolue pendant quatre jours, atin de laisser les intestins se débarrasser des anciens aliments. (Depuis huit jours, du reste, le chien ne mangeait que de la viande.) Pendant les six jours qui suivirent, on lui ingéra, chaque jour, dans l'estomac, 370 grammes d'eau ordinaire tiède, conte- nant en dissolution 20 grammes de gélatine dite ali- mentaire. Une heure après son dernier repas, onsacritia l'animal par strangulation. A l'autopsie, faite avec beaucoup de précautions, j'ai constaté que la décoction du foie, jaunâtre et légèrement louche, renfermait beaucoup de sucre. Le dosage en donna 1,33 pour 100 du tissu hépatique. T Un autre animal, une chienne, de taille moyenne, fut nourrie, pendant troisjours exclusivement, avec des matières gélatineuses, consistant en pieds de mouton, dont on avait enlevé les os, et qu'on avait fait bouillir avec de l'eau pour en séparer la plus grandep artie de la graisse, qui venait surnager à la surface du liquide re- froidi. Chaque jour, l'animal mangeait quatre pieds de mouton avec la gelée qui les entourait. Après troisjours de ce régime, et trois heures après son dernier repas, SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 147 l'animal fut sacrifié par la section du bulbe rachidien. Je constatai que le tissu de son foie renfermait 1 , 65 pour 100 de sucre. La décoction hépatique était jaunâ- tre et légèrement opaline. L'action de la gélatine, que j'ai choisie pour mes expériences comme étant la substance azotée la plus facile à se procurer à l'état de pureté, est donc des plus remarquables. Sous son influence, le sucre, s'est main- tenu dans sa proportion à peu près normale, malgré une abstinence de quatre jours dans le premier cas. Les chiffres 1,33 et 1,65 pour 100 sont des chiffres nor- maux pour le chien, et qui ne diffèrent pas de ceux qu'on obtient à la suite d'une alimentation mixte. La singularité de ce résultat a dû me faire redoubler de précautions pour le bien conslater, et dans ces deux cas j'ai retiré du tissu du foie, par la fermentation avec la levure de bière, de l'acide carbonique et de l'alcool, qui ne m'ont laissé aucun doute à ce sujet, soit qualita- tivement, soit au point de vue quantitatif. C'est donc l'élément azoté qui a servi à faire du sucre : l'expé- rience chimique a, du reste, confirmé ces données physiologiques. Lehmann a constaté que le sang de la veine porte, en traversant le foie, perd une certaine quantité de ces principes azotés, et que la fibrine y di- minue notablement. Le sucre se forme donc, non pas aux dépens de la matière grasse, mais aux dépens de la matière azotée, chez les carnivores au moins qui ne se nourrissent que de substances albuminoïdes, et ce sucre est le résultat de l'action physiologique du foie sur ces principes qui liN INFLUENCE DE L'ALIMENTATION sont dédoublés de manière que leur oxygène, hydro- gène, carbone, se groupent pour former du sucre, tandis que leur azote entre dans d'autres combinai- sons, et probablement dans la constitution des ma- tières azotées de la bile. On ne saurait, en efTet, trou- ver une autre origine à cette matière sucrée, qui ne peut pas être produite dans l'intestin par les phéno- mènes digestifsn. L'expérience nous a, en effet, montré que, pendant l'alimentation au moyen de ces substan- ces albumineuses, l'intestin et le sang de la veine porte ne renferment jamais de matière sucrée d'aucune es- pèce. Ni la gélatine ni la viande ne produisent de ma- tière sucrée dans le tube intestinal par les procédés digestifs connus. On sait que Schœrer a signalé dans la chair muscu- laire la présence d'une matière qu'il appelle inosite, et qui présente la formule chimique du sucre, C^-^H*^0^^. M. Bouchardat, pour soutenir encore que la matière sucrée vient du dehors, invoque la présence de l'ino- site dans la chair, pour expliquer la présence du sucre dans le foie des carnivores ; mais cette exphcation ne saurait être prouvée, car, si l'inosite a la formule chi- mique du sucre, la substance n'a pas les caractères du sucre du foie. Elle ne fermente pas, elle n'est altérée ni par les alcalis ni par les acides, et ne réduit pas les sels de cuivre. Du reste, la proportion extrêmement minime de cette matière, qu'on tire des muscles, en rapport avec la grande quantité du sucre du foie, suffit pour détruire la moindre idée de relation entre ces deux substances. SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. i4i) Arrivons, enfin, au rôle de l'alimentation féculente, ([ui a un intérêt tout particulier, en raison du soin que prennent tous les médecins d'écarter toute trace de fécule et de sucre du régime de leurs malades affectés de diabète. Nous avons procédé dans nos expériences sur ces substances comme pour les autres. Tous nos animaux ont été mis à jeun, sauf la quantité de fécule ou de sucre que nous leur faisions absorber chaque jour. Un premier cbien adulte, et de petite taille, fut sou- mis d'abord à une abstinence complète pendant quatre jours ', puis pendant les six jours qui suivirent, on in- géra, chaque jour dans son estomac, 270 grammes d'eau ordinaire légèrement tiède, contenant en suspen- sion 20 grammes de fécule incomplètement hydratée. On sacrifia l'animal par strangulation, une heure après la dernière injection. A l'autopsie, très-soigneusement faite, il y avait beau- coup de sucre dans le tissu hépatique ; le dosage en donna 1,25 pour 200. Chez ce chien, la décoction hé- patique était opaline, et blanchâtre comme du lait, ce qui dépend d'une matière émulsive sur laquelle nous reviendrons bientôt. Un deuxième chien, de taille moyenne, reçut pen- dant trois jours une pâtée composée de pommes de terre broyées avec de Tamidon, du sucre et un peu d'eau. Le chien n'aimait pas beaucoup ce mélange; cependant, les deux derniers jours, il le mangea bien. Le troisième jour, et trois heures après son dernier repas, il fut sa- crifié par la section du bulbe. A l'autopsie, je constatai 150 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION que le foie était très-sucré; le dosage donna 1,88 pour 100 du tissu. La décoction était très-opaline et laiteuse, comme dans l'expérience précédente. Dans cette alimentation, la matière féculente a été transformée en matière sucrée dans l'intestin, sous l'in- fluence du suc pancréatique. Nous voyons, en effet, ici, le canal intestinal d'un chien que nous avons nourri avec de la fécule hydratée, et qui a été sacrifié ce matin, une heure après l'ingestion de la fécule dans l'œsophage à l'aide d'une sonde. Nous ouvrons l'estomac, nous y trouvons une bouillie grisâtre, que nous jetons sur un filtre. Le liquide, qui passe parfaitement limpide, est acide, et prend une coloration bleue très-intense par l'addition d'une goutte de teinture d'iode, ce qui indi- que la présence de l'amidon. Si nous faisons bouillir ce hquide avec le tartrate de cuivre et de potasse, il n'y a aucune espèce de réduc- tion; par conséquent absence de matière sucrée dans l'estomac. Dans la partie inférieure du duodénum, nous trou- vons une matière visqueuse jaunâtre, colorée par la bile; nous y ajoutons un peu d'eau et nous jetons le tout sur un filtre. Le liquide transparent qui passe est neutre ou très-légèrement alcalin, et ne donne aucune coloration , comme vous le voyez,. par la teinture d'iode : ce qui indique la disparition de l'amidon. Mais, parle tartrate cupro-potassique, nous obtenons un précipité très-abondant d'oxyde de cuivre : ce qui indique l'ap- parition du sucre par la transformation de la fécule en cette substance. SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 151 Ainsi, en définitive, l'animal absorbe du sucre de fé- cule qui s'est produit dans l'intestin, et qui passe dans le sang de la veine porte, où l'on peut le rencontrer dans ces circonslances. Si, au lieu d'ingérer de la fécule, nous avions donné du sucre soluble et directement absorbable, il auraitpu passer dans le sang de la veine porte, et arriver au foie sans aucune modification : c'est ce que j'ai constaté sur des chevaux à qui j'avais fait prendre de très-grandes quantités de sucre de canne. J'ai retrouvé ce sucre en partie à cet état dans le sang de la veine porte. J'ai également observé qu'au contact du suc pan- créatique, le sucre de lait, qui est très-peu fermen- tescible, acquiert la propriété de fermenter facile- ment. Mais, Messieurs, dans ces expériences sur l'alimenta- tion féculente ou sucrée, nous devions naturellement nous attendre à trouver une plus grande proportion du sucre dans le foie; au lieu de cela, nous avons trouvé qu'il n'y en a pas une plus grande quantité après l'in- gestion de ces substances dans l'intestin. Les chiffres 1 , 25 et 1,88 pour 100 ne diffèrent pas, en réahté, de ceux indiqués pour la gélatine et de ceux que nous avons trouvés ailleurs pour des alimentations mixtes. Mais il y a cependant une différence, et c'est un point qui pourrait passer inaperçu, si je n'y insistais pas d'une manière toute particulière, en vous en rendant témoins par deux expériences comparatives et bien net- tes : c'est le fait que la décoction du tissu hépatique d'un animal nourri avec des matières exclusivement 152 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION féculentes et sucrées présente toujours une apparence émulsive et laiteuse. Ainsi, Yoici deux chiens, l'un que nous avons nourri pendant trois jours exclusivement avec de la chair mus- culaire de mouton cuit, l'autre que nous avons soumis pendant le même temps à une alimentation exclusive- ment féculente. Ils ont été tués ce matin l'un et l'autre parla section du bulbe rachidien. L'appareil digestif a été mis à nu : nous prenons un morceau du foie de chacun de ces animaux, et nous le faisons bouillir avec de l'eau ordinaire. Voici maintenant les deux hquides de décoction, ils réduisent tous deux également le réac- tif cupro-potassique; mais vous voyez que, tandis que le premier, celui de l'animal nourri de matières azotées est à peu près limpide ou au moins très-légèrement opahn, l'autre, celui de l'animal nourri avec de la fé- cule, a, au contraire, tout à fait une apparence laiteuse et émulsive qui fait penser h une matière particulière qui existe en plus dans ce liquide. Nous avons constaté déjà que chez ce dernier chien il y a de l'amidon dans l'estomac et du sucre dans l'in- testin. Si nous ouvrons actuellement l'estomac et l'in- testin de l'autre animal, nous trouvons dans l'estomac une matière grisâtre dans laquelle on reconnaît des fragments de tête de mouton cuite. Nous jetons le tout sur un filtre, elle liquide limpide et acide qui passe ne contient ni sucre ni fécule. L'addition de la teinture d'iode et l'ébullition avec le liquide cupro-potassique ne produisent aucun résultat. La matière recueillie à la fin du duodénum, étendue d'un peu d'eau, estjetéesur SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 153 un filtre ; le liquide généralement jaunâtre qui filtre, et d'une réaction très-légèrement acide, ne donne lieu avec les mêmes réactifs à aucun des caractères de la matière sucrée; il n'y a donc dans l'intestin ni fécule ni principe sucré de deuxième espèce. Il n'y a pas non plus de sucre delà première espèce, car, en faisant bouillir avec un acide et traitant ensuite par la potasse, on n'obtient pas la réaction du glucose. Ainsi que vous le voyez, l'alimentation féculente, ap- portant cependant au foie du sucre venu de l'extérieur, n'en donne pas davantage dans le tissu de cet organe, mais elle y fait apparaître une matière nouvelle restant en suspension dans la décoction. J'insiste sur ce fait parce qu'il faut bien savoir que, dans l'état physiologique, l'ingestion de matières fécu- lentes ou sucrées n'augmente pas la quantité de sucre dans le foie et par suite dans l'économie. Cette source extérieure n'apporte aucun changement dans la sécré- tion intérieure du sucre; elle ne saurait donc être au- cunement considérée, ainsi que nous verrons, comme son auxiliaire. Il n'en est pas ainsi dans le diabète où, dès qu'on donne des substances sucrées ou féculente^, il apparaît immédiatement dans l'économie et par suite dans les urines une plus grande quantité de sucre. A l'état physiologique, on doit considérer le foie comme étant un organe destiné pour ainsi dire à éta- bhr un certain équilibre dans la constitution du sang. En effet, si vous examinez le sang des animaux dont l'alimentation est si différente, les uns se nourrissent de 154 INFLUENCE DE L'ALIMENT. SUR LA PROD. DU SUCRE. matières animales, les autres de matières végétales, et, si vous analysez leur sang dans le cœur, par exemple, vous trouverez chez tous une composition à peu près identique de ce liquide vivant. Ces matières alimen- taires n'entrent donc pas dans l'organisme, dans l'état ni dans les proportions oii elles se trouvent quand elles sont dans l'intestin, elles subissent de la part du foie, placé comme un laboratoire vital, entre le canal intes- tinal et le fluide circulatoire général, une profonde élaboration dans laquelle se maintient un certain équi- libre nécessaire pour établir la composition semblable du sang qui est et doit être doué des mêmes propriétés chez tous les animaux, puisqu'il sert à entretenir des phénomènes fonctionnels identiques. C'est à l'examen de ce mécanisme, qui est un des points les plus impor- tants de la physiologie du foie au point de vue du dia- bète, que nous consacrerons la prochaine séance. SEPTIEME LEÇON IG JANVIER 1855. SOMMAIRE : Le sucre provenant de l'alimentation ne passe pas à cet état dans la circulation générale. — Rôle du foie vis-à-vis des matières fécu- lentes et sucrées. — II les transforme en une substance émulsive particu- lière. — Expéiiences comparatives.— Preuves diverses. — Sang cliyleux. — Urines laiteuses. — Application au diabète. —Rôle de la circulation dans la production du sucre.— Phénomènes mécaniques. Cas d'apparitions accidentelle du sucre dans les urines. — Production artificielle de ce phé- nomène. — Critique de quelques expériences. Messieurs, Nous sommes arrivés à un des points les plus déli- cats de la fonction glycogénique. Nous savons que le foie pi^oduit du sucre indépendamment de la nature de l'alimentation. Nous savons, d'autre part, que c'est aux dépens des matières albuminoïdes, que ce suci^e se forme; caries aliments féculents ou sucrés n'aug- mentent pas la quantité de sucre dans le tissu hépati- que, et la matière sucrée se produit constamment chez les animaux exclusivement nourris de substances azo- tées, en aussi grande quantité que chez les herbivores. Mais il se présente alors une question : que devient le sucre qui est ingéré par l'alimentation ? Il y en a d'absorbé, c'est incontestable, car on en rencontre dans le sang de la veine porte. Mais cependant on n'en trouve pas plus au delà du foie que dans une nour- lo6 INFLUENCE DE L'ALIMENT. FÉCULENTE OU SUCRÉE riture purement azotée ; c'est encore là un fait expé- rimental démontré. Gomment se comporte ce sucre vis-à-vis du foie ? La fonction glycogénique de cet organe n'est-elle des- tinée qu'à suppléer au défaut de la matière sucrée, quand les aliments n'en fournissent pas? et doit-elle cesser, quand il en vient du dehors une quantité suffi- sante ? Tels sont les problèmes qui se dressent devant nous, et que nous avons à aborder. Eh bien, Messieurs, la fonction glycogénique du foie est constante, quelle que soit la nature de l'alimenta- tion. Quand l'animal mange exclusivement des ma- tières albuminoïdes, la proportion de sucre contenue dans son foie, comme nous l'avons vu dans la der- nière séance, est de i,35 à j,65 pour 100; quand il se nourrit de matières féculentes ou sucrées, il s'en trouve encore des quantités sensiblement égales, de 1 ,50 à \ ,88 pour 100. Le sucre venu du dehors ne s'ajoute pas comme tel au sucre hépatique, mais il est changé dans le foie en une autre matière, ainsi que je vous l'ai fait pressentir dans la dernière leçon. Je remets encore sous vos yeux les deux liquides qui résultent, l'un de la décoction du foie d'un chien nourri exclu- sivement de matières albuminoïdes, vous voyez que le liquide est parfaitement limpide; l'autre de la dé- coction du foie d'un chien nourri avec une bouillie de fécule, et qui est, au contraire, trouble, opalin, ayant une apparence laiteuse. Les deux chiens ont été sacrifiés en pleine digestion, et ces deux liquides con- SUR LA PRODUCTION DU SUCRE DANS LE FOIE. 1o7 tiennent également du sucre. Ce n'est donc pas à ce dernier point de vue qu'ils diffèrent, mais seulement par la matière émulsive tenue en suspension dans le second, et qui n'existe pas dans le premier. Les matiè- res féculentes, entrées comme sucre dans la veine porte et arrivées à cet état dans le foie, sont donc détruites par cet organe et changées en une autre matière qui a toute l'apparence d'une substance graisseuse émulsion- née par une matière protéique spéciale. Nous avons dit que le sucre, introduit dans le tube intestinal, n'augmente pas la quantité de cette matière contenue dans le foie, mais qu'il s'y détruit et détermine Fapparition d'une autre substance émulsive. C'est de cette disparition du sucre alimentaire, que je veux ac- tuellement vous rendre témoins, au moyen de deux expériences comparatives qui vous prouveront que du sucre en solution concentrée (GOpart. desucrepour 100 d'eau), ingéré dans le canal digestif et absorbé paria veine porte, n'entre pas dans la circulation générale, n'apparaît pas dans les urines, et se trouve, par consé- quent, arrêté et détruit dans le foie, jusqu'auprès du- quel on peut le suivre, tandis que dans la même disso- lution concentrée du sucre, introduit dans l'organisme par toute autre voie, par l'absorption sous-cutanée, par exemple, entre dans la circulation générale, et est éliminé en partie au moins par les urines. Pour cette expérience nous prenons deux lapins, en digestion. Au reste, ces animaux, même à jeun, ainsi que vous le savez, ont toujours des aliments dans l'estomac ; ce qui n'empêchera pas le sucre de descen- 158 INFLUEiNCE DE L'ALIMENTATION SUCRÉE dre dans l'intestin. Nous extrayons leurs urines assez facilement, en pressant dans le petit bassin sur la vessie avec le pouce, immédiatement au-dessous de la sym- physe pubienne. Vous voyez que ces urines sont trou- bles, alcalines, comme celles de tous les herbivores en digestion, et qu'en outre, elles ne contiennent pas de sucre, puisqu'en les faisant bouillir avec le réactif cupro-potassique, après les avoir traitées par le char- bon animal, elles ne donnent lieu à aucun précipité. Nous introduisons chez un de ces lapins une sonde de gomme élastique dans l'estomac, en ayant soin d'é- viter la trachée, et longeant pour cela avec précaution le bord dorsal du pharynx et de l'œsophage. Nous sommes parvenu dans l'estomac et nous ingérons par cette sonde, et à l'aide d'une seringue, 32 centimètres cubes d'une dissolution sucrée contenant 60 grammes pour 100 de sucre de fécule; nous avons ajouté une certaine quantité de prussiate jaune à cette dissolution. Nous prenons maintenant l'autre lapin, et, à l'aide d'une canule acérée, taillée en biseau, comme un tro- cart (fig. 13), nous lui injectons, dans le tissu cellulaire sous-cutané, 16 centimètres cubes seulement de la même dissolution de sucre et de prussiate jaune dépo- tasse, afin de rendre l'expérience plus concluante. Vous ^oyez le liquide entrer très-facilement sous la peau, à raison de la laxité du tissu cellulaire des lapins. Une semblable injection réussirait plus difficilement chez des chiens, oh le tissu cellulaire est beaucoup plus dense. Nous pouvons constater que celte dissolution con- SUR LA PRODUCTION DU SUCRE DANS LE FOIE- lo9 tient bien, d'une part, du sucre de fécule, dont la pré- sence se manifeste par la réduction du tartrate cupro- potassique, et, d'une part, du prussiate de potasse, car, si nous y versons une goutte de perchlorure de fer, nous avons une coloration bleue intense, qui indique la formation du bleu de Prusse, et, par conséquent, l'existence du prussiate jaune dans le liquide. Je vous dirai dans un instant le but de cette addition de prus- siate jaune de potasse. Nous laissons maintenant nos lapins en repos ; l'ab- sorption va se faire, et voici les phénomènes qui vont se passer et les résultats que nous constaterons à la fin de cette séance : Les animaux ont reçu tous deux une dissolution de sucre et de prussiate jaune, l'un dans Testomac, l'autre sous la peau. Quand nous examinerons, dans une heure, leurs urines, nous verrons que l'urine du pre- mier lapin ne contiendra pas la moindre trace de su- cre, tandis que l'urine du second en offrira des quan- tités considérables. Mais on pourrait peut-être objecter que, si le sucre n'apparaît pas encore dans les urines de l'animal chez lequel cette substance a été ingérée dans l'estomac, cela dépend d'une différence dans la rapi- dité avec laquelle l'absorption a lieu dans les différents points de l'organisme, et l'on sait, en effet, que l'ab- sorption sous-cutanée est plus rapide que l'absorption intestinale. C'est en vue de cette objection et pour y répondre de façon à ne laisser aucun doute dans votre esprit, que nous avons eu soin d'ajouter à la dissolution su- ]()(» INFLUENCE DE L'ALIMENTATION SUCRÉE crée du prussiate de potasse. Cette substance, à la dose 011 nous l'introduisons, traverse l'organisme sans y ap- porter aucun trouble. Or, vous verrez que les urines de l'animal chez lequel l'injection a été faite dans l'es- tomac ne contiendront pas de sucre, tandis que celles de l'animal chez lequel rinjection a été faite sous la peau en présenteront des quantités notables; cepen- dant les urines des deux lapins offriront la même réac- tion au perchlorure de fer, parce qu'il se trouvera dans l'une et l'autre du prussiate jaune. Ceci prouvera que l'absorption s'est effectuée aussi l)ien dans l'intestin que sous la peau, mais que dans le premier cas la dis- solution a abandonné un de ses éléments, le sucre, en traversant le foie, ce qui n'a pas lieu dans le deuxième cas. Nous aurions encore pu faire l'expérience de la ma- nière suivante : Après avoir pratiqué une petite plaie à l'abdomen d'un lapin, nous aurions pu injecter 2 à 3 centimètres cubes de cette même dissolution dans un des rameaux de la veine porte; et en découvrant sur un autre lapin la veine jugulaire, injecter dans ce vaisseau la même quantité de la même dissolution qui serait ainsi arrivée au cœur sans avoir passé par le foie. Il est clair que, dans ce mode d'opérer, on ne pourrait pas invoquer aucune différence d'absorption, puisque dans les deux cas nous introduisons les substances di- rectement dans le sang. Néanmoins nous aurions ob- tenu exactement le même résultat, c'est-à-dire que chez le lapin injecté par la veine jugulaire le sucre aurait passé dans les urines avec le prussiate de potasse, et SUR LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 161 avec une très-grande rapidité, tandis que chez le lapin injecté par la veine porte le prussiate de potasse seul aurait passé dans les urines, oii Ton ne retrouverait pas la moindre trace de sucre. Il ne reste donc pas de doute sur ce fait que les ma- tières sucrées arrivant par la veine porte ne traversent pas le foie, mais qu'elles occasionnent dans cet organe la production de cette matière nouvelle qui donne au liquide cette apparence blanchâtre, et qui paraît être une matière grasse unie avec une substance protéique. Du reste, nous serons confirmés dans cette généra- tion de la graisse aux dépens des matières féculentes et sucrées alimentaires, par les faits connus dans l'en- graissement des bestiaux, nous trouverons là une expé- rimentation faite sur une plus vaste échelle. Vous savez tous que les animaux engraissent surtout par l'effet d'une alimentation oii prédomine la fécule; que les oies et les canards, dont on rend artificiellement le foie gras, sont nourris jusqu'à l'engorgement avec une pâtée de maïs ou d'autre fécule; que la graisse formée par un animal n'est nullement en proportion avec la quantité de graisse en nature qu'il prend; que, tout au contraire, les animaux qui ne mangent que de la graisse, loin d'engraisser, maigrissent rapidement. D'après tout cela, Messieurs, nous voyons donc grandir sous nos yeux le rôle et l'importance du foie, dont les fonctions avaient été si longtemps méconnues. Désormais ce n'est plus seulement la sécrétion biliaire que nous aurons à envisager dans cet organe, nous y trouverons en outre deux fonctions distinctes d'une BERNARD. I. 11 d62 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION SUCRÉE importance capitale et qui sont la production du sucre aux dépens des matières albuminoïdes, et la production de la graisse aux dépens des matières féculentes et sucrées de l'alimentation. Il faut donc bien comprendre que la proportion très- peu variable de sucre qui se trouve dans le foie et dans le sang n'est jamais, à l'état physiologique, complétée par les matières sucrées de l'alimentation venant s'a- jouter purement et simplement au sucre hépatique ; ce sucre devrait alors être formé par le foie en proportion moindre, de manière à établir une sorte de balance- ment entre la quantité de sucre que le foie reçoit de l'intestin et celle qu'il forme dans son propre tissu, et ce balancement pourrait même aller jusqu'à anéantir la formation du sucre si l'extérieur en donnait assez. A ce point de vue, le foie ne serait plus qu'une espèce de source sucrée d'occasion pour suppléer à l'insuffi- sance de celle qui proviendrait de l'alimentation. Mais il n'en est point ainsi. Quelle que soit la nature de l'ali- mentation, le foie fabrique toujours la même quantité de sucre, et c'est ce sucre seulement qui apparaît dans le sang sortant par les veines hépatiques. Des compensations de la nature de celles que nous venons d'indiquer, et telles que pourraient les rêver les partisans des causes fmales, ne se voient pas ordinai- rement dans la nature. Les organes de nutrition, sans conscience de leur rôle, exécutent leurs fonctions pro- pres, quand ils en ont les éléments nécessaires, et qu'ils y sont sollicités par une cause excitante ; mais on ne saurait placer là aucune intelligence spéciale à l'organe. SUR LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 163 Ce n'est point parce qu'il reconnaît les aliments que l'estomac sécrète le suc gastrique ; c'est en raison seu- lement d'un phénomène d'excitation qu'il reçoit, car nous savons que cette sécrétion s'opère, quand on in- gère à un animal des corps qu'il ne saurait s'assimiler, tels que des petits cailloux, par exemple. Le foie de même produit à l'état physiologique du sucre sous l'in tluence de toute excitation nerveuse ou sanguine, sans s'inquiéter de savoir s'il lui arrive ou non dans l'orga- nisme du sucre pour une autre voie. Nous devons ajouter encore que le sucre arrivant du dehors, à l'état de sucre de canne ou de betterave, de sucre de fruits ou de fécule, de sucre de lait, etc., n'a point les mêmes caractères physiologiques que le sucre produit par le foie; il est bien moins fermentes- cible, bien moins destructible, et ne serait point apte aux usages que nous aurons à vous indiquer plus tard. En résumé, la fonction du foie n'est point une fonc- tion supplémentaire, variable suivant la quantité de matière sucrée introduite par l'alimentation; elle est, au contraire, essentiellement fixe, tant que le sang et les matières albuminoïdes, aux dépens desquelles elle se fait exclusivement, lui sont fournies en quantité suf- fisante. Quant au sucre qui arrive du dehors par l'alimen- tation, il se change dans le foie en une matière laiteuse, qui passe ensuite dans le sang, accompagne le sucre, et se manifeste également, en communiquant au sang un aspect blanchâtre dit chyleux. Vous voyez ici du sang qui a été retiré de la veine jugulaire sur un lapin 16i INFLUENCE DE L'ALIMENTATION FÉCULENTE OU SUCRÉE nourri exclusivement avec des carottes et des féculents, au moment où l'animal était en pleine digestion. Ce sang s'est coagulé, et le sérum qui s'est séparé est, comme vous voyez, blanchâtre, et a un aspect laiteux. On dit alors que le sang est chyleux. On avait cru long- temps que cette apparence était nécessairement due h la matière grasse que l'on faisait prendre à un animal avec ses aliments, mais ce phénomène se produit chez des animaux qui ne prennent que des féculents exempts de matières grasses, comme de la fécule de pomme de terre, par exemple, et c'est alors dans le foie que cette substance laiteuse se développe. Je tiens de M. Persoz, qui s'est occupé scientifique- ment de l'engraissement des oies, que, si l'on découvre un vaisseau chez un de ces animaux soumis au régime féculent d'engraissem.ent pour obtenir le foie gras, le sang, qu'on voit circuler, n'est pas rouge, comme dans l'état normal, mais blanchâtre, offrant une teinte rosée et ayant l'apparence d'un sang mêlé à du chyle. C'est surtout au moment de la digestion que ce phénomène a sapins grande intensité. Tous ces faits concourent donc, comme vous le voyez. Messieurs, à établir que le sucre, résultant de la digestion des féculents, se change dans le foie en matière cJiyleuse. Si, maintenant, nous cherchons dans les faits pathologiques, nous pourrons en trouver peut- être qui sont en rapport avec cette nouvelle fonction du foie. 11 y a une maladie dont un des caractères principaux se tire des urines qui sont dites chyleuses, parce SUR UNE FONCTION NOUVELLE DU FOIE. 163 qu'elles sont blanchâtres absolument comme si on les avait mélangées avec du lait, qu'elles contiennent en effet des matières grasses émulsionnées. Cette maladie, qui est rare dans nos climats, se rencontre plus fré- quemment dans les pays chauds. M. Rayer en a décrit plusieurs cas, et j'ai vu plusieurs fois de ces urines dans le laboratoire de ce médecin célèbre. Je dis donc qu'il serait possible peut-être de rap- procher ce cas de la présence de la matière chyleuse dans les urines de la fonction nouvelle que je viens de vous signaler dans le foie; de même que nous ratta- chons le diabète à la fonction glycogénique de ce même organe. Ce serait là un argument de plus à ajouter à cette proposition que nous avons énoncée bien souvent, à savoir, que les phénomènes morbides ont toujours leurs représentants dans les phénomènes normaux. D'un autre côté, quand nous analyserons les sym- ptômes du diabète, nous verrons que cette faculté du foie, de changer normalement le sucre en matière lac- tescente, paraît manquer complètement dans cette maladie, car aussitôt qu'on donne aux diabétiques du sucre dans l'intestin, cette matière apparaît dans les urines; si alors cette matière grasse, résultant de la destruction du sucre alimentaire dans le foie, ne se fait pas, on conçoit que ces malades maigrissent avec ra- pidité, ainsi que l'ont constaté tous les observateurs, évitant de donner des féculents qui font augmenter le symptôme principal de cette affection. Relativement aux caractères chimiques de cette ma- tière chyleuse, voici ce que nous avons constaté : 160 INFLUENCE DE L'ALIMENT. FÉCULENTE OU SUCRÉE, ETC. On prend ici la décoction d'un foi(3 de chien, nourri depuis deux jours avec une pâlée de fécule el de pain. Cetle décoction fdtrée est très -trouble et comme laiteuse. M. Leconte a traité une partie de ce liquide en y ajoutant de l'alcool mêlé de 1/5 d'éther, jusqu'à ce qu'il se séparât une matière caséeuse, qui est insoluble dans l'acide acétique cristallisable; on jette sur un filtre qui laisse passer un liquide limpide el très-sucré. La matière caséeuse reste sur le filtre; on dessèche au bain-marie, on reprend par l'éther et, en laissant évaporer, on obtient une petite quantité de matière grasse. Il semblerait donc que la matière grasse est intime- ment unie à la matière caséeuse qui la dissimule, car on ne peut pas séparer directement cette graisse par les moyens ordinaires. Dans les foies de chiens, ou d'animaux qui n'ont pas été nourris avec une alimen- tation fortement sucrée ou féculente, on n'obtient que de faibles proportions de cette substance caséeuse sus- ceptible de céder de la matière grasse. Nous n'entierons pas dans de plus grands détails re- lativement aux caractères chimiques de cette substance nouvelle, qui naît dans le foie, sous l'infiuence de l'a- limentation sucrée ou féculente. Nous ne faisons ici que l'indiquer comme sujet d'étude à reprendre plus tard, car nous ne devons pas perdre de vue notre sujet principal d'étude, l'histoire physiologique du diabète, auquel il nous faut actuellement revenir. Après avoir étudié la part que les différentes sub- stances contenues dans le sang prennent à la production PHÉNOMÈNES DE CIRCULATION DANS LE LOBULE DU FOIE. 167 du sucre dans le foie, nous allons chercher à apprécier l'influence qu'exercent sur l'accomplissement de cette fonction les conditions mécaniques de rapidité ou de ralentissement de la circulation du fluide sanguin à tra- vers le foie. Il ne faudrait pas croire que tout le sang qui traverse un organe soit épuisé de la matière sur laquelle cet or- gane opère pour accomplir sa fonction. II n'y en a ja- mais qu'une partie d'employée, le reste passe sans avoir éprouvé d'altération. Il y a donc dans le foie, comme dans tous les organes, une circulation mécanique, qui s'accomplit avec la rapidité de la circulation générale, et une circulation chimique beaucoup plus lente pour le travail d'élaboration auquel elle est destinée. Il en est ainsi de tous les organes glandulaires, du poumon, des glandes salivaires, du pancréas, de la rate, etc. C'est de cette partie mécanique de la circulation du foie que nous allons vous dire quelques mots. Quand on fait l'anatomie du foie, on trouve des groupes de cellules, qu'on nomme un lobule (fig. 7). Du centre de ce lobule part la veine sus-hépatique V H, et autour de cet amas de cellules environné par la cap- sule de Glisson arrive la veine porte Y P, qui circonscrit en quelque sorte le lobule. On voit ainsi que le sang qui est amené par la veine porte à la périphérie du lobule doit, pour parvenir dans la veine hépatique, circuler à travers toute la série de cellules hépatiques intermédiaires. Durant ce trajet, le sang est en contact avec les cellules hépatiques, à travers des parois vascu- laires très-minces qui ne sont pas distinctes et ne cir- 168 PHÉNOMÈNES DE CIRCULATION conscrivent en quelque sorte que des lacunes vasculai- res. C'est là que se passent les phénomènes chimiques vil- wëmhw%2^ 5^^r3 O-ii-i Fia. VH, veine hépatique prenant naissance au milieu du lobule hépatique. — VP, VP, VP_, terminaison de la veine porte autour du lobule hépatique qui se trouve circonscrit par ces divisions vasculaires. De ces divisions de la veine porte part un système de vaisseaux capillaires intermédiaire entre la veine porte et la veine hépatique. C'est dans les mailles de ce réseau capillaire que se trouvent situées les cellules hépatiques C, qui se trouvent immédiate- ment en contact avec le sang qui circule de la veine porte à la veine hépa- tique, c'est-à-dire de la périphérie du lobule hépatique à son centre. — B B B, terminaison des conduits biliaires, ou plutôt origine de ces canaux au- tour des lobules hépatiques; ils accompagnent les divisions périphériques de la veine porte. donnant naissance aux métamorphoses d'oii résultent le sucre et les diverses autres matières nouvelles qui se forment dans le foie aux dépens des principes que contient le sang. C'est encore dans ce même lobule que DANS LE LOBULE DU FOIE. i69 se produit la bile qui est recueillie par les canaux bi- liaires B, B, B, distribués à la périphérie du lobule hépatique, en accompagnant la veine porte, sans qu'on ait pu encore déterminer exactement quels rapports anatomiques ces conduits biliaires contractent avec les cellules hépatiques. La plupart des anatomistes pensent qu'ils se terminent par des orifices béants au milieu des espaces intercellulaires du lobule. M. le docteur Hanfield Jones pense que ces conduits biliaires se ter- minent en culs-de-sac, de sorte que la bile serait sé- crété par leurs parois, et non par les cellules hépa- tiques. Or, quand on examine au microscope le foie d'un t:^|: Fig. 8. Cellules du foie du lapin à Jeun et en digestion de fécule. A, cellules du foie d'un lapin en digestion de carottes et pain; les cel- lules, très-granuleuses intérieurement, sont très-arrondies et comme gonflées, présentant des contours pâles ; elles sont comme noyées au milieu de granu- lations moléculaires D qui les entourent, et sont animées d'un mouvement brownien très-actif. — 0, noyaux de cellules isolés. B, cellules du foie de lapin à jeun depuis trente-six heures; ces cellules sont de forme assez irrégulière, comme aplaties avec des bords très-nets, et ne sont pas entourées de granulations moléculaires. — O, noyaux de cellules isolés. animal en digestion de substances féculentes, on voit dans les cellules hépatiques une infinité de petits glo- 170 PHÉNOMÈNES GÉNÉRAUX DE CIRCULATION l)ules de graisse; autour de ces cellules sont répandues des myriades de petites molécules, qui offrent égale- ment l'aspect de la matière graisseuse, et qui sont ani- mées d'un mouvement brownien excessivement rapide. ^Fig. 8 A; fig. 9 B.) On observe particulièrement ces faits chez un animal soumis à l'alimentation féculente, et ce phénomène de production de la matière émulsive B A^^ft-^ c Fig. 9. Cellules du foie du chien à jeun et en digestion de féculents. A, cellules du foie d'un chien à jeun; ces cellules offrent des bords très- nets et ne sont pas entourées de granulations moléculaires. — C, cellules hépatiques. 0, noyau de cellules isolé. li, cellules du foie d'un chien en digestion de pain et fécule; les cellules C sont très-granuleuses à l'intérieur, et entourés de granulations moléculaires D, douées du mouvement brownien. — 0, noyau de cellules isolé. est déterminé durant le passage du sang de la veine porte à travers les cellules glandulaires du foie. C'est la circulation chimique qui s'opère ainsi que nous l'avons dit (Fig. 7). Mais à côté de cette circulation (rès-lente, il s'en fait une autre : on voit des rameaux de la veine porte, qui, au lieu de s'enfoncer dans le lobule du foie, le circonscrivent, et viennent s'anasto- moser avec les veines hépatiques. C'est donc là une voie DANS LE FOIE. 171 collatérale, par laquelle une partie du sang de la veine porte s'écoule sans avoir traversé les cellules du foie, pour arriver directement dans la grande circulation. Or, ce système accessoire, qui est très-peu visible Fig. 10. Portion d'un foie de cheval vu par sa face inférieure pour montrer une nouvelle espèce de communications vasculaires directes qui existent entre la veine porte hépatique et la veine cave inférieure, au moment de sa pénétra- tion dans le foie. — VP, tronc de la veine porte hépatique. — VC, tronc de la veine cave inférieure, s'élargissant et présentant une structure musculaire très-prononcée dans toute sa portion hépatique. — A, branche de la veine porte hépatique se détachant de son tronc et allant se ramifier sur la face externe de la veine cave inférieure, à la matière des vasa vnsorum, mais offrant cette singulière disposition que la plupart des rameaux, au lieu de se terminer en capillaires;, pénètrent brusquement en «, a, a, a dans la cavité de la veine cave inférieure, s'insinuant entre les fibres musculaires qui cons- tituent sa paroi, et établissant ainsi une communication entre le sang de la veine cave inférieure et celui de la veine porte hépatique. chez l'homme, acquiert son summum de développement chez le cheval et chez certains animaux coureurs oii les 172 PHÉNOMÈNES GÉNÉRAUX DE CIRCULATION communiccilionsà pleia canal entre la veine porte et les veines hépatiques deviennent excessivement larges, et permettent au sang venu de l'intestin de passer facile- ment dans la veine cave inférieure. On voit, môme chez le cheval (Fig. 10), des vaisseaux qui se détachent de la veine porte VP, à son entrée dans le foie, pour se porter vers le tronc de la veine cave VC, dans les parois de laquelle pénètrent un certainnombre de branches terminales^, «', a", qui versent directement le sang dans la veine cave sans qu'il ait passé par aucun système capillaire. Quand on examine la surface interne de la veine cave (Fig. 11), on y voit des orifices <^, b, bien nettement circonscrits^ qui ne sont autre chose que les orifices de ces communications directes entre la veine porte et la veine cave. Il n'y a pas de valvules dans ces vaisseaux. Il existe également de ces mêmes communi- cations directes dans le foie, entre les vaisseaux de la veine porte et les veines hépatiques. On peut vérifier la réalité des communications quenous venons de signaler, au moyen des injections qui, sur un cheval ou sur un chien, passent avec la plus grande facilité de la veine porte dans la veine cave; ce qui offre beaucoup plus de difficulté chez l'homme. On conçoit, en effet, l'importance de telles commu- nications entre la veine porte et la veine cave, de même qu'avec les veines hépatiques qui ne sont qu'une dépen- dance de la veine porte. Chacun sait que, sous l'influence d'un mouvement violent, lacirculationesttrès-accélérée,le sangparcourt plus vite et plus souvent, dans un temps donné, le sys- DANS LE FOIE. 173 tème vasculaire. S'il n'y avait pas entre le système porte et le système veineux général ces larges communications Portion d'une veine cave inférieure de cheval (grandeur naturelle) vue par sa face intérieure, pour montrer les orifices d'abouchement des vaisseaux anastomotiques de la veine porte. — a, a, a, a, ouverture de section des vais- seaux anastomotiques provenant de la veine porte, et se ramifiantà la surface externe de la veine cave inférieure. On aperçoit par transparence leur mode de distribution (la pièce est sèche et Injectée, elle appartient à un cheval dont le foie était malade, et par suite des vaisseaux anastomotiques se trou- vent excessivement développés). — 6, b, 6, 6, orifices de communication de dimensions variables, par lesquels les vaisseaux anastomotiques de la veine porte hépatique s'abouchent dans la veine cave inférieure en écartant les fibres musculaires et en continuant leur tunique avec la membrane qui tapisse la face interne de la veine cave. à travers le foie, il en résulterait un engorgement de cet organe, comme cela a lieu chez Thomme et chez certains animaux non habitués à la course, où, sous 174 PASSAGE ACCIDENTEL DU SUCRE l'influence d'une marche rapide, le sang, s'accumu- lant dans le foie, reflue dans la Yeine porte et dans la rate; ce qui produirait, suivant certains auteurs, le point de côté. Il y a donc dans le foie une circulation chimique lente et une circulation mécanique rapide; au moyen de cette dernière une certaine quantité de sang échappe aux transformations que lui ferait subir un contact prolongé avec l'élément glandulaire. De là résulte que, pour les matières albuminoïdes, par exemple, il n'y en a qu'une certaine quantité qui soit changée en sucre, et que, quant à la matière sucrée qui arrive avec le sang de la veine porte, il y en a toujours également une certaine portion qui n'est pas transformée- en cette matière émulsive spéciale. La proportion de sucre qui, dans les circonstances ordinaires, passe par le foie sans être modifiée, est trop peu considérable pour apparaître dans les urines, parce que les matières alimentaires féculentes ne don- nent pas lieu à l'absorption de matière sucrée en aussi grande abondance qu'on serait peut-être porté à le croire. Néanmoins, il y a des cas, oii, sous l'influence de conditions particulières, le sucre peut accidentellement apparaître dans les urines, sans pour cela constituer une maladie. Ce n'est alors qu'un phénomène passager, qui se manifeste, par exemple, quand, étant à jeun depuis un certain temps, on vient à prendre une grande quantité de sucre. L'absorption intestinale se faisant alors avec une extrême rapidité, une grande quantité DANS LES URINES. 175 de sucre arrive en masse dans le foie : la circulation mécanique l'emporte de beaucoup sur la circulation chimique, le sucre est versé dans le système général dans des proportions plus grandes que ne le comporte l'état normal, et il passe alors dans les urines oii son apparition passagère peut être constatée pendant un certain temps. Il est clair que l'on ne peut pas considé- rer cela comme un cas de diabète, ni caractériser la maladie par ce seul symptôme. M. Biot a cité déjà ce passage du sucre chez des gens d'ailleurs bien portants. Mais pour le reproduire h vo- lonté, il suffit de se rappeler dans quelles conditions particulières l'absorption intestinale devenant très-ra- pide, la circulation hépatique se trouve exagérée, ainsi que nous vous l'exposerons bientôt. Du reste, ce phénomène n'est pas spécial pour le sucre, il a lieu pour toutes les substances que, dans les mêmes circonstances, on ingère en quantités consi- dérables. Je me rappelle qu'un jour, un homme bien portant du reste, mais étant à jeun, avala un assez grand nombre d'œufs crus. Quelques heures après, on con- stata que les urines étaient devenues très-albumineuses, et elles ne reprirent qu'au bout d'un certain temps leurs qualités normales. Donc il n'est pas indifférent, lorsqu'on ingère une matière naturellement modifiée dans le foie, de l'intro- duire dans l'état d'abstinence ou dans l'état de diges- tion. Il n'est pas indifférent non plus de prendre une dis- solution plus ou moins saturée. Si l'on emploie une 176 TASSAGE ACCIDENTEL DU SL'CRE dissolution de sucre peu concentrée, 5 pour 100, par exemple; on ne verra jamais le sucre passer dans les urines, même chez l'animal en abstinence, parce que la quantité qui arrivera dans la circulation générale sera nécessairement très-faible et n'apparaîtra pas dans les urines. Seulement celte rapidité d'absorption, même pendant l'abstinence, pourra être diminuée par la pré- sence de matières dans l'intestin; et il y a, sous ce rapport, une différence à établir entre les chiens dont l'estomac est parfaitement vide, tandis que, chez les lapins, il y a encore des aliments même après une abs- tinence de plusieurs jours. Toutes ces circonstances, en apparence accessoires, sont donc très-importantes à considérer, quand on veut faire des expériences précises. En 1853, M. le docteur J. de Becker a publié, dans le V^ volume du Journal de zoologie scientifique de Siebold et Kœlliker, un grand nombre d'expériences relatives à l'absorption du sucre dans Tintestin. Ces expériences ont été faites avec un très-grand soin, les quantités de sucre dosées très-exac- tement, et l'on a dressé des tables statistiques avec une attention toute particulière. Néanmoins l'auteur a ob- tenu des résultats variables, quoiqu'il eût fait tous ses efforts pour se mettre dans des conditions identiques; seulement il a pris une précision en dehors des condi- tions physiologiques de l'organisme. Car, en recherchant ces conditions, les variations des résultats obtenus s'ex- pliquent très-simplement : c'est ainsi, par exemple, qu'à la page 133, deux lapins ont reçu, dans l'esto- mac, la même quantité d'une solution concentrée et DANS LES URINES. \n dosée de sucre, et cependant on n'a trouvé le sucre dans les urines que chez un seul animal. L'auteur constate les deux résulats sans rechercher autrement d'oii provient la différence, et cependant cette différence s'explique par les circonstances signa- lées, car il constate que chez le lapin, où le sucre a passé dans l'urine, celle-ci était claire et acide, ce qui est le caractère de Tabstinence sur les lapins. Vous voyez donc. Messieurs, que la précision des calculs n'apporterait avec elle qu'une rigueur spé- cieuse si l'on n'avait soin de diriger son attention sur les conditions physiologiques variables des fonctions qu'on examine. M. J. de Becker a produit aussi un phénomène pa- rement physique, au lieu d'un phénomène physiolo- gique. Il a injecté, par exemple, une solution concen- trée de sucre dans une anse d'intestin, et au bout de quelque temps, il a constaté dans l'urine le passage de la matière sucrée. Il n'y a pas eu là, comme dans le cas où la matière sucrée introduite dans l'estomac peut circuler librement, une absorption physiologique par les vaisseaux veineux, qui transportent le sucre au cœur avec le sang, pour qu'il soit ramené ensuite jus- qu'au rein par l'aorte et par l'artère rénale. Il y a eu dans ce cas simplement des phénomènes endosmo- tiques qui se sont passés entre les parois de l'intestin et les parois de la vessie, à cause de la concentration considérable des liquides, et l'on doit reconnaître là un phénomène tout à fait différent de celui qui s'ob- serverait chez un animal vivant dont l'intestin n'aurait BERNARD. I. 12 178 PASSAGE ACCIDENTEL DU SUCRE point été lié. Ce qui prouve que c'est bien un phéno- mène purement physique et qui n'a rien de vital, c'est que nous pouvons le reproduire avec les mêmes ré- sultats chez un animal mort. Voici un lapin, mort depuis hier, dans l'intestin grêle duquel nous avons in- jecté, il y a trois heures, une dissolution sucrée, con- tenant 60 grammes de sucre sur 100 grammes d'eau et 2 grammes de prussiate de potasse. Nous allons maintenant retirer Turine restée dans la vessie de ce lapin. Elle contient, ainsi que vous le voyez, du sucre, puisqu'elle réduit avec le tartrate cupro-potassique et du prussiate jaune, puisqu'elle donne du bleu de Prusse avec le perchlorure de fer. Telles sont donc. Messieurs, les erreurs auxquelles on peut être exposé, quand on n'a pas le soin de s'at- tacher avant tout à connaître exactement les conditions physiologiques des phénomènes vitaux. C'est là que se ti'ouve la véritable précision de la physiologie. Tous les moyens de précision, basés en dehors de ces con- sidérations, sont purement illusoires, et il est à regret- ter que très-souvent on ait à constater de ces tenta- tives d'exactitude prétendue mathématique qui pèchent par l'oubli des conditions qui devraient leur servir de base. Maintenant, Messieurs en terminant la séance, con- statons les résultats que nous avons annoncés au com- mencement. Voici d'abord le lapin, auquel nous avons injecté notre dissolution de sucre et de prussiate sous la peau. Nous prenons de ces urines, elles sont toujours troubles; DANS LES URINES. 17§ j'en prends une portion, à laquelle j'ajoute du per- chlorure de fer, et la formation du bleu de Prusse in» diquequele prussiate dépotasse y a passé. Maintenant, je traite l'autre portion par le tait rate cupro-potassi- que ; il est réduit abondamment, comme vous voyez. Donc, le sucre, dans ce lapin, a passé dans les urines comme le prussiate. Si nous extrayons de même de l'urine de l'autre la- pin, elle est trouble comme l'autre. Le perchlorure de fer y forme du bleu de Prusse; donc le prussiate a passé. Examinons au réactif cupro- potassique; il n'y a aucune réduction. Donc, le prus- siate seul a passé dans les urines de ce lapin. Le sucre a été détruit dans ce dernier cas parce qu'il a dû tra- verser le foie. Voici donc la vérification des résullati: que nous avions annoncés au commencement de cette séance. HUITIEME LEÇON 20 JANVIER 1855 SOMMAIRE : Conditions anatomiques qui favorisent la circulation dans le foie..— Structure comparée delà veine porte et des veines hépatiques. - Mécanisme de la circulation hépatique. — Influence des maladies sur la sécrétion du sucre. — Influence des maladies aiguës sur l'état diabétique. — Influence de la température sur la sécrétion du sucre. — Influence des enduits. — Influence du froid. — Expériences à ce sujet. — Influence de la chaleur. — A«e et sexe. —Lactation. Messieurs, Nous savons que dans certaines conditions physiolo- giques la sécrétion glycogénique subit des oscillations dans lesquelles elle est tour à tour augmentée et di- minuée. L'activité de la circulation dans le foie est une des conditions qui peuvent augmenter la sécrétion du su- cre, et cette activité elle-même peut être déterminée principalement par deux ordres de causes purement mécaniques, dont les unes sont extérieures au foie et les autres intérieures à cet organe, et agissent en vertu de sa constitution anatomique. Le sang qui arrive par la veine porte est soumis d'abord h la pression à peu près constante qui lui est transmise par le sang des artères mésentériques, et, en outre, il est poussé vers le foie par la pression des parois abdominales. Si l'on vient à ouvrir le ventre, la PHÉNOMÈNES DE LA CIRGLLAT. DANS LE FOIE. 181 pression est insuffisante pour faire circuler le sang vers le foie, et si l'on ouvre alors le thorax, il y a même reflux du sang de cet organe, qui se mélange avec le sang de la veine porle, à cause de l'absence de valvules dans ce système veineux. Mais les conditions de cir- culation que nous venons de signaler, quoique assez énergiques, ne suffiraient certainement pas pour pousser le sang à travers le foie jusqu'au cœur, s'il n'y avait pas dans cet organe lui-même des dispositions particulières pour empêcher son engorgement d'avoir lieu. Je vous ai déjà indiqué, dans la dernière séance, comment il fallait distinguer deux circulations dans l'organe hépatique, l'une purement chimique destinée à Faccomphssement des phénomènes de sécrétion ; l'autre, mécanique, destinée à faciliter le renouvelle- ment du sang dont l'excès peut arriver dans les veines hépatiques par des canaux spéciaux qui entourent les lobules du foie, sans traverser les cellules hépatiques. C'est là une première condition qui empêche dans certains moments, comme pendant la digestion, et pendant la course, oii la circulation est très-accélérée, le foie de se trouver engorgé. Indépendamment de cette circulation collatérale de dégorgement, il y a dans le foie une disposition parti- culière dans la structure même des veines hépatiques, qui supplée à l'insuffisance d'impulsions du sang qui arrive dans ces vaisseaux, soit qu'il ait traversé des cellules pour accomphr les phénomènes chimiques, soit qu'il ait passé par les communications directes 182 PHÉNOMÈNES DE LA CIRCULATION qui existent entre la veine porte et les veines hépa- tiques. • Le toie, comme vous le savez, possède deux ordres vp' Fig. 1-7. Foie dhomme dissèque suivant le trajet des vaisseaux pour montrer la dis- position respective des rameaux de la veine porte et de ceux des veines hépa- tiques, ainsi que leur rapport avec le tissu du foie. — YP, tronc de la veine iporte coupée au moment de son entrée dans le foie; on voit la portion qui se distribue dans le lobe gauche.— VP',VP', rameaux de la veine porte qui soni entourés de la capsule de Glisson et n'adhèrent pes intimement au tissu hépatique. Les branches de l'artère hépatique pénètrent dans le foie avec la veine porte et la suivent dans sa dstribution. — VH, VU, veines hépatiques; leur paroi adhère au tissu du foie qui les entoure, âe veines, la veine porte, formant le système afférent, files veines hépatiques, formant le système efférent. Quand on examine nne coupe du foie, vous savez aussi qu'il est facile de distinguer, à première vue, au- quel de ces deux ordres de veines appartiennent les DANS LE FOIE. 1«^ orifices vasculaires qui s'offrent aux yeux. Les ramifi- cations de la veine porte, entourées par la capsule de Glisson, n'adhèrent pas à la substance hépatique, dont elles sont séparées par une couche de tissu cellulaire dans lequel rampent les branches de l'artère hépatique, les conduits biliaires ainsi que les nerfs ; il en résulte que, quand on vient à couper ces veines, elles se ré- tractent de manière que le rapprochement de leurs pa- rois obstrue la lumière du vaisseau. Les veines hépatiques YH, YH (Fig. 12) et leurs ramifications ne sont point entourées par une gaîne spéciale, elles sont directement en contact et adhé- rentes, par leur face externe, avec le tissu même du foie, de sorte qu'au lieu de se rétracter après la sec- tion, elles restent béantes. En outre, tandis que la veine porte YP arrive à peu près au centre du foie pour en- voyer dans tous les sens des rameaux qui s'irradient à la manière des rayons d'un cercle, les veines hépati- ques partent, au contraire, toute d'un point de la cir- conférence de l'organe et envoient leurs rameaux dans le foie, à la manière des branches d'un éventail dont le lieu de convergence se trouve sur la veine cave infé- rieure YC. Les branches forment deux plans princi- paux, l'un supérieur, l'autre inférieur, entre lesquels se trouve le système porte. Or, à cette dispositio n spéciale des veines hépatiques par rapport au tissu du foie correspond un rôle physio- logique particulier résultant de la structure intime de ces vaisseaux. Les veines hépatiques dépendent de la veine cave inférieure; celle-ci, dans toute la portion 484 ^PHÉNOMÈNES DE LA CIRCULATION qui est logée dans le foie, offie une structure muscu- laire extrêmement prononcée. Son calibre est plus con- sidérable, sa paroi acquiert en ce point une couche charnue très-épaisse. Les fibres musculaires sont sur- tout longitudinales, et elles forment des faisceaux rougeâtres, placés parallèlement les uns aux autres. Avant d'entrer dans le foie et après en être sorties, les parois de la veine cave sont beaucoup plus minces et offrent une structure tout à fait différente. On voit quelquefois la veine cave présenter des batte- ments en ce point. Ce système musculaire est également propre aux vei- nes hépatiques. Là, comme dansla veine cave, les fibres sontlongitudinalement disposées et constituent de petits faisceaux rougeâtres parallèles, très -apparents. Les fibres musculaires, examinées au microscope, sont composées de fibres lisses, non striées, analogues à cel- les du cœuret de l'intestin. C'est surtout chez le cheval que cette structure mus- culaire est le plus évidente; elle existe aussi chez l'homme, le mouton, le chien, le lapin, etc., mais à un degré moins prononcé. Il est remarquable que c'est chez les chevaux coureurs que j'ai toujours trouvé cet appareil à son summum de développement. Les fibres, en se contractant, raccourcissent la lon- . gueur du vaisseau, rapprochent les uns des autres les éléments du tissu hépatique auxquels elles sont intime- ments unies. Les veines hépatiques distribuant leurs ra- meaux et leurs ramuscules dans toutes les parties du foie, on conçoit que, quand elles viennent à se raccour- DANS LE FOIE. 185 cir, il en résulte une compression générale de toutlor- gane. On comprend maintenant comment peut se faire la circulation sous l'influence de ce système de vaisseaux susceptibles de se contracter. Le sang conriuit par la \eine porte se répand autour d'un lobule hépatique, et après avoir traversé les cellules ou les communications capillaires directes, il arrive enfin à la \eine hépatique, qui occupe le centre de ces lobules, où il stagnerait, parce que la faible impulsion qui l'a amené jusque-là serait impuissante à le conduire plus loin. Mais les vei- nes hépatiques, se raccourcissant, expriment, pourainsi dire, le foie, à la manière d'un éponge, et le sang, trou- vant du côté de la veine cave un débouché plus facile, est chassé dans ce vaisseau qui le conduit au cœur. Nous verrons qu'il y a des cas oii l'activité de ce sys- tème peut être exagérée ou ralentie de manière à pro- duire des troubles relatifs à l'affection diabétique. Après avoir résumé toutes les conditions mécaniques et chimiques de la circulation du foie, nous devrions passer à l'intluence du système nerveux, mais nous avons encore quelques considérations à vous présenter sur des actions extérieures du milieu ambiant. Ce sont les influences que peuvent exercer sur la fonction du foie soit les différentes maladies aiguës, soit le sexe et l'âge, etCv Relativement aux maladies graves, aiguës ou chroni- ques, leur influence est extrêmement remarquable, en ce qu'elle détruit très-rapidement les fonctions du foie et en particulier celle de la formation du sucre. Aussi, 18mène en quelque sorte purement physique et auquel il n'y aurait pas lieu jusqu'à présent d'attribuer une importance quel- conque. Sénim ei caillot. Au point de vue de la proportion du sérum et du caillot dans les deux sangs, voici les résul- tats obtenus par Lehmann dans six observations, et ré- sumés dans le tableau suivant : Veine porte. SÉRUM, caîl: Yeine porte. LOTS. Observations. Veines hépat. Veines iiépat. I. 332,2 143,1 687,8 856,9 H. 353,09 156,57 646,91 843,43 m. 361/14 156,94 638,86 843,06 IV. 333,0 146,8 666,1 853,2 V. 046,47 230,33 353,53 769,67 VI. 614,14 218,41 385,86 781,59 EN TRAVERSANT LE FOIE. 201 Comme résultat général de ce tableau, vous voyez que toujours le sang de la veine porte contient plus de sérum que le sang des veines hépatiques, et que, par conséquent, le caillot du sang des veines hépatiques est plus considérable que le caillot du sang de la veine porte ; mais vous voyez aussi que dans la veine porte les quantités de sérum varient du simple au double en- tre les quatre premières expériences et les deux der- nières. Il est évident que cette différence doit tenir à des conditions diverses dans lesquelles se trouvaient les animaux soumis à l'expérience. En effet, elles corres- pondent à des périodes digestives particulières : les qua- tre premières expériences ont été faites cinq heures après un repas; les deux dernières au bout de dix heures. Eau et madères solides, — Sur 100 parties de sang, l'analyse a donné, dans les mêmes observations, les ré- sultats consignés dans le tableau suivant : 1 ■.\M. RÉSIDUS SOLIDE?. Observations. ' Veiue porte. Veines hépat. Veine porte. Veines liépat, ]. 76,921 68,646 23,079 31,334 H. 77,743 70,230 22,233 29,730 m. 77,878 70,108 22,122 29,892 IV. 77,30o 68,811 22,693 31,189 V. 86,234 74,309 13,766 23,691 VI. 83,998 73,383 1 1,001 26,415 Les observations que nous avons faites au sujet des résultatsprécédentssurlesérumetlecaillots'appliquent évidemment à ceux-ci. On devait s'attendre, en consé- quence, à voir le sang delà veine porte, que nous avons 202 MODIFICATIONS CHIMIQUES QUE LE SANG ÉPROUVE déjà trouvé plus riche en sérum, contenir plus d'eau que celui des veines hépatiques, et moins des matières solides. Au point de vue des matières sohdes que présentent, le sérum et le caillot de chacun de ces deux sangs, voici les résultats queLehmann a obtenus : SERUM. CAILLOTS. Observations. Veine porte. Yeines hépat. Veine porte. Veines hépat, I. 7,740 10,702 30,709 34,803 II. 8,413 10,487 29,811 33,163 m. 7,931 10,557 30,144 33,491 IV. 8,14i 10,712 29,989 3i,712 V. 9,829 10,580 23,340 30,213 VI. 7,692 10,664 24,042 38,311 Ici les chiffres ne présentent pas de grandes différen- ces, mais on aperçoit toujours ce même fait, à savoir, que le sang des veines hépatiques, aussi bien dans le sérum que dans le caillot, présente une plus grande proportion d'éléments solides que le sang de la veine porte. Mais les matières qui nous intéressent le plus sont la graisse, la fibrine, l'albumine et le sucre. Quant à la graisse, Lehmann a trouvé, sur trois ob- servations, les résultats suivants: pour 100 parties du résidu sec du sang, il y avait : Observât! ons. Veine porte. Veines hépatiques. I. 3,22:) 1,685 II. 3,610 2,570 m. 3,373 1,946 Vous voyez que la graisse est déjà en très-faibles EX TRAVERSANT LE FOIE. 203 proportions dans le sang de la veine porte, et qu'elle diminue encore dans le sang des veines hépatiques. Nous savons déjà que chez les mammifères cette sub- stance suit une autre voie pour se rendre dans le sys- tème circulatoire général ; mais que devient alors cette graisse, dont la plus grande partie disparait dans le foie? Entrerait-elle dans la constitution des acides de la bile? il ne s'agit pas ici, bien entendu, de la matière émulsive se rapprochant des matières grasses, dont nous avons constaté la production dans le foie sous l'influence d'une alimentation sucrée : cette substance, à cause de ses caractères spéciaux, n'a pas été signalée dans les analyses de Lehmann. Fibrine. — L'action du foie sur ce principe immé- diat est extrêmement remarquable, et l'analyse chimi- que est parfaitement d'accord avec nos expériences physiologiques à ce sujet. La fibrine disparaît complè- tement dans le foie. On n'en trouve plus trace dans le sang des veines hépatiques. Sur 1,000 parties du liquide entier de sang (moins les globules), il y avait en fibrine : DANS Obsei-vati 0U5. Veine porte. Veines ; hépatiques. I. 5,010 » II. 4,2 iO » m. 5,920 » (Lehmann.) Si l'on bat le sang sorti du foie avec des verges, il ne s'y attache aucun filament. Cependant, il se coagule. La coagulation, qu'on avait jusqu'alors attribuée à la 201- MODIFICATIONS CHIMIQUES QUE LE SANG ÉPROUVE, ETC. fibrine qu'on extrait par le battage, ne saurait donc lui être exclusivement rapportée. Nous verrons, du reste, que, d'après des expériences sur le grand sympathique, nous sommes autorisés à émettre cette opinion que la matière coagulablc n'est pas la fibrine, au moins suivant la définition que l'on donne ordinairement de cette substance. Albumine, — Les expériences de Lehmann montrent que l'albumine se trouve dans le sang de la veine porte aussi bien que dans celui des veines sus- hépatiques, mais dans des proportions différentes. Sur 1,000 parties de sang (moins les globules), il y avait en albumine : Observations. Veine porte. Veines hé[)utiqucs. I. 24,453 10,703 II. 29,603 • 19,9o2 m. 44,340 32,449 (digestion). Ce qu'il y a de remarquable, c'est qu'un tiers environ de l'albumine ait disparu en traversant le foie, ainsi que le montre le tableau précédent. Enfin, indépendamment de ces substances, il y a le SLicre^ qu'on ne trouve jamais dans le sang de la veine porte, quand on prend un animal à jeun depuis un cer- tain temps, ou nourri exclusivement de matières azo- tées; le sucre existe toujours, au contraire, en notables proportions dans le sang des veines hépatiques. Chez le cheval, par exemple, pour faire suite aux mêmes analyses précédentes, Lehmann a trouvé O^'jOBS MODIFICATIONS DE TEMPÉRATURE, ETC. 205 pour 100 dans le sang qui entre dans le foie, et 0^', 792 dans le sang des veines hépatiques. Ces résultats d'analyses faites au point de vue chi- mique avec beaucoup de soin, quoiqu'elles n'aient pas é(é répétées encore dans toutes les conditions physiolo- giques où cela serait nécessaire, suffisent pour montrer combien est grande l'action que le foie exerce sur les substances qui le traversent, et combien il modifie et élabore les divers matériaux du sang. Mais toutes ces transformations de matières, toutes ces créations de principes immédiats, toutes les sécré- tions qui s'accomplissent dans cet organe, ne sauraient s'effectuer sans être accompagnées des phénomènes physiques de développement de chaleur auxquels don- nent lieu toutes les actions chimiques. L'élévation delà température est aussi un produit vital , qui a son rôle dans l'organisme, et dont la source a besoin d'être cherchée et connue. Quoique nous ne voulions pas faire ici Thistoire de la chaleur animale, cependant, comme on a toujours relié les phénomènes de calorifica- tion avec la production des phénomènes chimiques, nous sommesobligés d'étudier celte question dansle foie. Toutes les modifications, dont nous avons précédem- ment tracé le tableau, doivent donc entraîner, comme conséquence, une élévation de température que le sang éprouvera en traversant le foie. Le sang qui sort du foie est, en effet, phis chaud que le sang qui y entre, et l'expérience ne laisse aucun doute à ce sujet. Pour con- stater ce fait, nous avons opéré de la manière suivante sur les chiens : -206 MODIFICATIOxNS DE TEMPÉRATURE Cn fait une grande incision oblique dans le flanc droit, immédiatement au-devant de la masse des mus- cles sacro-lombaires, et remontant aussi haut que pos- sible dans l'angle de la dernière fausse côte. On arrive ainsi sur le rein droit, immédiatement au-dessus du foie, et un peu au-dessous des veines rénales. On in- troduit le thermomètre dans la veine cave, en appli- quant convenablement des ligatures pour empêcher l'écoulement du sang. En même temps, à l'aide d'une aiguille de Cooper, on passe un fd au-dessous de la veine cave, immédiatement au-dessus des veines réna- les; alors le thermomètre étant introduit, on dirige sa cuvette en haut et à gauche, jusqu'à ce qu'elle se trouve placée à peu près en face des veines hépatiques. Alors on serre sur la tige du thermomètre des fds passés au- dessous de la veine cave, de façon à empêcher le sang de cette veine de remonter. Puis, toujours par la même plaie faite à l'abdomen, on saisit le tronc principal de la veine porte avant son entrée dans le foie, en ayant soin préalablement aussi dépasser des fds sous cette veine, de manière à empê- cher le sang de s'écouler après qu'on aura placé le thermomètre. Dans ces expériences, on alterne l'obser- vation de façon à agir tantôt en commençant par la veine porte et finissant par la veine cave, et vice versd. On achève enfin, pour avoir un terme de comparaison complet, en prenant la température dans l'aorte en pénétrant par l'aorte ventrale, sur laquelle on a préa- lablement placé des ligatures. Voici les résultais qu'a donnés une expérience que QUE LE SANG ÉPROUVE DANS LE FOIE. 207 nous venons de faire sur la lempéralure du sang des veines hépatiques comparée à celle des autres vaisseaux : HEURE des VAISSEAUX OBSERVÉS. TEMPÉRATURE. OBSERVATIONS. 2"^ 25", carotide gauche du côté du cœur 39°,03 centigr. 2 30, veine jugulaire gauche, bout périphé- rique 37°,80 à 37°,6a 2 40, veine jugulaire droite, bout périphé- rique, sans avoir lié d'abord la ca- rotide 38S40 2 41, veine jugulaire jusque dans la veine cave supérieure 39°,20 à 39°,22 2 48, veine cave supérieure à l'entrée de l'oreillette droite 39*,20 à 39^25 3 06, veine porte, bout périphérique 39"',40 3 16, veine cave à l'entrée des veines hépa- tiques 39^80. 3 20, veine cave jusque auprès du cœur, sans sortir l'instrument 39'',o0 à 39o,(i5 2 25, veine rénale gauche 39°, 50 3 28, veine cave infér. du côté des mem- bres 39%20 3 32, artère carotide gauche par en bas, jusque dans l'aorte 39°,20 à 39%26 3 36, veine jugulaire droite du côté de la tête 38°,15 3 45, veine jugulaire jusque dans la veine cave supérieure o9°,20 3 47, artère carotide gauche 39<^,20 3 50, artère carotide gauche jusqu'au cœur. 39°,30à 39°,40 9 53, veine jugulaire gauche du côté de la tête (l'artère carotide était liée de ce côté) 39^80 3 47, veine cave inférieure dans le foie, à l'entrée des veines hépatiques inté- rieures 19°,50 4 02, veine cave inférieure au niveau des veines hépatiques les plus élevées. 30°,60 à39°,80 4 05, veine cave inférieure au-dessus du diaphragme 39^40 20S MODIFICATIONS DE TEMPÉRATURE 4h Q-jm^ veine cave à l'entrée des veines hépa- tiques 35^^)o à 39°,70 4 08, veine rénale gauche 39%20à 39°,30 4 i2, veine porte, bout périphérique 39°,35 à 39°,40 4 29^ aorte abdominale 38°,70 Le chien sur lequel nous avons opéré est de forte taille et en digestion. On peut voir que le sang qui sort du foie est de 0^40 p!us chaud que le sang qui entre par la veine porte, et de 0^60 plus chaud que le sang de l'aorte. La température du sang avant le foie est de 39%40; après le foie, elle est de 39%80, et cette température est la plus élevée du corps de l'animal. Le point le plus chaud de tout l'organisme se trouve donc dans la veine cave à l'endroit où débouchent les veines hépatiques. C'est là un des faits les plus intéressants, et si nous en poursuivons les conséquences, nous allons voir com- bien vont se modifier les idées qu'on s > faisait d'après les anciennes théories chimiques sur la répartition de la chaleur dans le corps d'un animal. Le sang qui sort du foie avec sa température sera d'autant plus chaud qu'il sera plus près de sa source, et il perdra de sa chaleur à mesure qu'il s'en éloignera d'après les lois physiques qui régissent la déperdition de la chaleur. Sorti des veines hépatiques, il est conduit par la veine cave inférieure dans le cœur droit, où il se mélange avec le sang moins chaud venant des parties supérieures; de là il se rend au poumon, qu'il traverse, puis revient au cœur gauche, qui l'envoie dans les ar- tères de la grande circulation. Or, le sang arrivé dans lecœurgauche est plus éloigné du foie que le sangdu QUE LE SANG ÉPROLVE DANS LE FOIE. 209 cœur droit; de plus, il s'est mis en contact avec l'air froid introduit par la respiration. 11 doit donc être moins chaud que ce dernier s'il est vrai que le foie est une des principales sources de la chaleur. Nous arri- vons donc à penser d'après cela que le sang des cavités droites du cœur doit être plus cliaud que celui des cavi- tés gauches, contrairement à la théorie généralement admise et d'après laquelle le sang artériel serait plus chaud que le sang veineux. Mais en physiologie surtout, ce sont les faits qui doivent juger les théories, et jamais le contraire ne doit avoir lieu. D'après la théorie chimique de Lavoisier, on croyait que la respiration était une combustion pulmonaire, accompagnée du dégagement de chaleur qui suit tou- jours la combinaison de l'oxygène et du carbone; cette explication parut d'abord parfaitement fondée, parce que, d'une part, on absorbait de l'oxygène, et que, de l'autre, on rejetait de l'acide carbonique absolument comme une lampe qui brûle dans l'air. Plus tard, l'explication fut changée, lorsqu'on dé- couvrit que cette combustion ne se faisait pas dans le poumon, où n'avait lieu qu'un simple échange entre l'acide carbonique contenu dans le sang et l'oxygène de l'atmosphère, de sorte que la respiration pulmonaire n'était qu'un simple déplacement de ces deux gaz l'un par l'autre. Bien qu'on n'admit plus alors que ce fût dans le poumon que se faisait cette combinaison entre l'oxygène et le carbone, on avait cependant conservé des expériences qui semblaient établir que le sang arté- riel est plus chaud que le sang veineux. Mais ces expé- BERNAKD. I. 1 4 210 DIFFÉRENCE DE TEMPÉRATURE DU SANG riences sont défectueuses, non pas au point de vue de l'observation, car les observateurs ne se sont pas trom- pés sur ce qu'ils ont vu, seulement ils sont tombés sou- vent dans l'inconvénient de ne pas se placer dans des conditions vraiment physiologiques. Mais nous vous avons souvent dit, Messieurs, qu'une expérience ne se critique pas par des raisonnements; elle se juge par des faits mieux analysés, et nous nous hâtons d'y arriver. Quand on a observé autrefois que le sang artériel du cœur gauche était plus chaud que le sang veineux du cœur droit, on a souvent opéré sur des animaux récem- ment morts. On se servait soit de deux thermomètres placés simultanément dans les deux ventricules, ce qui est déjà une cause d'erreur, car jamais deux instruments ne sont exactement d'accord, soit, ce qui valait mieux , d'un seul thermomètre mis successivement dans les ca- vités droite et gauche du cœur. On a généralement ob- servé dans ces conditions que le ventricule gauche avait une température plus élevée que le ventricule droit. Mais il est facile de démontrer que, dans ce cas, oii le sang ne circule plus dans le cœur, cette différence tient à un refroidissement plus facile dans le cœur droit que dans le cœur gauche. En effet, si l'on enlève com- plètement le cœur à un animal, qu'on le remplisse d'eau après avoir lié ses diverses ouvertures, qu'on place deux thermomètres bien réglés dans chacun de ses ventricu- les, qu'on mette le tout dans un bain à 40 degrés, on voit la température dans le cœur s'équilibrer avec celle de Teau qui l'entoure. Si l'on vient alors à retirer du DANS LES CAVITÉS DU CŒUR. 211 bain le cœur muni de ses deux thermomètres, et qu'on le laisse se refroidira Tair, on s'aperçoit que le thermo- mètre placé dans le ventricule droit s'abaisse plus rapi- dement que celui qui est placé dansle ventricule gauche. Voilà donc une expérience purement physique qui donne les mêmes résultats qu'une expérience qu'on avait crue physiologique. Vous voyez ici un cœur débarrassé de ses vaisseaux; on a introduit un thermomètre dans chacun de ses ven- tricules préalablement remplis d'eau. On a placé l'ap- pareil ainsi disposé dans un bain à une température de 40 degrés environ. Au bout d'un quart d'heure, les deux thermomètres placés dans le cœuront marqué sen- siblement la même température qu'un autre Ihermo- mlère placé dans le bain. On observe alors, le cœur étant sorti du bain, la mar- che comparative aux thermomètres placés dans les ven- tricules, et l'on obtient les résultats suivants : Époque ; Th ermoraètre Thermomètre d( 3S dans le ventricule dans le ventricule observations. gauche. droit. oh Om 3hM 3h°,3 o 0 35 3i o 6 34 32°,8 5 7 33%1 32 0 10 32 31 ^ 13 30 29 5 16 28«,7 28 o 18 27«,4 27 5 23 2o%8 2o°,6 D'autres expérimentateurs, Legallois et Collard de Martigny, M. Magendie surtout, et plus récemment -21 2 IiIFFÉHENCE DE TEMPÉRATURE DU SANG M. G. Liebig, avaient déjà dit que le sang du ventricule gauche leur avait paru moins chaud que celui du ven- tricule droit. Mais on ne s'expliquait pas comment le sang artériel, qui, dans toutle reste du corps, est plus chaud que le sang veineux, devenait moins chaud au' contraire que ce dernier dans le cœur. Ce qui se passe dans le foie nous rendra compte maintenant de cette particularité. Pour arriver à la réalisation de nos expériences sur la température comparée dusangdans les deux cœurs, nous nous sommes placés dans des conditions aussi voisines que possible de l'état physiologique, en pre- nant la température dans le cœur sur le vivant pendant que le sang continuait à circuler. Mais tous les animaux ne se prêtent pas également bien h ces expériences. Il est presque impossible d'introduire un thermomètre dans le cœur d'un chien, par exemple, à cause de la situation profonde du tronc brachio-céphalique; on produit des désordres très-graves qui nuisent à la cer- titude des résultats. Chez la chèvre et le mouton, au contraire, on peut assez facilement introduire par la veine jugulaire droite et le tronc artériel brachio-cé- phalique un thermomètre dans l'une et l'autre cavité (lu cœur. Voici comment nous opérions sur des mou- lons : l'animal étant couché sur le dos, et tenu la tête forlement renversée en arrière, on pratique sur la ligne médiane du cou une incision longitudinale, longue de iO à 12 centimètres; on écarte les muscles, on arrache le thymus, et Ton a sous les yeux la trachée qui a été mise à nu, la veine jugulaire droite qu'on isolejusqu'au DANS LES CAVITÉS DU GŒUU. 213 bas du cou, ainsi que le tronc brachio-céphalique arté- riel en passant deux fils sous chacun de ces vaisseaux. Alors on prend la température avec le Ihcrmoinêlre, qu'on commence à introduire soit par Tarière, soit par la veine. Pour agir sur le tronc brachio-céphalique ar- tériel, on commence par faire une ligature au lieu d'o- rigine des deux carotides, avec un iil ciré à plusieurs doubles pour éviter de couper le vaisseau. Puis alors on passe le doigt de la main gauche sous le tronc, on y l'ait une incision en même temps qu'on empêche l'issue du sang, soit en prenant l'artère, soit en soulevant l'autre fil resté libre. Avec la main droite on place la cuvette du thermomètre dans l'ouverture de l'artère, et l'on pousse l'instrument en le dirigeant un peu de gau- che à droite, et d'arrière en avant jusque dans le ven- tricule; il peut arriver quelquefois qu'on soit arrêté par les valvules sigmoïdes, alors on retire l'instrument pour le replonger, soit qu'on parvienne à éviter ces val- vules, soit à les rompre, comme c'est le cas le plus or- dinaire. On s'aperçoit que l'on est dans le cœur lorsque le thermomètre transmet les battements du ventricule dans lequel il se trouve. Quand ou veut pénétrer dans la veine cave, on y place d'abord uneligature pour empêcher le sang de la tête de redescendre, ensuite on fait une incision au-dessous decette ligature, en ayant soin de comprimer la veiue pour empêcher l'entrée de l'air dans le cœur. Le ther- momètre est introduit dans la veine et on le pousse jusque dans le cœur, en le dirigeant un peu de droite à gauche et d'arrière en avant. Si l'on n'avait pas le 214 DIFFÉRENCE DE TEMPÉRATURE DU SANG soin de diriger rinstrument comme nous venons de le dire, il serait conduit en bas dans la veine cave infé- rieure, au-dessous du cœur. On sent également qu'on est dans cet organe lorsque la tige du thermomètre est agitée par les battements cardiaques. On comprend que pour des déterminations aussi dé- licates, car bien qu'il y ait une différence de tempéra- ture, cette différence ne saurait être considérable, puis- que la cloison intermédiaire est très-mince, et que d'ailleurs, en arrivant au cœur, le sang venu du foie s'est déjà refroidi par son mélange avec le sang du reste du corps; on comprend, dis-je, qu'il faille s'entourer de précautions minutieuses et d'instruments à la fois très-sensibles et d'une grande précision. Dans toute re- cherche thermométrique, il importe de se servir du même instrument, qui est toujours comparable à lui- même, tandis que deux instruments différents, quelque bien faits qu'ils soient pour marcher d'accord, ne vont jamais parfaitement ensemble, et indiquent presque toujours des différences, quoique placés dans des con- ditions identiques. Dans ces expériences nous étions assisté de M. Walferdin, dont la compétence sur toutes les questions de détermination de température est si bien établie, et dont les instruments ont acquis une si grande précision. Le thermomètre qui nous a servi était un thermomètre métastatique de M. Walferdin, dont l'échelle arbitraire a été ensuite ramenée à l'échelle du thermomètre à graduation centésimale. On trouvera résumés dans le tableau suivant les résultats des expé- riences faites sur les moutons. Elles montrent que la DANS LES CAVITÉS DU CŒUR. 215 différence de température, bien qu'elle soit constante, est, comme nous le disions, peu considérable; enefPet, elle ne dépasse pas 2 à 3 dixièmes de degré ; mais, nous le répétons, l'excès de température est ordinairement àFavantai^^e du ventricule droit. 2IG DIFFÉRENCE DE TEMPÉR. DU SANG DANS LE CŒIR. Observations faites sur des moutons avec le thermomètre métastatique à mercure de M. Walferdin» DATi; i B s .j- 2 . de "Ê 1 S -"S .3 iJ --à i 1 -g Si OBSERVATIONS. l.'bXPEItlK^Ci;. ~ _p g -H. S S ' 1 i i 1 1 1853. m. ?. , 0 »j-- i-ii "i; gauche. 307.5 40,077 droit. 308.9 40,329 + 0,252 i6j".n. 2.11 ;;;; gauche, dioit. 308 308 40.167 40,167 Vu. peu de sang répandu. - 3.1 = droit. 307 39,987 + 0,108 Id. gauche. 306.4 39,879 + - *•! = gauche. 304.5 39,537 Pas de sang répandu. droit. 304.6 39,555 + o',ôi8 - 5-! = droit. 309 40,347 + 0,144 Id. gauche. 308 40,203 - e.{ = gauche. 310 40,527 Déchirem' du venir, gauche droit. 308.04 B par le thermoni., respirât. 1 1 très-accélérée, trouble. - M = droit. 306 39.807 + 0,270 Animal très-vigoureux. gauche. 304.5 39,537 1854. 1 n ( 2 30 droit. 309.00 40,347 Les battem. sont plus accélé- 0 mars. 8- ( 3 00 gauche. 310.2 40,563 rés pendant l'observât, du « S 2 IH gauche. 309 6 40,455 cœur droit que pendant 9. ',2 30 droit. 309.8 40,491 + 0,036 l'observ. du cœur gauche. 3 00 droit. 309.5 40,437 + 0,090 t droit. 309 40,347 — 10. 3 00 gauche. 300 40,347 gauche. 309.2 40,373 Mouvements, efforts de l'ani- gauche. 309 40,347 mal, puisât, accélérées. /3 30 gauche. 310 40,5-27 L'animal s'agite. - gauche . 309.9 40,509 L'animal est plus calme. \ - gauche . 310 40,527 Mouvements, etforts. — Il- — gauche . 309.9 40,509 Calme. 13 1;. droit. 310 40,527 - droit , 310.1 40,545 + Efforts et mouvements. \ _ droit. 310.2 40,563 + Id. 1 l'a droit. 308.2 40,203 On est dans l'oreillette. — 12- — droit. 309 40,347 + 0',18Ô On est dans le ventricule 2 15 gauche. 308 40,167 L'animal est calme. 2 45 — 13. 3 00 gauche, droit. 306 39,807 305 39,807 On est dans l'oreillette. droit. 306.7 39,933 + 0*126 Ou est dans le ventricule. . . , ( 1 30 gauche. 545 39,865 Leà expériences suivantes io sept. 14. J 1 30 droit. 548 40,088 + o',223 sont faites avec un autre I c M 30 droit . 541.5 39,605 + 0,044 thermomèt. métastatique. - 15- Il 30 gauche. 540.9 39,561 fo ) l 30 droit. 546 39,939 - 16- Ji 30 gauche. 547 40,013 1 M 30 - •/• j 1 30 gauche. 531.4 38,854 droit. 535 39,122 + 0,267 1 i — droit. 540 39,494 1 - 18- - gauche. 540 .'!9,494 1 _ 1 droit. 543 39,717 + 0,223 DIXIEME LEÇON 27 JANVIER 1855. SOMMAIRE : Destruction du sucre dans l'organisme. — Destructibilité des diverses espèces de sucres. — Expériences comparatives à ce sujet. — Li- mites de la destructibilité du glucose dans l'organisme. — Résultats d'expé- riences. — Influence du degré de concentration de la dissolution. — In- fluence de la combinaison du sucre avec le sel marin. — Résultats d'expé- riences à ce sujet. — Influence de la saignée. — Nécessité que le sucre ne pénètre qu'en petit s quantités à la fois dans l'organisme. — Réflexions sur la multiplicité des causes qui peuvent faire apparaître le sucre dans les urines à la suite des injections. Messieurs, Nous am^ivons maintenant à un autre chapiti-e de l'histoire du sucre. Jusqu'ici nous vous avons entretenu de sa production et des diverses influences qui agissent sur elle. Nous aurions encore à vous parler de l'action du système nerveux sur cette fonction, mais nous nous réservons de l'étudier plus tard, à propos des diabètes artificiels. Nous devons actuellement examiner les phénomènes de destruction du sucre dans l'organisme. Car, comme nous l'avons déjà dit, le sucre, à l'état normal, n'est pas expulsé au dehors, il reste dans le sang pour y rem- plir certains usages dont nous vous parlerons bientôt, et sur lesquels nous avons à vous annoncer des faits entièrement nouveaux qui sont de nature, je crois, à 2i8 CAUSES DE L'APPARITION jeter une vive lumière sur les phénomènes chimiques qui se passent dans l'organisme, dans leurs rapports avec les actes purement vitaux. Pour le moment, nous allons donc rechercher les conditions physiologiques de la disparition du sucre dans l'animal. Cette étude est d'autant plus importante que les théories du diabète roulent toujours sur ces deux faits nécessairement connexes, production ou des- truction du sucre, soit qu'on suppose la production exa- gérée, soit que l'on considère l'amoindrissement de la destruction. Le sucre qui apparaît dans les urines peut résulter en effet ou de ce qu'il se forme en trop grande quantité pour être complètement détruit, ou de ce que se produisant comme d'habitude, la faculté que l'or- ganisme a de le détruire est devenue insuffisante. Il faut donc bien fixer les idées sur ces deux points pour apprécier la valeur des théories basées sur l'une ou sur l'autre des deux phases de la même fonction. Dans l'état physiologique le sucre, incessamment sé- crété dans le foie, n'apparait jamais dans aucune des excrétions naturelles, il est donc détruit dans l'orga- nisme; mais, indépendamment de cette quantité nor- male qui disparait à mesure qu'elle se forme, l'individu vivant peut encore en détruire un peu plus; de sorte qu'à l'état sain la puissance de destruction est toujours supérieure à la formation glycogénique. Si l'on ajoute du sucre dans le sang d'un animal, jusqu'à une certaine limite, ce sucre pourra être com- plètement détruit et n'apparaîtra point au dehors. Mais il faut ici distinguer ce qui se passe suivant DU SUCRE DANS LES URINES. 219 qu'on a affaire aux différentes espèces de sucres. Les sucres de première espèce, les sucres de canne et de betterave, ne sont jamais détruits, ils sont con- stamment éliminés par les urines quand on les injecte directement dans le sang; car vous savez que, mis dans l'intestin, ces mêmes sucres sont, en partie au moins, transformés en sucre de deuxième espèce. Ces der- niers, au contraire, injectés dans le sang, peuvent y être détruits en certaines proportions. Nous allons vous montrer expérimentalement ce fait en injectant dans le sang de ces deux lapins, qui sont de même taille et dans les mêmes conditions, à l'un, une certaine quantité d'un sucre de la première espèce, à l'autre la même quantité d'un sucre de deuxième espèce. Nous découvrons ici la veine jugulaire droite en faisant une incision dans la région moyenne du cou, suivant une ligne étendue, depuis l'angle de la mâ- choire inférieure jusqu'au creux sterno-coracoïdien qui sépare l'extrémité supérieure du sternum de l'épaule. Nous apercevons la veine immédiatement sous la peau, et nous la dénudons et passons au-dessous d'elle une double ligature. On serre en haut une de ces ligatures qui intercepte la circulation dans la veine, puis, au- dessous de cette ligature, nous incisons la veine qui est revenue sur elle-même, en se vidant de son sang. Alors nous introduisons par cette ouverture la canule d'une seringue contenant 15 grammes d'eau, tenant en dis- solution 0s%5 de sucre de canne ou sucre de la première espèce. On pousse l'injection très-lentement, et c'est 220 CAUSES DE L^VPPAKITION un précepte général pour toutes les injections faites sur les animaux vivants. Vous voyez que pendant celte opération l'animal n'est pas troublé, sa respiration reste normale sans s'accélérer, ce qui n'aurait pas lieu si nous injectons trop rapidement. Enfin, nous poussons l'injection jusqu'à la fin de la seringue, parce que nous avons eu soin de chasser tout Tair de l'instrument. Si l'on n'avait pas pris cette précaution, il faudrait se garder d'injecter les dernières parties du liquide qui pourraient contenir de l'air et causer la mort de l'animal . L'injection étant faite, nous plaçons la deuxième li- gature'sur la veine, nous coupons les fils et nous met- tons notre animal en liberté. INous avons pris l'urine avant l'opération; nous en reprendrons encore dans une demi-heure environ, et nous devrons y retrouver du sucre que nous venons d'injecter sans qu'il ait subi aucune modification et étant encore à l'état de sucre de canne. Nous faisons de la môme manière sur l'autre lapin, et dans la veine jugulaire, l'injection de 15 grammes d'eau contenant 0^^', 5 de sucre de fécule, c'est-à-dire du sucre de la seconde espèce. L'animal n'éprouve au- cun inconvénient de cette injection; nous avons pris son urine avant, nous en reprendrons dans une demi- heure, et nous ne devrons pas rencontrer les moindres tiaces du sucre que nous venons de lui injecter, parce qu'il aura été détruit dans l'organisme, ce qui vous prouvera que les sucres de la première espèce ne sont pas détruits, tandis que ceux de la deuxième espèce le sont. DU SUCRE DANS LES URINES. 221 Maintenant, parmi ces derniers, il y en a qui sont plus destructibles les uns que les autres, et, si on les range d'après leur ordre de destructibilité croissante, on aura la série suivante : r Sucre de lait; 2" Sucre de fécule ou glucose; T Sucre de diabète; 4° Sucre du Foie. Les sucres de canne ou de betterave (sucres de la première espèce) ne se détruisent pas sen- siblement dans le sang^ ainsi que nous l'avons dit. Du reste, nous avons rassemblé dans le tableau suivant quelques résultats, parmi beaucoup d'expériences que nous avons faites sur cette propriété des sucres. Seu- lement, au lieu d'injecter la solution su- crée directement dans le sang, comme vous nous l'avez vu faire tout à l'heure, nous avons toujours poussé cette injection dans le tissu cellulaire sous-cutané, en choisissant pour cette expérience les la- pins, chez lesquels ce tissu est très-lâche et se laisse infiltrer facilement par une certaine quantité de liquide. Par cette mé- thode, le sucre n'entre pas aussi vite dans la circulation, il s'absorbe peu à peu dans le tissu cellulaire, de manière qu'il ne s'en trouve jamais à la fois qu'une faible quan- tité dans l'organisme. Cette iujection sous-cutanée se Pi F,s. 13. 222 CAUSES DE L'APPAUITION fait, comme vous le savez déjà, au moyen d'une se- ringue (Fig. 13) dont la tige du piston P est graduée de manière à mesurer la quantité de liquide qu'on injecte. La canule S delà seringue est piquante, ce qui permet de percer directement la peau et de pousser Tinjection en même temps. L'extrémité de la canule est acérée en forme de trocart, et l'ouverture S placée latéralement. Voici les résultats que nous avons obtenus à la suite des injections sous-cutanées des différents sacres. SUCRES INJECTES. Sucre de canne, — de lait.., — de fécule, — de diabèt — de foie.. COMPOSITION de l'injection. Sucre. 0,liO 1,00 i,;io 2,00 Eau. APPARITION du sucre DANS LES URINES. sucre. 0 0 0 0 POIDS DU LAPIN. gr. 8K se: 89: 1001 On peut voir, d'après les chilfres de ce tableau, que sur des lapins, dans les mêmes conditions de digestion, aucun des sucres de deuxième espèce n'est apparu dans les urines, tandis que le sucre de canne seul s'y est montré bien qu'ayant été" injecté comparativement à une plus faible dose. On voit aussi que le sucre de foie est celui dont on peut injecter les plus grandes quantités sans qu'on le re- trouve dans les urines. On se demandera naturellement ici comment nous préparons ces dissolutions du sucre du foie. Son extraction directe présente les plus grandes difficultés à cause du grand nombre de sels et particu- DU SUCRE DANS LES URINES. 223 lièrement de chlorures existant dans le foie d'où résul- tent des mélasses qui empêchent la séparation de la matière sucrée et, par conséquent, la possibilité de faire de cette façon des dissolutions titrées. Mais nous som- mes parvenus au même résultat en prenant du foie et broyant sa pulpe avec du noir animal, en très-fortes proportions, ainsi que nous l'avons indiqué dans la deuxième leçon, et en faisant passer les dissolutions sur des parties nouvelles, jusqu'à ce qu'elles soient arrivées au degré de concentration que nous voulons, ce que nous constatons par le dosage au moyen du liquide cupro-potassique. Ce sont ces dissolutions que nous in- jectons sous la peau. Il résulte encore de tout ce qui précède que les su- cres qui sont destructibles ont cependant leurs limites de destructibilité, qui ne sauraient être dépassées sans que, immédiatement, l'excès de cette substance appa- raisse dans les urines. Il était important de fixer celte li- mite d'une manière pj'écise, au moins pour un des su- cres, afin que nous pussions, d'après ce point de départ, faire des études sur les modifications que subit la des- tructibilité du sucre suivant la taille des animaux, et les diverses circonstancesphysiologiques dans lesquelles ils se trouvent. Nous avons choisi pour cela le sucre de fécule, qu'il est le plus facile de se procurer, et nous avons iixé les limites de sa destructibilité d'une manière aussi précise que possible dans les tableaux suivants que nous avons fait mettre sous vos yeux pour abréger le dé tail des expé- riences. 22^ CAUSES DE l'apparition à QLANTITIÎ CE qu'elle ÉPOQUE POIDS S - REPRÉSENTE et de de en APPARITION DU SUCRE du a sucre p. 100 la solution i.\pi>'. u, SUCRE SEC. dans les urines. K (l'eau. injectée. P-. cent. c. gr. gr. I. 100 2o 12,50 Après 15' sucre. 1008 11. 10 23 2,30 — i h. sucre. 1050 m. 8 25 2 00 — 1 h. 30' sucre. 1083 IV. () 25 1,50 — 2 h. sucre. 1087 V. 6 25 1,30 — 2 h. sucre. » VI. 6 23 1,50 — 2 h. trac, de sucre. 2030 VII. 4 25 1,00 0 lûOi VI 11. 4 23 1,00 0 1020 IX. 4 25 1,00 0 863 X. 4 25 1,00 0 1105 On voit par les expériences consignées dans ce ta- bleau, et qui, pour être comparables, ont été faites sur des animaux de même âge, de même poids, autant que possible dans les mêmes conditions d'alimentation et pendant la digestion, que toutes les fois qu'on injecte plus de 1 gramme de glucose dissous dans 25 centimè- tres cubes d'ean, il en passe dans les urines où il appa- raît d'autant plus \'ite que la liqueur est plus concen- trée. Ainsi, pour 25 centimètres cubes d'une liqueur dont la proportion de sucre était de 1 00 pour 100, l'ap- parition a eu lieu au bout d'un quart d'heure, tandis que, lorsque la proportion n'était que de 6 pour 100, le sucre n'apparaissait qu'au bout de deux heures. C'est environ 1 gramme de sucre qui doit être consi- déré comme la dose limite de la destruction de cette substance chez des lapins pesant de 1000 à 1200 gram- mes. Cette limite variera nécessairement avec la taille des animaux; c'est ainsi que dans le tableau précédent nous voyons qu'un lapin de 2050 grammes avait moins DU SUCRE DANS LES URINES. 22o de sucre dans les urines que d'autres lapius plus petits. Il est bien certain que pour un chien ou pour un che- val, la limite de destruction serait tout à fait différente, seulement nous n'avons pas fait d'expériences assez nombreuses pour savoirs! la quantité de 1 gramme de sucre serait toujours correspondante à 1200 grammes du poids de l'animal, il serait possible qu'il en fûtainsi. Toutefois nous pouvons dire que la quantité de sucre détruit parait être en rapport avec la quantité de sang contenue dans l'organisme; car si l'on prend deux la- pins de même taille et dans des conditions physiologi- ques semblables, et si, après leur avoir injecté la même dose de sucre qui, dans les expériences précédentes, était complètement détruite, on vient à saigner ces ani- maux, le sucre apparaîtra bientôt dans les urines. Sur des lapins en pleine digestion, on peut injecter sous la peau une plus grande quantité de sucre sans voir apparaître cette substance dans les urines; cela tient probablement à ce que le sang se trouve alors en plus grande quantité dans l'organisme. Voici, du reste^ quelques résultats d'expériences sur ce sujet : Un lapin, pesant 1660 grammes, est saigné à la veine jugulaire et on lui retire 16 grammes de sang, et aus- sitôt on injecte par la même veine 4 centimètres cubes d'eau contenant un demi-gramme de sucre de fécule. Sur un autre lapin, dans l'intervalle de deux repas, comme le précédent, et pesant 1570, on fait l'injection de lamême quantité de sucre et d'eau sans saigner lela- BERNARD. I. 15 226 CAUSES DE L'APPARITION pin. On donne ensuite des aliments aux deux animaux qui mangent avec appétit. Une heure après on retire de l'urine de la vessie de ces deux lapins, elles sont troubles et alcalines, mais l'u- rine de celui qui a été saigné contient seule du sucre, l'autre n'en présente pas la moindre trace. Deux jours après on expérimente de nouveau sur les deux mêmes lapins, dans les mêmes conditions, mais en retirant préalablement 16 grammes de sang de la veine jugulaire chez le lapin qui, dans l'expérience précédente, n'avait pas été saigné. Après quoi on fait à tous deux, par la veine jugulaire, l'injection de 4 centimètres cubes d'eau contenant un demi-gramme de sucre. Au bout d'une heure on retire les urines qui, exami- nées avant l'expérience, ne contenaient pas de sucre. L'urine du lapin saigné contient beaucoup de sucre, celle du lapin non saigné n'en présente que quelques traces. On a encore fait l'expérience suivante sur deux au- tres lapins, à jeun depuis vingt-quatre heures, dont les urines étaient claires et acides. Sur l'un d'eux on enlève préalablement 10 grammes de sang, puis on fait l'injection à tous les deux, par la veine jugulaire, de 4 centimètres cubes d'eau contenant un demi-gramme de sucre de fécule, et on les laisse à jeun. Le lapin saigné pèse 1 690 grammes ; le lapin non sai- gné pèse 1500 grammes. On examine chez ces deux animaux les urines de la nianière suivante : DU SUCRE DANS LES URINES. 227 LAPIN SAIGNÉ. \ LAPIN NON SAIGNÉ Après une demi-heure. Urines toujours acides; elles! Urines toujours acides; traces contiennent beaucoup de sucre. | de sucre. Après une heure. Urines toujours acides; sucre, mais en proportion un peu moin- dre que précédemment. Urines toujours acides; enccre quelques traces de sucre. Après deux heures. Urines toujours acides; traces 1 Urines acides; absence com- de sucre. | plète de sucre. Ces expériences prouvent que la quantité de sang dans un animal peut avoir une influence sur l'appari- tion du sucre dans les urines. 11 peut se faii^e encore que, sans rien changer ni du côté des conditions physiologiques de l'animal, ni dans la quantité de sucre injectée, l'apparition de cette sub- stance dans les urines ait lieu par l'influence seule de la proportion d'eau de l'injeclion. . Dans les expériences précédentes, nous avions tou- jours une solution de 1 gramme de sucre pour 25 cen- timètres cubes d'eau. Dans ces circonstances, le sucre n'apparaissait pas au dehoi^s. Si, au lieu de cela, nous prenions 1 gramme de sucre dissous dans 8 centimètres cubes d'eau, c'est-à-dire une solution environ trois fois plus concentrée, le sucre passerait dans les urines bien qu'on n'en ait injecté sous la peau que 1 gramme seulement, comme dans le premier cas. Toutes les expériences que nous avons faites sur ce 228 CAUSES DE L'APPARITION point ont donné le même résultat qui se trouve consigné dans le tableau suivant : QUANTITE de snfM p. lOft d"eau. de ta solation injectée. cent. c. 8,33 4,17 8,33 CE QU ELLB REPRÉSENTE gr- 1 1/2 i t EPOQUE et APPARITION DU SUCRE dans les urines. 1 h. sucre. 0 1/2 h. sucre. 0 POIDS du LAPIN. 1100 1112 1 000 1 1 o;i Pourquoi le sucre, injecté dans la proportion de 1 sur 8,33 d'eau, apparaît-il dans les urines, tandis que^ quand il est injecté dans la proportion de 1 sur 25, il est complètement détruit? Cela tient à la rapidité avec la- quelle se fait l'absorption qui est extrêmement prompte dans le premier cas, tandis qu'elle est beaucoup plus lente dans le second. Le pouvoir endosmotique d'un liquide augmente avec son degré déconcentration, de sorte qu'il en passe davantage dans le même temps. Ce n'est pas la même chose de faire absorber 1 gramme de sucre dans une demi-heure, pendant laquelle il peut être entièrement détruit, ou de le faire absorber en un quart d'heure. Par la même raison, si l'on injecte la substance directement dans le sang, et en trop grande quantité à la fois, il est clair qu'on la retrouvera dans les urines. Il y a une autre expérience qu'on peut faire et qui rentre dans la même explication : c'est que la pré- sence de certaines substances, telles que le sel marin. DU SUCRE DANS LES URINES. 220 peuvent changer la limite de destruction du sucre. Si nous prenons un lapin, et qu'au lieu de lui injec- ter SOUS la peau 1 gramme de sucre dissous dans 25 grammes d'eau pure, nous ajoutions à la solution 2 grammes de sel marin, dont l'équivalent endosmoti- que est considérable, le sucre ne se détruira plus et apparaîtra dans les urines. Quand on fait ces injections d'eau salée sous la peau, ainsi que vous nous le voyez faire en ce moment, l'a- nimal pousse constamment des cris, ce qui provient sans doute de l'action du sel sur les nerfs. Car on sait que, si l'on place dans l'eau salée un bout de nerf de grenouille, récemment tuée, tenant encore à son mem- bre, on voit immédiatement les muscles pris de mou- vements tétaniques. Le sulfate de soude, au contraire, ne donne rien de pareil. Et vous voyez que chez ce lapin, où nous l'injectons, il ne se produit aucun mouvement ni aucun cri indiquant une sensation dou- loureuse. S'il était permis de comparer cette action sous la peau à ce qui se passe quand le sel marin se trouve dans le sang, on pourrait conclure que cette substance agit comme excitant général du système ner- veux. Nous avons consigné les résultats de nos expériences, relatifs à la question qui précède, dans le tableau suivant : 230 CAUSES DE L'APPARITION i COMPOSITION ^ ÉPOQUE "S. DU 1 IQUIDE INJECTÉ. et POIDS "^ ^^— -^ " -- APPARITION DU SUCRE Dl LAPIN. 1: SlIfTP Sel marin. Eau. dans l'urine. gr. gr. c. cube. gr. I. (glucose). 0,fiO 1"2,.=;() apr. 15' sucre. 1000 à 1200 11. id. 0,50 8,50 apr. 39' sucre. id. III. id. o,^o id. apr. 1 h. sucre. id. lY. id. 0,50 id. apr. 1 h. sucre. id. V. id. 1,00 8,33 apr. 1 h. sucre. id. VI. id. 0,50 12,00 apr. 1/2 h. tr. de sucre. id. VII. (diabète). 0.50 12,50 apr. 1 h. 1/2 pas de sucre. id. Ylll. id. 0,50 8,50 apr. 15' tr. de sucre. id. I.\. id. 0,50 id. apr. 2 h. pas de sucre. id. X. id. 0,50 id. apr. 1 h. pas de sucre. id. XI. id. 0,50 8,33 apr. 1 h. traces de sucre. id. XII. id. 0,50 12,50 apr. 1 h. pas de sucre. id. MU. id. 1,00 2 sulfate de sonde. id. apr. 1 h. pas de sucre. id. On voit, d'après les chiffres, que la quantité de su- cre détruit diminue quand on y ajoute en même temps du sel marin, et cela a lieu même pour le sucre de diabète dont la limite de destructibilité est beaucoup plus élevée. Ce résultat s'est encore manifesté quand on faisait une solution plus concentrée du liquide. Dans ces cas encore l'abaissement de la limite de destructi- bilité dépend de l'absorption plus rapide que le sucre a éprouvée par suite de sa combinaison avec le sel ma- rin, combinaison décrite dans tous les livres de chimie et qui a pour formule C^^ H^^ 0^* Na Cl, 2H0. La fa- culté endosmotique du sel marin ne se communique- rait pas au sucre, s'il y avait simple mélange et s'il n'existait pas une combinaison réelle entre ces deux substances ; c'est ce qui résulte d'expériences que nous avons faites avec le sulfate de soude, qui n'entraîne pas le sucre avec lui, bien que l'équivalent endosmatique soit plus considérable que celui du sel. DU SUCRE DANS LES URINES. 231 Ce fiiit n'est pas sans exemple, car j'ai prouvé, ail- leurs, que le fer pouvait être entraîné par l'iode dans certaines sécrétions, telles que la salive où ce métal ne passe pas à l'état d'autres combinaisons. Il faut encore noter en passant que l'acidité des urines chez des lapins à jeun, ou sur des chiens, semble di- minuer sous l'influence d'une injection de glucose. J'a- vais pensé d'abord, quand j'observai ces phénomènes pour la première fois, que cela tenait à une action par- ticulière de la matière sucrée, mais il m'a semblé de- puis que cette diminution de l'acidité pouvait tenir à la dilution de l'urine par le liquide injecté. J'ai fait dans ce but des injections d'eau pure dans lesquelles le même fait s'est reproduit. Vous voyez donc, Messieurs, comme de sembla- bles phénomènes sont compliqués, puisqu'il faut tenir compte et de la taille de l'animal, de l'état de digestion, de la nature du sucre, de sa quantité, de son degré de concentration et de l'état de combinaisons qu'il peut présenter avec les matières qu'il rencontre. Toutes ces nuances se trouvent représentées dans les tableaux qui précèdent. On comprend alors quelle difficulté présente l'appli- cation des calculs à des phénomènes physiologiques en apparence simples, mais qui dépendent de tant de conditions connues, sans parler de celles sur lesquelles nous n'avons encore aucune donnée. Ces expériences sont plus importantes qu'on ne pourrait le supposer au premier abord. Bien que faites en dehors des conditions normales, elles puissent pa- 232 APPARITION DU SUCRE DANS LES URINES. raître étrangères à l'histoire de la destruction du sucre hépatique dans l'être vivant, elles s'y ramènent ce- pendant parce qu'elles nous prouvent qu'il faut, pour que le sucre se détruise dans l'organisme, qu'il soit destructible, ce qui n'c. pas lieu pour les toutes les espèces de sucre, et en outre qu'il n'arrive pas dans le sang en trop grande quantité à la fois. Quand nous viendrons à l'analyse des phénomènes du diabète, nous verrons que chacun de ces faits trouvera son application. ONZIEME LEÇON 30 JANVIER 1855. SOMMAIRE : Du déversement du sucre dans le sang par le foie. — Applica- tion du diabète. — Conditions qui font apparaître le sucre dans le système circulatoire en général. — Théorie de la combustion pulmonaire. — Exa- men de cette théorie. — Objections. — Découverte de la présence du sucre dans l'urine des fœtus. — Circonstances de ce phénomène. — Il devient inexplicable dans la théorie de la destruction du sucre dans le poumon. — Expériences sur les sangs eu co:)tact avec différents gaz. — Théorie de la destruction du sucre par les alcalis du sang. — Théorie de la destruction du sucre par fermentation. — Preuves à l'appui. — Quelle est l'espèce de fermentation qui s'opère ainsi? — Accidents qui suivent la production de l'alcool dans le système circulatoire. — Vues sur les phénomènes chimi- ques de l'organisme. Messieurs, Nous avons fait passer sous vos yeux, dans la der- nière séance, une série de résultats destinés à vous montrer qu'il y aune distinction à établir au point de vue de la destructibilité entre les diverses espèces de sucre : ceux de la deuxième espèce (lactose, glucose, sucre de raisin, de diabète, de foie, etc.) peuvent être détruits dans le sang, ce qui n'a jamais lieu pour les sucres de canne ou de betteraves, qui, placés dans les mêmes conditions, sont constamment éliminés par les urines. Vous avez vu aussi que la quantité de sucre qui se répand dans l'organisme, c'est-à-dire dans le sang après être sortie du foie doit être limitée ; car si l'on prend un animal et qu'on lui injecte une solution su- 234 DESTRUCTION DU SUCRE crc'o soit directement dans le sang, soit dans le tissu cellulaire sous-cutané, il ne faudra pas dépasser cer- taines doses, autrement la matière sucrée apparaîtrait dans les urines. Vous savez, en outre, que même dans les limites dans lesquelles le sucre peut être détruit, il faut encore tenir compte du temps que l'absorption met à s'effectuer, car si elle était trop rapide, soit par l'effet d'une injection directe dans le sang, soit par suite de la concentration du liquide poussé dans le tissu cellulaire, ou de la combinaison de la matière sucrée avec cer- taines substances très-endosmotiques, comme le sel marin, par exemple, le sucre pourrait encore se mon- trer dans les urines. il ne faut jamais perdre ces faits de vue, car ils sont la clef d'un certain nombre de phénomènes qui se rattachent au diabète. Le foie est, en effet, un organe qui contient du sucre et qui l'injecte peu à peu dans le sang. Les phénomènes que nous produisons avec une seringue chargée de la matière sucrée, le foie peut na- turellement les accomplir, c'est-à-dire que si, dans un temps donné, cet organe lance dans le sang une quan- tité de sucre plus grande que ne le comporte l'état phy- siologique, l'excès de cette matière apparaîtra immé- diatement dans les urines, et nous aurons le symptôme du diabète. Lorsqu'un animal est à jeun depuis un certain temps, le sucre qui se produit dans le foie arrive au poumon, où il peut être alors complètement détruit ; dans ce moment on ne trouve manifestement du sucre qu'entre ces deux organes. Si l'animal est en digestion, hi quan- DANS LE SANG. 235 tité de sucre versée par le foie est trop considérable pour être détruite tout entière dans le poumon, il en passe alors une partie dans le sang artériel et même dans le système veineux de la grande circulation, où l'on peut le retrouver; mais dans l'état de santé, ce sucre, généralisé dans tout l'appareil circulatoire, ne se montre cependant pas dans les urines. La sensibilité des reins n'est pas éveillée par une proportion très-fai- ble de sucre dans le sang, et vous savez. Messieurs, que la sensibilité des organes sécréteurs n'est pas la même pour tous vis-à-vis des mêmes substances. Ainsi, les glandes salivaires éliminent de l'organisme les moin- dres traces d'iode, tandis qu'il en faut des quantités plus considérables pour que cette matière se manifeste dans l'urine. Ainsi l'apparition du sucre dans l'urine n'est donc qu'une affaire de limite, une question de plus ou de moins. Le sucre, à l'état physiologique, peut exister, et existe dans certains cas dans tout le sang, mais sans se montrer au dehors; si sa quantité augmente un peu, l'individu devient diabétique, soit d'une façon continue, soit d'une manière intermittente. Lehmann a constaté, chez les chiens et les lapins, que, dès que la quantité du sucre dans le sang arrivant au poumon dépasse 0^', 30 pour 100, le sucre apparaît dans les urines. Supposons maintenant qu'au lieu de verser le sucre dans l'organisme avecune certaine lenteur, de manière à ne pas dépasser les limites de ce que doit en contenir le sang, le foie, sous certaines influences, vienne àêtre 236 DESTRUCTION DU SUCRE pris de contractions, qu'il soit comprimé par exemple, il chassera alors de son tissu une quantité de matière sucrée, double ou triple de ce qu'elle doit être; le sucre pourra apparaître rapidement dans tout ce sang, et même dans l'urine. Le phénomène peut être produit d'une façon tout à fait mécanique au moyen d'une expérience très-simple. Nous choisissons un animal, un chien ou un lapin, en ayant soin de le prendre dans uu moment conve- nable, dans l'intervalle de deux repas, la digestion pré- cédente étant complètement achevée. Dans ces condi- tions, à peu près tout le sucre versé par le foie disparaît dans le poumon et l'on en retrouve à peine des traces dans le système artériel et dans le système veineux gé- néral. Si sur l'animal en repos on tire alors du sang de la veine jugulaire, on n'y trouvera pas sensiblement de traces de matières sucrées. Si, au contraire, on com- prime l'abdomen,, de manière à exercer une certaine pression sur le foie, ou bien si Ton provoque des espèces de convulsion, et des contractions violentes des mus- cles abdominaux et du diaphragme, en bouchant her- métiquement le nez de l'animal de façon à l'empêcher de respirer pendant quelques instants, et qu'après on leprenne du sang de la veine jugulaire du même ani- mal, on trouvera qu'il y a du sucre. L'expérience aura cependant duré tout au plus cinq minutes. Comment expliquer cette apparition du sucre? Tout simplement parce quesous l'influence des efforts qu'afaits l'animal pour tenter d'échapper à la suffocation, le foie a été comprimé et a, dès lors, versé dans le sang du sucre en DANS LE SANG. 237 excès, qui est alors passé dans tout le système circu- latoire. On produira un effet analogue en retirant une grande quantité de sang dans une artère. Les dernières parties du sang sorti du vaisseau contiendront beaucoup de sucre, tandis que les premières pourront n'en contenir que peu ou même pas du tout. Je vous prie, Messieurs, de remarquer celte expé- rience dans laquelle, sous Tinfluence de mouvements violents produits par l'animal, le sucre a passé dans tout le système circulatoire, sans qu'on puisse suppo- ser que les autres conditions physiologiques, d'accès de l'air dans les poumons ou de composition chimique du sang, aient été changées. Le fait que nous venons de vous montrer nous mène à \ous parler d'une théorie qui suppose que la destruc- tion du sucre s'opère par une oxydation dans les pou- mons. S'il était vrai que le sucre se détruisîl en traversant les poumons par suite de son contact avec l'oxygène toutes les fois que l'on trouble la respiration, soit en bouchant les voies aériennes, soit en mêlant à l'air certaines vapeurs comme l'éther ou le chloroforme, soit en appauvrissant l'air d'oxygène, etc., le sucre, n'étant plus alors détruit, passerait dans la grande circulation et devrait apparaître dans les urines. M. Reynoso, ayant vu que sous l'influence de l'éthé- risalion les urines devenaient momentanément sucrées, a cru pouvoir expliquer ce résultat par un défaut d'oxy- dation du sucre dans le poumon. Le fait est exact, ce- 238 DESTRUCTION DU SUCHE pendant il ne se manifeste pas toujours, et il m'a paru que c'était surtout chez les animaux en pleine digestion que l'expérience réussissait le mieux. Chez les animaux à jeun, je suis parvenu tout au plus par ce moyen à faire passer du sucre dans le sang au delà du poumon. Cependant, Messieurs, notre première expérience nous porte à nous demandersice passage du sucre dans le sang ne résulterait pas de la compression qu'a subie le foie, dans les efforts violents qu'a faits Tanimal, plu- tôt que de l'empêchement de l'accès de l'air dans les poumons. Et dans les cas d'élhérisation, il y ade même souvent des efforts et des contractions qui peuvent suf- fire pour déterminer cette apparition du sucre dans les urines, bien qu'il y ait aussi une action spéciale de l'é- ther ou du chloroforme, ainsi que nous le verrons plus tard. Quoi qu'il en soit, au début de mes expériences, j'a- vais pensé moi-même que la destruction du sucre pou- vait pi'ovenir d'une oxydation. C'est même guidé par cette théorie, et par l'observation que j'avais faite, que la fonction glycogénique commençait à une certaine époque de la vie fœtale, que je fusamené à induire que la production du sucre ayant déjà lieu avant la nais- sance, et la respiration n'étant pas établie pour le dé- truire, les fœtus devaient être diabétiques. J'examinai donc, d'après cette vue théorique, les urines de fœtus de veau de quatre à cinq mois, et je découvris en effet . qu'elles contenaient des quantités notables de sucre. La théorie de l'oxydation paraissait confirmée, puis- que des conséquences, qui en étaient logiquement dé- DANS LE SANG. 239 doutes, se trouvaient, à posieriori, d'accord avec un fait nouveau. Mais, en étudiant ce phénomène de la pré- sence du sucre dans l'urine des fœtus de différents âges, je trouvai d'autres faits qui ne pouvaient plus s'expliquer de la même façon. La fonction glycogénique du foie ne commence que vers le quatrième mois environ de la vie intra-utérine chez les veaux. Il était naturel de penser que chez des fœtus, dont le foie ne sécrétait pas encore du sucre, il ne devait pas y en avoir non plus dans les urines. Or, ici l'expérience ne vérifia plus ma déduction. Les urines de très-jeunes fœtus sont très-sucrées lorsque le tissu de leur foie ne contient encore aucune trace de sucre. D'un autre côté, le foie présente dans son tissu des quantités de sucre de plus en plus grandes, à mesure qu'on approche du terme de la gestation; il était en- core très-logique de penser que les urines devaient être sucrées de plus en plus en approchant de la naissance; or, c'est encore ce qui n'a pas lieu. L'urine des fœtus de veau, dès le sixième ou septième mois, cesse de contenir du sucre, quoiqu'il soit alors sécrété dans l'organisme, et qu'on en trouve beaucoup dans le foie. Je vous donne ces détails, Messieurs, parce qu'ils sont importants au point de vue de la méthode expéri- mentale. Vous voyez quelle a été l'utilité de cette théorie pour me faire découvrir le fait nouveau relatif au sucre dans l'urine des fœtus; mais vous voyez en même temps qu'en présence de ces faits la théorie dut disparaître ; car si elle paraissait confh'mée dans un des 240 DESTRUCTION DU SUCRE cas, où l'on Irouve du sucre dans l'urine, quand il n'y a pas encore de fonction respiratoire, elle ne pouvait plus s'appliquer à l'autre cas, où l'on n'en trouve plus chez les fœtus de sept ou huit mois, bien que chez ces derniers, au point de vue du défaut d'oxygène, et de la formation du sucre, les circonstances sont res- tées les mêmes. Je renonçai donc à la théorie parce qu'elle ne résis- tait pas à l'analyse expérimentale. Il faut, en effet. Mes- sieurs, quand on veut édifier une théorie, rechercher non pas ce qui peut la confirmer, mais il faut surtout regarder ce qui peut la détruire, car elle ne sera valable qu'autant que les preuves et les contre-épreuves seront données. D'autres faits, d'ailleurs, venaient se grouper autour des précédents, et montrer que la théorie de l'oxyda- tion, pour expliquer la disparition du sucre, est plus qu'insuffisante. Des expériences directes nous ont fait voir que la quantité d'oxygène absorbé, comparée avec la quantité d'acide carbonique rendu, est plus grande dans le sang non sucré recueilli dans la veine jugulaire d'un animal à jeun, que dans le sang d'un animal pris en digestion et contenant du sucre, ce qui veut dire, en d'autres termes, que le sang non sucré absorbe plus d'oxy- gène et rend relativement moins d'acide carboni- que le sang sucré. Les expériences de MM, Re- gnault et Reiset faites sur les animaux vivants ont donné un résultat identique; on Yoit que le rapport de l'oxygène, exhalé sous forme d'acide carbonique avec DANS LE SANG. 241 l'oxygène absorbé, est plus grand pendant la digestion que pendant l'abstinence. Il résulte donc de ces expériences que la quantité d'oxygène introduite n'est pas dans un rapport crois- sant avec la quantité d'acide carbonique qui devrait être formé. De plus, en faisant des expériences spéciales pour nous rendre compte de la destructihilité du sucre au contact de différents gaz, nous avons trouvé que l'oxygène ne possède rien de particulier à ce sujet. Du sang normalement sucré, qui avait été retiré des veines hépatiques, fut divisé en deux parties, Tune soumise à un courant d'oxygène, l'autre à un courant d'acide carbonique prolongé pendant cinq ou six heu- res. Le sang était entretenu rutilant par l'oxygène, qui traversait sans cesse ce liquide, et le sang était, au con- traire, très-noir au contact de l'acide carbonique. Au bout de cinq ou six heures, le sucre n'était détruit dans aucun des deux liquides, mais au bout de vingt- quatre heures on ne rencontrait plus de sucre dans aucun des deux sangs. Lorsqu'on prend du sang sucré et qu'on le met au contact de différents gaz, on ne voit pas que l'oxygène ait la propriété d'opérer la destruction plus vite que les autres gaz. Voici ce que nous avons vu : l*" Sur un chien en pleine digestion et bien portant on retira delà veine jugulaire, du côté des capillaires, du sang veineux, dans lequel on constata la présence évidente du sucre, mais en petite quantité. Alors à l'aide d'une seringue on aspira 24 grammes de sang BERNARD. I. 16 242 DESTRUCTION DU SUCRE de la veine que l'on poussa dans un flacon renversé sur le mercure et contenant 500 centimètres cubes d'oxygène. 2*" Dans une seconde expérience, la même quantité de sang tout chaud est introduite de même dans un flacon de même capacité contenant de l'azote. (Cet azote avait été obtenu par l'action de l'oxyde de cuivre sur l'ammoniaque.) 3° Une même quantité de sang dans les mêmes conditions est placée en contact avec de l'acide car- bonique. On avait la certitude que dans chacun de ces flacons se trouvait, avec des gaz différents, du sang également sucré, car à la fin de l'expérience, on constata que le sang était sucré comme au commencement. Dans tous les flacons le sang s'étant rapidement coa- gulé, on mêla par agitation le sang avec le gaz, et le mélange avait une couleur très-noire avec l'acide car- bonique, très-rutilant avec l'oxygène et rouge avec l'azote. Après deux heures environ de contact, on re- tira un peu de sang de chaque flacon, et l'on vit que le sucre avait disparu complètement dans l'azote, qu'il en restait encore dans l'oxygène, et qu'il n'y en avait pas disparu sensiblement dans l'acide carbonique. Ce résultat singulier pouvait laisser quelques doutes dans l'esprit, et il semblait être expliqué en disant que l'azote, au contact duquel le sucre avait complètement disparu, devait être resté alcalin, par suite de sa pré- paration, et que l'action de l'alcali était intervenue dans la disparition du sucre, qui n'avait pas eu lieu DANS LE SANG. 243 dans l'acide carbonique, par suite de l'acidité qui pou- vait résulter d'une partie de ce gaz dissous dans le liquide. Nous dûmes répéter d'autres expériences en opérant comme dans les circonstances précédentes, et avec du sang pris dans les mêmes conditions, et à la tempéra- ture ambiante avec : T de l'oxygène pur; 2° de l'hydro- gène préparé par le zinc, et purifié en le faisant passer dans le sulfate de cuivre ; 3*" avec de l'hydrogène arsé- nié; 4° avec de l'acide carbonique; 5° avec de l'air. Le sang se coagula rapidement dans tous les tlacons. On l'agita avec le gaz; il resta rouge en contact avec tous les gaz, excepté avec l'hydrogène arsénié qui l'a- vait rendu très-noir. Au bout de deux heures de contact, le sucre avait complètement disparu dans ce dernier gaz, mais il était parfaitement conservé dans l'hydro- gène pur. On n'examina pas les autres flacons à ce mo- ment. Le lendemain, après vingt heures de contact, on exa- mina tous les sangs et l'on trouva que le sucre avait dis- paru d'une manière complète dans l'hydrogène arsénié et dans l'hydrogène pur, mais il en restait encore des traces dans tous les autres gaz, oxygène, acide carboni- que et air. Ces expériences ont donné des résultats très-rem.ar- quables, en ce que l'on voit que l'hydrogène arsénié, par exemple, a une très-grande influence sur la des- truction du sucre, et que l'hydrogène pur paraît avoir une action semblable. Ces résultats sont à poursuivre, mais pour le moment nous voulons simplement con- 2't't DESTRUCTION DU SUCRE dure que l'oxygène ne se distingue pas des autres gaz sous le rapport de la destruction du sucre ; on ne sau- rait donc lui attribuer l'influence spécifique dans ]e phénomène de la disparition de cette substance dans l'orcfanisme. Il y a encore une autre hypothèse dont nous devons dire quelques mots ; c'est celle qui suppose que la des- truction du sucre, dans l'économie, est due â une com- bustion du sucre au contact des alcalis. On sait , en effet, que le sang est toujours alcalin ; la \ie est incompatible avec l'acidité ou même la neutralité de ce liquide. Si l'on injecte dans le sang un acide quelconque, même un des acides organiques, qui se rencontrent, à l'état normal, dans certains points de l'organisme animal, de l'acide lactique, par exemple, en quantités assez consi- dérables pour neutraliser l'alcalinité du sang, l'animal ne tarde pas à mourir, bien longtemps avant qu'on ait rendu le sang acide ou même neutre. Mais, la faible alcalinité du sang n'est pas une raison suffisante pour assimiler h la réaction de la potasse caustique sur le sucre ce qui se passe dans le corps vi- vant, 011 les liquides sanguins, bien qu'alcalins, ne le sont cependant qu'à un faible degré. Cela d'ailleurs n'explique pas le cas des diabétiques, car chez eux le sang est alcalin. Voici, à ce sujet, une expérience directe qu'on peut répéter, Si l'on prend du sang sucré des veines hépati- ques, et que l'on en fasse deux parts égales, l'une qu'on abandonne à elle-même, l'autre qu'on fait cuire et dont onliltre les liquides qui s'en échappent : dans la pre- DANS LE SANG. 24o mière le sucre se détruit, tandis qu'il n'est pas modifié dans le liquide de la seconde qui a filtré, bien que la coction ne lui ait pas enlevé son alcalinité. La matière organique, qui opère cette destruction, comme nous allons le voir, a seule été modifiée. Si, d'ailleurs, on injecte dans la veine jugulaire d'un lapin un demi- gramme de glucose dissous dans l'eau pure, comparati- vement avec l'injection d'une même quantité de sucre additionné de 1 gramme de carbonate de soude, on verra que dans les deux cas le glucose apparaît dans les urines, seulement il nous a semblé s'éliminer plus ra- pidement, quand il y avait l'addition de carbonate de soude. Leiimann et de Becker ont fait des expériences sem- bki blés d'injection de sucre avec des alcalis, et sont ar- rivés à la même conclusion, savoir : que le sucre ne se détruit pys en plus grande quantité dans ces conditions que dans les circonstances ordinaires. 11 va sans dire, d'ailleurs, que toutes les objections qu'on peut faire à la théorie de l'oxydation s'adressent, à plus forte raison, h celle qui repose en outre sur le fait chimique de la destruction du sucre par les alcalis. Ainsi, Messieurs, les hypothèses qu'on faisait pour expliquer la destruction du sucre dans l'organisme, deviennent aujourd'hui insuffisantes en présence des faits nouveaux que je vous ai exposés. Cependant, je ne dois pas me borner à les renverser, sans vous pro- poser immédiatement une autre théorie qui me paraît rendre mieux compte de l'ensemble des phénomènes 246 DESTRUCTION DU SUCRE observés, en vous rappelanl ce que je vous ai dit dans la première séance de ce cours, que toutes nos explications sont relatives à l'état actuel de la science. Les matières organiques peuvent se détruire de deux manières : ou par une oxydation, ou par une fermenta- lion. Nous venons de voir que l'oxydation ne rend pas compte des phénomènes ; nous devons donc nous re- jeter sur la fermentation, qui est un phénomène que nous voyons s'opérer dans une foule de transforma- tions, soit dans le règne végétal, soit dans le règne animal. Pour qu'une fermentation s'accomplisse, vous savez qu'il faut, d'une part, une matière fermentescible, de l'autre un ferment. Vous savez aussi que la nature du ferment a une influence considérable sur la direction qu'il imprimée la fermentation. Ainsi sous l'influence de la levure de bière intacte, le sucre se transforme en acide carbonique et en alcool. Mais si l'on broie cette levure, qu'on la désorganise, son mode d'action de- vient tout autre. Au lieu de dédoubler le sucre, dont la formule chimique est C^-H^^O^^, en acide carbonique et alcool, elle le changera en un corps isomère, l'acide lac- tique, présenté par C^^H^^O^^ + 2H0 = G^'H^'^O^^ Or, dans l'organisme, la fermentation alcoolique ne se produit jamais, parce qu'il n'y a pas le ferment qui lui est propre, la levure de bière; et si l'on cherchait à la faire naître artificiellement, il en résulterait de graves désordres, qui amèneraient la mort, ainsi que nous l'a- vons constaté dans l'expérience suivante : Nous avons injecté dans les veines d'un chien un mé- DANS LE SANG. 247 lange de sucre et de levure de bière. Rien ne s'oppose ici ù l'action que ces deux substances exercent l'une sur l'autre; mais, au bout d'un certain temps, l'animal pré- sente le? phénomènes d'une maladie grave; il en résulte une espèce de décomposition du sang qui devient noir, visqueux ; toutes les muqueuses et, en particulier, celles de l'intestin grêle sont rouges et laissent suinter du sang. Il survient des diarrhées sanguinolentes qui amè- nent la mort avec des symptômes plus ou moins analo- gues aux accidents typhoïques. La destruction du sucre ne s'opère donc pas de cette manière, mais le sucre, arrivant au poumon, peut être, sous l'influence de la division extrême du sang, changé en acide lactique, ce qui s'opère par une sim- ple modification moléculaire, dans laquelle l'oxygène ne jouerait qu'un rôle secondaire. Vous savez, d'ail- leurs, que ce gaz ne fait qu'imprimer à la masse fer- mentescible un mouvement qui peut ensuite se con- tinuer sans lui. M. le docteur Pavy a fait sur ce mécanisme de la destruction du sucre dans l'organisme des expériences très-intéressantes. Ce ne serait peut-être ensuite que dans le systèuie capillaire général qu'aurait lieu l'oxydation d'oii naî- trait l'acide carbonique, rejeté ensuite par les poumons. Mais nous ne pensons pas que cette combinaison, de l'oxygène avec le carbone, se fasse aux dépens des sub- stances versées directement dans le sang, soit qu'elles proviennent de la digestion, soit qu'elles aient été éla- borées dans le foie. Nous croyons, au contraire, que ces matières nouvelles qui, pour ainsi dire, n'ont point 248 DESTRUCTION DU SUCRE DANS LE SANG. encore vécu, entrent d'abord dans les combinaisons organiques, et déplacent les matériaux anciens qui sont excrétés sous forme gazeuse, liquide ou solide. Nous ne pensons pas, en un mot, qu'aucun des phénomènes soit de composition, soit de décomposition, s'opère dans l'organisme d'une manière directe. A mesure que nous avancerons dans nos études, nous verrons déplus en plus que ces fermentations ont dans l'organisme un domaine très-étendu. Nous consacrerons la leçon prochaine à vous donner quelques vues générales à ce sujet, à propos d'une dé- couverte que nous avons faite récemment sur la pro- duction du "sucr.e pendant les premiers temps de la vie embryonnaire. DOUZIEME LEÇON 3 FÉVRIER 1855. SOMMAIRE ; Examen du foie d'un supplicié. — Découverte sur la génération et les usages de la matière sucrée dans l'organisme. — Étude des conditions de développement des cellules organiques. — Levure de bière. — Néces- sité de la présence d'une matière sucrée. Expériences sur le sérum. — Génération de cellules organiques spéciales . — Production de sucre dans des muscles et les poumons de fœtus en voie de développement.— Cette production n'a pas lieu dans les autres tissus. Ces phénomènes rentrent dans l'ordre des fermentations. — Germination animale. — Rapproche- ment des animaux et des plantes au point de vue des phénomènes de dé- veloppement. — Phénomènes de fermentation donnant lieu aux principales actions chimiques de l'organisme. Messieurs, Nous saisissons, à mesure qu'elles se présentent, toutes les occasions de vous rendre témoins des faits que nous vous avons annoncés ici. Nous vous avons dit que le foie de l'homme à l'état de santé, ainsi que le foie des animaux, contient des quantités notables de sucre, mais qu'on n'en rencontre généralement pas dans le foie d'individus morts de maladie. Nous vous avons montré un foie qui était dans ce dernier cas, et qui venait de l'École pratique. Vous avez vu que sa dé- coction ne réduisait pas le tartrate cupro -potassique. Pour que les expériences faites sur l'homme soient comparables à celles qui ont été faites sur les animaux, il faut donc qu'elles soient reproduites dans les mêmes 2o0 DÉCOUVERTE SUR LES USAGES DE LA MATIÈRE SUCRÉE conditions, et c'est ce que nous sommes en mesure de vous faire voir maintenant. Voici le foie d'un supplicié, que nous devons à l'o- bligeance de M. Jarjavay, chef des travaux analomiques ; on va répéter devant vous les expériences que nous avons faites chez les animaux. On prend un morceau du tissu hépatique, on le broie, on le fait bouillir avec de l'eau; la décoction, comme vous voyez, est très -fai- blement opaline, car cet individu était presque à jeun : il n'avait pris le matin qu'un peu de chocolat et d'eau - de-vie. Nous traitons la décoction par le réactif cupro- potassique, et vous voyez qu'elle le réduit très- abon- damment. Voici, d'ailleurs, un appareil à fermentation qu'on a rempli avec la même décoction, et dans lequel ou a ajouté de la levure de bière; vous verrez dans quelques instants la fermentation s'opérer, et le gaz qui s'en dé- gagera absorbable par la potasse, ce qui prouvera la présence de l'acide carbonique. La foie de l'homme sain n'échappe donc pas à la loi que nous avons établie sur la présence du sucre dans le tissu hépatique de tous les êtres de l'échelle zoolo- gique. Nous reprenons maintenant l'histoire du sucre au point oii nous l'avons laissée; et nous allons vous parler de ses usages dans l'économie animale. Il est difficile, au premier abord, de savoir au juste à quoi peut servir le sucre dans l'organisme. Il s'y pro- duit constamment dans le foie depuis une certaine épo- que (Je la vie intra-utérine jusqu'à la mort, et il doit DANS L'ORGANISME. 251 avoir des usages importants à remplii". On a supposé dans certaines théories qu'il se détruisait en produi- sant la chaleur destinée à entretenir la température propre de Tanimal. Mais ce n'est là qu'une supposi- tion, qui ne réunit plus aujourd'hui assez de preuves en sa faveur, pour être acceptée comme l'expression complète de la réalité, car nous avons vu que c'était au moment surtout de la formation du sucre que la cha- leur se produisait dans le foie, et que, par conséquent, le maintien de la température semhlait dépendre des phénomènes de formation de matières, dans lesquels le système nerveux intervient toujours, plutôt que de la destruction spontanée de ces matières. Je pense que le sucre a d'autres usages à remplir, d'une nature tout à fait différente, et d'une bien plus grande importance. J'ai été amené à celte opinion par des découvertes faites dans une autre voie, que je vous demanderai la permission de vous exposer avec quel- ques détails, en vous montrant par quelles séries d'i- dées j'ai dû passer pour arriver aux résultats que j'ai h vous annoncer dans cette séance. Une telle histoire est toujours instructive, surtout au point de vue des mé- thodes d'investigation. Elle montre que les théories que nous faisons sur les phénomènes réels ne sont ja- mais que relatives à la masse de nos connaissances, qu'elles changent de face avec les faits que nous dé- couvrons, qu'elles n'ont jamais qu'une existence tem- poraire, et qu'il faut les envisager, d'abord comme des liens provisoires des notions que nous possédons, et ensuite comme des moyens puissants po'ur remuer 252 ACTION DU SUCRE DANS LE DÉVELOPPEMENT les idées et faire surgir des découvertes nouvelles. Ainsi, pour rester dans notre sujet, les connaissances que Ton avait sur les métamorphoses du sucre avaient pu conduire à faire croire que c'était en se détruisant, après avoir pris naissance dans le foie, que cette sub- stance remplissait ses principaux usages. Les faits que je vais maintenant vous exposer, et qu'on n'avait pas soupçonnés jusqu'ici, en élargissant le cercle de nos connaissances, ont fait naître dans notre esprit une théorie nouvelle, et nous ont conduits à penser que le rôle le plus important qu'ait à remplir le sucre dans l'économie, s'accomplit bien plutôt au moment de sa formation, qu'au moment où il se détruit. Eu vous faisaut suivre ainsi les variations que subissent nos manières de voir sur les phénomènes physiologiques, à mesure qu'il s'en présente de nouveaux, vous com- prendrez mieux l'espèce de rapport que nous avons voulu établir au commencement de ce cours entre les théories toujours subjectives, et les faits qui sont seuls réels. Après cette digression, qui rentre pleinement, ainsi que nous l'avons annoncé ailleurs, dans la nature de ce cours, abordons directement l'objet de cette leçon. A l'occasion de l'enseignement qui m'a été confié à la Faculté des sciences, j'ai été conduit à faire quelques recherches de physiologie générale, qui m'ont amené à la découverte que je vais vous exposer aujourd'hui. Je portais mes études sur les conilitions d'existence et de développement des cellules organiques. Vous savez, en effet, et c'est maintenant un fait bien connu, que DES CELLULES ORGANIQUES. 233 les êtres vivants commencent par être formés de cel- lules qui, dans leur évolution ultérieure, produisent les diverses espèces d'organes et de tissus. Or, partout où se manifestent des phénomènes vitaux, il y a deux choses à considérer, l'être ou le tissu qui se dévelop- pent, elle milieu dans lequel ils opèrent leur dévelop- pement. Nous n'avons pas à rechercher pourquoi cette cellule primitive produitun être plutôt qu'un autre, un tissu plutôt qu'un autre. Ces questions de cause pre- mière ou finale ne sont pas à notre avis du domaine de la science, qui doit sagement se borner à constater les faits, en recherchant non pas pourquoi tel phénomène s'opère, mais de quelle manière, suivant quelle loi, et sous quelles conditions il se passe. Il nous importe peu de savoir pourquoi tel embryon produit tel être, mais nous sommes très-intéressés à connaîtj-e le milieu, le terrain dans lequel il se développe, le mode d'après le- quel s'effectue cette évolution, afin que, mis à même de prévoir ce qui doit se passer pour un être semblable, nous puissions réahser les circonstances qui lui .'^ont favorables, ou les modifier à notre gré et à notre profit. C'est ainsi que les applications pratiques dérivent de la science pure. Je commençai donc par faire des observations sur les conditions d'existence des êtres les plus simples. Je pris pour cela ces végétaux cellulaires microscopiques, appartenant à la classe des champignons, et je choisis la levure de bière. On savait déjà que ces végétaux se développent spontanément quand on abandonne à la pu- tréfaction des liquides contenant des matières aibumi- 2o4 ACTION DU SUCRE DANS LE DÉVELOPPEMENT noïdes et du sucre en dissolution. Au bout d'un certain temps on voit la liqueur se troubler, et il se dépose de petits corps oviformes, qui croissent jusqu'à la gros- seur de 1 / 100 de millimètre, et donnent naissance par bourgeonnement à d'autres corps semblables à eux qui, en produisant de nouveaux à leur tour, finissent par former des espèces de chapelets, tantôt simples, tantôt plus ou moins ramifiés, et composés d'un nom- bre, variable de grains. Mais, bien qu'on ait indiqué vaguement les conditions générales de cette production de la levure de bière, soit dans les liquides végétaux, soit dans les urines de diabétiques, on n'avait pas une idée nette de la manière dont les choses se passent : on pensait que c'était la matière albuminoïde qui se trans- formait en ferment, sans se rendre bien compte du rôle que jouait ici la matière sucrée. Mes expériences me conduisirent d'abord à reconnaître que la présence de cette matière sucrée était indispensable à la pro- duction du ferment, qu'elle formait le milieu néces- saire à son développement. Je prenais de la levure de bière ordinaire que je dé- layais dans un peu d'eau, je filtrais sur un filtre com- posé de plusieurs feuilles de papier superposées, afin qu'il ne passât aucun globule, puis je séparais le li- quide que j'avais filtré, et qui contenait quelques traces de matières albuminoïdes, en deux parts : l'une que j'abandonnais à elle-même, l'autre à laquelle j'ajoutais un peu d'une dissolution sucrée. Or, dans la première, il ne se développait aucun grain de ferment, tandis que des globules de levure de DES CELLULES ORGANIQUES. 255 bière se produisaient dans la seconde, en plus ou moins grande abondance, en même temps que la fermenta- tion alcoolique s'opérait. Je pouvais étudier ces phé- nomènes en mettant un peu de ces liquides dans un pelit godet de verre recouvert d'une lamelle sur le porte-objet du microscope. J'aie ensuite fait des expériences sur des liquides ani- maux. J'aiprisdu sérum du sang, qui, dans l'état normal, ne contenait pas de sucre, je l'ai laissé à une tempéra- ture de 15 à 20 degrés; il ne s'y produisait rien, et il se putréfiait au bout de quelques jours; mais, si je prenais du même sérum et que j'y ajoutasse un peu de matière sucrée, voici ce que j'observais, et vous pour- rez facilement répéter ces expériences et constater les mêmes faits. Au bout de quatre ou cinq jours, il se développe des cellules, mais ce ne sont plus des cel- lules de levure de bière, ce sont des cellules blan- châtres qui semblent avoir de l'analogie avec les glo- bules blancs du sang; ces cellules adhèrent les unes avec les autres, prennent naissance en très-grande quantité dans certaines circonstances et particulière- ment dans le sérum du sang de la veine porte, ce n'est qu'après cette formation de ces cellules particulières que des cellules de levure de bière se produisent à leur tour. Si l'on ajoute alors, sous le microscope, un peu de teinture d'iode, on voit que celles-ci se colorent fortement en jaune brun, tandis que la couleur des premières n'est que peu modifiée. De plus, les cellules de levure ne se dissolvent pas dans l'acide acéti- que, tandis que les autres sont complètement dis- 2oG ACTION DU SUCRE DANS LE DÉVELOPPEMENT soutes, et disparaissent par ractioii de ce réactif. Or, ces caractères chimiques sont justement de ceux qui servent dans beaucoup de cas à distinguer, sous le microscope, les éléments animaux des éléments végé- taux. Il semblait devoir en résulter que, dans ce milieu composé de sérum et de sucre, il s'était développé deux espèces de cellules, les unes paraissant d'organi- sation animale, plus ou moins analogue aux globules blancs du sang, les autres vétégales, qui forment la le- vure de bière. Mais ces cellules, qui ont ainsi pris nais- sance, ne vont pas plus loin dans leur évolution; au bout d'un temps variable, tout disparaît, et le liquide se putréfie. Ces expériences me prouvaient que la présence d'une matière sucrée était nécessaire pour la production de cellules organiques isolées, dont certaines d'entre elles présentaient quelques-uns des caractères des éléments animaux. J'en vins à me demander alors si le sucre, qui se rencontre dans le végétal partout où il y a un dévelop- pement à accomplir, dans la germination, au moment où l'embryon s'accroît, dans la sève quand les bour- geons grandissent, ne serait pas aussi une condilion du développement des tissus animaux, au moment où ce développement s'opère avec la plus grande intensité, c'est-à-dire pendant la vie fœtale; si le milieu sucré, dans lequel j'avais vu prendre naissance une cellule très-analogue à un élément animal, mais qui n'avait pas en elle ou en dehors d'elle ce qui lui était nécessaire pour poui'suivre cette évolution et former un tissu, si DES CELLULES ORGANIQUES. 257 ce milieu, dis-je,albuminoïde et sucré, ne se retrouve- rait pas lorsque cette évolution continue dans l'animal, où tout commence encore par une cellule? Je pris donc des fœtus de veau dans les abattoirs de Paris, oii ils se trouvent en grande quantité, et je cher- chai d'abord dans leurs différents tissus en voie de dé- veloppement, s'il n'y avait pas de matière sucrée. De quelque manière que je m'y prisse, je n'obtins rien im- médiatement ; mais j'observai, par exemple, que, quand je laissais des muscles ou des poumons dans de l'eau ordinaire, exposée à une température de 15 à 20 de- grés, au bout de très-peu de temps le liquide devenait très-acide, ce qui était dû à un développement considé- rable d'acide lactique, dont je constatais les caractères comme nous le dirons plus loin. Or, vous savez, Messieurs, que l'acide lactique dé- rive ordinairement de la matière sucrée, par suite d'une transformation moléculaire, et qu'il a la même compo- sition élémentaire que le glucose (G^-H'*^0^^,2H0). Il était donc naturel de penser que le sucre avait préexisté où nous trouvions de l'acide lactique, de même que, lorsque nous trouvons de la dextrine, nous concluons à l'amidon qui lui a donné naissance. Mais il fallait surprendre le sucre à sa formation, puisque primitivement on ne le trouve pas dans le muscle, m dans le poumon. Il fallait arrêter la fermeutation, ou du moins la rendre assez lente pour que nous pussions en saisir les diverses périodes, et c'est ce que nous avons obtenu, soit en exposant les macérations de tissus de fœtus à des températures basses, soit en les traitant BERNAUD. I. 17 258 POUMONS ET MUSCLES GLYCOGÉNIQUES par différentes substances, par l'alcool, par exemple, qui arrête la fermentation lactique sans empêcher la fermentation glycosique. Nous avons pu ainsi retirer du sucre du tissu des poumons et des muscles ; voici cette matière qui en contient énormément, ainsi que vous pouvez le voir à sa réaction sur le tartrate cupro- potassique, et parce que, d'ailleurs, mise dans un tube avec de la levure de bière, elle donne de l'acide carbo- nique et de l'alcool, dont voici également un échan- tillon. Nous avons donc trouvé ce fait, qui n'avait jamais été soupçonné, c'est que le poumon, c'est qu'un muscle qui se développe, comme la graine qui germe, contient une matière susceptible de se transformer en sucre. Tant que l'être vit, ce sucre, pour ainsi dire à l'état naissant, est sans doute éliminé, transformé aussitôt que produit, et ne peut pas alors être décelé, mais au moment où les fonctions vitales viennent à cesser, l'é- volution spontanée de cette sorte de fécule animale, que nous n'avons pu isoler jusqu'à présent, continue néan- moins, mais alors comme un simple phénomène chi- mique. Et ce qui prouve que cette matière sucrée est bien en rapport avec les phénomènes de développement, c'est que cette propriété, que possèdent les poumons et les muscles de produire de la matière sucrée, n'existe que dans l'état embryonnaire, c'est-à-dire au moment où les tissus se forment, car, lorsque leur évolution est achevée, les mêmes phénomènes n'ont plus lieu. Une ois que le tissu est développé et, en général, à partir DANS LA VIE FŒTALE. 259 du cinquième mois de la vie inlra-utérine, cette pro- priété diminue, et environ vers le huitième et neuvième mois, quand le muscle est définitivement constitué dans ses éléments, elle m'a paru cesser complètement. Mais il y a ici un fait très-remarquable, c'est que tous les tissus ne sont pas aptes à donner lieu à cette production glycogénique; ce qui porte à penser qu'il y enadont le développement n'a pas besoin, pour s'ef- fectuer, de l'intervention d'un principe sucré. Il est probable qu'il y aura à tiier de ce fait des analogies fonctionnelles encore inconnues entre les tissus, par rapport au milieu organique primitif, qui n'est pas le même pour tous, bien qu'ils procèdent originairement de l'élément cellulaire commun. Ainsi, en essayant les divers tissus, les uns après les autres, nous avons trouvé que le sucre ne se dévelop- pait que dans le poumon, et dans le système muscu- laire, soit de la vie animale, soit de la vie végétative, comme dans le cœur, la tunique de l'intestin, celle de la vessie, etc. Mais tout le système glandulaire, le système nerveux, la peau, les os, ne donnent jamais lieu à une produc- tion sucrée; et ce qui est surtout remarquable, c'est de voir que le foie, qui deviendra plus tard l'organe glyco- génique, quand les fonctions seront localisées, se trouve à cette époque de la vie embryonnaire dans le même cas que toutes les autres glandes, la rate, le rein, le thymus, le pancréas, les glandes salivaires, etc., qi7| ne donnent jamais de sucre. Je n'ai fait ici. Messieurs, que vous esquisser à 26^ POUMONS ET MUSCLES GLYCOGÉNIQUES grands traits l'histoire de cette découverte, dont nous vous donnerons les preuves expérimentales dans une prochaine séance, quand nous aurons à examiner le mécanisme suivant lequel le sucre apparaît dans l'or- ganisme animal, et vous verrez que nous avons là une preuve de plus, que la matière sucrée appartient bien réellement aux deux règnes des êtres vivants, de telle façon que le foie représenterait la continuation de phé- nomènes embryonnaires. L'animal a donc en lui tous les matériaux nécessaires pour produire du sucre, et certes on ne dira plus ici que cette matière préexiste à l'état de liberté dans les muscles du fœtus, car, après avoir lavé et broyé ces tissus, la matière insoluble dans l'eau donne naissance à du sucre. Bien plus, si vous faites cuire ces mêmes tissus, vous leur ferez perdre la propriété de produire du sucre, parce que vous au- rez détruit la matière fermentescible, qui est toujours une substance albuminoïde. Ce sucre ne peut donc provenir, ni de l'amidon insoluble, et qui ne peut être transporté d'un organisme dans l'autre, ni du sucre des végétaux. On ne saurait plus conserver de doute sur l'origine animale du sucre, malgré les tentatives qui se produisent actuellement de la part de quelques per- sonnes, encore au point de vue de certaines doctrines finalistes, qui ne sont plus de notre époque et qu'il faut reléguer parmi les errements de la métaphysique des siècles passés. La théorie d'une séparation tranchée dans les phéno- mènes de nutrition, entre les deux règnes de la na- ture qui, dans certaines limites, peut avoir sa raison DANS LA VIE FŒTALE. 261 (l'être, n'est pas admissible d'une manière générale, et la découverte que nous venons de vous exposer établit entre eux un rapprochement de plus. Il y a dans les uns comme dans les autres une véritable germination s'accomplissant suivant des modes différents sans doute, mais dans des milieux qui ont une analogie de compo- sition. Dans les végétaux, sous l'influence des matières albuminoïdes, l'amidon insoluble se transforme en glucose soluble; il en est de même chez les animaux, bien qu'on n'ait encore coustaté que la présence du sucre, mais cela suffit pour en conclure la présence de la matière insoluble qui doit précéder le sucre, matière sans doute différente de l'amidon, mais donnant tou- jours lieu à la fermentation glycosique, qui est la condi- tion commune. Il se passe donc dans les poumons et muscles du fœtus deux ordres de fermentations, une fermentation glycosique, c'est-à-dire une formation de sucre aux dépens d'une matière azotée insoluble préexistante, et une fermentation lactique qui se produit aux dé- pens de la matière sucrée elle-même. A l'aide de l'al- cool, nous empêchons cette dernière, c'est ce qui fait que nous pouvons accumuler le sucre dans les li- quides de fermentation. Mais dans les fœtus pendant la vie intra-utérine, la fermentation glycosique paraît seule avoir lieu, et le sucre qui s'y trouve paraît s'éli- miner à ce moment sans passer à l'état d'acide lac- tique. C'est ainsi que nous pouvons comprendre cette découverte que nous avions faîte, et que nous ne savions plus comment expliquer dans la théorie de 262 POUMONS ET MUSCLES GLYCOGÉNIQUES l'oxydation, à savoir, que l'on trouve du sucre dans l'urine des fœtus, dès que la vessie est formée, ainsi que dans les liquides de l'amnios et de l'allantoïde, et cela bien avant que le foie ait acquis sa propriété glyco- génique. C'est ainsi également que l'on s'explique que chez les fœtus arrivés aux dernières périodes de ia gestation, le sucre cesse de se rencontrer dans les uri- nes, comme il cesse aussi de se produire dans les mus- cles et dans les poumons. A cette époque, le liquide de l'amnios subit probablement une espèce de fermenta- tion visqueuse, car il devient visqueux en même temps que le sucre disparaît. Maintenant, comment pouvons-nous comprendre l'intervention de la matière sucrée dans la germination soit végétale, soit animale? Nous avons des cellules or- ganiques qui, pour se développer dans le milieu qui les entoure, doivent lui emprunter incessamment des matériaux qui se trouvent facilement assimilables, parce qu'ils sont dans des combinaisons très-instables. C'est cette mobilité des éléments qui entretient constamment les phénomènes de la vie, en permettant aux matières de se grouper de mille façons et d'une manière non interrompue. Tous les phénomènes de fermentation introduisent dans les hquides animaux cette mobilité nécessaire pour l'entretien des actes de la vie, et la matière sucrée est un des plus communs soit comme résultats, soit comme source de fermenta- tion. En un mot, les cellules organiques animales et végétales doivent donc se développer dans un liquide où se passent des phénomènes de fermentation empê- DANS LA VIE FŒTALE. 263 chant les matières de tomber à l'état de produits fixes et d'acquérir une stabilité ou indifférence chimique, qui est le caractère de tout ce qui ne \it plus. On com- prend de cette façon que les cellules organiques puis- sent s'approprier des éléments chimiques qui sont dans un état qu'on peut comparer h ce que les chimistes appellent l'état naissant. La nécessité des faits que nous \enons de signaler parait encore démontrée par ce qui arrive quand on ajoute dans ces liquides des substances capables d'empêcher la fermentation, telles que l'acide cyanhydrique, l'arsenic, etc. ; on voit alors tous ces phénomènes de développement s'arrêter aus- sitôt. Mais, Messieurs, comment tout ce que nous venons de dire peut-il s'appliquer aux usages du sucre dans la fonction du foie, et comment cela pourrait-il nous fournir quelques lumières relativement à la théorie du diabète? Nous sommes, sans doute, allés par des déductions, en apparence bien éloignées de notre sujet, chercher des arguments pour lui appliquer les résultats que nous venons de \ous exposer. J'aurais pu me dispenser peut-être de vous parler de tous ces développements cellulaires et aborder directement les usages du sucre chez l'adulte, en vous donnant comme des résultats purs et simples tous les faits dont je viens de vous expliquer la génération. Mais j'ai voulu, comme cela doit se faire dans cet enseignement dont nous avons retracé le caractère au commencement de ces leçons, vous con- duire par toutes les phases de la découverte que nous 264 POUMONS ET MUSCLES GLYCOGÉNIQUES devons exposer, afin que vous voyiez par vous-mêmes par quels tâtonnements l'esprit doit passer, h quelle diversité de points de vue il doit se placer dans l'é- tude de questions aussi compliquées, avant d'arriver à une découverte qui peut ensuite se résumer en quel- ques mots, et qui change, une fois établie, la théorie qui avait servi de fil conducteur dans la série des re- cherches. En nous plaçant au point de vue de l'organisme adulte, nous n'aurions pu concevoir le principal rôle du sucre que, dans sa destruction, comme on l'avait déjà supposé. Mais, par la théorie du développement, nous arrivons, au contraire, à conclure que les usages les plus importants de cette matière ne sont pas rem- plis, au moment où elle se détruit dans le sang, mais bien quand elle prend naissance dans le foie. C'est au moment où la matière animale, qu'on n'a pu encore isoler, mais qui préexiste au sucre, se dé- double de manière à donner naissance à ce produit, c'est à ce moment, dis-je, que naissent les éléments or- ganiques qui doivent ultérieurement accomplir leur évolution pour produire la rénovation des tissus de l'in- dividu. Il faut bien remarquer toutefois ce quia été dit relativement à ces faits de germination, en présence de la matière sucrée, qui n'ont lieu que dans les mus- cles et dans le poumon. Quant aux autres tissus, ils se développent dans des conditions différentes, et pour le système glandulaire, en particulier, nous sommes portés à croire, par des vues encore incertaines, il est vrai, mais que nous pour- DANS LA VIE FŒTALE. 265 suivrons, que ce sont les produits des ganglions lym- phatiques qui fournissent les matériaux nécessaires à leur rénovation. Quoi qu'il en soit, nous avons voulu vous donner, dans cette séance, une vue nouvelle sur les usages de la matière sucrée dans l'organisme, sans insister da- vantage sur cette question que nous traiterons plus tard. Nous reprendrons dans la prochaine leçon Y histoire de la fonction glycogéniqne du foie. TREIZIEME LEÇON 6 FÉvniER 1855. SOMMAIRE : Examen de l'ancienne théorie de la production exclusive du sucre par les végétaux. — Point de vue de celte théorie vis-à-vis des ques- tions physiologiques. — Erreurs de doctrines, de méthodes et de faits. — Expérience fondamentale pour la théorie de la production du sucre dans l'organisme animal. — Examen du sang avant et après le foie. — L'an- cienne théorie n'en tient aucun compte, — De l'intervention de la chimie diins les questions physiologiques . — De la présence du sucre dans le sang. — Époque de cette découverte. — Conditions de la production de ce phé- nomène. — Théories de la dépuration du sang par le foie. — De la con- densation du sucre dans le même organe. — Prétendues preuves à l'appui de ces manières de voir. -- Contradictions. — Sophismes. — Erreurs. Messieurs, Dans la dernière séance nous avons fait une sorte de digression en vous rendant compte des recherches auxquelles nous nous sommes livré touchant le rôle de la matière sucrée dans l'état embryonnaire. Ceci ne rentrait pas directement dans l'histoire du foie, puis- que les faits que nous vous annoncions se passaient en partie avant que cet organe opérât ses fonctions. Nous avons voulu vous donner seulement des idées nou- velles sur les usages de la matière sucrée dans l'or- ganisme, en vous montrant de quelle manière nous sommes arrivé à penser que les principaux usages du sucre s'accomplissaient bien plus au moment oii ce produit prend naissance, qu'au moment où il se dé- EXAMEN DE CRITIQUES SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 267 Iruit. Nous nous bornons, pour le moment, à établir cette vue que nous reprendrons plus tard, et nous al- lons continuer l'histoire de la fonction glycogénique du foie que nous développons devant vous depuis le commencement de ces leçons. Mais, à ce propos, Messieurs, je crois qu'il est né- cessaire, à cause des attaques récentes dont elle a été l'objet, que nous revenions en quelques mots sur cette fonction toute physiologique de la production du sucre par un organe spécial, et de l'origine intérieure de cette matière chez l'homme et les animaux. Lorsque nous publiâmes, il y a quelques années, les faits qui établissaient la réalité de la fonction glyco- génique, ils furent admis par un grand nombre de physiologistes et de chimistes, qui examinèrent les choses de très-près. Lehmann, en particulier, fit un travail très-étendu sur la composition du sang, avant et après le foie, et il fut frappé de la quantité de sucre qui sortait de cet organe par les veines hépatiques, et qui n'était nullement en rapport avec celle qu'il avait rencontrée dans le sang de la veine porte, et il fut amené, comme nous, à conclure que le sucre se forme dans le foie. Ensuite, comparant cette production du sucre dans le foie avec la disparition d'une partie des éléments albuminoïdes du sang qui traverse le tissu hépatique, il en conclut que c'était aux dépens des substances albuminoïdes que la matière sucrée se pro- duisait. Nos expériences physiologiques avaient été ré- pétées, soit en France, soit à l'étranger, par un grand nombre d'observateurs qui sont arrivés, en se plaçant 268 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES dans les conditions physiologiques que nous avions in- diquées, aux mêmes résultats et aux mêmes conclu- sions que nous. En présence des faits si nets que nous avions repro- duits devant une commission de l'Académie des scien- ces, devant un grand nombre de savants français et étrangers, que vous avez pu voir vous-mêmes, puisque nous avons refait les expériences devant vous pour prouver le rôle du foie comme producteur de sucre, on avait pu croire que l'ancienne théorie qui consi- dérait la matière sucrée comme venant toujours du dehors ne trouverait plus de défenseurs. Mais les théo- ries ne se résignent point ainsi à mourir, elles repa- raissent de temps à autre, toujours avec les mêmes ar- guments qui avaient servi à les élever autrefois, et sans tenir compte des progrès de la science. Dans la séance de l'Académie des sciences, du 29 janvier dernier, on a lu le résumé d'un Mémoire, qui a été reproduit depuis dans la Gazelle hebdomadaire du 2 février, que nous avons sous les yeux et dans le- quel on revient encore sur cette idée : Que le sucre qu'on rencontre dans l'organisme provient exclusive- ment des végétaux. J'avais cru d'abord ne devoir rien dire de ce travail qui, comme je vous le démontrerai tout à l'heure, n'a rien de physiologique, bien qu'il ait la prétention d'a- border et de juger des questions physiologiques. Mais quelques personnes qui suivent ce cours m'ayant de- mandé de m'expliquer sur la portée des arguments qu'on y propose, il est de mon devoir d'y répondre. En SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 269 physiologie, en effet, les phénomènes sont tellement complexes, et pour décider une question il faut avoir présents à l'esprit une telle masse de faits, que nous comprenons sans peine le trouble et l'hésitation qui saisissent l'esprit du public, quand on vient devant lui contester les faits les mieux établis par des raisonne- ments dont il ne saisit pas, au premier abord, le peu de valeur réelle. D'ailleurs, Messieurs, c'est dans cette chaire que doivent se débattre les questions à l'ordre du jour. La science militante, qui ne peut pas entrer dans un en- seignement dogmatique, a naturellement sa place au Collège de France, et si je me taisais sur une pareille question, on pourrait peut-être s'autoriser de mon si- lence pour attribuer à ces attaques plus de portée qu'elles n'en ont réellement. Dans cette discussion, je m'abstiendrai de toute personnalité. Ce ne sont pas des hommes qui sont en présence, ce sont des idées d'une part, et des faits de l'autre. C'est une théorie que nous avons à combattre; elle n'est point l'œuvre des personnes qui la soutien- nent en ce moment : ce n'est donc point à celles-ci que nous nous adressons. Si nous prenons leur travail pour texte de discussion, c'est simplement pour fixer les idées sur les arguments qui y sont reproduits, et qui doivent avoir là toute leur force, puisqu'ils sont donnés dans le but de nous combattre. L'auteur du travail nie d'abord la production exclu- sive du sucre dans les végétaux, par sentiment. Il lui répugne, dit-il, d'admettre que l'économie animale se 270 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES donne la peine de fabriquer une substance pour la dé- truire aussitôt. Ces sortes de répugnances, Messieurs, n'ont en rien affaire avec la science; au même titre, je pourrais dire qu'il me répugne, à moi, d'admettre que les animaux, qui ont une vie bien plus complexe que les végétaux, ne puissent produire tout ce que font ces derniers. Mais il est clair qu'un tel point de vue, pu- rement sentimental, ne saurait constituer un argument en pareille matière. Puis vient alors cette confusion entre les faits et les théories. Ainsi, le résultat que nous avons obtenu en localisant la sécrétion du sucre dans le foie, « serait (dit-on) en opposition avec les dé- (( couvertes de la chimie organique, et avec ces belles (( et simples relations que la science moderne a si lu- (( mineusement établies entre les fonctions comparées « des animaux et des plantes. » Or, Messieurs, on découvre un fait, et l'on conçoit une théorie. Les faits que nous avons découverts ne contredisent point les découvertes de la chimie orga- nique, ils s'ajoutent à la masse des connaissances ac- quises; et l'ensemble de tous ces faits ne pouvant plus rentrer alors dans les relations établies entre les ani- maux et les plantes, si simples et si lumineuses quelle soient, celles-ci disparaissent comme désormais in- suffisantes. Ce sont les conceptions, les manières de voir, les théories qui changent et se contredisent, ce ne sont jamais les faits. Vous voyez donc, Messieurs, dès l'abord, un vice de méthode dans la manière d'attaquer la question, et il va être intéressant d'ensuivre le développement. Ainsi, SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 271 on aborde le sujet avec une doctrine préconçue. 11 ré- pugne de voir les faits autrement que la théorie ne les conçoit, et l'on vous dira plus tard que, bien qu'on ait constaté la présence bien positive du glucose dans le tissu du foie, on persiste toujours dans l'idée que le sucre ne peut pas provenir d'une sécrétion propre de cet organe, et qu'il a sa source unique dans l'alimenta- tion. Nous pourrions en rester là ; de telles déclara- tions nous suffisent pour juger dans quel esprit seront faits des travaux entrepris sous la pression de telles doctrines, mais nous voulons poursuivre l'analyse, pour vous montrer combien une idée arrêtée, dans l'é- tude d'une question, apporte de trouble dans la logique et dissimule, aux yeux de l'observateur prévenu, les contradictions flagrantes pour tout autre, entre ses rai- sonnements et les faits qu'il constate, et avec quelle fa- cilité il oubliera les conditions d'une expérimentation sérieuse et vraiment scientilique. Ne comprenant pas le point de vue physiologique, qui seul devrait dominer dans ces études, et qui, bien observé, conduirait à la véritable solution, l'auteur en question commet, à ce sujet, les erreurs les plus graves, et avance, par exemple, des propositions de ce genre : (( Ces oscillations, ces espèces d'intermittences recon- (( nues dans la fonction glycogénique, nous semblent « un autre argument contre l'existence même de cette « fonction. Une sécrétion qui n'est en jeu qu'à certains (( intervalles, qui ne s'éveille, chez les animaux, que « sous l'empire, sous l'excitation de l'acte digestif, qui (( diminue par le jeûne, et s'éteint par une abstinenœ 272 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES (( prolongée ou par les maladies, s'écartait trop mani- « festement du mode général des sécrétions pliysiolo- « giques, pour ne pas élever de doutes sur sa réa- « lité. » Ainsi, Messieurs, l'intermittence de la production du sucre prouverait qu'elle n'est pas le résultat d'une sécré- tion, parce que, dit-on, les sécrétions sont continues. Mais s'il est, en physiologie, un point bien établi, c'est certainement celui-ci : que les sécrétions n'ont lieu qu'à certains moments, et qu'elles offrent précisément ces oscillations, ces alternatives de repos et de mouvement organique, qui sont le caractère de toute fonction vi- tale. Chacun sait, en effet, pour prendre quelques exem- ples, que la sécrétion parotidienne, la sécrétion gastri- que, la sécrétion pancréatique, lasécrétion biliaire, sont essentiellement intermittentes. Il n'y a que les excrétions qui peuvent être continues. Aucun physiologiste ne con- fondra ces choses. Et, toujours pour les besoins de la cause, on dira que le tissu du foie ne renferme de sucre que pendant la digestion, ce qui s'accorde parfaitement avec la théo- rie, mais ce qui est complètement erroné, ainsi que je vous l'ai prouvé maintes fois, et comme je vous le mon- trerai tout à l'heure. Le sucre, en effet, ne disparaît du foie qu'à la suite d'une longue abstinence, quand la mort est prochaine, et que l'animal a perdu les 4 dixiè- mes de son poids, et que son retour à la vie est désormais impossible. Ainsi, Messieurs, on commence par des erreurs de doctrines, on continue par des erreurs de faits; je vous SIR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 273 montrerai bieutôL qu'on linit par des vices de logique vraiment incroyables. Avant d'aller plus loin, permettez-moi de remettre sous vos yeux cette expérience qui consiste à montrer que, chez un chien à jeun depuis deux ou trois jours, le sang de la veine porte ne contient pas de traces de sucre, tandis que le sang des veines hépatiques en pré- sente des quantités considérables. Nous tuons l'animal par la section du bulbe rachi- dien, comme vous l'avez déjà vu faire; nous lui ou- vrons le ventre, nous saisissons le paquet des vaisseaux et des nerfs hépatiques, et nous lions le tout en masse pour empêcher le reflux du sang venu du foie dans la veine porte, puis nous prenons alors du sang de cette même veine; nous ouvrons la poitrine et pre- nons du sang des veines hépatiques. On va traiter ces deux sangs de la même manière, en ajoutant du sul- fate de soude et faisant cuire pour en exprimer le liquide. Vous allez voir tout à l'heure que le liquide sorti du sang de la veine porte, ainsi traité, ne ré- duira pas le tartrate cupro-potassique, tandis que celui des veines hépatiques le précipitera abondam- ment. C'était donc là, Messieurs, l'expérience fondamen- tale, qu'il fallait répéter tout d'abord, et qui devait ou- vrir les yeux, et qui aurait empêché de dire que le sucre n'existe dans le tissu du foie que pendant la di- gestion. Mais les théories, qui se regardent comme l'ex- pression absolue et définitive de la réalité, répugnent avoir les faits ([ui les contredisent et persistent dansleur BERiNAHl». J. 18 274 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES aveuglement. Ceci est aussi une vérité physiologique d'un autre ordre. Cependant, des expériences ont été instituées, des analyses ont été faites, qui, restant au point de vue cliimique pur, sont dès lors exactes, et viennent con- firmer les nôtres. Mais, le côté physiologique étant com- plètement méconnu, on n'a vu qu'une des faces du problème ; on a cru faire la découverte de faits étabhs déjà depuis longtemps, et l'on a pris pour général ce qui n'est qu'un cas particuHer, et l'on a cru à une fixité de phénomènes qui ne se rencontrent pas. 11 ne faut jamais oublier, en effet, Messieurs, que dans la science de la Yie les faits bruts ne sont pas des preuves. Sur la même question on peut répondre oui ou non, et paraî- tre avoir raison des deux côtés, quand on se place à des points de vue différents et incomplets. Mais la science physiologique permet de fixer dans quel cas il faut dire oui, et dans quel cas non; et voilà justement pourquoi, pour juger une question vitale, il faut être physiologiste. Le chimiste qui instituerait seul une analyse sur un cas particulier, qu'il prendrait pour un fait général, igno- rerait, le plus souvent, qu'on peut, un moment après, lui faire faire, sur un cas qui lui paraîtra complètement identique, une autre analyse tout à fait contradictoire avec la première. Quelle conclusion tirera- t-il de là? Et s'il n'a vu qu'un cas, quelle foi peut-on ajouter à sa con- clusion? C'est là cependant la position dans laquelle s'est mis le critique en question pour traiter les ques- tions de physiologie, quand il n'a pas tenu compte avant tout des conditions physiologiques des phénomènes. SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 275 Ainsi, Messieurs, la théorie avait besoin de constater, pour les conclusions qu'elle va en tirer tout à l'heure, qu'il existe du sucre dans le sang des animaux, et en particulier, dans le sang des animaux de boucherie. Le. fait était déjà connu et étabU. M. Magendie, en 1846, a publié un travail sur ce sujet; Garot en Angleterre, Schimdt à Dorpat, Lehmann à Leipzig, etc., ont cons- taté la même chose ; nous avons déterminé nous-même dans quelles conditions on pouvait rencontrer cette substance dans le système circulatoire général, et il suffît de vous rappeler ce que je vous ai dit dans une des séances précédentes. Nous savons, de plus, qu'il suffit de faire exécutera un animal des mouvements \iolents des muscles dia- phragmatiques et abdominaux, en particulier, pour rencontrer le sucre dans le sang de la veine jugulaire. Vous avez aussi que, quand la sécrétion glycogénique est à son summum d'activité, le sucre se généralise dans tout l'organisme. Dans le sang de bœuf pris dans les abattoirs, quaud il est frais, on en trouve toujours, et voici pourquoi. Pour saigner les bœufs que l'on vient d'assommer, le boucher leur enfonce le couteau jusque dans l'oreillette droite ; le sang qui s'en écoule vient donc en partie des veines hépatiques. Et si l'on observe, en outre, que, pour faire dégorger le sang que contient l'animal, on appuie fortement avec le pied justement dans la région du foie, de manière à exprimer le plus possible cet organe, voils comprendrez alors, d'après ce que nous avons dit dans une précédente leçon, comment il se fait que.le 270 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES san^ qui sort par la plaie, mélangé avec celui qui vient des veines hépatiques, contienne des qualités notables de sucre; et toutes les lois que j'ai pris du sang venant de l'abattoir, j'ai constaté le même fait. Il faut noter, en outre, que ces animaux peuvent être en digestion, ce qui augmente encore la quantité de sucre dans l'or- ganisme; qu'ils font des elForts violents, si, au lieu d'être assommés, ils sont simplement égorgés, etc. Mais, si, au lieu de faire l'expérience de cette manière, qui n'est aucunement physiologique, on l'eût répétée comme nous venons de vous la montrer, comme Lehmann ainsi que d'autres expérimentateurs l'ont faite, on n'eût pas trouvé de sucre, ou bien dans les cas où l'on en eût trouvé, cas que nous avons déterminés nous- même, on en eût rencontré des quantités beau- coup plus considérables dans les veines hépatiques que partout ailleurs. Quoi qu'il en soit, les faits purement chimiques ne pouvant être niés, car ils sont trop évidents, on est forcé d'accorder qu'il y a du sucre dans le foie, qu'il y en a toujours, toutes proportions gardées, environ trois fois plus que dans le sang, dans les circonstances oh l'on a observé et sur lesquelles nous avons fait nos réserves. Ainsi, on reconnaît qu'il y a environ 0,50 pour 100 de sucre dans le sang, et 1 ,50 pour 100 dans le foie. Nous fixons ces chiffres, parce que nous allons arriver au raisonnement final, et vous verrez alors^ quelle incohérence il y a entre les conclusions et les prémisses. We voulant pas faire du foie un organe sécréteur du SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 277 sucre, la théorie en fait d'abord un organe dépurateur, séparant d'une part les produits inutiles à la nutrition, de l'autre les matériaux qui peuvent directement servir à l'assimilation. Indépendamment du vague et de l'indéfini que comporte une telle qualification, on pour- rait demander comment il se fait que des matériaux au moins inutiles à la nutrition, comme l'arsenic, le mercure, et un certain nombre d'autres métaux qui se fixent dans le foie d'une manière presque indéfinie, ne soient pas dépurés par cet organe essentiellement dépurateur. Puis, quant au rôle du foie vis-à-vis de la matière sucrée, il devient un organe condensateur . Si l'on ne considérait que le cas des animaux herbivores, on pourrait concevoir que le foie gardât le sucre que lui apporte chaque digestion pour le verser ensuite peu à peu dans le sang; cependant, comme on sait qu'il s'y détruit très-vite, on pourrait s'élonner d'en trouver encore presque autant, après trois ou quatre jours de jeûne absolu, que dans l'état normal, qui en apporte incessamment des quantités nouvelles ; et la physiologie sait, d'ailleurs, que, si l'on prend deux animaux de même espèce, qu'on les mette à jeun tous les deux, et que l'on empêche dans l'un le sucre de se produire, en lui coupant, par exemple, les pneumo-gastriques, de ces deux animaux tués au même moment, celui-ci ne présentera pas la moindre trace de sucre dans son foie, tandis que l'autre en aura toujours des quantités considérables. Mais on n'en reste pas là, et alors voici le raisonne- 278 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES ment pour les animaux qui vivent de chair. Le sucre qui so trouve dans le foie des Carnassiers vient du sucre qui se trouve dans le sang des Herbivores, et celui-ci a sa source dans les végétaux. ((La viande des animaux de boucherie, dit-on, ren- « ferme des vaisseaux; ces vaisseaux contiennent du «sang (ce sang est sucré, 0,50 pour 100). Ainsi, la « chair de bœuf et de mouton qui avait servi à nourrir <( les chiens dans les expériences de M. Bernard con- « tenait du sucre, et l'on administrait, sans s'en douter, « le composé même que l'on voulait ultérieurement « rechercher. » En vérité, il faut être égaré par une théorie pour émettre de pareilles assertions, et supposer que nous ayons pu donner, sans nous en douter^ sans le recher- cher, du sucre avec les aliments : et celui-ci même qui avance une pareille idée ne recherche pas lui-même, et tout d'abord, s'il y a du sucre dans cette même viande que nous aurions pu donner. J'avoue que parmi toutes les objections que j'ai pu supposer, je n'aurais jamais pensé à celle-là. D'ailleurs, les expériences qui réduisent à néant de pareilles assertions sont faciles à faire. Voici de la viande de boucherie fraîche, c'est-à-dire dans les conditions où l'auteur du travail en question supposait que nous la donnions à nos animaux; on la broie, on la traite par 'l'eau chaude, et vous verrez qu'elle ne contient aucune trace de sucre. Mais nous nourrissions le plus souvent les chiens en expérience avec de la tête de mouton préalablement SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 279 bouillie, dont l'eau de lavage enlevait les matières solu- bles, et par conséquent le sucre. Voici de cette même viande avec laquelle les chiens ont été nourris pendant des mois entiers ; on la broie, on la traite par l'eau, le liquide qui s'en échappe ne contient pas la moindre trace de sucre. On ne comprend pas de pareilles objec- tions, quand des expériences aussi simples et aussi fa- ciles à faire n'ont même pas été vérifiées, et certes, elles en valaient la peine, quand on se permet d'en tirer de telles conclusions. Mais ce n'est pas tout encore, et suivez un peu ce raisonnement. On vient de dire que le foie contient 1 à l,oO de sucre pour 100; supposez le foie d'un chien qui pèse 500 grammes, il contiendra 5 à 6 grammes de sucre au minimum. On admet que le sucre se détruit à me- sure qu'il se forme; par conséquent, on admet qu'une digestion fournit au moins 5 grammes de sucre qui se condensent dans le foie, et l'on ne cherche pas s'il y a 5 grammes de sucre dans un repas que l'on fait faire à l'animal. Quand même on le nourrirait avec de la viande de boucherie saignante, il faudrait, d'après les calculs énoncés dans le Mémoire, quelle contînt un kilogramme de sang! Et il faudrait de plus que cette viande et ce sang fussent encore chauds, extraits à l'ins- tant même du bœuf qui vient d'être abattu; car l'au- teur a bien soin de faire remarquer quelque part, qu'au bout de très-peu de temps le sucre se détruit dans le sang, ce qui fait qu'on ne l'avait pas, croyait-il, observé avant lui. Tout cela devient incompréhensible. 280 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES Ainsi, Messieurs, en résumé, on ne nie point les faits, parce qu'ils ne sont pas niables ; on ne nie pas que le foie contienne du sucre en proportions considérables. Mais on n'a pas voulu faire ces expériences si simples et si nettes que j'ai toutes répétées devant vous, savoir : en premier lieu, prouver que les aliments avec lesquels nous nourrissons les chiens pendant des mois entiers ne contiennent pas de traces de sucre; que le sang de la veine porte de ces mêmes animaux carnassiers, soit à jeun, soit en digestion, n'en présente pas de traces quand on fait l'expérience convenablement. On con- state, en second lieu, le sucre dans le tissu du foie comme dans les veines hépatiques; ce sucre est versé à chaque instant dans le système circulatoire, où il dis- paraît peu à peu. Alors, au lieu d'accepter purement et simplement le foie comme un organe sécréteur du sucre, ce qui est prouvé par des considérations de toute nature, on tor- ture pour le besoin de théories l'explication des phé- nomènes. Maintenant, Messieurs, achevons les expériences que nous avons commencées. Voici le liquide provenant du sang de la veine porte, nous y ajoutons du tartrale cupro-potassique^ nous chauffons, pas de traces de réduction. Ici il a été mis avec de la levure de bière, il n'y a pas eu de fermentation. Nous en faisons autant avec le liquide provenu du sang des veines hépatiques ; vous voyez dans ce cas une réduction abondante, et ici dans ce tube la fermentation a continué sa marche très-activement. SUR LA GLYCOGÉiNIE ANIMALE. 281 Enfin, voici du liquide résultat de la décoction du foie; vous voyez qu'il est jaunâtre, transparent, ce qui tient à ce que l'animal est à jeun, car il serait opalin ou laiteux s'il était en digestion de matières féculentes, comme je vous l'ai dit déjà. Il réduit abondamment le réactif cupro-potassique et fermente très-vite, car vous voyez qu'il y a déjà une grande quantité d'acide carbo- nique dans l'appareil à fermentation. Voici également l'eau de décoction de la viande fraî- che, et celle de la tête de mouton, aliment dont nous nourrissons les chiens; nous y ajoutons du tartrate de cuivre : vous voyez qu'il n'y a pas traces de précipité ni aucun indice de fermentation, et, par conséquent, pas de traces de sucre, ce qui réduit à néant l'objection fon- damentale qui nous était adressée, objection qui, bien que servant de point de départ à tout cet échafaudage d'arguments qu'on nous opposait^ n'avait même pas été vérifiée par l'auteur de ces arguments. QUATORZIEME LEÇON ÏO FÉVRIER 1855. SOMMAIRE : Analyse d'un nouveau travail critique sur l'origine du sucre dans l'organisme, — Sa linison avecle précèdent. — Action du système nerveux sur la production du sucre. — Expérience sur la section despneu- mo-gastriques.— Des méthodes dans les sciences. — Méthodes à priori et à posteriori. — Exemples actuels. — Examen des résultats de l'expé- rience précédente. Messieurs, Nous YOiis avons prouvé, dans la dernière séance, que les arguments au moyen desquels on avait espéré faire revivre l'ancienne théorie sur la provenance exté- rieure du sucre de l'organisme animal sont sans au- cune valeur. Parmi les faits invoqués à l'appui, les uns sont exacts, mais ils étaient connus depuis longtemps, et nous en avions déjà tenu compte, les autres ne sont, comme vous l'avez vu, que des assertions complètement erronées. Rien de ce que nous avions avancé et prouvé ne se trouve contredit; nous avons toujours l'expérience si nette que nous avons produite devant vous, et à la- quelle nous nous reportons constamment, à savoir, que chez un animal nourri de matières albuminoïdes, le sang de la veine porte ne contient pas de sucre, tandis que celui des veines hépatiques et le foie lui-même en présentent des quantités considérables. La conclusion EXAMEN DE CRITIQUES SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 283 toute naturelle, toute simple, est toujours celle-ci : que le sucre se forme dans le foie. Nous aurons encore, par la suite, à ajouter bien d'autres preuves à celles que nous vous avons déjà données de la réalité de cette fonction glycogénique du foie. Puisque nous sommes entré dans cette discussion, et à cause du désir qui nous en a été exprimé, et parce que, au point de vue des méthodes scientifiques, nous y avons vu un enseignement réel, nous devons la pour- suivre jusqu'au bout, et en examiner une autre face par laquelle la critique s'est présentée, quoique d'une ma- nière beaucoup moins franche. Un autre travail a été lu à l'Académie des sciences le 5 février, et reproduit dans le numéro du 9 février de la Gazette hebdomadaire, 11 règne, dans toute cette nou- velle forme que prend l'argumentation, une insinua- tion perpétuelle pour essayer d'établir que nous au- rions bien pu nous tromper sur la valeur des réactifs dont nous nous sommes servi. Ainsi on prétend que dans le cas où l'on donne à un animal des matières fé- culentes ou sucrées, le sucre pourrait bien se trouver en grande quantité dans la veine porte, mais qu'il y serait masqué par sa combinaison avec l'albuminose, et ne serait plus dès lors susceptible d'être décelé par le tartrate cupro-potassique. Ce sucre passerait ina- perçu, pour ne reparaître qu'après le foie, qui aurait dissocié cette combinaison du sucre avec des matières albuminoïdes qui étaient rebelles à notre réactif. Nous reviendrons plus tard sur la question de sa- 284 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES voir clans quelles conditions l'albuminose peut empê- cher la réduction du sel de cuivre par le glucose. Pour le moment, nous dirons que sur des chiens nourris avec de la viande et du pain, quand nous avons voulu chercher par le tartrate cupro-potassique le glucose dans le sang de la veine porte, nous avons constamment constaté sa présence, mais en quantités bien moins con- sidérables que dans le sang des veines hépatiques. D'ail- leurs nous ne nous sommes jamais contenté de cette réaction, nous avons toujours employé comparative- ment la fermentation, qui ne saurait laisser aucun doute en pareille matière. Lehmann, dont la compétence sur des détermina- tions chimiques est si hautement établie, a trouvé éga- lement du sucre dans le sang de la veine porte, chez des chevaux qui mangeaient de l'avoine, mais il en a trouvé bien davantage dans le sang des veines hépa- tiques. Mais toutes les objections précédentes se rapportent à une alimentation mixte. Nos expériences, au con- traire, pour établir la formation du sucre dans le foie, ont toujours été faites sur des animaux à jeun, ou nour- ris exclusivement avec de la viande. Cependant la fonc- tion glycogénique du foie est mise en jeu, mais, ainsi que le dit l'auteur lui-même, d'une manière indirecte. Quelque éloigné que puisse vous paraître, au pre- mier abord, ce travail de celui que nous avons analysé dans la précédente séance, vous allez voir cependant que c'est une nouvelle face sous laquelle l'ancienne théorie de la provenance extérieure du sucre de l'or- SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 285 ganisme présente sa défense. C'est une argumentation en deux points qui se relient l'un à l'autre d'une ma- nière indirecte, et dont la logique pourrait passer ina- perçue; je suis donc obligé de remplir les lacunes du raisonnement complet. Les deux prémisses sont : l'une que le sucre existe dans la viande, l'autre que la pré- sence du sucre, dans la veine porte est dissiuiulée par les matières albuminoïdes digérées par le suc gastri- que ; donc on donne toujours du sucre avec les ali- ments; et comme ce sucre n'est pas décelé dans la veine porte par le tartrate cupro-potassique, il en ré- sulte que notre expérience fondamentale est infirmée. Mais d'abord, Messieurs, quant à la présence du su- cre dans la viande, c'est une pure assertion, et vous avez vu par expérience ce qu'elle valait. Quaut à la dissimulation du sucre par la peptone ou albuminose dans la veine porte, cette objection n'a aucune valeur, parce que, en supposant que cette matière existât dans la veine porte, ce qui n'est pas exact, ainsi que nous le dirons plus tard, on s'en serait débarrassé; et d'ail- leurs on a toujours fait usage de la fermentation con- curremment avec le réactif cupro-potassique. De plus, on a oublié de dire à quels caractères on reconnaissait que ce sucre, qui se ti'ouve isolé dans le foie, était bien celui qui avait circulé dans la veiue porte avec la peptone, au lieu d'être un sucre de nou- velle formation ; évidemment c'est là une assertion pure et simple. On ne sait quelquefois pas au juste ce qu'on prétend établir, dans ce travail ; car d'une part on accorde que 286 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUÉS la fonction glycogénique n'est pas directement en jeu, et l'on crée, d'autre part, un nouvel usage pour le foie, qui (levienl, dans le cas d'une alimentation mixte, un organe filtrateur propre à isoler l'un de l'autre les deux produits ultimes de la digestion des matières al- buminoïdes et saccharines, d'abord confondues et mas- quées l'une par l'autre dans le sang de la veine porte. Enfin notons, en terminant, un fait curieux, au point de vue des méthodes, qui s'est produit dans cette dis- cussion. Le travail que nous avons analysé dans la der- nière séance était fait par un chimiste qui juge une question physiologique; il a pour but, en effet, de dé- cider s'il y a ou non une fonction pour produire le sucre. Celui-ci est fait par un physiologiste qui juge une question chimique, sur la possibilité de reconnaî- tre comment une matière albuminoïde peut masquer le sucre. Nous ne voulons pas. Messieurs, insister davantage sur ces tentatives impuissantes pour faire revivre une théorie qui a fait son temps. Nous reprenons notre sujet, un instant interrompu par ces réfutations qu'on nous avait demandées, et nous allons continuer à éta- blir, par des preuves d'une autre nature, cette nouvelle fonction du foie, en nous plaçant sur un terrain oii toutes ces objections, qui ne portent en définitive que sur la nature de l'alimentation, ne pourront plus nous atteindre. Nous nous mettrons donc maintenant complètement en dehors de l'alimentation, il n'y aura donc plus lieu de discuter si le sucre provient de là. SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 287 En effet, Messieurs, le sucre ne se fait pas aux dé- pens de l'aliment: il y a toujours entre la nourriture et le produit sécrété un intermédiaire inévitable, qui est le fluide sanguin. Quand nous vous avons dit que le sucre du foie se faisait aux dépens des matières albu- minoïdes, nous n'avons pas prétendu que ce fût aux dépens de celles qui, digérées dans l'intestin, arrivent directement au foie. C'est aux dépens des matières qui ont vécu, que se fait toute sécrétion, car pendant l'ab- stinence, la circulation continue dans le foie, et la production du sucre se fait comme à l'ordinaire, quoi- que un peu diminuée, et l'on en trouve toujours chez des animaux qui n'ont rien mangé depuis quatre, cinq, six jours et plus. Vous avez été témoins de ce fait chez des chiens à jeun depuis trois jours. Mais on pourrait faire, car l'expérience nous a montré qu'il fallait tout prévoir désormais, cette objection : que la présence du sucre, constatée après une abstinence plus ou moins prolongée, provenait de ce que le foie étant un organe condensateur, cette matière s'y localisait indéfiniment. Vous savez déjà que la matière sucrée est très-destruc- tible ; mais nous avons une preuve plus directe à vous donner et qui vous convaincra, c'est que, quand on empêche le sucre de se produire, on n'en trouve plus au bout de très-peu de temps. Voici deux chiens à jeun depuis deux jours. Nous avons coupé à l'un d'eux, il y a à peu près vingt heu- res, les deux nerfs pneumo-gastriques dans la région moyenne du cou. Vous voyez, contrairement à ce qu'on a dit souvent, que ce dernier animal n'a pas de ihon- 288 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES chus; sa respiration n'est pas gênée, elle se fait libre- ment, seulement elle est très-lente. Nous tuons les deux chiens par la section du bulbe rachidien, nous prenons sur l'un et sur l'autre du sang de la veine porte, en ayant soin, comme nous le faisons toujours, déplacer une hgature sur le tronc de ce vaisseau avant son en- trée dans le foie, pour empêcher le reflux du sang des veines hépatiques ; on prend un morceau du foie qu'on va faire cuire dans un peu d'eau, et nous examinerons dans un instant cette décoction, ainsi que le sang des \eines porte et hépatique. Remarquez, en passant, que l'estomac de ces deux animaux est complètement vide. Voici les poumons de celui qui a eu les pneumo-gastriques coupés; ils sont parfaitement sains et ne présentent pas de traces de pneumonie : cela tient à ce que l'animal est assez \ieux et à jeun; s'il eût été plus jeune, nous aurions trouvé probablement ces organes plus ou moins engorgés de sang, et hépatisés, comme on dit. Nous avons fait des expériences nombreuses touchant riufluence de la section des pneumo-gastriques sur le foie. Au bout de trois jours, le sucre avait toujours dis- paru complètement. Ce temps est, sans doute, trop considérable, mais nous ignorons la limite inférieure qu'il faut atteindre pour que le sucre se détruise entiè- rement. L'expérience que nous ferons devant vous ser- vira à l'établir, et nous en apprendrons ensemble le ré- sultat. Vous voyez ici deux animaux placés exactement dans les mêmes conditions, à peu près de même âge et de même taille, tous deux à jeun depuis le même mo- SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 289 ment, et ne différant qu'en ce que l'un d'eux a les pneumo-gastriques coupés. Chez ce dernier, la sécré- tion glycogénique a cessé, comme cessent toutes les fonctions d'un organe quand on a coupé les nerfs qui s'y rendent, mais le sucre antérieurement formé, et qui existait au moment de l'opération, a continué de se dé- truire, et si le temps a été suffisant, nous ne devons plus en trouver dans le tissu hépatique. Si nous en trouvons encore, vous verrez qu'il y en a beaucoup moins que chez l'autre chien, chez lequel, bien qu'il soit à jeun, la glyçogénic a continué de s'exercer. Ces deux animaux ne diffèrent donc qu'en ce que l'un fait toujours du sucre, tandis qu'il ne s'en produit plus du tout chez l'autre. Nous constaterons tout à l'heure ce que va nous don- ner cette expérience qui csl en train. En attendant qu'elle s'achève, et puisque l'occasion s'en présente à propos des discussions qui s'élèvent aulour de la fonc- tion glycogénique du foie, permettez-moi, Messieurs, de vous rappeler en quelques mots la manière dont on raisonne en physiologie comme dans toute autre science expérimentale, et combien le point de vue oii l'on est a d'influence sur les résultats obtenus. Nous vous avons déjà parlé, mais d'une manière abstraite et générale, des méthodes d'investigation ; mais il est bon d'éclaircir ces notions sur les exemples parti- culiers qui s'offrent à nous en ce moment. L'un de ces modes de raisonnement constitue ce qu'on nomme la méthode à priori. Dans cette méthode, on part d'une idée préconçue, sur la manière suivan( BERNARD. I. 19 290 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES laquelle doit s'opérer un certain ordre de phénomènes, puis on fait des expériences, non pas pour vérifier cette idée, mais pour la confirmer. Tout ce qu'on voit, tout ce qu'on observe, doit absolument rentrer dans la théo- rie, et l'on déclare au besoin impossibles et absurdes les faits qui la contredisent. Quelquefois même on niera ces faits, parce que dans la disposition d'esprit où l'on se trouve, on ne rechercha point à reproduire les con- ditions dans lesquelles ils se manifestent ; et quand ils ne se seront pas montrés, parce que Fexpérience qu'on aura tentée par une espèce de condescendance n'aura pas été faite comme elle aurait dû l'être, on sera heu- reux de n'avoir pas vu se produire le phénomène qui contrarie, et l'on déclarera qu'il n'existe pas. Tantôt cette idée à priori reposera sur un certain nombre de faits réels, tantôt sur des conceptions purement méta- physiques. La discussion à laquelle nous nous sommes livré dans la précédente séance nous a offert un exemple de cette double source des idées à priori dans l'étude d'un phé- nomène: car, d'une part, on a fait parler la nature, on lui a prêté ses répugnances et ses préventions; de l'au- tre, on s'est basé sur des faits bien constatés, correspon- dants à un état antérieur de la science qui a eu sa rai- son d'être à une certaine époque, et dans lequel on a voulu rester, sauf à inventer des explications étranges, et même à poser des assertions hasardées pour en faire des arguments contre des découvertes nouvelles. Quelquefois, l'idée à priori ^^i purement métaphysi- que, avons-nous dit, et c'est le cas le plus fatal, qui, SUR LA GLYCOGÉNIE AMMALE. 291 heureusement, disparaît de la science de plus en plus. En voici un exemple; il s'agit de la nature intelligente visant partout à l'unité dans ses créations. Uq physiologiste, recommandable à beaucoup d'é- gards, a voulu appuyer d priori cette ancienne idée : que dans l'acte de la digestion il doit y avoir unité de lieu et unité d'agent; que tout se passe dans l'estomac et par la puissance du suc gastrique. Dès lors toutes ses expériences partent de là, et depuis quinze ans il s'évertue à démontrer, sans tenir compte des travaux qui se produisent autour de lui, que la salive, que la bile, que les sucs pancréatiques et intestinaux ne ser- vent à rien; qu'il n'y a dans tout l'appareil digestif qu'un point, la région pylorique, oii se sécrète le suc gastrique, pour accomplir toutes les modifications que subissent les diverses sortes d'aliments avant d'être absorbées; que tous les autres organes glandulaires ne jouent qu'un rôle uniquement dépurateur. Et il lait des efforts inouïs de travail et d'imagination, il se crée des agitations qui ne mènent à rien, pour vouloir à toute force voir les choses comme il les conçoit, et non comme elles sont. On doit considérer les expérimentateurs qui veulent absolument confirmer une théorie préconçue par des expériences, comme des persécuteurs de la nature. En effet, ayant une théorie posée en avant dans laquelle ils ont foi; comme dans un axiome, ils veulent lui assu- jettir les faits ; ils tourmentent de toutes les manières les expériences de façon à leur faire dire ce qu'ils ont induit ou imaginé. Si l'expérimentation leur répond 292 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES autre chose, ils ne veulent pas l'entendre, ils n'y font pas attention, et s'obstinent, avec une opiniâtreté qui fait leur malheur, à multiplier les expériences sans ré- sultats positifs; ou bien, s'ils croient saisir quelques fails en rapport avec leurs idées, ils ne voient que ce détail du résultat, et en abandonnent souvent le côté le phis important. Rarement cette voie conduit à des dé- couvertes; et si les hommes qui l'emploient ont du talent, elle ne fait que créer des systèmes mensongers avec l'apparence de la vérité. Dans l'autre manière de raisonner, dite méthode à posteriori^ Tesprit, par des faits établis, les relie provi- soirement par une théorie qui ne lui sert qu'à le guider pour en découvrir de nouveaux; cette théorie qu'il mo- difie à chaque pas, il l'abandonne sans regret dès ([u'elle ne lui suffit plus. Les lois qu'il établit viennent après les phénomènes constatés, les raisonnements après l'expérience. Dans ces conditions, l'observateur jouit d'une quiétude qu'il ne saurait avoir quand il tient plus à ces conceptions qu'à ses observations. Cette quiétude ne saurait l'abandonner dans les objections que les théoriciens leur suscitent. Car des faits qu'il a vus, et quij dans de telles dispositions, ne peuvent jamais le contrarier, il a tiré les conclusions les plus simples et donné les explications les plus naturelles. L'imagination, Messieurs, doit savoir se borner, en pliysiologie, à instituer un bon mode d'expérimenta- tion, et non pas à inventer des théories qui, quelque artistement conçues qu'elles puissent être, ne sauraient jamais avoir la valeur d'un fait bien établi. Ceux qui SLR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 293 ne veulent pas se contenter de ce rôle, devraient faire toute autre chose que de la physiologie, car ils lui nuisent plus qu'ils ne la servent. Nous suivons, Messieurs, cette marche dite à poste- riori ; nous interrogeons la nature, mais nous ne la tourmentons pas, nous ne la violentons pas. Sans au- cun doute, il faut d'abord poser la question ; il faut, si l'on veut, que nous ayons une idée préconçue ou à priori quelconque pour instituer une expérience : mais quand Texpérience est une fois bien instituée, nous écoutons avec soin la réponse; nous cherchons à bien la comprendre, qu'elle soit favorable ou non à notre idée primitive. Nous nous laissons conduire, en un mot, par les résultats qui surgissent de l'expérimentation, et nous ne prétendons pas régenter et conduire l'expé- rience. Cette méthode d'investigation est féconde en découvertes, et nous pourrions vous prouver que c'est à elle que nous devons celles que nous avons eu le bonheur de faire en physiologie. Après cette digression. Messieurs, arrivons à consta- ter les résultats de l'expérience que nous avons com- mencée. Voici d'abord le liquide provenant de la décoction du sang de la veine porte de l'animal qui était simple- ment à jeun et auquel nous n'avions pas coupé les pneumo-gastriques. Nous ne devons avoir aucune ré- duction du sel de cuivre, et c'est ce qui a lieu en efPet. Le liquide provenant du sang des veines hépatiques réduit, au contraire, comme vous le voyez, très-abon- ilamnent notre réactif. 294 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES Et il en est de même du liquide provenant de la dé- coction du tissu du foie, dont le précipité est encore plus abondant que le précédent. Prenons maintenant l'animal qui était à jeun comme le premier, et qui avait, de plus, les nerfs pneumo- gastriques joupés. Dans le liquide de la veine porte, pas de traces de réduction. Dans le liquide des veines hépatiques, pas davantage. Dans le tissu du foie, nous voyons une réduction, mais très-faible, comparativement à l'autre, carie li- quide reste presque complètement bleu, tandis qu'il est, dans le cas précédent, tout à fait décoloré. Gela nous prouve qu'il n'y a pas encore assez longtemps que l'expérience a été commencée, mais dans quelques heures la disparition du sucre eût été complète, et l'on n'en eût pas trouvé de traces. Dans le foie du chien laissé simplement à jeun, qui n'a pas eu les vagues coupés, vous voyez qu'il y en a des quantités beaucoup plus grandes, ainsi que dans le sang des veines hépa- tiques et dans le tissu du foie. Nous voyons donc que la formation du sucre, comme toutes les autres sécrétions, comme la sécrétion de la saHve, des larmes, de l'urine, des sucs gastrique, bi- liaire, pancréatique, etc., est soumise au système ner- veux, et qu'elle est complètement indépendante de l'a- limentation. Si l'on arrête la formation du sucre, en soustrayant l'organe sécréteur à l'action excitatrice des centres nerveux, la destruction seule continuant, tout ce qui s'était produit antérieurement ne tardera pas à SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 295 disparaître, et au bout d'un certain temps ou n en trouvera plus la moindre trace dans l'organisme. Il y a plus, nous aurions pu, jusqu'au moment de sa mort, nourrir avec des matières féculentes et sucrées l'animal auquel nous avons coupé les pneumo-gas- triques, et nous n'aurions pas trouvé davantage de sucre dans son foie ni dans le sang des veines hé- patiques. Ce n'est donc pas aux dépens du sucre de l'aliment, mais aux dépens du sang lui-même que se forme le sucre, ainsi que tous les produits divers de l'organisme; et ces productions sont sous la dépendance immédiate du système nerveux, dont nous étudierons le rôle dans la prochaine séance. QUINZIEME LEÇON 13 FÉVRIER 1855. SOMMAIRE : Influence du système nerveux sur la sécrétion du foie. — 1° Exagération de celtr; sécrélion par piqûre de la moelle allongée. — Ins- trument employé; procédé opératoire. — De rélimination du sucre par les diverses sécrétions. — Élimination par les reins, par la muqueuse sto- macale. — Le sucre ne passe pas dans la salive. — Expériences chez les diabétiques. — Spécialité des différentes substances au point de vue de leur passage dans diverses sécrétions, — Sucre. — Cyanure jaune de po- tassium de fer. — lodure de potassium. — Passage du sucre dans l'esto- mac des diabétiques. — Limite de la quaniité de sucre que peut contenir le sang sans passer dans l'urine. — Résultat d'une expérience sur la piqûre de la moelle allongée chez un lapin. Messieurs, Nous avons examiné jusqu'ici l'influence qu'avaient sur la fonction glycogénique du foie les conditions di- verses dépendant de l'alimentation et de la circulation. Mais vous avez vu, dans la dernière séance, comment la section des nerfs pneumo-gastriques amenait la dis- parition du sucre dans l'organe hépatique, parce qu'on empêchait ainsi la production d'avoir lieu. Nous avons à poursuivre aujourd'hui l'action du système nerveux sur cette fonction. 11 vous est bien démontré actuellement que le foie est un organe sécréteur du sucre; comme toutes les autres glandes, il est dès lors soumis à l'influence du système nerveux, par l'intermédiaire duquel on peut DIABÈTE ARTIFICIEL. 297 augmenter, diminuer, ou même anéantir complètement sa sécrétion sucrée. Et ce qu'il y a de remarquable, c'est que ce n'est pas seulement au point de vue de l'in- tensité fonctionnelle que nous pouvons agir sur le foie, pour lui faire produire plus ou moins de glucose, mais nous pouvons aussi modifier la qualité de la sécrétion, nous pouvons la pervertir et la modifier profondément, de façon qu'il se produise une matière qui ne sera pas du sucre, mais qui pourra se transformer en cette sub- stance, quand le foie aura été soustrait aux influences nerveuses. Ce dernier fait, jusqu'alors inconnu, est destiné, je crois, à jeter un jour tout nouveau sur les actions chimiques qui se passent d'abord dans le foie et même dans tout l'organisme, et sur l'espèce d'action que le système nerveux exerce sur ces phénomènes. Nous avons donc à examiner successivement trois genres d'influence du système nerveux : 1° exagération ; T diminution ou anéantissement; 3° modification de la matière sucrée sécrétée par le foie. L'augmentation de la production du sucre dans l'or- ganisme de façon à produire un diabète artificiel, peut s'opérer en agissant sur les centres nerveux ou sui* les filets qui en émanent, au moyen d'excitations mécani- ques ou galvaniques. Nous allons commencer par examiner l'expérience qui frappa le plus vivement l'esprit des physiologistes, lorsque je la publiai il y a quelques années. Cette expé- rience consiste en ceci : Si l'on pique un certain point de la moelle allongée d'un animal, Carnivore ou herbi- vore, le sucre, après un certain temps, se répand dans 298 DIABÈTE ARTIFICIEL. l'organisme en si grande abondance, qu'il en apparaît dans les urines. Voici l'instrument dont nous nous servons pour pra- tiquer cette piqûre (Fig. 14). Il se compose, comme vous le voyez,, d'une tige aplatie par une de ses extrémités, amincie et A tranchante comme un petit ciseau. Au milieu de la lame et dans l'axe de l'instrument, la tige se prolonge par une petite pointe très- aiguë, longue de 1 millimètre environ. Vous comprendrez l'usage de cet instrument, quand je vous aurai indiqué le point où il faut le porter. Ce point se trouve sur la moelle allon- gée, au milieu de l'intervalle compris entre les racines des nerfs acoustiques, b, h (Fig. 15) et celles des nerfs pneumo-gastriques. Maintenant nous considérerons la moelle allongée comme formée de trois couches : l'une postérieure, une seconde moyenne, et une troisième antérieure. La couche postérieure est en rapport avec les phénomènes de la sensibilité, et sa section ne produit que des troubles de sensibilité au moment où on la traverse. La couche anté- rieure en rapport avec les phénomènes de mouvement, n'a aucune espèce d'action sur le foie, mais sa lésion produit des convulsions et des mouvements désordonné squi viendraient com- pliquer l'expérience. Il faut donc éviter de couper celte dernière partie de la moelle allongée. C'est pour Fig. 14, DIABÈTE ARTIFICIEL. 299 cela que l'instrument est terminé par une pointe très- fme, qui ne peut pas causer de lésions graves dans les parties qu'elle traverse. Quant à la couche moyenne, elle est composée par le faisceau innominé du bulbe et les corps olivaires; c'est cette partie dont la lésion pro- duit plus spécialement l'apparition du suore, et qu'on a pour but d'atteindre. Cet espace peut être limité en haut par une ligne transversale qui unit les deux tu- bercules de Wenzel b, b, et en bas par une autre ligne qui va d'une origine d'un pneumo-gastrique à l'autre. Fig. 15. On voit le quatrième ventricule chez un lapin ; le cerveletaé'é divisé, et ses deux lobes a, a, sont déjetés sur les côtes. «, o, lobes du cervelet ;^,6, tubercules de Wenzel ou ori- gine des nerfs acoustiques. — c,c, plancher du quatrième ven- tricule. — c?, bec du calamus scriptorius. — e, origine du nerf pneumo-gastrique. V\^. La blessure peut aussi quelquefois porter plus haut ou latéralement, et produire l'apparition du sucre; mais le point que j'ai limité précédemment m'a paru celui où le phénomène s'opère avec le plus d'intensité. Du reste, nous donnerons plus tard l'explication du mode singulier d'action de ces lésions sur l'apparition du sucre dans les urines. Mais constatons d'abord les phé- nomènes. Vous allez voir comment j'opère. Voici unlapintrès- 300 DIABÈTE ARTIFICIEL. \igoureux : c'est l'animal qui se prête le mieux à cette expérience. Je saisis fortement la tête de la main gauche pendant qu'un aide tient solidement les quatre pattes, pour empêcher l'animal de faire aucun mouvement; puis, en passant la main sur le crâne d'avant en arrière, je sens une tubérosité d qui correspond à la bosse occi- pitale supérieure en e. Aussitôt en arrière, je plante l'instrument dont la pointe entre dans le tissu spongieux de l'os. Je presse d'une manière continue, en faisant exécuter de légers mouvements de latéralité pour faire enfoncer les parties tranchantes; je pénètre dans la cavité du crâne, et dès que j'y suis parvenu, je dirige l'instrument obliquement de haut en bas et d'arrière en avant, de façon à lui faire croiser une ligne qui s'éten- drait d'un conduit auricu- laire à l'autre. Pendant cette opération, le moindre mou- vement de l'animal pourrait faire varier l'instrument et produire des dilacérations graves qui amèneraient la mort ou des désordres con- sidérables. C'est pourquoi il faut surtout avoir la pré- caution de maintenir très-solidement la tête de la main gauche, au moment oii l'on pénètre dans la moelle allongée. Je pousse ainsi jusqu'à ce que j'atteigne l'os basilaire avec la pointe de l'instrument /(Fig. 1 7) , puis je le retire avec précaution. Dans cette opération, j'ai percé succes- sivement le crâne, le cervelet, les couches postérieure DIABÈTE ARTIFICIEL. 301 et moyenne de la moelle allongée. Mais la partie large et tranchante n'aura pas lésé d'une manière sensible la couche antérieure de la moelle, qui aura seulement été traversée par la pointe de l'instrument, ce qui n'y pro- duit aucun désordre grave. Vous comprenez maintenant la raison de la présence de cette pointe. Fig. 17. Coujje d'une tête de lapin pour voir la marche de l'instrument à piqûre. «, cervelet. — 6, origine du nerf de la septièmepaire. — e, moelle t^plnière. — <;/, origine du pneumo-gastrique. -— e, trou d'entrée de l'instrument dans le crâne. — /, instrument. — g, nerf de la cinquième paire. — A, conduit auditif, r-2", extrémité de Finstrument arrivant sur la moelle après avoir tra- versé le cervelet. — A-, sinus veineux occipital. — /, tubercules quadnjumaux. — w, cerveau. — ;?, coupe de Faila.s. L'animal qui vient de subir cette expéiience ne pa- rait pas, comme vous le voyez, en avoir beaucoup souf- 302 DIABÈTE ARTIFICIEL. fert, il ne trébuche pas, il se tient bien sur ses pattes, ce qui n'aurait pas lieu s'il avait été piqué à droite ou à gauche. Si la lésion n'avait pas porté exactement sut- la ligne moyenne du plancher du quatrième ventricule, et si nous avions touché un des pédoncules du cervelet, l'animal eût tourné dans un sens ou dans l'autre ; il aurait pu y avoir des convulsions ou des désordres de mouvement, mais cela n'eût pas empêché l'apparition du sucre qui en est indépendante. Cependant ce lapin semble être un peu étonné sur le moment, mais il se remettra assez rapidement; seulement nous l'avons rendu actuellement diabétique; et dans une heure ou deux, peut-être même à la fin de cette leçon, nous pourrons déjà constater la présence du sucre dans ses urines; et, pour être bien sûr qu'il n'en existait pas avant l'expérience, nous vidons sa vessie. L'urine est trouble, mais elle ne réduit pas le tartrate cupro- potassique, ainsi que vous le voyez; elle ne donne pas lieu non plus à la fermentation. La première question qui se présente, c'est de sa- voir par quel mécanisme s'opère cette apparition du sucre dans les urines, chez des animaux dont on a pi- qué, ainsi que nous venons de le faire, un point très- limité de la moelle allongée. Pour passer du foie dans le rein, le sucre ne suit pas ici des voies mystérieuses, mais la piqûre que nous ve- nons de faire en ce point du système nerveux central exerce son action sur la sécrétion glycogénique. Cette IrritaHon retentit sur le foie, et dès lors la quantité de sucre augmente dans l'organisme, le sang en est alors DIABÈTE ARTIFICIEL. 30:] saturé, et le laisse passer dans les urines. Le rein agit ici simplement comme éliminateur. Mais il y a ici une question qui se présente, et qui se rattache trop directement à l'histoire du diabète, pour que nous ne l'examinions pas avec soin : c'est de savoir si les reins seuls ont la propriété d'excréter du sucre, et si cette substance ne peut pas passer dans d'autres sé- crétions. Nous avons fait à ce sujet un grand nombre d'expériences, et nous avons trouvé qu'il y a une es- pèce d'élection dans l'excrétion des matières qui sortent de l'organisme, et que toutes ne sont pas susceptibles de s'échapper par les mêmes voies éliminatoires. Nous avons d'abord recherché comment se compor- tait le sucre, et nous avons vu qu'il y a certaines sé- crétions par lesquelles il ne passe jamais. Cette substance, en effet, quand elle existe en grande quantité dans l'économie, n'a que deux voix élimina- toires, qui sont les reins, d'une part, et la muqueuse stomacale de l'autre. Quand on injecte du sucre dans le sang d'un animal, de manière à l'en saturer et à le mettre momentanément dans l'état où se trouvent les individus diabétiques, on n'en trouve ni dans la salive, ni dans les larmes, ni dans le suc pancréatique, ni dans la bile, ni dans la sueur, tandis que les urines et le suc gastrique en décèlent des proportions plus ou moins notables. Les expériences sur l'animal pris en état de santé donnent des résultats complètement semblables à ceux qu'on observe chez les malades. Ainsi, dans le service de M. Rayer, nous avons eu fréquemment l'occasion d'examiner la salive des dia- 304 DIABÈTE ARTIFICIEL. béliques, jamais uous n'y avons trouvé la moindre trace de matière sucrée. Nous faisions d'abord rincer la bouche des malades avec de l'eau pure, et on leur donnait à mâcher quehjue sialagogue, comme la racine de jjyrèthre, par exemple, pour activer la sécrétion qui, recueilHe de cette manière, n'a pas été sucrée dans six observations que nous avons faites. On a dit quelquefois que les diabétiques avaient un goût sucré dans la bouche, et l'on a pensé que cela pouvait provenir de la sécrétion salivaire. Quoique le fait soit exact, cependant, il ne tient pas à la cause à laquelle on Ta rapporté. Cela ne doit être qu'un phé- nomène de môme nature que ceux que M. Magendie a observés en injectant dans le sang des chiens des soki- tions amères. Il a vu aussitôt après l'opération les ani- maux manifester les mêmes signes de dégoût que si la substance eut été mise directement sur la muqueuse buccale; et, de même, si l'on injecte du bouillon dans les veines d'un chien, on le voit aussitôt se lécher les lèvres avec une sensation agréable. 11 y a lieu de croire que dans ce cas, comme dans celui des diabétiques, la substance qui se trouve dans le sang en assez grande quantité arrive avec lu idans les capillaires, et agit alors sur les extrémités nerveuses comme si elle venait d'être absorbée au contact de la muqueuse linguale. Lehmann dit avoir trouvé du suci'e dans la salive du diabétique. Il serait intéressant de savoii* si les diabétiques qui ont du sucre dans la salive sont piécisément ceux qui ac- cusent une sensation sucrée dans la bouche. On a encore signalé la présence du sucre dans les DIABÈTE ARTIFICIEL. 303 crachats des diabétiques. Nous admettons qu'il peut y avoir du sucre en quantité notable dans les crachats. Mais il ne faut pas confondre les mucosités bronchi- ques que les malades, pi'esque toujours phthisiques dans la dernière période de l'afPection, expulsent en abondance, avec la sécrétion salivaire proprement dite. Ce sont en effet ces mucosités formées dans le poumon qui contiennent la matière sucrée. Toutefois le fait ne serait pas constant, car M. Rayer a rapporté à la Société de biologie un cas dans lequel les crachats d'un phthisique diabétique, examinés par M. Wurtz, ne contenaient pas de sucre. Il y a donc encore là, Messieurs, un rapprochement à établir entre les phénomènes de la maladie et les faits physiologiques, et comme ces particularités sont intéressantes, nous allons faire devant vous une expé- rience pour vous montrer que le sucre ne peut pas s'éli- miner par toutes les voies de sécrétion par où passent cependant d'autres substances telles que l'iodure de po- tassium, par exemple. Voici un chien sur lequel nous avons mis à nu le conduit parotidien dans lequel nous avons introduit un tube d'argent. Remarquez qu'il ne coule rien par ce tube, ce qui prouve que la sécrétion n'est pas con- tinue et que l'assertion dont on nous faisait un argu- ment que nous avons relevé dans l'avant-dernière leçon est complètement erronée. Comme nous avons besoin de prendre cette salive avant l'injection, vous allez voir qu'elle va couler en abondance quand nous allons por- ter une excitation sur la muqueuse buccale en y versant BERNARD. I. 20 300 DIABÈTE ARTIFICIEL. du vinaigre, ainsi que nous le faisons en ce moment. Vous voyez maintenant de grosses gouttes se succéder avec rapidité à l'extrémité du tube; nous les recueillons pour constater tout à l'heure qu'elle ne contient au- cune des substances que nous allons injecter et faire passer dans le sang. Je découvre maintenant la veine jugulaire de l'ani- mal, et je lui injecte une dissolution contenant 4 gram- mes de sucre, 0^%50 de prussiate de potasse et Os',50 d'iodure de potassium. Nous excitons de nouveau, et immédiatement après cette injection, la sécrétion salivaire en mettant du vi- naigre dans la gueule de l'animal. Le liquide s'écoule parfaitement pur, ce qui n'aurait pas lieu si, au lieu de mettre un tube dans le conduit parotidien, nous nous étions contenté de dénuder ce conduit et de le laisser prendre en dehors. Nous recueillons la salive dans trois verres pour y rechercher successivement les trois sub- stances que nous avons injectées. Nous ajoutons dans l'une de ces portions le réactif cupro-potassique, nous faisons chauffer. Vous voyez qu'il n'y a pas trace de réduction, et cependant, si nous faisons tomber dans ce mélange une goutte de la so- lution que nous avons injectée, la coloration du liquide apparaît aussitôt. Le sucre n'a donc pas passé dans la salive. Si nous prenons la seconde portion et que nous y ajoutions du persulfate de fer, qui est lui-même acide, ou un persel de fer quelconque, mais alors en ayant soin d'acidifier le mélange avec de l'acide acétique^ vous DIABÈTE ARTIFICIEL. 307 voyez encore qu'aucune modification ne s'y produit, tandis que, s'il y eût du prussiate jaune, on eût vu appa- raître la coloration caractéristique du bleu de Prusse qui se manifeste dans ce ^lême liquide dès que nous y versons une goutte de notre injection contenant du prussiate jaune : donc cette dernière substance n'a pas passé non plus dans la salive. Si maintenant nous prenons la troisième portion du liquide recueilli et que nous y ajoutions de l'empois d'amidon, vous voyez la coloration bleue y déceler l'exis- tence de l'iode, quand nous y avons ajouté quelques gouttes d'acide sulfuj'ique pour mettre l'iode en liberté. L'iodure de potassium passe donc immédiatement dans la salive, tandis que le prussiate de potasse et le glu- cose, soluble comme lui, ne s'y rencontrent pas. Vous voyez donc qu'il y a des points d'élection pour l'éli- mination des diverses substances qu'on introduit dans l'organisme. D'ailleurs ce n'est pas une question de temps; car, puisque l'iodure a bien pu arriver déjà dans les artères parotidiennes, le sucre devrait aussi s'y rencontrer : or, quelle que soit l'époque à laquelle on prenne la salive après l'injeclion, jamais on ne ren- contrera de sucre dans cette sécrétion. Dans la salive que nous avons extraite avant l'in- jection, aucune des substances n'existait, comme nous pouvons nous en convaincre en l'essayant de la même manière. Voici les urines du même animal qu'on vient de re- cueillir; nous les soumettons aux mêmes réactifs, qui nous y indiquent la présence du prussiate en quantités 30.S DIABÈTE ARTIFICIEL. considérables ; l'iodure de potassium ne s'y trouve qu'en petite proportion; quant au sucre, il n'y en a pas en- core, mais nous en trouverons dans un instant. L'urine élimine donc toutes ces substances, mais d'une manière plus ou moins rapide. Le prussiate de potasse y apparaît d'abord, et le glucose en dernier lieu. Une autre sécrétion, dans laquelle on peut constater dans certains cas la présence du sucre, c'est le suc gas- trique. Le passage du sucre dans l'estomac a surpris beaucoup d'observateurs qui avaient vu, déjà depuis bien longtemps, que, lorsque les diabétiques venaient à vomir, bien qu'ils n'eussent mangé que de la viande, tes matières vomies étaient sucrées. On avait pensé, dans l'idée où l'on était que le diabète provenait d'une perversion des fonctions digestives, que la viande était changée en sucre dans l'estomac. Mais il ne faut pas s'y tromper, la viande n'est sucrée que parce que le suc gastrique lui-même est sucré. J'ai eu moi-même occasion d'observer des diabétiques qui vomissaient à jeun, et dans les matières vomies de qui on pouvait constater la présence du sucre. Mais cela n'a lieu que quand la maladie est à son summum d'intensité; et dans tous les cas, même chez les animaux que l'on rend artificiellement diabétiques, il est bien plus diffi- cile d'obtenir le passage du glucose dans le suc gastri- que que dans les urines. Il est rare en particulier de rencontrer ce phénomène chez le chien. Le suc gastrique peut aussi entraîner d'auti-es sub- stances. Si l'on fait manger à un animal des aliments DIABÈTE ARTIFICIEL. 309 contenant un sel de fer, et qu'on injecte ensuite dans ses veines du prussiate jaune de potasse, on trouve le contenu de son estomac coloré en bleu ; ce qui prouve que cette substance a passé pour venir former du bleu de Prusse, avec la matière ferrugineuse. Si, chez l'animal sur lequel nous avons fait l'injec- tion précédente, nous recherchions les subst'ances in- jectées dans la bile, nousy trouverions de l'iodure et du prussiate, mais pas de sucre. Dans la sécrétion pancréatique, nous n'aurions pu constater que le passage de l'iodure ; quant au prussiate jaune et au sucre, nous n'en aurions rencontré aucune trace. Ainsi les mêmes matières solubles ne sortent pas par toutes les sécrétions. Il y a même, à ce sujet, un fait très-curieux : c est que des substances qui ne sont pas éliminées par une sécrétion peuvent l'être, si on les combine avec une substance qui passe très-facilement dans cette même sécrétion. Le fer, par exemple, h l'état de lactate, ne passe jamais dans la salive, tandis que l'iode est très-facilement entraîné, ainsi que nous l'avons vu tout à l'heure. Mais si nous combinons l'iode avec le fer, cette dernière substance pourra alors pas- ser dans la sécrétion salivaire sous forme d'iodure. Vous voyez donc encore ici combien il importe de dé- terminer exactement les conditions d'une expérience, et combien il faut se garder de généraliser trop vite, quand on n'a observé qu'un petit nombre de cas. Cela vous prouve une fois de plus combien un problème physiologique est complexe, et quelle circonspection il 310 DIABETE ARTIFICIEL. faut garder dans les conclusions qu'on peut tirer de faits isolés. Tout ce que nous venons de dire, relativement au passage des substances par telles ou telles sécrélions, ne peut pas être considéré comme une propriété abso- lue. En physiologie, il n'en est jamais ainsi; ce sont plutôt des limites de sensibilité d'organes pour telles ou telles substances, qui, néanmoins, doivent être prises en grande considération, parce que c'est dans ces limites que les phénomènes s'accomplissent. Nous voyons, en résumé, que le rein est l'organe le plus sen- sible pour l'excrétion du glucose, c'est-à-dire que c'est dans cette excrétion qu'on le trouve d'abord avant qu'il ait apparu ailleurs; mais il faut, d'après Lehmann, au moins que le sang en contienne 0, 3 pour 100, et tant qu'il n'y aura pas celte proportion, il n'en passera pas dans les urines. Quand on voudra rendre un animal diabétique, il faudra encore avoir le soin de le prendre en pleine di- gestion, c'est-à-dire quand la quantité de sucre qui existe dans l'organisme est le plus grande possible, et il suffit alors qu'elle soit légèrement augmentée pour que les symptômes glycosuriques se produisent. Ce sont les conditions dans lesquelles nous avons opéré l'expé- rience tentée sur ce lapin ; nous allons voir dans un instant si elle a réussi. A la rigueur, si le sang pouvait être saturé de sucre comme un sirop, il serait peut-être possible d'en trou- ver ailleurs que dans la vessie et dans l'estomac. C'est ainsi que sur un chien vigoureux nous avons fait Fin- DIABÈTE ARTIFICIEL. 311 jection dans l'artère carotide primitive d'une solution concentrée de sucre et de prussiate de potasse, de telle façon qiîe le sang, qui est arrivé à ce moment à la glande salivaire, était chargé d'une quantité de ces sub- stances telle, qu'il avait réellement perdu ses proprié- tés, et, si cela eût été général, l'animal serait mort. Dans ce cas seulement on a vu passer dans la salive un peu de ces deux substances injectées ; mais ce n'était plus là qu'un simple phénomène exceptionnel. Si le rein est l'organe le plus sensible pour le sucre, il ne l'est pas pour l'iodure de potassium, qui apparaît plus rapidement dans la salive que partout ailleurs, de sorte que cette substance est éliminée par la salive avant de l'être par tout autre organe. Cette sensibilité de la glande salivaire produit un phénomène très-intéressant au point de vue pathologique, et que je veux vous si- gnaler en passant. Lorsqu'on injecte directement une certaine quantité d'iodure de potassium dans le sang, ou qu'on l'ingère parl'estomacpour qu'il entre alorspar voie d'absorption, on observe bientôt le passage de cette substance dans la salive et dans l'urine. Mais, dès le lendemain, cette dernière sécrétion n'en offre plus de traces, et l'on pourrait croire qu'alors il n'en existe plus dans l'orga- nisme. On se tromperait évidemment, car il y en a en- core dans le sang une certaine quantité trop faible pour passer dans l'urine, mais pouvant cependant se manifester dans la sécrétion des glandes salivaires où on la constate toujours. Il résulte de ce mécanisme que l'iodure de potassium peut séjourner dans l'organisme 312 DIABÈTE ARTIFICIEL. pendant très-longtemps après l'ingestion de cette sub- stance. En effet, les glandes salivaires, rapportant cette substance dans le canal intestinal, font qu'elle se trouve incessamment soumise à une nouvelle absorption qui la ramène toujours au même point et qui la fait circuler ainsi presque indéfiniment entre l'estomac et les glan- des salivaires. C'est ainsi que nous en avons constaté dans ces organes au moins trois semaines après que les urines n^en présentaient pi us la moindre trace. Les éva- cuations alvines peuvent seules finir par emporter ces restes d'iodure de potassium , et un purgatif a pour effet d'en faire rapidement disparaître toute trace. C'en est assez. Messieurs, nous avons fait cette digres- sion sur ces substances, parce que, comme le symptôme caractéristique du diabète est une excrétion de matière sucrée, nous avons voulu, par des exemples pris en dehors de la fonction qui nous occupe, vous donner quelques idées sur son mécanisme. Il y a là, comme vous voyez, une foule de questions intéressantes, mais nous ne pouvons pas aller plus loin sans sortir de notre sujet, et nous revenons à notre expérience faite sur le lapin dont nous avons piqué la moelle allongée au commencement delà séance. Vous voyez que cet animal s'est bien rétabli de l'o- pération que nous lui avons faite il y a trois quarts d'heure, et qu'il ne paraît pas en souffrir. Nous allons prendre ses urines, et nous y constaterons la présence du sucre, si le temps a été assez considérable pour qu'il apparaisse dans cette excrétion ; car nous vous avons dit qu'il faut souvent attendre une heure ou deux pour DIABÈTE ARTIFICIEL. ' 313 que ce phénomène se soit manifesté et pour que l'ani- mal soit devenu nettement diabétique. Voici les urines; nous y ajoutons du tartrate cupro- potassique, nous chauffons, et vous voyez une réduc- tion abondante qui vous indique que le sucre y a déjà passé. Si nous mélangions avec de la levure de bière dans un appareil à fermentation, on verrait la produc- tion d'acide carbonique et d'alcool nous en donner une preuve encore plus positive. Quant aux urines que nous avons extraites avant l'opération, elles ne présentent ni l'une ni Tautre de ces réactions caractéristiques. Vous avez donc vu. Messieurs, se produire sous vos yeux, par une simple lésion de la moelle allongée, le phénomène du diabète. Par quel mécanisme physiolo- gique ce phénomène s'est-il produit? C'est ce que nous aurons à vous expliquer dans la prochaine séance. SEIZIEME LEÇON 17 FÉVRIER 1855. SOMMAIRE : Présence du sucre dans le liquide céphalo-rachidien. — Remar- ques à ce sujet. — Diabète traumatique. — Présence du sucre dans les sérosités chez les diabétiques. — Passage du sucre dans la lymphe. — Conditions dans lesquelles ce passage s'effectue. — Chyle sucré du canal thoracique provenant du foie. — Du mécanisme de l'action nerveuse sur la production du sucre. — Idées qui ont guidé dans la découverte des faits indiqués. — Expérience. Messieurs, Indépendamment de l'urine dans laquelle se rencon- tre toujours le sucre chez les diabétiques, et du suc gas- trique oii l'on peut le trouver quelquefois, il y a d'au- tres liquides normaux ou anormaux qui en présentent des quantités plus ou moins considérables : ce sont le liquide céphalo-rachidien et les sérosités. Vous savez qu'il existe dans la cavité du crâne et de la moelle épinière, dans l'espace sous-arachnoïdien, un liquide qui entoure les centres nerveux, et dont M. Ma- gendie a fait connaître l'histoire anatomique et physio- logique (1). Ce liquide, qui n'est pas une sérosité, comme je vous le démontrerai tout à l'heure, est con- stamment sucré, soit pendant la digestion, soit dans l'in- tervalle de deux repas, soit même au bout de plusieurs jours d'abstinence. Ce sucre du fluide céphalo-rachi- (1) Recherches phijsiologiques et cliniques sur le liquide céphalo-rachidien ou cérébro-spinal. Paris, 18i"2, in-4'', et atlas. DIABÈTE TRâUMATIQUE. 31d dien vient du foie, et toutes les causes qui augmentent ou diminuent ]a sécrétion glycogénique de cet organe, augmentent ou diminuent dans le même rapport la quantité de sucre contenue normalement dans ce li- quide. La section des pneumo -gastriques le fait dispa- raître là comme partout ailleurs, tandis que la piqûre telle que nous l'avons pratiquée devant vous dans la dernière séance en exagère la quantité. Ceci me conduit à vous parler d'une observation in- téressante qu'on a communiquée il y a déjà quelque temps à l'Académie de médecine. Vous savez qu'il arrive assez souvent que, par l'effet de chute sur la tête, il y a fracture du rocher et des os du crâne, et qu'à la suite de ces fractures il se pro- duit quelquefois un écoulement plus ou moins abon- dant d'un liquide limpide. J'ai vu moi-même un cas où le malade en a rendu en deux jours plusieurs litres. On avait cru pendant longtemps que ce liquide était de la sérosité; on supposait qu'il se faisait là un épan- chement de sang, et que c'était le sérum du sang qui s'échappait par une rupture de la dure-mère adhé- rente au rocher, tandis que les globules et la fibrine restaient en caillot dans l'intérieur de la cavité crâ- nienne. Cela pourrait en effet avoir heu, mais il serait facile alors de reconnaître si le liquide qui s'écoule est bien du sérum ; car il coagulera fortement par la cha- leur et l'acide nitrique, ce qui n'arrive pas pour le li- quide céphalo-rachidien, et ce caractère le distinguo des sérosités proprement dites, qui contiennent toujours de l'albumine. 316 DIABÈTE TRâUMâTIQUE. Quoi qu'il en soit, on avait fait, dans l'observation dont je parle, l'examen chimique du liquide qui s'était écoulé d'une fracture du rocher, et l'on y avait trouvé du sucre. Le chimiste qui avait analysé le liquide en avait conclu que le malade chez lequel on l'avait re- cueilli deux ou trois jours après l'accident était devenu diabétique, c'est-à-dire que la chute avait opéré une lé- sion de la moelle allongée, et que cette lésion avait pro- duit le même effet que nous obtenons en piquant un animal dans ce point. 11 y aurait eu ainsi diabète trau- matique; ce cas est possible et a déjà été observé plus d'une fois. Dans le service de M. Rayer était entrée une malade qui, disait-elle, était devenue diabétique après une chute sur la nuque; mais on pouvait croire que la malade était peut-être, sans s'en douter, déjà diabétique auparavant, et que l'affection n'avait été qu'augmentée par l'accident. Mais ce fait n'est pas resté isolé. On a publié dans plusieurs journaux l'observation d'un carrier devenu diabétique, à la suite d'une chute, qui avait cessé de l'être quand il fut guéri de la plaie de tête. Nous produirons également devant vous des diabètes, artificiels produits par ce mécanisme au moyen de com- motions ; par un choc porté sur la tête, il y a reten- tissement dans la moelle allongée, et même épanche- ment dans cette région. M. Fano, dans un Mémoire sur la commotion , a signalé des lésions dans la région de la m_oelle allongée, voisine du point que nous piquons. Des chutes sur la tête peuvent donc déterminer des lésions dans les centres nerveux, et déterminer le dia- DIABÈTE ARTIFICIEL. 317 bète. Mais, cependant, il faut savoir aussi, et c'est ce que ne paraissait pas connaître le chimiste qui a fait l'a- nalyse en question, qu'à l'état normal le liquide cé- phalo-rachidien contient toujours du sucre, desorte que, lorsqu'on constate la présence de cette substance dans la sérosité qui s'échappe par une fracture du crâne à la suite d'un accident, on n'est pas fondé à en conclure que l'individu est diabétique, si l'on n'a pas examiné les uri- nes. Ainsi, dans l'observation en question, je ne sache pas qu'on ait parlé des urines. Nous allons, du reste, vous montrera l'instant même que le liquide céphalo-rachidien réduit toujours le réatif cupro-potassique à la manière du liquide sucré. Voici le lapin que nous avons piqué dans la dernière séance, et qui avait cessé dès le lendemain d'être diabé- tique. Ses urines ne contiennent pas de sucre, elles ont repris leur couleur et leur densité normales, et ne ré- duisent pas, comme vous le voyez, le tartrate cupro-po- tassique. La piqûre que nous lui avons faite n'a donc produit qu'une glycosurie temporaire, et quand l'opé- ration est bien faite, elle n'a aucune gravité. Pour extraire du liquide céphalo-rachidien chez cet animal, nous lui faisons une plaie derrière la nuque, nous arrivons à l'espace occipito-atloïdien, et nous aper- cevons une membrane derrière laquelle se trouve un liquide. Remarquez, en passant, que cette membrane est en mouvement par un tlux et reflux continuel, en rapport avec l'état de plénitude ou de vacuité des vais- seaux crâniens, et coïncidant avec les mouvements res- piratoires. 318 DIFFUSION DU SUCRE Nous perçons la membrane, bien dénudée, avec l'ex- Irémité d'une pipette, et nous extrayons une petite quantité du liquide qui se trouve derrière elle. Vous voyez que ce liquide, mis dans un tube, ne coagule pas par la chaleur, ce qui vous prouve qu'il n'est pas une véritable sérosité, mais il réduit abondamment le tartrate cupro-potassique; nous n'avons jamais pu en obtenir d'assez grandes quantités pour le faire fermenter de manière à ne laisser aucun doute sur la présence du sucre. Quant à ses usages, nous verrons que peut-être ce sucre a pour objet d'empêcher l'infiU ration dans le tissu nerveux. Les véritables sérosités sont-elles sucrées? On n'a pas fait à ce sujet d'observations suivies. J'ai examiné plusieurs fois les liquides provenant d"é- panchements dans le thorax, dans le péricarde, dans le péritoine; jamais je n'y ai rencontré de sucre dans les conditions oii je les ai observés. Mais il faut dire que dans ces cas les malades ont souvent la fièvre, ce qui, comme vous le savez, suftit pour faire très- rapidement disparaître le sucre ; il faudrait examiner ces liquides sur des individus bien portants d'ailleurs. Chez les diabétiques qui ont des épanchements sé- reux, il y a du sucre dans ces liquides. J'ai eu occasion d'observer un diabétique qui était mort d'apoplexie en une nuit, et qui présentait un hydropéricarde dont la sérosité était sucrée. Chez les animaux sur lesquels on produit des hydropéricardes par la section des nerfs sympathiques, j'ai rarement trouvé du sucre. DANS LES LIQUIDES DE L'ÉCONOMIE. 319 Il a été publié dans un journal américain une obser- vation très-intéressante, où l'on avait trouvé du sucre dans le liquide résultant de la ponction d'un hydropi- que ; seulement on ajoute que le malade mangeait habi- tuellement beaucoup de sucre; évidemment ce n'était pas le même que l'on rencontrait dans la sérosité de la ponction. On ne dit pas si le malade était diabétique. Je ne suis pas porté à penser qu'il puisse y avoir du sucre dans la plupart des sérosités normales ou anor- males; mais cependant, chezles lapinset les chevaux, il y a toujours, au moment de la digestion, un épanche- ment de sérosité temporaire que nous avons pu recueil- lir, et dans lequel nous avons pu constater la présence du sucre, et je ne serais pas surpris que cette sérosité transsudât du foie au moment de la digestion, car on voit en effet à ce moment les lymphatiques de cet organe excessivement gorgés de lymphe qui est sucrée. Enfin il y a un autre liquide dans lequel nous devons rechercher le sucre, c'est la lymphe. Beaucoup de sub- stances qui passent dans le sang ne passent pas dans les vaisseaux lymphatiques, et le sucre, en particulier, ne s'y rencontre pas, sauf le cas exceptionnel où l'orga- nisme est saturé de cette substance. Nous avons à ce sujet fait des expériences d'abord sur les lymphatiques de l'intestin, et nous avons vu que les chylifères qui pouvaient absorber la graisse émulsion- née par le suc pancréatique ne laissaient pas passer la matière sucrée. Nous avons expérimenté sur des che- vaux auxquels nous donnions jusqu'à 1 kilogramme de sucre dissous dans un seau d'eau que l'animal avalait 320 SUCRE DANS LE SYSTÈME parfaitement; au bout d'un quart d'heure ou d'une demi-heure, on tuait l'animal, et après avoir ouvert le ventre et posé des ligatures sur les vaisseaux, on recueil- lait le sang des veines qui sortent de l'intestin, on re- cueillait également le chyle avant les ganglions mésenté- riques ; ce chyle, chez l'animal n'ayant pas mangé de matières grasses, était semblable à de la lymphe un peu trouble. Dans le sang veineux on trouvait du sucre, même à l'état de sucre de canne, tel qu'il avait été pris, car tout n'avait pas été changé en glucose. Mais, dans le chyle et dans les vaisseaux lympathiques, jamais nous n'avons pu trouver la moindre trace de matière sucrée. Ainsi les graisses à l'état d'émulsion ou de division ex- trême sont absorbées par les chylifères, tandis que les matières sucrées et albuminoïdes passent dans le sys- tème veineux de la veine porte, et, quoique à l'état de dissolution, elles ne se rencontrent pas dans les lym- phatiques. De sorte que les substances alimentaires peu- vent, suivant leur mode d'absorption, se diviser en deux classes : les unes passant d'abord par le poumon, les au- tres passant par le foie. Nous avons fait dans le même but d'autres expérien- ces sur des chiens. Nous placions un tube d'argent dans un des vaisseaux lymphatiques qui descendent delà tête, et l'on recueillait le liquide qui s'en écoulait; nous avons constaté que cette lymphe ne contenait pas de sucre, tandis que le sang en présentait une certaine pro- portion, comme cela a lieu pendant la période digestive. Nous avons même injecté une dissolution concentrée de sucre par l'artère carotide, la substance revenait par DES VAISSEAUX LYMPHATIQUES. 321 les veines, mais jamais par les lymphatiques. Seulement, dans les cas oii nous injections de cette manière des quantités considérables de sucre, de façon à modifier tellement la composition du sang qu'il eût perdu ses propriétés normales, on voyait dans ces cas le sucre ap- paraître dans le système lymphatique; mais il est clair que ce sont là des conditions tout à fait exceptionnelles et qui s'éloignent complètement de l'état ordinaire dans lequel on ne rencontre pas de sucre dans les vaisseaux lymphatiques. Cejjendant il y a un point de ce système où l'on peut constater la présence de la matière sucrée, qui n'y existe nulle part ailleurs, et il faut être averti de ce fait qui pourrait induire en erreur si l'on n'en était prévenu. Quand on prend le chyle dans le canal thora- cique qui reçoit la lymphe de toutes les parties du corps, et au moment où il débouche dans la sous- clavière, on le trouve sucré. Ce fait, qui avait été vu par Tiedemann et Gmehn (1), avait été mal interprété ; on en avait conclu, contrairement à ce que nous ve- nons de vous dire, que le sucre était absorbé dans l'intestin. Mais on eût dû remarquer que l'on trouvait encore du sucre dans le canal thoracique, même chez des animaux carnivores qui n'en prennent pas la moindre trace avec leurs ahments. C'est qu'en effet le sucre vient ici de l'organe où il se forme. Vous savez, en effet, que le foie contient des vaisseaux lympha- tiques énormes, et qu'il n'y a pas un organe de l'éco- (1) Recherches cxpérijnenUdespliijsioh-jiques et c,'iimi]E LEÇON 3 MARS IS55. SOMMAIRE : Nouvelle expérience sur l'empoisonnement par le curare, et ré- sultats de la précédente. — Expériences sur des lapins. — Apparition du sucre dans les urines à la suite de l'intoxication par le curare. — Autres phénomènes. — Réflexions sur la distinction entre l'excitation et l'irri- tation. — Exemples et applications. — Perversion de la fonction glycogé- nique. — Expériences à ce sujet. — Particularités de ces expériences. — Production spontanée du sucre dans le foie d'un animal mort dans cer- taines conditions. — Manuel opératoire de l'expérience. — Hypothèses sur la production de ce phénomène. Part de l'action nerveuse. — Part de la fermentation. — Résultats de l'expérience sur l'empoisonnement par le curare. Messieurs, Dans la dernière leçon, nous avons montré des exem- ples de diabète artificiel produit par des procédés qui consistent à anéantir par le curare les fonctions de la vie extérieure. Vous avez vu que sous cette influence les sécrétions devenaient plus actives, et que le foie, qui est lui-même un organe sécréteur, exagérait sa pro- duction de sucre qui, dès lorSj se répandait dans le sang et finissait, au bout d'environ deux heures, par apparaître dans les urines. Voici celles de l'animal qui avait été empoisonné au commencement de la séance dernière et dont les urines n'étaient pas encore su- crées à la fin; nous en avons recueilli une- heure après, et vous voyez maiutenant qu'elles réduisent abon- 364 DIABÈTE ARTIFICIEL. dammeiit le tartrate cupro-polassique. Du reste, nous avons replacé ici sous vos yeux un autre Chien égale- ment empoisonné par le curare depuis une heure et demie environ; on pratique l'insufflation pour que les fonctions organiques ne s'arrêtent pas. Nous prendrons ses urines à la fin de cette leçon et vous verrez que le sucre qui n'y est pas encore y aura passé alors en grande quantité. L'action que vousvoyez se produire sous vos yeuxchez cet animal empoisonné, sur lequel on pratique l'insuf- flation artificielle, ne provient pas d'une excitation du poumon, par le fait de l'insufflation artificielle qui se- rait transmise ensuite parlespneumo-gastriques au foie, suivant un mécanisme analogue à celui que nous avons décrit pour l'action de la piqûre. S'il en était ainsi, nous n'aurions qu'une excitation locale sur le foie, et non pas une excitation plus ou moins générale sur le système glandulaire, comme vous le voyez chez ces animaux soumis à l'influence du curare ou plutôt pri- vés des fonctions de la vie de relation. Du reste, l'ob- servation directe montre qu'il n'en est point ainsi, comme le prouvent les résultats que nous avons ob- tenus dans les deux expériences comparatives suivantes : Un jeune lapin, bien portant et en digestion, eut les deux vagues coupés dans la région moyenne du cou, les deux filets sympathiques de communication entre les ganglions cervicaux, furent ménagés. J'injectai alors, sous la peau du dos, 2 centimètres cubes d'un liquide contenant en dissolution 0^%'6 de curare dans 12 gram- mes d'eau. Après un quart d'heure, l'animal éprouva DIABÈTE ARTIFICIEL. 36o les effets du poison, il s'affaissa et resta sans mouve- ment, et il se manifesta des contractions convulsives dans les muscles peauciers; peu à peu la respiration baissa, et cessa complètement après une demi-heure. C'est alors qu'on commença l'insufflation, qui se fit à l'aide d'un tube lié sur la trachée et communiquant avec un soufflet. Dès les premières insufflations le lapin sembla revenir, mais il s'échappa une grande quantité de mucosités par la trachée; bientôt les respi- rations se rétablirent et continuèrent sans le secours de l'insufflation ; la salive, les larmes coulaient en abon- dance, les yeux à demi clos restaient sensibles (ce qui n'eut pas lieu chez l'autre lapin, dont les véigues n'a- vaient pas été coupés). Après une heure trois quarts environ on examina l'urine qui était devenue claire et est très-abondante; elle contenait beaucoup de sucre. Une demi-heure après, on reprit de l'urine qui semblait contenir moins de sucre; les respirations, qui étaient spontanées, bais- saient déplus en plus. On tua l'animal par hémorrha- gie. Le sang de ses artères était parfaitement vermeil et contenait beaucoup de sucre ; on ouvrit le ventre, et l'on trouva les organes intestinaux gorgés de sang, les uretères gonflés et très-irritables ; il y avait beaucoup de sérosité dans le péritoine. Le foie, qui était pale par suite de l'hémorrhagie, donna une décoction opaline très-sucrée. Un autre lapin de la même taille, de la même por- tée, dans les mêmes conditions que le précédent, re- çut, comme lui, sous la peau du dos, deux centime- 366 DIABÈTE ARTIFICIEL. très cubes de la même dissolution de curare conte- nant 0^'',0o dissous dans 12 centimètres cubes d'eau. Après un quart d'heure le lapin éprouva les effets du poison et tomba anéanti présentant quelques contrac- tions inYolontaires dans les muscles peauciers; mais pendant une heure et demie encore les mouvements respiratoires continuèrent, après quoi ils s'éteignirent. C'est alors quel'on commença l'insufflation artificielle. Pendant tout ce temps il y eut sécrétion abondante de larmes, de salive et d'urine. Après une heure et demie, et un peu avant que la respiration fût éteinte, on exa- mina les urines du lapin qui étaient évidemment su- crées. Dès que la respiration fut arrêtée, pour que l'a- nimal ne mourût pas, on pratiqua l'insufflation. Pendant les quelques moments qu'on avait laissé l'a- nimal sans l'insuffler, les sécrétions salivaire, lacry- male et urinaire s'étaient ralenties, mais aussitôt qu'on reprit l'insufflation, les sécrétions furent singulière- ment activées; toutefois les yeux, qui étaient saillants, devinrent complètement insensibles, ce qui n'avait pas lieu dans les cas précédents. On cessa à dessein pen- dant quelques instants l'insufflation, le sang devint aus- sitôt noir dans les artères, les sécrétions diminuèrent d'intensité et le sucre diminua lui-même dans Turine. Aussitôt qu'on recommença l'insufflation, le sang re- devint vermeil, circula plus activement, les sécrétions coulèrent plus abondamment et l'urine qu'on retira était beaucoup plus sucrée que la précédente. On ré- péta cette expérience à différentes reprises, et chaque fois on obtint des résultats analogues, puis enfin on DIABÈTE ARTIFICIEL. 367 abandonna l'animal à lui-même et on le laissa mourir d'asphyxie. Il se passa encore longtemps jusqu'au mo- ment où la respiration fut éteinte; alors on fit son au- topsie ; le foie contenait peu de sucre et l'urine n'en présenta plus du tout. Ainsi, chez ces deux lapins, outre les détails inté- ressants que ces deux expériences renferment, elles prouvent que l'apparition du sucre a été possible mal- gré la section des pneumo-gastriques, puisqu'un seul de ces animaux avait été soumis à cette opération. Nous pourrions encore, Messieurs, vous citer bien d'autres procédés pour produire le diahèle artificiel par une excitation du système nerveux de la vie organique sous l'influence duquel le foie se trouve placé. Mais il nous suffisait de vous indiquer la multiplicité des moyens par lesquels, en physiologie, on peut arriver au même résultat, ce qui démontre l'union et la dépen- dance de tous les systèmes organiques entre eux. Dans tous les cas, il faut que le foie se trouve excité soit d'une manière directe, soit d'une manière indirecte. Ce qu'il est surtout important de fixer ici, et c'est là une vérité générale qui s'appliquera à beaucoup d'autres actions organiques et aux sécrétions en particulier, c'est que cette excitation ne doit pas dépasser certaines limites sous peine d'agir d'une manière inverse et de produire la dépression ou même l'anéantissement complet des fonctions qu'on voudrait activer. Ainsi nous venons de voir qu'une excitation légère portée sur le système nerveux active la sécrétion du su- cre. Mais si l'on dépasse ces limites et surtout si l'on :m EXCITATION, IRRITATION. arrive à déterminer des douleurs violentes chez les ani- maux, la sécrétion du sucre s'arrête immédiatement. C'est ainsi que, si l'on pratique l'ouverture de la co- lonne vertébrale pour mettre à nu la moelle épinière, on vsit le sucre diminuer rapidement, et, si l'on fait l'au- topsie quelques heures après, il peut arriver que le foie ne contienne que peu de sucre ou même pas du tout. Si encore on asphyxie un animal lentement, les an- goisses de l'agonie font encore disparaître le sucre. Ceci prouve donc que les douleurs violentes, c'est-à-dire les troubles profonds apportés dans les organes de la vie extérieure, troublent et arrêtent les fonctions sécré- toires organiques, et nous ne trouverons plus étonnant dès lors que, quand nous supprimons cette cause de trouble, c'est-à-dire la sensibilité, comme chez cet ani- mal sous l'influence du curare, nous voyons les sécré- tions marcher avec plus d'activité. En appliquant d'une manière générale la proposi- lion que nous venons d'émettre, il faut reconnaître qu'il y a dans l'action portée sur un organe deux de- grés entre lesquels il est difficile d'établir une limite (ranchée, mais qui cependant doivent être distingués, puisqu'ils produisent des effets diamétralement oppo- sés. L'un serait \ excitation, l'autre Xirritation propre- ment dite. Ainsi, pour vous en donner un exemple, prenons, si vous voulez, une fonction bien connue, la sécrétion du suc gastrique qui a été étudiée par Beau- mont sur l'homme et par d'autres observateurs au moyen de fistules pratiquées à l'estomac sur les ani- EXCITATION, IRRITATION. 369 maux. Oii a vu que, quaudl'estomac était vide, et que, par conséquent, la sécrétion du suc gastrique n'avait pas lieu, si Ton venait à promener sur les parois sto- macales une liaguette de verre bien polie, de façon à agir très-doucement sur la membrane muqueuse, ou si l'on frottait avee une éponge très-fine la muqueuse stomacale, celle-ci devenait rouge de pâle qu'elle était d'abord, et le suc gastrique sortait en abondance des ijlandules qui le produisent, comme cela a lieu quand il y a des aliments dans l'estomac. On déterminait ainsi une simple excitation analogue à celle qui a lieu dans Fétat normal pendant la digestion. Mais si, au lieu d'exercer des attouchements modérés, oi] venait à frotter rudement la paroi de l'estomac, si ou la grattait fortement avec un corps dur et rugueux, les choses changeaient de face; au lieu de produire una plus grande abondance de suc gastrique, on faisail disparaître celte sécrétion; la surface interne de l'es- tomac devenait d'un rouge vifet ne laissait plus suinter aucun liquide. Dans ce dernier cas, on avait déterminé non plus une excitation, mais une irrilation véritable. Vous voyez qu'il en est tout autrement dans l'or. Ire physiologique que dans l'ordre mécanique abstrait, qu'à une force double ne correspond pas toujours un résultat proportionnel. Il y a dans tous ces phénomènes des limites dans lesquelles l'accroissement de l'action correspond à une augmenlation du résultat; mais, la limite dépassée, le rapport devient inverse, et l'ac- croissement de l'action produit un effet d'autaut moin- dre. Ajoutons que ces limites elles-mêmes peuvent en- BERNARD. [. 2 4 370 EXCITATION, IRRITATION. core changer, car la quantité d'action qu'il faut produire pour déterminer une excitation ou une irri- tation est extrêmement variable, non-seulement entre des individus différents, mais aussi pour le même in- dividu pris à différentes époques de sa vie et dans des conditions de santé diverses. Ce n'est pas seulement dans les phénomènes vitaux par excellence dans lesquels intervient le système ner- veux, qu'on observe de semblables effets ; on en con- state aussi d'analogues dans certaines actions chimiques des liquides organiques; toutes les fermentations sont dans ce cas. La température, jusqu'à un certain degré, augmente leur action et, passé cette limite, l'activité diminue. Ainsi l'action du suc gastrique, qui se rap- proche de celle des ferments, commence à agir vers 17 degrés, atteint son summum d'énergie à 35 à 40'', diminue vers 45 à 50° et s'éteint complètement à une température plus élevée. Enfin, Messieurs, pour étendre la proposition que nous venons d'énoncer, nous pourrions lui trouver des analogues en dehors de l'organisme : tel est, parmi un grand nombre d'autres, le fait bien connu du sulfate de soude qui ne se dissout pas en raison directe de la tem- pérature et atteint son maximum dcvsolubilité à 40%7. Vous voyez. Messieurs, que nous saisissons à dessein toutes les occasions de vous montrer combien les phé- nomènes delà vie sont complexes et combien il faut re- doubler de soins dans l'analyse physiologique; c'est seulement dans cette vue que nous nous sommes per- mis la petite digression que nous venons de faire. PERVERSION DE LA GLYCOGÉNIE. 371 Actuellement, nous avons à examiner l'influence que le système nerveux peut exercer pour pervertir la fonc- tion glycogénique. Voici, à ce sujet, le fait extrême- ment intéressant, au point de vue chimique, auquel j'ai été conduit en faisant des expériences sur le grand sympathique. Je recherchais quelle était l'influence de la section de la moelle épinière sur les fonctions du foie, et j'ai vu que, si l'on coupait la moelle daus la ré- gion du dos, au-dessous du renflement brachial, la sécrétion du sucre était constamment arrêtée, de sorte qu'au bout de vingt-quatre à trente-six heures on n'en trouvait plus du tout dans le tissu hépatique. Mais si l'on coupe la moelle un peu plus haut, au-dessus du renflement brachial et au-dessous de l'origine des nerfs diaphiagmatiques, qu'on tue l'animal le lendemain, on observe alors un phénomène très-singulier : au mo- ment même où l'on extrait le foie du corps de l'aninic)! qu'on vient de sacrifier, si l'on traite une partie de cet organe par les moyens ordinaires pour y reconnaître la présence du sucre, c'est-à-dire si l'on en fait une dé- coction, on voit que le tartrate cupro-potassique et Ions les réactifs ordinaires du sucre du foie ne décèlenl [wis la présence de cette matière dans le liquide de décoc- tion. On peut démontrer aussi par les moyens ordi- naires qu'il n'y a pas non plus dans le liquide du sucre delà première espèce; mais si on laisse l'autre partie du fuie sur une assiette, abandonnée à l'air extérieur, et qu'au bout de cinq à six heures on traite de nouveau le tissu de la même manière, on le trouvera chargé de matière sucrée. 372 INFLUENCE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE Ainsi, au moment de la mort de l'animal, le sucre était masqué dans le foie, ou bien la transformation delà substance qui lui donne naissance était sur le point de s'accomplir et se trouvait seulement arrêtée par l'opération qu'on avait fait subir à l'animal. Il sem- blerait donc qu'il y ait ici une matière susceptible de se transformer en sucre, comme dans le règne végétal, où le sucre n'arrive que comme une des modifications de l'amidon et de la dextrine. Dans le foie, nous savons maintenant que ce sont les matières albumineuses qui donnent naissance au sucre; seulement il s'agira plus tard de rechercher si entre cette matière albumineuse et le sucre il n'y a pas d'autres produits intermédiaires qui se forment, de même que la dextrine, entre l'ami- don et le glucose. Avant d'entrer dans l'examen de cette question de chimie vitale, nous avons à vous dire comment se pratique l'expérience, et quels sont les trajets par les- quels passe l'action nerveuse. Vuici àce sujet quelques- unes de nos observations : Une lapine pleine eut, à neuf heures du matin, la moelle épinière coupée immédiatement au-dessus du renflement brachial. Au moment de l'opération, la respiration était accélérée; bientôt ensuite elle cessa. L'animal se refroidit, comme cela a toujours lieu dans des circonstances pareilles. Revu h quatre heures du soir, l'animal n'était pas mort, mais il était para- lysé de tout le train postérieur au-dessous de la section, et il présentait des mouvements réflexes excessivement énergiques dans les membres postérieurs. Seulement, SUR LA (iLYCOfjKMK. Tii il avait rendu une quantité énorme d'excréments, et il on rendait continuellement, en faisant des mouvements continuels de sa queue. On voyait même parfois des mouvements péristaltiques violents de l'intestin à tra- vers la peau. A ce moment, c'est-à-dire sept heures après la section à la moelle, l'animal fut tué par la sec- tion du bulbe rachidien ; on l'ouvrit, et l'on constata que toutes les parties intérieures du corps avaient une contractilité extrêmement vive; le cœur ballit très- longtemps et ses propriétés semblaient avoir quelque rapport avec celte irritabilité intense qu'on observe chez les animaux à sang froid. On prit alors un morceau du foie, on le broya avec de l'eau, on le sépara en deux parlies, l'une que l'on fit cuire, l'autre qu'on abandonnna à elle-même dans une éprouvette, de façon qu'il y avait une partie du liquide rougeâtre qui surnageait et que le tissu hépatique tom- bait au fond. A ce moment, les liquides ne réduisaient pas sensiblement le réactif cupro-potassique; la décoc- tion présentait une teinte opaline et était neutre ou lé- gèrement alcaline. On prit encore à ce moment la densité du liquide rougeâtre surnageant au-dessus du tissu du foie non soumis à l'ébullition ; cela fait, on abandonna ces deux dissolutions précédentes, ain;?i que la partie du foie qui n'avait pas été employée à une température de 12 à 15 degrés centigrades. Le lendemain, on fit cuire dans l'eau une troisième portion du foie abandonnée à elle- même depuis la veille; cette décoction, faite dans les mêmes conditions que la précédente, donnait unedin-^ 374 INFLUENCE DE LA MOELLE ÉPINIF.RK silé plus grande, elle élait moins opaline, mais elle ré- duisait le liquide cupro-potassiqueavec une Irès-grande énergie. On mit comparativement dans deux tubes à fermentation, avec de la levure de bière, les deux dé- codions hépatiques, V celle de la veille réduisant à peine le tartrate cupro-polassique, 2" celle du lende- main réduisant abondamment le réaclif. Cette dernière donna lieu à un dégagement d'une grande quantité d'a- cide carbonique, tandis qu'il ne se forma dans l'autre que quelques bulles de gaz. Cependant, pensant que peut-être le foie n'était pas en' ore arrivé à son état de plus grande saturation de matière sucrée, je pris un même poids de foie dans une même quantité d'eau que précédemment, et, après l'avoir fait bouillir, je laissai digérer sur les cendres chaudes pendant trois ou quatre heures, entre 40 et 50 degrés; après quoi, je portai le mélange à l'ébulli- lion. Je constatai que la quantité de sucre avait évi- demment augmenté. Ledensimètre, qui marquait 5 la veille, marquait 15 le lendemain, dans la même dissolution qui, avec le réactif, donnait alors une réduction excessivement abon- dante. On voit ainsi que, en exposant du tissu du foie broyé dans de l'eau à une température de 40 à 50 degrés cent., on active singulièrement le retour de la matière sucrée ; c'est là ce qui explique comment il peut se faire qu'il apparaisse un peu de sucre quant on fait cuire un liquide pendant que celui-ci arrive à l'ébullition. Il jljerait plus convenable, pour arrêter immédiatement SUR LA GLYGOGÉNIE ANIMALE. 375 cet effet, de plonger le Ibie dans l'eau bouillante, pour ne pas passer par une température intermédiaire pou- vant déterminer la production d'une certaine quantité de sucre qui ne se serait pas développé sans cela. Comme détail intéressant de l'expérience, nous avons observé que la décoction aqueuse du foie, qui élait très- opaline au moment de la mort de l'animal, lorsque le foie ne contenait pas de sucre, élait devenue moins opa- que le lendemain, quand il y avait déjà beaucoup de sucre formé, et enfin élait devenue tout à fait limpide dans la portion que nous avions soumise à la chaleur et qui contenait une très-grande proportion de matières sucrées. Une autre particularité très-curieuse, c'est que, en même temps que ces décoctions du foie changent d'as- pect, et que la quantité de sucre qui s'y forme devient plus considérable, la réaction du liquide change de na- ture. La première décoction hépatique, qui était lou- che lorsqu'elle était faite au moment de la mort, quand le foie ne contenait pas encore de sucre, était très- manifestement alcaline le lendemain quand la décoc- tion, devenue plus sucrée, était déjà très-légèrement acide; enfin la troisième décoction, placée pendant quelques instants de 3o à 40 degrés, avait une réaction acide très-manifeste. Nous avons répété différentes fois cette expérience, toujours avec le même résultat; seulement ces phéno- mènes peuvent se manifester avec plus ou moins d'in- tensité, suivant que la température ambiante est plus ou moins élevée, ou suivant d'autres circonstances dont 370 INFLIENCK DE LA MOELLE ÉPI>ilÈRE il 1:0ns est difficile d'apprécier aclueliement les diver- ses condilions. Mais cette expérience, qui est une des plus impor- tantes, devra, comme c'est notre habitude, être répefée devant \ous. Voici un lapin adulte dans un état de parfaite sanlé, sur lequel nous faisons la section de la moelle épiiiière immédiatement au-dessus du renflement brachial et au-dessous cependant de l'origine des nerfs diaphrau- matiques. Pour cela, nous suivons du doigt les apo- physes épineuses des vertèbres du dos, en remontant vers le cou, et nous arrivons ainsi au niveau de la der- nière vertèbre cervicale où s'insère le ligament cervical postérieur. La colonne vertébrale présente ici une in- flexion vers la partie aniérieure, en même temps que les apophyses épineuses deviennent moins saillantes, de telle façon qu'il est presque impossible de sentir en cet endroit, à travers les parties molles, les apophyses épineuses, qui sont très-profondément situées. C'est en ce point qu'il faut plonger l'instrument, et là on se trouve silué à peu près entre la sixième et la septième vertèbre cervicale. L'instrument que nous employons est une espèce de pointe en fer de lance assez solide, comme vous le voyez ici. En même temps que nous introduisons l'instrunienl entre deux vertèbres, nous infléchissons fortemeni, comme vous le voyez, la lêle de l'animal, pour rendre plus considérable Técartement entre les lames verté- brales. Nous coupons ainsi transversalement la moelle, et vous voyez qu'au momenl où nous faisons cette sec- SIR LA GLYCOGÉM!-:. 377 tion, il y a des soubresauts convulsifs dans le tronc, au-dessous de la section. Actuellement que l'opération est faite, vous voyez l'animal complètement paralysé, mais ses respirations ne sont pas abolies, elles sont même accélérées; seulement vous pouvez remarquer que les mouvements respiratoires se font surtout pai' l'abdomen, car les muscles de la poitrine ne reçoivent plus l'influence nerveuse. Malgré la section de la moelle faite au-dessus de l'origine du plexus cervical, ce lapin pourrait vivre à la rigueur deux jours dans cet état, surtout si l'on avait soin de le maintenir dans un endroit chaud. Mais, quoi qu'il en soit, bientôt nous verrons les respirations diminuer en nombre et en intensité; l'a- nimal se refroidira en même temps que les mouvements réflexes qu'on pourra produire dans son tronc devien- dront plus faciles à exciter. Cette excitabilité se mani- festera même sur les organes intérieurs, car on obser- vera des mouvements périst;iltiques très-actifs dans les intestins, qui seront suivis d'une défécation presque continuelle. Il faut avoir soin de ne pas attendre que l'animal soit mort, parce que alors cette transformation, que nous avons vue s'effectuer quand on a retiré le foie du corps, pourrait commencer iiprès la mort, et nous trouverions alors le foie sucré comme s'il eut été placé en dehors de l'organisme. C'est en général au bout de huit à dix heures qu'il est convenable de sacrifier les animaux, parce qu'alors le sucre contenu dans leur foie a eu le temps de disparaître pour être remplacé par cette ma- 378 INFLUENCE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE lière que uous ne connaissons pas encore, mais qui su- bil la transformation glycosique. Que s'est-il passé dans cette expérience, et comment pouvons-nous comprendi eanatomiquement l'influence si différente qu'exerce la section de la moelle épinière sur le foie; car nous avons dit que la section de la moelle au-dessous du renflement brachial produit pu- rement et simplement la disparition du sucre dans le foie, tandis que celte même section au-dessus de ce même renflement a pour effet d'opérer une perversion dans la fonction glycogénique? Dans ce cas, Messieurs, il faut voir là une action particulière du renflement brachial de la moelle agissant sur le foie comme un véritable centre nerveux. On sait déj.à que cette portion de la moelle épinière joue le rôle d*un centre relativement à la portion cé- plialique du grand sympathique. Si, par exemple, on g.ilvanise cette partie de la moelle, on voit que la pu- pille se dilate absolument comme quand on opère sur le filet cervical du grand sympathique lui-même, de sorte que cette action qu'on produit sur la pupille émane en réalité de cette portion de la moelle épinière dont les filets sympathiques ne doivent être considérés que comme les conducteurs. Nous pensons que dans le cas de notre opération le foie reçoit également par des filets du grand sym- pathii|ue provenant de celte région de la moelle une influence spéciale. Quand nous avons en- levé préalablement, dans certains cas, le ganglion cervical inférieur et le premier thoracique, nous SLR LA GLYCOGÉME. 379 n'avons pas alors observé ces effets se produire. Si l'on voulait analyser le phénomène plus profon- dément et rechercher comment il peut se faire que sous Tinfluence de celte action nerveuse, quelle que soit sa source, nous obtenons une perversion et une espèce d'arrêt dans le développement de la matière glycogé- nique, on arriverait à conclure qu'il se forme là une substance intermédiaire qui se change ensuite sous nos yeux en matière sucrée par un mécanisme analogue à celui des fermentations. Nous avons vu, en effet, que, lorsqu'on fait bouillir le foie, on empêchait celte ac- tion de se produire, tandis que, lorsqu'on n'avait pas coagulé les matières organiques par l'ébullition, cette matière se développait d'autant plus rapidement que la température était plus élevée en ne dépassant pas tou- tefois certaines limites. Peut-on supposer que, par suite de la section de la moelle épinière, l'action nerveuse ait été diminuée au point de permettre seulement une transformation par- tielle ou incomplète de la matière albuminoïde primi- tive? Ou bien doit- on penser, et c'est à cette dernière hypothèse que je m'arrêterais volontiers, que l'action nerveuse sur le foie s'exerce toujours, qu'elle y est même exagérée, mais que seulement la température de l'animal s'abaissant, la fermentation de la matière su- crée ne peut plus avoir lieu pour opérer la formation complète de la matière sucrée? Cette supposition se trouve appuyée par ce fait, que l'apparition du sucre est d'autant plus rapide quand on extrait le foie de l'animal, qu'on l'expose à une température plus éle- ^RO l'EHVERSION DE LA GLYCOGÉNIE. Aéo; (le telle sorte que nous devrions en définitive con- sidérer le système nerveux comme agissant pour pré- parer une matière autre que le sucre, mais pouvant se transformer en cette substance sous l'influence d'une fermentation pure et simple qui aurait lieu dans le foie. Nous vous donnerons dans \a prochaine séance plus de développement sur l'explication de cette expérience, une des plus intéressantes au point de vue de l'influence que le système nerveux peut exercer sur les actions chimiques. Nous rapprochons ces phénomènes d'autres faits que nous avons découverts cette année, et dont nous avons déjà dit quelques mots. Ce sont ces transforma- tions de matières albuminoïdes en matières sucrées, qui s'opèrent chez les fœtus dans certains états de la vie embryonnaire et en coïncidence avec le développe- ment des tissus. Plus tard, dans l'état adulte, les tissus cessent d'être le siège de ces phénomènes, et c'est le foie qui désormais devient le seul point de l'organisme où se localisent ces productions sucrées, en rapport avec le développement des éléments nécessaires à la ré- novation des tissus. Maintenant, revenons, en terminant, sur l'animal empoisonné par le curare qui est devant vous, et qui ne diffère de celui que je vous ai déjà montré dans la séance précédente, qu'en ce qu'il est à jeun, tandis que l'autre était en digestion. Vous voyez que toutes ses fonctions nutritives sont exagérées, et ses sécrétions se produisent en abondance. Nous lui avons placé des DIABÈTE ARTIFICIEL. 381 tubes dans les conduits de diverses glandes, dans le conduit de la parotide et de la sous-maxillaire. Les li- quides qui en coulent sont aussi abondants que si les organes masticateurs fonctionnaient, ou que si l'on avait placé du vinaigre sur la muqueuse buccale; mais il y a, en outre, le fait singulier que ces deux glandes ne sont pas également excitées. Vous pouvez voir, en effet, que la gl:mde sous-maxillaire fournil une quantité de liquide bien plus abondante que la parotide, ce qui lient peut-être à ce qu'elle reçoit une plus grande quan- tité de nerfs ganglionnaires, et qu'elle se trouve liée ainsi d'une manière bien plus intime à l'action du sys- tème sympathique. Sa sécrétion est, en effet, trois ou quatre fois plus considérable que la sécrétion paioli- dienne. Remarquez aussi, en passant, la différence qui existe entre les deux liquides : celui de la parotide est fluide comme de l'eau, celui de la sous-maxillaire est niant et visqueux; il en est de mêmeàl'élat normal. Les actions nutritives ne sont nullement interrompues et c'est encore là un exemple de leur indépendance vis- à-vis du système nerveux de la vie de relation. Quant aux urines que l'on vient de recueillir, vous voyez, h l'abondance de la réduction qu'elles déterminent dans le liquide cupro-potassique, qu'elles sont extrêmement sucrées. VINGTIEME LEÇON 6 MARS 1855. SOMMAIRE : Expéricncps sur des lapins auxquels on coupe la moelle épi- nière au-dessus du renflement brachial. — Phénomènes singuliers produits sur le foie. — Hypothèses sur ces phénomènes. — Découverte de la pro- duction de la matière sucrée dans les muscles et dans les poumons du fœtus. — Acide lactique. Moyens d'obtenir ce sucre du fœtus à une tem- pérature basse. — Procédé pour obtenir l'acide lactique. — Tous les tissus de l'embryon ne dorment pas du sucre. — Le sucre se forme aux dépens d'une matière albumineuse insoluble. — Preuves physiologiques. — Preuves chimiques. — Découverte de Lehmann, qui transforme l'héma- tine en sucre. Messieurs, Nous allons entrer aujourd'hui dans le mécanisme intime de la formation du sucre dans le foie. Vous vous rappelez que nous avons fait, dans la dernière séance, une expérience fort singulière, et qui doit servir à nous guider clans cette voie. INous avons coupé la moelle à deux lapins, à deux hauteurs différentes, et nous avons vu que, quand on opérait la section au -dessus du renflement brachial, ce qui se fait en plongeant l'instrument entre la sixième et la septième vertèbre cervicale, à peu près entre lesomiTiet des deux épaules, on produisait dans le foie une moditication toute parti- culière, une sorte de perversion de la sécrétion, ou plutôt un véritable arrêt dans la série des transforma- tions qui s'opèrent dans le foie pour changer en suer PERVERSION DE LA GLYCOGÉNIE. :i^:i les nialières albuiuinoïdes du ?ang. Quand on coupe la moelle en ce point, le sucre disparaît bien du foie, mais il y reparaît bientôt comme s'il élait, pour ainsi dire, à l'état latent. Voici le lapin auquel nous avons fait l'o- pération ci-dessus indiquée dans la séance précédente, et que nous avons tué le lendemain. Au moment de la mort il ne présentait pas d'indice de sucre dans sou foie. Voici, en effet, la décoction d'une partie de cet organe faite au moment même de l'autopsie; elle ne contient pas la moindre trace de matière sucrée. Si, maintenant, nous reprenons l'autre portion deceméme foie qui a été abandonnée à elle-même et qu'on en fasse une décoction, vous verrez qu'elle contient maintenant énormément de matière sucrée. Si, ayant pris le tissu du foie de ce même animal au moment de sa mort, on l'avait broyé avec de l'eau ordi- naire, puis qu'on eût filtré ce mélange, le liquide qui aurait passé n'eût décelé, par aucun des moyens physi- ques, ou des reactifs chimiques, la présence du sucre. Observé au densimètre, on eût trouvé sa densité égale à peu près à celle de l'eau ; mais, en examinant deux jours après ce même liquide abandonné à lui-même, on lui trouvera alors tous les caraclères d'une dissolu- tion fortement sucrée, et sa densité aura considérable- ment augmenté. Si, au contraire, on fait la section de la moelle au- dessous du renflement brachial, comme nous l'avoi's pratiquée sur un deuxième lapin, ces mêmes phéuc- mènes n'ont plus lieu, le sucre disparaît du foie, mais il n'est plus susceptible d'y revenir quand onabandoi ne :^.S4 INFLUENCE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE l'organe à lui-même comme dans le cas précédent. Vous voyez aussi que l'aspect du foie est bien différent ; il est plus ratatiné, sa couleur est d'un brun foncé, et enfin il ne contient pas la moindre trace de sucre, bien qu'il Y ait un temps suffisant entre le moment de sa morl, qui a eu lieu il y a six lieures environ, et celui où nous l'examinons, pour que cette substance ait eu le temps de se manifester si elle devait le faire. Si l'on examine ultérieurement ce foie, et en le mettant dans toutes les conditions pour que le sucre revienne, il n'y reparaîtra pas. Ce fait de la production dans un organe d'une ma- tière qui n'y existait pas d'abord, mais qui s'y est dé- veloppée par une sorte de fermentation, est certai- nement l'un des plus étonnants au point de vue des phénomènes chimiques qui s'accomplissent dans l'or- ganisme. Nos connaissances actuelles sur les décompositions des matières animales ne peuvent nous expliquer cette production du sucre, et ces questions pbysiologiques étant entièrement neuves, nous sommes obligé de faire des hypothèses afin de solliciter des expérimentations nouvellesqui pounont nousconduire un peu plusluin. 11 en est toujours ainsi quand on se trouve en pi'ésence d'un fait nouveau, extraordinaire, qui ne se rattache à rien de connu. On ne peut faire alors que des hypo- thèses, avec ]a précaution seulement de les instituer de telle sorte qu'elles soient toujours véritlables par une expérimentation dirigée dans cette vue. Comme ces liypothèses ne sont que des moyens directeurs, peu SUR LA GLYCOGÉME. 3,85 nous importe que le résultat de l'expérimenfation les confirme on non. Nous ne devrons jamais conserver que les faits nouveaux que ces hypothèses nous auront fait découvrir. C'est précisément ici le cas qui se pré- sente. D^s lors, donc, deux hypothèses sont possibles. On peut supposer qu'en coupant la moelle au-dessus du reiiflement brachial, ce qui réduit ce renflement à agir comme un centre, par l'intermédiaire du grand sympa- thique, sur le foie et indépendant du cerveau, on di- minue l'influence nerveuse qui arrive au foie. Par suite de cette diminulion de l'activité nerveuse, la fonction glycogénique serait enrayée, et les transformations qui doivent finalement donner du sucre seraient arrêtées dans un état intermédiaire ; car il est probable qu'entre la matière albuminoïde, qui donne naissance au sucre, et ce dernier produit, il y a une série de passages suc- cessifs, qui nous sont encore inconnus. Voici une première hypothèse ; mais elle devient peu probable, lorsqu'on examine ce qui se passe chez l'a- nimal vivant auquel on fait la section de la moelle au-dessus du renflement brachial. On ne voit pas, en effet, que Taction nerveuse soit diminuée; elle parait au contraire exaltée. Quand on ouvre le ventre de cet animal, on trouve dans cette région une circulation plus active, les urines se sécrètent plus abondamment que dans l'état normal, les muscles sont plus excita- bles, et les actions réflexes ont une très-grande énergie. Ces propriétés persistent après la mort bien plus long- temps que chez les animaux qu'on aurait tués brusque- ment sans être dans ces coïKiition^. BLUNAKD. I. 2 5 8 6 INFLCENCE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE Il semlile que celte section de lamoelle ait déterminé ici une excitabilité musculaire et nerveuse beaucoup plus persistante, et jusqu'à uncerlain [)oint analogue à ce qui a lieu chez les animaux à sang froid. Mais si les fonctions du système nerveux ne parais- sent pas diminuer, si les sécrétions semblent s'accom- plir plus énergiquement qu'à l'ordinaire, il n'y en a pas moins simullanément, et d'uue manière conslaiite, un abaissement de température notable. Ce dernier fait peut devenir à son lour la source d'une deuxième hypothèse plus probable que la piemière. Cetle nou- velle hypothèse consisterait à dire que h s transforma- tions qui se font dans le foie ont besoin, non- seulement de l'influence nerveuse, mais aussi d une température suffisante, et que la température de Tanimal que vous avez sons les yeux n'étant plus que de 24 degrés au mo- ment où nous l'avons sacrifié, n'e^t pas suffisante pour l'accomplissement des phénomènes en question. Vous savez, en effet, que les actions vitales chimiques ne peu- vent se passer d'une certaine quantité de chaleur, et que, chez les animaux à température variable, elles s'ar- rêtent quand le refroidissement est arrivé à un certain point, bien que l'excitabilité nerveuse paraisse alors plus intense, comme cela se passe justement sur nos lapins auxquels nous avons coupé la moelle épinière. il peut en être de même pour la fonction glycogénique : la température à laquelle l'animal se trouve descendu peut n'être plus suffisante pour déterminer la série des transformations qui donnent finalement du sucre ; et ce qui prouve que la chaleur favorise celte formation. SUR LA GLYCOGÉME. 387 c'est que si, après avoir enlevé le foie ainsi modifié, on l'expose à une température assez élevée, on voit bientôt le sucre apparaître dans le tissu. Il en serait probable- ment de même si, sans extraire l'organe hépatique, on plaçait l'animal dans un milieu où sa température nor- male, qui est de 37 à 40 degrés, se trouverait main^ tenue sans amener de refroidissement. Si, au coiitiaire, on exposait le foie à une basse température, le sucre ne s'y formerait que très-lentement. Ainsi le sucre sem- ble réapparaiti'e dans le foie sous les mêmes influences qui font que les fermenlations se développent. Car si, d'un autre côté, on jetait le foie dans l'eau bouillante après son extraction du corps de l'animal, les matières albuminoïdes se trouvant coagulées, la fermentation ne pourrait plus avoir lieu et le foie ne serait plus sus- ceptible de devenir sucré. Quoi qu'il en soit de ces hypothèses, qui n'ont pour nous, comme vous le savez^ qu'une valeur tout à fait secondaire,, nous nous trouvons en présence d'un fait nouveau très-extraordinaire et très-obscur. Pour jeter quelque lumière dans cette question, nous avons à re- chercher autour de nous si nous ne trouverions pas, dans les animaux, d'autres exeii pies de phénomènes analo- gues et d'autres cas dans lesquels il se formerait une matière sucrée aux dépens d'une substance animale et par le moyen d'une fermentation semblable. Nous avons trouvé des conditions dans lesquelles des phéno- mènes tout à fait analogues ont lieu, et dans lesquelles on voit des njatièn^s organi(|ues fermenter et donner naissance à des principes sucrés. C'est une découverte 388 GLYGOGÉiNIE FŒTALE. que nous pouvons rapprocher (Je celle que nous venons devons signaler àpiopos du foie, et nous aurons encore par là une démonstration nouvelle de cette proposition que nous avons établie, à savoir, que le sucre n'est pas une production d'origine exclusivement végétale, mais qu'il se développe aussi dans les animaux, et qu'il n'y a pas, sous ce rapport, entre les deux règnes, cette dis- tinction si tranchée qu'on s'était cru fondé à y voir. Nous vous avons déjà dit quelques mots sur les phé- nomènes qui se passent chez le fœtus pendant les pre- miers temps de la vie embryonnaire, avant que la fonc- tion du foie soit établie. C'est dans celle période qui précède Tapparition du sucre dans le foie que nous voyons des fermentations glycosiques se montrer dans divers tissus. Vous vous rappelez sans doute qu'en étudiant les phénomènes chimiques qui accompagnent le dévelop- pement de l'embryon, j'avais été conduit à voir que, quand on abandonne h eux-mêmes des muscles et des poumons dans des conditions de température convena- bles, on voit que ces tissus musculaire et pulmonaire deviennent très-acides, tandis que les mêmes tissus pris sur un animal adulte fournissaient facilement des pro- duits ammoniacaux très-alcalins. Cette acidité me pa- raissait être due à de l'acide lactique . Voici en effet cet acide et des sels cristallisés qu'il forme avec le cuivre, le zinc et la chaux, et dont la préparation a été faite par M. Leconle. Ulc fois l'acide lactique bien constaté, nous devions naturellement penser, d'après les connaissances chimi- GLYCOGÉME FŒTALE. ^^^ ques actuelles, qu'il décrivait du sucre, car nous sa- vions que l'un des moyens de l'obtenir consiste à met- tre en présence, à une douce chaleur, du sucre et des matières albuminoïdes. Il y avait lieu de se demander alors si les fermentations spontanées que nous voyons s'opérer sous nos yeux, et qui aboutissent à la forma- tion d'acide lactique, ne présenteraient pas comme in- termédiaire la production d'une matière sucrée. C'est en effet ce qui a lieu : nous avons extrait de ces mus- cles du sucre ayant tous les caractères du glucose, et se transformant, sous l'intluence de la levure, en acide carbonique et en alcool, dont voici un échantillon très- concentré. Ces expériences sont très-simples à faire et à répé- ter; il suffit d'aller prendre dans les abattoirs des fœtus de veaux qui y. sont en grande abondance, de séparer leurs poumons et leurs muscles, de les laver et d'y ajouter de l'eau en proportion telle que les tissus soient complètement immergés. Mais quand la température est élevée, la fermenta- tion marche si vite et arrive si rapidement à la produc- tion d'acide lactique, qu'il est très-difficile de saisir l'intermédiaire sucré par lequel elle passe. C'est ce qui nous arrivait l'été dernier, lorsque nous commençâmes ces recherches. 11 fallait trouver un moyen pour faire que la fermen- tation n'allât pas si vite et que le sucre pût s'accumuler sans se détruire aussitôt après sa formation. Nous avons pour cela employé diverses substances, et celle à la- quelle nous nous sommes arrêté est l'alcool. Au lieu 390 GLYCOGÉNIE FŒTALE. donc (Je laisser biigiier les muscles et les poumons de nos fœtus dans Teau pure, nous les placions dans de l'eau additionnée d'un tiers ou d'un quart d'alcool. Le liquide, dans ces conditions, se charge de sucre qu'on y voit apparaître dès le lendemain. L'accès de l'air est un des plus puissants agents de ces fermentations, et il est convenable de tenir ces produits dans des flacons bouchés où il n'y ait pas un trop grand renouvellemerit d'air, surtout si la tempéra- ture se trouve élevée; ou voit alors, quand on recu(iile l'air resté emprisonné dans le flacon en contact avec la matière en fermenlation, qu'il y a eu disparition de l'oxygène et formation d'acide carbonique. Ce gaz ne peut pas provenir de la fermentation laclique, qui con- siste simplement dans la fixation d'un équivalent d'eau sur le sucre. Provienl-il de la fermentation glycosique aux dépens de la matière organique? C'est ce que nous ne pouvons pas déterminer encore. Voici, par exemple, un morceau de muscles de fœtus dans de l'eau alcoolisée. Si je prends le liquide de ma- cération, si j'y ajoute du tartratecuprc-potassiqueelsije fais bouillir, vous voyez une réduction extrêmement abondante vous accuser l'existence de la matière sucrée. On peut concentrer ce liquide en lévaporant à sec, reprenant par l'eau ; puis eu retirer le sucre et en ob- tenir finalement, par la levure, de l'alcool et de l'acide carbonique au moyen du dédoublement que vous con- naissez tous. Mais il faut toujours éviter toutes les objections, et Ton pourrait dire que l'alcool que nous obtenons pro- GLYGOGÉNIE FŒTALE. 391 vient de celui que nous avons employé et qui est resté d'une manière quelconque fixé sur les substances or- ganiques en contact desquelles on l'a mis. Cette objec- tion n'est pas sérieuse, car nous avons toujours fait évaporer l'alcool que nous avons employé; elle porte- rait au même litre sur les analyses des chimistes qui ont constaté ainsi dans le sang la présence du sucre. Nous avons cherché cependant à nous mettre en garde contre celte objection, et, pour cela, nous avons vu qu'il sufiisait de placer les tissus dans l'eau pure dans des conditions de température assez basse, pour que la fermentation glycosique pût s'opérer sans qu'elle fût immédiatement suivie de la fermentation lactique. De celte façon nous avons pu obtenir du sucre reconnais- sabie à tous ses caractères. Ce sucre fournissait, en définitive, de l'acide carbonique et de l'alcool, sans avoir employé la substance qui est le produit final qu'on a pour but de rechercher. Nous avons donc pris des poumons ou des muscles de veau que nous laissions baigner dans de l'eau or- dinaire à une température de + 5 à -f 6° seulement. Au moment même de leur immersion, les muscles, bien lavés pour les débarrasser de leur sang, ne conte- naient pas de trace de matière sucrée. Le lendemain, l'eau de macération présentait déjà une certaine pro- portion de sucre; elle en était plus chargée le sur- lendemain. Nous enlevions alors celte eau que nous faisions bouillir pour détruire les matières fermentes- cibl< s, et nous évaporions pour avoir des liquides suffi- samment concentrés. 392 GLYCOGÉNIE FŒCALK. Si nous remplaçons le liquide ([ue nous avions en- levé par une nouvelle quantité d'eau pure, les mêmes réactions pouvaient recommencer. Le lendemain, il y avait seulement dans le liquide des traci^s de matière sucrée qui augmentaient le jour suivant, et, aussitôt qu'à l'aide du réactif cupro-polas- sique nous obtenions une réduction considérable, nous arrêtions la fermentation avant que l'acide lactique se fût formé aux dépens du sucre; puis nous séparions le liquide, que nous faisions bouillir pour arrêter la fermentation et conserver le sucre, que nous concen- trions par une évaporation suffisante. Nous ajoutions de nouveau de l'eau aux tissus pulmonaire et muscu- laire, et nous pouvions obtenir ainsi trois ou quatre infusions sucrées, après quoi la matière semblait épui- sée, et l'on ne pouvait plus en retirer de sucre. C'est avec des liquides sucrés obtenus de cette façon que nous avons retiré l'alcool que nous vous montrons ici, et qui brûle parfaitement, comme vous pouvez en juger tous. Si nous n'avions pas retiré le sucre à mesure qu'il se produisait, bientôt il se serait formé dans la liqueur une réaction très-acide, par suite de la décomposition du sucre en acide lactique. 11 faut que la fermentation marche ainsi lentement, quand on veut obtenir ce pro- duit. Si la température est trop élevée et la fermenta- tion trop prolongée, les gaz qui se dégagent alors de la fermentation sont des mélanges d'acide carbonique et d'hydrogène, et l'on trouve de l'acide butyrique dans la liqueur. GLYCOGÉNIE FŒTALE. 30:^ Mais, pour obtenir seulement de l'acide lactique, on arrête la fermentation à un certain point, et l'on em- ploie le procédé suivant, qui est celui dont M. Leconte s'est servi. On sature, à l'aide du carbonate de chaux, la liqueur acide provenant de la fermentation des muscles ou des poumons de fœtus; on filtre et l'on évapore à siccité au bain-marie. On traite alors par l'alcool, qui sépare le résidu en deux parties : l'une soluble et l'autre insoluble. On ajoute, dans la partie alcoolique soluble, de l'acide sulfurique jusqu'à ce qu'il y en ait un léger excès de manière à précipiter toute la chaux, et en se débarrassant de la plus grande partie de l'alcool par une distillation au bain-marie, après avoir ajouté un excès de carbonate de plomb et un peu d'eau, on main- tient la température jusqu'à ce que le liquide ne rou- gisse plus le papier bleu de tournesol; on filtre pour se débarrasser de l'excès de carbonate et de sulfate de plomb : il reste ainsi le sel organique (iactate) de plomb qu'on évapore au bain-marie. On traite derechef le résidu par l'alcool, on obtient encore une solution al- coolique et un nouveau résidu insoluble, La solution alcoolique doit contenir le lactate de plomb. On sépare la majeure pai lie de l'alcool par la distillation , on ajoute de l'eau et l'on se débarrasse par l'ébullition du reste de l'alcool. On fait passer alors dans la liqueur un courant d'hydrogène sulfuré qui forme du sulfure de plomb, qu'on sépare par filtratiou. On concentre de nouveau le liquide très-fortement au bain-marie, on traite le résidu ainsi obtenu par l'éther, qui laisse une liqueur brune, insoluble, et enlève une substance très- 39i GLYCOGÉNIE FŒTALE. acide; on distille l'éiher au bain-marie, et, après avoir ajouté de l'eau à la lijjueur brunâtre acide, on la divise en trois parties : l'une, saturée par le zinc, donne lieu à un dégagement d'hydrogène très-infect ; la deuxième, saturée par l'oxyde de cuivre, se colore fortement en vert; la troisième est saturée par le carbonate de chaux. Ces trois liqueurs, filtrées et abandonnées à l'évapo- ralion spontanée dans des verres de montre, donnent lieu à des crislaux faciles à reconnaître au microscope pour des lactates de zinc, de cuivre et de chaux. Du reste, la liqueur acide présente toutes les propriétés physiques de l'acide lactique. Tous ces phénomènes dont nous venons de parler sont très-intéressants pour le chimiste, mais ils le sont bien plus pour le physiologisti^, parce qu'ils ne se produisent que pendant un temps déterminé de la vie embryonnaire. En effet, cette propriété qu'ont les muscles de se convertir en sucie est tout à fait temporaiie, et elle n'appartient qu'au fœtus, et senlemeut pendant les pi'e- miers temps de la vie intra-utérine; car, du moment que les fonctions du foie sont établies, les phénomènes que nous venons d'indiquer cesst^nt peu à peu d'avoir lieu dans les muscles et dans les poumons. Voici, en effet, un muscle de veau âgé d'un an, qui a été mis depuis très-longtemps dans de l'eai alcoolisée et qui n'a développé aucune matière sucrée, tandis qu'un muscle de la même partie du corps d'un fœtus très- jeune présente du sucre en très-grande quantité; ce dernier liquide réduit abondamment le réactif bleu, GLYCOGÉNIE FŒTALE. 39o tandis que l'autre ne donne aucune espèce de précipité. 11 y a, ainsi que vous le voyez, une différence radicale dans les produits de la décomposition d<'s chairs mus- culaires et pulmonaires prises à ditrérents âges. Dans le fœtus, cette décomposition donne lieu à une réaclion acide qui est un caractère de la viécomposition de beaucoup de matières végéiales, et là nous pouvons encore, en invoquant de nouveau un rapprochement entre les végétaux et les animaux, dire qu'il se passe en réalité, dans le dévtaliisafion de l'hématine, matière constiluaute des globules du sang, il a pu l'avoir à l'état de pureté, et c'est avec cette substance qu'il a fait du su- cre de la manière suivante. Il a observé, en soumettant cette matière à la distilla- tion sèche, qu'elle doFinait lieu d'abord à un pi'oduit acide, et que ce n'est qu'ensuite, lursque la lempérature devenait plus élevée, qii'il se développait des malières ammoniacales; dès lors il pensa qu'il pouvait y avoir là d(Mix principes copules, l'un azoté, l'autre non azoté. Or il s'agissait d'enlever l'azote à l'hématine. Pour cela Lelimann fit dissoudre c^^tte substance dans do l'alcool, puis ajouta de l'acide nitrique, et porta le mélange à l'ébullition. Sous Tinfluence de la chaleur il se forma de l'éther nilreux qui se dégagea et enleva l'azote delà matière organi pie, et ce qui resta était du sucre et une autre matière acide non azotée. Ce sucre reluit lessels de cuivre dissous dans un excès d'acali et donne avec la levure de bière de l'acide carbonique et de l'alcool. Cette expérience très-élégante de Lehmann démon- tra donc, pour la première l'ois, la possibilité de trans- GLYCOGÉNIE FŒTALE. 399 former chimiquement une matière albuminuïde en sucre. Mais il est clair, Messieurs, que ce n'est point ainsi que les choses se passent dans le f'ue et dans les tissus du fœtus, où nous avons observé de semblables trans- formations. Li's réactions que nous produisons dans nos laboratoires avec des agents chimiques énergiques ne font qu'indiquer la possibilité de décompositions ou de transformations qui peuvent s'opérer sous l'action vitale d'une manière moins violente. C'est ainsi qu'avec de l'aride sulfuri([ue ou chlorhydrique nous transfor- mons de l'amidon en sucre, mais cela s't ffcclue au sein des tissus végétaux ou dans nos organes par une sim- ple fermentation. Il en est de même de la graisse, qui ne se dédouide dans nos laboratoires en acide gras et en glycérine qu'avec les agents acides ou alcalins les plus énergi- ques, mais pour laquelle le suc panciéalique tout seul, qiii ne paraît doué que de propriétés chimiques très- faibles, amène immédiatemi^nt ie même résultat au moyen d'une matière organique qui joue le rôle de fer- ment. Nous arrivons à conclure, comme données défini- tives sur le mécanisme de la formation du sucre dans le foie : r que le sucre se forme aux dépens des ma- tières albuminoïdes; 2° que ces matières albuminoïdes donnent naissance au sucre par suite d'une véritable fermentation qu'elles subissent, et dans laquelle il se forme des produits intermédiaires encore peu connus. Tels sont les deux résultats que nous ne devons pas 100 GLYCOGÉNIE FŒTALE. perdre tle \ue au milieu de ces digressions dans les- quelles nous ont entraînés nos découvertes nouvelles^ sur lesquelles ie vous demanderai la permission de vous dire encore quelques mois dans la prochaine séance. VINGT ET UNIEME LEÇON 10 MARS 1855. SOMMAIRE : Présence du sucre dans l'urine des fœtus. — Dans l'allantoïde. — Explication de ce phénomène. — Propriétés du sucre des muscles. — Transformations du liquide amniotique. — Usages du sucre dans la vie intra-utérine pour empêcher l'infiltration des tissus. — Expériences. — L'animal a constamment besoin de matière sucrée. — De la mort à la suite de la cessation des fonctions du foie. — Terminaison de quelques expé- riences commencées dans les séances précédentes. — Suite de l'expérience de la section des pneumo-gastriques entre le poumon et le foie. — Au- topsie de l'animal. — Expérience sur la section des nerfs sympathiques qui se rendent au foie. — Réflexions sur la difficulté des expériences phy- siologiques. Messieurs, Nous savons actuellement que la fonction glycogéni- que du foie ne commence qu'à un certain âge de la vie intra-utérine, mais nous savons aussi que l'èli^e orga- nisé ne manque pas pour cela de matière sucrée pen- dant cette période primitive de la vie. Nous avons vu que cette matière se produit dans la gangue des tissus et qu'il y là une sorte de phénomène de germination animale sur lequel je n'ai pu encore vous indiquer que quelques détails très-insuffîsants, car nous sommes, sous ce rapport seulement, à l'entrée d'une voie toute nouvelle, destinée, je crois, à fournir des résultats très- féconds. Toutefois il me reste encore quelques faits nouveaux BERNARD. \. 26 402 GLYCOGÉNIE FŒTALE. à vous indiquer relativement h cet état primitif de la fonction glycogénique chez les fœtus. Ces détails se relieront d'ailleurs avec des faits que j'avais vus anté- rieurement, mais dont je n'avais pas saisi alors la signi- fication; et, de plus, nous verrons qu'il se passe dans les différentes périodes de la vie intra-utérine des phé- nomènes que nous ignorons encore complètement. Je vous ai dit comment j'avais découvert autrefois que l'urine des fœtus contient toujours du sucre, et com- ment je m'étais trouvé embarrassé ensuite de ce fait qui n'était plus aucunement en rapport avec les théo- ries qui m'y avaient conduit. En effet, j'avais vu que ce sucre existe dans l'urine avant qu'il se forme dans le foie. Et voici, par exem- ple, un fœtus de veau dans l'urine duquel nous con- statons une grande quantité de sucre, tandis qu'en trai- tant son foie comme nous le faisons habituellemenl, nous n'obtenons pas la moindre trace de cette matière. D'un autre côté, j'avais vu que le sucre disparaissait de l'urine des veaux bien avant la naissance et au mo- ment où la matière sucrée se développait dans le foie. 11 n'y avait donc pas, comme on le voit, possibilité, chez le fœtus, d'établir un rapport entre cette matière sucrée de l'urine et la fonction glycogénique du foie, puisque, quand le sucre existait dans l'urine, le foie n'en contenait pas, et que, lorsqu'il cessait de s'y ma- nifester, le foie commençait au contraire à en pro- duire. Nous voyons ainsi que, primitivement, tous les in- dividus sont diabétiques, et j'ai constaté cela sur d'au- GLYCOGÉNIE FŒTALE. 403 ires animaux, sur des petits chiens, par exemple. Mais cela n'ayant lieu que pendant une époque très -li- mitée, on ne trouve plus ce symptôme au moment de la naissance, et j'ai vainement cherché, à Fépoque de la naissance, du sucre dans l'urine des fœtus humains ou dans leur liquide amniotique. Cela n'a rien qui doive étonner, puisque, comme je viens de vous le dire, les choses se passent exactement de même chez les ani- maux. Maintenant, nous pouvons établir la liaison de ce fait singulier avec cette formation du sucre dont nous avons parlé dans la dernière séance, et qui se rencontre dans les premiers temps de la vie intm-ulérine. Dès le début, et pendant les premières semaines de l'organi- sation, cette matière sucrée se forme, comme nous l'a- vons vu, dans le tissu qui se développe, mais elle ne paraît pas se détruire à ce moment de la vie, elle est emportée par la circuhition dès que celle-ci s'établit et passe alors dans l'urine. Maintenant cette urine sucrée qui s'accumule en grande quantité remplit non-seulement la vessie, mais encore un réservoir communiquant avec celle-ci, qui est l'allantoïde, dans laquelle on trouve constamment aussi un liquide sucré. Vous voyez ici {{[g, 20) un fœtus entouré de ses membranes ; vous pouvez distinguer d'une part Tallan- toïde AL, d'autre part l'amnios AM, reconnaissables à la couleur de leur liquide qui est citrin dans la pre- mière cavité, clair et opalin dans la seconde. 404 GLYCOGÉNIE FŒTALE. Fig. 20. Fœtus de veau entouré de ses membranes. AL, allantoïde. Du côté droit on a enlevé la membrane externe, et le liquide amniotique est entouré par une membrane unique. — C, du côté gauche, on a laissé la membrane cotylédonaire dont on voit la coupe en G; sur elle rampent les vaisseaux omphalo-mésentériques X, allant se rendre au corps cotylédonaire CP, CP, CP ; du côté droit, ces vaisseaux X ont été cou- GLYCOGÉNIE FŒTALE. 405 pés. Chaque extrémité de l'amnios est fermée par un bouchon jaunâtre de nature épithéliale ^7, a. — L'amnios AM, AM, contient le fœtus nageant dans le liquide amniotique, et tenant avec l'allantoïde par le cordon ombilical. On voit encore la vésicule ombilicale. Fig. IL Le fœtus extrait de la cavité amniotique. Le ventre a été ouvert et les éléments du cordon ombilical servant de communication avec l'allantoïde ont été disséqués. — F, foie. — V, V, extrémités de la veine ombilicale se réunissant en un seul tronc au moment où elle traverse l'ombilic. — V, 0, vésicule ombilicaire communiquant avec l'intestin. — 0, ouraque faisant communiquer la vessie du fœtus V avec l'allantoïde. Les deux artères ombi- licales sont situées de chaque côté de l'ouraque, et parallèlement à elle. Nous constatons la présence du sucre dans ce liquide allantoïdien en proportions considérables. Il y a en effet une forte réduction du tartrate cupro-potassique. Le liquide amniotique en contient également, mais de très-faibles traces, soit que cette matière y parvienne par endosmose entre les membranes délicates et conti- guës qui enveloppent ces liquides, soit que cette pro- portion de sucre y arrive par le canal de l'urètre qui doit déverser l'urine dans la cavité amniotique, si la vessie expulse son contenu. Il y a un autre fait intéressant relatif à ce sucre de la vie primitive du fœtus, c'est qu'il dévie la lumière polarisée autrement que le sucre du foie. Ainsi, le li- quide allantoïdien dévie la lumière polarisée à gauche comme le sucre de canne; cependant il a toutes les au- tres propriétés de sucres de deuxième espèce, il fer- mente très-facilement, brunit avec la potasse, et réduit les sels de cuivre. Proust a dit que le liquide allantoïdien contient du sucre de lait, mais le sucre de l'amnios fermente très- vite, et sous ce rapport il diffère beaucoup de l'espèce de sucre signalée par ce chimiste. 400 GLYCOGÉNIE FŒTALE. Le sucre de muscles ou de i^oumon dévie à droite comme le sucre de diabèles. Celte différence de résul- tats dans l'examen optique du sucre obtenu dans l'al- lantoïde ou dans la vessie, avec celui du sucre obtenu des muscles ou du poumon par voie d'une fermenta- tion spéciale, n'indiquerait pas du tout que ces sucres sont d'origine différente; cela pourrait tenir tout simplement à ce que le sucre que nous avons dû obte- nir en assez grande quantité pour pouvoir le soumet- tre à la lumière polarisée provient toujours d'une fer- mentation. Or, pendant cette fei'mentalion, il se forme toujours une proportion assez notable d'acide pouvant alors réagir sur le sucre pour modifier les caractères optiques qu'il aurait s'il restait dans une liqueur neu- tre ou légèrement alcaline, comme cela a lieu pour le liquide aîlantoïdien. On connaît d'autres exemples de cette modification, et l'on sait que le sucre de fruits dévie à gauche pri- mitivement, mais que, après avoir été soumis pendant longtemps à Faction de Tair ou à l'action d'un acide, il dévie à droite, sans que, pour cela, ses autres carac- tères chimiques aient été modifiés. Le sucre qui existe dans l'allantoïde de même que celui qu'on rencontre dans l'amnies, mais en plus petite quantité, disparaît chez les veaux vers le cin- quième ou sixième mois de la vie intra-utérine, à la même époque où cette matière sucrée disparaît égale- ment de l'urine. Voici^ par exemple, du liquide aîlan- toïdien pris sur un veau qui avait au moins six mois de vie intra-utérine. Ce liquide est bien plus coloré que GLYCOGÉNIE FŒTALE. 407 chez les fœtus plus jeunes : il est devenu en même temps visqueux, il n'est nullement sucré. Le liquide amniotique, de même, ne contient aucune trace de sucre, et il a pris une consistance gluante et visqueuse. On dirait que ce sucre a subi cette espèce de fermenta- tion qu'on appelle visqueuse, et qui pourrait s'opérer d'autant plus facilement dans ces conditions, qu'elle s'accomplit sans dégagement d'aucun gaz. S'il en était ainsi, les partisans des causes finales pourraient voir là un des usages secondaires du sucre pendant la vie in- tra-utérine; ce sucre, après avoir, pendant un certain temps, empêché l'imbibition ou l'infiltration des tis- sus, qui sont si délicats h cette époque de la vie, parle liquide amniotique, se changerait, vers les approches de la parturition, en subissant la fermentation vis- queuse, en une matière propre à favoriser la lubrifac- tion des voies et le glissement facile du fœtus. Quant à moi. Messieurs, je veux tout simplement fixer dans votre esprit les faits qui sont les suivants : l** La présence du sucre dans l'urine du fœtus, dans le liquide allantoïdien et amniotique, pendant les pre- miers temps de la vie intra-utérine. 2° La disparition de ce sucre de tous les liquides pré- cités vers la période qui précède la naissance, ce qui coïncide avec l'épaississement et la viscosité qu'acquiè- rent alors ces mêmes liquides, qui peut-être ont pour effet de favoriser la parturition. Si, maintenant, nous réfléchissons à tout ce que nous avons dit précédemment, nous voyons qu'il y a deux périodes dans la vie du fœtus; l'une pendant la- 408 GLYCOGÉNIE FŒTALE. quelle le sucre paraît se former sans se détruire, l'au- tre pendant laquelle le sucre se produit et se détruit. En effet, dans les premiers temps du développement organique, avant que le foie entre en fonctions, nous trouvons du sucre qui se forme dans les tissus, ainsi que nous l'avons dit, et qui passe dans la circulation et est porté de cette manière dans la vessie et dans les liquides allantoïdien et amniotique, où il séjourne sans qu'on voie sa destruction s'opérer. Plus tard, lorsque le foie commence à fonctionner, il se forme toujours du sucre, peut-être même en plus grande quantité, et ce- pendant nous n'en trouvons plus aucune trace dans la vessie. Il y a deux conclusions très-importantes qu'on peut tirer de ces faits : la première, c'est que, si le su- cre a un usage, comme cela n'est pas douteux, dans les premiers temps de la vie intra-utérine, cela ne peut pas être en se détruisant qu'il le remplit, mais au contraire en se formant; et ce serait au moment où la matière animale azotée entre dans une sorte de fermentation et se dédouble en abandonnant les éléments qui consti- tuent le sucre, que les cellules organiques prennent naissance. Nous pourrons rapprocher cette hypothèse de ce qui se passe dans le foie chez l'adulte, où nous voyons le sucre se former et des cellules analogues aux globules blancs se produire en très-grande quantité, ainsi que le démontrent les expériences de Lehmann. Ces globules, en effet, ne sont que des cellules organi- ques destinées à une évolution ultérieure, ce qui n'em- pêche pas, dans cette période de la vie adulte, que le sucre ne puisse encore, indépendamment de cet usage, USAGES DU SUCRE DANS LE SANG. 409 en remplir d'autres secondaires, soit en circulant avec le sang, dont il augmente la densité et empêche l'in- filtration dans les tissus et dont il favorise conséquem- ment la circulation en général, et particulièrement dans le tissu délicat du poumon où il doit recevoir le contact de l'air. Des expériences extrêmement intéressantes prouvent cette utilité. Si l'on fait traverser le poumon par de l'eau pure, en ayant soin de pratiquer la respiration artifi- cielle, dans les premiers moments le liquide injecté dans l'artère pulmonaire revient par la veine sans dif- ficulté, mais bientôt le tissu du poumon s'infiltre, le liquide éprouve une grande difficulté à passer, il s'ex- travase dans les bronches, et bientôt la circulation est impossible. Les mêmes choses se produisent pour les reins et le système capillaire des membres, etc. Mais, si l'on ajoute à l'eau du sucre, même en pe- tite quantité, l'infiltration n'a pas lieu, et la circulation peut continuer pendant des heures entières; il serait donc probable que, sur l'animal vivant, le sucre qui sort du foie ait pour effet de concourir à empêcher l'in- filtralion quand le sang traverse les poumons. La seconde conclusion à tirer de ces faits, c'est qu'il y a dans le fœtus une période de la vie où le sucre se détruit parfaitement sans l'intervention de la respira- tion. Ainsi, dans les quatre ou cinq derniers mois de la vie intra-utérine des veaux, il y a beaucoup de sucre dans leur foie, dans le sang qui en sort, et cependant les urines n'en contiennent pas, preuve que le sucre se détruit dans le torrent de la circulation sans interven- •*10 GLYGOGÉiNIE ANIMALE. tion de l'air, dans le placenta ou ailleurs ; ceci est im- possible à vérifiera cause des difficultés de faire desex- périences sur des animaux de Loucherie en état de gestation, ces animaux seraient cependant seuls assez gros pour se prêter à des observations de ce genre. Cela vient à l'appui d'une proposition que nous avons émise dans une des séances précédentes, que le sucre ne se dé- truit pas par un phénomène de combustion en rapport avec la quantité d'oxygène en nature qui entre dans l'organisme, car, chez le fœtus, la respiration ne s'ef- fectue pas, et le contact direct du sang et de Toxygène ne saurait avoir lieu. C'est donc, comme nous le di- sions, par une sorte de fermentation que le sucre se détruit dans le sang. Nous n'avons pas encore pu isoler ]a matière fermentescible qui détruit le sucre dans l'or- ganisme, et nous ne pouvons pas dire précisément si cette matière ne proviendrait pas du foie lui-même. Nous ne pouvons qu'établir l'apparence de coïncidence qui existe entre le moment où le sucre commence à se détruire chez le fœtus et le moment où il commence à apparaître dans le foie. Ainsi, l'être organisé est toujours pourvu de matière sucrée. Dès les premiers moments de sa vie, le sucre existe dans ses tissus, bien que le foie n'en produise pas encore, et l'on en trouvera jusqu'à la mort. J'ai fait beaucoup d'expériences pour savoir si les animaux peuvent vivre longtemps quand les fonctions du foie sont arrêtées, et j'ai toujours vu que la vie ne pouvait se prolonger au delà de quelques jours. Quand on coupe les pneumo-gastriques chez un animal, il L'ARRÊT DE LA GLYCOGÉNIE AMÈNE LA MORT. 411 meurt au bout de trois ou quatre jours. On a cherché dans ce cas à expliquer la mort de bien des manières, en la rapportant à la paralysie des organes auxquels se rendent les nerfs. On a dit que c'était parce que l'estomac ne fonctionne plus, mais on sait que les animaux peuvent vivre sans manger pendant seize ou vingt jours, et qu'ils ne pé- rissent d'inanition qu'au bout de ce temps. On a prétendu ensuite que la mort arrivait par suite de l'engorgement des poumons, qui survient très- souvent à la suite de cette section, et qui amène alors une véritable asphyxie ; mais cet engorgement manque très-fréquemment. 11 a lieu surtout quand on opère sur déjeunes animaux; mais chez les vieux mammi- fères et chez les oiseaux, on ne trouve jamais les pou- mons altérés, et le sang est vermeil dans les artères comme à l'ordinaire. On a dit encore que la mort arrivait par le cœur, qui reçoit aussitôt les filets des pneumo-gastriques; mais les mouvements du cœur ne sont pas interrompus un seul instant, ils se continuent jusqu'à la mort et sont même plus rapides. Ainsi, toutes ces explications sont insuf- fisantes, et ce qui me paraît le plus probable, c'est que la mort survienne par suite de la cessation des fonc- tions du foie, qui ne sécrète plus alors une matière indis- pensable aux phénomènes de nutrition des organes. Le sucre qui était formé au moment de l'opération s'épuise rapidement, et la vie s'éteint quand il n'y en a plus. C'est peut-être pour suppléer à l'absence du sucre, qui ne se produit plus dès que la fièvre survient chez 412 L'ARRÊT DE LA GLYCOGÉNIE AMÈNE LA MORT. les malades, qu'on leur donne, et qu'ils prennent avec plaisir et par instinct, des tisanes sucrées. Maintenant, Messieurs, nous sommes arrivés à la fin de l'histoire physiologique de la formation du sucre dans l'organisme animal, et vous voyez combien de phénomènes intéressants nous ont dévoilés ces études, combien de questions nouvelles ont soulevées ces re- cherches, qui, il y a quelques années, étaient entière- ment ignorées; elles ouvrent aujourd'hui un champ qui s'élargit chaque jour de plus en plus devant l'expé- rimentation. Nous ne prétendons pas avoir tout dit sur cette ques- tion; nous avons, au contraire, indiqué avec soin les desiderata de la science, en vous disant nettement ce qu'il y avait d'acquis et ce qu'il y avait à faire dans cette même direction. Actuellement, il est temps que nous abordions l'exa- men comparatif des connaissances que nous a fournies la physiologie, avec les phénomènes pathologiques que nous avons eu pour but d'éclairer par elle, ce qui est le but final de notre cours. Mais avant de clore cette partie purement physiologi- que, nous avons quelques expériences qui sont restées en arrière et dont nous allons vous rendre compte. La première est celle par laquelle nous devons dé- montrer que la section des pneumo-gastriques produit des effets différents sur la sécrétion du sucre, suivant que l'on opère à différentes hauteurs. Nous avons prouvé que la section de ce nerf opérée dans la région cervicale fait disparaître constamment le sucre dans le tissu du LES NERFS INFLUENCENT DIFFÉREM. LA GLYGOGÉNIE. 413 foie; nous voulons vous montrer actuellement que la section de ces nerfs au-dessous du poumon ne produit pas le même effet . Voici un animal que nous avons opéré depuis douze jours environ, et, certes, le sucre au- rait bien eu le temps de disparaître, s'il n'avait pas continué à se former, puisque, comme vous le savez, vingt-quatre heures au plus suffisent pour le détruire. Du reste, cet animal n'a pas été complètement à jeun; nous l'avons nourri avec des substances d'une digestion facile, telles que du bouillon. Car les pneumo-gastri- ques qui se rendent à l'estomac étant coupés, les sécré- tions de cet organe sont, sinon suspendues, au moins dérangées, et l'estomac surtout est complètement pa- ralysé du mouvement. En un mot, la direction stomacale seule est troublée par l'opération ; mais la digestion intestinale continue parfaitement, ce qui, pour le dire en passant, improuve le système dans lequel on a voulu que l'estomac, et sur- tout le pylore, fût le seul point du tube intestinal où se fît la digestion, idée qu'on pouvait soutenir peut-être dans le siècle dernier, mais qui n'est plus en rapport avec les faits actuels. Ce chien a été sacrifié ce matin. Les nerfs avaient été parfaitement coupés, comme vous pouvez le voir, sur l'animal mort, qu'on a préparé pour vous montrer le travail de cicatrisation qui a déjà com- mencé à s'opérer sur les bouts nerveux. Vous voyez, en effet, au deux extrémités du nerf, de petits renflements comme des ganglions, qui indiquent le commencement du travail de réparation. Il y a encore des aliments dans l'œsophage, ce 414 INFLUENCE DES NERFS qui prouve que la déglutition était rendue difficile. Les sécrétions stomacales ont continué h s'efFectuer, ce qui n'aurait pas eu lieu si le pneumo-gastrique eût été coupé dans la région du cou ; mais les fibres muscu- culaires de l'organe sont complètement paralysées. Quant au foie, il contient toujours beaucoup de su- cre. Voici, en effet, une décoction de son tissu qui donne, avec le réactif cupro-potassique, une réduction abondante et qui fermente activement. La section des pneumo-gastriques, qui, faite dans la région cervicale, arrêtait la production du sucre, ne l'empêche donc plus quand elle est opérée dans la poitrine entre le poumon et le foie. Il s'agit d'une autre expérience dont nous vous avons promis le résultat. Celle-ci, nous ne l'avions jamais * faite, elle nous est venue à la pensée, et nous vous avons associés aux éventualités denses résultats, afin que vous puissiez être initiés à la manière dont on fait les expé- riences de physiologie. Nous nous sommes guidé d'a- près deux idées, l'une que l'activité plus grande de la circulation pouvait favoriser ou exagérer la formation du sucre dans le foie, l'autre que l'on pouvait obtenir cette exagération de la circulation par la section des filets du grand sympathique, comme vous avez vu cet effet se produire dans la tête après la section du filet cervical du grand sympathique. Maintenant il y avait dans cette expérience une infi- nité de difflcultés de tout genres que vous allez com- prendre sans peine. D'abord, difficulté matérielle d'al- ler couper profondément, à l'entrée du foie, des nerfs SUR LA GLYCOGÉNIE. 415 qui se trouvent entourés de la veine porte, des artères hépatiques, des vaisseaux lymphatiques et du canal cholédoque, toutes choses qu'il fallait ménager; en second lieu, l'incertitude desavoir si nous produirions le résultat que nous voulions obtenir. Et l'insuccès pouvait dépendre do deux causes, soit que l'activité de la circulation ne fût pas augmentée, car toutes les parties du système sympathique ne produisent pas cette exagération de calorification que nous vous avons mon- trée pour la portion cervicale de ce nerf. La section de la partie thoracique du grand sympathique ne pro- duit aucunement les mêmes effets, sans que nous con- naissions la cause de cette différence. D'autre part, nous pouvions produire une activité de circulation telle, qu'une inflammation en fût la conséquence, et qu'alors, au lieu d'obtenir une exagération physiologique de la fonction du foie, nous n'eussions produit qu'une périto- nite et une hépatite amenant en même temps l'aboli- tion du sucre. Vous voyez donc, Messieurs, par ces exemples, que nous pourrions multiplier k l'infini, de combien d'in- certitudes on se trouve entouré quand on veut insti- tuer une expérience et en prévoir les résultats. Les in- connues sont si nombreuses, qu'on ne peut jamais être certain de ce que l'expérience donnera. Il arrive^ par conséquent, très-souvent qu'on fait des expériences qui ne fournissent aucun résultat satis- faisant pour le but qu'on se propose. Seulement il est bien entendu que, lorsqu'on publie un travail, on doit éviter, pour la clarté du sujet, de faire connaître ces 410 INFLUENCE DES NERFS SUR LA GLYCOGÉNIE. làtonnements inutiles. Mais cela présente alors, à l'es- prit de celui qui ne fait que lire, la physiologie comme une science facile dans laquelle toutes les expériences réussissent, ce qui est loin d'être vrai dans la pratique. C'est ici le lieu de vous initier à ces difficultés dont il est important que vous ayez une idée exacte pour bien comprendre les complications du sujet, et ne pas vous décourager quand vous voudrez l'aborder plus tard. ici , par exemple, contrairement à nos prévisions, nous n'avons produit ni diabète ni péritonite; l'animal paraît être en pleine santé comme avant l'opération , et nous le garderons en cet état pour en faire plus tard l'autopsie. Messieurs, la fin du semestre nous oblige prochaine- ment à terminer ce cours. Il ne nous reste plus que quatre leçons. Les deux prochaines seront consacrées à l'examen des symptômes pathologiques du diabète sucré et à leur explication au moyen du rapprocliement des faits physiologiques. Les deux dernières séances seront consacrées à un résumé général et à une revue de toutes les discussions dont la fonction glycogénique du foie a été l'objet depuis sa découverte, soit en France, soit à l'étranger. Nous ne laisserons de côté aucun des arguments pour ou contre; nous les résumerons devant vous de la manière la plus complète et de façon que vous ayez l'état actuel de la question, et que vous ne sortiez d'ici qu'avec l'esprit bien fixé sur les faits, sur la valeur des arguments qui ont été employés de part et d'autre dans la discussion. VINGT-DEUXIEME LEÇON 13 MARS 1855. SOMMAIRE : Application de la physiologie à la pathologie du diabète. — Pathologie comparée. — Cas de diabète signalés chez les animaux. — Or- ganes malades dans cette affection. — Hypertrophie des reins. — Hyper- trophie des membranes de l'estomac. — De l'état du foie dans le diabète. — Atrophie du pancréas. — Présence du sucre dans tous les organes chez les diabétiques morts subitement. — Désordres nerveux. — Les matières féculentes et saccharoïdes ne sont-elles pas des excitants du foie? — Réac- tion d'autres organes sur le foie. Messieurs, Nous devons actuellement nous servir des lumières que nous a fournies jusqu'ici la physiologie pour éclai- rer autant que possible les phénomènes de la maladie connue sous le nom de diabète. C'est toujours ainsi qu'il faut procéder, des sciences les plus simples aux plus comphquées, et sous ce rapport, quoique la physio- logie étudie des phénomènes excessivement complexes, ceux de la pathologie le sont encore bien davantage; mais quand les premiers sont suffisamment connus, il devient très-facile d'y rattacher les seconds. Nous devrions d'abord chercher si la pathologie comparée peut nous fournir des matériaux, car c'est toujours une circonstance très-heureuse pour l'étude d'une maladie, qu'elle soit commune à l'homme et aux animaux. On peut faire alors sur ces derniers des étu- BERNARD. I. 27 418 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE des expérimentales qui, seules, sont susceptibles de conduire rapidement à la détermination des rapports entre les symptômes et les lésions qui se présentent dans un cas morbide. Quand on ne peut faire de telles études que sur l'homme, la difficulté des observations, la rareté des cas, l'impossibilité des autopsies dans toutes les circonstances et à différentes époques de la maladie, rendent nécessairement beaucoup plus lente la solution du problème. C'est grâce à cette excursion dans le champ de la pathologie comparée, dont le do- maine a été considérablement agrandi en France par M. Rayer, qu'on doit de connaître si bien aujour- d'hui l'histoire pathologique comparée de certaines maladies. Relativement au diabète, la pathologie comparée ne peut rien nous fournir. Les vétérinaires signalent à la vérité un diabète assez fréquent chez les chevaux, se manifestant surtout après l'ingestion de certaines sub- stances, telles que la luzerne fraîche, par exemple. Mais le diabète en question n'est qu'une simple polyurie; les chevaux rendent alors de très -grandes quantités d'u- rines, qui sont souvent claires, au lieu d'être jumen- teuses comme à l'ordinaire. Mais l'analyse chimique n'y a jamais démontré la présence du sucre. Il s'agi- rait donc là de ce qu'on appelle le diabète non sucré ; mais vous savez qu'on ne donne plus aujourd'hui ce nom à l'accroissement pur et simple de la quantité des urines. M. le docteur Jessen, directeur de l'école de méde- cine vétérinaire de Dorpat, dit qu'on rend les chevaux A LA PATHOLOGIE DU DIABÈTE. 419 réellement diabétiques, c'est-à-dire glycosuriqiies, en leur faisant manger de l'avoine altérée par l'humidité. Dans tous les cas, il ne s'agirait ici que d'un symptôme tout à fait temporaire et en rapport avec une alimenta- tion spéciale ; nous savons qu'on pourrait, à la rigueur, produire le même effet, en ingérant de grandes quan- tités de matières sucrées dans l'intestin. Je ne connais qu'un seul cas de diabète persistant qui ait été observé sur un chien par M. Leblanc, vétérinaire à Paris; mais on n'a pas fait d'expériences bien détail- lées, et le cas de cette observation doit être considéré comme un fait très-rare. Jusqu'à présent nous n'avons pas pu réussir physio- logiquementà produire un diabète continu. La piqûre rend les lapins diabétiques, mais quelquefois seulement pendant une heure, si elle est légère; si elle est plus profonde, l'effet peut durer pendant cinq ou six heures, ce qui est le cas le plus commun ; rarement le diabète dure plus de vingt-quatre heures. Chez des chiens, j'ai observé des diabètes qui duraient plus longtemps, et dans un cas, entre autres, j'ai gardé un chien diabé- tique pendant sept jours. Il résulte donc de tout cela que le diabète sucré, tel qu'il se présente chez l'homme, avec sa gravité, est une maladie dont sont exempts les animaux, et qui n'appartient spécialement qu'à notre espèce, sur la- quelle nous sommes réduits, par conséquent, à faire nos études. La première question qu'on se pose quand il s'agit d'une maladie, c'est de se demander quel est l'organe 420 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE malade. C'est un besoin de noire esprit de se reposer sur quelque chose de précis; sans oublier que souvent ces lésions peuvent nous échapper, parce qu'elles ne sont pas sensibles à nos moyens actuels d'investigation, et qu'elles peuvent souvent exister comme conséquence localisée de maladies plus ou moins générales ; et sans oublier enfin que, même dans une lésion locale, il y a toujours une harmonie entre tous les organes, de telle façon qu'une altération retentit plus ou moins loin sur les fonctions voisines. On a placé le diabète dans beaucoup d'organes, on en a fait tour à tour une maladie des reins, une maladie de l'estomac, une maladie du sang, etc. ; et il y avait sans aucun doute des raisons pour étayer quelques-unes de ces opinions. Ainsi^en ce qui concerne les reins, il est évident que chez les diabétiques en général, particulièrement lors- que le diabète a duré longtemps, ces organes sont hy- pertrophiés. xM. Rayera déjà signalé ce fait depuis long- temps, et je l'ai retrouvé chez un diabétique mort dans son service d'apoplexie pulmonaire, et dont j'ai fait l'autopsie. Les reins étaient plus volumineux; le droit, bien dépouillé de sa capsule et de ses vaisseaux, pe- sait 240 grammes; le gauche, 250 grammes. Cette dif- férence entre les deux reins existe généralement ; mais les poids que nous venons de donner sont bien plus forts que ceux que l'on rencontre dans l'état normal. Huschke donne 1 1 1 grammes pour poids du rein gau- che, et 108 pour le rein droit. M. Rayer indique, dans son ouvrage sur les maladies des reins, aussi 100 à A LA PATHOLOGIE DU DIABÈTE. 421 125 grammes comme poids ordinaire du rein. La sub- stance des reins parait du reste plus vasculaire et comme hypertrophiée, ce qui s'explique jusqu'à un certain point par l'excès de la fonction excrétoire de l'urine chez les diabétiques qui offrent en même temps une évacuation considérable de ce liquide; et ce qui prouve cette proposition, c'est que, dans les polyuries simples, sans apparition du sucre, il y a également une hyper- trophie des reins sans altération du tissu. Chez les dia- bétiques qui ne sont pas polyuriques, cette augmenta- tion de volume des reins n'a pas lieu. Quand on enlève un rein, opération qui se fait facilement chez un chien, et dont l'animal se rétablit parfaitement, on sait que l'autre s'hypertrophie, de sorte qu'on voit que l'hyper- trophie coïncide avec une augmentation de l'action excrétoire. On ne peut donc pas attribuer au sucre une influence particulière sur le rein, et admettre que cet organe élimine le sucre, parce qu'il est malade; on sait d'ailleurs que, à l'état de santé, le rein laisse parfaite- ment passer le sucre, pourvu qu'il y en ait une assez grande quantité dans le fluide sanguin. Bien que je n'admette pas que généralement le sucre puisse avoir une action irritante nuisible sur le rein, cependant je dois dire que souvent, quand on fait des injections su- crées dans les veines des animaux les reins finissent par devenir malades. Je présentai, il y a trois ans, à la Société de biologie, les reins d'un lapin qui avait subi des injections sucrées dans les veines pendant un cer- tain nombre de jours, et chez lequel le rein par con- séquent avait dû éliminer l'excès de sucre injecté. Ces 422 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE organes présentaient évidemment des traces d'inflam- mation, et dans le rein gauche il y avait des abcès, dont un était assez considérable. J'ai observé des faits ana- logues après l'injection des substances autres que le sucre, et peut-être même ces résultats se présenteraient- ils après des injections d'eau pure répétées longtemps. Pour justifier l'opinion d'une maladie de l'estomac, on a signalé chez les diabétiques une hypertrophie des membranes de ce viscère. J'ai également constaté, à l'autopsie de diabétiques qui avaient eu un appétit très- considérable, que les parois de l'estomac étaient plus épaisses qu'à l'état normal. Mais il y avait, dans les cas que j'ai observés, hypertrophie pure et simple sans al- tération organique. Les fibres musculaires de l'esto- mac se voyaient parfaitement; la membrane muqueuse avait des villosités plus visibles qu'à l'ordinaire. Cette hypertrophie dépend de Texcitation du système diges- tif des diabétiques, dont on sait que toutes les fonctions nutritives sont singulièrement activées. Chez les malades qui n'ont pas l'appétit exagéré^ et cela se rencontre assez souvent, on ne trouve générale- ment pas alors cette hypertrophie des membranes de l'estomac, tandis qu'on l'observe aussi dans les cas de polydipsie pure et simple dans lesquels il existe sou- vent, comme on le sait, un appétit vorace. On a dit que les diabétiques sécrétaient dans leur estomac une diastase particulière, mais on a retrouvé cette matière dans la salive, qui peut être avalée. Je me borne donc à vous signaler cette opinion, qui est de M. Bouchardat. A LA PATHOLOGIE DU DL\BÈTE. 423 Quant aux altérations du sang qu'on a supposées coïncider avec le diabète, à savoir, son acidité ou plu- tôt son défaut d'alcalinité, jamais aucune observation ne l'a confirmé, et c'est là une pure hypothèse. Maintenant, Messieurs, que la fonction glycogénique se trouve parfaitement établie, nous sommes conduits tout naturellement à localiser le diabète dans le foie. Mais alors quelle sera l'altération de cet organe qui correspondra au diabète ? D'après tout ce que nous avons dit du mécanisme physiologique de la maladie, l'altération fonctionnelle qui doit y correspondre est évidemment une exagération de la formation du sucre qui coïncide très-souvent, comme nous l'avons dit, avec une exagération des facultés digestives et de l'excrétion urinaire. Mais comment comprendre cette exagération fonc- tionnelle du foie au point de vue du sucre? D'une part, par l'augmentation du volume de l'organe, qui se pré- sente très-gorgé de sang, et d'autre part, par la quan- tité plus considérable de sucre que présente son tissu. Nous sommes porté à penser que chez les diabétiques l'état du foie doit être ainsi, et quand on peut observer cet organe dans des conditions favorables, on y trouve les caractères que nous venons d'indiquer. C'est ainsi que chez un diabétique mort presque subitement, dans le service de M, Rayer, d'une apoplexie pulmonaire, j'ai trouvé le foie très-volumineux et son tissu très-abon- damment chargé de matière sucrée. Voici les chiffres que nous avons obtenus à ce sujet, et que nous avons mis en regard avec les résultats obtenus sur Thomme sain. 424 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE Sucre calculé Poids pour 100 p. , ^ ,. , , c ■ IX- r • P*^"'' la lotahté du foie. du tissu frais , r- du foie. Sucre ■ la lot du foie. Diabétique mort subitement ; à jeun depuis la veille 2,500 2,300 57,500 Supplicié en digestion 1,200 2/142 25,704 — cà jeun de la veille 1,300 1,790 23,270 Homme tué d'un coup de fusil. . 1,575 1,100 17,000 On voit par ce tableau que la quantité de sucre pro- duit par un poids égal de tissu hépatique ne diffère pas beaucoup chez le diabétique et chez l'individu sain ; c'est au point de vue de la masse des parties sécrétan- tes qu'il y a des différences qui sont ici comme i est à 2, et l'on voit les quantités de sucre produit propor- tionnelles à cette masse. Mais il arrive souvent que les diabétiques meurent lentement; ordinairement la maladie se termine par la phthisie, qui, lorsqu'elle est parvenue à sa dernière période, suffit pour faire disparaître les symptômes du diabète; les urines, devenues moins abondantes, ne contiennent plus de sucre, l'appétit alors diminue, la fièvre hectique s'allume, etc. Le malade n'est plus dia- bétique; aussi quand on vient, dans ces conditions, à faire son autopsie, le foie ne contient plus de sucre, et ne présente pas non plus de traces d'hypertrophie. J'ai fait un certain nombre d'autopsies de malades morts dans cet élat, et le foie, comme dans la plupart des cadavres, ne présentait pas de sucre, et il n'y avait pas de différence sensible entre cette autopsie et celle d'un phthisique ordinaire. C'est là ce qui se présente quand la phthisie est lente; mais j'ai vu un cas de A LA PATHOLOGIE DU DL\BÈTE. 42o phthisie aiguë, où une malade diabétique est morte, présentant encore du sucre dans l'urine et dans le foie. Je signalerai en passant deux cas d'autopsie de dia- bétiques dans lesquels j'ai trouvé le pancréas excessi- vement petit et très-atrophié, sans pourtant présenter d'autres altérations que cette diminution de volume. Cette atrophie du pancréas coïnciderait-elle avec un symptôme signalé par certains auteurs, savoir, la pré- sence des matières grasses dans les selles des diabéti- ques? Dans les cas dont il est ici question, l'attention n'avait pas été dirigée vers les symptômes pendant la vie des malades. Indépendamment de la présence du sucre dans le foie, il faut encore signaler l'existence de cette matière en très-grande quantité dans tout le sang. C'est là un fait qui est bien connu aujourd'hui, et bien souvent j'ai eu l'occasion de vérifier, dans le service de M. Rayer, que le sérum du sang d'un diabétique, qui est alcalin comme le sérum ordinaire, réduit très-abondamment par le liquide cupro-polassique, tandis que le sérum des autres malades, traité de la même manière, ne donne pas de rédaction. Du reste, lorsque le sang des diabétiques est abandonné à lui-même, le sucre finit par disparaître, ce qui prouve qu'il n'y a rien qui em- pêche le sucre de s'y détruire. On trouve également du sucre dans le sang des dia- bétiques qui sont morts subitement en présentant le symptôme des urines sucrées. Quand on vient à faire l'autopsie d'un diabétique, 420 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE mort subitement, vingt-quatre ou trente-six heures après le décès, on trouvera du sang sucré dans tous les organes et dans tous les tissus, et vous le comprendrez facilement, car le sang d'un diabétique étant chargé de sucre, l'infiltration qui survient après la mort imprègne de cette matière toutes les parties du corps. C'est un phénomène purement cadavérique, et qui d'ailleurs peut être reproduit directement avec facilité. Si l'on prend, par exemple, deux lapins et qu'on les rende tous deux diabétiques, et que, au moment de la plus grande intensité du phénomène qu'a produit la piqûre de la moelle allongée, on les sacrifie tous deux, l'un par hé- morrhagie, l'autre par strangulation, et qu'on les abandonne tous deux jusqu'au lendemain dans les mêmes conditions, on verra que celui qui a perdu tout son sang ne présente plus dans ces organes la moindre trace de sucre, tandis que les tissus de l'animal tué par strangulation sont imbibés de sucre. Nous avons déjà signalé quelque chose de semblable à propos de la bile. Vous savez qu'on avait été induit en erreur quand on a émis l'opinion que la bile était su- crée, parce qu'on avait rencontré du sucre dans la bile des cadavres dont on faisait l'autopsie vingt-quatre heures après la mort. Vous savez que c'est là un simple effet d'endosmose qui n'a jamais lieu pendant la vie, où jamais on ne trouve là de sucre dans le liquide biliaire de la vésicule. De même chez les diabétiques, pendant la vie, le sang seul est sucré; les tissus, excepté celui du foie, ne le sont jamais; mais, après la mort, en vertu de son A LA PATHOLOGIE DU DL\BETE. 427 pouvoir endosmotique considérable, le sucre s'infiltre dans tout l'organisme. Le cervelet, et en particulier les parties qui sont voi- sines du confluent postérieur, du liquide céphalora- chidien, constamment sucré, même à l'état normal, paraissent présenter une plus grande proportion de sucre que le reste de l'encéphale, ce qui s'explique par l'infiltration cadavérique du liquide céphalorachidien, très-sucré chez les diabétiques. Ainsi, il est très-bien établi, par des autopsies faites dans des conditions convenables, que chez les diabéti- ques il y a plus de sucre que dans l'état ordinaire ; que ce sucre est répandu par tout l'organisme, et que cela tient à ce que le foie ayant augmenté de volume, la quantité de sa sécrétion sucrée se trouve par là même considérablement augmentée. C'est donc le foie qui est l'organe affecté; mais, où est la lésion qui produit cette exagération de la fonc- tion glycogénique? Évidemment cette cause peut siéger dans le tissu hépatique lui-même, mais elle peut égale- ment lui être extérieure et déterminer l'exagération morbide de la sécrétion glycogénique, par des actions portées sur des organes qui réagissent d'une manière réflexe sur le foie lui-même, sans que l'individu en ait conscience ; ces phénomènes pathologiques sont pro- duits par des troubles des centres nerveux. On peut comprendre que les fonctions organiques puissent se trouver perverties, par l'influence nerveuse, au même titre que les fonctions de la vie de relation, comme cela a lieu, par exemple, dans l'épilepsie, la chorée, etc. On 428 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE remarque, en effet, que la plupart des diabétiques pré- sentent généralement quelques désordres émanant du centre cérébro-spinal. Dans l'harmonie générale des fonctions de l'indi- vidu, le foie se trouve lié aux autres organes, de telle sorte que l'un de ces derniers recevant une excitation, celle-ci se transmet au foie par une action réflexe, dont nous n'avons pas conscience, mais qui cependant se trouve démontrée par des faits physiologiques. Vous vous rappelez, en effet, qu'en agissant au moyen du galvanisme sur le bout central pneumo-gastrique, coupé dans la région du cou, nous déterminons une suracti- vité dans la fonction glycogénique, qui fait apparaître le sucre dans les urines. Or, dans ces actions sympathiques, il peut se pré- senter deux cas qui deviendront deux causes de dia- bète : ou bien les organes qui sont en connexité d'ac- tion avec le foie reçoivent des impressions plus vives et les transmettent à l'organe hépatique; ou bien les excitations venues du dehors restant les mêmes, le foie est devenu plus excitable et sécrète davantage. Dans le dernier cas, on comprendra que les aliments absorbés dans l'intestin et charriés par la veine porte, réagissent d'une manière plus énergique sur l'organe devenu plus irritable, et produisent ainsi le diabète. Nous vous avons dit, en effet, que l'on faisait appa- raître le sucre dans l'urine des animaux en leur injec- tant dans la veine porte de l'ammoniaque ou de l'éther. On comprend qu'un liquide plus excitant, ou un foie plus excitable puisse déterminer les mêmes effets. A LA PATHOLOGIE DU DIABÈTE. 429 11 resterait à savoir si la matière sucrée ne serait pas, dans les cas de diabète, un excitant du foie, car on s'a- perçoit que chez les malades, pour peu qu'on leur donne des matières féculentes ou saccharoïdes, les uri- nes présentent aussitôt de grandes quantités de sucre qui ne sont nullement en proportion avec la quantité de celte même matière qui a pu être introduite dans l'intestin. Dans d'autres cas, sans que le foie lui-même soit malade, l'excitation peut encore venir d'un autre or- gane et être transmise par action réfiexe. Quand on porte, par exemple, une irritation sur le poumon, dont les fonctions sont liées d'une manière si intime avec celles du foie, on détermine une plus grande sécrétion du sucre, qui peut alors passer dans les urines, ainsi que cela a lieu sous l'influence des va- peurs qui excitent le poumon. Ici l'irritation agit sur les extrémités nerveuses des filets du pneumo-gastrique, qui existent dans le poumon, de la même manière que le galvanisme agit quand on excite directement le bout central du mêaie nerf, coupé dans la région du cou. Et ce qui tend encore à prouver qu'il en est ainsi, c'est que, si après cette section du même nerf, on fait res- pirer à l'animal les mêmes vapeurs irritantes qui tout à l'heure produisaient le diabète, on n'obtient plus rien de semblable, parce que l'impression portée sur le poumon n'arrive plus aux centres nerveux. 11 pourrait donc se faire que le poumon fût plus excitable, et que l'action de l'air produisit sur lui une impression plus vive qu'à l'état normal ; dès lors le foie 430 PHYSIOLOGIE DU DIABÈTE. serait aussi plus vivement excité. On sait, en effet, que les diabètes meurent presque tous de phthisie pul- monaire. Cette affection a-t-elle précédé celle du foie ou en est-elle une conséquence, c'est ce qu'il serait difficile de déterminer. Pour produire le diabète, il y aurait donc deux or- dres de lésions, les unes intérieures au foie, les autres qui lui sont extérieures. De sorte que, lorsqu'on veut localiser la maladie, il faut savoir qu'on peut en trou-^ ver le point de départ dans une infinité de parties de l'organisme, et l'on voit aussi combien un problème pathologique est compliqué, mais combien aussi il est susceptible de s'éclairer pas les données physiologi- ques. VINGT-TROISIÈME LEÇON 17 MARS 1855. SOMMAIRE : Symptômes du diabète. — C'est une maladie apyrétique. — Ca- ractères des urines. — Sucre. — Sucre de lait dans l'urine d'une femme récemment accouchée. — La présence du sucre dans l'urine suffit-elle pour caractériser le diabète? — Présence passagère du sucre dans les urines. — Diabètes intermittents. — Aigus. — Alternants. — Continus. — De l'urée dans l'urine des diabétiques. — Acide urique. — Albumine. — Quantité des urines dans le diabète. — Leur rapport avec les boissons ingérées. — Observation. — Boulimie et polydipsie. — Absence de la sueur. — Théorie à ce sujet. — Phénomènes nerveux accompagnant le diabète. — Influence des féculents sur le diabète. — Influence des médicaments énergiques sur les symptômes du diabète. Messieurs, Nous ne pouvons qu'esquisser très-largement les ca- ractères du diabète, parce que le temps nous presse. Dans la dernière séance, nous avons jeté un coup d'œil rapide sur le siège anatomo-pathologique de cette affection. Aujourd'hui nous allons en examiner les ma- nifestations extérieures, c'est-à-dire les symptômes. Nous devons d'abord remarquer que le caractère es- sentiel du diabète, c'est d'être une maladie ne ressem- blant en rien aux maladies aiguës ou fièvres continues qui entraînent après elle l'abolition des fonctions diges- tives ou nutritives, et obligent les malades à rester dans leur lit, etc. Le diabète, au contraire, est ce qu'on ap- pelle une maladie apyrétique. Cette affection, loin d'en- 432 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE traîner une diminution ou une abolition des facultés digestives, coïncide plutôt, au contraire, avec une exa- gération de ces mêmes fonctions : la faim, la soif, sont souvent considérablement augmentées, les digestions très-actives, et cependant, à côté de cette suractivité des propriétés digestives, nous voyons les individus maigrir rapidement et arriver à un état de marasme qui est même un des caractères de la maladie. Ceci prouve qu'il y a une perversion dans un des points des facultés nutritives. Les aliments, quoique parfaitement digérés et absorbés, ne remplissent pas leurs usages ordinaires de restaurer l'individu, et, malgré cette alimentation surabondante, l'organisme s'affaiblit, soit que l'on con- sidère que l'action morbide agisse mécaniquement en donnant lieu à des pertes exagérées qui ne peuvent se réparer suffisamment, soit qu'on considère l'action morbide comme un dérangement chimique qui rend les aliments digérés impropres à l'assimilation. Quoi qu'il en soit, nous allons passer rapidement en revue les différents symptômes du diabète, et voir leur relation avec les phénomènes normaux de la fonction glycogénique. Examinons d'abord le symptôme le plus saillant et celui qui est regardé comme le principal caractère. Je veux parler de l'examen des urines. La modification essentielle et pathognomonique des urines des diabéti'^es, c'est la présence d'un sucre analogue au glucose, ayant la propriété, comme vous savez, de dévier à droite le rayon polarisé, de brunir par la potasse, de réduire les sels de cuivre, de fermenter en A LA PATHOLOGIE DU DL\BÈTE. 433 donnant de l'acide carbonique et de l'alcool. On ne trouve jamais dans les urines une autre espèce de sucre, quand même ce principe y arriverait accidentellement par une ingestion considérable de matières sucrées. Quand les diabétiques, par exemple, prennent du sucre de canne, ils rendent toujours du sucre de diabète, et jamais du sucre de première espèce en nature. Quand un homme bien portant ou un animal ingè- rent, étant à jeun, une quantité considérable de sucre de canne, il arrive souvent, comme nous vousl'avons dit déjà, qu'une certaine quantité de sucre peut passer dans les urines ; mais on le trouve toujours à l'état de glucose, ce qui tient sans aucun doute à une transformation qu'il a dû subir en traversant le foie. Cependant, quand le sucre est ingéré en aussi grande quantité et surtout dans une liqueur très-concentrée, il peut arriver, ainsi que cela a été dit ailleurs, qu'il y ait une endosmose directe entre l'intestin et la vessie, à travers les parois de ces organes, sans que le sucre, dans cette circonstance, soit changé de nature. C'est sans doute à des phénomènes de ce genre que sont dus les résultats obtenus par Schmidt, qui dit avoir trouvé à la fois du sucre de canne et du sucre de raisin dans l'urine des chats, dans l'estomac desquels il avait ingéré une solution concentrée de sucre de canne. Il peut se pro- duire dans ces cas quelque chose d'analogue à ce qui a lieu quand on injecte dans l'estomac d'un animal mort une dissolution concentrée de sucre de canne : au bout d'un certain temps on en retrouve dans la vessie. Dans un cas, en examinant l'urine d'une femme qui BERNARD. I. 2 8 434 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE avait présenté pendant l'accouchement des phénomènes d'éclampsie, et qui avait en même temps de l'albumine dans les urines, j'ai trouvé des proportions assez consi- dérables de sucre, qui me parut être du sucre de lait, parce que ce sucre présentait tous les caractères du glucose, sauf la fermentation qui fut excessivement lente. La présence de ce sucre de lait pouvait, jusqu'à un certain point, s'expliquer, parce que cette femme, nouvellement accouchée et n'allaitant pas son enfant, avait les mamelles distendues par le lait. C'est le seul cas de ce genre que j'aie eu l'occasion d'observer, et il serait intéressant de savoir si le sucre de lait, dans ces circonstances, se rencontre toujours ou souvent dans les urines. On voit donc par cela que les urines des diabétiques sont caractérisées par une espèce de sucre bien déter- miné, tout à fait analogue au sucre de fécule, et que la présence du sucre de canne et du sucre de lait, dans les urines, ne peut être due qu'à des circonstances tout à fait exceptionnelles et qui ne constituent jamais un cas de diabète. Mais la présence dans l'urine du sucre de diabète analogue à celui du foie est-elle suffisante pour carac- tériser le diabète, et est-on diabétique par ce seul fait qu'on a trouvé du sucre dans l'urine? La déQnition de la maladie ne saurait être aussi exclusive, car nous avons vu qu'il peut accidentellement, et d'une manière tout à fait temporaire, passer du sucre, dans le cas de certaines alimentations, et nous pouvons dire aussi que le sucre apparaît dans certaines circonstances sans que Ton soit A LA PATHOLOGIE DU DIABÈTE. 43S diabétique. On a dit, par exemple, que le sucre passait dans les urines chez les épileptiques pendant l'accès ; ce fait, qui n'a pas été confirmé par tous les observateurs, peut, suivant nous, s'expliquer par un trouble momen- tané du système nerveux qui ait pour effet, soit de chas- ser par les convulsions une plus grande quantité de su- cre du foie, soit de produire cette apparition par -un autre mécanisme; mais, dans tous le cas, ce sont des quantités très-faibles qui existent alors. On a encore dit qu'il y avait du sucre dans l'urine des vieillards dans certains états pathologiques du pou- mon, ainsi que chez des vieillards atteints de gangrène sénile. On a même prétendu que les diabétiques pou- vaient être plus facilement atteints de gangrène, ce que je n'ai jamais observé, etc. Il peut se faire que dans un certain nombre de cir- constances qui sont encore à déterminer, car il y a dis- sidence entre les observateurs à ce sujet, le sucre se ma- nifeste dans les urines d'une manière passagère. Mais, dans tous ces cas, la matière sucrée est en très-faible quantité, et nous pensons qu'on ne peut pas les ranger sous la catégorie de diabète dans lequel, non-seulement le sucre est beaucoup plus abondant, mais se présente accompagné d'autres phénomènes. Il y a ici à faire pour le diabète la distinction que M. Rayer a établie depuis longtemps pour la maladie de Bright (1), à savoir, que l'albumine qui caractérise spécialement les urines dans cette affection se rencontre dans beaucoup d'autres cas (1) Traité des maladies des reins et des altérations de la sécrétion ur maij^e. 436 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE qu'on ne saurait considérer comme des cas d'albumi- nurie. Il en est de même du sucre qui, bien qu'il caracté- rise le diabète, peut se rencontrer dans d'autres cas qui ne doivent pas pour cela être rapportés à cette affection. Nous avons dit aussi que la présence du sucre^ en certaine quantité et d'une manière durable, était un des caractères du diabète; cependant nous devons nous rappeler qu'il y a des diabètes intermittents dans lesquels le sucre n'apparaît qu'au moment de la diges- tion pour disparaître dans l'intervalle de deux repas, mais qui finissent souvent par aboutir au diabète con- tinu. Nous devons savoir aussi qu'il y a ce qu'on appelle des diabètes aigus^ c'est-à-dire des diabètes dans les- quels le sucre apparaît subitement et avec intensité dans les urines, le plus ordinairement sous l'influence d'une cause morale, et disparaît ensuite rapidement sous l'influence d'un traitement quelconque. Nous devons savoir encore reconnaître ce qu'on pourrait appeler des diabètes alternants, c'est-à-dire des diabètes se succé- dant par accès avec les symptômes d'une autre mala- die, et, particulièrement, avec des accès dégoutte ou de rhumatisme. On voit quelquefois des malades goutteux, dont les urines contiennent beaucoup d'acide urique, présenter tout à coup le symptôme des diabétiques, et les urines se charger de sucre, c'est-à-dire la goutte se changer en un accès de diabète. M. Rayer cite un cer- tain nombre de ces cas, et moi-même j'en connais un qui est très- caractérisé. Enfin, on a encore parlé des diabètes périodiques, A LA PATHOLOGIE DU DL\BÉTE. 437 c'est-à-dire dans lesquels la maladie ne se manifeste que par périodes distinctes, apparaissant de loin en loin. Peut-être pourrait-on encore admettre d'autres for- mes de diabètes ; mais de toutes, la plus grave est, sans contredit, le diabète continu. Dans tous ces cas, la quantité de sucre est bien plus considérable au mo- ment oîi la digestion est dans toute son activité, c'est- à-dire environ quatre ou cinq heures après un repas, ce qui est parfaitement d'accord avec les données physiologiques. En même temps que les urines des diabétiques pré- sentent du sucre, elles offrent encore d'autres carac- tères soit dans leur quantité, soit dans quelques-uns de leurs principes constituants ; c'est ce que nous allons examiner successivement. On a dit que les urines des diabétiques ne contenaient pas d'urée, et l'on en a conclu que, chez les diabéti- ques, cette substance ne se formait plus. Schmidt, en particulier, se basant sur cette idée, émet l'hypothèse que les matériaux de l'urée peuvent servir à faire le su- cre, et que la quantité de sucre produite serait d'autant plus grande que la quantité d'urée serait moindre. Mac Gregor prétend, au contraire, que les diabéti- ques ont beaucoup plus d'urée que les hommes en état de santé, parce que, dit-il, si l'on trouve moins d'urée dans un litre d'urine d'un diabétique que dans un litre d'urine d'un homme sain, cela tient à ce que Turine des diabétiques est beaucoup plus diluée; mais si l'on rassemble toutes les urines pendant vingt-quatre 438 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE heures, on reconnaît que la quantité totale d'urée e«L plus considérable que dans Tétat normal. Cependant, aux observations de Mac Gregor on peut opposer celle de Lehmann, qui a trouvé que, même en prenant l'urine de vingt-quatre heures, la quantité de l'urée est moindre chez les diabétiques. C'est encore sur cette diminution de l'urée, observée, d'ailleurs, de- puis très-longtemps, que serait fondé le traitement de Nicolas et Gueudeville, dans lequel on donnait de l'am- moniaque. C'est sur cette même croyance que MM. Yau- quelin et Ségalas ont eu l'idée de faire prendre de l'urée aux diabétiques pour en faire revenir dans les urines ; mais l'expérience ne répondit pas à leur pré- vision, et chez les diabétiques qui prenaient des quan- tités considérables d'urée, on n'en trouva pas davan- tage dans les urines : ce qui tient à ce que l'urée dans l'estomac se transforme en sels ammoniacaux, et que les malades en question, au lieu d'absorber de l'urée, ne prenaient, en réalité, que du carbonate d'ammonia- que. La même transformation de l'urée a lieu quand elle est excrétée par les voies digestives. Ainsi, sur les chiens qui ont eu les reins enlevés, l'urée sort du sang pendant le premier jour après l'opération, à l'état de carbonate d'ammoniaque. L'acide urique se rencontre rarement aussi dans les urines des diabétiques, et l'on a même cru que la pré- sence du sucre était incompatible avec cette matière. Mais il n'en est rien; car, s'il arrive quelquefois qu'on ne rencontre pas d'acide urique, on en trouve d'autres fois d'une manière, très-évidente, et même quelquefois A LA PATHOLOGIE DU DL\BÉTE. 439 en quantités suffisantes pour que cet acide forme des dépôts cristallins. Da reste, en général, on doit dire que la matière su- crée n'exclut aucun autre des éléments de l'urine, et que, si l'urée et l'acide urique n'existent pas chez les diabétiques, où le sucre est en très-grande proportion et les urines très-abondantes, ces principes peuvent exis- ter dans d'autres circonstances, surtout chez des dia- bétiques qui n'ont pas de polydipsie et qui ne rendent pas plus d'urine que dans l'état normal. Enfin, il est encore une matière qu'on peut rencon- trer dans l'urine des diabétiques, et à laquelle on a at- tribué une certaine importance : c'est l'albumine qui apparaît quelquefois pendant la dernière période de la maladie chez les diabétiques. MM. Thénard et Du- puytren pensaient que c'était un symptôme favorable, parce que cela indiquait la réapparition des matières animales dans l'urioe, qui sont généralement d'autant moins abondantes que le diabète est plus intense, et qui reparaissent successivement à mesure que le sucre diminue. M. Rayer croit, au contraire, d'après des ré- sultats cliniques, que c'est toujours un symptôme fâ- cheux et grave pour le pronostic, lorsqu'on voit l'al- bumine apparaître dans les urines, la physiologie appuie cette dernière manière de voir, en ce que l'on produit quelquefois, comme nous l'avons dit, par la piqûre de la moelle allongée, l'apparition, dans l'urine, de l'al- bumine en même temps que celle du sucre. Or, ce der- nier cas n'arrive que lorsque la lésion traumatique porte plus haut et produit des désordres plus graves, . 440 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE de sorte que les animaux meurent généralement de la lésion qui produit ces deux symptômes à la fois. Enfin, nous terminerons ce que nous voulons dire sur les urines des diabétiques, en ajoutant que leur l'éaction est généralement acide, et que, lorsque cette urine est abandonnée à elle-même, il s'y développe spontanément des globules de ferment alcoolique ou levure de bière. Nous devons actuellement nous arrêter sur la quan- tité des urines fournies par des diabétiques. On a dit depuis très-longtemps que ces malades rendaient des quantités énormes d'urines. Nous savons que ce carac- tère n'est pas constant, car on peut trouver des diabéti- ques qui ne rendent pas plus d'urines qu'à l'état normal ; mais il n'en est pas moins vrai que la polydip- sie est un symptôme grave et qui se rencontre fréquem- ment alliée au diabète. Seulement, on a prétendu qu'il y avait des diabétiques qui rendaient des quantités d'urine plus grandes que la quantité des boissons absorbées ; de sorte que, pour expliquer cet excès, il fallait invoquer des hypothèses, à savoir, que les dia- bétiques pouvaient absorber de la vapeur d'eau par les poumons ou par la peau, dont les fonctions seraient alors perverties ; qu'ils pouvaient fabriquer directe- ment de l'eau avec l'oxygène de l'air ou l'hydrogène provenant de leurs ahments, etc. Toutes ces hypothèses reposaient nécessairement sur l'exactitude du fait qu'elles voulaient expliquer ; mais, dernièrement, M. Nasse a avancé qu'aucun de ces faits ne paraissait être exact, car cet auteur, ayant voulu les A LA PATHOLOGIE DU DL\BÈTE. 441 vérifier, fut conduit à des résultats analogues d'abord, puis il reconnut bientôt une cause d'erreur venant de la part des malades, qui n'accusaient pas la moitié des boissons qu'ils prenaient. Pour éviter cette source d'erreur, M. Nasse enferma les malades dans des appartements séparés, en leur donnant des boissons autant qu'ils en désiraient, mais sans qu'ils pussent s'en procurer autrement. Or dans ces cas, jamais cet auteur n'a observé qu'il y ait une quantité d'urine rendue excédant celle de l'eau contenue dans les boissons ou dans les aliments, de sorte qu'il faut re- noncer tout à fait à admettre comme réel ce phénomène, ainsi que les hypothèses qui servaient à l'expliquer. Nous allons passer aux phénomènes qui se rappor- tent aux fonctions digestives. On a signalé comme symptôme du diabète la boulimie^ c'est-à-dire l'appétit exagéré, ainsi qu'une soif ardente. Ces phénomènes existent sans doute dans beaucoup de cas, et dans les plus graves, mais on ne saurait cependant re- garder ces symptômes comme pathognomoniques de cette affection ; car, d'une part, on ne les trouve pas dans tous les cas de diabète, et, d'autre part, on les rencontre aussi dans d'autres maladies. Ainsi, dans lapolydipsie, la boulimie et la soif ardente sont aussi fréquentes que dans le diabète proprement dit, et chez les diabétiques oii la quantité d'urine émise n'est pas très-considérable, la soif et l'appétit n'ont rien d'exagéré, de sorte que ces phénomènes seraient plutôt en rapport avec la quantité des excrétions qu'avec la présence ou l'absence du sucre -dans les urines. 442 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE Du reste, on a toujours mis en rapport la soif des diabétiques avec la déperdition considérable de liquide par les voies urinaires, et la boulimie, la polydipsie, n'étaient que l'expression du besoin de réparation des matières solides et liquides incessamment rejetées. On a cherché à expliquer l'expulsion considérable des urines par la présence du sucre qui, ayant un pou- voir endosmotique considérable, peut traverser avec plus de facilité les parois des capillaires des reins. Sans entrer dans l'appréciation de cette explication, nous re- marquerons qu'elle n'embrasse pas tous les faits, puis- que Qous retrouvons la même abondance d'urines dans la polydipsie simple. On a expliqué aussi cette exagé- ration dans les phénomènes digestifs par une propriété d'absorption plus grande que dans l'état normal. Le fait est évident, mais sa cause n'est nullement connue, On a encore parlé d'un autre symptôme fréquent chez les diabétiques, c'est l'absence de la sueur, et l'on a même fait à ce sujet des théories très-singulières. On a supposé, par exemple, que la sueur étant arrêtée chez les diabétiques, l'acide qui, à l'état normal, constitue un des principes de cette sécrétion, restait dans le sang, devenu alors moins alcalin, et empêchait par là le sucre de se détruire. Cette hypothèse, qui ne repose sur aucune preuve directe, puisqu'on n'a jamais trouvé de sang moins alcalin chez les diabétiques, se base aussi sur un fait qui n'est pas constant ; car s'il y a beaucoup de malades dans lesquels la sueur est arrêtée, il y en a un grand nombre aussi dans lesquels ce phé- nomène n'a pas lieu. Toutefois l'apparition du diabète A LA PATHOLOGIE DU DIABÈTE. 443 lui-même coïncide souvent avec un refroidissement à la suite duquel la transpiration est supprimée, et l'on a remarqué que la peau devient souvent rude et écail- leuse. On a donné encore cette explication que l'acide de la sueur, se trouvant alors éliminé par l'estomac, de- venait la cause d'une excitation d'où résultait un appétit exagéré. Il n'y a pas lieu de discuter de pareilles supposi- tions. Maintenant nous arrivons à un ordre de considéra- tions qui se rapportent à un appareil dont le rôle est plus important dans la production du diabète, ce sont celles qui sont relatives au système nerveux. Jusqu'à présent on a peu insisté sur ces phénomènes. Nicolas et Gueu- deville considèrent que le tempérament musculaire est une prédisposition au diabète ; mais cependant il paraît bien établi que ce sont les tempéraments nerveux qui sont plus disposés à ce genre d'affection. Depuis que l'attention a été portée de ce côté par les expériences que nous avons faites sur les animaux, on a fréquem- ment observé des troubles du système nerveux chez les diabétiques, et M. Rayer considère qu'il y a à peu près constamment des désordres nerveux chez ces malades. Seulement ces troubles sont excessivement variés, comme les manifestations elles-mêmes du sys- tème nerveux. Tantôt ce sont des désordres de sensi- bilité, de mouvement ou des phénomènes intellectuels, mais le plus souvent ces troubles portent sur les or- ganes intérieurs ou sur les organes génitaux ; ces der- 444 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE niers sont souvent exaltés dans leur action au com- mencement de la maladie, mais, plus tard, à une période plus avancée, leurs facultés s'abolissent com- plètement. 11 y a même souvent des troubles de la vue, et l'on a signaléla cataracte comme étant un symptôme accompagnant souvent le diabète. L'affection diabétique peut être également en rap- port avec des lésions directes du centre nerveux. C'est ainsi qu'on a fait une nouvelle espèce de diabète trau- matique qui serait la conséquence de certaines lésions directes ; ainsi on a observé, après des chutes, des commotions qui ont été suivies de diabète plus ou moins persistant. Nous devons maintenant chercher à comprendre pourquoi le diabète est regardé comme une maladie grave-; autrefois on le considérait même comme com- plètement incurable. Aujourd'hui le pronostic est moins grave, ce qui tient sans doute à ce qu'on reconnaît plus facilement le diabète à l'aide des caractères chi- miques de l'urine, ce qui n'avait pas lieu autrefois, où l'on ne devait diagnostiquer ces affections que quand elles étaient arrivées au degré le plus intense. Nous savons, d'autre part, que le signe réellement pathognomoniqueest l'émission du sucre par les urines en quantité considérable et d'une manière permanente coïncidant généralement avec des perturbations dans les fonctions du système nerveux. Car les autres symp- tômes, tels que la bouhmie, n'offrent pas une gravité très-grande, puisqu'on les trouve dans la polydipsie, dont le pronostic n'est pas très-fâcheux. On rencontre A LA PATHOLOGIE DU DIABÈTE. 445 également des troubles nerveux dans une foule d'autres cas peu sérieux, de sorte que, en réalité, il paraîtrait que c'est à la pertuibation de la fonction glycogénique qu'il faut attribuer toute la gravité de la maladie. Gom- ment l'altération de cette fonction glycogénique peut- elle avoir des conséquences si fâcheuses? Si nous consultons les lumières que nous fournit la physiologie sur ce point, nous nous rappellerons qu'il paraît y avoir dans le foie des diabétiques deux choses, d'abord une formation exagérée du sucre qui augmente encore sous l'influence d'une alimentation sucrée, ce qui n'a pas lieu dans l'état normal. Or, voici ce qui semble arriver chez les diabétiques. Le sucre se forme, comme nous l'avons vu, aux dépens des matières albu- minoïdes. Chez l'homme sain, il est clair qu'une partie seulement des matières albuminoïdss est consommée pour cet usage. Le diabétique, qui fait beaucoup de sucre, dépense une bien plus grande quantité de sub- stance azotée; le sang s'appauvrit, et, bien que l'indi- vidu mange énormément, il maigrit comme un homme mal nourri. Le foie prend en quelque sorte la ration des autres organes, qui subissent alors une atténuation considérable, parce qu'il transforme en sucre leurs élé- ments albumineux. On avait compris de tout temps que c'était par suite de cette disparition des éléments azotés que la maladie était grave; aussi les médecins conseillent universelle- ment, dans cette affection, l'usage d'ahments exclusive- ment albuminoïdes. Depuis Rollo on cherche à donner aux diabétiques 446 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE de l'azote sous toutes les formes, et c'est, je crois, ce qu'il y a de plus conforme aux notions physiologiques. Il y a une autre considération qui doit faire pros- crire du régime des diabétiques les aliments végétaux ; c'est qu'il est évident que ces derniers augmentent la suractivité fonctionnelle du foie ; vous savez aussi qu'ils sont excitants pour les reins, qu'ils sont beaucoup plus diurétiques que les matières animales. Ainsi, tous les herbivores rendent beaucoup plus d'urine que les car- nassiers. Il y a donc encore, dans le régime azoté mis en usage par les diabétiques, l'avantage de donner une substance qui ne soit pas diurétique. Enfin, nous terminerons par une dernière remarque. Quand on traite un diabétique, il ne faut pas perdre de vue que la première condition de la présence du sucre dans les urines est un état d'activité parfaite des fonctions digestives, et que toute altération dans ces fonctions par une cause quelconque fait immédiate- ment disparaître le diabète pendant tout le temps que dure l'altération. Sitôt qu'un diabétique est pris de fièvre, il cesse d'avoir du sucre dans ses urines; mais il ne faudrait pas en conclure que la maladie primi- tive a disparu, car, sitôt la fièvre passée, le diabète reviendra. Si l'on trouble les fonctions par une médication éner- gique, le diabète disparaîtra, jusqu'à ce que ce trouble soit passé ; il peut arriver alors que, pendant un certain temps, le malade ne présentera plus le symptôme de la glycosurie. Ainsi, je connais Thistoire d'un malade atteint d'un A LA PATHOLOGIE DU DIABÈTE. 447 diabète exlrêmement rebelle. On essaya sur lui un cer- tain nombre de médicaments, et il arrivait que tous diminuèrent pendant les premiers jours les symptômes du diabète. L'individu rendait moins d'urines et elles étaient moins sucrées ; mais, au bout de quelques jours, le malade était habitué à ce médicament, et la maladie revenait aussi intense qu'auparavant. Il se passait, dans ce cas, quelque chose de tout naturel : chaque médica- tion nouvelle apportait du trouble dans toutes les fonc- tions, celle du foie était atteinte comme toutes les autres, et le sucre cessait alors momentanément d'être produit en aussi grande abondance. Il ne faut donc ja- mais se faire illusion sur de semblables résultats, et ne pas considérer comme guéri un individu dont on aura, au moyen d'une médication quelconque, empêché mo- mentanément l'apparition du sucre dans les urines. Messieurs, le temps nous presse, et nous ne voulons pas en dire plus long sur ce sujet : nous croyons, d'ail- leurs, qu'il est plus important que nous consacrions les deux dernières leçons qui nous restent à faire une revue rapide des objections qui ont été opposées à la fonction glycogénique, et à rappeler les preuves de toute nature à l'appui de cette même fonction, afin que vous sortiez d'ici ayant l'esprit bien ïixé sur l'état actue de la question. VINGT-QUATRIEME LEÇON 20 MAiiS 1855. SOMMAIRE : Revue succincte des objections faites à la découverte de la fonc- tion glycogénique du foie. — Théorie de la formation du sucre aux dépens des matières grasses. — La formation de la matière sucrée ne serait-elle pas localisée dans un point de l'organisme? — Réfutation de ces opinions. — Mémoire contre la fonction glycogénique du foie. — Erreurs contenues dans ce travail. — Autre mémoire dans lequel on a pour but d'établir que le réactif cupro-potassique ne décèle pas toujours la présence du sucre quand cette dernière substance est mélangée avec l'albuminose. — Exa- men de cette opinion. — Expériences. — Liaison de ces deux travaux. — Le sang de l'artère hépatique ne contient pas de sucre. — Sucre formé par la glande mammaire, etc. Messieurs, Vous avez pu voir se vérifier pendant la durée de ce cours ce que je vous disais au commencement, au su- jet de l'enseignement du Collège de France, qui diffère essentiellement de celui des Facultés en ce qu'il ne s'oc- cupe que des questions qui s'agitent actuellement dans la science. Cet enseignement ne pouvait donc être ren- fermé strictement dans un programme prévu d'avance, parce qu'il naît toujours dans des études de ce genre une foule de points de vue nouveaux qui interrompent la marche dogmatique des idées, et auxquels on doit nécessairement consacrer quelques instants dans l'inté- rêt même de la science. C'est ce qui nous est arrivé, et vous avez vu qu'au EXAMEN CRITIQUE DE LA GLYCOGÉNIE. 449 moment où nous exposions successivement toutes les preuves sur lesquelles nous avions établi la fonction glycogénique du foie, et lorsque nous étions parvenu au milieu du cours, une discussion s'est subitement élevée et nous a mis en demeure de l'examiner, d'une part, parce que c'est notre devoir, et, d'autre part, parce que cette question relative à la formation de matière sucrée dans les animaux et les végétaux avait fait une sensation qui intéresse la physiologie générale au plus haut point. Nous vous avons déjà dit quelques mots de celte dis- cussion à l'époque oii elle prit naissance, mais nous avons voulu la laisser se développer tout entière dans tous les arguments avant de revenir sur elle d'une ma- nière plus complète. Aujourd'hui nous pensons que la plupart des objections se sont produites que nous allons les reprendre devant vous; et cet examen, qui résumera en même temps d'une manière complète la question qui a fait le sujet de ce cours, nous permettra de formuler définitivement d'une manière nette et précise l'état ac- tuel de la science sur ce sujet. Dans cette énumération des arguments nous ne dis- tinguerons, comme nous l'avons déjà dit, aucune per- sonne, nous ne chercherons pas à connaître la source des arguments, nous n'en discuterons que la valeur. Nous résoudrons, je l'espère, toutes les objections qui sont parvenues à notre connaissance, et, s'il en existait que nous ignorions encore, nous serons heureux qu'on nous les adressât, en tant toutefois qu'elles seront ba- sées sur des faits d'expérience. Nous ne reconnaissons BERNARD. I. . 29 4o0 EXAMEN DES OBJECTIONS pas d'autres arguments, le raisonnement scolastique devant être banni désormais de toute discussion scien- tifique. Nous suivrons tout naturellement ici l'ordre histo- rique, en prenant les travaux qui ont paru successive- ment depuis la publication de notre premier mémoire, à la fin de 1848. En 1850, un chimiste bien connu, M. Schmidt, pu- blia un ouvrage sur le choléra épidémique. A la fin de ce travail il a placé un fragment sur la théorie du dia- bète, dans lequel l'auteur se pose parmi beaucoup d'au- tres les questions suivantes : 1° Le sucre des urines doit-il être considéré comme un produit anormal du sang, ou comme un produit qui y existerait normalement comme l'urée? 1" Le sucre est-il formé uniquement sous l'influence d'une alimentation végétale, et disparait-il complète- ment par suite d'une alimentation animale? A la première question Fauteur répond par l'affirma- tive, et reconnaît avec nous que le sucre doit être con- sidéré comme un élément normal du sang. Quant à la seconde question, l'auteur est encore d'accord avec nous, et il reconnaît que le sucre continue à se rencon- trer dans l'organisme lorsque les aliments ne peuvent en contenir et que les individus se trouvent soumis h une alimentation exclusivement animale; de sorte que, ainsi que l'on voit, M. Schmidt ne regarde plus le su- cre comme une substance nécessairement dérivée du règne végétal, il la considère avec nous comme un pro- duit de l'organisme animal. Seulement c'est sur le lieu FAITES A LA GLYCOGÉNIE HÉPATIQUE. 451 et sur le mécanisme de la production de ce sucre qu'il est en dissidence avec nous. M. Schmidt compare le sucre h Turée, et il pense que ces deux principes, ré- pandus dans le sang de toutes les parties du corps, n'ont pas une source précise qui puisse être localisée dans un organe spécial, mais que ces deux produits prennent naissance partout, par suite des changements moléculaires qui s'opèrent dans le sang; et il admet, d'après les formules hypothétiques, que la graisse, en se dédoublant en glycérine et acide cholalique, peut donner du sucre. Les dissidences ne portent, comme on le voit, que sur deux points. Le premier est la supposition que le sucre se forme aux dépens des matières grasses, et n'au- rait pas sa formation localisée dans le foie. D'abord, cette formation du sucre est une hypothèse pure et simple, et qui est en désaccord avec l'expérimentation physiologique et avec les analyses chimiques d'autres auteurs. Nous disons que c'est une hypothèse chimi- que, parce que M. Schmidt n'a donné comme preuve que des formules écrites, sans avoir fait aucune expé- rience directe; car s'il en avait fait, il aurait vu que son hypothèse ne pouvait être soutenue. Nous savons, en effet, que l'alimentation graisseuse fait diminuer la quantité de sucre dans l'organisme, tandis que l'aUmentation purement azotée entretient cette formation dans son intensité normale. Il suffît, du reste, de vous rappeler les chiffres que nous avons ob- tenus h ce sujet : 452 EXAMEN DES OBJECTIONS Quantité de sucre dans le foie d'un chien soumis à l'alimentation graisseuse pendant six jours O^^^Hl p. 100 Chien ayant mangé de la gélatine pendant le même temps 1,35 Chien soumis à l'abstinence pendant le même temps. 0,13 Il est évident, d'api'ès cela, que ralimentation grais- seuse produit pour le sucre un effet sensiblement ana- logue à celui de l'abstinence. Nous savons aujourd'hui, du reste, par les analyses de Lehmann, si complète- ment d'accord avec nos expériences, que ce sont les ma- tières azotées qui servent à la formation du sucre dans l'organisme animal ; de sorte qu'il n'est pas possible d'admetti^e un seul instant cette hypothèse de la forma- tion du sucre aux dépens des matières grasses. Maintenant, quelles sont les raisons sur lesquelles M. Schmidt s'appuie pour dire que le foie ne fait pas de sucre? EJles se réduisent à une pure assertion sans aucune valeui\ En effet, nous avions dit, dans notre pre- mier travail, que nous admettions la formation du sucre dans le foie, paixe que, d'une part, nous ne trouvions pas de sucre dans la veine porte au moment ou le sang entre dans le foie, et que nous en trouvions constam- ment dans le sang des veines hépatiques qui sortent du foie, et parce que, enfin, le tissu hépatique se trouve, dans l'élat physiologique, constamment imprégné de cette matière, de la même façon que les autres organes sécréteurs sont imprégnés de leurs produits de sécré- tion. Or, nous disons que M. Schmidt n'oppose à tous ces faits qu'une simple opinion tout à fait dénuée de fondement. Cet auteur dit, en effet, qu'il ne peut ad- mettre la formation du sucre dans le foie, parce qu'on FAITES A LA GLYGOGÉNIE HÉPATIQUE. trouve du sucre aussi bien dans la veine porte que dans la veine jugulaire. Celle assertion est d'autant plus étonnante, que dans le Mémoire de l'auteur il ne s'agit que d'observations faites sur du sang retiré dans des conditions physiologiques peu déterminées, tantôt sur des animaux de boucherie, tantôt sur des saignées, et que dans aucun cas il n'y a eu des expériences qui soient relatives à l'examen comparatif du sang de la veine porte avec le sang des autres veines. Il eût suffi h l'auteur de faire une seule de ses expériences dans les conditions voulues pour être convaincu qu'il avançait une erreur. Du reste, cette assertion se trouve l'eléguée dans une note dont on ne peut comprendre jus- qu'à un certain point la nécessité, parce que, ainsi que l'avance M. Schmidt, son travail était terminé lorsqu'il eut connaissance de nos expériences : il préféra néan- moins le publier tel qu'il se trouvait sans tenir compte des faits que je venais d'établir. C'est ce qui explique comment l'auteur s'est trouvé dans ce cas réduit à une assertion pure et simple, qu'il n'a pas tenté de repro- duire depuis, ce qui nous fait penser qu'il a aujour- d'hui abandonné complètement les raisons qui étaient plutôt une fin de non-recevoir que des arguments réels. Jusque dans ces derniers temps, des confirmations de nos expériences étaient arrivées de toutes parts, et des travaux avaient été publiés sur ce sujet en Angle- terre, en Hollande, en Allemagne, en Amérique, par des expérimentateurs exercés. Aucune attaque directe n'avait été faite à notre découverte avant le travail lu le 2 février, à l'Académie des sciences. Ici, l'auteur se 454 EXAMEN DES OBJECTIONS pose neltemeiit en antagoniste de la théorie de la for- mation du sucre dans l'organisme animal, indépendam- ment de toute alimentation féculente ou sucrée. Je ne puis m'empêcher, à ce propos, de vous faire une remarque relative aux préjugés qui sont les ob- stacles ordinaires de tout progrès. Or, ces préjugés n'existent pas seulement dans le monde, ils se ren- contrent aussi dans la science, qu'ils troublent profon- dément : c'est ainsi que, sous la pression de véritables préjugés scientifiques, l'auteur en question avoue qu'il lui répugne d'admettre que l'organisme se donne la peine de fabriquer du sucre, quand les végétaux peu- vent lui en fournir; et, partant de cette manière de voir, il veut prouver que tout le sucre qu'on rencontre dans l'organisme animal n'a jamais d'autre origine que des principes sucrés venant toujours du règne végétal. Et voyons comment, pour rester fidèle à la doctrine qu'il soutient, l'auteur parvient à expliquer que nous avons pu retrouver du sucre dans le foie et dans le sang des animaux soumis pendant des temps très-con- sidérables à une alimentation exclusivement animale. Voici comment il s'exprime à ce sujet : « Nous avons (( reconnu qu'il existe près de \ /2 pour 100 de glucose « dans le sang des animaux de boucherie, dans le sang « du bœuf et du mouton recueilli au moment où ces « animaux sont abattus pour être livrés à la consomma- « tion publique; or la viande des animaux de bouclie- « rie renferme des vaisseaux, ces vaisseaux contiennent «du sang: ainsi la chair de bœuf et de mouton qui « avait servi à nourrir les chiens dans les expériences FAITES A LA GLYCOGÉNIE HÉPATIQUE. 455 (( de M. Bernard contient du sucre, et l'on administrait, (( sans s'en douter, le composé même qu'on voulait (( postérieurement rechercher. » Cette explication qui fait descendre le sucre trouvé dans les chiens, des végétaux qu'ont mangés les herbi- vores, suppose que la chair de ces derniers en contient. Cette supposition méritait bien, cependant, la peine d'être vérifiée avant d'en faire ainsi le point de départ d'un argument d'après lequel on prétend renverser tou- tes nos expériences, et expliquer conment, sans nous en douter, nous sommes tombé dans une cause d'erreur grossière. Il est malheureux que nous soyons obligé de reconnaître ici combien il y a de légèreté dans cette manière de traiter ainsi la science. Vous avez pu voir que le sucre n'existe pas dans la viande fraîche, et, à plus forte raison, dans la viande bouillie ; et, ici, c'est l'auteur qui, sans s'en douter, se basant sur une asser- tion erronée pour établir ses raisonnements, oublie les principes les plus vulgaires qui doivent guider dans les sciences expérimentales. Le point de départ de ce raisonnement, c'est-à-dire la présence du sucre dans la viande, est faux. Tout l'échafaudage croule, et, par conséquent, l'auteur n'ex- plique absolument rien ; nos expériences restent ce qu'elles sont, et elles prouvent que chez des animaux nourris avec des matières qui ne contiennent aucune trace de sucre, il y en a toujours dans le foie, et que, par conséquent, on ne peut pas faire intervenir le rc^gne végétal pour expliquer la présence de cette matière. Il n'y a pas lieu de nous arrêter aux autres parties de 450 EXAMEN DES OBJECTIONS ce travail, qui reposent toutes sur la même erreur. Seulement, nous ne pouvons nous empêcher de signa- ler cette singulière opinion, de regarder le foie comme un organe condensateur delà matière sucrée, toujours dans cette supposition qu'elle vient des végétaux, ce qui repose à la fois sur deux erreurs de fait : en 'pre- mier lieu, sur l'existence du sucre dans la viande dont nous avons démontré la fausseté; en second lieu, sur la supposition que le foie condense le sucre, ce qui voudrait dire qu'il en reçoit plus qu'il n'en donne. Or, on ne s'explique pas sur les limites de cette condensa- tion, qui pourrait aller jusqu'à saturer le foie de glucose ; mais, en outre, comment pourrait se faire cette conden- sation, puisqu'il y a plus de sucre dans le tissu du foie et dans le sang qui sort de cet organe que dans le sang qui y entre. En résumé, tous les arguments de ce travail repo- sent sur deux points : T l'existence du sucre dans la viande; 2° condensation du sucre dans le foie. Vous venez de voir que ces deux assertions sont radicalement erronées; par conséquent, le travail n'a aucune valeur à notre point de vue. Quant aux faits réels qui y sont établis, ils ne sont pas nouveaux, car la présence du sucre dans le foie, que l'auteur annonce comme une découverte, était connue depuis longtemps par M. Ma- gendie, en France; par Garrod, en Angleterre; par Schmidt, Lehmann, et par bien d'autres expérimen- ateurs, en Allemagne. Enfin, nous n'examinerons pas les opinions physio- logiques bizarres émises dans ce travail et auxquelles FAITES A LA GLYCOGÉNIE HÉPATIQUE. 4o7 l'auteur ne tient sans doute pas. Nous ferons remarquer seulement que des expériences faites avec du sang re- cueilli sur des animaux de boucherie ou autres, qu'on épuise d'hémorrhagie, ne peuvent avoir aucune valeur quand il s'agit de la composition du sang dans les dif- férents vaisseaux oh il circule normalement. En effet, lorsqu'on égorge un animal, toute la circulation est troublée, et le sang, se précipitant vers l'ouverture des vaisseaux, entraîne avec lui des principes qui se sépa- rent des organes oij ils sont formés, à mesure que la quantité du liquide sanguin diminue dans l'organisme. C'est ainsi que, si Ton prend une artère ou la veine porte sur un animal à l'état physiologique, et si l'on retire une petite quantité de sang de ces vaisseaux, on n'y rencontrera pas de sucre, tandis que si l'hémor- rhagie a été considérable, on finira souvent, vers la fin, par en trouver une certaine proportion. Or, on voit que dans ces deux cas on pourrait dire, tantôt qu'il n'y a pas de sucre dans le sang artériel, tantôt qu'il y en a. Seulement il est évident que les premières parties de sang ont été retirées dans des con- ditions physiologiques, et qu'il n'en est plus de même lorsque l'animal commence à périr d'hémorrhagie. Dans la séance de l'Académie du 9 février, un autre travail a été lu contre la glycogénie. Ici l'auteur, sans attaquer directement la fonction glycogénique du foie, insinue que nous aurions pu tomber dans l'erreur re- lativement à l'emploi des réactifs que nous avons mis en usage pour la recherche du sucre dans l'organisme. Ce ne sont pas les idées elles-mêmes qui sont atta- 458 EXAMEN DES OBJECTIONS qiiées, ce sont les moyens à l'aide desquels nous avons établi les faits qui leur servent de base. C'est un moyen détourné de venir infirmer la fonction glycogénique du foie. Voyons quels sont les arguments qui sont mis en avant dans ce mémoire. •L'auteur dit que dans l'estomac il existe une ma- tière, la peptone ou l'albuminose, qui est capable de dissimuler le sucre au liquide cupro-potassique, et il prétend que cette propriété est un caractère qui distin- gue les matières qui ont été digérées par le suc gastri- que. Ensuite on suppose que le sucre, ainsi dissimulé, peut être absorbé par la veine porte et se trouver transporté par cette voie de circulalion jusqu'au foie, sans qu'on puisse le reconnaître dans tout ce trajet. Ainsi l'auteur jette des doutes sur la possibilité de constater avec certitude la présence du sucre dans la veine porte au moyen du réactif cupro-potassique. Après le foie on pourrait le reconnaître, parce que dans cet organe il se ferait une séparation du sucre et de l'albuminose qui le masquait. C'est à l'aide de ces sup- positions gratuites qu'on croit attaquer une proposition que nous avons émise relativement au liquide cupro- potassique, à savoir, qu'il constitue un réactif négatif absolu. Examinons la valeur de l'objection qui a été faite, et voyons s'il est vrai que dans certaines circonstances le sucre peut ne pas donner de réduction avec le liquide cupro-potassique. D'abord nous devons dire que jamais nous n'avons conseillé de nous servir du liquide cupro-potassique FAITES A LA GLYCOGÉNIE HÉPATIQUE. 439 qu'après avoir précipité les liquides animaux et s'être débarrassé des matières organiques qu'ils contiennent, parce que nous savions, comme tout le monde, que, quand il existe certaines matières albuminoïdes dans des liquides, en même temps qu'une très-petite quan- tité de sucre, il peut ne pas y avoir de réduction. Gela s'explique, parce que la matière organique redissout la petite quantité d'oxyde de cuivre qui se forme; ce dont on peut s'assurer en ajoutant un peu de ces matières albuminoïdes après qu'on aura préalablement déter- miné la précipitation dans le liquide. Or, si nous cherchons du sucre dans un liquide oii il se trouve masqué par une matière albuminoïde, comme la gélatine, par exemple, et si nous traitons ce hquide sucré par le charbon, nous arriverons à séparer la ma- tière organique qui restera sur le filtre, tandis que le sucre passera. C'est ce que vous voyez dans l'expérience que nous faisons sous vos yeux. Voici une dissolution de gélatine à laquelle nous avons ajouté du sucre de raisin en très-faible propor- tion, nous y mêlons du hquide cupro-potassique et nous chaufTons; il n'y a pas trace de réduction. Si maintenant nous traitons cette même dissolution de gé- latine et de sucre par le noir anim.al, le liquide parfai- tement hmpide qui passe présente avec le réactif une réduction parfaitement évidente. Vous voyez donc qu'il n'y a pas que la peptone qui soit dans le cas de masquer de très-faibles proportions de sucre ; mais vous voyez aussi que le charbon animal, qui jouit de la propriété de retenir les matières organi- 460 EXAMEN DES OBJECTIONS ques, permet après à la réaction caractéristique du glucose de se manifester. Pour ce qui concerne la propriété qu'aurait la pep- tone, c'est-à-dire la \iande dirigée par le suc gastrique, de masquer le sucre, voici des résultats obtenus à ce sujet par M. Bertlielot, qui a opéré avec du suc gas- trique artificiel. Ce suc, que nous lui avons remis, fait avec l'estomac d'homme provenant d'un supplicié, dé- sagrégeait en quelques heures complètement la viande, de manière à en dissoudre une partie. C'est une semblable dissolution que l'expérience a été instituée directement. Un centimètre cube de ce suc gastrique masquait, vis-à-vis du tartrate de cuivre et de potasse, la réaction de Os',001 de sucre de diabète. 10 centimètres cubes de ce même suc gastrique, éva- porés à sec au bain-marie, puis séchés dans le vide, laissaient 0?',535 d'un résidu solide assez acide, solu- ble dans Teau et même dans l'alcool. Redissous dans l'eau, ce résidu masquait la réaction du sucre comme avant l'évaporation. Ainsi, ces 10 centimètres cubes de suc gastrique ayant dissous de la viande ont pu masquer 1 centi- gramme de sucre de diabète. Mais, nous le répétons, en traitant le mélange par le charbon animal, la ma- tière organique est enlevée, et le sucre, démasqué, redevient sensible au réactif. 11 est facile de comprendre d'ailleurs que les faits annoncés par l'auteur du travail en question n'infir- ment nullement ceux que nous avons étabhs nous- FAITES A LA GLYCOGÉME HÉPATIQUE. 461 même. Dans le seul cas où les animaux mangeraient (les matières albuminoïdes en même temps que du sucre, ce qui n'est pas la condition dans laquelle nous avons eu soin de nous placer, il pourrait se faire qn'en n'employant pas les précautions que nous avons indi- quées nous-même, c'est-à-dire le traitement par le charbon, on ne reconnût pas des quantités infiniment petites de sucre dans des liquides albuminoïdes. Mais il est clair aussi que le rôle d'organe filtrateur qu'on semble attribuer au foie ne saurait se concilier avec cette proportion énorme du sucre dans le tissu hépa- tique et le sang qui en sort. Car si la peptone peut masquer un millième de sucre, il est évident que la peptone, dans le sang delà veine porte, doit se trouver singulièrement diluée et ne doit plus dès lors être sus- ceptible de masquer des proportions de sucre qui se- raient peut-être moins que des centièmes de miiïi- gramme. Eu supposant donc que le foie séparât des centièmes de milligramme, comment expliquerait-on la présence de 2 à 3 grammes pour 100 de sucre dans son tissu, et celle de près de 1 gramme pour 100 dans le sang des veines hépatiques? Vous voyez donc que, si c'est là une objection qu'on a voulu faire, elle tombe d'elle-même. D'ailleurs, on ne trouve dans le sang de la veine porte pas plus d'albuminose ou de peptone que dans le sang des autres veines, ainsi que Lehmann l'a dé- montré. La valeur du réactif cupro-potassique n'est donc pas 462 EXAMEN DES OBJECTIONS infirmée; seulement il faut, comme pour toute espèce de caractère, l'employer dans des conditions conve- nables, ainsi que nous le faisons toujours. Il faut sa- voir encore que, si l'on ajoute de l'ammoniaque à ce réactif, il ne réduit plus; que si on l'emploie avec une dissolution très-concentrée du sucre, il n'y a pas de réduction non plus, mais une coloration jaune qui ré- sulte de ce que l'oxyde de cuivre qui s'est précipité d'abord se redissout dans un excès de matière sucrée, phénomène qui a fait illusion à des expérimentateurs peu exercés. La fermentation elle-même, qui est le caractère dé- cisif, doit être employée convenablement et avec une certaine précaution. On se sert, en effet, pour l'opérei", de levure de bière ordinairement prise chez les bou- langers, levure qui contient une grande quantité de fé- cule susceptible de se transformer au bout d'un jour ou deux en glucose, et pouvant donner alors de l'acide carbonique et de l'alcool, comme s'il y avait eu du sucre dans la liqueur. Aussi, quand on a fait des expériences sur la fermentation, faut-il avoir le soin de les faire comparativement. Par exemple, si l'on met un liquide sucré dans un tube en fermentation avec de la levure de bière impure, il faut avoir soin de placer dans les mêmes conditions de la même levure avec de l'eau or- dinaire. Dans le premier tube alors la fermentation se fera au bout de quelques heures; dans le second, elle n'aura lieu qu'au bout de deux jours. Dans ces cas, par une appréciation comparative de la quantité du gaz dé- veloppé, on pourrait éviter l'erreur; mais il vaut mieux FAITES A LA GLYCOGÉNIE HÉPATIQUE. 463 avoir de la levure de bière bien lavée et exempte de fécule. En résumé, les arguments de ce travail sont établis sur la supposition que nous employons mal le réactif cupro-potassique; sur ce qu'ensuite nous n'employons que ce réactif, car on admet heureusement que la fer- mentation continue à avoir lieu, malgré la peptone, et qu'on peut se servir de ce caractère. Or, nous nous sommes toujours servi de la fermentation, ainsi que nous vous l'avons dit au commencement de ces leçons, dans toutes nos expériences comparatives. Les arguments signalés plus haut ne peuvent s'appli- quer qu'aux cas d'ahmentations mixtes, aussi, pour avoir toute leur valeur, ces arguments du 9 février ne devaient-ils venir qu'après ceux du 2 février, qui avaient pour but d'étabhr que l'alimentation animale n'était elle-même, en réalité, sans que nous nous en doutions, qu'une alimentation mixte. Or, nous savons à quoinous en tenir à ce sujet. Et, à ce propos, nous devons faire remarquer combien il est malheureux pour la science que l'on ne confirme pas toujours ce que l'on avance par des expériences, car il s'agit ici d'arguments enchaînés les uns à la suite des autres et fondés sur des faits fictifs. Si lés auteurs avaient réfléchi et s'étaient assurés de leur point de départ, ils auraient reculé avant de présenter des argu- mentations qui pèchent par la base d'une manière aussi radicale. Messieurs, nous avons encore quelques autres objec- tions à passer en revue ; nous allons le faire rapidement. 464 EXAMEN DES OBJECTIONS. On nous a dit, par exemple : a Vous avez examiné le sang de la veine porte, et vous n'y avez pas trouvé de sucre ; mais avez-vous examiné le sang des artères hépa- tiques? Vous savez d'abord, Messieurs, que l'artère hépatique est nourricière, de même que les artères bronchiques; qu'elle se distribue aux conduits biliaires, h la veine porte, sans participer d'une manière directe aux sécrétions de Forgane. Mais, de plus, cette objec- tion peut être levée directement, car si l'on prend un des rameaux de l'artère hépatique à son entrée dans le foie, on ne trouve pas plus de sucre dans le sang qui s'en écoule que dans le resle du système artériel; de sorte que, si l'on veut être rigoureux, voici ce que l'on peut dire : Il y a deux ordres de vaisseaux afférents qui amènent le sang au foie, ce sont la veine porte et l'ar- tère hépatique ; ni l'un ni l'autre ne contiennent de sucre dans des conditions convenables. Il y a d'autre part deux ordres de vaisseaux efférents, ce sont les veines hépatiques et les lymphatiques du foie. Tous deux renferment du sucre, qui est versé par ces deux voies dans la veine cave et dans le canal thoracique. On a dit encore que nous avions émis une proposition trop générale, et qu'il y avait d'autres organes que le foie qui étaient susceptibles de faire du sucre ; que la glande mammaire, par exemple, était de ce nombre ; qu'elle pouvait en faire indépendamment de Talimenta- tion, car nous avions trouvé nous-même du sucre dans le lait de mammifères carnivores. Ce n'est pas là une objection, c'est au contraire une confirmation de ce que nous avons dit, que le sucre pouvait être formé directe- FAITES A LA GLYCOGÉNIE HÉPATIQUE. 465 ment dans l'organisme sans l'alimentation féculente ou sucrée. Mais on ne saurait assimiler la sécrétion du sucre de lait, qui est une fonction tout à fait intermittente, dis- continue, n'apparaissant qu'à des intervalles très-éloi- gnés et spéciale seulement à une classe de vertébrés, avec la production glycogénique qui, elle, au contraire, est constante et continue, et appartenant à tout sexe et à tout règne animal. Il y a enfin quelques médecins qui, après avoir en- tendu dire vaguement, d'après nos expériences, que le sang des veines hépatiques était sucré, ont été recueil- lir le même sang sur des cadavres de malades morts dans les hôpitaux, et n'y apnt pas trouvé de sucre, se sont imaginé que ce résultat venait contredire les nôtres. Mais vous savez maintenant quelle valeur il faut attri- buer à une pareille objection; vous vous rappelez que la fonction glycogénique s'éteint comme toutes les autres fonctions, à la suite d'une maladie, sous l'in- fluence d'une fièvre grave ; de sorte que dans la plupart des cas on ne trouve pas dans le foie des malades morts dans les hôpitaux la moindre trace de matière sucrée. Des anatomistes arriérés ont pu même dire : Com- ment voulez-vous qu'il y ait une sécrétion sucrée dans le foie, puisqu'il n'y a pas de conduit excréteur? Au point de vue purement anatomique, on ne définissait autrefois une glande que par son conduit. Il est clair que nous n'en sommes plus là, et que nous comprenons bien qu'il y ait des sécrétions versées dans le sang et d'autres qui sortent au dehors. BERNARD. [. 30 466 EXAMEN DES OBJECTIONS FAITES A LA GLYCOGÉNIE. Vous voyez donc, Messieurs, que toutes ces objections se réfutent très-facilement, et n'infirment en rien ce que nous avons avancé. Je consacrerai la prochaine séance à résumer l'ensemble des preuves d'après les- quelles nous avons établi devant vous la réalité de la fonction glycogénique du foie. VINGT-CINQUIEME LEÇON 24 MARS 1855. SOMMAIRE : Travaux comparatifs de la fonction glycogénique du foie* — Analyses du sang de la veine porte et des veines hépatiques, par Lehmann, communiquées à l'Académie des sciences. — Remarques à l'occasion de cette communication. — Figure schématique représentant l'ensemble de la production et de la diffusion du sucre dans l'organisme. — Résumé des faits qui établissent la fonction glycogénique du foie. Messieurs, Nous arrivons au terme de nos leçons pour ce semes- tre, et je crois avoir rempli les promesses que je vous avais faites au commencement. Vous avez vu comment nous avons marché dans le champ des investigations physiologiques, constamment appuyé sur Texpérience. Nous avons été assez heureux pour faire devant vous quelques découvertes, par exemple celle de la produc- tion de la matière sucrée dans la vie embryonnaire, et celle de cette perversion singulière que produit la sec- tion de la moelle épinière sur la sécrétion sucrée du foie. Vous avez vu par quelles séries d'hypothèses il faut quelquefois passer pour arriver à la découverte de faits nouveaux ; mais vous avez été témoins du soin avec le- quel nous avons toujours écarté les hypothèses qui nous avaient guidé, pour ne conserver que le résultat expéri- mental, qui, tout incomplet qu'il est, ouvre cependant -iC8 TRAVAUX CONFIRMATIFS un champ immense, et nous montre que nous ne som- mes qu'à l'entrée de cette science de la vie, sans contre- dit la plus complexe de toutes celles que nous connais- soub actuellement. Nous allons terminer par une revue rapide des faits et des arguments par lesquels nous avons établi la réa- lité de la fonction glycogénique du foie. Au point de vue chimique, il nous suffira de vous faire connaître l'ensemble des expériences chimiques qui viennent corroborer notre opinion, et qui se trouvent contenues dans la communication faite par M. Lehmann dans la séance de l'Académie des sciences du 12 mars. Voici le résumé de ce beau travail : Analyses comparées du sang de laveine porte et du sang des veines hépatiques^ etc.^ pour servir à l'histoire de la production du sucre dans le foie, par M. G. G. Lehmann, professeur de chimie physiologique à l'université de Leipzig. « Les résultats des analyses qui vont suivre ont été obtenus sur des chiens et des chevaux soumis à des ali- mentations diverses. (On a toujours eu soin de placer convenablement des ligatures sur les vaisseaux, pour obtenir sans mélange les sangs dont on a fait l'examen chimique.) (( Je ne m'étendrai pas sur les procédés d'analyse que* j'ai suivis ; ils se trouvent décrits dans mon Traité de chimie physiologique (1). Je négligerai également cer- (1) Lehrbuch dcrphysiologischen Chemie. Leipzig, 1852, 3 vol. DE LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 469 tains détails sur la composition des sangs de la veine porte et des veines hépatiques, qui sont consignés d'ail- leurs dans un premier mémoire que j'ai déjà publié sur ce sujet (1). Je n'insisterai ici que sur les points qui peu- vent servira éclairer la formation du sucre dans le foie. « 1° Sucre, — Le sang de la veine porte ne renferme jamais les moindres traces de sucre chez les chiens à jeun et chez les chiens nourris avec de la viande. Les mêmes animaux nourris avec des substances végétales (pommes de terre cuites) présentent évidemment du sucre dans le sang de leur veine porte, mais en quantité si faible, que le dosage n'est pas possible. « Chez les chevaux nourris avec du son de seigle, de la paille hachée et du foin, le sang de la veine porte contient des proportions très-faibles de matière sucrée. J'ai trouvé dans un cas 0^',055 de sucre pour 100 par- ties du sang. Dans un autre cas, sur un cheval, le sérum de la veine porte renfermait 0^',0052 pour 100 de sucre. (( Le sang des veines hépatiques contient toujours du sucre en forte proportion. Sur trois chiens nourris avec de la viande, j'ai trouvé les chiffres suivants, calculés sur 100 parties de sang sec: 0^^ 813 pour 100,0?', 799 pour 100, 0«', 946 pour 100. Sur trois autres chiens à l'abstinence complète depuis deux jours, j'ai trouvé dans le sang des veines hépatiques les quantités de sucre ci-après : 0s^764 pour 100, 0?^ 638 pour iOO, et (1) Einige vergleichende Aaalysen des Blutes der Pfortader uad der Leber- venen-{B lericht. û. d, Verhand. der Kôiigl. Sàch. Gesellsck. der Wissea- schaften zu Leipzig, 1850.) 470 TRAVAUX CONFIRMATIFS 0^', 814 pour 100. Chez deux autres chiens nourris avec des pommes de terre cuites, le sang des veines hépatiques renfermait 0^\ 981 pour 100 de sucre chez l'un, et 0^', 854 pour 100 de sucre chez l'autre. « Chez deux chevaux soumis à une alimentation vé- gétale (son, paille, foin), le sang des veines hépatiques contenait dans un cas 0^', 635 pour 100 de sucre, et dans l'autre cas 0^', 893 pour 100 de sucre. « Les résultats des analyses qui précèdent se trouvent l'ésumés dans le tableau suivant : QUANTITÉ DE SUCRE. ANIMAUX. ALIBIENTATION. dans le sang dans le sang de la des veine porte, veines hépatiques, à rentrée du foie. k la sortie du foie. Chien A jeun depuis deux jours 0,000 0,764 p. 100. Id. Id. Id. 0,638 Id. Id. Id. 0,804 Id. Nourri avec de la viande Id. 0,814 Id. Id. Id. 0,799 Id. Id. kl. 0,946 Id. Nourri avec pomra.de terres cuites. traces impossi- bles à doser. 0,981 id. Id. Id. 0,854 CAeval.... Nourri avec son, foin et paille 0,055 p. 100. 0,893 Id. Id. 0,0052 p. 100. 0,635 « Il suffira de jeter les yeux sur les quantités compa- ratives de sucre que contiennent le sang de la veine porte qui entre dans le foie et le sang des veines hépa- tiques qui en sort, pour voir que l'opinion de la for- mation du sucre dans le foie, que M. Cl. Bernard a annoncée le premier, est mise hors de doute. H 2° Fibrine, albumine. — Le sang de la veine porte chez les chevaux et chez les chiens renferme de la fi- DE LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 471 brine qui ne diffère pas sensiblement, par ses caractères et sa quantité, de la fibrine des autres veines. Quelle que soit la nature de l'alimentation, le sang de la veine porte des chiens renferme en moyenne plus de fibrine que celui de chevaux. « Le sang des veines hépatiques, soigneusement re- cueilli et sans aucun mélange, ne contientpas de fibrine. Les quelques flocons qu'on obtient quelquefois par le battage, chez les chevaux, sont presque entièrement constituées par des globules blancs qui se montrent en très-grande abondance dans le vsang des veines hépati- ques comparé au sang de la veine porte. Le sang des veines hépatiques chez les chiens se comporte de la même manière par rapport à la fibrine, c'est-à-dire que cette matière disparaît presque en totalité dans le foie. (( Des analyses très-soignées et comparatives entre le sang de la veine porte et celui des veines hépatiques m'ont prouvé qu'une quantité remarquable d'albumine disparaît aussi dans le foie, et la quantité disparue est relativement plus grande chez les chiens que chez les chevaux. (( Sur ce fait incontestable, que la fibrine disparaît dans le foie, j'ai établi mon opinion, déjà émise dans mon premier Mémoire, que le sucre qui se forme dans le foie prend naissance de la fibrine. a 3° Graisses et globules sanguins. — Le sang de la veine porte renferme toujours beaucoup plus de graisse que le sang des veines hépatiques. Le sérum du sang de la veine porte chez les chiens nourris avec de la viande est généralement plus riche en graisse que celui 472 TRAVAUX CONFIRMATIFS des chevaux. Néanmoins on ne trouve pas plus de graisse dans le sérum des veines hépatiques chez les chiens que chez les chevaux. « Chez les chevaux, les globules du sang delà veine porte sont plus riches en eau et particulièrement en fer ; au contraire, ils sont plus pauvres en globuline, en ma- tières extractives et en sels que ceux des veines hépati- ques. Chez les chiens, comme chez les chevaux, le sang des veines hépatiques est beaucoup plus riche en glo- bules du sang et en matières extractives que celui de la veine porte. « J'ai remarqué, sur les chiens comme sur les che- vaux, qu'une quantité considérable de fer disparaît tou- jours dans le sang en traversant le foie. Mais les diffé- rences de quantité de fer qu'on rencontre dans le sang qui arrive au foie et dans celui qui en sort, sont plus grandes encore chez les chiens que chez les chevaux. Il en résulte qu'une partie de l'hématine du sang disparaît dans le foie, et contribue probablement à la formation de la matière colorante de la bile, ce que prouverait en- corda complète analogie delà bilifulvine et de l'héma- toïdine, ainsi que vient de le montrer un de mes élèves. (( Analyses comparatives du sang de diverses veines avec le sang artériel. {Toutes ces comparaisons ont été faites avec des sangs toujours pris sur le même cheval.) — Le sang qui sort du foie par les veines hépatiques est tou- jours le sang incomparablement le plus sucré de tout le corps. Ensuite ce sang se mélange au sang de la veine cave pour remonter vers le cœur. Je ne puis ici que con- firmer ce que M. Cl. Bernard a déjà dit depuis long- DE LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 473 temps, à savoir, que le sang de la veine cave inférieure est celui qui contient toujours la plus grande quantité de sucre après les veines hépatiques. J'ai trouvé dans le résidu solide du sang de la veine cave, chez les chevaux, 0^^346 pour 100, 0^^ 2M pour 100 eiO^% 492 pour 100 de sucre. « Lorsque le sang a traversé le poumon et est devenu artériel, on ne trouve généralement pas de sucre. Je n'en ai pas trouvé dans le sang artériel de chevaux qui avaient cependant mangé de l'amidon et de l'avoine. Chez les chiens et chez les lapins, on peut seulement trouver du sucre dans le sang artériel, si le sang vei- neux renferme plus de 0^', 3 pour 100 de sucre. C'est ce qui arrive dans toutes les conditions qui font passer du sucre dans l'urine : par exemple, après la piqûre telle que la fait M. Bernard, après l'injection du sucre en grande quantité dans les veines ou dans l'estomac, ou enfin chez les Lapins qui ont mangé des quantités considérables de betteraves ou de carottes. Mais, dans toutes ces circonstances, ce sont encore les veines hé- patiques qui contiennent la plus grande quantité de su- cre, puis la veine cave, etc. « Le sang des petites veines, telles que la veine cé- phalique, la veine digitale, la veine temporale et l;i veine abdominale externe des chevaux, contient tou- jours moins de globules du sang, plus de sérum, et par conséquent plus d'eau que le sang artériel. Mais les veines plus grosses, et principalement la veine cave in- férieure, contiennent un sang qui possède la même concentration que le sang artériel, ou qui est peut-être 474 REMARQUES même encore plus concentré. Toules mes expériences semblent montrer qu'une quantité remarquable de globules de sang disparaît dans les vaisseaux capillaires généraux. L'observation que la densité du sang de la veine cave inférieure se rapproche de celle du sang ar- tériel, ou même la surpasse, ne dépend pas seulement de l'expulsion de l'eau par la sécrétion urinaire, mais principalement de l'affluence du sang des veines hépa- tiques : c'est ce que m'ont prouvé d'une manière frap- pante les analyses du sang d'un cheval qui n'avait par bu depuis vingt-quatre heures quand il fut sacrifié. La comparaison de toutes ces analyses semble prouver en même temps que dans le foie deux fonctions marchent séparément, savoir, la formation du sucre et des glo- bules du sang et celle de la bile ainsi que M. Bernard l'a pressenti et établi depuis longtemps. « Le sang de plus petites veines renferme plus de fibrine que le sang artériel, et que celui de la veine cave et de la veine jugulaire. Dans la veine cave, j'ai trouvé deux fois moins de fibrine que dans le sang ar- tériel. (( Le sang artériel contient toujours plus de sels mi- néraux que le sang veineux. » J'ai fait sur le travail de IVL Lehmann des remarques qui ont été communiquées à l'Académie le 12 mars, dans les termes suivants : (( Lorsque, il y a six ans, j'annonçai aux physiolo- gistes que le sucre est un produit normal de sécrétion chez l'homme et les animanx, j'établis par des preuves expérimentales diverses que cette fonction animale. SL'R LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 47o restée jusqu'alors inconnue, devait être localisée dans le foie. Pour prouver que la matière sucrée est bien réellement formée dans l'organisme, qu'elle ne vient pas du dehors et qu'elle prend naissance surplace dans le foie 011 on la trouve, j'instituai une expérience phy- siologique qui est nette et décisive. Sur des animaux carnivores, nourris exclusivement pendant des temps très-considérables (3, 6 ou 8 mois) avec de la viande cuite à Teau et dans laquelle l'expérience directe ne décèle pas la moindre trace de matière sucrée, je re- cueillis le sang de la veine porte avant son entrée dans le foie, et je n'y constituai jamais, dans des conditions physiologiques convenables, la présence du sucre, tan- dis qu'en recueillant le fluide sanguin dans les veines hépatiques à sa sortie du foie, j'y rencontrai constam- ment du sucre en grande quantité. (( Depuis lors ces résultais ont été partout vérifiés par les physiologistes exercés qui les ont reproduits en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, en Améri- que, etc. Les belles analyses de M. Lehmann sur la composition comparée des sangs de la veine porte et des veines hépatiques confirment pleinement, au point de vue chimique, et avec une autorité des plus consi- dérables en pareille matière, mes propres recherches physiologiques. (( Tous les arguments relatifs à la question de savoir si le foie fabrique ou non du sucre doivent être ra- menés à cette expérience fondamentale qui a pour ob- jet Texamen comparatif des sangs de la veine porte et des veines hépatiques; et, tant qu'il restera établi que 476 REMARQUES le sang qui entre dans le foie ne renferme pas de sucre et que le sang qui en sort en contient des pro- portions considérables, il faudra bien admettre que la matière sucrée se produit dans le foie, car on ne sau- rait échapper à cette conséquence de la logique la plus simple : que, puisque le sucre n'existe pas avant le foie et qu'il existe après, il faut bien qu'il se soit formé dans cet organe. « Mais le sucre sécrété dans le foie se répand ensuite dans tout l'organisme au moyeu de la circulation, qui le porte par la veine cave dans le cœur droit, puis dans les poumons, etc. Suivant les quantités de sucre qui s'échappent du foie, cette matière peut se trouver dé- truite en traversant le poumon, ou bien dans certains cas, et particulièrement pendant et aussitôt après la période digestive, un excès peut se répandre plus loin dans le système artériel et même dans le système vei- neux superficiel. Néanmoins, dans tous les cas, on constate invariablement que la proportion de sucre diminue d'autant plus qu'on s'éloigne davantage du toie, qui est son lieu d'origine. Ce sont ces résultats physiologiques que viennent encore prouver de la ma- nièrc3 la plus évidente les analyses de M. Lehmann. (( Cette diffusion du sucre dans tout l'organisme ex- plique donc comment cette matière peut se rencontrer dans le sang de toutes les parties du corps. En 1846 (1), M. Magendie a lu à cette Académie, sur la présence normale du sucre dans le sang, un Mémoire dans le- (1) Compter rendus de VAcadéinie des sciences, t. XXIII, 27 juillet 1836. SLR LA GLYCOGENIE ANIMALE. 477 quel il indique déjà que c'est surtout au moment de la digestion que l'on trouve la matière sucrée en plus grande quantité dans le sang. Ce fait était donc connu et admis par les physiologistes depuis longtemps, bien qu'on ne connût pas la formation physiologique de cette matière dans le foie ainsi que je l'ai établi. « iMais il est arrivé que certains auteurs, ne répétant pas mes expériences méthodiquement et dans les condi- tions physiologiques requises, n'ont nécessairement pas pu comprendre le rapport qui existe entre cette diffusion du sucre dans l'organisme et son point réel d'origine. (( C'est ainsi que M. Schmidt (l),en 1850, se fon- dant sur ce qu'il avait trouvé du sucre en quantité va- riable, mais toujours très-faible, tantôt dans le sang des saignées pratiquées sur l'homme (traces de sucre non dosées), tantôt dans le sang des animaux de bou- cherie (0?^00j95 à 0«^00074 pour 1000 dans le sang de bœuf, etc.), arrive à comparer la diffusion du sucre dans le sang avec la diffusion de l'urée, et poussant sa comparaison jusqu'au bout, cet auteur admet pure- ment par hypothèse que la formation du sucre et celle deTurée ne sont localisées dans aucun organe, mais que ces substances se forment partout dans l'organisme, l'urée aux dépens des matières azotées, et le sucre aux dépens des matières grasses. Quant aux expériences de M. Schmidt sur la pré- sence du sucre dans le sang, et quant à celles qu'on a pu reproduire depuis dans de semblables conditions, (I). Charakieristik der epidemischen Choiera, etc., von Cari Schmidt, p. 163. Leipzig und Mitau, 1850. 478 REMARQUES elles peuvent avoir, en elles-mêmes et au point de vue chimique, la valeur qu'on leur accordera; mais on ne saurait leur en reconnaître aucune au point de vue physiologique, parce que les auteurs n'ayant pas tenu compte de l'examen comparatif du sang de la veine porte et du sang des veines hépatiques, leurs analyses restent insuffisantes et ne peuvent s'appliquer à la ques- tion qui nous occupe. (( Lorsqu'on a soin, comme l'a fait M. Lehmann, d'instituer des analyses comparatives du sang dans tous les points du système circulatoire en se plaçant dans les conditions que la physiologie indique, toutes les ex- périences s'enchaînent naturellement pour établir que le sucre, véritable produit d'une sécrétion intérieure, à laquelle j'ai donné le nom de glycogénie, prend nais- sance dans le foie aux dépens des éléments du sang et indépendamment de l'alimentation féculente et sucrée, pour se répandre ensuite dans tout l'organisme où il se détruit successivement en s'éloignant de son lieu d'o- rigme. Si l'on ne fait au contraire que des expériences in- complètes en se plaçant dans des conditions non mé- thodiquement et physiologiquement déterminées, on peut, par l'interprétation des résultats, arriver aux con- fusions les plus étranges. C'est ainsi, par exemple, que cette comparaison du sucre avec l'urée, qui, au point de vue chimique, paraît peut-être spécieuse, ne sau- rait un seul instant soutenir l'examen physiologique. « Comment pourrait-on imaginer, en effet, que le foie joue, par rapport au sucre, le rôle d'un organe SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 479 dépuratew\ condensateur^ fHtratem\ ou qu'il est à la matière sucrée ce que le reiu est à l'urée, quand nous savons que le sang qui entre dans le foie ne contient pas de sucre, mais que le sang qui en sort en contient beau- coup, tandis que pour le rein, au contraire, l'urée existe dans le sang qui entre et ne se trouve plus dans le sang, qui sort; quand nous savons enfin que, si l'on supprime les reins, on fait accumuler l'urée dans le sang, tandis que, si l'on arrête la fonction du foie en détruisant certains nerfs qui s'y rendent, le sucre dis- paraît complètement et rapidement de l'organisme? Il y a donc là, d'une part, un phénomène de production ou de sécrétion^ et, d'autre part, un phénomène d'expul- sion ou à' excrétion, que l'on doit distinguer de la ma- nière la plus radicale, au lieu de chercher à établir entre eux un rapprochement impossible. « Je me bornerai à ces quelques remarques pour montrer que les recherches chimiques appliquées à l'explication des phénomènes de la vie ne sauraient être instituées vaguement et comme au hasard, mais qu'elles doivent reposer, au contraire, sur la connais- sance de conditions fonctionnelles précises que la physiologie seule peut déterminer. « En finissant je ferai remarquer, ainsi que l'on a pu s'en convaincre, que la formation du sucre dans le foie n'est pas en litige. C'est une vérité physiologique par- faitement établie et complètement acquise à la science. La question qui se trouve actuellement en jeu, c'est de savoir quels sont les éléments du sang que le foie uti- lise pour fabriquer la matière sucrée. L'hypothèse de 480 RÉSUMÉ DES FAITS cette formation du sucre aux dépens des matières grasses se trouve renversée par mes expériences, dans lesquelles j'ai fait voir que l'alimentation purement graisseuse diminue la production du sucre dans le foie et la quantité de cette matière dans tout l'organisme. 11 reste à examiner la théorie de la formation du sucre aux dépens des matières azotées, que les analyses chi- miques de M. Lehmann et mes expériences physiologi- ques indiquent. C'est le sujet dont j'entretiendrai inces- samment l'Académie. » Toutes les fois, Messieurs, que l'on voudra faire des expériences sur la fonction glycogénique du foie, il faudra embrasser et comprendre dans son ensemble les connexions physiologiques de cette fonction avec les autres systèmes organiques. Sans cela on aura des expé- riences incomplètes pour l'interprétation desquelles on n'aura aucune espèce de critérium. J'ai fait faire ici une figure schématique, sur laquelle vous pouvez saisir d'une manière simple et exacte les divers rapports de la fonction glycogénique avec le système sanguin (fig. 21). Maintenant, Messieurs, le résumé de toutes ces le- çons, et les preuves à l'appui de cette fonction glyco- génique nouvelle, peuvent se donner en quelques li- gnes, qui seront en quelque sorte le programme de la démonstration expérimentale de la formation du sucre dans le foie. Premier fait. 11 y a du sucre dans le foie de l'homme et de tous les animaux en état de santé. Ceci n'a jamais été contesté. QUI ÉTABLISSENT LA GLYGOGÉNIE ANIMALE. 481 Le foyer de la matière sucrée est dans le foie F qui la produit, et dont le tissu en renferme constamment. Le foie reçoit les matériaux de cette sécré- tion par le sang qui entre par la veine porte VP, et qui ne renferme pas de sucre chez les carnivores. Ce sang vient en partie du sang des artères mé- sentériques qui passe par les capillaires dans les rameaux de la veine porte BERNARD. I. 31 482 RÉSUMÉ DES FAITS b, et_, d'autre part, des matériaux absorbés en «, directement dans l'intestin. Le sang non sucré de la veine porte VP entre dans le foie, s'y répand, y subit des métamorphoses au contact de l'élément glandulaire, devient très-sucré, et passe dans la veine hépatique HS. On a ainsi du sang qui entre en YP sans renfermer aucune trace de sucre, tandis qu'il en contient beaucoup en HS. Il faut bien que ce sucre ait pris naissance dans le foie F. Le sang sucré de la veine hépatique SH arrive alors dans la veine cave inférieure VCI, près du cœur, se mélange avec le sang non sucré de la veine cave inférieure, et va dans le cœiir C, où il se mélange encore avec le sang de la veine cave supérieure VCS, de telle sorte que la quantité du sucre a été considé- rablement diluée, au point que la quantité du sucre, qui était en HS de Os%98 pour 100, est en c moins de 08',.300 pour 100. Le sang sucré du ventricule droit c est chassé dans les poumons par l'artère pulmonaire AP, arrive dans les capillaires du poumon P, où il se détruit en presque totalité, et le sang revient alorsparla veine pulmonaire dans le ventricule gauche. De là le sang, qui ne contient plus de sucre d'une manière appréciable, passe dans le sys- tème artériel ou aortique AA, puis arrive dans les capillaires généraux CG. Là le sang subit d'autres modifications, puis passe de l'état de sang artériel à l'état de sang veineux, puis repasse dans les veines caves inférieure et supé- rieure VCI, V'CS. Le sang de l'artère mésentérique m se répand dans les capillaires intestinaux, se charge en passant des matériaux, dissous par la digestion dans l'intestin I, puis arrive au foie. Le sang de l'artère rénale R arrive au rein R, et cède les matériaux de l'urine, mais ne cède pas de sucre habituellement. Il n'en cède que lorsque la quantité de cette matière dans le cœur droit excède O^^SOO pour 100, que tout n'a pas été détruit dans le poumon, et qu'H en est passé dans le sang artériel, qui l'apporte alors au rein. Le rein devient alors un organe éliminateur du sucre, et l'individu se trouve diabétique. Deuxième fait. Le sucre existe dans le foie des car- nassiers comme dans celui des herbivores, à jeun ou en digestion. Corollaire, La présence du sucre dans le foie est donc indépendante de la nature de l'alimentation. Troisième fait. Chez un Carnivore, on ne trouve point de sucre dans le sang de la veine porte. On en trouve toujours, au contraire, des quantités considérables dans le sang des veines hépatiques. Corollaire, Le sucre se forme donc dans le foie. Quatrième fait. Le sucre versé dans le sang se détruit QUI ÉTABLISSENT LA GLYCOGÉxME ANIMALE. 483 successivement à mesure qu'il s'éloigne du foie, sans toutefois, chez l'animal sain, apparaître dans les urines. Cinquième fait. Le sang qui sort du foie, en même temps qu'il contient davantage de sucre, ne renferme plus du tout de fibrine et beaucoup moins d'albumine que le sang qui y entre. Corollaire. Le sucre semble se produire dans le foie aux dépens des matières albuminoïdes du sang. Tous les faits qui précèdent sont établis par des expériences chimiques ; elles prouvent déjà qu'il y a formation du sucre dans le foie. Mais comme cette fonction se passe dans l'organisme, il en résulte que cette production glycogénique doit par conséquent su- bir toutes les influences de diverse nature qui agissent su ries fonctions organiques. En effet, nous constatons au point de vue physiolo- gique : Premier fait, La fonction glycogénique subit des oscillations, comme toutes les sécrétions, et en parti- culier comme celles qui sont liées à l'appareil digestif. Elle est plus active au moment de la digestion. Elle diminue dans les intervalles. Elle peut finir par disparaître à la suite d'un jeûne prolongé. Deuxième fait. Les influences extérieures agissent sur la sécrétion du sucre. Le froid la fait disparaître, soit complètement, soit en partie, suivant son intensité. La chaleur la rétablit. Troisième fait, l^es actions sur le système nerveux 484 RÉSUMÉ DES FAITS. retentissent sur cette fonction pour l'exagérer, pour la diminuer, pour la pervertir. Quatrième fait. La fonction glycogénique est en sym- pathie d'action avec les autres fonctions de l'économie, et en particulier a^ec la respiration. Cinquième fait. A l'état morbide, la fonction glyco- génique s'exagère ou s'anéantit. Son exagération produit le diabète. Son anéantissement a lieu sous l'influence de tout état fébrile. Le foie des individus morts de maladie ne contient généralement pas de sucre. Tel est. Messieurs, l'ensemble des preuves qui con- courent à établir que la production directe du sucre parle foie est une véritable fonction physiologique. Quand vous voudrez vous convaincre par des expé- reinces personnelles de la réalité de cette fonction glycogénique, vous devrez passer successivement par cette série de faits que nous venons de vous énoncer, qui s'enchaînent les uns avec les autres, et qui vous con- duiront à coup sûr au résultat que nous vous avons annoncé, et alors vous partagerez nos convictions. Il ne me reste plus, Messieurs, en terminant, qu'à vous remercier de l'intérêt constant avec lequel vous avez suivi ces leçons. APPENDICE Les expériences si concluantes de M. le professeur Lehmann, que nous avons rapportées dans la dernière leçon, ainsi que les remarques dont nous les avions fait suivre, devaient naturellement fait taire nos con- tradicteurs, ou bien les irriter et les amener à quelque argument extrême. Les deux cas sont arrivés, il en est qui n'ont plus rien dit, tandis que d'autres ont été moins prudents. Immédiatement après la fin du cours, dans la séance académique du 26 mars dernier, il parut un nouveau travail, dans lequel on crut conve- nable, pour faire plus d'effet, de prendre exactement le contre-pied des analyses de M. Lehmann, et d'avan- cer qu'il y avait plus de sucre dans le sang de la veine porte que dans celui des veines hépatiques. L'auteur de cette contradiction est le même qui, le 29 janvier, avait soutenu que le sucre du foie provient des végétaux, au moyen de la viande de boucherie qu'on donne aux carnivores; seulement il semble abandonner la plupart des arguments émis dans son premier travail, car il n'en est plus fait mention dans le second. Mais il ima- 486 APPENDICE. gine alors des conditions expérimentale tout h fait particulières, et il annonce avec assurance que, deux heures après un repas de viande crue, il y a plus de sucre dans le sang de la veine porte que dans celui des veines hépatiques, tandis que l'inverse a lieu quatre heures après. Il est évident qu'il fallait que les expé- riences qui sont annoncées, au nombre d'une seule- ment, donnassent ces résultats pour prouver que, deux heures après le repas, le foie reçoit plus de sucre qu'il n'en donne, et qu'au contraire, quatre heures plus tard, le sucre s'étant accumulé dans le foie, l'organe en rend plus qu'il n'en reçoit. On paraît peu au courant des notions physiologiques sur la digestion, car on dit qu'au bout de deux heures la viande crue est digérée, et que le sucre des aliments a passé dans la veine porte. Si Ton y eût regardé de près, on aurait vu que la digestion de la viande crue, après deux heures, loin d'être en pleine activité dans l'intestin, n'est pas même bien commencée dans l'estomac. Voici, du reste, comment l'auteur s'exprime dans son Mémoire, qui, tel qu'il a été lu, se trouve repro- duit dans la Gazet/e médicale du 31 mars, p. 202 : Un chien jeune et de forte taille a été privé de toute nourriture pendant trois jours. On a commencé alors à le nourrir avec de la viande de bœuf crue^ et l'on a continué pendant huit jours ce régime. Au bout de ce temps, le chien a été laissé à jeun pendant quarante heures. On lui a donné alors un repas composé de 2 livres et demie de viande de bœuf, et, deux heures après, on a procédé à l'opéra- tion, qui consistait à recueillir séparément le sang de la veine porte et celui des vaisseaux situés au-dessus du foie. A cet effet, une in- cision a été pratiquée au flanc droit de l'animal, le doigt indicateur APPENDICE. 487 introduit par cette ouverture, et suivant le bord inférieur du foie, a permis de saisir le paquet des nerfs et des vaisseaux gui pénètrent dans cet organe; la veine porte étant saisie, on l'a liée. Après cette ligature, on a ouvert l'abdomen, ce qui a permis d'apercevoir les vaisseaux de l'intestin noirs et gonflés par la stase du sang, suite de la ligature. En incisant la veine porte, on a recueilli le sang de ce vaisseau. On s'était procuré de même celui des veines mésentériques. Après ces diverses opérations, la poitrine de l'animal a été ouverte, et l'on a recueilli le sang du ventricule droit du cœur, et celui de la veine cave inférieure à son entrée dans cet organe . Enfin^ on a extrait le foie. L'estomac du chien contenait encore une assez grande quan- tité de viande digérée et d'une couleur grisâtre. Voici maintenant les résultats auxquels a conduit l'analyse chi- mique comparée du sang de la veine porte et du sang pris au-dessus du foie. Sa?ig de la veine porte. — Ce sang pesait 102 grammes. Il a été coa- gulé par l'addition de trois fois son volume d'alcool. Le liquide, passé à travers un linge, a été rendu acide par quelques gouttes d'acide acétique et évaporé à siccité. En reprenant par de l'eau dis- tillée, on a obtenu une liqueur limpide qui a été évaporée à siccité. Le poids de ce dernier résidu était de 1,07. Une partie de cette liqueur, traitée par le réactif de Frommherz, a fourni un précipité abondant de sous-oxyde de cuivre, ce qui indiquait la présence d'une notable quantité de sucre. Le lendemain, avec la liqueur cupro-potassîque titrée à 5 centi- grammes de sucre d'amidon pour 10 centimètres cubes de liqueur, j'ai procédé à la détermination de la quantité de glucose contenue dans un poids connu du résidu de l'évaporation. J'ai trouvé ainsi que le sang sur lequel j'avais opéré contenait, sur 100 parties, 0,^48 de glucose. Ajoutons que le sang des veines mésentériques renfer- mait aussi du sucre, mais la proportion n'en a pas été dosée (1). Sang pris au-dessus du foie. — Le poids de ce sang était de 2o gramm. Traité comme précédemment, il a laissé un résidu du poids de 0,1 50. Le réactif cupro-potassique n'a indiqué dans ce résidu que des traces à peine appréciables de glucose. La quantité en était si faible, (() On s'est assuré, avec un autre chien placé dans les mêmes conditions qu'après un jeûne de quarante heures, la veine porte ne contenait pas de sucre. A cet eiïet, le chien a été tué par la section du bulbe rachidien. L'ab- domen étant ouvert, on a appliqué une ligature sur la veine porte, et l'on a recueilli le sang de ce vaisseau. Ce sang ne renfermait aucune trace de glu- cose; on s'en est assuré en le traitant par l'alcool, suivant le procédé ci- dessus décrit. 488 APPENDICE. qu'ayant essayé de la doser avec la liqueur cupro-potassique qui avait servi à l'analyse du sang de la veine porte, je n'ai pu y parvenir, car la coloration bleue de la liqueur titrée a été à peine altérée par l'afTusion de la presque totalité du liquide. Dans le sang pris au-dessus du foie, deux heures après le repas, il n'existait donc que des traces de glucose. Quant au foie, qui pesait 315 grammes, il était chargé d'une quan- tité notable de sucre. Il résulte de cette première expérience que, chez un chien nourri de viande crue et tué deux heures après le repas, on trouve dans la veine porte une quantité notable de glucose, et qu'il n'existe que des traces de ce produit dans le sang qui sort du foie, bien que ce dernier organe soit lui-même chargé de sucre. La même expérience a été répétée, quatre heures après le repas, avec un chien placé dans les mêmes conditions que le précédent, et nourri exclusivement depuis douze jours avec de la viande de bœuf crue. Au bout de quarante heures de jeûne, on a donné à ce chien un repas composé de 2 livres de viande de bœuf crue, et, quatre heures après, on l'a opéré comme le précédent. On a recueilli, par incision, le sang de la veine porte. La poitrine étant ouverte, on a pris le sang du ventricule droit et celui de la veine cave inférieure. La digestion était presque entièrement terminée, car l'estomac ne contenait plus que quelques morceaux de viande au milieu d'une masse demi-liquide et pultacée qui n'occupait qu'une partie du vis- cère. En procédant à l'analyse comparée de ces deux sangs, j'ai obtenu les résultats qui suivent : Sang de la veine porte. — Le sang recueilli pesait 76 grammes. A la seconde évaporation (l'évaporation du liquide aqueux), il a laissé un résidu du poids de 0,39, J'ai trouvé, en analysant un poids connu de ce résidu avec la liqueur cupro-potassique titrée, qu'il renfer- mait 0,231 pour 100 de glucose. Sang pris au-dessus du foie. — Ce sang pesait 2o grammes. Le ré- sidu alcoolique pesait 0,165. On a trouvé, par le même procédé d'analyse, que ce sang contenait 0,304 pour 100 de glucose. Le foie renfermait une quantité notable de sucre. Ainsi, chez un chien nourri de viande crue, et tué quatre heures après le repas, on trouve du glucose dans le sang de la veine porte, et le sang qui sort du foie renferme alors une quantité de glucose plus considérable que quand on l'a recueilli deux heures seulement après le repas. Examinons maintenant les conséquences auxquelles conduisent APPENDICE. 489 ces deux expériences si importantes dans la question qui nous occupe. Ce que tout le monde remarquera certainement dans leur résul- tat, c'est la démonstration de ce fait capital, que le sang qui pénètre dans le foie pendant la digestion renferme déjà du sucre^, et que par conséquent le foie ne joue point dans la production de ce prin- cipe le rôle qui lui est attribué. Une seconde particularité, qui ressort des mêmes expériences, frappera peut-être moins que la précédente, mais elle est pour nous tout aussi précieuse, car elle démontre avec évidence que le foie est bien, comme nous l'avons dit, un organe dans lequel les produits de la digestion viennent séjourner un certain temps, s'y accumuler, s'y réunir, pour être ensuite répandus et distribués dans la circula- tion générale. Rapprochons, en effet, les résultats de ces deux expériences. Dans la première, quand on recueille le sang deux heures après le repas, le sang qui provient du foie ne renferme encore qu'une quantité insignifiante de sucre, bien que cet organe soit rempli de matière sucrée. Dans la seconde expérience, faite quatre heures après le repas, le sang qui s'échappe du foie contient des proportions no- tables de glucose. Xe voit-on pas là la démonstration évidente de ce fait, que le foie arrête quelque temps dans son tissu les matières qui lui sont apportées de l'intestin? Par suite de l'extrême lenteur delà circulation dans l'organe hépatique, par la nature même du tissu spongieux de cette glande, le sang est contraint de subir dans le foie une stagnation qui a pour effet d'y retenir ces produits un temps plus ou moins long. Aussi, lorsque, dans la première expérience, nous avons recueilli le sang deux heures seulement après le repas, nous avons saisi le moment précis où le sucre, arrivant du tube in- testinal par suite de la digestion, avait pénétré dans le foie, mais n'avait eu le temps d'en sortir, et se trouvait encore arrêté dans le réseau vasculaire de cette glande. Et c'était un spectacle remar- quable et plein d'enseignements physiologiques que de voir s'échap- per d'un foie gorgé de sucre un sang presque dépourvu de ce pro- duit! Mais lorsque, dans la seconde expérience, on a recueilli le sang quatre heures après le repas, on a laissé au glucose le temps de s'échapper par les vaisseaux sus-hépatiques, et l'analyse a permis de constater dans le sang de ces vaisseaux l'existence d'une notable proportion de matière sucrée. J'ai reproduit textuellement les paroles de l'auteur, 490 APPENDICE. parce qu'il faut avoir lu, de ses yeux, de semblables résultats, pour croire qu'on les ait avancés d'après une expérience faite une seule fois. On comprend, jusqu'à un certain point, que l'illusion puisse se glisser dans le raisonnement sous l'influence de certaines idées pré- conçues, mais il est plus difficile de comprendre que l'on trouve et que l'on dose du sucre dans le sang de la veine porte, quand il n'y en a pas, et que l'on n'en voie pas dans le sang des veines hépatiques où il y en a. La possibilité de semblables contradictions doit attrister les homme qui recherchent la vérité. Le résultat énoncé, à savoir, qu'il y a plus de sucre dans le sang de la veine porte que dans celui des veines hépatiques, est tellement opposé à ce que tout le monde a vu, que j'avais cru d'abrd à quelque erreur anatomique et à quelque confusion de vaisseaux. On remarque, en effet, de l'ambiguïté dans les désigna- tions anatomiques. On parle, d'une part, du sang re- cueilli dans la veine porte et du sang recueilli dans les veines mésentériques, distinction qui n'a pas sa raison d'être puisque la veine porte n'est que la réunion de toutes les veines mésentériques. D'autre part, on dit qu'on a recueilli du sang au-dessus du foie, et puis, dans le détail de l'expérience, on ajoute que l'on a ouvert la veine cave à son embouchure dans l'oreillette droite du cœur. L'auteur n'a sans doute pas voulu dési- gner par cette expression : sang pris au-dessus du foie, le sang du cœur droit provenant de tout le système veineux du corps, car il sait bien que c'est dans les veines hépatiques, immédiatement à la sortie du tissu APPENDICE. 491 du foie, qu'il faut prendre le sang sus-hépatique pour le comparer au sang de la veine porte qui entre dans l'organe. Du reste, dans ses conclusions, l'auteur s'explique plus clairement quand il s'écrie, dans l'éton- nement et l'admiration oii il est de ses propres résultats : « Et c'était un spectacle remarquable et plein d'ensei- gnements physiologiques que de voir s'échapper d'un foie gorgé de sucre un sang presque dépourvu de ce produit! » Or, si l'auteur a vu sur un chien le sang s'échapper du foie, il n'a pu le voir s'échapper que par les veines hépatiques qui s'abouchent dans la veine cave au-dessous du diaphragme, et non à l'entrée de l'oreillette droite du cœur. Enfin, l'auteur ajoute, deux lignes plus bas : (( On a laissé au glucose le temps de s'échapper par les vaisseaux sus-hépatiques . » D'après tout cela, je crois bien que notre contradicteur a pris du sang des veines hépatiques et du sang de la veine porte ; mais ce que je n'admettrai jamais, pas plus que personne, c'est ce qu'on a avancé, à savoir, que, deux heures après un repas de viande crue, il y a plus de sucre dans le dernier sang que dans le premier. Sans rechercher la cause des erreurs matérielles qui ont pu se glisser dans les expériences, je ferai seule- ment sur la direction d'idées de l'auteur une remarque générale qui me semble assez explicative. Il est bien clair que, dans toute cette discussion, l'auteur en question, sans s'en apercevoir, et de très- bonne foi sans aucun doute, se place toujours en de- hors du point de vue scientifique, en ce qu'il traite la 492 APPENDICE, question comme un avocat qui soutient un plaidoyer, mais non comme un savant qui cherche la vérité. Cette méthode de procéder est surtout dangereuse dans les sciences complexes comme la physiologie, et il est d'autant plus important de la signaler ici, que, pour ne pas y être trompé, il faut être bien an courant des questions dont il s'agit. En effet, une fois le point de départ admis, les raisonnements s'enchaînent logique- ment, et les personnes étrangères aux faits sont sé- duites par cet enchaînement, sans se douter que c'est précisément le point de départ qui pèche, et que c'est là ce qu'il faut déterminer exactement. Or, je dis que, dans le travail que nous examinons, l'auteur se préoccupe beaucoup plus de rechercher des appa- rences d'arguments pour le besoin de sa cause que de s'enquérir si les arguments qui servent de point de départ à ses raisonnements sont solidement éta- blis. Voyons, en effet, ce qui est arrivé. Dans son pre- mier Mémoire, l'auteur se pose en défenseur d'une théorie en vertu de laquelle le sucre trouvé dans le foie des carnivores doit provenir des végétaux. Alors il ima- gine, pour son explication, qu'il y a du sucre dans la viande des animaux de boucherie, qui sont herbivores, et là-dessus il construit tout un échafaudage de consi- dérations pour prouver que l'origine du sucre n'est pas dans le foie. Mais on lui dit que d'abord le fait de la présence du sucre dans la viande est erroné. Ensuite, pour démon- trer que le foie ne fait pas de sucre, et que cette sub- APPENDICE. 493 slance vient de Faliment, il faudrait prouver qu'il y a du sucre dans le sang de la veine porte qui entre dans l'organe; et enfin, pour établir que le sucre se con- dense dans le foie, il faudrait encore montrer qu'il entre plus de sucre dans le foie qu'il n'en sort. L'auteur n'est pas embarrassé pour résoudre ces ob- jections qu'on lui oppose. La présence du sucre dans la viande n'est pas exacte : il n'en parle plus. 11 fau- drait, pour prouver ce qu'il a avancé, qu'il y eût plus de sucre dans la veine porte que dans le sang des veines hépatiques : immédiatement paraît le Mémoire précédemment rapporté, dans lequel il croit avoir vu ces résultats, qui sans doute peuvent constituer un bon argument, mais qui, malheureusement pour la théorie qu'on soutient, est tout aussi illusoire que la présence du sucre dans la viande. D'après cette disposition d'esprit de l'auteur, il est probable que, quand on lui aura prouvé qu'il n'y a pas, comme il le croit, du sucre dans le sang de la veine porte en plus grande quantité que dans le sang des veines hépatiques, il abandonnera cet argument pour en imaginer un ou plusieurs autres à la discussion desquels il espérera qu'on puisse s'arrêter. Les discussions dans lesquelles on se laisse conduire par ses idées en dehors de l'examen sérieux des faits ne peuvent avoir aucun résultat scientifique. Pour ces raisons, je me serais abstenu, pour mon compte, de poursuivre cette espèce de procès qu'on a voulu in- tenter à la fonction glycogénique du foie ; mais je suis ici professeur de physiologie expérimentale, j'ai foi 494 APPENDICE. dans la méthode expérinientale et dans l'invariabilité des expériences bien faites. Il est de mon devoir de m'élever contre ceux qui, par la manière dont ils trai- tent les questions, peuvent jeter du doute dans les esprits sur la constance des résultats physiologiques, et retarder cette belle science dans son développement aujourd'hui si brillant. Je ne dois d'ailleurs laisser échapper aucune source d'instruction pour les élèves. Or, on instruit à la fois en mettant sous les yeux les méthodes d'investigation qui conduisent à la vérité, afin de les suivre, et en signalant celles qui conduisent à l'erreur, afin de les éviter. C'est comme exemple de ce dernier genre que j'ai eu à indiquer la manière de procéder de l'auteur dont nous nous occupons, et c'est pour montrer jusqu'oii cette manière de raisonner peut conduire, que j'ai voulu poursuivre la question dans cet appendice. Au point de vue de la physiologie, il aurait pu y avoir inconvénient à ne pas suivre la discussion jus- qu'au bout. En effet, à voir l'assurance et la facilité avec lesquelles l'auteur explique tout, et rétorque les objections, certaines personnes pouvaient croire à l'exactitude des faits contradictoires avancés, et en ti- rer cette conclusion, que les expériences de physiolo- gie sont des expériences incertaines qui donnent des résultats variables et même opposés, et que les conclu- sions qu'on en tire ne doivent conséquemment avoir aucune valeur absolue. Or, cette conclusion serait es- sentiellement injuste, comme je l'ai prouvé dans main- tes circonstances, et j'ai expliqué dans la première APPENDICE. 495 leçon de ce cours que les expériences physiologiques sont aussi certaines et aussi positives que celles de chi- mie et de physique, pourvu que l'on ait soigneusement étudié les conditions de l'expérience pour reproduire les phénomènes toujours dans les conditions iden- tiques. Quand on dit, par exemple, que chez un Carnivore il n'y a pas de sucre dans le sang de la veine porte, et qu'il y en a dans le sang des veines hépatiques, ce n'est pas là un résultat moyen fourni par beaucoup d'expé- riences, dans lesquelles on aurait trouvé quelquefois des résultats opposés. C'est une expérience constante et absolue, ei jamais, quand elle est bien faite et dans les conditions indiquées, il n'y a de sucre dans le sang de la veine porte. C'est à cause de cette foi scientifique que j'ai dans la certitude et l'invariabilité des expé- riences physiologiques, dont les conditions sont bien étudiées, que je crois de mon devoir, comme profes- seur de physiologie expérimentale, de m'élever non contre les personne que je laisse toujours en dehors, mais contre les travaux, dont la légèreté inspire de la défiance à l'égard de la physiologie expérimentale, en apportant dans une question des résultats qui n'ont pas même été constatés, comme la présence du sucre dans la viande. C'est pour toutes ces raisons, et uni- quement dans l'intérêt de la science, que je crus qu'il fallait protester contre les faits avancés dans le Mé- moire que nous examinons; c'est ce que je fis dans la séance de l'Académie du 2 avril, dans les termes sui- vants : 406 APPENDICE. Dans la séance de l'Académie du 12 mars dernier, j'ai rappelé que M. le professeur Lehmann, de Leipzig, venait encore, avec une au- torité des plus considérables en pareille malière, confirmer une de mes expériences fondamentales à l'aide desquelles j'ai établi depuis longtemps que le foie fabrique du sucre. Cette expérience consiste, comme on sait, à montrer que chez des animaux carnivores à jeun ou en digestion de viande, il n'existe pas de sucre dans le sang de la veine porte qui circule des intestins vers le foie, tandis qu'il en existe constamment et en notable proportion dans le sang qui sort du foie parles veines hépatiques pour circuler vers le cœur. Dans la dernière séance de l'Académie, on a nié l'exactitude de ces faits constatés et vérifiés par les hommes les plus compétents et les plus habiles. L'auteur qui a émis cette négation est arrivé non-seulement à dire que chez les animaux carnivores, à certaines périodes de la diges- tion, il y a du sucre dans le sang de la veine porte aussi bien que dans celui des veines hépatiques, mais il n'a pas craint 'd'avancer que, deux heures après le repas, on trouve chez un chien qui a mangé de la viande de bœuf crue une plus forte proportion de sucre dans le sang de la veine porte que dans le sang pris au-dessus du foie. L'assurance avec laquelle une pareille assertion a été avancée pourrait peut-être en imposer à certaines personnes. C'est pour- quoi je crois de mon devoir de venir déclarer ici que ces résultats sont entièrement inexacts. Par suite d'expériences très-nombreuses faites depuis six années et que j'ai répétées devant des savants de tous les pays, je ne pouvais avoir aucun doute à cet égard. Je viens même encore cette semaine de refaire mon expérience devant différents physiologistes ou chi- mistes^ en plaçantles animaux dans les diverses conditions de diges- tion, et spécialement dans celles indiquées par l'auteur du Mémoire, soit relativement à la nature de l'alimentation, soit relativement à l'époque de la digestion, soit enfin relativement à la manière dont le sang a été traité, pour y rechercher la matière sucrée. Or, je déclare de nouveau que j'ai t^^ujours obtenu le résultat que j'avais annoncé, à savoir, que chez un chien en digestion de viande cuite ou crue il n'y a pas de sucre dans la veine porte, ni une heure, ni deux heures, ni trois heures, etc., après le repas, et qu'il y en a au contraire dans les mêmes circonstances, cons- tamment et en notable proportion, dans le sang des veines hépa- tiques. Maintenant, quant à apprécier les causes de l'erreur dans laquelle APPENDICE. 497 est tombé l'auteur du Mémoire en question, ce rôle appartient à la Commission qui, je l'espère, ne tardera pas à faire son rapport. Mais, par un sentiment que l'Académie comprendra, j'ai l'hon- neur de prier M. le Président de vouloir bien nommer en ma place un autre commissaire pour examiner les Mémoires de M. Figuier. Je n'ai pas à m'occuper dans cette note de la ques- tion de savoir si les causes d'erreur provenaient des moyens employés pour reconnaître le sucre, car il est probable que l'auteur, voulant répéter nos expériences et celles de M. Lehmann, a dû les reproduire dans les mêmes circonstances et avec les mêmes réactifs, car sans cela ce seraient d'autres expériences. Quant aux réactifs dont il faut se servir pour recon- naître le sucre, nous nous sommes déjà expliqué suffi- samment à ce sujet. On sait que nous ne nous servons comme caractère certain que de la fermentation au contact de la levure de bière, avec pi^oduction d'acide carbonique et d'alcool. Nous devons ajouter que nous agissons quelquefois en mélangeant directement la le- vure avec du sang frais sucré, comme cela a lieu dans les veines hépatiques. La fermentation s'établit rapide- ment au bout de dix minutes, pour peu que la chaleur soit de 30 à 40 degrés, et elle dure généralement cinq ou six heures, tandis que jamais le sang frais de la veine porte, mélangé de même à de la levure de bière, ne fermente dans le même temps. Quand on emploie de la levtii^e de bière prise chez les boulangers, il im- porte de ne pas laisser la fermentation durer plus de vingt-quatre heures, car alors la fécule pourrait, sous l'influence des matières animales du sang, se trans- BERNARD. I. 32 498 APPENDICE. former en sucre et donner de ralcool et de l'acide car- bonique, comme nous nous en sommes assuré. Au lieu de faire fermenter directement le sang, on peut le traiter par quatre ou cinq fois son volume d'alcool, et reprendre le résidu par l'eau, qu'on soumet alors à la fermentation. Mais, soit qu'on prenne directement le sang des veines portes et des veines hépatiques, soit qu'on le traite par l'alcool préalablement, on voit constamment dans tous les cas la fermentation s'éta- blir avec le sang des veines hépatiques, et jamais avec le sang de la veine porte. Nous n'avons pas besoin de répéter ici que, pour ob- tenir ces résultats, il faut recueillir le sang dans des conditions physiologiques. On ne peut avoir le sang qui circule dans des conditions normales dans la veine porte, ou dans les veines hépatiques, qu'en opérant par le procédé que nous avons indiqué, qui consiste à tuer l'animal par la section du bulbe rachidien, et à recueillir immédiatement le sang contenu dans la veine porte et celui contenu dans les veines hépatiques, après avoir placé des ligatures sur ces vaisseaux. De cette manière, on est bien sûr que le sang recueilli dans la veine porte est celui qui allait entrer dans le foie au moment de la mort de l'animal. Quand, à la suite de la fermentation, on veut obtenir de l'alcool, ce qui est, suivant nous, une condition in- dispensable de l'expérience, il faut se procurer d'assez grandes quantités de sang et sacrifier un certain nom- bre d'animaux dans les mêmes conditions. On réunit tous les sangs des veines hépatiques et ceux des veines APPENDICE. 499 portes qu'on traite comparativement à quantités égales. Dans ces circonstances, on recueille les plus grandes quantités de sang possible, en faisant l'expérience sur l'animal vivant, comme nous l'avons souvent pratiquée, que l'on veuille obtenir le sang de la veine porte ou le sang des veines sus-hépatiques. Pour obtenir le sang de la veine porte, il suffît de faire la ligature du tronc de cette veine, d'ouvrir l'ab- domen, et de piquer au-dessous de la ligature. On fait jaillir ainsi du sang circulant dans la veine porte chez l'animal vivant. Mais on comprendra que, pour que ce sang soit dans des conditions physiologiques, il ne faut en prendre qu'une petite quantité ; car, si l'on fait mourir l'animal d'hémorrhagie en ouvrant la veine porte, par exemple, le sang detoutes les parties du corps se trouvant évacué, le foie comprimé par les convul- sions de l'animal, le sucre que contient cet organe passe avec les dernières portions du sang, qui alors ne sont plus identiques avec les premières, qu'on peut seules considérer comme recueillies dans des condi- tions physiologiques. Pour obtenir une grande quantité de sang des veines hépatiques, nous avons employé le même procédé que pour constater la température du sang qui sort du foie. Ce procédé consiste à faire une grande incision dans le flanc droit, jusque dans l'angle de la dernière côte, et à placer deux ligatures sur la veine inférieure, au- dessus des veines rénales. Ces ligatures sont destinées l'une à arrêter le sang qui vient des parties inférieures, l'autre à lier un tube ouvert par les deux bouts, qu'on oOO APPENDICE. introduit dans la veine. Ensuite, lorsqu'on a placé ces deux ligatures d'attente dans le ventre, il s'agit de faire la ligature do la veine cave inférieure au-dessus du diaphragme, dans la poitrine. Pour cela, on fait une incision entre la dixième et la onzième côte du côté droit. On incise d'abord la peau, puis, en changeant le parallélisme, on fait une petite incision dans un es- pace intercostal, de façon à introduire le doigt pour qu'il bouche exactement l'ouverture, et empêche l'en- trée de l'air; ensuite on introduit le long du doigt, à l'aide d'un stylet, un fil qu'on passe au-dessous de la veine, on fait la ligature, et de cette façon le sang des parties inférieures ne peut plus remonter dans le cœur. Pour éviter de faire cette ligature de la veine cave inférieure, qui est souvent assez laborieuse, on peut faire la première partie de l'opération comme nous l'avons décrite, après quoi on introduit dans la veine cave un tube qui est une espèce de sonde au bout de laquelle on peut souffler, au moyen d'un tube latéral, une petite vessie destinée à boucher le calibre de la veine inférieure (fig. 22). On introduit la sonde par la veine cave inférieure, au-dessous des reins, dans l'abdomen, et Ton pousse l'instrument de façon que son extrémité soit au-dessus du diaphragme. Alors on souffle de l'air par le tube 0. L'air insufflé conduit par le petit tube /, va s'ouvrir en /', et distendre la petite vessie de caoutchouc G; alors on ferme le robinet r, et la vessie, restant dis- tendue, bouche et obstrue la veine cave au-dessus du diaphragme, c'est-à-dire au-dessus du lieu d'abouché- APPENDICE. ment des veines hépatiques. Alors ce sang, ne pouvant plus remon- ter dans le cœur, pénètre dans la sonde par l'ouverture latérale 0', et ^ient s'écouler au dehors, par le pavillon 0 de la sonde, dont le robinet R a été ouvert. Par l'un ou l'autre des deux procédés précédents, on peut avoir des quantités considérables de sang sucré, parce que, la cir- culation continuant sur l'animal vivant, on recueille du sang qui ne peut s'échapper qu'après avoir traversé le foie. On possède assez de sang pour obtenir de l'alcool par la fermentation en distillant le hquide, ainsi que nous l'avons expliqué dans le cours de ces le- çons. Or, la fermentation dé- montre toujours ce que nous avons indiqué, c'est-à-dire une grande quantité de sucre dans le sang des veines hépatiques, et ab- sence complète ou traces très- faibles dans le sang de la veine ^ porte. Par ces raisons, nous ne sau- rions comprendre comment l'au- teur qui nous a contredit a pu 501 Fis. 2-2. 502 APPENDICE. arriver à trouver plus de sucre dans le sang de la veine porte que dans celui des veines hépatiques. Nous ferons remarquer seulement qu'il ne mentionne pas la fermen- tation, qui est cependant le seul caractère absolu pour déceler le sucre. Si ce n'est pas là un oubli, et si réelle- ment, c'est ce que l'on saura quand la commission aura fait son rapport, ce moyen n'avait pas été em- ployé, on est en droit de refuser aux expériences de l'auteur toute espèce de valeur. Après notre note du 1 2 mars, parurent plusieurs Mé- moires pour venir corroborer de nouveau nos expé- riences; car, ainsi que nous l'avons déjà dit, tous les hommes qui ont répété sérieusement les expériences ont retrouvé nos résultats, et aucun observateur n'a pu reproduire ce qu'a dit notre contradicteur. Les Mémoires qui ont paru sont, le premier, de M. Poggiale, professeur de chimie au Yal-de-Grâce, communiqué à l'Académie des sciences le 16 avril. Ce Mémoire est relatif à la formation du sucre dans le foie et dans la mamelle. Nous ne discuterons pas ici ce travail, nous n'en rapportons que ce qui se rattache à la formation du sucre dans le foie, et particulièrement à la question que nous examinons, à savoir, que chez les animaux carnivores il y a du sucre dans le sang des veines hépatiques, qui sort du foie, tandis qu'il n'y en a pas dans le sang de la veine porte, qui entre dans l'or- gane. Voici ce travail : APPENDICE. o()3 La matière sucrée se forme-t-elle, parTaction digestîve, dans le foie et dans le torrent circulatoire? par M. Poggiale. Première expérience, — Un chien adulte a été nourri pendant huit jours au pain arrosé de bouillon gras. Après deux jours d'une absti- nence complète d'aliments, on lui a donné un kilogramme de pain et de l'eau. Trois heures après ce repas, l'abdomen ayant été ouvert et le sang des divers vaisseaux recueilli séparément, j'ai déterminé la quantité de sucre dans tous ces produits^ et j'ai trouvé dans le sang de la veine porte 0S'',322 de sucre pour 100 de sang; dans le sang des veines hépatiques, 0S'',327,- dans le sang de la veine cave infé- rieure, 08^,03, et dans celui de l'artère carotide, Os'",0o2. Les ma- tières contenues dans l'estomac et dans l'intestin renfermaient beau- coup de sucre. J'ai fait trois expériences dans les mêmes conditions, et les résultats généraux n'ont pas varié. Deuxième expérience. — Un chien adulte et de forte taille fut sou- mis à l'action du chloroforme le troisième jour d'une abstinence absolue, et l'on recueillit du sang de la veine porte, du sang des veines sus-hépatiques, du sang de la veine cave inférieure et du sang de l'artère crurale. On obtint par l'analyse les résultats sui- vants : ûs%02o de sucre dans 100 parties de sang de la veine porte; 0''',049 dans le sang des veines hépatiques; 0S'-,042 dans le sang de la veine cave inférieure, et 0s%023 dans le sang de l'artère crurale. Troisième expérience. — Un chien fut laissé sans nourriture pen- dant huit jours, puis sacrifié. L'examen du sang des différents vais- seaux donna les chiffres suivants : 0S'",022 de sucre pour 100 de sang des veines hépatiques, et des traces seulement dans la veine cave inférieure. Le sang de la veine porte ne contenait pas de sucre. Chez un autre chien à jeun depuis quatre jours, on n'a pas trouvé de sucre dans le sang de la veine porte, tandis qu'on en a rencontré dans le sang des veines hépatiques. Quatrième expérience, — Un chien nourri pendant huit jours a ec de la viande cuite, puis, après une abstinence de trente-six heures, ayant reçu un repas copieux de viande cuite, fut sacrifié au moment de la digestion. Le sang de la veine porte ne renfermait pas de sucre. Le sang des veines hépatiques en contenait Os-^jSiO pour 100; le sang de la veine cave inférieure, 0s'^,0S3, et celui de l'artère crurale, CS'",032. On n'a pas constaté la présence du sucre dans les matières alimentaires. Dans deux autres expériences analogues, on eut les chiffres indiqués dans les deux dernières lignes du tableau suivant, 504 APPENDICE. qui offre les résultats des analyses pour les expériences appartenant à la troisième série. ALIMENTATION. QUiMl Sang de la veine porte. TÉ DE Sl'CRE Sang des veines hépatiques. POUR 100 DE Sang de la veine cave inf. SDCRE. Sang artériel. MATIÈRES ALIMENTAIRES. Pain et bouillon gras.. .. Id. Abstin. depuis 3 jours . . — S jours.. . Viande cuite. 0,32 0,26 0,02 0,327 0,267 0,049 0,022 0,340 0,152 0,159 gr. 0,103 0,042 0,083 gr. 0.052 0,132 0,023 0,032 0,060 Beaucoup de sucre. Id Id C0NCLU.S10XS. — Il résulte des expériences consignées dans ce Mé- moire : 1° Que le sucre peut se former dans l'économie aux dépens des aliments azotés, et peut-être des corps gras; 2° Que l'alimentation absolue à la graisse ne semble pas diminuer la proportion du sucre dans l'organisme ; 3° Que les aliments amylacés se transforment en sucre par l'ac- tion digestive; 4° Que, chez les animaux nourris avec des matières amylacées, le sang de la veine porte contient une proportion considérable de sucre; 5° Que, chez les animaux nourris avec de la viande, il n'existe pas de sucre dans le sang de la veine porte; qu'on en trouve, au con- traire, une quantité notable dans les veines hépatiques, dans la veine cave inférieure, et même dans le sang artériel; 6° Que le sang de la veine porte des animaux soumis à l'absti- nence complète ne contient pas de sucre; 7° Que, par conséquent, on est bien obligé d'admettre que, chez les animaux nourris avec des matières azotées et de la graisse, la production du sucre a heu dans le foie. La deuxième communication confirmative de nos expériences fut faite également dans la séance du 16 avril par M. Leconte, professeur agrégé de chimie à la Fa- APPENDICE. oOo culte de médecine. Voici ce travail, tel qu'il a été pré- senté à l'Académie. Recherches sur la fonction ghjcogénique du foie, par M. Lecoxte. Attaché au Collège de France comme préparateur du cours de M. Magendie, il m'a été donné d'assister M. Cl. Bernard dans la plu- part de ses expériences sur le foie, et de répéter un grand nombre de fois moi-même, soit pour les besoins du cours, soit dans d'autres circonstances, les recherches qui démontrent qu'il n'existe pas de sucre dans le sang de la \eine porte d'animaux nourris de viande, tandis qu'il en existe dans le sang des veines hépatiques. La question étant aujourd'hui controversée, j'ai cru devoir soumettre à l'Aca- démie les résultats de ces recherches. Tous les animaux qui m'ont servi ont été rapidement sacrifiés par la section du bulbe rachidien. Une incision, pratiquée au flanc droit, permettait de lier la veine; l'abdomen était alors ouvert. On liait la veine cave inférieure au-dessous du diaphragme ; puis, fai- sant une incision à ce muscle, on appliquait une seconde ligature sur la veine cave inférieure, au-dessus du diaphragme. Il était alors facile de recueillir sans mélange le sang des veines hépatiques en introduisant un tube de verre dans la portion de la veine cave com- prise entre les deux ligatures. En introduisant de même un tube de verre dans la portion de la veine porte comprise entre la ligature et les intestins, on recueillait sans mélange le sang provenant de ces derniers organes. L'expérience m'a démontré qu'en recueillant le sang entre la ligature et le foie, ce fluide contenait toujours une quantité notable de sucre, par suite d'un reflux depuis longtemps signalé par M. Cl. Bernard. Le sang, mêlé exactement avec trois fois son poids d'alcool à 36 degrés, était jeté sur des carrés de toile fine et fortement com- primé. Les liqueurs étaient filtrées; le contenu des toiles, les vases et le filtre étaient lavés à l'alcool. Toutes les liqueurs étaient éva- porées au bain-marie, après avoir été acidulées par l'acide acétique pur. Les extraits alcooliques étaient délayés dans l'eau, additionnés de 1 gramme de levure de bière fraîche, introduits dans des cloches graduées pleines de mercure, et placés à une douce température. 1 gramme de la même levure délayée dans l'eau distillée était placé dans le tube rempli de mercure, et servait à prouver que la levure seule ne produisait pas de gaz. Après dix-huit à vingt-quatre heures, 506 APPENDICE. on mesurait l'acide carbonique, et l'on opérait les corrections rela- tives à la pression et à la température. Le poids du sucre était cal- culé d'après la formule Ci2H)2oi2 _ 4C02 + 2(C41602). Avant de doser le sucre dans le sang, je fis les deux expériences qualitatives suivantes : Première expérience. — Un chien de moyenne taille, laissé à jeun pendant vingt-quatre heures, fut sacrifié une heure après un repas composé de i kilogramme de viande de bœuf crue. L'extrait alcoo- lique du sang de la veine porte ne donna rien par la fermentation ni parle cupro-tartrate de potasse ; avec celui des veines hépatiques, réduction très-notable avec le même réactif. La fermentation donna une quantité assez considérable d'acide carbonique. Deuxième expérience. — Un jeune chien de trois mois fut nourri de viande cuite pendant dix jours; on le sacrifia le onzième, deux heures après un repas composé de viande de bœuf crue. 33 grammes de sang de la veine porte donnèrent un extrait alcoolique qui donna une réduction douteuse avec le cupro-tartrate de potasse, et rien par la fermentation. 4 grammes de sang des veines hépatiques fournirent un extrait alcoolique qui donna une réduction abondante par le cupro-tartrate de potasse, et par la fermentation une quantité appréciable de gaz carbonique. Troisième expérience. — Un chien de très-forte taille fut nourri pendant quinze jours avec de la viande cuite ; le seizième jour on le sacrifia deux heures après un repas composé de i kilogramme de viande crue de bœuf. On recueillit : sang de la veine porte, 73 grammes, qui donnèrent ; extrait alcoolique repris une seconde fois par l'alcool, 0,60; ce qui donne, pour sang frais, iOOO parties : extrait sec de la deuxième solution alcoolique, 8,22. Cet extrait alcoolique ne donna aucune trace de gaz par la fermentation. On obtint de môme : sang des veines hépatiques, 49 grammes, qui don- nèrent : extrait alcoolique repris une seconde fois par l'alcool, 0S'',70; ce qui donne, pour sang frais, 1000 parties : extrait sec de la se- conde solution alcoolique, 14,65. Cet extrait sec donna par la fer- mentation, après dix-huit heures, 21*^%39 d'acide carbonique, qui représentent 0S'',0422 de ce gaz, soit Oe'",0863 de sucre ; ce qui donne, pour sang frais des veines hépatiques, 1000 parties ; sucre, 1,771, et pour extrait alcoolique des veines hépatiques, 1000 parties : sucre, 123 parties. Le tube ternaire ne donna pas de gaz. Quatrième expérience. — Un épagneul de forte taille fut mis à la diète pendant vingt-quatre heures, puis nourri cinquante-huitjours APPENDICE. o07 à la viande cuite ; on le sacrifia deux heures et demie aprt's son der- nier repas. On obtint, sang de la veine porte, 149 grammes, qui donnèrent : extrait alcoolique, 2,059, soit pour sang frais, 1000 par- ties : extrait alcoolique sec, 13,74. Cet extrait ne donna rien par la fermentation. Le produit resté dans la toile, séché à 100 degrés, pesait 33 grammes ; en y ajoutant l'extrait alcoolique, 2,0o(j, on ob- tint 3o,0oo ; ce qui donne, pour sang de la veine porte, 1000 parties : eau, 766,20; substances sèches, 233,74. Le sang des veines hépa- tiques pesait o4s'-,8; il laissa, extrait alcoolique sec, 1,096, soit, pour sang frais, 1000 parties : extrait alcoolique sec, 21 ,82. Cet extrait, ainsi que le précédent, ne fut pas repris une seconde fois par l'alcool; après dix heures de fermentation, il fournit 17''<^,9 d'acide carbo- nique, représentant 0='^,0726 de sucre ; ce qui donne, pour sang frais des veines hépatiques, 1000 parties : sucre, 1,334, et pour extrait alcoolique des veines hépatiques, 1000 parties : sucre, 06,2. Les sub- stances restées sur la toile séchées à 100 degrés pesaient 13"'',21 ; y ajoutant l'extrait alcoolique 1,096, on obtient 14,306; ce qui donne, pour sang des veines hépatiques, iOOO parties : eau, 737,20; sub- stances sèches, 272,62. Donc, substances sèches des veines hépa- tiques, 1000 parties, contiennent : sucre, 5,11. Cinquième expérience. — Un chien de très-forte taille fut misa jeun pendant vingt-quatre heures; puis il fit un repas composé de 1250 grammes de viande crue; on prit 61 grammes de sang de la veine porte et 51 grammes de sang des veines hépatiques. L'extrait alcoolique du premier ne donna rien par la fermentation; celui des veines hépatiques, au contraire, donna par la fermentation 67 cen- timètres cubes d'acide carbonique, représentant 0-'',271o de sucre; ce qui donne la composition suivante : sang frais des veines hépa- tiques, 1000 parties, sucre, 4,4 A-^o o Tableau résumant les quantités de sucre contenues dans 1000 parties de sang frais. De la veine porte. Des veines hépatiques. 1^*^ expérience 0 notable, non dosé. 2« — 0 . Id. 3« — 0 ' * 1,771 4-= — 0 1,344 5*= — 0 4,452 En résumé, il résulte des expériences précédentes : 1° Qu'en se plaçant dans les conditions indiquées plus haut, et eti 508 APPENDICE. opérant rapidement la section du bulbe rachidien et la ligature des vaisseaux, on ne trouve pas de sucre dans le sang de la veine orte d'animaux nourris de viande crue ou cuite; 2° Que, dans les mêmes circonstances, le sang frais des veines hépatiques contient d'un à quatre millièmes de son poids de sucre, ce qui prouve que l'intervention des substances amylacées n'est pas nécessaire à la formation du sucre dans le foie; 3° Que le foie est bien un organe formateur du sucre, et non pas un organe condensateur, comme on l'avait avancé; 4° Que le sang des veines hépatiques laisse plus de substances sèches, et fournit plus d'extrait alcoolique que la même quantité de sang de la veine porte. Enfin, clans la séance du 30 avril, M. MoleschoU, professeur de physiologie à Heidelberg, m'a piié de communiquer à l'Académie les résultats confirmatif's qui suivent : Sur la sécrétion du sucre et de la bile dans le foie, par M. Moi.EscBOTT. En lisant vos intéressantes remarques sur la sécrétion du sucre dans le foie, faites à l'occasion d'une communication de M. Leh- mann, je me suis rappelé les expériences que j'avais faites en 1852, et qui ne sont pas connues en France. Comme le résultat de ces recherches vient aussi prouver que le foie qui produit du sucre ne saurait être comparé aux reins qui excrètent l'urée, j'ai pensé qu'il était de mon devoir de vous le communiquer. J'ai, sur un grand nombre de grenouilles, extirpé du foie, qui, comme on le sait depuis vos travaux, contient du sucre tout aussi bien que celui des mammifères, et j'ai réussi à garder ces animaux vivants, pendant deux ou trois semaines après l'opération. Après ce laps de temps assez considérable, j'ai examiné le sang, les muscles, le sucre gastrique et l'uriue de ces grenouilles, sans y pouvoir trou- ver aucune trace de bile ni de sucre. Or, c'est un fait avéré en phy- siologie, qu'après l'extirpation des reins, l'urée s'accumule dans le sang. On devrait donc s'attendre à trouver les acides organiques et la matière colorante de la bile, ainsi que du sucre, dans le sang ou dans le tissu d'animaux privés du foie, pendant quinze à vingt et un jours, si le foie n'était pour ces substances qu'un appareil de filtra- APPENDICE. 509 lion. Puisqu'il n'en est rien, j'en conclus que la bile et le sucre sont formés dans le foie, ce qui vient appuyer un fait dont, pour le sucre, la science est redevable à vous, tandis que, pour la bile, M. J. Millier l'a fait connaître le premier, et JMM. Kunde et Lehmann l'ont con- staté avant moi; mais, dans les expériences de ces savants^, les gre- nouilles n'avaient survécu que trois ou quatre jours à l'opération, c'est-à-dire pendant un temps qui n'est que la quatrième ou même la cinquième partie de ce que j'ai pu atteindre chez mes animaux. Après avoir rangé la fonction glycogénique du foie parmi les vé- rités les plus fécondes de la science, en démontrant que le sucre formé dans le foie est détruit par la respiration, vous accorderez peut-être quelque intérêt à ce que j'ai trouvé que le fuie ne contri- bue pas peu à la métamorphose rétrograde des substances animales. Si l'on a ôté le foie aux grenouilles, ces animaux exhalent, pour la même unité de poids et de temps, beaucoup moins d'acide carbo- nique que des animaux intacts. J'ai comparé des grenouilles, chez lesquelles j'avais fait l'excision du foie, à d'autres auxquellesj'avais amputé les deux jambes pour leur faire perdre une quantité plus grande de sang qu'il ne s'en perdait par l'extirpation du foie. D'ail- leurs, tous les animaux qui servaient à la comparaison, ceux qui étaient intacts et ceux qui avaient subi les deux genres d'opération, étaient pris le même jour dans les fossés et marais de nos environs; ils étaient gardés dans la même eau, et de plus ils étaient du même sexe, et, autant que possible, du même poids et de la même gran- deur. Les expériences, comparées entre elles, étaient exécutées le même jour, à peu près à la même température et à la même pres- sion atmosphérique. Le nombre des expériences pour chacune des trois catégories n'est pas inférieur à vingt-six. Eh bien, tOO grammes dé grenouilles intactes ont donné en moyenne, pour vingt-quatre heures, Os^^joGe d'acide carbonique; 100 grammes de grenouilles amputées en ont exhalé 0s'",4o7, et iOO grammes de grenouilles sans foie n'en ont produit que G?'", 332. On voit donc que l'excision du foie diminue la quantité d'acide carbonique exhalé par les gre- nouilles d'une manière plus intense que ne pourrait l'expliquer la perte du sang inévitable dans une opération si grande. Le rapport entre ce fait et la fonction glycogénique du foie me paraît assez bien établi pour oser vous prier de communiquer cette lettre à l'Académie des sciences. Tels sont les travaux qui ont paru depuis la fin de notre cours. Ils confirment tous de la manière la plus 510 APPENDICE. complèfe nos propres expériences. Nous ne doutons pas que toutes les recherches sérieuses qui seront faites sur la même question n'aboutissent au même résultat. RAPPORT DE M. DUMAS Nous pensons que les lecteurs de ces Leçons liront avec intérêt le rapport présenté par M. Dumas à l'Aca- démie des sciences, à l'occasion des communications faites par MM. Figuier, Leconte et Poggiale, dont les Mémoires se trouYcnt reproduits dans ce volume. Nous plaçons ici ce rapport comme appendice. J. B. B. « L'Académie nous a chargés, MM. Pelouze, Rayer et moi, de lui rendre compte des expériences relatives aux vraies fonctions du foie, instituées dans ces derniers temps par MM. Figuier, Poggiale et Leconf.e. Votre Commission a pensé qu'elle devait, laissant de côté toute préoccupation théorique, réduire la question qui lui était sou- mise aux simples termes d'une vérification de faits. Elle a donc porté toute son attention sur les moyens à prendre pour donner à cette vérification des garanties de précision dont l'état de la science lai permettait de les entourer. « Un de nos confrùres, M. Claude Bernard, avait fait connaître, conjointement avec M. Barreswil, l'existence dans le foie d'une quan- tité considérable de sucre. Poursuivant les conséquences de cette découverte, M. Claude Bernard a prouvé que le sucre existe dans le foie de tous les animaux, que sa présence est conséquemment un témoin de la nature même des fonctions de cet important organe. « Jusque-là, les observations nouvelles de M. Claude Bernard et la conséquence qu'il en tire ne sont contestées par personne, elles constituent l'une des plus sérieuses acquisitions de la physiologie moderne. « Mais d'où vient ce sucre qui existe si constamment dans le foie? Comment disparaît-il de cet organe? Quel est son emploi? APPENDICE. 5H « Ici les opinions se montrent divergentes, les difficullés appa raissent et les expériences elles-mêmes ne seraient plus d'accord. « M. Claude Bernard pense que la formation du sucre a lieu dans le foie. Bien entendu que notre savant confrère ne met point en doute la production du sucre qui a lieu par le fait de la digestion dans l'es- tomac aux dépens des aliments amylacés, moins encore le passage du glucose et de ses analogues de l'estomac ou de l'intestin dans les veines. Mais il admet qu'en dehors de cette source intermittente, par laquelle le glucose peut s'introduire dans le sang, au moment où la digestion s'accomplit, il y en aurait une autre permanente et tout à fait spéciale : ce serait la fabrication du sucre dans le foie même. « Ce qui démontrerait cette fabrication, c'est l'absence du sucre dans le sang de la veine porte d'un animal soumis au régime de la viande; c'est la présence de ce sucre dans le sang des veines sus- hépatiques de ce même animal. « M. Figuier a élevé contre celte doctrine diverses objections. « Reprenant une opinion déjà émise par M. Mialhe, M. Figuier fait remarquer qu'il serait plus naturel de considérer le foie comme un organe séparateur, à la façon des reins, que d'en faire un organe créateur. Dans cette hypothèse, le foie, véritable régulateur de la composition du sang, arrêterait au passage le sucre provenant de la digestion qui se trouverait en excès dans le sang, comme il arrête certains poisons métalliques, et le restituerait peu à peu à ce liquide, lorsque celui-ci en serait dépourvu ou que la proportion de sucre y serait descendue au-dessous de la moyenne, pendant les heures de repos de l'estomac. « Comme le rôle attribué au foie par M. Claude Bernard repose sur quatre données, savoir : 1° la présence constante du sucre dans le foie des animaux herbivores ou carnivores; 2° la présence non moins constante du sucre dans les veines sus-hépatiques ; 3° l'absence du sucre dans le sang de la veine porte chez les animaux nourris avec de la viande; 4° l'apparition momentanée du sucre dans le sang de la veine porte sous l'influence de la digestion des matières sucrées ou féculentes, votre Commission devait s'attacher à exa- miner si ces données étaient contestées et si elles l'étaient avec quelque raison . Or, de ces données, il en est deux qu'on ne conteste pas, la pre- mière et la quatrième. Il est admis que le foie contient toujours du sucre, môme chez les animaux carnivores. Il ne l'est pas moins que, sous l'influence de la digestion des matières féculentes ou sucrées, le sang de la veine porte en contient aussi. 512 APPENDICE. « Reste donc à savoir si le sang de la veine porte contient ou non du sucre chez les animaux nourris de viande. A cet égard, les ex- périences de votre Commission lui ont semblé décisives. Elle n'a pas trouvé trace appréciable de sucre dans le sang de la veine porte d'un chien nourri à la viande crue. « Reste encore à décider si, indépendamment de la digestion des matières végétales, le sang des veines sus-hépatiques contient du sucre; si, sous l'influence de la digestion de la viande, le sang de la veine porte en est dépourvu; si enfin, lorsque le sang de la veine porte n'en contient pas, celui des veines sus-hépatiques en contient au contraire. « 11 suffit, pour éclairer tous ces points, d'examiner, comme l'a fait M. Claude Bernard, sur le même animal le sang de la veine porte et celui des veines sus-hépatiques, sous l'influence de la diges- tion, après un repas uniquement composé de viande, succédant soit à une abstinence prolongée, soit à quelques journées d'un régime purement animal. « Dans une expérience faite dans cette dernière condition, votre Commission s'est assurée que le sang de la veine porte ne renfer- mait pas trace de sucre, tandis que celui des veines sus-hépatiques en contenait des quantités parfaitement appréciables, ainsi que M. Claude Bernard l'avait annoncé. « Comme la difficulté se concentre tout entière sur ce point : — Y a-t-il ou non du sucre dans le sang de la veine porte pendant la digestion après un repas formé de viande, l'animal ayant été con- venablement soustrait à l'influence d'une alimentation sucrée? — votre Commission a examiné, avec tout le soin dont elle était ca- pable, les produits extraits par M. Figuier du sang de la veine porte dans un animal sacrifié dans ces conditions, et où l'auteur croyait reconnaître la présence du sucre à l'aide du réactif Frommherz. Votre Commission n'en a pas trouvé en employant, il est vrai, la fermentation. « Ainsi, tous les faits annoncés par notre confrère M. Claude Ber- nard, au sujet de la fonction qu'il attribue au foie, ont été vérifiés par nous, et nous ne pouvons qu'applaudir à la rare habileté du savant physiologiste qui les a mis le premier en évidence. « Sur la question de doctrine, votre Commission n'avait pas à se prononcer. Le tbiefabrique-t-il le sucre? Le fabrique-t-il aux dépens des éléments albumineux du sang? Le sucre serait-il, au contraire, un produit de la digestion des aliments ou de l'élaboration des élé- ments du sang pendant 1,^^ cours de la circulation qui resterait mas- qué par la présence de quelque substance étrangère jusqu'à son APPENDICE. 513 arrivée au foie, chargé de le rendre libre? Ces questions méritent assurément d'être débattues, mais c'est à l'expérience seule à les résoudre définitivement, et nous verrions avec plaisir les jeunes savants qui les ont abordées persévérer dans leurs travaux. (( Jusqu'ici, la doctrine professée par notre confrère paraît intacte. « Les recherches sur ce sujet imporlant n'ont pourtant pas tout appris sans doute, et nous dirons ici à ceux qui voudront s'en occu- per, qu'on ne doit pas accorder une confiance trop complète à des réactions semblables à celles qu'on obtient avec la dissolution de tarlrate de cuivre dans la potasse. Tous ces phénomènes de colora- tion, de réduction produits par des matières organiques, sont trom- peurs et incertains. Lorsqu'on ne peut pas isoler le sucre en nature, il faut au moins s'assurer de sa présence par l'action du ferment et par le développement d'acide carbonique que la fermentation pro- duit. Il faut, s'il se peut surtout, extraire l'alcool lui-même du résidu de la fermentation, comme l'a fait la Commission de l'Académie qui a examiné les travaux de M. Bernard. « Votre Commission, sans entrer plus avant dans l'examen spécial des Notes que l'Académie lui a renvoyées, se borne donc à établir comme conséquence de son travail : « 1° Que le sucre n'a pas été appréciable dans le sang de la veine porte d'un chien nourri de viande crue; (( 2*' Que la présence du sucre a été facile à constater, au con- traire, dans le sang des veines sus-hépatiques recueilli dans le même moment sur le même chien. « Comme les Mémoires de M. Figuier, ceux de MM. Poggiale et Leconle ont été publiés, l'Académie n'avait plus, d'après les règle- ments, à se prononcer sur leur mérite respectif; mais votre Com- mission a cru qu'il était de son devoir néanmoins de lui faire con- naître le résultat de ses propres expériences sur le fond même de la question que ces savants ont étudiée. » {ComptfS rendus des séances de l'Académie des sciences, iS"b, t. Xr, n° 2o, î 8 juin.) BERNARD. I. 33 TABLE DES MATIÈRES DU TOME PREMIER. Avant-propos PREMIÈRE LEÇON. — Nature spéciale de renseignement du Cullége de France compaié à l'enseignement des Facultés. — De l'investigation phy- siologique. -- Des faits et des théories en physiologie. — Des découvertes prévues et. imprévue?. — De la critique expérimentale. Des faits contra- dictoires. — lie la complexité des phénomènes physiologiques et des diffi- cultés attachées à leur étude. — Applications des sciences physico-chimi- ques à la physiologie. — Applications de la physiologie à la médecine. 5) DEUXIÈME LEÇON. — Union nécessaire de la physiologie et de la pathologie. — Application des découvertes physiologiques récentes à la pathologie. — Études physiologiques sur le diahète à propos des découvertes sur les fonc- tions du foie. — Aperçu historique sur les théories du diahète. — Toutes ces théories reposent sur un principe physiologique faux, à savoir^ qu'il ne se formerait pas de sucre dans l'organisme animal. — Il exisleune fonc- tion animale qui produit du sucre, et dont le diabète n'est qu'un état pa- thologique. — Caraclères chimiques des matières sucrées animales et vé- gétales. — Sucres de la première et de la deuxième espèce. — Réactifs propres à distinguer les sucres et à les reconnaître dans les divers liqui- des animaux. — Alcalis caustiques, réactif cupro-potassique, etc. — Fermentation, polarisation. — Moyens propres à enlever la coloration et les malières albuminoïdes aux liquides animaux qui renferment du sucre 31 TROISIÈME LEÇON. — La production du sucre est un phénomène apparte- nant aux deux règnes des êtres vivants. — Les animaux forment de la TABLE DES MATIÈRES. ."ilo matière sucrée. — Le foie est chargé de celte fonction glycogénique, qui jusqu'alors était restée inconnue. — Le foie de Thomme et des animax ren- ferme toujours de fortes proportions de sucre à l'état physiologique. — Observation chez l'homme, expériences sur les animaux dans toute l'é- chelle zoologique. — Quantité de sucre contenu dans le foie. — Nature de ce sucre; son analogie avec le sucre de diabète. — Le sucre qu'on ren- cantre dans le foie est sécrété dans cet organe; il ne vient pas de l'ali- mentation. — Expériences à ce sujet. — Examen comparatif du sang avant et après le foie chez un Carnivore. — Le premier sang ne contient pas de traces de matières sucrées, le second en renferme en grande propor- tion 56 QUATRIÈ3IE LEÇON. — L'expérience force à conclure que le sucre se forme dans le foie. — Réfutation d'une prétendue localisation de la matière sucrée. — Le sucre existe dans le fuie avant toute espèce d'alimentation. — La fonction glycogénique ne commence qu'à une certaine période de la vie intra-utérine. -- Le sucre ne saurait se conserver longtemps dans le foie; cette matière disparait bientôt quand on empêche le foie d'en produire. — La quantité de sucre ne varie pas dans le foie avec la nature de l'alimen- tation. — Il y a deux sccrétions dans le foie, la sécrétion biliaire et la sécrétion du sucre. — Ces deux sécrétions ne sont pas isochrones; elles semblent être indépendantes Tune de l'autre. — L'anatomie com- parée paraît appuyer cette vue. Chez les Limaces, les deux sécrétions sont successives. — Chez les Articulés, les éléments anatomiques sécréteurs semblent distincts. — Chez les Mammifères, les éléments anatomiques sont confondus et mélangés. — Idée générale de la structure du foie chez les Mammifères 82 CINQUIÈME LEÇON. — Il y a deux sécrétions dans le foie, l'une externe, celle de la bile; V-àwiXQ interne^ celle du sucre. — Le sucre est un produit de sécrétion et non d'excrétion. — Il ne sort pas du sang à l'état physiologique, et ne se trouve dans aucun liquide versé au dehors, pas même dans la bile. — Expériences contradictoires à ce sujet, causes d'erreurs. — Distribution de la matière sucrée dans l'organisme par le foie. — Dans l'abstinence le sang n'est sucré que du foie au poumon; pendant la digestion, le sucre passe dans tout le sang, mais ne sort cependant par aucune sécrétion ou excrétion. — Ce sont les oscillations de la fonction sécrétoire du sucre qui sont proportionnelles à la quantité de sang qui traverse le foie. — Ces os- cillations physiologiques se retrouvent chez les diabétiques. — Schéma représentant ces oscillations à l'état normal et pathologique. — Expérien- ces sur le sang pris dans différents vaisseaux, chez des chiens à jeun et en digestion, pour prouver cette oscillation de la fonction glycogénique. — Le sang qui arrive par la veine cave inférieure dans le cœur droit est tou- jours sucré; cathétérisme du cœur droit i07 S1\IÈ3IE LEÇON. — La destruction comme la production du sucre est un fait commun au règne végétal comme au règne animal. — Circonstances qui ol6 TARLE DES MATIÈRES. peuvent morlifier la sécrétion du sucre. — Altérations de la substance hépa- tique. — Kystes. — Cancers. — Foie gras. — Influences agissant sur la fonction glycogénique. — Influence de l'abstinence. — Cas des animaux hibernants qui ne doivent pas être considérés comme des animaux à jeun. — Influence de l'alimentation. — Influence de l'alimentation graisseuse. — Influence de l'alimentation azotée. ~ Influence de l'alimentation féculente et sucrée j30 SEPTIEME LEÇON. — Le sucre provenant de l'alimentation ne passe pas à cet état dans la circulation générale. — Rôle du foie vis-à-vis des matières féculentes et sucrées. — II les transforme en une substance émulsive par- ticulière. — Expéi iencescomparative?. — Preuvesdiverses. — Sang chyleux. — Urines laiteuses. — Application au diabète. — Rôle de la circulation dans la production du sucre. — Phénomènes mécaniques. Cas d'apparition accidentelle du sucre dans les urines. — Production artificielle de ce phé- nomène. — Critique de quelques expériences 155 HUITIÈME LEÇON. — Conditions anatomiques qui favorisent la circulation dans le foie. — Structure comparée de la veine porte et des veines hépa- tiques. — Mécanisme de la circulation hépatique. —Influence des maladies sur la sécrétion du sucre. — Influence des maladies aiguës sur l'état dia- bétique. — Influence de la température sur la sécrétion du sucre. —In- fluence des enduits. — Influence du froid. — Expériences à ce sujet. — Influence de la chaleur. — Age et sexe. — Lactation. 180 NEUVIÈME LEÇON. — Examen comparatif du sang de la veine porte et du sang des veines hépatiques. — Globules. — Sérum et caillot. — Eau et matières solides. Matières solides du sérum et du caillot. — Graisse. — Fibrine. — Albumine. — Sucre. — Conséquences de ces diverses modiflca- tions. — Température plus élevée du sang qui sort du foie. — Expériences thermométriques à ce sujet. — Distribution de la chaleur dans l'orga- nisme. — Théories anciennes de la calorification. —Examen d'expériences sur la température du sang dans les deux ventricules. — Expériences faites dans les conditions physiologiques. — Procédés opératoires. —Instruments employés. — Résultats de ces expériences : le sang du ventricule droit plus chaud que le sang du ventricule gauclie 199 DIXIÈME LEÇON. — Destruction du sucre dans l'organisme. — Destructi- bilité des diverses espèces de sucres. — Expériences comparatives à ce su- jet. —Limites de la destructibilité du glucose dans l'organisme. — Résultats d'expériences. — Influence du degré de concentration de la dissolution. — Influence de la combinaison dusucre avec le sel marin. —Résultats d'ex- périences à ce sujet. — Influence de la saignée. — Nécessité que le sucre ne pénètre qu'en petites quantités à la fois dans l'organisme. — Réflexions sur la multiplicité des causes qui peuvent faire apparaître le sucre dans les urines à la suite des injections 217 TABLE DES MATIERES. Ml ONZIÈME LEÇON. — Du déversement du sucre dans le sang par le foie. — Application au diabète. — Conditions q; : font appaniître le sucre tians le système circulatoire en général. —Théorie de la combusiion pulmonaire. — Examen de cette théorie. — Objections. — Découverte de la présence du sucre dans l'urine des fœtus. — Circonstance.^^ de ce phéiiomène. — Il de- vient inexplicable dans la théorie de la destrucliun du suore dans le pou- mon. — Expériences sur les sangs en contact avec dilTérents gaz. — Tbéorie de la destruction du sucre par les alcalis du sang. — Théorie de la des- truction du sucre par fermentation. — Preuves à l'appui. — Quelle est l'espèce de fermentation qui s'opère ainsi? — Accidents qui suivent la production de l'alcool dans le système circulatoire. — Vues sur les phé- nomènes chimiques de l'organisme 233 DOUZIÈME LLÇON. — Examen du foie d'un supplicié. — Découverte sur la génération et les usages de la matière sucrée dans l'organisme. — Élude des conditions de développement des cellules organiques. — Levure de bière. — Nécessitédela présence d'une matière sucrée. Expériences sur le sérum. — Génération de cellules organiquesspéciales. —Production de sucredans des muscles et les poumons de fœtus en voie de développement — Cette production n'a pas lieu dans les autres tissus. Ces phénomènes rentrent dans l'ordre des fermentations. — Germination animale. — Rapproche- ment des animaux et des plantes au point de vue des phénomènes de dé- veloppement. — Phénomènesde fermentation donnant lieu aux principales actions chimiques de l'organisme 249 TREIZIÈME LEÇON. — Examen de l'ancienne théorie de la production ex- clusive du sucre par les végétaux. — Point de vue de celte théorie vis-à-vis des questions physiologiques.— Erreursdedoctrines,demélhodesetde faits. — Expérience fondamentale pour la théorie de la production du sucre dans * l'organisme animal. — Examen du sang avant et après le foie. — L'an- cienne théorie n'en tient aucun compte. — De l'intervention de la chimie dans les questions physiologiques. — Delà présence du sucre dans le sang. — Époque de cette découverte. — Conditions de la production de ce phé- nomène. — Théories de la dépuration du sang par le foie. — De la con- densation du sucre dans le même organe. — Prétendues preuves à l'appui de ces manières de voir. —Contradictions. — Sophismes. —Erreurs. 266 QUATORZIÈME LEÇON. — Analyse d'un nouveau travail critique sur l'ori- gine du sucre dans l'organisme. — Sa liaison avec le précèdent. — Action du système nerveux sur la production du sucre. — Expérience sur la section des pneumo-gastriques. — Des méthodes dans les sciences. — Méthodes à priori et à posteriori. — Exemples actuels. — Examen des résultats de l'expérience précédente , 282 QUINZIÈME LEÇON. — Influence du système nerveux sur la sécrétion du foie. — 1° Exagération de cette sécrétion par piqûre de la moelle allongée. — Instrument employé; procédé opératoire, — De l'élimination du sucre ^ ois TABLE DES MATIERES. par les diverses sécrétions- — Élimination par les reins, par la muqueuse stomacale. — Le sucre \. ; passe pas dans la salive. — Expériences chez les diabétiques. — Spécialité des dillerentes substances au point de vue de leur passage dans divei ^es sécrétions. — Sucre. — Cyanure jaune de po- tassium et de fer. — I dure de potassium. — Passage du sucre dans l'es- tomac des diabétiques. — Limite de la quantité de sucre que peut contenir le sang sans passer da ,s l'urine. — Résultat d'une expérience sur la pi- qûre de la moelle allongée chez un lapin 29G SEIZIÈME LEÇON. — Présence du sucre dans le liquide céphalo-rachidien. — Remarques à ce sujet. — Diabète traumatique. — Présence du sucre dans les sérosités chez les diabétiques. — Passage d-i sucre dans la lym- phe. — Conditions dans lesquelles ce passage s'ellectue. — Chyle sucre du canal thoracique provenant du foie. — Du mécanisme de l'action ner- veuse sur la production du sucre. — Idées qui ont guidé dans la décou- verte des faits indiqués. — Expérience 314 DIX- SEPTIÈME LEÇON. — Mécanisme de l'action nerveuse sur la sécrétion glycogénique. — Rôle du pneumo-gastrique. Rôle du poumon. — Distri- bution des divers nerfs qui se rendent au foie. — Rôle de chacun d'eux. — Rôle de la moelle épinière. — Expérience sur la section des pneumo-gas- triques entre le foie et le poumon. — Procédé opératoire. — La production du sucre continue — Durée de Tellet de la piqûre de la moelle allongée. ■— Influence de la piqûre sur la circulation abdominale. — Rôle du grand sympathique dans la circulation d'un organe. — Action de ce nerf dans la région cervicale. — Procédé opératoire. — Résultats. — Distinction de la sécrétion et de l'excrétion 327 DIX-HUITIÈME LEÇON. — De la polyurie. — Elle est indépendante de la glycosurie. —Observations expérimentales à ce sujet. — Autres procédés de production du diabète artificiel. — Par anéantissement du système nerveux cérébro-spinal : V au moyen de l'empoisonnement par le curare-, T par apoplexie suite de contusions cérébrales. — Expériences. — Diabèle consécutif à l'éthérisation. — Examen des théories sur le diabète spontané et artificiel. — Réflexions sur la complication de ces phénomènes. Résultat de l'expérience faite à la leçon précédente 345 DIX-NEUVIÈME LEÇON. —Nouvelle expérience sur l'empoisonnement par le curare, et résultats de la précédente. — Expériences sur des lapins. — Apparition du sucre dans les urines à la suite de l'intoxication par le cu- rare. — Autres phénomènes. — Réflexions sur la distinction entre l'exci- tation et l'irritation. — Exemples et applications. — Perversion de la foiiction glycogénique. — Expériences à ce sujet. — Particularités de ces expériences. — Production spontanée du sucre dans le foie d'un animal mort dans certaines conditions. — Manuel opératoire de l'expérience. — Hypo- thèses sur la production de ce phénomène. — Part de l'action nerveuse. TABLE DES MATIÈRES. ol9 — Part de la fermentation. — Résultais de l'expérience sur l'empoisou- nement par le curare ,- 3G3 VINGTIÈME LEÇON. — Expériences sur des Ia}>-ns auxquels on coupe la moelle épinière au-dessus du renflement Lracliia'. -— Phénomènes singu- liers produits sur le foie. — Hypothèses sur ces pbénomènes. — Découverte de la production de la matière sucrée dans les mu;ples et dans les poumons du fœtus. — Acide lactique. Moyens d'obtenir ce sucre,du fœtus à une tem- pérature basse. — Procédé pour obtenir l'acide lactique. — Tous les tissus de l'embryon ne donnent pas du sucre. — Le sucre se forme aux dépens d'une matière all)umineiise insoluble. — Preuves ph\siologiques. — Preuves chimiques. — Découverte de Lehniann, qui transforme l'héma- tine en sucre 38? VINGT ET UNIÈME LEÇON. -- Présence du sucre dans l'urine des fœtus. — Dans l'ailaiitoïde. — Explication de ce phénomène. — Propriétés du sucre des muscles. — Transformations du liquide amniotique. — Usages du sucre dans la vie intra-utérine pour empêcher rinfiltralion des tissus. — Expériences. — L'animal a constamment besoin de matière sucrée. — De la mort à la suite de la cessation des fonctions du foie. — Terminaison de quelques expériences commencées dans les séances précédentes. — Suite de l'expérience de la section des pneumo-gastriques entre le poumon et le foie. — Autopsie de l'animal. — Expérience sur la section des nerfs sympathiques qui se rendent au foie. — Réflexions sur la difficulté des expériences physiologiques 401 VINGT-DEUXIÈME LEÇON. — Application de la physiologie à la pathologie du diabète. — Pathologie comparée. — Cas de diabète signalé chez les ani- maux. — Organes malades dans cette affection. — Hypertrophie des reins. — Hypertrophie des membranes de l'estomac. — De l'état du foie dans le diabète. — Atrophie du pancréas. — Présence du sucre dans tous les or- ganes chez les diabétiques morts subitement. — Désordres nerveux. — Les matières féculentes et saccharoïdes ne sont-elles pas des excitants du foie? — Réaction d'autres organes sur le foie 417 VINGT-TROISIÈME LEÇON. — Symptômes du diabète. — C'est une mala- die apyrétique. — Caractères des urines. — Sucre. — Sucre de lait dans l'urine d'une femme récemment accouchée. — La présence du sucre dans l'urine suffit-elle pour caractériser le diabète? — Présence passagère du sucre dans les urines. — Diabètes intermittents. — Aigus. — Alternants. — Continus. — De l'urée dans l'urine des diabétiques. — Acide uriiiue. — Albumine. — Quantité des urines dans le diabète. — Leur rapport avec les boissons ingérées. —Observation. —Boulimie et polydipsie. — Absence de la sueur. — Théorie à ce sujet. — Phénomènes nerveux accompagnant le diabète. — Influence des féculents sur le diabète. — Influence des mé- dicaments énergiques sur les symptômes du diabète 431 .S20 TABLE DES MATIÈRES. VINGT-QUATHIÈME LEÇON. — Revue succincte des objections faites à la découverte de la fonction glycogénique du foie. — Théorie de la formation du sucre aux dépens des matières grasses. — La formation de la matière sucrée ne serait-elle pas localisée dans un point de l'organisme? — Réfu- tation de ces opinions. — Mémoire contre la fonction glycogénique du foie. — Erreurs contenues dans ce travail. — Autre mémoire dans lequel on a pour but d'établir que le réactif cupro-potassique ne décèle pas toujours la présence du sucre quand cette dernière substance est mélangée avec l'albuminose. — Examens de celte opinion. — Expériences. — Liaison de ces deux travaux. — Le sang de l'artère hépatique ne contient pas de sucre. — Sucre formé par la glande mammaire, etc 448 VINGT-CINQUIÈME LEÇON. — Travaux comparatifs de la fonction glyco- génique du foie. — Analyses du sang de la veine porte et des veines hé- patiques, par Lehmann , communiquées à l'Académie des sciences. — Remarquas à l'occasion de cette communication. — Figure schématique représentant l'ensemble de la proiluction et de la diffusion du sucre dans l'organisme. — Résumé des faits qui établissent la fonction glycogéni- que du foie 4GT Appendice 485 Mémoire 480 La matière sucrée se forme-t-elle par l'action digeslive dans le foie et dans le torrent circulatoire ? par M. Poggiale 503 Recherches sur les fonctions glycogéniques du foie^ par M. Leconte. . . 505 Sur la sécrétion du sucre et de la bile dans le foie, par M. Molescholt. ôu8 Rapport présenté par M. Dumas à l'Académie des sciences, à l'occa- sion des communications faites par MM. Figuier, Leconte et Poggiale. 610 FIN DE I.A TABLE DES MATIERES DU TOiME PREMIER. Par suite d'une erreur d'imprimerie, les exemplaires du tome I*=% prove- nant du deuxième tirage fait en 18G5 et du troisième tirage fait en 1874, diffèrent comme pagination de ceux provenant du premier tirage faiten 1855. Pour établir la concordance, il faut diminuer de "^ le numéro de chaque page des L* et 3'' tirages : la page 9 ûo'v. être considérée comme page 1, et ainsi de suite jusqu'à la lin, la page 520 devant être considérée comme page 513. Gor.BElL. — TïP. KT SlÉlî. Dh CRKTh FILS 4