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PUBLiCATroNs 1)1' i'iio(;/ii:s mkdii-Ai,

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Professeur CHARCOT

PO r. I CLI N TQIT E 1888-1889

Hôtes de Cours de HH. BLIN, CHABCOT. Henri COLIN

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Policlinique du Mardi 23 Octobre 1888

COURS DE M. CHARCOT

i%IVIVÉE lf»^^-1^^0

PREMIÈRE LEÇON

OBJET:

1** et 2** Bâillement hystérique (bâillement naturel et bâille- ment suggéré);

3"* Dyspnée ou mieux tachypnée hystérique;

4"* Grand tic convulsif ; Goprolalie; Troubles psychiques concomitants.

M. CuAROOT : Messieuis, vous savez par l'expérience de l'année passée ce qu*ont été nos leçons du mardi. Essentiellement cliniques, elles ne changeront pas de caractère cette année. Il s'agira tantôt de leçons presque improvisées sur des malades qui me sont encore peu connus, tantôt de leçons improvisées dans l'acception rigoureuse du mot, concernant cette fois des malades qui, pour la première fois, se présentent à la consultation externe et que, par conséquent nous ne connaissons pas du tout.

Ces leçons ont surtout pour but de vous mettre vraiment en rapport avec les difficultés de la pratique. Je vous l'ai dit Tan passé, et je le répète actuelle- ment avec insistance : dans les leçons très préparées à l'avance le professeur conduit ses auditeurs dans des chemins préalablement aplanis et rendus à dessein faciles à parcourir. Lui-môme a pris le soin d'arracher les broussailles et d'écarter les écueils qui pouvaient rendre le parcours difficile. Cette manière de procéder qui offre incontestablement mille avantages, surtout quand il s'agit de commençants, comporte une part d'artifice dont il convient de ne plus user sans réserve devant des auditeurs déjà mûris par l'étude et qui sont à la veille de devenir eux-mêmes des praticiens. Or les circonstances ont voulu

1

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que ce soient justement ceux-ci surtout qui fréquentent les cliniques de la Salpêtrière et en face d'eux je ne sens aucune crainte de me montrer hési- tant parfois et embarrassé même, dans certains cas, à décider un diagnostic, à proclamer un pronostic ou à instituer un traitement.

Les choses sont souvent, dans la réalité vraie, plus difficiles qu'on ne le croit, et il faut que vous les connaissiez telles qu'elles sont ; il faut que vous sachiez que le domaine delà neuropathologie l'on a fait cependant tant de conquêtes, n'a pas encore été, il s'en faut, partout convenablement exploré et que dans ce vaste territoire il existe toujours bien des terres inconnues.

D'ailleurs Texpérience seule pourra rendre appréciable aux nouveaux venus les avantages de la méthode à laquelle je suis attaché ; c'est pourquoi jugeant inutile de prolonger ces préliminaires, j'entre immédiatement en matière.

1"^^ Malade

Nous allons aujourd'hui, en commençant^ procédera l'examen d'une malade qui est dans le service depuis six mois et dont, par conséquent, la maladie n'a pour nous rien d'imprévu. (Une jeune fille de dix-sept ans est introduite dans la salle du cours.)

M. Gharcot [indiquant un siège à la jeun** malade): Mettez-vous là, mademoi- selle, en face de moi.

[AtÀX auditeurs) : Regardez-la et tâchez de ne pas-vous laisser influencer, suggestionner ou intoxiquer, comme vous voudrez dire, par ce que vous allez voir et entendre.

C'est un acte quelque peu imprudent, sans doute, de la part d'un professeur, que de commencer son cours en parlant du bâillement et de présenter un cas le bâillement est le phénomène le plus apparent. Car le bâillement est con- tagieux, vous le savez, au premier chef et rien que d'entendre prononcer le mot de bâillement, qui, dans les langues les plus diverses, vise à l'imitation onoma- topéique de la nature, sbadifjliamcnto (ital.); yawning (angl.) ; gâhnen (aUem.), on se sent pris d'une envie de bâiller presque invincible.

Mais j'ose espérer qu'une fois prévenus, nous saurons résister, vous et moi, aux suggestions qui nous menacent.

Pendant que je dissertais, vous avez vu et entendu notre malade déjà bâiller plusieurs fois ; chez elle, veuillez le remarquer, le bâillement est, en quelque sorte, rythmé, en ce sens qu'il se reproduit à des intervalles toujours à peu près de même durée et assez courts^ du reste. Sous ce rapport, il s'est produit, depuis que la malade est entrée à l'hôpital, quelques changements que je tiens à vous faire connaître.

3

A Torigine, en effet, il y a quatre ou cinq mois, elle bâillait environ huit fois par minutes (480 bâillements par heure, soit 7.200 en quinze heures de veille) ; aujourd'hui le nombre des bâillements est réduit à quatre dans le même espace de temps, chaque bâillement occupe individuellement un temps assez long. Autrefois chacun d'eux durait cinq ou six et même sept secondes ; aujourd'hui ils ne durent que trois ou quatre secondes au plus. Il s'est donc produit un cer- tain amendement à cet égard et le phénomène ne nous apparat t plus que sous une forme atténuée. J'ajouterai que chaque bâillement se montrait double auparavant^ composé de deux bâillements élémentaires, tandis qu'aujourd'hui il ne s'agit plus en général que d'un acte de bâillement simple. Toutes ces par- ticularités, vous les lirez facilement sur les divers tracés, recueillis suivant la méthode graphique, que je vous présente et qui sont relatifs à diverses époques de la maladie (Fig. i, 2, 3, 4 et 5).

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Fig. i. Respiraflon normale d'une hystérique trèsémotive.EUe est fréquente (30 par minute).

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Fig. 2. Ler.. .., i*** sept. La respiration Be fait uniquement par bâillements. La plupart des

bâillements sont doubles (B). Huit bâillements par minute.

Flg. 3. » Ler , 15 août. Alternance de la toux (T) et des bâillements (B).

Fig. 4. Ler , 15 oct. BÀUlements (B) séparés par des respirations à peu près régulières.

Fig. 5. Bâillements par imitation chez une hystérique placée dans la période du somnambulisme

auprès de Ler

Ainsi vont les choses du matin au soir, sans interruption aucune, si bien que le sommeil seul met trêve aux bâillements ; il fut un temps, vous le reconnaîtrez sur le tracé (fig. S), ceux-ci étaient tellement précipités, que les respirations normales n'avaient, pour ainsi dire, pas le temps de se produire, et que le bâillement, par conséquent, était le seul mode de respirer que la malade eût à son service.

Il fut un temps également la toux, la toux nerveuse, alternait avec le bâil- lement et Ton peut suivre sur le schémadu tracé du 15 août (fig. 3), l'alternance en quelque sorte mathématiquement régulière de la toux et du bâillement. Au- jourd'hui la toux a complètement cessé, et le bâillement régne seul, exclusive- ment.

Pour ce qui est du bâillement considéré en soi, il ne diffère chez la malade, en rien d'essentiel, du bâillement physiologique. Vous savez ce qu'est celui-ci: ce n'est autre chose qu'une longue et profonde inspiration, presque convulsive, pendant laquelle il se produit un écartement considérable de la mâchoire, souvent avec flux de salive et sécrétion de larmes, phénomènes sur lesquels Darwin insiste particulièrement, 7— et suivi d'une expiration également pro- longée et bruyante.

Physiologiquement, on assure que c'est un acte automatique nécessité par un certain degré d'anoxémie, un besoin d'hématose des centres nerveux. Tantôt le bâillement est simple, tantôt il est suivi ou s'accompagne de pan- diculations, c'est-à-dire de contractions musculaires presque générales.

Eh bien, ce n'est pas tant par l'intensité que par sa répétition presque in- cessante que le bâillement^ chez notre malade, s'éloigne de l'état normal, on

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peut même dire que chez elle les bâillements se montrent relativement mo- dérés dans leur intensité, qu'ils ne s'accompagnent par exemple, habituelle- ment pas de pandiculations et presque jamais cela arrive cependant quel- quefois — d'une sécrétion de salive ou des larmes.

Vous avez sans doute prévu, après ce que je viens de vous dire, que nous sommes ici dans le domaine de rhystérie,et il n'est pas sans intérêt de relever une fois de plus cette régularité singulière, ce rythme qui, chez notre malade, marque le retour des bâillements : rythme et cadence, voilà un caractère propre à nombre de phénomènes hystériques, et bien des fois j'ai saisi l'occasion de vous le faire remarquer. Dans la chorée rythmée, en particulier, il est si accentué qu'un maitre de ballet pourrait noter et écrire les mouvements étran- ges^ souvent fort complexes, qu'exécutent les malades lorsqu'ils sont sous le coup de leur accès. Il y a là, comme il est dit dans Hamlety « de la méthode, bien que ce soit de la folie >. La toux, les mugissements, les aboiements hys- tériques se prêtent naturellement aux mêmes considérations.

Je crois bien qu'on peut affirmer que tout bâillement, se reproduisant à des intervalles réguliers, comme cela se voit dans notre cas, est un phénomène hystérique ; mais il ne faudrait pas croire que tout bâillement morbide quel- conque soit nécessairement de cette nature. Ainsi, M. Féré, tout récemment, a publié dans la Nouvelle Iconographie de la Salpêtnère^ 4, juillet et août 1888, un cas de bâillements occupant les intervalles des accès chez un épilep- tique.

Je dois ajouter que le bâillement pathologique, phénomène nerveux par excellence, n'appartient pas exclusivement à la catégorie des maladies ner- veuses proprement dites. L'ancienne séméiologie s'attachait beaucoup aux bâillements morbides considérés comme signes pronostiques dans les mala- dies aiguës : ainsi, pour Rœderer, les bâillements survenant à la fin de la gros- sesse devaient faire redouter la fièvre puerpérale! Que dire des bâillements chez les apoplectiques ? Bien qu'ils reproduisent, au milieu des symptômes comateux un phénomène qui, volontiers, précède et suit le sommeil naturel, je les croirais, en pareil cas, si j'en juge par mon expérience propre, plutôt de mauvais augure.

A la vérité, toute cette ancienne séméiologie du bâillement me semble au- jourd'hui bien démodée ; peut-être y aurait-il intérêt à la refaire. Pour le mo- ment, j'ai voulu relever seulement que tout bâillement pathologique n'est pasné- cessairement un bâillement hystérique, et, à ce propos précisément, je voudrais signaler encore que le retour fréquent des bâillements pendant les périodes d'amorphinisme pourrait contribuer à révéler l'existence de la pratique régu- lière des injections de morphine chez un sujet qui, ainsi que cela arrive plus souvent qu'on ne le pense, voudrait tromper le médecin en la tenant cachée.

Mais il est temps d'en revenir au sujet que nous avons sous les yeux. J'affirme que le bâillement est chez elle un phénomène hystérique : cela, sans doute.

^

vous parait déjà fort vraisemblable ; mais il nous reste encore cependant à démontrer régulièrement qu'il en est réellement ainsi.

La question qui se présente à nous en ce moment, est celle-ci ; le bâillement est-il, chez notre malade, un symptôme solitaire ? En d'autres termes : Thys térie est elle, chez elle, monosymptomatique, comme j'ai coutume de la dire en- pareil cas, c'est-à-dire marquée, révélée exclusivement par un symptôme unique, à savoir, dans Tespèce: le bâillement? Gela pourrait être ; pareille chose arrive fréquemment pour la toux, l'aboiement, le hoquet, les bruits laryngés divers, tous phénomènes connexes au bâillement. Je dirai môme que, souvent, il paraît y avoir une sorte d'antagonisme entre les phénomènes d'hys- térie locale, comme on les appelle quelquefois, et les phénomènes hystériques vulgaires, tels que : hémianesthésie, ovarie, attaques convulsives, etc.

En pareil cas, il peut y avoir, parfois, pour le diagnostic, des difficultés vrai- ment sérieuses. Cependant, même dans ces cas, la monotonie même des accidents, leur retour systématique à des intervalles mesurés, toujours les mêmes, l'impossibilité de les rattacher à une affection quelconque, autre que la névrose hystérique, et bien d'autres circonstances encore qu'il serait trop long d'énumérer, permettent presque toujours de les reconnaître pour ce qu'ils sont.

Mais, chez notre sujet, nous ne rencontrerons même pas les difficultés aux- quelles je viens de faire allusion car, chez elle, les phénomènes hystériques les plus variés, les plus caractéristiques se sont, en quelque sorte, donné ren- dez-vous, de façon à dissiper toutes les obscurités.

C'est ce qui ressortira de l'énoncé que je vais faire de ce qui me reste à dire concernant Thistoire clinique de cette malade.

Je vous rappellerai que notre jeune malade est aujourd'hui âgée de dix-sept ans. Considérons d'abord les antécédents héréditaires, car, ainsi que j'ai eu bien souvent l'occasion de le répéter, en matière de pathologie nerveuse l'ob- servation du malade qu'on a sous les yeux ne saurait être considérée que comme un épisode ; il faut la compléter, si faire se peut, par l'histoire patho- logique de la famille tout entière. Or, voici ce que les investigations dirigées dans ce sens nous font reconnaître : Père inconnu ; cela est déjà quelque chose, car il n'est pas, moralement, tout à fait normal d'abandonner un en- fant dont on est le père ; quoi qu'il en soit, voilà tout un côté de la famille qui échappe à notre étude. Rien à noter, paraît-il, chez la mère, en fait de phé- nomènes nerveux. Il n'en est pas de même pour ce qui concerne la sœur de la malade. Il est même très intéressant de relever, chez celle-ci l'existence, vers l'âge de dix-huit ans, d'un hoquet très tenace, de longue durée. Hoquet et bâillement, ce sont là, remarquez-le bien, des phénomènes de la même série.

Les antéceuents personnels sont plus riches : si, en effet, on remonte dans le passé, on peut dire que les accidents nerveux d'aujourd'hui ne sont, en

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quelque sorte, que la réédition, sous une forme nouvelle, (raccidents anté- rieurs.

De trois à huit ans, elle a donc été fort précoce sous ce rapport, elle a été sujette à des attaques de nerfs accompagnées de perte de connaissance. Ces attaques se reproduisaient quelquefois presque sans cesse et sans trêve pendant une période de vingt-quatre heures. p]videmment, il s'agissait non pas d'attaques comitiales, mais bel et bien d'attaques hystériques de la grande forme hystéro-épilepsie.

Une affection, désignée sous le nom de chorée^ a paru également vers cette époque et elle a occupé la scène pendant trois mois.

DeTàge de neuf ans jusqu'à Tépoque présente, les troubles nerveux s'effacent complètement. Ils ont reparu en mai dernier, sans cause spéciale apparente, sous la forme suivante : ce fut d'abord un enrouement bientôt suivi d'une toux sèche presque incessante pendant la veille et s'arrétant seulement pendant le sommeil, pour reparaître le matin dès le réveil. Les nuits, du reste, étaient fort agitées et plusieurs fois la malade s'est réveillée à terre hors de son lit. Puis apparurent les premiers bâillements qui d'abord, alternèrent avec les quintes de toux (Voiries figures 1, 2, 3, 4), et ensuite régnèrent seuls, se ré- pétant alors environ huit fois par minute. Depuis le mois d'octobre, les choses se sont réglées ainsi qu'il suit : quatre bâillements par minute se reproduisant avec cette régularité sur laquelle j'ai déjà appelé votre attention.

Il n'y a pas longtemps que les phénomènes de l'attaque convulsive vulgain^ sont venus se surajouter aux bâillements et je dois vous prévenir que je ne con- sidère pas cette intervention de l'attaque convulsive comme marquant un empirement dans la situation. Je vous ai déjà laissé entrevoir que la toux comme le bâillement hystériques ne sauraient, en général, coexister avec l'attaque ; l'un exclut l'autre jusqu'à un certain point. Et, à tout pn*ndre, les phénomènes de l'hystérie convulsive vulgaire, régulière, sont bien moins tenaces, moins inaccessibles que ne le sont, dans leurmonolonin «lésespénnle, la toux, l'aboiement hystérique et aussi le bàillcinent. Il s'agit là, en somme, d'un de ces cas il y aurait avantage, si faire se pouvait, ainsi que Ta bien montré M. le P' Pitres, à favoriser le développement des attaques, dans Tespoir de changer le cours des choses et de rendre la maladie,dans son ensemble, plus accessible à l'influence des moyens thérapeutiques.

Pour le moment, les attaques, chez notre sujet, sont, en quelque sortcàl'élat rudimentaire. Tout à coup la malade ressent des étoulfements, il lui semble qu'une boule lui monte du creux épigastrique à la gorge ; puis surviennent dos bourdonnements d'oreilles, des battements dans les tempes.

Il est intéressant de remarcjuer qu'au moment ces phénomènes appa- raissent, les bâillements cessent 'momentanément (antagonisme entre les attaques et les bâillements). Souvent les choses ne sont pas poussées plus loin ; cependant quelquefois il y a rigidité convulsive des membres, perte de

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counaissaDce qui peut durer un qusrt d'heure et plus. Souvent, la malade, après les attaques, tombe dtiiis uo profond sommeil.

Voilà certes une série d'accidents qui, au premier chef, révèlent l'hystérie. Mais ce n'est pas tout : les stigmates permanentt sont, chez notre sujet, parfai- tement accentués et caractéristiques. Je me bornerai à en faire l'énumération sommaire :

1* Anesthésie cutanée très accentuée sur toute l'étendue du membre supé- rieur droit, répandue sur le tronc en avant et en arrière, comme il est indi- qué sur la figure 6 (A. B.) ;

Fi». 6. Etal du U sensibilité chez Ler (S scplembre 1SS8.)

i' Abolition presque absolue du goût et de l'odorat des deux cdtés; 3* Diminution de la sensibilité pharyngée ;

4* Dyschromatopsie du cAté droit : le rouge et le jaune sont seuls perçus nettement ;

Enfin il existe un rétrécissement du champ visuel à peu près égal des deux crttés ( Fig. rf et 9).

i^;. T. État du chunp vUuel cbcz Ler (8 soplembre 1

S.)

Inutile d'insister: il est clair que les accidents divers que présente notre ma- lade sont hystériques et que tout, chez elle, est hystérique.

Quel pronostic porter sur ce cas? Il y a des ressources : & un âge plus avancé, chez la femme, l'hyalérie accentuée est beaucoup plus tenace, plus persistante, quelquefois incurable.

Je me réserve de vous exposer, dans une autre occasion, le traitement que, dans un cas de ce genre, je me propose de mettre en œuvre. Actuellement, je veux diriger votre attention sur un autre côté de la question.

2' Malade.

Tout à l'heure, je vous rappelais le fait bien connu que le bâillement est un phénomène coptagieux par excellence, alors même qu'il s'agit du b&iltement

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physiologique s'opérant en prénence de gens qu*on a de bonnes raisons de considérer comme indemnes de toute tare nerveuse.

Eh bien, je tiens à vous rendre, à présent, témoins d'une petite expérience qui vous fera bien comprendre, j'espère, comment, dans un milieu conve- nablement adapté, le bâillement pathologique pourrait devenir contagieux au point de se répandre, en quelque sorte, épidémiquement.

Vis-à-vis de la malade dont je viens de vous conter Thistoire, je vais placer un autre sujet que quelques-uns d'entre vous connaissent très certainement comme présentant les phénomènes typiques de ce que j'appelle le grand hypno- tisme. Avant d'entrer dans la salle^ on l'a mise, comme nous disons, en état de somnambulisme. Nous nous assurerons qu'elle est bel et bien endormie, légi- timement endormie en faisant apparaître chez elle le phénomène somatique qui caractérise la période en question. Un simple frôlement d'un membre, une passe faite à distance au voisinage immédiat de ce membre, suffit pour déter- miner cette forme de contracture que nous avons désignée sous le nom de contracture somnambulique ». On ne saurait s*entourer de trop de garanties dans un domaine la simulation et l'illusion sont choses banales, et c'est pour- quoi nous continuons et nous continuerons dans nos études, à ne nous adresser jamais qu'aux sujets susceptibles d'entrer dans le grand hypnotisme et chez lesquels, par conséquent, toute possibilité d'une intervention volontaire de la part du sujet mis en expérience, peut être écartée.

Si, messieurs, pendant la démonstration qui précède, nous avons pu résister les uns et les autres à la contagion du bâillement, ce dont nous pouvons nous féliciter mutuellement. c'est que nous avons en nous iin pouvoir d'in- hibition que ne possède pas notre somnambule artificielle. Chez celle-ci le phénomène du moi c'est un grand caractère de l'état psychique de ces somnambules est obnubilé ; tout contrôle est perdu à l'égard des impres- sions venues du dehors et les suggestions s'imposent sans résistance. Eh bien, vous le voyez, tandis que notre malade n** i continue à bâiller comme tout à l'heure, à intervalles égaux, le 2, c'est-à-dire la malade somnambulisée, fait mine de vouloir résister à la contagion, mais sa résistance est bientôt vaincue : la voilà qui se met à bâiller, elle aussi, malgré tous ses efforts en sens contraire. Ses bâillements sont plus forts, même, plus bruyants que ceux de la malade qui lui sert de modèle; ils sont également séparés par des dis- tances à peu près égales. Cependant,il ne faudrait pas aller jusqu'à voir une imitation absolument parfaite. Il vous suffira, en effet, dejeter un coup d'œil sur le tracé des bâillements de la somnambule recueilli par nous hier (fig. 5), dans une expérience semblable à celle dont nous vous rendons témoins aujour- d'hui, pour reconnaître qu'il ne concorde pas absolument, mathématiquement, si l'on peut dire, avec les tracés relatifs à la malade 1. 11 s'agit d'une imitation par approximation et non pas d'une imitation servile.

Quoi qu'il en soit, messieurs, si nous supposons, dans un couvent, dans un

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pensionnai, un certain nombre de jeunes filles placées, par suite de circons- tances spéciales, dans un état psychologique se rapprochant plus ou moins de l'état mental hypnotique-somnambulique, vous comprendrez facilement que la présence, dans un pareil milieu, d'un sujet atteint de toux, d'aboiement ou de bâillement nerveux, puisse devenir le point de départ d'une véritable épi- démie.

(La somnambule étant réveillée, M, Charcot fait remarquer qu'elle continue à bâiller comme tout à. l'heure.)

H. Charcot : Qu avez-vous donc à bâiller ainsi ?

La malade : Je ne sais pas, je n'y comprends rien ; j'ai probablement très mal dormi cette nuit,

M. Charcot : Elle pourrait ainsi continuer, comme le fera l'autre, n* 1, à bâiller toute la journée. Nous ne voulons pas la condamner à ce supplice. Pour la délivrer, nous la plongerons comme tout à l'heure dans Tétat somnam- bulique et alors il nous sera facile, à l'aide de la suggestion, de la ramener à Tétat normal.

(Les malades i et 2 sortent delà salle ; une troisième malade est intro- duite.)

3* Malade.

Ce matin, messieurs, à la consultation externe, s'est présentée une malade dont je vous ai déjà entretenu l'an passé [Leçons du Mardis 10* leçon, 7 fé- vrier 1888, p. 193). Jl y a un peu moins d'un an.

Il s'agit d'un cas de dyspnée hystérique. Je vous ai fait remarquer, dans ce temps-là, que notre malade, alors âgée de vingt ans, était israélite, et je rele- vais, à ce propos, combien, dans la race, les accidents nerveux de tout genre, entremêlés le plus souvent avec des symptômes arthritiques, tels que migrai- nes, rhumatismes articulaires, eczémas, goutte, diabète, etc., se montrent incomparablement beaucoup plus fréquents qu'ailleurs.

J'ai récemment constaté le fait une fois de plus, dans des conditions parti- culièrement favorables à la démonstration, lors d'une petite incursion que j'ai faite, l'an passé, au Maroc. Là, à Tétouan, près de six mille Juifs, chassés d*Espagne il y a trois siècles, vivent depuis lors, strictement claquemurés dans un Ghetto. Les mariages consanguins y sont la règle et, par conséquent, les influences héréditaires accumulées, s'y développent et agissent dans toute leur énergie. Si bien, que, dans un court espace de temps, il m'a été permis.

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sur une population en somme très restreinte, de reconnaître maintes fois les nombreux méfaits des diathèses arthritique et nerveuse entrant en combinaison.

Mais c'est un sujet sur lequel je reviendrai, je pense, avec plus de détails quelque jour, et que j'espère alors pouvoir traiter dans les règles ; car il s'agit ici, vous l'avez compris, d'une curieuse et instructive étude de patho- logie comparative.

J'ai insisté autrefois, dans la Leçon à laquelle je vous prie de vous reporter, sur les antécédents héréditaires très chargés, relevés chez notre malade ; je n'y reviendrai pas aujourd'hui. Qu'il me suffise de vous dire ce qui s'est passé chez elle depuis un an ; d'ailleurs, en somme, les accidents d'aujourd'hui ne diffèrent en rien d'essentiel de ce qu'ils étaient lors de la première démons- tration.

La respiration est actuellement^ comme elle l'était alors, extrêmement pré- cipitée ; vous pouvez le constater de visu, vous pouvez le reconnaître mieux encore sur le tracé que je vous présente et qui a été recueilli en suivant la méthode de Marey (Fig. 8 et 10).

Fiff. 8. Dyspnée hystérique. Mtrie B Respiratton extrêmement fréquente et très superficielle .

Nous comptons, à peu près, de 170 à 180 respirations par minute. Tout cela se fait silencieusement et sans bruit. La malade ne semble pas anxieuse, bien que les inspirations soient peu profondes ; elle ne souffre véritablement pas et on ne constate chez elle aucune trace de cyanose^ contrairement à ce qui aurait lieu certainement s'il y avait véritablement dyspnée avec anoxémie. Il n'y a pas d'accélération non plus du pouls (60 à 80 par minute). L'ausculta- tion montre d'ailleurs que l'inspiration et l'expiration sont parfaitement libres et, à part la fréquence, dénuées de toute anomalie, de telle sorte que la dénomination de tachypnée conviendrait incontestablement beaucoup mieux que celle de dyspnée, pour caractériser cette accélération hystérique des mouvements respiratoires.

La précipitation des actes d'inspiration et d'expiration est d'ailleurs, chez notre malade, un phénomène de l'état de veille, comme le sont beaucoup d'autres symptômes hystériques du même genre : le sommeil les supprime complètement. Dans la journée, même à l'état de veille, la tachypnée n'est pas absolument toujours présente ; il y a des temps de répit plus ou moins longs. Elle se montre par accès qui durent de deux à trois ou quatre heures et qui semblent à peu près toujours inaugurés par une période prodromique mar- quée par des symptômes qui rappellent l'aura de l'hystérie convulsive. Il semble

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alors à la malade qu'elle ressent une constriction à la gorge, suivie de bour- donnements d'oreille, de battements dans les tempes, et peu après se montre l'accélération des mouvements respiratoires. L'attaque se termine souvent par des pleurs, comme se termine Tattaque d'hystérie vulgaire, et en somme il n'est guère douteux que Faccès dyspnéique représente, en quelque sorte, une attaque hystérique transformée.

Dans ce cas, point de stigmates, c'est-à-dire pas d'anesthésie cutanée, pas d'ovarie, pas de troubles sensoriels, etc. Le symptôme sur lequel j'appelle votre attention est donc à peu près solitaire. C'est l'occasion de relever une fois de plus la ténacité des accidents d'hystérie mon^symptomatique.ll y a, en effet, près d un an que durent les choses, malgré qu'un traitement rationnel assez suivi ait été mis en œuvre, et rien n'annonce qu'olies doivent changer prochaine- ment.

Malade (Homme de 39 ans).

Un quatrième malade est introduit dans la salle, c'est un homme d'une quarantaine d'années, d'origine polonaise, non Israélite.

M.Charcot : Voiciun malade qui s'est présenté à nous il y a quelques jours. Il est facile de reconnaître chezlui l'existence du tic convulsif de la grande espèce. A côté du petit tic convulsif vulgaire, il faut placer le grand tic, caractérisé par des mouvements convulsifs, complexes, quelquefois très étendus, et notre malade ofifre justement un ensemble du dernier genre. Le tic convulsif passe encore assez généralement pour une affection à laquelle il n'y a pas lieu d'atta- cher une très grande importance ; c'est à tort, et je vous engage, toutes les fois que vous serez consultés par un tiqueur^ de ne pas vous arrêter aux phéno- mènes extérieurs et à y regarder d'un peu près. Vous avez toutes chances, en poursuivant chez le sujet l'analyse dans une certaine direction, de relever un certain nombre de phénomènes psychiques fort intéressants et dont vous n'au- riez sans doute pas soupçonné l'existence au premier abord. C'est ce dont vous deviendrez convaincus, chemin faisant, par l'étude du malade que j'ai appelé devant vous.

Vous connaissez bien le tic convulsif, léger, vulgaire, comme je l'appelais tout à l'heure; il consiste habituellement en une occlusion rapide, comme élec- trique des paupières, souvent compliquée d'une rapide torsion de la tète vers une des épaules, qui s'élève aussi tout à coup rapidement. Autrefois, vers l'âge de quatorze ou quinze ans, notre homme n'avait que ce tic-là; aujourd'hui.

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comme vous allez le reconnaître, les choses ont bien changé : elles ont con- sidérablement empiré. Les anomalies de mouvement se sont étendues, géné- ralisées et sont devenues énormes.

Veuillez remarquer, messieurs» que les mouvements des tiqueurs, quelque complexes et bizarres quHls soient, ne sont pas toujours comme on le croit trop souvent, déréglés, incoordonnés, contradictoires au premier chef. Ils sont, en général, au contraire, systématisés^ en ce sens qu'ils reparaissaient tou- jours les mêmes chez un même sujet et de plus, fort souvent au moins, en les exagérant cependant, ils reproduisent certains mouvements automatiques d*ordre physiologique appliqués à un but. Parmi les tiqueurs,les uns semblent vouloir expulser par une brusque expiration nasale un corps étranger engagé dans le nez ; les autres, à Taide de ce mouvement d'occlusion brusque des pau- pières, que vous connaissez, semblent vouloir protéger leurs yeux contre l'invasion d'un corps étranger; un autre encore se gratte comme pour com- battre la sensation d'une démangeaison intense,etc., etc.

Pour ce qui est de notre malade, vous le voyez par moments fléchir tout à coup son avant-bras sur son bras et, ensuite, par un brusque mouvement d'épaule, élever son coude vers le côté droit de la face, la tête s'inclinant un peu en même temps du même côté, de manière k figurer l'attitude de défense que prennent souvent les écoliers menacés de recevoir un soufflet.

Ici, vous le voyez, c'est surtout le groupe particulier de muscles innervés par la cinquième et la sixième paire cervicales qui ^est mis en jeu, et ce môme mouvement de défense peut être produit, vous ne l'ignorez pas, par l'excitation faradique d'une certaine région située au-dessus de la clavicule, correspondant au lieu d'où émanent les deux paires susdites et qu'on désigne sous le nom Point (FErb. Mais le mouvement de défense en question diffère, chez notre malade, du mouvement physiologique qu'il imite, en ce qu'il est considérablement exa- géré, sans mesure, et surtout en ce qu'il n'est aucunement motivé par une menace venant du dehors. La brusquerie et l'intensité du mouvement sont tels, chez notre malade, que sa femme, d'habitude, le soir quand il se couche, lui lie étroitement les mains à l'aide d'une corde, de façon k atténuer l'inten- sité des mouvements de tics qui autrement le priveraient de sommeil.

La secousse du membre supérieur droit que nous venons de décrire, est sou- vent accompagnée d'un soubresaut du membre inférieur du même côté, qui imprime à tout le corps un tressautement rappelant le mouvement de surprise que déterminerait, par exemple, le bruit inattendu d'une explosion.

Vous voyez, sans qu'il soit nécessaire d'insister là-dessus, jusqu'à quel point ces secousses comme électriques du tiqueur se distinguent profondément des gesticulations lentes et permanentes des sujets atteints de la chorée de Syden- ham. Oui, entre le tic et la chorée, il y a un abime ; ne l'oubliez pas, car il s'agit d'affections auxquelles on donne quelquefois, bien à tort, le même nom et dont le pronostic cependant, est radicalement différent.

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N'allez pas non plus rattacher, comme on le fait trop souvent, les tics k Thys- térie. Ce sont choses totalement différentes et il suffirait déjà pour établir une distinction, de relever que les mouvements des tics surviennent inopinément, à des intervalles très inégaux, et qu'on n*y constate pas, par conséquent, le rythme et la mesure qui marquent souvent, ainsi que je le relevais il n'y a qu'un instant, certains phénomènes hystériques.

J'en viens maintenant à la démonstration du fait auquel j'ai fait allusion déjà en commençant ; c'est que derrière le tic se cachent, chez notre malade, comme chez la plupart des autres du même genre, certaines perturbations psychiques qu'il s'agit maintenant de mettre en évidence.

Vous avez pu remarquer qu'au moment le malade est pris de son tic ner- veux, on l'entend souvent produire un bruit laryngé : < Ah ! ah I ». Eh bien, ce bruit, cette exclamation, sans signification précise, représente, en quelque sorte à l'état de germe, une exclamation très nettement formulée cette fois et consistant non pas seulement dans un bruit laryngé, mais bien dans l'articu- lation d'un mot, et ce mot, messieurs, que le malade profère à haute voix d'une façon très distincte, est, remarquez-le bien, à peu près toujours un mot gros- sier, ordurier, ou encore un juron; dans l'espèce, chez notre malade, c'est du mot de Cambronne qu'il s'agit : m., de.

C'est le phénomène remarquable entre tous que M. Gilles de la Tourrette, dans son intéressant travail sur la maladie des tics {Archives de Neurologie)^ a ingénieusement désigné sous le nom de eoprolalie.

Je pourrais citer plusieurs exemples l'exclamation est encore moins simple, moins brève que chez notre sujet d'aujourd'hui. La marquise de X..., dont Itard a rapporté l'histoire en 1825, criait, involontairement, bien entendu, tout haut, très distinctement, j'en ai été témoin plusieurs fois dans un lieu public, les mots suivants : < F..tu cochon, m.. de, nom de D..ul » Une jeune fille âgée de quinze ans, appartenant à l'une des premières familles de la ville de X..., jeune fille fort bien élevée, du reste, très instruite, excellente pianiste, dont l'histoire m'a été communiquée par M. le professeur Pitres, laissait échap- per bruyamment les mots qui suivent : « Va-t'en, imbécile, n. . de D..., f...re, m.. de. » Quelquefois, ces mots, elle les disait tout bas, mais alors elle n'y éprouvait pas de soulagement et il lui fallait, pour que la crise se terminât, les exclamer à haute et intelligible voix.

OûM"*la marquise de X... et M"* X... ont-elles trouvé l'occasion d'ap- prendre à connaître tous ces gros mots? Il est très probable que la eoprolalie n'est souvent que de l'écholalie, ce qui semble le bien établir, c'est que cette même demoiselle X... dont il est question, changeait quelquefois ses exclama- tions articulées, ordurières, contre une espèce d'aboiement qui imitait d'une façon presque servile le jappement de son chien favori. Unjeune garçon russe qui est venu récemment me consulter avec sa mère, entremêlait devant moi ses tics convulsifs avee des cris fort singuliers paraissant exprimer la douleur. La

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mère m'apprit que ces cris étaient Timitation exacte de celui qu'elle avait laissé échapper elle-même un jour devant Tenfant, au moment elle s'était piqué un doigt en travaillant à la machine à coudre.

Mais j'en reviens à la coprolalie et je terminerai par Texemple d'un pauvre petit tiqueur âgéde douze ans à peine qui fréquentait il y a quelques années la consultation de la Salpétrière. 11 laissait, lui aussi, sortir bruyamment, même en pleine rue, des mots orduriers : « M.. de, cochon, m.. de. » Mal lui en prit un jour que regardant des gamins jouer à la fossette, il ne put retenir ses exclamations. Celles-ci lui valurent, de la part des gamins qui se croyaient insultés, une rude et injuste correction.

Ces exemples pris sur nature suffisent déjà sans doute pour vous faire com- prendre que la coprolalie nous conduit en plein domaine psychopathique. Souvent, le plus souvent peut-être, c'est ce dont vous pourrez vous con- vaincre par la lecture d'un travail de M.Guinon, qui vient compléter à quelques égards celui de M. Gilles de la Tourrette, les tiqueurs, les grauds tiqueurs principalement,ainsi que je l'ai depuis longtemps fait remarquer, sont placés sous le régime mental des idées fixes, obsédantes^ impulsives^ comme vous voudrez les appeler. Il est clair qu'ici, le trouble survenu dans le mécanisme de l'idéation, reproduit en quelque sorte le phénomène du tic convulsif, et Ton pourrait dire, par conséquent, que, chez ces sujets-là, le tic moteur est doublé d'un tic d'idées.

La proposition que je viens d'émettre trouvera, comme vous allez le recon- naître, sa justification chez notre malade. Nous allons, en effet, observer chez lui un certain nombre de marques, on stigmates psychiques, comme M. Magnan les appelle dans son enseignement, qui le placent dans la catégorie des dégé- nérés, ou, autrement dit, des déséquilibrés. Je préfère l'emploi de cette der- nière dénomination parla simple raison que fort souvent, parmi ces prétendus dégénérés, on rencontre, à côté de certaines anomalies psychiques quelquefois bien eflfacées, des qualités intellectuelles de premier ordre.

M. Charcot {au malade) : Voulez-vous nous parler de ce qui vous arrive lors- qu'il s'agit pour vous de cacheter une lettre que vous venez d'écrire, ou encore de la mettre à la poste ?

Le MAïADE : Je cachette bien la lettre, en général, je mets l'adresse et je vais la porter à la poste. Mais lorsque je veux la mettre dans la boite, j'hé- site et je la retire quatre ou cinq fois de l'ouverture, avant de l'y laisser tomber. Lorsqu'elle m'a définitivement échappé des mains, j'éprouve une grande émotion.

M. Charcot: Eh bien, vous avez compris par de quoi il s'agit : l'iuce titude règne dans son esprit. Il a des scrupules. L'adresse est-elle bien mise? Aurait-il laissé échapper, en écrivant, quelque chose d'incorrect, de compro- mettant?

Quelquefois il déchachette la lettre déjà fermée et la relit plusieurs fois

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avant de la cacheter définitivement. Sans doute, nous avons tous, plus ou moins parfois, dans les mêmes circonstances, de ces doutes, de ces scrupules ; mais ils se présentent à nous à Tétat d'idées faibles que nous refoulons faci- lement, sans émotion. C'est l'exagération de ce phénomène phyéiologique, rémotion qui l'accompagne parfois, l'intensité de l'idée, son caractère irré- sistible, qui constituent l'état pathologique.

M. Charcot {au malade) : Racontez-nous, s'il vous plaît, ce que vous nous avez dit l'autre jour, relativement aux rasoirs.

Le malade : Eh bien, lorsque je vois un rasoir ou un couteau, je tressaille, j'ai peur. 11 me vient à l'idée que je pourrais tuer quelqu'un ou me tuer moi- même, et cela me cause une très grande émotion. Il en est de même lorsque je vois un fusil, ou seulement lorsqu'il me vient à l'esprit l'idée d'un fusil. Cette simple pensée me rend anxieux au plus haut point. Il me vient à l'idée que je pourrais tuer quelqu'un et,jusqu'à un certain point,je ressens l'envie dele faire. J'ai aussi une manie qui me trouble beaucoup : il me prend souvent une envie irrésistible de battre quelqu'un, et c'est surtout à la vue d'un cocher de fiacre que je me sens poussé à cela. Pourquoi les cochers de fiacre plutôt que les autres, je n'en sais absolument rien.

M. Charcot : C'est assez, je vous remercie, vous pouvez vous retirer.

{Aux auditeu?^s): Vous venez d'en entendre assez, je pense, pour comprendre que les mouvements convulsifs ne sont pas toujours, chez un tiqueur, toute sa maladie, et que souvent derrière le tic il y a lieu de rechercher le trouble psychique qui ne saute pas toujours aux yeux.

Or, messieurs, les troubles psychi([ucs dont il s'agit sont, dans la majorité des cas, pour ne pas dire plus, la marque d'une tare héréditaire.

Nous avons naturellement cherché avec quelque soin si l'histoire des antécé- dents héréditaires de notre tiqueur venait confirmer la règle. Malheureusement, fils d'un réfugié polonais, notre malade n'a pas connu toute sa famille et il ne peut, par conséquent, nous renseigner exactement.

Tout ce que nous pouvons en tirer, concernant le point de vue étiologique, c'est une histoire qui pourrait bien n'être qu'une légende et que je vais vous transmettre, néanmoins, telle qu'il me l'adonnée. Il prétond que sa mère, étant grosse, était au service d'un banquier qui souffrait de tics épouvantables 1 Ce serait là, suivant lui, l'origine de sa maladie : mais le banquier tiqueur était-il en outre coprolalique et sous le coup des idées fixes? Voilà, bien entendu, ce qu'il ne saurait vous dire.

Certes, messieurs, je ne suis pas affligé de cette disposition d'esprit, peu scientifique, selon moi, qu'on pourrait appeler le scepticisme arbitraire^ mais j'avoue que cette fois je suis presque invinciblement porté à penser que ce n'est pas dans cette impression reçue par sa mère pendant sa grossesse qu'il faut aller chercher la cause de l'aftection dont souffre notre malade.

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CI

Policlinique du Mardi 30 Octobre 1888

DEUXIEME LEÇON

!•' Malade. Sur un même sujet : sciatique avec déformation spéciale du tronc; à la suite d'un coup reçu sur le front, Neurasthénie et Hystérie.

Malade. Chorée paralytique chez un enfant de huit ans ; hérédité arthritique et névropathique.

V Malade

M. CoARCOT : Le premier malade que nous allons étudier ensemble aujourd'hui est un homme de 33 ans, un pauvre hère s'il en fût, dénué de tout ou peu s'en faut, même d'intelligence. En vérité, il n yapasde sa faute, maintes fois il a essayé d'apprendre à lire, à Técole de son village d'abord, puis, plus tard, au régiment. 11 n'a jamais pu y parvenir ; vous verrez plus tard l'intérêt qu'il y a pour nous à connaître ces détails; pour le moment, dirigeons notre attention d'un autre côté.

Aujourd'hui, le malade se présente à nous comme atteint d'une douleur occupant le trajet du nerf sciatique gauche, datant de cinq ans environ ; douleur, peut-être, actuellement amoindrie, mais qui entretient encore à l'heure qu'il est une boiterie très marquée. S'agit-il bien d'une sciatique? c'est ce que nous allons avoir à rechercher.

Je vais prier le malade de se déshabiller. Lorsqu'il se sera dépouillé de ses vêtements, nous serons bien mieux placés en mesure d'observer chez lui les caractères d'une attitude particulière du corps, d'une déformation spéciale sur laquelle je désireappeler votre attention, parce qu'elle esttrès peu connue encore^ si je ne me trompe, des cliniciens, et qu'elle est suffisante, cependant, à elle seule pour nous mettre sur la voie du diagnostic.

Je ne saurais trop vous engager, Messieurs^ surtout quand il s'agit deneuro-

d

pathologie, & examiner les malades nus toutes les fois que des circonstances d'ordre moral ne s'y opposeront pas.

En réalité, Messieurs, nous autres médecins, nous devrions connaître fe nu aussibien, mieux même que les peintres ne le connaissent. Un défaut de dessin chez le peintre et le sculpteur c'est grave sans doute au point de vue de l'art,

Fig. 9.

(Deaaini extrait d'an article s

Sciatique gmche.

o Areh, de Ntarologie

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mais en somme celan'& pas au point de vue pratique de conséquences majeures. Hais que diriez-vous d'un médecin ou d'un chirurgien, qui prendrait, ainsi que cela arrive encore trop souvent, une saillie, un relief normal pour une déformation pathologique ou inversemeat? Pardonnez-moi cette digression qui suffira peut-dtre pour faire ressortir une fois de plus la nécessité pour le méde- cin comme pour le cbirurgieu, d'attacher une grande importance & l'étude médico-chirurgicale du nu. Bientôt, je l'espère, nous serons en possession d'on grand ouvrage orné de planches admirables, faites d'après nature, vous

AtUtnile dans la SdaUquc gauche.

AUltude daaa la Sclatipe gaucbe.

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trouverez cette partie de notre science traitée avec tous les détails qu'elle com- porte. C'est à M. le D' Richer, mon chef de laboratoire, plusieurs fois mon collaborateur, que sera ce monument Ton verra, pour le plus grand profit de tous, Tart et la science marcher de concert et se donnant la main.

Mais il s'agit d'en revenir à notre homme ; le voilà complètement nu ; notre salle est justement surchauffée comme le serait un atelier de peintre; nous pouvons examiner le malade tout à loisir, sans le souci de commettre un acte d'inhumanité. Avant de concentrer notre attention surlui, veuillez jeter les yeux sur les dessins que j'ai fait placer devant vous; ils représentent justement cette même déformation que je veux vous faire reconnaître chez notre homme^ observée cette fois sur deux autres sujets atteint de la même afiection (fig. 9 et fig. 10). Cette déformation sur laquelle j'insiste actuellement et dont vous pouvez saisir maintenant les caractères^ en consultant tour à tour les dessins puis l'homme nu, cette déformation, dis-je, est bien remarquable, bien facile àsaisir. Elle sauteauxyeux en quelque sorte. Elle a se présenter à moi, bien des fois, car je vous assure qu'elle n'est point très rare.

Eh bien, Messieurs, il arrive que je l'ai remarquée seulement il y a deux ans, pour la première fois, et je ne sache pas qu'avant moi elle ait été indiquée explicitement par d'autres(i). Singulière faiblesse de nos facultés d'observation qui fait que nous ne voyons pas les choses cependant parfaitement visibles sans le concours d'une adaptation particulière de notre esprit. Une fois la chose vue et bien vue. il est facile d'apprendre aux autres à la voir à leur tour. Mais le tout est de la voir une première fois.

Vu de dos le sujet nous montre le tronc assez fortement incliné sur la droite, Tépaule de ce côté est tombante ; l'épine offre une déviation par suite de laquelle dans la moitié inférieure aile offre une concavité regardant à droite et inversement dans la moitié supérieure ; la main droite, le bras étant pendant, descend beaucoup plus bas que lagauche ; à gauche le membre inférieur est légèrement fléchi. Je vous ferai remarquer, en passant, que de ce côté, le talon, dans la station debout est légèrement relevé, il ne porte pas sur le sol; c'est dans l'espèce une anomalie sur laquelle j'aurai à revenir.

Actuellement nous considérerons le sujet vu de face et nous constaterons

l.M. le professeur Erb, d'Heidelberg, dans une lettre publiée parle Neurologisches Central- hlatt ino 24, 4888, p. 689) nous fait connaiire qu*il avait lui-même depuis longtemps remarqué l'attitude spéciale que prennent certains sujets atteints de sciatique, que d'ailleurs U existe, dans la « Wiener med. Presse 1886, n«« 26 et 27, un travail sur la matière datant de 1886 et appartenant à M. C. Nicoladoni. Le mémoire de M. Nicoladoni est intitulé : a Ueber eine art des Zusammenhanges zwisehen Ischias und Scoliose ». Un second cas du même genre se trouve paralt-il, dans le même journal 1887, no 39. La note de M. Nicoladoni publiée en 1886 était restée absolument ignorée de M. Cbarcot lors de sa première observation sur ce sujet, laquelle date de septembre 1886.

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une fois de plus Tinclinaison très prononcée du tronc vers la droite, la chute de Tépaule droite, etc., etc.

Eh bien voilà. Messieurs, une attitude spéciale incontestablement assez frappante. J'ajouterai qu'elle offre pour nous un intérêt pratique très particu- lier ; c'est qu'en effet elle parait appartenir en propre à certaines formes d'une affection d'ailleurs fort vulgaire puisque c'est de la sciatique qu'il s'agit. Je ne dis pas, remarquez-le bien, qu'elle existe dans toute sciatique. Je suis même porté à penser qu'elle ne s'y voit qu'exceptionnellement et surtout^ bien que non exclusivement, dans la forme intense. Ce que je tiens à relever, c'est que lorsqu'elle existe vous pouvez, presque à coup sûr, affirmer qu'elle est liée à. une sciatique, à une sciatique grave, de longue durée, le plus souvent mais non toujours, et que cette sciatique existe sur le membre opposé au côté vers lequel a lieu IHnclinaison du tronc. L'inclinaison ayant lieu vers la droite, dites que la sciatique occupe le membre inférieur gauche, et inversement si l'inclinaison du tronc a lieu vers la gauche.

Bien des fois il m'est arrivé en me fondant sur la connaissance de ce genre de déformation, d'affirmer à distance non seulementl'existence de la sciatique, mais encore de localiser Tafiection sur l'un ou l'autre côté du corps.

Pour plus de détails relatifs à ce genre de déformation, je vous engage à consulter un mémoire de mon ancien chef de clinique M. le docteur Babinski, la question est traitée avec grand soin.

Ce travail a été publié dans les Archives de neurologie pour 1888.

Vous verrez que la déformation peut être quelquefois relativement énorme comparée à celle d'aujourd'hui et conduire l'observateur non prévenu à penser qu'il existe quelque grave lésion vertébrale.

Quoiqu'il en soit, elle est suffisamment prononcée chez notre malade d'aujour- d'hui pour que vous puissiez la reconnaître pour ce qu'elle est, et je suis con- vaincu que vous avez été amenés déjà par les indications que je viens de vous fournir à admettre qu'il s'agit chez notre homme d'une sciatique gauche.

Eh bien, actuellement il faut établir par une étude régulière qu'il en est bien réellement ainsi. Notre malade est-il bien et dûment atteint d'une sciatique gauche et de quel genre de sciatique est-il affecté? Voilà, je le répète, ce qu'il convient de déterminer actuellement.

Remarquez d'abord les précautions que prend notre patient quand il s'agit de s'asseoir. Il ne s'assied pas sur la fesse du côté gauche, parce que cela exaspère sa douleur, il s'assied sur la fesse droite.

Vous remarquez encore que lorsqu'il s'agit de se lever, c'est ce même mem- bre inférieur droit qui presque exclusivement fonctionne, et en somme l'atti- tude spéciale du corps que je signalais tout à l'heure à votre attention paraît n'être qu'une attitude instinctive dont le but est de diminuer autant que pos- sible le travail du membre siège la douleur en faisant porter sur d'autres membres le poids du corps.

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Uq autre fait encore qui frappe les yeux, c'est ramaigrissement relatif que présente ce même membre inférieur gauche dans toutes ses parties, cuisse et jambe surtout. La différence, à cet égard, entre les deux membres, est de plus d*un centimètre ; évidemment, d'après cela, si c'est bien d'une sciatique qu'il s'agit, c'est d'une sciatique ancienne, ou pour le moins d'une sciatique grave (sciatique neuritique).

Mais il sera intéressant^ je crois, d'entrer ici dans une courte digression relative à l'histoire de la pathologie de la névralgie sciatique. Celte histoire, veuillez le remarquer, Messieurs, contrairement à ce que quelques-uns d'entre vous pourraient croire, n'est pas de date très ancienne.

C'est en efTet seulement en 1764 que le Napolitain Gotugno, célèbre anato- miste et clinicien, fit reconnaître qu'il fallait séparer foncièrement V^ hchms arthriiica » de T « Ischias nervosa » et que dans ce dernier groupe il y avait lieu de distinguer encore 1' Ischias nervosa antica » (névralgie crurale), de r Ischias postica )► laquelle répond à ce que nous appelons, nous, commu- nément aujourd'hui la sciatique )► ou <c névralgie sciatique )►. Il ne fallait rien moins alors, qu'un anatomiste doublé d'un clinicien pour déterminer exactement le siège de Taflection douloureuse à laquelle il serait juste, comme on l'a fait quelquefois, d'appliquer le nom de maladie de Cotugno (Dom. Cotunii, opuscula medica. T. II, p. 1. De ischiade nervosa. Na- poli 1827).

L'histoire clinique deTafiection dont il s'agit n'a pas après Cotugno, pendant de longues années, sérieusement progressé. Il faut arriver jusqu'à Valleix pour voir la question du diagnostic des névralgies s'enrichir de la notion des points douloureux. On peut reprocher à Valleix, cependant, d'avoir, pour ainsi dire, voulu couler dans le même moule toutes les névralgies quelque fût leur siège sans reconnaître suffisamment ce que l'histoire clinique de chacune d'elles pos- sède de spécial, et on peut ajouter d'inattendu pour celui qui ne voudrait considérer dans la névralgie occupant un nerf donné que ce que Tanatomie et Ia physiologie classiques de ce nerf peuvent lui apprendre.

En dehors du siège douloureux, combien de différences profondes, radi- cales même parfois; relatives à l'évolution, au pronostic, méritent d'être signalées cliniquement entre le tic douloureux et la névralgie sciatique par exemple^ ou encore la névralgie brachiale. Oui, on peut l'affirmer, chaque espèce de névralgie a son histoire naturelle à part qu'il faut apprendre à connaître, telle qu'elle est, et il ne suffit pas pour être renseigné sur une « névralgie )► donnée, de lui appliquer schématiquement les caractères que les névralgies diverses, comparées entre elles, peuvent avoir en commun.

C'est ici que l'intervention de Lasègue (1) me parait avoir été décisive au

1. Ch. Lasègue. Considérations sur la sciatique, in Archiv. générales de Médecine, p. 585, iSdl, t. II.

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premier chef, et bienfaisante en proclamant une fois de plus la prépondérance légitime, et nécessaire, trop oubliée parfois cependant, de la méthode clini- que dans toutes les questions de ce genre. Il a bien fait ressortir ce qu'à ce point de vue, la névralgie du nerf sciatique présente vis-à-vis des autres espèces du groupe, de spécial, d'original même.

C'est à lui qu'on doit aussi d'avoir nettement accusé l'existence de deux for- mes bien distinctes de raffection : Tune relativement .bénigne, quelque intense et douloureuse qu'elle puisse être, c'est la névralgie proprement dite ; l'autre maligne, grçive au premier chef, dans laquelle la douleur occupe le nerf en quelque sorte d'une façon permanente et n'y sévit plus seulement par paroxysmes; forme lente, chronique par exemple, marquée souvent par l'ac- compagnement de troubles trophiques de siège musculaire ou cutané et l'affection parait devoir être rattachée non plus cette fois à des lésions insai- sissables à nos moyens d'investigation mais bien à une véritable lésion orga- nique plus ou moins profonde du nerf sciatique lui-même.

Je ne veux pas négliger de vous rappeler en passant que la distinction nécessaire esquissée par Lasègue entre la Sciatique névralgie et la Sciatique névrite a été rendue plus accentuée encore et plus évidente par une série importante d'observations ad hoc qu'on doit à M. Landouzy (1).

Je ne saurais trop vous engager à prendre lecture des divers travaux que je viens de signaler à votre attention ; vous n'en saurez jamais trop sur l'his- toire de la sciatique car il s'agit là, ne l'oubliez pas, d'une de ces affections vulgaires que l'on rencontre à chaque pas dans la pratique.

J'en reviens maintenant à notre cas. Eh bien, il n'est pas dont eux qu'il s'agisse d'une sciatique grave, d'une sciatique néorite. La maladie en effet dure depuis cinq ans déjà, ayant présenté pendant cette longue période des hauts et des bas. La douleur aujourd'hui étant devenue à peu près permanente ; l'amai- grissement, l'émaciation du membre, bien qu'il n'existe dans les muscles atrophiés, actuellement du moins, aucune trace de réaction dégénérative, peut bien être considéré comme la conséquence des troubles trophiques qui accom- pagnent la névrite.

Enfin l'existence passée, relevée par l'observation, d'une éruption de zona occupant le trajet du nerf douloureux plaide absolument dans le même sens.

Voilà des circonstances qui, je pense, ne laissent planer aucun doute sur le caractère particulier de la sciatique. En dehors de cela, tout est classique chez notre homme et chez lui les points douloureux spontanément ou relevés com- me tels occupent les lieux d'élection.

Ainsi, nous distinguons un point sacro-iliaque (a)^ un point fessier (6), point

post-trochantérien (c), plusieurs points fémoraux {d, rf, rf), un point péréo*

- - ,. - -.

i. Landouzy. De la Sciatique. Archives générales de médecine, 1875.

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Béen (e), un point rotulien externe (qu'il ne faut pas confondre avec la dou- leur du genou qui 8*observe dans les maladies de l'articulation de la hanche), enfin le point matléolaire externe (/}; le point dorsal du pied manque sur ce sujet.

Ajoutons encore les traits suivants : quand le malade est couché à terre sur le dos et qu'on élève au-dessus du sol son membre gauche maintenu étendu.

a. Aneitbéiie.

b. Pltque hyilérogèDi;

Fig. 11.

o. Point BBcro-iliaque.

b. Point foMicr.

c. Point post-IrochaDlérieD. d,d,d. Points rémoraux.

e. Point péroDéen.

' Point matljol^ro externe.

AN. Anettfaésle.

-> 27 -

on lui fait ressentir à un moment donné une douleur vive entre le grand trochanter et Tischion, douleur qui résulte évidemment de la distension que dans cette manœuvre subit le nerf sciatique. Au contraire, si l'on imprime au malade reposant toujours à terre un mouvement brusque d'abduction ou d'adduction à la jointure, il n*y a pas de douleur produite et Ton ne perçoit pas de craquements. Ce dernier caractère joint à Tabsence de douleur rap- portée au genou, à l'absence de douleur provoquée par la percussion du grand trochanter, etc., etc., suffirait pour bien établir qu'il s'agit chez notre malade de VIschias nervosa postica et nom de VIschias artkritica.

L'attitude spéciale que présente notre homme et sur laquelle j'appelais votre attention en commençant, pourrait, elle aussi, contribuer à fixer le diagnostic dans les cas réguliers, classiques ; mais il y a à cet égard chez notre sujet, lieu de signaler une anomalie à laquelle j'ai fait allusion déjà et que je ne veux pas laisser passer inaperçue. Si vous voulez bien vous reporter au mémoire des Archives de Neurologie publié parM. Babinski, vous verrez que la caractéristi- que de l'attitude sciatique, fondée sur la comparaison des observations, 'connues jusqu'alors, est la suivante : Inclinaison du tronc du côté opposé à la sciatique, absence complète de soulèvement du pied du côté malade. Eh bien, Messieurs, il convient d'apporter un correctif au second terme de laformule ; en effet, ainsi que vous pouvez le reconnaître chez notre malade d'aujourd'hui l'existence d'une sciatique régulière ne saurait évidemment être douteuse, le membre inférieur gauche, côté de la sciatique, est demi fléchi et en même temps le pied de ce même côté ne repose à terre que par la pointe, le talon restant élevé de plusieurs centimètres au-dessus du sol ainsi que cela se voit dans cer- tains cas de coxalgie organique ou encore de coxalgie hystérique.

Ce n'était donc pas apporter trop de soin dans l'étude du cas que de nous efforcer de fonder le diagnostic sur une analyse comparative régulière et de ne pas nous en tenir à la seule considération de l'attitude qui, dans les exemples classiques, est cependant si caractéristique. Ceci nous montre une fois de plus qu'en pathologie il faut toujours compter sur le chapitre des ano- malies et qu'il n'existe pas de signes absolument pathognomoniques.

Je terminera ce qui concerne la sciatique de notre sujet, en vous faisant connaitre quelques détails complémentaires relatifs à la marche de l'affection ; et en môme temps aux circonstances qui peuvent avoir contribué à faire naître le mal.

V... des est sorti du régiment (il était dans les dragons) à l'âge de 26 ans. 11 avait, au service, contracté la fièvre typhoïde; pas d'autres maladies à signa- ler. Une fois libéré, il est entré dans un établissement de fours à plâtre il a travaillé pendant plusieurs années. il était exposé, le corps étant souvent en sueur, à prendre des refroidissements, il couchait d'ailleurs à cette époque- dans une chambre humide l'eau suintait des murs et, dans le même temps, il commettait des excès alcooliques sur une grande échelle.

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C'est vraisemblablement par Taction répétée et combinée des causes qui viennent d'être énumérées que s'est déclarée la névralgie rebelle dont il souffre aujourd'hui.

Celle-ci s'est déclarée pour ainsi dire tout à coup sous une forme en quelque sorte suraiguë il y a cinq ans. Le séjour au lit à l'hôpital d'Argenteuil a été absolu pendant environ cinq semaines ; au bout de huit semaines, le malade a pu reprendre son travail ; mais il a toujours souffert depuis cette époque et il n'a cessé de marcher en boitant. De temps en temps, il s'est pro- duit quelques exacerbations du mal qui, cependant, n'ont pas nécessité un nouveau séjour au lit ; mais, à un moment donné, notre malade mis dans l'impossibilité de fournir un travail suffisant a quitter le four à plâtre pour exercer la profession moins lucrative de terrassier. Et justement c'est alors qu'il se livrait à des travaux de terrassement, qu'il devint victime d'un trauma- tisme qui marque le début de la seconde partie de son histoire clinique.

Donc, il y a cinq mois, en déchargeant un wagon rempli de ballast, V...des reçut sur le front un coup qui le renversa à terre et lui fit perdre immédiatement connaissance. La durée de l'inconscience fut, paraît-il, de dix minutes environ. Une plaie verticale, assez étendue et profonde, l'on voit aujourd'hui la cicatrice froncée sur la partie médiane du front, laissa couler beaucoup de sang. Les jours suivants, il survint unpeude fièvre, et sous la plaie un abcès se forma qui s'ouvrit spontanément.

C'est huit jours après l'accident en question, alors que la fièvre avait cessé complètement, que la suppuration avait cessé elle aussi, que la plaie était en bonne voie de guérison, que se manifestèrent les premiers symptômes de l'affection nerveuse dont notre homme souffre actuellement à un haut degré et que je veux entreprendre d'étudier avec vous. Oui, depuis cette époque son caractère a changé complètement et il n'a pas discontinué d'être sous le coup de cette prostration et de ce découragement profonds dont il porte la marque évidente, aujourd'hui encore, sur son visage et dans son attitude, ainsi que vous n'aurez certainement pas manqué de le remarquer durant Pexamen au- quel nous venons de le soumettre à propos de la sciatique dont il souffre.

Eh bien. Messieurs, cette attitude triste, abandonnée si l'on peut ainsi dire, cette impuissance absolue il est, assure-t-il, de selivrer au moindre travail, l'insomnie dont il souffre, les rêves épouvantables, terrifiants dont ses nuits sont tourmentées, tout cela paraissant bien nettement à la suite etcomme con- séquence d'un coup violent reçu sur le front, tous ces phénomènes, dis-je, devaient nous guider dans la voie des recherches à faire pour arriver à établir la caractéristique de l'afïection nouvelle, aujourd'hui surajoutée à la névrite sciatique. Nous l'interrogeons au sujet de ces rêves pénibles qui lui font re-

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douter de chercher le sommeil. «Je vois, dit-ilsouvent,presque toutes les nuits une main qui m'étreint la gorge et qui m'étrangle ; alors je me réveille tout à coup, plein d'effroi et je ne puis plus dormir. Souvent aussi, il me semble que je suis près d'un précipice vers lequel je suis entraîné et je tombe toujours du côté gauche : autrefois^ avant mon accident, je ne révais jamais ; depuis, presque chaque nuit, je fais les rêves que je viens de vous dire.»

Nous mettons entre les mains du sujet qui ne présente aucune trace de pa- ralysie soit dans les membres inférieurs, soit dans les membres supérieurs et qui peut exécuter, à l'aide de ces membres, tous les mouvements qu'on lui commande de faire, un dynamomètre.

L'instrument pressé aussi fort que possible donne 18, 20 de la main droite, bien qu'il s'agisse d'un sujet admirablement musclé, autrefois fort vigoureux et qui, dans les conditions normales, devraitdonner au moins 80°.

Il y a donc à signaler déjà chez notre homme une véritable asthénie neuro- musculaire. — Voici l'exposé d'une série d'autres phénomènes que notre en- quête nous a permis de relever. Il se plaint de souffrir constamment de la tète qui lui parait enserrée comme dans un casque de plomb, surtout dans la région occipitale et en avant vers les bosses frontales. Il a de la confusion dans l'esprit ; il ne se souvient plus ; sans doute il n'a jamais été une forte tète, mais depuis l'accident il se trouve encore amoindri. Il n'a plus de courage, plus de volonté, plus de goût pour le travail et il se fatigue depuis sous Tin- fluence des moindres efforts.

Autrefois, malgré sa boiterie déterminée par lanévritesciatique, il travail- lait encore clopin-clopant tant bien que mal deson métier de terrassier; assez pour gagner sa vie. Il était gai ou pour le moins il avait de l'entrain. Aujour- d'hui il est abattu, morne, maussade, incapable de toute initiative. Ajoutez à ce qui précède qu'après les repas il se sent gonflé, tourmenté par le besoin d'expulser des gaz; qu'alors, comme il dit, le sang lui monte à la figure et qu'il devient comme engourdi, somnolent et vous aurez réuni un certain nombre de caractères cliniques qui révèlent suflisamment chez notre malade l'existence la neurasthénie^ comme on l'appelle, affection assez bien déter- minée aujourd'hui symptomatiqucment, et qui paraît, enfin, définitivement installée dans les cadres nosologiques.

Vous savez que le plus généralement la névrose neurasthénique se développe à la suite d'excc'^s de tout genre un peu prolongés, du surmenage intellectuel en particulier; aussi chez les enfants est-ce une affection rare, parce que les enfants ne se laissent pas surmener intellectuellement ou, autrement dît, ils savent se soustraire à ce genre de surmenage.

Iln'enestpasdemémedesadultes.Ainsi,quand il s'agit,àrâge de 16,17,18 ans, de commencer une carrière libérale, de passer les examens, le baccalauréat, par exemple, ou ceux qui sont exigés pour être admis dans une école spéciale, alors la neurasthénie se montre fréquente et elle sévit souvent avec force et

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ténacité. Chez notre malade, ce n*est évidemment pas de cette cause qu'il s'agit. C'est le traumatisme, le choc nerveux qu'il faut invoquer ici, évidemment, les circonstances du cas le démontrent suffisamment et d'ailleurs, le dévelop- pement d'états neurasthéniques en conséquence d'un traumatisme ou simple- ment d'un choc nerveux tend à devenir aujourd'hui de plus en plus un fait de connaissance vulgaire.

Vous trouverez entre autres plusieurs exemples bien caractérisés de névrose neurasthénique cérébro-spinale relatés dans le remarquable ouvrage de M. Page, comme conséquences de collisions de chemin de fer, Railway spine, Railway hrain comme on dit encore (Voir H. P. Injunes of the spine and spinal cord ivithout apparent mechanical lésion and nervousshock in their surgicalandmedico légal aspects, London 1885). Le choc nerveux, la commotion nerveuse, l'émo- tion nécessairement à peu près inséparable d'un accident qui souvent menace la vie, suffisent à produire la névrose en question ; l'action chirurgicale du traumatisme, ou autrement dit la production d'une contusion, d'une plaie, ou encore d'une commotion cérébrale proprement dite, ne sont pas des agents nécessaires pour faire apparaître le mal, bien qu'ils puissent contri- buer à lui imprimer une fprme grave. Mais au fond la maladie nerveuse se montre toujours la même quelle que soit la cause provocatrice. J'insisterai pour dire qu'une origine traumatique ne détermine par elle-même aucune particularité nosographique qui permette de la distinguer des neurasthénies développées sous Tinfluence de toute autre cause, du surmenage intellectuel par exemple. En d'autres termes^ en face des causes si diverses qui peuvent en déterminer la production, Tespèce morbide : neurasthénie cérébro-spinale con- serve en quelque sorte son indépendance, son autonomie, sa spécificité. C'est une doctrine que j'ai été conduit à adopter par l'étude d'un assez bon nombre de faits, et que j'aurai, je pense, bien des fois l'occasion de justifier clinique- ment dans le cours de ces leçons.

Mais, Messieurs, la neurasthénie n'est pas, tant s'en faut, la seule forme neuropathique qui puisse se produire sous l'action des causes occasionnelles dont nous parlions tout à l'heure : traumatisme ou choc nerveux. Ou pourrait dire, au contraire, qu'il n'est pas une seule des espèces composant la grande famille nerveuse qui ne se soit pas montrée dans les conditions étiologiques dont il s'agit. Telles sont les vésanies de tout genre, la paralysie agitante, l'épilepsie, la chorée, etc., etc., et par-dessus tout l'hystérie, oui, l'hystérie et principalement l'hystérie virile, plus commune, cela est facile à comprendre, que ne l'est l'hystérie féminine dans ces conditions de traumatisme que nous signalions tout à l'heure.

En somme donc, hystérie et neurasthénie, voilà les deux formes neuropathi- ques qui s'offrent le plus vulgairement à l'observation comme conséquence des chocs nerveux avec ou sans accompagnement d'une lésion traumatique chirurgicale.

M -

Et, danB ces conditions-là : tantôt la neurasthénie règne seule, exclusive- ment ; tantôt, au contraire, l'hystérie est seule présente, tantôt enfin, l'une et l'autre se montrent coexistantes, combinées en proportions diverses.

La connaissance des faits qui précèdent devait nous conduire & rechercher, si, chez notre malade, la neurasthénie, fort apparente, n'était pas doublée de symptômes hystériques cachés et latents, et que seule, une analyse métho- dique poursuivie dans une certaine direction pouvait nous révéler.

Or, Messieurs, les investigations poursuivies dans ce sens ont pleinement justiÂé nos prévisions. Non seulement notre sujet, en conséquence du coup qu'il a reçu au front est devenu neurasthénique, mais il est devenu aussi hys- térique , cela nous sera maintenant facile & démontrer.

Nous avons procédé tout d'abord à l'examen du champ visuel. Vous n'ignorez pas le rôle important que joue dans la symptomatologie de l'hystérie, le rétré-

Fig.ie.

cissement monoculaire ou binoculaire concentrique du champ visuel sans accompagnement de lésion ophthalmoscoplque de la rétine ou des milieux. Sans doute ce n'est pas un signe absolument pathognomonique de la névrose, il n'y a rien d'absolu dans ce genre, mais on peut affirmer qu'à part le cas de la lésion de la partie postérieure de la capsule interne, le rétrécissement permanent du champ visuel ne se voit guère en dehors de l'hys- térie. Je dis rétrécissement à l'étal permanent, parce que je n'ignore pas que dans Vépileptie vraie, à la suite des accès, le champ visuel présente souvent un rétrécissement plus ou moins prononcé, lequel s'efiace peu à peu progressive-

ar- ment durant les quelques jours qui suivent; après quoi a lieu le retour àTétat normal. Mais cela est un rétrécissement temporaire, remarquez-le bien, et pas un rétrécissement peinnanent; je crois pouvoir affirmer qu'il en est de même pour le cas de la neurasthénie ; on peut observer comme la fait M. Westphal, dans cette affection-là, surtout au moment des vertiges, des rétrécissements du champ visuel, mais alors le rétrécissement ne persiste pas, il ne s'établit pas comme cela a lieu dans le cas de Thystérie à Tétat permanent. J'ajouterai qu il parait bien démontré aujourd'hui que les rétrécissements du champ visuel signalés dans ralcoolisme,danslesaturnisme,etc.,relèventnon pasdirec- tement de la cause toxique mais bien de Thystérie dont celle-ci provoque le développement (hystérie toxique de quelques auteurs).

Pour ce qui est de Thystéro-épilepsie à crises séparées, c'est-à-dire hys- téro-épilepsie à crises mixtes d'un côté, hysteria major, et épilepsie, mal comitial, de l'autre, coexistant chez un même sujet, on peut affirmer que le rétrécissement permanent, lorsqu'il existe, se rattache à la grande hystérie hystérie épilepti forme, et nullement à Tépilepsie.

Chez notre malade, rétrécissement concentrique, occupant les deux yeux à peu près également, existe, porté à un haut degré (Fig. 12), à l'état de per- manence. Cette constatation rendait, d'après ce qui précède, fort probable que d^autres stigmates hystériques pourraient être mis en relief. J'ajouterai qu'un accompagnement fréquent du rétrécissement concentrique du champ visuel, lorsqu'il appartient à l'hystérie, se présente chez notre sujet; Je veux parler de la diplopie monoculaire ; cette anomalie se montre ici très accentuée dans rœil du côté gauche (1).

Procédons maintenant à Ténumération sommaire des autres stigmates hystériques : il existe du côté gauche une obnubilation très prononcée, et très nette par conséquent de l'ouïe, du goût et de lodorat (hémianesthésies sensorielles) ; une hémianalgésie cutanée (hémianesthésie sensitive) de tout le côté gauche du corps, tronc et membres . Cette hémianalgésie à la partie postérieure du corps est plus prononcée qu'en avant et dans de certaines parties c'est de l'hémianesthésie dans Tacception rigoureuse du mot (Voy. Fig. il Ws.) P*^ ^^® ^^^^^ d'anomalie fort curieuse, la jambe presque tout entière, au-dessus du creux poplité, en arrière, est sensible, ainsi que le pied, tandis qu'en avant, ces mêmes parties sont partout analgésiques.

C'en est assez déjà, dans les conditions nous sommes, pour caractériser, l'hystérie. Mais il y a plus encore : l'attaque, que quelques-uns considèrent bien à tort, encore aujourd'hui, comme un syndrome nécessan:e à la consti- tution de l'hystérie, l'attaque, dis-je, est ici représentée. Sans doute il ne s'agit pas cette fois de la grande attaque, à phases distinctes et ordonnées :

1. Voie sur la polyop\e monoculaire de» hyatériquc»: Leçons sur les maladies du système nervfnix, t. III p. 322.

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1* période épileptoïde ; période des grands mouvements; 3* attitudes pas- sionnelles ; cela nous ne le voyons pas chez notre malade. Hais nous en voyons assezcependantpourpouvoiraftlrmer quel'attaque existeà l'état rudimentaire, engerœe,ou si vous l'aimez mieux sous une forme fruste. Voici en effet ce que l'on observe à gauche, en pleines régions analgésiques ; il existe au-dessus du pli de l'aine et parallèlement à sa direction une plaque, allongée (Pig. 11 bis

n* 1, &.}ovalaire, hyperesthésique. Cette plaque est à un certain degré hyitêro- gêne, c'est-à-dire que quand on y produit un frôlement rapide ou une pression un peu vive, le malade ressent quelques-uns des phénomènesderattaquc:<ILlui semble, c'est d'après son naît récit que nous décrivons. —illui semble, dis-je, que quelque chose lui remonte de l'aine gauche vers le ventre, la région du

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cœur il éprouve des battements rapides, la région du cou enfin, il res- sent comme un étranglement. Après quoi, ses oreilles sonnent et sifflent, ses tempes battent ; enfin la vue s'obscurcit, et il y a un instant d'inconscience. » Vous reconnaissez les phénomènes de l'aura hystérique parfaitement caractérisés et les accidents qui la suivent représentent en quelque sorta, mais dans la catégorie de Thystérie cette fois, le vertige épileptique, sans accompagnement de mouvements spasmodiqucs. Ces attaques, ou mieux ces rudiments d'attaque que nous venons de décrire, ne se montrent pas uniquement en conséquence de l'excitation artificielle des zones hystérogènes ; elles peuvent se développer spontanément.

Le malade en effet,depuis trois mois,a éprouvé ce qu'il appelle des syncopes, or, les syncopes dont il s'agit, non accompagnées de mouvements convulsifs, sont précédées de l'apparition d'une douleur dans la région hypéresthésique du flanc gauche et, consécutivement, de toute la série des phénomènes de l'aura que nous décrivions tout à l'heure. Donc, il s'agit évidemment ici d'attaques hystériques se produisant sous une forme rudimentaire, sans doute, mais suffisamment caractérisée pour qu'il soit facile delà désigner légitimement par

son nom.

Nous voilà conduits bien loin de notre point de départ; au premier abord, notre homme nous paraissait placé uniquement sous le coup d'une sciatique grave, sciatique névritique avec toutes ses conséquences. Vous reconnaissez maintenant que la situation est beaucoup plus complexe qu'elle ne paraissait Tétre, et je ne suis pas fâché de vous faire remarquer une fois de plus, combien il importe d'examiner les malades sur toutes les faces, quand on ne veut rien négliger.

En somme, la deuxième partie de l'histoire de notre malade est plus inté- ressante encore peut-être que la première.

Voici, en eff'et, qu'à lasuite d'un coup reçu au front, cause en apparence toute accidentelle, une double névrose s'est produite ; la neurasthénie d'un côté, l'hystérie de l'autre. Or, vous savez que nées dans ces conditions-là les névroses qui ûous occupent, bien qu'il s'agisse d'afiections sans lésions organiques appréciables, se montrent habituellement remarquablement tenaces, et parfois à peu près incurables.

Sans doute, une névrite sciatique datant de cinq ans et qui prive un malheu- reux ouvrier, pour longtemps, de l'usage régulier d'un de ses membres infé- rieurs, c'est une triste chose; mais une neurasthénie profonde compliquée d'hystérie, qui entraînent avec elles la misère intellectuelle et morale pour toujours peut-être, c'est incontestablement chose plus grave encore.

Tels sont les faits : il ne sera certainement pas inutile actuellement de re- monter encore une fois dans le passé de notre malade pour rechercher s'il n'y a pas soit dans son histoire propre, soit dans celle de sa famille, quelques cir- constances de nature à faire comprendre la genèse, sous l'influence du choc

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nerveux des deux névroses : hystérie et neurasthénie, S*agit-il d'une création de toutes pièces, œuvre de l'ébranlement traumatique, ou bien peut-on invo- quer la prédisposition antérieure soit héréditaire soit acquise? L^observation va montrer que chez notre malade, Tapparition des névroses en question, dans les circonstances elles se sont produites, n'offrent rien d'inattendu, rien d'imprévu.

On sait bien aujourd'hui que l'alcoolisme prédispose à l'hystérie (i) ; or, le malheureux Y.. des, alors qu'il était employé dans un four à plâtre et qu'il y gagnait quelque peu d'argent, dépensait presque tout à boire. 11 avoue que dans ce temps-là il buvait souvent en un jour, particulièrement le lundi, environ 1/3 de litre d'eau-de-vie, de l'absinthe et, en outre, environ 3 litres de vin. Jamais cependant ces doses énormes n'ont provoqué de grands accidents toxiques ; cela se bornait à de terribles colères quand il était ivre.

Néanmoins, sous l'influence de ces excès, il s'est produit sournoisement dans le système cérébro-spinal une modification profonde dont le trauma- tisme un beau jour a provoqué la révélation. Voilà pour ce qui concerne le côté relatif à la prédisposition acquise. Considérons actuellement les faits qui concernent la prédisposition héréditaire ; à cet égard, les documents abondent et ils sont fort signiGcatifs.

Grands parents inconnus. Son père est mort de la poitrine. Un de ses oncles paternels, cultivateur, a eu la tète complètement dérangée pendant trois ans : il était alors sombre, triste, et ne voulait voir personne ; laguérison n'a pas été complète, le malade est resté < toujours un peu drôle )►. Il est mort à 61 ans. Une cousine germaine du côté maternel (fille du frère de la mère) tombe dans des attaques de nerfs, désignées épileptiques. La mère de notre malade est morte de la poitrine. Un de ses frères était épileptique ; il tombait dans les attaques, environ tous les quinze jours; il perdait ab- solument connaissance et écumait de la bouche. En voilà bien assez pour dé- montrer jusqu'à quel point V..des était prédisposé antérieurement à Tacci- dent qui a provoqué, simultanément sans doute^ la neurasthénie et l'hystérie.

TABLEAU DE FAMILLE

DE

y, . des

ONCLE PÈRE

Aliéné.

MÈRE

TANTE

Mort tuberculeux.

Notre malade sciatiquc

Neurasthénie Hystérie

Morte tuberculeuse.

Frère du malade : ËpilepUque

Cousine ger- maine du ma- lade : Epileptique.

1. Voir Charcot : Hémianesthésie hystérique et hémianesthésie toxique, leçon faite à la Silpétrière. {Bulletin médical. Numéro du 25 mai 1887.)

6

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La neurasthénie et Thystérie associées ou isolées, telles sont, vous disaîs-je tout àTheure, les névroses que font apparaître vulgairement le choc nerveux ouïe traumatisme. Quelques auteurs cependant donnent, des ailections ner- veuses qui se manifestent dans ces conditions-là, une interprétation toute dif- férente ; il ne s'agirait pas là, suivant eux, purement et simplement d'hystérie ou de neurasthénie. Il y aurait en quelque sorte création d'une espèce mor- bide nouvelle, toute spéciale, à laquelle on propose d'appliquer le nom de ném^ose traumatique générale pour bien rappeler son origine en quelque sorte spécifique.

Eh bien, Messieurs, je Tai déclaré déjà et je le déclare aujourd'hui encore, éclairé plus que jamais par nombre d'observations, les faits publiés comme appartenant à cette prétendue névrose essentiellement traumatique peuvent ôtre ramenés tous sans difficulté aucune à la neurasthénie et à l'hystérie iso- lées ou combinées.

Qu'il s'agisse d'une collision de chemin de fer, d'un choc nerveux quelcon- que avec ou sans traumatisme, tremblement de terre, accident de voiture, ou au contraire du surmenage intellectuel ou génital ; de l'alcoolisme, du satur- nisme; peu importe, la névrose produite reste toujours essentiellement la même ; la cause provocatrice de l'aflection, qu'elle soit le traumatisme ou autre chose, ne détermine même pas, en général, dans l'ap])areil symptomatolo- gique quehiue empreinte particulière (jui permette de la reconnaître. En d'autres termes, non seulement il n'y a pas, que je sache, de névrose générale traumatique spéciale, mais en outre je ne vois pas que la neurasthénie et l'hystérie d'origine traumatique se séparent par aucun caractère clinique fondamental de celles qui ont été déterminées par d'autres causes.

En ce qui concerne la dernière afiection je pense qu'il n'ost nullement légi- time d'admettre qu'il existe toute une fnmitledliy<>târies, distinctos uosographi- quement les unes des iiutres en même ti^nps qu'elles sont distinctes par la forme.

Vhystérieest une et indiviûble, c'est du moins mon humble avis. Peut-on vraiment considérer la mélancolie, l'hypochondrie, l'aboulie, les rêves terrifiants, l'insomnie comme caractérisant psyc/ilqueinent ]a. néyrose traumatique » lorscjuc l'on sait par maintes et maintes observations que tout cela se rencontre nécessairement dans la neurasthénie et dans l'hystérie de l'homme avec ou sans l'intervention quelconcpie d'un traumatisme ; et, pour ce qui est des hémianesthénies sensorielles ol sonsitives, des rétrécis- sements du champ visuel, des contractures, etc., etc., qui se trouvent consi- gnés dans les observations relatives à la prétendue névrose, de quel droit vou- drait-on les dépayser en quelque sorte, enles distrayantdu champ de l'hystérie? Je crains bien que dans cette affaire l'étrangeté apparente du terme hystérie, lorsqu'on l'applique à l'homme, ne soit une des causes qui empêchent les observateurs de voir les choses telles qu'elles sont dans leur réalité.

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En vérité cependant, les mots, surtout en nosographie, ne sauraient être qu'un symbole, ils ne peuvent pas prétendre à posséder la vertu d'une défini- tion descriptive.

Mettez-vous bien dans l'esprit et il ne faut pas, je pense, grand effort pour cela qu'en soi le mot hystérie ne signifie rien, et peu à peu vous vous ha- bituerez à parler d'hystérie chez l'homme sans penser le moins du monde à r< utérus ». Ne songeons pas d'ailleurs à changer le mot contre un autre la JVeuropallie de Piorry est tombée dans l'oubli; Le larassis de M. le D' de Lachèze, malgré l'excellence des observations auxquelles ce mot sert d'étiquette , n'a pas eu plus de succès (i). Le terme hystérie au contraire résiste depuis bien longtemps aux injures du temps et des hommes. C'est incontestable- mentune marque de vitalitébien significative. Le motvivra donc et continuera à désigner un groupe cohérent de faits nosograpliiquement enchaînés les uns aux autres. Il faut en prendre son parti.

Mais je ne veux pas m'appesantir maintenant sur ces questions relatives à la névrose traumatiquc ; ces questions je les ai touchées déjà bien des fois ; vous les trouverez parfaitement exposées, au besoin, dans plusieurs articles récemment publiés par mon ancien interne M. le docteur Guinon (2), articles auxquels je vous renvoie.

2" Malade

(Entre une mère portant dans ses bras sa fille, enfant de 8 ans. Son mari l'accompagne, ces personnes se sont présentées à la consultation, ce matin, pour la première fois.)

M. CiiARCOT. Vous reconnaissez immédiatement, Messieurs, que cette enfant est atteinte de chorée, de chorée vulgaire parfaitement légitime. Les mouvements choréiques sont très caractéristiques, pas très intenses ni très précipités, plutôt lents. Ils occupent le cou, la face, les membres supérieurs, le tronc.

A la petite fille : Comment vous appelez-vous, mon enfant?

La mère. —- Elle ne peut plus parler depuis quelques jours.

1. Gazette des Hôpitaux ^ 1884.

2. G. Guinon: A propos de deux travaux récents sur l'Hystérie traumatique. Progrès médical f. 317. 3 novembre 1888, Id. De VHystérie dans ses rapports avec la chirurgie. In Revue de Ch irurgie, numéro 11 ; 10 novembre 1888, p. 930.

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L*ENFANT (Avec uoe grande difficulté et articulant d'une façon presque inintelligible). Hor...tense.

M. Gharcot. Tirez la langue.

{Aux auditeurs) : Vous voyez qu'elle peut encore, non sans effort toutefois, tirer salangue hors de sa bouche ; mais ellenepeutpas l'y maintenir longtemps*

A la mère : Combien y a-t-il de temps qu'elle a ces mouvements?

La mère. Un mois environ, monsieur ; mais cela augmente.

M. Gharcot. Rien de bien remarquable jusqu'ici, c'est un cas vulgaire, du moins en apparence. J'appellerai cependant votre attention sur ce fait que pendant toute la durée de notre examen jusqu'ici, les membres inférieurs sont restés absolument tranquilles, sans présenter aucun mouvement choréique. liSst-ce donc que ces membres sont indemnes,non aflectésde chorée? c'estbien peu vraisemblable.

A la mère : Pourquoi portez- vous cette enfant? Elle ne peut donc pas se tenir debout, marcher.

La mérb. Non, monsieur. Au commencement, ses jambes étaient agitées comme le reste; mais depuis quelques jours, les mouvements y ont disparu. Elles sont devenues tout à fait molles, flasques, inertes. L'enfant ne peut plus du tout les mouvoir, elle ne peut plus se tenir debout ; vous [voyez, quand on cherche à la faire marcher ses jambes se fléchissent sous elle, s'embarrassent Tune dans l'autre, et si on ne la soutenait pas elle tomberait à terre.

M.CuARCOT. Je vous le fais remarquer une fois de plus, Messieurs, les mem- bres inférieurs sont en effet flasques, mous. Impossible à l'enfant de marcher et môme de se tenir debout. Quand on Tabandonne à elle-même sans sou- tien elle s'affaisse; en même temps, le tronc se fléchit soit en avant soit en arrière; la tête tombe sur la poitrine. Eh bien, Messieurs voilà chez cette jeune choréique un incident qui mérite bien d'être signalé parce qu'il s'agit d'un fait encore insuffisamment vulgarisé et qui pourrait, si vous n'êtes pas prévenus, vous mettre dans rembarras. Une paralysie est venue compliquer la chorée, direz-vous? En réalité. Messieurs, il ne faut pas voir à proprement parler une complication. Aucun trouble de la sensibilité n'existe sur ces mem- bres inertes et flasques, l'électrisation, j'en suis sûr, n'y montrerait aucune modification des réactions électriques ; la paralysie s'est développée progres- sivement, sans fièvre, et non brusquement pendant le cours d'un état fébrile. Des mouvements choréiques ont précédé dans les membres inertes aujourd'hui la paralysie. Ge n'est donc pas de paralysie infantile spinale, qu'il s'agit; et immédiatement pour ne pas prolonger sans profit cette étude de diagnostic diffé- rentiel, je vous dirai qu'il s'agit chez cette enfant d'une forme paralytique, de la chorée, de la chorée molle comme on dit encore.

Les choses peuvent aller beaucoup plus loin qu'elles ne le sont, chez notre petite malade ; la première fois que j'ai été frappé de l'existence de cette forme de chorée, c'était en 1879, chez une jeune fille de 12 ans.

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Les quatre membres étaient flasques, dans la résolution complète, absolument incapables de tout mouvement volontaire. Il en était de même du tronc et de la tête : celle-ci était « tombante» et reposait sur un canapé on avait placé l'enfant, à la manière d'un corps inerte ; pas d*anesthésie d'ailleurs, pas de rigidité, pas d'atrophie, les réflexes tendineux étaient absents. Je n'avais pas encore rencontré chose pareille^ je fus un instant dans l'embarras. Quelques mouvements choréiques de la facej'impossibilité de maintenir la langue hors de la bouche, la difficulté spéciale de l'articulation me mirent bientôt sur la voie du diagnostic. J'appris d'ailleurs que pendant plus d'un mois, les membres aujourd'hui paralysés et aussi la tête et le tronc avaient été agités de mou- vements choréiques très prononcés.

La petite malade guérit complètement au bout d'une vingtaine de jours, de sa chorée mollej sans repasser par la période des mouvements convulsifs. Elle a malheureusement succombé deux ans après par le fait d'une maladie orga- nique du cœur.

C'est ainsi que la paralysie choréique se termine toujours, autant que je sache. La guérison ici est la règle, même dans les cas la paralysie est complète et plus ou moins généralisée. La chorée paralytique d'ailleurs paraît ne pas appartenir particulièrement aux cas les mouvements gesti- culatoires sont intenses ; on la voit survenir au moins aussi souvent, je pense^ dans les cas de chorée légère.

En somme^ vous le voyez, le pronostic de la chorée molle est généralement favorable et il n'y a aucune raison pour que cette formule se trouve démentie chez notre petite malade d'aujourd'hui.

Je ne saurais trop vous engager, pour en apprendre plus long sur cet intéressant sujet de la chorée paralytique, à prendre connaissance de la thèse inaugurale du docteur G. Ollive. Cette thèse a pour titre * Des paralysies chez les choréiques » ; elle a été soutenue à Paris en 1883. C'est, je crois, la première monographie qui ait été consacrée à l'étude particulière de cette forme de la chorée.

Je vais essayer maintenant de compléter par quelques interrogations l'his- toire clinique de notre sujet.

A la mère : Votre enfant a-t-elle souffert de rhumatisme articulaire aigu ; c'est-à-dire d'un rhumatisme articulaire avec gonflement, rougeur des articu- lations et fièvre ?

La mère. Oui, monsieur, il y a quatre mois ; cela a duré quelques se- maines.

M. Ghargot, à la mère, Avez-vous souffert aussi, madame, de cette même maladie ?

La mère. Oui, monsieur, et mon mari également.

Le mari. Oui, cela est vrai, plusieurs fois; ma mère également a eu les doigts des mains enflés et déformés.

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H. Charcot.— Voici la part de Télément arthritique dans la famille ; re- cherchons maintenant si Thérédité nerveuse n'est pas en cause.

S'adressant à la fois à la mère et au père : Avez-vous connu des membres de votre famille atteints de maladies nerveuses ou ayant eu la tête dérangée ?

Le père. Ma grand'mère qui est morte à 82 ans a été longtemps atteinte de démence. Elle avait toujours peur d'être volée : elle cachait son argent et d'autres objets lui appartenant et ne se rappelait plus après cela elle les avait mis ; elle a eu un fils qui est mort vers Tâge de 40 ans, aliéné, à l'asile de Glermont.

H. Charcot. Voilà certes une révélation importante.

A la mère, Et vous, madame, qu'avez-vous à dire ?

La mère. Rien dans ce genre.

M. Charcot. A quel âge avez-vous eu votre rhumatisme articulaire?

La mère. J'ai eu deux attaques : la première à 19 ans, l'autre à 36 ans.

M. Charcot. Avez-vous eu la chorée ?

La mère. Non, monsieur, je n'en connais pas d'autre exemple dans la famille.

M. Charcot. Vous avez eu d'autres enfants que celle-ci ; ont-ils été malades ? dites-moi ce qu'ils ont eu.

La mère. La petite est la 7<* de 10 enfants ; 8 survivent. Les deux autres sont morts dans la première enfance. Mon fils atné est aujourd'hui âgé de 23 ans. Il a eu plusieurs attaques de rhumatisme ; son cœur a été pris c'est pour- quoi on l'a dispensé du service militaire. Mon quatrième enfant qui est une fille a eu, vers 7 ans^ aussi une attaque de rhumatisme. Le cœur n'a pas été pris, les autres n'ont rien eu.

M. Charcot. Racontez-moi Thistoirc du rhumatisme de la petite qui est ici: a-t-elle eu avant d'autres maladies ?

La mère. Oui, la rougeole h l'âge de 5 ans. Le rhumatisme s'est déclaré il y a quatre mois ; elle est restée au lit pendant un mois, elle avait des dou- leurs dans les cou-de-pieds surtout et dans les genoux avec gonflements.

M. Charcot. Qu'est-il arrivé après ?

La mère. Vers la fin de septembre, elle est tombée d'une balançoire sur la tête et s'est fait derrière la tête une blessure superficielle qui a pas mal saigné ; elle n'a pas perdu connaissance, mais peut-être qu'elle était déjà malade avant l'accident, car son caractère depuis plusieurs jours était très changé.

M. Charcot. Quand la chose a-t-elle commencé ? Il y a un mois, dites- vous?

La mère. C'est difficile à dire exactement, mais déjà le 1*' octobre, elle écrivait avec difficulté, faisait moins bien ses devoirs et n'avait plus à l'école de récompenses €omme auparavant, ce dont elle se montrait vivement affectée. Nous avons la garder chez nous à partir du 10 octobre parce que les mou-

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vements étaient très forts. Elle ne pouvait presque plus parler, laissait tout tomber. Les jambes sont faibles presque depuis le commencement, mais c'est depuis quelques jours seulement qu'elle ne peut plus s'en servir du tout, et qu'elles sont tout à fait paralysées.

M. Charcot. Allons, vous pouvez vous retirer. Tout cela guérira très bien ; même la paralysie des membres inférieurs. Vous en avez peut-être encore pour un mois. Ne vous tourmentez pas(l).

i. Cetto petite malade s'est présentée de nouveau à la consultation le 22 novembre, c'est-à- dire vingt-trois jours après la leçon du 30 octobre. La paralysie dos jambes a disparu depuis une huitaine de jours. L'amélioration a ensuite rapidement progressé sur toute la ligne. On observe cependant encore quelques mouvements involontaires dans les bras, les jambes et la t5te. La parole est redovenue distincte, peu de grimaces. Il lui est encore difficile d'écrire. Cependant elle réussit quoique avec peine à former à peu près les premières lettres de son nom. La force musculaire des membres inférieurs est assez prononcée ; quand elle marche on la voit, de temps à autre, lancer foUcment ses jambes à droite et à gauche. Rien d'anormal au cœur. Le traitement a consisté dans l'emploi du bromure de potassium à la dose de 3 gramtr.câ par jour et des préparations ferrugineuses.

(22 novembre (888)

Imp. de la Soc. de Typ.— Noezbttb, 8, r. Campagne-l'*, Paris.

Policlinique du Mardi 6 Novembre 1888

TROISIÈME LEÇON

l'*' Malade. Intoxication par le sulfure de carbone. 2"** Malade. Hémîparaplégie spinale croisée (syndrome

de Brown-Séquard), par lésion traumatique de la moelle

épinière dans sa moitié latérale.

1®^ Malade

M. Chargot : Vous avez sans doute, messieurs, pour la plupart du moins, entendu parler de l'industrie du sulfure de carbone. Cette industrie comporte d'abord la préparation du sulfure de carbone lui-même ; puis des industries en quelque sorte subordonnées, parmi lesquelles on peut citer par exemple la fabrication du caoutchouc vulcanisé. L'hygiène et la clinique ont à s*occuper de ces industries en raison de certains accidents principalement d'ordre nerveux auxquels se montrent sujets les ouvriersqui travaillent soit à la préparation du sulfure de carbone soit au maniement de cette substance, dans les diverses industries connexes. Le malade que vous avez sous les yeux vous ofire justementun exemple du genre.

Il y a longtemps qu'on a signalé pour la première fois les accidents qui peuvent survenir par le fait de l'action du sulfure de carbone et parmi les au- teurs qui paraissent avoir les premiers reconnu ces accidents, il faut citer Duchenne de Boulogne et Bouchardat.

Mais le premier travail approfondi sur la matière date de 1856; il est de Delpech et porte le titre suivant : Mémoire sur les accidents que développent chez les ouvriers en caoutchouc Cinhalation du sulfure de carbone en vapeur. Ce mémoire a été lu à l'Académie de Médecine.

On peut dire que, dans l'espèce, c'est le travail initiateur. Un nouveau travail, au même auteur, est destiné à compléter les précédents et à en

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asseoir les conclusions sur des bases plus solides, il date de 1863, et il est intitulé comme suit : Nouvelles recherches sur V intoxication spéciale que déter^ mine le sulfure de carbone. Industrie du caoutchouc soufflé.

Remarquez combien cette fois le titre est significatif : il est clair que l'auteur voudra s'attacher à démontrer que le sulfure de carbone a pour effet de dé- terminer chezles individus, exposés aux vapeurs qu'il dégage, une intoxication se traduisant dans la clinique par des caractères vraiment particuliers et qui permettront de distinguer l'affection ainsi produite, de toutes les névroses toxiques d'un autre ordre.

Ainsi, cela n'est pas douteux pour Delpech, c'est d'une névropathie sui generis qu'il s'agirait ici et qui pourrait être désignée sous le nom de névrose sulfo'Carbonée. C'est dans le même sens qu'ont conclu la plupart des auteurs qui ont suivi Delpech dans la voie qu'il a tracée. Tous s'efforcent à l'envi de bien établir les caractères spéciaux des accidents nerveux produits par l'action du sulfure de carbone, afin de les distinguer aussi nettement que possible de •ceux qui relèvent des intoxications saturnines, alcooliques, etc., etc. (1).

Eh bien, messieurs, nous avons justement sous les yeux un pauvre homme chez qui l'affection nerveuse dont il souffre actuellement a été évidemment développée cela ressortira pleinement de l'analyse du cas sous l'influence de Taction du sulfure de carbone, et nous allons être mis à même par consé- quent d'étudier l'aflection dans tous ses détails. Mais, messieurs, je crois devoir vous en prévenir immédiatement : l'analyse clinique ne nous conduira pas à trouver exactement ce que nous cherchons ; c'est une affection nerveuse vulgaire, très vulgaire qu'elle va mettre en évidence et nullement une névrose toxique spéciale ; nous serons conduits par à nous demander si bon nombre des cas la plupart peut-être rattachés par Delpech à la prétendue névrose sulfo-earlonée n'appartiendraient pas purement et simplement au domaine très étendu d'ailleurs et très vaste de cette névrose 4. vulgaire » à laquelle je faisais allusion tout à l'heure.

Notre malade, donc, est un homme de soixante-trois ans, assez vigoureux autrefois. Biais depuis quelque temps, il a beaucoup perdu de ses forces et de son entrain.

Les accidents qui l'ont amené ici, datent cependant de six semaines ou deux mois à peine.

Quelques mots d'abord sur son passé. Nous n'avons pu découvrir, malgré toutes nos recherches poussées dans cette direction aucune tare névropa- thique dans sa famille, qui compte prétend-il, des centenaires.

Nous avons toute raison de croire, d'un autre côté, que P...on, a toujours été un homme sobre, nullement porté aux excès alcooliques ou autres, de mœurs simples et tranquilles. Dans son enfance, il a vécu à la campagne il

i. Voir ea partfcttUer BoBitC; Thèâe de Paris 1885 ; SapcUer, Thèse de Paris 1885.

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gardait les troupeaux. Il n*a jamais appris à lire. Vous voyez que ce n*est pas la culture intellectuelle qui Ta perdu. Je parlais tout à Theure de sa sobriété : nous avons à cet égard une garantie ; il y a longtemps qu'il travaille dans les usines Ton fabrique le sulfura de carbone. Or, dans cette industrie-là, sont seuls admis et conservés, les ouvriers qui ne boivent pas. D'ailleurs, nous ne trouvons absolument rien en lui qui puisse faire soupçonner que Talcoolisme soit en jeu. Exerçant auparavant la profession de terrassier, P...on fréquente Tusine depuis 1872 ; ipais il n'y a pas constamment travaillé. De temps en temps, par intervalles, il est revenu pendant le cours de ces deux dernières années surtout ù son métier de terrassier. Quoi qu'il en soit, il était de nouveau attaché à l'usine depuis plus de quatre mois et n'avait pas cessé depuis lors d*y travailler régulièrement, lorsque le 24 septembre pendant qu'il procédait au nettoyage d'une cuve destinée à contenir le sulfure de carbone, survint l'accident qui l'amène aujourd'hui devant nous.

Il paraît qu'il n'est point rare de voir sun^enir semblables accidents, pen- dant ce même nettoyage des cuves ou bassins à sulfure de carbone. Voici d'ail- leurs ce qui s'est passé : tout à coup P.. .on, après avoir éprouvé une sensa- tion d'étouflFement et ressenti dans le scrotum comme «une chaleur », s'affaise sur lui-même, sans pousser le moindre cri, comme frappé d'apoplexie ; ses camarades l'ont cru asphyxié ; ils assurent que pendant la durée de la perte de connaissance, qui a été d'une demi-heure environ, il ne s'est pas produit de convulsions. Enfin, il revint à lui et Ton put le ramener chez lui à pied, tout confus, tout ébaubi. 11 est resté dans sa chambre pendant deux jours, et durant ces jours-là, il ne sait pas trop ce qui s'est passé ; mais le troisième jour, il ressentit dans le membre supérieur droit de forts engourdissements, et le lendemain au réveil il y avait dans ce même membre une paralysie très accentuée. Le même jour, le membre supérieur correspondant se prit à son tour de la même façon, mais d'une manière beaucoup moins prononcée, car toujours P. ..on a pu continuer à marcher tant bien que mal.

Ce fut alors que notre malade se présenta à la Pitié, il fut admis le 28 septembre dans le service de M. le D' Hutinel, dirigé à ce moment-là par M. le ly Marie qui eut l'obligeance de nous l'adresser quelques jours après. Eh bien, messieurs, cette hémiplégie survenue rapidement après une attacjue apoplectiforme a été la première révélation de l'affection nerveuse dont il s'agit de déterminer maintenant les caractères nosographiques.

Vous trouverez dans les mémoires de Delpech et dans ceux de ses succes- seurs, plusieurs observations d*hémiplégie à début brusque ou rapide attri- bués h l'influence de l'intoxication sulfo-carbonée. Mais ces observations-là datent déjà de quelques années, et aujourd'hui le neuropathologiste a le droit de se montrer plus difficile qu'autrefois à l'égard de la description d'une hémiplégie. Il ne suffirait pas actuellement de parler sommairement d'une paralysie plus ou moins intense, survenue plus ou moins subitement dans un

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ou plusieurs membres. Il s'agit encore de rechercher avec minutie la présence d'une série de caractères cliniques concomitants de Timpuissance motrice, qui seuls pourront permettre de déterminer nosographiquemeat Tafiection. liai* heureusement, ces détails ne se rencontrent pas, tant s'en faut, toujours dans les observations d'hémiplégie sulfo-carbonée ; parfois cependant, les descrip- tions en sont suffisamment explicites pour qu'il soit permis de rapprocher ces faits anciens du fait nouveau qui s'offre à nous présentement et dont nous allons tâcher de préciser les caractères.

Mais avant de procéder à notie démonstration, je tiens à déclarer que c'est à l'obligeance de mon collègue des hôpitaux, M. Marie, que je dois de pouvoir vous présenter aujourd'hui cet iiitéressant malade et, qu'en outre, la plupart des détails que nous allons vous développer à son sujet sont empruntés à une note que M. Marie va lire dans quelques jours à la Société médicale des Hôpi- taux (i).

Si donc vous trouvez quelque intérêt à notre démonstration d'aujourd'hui, veuillez ne pas oublier, je vous prie, que c'est surtout à mon collègue qu'il fau- dra le rapporter.

Je vais prier notre malade de se lever et de faire quelques pas devant vous. Rappelez-vous que l'hémiplégie chez lui date de six semaines déjà. Remar- quez qu'en marchant, notre malade traîne après lui son membre inférieur parésié, comme s'il s'agissait d'un corps inerte, conformément à la fameuse description de Todd, que je vous ai rappelée si souvent. Oui, remarquez-le bien, le membre parésié ne cesse de reposer sur le sol il traîne, le ma- lade ne fait aucun eftort pour l'élever à chaque pas ; il n'y a pas trace d'une esquisse de ce mouvement de circumduction qui ne manque guère d'exister dans une hémiplégie ancienne de cause organique. C'est un détail qui n'é- chappera pas, certainement, à ceux d'entre vous qui sont au courant déjà des questions de ce genre et ils ne manqueront pas d'en faire leur profit.

Considérons maintenant le membre supérieur gauche : il est pendant, sans rigidité, très affaibli, mais cependant est un peu déformé par ce fait que les doigts sont tous rigides, étendus en masse de façon à faire un angle droit avec la paume de la main ; il y a vraiment contracture spasmodique, car on éprouve une résistance élastique lorsqu'on veut mouvoir les doigts aussi bien du côté de la flexion que du côté de l'extension. Oui, il y a ici une rigidité spasmodique, mais certes ce n'est pas l'attitude des doigts en crochet que l'on observe dans les hémiplégies de cause organique suivies de contracture, et celte circonstance déjà est bien faite pour éveiller l'attention du connais- seur. La pression dynamométrique donne pour la main gauche parésiée 11 kilos, tandis qu'elle donne 60 kilos pour la droite. D'ailleurs, pas d'exalta-

i. Sulfure de carbone et Hysiérie, comm. à la Sociélc médicale des Hôpitaux, 9 novembre 4888, Gaz. hebdom,, 23 novembre 1888.

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tion des réflexes soit aux membres supérieurs, soii aux inférieurs. Nous vuilà déjà, par de certains indices, conduits à supposer que ce n'est pas ici de l'hé- miplégie vulgaire de cause organique qu'il s'agit et cette première impression se trouvera conllrmée par tout ce qui va suivre. Le premier fait que nous relevons maiutenant, c'est que la sensibilité cuta-

mg. 13.

D liommc intoxiqué par la i

ilfuro de ciirbocie.

née est profondOmeut atteinte sur toute l'éteudue du membre supt'rieur para- lysé, et également sur toule l'étendue du membre Inférieur corri.'spondant {Pig, 13.) Vous savez que cette circonstance est fort rare dans l'hémiph-gie

vulgaire ; on ne la rencontre guère dans Tespècé, que lorsqu'il s'agit d'une lésion de la partie postérieure de la capsule interne et encore dans ce cas la sensibilité n'est à peu près jamais atteinte au degré que nous constatons chez notre homme.

Nous relèverons de plus chez lui, un contraste remarquable entre la sensi- bilité cutanée qui est, comme nous le disons, très profondément affectée, et le mouvement qui lui, au contraire, n'est pas complètement aboli ; et c'est encore un fait qui n'appartient pas aux hémiplégies de cause organique.

Ajoutons que ce n'est pas seulement sur les membres paralysés qu'est répandue Tanesthésie, mais encore sur toute la moitié gauche du tronc, en avant, en arrière et sur la moitié de la tète et de la face ; que cette anesthésie n'occupé pas uniquement la peau, qu'elle s'étend encore aux parties profon- des* Ainsi les articulations peuvent être soumises aux mouvements de trac- tion ou de torsion les plus énergiques sans que le malade ait notion de ce qu'on lui fait. Il ignore aussi si Ton déplace ses membres et ne peut déter- miner la position qu'on leur donne, ou pour le moins n'a sur ces divers points que des notions extrêmement vagues.

A ces traits^ ceux d'entre vous qui sont experts dans la matière n'ont pas manqué de reconnaître qu'il s'agit ici d'hémiplégie hystérique. Est-ce donc que cet homme à la barbe inculte, portant la marque d'une sénilité précoce, affaissé, morne, prostré, serait vraiment un hystérique? Cela ne saurait étonner parmi vous que les nouveaux venus. Les autres savent ce qu'il en est de l'hystérie de l'homme et sous quel aspect elle se présente à chaque pas dans nos hôpitaux, depuis qu'on a appris à la connaître. Déjà même plusieurs de nos auditeurs se sont demandé, sans doute, chemin faisant, s'il n'en serait pas de même du sulfure de carbone que du saturnisme, de Talcoolisme^ voire même du traumatisme, tous agents provocateurs de J'hystérie.

Ce sont des questions qui devront nous occuper tout à l'heure. Au préa- lable, nous devons nous appliquer encore à bien établir chez notre homme le diagnostic hystérie.

Nous ne reviendrons pas sur les symptômes signalés jusqu'ici : hémianes- thésie sensitive cutanée et profonde totale, parésie concomitante des membres supérieurs et inférieurs avec perte du sens musculaire, absence de rigidité et d'exaltation des réflexes, alors que l'hémiplégie date de plus d'un mois, etc., ces phénomènes sont déjà par eux-mêmes suffisamment significatifs ; mais nous pouvons allonger la série.

Relevons en premier lieu la non-participation du facial inférieur à l'hémi- plégie motrice, de telle sorte qu'il ne s'agit pas chez notre homme d'hémiplé- gie proprement dite, mais bien de monoplégies associées. Après tous lesdéve- loppements dans lesquels je suis entré Tan passé à propos de la non-partici- pation de la face à l'hémiplégie hystérique, je crois inutile d'entrer à propos du cas d'aujourd'hui, dans de nouveaux développements sur ce sujet. Certes,

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il existe chez notre homme une U-gère déviation de la commitisiire labiale droite {côté paralysii}, en bas et vers la droite ; vous ne considérerez pas cette déviation comme l'indice d'une paralysie du facial inférieur, si vous relevez avec soin l'existence facilement appréciable chez notre sujet de potites secousses convulsives qui soulèvent de temps en temps brusquement la lèvre supérieure droite, et aussi de secousses du même genre qu'on voit se dessiner par moments sur le côté droit du menton et de la lèvre inférieure.

C'est, vous l'avez compris, l'hémispasme facial et non pas la paralysie faciale qui est ici en jeu, et cette constatation qui vient corroborer le diagnostic hys- térie, trouve son complément lorsqu'on fait tirer la langue au malade- Cet organe en eflèt prend alors cette forme de crochet à concavité dirigée vers le cdté paralysé sur laquelle j'ai maintes fois insisté dans ma description du spasme glosso-labié des hystériques.

Chose remarquable, vous trouverez les caractères du spasme glosso-labié en question parfaitement indiqués dans plusieurs observations d'intoxication

i 'mi

Hg. U.

par le sulfure de carbone, en particulier dans deux obser^-ations de M. Del- pecb. Hais, naturellement, dans ces cas, la nature hystérique du spasme n'a pas môme été soupçonnée. Au spasme glosso-labié nous devons ajouter encore d'autres stigmates également caractéristiques en premier lieu ; il y a rétrécis- sement permanent très prononcé du champ visuel à droite, côté de la para- lysie motrice, tandis qu'à gauche, le champ visuel est normal. Remarquez cette circonstance du rétrécissement portant exclusivement sur

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Tun des yeux, l*autre restant parfaitement indemne, parce que c'est une circonstance relativement rare.

J'ai dit tout à l'heure rétrécissement permanent, parce que les rétrécissements de ce genre seuls sont caractéristiques de Thystérie dans certaines affections, en effet, comme dans Tépilepsie par exemple : après Tattaque le même rétré- cissement concentrique peut se présenter, à lu vérité toujours d*une façon temporaire. Pas de dyschromatopsie, mais diplopie monoculaire très pronon- cée; pharynx insensible; ouïe à droite très affaiblie; goût nul du côté droit de la langue.

Voilà toute la série des stigmates classiques qui se déroule devant nos yeux^ et après cela il n'est pas nécessaire, pour affirmer le diagnostic hystérie, de chercher ailleurs.

t Sans doute notre homme n'a pas d'attaques convulsives ; on ne rencontre pas chez lui de plaques hystérogènes, hyperesthésiques. Mais vous savez que ces phénomènes-là ne [sont nullement nécessaires à la constitution de la maladie hystérique, et à leur défaut, nous avons relevé assez de signes caractéristiques pour nous permettre de conclure en toute assurance.

Un mot maintenant-sur l'état mental de notre malade. Si je n'admets pas que l'hystérie puisse être démembrée et qu'il soit permis de reconnaître autant d'hystéries distinctes et nosographiquement séparées qu'il y a de causes capa- bles de provoquer le développement de l'affection, j'admets cependant natu- rellement dams l'hystérie, espèce une et indivisible, des variétés, des [formes ; cela est élémentaire. L'ivresse produit, par l'emploi de la même substance^ prise aux mêmes doses, des effets fort différents chez les différents sujets. Celui-ci devient expansif et abonde en traits d'esprit qu'on ne lui connaît pas au même degré dans les conditions ordinaires, tandis que celui-là reste concentré, muet, abattu et stupide. On ne cesse de répéter aux cliniciens commençants que la pneumonie de Pierre n'est pas la pneumonie de Jacques» et cela doit être en effet pour lui matière de bréviaire. Pourquoi l'hystérie échappérait-elle à la règle ? De fait elle n'y échappe point et, relativement au côté psychique, j'ai fait remarquer bien des fois déjà qu'il ne faut pas s'at- tendre à rencontrer chez l'homme, ce brio morbide, fréquent en réalité chez la femme, mais dont quelques auteurs font, bien à tort, un caractère constant de la névrose hystérique. Les hommes hystériciues de la classe ouvrière, qui, ainsi que le fait remarquer avec raison M. Marie, encombrent aujourd'hui les services hospitaliers de Paris, sont à peu près toujours des gens sombres, mélancoliques, déprimés, découragés, et justement le pauvre hère que nous avons sous les yeux présente, ainsi (jue je vous l'ai fait remarquer il y a un instant, toutes ces apparences-là. Le voilà timide, sombre, comme désemparé et remarquez-le bien> celte prostration psychique date exactement de l'acci- dent survenu dans la cuve au sulfure de carbone. Autrefois notre homme n'était pas gai à proprement parler, mais il supportait les choses de la vie sans

Si- se plaindre et apportait même dans lalulte un certain entrain. Aujourd'hui le tableau s*est considérablement assombri, le pauvre diable se trouve tout changé ; il a la persuasion qu'il n*est bon à rien et se laisse aller à un décou- ragement profond. Je me réserve de vous montrer ailleurs que celles des posi- tions d'esprit des hystériques mâles tient certainement, en partie du moins, à co que, chez eux, la neurasthénie se montre presque toujours associée en proportions diverses à la névrose hystérique.

Quoi qu'il en soit, je le répète, ces conditions de dépression mentale vous les retrouverez fréquemment chez Thomme hystérique ; chez lui également, vous aurez l'occasion de constater en outre une tendance à subir des rêves terrifiants. Cette tendance-là est fort prononcée chez notre malade d'aujourd'hui ; souvent, en efTet.fort souvent,presque toutes les nuits depuis Taccident de la cuve,il est poursuivi par des loups, des lions, des animaux fantastiques et terribles ; ce matin même il nous a conté que la nuit dernière il s'était trouvé tout à coup entouré d'eau de tous côtés. L'eau montait,montaittoujours,et allait couvrir la montagne ou il s'était réfugié, lorsqu'il se réveilla dans un état d'anxiété des plus pénibles. Si j'insiste une fois de plus sur les modiflcatfons psychiques fré- quentes à observer chez l'hystérique mâle et très accentué en particulier chez le malade d*aujourd'hui, c'est qu'on a voulu les considérer comme appartenant k la prétendue névrose traumatique et c onstituant même pour elle un carac- tère qui la séparerait de l'hystérie.

Evidemment y c'est une erreur.

Ces mêmes caractères appartiennent bien et dûment à l'hystérie virile et ils s'y observent non seulement lorsque la maladie relève d'un traumatisme ou d'un choc nerveux, mais lorsqu'elle s'est développée en conséquence de Faction d'une cause toxique, saturnine (sulfo-carbonée) ou, pour tout dire, sous l'influence d'une cause déterminante quelconque. Cet état mental parti- culier sur lequel je viens d'insister n'est donc pas l'apanage, la marque d'une hystérie spéciale, elle peut se rencontrer dans toutes les formes de l'hystérie.

Après avoir montré que tous les accidents nerveux relevés chez notre homme appartiennent sans exception à l'hystérie, plus ou moins mêlée à la neurasthénie, irons-nous prétendre que c'est Thystérie encore qui a été en jeu dans toutes les observations publiées par Delpech et autres, comme exemple d'intoxication spéciale sulfo-carbonée ? Ce serait là, je pense, généraliser beaucoup trop vite. Sans doute, la lecture de ces observations nous révèle à chaque instant Texistence de phénomènes qui relèvent très certainement de la névrose hystérique ; tels sont les cas dans lesquels se trouvent signalés expressément le spasme glosso-labié, les éloufTements, la boule, les sensations particulières dans les parties sexuelles, des contractures, des anesthésies ou des hypéresthésies, des crises enfin dont la description rappelle exaote- nient celle des crises hystériques épileptoïdes dont plusieurs avec arc de cercle. Évidemment, ces observations-là se rapportent à Thystérie et il faut en con-

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dure, car les observations de ce groupe sont fréquentes, que dans la plu- part des cas Thystérie a été vue par les auteurs qui ont écrit sur Tintoxication sulfo-carbonée, par fragments, sans être reconnue par eux pour ce qu'elle est. L'hystérie serait donc d'après cela Taffection qui se développe le plus fréquem- ment en conséquence de Faction des vapeurs de sulfure de carbone ; il faudra à l'avenir pour savoir exactement ce qu'il en est, réellement examiner les choses de plus près qu'on ne l'avait fait jusqu'ici et songer à l'hystérie. Mais, dès aujourd'hui, on peut affirmer que toutes les observations, passées ou fu- tures, ne se prêteront pas à cette interprétation exclusive. En effet, parmi les observations de Delpech et de ses successeurs il en est plusieurs oti certaine- ment ce n'est pas l'hystérie qui est enjeu. Je citerai comme exemples du genre les cas les malades éprouvaient dans les membres des douleurs vives et sou- daines, en même temps qu'ils marchaient d'une façon incoordonnée.

Ces malades-là ont été considérés quelquefois comme des ataxiques (ataxi^ sulfo-carbonée) ; il est bien plus vraisemblable qu'il s'agit ici de névrites périphériques analogues à celles, qu'on sait relever de diverses intoxications^ alcoolisme, béribéri, etc., etc., et que l'incoordination motrice de ces malades, si l'on y eût regardé de près, eût présenté les caractères, non pas de la démarche tabétique, mais bien ceux de la démarche du steppeur, comme nous avons coutume de l'appeler. En tout cas bien évidemment, ces cas-là ne se rapportent pas à l'hystérie. Car si l'hystérie est capable de simuler une foule d'états morbides qui lui sont étrangers, il en est d'autres, contrairement à l'opi- nion de certains, qu'elle ne saurait simuler jamais devant un observateur attentif.

En résumé donc, il existe vraisemblablement des afiections du système nerveux relevant directement de l'action des vapeurs du sulfure de carbone et qui mériteraient de porter le nom à' affections nerveuses sulfo-carbonées,

11 faudra s'appliquer, à l'avenir, à décrire ces affections plus minutieuse- ment qu'on ne l'a fait jusqu'ici, et s'attacher surtout à les bien distinguer des symptômes hystériques qui se développent dans des circonstances analogues et pourront sans doute parfois se trouver entremêlés avec elles. C'est ainsi que, dans la pathologie des phénomènes nerveux saturnins et alcooliques» il faut savoir distinguer ce qui appartient à l'hystérie provoquée par l'in- toxication, des accidents nerveux relevant directement de l'intoxication, et qui, lui appartenant en propre, méritent seuls de porter le nom d'acci- dents nerveux toxiques.

Maintenant que notre malade s'est retiré, disons un mot sur le pronostic et sur le traitement. Pronostic sérieux, cela parait être la règle dans l'hystérie mâle des adultes. Le malade guérira difficilement s'il guérit : en tous cas, cela durera certainement plusieurs mois, plusieurs années peut-être, quoi- qu'on fasse. Le sujet n'est pas hypnotisable. va-t-on chercher que tout le monde,les sains comme les malades,peuvent être hypnotisés ? Donc il ne

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pourra pas bénéficier des effets de la suggestion hypnotique. Mais la sugges- tion à rétat de veille pourra être efficace en ce qui concerne la paralysie, sui- vant la méthode dont je vous ai donné les règles dans une leçon de Tan passé. En dehors de cela Thydrothérapie^ les ioniques, les reconstituants seront de mise. Il va de soi enfin, qu'il conviendra d'engager notre pauvre malade à renoncer aux usines ou Ton fabrique le sulfure de carbone ; mieux vaudra pour lui, si les forces lui reviennent,repi'endre son métier de terrassier.

Malade.

M. Charcot : Le second malade sur lequel je viens aujourd'hui appeler votre attention est un jeune homme nommé Ch...ey, âgé de vingt-quatre ans^ exer- çant la profession de couvreur. Il est élancé, fluet, comme vous voyez^ d'une figure plutôt agréable et d*allure quelque peu féminine.

Gependant,de très bonne heure, il a été attiré vers l'autre sexe, et c'est jus- tement dans une affaire de femme qu'il est devenu victime de l'accident, ou mieux de l'attentat, dont nous allons, dans un instant, reconnaître les consé- quences encore très accentuées, malgré les atténuations que le temps y a apportées.

L'événement auquel je fais allusion marque dans sa vie, et il a voulu en consacrer le souvenir sanglant par une inscription obtenue par le procédé du tatouage, qu'on lit sur la partie supérieure et interne de son avant-bras gau- che: «Mort aux femmesinlîdèles. »G'estaux infidèles, aux infidèles seulement que la menace s'adresse et à cet égard par conséquent il se montre moins pessi- miste que le grand poète qui, lui, pèche peut-être par excès de généralisation lorsqu'il dit de la femme, qu'elle est perfide comme l'onde: « faUe like ivater, >

Mais ce n'est ni le cas ni le lieu d'entrer ici dans une discussion scabreuse et j'en reviens aux circonstances de laccident déjà signalé.

Donc, notre homme, qui alors comptait seize ans à peine, c'était le 12 mars 1880, il était bien jeune encore, vous l'avouerez pour courir les femmes, se prit une nuit de querelle avec des « Italiens ». Les agresseurs étaient- ils bien des « Italiens », comme il le prétend ? Je l'ignore, et peu importe du reste. Quoi qu'il en soit,Ch....ey fut frappé par derrière, et reçut dans la partie supérieure du tronc, à la base du cou, un coup de couteau qui parait avoir pénétré profondément. Vous pouvez encore reconnaître parfaitement vers les deuxième et troisième vertèbres dorsales, à un ou deux centimètres à droite des apophyses épineuses, la cicatrice presque verticale, longue de 3 centi- mètres environ qui marque encore le lieu l'arme est entrée.

Messieurs, vous n*ignorez sans doute pas^ au moins d'une façon sommaire, l'histoire chirurgicale des plaies de la moelle épinière qui se produisent dans

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les conditions semblables à celles que nous venons d'indiquer à. propos de de l'accident dont notre malade a étâ victime. Un homme présente le tronc incliné en avant, l'agresseur le frappe par derrière vers la partie médiane tantAt et le plus souvent au niveau de la troisième ou la quatrième vertèbre dorsale (cas de Millier, cas de JoSroy et Salmon], rarement plus bas vers la région .dorso-ombaire(casde Viguës). L'arme pénètre entre leslames vertébrales, non sans doute sans effraction, et, chose remarquable en raison de certaines com- binaisons sur lesquelles je ne puis m'étendre, la moelle épinière subit, le plus souvent, A ce qu'il semble, une section hémilatérale du cûté opposé & celui l'arme a traversé la peau, quelquefois fort régulière, et qui ferait presque envie & un expérimentateur (1).

Cas de MiltUr.

b. La mooUe épiiiièrc.

c. Corpa vertébral.

d. Apophyse épineuse.

Cbez notre homme le coup de couteau a frappé à droite de l'épine, et c'est, ainsi que l'on en pourra juger d'après lasymptomatologie qui va se dérouler devant qous, sur la moitié latérale droite de la moelle épinière que la lésion a porté.

Vout n'ignorez pas, très certainement, que les lésions de ce genre sont graves au premier clief. Je vois dans les observations du groupe que j'ai par- courues, que les sujetsainsi frappés meurent huit jours quinze jours, au plus, après l'accident (2).

Or, vous voyez que notre malade a eu de la chance puisqu'il a échappé k

1. Voy. W. Millier Btitrage zur Palholog. Analomie tind Ph'jtiologit des Meiacktichen mekenmarke. Leipzig. 1871. T. i, flg. 1 et t.

t. Voir Cbarcot, Leçom tur la maladies du système nerveux, t. I, p. 103 et 1. II, p. 133. so trouvent résuméeit le» observaHona de Joltroy el Salmon et celles de Viftuii.

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ce qui parait être la régie. Ceci et certains détails de l'observation me porte à émettre ici une hypothèse que nous essaierons de légitimer tout à Theure ! C'est que chez lui, il n'y a pas eu section hémilatérale gauche complète, mais seulement piqûre ; Tarme avait pénétré sans doute au sein de la moitié gauche spinale, mais seulement par la pointe ; et si, à Torigine, les symptômes, comme vous Tallez voir^ ont été ceux qui se rapportent à une section hémilatérale, c'est que rapidement se serait produit autour de la solution de continuité un processus inflammatoire limité, véritable myélite transverse hémilatérale gauche, équivalant quant à la forme paraplégique produite, à une section véritable. Mais, me direz-vous, dans un instant, lorsque je vous exposerai l'évolution des phénomènes paraplégiques, les symptômes spinaux ont été immédiatement portés au maximum avec tous leurs caractères particuliers et Ton peut penser qu'un processus inflammatoire consécutif nécessite pour se constituer un temps plus ou moins long ? Cela est vrai, mais à cette objection je répondrai par avance que suivant une fort importante remarque de Brown- Séquard dans ces lésions hémilatérales de la moelle épinière, une simple piqûre portant sur une des moitiés deTorgane, équivaut, pour ce qui est des effets immédiatement obsen'és, à une hémisection complète ; seulement, bien entendu, les effets de la piqûre sont en général transitoires, tandis que ceux de la section sont permanents ; il y aurait donc lieu d'admettre que, chez notre malade, dans les premières heures ou jours après l'accident, les symptômes ont relevé de la seule piqûre, tandis que plus tard ils doivent être rattachés à Thémimyélite développée consécutivement au traumatisme.

Cette même hypothèse dont nous allons tout à l'heure chercher la justifica- tion dans l'histoire clinique de notre malade, expliquera de plus comment, par suite de la rétrocession des phénumènes d'irritation consécutive, le malade a pu survivre et même guérir, du moins partiellement.

Il est intéressant de recueillir de la bouche du malade des renseignements relatifs aux premiers effets de la blessure ; il nous apprend qu'il est resté tout d* abord pendant un temps assez long, parfaitement conscient et nous n*avons aucune bonne raison de douter de sa sincérité ou de la fidélité de sa mémoire.

« Je ne me suis pas aperçu, nous a-t-il dit vingt fois, que j'avais reçu un coup de couteau dans le dos. Seulement je suis tombé tout à coup ; c'est ma jambe gauche qui s'est dérobée sous moi. Il m'a semblé que cette jambe était cassée, brisée, qu'elle ne m'appartenait plus. On m'a aidé à me relever et j'ai essayé de me tenir debout. Mais ma jambe gauche s'y est refusée et je me suis affaissé de nouveail. >

D'après ce récit donc, que nous avons toute raison de croire correct, la paraplégie, l'hémiparaplégie motrice du moins, se serait immédiatement pro- duite, conséquence dans notre hypothèse de la piqûre supposée.

Porté presque aussitôt après l'accident, à rHôtel-Dieu,Ch ey y fut admis

dans le service de chirurgie, dirigé par M. le professeur Richet.

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C'est seulement qu'il parait avoir perdu conscience, et il y a dans ses sou- venirs relatifs à cette époque une lacune de deux ou trois jours. Il y aurait eu de la fièvre pendant ces jours-là et quelques-uns de ceux qui suivirent; il a le souvenir d'avoir entendu parler de températures montant à 41''.

Une autre particularité sur laquelle il insiste ofire de l'intérêt parce qu'elle semble établir, conformément à notre hypothèse, l'existence d'un processus myélitique, qui, à un moment donné, aurait dépassé les limites de la moitié latérale gauche de la moelle. Je veux parler d'une rétention d*urine qui aurait duré plusieurs jours et aurait nécessité plusieurs fois l'emploi de la sonde. Ce symplôme-ià n'appartient pas à l'hémisection latérale traumatique simple, c'est-à-dire dégagée de toute complication.

Quoi qu'il en soit, ce qui parait bien établi, c'est qu'à son réveil le membre inférieur gauche était complètement inerte, paralysé, tandis que le membre inférieur droit était parfaitement libre de ses mouvements, mais par contre complètement insensible à toutes les excitations auxquelles les assistants de la clinique le soumettait. Evidemment c'est le syndrome de Brcwn-Sëquard qu'on avait sous les yeux et le malade a entendu plusieurs fois retentir à ses oreilles le diagnostic: hémisection latérale de la moelle épinière. De feài^ aujour- d'hui encore, il parait fort au courant des caractères du syndrome introduit dans la science par Brown-Séquard et l'on comprend à écouter ce qu'il en dit, qu'il a souvent entendu disserter là-dessus des personnes compétentes.

Mais il ne sera peut-être pas inutile pour quelques-uns d'entre vous, que je rappelle ici très sommairement ce que j'entends par Syndrome de Brown- Séquard. Quelques-uns disent, remarquez-le en passant, Maladie de Brown- Séquard au lieu de syndrome. Je préfère de beaucoup le premier terme et je m'y attache. C'est qu'en effet il ne s'agit pas d'une maladie autonome^ mais seulement d'un ensemble symptomatique pouvant se rattacher à des afTections très diverses. Ainsi en dehors de l'hémisection il y a lieu de signaler parmi les causes qui peuvent produire le syndrome, les lésions de nature très diverse, myélite, tumeurs intra-spinales ou extra-spinales, syphilitiques ou non, méningites caséeuses ou autres, ayant pour effet d'affecter profondément sur un point, le lissu de la moelle épinière dans une de ses moitiés latérales ou d'en déterminer la compression. Mais il suffira de parler de ce qui concerne la lésion traumatique ; c'est l'espèce du reste que Brown-Séquard a surtout considérée et ce qu'il en dit d'ailleurs peut s'appliquer, mutatis mutandis, fort aisément aux autres espèces. Chez les animaux donc, notre illustre ami a mon- tré qu'une section hémilatérale complète de la moelle épinière déterminait régulièrement la production d'un syndrome, dont il a, sous le nom, si je ne me trompe, d'hémiparaplégie spinale avec hémianesthésie croisée^ déterminé avec le plus grand soin les caractères cliniques. Il lui a été facile ensuite de montrer que ces caractères-là se trouvent représentés chez l'homme avec une exactitude parf^te dans les .C48 une blessure spinale reproduit scrupu-

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leusement ce qui comme on Ta dit, n'est pas tout à fait rare la lésion expérimentalement provoquée. En quoi consiste donc la symptomatologie dont il s'agit? Je ne ferai pour ainsi dire qu'énumérer et je vous renvoie pour plus de détail aux travaux du mattre.La section porte Je suppose, commedans notre cas, sur la moitié gauche de la moelle, et voici alors ce qu*on observe: i4. Du côté gauche (côté correspondant à la lésion spinale) plusieurs des données qui vont suivre sont empruntées à la clinique de l'homme, pos- térieure, sur ce point, aux études expérimentales, mais il n*est guère douteux qu'on les retrouverait chez les animaux avec tous leurs caractères: 4* Para- lysie motrice complète avec flaccidité du membre inférieur, fait déjà connu de Galien ; à un moment donné exagération des réflexes tendineux, ten- danceà la contracture ; 2** La peau de ce membre est hypéresthésiée, et ITiy- péresthésie remonte plus ou moins haut sur l'abdomen ou le tronc, suivant la hauteur de la lésion spinale : elle est limitée de ce côté par une ligne presque horizontale; obnubilation ou perte du sens musculaire; 3* Elévation rela- tive de la température; 4** Atrophie musculaire plus ou moins rapide parfois avec réactions dégénératives ; 5* Quelquefois troubles trophiques articulaires (arthrite du genou).

B, Du côté droit (côté opposé à la section) : 1** Anesthésie cutanée de tout le membre inférieur, remontant sur l'abdomen ou le tronc elle se limite, plus ou moins haut,par une ligne plus ou moins horizontale; Pas d'élévation de température de ce côté ; 3** Pas traces de paralysie motrice, pas d'atrophie, pas d'exagération des réflexes; Quelquefois troubles trophiques cutanés, (eschare fessière).

C. Pas de troubles vésicaux.

Tel est l'ensemble symptomatique lorsqu'il s'agit de cas récents ou relati- vement récents. Naturellement nous ne devons pas nous attendre à rencontrer tous ces symptômes chez un sujet qui a survécu, a récupéré presque* intrégra- lement en ce qui concerne les fonctions motrices l'usage de ses mem- bres, et chez lequel il y a tout lieu de supposer, ainsi que nous l'avons dit en commençant, qu'il n'y a pas eu hémisection proprement dite, mais seulement piqûre ou peut-être même compression momentanée plus ou moins brusque. Il est clair qu'une restitution progressive très accentuée sur certains points a seule permis ce retour partiel mais fort remarquable cependant au fonction- nement normal. Aussi est-ce,dans l'acception le plus rigoureuse du mot, d'une hémiplégie spinale fruste qu'il s'agit chez notre malade. Mais vous allez être amenés à reconnaître que l' cinscription » n'est pas à l'heure qu'il est, telle- ment eflacée qu'il soit devenu très difficile de la « lire ».

Voici du reste le tableau analytique des phénomènes qui peuvent être actuellement relevés chez notre sujet :

A. Côté gauche : Il n'existe plus trace de paralysie motrice dans le mem- bre inférieur. Celle-ci aurait été absolue complète pendant une quinzaine

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de jours ; à partir de cette époque le malade a commencé à pouvoir remuer progressivement les divers segments de ce membre. Au sortir de Thôpital, six ou huit semeûnes après Taccident, il boitait encore, et il a éprouvé de ce côté une certaine gène dans les mouvements pendant près de trois ans. Cependant il a pu très rapidement reprendre son métier de couvreur, qu'il n*a pas cessé depuis; 2** Aujourd'hui, pas d'élévation de température sur la peau de ce membre, au contraire ce membre est relativement plus froid que l'autre ; pas d'hypéresthésie cutanée^ pas de modification du sens musculaire. Ces symp- tômes ont-ils existé autrefois ? Nous n'avons pas de renseignements h cet égard. Le réflexe rotulien est notablement exagéré ; pas de trépidation provo- quée du pied ; i"" Le membre gauche est remarquablement atrophié dans tx)uteson étendue,ce donttémoignent sufflsammentles chiffres suivants : cuisse gauche partie moyenne, 39 c, ; cuisse droite, partie moyenne, 43 c. ; jambe gauche, partie moyenne, 26 c. ; jambe droite, partie moyenne, 33 c. C'est donc une atrophie très remarquable ; mais M. Yigouroux qui a examiné la chose de près n'a pu retrouver cependant la moindre trace de réaction de dégénération. Il faut donc admettre que si ici, comme je suppose que cela a lieu d'ordinaire dans les cas de ce genre, l'atrophie a été la [conséquence d'une propagation du processus myelitique à la colonne des cornes antérieurs de la substance grise du côté de la lésion, il faut admettre, dis-je que cette altération n'a pas amené la destruction complète des cellules nerveuses de la région, et que la restitution ad integrum en a été possible pour la plupart d'entre elles.

B. Côté droit : 1*" Pas de troubles du mouvement, jamaisil n'en a existé ; 2^* Réflexes tendineux normaux ; 3** Pas de modiflcation du sens musculaire de ce côté, mais modification profonde de la sensibilité de la peau. A propre- ment parler ce n'est pas l'anesthésie proprement dite qu'on y rencontre, mais bien un trouble équivalent qui signale généralement l'existence d'une compres- sion spinale ou d'une lésion organique des faisceaux postérieurs. Je veux parler du phénomène de dysesthésie, comme je l'appelle, qui consiste principalement en ce que le malade sent quand on le pince, quelquefois avec un retard nota- ble, mais sans pouvoir préciser exactement le lieu a porté l'excitation : de plus la sensation produite diftuse en quelque sorte au-dessus et au-dessous du point piqué ou pincé.

Enfin le froid, le chaud ou la piqûre ne sont pas reconnus comme tels mais donnent tous également naissance à cette vibration douloureuse ou pour le moins fort incommode dont nous parlions il n'y a qu'un instant à propos du pincement. Je ferai remarquer en passant que ce phénomène de dysesthésie, autant qu'on sache, para)t appartenir exclusivement aux lésions organiques spinales et qu'on ne le voit pas se combiner par exemple avec l'analgésie ou l'anesthésie des hystériques.

Rien de plus simple, vous le voyez jusqu'ici, que d'interpréter à l'aide de

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l'hypothèse l'existence de ces reliquats de Vhémiparaplégie spinale avec anet- ikéaie eroUée. Il est un point cependant sur lequel il ne faut pas glisser et qui aura di!l vous frapper, c'est que du côté du tronc la ligne qui limite l'anesthésie dysesthésique ne remonte pas aussi haut, il s'en faut de beaucoup, que cela

devrait être dans les cas, conim« le nôtre, la lésion est supposée avoir porté au niveau des troisième ou quatrième vertèbres dorsales. Ainsi dans le iras de Millier (Pîg. 16) qui pour la plupart des détails est comparable au

nôtre cetteligne remontait jusqu'au niveau de l'aisselle tandis que chez notre malade (V. fig. 17),elle passe en avant par le pli de l'aine tandis qu'en arrière elle ne remonte pas même jusqu'à la taille.

Kg. n.

Ili-mip/égle «pécUle avec bémianeathëslR croisée.

a. C6lé anealbéaié.

b. Cûlé de In paralysie i^o mouvomcnl.

c. Cicatrice de In plaie.

Voilit sans doute une anomalie singulière, inexplicable en apparence. Haïs il importe de ne pas oublier que l'observation de Hiiller est relative à un cas

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récent; le malade ayant succombt^ au bout d'une quinzaine de jours, tandis que chez Ch...ey Taccidenf remonte à huit ans. On peut donc admettre très légitimement ici, je pense, que ces modifications relatives à la distribution de Tanesthésie qui à Torigine devait s'étendre par en haut jusqu'au voisinage de Faisselle, est une conséquence de la restitution progressive des parties lésées de la moelle.

C'est d'ailleurs en se rétrécissant de la périphérie vers le centre qu'a dimi- nué progressivement le champ d*anesthésie dans plusieurs cas d'hémipara- plégie spinale, résultant de la compression par pachyméningite caséeuse por- tant sur un seul cAié de la moelle, observés par M. Rosenthal et qui se sont terminés par la guérison (i).

En résumé, messieurs, je ne m'arrêterai pas plus longtemps sur ce cas qui vous offre, suivant moi, un intéressant exemple û' hémiparaplégie spinale avec anesthésie croisée^ par lésion traumatique de la moelle épinière, terminé par la guérison, guérison incomplète sans doute, mais néanmoins fort acceptable encore telle qu'elle est.

Je m'en tiendrai, relativement à ce cais, à ce qui précède si il ne me venait pas à l'instant un scrupule. La raison en est que le malade en question m'a été adressé par un de mes élèves fort versé dans la connaissance des choses neuropathologiques, et dont je tiens les opinions en grande estime, comme un exemple d'hystérie traumatique. Les raisons principales en faveur de cette opinion alléguée par notre collègue, sont d'abord les anomalies qjie présente actuellement chez notre homme, sur certains points, le syndrome hémipara- plégie spinale, ainsi, par exemple, la limite d'anesthésie du côté droit placée trop bas pour une lésion de la moelle située au niveau de la 3* ou vertèbre dorsale.

Mais, déjà, par avance, nous avons répondu chemin faisant, à ces argu- ments et relevé en particulier que la dysesthésie n'est pas autant qu'on sache, un phénomène hystérique. Nous ne croyons pas nécessaire d'y revenir à nou- veau.

Notre collègue suppose que tous les phénomènes d'hémiparaplégie spinale survenus chez notre homme se sont développés chez lui par le mécanisme de la suggestion, dans le temps en conséquence du choc nerveux produit par l'accident, son état mental pouvait être comparé à celui des hypnotiques dans la période somnambuliquc. Les dissertations faites autour de lui, lors- qu'il a été porté à l'Hôtel-Dieu dans un service de chirurgie, et relatives au syndrome de Brown-Séquard auraient été chez lui la cause de la réalisation toute psychique de ce syndrome.

Voilà une interprétation que nous ne saurions certes pas admettre. Vous n'ignorez pas en effet que dans les cas hystéro-traumatiques les paralysies avec

I. GQntlige formen von Hemilâaion des RBickenmarkts, Wicn 1887.

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ou sans anesthésie qui se produisent en conséquence du choc local ne se réa- lisent pas du premier coup, en général. Elles n'apparaissent qu*àlasuite d'une sorte d'incubation. J'ai beaucoup insisté là-dessus et je crois devoir y insister encore à propos du cas présent. Ce n'est pas en efiFet pour avoir entendu parler des symptômes liés à Thémiparaplégie spinale que notre homme a créé psychiquement et réalisé objectivement toute la symptomatologie: non, cela n'est pas acceptable, car il est absolument démontré par les détails de l'ob- servation, que chez le malade cette symptomatologie s'était déjà réalisée immédiatement après l'accident : avant même son admission à l'Hôtel-Dieu,

Je repousse donc absolument toute ingérence de Thystérie dans la produc- tion du syndrome de Brown-Séquard chez notre malade^et je rattache ce syn- drome à la lésion traumatique delà moelle épinière. Mais je n'irai pas jus- qu'à prétendre que notre jeune malade est tout à fait exempt de phénomènes hystériques et je reconnais toute la valeur de quelques phénomènes relevés par notre collègue chez notre malade en dehors de Thémiparaplégie et qui l'avaient conduit à supposer que celle-ci même pourrait bien, elle aussi, être de nature hystérique.

Ch...ey dont nous avons déjà signalé l'encolure un peu féminine, et aussi les excès vénériens et alcooliques, ne s'est pas présenté à l'hôpital dans l'espoir d'y être débarrassé des reliquats de son hémiparaplégie. De cela, il a pris son parti et il n'attend pas grand'chose des ressources de l'art. Mais il aviît toussé, craché du sang ; c'est pour cela qu'il est venu demander secours ; or, un examen attentif a fait reconnaître qu'il n'existait en réalité aucune trace de lésion pulmonaire et l'on a été conduit à admettre qu'il s'agissait ici d'une de ces hémorragies névropathiques si communes chez les sujets hystériques: un examen du champ visuel qui signalait un léger rétré- cissement semblait venir à l'appui de cette idée ; enfin on ne saurait ne pas tenir grand compte des antécédents héréditaires du sujet qui sont assez fortement accentués : son père en effet est aliéné et il est actuellement interné à l'asile de Ville-Evrard ; sa grand'mère maternelle a été sujette à des atta- ques d'hystérie.

Je ne me refuserai donc pas à admettre que l'élément hystérique soit repré- senté chez notre homme, mais très certainement, tout n'est pas hystérique chez lui et en particulier je crois pouvoir affirmer que le syndrome de Brown- Séquard relève ici d'une lésion spinale organique et nullement de la lésion toute dynamique ou fonctionnelle, en tout cas non a[)préciable pour nos moyens actuels d'investigation qui parait être le substi atum des symptômes hystériques.

«s. d«U »oe. da Tjp. riouai-. . . «, t.Cmaapmgnm-Pnmikr^ P«n*

Policlinique du Mardi 13 Novembre 1888

QUATRIÈME LEÇON

1<> Attaque de sommeil hystérique ;

2^ Amyotrophie par lésion articulaire;

3^ Deux cas de paralysie faciale périphérique avec hérédité

nerveuse. Casn^ 1 : père aliéné, grand-père irrégulier, etc.

Cas n^ 2 : plusieurs cas de bégaiement et un épileptique

dans la famille ; 4^ Vertige de Ménière; forme chronique et vertiges par accès.

1" Malade.

M. Gharcot : La malade qui vient d'être placée sous vos yeux est suivant le langage usité dans cet hospice, ce qu'on appelle une « do7*meme >. En effet, cette malade dort si cela peut toutefois s'appeler dormir depuis le !•' novembre dernier, c'est-à-dire depuis douze jours. En réalité, elle n'a pas depuis ce temps-là cessé de dormir, à sa manière bien entendu, nuit et jour, sans se réveiller jamais et il y a quelque bonne raison de croire qu'elle ne se réveillera pas de sitôt (1).

Dans le service elle vit depuis bien longtemps on laisse aller les choses comme elles veulent aller, sans chercher à provoquer le réveil, sachant par expérience que dans ce cas cela serait inutile quels que fussent les moyens que l'on mettrait en œuvre ; et éclairé par ce qui s'est passé déjà antérieurement dans nombre de crises semblables^ on assiste sans anxiété, sans émotion à ce

1. L*atlaque de sommeil s'est terminée le 29 novembre. La malade a donc « dormi » pen- dant vingt-neuf jours.

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spectacle singulier avec lequel on s'est depuis longtemps familiarisé, vivant dans la conviction bien arrêtée qu'un beau jour,t6tau tard, tout rentrera dans Tordre spontanément.

Ce n'est pas à la Salpétrière qu'on en est encore à s'exclamer à la vue de pareils faits. Ils y sont trop fréquemment rencontrés ;'et au contact de l'obser- vation régulière ils y ont depuis longtemps perdu ce caractère de men^eilleux qu'on leur prête bien souvent encore parmi les laïques «t dans les feuilles publiques.

Vous avez compris par ce qui précède que notre « dormeuse » a déjà son his- toire ; j'ajouterai qu'elle a une longue et fort intéressante histoire. Au fond c'est une hystérique de la grande espèce et c'est généralement parmi ces hysté- riques-là du reste que s'observent les attaques de sommeil.

Elle est rentrée à la Salpétrière en 1862, il y a vingt-six ans de cela, elle avait alors 27 ans elle en a maintenant 53. Vous trouverez tout ce qu'il vous est intéressant de savoir sur son compte, dans l'ancienne Icono^ graphie de la Salpétrière rédigée par MM. Regnard et Boumeville (t.III^ 1879-1880, obs. Xi, p. 118). vous apprendrez qu'Eudoxie H... est née d'une mère épileptique (?) et d'un père alcoolique, qu'elle a commencé à avoir des attaques vulgaires de grande hystérie à l'âge de 18 ans ; que vers cette époque, à Tûge de 20 ans, elle a été atteinte de paraplégie hystérique com- plète absolue qui jamais n'a guéri, et dont actuellement on peut reconnaître les reliquats ; les membres inférieurs, en effet, vous le constatez aujourd'hui, sont rigides, atrophiés et les muscles très certainement y ont subi des modifi- cations organiques, depuis longtemps irréparables ; aussi la malheureuse est- elle depuis trente-trois ans absolument confmée au lit, n'ayant jamais quitté la division autrefois dirigée par M. Delasiauve, plus tard par Legrand du Saule et, en ce moment, par mon excellent collègue Jules Voisin à l'obli- geance duquel je dois de pouvoir vous la montrer aujourd'hui. C'est dans cet hospice même, en 1875, c'est-à-dire il y a treize ans, que les attaques hystéro-épileptiques jusque-là classiques, ont subi en quelque sorte une transformation et se sont changées, j'insiste sur les termes que j'emploie, se sont changées, dis-je, en attaques de sommeil. La première fois que la malade a c dormi », son attaque de sommeil a duré quarante jours, et depuis cette époque-là elle n'a pas cessé de dormir chaque année une ou deux fois, pendant des périodes de un ou deux, quelque fois trois mois, rappelant ainsi, en petit toutefois, l'histoire de la « Belle au bois dormant » qui en somme, entre nous soit dit, n'est que l'histoire embellie par Tart, d'une hystérique recherchée par un prince jeune et quelque peu écervelé.

J'ed déjà eu plusieurs fois l'occasion d'entretenir mes auditeurs de cette

malade, plus particulièrement en décembre 1883 ; les leçons que j'ai faites

alors à son sujet ont été publiées en italien par le regretté D' Miliotti de Milan

Lezionicliniche dell anno scolastlco 1883-84. Milano 1885. Voir p. 24, Attaco

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di sormo, et 38 ancora dell attaco di sonno). La malade, lorsque je Tai pré- sentée dans cette occasion à la clinique, dormait déjà depuis sept jours ; elle a continué à dormir par la suite pendant plusieurs semaines encore. J*ai fait allusion, une fois de plus, à ce cas, dans une leçon publiée par le iTu/iea'n médical^ le 2 décembre 1887. J'engage ceux d'entre vous qui s'intéresseraient spécialement aux attaques de sommeil à consulter les documents que je viens d'indiquer ; et j'en arrive à l'étude clinique régulière des phénomènes qui s'offrent en ce moment à notre observation.

Notre malade dort donc depuis douze jours; elle a dormi plusieurs fois, je l'ai déjà dit, pendant quarante jours et plus ; c'est donc un grand cas dans l'espèce. Il y a mieux que cela cependant, car le sommeil de ce genre peut durer non seulement pendant des mois, mais encore pendant des années, ainsi que vous le verrez par la lecture d'un très intéressant travail publié dans les Archivet de Neurologie pour 1888 par M. Gilles de la Tourette (n*"* 43 et 44) ; mais les petits cas, ceux dans lesquels les attaques de prétendu som- meil durent seulement trois, quatre, huit, dix, douze jours, sont infiniment moins rares ; c'est ainsi que, dans le service, nous n'avons pas observé moins de cinq cas de cette catégorie dans le courant de ces deux dernières années. Vous voyez qu'en ces matières nous ne sommes pas pris tout à fait au dépourvu et que nous y possédons une certaine expérience ; d'autant mieux que tous les cas du groupe se rapprochent étroitement les uns des autres aussi bien dans Tensemble que dans les détails, si bien que ce que Ton dit de .l'un, on peut l'appliquera l'autre, non pas toutefois sans tenir compte de quelques varia- tions individuelles qu'on doit s'att.endre. à rencontrer toujours, alors même qu'il s'agit d'un groupe morbide des plus homogènes.

Je vous ferai remarquer en premier lieu que notre malade, qui parait dor- mir si profondément, présente cependant une rigidité marquée dans les mem- bres supérieurs qu'elle tient demi-fléchi^ sur la poitrine. Cette rigidité déjà contraste nécessairement avec la résolution qui caractérise au contraire Fattitude des membres dans le .sommeil physiologique ; mais ne vous atten- dez pas à trouver cette rigidité chez; toutes les « dormeuses ». Il en est et des plus légitimes, chez lesquelles les membres restent parfaitement mous et flexibles ; ce cas, même,parait être le plus commun. Un caractère plus impor- tant et qui se trouve parfaitement accentué chez la malade d*aujourd'hui^ c'est la vibration,les palpitations permanentes que présentent les paupières et qui se montrent d^autant plus prononcées que vous faites plus d'efforts pour découvrir l'œil. Evidemment cela n'appartient nullement au sommeil naturel ; non plus que l'absence très remarquable de toute espèce de ronflement dans ime circonstance le sommeil ou ce qu'on appelle de ce nom est tellement profond que ni le bruit du tam-tam, ni l'inspiration d'ammoniaque^ ni la faradisation intense de la peau ou des muscles, des troncs nerveux eux- mêmes, ne sont capables de produire le réveil : vous le constatez, toutes ces

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expériences-là»quiseraient absolument décisives s'il s'agissait du vrai sommeil, ne provoquent ici aucun changement, pas même un soubresaut, pas même une modification, quelque légère qu'elle soit, de la physionomie. Evidem- ment, d'après tout cela, vous l'avez compris, il ne saurait être question dans notre cas, de sommeil naturel et il y a lieu par conséquent de faire ici un pre- mier départ.

Je viens de vous présenter notre dormeuse» comme parfaitement impassible devant tous les moyens vulgaires d'excitation même douloureuse, qui seraient très certainement efficaces à unhaut degré dansle cas de sommeilnaturel. Ainsi sont les choses en réalité dans tous les cas d'attaques de sommeil que j'ai ob- servés jusqu'ici. Mais il y a excitants et excitants, je dois vous en prévenir; et justement, il arrive que chez certaines hystériques- dormeuses, les points hystérogènes dont l'excitation djans l'intervalle des périodes de sommeil est capable de faire éclater les accès convulsifs vulgaires, ou ceux-ci une fois dé- veloppés d'en arrêter l'évolution, il arrive, dis-je, que chez ces sujets les points en question peuvent être utilisés soit pour provoquer le sommeil lui- même, soit au contraire pour provoquer le réveil. Les choses étaient ainsi en particulier chez la dormeuse dont j'cd raconté l'histoire dans le i?ui/edn médical du 2 décembre 1887. Chez elle on pouvait produire le sommeil ou au contraire y mettre un terme à volonté, le plus facilement du monde. Ce n'est pas tout à fait le cas qui se présente chez notre malade d'aujourd'hui : cependant vous voyez comment la compression de l'abdomen dans la région du tlanc produi chez elle un tressautement accompagné d'une] exclamation : Ahl ahl Mws à proprement parler il n'y a pas de réveil.

En somme, vous le reconnaissez, les palpitations, les vibrations despaupières, l'absence du ronflement qui devrait accompagner un sommeil en apparence aussi profond, l'impossibilité de produire le réveil même par l'application des plus fortes excitations, la rigidité des membres enfin, phénomène que vous ne devez pas toutefois vous attendre à retrouver dans tous les cas du même genre, tout cela concourt à établir que nous ne sommes pas en présence d'un sommeil physiologique. Et si nous y regardons encore de plus près, bien d'autres indices encore, comme par exemple le fait d'uriner au lit, fait à peu près général chez les dormeuses », viendront, je pense, justifier à vos yeux, l'opinion que je professe depuis longtemps relativement aux cas de ce genre. C'est à savoir que le prétendu sommeil n'est autre chose qu'une attaque hystérique modifiée ou transformée, conme vous voudrez le dire.

Voici l'indication de quelques-unes des preuves que l'on peut invoquer à l'appui de cette manière de voir. En premier lieu l'attaque de sommeil est,dans bon nombre de cas,précédée et suivie des phénomènes ordinaires de l'attaque convulsive ou de ses prodromes. C'est ce qui a lieu dans la règle chez notre malade d'aujourd'hui: au moment elle va entrer dans son « sommeil > elle est agitée, rit et pleure sans motif, elle a des hallucinations terrifiantes,

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en tout semblables à celles qu*elle présentait autrefois lorsqu'elle était sous le régime des attaques eonvulsives hystéro-épileptiques normales : les mêmes phénomènes plus accentués encore, et marqués par des spasmes toniques et des mouvements de salutation indiquent la fin de la crise ; ainsi senties choses chez notre malade et chez beaucoup d'autres du même groupe ; il ne faudrait pas croire cependant que cette apparition de phénomènes d'hystérie convul- sive àla fin et au début des crises de sommeil soit un fait général. Non, cer- tainement cela n'est pas, et il peut arriver qu'on voie ces malades s'affais- ser tout â coup et tomber lourdement à terre comme si elles venaient d'être frappées d'apoplexie foudroyante. Le sommeil a commencé aussitôt et il se prolonge désormais avec les caractères spéciaux que nous lui avons reconnus tout à Theure.

Combien de fois nous avons vu nos « dormeuses » entrer tout à coup dans leur « sommeil » et se laisser choir soudain lourdement^ sur le sol des cours, pendant une promenade, au beau milieu d'une conversation.

Mais j'en reviens aux caractères qui doivent noua conduire à admettre que le sommeil hystérique > est en quelque sorte l'équivalent d'une série plus ou moins prolongée d'attaques régulières. J'indiquais tout à l'heure les phé- nomènes convulsifs ou psychiques qui souvent sont le prodrome de l'attaque de sommeil et marquent sa terminaison. Eh bien, les mêmes phénomènes se présentent fréquemment, en manière d'épisodes, pendant la durée même de Tattaque de sommeil à plusieurs reprises.

C'est ainsi que vous avez vu, par intervalle, la dormeuse que vous avez sous les yeux, se dresser tout à coup sur son séant, étendre les bras en avant, puis retomber sur son lit, pour recommencer ensuite, une fois encore ou deux, ce même mouvement, de façon à rappeler ce que, dans l'attaque hystéro-épilep- tique normale nous désignons sous le nom de salutations , et vous n'avez pas oublié sans doute qu'un peu avant chacune de ces salutations on voit chez la malade de l'écume sortir de la bouche comme pour marquer la place de la phase épileptoïde.

La dormeuse dont je vous ai entretenu le 2 décembre 1887, s'écriait quel- quefois, sans se réveiller: « Emile, je t'aime ! » et deux fois nous l'avons vue, toujours sans se réveiller, se dresser tout à coup, se jeter à bas du lit et courir dans la salle en prenant des attitudes et en prononçant des paroles très signifi- catives (période des attitudes passionnelles). Ainsi l'on peut dire que pendant Vattaque de sommeil^ les phénomènes de l'attaque convulsive se manifestent souvent comme par lambeaux.

Enfin je ferai valoir ceci encore en faveur de la thèse que je défends : ainsi que cela se voit fort bienpar l'histoire d'Eudoxie H..., les attaques de sommeil sont souvent pendant des années précédées par des attaques d'hystérie con- vulsive auxquelles elles tendent à se substituer et que définitivement, à un moment donné, elles remplacent.

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Mais, me direz-vous peut-être, comment expliquer, s'il est vrai comme vous le prétendez que Tattaque de sommeil soit l'équivalent d'une série d'attaques convulsives hystériques, d'un état de mal hystérique en un mot, comment expliquer que Tattaque de sommeil puisse se prolonger pendant des jours et des mois même, sans interruption ? Eh bien, messieurs, si vous voulez vous reporter à ce que je vous ai dit dans le temps à propos de la très longue durée de certaines séries d^attaques hystéro-épileptiques, vous reconnaîtrez que Tétatde mal dans les cas de ce genre, peut se prolonger pendant une et parfois même pendant plusieurs semaines, de telle sorte qu'en somme, entre ces cas d'état de mal hystérique, à la vérité exceptionnels, et les cas d'attaques de sommeil, l'écart, du moins en ce qui concerne la durée, n'est pas aussi con- sidérable qu'on serait tenté de le croire au premier abord. Sur ce sujet vous consulterez peut-êtreavec intérêtuneleçonsurl'ié'/a^ de mal hysténque épilepii" forme que j'ai donnée le 9 janvier 1885 et qui a été publiée par M'" Bl. Edwards, alors mon externe, dans la Tribune médicale (16* volume, année 1885, p. 159.)

Consultez également sur cette même question les < Lezione cliniche » pu- bliées par le D' Miliotti en 1885 {Dello stato di malo istero-épilettico et staio dimalo épiletticOfpA^d). Vous trouverez l'histoire très authentique d'atta- ques hystériques en série, qui ont duré quinze jours (8.000 accès) et vingt-six jours (avec 21.708 accès). Une malade de mon service, la nommée Habill... est sujette à entrer de temps à autre dans ce genre d'état de mal. En décem- bre 1885 (Voy. Bl. Edwards, loc. cit.) elle a eu deux séries d'accès : la pre- mière qui a duré treize jours et l'on a compté 4.506 accès, l'autre qui a duré quatorze jours et l'on a compté 17.083 accès. Cette même observa* tion recueillie par MM. Marie et Souza-Leite a été publiée dans le Progrè$ médical (sept. 1885). Il est fort remarquable qu'ainsi que je l'ai démontré, la température centrale ne s'élève pas notablement dans ces séries inter- minables d'attaques convulsives qui presque sans cesse et sans trêve se reproduisent en nombre presque prodigieux jour et nuit pendant un aussi long espace de temps. Sous ce rapport il y a encore un rapprochement à faire entre V attaque de sommeil et Vétat de mal hystérique, car dans celle-là comme dans celle-ci la température reste au taux normal ou à peu près : ainsi, chez notre malade d'aujourd'hui, elle est de 37** 2 avec un pouls de 72,80; en même temps que la peau reste fraîche.

Vous le voyez par ce qui précède, la théorie que je soutiens trouve sa véri- fication alors même que l'on considérera la durée des attaques et il est rendu ainsi au moins fort vraisemblable, pour ne pas dire plus,que l'attaque de som- meil représente une attaque ou plus exactement une série d'attaques hysté- riques « transformées ».

Il y a cependant, entre celles-ci et celles-là, une différence que je ne vou- drais pas passer sous silence^c'est que le sommeil » une fois constitué s'éta- blit pour un temps, à l'état de permanence, sans qu'il y ait de réveil, tandis

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que dans l'étal de mal hystéro-épileptique, il y a de temps à autre des moments de répit, comme des entr'actes, pendant lesquels les convulsions et le délire s'interrompent momentanément. Mais je ne saurais voir un motif de dis- tinction vraiment essentielle, et je crois que sans forcer les faits nous pou- vons rapprocher Tun de l'autre les deux états et les considérer comme deux modes équivalents d'une même perturbation fonctionnelle.

n ne me reste plus grand'cbose à vous dire concernant le cas d'attaque de « ftommeil » que vous avez sous les yeux et les attaques » de sommeil consi- dérées en général. Voici cependant l'énoncé de quelques faits sur lesquels j'aurais le regret de ne pas insister un instant.

En premier lieu j'irai au-devant d'une question que certainement vous vou& êtes tous posée pendant que je procédais à mon exposé : Comment notre ma- lade peut-elle se nourrir pendant cette longue durée d'un sommeil profond ?

On pourrait invoquer ici, messieurs, pour certains cas, cette condition spé- ciale de la nutrition que présentent certaines hystériques, comparables sous ce rapport aux animaux en hibernation, et qui leur permettent de vivre pen- dant une période de temps relativement longue sans s'alimenter, du moins sans s'alimenter sérieusement. Mais cette condition d'après les recherches laites dans ces derniers temps dans mon service de la Salpétriëre par MM. Gilles de la Tourette et Cathelineau serait beaucoup plus rare qu'on ne Ta supposé et d'ailleurs nous n'avons pas à l'invoquer dans la circonstance actuelle : en effet notre malade se nourrit chaque jour ou pour mieux dire on la nourrit comme on va le faire devant vous.

Entre les dents légèrement serrées, on introduit, vous le voyez, à l'aide d'une cuiller, du lait ou tout autre aliment liquide ou semi-liquide qui, après avoir séjourné un instant dans la bouche, est bientôt automatiquement dégluti par la malade. Ainsi l'alimentation se fait chez elle tant bien que mal. Je dis tant bien que mal, parce que évidemment en temps ordinaire, cette alimentation serait relativement insuffisante.

MM. Gilles de la Tourette et Cathelineau ont en effet démontré par l'étude méthodique de six cas de sommeil hystérique six cas, vous le remarquerez en passant, c'est un chiffre imposant dans l'espèce que pendant la durée de l'attaque le poids du corps diminue rapidement en même temps que l'on cons- tate par l'analyse des urines une constante diminution qualitative et quanti- tative de tous les éléments: volume, urée, phosphates, etc., etc. Il est au moins fort vraisemblable que chez H..., les choses se passent comme elles se sont passées sur les six cas étudiés par MM. Gilles de la Tourette et Catheli- neau, chez lesquels l'alimentation se faisait absolument dans les mêmes con- ditions.

D'autres points à relever sont relatifs au diagnostic. J'ai déjà montré les différences assez considérables qui séparent le « sommeil » de nos dormeuses du sommeil naturel. Il serait trop long à l'heure qu'il est de poursuivre la com-

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paraison avec tous les autres états qui de près ou de loin ressemblent plus ou moins au sommeil physiologique. Je me bornerai à vous montrer en quoi Tattaque du sommeil hystérique, diffère « des sommeils » propres à certaines formes de la névrose hypnotique ; je fais allusion ici, à ce que j'appelle le grand hypnotisme des hystériques, seul cas dans lequel les symptômes céré- braux particuliers qui marquent les trois états s'accompagnent de phénomènes somatiques correspondants. Seule, la période dite léthargique de ce genre d*hypnotisme caractérisée par l'apparence d'un sommeil profond avec résolu- tion des membres pourrait être confondue avec l'attaque de sommeil hysté- rique ; laquelle attaque d'ailleurs peut être provoquée parfois chez quelques sujets, par les mêmes manœuvres (pression des globes oculaires, fixation du regard), qui chez la majorité des autres déterminent Tapparition du grand hypnotisme.

Mais la différence qui existe entre les deux étals peut être facilement mise en relief, cliniquement, par la mise en jeu du phénomène de Thyperexcilabi- lité névro-musculaire qui appartient exclusivement à la léthargie hypnotique. La pression sur les muscles, sur les trajets nerveux, ne détermine pas la contracture des muscles correspondants dans l'attaque de sommeil hystérique, tandis que, dans la léthargie hypnotique, ce phénomène ne manque jamais de se montrer au moins à un certain degré. 11 est clair que lorsque les membres seront naturellement rigides, comme dans le cas que nous avons actuellement sous les yeux, le diagnostic se pourra faire du pre- mier coup, car la résolution complète, absolue des membres, antérieurement bien entendu à la pression exercée sur les muscles ou sur les troncs nerveux^ est un caractère inhérent à la léthargie hypnotique, et à ce propos je ferai remarquer chez notre malade d'aujourd'hui un fait qui m'a été signalé par mon collègue, M. Jules Voisin, et qui dans l'espèce, me parait constituer une anomalie ; ce fait du moins je ne l'ai pas rencontré encore dans les autres cas assez nombreux de sommeil hystérique que j'ai observés jusqu'à ce jour. Vous voyez que lorsqu'on soulève les membres supérieurs de la malade, ceux- ci ne retombent pas et conservent au contraire la position qu'on leur a impri- mée.

Ceci rappelle jusqu'à un certain point ce que Ton voit dans la période cata- leptique de l'hypnotisme. Mais entre les deux cas la différence qu'on peut rele- ver tout au moins chez notre sujet d'aujourd'hui c'est que, contrairement à ce qui a lieu dans la catalepsie bien formulée, les attitudes expressives imprimées aux membres supérieurs de manière à figurer ce qui se voit soit dans l'acte d'envoyer un baiser,soit au contraire dans l'acte de menacer du poing, n'ont pas pour effet d'affecterles traits de la physionomie d'une façon correspondante. Les traits restent immobiles,impassibics comme vous le voyez chez notre malade et j'ajouterai que chez elle aussi les yeux un instant maintenus ouverts par l'élé- vation des paupières ne tardent pas à se fermer de nouveau d'eux-mêmes^

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tandis que dans la vraie catalepsie du grand hypnotisme, cela n'aurait point lieu.Quoi qu'il en soit il est difficile de méconnaître qu'il existe dans notre cas certains caractères, certains traits qui jusqu'à un certain point rappellent ce qu'on voit dans la catalepsie hypnotique et c'est une circonstance quiméri- tait certainement d'être relevée ; il est possible en effet qu'elle se retrouve dans d'autres cas de sommeil hystérique lorsqu'on prendra le soin de l'y rechercher et alors ce serait un trait d'union de plus à signaler entre la névrose hysté- rique et le grand hypnotisme.

Vous savez comment dans ces derniers temps M. Debove et son élève M.Achard ont publié d'excellents travaux sur ce qu'ils appellent « Tapoplexie hystérique >. C'est à mon avis un grand service qu'ils ont rendu aux cliniciens en faisant bien connaître ces cas restés jusqu'à eux méconnus ou mal connus, dans les- quels l'attaque d'hémiplégie hystérique se développe brusquement, au milieu de symptômes qui rappellent ceux de l'apoplexie avec hémiplégie de cause organique. Je n'entreprendrai pas de séparer cliniquement cette apoplexie h]rstérique de l'attaque de sommeil, par la simple raison qu'à mon avis il s'agit d'un seul et même état morbide. La seule différence à ce qu'il me semble, serait que dans les cas signalés par MM. Debove et Achard l'attaque de sommeil à début brusque est suivie d'hémiplégie, tandis que celle-ci fait défaut dans les autres, et à ce propos je pourrais citer comme éminemment propre à bien établir la relation sur laquelle j'insiste actuellement, le cas d'un hystérique ( le fameux dormeur de Londres [i], que j'ai eu longtemps dans mon service et chez lequel les attaques de sommeil marquées par tous les caractères décrits plus haut, et dont la durée était en moyenne de six à huit jours, était dans certains cas accompagnée d'hémiplégie gauche^ tandis que dans d'autres cas c'était le mutisme qui occupait la scène.

Hais en voilà assez pour aujourd'hui sur le sommeil hystérique : c'est un sujet sur lequel j'aurai certainement l'occasion de revenir quelque jour. Notre malade, toujours dormant, va être reconduite dans son service qui est situé peut-être à un demi-kilomètre d'ici. Elle aura donc à traverser de longues cours et il n'est guère vraisemblable que, pendant son trajet, elle se réveille. Il est même assez vraisemblable que je pourrai mardi prochain vous la pré- senter à nouveau telle que vous l'avez vue aujourd'hui, et ayant, par consé- quent, pendant huit nouveaux jours, sans cesse et sans trêve, dormi du som- meil particulier dont nous venons de la voir dormir.

I. Le nommé Ch...ffat, dont rhistoirt est rapportée dans le volume des Leçons sur les maladies du système neigeux, Voir V Appendice,

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2* Malade.

Je vais maintenant, conformément à nos habitudes, étudier avec vous quel- ques-uns des malades qui se sont présentés ce matin même à la consul- tation.

Le premier est une de nos anciennes connaissances. Nous l'avons traité, il y a environ deux ans, pendant plusieurs mois dans nos salles. 11 est venu nous retrouver ces jours-ci et nous l'avons engagé à paraître devant nous, une fois de plus^ ce matin. Ce n*est pas d*hystérie qu'il est question cette fois, mais bien d'une afiection d*un ordre tout différent.

Il s'agit, vous le reconnaissez aux reliefs que font les muscles, d'un homme d'une vigueur peu commune, d'une sorte d'athlète.

Il est âgé de trente et un an.

Il ne procède pas de gens nerveux et jamais il n'avait été malade avant un accident dont je parlerai dans un instant. Il a servi dans l'artillerie pendant cinq ans sans jamais être arrêté par le moindre malaise ; ce n'est pas un alcoolique et jamais il n'a eu la syphilis. Il exerce la profession de gardien de le paix et c'est justement dans l'exercice de sa profession ingrate qu'il a con- tracté l'affection dont aujourd'hui encore il porte les traces.

Voici dans quelles conditions la maladie s^est produite :1e 19 novembrei886, vers 7 heures du soir, alors qu'il courait après im voleur, il fît une chute sur le genou gauche. Au moment de sa chute il ne ressentit pas grande douleur, et il put même continuer à faire son service, un peu gêné dans la marche toute- fois, pendant près de trois quarts d*heure encore.

Examinons maintenant de près l'état actuel du malade; nous compléterons dans un instant l'histoire des incidents qui se sont produits à la suite de cette chute.

M. Charcot [au malade) : Veuillez mettre à nu vos jambes et vos cuisses, dépouillez-vous de votre pantalon.

Veuillez considérer. Messieurs, les choses d'un peu près : au membre infé- rieur droit, vous le voyez (fig.lS) la musculature de la cuisse et de la jambe est bien celle d'un athlète, comme je vous le disais tout à l'heure et les reliefs musculaires déjà si accusés à Tétat de repos, s'exagèrent encore lorsqu'on dit au malade de raidir ses membres autant que possible. Alors l'action des muscles extenseurs de la jambe devient tellement puissante qu'il se produit

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entre celle-ci et la cuisse, un angle obtus, ouvert en avant de façon à rappeler la déformation connue sous le nom de genu recurvatum. Pareille chose ne se-

Fig. 18. Les membres inférieurs vus de profil. La ligne imuginaire A, B, -C^ montre l*angle obtus ouvert en avant que font la cuisse et la jambe droites. A' ,B', C montre au contraire Tangle ouvert en ar- rière que font la cuisse et la jambe gau- cbes, ainsi que la tumôfaction apparente da genou de ce même côté.

Fig.;i9. Les membres inférieurs vus de profil.

(Môme signification des lettres que dans le cas précédent.)

(Croquis d'aptes nature, J. M. C.)

voit à Tétat normal que chez les gens exceptionnellement vigoureux. Exami- nons maintenant Tétat du membre inférieur gauche. Le contraste est vrai*

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w«onf tr^.« frannani En eflet, ce membre dans toute son étendue, cuisse, fesse SjaX Sffmanifïïteme^^ amaigri (fig.18.19,20,21); l'amaigrissement

Fig. 20. Atrophie totale du membre

inférieur gauche. A, Fesse . B, Cuisse. G, Jambe.

Fig» 21. Le muscle tenseur du fasda lata (A) est relativement conservé (1).

portant toutefois tout particulièrement sur les muscles antérieurs de la cuisse

1. Les croquis des fig. 18, 19, .20, 21 ont été recueillis en janvier 1887. Atgourd'hul, 13 novembre 1888, les choses, quant à ce qui est de Fatrophie, sont restées à peu prèa telles quelles ; seulement celle-ci est un peu moins prononcée.

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extenseurs de la jambe. Partout les reliefs musculaires sont relativement peu accusés, alors môme que le malade fait tous ses efforts pour produire d'éner- giques contractions.

Remarquez que, quoi qu'il fasse, ce membre reste demi-fléchi au niveau du genou (fig. 19 B.), en même temps que la rotule se montre très mobile laté- ralement, tandis qu'à droite elle est fortement fixée contre les surfaces osseuses articulaires, dans ces mêmes conditions d'extension forcée. Voilà, je le répète, un contraste bien remarquable dont il s'agira de faire ressortir la significa- tion.

Mais auparavant, je veux compléter notre description par quelques détails. Vous voyez que le genou gauche est comme arrondi, il semble un peu tuméfié, flasque au toucher ; on pourrait croire que la synoviale contient du liquide ; nous nous assurons, par une palpation méthodique, qu'il n'en est rien absolu- ment. Cette apparence tient évidemment, du moins cela nous paraît être, au défaut d'action des muscles tenseurs de la rotule et de la capsule articu- laire.

Veuillez remarquer encore une fois la maigreur de la fesse gauche compa- rée à la fesse droite (fig. 20), celle de la cuisse gauche surtout prononcée, je le répète encore une fois, sur les muscles de Textension (fig. 19 et 20).

La différence entre les deux cuisses, après deux ans, est encore de deux cen- timètres et demi. La différence de volume entre les deux mollets est un peu moins prononcée, mais elle est, cependant, encore très sensible (fig. 20).

Eh bien. Messieurs, après tous les détails dans lesquels nous venons d'entrer et étant donné la connaissance de l'accident du 19 novembre 1886, on peut en quelque sorte reconstituer, tant les phénomènes relevés sont caractéristi- ques, l'histoire tout entière de la maladie. J'insisterai particulièrement sur les traits suivants : atrophie musculaire d'un membre tout entier, mais manifes- tement prédominante sur les muscles extenseurs de l'articulation sur laquelle, lors de la chute, le choc a porté, absence de troubles de la sensibilité. J'ajouterai, comme détails complémentaires, l'absence, reconnue ces jours-ci mais aussi dans les premiers temps du mal, de la réaction de dégénération et enfin l'exagération du réflexe rotulien du côté malade, beaucoup moins accen- tué aujourd'hui toutefois qu'elle ne l'était autrefois.

Voilà, je le répète, Ténumération de faits qui, dans leur ensemble, consti- tuent un syndrome vraiment caractéristique. Il révèle, quand tous ces caiac- tères se trouvent réunis, l'existence d'une atrophie musculaire de cause articu- laire,aLXxivemeni dit d'une amyotrophie consécutive à la lésion d'une jointure.

Je ne m'étendrai pas, Messieurs, sur l'histoire générale de ces amyotrophies articulaires. C'est un sujet d'ailleurs que j'ai traité dans maintes circonstances, en particulier dans les Leçons sur les maladies du système nerveux (l. 111, 1887, p. 27 et suivantes), et plus récemment dans les Leçons du mardi de la précédente année scolaire (p. 331). Je renvoie à ces leçons ceux qui vou-

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(iraient approfondir la matière et je me contenterai aujourd'hui de quelques remarques qui s appliquent plus spécialement au malade que nous avons sous les yeux.

L'histoire de l'affection articulaire qui^ chez notre homme, a été la cause de tout le mal, est fort intéressante en ce sens qu'elle montre qu^une arthrite même légère, peut chez certains sujets avoir pour effet de déterminer très rapidement la production d'une amyotrophie très prononcée et qui longtemps privera le malade de Tusage de ce membre. Ainsi que je le faisais remarquer tout à l'heure, R... a pu, après sa chute, continuer, le soir,son service pendant plus de trois quarts d'heure. Il n'y avait pas de plaie, pas traces de contusion^ et la nuit il souffrit à peine. Mais le lendemain matin le genou était rouge, tuméfié, et il y avait de la fièvre. Il fallut donc garder le lit. Les choses allèrent ainsi pendant trois jours. Vers le quatrième jour, la fièvre ayant cessée et la tuméfaction ainsi que la douleur s'étantconsidérablementamendées dans le genou, le malade commença à pouvoir quitter le lit et à faire quelques pas dans la chambre, fort gêné toutefois dans l'usage de son membre inférieur gauche qui était < très faible ». Au bout de quinze jours, il pouvait sortir de chez lui et se rendre à l'hôpital de la Pitié, près duquel il demeure, pour y prendre des consultations.

Le genou dans ce temps-là était encore un peu gonflé mais non douloureux,, assure-t-il, et la gêne qu'il éprouvait pour marcher, il l'attribuait non à la douleur mais à la faiblesse du membre.

C'est six semaines après l'accident qu'il se présenta pour la première fois à la Salpétrière il fut admis : à cette époque, l'arthrite avait complètement disparu, sans laisser de traces; mais l'atrophie du membre tout entier, pré- dominant toutefois, comme c'est la règle en pareil cas, sur la région anté- rieure de la cuisse, était poussée déjà au plus haut degré. Toute trace de douleur était disparue dans le genou et cependant l'impuissance motrice dans le membre gauche tout entier, surtout en ce qui concerne les mouve- ments d'extension de la jambe, était fort prononcée.

C'est évidemment d'une paralysie amyotrophique qu'il s'agissait ici et cette amyotrophie développée en conséquence de l'affection articulaire s'était accusée bien rapidement, puisque au bout de six semaines elle était considé- rable. Il est clair qu'au milieu d'un pareil concours de circonstances, la théorie qui voudrait rattacher les amyotrophies de ce genre à l'influence de l'inaction prolongée des muscles ne mérite même pas d'êire discutée, puisqu'en somme l'inaction totale n'apas duré plus de quatre ou cinq jours.Demême,onne saurait admettre que ceç amyotrophies soient la conséquence d'une propagation aux muscles d'un processus inflammatoire, car dans notre cas l'arthrite, en somme, a été fort peu de chose ; d'ailleurs, il serait bien difficile d'expliquer une extension aussi rapide d'un processus inflammatoire à toute l'étendue d*un membre et sa prédominance très marquée sur les muscles antérieures de 1&

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cuisse. Seule, la théorie imaginée par Yulpian, que j'ai depuis longtemps adoptée et soutenue, me paraît applicable à interprétation de toute la série de faits que nous venons d'exposer. Elle consiste,vous le savez, à admettre que sous rinfluence de Taffection de la jointure, les nerfs articulaires centri- pètes, irrités à leurs extrémités périphériques, transmettent l'irritation jusqu'à la substance grise spinale, et plus précisément aux grandes cellules nerveuses des cornes antérieures : d'où l'amyotrophie consécutive (Voir LeçonsduMardi, 1887-1888,p.335).Pour avoir soutenu cette théorie un confrère allemand m'accu- sait ces jours-ci de mysticisme >. Voilà une accusation faite pour me rendre rêveur, car je ne vois pas bien ce qu'il peut y avoir de « mystique » dans une théorie fondée sur des analogies anatomiques et physiologiques. D'ailleurs, quoi qu'il en puisse être, la théorie en question parait être aujourd'hui fondée autrement que sur des analogies et sur des vraisemblances puisque, ainsi que M. Klippel Ta fait voir (Société anatomique, novembre 1887 et janvier 1888) la lésion supposée des cellules des cornes antérieures a pu se trouver réalisée et démontrée dans un cas par un examen nécroscopique attentif.

Il est d'autres enseignements encore fournis par notre cas. Voyez comment les amyotrophies de cause articulaire sont tenaces et durables,alors même que la cause provocative a été vraiment minime. Voilà deux ans que Ja maladie a commencé et chez notre homme elle laisse subsister des traces profondes ; Tatro- phie est, vous l'avez vu, considérable encore et les mouvements du membre sont, à r heure qu'il est, toujours fort gênés; c'est au point qu'il est impossible au malade de courir. Voilà qui est fait pour surprendre, lorsque l'on songe que, dans la règle, ce genre d'atrophie musculaire ne s'accompagne pas de la réaction de dégénération; là, en général, toutes les réactions persistent, elles sont seulement affaiblies parallèlement. Eh bien, malgré tout cela, je le ré- pète, les amyotrophies en question sont fort rebelles. Je puis en parler en connaissance de cause car j'ai sur ce sujet quelque expérience et je puis citer en particulier le cas d'un employé de télégraphe qui a fait l'objet d'une de mes leçons cliniques (T. III, 2* leçon). Chez ce malade qui,lui aussi, avait été frappé d'une amyotrophie d'un membre inférieur en conséquence d'un léger traumatisme du genou, la guérison, définitive depuis,n'a pu être obtenue qu'au bout de plusieurs années.Et n'allez pas croire que la longue persistance de Famyotrophie et de la faiblesse du membre, soit chez notre sergent de ville la conséquence de quelque négligence dans le traitement. Ce serait une erreur profonde; le traitement électrique méthodique a été, chez lui, commencé dès son entrée à la Salpétriére, il y a deux ans, c'est-à-dire de bonne heure, et il n'a pas cessé d'être continué depuis lors, régulièrement, sans grands inter- valles, le malade, depuis sa sortie de l'hospice ayant continé de se rendre à peu près tous les deux jours au service électro-lhérapique annexé à la cli- nique.

La situation, sans doute, s'améliore peu à peu, progressivement; mais

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combien il reste à faire encore, pour obtenir, si toutefois elle est possible, une restitution absolument complète.

La morale de tout ceci, Messieurs, c'est que nous ne devons pas, en pré- sence d'une amyotrophie articulaire, alors même qu'elle a été déterminée par une lésion banale, porter un pronostic trop favorable.

La maladie sera longue, à peu près nécessairement quoi qu'on fasse, et il n'est pas certain qu'on doive toujour3 la voir disparaître complètement sans laisser de traces.

3* ET Malades

On introduit une petite fille âgée de douze ans accompagnée de sa mère ; elle est atteinte d'une paralysie faciale complète du côté gauche (paralysie périphérique); Tceil gauche ne peut pas se fermer complètement. Cette para- lysie date de'tiix-huit jours, on s'en est aperçu un soir que l'enfant revenait de Técole. En même temps que la distorsion des traits de la face il y avait au début quelques douleurs derrière l'oreille gauche (i).

M. Charcot : Vous connaissez nos idées relativement à la paralysie faciale dite a frigore. Souvent l'impression du froid, quand elle a réellement existé, ne peut être considérée que comme une cause occasionnelle.

Il ne faut jamais négliger, quand il s'agit de paralysie faciale dite rhuma- tismale,ainsi que M.NeumannTabien montré,— si Ton veut se rendre vraiment compte de la situation, de rechercher s'il n'existe pas quelque tare ner- veuse dans la famille.

Or, voici quels sont chez cette jeune fille les antécédents de famille révélés par sa mère.

Son père a été il y a trois ans renfermé comme aliéné, à l'asile de Vaucluse il est resté deux ans et demi. Son grand-père paternel qui a mené une vie

\ . L'oxamcD électrique a doimé les réâultats suivants le 10 novembre 1888 : forme légère de la réaction de dégénérescence. Pronostic, quant à la durée, un mois environ. « R.Vigou- rouz. »

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«très iiTégulière, est mort paralysé d'un cùté du corps. Sa mère est ner- veuse, très impressionnable ; la grand'mère maternelle a été paralysée du côté droit du corps et, parait-il, aphasique à Tâge de 46 ans. Un oncle maternel s. été paralysé (?) à Tàge de 9 ans ; il est mort de la poitrine à Tâge de 30 ans. Voilà les antécédents qui certainement viennent plaider fortement en faveur •de la thèse soutenue par M. Neumann (i).

M. Charcot : ... G*en est assez sur ce cas. Voici qu'on nous amène un second •exemple de paralysie faciale périphérique, autant que j'en puis juger par un •examen très superficiel. Mais voyez, on ne saurait s'y tromper! la commis- sure labiale est tombante vers la droite et Tœil droit ne se ferme point.

Au moindre jeu de physionomie, on remarque que du côté droit les traits du •visage restent absolument immobiles.

{Au malade) : Quel âge avez- vous ?

Le malade {en bégayant fortement) : Vingt-huit ans.

M. Charcot : Depuis quand avez-vous cette paralysie ?

Le malade : Depuis onze jours.

M. Charcot : Avez-vous ressenti un peu avant une impression de froid ?

Le malade : Je ne m'en suis pas aperçu, mais j'ai été consulter un médecin <iui m'a dit que ce devait être l'effet d'un courant d'air.

M. Charcot : Eh bien, vous le voyez, Messieurs, voilà une étiologie imposée par le médecin !

(Au malade) : Avez-vous souffert du côté de l'oreille ou de la face, ces jours-ci ?

Le malade : Non, monsieur, absolument pas ; je n'ai rien senti du tout. Je me suis aperçu que j'avais la face tournée en me réveillant le matin. J'avais •dormi comme de coutume.

M. Charcot : Le pronostic de la paralysie, comme durée, ne pourra être fourni, vous le savez, que par un examen électrique que nous aurons à pra- tiquer.

{Au malade) : Vous avez toujours bégayé comme vous le faites ?

Le malade : Oui, monsieur, c'est chez nous une maladie de famille. Mon père «st bègue, mon grand-père paternel Tétait également.

M. Charcot : Voilà, remarquez-le bien, Messieurs^une révélation inattendue, fort intéressante.

Le bégaiement en effet ligure dans la famille neuropathologique et y occupe tin rang distingué.

1. Voir, à ce sujet, dans un nouveau travail de M. Neumann : De la prédUposition nerveuse •dans Vétiologie de la paralysie faeiaU dite ^ à frigore » [Union médicale^ 15 novembre et |«r décembre 1888). Voir aussi Leçons du mardi 1887-88. La table.

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Voilà donc un cas qui, comme le précédent, vient confirmer nos idées rela- tives à Tétiologie de la paralysie faciale dite à frigore. Mais pénétrons plus, avant et peut-être aurons-nous à relever encore dans la famille quelque chose d'important.

(Au malade) : Y a-t-il dans votre famille quelque cas de maladie nerveuse îiulre (pie le bégaiement? le bégaiement en somme est plutôt une infirmité qu'une maladie.

J E MALADE : J'ai eu un frère, mort maintenant, (pii a été traité à Bieêtre dans le service de M. Bourneville. C'était un enfant arriéré et il avait des attaques convulsives.

M. Charcot [aux auditeurs) : Eh bien, Messieurs, qu'en pensez-vous ? Voilà deux cas de paralysie faciale périphériciue pris au hasard ; ne sont-ils pas au point de vue de l'hérédité nerveuse suffisamment significatifs ?

5*^ Malade.

On introduit dans la salle un homme de 5i ans exerçant la profession de* forgeron.

M. CeARa>T (au malade) : Pourquoi venez-vous nous consulter ?

Le malade : C'est que je me sens souvent menacé de tomber du côté gauche^

M. Cuarcot : Avez- vous des bourdonnements d'oreille, et de quel côté?

Le malade : Oui, monsieur, du côté gauche et de ce côté-là je n'entends pas très bien. (On constate en effet, sommairement, à l'aide d'une montre, que l'ouïe, du côté de l'oreille gauche, est fortement obnubilée.)

M. GuARCOT : Avez-vous remarqué (jue les bourdonnements de votre oreilla soient plus forts au moment vous êtes menacé de tomber à gauche ?

Le malade : Oui, quand j'ai le vertige, cela me prend par un mal de cœur et par un bourdonnement dans les oreilles.

M. Gharcot : Êtes-vous jamais tombé par le fait de votre vertige?

Le malade : Non, je ne suis jamais tombé; j'ai toujours pu me retenir.

M. Chaucot : Mais vous êtes sérieusement menacé de tomber?

Le malade : Si je n'avais pas une canne, je serais exposé à tomber à gauche.

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M. Charcot : Je vois que vous avez non seulement une canne, mais encore un parapluie. Il vous faut donc un double appui pour marcher dans les rues?

Le malade : Ohl monsieur, je ne puis pas marcher dans les rues : je suis toujours comme si j*étais pris de boisson, je titube; je n'ose pas sortir seul.

M. Charcot : Votre étourdissement est donc permanent, incessant?

Le malade : Oui, monsieur,à peu près, seulement par moment j ai des étour- dissements plus forts, avec crainte d'être précipité du côté gauche, et c'est alors que j ai des envies de vomir.

M. Charcot : Vomissez-vous alors quelquefois?

Le malade : Non, je ne vomis pas, mais j'ai bien mal au cœur.

M. Charcot : A quoi ressemble le bruit que vous avez dans les oreilles?

Le malade : C'est une espèce de bourdonnement ; on dirait un oiseau qui vole, cela augmente quand je tourne brusquement le tête, soit à gauche, soit à droite, cela augmente aussi quand je vais avoir un grand vertige.

M. Charcot : Et la nuit, quand vous êtes au lit, qu'est-ce qui vous arrive?

Le malade : J'ai souvent des vertiges, il me semble que je suis en mer, et quelquefois les croisées me paraissent monter au plafond.

M. Charcot : Avez-vous donc été en mer par un gros temps?

Le malade : Oui, monsieur, j'ai fait la campagne de Crimée.

M. Charcot : Vous n'avez jamais perdu connaissance au moment de ces vertiges?

Le malade : Non, monsieur, jamais; j ai toujours dans ces moments-là la tête à moi.

M. Charcot : Avez-vous eu des douleurs d'oreille, des écoulements?

Le malade : Non, monsieur, jamais.

M. Charcot : Depuis quand avez-vous ces vertiges?

Le malade : Depuis six semaines seulement. J'oubliais de vous dire, mon- sieur, qu'au commencement de ma maladie, la première fois que j'ai eu le vertige^ j'étais en chemin de fer et alors j'ai vomi.

M. Charcot : Avez-vous été traité déjà?

Le mal.\db : Oui, monsieur, on m'a dit que j'étais atteint d'anémie céré- brale et Ton m'a fait prendre beaucoup d'iodure et de bromure. Ça ne m'a rien fait du tout.

H. Charcot : Je le crois bien. J'ai tenu. Messieurs, à faire parler ce malade devant vous, longuement, parce qu'il explique parfaitement son affaire.

Le diagnostic, certes, après ce colloque, ne vous paraîtra pas difficile. Il s'agit du vertige a6 a^ire lœsa se présentant non seulement sous la forme d'accès séparés, mais encore sous celle du vertige permanent sur laquelle j'ai appelé l'attention»

Il reste cependant encore, avant de fixer complètement ce diagnostic ert de procéder au traitement, à rechercher s'il ne s'agit pas ici, comme cela a lieu dans certains cas, d'une accumulation eérumineuse dans le conduit externe.

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refoulant la membrane du tympan. Si cela était, il suffirait probablement d'enlever le bouchon pour mettre un terme aux accidents nerveux. Si, au con- traire, le point de départ des accidents est soit dans l'oreille moyenne, soit dans Toreille interne, peu importe en ce qui concerne les phénomènes verti- gineux, le traitement sera toujours le même : le malade prendra pendant deux ou trois séries de quinze jours ou trois semaines, séparées par des intervalles de huit ou dix jours, le sulfate de quinine à la dose de 0,60, 0,80 à i gramme par jour. La cessation des sensations vertigineuses à la suite de ce traitement sera, si j'en juge d'après une expérience déjà longue, un résultat sur lequel vous pouvez compter presque nécessairement. Je vous ferai remarquer seulement que le vertige chronique résiste en général beaucoup plus à l'action de la médication que ne le fait le vertige par accès.

J'ai eu bien des fois l'occasion Tan passé de vous parler du vertige de Mé- nière et de son traitement par le sulfate de quinine. Si je reviens sur ce siyet fréquemment et avec insistance, c'est que je suis amené à constater à chaque instant, que les notions qui s'y rattachent n'ont pas encore pénétre suffisam- ment dans la clinique. J'ai eu, en effet. Messieurs, plusieurs fois l'occasion de vous faire remarquer qu'aujourd'hui encore des praticiens même distingués rapportent souvent soit à la congestion ou à l'anémie cérébrale, soit encore au vertige gastrique, ce qui appartient réellement au vertige ab aure lœsa.

«».MMfte9.dtTyp. :*mMT ■. r. C«iDpa;n«- PrwniAi*. Par*»

Policlinique du Mardi 20 Novembre 1888

CINQUIÈME LEÇON

l*"" Malade. Cas complexe : paralysie spinale infantile, para- plégie alcoolique, attaques hystéro-épileptiques. 2% 3% et Malades. Paralysie faciale périphérique.

V Malade.

I

Messieurs, je vais faire comparaître, dans le but de Tétudier avec vous médicalement, un sujet fort singulier, fort original et qui, au point de vue clinique, oflre un cas complexe assez difficile à débrouiller. Raison de plus pour nous y attacher.

Nous l'avons depuis quelque temps sous notre direction dans cet hospice et nous Tavons examiné plusieurs fois déjà avec intérêt. Il n'y a donc rien, chez lui, qui soit tout à fait imprévu pour nous et nous pourrons par conséquent entrer à son propos dans des détails circonstanciés Sommairement, avant de procéder à l'analyse, je tiens à vous le présenter comme un bizarre, un toqué ; c'est, en tout cas,dans la catégorie faubourienne, un type parisien assez réussi, et qui mérite à tous égards qu'on s'y arrête.

(Le malade est introduit.)

M. Charcot. Veuillez remarquer, messieurs, tout d'abord sa démarche et prêter attention au bruit qu'il fait lorsqu'à chaque pas ses pieds viennent successivement frapper le parquet. Ceux d'entre vous qui ne sont pas tout à fait neufs dans la matière, ont immédiatement reconnu qu'il s'agit ici de la démarche du steppeur, ainsi que j'ai proposé de la dénommer (Voir Leçons du mardi, leçon du 27 mars 1888); vous savez ce. qu'on entend par là. Stoppeur vient du mot anglais stepper signifiant cheval qui a de l'action.

Or, une des particularités du steppeur, c'est que dans la progression il fléchit ses cuisses à l'excès et élève ses pieds démesurément. Vous voyez ce

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caractère se produire chez notre homme : à chaque pas il fléchit plus que cela ne se fait dans la marche physiologique la cuisse sur l'abdomen, et la jambe sur la cuisse, de façon à soulever les pieds anormalement au-dessus du sol ; mais ceux-ci sont flasques dans l'articulation tibio-tarsienne par suite de la paralysie des extenseurs et il en résulte que, en retombant sur le sol, chacun d'eux fait entendre deux bruits successifs, d'abord un bruit < de pointe », puis un bruit de « talon », le second bruit plus fort que le premier : tic, toc, tic, toc. Ceci contraste singulièrement avec la démarche classique du tabétique qui, à chaque pas, lance en avant sa jambe étendue et frappe du talon le sol, en produisant un bruit unique.

Ainsi que je le rappelais tout à l'heure, les gens qui marchent en steppant ont généralement une paralysie plus ou moins prononcée des extenseurs des pieds, et c'est justement à cette circonstance qu'est si je ne me trompe, pour la majeure partie du moins, le phénomène du steppage.

Chez notre homme vous constatez aisément, lorsqu'il est assis, cette para- lysie et vous remarquez qu'elle est absolue à gauche, tandis qu'à droite elle reste incomplète. le pied est ballant absolument dans l'articulation tibio- tarsienne et le sujet est impuissant à en opérer la flexion dorsale, tandis qu'à droite ce mouvement est possible et en même temps le pied se porte dans Vadduclion ; mais nous reviendrons sur ces détails dans un instant.

Eh bien, messieurs, ce fait de l'existence de la démarche du steppeur a déjà, chez quelques-uns d'entre vous, éveiller certaines idées relatives au diagnostic. Cette démarche, certes, n'est point spéciale à un seul état morbide ; on peut dire que c'est un complexus, un syndrome si vous voulez, commun à plusieurs espèces nosographiques.

Mais vous allez voir, par Ténumération que nous allons en faire que, même en dehors des particularités relatives à la marche, ces afi'ections ont bien des traits en commun. Ainsi le 5^6/?pa^e peut se voir dans l'intoxication satur- nine, bien qu'il y soit un fait exceptionnel, la paralysie en pareil cas portant principalement et dans la règle à peu près exclusivement sur les extenseurs du poignet.

Il peut être un des symptômes des paraplégies arsenicales ainsi que nous l'avons pu constater récemment chez un sujet qui nous a été adressé par MM. Brouardel et Marie.

On l'observe encore très communément dans le béribéii sec ; souvent nous l'avons constaté en pareil cas chez des sujets venant du Brésil et aussi chez quelques personnes européennes ayant résidé à Panama, à l'occasion des tra- vaux du percement de l'isthme.

Mais dans le cas que nous avons sous les yeux il est facile d'éliminer toutes ces causes là, et à la suite d'un interrogatoire même très sommaire, il de- vient, du premier coup, éminemment vraisemblable que la cause à invoquer, c'est l'alcoolisme.

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Eh bien, messieurs, Texamen plus attentif auquel nous allons procéder n'aura pas pour résultat de démentir nos prévisions. C'est bien d'un steppage conséquence d'une paraplégie alcoolique qu'il est question ici ; cela ne sera pas, je pense, très difficile à démontrer.

Toutes ces affections toxiques qui peuvent produire la démarche du step- peur, ofïi^ent, je le disais tout à l'heure, des traits communs.

Elles paraissent toutes anatomiquement caractérisées par une lésion des nerfs périphériques, névrite périphérique des auteurs et par des lésions dégé- nératives des muscles correspondants; ces lésions entraînent après elles tout un ensemble symptomatique dont la raison physiologique n'est pas en général très difficile à déterminer. Ce sont, par exemple, l'atrophie musculaire avec réaction de dégcnération plus ou moins prononcée ; Tabsence ou Tafïaiblis- sement des réflexes rotuliens, quand, bien entendu, il s'agit des membres inférieurs ; enfin des troubles de la sensibilité manifestés spontanément ou provoqués seulement par certaines manœuvres, qui n'appartiennent pas à tous les cas du groupe, car il y a très certainement des paraplégies par névrite périphérique sans aneslhésie et sans douleur.

Tous les symptômes plus haut signalés, y compris les troubles de sensibi- lité, se retrouvent au plus haut degré dans la paralysie alcoolique qui peut être considérée comme un type du genre, et qui, du reste, est celle que nous devons nous attendre à rencontrer surtout lorsqu'il s'agit d'un malade step- peur qui vient nous consulter à l'hôpital.

Nous avons prié le malade de mettre à nu ses membres inférieurs et nous pourrons maintenant procéder à un examen détaillé de ses muscles.

Voici ce que cet examen permet de constater. Les deux jambes et les deux cuisses sont considérablement atrophiées. A gauche cette atrophie est plus prononcée qu'à droite.

Gauche Droite

Circonférence de la jambe à 10 centimètres au-dessous de la rotule. 24 c. 29 c.

Circonférence de la cuisse à 15 centimètres au-dessus de la rotule. 31 c. 29 c.

Circonférence de la cuisse au niveau de la racine du

membre. 44 c. 43 c.

Les deux pieds sont tombants, ballants dans l'articulation tibio-tarsi enne mais cela est beaucoup plus prononcé à gauche qu'à droite.

Les deux membres inférieurs, surtout aux jambes et aux genoux, sont froids au toucher, surtout à gauche. C'est pourquoi le malade entoure habituelle- ment la jambe et le pied de ce côté d'un matelas d'ouate recouvert d'une bande roulée. Cet appareil est destiné d'ailleurs non seulement à réchauffer le membre, mais encore à maintenir le pied, qui autrement serait ballant.

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fléchi à angle droit sur la jambe : disposition qui a pour effet de rendre pour ce membre Tacte de la marche moins difficile.

Là, dans ce même membre, les troubles vasomoteurs sont beaucoup plus prononcés que partout ailleurs : en efl'ct il suffit que le membre inférieur de ce côté soit, dans la station assise resté pendant durant quelques minutes, pour qu'il prenne une teinte d'un rouge violacé qui, de l'extrémité du pied, s'étend jusqu'au niveau du genou.

Nous parlerons plus lard de l'anesthésie cutanée qui se montre sur la jambe et le pied gauches ; je me borne à signaler pour le moment qu'au niveau des mollets la pression exercée sur les muscles est douloureuse, douloureuse également est la percussion des tendons rotuliens.

Les réflexes tendineux, comme du reste les réflexes cutanés, sont abolis.

Nous donnons maintenant l'indication plus détaillée des principaux mus- cles atrophiés.

.4 gauche, presque tous les muscles de la jambe sont atrophiés. Les exten- seurs plus encore que les fléchisseurs. A la cuisse, le triceps est très atrophié (Une partie seule du vaste interne est conservée). Cependant de ce côté le malade peut étendre la jambe sur la cuisse et opposer, dans Tattitude fléchie, une certaine résistance, grâce à cette circonstance que le tenseur du fascia lata est conservé.

Adroite, le jambicr antérieur est complètement atrophié. L'extenseur est bien conservé au contraire et en conséquence l'extension du pied est en partie possible ; mais dans ce mouvement-là, l'axe du pied est porté en dehors. Les muscles du mollet sont en partie conservés, surtout le jumeau interne. A la cuisse le triceps est aussi atrophié qu'à gauche : le vaste interne seul est con- servé en partie mais ici le tenseur du fascia lata est complètement atrophié, cequifaitquel'extcnsiondelajambesur la cuisse est complètement impossible.

Aux deux cuisses les adducteurs et les fléchisseurs (muscles postérieurs) sont bien conservés. Aux fesses les moyen et petit fessier sont un peu atro- phiés, surtout à droite.

Il y a chez le sujet une ensellure lombaire assez prononcée.

Nous signalons en dernier lieu les principaux résultats, fournis par l'explo- raliou électrique : A la jambe gauche, tous les muscles sont inexcitables, tant par le courant galvanique (|uc par le courant galvanique et le courant faradiquo. Seul, le long péronier de ce côté présente une contraction faible et encore par l'action de très forts courants. A la cuisse gauche, le droit antérieur et le vaste externe sont inexcitables. Le vaste interne est excitable dans sa partie inférieure : son excitabilité est seulement diminuée sans inversion do la formule.

Ala jambe droite, le jiimbier antérieur est inexcitable par les deux cou- rants: dans les jumeaux, excitabilité un peu diminuée sans inversion. Les autres muscles^ extenseurs des orteils, etc., sont normaux. A la cuisse droite,

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le droit antérieur, le vaste externe, le tenseur du fascia lata sont complète- ment inexcitables, les autres muscles, adducteurs et fléchisseui^. de même que à gauche sont normaux.

A part certaines particularités que nous aurons à relever dans un instant parce qu'elles tendent à établir qu'il ne s'agit pas ici d'une forme pure et qu'il existe une complication que nous devons dégager, rien dans l'exposé qui pré- cède ne vient directement à rencontre de l'hypothèse d'une paralysie alcoo- lique. Toutefois, pour bien apprécier la situation, il faut avoir dans l'esprit qu'à l'heure qu'il est nous n'avons pas sous les yeux un processus en pleine activité, mais bien le résultat d'un processus éteint, c'est-à-dire d'un reliquat de maladie.

L'histoire de l'évolution du cas que nous devons exposer maintenant nous apprend en effet ce qui suit. Il fut un temps l'impuissance motrice des membres inférieurs a été absolument complète.

Il y a eu plusieurs périodes de relèvement et do rechutes successives, enfin la guérison relative est devenue à un moment donné permanente. Les pre- miers symptômes de la paralysie actuelle paraissent remonter à sept ou huit ans. L'atrophie des membres s'était dès l'origine rapidement accentuée .

La démarche du steppeur était déjà manifeste en 1882. Pendant toute la période d'activité du mal, un certain nombre de symptômes caractéristiques qui aujourd'hui ont disparu, étaient fort accentués.

C'est ainsi qu'alors le malade souffrait surtout dans les jambes de douleurs vives et rapides rappelant jusqu'à un certain point par leur description celles des tabétiques ; en même temps il ressentait des picotements, des coups d'épingles d'une façon presque permanente, tout cela l'empêchait habituelle- ment de dormir. Alors la peau des jambes et des pieds était peu sensible aux piqûres, mais on ne pouvait presser les tendons et les muscles, des jambes surtout, sans provoquer une vive douleur. Enfin les jambes et les pieds étaient chauds, œdématiés, tuméfiés. Joints aux modifications des réactions électri- ques, à la perte des réflexes rotuliens que nous avons pu constater, ces symptômes suffiraient en quelque sorte, à établir cliniquement, dans les con- ditions où nous sommes, l'existence de la paralysie alcoolique.

Pour ne pas entrer à propos des caractères cliniques de cette espè'.;e de paralysie, dans une description en règle, je vous prierai de vous reporter à la leçon (jue j'ai donnée sur ce sujet, l'an passé (6 mars 1888).

J'ai hâte maintenant de vous montrer que l'étude des antécédents du ma- lade et en particulier de ses habitudes de vie ne contrediront en rien nos assertions ; vous verrez qu'au contraire, elle viendra la confirmer de la façon la plus éclatante.

Je procéderai dans ce but, à l'exposé de quelques points de l'histoire des antécédents de notre malade. C'est un garçon d'environ 27 ans, à Paris, au premier abord d'assez chétive apparence ; mais il affirme qu'il a pu autre-

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fois dans une rude profession, déployer une grande force. Je me réserre de vous parler un peu plus lard de sa famille considérée au point de vue de l'hé- rédité nerveuse : pour le moment je me borne à relever que son père âgé de 57 ans est un ivrogne fieffé, batailleur, emporté, colère ; que sa mère boit aussi un peu et qu'il en est de même d'une de ses sœurs qu'il va voir assez souvent le dimanche et avec laquelle il s'est grisé plusieurs fois : «-< Il n'y a pas de mal, dit-il, à boire en famille. »

Rien d'étonnant qu'avec de pareils exemples sous les yeux il ait été enclin lui aussi, à abuser des boissons alcooliques; il n'y a point manqué, en efiei, et souvent, surtout dans une certaine période de sa vie, ses excès ont été véri- tablement énormes ; voici dans quelles circonstances : il a commencé à boire ti Tàge de 14 ans alors qu'il faisait son apprentissage chez un cordonnier. C'était un excellent patron, dit-il, mais il buvait ferme ; et quand il y avait quelque bonne noce h faire il m'emmenait toujours avec lui. » Aucun chan- gement notable cependant ne s'est produit dans sa santé jusqu'à l'époque il est entré comme garçon de jour dans le lavoir de la rue de Charenton. Je ne vous dirai pas tout au long ce qu'est à Paris, un lavoir, et ce que sont au point de vue des mœurs les personnes qui les fréquentent. Vous le savez du reste très probablement par la lecture que vous n'avez pas manqué de faire du très intéressant roman de M. Zola : L'Assommoir.

Quoiqu'il en soit, au lavoir de Charenton comme dans les autres sans doute, le travail commence le matin de très bonne heure. Le garçon de jour » doit aider à porter le linge dont les blanchisseuses arrivent chargées.

C'est un rude labeur, paraît-il, car il s'agit souvent de lourds fardeaux. Il faut de temps en temps relever le courage du garçon et les pourboires abon- dent, destinés à stimuler son zèle : ainsi il est conduit à boire beaucoup et souvent.

Puis il y a encore, dans le travail, les temps de repos nécessaire, pendant lesquels après manger se font les causeries, les épanchements autour du comptoir, nouvelle occasion de boire : le vin, le rhum, l'eau-de-vie circulent alors tour à tour. Mais déjà on a pris l'absinthe et l'usage de celte substance en particulier parait être très répandu au lavoir de la rue de Charenton ; on en peut juger du reste par une chanson qui y est fort à la mode. Je crois intéressant d'en détacher quelques fragments communiqués par notre malade qui la sait par cœur pour l'avoir bien souvent chantée * en société ». Cela s'appelle : La Miiso mi.r yeux verts.

1"' COUPLET

Voyez cet homme à la face blêmie, Dont le regard semble à jamais éteint ; Par la boisson il abrège sa vie : Cet homme, ami, est son propre assassin.

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I)*iin vert poison s'abreuvant avec rage, Poison maudit que lui verse Satan Boire toujours : voilà son seul courage, Courage affreux qui conduit à néant.

RKFRAIN

Amis, c'est la muse aux yeux verts Fuyez devant ses folles étreintes, Sachez que son nom c'est l'absinthe Et que ses baisers sont pervers, Car son amour était ma plainte (sic) Fuyez tous la Muse aux yeux verts!...

Etc., etc.

C'en est assez : il y en a comme cela trois ou quatre couplets.

Ne voilà-l-il pas une brave et bonne chanson, bien intentionnée, bien morale ! Mais hélas, les meilleurs conseils, alors môme qu'ils sont présentés sous la forme poétique et renforcés par le concours du rythme musical, ne sont pas toujours suivis comme ils mériteraient de Tôtrc. Notre pauvre garçon de lavoir, en particulier, malgré ces excellents préceptes qu'il a si souvent proclamés lui-même on chantant, n'en a pas moins continué k cul- tiver avec un amour effréné, non seulement la Muse c aux yeux verts » mais encore toutes les autres muses de même famille, dont les yeux sont d'autres couleurs.

Par le fait, divers symptômes de l'alcoolisme grave n*ont pas tardé à se manifester successivement chez lui.

Voici en effet ce que nous apprennent à cet égard les détails de l'observa- tion :

Eq 1880, àl'age de 20 ans, surviennent dans les membres inférieurs, les douleurs, les picotements, les crampes, surtout nocturnes, dont il a été ques- tion déjà. En même temps ces membres s'afTaiblissent et bientôt les choses en viennent à ce point que Br..ot était devenu incapable de traîner la voiture du lavoir, ou de porter de lourdes charges. Néanmoins, il a continué à travailler jusqu'en 1882. A cette époque laparésie des membres inférieurs s'élant accen- tuée de façon à constituer une véritable paraplégie, le malade dut entrer une première fois à la Salpélrière dans le service dirigé alors par M. Luys (11 y est resté du 18 juin au 18 août). il est demeuré pendant près d'un mois à peu près complètement confiné au lit. Les douleurs à la pression étaient vives, ainsi que les douleurs nocturnes; la tuméfaction des pieds et des jambes s'accentuait, etc., etc. En même temps le malade souffrait le matin de pituites, la nuit ses rêves étaient tourmentés par la vision d'animaux tels que rats, serpents, etc., etc.

La privation des boissons alcooliques, l'intervention de réloctrisation

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faradique, Tusage des bains sulfureux amenèrent assez rapidement une amé- lioration très notable.

Les douleurs cessèrent, l'impuissance motrice disparut en grande partie et à partir du 18 août 1S82 le malade put reprendre son travail qu'il ne quitta plus ({u'on 1887. Mais les jambes étaient toujours faibles, et la démarche du stoppeur depuis longtemps accusée n'a désormais jamais cessé d'exister. Il fallut renoncer aux travaux très fatigants et se contenter dans le lavoir d*une position moins lucrative que celle qu'il avait autrefois. Il passait la nuit à survoillcT les machines. Néanmoins les habitudes alcooliques ne firent pas trêve.

11 but de nouveau trop et trop'souvcnt et bientôt apparurent de nouveau divers accidents qu'il est naturel de rapporter à l'abus des boissons alcooliques.

On note pendant cette période qui s'étend jusqu'en 1887, date de l'entrée à l'hôpital Laënnec, les faits pathologiques suivants : nombreux oublis : une fois il a failli faire sauter la chaudière du lavoir pour avoir oublié de la remplir d'eau ; véritables absences qui duraient parfois plusieurs heures et même plus encore, pendant lesquelles il ne se rendait pas compte de ce qu'il faisait et commettait des actes dont, au moment du retour aux conditions normales, il n'avait pas gardé le souvenir.

Plusieurs fois, sous cette influence, il a disparu pendant quelques jours de la maison il habite et Ton a aller le réclamer à la Préfecture ; il ne sait dire ce qu'il a fait pendant ce temps-là. Une fois, il a jeté sa montre dans une bouche d'égout, et il ne peut expliquer par aucune raison cet acte stu- pide.

Les douleurs dans les jambes et les cuisses, les pituites, les insomnies, les rêves terrifiants avaient reparu.

L'aflaiblissement des membres inférieurs s'était montré à nouveau, sans s'accompagner, cependant, comme dans le temps, d'une paralysie complète ; et, par Taccumulation de toutes ces circonstances, le travail étant devenu absolument impossible, B... dut demander une fois de plus à entrer à l'hôpital.

11 fut, nous l'avons dit, admis à Laënnec dans le service de M. le professeur Damaschino le 29 mars 1887 ; il y resta jusqu'au 25 janvier 1888. Il y a lieu de signaler pendant ce long séjour divers accès délirants qui tous ont été rapportés à l'alcoolisme et dont l'un n'a pas duré moins de huit jours ; pen- dant cet accès le malade très bruyant dut être maintenu au lit par la cami- sole de force. 11 élait quelcpie temps auparavant devenu complètement épris d'une jeune infirmière du service qu'il avait résolu d'épouser mais qui lui fut refusée par sa famille.

Le chagrin qu'il en éprouva fut, parai t-il profond, et c'est à la suite de liba- tions auxquelles il se serait livré en manière de consolation que serait sur- venu l'accès délirant dont il vient d'être question.

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II

Telle est la part, et vous voyez qu'elle est large, des phénomènes qui peu- vent être rapportés à Talcoolisme, dans le cas de notre homme. Mais ainsi que je vous Tai annoncé, il s'agit chez lui d'un cas complexe et nous devons nous attacher à mettre en lumiùre actuellement les autres éléments qui le constituent.

En premier lieu je rappellerai ce que j'ai dit au moment je décrivais la paraplégie alcoolique de notie homme.

Il ne s'agit pas ici, vous disais-je, d'une forme pure : il y a une compli- cation que nous devrons dégager. » De quelle complication s'agit-il donc ? Eh bien, messieurs, nous croyons pouvoir affirmer, en nous fondant sur This- toire des premières périodes de la vie de notre malade qu'il a été frappé de très bonne heure, vers l'âge de dix mois^ d'une paralysie spinale infantile de forme paraplégique développée à la suite de « convulsions >. Cette paralysie a été la cause que de tous temps à partir de l'âge de trois ans, époque tardive à laquelle l'enfant a commencé à pouvoir marcher, les membres inférieurs sont toujours restés grêles et faibles.

De fait, chez B.... avec une vigueur presque athlétique du tronc et des membres supérieurs, la démarche a de tout temps été anormale, un peu claudicante. « Il n'était pas solide sur ses jambes, il ne pouvait rester long- temps debout et lorsqu'il marchait, principalement lorsqu'ilcuurait, il tombait fréquemment à terre sur les genoux. »

Aux reliquats de cette paralysie infantile sont donc venus se surajouter les phénomènes liés à l'intoxication alcoolique, c'est celle-ci qui, à un moment donné, a déterminé une impuissance motrice complète à peu près également répartie sur toute l'étendue des muscles des membres inférieurs mais pré- dominant toutefois, comme c'est la règle, sur les extenseurs des pieds ; puis à l'époque de la période régressive, le phénomène du pied tombant ainsi que la démarche du steppeur qui s'y rattache.

Mais aujourd'hui encore, on peut, si je ne me trompe, à côté des lésions qui relèvent de la paralysie alcoolique, discerner celles qui constituent les derniers vestiges de la paraplégie spinale infantile de date antérieure. C'est à cette dernière que nous croyons devoir rattacher, en particulier, l'inégale répartition de la paralysie et de l'atrophie dégénérative des muscles des membres inférieurs. C'est ainsi qu'aux deux cuisses le droit antérieur, le vaste externe,une partie du vaste interne étaient on peut le dire détruits; le tenseur

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du fascia lata est bien conservé à gauche, tandis qu'à droite il n'existe plus à la jambe gauche tous les muscles sont pris, extenseurs et fléchisseurs ; seul le long péronier est en partie épargné à la jambe droite, enfin, parmi les extenseurs, le jambier antérieur est complètement détruit tandis que l'ex- tenseur commun est très bien conservé. Sur cette même jambe, les muscles fléchisseurs du pied sont détruits en partie seulement.

Cette inégale répartition des affections musculaires est chose vulgaire dans la paralysie infantile, tandis que, dans la paralysie alcoolique^ ces lésions sont à peu près uniformément répandues dans toute retendue des membres; sauf en ce qui concerne leur prédominance symétrique sur les muscles de la flexion dorsale des pieds.

Ainsi, je le répète, il ne nous paraît pas impossible de reconnaître chez notre homme, même aujourd'hui, ce qui appartient à la lésion des cornes antérieures spinales, et ce qui est la conséquence de la névrite périphérique alcoolique.

Etant donné donc Texistence passée d'une paralysie infantile spinale dont les vestiges sont encore parfaitement reconnaissables,il nous parait intéressant de rechercher actuellement si nous ne trouvons pas, dans les antécédents de famille de notre homme, quelques particularités dignes d'êtres relevées en tant qu'elles seraient conformes à une opinion que je professe depuis long- temps : c'est k savoir que la paralysie infantile spinale serait, au même titre que Tataxie locomotrice, la paralysie générale, l'épilepsie^ l'hystérie, etc., un membre de la famille neuropathologique, ou autrement dit une mala- die de diathèse nerveuse.

Voici autant, qu'il a pu être reconstitué d'après les souvenirs du malade son pedigree >.

.4. Père Agé de 57 ans, mécanicien ajusteur. C'est un ivrogne et nous l'avons déjà présenté comme tel. 11 est fils naturel pas de maladies nerveuses bien déterminées ; mais il est emporté, colère, et dans la maison les scènes d'ivrognerie sont fréquentes.

B. Mère, 53 ans, bien portante elle est, elle aussi, un peu portée à la bois- son ; mais ce n'est pas à proprement parler une ivrognesse. Elle a trois sœurs, également bien portantes, et trois frères. L'un de ceux-ci est un délin- quant. 11 a été, paralt-il, arrêté dans le bois de Vincennes commettant un attentat à la pudeur. Il est resté douze mois à Sainte-Pélagie. Un autre frère exerce la profession de marchand de vins; il est très colère, excentrique, il ne peut rester en place ; il change à chaque instant le siège de son établissement.

Du mariage de .4 et i5 sont nés quatorze enfants. Six d'entre eux sont morts de convulsions »; Br... notre malade, est le septième ; on sait que lui aussi a eu des « convulsions » et qu'il a été frappé de paralysie infantile.

Nous avons mentionné déjà que l'une de ses sœurs, plus jeune que luî^ se livre volontiers à la boisson, et qu'il s'est plusieurs fois enivré avec elle.

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En consultant cet arbre généalogique, nous] ne [relevons chez les antécé- dents aucune maladie nerveuse typique, de parfait développement : seuls, peut-être, Toncle délinquant et Tautre oncle marchand de vins voyageur pourront-ils être considérés comme des dégénérés, des déséquilibrés.

Mais on voit dans la famille, un peu partout, régner le vice d'ivrognerie. C'est ici le cas de rappeler que l'usage exagéré des boissons alcooliques peut chez celui qui abuse, supposé vierge de toute tare héréditaire, créer de toutes pièces en quelque sorte, en outre des accidents à proprement parler toxiques, la diathèse nerveuse qui pourra ou non se traduire déjà chez lui par une forme névropathique nosographiquement bien déterminée; que, une fois con- tituée, cette diathèse nerveuse artificiellement produite pourra se transmettre aux descendants, par voie d'hérédité, et faire nattre chez eux, par le concours de circonstances provocatrices appropriées, tantôt l'une, tantôt l'autre des espèces morbides dont l'ensemble constitue ce que nous appelons la famille neuropathique. Tout ce que nous avançons repose sur nombre défaits clini- ques en ce qui concerne l'influence de l'alcool ; on peut en dire autant relati- vementau saturnisme ainsi qu'en témoignent,entre autres, les faits signalés dans une intéressante note de M. Roques {Dégénérescences héréditaires produites par Vintoxication saturnine lente. Société de Biologie, 1872, t. IV, p. 243).

Enfin le surmenage intellectuel, surtout lorsqu'il est accompagné d'excès physiques^ peut lui aussi, cela est bien connu, créer chez un individu resté jusque-là non taré une prédisposition nerveuse qui pourra, suivant les lois de l'hérédité se transmettre aux descendants.

11 n'est pas jusqu'aux états passionnels transitoires existant au moment de la conception chez les géniteurs qui n'aient pu être accusés d'avoir sur la nature de Têtre procréé une influence décisive.

Les arguments abondent dans le domaine de la fantaisie en faveur de celte thèse. Ainsi, toutes les tribulations qu'il n'avait cessé d'éprouver depuis le jour il avait été jeté * sur notre sale planète », Tristram Shandy en accusait son père qui, dans un moment solennel, s'était malencontreuse- ment laissé impressionner par l'idée * qu'il avait oublié de remonter son horloge ». Pourquoi, s'écrie le bâtard Edmond dans le jRoî/^ar, nous injurient-ils toujours en nous jetant à la face ces mots de vilenie et de bâtardise? Ne puisons-nous pas dans la lascive impétuosité de la nature furtivement satisfaite plus de vigueur et de fougue qu'il n'en faut pour procréer, dans un lit maussade, insipide et fatigué, toute une tribu de coquins légitimes engendrés entre deux sommes 1 > (Scène 11),

Il ne s'agit là, en vérité, que de prévisions géniales ; mais on ne saurait guère méconnaître que celles-ci trouvent un appui dans les faits tirés du domaine de l'observation régulière. Je me bornerai à vous rappeler à ce pro- pos l'observation bien connue de M. le professeur Quatrefages, relative à une famille de quatre enfants dont un seul, conçu alors que le père était en état

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(rivresse, était demi-idiot et presque sourd, tandis que les trois autres, nés dans d'autres conditions, étaient parfaitement intelligents (1).

Nous pourrions signaler également des faits du môme genre relevant de la pathologie expérimentale ; c'est ainsi que MM. Mairet et Gombemale rappor- tent dans un travail présenté récemment à l'Académie des sciences (2) qu'une chienne ayant été alcoolisée par Tabsintlic de débit, il survint dans sa descen- dance au deuxième degré, chez un des produits un pied bot avec atrophie de plusieurs orteils et une gueule de loup ; chez un second produit^ un atrophie du train postérieur.

C'en est assez sur ce point. Il est temps d'en revenir à notre malade; lui n*est pas un « Edmond » ; c'est, parait-il, un enfant parfaitement légitime ; aussi n'avons-nous pas k nous étonner de voir l'alcoolisme du père retentir sur lui septième enfant, sous la forme de paralysie infantile spinale, alors que six de ses frères et sa»urs avaient déjà succombé en bas Age à la suite de convul- sions.

m

Nous venons de reconnaître, dans l'histoire pathologique de B...ot l'exis- tence de deux périodes successives : l'une, la première, marquée par la pro- duction de la paralysie spinale infantile; l'autre, la seconde en date, par celle (le la paraplégie alcoolicjuo ci de divers autres phénomènes toxiques du même ordrr.

Il est dans ccltr histoire une troisième phase qu'il nous reste à étudier maintenant, et dont le début apparent a été signalé par le développement de crises convnisives à retour fréquent. Ces crises se sont pour la première fois montrées il y a près de deux ans pendant le séjour î\ l'hôpital Laënnec ; elles subsistent encore, dans toute leur intensité. 11 paraît au moins fort vraisem- blable que raHeclion à laqm île elles appartiennent et dont elles constituent la manifestation la plus saisissante, a été déterminée en conséquence d'une vive contrariété, on pourrait même dire d'un vrai chagrin. A ce propos, pour bien établir la situation, il nous parait nécessaire, désornuiis, de mettre en lumière chez notre nialadtr tout un côté de son eanictère et de ses mœurs que jusqu'ici nous avons laissé dans l'ombre. A cet égaid, après ce que nous vous en avons dit précédemment vous pourriez le considérer peut-être exclu- sivement comme un être grossier et crapuleux, ne parlant guère que l'argot

1. Voir; Uibot. V hérédité psychologique, p. 254.

2. Influence dégénérative de Valrool sur la desfendftnce, 5 mars 1888.

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et la langue verte. Ce serait une erreur, messieurs, et aussi une injustice. Il y a quelque chose de tout cela en lui, bien certainement, et plus qu'il n'en fau- drait, mais il y a aussi autre chose. B... sans doute, n'a pas été un parfait écolier, tant s'en faut ; il ne songeait dans ce temps-là qu'au jeu ; c'était dans l'acception rigoureuse du mot un mauvais élève, un cancre fort indiscipliné, très batailleur, et, en somme, au sortir de l'école, savait-il à peine lire et écrire !

Plus tard, par un retour singulier, il s'est rattrapé à cet égard en fréquen- tant régulièrement et avec quelque zèle, lorsqu'il était apprenti, les cours du soir. Actuellement il écrit non sans orthographe et non sans quelque préten- tion à l'élégance du style.

Il fait même des vers dans lesquels, sans doute, la mesure laisse souvent fort à désirer, mais l'idée poétique n'est pas toujours absente. C'est le genre erotique qu'il cultive surtout ; mais dans les vers comme dans la prose c'est plutôt la quintessence qu'il vise et non les bassesses. Les arrangements de sa toilette sont conformes à son langage; ses infirmités ne le découragent pas : il est coquet et porte habituellement une brillante cravate rouge en même temps que ses cheveux, très pommadés, sont disposés, comme il le dit « à la Capoul » ; c'est donc un élégant, dans son genre, et il se vante d'avoir^grâce à ses avantages, fait au lavoir, on le désigne sous le nom caractéristique de Don Juan », de nombreuses conquêtes.

Peut-être, à cet égard, fait-il le fanfaron ; toujours est-il que pendant long- temps il n'avait recherché que les amours légères ; tandis qu'un beau jour, il s'est laissé prendre à l'amour sérieux. De fait, à Laënnec il s'est amouraché d'une jeune infirmière qu'il voulait épouser à tout prix, et c'est justement à la suite du chagrin causé par le refus formel des parents de la jeune fille que sont survenus les accidents nerveux variés qu'il nous reste maintenante décrire. Et d'abord relevons que pour réagir contre les effets dépressifs du chagrin B... a plus d'une fois alors cherché les consolations dans l'abus des boissons alcooliques, dont il s'était pendant quelque temps tenu éloigné, si bien qu'il fut pris à cette époque d'un accès de delirium tremens ; mais les attaques con- vuisives qui se sont, comme nous l'avons dit, pour la première fois manifestées vers le môme temps sont-elles, elles aussi, au môme titre que le delirium tremens, de nature toxique ?

A cet égard, messieurs, je me rattache absolu nent à l'opinion professée par M. Magnan (1).

Il n'existe pas suivant moi d'épilepsie à proprement parler alcoolique. Oui, sans doute, l'épilepsie existe souvent chez un alcoolique ou dans sa descendance, mais la cause toxique joue uniquement ici le rôle d'un agent

{. Magnan. înfluen>:e de l'alcoolisme sur les maladies mentales, Genève, 1878.

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provocateur qjai met en jeu une prédisposition spéciale antérieure, ou qui encore, dans certains cas, crée la diathèse nerveuse d'où pourra naître, par le concours de circonstances appropriées, Taffection convulsive.

Il n'en est pas tout à fait de même, vous le savez, de Tabsinthisme ; l'ab- sinthe, ainsi que l'a encore bien montré M.Magnan^ est un convulsivant ; il y a en réalité une affection épileptiforme qui mérite vraiment de porter le nom d'absinthique, mais ces convulsions-là ne survivent pas à l'abus de la boisson toxique, elles cessent en même temps que lui. Ce n'est donc pas de cela qu'il s'agit dans notre cas les attaques persistent telles quelles, se reproduisant comme par le passé, environ trois fois par mois, bien que le malade^ très surveillé depuis son entrée à la Salpêlrière, ne puisse plus se procurer d'ab- sinthe.

D'ailleurs maintes fois nous avons été témoin de ces attaques et nous pou- vons affirmer qu'elles portent avec elles des caractères cliniques tellement précis qu'on ne saurait hésiter un instant, lorsqu'on les a vu évoluer, à leur attribuer le nom qui leur convient. Voici en eftet ce que nous trouvons noté dans les observations ad hoc : le malade prévoit qu'il va avoir son attaque ; le premier signe précurseur est une douleur vive qu'il ressent dans le côté droit du tronc, au niveau de la région hépatique et qu'il décrit comme un sentiment de brûlure. De part une aura ascendante qui monte vers le cou et y produit une sensation d'étranglement, puis vers la tête surviennent des bourdonnements d'oreilles et des battements dans les tempes, une obnu- bilation de ja vue, symptômes qui bientôt sont suivis de perte de connais- sance.

Les accidents convulsifs se développent alors successivement suivant des règles aujourd'hui bien connues : d'abord c'est une phase marquée par des convulsions épileptiformes, ici peu accentuées ; puis se dessinent tour à tour les grands mouvements de salutation et l'attitude en arc de cercle ; enfin c'est le tour des attitudes passionnelles, des cris, des hurlements : alors on l'entend proférer de temps à autre le nom de Maria I Maria I c'est le roman de l'hôpital Laënnec qui se déroule devant les yeux de son esprit, la série se termine de la sorte, mais elle peut se reproduire un certain nombre de fois, sans temps d'arrêt, de façon à tenir la scène pendant une durée de plusieurs heures.

Vous avez compris, sans qu'il soit nécessaire d'y insister qu'il s'agit d'une attaque de grande hystérie (Hysteria major : hystéro-épilepsie à crises mixtes) parfaitement caractérisée et ne différant que sur un point de celle* que nous avons si fréquemment l'occasion d'observer chez la femme, dans cet hospice. Ce point est relatif à l'extrême violence des cris et des mouvements convulsifs chez l'homme. Trois ou quatre hommes ne sont pas de trop pour maintenir B... quand il est pris de ses attaques et le lit de fer sur lequel on est obligé de l'attacher à été plusieurs fois brisé en mille pièces.

Notre malade est donc un hystérique^ cela n'est pas douteux et la recherche

des stigmates chez lui va donner plus de poids encore à notre assertion. (Fig. 22). 11 existe sur la tête, le tronc, les membres, une hémianalgésie

gauche très neLlenient accusée, une anesthésie presque absolue sur la jambo et le pied gauches. Les troubles sensoriels sont de leur cdté très-bien carac- térisés : goût diminué sur le cdté gauche de la langue ; odorat obnuliilé égale- ment h gauche ; ouïe affectée à gauche ; enfin on observe sur l'œil gauche tuus

les caracléres de l'aniaurose hystérique compliïtc, lu vision de l'œil droit ne présentant aucune anomalie appréciable.

Voici d'ailleurs quelques détails plus circonstanciés relevés par M. Parinaud à propos de l'jxainen oculaire de notre malade (f'i/. 23). L'examen de l'œil

Ki(f. ■-

droit fait constater un champ visuel absolument normal. Pas de dischroms- topsic, pas de polyopie monoculaire. Le cliamp visuel du rouge est, comme dans l'état normal, moins étendu que celui du bleu.

L'oiil gauche présente au contraire une ainaurose complète ; on peut s'en assui-er en approchant vivement un doigt de l'oeil gauche, le rt^llexe du cligne- ment n'a pas lieu. Kn outre le malade ne présente pus de ce câté les modifi- cations pupiltaires relatives <l l'accommodation aux dislances. Point d'anes- thésie cornéennc ou conjonirlivale.

Lorsque, les deux yeux él.mt ouverts, on fuit regarder au malade un carré de papier lilunc, il ne voit qu'une image, laquelle disparait si l'on ferme l'util droit; |iui' rnnti-e si l'on [ilace devant co dernier ii-il nu prisme donnant une déviation de l'image de 10 centimi'ti-es environ, le malade voit deux carrés de papier litanc, au lien d'un ; si l'un interpose dans cette même expérience un verre coloré devant un des deux yeux, le malade voit unu iinoiji- culvii'fi et une image blanche et les positions respectives de ces images, varient suivant la direction du prisme.Si.au lieu de placer le prisme devant Tceil droit, on le place devant l'œil gauche amaurotique, le malade ne voit qu'une seule image. Ainsi l'œil gauche.amaiirutique dans la vision monoculaire, fonctionne normalement lorsqu'il s'agit de la vision binoculaire. Ces faits singuliers mais qui, plusieurs

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fois, déjà, ont été observés dans des circonstances analogues, avec un con- cours de précautions qui mettent à Tabri de toute erreur, peuvent-ils être interprétés en admettant pour la vision monoculaire et pour la vision biuoculaire deux centres distints? Je laisserai pour le moment la question sans solution, car il s* agit seulement pour nous actuellement de bien montrer que notre sujet présente réellement un ensemble fort caractéristique de symptômes hys- tériques; à cet égard, vous le voyez, les preuves abondent, et il parait inutile de pousser plus avant.

Je ne veux pas oublier de mentionner cependent encore, avant de clore cette énumération, l'existence d'une plaque hy péresthésique hystérogène dont il a été déjà question du reste plus haut, située sur le tronc dans la région hépatique, et celle d'une plaque de même nature occupant le scrotum du côté gauche, avec participation du testicule correspondant.

Tels sont les trois grands éléments pathologiques que l'analyse clinique nous conduit à distinguer chez notre malade.

Vous avez bien compris qu'il ne faut pas voir autant d'épisodes sans connexion mutuelle et réunis par le seul hasard sur un même sujet. Les lois d*une logique implacable régnent, au contraire, dans toute cette histoire.

L'alcoolisme du père a retenti sur le fils sous la forme de la paralysie infantile spinale. Les abus du fils, dont le père encore est au moins en partie responsable, ont déterminé chez celui-là la paraplégie alcoolique et préparé le développement de l'affection hystérique que des causes morales ont, à un moment donné, fait éclater. L'influence des abus alcooliques sur le déve- loppement de l'hystérie, surtout chez Thomme, est, on le sait aujourd'hui un fait de connaissance vulgaire et pour ne pas entrer actuellement, sur ce sujet, dans de longs développements, je vous renverrai à une leçon que j'ai faite il y a deux ans et que vous trouverez insérée dans le Bulletin médical du 25 mai 1887 [Hémianesthésie hystérique et hémianesthésies toxiques),

11 ne nous reste plus, messieurs, pour en finir, qu'à envisager les questions relatives au pronostic et au traitement. C'est l'hystérie qui aujourd'hui est ici l'affection dominante vraiment active ; les lésions de la paralysie infan- tile spinale^ aggravées un moment par celles qu'a produites l'intoxication alcoolique ne constituent plus guère que des infîrmités incurables, derniers vestiges de maladies éteintes.

Que pourrons-nous faire en faveur de notre malade ? C'est toujours chose fort sérieuse que l'existence d'une hystéro-épilepsie développée dans les con- ditions où il se trouve. Personne ne veut plus l'employer à cause de ses crises nerveuses fréquentes et d'ailleurs terribles, et aussi à cause de son état mental qui le rend irrégulier et oublieux.

C'est ici le lieu de rappeler que les affections nerveuses d'ordre dyna- mique, sans lésions appréciables, ne sont pas, tant s'en faut, toujours moins durables, moins tenaces que ne le sont les maladies dites organiques.

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Telle est en particulier Thystérie de l'homme, surtout celle de Thomme adulte, et pour ce qui est spécialement du sujet que nous avons sous les yeux, je ne pense pas qu'il puisse reprendre son travail assez sérieusement pour subvenir à son existence, avant plusieurs mois, plusieurs années peut-être.

Sans doute, la cessation des abus alcooliques, par la stricte observation des règles de Thôpital, a eu pour efïet de produire en lui quelques amendements auxquels ont contribué, d'un autre côté, l'emploi des pratiques hydrothéra- piques et l'usage des toniques ; mais nous n'entrevoyons pas encore une solution définitive quelque peu prochaine (1). Les attaques chez lui, bien qu'un peu moins fréquentes que par le passé, persistent toujours et aussi les stigmates. Le mieux, je crois, sera d'obtenir son admission à l'hospice de Bicélre, ou à l'abri de la misère et des tristes préoccupations et privations qu'elle entraîne avec elle, il pourra pendant un temps sufQsamment prolongé, suivre le traitement qui lui convient. Finir par Bicêtre ! Hélas, pauvre Don Juan » !

Malade

Trois malades atteints de paralysie faciale périphérique sont introduits.

M. Charcot. Le premier de ces trois malades dont nous allons nous occu- per un instant est un garçon de 15 ans que nous vous avons présenté déjà le mardi 18 juin dernier (Voir Leçons du mardi, 1887-88, p. 463) comme un exemple de paralysie faciale douloureuse. En effet, le dimanche 3 juin il avait, le soir, ressenti une douleur dans la profondeur de l'oreille externe droite et en même temps un agacement des dents du même côté. Déjà, ce soir-là, il ne pouvait plus fermer son œil droit complètement. Le lendemain la bouche était de travers et la paralysie faciale était absolue. L'application du froid dans ce cas paraît avoir contribué à provoquer l'apparition de la paralysie ; mais on pouvait recueillir dans les antécédents personnels et héréditaires du malade les preuves d'une prédisposition nerveuse accentuée. Lui-même est névropathe ; dans l'enfance il a eu des convulsions ; la nuit il parle, s'agite, gesticule.

1. Comme cela arrive dans la plupart des cas de grande hystérie chez l'homme Thypnotisa- Uon dans ce cas n'a pas été praticable.

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Sa mère est une mélancolique, une anxieuse ; elle tombe de temps en temps, sans cause appréciable, dans des accès de tristesse qui durent plusieurs semaines, plusieurs mois.

Je crois devoir reproduire ici les paroles par lesquelles je terminais les considérations présentées à propos de ce malade dans la leçon du 18 juin 1888 : « Chez notre malade, les douleurs de Toreille et des dents n'ont pas été intenses; elles paraissent s*étre développées presque en même temps, peut- être en même temps que la paralysie et elles n'ont pas survécu longtemps à son début; d'après cela, conformément aux conclusions de M. Testaz, la paralysie devrait être considérée comme bénigne, facilement guérissable. Eh bien, messieurs, cela ne parait pas être tout à fait le cas chez notre malade, car Texploration électrique pratiquée il y a quatre jours a fait recon- naître chez lui une réaction de dégénération prononcée.

De plus, quand à Taide du marteau de Skoda, on percute les muscles du côté paralysé, on les voit agités de secousses fibrillaires qui révèlent en général, une modification organique assez prononcée des faisceaux muscu- laires. Notre cas donc, à n'en pas douter, n'appartient pas à la catégorie bénigne : il est vraisemblable, au contraire, que notre jeune client en aura pour longtemps. >

11 n'est pas sans intérêt de constater aujourd'hui ce qui est advenu chez notre jeune malade, qui n'a pas cessé d'être soumis au traitement électrique méthodique depuis le 20 juin, c'est-à-dire depuis 5 mois environ. Nous cons- tatons aujourd'hui un amendement très remarquable. La plupart des mouve- ments volontaires ont reparu dans le domaine du facial paralysé ; il peut fermer parfaitement l'œil, faire contracter normalement les divers muscles de la joue et des lèvres ; l'excitabilité électrique cependant est encore en défaut. En somme les choses ont été plus vite que nous ne l'avions pensé en nous fondant sur V électro-pronostic : nous pouvons espérer que sous peu la guérison sera complète. A ce propos je crois devoir relever ce qui suit:

Rien de mieux établi pour l'immense majorité des cas que la classification établie par M. le professeur Erb, des paralysies faciales en forme légère, moyenne, et grave, classification fondée sur Télectro-diagnostic qui, dans l'es- pèce, pourrait être appelé l'électro-pronostic. Mais il ne faut pas oublier que les règles établies par M. Erb, fondées incontestablement sur un nombre consi- dérable de bonnes observations, comportent cependant quelques exceptions que relevait l'autre jour M. le D' Neumann dans un travail publié par V Union fnédicale (15 novembre 1888). On peut voir des cas de paralysie faciale qui, paraissant, au point de vue des réactions électriques, comporter un pronostic grave, guérissent cependant rapidement, tandis que des paralysies dites bé- nignes, d'après les réactions électriques, peuvent exceptionnellement persister pendant longtemps.

M. Dejerine a signalé un cas de ce genre (Société de Biologie, 9 août 1884),

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dans lequel Tautopsie a fait reconnaître dans le nerf facial Tintégrité de la grande majorité des tubes nerveux.

c Nous avons eu l'occasion, dit M. Neumann, d'observer des hémiplégies de la face dans lesquelles les résultats fournis par l'examen électrique ne s'ac- cordaient en aucune façon avec Tintensité et la durée de la maladie ; et nous avons vu des paralysies faciales, ne s'accompagnant d'aucun changement dans les réactions électriques, persister pendant des mois entiers et ne se terminer que par une guérison incomplète. »

Ces cas qui paraissent échapper aux règles posées par M. le professeur Erb doivent être certainement fort exceptionnels. Ils suffisent cependant à montrer une fois de plus qu'il reste encore quelque chose à faire sur ce chapitre de la paralysie faciale qu'on pourrait croire à. peu près complètement épuisé.

3* ET Malades

11 s'agit ici de deux cas de paralysie faciale périphérique de date récente.

Le premier concerne un homme d'une trentaine d'années qui, il y a huit jours a soulFert d'un coryza avec mal de tète et en même temps de dou- leurs derrière l'oreille du côté droit. La paralysie faciale a paru deux jours après. Impossibilité de fermer l'œil droit, joue droite flasque et immobile.

La réaction électrique indique une forme légère. Il a été impossible de trouver dans les antécédents héréditaires du malade la moindre trace d*une tare nerveuse.

Le second malade, âgé de 18 ans. est également atteint de paralysie faciale depuis une huitaine de jours ; c'est de la forme non douloureuse qu'il s'agit. Il s'en est aperçu le matin au réveil : il ne se rappelle pas avoir été soumis à l'action du froid. La recherche des antécédents nerveux dans la famille ou chez le sujet lui-même est restée sans résultat. La paralysie est très accentuée dans tout le côté gauche de la face : front, orbiculaire de l'œil, muscles de la joue.

Cependant il s'agirait, d'après les indications fournies par l'étude des réactions électriques, d'une forme légère.

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Policlinique du Mardi 27 Novembre 1888

SIXIÈME LEÇON

1*^ Chorée aiguë grave chez un jeune homme de 18 ans. Antécédents nerveux héréditaires très accentués. Rhuma- tisme articulaire aigu dans les antécédents personnels.

2^ « Secousses » servant de prodromes aux accès chez une jeune épileptique de 15 ans. Rétrécissement du champ viiiuel après les accès.

30 Hystérie chez un saturnin âgé de 28 ans.

V Malade.

Messieurs^

Je vais faire placer sous vos yeux un cas de chorée aiguë grave, menaçant au premier chef au point de vue du pronostic. La mort peut s'en suivre, en effet, dans un bref délai, et je crains beaucoup, je vous l'avoue, que ces tristes prévisions ne se réalisent. Je vous ferai remarquer en passant, messieurs, que depuis l'installation dans cet hospice de la consultation externe et du service de clinique, notre matériel d'observations, en ce qui concerne la chorée, est devenu fort riche.

Chaque année, en effet, nous sommes consultés par une soixantaine de choréiques des deux sexes et de tous les âges ; de fait nous en avons observé plus de cent cinquante, dans le courant des trois dernières années dont une quinzaine environ ont été admis dans les salles. Cette remarque est des- tinée à vous montrer que si§parfois nos opinions diffèrent sur certains points relatifs à cette affection de celles professées par quelques auteurs auto- risés, nos assertions contradictoires ne sont pas fondées uniquement sur des

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vues de Tesprit ; elles s'appuient au contraire, à peu près toujours, sur un nombre suffisant d'observations originales.

Vous comprendrez également par comment nous avons été plusieurs fois mis en mesure, depuis cette époque, d'observer dans ce genre un certain nom- bre de cas rares, exceptionnels.

Un malade est introduit sur une civière.

M. Charcot : Voici notre malade^ nous allons l'examiner très rapidement ;sa situation ne nous permet pas de le laisser longtemps sous vos yeux.

Je vous Tai annoncé comme un choréique ; au premier abord vous pourriez ne m'en pas croire tant sont faibles et rares actuellement chez lui les gesticu- lations.

Il en étaittout autrement il y a vingt-quatre heures à peine ; alors les mouve- ments choréiques étaient quant à la généralisation, à la persistance et àTinten- sité, poussés au plus hautdegré, subsistant nuit et jour, sans cesse ni sans trêve. Voici d'ailleurs l'histoire clinique de la maladie telle qu'elle s'est déroulée depuis son début jusqu'à ce jour.

Les premiers mouvements involontaires ont paru dans les bras et dans la tête vers le 5 novembre, c'est-à-dire il y a environ vingt-deux jours ; quinze jours auparavant, s*étaient montrées des douleurs articulaires avec gonflement occupant les deux cous-de-pied et qui ne durèrent que quelques jours; c'était une réapparition fort atténuée d'un rhumatisme articulaire beaucoup plus intense, plus généralisé qui avait sévi au mois de janvier et sur lequel je reviendrai ultérieurement. Je me bornerai à relever en ce moment que cette attaque de rhumatisme a laissé, après elle, une lésion de l'endocarde marquée actuellement par un souffle assez rude siégeant à la pointe du cœur, au pre- mier temps.

Les grands mouvements choréiques se sont manifestés d'abord sur le mem- bre supérieur gauche ; deux ou trois jours après ils ont gagné le membre inférieur du même côté et la face enfin; une semaine après, le côté droit a été pris à son tour.

Le malade est venu à la consultation de l'hospice pour la première fois le mardi 13 novembre ; les mouvements choréiques étaient, cette fois-là encore, d'intensité moyenne; ils s'étendaient, comme on l'a dit, aux quatre membres et à la face avec prédominance à gauche. La parole était déjà assez difficile; pas de fièvre ; souffle vers la pointe du cœur. La seconde visite qu'il nous a faite date du 16 novembre, trois jours après la première. Les accidents nerveux s'étaient rapidement aggravés : le malade est ce jour-là, énormément agité sur la chaise il se tient assis ; ses grimaces, ses gestes sont des plus désordon- nés ; soudain il lance ses bras de chaque côté du tronc, croise ses jambes avec un grand luxe de mouvements ; il parle très difficilement, en changeant sans transition le tonde sa voix et en chantonnant. Si on lui dit de se lever, il le fait brusquement et, une fois debout, il sautille tantôt sur une jambe, tantôt

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sur l'autre, inclinant son corps d'un côté, puis de l'autre. Les mouvements anormaux sont toujours plus intenses du côté gauche que du côté droit. Chose intéressante à noter,parce qu'on a voulu en faire un caractère propre à certai- nes choses prétendues spéciales, à Toccasion des mouvements volontaires, les gesticulations s'atténuent, et même parfois cessent momentanément tout à fait : ainsi, il peut porter un verre à sa bouche, de la main droite surtout, sans répan- dre le contenu. Toutefois il lui est impossible d'écrire. Sommeil agité. Le trai- tement jusqu'ici a consisté dans l'emploi du bromure (4 à 5 gr.) et hydrate de de chloral (2 à 3 gr. par jour.)

Nouvelle présentation du malade le 19 novembre.

Erapirement très accentué de tous les symptômes : le malade ne dort pour ainsi dire plus depuis deux nuits. Les gesticulations des membres et du tronc sont de plus en plus étendues. La situation évidemment devient sérieuse et sur la demande de sa mère le m&lade est admis dans les salles de la Clinique. Les difficultés qui se sont produites un instant après son admission sont, en ce qui concerne son état mental, une véritable révélation : Il fait dans la cour de l'hospice tout en gesticulant à Textrôme, une scène des plus bruyantes. H prétend qu'il ne peut supporter Todeur de la salle, qu'il ne saurait rester avec des gens d'aussi basse extraction que ceux qui s'y trouvent, etc., etc. Enfin on parvient à le calmer un peu et il consent à se coucher (Bromure de pot., 6 gr., hydrate de chloral, 4 gr.)

Mardi 20 novembre, Le malade n'a pas dormi de la nuit ; il s'est montré très agité ; il se livre continuellement soit au lit, soit sur le fauteuil il s'as- sied, à des gestes de grande étendue. Il projette sa tête violemment de côté et d'autre et en frappe les oreilles du fauteuil ou l'oreiller du lit. Il fait les grimaces les plus insensées, croise et décroise constamment ses jambes ; plie le tronc en avant et peu après le renverse brusquement en arrière ; il glisse incessamment sur le fauteuil il est assis de façon que sa tête repose bientôt sur le siège et qu'on est à chaque instant obligé de le redresser ; au lit, même tendance à toujours descendre. On s'aperçoit que les coudes, le creux poplité commencent à rougir en conséquence des violents frottements auxquels ils sont inr-essamment soumis.

Sans doute il est de règle que dans la chorée,méme la plus bénigne, il y ait à constater quelque perturbation mentale. Mais, désormais, chez notre malade, les troubles de ce genre dépassent évidemment les limites ordinaires c'est ainsi qu'il prétend avec assurance, être persécuté par les malades du service ; tous ceux qui ont aidé à le maintenir dans son lit ou dans son fauteuil l'ont, assure-t-il, cruellement brutalisé; on Taccuse sans cesse, dit-il, d'avoir eu la syphilis; le soir du même jour il nous affirmait qu'on lui avait coupé le «scro- tum ». Par moments il semble reconnaître que tout cela est faux et nous dit : < Mais est-ce que je rêve? » La température s'élève à 39* ; le pouls est à 120, régulier, (Bromure de sodium, 6 gr. ; chloral, 6 gr. ; extrait thébaïque,0 gr. 05.)

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Mercredi 21 novembre, Celte nuit, il a dormi en deux fois près de trois heu- res. Ce matin néanmoins il est à peu près aussi agité qu'hier ; les gesticulations sont tout aussi étendues. C'est à peine s'il peut aujourd'hui articuler un mot distinctement. Les rougeurs dues au frottement s'étendent maintenant à la face postérieure et interne des bras. On n'a pu le laisser hors du lit, sur son fau- teuil, qu'une heure ce matin. De même que les jours précédents, il ne peut avaler, et encore difficilement, que des aliments liquides. Même traitement. Température rectale de 38® 4 matin, 38* 8, le soir.

Jeudi 22 novembre. 11 a à peine dormi une heure cette nuit. Toujours extrê- mement agité. Les gesticulations sont des plus intenses. Il n'a pu quitter un instant le lit il rend les urines involontairement. Impossible d'émettre le moindre bruit articulé ; aussi, est-il fort difficile de se rendre compte exac- tement de son état mental. Toujours est-il qu'il parait comprendre les ques- tions qu'on lui adresse ; sur la demande qu'on lui en fait, il essaie de tirer sa langue, mais il n'y réussit pas et parvient seulement à ouvrir la bouche. La langue n'est point sèche. Même traitement. Température rectale : matin 38* 6, soir 38*» 8.

Vendredi 23 novembre, Bien qu'il n'ait pris qu'environ 2 grammes de chlo- ral,il a dormi toute la nuit. Les mouvements choréiques sont moins étendus et plus lents qu'hier. Il y a donc à quelques égards une apparence d'amendement ; mais, s'agit-il d'une amélioration sérieuse ? on n'ose l'espérer. Le malade est, en réalité, très prostré, très amaigri, les yeux enfoncés. Les lèvres sont sèches, couvertes d'enduits ; la langue cependant reste humide.

On a eu raison ce matin, quant au pronostic, de se tenir sur la réserve, car le soir, bien qu'on ne puisse découvrir l'existence d'une complication viscé- rale quelconque, la température s'élève brusquement à 40" ;le pouls est à 120, régulier.

Samedi 2i novembre. Le malade n'a pas paru agité celte nuit : mais son état ce matin n'en est pas plus rassurant pour cela : sans doute les mouvements anormaux des membres ainsi que les grimaces sont moins étendus moins fré- quents. Il se borne à grincer des dents, à élever les sourcils brusquement pour le? abaisser ensuite, à tourner les yeux presque convulsivement de tous côtés ; mais le faciès est légèrement cyanose, amaigri. La température est à40* 3;le soir elle se maintient à 40". Pouls très fréquent : près de 140 par minute et un peu après à 120 seulement; arythmie très prononcée ; lesouffle vers la pointe du cœur ne s'est pas modifié.

En outre de la solution de Fowler et de la teinture de Mars prescrites hier, on a administré aujourd'hui 0 gr. 75 de digitale. Poudre de viande, potion de Todd.

Dimanche 25 novembre. Sommeil très agité lanuit ; il crie, délire, appelle sa mère. Toujours grincements de dents, mouvements diversdelaface;les gesti- culations sont encore atténuées. Il ne parait pas reconnaître les gens qui l'en-

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tourpnt. Quoi qu^l en soit, la température a notablement baissé : le matin, elle est à39» le soir & 38" 6. S'agit-tl ik d'une liéfervescence de bon aloi : C'est bien peu vraisemblable. Le pouls ralenti nstlantât à 60°, tantdl à 80", presque régu- lier : on suspend la digitale et l'on se borne aux toniques.

iMndi 26 novembre. M^meétat qu'hier.II avale difficilement, somnolence, avec cris inarticulés de temps à autre ; les mouvements dans les membres ont presque complètement dispnru. Trmpi'Taturr Sfi'.pnuls iW, 120.

Voici enfin Tt-tal dans li^quei nous le trouvons aujourd'hui mardi 27. Veuillez bien remarquer tous les détails que je vais relever chemio faisant dans le cours de notre o

Le iracv 4u pouls eal ,-

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Ce qui frappe tout d'abord, avec le mutisme absolu du sujet et Texpression de torpeur de ses traits, c'est Tabsence à peu près complète de mouvements involontaires : que sont devenues ces grandes gesticulations de ces jours pas- sés ? Elles ne sont plus représentées actuellement que par de légères secousses des membres tant supérieurs qu'inférieurs, visibles surtout lorsque ceux-ci sont maintenue soulevés par la main de l'observateur et qui rappellent la des- cription des soubresauts de tendons des fièvres graves.

Serait-ce donc qu'il s'agit ici de celte forme paralytique de la chorée dont je vous montrais l'autre jour un exemple ? Hélas ! non, il n'y a qu'une apparence trompeuse; la chorée molle paraît être généralement bénigne, tandis que, actuellement, le cas est évidemment sérieux. Je relèverai particulièrement, comme indices tristement significatifs, la teinte cyanosée générale des tégu- ments et surtout des extrémités et du nez ; la maigreur extrême du sujet sur- venue très rapidement, bien que l'alimentation ait pu être continuée tant bien que mal ; la langue çst sèche, le ventre creusé en bateau, comme rata- tiné, etc., etc.

Le malade peut être ramené dans les salles : (Le malade est porté hors de de la salie), le voilà parti, nous pourrons parler de lui plus librement. Eh bien, messieurs, je vous dirai franchement, maintenant qu'il ne peut plus nous entendre, que je ne suis nullement rassuré sur son compte. L'amaigris- sement rapide, la teinte cyanosée, la stupeur et jusqu'à la presque complète cessation dos mouvements qu'on pourrait, dans d'autres circonstances, con- sidérer comme un événement favorable, tout cela ne nous dit rien de bon ; et, bien que depuis hier, la température centrale ne se soit pas élevée au-dessus de 38°8, je redoute fort, quoi que nous puissions faire, une terminaison fatale dans un bref délai.

Oui messieurs, pour tout dire en un mot, je crains qu'il ne s'agisse ici d'une chorée mortelle. Est-ce donc que la chorée, cette affection que j'ai eu l'occasion fréquente de vous présenter comme généralement bénigne, puisse en réalité se terminer quelquefois par la mort? Eh bien, oui, cela peut arriver dans certains cas, et justement je veux, un instant, attirer votre attention sur les faits de ce genre.

Messieurs, il sera légitime, je pense, avec Lendet (Mémoire sur les chorées sans complications, terminées parla mort. Arch, de Méd. 1853, 2^ série) et avec le D' Sturges [Chorea as a fatal dUease. On chorea, p. 172. London 1881), de distinguer dans l'espèce deux ordres de cas tout à fait différents : Ceux dans lesquels on meurt pendant la chorée en conséquence de quelque complication organique telle que pneumonie, endocardite, etc.; ceux dans lesquels, au con- traire, on meurt sans complication de ce genre, par le fait môme de la chorée si Ton peut ainsi parler.

Ce sont les cas du dernier groupe qui devront nous occuper exclusivement, car à mon avis, messieurs, si la terminaison par la mort a lieu chez notre pau-

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vre garçon, comme je le redoute, ce ne sera pas, ainsi que je l'exposerai tout à l'heure dans le détail par suite d'une complication viscérale, cardiaque, pul- monaire ; en outre, mais bien en conséquence d'un processus particulier dont la raison physiologique ne nous est pas encore connue. Mais avant d'en venir à la discussion de ces points, il ne sera peut-être pas inutile de relever, en passant, qu'en tous cas, quelle qu'en soit la cause, qu'il y ait ou non complica- tion viscérale imflammatoire, la terminaison par la mort, dans la chorée, est chose vraiment rare. Ainsi au rapport de M. Sturges. en prenant les registres de Guy'shospital pour 30 ans, Hughes a trouvé seulement 11 cas de chorée avec issue fatale; le D'Dickinson, à Saint-Georges hospital, pour une période de 31 ans, 16 cas; à l'hôpital des Enfants malades, dans une période de 15 ans, on n'en a pas compté plus de 6 cas.

Il y a tout lieu de croire d'ailleurs, bien que le départ à cet égard n'ait pas été fait régulièrement, que la chorée mortelle par elle-même est plus rare que la chorée mortelle par complication.

Mais j'en reviens à notre cas, qui, je le répète, représente un exemple de la première catégorie, c'est-à-dire un cas de chorée mortelle sans complication. La question à examiner est celle-ci. Comment, dans quelles circonstances meurt-on dans la chorée par la chorée ? Là-dessus, on le comprend, nous ne pouvons rien savoir qui ne soit fondé sur l'observation comparative d'un cer- tain nombre de faits du groupe. Or la comparaison de ces faits apprend ce qui suit : Il ne paraît pas et je m'appuie ici sur les chiffres rassemblés par M. Sturges qu'avant l'âge de 7 ou 8 ans, et môme jusqu'à 12 ans, on meure de la chorée sans complication; s'il y a quelques exceptions à cette règle, ce serait chez les filles qu'elles auraient été observées.

Après l'âge de 12 ou 14 ans, il se produit dans l'histoire clinique de la chorée une évolution fort remarquable, car alors, en eflfet, on peut voir survenir, contrairement à ce qui est la règle aux époques antérieures, des cas graves ; soit que la maladie en vienne à s'éterniser à l'état chronique (chorée chronicïue) soit qu'elle conduise^ dans la forme aiguë, plus ou moins rapide- ment et sans le concours d'une complication organique viscérale, à la termi- naison fatale.

C'est donc, en résumé, chez l'adolescent, chez l'adulte, et, aussi chez le vieillard ainsi que je l'ai plusieurs fois observé, qu'on peut redouter de voir survenir la mort dans la chorée non compliquée. Ainsi, en d'autres termes, chez l'enfant, au-dessous de 12 ans par exemple, quelle que soit l'intensité, souvent effroyable des convulsions choréiques, tant qu'il n'y a pas interven- tion de quelque complication viscérale redoutable par elle-même, l'issue fatale n'est pas à prévoir. Vous voyez, par contraste d'après ce qui a été dit plus haut, qu'il n'en est pas tout à fait de même lorsque la chorée survient à un âge plus avancé. Alors si la chorée se montre quelque peu intense, si même aucune complication alarmante n'est survenue^ soyez attentifs, sachez vous tenir pru-

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demment sur la réserve, en ce qui concerne le pronostic ; le cas peut tout à coup se montrer grave.

Nous venons de recueillir là, chemin faisant, un renseignement évidemment de grande importance. C'est à savoir que chez l'adolescent et l'adulte, la cho- rée aiguë peut par elle-même, exceptionnellement il est vrai, devenir une maladie fort sérieuse. Nous devons nous appliquer à rechercher maintenant si, étant donné Texistence de la chorée aiguë chez un adulte, il n'est pas cer- taines circonstances, qui, dans un cas particulier, puissent conduire à prévoir le danger. Parmi ces circonstances fâcheuses de nature à assombrir le pronos- tic de la chorée chez l'adulte, onpeut au premier chef citer l'état de grossesse. C*est à juste titre que la chorée de la grossesse porte en clinique un renom fâcheux, non pas qu'il s'agisse d'une chorée spéciale liée intimement à la grossesse, M. le Prof. Jaccoud a parfaitement montré que c'est dans ces cas- là, la chorée vulgaire qui est en jeu, aggravée par les conditions de la gros- sesse. (Clinique de la Charité p. 476). Les deux seuls cas de chorée mortelle qui se sont produits dans mon service à la Salpôtrière, dans le cours des trois dernières années, sont relatifs à des femmes grosses.

La première était une fille de' 19 ans dont l'histoire a été rapportée par M. Guinon,mon interne, d'abord, dansl'A France médicale (n° 7, 19 janvier 1886). Cette fille nous paraît avoir succombé à la chorée, paj' la chorée. Les phleg- mons suppures qui s'étaient produits dans les membres en conséquence des mouvements désordonnés, et les vestiges d'endocardite ancienne relevés chez elle lors de l'autopsie, ne nous ont pas paru expliquer à eux seuls la terminai- son fatale. Le deuxième cas est plus récent : il est relatif à une femme mariée âgée de 20 ans, enceinte de deux mois environ à l'époque la chorée a débuté. Les inouvements étaient désordonnés au plus haut degré : On n'a pu découvrir cliniquement aucune complication viscérale.

La mort est survenue dix jours à peine après le début de la maladie convul- sive ; on avait constaté un peu avant une température vaginale de 41 degrés : Malheureusement l'autopsie a été refusée.

Il ne parait pas que l'existence antérieure du rhumatisme articulaire chez l'adulte atteint do chorée ait une influence très marquée sur la production des accidents qui conduisent à la terminaison fatale, dans les cas qui nous occupent. Toujours est-il qu'on peut voir la chorée survenir chez l'adulte dans des circonstances il n'existe aucune trace d'une endocardite présente . ou passée. Sur dix cas concernant des choréiques morts pendant la chorée re- levé par M. Dickenson, on en compte trois chez lesquels l'endocarde ne pré- sentait aucune trace de végétations. Sur trois cas du même genre, rassemblés par M. Peacock, les végétations faisaient défaut dans un cas. J'emprunte- ces chiffres à l'intéressant ouvrage déjà cité de M. Sturges (1).

1. Tout récemment M. le D' E. Powell, de Notttngham, décrivait deux oas de chorée ai^é

ill

Il n'en est certainement pas de même de Tinfliience des émotions plus ou moins profondes, de la peur, ayant pu présider au développement de la chorée^ Les chorées des adultes qui doivent se terminer par la mort reconnaissent souvent les causes susdites. Elles se font remarquer habituellement, anté- rieurement à l'apparition des mouvements choréiformes, comme aussi pendant le cours de Taffection, par des troubles psychiques plus profonds que cela n'a lieu d'ordinaire, par une exaltation mentale poussée au plus haut degré, ou encore de véritables troubles vésaniques.

On pourrait formuler ces résultats de l'observation clinique en disant que ce sont, chez l'adulte, les chorées émotionnelles qui surtout se montrent graves et j'ajouterai que, dans ces cas-là, une recherche attentive des antécédents de famille conduirait, vraisemblablement presque toujours, à la révélation de lares nerveuses des plus significatives. Nous verrons dans^ un instant que juste- ment, ces conditions-là existent d'une façon très accentuée dans l'hérédité de notre malade.

Autre question : Quels sont, étant donnée la ehorée chez un adulte, les signes prochains propres à indiquer que les choses prennent une mauvaise tournure? On doit, à ce sujet, rappeler en premier lieu que, généralement, la ehorée grave chez l'adulte se fait remarquer par des mouvements d'une inten- sité extrême; ce n'est pas une circonstance absolument nécessaire, mais c'est certainement le cas habituel. « On a peine à contenir les malades... Ils brisent les liens dont on les entoure, se roulent en bas de leur lit... etc., etc. Puis subitement, disent MM. Rilliet et Barthez », la violence des contractions diminue pour faire place à des soubresauts de tendons.

Incontestablement voilà qui est bien dit, et cet abaissement soudain de la violence des gesticulations choréiques, est certainement, dans ces conditions- un symptôme de fort mauvais augure. Quelques traits devront être ajoutés pour compléter le tableau :

En premier lieu, l'amaigrissement rapide du malade, la teinte cyanosée des téguments, la cessation brusque d'un délire plus ou moins bruyant remplacé désormais par de la stupeur; la sécheresse de la langue, etc., etc. ; et enfin, par-dessus tout, l'élévation de la température centrale qui, brusquement, dans l'espace de quelques heures, dépasse 38**, 39® et s'élève jusqu'à 40" 41°. Voilà, Je crois, l'un des éléments nécessaires du complexus morbide de fâcheux •augure sur lequel j'attire spécialement votre attention et qui ne me parait pas avoir été suffisamment mis en relief par les auteurs. Je l'ai rencontré pour ma part dans tous les cas de ehorée mortelle sans complication, au nombre de

qui se sont terminés par la mort. Us sont relatifs à un garçon de dix-neuf ans et à une femme de vingt ans. Le garçon présentait à l'autopsie des végétations sur le bord de la valvule mitrale chez la jeune femme morte « d'épuisement » cinq jours après son entrée h Thôpital, Tautopsi est restée négative (Semaine médicale^ Lettres d'Angleterre^ par le D' Keser, 9 janvier 1889).

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cinq, qu*il m'a été donné d'observer, et je crois bien que son existence aégale- ment été constatée constamment par tous les observateurs qui ont pris la peine de le rechercher.

Mais, me direz-vous, votre cas d'aujourd'hui fait exception à la règle, sous ce rapport, car si la température s*est, chez votre malade, élevée rapidement à un moment donné, et elle a atteint un jour près de 40*3; bientôt après, vraisemblablement sous l'influence de la médication mise en œuvre (tein- ture de digitale), elle s'est abaissée très notablement ; peut-être, ajouterez- vous, vous laissez-vous trop vivement impressionner par les autres symptô- mes, à savoir la cessation des gesticulations, le délire, Tamaigrissement, le faciès cyanose, etc., etc. Tout cela peut-être est réparable. Eh bien, Messieurs, vous direz tout ce que vous voudrez: je dois vous Tavouer, Tétat de notre pauvre malade ne m'inspire aucune confiance et je redoute fort, je le répète encore une fois, qu'il ne succombe dans un bref délai. Son cas me remet en mémoire ce qui m'est arrivé souvent chez les vieillards affaiblis de cet hospice atteints de pneumonie lobaire, alors que, dans les premiers temps de mon exercice, je m'efforçais, peut-être un peu naïvement, d'enrayer la marche si habituellement fatale de la maladie, par l'emploi des agents antipyré- tiques, en particulier de la digitale.

Nous obtenions ainsi assez facilement des courbes thermiques superbes et qui ne différaient en rien d'essentiel des courbes relatives aux cas terminés par la guérison. Mais, hélas! les autres symptômes ne marchaient point de pair, et les malades succombaient, à la vérité, en pleine défervescence. Il faut tenir compte de ces défervesccnces de mauvais aloi » et je crains bien que notre sujet n'offre un nouvel exemple du genre.

Quel est donc le mécanisme suivant lequel se produit la terminaison fatale dans ces cas de chorée des adultes aboutissant à la mort? Là-dessus, je n'cd pas de bien grands éclaircissements à vous donner; tout ce qu'on peut dire, c'est qu'aucune lésion organique grossière n'explique ces terminaisons-là. Ainsi, chez notre malade, s*il succombe comme je le redoute, il n'y aura cer- tainement pas lieu d'invoquer l'influence de la lésion mitrale dont l'ausculta- tion nous a fait reconnaître l'existence ; cette lésion date de loin, elle repré- sente le résidu d'un processus éteint. Elle n'est pas l'expression d'une maladie en pleine activité et qu'on pourrait incriminer comme étant la cause de tous les désordres. J'ajouterai que nulle part ailleurs nous ne rencontrons dans ces organes de signes d'une lésion quelconque appréciable par nos moyens d'investigation clinique. La plupart des auteurs qui se sont occupés de la question, ont fait des remarques analogues et plusieurs d'entre eux ont pro- posé de rapporter la cause de la mort à une modification générale de l'orga- nisme, et en particulier du système nerveux, résultant du surmenage, de l'épuisement causés par l'excessive intensité des gesticulations choréiformes. Sans doute il y a souvent quelque chose de cela dans la chorée mortelle; mais

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je ferai remarquer que Tintensité des mouvements n'est pas une condition absolument nécessaire à la production de la chore'e grave et que, d'un autre côté, chez Tenfant au-dessous de huit à dix ans, ainsi que nous Tavons fait remarquer plus haut, les choréesles plus intenses quant aux mouvements, si elles ne sont pas compliquées de lésions viscérales, évoluent le plus souvent sans tourner à mal. Dans l'impossibilité je suis de vous dire quelque chose d'un peu précis sur ce sujet, je me bornerai à vous proposer une comparaison, sans me faire d'illusion bien entendu sur la valeur des arguments fondés sur la seule analogie ; voilà du reste, de quoi il s'agit : il y a un rapprochement à établir, si je ne me trompe, entre la chorée mortelle et ce qui arrive chez les épileptiques dans les conditions dites de Vétat de mal ; ici les accès convulsifs deviennent nombreux et ils s'enchaînent de façon à constituer une série à peu près ininterrompue. La température s'est élevée rapidement à 38° 5, 39**, 40° et au delà, et elle ne s'abaisse guère, alors que les convulsions ont cessé ou se sont considérablement affaiblies, le malade restant toutefois dans le coma Le danger est alors imminent,et si le malade succombe, ce qui est, hélas I bien fréquent, Tautopsie ne révèle dans les organes aucune altération appréciable par nos moyens actuels d'investigation, qu'on puisse incriminer. C'est donc en pareil cas de la mort par Vépilepsie qu'il s'agit bien réellement et non pas de la mort déterminée chez un épileptique par l'intervention d'une compli- cation viscérale. 11 y a certsûnement de l'analogie entre ces cas relatifs à Vétat rfe ma/ épileptique et ceux qu'on pourrait grouper peut-être sous le nom d'état de mal choréique; et cette analogie-là, j'ai tenu à la faire ressortir, parce qu'elle conduira peut-être quelque jour à trouver une interprétation légitime des phénomènes communs, qui pour le moment nous échappe.

Mais en voilà assez pour aujourd'hui sur cette question des choroes sans complication terminées par la mort ». C'est un sujet sur lequel j'aurai malheu- reusement, sans doute, l'occasion de revenir très prochainement à propos de notre pauvre malade.

J'en viens maintenant à compléter son histoire clinique antérieure aux phé- nomènes actuels, par quelques détails fort intéressants, concernant son passé et son hérédité.

Maladif pendant son enfance. A... el a eu au cou, vers l'âge de 2 ans, des ganglions scrofuleux suppures dont il porte les traces. Sa santé s'était ensuite passablement amendée et il était devenu assez fort. Depuis deux ans il travail- lait dans une pharmacie comme élève.

Depuis le mois de février 1888, il a souffert de plusieurs attaques de rhu- matisme articulaire aigu de moyenne intensité durant chaque fois de huit à quinze jours ; elles ont sévi surtout en juin, juillet et août, et c'est alors que s'est développée, suivant toute apparence l'endocardite dont il porte les traces.

A partir de février, avant même le développement des accès de rhumatisme articulaire, son caractère était notablement changé ; il était devenu ner«

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veux, irascible, se contrariant pour un rien ; au mois de mai, à la suite d'une observation sans importance de la part de son patron, il avait, par un coup de tête, quitté la pharmacie il travaillait habituellement.

Ces changements de caractère s'étaient accentués surtout après le 13 mars, époque il fut soumis à une assez violente émotion : Il fut attaqué un soir en rentrant chez lui par deux individus qui après Tavoir renversé, lui prirent sa montre et son porte-monnaie, sans le frapper toutefois.

Le début de la chorée remonte, ainsi que nous l'avons dit, au commence- ment de novembre, vers le 3 environ. Une quinzaine auparavant, il avait été repris pendant quelques jours de douleurs articulaires, avec gonflement dans les deux cous-de-pied. Mais je le répète, c'est le 5 novembre seulement que les mouvements choréiques ont commencé à s'accuser nettement.

Vous le voyez, messieurs, le rhumatisme articulaire joue, chez notre malade un rôle assez important. On le voit sévir à plusieurs reprises avant le déve- loppement de la chorée et quelques médecins,après constatation de raffection articulaire, désigneront le cas sous le nom de chorée rhumatismale et croieront peut-être avoir tout dit ; mais n'avez vous pas manqué de le remarquer, messieurs, qu'il y a chez notre homme autre chose encore qui mérite bien d'être relevé, c'est à savoir l'élément névropathique, lequel se révélera dans tout son jour par l'étude des antécédents de famille. Messieurs, c'est cet élé- ment-là qui, dans le drame morbide, me paraît devoir occuper sur la scène la place prépondérante.

Vous connaissez certainement mon opinion relativement à la chorée dite rhumatismale : Je me suis plusieurs fois exprimé,je pense, très neltement,à ce sujet. A mon avis, permettez-moi de vous le rappeler en deux mots ; il n'y a pas de chorée méritant d'être appelée rhumatismale dans l'acception rigoureuse du mot : en d'autres termes, je ne crois pas que la chorée puisse jamais être considérée comme un « équivalent » dans les centres nerveux, de raffection articulaire, ou des affections viscérales de la « fièvre rhumatismale » ; il me parait bien que l'opinion contre laquelle je m'élève est le résultat d'une illu- sion. La chorée et le rhumatisme articulaire coexistent souvent soit chez un même sujet, soit dans la famille, cela n'est nullement douteux; mais la coïn- cidence frécjuente, l'alternance même de deux affections ne suffit nullement à montrer qu'elles sont identiques et de même nature ; tout au plus cela peut-il faire penser qu'il y a entre elles une certaine affinité dont il reste à rechercher la raison d'être. Or la coïncidence dont il s'agit, bien que réellement très vul- gaire dans le cas de la chorée, ne lui appartient certes pas en propre.On pour- rait la signaler, bien que moins accentuée sans doute, mais très commune encore, dans toutes les autres névroses à peu près sans exceptiDn ; ainsi dans l'hystérie, dans le mal comitial, dans la paralysie agitante, dans la maladie de Basedowe dans les vésanies, etc., etc. Gela saute aux yeux lorsque, cessant de concentrer toute son attention sur un champ limité, le clinicien prend

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« du recul > à Timitation du peintre qui veut envisager le tableau non plus dans les détails mais dans Tensemble. C'est en somme par un procédé d'obser- vation analogue qu'on a pu se convaincre, que la diathèse arthritique, dont le rhumatisme articulaire est un des représentants les plus communs, les plus vulgaii'es et la diathèse nerveuse s'associent volontiers Tune avec l'autre pour créer, en clinique, les combinaisons les plus variées, sans qu'on puisse dire qu'il y ait jamais entre elles cependant une véritable promiscuité. La coexis- tence très fréquente, mais nullement nécessaire, tant s'en faut, de la chorée et du rhumatisme est un exemple très frappant de cette association des deux diathèses; mais, je le répète, ce n'est pas un exemple unique dans son genre et il n'est pas à proprement parler un seul des membres de la grande famille neuropathologique cette association-là ne puisse être signalée.

Quoi qu'il en soit, à mon avis, ce n'est pas à titre de chorée associée au rhumatisme articulaire que l'afiection, chez notre infortuné malade, s'accom- pagne de symptômes graves ; car l'on sait que le pronostic dans la chorée des rhumatisants^ en dehors des complications viscérales, n'est pas plus fâcheux que dans celle qui se développe sans ce concours du rhumatisme. C'est donc ailleurs, je pense, qu'il faut chercher la raison des accidents graves observés dans notre cas ; déjà, tout à l'heure, nous avions été conduits à incriminer l'élément névropathique. Il me semble que cette accusation, appuyée déjà sur la connaissance des antécédents personnels du sujet, va se trouver mieux justifiée encore, par l'étude que nous allons faire des antécédents héréditaires.

TABLEAU SYNOPTIQUE DES ANTÉCÉDENTS DE FAMILLE DE A... EL

COTÉ PATERNEL COTÉ MATERNEL

Grand-père Grand^mèrb

Il s'est PENDU cinq S'est suicidé en se ans après le suicide Jetant par la fenêtre. de sa femme.

Le père du malade Suicide

S'est noyé volontairement dans le canal St- Martin. C'était un exalté. U commettait de nombreux excès alcoolique, d'absinthe sur- tout. 11 avait été atteint de chorée à Tâge de 9 ans»

!•' enfant à 7 mois.

Grand-père 0

Grand'mère

Attaques de nerfs à rage de 43 ans.

La mère du malade

Hémoplysies nerveuses (?) supplémentaire des époques, il y a douze ans.

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2 autres enfants morts en bas &ge.

Le enfant» A... cl Gabriel, notre malade, le 13 avril 1871 (après le siège), ner- veux exalté, CHORÉE

GRAVE.

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Entrons dans quelques détails nécessaires pour bien faire ressortir tout ce qu'il y a d'intéressant pour nous, dans l'évolution de cet arbre généalogique.

Le père du malade exerçait la profession de peintre sur porcelaine ; or, le peintre sur porcelaine à Paris tient à la fois, généralement, de l'ouvrier et de l'artiste. Education souvent incomplète : assez d'éducation et d'instruc- tion pour se faire illusion et croire qu'on peut juger de tout en dernier ressort; pas assez cependant pour bien juger; d'ailleurs lui était un exalté ; il a été plusieurs fois compromis dans les affaires de l'Internationale, puis dans celle de la Commune et il a ,en 1871, fuir en Angleterre oii il est resté jusqu'en 1878. Assez sobre jusqu'en 1871, il s'est mis, à partir de cette époque, àboire à l'excès ; il buvait d'habitude jusqu'à sept ou huit verres d'ab- sinthe par jour.

En 1886, après avoir perdu, par son inconduite, une place qu^il avait au Mont-de-Piété et qui le faisait vivre, il est allé se jeter dans le canal Saint- Martin il s'est noyé.

On nous apprend qu'à l'âge de neuf ans il avait été atteint d'une chorée qui aurait duré pendant près de dix-huit mois ; c'est vraisemblablement d'une chorée à rechutes subintrantes et non pas d'une chorée chronique qu'il a s'agir à cet âge. Quoiqu'il en soit, l'affection serait survenue chez lui à la suite deTémotionvive qu'il aurait éprouvée en trouvant son père pendu dans la cave de la maison. Déjà, quelques années auparavant, sa mère s'était également sui- cidée en se jetant par une fenêtre.

Voilà pour ce qui concerne le côté paternel ; vous voyez que de ce côté-là l'hérédité est fort chargée : trois suicides! Gela est très significatif. Le côté maternel n'est pas non plus indemne de tares nerveuses. La grand'mère du malade a en effet souffert d'attaquesde nerfs et sa môrcaétéaflectée d'hémop- tisie, qu'on a été conduit à considérer comme étant d'origine névropathique.

Il n'est pas inutile de relever que notre sujet est comme on dit : «un Enfant du Siège » et qu'il est le dernier de quatre enfants dont les trois premiers sont morts en bas âge.

Avec une telle hérédité, on comprend aisément qu'A...el ait toujours été un sujet ncrveux,singulier, bizarre, irritable et qu'à la suite de Témotion vio- lente qu'il a éprouvée lorsqu'il a été attaqué une nuit par des voleurs, il soit devenu plus déséquilibré encore, presque vésaniquc. On comprend ainsi d'un autre côté que, développée sur un tel terrain, la chorée ait pu prendre^ presque dès l'origine, les allures d'une affection grave, et s'accompagner d'acci- dents de fâcheuse apparence qui nous font redouter pour bientôt une termi- naison fatale.

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Malade.

Le second sujet dont je veux vous parler maintenant est une jeune épilep- tique âgée de 15 ans qui est entrée dans le service depuis quelques se- maines seulement. Nous en savons assez sur son compte pour pouvoir vous dire que ce qui doit nous intéresser dans son cas est ce qui suit : 1** Il y a à observer chez elle un phénomène qui n'est pas très vulgaire, et que je dési- gnerai avec M. Reynolds sous le nom de « secousses interparoxijsmales » de Tépilepsie {interparoxysmal starts). 2^ Elle présente en outre, après les accès, un rétrécissement concentrique temporaire, ou passager, comme vous voudrez dire, du champ visuel.

Voici d'abord quelques détails concernant les antécédents tant personnels qu'héréditaires de notre malade ; relativement au second point nous n'avons pu recueillir rien de bien précis.

L'enfant est orpheline ; elle a perdu son père et sa mère alors qu'elle était encore très petite. Cependant sa grand'mère, qui l'a élevée, affirme que tous les membres de la famille « étaient excessivement nerveux, aussi nerveux que possible » ; on n'a jamais pu en savoir plus long.

Pour ce qui est de l'enfant elle-même, elle n'avait jamais, paraît-il, été ma- lade lorsque, à 7 ans, elle fut un soir épouvantée par un gros chien qui se jeta sur elle en grondant sans toutefois lui faire le moindre mal. C'est peu de temps après cet événement que serait survenue la première crise comitiale et par la suite les accès ont eu une tendance marquée à se répéter environ tous les huit jours. C'est bien du mal comitial qu'il s'agit dans ce cas. En eifet sou- vent il y a pendant l'accès, morsure de la langue et urines involontaires, faits vraiment exceptionnels dans l'hystérie, même dans l'hystérie épilepti- forme (hystéro-épilepsie). Les accès sont le plus souvent nocturnes, ils sont marqués par une perte deconnaissance absolue et immédiate et le stertor de la fin est assez prononcé.

En 1887, la petite, ayant été placée à l'hôpital des Enfants malades, a été traitée par le bromure; sous l'influence de cette médication, les crises qui au- paravant, comme }e l'ai dit il y a un instant, se montraient tous les huit jours, n'ont plus paru qu'une fois par mois, pendant toute la durée du traitement.

Cette influence marquée^de l'action du bromure fournit un caractère que, pour le diagnostic, on pourrait utiliser, dans certains cas difficiles, je crois

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en effet pouvoir affirmer Topinion que jamais la fréquence des crises n'est sérieusement modifiée par l'emploi du bromure, même aux doses les plus élevées, quand il s'agit de l'hystérie, tandis que, au contraire, dansl'épilepsie, l'influence modératrice du médicament se fait toujours reconnaître au moins à un certain degré Du reste l'enfant, examinée avec soin, ne présente aucune trace d'ovarie, d'analgésie ou d'anesthésie soit sensitive, soit senso- rielle, à l'exception de ce qui concerne la vision, mais c'est un point sur lequel on reviendra tout à Theure, d'une façon particulière.

Je vous disais que l'accès n'était, chez notre jeune malade, précédé par aucune sensation d'aura et cela est vrai ; mais elle ressent cependant, dans la règle^ des avertissements^ des prodromes, annonçant presque à coup sôr que la crise est plus ou moins imminente, qu'elle éclatera dans un bref délai ; et justement ce qui constitue les « avertissements» dont il s'agit, ce sont les secousses » sur lesquelles je vais actuellement vous dire un mot.

Voici en quoi elles consistent, chez notre malade. Ce sont de brusques mouvements cloniques qui, le sujet étant assis, les mains reposant sur le genou, élèvent tout à coup les membres supérieurs à 10 ou 12 centimètres au- dessus du plan de repos, puis ces membres retombent inertes presque aussitôt, pour être de nouveau soulevés par une ou plusieurs secousses. Lorsqu'elle est debout, ces secousses, qui rappellent les mouvements analogues produits sous l'influence d'une émotion brusque, d'une surprise déterminée je suppose par une détonation inattendue, ces secousses, dis-je, sont assez intenses pour faire « qu'elle laisse tomber ce qu'elle tient dans les mains », Les secousses surviennent pour ainsi dire par accès très souvent répétés pendant la durée des trois ou quatre jours qui précèdent Taccès comitial; d'abord discrètes le premier jour, elles se rapprochent de façon à devenir enfin prcscjue inces- santes, et c'est alors que l'accès éclate. 11 est remarquable (juiî ces secousses sont toujours antérieures à l'accès, jamais postérieures; il est remarquable aussi qu elles se sont manifestées dès les premières attaciues et que jamais celles-ci ne paraissent sans en avoir été précédées. Elles ne sont marquées par aucune sensation pénible : elles ne s'accompagnent pas de crampes, en particulier. Elles ne se montrent habituellement pas la nuit.

Messieurs, parmi les auteurs qui ont écrit sur l'épilepsie, il en est peu qui n'aient pas mentionné les « secousses » dont il s'agit et que quelques-uns d'entre eux désignent sous les noms de « commotions prémonitoires (Herpin) d'épilepsie parcellaire » (Burlureaux, Dict. de Dechambre, etc). Mais c'est surtout au D' Reynolds, de Londres, qu'on doit une étude régulière du sujet. (Epilepsy, London 1881, p. 63, c/owic, spasm., star). Ces secousses, qui doi- vent être distinguées des crampes et du tremblement qui quelquefois se pro- duisent dans les mêmes circonstances, occupent les membres supérieurs, ou les membres inférieurs ou parfois les deux en même temps ; on les voit en outre se produire aussi chez quelques individus dans les muscles extenseurs

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du tronc, plus rarement dans ceux de la face et du cou. Dans certains cas, à peine visibles à Toeil tant elles sont légères, elles sont d'autrefois tellement puissantes que le malade peut être renversé à terre avec un cri produit par "^'^ action brusque des muscles respirateurs. Cela arrivait chez un jeune homme de 20 ans observé par M. Reynolds et j'ai vu la même chose surve- nir fréquemment chez une malade de mon service à la Salpôtrière.

Quelque intenses qu'elles soient d'ailleurs, les secousses ne sont à peu près jamais accompagnées de perle de connaissance, ce qui les distingue de la plupart des formes diverses du petit mal.

Je suis étonné que M. Reynolds considère les secousses dans Tépilepsie comme chose vulgaire ; cela ne répond pas à ce que j'observe dans mon ser- vice spécial, surtout composé de femmes (1) ; la vérité est qu'elles y sont plutôt rares.

Un des principaux points qui donnent de l'intérêt à la connaissance de ce phénomène, c'est qu'on l'observe non seulement, une foisl'épilepsie déclarée, comme prodrome immédiat de l'accès, mais encore souvent pendant plusieurs mois avant que celle-ci n'ait paru, autrement dit, dans la période précomi- tiale. Les secousses peuvent permettre alors, on le comprend, de prévoir à longue échéance la venue du mal et aussi de prendre des mesures en consé- quence.

L'autre fait à considérer chez notre jeune épileptique, c'est, ainsi que je vous l'ai dit, l'existence plusieurs fois constatée chez elle, d'un rétrécisse- ment concentrique et temporaire du champ visuel sun^enant après chaque accès. On a fait remarquer dans ces derniers temps qu'à la suite des attaques d'épilepsie proprement dite, il n'est pas très rare devoir le champ visuel subir un rétrécissement concentrique et régulier comparable au rétrécissement des hystériques. La seule différence apparente est que chez les hystériques le rétrécissement est permanent, tandis que dans l'épilepsie, il est essentielle- ment temporaire. On doit à MM. Oppenheim et Thomsen d'avoir appelé l'attention sur cet ordre de faits.

Un élève du professeur Mierzeewski, de Saint-Pétersbourg, le D' Finkelstein, a repris le sujet et il a insisté sur ce point que, dans l'épilepsie, le rétrécisse- ment du champ visuel est toujours transitoire, jamais permanent.

Dans la grande majorité des cas, le rétrécissement, dans l'épilepsie, suit les attaques, mais il peut arriver, comme l'a montré M. Heinemann (Virchow, Archiv. Bd 102. H 3. 1886) par une observation, que, par exception, le rétrécissement en question précède l'accèsi à titre d'aura et cesse après lui.

Chez notre jeune malade, les choses rentrent dans le cadre vulgaire et c'est à la suite de Taccès que le rétrécissement se montre le plus prononcé.

1. Le service de la Clinique, à la Salpétrière comprend environ 460 épileptique s femmes, non aUénéos, considérées comme incurables.

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Les jours suivants, le cercle s'élargit progressivement; mais le retour à l'état normal se fait attendre plus de quatre ou cinq jours, ainsi que vous poa-

Kg. S. ChtwpÏTiauelJde D.-.Jvue deui jours ^rès l'accèa.

D C

Pig. S6. Cbamp vUuel ds D.... vue Bjoura aprts l'utcts. Retour preupie complet h l'état norm^.

vez le reconnaître sur lesschémas que je vous présente (fig. 25et 36}.Sibien que lorsque les attaques se reproduisent à de courtes distances, tous les six ou

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huit jours par exemple, on pourrait dire que chez la malade le rétrécissement est un phénomène en quelque sorte permanent. Dans le but de bien établir que dans le cas de notre malade, il s'agit d'épilepsie et non d'hystérie, le rétrécissement du champ visuel n'est pas un phénomène permanent, il ne sera pas sans intérêt de chercher à éloigner les accès les uns des autres ; nous pourrons y parvenir je pense par remploi du bromure de potassium donné à dose suffisante, 3, 4, 5, grammes en 24 heures, administré d 'une façon con- tinue. L'écart des accès qui s'en suivra à coup sûr nous permettra, je pense, de constater, plus aisément que nous ne l'avons pu faire jusqu'ici, le retour à l'état normal des limites du champ visuel. Nous reviendrons quelque jour sur ce cas pour vous faire part de ce qui sera advenu après l'expérience que nous allons mettre en œuvre.

3' Malade.

Le dernier malade que je vous présenterai aujourd'hui est un nouvel exem- ple de ces cas aujourd'hui devenus presque vulgaires sur lesquels M. Debove a, le premier je crois, appelé l'attention et dans lesquels on voit l'hystérie sur- venir chez l'homme à la suite de l'intoxication saturnine (1). [Il vous sera facile de reconnaître par la description du malade que chez lui Thystérie provoquée par le saturnisme ne diffère en rien d'essentiel de ce qu'elle serait si son apparition avait été déterminée, par tout autre cause telle que l'alcoolisme par exemple, ou Faction du sulfure de carbone ainsi que je le relevais l'autre jour, etc., etc., ou encore, soit une émotion morale, soit un traumatisme. L'hystérie est une, je le répète une fois de plus, et quelle que soit la cause occasionnelle qui la fait paraître, elle reste toujours la même foncièrement, partout elle se présente, sans subir dans sa constitxition nosographique de modifications radicales.

Voici le cas : il s'agit, comme vous le voyez, d'un homme de 28 ans assez

1/Volr la leçon sur Yhémianesihésie hystérique et les hémianesthésies toxiques. In Bulletin médical, 25 mai 1887

vigoureux ; nous ne rencontrons pas chez lui d'antéci^denls héréditaires qui inéntoiit d'tHre gnaU'S. Il faut diro que la ligne maternelle lui est fort mal connue et pour co qui est des antécédents personnels, ils n'offrent également

Fly. -Zl. - A. l'uiiiU]iy>lerog,>,ii>s. II. Aciiithcslp cil la née. C. AnalîfiîsLP,

ripn d inten..sanL pour nous. Après avoir servi pondant vingt-huit mois dans

I iirmve, il a rtt- refoi-mi-e pour myopie avec choniïdile chroniijue : après cela

II a travaille comme homme d'équipe au chemin de fer de IKst pendant sent mois ; plus Urd il afait le métier de plombier pendant plus de deux ans après

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quoi il est entré à Tours dans une fabrique de minium il a été employé au blutage ». C'est que, pour la première fois, il a souffert à plusieurs reprises de coliques de plomb.

Quelques jours après la cessation de sa dernière colique pour laquelle il a été soigné à Thôpitai de Tours, c'est-à-dire en septembre 1888, il a commencé à s'apercevoir un matin au réveil que sa main gauche était le siège de four- millements et que le membre supérieur de ce côté tout entier était devenu faible, pesant et lourd ; en même temps, à plusieurs reprises, il avait ressenti une tendance à défaillir qui l'avait, dans la rue, obligé à s'appuyer contre le mur et qui avait été précédée toujours par une sensation de constriction à la gorge, des sifflements d'oreilles, des battements dans les tempes, etc. Tels ont été les premiers symptômes relatifs à la maladie nerveuse que nous avons à considérer actuellement. Celle-ci n'a fait depuis que s'accentuer de plus en plus et c'est en raison de l'impossibilité elle le met de travailler pour vivre qu'il est venu nous consulter le 19 octobre 1888.

Voici en quelques mots l'état actuel du malade : teinte jaunâtre et pâle des téguments ; liséré saturnin très net.

Les troubles permanents de la sensibilité sont disposés comme vous pou- vez le reconnaître sur le schéma que je vous présente : Anesthésie cutanée absolue sur le membre supérieur gauche, se terminant en * gigot » du côté du tronc ; sur la main, il y a seulement analgésie ; analgésie de toute la moitié gauche du tronc et de la face. En avant, l'analgésie du tronc s'arrête au-des- sous de l'hypocondre gauche, tandis qu'en arrière elle comprend la fesse. Le membre inférieur gauche est indemne de troubles de la sensibilité, tandis qu'à droite, au contraire, ceux-ci occupent la cuisse et les deux tiers supé- rieurs de la jambe gauche ; disposition croisée du reste fort singulière et cer- tainement peu commune.

Plusieurs points ou plaques hystérogènes: Tune d'elles, la principale, occupe Taine et une partie du flanc gauche ; quand on presse sur ce point, on détermine les phénomènes de l'aura, qui d'autres fois se produisent sponta- nément, ainsi que nous l'avons indiqué déjà.

Un autre point hypéresthésique possédant à peu près les mêmes propriétés que le précédent siège sur le testicule gauche ; un troisième occupe la limite inférieure du tiers supérieur du mollet droit ; un quatrième enfin se trouve sur la partie médiane de l'épine, un peu au-dessus de la région lombaire.

Double rétrécissement concentrique du champ visuel plus prononcé à gauche qu'à droite (fig 28 ) ; diplopie monoculaire, pas de dyschromatopsie. L'odorat et rouie ne paraissent pas sensiblement modifiés. Le goût au con- traire est à peu près aboli des deux côtés.

Revenons actuellement sur ce qui est relatif au membre supérieur gauche ; de ce côté, il n'y a pas, à proprement parler paralysie mais seulement parésie.

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Le dynamomètre pressé par la main gauche donne 25, tandis que pour la main droite il donne 80. Aucune participation à la parcsie, soit du membre inférieur, soit de la face. Remarquez que sur le membre parésié, les troubles de la sensibilité, di'ijà tn^s prononcés en ce qui concerne la peau, sont pour le moins toutaussi accentués un ce qui concerne la sensibilité profonde; ainw partout excepté ft la main le malade couservo quelques notions des mouv©- mcnta imiuimés aux doigts ou au poignet, le sens musculaire est complè-

tement aboli et l'on peut tordre, distendre les articulations du coude et de l'épaule avec violence sans produire la moindre sensation. 11 y a un con- traste entre les troubles de la sensibilité et ceux des mouvements, fort remar- quable assurément, et qui parait ap par Umir aux seules paralysies hystériques; non pas qu'on le rencontre, bien entendu, dans tous les cas de ce geare, mais parcequ'on nu le trouve jamais, que je sache, en dehors de ces cas-l&.

En voilft assez pour bien établir chez notre malade, l'existence de l'hystérie classique.

Rien n'y manque, aneslhésies sensîtivcs et sensoreilles, points hystéro- gènes, etc.. constituant des stigmates permanents, monoplt'^gied'un caractère spécial ; et, pour ce qui est do l'attaque, si elle ne s'accuse pas sous une forme très accentuée, elle est représentée cependant [lar l'aura, d'une façon très caractéristique.

Un mot, en terminant, sur les modifications qui se sont produites dans le caractère chez notre homme, depuis qu'il est devenu hystérique. Autrefois

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gai, plein d^entrain, il est devenu maintenant triste, apathique sans courage. Il recherche la solitude, fuit la société des camarades. Il s'émotionne facile- ment et pleure parfois sans motif. Les nuits sont tourmentées par des rêves terrifiants qui le réveillent en sursaut: Il se croit sur un toit ou sur un chemin bordé d'un précipice, et à chaque instant il se sent menacé de tomber du côté du gauche. Il croit qu'à la suite de sa chute imaginaire il perd un instant connaissance. En tous cas, il se réveille avec des sifflements dans les oreilles,des battements dans les tempes, le serrement bien connu de lui, de la gorge. De cela suit que Ton est porté k supposer que les cauchemars en question sont liés jusqu'à un certain point au développement de Vaura provoquée elle-même, peut-être au moinsen certains cas, par la pression des zones hystérogènes déterminée inconsciemment par le malade durant son sommeil.

Peu importe du reste, pour le moment, que, pour ce qui concerne le dernier point,il en soit ainsi ou autrement. J'ai voulu surtout relever les modifications psychiques très accentuées, observées chez notre malade, afin de montrer une fois de plus que ces modifications-là n'appartiennent pas, ainsi que quelques auteurs Tout prétendu, aux seules hystéries déterminées par un traumatisme.

IMP. NOIZBTTK, g, RUE CAMPAGNB-PRBMIKRB, PAS».

Policlinique du Mardi 4 Décembre 1888

SEPTIEME LEÇON

1*^ Relation de Tautopsie du sujet atteint de chorée présenté

dans la dernière leçon. 2^ Cas de chorée vulgaire chez une jeune fille âgée de 12 ans.

Hérédité nerveuse et antécédents personnels névropathiques

très chargés. 3^ Cas d'hystéro- neurasthénie survenue à la suite d'une

collision de trains chez un employé de chemin de fer âgé de

56 ans. 4** Deux cas de paralysie infantile spinale présentant qud-

ques anomalies.

M. Charcot : Conformément aux sombres prévisions dont je vous faisais part mardi dernier, notre pauvre malade atteint de chorée aiguë a succombé dans la nuit du 27 au 28 novembre, c'est-à-dire dans la nuit môme du jour il avait été présenté à la leçon. Voici comment les choses se sont passées.

La nuit du 26 au 27 avait été relativement calme ; mais la stupeur, ainsi que je vous l'ai fait remarquer au moment de la leçon, était portée à un haut degré ; la langue était sèche : les mouvements choréiques, atténués d'une façon remarquable, n'étaient plus représentés que par des espèces de soubre- sauts des tendons. N'oubliez pas cette teinte bleuâtre des téguments et cet amaigrissement énorme sur lequel j'appelai votre attention.

Dans la journée du 27, Tétat persiste tel quel, sans modification très marquée. Le soir, même prostration, même stupeur; langue toujours sèche, déglutition difficile. Le pouls qui, ce matin, était à 120-130, ne donnr plus maintenant que 80, mais la hnipérature qui était à 38, s'est élevée à 38,8. La mort a eu lieu à 5 heures du matin.

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Je cruis intéressant de vous faire connaître les résultats de l'autopsie qui a 61É pratiquée yinut-huit heures après la mort. Je me bornerai à extraire du (irotocole, les détails qui nous intéressent particulièrement.

Cadavre très amiùgri. Pas d'es cliares au sacrum. Rigidité cadavérique très prononcée ; elle l'était déjà sept heures après la mort.

Crâne : pas de pachyméningite ; l'arachnoïde et la pie-mère ne sont ni épais- sies ni opalescentes ; la seule altération h signaler ici est l'adhérence en plu- sieurs points de la pie-mère à l'écorce cérébrale des hémisphères, si bien que sur certains endroits on ne peut détacher cette membrane sans entraîner us peu de la couche la plus superficielle de la substance corticale. C'est la

seule iiltérution qu'il ait été permis de ci>iistutcr, part un certain degré de congestion de l'écorce des hémisphères. Uien « noter du cAté dos ventricules, non plus que sur les coupes nombreuses prati(iuéfis dans les parties centralus du cerveau. Bien ilu côté du cervelet ni du bullii- : lu moelle épiniére, à Tosil nu ne présente aucune trace d'altération. Mvselps des membreu: lia sont durs et présentent une teinte noir&tre.

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Cœur .'Aucune trace de péricardite. Le cœur est un peu augmenté de volume, principalement le ventricule gauche. Celui-ci pèse 270 grammes.

Ses cavités contiennent, surtout à droite des caillots noirâtres, évidemment fonnés pendant l'agonie.

La valvule mitrale saine sur sa face ventriculuire, présente tout le long de son bord libre,sur la face auriculaire, une couronne non interrompue de peti- tes végétations verruqueuses, très nombreuses, déjà anciennes très certaine- ment, dures, tapissantle bord libre de la valvule sur une hauteurde i à3 milli- mètres.Pas de dépôts fibrineux sur ces végétations ; aucune d'elles n'est ulcé- rée, déchirée, et Ton est conduit à la suite d'un examen attentif à affirmer qu'aucune parcelle ne s'en est détachée pour former une embolie.

La valvule mitrale reste souple d'ailleurs, dans toutes ses parties et le rétré- cissement pendant la vie était certainement fort peu prononcé. Aucune altéra- tion à signaler sur les autres valvules et orifices.

Poumons et plèvres sains.

Foie de forme, de couleur et de volume normaux. Il pèse 1.400 grammes.

Rate normale 110 grammes ;

Reins : pas d'altération.

Ainsi, en résumé, à part les quelques adhérences de la pie-mère à l'écorco cérébrale signalées sur certains points des hémisphères cérébraux, sans loca- lisation déterminée, les résultats de l'autopsie sont purement négatifs et viennent à l'appui de l'opinion émise par nous mardi dernier à propos de la nature des accidents devant entra}ner,suivantnous,l'issue fatale. Bien évidem- ment, ces accidents-là ne relevaient pas d'une lésion organique appréciable par nos moyens d'investigation, et, à cet égard, le rapprochement que nous avons proposé d'établir entre l'état de mal épileptique et l'état de mal choréi- que se trouve justifié.

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l*"^ Malade

Je vous présente actuellement une jeune fille iigée de 42 ans, atteinte de cho- rée vulgaire ; le début s'est fait le 14 novembre ; vous voyez que les mouvements clioréiqucs, qui d'ailleurs ne sont pas fort intenscs^sont accusés particuliôrc- mcnt du c/^té gauche^ ils sont cependant très appréciables aussi à droîtp.

Je vous ferai remar(juer en passant que les gesticulations s'atténuent un peu à l'occasion des mouvement intentionnels ;ainsi,lorsqu'il s'agit de porter & la bouche un verre ou une cuillère. Ce phénomène n'est donc pas Tapanago, comme quelques-uns paraissent Tavoir supposé, des chorées chroniques.

Rien au cœur. On assure que cette jeune fille n'a jamais souffert de rhuma- tisme articulaire aigu.

Voilà donc un cas fort banal incontestablement, en ce qui concerne fexpres- siori symptomatique et je ne vous l'eusse point présenté s'il ne devait pas nous fournir cependant un certain enseignement à propos de notre pauvre choréî- que de 19 ans. Je faisais ressortir l'autre jour qu'à mon avis l'hérédité ner- veuse jouait dans l'étiologie de la chorée un nMe beaucoup plus important qu'on ne l'avait jusqu'ici supposé. Sans doute le rhumatisme articulaire aigu figure souvent dans l'arbre généalogique des choréiques comme il figure dans leurs antécédents héréditaires ; mais les maladies nerveuses n'y font pas défaut non plus, et bien des fois même elles y régnent d'une façon prédomi- nante ; tel est en particulier le cas de la jeune malade que nous avons sous

les yeux.

Voici d'abord ce qui est relatif chez elle aux antécédents personnels.

Depuis l'âge de 6 ans, cette enfant s'est montrée sujette à des crises de colère, à des sortes d'accès de rage et de méchanceté tels que ses parents ont de- mander,lorsqu*elle avait atteint 8 ans, son admission à Sainte-Anne. Après sa sortie de cet asile, elle s'est montrée moins difficile à vivre, mais parfois encore fort emportée.

Elle est extrêmement peureuse; elle regarde à plusieurs reprises sous son lit, tous les soirs avant de se coucher. Elle a des idées fixes, des manies qui font qu'elle reste des heures entières às'habiller,à se peigner. Pas de troubles de la sensibilité générale ou spéciale ; pas de rétrécissement du champ visuel. Rêves fréquents la nuit, surtout depuis le dél)ut delachorée, lesquels portent presque toujours sur une petite sœur morte récemment de la rougeole. C'est

431

rémotion éprouvée à Toccasion de celte mort qui parait avoir du reste provo- qué chez notre jeune malade le développement de i'aflection.

Ajoutons en passant les traits suivants qui la marquent du sceau de la « dégénération physique ». Face asymétrique ; front plus bas à droite qu'à gauche; nez dévié vers la droite; tout le cùté droit de la face et du crâne est plus petit que les parties correspondantes du côté gauche.

La bosse pariétale droite est plus proéminente que la gauche et située plus en arrière.

Actuellement, je vais mettre sous vos yeux le pedigree de notre jeune malade et vous allez reconnaître jusqu'à quel point il est chargé de tares nerveuses.

COTÉ PATERNEL COTÉ MATERNEL

Mkrb, 38 ans.

Plusieurs altcintcsde manie puerpérale à la suite de sc^ dcrnièi*cs grossesses.

Un fr^re du père est mort PènE, 45 ans.

fl/ié«é à rage de 30 ans. Ripn je nerveux, pas de

Une cousine germaine du rhumatisme. père est « un peu folie » et a

des attaques de nerfs.

, __ . . ^

' 8 enfants dont 3 morts en bas Age.

Une des sœurs de la malade, âgée de iO ans, a eu plusieurs attaques de rhumatisme arti- culaire.

Notre malade, âgée de i2 ans, cboréique ; a des idées fixes, des terreurs morbidQs, des accès de colère et de rage, etc.

Voilà un exposé qui certes n*a pas besoin de commentaires.

Malade

Je saisis avec empressement l'occasion qui s'offre d*étudier avec vous un cas relatif à la prétendue névrose spéciale qui serait produite par les colli- sions de chemin de fer et que Ton désigne quelquefois sous le nom de RaUway- Spine ou Railway-Brain. Plusieurs fois déjà je vous ai exposé l'opinion que je professe, relativement à la nature de ces cas. 11 n'est point, vous ai-je dit et répété, une seule des aflections nerveuses dontrensemble forme ce que j'appelle ia famille neuropathologique qui ne puisse apparaître comme conséquence du

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schock nerveux ressenti dans un accident de chemin de fer. A savoir: paralysie agitante, épilepsie, vésanie, sclérose en plaques, etc., etc.

Mais, dans la règle, c'est la neurasthénie et Thystérie, soit isolées soit com- binées Tune avec l'autre en proportions diverses, qui s'offrent en pareille occurrence compliqués ou non de lésions organiques. On pourrait dire, si je ne me trompe, que dans ces conditions un peu spéciales des collisions de trains, s'il y a production d'une affection nerveuse purement dynamique, c'est- à-dire ne relevant pas d'une lésion matérielle appréciable, cette aflection-là consistera dans la majorité des cas, normalement si l'on peut ainsi parler, dans la combinaison de deux névroses parfaitement autonomes, d'ailleurs indépendantes l'une de l'autre nosographiquement, mais qui semblent avoir l'une pour l'autre une grande affinité et coexistent en conséquence très vul- gairement chez un même sujet. J'ai nommé la neurasthénie d'une part et l'hystérie de l'autre.

Le sujet que vous avez sous les yeux offre ainsi que vous le verrez un exemple de ce genre. 11 ne représente pas, sans doute, dansTespèce, un fait de première gravité ; les accidents nerveux dont souffre notre homme se montrent cepen- dant chez lui sous une forme assez accentuée, assez typique,pour devenir l'objet d'une analyse clinique.

M. Y... lois est âgé de cinquante-six ans. Il est employé au chemin de fer du Nord. Il y exerce depuis longtemps la fonction de chef de train. C'est, vous le voyez,un homme d'apparence robuste, trapu, râblé comme on dit quelque- fois, — aux traits énergiques.

Autrefois il était vaillant, actif, plein d'entrain, pas du tout émotif. Tout cela a changé depuis le mois d'août, c'est-à-dire depuis cinq mois, époque a eu lieu l'accident que je vous dirai tout à l'heure. Avant d'en venir là, il sera bon d'insister un peu plus sur les antécédents de notre malade.

L'étude des antécédents de famille ne fournit aucun renseignement intéres- sant. Père mort d'un cancer du larynx à Tàge de 56 ans ; la mère n'a jamais souffert de maladies nerveuses : réponses également négatives en ce qui con- cerne les autres parents. Ainsi,ni la diathèse nerveuse, ni la diathèse arthriti- que, autant qu'il le sache du moins, ne se trouvent représentées dans la famille. Il n'en est pas tout à fait de même en ce qui le concerne personnellement. S'il est vrai qu'antérieurement à l'accident il n'a jamais souffert d'une afiec- tion nerveuse quelconque, il faut relever que, par contre, il a éprouvé deux accès de goutte parfaitement caractérisée et siégeant au lieu d'élection ; le pre- mier accès il y a un an, en décembre 1887 ayant duré quinze jours, l'autre à peu près de même durée, vers le milieu de juillet 1888.

Au malade : Vous n'avez jamais eu lagravelle, des coliques néphrétiques?

Le malade : Non, monsieur.

M. Charcot : Je remarque en passant qu'il ne présente pas de concrétions tofacées sur les oreilles.

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Au malade : Vous avez eu la goutte deux fois? siégeaient la douleur et le gonflement.

Le malade : Oui^ monsieur, chaque fois elle a duré de dix à quinze jours, Le gonflement était sur les deux orteils. (Il désigne les articulations meta- tarso phalangiennes des gros orteils.)

M. Charcot : A quelle époque la douleur était-elle surtout vive ; la nuit ou le jour?

iée malade : Oh ! monsieur, c'était la nuit ; je ne pouvais jamais dormir : cela s'apaisait le matin, dans le jour. J'ai eu aussi plus tard une éruption sur la jambe gauche qu'on a appelée un eczéma variqueux.

M. Charcot : Allons^ bien certainement c'est de la goutte qu'il s'est agi dans ces deux accès, il n'y a pas à s'y tromper.

Au malade : Avant cet accès de goutte, vous n'avez jamais été malade?

Le malade : Non, monsieur, jamais je n'avais connu la maladie.

M. Charcot: Vous avez servi?

Le malade: Oui, j'ai été aux chasseurs d'Afrique. J'ai fait la guerre d'Italie ; j'étais à Magenta, à Palestre, à Solférino. J'ai pris part aussi à plusieurs com- bats en Afrique, mais c'était presque insigniflant.

M. Charcot : II est attaché à la compagnie du chemin de fer du Nord, depuis 1871, comme chef de train. Il n'avait, j'y insiste, depuis cette époque jamais été arrêté dans son travail, lorsque le 17 août dernier, alors qu'il con- duisait un train de marchandises, le fourgon dans lequel il se trouvait, fut, à l'occasion d'une manœuvre de gare, renversé par une locomotive qui le croi- sait perpendiculairement et littéralement broyé, parait-il, en mille pièces.

Il ne saurait trop dire ce qui s^est passé en ce moment-là ; ce qu'il en raconte il le tient des assistants. Il lui semble cependant, mais il n'en est pas bien sôr, qu'au moment de l'accident il aurait entendu un cri de détresse par- tant de l'autre train I « Oh ! ça y est. » Toujours est-il qu'il fut relevé, sans connaissance, au milieu des débris du fourgon écrasé. La collision avait eu lieu à Villeneuve-Saint-Georges ; il fallut environ une demi-heure pour le transporter à la gare de Paris d'abord, puis à l'hôpital de Lariboisière, et,

pendant tout ce temps, il est resté inconscient. Il n'est peut-être pas hors de propos de relever ici cette amnésie relative

aux circonstances de l'accident. Elle est à peu près la règle dans les grands

shocks nerveux et même dans certains cas de ce genre on peut observer ce

phénomène remarquable de l'amnésie rétrograde que M. le professeur Azam

de Bordeaux a bien étudié (1) dans ces derniers temps. Dans ces cas, le malade a perdu non seulement le souvenir de ce qui s'est

passé depuis le moment de l'accident, jusqu'à son retour à la connaissance,

i Troubles intellectaels provoqués par les traumatismes cérébraux. Arch. i. de Médecine m, février, p. 129.

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mais encore le souvenir de ce qui s*est passé pendant une période de temps, plus ou moins longue, antérieurement à Taccident.

Et à ce sujet, permettez-moi d'entrer dans une courte digression pour vous dire quelques mots d'un de ces faits d'amnésie rétrograde dont j'ai été directe- ment le témoin. Le 23 mai 1885 vers 9 heures, le matin alors que je me ren- dais comme de coutume en voiture à la Salpétrière, sur le boulevard Saint- Germain, non loin de l'église Saint-Bernard, une femme qui traversait le bou- levard et était parvenue sur la partie de la chaussée qui est pavée de bois, n'entendit ni le bruit de la voiture ni les cris de mon cocher et fut renversée par mes chevaux. La voiture continua à rouler, quoi qu'on fit pour l'arrêter, pendant quelques instants encore et heureusement la pauvre créature, pen- dant tout ce temps fut épargnée par les chevaux qui passèrent de chaque côté d*elle sans la piétiner sérieusement, puis par les quatre roues de la voiture qui ne la touchèrent point. Elle fut immédiatement transportée chez une cré- mière du voisinage je la suivis.

Elle était sans connaissance, pâle, dans la résolution^ et portait au-dessus du sourcil gauche une plaie verticale, de 1 centimètre de longueur & peine, peu profonde, avec léger thrombus, et qui saignait médiocrement. Elle reprit connaissance peut-être trois minutes après l'accident. Aloi's je la fis se tenir debout et je constatai que, à part la petite plaie ci-dessus décrite, elle ne pré- sentait heureusement aucune lésion traumatique de quelque importance. Une fois debout, elle commença à répondre à mes questions et d'un air fort étonné faisant signe qu'elle ne comprenait rien à la situation, elle nous fit connaître qu'elle ne se rappelait nullement avoir été renversée par une voiture, ni même avoir traversé le boulevard, ignorant pourquoi elle était sortie. On lui demanda son nom ; elle ne put le trouver qu'au bout de quelques instants et quand on lui demanda elle demeurait, il lui fut impossible de le dire. Sur ces entrefaites, se présenta un monsieur qui nous dit qu'ollo était sa bonne, qu'elle demeurait dans le voisinage. Elle reconnut parfaitement son maître mais il ne lui fut pas possible de dire l'adresse de la maison ildemeure. Cette femme parlait d'ailleurs très facilement, avec une certaine volubilité même, sans le moindre embarras dans l'articulation des mots.

C'est vous dire, messieurs, que vous ne devrez jamais donner créance sans réserve aux récits que vous font volontiers les malades lorsque vous les inter- rogez sur les circonstances de l'accident dont ils ont été victimes. Ces circons- tances, dans la règle, ils ne les connaissent que pour les avoir entendu narrer par les assistants, et j'ajouterai même que souvent, il se crée à ce propos dans leur esprit une sorte de légende, à laquelle ils accordent volontiers la confiance la plus absolue et qu'ils s'habituent à raconter naïvement, sincère- ment, comme si (îlic représentait la réalité même. Tel a (Hê le cas d'un pauvitî diable dont j'ai raconté l'histoire dans le troisième volume de moî Leçons sur les maladies du système nerveux. (Appendice, p. Mi et suiv.) Il avait été renversé

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par une voiture et, contrairement à la réalité, il était poursuivi jusque dans ses rêves par la persuasion que les roues lui avaient passé sur le corps. Plu- sieurs fois, dans son sommeil troublé on Ta entendu s'écrier : Arrêtez ! ne fouettez pas le cheval, il va m'écrascr! ahî la voiture me passe sur le corps. » Et cette même doctrine, pendant la veille il la soutenait encore avec l'ardeur que communique une conviction profonde et il se fâchait « tout rouge > quand on faisait mine d'en contester la valeur.

Mais il est temps d*en revenir à notre chef de train. Une fois à Lariboi- sière il reprit connaissance et on reconnut qu'il ne présentait aucune bles- sure sérieuse; il portait des contusions sur diverses parties du corps, le côté droit du thorax, les genoux, la tête; \oHh tout. Il put quitter Thùpital au bout de quatre jours et se rendit chez lui il garda le lit pendant une vingtaine de jours à cause d'une angioleucite qui s'était développée sur toute l'étendue de l'un des membres inférieurs. 11 affirme que pendant ces vingt- cinq jours qui ont suivi l'accident, il ne ressentit, à part les douleurs liées aux contu- sions, — aucun malaise nerveux, et lorsque guéri de son angioleucite, il quitta son lit, il croyait bien en être quitteje ne dirai pas pour la peur, puis- qu'il n'avait pas eu peur, du moins consciemment, mais pour toutes les petites misères qu'il avait travei^sées sans encombre. De fait, il se sentait fort dispos et se préparait en conséquence à reprendre très sérieusement son travail.

C'est alors qu'il s'aperçoit pour la première fois que tout son être a subi une modification profonde. Il lui semble qu'il a perdu une partie de ses forces physiques, mais cela Tinquiète peu d'abord ; il est convaincu qu'il les repren- dra par l'action : ce qui l'inquiète, ce qui le trouble profondément c'est que dans la gare il s'est rendu plusieurs fois, à titre d'essai, les coups de sifflet le font tressauter et l'agacent d'une façon épouvantable. Quand passe un train en marche, il ne peut voir tourner les roues des wagons sans être pris d'un vertige qui l'affole. Il lui semble qu'il est attiré vers le train qui devra l'écra- ser. Et il ne s'agit pas d'une émotion relative seulement aux choses du che- min de fer, car ces mêmes vertiges, ces mêmes tressautements, ces mômes malaises indescriptibles, ces mêmes terreurs il les éprouve dans la rue lors- qu'il voit passer une voiture, lorsqu'un cocher fait claquer son fouet. A plu- sieurs reprises, il retourne à la gare pour s'aguerrir, comme il dit, mais toutes ses tentatives sont inutiles ; elles restent sans effet et il acquiert ainsi la triste conviction qu'il lui sera impossible pendant longtemps de reprendre son service.

Il s'aperçoit bien vite que son caractère est changé ; il est sans cesse envahi par des idées tristes ; il est devenu émotif, au plus haut degré. Lui, l'ancien soldat qui plusieurs fois a pris part à des combats et qui plus tard s*est trouvé comme chef de train mêlé à des accidents de chemin de fer, dont quelques-uns fort {graves, il pleure aux plus futiles motifs. 11 n'ose jjIus traverser seul \es ruçs, il s'y sent étourdi, il craint d'être écrasé par 1rs voi-

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tures, troublé qu'il est par les moindres incidents, les moindres bruits. Il a, dit-il, la tête vide ; il n'a plus de mémoire ou pour le moins il a la mémoire très lente. S'il veut penser à quelque chose, combiner quelques idées, dis- poser quelque projet dans son esprit, il se sent bientôt la tête fatiguée. Si pour se distraire il prend un journal, à peine en a-t-il lu quelques lignes qu'il est obligé de le quitter. C'est qu'alors il éprouve dans les régions fron- tales et occipitales, à la nuque, un sentiment de constriction, de pesanteur souvent très pénible. Cette sensation ne le quitte jamais complètement mais elle s'aggrave très manifestement toues les fois qu'il se produit un acte intel- lectuel un peu prolongé, quel qu'il soit. A ces derniers traits vous reconnaissez les caractères de cette Céphalée neurasthénique dont je vous ai.entretenu bien des fois déjà et qui se développe si fréquemment, vous le savez, d'une façon progressive, en conséquence du surmenage intellectuel, de l'anxiété produite par les affaires, d'un chagrin enfin.

Ici ce ne sont pas des efforts d'intelligence ou des chagrins qui ont été en jeu ; le mal s'est produit en conséquence d'un shock nerveux, d'un ébranlement soudain et il est intéressant de voir le même résultat déterminé par le fait de causes aussi différentes en apparence.

Ainsi, de parles symptômes céphaliques, voilà notre sujet nettement cons- titué comme neurasthénique : Céphalée spéciale, amnésie, vertiges, aboulie, tristesse, émotivité, etc., etc., rien d'essentiel n'y manque. Nous avons cependant encore à ajouter les traits suivants : Les nuits sont mauvaises^elles ^ont habituellement tourmentées par des rêves pénibles, quelquefois terri- fiants. Ces rêves ne sont pas relatifs aux détails de l'accident dont du reste il n'a pas été témoin, témoin conscient du moins ; ils ne portent même pas, chose assez curieuse du reste, sur des accidents de chemin de fer, dont il a cependant entendre parler bien souvent ; non, il rêve de batailles, il se revoit à Palestro, à Magenta, en Afrique. Une des nuits précédentes, il a rêvé que des voleurs s'étaient introduits dans sa maison.

Vous n'ignorez pas que les troubles nerveux qui constituent la neurasthénie cérébro-spinale ont souvent un retentissement sur les viscères et en particu- lier sur Testomac ; alors se produit une forme de dyspepsie à laquelle convient le nom de neurasthénique. Les choses sont ainsi en réalité chez notre malade. Bien qu'il ait conservé l'appétit, le malin sa bouche est souvent mauvaise, amèrc, pâteuse ; à peine aux repas les aliments sont-ils introduits dans Testo- mai" que celui-ci se goufie, se ballonne, et peu après se produisent des gaz dont Texpulsion est pénible. « Le sang,» pendant et peu après le repas,monte à la figure. On ressent de la fatigue, du malaise un besoin impérieux de dor- mir. Cela, chez notre malade contraste singulièrement avec ce qui existait autrefois : quoique goutteux, il n'avait < jamais senti son estomac » et il est bien établi que la dyspepsie en question ne date que du jour les symp- tômes de neurasthénie céphalique ont commencé à s'accentuer.

Parmi lee antres symptAmes neurasthéniques qui me paraissent devoir 6tre signalés encore à propos du cas, je relèverai d'abord un affaiblissement

génital très prononcé et développé un quelque sorte tout .1 coup : puis, tti dernier lieu une diminution très marquée de la force de prossiuu dynamomé- triqoe. Ainsi tandis qu'un bomme vigoureux de son espèce, et tel qu'il l'était,

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autrefois devrait donner par exemple 80" de la main droite, il ne donne lui que 28°, 30° au plus. Il reste, vous le voyez, bien au-dessous de la normale. Réflexes rotuliens conservés, plutôt un peu faibles.

Nous n'avons considéré encore, jusqu'ici, messieurs, qu'un des côtéft du tableau.

Ainsi que je Tai déclaré en commençant, Thystérie se trouve chez notre sujet combinée àla neurasthénie. C'est une assertion qu'il s*agit maintenant de justifier. Eh bien I je relèverai en premier lieu que chez V...lois, il exitte à Tétat permanentun rétrécissement concentrique du champ visuel,peu prononcé dans les circonstances ordinaires (fig. 30), plus marqué au contraire à la suite de ce qu'il appelle ses attaques (fig. 31), ses étourdissèments, sa syncope. D'ailleurs pas d'autres troubles de la sensibilité^ pas d*autres stigmates, pas d'anesthésie, pas de lésion du goût, de rodorat,etc.,etc. Mais un rétrécissement concentrique permanent du champ visuel, comme marque hystérique, c'est déjà quelque chose, car, quoi qu'on en dise, pareil symptôme ne se voit guère, àpartun ou deux cas de lésion organiijue aujourd'hui passablement déterminées, en dehors de Thystérie. Il n'appartient pas en tout cas, je crois pouvoir l'affirmer en me fondant sur de nombreuses observations, il n'appartient pas, dis-je, à la neurasthénie non compliquée. Mais il y a plus, l'attaque hystéri- que est ici représentée nettement sinon sous la forme convulsive, du moins sous la forme non moins typique d'un vertige avec perte de connaissance pré- cédé de l'évolution des phénomènes caractéristiques deVaura, «Les bruits qui éclatent dans la rue, un cri, un coup de fouet, me font, dit-il, venirmesattaques ; alors j'éprouve des étoulTements au cou, je ressens des bourdonnements dans les oreilles, des battements dans les tempes ; peu après ma vue se trouble, je chancelle et je suis menacé de perdre connaissance ;je suis obligé de m'appuyer à un mur. Quelquefois même j'ai perdu réellement connaissance pendant ([uelques secondes ; cela m'est arrivé, dit-il, en particulier, Tautre jour rue Lafayette à la suite de l'émotion que j'ai éprouvée en voyant tomber un cheval. Il m'a été impossible de rentrer chez moi sans l'aide d'un ami qui m'accompagnait. »En voilà suffisamment, je crois, pour justifier le diagnostic liystéro- neurasthénie que nous vous proposons d'admettre pour caractériser ce cas cliiiiquemcnt.

Peut-être pourriez-vous penser, messieui's, que les désordres produits par le s/iock nerveux chez un homme robuste, exerçant les fonctions de chef de train, devront difi'érer sur quelques points de ceux déterminés dans des cir- constances analogues chez un homme cultivé, vivant surtout des choses de l'esprit, chez un médecin par exemple. Si vous pouviez le croire, messieurs, je serais en mcsuro de vous détromper en vous citant l'exemple d'un de mes amis, docteur eu uHnlecine, qui, à la suite d'un accident de chemin de fer (col- lision de trains), dont il a été la victime en Angleterre, a présenté des symp- tômes tout à fait comparables, [)ar les traits fondamentaux du moins, à ceux

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que nous venons de décrire et a été, en conséquence, placé pendant plus de deux ans dans rimpossibîlité absolue d*exerccr sa profession. Il ne faudrait pas croire non plus que, symptomatologiquement, Thystéro- neurasthénie développée dans une collision de trains (Railway Brain) diffère en rien d*es- sentiel de celle qui se développe en conséquence d'autres causes ; ce serait encore une erreur, messieurs, dans laquelle vous ne devez pas tomber. M. le D' Mathieu (i) a bien f jiit voir, àpropos d'un cas qu'il m'a communiqué et que j'ai présenté à la clinique de Tan passé (leçons du mardi ; Policlinique 1887- 1888, sixième leçon,p. 62) comment la combinaison hystéro-neurasthénique,se présentant avec tous les caractères que nous lui avons reconnus chez notre traumatisé, peut se développer en dehors de toute action traumatique, de tout shock nerveux, chez un employé de chemin de fer, agent à la vérité d'un service actif (voyages de Paris à la frontière jour et nuit), et prédisposé aux affections nerveuses par son hérédité. Mais, même chez les agents qui ne voyagent pas, chez les employés de bureau, comme d'ailleurs dans toutes les conditions vulgaires du surmenage intellectuel, la névrose complexe sur laquelle j'appelle votre attention peut se montrer revêtue parfois de tous ces attributs caractéristiques, bien que dans ces conditions-là, ce soit plutôt en général, la neurasthénie simple dégagée de toute complication qui s*observe.

Mais en voilà assez pour le moment sur ces questions que je reprendrai certainement par la suite avec plus de détails. Je terminerai aujourd'hui par quelques mots relatifs au pronostic; eh bien, le pronostic me paraît sérieux, non pas en ce qui concerne la vie bien entendu, elle n'est nullement mena- cée : mais en ce sens qu'il me parait douteux que notre malade puisse jamais reprendre son service. Voilà près de six mois qu'il se traite régulièrement par l'emploi des toniques, des bromures, de l'électricité statique, de l'hydrothéra- pie. Il a obtenu sans doute un peu d'amélioration, il dort moins mal, mange avec plus d'appétit; mais tous les symptômes, tant hystériques que neurasthé- niques, persistent chez lui à un certain degré et la dernière expérience dyna- mométrique a donné seulement 14 pour la main droite et 50 pour la main gauche. Rien n'est plus tenace quelquefois, vous le voyez, que ces affections nerveuses purement dynamiques cependant, et mieux eut valu < pour moi », dit le malade, « une jambe cassée ».« Je vois bien, ajoute-t-il,que jamais je ne pourrai rentrer dans la compagnie puisque, comme au premier jour, je suis émotif, vertigineux, sans volonté et sans force. Le moindre bruit me fait tres- saillir : Paris m'est insupportable. Je veux absolument me soustraire à tout ce bruit qui s'y fait: j'ai pris la résolution de demander ma retraite et d'aller Tivre à la campagne, de façon à ne plus rien entendre de tout cela. »

Entre nous, messieurs, je crois qu'il est dans le vrai et je l'engage à suivre 8on idéo.

i. Neuiaslhénie et hystérie combinées. Le Progrès médirai, 1888, t. VUI, 6»« série, p. 58.

^- i40 --

3* ET Malades

(Deux jeunes malades, Tun âgé de 12 ans, Tautre de 20 ans, sont introduits dans la salle de cours).

Les deux jeunes sujets qui viennent d'être placés sous vos yeux, sont TunetTautre atteints à divers degrés de l'affection assez bien connue aujour- d'hui que Ton désigne assez vulgairement, d'après Duchene de Boulogne, du nom de paralysie spinale de V enfance (1). Immédiatement, ceux d'entre vous qui sont au courant des questions qui se rattachent à ce sujet, si je leur annonce qu'il n'y a pas longtemps que les malades ont été frappés, recon- naîtront qu'il s'agit de cas anormaux. De nos deux malades en effet, l'un est âgé de 12 ans et l'autre a atteint sa vingtième année ; vous n'ignorez pas que la paralysie infantile^ comme on l'appelle encore sans autre adjectif, pour plus de brièveté^ ne survient dans la règle que de 1 an à 3 ans ; après 5 ans les cas sont déjà rares : après 10 ans ils sont tout à faits exceptionnels. Cette anomalie relative à Tàge auquel la maladie s'est développée ne sera pas la seule que nous aurons à relever chez nos malades et c'est justement ce qui fera leur intérêt. C'est que, messieurs, si en pathologie descriptive nous recherchons surtout les cas typiques, il n'en est pas tout à fait de même dans la clinique ce sont principalement les cas anormaux par quelque côté qui s'ofirent à notre observation et qu'il nous faut analyser et débrouiller. Or, pour mieux faire ressortir ce qu'il y a d'intéressant à relever dans nos deux cas, je crois qu'il ne sera pas inutile de vous présenter au préalable un aperçu sommaire de l'histoire symptomatologique de la paralysie infantile considérée dans sa forme classique. Je crois même qu'il conviendra, en vue même du but à atteindre, de faire appel un instant aux connaissances ana- tomo-pathologiques, aujourd'hui à peu près décidément fixées que nous pos- sédons sur la matière.

En réalité, ainsi que je l'ai fait remarquer, il y a longtemps (Leçons sur les maladies du système nerveux, t. II, p. 163, oette leçon date de juillet 1870), la paralysie infantile peut être considérée, pour le commençcint qu'on vou- drait initier à la connaissance des maladies organiques du centre nerveux et de la moelle épinière en particulier, comme une maladie d'étude.

1. Synonymes : Téphromyélite ou Poliomyélite antérieure aiguë. ~ Comual myelitiSf tic.

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Défait, dans un cas de l'affection dont il s'agit, se trouvent réalisées en quel- que sorte les conditions d'une expérience instituée sur le vivant dans le but d'éclairer certains problèmes, autrement bien diflicîles & résoudre, de la phy- siologie pathologique spinale.

Il s'agit, je suppose, de déterminer les effets que produisent les lésions des- tructives limitées étroitement aux cornes antérieures de la substance grise centrale de la moelle ; il serait bien diflicile, pour ne pas dire plus, il faut l'avoner, d'aller détruire chez les animaux, ces seules cornes antérieures, sans

Flgr- 32.— Croupe de la moelle Taile d<uii la régioD lombaire. -~ A. Coroe aulérloure s&uch« Mine, a, noyau Ranglionnalre sain. B. Corne antérieure droite, b. noyau eanglloii- ntiro médian dont lea cellulea sont dêirulte» et qui ett repreienlé par un poUt foyer ds sclé- rose. (Extrait des Maladie) du tystème nerveux, t. II. Œuore» complilet de J. M. Charcol).

intéresser sérieusement la reste de l'organe (1). C'est un problème devant lequel reculerait sans doute l'expérimentateur le plus habile, s'il lui fallait le prendre au pied de la lettre. Eh bien, ce problème-là, la maladie nous

1. IjCB cipérienccs de M. Prévost do Gentve rt^pondenl cependant en grande partie k cet

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permet de le résoudre. Dans nombre de cas, les lésions qu'on rencontre dans la moelle épiniére, chez les sujets qui ont été atteints de paralysie infantile spinale peuvent se montrer étroitement limitées non seulement A, la substance grise centrale, mais encore plus explicitement, aux seules cornes antérieures de substance grise, tantôt aux deux, tantôt seulement à Tune d'entre elles -J'ajouterai , que même dans les cornes antérieures, ainsi que cela se voit bien lorsqu'il s*agit de la région lombaire, la lésion peut ne pas se montrer uniformément répandue sur toute retendue de la corne, et aflecter au contraire exclusivement, tantôt Tun tantôt l'autre des trois groupes ou amas cellulaires de la région.

On peut même supposer, quelle que soit la théorie adoptée, qu'à Torigine tout au moins, le processus morbide concentre son action dans le voisinage des cellules motrices des cornes antérieures et peut-être primitive- ment dans ces cellules elles-mêmes, et de se répand par diffusion^ non seulement dans les diverses parties de la substance grise centrale, mais encore quelquefois dans la substance blanche, avec ou sans participation des ménin- ges. Cest évidemment au point de vue de la physiologie pathologique le nœud de la situation. Voici en effet dans une des cornes antérieures de sub- stance grise un ou plusieurs groupes de cellules motrices qui ont été détruits. La conséquence nécessaire de cette destruction sera l'absorption, plus ou moins rapide, du cylindre axile d*un nombre plus ou moins considérable de nerfs moteurs correspondants, par suite l'atrophie consécutive des muscles on partie de muscle auxquels ces nerfs moteurs se rendent.

Mais il nes*agitpas ici seulement de modifications anatomiques plus ou moins profondes ou étendues; il y a lieu de relever les modifications fonction- nelles qui répondent à ces altérations, et se développent en quelque façon parallèlementà elles, car précisément ce sont ces troubles fonctionnels qui constituent à proprement parler la symptomatologie de la paralysie infantile spinale.

Au processus morbide qui rapidement, au milieu d'un appareil fébrile plus ou moins accentué, envahit la région des cellules nerveuses motrices des cornes antérieures et en détruit un certain nombre, répond une paralysie motrice plus ou moins complète du membre ou des membres rattachés anatomique- nient et physiologiquement au foyer spinal; cette paralysie est souvent dès l'origine absolue, complète, marquée par une flaccidité considérable des par- ties; en efïet, par suite de la destruction des centres de Tare diastaltique, tous les réflexes spinaux, y compris celui qui détermine le tonus musculaire^ et y compris aussi les réflexes tendineux, cessent rapidement d'exister. Cependant il n'y a pas à observer, à moins d'anomalies méritant une étude à part, de troubles de la sensibilité soit objectifs soit subjectifs dans les membres aflbctés ; la seule lésion des cornes antérieures ne les comportant pas: fait du reste déjà reconnu depuis longtemps expérimentalement par les expériences

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de Brown-Sequard et autres, et confirmé par l'histoire même de la paralysie infantile. Pas de troubles vésicaux, du moins dans la règle, de troubles tro- phiques cutanés ou sous-cutanés pouvant survenir comme conséquence de la pression exercée sur les parties, et, en particulier, pas d'escarres à la région sacrée.

Conformément, à peu de chose près, à ce qui se voit dans les cas de section expérimentale des nerfs moteurs, d'importantes modifications des réactions électriques se font reconnaître dès le quatrième ou cinquième jour sur les muscles le plus profondément affectés et Ton peut en suivre alors les progrès jour par jour. Dès les premiers jours le mal est fait: bientôt survient une période de réparation pendant laquelle les éléments nerveux et musculaires qui n'ont été que molestés, sans être décidément compromis, reviennent pro- gressivement à Tétat normal. Sur les membres qui ont été frappés de paralysie il en est un ou deux qui se dégagent en grande partie ; si un seul membre a été affecté, un ou plusieurs muscles ou groupes de muscles reviendront sur ce membre à Tétat normal. En général, cette période de réparation, de reconstitution évolue en trois ou quatre mois ; au bout de six mois, et à plus forte raison au bout d'un an, il n'y a presque plus rien à attendre du traitement le mieux conduit, le plus méthodique^ quelques exceptions à cette règle pourraient cependant être citées. Il est éminemment rare en tout cas, que survienne une guérison absolument complète ; même dans les exemples les plus légers^ dans ceux l'altération spinale est le plus limitée en même temps et le moins profonde, quelques muscles ou groupes de mus- cles resteront en général définitivement, à tout jamais condamnés. De ce côté encore, toutefois^ il y a le chapitre des exceptions et l'on peut citer dans ce groupe les observations de Kennedy, celle de Frey comme des exemples fort rares du reste, d'une paralysie infantile spinale terminée par une vraie guérison. J'ai eu l'occasion, pour mon compte, d'observer dans le temps un fait de ce genre, dans lequel la paralysie absolue, complète de l'un des membres infé- rieurs, subitement développée au milieu d'un appareil fébrile à la vérité modéré, chez un enfant de 4 ans, et reproduisant d'ailleurs toute la symptomatologie de la téphro-my élite antérieure aiguë, a disparu au bout de quatre ou cinq jours sans laisser de traces. N'allez donc pas constamment, en présence d'un cas de paralysie spinale infantile,annoncer la perte totale et nécessaire de quelques-unes, au moins, des fonctions motrices des membres affectés; attendez, avant de rien décréter, que quelques jours se soient écoulés et que le moment soit venu Télectro-diagnostic qui, dans l'espèce, pourrait être dit électro-pronostic, vous met .en mesure de prononcer en dernier ressort.

Au bout de quatre ou cinq mois, le processus morbide agressif est depuis longtemps éteint, et le processus de rétrocession s'est lui-même arrêté. C'est alors qu'est constituée la période des infirmités. Le membre affecté, considé-

2i

144 -

rablement atrophié, amaigri, s'il s'agit d*un enfant, s'arrête dans son déve- loppement. La peau y devient habituellement froide, violacée /couverte d'une sueur gluante ; il s'y produit des rétractions par prédominance d'action des muscles les moins altérés lesquelles conduisent aux membres inférieurs, à la production des pieds-bols (pieds bots paralytiques) etc. Les récidives ne sont pas à craindre, cependant il ne faut jamais oublier qu'à la paralysie infantile de date ancienne correspond nécessairement une lésion scléreuse et cica- tricielle de la substance grise spinale, lésion indélébile désormais, toujours présente et que nous avons plusieurs fois retrouvée de la façon la plus réelle chez des sujets, qui frappés à l'âge d'élection, avaient atteint parla suite un âge très avancé. C'est sans doute la raison qui fait que quelquefois chez des sujets devenus infirmes par le fait de la paralysie infantile^ on voit plus ou moins tardivement se développer à titre de complications, ou mieux d'afiec- tions secondaires, diverses lésions médullaires et en particulier une forme d'amyotrophie spinale progressive: mais c'est un sujet dont je me réserve de vous entretenir dans une autre occasion.

Dans l'esquisse qui précède destinée seulement à vous rappeler les grands traits de révolution normale, si vous voulez, de la paralysie infantile con- sidérée dans son type vulgaire^ j'en ai dit assez, je pense, pour que nous soyons actuellement mis en mesure de faire ressortir convenablement les particularités intéressantes des deux cas qui vont passer sous vos yeux.

Mais avant d'en anûverlà je voudrais, en passant, saisir l'occasion de toucher à un point fort peu discuté encore, relatif à Tétiologie de l'affection qui nous occupe. J'ai été conduit par l'étude des antécédents héréditaires des sujets frappés de paralysie infantile, à penser que la maladie dont il s'agit, repré- sente un des membres de la grande famille ncuropathologique ; quelques-uns des documents sur lesquels s'appuie mon opinion ont été consignés dans la thèse fort intéressante de M. le D' Déjerine (i). Je me bornerai ici à relever quelques tableaux de famille qui me paraissent significatifs.

Voici d'abord l'histoire de la descendance d*un paralytique général (Voir le tableau ci-dessous) :

Grand-père paternel Paralysie générale progressive

Père Sain

Mère Saine

Deux enfants :

Fille frappée de paralysie infantile à TÀge Fille frappée de paralysie infantile à Tâge de 18 mois. de 3 ans 1/2.

i. L'hérédité dam Us maladies du système nerveux, 1886, p. 204.

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Je relèverai à ce propos que plusieurs fois j'ai vu la paralysie générale pro- gressive survenir chez des sujets qui dans Tenfance avaient été atteints de paralysie infantile. Le cas auquel est relative la figure 5 empruntée au 2* vo- lume de nos Leçons sur les maladies du système nerveux (t. II, fîg. 5, 8, p. 181), offre précisément un exemple de ce genre.

Un second tableau montrerait la paralysie infantile survenant chez le des- cendant d'une grand'tante aliénée.

Un troisième enfin, emprunté à la thèse de M. Déjerine, montrerait la maladie frappant le fils d'un paralytique général qui comptait dans sa famille plu- sieurs aliénés, une hystérique et deux sourds-muets.

Je pourrais multiplier ces exemples ; je me bornerai pour le moment à exposer un dernier tableau qui me parait être fort instructif.

COTÉ PATERNEL

Sœur du père Scrofule

Père Épileptique

Cousin germain Épileptique, aliéné

!•' Fils

M élallophobie

Agé de 10 à 12 ans ne pou- vait toucher un objet de cui- vre, surtout s'il était salCfSans éprouver une sensation de dégoût se traduisant par des crachottcments.

COTÉ MATERNEL

GRAND'MkRE

Plusieurs accès de mélan- colie.

Mère Tuberculeuse

Fils Kleptomane

a. Vers l'âge de 10 à 12 ans, ramassait tous les objets mé- talliques qu'il pouvait s'appro- prier et les accumulait dans une cachette.

6. Vers Tàge de 60 ans ; un accès de mélancolie à l'occa- sion d'une maladie aiguè.

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Sa femme issue d'une fa- mille goutteuse est goutteuse elle-même (goutte régulière occupant les gros orteils).

Un fils frappé à l'âge de 4 ans d'une paralysie infan- tile spinale typique.

Ces faits tendent évidemment à faire reconnaître la paralysie infantile comme une maladie d'hérédité nerveuse. Mais je ne puis vous laisser ignorer

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que, par contre, certaines observations sembleraient contredire formellement cette opinion. C*est ainsi que tout récemment, dans le Lyon médical (jan- vier 1888), M. le D' Gordier publiait treize observations de paralysie infantile développée dans Tespace de deux mois seulement (juin et juillet 1885), dans une population qui ne dépasse pas 1.500 âmes. De à conclure que la pa- ralysie infantile est une maladie infectieuse, peut-être contagieuse, la voie est facile aujourd'hui, et toute tracée. On ne saurait s'y engager cependant

f

Fig. 33. ~ Coupe do la moelle à la région cervicale dans un cas de paralysie infantile du membre supérieur droit. Pièce recueillie à la Salpôtrière chez une femme morte de paralysie générale à TAge de 50 ans.

sans quelque réserve, car en somme cette très curieuse histoire d'une petite épidémie de paralysie spinale infantile, constitue encore, à Theure qu'il est, un épisode absolument isolé.

J'en viens à l'étude de nos deux malades ; le premier est, comme vous le voyez, un gros et beau garçon d'apparence vigoureuse ; il est âgé de 11 an». Il a été admis à la Salpétrière le 17 octobre 1888. Il appartient à une famille de paysans normands, malins et retors, dont nous n'avons pas pu tirer grand* chose relativement aux antécédents héréditaires. Nous avons appris cependant ce qui suit, et ce sont incontestablement des aveux intéressants. Un de ses oncles maternels est un goutteux émérite ; un autre oncle, du côté paternel cette fois, est faible d'esprit, presque idiot ; le père est un homme excitable, très emporté, il se met très souvent dans d'affreuses colères pendant lesquelles il ne sait plus ce qu'il faiti

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L'enfant a une sœur morte en bas âge qui était née avec une sorte de paralysie d'un des membres supérieurs, probablement d'une paralysie obsté- tricale.

Lui, n'avait jamais été malade et Taffection dont il souffre aujourd'hui est attribuée, à tort ou à raison, par tous les siens, aux fatigues qu'il s'est donné à l'occasion de la fête du 15 août. Quoi qu'il en soit, voilà ce qui s'est passé : Le 16 août, l'enfant a mal à la tête, il a de l'inappétence ; il souffre un peu des « reins », ce qu'on attribue aux exercices gymnastiques qu'il avait faits la veille et qui consistaient surtout à renverser le tronc en arrière. Sur la partie douloureuse des reins, d'ailleurs, la mère aurait remarqué la présence d'une tache bleuâtre, d'une ecchymose? Le malade est resté au lit toute la journée. Le lendemain il, allant mieux,il est sorti; le 18, continuation du mieux ; il a pu aller communier. Le 19, le mal de tète reparait vers le soir ; l'enfant a des courbatures dans les membres; il va se coucher de très bonne heure. La nuit du 19 au 20 a été fort agitée, il y a eu du délire, une fièvre vive et le lendemain matin lors d'une accalmie, le malade voulant aller aux cabinets, sentit son membre inférieur droit fléchir sous lui et tomba sur le parquet. La fièvre dura trois ou quatre jours encore, et c'est alors que commencèrent à se produire dans le membre paralysé des douleurs extrêmement vives parait-il, et qui ont occupé à peu près le trajet du nerf sciatique à la fesse et sur la partie postérieure delà cuisse; la région surtout douloureuse est encore aujourd'hui marquée par les traces de nombreuses pointes de feu qui ont été appliquées à plusieurs reprises. L'enfant se souvient parfaitement que ces douleurs qu'il qualifie d'atroces, revenaient par accès surtout nocturnes ; l'accès durait environ dix minutes, elles ont persisté pendant quinze jours en tout. Depuis longtemps, il n'y a plus sur ces régions de douleurs spontanées ; mais même encore aujourd'hui,trois mois etdemi après le début de l'affection, il existe une certaine sensibilité à la pression sur le trajet du sciatique (1) entre le trochanter et l'ischion. L'existence de cette douleur méritait certainement d'être signalée, messieurs, parce que, dans l'espèce, elle constitue une ano- malie. Dans la règle, en effet, ainsi que je le faisais remarquer en commen- çant, la paralysie infantile paraît évoluer sans s'accompagner de phénomènes douloureux, autant qu'on en puisse juger, toutefois, chez les très jeunes enfants qui ne rendent pas compte de ce qu'ils éprouvent.

Le fait est que ces douleurs qui précèdent quelquefois de quelques jours le début delaparalysie,et qui persistent parfois cinq ou six mois après, ainsi que Ta vu M. Seeligmûller,paraissent être relativement plus fréquentes, lorsque la maladie frappe les adolescents ou les adultes. Elles seraient dues en tout cas à

1. On éveille dans le membre paralysé un peu de douleur par la pression 8ur les points sui- vants : Au niveau de la sortie du sciatique au-dessous de l'échancrure ; £<> A la base du triaugle de Searpa et au niveau de l'émergence du nerf crural ; 3o Un peu au-dessous du creux poplité.

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Textension du foyer, originellement limité dans la corne antérieure, aux régions postérieures de la substance grise,et peut-être même, dans certains cas, à l'invasion des méninges et des racines postérieures des nerfs. C'est sans doute dans des conditions analogues que se produiraient les hypéresthésies» ou au contraire^ les anesthésies plus ou moins durables, observées dans certains cas et dont il n'existe d'ailleurs pas de traces chez notre petit malade.

A part ce fait de la présence, à un moment donné, d'une vive douleur occupant une partie du membre paralysé, il n'y a plus rien que de normal à signaler chez notre jeune malade, si ce n*est toutefois sur un point que je relèverai tout à l'heure.

La paralysie, à l'origine, ainsi qu'on l'a dit, était complète dans le membre inférieur droit elle occupait à la fois les muscles qui meuvent la hanche, ceux qui meuvent le genou, ceux enfin qui meuvent l'articulation tibio-tar- sienne ; aucune autre partie du corps n'a été touchée : mais chose remar- quable, et c'est justement le point que je signalais plus haut, presque tous les muscles qui ont été frappés, l'ont été du premier coup, au plus haut degrés de telle sorte que l'on pourrait dire qu'il n'y a pas eu, à proprement parler, contrairementàlarègle,de période de rétrocession.Seuls,quelques mouvements d'abduction^ d'adduction et de circumduction sont redevenus possibles à la hanche vers la troisième semaine. Mais la reconstitution n'a pas été plus loin ; partout ailleurs l'impuissance motrice est restée complëte,absolue. Le membre est aujourd'hui flasque, atrophié (1), les réflexes cutanés et tendineux font complètement défaut, la peau du membre est froide, livide surtout à la jambe et au pied et couverte d'une sueur gluante. Le pied présente un léger équi- nisme.

Pour ce qui est des réactions électriques, elles sont absolument nulles dans tous les muscles de la cuisse, de la jambe et du pied et après trois mois de tentatives thérapeutiques appropriées, il n'y a plus guère d'espoir de voir se produire quelque retour favorable. La période d'infirmité est donc définitivement constituée.

Notre second malade est un garçon âgé aujourd'hui de 21 ans et qui a été admis dans nos salles il y a environ deux ans.

Il était âgé de 19 ans quand il a été frappé de la maladie dont il s'agit.Nous ne lui connaissons pas d'antécédents héréditaires dignes d'être signalés ; il raconte seulement que son père est éminemment irascible, violent môme. Lui exerçait la profession de coupeur en souliers.

Jamais il n'avait été malade et il était en état de santé parfaite, lorsque le 4 septembre 1886, sans avoir subi l'influence d'aucune cause occasionnelle

1. U y a entre les parties correspondantes des deux membres inférieurs des différence! de un centimètre environ.

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appréciable, un vendredi dans la journée, il ressentit des frissons, un peu de fièvre et secoucha. Le lendemain, au réveil, on constate la paralysie complète du membre inférieur gauche dans sa totalité. Le surlendemain matin, la fièvre continuant toujours^ bien qu'à un degré modéré, le membre inférieur gauche a été pris à son tour. Enfin, le quatrième jour, la fièvre paratt-il était tombée et néanmoins, ce jour-là, la paralysie s'est étendue au membre su- périeur droit. Aucune trace de douleurs. Mais, par contre, une paralysie vésicale dont il n'existe plus la moindre trace s'est produite dès l'origine et a exigé l'emploi du cathéter pendant six jours ; fait anormal dans l'espèce vous le savez et qui paraît être relativement moins rare lorsque la paralysie spinale frappe les adultes.

La période de rétrocession a commencé au bout de 15 jours ; malheureuse- ment, le membre supérieur droit : l'épaule, le coude d'abord, puis la main, s'est seul dégagé.

Rien de semblable ne s'est fait sentir dans les membres inférieurs qui, depuis l'origine, n'ont pas récupéré un seul mouvement soit dans les hanches, soit dans les autres articulations.

Inutile de dire l'état dans lequel se trouvent les membres inférieurs pa- ralysés près de deux ans après le début ; flaccidité, algidité des membres, absence des réflexes de tout genre, rien n'y manque et pour ce qui est de l'exploration électrique, elle amontré aux cuisses l'existence d'une réaction de dégénérescence très nette et complète, pour la plupart des muscles. Les mudcles de la jambe ne répondent plus aux excitations.

Ici encore nous avons sous les yeux un cas d'infirmité indélébile.

IMP. NOlKirrrB. s, RUB CA)tPAOIfB-t>RBMlKRB, t>ARlB.

Policlinique du Mardi 11 Décembre 1888

HUITIÈME LEÇON

1" Malade. Cas complexe. Ataxie locomotrice et

hyslérie. Malade. Cas complexe. Hystérie et sclérose en

plaques.

(A propos de ces deux cas, on fait ressortir Timpor tance pour le diagnostic de Tétude des troubles oculaires.)

Malade. Chorée molle chez un enfant de 12 ans. Hérédité nerveuse.

M: Charcot : Je voudrais, à propos du cas qui va vous être présenté, rele- ver une fois de plus ce grand fait nosologique, que même, et peut-être surtout en pathologie nerveuse, les espèces ou types morbides, offrent, dans la com- binaison de leurs caractères cliniques une véritable fixité, une originalité réelle qui permettra à peu près toujours, de les reconnaître, ou de les séparer par l'analyse , alors même que plusieurs de ces espèces coexisteraient sur un même individu elles peuvent former des complexus très variés. La doc- trine que nous voudrions faire prévaloir en pareille matière est, vous le savez par ce que nous avons dit maintes fois sur ce sujet, que les complexus noso- logiques dont il s'agit ne représentent pas en réalité des formes hybrides, produits variables et instables, d'un mélange^ d'une fusion intime, mais plu- tôt le résultat d'une association, d'une juxtaposition dans laquelle chacun des composants conserve son autonomie. Et, à ce propos, je vous ferai remar- quer, messieurs^ qu'il est fort heureux, en pratique, que les choses soient réellement ainsi ; car autrement, comment le clinicien pourrait-il apprendre jamais à s'orienter, au milieu de groupes symptomatiques innombrables n'offrant pas de cohésion mutuelle, et toujours prêts au changement, à la mé- tamorphose ? Je compte d'ailleurs, messieurs, m'attacher désormais dans

22

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nos leçons à Tétude de ces cas complexes espérant y trouver Toccasion de vous bien convaincre que le déterminisme règne dans le domaine des asso- ciations d'espèces morbides, tout aussi bien que partout ailleurs en patho- logie.

L'examen de notre malade d'aujourd'hui nous permettra aussi de vous montrer l'importance fondamentale, —mille fois proclamée déjà du reste et à juste titre, des études d'ophthalmologie méthodique pour Télucidation d'un très grand nombre de problèmes attenant à la pathologie nerveuse, surtout en co qui concerne le diagnostic et le pronostic.

1" Malade.

[Une malade est introduite dans la salle de cours.) Il s'agit^ vous le voyez d'une femme déjà âgée ; elle a 58 ans ; elle exerce depuis très longtemps la profession de domestique ; elle va nous faire ' connaître elle-même en répon- dant aux questions que je vais lui adresser devant vous, les principales phases de sa maladie.

A la malade : Veuillez nous parler, je vous prie des premières douleurs que vous avez éprouvées.

La malade : Vous voulez parler de 1876 ?

M, Charcot : C'est cela môme ; vous aviez alors 46 ans je crois ?

La malade : Oui monsieur ; c'est le commencement de mon mal ; j'ai eu alors d'atroces douleurs dans le dos ; cela est venu tout d'un coup, un beau jour je ne sais pourquoi ; mon dos était sensible partout comme si j'avais eu un vésicatoire à vif : on ne pouvait me toucher même légèrement, môme et surtout en frôlant, sans provoquer une douleur aflreuse.

M, Charcot : Peut être même que une forte pression eût été moins dou- loureuse que le frôlement ?

La maladp : Je ne saurais vous dire, monsieur; mais c'était comme une cein- ture de feu qui m'enveloppait et j'avais bien peur qu'on ne me touchât.

M. Charcot : Dans quelle partie du dos siégeait cette douleur ? y avait-il des élancements suivis de calme^ ou était-ce tout à fait continu ?

La malade : Je ne puis préciser ; la douleur, il me semble, était partout dans

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le dos. Il y avait des élancements c'est vrai ; mais jamais d'intervalles de repos ; cela brûlait toujours affreusement nuit et jour.

M, Charcot : Remarquez, messieurs, cette rachialgie avec hypéresthésie extrême, n'admettant pas le moindre frôlement, donnant à la malade l'idée d'un vésicatoire à vif. Voilà un phénomène qui ne se voit guère, ainsi que je vous l'ai fait remarquer souvent, que dans deux affections en apparence fort éloignées Tune de l'autre, à savoir Tataxie locomotrice et l'hystérie. S'agit-il ici de Tune ou de l'autre ? Avant de rien décider laissons parler les faits.

A la ma/arfe : Combien de temps cette douleur a-t-elle duré ?

La malade : Quatre jours, monsieur, après cela la grande douleur s'est apaisée ; mais pendant bien longtemps encore, je prenais toutes Jes précau- tions possibles pour qu'on ne me touchât pas le dos. Quand on ne me touchait pas je ne souffrais plus beaucoup, mais quand on me touchait le dos, même légèrement, c'était affreux. Cela a duré encore ainsi pendant quelques jours ; durant ce temps- là, je me tenais raide, toute d'une pièce, afin de ne pas mou- voir mon dos ; couchée dans mon lit c'étaitlaméme chose : je me tenais raide et, je me tournais d'une pièce afin de ne pas frotter mon dos sur le lit ou le heurter.

Quelques jours après, le mal a un peu changé ; il me semblait que j'avais une ceinture qui me serrait le corps et j'ai toujours gardé depuis.plus ou moins,ce sentiment de constriction. Il existe toujours un peu et augmente, de temps en temps, par moments.

M. C^arco/; Veuillez remarquer,messieurs,cette « installation définitive » des douleurs en ceinture : cela est fort significatif dans l'espèce. Vous allez voir maintenant les divers symptômes de la maladie dont il s'agit dans ce cas, apparaître successivement non pas tout à fait dans Tordre classique, mais avec une allure cependant suffisamment caractéristique ; et d'ailleurs la plupart des épisodes qui vont se dérouler l'un après Pautre devant vous chronologiquement, même si vous les considérez individuellement, sans tenir compte de leur relation mutuelle, vous apparaîtront avec une physionomie assez spécifique pour que vous soyez en mesure bientôt de formuler dans votre esprit le diagnostic.

Je me suis assuré, messieurs, qu'avant cette douleur du dos dont elle vient de nous donner la description, il ne s'était produit chez elle aucun symptôme qui mérite d'être relevé pour le moment. C'est donc l'invasion de cette rachialgie épouvantable, dont elle conserve encore le souvenir poignant, et dont la durée n'a pas dépassé quatre jours, qui a marqué le début de l'affec- tion.

A la malade : Parlez-nous de ce qui s'est passé après la douleur du dos.

La malade : Quelques jours après, j'ai commencé à ressentir d'affreuses douleurs pareilles à celles que j'avais eues dans le dos, dans les pieds et les jambes d'abord, puis dans les bras et les mains, et un peu partout.

154

M. Charcot : Voyons, ne mêlons pas tout, procédons par ordre; parlez-moi d*abord des douleurs des jambesi puisqu'elles sont les premières en date, voulez- vous nous dire quel genre de douleur c'était ; les éprouvez-vous encore aujourd'hui quelquefois, ces douleurs ?

La malade : Non, monsieur, je ne les ai pas aujourd'hui, mais je les ai res- senties encore il y a deux ou trois jours.

M, Charcot : Eh bien ! c'est cela que je veux dire : vous les avez encore de temps en temps ; elles sont pareilles à ce qu'elles étaient autrefois ? Jm malade : Oui, monsieur, tout à fait.

M. Charcot : Par conséquent, vous les connaissez bien et vous pourrez nous les décrire ?

La malade : Ohl monsieur, ce sont des douleurs tout à fait pareilles à celles que j'ai eues dans le dos. Il me semblait que dans les pieds, dans les jambes, dans les cuisses, on me donnait par-ci par-là, des coups de couteau ; ou bien j'avais les jambes traversées par des lames de feu; cela me partait dans les genoux, dans les doigts de pieds, quelquefois dans les talons et aussi dans les mollets et dans les cuisses. Quelquefois il me semble que les douleurs se rejoignent.

M, Charcot : Vous m'avez dit que ces douleurs, vous les ressentiez encore aujourd'hui ; naturellement, il y a des temps vous ne les sentez pas. Donc elles reviennent par accès de temps en temps ; combien de temps durent les accès de douleurs ?

La malade : Monsieur cela dure habituellement pendant quatre ou cinq jours^ jouret nuit, surtout la nuit ; il y a maintenant douze ans que cela dure. M. Charcot : Sont-elles aussi fortes maintenant qu'autrefois ? La malade : Oui f monsieur, à peu près; il n'y a pas longtemps, je suis restée huit jours sans dormir, à cause des douleurs.

M. Charcot : El les coups de couteaux, sur le point vous les avez res- sentis, la peau devient-elle très sensible, douloureuse au moindre frôlement? La malade : Monsieur, c'est tout à fait la même chose que ce que j'ai éprouvé dans le dos. Quand les douleurs sont apaisées, la peau devient extrê- mement sensible, je ne puis pas y toucher et même quand je n'y touche pas je souffre encore d'un sentiment de brûlure. Il me semble «fue mes jambes sont dans un brasier.

M, Charcot : Vous êtes sûre qu'il y a des intervalles parfaitement libres pendant lesquels vous ne soutirez pas du tout ?

La malade : Oui monsieur, certainement : ainsi aujourd'hui je me sens par- faitement bien ; je n'éprouve aucune espèce de douleur; mais elle reviennent tous les dix, douze ou quinze jours, sans grande régularité, depuis douze ans. M, Charcot : Veuillez retenir ceci, messieurs : les douleurs ressenties

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autrefois dans le dos, elle les a éprouvées un peu plus tard dans les membres inférieurs elles se sont montrées avec les mêmes caractères, mais sous forme de crises qui n'ont pas cessé de se reproduire depuis, de temps à autre. Cesontlàdéjà des faits fort significatifs et très certainement plusieurs d'entre vous ont deviné de quoi il s'agit. Mais poussons plus avant.

A la malade : Vous nous avez dit tout à l'heure que les douleurs des mem- bres inférieurs ont plus tard envahi les avant-bras et les mains ?

La malade : Oui, monsieur, mais cela s* est fait bien longtemps après, au bout de quatre ou cinq ans, peut-être.

Âl. Charcoi : Pouvez-vous nous dire précisément, les douleurs siègent dans les mains; d'abord, existent-elles dans les deux mains?

La malade: Oui^ dans les deux mains, mais jamais dans les deux à la fois.

M. Charcot : Et comment sont les douleurs dans les mains ? sont-elles aussi fortes que dans les jambes? montrez exactement elles siègent.

La malade montre l'extrémité inférieure du bord cubital de Tavant-bras, l'éminence hypothénar et le petit doigt. Voilât, dit-elle, je les ressens, mais là, elles ne sont pas aussi vives que lorsque je les ai dans les jambes ; du reste, ce sont aussi de grands élancements.

M. Charcot : Ressentez-vous habituellement un engourdissement dans les deux derniers doigts des mains?

La malade: Oui, monsieur, mais non constamment, je les ressens seule- ment de temps à autre.

M. Charcot : J'ai eu bien des fois l'occasion d'appeler votre attention sur ces engourdissements, sur ces douleurs fulgurantes, localisés dans le domaine cubital, occupant le plus souvent symétriquement les deux mains, mais pou- vant, pendant longtemps, se montrer d'un seul côté, sur une seule main. Cela peut constituer, en somme, un incident morbide presque caractérisque et fort important à relever, dans certains cas par exemple, les douleurs ful- gurantes ne se sont pas montrées encore dans les cuisses, les pieds ni les jam- bes. Il est possible, en effet, que ces douleurs fulgurantes du domaine cubi- tal précèdent de plusieurs années celles qui, dans la règle ordinaire, appa- raissent dès le début dans les membres inférieurs. Vous comprendrez par que l'existence précoce des douleurs cubitales associées à quelques autres symptômes de la série, tels que la diplopie par exemple ou la parésie vésicale, puisse permettre de fixer le diagnostic à une époque la maladie en est encore à ses premiers commencements. Il y a bien longtemps, messieurs, que je me suis efforcé d'appeler l'attention sur cet ordre de faits ; mes premières études à cet égfiird remontent en effet à l'année 1872. (Maladies du système ner- veux, t. II, 1" 2* 3* et 4" leçons.) Mais nous allons rencontrer maintenant, dans l'histoire de notre malade, un autre syndrome souvent précoce et également fort caractérisque que j'ai décrit dans ces mêmes leçons, auxquelles je viens de faire allusion et que j'avais signalé d'ailleurs, dès 1868^ dans la thèse d'un

156 ^

de mes élèves, M. Dubois. Ce syndrome a fait, chez notre malade, son appari- tion en 1882, il y a six ans de cela, six ans après celle des douleurs fulgurantes.

A la malade : Contez-nous l'histoire de ces vomissements dont vous m'avez parlé bien des fois.

La malade: Monsieur, je vous l'ai dit, ce sont les douleurs des membres qui déterminent ces vomissements. Quand j'ai ces douleurs, je vomis ; je ne vomis pas quand je n'ai pas de douleurs.

M, Charcot: Est-ce des douleurs dans le dos ou dans les jambes dont vous parlez ?

La malade: Je n'ai plus souvent de douleurs dans le dos, bien que mon dos soit encore souvent sensible au moindre attouchement ; mais c'est des dou- leurs des jambes dont je parle ; ce sont ces douleurs qui souvent occasionnent mes vomissements.

M, Charcot : Elle veut dire que l'apparition des vomissements coïncide avec celle des crises de douleurs fulgurantes dans les membres.

Je ne vous ferai pas l'injure, messieurs, de suspendre plus longtemps le diagnostic ; tous vous avez compris, depuis longtemps déjà certainement, que c'est Tataxie locomotrice progressive qui est en jeu ici ; et les vomissements par accès dont, en ce moment, nous parle notre malade ne sont pas autre chose que les fameuses crises gastriques » qui, ainsi que je Tai fait remar^ quer, il y a quinze ou seize ans, figurent souvent, dans la période aujourd'hui dite préataxique, parmi les symptômes les plus précoces.

A la malade : Souffrez-vous dans l'eslomac quand vous vomissez ? qu'est-ce que vous vomissez ?

La malade ; Je vomis de l'eau et des glaires : rien ne peut arrêter les vomis- sements, cela dure de une heure à dix ou douze heures. Je ne peux rien yuendre pendant ce temps-là: je vomis tout. Mais quand c'est fini, j'ai pres- que aussitôt après l'idée de manger. Dans l'estomac, je ne souffre que des efforts que je fais ; c'est dans les membres que j'ai des douleurs.

M, Charcot : Est-ce que vous avez souvent ces crises de vomissements ?

La malade :3e les ai maintenant beaucoup plus rarement qu'autrefois et elles sont beaucoup moins fortes que dans le temps. Autrefois, elles me reve- naient presque régulièrement tous les trois ou quatre mois.

M, Charcot : Remarquez, messieurs, cette sorte de périodicité des crises gas- triques ; elle est quelquefois très frappante et pourrait déjà par elle-même^ dans certains cas, contribuer au diagnostic. Mais je n'insisterai pas plus lon- guement sur l'histoire de ces crises gastriques : c est un sujet qui mérite une étude toute spéciale et sur lequel nous aurons, sans doute, l'occasion, quelque jour, de nous arrétei avec insistance.

Je continue la série de nos investigations. Nous savons désormais dans quelle direction celles-ci doivent être dirigées. ÎS'ous en avons fini, sans doute, avec ceux des symptômes initiaux dont la malade, en évoquant ses souvenirs,

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peut nous rendre compte actuellement, ainsi que je vous le ferai reconnaître dans un instant. La période préataxique est close. L'incoordination motrice est devenue manifeste dans les membres inférieurs ; peut-être nous sera-t-il donné de déterminer, approximativement, l'époque à laquelle' elle a commencé à se manifester.

A la malade: Depuis quand avez-vous remarqué qu'il vous était devenu diffi- cile de marcher ?

La malade ; 11 y a quatre ans que j'ai commencé à m'apercevoir que je ne pouvais pas bien marcher dans l'obscurité ; même le jour, dans ce temps-là, il m'était difficile de descendre un escalier ; j'éprouvais alors comme un scut timent de vertige qui me faisait craindre d'être précipitée dans le vide. De temps en temps mes jambes fléchissent tout à coup, même sans douleurs, au niveau du jarret et je suis menacée de tomber par terre.

M.Çharcot: C'est vous le savez, ce que quelques auteurs anglais appellent du nom de * giving tvay of the legs ». Nous l'appelons, nous, Teffondrement des jambes ».

A la malade : Voulez-vous vous lever, s'il vous plaît, et vous tenir un instant debout? Fermez les yeux tout à coup : vous le voyez, les yeux fermés,la malade oscille et menace de choir; c'est ce qu'on appelle le signe de Romberg.

M. Charcot prie la malade de marcher ; elle fait quelques pas devant Tau- ditoire.

La démarche, remarquez-le bien, ne répond pas au type classique ; la malade ne progresse pas en lançant ses pieds en avant, ceux-ci retombant avec bruit sur le sol à chaque pas, elle marche au contraire à petits pas et comme en titubant. 11 reste beaucoup à faire sur les variétés de la démarche tabé- tique. Les infractions à la règle sont chose fréquente en pareil cas ; elles n'ont pas encore été l'objet d'une analyse minutieuse. Vous remarquerez, en outre, qu'ici, presque à chaque pas, il y a une esquisse du dérobement des jambes dont je parlais tout à l'heure {giving way of the legs), de telle sorte qu'il semble à chaque instant que la malade va s'affaisser sur elle-même ; cela imprime à la démarche une allure sautillante qui n'est point chose vulgaire.

La malade étant assise de nouveau, on constate que les réflexes rotuliens sont absents et que la forae de résistance des diverses parties des membres inférieurs aux divers mouvements qu'on veut leur imprimer, n'est pas nota- blement diminuée.

A la malade : Vous urinez, je crois, difficilement; depuis quand?

La malade : Depuis trois ou quatre ans peut-être, je suis forcée de pousser pour uriner et l'urine ne sort que par saccades. J'ai aussi depuis ce temps-là une grande constipation. Il m'est arrivé quelquefois d'uriner dans mon lit.

il. CAarcor* Il me reste, pour terminer cette énumération des symptômes tabétiques, à vous faire connaître les résultats qu'a donnés chez notre malade Texamen des fonctions oculaires. En premier lieu, on relève que les pupilles

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sont inégales et qu'elles sont à peine affectées quand on les soumet à une vive lumière, ainsi que quand Tœil est placé dans Tobscurité. Les pupilles se contractent au contraire comme dans les conditions normales» dans Tactc d'accommodation pour une courte distance. (Signe d'Argyll Robertson). Voici donc, de ce côté, un nouveau symptôme tabétique, d'ailleurs fort vulgaire ôans Tespèce.

Je vais maintenant insister sur un détail dont nous a fait part la malade et dont il était fort intéressant de vérifier l'exactitude : elle nous assure qu*il y a trois ou quatre ans, dans un hôpital elle a été admise comme ataxique, alors qu'elle s'était plainte, que, depuis plusieurs mois, la vision avait baissé remarquablement dans Tœil droit, un médecin avait déclaré à la suite d'un examen ophthalmologique attentif, qu'elle était atteinte d'une atrophie du nerf optique de ce côté. Rien de plus naturel, rien de moins imprévu, incontestablement^ que l'existence d'une atrophie progressive du nerf optique dans le tabès. Il y avait lieu de s'étonner seulement qu'après cinq ans, Tautre œil ne fût pas affecté à son tour. Car, dans l'immense majorité des cas, l'atro- phie progressive des nerfs optiques dans le tabos, aboutissant en dernier terme à la cécité, marche plus rapidement que cela.

Quoiqu'il en soit, procédant à l'examen ophtaliiioscopique de l'œil incri- miné chez notre malade, cet examen a été fait par M. le D' Parinaud, nous n'avons pas été peu étonnés de reconnaître que dans cet œil-là comme dans l'autre, du reste, la papille était parfaitement normale. Il y avait donc eu, dans le temps, erreur dans le diagnostic.

Par contre, procédant méthodiquement et sans parti pris à l'examen des diverses fonctions visuelles, voici quel a été, chez notre sujet, le résultat de l'examen :

i^ Il existe une diminution réelle, mais assez peu prononcée de l'acuité visuelle du côté droit. Mais celle-ci n'est pas la conséquence d'une lésion atrophique du nerf optique correspondant, puisque, ainsi que nous l'avons dit, l'aspect de la papille de ce côté présente les caractères de l'état normal.

2^ Les pupilles sont inégales, le réflexe lumineux y fait défaut tandis que les réflexes de la convergence persistent (Signe d'Argyll Robertson). Voilà cette fois un phénomène tabétique déjà signalé plus haut d'ailleurs.

Dyschromatopsie dans les deux yeux pour le vert et pour le bleu, la malade au contraire perçoit le rouge parfaitement.

Ceci n'est pas, remarquez-le bien, un phénomène tabétique ; les malades atteints d'amaurose tabétique, lorsqu'ils deviennent achromatopsiques, per- dent la notion du vert et celle du rouge : le jaune et le bleu sont perçus en général pendant fort longtemps encore alors que déjà la perception des deux premières couleurs a cessé d'exister. D'après les nombreuses observations que

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nous avons été à même défaire & la Salpâlrière&ur une grande échelie, depuis plusieurs années, M. Parinaud et moi, ce n'est guère que dans l'hystérie qu'on voit la notion du rouge persister seule, celle des autres couleurs ayant disparu.

Y aurait-il donc, chez notre malade, complication d'hystérie?

4* L'examen campimûtrique fournil fi cet égard des résultats à peu près dé- cisifs. Il existe chez notre malade un rétrécissement du champ visuel portant sur les deux yeux, régulièrement concentrique, plus prononcé à droite qu'à gauche (Fig. 34.) Ceci encore est un symplÂme hystérique presque univoque

Fig. 34.-5 décembre 1888.

pour peu qu'il soit bien établi. Nous nous sommes plusieurs fois assuré qu'il s'agit, dans notre cas, d'un rétrécissement permanent ; on sait que dans l'am- blyopie tabétjque liée à l'atrophie progressive des nerfs optiques, il y a aussi rétrécissement du champ visuel, mais c'est d'un rétrécissement inégal, à bords dentelés qu'il s'agit alors et nond'unrétrécissementrégulièrement concentrique.

La présence d'un élément hystérique chez notre malade n'est donc guère douteuse.

5* Elle est encore démontrée par le fait suivant : il y a dans les deux yeux diplopie monoculaire, en même temps que macropsie. Vous connaissez la va- leur diagnostique de ces faits-là établie parles recherches de H. Parinaud (Ij.

Le résultat de ces investigations ophthalmologiques nous a donc conduit

1. Il existe CD outre, chez celle malade une paralyiîe coqjuguèo dea muacles ocjEsircs dans iM fDoavamanU ve» la droite, avec diplopie homonyme. C'est encore un sympl^me qu'il n'est pas rare de rencoolrer dans l'hyslérie.

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au résultat important que voici:— Tout n'est pas tabétique chez notre malade; l'hystérie est Û, )irésente,il s'agit de lui accorder dans le complexus morbide, la part qui lui revient Ic^gitîmement.

La voie des investigations cliniques était désormais toute tracée.

L'examen la sensibilité cutanée a fait conbtater la présence d'une hémia- nalgésie droite (Fig.3r>).Le godt du cAté droit de la langue est à peu près com-

ètemcnt aliiili. Ovari

i deux côtés, surtiHit pvo

En remontant dans le passé, on appr 1883, c'est-à-dire cinq uns après l'appariti tiques, a éprouver ce qu'elle appelle ses cri jusqu'à ce jour.

'cn<) que M...giiuu a coiuinencé en ion des iluulcui's fulgurantes tabéti- ses nerveusus. Ces crises ont persisté

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Voîcî la description qu'elle en donne : c'est d'abord un certain malaise dont elle ne se rend pas bien compte, mais domine un sentiment de tristesse ; puis surviennent des battements intenses au creux épigastrique d'où part bientôt la sensation de « quelque chose» qui monte dans la gorge et «l'étran- gle ». Des cris, des sanglots, l'émission de larmes abondantes terminent la scène. Pas de perte de connaissance ; pas de mouvements convulsifs dans les membres. Ces crises, autrefois, revenaient tous les mois environ. Elles se sont dans ces derniers temps rapprochées sans changer de caractère.

Lorsque, en dehors des crises, on exerce une pression surla région ovarienne droite, la malade ressent ces mêmes battements épigastriques, cette même sensation d'un corps étranger remontant vers la gorge, qu'elle décrit à propos de ses crises spontanées.

Voilà une description qui certes n'a pas besoin de commentaires : elle ne permet pas, en tout cas, de confondre les crises en question avec les attaques épileptiformes qui se montrent parfois dans le tabès.

Ataxie locomotrice et hystérie » : c'est une combinaison qui d'ailleurs n'est pas inattendue pour vous ; je vous l'ai signalée plusieurs fois déjà l'an passé dans nos Leçons du mardi ( Voir leçon du i^juin 1888). Vulpian l'avait relevée d'ailleurs d'une façon expresse dans ses Leçons de 1879. « L'hystérie, dit-il, (p. 246) me paraît exercer une influence sur la production de l'ataxie locomotrice progressive. Il n'est pas très rare eflfectivement, de constater que des femmes atteintes d'ataxie ont été auparavant, pendant des années, tour- mentées par tous les accidents de l'hystérie^ par des accidents convulsifs entre autres. » 11 faut ajouter que dans bien des cas aussi, c'est l'ataxie locomo- trice qui prend les devants et précède l'apparition de Thystérie. Est-ce à dire que, dans cette complication d'événements, il faut admettre que la maladie nerveuse, ataxie ou hystérie, qui se montre la première en date, joue vis-à- vis de l'autre le rôle d'agent provocateur ? (1).

Evidemment, il est possible qu'il en soit ainsi dans un certain nombre de cas: mais il ne faut pas oublier d'un autre côté que les deux affections, ataxie et hystérie^ représentent deux membres de la même famille nosographique, et qu'il est tout naturel par conséquent qu'elles se montrent coexistantes sur un terrain particulièrement favorable à l'éclosion de semences de ce genre. Evidemment il y aurait en pareille circonstance plus qu'une coïncidence for- tuite ; mais les deux maladies, bien que développées en raison de conditions communes, n'en évolueraient pas moins individuellement, chacune pour son compte, sans s'influencer beaucoup mutuellement.

Avant d'en finir avec cette malade, il me reste encore à relever quelques pomts qui ne sauniient passer inaperçus. Veuillez remarquer, tout d'abord,

1. VoirG.GuinoQ : Les agents provocateurs de Vhystérie, Thèse de Paris,1889, p. 219 et suiv.

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qu'il s'agit chez elle d'un cas d'hystérie tardive, sénile même, pourrait-on dire, car on ne saurait guère invoquer ici Tinfluence provocatrice de la ménopause.

Les premiers symptômes d'hystérie, en effet, ont paru à l'âge de cinquante- deux ans ei déjà à cette époque les règles avaient disparu complètement depuis quatre ans. Il y a bien eu,vers cette époque-là, explosion de quelques accidents nerveux, tels que, étourdissements, nausées, boufTées de chaleur alternant avec des frissonnements ; mais ce sont des accidents vulgaires et qui peuvent se manifester sans accompagnement d*aucune tendance hystérique.

L'hystérie, faut-il ajouter, S'est développée chez notre malade en dehors de toute intervention connue, d'une cause provocatrice quelconque ; les symp- tômes tabétiques, lorsqu'elle s'est produite, continuant leur marche progres- sive sans exaspération notable. Pas de causes morales, pas de chagrins, pas de chutes, pas de traumatismes. A la vérité, les marques d'une prédisposition accentuée ne font pas défaut dans l'histoire des antécédents personnels de notre malade et c'est une circonstance à faire valoir dans Tétiologie de l'ataxie locomotrice aussi bien que dans celle de l'hystérie. M... gnon a été très faible, très délicate dans son enfance. Elle a uriné au lit jusqu'à l'âge de seize ans; elle s'est toute sa vie montrée émotive à l'excès, elle fond en larmes à l'occasion de la moindre contrariété, quand elle entend un morceau de musique funèbre lorsqu'elle voit passer un enterrement ou encore lors- qu'elle assiste à la communion d'une jeune fille, etc. Pour ce qui est des anté- cédents héréditaires, les chemins pour la recherche sont absolument coupés de ce côté-là. M... gnon, en effet, est un enfant de l'hospice de Valognes ; elle n'a jamais connu ni son père ni sa mère. Il est vrai que cette qualité d'être issue de « parents inconnus » équivaut presque nécessairement au privilège de l'hérédité nerveuse.

Malade*

La seconde malade qui va nous occuper n'est pas sans présenter de nom- breuses analogies avec la précédente. Il s'agit en effet, encore, d'une com- l)inaison de l'hystérie avec une affection organique bulbo-spinale, à savoir la sclérose en plaques. Seulement ici, c'est l'hystérie quiparaîlau premierabord dominer la situation et masquer l'autre élément noso/^rraphiciuo. Une fois de plus,ran«ilyse de notre cas pourra servir à mettre en évidence le rôle éminent

163 ~

que peut jouer l'examen ophthalmoscopique, méthodiquement conduit dans Télucidation de problèmes diagnostiques souvent fort complexes et, autrement, bien difficiles à débrouiller.

Avant d'entrer en matière je crois utile de vous rappeler, dans un aperçu sommaire, en les comparant les uns aux autres, ce que sont les divers symp- tômes oculaires qui contribuent à caractériser nosographiquement Thystérie d*un côté^ Tataxie locomotrice et la sclérose en plaques, de Tautre ; notre tâche se trouvera, je pense, singulièrement facilitée par l'examen du tableau synoptique que j*ai placé sous vos yeux.

TABLEAU SYNOPTIQUE DES SYMPTOMES OCULAIRES

DANS LE TABES, LA SCLÉROSE EN PLAQUES ET L*HYSTÉR1E

(. AppareU moteur de U.

Tabès (Ataxie locomo- trice). — Paralysie par lé- sion d'un nei*f moteur de l'œil (noyau bulbaire ou nerf périphérique). Diplo- pie consécutive.

rrcobles pupillaires.

Signe de Vincent, Coingt et Argyll Roberlson : Insen- sibilité à la lumière, conser- vation du réQexe pour Taccommodation.

mage oplhalmoscopique Atrophie nacrée de la la papiUe. pa/oiV/f (Atrophie tabétique).

[Voublea fonctionnels isécutifi à raffection du / opHqtiB ou à celle des trcM visuels.

Rétrécissement con- centrique, inégal du champ visuel.

2^ Achromatopsie et dys- chromalopsie tabétiques.

Elle porte sur le vert et le rouge d'abord. Le jaune et le bleu conservés jusqu'au dernier lerme.

Cérité fatalement pro- gressive et portant sur les ienx yeux.

Sclérose en plaques : 1<* Paralysies dans les mouvements associés des yeux, nécessairement bino- culaires et de cause cen- trale, — diplopie spéciale consécutive. Nystagmus.

Dans quelques Myosis sthénique.

cas

Hystérie ;

1* Quelquefois paralysies associées.

2o Spasmes des paupières.

3<> Diplopie monoculaire, micropsie et macropsie (Parinaud).

0.0.

2* cas. A. Simple déco- loration de la papille.

B, Névrite optique et atro- phie blanche consécutive. (Cas d'Euienbourg, de Gnauk).

lo Répondant au cas A : Amblyopie ou cécité tem- poraires,

2** Répondant au cas B : Rétrécissement inégal et achromatopsie comme dans Tataxic.

Amblyopie et cécité du- rables, non fatalement pro- gressives.

0.0.

i^ Rétrécissement régu- lièrement concentrique por- tant sur un seul œil ou sur les deux.

2* Dyshromatopsie repré- sentée par un simple rétré- cissement du champ visuel pour les couleurs.

Assez souvent la notion du rouge persiste seule, celle de toutes les autres couleurs ayant disparu.

3* Amblyopie ou cécité transitoires.

164

Ce sont, vous Tavez compris, les symptômes oculaires de la sclérose en pla- ques qu'il s'agit particulièrement de mettre en relief à propos de notre cas, en les comparant à ceux qui appartiennent à l'hystérie. Mais il ne sera peut- être pas inutile, pour mieux fixer votre attention, d'accuser des contrastes en faisant figurer dans cette comparaison les symptômes oculaires tabétiques. Il ne saurait être question ici, remarquez-le bien^ que d'une esquisse à traits rapides et non d'une étude régulière. Un des troubles oculaires classiques dans la sclérose en plaques, en tant qu'il s'agit des fonctions musculaires de rœii, c'est le nystagmus. Or, vous savez que ce symptôme ne se voit guère dans letabes, si ce n'est dans certains cas rares, vraiment exceptionnels, étant mise à part, bien entendu, l'ataxie dite héréditaire (maladie de Friedreich) dans laquelle, au contraire, le nystagmus est fréquent; mais vous n'ignorez pas que cette dernière maladie est, nosographiquement, nettement séparée de Tataxie locomotrice progressive.

La diplopie, dans lataxie est, dans la règle, la conséquence de la paralysie d'un des muscles moteurs de l'œil ; dans la sclérose en plaques, au contraire, elle est surtout liée à une paralysie des mouvements associés des deux yeux. Une diplopie de même origine se voit assez souvent dans l'hystérie; mais dans celle-ci, c'est plus particulièrement la diplopie monoculaire qu'on observe et il importe de remarquer que ce symptôme-là n'appartient ni à l'ataxie ni à la sclérose en plaques.

Le signe d'Argyll Robertson appartient exclusivement à l'ataxie. Rien de semblable dans l'hystérie, non plus que dans la sclérose en plaques l'on observe par contre quelquefois un myosis spasmodique, myosis qui peut s'exagérer encore^ quelque prononcé qu'il soit déjà, sous l'action des rayons lumineux (Parinaud). Les symptômes hystériques ne reconnaissent pas, vous le savez, de lésions organiques appréciables: c'est une loi qui s'applique aussi bien, dans l'hystérie, aux symptômes oculaires qu'à tous les autres. De fait, il n'y a pas de lésion du fond de l'œil, appréciable à Texamen ophthalmosco- pique dans l'amblyopie ou dans l'amaurose hystériques.

11 est est tout autrement dans l'amaurose tabétique. C'est alors qu'on observe cette image ophthalmoscopique, si spéciale, si caractéristique en général, qu'on désigne quelquefois sous le nom de papille nacrée, atrophie nacrée de la papille, papille tabétique. L'aspect papillaire est différent dans la forme vulgaire, essentiellement transitoire de l'amaurose liée à la sclérose en plaques. L'ophthalmoscope, en pareil cas, ne montre qu'une légère décolora- tion de la papille. Il n'en est plus de même lorsque par exception, cette exception a été plusieurs fois signalée, en particulier par M. Eulenbourg et par M. Gnauck, il n'en est pas de même, dis-je, lorsque l'amaurose, dans la sclérose en plaques, est la conséquence d'une névrite optique. Alors, même quand la lésion du nerf en est arrivée à la période atrophique,il est générale- ment facile encore de distinguer la papille d'un blanc mal, aux bords nébu-

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leuxqui marque la névrite optique, de la papille nacrée aux bords nets et tran- chés qui distingue la forme tabétique. N'oubliez pas le pronostic fatal qui s'attache à la constatation de l'existence d'une papille tabétique; Tamblyopie qui en est Taccompagnement symptomatique marche, quoiqu'on fasse, néces- sairement è la cécité complète, absolue, et de cette cécité-là, on ne sort jamais. 11 n'en est pas tout à fait de même des troubles visuels liés à la névrite optique dans la sclérose en plaques. Sans doute, trop souvent ils aboutissent eux aussi à la cécité permanente, irréparable, mais c'est une triste conséquence qui n'est pas aussi fatalement inévitable que dans le cas du tabès. 11 peut y avoir, cette fois, des atermoiements ou mieux encore des retours plus ou moins prononcés vers Tétat normal et peut-être le médecin n'est -il pas aussi complè- tement désarmé.

L'examen campimétrique et la recherche de l'état de la vision pour les cou- leurs peuvent eux aussi fournir, dans la catégorie qui vous occupe, de pré- cieux éléments de diagnostic. Le rétrécissement régulier et concentrique du champ visuel de l'hystérie contraste évidemment d'une manière frappante avec le rétrécissement inégal qui se voit dans l'atrophie tabétique et aussi dans les périodes avancées de l'atrophie par névrite optique. Il faut ajouter que Tachromatopsie qui se lie aux deux dernières affections du nerf optique n'est pas la même, si l'on peut ainsi parler, que celle qui se voit dans l'hystérie. Dans cette dernière, en effet, il est fréquent de voir la notion du rouge survivre seule alors que celle des autres couleurs est complètement effacée; tandis que dans les deux premiers cas c'est nécessairement la notion du rouge et celle du bleu qui persistent, après que la notion du vert et ensuite celle du rouge ont successivement disparu. Tels sont, messieurs, les quelques faits que je tenais à vous rappeler avant d'entrer dans l'exposé de notre cas. Vous êtes ainsi, je l'espère, placés en mesure d'apprécier comme il convient l'intérêt des détails cliniques qui vont, chemin faisant, se dérouler devant vous.

11 s'agit d'une jeune femme de vingt et un ans, grande, élancée, comme vous le voyez, et en apparence bien constituée. Les antécédents héréditaires signalent plutôt l'influence arthritique; son père est atteint de la gravelle ; elle a un oncle maternel qui souffre de la goutte. La névropathie toutefois ne fait pas défaut dans son arbre généalogique, car sa mère, morte de phtisie pul- monaire, était sujette à des crises nen^euses, sans perte de connaissance. Les antécédents personnels ne sont pas sans intérêt. Les tendances névropa- thiques de notre malade se manifestent de bonne heure : étant petite, elle était sujette à de violentes crises de colère ; à la moindre contrariété, à la moindre réprimande, elle se roulait à terre en criant, en agitant ses membres d'une façon désordonnée. Souvent, pour la calmer, on était obligé de lui projeter de l'eau sur la figure ou de lui faire prendre du sirop d'éther. Ces crises, avec l'âge, ont disparu pour faire place, en quelque sorte, à de véritables crises

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hystériques. Elle avait aussi autrefois des tics nerveux consistant en mouve- ments brusques des muscles de la face et du c(»u, lesquels tics ont également disparu.

C'est à Tàge de dix-huit ans qu'ont commencé à paraître les crises hystéri- ques bien formulées. D'abord relativement légères et rares, elles ont pris, en septembre 1887, une plus grande intensité et se sont montrées fréquentes. La menstruation, jusque-là normale, s'est arrêtée, à cette époque. Après avoir séjourné à l'Hôtel-Dieu pendant quelques mois, la malade a été admise à la Salpélrière en mars 1888, dans le service de la Clinique. Il s'agit chez elle d'at- taques de grande hystérie avec les phases classiques et bien marquées, à savoir : aura régulière puis arc de cercle et grands mouvements, la phase épilep- toTde fait défaut et, enfin, attitudes passionnelles. La durée des séries de crises ne s'étend pas au delà d'une demi-heure, trois quarts d'heure. Elles se reproduisent habituellement Irois ou quatre fois la semaine.

La recherche des stigmates a fait reconnaître l'existence d'une double ovarie et d'une hémiancsthésie cutanée gauche vulgaire avec anosmie gauche (voirie schéma n** 36) (l).Mais appliquée à l'étude des fonctions oculaires» elle devait révéler toute une série de faits inattendus et conduire ainsi à démasquer l'affection organique, qui jusque-là s'était tenue dissimulée derrière les mani- festations hystériques. Et d'abord, dans cet examen, s'offre en premier lieu un nystagmus parfaitement caractérisé qui suffit pour donner l'éveil et nous engage à entreprendre une étude approfondie des fonctions oculaires.

Le regard vague, incertain qui frappe lorsqu'on examine la physionomie de la malade avec quelque attention, tient à l'existence d'un certain degré de parésie des mouvements associés de l'œil, laquelle parésie entraîne avec elle de la diplopie. La diplopie par parésie des mouvements associés est un symptAmc qui peut se voir dans l'hystérie; mais lorsque les choses vont jusqu'à produire le « vague », l'incertitude du regard, c'est très vraisem- blablement de la sclérose en plaques qu'il s'agit.

Les réflexes pupillaires sont normaux : pas de myosis spasmodique, pas traces du signe d'Argyll-Robertson. Polyopie monoculaire : c'est incontesta- blement, dans les conditions on l'obsene chez notre malade, un symp* tome hystérique.

Décoloration atrophiciue de la pupille, par névrite optique dans les deux yeux: voilà certes qui n'est pas hystérique.

Nous serions donc en présence d'un de ces cas de sclérose en plaques peu nombreux encore (cas d'Eulenbourg et de Gnauk) la sclérose muUilocu- laire des centres nerveux s'accompagne de névrite optique.

i. Au membre suprrienr {gauche, l'aiiesthésie cutanée est compliquée d'anesthésie profonde. La malade a perdu, les yeux fermés, la notion de la posi ion imprimée à ce membre ou à ses divers segments.

167 -

A celte révélation fournie par l'exanien oplithalmoscopiiiue correspondent les^faitii suivant» : a Réti'écisgeiiieut très prononcé du champ visuel, dans les deux yeux, mais rétrécissement inégal, limité par des borda dentelés, rappe- lant ce qu'on voit dans l'ataxie. 11 ne saurait donc être question ici, vous le

Ptg. 86.

voyez, de ce rétrécissement concentrique et régulier qui, dans l'hystérie à ntigmatcs, constitue en quelque sorte un symptôme banal ; h. Acuité visuelle dans l'œil droit 1/4, & gauche 1/6 (voir le schéma 37). Les résultats précé- dents ont été obtenus dans un examen fait le 28 mars IHHR.

Ces jours-ci, 5 décembre 1888. un nouvel examen a montré ce qui suit (Voir ie schéma n" 38) :

!,p rélriTisseineiit du champ visuel est beaucoup plus iirouoncé, surtout il ■Iroite, qu'il ne lôtait il y a dix mois. 1,'acuitt^ visuelle, elle aussi, a faibli

ihnmp ti-tuel pour le ri)iige

corisidérabh'iiK'iit jmisqu'elle n'est plus représentée que par l/dO* à droite. l/âO' à gauche. Un note que depuis le mois de mars la malade a eu, A plu- sieurs reprises, des phases d'amaurose plus ou moins absolue : ainsi le ven-

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dredi 30 novembre, elle a été prise presque su bitement d'une cécité complète qui Ta forcée de rester alitée ce jour- : le lendemain matin, elle ne distin- guait que difficilement les objets. Ces symptômes avaient été accompagnés et suivis d'une forte céphalalgie. Ces phases d*empirement temporaire de Tam- blyopie sont-elles le fait de Thyslérie ou de la sclérose multiloculaire ? cola me parait difficile à décider: en tout cas, il y a un contraste frappant avec les allures fatalement progressives de Ijimaurose tabétique.

Il me reste à vous parler de la dyschromatopsie qui, dans ce cas particulier a présenté des particularités dignes d'être notées.

Note du 28 viars. Il y a dans les deux yeux achromatopsie pour toutes les couleurs, à Texception du bleu et du rouge, et, chose remarquable, con- formément à ce qui se voit très vulgairement dans Thystérie, surtout chez la femme, le cercle de la vision pour le rouge est plus étendu que celui de la vision pour le bleu. On sent là, si Ton peut ainsi parler, Tinfluence de l'hystérie et cette influence, on peut le dire, se maintient jusqu'à la dernière limite, car dans l'examen du 5 décembre, Tachromatopsie étant devenue complète pour l'œil droit, on note que le rouge est désormais la seule couleur qui soit perçue par l'œil gauche.

Voici donc sur un même sujet un mélange, une intrication, si vous voidoz, e'videmment fort remarquable, de symptômes oculaires dont les uns appar- tiennent à l'hystérie, les autres à la sclérose en plaques.

Mais vous venez de voir que si ces divers symptômes se montrent entremêlés ils ne sont point confondus cependant et qu'il est permis par l'analyse clinique de faire la part de chacun des deux groupes.

Quoi qu'il en soit. Messieurs, il importe de le rappeler encore une fois, c'est la découverte des symptômes oculaires que vous savez qui nous a amené a reconnaître que, derrière l'hystérie se cachait, chez P...et, la sclérose multiloculaire des centres nerveux. L'examen de revision du complexus que nous avons entreprendre, à la suite de cette révélation, n'a fait qu'établir plus solidement encore l'existence de l'affection organique cérébro-spinale dont il s'agit.

C'est ainsi que nous avons été conduit à mettre en vabîur dans l'examen de notre malade toute une série de phénomènes qui autrement seraient restés dans l'ombre. A l'âge de 18 ans, c'est-à-dire antérieurement au développement des symptômes hystériques, P. .. et avait constaté déjà que sa vue faiblissait, et que la lecture lui devenait difficile : « à chaque instant, elle perdait la ligne » ; il lui semblait que les lettres dansaient » par moments de droite à gauche, et de gauche à droite. De temps en temps, elle ét«iit prise de diplopie. Peu d«' temps après,la démarcTio devient titubante ; elle marche •« comme une femme prise de boisson ». De 18 à 20 ans, la difficulté de la marche a été beaucoup plus prononcée qu'elle ne l'est actuellement. P... et était alors obligée de se

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tenir aux meubles. Plusieurs fois elle a eu des vertiges et une fois, elle est tombée, etc., elle a été un instant inconsciente (1). Vers la même époque, elle a éprouvé dans la main gauche un tremblement qui se manifestait lorsqu'elle voulait porter un verre ou une cuiller à sa bouche.

Quelques-uns de ces symptômes qui révèlent la sclérose multiloculairesesont notablement amendés, depuis que l'hystérie s*est développée et semble avoir pris le dessus. Cependant, en outre du nystagmus et des divers phénomènes oculaires dont il a été question plus haut, on peut relever encore aujour- d'hui une démarche titubante, moins accentuée à la vérité qu'autrefois, et le tremblement intentionnel très manifeste dans le membre supérieur gauche. Les réflexes tendineux rotuliens et ceux de Tavant-bras sont exagérés; il n'y a pas, aux membres inférieurs, de trépidation spinale provoquée.

Bien qu'elle soit une affection organique, ces amendements temporaires de divers symptômes ne sont pas rares, tant s'en faut, dans la sclérose en plaques, et ils constituent même jusqu'à un certain point un des caractères cliniques de la maladie. Ils peuvent se produire, vous le savez, car c'est un point sur lequel j'ai, dans mes leçons, l'habitude d'insister, ils peuvent se produire à plusieurs reprises dans le cours de Tafleotion, surtout lorsqu'elle est encore de date réconte : j'ai vu, par exemple, en pareil cas, la paraplégie spasme- dique s'amender et disparaître même complètement deux ou trois fois avant de s'établir d'une façon définitive. Combien de fois ne vous ai-je pas fait recon- naître que le tremblement intentionnel des extrémités supérieures, après avoir été très prononcé pendant de longs mois, s'efface temporairement quel- quefois pour réapparaître un jour ou l'autre. Ces allures singulières, en tant qu'il s'agit d'une affertion caractérisée anatomiquenient par des lésions organiques relativement grossières, la nipprochent en quelque sorte rlini- quement de l'hystérie, maladie mobile par excellence, du moins dans bon nombre de cas. et justement l'analogie que nous signalons ici a pu souvent rendre le diagnostic fort embarrassant. Mais ce n'est pas tout: ainsi que je l'ai maintes et maintes fois fait ressortir, il y a entre les deux affections une sorte d'aftinité qui fait qu'on les rrnctontnî trôs vidgcurement combinées l'une avec raut»'e dans des proportions et dans d(»s relations divei-ses chez un même sujet. Incontestablement, d'après ce quej'.iivudu moins, lasclérose en plaques est de toutes les affections organiques des centres nerveux celle qui se com- bine le plus souvent à l'hystérie (2), et dans cette association, c'est tantôt la

1. A la »uito (1(.* cetti* rliutc, vu se relevant, ollo était dovrime loul à (ail sourde dos doux oreilles ; clic percevait seiileiiicni un bourdonnement continu et un sifflement aiga qui 8*eat afTaibli en mùnic temps que l'ouîc tendait h se rétablir. LVxamcn par M. le D' Gellé, fait il y a quelques semaines, a donné ce qui suit : Arfcrtion purement nerveuse. Aucune lésion org*»!!!- qnc,conservation du réilexe binauriculairc et do ki motililé normale des appareils do transmis» .>ion. Montre à 45 à droite, à 20 à gauche DV =:() par faiblesse. Iléflexes intacts.

2. Voir h'run:i du wnnli 18^S9. Leçon du 1! dêceml)re I8i<s.

171 -

première, tantôt la seconde qui ouvre la marche. Bien souvent, j'ai vu les symptômes propres à la sclérose mutiloculaire se dégager en quelque sorte au milieu de symptômes hystéro-épileptiques préalablement établis de longue date, et vous voyez par contre, dans le cas qui nous occupe, la sclérose en plaques ouvrir la marche et céder le pas, au moins pour un temps, h Thystérie. Voilà certes une association morbide dont le souvenir mérite d'être gravé dans votre esprit et dont la connaissance dans la pratique vous épargnera bien des mécomptes.

3' Malade.

On introduit dans la salle du cours un petit garçon d'environ douze ans ; il est accompagné par sa mère qui le tient sur ses genoux et par un de ses oncles.

M. CiiARCOT. Ou me signale ce cas comme un exemple de chorée molle. Nous allons voir. En effet, il s'agit bien de chorée, et de chorée vul- gaire ; mais les mouvements choréiques sont remarquables par leur lenteur. II y a dans les membres, au tronr\ au cou, un affaiblissement musculaire plus prononcé que de coutume: la tête est tombante sur la poitrine ; la station est fort difficile et la marche impossible. L'enfant ne peut parler. 11 éprouve une grande difficulté à tirer la langue. Je vous ferai remarquer que les réllexes rotuliens sont abolis ; rien fi l'auscultation du cœur.

M. Charcot {A la mère'}. Quand a-t-il commencé à s'agiter?

La MÈRE. Monsieur, il y a trois ou quatre mois ; il y a trois semaines il a- failli être écrasé par unt voiture et c'est depuis cette époque qu'il est devenu comme paralysé. Avant cela, il faisait bien plus de grimaces, mais aujour- d'hui, vous le voyez, il ne peut plus se tenir.

M, CuAVLCOi: {Aux auditeurs), Je vous ai bien des fois parlé deschoréesmolles et je vous ai fait remarquer que la paralysie véritablement choréique ne paiait pas avoir de gravité.

{A la mère): Cet enfant dort-il ?

La MÈRE. Très peu, monsieur; ses nuits sont fort agitées oi il est devenu triste, indolent, depuis qu'il a ses mouvements.

17^2

M. CuARcoT. A-t-il eu des rhumatismes articulaires; a-t-il souffert dans les jointures ?

La MÈRE. Non, monsieur, il u'a jamais été malade auparavant; il n'a jamais souffert dans les jointures.

M. CiiARCOT [A la mère), Connaissez-vous bien votre famille et colle de votre mari? Connaissez-vous quelqu'un de vos parents qui ait souffert de quelque affection nerveuse, de la goutte, du rhumatisme ?

La mère. Ma mère, monsieur, a eu la chorée à Tàge de douze ans; elle a été toute sa vie triste, taciturne.

M. Charcot. C'est tout ?

La mère. Oui, monsieur, de mon côté. Vous connaissez son père. Il a été atteint à 27 ans d'ataxie locomotrice. C'est vous qui l'avez soigné : Voici l'ordonnance que vous lui avez donnée. Il est mort à 43 ans, au mois de septembre dernier, des suites de ce que l'on a appelé une méningite. Il déraisonnait. Il ne savait plus ce qu'il disait.

M. Charcot. S'est-il agi d'une combinaison de paralysie générale pro- gressive avec Tataxie ? C'est on ne peut plus probable.

(A Voncle du malade) ; C'était votre frère. Vous devez bien connaître sa famille: y avez-vous connu des malades?

L'oncle. Un autre de mes frères âgé de quarante-cinq ans, bien portant, a eu, à plusieurs reprises, des douleurs dans diverses jointures sans être jamais obligé de garder le lit. Notre mère était rhumatisante: elle avait les doigts tout déformés, tout tordus.

M. Charcot. Tout cela, Messieurs, est singulièrement significatif. Je vous fais remarquer,une fois de plus (1), puisque l'occasion s'en présente, comment dans l'arbre généalogique de cet enfant, la diathèse nerveuse occupe une large place à cùté de l'arthritisme.

1. \o\r PoUrlinique 1888-89, 2«= leçon, p. 47.

IMP. NOIZEXrE. 8, RUE rAMPAGNE-PREMIKRR, PARIS.

.."

Policlinique du Mardi 18 Décembre 1888

NEUVIEME LEÇON

V^ Malade. Femme de 47 ans. Autrefois paraplégie par mal de Polt ; la guérison date de vingt ans. A Tépoque de la ménopause apparition d'accidents hystériques^ simu- lant un retour du mal vertébral et de la paraplégie.

Malade. Simulation hystérique du mal de Polt chez un garçon âgé de 24 ans.

1*^ Malade.

Tous avez devant les yeux une vieille connaissance à nous. Il y a plus de vingt ans, en effet, que j'ai donné des soins, pour la première fois à cette malade, dans cet hospice même, dont, depuis lors,elle n'est jamais sortie. C'était en 1869 ; eUe avait été admise à la Salpêtrière comme atteinte de paraplégie consécutive au mal de Pott et son cas avait été considéré comme incura- ble. De fait, j'ai connu cette malade complètement paralysée des mem- bres inférieurset, en conséquence, rigoureusement confinée au lit pendant plus d'un an. L'issue du cas a montré que le verdict d'incurabilité prononcé con- tre eUe était beaucoup trop sévère. Elle a guéri en effet dumal de Pott, comme on guérit de ce mal, c'est-à-dire conservant pour toujours la gibbosité carac- téristique ; mais, pour ce qui est de la paraplégie^ elle a disparu sans laisser de traces, du moins en apparence. Toujours est-il que, depuis 1870, la malade se tient debout sans fatigue, marche aisément, fait même de longues courses en dehors de la maison ; elle est occupée chez un employé de Thospice comme domestique et nous savons qu'elle n'a cessé, jusque dans ces derniers tempSyde remplir avec zèle et exactitude ses fonctions.

Voici, du reste, l^istoire des phénomènes pathologiques qui ont été relevés

25

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chez notre malade, dans les antécédents d'abord, puis dans le temps elle a commencé à souffrir du mal de PottyOnfm en i8ô9,époqae à laquelle elle aété soumise, pour la première fois à notre observation dans Tinfirmerie de Thos- pice.

Rien de fort remarquable à noter dans les antécédents héréditaires : père. mort à 52 ans, d'une maladie du cœur ; mère morte c hydropique » ; deux sœurs bien portantes.

Originaire de la Manche, elle est venue à Paris en 1864 et elle a servi comme domestique ; elle avait alors 23 ans. Elle n'avait, dans son pays, jamais eu de maladies graves, elle n'était point nerveuse, elle n'avait jamais eu d'attaques de nerfs ; elle se plaignait seulement de temps en temps de migraines.

Quelques semaines après son arrivée à Paris, elle devint souffrante, au point d'être obligée d'entrer à l'hôpital ; elle était pâle et se plaignait de palpitations de cœur intenses. Il y avait un peu d'œdème aux membres, inférieurs ; ^ chloro-anémie très accentuée », tel est le diagnostic qu'elle a alors entendu i)rononcer autour d'elle.

Pendant son séjour à la Charité, elle contracta une fièvre typhoïde qui pa- rait avoir été assez sérieuse et qui l'a tenue au lit pendant environ deux mois.

A partir de cette époque, elle n a plus cessé pendant longtemps d'être ma^ lade ; elle put reprendre son travail cependant, et le continuer jusqu'en 1866 mais elle se sentait toujours fatiguée et était devenue très sujette aux « bron- chites. »

C'est en 1866 que se sont montrés les premiers symptômes du mal de Pott. Douleurs vives dans lo dos, dans les reins, autour de la ceinture puis, incurva- tion lente de la colonne vertébrale an niveau de la région dorso-lombaire, enfin afTaiblisscment des membres inférieurs, augmentant progressivement et aboutissant, au dernier terme, à une impuissance très prononcée.

La malade dut, en conséquence, demander de nouveau son admission à l'hôpital. Elle séjourna d'abord à Saint- Antoine dans le service de Lorrain jus- qu'en 1867, puis de nouveau à la Charité, en 1868, dans le service do Pidoux ; c'est de qu'elle fut, en 1869, envoyée à la Salpétrière comme incurable.

A cotte époque, la paraplégie était complète, ainsi que nous l'avons dit déjà: c'était, suivant la règle en pareil cas, d'une paraplégie spasmodique qu'il s'agis- sait. La trépidation par redressement de la pointe du pied (ce qu'on appelle aujourd'hui le phénomène du pied) était entre autres très marquée (1) ; pas de troubles marqués de la sensibilité dans les membres inférieurs. De temps en temps, il s'était produit un peu de rétention d'urine. Les douleurs encein-

1. Il n'est pas (jucâlion dans 1 observation du phénomène du ^'cnou, lequel, dans ce temps là, n'était point connu, mais il n'est guè:e douteux que, s'il eût iHo mis en jeu, lo réflexe rotu- llon se fût montré exagéré.

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ture,bien qu'amendées d*une façon générale dans les derniers temps, reparais- saient de temps h autre.

Le traitement mis en œuvre,a consisté surtout dans l'application répétée cinq ou six fois,à des intervalles de trois semaines ou un mois, de petites pointes de feu, sur les divers points de l'incurvation spinale. Soit parle fait du traitement, soit par toute autre influence, les symptômes de paraplégie commencèrent bientôt à s'amender progressivement, en même temps du reste que la rétention d'urine et que les douleurs thoraciques. En juillet 1870, la malade était sur pied,et,enaoiU,la guérison étant considérée comme complète ou à peu près, elle quittait l'infirmerie pour aller occuper d'abord une place dans un dor- toir de femmes valides, puis pour entrer un peu plus tard au service d'un employé de Thospice. Elle en était quitte. pour la gibbosité qu'elle porte encore aujourd'hui. Elle était, comme je Tai dit en commençant, restée absolument confinée au lit pendant plus d'un an. Les premiers débuts de la paraplégie remontaient alors à près de trois années.

Ici commence, messieurs, la seconde partie de l'histoire de notre sujet. Elle s'étend de 1870 à Tépoque actuelle.

Depuis 1870, donc, Rose B...ot c'estainsi qu'ellese nomme marche libre- ment dans les cours de la maison, qui sont fort grandes comme vous savez, pour y remplir son office de servante ; elle sort même souvent de l'hospice pour faire dans Paris de longues courses. Plusieurs fois, par exemple, elle s'est rendue à pied de la Salpôtrière aux Ternes ce qui représente vous l'avouerez une bonne course. Et, messieurs, pendant cette longue période de dix- neuf années, il n'y aeuà observer rien d'anormal dans sa démarche. Je puisle garantir, ayantsaisi maintes fois pendant cette longue période de temps, presque chaque année une fois, l'occasion de présenter B...otà la leçon clinique comme un exemple de paraplégie par mal de Pott suivi de guérison. Point de raideur, appréciable à l'oeil^ dans les membres inférieurs qui se séparent aisément l'un de l'autre et ne tendent pas à rester accolés : pas de frottements des pieds sur le sol à cha- que pas ; pas de tendance à se dresser sur la pointe des pieds, comme cela se voit dans un grand nombre des cas de paraplégie spasmodique, etc., etc.

Comment comprendre qu'une paraplégie spasmodique évidemment causée parla compression lente de la moelle épinière, compression qui nécessaire- ment, autant qu'on sache, a produit dans le cordon nerveux, au niveau du point comprimé, les lésions de la myélite transverse, comment comprendre, dis-je, qu'une paraplégie de ce genre datant de trois ans, et, ayant persisté au plus haut degré pendant une période d'une année puisse guérir ainsi sans laisser de traces apparentes ? C'est un point sur lequel je me réserve de revenir dans un instant. Dans le moment, je m'empresse de relever immédiatement, messieurs, que cette intégrité, qu'on pourrait croire absolue, des membres infé- rieurs n'est en somme qu'une apparence trompeuse. Oui, la paraplégie spasmo- dique persiste en quelque sorteà Tétatrudimentaire chczces malades qui parais-

^ 178

sent bien complètementguéries de la compression spinale par mal de Pott. Cette paraplégie latente^ si Ton peut ainsi parler, peut en effet, comme cela s'est vu chez B. ..ot,ne se manifester, par aucune anomalie dans la démarche et se révéler cependant à Taide de certaines explorations propres à mettre en lu- mière des indices significatifs. G*est ainsi que constamment, chez B...ot, toutes les fois que, depuis vingt ans, j'en ai fait Tobjet d*uiie démonstration, j'ai constaté l'existence dans lés deux membres inférieurs d'une trépidation par redressement de la pointe du pied (phénomène du pied) assez prononcée et depuis que j'ai appris à connaître le signe de Westphal, une exaltation très manifeste de la secousse produite dans la jambe par la percussion des tendons rotuliens. Ces phénomènes persistent d'ailleurs, tels que je les ai vus jusqu'ici, aujourd'hui encore. Ainsi vous constatez chez notre malade la trépidation assez marquée produite par le redressement de la pointe du pied, mais vous remarquez surtout comment chaque percussion du tendon rotulien est suivie de trois ou quatre secousses brusques d'extension de la jambe, et si les per- cussions sont répétées rapidement un certain nombre de fois, vous voyez, à un moment donnée la jambe rester étendue sur le genou qui devient pour un temps rigide, le membre entrant ainsi en état de contracture spas- modique.

Eh bien, messieurs, je dis pour l'avoir maintes fois cliniquement reconnu que lorsque les choses sont ainsi, quel que soit du reste le genre de l'affection spinale dont il s'agisse (1), la paraplégie spasmodique existe réellement^ en puissance, à l'état d'opportunité, comme l'a dit M. Brissaud et qu'il suffira souvent d upe cause excitatrice, en apparence fortuite, pour faire que la rigidité permanente se réalise définitivement sous une forme plus ou moins accentuée. Combien de fois, en effet, n'ai-je pas vu « la contracture latente » des membres inférieurs devenir rapidement contracture «effective», à la suite d'unechutesur le membre prédisposé, sous rinflueuce d*une irritation cutanée en apparence banale de ce membre telle que Tapplication d*un vésicatoire, ou encore en conséquence d'une faradisation intempestive, de la percussion produite par une douche lancée à jet plein, ou enfin par le fait de l'intervention de la stry- chnine donnée à contretemps.

Ainsi, messieurs, les sujets qui paraissent guéris d'une paraplégie par compression ne sauraient jouir en réalité le plus souvent peut-être, malgré toute l'apparence contraire, que d'une sécurité précaire : mille circonstances contingentes les menacent, qui peuvent, à un moment donné, changer le tableau on déterminant le retour de l'impuissance motrice. De tout^ ces éventualités il est bon, je pense, que le malade soit prévenu, afin qu'il ap- prenne à les éviter, et a fortiori, il importe que le médecin ne les ignore

i. La mémo remarque s'applique aux cas d'hémiplégie de cause cérébrale.

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point. C'est là, du reste, un sujet sur lequel j'ai plusieurs fois appelé latten- tion dans mes Leçons sur les localisations dans les maladies du cerveau et de la moelle ^piniére (Paris, 1876, 1880; voir en particulier pp. 310 et suivantes). Vous consulterez également avec fruit sur ce même sujet, un travail de M. Ch. Féré inséré dans le quatrième volume des Archives de ]\eurologie (Pari8l882p. 61).

Ce n'est pas uniquement, messieurs, en vue de relever les faits qui précèdent quelque intéressants qu'ils soient, que je vous présente aujourd'hui notre malade.

J'ai voulu surtout appeler votre attention sur des accidents survenus chez elle récemment ; lesquels accidents ont pu faire craindre une récidive du mal vertébral et consécutivement, un retour de la compression spinale. Ainsi, ce processus morbide, éteint depuis près de 20 ans, se serait réveillé dans ces derniers temps, et rendu manifeste par un nouveau retour agressif. Voici

d'ailleurs, ce qui s'est passé. B ot qui, je le répète, pendant de longues

années, n'avait s'arrêter, dans son service de domestique, que pour des indispositions tout à fait indépendantes de la maladie spinale, est venu nous trouver ces jours-ci se plaignant de douleurs vives dans le dos, autour de la base de la poitrine; douleurs comparables, disait-elle, à celles dont elle avait souffert autrefois ; et, en même temps, elle avait senti ses jambes s'affaiblir et devenir raides comme dans l'ancien temps, au point que la marche lui était devenue très difficile. J'avoue qu'au premier abord, à entendre ce récit, notre impression avait été plutôt défavorable et nous nous sentions disposés à partager entièrement les craintes de la malade. Un examen plus attentif devait bientôt nous rendre plus réservés, et c'est justement l'exposé des motifs qui ont dissipé en grande partie nos craintes, que je tiens à vous faire con- naître à présent.

Mais avant d'en arriver à ce point, je crois utile de vous remettre en mé- moire quelques détails relatifs à la physiologie pathologique et à la sympto- matologie de la compression lente de la moelle épinière dans le mal de Pott. Chose remarquable, bien que ce soit une maladie éminemment vulgaire, on est resté bien longtemps sans s'entendre sur le mécanisme suivant lequel la moelle est affectée dans le mal de Pott. On sait comment dans une disser- tation inaugurale fort remarquable, un de mes anciens internes, le regretté Michaud, a puissamment contribué à combler ce desideratum (1).

Avant lui, on admettait en général sommairement, que la paraplégie résulte en pareil cas de la courbure exagérée, souvent anguleuse que présente le

1, Voir Charcot. Leçons sur les malades du système nerveux. T. II p. 93. Delà compression lento de la moelle épiaière.

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canal rachidien lorsqu'une ou plusieurs vertèbres se sont affaissées sur elles- mêmes. Mais, ainsi que Boyer et Louis l'avaient constaté, la paraplégie peut disparaître, alors que la courbure persiste au même degré. En second lieu, la parai»légie par mal de Polt s'observe parfois sans qu'il y ait la moindre trace de déformation do la colonne vertébrale ; enfin, et ceci constitue un troisième argument contre l'opinion autrefois courante, on sait c'est un point sur lequel Cruveilhicr a insisté, que le rachis peut offrir les déformations les plus extraordinaires, sans que la moelle soit intéressée.

Il paraît établi, actuellement, que dans un certain nombre de casla présence d'un abcès intrarachidien, qui déplace d'avant on arrière les méninges et la moelle, les rapprochant ainsi de la partie postérieure du canal osseux, est une des causes de la compression spinale et partant, de la paraplégie. Ce genre de refoulement n'est pas une simple vue de l'esprit fondée sur des considérations purement théoriques ; il s'appuie, dit le professeur Lanne- longue dans un livre excellent dont je vous conseille la lecture attentive, il s'appuie, dis-je, sur des faits cliniques probants (i). La plupart des chirur- giens, en effet, ont observé parfois qu'après l'ouverture d'un abcès par con- gestion dans le mal de Pott, la paralysie des mombres inférieurs qui existait auparavant disparaissait. Il semble bien que, dans ces cas, la seule explica- tion qui rende compte des phénomènes observés est celle qui vient d'être donnée.

Sans doute, c'est ainsi que les choses se passent dans un certain nombre de cas. Mais, d'après les recherches poursuivies en conimun avec Michaud, voici quel serait, suivant nous, le mécanisme le plus habituel de la compression si)inale. La substance caséeuse, de provenance osseuse, repousse le ligament vertébral antérieur, le distend, l'ulccro sur un point, et vient enfin se mettre au conUu't de la dure-mère; de telle sorte que celle-ci, par le fait d'une véritable contagion, devient à son tour le siège d'une végétation tuberculeuse. Il se produit une soile de pachyméiiingite spécifique (Pachyméningite externe tuberculouso) dont le mode d'évolution a été minutieusement étudié par Michaud. Ce sont bien les lamelles externes de la dure-mère qui, ici, sur un point, végètent et prolifèrent, car la partie, moyenne et la face interne restent souvent tout à fait indemnes.

Les [)ro«hiits de l'inflaniniation spécifique ainsi provoquée conservent une certaine cohésion et constituent sur la face externe de la dure-mère une espèce de champignon plus ou moins volumineux à base plus ou moins étendue (pii est, en réalité, l'agent de la compression. Cette végétation caséo-tuber- culouse tend i\ s'étendre de proche en proche î\ la surface de la dure-mère, mais rarement le chamingnon qu elle constitue forme un anneau complet, de

1. Tiibercuh)se vertébrale. Ler;«nis faites ;l la Faculté de médocnio. Paris, i88S, p. ilO.

telle sorte que la moelle ne parait en général comprimée que sur une partie de la face antérieure.

Flg. 3&. PaobyméniaBlto casécuso dans le mal de PoH. a face eilerne de la dure-mfere 6 ta dure-inère ëtiDl incliée, on en voit la face Inlerae ; <;. t', e. champiKDoD caséa-tubor- culcui.

Il y a lieu de remarquer en passant que les racines nerveuses, dans leur trajet à travers des parties aussi altérées de la dure-môre, deviennent néces- sairement le siège de lésions plus ou moins profondes. Ces lésions se tra- duisent pendant la vie par des symptômes que nous avons proposé d'appeler pneudo-néeralgiques, mais qui seraient plus convenablement désignés peut-

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être par le terme plus général de symptômes radiculaires proposé par M. Gowers (i).

Tel est, pensons- nous, le mode le plus commun de compression spinale dans le mal de Pott (2). Que devient, en pareil cas, le tissu de la moelle au niveau du point comprimé ? Nos observations nous ont conduit à reconnaître qu'à la longue se produisaient nécessairement sur ce point les lésions de la myélite transverse (3) avec toutes leurs conséquences, relatives à la formation des dégénérations fasciculées ascendantes et descendantes.

Il est remarquable, messieurs, que des lésions aussi profondes^ celles de la dure-mère aussi bien que celles de la moelle ne sont pas^ tant s*en faut, placées au-dessus des ressources de la nature et de Tart. Le champignon pachyméningé peut s'affaisser, se dessécher en quelque sorte, et n*étre plus représenté sur la dure-mère que par une surface rugueuse, et pour ce qui est de la moelle au point comprimé, elle peut retrouver Tîntégritéde sesfoncUons alors même qu'elle n*a récupéré sa structure que d'une façon fort imparfaite. Gela est établi par un certain nombre d'observations dans lesquelles, après avoir duré une ou plusieurs années, la paralysie par mal de Pott a guéri cependant sans laisser d'autres traces que cette exagération persistante des réflexes rotuliens sur laquelle je viens d'appeler votre attention à propos de notre malade. Dans un cas de ce genre, observe avec Michaud, cas relatif à une femme de la Salpétrière qui avait succombé aux suites d'une coxalgie, alors que la paraplégie par mal de Pott était guérie depuis plus de deux ans, la moelle, au nivi^au du point avait eu lieu la compression, présentait les altérations suivantes: sur la hauteur d'un demi-centimètre environ elle n'était pas plus grosse que le tuyau d'une plume d'oie et correspondait sur une coupe durcie au tiers environ de la surface de section d'une moelle normale exa- minée dans la même région ; sa consistance était ferme, sa couleur grisâtre ; en un mot, la moelle en ce point offrait toutes les apparences de la sclérose la plus avancée.

Au sein des tractus fibreux denses et épais qui communiquaient à ce tronçon

1. Dis. of the nervous System, T. I, p. 246. Compression of the spinal Cord. Londoo, 1886.

2. Suivant M.le D''Lannclonguc,ic rofoulemeni de la moelle et des mcnin(?es peut être produit par le développement de fongosités dans la direction du canal. Un certain nombre d'autopsies, dit-il, fournissent des preuves à l'appui de cette mani^re de voir; on trouve des fongosi lés dans le canal vertébral, la dure-mère étant intacte, la moelle lëtant également, et n accusant que des lésions atlribuables à une compression médiate et non tuberculeuse. Il ne s*aglt plus alors de pachy méningite engainante et cumprcdsive, mais d'une compression médullaire produite à tra- vers la dure-mère par une masse Fongueuse. (Loc. cit. p. III.)

3. Suivant MM. Kahler (Prag. Med. Woch. 1883, n«« 47 ùnd 52), Pick (Real Encyclopédie^ art. Ruckenmark), les lésions de la moelle dans la paraplégie par compression, suite de mal de Pott, resteraient pendant longtemps passives ; la participation de la névroglie n'sursit lieu que très tardivement. Voir aussi Strûmpel. {l^hrbuch der Sp. Path. und. Tkerap. etc. 2* Bd. i Tbeil. 3. Audagc, p. 167.

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de moelle sa coloration grise et sa consistance ferme, le microscope faisait dé- couvrir un certain nombre de tubes nerveux munis de leur cylindre axile et de leur enveloppe de myéline, en somme très normalement constitués.

Le nombre de ces tubes nerveux sains était, on le comprend, bien au-dessous du taux normal. J'ajouterai que la substance grise n'était plus représentée sur les coupes que par une des cornes de la substance grise Ton ne retrouvait qu'un petit nombre de cellules intactes. Cependantcesconditionsanatoniiques, en apparence si défavorables, avaient suffi au rétablissement complet de la sensibilité et du mouvement dans les membres inférieurs (1).

Tels sont les faits anatomo-pathologiques que j'ai cru devoir vous remettre en mémoire. Il ne me reste plus, pour en finir avec la digression dans laquelle je viens d'entrer, qu'à relever dans la symptomatologie régulière de la paraplégie par mal de Pott, quelques-uns des principaux troubles fonc- tionnels qui s'y rattachent.

Et d'abord,jevous rappellerai que dansTévolution de cette affection, les pseu- do-névralgies (symptômes radiculaires)dont nous parlions tout àTheure ouvrent le plus souvent la scène ; elles se manifestent, vous le savez, suivant le siège qu'occupe la pachyméningite, sous forme de douleurs en ceinture double ou unilatérale, sous forme de névralgie brachiale ou encore sous forme de sciatîque. Elles précèdent souvent de longtemps la première apparition des symptômes de paraplégie spasmodique. Ce que ceux-ci offrent de parti- culièrement remarquable, c'est la prédominancemarquée des troubles moteurs dans la plupart des cas, sur les sensitifs ; à part les quelques engourdissements et fourmillements qui marquent le début et disparaissent souvent ensuite, la transmission des impressions sensitives s'effectue longtemps d'une manière physiologique, alors que les mouvements sont déjà profondément altérés, et il est même rare qu'elle soit jamais complètement interrompue ou même très sérieusement intéressée. C'est une particularité reconnue depuis longtemps par l'observation clinique, et qui établit un contraste avec ce qui a lieu dans les cas de myélites spontanées ou de tumeurs intra-spinales dans lesquels les lésions occupent très habituellement dès leur apparition les parties centrales de la moelle.

C'en est assez sur ce sujet pour le but que je me suis proposé d'atteindre et j'en reviens actuellement à l'examen de notre malade. Je vous rappellerai en deux mots les accidents dont la malade se plaint depuis le 9 décembre dernier, il y a un mois environ, et pour lesquels elle est venue nous consulter. Douleurs dans le dos au niveau de la gibbosité et de chaque côté de la poi- trine sous forme de ceinture ; ces douleurs augmentent par la flexion de la

1. Leçons sur les malculies du syslème nerveux. T. II, p. 104 cl suiv.

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tête et du tronc en avant ; les jambes sont devenues raides ; la marche est réellement difficile ; dans les membres supérieurs, qu'elle meut cependant assez librement, elle éprouve au moindre mouvement une grande ' fatigue, un sentiment de faiblesse, d'impuissance motrice, surtout quand il faut les tenir élevés comme pour se peigner, et dans ces mouvements les douleurs du dos et de la poitrine augmentent. Pas de troubles vésicaux d'ailleurs. Pas de lièvre.

Toute cette symptomatologie, ainsi que nous Tavons dit plus haut, con- duisait tout naturellement à penser qu'une nouvelle poussée de la maladie ancienne, depuis si longtemps en apparence éteinte, s'était produite sous une forme congestive ou autre, soit sur la dure-mère^ soit dans la moelle elle- même, et en réalité il est difficile de ne pas penser qu'il en ait été réellement ainsi, dumoins à un certain degré. On pouvait même craindreque les membres supérieurs, épargnes dans la maladie première, ne participassent cette fois dans une certaine mesure, à la parésie, en conséquence vraisemblablement d'une diffusion de la congestion spinale vers le renflement cervico-brachial ou encore par une extension de proche en proche de la pachymoningite externe. Mais, ainsi que vous allez le voir, un examen plus attentif des phénomènes cliniques devait nous conduire à reconnaître que la part des lésions organi- ques supposées a été ici vraiment efïacée. Ces lésions, bien certainement, n'ont pas joué d'autre rôle que celui de causes occasionnelles ou, si vous Taimez mieux, d'agents provocateurs qui, par un mécanisme dont nous aurons à parler tout à Theure ont mis en jeu une aûbction purement dyna- mique, fonctionnelle comme on dit encore; et c'est justement cette afTection qui, aujourd'hui, sur la scène morbide occupe le premier rang. C'est elle, en cl'autres termes, qui actuellement caractérise vraiment la situation; c'est elle enfin qu'il faut apprendre à connaître pour établir le diagnostic, le pronostic, et instituer convenablement le traitement. Voilà autant d'assertions qu'il s'agit maintenant de justifier.

L'examen des membres inférieurs fait constater ce qui suit: la malade exagère inconsciemment la faiblesse des membres inférieurs ; ceux-ci sont rc'ellemeut un peu raides, mais la résistance des divers segments du membre aux mouvements qu'on veut lui imprimer, alors que la malade s'y oppose, n'est pas moindre qu'elle ne l'était avant le 9 décembre; j'en dirai autant, des réflexes rotuliens et du phénomène du pied. Ils sont sensiblement restés ce qu'ils étaient autrefois. Par contre, en explorant la sensibilité, nous cons- tatons, à notre grand étonnement, l'existence d'une ancsthésie cutanée com- plète, absolue, totale, (jui se répand sur toute l'étendue des deux membres inférieurs depuis leur extrémité jusqu'à leur racine elle se limite en avant par une ligne (jui suit exactement le pli de l'aine et en arrière par une ligne qui suit le pli fessier inférieur. Eh bien, messieurs, voilà un fait qui ne concorde guère avec l'idée d'un retour chez noire malade des phénomènes

de compressionspinale. Nous savons en efTet que, dans celle-ci, les troubles de laeensibititéunpcu sérieux se manifestent seulement lorsque l'impuissance mo- trice cstportée déjà àun haut degréet justement, vous le voyez, c'est dans notre

CBS, le contraire qui existe- Les doutes ne [ont (|ue s'accroilre si l'on ixamine l'état de la sensibilité profonde, celle-ci est modifiée au plus haut degré ; c'est à tel point que l'on peut tordre les jointures des orlnils, du cou-de-pied, du genou sans que la malade s'en aperçoive, et en outre, les yeux fermés, elle méconnaît absolument les positions qu'on imprime aux divers segments du membre. Vous remarquerez, messieurs, qu'il y a lil un ensemble de symptômes

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qui, dans la catégorie des affections organiques spinales ne pourraient guère se rencontrer que dans le cas d'une lésion profonde de la substance grise cen- trale et dans ce cas-là, nécessairement, les troubles moteurs seraient pro- noncés à Tavenant ; or vous savez que ce n'est point de cela qu'il est question ici.

D'ailleurs, le mode de limitation de l'insensibilité vers la racine du mem- bre était déjà pour nous une révélation ; vous y reconnaissez en effet cette disposition de « Tanesthésie en gigot » qui, ainsi que je vous l'ai bien souvent fait remarquer, constitue un des caractères cliniques les plus intéressants des paralysies hystéro-traumatiques en particulier, et en général des paralysies hystériques psychiques. S'agit-il donc chez notre malade d'hystérie ? Oui, et c'est chez elle Thystériequi actuellement domine de beaucoup. Cette assertion sera, je pense, pleinement justifiée par les détails qui vont suivre.

On trouve, exactement reproduites dans les membres supérieurs toutes les particularités que nous venons de signaler à propos des membres inférieurs ; même anesthésie cutanée complète, limitée « en gigot » vers la racine du membre, même anesthésie profonde, même perte de la sensibilité articulaire, même ignorance les yeux fermés de la position donnée aux diverses parties du membre; j'ajouterai enfin, même absence de troubles sérieux dans le domaine du mouvement. Tel n'eût pas été, bien évidemment, le concours des symptômes dans le cas supposé d'une extension de la pachyméningite externe vers le renflement cervico-brachial: dans ce cas, en effet, les troubles anesthésiques, expression d'une lésion des racines du plexus brachial eussent été pré- cédés nécessairement de douleurs pseudo-névralgiques vives, lesquelles font absolument défaut dans l'histoire de notre cas; en même temps que les trou- bles du mouvement se fussent montrés beaucoup plus accentués qu'ils ne le sont en réalité. C'est donc encore l'hystérie qui est en jeu dans les membres supérieurs.

La présence de l'élément hystérique est encore marquée d'ailleurs, chez notre malade^ par l'existence d'un rétrécissement unilatéral très net du champ visuel et aussi par une série d'autres phénomènes dont il sera question dans un instant.

En somme, messieurs, il n'est guère, chez elle^ que la rachialgie et les douleurs en ceinture qui paraissent devoir être rattachées exclusivement à Télément organique, et encore faut-il faire remarquer que la douleur accusée au niveau de la gibbosité n'est point exagérée par la percussion pratiquée à l'aide du marteau de Skoda et que, sur certains points, les douleurs thora- ciques sont très superficielles, réveillées par un léger frôlement exercé à la surface du tégument externe.

En résumé, l'élément organique est représenté peut-être, symptomatique- ment^ chez B...ot par la rachialgie et Taffaiblissement parétique des membres inférieurs ; tout le reste appartient à l'hystérie.

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C'est, il importe de le relever, à l'occasion de la ménopause que l'un et l'autre élément se sont développés. Depuis six mois, les règles qui jusque-IA avaient été régulières, se sont supprimées ; â partir de cette époque, B...ot est sujette à des malaises variés ; elle ressent souvent des bouffées de chaleur qui

FI;. 42. Cbamp vUuel de lœil gauche. Le champ visuel delœil droit est □ormal.

lui montent au visage, puis tout le corps se couvre de sueur. D'autres fois, ce sont des frissons qui « la glacent » ; elle souffre fréquemment de palpitations du cœur, d'insomnie ; elle est trisle, inquiète, tourmentée par des bourdonne- ments d'oreilles. Elle pleure fréquemment pour le plus léger motif, et même parfois sans motif. Ce sont \&, sans doute, des phénomènes qui se montrent vulgairement chez les femmes à l'occasion de l'ilge critique et qu'on pourrait presque dire physiologiques : mais, la ménopause, vous ne l'ignorez pas, représente une période de la vie particulièrement favorable au développe- ment ou à la réapparition de diverses affections, soit organiques soit pure- ment dynamiques et pour ne parler que de celles-ci, on peut rappeler que, à côté de la chlorose de l'àgc critique, il y a lieu de placer l'hystérie de la mé- nopause : c'est de cela qu'il s'agit simplement chez notre malade. La nature hystérique chez elle de la grande majorité des symplAmes n'est pas dou- teuse ;.et, si les accès convulsifs font défaut, les stigmates permanents sont, vous l'avez constaté, tellement accentués, tellement classiques, que leur identité ne saurait être un instant méconnue.

En terminant, il me reste un point à toucher. Les deux éléments pathologi- ques, dont nous venons de signaler la présence simultanée chez notre sujet, sont-ils restés absolument isolés l'un de l'autre, ou au contraire existe-t-il entre eux une certaine relation î

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Je crois, messieurs, que la relation existe en efTet, et voici, je pense,en quoi elle consiste. La diathèso hystérique, vraisemblablement, a été mise en jeu dès l'origine des accidents liés à la ménopause : les phénomènes de compression spinale ne se sont manifestés qu'ensuite.

Quoi qu'il en soit, ce sont ceux-ci pensons-nous, qui ont déterminé la forme particulière et aussi la localisation spéciale qu'ont affecté les manifestations de celle-là.

Voici, du reste, comment je comprends les choses : par le fait de la repro- duction, dans une certaine mesure des lésions organiques spinales, la malade a éprouvé des douleurs rachialgiques et en ceinture, en même temps qu'elle sentait les membres inférieurs s'affaiblir. Ces douleurs, cette parésie ampli- flées par l'imagination, ont fait naître dans son esprit la crainte de voir se reproduire, sous une forme plus grave encore peut-être, toute la série des accidents jKiralytiques d'autrefois. Or, messieurs, vous ne l'ignorez pas, sou- vent l'état mental des hystériques se rapproche beaucoup de celui qui carac- térise le somnambulisme hypnotique, en ce sens que, dans les deux cas, le phénomène dauto-suggestion peut se produire aisément, prendre des proportions considérables et aboutir finalement à la réalisation objective des symptômes imaginés. C'est, messieurs, à ce que je crois, par ce mécanisme psycho-somatique qu'à l'exemple de ce qui a lieu dans les cas il s'agit de la production des paralysies hystéro-traumatiques en conséquence d'un choc local, B...ot a « localisé », si l'on [K'uI ainsi parler, « son hystérie » dans les membres inférieurs elle éprouvail le sentiment d'impuissance motrice qui a été le point de départ de Tauto-suggestion. Eu même temps, comme cela devait être, les troubles parétiques ainsi produits se sont accompagnés des troubles particuliers de la sensibilité cutanée et profonde caractéristiques en pareil cas, de façon à reproduire le type univoque des paralysies hystéro- psycliiques.

Pour ce qui est de la paralysie des membres suoérieurs, qui se présente comme Ton a vu en tout semblable à celle des membres inférieurs, on pour- rait dire qu'elle est le produit d'une suggestion par contre-coup ou autrement parlé, d'un raisonnement inconscient par analogie.

On pourrait dire encore qu'elle représente l'interprétation exagérée du sen- timent de faiblesse, de fatigue accusé par la malade dans les bras, toutes les fois qu'elle voulait s'en servir en les élevjnit au-dessus de sa trte.

Mais je ne saurais aujourd'hui entrer dims de plus longs développements concernant la question de théorie et je reviens au côté pratique. Il est clair, d'après ce qui précède, que le pronostic est moins grave qu'il ne paraissait l'être au premier abord, car, en somme, ainsi que je l'ai déjà proclamé, c'est évidemment l'hystérie qui domine la situation, et il y a tout lieu d'espérer qu'elle n'a pas jeté euco: r dans l'organisme de racines profondes. Les appli- cations de pointes de feu et le repos au lit pourront être utiles en vue de com-

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battre le travail inflammatoire supposé, et pour ce qui est des phénomènes hystériques, il importe de rassurer la malade sur l'issue des événements, de relever ses forces et de savoir attendre.

Malade.

Par le fait d'une coïncidence assez singulière, nous avons encore à parler du mal de Pott à propos de notre second malade. J'aurai à vous rappeler com- bien il est difficile parfois de reconnaître l'existence du mal vertébral tuber- culeux dans les premières périodes de son évolution, alors par exemple que la gibbosité ne s'est pas encore produite ; et aussi comment l'ensemble des signes classiques sur lesquels reposent le diagnostic de la maladie peut à cette époque être quelquefois simulé de la façon la plus frappante dans l'hys- térie.

Bonneuil, est notre malade, Me... ier, aujourd'hui âgé de 24 ans, est, vous ne l'ignorez peut-être pas, un bourg situé non loin de Saint-Maur,sur les bords de la Marne. Ce n'est pas tout h fait la ville sans doute mais ce n'est pas non plus tout à fait la campagne, car, dans le lointain, on y entend en prêtant bien l'oreille le bourdonnement de la capitale ; d'ailleurs les relations directes entre les Parisiens et les habitants de Bonneuil sont chose fréquente surtout le dimanche, elles s'opèrent sur une grande échelle par la voie nau- tique.

Ces préliminaires qui, au premier abord, paraissent étrangers à la cause, sont destinés cependant à en faire apprécier, comme il convient, certains détails relatifs au côté intellectuel et moral de notre homme. Nous ne vou- drions pas vous le présenter comme un citadin accompli, ce serait forcer la note ; mais très certainement, ce n'est pas non plus un paysan vulgaire, bien que son métier soit de cultiver la terre. En somme, il a bien profité de sa fré- quentation de l'école car il n'est pas sans instruction ; il écrit fort correcte- ment et il aime la lecture ; il a vraiment d'assez bonnes façons et ses goûts sont plutôt relevés. Il est grand, assez bien taillé, d'une figure agréable, mais p&le et d'apparence délicate, un peu féminine. Dans ses antécédents hérédi- taires il faut relever que son père a été atteint d'une tumeur blanche au pif'd

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pour laquelle il a subi Tamputation de la jambe. Lui, a toujours été un peu faible, presque malingre et, il y a trois ans, il a souffert d'une grande maladie dont le nom sonne mal à l'oreille ; c'était parait-il une pleurésie double. La durcie on a été de six mois. Ajoutons qu'il porte dans Tépididymedu testicule droit une induration qui a été considérée comme étant de nature tuberculeuse. Il s'est cru pendant longtemps complètement guéri de tout cela; cependant il accuse que, depuis cette cpotpie, il n'a plus jamais retrouvé sesforces d'autre- fois; sa santé est restée chancelante, le moindre travail le fatigue. L'anémie profonde sous le coup de laquelle il vit actuellement date de ce temps-là. La tuberculose pulmonaire est-elle réellement en jeu chez lui? cela est bien pos- sible ; cependant, rexamen attentif des voies respiratoires ne nous a fourni aucun signe propre à justifier positivement ces craintes.

Dans ces derniers temps, il y a trois mois, à la suite d'émotions morales qui l'ont fortement remué, et dont je me réserve de vous entretenir plus loin, sa santé s'est altérée au point qu'il a être admis dans un hôpital.

Les symptôme»s nouveaux qui s'étaient produits alors et qui ont motivé cette admission, étaient tels qu'on avait émis Topinion qu'il était atteint d'un mal de Pott ; et cette opinion, qui fut du reste bientôt abandonnée, vous paraîtra incontestablement fort soutenable pour peu que vous vouliez considérer un instant les choses d'un certain point de vue, à la vérité trop exclusif.

Rappelez-vous d'abord les antécédents héréditaires du malade: père amputé pour une tumeur blanclie ; chez le malade lui-même, l'existence passée d'une pleurésie double, laprésence d'une induration testiculaire peut être de nature tuberculeuse ; l'anémie profonde, enfin la prostration actuelle des forces, et aussi la faiblesse originelle du sujet ; voilà certes, des circonstances qui ne contre- disent nullement à l'idée du mal de Polt.

Mais c'est surtout, sans doute, un certain ensemble de symptômes, encore présents aujourd'hui, et que nous pourrons par conséquent étudier avec vous, qui avait frappé l'attention. Vous avez vu notre malade faire son entrée dans la salle de cours en s'aidant d'une béquille qu'il porte du côté droit le tronc tenu raide dans la verticale, la région lombaire présentant une cambrure assez forte, les jambes traînantes, surtout la droite. Ce sont les douleurs dont il souffre et qu'il localise dans l'épine, à la partie infé- rieure de la région dorsale et dans la région lombaire, qui semblent com- mander cette attitude. Ces douleurs paraissent très vives; elles se font sentir spontanément, et sont alors comparées à la sensation (jue produirait une brûlure ou un vésicatoire à vif; mais elles sont exaspérées soit par la pression, soit par les moindres mouvements du tronc, et dans ces cas-là, elles se mon- trent bien plus vives encore; elles rayonnent des deux côtés du tronc, le long des fausses côtes, et s'étendent en avant jusque dans les deux fosses iliaques, surtout dans la droite. Lorsque nous avons examiné le malade au lit. nous avons remar^iué qu'il ne peut s'asseoir complètement. Lorsqu'il veut essayer

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de le faire, il lire de toutes ses forces sur la corde du lit et parvient ainsi à soulever ses épaules ; le tronc suit, tenu tout d'une pièce, mais ne s'élevant guère au delà d'un angle de 45 degrés.

Bien qu'il n'y ait pas trace d'une déformation vertébrale, voilà certes un ensemble de faits qui sont bien dénature à éveiller l'idée du mal de Polt; d'au- tant mieux que la démarche traînante fait songer à l'existence d'une parésie des membres inférieurs et qu'un examen antérieur avait révélé déjà un certain degré d'excitation des réQexes rotuliens. Mais on ne saurait, en pareille matière, se borner à un aperçu sommaire, et, avant de rien décider, il est in- dispensable d'examiner les choses de beaucou]) plus près. Vous n'ignorez pas que les chirurgiens relèvent avec insistance, et c'est bien à juste titre, les difficultés que présente le diagnostic du mal vertébral, à son origine, avant l'apparition de la gibbosité. Indiquons d'abord l'un des points dont ils recom- mandent l'étude attentive comme devant fournir les renseignements les plus importants : l'examen de la souplesse du rachis, suivant M. le professeur Lannelongue (i), de la mobilité des vertèbres peut donner des indications de premier ordre.

On sait qu'à l'état normal lorsque le tronc s'infléchit en avant et se redresse, lorsque ces mouvements opposés sont portés à leur maximum, on voit les courbures normales du rachis se modifier régulièrement surtout au cou et aux lombes ; les concavités s'efiacent, se transforment même en courbures inverses et si, pendant que le malade effectue ces mouvements, on applique les doigts sur les apophyses épineuses, on sent facilement un certain degré de mobilité entre les vertèbres d'une région. De plus le patient n'en éprouve aucune gène. Toutes ces particularités vous les pouvez constater chez cet homme sain que j'ai, pour permettre la comparaison, fait placer près de notre sujet et qui, le tronc dépouillé de vêtements, exécute devant nous les mouvements signalés ci-dessus.

.Mais il n'en est plus de même chez notre malade, tant s'en faut : le tronc, lorsqu'il se fléchit en avant, ou se redresse, ou encore lorsqu'il tend à s'incliner sur l'un ou l'autre côté, se déplace tout d'une pièce, les mouvements manquent de souplesse. 11 semble que les apophyses épineuses soient fixées Tune à Taulre; ces mouvements sont d'ailleurs extrêmement limités en raison de la douleur intense qu'ils déterminent, lorsqu'ils sont poussés un peu loin. Or^ justement, messieurs, telle est la rigidité anormale qui dès le début, avant toute difformité, constitue suivant les auteurs (2) un des caractères cliniques du mal de Pott.

D après la description donnée par le malade, du siège, de l'étendue, du

i. hÊXinéiongueyTuberculose verlébraUy 1888, p. 146. 2. LanneloDgue, hc. cil.

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caractère des douleurs qu'il ressent, de leur exacerbation sous Tinfluence des moindres mouvements du tronc, on pourrait être conduit à penser que l'étude méthodique de ces troubles de la sensibilité fournirait des résultats conformes à ceux obtenus par Texamen de la souplesse du rachis, c'est-à-dire plaiderait dans le môme sens. Eh bien, c'est justement ici que l'a lumière va sefaire,que la véritable nature du cas va commencer à se dévoiler. Il n'est pas nécessaire en effet chez notre homme pour provoquer la douleur rachidienne d'exercer à l'aide du dojgt,avec une certaine force, une pression profonde sur les apophyses épineuses, sur les apophyses transverses, sur les gouttières vertébrales. Une pression des plus légères, un simple attouchement^ un frôlement sufQsent, vous le voyez, pour éveiller une douleur vive et, si peu qu'on insiste, pour arra- cher des cris au patient.

En réalité, il existe non seulement sur le rachis, mais encore partout s'étend la douleur spontanée, une « hy pères thésie exquise » poussée au plus haut degré, qui, sans doute, occupe pour une part les parties profondes maisqui siège surtout dans le tégument externe. On s'en assure très exactement en formant sur un point quelconque des parties hyperesthésiées un pli de la peau que l'on comprime en suite entre le pouce et l'index. Une pression même très légère de ce repli cutané suffît pour produire la douleur ; une pression un peu forte la porte au plus haut degi*é.

La pression a encore un autre effet sur lequel il nous faut particulièrement insister, car il constitue dans l'espèce une révélation très significative. Lors- qu'on presse sur la peau, même doucement, qu'on y exerce un frôlement su- perficiel ou encore lorsqu'on comprime légèrement un pli cutané compris entre deux doigts, la sensation produite chez le patient n'est pas seulement une douleur locale plus ou moins vive, qu'il compare généralement à une brûlure, c'est encore un sentiment de quelque chose qui monte du bas ventre, arrive à l'épigastre, au cœur il se produit des palpitations, à la gorge Ton croit sentir une boule qui vous étouffe, à la tête enfin les oreilles sifflent en même temps que l'on ressent de forts battements dans les tempes. Evidemment, cette hyperesthésic du tégument si accentuée, telle qu'on ne la voit guère que dans de certaines conditions, chez les tabétiques ouïes hystô-. riques, et surtout cette sensation rf'awra consécutive à la pression, ne sont pas l'expression d'une névrite intercostale déterminée par la compression exercée sur les racines nerveuses à leur passage dans les trous de conjugaison ou au travers des méninges épaissies.

C'est certainement d'autre chose qu'il s'agit, et nous voici amenés bien loin de ridée du mal de Polt ; tout ce qu'il nous reste à relever maintenant dans l'histoire du malade nous en éloignera de plus en plus.

Examinons d'abord plus attentivement que nous ne l'avons fait jusqu'ici la distribution de l'hyperesthésie cutanée chez notre homme. La région hyperes- thésiée forme comme une large ceinture qui, en arrière, au niveau du rachis«

s'éteod sur quelques vertèbres delarégion dorsale inférieure etsurtoutelahau- teur de& régions lombaires et sacrées .* c'est 1& la sensibilité à la pression est ta plus vive ; de chaque côté, à droite et à gauche, la ceinture s'étend sur les

- a. Pttiiue hypereïihÉalquo ; 6. H]rpereslhéaieBcrolale très accea- tnéo et tetticulo douloureux.

a. Ceinture hyp«Mslb£slqn« ;

b. BéKion l'byperasthéale e

Cf. PUque» hypercslhéslquei.

lombes, contourneleshancheE.envahitenavantleshypocondres etles régions inguin^es, d'où elle se répand sur le scrotum et sur la verge, laissant in- demnes les régions ombilicale et hypogastrique. C'est à l'existence de cette eeintiire douleureuse qu'est due la rigidité ei remarquable, le manque de sou-

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plesse que nous avons signalés expressément, à propos des mouvements du tronc soit en avant soit en arrière ; c'est à elle également qu'il faut rapporter la gène marquée qu'éprouvent les membres' inférieurs dans Taccomplisse- ment de la marche ; il est facile de s*assurcr, en effet, que les moindres tirail- lements exercés sur la peau des cuisses, surtout à droite au voisinage de la zone hyperesthésiée, éveillent la douleur la plus vive, et, dans la marche, ce sont en partie des tiraillements de ce genre qui entravent Texécution des mouvements du membre. En réalité, il n'existe pas de paraplégie proprement dite ; la résis- tance des divers segments des membres inférieurs aux mouvements qu'on veut leur imprimer, est énergique et si les réfiexes rotuliens sont exagérés^ on ne retrouve pas, par contre, la moindre trace du phénomène du pied, et il n'y a aucun trouble à noter du c6té des fonctions de la vessie.

Sans qu'il soit nécessaire d'insister plus, vous avez sûrement reconnu que notre sujet offre un assez bel exemple de ces « simulations hystériques du mal de Pott, » sur lesquelles Brodie, Skey, Paget et plusieurs autres ont avec beaucoup de raison insisté, et à propos desquelles tout récemment M. Audry écrivait pour le Lyon médical mu travail intéressant (1).

Mais, pour tirer parti de notre cas autant que possible, il nous faut encore actuellement rechercher dans Tordre étiologique les circonstances qui ont pu présider au développement de la diathèse hystérique et provoquer Tapparition des manifestations névropathiques actuelles. Il conviendra aussi de compléter le tableau clinique par l'exposé de quelques nouveaux traits.

Je vous ai présenté déjà M...ier comme un sujet plutôt délicat, quoiqu'il s'agisse d'un paysan émotif, impressionnable et justement c'est dans une idylle, i\m plus tard devait tourner presque au mélodrame, que se sont produites les émotions morales, causes vraisemblablesdu développement des accidents ner- veux. Il y a deux iins, en septembre 188G, lors d'un débordement de la Marne, il fut assez heureux pour sauver près de Saint-Maur une jeune fiUedont la vie était mise en danger parl'inondation. Une liaison s'ensuivit, toute platonique assure-t-il; « c'était pour le bon motif. » On se rencontrait dans les blés, dans les endroits peu fré(iuentés des bords de la Marne, sous les saules ; le» choses allaient pour le mieux depuis plusieurs mois lorsque survint la maladie qui le retint au lit pendant près de six mois.

Les relations, si longtemps interrompues, se renouèrent après la convales- cence plus étroitement encore quejamaiset vers le commencement d'août 1887 M... er rassemblant tout son courage se décida à aller faire sa demande en mariage. Ilclas, il n'avait pas un sou vaillant, et la famille de la jeune fille

1. Du psiwlo-mal de Pull hystn'ique. Lyon mi^dical, 23 octobre 1887.

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avait quelque argent. Le refus fut formel, absolu, brutal, ne laissant dans le cœur du jeune garçon que le désespoir.

Immédiatement après cet événement, il tomba dans une prostration pro- fonde ; il ne mangeait plus ; ses nuits étaient sans sommeil, agitées par des rêves affreux et quelques jours après, fin août, il commença à ressentir les douleurs lombaires dont il souffre encore aujourd'hui et qui à cette époque Tobligèrent à s'aliter. Trois semaines environ plus tard, il fut admis à Thô- pital Saint- Antoine d'où grâce à l'obligeance de notre collègue M. Raymond, il fut dirigé sur la Salpétrière.

Telles sont les circonstances émouvantes au milieu desquelles Thystérie s'est manifestée chez notre homme. Ce sont les douleurs rachialgiques qui ont paru en premier lieu, et vous savez comment elles ont pu un instant donner le change et faire errer le diagnostic ; mais bientôt survinrent des attaques qui devaient dévoiler immédiatement la véritable nature du mal.

Ces attaques, pendant le séjour à Saint-Antoine, se sont montrées durant un mois, presque tous les jours à la même heure ou à peu près, c'est-à-dire entre six heures et sept heures,généralement après le repas du soir. Remarquez bien cette périodicité vespérale car elle est déjà un indice; elle appartient en effet à l'hystérie. Lorsque les accès épileptiqucs se règlent, c'est au contraire, je vous l'ai bien souvent fait remarquer, pendant la nuit vers deux heures après minuit ou le matin au réveil, qu'elles éclatent. 11 y a bien aussi chez notre jeune homme des attaques qui surviennent dans la journée le plus souvent vers deux heures de l'après-midi mais celles-là sont beaucoup plus rares et alors elles sont moins prolongées. Celles du soir se reproduisent habituellement par séries presque ininterrompues, de façon à occuper une bonne partie de la nuit; souvent elles ne cessent que vers 4 heures du matin.

Elles présentent les particularités suivantes : Au début, se produit une aura prémonitoire ; nous en avons déjà parlé à propos de Tétude des douleurs rachidiennes et j'ai montré laque cette aura se manifeste, en conséquence d'une pression exercée sur les parties douloureuses. Lorsque l'attaque doit se déve- lopper spontanément, le malade en est prévenu par une sensation paiiiculière qui part du scrotum, remonte à Tépigastre, à la gorge se produit un senti- ment de constriction ; puis surviennent des palpitations, des battements dans les tempes, et enfin la perte de connaissance a lieu en même temps que les con- vulsions se déclarent.

Celles-ci sont des plus violentes, au point qu'il a plusieurs fois mis son lit en pièces. Toujours, il faut plusieurs personnes pour le contenir et il pousse des cris affreux. Les attaques ayant cessé depuis l'admission à la Salpétrière, nous ne pouvons dire si elles sont marquées par les trois phases caracté- ristiques de l'hystéro-épilepsie typique ; mais les détails qui précèdent, tout sommaires qu'ils soient, suffisent déjà pour établir que ce n'est pas répilopsie qui ici est enjeu. L'accès épileptique, quelque intenses d'ailleurs que soient les

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convulsions, évolue en effet, je tous le rappelle, lorsque le malade est couché ou àterre, sans bruit, sans fracas, sans grand déplacement du corps.

En voilà assez concernant les attaques qui sont, vous le voyez, suffisamment caractéristiques et J'en viens à l'exposé des faits révélés par la recherche et l'étude des stigmates. L'hypéreslhésic cutanée n'est pas limitée aux .plaques hystérogènes que nous avons décrites & propos de la rachialgie simulant les douleurs du mal de Pott. D'autres plaques de même caractère se voient, l'une au niveau du creux poplilé du cûté droit, l'autre au sommet de la tête vers la bosse pariétale (voir le schéma n" 44).

Un certain degré d'hypéresthésie au froid et à la piqûre est répandu SQ outre sur toute la surface du corps, principalement sur le cdté droit. Il est remarquable que les douleurs qui, sans provocation, existent & peu près constamment sur la plupart des plaques d'hypéresthésie, s'exaspèrent spon- tanément vers 6 et 7 heures du soir ; c'est aussi, remarquez-le bien, l'heure à laquelle se manifestent les attaques.

H y a un double rétrécissement du champ visuel extrêmement accusé, et aussi prononcé à droite qu'à gauche.

I.i' ri'IU'xe pharyngien est nITnibli h gauche ; le goi1l est très émoussé sur- tout à gauche: olmiihilatiou de l'ouïe et de l'odorat, également à gauche. Vous 11- viiyez, le tableau est complet et il n'a giH>re besoin de légende.

Dipnis quelques jours, il se manifeste chez nnlro homme une certaine ten- dance il l'amiMioratinn ; les attaques, ainsi que }f vous l'ai dit, sont devenues

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plus rares; il marche un peu moins mal qu'autrefois, ce qui semble indiquer que les douleurs rachidionnes se sont atténuées ; le sommeil n'est plus agité comme auparavant par des rêves terrifiants : on pourrait même dire qu'il est de- venu pour lui le « doux baume des Âmes blessées » c balm ofhurt minds » dont parle Shakespeare. En effet les images qui, pendant qu'il dort, se présentent aux yeux de son esprit sont maintenant toujours consolatrices. « 11 voit sa fiancée parée pour la fête nuptiale ; il la promène en bateau, puis à travers les champs ; la nuit vient, le repas de noce à lieu chez le restaurant, au Moulin de Bonneuil », dans le grand salon de cinquante couverts éclairé pour la circonstance d'une vive lumière ; il y a de la musique, des chants, des con- versations animées (etc., etc). Au moment où, la fête terminée, il s'agit de conduire la mariée à son nouveau domicile^ le rideau tombe soudain et tout est fini ; les choses ne vont pas plus loin ». Hélas I dit-il en terminant son récit, tout cela n'est qu'un rêve.

Messieurs, dans les choses qui concernent les relations entre les deux sexes, même alors que les deux intéressés poursuivent le «bon motif » il y a toujours deux éléments à considérer, lesquels se mélangent en proportions diverses suivant les individus : un élément plutôt psychique, qui a son substratum dans les couches cérébrales supérieures, l'autre plutôt physiologique ou physique, comme vous voudrez l'appeler, qui siège dans les régions céré- brales inférieures ou dans la moelle. Quelques-uns d'entre vous pourraient supposer que, chez notre intéressant malade, ce dernier élément sans préju- dice de l'autre ayant été mis très fortement en jeu, il en est résulté la produc- tion de cette hypéresthésie exquise des organes génitaux qui parait jouer un rôle si important sur la scène morbide ; les partisans des hystéries multiples » pourraient même, peut-être,se voir entraînés à considérer cette hypéresthésie, comme Tétiquette d'une hystérie spéciale 1' Hysieria virilis amatoria >. S'il en était ainsi, messieurs, je chercherais à vous détromper; je vous ferais remarquer tout d'abord que les organes règne l'élément infime », ne sont pas chez notre sujet aussi fortement excités qu'où pourrait le sup- poser ; les confidences qu'il nous a faites ne nous laissent aucun doute à cet égard, et je relèverais en particulier à l'appui de cette assertion que, la nuit dans ses rêves, son lit n^est jamais souillé. Je ferais valoir en outre que l'hype- resthésie scrotale et testiculaire se rencontre quelquefois dans l'hystérie, provoquée par des causes qui n'ont rien, absolument rien à faire avec la passion amoureuse ». C'est ainsi par exemple que les choses se sont passées chez un jeune maçon âgé de vingt-cinq ans que j'ai présenté â la Clinique il y a deux ans (1); ce jeune homme était devenu hystérique en conséquence d*ane chute faite du haut d'un échafaudage ; l'hystérie à part, il en avait été

i. Des paralysies hystéro-traumaliques chez P homme ^Semaine médicale, 7 décembre 1887.

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quitte pour la peur, car il n'avait souffert d*aucune lésion traumatiqae de quelque importance. Chez lui, Thyperesthésie des testicules et du scrotum était aussi prononcée que chez notre malade d'aujourd'hui, et en même temps, par un singulier rapprochement, il existait, comme chez ce derniar, une rachialgie et des douleurs en ceinture qui avaient fait croire également à la présence du mal de Pott. Cependant, dans ce cas, le schock nerveux déterminé par Témotion de la chute est bien le seul agent provocateur de l'hystérie qu'on puisse invoquer ; l'amour contrarié n'y était pour rien, absolument rien.

M

«o.d«uaMid*Ty^ > ïlouBT'. .1, t. C«»ygftt-Pwan»f. Vmntk

PoUolinique du Mardi 15 Janvier 1889

■^x-

DIXIEME LEÇON

«»

Du traitement de Tataxie locomotrice par la suspension, suivant la méthode du 1)^ Motchoutkowsky.

Messieurs,

Je me propose de vous entretenir dans la conféroncc d'aujourdlini de Tessai que nous poursuivons depuis trois mois environ, ici, dans le service de la Clinique, d'un traitement, Jiouveau pour nous, de lataxie locomotrice pro- gressive et de vous faire connaître les résultats assez encourageants d'ail- leurs jus(pui ce jour, que ce traitement nous a donnés.

Il paraît à peine ntile de vous rappeler qu'en matière d'ataxie locomotrice progressive, nous ne sommes pas, tant s'en faut, pour ce ([ui est relatif à la lhérapeuti([ue à la hauteur de nos connaissances anatomiqnes et cliniques et c'est à juste titre, hélas Icjne la maladie en question est généralement répu- tée pour incurable, du moins dans l'immense majorité des cas. Tout ce que le médecin éclairé peut espérer de voir survenir en cas d'ataxie, sous l'influence des agents variés qu'il a appris à moltre en œuvre, ce sont des amendements, des atténuations de certains symptômes ou encore des atermoiements, des temps d'arrêt dans l'évolution fatale du mal; à la vérité ces temps d'arrêt lorsqu'ils se prolongent presque indéliniment, comme cela arrive quelquefois dans ces /brme« bénignes du 7\ibes,snr lesquelles j'ai bien des fois appelé votre attention (1), ces temps d'arrét,dis-je, équivalent presque à la guérison; mais cet événement, malheureusemrnt bien rare, est, il faut le reconnaître presque toujours un fait spontané plutôt qu'un produit de l'art, et certes il n'y a pas de quoi modifier, en rien d'essentiel, le sombre verdict pronont!!* par ropinion générale des médecins.

Je ne pense pas qu'à cet égard la nouvelle méthode soit appelée à clianger

1. Tabès bénins, pai* le D'Dabiii»ki. Comptes ri-ndus des séanres de la Sociêic de Hiniuffie (SéftDCc du 28 mai 18»7).

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railicaleiiKMit l'état diîs chosos ;ninis, pour peu qu'ji Tavenir olle se montre àla fois plus efficace que la ])lupart des uioyens (raclion dont nous disposions jus- qu'ici, et aussi innocente dans sou application que les nieillcui's d'entre eux, elle nouiaufpiera pas dVtre acceptée avec empressement.

La uirthode dont il s'aij:il apparlient tout entière à M. le D' Motchoutkowsky d'Odessa. Il Ta exposée dans un Mémoire publié (Ui langue russe il y a cinq ans (1882). et restr» j(; ci'uis, juscprà ce jour, à peu près complètement dans Toniln-e, du moins eu France (1). Nous devons la connaissance de ce travail à M.lelVHaymond. agrégé de la Faculté, qui a eu l'extrême obligeance de nous en comnninicpier une analyse détaillée. Nous mettrons celle-ci ii profit dans un inslant.

C'est le basard, paraît-il, qui a fait naître cbez notre confrère d'Odessa l'idée <rap[)liqu(T la suspension au ti-aitement de l'ataxie locomotrice; mais les semences que le basard disperse à tous les vents ne sonl pas, ou lésait, tou- j(nirs perdues : elles devaiimt Civile fois, entre autres, rencontrer un terrain propitr à Irur i^mnination et fiiictilier. l3on<:, notre confrère traitait depuis quelque b*nips un malade soullVant d'une iléviation vertébrale et en même temps atteint d'ataxie, par l'application du (-orsel de Sayre. Au bout de quel- (pies jcmrs, ce malade annonça ipie les (bmleurs fulgurantes très vives, sié- geant dans les membres iufériiMirs, (jui depuis longtemps le tourmentaient jour ii\ nuit d'une façon presque continue, avaient à peu pr/'S complètement disparu à partir du jour il avait Ciininiencé î\ [jorler le corset. Le con- traste entre le pîissé et le présent était des plus frappants, Famélioration obleinn;, lies plus saisissantes. Or ([uel -ivait été l'agent de coi amendement sijigulier (b's synipt«'un(.s labétiqnes : le c^rscît ou la suspension elle-même? Pour éj'Iairer lariueslion on résolul de traiter un certain nombre d'ataxiques, les uns par rajqjlicalion du c^irset, les auh«'^ par la seuln suspension, et après (juebiues làtonfu?nïents on iM'connul ([ne, p«Mir prnduir«' les elVels tbérapeuti- quesrecbercbés, celle-ci sufll'^ail. Le corset élait inutile; il fut par conséquent rejeté.

.)«* tiens celte anecdote de iM. Havmond qui, durant le séjour qu'il lit à Odessa i\ l'occasion de la mission scientilM|ue dont il a été chargé Fan passé, l'a entend n(* de la bouche de M. Motcboutkowskv lui-même. Je dois encore à M. Haymond ainsi ([u a M. Onanotr, «'lève de mon service qui Faccompagnnif dans son voya.ire, la connaissance de nombreux détails pratiques rci'u .'il! .?

I. .l/>/i/'''7//'//< tle /*f siis/tnn.'i'nn 'irs iifil/'h'i fin Inulrnwnt //•' ifiwl /m's (i//ertiontt lie la niorllf i'pinii'tr ]»ar Mnlrh(iiilki»\v:.ki.îv\liMil ciii Jniiriiîil Vv'h /ifi :Lc m«'ilnci[i) Pélcrsboupp 18^3. L;i rji'uli" ri'>iio >«''n?iillti pie qui ail (Iiuiim- uik! fiîi.ilysi.' (l«'*l;ii]it''«' (I(î va Iravail au delà de* froii- liiMTi iMiss<?s l'ai ]«' " Pliy^irian atnl Sm-LTon •• lt*<>:.'î. Dj-IoIkt, ii*» X. M. John Marshall, pion'-^scnr à Univorslly crnli-u'c, i-t M. k" I)'" Uayinoiul y oui fait allusion, le premier dans »on irii'inoirp intitnl»' Xntrmtnst/ or \rrve Sti't'irhiiui fnr (lœ relief or cure of pain, London, 1887 W. -l'Ciinii «l.ius r i tirlo Tahrs(\\\ l)ir.!ir)nuaire cncyclopcdiquo des scliMires rïK'dicAlesi.

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auprès de notre confrère russe concernant l'application de la nu'thode qui doit désormais porter son nom. Je leur dois également d'avoir bien voulu nous aider mon chef de clinique, M. Gilles de la Tourrette et moi, de leurs conseils éclairés par une compétence spéciale en la matière, dans nos premiers essais. Avant de procéder à l'exposé des résultats obtenus dans nos propres recherches, il sera intéressantje crois, de faire connaître, sommairoment du moins,quelques-uns des faits consignés par le D' Motchoutkowsky dans le mé- moire auquel nous avons fait allusion plus haut. Ce travail contient plusieurs observations détaillées ; nous présenterons un abrégé des trois principales d'entre elles.

La première est relative à un homme âgé de 49 ans. Pas de syphilis anté- rieure. Les douleurs fulgurantes sont dites < atroces ». Douleurs en ceinture permanentes très pénibles. L'incoordination motrice est portée à un très haut degré et le signe de Romberg est très prononcé. Les rellexes rotuliens sont absents ; il y a une diminution très nette de la sensibilité aux membres infé- rieurs. Difficulté de la miction. Impossibilité d'accomplir Tacte sexuel. Myosis.

Aubout de 29 suspensions, le malade marche beaucoup mieux; sa démarche, en réalité, est redevenue presque normale. Il n'a plus besoin de s'aider d'une canne comme il le faisait auparavant ; il lui est possible de se tenir sur un seul pied, pendant deux minutes environ. Les douleurs fulgurantes sont de- venues beaucoup plus rares et elles sont très supportables maintenant, par- fois à peine perceptibles.

Le traitement, après ces premiei-s résultats encourageants, a été continué et le nombre des suspensions a été de 97 en tout.

Lorsque le traitement a été terminé, les résultats obtenus étaient les sui- vants : l** les douleurs fulgurantes avaient complètement cessé d'exister; 2** diminution extrêmement remarquable de l'incoordination motrice pendant la marche. Le malade, sans canne, peut monter facilement un deuxième étage; 3** les troubles permanents de la sensibilité cpii existaient aux membres infé- rieurs, et en particulier les sensations de fi-oid et les fourmillements qui étaient très pénibles ont complètement disparu. Disparition des douleurs en ceinture. Retour de la sensibilité normale ; 4* le signe de Romberg n'existe plus; 6" augmentation légère du volume des muscles des membres inférieurs qui commençaient à s'atrophier.

Le traitement n*a pas eu d'ellet sur le poids du corps, non plus ([ue sur rétat des réflexes rotuliens qui restent toujours absents. Aucune modification n'est survenue dans le myosis. Par contre, retour des fonctions sexuelles autrefois complètement abolies.

Dans une lettre qu'il a bien voulu m'adresser récemment, M.le D' Motchout- kowsky m'apprend que ce malade qui, depuis près de cinq ans, a cessé tout

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truitt'incnt, exerce actuellement à Odessa les fonctions de chef de la station des voitures publiques ; il est obligé de faire tous les jours des courses de 3 à 5 kilomètres. Les douleurs fulgurantes n'ont pas re[)aru.

Lo second mo.lade est i\gé de ans. Il a été atteint autrefois de syphilis. Il s'agit (l'un cas d'ataxie très avancée. En efTet, il est impossible au malade de se tenir debout sans Taide d'une personne étrangère. Difficulté dans la mic- tion, fréquents besoins d'uriner ; ils se répètent quarante fois dans les vingt- quatre heures. Douleurs fulgurantes intenses à retours fréquents, douleurs en ceinture ; crises gastriques très violentes. Aux membres inférieurs, le malade soufïre de fonnnillcMnents et d'une sensation de froid. Absence des réflexes rt»tuliens. Signe de Romberg ; papilles normales : myosis, pupilles pares- seuses.

Au bout de 22 suspensions, les douleurs .fulgurantes avaient déjà perdu beaucoup de leur intensité. Après 80 suspensions, elles avaient complètement disparu. Le malade est devenu bien plus solide sur ses jambes : c'est an point ([u'il peut marcher seul. La miction est redevenue à peu près normale ; les besoins d'uriner nont lieu que quatre, cinq ou six fois dans les vingt- quatre heures. Les crises gastriques ne se sont pas reproduites ; constipation moindre. Retour des fonctions sexuelles.

Le myosis est beaucoup moins prononcé et les pupilles réagissent beau- coup mieux qu'autrefois sous l'influence de la lumière. Lorsque les yeux sont fermés, c'est à peine si le malade oscille.

Par contre, le traitement parait n'avoir eu aucune influence sur les réflexes rotuliens qui sont toujours abolis.

Troisième malade âgé de 55 ans : c'est à peu près le même cas que le précé- dent, seulement la syphilis n'existe pas dans les antécédents. A cause de remphysènie et de l'artêrio-sclérose avec CdMir forcé qui existaient cher ce sujet, on a essayé de remplacer la suspension par une traction exercée sur les membres inférieurs par le procédé de Volkmann. Le malade étant couché, on exerça pendant ([uelques jours une traction progressivement continue à l'aidi; de poids attachés aux pieds. Les résultats obtenus ont été satisfaisants. Dispaiition des douleurs fulgurantes ; retour très prononcé de la puissance motrice.

M. le D"" Motrhouikowsky fait connaîlro dans ci; même travail qu'il a traité encore dou/e autres alfixii|ues par la sus|»eusion, |>resque tous avec le même sucrés. Les résullats sont favoniblcs en ce (jui concerne les douleurs fulgu- rantes et aussi ratVnihlissemeut des fonctions sexuelles. C'est contre ces deux symptôuHîS talH'titiues que h- lraitenu»nt en question parait avoir l'influeocela plus ui.inpuM».

La c«»M>latation de ce dernier fait a tout naturellement conduit notre con-

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frère à essayer les effets de la suspension dans certains cas d'impuissance indépendants de la maladie tabétique, chez de jeunes sujets. Les résultats obtenus ont été généralement encourageants. M. le D' Raymond m'a dit avoir vu à Odessa un Israélite de vingt-trois ans qui, devenu à un moment donné absolument impuissant, récupéra peu à peu sous Tinfluence de la suspension, sa virilité. Les premiers bons effets ont commencé à se faire sentir chez ce malade après lavingtit'me séance.

Quelques préceptes formulés par M.leD' Motchoutkowsky dans son mémoire relativement au procédé opératoire méritent particulièrement d'être relevés. Il conseille de procéder graduellement en augmentant progressivement la durée de la suspension. AinsiJe premier jour, la séance ne dépassera pas unemi- nute; le deuxième jour elle sera peut-être de une minute et demie; on la portera à deux minutes le troisième^ à deux minutes et demie le quatrième et ainsi de suite. En tous cas on ne devra jamais dépasser huit ou dix minutes et on n'ou- bliera pas que, plus le poids de l'individu est grand, moins longue devra être la durée de la suspension.

Il ne faut pas oublier non plus qu'il existe un chapitre des contre-indica- tions. L'auteur insiste particulièrement sur les points suivants: ne devront pas être soumis à la suspension les sujets qui sont atteints de maladies du cœur et des gros vaisseaux, ceux qui souffrent d'une maladie chronique des pou- mons : phtisie, emphysème ; ceux qui ont éprouvé une ou plusieurs atta- ques congestives ou apoplectiques, ceux enfin qui sont sous le coup d'une anémie très prononcée.

Il est bon de ne pas omettre que, dans les cas la suspension est applica- ble, les premiers effets favorables ne se sont souvent pas fait sentir avant la vingtième ou trentième séance; quelquefois il a fallu aller beaucoup plus loin pour que les premiers résultats fussent obtenus.

Notre confrère devait tout naturellement se préoccuper de la question théo- rique ; comment agit la suspension? (^ost, suivant lui, en produisant une légère élongation des racines nerveuses qu'il compare de loin à l'élongation du scia- tique, pratiquée il y a quelques années par un certain nombre de chirurgiens. Il s'agit aussi peut-être, en même temps, de modifications produites dans la circulation sanguine spinale h l'égard desquelles on ne s'expliïjue pas très catégoriquement. Quoi qu'il en soit^ il est bon de rappeler que la suspension a pour effet, en delioi-s de tout état morbide, d'augmenter le nombre des res- pirations par minute en même temps cpie l'amplitude et la force, tant des ins- pirations que des expirations, sont diminuées. Le pouls devient plus frccpicnt et la pression artérielle paraît plus élevée qu'à l'état normal.

Nous avons laissé pressentir que M.Motchoutkowsky avait appliqué la suspen- sion au traitement de certains cas d'affection spinale ou cérébro-spinale autres que le tabès. Déjà nous avons parlé de << l'impuissance » en dehors de toute lésion organique. A part ces cas-là, les essais n'ont pas donné de résultats bien

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appréciables; ainsi, taudis que dans les seize cas de labes([ui ont été traités [lar la suspension, les résultats ont iHé k peu prés constamment favorables, à la vérité k des degrés In's divers, ils ont élé à peu près toujours nuls dans trois cas de paraplégie spa&modique, dans un cas de myélite diffuse chronique, enfin dans un cas de scb'rose en plaques.

A propos des effets physiologiques de la suspension, nous devons à M. Onaooff rindication des résultats de quelques expériences qu'il a «înlrepriscs» depuis son retour de Russie, chez un certain nombre de sujets sains, jeunes et vigou- reux. En outre de rac(?'Mératiou des mouvements respiratoircts etdelaugmen- tation de la tension artérielle déjà signalées, il aurait vu se produire à la suite de trois suspensions une exagération manifeste des réflexes rotuliens, et, après quatre ou cinq suspensions, de l'insomnie, les nuits étant tourmentées par des rêves erotiques, des érections fréquentes ; ces divers phénomènes persis- tant durant cpielques jours après la dernière opération. Relativement au dernier point, je ne crois pas que les expériences soient tout à fait probantes puisqu'il s'est agi de sujets « sains, jeun»^s et vigoureux » qui, probablement n'ignoraient pas « ce qui pouvait arriver. » Quoi qu'il en soit, vous n'êtes sans doute pas sans avoir entendu dire qu'il est quelquefois question dans les écrits pornographiques de certaines suspensions pratiquées dans certains lieux peu avouables chez « des affaiblis ou dt»s anormaux». V'oilà un sujet dont le médecin ne saurait certes pas se désintéresser complètement, tout scabreux qu'il soit. Il ncxlevrait pas perdre de vue. à ce propos, que si une curiosité vaine, surtout en ces matières,est souvent chose condamnable, lascience, par contre, peut pémV Irer partout, même dans les cloaques, sans y recevoir de souillures : Bacon a dit du soleil : « Palatias fit donnas infjvediiur, npf/ue famen polltiitur. »

Mais en voilà assez sur ces préliminaires; il est temps d'en venir au but principal de la conférence d'aujourd'hui. Il s'agit donc maintenant de vous parler de nos propres rechiTches dont la nii^e en oMivre d'ailleurs, ne nous par raît plus avoir besoin de justification après ce <pie vous savez des résultats, incontestablement fort encourageants, obtenus par M. Motchoutkowsky.

Nous connnen<'erons par l'exposé du procédé opératoire auquel, après quel- ques tâtonnements, nous nous sommes détinitivement attachés depuis le commencement de nos essais.

L'opération enelle-méuu^ est chose des plus simples, mais encore nécessite- t-elle un certain moc/f/x/^/c/o/i^//, facile à acquérir sans doute, mais qui ne sau- rait s'inventer.

La suspension se fait à l'aide de l'appareil imaginé par Sayre (de New- York) pour placer le corset qui porte son nom et ([ui est appliqué pour le redresse- ment des diverses déviations de la colonne* vertébrale. Bien que cet appareil

soit fort connu, il me semble qu'il no sera pas inutile d'en donner ici une des- cription sommaire.

PiR. 4'i. Appareil susponscur.

Il se compose d'une tige de fer horizontale, de 45 centimètres de longueur, portant en son milieu un anneau dans lequel passera le crochet d'une moufle par l'intermédiaire du laquelle s'effectueront les tractions.

La tige porte A chacune de ses extrémités un crochet, auquel s'iidapteront par une boucle, les pièces destinées à être placées sous les aisselles du patient.

Lebord supérieur de la tige présente de chaque ciHé, trais encoches dont on dira bientôt l'utilité. En outre de la tige de fer, l'appareil conipiend deux pièces latérales pour les aisselles, une pièce médiane composée de di'ux pièces secondaires servant de soutien k la tète pendant l'opération .

Ces deux parties de la pièce médiane sont de forme triangulaire allongée, et sensiblement pareilles ; l'antérieure se place sous le menton, la postérieure au niveau de la nuque sous l'occiput. On reconnaîtra la pièce antérieure à ce

fatt qu'elle, porte latéralement une petite boucle qui eert, lorsque l^Kpparell Mt en place, à réunir les deux pièces entre elleg a l'aide d'une petite courroie qiii cmpOchcra le coliier de glisser lorsque le malade sera suspendu. L'applicatioD

Fig. n. Apiiai

pluce pour l.i tûli'.

de Cf.'ttc petite courroie joue d'ailleurs un rùle assez important; il importe ea Effet i{u't'lle soit lisiez serrée pour empêcher le glissement et qu'elle ne le soit pas trop ce|icndaut parce que dans ce dernier cas, la compression des jugulairee aurait [loiir elTel de provoquer une stase veineuse susceptible d'amener des accidruts.

A dit ell'et, la courroie est percée de huit ù dix trous, et l'ardillon de la bourlt^ so lixfra ilu deuxième au cinquième environ suivant lu grosseur du <;ou du malade.

11 i-sl rare qu on suit obligé d'interposer entre cette courroie et la peau un corps mou, un mouchoir, de l'otiate, de façon à amoindrir l'effet de la com- pression directe. L'application des pièces de la nuque et du menton est asseï délicate et exige quelques soins. Elle devra varier quelque peu suivant ta grosseur de la tôte et du cou du sujet.

En ce qui regarde la grosseur de la tête, on fera varier les dimensions du

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collier en plaçant la boucle snptrieuie de la pièce dans le premier, le deuxième, ou le troisième des crans ou encoches que se trouvent sur le bord supérieur de la tige de fer ; plus la tète est volumineuse plus la boucle doit être placée en dehors.

Il est parfois nécessaire, lors des premières séances, chez les individus sen- sibles, trop gros ou trop maigres, d'interposer un corps mou entre le menton et la pièce qui est destinée à le soutenir.

Voici donc la lête en place. H reste encore à placer les pièces des aisselles ; au premier abord elles pourraient sembler de peu d'importance ; cependant elles doivent en réalité être considérées comme les véritables régulateurs de la suspension. 11 est nécessaire en efi'et que pendant l'élévation, la traction ne porte pas uniquement sur la tête et sur le cou, car en pareil cas la suspension ne serait pas tolérée ; il faut donc que le corps trouve quelque part un appui, mais d'un autre côté, il ne faut pas tpie ce point d'appui soit tellement elTectif qu'il empêche Télongation de la colonne vertébrale de se faire. En vue de oela, les pièces des aisselles, qui présentent la forme d*un ovoïde matelassé à son extré- mité inférieure, sont munies en haut d'une courroie qui peut s'allonger ou se raccourcira volonté suivant la taille ou le poids du malade.

Le jeu de cette courroie, on le comprend, est très important. En effet, lors- que la pièce axillaire est trop courte, il peut se produire une compression des troncs nerveux susceptible de déterminer des fourmillements, des engourdis- sements, nécessitant l'interruption de la séance. Lorsque la pièce est trop lon- gue, au contraire, le tiraillement des muscles de la nuque devient intoléra- ble, le corps ne trouvant pas un point d'appui suffisant.

On devra donc, chez charpie nouveau sujet, procéder par tâtonnements, et, au bout de deux ou trois séances en général, on sera fixé sur le cran s'ap- puiera par en haut la pièce de la tète, sur la longueur qui devra être donnée ù la courroie destinée à unir les pièces du menton et de la nuque, et h celles qui attachent a la tige de fer les pièces axillaires.

L'appareil étant bien disposé, le médecin commande à un aide de tirer sur la corde qui passe surlapouliede la moufie, doucement, progressivement, sans secousses, évitant une élévation trop brusque afin d'habituer peu à peu en quel- que sorte les musclesdu cou à la traction qu'ils vont supporter. On doit enga- ger le malade à éviter autant que possible les mouvements qui se produisent instinctivement, au moment il sent qu'il quitte le sol ; on devra évitcîr aussi les déplacements latéraux, les mouvements de torsion qui pourraient se produire.

Le malade ayant quitté le sol, de telle façon que la pointe des pieds ne puisse le rencontrer, l'opérateur le soutient légèrement afin d'empêcher les oscillations. Dans le même temps, il fixe les yeux sur une montre à secondes pour régler minutieusement la durée de la séance.

Pendant que le patient est ainsi suspendu, on lui commande de temps en

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temps d'élever les bras doucement vers l'horizontale de façon à i-endre, si cette pratique est tolérée, la suspension et la traction plus effectives.

Pii;. 4S. Lc^malndi; suapcDdu : mouvi-uients laléraut des bris.

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Nous pensons que la plus longue séance ne doit pas dépasser trois ou qua- tre minutes ; ce chiffre de trois minutes étant pris comme moyen terme. On commence le traitement par des séancos de une demi-minute à une minute, et progressivement, on arrive au chiffre supérieur indiqué, lequel ne doitgéné- ralement pas être atteint avant la sixième ou la huitième séance.

A cet égard encore, il faut tenir compte de certaines susceptibilités indivi- duelles et de particularités inhérentes, surtout au poids du malade. Alors par exemple qu'on n'éprouve aucune difficulté à faire tolérer d'emblée deux minu- tes de suspension à des malades pesant de (iOà 70 kilog , il n'en est plus de même chez des sujets qui pèsent 80, 00 kilog. et plus. Chez ces derniers, la traction qui s'exerce sur les musrles de la nuque est très forte, douloureuse même parfois, pendant toute la journée qui suit la séance, ce qui ne doit pas être quand l'opération est bien conduite.

Il est des malades chez les([uels le désir d'iMre soulagés est si impérieux qu'ils se croient en quelque sorte obligés de tout supporter sans se plaindre : mais en réalité l'opération ne doit entraîner ni douleur, ni fatigue,sous peine d'être ineflicaco.

Les séances ont été faites tous les deux jours, Texpérionce ayant démon- tré que les séances quotidiennes étaient moins favorables. L'heure parait im- porter peu. Lorsque le nombre des minutes fixé à l'avance s'est écoulé, le médecin commande de lâcher peu à peu la corde de façon à ce que le patient (lesconde lentement, sans secousses. Lorsqu'il atouché le sol, on le soutient un instant pendantqu'on enlève les diverses pièces de l'appareil, et on l'asseoit en- suite, pendant quelques minutes, dans un fauteuil il prend du repos.

Quelques détails d'ordre secondaire méritent d'être signalés encore. Le malade doit, au moment d'être suspendu, quitter son vêtement de dessus, de façon à avoir les bras libres ; le cou doit être à nu, ou du moins ne pas être serré dans un col étroit, afin d'éviter une compression «pii pourrait avoir des effets fAcheux.

L'appareil de Sayre comporte, outre les pièces indiquées un trépied porta- tif à branches démontables muni à sa partie supérieure d'un crochet auquel se fixe la moufle sur laquelle passe la corde de traction. L'usage de ce trépied peut être excellent pour appliquer un corset chez les personnes dont la station debout est normale ; mais il n'en est plus de même chez les alaxiques qui souvent oscillent sur leurs jambes et <pii, menacés de perdre l'équilibre, saisissent parfois convulsivement, dans le but d'y trouver un appui, les bran- ches du trépied qu'ils pourraient renverser.

Tels sont les errements que nous nous sommes attachés à suivre dès Tori- gine de nos recherches. Celles-ci ont été inaugurées le 8 octobre, c'est-îVdire il y a trois mois environ et elles ont été depuis lors régulièrement pcmisuivics. Elles portent sur dix-huit sujets tabétiques ; quatre d'entre eux, qui n'ont

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pas été suspendus plus de trois fois et qui, pour des causes variées, ont cessé ensuite de fréquenter l'hospice, doivent être naturellement éliminés du groupe. Restent donc quatorze malades dont nous avons à nous occuper aujourd'hui. Il importe de relever que dans tous ces cas, il s'a^nt d'ataxie locomotrice par- faitement caractérisée, avancée le plus souvent déjà dans son évolution, et que dans aucun d'eux par conséquent le diagnostic na laissé subsister lombre d'un doute. La plupart de ces malades nous étaient d'ailleurs antérieurement déjà connus. Ils suivaient depuis plusieurs mois un traitement à la policlini- que et recevaient chaque samedi, suivant nos prescriptions habituelles, une application de pointes de feu sur la région spinale. C'est dire que nous avions eu l'occasion fréquente de les observer avant l'époque ont commencé les essais de suspension. Inutile d'ajouter qu'au moment même celle-ci a été mise en œuvre tout autre traitement a été supprimé.

Le meilleur moyen de vous placer en mesure d'apprécier les résultats obte- nus sera,je pense, de faire comparaître quelques-uns de nos quatorze ataxiques et de les interroger devant vous ; faute de temps, nous devons nous borner à vous faire connaître, dans un court exposé, ce qui est advenu chez les autres.

Prcmiei' malade. Voici d'abord un homme vigoureux, âgé de 50 ans, le nommé D... elay, qui exerce dans une usine des fonctions de surveillance l'obligeant à se tenir debout et à marcher presque toute la journée, il est fort empêché dans son travail depuis deux ans, époque à laquelle l'incoordination motrice des membres inférieurs a commencé à s'accuser.

L'observation abrégée qui constate l'état du malade ar moment de la pre- mière suspension est ainsi conçue : début de la maladie il y a cinq ans par des crises de douleurs fulgurantes très vives. Il y a deux ans, fracture spon- tanée du péroné droit. Depuis deux ans, la marche est devenue difficile ; l'incoordination motrice est assez prononcée. Le malade ne peut marcher longtemps, il est obligé de s'asseoir à chaque instant ; fort souvent, quand il est debout ou qu'il marche, ses jambes se dérobent sous lui tout à coup. Les douleurs fulgurantes, depuis quelque temps, sont devenues presque continuel- les,elles empêchent souvent le sommeil. Miction diflicile ; la vessie se vide en cinq ou six fois. Signe de Romberg nettement prononcé. Impuissance com- plète depuis un an. Absence des réflexes rotuliens.

La première suspension a eu lieu le 22 octobre 1888. Le nombre des séances jusqu'à ce jour a été de trente-trois, chacune d'elles durant de une à trois minutes.

Dans la note relative aux effets produits nous relevons ce qui suit :

Dès la deuxième séance, une certaine amélioration s'est manifestée dans la marche et dans la miction. A partir de cette époque, et pendant un mois, les douleurs fulgurantes n'ont pas reparu. Elles sont revenues depuis, quelque- fois, mais beaucoup moins intenses. Douzième séance : La miction s'est

améliorée encore. Le malade a pu deBcendre seul du tramway en marche, ce qui ne lui était pas arrivé depuis deux ans. Quinzième séance : On constate la disparition du signe de Ilomberg. Le ^< dérohoment » des membres infé- rieurs ne s'est pas produit depuis longtemps. Vingt-troisième séance : Le malade a eu pour la première fois depuis un an une érection. Les réflexes rotuliens sont toujours absents. Le malade fait remarquer qu'il n'a pas res- senti ses douleurs, bien que le temps soit fort humide.

M. Cir.vRcoT, au malad*' : Les douleurs dont vous souffriez étaient-elles très vives ; depuis quand les aviez-vous?

Le malade : Je les ai ressenties pour la première fois il y a cinq ans; elles étaient très aiguës, c'étaient des coups de poignard. Dans ces derniers temps, je les avais presque constamment, au moins tous les deux ou trois jours; c'était presque impossible à endurer : souvent il m'était impossible de dor- mir.

M. CiiARCOT : Voulez-vous me dire ce qui s'est passé à l'égard de ces douleurs depuis que vous suivez le traitement?

Le malade : Les douleurs ont disparu après trois ou quatre suspensions. Klles sont revenues depuis, mais pas si fortes et après quelques nouvelles séances, elles ont disparu de nouveau. Elles ont bien voulu reparaître il y a trois ou quatre jours mais elles ont été très faibles, et elles n'ont pas duré. Maintenant, je dors toutes les nuits.

M. Charcot : Voilà certes un résultat intéressant. Vous n'ignorez pas que lorsque leurs douleurs sont vives, les ataxiques sont exposés à contracter la funeste habitude des piqûres de morphine : si l'on i)ouvait parvenir à les arrêter dans cette voie ou à les empêcher d'y entrer à Taide de la suspension répétée, ce serait déjà de la part de celle-ci un bienfait signalé.

Au malade: Comment s'est produite la fracture de la jambe dont il est ques- tion dans votre observation?

Le malade : J'étais assis devant un bureau et je me suis baissé pour caresser mon chien qui était à mes pieds : la fracture s'est faite je ne sais comment; je ne suis pas tombé, je n'ai même pas fait un faux mouvement.

M. Charcot : Voilà bien une fracture d ataxique.

Au nuilade : Parlez-moi, je vous prie, de votre marche; que s'est-il produit de ce c6té?

Le malade : Je marche décidément beaucoup mieux. Je me tiens mieux debout. Autrefois j'étais menacé de tomber à chaque instant parce que mes jambes faiblissaient tout à coup; cela ne m'arrive plus actuellement : je imis marcher presque toute la journée dans les magasins sans être forcé de m'asseoir à chaque pas.

M. Cuarcot prie le malade de se tenir debout les pieds rapprochés l'un de l'autre et de fermer les yeux. On constate dans cette épreuve l'absence du signe de Romberg;puis,le malade étant assis,on peut reconnaître que Tabsence

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(les réflexes rotuliens persiste. S'adressant an malade : Voulez-vous dire maintenant si vous avez gagné (|ucl(iue chose pour rémission des urines ?

Lk maladk : 01) I de ce côté là, l'amélioration est bien marquée aussi. Autre- fois pour uriner j'étais obligé de m'y reprondro à cinq ou six fois, maintenant j'urine on une seule fois. (Vost comme dans le temps, alors que je n'étais pas malade.

M. Ciiarcot: Il y a encore un autre résultat obtenu dont il ne parle pas, sans doute par discrétion, mais que nous ne pouvons pas cependant passer sous silence; c'est que les érections et les désirs sexuels ont reparu depuis quel- ques semaines ; les relations ont môme pu avoir lieu dans des conditions à peu près normales. Seulement « les sensations, nous a-t-il dit, ne sont plus les mêmes qu'autrefois. >

En résumr, messieurs, vous le voyez, l'amélioration dans les symptômes s'est prononcée sur toute la ligne, et Ton ne saurait guère invoquer ici, je pense, non plusque dans les cas ([ui suivent, pour se rendre compte descirets produits , une influence de '< suggestions caries amendements se sont mani- festés lentement, progressivement, successivement durant une période de trois mois et ils ne se sont pas démentis un seul instant depuis Torigine.

Ihnixiinno malade. Le second malade est un nommé Des. ..mes, c\gé de 43 ans. H remplit les fonctions d'inspecteur dans un commissariat. Hérédité nerveuse très prononcée ; père exalté, instituteur, s'occupant active- ment de politique ; mère emportée ; un frère suicidé ; syphilis àlVige de âO ans.

Les douleurs fulgurantes ont commencé à se produire il y a cinq ou six ans. Démarche tabéticjue dalant d'un an. Réflexes rotuliens absents. Signe -de Romberg. Signe d'x\rgyll Robertson. Miction difflcile. Impuissance depuis le commencement de 1888.

Début du traitement le 42 octobre 1888. Il y a eu jusqu'à ce jour trente- six suspensions de une demi-minute à trois minutes de durée.

Dès la deuxième séance, diminution d'un sentirncnl de pesanteur qui exis- tait dans les membres inférieurs; la marche paraît être un i)eu plus facile. Après la huitième séance, amélioration très notable dans la marche qui est moins affectée par r(d)S('urilé ; le malade descend les escaliei*s plus facilement. La miction est moins lente. Après la vingtième séance, on note le retour des érec- tions. Après la trrnlr'-sixiènn» séance, on note de grands progrès dans la mar- che ; le malade peut faire maintenant de longues courses à pied : c'est ainsi que récemment. il s'(?st reudu à pied de la place d'Italie à Auteuil sans canne. Les douleui-s fulgurantes sont, après quelques oscillations, devenues beaucoup plus rares et très supportables. Kl les n'empêchent plus le somnioil. i^e signe de Romberg a en îrraude partie disparu. Réflexes rotuliens toujours absents.

M. t'iiiAHcoT, .v''///;v'.vv/2/// tni niilndr : Tnul Ce que je viens de «lin» est-il bien exact î

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Le bialade : Oui.monsîeur, certainement ; je n'ai plus de douleurs maintenant depuis près de deux mois. Autrefois j'en avais fréquemment et bien souvent je ne pouvais dormir ; je dors bien maintenant.

M. Charcot : Quand avez-vous commencé à mieux marcher? Comment va maintenant la vessie ?

Le malade : Une quinzaine de jours après le début du traitement, je me suis aperçu que j e marchais mieux, cela ensuite s'est amélioré encore de j our en j our. Aujourd'hui, comme on Ta dit, je puis faire de longues courses sans canne ; j'urine beaucoup mieux, presque aussi bien qu'avant ma maladie. J'ai aussi des érections maintenant, seulement elles ne me servent à rien. Hier, je suis très bien descendu du tramway en marche.

M. Charcot, au malade : Ne faites pas trop de ces prouesses-là. Les os des ataxiques sont fragiles ; demandez ce qu'il en est au malade qui vous a pré- cédé icL

Iroisièmr malade. C'est un nommé G. ..fin, âgé de 32 ans. Il a été atteint de la syphilis à Tàge de 15 ans. Début il y a deux ans par dos difiîcultés dans la marche. Dérobement fréquent des membres inférieurs. Les douleurs ful- gurantes n'ont commencé à s'accuser qu'il y a un an. Besoins fréquents d'uriner et parfois incontinence d*urine. Sensation de coton dans les pieds et les jambes; réflexes rotuliens absents, pas de signe de Romberg. Erections rares et imparfaites.

Début du traitement le 12 novembre 1888. Le nombre des séances a été de vingt-quatre. Une certaine amélioration dans la marche a commencé à se pro- duire après la quatrième séance ; en môme temps,moindre fréquence dans le besoin d'uriner. Après la septième séance le malade affirme qu'il sent mieux le sol, qu'il n'a plus de sensation de coton dans les pieds ; qu'il marche mieux. Après la vingt-quatrième séance, les résultats acquis sont les suivants: le malade peut faire d'assez longues courses sans se sen ir de sa canne, ses jambes ne se dérobent plus sous lui. Les douleurs vives ont disparu, elles ne sont plus représentées que par de simples chatouillements peu incommodes. L'engourdissement dans les membres inférieurs a cessé. Il n'y a plus d'incon- tinence d'urine. Les érections sont plus fortes et plus durables.

M. Charcot, au malade : Voulez-vous bien nous dire ce que vous pensez des eilets du traitement que vous avez suivi ?

Le malade : Monsieur, ce qu'il y a de plus clair c'est que lorsque j'ai com- mencé le traitement, j'étais obligé de me faire conduire ici par ma femme qui me soutenait par un bras, tandis que de l'autre côté j e m'appuyais sur une canne. Je venais de loin, car je demeure à peu près à trois quarts d'heure d'ici, rue de la Tombe-lssoire, près du parc Montsouris. Aujourd'hui je fais ce même trajet seul, sans être soutenu et sans canne. Il y a déjà un mois que je viens seul.

M. Charcot : Parlez-nous de vos douleurs, de vos urines.

?ii

Lk malahk : Je n'ai plu? la sensation do coton sous les pieds. Je n'cd plus de douleurs mais j 'éprouve quelcpiefois encore une espèce de chatouillement qui parait les remplacer. J'urine presque comme autrefois.

Quafrirmr muladr, Extrait do Tobservation : B...geoi8 (Louis), âgé de 41 ans. Pas do syphilis. V\\ onelo paternel a «Hé atteint de paralysie géné- rale progressive. Début en iSS7 par de l'impuissance ; absence ctnnplète d'é- reelion. L'inrourdination motrice des membres inlërieurs est très marquée. Douleurs fulgurantes peu intens«*s, mais il y a sensation douloureuse et ob- tusiou delà sensibilité de la plante des pieds. Uéllexes rotuliens absents. Signe de Ilomi)erg très net. Diriiculté de la miction ; un peu d'incontinence de temps à autre. Mal perforant du pied. Signe d'Argyil Kobertson.

Début du traitement. lo 10 oi-tobre 1889. Trente-huit séances de unedemi-mi- nute a trois minutes chacune. La démarche a commencé àdevenir plus sûre d«'S lu troisième séance, la miction plus facile, et, à partir de cette époque il a cessé d'uriner dans sou pantalon ecunme il le faisait souvent autrefois. Après la cin- quièujc séance, la sensibilité est redevenue normale àla plante des pieds. A partir de la seizième séance, la miction est normale. Après la vingtième séance il se produit pour la première fois depuis longtemps une érection, faible à la vérité.

Après la trentième séance, les résultats acquis sont: un étal très satisfaisant de la marche, do la miction etdes sensations pathologiques qui existaient dans les [>ietls. Le signe de llomberg a disparu ou, tout au moins, il est devenu fort peu accusé. Les réflexes rotuliens sont toujours absents.

Cinquième main dr.. Le nommé S. ..on, 52 ans. Syphilis il y aseptans. Début du tabès, il y a deux ans seub^mcnt, par un sentiment de faiblesse dans les membr(?s inférieurs et une difficulté rapidement prononcée do la marche. Signe de Wf'siplial, signe île Komberg, signe d'Argyll Robortson. Les douleui's fulgurantes s(î sont manifestées, pour la première fois, il y a dix-huit mois si'ulennMit.Klles S(»ntpeu intenses. Légère incontinence d'urine, un peu (fanes- tiiésie plantaire. Krections très fail)les.

Di'but du traitenu'ut le 14 novrMubre 1888. Après la quatrième séance, il se pi'i)duit une amélioi-ation très manifeste dans la marche. I-e in.alade peut marcher beaucoup plus longtemps qu'il ne le faisait autrefois, il se fatigue moins. Après la sixième séance, les douleurs ont cessé d'«'\ister,les fjieds srntcnt mieux fesol; le signe de Rombergost moins accusé. Après la ilou/ième séaiute, la miction s'anuMioro notablement. Vers la vingl- ib'uxiènie séaru'c, les éri.*ctions,au grand élonuemeut du malade, reparaissent plus fréqui'ntes et plus soutenues. Les réHexes rotuliens font toujours défaut.

Il nome paraît pas nécessaire maintenant.messieurs.d'entrerdansles détails

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c\ propos des cinq autres cas crataxic locomotrice qui sont, en quelque sorte, calqués sur les précédents, et chez lesquels les effets produits par la suspen- sion ont ét(',î\ peu de chose près, identicjnos. Mais je tiens àmentionner parti- culièrement que dans quatre autres cas, sur les quatorze du groupe, bien que Tataxio lût en général symptomatiquement semblable à celle des dix autres, les résultats produits ont été presque nuls ou tout à fait nuls : dans un de ces cas même, ils pourraient être considères peut-être comme ayant été plutôt défavorables.

11 s'agit dans ce cas,d'un nommé (T...rges, Agé de 32 ans. Hérédité nerveuse très chargée,syphilis.Cbez ce malade, l'évolution de la maladie avait été extrê- mement rapide car, dans l'espace de six mois, les symptômes les plus divers de la série tabétique avaient presque atteint leur apogée. Au moment le traitement a été commencé on note ce qui suit : Ptosis et strabisme à droite. Incontinence nocturne depuis trois mois. Marche très difficile, très incoordonnée : signe de Romberg très accentué, absence des réflexes rotu- liens, anesthésic plantaire.

Début du traitement le 22 octobre. Le nombre des séances a été de trente et une, de une demi-minute à trois minutes chacune. Pendant le premier mois, résultats favorables : ainsi, après la quatrième séance, l'incoordination était devenue moindre. Vers la vingtième, la miction s'était améliorée, l'anesthésie plantaire avait disparu, le signe de Romberg était devenu moins prononcé ; mais de la vingt-cinquième à la vingt-huitième séance, on voit survenir, sans qu'aucune circonstance individuclh; permette de l'expliquer, un empirement marqué par un retour de l'incoordination motrice, un accès de douleurs ful- gurantes plus intenses que jamais, et une chute de la paupière supérieure gauche. Le traitement a été suspendu, du moins provisoirement. Toute mé- daille a son revers ; c'est pi «^sque un axiome. Le traitement par la suspension ne devait pas se soustraire lYla loi..

En résumé, messieurs, sur (juatorze casdataxie locomoti-ice traités par la suspension pendant une période moyenne de trois mois, nous notons, dansdix cas une amélioration très notableet, dansplusieurs casmême, une atténuation vrai- ment remarquable de laplu[»arldes symptômes spinaux. Dans quatre cas seu- lement, les effets ontéténulsou peu appréciables et, dans l'un de ces derniers, après une période d'amcflioration il y a eu empirement de tous lessymptômes. Pusd'aulresincidents à signaler. Dans plusieurs casil y a eu des vertiges résul- tant d'une application vicieuse, bientôt corrigée, de la pièce mentonnière. Dans un cas seulement, le malade était atteint de crises laryngées ce cas ne fait pas bien entendu partie du présent groupe le traitement a être suspendu dès la première séance à cause du sentiment de strangulation déterminé par Papplication des pièces céphaliques.

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Quelques remarques générales, relatives aux résultats obtenus dans les dix cas favoral)les. ne seront sans doute pas déplacées ici.

Nous rai)pelons que tous ces malades étaient des tabétiquesavérés.déjàaTan- cés tlans le mal, et chez lesquels. par conséquent, le diagnostic avait pu être net- tement établi. Chez presque tous, l'amélioration a commencé d'abord à porter sur la marche, sur l'incoordination. Elle s'estfait sentir dès les premières séances. Lesmaladesnousonf dit souvent qu'aussitôt après la séance la marche est plus faiiile, plus assurée.Cette amélioration ne dure d'abord que deux ou trois heures; mais après un certain nombre de séances, elle se prononce et devient perma- nente. Les malades se tiennent beaucoup plus facilement debout ; ils peuvent marcher sans aides, sans canne, faire des courses assez loiigues, etc., etc. La disparition du signe de llomberg, lorsqu'elle a eu lieu, a été presque toujours un phénomène tardif. Dans aucun cas. nous n'avons vu reparaître les réflexes rotuliens. Les troubles vésicaux ont été modifiés heureusement dans la plupart des cas, à la vérité souventd'une façon tardive. La miction s'est régularisée, elle est devenue plus facile. L'incontinence a disparu, ou s'est pour le moins consi- dérablement atténuée. Chez quelques malades, les fonctions vésicales sont redevenucs normales. Il en a été quelquefois de même de l'impuissance, cette manifestation si frécpiente du tabès et qui impressionne si fâcheusement les malades.

Les douleurs fulgurantes doivent être citées parmi les symptômes qui oui semblé le plus souvent bénélicier du traitement par la suspension ; ce résul- tat a été souvent obtenu dès les premières séances, il a été facile à apprécier dans plusieurs cas les douleurs étaient devenues presque continues et empochaient le sommeil. Nous ne devons pas oublier que, plusieurs fois, la sensation d'engourdissement des pieds s'est alténuéeou a disparu et que, chez deux malades, des plaques d'anesthésie jïlau taire sont redevenues sensibles. Enfin il nous a semblé que l'état général lui aussi s'est le plus souvent amélioré et que le sommeil, fniquemment, est devenu meilleur, circonstance qui ne nous a pas paru devoir être uniquement attribuée à la disparition des douleurs fulgurantes.

Après tout ce qui précède, messieurs, il vous paraîtra sans doute évident comme à moi, ([ue le traitement de Tataxie locomotrice progressive par la suspension tel qu'il a été employé par M. le D' Motr'houtkowsky méritait bien d'être tiré de l'oubli il était resté plongé jusqu'ici, et de nouveau nus en lumière. Les résultats ohtenus jusqu'à ce jour sont, à mon avis, assez fi*ap~ pants pour qu'on les prône et qu'on les recommande sérieusement à l'atten- tion des médecins particulièrement voués aux études neuropathologiqnes ; et, en ce ([ui me concerne, je puis témoigner que jamais je n'ai observé, dans l'ataxie, sous Tinfluence des divers autres modes de traitement qu'on lui oppose, des améliorations aussi prononcées, produites aussi rapidement sur un aussi grand nombre de malades à la fois. Mais après cette déclaration je

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serai le première relever qu'en cette matière, nous en sommes encore, sur plusieurs points, aux préliminaires. C'est qu'en efTet, faute d'expériences suffisamment prolongées et suffisamment multipliées, il est une foule de questions qui se présentent à l'esprit et auxquelles nous ne saurions répondre. Ainsi, pour ne citer que quelques exemples, nous ne pouvons pas affirmer, si ce n'est d'après une observation unique appartenant à M. Moidioutkowsky, que les résultats obtenus puissent être vraiment définitifs, de nature à persister plusieurs années après la cessation du traitement. Nous connaissons bien la plupart des contre-indications relatives à la santé générale du sujet, qui doi- vent, dans certains cas, mettre en garde contre la pratique de la suspension, telles par exemple que les maladies organiques du cœur, la phtisie pulmonaire, les tendances apoplectiques, etc. ; elles ontété parfaitement signalées par notre confrère d'Odessa, mais nous ignorons d'autre part si, il n'y a pas à redouter encore chez certains sujets, sains en apparence, bien entendu en dohors du labes, certains accidents relevant de la suspension (lu'il est impossible de prévoir quant à présent. Nous ne savons pas non plus reconnaître encore, à certains caractères déterminés, les cas la suspension, relativement aux sympt(^mes tabétiques, sera certainement ou tivs vraisemblablement utile et les distinguer de ceux son application serait de nul elfet.ou peut-être môme nuisible. Toutes ces questions et d'autres encore, qui constituent à l'heure qu'il est autant de desiderata ne sauraient être éclairées, on le conçoit, qu'à la suite d'études sufïisammont prolongées et établies sur une grande échelle. Pour ce qui est de nous, nous nous proposons de continuer celles que nous avons entreprises et de les étendre au plus grand nombre de sujets possible. Nous espérons pouvoir dans quelques mois vous faire connaître les résultats, quels- qu'ils soient, que nous aurons obtenus dans cette nouvelle série de recher- ches.

Suivant en cela Texemple de M. Motchoutkowsky, nous avons essayé l'em- ploi de la suspension dans le traitement de quehpies autres alfections orga- niques des centres nerveux, autres que lataxie locomotrice, et aussi de quehjues maladies purement névropathiques. M. le D' Blocq, notre ancien int«.Mne, a traité de cette façon,dans le service une jeune fille de 13 ans, atteinte de la ma- ladie de Friedreich. Cette malade, après un traitement de trente séances, a obtenu des améliorations très remarquables portant sur le signe de Houiberg et, sur la titubation qui étaient très prononcée. Malbeureuseinent, le corset ayant été appliqué dans ce cas, il est impossible de décider ce ([ui, <lans le suc- cès, revient à la suspension.

Les eiîets ont été favorables dans deux cas d'impuissance liée à la neuras- thénie.

Par contre, un malade atteint de sclérose en plaques avec exagération con- sidérable des réflexes rotuliens étant soumis au traitement, il survint chez lui

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après deux séances une rigidité spasmodique des membres inférieurs qui dis- parut heureusement au bout de trois jours.

Nous comptons, dans ce second gi'oupe des malades non ataxiques, multi- plier à Tavenir et varier les essais.

APPENDICE

Après la leroFi cpi'on vient délire, un ^rand nombre de malades se sont présentés à la Salpétrièro junir y éti'o traités par la suspension. Natun»lle- nu'ut, parmi ces nouvfîUcs roi^rues, les alaxicpies onl prédominé ; aujourd'hui 15 mars nous en comptons iii, d(»nt 3 femmes, cpii ont été soumis au irai- tinncnt. Il y a lieu de les diviser en plusieurs t^^roupes.

Trente malades sont'vr'uiis de une à ('inq fois seulement, et n'ont plus été revus ensuite. Beaucoup de malades d'ailleurs fréquentent Thôpital dans le but d'appiviulre à se suspendre, et après avoir fait emplette d*un appareil, ils continuent le traitement chez eux. C"e^tlà une circonstance défavorable, on le conçoit, à rol>àervatiou, car il e>t assez rare que h?s malades qui sont en pos- session d'un appareil reviennent donner de leurs nouvelles. Tcmlefois, à ce propos, nous ne devons pas nianqui?r de rt'Uver (pie nous avons pu, à la date du 8 mars, réunir tous les aucit'us mal;ides [)n''S(MiLés comme améliorés à la hîcon du 15 janvier, etreconnaitre à Ciîtte occa^^ion (pie ramélioration olilcnuo avait persisté dans U)n> cm cas et avait même notahh'nuîut progress(» chez quel(pies-uns d'entre eux. A la vérité, dans aucun de ces cas, les séances de suspension n'avaient été inhu'nmipues.

20 alaxi(pics sont venus de une à cin(| fois et sont encore à l'heure qu'il est en observation sans (pi'il soil possible, on le comprend, de rien conclure si luurc'jianl.

14 ont été suspendus de rsix à dix fois, pans avoir jirésrnté rien (|ui soit dii^^ne d'être noté, soit dans le S(mis de l'amélioration, soit dans le sens con- traire.

7 ont l'd* suspendus de cpiinz»» à vin^t fois et au-dessus, sans avoir ressenti aucune amélioration.

38, comprenant 3 feuinnjs, ont été suspendus de quatre à vingl fois et

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au-dessus, avec une moyenue de quinze suspensions et ont été améliorés très nettement bien qu'à des degrés divers.

5 enfin ont présenté des accidents de divers ordres qui ont motivé l'inter- ruption des séances,

En résumé, en éliminant 6i cas pour lesquels il n'existe pas d'éléments d'appréciation, puisque nous ne saurions considérer comme infructueuses les séances avant la dixième, nous disons que sur un chiffre de 50 tabéti- ques ayant subi plus de dix à quinze suspensions, ou ayant été améliorés avant que ce chiffre ait été atteint, nous avons ol^servé 38 améliorations, 7 échecs, o accidents.

L'analyse des 38 cas,dans lesquels une amélioration est survenue, nous con- duit à formuler quelques propositions qui pourront contribuer peut-être à éclairer le chapitre des indications de la suspension dans le traitement du tabcs.

Il nous a paru que les ataxiques frappés par la maladie lors(pi'ils sont très jeunes, et aussi, par contraste, ceux qui sont arrivés à un âge avancé ne reti- rent que peu de bénéfices de la suspension ; les premiers sans doute parce que chez eux, le tabès revêt le plus souvent une forme grave et évolue très rapidement, les autres pensons-nous parce qu'ils se présentent souvent dans un état de débilité qui nous a semblé peu favorable. Dans tous les cas on pour- rait dire que, meilleur est Tétat général, meilleur sera l'efTet de la suspension.

Il est difficile de se prononcer avant la dixième ou quinzième séance sur le bénéfice qu'on pourra retirer ultérieurement de la susjiension ; toutefois, il paraît certain qu'une amélioration qui se iirononco rapidement dès les pre- mières séances est d'un l)on augure. Nous avons vu, dans certains cas,des amé- liorations obtenues rester stationnaires vers la dixième séance et ne s'accentuer ensuite que vers la quinzième ou vingtième séaiice.

Il est difficile de se prononcer sur la question de savoir si les ataxicpies entachés de syphilis sont plus ou moins vite, ou plus ou moins certîiincment améliorés que ceux qui n'ont pas eu la vérole. Nous n'avons rien observé (pii piU nous permettre de ranger, en nous basant sur l'existence ou la non exis- tence de la syphilis chez eux, les ataxiques en deux catégories au point de vue des bénéfices qu'ils sont appelés ix retirer de la suspension.

La forme des accidents tabétiques est plutôt à considérer : ainsi,les symp- tômes céphaliques^ tels que paralysies oculaires, phénomènes laryngés, ou encore les crises gastriques semblent résister au traitement. En ce qui regarde ces derniers toutefois, il est impossible de rien décider encore, le nombre des cas de ce genre ayant été assez restreint.

Au contraire,rincoordination motrice, les douleurs fulgurantes, les troubles vésicaux divers, la faiblesse générale, le signe de Romberg enfin, sont surtout favorablement infiuencés dans les conditions indiquées dans la leçon du 15 jan- vier.

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Au cours des nombreuses suspensions pratiquées h la Salpétrière, pendant (!os deux derniers mois, nous avons vu survenir des accidents de divers ordres qui ont motivé la cessation du traitement et sur lesquels nous tenons à insister particulièrement.

Dans un cas, chez un homme de 55 ans, athéromateux,nous avons vu sur- venir après la dix-septième séance, un œdème des memlires inférieurs résultant de troubles circulatoires cardiaques sans lésion orificicUe ajtpréciable (c<iMir f(ircé). L'o.'dème a cessé rapidement, d*ailleurs,après la suspension des séances.

Chez un homme Agé de 51 ans. tabétique confirmé ne présentant aucune lésion cardiaque et n'étant pas sous le coup de crises laryngées, un étal lypolhimique s'est manifesté à la suite de quelques séances, puis, i\ la suite de l'une d'elles, une véritahb? syncope ce qui a nécessité l'interruption du Irai- t(Mnont.

Un second cas, une des suspensions a été suivie d'une syncope que rien ne faisait prévoir, a été observé.

Chez un quatrième malade âgé de i3 ans, suspendu huit fois, les symp- tômes parétiques, déjà très prononcés du reste avant le traitement, se sont aggravés sous son iniluence. Ce malade était profondément anémié.

Enfin, dans un cin([uièmf! cas, est survenu à la suite d'une séance une para- lysie radiale évidemment déterminée par la compression. Cette paralysie a dis- paru très rapidement.

Nous devons noter encore un fait observé en dehors du service. Il s'agit d'un cas de rupture d'une artériole athéromateuse déterminée par la comprcs- .-»ion exercée sur l'aisselle pendant l'afqdication de la suspension.

Voilà des accitleiils qu'il inqiortait de signaler hautement et qui sont bien de nature à nioiili-er que la pratique des suspensions ne saurait être faite, sans critique, sans distinction des cas, et qu'il peut être dangereux dans cer- tains cas de l'abandonner au maiùde lui-même.

Relevons, en passant, que trois de nos t.ibétiques;nnéliorés présentaient avant le Iraitement une proi)ortion plus ou moins considérable de sucre dans 1rs urines.

I^n dehors du tabi's, la suspiMision a été apjdiquéc à huit sujets atteints de paralysie s[»asmo»li(pie, à Irois sujets allectés de la maladie de Friedrcicb, enfin à quatre cas «le paraivsie auilante (maladie »le Parkinson\

Aucun des malades atteints de i)arapl<'gie si)asmodique (huit cas dont deux î^oiit relatifs à la sclérose en pla»pi(;<», n'a subi (piant à présent plus de huit si'ances ; tous ont bien supporli!* la suspension, i)lusieurs affirment que, chez eux, la rii^idité des membres inférieurs est devenue moindre. Mais, en raison du petit Uiunbre des séances, il est difficileile se prononcer. Tout ce que l'on peut dire c'est que, à l'inverse de ce qui s'était produit dans un cas antérieur (<ujet atteint de scb-rose en plaques signalé dans la leçon du 15 janvier), la

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suspension a été parfaitement tolérée, sans produire jamais une aggravation des symptt^mes paralytiqucîs.

Les trois malades atteints de maladie de Friedreich, traités parla suspension sans application du corset, n*en ont tiré aurun l)énéfice apprécialile. Il est vrai que le nombre des suspensions n'a pas dépassé encore six séances.

Par contre dans les cas de paralysie agitante, nous relevons en passant qu'il s'est agi de la véritable maladie de Parkinson et nullement d'un tremldc^- ment quelconque, les résultats delà suspension ont été vraiment favorablc^s. Ainsi, chez quatre maladesde ce genre ayant subi de sept àvingt-trois suspon- sions,le sommeil est devenu me illeur, en même temps que le sentiment de chaleur qui se produit surtout la nuit î?'est remarquablement amendé; la rigidité des membres et les symptômes pénibles, parfois douloureux, que les malades y éprouvent ont été fortement atténués ; chez une des malades (femme de W ans) le phénomène d'antépulsion a disparu ; [lar contre, nous n'avons pas remanpié que le tremblement ait jamais subi une modification appréciable.

Nous nous trouvons encouragés, par ce qui précède, à conseiller le traitement de la suspension dans la maladie de Parkinson, surtout lors(pie la raideur des diverses parties du corps et les sensations pénibles diverses ([ui raccompagnent si souvent, se montrent particulièrement prononcées.

20 mars 18S9.

IMP. NOIZETTB. 8. RUF. CAMPAGNK-rREMII.KK, PARIS.

Policlinique du Mardi 22 Janvier 1889

ONZIEME LEÇON

1®' Cas. Goutte articulaire, puis otite goutteuse; invasion soudaine du vertige ab aure lœsa : diplopie^ paralysie faciale transitoire. Le vertige s'établit à Tétat permanent. Traitement par le sulfate de quinine à hautes doses long- temps prolongées.

2*, 3^ 4®, 5* et Cas. Exemples de maladies de Basedow présentant certaines particularités intéressantes : tremble- ment, fièvre, paraplégie spéciale dans la maladie de Basedow. Combinaison de la maladie de Basedow avec rhystérie, Tataiie locomotrice progressive.

1^ Màladi

M. Ghargot. Messieurs, le malade dont nous allons nous occuper en pre- mier lieu est déjà connu de plusieurs d'entre vous. Je vous l'ai présenté en effet,une fois déjà, cette année même, à la clinique (Leçon du mardi 13 novem- bre 1888) ; mais alors, nous nous sommes bornés à tracer de son histoire une légère esquisse ; le cas est assez intéressant cependant, je crois, pour mérite^ d'être l'objet d'une étude plus attentive que nous allons entreprendre actuelle- ment.

C'est un homme fort vigoureux, âgé de 55 ans environ, et qui exerce, ou plutôt exerçait il y a quelques mois encore, la profession non pas de forgeron, comme on l'a dit dans la leçon citée plus haut,mais bien de maréchal ferrant, ce qui du reste, à notre point vue, revient à peu près au même.

Nous n'avons pu recueillir auprôi de lui aucun renseignement précis con-

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cernant les antécédents héréditaires. Il a servi autrefois comme maréchal dans un régiment de cavalerie et il a fait de nombreuses campagnes. Jamais il n'avait été malade lorsque, il y a dix ans, il a commencé à souffrir de dou- leurs dans les jointures dont la description ne laisse subsister aucun doutesur la nature de TalTection.

Ces douleurs articulaires en effet, ont eu pour caractère de se reproduire de temps à autre^sous forme d'accès^ pendant lesquels une oudeux jointures seule- ment à la fois devenaient douloureuses etgonflées. C'est au gros orteil du côté gauche que la douleur s'est localisée, lors du premier accès, puis ça a été le tour de l'articulation métatarso-phalangienne du gros orteil du côté droit ; les genoux, les articulations des mains, des poignets, des coudes sont devenus plus tard le siège du mal. Le malade insiste sur ce fait, que les douleurs» pendant les accès, se montraient intenses tout particulièrement la nuit, et s'apaisaient notablement le jour. Les accès, en général^ ne le retenaient pas plus de huit jours au lit. Il porte, au niveau du coude gauche une petite tumeur dure, paraissant occuper l'épaisseur de la peau, mobile^ qui nous paraît être constituée par un tofus^ bien que Ton ne voie pas la substance d'un blanc crayeux transparaître à travers le tégument externe. Cette tumeur s'est développée à la suite des accès qui siègent dans les membres supérieurs. Pas de sucre dans les urines. Il a eu, à plusieurs reprises, des crises doulou- reuses dans la région lombaire et dans l'abdomen, lesquelles répondent cer- tainement à la description de la colique néphrétique,bien qu'il n'y ait jamais eu, parait-il, expulsion de calculs.

Quoi qu'il en soit, voilà un ensemble de phénomènes suffisamment caracté- risé pour que vous ayez compris, à les entendre énumérer, que c'est la goutte qui est ici en jeu. Notre malade est donc un sujet arthritique au premier chef; cela étant, nous pouvons nous attendre à voir survenir chez lui un cer- tain nombre d'épisodes qui sont, en quelque sorte, dans la logique de la dia- thèse en question.

C'est dans ce sens^ et non pas à titre d'événement purement accidenteli qu'il faut interpréter, croyons-nous, l'apparition, il y a deux ans, époque depuis laquelle les lluxions articulaires n'ont plus reparu, d'une affection de Torcillc gauche, peu douloureuse il est vrai, mais accompagnée de bourdonne» ments d'oreille et de surdité, rapidement survenue.

Il est intéressant de relever que cette otite goutteuse, car c'est bien cer* tainement de cela qu'il s'agit, s'est accompagnée d'une paralysie du nerf facial gauche, offrant tous les caractères de la paralysie périphérique classique dite rhumatismale ; cette paralysie a cédé d'elle-même au bout d'une huitaine de jours.

Vous n'avez pas oublié, certainement, comment à plusieurs reprises, àsuim ces derniers temps, j'ai insisté sur la notion nouvellement introduite dans la science par M. Neumann, notion d'après laquelle la paralysie de ce genre

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est souvent une maladie d'hérédité nerveuse, Mais je n'ai jamais été jusqu'à prétendre, bien entendu, ni H. Neumann non plus je pense, que la paralysie faciale périphérique n'est jamais une affection toute locale, ne relevant d'au- cune tare nerveuse, produite de toutes pièces en un mol par l'application plus ou moins directe du froid humide. J'ai émis seulement l'opinion que ces cas sont beaucoup plus rares qu'on ne l'avait cru jusque dans ces derniers temps ; en tout cas, personne n'ignore que, dans un groupe de faits assez nombreux, la paralysie faciale périphérique est, purement et simplement, la conséquence d'une otite, non pas seulement d'une otite grave avec lésions osseuses, mais encore d'une simple otite catarrhale ; c'est à un point que depuis longtemps Deleau, Roche {Académie de médecine 1857-1858), Wilde, Trôltsch, et plus récemment Tilmann {Facialislâhmung bei Ohrenkrankheiten, Diss. Halle, 1869), ont bien mis en lumière.

Il n'est pas difficile de comprendre anatomiquement la production d'une paralysie faciale en conséquence d'une otite moyenne : on sait, en effet, que, dans la caisse, immédiatement en arrière et au-dessus de la fenêtre ovale est un relief osseux, l'aqueduc de Fallope, dans lequel se trouve contenu le nerf facial. Ce nerf n'est séparé de la cavité de la caisse que par une mince lamelle osseuse parfois criblée de trous, et^ partiellement, par du tissu fibreux. Le nerf facial envoie d'ailleurs dans l'oreille moyenne deux branches et il reçoit la même artère nourricière que celle-ci. On imagine aisément, d'après cela, comment une inflammation même superficielle, ayant pris origine dans la caisse, peut se communiquer au contenu du canal de Fallope... (Tillaux, Anatomie topographique ^ p. 120; Erb, Krank. der Nervensystem, 1. 1, p. 448).

Inutile de dire que telle a été, suivant nous, la raison de l'apparition d'une paralysie faciale transitoire chez notre homme dans les circonstances que nous venons d'indiquer. Cette même paryalsie faciale devait reparaître, une fois de plus, dans des circonstances au moins fort analogues; c'est ce que nous aUons dire dans un instant. Un certain degré de surdité de l'oreille gauche et des bourdonnements presque constants ont survécu à la paralysie faciale qui du reste, ainsi que nous l'avons fait remarquer, avait disparu spontané- ment au bout de quelques jours seulement. Les choses en étaient et F... se considérait comme très bien portant, lorsqu'il y a quatre mois environ, le !•' octobre 1888, la date est précise vous le voyez, se trouvant en wagon pour se rendre de Dijon à Paris, il fut pris inopinément des accidents que voici: tout à coup se produisent dans l'oreille gauche, des sifflements épouvantables par leur acuité et leur intensité ; en même temps survient un vertige carac- térisé surtout par une tendance à être projeté vers la gauche, côté de l'oreille malade.

Cette sensation de translation violente était d'autant plus pénible qu'elle était, pour ainsi dire, continue et qu'elle s'accompagnait de nausées ; il y eut même quelques vomissements glaireux. Malgré tout, cela est parfaite-

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ment établi dans le souvenir du malade, il n'y eut pas un instant perte de connaissance; il a assisté à tous ces phénomènes parfaitement conscient, mais non sans en éprouver^ on le conçoit, un indicible malaise. Il était 8 heures du matin lorsque Taccès a été inauguré tout à coup par le sifflement d*oreille ; à Il heures,époque de Tarrivée du train à Paris il n'était pas, tants*en faut, ter- miné. Il fallut porter le patient pour le descendre de wagon et le placer nir une civière pour le transporter de la gare de Lyon à la rue du Faubourg- Saint-Ântoine il habite.

Là, les phénomènes vertigineux persistant tels quels ; on dut le mettre au lit. Ils durèrent encore du reste^ presque sans atténuation, pendant une qainh zaine de jours. Pendant cette longue période, le pauvre homme n'a pas cessé, pour ainsi dire, jour et nuit de sentir à chaque instant son lit verser tout à coup vers la gauche avec la crainte d'être entraîné dans sa chute; parfois il lui semblait que son lit se soulevait par le pied, tandis que sa tête tombait en arrière. Les sifflements aigus dans Toreille gauche les nausées^non suivies ce- pendant de vomissements, pendant cette terrible quinzaine le tourmentèrent en quelque sorte sans rel&che et sans trêve.

Il y a lieu de relever encore, pendant cette longue période de vertige per- manent, la présence d'une diplopie revenant par moments laquelle n'a pas reparu depuis, et aussi l'existence d'une paralysie faciale en tout semblable à celle qui s'était produite il y a deux ans, lors de l'apparition des premiers sifflements d'oreille et des premiers symptômes d'obnubilation auditive. Cette fois encore, la paralysie a été absolument transitoire ; sa durée n'a pas dépassé dix jours, bien qu'aucune thérapeutique spéciale n'ait été dirigée contre elle.

Vous avez reconnu facilement dans ce qui précède, la description pour ainsi dire classique du syndrome vertigo ab aure lœsa, vertige de Ménière comme on dit encore. Rien n'y manque : sentiment de translation soudaine entraînant le malade dans une direction toujours à peu près la même pour chaque individu, et survenant à la suite d'un sifflement aigu ressenti dans une oreille Touïe est obnubilée; nausées, vomissements, pas de perte de con- naissance même dans les cas le vertige est le plus intense : tout cela, je le répète appartient au type.

Bien qu'elles y soient exceptionnelles, et qu'elles ne lui appartiennent pas en propre, la diplopie à répétition et la paralysie faciale transitoire signalées tout à rheure, ne sont cependant pas déplacées dans le tableau. La première, en eflet, s'y observerait peut-être plus souvent qu'on ne l'a faitjusqu'ici^sil'al- tention était flxée sur la possibilité de son existence en pareil cas. On sait, en effet, que quelques auteurs, en particulier Hughlings Jackson (Brain^ 1879) ; Robertson {Mind 1878) ; Schv^albach (Zeitsch, fur prakt Medicin 1878) ont signalé des oscillations du globe oculaire survenant pendant la durée du vertige auriculaire. J'ai assisté, pour mon compte, à plusieurs accès d'un vertige de ce genre marquées chaque fois par la concomitance d*un

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strabisme temporaire accompagné de diplopie. G^est peut-être ici le cas de rappeler que Cyon {Recherches expérimentales sur les fonctions des canaux demi<irculaires. Thèse de Paris 1878, p. 63) a provoqué expérimentalement, chez l'animal, des oscillations en sens variés du globe oculaire par Texcita- lion des divers canaux demi-circulaires. Il ne serait pas impossible d'ailleurs qu'un certain degré d'oscillation des yeux fût dans l'espèce un phénomène fréquent, constant peut-être, non encore suffisamment remarqué.

Pour ce qui est de la paralysie faciale, nous avons dit plus haut quel a être le mécanisme de son développement il y a deux ans, et nous ne voyons aucune raison d'en invoquer un autre pour expliquer la récidive d'aujourd'hui. Il est on ne peut plus vraisemblable qu'une recrudescence survenue peut-être sous l'influence d'un courant d'air, de l'otite moyenne déjà existante, avec extension au labyrinthe, a déterminé la brusque apparition du vertige et de la diplopie, tandis qu'en se propageant au canal de Fallope l'inflammation a déterminé la paralysie. La coexistence, d'ailleurs, d'une paralysie faciale périphérique avec une otite accompagnée de vertige de Ménière, n'est pas un fait inattendu. 11 a été observé plusieurs fois^ en particulier par M. Léo qui, dans sa thèse inaugurale {Th. de Paris 1876, obs. III et IV, v. p. 26^ 47 et 48), cite deux exemples du genre.

Cest ici le moment, sans doute, de faire connaître le résultat d'un examen otoscopique régulier pratiqué chez notre malade par M. Gellé, quelques semaines après l'accès qui vient d'être décrit. < Otites périostiques chroniques rhumatismales ; lisez goutteuses. L'oreille gauche ofire des lésions très nettes d'otite chronique sèche; déformation et enfonçure extrême du tympan gauche. Obstruction des deux trompes, étriers mobiles. Réflexes auriculaires: l'épreuve binauriculaire réussit par les pressions sur la droite, non par pression àgauche. Le diapason au vertex est perçu comme son à droite, et l'occlusion du méat gauche ne le mobilise pas. Le vertige et la paralysie faciale reconnaissent la même cause, à savoir l'otite rhumatismale. >

Voici donc ce grand accès vertigineux de quinze jours de durée enfin ter- miné. Le malade pourra désormais quitter le lit, se tenir debout même, s'ali- menter enfin; pendant toute la durée de raccès,il était resté , à cause des nau- sées permanentes,complètement privé de nourriture. Il dort par moments une bonne partie de la nuit. Tout cela pour lui est un grand soulagement. N'allez pas croire, cependant^ que la sensation vertigineuse ait disparu ; elle s'est atténuée sans doute^ elle laisse du répit du moins en tant que sensation très pénible: mais désormais, la voilà pour de longs mois établie en permanence pour ainsi dire , à poste fixe^ toujours présente à un certain degré. Elle subit,de temps à autre, la nuit comme le jour, sous l'influence de causes banales, telles, par exemple,qu'un mouvement brusque de la tête ou du corps,un bruit imprévu, quelquefois sans cause apparente, une exacerbation soudaine, dans laquelle on voit se reproduire, à part la diplopie et la paralysie faciale, tous

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les phénomènes signalés, lors du grand accès, à savoir: sifQemenU d*oreille, sentiment de chute brusque vers la gauche, nausées etc., etc. C'est ainsi Mes- sieurs, que dans un certain nombre de cas de vertige de Ménière, et ces cas sont évidemment les plus graves , au lieu d'apparaître sous forme de crises distinctes, de courte durée, séparées par des intervalles de calme absolu, pen- dant lesquels les symptômes de la maladie locale d*où ils dérivent persistant^ les accès tendent à se rapprocher, à se confondre, de manière à consti- tuer un état vertigineux pour ainsi dire permanent se dessinent des paroxysmes plus ou moins fréquents reproduisant tous les phénomènes des crises distinctes. Il y a longtemps que j'ai appelé Tattention sur la nécessité de bien distinguer en clinique le vertige ab aure lœsa, & crises distinctes» de celui qui se montre à Tétat permanent avec exacerbation survenant de temps à autre (i). Evidemment, ces deux ordres de faits ne sont pas foncièrement de nature différente et Ton peut dire qu'ils se fondent Tun dans l'autre par des cas de transition, mais très certainement il n'est pas inutile de relever que le pronostic est fort différent suivant qu'il s'agit de l'un ou de l'autre; c'est un point sur lequel j'aurai d'ailleurs à insister particulièrement dans on instant.

Vous pouvez reconnaître. Messieurs, qu'aujourd'hui encore, quatre mois environ après le début solennel que nous avons signalé tout à l'heure, l'état vertigineux habituel persiste à un assez haut degré.

Voyez comment le malade, lorsqu'on le prie de faire quelques pas dans la salle, procède en titubant, supporté par deux cannes, s'effbrçant de maintenir la tète et le tronc tout d'une pièce et fixant constamment ses pieds du regard.

La raison de cette attitude raide et de ce regard toujours dirigé droit vers la terre, le malade nous la donne en disant « qu'il est toujours en éveil parce que le moindre mouvement imprévu de la tête sur letronc, pendant la marche^ aurait pour effet d'exaspérer le vertige^ et d'un autre côté il lui fautincessam- ment tenir ses yeux fixés sur le sol dans le but de s'adapter aux oscillations imaginaires que celui-ci lui parait subira chaque instant. >

Ainsi, l'attitude du malade en marche traduit jusqu'à un certain point la lutte à laquelle il ne cesse de se livrer contre l'ennemi toujours présent. Lors- qu'il est assis, il se sent beaucoup plus calme, et les vertiges ne survien- nent guère alors qu'à la suite d'un bruit soudain, imprévu, ou encore d'an mouvement qui serait imprimé, à l'improviste, au siège qui le porte.

L'état actuel est, vous le voyez, fort pénible. Si cependant, vous le com- parez à ce qui existait à la date du 13 novembre dernier, époque à laquelle le malade vous a été présenté pour la première fois, vous constaterez qu'il

1. Leçons sur les maladies du système nerveux, t. II« p. 348.

s*est produit dans sa situation un amendement très notable. Sans doute, le yertige existe en quelque sorte, toujours en puissance: il est imminent, prêt à paraître sous Tinfluence des causes occasionnelles; mais lorsque le malade est bien calme, bien tranquille, assis ou couché surtout^ la vie est relativement supportable. En effet, les accès provoqués sont devenus beaucoup moins in- tenses, beaucoup moins pénibles maintenant qu'autrefois et, pour ce qui est des grands vertiges spontanés, marqués principalement par ces terribles sen- sations de chute soudaine ou de tournoiement autour de Taxe vertical, que le malade dépeignait avec des couleurs si vives, ils ont complètement dis- paru.

Cette amélioration, encore fort imparfaite^ sans doute, mais qui a déjà bien son prix, s'est effectuée, pensons-nous, sous l'influence du traitement prescrit le 13 novembre et suivi depuis cette époque avec persistance.

Du 13 au 28 novembre, le malade a pris chaque jour, 0,75 centigrammes de sulfate de quinine. Au bout de 2 ou 3 jours, ainsi que cela était prévu, il s'est produit, sous l'influence du médicament, une exaspération très marquée des bruits d'oreilles et des vertiges : ceux-ci se sont montrés si intenses et si fi é- quemment répétés que le malade a se confiner chez lui il est resté presque constamment couché ou assis. Vous devez vous attendre, Messieurs, à voir survenir de semblables aggravations de tous les symptômes dans les pre- miers temps du traitement du syndrome de Ménière par le sulfate de quinine à dose élevée ; il est pour ainsi dire de règle que les choses soient ainsi, et de cela, vous le comprenez, il est absolument nécessaire que le malade soit prévenu dès l'origine ; sans quoi, il ne manquerait pas de se soustraire du premier coup à toute discipline. Prévenez-le, avec autorité, qu'il ne doit pas céder à ses premières impressions, et qu'il lui faudra passer outre ; en général, il se soumettra.

La cessation de l'administration du médicament, au bout de la quinzaine, eut pour effet d'amener bientôt un répit; les symptômes, pendant les deux semaines de repos qui furent prescrites au malade, revinrent au niveau ils étaient, antérieurement à Tépoque le traitement avait été commencé. Il ne 8*était produit aucune amélioration sensible pendant cette première période.

On recommença l'emploi du sulfate de quinine à la même dose que par le passé le 13 décembre, avec prescription de le continuer sans arrêt pendant toute la durée de la quinzaine suivante. Les premiers jours ont été marqués, cette fois encore, par une exacerbation des bruits d'oreilles et des vertiges, en tout semblable à celle qui s'était produite lors de la première période du traitement. Mais cela ne dura point; à partir du 20 décembre, les grands ver* tiges par accès, après s'être considérablement atténués d'abord, ont ensuite cessé de se produire. Jusqu'à aujourd'hui, 22 janvier, ils n'ont pas reparu.

Le résultat obtenu nous parait satisfaisant et conforme à nos prévisions. Sans doute, nous restons bien éloignés de ce que l'on pourra appeler la gué«

230

risoû. Mais il ne faut pas oublier que nous nous trouvons en présence d*im cas de vertige de Ménière permanent, et que ces cas se montrent bien plus tenaces, bien plus rebelles à la médication quinique que ne le sont ceux les crises, quelque intenses qu'elles puissent être d^ailleurs, se montrent sépa- rées pas des intervalles libres.

Autant il est aisé, en général, pourrait-on dire, de triompher du mal dans les cas du dernier genre, autant cela est diflicile, au contraire, lorsqu'il s^agit des premiers. Ainsi, chez notre malade, si j'en juge par une expérience déjà longue dans la matière, il nous faudra pour en finir avec les sensations vertigineuses dont il souffre, revenir peut-être à trois ou quatre reprises en* core, à l'administration du sulfate de quinine, par quinzaines séparées perdes intervalles de six ou quinze jours; peut-être même nous faudra-t-il élever les doses et les porter à un gramme et plus par jour. Mais notre malade est confiant, résolu, et je compte beaucoup sur lui pour arriver au résultat dé- siré.

Je puis affirmer que j'ai à peu près constamment atteint le but chez les malades auxquels je suis parvenu à faire partager ma confiance dans la médi- cation et qui, en conséquence, loin de se décourager en présence de la durée nécessairement longue du traitement, quand c'est la forme permanente du vertige qui est en cause, ont au contraire secondé nos efforts. Dans le cas il s'agirait d'un vertige à crises distinctes, la tâche serait, d'ailleurs, je le ré- pète, beaucoup moins ardue : trois ou quatre quinzaines de médication suffi- ront le plus souvent pour amener la cessation des accidents vertigineux. Il est vrai que les récidives sont à prévoir, mais elles sont, en général, plus facile- ment combattues que les premières atteintes, et d'ailleurs, leur apparition n'est nullement fatale. La guérison peut, dès la première action thérapeutique, s'établir d'une façon définitive et persister à tout jamais.

Je saisirai, en terminant, l'occasion qui se présente de vous faire part de certaines critiques dont le traitement du vertige auriculaire par l'emploi pro- longé du sulfate de quinine à doses élevées, a été plusieurs fois l'objet. On a émis, entre autres,ropinion que cette pratique ne devait pas être exempte de dangers, puisque le sulfate de quinine il en est de même du salicylate de soude administré à haute dose chez le lapin, a pour eff'et de déterminer un état congestif hémorragique dans le labyrinthe et dans la caisse (i). A cela, je puis répondre que chez Thomme, je n'ai jamais vu se produire rien de semblable, bien que le traitement en question ait été inauguré il y a plus de 15 ans et que, depuis lors, j'aie eu l'occasion très fréquente de l'appliquer, aussi bien dans les cas de vertige permanent que dans les cas de crises sépa- rées. J'ajouterai pour répondre à une autre critique (2), que Tadministration

i. Kirchner, (Berl. Klin. Woch. iS8l, 49.) Orne grccn. (Boston. U. 8 mars 1893.) 2. Lao«e. {Real Encyclopédie Bd. 13, p. 30.)

231

prolongée de hautes doses de sulfate de quinine, suivant ma méthode, n'en- tratne pas nécessairement, tant s'en faut, avec elle, la surdité complète de Foreille afTectée. Je pourrais citer entre autres, à titre d'exemple, un cas de vertige permanent d'une persistance rare, qu'il a fallu combattre pendant plus d'un an, par l'administration répétée par quinzaine, au moins six ou huit fois, de sulfate de quinine à des doses qui ont dépassé un gramme en 24 heures. Eh bien, après la guérison, Touïe est restée dans l'oreille malade ce qu'elle était au moment le traitement a été institué.

26 36 4e 56 g^ ge Malades.

Les circonstances nous ont permis de réunir, pour vous être présentés actuellement, cinq sujets atteints de la maladie de Basedow, et qui, tous o£Grent un certain intérêt. Ils nous fourniront l'occasion d'appeler votre atten- tion sur quelques points, peu connus ou même non encore signalés, concer- nant la maladie dont il s'agit.

I. Voici d'abord un homme Agé de 43 ans, exerçant la profession d'employé de commerce, chez lequel le phénomène le plus saillant est un tremblement d'un genre particulier dont l'examen attentif fournirait déjà à lui seul un élé- ment fort important pour le diagnostic. Ce tremblement occupe, non seule- ment les membres supérieurs, les mains en particulier, mais aussi les mem- bres inférieurs dont les oscillations se communiquent au corps tout entier, ainsi qu'on peut s'en assurer lorsque le sujet étant debout, on place la main sur une de ses épaules ou sur le sommet de sa tête. Vous reconnaissez même, le malade s'étant dépouillé de ses vêtements, que la plupart des muscles du tronc sont, chez lui, en proie à des secousses rythmées. En même temps il existe un bruit laryngé saccadé, pouvant s'entendre à une certaine dis- tance^ et prouvant que les muscles respiratoires, eux aussi, participent aux trépidations.

Si Ton examine les choses de plus près, on reconnaît ce qui suit : le tremblement en question, étudié aux mains, avec le secours de la méthode graphique^paralt constitué par une série d'oscillations,de trépidations menues, brèves, se succédant l'une l'autre avec une grande rapidité. De tous . les

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- 234

que nous nous sommes depuis longtemps efforcé de vulgariser, n*a pas encore pénétré partout; ainsi, tout récemment, M. Fraenkel présentait à la Société de médecine de Berlin un cas qu*il considérait comme appartenant à la maladie de Basedov en Tabsence de goitre et d'exophthalmie.La communication parait avoir été accueillie avec quelque scepticisme et M. Virchow, en particulier, faisait ressortir à ce propos que sans aucun doute Basedow se fût refueé à reconnaître chez ce malade Taffection qu'il a le premier décrite. L'argument ne me paraît pas d*une valeur absolue : il est fort à présumer, en effet, q[ue si Basedow eût continué à vivre il n'aurait pas manqué de se tenir au courant de la science ; certainement il aurait appris à connaître les dégradations que peut subir le type clinique qu'il a découvert,et il se serait placé en mesure de diagnostiquer les formes frustes à l'aide des caractères qui sont maintenant entre nos mains. En réalité, Thistoire clinique de la maladie de Basedow de- vait subir la même évolution que celle de i'ataxie locomotrice et de la sclé- rose en plaques par exemple, Ton a vu les types primitivement créés* s'effacer en quelque sorte dans la pratique devant le nombre, toujours crois- sant — à mesure que Tœil du clinicien apprend à les reconnaître des formes rudimentaires, des formes frustes, comme vous voudrez les appeler.

Notre cas d'aujourd'hui n'appartient pas aux formes frustes, car en cotre du tremblement spécial et de la tachycardie, nous constatons chez le sujet une exophthalmie très manifeste et une tuméfaction de la thyroïde portant à peu près exclusivement sur le lobe droit. Il s'agirait donc là, en somme, d^un exemple vulgaire et peu digne de nous arrêter si nous ne devions pas y ren- contrer, en Texaminant d'un peu près, quelques faits qui mériteront d'être signales.

En ce qui concerne les circonstances étiologiques, rien qui sorte du cadre classique : on ignore s'il y a des antécédents héréditaires, une partie de la famille est inconnue ; par contre les causes occasionnelles ne font pas défaut. Notre malade est père de quatre enfants; il a récemment fait,en juin et en juil- let i888,des pertes d'argent fort graves pour lui, et il a dû, en outre, abandcoh ner la place qui le faisait vivre. C'est sous le coup des émotions pénibles qui se sont produites en conséquence qu'il a commencé à ressentir les premiers symp- t<^mes de la maladie. Le tremblement s'est montré, le premier; tout à coup, un jour du commencement de septembre^ étant à son bureau, ses mains se sont mises à trembler si fortement qu'il lui est devenu impossible de conti- nuer à écrire. L'exophthalmie n'a été remarquée qu'en novembre et c'est vers la même époque que le goitre a paru. Les palpitations de cœur, revenant par accès, sont de date plus récente. Pendant le cours des trois derniers mois, se sont produites plusieurs de ces crises diarrhéiques qui appartiennent au tableau régulier de la maladie de Basedow et dont je vous ai^ du reste, entre- tenu plusieurs fois.

Après le tremblement dont nous avons indiqué déjà les caractères, l'exoph-

~ 235

thalmie, le goitre, la tachycardie enfin, marquée par un chiffre qui varie de 95 à 112 pulsations par seconde, Tétude de Fétat présent fait reconnaître ce qui suit : amaigrissement très prononcé ; le malade assure qu'il aurait perdu 10 livres depuis trois mois. Il présente à un degré très marqué le phénomèno de la «thermophobie», il a toujours trop chaud, la nuit il se découvre à chaque instant ; souvent le tronc est couvert de sueurs profuses. Cependant, la tempéra- ture, notée à plusieurs reprises a donné les chiffres suivants : le soir 37,4, 37,2 ; le matin 37, 36,8. Donc, ainsi que cela est la règle, nous dirons plus loin si elle ne comporte pas des exceptions, il n'y a chez notre homme, malgré raccélération à peu près permanente du pouls, la thermophobie, les sueurs profuses, ni fièvre ni fébricule. L'examen des mouvements des globes ocu- laires, fait reconnaître Texistence d*un certain degré de paralysie de la con- vergence accompagné de diplopie, symptôme déjà relevé plusieurs fois en pareille circonstance par M. Môbius.

Jusqu'ici, vous le voyez, il n'y a rien dans notre cas qui ne soit à peu près de connaissance vulgaire. Mais voici une série de phénomènes qui, si je ne me trompe, n'ont pas encore été signalés dans la maladie de Basedow et qui ne doivent pas cependant y être tout à fait exceptionnels, car nous les retrou- verons à des degrés divers dans trois des cas qui vont suivre. Notre malade nous a fait remarquer que souvent, pendant la station debout et dans la mar- che, sans qu'il éprouve la moindre sensation vertigineuse, les jambes ûéchis- sent sous lui tout à coup. Deux fois même, de ce fait, il est tombé dans la rue, en avant, sur les genoux. Gela rappelle, vous le voyez, le dérobement des membres inférieurs dont j'ai eu souvent l'occasion de vous parler à propos de Tataxie locomotrice. Mais le tabès ataxique n'est chez notre malade nullement en jeu : à la vérité les réflexes rotuliens font défaut chez lui, mais il n'a jamais rien ressenti qui ressemble à des douleurs fulgurantes; la vessie fonct tienne normalement ; pas de signe de Romberg, etc. etc. Enfin, il est facile de méconnaître qu'il existe une véritable parésie paraplégique ; les divers segments des membres inférieurs en effet, étendus ou fléchis volontairement par le malade, résistent fort peu aux mouvements de sens contraire qu'on leur imprime. S'agirait-il d'un symptôme particulier lié à la maladie de Basedow? C'est une question qui se présentera de nouveau un peu plus loin.

II. Lesecondsujetdugroupeestcettefemmeàgéede26 ans nommée Duf...che que je viens de faire placer devant vous, et dont la maigreur extrême n'a pas manqué de frapper vos yeux du premier coup. Cette maigreur, jointe aux quelques autres symptômes que nous vous dirons tout à l'heure^ et plus par- ticulièrement à une petite toux sèche qu'elle vient de vous faire entendre, lui donne volontiers l'apparence d'un sujet atteint de tuberculose pulmonaire à évolution rapide. Nous verrons dans un instant si cette première impres*

436 -

sion sera justifiée par Tétude du cas. Actuellement, j'en viens à Texposé des principaux traits de l'histoire de notre malade.

Les antécédents de famille sont ici tout à fait favorables à la thèse diaprés laquelle dans rhistoire de la maladie de Basedow.Fhérédité nerveuse tient une large place. La grand'mëre maternelle de notre malade a été aliénée ; sa mère a des hallucinations de l'ouïe et de la vue^ elle se croit persécutée, elle est actuellement enfermée en Suisse dans un asile du canton de Vaux. C'est donc rhérédité de transformation qui est en cause. Son père a été à deux reprises frappé d*hémiplégie, mais nous n'insisterons pas sur ce dernier point, notre avis étant que les lésions cérébrales en foyer, hémorragie ou ramollissement, ne doivent pas, sans plus ample informé, figurer parmi les membres de la famille neuropathologiquc. Voilà pour la prédisposition héréditaire.

Les premières palpitations du cœur ont paru chez Duf...che quelques semai- nes avant la célébration de son mariage qui a eu lieu le 28 avril 1888, c'est- à-dire il y a environ dix mois. Elle avait eu quelques raisons de craindre que son futur mari ne fût un mauvais sujet, un ivrogne, et, sous Tinfluence de ces soupçons, elle était déjà devenue agitée, anxieuse. Ses prévisions devaient malheureusement se réaliser : presque immédiatement après la consécration de Tunion, son mari qui, pendant les fiançailles, s'était contenu, donna immédiatement libre cours à tous ses mauvais instincts. Il se montre que- relleur, méchant; il buvait parfois jusqu'à vingt absinthes piir jour; c'étaient des scènes continuelles dans lesquelles la malheureuse a été plusieurs fois battue et même menacée du couteau. Elle dut quitter la place et s'enfuir au bout de trois mois de ménage. Sous l'influence de ces violentes émotions, dont l'action provocatrice puissante ne saurait être méconnue, les divers symptômes de la maladie se sont accumulés dans un court espace de temps ; déjà huit jours après le mariage^ les palpitations étaient devenues presque incessantes, peu après se sont manifestés successivement : le gonflement de la thyroïde, une diarrhée d*un caractère spécial que vous connaissez par nos leçons de l'an passe, le tremblement, la thermophobie, l'amaigrissement enfin. L'exophlhal- mie a été remarquée tardivement. Quoi qu'il en soit, au bout de trois mois* la maladie était définitivement constituée^ telle à peu près que nous la voyons aujourd'hui.

Voici l'indication sommaire des phénomènes de l'état actuel. En outre de l'exophthalmie, de l'amaigrissement, du goitre, de la toux sèche qu'il suffira de rappeler, il existe un tremblement surtout marqué aux mains, Ton compte à l'aide de l'appareil enregistreur de 7 à 8 oscillations par seconde; ce tremblement est beaucoup moins accentué que dans le cas précédent. La malade est presque incessamment sous le coup d'une diarrhée particulière déjà signalée plus haut : c'est une diarrhée séreuse qui se produit à peu près régulièrement tous les deux jours et qui survient généralement après le déjeuner: il y a parfois jusqu'à 15 ou même 18 selles en S4 heures. L'appétit

cependant, n'est pas notablement troublé. Sentiment de chaleur pénible (thermophobie)^ surtout la nuit, il y a souvent des sueurs profuses ré- pandues principalement sur le tronc. La peau parait chaude, le pouls varie de 100 à 150.

(La malade est priée de se retirer.)

Ceet ici le lieu d*en revenir à l'impression produite par la coexistence chez notre sujet, d*un certain nombre de symptômes qui viennent d'être énumérés : amaigrissement rapide et considérable, toux sèche, diarrhée^ fréquence du pouls, peau chaude, sueurs profuses, etc., etc., voilà certes un complexus symptomatique d*une fâcheuse apparence et que le clinicien n*aime guère à rencontrer. Nous ne pouvons pas oublier toutefois que tous ces symptômes peuvent se présenter dans la maladie de Basedow en dehors de toute compli- cation et que la fièvre entre autres, est simulée dans Fensemble de tous ses caractères, sauf toutefois l'élévation de la chaleur centrale qui fait défaut, du moins dans la règle. Néanmoins, dans le but de dissiper toute inquiétude, nous devions nous livrer à un examen attentif de Tétat des viscères et à une étude, poursuivie pendant quelques jours^ de la température centrale. Sur le premier point les résultats ont été rassurants ; il n'existe aucun signe d'une lésion viscérale quelconque; les poumons en particulier, paraissent parfaite- ment libres. Il n'en a pas été tout à fait de même pour ce qui concerne le second point. Voici, en effet, ce qu'a donné l'exploration thermométrique rectale poursuivie pendant ces neuf derniers jours.

Température rectale

Matia

Soir

Le 12 janvier

38*

38%6

Le 13

»

38

38,4

Le 14

»

38

Le 16

»

»

39,2

Le 17

(Pouls 150)

39

»

Le 18

»

38,8»

39

Le 19

»

38,6

38,6

Le 20

»

38,2

38,6

Le 21

»

38,4

Ainsi» la fièvre existe chez notre malade^ sans qu'elle puisse être expliquée par l'intervention de quelque cause banale ; elle existe non pas en apparence e0tte fois, mais en réalité, conformément à la définition de Galien : « calor prmîer naturam ». «Quelle est la raison de cette fièvre? existe-t-il quelque lésion viscérale qui aurait échappé à notre examen cependant attentif? La toberculisation, malgré tout, n'est-elle pas en jeu? Telles étaient les inquié- tudes qui nous hantaient lorsque nous avons rencontré dans un travail ré- cemment paru, un certain nombre d'observations qui nous ont semblé propres à lea disaipery du moins en grande partie. Il s'agit d'une thèse intitulée :

238

Etude Clinique sur le goitre exophtalmique)^, soutenue à la Faculté de Lyon en 1B88, par M. Bertoye et inspirée par M. le Prof. J. Renault. L'auteur mon* tre qu'il peut se présenter dans la maladie de Basedow un état fébrile plus ou moins intense, plus ou moins durable, relevant de la névrose elle-même et non d*une complication viscérale accidentelle. Une des observations de M. Bertoye^ celle qui porte le n^ i, nous a paru surtout intéressante : elle est relative à une femme de 36 ans^ atteinte de maladie de Basedow k la suite d'émotions pénibles et qui a été tenue en observation pendant près de 22 mois. Tout a été classique dans ce cas, à part Tcxistence de la fièvre; celle-ci s'est montrée maintes fois pendant cette longue période, par séries de 15, 30 jours et plus, marquée par des températures de 38*5, 39^ et même, bien que rarement, 40''. Dans les intervalles de ces accès, qui se produisaient principalement à l'époque menstruelle, les chiffres étaient ceux de Tètat normsd, 37*5, 37*2. Lorsque cette malade est sortie de l'hôpital, tous les symptômes de la maladie de Basedow persistaient à un certain degré ; mais l'état général ne laissait pas grand'chose à désirer. Un fait signalé par M. Bertoye dans cette observation nous parait mériter d'être relevé parce que nous le trouvons reproduit dans notre cas, à savoir que, malgré rélévation de la température centrale, la proportion des déchets uriuaires n'a pas subi d'augmentation. Dans notre cas» en particulier, six analyses d'urine faites avec soin par MM. Gathelineau et G. de la Tourette ont donné les résultats suivants: urines claires, sans dépôt. Le résidu Gxe, l'urée, les phosphates, sont au taux normal. L'urobiline n'est pas décelée par le simple examen chimique; il a fallu recourir à l'emploi du spectroscope qui a donné, mais très faiblement, la bande d'absorption caractéristique (i). Ce fait, s'il venait à se confirmer dans de nouvelles recherches^ donnerait un caractère très singulier à Tétat fébrile lié à la maladie de Basedow. Quoi qu'il en soit, nous pouvons dès à présent conclure de ce qui précède que la lièvre, indépendante de toute complication viscérale, peut, dans la maladie de Basedow, s'établir même pendant de longues périodes sans conduire à mal et nous voilà quelque peu rassuré sur l'avenir de notre malade.

Nous ne devons pas négliger de faire remarquer^ cependant, que toutes les observations de maladie de Basedow avec fièvre, sans complication viscérale, recueillies pas M. Bertoye, n'ont pas eu une issue aussi favorable que celle que nous avons tout à Theure prise pour exemple. Dans quelques-unes d'entre elles, en eflet, on voit la température s'élever tout à coup à 39*5, 40* et au- dessus, en même temps qu'upparuit tout un cortège de symptômes cérébraux graves aboutissant rapidement à la terminaison fatale. L'autopsie, dans

1. Voici le tableau des moyennes dos six analyses faites du 13 au 19 janvier : Volume = 1.400 ce. Résidu fixe= 44 gr. 47 ; ur^e= 18 gp. 73, acide phosphorique, I gr. 98, Dans le cas de M. Bertoye. la proportion dos déchets urinairea aurait même été diminuée.

239

cas-là, a été négative ; ils mérilent donc, ù tous égards, d*étre rapprochés de ces faits de chorée et d'épilepsie avec état de mal rapidement terminés par la mort, dont je vous ai entretenus dans une précédente leçon (i).

Mais écartons les sombres pronostics, ils ne semblent pas applicables au cas présent ; nous espérons qu'ici révolution du mal pourra être entravée grâce au concours des divers moyens que nous comptons mettre en œu- vre (2).

Encore un mot, avant d'en finir avec ce cas. Comme dans celui qui précède, il existe aux membres inférieurs un certain degré de parésie, sans troubles concomitants de la sensibilité, sans parésie vesicale, etc, etc., et les réflexes rotuliens sont très faibles. Plusieurs fois, il y a eu dérobement des jambes ; ces mêmes particularités, nous allons les retrouver chez la malade qui va suivre.

III. Il s'agit, cette fois, d une jeune fille àgéede 18 ans, nommée Mon... rier,

descènes violentes; une tante paternelle a les doigts des mains déformés par le rhumatisme articulaire chronique; une cousine germaine, toujours du côté paternel, a été atteinte de chorée. Plusieurs frères de la malade sont morts de convulsions en bas âge ; une de ses sœurs a été sujette à des crises d^hystérie.

Elle a été somnambule dans Tenfance et, vers quinze ans, elle a eu des atta- ques de nerfs qui, pendant un an, se sont reproduites à peu près tous les mois. La maladie de Basedow a commencé à paraître chez elle, ily a 2 ans, peu de jours après une scène terrible dans laquelle son père, sous le coup d'un accès de delirium tremens, l'avait menacée de la jeter par la fenêtre. Le trem- blementy Texophthalmie, le goitre se sont succédé rapidement et en même temps, les crises hystériques ont cessé de paraître. La tachycardie a été très

i. Leçons du mat-di, iSSè, 18^9, leçon, 27 novembre 188S.

2. Le traitement électrique a été commencé en janvier 18S9 et poursuivi à pou près réguliè- meot tous les deux jours depuis cette époque (Métliode de M. Vigouroux) jusqu*à ce jour (3 mai). L'amélioration s'est produite pou après et s'est rapidement accentuée. La touxjes trans- pfntioiiaont disparu.— Ladiarrliée est devenue rare. La cliutedea cheveux, qui avait corn* manoé à se produire, s'est arrêtée. Les forces se sont relevées; il y a augmentation de poids de 4 kUog. Les yeux sont peut-être un peu moins gros,mais le goitre est stationnaire. Le.tremble> aMDi a beaucoup diminué et les membres inférieurs ne se dérobent pIus.—La température rec- teto prise tous les jours depuis la fln de janvier a*a jamais dépassé 38o.— Le pouls varie entre iOO et 110.

8. Leçanê du mardi 1887, 1888, p. 3ii .

33

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accentuée ; amaigrissement rapide, thermophobie et sueurs profuses avec une température de 37* en moyenne ; crises diarrhéiques typiques à propos des- quelles, pour les détails, je vous renvoie à la leçon du 10 avril 1888.

Sous rinfluence du traitement électrothérapique,rétat de la malade s'est singulièrement am(^lioré, sur tous les points, depuis un an. Les symptômes de la maladie sont toujours présents, sans doute> mais ils n'existent plus que sous une forme atténuée, et il ne nous parait pas téméraire d'espérer qu'un jour ou Tautre, par la continuation de l'emploi des moyens appropriés, la guérison définitive pourra survenir.

Le point sur lequel je tiens à insister aujourd'hui à propos de ce troisième cas de maladie de Basedow est le suivant. En premier lieu, on observe chez notre malade, ainsi que nous le faisions pressentir tout à l'heure, cette mèmeparésie des membres inférieurs que nous avons rencontrée déjà chez nos deux premiers sujets à des degrés divers, et que nous retrouverons encore avecles mêmes caractères, mais cette fois sous une forme beaucoup plus accentuée dans un quatrième cas : absence ou diminution des réflexes rotulicns; pas de troubles de la sensibilité quels qu'ils soient ; intégrité parfaite des fonctions de la vessie et du rectum, effondrement fréquent des membres inférieurs, etc. Tels sont, avec; des variations en plus ou en moins, les principaux symptômes qui constituent cliniquoment cette forme paraplégique spéciale sur laquelle nous allons revenir dans un instant.

Le second point est relatif à l'apparition chez la malade des symptômes hystériques,dans le temps même ceux delà maladie de Basedow tendent à rétrocéder.La combinaison de Thystérie avec la maladie de Basedow chez un même sujet n'est certes pas chose rare ; mais ce qu'il y a d'intéressant à relever à ce propos dans le cas actuel, c'est que les attaques hystériques qu'on a vu il y a deux ans s'efïacer, au moment même se développait la série de Base* (low, ont repris comme de plus belle, depuis l'époque celle-ci tend à dis- paraître. 11 semble donc qu'il y ait entre les deux névroses rivales, comme une lutte pour la prééminence, Tune cédant le pas lors<[ue l'autre parait, et inversement. C'est un incident de notre observation qui m'a paru mériter d'être mis en relief. L'hystérie est représentée aujourd'hui chez Mon...rier, non seulement par les attaques qui sont fréquentes, mais encore par un cer- tain nombre de stigmates permanents à savoir : ovarie, hémianalgésie droite et rétrécissement double dn champ visuel.

IV. Le quatrième casde maladie de Basedow, sur lequel je veux appeler votre attention aujourd'hui est remarquable surtout par l'existence de cette para- plégie à laquelle j'ai fait allusion plusieurs fois déjà et qu'on voit ici atteindre un haut degré d'intensité. Grâce à elle, en efifet, la malade a été, pendant plu- sieurs mois, affectée d'une impuissance motrice des membres inférieurs à peu

m

près complète, et elle est restée dans Timpossibilité de se tenir debout et de marcher pendant près d une année.

Ce cas est relatif à une nommée Man...llon, aujourd'hui âgée de 38 ans, qui est à laSalpétrière depuis 4 ans environ. La maladie de Basedow a débuté chez elle il y a environ 9 années, alors qu'elle était âgée de 23 ans. Les symp- tômes se sont très notablement amendés dans le cours des deux dernières années.

Yoici l'indication sommaire des principaux faits consignés dans Tobserva- tion de cette malade. L'étude des antécédents a appris ce qui suit: le grand- père paternel a eu des idées noires > ; la grand'mère maternelle était sujette à des attaques de nerfs. Le père était vif, emporté, chagrin. Il avait été autre- fois dans une position aisée, mais par suite de mauvaises affaires, il tomba tout à coup dans la misère, entraînant dans sa ruine toute sa famille. Le cha- grin profond ressenti par Man...llon h la suite de ce triste événement a été à, n'en pas douter, chez elle, la cause provocatrice "de la maladie ; celle-ci s'est développée, du reste, peu de temps après, à peu près en même temps que survenait une attaque de rhumatisme articulaire aigu d'une certaine gravité.

Les palpitations, bientôt suivies d'exophtalmie^ ont marqué le début de la maladie (en 1880)^ et, peu après, le tremblement est survenu. Le goitre qui, à un moment donné, est devenu très volumineux, a paru dès la première année. En 1883, s'est produite une aggravation dans tous les symptômes déjà existants; il s'y est joint en plus une diarrhée par crises à retours fréquents, de la polyurie, une toux sèche très fatigante, de la thermophobie avec sueurs profuses, enfin un amaigrissement notable. C est vers la même époque qu'ont commencé à paraître les symptômes paraplégiques, s'accusant d'abord de temps à autre, par périodes suivies de rémissions durant lesquelles se mon- trait fréquemment^ pendant la station ou la marche^ qui parfois exigeait l'emploi des béquilles, le phénomène de l'effondrement des membres infé- rieurs.

La paraplégie s'était définitivement établie en permanence, et était depuis plusieurs semaines devenue à peu près complète lorsque la malade est entrée à laSalpétrière en juillet 1884. Elle a persisté, à peu de chose près, telle quelle, au même degré, jusqu'en septembre 1885, époque à laquelle la malade a com- mencé à pouvoir se tenir debout et marcher. Les symptômes ordinaires de la maladie de Basedow ont, pendant ce temps,continué leur train : goitre volu- mineux^ yeux très saillants, sueurs, chaleurs avec un pouls de 140 d 150 par- fois. Cependant, la température centrale moyenne est de 37''4 ; elle s'élève

Le pouls inoht« etlCo^e quelquefois à 100.— La tempémiure ne dépasse pa» 37, 37, 2.

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parfois jusqu*à 37^7, mais elle ne dépasse jamais 38**. Anémie profonde ; tremblements vibratoires très marqués, etc. Tous ces symptômes-là ont commencé à décroître dans le temps même les phénomènes parapléfçiques se sont amendés ; ils existent tous cependant encore aujourd'hui à Tétai rudi- mentaire, 9 ans après le début de la maladie, bien que la situation depuis 2 ou 3 ans se soit très notablement améliorée sur toute la ligne.

Nous devons insister maintenant sur les caractères que cette paraplégie a présentés. Ils sont assez particuliers, comme on va le voir. Ainsi qu'on l'a dit, lors de l'admission à la Salpétrière, l'impuissance motrice des membres infé- rieurs était à peu près absolue. La malade avait y être transportée sur une civière ; elle était depuis plusieurs semaines déjà conOnée au lit. Les membres paralysés sont légèrement amaigris , on n'y remarque cependant pas d'atro- phie proprement dite, pas de secousses fibriilaires entre autres ; la température de la peau et sa coloration sont normales. La malade n'y accuse aucune douleur, fulgurante ou autre, aucune sensation de constriction ; pas d'engour- dissement, pas d'hypercsthésie, pas d*anesthésie. Toutes les excitations cutanées sont perçues normalement; pas de douleur à la pression. Le sens musculaire est parfaitement conservé ; lorsque ses yeux sont clos, elle sait très bien déterminer l'attitude qu'on donne à ses membres, les mouvements qu'on leur fait exécuter. L'impuissance motrice porte principalement sur le membre inférieur gauche la malade ne peut mouvoir volontairement que les orteils, et encore n'est7ce qu'avec peine.

Elle n'oppose aucune résistance aux mouvements soit de flexion soit d'exten- sion, qu'on veut imprimer à ses membres qui, au niveau des jointures, ne présentent aucune trace de rigidité, mais ne sont cependant pas absolument flasques ; absence complète des réflexes rotuliens ; réflexes cutanés nuls. L'examen électrique ne donne rien qui s'éloigne de l'état normal ; aucun trouble fonctionnel, soit de la vessie, soit du rectum; pas de douleur en ceinture on rachialgique. Lorsqu'on prend la malade sous les aisselles pour l'aider à se tenir debout elle s'affaisse sur (;lle-mume.

Au moment Famélioration est survenue, quand la malade a pu commencer à se tenir debout et à marcher, elle a tout d'abord faire usage de béquilles ; plus tard elle a marché seule, sans appui, mais sa démarche est, pendant fort longtemps, restée titubante, fréquemment interrompue par des menaces d'effondrement en conséquence de flexions brusques et inopinées s'opérant dans les genoux. Ces particularités se retrouvent encore aujourd'hui à un certain degré bien que fort effacées.

Tel est l'ensemble des phénomènes,tant positifs que négatifs^sur lesquels j'ai voulu appeler votre attention. Il est assez particulier, je crois, pour qu*il soit permis de le distinguer des complexus symptomatiques qui peuvent s'en rapprocher par quelques côtés ; sans entrer dans une discussion en règle à ce propos, je me bornerai à faire remarquer que, très certainement, il ne s'agit

243

pas d'ataxie locomotrice, non plus que d'hystérie dont d'ailleurs notre mala- lade ne porte aucun des stigmates connus (1).

Je crois pouvoir émettre l'opinion que le syndrome en question représente une forme particulière de paraplégie qu'il conviendra peut-être d'ajouter à la série déjà longue de ceux qui se rattachent plus ou moins directement à la maladie de Basedow et en font, en quelque sorte, partie intégrante, quoique placés sur le second plan par rapport aux symptômes cardinaux. Il paraîtrait même que, dans l'espèce, ce syndrome n'est pas très rare, à en juger du moins par cette circonstance qu'il figure, bien qu'à des degrés divers, dans les quatre observations que nous venons de passer en revue et qui par con- séquent à cet égard constituent un groupe homogène.

V. Pour établir un contraste avec ces faits, de façon à mieux faire ressortir Tintérêt qui s'y attache, je vous présenterai en terminant un cinquième exemple de maladie de Basedow, dans lequel les membres inférieurs sont éga- lement le siège de troubles du mouvement ; mais^dans ce dernier cas, il nous sera facile de reconnaître que c'est Tataxie tabétique qui est en jeu.

Le sujet estun homme de 45 ans, nommé Mes... mann qui, il y a sept ou huit ans, s'est mis à trembler des mains eu même temps qu'il ressentait des palpitations de cœur et que ses yeux devenaient saillants. Ces symptômes de la maladie de Basedow existent encore aujourd'hui et la tachycardie, en par- ticulier, est actuellement très proponcée.

11 y a trois ans, sont survenus dans les membres inférieurs des douleurs fulgurantes caractéristiques assez vives et revenant, suivant larègle^ par accès. Peu après, s'est établie l'incoordination motrice qui, aujourd'hui, est fort accen- tuée. Le signe de Romberg existe. Parésie vésicale, fréquemment avec incontinence nocturne. Par exception, et cette exception d'ailleurs n'est pas tout à fait rare dans l'espèce, les réflexes rotuliens ont persisté ; ils se montrent même un peu exagérés.

Evidemment, il s'agit ici d'une combinaison de Tataxie locomotrice et de la maladie de Basedow, dans laquelle celle-ci a précédé l'autre de quatre ou cinq années. Actuellement les deux maladies coexistent sans toutefois se confondre ; c'est donc un cas à ajouter à ceux déjà nombreux auxquels mon collègue, M. Jofiroy, a fait allusion dans une des dernières séances de la Société médicale des hôpitaux (2^.

1. Le cas de paraplégie survenue dans une maladie chez une femme atteinte de maladie de Basedow publié par M. Ballet, dans le 3 de la Revue de médecine^ p. 299, meparaiteomme à ce dernier, relever de rhystérie ; ce cas appartient à M. le professeur Tessier flls, de Lyon.

2. CommuQicatioo de MM. Barrié et Joiïroy, en décembre 1888. Voir aussi Ballet, séince do 6 février 1889.

«•»é«M»Mié«'T7fk glwm ..,*!'' ^•mfgmt'Pnmt^n. rtm.

Policlinique du Mardi 29 Janvier 1889

DOUZIÈME LEÇON

1®' Cas, Accidents hystériques graves survenus chez une femme à la suite d'hypnotisations pratiquées par un magné- tiseur dans une baraque de fête publique,

2% et Cas. Un cas de Neurasthénie et deux cas d'Hys- téro-Neurasthénie chez Thomme.

Messieurs,

A côté des bienfaits de Thypnotisme qui ont été suffisamment prônés et même, quelquefois, peut-être un peu trop exaltés dans ces derniers temps, il est équitable de parler des méfaits qu'on peut, à juste titre, lui imputer. Ceux-ci arrivent parfois à constituer des accidents morbides réellement sérieux et d'autant plus regrettables qu'ils sont,le plus souvent,la conséquence plus ou moins directe de manœuvres pratiquées par des gens qui, sans aucun mandat soit médical, soit scientifique, sont animés par la seule poursuite d'un but lucratif. La malade que vous avez sous les yeux offre un exemple du genre parfaitement typique, car on peut dire sans amplification qu'elle est la victime d'un magnétiseur pratiquant dans les baraques de foire.

Il s'agit d'une femme âgée de 38 ans <jui est venue nous consulter avant- hier et que, ce jour-là, nous avons admise dans nos salles. Son histoire, par conséquent, ne m'est encore connue que très sommairement.

Je vais essayer de la compléter séance tenante eu procédant devant vous à

m interrogatoire. Mais, je dois vous en prévenir, nous allons rencontrer dans

accomplissement de cette tâche des difticultés sérieuses ; la pauvre victime,

I effet, a été, depuis cinq jours, placée sous le coup d'un mutisme complet,

vsolu. Non seulement il lui est devenu impossible d\irticuler un mot soit à

ix haute soit à voix basse, mais elle est incapable encore d'émettre, malgré

s ses eflorts, un son, un bruit laryngé quelconque. A la vérité elle aura

ore comme moyen de communiquer avec nous, la mimique qui est restée

34

248

fort intelligente, et aussi, ce qui vaut mieux, récriture ; car, si Taphasie motrice « silencieuse >, règne ici d'une façon absolue, la faculté de s'exprimer à Taide de récriture est, par un contraste frappant, demeurée, ainsi que vous allez le reconnaître dans un instant, parfaitement indemne. Après cela nous aurons encore, pour y puiser des enseignements utiles à consulter, l'obser- vation fort intéressante concernant cette mêmemalade, communiquée par M. le D' Séglas à la Société médico-psychologique, dans sa séance du 29 octobre 1888(1).

Messieurs, rien qu*à entendre la rapide énumération des quelques traits cliniques que je viens de relever à Tinstant, ceux d'entre vous qui sont au cou- rant de notre enseignement des trois dernières années, ont immédiatement compris que c'est le mutisme hystérique qui est ici en jeu. Nulle part ailleurs, en effet, vous ne rencontrerez réuni cet ensemble de symptômes caractéris- tiques. Mais je ne veux pas m'arrèter pour le moment à établir cette asser- tion sur une discussion en règle, elle sera suffisamment justifiée par tout ce qui suivra. Je tiens d'ailleurs à procéder rapidement dans la démonstration des faits ; car nous ne devons pas oublier que Thystérie est dans ses allures parfois mobile au plus haut degré: *^bien fol est qui s'y fie». 11 pourrait bien arriver en somme ([ue, sous l'influence de Témotion éprouvée par la malade en piésence de l'auditoire, l'ensemble symptomatique que nous avons sous les yeux s'évanouît tout à coup, et ainsi, à notre grand regret, l'occasion nous échapperait de vous montrer dos phénomènes dont il importe que vous soyez rendus témoins.

M. Charcot, s adressant à la malado : Veuillez, je vous prie, vous approcher de cette table ([ui est là, près de moi. (La malade comprend immédiatement ce (jui lui est dit et elle s'approche de la table devant laquelle elle s'assied.) Com- bien y a-t-il de jours cpie vous ne pouvez plus parler? Expliquez-moi votre cas... Répondez!

M. Charcot, «'flf/n?,s.vf7w/ a»/.raw(///f?t/r.s; Kxaniinez avec soin tous les détails de la pantomime à laquelle se livre notre malade ; vous voyez, elle fait signe d'abord qu'elle ne peut rien dire : mais la voilà qui, jetant les yeux sur la table, saisit avec empressem(»nt une plume qui y a été placée à dessein près d'un morceau de papier et elle se met h écrire avec une rapidité remar- quable. II y a déjà, je tiens à vous le faire remarquer une fois de plus, un trait bien significatif. Vous n'ignorez pas, en effet, que les sujets chez les- quels l'aphasie motrice reconnaît pour cause une lésion organique, alors même qu'ils ont conservé les mouvements des doigts de la main droite, sont, dans l'immense majorité des cas, placés dans l'absolue impossibilité d'écrire. A peine quelques-uns d'entre eux ont-ils gardé le pouvoir de tracer quelques

1. Los daugers de l'Iiypnolisine, Annales tnédtco-psynhologitjues, 7* série, lome 9, Paris, i889 p. 103.

249 ^

caractères informes ; ou si, par exception rarissime, il en est qui sont restés capables d'écrire quelques phrases plus ou moins correctes, plus ou moins intelligibles, ce n'est qu'à la suite de grands efTorts et avec une extrême lenteur qu'ils y parviennent.

Ici, vous le voyez, c'est tout le contraire qui arrive ; il semblerait même, le plus souvent,que les sujets sont rendus plus habiles et plus prompts à exprimer leur pensée par l'écriture, en raison du besoin impérieux qu'ils en éprouvent. Voici du reste, pour répondre à nos questions, ce qu'elle a écrit très vite en caractères parfaitement lisibles et avec une rédaction qui ne laisse pas grand chose à désirer non plus que l'orthographe : « Depuis jeudi, à la suite d'une crise de nerfs et d'une attaque. Je voudrais parler, mais on dirait qu'il y a quelque chose qui m'en empêche. »

Notre malade est donc^ vous le voyez, atteinte d'aphasie motrice, puisqu'il lui est absolument impossible proférer un mot, une syllabe, bien qu'elle ait conservé dans les lèvres et dans la langue, des mouvements qui, bien qu'entravés quelque peu par un certain degré de raideur, suffiraient cepen- dant, et amplement, pour produire une articulation distincte. A la vérité, la malade est aphone ; elle ne peut pas émettre un son, un bruit laryngé quel- conque. Mais le larynx n'a rien à voir dans l'articulation des mots et si notre sujet n'était qu'aphone elle aurait tout au moins conservé la faculté de par- ler à voix basse, ce qui n'est pas, ainsi que je vous le fais constater.

Ainsi, c'est bien la faculté d'articulation qui fait défaut ici ; celle d'expri- mer la pensée par l'écriture est au contraire parfaitement conservée.

Pour compléter maintenant l'élude du syndrome qui nous occupe, il nous reste à rechercher encore ce qui est advenu relativement aux deux autres élé- ments du langage. Notre malade peut-elle lire mentalement et comprendre ce qu'elle lit ? A-t-elle conservé la faculté de comprendre le sens des paroles qui viennent frapper ses oreilles ? Voici une petite expérience qui nous permettra de répondre à la première question. Je place sous ses yeux une feuille admi- nistrative sur laquelle sont écrits les mots : * Admission d'urgence. >

M. Charcot, $' adressant à la malade : Lisez, je vous prie, et dites-moi ce que cela veut dire ? (La malade examine le papier, lit et se met immédiatement

à écrire.)

M. Charcot, aux auditeurs. Je vois qu'elle a écrit les mots : « Admission d*iirgence » en les copiant textuellement sur la feuille qui lui a été remise ; GO n'est pas cela qu'il nous faut. Il y a des aphasiques par lésion organique qui sont capables de copier exactement les mots qui sont placés sous leurs yeux sans toutefois y rien comprendre.

S'adressant à la malade : Je vous demande ce que c'est qu'une admission d'urgence ? La malade reprend le papier et écrit : < Admission d'urgence à rbôpital, comme malade. >

M. Charcot, aux auditeurs : Allons, cette fois-ci c'est parfait : vous voyez

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que notre malade peut lire et qu'elle coir^prend fort bien ce qu'elle lit ; elle n'est donc point atteinte de cécité verbale.

Examinons ce qui est relatif au second point : Y a-t-il chez notre sujel surdité rer^d/e? Ceux qui en sont atteints vous le savez,nesontpassourds,dans le sensgé- néral du terme. Ils entendent parfaitement et distinguent tous les bruits qui vien- nent frapper leurs oreilles, même si ce sont des paroles articulées ; seulement ils les entendent « comme bruits » et ils sont incapables de comprendre ce que ces paroles signifient. En est-il ainsi chez notre malade ? C'est ce que nous allons voir : déjà vous avez pu remarquer qu'elle a très bien compris tout ce que nous lui avons dit, drs le commencement de Tinterrogatoii'e, et qu'elle a agi en conséquence ; mais regardons-y encore de plus près.

M. Charcot: $' adressant à la malade: Voulez-vous regarder les objets qui sont sur la table et me désigner du doigt ceux dont je vais prononcer lenom ; mon- trez-moi le crayon !.. la feuille de papier, Técritoire, la pelolte...

Aux auditeurs : Vous voyez qu'elle a indiqué les divers objets qu'elle a entendu nommer successivement, avec une grande précision, sans le moin- dre embarras ; elle n'est donc pas atteinte de surdité verbale.

Je vous ferai remarquer en passant que nous trouvons chez notre malade les conditions d'une analyse psycho-physiologique délicate : vous n'ignorez pas que, d'après nos études, le maténel de la faculté du langage se rapporte à ({uatre modes spéciaux de la mémoire du mol, à savoir : la mémoire motrice d'articulation, la mémoire motrice graphique, la mémoire visuelle et enfin la mémoire auditive du mol. La suppression isolée de chacune de ces mémoires est représentée en clinique par aulant de formes de l'aphasie, à savoir : l'aphasie motrice d'articulation, Tagraphie, la cécité et enfin la surdité ver- bales. Eh bien ! le caractère fondamental du mutisme hystérique, c'est que la faculté motrice d articulation, par une sorte de sélection fort remarquable, y est seule adectée, les autres demeurant parfaitement intactes ; tandis que lorsqu'il s'agit d'aphasie liée aune lésion organique, il est de règle que toutes les mémoires du mot soient touchées simultanément, bien qu'à des degrés très divers (1). I/aphasie motrice, en d'autres termes, est alors à peu près toujours compliquée en proportions diverses d'un certain degré d'agraphie,de cécité et do surdité verbales. Ces trois dernières,au contraire, font régulièrement défaut dans lu mutisme hystérique ; c'est du moins ce qu'enseigne l'histoire natu- relle de ce singulier syndrome, telle que nous la connaissons aujourd'hui. Le nmtisme n'est pas, tant s'en faut, le seul accident hystérique que nous ayions à relever chez notre malade ; il ne constitue même qu'un épisode récent survenu à la suite d'une des nombreuses attaques convulsives dont elle n'a pas cessé d'être tourmentée depuis le jour elle a été hypnotisée, voici dans quelles circonstances (2) :

i. De Tapliasic en j^t'-néral cl «le rai,'raphi(' (mi particulier. Vrogvi's médicaly A février 1888. 2. Nous ropi'oduisons ici à peu près Icxluelleincnt le récit do M. Séglas, loc. cit.^ p. 103.

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Le 7 août 1888, se trouvant à lafête d'Aubervilliers, M"* P... est entrée dans la baraque d'un magnétiseur : elle a assisté ce jour même à des hypno- tisations faites sur un certain nombre de personnes et elle a été fort impres- sionnée, dit-elle, d'en voir quelques-unes placées dans « Tétat de cata- lepsie >.

Elle éprouva néanmoins le vif désir de se faire endormir elle-même, mais elle n*osa pas, son mari étant présent. Le lendemain elle revint à la baraque sans son mari et cette fois elle demanda à être hypnotisée.

Le magnétiseur essaya à plusieurs reprises de Tendormir par la fixation du regard. Elle afGrme que jamais elle n'a perdu un instant le souvenir de ce qui se passait autour d'elle. Mais, par contre, à chaque tentative, elle sentait son corps et ses membres se raidir au point de ne pouvoir plus faire un mouvement : deux fois ses yeux ont tourné et une fois elle est tombée à la renverse. On la tirait assez facilement de cet état en lui soufflant sur les yeux. Bien qu'elle n'eût reçu d'autres « suggestions » que celles qui peuvent être communiquées à l'état de veille, elle est retourné chez ce même magnétiseur cinq fois en trois semaines ; elle ne pouvait pas s'en empêcher, dit-elle, c'était une obsession, un désir irrésistible.

Toujours les choses se sont passées comme ci-dessus ; chaque fois qu on à voulu l'hynoptiser, elle a été prise de ses attaques de raideur; jamais elle n'a dormi.

Plusieurs fois, le magnétiseur ayant eu grand'peine à la tirer de l'état il Tavait plongée, elle Ta entendu prononcer ces paroles: «Elle est plus forte que moi ! »

Il a essayé plusieurs fois de la suggestion hypnotique sans jamais y par- venir : ainsi lui ayant affirmé un jour qu'il allait la brûler avec une lame de couteau rougie au feu, elle n'a pas senti de brûlure ma?s elle a eu très peur, néanmoins, et aussitôt elle est devenue raide, comme les autres fois.

A partir des premières tentatives d'hynoptisation,P... était devenue triste; elle n'avait plus de goût à rien et elle négligeait les travaux de son ménage, elle ne pouvait plus ni penser ni compter, ses idées s'embrouillaient à chaque instant : elle se figurait constamment être placée sous la domination du magnétiseur auquel elle avait entendu dire < que, de loin comme de près, elle ne ferait que ce qu'il voudrait, quand même elle ne le voudrait pas ».

Plusieurs crises de convulsions toniques s'étaient produites sur ces entrefaites, semblables aux précédentes, mais cette fois sans provocation. Elle ne mangeait pour ainsi dire plus; elle était tourmentée du désir de quitter son domicile et d'aller retrouver celui qu'elle considérait comme son maître : enfin un beau jour, n'y tenant plus, elle partit subitement de chez elle et alla le rejoindre, en effet, à la foire de Vincennes.

Elle resta avec lui deux jours au bout desquels, ayant appris que son mari avait déposé une plainte chez le commissaire de police, il la pressa de rentrer

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chez elle . Pendant toute la durée de la nuit qui suivit la réintégration au domicile conjugal, les crises de raideur furent presque incessantes; elle se reproduisirent en grand nombre encore les jours suivants et la malade futen conséquence admise à Thôpital de Saint-Denis elle resta une huitaine de jours.

Elle en sortit non guérie; depuis lors, en effet, les attaques continuent à paraître fréquemment et Tétat mental est resté à peu de chose près ce qu'il était à Torigine. Les choses ont empiré récemment et le mutisme est survenu il y a cinq ou six jours, à la suite d'une forte attaque. C'est à cette occasion que le mari de la malade est venu nous prier d'admettre sa femme dans notre service.

Vous avez compris, Messieurs, que les attaques dont il a été si souvent question dans le cours de notre récit ne sont autres que des attaques hysté- riques: elles répondent à un type particulier dont vous trouverez la descrip- tions dans les << Ëtudcs » de Paul Richer, auxquelles je vous renvoie pour les détails, sous le nom d*attaques de contracture ( i ) ; je me bornerai à vous eu donner ici une description sommaire,faite surtout d'après l'étude de celles dont nous avons été témoin hier chez notre malade. Il y a une aura; battements de cœur, constriction épigastrique ; puis la malade, qui quelquefois reste debout, redresse la tête et se courbe légèrementen arrière : les bras, les jambes, le tronc se raidissent alors dans l'extension. La contracture est quelque fois assez forte pour que la rigidité des membres ne puisse être vaincue, même en déployant une grande force. Les paupières sont closes et animées d'un mouvement vi- bratoire. Il n'y a pas de perte de connaissance, pas de secousse, pas de grands mouvements, rien qui rappelle la phase épileptique, les contorsions ou les attitudes passionnelles des grandes attaques vulgaires. Les choses restent telles quelles pendant une période de temps variable qui, chez notre sujet, ne dépasse pas quelques minutes: on peut d'ailleurs, en lui soufflant sur la figure ou en la rappelant à elle d'une voix impérieuse, abréger quelquefois la durée de la crise.

Mais il s'agit ici, veuillez le remarquer, d'un petit cas. Nous avons vu eu effet chez d'autres sujets les attaques présentant ces mêmes caractères per- sister quelquefois durant des heures entières, ne pouvant être modifiées par aucune de ces manœuvres, pression ovarienne ou de divers points hystéro- gènes qui, dans hîs attacpies classiques, se* montrent si fréquemment efficaces.

Le type d'attaque dont il est ici question et que nous avons pris l'habitude de désigner sous le nom ^ d'attaque de contracture », se rencontre assez rare- ment dans la pratique. Il ne faut pas le confondre avec l'attitude dite < en arc de cercle > partie intégrante de la grande attaque hystéro-épileptique, non

1. Richer. fltuies clin'upies sur la grande Hysft^riet éditioQ, 1883, p. 245.

253

plus qu'avec la catalepsie, dénomination dont on abuse tant et que l'on emploie si souvent à tort et à travers (i).

Fig. 52. Attaque de contracture .

Fig. 53. Arc de cercle.

J'ai vu ce genre d'attaque se produire plus souvent que le type classique dans les cas observés par moi, les tentatives d'hypnotisation ont déterminé sur le coup, ou à courte échéance, Tapparition d'une crise hystérique. C'est une remarque qu'il n'est pas sans intérêt de relever.

Il nous a été impossible de décider si-notre malade porte quelques stigmates permanents de la névrose dont elle est atteinte, toutes les tentatives d'ex- ploration soit de la sensibilité cutanée, par exemple, soit du champ visuel ayant abouti constamment à la production d'une attaque.

En résumé nous avons sous les yeux un exemple, si je ne me trompe.

i. A propos de catalepsle,volr également Richer,toc.ci7., chap. (catalepsie et états cataleptoldes

254 -

bien propre à montrer, une fois de plus, que les pratiques d*hypnotisation ne sont pas pour le sujet mis en jeu, toujours innocentes. Sans doute elles n*ont pas créé ici la maladie de toutes pièces, car Thistoire des antécédents de M°*« P... signale dans son passé deux attaques d'hystérie, Tune à l'âge de 19 ans, l'autre à Tâge de 20 ans ; mais le mal sommeillait depuis dix-huit ans, remarquez-le bien, lors de la mauvaise rencontre faite à la foire d'Aubervil- liers.

Incontestablement les hypnotisations du mois d'août 1888 ont eu les con- séquences les plus fâcheuses, puisqu'elles ont provoqué la réapparition des accidents nerveux qui cette fois se sont produits sous une forme grave. Depuis cette époque en effet, c'est-à-dire durant une période de six mois, les crises nerveuses, avec les troubles psychiques que vous savez, n'ont pas cessé en quelque sorte de sévir un seul instant et rien n'annonce qu'ils doi- vent bientôt s'atténuer et disparaître.

On pourrait aisément multiplier les exemples de ce genre car ils sont presque devenus chose banale pour s'être fréquemment reproduits dans ces dernière temps.

D'un autre côté, nombre de faits ont établi parallèlement que les accidents que nous signalons ne concernent pas seulement le sujet hypnotisé, mais qu'ils peuvent, dans les représentations publiques par exemple, en consé- quence d'une sorte de contagion, se propager soit immédiatament soit à longue échéance aux assistants eux-mêmes. Comme conséquence fâcheuse des représentations théâtrales, on pourrait signaler entre autres le dévelop- pement dans une population, dans une école, de ce qu'on pourrait appeler du nom de manie hj/pnotisante active.

J'ai cité un exemple du genre qui me paraît bien frappant et que je vous demanderai la permission de reproduire ici en quelques mots (1).

il y a deux ans, un magnétiseur de profession donna sur le théâtre de Chaumont-en-Bassigny, des représentations de « fascination > qui émurent profondément toute la population, l'affolèrent, et déterminèrent par-ci par- là, quelques accidents plus ou moins sérieux. La manie d'hypnotiser pénétra jusque dansle collège de la ville. Plusieurs élèves pratiquèrent l'hypnotisme sur leurs camarades et quelques accidents nerveux s'en suivirent.

Le principal du Lycée mit bon ordre à la chose pour ce qui concernait les internes ; mais quelques externes surveillés n'en continuèrent pas moins leurs pratiques. C'est ainsi que les nommés Blan... et Thom... se sont plusieurs fois amusés sous un porche voisin de l'hôtel de l'Ecu à hypnotiser par la fixation des yeux un jeune garçon âgé de 12 ans que j'ai dans le temps présenté à la clinique. C'est le petit hypnotisme sans doute qu'ils obtenaient ainsi.

En tout cas ils réussirent à faire commettre au petit Blan..., en le sugges-

1. Revue de Ihypnoiisme^ 17 mai 1887, p.32ô.

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tionnant, des actions qui les réjouissaient énormément. Ainsi Blan... fut, dit-on, promené presque nu sur la place de la Banque-de-France; il est allé demander à acheter un cheval chez un marchand de nouveautés, et autres facéties pro- vinciales du même genre.

Jusque-là, il n'y a pas encore grand mal sans doute ; mais voici le cAté fâcheux. Le jeune Blan... sans antécédents nerveux remarqués, n'avait jamais eu d'attaques jusqu'au moment les premières tentatives d'hypnotisme ont eu lieu : mais, au bout de quinze jours, surviennent des crises se répétant presque tous les jours et qui effrayent considérablement les parents, d'au- tant plus que le jeune frère de notre petit maliide, âgé de A ans seulement commençait lui aussi à présenter des symptômes du même genre. C'est pour mettre fin, si possible, à tout cela, que le père nous l'a amené, et d'après notre conseil l'a remis entre nos mains. Les accès à l'hôpital se sont répétés pendant quelque temps tous les deux ou trois jours. C'étaient des attaques hystéri- ques assez bien formulées, précédées d'une aura : douleur de tète et batte- ments dans les tempes, sifflements dans les oreilles ; puis surveuaient des contorsions et l'arc de cercle. Enfin l'enfant prononçait quelques paroles relatives aux préoccupations de la veille. Il n'existait pas de stigmates hystéri- ques. L'enfant est sorti, après cinq ou six mois de traitement, à peu près guéri.

Ce n'est pas la première fois que l'on voit des enfsLnis jouant à rhypnotisme produire sur eux-mêmes,ou sur leurs camarades, des accidents plus ou moins graves. Ainsi à Breslau, lors du passage du fameux Hansen, un enfant hyp- notisé par un de ses camarades a été pris d'attaques de contracture qui durè- rent plusieurs heures et qui se renouvelèrent par la suite. Un cas du môme genre est cité par M. Mercati dans les Archives italiennes de psychiatrie.

Ces faits, ces considérations rendent évidente la nécessité d'une réglemen- tation des pratiques d'hypnotisme, et il y a lieu de s'étonner qu'elles n'aient pas encore paru assez convaincantes pour faire adopter en France les sages mesures restrictives prises depuis longtemps déjà, dans la plupart des autres pays d'Europe à l'égard des représentations publiques des magnétiseurs.

L'hypnotisme peut être utile en thérapeutique, dira-t-on,et s'il peut nuire parfois, n'en est-il pas de même des plus précieux médicaments : l'opium^ la digitale, par exemple, qui, dans de certaines circonstances et chez cer- tains sujets, peuvent produire des effets fâcheux, songe- t-on â les condamner pour cela ? A cela, certes, nous ne contredisons pas ; mais d'un autre côté, n'est-il pas clair qu'une étude clinique approfondie, et par conséquent nulle- ment à la portée des amateurs, pourra seule en matière d'hypnotisation, comme loi*squ'il s'agit d'opium ou de digitale, établii^les indications et les contre-indications, ou, en d'autres termes, déterminer les conditions l'on peut agir, et celles où, au contraire, il faut s'abstenir?

Puisque la médecine, au nom de la science et de l'art, a, dans ces derniers

35

2S(Î

temps, pris i)Ossession de riiypnotisme, qu'elle seule peut savoir appliquer convenablement soit au traitement des malades, soit aux recherches physiolo- giques et psychologiques, n*est-il pas légitime que, dans ce domaine récem- ment conquis,elle veuille désormais régner en maîtresse absolue et repousser toute intrusion?

2S 3* ET 4* Malades.

Lorsque Ton parle de neurasthénie ou d'hystérie mâles, il semble qu'aujour- d'hui encore on ait presque exclusivement en vue l'homme des classes privi- légiées, amolli par la culture, épuisé par l'abus des plaisii'S, par les préoccu- pations d'affaires ou l'excès des travaux intellectuels. C'est un préjugé que je me suis bien des fois déjà eftbrcé de combattre mais contre lequel il faudra lutter encore, sans doute, pendant longtemps, car il parait loin d'être déraciné. 11 est parfaitement avéré, cependant, que ces mêmes alTections, du moins dans les villes, s'i)])servent sur une grande échelle chez les prolétaires, les artisans le moins favorisés par le sort, ceux qui ne connaissent guère que le labeur physique. On ne saurait oublier d'ailleurs, qu'en somme, leur constitution psy- chique est foncièrement la même que la notre et que, comme d'autres, plus même peut-être, ils sont soumis aux conséquences perturbatrices des émotions morales pénibles, de l'anxiété qui s'attache aux difficultés de la vie, àrinfluence dépressive de la mise en jeu exagérée des forces physiques, etc. ; sans parler du shock nerveux produit dans les grands accidents auxquels ils sont parti- culièrement exposés, non plus que des intoxications professionnelles dont le rAlepathogénique commence, depuis quelque temps seulement, a être convena- blement apprécié. 11 ne faut pas oublier, d'au tie part, que l'hérédité nerveuse n'est pas l'exclusif privilège des grands de la terre; elle exerce son empire sur la classe ouvrière comme partout ailleurs.

J'ai reçu ces jours-ci dans le service de la clinique un groupe de cinq cas l)ien propres à justifier les assertions que je viens d'émettre; trois d'entre eux nous occuperont aujowd'hui ; les deux autres, faute de temps, seront renvoyés à la leçon prochaine. L'un de nos sujets représentera la maladie neuraslhé* nique à l'état de pureté nosoiçraphique, c'est-à-dire régnant sans partage. Les quatre autres sont des exemples de ce que je vous proposerai d'appeler ^ Thys-

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téro-neurasthénie», combinaison fréquente dans la population ouvrière, et que vous aurez par conséquent bien souvent Toccasion d'observer dans la pratique d^hôpilal. Il est curieux de remarquer, en effet, Messieurs, comment, depuis cinq ou six ans, les cas de ce genre semblent se montrer chaque jour plus nom- breux dans les services de médecine générale. Je ne suis pas en mesure pour le moment de vous offrir à ce sujet une statistique en règle. Elle sera bien inté- ressante à relever quelque jour ; mais je puis parler d'après ce qui m'a été dit par plusieurs de mes collègues des hôpitaux, autrefois mes élèves; et cette remarque s'applique non seulement aux services hospitaliers ordinaires mais encore à celui du bureau central se présentent pour l'admission dans les hôpitaux des malades atteints des affections les plus diverses, sans sélec- tion aucune. Est-ce donc qu'il s'agirait d'une maladie nouvelle développée sous l'influence de nouvelles conditions d'existence? Je n'en crois rien, Mes- sieurs, pour ma part; la maladie date de loin je pense, et rien n'est changé à son égard ; c'est nous qui avons changé en apprenant à reconnaître ce qui pour nous, autrefois, passait inaperçu. C'est l'esprit en effet qui oit et qui voit >, et il ne voit guère sans éducation préalable; on le sait bien par l'histoire de l'ataxie locomotrice, maladie ancienne par excellence, sans aucun doute, et qui figure cependant en neuropathologie parmi les acquisitions les plus récentes à la fois et les plus envahissantes de la clinique (i).

I. Mais ce sont des questions sur lesquelles j'aurai l'occasion de revenir : j'en viens actuellement à l'examen de notre premier malade. Il offre, vous disais-je, un exemple de neurasthénie sans mélange d'élément étranger. Il est

âgé de 38 ans et se nomme Le er il exerce la profession de maçon.

Dans son métier, il n'est pas tout à fait le premier venu : c'est ce qu'on appelle un tâcheron ». Il travaille de ses mains sans doute mais il prend à sa charge des travaux qu'il répartit entre plusieurs ouvriers. Pas d'antécédents hérédi- taires. Il y avait un mois et demi qu'il était engagé dans une entreprise dont il espérait tirer des bénéfices importants pour lui, lorsque le 30 août, c'est-à- dire il y a cinq mois, en se rendant le matin à son travail, il fut mordu assez fortement à Tavant-bras droit par un gros chien de garde; l'émotion, tout d'abord, parait n'avoir pas été très vive, la plaie avait été cautérisée et bien- tôt Ton avait appris, que, conduit à Alfort le chien avait été déclaré non enragé. Malgré des douleurs assez vives qu'il ressentait dans le bras droit, notre homme prenait patience; il espérait que la morsure serait promptement

1. AU Salpétrière où, à la vérité, il y a « sélection », on a compté,soit à la policlinique soit dans les salles, pendant le cours de Tannée 1888, un total de "9 hystériques dont les yeux ont été examinés. Sur ce nombre, il y a eu 49 femmes et 30 hommes. (Compte rendu du service opbthalmosooidqae de M. le D' Parinaud, pour Tannée 1888, par Morax, externe du service de Ui clinique). Jn Archives de Neurologie, i889, p. 436.

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cicatrisée et (fu'il lui serait permis sous [)cu de reprendre ses occupations. Cependant, drs cette époque voisine de Taccident, ses nuits étaient troublées par des caiicliernars. Quinze jours se passent et voici que, coniruiremcnt à ce qu'il avait espéré, sa jdaie n'est nullement cicatrisée, les douleurs sont encore fort intenses et il s'est produit du pjnflement et des abcès. Tout espoir de pouvoir havailler manuellement devait être écarté pourlongtemps, peut-être. C'est aloi's que commencent à sévir les vives inquiétudes, les impressions pénibles.

' Le malade perd l'appétit. Il ne dort plus que d'un sommeil agité par des rêves pénibles. II vi)it en songe des eiiiens, des chats furieux qui font mine de vouloir le mordre; des échafaudages mal ajustés sur lesquels il monte et quimenaeent de s'écrouler sous lui, etc., ele.

Lui, autrefois vif, courageux, entreprenant, il se sent devenu faible, mou, triste, sans énergie; « il se laisse aller ?>. comme il dit, etn'aplus de volonté.

Il ne peut même pas penser à ses allaires sans que sa tête se trouble. Enfin, au bout d'un mois la plaie et les ahitès sont guéris, les douleurs ont cessé elil essaie de retourner à sa besogne: mais une grande faiblesse, une lassitude extrême l'obligent après quelques elforls à renoncer à tout travail.

Le voilà naturellement tout à fait désolé, d'autant plus que le propriétaire du chien qui l'a mordu refuse de lui payer l'indemnité qui lui est due ; aussi tous les symptômes nerveux qui, jusque-là, n'étaient encore ([u*esquissés, empirent-ils rapidement, s'attachant à lui étroitement et pour longtemps.

Nous les retrouvons en effet aujourd'hui, après quatre mois, tels qu'ils n'ont pas cessé d'exister depuis cette époque :

Cf'phalre toujours prés(»nte, ne s'élevant jamais au taux d'une douleur vive: elle siège sur la région frontale et à l'occiput surtout, mais s'étend parfois au crâne tout enti(»r elle donne une sensation pénible de compression et de poids, comparable à celle que produirait un casque lourd et trop étroit ; elle s'étend également à la nucjue le malade a des craijuements lorsqu'il tourne la tête à droite ou à gauche. /:(ut verfif^ineux habituel, principale- ment dans la station verticale et surtout la marche ; il lui semble que le sol s'élève par moments i)uis s'abaisse et, en marchant, il se dit obligé de regar- der ses pieds ; nffnihlissi'mrtit de lu tuthnoire ou, pour mieux dire, mémoire lente et difficile à mettre en univre : « ma tête est comme vide, dit le malade, mes idées sont confuses », d'ailleurs les moindres opérations de l'esprit sont pénibles, même la leeture, f*t hientôt suivies d'une exaspération de la cépha- lée. Il est à remarqurr qu'en général la douleur de tête s'atténue temporaire- ment ainsi (pie les autres symptômes ([ui l'accompagnent pendant la période (pii suit immédiatenuTit les repas. /fit'rs stnnhres, srulimcnf d'impuissance, ahsenrr il* vnbtnh'^ rmnfiritH r.rcrssiv*», snmmeil trnuhli] par les rêves dont noUS avons i)arlé (h\jà : tantôt il est [loursuivi par des animaux menaçants, chiens ou chats, qui veulent le mordre: tantôt il se voit poursuivant l'accomplisse-

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ment de la tâche qu'il a entreprise, mais mille obstacles imprévus se dressent devantlui ,les échafaudages s'écroulent, les échelles se brisent; le temps passe et jamais, à son grand désespoir, il n'atteindra le but tant désiré. Voilà pour les symptômes céphaliques, les symptômes spinaux ne sont pas moins accentués. Il y a un affaiblissement remarquable de la force dynamométrique : la main droite donne 45 seulement et la main gauche 55 ; le malade, cependant, n*est pas gaucher. Il se plaint d'être tout de suite fatigué lorsqu'il se tient debout ou qu'il marche; ses jambes sont très faibles, dit-il, et il y éprouve des sensa- tions singulières ; il assure qu il ne sait pas nettement posent ses pieds. Cependant, pas d'analgésie ou d'anesthésie sous une forme quelconque; pas de douleurs autres que celles que provoquent des crampes qui se produisent de temps à autres dans les cuisses et dans les mollets ; pas de troubles vésicaux. Les réflexes rotuliens sont normaux et la station debout n'est nullement aflfectée par l'occlusion des yeux. Je ne voudrais pas omettre de vous parler d'une sensation de pression,' de constriction pénible que le malade éprouve d'une façon habituelle sur toute l'étendue de la région du sacrum et qui s'exaspère remarquablement lorsqu'il s'est tenu debout quelque temps ou qu'il a fait quelques pas. J'appelle votre attention sur cette « plaque sacrée », comme je l'appelle, parce qu'elle constitue un des caractères de la neuras- thésie spinale et qu'elle peut contribuer à distinguer celle-ci des parésies ou paraplégies par lésions organiques de la moelle épinière, qu'elle pourrait simuler. La * plaque sacrée » est, en quelque sorte, le pondant de la « plaque occipitale » ou « cérébelleuse» ainsi que la désignent quelquefois les malades, l'un des éléments les plus constants de la céphalée neurasthénique. Affaiblissement des fonctions sexuelles, peu ou pas de désirs, érections faibles, imparfaites, aboutissant à des émissions séminales prématurées. Ici, chez notre sujet, contrairement à ce qui a lieu dans la majorité des cas du même genre, les troubles digestifs font à peu près complètement défaut : pas de dys- pepsie flatulente avec rougeur de la face; pas de sentiment de malaise et de brisement des membres ; pas de somnolence survenant après les repas, ce qui montre bien, soit dit en passant, que ces troubles gastriques ne sont pas né- cessaires à la constitution du syndrome neurasthénique. D'ailleurs, aucune association de symptômes hystériques ; rien qui rappelle les attaques ou leurs équivalents ; pas de troubles permanents de la sensibilité générale ou spé- ciale, pas de rétrécissement du champ visuel en particulier. Notre cas d'au- jourd'hui est donc en réalité, ainsi que nous l'avons dit en commençant, un exemple de neurasthénie cérébro-spinale pure,exempte de toute complication. Il reproduit exactement en eflfet, dans ses traits fondamentaux du moins, le tableau classique que le regretté Beard de New-York a eu le grand mérite de dégager du chaos de l'ancien « nervosisme» et qu'il a fait pénétrer dans le cadre de la clinique neuropathologique il occupe actuellement une large place légitimement conquise.

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Le complexus symptomatique en question répond assurément à une espèce morbide dont la fixité nosographique ne saurait être sérieusement contestée, puisqu'on la voit conserver son individualité dans les circonstances très va- riées où elle peut se développer. Ainsi, ce même état neurasthénique que nous avons vu s'installer chez notre homme sans culture, à la suite des événe- ments que vous savez, vous le retrouverez revêtu de ses caractères essentiels, dans les conditions bien différentes, en apparence,du surmenage intellectuel, chez les écoliers, par exemple à partir de Tâge de 15 à 16 ans, époque à laquelle Télève commence à pouvoir, par un effort de volonté, contraindre son cerveau à un excès de travail (1) ; chez les étudiants qui affrontent les concours, chez les savants, les gens de lettres au labeur acharné, chez les poli- ticiens, les hommes d'affaires qu'écrasent de lourdes responsabilités et qui vivent incessamment bourrelés d'inquiétudes.

Dans les cas qui viennent d'être cités les facteurs étiologiques appartien- nent à la catégorie des actions lentes ; mais il importe de remarquer que les causes à action brusque, telles quon les rencontre dans les grands accidents, chute d'un lieu élevé^ collisions de trains, avec ou sans traumatisme (2), en t.mt qu'elles sont de nature à provoquer ce que l'on est convenu d'appeler le shock nerveux, pourront, à courte échéance, produire les mêmes résultats. Eh bien, je le répète encore une fois, malgré ces diversités d'origine, malgré ces différences relatives au sujet, le type morbide, à part quelques modifica- tions d'ordre secondaire, reste à peu près immuable: c'est ce que nous aurons

1. M. Charcot a fait remarquer, depuis longleinps déjà, que l'écolier au-dessous de cet âge, se soustrait généralement, en restant passif, à tonte tentative de surmenage intcUecfcael. M. Galton dans ses Hecherches sur la faliuue mentale (Revue scientiflque n*. 4, 26 janvier 1889) est arrivé au même résultat.

2. M. Ctiarcot a recueilli ces jours-ci un assez bel exemple de neurasthénie cérébro-spinale sans mélange d*hystérie, survenu chez une dame américaine à la suite d'un accident de voi- ture; voici l'abrégé de celle observaliou : Madame X... habitant Washington, a été, il y a deux ans, renversée du haut d'un « mail coach ». Elle est tombée à terre sur le gazon, sans se faire grand mal : elle n'a pas perdu connaissance un seul instant et elle n'a eu d'autre blessure qu'une bosse sanguine, siégeant à la région lombaire ; la douleui' produite par cette contusion a nécessité le séjour au lit stMilement pendant quelques jours ; mais, lorsqu'il s'est agi de se lever, les symptômes de la neurasthénie cérébro-spinale étaient déjà fort accentués : céphalée neurasthénique, à savoir plaque cérébelleuse et plaque frontale. Télé vide, mémoire lente, impossibilité de flxer l'attention d'une fa(;ou un peu soutenue, vertiges. La malade ne peut fréquenter le monde; le moindre bruit, la lumière un peu vive ramènent les vertiges et exaspèrent la céphalée. Dyspepsie atonique, gonflement de l'estomac après les repas avec rou- geur de la face et sentiment de torpeur. Neurasthénie spinale marquée par un sentiment de faiblesse dans les membres inférieurs et l'existence de la « plaque sacrée »; à peine la malade peut-elle faire quelque pas sans voir s'exaspérer le sentiment pénible de pression qui occupe la région du sacrum Aucun phénomène hystérique. Sa santé, avant l'accident, était parfaite à tous égards ; pas d'antécédents nerveux personnels. On n'a pu recueillir de renseignements concernant les antécédents de famille.

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ToccasioD de relever plus d*une fois en étudiant les faits cliniques qu'il nous reste à examiner.

Que dire dp. notre malade au point de vue du pronostic ?

Certainement le cas est sérieux. Il y a cinq mois déjà que cela dure et rien ne fait prévoir encore que nous soyions près de la fin. Il est remarquable que chez les sujets rustiques des classes ouvrières, les affections nerveuses sans «substratum» organique, la neurasthénie, Thystérie par exemple, se montrent généralement, toutes choses égales d'ailleurs, plus graves et plus tenaces que chez les sujets plus délicats, plus impressionnables des classes lettrées; toute- fois, dans le cas actuel, il ne faut désespérer de rien. Sous Tinfluence du trai- tement mis en œuvre, depuis rentrée du malade à la Salpêtrière, et qui a con- sisté principalement dans Tadministration des douches et l'emploi des toniques^ il s'est produit un peu d'amélioration sur toute la ligne. Ces résultats sont encourageants; mais nous sommes encore bien loin du but qu'il nous faudrait atteindre pour que notre pauvre « tâcheron > pût aller reprendre ses travaux.

II. Lesecondcasdugroupeest relatif à un nommé Greff..., âgé de 31 ans, exerçant la profession de boulanger; c'est un homme d'apparence vigoureuse. Il gagne environ 7 francs par jour. Il a été soldat et a fait la campagne de Tunisie il a été blessé. Peut-être y a-t-il eu autrefois, chez lui un peu d'abus alcooliques ; mais ce vice n'existe plus depuis longtemps.

Contrairement à ce qui avait lieu chez le malade précédent, l'hérédité ner- veuse ne fait pas défaut chez celui-ci :

COTÉ PATERNEL COTÉ MATERNEL

TANTE AUTRE TANTK PfchE MÈRE TANTE

Aliénée ; dipso- Dipsomane. Aucune maladie Aucune maladie Aliénée mélan-

maDe;s*est suicidée nerveuse. nerveuse. colique.

en se jetant par la fenêtre.

*-— —""^■"^^^•.-^ --^-—^ •■«.

Le FRÈRE du malade est sujet à des attaques qualifiées d'hystériques ; il avait, jusqu'à l'âge do 14 ans, été sujet à de violentes colères .

On voit que le tableau d'hérédité nerveuse est ici passablement chargé. Lui n'avait jamais été malade, lorsqu'il fut atteint, en novembre 1887, d'une pleu- résie gauche qui nécessita trois ponctions.

Il est sorti de pas mal affaibli ; cependant il avait pu depuis plusieurs mois, reprendre son travail, et tout allait bien, lorsqu'il lui vint à l'idée, le

262

16 octobre 1888. c'est-à-dire il y a quatre mois, d'aller avec des amis, faire sur la Marne, aux oiiviroiis de Meuux, une pai lie de pèche «à Tépérvier ». L'épervier est, vous le savez peut-être, un grand filet on forme d'entonnoir dont Torifice très large est garni de balles de plomb. C'est, on le conçoit, un engin fort lourd, fort diffieileà manier ; le pôcheur le porte replié sur son épaulegaucho et il doit l(î lancer à l'eau de la main droite en le déployant en éventail. Or, au moment où, plaeé à roxtrémité du bateau, Greff... se préparait à exécuter le programme, il fut, en conséquence d'une fausse manœuvre, jeté à l'eau. Por- tant toujours son lourd fardeau, et le menjbre inférieur embarrassé dans la longue corde qui sert à tirer le lilet de l'eau, il était tcravement menacé de se noyer, bien ([u'il soit bon nageur, lorsqu'fufin, après quelques minutes d'angoisses, il fut repêché et ramené sur le bateau. A ce moment-lî\, il perdit connaiss mce et lorsqu'il reprit ses sens, il se trouva couché à Meaux chez un ami. Il s'était passé environ trois quarts d'iieures, il resta là, au lit, pendant une huitaine de jour's, et durant cette période, une conjonctivite <le l'œil gauche et une certaine douleur siégeant à la face interne de la cuisse du même côté ont été les seuls symi)tMmes dont il ait soulï'ert.

Au bout de ce temps, il a repris son travail, mais trois jours à peine s'étaient [lassés lorsque la conjonctivite gauche qui s'était amendée reprit comme de plus belle et en même temps la paupière de ce même crttése ferma: le malade ne pouvait plus l'ouvrir sans l'aide d'un de ses doigts et il remarqua qu'elle était animée de mouvements vibratoires. Il s'agissait donc d'un blépharospasme. Peu après, la bouche s'était fortenn^nt déviée vers la droite, et lorscjue la langue était tirée, elle se portait de ce même côté droit (spasme glosso-labié). Kniin, ilix-sept jours environ après l'accident, se manifesta une parésie du membre supérieur gauche ainsi qu'une faiblesse avec crampes douloureuses du imMubre inlV'riiîur correspondant. Tels furent les premiers accidents nerveux qui ouvrirent la scène. Ouel(|ues jours plus tard, le tabloau clinique était constaté t«'l (pje nous pouvons l'étudier aujounriiui, trois mois environ après b; d«'but de la périod»; d'état.

Ainsi que nous l'avons annoncé, les symptômes observés chez notre malade piMivcnt êtrt* ramenés, les uns à lliyslérie, l(»s autres à laneurastliénie.

Nous comnieni:er»)ns par les premifTs c'est-à-dire par les .s7/m;>^///^•.v r**!»*' vtinl de r h 1/ s h' rit'.

Leblépliarosjiasnie et le spasme glosso-labii* de la période préparatoire ont aetui.dlement com[)lèt(iment disi)arn ; Il n'existe plus aucune anomalie du côté de la fa<e. Par eonlre, rhéinjpb'gie trauehe s'i'st acentu^'e au membre supé- rimir elle était rj'sîée fort ini:omj)Ièle : la pres-^ion dynamométrique de la mainuMurlie doimeen eir*t '1\, Le mala»le se plaint plutôt de douleurs que de faiblesses dans >on membre inlericur gan<he. Kn le tléplaçant i»our marcher, il ne le traine pasaprè»; lui comme cela a lieu si hahiluellenient dans rhénii- |)légie hystérique, il le porle au contraire tout d'une pièce en avant et en

dehors, de façon à éviter autant que possible le tiraillement des parties molles de la face interne de la cuisse existe une large plaque d'hyperes- tbésie cutanée et profonde (Voir le schéma). Au niveau de celte plaque, une

eig. 55. - a. AneathSslo.

b. Hyperesthésie.

pression exercée sur la partie inférieure des muscles demi-membraneux, de-mitendineux, couturier et droit interne est douloureuse. Vous remarquerez que cette plaque hypéresthésique parait répondre à la partie du membre qui a été. pendant la submersion, comprimée par la corde de l'épervicr.

Bémianesthésie gauche sensitive absolue, interrompue seulement sur la face antérieure et interne de la cuisse, sur la face interne et antérieure de la jambe, sur toute l'étendue du pied.

Sur ces deux dernières régions, la sensibilité est normale; sur la première, il y a, comme on l'a dit, liyperosthésie cutani-e et profonde. En arrière, une

E^amcD du £i janvier 1$89. Fit,'. fiT. Cbamp visuel di; l'œil R-niicbc. Celui àc. l'œil droil e*t normal.

plaque hyperoïifhésiquc occupe la partie inférieure de la cuisse gauche, ao- dessus du creux du jarret. UoAt aboli sur toute l'étendue de lu langue ; odorat aboli & gauche. Un

205

examen du champ visuel pratiqué le 8 janvier 1889 fait reconnaître Texistence d*une amaurose complète sans lésion organique à gauche, le champ visuel du côté droit étant normal. Quatorze jours après, un second examen donne ce qui suit : rétrécissement très prononcé à gauche ; à droite, champ visuel normal. Dyschromatopsie complète à gauche etpolyopie monoculaire.

Ni attariuos ni é<iuivalents d'attaques. Il n'existe pas de points hystérogènes.

Les rêves' dont le malade est tourmenté la nuit pendant son someil méri- tent une mention spéciale. H assiste à des scènes funèbres, un corbillard passe devant lui ; il porte en terre une de ses tantes qu'il a vu mourir. D'autres fois, ce sont des animaux étranges qui marchent en séries. Interrogé h rimproviste sur la question de savoir si les images qui passent devant ses yeux afïeclent de procéder toujours dans la môme direction, il a répondu sans hésiter : « Oui : le corbillard et les animaux viennent toujours du côté gauche, se dirigeant de gauche à droite. > Or, le côté gauche est celui siègent l'anesthésie cutanée ainsi que le rétrécissement du champ visuel. Nous aurons l'occasion de revenir bientôt sur cette circonstance et de la mettre en valeur.

Symptômes relevant de Vétat neurasthénique, Ils sont tout aussi accentués que les précédents et ont, en quelque sorte, procédé du môme pas. Cependant la céphalée remonte peut-être aux premiers jours qui ont suivi Taccident, seulement elle s'est fort aggravée par la suite. Elle se présente d'ailleurs avec les caractères classiques que vous lui connaissez et consiste surtout en un sentiment de compression s'exerçant à la fois sur l'occiput et sur la région frontale ; elle est constante, permanente, et s'exaspère sous l'influence des moindres efforts que fait le malade pour mettre son intelligence en jeu. Grande torpeur cérébrale : sa mémoire s'est affaiblie, surtout pour les choses récentes, mais, même pour se souvenir des choses anciennes, il est obligé de faire un grand effort ; manque de courage absolu ; idées tristes, impos- sibilité de concentrer ses idées. Il se sent toujours fatigué, il se couche tou- jours vers 8 heures du soir et se lève très tard. Tandis que la main gauche paralysée donne au dynamomètre 21 la droite donne 55. Dyspepsie flatulenle.

11 est intéressant dans ce cas de voir un homme vigoureux, mais à la vérité prédisposé par hérédité aux affections nerveuses, et, en outre, affaibli par une maladie antérieure, devenir, quelques jours après un accident qui l'a, on le conçoit, profondément ébranlé, à la fois neurasthénique et hystérique.

ni. Le dernier malade que nous examineronsaujourd'hui est un homme ûgé de 48 ans, nommé Laf...cque, exerçant depuis l'âge de 17 ans la profession de plombier. Il est en Bretagne et jamais il n'aajïprisà lire.

Pas d'antécédents héréditaires à noter, bien que ses i)arentslui soient connus.

Il a servi conime soldat au Mexique, puis en Algérie ; en 1870 il a été blessé àGravelotte. .

.- 26fi -

De dix-huit à quarante-cinq ans il a eu cinq fois des coliques de plomb.

Depuis trois ans il n*a éprouvé aucun accident de ce genre. Pas de liseré saturnin.

Kn ISSi il aurait ru des vomissements noirs et aurait été traité pendant quchpics mois p(»ur un « ulcère de Tcstomac».

La maladio acliiellc a drbiité il y a deux mois sans cause occasionnelle appréciabli».

ilicn n'avait iHn changé dans l'existence de Laf...cque. II n'est pas marié ; il gai;ne sept iVanes par jour et se nourrit bien ; il n'a i»as eu, dans ces derniers teni|>s, de chagrins, d'émotions ; il n'a [las fait la noce, et il n'a été victime d'aucun accident. H paraît d'ailienrs qu'il est plutôt impassible, apathique si vous voulez, et il ne sjiit jias trop ce qui pourrait l'cmouvoir.

Kn un mol, à ])arl l'intoxication saturnine passée, dont il ne porte actuelle- ment aucnnc tra<;e, nous ne trouvons rien dans son histoire qu'on puisse invoquer pour expliquer l'apparition des symptômes que nous allons étudier.

Le début s'est opéré progiessivt*ment, d'une façon fort singulièi*e et bien propre, dans les [irmiiei-s tenif»?:, à dépister le clinicien eu lui faisant redouter le développemrnl d'une lésion organicpie cérébrale :

C'était <'i la fin de novembre dernier. Pendant la mutinée Laf...cque était obsédé par la visiiui d'une lumière de la grosseur du poing ( ?) dit-il, qui se plaçait devant TomI gaucho. Il avait de la diplopie; les barreaux de son échelle lui parniss;iii*nt doubles, fitait-ce déjà la diplopie mouuculaire qu'il présente actuellenujut? L'après-midi, la vision des lumières disparaissait, mais alors survenait un nuage noir qui se jdaçait devant l'œil gauche. C'est de cette r'poque que date la céphalée dont il se plaint continuellement. Les troubles oculairt's ont diminué ou du moins la gène qu'ils produisaient a disparu au bout d'une huitaine. Mais alors des troubles du côté de la lan^rue se sont manifrslé-;.

Il y avait une certaine dilliculté à articuler les mots : en même temps le malade s'aperçoit (ju'il a perdu le goût. Les alimi'nts ne? sentent plus rien ; il lui semble qu'il mange de la terre. »

Les troubles tU' l'arliculation ont disparu au bout d'une huitaine, mais de cette épotjue dnle une grande dilliculté ([u'il a de tirer la lîingue en dehoi*s de la bruiche, (lil'li«ullé (pii existe encore actuellement. H parait que cet organe n'a pas été dévié soit à droite soit à gauche.

Au commencenicnt tle décembre, L commence à éprouver un certain

degré de fail»les-tî d;ins le membre supérieur gauche ; la main de ce côté ne pouvait i»lus li'iiir 1rs (Hilils ; en niéun' temps, il y avait par instants des four- millements dans <•!• mtMnbre : un jour, il s'est aperçu qu'il était insensible, en voy.'int sa main couverte du sang d'une bh-ssure qu'il s'était faite à un clou sîui^ eu rien Sf.iitir.

Quelques jours a]U'ès, la faiblesse s'est étendue au membre inférieur gauche

qui bientAt ne le porte qu'avec difficulté. L'hémiplOgîe a été proffressive, comme on voit ; elle a mis six semaines environ à se développer. Le malade entre à la Salpêtrièrc te 19 décembre iS88, deux mois (

après le début des accidents. Voici l'indication des pi'inci|)aux faits relatifs & l'étal actuel : hémiplégie gauche hystérique avec flaccidité typique ; aucune participation de la face, le membre supérieur gauche pend inerte ; la main de ce Gâté donne & peine 3 oui kilug. au dynamomètre; insensibilité siiperncieile et profonde de ce membre, perte des notions du sens musculaire. Même par- ticolarité pour le membre inférieur, en ce qui concerne l'insensibilité.

268

Le malade peut se tenir debout et marcher, mais il traine après lui, en marchant, son pied sur le soàl lu manière d'un corps inei-tc (signe de Todd) ; rétlexû rotulien très faible de ce cûté, normal à droite.

llêmianeslliésie gauche totale (douleur, température, contact). Hémianes- Ihésic sensorielle. Ouïe : surdité complète (i gauche (î) ; odorat afïaibli â t;auche, goût aboli des deux cfttés ; rétrécissement du champ visuel

Fig. 60, Cliamp visuel ili' IVi^il gauche.

beaucoup plus marqué à gauche ; dyschroniatopsie pour le violet ; anesthêsie delaconu-e etdiplopie monoculaire à souche. Il ouvre facilement la bouche ; mais il tire très diflicilement eliniumplétenicnt la langue qui paraft contrac- turée; celle-ci nVst dévié»' nia droite ni à gauche, mais la pointe dépasse les arcades dentaires ft peine de uu centimètre et demi, La déglutition, de ce fait, est aussi un peu gênée.

[>as de points hyslérogènes : anesthêsie tci^ticulaire gauche laiulis qu'à droite la sensibilité de cet organe est normale.

Di'puis le début de la maladie actuelle, U: sommeil est fort écourté ; il dure à peine trois ou qualre heures par nuit et il est entrecoupé de rêves et de cauchemars.

Les rêves sont surtout professionnels ; il se voit sur un toit occupé à placer des corniches et di-s Konltières et parfois, croyant tomber, il se réveille en sursaut ou bien il croit travailler dans un puits et illuisumbb tomber au fond.

il rêve aussi fort souvent d'uuimaux : il voit surtout des couleuvres, des cra-

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pauds ; ces animaux lui paraissent avoir leur couleur et leur grosseur natu- relle. Quelquefois, il les voit encore un instant après être réveillé. Il affirme que ces images, soit pendant le sommeil, soit après le réveil, sont toujours placées, par rapport à lui, du côté gauche, et qu'elles se meuvent de gauche à droite, reproduisant ainsi le phénomène que nous avons signalé à propos de la précédente observation.

11 n'y a pas à proprement parler d'attaques, mais bien des équivalents d'at- taques : la nuit, dans son sommeil, souvent il étouffe, c'est comme un poids qu'il aurait sur le ventre et qui remonterait vers le creux épigastrique. Pen- dant le jour, il a, par moments, une sensation de boule remontant de la fosse iliaque gauche vers le creux épigastrique.

Les phénomènes neurasthéniques se sont manifestés dès l'origine et ont marché parallèlement aux symptômes hystériques : céphalée spéciale ; craquement dans le cou ; confusion des idées ; mémoire affaiblie ; abattement, découragement ; la physionomie exprime la prostration.

Rien n'est plus frappant que l'aspect et l'allure de cet homme. Il parait, passez-moi le terme, « complètement ahuri et abruti» ; le dynamomètre donne de 58 à 60 k. seulement.

Nous aurons l'occasion de revenir sur les cas qui viennent d'être exposés, dans la prochaine leçon.

IMI'. MI/FTIB, «, RUK CAM^AG^E-rU^:^H^UK, pakis.

Policlinique du Mardi 5 Février 1889

TREIZIÈME LEÇON

1®^ Malade. Encore une dormeuse. Réveil produit par la compression exercée sur la région ovarienne.

Malade. Contracture hystéro-traumatique chez une tabétique.

et Malades. Deux cas d'hystéro-neurasthénie chaz rhomme faisant suite aux cas et de la précédente leçon. A ce propos considérations générales sur rhystéro-neurasthénie développée chez les individus de la classe ouvrière.

1" Malade

Une jeune fillc paraissant plongée dans un profond sommeil est amenée dans la salle du cours sur un brancard,

Messieurs^

Je vous ai présenté dans lu leçon du 13 novembre dernier, vous ne Tavez peut-être pas oublié, la nommée Hel...n, bien connue dans Thospice comme « dormeuse » et qui offrait, justement au moment je vous l'ai montrée, un bel exemple d'attaque de sommeil hystérique. Je viens de faire placer sous vos yeux un nouvel exemple du genre. Notre malade d'aujourd'hui est beaucoup plus jeune que ne l'était l'autre ; elle a 16 ans à peine et c'est pour la seconde fois seulement qu'elle dort. Le sujet du mois de novembre est au contraire âgée de 53 ans, et elle est fort coutumière du fait de « dormir » car depuistreizeans,ellen'aguèremanquéd'étre atteinte au moins une fois chaque

37

année, de son allaquede sommeil. A pari ces circonstances, les deux cas sont vous alli'z le reconnaitre, parfailoment assimilables, supcrposables même si vous l'aimez mieux ; aussi, dans rcxposéqui va suivre trouverons-nous l'occa- sion de relever une fois de plus, que le déterminisme règne dans les choses del'hystérie comme parlnutailieurs en patholof^ie.

Je vous dirai tout d'abord quelques mois concernant les antécédants de notre jeune « dormeuse ». La famille de son père n'est pas connue ; son père est morl « de la poitrine ». Sa m<^re n'a jamais ùlé malade mais il y a eu un oncle maternel, exerçant la profession de marchand de vins qui était « épilep- tique », sa sœur iictuellemcnt bien portante a été atteinte de chorée vul- gaire â IMge de 11) ans. L'élément nêvropathique, vous le voyez, ne fait pas défaut dans la famille.

Chez notre malade les premiers accidents nerveux de quelque importancese sont montrés il y a environ trois mois. Elle avait grandi considérablement dans l'espace de quelques muis cl s'était énormément amaigrie ; les règles en même temps étaient devenues fort irrégulières. Vers le milieu de novembre dernier surviennent des vomissements trt's souvent répétés et se montrant, tantôt spontanément, c'cst-à-dirc sans causes appréciables, tantôt à l'occasion

n8.6t.

des tentatives d'alimentation. Dans ce dernier cas, ils se manifestent presqw aussitdtaprèsl'ingestion des aliments. Il semble que l'arrivée de ceux-cidant l'estomac provoque immédiatement un réflexe qui aboutit à une régurgitation alimentaire; et il esta remarquer, carc'estl& un caractère clinique important que cette régurgitation se fait sans nausées, sans douleurs, & peu près Mns

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malaises. Pendant les deux mois environ que ces vomissements ont été observés dans le service de la clinique (du 15 décembre au 17 janvier) on a plusieurs fois trouvé de Turée dans les matières vomies et l'on a noté que la quantité d'urine rendue en vingt-quatre heures restait généralement au dessus de 500 grammes.

A partir du 17 janvier, les vomissements diminuent de fréquence et d'inten- sité : la malade mange avec un certain appétit, mais par contre on voit ap- paraître une série d'attaques hystéro-épilep tiques parfaitement caractérisées qui semblent en tenir la place. La recherche des stigmates avait déjà fait reconnaître d'ailleurs l'existence d'une hémianalgésie sensitive et sensorielle gauche, avec rétrécissement double du champ visuel à 50 et ovarie à gau- che.

Le 23 janvier, dans la matinée, survient la première attaque de sommeil ; le réveil a eu lieu le 25 au soir, c'est-à-dire presque trois jours après. Il a été marqué par le développement d'une attaque classique de grandef hystérie. Une pesée faite le 23 même, précisément quelques instant avant que la malade ne s'endormit avait donné 37 k. 700; une autre pesée faite après le réveil a donné 36 k.650; différence : 650 grammes, ce qui donne en moyenne une diminution de poids du corps de 220 grammes par jour. Pendant ces trois jours la température rectale moyenne a été de 37,4.

Antérieurement, durant la période des vomissements incoercibles les pesées avaient donné les résultats suivants: le 17 décembre 1888, 41 k. 200,1e 30 dé- cembre 38.100, le 17 janvier 1889, 36,550. On sait qu'à partir de cette der- nière date les vomissements sont devenus moins intenses et plus rares, en même temps que la malade a commencé à manger avec appétit ; cela expli- que le chiflre 37,700 observé le 23 janvier jour commença l'attaque de sommeil.

Les jours qui suivent l'attaque, la malade ne vomit presque plus et elle con- tinue à bien manger ; le 31 janvier son poids avait atteint le chiffre de 38 kilos.

C'est ce jour même, le matin à 9 heures, c'est-à-dire il y a juste cinq jours que s'estdéclarée la seconde attaque, celle dont j'ai tenu à vous ren- dre témoins aujourd'hui. J'aurais pu naturellement, dès le début de la crise, craindre à chaque instant de voir la malade se réveiller, et de me trouver par privé du plaisir de vous démontrer sur nature les détails d'un cas assez rare en somme et toujours intéressant, si je n'avais été rassuré par la circons- tance que voici : MM. Gilles de la Tourette et Cathelinau ont démontré, vous ne l'ignorez pas, par l'étude de six cas de sommeil hystérique que, pendant la durée de l'attaque, le poids du corps diminue rapidement, en même temps que Ton constate par l'analyse des urines une constante diminution qualita- tive et quantitative de tous les éléments : volume, urée, phosphates, etc. Mais ces observateurs ont établi en outre que régulièrement, deux ou trois jours avant

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le réveil, on voit le volume de Turine, le poids de l'urée, le chiffre des phos- phastes se relever progressivement et aller toujours en augmentant ; dételle sorte que Ton peut, en tenant compte de ces données, prévoir jusqu'à un cer- tain point, quelques jours à l'avance, Tépoque à laquelle le malade se réveil- lera. Or, chez notre dormeuse, une analyse faite le 3 ayant montré que ce relèvement prémonitoire du volume de l'urine et du taux de l'urée ne s'était pas encore prononcé^ nous pouvons compter, que si on laisse aller les choses, le réveil se fera attendre quelques jours encore.

Donc, le 31 janvier vers 9 heures du matin, la malade se sent indisposée, inquiète, elle s'était levée de bonne heure ; elle se remet au lit et, à peine cou- chée, elle s'endort du sommeil pathologique, avec frémissement vibratoire des paupières, cette fois sans crise convulsive préalable. On note que toutes les ving^ minutes environ la malade ouvre les yeux tout grands, s'assied sur son séant et fait, en fléchissant son tronc en avant, trois mouvements de salutation pro- fonde, après quoi elle s'endort de nouveau. La température est à 37,8 au rectum.

Le lendemain 1®' février. L'état est le même absolument : apparence d'un sommeil profond, avec résolution complète des membres, trépidation des paupières, etc. Il y a trois grandes salutations environ tous les quarts d'heure. Température rectale, le matin 37,8, le soir 37,6.

Le 2 février. Trois fois dans la journée, elle ouvre les yeux, se dresse tout à coup sur son lit et fait mine d'en sortir ; mais à peine Ta-t-on saisie pour la contenir, qu'elle retombe et s'endort.

Les grandes salutations continuent d'ailleurs comme les jours précédents au nombre de trois, environ, toutes les vingt minutes. 11 y a un peu de raideur dans le membre inférieur gauche ;toutes les autres parties du corps sont molles dans la résolution absolue. Cependant il y a un peu de trismus ; mais on peut le vaincre assez facilement. De fait Talimentation est facile. La malades pu avaler aujourd'hui un peu de viande hachée, des haricots verls, du lait. Les jours précédents elle avait pris 2 litres de lait dans les vingt-quatre heures.

3 février. Rien de changé dans la situation ; quatre fois elle se lève tout à coup et fait effort pour sortir du lit; vingt-sept grandes salutations, par groupes de trois, en neuf fois

4 février. Mêmes salutations ; mêmes efforts de temps à autre pour sortir du lit.

Aujourd'hui 5 février les choses sont exactement, vous allez le reconnaître, ce qu'elles étaient les jours passés. La température est à 37,5. Même appa- rence d'un profond sommeil , sans ronflement toutefois. Bien que tous les membres soient en résolution parfaite, les vibrations rapides qui se font aux paupières montrent bien que ce n'est pas d'un sommeil naturel qu'il s'agit ici. D'ailleurs voici venir un événement bien significatif : Vous le voyez, la malade ouvre les yeux ; elle se dresse sur son séant et la voilà qui, sans

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reprendre ses sens, exécute devant nous à trois reprises un profond salut. Puis elle retombe sur son lit et rentre dans le sommeil. 11 est vraisemblable que les salutations vont recommencer tout à Tbeure, dans un quart d'heure envi- ron et chose bien remarquable on peut prévoir qu'elles se reproduiront cette fois encore comme par le passé, au nombre de trois. Nous retrouvons donc cette tendance au rhythme et à la cadence, qu'affectent souvent, ainsi que j'ai eu maintes fois l'occasion de le signaler, les accidents hystériques convulsifs. Vous reconnaîtrez d'ailleurs dans ces grands mouvements de salutations un des épisodes les plus vulgaires de la seconde phase de la grande attaque hystéro- épileptique ; tandis que, d'un autre côté, les tentatives que fait parfois lamalade pour sortir de son lit et s'enfuir, en prononçant des paroles dont on ne peut pas toujours saisir le sens, reproduisent le tableau des attitudes passionnelles ; et ces diverses circonstances si bien dessinées chez notre sujet, sont de nature à justifier l'opinion que je soutiens à propos du sommeil hystérique, à savoir : qu'il n'y faut pas voir autre chose qu'une grande attaque, ou mieux qu'une série de grandes attaques modifiées dans leur forme extérieure.

Les intéressantes recherches de MM. Gilles de laTourette et Cathelineau, sont venues d'ailleurs donner à cette hypothèse un solide appui en montrant que, en ce qui concerne la perte de poids du corps, la diminution du volume de l'urine et l'abaissement du taux de l'urée, l'attaque de sommeil re- produit en tous points ce qui a lieu dans les séries d'attaques hystéro-épilepti- ques (1).

Mais c'en est assez sur ce point. Je voudrais vous montrer maintenant que notre « dormeuse », comme toutes ses pareilles, restera insensible à tous les moyens vulgaires d'excitation, même les plus puissants, que nous voudrions mettre en œuvre et qui ne manqueraient certes pas de produire le réveil s'il s'agissait d'un sommeil naturel quelque profond qu'il fût. Ainsi j'ouvre, non sans éprouver une certaine résistance, les paupières de la malade et je main- tiens un instant ses yeux exposés au grand jour ; elles se referment aussitôt, convulsivement^ et les vibrations palpébrales recommencent. Je la prends par l'un des poignets et je lasecoue tout entière, violemment, à deux ou trois reprises: elle ne sourcille pas. La faradisation, vous le voyez, reste également sans effet ; on fait résonner le tam-tam tout près de son oreille. Il se produit en consé- quence une certaine accélération dans les mouvements de palpitation des paupières et c'est tout; toujours pas de réveil.

Nous savons que notre malade est ovarienne gauche, c'est dire, en d'autres termes qu'elle souffre d'une ovarie ou ovaralgie du côté gauche, comme vous voudrez rappeler ; c'est, du reste, la seule partie hyperesthésiée que nous ayions constatée chez elle. Nous nous proposons de rechercher séance tenante quel

1. Voir le Progrès médical ^ no du 4 mal 1889 et suivants.

27fi

sera reflet, par rapport au sommeil, d*une pression exercée sur ce point dou- loureux. Vous n'ignorez pas que chez les hystériques dites ovariennes, pen- dant révolution de l'attaque convulsive, une compression un peu forte agissant sur la région siège Tovarie a souvent pour effet de couper court à tous les accidents, alors même qu'ils se montrent doués d'un haut degré d'intensité et quelle que soit d'ailleurs la phase de l'attaque qui est en jeu. Si, par l'applica- tion de ce procédé, nous parvenons chez notre malade à produire le réveil, ce sera une analogie de plus k relever entre l'attaque de sommeil et l'attaque convulsive. D'ailleurs je ne suis pas fâché de saisir l'occasion de vous rendre témoins, une fois de plus, d'une manœuvre fort simple et qui est appelée peut être à vous rendre dans la pratique quelques bons offices.

M. Gharcot s'approche du lit est couchée la malade ; il applique sur le flanc gauche de celle-ci, mis à nu, un peu au-dessus du pli de l'aine, l'extré- mité des quatre doigts étendus de sa main droite qu'il dirige vers le petit bassin, en exerçant une compression progressivement croissante delà paroi abdominale. Bientôt la malade pousse un cri perçant, ouvre les yeux, et aussitôt commence une attaque convulsive : ce sont d'abord plusieurs grands mouvements de salutation semblables k ceux qui se montraient tout à l'heure spontanément pendant la durée du sommeil, puis se produit l'altitude en arc de cercle à deux ou trois reprises.

M. Gharcot qui n'a pas cessé pendant ce temps de maintenir la main sur la région ovarienne gauche, s' adressant à l'auditoire:

Ge n'est pas là, messieurs, tout à fait, ce que je voulais produire. Mais vous n'ignorez pas que, si une compression ovarienne énergique détermine l'arrêt des attaques, une pression moins forte peut avoir pour eff*et au contraire d'en provoquer le développement. C'est vous le voyez le dernier cas qui s'est pro- duit ici. Si nous voulons maintenant mettre fin A l'attaque convulsive que nous avons ainsi provoquée, il nous faut insister sur la compression et la rendre plus énergique. Cette fois j'y mets toute ma force, aussi le résultat désiré est-il bientôt obtenu : les grands mouvements ont cessé complètement. La malade se dresse sur son séant et jette un regard étonné autour d'elle.

La malade : Oii suis-je, qu'est-ce qu'il y a ?

M. Gharcot, à la malade : Eh bien vous êtes dans la salle du cours; vous en avez entendu parler ? Vous avez dormi. Quel jour sommes-nous?

La malade, avec un air de conviction : Eh bien, jeudi I

M. CuARCOT, aux auditeurs : Jeudi est justement le jour elle s'est endor- mie; la voilà donc en retard de cinq iourf^, {S'adressant à la malade.) Qu'est-ce que vous avez rêvé ?

La malade : Rien, je ne me rappelle rien.

M. Gharcot : Allons ! je la crois bien éveillée maintenant. Peut-être pour- rons-nous essayer de cesser la compression ovarienne sans crainte de voir re-

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paraître soit le sommeil, soit les crises convulsives. Vous le voyez, c'est ainsi que vont les choses, j'ai cessé toute compression et la malade reste parfaitement éveillée. On peut la ramener maintenant dans la salle ; la crise est terminée, pour l'instant du moins, car je ne prétends pas que ce réveil sera définiti/. Gela peut être, mais cela n'est pas certein (1).

Malade.

Le cas dont nous allons nous occuper en second lieu est relatif à une femme de 40 ans qui, à la suite d'une chute sur le genou gauche, a été prise dans le membre correspondant d'une contracture spasmodique portant à la fois sur les extenseurs et sur les fléchisseurs de la jambe et de la cuisse. La chute a été la conséquence d'un dérobement des membres inférieurs déterminé lui- même par laction d'une douleur vive et soudaine ressentie dans l'un des genoux. La malade est coutumière du reste de ces douleurs brusques et vio- lentes et, à plusieurs reprises déjà, elle a été menacée, sans chute toutefois jusqu'ici, de TefTondrement de ses membres inférieurs.

Nous rechercherons tout d'abord ce que sont ces douleurs que la malade connaît depuis longtemps pour les avoir maintes et maintes fois éprouvées.

M. Charcot, à la malade. Quand avez- vous ressenti pour la première fois vos douleurs dans les jambes?

La malade. Monsieur, il y a à peu près trois ans.

M. CuARCOT. Dites-moi, je vous prie, vous les ressentez le plus sou- vent.

La Malade. Au voisinage du genou, tantôt dans la jambe droite, tantôt dans la gauche ; je les sens aussi aux chevilles, aux cuisses...

M. Charcot. Vous viennent-elles souvent ?

1. Voir à ce propos ; Charcot. De Vhyféreslhésie de l'ovaire dans certaines formes de Vhys^ Urie. Leçons faites à la Salpôtrière en 1872. Mouvement médical 1872 n<> 3 et 4 et the Laneet 1872. Leçons sur les maladies du système nerveux, t. I p. 320 La douleur iliaque dUe ovarienne des hystériques a réellement son sitge dans l'ovaire^ observations de M. Cbaroot développées dans une note communiquée à la société de Biologie (décembre 1881 par M. Feré.

278

La malade. Très souvent maintenant. Mais quelquefois je suis cinq ou six jours sans les ressentir.

M. GnARCOT. Dites-moi à quoi elles ressemblent ; si elles sont bien vives; si elles vous empêchent de dormir ?

La MALADE. Elles ressemblent à des coups de couteau qu*on me donnerait rapidement ; d'autres fois, on dirait qu'on me ronge les os ; quelquefois, quand je les ai la nuit, je ne puis pas dormir, elles me font crier. Souvent la peau devient extrêmement sensible au moindre toucher sur le point jeles ressens; là, on dirait que la peau est à vif.

M. GnARCOT. Voilà qui rappelle la description classique des douleurs ful- gurantes tabétiques. Procédons, et voyons si cette première impression se trouve justiliée par le concours d'autres circonstances. [A ta malade) Avez- vous quelquefois de semblables douleurs dans les mains, dans les bras ?

La MALADE. Oui monsieur, fort souvent au bout de ces doigts-là qui sont engourdis. (Elle désigne, en disant cela, les deux derniers doigts de chacune des mains.)

M. Gharcot. Vous voyez qu'il s'agit du domaine cubital ; c'est vous le savez, un siège presque classique des douleurs fulgurantes dans le tabès. (A la malade) Est-ce que vos jambes fléchissent quelquefois quand vous avez vos douleurs?

La MALADE. Oui, quand les élancements sont forts dans les genoux et qu'ils me surprennent je suis menacée de tomber; mais quelquefois aussi mes jambes fléchissent sans douleurs. J'ai aussi parfois de grands élancements très vifs dans le côté de la tète et de la face à gauche, à la nuque.

M. Gharcot. Voilà qui est assez significatif. D'autres renseignements que je puise dans Tobservation détaillée que j'ai entre les mains viennent d'ailleurs déposer encore en faveur de l'idée que c'est bien le tabès ataxique qui est en jeu chez notre malade. En effet, il y est dit qu'il y a 3 ans, il a existé pen- dant 10 mois une diplopie par paralysie des droits externes pour laquelle elle a été traitée aux Quinze-Vingts. Aujourd'hui, si le signe d'Argyll Roberston fait défaut, il existe par contre encore de la diplopie homonyme due à une paralysie incomplète de la 6* paire à droite. Enfin depuis six mois environ sont survenus des troubles de la miction consistant en ce que la malade est obligée parfois de faire effort pour expulser les urines. A la vérité^ sur le membre inférieur droit, non contracture, le seul qu'on ne puisse en ce moment explorer à ce point de vue, on constate par la percussion du tendon rotulien que le réflexe, non seulement n'est pas absent, mais encore est plutôt exagéré. Mais Ton sait que dans le tabès, même le plus légitime, la persistance du réflexe rotulien n'est pas, tant s'en faut, chose rarissime.

Notre malade est donc, à n'en pas douter, une tabétique. Il convient de déter- miner maintenant quelle est la signiflcation de cette contracture spasmodique qui,chez elle, s'est produite à la suite d'une chute provoquée par l'effondrement

- 279 --

tabétique des membres inférieurs. Mais il importe pour en venir à ce point, de bien établir au préalable les caractères cliniques de cette contracture et de préciser les circonstances dans lesquelles elle s'est produite.

C'était un matin vers 8 heures, il y a de cela trois semaines ; la malade descendait son escalier lorsqu'elle ressentit tout à coup dans les genoux, sur- tout dans le gauche, de très vives douleurs fulgurantes ; aussitôt elle pousse un cri, ses jambes se dérobent et elle tombe sur les genoux, le gauche portant sur une marche. Elle peut se relever aussitôt et reconnaître que ce genou ne présentait ni plaie, ni éraillures, ni ecchymoses. Il n'était pas douloureux; il était à peine un peu engourdi ainsi que, dans toute son étendue, le membre correspondant. Seulement les douleurs fulgurantes y reparaissaient de temps à autre. D'ailleurs,la malade put, ce jour-là, remonter son escalier sans trop de gène et le redescendre plusieurs fois. La rigidité a commencé à paraître seule- ment vers le soir et elle s'est installée progressivement ; assez vite cependant pour que, dans la nuit, elle ait acquis son plus haut degré de développement et se soit montrée telle que, après trois mois, nous la retrouvons au- jourd'hui.

Yoici maintenant la description du membre contracture. La rigidité est aussi prononcée que possible dans le genou ; l'extension y est portée au plus haut degré, et, pour ce qui est de la flexion, elle est impossible à produire môme lorsqu'on y met beaucoup de force. Il s'agit d'ailleurs d'une résistance élastique et telle qu'on doit s'attendre à la recontrer quand c'est une contrac- ture musculaire spasmodique qui est en jeu. Le pied est libre dans l'articula- tion tibio-tarsienne. Il n'a pas pris d'attitude spéciale, et l'on peut le mouvoir dans tous les sens : il n'en est pas même de la hanche les mouvements sont un peu limités dans toutes les directions. Les mouvements volontairement exécutés de cette articulation sont gênés, lents, mais il ne sont pas abolis car la malade peut élever le membre au-dessus du plan du lit et le porter en abduction et en adduction. Mais tous ces mouvements, je le répète, sont diffi- ciles, exigent des efforts et leur amplitude reste toujours inférieure à celle des mouvements volontaires exécutés par le membre inférieur droit. On peut en dire autant des mouvements volontaires du pjed ; tous sont possibles mais no- tablement limités, surtout le mouvement dorsal.

Toujours est-il que c'est dans les muscles extenseurs et fléchisseurs du genou que la rigidité spasmodique est le plus accentuée et là, ainsi que nous l'avons dit, les mouvements volontaires, comme les mouvements passifs, sont littéralement impossibles.

Dans toutes les manœuvres que nécessite l'examen des jointures, on constate que tous les mouvements qu'on leur imprime ou qu'on essaye de leur impri- ser ne provoquent aucune douleur. On reconnaît, du même coup, dans cette exploration que, pour la majeure partie, le membre contracture est complè- tement privé de sensibilité, aussi bien la peau que les parties profondes.

38

L'aneslhésie cutanée qui porte à le fois sur le tact, la douleur et les autres modes de la sensibilité, est limitée tant du côté du pied, que du côté de l'abdomen , d'une façon fort originale qu'on peut reconnaître sur le schéma ci-

contre ; ainsi du d'île du pied la limite est marquée par une ligne circulaire déterminant un plan perpendiculaire & l'axe du membre, et passant à quelqoe centimètres au-dessus du pli de l'articulation du cou-de-pied ; du cAté de la hanche la ligne limitante suit eu avant le pli de l'aine, empiétant un peu sur radomen,tandie qu'en arriÉ:re elle forme une courbe à convexité supérieure qui de l'extrémité interne du pli fessier remonte vers la crête iliaque.

4SI

Ce sont des particularités que j'ai eu maintes fois Toccasion de relever, vous ne Tavez pas oublié, dans notre étude sur les paralysies psychiques et qui ici contribueront à fixer le diagnostic. D'ailleurs l'insensibilité, ainsi que je le disais loul à Theure, n'est pas limitée à la peau: elle s'étend aux parties profondes ; on peut tordre, distendre les jointures restées libres sans produire aucune douleur ; Ton peut constater en même temps que lorsque ses yeux sont clos, la malade n'a aucune notion des mouvements qu'on imprime aux divers segments du membre, non plus que des attitudes qu'on leur donne : cela est ainsi, chose remarquable, môme pour l'articulation du cou- de-pied, où cependant, comme on l'a fait remarquer, la sensibilité cutanée n'est pas sérieusement affectée.

Après l'exposé qui précède, il ne me parait pas nécessaire d'entrer dans des développements, pour affirmer que l'affection du membre inférieur gauche n'est autre qu'une contracture hystérique, ou plus précisément une contrac- ture hystéro-traumatique. Son début, rapide à la suite d'un traumatisme insignifiant, précédé cependant par une période d'incubation ; le caractère, au moins dans le genou, pour ainsi dire absolu de la rigidité spasmodique : l'absence d'une lésion quelconque des jointures ; les troubles de la sensibilité cutanée et leur mode de limitation du côté des parties sensibles; l'insensi- bilité des parties profondes et la perte de notion du sens musculaire, tout cela le démontre surabondamment.

Notre malade est donc hystérique ? Cela certes n'est pas douteux : les caractères cliniques de la contracture, survenue épisodiquement par le fait de la chute, suffit déjà pour l'établir : mais cela apparaît bien plus manifestement encore, lorsque l'on remonte dans les antécédents de la malade, ou encore lorsqu'on étudie à ce nouveau point de vue les divers incidents neuropa- thiques qui ont précédé ceux qui relèvent du tabès ou s'entremêlent avec eux aujourd'hui encore :

Il n'y a pas d'antécédents héréditaires connus. Sa mère était une enfant trouvée.

A l'âge de 23 ans, étant enceinte et ayant atteint le 7* mois de sa grossesse, elle fut renversée par un bœuf. Il s'ensuivit une perte de connaissance qui dura, paraît-il, à peu près huit heures, sans convulsions.

A 28 ans, tracas, chagrins de ménage ; la misère arrive. Elle devient alors habituellement morose, triste ; mais de temps en temps elle est prise d'un fou rire que rien ne justifie.

En ce temps-là, s'établit une douleur dans le côté gauche du ventre (ovarie) qu'elle n'a guère cessé de ressentir depuis. Peu après elle devient sujette à des accès de raideur, < accès de contracture » pendant lesquels elle ne per- dait connaissance qu'incomplètement: L'une de ces attaques s'étant un jour prolongée beaucoup plus que d'habitude, près de 48 heures, son mari envoya chercher un médecin qui, après avoir examiné le cas, aurait prononcé

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assure-t-elle, les paroles suivantes qu'elle dit avoir entendu parfaitement : Pupilles dilatées, pas de pouls, pour moi elle est morte ! > Qu'y a-t-il de vrai, dans ce récit confirmé d'ailleurs parle mari? Quoi qu'il en soit, il s'agit, vous le voyez, d'un cas d'hystérie tardive et certes ce cas-là n'est pas le meilleur.

A l'âge de 31 ans se manifestent des signes de tuberculisation pulmonaire dont on reconnaît encore aujourd'hui les traces. Dans ce temps-là, il y a eu des hémoptysies.

Les attaques de raideur continuent à apparaître de temps à autre, alter^ nant avec des attaques de sommeil.

A rage de 37 ans,apparaissent*les premiers symptômes tabétiques ; douleurs fulgurantes, diplopie, etc., et depuis cette époque, c'est-à-dire depuis 3 ans, les phénomènes tabétiques n'ont pas cessé de s'entremêler, marchant paral- lèlement et sans s'influencer les uns les autres d'une façon marquée.

La recherche des stigmates, faite ces jours-ci, a permis de compléter le tableau déjà cependant fort chargé (voir les fig. 62 et 63). Léger rétrécissement double du champ visuel, polyopie monoculaire à gauche avec micropsie ; dyschromatopsie, pas de lésion papillaire ni pupillaire. Abolition du goût et de l'odorat à gauche, acuité auditive très diminuée, également à gauche.

En outre de Tanesthésie du membre inférieur gauche, signalée à propos de la description de la contracture, il y a à noter une analgésie portant sur la moitié gauche de la face, la moitié supérieure du tronc jusqu'à la ligne médiane, l'épaule enfin et le membre supérieur tout entier ; ovarie gauche ; pas d'autres points hystérogènes. Dynamomètre main droite : 28 ; main gauche : 12 ;

Voilà donc un nouvel exemple de la combinaison, plusieurs fois déjà signalée par nous, de Thystérie et de l'ataxie locomotrice progressive. A pro- pos d'un détail, le cas actuel offre un intérêt particulier : la contracture hys- léro-traumatique développée chez notre malade, sur un membre le réflexe rotuiien n'était pas aboli aurait-elle pu se produire également si, sur ce même membre, conformément à la règle ordinaire, le réflexe rotuiien par le fait de la lésion spinale tabétique, eût fait complètement défaut ? Il y a un point de physiologie pathologique qui mériterait bien à l'avenir d'être étudié.

Il ne nous reste plus pour en finir qu'à parler de thérapeutique. Que faire pour combattre la contracture, et remettre les choses dans l'ordre premier ? Certes, les moyens proposés ne manquent pas : aimant, électrisation statique, suggestion impérative à l'état de veille ou suggestion hypnotique si toutefois rhypnotisme est praticable, applications métalliques, massage par frôlement, pèlerinage à la grotte de Lourdes, etc., etc. Le cas échéant aucun de ces moyens n'est à dédaigner et nous n'avons par conséquent que l'embarras du choix. Aucun d'eux toutefois ne porte avec soi, tant s'en faut, l'absolue certitude

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de la réussite et en somme, il importe de le reconnaître, la doctrine, relative- ment au traitement des contractures hystériques, reste à Theure qu'il est tou- jours un peu flottante. Un certain nombre de points sont cependant désor- mais, si je ne me trompe, parfaitement établis. C'est à savoir, par exemple, que toute intervention mécanique, chirurgicale, est dans ces cas-là, tant que persiste l'élément spasmodique non seulement inutile, mais encore fâcheuse, pernicieuse même quelquefois au premier chef, comme pouvant aggraver la situation et prolonger le mal indéfiniment ; c'est encore que, autant les contractures sont faciles à résoudre au moment même de leur formation, ou autrement dit, lorsqu'elles sont encore à l'état naissant, autant elles résistent au contraire, opiniâtrement, à tous les moyens autrement efficaces, lorsqu'on les a laissé durer et si Ton peut ainsi dire, prendre pied dans l'orga- nisme. Enfin les contractures hystériques, cela n'est pas douteux, sont, toutes choses égales d'ailleurs, moins persistantes chez les sujets qui ont des attaques convulsives que chez ceux qui n'en ont pas. Il y a en elTet, ainsi que je vous l'ai dit maintes fois, une sorte d'antagonisme entre les accidents dit locaux de Fhystérie (hystérie locale), tels que bruits laryngés, contractures etc., et les attaques convulsives. Celles-ci d'ailleurs peuvent déterminer la résolution d'une contracture établie déjà depuis longtemps à l'état permanent et, ainsi que l'a bien montré M. le D' Pitres il peut être utile parfois, pour atteindre ce but, d'en provoquer le développement en mettant à profit la connaissance des points hystérogènes. Notre malade est une hystérique à attaque, et la contracture d'origine traumatique qu'elle présente n'est pas de date très ancienne ; on peut donc espérer d'après tout cela que la guérison de cette contracture ne sera pas très difficile à obtenir (i).

ET 4^ Malade.

J'en reviens actuellement au sujet dont nous nous sommes occupés dans la seconde partie de la dernière leçon : il s'agissait, vous ne l'avez pas oublié, de la forme clinique complexe que je vous proposais de désigner par le vocable hystéro-neurasthénie, et à ce propos, je vous ai présenté deux exemples du genre, auxquels nous pouvons, ainsi que je l'ai annoncé, ajouter aujourd'hui

1. Le lendemain de la leçon, à la suite de la mise enjeu du « Transfert » suivant la méthode de M. Babinski, la contracture a disparu.

48-i

deux cas nouveaux ; nous aurons à comparer ces malades les uns aux autres et à faire ressortir comment ils constituent un groupe d<»s plus homogènes^ bien que sous le rapport des agents provocateurs de Taffection, il y ait lieu de relever entre les divers cas, des différences en apparence capitales. L'espèce morbide, en d'autres termes, conserve sa fixité, son originalité, son autonomie, en présence de la variété des causes occasionnelles ; tel est l'enseignement prin- cipal qui se dégagera surtout, si je ne me trompe, de l'étude comparée de nos quatre malades.

Tous nos sujets appartiennent à la classe des travailleurs manuels; et en dehors de cet hospice les besoins d'un enseignement spécial ainsi que les nécessités d'un traitement particulier les appellent, vous devez vous attendre à rencontrer fréquemment les malades de ce genre et de cette classe dans la population qui, à Paris, fréquente les hôpitaux généraux. On les y rencontre vulgairement et en proportion beaucoup plus considérable qu'on n'aurait pu rimaginer,surtout, bien entendu, lorsque, il y a trois ou quatre années à peine, ils étaient encore presque généralement peu connus ou même tout à fait mé- connus; c'est un fait que j'ai maintes fois déjà proclamé devant vous. A cet égard,j'ai ces jours-ci, ouvert une enquête que je me propose de poursuivre sur une plus grande échelle, et qui bien qu'à peine ébauchée encore,m'a déjà fourni cependant quelques résultats intéressants ; ainsi dans le seul service de M. Ballet, à l'hôpital Necker, il s'est à un moment donné, trouvé sur un total de iO malades mâles, une réunion de 8 cas d'hystéro-neurasthénie. Il est vrai que M. Ballet, agrégé de la Faculté et ancien élève de cethospice, s'occupe beau- coup et avec succès de pathologie nerveuse et qu'il a pu par conséquent, dans un but d'étude, attirer à lui quelques-uns de ces sujets. Mais àThôpital Saint- Antoine, les conditions n'étant plus les mêmes, je sais qu'on a compté cinq hystériques mâles, dans un seul service de 40 lits d'hommes. La proportion a été à peu près la même dans la plupart des autres services du même hôpital.

L'hôpital en question est, vous le savez, situé dans un faubourg très popu- leux où les ouvriers habitent en grand nombre : mais tous les hystériques ou les hystéro-neurasthéniques qui y sont admis ne sont pas des travailleurs manuels réguliers ; on compte parmi eux une assez forte proportion de gens sans profession avouée, sans domicile fixe, des vagabonds en un mot, qui cou- chent souvent sous les ponts, dans les carrières ou les fours à plâtre, et qui sont exposés à chaque instant à tomber sous le coup de la police. Serait-ce que le vagabondage conduit à l'hystéro-neurasthénie, ou que celle-ci, inver- sement, conduit au vagabondage ? Question délicate, intéressante au premier chef, au point de vue social, et qui méritera certainement quelque jour d'être l'objet d'une étude approfondie. Pour le moment, je me bornerai à vous faire part d'une impression qui m'est venue à la suite de quelques observations que j'ai faites dans cet hospice, la consultation externe en de certains jours res- semble quelque peu à une « cour des miracles » : c'est que l'hystéro-neuras-

thénie serait chose vraiment fréquente, parmi les misérables^ les loqueteux, les gens sans aveu qui fréquentent tour à tour les prisons, les asiles de nuit et les dépôts de mendicité. Je n'oublierai jamais un malheureux aux souliers éculés et troués, sale, émanant une odeur spéciale très repoussante, couvert de haillons tels que je n*en ai jamais vu de semblables, si ce n'est à Burgos, il semble à la vérité exister un < art de porter les loques », en Irlande enfin, et dans quelques villes manufacturières d'Kcosse et d'Angleterre. Vraiment il était navrant à voir. Il sortait du dépôt de Villers-Cotteretset demandait à être reçu dans les salles ; je constatai séance tenante qu'il était atteint d^une anesthésie cu- tanée généralisée absolue, et qu'il présentait quelques autres signes qui le dési- gnaient comme un hystérique. Je ne demandais pas mieux que de l'admettre, soupçonnant que son cas était pour nous fort intéressant.

Malheureusement,je commis l'imprudence de lui adresser quelques questions qui lui parurent Sîms doute indiscrètes : il fit mine d'accepter le billet d'entrée que je lui oflrais, mais il s'esquiva en prononçant ces paroles significatives : « En voilà un qui veut en savoir trop long, il ne m'y prendra pas. » lime pre- nait peut-être pour un magistrat ; il oubliait tout au moins que pour le méde- cin tous les hommes, quels qu'ils soient, sont égaux devant l'art et ont droit indis- tinctement aux mêmes soins. J'ai eu plusieurs fois l'occasion de rencontrer d'autres cas du même ordre; mais, quoi qu'il en soit, la fréquence de l'hystérie dans les prisons, les asiles et les dépôts de mendicité, n'existe encore dans mon esprit qu'à l'état de conjecture vraisemblable. Je serais heureux de voir la ques- tion soumise à une vérification en règle; il y a pour ceux de nos confrères qui ont accès dans les maisons de refuge ou de réclusion, un sujet d'étude qui me paraît digne d'exciter leur zèle, et qui promet, si je ne me trompe, une ample moisson de faits intéressants.

N'allez pas croire que « Saint-Antoine », comme on l'appelle dans le Fau- bourg, soit, à Paris, le seul hôpital l'on rencontre beaucoup d'hystériques mâles. Je tiens de source certaine que dans la seule année 1888,11 a été admis 15 cas d'hystérie mâle relevant pour la plupart d'une influence traumatique, dans un des services de l'Hôtel-Dieu (1).

C'en est assez sur ce point pour le moment : il est temps d'en venir à l'examen de nos deux malades d'aujourd'hui. Eux ne sont pas des vagabonds, ils ont été au contraire des ouvriers actifs, gagnant bien leur vie, jusqu'au moment la maladie dont ils souffrent les a désemparés et réduits à l'état misérable vous allez les voir.

I. Le premier que nous allons étudier est un homme âgé de 32 ans, d*ap- parence vigoureuse, nommé Tr...lay et exerçant la profession de maçon. Sa

i. Voir à ce propos, l'étude slalistique publiée récemment par M. le D' Marie : l'hystérie à la consultaUoD du bureau central des Hôpitaux de Paris. V. procès médical, p. 68, 27 juillet 1889,

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physionomie, ainsi que son allure, ne sont plus aujourd'hui ce qu'elles étaient il y a quelque semaines, à une époque plus voisine du début de la maladie : il présentait vraiment alors Tirnage vivante de la désespérance et de l'abandon de soi-même. 11 s*est repris, depuis, à cet égarden même temps que tous les autres symptômes se sont amendés, et bien qu'actuellement encore il paraisse pas mal abruti, on ne retrouve plus chez lui cette apparence de dépression men- tale profonde qu'il présentait à l'origine.

L'histoire de ses antécédents héréditaires, dont vous pourrez reconnaître l'in- térêt en parcourant le tableau ci-joint, est fort significative ; vous allez le voir.

COTÉ PATERNEL

Un frère du père, Père, cousin de la

mort eu 1886, à65ans. mère, kgé de 77 ans,

II était sujet à des cultivateur, bien por-

étourdissements, MorX tant, mais ivrogne. en tombant du haut d'une voiture.

COTÉ MATERNEL

Grand^mère materneUe, morte à 82 ans. Triiii- àlement seniie depuis Vàge de 61 aru, a été foUe pendant quelque temps.

MÈRE, 76 ans, ner- Cousin germain de veusc irritable, vio- la mère, 50 ans m or- ientes colères, épilep- chand de vins, ittro^fnt, tique on hystérique, a été enfermé phateure sujette à des étour- fois à Sainte- Annt. dissements. Le malade Ta vue sans connais- sance pendant plu- sieurs minutes.

8 enfants dont 2 seuls restent ; un frère du malade, bien portant, migraineux, 2* Le malade lui-même.

Lui, notre malade est un pauvre hère, sans intelligence.

Bien qu'il ait fréquenté Técole de 6 à 13 ans, il n'a rien pu rien apprendre : de fait, il ne sait ni lire, ni écrire. Mais, par contre il a bon cœur : il s'est jeté à l'eau un jour d'hiver pour sauver une femme qui se noyait ; il s'en est suivi une attaque de rhumatisme articulaire aigu qui Ta tenu au lit pendant six semaines ; d'ailleurs pas de convulsions dans Tenfance, pas d'alcoolisme, pas de maladies dignes d'être notées, en un mot, jusqu'à l'époque est survenu l'ac- cident^ cause occasionnelle de la maladie dont il souffre actuellement.

C'était à la fin de mai 1888. Un échafaudage sur lequel il était monté pour travailler de son métier de maçon fut heurté violemment par une grosse voi- ture qui passait dans la rue et s'écroula. 11 fut précipité sur le sol d'une hau- teur de 10 mètres environ. Il perdit connaissance au moment même de l'acci- dent et ne reprit ses sens que deux heures après ; il se trouva couché à l'hôpital Tenon. 11 ne se rappelle rien de ce qui s'est passé lors de sa chute qui a eu lieu vers 5 heures du soir, et même il a oublié une bonne partie de

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ce qui s'est passé ce jour-là. Tous les renseignements qu'il nous donne à cet égard il les tient de ses camarades témoins de Tévénement. Il serait tombé sur les reins et le côté droit. Pas de grandes blessures, seulement une petite plaie à la face externe de la cuisse droite, une autre au cuir chevelu dans la région pariétale droite, enfin quelques contusions sur le coté droit du tronc. Tout cela était fort léger, car, au bout de 11 jours, le malade demandait à sortir de Thôpital, se croyant complètement guéri.

Ici commence une période qu'il serait fort intéressant de pouvoir étudier avec soin mais sur laquelle malheureusement nous ne possédons que peu de. renseignements. Recueilli par des parents qu'il a près de Fontainebleau, il passe chez eux environ trois mois. il se sent faible, souffrant aux moindres efforts, lorsqu'il essaye de se livrer à un travail manuel, de douleurs dans la région sacrée et d'une grande fatigue dans les jambes ; pas de douleurs de tête cependant; mais le sommeil est souvent agité par des rêves effrayants et d'autrefois il y a de l'insomnie: de temps à autres des vertiges. En août, se sen- tant un peu mieux, il se croit assez fort pour reprendre son travail; mais à chaque instant il se voit obligé de l'interrompre à cause des vertiges, des fai- blesses survenant dans les membres inferiours et des douleurs sacro-lombaires (plaque sacrée) qui se montrent à la moindre fatigue. Il continue néanmoins son métier de maçon tant bien que mal, jusque vers le milieu de décembre, époque à laquelle sans l'intervention d'une cause nouvelle, on voit les accidents nerveux se multiplier en même temps qu'ils s'accroissent rapidement et attei- gnent le haut degré d'intensité ils se montrent encore aujourd'hui

Ainsi des accidents neurasthéniques appartenant surtout à la variété spinale, relativement légers puisqu'ils n'empêchent pas absolument l'exercice d'une profession manuelle, occupent seuls la scène pendant une période de près de six mois, et tout à coup, sans incident nouveau qu'on puisse incriminer, voilà que la maladie s'aggrave et prend un caractère nouveau. Ce qui s*est passé doit être rapproché de ce que Ton voit assez fréquemment dans les collisions de chemin de fer, chez des individus qui, n'ayant pas été blessés ou contusionnés sérieusement semblent n'avoir été en somme que fort légèrement touchés et devoir, par conséquent, en être quittes pour la peur. On voit quelquefois ces gens-là au moment de l'accident porter secours aux autres blessés, puis rega- gner leur destination soit en montant dans un autre train soit même quel- quefois à pied, ainsi que le fait a été constaté lors de la terrible collision de Charenton en 1881 sur la ligne du chemin de fer de Paris-Lyon-Méditer- ranée (1). Quelques troubles nerveux plus ou moins vagues, surtout des insom- nies, sont tout d'abord seuls observés; puis tout à coup, après plusieurs jours, plusieurs semaines ou même plusieurs mois, les symptômes de la maladie ner-

1. Vibert. Etude médico-légale sur les blessures produites par les accidents de chemin de fer Paris, \S!i8. Guinon. Les agents provocateurs de l'hystérie, Paris, 1889.

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veuse se démasquent dans toute leur intensité. Nous trouvons les cas de cet ordre signalés par tous les auteurs qui se sont occupés particulièrement des afiections du système nerveux déterminées par les accidents de chemins de fer ; Erichsen, Page entre autres (2) et aussi Oppenheim (3). Il existe d'ailleurs, incontestablement, en dehors du traumatisme proprement dit, ou chirurgical si vous voulez, au point de vue des effets déterminés sur l'organisme, la plus grande analogie entre un effondrement d'échaffaudage de maçon et un choc de trains : même ébranlement physique shake andjar , même ébranle- ment psychique nervous schock de part et d'autre, et c'en est assez sans doute pour faire comprendre l'analogie des résultats produits.

Donc, vers le milieu de décembre, sans cause connue, Ton voit chez notre homme la situation empirer tout à coup.

Aux phénomènes neurasthéniques déjà indiqués, viennent se surajouter des symptômes nouveaux d'ordre hystérique, en même temps que les premiers s'aggrai^nt.

Voici ce qui est arrivé alors : il a commencé à moins bien dormir encore qu'avant. Il se réveillait en sursaut, rêvant qu'il tombait du haut d'un échaf- faudage ; puis il a rêvé d'animaux terribles : il voyait des lions, des tigres, des éléphants venir vers lui d'un air menaçant, sans sentir toutefois leur contact ; plusieurs fois ces images ont persisté durant quelques minutes après le réveil. Ces rêves, presque constamment, sont suivis d'une sensation d'oppression du creux épigastrique, avec serrement le long du sternum remontant jusqu'à la gorge. Le malade se réveille alors tout ému, respirant difficilement et ayant grand mal à avaler sa salive. Nous avons depuis bien longtemps, M. Richer et moi, signalé chez les hystéri(|ues hommes ou femmes, ces « rêves d'ani- maux » qui rappellent, vous le voyez, à un haut degré, les rêves des alcooli- ques.

Interrogé à l'improvistc sur la question de savoir de quel côté par rapport à lui se présentent les animaux qu'il voit dans ses rêves et dont Timage persiste quelquefoisaprôslerévcil,ila répondu invariablement que c'étaitdu côtédroit, c'est-à-dire du coté siège l'anesthésie qu'ils apparaissaient: c'est une par- ticularité déjà signalée dans les deux cas d'hystéro-neurasthénie étudiés dans la précédente leçon et que nous retrouverons encore dans celui qui suivra. Je ne fuis que l'indiquer en passant, devant y revenir par la suite.

11 n'y a pas d'attaques convulsives ; mais il y a des représentants ou équiva- lents d'attaque ; il les appelle ^ ses étourdissements » ou encore « ses vertiges ». Il y est sujet depuis deux mois environ, et ils se manifestent prin- cipalement pendant le jour. Si vous examinez les choses d'un peu près, vous reconnaîtrez bien vite qu'il ne s'agit pas d'étourdissements vulgaires. Il

2. Page. Injuries ofihe Spine. buidon, \Xi<7), p. 1(50.

3. Oppenheim. Real, Encyclo/ddie, art. Raii.way Spin'K.

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ressent d'abord des battements de cœur, un serrement qui monte de Tépigastre à la gorge ; des cercles lumineux se présentent à ses yeux (scotome scintil- lant ?) ; puis, ce sont des sifflements dans les oreilles^ des battements dans les tempes: c'est alors que la vue s'obnubile, et que survient ce qu'il appelle son vertige. Quelquefois il perd connaissance et plusieurs fois il est tombé à terre, sans présenter de convulsions; parfois cependant la chute a été accom- pagnée de secousses musculaires.

Dans les descriptions qui précèdent nous retrouvons la plupart des phéno- mènes classiques de Taura qui précède les attaques hystéro-épileptiques. Il y a, vous ne l'avez pas oublié, des hystéro-épileptiques à crises typiques, qui parfois ressentent les phénomènes de l'aura pendant un temps sans que l'attaque proprement dite s'ensuive (1). Il y a d'autres cas, et ceci se voit surtout chez l'homme, la crise est constamment représentée par l'aura telle qu'elle vient d'être décrite plus haut, sans jamais êtes suivie d'attaques con- vulsives. Enfin, sans sortir de l'hystérie, Richer, sous le nom d'accès épilepti- ques incomplets, a donné la description d'une variété d'attaque qui ressemble beaucoup au vertige comilial quand il s'accompagne de quelques contrac- tions musculaires rapides et localisées à certains groupes de muscles (accrs épileptiques incomplets de Herpin). Voilà autant de faits qu'il faut avoir pré- sents à l'esprit, lorsque chez les hystériques, surtout chez les mâles, on se trouve en présence de certains « étourdissements ou vertiges », de certaines syncopes » comme on les appelle encore, dont l'interprétation peut paraître difficile. Ce ne sont le plus, souvent, suivant la terminologie que je propo- sais tout à l'heure d'adopter, que des équivalents ou représentants d'attaques hystéro-épileptiques ou si vous l'aimez mieux des « attaques avortées ».

Les rêves et les < étourdissements » malgré l'amélioration qui s'est produite, récemment, dans tous les symptômes, persistent encore actuellement à un certain degré, et si vous y joignez les résultats obtenus chez notre homme par la recherche des stigmates, toujours présents, vous aurez complété, en ce qui le concerne, le tableau des symptômes hystériques tel qu'il s'offre ànousaujour d'hui.

Voici rénumération des stigmates en question. Diminution de la sensi- bilité cutanée dans tous ses modes sur toute l'étendue du corps. Véritable hémianesthésie à droite : léger rétrécissement du champ visuel pour les deux yeux. Voy. les fig. 64, 65^ 66, 67 p. 290, 291. Pasdepolyopie monoculaire; pas de dyschromatopsie peut être un peu de nystagmus. Diminution très pro- noncée du goût des deux côtés de la langue. Abolition du réflexe pharyngien. Odorat très diminué surtout à gauche. Au repos léger tremblement vibratoire des mains, lequel disparait si on fait étendre la main et écarter les doigts.

1, Paul Richer. De l'attaque hystéro-épileptique, édition, p. 22.

Ainsi que nouB l'avoas fait remarquer, les symptômes de neurasthénie spî nale ont été les premiers.,,eD date, et ils ont seuls tenu U scène pendant une

période de plusieurs mois avant l'apparition des symptômes hystériques; mai» lis se sont notoirement aggravés nu moment même ceux-ci se sont mani- festés. Voici en quoi ils consistent aujourd'hui:

Tr...lay a la Wte lourde, comme serrée dans un cercle de fer. Il ne peut pas emendreun bruit sans tressauter, lllui semble qu'il n'a plus de mémoire; il ne peutploB penser à rien sans que la céphalée s'aggrave. Eu somme, à cet égard,

Pig. 6&

Fig 51.

il se trouve dans les conditions auxquelles conduit le surmenage intellectuel, bien que chez lui l'intelligence n'ait pas été en cause; et à ce propos il n'est pas sans intérêt de relever en passant comment la lente influence du surme- nage de l'esprit, et la brusque action d'un ébranlement psychique soudain, bien qu'il s'agisse Id de causes en apparence fort différentes, peuvent aboutir cependant au même résultat.

La neurasthénie spinale du début s'est accentuée: la plaque sacrée > est plus prononcée que jamais; les membres inférieurs sont faibles et facilement fatigués. Le dynanomètre donne pour la main droite 18 et pour la gauche 25. Pas de troubles gastriques bien prononcés.

Ainsi étaient les choses il y a un mois à peine ; comme nous l'avons dit, elles se sont amendées depuis sous Tinfluence du traitement (bromure de po- tassium, toniques, bains sulfureux.) Les cauchemars et les vertiges sont plus rares le malade a Tair moins découragé, moins prostré. Le dynamomètre donne actuellement 45 pour la main droite et 65 pour la main gauche ; mais les stig- mates persistent tels quels ou à peu près et pour arriver à la guérison il reste encore beaucoup à faire. L'homme, et Ton peut dire Thomme vigoureux sur- tout — lorsqu'il est tombé dans Thystéro-neurasthénie, n'en sort pas si facile- ment... quand il en sort! Notre malade très certainement sera pour longtemps encore incapable de se livrer à un travail manuel suivi, et en particulier de remonter sur son échafaudage.

IL Ce même ensemble symptomatique que nous venons de relèvera l'instant chez notre maçon tombé du haut d'un échafaudage, nous allons le retrouver plus accentué encore peut-être, si cela est possible, chez le dernier sujet qu'il nous reste à examiner, bien que chez lui il n'y ait pas à invoquer le moindre traumatisme, le moindre ébranlement physicjue. Il est vrai que cette fois Véhra^nlemeni psychique ^ été aussi profond, aussi terrible, ajouterai-je, qu'on le puisse imaginer. Vous allez en juger.

Voici ce qui s'est passé : C'était le 27 septembre 1887, c'est-à-dire il y a quinze mois, Con...ns, âgé de 53 ans, ouvrier laborieux, gagnant 7 francs par jour, exerçait son métier de menuisier en bâtiment, dans une maison en construction son fils, âgé de 18 ans, travaillait justement, lui aussi, comme couvreur. Or, il arriva que l'infortuné jeune homme fut précipité du toit il travaillait, c'est-à-dire de la hauteur d'un sixième étage environ, sur le pavé de la rue il fut tué raide.

Con...ns, aux clameurs poussées par les assistants, accourut sur le lieu du drame et se trouva face à face avec le cadavre de son malheureux fils, horri- blement défiguré. Certes il dut, en ce moment-là, ressentir une des impressions morales les plus cruelles qu'on se puisse figurer, d'autant plus que ce fils était de sa part, paraît-il, l'objet d'une aflection profonde. Aussitôt il s'évanouit et resta inconscient pendant quelques minutes.

A partir de ce moment-là^ tout est changé en lui. Il ne se sent plus le même qu'auparavant. Lui, autrefois gai et remuant, il est devenu triste, maus&adc. Il évite la société qu'il fréquentait dans le temps avec plaisir. Il dort mal ou quand ildort,son sommeilestagitépar des rêves très fatiguants et très pénibles. Us se rapportent à son fils qu'il revoit enfant et heureux, ou par un contraste sinistre, pâle, défiguré, ensanglanté tel qu'il était au moment de l'accident. Il

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sent sa mémoire affaiblie, il est distrait, ne se souvient pas de ce qu'il a fait quelque temps auparavant. Il souffre de la tête d'une façon à peu prés cons- tante. Il a, dit-il, sur la tête confme un casque lourd qui lui comprime le front sur chaque tempe et l'occiput, et il ressent au moindre mouvement du cou des craquements. Les fonctions génitales sont très aiiaiblies ; après avoir mangé il se sent tout gonflé, il a des éructations, le sang lui monte à la figure et il est tout somnolent. Il est faible, facilement fatigué, pas assez cependant pour ne pas continuer son travail.

Tels sont les accidents nerveux d'ordre neurasthénique qui seuls ont régné chez notre homme pendant une période de plus de douze mois. Il semble que chez ces natures rustiques, non amollies par la culture, Thystéro-neurasthé- nie se développe sous l'influence d'une cause brusque,à action violente et non- comme conséquence desapplicationslentesd'une cause déprimante, il semble, dis-je, que ce soit la neurasthénie qui constamment précède Thystérie et lui prépare en quelque sorte le terrain. Il paraît, en d'autres termes, qu'en pareil cas pour devenir hystérique il faille passer par la neurasthénie. De fait, les choses ont été ainsi chez le dernier malade dont nous nous sommes occupés ; elles se sont produites absolument de la même façon chez celui que nous étudions en ce moment. Les manifestations hystériques ont éclaté tout à coup, bruyamment, sur le fond neurasthénique, sans V intervention d'une provocation nouvelle.

Le 7 octobre dernier, il y a près de cinq mois, étant monté sur une échelle, occupé à poser une planche, il se sent tout à coup comme ébloui par des étincelles qui brillent un instant devant ses yeux (scotome scintillant ?) ; les oreilles lui tintent, sa vue s'obnubile, il se sent comme étourdi, perd con- naissance et tombe à terre Au bout d'un quart d'heure, il est revenu à lui un instant, paraft-il, puis il est redevenu inconscient, cette fois pour huit heures environ. Quand il est sorti de cet état il était atteint d'hémiplégie gauche ; les gens qui l'ont secouru au moment de l'accident assurent que cette hémi- plégie existait dès l'origine.

Quoi qu'il en soit, elle persiste aujourd'hui encore, à peu près telle qu'elle était au début, un peu amendée toutefois, et il nous est possible d'en étudier les caractères cliniques qui sont fort accentués et fort significatifs.

Nous rappellerons d'abord quelques symptômes qui ont existé durant les premiers jours de l'hémiplégie et qui, aujourd'hui, se sont efiacés : langue tirée vers la droite, quoique, remarquez-le bien, l'hémiplégie soit à gauche. La commissure labiale est fortement déviée en haut et à gauche ; spasme des paupières de ce même côté. Tous les phénomènes ci-dessus se rapportent au spasme glosso-labié des hystériques. Il y a eu du mutisme pendant quel- ques jours (mutisme hystérique). < J'entendais et je comprenais bien, dit le malade, tout ce que les autres disaient, et les mots me venaient pour répondre. Mais c'était ma langue qui ne voulait pas tourner. »

294

L'hémiplégie des membres persiste seule actuellement. Elle a été à peu près complète au début, et, à cette époque-lb, les membres supérieurs et inrérieurs gauches étaient flasques, absolument inertes.' 11 lui fallut rester au lit pendant huit jours. Puis, quand il a pu marcher, le membre inférieur était traîné sur lesol comme un corps inerte, suivantia description bien connue de Todd.

Hémianesthésie gauche complète^ cutanée et profonde, portant sur tous les modes de la sensibilité, occupant la face, le tronc, les membres Voyez fig. 69 et 70. Perte du sens musculaire, de lu notion de position, etc. Les troubles de la sensibilité sont tels qu'on ne les observe jamais & ce degré'là, vous le savez, que dans l'hémiplégie hystérique.

L'anesthésie en effet, est non seulement sensîtîve mais encore sensorielle ; rétrécissement double du champ visuel, plus prononcé à gauche, pas de polyopie monoculaire mais micropsie, macropsie. Dyschromatopsîe, ouïe aQaibîie à gauche, goût aboli sur toute l'étendue de la langue. Insensibilité du pharynx (Fig. 68).

Le dynamomètre a donné 11 y a un mois 60 à droite, 10 à gauche. Aujour- d'hui qu'il y a eu de lamélioration, il donne 60 à droite et 25 à gauche.

Les rêves depuis l'apparilion des symptômes hystériques ont un peu changé de caractRre.Ilsne sont plus relatifs à la mort de son fils. Il voit, main- tenant surtout, des animaux féroces, un chat gris qui le mord et avec lequel il lutte. 11 assure que ces animaux s'avancent vers lui venant du côté gauche.

Il est vraisemblable que la grande attaque quia inauguré le début des

395

phénomènes hystériques a été une attaque de sommeil, ou apoplectjforme comme 10X18 voudrez l'appeler ; aujourd'hui il n'y a pas de grandes attaques coDTulBives mais celles-ci sont suffisamment représentées par les phéuo-

"s- 89. mg. 70.

Le scFOlnm Bit »eD«Uile ; 1& moiUé gauche de la verge est iaseuslble.

mènes suivants. De temps à autre Con,.,n8 ressent dans les membres paralysés quelque chose qui lui monte vers le cou et qui l'étraugle. 11 entend alors un bruit dans son oreille gauche ; sa vue s'obscurcit et bientôt il perd con- naissance. En ce moment-là les membres sont rai des ; peu après ils sont pris de trépidation, puis son cou gonfle de nouveau ; il étoufle, il crie, « saute

40

298

névrose traumatique des autres formes de Vhystéro neurasthénie mâle traumaii que ou non traumatique^ en vérité, je ne les vois pas.

Un mot en terminant sur cette circonstance notée dans nos quatre observa- tions que les images visuelles d'animaux, d'enterrements, ou de toute autre nature, vues en rêve et persistant quelquefois un instant après le réveil, apparaissent constamment du côté correspondant à Thémianesthésie, côté le rétrécissement du champ viusel est dans la règle, le plus prononcé. Ce fait est en quelque sorte le pendant de celui que nous avons mis en lumière, il y a longtemps déjà {Progrès médical 3, janvier 1878 (i) chez les femmes hysté- riques hémianesthésiques. Il est très commun que ces malades, même dans leurs périodes d'accalmie,soient tourmentées parla vision imaginaire d^animauz.

ANTÉCÉDENTS HÉRÉ- N0M8 BT PROFESSIONS DITAIRBS NERVEUX AGE ou

ARTHRITIQUES

1

LAF...CQUB, plom* Inconnus, hier, 48 ans. V. 12* le- çon III..» p. 265.

ANTECEDENTS PERSONNELS

Coliques de plomb.

CAUSE PROVOCATRICE

(occasionnelle)

Aucune cause appa^ rente.

STMPTOIIB NBURASTUinlueP

Céphalée; éS^ sion /'jyoltfaïf ; m^ moire affaibtk;ifiit momèirt^ 58^85.

II Grb. PB, boulanger. Très chargés. 31 ans, 12« leçon. II., p. 261.

O

Chute dans Veau en CéfihoUe^ défnt

péchant à Vépervier, gion pêyehiqwt, ■<•

Menacé d'être noyé il moire affàibSe, i§t-

y a i mois. pepsie. Dynmm.f&,t.

III TRBM...AY, 32 ans, Très charges. maçon, 13« leçon, p. 285, sq.

IV Ck)NST..s ,menuisiep Très chargés. en bâtiment, 53 ans, 13« leçon, p. 292, sq.

0

Rhumatisme articU' Chute d'un échaf au- Céphalée, dépnh laire aigu. Esprit dage {hauteur 10 ;/i.), ^-^ mentaUvMm, faible. Uyal mois. air sombrt, mém&Ki

confuse, dfêptfétt affaiblissemmUsûsAy Dynam., 18, 0 poU 45, 65.

Saisissement enpré- Céphalée, Upnf sence du cadavre de sion menlaU, Ini. son fils tué par acci- mélancolique, mimri^ dent, il y a quinte re confuse, dyspepm, ^^^' affaiblissemenieejMd,

dynam. 10, 60 puis t^ 60.

1. Leçons sur les maladies du système nerveux. 4* édition, page 424.

299

de chats, de rats, de bêtes fantastiques qui semblent courir sur le parquet ou sur le mur voisin. Ces animaux, généralement de couleur noire ou grise, plus rarement d'un rouge vif, se présentent pour chaque malade du môme côté, et ce côté rhallucination se dessine est toujours celui qui correspond à Thémianesthésie et par conséquent à ramblyopie.Habituellement,les animaux passent en série et courent rapidement venant de derrière la malade et se dirigeant d'arrière en avant. Ils disparaissent aussitôt qu'elle tourne les yeux de leur côté.

On voit que ces phénomènes, intéressants aussi bien au point de vue de la psychologie pathologique qu'au point de vue de la clinique, sont exactement les mêmes chez Thomme hystérique.

BTieMATBS HTSTÀBIQUES SITIFa ET 8EN80- RISLS

PARALTSIBS HYSTÉRIQUES

ATTAQUES OU

équt7alentbs d'attaques

REVES

rédstement double Hémiplégie gauche^ -^wfl montant de la Vipèresy couleuvres^

ihamp visueltPhOr contracture de la lan- fosse iliaque gauche^ il les voit qwlquefois

X insensible^ ob- gue. boule, à Vélat de veille, ils

. du goût^ hemia- se présentent à gau-

Ikéeie gauche. che.

ÉPOQUE DU DÉBUT

DES

AGCU)BNTS NERVEUX

Il y a deux mois.

étréeiteement du Hémiplégie gauche

mp visuel^ Pha- avec douleur à la

9 ùuensible, goût cuisse, blepharospas-

tié^ hémkmeêthé- me a gauche, langue

jan.che, tirée adroite.

0

Rêve de son acci- Début quinze ours dent, voit des enterre- après V accident. La mentsqui viennent de neurasthénie et thye- la gauche. térie se montrent si-

multanément.

étréeieeement du Mp otftiW, pha- 9 inêensible,obnub . goûtf hémianes- ie droite.

Bémiparésie droite. Aura, vertiges, per» Rêve de son acci- la neurasthénie d'à'

tes de connaissance. dent, rêves d animaux, bord, l'hystérie trois

éléphants, lions qui se mois après, présentent du côté droit.

Uréeiseement du Hémiplégie gauche. Attaques apoplec- Rêve de V accident ^ Les phénomènes neu- np nieuel, perte langue déviée à droite, /t/brmcs (de sommeil), rêves d'animaux qui rasthéniques appa- gcût^ aneethésie bouche tirée à gauche aura et vertiges. se présentent du côté raissent aussitôt après

l^fféê, kémianee- et en haut, spasme gauche. l'accident. Les symp-

9 gauche. de Vmil gauche. tomes hystériques un

an après.

*!».

.9Mb é» Typ. :*mamr. ^S, w.€mmfgtm- Prmièi*. VUm

Policlinique du Mardi 21 Février 1889

QUATORZIEME LEÇON

Cas d'automatisme comitial ambulatoire.

Messieurs,

Vous avei devant vous un malade nommé Men...s, que quelques-uns connaissent fort bien déjà. Je vous l'ai présenté ici même, il y a un an environ, à Toccasion d'accidents nerveux analogues à celui qui nous le ramène aujourd'hui. Il est sujet à des accès consistant en ce que tout à coup (1), au milieu de ses occupations habituelles, sans prodromes bien marqués, il perd la conscience de ses actes, se met en marche résolument sans savoir cependant. il va, à la manière d'un automate et ne reprend sa lucidité qu'au bout d'une période de temps dont la durée peut varier de quelques heures à quelques jours. Le dernier accès qu'il a éprouvé, et à propos duquel il vient nous consulter à nouveau, n'a pas duré moins de dix jours.

Men... s, va tout à l'heure nous raconter lui-môme ce qu'il sait de ses fugues ; au préalable, je crois utile de vous rappeler qu'il est âgé de 37 ans, marié, père de deux enfants bien portants et qu'il est fort rangé, de moBurs douces, absolument étranger aux excès alcooliques ou autres; que jamais il n'avait été malade jusqu'à l'époque où, il y a deux ans, commencèrent à paraître, sans cause appréciable, les crises nerveuses dont la description va nous occuper, et qu'enfin, l'étude de ses antécédents de famille poussée aussi loin que possible ne nous a rien appris qui mérite d'être signalé. D'ailleurs sa

1. Voir Leçons du msirdi 1&>7, 1888. Leçon du 31 janvier, p. 165.

41

3()>i

physionomie est, comme vous le voyez, parfaitement calme, absolument dénuée de traits accentués, neutre si vous voulez, exprimant toutefois plutôt Tîn- telligenco.

Il exerce la profession de livreur de marchandises à domicile, pour le compte d'une des grandes maisons de fabrication de bronze d'art de la rue Amelot, à Paris. Fendant dix-neuf ans, il est resté chez le môme patron, M. X... qui, retiré des affaires depuis peu de temps seulement, accompagne aujourd'hui $on ancien emi)loyé auquel il porte le plus vif intérêt, pour témoigner, au besoin, à la fois de sa moralité et de sa véracité.

S'adressant au malade : Voulez-vous me dire, je vous prie, comment tous avez employé votre journée du vendredi 18 janvier ? Ses occupations, je le répète, messieurs, consistent essentiellement à porter, dans la voiture de la maison il est employé, des commandes telles que : objets de bronze d^art, candélabres, etc., qu'il livre aux clients et dont il touche les factures.

Le malade: Ce jour-là, je suis parti de bonne heure de la maison, ayant à faire de nombreuses courses : il me fallait aller d'abord boulevard Saintr Germain, puis faubourg Sainl-Ilonoré ; de rue des Abbesses à Montmartre, après cela rue de Cliàteaudun, et en dernier lieu rue de Mazagran. Je suis monté chez le client de la rue de Mazapran et j'avais reçu son argent. Il devait être à peu près sept heures du soir lorsque je redescendis dans la rue ; à partir de ce moment-là je ne me rappelle plus rien, absolument rien.

Toujours est-il que je ne suis pas remonté dans la voiture qui m'attendit longtemps ; le cocher, ne me voyant pas revenir, prit le parti de rentrer t la maison, il lit connaître qu'il ne savait pas ce que j'étais devenu.

M. Ciiarcot: Ainsi, à partir du 18 janvier, 8 heures du soir, la nuit com- plète se fait dans son esprit. /1m malade : Quand vous étes-vous réveillé ?

Le malade : Le 26 janvier ; il était deux heures de laprès-midi.

M. CiiAHCoT : Gela fait donc huit jours moins cinq heures, soit cent quatre- vingt-neuf heures. étiez-vous quand vous avez repris connaissance ? Contez- nous cela, je vous prie, dans tous les détails.

Le malade : Je me suis trouvé sur un pont suspendu, au milieu d'une ville que je ne connaissais pas ; en ce moment-là, passait un régiment avec la musique militaire en tête ; c'est peut-être cela qui m'a réveillé. Alors je me dis: que vais-je faire ? Si je demande le nom de la ville je suis on va me prendre pour un fou ; alors il me vint î\ l'esprit de demander le chemin de la gare ; on me ré[»on(lit : prenez la rue de Siam, passez le pont-levis et allez toujours tout droit. J'arrive à la gare et j'apprends que j'étais à Brest.

M. GnAur.oT : Ainsi, messieurs, parti de la rue Mazagran à Paris, vers 7 heures du soir, le 18 janvier, le voilà huit jours après, au milieu d'une ville, qu'il ne connaît pas. il n'a pas de relations, et dont il n'a jamais beaucoup entendu parler, sans savoir comment il y est venu. Au malade. Étiez-vous sale, vos souliers étaient-ils usés ?

305 ^

Lb malade: Non, monsieur, mes habits étaient propres, et mes souliers aussi. Ils n'étaient pas usés comme dans quelques-unes de mes autres crises.

M. CuARCOT : Remarquez bien ce détail: ses habits sont propres, ses sou- liers ne sont pas usés ; cela ne démontre-t-il pas qu'il n'a pas fait la route à pied ; qu'il a prendre par conséquent un billet de chemin de fer à destination de Brest, l'exhiber plusieurs fois pendant le trajet et le remettre enfin à l'employé, lors de l'arrivée ; qu'il n*a pas couché à la belle étoile et qu'il a dû, vraisemblablement, entrer dans un hôtel il a été logé et nourri pour son argent... Je ne vois guère qu'on puisse, si Ton considère les choses d'un peu près,échapper à la nécessité d'admettre, comme parfaitement fondées, les suppositions que je viens d'émettre, et j'ajouterai que, dans Taccomplisse- ment de tous ces actes si complexes, il a fatalement, quoique inconscient ou pour le moins subconscient, se conduire à la manière d'un homme éveillé, tranquille, sain d'esprit, agissant de propos délibéré et en un mot ne com- mettre aucune action et ne présenter rien dans ses allures ou dans sa physio- nomie qui pût le faire considérer comme un malade, comme un aliéné.

Au malade : Vous aviez, m'avez-vous dit, de l'argent dans votre poche ?

Le malade : Oui, monsieur ; c'est la première chose à laquelle j'ai pensé quand je me suis réveillé. Arrivé à la gare, j'ai compté mon argent. J'avais touché 900 francs dans la journée du 18 pour le compte de mon patron. Il me res- tait 700 francs dajis mon portefeuille ; j'avais donc dépensé 200 francs, je ne sais comment. Je n'étais pas très étonné de tout cela parce que pareille chose m'était déjà arrivée, plusieurs fois, comme vous savez, en petit. Mais je crai- gnais que ma maladie ne me reprit, et ne m'obligeât à recommencer les voyages involontaires et à dépenser ce qui me restait de l'argent du patron. J'aurais bien désiré retourner immédiatement à Paris et me niottre ainsi à l'abri, mais le train était parti depuis deux heures. J'étais donc forcé de rester ; j'avais une faim atroce et une soif terrible : je me rendis dans un restaurant du voisinage je déjeunai de grand appétit...

M. CuARCOT : La soif ardente est un symptôme qu'il a remarqué à la fin de presque toutes ses crises .

Au malade : Allons, continuez ; racontez-moi bien toutes vos mésaventures.

Lb malade: Pendant que je déjeunais je me demandai ce qu'il y avait à faire pour me tirer d'embarras. Je pensai que mon nouveau patron devait être bien inquiet et qu'il fallait lui envoyer une dépêche ; mais j'étais surtout tour- menté par ridée que je pouvais repartir malgré moi, aller je ne sais et dépenser encore de l'argent. En me rendant à la gare pour écrire la dépêche, je rencontrai un gendarme qui se promenait de long en large ; alors l'idée me vint de lui raconter mon affaire et de me mettre sous sa protection.

M. Charcot : Mal lui en prit, messieurs, vous allez le voir. Que lui avez-vous dit, au gendarme ?

Le malade : Je lui ai conté tout ce qui m'était arrivé ; je lui ai montré mes

:k)6

papiers, ma carte d'électeur. Je lui ai expliqué que j'avais de l'argent sur moi, et je lui en ai dit le chifTre en même temps que la provenance ; je lui ai pré- senté aussi Tordonnance que voici et que vous m'avez dit de porter toujours avec moi pour la montrer en cas de besoin...

M. CiiAKCoT : Ah oui ! L'ordonnance que je vous ai donnée le 27 août de Tan dernier ; veuillez me la remettre. Elle porte en tête le diagnostic : « CrUet comilialea ambulatoires », puis vient la prescription de bromure ; et, en bas, ma signature : tout cela écrit en grosses et lisibles lettres. Qu*a dit le gen- darme après lavoir lue ? j'imagine que pour lui c'était un grimoire. Mais il aurait pu comprendre, pour le moins, qu'il s'agissait de médecine et un médecin consulté lui aurait expliqué ce que tout cela voulait dire.

Le malade : Monsieur, après avoir lu le papier, il me la rendu en me disant : < C'est bien, je connais ça > et il ma conduit au poste. il m*a pris mon portefeuille et il Ta déchiré pour voir s'il ne contenait pas quelque com- partiment secret ; puis il a fouillé toutes mes poches assez brutalement. Alors je lui ai dit : « Je vois que vous me prenez pour un voleur, vous avez tort; c'est moi qui ai été vous trouver et qui vous ai dit que j'avais de l'argent sur moi ; envoyez une dépêche à mon patron, il vous renseignera et vous revien- drezdc votre erreur... « C'estbien,je connais tout ça.répondit-il ; nous verrons bien I » et il s'en alla me laissant dans une espèce de casemate percée de meur- trières sans vitres et il n'y avait pas même de paille pour se coucher; c'est que j'ai passé la nuit.

M. CiiAHcoT : Une dépèche avait été envoyée au patron parle gendarme; hélas! la réponse qui arriva le lendemain matin vers 9 heures n'était pas faite pour améliorer la situation de notre pauvre client : elle était conçue à peu près comme il suit : « Maintenez l'arrestation ; l'argent qu'il porte est à moi. >/

Le malade : Oui, monsieur, c'est cela. Le patron est nouveau, il ne me con- naît pas depuis longtemps. Il n'a pas de raison de s'intéresser à moi, comme monsieur qui m'accompagne, chez qui j'ai été employé pendant près de vingt ans; je ne lui en veux pas, mais il aurait se renseigner avant de répondre, cela m'eût évité bien des désagréments. Quand le gendarme m'a montré la dépêche il était tout fier ; k Vous voyez bien, m'a^t-il dit; je connais ces affaires-lù. » Aloi*s il m'a mis les menottes et m'a conduit, à pied, à travers la ville, au Palais de Justice. Mais le procureur n*é(:\it pas là, alors on m*a conduit au foil de X... on a pris mon signalement, puis on m'a fait désha- biller pour s'assurer que je n'avais rien gardé sur moi ; après quoi on m'a fait entrer dans un quartier 0(1 il y avait des prévenus de bien mauvaise mine. Le lendemain j'ai été conduit, en voilure cellulaire, devant le procureur qui, cette fois, était là. Je lui ai expliqué que je n'avais pas été arrêté par le gendarme, mais que j'étais allé vers lui en lui racontant mon alTaire et en lui déclarant la somme d'argent que j'avais sur moi; que tout cela s'était passé

307

parce que je suis malade et j'ai montré de nouveau votre ordonnance. Le magistrat Ta à peine regardée,et il me Ta rendue en disant : « C'estbien, c'est bien ; nous verrons. >

M. Charcot : Absolument comme le gendarme! vous le voyez, ces messieurs, c'est triste à avouer, ne sont pas fort impressionnés par l'appréciation des médecins; c'était, cependant, si je ne me trompe, le cas, ou jamais^ de réclamer l'avis d'un expert. Certes, il n'en eût pas manqué à Brest existe une école bien connue dans laquelle enseignent des professeurs fort distingués. Mais bah! on préfère, sans doute, juger les choses en s*éclairant des seules lumières delà « raison pure ». Au malade : Combien de temps^ en somme, étes-vous resté en prison, comment en êtes- vous sorti? Laissons-lui conter, mes- sieurs, tous les détails de sa triste aventure ; ils ne sont pas étrangers à la cause, tant s'en faut. Ils serviront, pour le moins, à mettre bien en relief qu'en un cas du même genre, une procédure plus équitable et mieux éclairée épargnerait à l'infortuné prévenu mille tribulations imméritées.

Le malade : Monsieur, je suis resté en prison six jours pleins. On m'a mis en liberté le septième jour, après avoir reçu une nouvelle dépêche de mon patron qui disait : « J'apprends que mon employé est malade, ayez pour lui des égards. » Alors on m'a donné 41 fr. 55 pour prendre le train et c'est ainsi que

je suis revenu à Paris.

M. Charcot : Telle est la fin de l'histoire ; mais ce n'est pas le cas de dire : « Tout est bien qui finit bien. » Il serait plus approprié à la situation de rappeler l'adage : « Un malheur ne vient jamais seul. » En effet, dès son retour, notre pauvre homme a été « remercié » par son nouveau patron, qui ne veut pas, cela se comprend du reste, courir par son fait de nouveaux risques ; et, de plus, s'adressant à une Société de secours mutuels dont il est membre pour obtenir un subside, il lui a été répondu par un refus formel, sous le prétexte que la maladie dont il souffre aurait été causée par « l'intempérance». Nous, qui savons péremptoirement ce qu'il en est à cet égard, nous ne pouvons accepter cette fin de non recevoir, et nous délivrerons à notre client un certificat en règle constatant que « l'intempérance » n'est pour rien dans le développement de la maladie en question. Nous lui délivrerons en outre un deuxième certiflcat, qu'il devra toujours porter sur lui» expliquant dans tous ses détails les carac- tères de l'affection, et cette fois ce certificat portera le cachet de Tadministra- tion de TAssistance publique de Paris.

Ce nouveau document aux allures officielles lui sera-t-il plus utile^ le cas échéant, que ne l'a été le précédent ?... peut-être !

Vous savez, messieurs, quel est le diagnostic auquel nous nous sommes arrêtés à propos de ce cas ; nous l'avons formulé il y a un an déjà : Il s'agit làfSuivant nous,(f 'au/oma^^me comitial ambulatoire ; c'est-à-dire d'une forme » Ou,comme on dit encore, d'un < équivalent épileptique > marqué par l'accom-

308

plissement inconscient d'actes de la vie ordinaire, plus ou moins compliqués, avec impulsion à marcher, à se déplacer, à voyager.

Ce diagnostic, je voudrais, chemin faisant, essayer de le justifierune fois de plus devant vous ; mais, pour ce faire, il est nécessaire de vous remettre en mémoire les principales circonstances du cas. Je pourrais, à ce propos, me con- tenter de vous renvoyer à ce qui en a été dit dans le recueil des leçons du mardi de Tan passé (p. i55),mais je crois indispensable, cependant, d'insister ici même, une fois de plus, sur les épisodes les plus caractéristiques de l'ob- servation. La tâche nous sera du reste singulièrement facilitée si vous voulez bien jeter les yeux sur le tableau synoptique que j'ai fait placer sous vos yeux; il résume sous une forme facile à saisir, les grands faits de Thistoire pa- thologique de notre homme.

ANNÉE 1887

AKNds isn

MA us

AVRIL MAI

JUIN

JUILLET

AOUT

SEPTEMB.

OCTOBRE

NOVEMBRE DÉCEMBRE

JANVIER PÉ\'MKIl

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1

■12 lieiircs.

."•3 heures.

3 heures. Accès avorté.

3bearfi. Mal à

U>tede3k de darvf . Acr*i avorté.

Le 27.

On eoiiiiiH'uce l'eniploi du Bromure àladose par jourch? i j^ramiues la 1" seiiiîiine de chaque mois, .'» la 2«, 0 la 3«, 7 la 4* et aiu^i'i d<> «tiite sans interruption l(*s mni<i suivants.

La première fois (pi'il a été atteint do l'un de ces accès dont le dernier Ta dans les circonstances que vous savez, conduit à Brest, c'était le 15 mars 1887. notait alors i\gé de 34 ans 1/4; c'est déjà, dans l'espèce, une anomalie;

309

Tépilepsie en effet éclate plus tôt dans la vie, du moins dans la règle, mais il y a le chapitre des cas exceptionnels, et les « épilepsies tardives », comme nous les appelons volontiers, ne sont pas, en somme, tellement rares. Une autre anomalie est que l'automatisme ambulatoire ne paraît être chez notre homme précédé par aucun des phénomènes qui signalent habituellement le petit mal soit vertigineux, soit convulsif, soit encore les grandes absences. Quand il est sous le coup de ses crises, nous le savons par la déposition de témoins ocu- laires parfaitement dignes de foi, ses allures, sa physionomie, son regard ne présentent rien de particulier qui le distingue d'un homme parfaitement éveillé et à Tétat normal. Il est seulement, a-t-on dit une fois, «un peu pâle» c'est tout ; d'ailleurs pas d'accidents épileptiques vulgaires dans l'inter- valle des accès ambulatoires, pas de morsure de la langue,pas d'urinationinvo-

ANNÉE 1888

ANNÉE 1889

AVRIL

MAI

JUIN

JUILLET

AOUT

8EPTEMB.

OCTOBRE

FÉVRIER

NOVEMBRE

JANVIER

AVRIL

DECEMBRE

MARS

Le 18

accès.

()« accès.

Durée :

Durée :

2 heures.

8 jour».

Accès

.

avorté.

MAI

Le 2.

Le Bromure est di- minué de 1 gramme chaque semaine, donc 3, 4, 5, 6 grammes.

Le 27.

On cesse le Bromure qui sans interruption a été pris pendant un an.

Le 30.

On reprend le Bro- mure, dose 4, 5, 6, 7 grammes.

lontaire, etc., etc., cela n'existe pas actuellement et cela, dans le passé, n'a jamais existé chez notre malade, qui, je crois devoir le répéter, n'a jamais souffert autrefois d'une maladie nerveuse quelconque et ne compte pas,

:uo

autant qu'on puisse le savoir, de tares héréditaires dans sa famille. Ainsi, le accès automatiques sont chez Lui parfaitement isolés ; j'ajouterai qu'ils sont, si Ton peut ainsi parler,tout à fait silencieux, trau quilles, exempts,en d'autres termes, de ces manifesLitions émotives violentes et bruyantes qui sont un des caractères habituels, presque classiques, des crises comitiales psychiques, et il y a encore là, vous l'avez compris, une anomalie de plus à signaler.

Mais, me direz-vous, je ne vois que des anomalies dans votre cas ; sur qiiels fondements faites-vous donc reposer votre diagnostic? Je vous répondrai, mes- sieurs, que je n*ai nullement la prétention de vous présenter ici un exemple régulier, vulgaire, facile à déchiffrer; oui^ le cas est exceptioimel, anormal par plus d'un côté ; mais je ne vois qu'une raison de plus pour le considérer de très près; car, vous le savez, l'élude des cas raresou parodoxaux, aussi bien en nosographie qu'en zoologie et en botanique, projette souvent sur les questions les plus ardues une vive lumière. En somme, messieurs, le principal argu- ment que je puisse faire valoir en faveur de mon diagnostic est plutôt d'ordre pratique. L'emploi du bromure de potassium, à doses suffisamment élevées et suffisamment prolongées, a eu sur le retour des crises, les détails de l'obser- vation le démontrent, une influence d'arrêt très marquée en* même temps qu'il lésa atténuées ; et certes, cet argument-là n'est pas sans valeur. Mais je me réserve de revenir dessus tout à l'heure et pour le moment, j'en reviens, à l'exposé des faits cliniques.

Donc l'accès du 15 mars 1887, le premier de tous, a éclaté chez Men.. s au milieu d'un état do santé parfait. La durée en a été de quatorze heures seu- le numt. S'advi'ssant nu main do : Von le/- vous nous répéter une fois de plus ce (jue vous savez relativement à cet accès ?

Le malahe : J'étais parti ce jour-là de la rue Amelot à 8 heures pour me rendre avenue (le Villiers faire un recouvrenu'nt. Je me rappelle très bien être allé juscpià la porte do la maison j'avais alFaire. 11 paraît que je n'y suis pas entré. J'ai oulilié tout ce que j'ai fait depuis lors. Je crois seulement que j'ai vu le Mont-Valérion et iiont-élroh; pont de Saint-Cloud. Lorsque je suis revenu à moi. il était iO heures du soir et je me trouvais au beau milieu de la place de la Concorde.

M. CiiAHiioT : Croyez-vous avoir marché tout le t^».mps ?

LK.MALAnn : Monsieur, je le suppose : mes souliers étaient tout usés.

M. CiiAHt:oT : Aviez-vous de l'argent dans votre poche? avez-vous mangé en roule ?

Lk maladk : Je ne crois pas avoir mangé. En tout cas je n'ai rien dépensé ; j'avais en parlant queirjues sous dans ma poche ; je les ïd retrouvés tels quels lorsque jr suis rentré chez moi.

M. CiiAHcor : Ainsi, vous le voyez, messieurs, c est tout comme dans l'afTaire de Brest ; inconscient ou subconscient, il se conduit à peu près comme s'il était conscuMit. Il n'est agressif envers personne, et sa conduite, ses allures

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sont telles qu'il passe au milieu de tous sans être remarqué (1). Au malade : Vous deviez être bien fatigué après tout cela.

Le malade : Oui, monsieurje n'ai pu travailler que le surlendemain ; mais le troisième jour j'étais parfaitement bien, puis je ne me suis plus senti de rien absolument, pendant trois mois et demi.

M. Charcot : Vous avez eu votre second accès le 30 juin. Il a été, je crois, plus long que le précédent ? Contez-nous ce que vous en savez.

Le malade : Oui, monsieur,il a duré quarante-deux heures. Donc, le 30 juin, à 3 heures de l'après-midi, je suis parti pour Passy je devais porter des candélabres. J'étais allé par l'omnibus. Après ma livraison, J'ai pris le tram way et, arrivé au Trocadéro,il m'a pris l'envie d'aller voir de près en était la construction de la Tour Eiflfel ; je me rappelle fort bien avoir vu les pre- mières assises de la tour ; après cela je ne me souviens plus de rien du tout. Je me suis réveillé seulement, comme je vous l'ai dit l'autre fois, le surlen- demain à 9 h. 1/2, nageant dans la Seine.

M. Charcot : Ah !oui, je me souviens de l'aventure, c'est la seule fois qu'il ait, dans ses fugues, commis une action dramatique, à grand fracas.Il avait, si je ne me trompe,pris à la station de Courcelles un billet pour Bercy il a oid)lié de descendre. Le train continue sa marche et voici qu'en passant sur le pont National notre homme, qui occupait une place à l'impériale, se préci- pite tout à coup dans la rivière. Il faisait très chaud, il aura été attiré par la vue de l'eau.Heureusement il est bon nageur , il gagne rapidement la berge il rencontre des sergents de ville qui étaient accourus pour lui porter aide et qui le conduisent au poste de secours. Au malade : Est-ce bien cela? Dites- nous le reste.

Le malade : Oui, monsieur, c'est exactement cela ; au poste de secours j'ai rencontré l'employé du chemin de fer qui m'a réclamé mon billet ; je l'avais dans ma poche et je le lui ai donné ; mais il m'a fallu payer un supplément parce que j'avais dépassé la gare de Bercy. Je sais exactement l'heure à laquelle tout cela s'est passé, car, sans le savoir, j'avais remonté ma montre.

M. Charcot : Ainsi, messieurs, automatiquement et sans qu'il lui en reste le moindre souvenir, il prend à la gare de Courcelles un billet pour Bercy, qu*il paye bien entendu ; également sans le savoir il a remonté sa montre et,dans le train, saconduite est celle d'une personne normale jusqu'au moment où, sans qu'il en connaisse le motif, il se précipite dans la Seine. S'adres- sont au malade : On vous a reconduit chez vous ?

Le malade : Non, monsieur. Le secrétaire du commissaire, auprès duquel on m'a conduit, me connaissait justement, il m'a laissé partir seul.

M. Charcot : Vous ne pouvez pas dire ce que vous avez fait pendant la nuit

i. Voir pour plus de détails, relaUvemeot aux premières crises, la Leçon du 31 janvier 1888, p. 156 et suivantes.

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du 30, la journée et la nuit du i" juillet ? avez-vous couché? Avez-vous mangé ?

Le malade : Monsieurje n'en sais absolument rien. Je n'ai pas manger. J avais^ en partant de chez moi, le 30, à peine 1 fr. 50 dans ma poche,el lors- que je suis sorti de Teau j avais encore quelques sous.

M. CiiARCoT : Remarquez bien ceci, messieurs, le premier accès a duré qua- torze heures, et le second quarante-deux. C'est-à-dire vingt-huit heures de plus. Nous voici arrivés au troisième accès, dont la durée sera plus longue encore. Ce <lernier,d'un autre coté, s'est produit le 23 août, c'est-à-dire moins de deux mois après le deuxième, de telle sorte que Ton peut dire qu'à mesure qu'ils sf» reproduisent, les accès offrent une tendance marquée à s'allonger et à se rapprocher.

Au malade : Vous étiez, je crois, le 23 août, vers il heures, rue Ober- kampf. De vous êtes allé on ne sait et vous vous êtes retrouvé le sur- lendemain, à 5 heures du soir, couché près de la Seine non loin du pont d'Asnières.

Le malai»e : C'est exactement cela,c'est cette fois-là que j'ai été àClaye...

M. CiiAHcoT : Ah oui. c'est juste : vous avez remarquer que dans sa pre- mière crise, il lui a semblé «juc pendant sa fugue, il avait vu le Mont-Valé- rien et le pont de Siunt-Cloud. Cette fois-ci encore il a conservé un lambeau de souvenir^ et ce souvenir paraît très précis. Il affirme avoir passé par un bourg, nommé Claye, à sept lieues environ de Paris, et être entré dans un restaurant il a commandé un bifteck qu'il n'a pas mangé...

Le MALADE : Oui, monsieur, je suis parfaitement sur de tout cela. Jesuissûr d'avoir lu sur une des dt.*inières maisons de la ville une inscription portant ces mots : Claye ; 14 kibmiètres. Cela m'a frappé je ne sais pourquoi. J'ai C(minuiniier aussi du cal'o, car j'avais du sucre dans ma poche, mais je ne sais pas si je l'ai bu. Après cela, je ne sais plus rien. Je me suis réveillé, comme vous dites, au bord de la Seine sous le pont d'Asnières auprès d'un pêclieur qui a paru fort étoun('* do me voir là. J'étais fort sale, il est vrai, et mes chaussures étaient dans un état déplorable.

M. CiiAHCOT : Messieurs ces épisodes, détachés d'une histoire perdue, quisur- vivt'nt au milieu de l'oubli profond de tout le reste, sont un fait bien digne d'élre relevé, tant au point de vue psy<ihologique qu'au point de vue clinique. Il se relrouve,si j'en juge d'après quelques observations personnelles, bien plus fré- quemment qu'on ne le pense, dans l'automatisme comitial accompagné, tel qu'il l'est ordinairemout, d'actes violents, désordonnés, agressifs. Je pourrais citer, à ce pro[>os,le cas d'un épileptique qui est venu me consulter il y a deux ou trois ans(i(i cela ; il me raconta qu'à la suite d'un de ses accès il était entré dans un état de fureur maniaque qui l'avait mené à tout briser chez lui ; après quoi, jetant partout ré[)ouvaute, il s'était enfui dans les champs. Là. il revint à lui quelques heures après l'événement, et reprit le chemin de sa

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maison, ne sachant absolument rien de ce qui s'était passé. A la vue des meubles bouleversés, brisés, saccagés, il fut d'abord frappé d'étonnement et d'effroi ; mais un souvenir d'abord confus, puis peu à peu plus précis, plus arrêté, se produisit en lui : et il se dit tristement, à lui-même : «Je comprends maintenant ce qui est arrivé ; j'ai cru rêver tout cela : mais je vois bien qu'il ne s'agit pas d'un rêve, c'est moi, hélas ! qui ai toutfait ! »

On pourrait aisément multiplierles exemples dugenre. Trousseau, d'ailleurs, a insisté déjà sur cet ordre de faits. Je tiens seulement, pour le moment, à éta- blir sur ce point spécial un rapprochement entre notre cas et les cas vul- gaires, et vous voyez qu'à cet égard il n'y a pas d'opposition entre les deux ordres de faits.

C'est à la suite de ce troisième accès, le 27 août 1887, c'est-à-dire 4 jours après, que Men...s, sur le conseil de notre honoré collègue le D' Delasiauve, est venu nous consulter. Nous vous avons dit, messieurs, plus haut, comment il nous a paru que le cas devait être considéré, et la thérapeutique a été ins- tituée en conséquence. Nous avons prescrit au malade de faire usage jour- nellement d'un mélange contenant à la fois du bromure de potassium, du bromure de sodium, du bromure d'ammonium. La dose, par jour, devait être pendant la première semaine de 4 grammes de principe actif, de 5 grammes la deuxième semaine, de 6 la troisième, de 7 grammes enfin la quatrième ; après quoi, le mois suivant, on devait recommencer par 4 grammes la première se- maine, 5 la deuxième, 6 la troisième, 7 la quatrième etainsi de suite sans inter- ruption même d'un jour, pendant une longue période de temps, 6 mois pour commencer. Cette prescription, messieurs, a été suivie par le malade très régulièrement, au pied de la lettre, et vous allez être menés à reconnaître jusqu'à quel point les événements sont venus justifier notre hypothèse relative au diagnostic. Voici, en effet, ce qui s'est passé à partir du com- mencement du traitement jusqu'à ce jour.

La fin d'août, le mois de septembre, une partie du mois d'octobre se passent sans nouvelles manifestations du mal. Le 18 de ce dernier mois, éclate un petit accès dont je tiens à vous faire connaître les principauxdétails. Le malade va lui-même nous dire ce qu'il en sait, ou mieux ce qui lui en a été dit par les personnes qui l'ont vu en ce moment-là.

Le malade: Ce jour-là, je suis parti comme d'habitude pourfaire des livrai- sons ; j'étais dans la voiture de la maison, assis à côté du cocher qui ne s'est absolument aperçu de rien d'extraordinaire.

M. Charcot : Je ne veux pas oublier, à ce propos, de relever en passant l'absence constatée au moins une fois, de cri, de manifestations convulsives, ou encore' de grands vertiges avec grimaces, face livide, chute, etc., etc., au début de l'accès ambulatoire. En a-t-il été de même pour les autres accès ? CSela, d'après tout ce que nous en savons, est au moins fort vraisemblable.

Le malade : Je suis allé d'abord rue de Clignancourt chez un premier client

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et je me rappelle très bien ce que j'y ai fait ; puis rue de Clichy, mais de cette seconde course je n'ai qu'un vague souvenir ; enfin rue de Villiers, jus- tement chez monsieur qui m'accompagne. J avais à y démonter une suspen- sion très lourde. Je ne me rappelle pas du tout être entré chez lui ; j'ai démonté la suspension, je Fai emportée dans la voiture qui m*attendait en bas. Je ne me souviens absolument pas de tout cela, mon patron m'a dit qu'il n'avait rien remarqué en moi rion d'extraordinaire.

M. X... : Non, monsieur, c'est vrai, je n'ai rien remarqué chez Men.. .s si ce n'est qu'il était un peu pdle : ma femme, qui le connaît depuis long- temps, m'a dit après coup qu'elle lui avait trouvé l'air un peu drôle; mais je ne crois pas qu'une personne étranjçère eût pu voir chez lui quelque chose de particulier.

Le MALADt: : Une fois dans la voiture, je me suis réveillé peut-être un quart d'heure après être descendu de chez M. X. Mon oubli avait duré cette fois à peu près trois heures, pas plus, et j'ai fait bien des choses pendant ce temps-là.

Quand je me suis remis, j'ai senti une grande fatigue, comme si j'avais été roué de coups, et j'avais une soif atroce. En rentrant chez moi, j'ai bu plusieurs verres d'eau.

M.Chakcot : A mon avis, messieurs, il s'est agi d'un accès cette fois avorté, atténué pour le moins, sousTinfluencede l'action du bromure. Le premier accès avait duré quatorze heures, le 2" quarante-deux heures, le cinquante-trois heures tandis que le V, lui, ne dure que trois heures. C'est ainsi que,dansrépi- lepsieconvulsive, onvoitparlc faitde l'administration du bromure se produire des accès atténués, souvent représentés seulement par des vertiges sans accom- pagnement convulsif et dont les malades ont quelquefois conscience ; ces accès, qu'il ne faut pas confondre avec le petit mal > spontanément déve- loppé, eussent pris, très vraisemblablement, si le bromure n'avait pas été admi- nistré, les proportions d'un grand accès convulsif.

Quoiqu'il en soit, à partir de ce quatrième accès, la maladie pendant une longue période de (piatorze mois n'est plus représentée désormais que par une crise de mal de tète semblable h celui (]u'il a ressenti plusieurs fois au début de ces accès ; ce mal de tète a siégé, cette fois comme les autres, au niveau de la tempe gauche. Il s'est montré un an, presque jour pour jour, après le pre- mier accès.

lia duré environ quatre heures. Il n'y a pas eu de perte de conscience; mais le malade prétend avoir senti que, s'il eut été h pied « il aurait fait une fugue comme les autres fois », c'est encore lài\nenpas douter un accès avorté par le fait de l'action du bromure.

Les mois de mai, juin, juillet, aoilt et septembre se passent sans qu'on ait pu remarquer chez notre homme aucun accident nerveux . Il avait repris toutes ses habitudes, son travail, ses visites en ville, et sa santé générale ne

315

laissait rien à désirer. Il avait depuis longtemps repris confiance en lui- même : de fait il se croyait guéri. Déjà le 2 mai 1888, nous Tavions autorisé à diminuer d'un gramme chaque jour les doses du médicament qui le fatiguait un peu, disait-il. Euseptembre (fin de septembre), c'est-à-dire un an après le commencement du traitement, il prit sur lui d'en guspendre complètement remploi.

Mal lui en prit, vous allez le voir. A la vérité, les mois d'octobre, novembre, décembre et une partie de janvier, se succédèrent sans incident ; mais le 18 janvier, trois mois et demi après la cessation du bromure, éclate tout à coup, sans causes provocatrices apparentes, et dans les circonstances que vous savez, le grand accès de huit jours de durée qui l'a conduit à Brest, et qui a été pour lui l'occasion de tant de tribulations imméritées et de tant de misères.

Vous pourrez suivre d*un coup d'œil rapide toutes les péripéties de cette longue histoire, si vous voulez bien parcourir le tableau chronologique que j'ai fait préparer pour la circonstance i^V. p. 308). L'ensemble des faits établit ici, si je ne me trompe, l'influence décisive,et en quelque sorte caractéristique du bromure sur le retour et l'intensité des accès. Après que le médicament est administré, et tant qu'on persiste dans son emploi, les accès, après s'être atténués d'abord et éloignés^disparaissent ensuite complètement pendant une longue période de temps; on cesse d'administrer le bromure et voilà . qu'au bout de trois mois, le mal reparaît sous la forme d'un accès excep- tionnellement intense. Ces résultats thérapeutiques suffisent je crois, en grande partie pour révéler la nature du mal. C'est dans Tépilepsie seule, tant convulsive que vertigineuse ou psychique, qu'on voit le bromure produire des effets aussi nettement accusés ; certes il ne les produit pas, je m'en porte garant, dans les attaques délirantes ou convulsives de l'hystérie.

La morale de tout ceci, c'est qu'il va falloir reprendre le médicament immé- diatement et en continuer désormais l'emploi pendant une période de temps indéterminée. Les doses seront ce qu'elles ont été lors de la première prescrip- tion, c'est-à-dire 4 grammes par jour la première semaine du mois, 5 la seconde, 6 la troisième et 7 la quatrième et ainsi de suite les mois suivants. Nous espérons pouvoir ainsi, à la longue, vaincre le mal ou pour le moins en atténuer considérablement les effets. Y réussirons- nous? c'est ce que l'avenir nous apprendra (1 ) .

Men..s et la personne qui l'accompagne se retirent.

l.La médication a donc été reprise le 12 février 1889; rien de nouveau jusqu'au 14 avril. Ce jour-là,est survenu un accès qui n'a pas duré plus de deux tieures Le malade le décrit, ainsi qu'il suit : « suis sorti de chez M. R..., marchand de meubles et de bronzes, rue Saint-Lazare, pour le compte duquel je travaille maintenant, à 2 heures de l'après-midi. Je devais aller rue des Bons-Enfants d'abord pour y chercher du drap, puis passage Saulnier pour y prendre des patères. J'étais à pied. Dix minutes peut«6tre après mon départ, étant dans la rue, j'ai perdu conscience. Avant, j'étais parfaitement bien portant et, cette fois, je n'ai pas senti de mal de

3l«

II

Je pourrais en rester et passer outre ; mais rien ne nous presse en ce moment, et pour mieux relever encore l'intérêt du cas que nous venons d*étudicr ensemble, je crois utile d*en rapprocher un certain nombre de faits analogues en ce sens que, comme dans le nôtre, le sujet exécute sans le savoir et sans le vouloir, c'est-à-dire automatiquement, des actes souvent fort complexes. Nous choisirons surtout, naturellement, ceux dans lesquels on le voit marcher, se promener en public, voyager même et, avec une api^urence d'intelligence et de lucidité souvent parfaites, résoudre toutes les difficultés que l'on rencontre nécessairement dans l'accomplissement régulier de tels actes. Ces faits existent dans la science en certain nombre; ils peuvent être ramenés à plusieurs groupes que nous nous proposons de passer en revue suc- cessivement. Dans cet exposé qui ne saurait être d'ailleurs que très sommaire, nous chercherons surtout l'occasion, en faisant valoir les analogies et les différences, de déterminer la place que le cas de Men... s doit occuper dans la série de Vautomntisme ambulatoire^ et nous serons conduit par là« si je ne me trompe, à reconnaître encore une fois que c'est au groupe comitîal qu'il appartient.

On raconte que John Stuart Mill a composé la plus grande partie de son Système de logique > pendant les promenades qu'il avait l'habitude de faire chaque jour dans les rues de Londres, entre Kensington et India house. Plu- sieurs fois on l'a rencontré Taprès midi dans Cheapside, avec l'air d'un homme fort préoccupé, se frayant cependant la voie avec beaucoup d*aisance parmi les passants, très nombreux à cette heure du jour, sans les heurter le moins du monde et sans se cogner contre les colonnes à gaz (1). Sans être un Stuart Mill, combien de fois ne nous est-il pas arrivé dans certains moments de grande préoccupation, de gravir un escalier sans le savoir et d'arriver devant la porte fort étonnés de ce que nous avions fait inconsciemment.

Ce sont des exemples d'automatisme physiologique en quelque sorte ; mais c'est, si l'on peut ainsi dire, du petit automatisme^ qu'il s'agit ici car s'il a perdu, en tout ou en partie, le souvenir des actes moteurs qu'il a accomplis, en se pro-

têlc ; je me suis réveillé seulement à 4 heures en rentrant pue Saint-Lazare, fort étonné de voir que j'avais fait mea commissions puisque je rapportais avec moi mon drap et mes patères. Le» personnes chez lesquelles j'ai été rue des Bons-Enfants et passage Saulnîer ne se sont aperçues de rien. Elles ont dit seulement que j'avais la figure « pâle et tirée ». En rentrant, je me suis senti très fatigué, comme d'hahitude après mes fugues, et j'avais besoin d'étendre les bras et de m'étirer comme on le fait quand on se réveille.

Aujourd'hui, 15 juillet, nous apprenons de Men.. s qu'il n'a pas eu d'antres crises; le bromure a été continué conformément à la prescription, sans Interruption.

i. Carpenter, Mental Phynology, &• édiUoo, p. ISi.

317

menant on en montant un escalier, le sujet conserve pour le moins celui des actes psychiques qui, pendant ce temps-là, ont occupé son esprit.

La Pathologie nous fournira aisément des cas beaucoup plus accentués. Le groupe^ en particulier, des amnésies /raurwa/i^ue*, sur lequel j*ai eu l'occasion déjà d'appeler votre attention, fournit de nombreux exemples du genre (l).Il n'est pas rare, en effet, à la suite d'un choc sur la tête, ayant déterminé, une commotion cérébrale,de voir survenir un état d'amnésie plus ou moins profonde et plus ou moins prolongée, accompagnée d'automatisme ambulatoire. Un des cas les plus remarquables dans cette catégorie, est incontestablement celui qui a été rapporté à la Société] médico-psychologique de Paris, séance des 23-26 octobre 1885, par M.le D' Rouillard (2).

Ils'agit d'une sage-femme, M"* T..., âgée de 54 ans, vétéran dans son métier qu'elle exerce depuis plus de vingt-cinq ans et elle a acquis une grande réputation d'habileté. Pas de maladies nerveuses antérieures à l'affection dont il va être question, pas d'épilepsie en particulier, pas d'hystérie. Dans la nuit du 8 au 9 août, on sonne chez elle ; elle ouvre une des fenêtres de l'entresol elle demeure, et demande ce qu'on lui veut. On vient la chercher pour aller assister à la Chapelle, une de ses clientes, qu'elle a accouchée deux fois déjà, et qui est près d'accoucher une fois de plus. Le mari est là, en bas, qui attend dans la rue. M°*T... descend son escalier qui est très raide, très étroit, tortueux, et, arrivée aux dernières marches, elle fait une chute et perd connaissance. H était environ 3 heures du matin. On la trouve étendue sur le côté droit ; pas d'écoulement sanguin, ni par le nez ni par les oreilles, pas de vomissements, pas de relâchements des sphincters. Ses traits n'étaient pas convulsés, la langue ne sortait pas de la bouche ; comme elle est fort lourde on parvint non sans peine à l'asseoir sur une chaise. L'état d'inconscience dura un quart d'heure environ.

Lorsque M"* T... revint à elle, elle demanda un peu d'eau sucrée avec douze gouttes d'arnica. Sa voix était faible, mais les mots étaient bien arti- culés. M. C... qui était venu la chercher lui demanda si, malgré l'accident, elle pouvait venir faire l'accouchement ; elle se leva et dit : « Allons. » Dans la rue elle dit à M. C... qui lui donnait le bras : « me menez-vous ? Mais chez moi, à la Chapelle, ma femme est en douleurs. Votre femme ? Je ne la connais pas ! Comment s'appelle-t-elle ? M™® C... vous le savez bien ! Elle est donc enceinte ? Mais vous l'avez vue avant-hier. Allons I Et votre sac, vous l'avez oublié. (En effet le sac a été retrouvé plus tard dans l'escalier.) Je n'ai pas besoin de sac. Vous avez bien du fil et des ciseaux chez vous ! Vous m'ennuyez ! Allons ! »M. C... trouve que M™* T... n'est pas de bonne humeur et n'insiste pas.

1. Leçons du mardi, 1888-89 p. 134.

2. Annales médico- psychologiques, p. 39 et p. 127, t. III, 49« anntre, Paris.

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On arrive à la Chapelle après une course d un kilomètre environ. M"* T... louche la femme et dit : « Vous en avez encore pour deux bonnes heures. Tenez, marchez dans la chambre, moi, je suis plus malade que vous, je vais m'étendre sur votre lit. Donnez-moi auparavant un peu d'eau fratche et de Tarnica. » Elle se met un bandeau elle-même : elle a une énorme contusion ecchymolique du front et de la joue et peut à peine ouvrir l'œil droit.

Elle s étend sur le lit et parait s*assoupir. Au bout d*une heure, elle se lève. La femme en couches souffre beaucoup et pousse des rris épouvantables. M"* T... la fait coucher, prépare tout, dispose elle-même la layette sur un meuble. L'accouchement se fait normalement vers cinq heures et demie comme M°" T... l'avait prédit. Elle <lunno d'ailleurs ses soins avec intelligence, pra- tique le toucher vaginal à plusieurs reprises, soutient le périnée pendant Pex- pulsion du fœtus, pose deux ligatures au cordon et le coupe, lave l'enfant et l'essuie, lui oint légèrement la tête d'huile, lui panse le nombril et entoure le pansement de quelques tours de bande, auxquels elle fait quelques points de couture, l'habille et Temmaillotte, puis délivre la mère. Elle examine le placenta, le tourne, le retourne, déplie les membranes et dit au père : « Vous pouvez jeter cela. >> Puis elle lave la mûre, l'essuie, lui passe du linge propre sous elle et dit : « Maintenant donnez-moi quelque chose à boire... » Elle s'as- seoit, prend du thé avec quebjucs gfitcaux secs, et cause avec les personnes pré- sentes de choses et d'autres, mais avec peu d'entrain et répétant toujours la même chose.

Vers 8 heures 1/4, raccouchée se plaint et réclame l'assistance de la sage- femme. « Allons, dit M™" ï..., voyons î » et elle soulève le drap. Ace moment, M"" T... est, prise d'un violent frisson, elle ferme les yeux, son corpstremble, elle a froid. Puis «'lie rouvre lesyi'ux,et rtnf aloi's la scène. Elle regarde autour d'elle d'un air ahuri, ne comprend pas elle est, reconnaît mal les assis- tants qu'elle connaît presque tous de lontçue date. Uêve-t-elle ? Comment est- elle venue? Et se tournant vers les assistants : « Est-ce quelle uccouche, celte femme-là? i> Le mari est telleinont étonné qu'il n'y peut répondre. « Vite une cuvette, de l'eau, do quoi écrire. * Puis elle praticpie le toucher et dit : « Mais elle est ilélivrée ; est le délivre ? Mais il est jeté. Tant pis j'aurais désiré le voir. est l'enfant? Tiens il rst emmailloté et bien emmailloté mafoi ! Mais c'est vous qui l'avez habillé ! Allons donc, dit-elle, vous voulez rire... » Elle .se fait raconter ce qui s'est passé, est tr«^s étonnée de se voir une forte bosse à la tempe et d'éprouver une grande gêne dans les mouvements du ctHé droit. Craignant d'avoir fait (pielque bévue pentlant celte période d'inconscience, elle déshabille l'enfant qu'(îlle trouve fort bien arrangé. Elle constate aussi que la délivrance a été bien faite et qu'aucun débris de placenta ne se trouve dans la cavité utérine.

Malgré tous ses efforts, elle n'a pu jusqu'ici se rappeler rien de ce qu'elle

319

^ fait pendant cette période qui a été de cinq heures et demie environ, de heures 3/4 du matin à 8 heures i/4 (1).

J'ai tenu à rapporter cette importante observation dans le détail, parce qu'elle montre bien quelle peut être la durée de l'état automatique dans ces circonstances de l'amnésie traumatique, et quelle peut être la complication vraiment étonnante, ainsi que l'admirable adaptation des actes accomplis durant cet état. « Faire une course d'un kilomètre, dit à ce propos l'auteur de l'observation, boire, manger, échanger quelques paroles sans en garder le souvenir, c'est déjà chose curieuse. Mais faire un accouchement et le bien faire, lier et couper le cordon, délivrer la mère, lui donner, ainsi qu'à l'enfant, des soins minutieux, le tout pendant cinq heures et demie et sans pouvoir se le rappeler, voilà qui paraît extraordinaire. » Oui, sans doute, cela paraît être extraordinaire, quand on n'est pas familiarisé encore avec les faits de cet ordre, mais ces faits-là ne sont pas, tant s'en faut, sans exemples; ils tendent à se multiplier parce qu'on y prête plus d'attention chaque jour, et, au fur et à mesure qu'ils s'accumulent, on s'habitue à les trouver moins singuliers. Tou- jours est-il que, dès à présent, au point de vue qui vient d'être signalé, il y a lieu d'établir, vous l'avçz compris, messieurs, en ce qui concerne bien entendu le côté psychologique, non le côté nosographique, un rapprochement entre l'observation de M°* T... et celle de notre malade Men.. s qui, par suite de ce rapprochement même, vous paraîtra, en quelque sorte^ moins étrange, moins inattendue. Dans les deux cas, même inconscience profonde, en efiet, con- trastant avec des actes automatiques remarquablement compliqués, rappelant absolument par leur aisance et leur précision ceux de la vie consciente, tant ils semblent parfaitement adaptés à un but. 11 est vrai que la durée de la période automatique n'a pas dépassé cinq heures dans le cas de M"' T..., la sage-femme, tandis qu'elle a pu, lors du dernier accès, dans le cas de Men.. s atteindre jusqu'à huit jours. Mais on ne saurait trouver là, en somme, le motif d'une séparation fondamentale. L'état mental, considéré comme syndrome, comme épisode, paraît être essentiellement le même chez les deux sujets ; l'accès ne dure que cinq heures dans un cas ; dans l'autre, il dure quatorze heures, quarante-deux heures, cinquante-trois heures, huit jours enfin dans la crise de Brest ; mais, pour se prolonger, la modification psychique qui pré- side à l'accès ne change pas pour cela de caractère. Il n'y a donc en défini- tive qu'une question de degré.

Voici l'indication de quelques autres exemples d'amnésie traumatique avec automatisme que, dans lebut d'éclairer mieux encore lasituation, je crois utile de signaler à votre attention. On cite volontiers le cas de Kaempfen qui fait partie des mémoires de l'Académie de médecine pour 1835 (2). Il s'agit d'un

1. Roaillard, loc. cil. p. 39.

2. Mémoires de rAcadémie de médecine, t. IV, p. 489, 1835.

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oflicier de vingl-huit ans qui fait une chute de cheval dans un manège et tombe sur le cùté droit du corps, principalement sur le pariétal droit. Cette commotion est suivie d'une lég(»re syncope (?) llevenuà lui, il remonte à cheval et continue sa leçon d'équitation pendant trois quarts d'heure avec une grande régularité. Au sortir de là, il ne se rappelait ni sa chute, ni cequi a suivi. Six heures après l'accident, il commence à retenir la phrase qu'il s'est entendu adresser tant de fois depuis : *< Vous êtes tombé de cheval ». Vingt-quatre heures après la chute, il ignore encore qu'il Ta faite, et il ne connaît ce qui s'est passé ce jour-là que par ce que lui a appris le récit dos témoins.

M. Ferré a obser\'é un fait fort semblable au [précèdent qu'il a consigné dans sa thèse inaugurale sur l'amnésie traumatique publiée en 1881 (1). M. M.-., élève de Saint-Cyr, tombe de cheval au manège; après une perte de connais- sance de quelques minutes» il se rend avec ses camarades au dortoir, par- court cinq cents mètres et monte deux étages, dépose sa cravache, passe ses fausses manches de travail et les attache, descend en récréation, mange du pain et boit du vin. Il va ensuite chercher sa planche à dessin, sans la con- fondre avec celle d'un voisin, se rend à l'étude et se met à tourner de l'encre de Chine. A ce moment, le professeur lui parle et c'est, alors seulement qull reprend possession de lui-môme, après quelques minutes d'ahurissement. Ses souvenirs personnels ne datent que de cet instant.

Une jeune femme, dont l'histoire a été rapportée par M. Motet, tombe, en des- cendant de wagon, sur les fesses sans se blesser et ne perd pas connaissance. On peut se demander si, dans ce cas, c'est l'ébranlement physique ou l'ébranle- ment psychique qui a été en cause ; toujours est-il qu'à la suite de cet accident, quoique devenue amnésique, elle a marché et causé même, pendant quelque temps, sans savoir elle allait ni pourquoi elle était venue.

Une autre obseiTation citée par M. Motel, àproMos du fait précédent, est fort intéressante pour nous vn ce sens que, par certains eûtes, elle rappelle jusque dans les moindres détails le cas de Mon. .s; mais cette observation doit, sui- vant nous, trouver sa place dans le groupe rpilcpùque nous allons avoir à relever maintenant quelques exemples topitjues.

L'automatisme, avec ou sans im[)ulsion à la déambulation,se rencontre, pour ainsi dire, à chaqiir pas dans l'iiistoinï du mal comitial\ mais le plus souvent, on le sait, et rola est pour ainsi dire dans la règle lorsqu'il s'agit du délire épileptirpie post-convulsif\ les malhonrt'ux malades s'ils se sont échappés et ont parcouru les voies publiques se reirou vent, lorsqu'ils sortent de leur crise. Soit au poste de police, soit dans un a-ilt.-. C'est que sous l'inQuence d'halluci- nations terrifianlos, d'émotions (Iraniatitiucs, ils ont ré[)andu l'épouvante

î. (iité d'apn^s Ronillard, loc. cit.

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autour d'eux, brisant tout sur leur passage, et commettant même trop souvent des actes homicides.

D'autres fois, principalement peut-être, mais non exclusivement, tant s'en faut, quand il s'est agi du petit mal. la scène est moins bruyante, plus calme; mais le résultat pratique, en somme, est analogue car lemalade commet incons- ciemment des actes repréhensibles, délictueux, et, pris en flagrant délit, on l'ar- rête. M. Gowers, dans son Traité de l'épilepsie, cite le cas d'un maître de musique qui, pris de vertige comitial au milieu de sa leçon, s'est mis à se déshabiller comme s'il allait se mettre au lit. J'iti revu, ces jours-ci, un pauvre diable de professeur attaché à une école professionnelle [m m'a con- sulté bien souvent depuis quelques années, et qui est sujet à des accès de petit mal à la suite desquels, souvent, comme le malade de M. Gowere, il se déshabille sans le savoir et va se coucher en plein jour. Tout récemment, il s'est déshabillé en pleine classe, pendant son cours, et cet acte coupable, dont il n'est pas responsable cependant, l'a conduit devant les tribunaux.

Certes, ces cas-là ne sont point rares. Ce n'est pas ainsi, vous le savez, que les choses se sont passées dans l'observation que nous avons en vue d'éclairer. Notre homme dans ses fugues inconscientes, et c'est un caractère vraiment parti- culier de son cas, s'est toujours conduit en public, vous ne l'avez pas oublié à part toutefois le jour il s'est précipité dans la Seine sans se faire remar- quer de personne, et il n'eût peut-être jamais connu la prison si, à la suite de la grande crise de Brest, il n'avait pas eu la malencontreuse idée de se con- fler à un gendarme dans les circonstances que vous savez. Ce sont donc les faits d'automatisme tranquille, pondéré, si l'on peut ainsi parler, c'est-à-dire sans accompagnement d'actes tragiques ou simplement repréhensibles, qu'il nous faut relever surtout pour les rapprocher du cas de Men..s. Ces faits-là ne sont point très vulgaires. Le cas de ce magistrat cité par Trousseau qui, siégeant à l'Hôtel de Ville, comme membre d'une société savante, sortait nu tête, allait jusqu'au quai et revenait à sa place prendre part aux discussions sans aucun souvenir de ce qu'il avait fait, est bien connu. Un employé de bureau se retrouve à son pupitre, les idées un peu confuses sans autre malaise, lise sou- vient d'avoir commandé son dîner au restaurant ; il apprend qu'il a mangé, qu'il a payé, qu'il n'a pas paru indisposé et qu'il s'est remis en marche vers son bureau. Cette absence avait duré environ trois quarts d'heure (1).

Mais ce n'est encore, si l'on peut ainsi parler, que du petit autoinatlsmeet d'ailleursle caractère ambulatoire, dans les observations jusqu'ici citées, n'est pas très accentué. Il n'en est pas de même dans celles qui vont suivre. Elles vont nous faire connaître des cas dans lesquels les accès d'inconscience ou de

1. Voir sur ce sujet Hughlinj;» Jackson, West Riding Asylum Reports. Traduction dans la Revue scientifique du i9 février 1876. Falret, Arch, générales de Médecine, 1860, avril et octobre 1861. Hibot, Maladies de la mémoire^ 1881, p. 54.

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suhconscieiice marqués par une impulsion morbide à la déambulalion, onf, comme chez Mon. .s, embrassé une période de plusieurs jours, huit jours dans quelques cas. Tardieu, dans son étude médico-légale sur la folie cite, on le sait, Texeniple d*un menuisier qui tout à coup pose ses outils, abandonne son établi et marche sans s'arrêter pendant huit joui^s; il était allé à soixante lieues de son domicile et y était revenusans savoir pourquoi. C'est ici que doit être placé, suivant nous, le cas de M. Motet auquel nous avons fait allusion plus haut et que cet autour croit devoir classer dans la catégorie des amnésies traumatiques transitoires. (îclb.'s-ci, autant qu'on saclic, ne survivent pas longtemps au choc pliysiquequi leur a donné naissance et surtout, après avoir paru immédiatement après l'accident, elle ne se reproduisent i>as par la suite, sous forme d*accèsplus ou moins souvent répétés et séparés par des intervalles libres. D'un autre côté, il n'est point rare, on le sait, de voir un choc sur la tête, agissant à la manière d'une cause provocatrice et non pas créatrice, déterminer l'apparition d'atta- ques d'hystéro-épilepsie qui, jusque-là, n'avaient point paru et quise perpé- tueront par la suite: on pciil affirmer qu'il en est quelquefois de même de Vépilepsie considérée dans ses formes les plus variées et telle est Tinterpréta- tion que nous croyons devuir donner du cas de M. Motel dunt nous allons rap- peler les faits les plus importants (1).

« Un jeune homme qui, après avoir fini son temps de service militaire dans les meilleures conditions physi(iues et morales, gagnait sa vie en servant les mayons tomba un jour de la hauteur du deuxième étage d'une maison en construction, clans les circonstances que voici. Il portait sur la tête une auge de plaire et montait à réclielle, lorsjju'un échelon se brise sous son pied; il est précipité et tombe à travers l'ouverture béante de la cave. 11 se fracture la jambe droite et la cuisse gauche. Il reste huit jours dans un état comateux, près d'un an parapb'giqiie et «'nfui il se rétablit. Mais l'amnésie est restée com- l)lète pendant des mois. La réparation s'est faite progressivement, et chose assez curieuse, la mémoire s'est rétablie jusqu'à la minute même de Tacci- deiit ; il se souvient maintenant du bruit ([ue l'échelon a produit en se brisant. Mais cet homme qui, jusque-là, n'avait jamais été un épileptique est resté de- puis sujet à de véritables accès de vagabondage; il part, marche devant lui, hans conscience de ses iictes, automatiquement, et ne s'arrête au bout de quatre heures, dix heures et plus, cju'exténué de fatigue et mourant de faim. Il se demandr alors il est, ce qu'il est venu faire dans un endroit inconnu de lui. 11 rentre chez sa mère ^ans pouvoir donner aucune explication de son absence.

* 11 s'est marié, et deiniis il a encore été sujet à des fugues du même genre. L'une d'elles entre autres a été remanjuable à la fois par son intensité et par

1. Vnir Molol, .inutilps injiii'O-psi/chohgi'jnes, IS"^"». p. l'J-'.

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8a durée. 11 avait obtenu une place de concierge qu'il cumulait avec la fonction de distributeur de prospectus. Il s'est toujours acquitté très honnêtement de sa besogne. Un jour il a dans sa poche l'argent d'un trimestre de loyers ; il part en pantoufles, se rend à la gare de Lyon, prend un billet pour Marseille ; de Marseille il se rend à Toulon, de Toulon à Nice, de Nice à Marseille, retourne de Marseille à Toulon, puis il revient à Paris, et réveillé, c*est lemot propre , il apprend qu'il a disparu depuis huit jours^ qu'il a emporté environ 1.500 francs appartenant à son propriétaire. Il se rend de lui-même chez le commissaire de police qui le met en état d'arrestation. L'aflaire vient en cour d'assises et le président, sur la demande du défenseur, renvoie à une autre session et nous commet, dit M. Motet, pour examiner cet homme dont nous n'avons pas eu grand'peine à démontrer Tirresponsabilité. »

Nous voyons pour notre compte un cas d'épilepsie tardive, sous forme d'accès d'automatisme ambulatoire, développée à la suite d'une lésion trau- matique et les analogies qui existent entre ce cas et le nôtre, sauf en ce qui concerne la cause traumatique absente dans le dernier, est véritablement des plus frappantes; on pourrait même aller jusqu'à dire, qu'à part la circonstance étiologique, il y aidentité entre eux, tant la fugue de Marseille chez le sujet de M. Motet, ressemble pour la durée comme pour les menus détails, à la fameuse fugue de Brest chez le nôtre.

Voici donc l'observation de Men....s qui cesse de sembler prodigieuse, étonnante, comme elle pouvait vous le paraître lorsque je vous la pré- sentais àTétat d'isolement. A l'avenir, elle pourra être citée sans crainte de provoquer l'incrédulité. Elle rentre en effet désormais dans une règle com- mune à tout un groupe, puisqu'elle a son pendant aussi bien dans ^obser^'ation de Tardieu citée plus haut, que dans celle de M. Motet, et j'ajouterai que quelques recherches ad hoc rendraient bientôt, à n'en pas douter, le groupe auquel elle appartient plus compact et plus dense. Il me suffira de vous renvoyer à ce propos aux remarquables mémoires de M. J. Falret sur l'état mental des épileptiques publié dans les Archives de médecine pour 1861 (1) ; vous trouverez l'histoire de deux épileptiques avec accès automatiques ambulatoires dont les uns sont accompagnés d'actes violents, tandis que d'autres s'accomplissent tranquillement, silencieusement. L'un d'eux qui, dans plusieurs de ses accès, avait tenté de se suicider, sans le savoir, se promenait d'autres fois, inconsciemment mais fort tranquillement, pendant plusieurs jours. L'autre est resté, une fois, deux jours hors de chez lui. Tranquillement et sans avoir été remarqué par personne, il avait fait à pied, sans boire ni manger, le trajet de Paris à Amiens. On pourrait assez facilement accumuler les cas du même genre.

1. Pftge 431.

V

*>,

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C'est ainsi que, caractérisée déjà comme appartenant au mal coraitial. par les résultats si nets de l'emploi du bromure contre les accès, l'observation dd Men.. s Test encore, une fois de plus, vous le voyez, par Fensemble dos phénomènes cliniques. *"^.*

Il ne me reste plus, pour terminer la tâche que je me suis proposée aojour- "*v d'hui de remplir, qu'à faire figurer dans le tableau afin d'y mieux mettrê en relief l'objet sur lequel je veux appeler toute votre attention, quelques exemples d'automatisme ambulatoire relevant d'affections autres qne l'épilepsie.

Plusieurs d'entre vous en entendant raconter les détails du cas de Men...8, ont sans doute pensé au somnambulisme. En effet, lorsqu'on entend dire qu'un homme se promène dans les rues inconsciemment, se conduisant cepen- dant comme s'il était éveillé et conscient, cela rappelle tout naturellement la description répandue dans le vulgaire du somnambule ; mais nous n'ignorons pas que dans la catégorie du somnambulisme il y a plus d'une distinction à faire.

Pour ce qui est relatif, en premier lieu, au somnambulisme dit naturel et, quelquefois aussi, physiologique (noctambulisme, sleep walking, etc.), il importe de remarquer tout d'abord que, à son sujet, nous en sommes encore à la période des informations (1), les observations régulières étant vérita- blement très rares. En ce qui me concerne, en dehors du cas auquel jU fait allusion dans la 9* leçon du mardi de Tan passé (2), je ne crois pas qu'il ait été observé de près une seule fois dans ce service auquel je suis altaché depuis une trentaine d'années, et qui contient une division de- près de 200 femmes hystériques ou hystéro-épileptiques. Il n'est pas inutile, sans doute, de relever encore à propos de la rareté des cas de ce genre, que suivant la remarque fort juste d'Echeverria, la plupart des faits rapportés au noctambulisme dans lesquels los actes commis ont eu un caractère agres- sif appartiennent, le plus souvent, suivant toute vraisemblance, à l'épilepsie.

Vous voyez que, d'après cela, lo somnambulisme naturel ne peut pas être considéré encore, à l'heure qu'il est, cmome un type pai-faitement étudié et pouvant servir de paradigme dans l'étude des états analogues. Certes, ce n^est pas de ce côté-là qu'il faut, pour le moment, chercher la lumière. Nous ne pou- vons guère, par conséquent, que répéter à cet égard ce que l'on trouve dans les auteurs. Nous rappellerons seulement, parmi les faits qui, dans l'espèce, paraissent le mieux établis^que le somnambulisme naturel s'observe beaucoup plus fréquemment chez la femme que chez l'homme, beaucoup plus rarement chez ladulte que chez les enfants et les adolescents ; que le somnambule

i. Ilack Tuke. Sleep walking and hypnolism. London 1884. Voir aussi Echeverrîa: On tumal Epilepsy. Journal of mental Science, January 1879. 2. Loc. cit. p. lli.

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marche presque toujours les yeux grands ouverts avec un regard d'amauro- tique, 86 dirigeant de propos délibéré ou, plus exactement, avec les apparences d'une volonté ferme vers les lieux semblent Tentraîner les circonstances d'un rêve qu'il met en action ; suivant, sans hésiter, pour parvenir à son but, des sentiers périlleux; sautant, comme on Ta vu, dans le cas de la Salpôtrière, par-dessus les murs avec une dextérité et une souplesse qu'on ne lui connaît pas à l'état de veille ; évitant, dans la poursuite de Taccomplissemcnt de ce que Ton pourrait appeler son programme, les personnes qui se placent devant lui pour lui faire obstacle. Il les tâte quelquefois sans chercher toutefois à les reconnaître et passe à côté d'elles pour continuer son chemin sans en tenir autrement compte ; il semble en d'autres termes en faire abstraction, parce qu'elles ne font pas partie de son rêve. Inutile d'insister, je pense ; vous voyez suffisamment, par ce qui précède, qu'entre le noctambulisme et l'état comitial ambulatoire tel que nous l'avons observé chezMen..s, les différences remportent sur les analogies, bien que celles-ci, à certain égard, soient cependant en somme assez étroites.

Dans le somnambulisme provoqué par des manœuvres d'hypnotisation, serait- il passible de provoquer par suggestion des fugues aussi longues, aussi acci- dentées que celles qu'il nous a été donné d'observer chez Men..s. D'après les études récentes, qui tendent à établir que des résultats de ce genre peuvent 86 produire « en petit >, il ne parait pas invraisemblable que, dans certaines circonstances particulières, probablement fort rarement rencontrées, ils pourront s*obtenir « en grand ». Mais pour le moment, à ma connaissance du moins, pareille chose ne s'est pas encore vue. Le sujet suggestionné en pareil cas, marcherait, sans doute, droit devant lui, parfaitement conscient de tous les actes qu'il accomplit^ mais aussi parfaitement ignorant du motif qui les lui fait accomplir, comme sous l'impulsion d'une force étrangère, irrésistible. Ce sujet serait vraisemblablement un hystérique à stigmates.

Il existe dans la science un certain nombre d'exemples de ce qu'on a appelé quelquefois le somnambulisme spontané pathologique ; c'est une forme qui appartient à l'hystérie : les accès ambulants sont en général, dans ces cas là, précédés et suivis par une attaque d'hystérie convulsive. Cela n'est point nécessaire cependant, et l'automatisme de ce genre peut se manifester quel- quefois primitivement. Il ne s'agit pas ici, du moins dans la règle, d'automa- tisme silencieux, tranquille, comparable en un mot à ce que nous avons kôSr.lQibservé dans la plupart des accès de Men..s (i). La scène au contraire est géné-

des plus bruyantes rappelant, en somme, ce qui a lieu dans le

'-I* Dans ces dorniers temps, mon collègue J. Voisin a cité plusieurs exemples de « Tugues » dliystériques, dans lesquelles les actes étaient coordonnés, méthodiques, de telle sorte que les sujets, bien qu'inconscients présentaient l'apparence extérieure de personnes normales {Semaine Médicales, 10 août 1889, p. 291).

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délire post-épileptique vulgaire. Ainsi, dans une observation bien connue de mon collègue et ami le D** Mesnet, on voit une femme de trente ans, après avoir e'prouvé pendant la nuit une attaque hystérique convulsive, se lever, s'ha- biller, faire sa toilette et descendre dans le jardin ; elle marche les yeux ouverts, ne répondant pas aux questions qu*on lui adresse^ sautant par-dessus les bancs quand elle en rencontre, se détournant des obstacles qu'on lui oppose on se plaçant devant elle ; au bout d*un certain temps de promenade plus ou moins accidentée, elle remonte tranquillement se coucher: à peine au lit survient une nouvelle attaque d'hystérie. Au réveil aucun souvenir de ce qui s'est passé. La crise d'automatisme avait duré environ deux heures. Une autre fois cette même malade, après avoir éprouvé encore une attaque d'hystérie cette fois suivie d'extase, se lève, s'habille comme la nuit précédente. Bientôt, elle croit voir des bêtes qui menacent ses enfants ; elle ouvre la fenêtre et veut se précipiter dans la rue. Un instant après, elle court àtravers sa chambre, saute par-dessus les meubles et, après deux heures d'agitation, elle se couche et est prise bientôt, comme lors de l'accès précédent, d'une crise convulsive.

Les cas de ce genre ne sont point très rares dans l'histoire de l'hystérie. Nous pourrions les multiplier aisément. On parvient quelquefois, dans ces cas-là, à l'exemple de ce qui a lieu dans le somnambulisme provoqué des sujets hypno- tisables, à imprimer aux membres des malades des attitudes cataleptiques, ainsi que Ta signalé M. Pitres et aussi à provoquer, par suggestion, des hal- lucinations. Ce fait semble, vous le voyez, tracer un trait d'union entre le somnambulisme provoqué par hypnotisation et le somnambulisme spontané des hystériques. Ce dernier, d'un autre côté, me parattavoir la plus grande ana- logie avec ce que, dans la description delà grande attaque hystero-épileptique, nous avons appelé « la période des attitudes passionnelles » (troisième phase de l'attaque régulière). Et même, la ressemblance sur les points essentiels est, entre les deux cas, tellement étroite que nous sommes portés à les considérer comme étant foncièrement identiques; nous croyons en d'autres termes que le prétendu somnambulisme spontané des hystériques n'est autre chose que ^< la période des attitudes passionnelles » prolongée au delà de la durée que celle-ci présente dans les conditions ordinaires; mêmes hallucinations, en somme, tantôt tristes ou terrifiantes, tantôt gaies au contraire ; mômes attitudes et mêmes actes en rapport avec la nature des représentations mentales, et, ce qui est fort remarquable également, c'est que, dans la série classique des phases de l'attaque, le somnambulisme hystérique, quand il ne se montre pas à l'état d'isolement, occupe la même place que la phase passionnelle à la- quelle il se substitue. C'en est assez sur ce point pour le moment; c'est un sujet qui demanderait à être étudié à part.

Ce serait ici le lieu de vous dire un mot de cette forme de somnambulisme spontané à accès considérablement prolongés, dans laquelle, à propos d'une observation devenue célèbre, M. Azam est parvenu à démontrer l'existence

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aujourd'hui reconnue de tous, de ce qu'il a appelé la double personnalité ; mais le temps nous presse actuellement, et je dois conclure.

Je ne ferai donc que signaler en passant comme devant figurer sur Far- rière-plan dansle tableau clinique que j'ai voulu placer sous vos yeux toute une collection de cas divers que M. le D"" Tissié a ingénieusement réunis, pour en montrer les analogies et en signaler les difîérences^ dans sa thèse inaugu- rale intitulée : Les Aliénés voyageurs (1). Dans un premier groupe de cas, les sujets ne sont pas inconscients ; ils ne le sont pas du moins pendant toute la durée de leur entreprise vagabonde : ils savent, ou à peu près, ce qu'ils font et les responsabilités qu'ils encourent, mais pour eux, il n'y a pas d'hésita- tions, pas d'obstacles : ils marchent comme dominés par un désir impérieux, une volonté toute puissante qui se substitue à la leur et la maîtrise. M. Tissié les appelle assez justement des captivés. « X..., avant de s'échapper, songe à une ville dont le nom a frappé ses oreilks ; il se figure y rencontrer des mo- numents superbes. Le désir de la visiter s'empare de son esprit et, un beau jour,il part abandonnant tout... mais, cruelle déception, la réalité ne répond pas à la splendeur du rôve. >> Cela ne l'empêche pas, quelque temps après, de visiter une nouvelle localité : il repart sans autre raison que celle de satisfaire son besoin. Ce sont lA,en somme, dit M. le D"" Duponchel, dans une intéressante étude sur ce qu'il appelle le déterminisme ambulaloirc (2), des suggestionnés ; la suggestion pouvant venir soit de l'intérieur, soit encore de leur propre fonds, ou du moins paraître telle, car il est impossible souvent de saisir l'événement qui l'a [)rovoquée.

A une autre catégorie appartiennent les délirants qui, convaincus qu'ils sont des réformateurs de l'humanité, des prophètes, parcourent le monde pour ré- pandre leurs doctrines ; ceux qui avertis par une voix qui leur crie << tu es roi » vont à la recherche de leur royaume, etc. Mais je m'arrête dans cette énumération, ne pouvant avoir la prétention de tout indiquer même sommai- rement.

Je crois, d'ailleurs, en avoir dit assez pour légitimer les développements dans lesquels je suis entré à propos du cas de Men..s, et pour justifier la dénomination d'autoinalisme comitial ambulatoire^ que je vous ai proposé d'adopter pour le caractériser.

1. Paris. Doin 1887.

2. Etude clinique et médico-légale. Des impulsions morbides à la déambula lion observées chez des militaires^ par le D*" Emile IJupoi chel, profesfeur agrégé au Val-de- grâce. Paiis, 1888.

Policlinique du Mardi 19 Février 1889

QUINZIÈME LEÇON

l®"" Cas. Crises gastriques tabétiques avec vomissements noirs.

Cas. Chez un israélite : paralysie et contracture hysté- riques développées à la suite d'un repos (sommeil) de plusieurs heures sur la terre humide.

l^f Malade

Voici un homme dans la force de Tâge il est âgé d'environ 37 ans, qui, h la suite de prodromes dyspeptiques vulgaires, sans caractères bien déterminés, a commencé à ressentir tout à coup, il y a cinq ans de cela, des accidents gas- triques en apparence des plus graves : douleurs cardialgiques très vives ; vomissements incessants présentant souvent une couleur noire, marc de café ; inappétence absolue, grande prostration des for ces, etc. Ces accidents ont con- tinué tels quels pendant une dizaine de jours, après quoi ils se sont remar- quablement atténués. Mais ensuite, persistant toujours h un certain degré, ils se sont établis pour ainsi dire en permanence pendant une longue période de cinq années, s'exaspérant seulement de temps à autre, sous forme de crises violentes, semblables à la première, tant par Tintensité que par la durée ; ces crises se reproduisaient, d'une façon assez régulière tous les mois d'abord, puis plus tard tous les trois ou quatre mois. Durant les trois premières années, les médecins consultés se sont invariablement, paraît-il, crus en présence tan- tôt du cancer gastrique, tantôt de l'ulcère rond. Ce diagnostic était erroné cependant : la véritable nature du mal s'est révélée, vers la fin de la troi- sième année, au moment sont apparus des symptômes spinaux formels tels, entre autres, que l'incoordination motrice des membres inférieurs, et le

45

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signe de Romberg, ne laissant planer aucun doute sur Texistence de Tataxie locomotrice progressive.

C'est alors seulement, et fort tardivement, vous le voyez, qu'on a reconnu qu'il ne s'était pas agi d'une maladie primitive de Testomac, mais bien de troubles gastriques subordonnés à raffection spinale.

L'erreur commise et entretenue pendant si longtemps pouvait-elle être évitée? Je le crois, Messieurs; je crois qu'à de certains indices que j'aurai à cœur de relever tout à Theure et de bien mettre en lumière, on eût pu, si je ne me trompe, même dès l'origine, soupçonnerpourlemoins, affirmer peut-être, la présence de la maladie tabétique et se trouver conduit à y rattacher les troubles gastriques. Mais pour en arriver là, il eût fallu, de toute nécessité, avoir présente à Tesprit l'histoire naturelle de ce que nous avons appelé « les crises gastriques > tabétiqucs et avoir appris à les considérer non seulement dans leur type vulgaire, classique, mais encore dans les formes très variées, souvent paradoxales en apparence et presque méconnaissables, qui en déri- vent. 11 eût fallu savoir également comment, par leur association avec un ou plusieurs des autres syndromes de la série tabétique, ces troubles gastriques si particuliers peuvent permettre d'établir le diagnostic pendant la période souvent fort longue, qui, dans la règle, précède l'incoordination ou, autrement dit, l'ataxie motrice : dix, douze, quinze ans même peut-être avant que celle-ci se soit constituée, à supposer qu'elle se constitue jamais.

Je viens de signaler, Messieurs, des questions qui me paraissent dignes de tout votre intérêt ; je me [)ropose de m'y arrêter un instant, en manière de préambule; après cela, nous pourrons entreprendre avec plus de profit l'étude clinique du cas de notre malade.

L'existence possible dans le tabcsdc troubles gastriques particuliers se trouve mentionnée dans un assez grand nombre d'observations recueillies, il y a fort longtemps déjà, par divers auteurs et en particulier dans le casn® 176 de l'ou- vrage de M. Tupinard; mais le mérite d'avoir affirmé qu'il y a une véritable con- nexitéentrecestroublesviscérauxetla lésionspinale, appartientàM. Delamarre, auteur d'une thèse qui date de 18G6 et qui, si je ne me trompe, a été inspirée par le regretté Haynaud il). Cependant la description caractéristique, répon-

1. Des i roubles gastriques duns iata.rie loromotrice progressive. Paris i866. L'une des observations pul>li«jiî3 par l'auteur a «}tc i-ocacillie, en 18(35, à rHôlel-Dieu, dans le service de M. Barth, suppléé par M. liaynaud.

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dant en d'autres termes au type prédominant, et permettant de séparer clinique- ment les troubles gastriques réellement subordonnés au tabès, de ceux qui ne s'y trouvent adjoints que par le fait d'une coïncidence plus ou moins for- tuite, cette description, dis-je, ne se trouve pas dans le travail de M. le D' Delamarre, non plus que dans ceux, sur le même sujet, qui ont été publiés dans le cours des cinq ou six années suivantes. Elle a été formulée, je le crois du moins, pour la première fois, dans les leçons que j'ai faites à la Salpêtrière, en 1872, et qui ont été publiées cette année-là dans le journal le Mouvement médical (1). Je crois utile de la rappeler telle, ou à peu près telle qu'elle a été présentée alors, en y ajoutant toutefois quelques traits intéressants qui n'avaient pas été remarqués encore dans ce temps-là.

i* En premier lieu, il convient de relever particulièrement que les crises gastriques » bien que leur apparition puisse être tardive dans l'évolution du tabès, appartiennent fort souvent, le plus souvent peut-être, à la période de la maladie l'ataxie motrice n'a pas encore paru et que j'appelais, à l'époque, la période des douleurs fulgurantes ». On a proposé tout récemment pour désigner cette phase de la maladie dont j'ai indiqué le premier les grands carac- tères, et qui quelquefois, comme vous savez, se perpétue indéfiniment sans jamais aboutir aux troubles locomoteurs, la dénomination beaucoup plusappro- priée àe période préataxiqueh. laquelle je souscris bien volontiers (2).

Là, dans ma description, les crises gastriques figurent au premier rang àcôté d'autres troubles viscéraux du même ordre tels que les crises vésicales et les crises rectales. Elles se rencontrent souvent presque isolées, seuls représentants, en quelque sorte, pendant fort longtemps, de la maladie tabétique. «Maintes fois, disais-je en 1872, j'ai vu ce syndrome détourner l'attention du médecin et lui faire méconnaître la véritable nature du mal 4 je m'y suis laissé prendre aussi plusieurs fois dans le temps. Un notaire de province vint me consulter, il y a dix ans, pour des accès cardialgiques, présentant les caractères que je vais indi- quer ; il souffrait en même temps de douleurs paroxystiques, peu accentuées d'ailleurs. Je ne connaissais pas alors le lien qui rattache ces divers accidents. Les crises gastriques ont disparu ; mais le malade a présenté par la suite tous les symptômes de l'ataxie locomotrice la mieux caractérisée. La première fois qu'il m'a été donné de reconnaître la véritable signification des crises gastriques, il s'agissait d'un jeune médecin qui, en outre de ces crises, pré- sentait des douleurs fulgurantes et une hydarthrose de l'un des genoux, déve- loppée spontanément (arthropathie des ataxiques) ; l'incoordination motrice ne s'est manifestée chez lui que quelques mois plus tard. Tout cet ensemble de

1. Voir les Leçons sur les anomalies de l'ataxie locomotrice^ publiées dans le Mouvement médical de 1872 (21, 28 sept., et 19, 26 octobre ; 1 et 30 nov. ; 14 déc. et 8 janv. 1873). Voir aussi les Leçons sur les maladies du système nerveux faites à la Salpêtrière^ t. II, l*"* partie.

2. A. Fourniep, Leçons sur la période préataxique du Tabès, 1885.

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symptômes crises gastriqpies, douleurs fulgurantes, arthropathies qui, en apparence, n'ont aucune connexité revêt un cachet presque spécifique aussi- tôt que Ton considère les choses sousleur véritable jour. J'ai encore vu les crises gastriques coexister avec les douleurs fulgurantes, pendant plus de cinq ans, sans accompagnement de désordres moteurs chez M. T... Le diagnostic était rendu facile dans ce cas, par l'existence d'une atrophie commençante d'un des nerfs optiques. L'opinion que j'émis, presque dès l'origine, sur la nature du cas, fut néanmoins vivement contestée par plusieurs médecins qui visitèrent le malade. Plus tard mes prévisions ne se sont que trop justifiées ». Ce que je disais à cet égard en 1872, est, aujourd'hui encore, parfaitement exact. Je ne vois vraiment rien d'essentiel à y ajouter (1).

2<* Les crises ou attaques typiques, nous ne nous occupons que de celles- pour le moment, sont essentiellement constituées ainsi qu'il suit : a dou- leurs cardialgiques violentes souvent atroces, s'irradiant parfois dans le dos et dans l'abdomen; b vomissements incoercibles, dans l'acception rigoureuse du mot, car rien ne les peut calmer ; les matières vomies sont des aliments d*abord,puis unliquide, glaireux muqueux, quelquefois bilieux, sanguinolent. Les vomissements noirs, couleur de marc de café sont véritablement, paratt-il chose fort rare. Après le cas de notre malade d'aujourd'hui, je n'en ai rencon- tré qu'un du même genre : il appartient à Vulpian ; j'aurai l'occasion de le signaler en temps opportun.

Dans ces derniers temps, le liquide rendu par vomissement dans les crises gastriques a été examiné chimiquement, et Ton a reconnu plusieurs fois qu'il contenait un excès d'acide chlorhydrique libre, sans traces, soitd'acide butyri- que,soit d'acide lactique. Cette circonstance d'une hypersécrétion d'acide chlo- rhydrique, en pareil cas, explique suffisamment pourquoi les malades souffrant de crises gastriques se plaignent parfois très vivement d'une sensation de brû- lure, siégeant soit à la région de l'estomac, soit le long de l'œsophage (2).

Les troubles gastriques apparaissent tout à coup, le plus souvent sans signes prémonitoires, et ils se terminent également tout à coup. Ainsi, nuit et jour, pendant une période de temps qui peut s'étendre à trois, cinq, huit, ou quinze jours, rarement plus, les douleurs et les vomissements sévissent sans cesse,et sans trêve; la moindre tentative d'alimentation, l'ingestion d'un liquide quelconque, exaspèrent les vomissements et les douleurs, et voici qu'un beau jour, sans que rien lait pu faire prévoir, tous les accidents disparaissent soudain << comme par enchantement ». Entre l'état souvent effrayant de tout à l'heure et le retour à l'état normal il n'y a, en quelque

1. Leçons fur les maladies du sy i le me nerveux ^ t. H, 2* édit., p. 35.

2. Voir sur ce sujet, après Sahli lî^85, Simonin, thèse de Lyon, inspirée par le professeur Lépiiie, 18S3, J. IljfTinain sur S'/mplomalologie der Tabès, im Archiv fiir Psychiatrie XIX Bd, heft. Lannois, Revue de médecine^ 1887, 5, p. 433.

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sorte, pas de transition; délivré de son mal le sujet qui, il n'y a quun instant, ne pouvait supporter aucun aliment, aucun médicament, peut immé- diatement sentir le besoin de manger, et manger souvent même avec un appétit exagéré, sans crainte de voir Teslomac se révolter. Le contraste est desplusfrappants, et voilà incontestablement une forme de cardialgie bien singulière,bien remarquable dans ses allures. A cet égard, les crises gastriques tabétiques peuvent être légitimement rapprochées des crises diarrhéiques de la maladie de Basedow le début brusque et la brusque cessation des accidents constituent également un caractère clinique prédominant.

C'est ici le lieu de relever que, pendant la durée de la crise gastrique, en outre de la prostration déterminée par l'intensité des douleurs, la répétition incessante des vomissements, et la suppression totale de Talimentation, on peut voir se produire diverses modifications del'état général dont il faut bien être informé ; tantôt c'est une sorte d'indolence, d'indifïérence, voire même de stupeur qui fait que le malade, presque inconscient d'ailleurs, ne répond pas aux questions qu'on lui adresse : tantôt il est froid, algide, présentant une teinte violacée, de façon à reproduire l'image d'un cholérique. Ce sont des circonstances intéressantes principalement pour le diagnostic et sur lesquelles nous aurons à revenir.

Un autre caractère à noter, c'est que la crise gastrique ne constitue jamais un épisode unique; l'apparition première d'une de ces crises doit toujours faire prévoir celle de crises semblables qui se reproduiront ensuite, à des intervalles de durée variable, mais souvent à peu près la même pour chaque cas particulier, pendant une période de temps qui peut s'étendre à trois, quatre, cinq, six années et même plus. Cette régularité du retour périodique des crises gastriques que je signalais tout à Theure n'est pas, bien entendu, chose mathématique ; elle n'est pas non plus un fait absolument général. Il est bien remarquable cependant de voir, dans nombre de cas, les crises gastriques séparées à peu près régulièrement par des intervalles libres d'un, deux ou trois mois et quelquefois plus. Rarement les crises sont beaucoup plus rapprochées, mais c'est un point dont il y aura lieu de s'occuper dans le chapitre des anomalies.

5* Lorsqu'elles se montrent dans le cours de la période préataxique, les crises gastriques du tabès se trouvent nécessairement associées aux autres syndromes de la série tabétique qui remplissent cette période, et cette cir- constance contribue, avec les caractères cliniques si originaux que présentent ces crises considérées en elles-mêmes lorsqu'elle se montrent dans leur type de parfait développement, à les faire reconnaître pour ce qu'elles sont. C'est ainsi que les crises de douleurs fulgurantes, les crises vésicales, tantôt coexistent et tantôt alternent avec elles. Mais il est particulièrement remar- quable de voir les crises gastriques s'associer avec une sorte de prédilection a des syndromes tabétiques qui ne comptent pas parmi les plus vulgaires;

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tels sont par exemple les arthropathies ainsi que l'a relevé M. Buzzard (1), et principalement les crises laryngées. Cette dernière association n'a rien qui doive surprendre lorsqu'on sait que, d'après les observations de MM. Pierret, Jean, Démange et Oppenheim, les troubles laryngés tabétiques aussi bien que les troubles gastriques, relèvent d'une lésion plusieurs fois constatée des noyaux bulbaires du spinal et du pneumogastrique (2); Tas- sociation fréquente des arthropathies et des crises gastriques est certainement beaucoup moins facile à comprendre, A ce propos, puisqu'il vient d'être question d'anatomie pathologique je rappellerai que, depuis fort longtemps, déjà, nous avons reconnu, Vulpian et moi, chez des tabétiques qui avaient souf- fert pendant longtemps de crises gastriques, [^absence de toute altération appréciable soit de la membrane muqueuse de Testomac, soit des nerfs ou des ganglions du plexus solaire (3).

On peut guérir des crises gastriques; je pourrais citer plusieurs cas dans lesquels, après avoir souffert de ces crises pendant plusieurs années, le malade en a été enfin délivré, les autres symptômes tabétiques continuant, i la vérité, leur évolution progressive ; et justement, le sujet que nous avons devant les yeux offre un exemple de ce genre. Mais on peut aussi en mourir, et alors la terminaison fatale a lieu pendant la crise, tantôt au milieu de symptômes de coUapsus, avec traits tirés, algidité, crampes, ainsi que Ta signalé Vulpian ; tantôt à la suite de symptômes comateux ainsi que je l'ai vu plusieurs fois.

Tel est. Messieurs, suivant moi, ce qu'on pourrait appeler le paradigme des crises gastriques tabétiques. Il ne sera pas sans intérêt maintenant, je pense, de relever les principaux traits d'une observation relativement ancienne l'on voit Fauteur mettre en relief avec une admirable sagacité les grands caractères cliniques de ces crises.

C'était en 1842, c'est-à-dire à une époque Ton ne connaissait rien de l'ataxie locomotrice progressive ; il est vrai que Tobservateur était un maître, un grand maîtreril s'appelait Graves. 11 s'agissait, dans ce cas dont j'emprunte les détails aux intéressantes leçons de M. Buzzard (4), d'un gentleman âgé de 23 ans, nous avons un exemple de tabès précoce, qui, pendant le cours des années 1829, 1830, 1831 et 1832 a été sujet à des crises douloureuses accom- pagnées de vomissements dont la durée était de cinq ou six jours environ, et qui répondaient pour les points essentiels à la description qui vient d'être donnée. Les symptômes spinaux ne parurent qu'en 1832, c'est-à-dire quatre

i. T. Buzzard, Clinical Lectures on the Dlseases of Ihe nervous System. London 1882, p. 165, 235, etc.

2. Démange, Revue de médecine, 3. Paris 1882. Oppenheim, Arcliiv fiir Psychiatrie, XX, heft I.

3. Paul Dubois, thèse de Paris. iS68, p. 70-71.

4. Loc. ci7., p. 195.

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ans après le début des accidents gastriques, sous la forme d'incoordination motrice et c'est alors seulement que les douleurs de caractère fulgurant furent pour la première fois remarquées. Il est expressément relevé dans l'observation que, après avoir vomi nuit et jour, pendant une période de cinq ou six jours, le malade s'écriait tout à coup, à la fin de la crise qui se termi- nait comme par enchantement : « Maintenant cela va bien : Now I am well. > Le passage d'un état mortel de nausées et de vomissements incessants, à un sentiment de faim impérieuse était soudain... Tout à l'heure c'était un pauvre diable rejetant tout ce qu'il prenait, et souffrant horriblement des constrictions gastriqpies des plus douloureuses ; une heure après on le trouve mangeant n'importe quoi, avec un appétit vorace, et digérant tout, avec la plus grande facilité (1). »

J'ai voulu, par cette citation, vous faire reconnaître la puissance de résis- tance qu'offrent, à l'égard des injures du temps, les observations recueillies par un maître attentif et sagace, et du même coup graver plus profondément dans votre esprit les traits qui caractérisent cliniquement les crises gastriques tabétiques, lorsqu'elles se présentent sous leur forme typique.

Il semble que lorsqu'on est en présence de cette forme clinique si accen- tuée, si originale, on ne puisse en aucun cas, se méprendre et qu'on soit autorisé, sans plus attendre, à conclure à l'existence de la maladie tabétique. Cependant, il y a six ou sept ans, M. le professeur Leyden, de Berlin (2), a proposé d'introduire dans les cadres nosologiques, des crises gastriques pos- sédant cliniquement tous les grands caractères signalés plus haut, mais ne se rattachant cependant pas au tabès, et devant constituer par conséquent, une espèce autonome. J'ai pris beaucoup de soin à étudier les faits allégués par M. Leyden en faveur de l'opinion qu'il soutient, et j'y ai vu signalées « des dou- leurs rapides dans les membres », accompagnant ou suivant les troubles gastri- ques; d'autres fois, les malades ont présenté du strabisme; d'autres fois enfin, la maladie au bout de trois ans a abouti à une « paralysie (?) des membres infé- rieurs T>y etc., etc., de telle sorte que^ malgré la confiance absolue que j'ai dans la sévérité clinique de M. Leyden, mon impression est, après la lecture de son travail, que Texistence de crises gastriques en tout semJblables cliniquement à celles du tabès, mais totalement indépendantes, cependant, du tabès, n'est pas encore chose démontrée.

Tout récemment, mon ami, M. le D*" Debove, dans une communication faite à la Société médicale des hôpitaux (le 23 janvier 1889) est revenu sur ce sujet à propos du cas d'un forgeron âgé de 56 ans, qui depuis six ans souffrait de crises gastriques typiques d'une intensité extrême, durant cinq ou six jours et

1. Loc, cil.f idem.

2. Ueber periodisches Evbrechen ; Gastrisehcrisen» -^ Zcitsch fîir kliD. Medicio. Berlin iSSSL

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reparaissant tous les trois ou quatre mois. La quantité des matières vomies dans chaque crise est considérable. Etat général grave : cyanose, crampes dans les mollets, algidité, pouls concentré ; le malade ressemble k un cholé- rique. Plusieurs fois on Ta cru sur le point de mourir. Amaigrissement rapide. Les crises cessent tout à coup « comme par enchantement » et elles sont séparées par des intervalles parfaitement libres de tout accident nerveux; pas de douleurs fulgurantes. Les réflexes rotuliens ont persisté : en un mot, aucun symp- tôme de la série tabétique n'accompagne les crises. M. Debove conclut, diaprés ce cas, comme M. Leyden, à Texistence de crises gastriques indépendantes du tabès. Je ne puis méconnaître le grand intérêt qui s'attache à cette observation: néanmoins, en supposant même que quelques-uns des signes tabétiques qui se dissimulent le plus facilement, tels par exemple que le phénomène d'Ar- gyll Robertson, n'aient pas échappé à l'observation, je demanderai à rester sceptique et à attendre de nouvelles obsen-ations. Les cas de crises gastri- ques, et l'on peut en dire autant des crises laryngées, marchant pour ainsi dire à l'avant-garde, dans l'évolution du tabès, et précédant, presque isolées, pendant une période de trois, quatre, cinq ans, l'apparition de l'ataxie, ne sont pas chose rare. Une période de six ans ne dépasse donc pas la mesure du possible ; qui nous dit que d'un jour à Tautre, la nature des crises gas- triques déjà vraisemblablement accentuée dans le sens de l'ataxie locomotrice, chez le malade de M. Debove, ne se révélera pas définitivement, dans tout son jour, par l'adjonction de quelque symptôme tabétique ostensible et d'une portée décisive.

Messieurs, ainsi que je vous l'ai fait remarquer bien des fois, il faut s'at- tendre en clinique à voir les descriptions toujours un peu artificielles du nosographe s'altérer parfois, dans la réalité concrète, au point même, peut- être, de devenir méconnaissables et, justement, un des labeurs du clini- cien est d'apprendre à dépister ces formes frustes, défigurées et à les ramener auxtypesd'où elles dérivent. Les crises gastriques tabétiques n'échap- pent pas, tant s'en faut, à cette règle et, en ce qui les concerne, après avoir cherché tout à l'heure à dégager les caractères typiques, il nous faut ouvrir maintenant le chapitre, fort riche encore, vous allez le reconnaître, des for- mes anomales. Il me semble que, dans ces derniers temps, la théorie des acci- dents gastriques tabétiques a été un peu embrouillée par la multiplication inu- tile des espèces et le morcellement porté à Texcès ; je crois qu'il est possible de la ramener, ainsi qu'il va suivre, à une formule très simple.

Dans un premier groupe de cas la crise gastrique conserve tous les caractères fondamentaux du type ; elle s'écarte de celui-ci seulement par Tin-

i. Jo 110 suis pas cunverti encore ù la doctritio des crises gastriques essentielles, bien que j*aic lu avec soin les observations rapportées par M. le D** Remond de Metz, dans les Archives de Médecine Quillet 1889, p. 38).

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tensité insolite des divers symptômes : ainsi les douleurs gastriques ou d'autre siège peuvent se montrer véritablement atroces; c'est alors qu'on voit le malade pousser des cris afireux, se rouler dans son lit et prendre les attitudes les plus bizarres de façon à ce que Taccès simule, non plus les accidents de l'ulcère rond ou la simple gastralgie, mais bien les coliques hépatiques ou néphrétriques les plus intenses, voire encore un empoisonnement. D'autres fois Tanomalie consiste dans la prédominance de ces symptômes de coUapsus dont il a été question plus haut. Le sujet est algide, cyanose, ses traits sont tirés, il est dans un état de prostration profonde et incapable de rendre compte de sa situation. Chez un malade dece genre, auquel j'ai pendant longtemps donné des soins^ et dont les occupations l'obligeaient à voyager sans cesse, les crises gastriques, toujours accompagnées de collapsus à symptômes graves, étaient l'objet d'interprétations différentes, suivant le pays elles se déclaraient. Ainsi en Angleterre c'était, croyait-on, de la « goutte remontée à l'estomac »: Goût in the Stomach » qu'il s'agissait, tandis qu'en Italie c'était d'une « fièvre perni- cieuse algide » etc., etc. Je Favaisengagé à porter toujours avec lui une pan- carte où se trouvait écrit le vrai diagnostic, destinée à être placée sous les yeux des médecins au moment de l'attaque afin de leur épargner les tâton- nements. Je ne sais s'il a suivi mon conseil.

Enfin d'autres fois encore, rindifférence et la stupeur signalées ailleurs pren- dront les proportions de l'état soporeux ou même du coma, et l'idée pourra naître, en conséquence, dans l'esprit du clinicien, que c'est une affection céré- brale organique, une néoplasie intracranienne, par exemple, qui est en jeu; cela est arrivé dans un cas qui m'a été communiqué par mon interne M. Dutil.

Chez quelques tabétiques, les crises gastriques, bien que conservant tou- jours leur caractère de périodicité, ne sont plus représentées que par la dou- leur, ou, pour le moins, les vomissements font défaut : alors les accès sont constitués, dit M. A. Fournier, qui a bien décrit les cas de ce genre, par la succession d'une série de douleurs véritablement cra?npoi'rfe*, c'est-à-dire par des sensations douloureuses semblant dues à un état de contracture stoma- cale, de crampe d'estomac suivant l'expression habituelle. Ces douleurs sont des plus pénibles, aiguës, atroces même en quelques cas. Mais elles se produi- sent à sec si je puis ainsi parler, sans déterminer, au moins dans la plupart des cas, de vomissements alimentaires ou muqueux. Cette sorte de gastralgie tabétique est de forme essentiellement intermittente. Elle se manifeste par accès (i). »

Je dois à mon ancien interne, M. le D^'Blocq, la communication d'une obser- vation qu'il a recueillie, dans le temps, au Val- de- Grâce, dans le service de M. le D' Kelsch et qui rentre dans cette catégorie. Il s'agit d'un capitaine

il Ai Fournier, loc, cii.y p. 207.

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âgé de 40 ans qui, depuis quinze ans était sujet à des douleurs fulgurantes. Il présentait, depuis quatre ans, des crises gastriques revenant à de longs intervalles, trois ou quatre fois seulement par année. Celles-ci consistaient dans la présence de douleurs épigastriques très vives avec inappétence, le tout accompagné d'un accablement général très accentué. 11 n'y avait pas de vomissements. La crise durait en\iron quinze jours. Elle apparaissait tout à coup, sans prodromes et se terminait brusquement comme par enchante- ment ».

Dans un troisième groupe Tanomalie est, si Ton peut ainsi parler, de sens inverse, c'est-à-dire que les vomissements et autres accidents de la crise persistant, ce sont les douleurs qui font défaut. Vulpian a fait allusion aux cas de ce genre (i). Un malade de M. le professeur Fournier était sujet à des crises durant environ six jours, qui se caractérisaient par des vomis- sements répétés avec intolérance absolue de Testomac pour toute espèce d'ali- ments, de boissons ou de remèdes. Tout ce qui étaitingéré, sous quelque forme que ce fut, était expulsé séance tenante. Une observation du professeur Pitres pu- bliée dans le Journal de médecine de Bordeaux appartient à la même série (2). Le sujet est unhomme de 50 ans chez lequel les crises gastriques, représent(§^ uniquement par des vomissements accompagnés du malaise qu'ils entraînent nécessairement ont, pendant près de trois ans, constitué l'unique manifesta- tion de la maladie tabétique.

4** Quelquefois les crises se rapprochent au point qu'elles deviennent jour- nalières ; mais en même temps leur durée se raccourcit. Ces cas sont, je crois- fort rares. Je dois à M. Blocq l'histoire d'un ataxique âgé de 54 ans, autrefois employé au ministère de la guerre. L'observation a été recueillie comme l'une de celles citées plus haut, à l'hôpital du Val-de-Grâce, service de M. Kelsch. Le début de la maladie avait eu lieu il y a onze ans, inauguré par les crises gastriques en question qui ont persisté, à Tétat d^isolement, pendant sept ans. Ce n'est que depuis quatre ans que les douleurs fulgurantes sontvenues s'y adjoindre. Les crises débutent brusquement, vers 4 heures du matin à peu près tous les jours, par un sentiment de pesanteur à la région épigastrique bientôt suivi d'une douleur vive que le malade compare à celle que produirait la morsure d'un chien furieux. Puis surviennent les vomissements alimentaires d'abord, après cela bilieux et muqueux. La ces- sation a lieu brusquement vers 9 heures du matin. La durée est donc, vous le voyez, de quatre à cinq heures seulement.

Cela nous conduit à vous parler de faits qui ne sont pas fort rares, dans lesquels la longueur de la crise, au lieu d'être de trois, quatre, cinq jours comme dans les conditions du type, s'allonge extraordinairement de

1. Maladies du système nerveux^ hc. cit.^ p. 322.

2. 27 janvier 1884.

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façon à ce qu'elle dure quinze, vingt jours, un mois et même plus, en même temps que les intervalles se raccourcissent. Ces faits, par une transition ménagée, nous conduisent à ceux les accidents vulgaires de la crise à savoir,les douleurs, les vomissements, l'inappétence, etc., etc., s'établissent en quelque sorte en permanence de façon à sévir pour ainsi dire, sans cesse et sans trêve, pendant une période de plusieurs mois, neuf mois dans un cas de M. Buzzard (i). Dans les cas heureusement tout à fait exceptionnels pareille chose a lieu, le caractère de périodicité qui appartient aux crises gastriques est encore, malgré la tendance à la continuité, représenté le plus souvent par des exacerbations de tous les symptômes qui surviennent de temps et autre, et contrastent avec des périodes d'apaisement.

II

En ce qui concerne les crises gastriques, le cas du malade^.'queynous som- mes préparés maintenant, par tout ce qui précède, à étudier avec* 'profit se rapproche justement des faits de la dernière catégorie. La périodicité des crises est bien marquée en effet chez lui, vous allez le voir, par l'apparition brusque et la cessation également brusque des principaux accidents; mais les intervalles libres ne sont pas parfaitement accusés. On y voit persister, pour ainsi dire, en permanence, pendant un certain temps du moins, des troubles des fonctions de l'estomac qui rendent l'alimentation à peu près impossible ; de plus, les crises, chez notre homme, s'éloignent encore du type par la présence fréquente dans les matières rendues par les vomissements, d'un liquide noir rappelant la couleur marc de café ; mais nous reviendrons Jà-dessus tout à l'heure. En dehors de ces particularités les crises gastriques, chez notre homme, rentrent nettement dans la règle en particulier par ce fait que, durant plus de trois ans, elles se sont montrées à peu près isolées, indépendantes en tout cas de l'incoordination motrice, laquelle ne s'est manifestée qu'au bout de la troisième année.

Nous allons maintenant adresser au malade quelques questions ; ses répon- ses nous mettront, je pense mieux à même d'apprécier la réalité objective des faits sur lesquels je veux appeler votre attention. Vous voyez qu'il s'agit d'un homme bien constitué, solide d'apparence, fatigué seulement par la maladie dont il souffre depuis bien longtemps.

S*adres$anl au malade : C'est bien le 3 décembre 1883, que votre maladie d'estomac a commencé ; avant ce jour-là vous étiez bien portant ?

Le malade : Oui monsieur. Je me rappelle la date exactement. Je n'avais

1. Loc. eit.f p. 255.

^ 342 -

jamais été malade auparavant. Cependant, depuis cinq ou six mois, avant que le mal ait éclaté, mes digestions étaient pénibles. Le mois qui a précédé la première crise, j'avais du dégoût pour la nourriture ; quelquefois j'avais des hoquets.

M. GuARCOT : 11 y a donc eu dans ce cas des prodromes : quoi'qu'il en soit,lc 3 décembre 1883, le matin, en se réveillant, il a ressenti tout à coup dans le ventre des douleurs vives qui ont remonté vers l'estomac et s'y sont ûxées. Bientôt, ces douleurs ont été accompaj^nées de vomissements noirs, couleurde suie. Les douleurs étaient à peu près incessantes ; les vomissements noirs se reproduisaient environ toutes les trois heures. Tout cela a persisté pendant dix ou douze jours. Après quoi, les douleurs ont cessée ainsi que les vomissements; mais il est resté de l'inappétence, un dégoût profond pour les aliments ; le lait/le Champagne le koumis pouvaient seuls être supportés et telle a été pen- dant fort longtemps la seule alimentation du malade. C'est ainsi qu*il nous a raconté les choses.

Le malade: Oui, monsieur, c'est bien ainsi que les choses se sont passées. J'étais tellement faible au sortir de la crise que. pendant plus de quatre mois. je n'ai pas pu sortir'du lit : d'ailleurs je ne pouvais pas manger et les crises revenaient de temps en temps.

M. CiiARCOT : Nous verrons cela tout à l'heure ; parlons seulement pour le moment de la première crise. Ne m'avez vous pas dit que, dans ce moment-là, vous avez été presque inconscient.

Le malade : Inconscient, pas tout à fait, mais fort engourdi ; je ne voyais rien, je ne pensais à rien, je ne reconnaissais personne. Cela a duré deux jours. Le premier jour je n'ai pas reconnu mes parents.

M. Ciiarcot; A partir de cette époque, les crises ont reparu, à peu prèsrégo- li^Tement tous les mois...

Le malade : Pas précisément tous les mois, monsieur, mais tous les trente- huitjours.

M. Ciiarcot: Cela revient à peu près au même, Messieurs, vous le reconnaî- trez. Ce qui importe,vous l'avez compris c'estlapresque régularité qu'ont affectée les crises dans leur réapparition périodique. S'adresmnt au malade : C'est seulement pendant la durée des crises^ et non dans les intervalles que les vomissements noirs ont paru?

Le malade : Oui, monsieur, c'est bien cela. Les crises parties, je ne souffrais plus, je ne vomissais plus ; j'étais presque bien. Seulement, je ne pouvais pas manger, j'étais dégoûté (le tout, et j'étais exlrêmenient faible. Les vomisse- ments noirs, dans la crise, ne venaient pas toujours tout de suite. J'avais d'abord des douleurs de ventre remontant à l'estomar, puis survenaient des nausées ; après cela je rendais ce que j avais avalé ; les vomissements glai- reux, jaunes, puis noirâtres se montraient ensuite. Les douleurs et les vomis- sements sévissaient dans toute leur force pendant quatre ou cinq jours.

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Alors, c'était un martyre: cela durait nuit et jour, je ne savais me mettre, après cela il y avait un apaisement ; mais, pendant dix jours, j'avais encore de temps en temps des douleurs et des vomissements de telle sorte que je n'élais tout à fait tranquille que pendant une période de quinze à vingt jours chaque mois puisque, comme je vous l'ai dit, les crises revenaient tous les trente-huit jours.

M. CuARCOT : Je vous remercie. Malgré plus d une anomalie qui en modifie plus ou moins profondément, à certains égards, la physionomie classique, vous reconnaîtrez ici, Messieurs, aisément les caractères fondamentaux de la crise gastrique tabétique. La périodicité typique, entre autres, est parfaite- ment accusée, malgré la persistance de troubles digestifs dans Tintervalle des accès. Pour ce qui est des vomissement noirs, ils sont, à la vérité, chose rare en pareille circonstance, puisque nous ne trouvons à cet égard, dans les annales du tabès, qu'une seule observation comparable à la nôtre, celle déjà citée de Vulpian (1). Mais leur présence dans les crises tabétiques n'est pas faite, je pense, pour dérouter le médecin et il n'est pas nécessaire pour s'en rendre compte d'imaginer la complication de quelque lésion organique de l'estomac, étrangère au tabès. Il est à remarquer, en effet, que dans notre observation, comme dans celle de Vulpian, le vomissement noir n'iipparait ja- mais que dans la période des crises ; cela n'est-il pas de nature à faire penser que le processus qui dans la muqueuse gastrique prépare son développement est semblable à celui qui, suivant les observations de M. le professeur Straus, produit chez certains ataxiques, de? ecchymoses cutanées, en conséquence des accès de douleurs fulgurantes (2) ?... S' adressant au malade : Voulez-vous me dire ce qui vous est arrivé à partir de la quatrième ou cinquième crise, c'est-à-dire cinq ou six mois après le commencement de tout.

Le malade : Je vous ai dit que j'ai commencé à me lever à la fin seulement du quatrième mois. J'étais extrêmement faible ; d'une maigreur extrême. Je n'avais toujours pas faim ; je me nourrissais à peine. On m'a cru atteint d'abord d'un cancer de lestomac, et plus tard d*un ulcère simple. On me traitait en conséquence : j'étais à la diète lactée ; d'ailleurs je ne pouvais pas prendre autre chose que du lait ; cela a duré trois ans. D'autres disaient ne pas savoir ce que j'avais. On m'a envoyé plusieurs fois à Vichy, puisa Chatel-Guyon. C'est là, en 1886, c'est-à-dire trois ans après le début, qu'on a commencé à dire que je pourrais bien être un ataxique. En effet, dans ce temps-là, j'ai commencé à marcher difficilement en lançant les jambes comme je le fais aujourd'hui.

M. Charcot : C'est bien, mais parlez-nous de vos crises gastriques.

i,Loc. cil. Maladie du système nerveux, 187i), p. 2<1.

2. J. Siraus. Des ecchymoses tabétiques à la suite des crises de douleurs fulgurantes. Archives do neurologie 1880-81, 4, p. 536.

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Le malade: Monsieur, elles ont continué jusque dans ces derniers temps. À partir du sixième mois, elle ont commencée s'éloigner ; elles ne revenaient plus que tous les trois ou quatre mois, au lieu de revenir comme auparavant tous les trente-huit jours. Elles ont continué ainsi jusqu'en octobre dernier. Elles ont donc duré cinq ans en tout. Je ne les ai pas eues depuis cette époque et j'espère qu'elles ne viendront plus. La dernière a été atroce: j'étais à Chatel-Guyon : elle a peut-être été provoquée par des lavages de Testomac qu'on me faisait à cette époque. Les douleurs ont été terrible s; j'ai eu des vomissements noirs très abondants ; après cela je suis tombé, m'a-t-on dit, dans un état très grave. Il parait que je suis resté sans connaissance pendant près de trois jours.

M. Charcot : Cependant vous m'avez dit qu'avant cette époque déjà l'état de votre estomac s'était amélioré.

Le malade : C'est vrai, monsieur. Les crises, à la vérité, bien que moins fréquentes, duraient toujours trois ou quatre jours et elles étaient souvent très intenses, mais la quantité des matières vomies était moins grande ; cela ne dépassait pas deux litres par jour. Dans les intervalles j'étais moins faible, moins dégoûté des aliments. Cependant, ce n'est que depuis ma dernière crise, c'est-à-dire depuis quatre mois, que mon estomac s'est remis à peu près com- plètement; depuis ce temps-là, je m'alimente à peu près comme tout le monde, je mange de la viande saignante, des pommes de terre, je bois du vin sucré, etc., etc. Je me crois guéri de ce côté-là.

M. Ciiarcot: Je l'espère. Je vous rappelle à ce propos,Messieurs,que les crises gastriques de Tataxie sont chose curable ; il en est de même des crises laryn- gées, des paralysies des muscles moteurs de l'œil, des crises vésicales et de bien d'autres symptômes de la série qui peuvent n'exister que passagèrement, bien que la maladie persiste d'ailleurs foncièrement et continue progressive- ment sa marche vers le but fatal. Il n'est guère en somme que l'atrophie ta- bétique des nerfs optiques, qui, une fois constituée, ne rétrocède jamais, même temporairement et aboutisse irrévocablement à la cécité absolue.

Messieurs, je vous ai dit au début de cette leçon que, suivant moi, on eûtpu chez notre patient, même dès l'origine de la maladie, reconnaître les troubles gastriques pour ce qu'ils sont, et éviter de tomber dans l'erreur qui semble avoir été entretenue avec persistance pendant une longue période de trois années. Il me paraît, que cette assertion est déjà en grande partie ratifiée par la description même que vous venez d'entendre de ces accidents gastriques, puisque, au milieu de tant d'anomalies, les caractères essentiels du type, peuvent être cependant facilement retrouvés ; elle sera justifiée plus encore, et pleinement légitimée, par l'exposé qui va suivre. Vous allez voir, en effet, que, dès le commencement de la maladie, les crises gastri- ques se sont trouvées associées à quelques symptômes univoques de la série

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tabétique, de manière à constituer un complexus parfaitement significatif, du moins pour un observateur expert en pareilles matières.

S^adressant au malade : A quelle époque vous a-t-on coupé la luette ? pour- quoi Ta-t-on fait ?

Le malade : Monsieur, c'est un peu après la première crise d*estomac. J'avais une toux sèche, incessante, fort bizarre et qui étonnait les médecins. Dans ce temps-là je n'avais pas à la suite des quintes, des suffocations comme j'en ai eu depuis. Du reste, l'opération ne m'a absolument pas soulagé.

M. Charcot : A quelle époque avez vous commencé à avoir la voix rauque, détonnante comme vous l'avez aujourd'hui? Veuillez prêter, Messieurs, atten- tion à la voix qu'émet notre malade quand il parle. Il détonne à chaque ins- tant ; de plas, de temps en temps, quand la respiration se précipite, vous entendez, à chaque inspiration, un léger cornage.

Le malade : Je me suis aperçu, monsieur, que j'avais la voix rauque et basse lors de ma première crise, c'est-à-dire à la fin de 1883.

M. Charcot : Vous le voyez, tout cela date de l'origine du mal. Je vous dirai immédiatement que Texamen fait ces jours-ci, par M. Gartaz, du larynx chez notre malade, donne la raison de cette dysphonie, de la raucité de la voix et aussi du cornage. Il existe en effet une paralysie incomplète de la corde vocale gauche, ou autrement dit, du muscle crico-arythénoïdien postérieur Tout cela, remarquez-le bien. Messieurs, eût pu être reconnu il y a cinq ans. Le même examen donne, en partie du moins, la raison des crises laryngées qui, vous allez le voir, ont, dès le commencement, joué un rôle important dans l'histoire clinique de notre sujet.

Je fais allusion ici à une hyperesthésie très accentuée de la muqueuse la- ryngée, reconnue également par M. Cartaz. Elle occupe surtout à droite la ré- gion des cordes vocales supérieures et inférieures ; on serait en mesure très certainement de provoquer des crises laryngées artificielles si l'on insistait quelque peu sur la titillation de ces régions...

S*adressant au malade : A quelle époque avez-vous eu la première de ces grandes crises de larynx qui quelquefois vous jettent à terre sans connais- sance ?

Le malade : C'était à Vichy, monsieur, en 1884, après ma septième ou hui- tième crise d'estomac. J'étais près de la source j'allais boire. J'ai senti un chatouillement à la gorge, je me suis ensuite mis à tousser de ma toux quin- teuse et rauque plus fortement que d'habitude et, tout à coup, je suis tombé à terre absolument privé de connaissance. J'ai été fort étonné quand je me suis réveillé, couché par terre et qu'on m'a dit ce qui était arrivé.

M. Charcot : La même chose vous est arrivée plusieurs fois depuis, je

crois ?

Le malade : Oui, monsieur, quatre ou cinq fois. La dernière fois il y a un mois. Mais habituellement les choses ne vont pas si loin. Je sens un chatouil-

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lement vers le côté droit du larynx, comme si on me passait à Tiatérieur, de ce côte-là, une barbe de plume ; puis je me mets à tousser d'une toux sifflante comme si j'avais la coqueluche. Je suis menacé de suffoquer. Mais alors je ne tombe pas et je ne perds pas connaissance.

M. CiiAUcoT, aux nudilevrs : Vous venez d'entendre un récit fort intéres- sant, dans lequel figurent en quelque sorte tous les accidents laryngés possibles du tabès, accidents permanents à savoir: voix rauque, dysphonlque, cornage ; accidents transitoires et paroxystiques, à savoir : accès de toux « co- queluchoïde» comme on les a quelquefois appelées; crises laryngées spasmo- diqnes avec tendance à la suffocation ; crises laryngées enfin sous forme d'ictus. La description de ces dernières surtout est fort remarquable, parce qu'il s'agit en somme d'un accident plutôt rare dans le tabcs.Vous n'oublierez pasqae, ainsi que je l'ai montré depuis longtemps déjà, lictus laryngé, ou, autrement dit,le vertige laryngé comme je l'appelle, n'appartient pas, tants'en faut,exclu- sivement au tabès. On le trouve en effet, plus fiéquemment peut-être ,ehez cer- tains sujets goutteux, atteints de laryngite chronique et aussi chez quelques asthmatiques. L'arthritis en somme parait être en jeu dans la plupart de ces cas (1).

Mais j'en reviens, Messieurs, à notre malade. N'estil pas clair que tous ce« symptômes laryngés si accentués, si caractéristiques, pour peu qu'on y eût pris garde et si on les eût considérés soit en eux-mêmes, soit dans leur relation avec les crises gastriques, eussent suffi pour révéler la véritable nature du mal, et pour empêcher, en ce qui concerne ces dernières, de tomber dans le dia- gnostic erroné d'une affection organi<[ue de l'estomac. La chose vous parait évidente maintenant et il n'est guère utile d'insister. Je ferai remarquer seule- ment que l'existence de douleurs fulgurantes parfaitement accentuées, remar- quée pour la première fois dès 1885, eût pu dès cette époque contribuer puis- samment à éclairer la situation.

Il ne me reste plus, pour en finir avec ce cas, qu'à compléter l'observation par quelques nouveaux détails. L'incoordination motrice, ainsi que je vous l'ai dit, a paru seulement au commencement de 1880, c'est-à-dire il y a trois ans.

Voici maintenant Tcnumération sommaire des symptômes révélés par l'étude de l'état actuel La démarche tabétique est, chez le malade, tout à fait conforme à la description typique : les membres inférieurs sont à chaque pas comme projetés et retonïbent lourdement sur le sol en frappant du talon. Le signe de Homberg est très accentué. Les douleurs fulgurantes occupent non seulement les membres inférieurs mais encore les trajets nerveux du domaine

\. Voir sur les accidents larynrjés labi'tiques, los I.eqotis dit mnrdi 1887-1888, p. 85, 269, 277 et, sur Yiclus laryngé en parliculiep : Progrès vtédicals 1b'î9, p. 317.

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cubital, symétriquement des deux côtés. Les réflexes rotuliens sont absents. Atrophie, également prononcée des deux côtés, des muscles qui remplissent le premier espace interosseux. Troubles urinaires consistant dans la nécessité de faire effort, de pousser quand on veut rendre les urines. Celles-ci s'écoulent quelquefois involontairement à la moindre émotion, Anaphrodisie complète, depuis trois ans. Jamais il n'y a eu de diplopie, mais le signe d'Argyll Robertson est bien dessiné. Les crises gastriques ont, comme on Ta dit, cessé d'exister depuis plusieurs mois et nous pouvons espérer qu'elles ne se repro- duiront pas.

Certes, voilà un pauvre homme chez lequel la terrible maladie tabétique, semble avoir voulu exercer toutes ses cruautés; j'ajouterai qu'il a été frappé de très bonne heure, c'est-à-dire vers Tàge de 30 ans. D'après mon expé- rience, dans ces cas de tabès précoce, on doit s'attendre à rencontrer presque toujours dans les antécédents héréditaires des tares nerveuses plus ou moins accentuées. Il n'en est rien chez notre homme; Tétude de sa famille ne nous a rien appris. Il est vrai que nous n'avons pas pu être renseignés dans toutes les directions. Nous avons appris seulement qu'un de ses frères, fort intelli- gent du reste parait-il, est un original fieffé. Il a changé deux ou trois fois de religion : c'est beaucoup I

Il n'y a jamais eu traces de syphilis, et les fatigues corporelles, non plus que les émotions morales, ne sauraient être incriminées comme causes occa- sionnelles provocatrices. Notre malade a de l'instruction. Il a exercé tour à tour la profession d'employé de commerce et d'entrepreneur. Jamais il n'a travaillé de ses mains et jamais il n'a eu de véritables chagrins.

C'est un de ces cas, vous le voyez, et ils sont fort nombreux encore, Fataxie procède on ne sait d'où^ et vient on ne sait comment.

Malade.

I^ second malade que nous avons à étudier aujourd'hui est un nommû Klein, israélite hongrois, âgé de 23 ans. Nous aurons le regret de ne pouvoir pas l'interroger devant vous ; nous ne pouvons communiquer avec lui qu'à

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Faide des quelques mots d'allemand qu'il possède ; et c'est ainsi que nous avons recueilli, près de lui, les renseignements dont je vais vous faire part,

Je vous le présente comme un véritable descendant d'Ahasvérus ou Carta- philus comme vous voudrez dire. Le fait est qu'à l'exemple de ces névropathes voyageurs dont je parlais l'autre jour, il est mû, constamment, par un besoin irrésistible de se déplacer, de voyager, sans pouvoir se fixer nulle part. C'est ainsi que, depuis troisans, il ne cesse de parcourir l'Kurope, à la recherche de la fortune qu'il n'a pas encore rencontrée.

lia d'abord traversé l'Allemagne, s'arrê tant à Dresde, à Leipsick, à Breslau, àBerlin ; exerçant un instant, dans chacune de ces villes, son métier de tailleur, dans le but de ramasser quelque argent lui permettant de continuer son voyage. De Berlinil passe en Angleterre qu'il trouve « triste > et il nereste que deux mois. De là, riche de 70 schellings, il se rend à Anvers il s'installe pendant quatre mois ; mais, l'ouvrage venant à manquer, il part pour Bruxelles où, à son grand désappointement, il ne trouve pas de travail.

Bientôt son trésor s'épuise et n'ayant plus que 4 francs en poche, il prend le parti de se rendre à Liège, ii pied. Mille misères l'attendaient dans ce voyage pédestre qui n'a pas duré moins de cinq jours. Les deux premiers jours ila marcher sous une pluie battante, à travers des chemins défoncés. Le matin dulroisième jour, c'était le 2 août i888, la pluie ayant cessé un instant il se couche, vers 9 heures, tombant de fatigue et trempé jusqu'aux os, le long de la route, sur la terre humide. il s'endort lourdement, reposant sur le sol par le côté droit du corps. Il a dormi jus(][u'à 2 heures de l'après midi.

11 est certain que, pendant toute la durée de sou sommeil, il n'a pas changé un instant de position, car c'est seulement sur le côté droit que ses vêtements ont été couverts de boue. Au réveil il ressentait, dans toute l'étendue du membre supérieur droit et dans la cuisse ainsi que le genou du même côté, des douleurs vives accompagnées d'un sentiment d'engourdissement fort péni- ble, lllui fallait cependantinalgrétoulse remettre en marche, il n'était qu'à mi- chemin et, ses ressources pécuniaires étant complètement épuisées, il ne devait plus compter que sur la charité publique. 11 rassembla toutes ses forces et continua sa route clopin-clopant, traînant sa jambe gauche dont il souf- frait beaucoup. Enfin il arriva à Liège le cinquième jour, dans un état déplo- rableet fut reçu à l'hôpital anglais il resta traité, paraît-il, pour un « rhuma- tisme > à l'aide de félectricité. Sa famille lui ayant, sur ces entrefaites, envoyé quelque argent, il se rend à Sp a, toujours à pied, et de à Verviers il entre encore à l'hôpital. Il y éprouva quelque soulagement de sa douleur sous rinflueiice de bains de vapeur locaux qui lui furent administrés. 11 quitte Ver- viers pour Met/ il arriv(^ boitant plus que jamais. L'association israélite de cette ville lui <lonn<' quelque secours d'argent qui lui permettent de prendre le train pour Châlons-sur-Marne. De Chàlons, toujours souffrant et boitant, il se met en route à pied pour

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Paris, marchant environ quatre heures par jour, et vivant des quelques aumônes qui lui sont faites par ceux de ses coreligionnaires qu'il rencontre dans les villes il s'arrête chemin faisant.

Je n'ai pas cru. Messieurs, devoir vous épargner les détails relatifs à toutes ces pérégrinations singulières parce qu'elles révèlent chez notre homme, si je ne me trompe, un état psychique particulier qui nous conduite le considérer comme un anomal, un déséquilibré. Il était important égale- ment de bien mettre en relief les misères, les privations, les fatigues exces- sives dont il a souffert pendant ses voyages, et d'insister aussi sur cette malen- contreuse matinée du 3 août il est resté couché, dormant, pendant plusieurs heures sur la terre humide, reposant par le côté droit du corps : ce sont là, en efiet, des circonstances qui nous paraissent avoir joué un rôle important dans le développement de la maladie que nous devons étudier maintenant.

Klein a fait son entrée à Paris le il décembre 1888; le lendemain il se pré- f

sentait à la Salpétrière il a été admis dans le service de la clinique.

Il faisait vraiment peine à voir; déguenillé, sale, pâle, amaigri, tombant de fatigue et tout ahuri, il présentait vraiment Timage poignante du complet dénûment. Il avait les pieds meurtris et, pendant plusieurs jours, il ne se sentit pas le courage de sortir un instant du lit. Enfin, lorsque sous l'influence du repos et d'une alimentation à discrétion il se fut un peu remis, Texamen que nous Hmes de son état nous apprit ce qui suit.

Aucun signe d'une lésion viscérale organique quelconque. En dehors de Témaciation, de la prostration et de l'anémie profondes dont il a été question plus haut, tous les symptômes à relever sont relatifs au système nerveux. Il existe dans toutes les articulations du membre supérieur droit un certain degré de rigidité qui dépend d'un spasme musculaire. Le bras est appuyé et immobilisé sur le côté droit du thorax ; Tavant-bras est fléchi à angle obtus sur le bras et en même temps fixé dans la pronation forcée. Le poignet est légèrement fléchi sur Tavant-bras et entraîné dans l'abduction. Les doigts rigides dans l'extension, sont fléchis en masse^ à angle droit vers la paume de la main et en même temps fortement déviés vers le bord cubital. (Fig. 71).

Veuillez prendre note, Messieurs, de cette déformation particulière de la main et des doigts que je vous ai fait remarquer déjà dans des circonstances f

analogues à celles que nous rencontrons ici (1). Cette contracture spasmodique j

du membre supérieur droit date, paraît-il, des premiers jours qui ont suivi la |

journée du 2 août. A cette époque, ce membre était, comme on Ta dit, le siège '■

de douleurs et d'engourdissements qui ont disparu depuis. La peau du membre contracture est dans toute son étendue, épaules, bras, avant-bras, main frappée

:'f

1. i3« Leçon du mardi, 1887, 1888, 1889, pasâim.

t

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d'anesthésie complète et relative & tous les modes de la sensibilité. La limi- tation de l'anesthésie ducAtédes parties restées sensibles se fait par une ligne courbe de façon ft déterminer la disposition aujourd'hui bien. connue dite en manche de gigot. L'insensibilité s'étend aux parties profondes. Les déplace- ments imprimés aux divers segments du membre, les tractions, les tensions, exercées sur les diverses jointures ne sont pas perçus.

Tous ces caractères sont tellement accentués, tellement nets, qu'on ne sau- rait douter qu'il s'agit d'une contracture hystérique. C'est dans l'hystérie, dans l'hystérie seule en efTet, autant qu'on sache, que l'on rencontre des trou- bles de la sensibilité de ce genre aussi accentués et ainsi disposés. Celte pre- mière impression sera confirmée d'ailleurs par tout ce qui nous reste & dire.

Le membre inférieur droit présente, au niveau de Isbancbeet du genou, une rigidité comparable & celle que nous venons de relever & propos du membra supérieur correspondant; c'est encore la contracture spasmodique qui est en jeu. Les troubles de la sensibilité sont, également sur ce membre, très nette- ment accentués et disposés d'une fuçon caractéristique: Anesthésie cutanée eu manchon se limitant par en haut suivant une ligne parallèle au pli de l'aine et par en bas suivant une ligne circulaire, perpendiculaire au grand axe dumem- bre, passant à quelques centimètres au-dessous du genou, (Fig. 72, 73). Les mouvements passirsimprimésàrarticulationcoxo-fémorale ne sont pas perçus. Il n'en est pas de même en ce qui concerne le genou Celui-ci est doulou- reux lorsqu'on le meut ou qu'on y exerce une pression profonde et la boiterie qui, aujourd'hui encore, malgré l'ami-liuration survenue de ce cAté dans ces derniers temps, est fort prononcée, dôpend non seulement de la rigidité des articulations, mais encore de la douleur ijui, h chaque pas, se fait sentir dans

le genou. Cependant pas de tuméfaction, pas d'empfttement, pas de chaleur révélant l'existence d'un travail inflammatoire. On sait que la boiterie date des premiers jours de la maladie ', dans ce temps-là les douleurs occupaient^

«emble-l-il, toute l'étendue de la cuisse ; aujourd'hui elles se sont, si l'on peut ainsi parler, concentrées sur le genou.

recherche des stigmates sensoriels est restée généralement infructueuse. Pas de rétrécissement du champ visuel. Pas detroublea de l'odorat, de l'oui'e. Seul l'examen de la langue a fait reconnaître que la sensibilité générale ainsi

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que le goût avaient disparu complètement sur la moitié droite de Toi^gane. La perte partielle ou totale du goût, soit dit en passant, constitue un stig- mate qui, d'après ce que j'ai vu, se rencontrerait assez fréquemment chez des hystériques mâles qui n'en portent pas d'autres. Sa constatation, ne l'oubliez pas, pourrait par conséquent vous être, le cas échéant, d'un précieux secours, dans une circonstance difficile.

Pas d'attaques, pas de représentants d'attaques, pas de points hystérogënes.

Pour ce qui est de l'état psychique nous n'avons guère à signaler que les rêves généralement pénibles qui, depuis qu'il est tombé malade, troublent ses nuits. Tantôt il revoit les scènes de grèves auxquelles il a assisté en Bel- gique, et il se croit poursuivi par des gendarmes ; tantôt ce sont des chiens énormes qui se précipitent sur lui, « toujours de droite à gauche (i) » et au moment il va être mordu, il se réveille, etc., etc.

On a déjà fait allusion à son instabilité, à sa manie des voyages. Ses ré- cents malheurs ne l'ont, paraît-il, nullement guéri, car il se propose aussitôt qu'il sera remis sur pied de partir pour le Brésil. Il est remarquable que, chez notre homme, on ne rencontre pas de symptômes neurasthéniques bien accentués ; pas de céphalée, pas de plaque sacrée, pas de confusion de l'es- prit, pas de vertiges, etc. L'hystérie paraît être chez lui primitive ; pour le moins c'est elle qui, de beaucoup, domine la situation.

Après nos études de l'an passé et de cette année, je ne crois pas nécessaire de nous arrêter, Messieurs, à discuter le diagnostic que nous avons formulé tout à l'heure et dans lequel nous sommes entrés en quelque sorte de plain pied. Je me bornerai donc à faire ressortir les analogies, qui, suivant moi, rapprochent étroitement notre cas, des exemples nombreux de paralysies hystéro-traumatiques, avec ou sans accompagnement de contracture, sur les- quels j'ai eu l'occasion d'appeler votre attention. Évidemment, c'est d'un fait rentrant dans cotte catégorie qu'il s'agit chez notre homme. J'imagine que le contact prolongé des membres droits avec la terre humide en même temps que la pression à laquelle ils ont été soumis par l'action du poids du corps doivent être considérés ici comme les équivalents d'un agent traumatique localement appliqué. La pression a <Hé dans ces membres la cause d'un engour- dissement parétique, tandis que l'action du froid humide y a occasionné des douleurs •< rhumatoïdcs ». Celle-ci et celui-là, conformément à ce processus d'autosugîîestion dont je me suis efforcé plusieurs fois de vous enseigner le mé- canisme, ont abouti, on conséquence d'une sorte d'action réflexe psychique, à la production dans les membres intéressés, de la paralysie et de la contrac- ture, et celles-ci ont revêtu, ainsi que cela est de règle en pareille circons- tance, tous les caractères des contractures et des paralysies hystériques.

1. 11 est à remarquer que dans ce cas il ny a pas de rétrécissement du champ visuel.

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L'état mental particulier qui a rendu possible cette évolution, je l'assimile, vous le savez, à celui qu'on observe dans le somnambulisme provoqué par hyp- notisation.Ghez notre homme il se sera développé en conséquence de la débi- litation physique et de la démoralisation profonde qu'il a subies pendant le cours de ses malheureux voyages.

Il était d'ailleurs, antérieurement peut-être, déjà spécialement prédisposé à la névrose hystérique. Il est israélite, remarquez-le bien, et le fait seul de ses pérégrinations bizarres nous le présente comme mentalement soumis au régime des impulsions ; à la vérité, la recherche des antécédents héréditaires n'a pas fourni de résultats précis, mais il nous a raconté l'histoire d'un de ses grands-pères mort en 184S en Russie, « sous le knout (?) > et cette circons- tance est bien de nature à faire supposer, pour le moins, que sa famille a vivre plus d'une fois sous le coup d'émotions dramatiques.

Quoi qu'il en soit, Messieurs, je ne crois pas que son cas soit grave au pre- mier chef. Déjà, en effet, sous la seule influence de Tamélioration survenue dans l'état physique et moral de notre malade, en conséquence des soins hygiéniques qui lui ont été prodigués, nous avons vu les accidents d'ordre nerveux se modifier rapidement d'eux-mêmes de la façon la plus favorable. Si les choses continuent à aller de ce train il pourra, comme il l'espère, re- prendre dans quelques semaines le cours de ses singulières pérégrinations (1).

1. A la dale du 10 août, on note que le malade peut être considéré comme à peu près com- plètement guéri. Les troubles aensitifset sensoriels ont disparu ainsi que les troubles moteurs. La santé générale est excellente.

Ni y/.n.i., .., i.i.; t AM;AGM:-rui;Mi .LK, TAnis.

il '

Policlinique du Mardi 5 Mars 1889

SEIZIÈME LEÇON

Un cas d'abasie trépidante survenue à la suite d'une intoxication par la vapeur de charbon.

Messieurs,

Nous aUons étudier ensemble un cas qui très certainement excitera votre intérêt. Il est relatif à un syndrome rare, encore peu connu, et qui, mal inter- prété, pourrait devenir Toccasion d'erreurs fort regrettables. Le complexus symptomatique dont il s'agit s'est développé à la suite d'une asphyxie par la vapeur de charbon et,très certainement, en conséquence de cette intoxication. Mais il y aura à rechercher si les troubles fonctionnels que nous allons décrire appartiennent réellement à la nosographie de Tintoxication oxy- carbonée, ou si, au contraire, cette intoxication a joué seulement dans le développement des accidents pathologiques, le rôle d'une cause occasion- nelle, en provoquant l'apparition d'un mal auquel le sujet était antérieure- ment disposé. C'est, Messieurs, je puis vous le dire à l'avance, à cette dernière opinion que nous serons conduits à nous attacher, après discussion.

I

Il s'agit d'un homme âgé de il ans, nommé Ro...el, employé dans une imprimerie. Il parait bien constitué et d apparence assez vigoureuse, un peu pâle seulement et déprimé mentalement. Je me réserve de vous parler en temps et lieu de ses antécédents héréditaires, et aussi de ses antécédents per- sonnels qui sont les uns et les autres, vous le verrez, fort intéressants à con- naître. Pour le moment, j'en viens de suite à la description des phénomènes morbides au sujet desquels il est venu nous consulter.

Je vous le présente couché sur un lit; ce n'est pas. Messieurs, qu'il ne puisse

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pas se tenir debout; mais je liens à vous bien montrer qu*au lit, il a dans les membres inférieurs la liberté de tous ses mouvements et ne présente aucun des signes révélant une affection spinale connue, soit de Tordre organique, soit de l'ordre dynamique. Ainsi, si je lui dis de mouvoir ses membres dans diverses directions, il exécute tous les mo-ivements prescrits avec force et précision, aussi bien lorsque ses yeux sont fermés que lorsqu'ils sont ouverts. A tous les efforts que je fais pour plier ses membres ou pour les fléchir, il résiste admirablement. Donc, tout ce qui est relatif aux mouvements dans cette exploration paraît être absolument normal. Pas de rigidité, pas de con- tracture, pas traces de troubles quelconques de la sensibilité cutanée ou pro- fonde. Les réflexes rotuliens sont normaux; peut-être y a-t-il une légère tendance à la trépidation par redressement de la pointe des pieds, surtout du côté droit, mais cela est,en somme,peu accentué ; remarquez une fois de plus qu'il se retourne dans son lit, se plaçant à volonté sur le dos, sur le ventre, avec la plus grande aisance. Et pendant qu'il est encore couché, je vais vous rendre témoin du fait suivant: c'est un nageur ; eh bien, vous voyez que sur mon invitation, il exécute parfaitement les mouvements assez compliqués de la natation ; vous serez amenés tout à l'heure à comprendre l'intérêt qui s'attache à cette constatation.

Maintenant le malade, soulevé par des aides, va être transporté du lit sur une chaise; le voilà assis : je vous fais remarquer que dans cette nouvelle situa- tion, il n'existe non plus aucune anomalie motrice dans ses membres inférieurs.

Enfin, je prescris au malade de se lever et de se tenir debout. V^ous le voyez, la station est ferme, absolument normale ; les yeux fermés, il n'oscille pas le moins du monde. 11 peut se tenir sur un seul pied. Je lui dis d'écarter ses jambes, de se fendre comme dans l'escrime, il exécute sans hésitation et avec prestesse tous les mouvements prescrits.

Ainsi, Messieurs, voici un homme qui couché, assis, est tout à fait libre d'exécuter avec force et coordination parfaite tous les mouvements possibles des membres inférieurs ; la station debout est absolument normale. Nous avons suffisamment constaté, d'ailleurs, qu'il n'offre aucun signe d'une para- plégie soit molle, soit spasmodique, qu'il n'est pas non plus ataxique... En quoi consistent donc, me direz-vous, ces troubles fonctionnels si particu- liers dont vous dites le malade atteint? Ils vont se révéler immédiatement, Messieurs, lorsqu'il voudra exécuter les mouvements de la marche.

Remarquez que je l'ai prie' de marcher d'un pas ordinaire, seulement un peu précipité, et le voilà qui part, le corps incliné en avant, les membres inférieurs raides, dans l'extension, pour ainsi dire collés l'un contre l'autre, portant sur la pointe des pieds ; ceux-ci glissent en quelque sorte sur le sol et la progression se fait par une sorte de trépidation rapide rappelant ce que Ton voit dans certains cas de paraplégie spasmodique lorsque le phénomène de l'épilepsie spinale y est très accentué. Mais nous savons déjà que ce n'est point

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de cela qu'il s'agit ici. Lorsque le sujet est ainsi lancé, il semble qu'il soit à chaque instant menacé de tomber en avant ; en tout cas il lui est à peu près impossible de s'arrêter de lui-même. Il lui faut le plus souvent s'accrocher à un corps voisin. On dirait un automate par un ressort et, dans ces mouve- ments de progression raides, saccadés, comme convulsifs, il n'y a rien qui rappelle la souplesse des actes de la marche normale... Se détourner, pour lui, pendant qu'il marche, ou plutôt court à petits pas, c'est une aflaire d'état; reculer c'est chose absolument impossible.

Si nous voulons arriver à comprendre le mécanisme de cette marche trépi- dante, comme je vous proposerai de la désigner, Messieurs, il nous faudra l'étudier dans les conditions plus simples de ce que j'appellerai « la mise en train ». Le malade étant debout, tranquille, immobile, je le prie de se mettre de nouveau en marche. Il se montre d'abord tout hésitant, on dirait qu'il s'essaye et se prépare à accomplir un acte pour lui d'une exécution fort diffi- cile; à chaque pas qu'il veut faire, au moment le genou se fléchit pour élever le pied et le porter ensuite en avant, comme c'est la règle dans les con- ditions normales, il se produit tout à coup un mouvement contradictoire et brusque d'extension du membre inférieur tout entier, mouvement qui redresse le genou et a pour effet consécutif de fixer, en quelque sorte, le pied sur le sol, l'empêchant de s'en détacher. Ce qui vient de se produire sur un des membres, se produit maintenant de la même façon sur l'autre ; il semble à ce moment que le sujet serait condamné à l'immobilité, les membres infé- rieurs placés dans l'extension et appliqués l'un contre l'autre, si, pour pro- gresser il n'usait pas d'un artifice consistant à se dresser sur la pointe des pieds, en même temps qu'il penche son corps en avant, comme pour s'en- trafner... Enfin, après quelques essais, le voilà parti et, conformément au mécanisme que je viens d'indiquer, il glisse sur le sol, plutôt qu'il ne marche, les jambes raides, ou pour le moins se fléchissant à peine, les pas étant en quelque sorte remplacés par autant de brusques trépidations.

Cette progression par petits pas précipités rappelle assez bien les mouve- ments rapides et cadencés de certaines chorées rythmées dont je vous ai présenté l'an passé plusieurs exemples ; mais la comparaison, remarquez-le bien, n'a guère de valeur qu'au point de vue pittoresque. Il ne faut pas s'y laisser prendre. Il y a, en effet, entre les deux ordres de phénomènes une diffé- rence foncière, capitale : c'est que les mouvements de la chorée rythmée, et c'est d'ailleurs un trait commun à toutes les chorées méritant ce nom, se manifestent en dehors de tout acte volontaire, alors que le sujet voudrait garder le repos, tandis que, chez notre homme, c'est exclusivement lorsqu'il veut se déplacer en marchant que les trépidations apparaissent. Jamais elles ne se produisent involontairement, dans les temps de repos, soit que le malade se tienne couché ou assis, soit qu'il se tienne dans la station debout. En somme, les mouvements en question ne sont autres que ceux de la marche

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elle-même, à la vérité plus ou moins profondément altérés, mais conservant néanmoins sur un mode précipité, le caractère rythmé qui est propre à cet acte physiologique.

Ainsi, Messieurs, voilà un homme (lui ne sait plus marcher, du moins, comme on marche dans Tétat normal ; il a désappris la pratique des actes moteurs de la marche ordinaire. Ils sont remplacés chez lui par les mouve- ments anormaux, pathologiques que nous avons essayé de décrire. Et, cepen- dant, contraste frappant, les mouxements vulgaires, non étroitement spécia- lisés des membres inférieurs, tant élémentaires que complexes, comme lorsqu'il s'agit de les fléchir, de les étendre, de les diriger vers un point déterminé, de se tenir debout ou encore de se « fendre », comme dans Tescrime, ces mouvements-là, dis-je, ne sont nullement aflectés, ils ont con- servé toute leur force et toute leur précision.

H y a plus, et c'est ici surtout, que la singularité du syndrome se révèle dans son vrai jour. De tous les modes possibles de progression, la marche ordinaire, normale, vulgaire, comme vous voudrez l'appeler, est pour ainsi dire le seul qui soit intéressé chez notre malade : ainsi je lui prescris de se déplacer pour se rendre d'un point à un autre de la salle du cours en sautant à pieds joints, ou encore k cloche-pied Qi\o\xs voyez qu'il exécute ces actes complexes prestement, délibérément, sans que ceux-ci soient le moins du monde troublés, à aucun moment, par Tintervention intempestive de mouvements contradictoires. 11 en est absolument de même lorsqu'il s'agit de marcA^d quatre pattes. A ce propos, notez en passant que lorsqu'il est debout, il peut fléchirses genoux pour se baisser et s'accroupir, puis inversement les étendre pour se redresser, avec la plus grande aisance. C'est ici le lieu de vous rappeler que, tout à l'heure, étant couché sur le ventre il a exécuté régulièrement les mouvements de natation, et en même temps nous relèverons par contre, que prié par nous de se livrera une danse qu'il connaissait fort bien autrefois, la polka, il lui est impossible comme vous voyez, malgré toute la bonne volonté qu'il y met, de répondre à notre désir.

Mais voici maintenant un dernier trait bien remarquable. Notre homme, je le répète encore une fois, ne peut pas marcher tranquillement^ posément, comme tout le monde, c'est bien entendu, vous en avez été témoins. Eh bien, depuis hier, à la suite de leçons ad hoc qui lui ont été données par un des élèves du service, il est devenu capable de marcher à grands pas, emphati- quement, à la manière d'un acteur jouant un rAle tragique. C'est ainsi désor- mais qu'il procède dans les cours de l'hospice, pour se rendre d'un bâtiment àlautre, excitant, chemin faisant, conformément à une loi bien connue, rhilarité de tous ceux qu'il rencontre (1).

i. Il n'est pas hors de propos d'indiquer sommaire ncni certaines anomalies qui s'observent chez Ro..cl, dans l'exécution de certains mouvements des membres supérieurs et en particulier

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Qui eût pu deviner, Messieurs, que les divers mécanismes relatifs aux mou- vements de progression, tel que la marche, le saut, la danse, lanage, etc., etc., fussent aussi indépendants les uns des autres qu'ils paraissent Têtre d'après ce qui précède, et aussi indépendants d'un autre côté de ceux qui président aux mouvements vulgaires, non spécialisés des membres inférieurs? Un pareil isolement, une semblable autonomie de fonctionnements en apparence aussi connexes pouvait-il être prévu à priori? Evidemment non. Que les choses sont réellement ainsi, telle est cependant la conclusion qui s'impose en pré- sence des faits que nous venons d'exposer et c'est un exemple de plus à citer parmi ceux qui montrent qu'une analyse clinique délicate a souvent le pou- voir de dégager des faitsphysiologiques, autrement condamnés à rester dans le chaos. Lorsque la démonstration en est faite, il n'est plus aussi difficile, sans doute, de comprendre comment l'une de ces fonctions pourra être dérangée ou môme complètement supprimée, alors que les autres, en tout ou en partie, continueront à s'effectuer suivant les conditions normales. On ne saurait oublier que l'enfant n'apporte en naissant que, la prédisposition à exécuter les mouvements de la marche, et que, pour arriver à opérer régu- lièrement cet acte, il lui faut un long apprentissage. Il lui faudra ensuite par une éducation nouvelle, apprendre à sauter, à danser, à nager, etc., etc., comme il lui faudra apprendre à écrire, à articuler les mots. Tout cela ne s'acquerra pas, tant sans faut, sans travail et sans efforts; c'est dire anatomi- quement et physiologiquement qu'il devra organiser dans les centres nerveux pourchacunde ces groupes de mouvementsspécifiés, systématisés, différenciés,

ilo la main. Le mnlîi \r ex '.miIo pr.:* 'uiicmciit à l'aide de ces membres et :>p<îrialomcnl des (ioii^U de la main les mouvements généraux qui lui sont prescrits. Pas d'incoordination, pas de tremblc- meoi dans Taccomplissement de ces actes. Mais, au contraire, lorsque tenant la plume il veut écrire, on voit qu'après avoir tracé quelques mots, quelques lignes même, parfaitement lisibles et régulières, il se met à ne pins tracer que des Jambages informes, très courts, de plus en plus rapproch(^s et qui flnissent par se Tusionner en une ligne tremblée. 11 est à reniarquer que les premières lignes de la page d'écriture, et les premiers mots de chaque ligne, ainsi que les pre- mières lettres do chaque mot sont d'une manière générale les mieux t.^acés, «îoinme si chaque Ugne, chaque mot, étaient pour lui un nouveau départ, une reprise. Il en est des chiffres et des nombres comme de récriture, et si on lui fait, sur une page, dessiner une série de cercles en lui disant de s'efforcer de les faire tous de même dimension, on s'aperçoit qu'à mesure qu'ils se multiplient, ils deviennent malgré lui de plus en plus irréguliers et de plus en plus petits. Ce désordre moteur relatif à récriture nous parait différer complètement de Tagraphie apha- sique : dans celle-ci il y a perle des images motrices graphiques, des lettres et des mots. Le sujet qui d'ailleurs a conservé dans les doigts de la main Texécution normale de tous les mouvements vulgaires, a perdu précisément et exclusivement la mémoire des mouvements qu'il faut faire pour donner leur forme aux lettres et pour les assembler sous forme de mots. Chez notre malade, au contraire, les images motrices graphiques subsistent dans toute leur intégrité, ainsi que cela est démontré par cette circonstance qu'il est capable d'écrire correctement des lignes entières,et que, toujours, le commencement des lignes est parfait. 11 ne s'agit pas non plus de la crampe des écrivains où, après qu'on a tracé quelques mots, U survient dans certains muscles de la main des crampes pénibles, qui font qu'on est obligé d'abandonner la plume.

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autant de groupes cellulaires distincts, résideront désormais les «mémoires partielles » qui présideront à Taccomplissement de chacun de ces actes. Que ces groupes cellulaires dont les éléments histologiques doivent être agencés^ coordonnés, en vue de la mise enjeu d*un mécanisme spécial, constituent véri- tablement autant de centres fonctionnellement autonomes, c'est ce que démon- trent justement les cas du genre de celui que nous avons sous les yeux, puisqu'on y voit un de ces groupes plus ou moins profondément atteint sans qu'il y ait participation aucune des autres.

II

La première fois que j'ai remarqué ce singulier syndrome que nous dési- gnerons, si vous le voulez bien, sous la nom d'abasie incoordination ou impuissance motrice relative au mécanisme de la marche, il se montrait combiné à Yastasie incoordination ou impuissance motrice relative À la station debout qui pendant un certain temps en a masqué la présence (i). Vous ne devrez pas vous attendre, soit dit en passant, à rencontrer toujours dans ce domaine-là, pas plus qu'ailleurs du reste^ des formes absolument pures, des types parfaits.

C'était, je crois, en 1877. 11 s'agissait d'un jeune garçon jusque-là parfaite- ment bien portant ; il était tombé malade tout à coup, en conséquence de l'émotion qu'il ressentit un jour que, dans la maison d'éducation il faisait ses études, il dut, devant Mgr Tévêque qui la visitait à Toccasion de je ne sais quelle solennité, réciter quelques vers latins. Au sortir de la cérémonie, il se coucha avec un grand mal de tête et éprouvant un grand affaiblissement dans les membres inférieurs. Le lendemain matin,le médecin qui fut appelé trouva l'enfant sans fièvre, mais dans l'impossibilité absolue de marcher et même de se tenir debout ; cependant, la remarque en a été faite expressément, il pou- vail.étant au lit, imprimer à ses membres tous les mouvements possibles,avec la même force et la môme précision que dans l'état normal. Lorsque le jeune malade me fut amené je constatai également que, couché au lit ou assis, la force musculaire et la coordination des nicnivements était parfaitement con- servées dans les membres inférieurs ; d'ailleurs pas d'exagération ni d'aboli- tion des réflexes, aucun des symptômes pouvant révéler une lésion organique spinale. Cependant soulevé hors du lit, et soutenu par deux aides dans le but de Taider à se tenir debout, il ne savait imprimer à ses membres que des

1. Loi termes abasie et asiasie ont été pour la première fols employés dans le sens nous les prenons ici par M. BlocqMrch. de neurologie, n^* 43 et 44, 1888. Ils lui ont été suggérés p*r M. Girard, membre de Tlnstitut.

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mouvements bizarres, incoordonnés, contradictoires ; ILse laissait « traîner » et oe pouvait pas marcher : la station debout, lorsqu'on l'abandonnait à lui- même, était d'ailleurs impossible. Je le fis placer dans un établissciVient hydro- thérapique des environs de Paris, il vécut dans Tisolement^ séparé de sa famille. Au bout d'un mois un grand changement s'opérait ; Tenfant ne mar- chait pas encore, mais il pouvait se tenir debout et progresser en sautant comme une pie, à cloche-pied, tantôt sur une jambe tantôt sur Tautre et c'est ainsi que,pendant quinze jours, il parcourait toute la maison. Il pouvait éga- lement marcher à quatre pattes et grimper même sur les arbres. A la fin du deuxième mois, la guérison survint tout à coup. La marche redevint soudain tout à fait normale, (le fut comme une révélation. Ce fonctionnement compli- qué qu'il avait désappris depuis deux mois, il l'avait réappris, en un instant. Une rechute survint quatre ou cinq mois après, sans cause connue ; l'impossibilité de se tenir debout et de marcher reparut exactement comme la première fois. Cette fois la maladie n'a duré qu'un mois. La guérison depuis s'est maintenue définitivement.

Ajoutés à cette observation, quelques autres faits du même genre que j'ai observés depuis, sont devenus le point de départ d'une étude que j'ai publiée en 1883, en collaboration avec mon élève M. Richer, dans le premier numéro de la Medicinacontemporanea{n'* 1, p. 6), journal dirigé par le professeur Sem- mola. Ce travail a pour titre : Sur une forme spéciale d impuissance motrice des membres inférieurs, par défaut de coordination relative à la station et la marche. C'est le premier essai,8i je ne me trompe, d'une description régu- lière de Tastasie et de l'abasie, fondée sur la comparaison d'un certain nom- bre d'observations ; mais je tiens à ne pas vou&laisser ignorer que la première mention du syndrome se trouve dans un ouvrage déjà ancien de M. le profes- seur Jaccoud intitulé: Paraplégie et ataxie du mouvement (1). Là, sous la rubrique : Ataxie par défaut de coordination automatique^ l'auteur décrit un trouble moteur consistant en ce que « les mouvements sont normaux iors-

< qu'ils sont exécutés dans la station couchée et assise ; ils ne deviennent « ataxiques que dans la station debout et pendant la marche ; on voit alors

< des contractions involontaires troubler l'équilibre ou interrompre l'harmonie

< de l'acte fonctionnel, toutes les fois que la plante du pied touche sur le

< sol ». M.Jaccoud semble penser qu'il s'agit ici delà mise en jeud'unehyper- kinésie morbide de la moelle par le contact de la plante du pied sur le sol. Cette interprétation ne me parait pas tout à lait fondée et je crois même que les cas d'abasie pure, c'est-à-dire ceux dans lesquels la station reste normale, la plante des pieds reposant cependant sur le sol, sufBsent pour la contredire absolument. Toutefois.si la théorie n'est pas acceptable,

1. Paris 1S64, p. 653.

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la description du complexus symplomalique, toute sommaire qu'elle soit,Q*en est pas moins parfaitement exacte et vraiment saisissante.

Après cela, j'ai trouvé dans un ouvrage du professeur Weir-Mitchell, de Philadelphie, sur les maladies du système nerveux chez la femme, publié en 1885 (1), le passage suivant : < La malade conserve le libre usage de « ses membres quand elle est couchée. Mais,debout ou à genoux, Tabsence de « coordination se manifeste immédiatement. La malade tombe alors d'un côté, « chercheuse redresser, tombe en conséquence de Tautre côté... Les efforts « dirigés dans le but de rétablir l'équilibre dépassant la mesure, il semble y 4c avoir défaut dans l'action antagoniste normale des muscles... Cette forme « d'incoordination est relative seulement aux mouvements complexes, elle 4c n'apparaît pas dans les cas de mouvements vulgaires des membres ; la « faiblesse n'y est pour rien, car la malade, assise, montre une force consi- dérable. » Evidemment c'est bien de notre abasie qu'il s'agit ici et Tauteur ne manque pas, du reste ,de différencier le syndrome des autres formes d'in- coordination motrice avec lesquelles on pourrait le confondre et en particulier de l'ataxie hystérique décrite par Briquet (2) et par Lasêgue (3), dans laquelle le trouble moteur est sous la dépendance immédiate de l'anesthésie et de la perte du sens musculaire et ne s'observe qu'alors que les malades sont privés du contrôle de la vue.

Je suis revenu sur cette question de l'abasie dans mon enseignement de 1883-84 à propos d'une observation intéressante dont je reparlerai, et que vous trouverez exposée et discutée dans le compte rendu de mes leçons clini([ues de celte année-là, publiées en langue italienne par le regretté D' Miliotti (4). Vous lirez également avec intérêt quelques faits relatés par le D*" Erlenmeyer dans son travail surlesconvw/s/o/w statiques réflexes, lesquelles paraissent se rapporter au sujet qui nous occupe (5), et aussi un cas fort intéressant qui très certainement s'y rapporte, consigné par le D"" Romei dans la Gazettader/li ospitali en 1885 sous le nom de « paraplégie infantile du seul acte de la marche (G).

Mais le travail vous trouverez les renseignements les plus complets sur la matière est celui que mon ancien interne, M. le D"" Blocq, a écrit pour les archives de neurologie de l'an passé. Nous y trouvons, en outre de quelques ol)S(Tvations personnelles A raiiteiir, une discussion approfondie et une

\. Uisensesof ne.rv. Si/sl. in \V'omc/i, PhiladclpUic, li<85, p. 31).

2. Traité de l'hystério, p. 477.

3. Eludcâ. t. II, p. 25.

4. Charroi. l.ezioni rliniche dell anno scolaslico 1883-i?4, rcdatle dal Doit. Doin. MUioUi Milîino, ISSx

r>. Erlrnmeyer. Vfj"r sttUische veflex hnihifif, Lcipsick, 1S85. p. 808. 0. S. UoiiU'i Parafderiia infantile net solo atto délia ambulatiune {(iazetta d-gti ospUali. - 1885, no 7G, p. 005.)

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excellente mise au point de tous les documents qui se rapportent à la question (1).

Tout récemment, ces jours-ci même, M. le professeur Grasset a commencé à faire paraître dans le Montpellier médical, sur un cas d'hystérie mâle avec astasie-abasie, une série de leçons qui exciteront certainement un vif intérêt (2).

III

Actuellement, il ne sera pas hors de propos, je pense, d'esquisser à grands traits quelques-uns des faits principaux de Thistoire de Vaslasie et de Vabasie telle qu'elle peut être constituée aujourd'hui d'après les documents, à la vérité peu nombreux encore, qui sont en notre possession : soit une quinzaine d'observations tout au plus.

Je rappellerai en premier lieu, l'absence chez tous les sujets l'aflectionse présente dégagée de complications, d'une altération quelconque dans les membres inférieurs, des divers modes de la sensibilité, y compris le sens mus- culaire, des réflexes tendineux, de la nutrition des muscles, etc., etc., et surtout Tabsence d'un trouble quelconque dans l'exécution des mouvements de ces membres, tant que le malade est couché ou assis. C'est seulement, je le répète, lorsqu'il se lève, ou lorsqu'il veut se mettre en marche que le désordre se manifeste; souvent, le plus souvent peut-être, la station et la marche sont aflectées simultanément et il peut arriver par conséquent, lorsque l'astasie se montre complète, absolue, que Fabasie, comme je le faisais remarquer tout à l'heure, à propos d'une observation particulière, reste pendant longtemps masquée, dans l'impossibilité Ton est de la mettre en relief; car, cela est clair, l'impuissance absolue à se tenir debout entraîne nécessairement celle de marcher.Mais rabasie,au contraire, peut se montrer parfaitement dans son jour, quand l'astasie, ce qui se voit fréquemment, reste incomplète. Je ne crois pas qu'il existe encore une seule observation dans laquelle les mouvements spécifiés pour la station aient été seuls afiectés, ceux de la marche restant parfaitement indemnes. Mais, par contre, les faits d'abasie isolée, indépen- dante de l'astasie, ne font pas défaut,bien qu'ils paraissent rares, et justement notre cas d'aujourd'hui peut être cité comme un exemple du genre. Après cela, il importe, en manière de contraste, de faire figurer au premier rang, dans la caractéristique du syndrome, la conservation souvent parfaite du sou- venir des actes moteurs coordonnés pour le saut, la danse, la nage, et autres

1 . De l'astasie et de 1 abasie, Arch, de neurologie n«» 43-44, 1888.

2. Montpellier médical du 17 mars 1889, no 5.

49

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groupes de mouvements complexes associés en vue d'un but spécial pouvant permettre au malade de se déplacer, de se transporter comme il l'entend d'un point à un autre.

Un autre fait à relever maintenant, c*est que malgré l'unité foncière du syn- drome, les phénomènes de Tabasie ou de Tastasie ne se manifestent pas tou- jours dans la clinique sous le même aspect; à cet égard il y a à considérer un certain nombre de groupes répondant à autant de types symptomatiques distincts les uns des autres.

n. Je signalerai d'abord les cas dans lesquels le malade qui, couché, exécute cela est bien entendu, avec les membres inférieurs, tous les mouvements de l'état normal, se trouve, lorsqu'il veut quitter le lit, dans l'absolue impossi- bilité de se tenir debout^ ne fût-ce qu'un instant, et s'afiaisse aussitôt sur lui-même ; puis immédiatement après, ceux où, soutenu par deux aides, il pourra se tenir debout, mais dans lesquels, aussitôt qu'il s'agira démarcher, les membres resteront accolés l'un à Tautre, sans raideur toutefois, les pieds ne se détachant du sol qu'avec peine. On dirait alors un très jeune enfant com- plètement inexpérimenté encore dans Tcxécution du mécanisme de la marche qui, soutenu par sa nourrice, s'exerce gauchement à esquisser ses premiers pas. Ces faits-là constitueront ce que j'appellerai, si vous le voulez bien, le groupe paralytique OMpar^tique, suivant le cas (astasie, abasîe paralytique).

Dans les cas ci-dessus mentionnés, il semble que la fonction spéciale, mar- che ou station debout, soit purement et simplement supprimée ou affaiblie, vraisemblablement en conséquence d'une action d'inhibition sommaire ;il n'y a pas, à proprement parler, perversion des actes moteurs, incoordination mo- trice : on ne voit pas, en d'autres termes, les actes moteurs complexes mis en cause, troublés dans leur fonctionnement par l'intervention de mouvements con- tradictoires. Il n'en sera plus de même dans les deux groupes qui vont suivre.

b. Chez une malade à la fois astasiquc et abasique que j'ai observée en 1886 (1), les mêmes faits se sont reproduits chez plusieurs autres sujets du même ordre que j'ai rencontrés depuis lors, la station debout était à chaque instant troublée par de brusques flexions du bassin sur les cuisses et des cuisses sur les jambes, assez analogues à ce que l'on voit se produire lorsqu'une per- sonne se tenant raide sur ses jambes reçoit h l'improviste un coup sec sur le creux du jarret ; cela rappelait fort bien aussi ces effondrements {giving foay ofthe legs) qu'on observe si fréquemment chez les tabétiques dans la période préataxique.

Dans la marche ces troubles atteignaient leur maximum. En eftet, à chaque pas que fait la malade, dit l'observation, elle se baisse et se redresse alterna- tive.nent par des mouvements brusques et rapides, et à mesure qu'elle avance

1. M. Blorq. lor. cit. y (»bservalion IX.

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ces secousses se montrent de plus en plus violentes, de plus en plus précipitées. Par moments il semble que, en raison de l'intensité de ces mouvements, elle soit menacée de tomber à terre ; on la voit alors faire quelques pas en arrière, présentant l'apparence d'une personne qui s'étant butée à un obstacle, cherche à reprendre son équilibre. Les secousses dont il est question, rythmées comme Testelle-même la marche normale dont elles ne sont, si Ton peut ainsi parler, que la caricature ne consistent pas seulement en des mouvements suc- cessifs d'abaissement et de redressement du tronc. Si on cherche à les ana- lyser, on reconnaît bientôt ce qui suit : on voit, au moment même la malade se baisse, les cuisses se fléchir sur les jambes et le tronc se fléchir sur le bassin, la tête éprouvant par rapport au tronc, un mouvement de flexion et de rotation, et les-avant bras se fléchissent à leur tour sur les bras. Il paraît clair que ce sont ces mouvements de flexion exagérés et brusques des membres inférieurs, substitués à ceux de la marche normale, qui menacent à chaque pas l'équilibre, occasionnent les mouvements du tronc, de la tête, des membres supérieurs, et aussi ces mouvements de recul qui peuvent être considérés jus- qu'à un certain point comme des actes de compensation. La malade en ques- tion, comme les autres du même groupe, pouvait sans la moindre difficulté sauter à pieds joints, à cloche-pied, marcher à quatre pattes, etc., etc.

Sous cette forme les mouvements anormaux des membres inférieurs, dans la station et dans la marche, rappelleraient assez bien,en raison de leur ampli- tude, les grandes gesticulations de certaines chorées ; mais ils s'en distingue- raient immédiatement, vous l'avez compris, par cette circonstance qu'on lesver- rait disparaître aussitôt que la malade cesserait de se tenir debout ou de mar- cher. Jamais ils n'apparaîtront lorsque la malade est assise ou couchée. Ils sont, en réalité, exclusivement liés en pareil cas au mécanisme de la station et de la marche, conformément à la définition de l'astasie et Tabasie.

Pour distinguer les faits de ce groupe, je proposerai d'adopter la déno- mination d'abasie choréiforme (type de flexion).

c. Enfin je désignerai sous le nom cTabasie trépidante la forme dans laquelle la marche est gênée par des mouvements d'exécution contraditoire qui rai- dissent les membres inférieurs, et consiste en une sorte de piétinement, de trépidation rappelant, mais avec exagération, ce que Ton voit dans certaines paraplégies spasmodiques. Le cas qui fait l'objet de la présente leçon, ainsi que celui qui vient d'être publié par M. le professeur Grasset, peuvent être cités comme des types du genre.

Je ne prétends pas, remarquez-le bien, que la classification que je vous propose d'adopter en ce moment épuise tous les modes possibles de Tabasie et de l'astasie et doive être considérée comme définitivement arrêtée. Loin de là, je ne la considère que comme un premier essai, un plan provisoire ; je n'ignore pas en effet que sur ces matières nous n'en sommes encore, à beau- coup d'égards, qu'à la période des études préparatoires. Mais je crois avoir

3GG

indiqué cependant les principaux points de repère, ou, si vous voulez, les grands jalons autour desquels viendront se grouper naturellement les variétés sans doute fort nombreuses qui pourront se présenter dans la clinique.

/ a. Paralytique ou Parétiquc.

Abasie .... I

1 r Choréiformc.

^ 6. Ataxique (avec incoordination

de. ... [

Aslasic . . . . [ motrice.) ( Trépidante.

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'insister sur les caractères qui permet- tront de distinguer cliniquement les troubles moteurs abasiques de ceux qui se voient dans Tataxie locomotrice, la paraplégie spasmodique, diverses affec- tions choréiformes, la paraplégie hystérique, etc., etc. Ce sont des points que nous avons d'ailleurs touchés un instant, chemin faisant ; on ne saurait d'un autre côté, confondre l'abasie, avec les diverses formes de spasmes fonc- tionnels ouprofessionnels, comme vous voudrez les appeler, qui peuvent occuper les membres inférieurs, tels que spasmes des gens qui travaillent à la machine à coudre, des rémouleurs, des chorégraphes, par exemple. On ne saurait mécon- naître cependant l'analogie assez étroite qui existe entre ces deux ordres de faits dans lesquels on voit des mouvements anormaux apparaître exclusive- ment à Toccasion de l'exécution d'un fonctionnement spécial. Mais il suffira, pour la pratique, de remarquer que dans l'abasie il n'y a pas à proprement parler de spasme et que dans certains cas même c'est un état paralytique ou parctique qui est en jeu.

Le syndrome abasie s'observe surtout dans le jeune âge, entre 10 et 15 ans ; mais il peut se présenter aussi chez des sujets âgés de 22 à 25 ans, ou beau- coup plus tard, à l'âge de 41 ans, comme chez notre malade d'aujourd'hui; plus tardivement même encore à l'âge de 52 ans, ainsi que cela a eu lieu dans une des observations recueillies par M. Blocq. Le sexe mâle paraît être affecté presque aussi fréquemment que le sexe féminin. La plupart des sujets atteints, qu'ils soient jeunes ou vieux, comptent parmi les prédisposés par hérédité à contracter des maladies nerveuses. Les troubles moteurs abasiques se mani- festent d'ailleurs chez eux, quelquefois tout à coup, en conséquence d'une cause provocatrice telle qu'un traumatisme souvent fort léger, dans lequel Tébranlement psychique l'emporte de beaucoup sur Tcbranlement physique ; ou encore dans la convalescence d'une maladie aiguë qui a profondément débilité l'organisme, d'une lièvre typhoïde par exemple, des suites de couches difficiles, ou encore de Tintoxication par l'oxyde de carbone comme cela s'est fait justement, nous le dirons tout à l'heure, chez le malade ici présent.

Quelquefois l'abasie s'associe chez le malade à divers stigmates : hémianes- thésie, rétrécissement du champ visuel, etc., qui révèlent manifestement Texis-

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tence chez lui de la névrose hystérique. Mais telle n'est pas la règle et bien qu'il s'agisse encore, dans ces cas-là, fort souvent du moins, d'hystérie, Tataxie abasique peut se montrer isolée, àtitre de manifestation monosymptomatique de la névrose, au mêmeiitre que les divers bruits laryngés, certaines contractures et tant d'autres phénomènes du même genre. Quoi qu'il en soit il n'est guère douteux que dans la grande majorité des circonstances Tabasie relève d'une lésion purement dynamique. Mais il faut compter sur les anomalies possibles. S'il est vrai, en effet, comme tout porte à le croire, que les groupes cellulaires divers qui président aux mouvements spécifiés pour la marche, la station, le saut, etc., constituent dans l'axe cérébro-spinal autant de centres distincts les uns des autres, on peut concevoir que chacun de ces groupes puisse être plus ou moins gravement intéressé par une lésion organique. Mais, comme il est vraisemblable qu'en pareil cas, la lésion ne sera pas étroitement localisée dans tel ou tel des centres en question, et s'étendra aux parties voisines, on devra s'attendre à la voir se traduire pendant la vie, par un ensemble de phénomènes complexes parmi lesquels l'ubasie ne jouant peut-être qu'un rôle effacé, pourra être difficile à reconnaître.

Après cet exposé sommaire des faits, faut-il vous parler de théorie? A cet égard, Messieurs, nous n'aurions à vous offrir que des vues hypothétiques plus ou moins vraisemblables ; rien de parfaitement établi ; vous trouverez d'ailleurs les considérations que j'ai présentées à plusieurs reprises dans mon enseignement sur cette question-là, développées avec talent dans le travail de M. Blocq (1). Je me bornerai ici à relever que, suivant toute probabilité, les divers appareils relatifs à l'exécution des mouvements de la station, de la marche, du saut, etc., comportent chacun deux centres ou groupes cellulaires différenciés dont l'un siège dans l'écorce cérébrale, tandis que l'autre réside dans la moelle épinière;ces deux centres étant reliés l'un àTautre, bien entendu, par des fibres commissurales. Le groupe spinal, le plus compliqué des deux, sans aucun doute, est chargé de l'exécution automa- tique, inconsciente des actes coordonnés pour l'accomplissement de chaque fonction; tandis que le rôle relativement beaucoup plus simple du groupe cortical consiste dans l'émission volontaire des ordres prescrivant tantôt la mise en jeu, tantôt l'accélération ou le ralentissement, tantôt enfin l'arrêt définitif des actes exécutés par le groupe spinal correspondant. Dans celui-ci, en d'autres termes, réside la mémoire psychologique des actes sommaires qu'il faut prescrire soit pour mettre en jeu l'appareil, soit pour en arrêter le fonctionnement, tandis que la mémoire organique, qui préside à l'exécution, dans tous leurs détails, des mouvements prescrits réside, dans celui-là. Vous voyez par que, dans chaque cas particulier, il y aura à se demander si

1. Blocq, loc cil.

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l^afiection qui vient troubler raccomplissement du fonctionnement normal doit être cherchée dans l'encéphale ou, au contraire, dans la moelle.

Je compare quelquefois les groupes cellulaires spinaux relatifs à la marche au saut^ à la danse, etc. , aux rouleaux hérissés de pointes des orgues de Barbarie ; à la disposition variable, pour chaque rouleau, ou, pour chaque partie d'un rouleau, de ces pointes qui actionnent les flûtes, correspondent des airs diffé- rents ; les groupes cérébraux, corticaux, seraient, dans cette comparaison, représentés par les ressorts qu'il suffit dans Torgue de déplacer d'une certaine façon pour mettre en action tel ou tel rouleau ou, au contraire, pour en suspendre le mouvement. C'est ainsi que, dans la marche par exemple, le centre spinal, correspondant au jeu de ce mécanisme complexe, une fois activé par le centre cortical, continuera à agir « automatiquement » ju8qu*à ce que survienne Tordre d'arrêt. On comprend que, dans un appareil de ce genre, le fonctionnement vicieux puisse provenir d'un changement survenu soit dans l'organe de la mise en jeu, soit dans l'organe d'exécution. Mais je ne veux pas insister sur cette comparaison qui ne saurait avoir d'autre prétention que de vous présenter dans une image aisée à concevoir un agencement de faits complexes autrement difficile à se représenter mentalement.

IV

11 est temps d'en revenir maintenant à l'étude du cas particulier qui fait Tobjet de la leçon d'aujourd'hui. Nous avons décrit le syndrome à propos duquel le malade est venu nous consulter et nous avons cherché à le classer, à le catégoriser. 11 convient maintenant de vous faire connaître les circonstances au milieu desquelles il s'est manifesté, quel a été, en particulier, dans son développement, le rôle de l'intoxication oxy-carbonée qui, ainsi que je vous Tai dit en commençant, s'est produit antérieurement. C'est ce que nous rechercherons tout d'abord.

Ro...el, pour le moment employé à l'imprimerie Chaix, gagne environ B francs par jour. Il occupe, au dernier étage de la maison qu'il habite, une petite chambre placée immédiatement sous les toits, sans cheminée et qui ne reçoit l'air ainsi que le jour que par une croisée à tabatière. Le 15 novembre dernier, se sentant fatigué, malade, enrhumé, il rentra chez lui de bonne heure, et sur un réchaud de charbon qu'il alluma, il prépara de la tisane. Après l'avoir bue, comme il faisait très froid, il ferma le châssis de sa fenêtre sans avoir pris la précaution d'éteindre le réchaud, puis il se coucha et s'en- dormit... Trois jours après, il se réveillait dans un des lits de l'Hôtel-Dieu, fort étonné de s'y voir.

Vous comprenez, sans qu'il soit nécessaire d'insister, ce qui s'est produit là;

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il y a eu intoxication oxy-carbonée poussée à un haut degré. Cependant, cette perte de conscience prolongée pendant une période de trois jours, peut-elle être considérée comme appartenant entièrement au coma qui relève de Tasphyxie par la vapeur de charbon ? Je ne le crois pas : cet état comateux autant qu'on sache, ne persiste pas, en général, pendant plus de huit, dix, douze heures après lesquelles on en guérit ou onjen meurt ; mais il peut être suivi par un état d*amnésie relevant,luî aussi, de Tintoxication et qui a été dans ces derniers temps étudié avec soin par quelques auteurs, en particulier, par MM. de Beauvais, Bouchereau, Briand et quelques autres. Cette amnésie qui, dans certains cas, peut avoir le caractère rétrograde, c'est-à-dire faire oublier au malade les circonstances qui ont préparé Tasphyxie, et qui peut aussi entraî- ner avec elle une sorte de démence temporaire, s'étend quelquefois à plusieurs semaines.

Évidemment^ quelque chose de ce genre s'est produit chez notre homme ; nous possédons d'ailleurs à cet égard des renseignements significatifs. Ainsi, un jeune garçon de sa connaissance ayant été le troisième jour de son séjour à l'hôpital, le voir pour prendre de ses nouvelles, il lui a parlé sans le reconnaître, et a, d'ailleurs, complètement oublié, depuis, la visite qui lui avait été faite. Il n'a conservé, du reste, qu'un souvenir assez vague de tout ce qui s'est passé les quelques jours qui ont suivi. C'est donc assurément de l'amnésie oxy-carbonée qu'il s'est agi ici et cette amnésie appartient bien et dûment à la nosographie de ce genre d'intoxication. Peut-on en dire autant des autres accidents nerveux, et en particulier de l'abasie qui se sont, par la suite, produits chez notre malade? Il n'en est rien, pensons-nous, mais pour légitimer cette assertion il nous faut passer rapidement en revue les diverses afiections du système nerveux qui peuvent être considérées comme relevant directement de l'agent toxique oxy-carboné, comme créées de toutes pièces par son action délétère sur l'organisme.

A la vérité, nous ne sommes pas encore parfaitement renseignés sur tous les points qui concernent cette question-là. On peut tenir cependant pour défi- nitivement acquis les faits qui suivent : dans l'intoxication par l'oxyde de carbone, il y a à relever des accidents immédiats parmi lesquels figurent le coma, puis l'amnésie dont il a été question tout à l'heure ; certaines anesthésies absolues occupant les mains et les pieds dont M. leD" Brissaud a fait une inté- ressante étude dans sa thèse d'agrégation, et enfin des paralysies périphériques dont nous devons la doFcription aux importants travaux de MM. Bourdon, l'ini- tiateur dans la matière (l),Leudet (2), Rendu (3),Lancereaux (4) et quelques

1 . Bourdon. Thèse inaugurale 1843.

2. Leudet. Arch. gén, de médecine 1865, puis, travail lu à TAcadémle de médecine 1883

3. Rendu, Société médicale des Hôpitaux 13 Janvier 1882.

4. Lancereaux, Union médicale 16 et 19 février 1889.

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autres. L'observation communiquée à la Société médicale des hôpitaux par M. Rendu est, au point de vue clinique, particulièrement intéressante à con- sulter. Les paralysies en question sont, tantôt des monoplégies, comme cela s'est vu dans le cas de M. Litten. récemment publié par \e Progrès médical (1) ou des hémiplégies dans lesquelles il peuty avoir participation de laface, ainsi que cela avait lieu dans l'observation de M. Rendu. Ce sont, en tout cas, des paralysies avec flaccidité, acconipagnées de gonflement, d'empâtement des parties molles, de coloration rouge ou violacée du tégument, des altérations décrites sous le nom de peau lisse, de la formation de bulles pemphigoïdes, de vési- cules d*herpôs ou d*autres troubles tiophiqucs encore. On s'accorde assez généralement à faire dépeindre ces paralysies et les troubles trophiques con- comitants de Texistence de névrites périphériques. Elles paraissent se terminer à peu près toujours par la guérison dans un court espace de temps.

Un second groupe comprend des troubles cérébraux apparaissant tardive- ment, à longue échc'ance^ un mois peut-être après l'accident qui a déterminé l'asphyxie, à une époque le sujet paraissait avoir complètement récupéré sa santé. On voit alors à celte époque survenir inopinément de l'apathie, de l'embarras de la parole, des paralysies motrices des membres avec ou sans contracture; plus tard de la stupeur et enfin le coma précédant la termi- naison fatale. Ces accidents-là ont été surtout étudiés en Allemagne (2). Ils sont la conséquence de ramollissements partiels souvent symétriques de la substance cérébrale, siégeant plus particulièrement dans les noyaux lenticu- laires et dont un des caractères est de ne pas être subordonné^ à une lésion des parois artérielles.

A cela se bornent, pour le moment, nos connaissances précises relative- ment aux aflections du système nerveux qui peuvent surv'enir en conséquence de l'intoxication par l'oxyde de carbone. Il est toutefois une maladie nerveuse dont on pouvait s'attendre qu'elle viendrait un jour ou l'autre prendre sa place ici. On sait aujourd'hui^ par de nombreuses observations, comment les intoxications,alcoolique saturnine, sulfo-car])(>née,«^tc peuvent occasionner le développement de la névrose en question. Il était à prévoir qu'il en serait de même de l'intoxication oxy-carl^onée, et justement notre observation pourra, si j(; nr» me trompe, être citée désormais comme un exemple du genre. Seule- ment, vous avez compris (|ue l'hystérie développée en pareille circonstance, ne saurait appartenir à la uosographie de l'intoxication par l'oxyde de car- bone au même titre (jue les îinmésies, les paralysies par névrite périphérique, ou les ramollissements cérébraux dont nous parlions tout î\ l'heure; de ces dernières affections, on peut dire qu'elles relèvent immédiatement de l'action

i. \\ 130. \SS\).

2. Voir les Iravaiix de Simon. Arc h. fur Psychiatrie, t. 1; Klebs. Virrh. Arch. Bd. 3?. 18G8; Volohen, Berliner Klein. VVoch.

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exercée sur Torganisme par Tagent toxique et qu'elles ont véritablement été créées par lui, tandis que celui-ci, dans le cas de Thystérie, ne saurait être considéré que comme une cause occasionnelle qui provoque accidentellement, en quelque sorte comme le ferait par exemple un traumatisme, la manifes- tation de la névrose chez un sujet prédisposé. Les amnésies, les paralysies en question, méritent véritablement, par conséquent, d'être qualifiées du nom d'oxy-carbonées pour bien marquer la dépendance étroite elles sont vis-à- vis de Faction toxique, tandis que Thystérie, pour s'être développée à la suite et en conséquence de l'intoxication, n'en conserve pas moins son individualité propre et son indépendance : elle n'est pas pour cela modifiée en rien d'essen- tiel ; elle reste après l'application de la cause toxique ce qu'elle eût été, si elle se fût développée spontanément, variable dans ses formes, mais toujours la même au fond.

C'est ici le lieu, je pense, de vous faire connaître les antécédents tant héré- ditaires que personnels de notre malade. Ils sont les uns et les autres parfaite- ment significatifs ainsi que vous allez le voir.

Son père s'est suicidé par pendaison. Cela a été, paratt-il, un suicide par amour. 11 était adonné aux boissons alcooliques qu'il prenait fréquemment en grand excès. 11 rentrait souvent ivre à la maison et alors, se livrant à de vio- lentes colères, il cassait tout chez lui. Devenu veuf il s'amouracha d'une femme qui l'abandonna bientôt, et c'est le désespoir que lui causa cet abandon qui le conduisit au suicide.

Le malade connaît mal ses parents du côté paternel ; sur leur compte il ne peut rien dire de précis.

Sa mère n'était pas nerveuse ; elle est morte à 60 ans, hydropique.

Une sœur de sa mère a été internée à l'asile d'aliénés de Saint- Yon, près Rouen. Les autres oncles ou tantes du côté maternel ne sont pas connus.

Bo...el a eu neuf frères et deux sœurs, la plupart morts en bas-âge. Il ne lui reste plus qu'un frère. Ce frère s'est fracturé plusieurs fois l'une des cuisses sous l'influence de causes banales, insuffisantes à produire de tels résultats dans les conditions de l'état normal. 11 éprouve depuis quelques années dans les membres inférieurs, des douleurs très violentes, apparaissant brusquement el revenant sous forme d'accès : parfois si ces douleurs le prennent pendant qu'il marche, les jambes fléchissent tout à coup, involontairement et il est menacé de tomber à terre. Il n'est guère douteux qu'il s'agisse d'une aflec- tion tabétique.

Ce frère a eu six enfants dont quatre sont morts en bas-âge. L'une des

50

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fillettes qui ont survécu, âgée aujourd'hui de onze ans et demi, est sujette à des crises de nerfs, pendant lesquelles elle se débat très fort. On dit que la première crise se serait produite à la suite d'une peur ?

Il ne sera peut-être pas hors de propos en manière de résumé de placer devant vous un tableau synoptique vous pourrez embrasser d'un seul coup d'œil les principaux faits de Thistoire pathologique de cette famille, la mort prématurée a sévi tant de fois, et dont les membres qui ont survécu portent avec eux pour la plupart une tare nerveuse plus ou moins accentuée :

Alcoolisme SuicUle par amour (?) Pendaison.

il enfants morts en bas âge.

MèRK

0

FRèRE

A toxique,

I

Tante

Aliénée Internée dan» un asile.

Notre malade hystérique aàasîque.

6 en fan Ut 4 morts on bas àj,'c.

1 fille bystérique.

Les antécédents personnels ne sont pas moins riches de faits intéressants.

Etant enfant, vers l'âge de 5 ans Ro...el eut une nuit, pendant son sommeil j*exposeici son propre récit « une grande peur ». Il se vit en rêve, cou- ché au pied d'un mur élevé qui se présentait à sa gauche. 11 était étendu sur le dos et regardait avec étonnement cette muraille qui lui paraissait énorme, lorsque tout à coup par-dessus la crôte il aperçut l'extrémité d'une échelle dressée de l'autre côté. Sur l'échelle se présenta un homme, au visage ensan- glanté, portant dans ses mains un pavé énorme qu'il lui laissa tomber sur la tête... Le malheureux enfant se réveilla en sursaut, tout épouvanté. A partir de cette époque, pendant une longue période de huit ou dix ans, presque toutes les nuits, ce même cauchemar se reproduisit toujours à peu près à la même heure, avec une régularité presque mathématique. A peine Ro...el s'était-il endormi que la muraille se dressait sur sa gauche, puis apparaissait l'échelle, puis l'homme à la face couverte de sang, et enfin le pavé venant frapper sa t<He : à ce moment là, il se réveillait poussant des cris afireux, et sa mère accourait pour le tranquilliser. J'appelle votre attention sur ces rêves terri- fiants, reproduisant toujours la même scène, stéréotypés en quelque sorte, qui viennent parfois avec une régularité implacable troubler le sommeil. On les voit figurer souvent chez les enfants issus de nerveux et qui ont été eux- mêmes, plus tard, victimes de maladies nerveuses diverses.

A partir de l'âge de 14 ans, il est devenu sujet à des migraines qui le font beaucoup soufi*rir et qui reviennent à peu près tous les dix ou quinze jours. Elles ne durent pas plus de vingt-quatre heures.

37;^

C'est un homme intelligent; bien qu'il n'ait fréquenté l'école que jusqu'à l'âge de 15 ans, il s'est acquis une certaine instruction. Il a même des goûts littéraires assez élevés, et certaines tendances poétiques, surtout dans le genre élégiaque. Dans sa petite bibliothèque, figurent les œuvres de Chateau- briand, de Molière, de Lamartine, et surtout d'iïégésippe Moreau, dont il aime à apprendre par cœur certaines tirades.

Il est timide, impressionnable, craintif ; d'une complexion délicate. Il a quitter presque aussitôt, après l'avoir embrassée, la profession de serrurier en bâtiments, parce que le métier était trop dur pour lui et que, d'ailleurs, il était sujet à éprouver de terribles vertiges lorsque travaillant, à une certaine hauteur, il devait passer sur une planche étroite. C'est à partir de ce moment- qu'il a commencé à travailler dans une imprimerie

C'est un original, vivant assez retiré. Il est célibataire et paraît n'avoir jamais eu l'envie de se marier.

Maigre tous ces indices qui accusent suffisamment ses tendances neuropa- thiques, il n'avait jamais été véritablement malade, lorsqu'il y a trois ans il éprouva un profond chagrin qui « remua tout son être ». Son meilleur ami, celui chez lequel il avait placé toute son affection, toute sa confiance et qu'il con- sidérait comme le plus honnête homme dumonde,fut surpris en flagrant délit de vol et condamné à deux ans de prison. A la suite du choc moral qu'il res- sentit dans cette circonstance, sa santé fut complètement bouleversée ; depuis lors, dit-il «je ne suis plus le même homme qu'autrefois ». De fait il est devenu morose et cherche la solitude. Souvent le soir, lorsqu'il rentre chez lui après son travail, il sesentenvahi par une grande tristesse et éprouve un malaise indé- finissable. « Je sens alors mon cœur qui se serre^ dit-il, je me sens suffoqué, puis tout à coup je pleure abondamment, après quoi je me sens soulagé. » Ces espèces de crises le prennent fort souvent; il lui arrive journellement de pleurer, à la moindre émotion. « Quand j'entends lire un passage pathétique, je me mets à sangloter ».

A ces troubles divers, il faut ajouter un sentiment de grande faiblesse ; il est devenu apathique, sans entrain, sans courage et travaille lentemenl.

Il y a quelques mois, un jour qu'il traversait une place, il fut pris du malaise dont il a été question tout à l'heure, puis de suffocation. Bientôt sa vue se troublaetil s'affaissa sans connaissance. On dut le transporter chez lui. Lorsqu'il reprit ses sens, il pleura abondamment et la crise cessa. Ces atta- ques avec perte de connaissance n^ont pas reparu depuis cette époque. Mais il est toujours resté fort sujet à ces accès de tristesse et à ces « petites crises de nerfs » pendant lesquelles il suffoque et verse des torrents de larmes.

Telle était la situation, lorsque surv^int l'asphyxie du 15 novembre. Nous en sommes restés, vous ne l'avez pas oublié, dans l'exposé des suites de cet acci- dent, au moment le malade, après une période amnésique que nous avons

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considc'rée comme relevant de Tintoxication par l'oxyde de carbone, revient définitivement î\ lui.

11 s'aperçoit alors qu'il portait sur chacune des jambes, h la partie externe des mollets, une brrtlure profonde, produite par l'action de sinapismes quilui avaient été appliqués pendant la période comateuse. Ces brûlures avaient été recouvertes d'un pansement fixé h l'aide d'un certain nombre de tours de bande. Or il raconte, remarquez bien cela, qu'à la vue de ces plaies larges et profondes, qui guérissaient difficilement et dos pansements qui les recou- vraient, il lui vint dans l'esprit que peut-être il en avait pour toute sa vie, et qu'il était fortement menacé de ne plus pouvoir marcher. « J avais la tête très faible, dit-il, en ce moment et nuit et jour j'élais obsédé par cette idée que je ne pourrais plus marcher. C'était devenu une idée fixe. »

Cependant il commeiira à se lever le deuxième jour après l'accident, et il put se promener un peu diins les salles de Thôpital. Mais il se sentait très faible des jambes et il y éprouvait une certaine rai(l(;ur. Néanmoins, cinq jours après, il put quitter ThApital et, les jours qui suivirent, bien que ses « mauvaises idées » lui revinssent de temps en temps, il se sentait un peu ras- suré sur les suites de son asphyxie, en voyant qu'il était capable de faire^sans trop de peine, d'assez longues courses.

Mais voilà qu'un certain jfmr,le 10 décemlire 4888 l'asphyxie avait eu lieu vingt-cinq jours auparavant il se renconire dans la rue, sur un trottoir, face à face, avec un homme qui marchait en sens inverse. Il s'arrêta tout à coup et se détourna pour lui livrer passage ; mais quand il voulut reprendre sa route, il s'aperçut, non sans en éprouver une grande émotion, qu'il lui était devenu impossible de marcher ^< comme tout le monde ». 11 piétinait sur place absolument 0(nnine il le fait aujourd'hui. Cela ne dura cette fois que quelques secondes ; mais les jours suivants le même phénomène se reproduisit de temps à autre, d'abord seulement fi roc(îasion de la rencontre d'un obstacle, puis spontanément, sans cause apparente. Cette difficulté h mnrcher, ces tressau- tements sur place, ces trépidations s(; répétèrent de plus en plus fréquemment et, en fin de compte, H()...el devint absolument incapable, à un moment donné, de sortir dans la rue sans le secours d'un aide. Bientôt, l'abasie trépidante toile que nous l'avons décrite en commençant était définitivement constituée; elle s'était établie en qnohpie sorte en permanence et c'est aloi-s que le malade s'est i)résenté à la Salpt'triére jmur implorer notre secours.

Je n'ai pas voulu omettre. Messieurs, dans ce récit, un seul des incidents, quelque insigniliants qu'ils aient pu vous paraître, qui se sont produits chez notre homme à partir du jour a eu lieu l'asphyxie. Par j'ai voulu vous mottre à même d'apprécier par vous-même le rAle éniinont qu'adrt jouerchei lui rélénient « psyohi(|uo », dans le développement des symptômes abasiques.

N'oubliez pas les précédents : àl'origine des choses, tares héréditaires névro-

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pathiques fort accentuées; les dispositions nerveuses du sujet se révèlent en conséquence dès l'enfance, par des phénomènes d'ordre pathologique à savoir les terreurs nocturnes, les cauchemars persistant durant plusieurs années et par ces tristesses sans motifs, ces attendrissements faciles^ ces tendances poétiques même qui, snns dépasser les limites de Tétat physiologique, mar- quent cependant un acheminement vers les frontières de la maladie. Ces fron- tières sont décidément franchies î\ la suite du « chagrin de cœur » qu'il a ressenti si vivement il y a trois ans et qui la si profondément ébranlé à la fois physiquement et moralement. Alors Tétat morbide s*est décidément cons- titué et la forme névropathique qu'il a revêtue n'est point difficile à caracté- riser : crises de suflbcation suivies de larmes, revenant presque tous les jours et éclatant au milieu d'accès dcî tristesse profonde qui le portent à recher- cher la solitude, et pendant lesquels, fréquemment, il éclate en sanglots. Une fois se produit une véritable attaque de nerfs précédée d'aura et accompa- gnée de perte de connaissance.

Il n'est pas nécessaire d'insister ; évidemment, bien qu'il n'y ait point de stigmates, pas d'anesthésies sensorielles ou sensitives, pas de plaques hypé- resthésiquos, c'est la névrose hystérique qui est en jeu.

C'est au milieu de ces circonstances, en quelque sorte préparatoires, que l'intoxication oxy-carbonée, en produisant dans cet organisme déjà si forte- ment ébranlé une perturbation plus profonde encore des centres nerveux, est venue fournir en quelque sorte le dernier appoint ; c'est alors, dans la conva- lescence de la maladie toxique^ que sont apparus les symptômes abasiques qu'il faut considérer maintenant comme relevant non pas de l'intoxication mais bien de la dialhèse hystérique dont ils sont, cela est vrai, une manifes- tation rare, peu connue encore, mais parfaitement caractérisée, cependant, nosographiquement.

On peut aller plus loin, pensons-nous, et chercher à pénétrer, jusqu'à un certain point du moins, le mécanisme suivant lequel ce singulier syndrome s'est produit, et pourquoi c'est celui-là qui est apparu de préférence à toute autre détermination hystérique.

N'oubliez pas que notre malade était déjà, avant l'asphyxie, sous le coup de la diathèse hystérique et remettez-vous en mémoire les caractères que pré- sentait son état mental au moment sortant du coma d'abord, puis après cela de l'amnésie toxiques, il a repris, à peu près mais bien imparfaitement encore sans doute, la possession de lui-même. N'était-il pas psychiquement dans des conditions particulièrement favorables soit aux «suggestions avenant du dehors, soit aux« autosuggestions >^, au même titre que les prédisposés à la suite d'un ébranlement traumatique, collision de chemin de fer, ou tout autre. < J'avais la tête très faible », dit-il en rappelant les .souvenirs de cette époque; j'ai cru en me sentant si déprimé et en voyant les grandes plaies qui couvraient mes jambes et ne guérissaient point que^ désormais, je ne pouvais

plus marcher ; c'était chez moi comme une idée fixe, j'y pensais nuit et iour.> D'ailleurs la douleur produite par les plaies, la gêne et le sentiment de cens- triction, occasionnés par les appareils de pansements, semblaient à chaque instant, avec la faiblesse réelle des membres inférieurs, venir corroborer cette idée qui, au moment le hasard lui a fait dans la rue rencontrer un obstacle» a pris chez le malade lo caractère d'une image « forte )s> et s'est objectivée sous la forme de l'abasie. C'est en somme, vous le reconnaissez, le mécanisme que nous avons bien des fois invoqué pour expliquer le développement de ces « paralysies psychiques >^y€ dépendent on fdea» comme les appelle Reynolds, qui, chez les sujets doués des aptitudes morbides que confère la diathëse hystérique, se produisent en conséquence d'un ébranlement traumatique, d'une émotion vive ou encore d'une préoccupation obsédante.

Mais, me direz-vous, pourquoi, dans un cas, est-ce l'abasie qui se manifeste, tandis que dans un autre ce sera la paraplégie avec le concours des troubles plus ou moins accentués de la sensibilité qui en général l'accompagne? A cela, je suis obligé de l'avouer, je me vois fort embarrassé de répondre catégori- quement. Peut-être, veuillez le remarquer, n'y a-t-il pas si loin de la para- plégie hystérique totale, qui embrasse, et annihile pour un temps tous les modes d'activité motrice et scnsitive des membres inféri(mrs, à l'abasie qui par une sorte d'analyse ou de dissection, comme vous voudrez dire, n'attaque et ne compromet que ceux des mouvements de ces membres, qui sont spécia- lisés pour un genre particulier de fonctionnement : la marche. Je relèverai d'ailleurs, et c'est par que je terminenii, que, chez les sujets capables d'entrer dans le grand hypnotisme, on peut, ainsi que l'a rappelé M. Blocq dans son intéressant travail, produire expérimentalement, pour ainsi dire à volonté, suivant la nature de l'injonction, tantôt l'abasie et tantôt, au con- traire, la paraplégie complète. D'après les résultats obtenus dans ces expé- riences, il y a liou de penser, dit M. Blocq et, à cet égard, je suis complè- tement (le son avis qu'en pareil cas l'injonction « tu ne peux plus marcher» suggère, chez le sujet, l'idée d'une impuissance motrice complète, portant sur l'ensemble des mouvements des membres inférieurs, et de fait se manifestant par une paraplégie plus ou moins absolue ; tandis que la sentence « tu ne sais plus marcher >> suggérera seulement l'idée d'une impuissance relative, limitée aux mouvements do la marche et dont l'incoordination abasique sera en quelque sorte la traduction clinic^ue. C'est ainsi que dans ce domaineoù félé- ment psychique d'idéation joue évidemment un rôle considérable, à des varia- tions à peine arcontuées qui nous paraissent représenter des nuances fort délicates, ré]K)ndront peut-être, dans la réalisation objective, des phénomènes en apparence sr-parés par desdillërences nidicales.

J'enviens maintenant à ce qui concerne le pronostic : à en juger par caque nous savons de l'histoire naturelle de l'incoordination motrice abasique, notre

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homme doit guérir et peut-être guérira-t-il promptement: je craignais même, je vous Tavoue, ces jours-ci, que cette heureuse sohition ne se manifestât trop rapidement, avant la leçon, de telle sorte que j'aurais été ainsi privé du plaisir de vous rendre témoins, de visu, d'un syndrome fort original et qui du reste paraît être assez rare. C'est qu'en effet, il s'agit ici d'une lésion purement dynamique, car rien ne permet de supposer que, par exception, Tabasie relève chez lui d'une lésion organique. Il bénéficiera donc du caractère purement hystérique de l'affection, et, laissant de côté les réserves qu'il convient tou- jours de faire, en pareille matière, surtout quand il s'agit de l'homme je le répète une fois de plus devant lui, dans l'espoir qu'il appréciera l'impor- tance de ce verdict favorable : il guérira.

11 guérira, vous l'entendez bien, de l'accident local, du syndrome; je ne parle pas ici pour le moment de la maladie tout entière.

Qu'allons-nous faire pour l'y aider ? Les toniques et l'hydrothérapie con- tribuerontà relever les forces prostrées.Simultanément, contre l'accident déter- miné par « auto-suggestion » nous emploierons « la suggestion » de sens con- traire, soit à la faveur de l'hypnotisation si celle-ci est praticable, soit, s'il en est autrement, tout simplement à l'état de veille, et, dans ce dernier cas, après que le malade aura été pleinement rassuré sur l'issue des événements, il s'agira surtout, vous l'avez compris, de le rééduquer, de lui apprendre à nouveau ce qu'il a désappris. Et, pour en venir là, nous ferons tous nos efforts pour réveiller chez lui, par tous les moyens possibles, la représentation mentale, à la fois visuelle et motrice, des mouvements de la marche normale.

•«c».d«l«9*e. <l*Typ. 7<ois«t-. . I, r. C«ii>p«~r.ii PraniAr*. Fana*

Policlinique du Mardi 12 Mars 1889

DIX-SEPTIÈME LEÇON

l®*" Malade. Nouvel examen du malade atteint d'abasie

trépidante présenté dans la dernière leçon. Malade. Chez une femme : paraplégie alcoolique avec

rétractions fibro -tendineuses. 3* et 4* Malades. Hystérie et dégénérescence chez Thomme.

Messieurs,

Je vous présente de nouveau le sujet atteint d'abasie trépidante, qui a fait l'objet de la leçon de mardi dernier. Cet homme guérira, vous dis€tis-je, ou, pour parler plus exactement, les troubles abasiques qui font son tour- ment disparaîtront rapidement, très rapidement peut-être et même j'expri- mais devant vous la crainte qu'ils ne disparussent un peu trop tôt, de façon à vous priver de T^ivantage de les étudier à loisir, de visu. Eh bien, Messieurs, nos prévisions se sont on grande partie réalisées, car aujourd'hui, ainsi que vous pouvez le constater, et cela date de quelques jours déjà, notre homme peut marcher normalement ou peu s'en faut ; la propulsion trépidante ayant à peu près complètement disparu.

Veuillez remarquer toutefois que lorsqu'il semetàmarcher, il y a au départ encore pas mal d'hésitation et (jue lorsqu'il veut tourner sur lui-même on voit reparaître à un certain degré cette trépidation qui autrefois s'étendait à tous les mouvements de la marche. Elle se manifeste encore lorsque, pen- dant qu'il marche, on vient inopinément le pousser par derrière. En somme^ le résultat observé n'est pas encore absolument parfait puisque le trouble moteur se retrouve, à un certain degré, dans certains actes relatifs à la marche ; mais ce qui est obtenu déjà se perfectionnera rapidement, je l'espère, et peut-être pourrai-je dans quelques jours vous montrer le malade complè-

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tement débarrassé de ces troubles de la marche qui, jusqu'à aujourd'hui, n'avaient pas cessé même un instant d'exister dui*ant une période d'environ trois mois.

Vous me demanderez maintenant de vous dire comment ce résultat important a pu être obtenu? Je vous rappellerai qu'en terminant la dernière leçon j'ins- sistais sur ce fait que, du moment î'abasie chez notre sujet reconnaissait pour point de départ une cause psychique ayant agi suivant le mécanisme de l'auto-suggestion, c'était particulièrement sur des procédés visant cette origine qu'il fallait compter, sans négliger toutefois bien entendu la médication indirecte s'adressant au relèvement des forces physiques. Ce que la suggestion a fait, la suggestion devra le défaire ; voilà certes une formule fort encoura- geante : mais il ne faut pas la prendre au pied de la lettre et maintes fois vous aurez l'occasion de reconnaître qu'en ces matières les résultats ne sont pas aussi faciles à obtenir que le pensent certains simplistes.

Quoi qu'il en soit, voici comment nous avons procédé : le malade soumis à l'emploi du fer et des toniques a reçu tous les jours une douche froide. Mer- credi dernier, le lendemain de la leçon, on Ta soumis à une tentative d'hyp- notisation par la fixation du regard, les autres procédés ayamt échoué. La séance n'a pas duré moins d'une demi-heure. Le seul résultat obtenu a été de provoquer chez le malade une grande fatigue, des lourdeurs de tête, des douleurs dans les orbites. J'avoue que ces essais ont été faits un peu par acquit de conscience ; nous ne comptions pas beaucoup sur leur efficacité. Nous avons appris en effet depuis longtemps que, chez les hystériques mâles, je ne parle que de ceux qui fréquentent les hôpitaux de Paris, l'hypnotisation qui, ailleurs, assure-t-on, produit de si merveilleux effets, ne réussit guère. Mais si la suggestion hypnotique nous échappe le plus souvent en pareil cas, il n'en est pas toujours tout à fait de même de la suggestion à Fétat de veille. Le malade avait été déjà fort influencé sans doute par ce qu'il avait entendu dire durant la leçon. Vous savez que tout ce que nous y avons dit était fait pour le persuader qu'il guérirait, et qu'il guérirait rapidement. Les élèves du service lui avaient prodigué à leur tour leurs encouragements, et ils s'étaient attachés en ou Ire à lui persuader qu'en regardant bien attentivement les autres marcher devant lui il réapprendrait bientôt à marcher lui-même. Cette rééducation s'est faite, en effet, en quelques leçons ; déjà le jeudi, la marche était devenue plus délibérée et plus correcte, la trépidation plus rare. De nouveaux progrès, les leçons de marche continuant toujours, se sont effec- tués les joui*s suivants, et aujourd'hui vous savez comment sont les choses.

En présence de ce résultat, nous n'allons pas imprudemment entonne le chant de victoire ; nous n'ignorons pas en effet combien dans la caté- gorie des accidents hystéiiques les résultats sont incertains, les récidives faciles; il pourrait bien se faire qu'à la moindre émotion, le désordre reparût et je vous ai fait remarquer tout a l'heure plusieurs fois que si, pendant qu'il

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marche, on vient inopinément pousser le malade par le dos, les trépidations reparaissent pour un temps. Nous pouvons espérer toutefois qu'à la longue Témotivité et la suggestibilité s'atténueront à mesure que les forces repa- raitront, et qu'alors notre malade sera suffisamment guéri pour pouvoir, sans danger, rentrer dans la vie commune.

Malade.

Voici une femme nommée Be... eut, ègée de quarante ans, que nous avons admise à la Salpétrière, dans le service de la clinique le 20 février dernier, c'est-à-dire il y a une vingtaine de jours. Elle avait été d'abord, il y a trois mois envoyée de son domicile à Thôpital Bichat, bientôt elle fut prise d'un délire violent. Ce délire remarquez bien tous les détails qui vont suivre, ils ne sont pas étrangers à la cause ce délire, dis-je, a motivé son évacuation sur Sainte- Anne avec un certificat portant : « atteinte de manie aiguë, elle trouble repos des autres malades. »

Elle ne resta à Sainte- A une que quelques jours pendant lesquels le délire initial s'était calmé. On la fit alors passer à Villejuif ; les renseignements fournis sur son compte par le médecin de Sainte-Anne, dans une note ad hoc, faisaient connaître qu'elles était atteinte d'un léger afïaiblissementintellectuel avec excitation passagère, loquacité, insomnie, faiblesse musculaire, » Peu après l'admission à Villejuif, les dernières traces de l'excitation disparurent ; ce fut désormais cette faiblesse musculaire déjà remarquée à l'asile Sainte- Anne qui devait occuper le premier plan et cette faiblesse, Messieurs, s'éleva très rapidement à la hauteur d'une véritable paraplégie d'un genre spécial dont les premiers débuts, ainsi que nous l'apprendront les renseignements fournis ultérieurement, remontent à quatre ou cinq mois.

C'est en raison de l'existence de cette paralysie, dont je veux vous laisser le soin de faire vous-mêmes le diagnostic à mesure que l'exposé des symptômesvasedérouler, quelamaladenousaétébienveillammentadresséepar notre collègue M. le docteur Briand, pour en faire le sujet d'une démonstration clinique.

Donc, l'étude de la paraplégie en question va nous occuper principalement ici, mais nous ne négligerons pas cependant, et pour cause, les troubles

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cérébraux,aujourd*hui atténués et relégués en quelque sortesur le second plao. Ils sont, vous le remarquerez bientôt, fort intéressants à connaître car ils pourront contribuer dans une certaine mesure àaccuser la caractéristique ducas.

Cette paraplégie porte à la fois sur les membres inférieurs et les supérieurs, prédominant toutefois do beaucoup dans ceux-là ; il est intéressant de remar- quer même, dès à présent, qu'aux membres supérieurs, aux mains surtout elle était assez accentuée loi*s de l'admission de la malade à Thôpital, elle tend chaque jour à s atténuer. 11 n'est pas difficile toutefois, aujourd'hui encore, de la mettre en évidence ainsi que nous le ferons tout à Theure.

Occupons-nous tout d'abord de ce qui est relatif aux membres inféricfUrs. Les lésions à relever portent à la fois sur le mouvement et sur la sensibilité. Il y auralieu aussi d'accuser l'existence concomitante de troubles trophiques. Vous êtesfrappés tout d^abord, en examinant la malade, de voir que les jambes sont en permanence et symétriquement fléchies sur les cuisses et colles-ci sur le bassin. Cette attitude, cllenepeutd'elle-mémelamodifîerquelrès légèrement.à Taide de quelques mouvements obscurs et très limités qui se passent dans les jointures de la hanche et du genou. Elle n'est certainement pas le fait, remarquez-le bien, d'une contracture spasmodique des muscles, d*origine spinale. L'observateur n'éprouve pas, en effet, lorsqu'il cherche soit à produire l'extension, soit à exagérer la flexion, cotte résistance élastique, d peu près égale dans les deux sens, qui est la caractéristique de ce genre de contracture de plus les réflexes rotuliens sont complètement supprimés, contrairement à ce qui aurait lieu,nécessairement,s'il s'agissait d'uneparaplégie spasmodique, et il n'y a pas non plus de trépidation par redressement brusque de la pointe des pieds. On constate, au contraire, lorsqu'on cherche à produire rextension des membres fléchis, une résistance brusquement et sans transition portée à son maximum, toute mécanique si Ton peut ainsi parler, et qui très évidem- ment dépend de ce que les tendons des muscles flécliisseurs se sont raccourcis en même temps que, peut-être, s' est faite une production péri -articulairede tissu cel- lulo-flbreux. Le fait de cette formation de nouveau tissu fibro-celluiaire autour de la jointure et du raeooureissement dos tendons fléchisseurs, cause pour la majeure partie de l'attitude spéciale que présentent les membresinférieurs, doit être noté parvous soigneusement ; nous aurons à y revenir dans un instant.

Remarquez maintenantje vous prie, l'attitude des pieds. Ils sont tombants, dans l'équinisme, avec une tendance très niarqnée à l'adduction, surtout pro- noncée lorsque la malade fait eiTort ponr les redrosser; ce (]ui lient à cotte cir- constance anomale, dans l'espèce, que le janii)ier antérieur n'est pas affecté au même degré, tant s'en faut, que le sont les péroniers. Qnoi qu'il en soit, dans l'ensemble, l'action des muscles (îxtensnirs est généralement très faible et le sujet résiste mal quand (m veut malgré Ini produire la flexion plantaire du pied.

Cette même faiblesse d'action des muscles extenseurs se retrouve aux mem- bres supérieurs, en ce qui concerne les mouvements du poignet. La main est

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tombante, beaucoup moins à proportion que les pieds cependant, et la résis- tance que la malade peut opposer à la flexion qu'on lui imprime est facile- ment vaincue.

C'est ici le lieu de noter Tamaigrissement énorme et rapidement développé, qu'ont subi les masses musculaires, aux jambes particulièrement, mais aussi aux cuisses. Une s'agit pas d'une simple émaciation, mais d'une diminu- tion de volume des masses musculaires correspondant à certains troubles trophiques révélés par l'électro-diagnostic. Il existe, en effet, une réaction de dégénération bien nette sur les muscles antérieurs de la cuisse et sur les muscles péronniers et méme,sur certains d'entre eux, les choses sont poussées assez loin pour qu'il y ait abolition complète de l'excitabilité électrique dans tous ses modes (1).

Messieurs, j'espère que, dans votre esprit, vous avez convenablement groupé déjà les faits qui viennent d'être successivement exposés, à savoir

i. EzamcD électrique pratiqué par le D^ Vigourouz.

Serf tclatique poplité externe. Droit. 20 él. 46 degr. KSZ. Gauche. 19 él. 50 degrr. KSZ.

Muscle vaste interne.

Dr. faradiquement et galvaniquement : néant.

G. Farad. 100 milUm Galv. 19 él. 150 deg. KS = AS.

Jambier antérieur.

Dr. Farad. 80 milllm. Galv. 18 él. 70 degr. KS > AS.

G. Farad. 95 millim. Galv. 18 él. 80 degr. KS.

Extenseur commun des orteils.

Dr. Farad, néant. Galv, 18 él.SO degr. KS < AS. coatriction lente

G. Farad, néant. Galv. 19 él 39 degr. KS < AS.

Long péronier latéral.

Dr. Farad, néant. Galv. 18 él. 70 degr. néant.

G. Farad, néant. Galv. 20 él. 120 degr. néant.

Court péronier latéral. Dr. et g. néant.

Pédieux.

Dr. Farad, et galv. néant.

G. Farad. 70 mlUim. Galv. 26 él. 70 degr. KS. < AS.

Jumeau extetme.

Dr. Farad. 70 mUlim. Galv. 27 él. 130 degr. K S seul.

G. id. id. Galv. 30 él. id. id.

Jumeau interne. Dr. Farad. 85 millim. Gauche Farad. 70 millim..

Aux membreâ supérieurs, pas d^anomalle évidente.

Résumé: Diminution ou abolition derezcitabilité(Longpéronnierlat.)et altération qualitative (Extenseur commun des orteils et pédieux).

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surtout la non-existence de la contracture spasmodique, Tabsence de réflexes rotuliens et du phénomène du pied ; la paralysie affectant d*une façon pré- dominante les extenseurs des pieds et des mains symétriquement; la réaction de dégénération très accentuée dans la plupart des muscles paralysés, etc. ; si cela est, vous avez bien vite reconnu que ces faits, considérés dans leur ensemble suffisent, en grande partie, pour caractériser une classe de paralysies, relevant, ainsi que certaines études récentes tendraient à rétablir, non pas d'une lésion spinale, mais bien d'une lésion des nerfs périphériques, classe dans laquelle, en tout cas, le premier rang est occupé par les paraly« sies toxiques.

Mais examinonsles choses plus attentivement encore,et peut-être retrouverons- nous dans Tétude plus minutieuse des phénomènes cliniques présentés par notre malade, quelques nouveaux traits nous permettant de suivre de plus près la ligne qui doit nous conduire au diagnostic étiologique.

Nous ne reviendrons pas sur les troubles trophiques musculcdres déjà signalés, mais nous vous ferons remarquer que la peau des genoux, collée en quelque sorte aux parties sous- jacentes, est lisse et luisante, et que s'il n'y a pas de gonflement œdémateux des jambes et des pieds, ces parties-là prennent lorsque les membres inférieurs sont, durant quelques minutes, restés pendants, une teinte violacée très prononcée, j'insisterai enfin tout particu- lièrement sur ce fait, déjà signalé plus haut, qu'il existe au niveau de certaines jointures, des rétractions fibro-tendineuses, cause d'attitudes vicieuses per- manentes, lesquelles rétractions, remarquez-le bien, se sont produites avec une extrême rapidité puisqu'elles ne datent certainement pas de plus de deux ou trois mois. Eh bien. Messieurs, les (roubles trophiques qui viennent d'être énumérés, et particulièrement les rétractions fibro-tendineuses, désignent particulièrement, dans la classe des paralysies par névrites périphériques, celles qui relèvent deViiitoxicaflon alcoolique*.

J'ai insisté sur le rôle important que jouent ces rétractions dans la clinique des paralysies alcooliques, dans une leçon que le Bulletin médical a publiée il y a environ deux ans (l).età laquelle je vous prie de vous reporter : le tujet en vaut la peine. Là, j'ai montré que les productions ceiluio-fibreuses capables d'amenerdes déviations et de nécessitera un moment donnf'^, lorsque la paralysie est guérie, une intervention chirurgicale, peuvent s'observer dans les circonstances les plus diverses. Ainsi, on les voit se produire chez certains sujets, dans diverses paraplégies spasmodiques et en particulier dans celles qui sont la conséquence de lapachyméningite cervicale hyperlropiiique ou du mal vertrbral de Pott. On peut les voir aussi survenir dans certains cas de contracture hystérique, très certainement il n'existe

1. Numéro du 28 mars 4887

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pas de lésion spinale appréciable par nos moyens actuels d'investigation anatomique.

Pourquoi, tout étant égal d'ailleurs dans ces cas, du moins en appa- rence, la complication fibro-tendineuse se produit-elle chez certains sujets et non chez les autres ? Qu'ont donc de particulier les sujets chez lesquel elle se produit? S'agit-il d'une influence diathésique, d'un élément rhumatismal, arthritique que présenteraient ces sujets ? On sait que certaines réfractions fibreuses indépendantes de toute paralysie, comme la rétraction de l'aponévrose palmaire, par exemple, relèvent, au moins souvent, d'une influence arthritique. C'est un point qu'il serait intéressant d'éclaircir et sur lequel, malheureusement, je ne suis pas en mesure de donner pour le moment de renseignements précis. » Ainsi m'exprimais-je il y a deux ans, et je ne vois rien à ajouter à ce que j'ai dit alors; mais je tiens à relever tout spécialement le rôle que, dans cette même leçon, j'attribuais à la rétraction' fibro-tendineuse dans les paralysies alcooliques.

La rétraction en question, disais-je alors, n'est pas exclusivement propre aux paraplégies spasmodiques: elle peut se montrer encore dans des para- lysies où la déformation ne dépend pas d'une contracture spasmodique des muscles ; tel est le cas de la paralysie alcoolique. Il y a dans ces cas-là, vraisemblablement en conséquence d'une névrite périphérique, qu'on ditpri- mitivement développée, une atrophie des muscles extenseurs suivie d'uae chute du pied, analogue à la chute du poignet qu'on observe dans la paralysie saturnine ; rien ne retient la flexion du pied, qui est flottant, ballot- tant, que l'influence de la pesanteur.

Dans d'autres cas cependant, la prédominance des fléchisseurs, moins profondément afTectcS que les extenseurs, oppose une légère résistance bientôt vaincue ; même il ne s'agit pas d'une déviation spasmodique, mais d'une dévia- tion paralytique; la tonicité des musclesles moins altérés est seule enjeupour maintenir la déformation. Il est enfin un troisième ordre de faits, dans lequel cette fois Téquinisme ainsi produit, est maintenu désormais parle fait de la rétraction des tendons d'Achille, combinée avec la production du tissu fibreux périarticulaire. J'ai observé deux cas de ce genre dans lesquels, après gué- rîson de la paralysie, l'intervention chirurgicale, entre les mains de M. Ter- HUon, a été nécessaire pour produire le redressement du pied. L'opération dans ce cas, comme d'ailleurs dans les cas de paraplégie spasmodique aux- quels on a fait allusion plus haut, a eu lieu en plusieurs temps. La section du tendon d'Achille n'a pas suffi pour obtenir le redressement; il a fallu, à deux ou trois reprises, produire l'extension forcée et déchirer les brides fibreuses périarticulaires. Les malades, d'ailleurs, ont parfaitement guéri. »

Aujourd'hui, Messieurs,je puis ajouter que si ces rétractions, ainsi qu'on Ta vu, ne sont pas un fait absolument constant dans les paralysies alcooliques, elles y sont cependant un fait très fréquent ; que, de plus, elles ne se voient

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pas autre part au même degré, de telle sorte que, quand dans une paralysie présentant d'ailleurs les caractères que nous avons relevés plus haut, on voit les rétractions ûbro-tendineuses se produire très rapidement, on est conduit à penser que l'intoxication alcoolique est en jeu.

J'ajouterai également que le tendon d'Achille ainsi que les tissus périarti- culaires de l'articulation tibio-tarsienne ne sont pas, en pareil cas, les seules parties qui puissent élre affectées ; les tendons des fléchisseurs de la jambe et le tissu fibro-cellulaire qui entoure le genou peuvent être, eux aussi, le siège des rétractionsqui déterminent et maintiennent les déformations (i); c'est ce que démontre justement le cas que nous avons sous les yeux.

A ce propos, remarquons en passant que la présence fréquente des rétrac- tions dans la paralysie alcoolique, n'est pas chose faite pour surprendre lors- qu'on sait que d'autres troubles trophiques ou vaso-moteurs,tels que l'oedème, l'empâtement, la peau lisse, les lésions des ongles enfin, y sont vulgaires.

Nous voilà donc déjà, par la seule considération des phénomènes cliniques, amenés à conclure que, suivant toute vraisemblance, pour ne pas dire plus, la paraplégie que nous avons sous les yeux n'est autre qu'une paraplégie alcoolique. Mais peut- être, en poursuivant notre analyse clinique, rencontre- rons-nous encore de nouveaux documents propres à corroborer nos prévisions à cet égard.

En réalité,Messieurs,rétude des troubles de la sensibilité présentés par notre sujet, va fournir à l'appui de notre thèse des arguments à peu près décisifs.

Vous avez remarqué peut-être que dans les manœuvres d'exploration aux- quelles, à plusieurs reprises, ont été, chez notre malade, soumis les membres inférieurs, elle a le plus souvent manifesté des signes de douleur ; c'est qu'en effet, ces membres sont douloureux, hyperesthésiés. et il y a à distinguer, sous ce rapport, les douleurs ou sensations pénibles, anomales en tout cas, qui se produisent spontanément et celles qui se manifestent seulement par le contact ou par la pression.

Les premières, fort accentuées, consistent en des piqûres se produisant fréquemment et en un sentiment de brûlure, occupant principalement les jambes et les pieds. Ces sensations douloureuses s'exaspèrent la nuit ; la malade s'en plaint amèrement^ « on dirait que mes jambes sont dans du feu », tels sont les termes dans lesquels elle s'exprime h ce sujet. Elles contri- buent pour une bonne pari à déterminer les insomnies dont elle souffre, et

i. C'est à ces rétractions qu'était le rccroquuvillement des membres inférieurs observé par M. Lancereaux, dans un cas de paralysie alcoolique. Dans ce cas, il y avait flexion de la jambe sur la cuisse, et de la cuisse sur le bassin élevée à un très haut degré. Cette double flexion même était portée à son extrême limite aux genoux, car les muscles du mollet étaient appliqués sur les muscles postérieurs de la cuisse. Voir : Brissaud, Des paralysies toxiques, thèse d*agrég. Paris, 1886, p. 25.

peut-être sont-elles aussi en grande partie la cause de ce recroqiievillement des membres inférieurs, de ces [altitudes vicieuses, signalées^ au commence- ment, et qui peu à peu se seront fixées, en quelque sorte, par suite de la

DUlribiillun de

formation des brides librcuses périarticulaires et de la nUraction des tendons.

Pour ce qui est des douleurs provoquées, elles se manlfeiitent par un simple contact même léger de la peau, sur les pieds principalement et sur le tiers inférieur des jambes; elles se nianifL'Slent également, et d'une fa<;on plus accentuée, loisquV-ii exerce une pression un peu forte sur les masses muscu-

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laires, principalement aux mollets. Ainsi les masses musculaires, elles aussi, remanjuez-le bien, sont douloureuses.

Il est intéressant de relever queles excitations portîintsurla peau de lajambe et du pied sont perçues avec un retard qui peut aller jusqu'à trois secondes; que les sensations douloureuses produites par ces excitations, contact ou pin- cement, ne sont pas exactement ra[)portées, lorsque les yeux sont fermés, au point excité, mais presque toujours un peu au-dessus ; que ces diverses exci- tations, quelles qu'elles soient, se traduisent uniformément par un sentiment de brûlure qui se répand au-dessus et au-dessous du point elles ont été pro- duites et qui leur survit pendant quehjues secondes. Remarquons enfin que ces troubles de la sensibilité se retrouvent avec tous leui's caractères, quoique fort atténués, toutefois, aux membres supérieurs, plus particulièrement sur la partie inférieure des avant-bras et sur les mains ils atteignent leurmaxi* mum (voir les fîg. 71 et 75).

Eh bien, Messieurs, il me semble que, en ajoutant à ce qui a été dit plus haut des troubles moteurs et destroublestrophiques observés chez notre malade, les troubles particuliers de la sensibilité que nous venons de relever, nous avons de quoi compléter le tableau clinique de la paralysie alcoolique. C'est bien d'elle qu'il s'agit décidément dans notre cas; je ne crois pas qu'il existe de paralysies autres que celle-là dans lesquelles on retrouve ce même con- cours si caractéristi(jue de circonstances; si ce n'est peut-être d'après quel- ques observations que j'aifailes chez des sujets venant du Brésil ou de l'isthme de Panama, dans certains casde Deribc^ri-Sec, afl'ectioness(Mitiellementexo- ticpie, que, dans le diîignoslic, il sera généralement facile d'éliminer. J'ajou- terai que, même après la constatation failo chez noire malade, à un moment donné, d'une chute de la iKiujuère, jjuis d'une inégalité pupillaire aujourd'hui cnoore jnésenles, avec signe d'Ar^ylI UoJMîrisou, il est im|M>ssibIe égale- ment de ne pas éloignej-, tlnrcs et d«'j i, l'idéo du tabès. HrnKirqnez en parti- culier chez notre malades le caractère des douleurs qui ne rapjM'Ib^ en rien la description classique des douleurs fulgurantes; rabscuce des Iroubles vési- caux, la réaction d(;s nlas^es musculaires, les rélraclions libro-lendineuses, et eulin le mode (révolution de la maladie, pour ainsi dire subaigu et qui conlrjiste siugidièreuieut avec la marche énnneuiment leule et traînante de j'ataxie locomotrice progressive.

Maigri' tout, peut-être persiste-t-il encore cpiehpie doule dans l'esprit de plusii'urs (rentre vous; el i>eul-être aussi peu<ez-v()us (jue ncms avons bien tanli' à iuleri-og(;r la malade, dans le but d'ubtenir d'elle des aveux nous permettant d'asseoir le (liagu(jstic, cette fois sur des bases iné- branlables. Kh bien, je vous ferai remai' piei à c»; propos qu'il s'agit ici d'une femme et ([ue, dans mon expérience du moins, jamais les femmes alcooliques alors même ([ue vous les prendriez en flagrant délit, n'avoueront leur vice. Or, notre malade d'aujourd'hui n'écha|»pe pas à cette régie; elle nie tout.

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effrontément; ce n'est donc pas, vous le voyez, de ce côté-là qu'il faut atten- dre la lumière. Sans doute nous avons à ce sujet des renseignements abso- lument précis qui nous apprennent que depuis longtemps elle se livre à la boisson ; mais ce n'est pas d'elle que nous les tenons, remarquez-le bien ; ils nous ont été fournis par sa famille.

D'ailleurs n'allez pas croire que ces réponses toujours négatives des alcoo- liques du sexe féminin lorsqu'on les interroge sur leurs habitudes dévie, soient constamment le fait d'une dissimulation systématique, voulue et prémé- ditée. 11 faut, pour être équitable, tenir comi)te de l'état d'hébétude et d'amnésie dans lequel sont plongés la plupart des sujets de cette catégorie. Et justement, celui que nous avons sous les yeux peut être cité comme un type du genre. Il est certain, ainsi que cela résulte des interrogatoires auxquels nous l'avons maintes fois soumise depuis qu'elle a été admise dans nos salles, qu'il existe dans ses souvenirs de nombreuses lacunes; il lui est, par exemple, impossible de reconstituer exactement les grandes époques de son existence. Elle ne peut déterminer la date à laquelle son mari est mort ; tantôt elle dit que cet événement, qui a cei»endant changé de fond en comble ses conditions d'existence, date de quelques mois seulement, tandis que d'autres fois elle le fait remonter à plusieurs années ; jamais du reste elle ne tombe juste.

Il est des jours elle pousse des cris toute la nuit, se plaignant avec amer- tume de ses « brûlures » qui l'ont empêchée de dormir et, le lendemain, elle viendra prétendre qu'elle n'a pas souffert et qu'elle a passé une nuit excellente. Ces variaticMis d'un jour à l'autre dans le récit des faits qui la concernent doivent nous rendre indulgents et nous porter à croire que vraiment, par moments, elle oublie peut-être les écarts auxquels elle s'est livrée. Quoi qu'il en soit. Messieurs, cette amnésie que je viens de relever chez notre sujet est, je le répète, un fait assez caractéri^ticiue et que vous devrez vous attendre à nncontrer fréquement chez les individus atteints de paralysie alcoolique. Il enest deméme des [rêves particuliers, et pour ainsi dire classiques, qui,chezeux, jouent un rùh^ important. Ils sont fort bien formulés chez notre malade ; ainsi, tantôt elle voit des animaux bizarres et effrayants qui la menacent ; taudis que d'autres fois, comme par contraste, elle entend de la musique, voit des illuminations, nombre de personnes joyeuses et parées ; elle croit en un mot assister à une fête. L'autre jour elle était per- suadée qu'en effet une grande fêle de nuit était donnée par le directeur de l'hôpital : et même, l'illusion persistant cpiebiue temps après le réveil^ elle voulut î\ toute forc(î se lever pour aller y prendre part. On rencontre, vous le savez, de semblables rêves chez les hystéri(iues non alcooliques. Mais ce n'est pas d'hystérie qu'il s'agit ici certainement. C'est bel et bien l'alcoolisme qui est en jeu ; cela va être rendu évident, une fois de plus, par l'exposé que nous allons vous présenter {\o^ n.lécédents de notre malade.

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Son père était un alcoolique; il est mort à Tàge de cinquante-huit ans. Elle a une tante maternelle Agée de soixante-douze ans qui, depuis longtemps, est en enfance.

Elle est aujourd'hui âgée, comme on Ta dit de quarante ans; elle n'avait jamais été malade dans son enfance, et nous ignorons si elle a présenté, dès cette époque, des stigmates névropathiques.

Elle avait vingt-cinq ans, lorsqu'elle s'est mariée à un limonadier. Dans le café qu'elle dirigeait avec sonmari, elle tenait le comptoir, et c'est dans ces circonstances qu'elle a contracté l'habitude de boire. Son mari étant mort en 1882, elle a abandonné son établissement et s'est mise à faire de la cou- ture; mais entraînée par sa funeste passion elle ne faisait que boire, surtout de « l'amer Picon > et du cognac. Elle ne travaillait guère. La misère vint. Pendant longtemps on ne remarqua pas que sa santé fût en rien altérée; mais il y a quatre ou cinq mois apparurent les premiers phénomènes d'intoxi- cation. Tous les renseignements qui vont suivre ne viennent pas, bien entendu, de la malade; ils nous ont été communiqués par son beau-frère, qui durant cette période l'a suivie de près. Ce furent des troubles intellectuels qui ou- virent la scène ; elle était excitée ; ne savait plus ce qu'elle disait : la nuit elle ne dormait guère ; elle était tourmentée par des rêves pénibles dans les- quels elle se croyait poursuivie par des animaux. Elle avait même parfois, étant parfaitement éveillée, des hallucinations de la vue. Ainsi, en décembre, elle crut un soir voir tout à-coup, sur le mur de sa chambre, courir une grosse araignée noire; elle se mit, une bougie à la main, à la poursuite de cet animal imaginaire ([u'elle voulait à toute force attraper et brûler. Habituellement,elle se plaignait, surtout la nuit, de démangeaisons, siégeant principalement aux membres inférieurs; elle éprouvait la sensation d'eau bouillante qui lui cou- lait sur les jambes et qui la brûlait. Elle disait souvent qu'on lui « coulait du feu dans les genoux. >?

L'afTaiblisseniont des membres inférieurs remonte îï peu près à la même époque. La malade ne s'en inquiétait guère, elle l'attribuait à « des varices » dont elle avait souflort déjà pendant ses grossesses. Déjà, en décembre, elle éprouvait beaucouj) de diHicultés à monter son cinquième étage. Il lui arri- vait souvent de sentir srs jambes iléchir tout à coup et se dérober sous elle. Le 1" janvier son beau-frève a constaté qu'il lui était littéralement impos- sible de monter seule dans son lit. Il a remarqué en même temps que la pau- pière de son x'il droit était tombante.

Elle était vraiment dans un état pitoyable lorsqu'elle est entrée à l'hôpital Bichat, vers le 5 ou i\ janvier. C'est la, ainsi (^ue nous l'avons dit, qu'a éclaté le délire bruyant vraisemblablement sousTinlluence de Tabstention à laquelle elle aura été soumise.

Vous savez le reste : de Bichat elle a passé à Sainte-Anne, et de Sainte-Anne à Villejuif, service de M. lo D' Brinnd. le dingnostie a été fonnulé ainsi

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qu'il suit : « Alcoolisme chronique avec airaiblisseuieut des facultés intellec- tuelles. Paraplégie alcoolique avec atrophie ». On ne saurait mieux dire et vous avez compris sans qu'il soit nécessaire de plus insister, que c'est bien de cela qu'il s'agit.

Depuis que la malade est entrée dans nos salles il s'est produit chez elle de Tamélioralion sur toute la ligne : La mémoire est toujours fort en défaut sans doute et je ne crois pas du rcsle que jamais, les choses allant au mieux, elle se rétablisse complètement ; mais Tinsomnie est moins prononcée et il y a moins de rêves pénibles. D'un autre côté, un retour très accentué des mouve- ments s'est produit du côté des membres supérieurs et pour ce qui est des membres inférieurs la malade commence à pouvoir un peu partout leur imprimer volontairement quelques mouvements. Les troubles de la sensi- bilité sont eux aussi beaucoup moins prononcés qu'ils ne l'étaient à l'époque nous avons examiné le sujet pour la première fois. Au train dont vont les choses, je ne doute pas qu'avec le concours du temps et de Télectri- sation méthodique, on ne parvienne à obtenir de ce côté des résultats très satisfaisants. Toutefois, quand les mouvements seront redevenus possibles, il faudra de toute nécessité, nous l'avons fait prévoir, pour que la malade soit mise en mesure de se tenir debout et de marcher^ procéder chirurgicale- ment au redressement des parties.

On pourra dire alors que la guérison a été obtenue; oui, sans doute ; mais vous n'ignorez pas qu'en pareille matière, ij y a à considérer le chapitre des récidives. Elles sont, hélas ! presque fatales. Vous connaissez le proverbe :

< Qui a bu boira ». Il répond bien à la réalité des choses et je vous ai raconté souvent l'histoire d'un cas dans lequel j'ai vu la paralysie alcoolique chez un

< gentleman > guérir trois fois; mais, chaque fois après la guérison^le malheu- reux retombait bientôt dans son vice. Il a terminé l'histoire en se suicidant.

A part la question des récidives, le pronostic de la paralysie alcoolique d'après ce qui a été dit vous paraîtra plutôt favorable; je crois qu'il l'est en réalité dans la majo»"ité des cas, lorsqu'il s'agit d'un premier accès et que les choses n'ont pas été poussées trop loin. Il importe que vous sachiez cependant que, de temps à autre, on rencontre des cas de paralysie alcoolique se présen- tant absolument avec toutes les apparences de ceux qui guérissent, et qui néanmoins, inopinément, sans que rien puisse le faire prévoir, prennent tout à coup la plus mauvaise tournure; le pouls s'accélère, la respiration se préci- pite, les extrémités prennent une teinte bleuâtre, et en un mol, par le fait de l'intervention de troul)les bulbaires que rien ne peut conjurer, survient rapide- ment la terminaison fatale (l).Deux fois j'ai assisté,non pas impassible, je vous

1. Voir sur la paralysie alcoolique, la Leçon du mardi G mars 1888.

3^

prie de le croire, à l'évolution de cedrame; d'abordchezunejeuneetbelleAmé- ricainc de vingt-trois ans, puis plus récemment chez une femme de trente ans environ qui a été admisedans le service. Je ne vous fatiguerai pas parTénumé- ration des moyens mis en œuvre pour arrêter les progrès du mal : ils sont hélas ! tous restés sans effet.

30 £Y 4c Malades.

Je vais maintenant, Messieurs, faire passer sous vos yeux, pour les soumet- tre à votre examen clinique, deux malheureuses créatures bien dignes d'exci- ter la compassion. On peut dire que Tune cl l'autre ont été touchées du doifçt par la fatalité anticiue, aujourd'hui remplacée par la fatalité héréditaire ; ils pourraient s'écrier l'un et l'autre :

« Qu'avons-nous fait, ô Zcus, pour cette destinée ? « Nos pères ont failli : lunh nous qu'avons-nous fait ?(1)

Tous deux soutdes dégénérés (2), des déséquilibrés, des faibles intellectuelle- ment et moralement, surtout l'un d'eux qui a commis plusieurs délits ; mais soit dit entre nous, je les crois bien peu res[»onsables l'un et l'autre du mal qu'ils ont pu faire, ou qu'ils pourraient faire. Malgré quelques tentatives louables de la part de leurs parents, ils n'ont puni l'un ni l'autre acquérir la moindre instruction ; ils ne savent ni lire, ni écrire. Dans la société, comme bien vous pensez, leur ianiille n'appartenant pas aux classes privilégiées, ce sont des déclassés ; de fait ils n'ont pas de domicile fixe et ils vivent en exer- çant des profession? douteuses, interlopes. L'un d'eux est saltimbanque ; il se dit •< artiste >^. La vérité est que son art consiste à faire « l'homme sauvage > dans les baraques de foire; l'autre gagne bien pauvrement son pain de chaque jour en chantant dans les rues.

Voilà qui est fort bien, direz-vous ; le tableau [)romet d'êlre piquant. Mais voulez-vous en venir; en quoi tout cela j»eut-il concerner votre enseignement?

Eh bien. Messieurs, ce (jue je tiens à vous montrer, c'est que les deux pau-

\. L(^ Erinnycs.. 2'» p. V. p 14. IS D.

2. Voir sur la combinaison de riivstérie avec les diverses formes de lu déjfénéresccuec mentale plusieurs travaux inspirés par M . le D»" Ballet : Marquezy : L'homme hystéi-ique. Bulletin médical, août. Tabaraud. Des rapports de la défjénéresreNce mentale et de rhysteriey[hi':iv de Paris, novembre IS.*^*^.

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vres hères que je viens de vous présenter sont Tun et l'autre sous le coup de la diathèse hystérique. Ils en portent, vous allez le voir, Tun comme Tautreles marques non méconnaissables : attaques et stigmates permanents. l'hysté- rie va-t-elle se nicher? Je vous l'ai montrée bien souvent, dans ces derniers temps dans la classe ouvrière, chez les artisans manuels, et je vous ai dit qu'il fallait la chercher encore sous les haillons, chez les déclassés, les men- diants, les vagabonds ; dans les dépôts de mendicité, les pénitenciers, les bagnes peut-être !

Vous verrez qu'un jour, tout compte fait, en raison de Textension singu- lière que semble prendre Thystérie mâle dans les classes inférieures de la société à mesure qu'on apprend à la mieux connaître, on en viendra à poser la question suivante : la névrose hystérique est-elle vraiment, comme on l'a cru, comme on Ta prétendu jusqu'ici, plus fréquente chez la femme que chez l'homme (1)? Toujours est-il que, quelle que soit la solution qui, dans l'avenir, sera donnée à cette question, nous voilà dès à présent amenés bien loin de ridée que nos prédécesseurs des siècles passés se faisaient de Thystérie, lors- qu'ils n'y voyaient qu'une « sulTocation utérine »,

I

Occupons-nous d'abord de « l'homme sauvage », C'est un nommé Lap.. sonne: il est aujourd'hui âgé de 48 ans. Sa physionomie est quelque peu en rapport avec la profession cju'il exerce. Il a, en efîet, comme vous voyez, l'air abruti, stupide, renfrogné, féroce même. Kn réalité, il est vraiment terrible dans de certains moments, et il a alors commis plusieurs fautes graves, pour lesquels, du reste, il a été sévèrement puni par la loi militaire. Il paraît s'être fort amendé depuis lors.

.le ne vous parlerai de son histoire, de ses antécédents qu'il ne nous a contés lui-même que sous toiitos réserves. Ce n'est pas qu'il mente, â ce que je sup- pose, et il me paraît au moins fort vraisemblable que les « gros faits » de sa vie se sont passi'^s en réalité comme il nous le raconte. Mais nous nous som- mes facilement nporcn, en l'interrogeant à maintes reprises, qu'il n'a pas de mémoire et qu'il enchevêtre les faits les plus éloignés par la date ils se sont produits. Voici en résumé, d'après la critique que j'ai faite des docu- ments qu'il m'a fournis, l'histoire de notre homme, telle que je vous propose de l'admettre.

Il affirme qu'il n'y a pas eu dans sa famille d'antécédents nerveux. A cet égard, je me permettrai de ne pas l'en croire. Il est même impossible que

1. Voir il ce sujol rKliide staliàti'ine dijà citée du D' Marie, Ivrognes médical p. 68, 87, juillet 1889.

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cela soit: d'ailleurs, dans la recherche de ses antécédents, le chemin est coupé; il ne connaît pas du tout la famille de son père.

Sa mère et sa tante sont mortes de maladie cardiaque. Celle-ci avait fréquemment souffert du rhumatisme articulaire. Nous trouvons là, pour le moins, les marques de l'élément arthritique, qui, si fréquemment, concourt au développement héréditaire des affections névropathiques.

A Tàge de douze ans, il aurait été atteint d'une fièvre typhoïde grave. C'est de cette époque qu'il faut faire dater sa faiblesse intellectuelle et son amnésie- Ce qu'il avait, antérieurement à cette maladie, appris à l'école il Ta depuis complètement oublié et n'a jamais pu le réapprendre. Il avait toujours eu d'ailleurs des goûts de vagabondage; il aimait à courir les champs, et évitait autant que possible de se rendre à l'école.

Il avait dix-huit ans lorsque, n'ayant pu apprendre aucune profession, il s'engagea dans la marine. Il fit six ansdeservice, sans encombre et il allait être libéré, lorsqu'à la suite, à ce qu'il assure, d'une discussion avec un ad- judant, il jette cet officier par dessus-bord et se trouve par suite con- damnéàmort.Sa peine fut commuée, paraît-il, en dix ans de travaux forcés : en conséquence, il fut envoyé en Algérie où, pendant huit ans, il a été occupé à travailler sur les routes. Il finit son temps à la Nouvelle-Calédonie.

C'est de son séjour en Algérie que datent la plupart des tatouages carac- téristiques dont il aie corps couvert. Voyez, il porte sur le coté gauche de la poitrine une « croix d'honneur » imaginaire ; sur son avant-bras gauche on lit l'inscription suivante « mort aux gendarmes, y^ Au beau milieu du tronc, un peu au-dessus du sternum, se présente une figure de femme, décemment couverte qu'il dit être la nuit. Pourquoi la nuit ? il n'a jamais pu le dire. Je signalerai encore, sur le bras droit, le dessin d'un homme « en costume de mousquetaire » destiné à représenter, paraît-il, le gouverneur de la colonie pénitentiaire, et un peu plus bas celui d'un autre homme en costume d'Ecossais » ? J'aurais à signaler encore bien d'autres tatouages^ plus ou moins bizarrement placés, mais la plupart d'entre eux sont tels que leur des- cription blesserait rhonnéteté! c'est pourquoi je passe outre. Tout cela, Messieurs, est-il assez absurde ? mais remarquez-le bien, pour nous médecins l'examen de ces inscriptions, de ces images symboliques bizarres, n'est pas à dédaigner. On peut dire, en effet, qu'elles sont parfaitement dans la situation, et qu'elles font en quelque sorte partie de la caractéristique de l'état mental de notre homme.

Il avait environ trente-cinq ans lorsqu'il fut mis en liberté. Les dix années qui ont suivi sa libération ont été marquées par des incidents patholo- giques nombreux et qu'il nous faut mettre en relief. Les mille francs, prove- nant de son « prêt », qu'il avait touchés, furent bientôt dépensés en orgies de boisson. C'est à cette époque que commencent à paraître les délires surtout nocturnes il voit des animaux féroces^ des lions surtout quille

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menacent et contre lesquels il se défend à Taide d'un couteau dont il frappe les murs. Une fois, il s'en est frappé lui-même au bras gauche, pro- duisant une large blessure dont il porte encore la cicatrice.

C'est vers la même époque qu'ont commencé k paraître des crises nerveuses convulsives, qui n'ont pas cessé de se manifester de temps à autre depuis et que nous allons retrouver par la suite.

Pendant cette longue période de dix années, les excès alcooliques n'ont pas manqué d'aller leur train et en conséquence, Lap. .sonne n'a pas cessé de fréquenter, tantôt les hôpitaux lorsque les accidents nerveux dont il souffrait le laissaient à peu près calme, tantôt l'asile Sainte-Anne ou encore Bicétre lorsqu'il était pris de délire bruyant,

Gependant,dans les intervalles de ces crises, il s'est livré, car, après tout, il fallait vivre, à des professions diverses : il y a cinq ou six ans, il a cesser de servir les maçons, comme il le faisait depuis son départ de la Nouvelle- Calédonie, parce que remarquez bien ce détail caractéristique, il était devenu faible de tout le côté droit, du membre supérieur surtout : les objets qu'il portait lui tombaient, dit-il, de la main droite, lorsqu'il ne les regar- dait pas ». Cette parésie de la main droite, avec perte du sens musculaire, nous allons la retrouver tout à l'heure telle quelle, cinq ou six ans au moins après le moment elle a été pour la première fois remarquée.

Après avoir quitté les maçons, Lap.. sonne a été « employé de ménagerie » dans les fêtes publiques. Dans ce temps-là, dans le but de s'élever danslapro- fession,il a fréquenté les cours d'un nommé M... s'intitulant artiste et demeu- rant rue des Quatre-Chemins à Aubervilliers il enseigne les trucs de bate- leurs. C'est chez ce professeur qu'il a appris à avaler des sabres, des étoupes enflammées, à manger du verre cassé, etc., etc. 11 a par la suite figuré dans l'établissement bien connu du décapité parlant. Mais, dans le cours des der- nières années c'est surtout, dans le rôle « de l'homme sauvage » qu'il paraît dans les foires des environs de Paris. Là, cm le montre enfermé dans une cage de fer, tout noirci des pieds à la tête, portant un bonnet de plumes, et des chaînes aux pieds ; là, au grand ébahissement des badauds, on le voit, manger en rugissant de la viande crue, voire même, à ce qu'il prétend mais peut être à cet égard se vante-t-il des lapins vivants.

Qui eût pu penser que ce «terrible cannibale » n'est après tout qu'un malheu- reux névropathe, un hystérique ! Cela est cependant ainsi et chez lui, vous allez le reconnaître, les caractères de la névrose hystérique sont on ne peut plus nettement accentués.

Voici d'abord l'exposé de ce qui est relatif aux stigmates permanents (Voir iîg. 76, 77, 78). Il y a une hémianesthésie droite relative à tous les modes de la sensibilité et à peu près absolue. Perte du sens musculaire dans le membre supérieur droit. Il ne peut rendre compte les yeux fermés des divers déplace- mentsqu'on imprime aux différents segments de ce membre,et les articulations

;;.)

~ 396

peuvent y être brutalement tordues ou distendues sans que le sujet en ait la moindre notion. Il y a parésie des membres supérieur et inférieur du côté anesthésié (côté

Fi?. 7^).

droit). Lo dynamomètre donne 20 pour la main droite, 55 pour la main

gauche.

N'allez pas croire quocette insensibilité de tout un côté du corps, qui, suivant toute» pr(>l)al)ilité date de fort loin, ait été pour quelque chose dans le choix qu'il a fait de la profession de bateleur expert dans l'art d'avaler des sabres,

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du verre pilé, des étoupes enflaminées,etc. En effet, ainsi que cela arrive chez la plupart dra hystériques, il est resté sans se douter de son existence jusqu'au moment elle lui a été révélée par les explorations ad hoc auxquelles nous l'avons soumis. D'ailleurs, ainsi que nous l'avons dit, l'aneslhésie est exacte- ment limitée au seul càté droit du corps, même en ce qui concerne le voile du palais et le pharynx.

Les troubles sensoriels ne sont pas moins accusés. L'examen du champ vi- suel décèle qu'à droite il y amaurose complète, tandis qu'à gauche existe un rétrécissement du champ visuel très prononcé 13°). Il y a de plus microme-

galopsie ; pas de diplopie monoculaire. L'odorat est obnubilé du côté droit. Rien à noter relativement au goût et à l'ouïe. 11 n'y a pas de points ou plaques hystérogènes.

Nous ne sommes pas encore tout ù fait renseignés sur la forme que pré- sentent les attaques convulsives qui se reproduisent chez lui de temps k autre, asseï fréquemment, parail-il,depuis six ou sept ans. 11 en a eu trois ou quatre seulement depuis son entrée àl'hôpltal. Voici d'après la relation des gens du service qui ont assisté â. quelques-unes d'entre elles ce qu'on a observé géné- ralement. Ces attaques se sont régulièrement produites toutes vers quatre ou cinq heures du soir. Il y a une aura : le malade se plaint de mal de tête, de confusion dans l'esprit, de tristesse ; il ressent des battements dans les tempes et des bruits d'oreille épouvantables : tout cela dure environ une demi-

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heure. Après quoi, s'il n'a pas pris soin de se coucher, il tombe à terre, tout à coup, comme une masse; alors surviennent les convulsions épileptoïdes, toni- quesd'abord, puis cloniques ; il y a de Técume à la bouche, pas de morsure de la langue, pas d'urination involontaire. Un léger stertor termine la scène; après cela, le malade revient à lui assez rapidement et se relève en se frottant les mains et en se grattant la poitrine, comme si la peau de ces parties était le siège d'une vive démangeaison.

D'après la description que nous venons d'en donner, ces accès doivent être considérés comme représentant une anomalie prévue et classée des attaques hystéro-épileptiques, consistant en ce que la période dite épileptoïde se pré- sente à Tétat d'isolement, ou en d'autres termes n'est suivie, contrairement à la règle du type, ni de la phase « des grands mouvements » ni de celle des attitudes passionnelles ». Vous savez qu'à ne les considérer qu'en elles-mêmes et indépendamment des circonstances concomitantes, ces attaques ainsi réduites à la phase épileptoïde, ne sauraient être distinguées de l'accès comitial qu'en ce qu'elles sont précédées d'une aura caractéristique plus ou moins pro- longée et que, suivant une règle qui souffre cependan* quelques exceptions, la morsure de la langue et l'urination involontaire y font défaut.

Mais d'après les renseignements que nous avons recueillis auprès du malade lui-même, notre homme aurait de temps en temps alternant avec les précédents d'autres accès qui rappellent exactement cette fois l'image classique de l'atta- que épileptique, à savoir: apparition plutôt la nuit, début soudaiu sans pro- dromes, morsure de la langue, urination involontaire, stertor prolongé, abrutissement au sortir de la crise, etc., etc. Si cela est réellement, il s'agirait, vous l'avez compris, d'hystérie et d'épilepsie coexistant chez notre homme, mais vivant chez lui en quelque sorte séparément, côte à côte, sans promis- cuité; combinaison qui dans la nomenclature, depuis longtemps usitée dans cet hospice, est désignée sous le nom d'hystéro-épilepsie à crises séparées.

Après cet exposé des faits, il ne sera pas hors de propos, Messieurs, d'indi- quer sommairement, en manière de résumé, quelques-uns des principaux enseignements qui en découlent.

J'ai placé devant vos yeux une malheureuse créature sans intelligence, sans mémoire et sans jugement ; faible aussi moralement, bien entendu, etéraotive; nuiuifestement marquée en un mot au sceau de la dégénérescence mentale, telle que Morel Ta comprise. Vous avez vu notre homme, pendant une bonne partie do son existence, placé constamment sous le coup des impulsions mor- bides qui plusieurs fois l'ont poussé à l'accomplissement d'actes délictueux; puis livré k lui-même il mène une vie errante, vagabonde et exerce des pro- fessions à peine avouables. Sur ces entrefaites l'alcoolisme était intervenu, et sur ce fonds admirablement préparé pour en favoriser et en grandir Taction, il exerce des ravages. C'est alors que, sous rinfhience i)uissantc de cet agent

399

provocateur^ l'hystérie apparaît avec les attaques et les stigmates qui lui sont propres, puis aussi peut-être, du même coup, Tépilepsie avec les accès qui ta caractérisent.

Voilà certes une série d'événements qui se succèdent et s'enchaînent suivant les lois d'un déterminisme implacable ; et, dans cette évolution en quelque sorte logique, des épisodes pathologiques rien n'est fait, j'en suis sûr, pour vous surprendre, préparés que vous êtes â en comprendre la raison, par nos études antérieures.

Comment le médecin pourra-t-il espérer intervenir utilement dans cette triste affaire : peut-être autrefois, eût-on pu tenter d'opposer une digue aux envahissements successifs du mal; mais, aujourd'hui que les destinées sont accomplies,le mieux sera , j e pense, de chercher à obtenir l'admission du malheu- reux € homme sauvage » dans un asile il trouvera protection contre ses propres écarts en même temps qu'il sera mis dans l'impossibilité de nuire aux autres.

II

J'en viens au second malade du groupe. C'est un pauvre diable, âgé de vingt- quatreans,portantlenomdeRo...eau.Oh! la nature, la nature immorale comme certains philosophes pessimistes l'appellent, ne l'a pas ménagé. Lui aussi est un dégénéré, et cette fois l'hérédité nerveuse nous sera facile à établir. Son intelligence est faible, pour ne pas dire plus ; il n*a jamais pu apprendre à lire ; sa marche est gênée par l'existence de deux pieds-bots congénitaux et on lui voit au cou de nombreuses traces de scrofule. De plus, il bégaye horriblement comme vous aurez dans un instant l'occasion de le constater. Cependant, mal- gré cela, avec la permission des autorités compétentes, il vit de la profession de chanteur des rues, dans la banlieue de Paris. Voyez, il porte constamment dans sa poche son pauvre livret de licence, sale, crasseux « à vous tirer des larmes. » Quand il parle, il ne peut pas assembler deux mots de suite, tant il bégaye ; mais quand il chante, quand il chante « la Fauvette » par exemple car par une ironie du sort, c'est la tendre romance qu'il cultive spéciale- ment — c'est une autre affaire ; cela va tout seul, paraît-il, et sans accrocs. Il est donc abasique, si vous voulez, de la langue et des lèvres pour l'arti- culation parlée, il ne l'est plus quand il s'agit de l'articulation chantée ; fait bien connu du reste.

C'est ainsi qu'il gagne sa vie, bien maigrement, couchant par-ci par-là, pour quelques sous, dans des garnis inQmes, et quelquefois aussi pour rien à la bçUe étoile. Il raconte avec emphase que, pendant un mois, il a occupé une chambre qu'il a payée dix francs, oh ! c'était du luxe ! Les affaires allaient si

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bien dans ce temps-là ; il ne s'est plus, depuis lors, jamais trouvé à pareille fête.

Dans la règle il ne mange pas tous les jours à sa faim. Il ne gagne guère chaque jour, en effet, plus de vingt sous et encore faut-il compter sur la morte-saison.

Malgré tout, Messieurs, c'est un garçon placide, rangé, résigné, plutôt bienveillant et j'ajouterai inoffensif, ou il me tromperait fort.

Les choses ont été pour lui, tant bien que mal, jusqu'à il y a deux mois. A cette époque il a commencé à s'affaiblir considérablement et, en même temps, sont survenues des attaques qui n'ont pas cessé depuis de se reproduire de temps à autre. Telle est la raison pour laquelle il est venu demander son admission à la Clinique.

Voici du reste son histoire : son père avait pour profession d'aller chercher des champignons dans les bois des environs de Paris, surtout à Meudon. II bégayait encore plus que son fils ; c'est dire qu'il pouvait à peine parler. C'était un ivrogne abominable, méchant, qui ne cessait pour ainsi dire pas de battre sa femme et ses enfants. La pauvre malheureuse était, paratt-il, très ner- veuse. Elle est morte pendant le siège.

Après la mort de sa mère, l'enfant fut réduit à mendier dans les rues de Paris et, bientôt ramassé sur la voie publique, il fut interné à Mettray. Le seul incident pathologique à signaler chez lui, avant son internement, c'est une chute soudaine avec perte de connaissance, dont la durée aurait été d'une heure, survenue au moment où, pendant le siège, une bombe éclatait non loin de lui. Il était alors âgé de cinq ans. Pendant son séjour à Mettray, il n'a jamais été malade. Il dit n'y avoir jamais souffert ; il trouve seulement que la viande y était fort mauvaise, et assure que généralement parmi les détenus, personne n'en voulait manger. Aujourd'hui depuis qu'il est libre, il n'en mange pas beau- coup plus ; cela coûte trop cher. On a essayé de l'instruire, mais il avait, dit- il, « la tête trop dure » ; il n'a jamais pu rien apprendre.

Il a été libéré à l'âge de vingt et un ans, il y a donc trois ans de cela. C'est depuis cette époque qu'il exerce le triste et peu lucratif métier que vous savez. En somme, on peut dire que depuis ce temps il vit littéralement dans la misère, ne mangeant guère que du pain, et encore pas tout son soûl et ne buvant que de l'eau. Pendant les premières années, sa constitution a résisté aux effets de ce déplorable régime ; mais il y a dix mois la dépression physique est survenue et c'est vraisemblement sous son intluence que, la prédisposition héréditaire aidant, l'hystérie a paru.

Elle est représentée chez notre malade sous ses deux grands aspects. Les stigmates permanents consistent en une hémianalgésic gauche avec légère obnubilation du sens musculaire du même côté : fait remarquable mais qui n'est pas sans extMiiple, le clianip visuel de ce même côté gauche est normal

tandis que du eôlé droit,il est rétréci à 50». En même temps,encore de ce côté- lit, il y micromégalopsie et dyschromatopsie ; pas de diplopie monoculaire. Le goût et l'odorat sont manifestement obnubilés à gauche.

L& peau du scrotum k gauche est très sensible <i la moiudre pression ; le testicule correspondant est plus douloureux encore et quand on comprime un peu fortement soit le testicule lui-même, soit les téguments qui le recouvrent, le malade (éprouve la sensation de quelque chose qui lui remonte vers la poitrine et vers le cou il éprouve un sentiment de suffocation. A ce propos.

402

je ferai remarquer que Ro-..eiiu n'est pas, tant s'en faut, un libidineux : il n'est nullement tourmenté par les désirs charnels et il n'a eu de rapports sexuels qu'une seule fois, et encore ?

Un autre point hystérogëne existe au niveau de la fosse iliaque droite : il est situé profondément et il faut soumettre la région ii une compression un peu

- Cbamp visuel de l'œil droit, celui de ]'«ll fn>ucbc e«t norni»l.

forte pour déterminer les phtnomOnes do l'aura. Cette région devient doulou- reuse au mouient se produit spontnni'ment la sensation d'aura qui préct-de les attaques convulsives.

La première de cesattm|iies s'est produite en juin 1888, sans cause occasion- nelle connue ; il n'avait été ni ému, ni ellrayé, ni contrarié. Elles n'ont pas cessé de se reproduire depuis, de temps à autre, assez fréquemment. Ce sont, en somme, des attaques classiques précédées d'une aura qui part tantât de la fosse iliaque droite, tantôt du testicule gauche, tantôt de la jambe droite, tantôt de ces divers points en même temps, La période épilcptoïde est en gé- néral très courte; le perte de conscience incomplète. Il n'y a pas de grands mouvements, si ce n'est une esquisse assez nette de l'arc de cercle ; pas d'atti- tudes passionnelles. Les accès sont en général isolés, et ne durent pas plus de huit à dix minutes en tout. Une fois, à la suite d'une de ses attaques, le ma- lade aété frappé d'une hémiplégie gauche incomplète avec légère contracture de la main, tandis que le membre inférieur gauche, flasque, traînait sur le sol &

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la manière d*an corps inerte suivant le mode classique. De cette hémiplégie gauche il ne reste aujourd'hui que des traces légères.

C'est de cette époque que date la première apparition, assure le malade, d'un phénomène peu connu encore dans l'histoire de l'hystérie et qui ici est fort accentué. Je veux parler d'une atrophie musculaire, sans accompagne- ment de secousses fibrillaires, sans exagération ou diminution des réflexes tendineux, portant sur l'avant-bras droit, surtout sur la cuisse et la jambe du même côté, et qui paraît s'être développée très rapidement. Il y a sur la jambe et la cuisse de ce côté, comparées aux parties correspondantes du côté gauche une différence de 2 centimètres (1). Nous avons, M. Babinski et moi, appelé depuis longtemps l'attention sur les atrophies musculaires qui se produisent dans le cours de l'hystérie, et qui ne relèvent que de sa seule influence (2). Mais le cas d'aujourd'hui présente quelque chose d'imprévu. En général, en effet c'est du côté se montrent la paralysie motrice et les troubles de la sen- sibilité que siège Tamyotrophie hystérique, tandis que dans notre cas, elle occupe, au contraire, le côté opposé. Mais, il faut bien le reconnaître, nous en savons encore fort peu sur ce genre d'atrophie musculaire, et avant de vouloir légiférer définitivement sur son compte, nous devons savoir attendre que les observations se multiplient.

Messieurs, en dehors des quelques particularités sur lesquelles j'ai insisté chemin faisant,rintérêt du cas que nous venons d'étudier ensemble, me parait consister surtout en ceci : il montre bien, si je ne me trompe, que parmi les agents provocateurs de Thystérie, à côté des grandes perturbations morales, des traumatismes, des intoxications, etc., il y a lieu de placer la misère, la misère avec toutes ses duretés, toutes ses cruautés. Certes, dans le domaine étiologique, elle constitue un élément dont on ne saurait méconnaître la puis- sance et c'est surtout ce que je tenais à faire ressortir.

1. Voici le résultat des mensurations faites à quatre travers des doigts, au-dessus et au-dessous du coude et du genou.

Périmètre du bras droit, 24<^<^ F5ras gauche 24"

de l'avant-bras droit, 25" avant-bras prauclic, 27 "

de la cuisse droite, 37" de la cuisse gauche, 89<^<^

de la jambe droite, 32 «^^ de la jambe gauche, 34 ".

2. Babinski. De Tatrophie musculaire dans les paralysies hystériques. Arch. de Neurologie vol. II,juiUet 1886, p. 1.

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i.Ml'. NOIZBTrE. 8, RUE CAMPAGNB-PRBMIKKE, PARIS.

Policlinique du 19 Mars 1889

DIX-HUITIEME LEÇON

1*^ Amyotrophie spinale progressive survenue à Tâge de 34 ans chez un homme qui à l'âge de 2 ans, avait été atteint de paralysie spinale infantile.

2'' Chez un homme de 24 ans : Epilepsie, Hystérie majeure et Morphinomanie combinées.

Messieurs.

Le premier cas qui, aujourd'hui, va être soumis à notre examen est relatif à une amyotrophie généralisée, de forme progressive, développée chez un sujet qui, dans Tenfance, avait été frappé de paralysie spfnale aiguë, affection dont il porte encore les reliquats. De quel genre d'amyotrophie progressive s'agit- il chez ce malade? Existe-t-il une relation entre la maladie de Tenfance et celle qui s'offre actuellement à notre obsei'vation : et, si cela est, quel est le genre de cetterelation? Telles sont les questions intéressantes qui vont se pré- senter à nous, chemin faisant, et dont nous essaierons de trouver la solution.

I

Il s'agit d'un nommé Ni. .las Du..nt, âgé de 40 ans, d'apparence assez vigou- reuse et exerçant autrefois la profession de bijoutier en acier que la maladie l'a obligé d'abandonner il y a 3 ans. Malgré l'infirmité produite par la paralysie infantile, laquelle gène l'action des membres inférieurs, il a toujours pu marcher depuis l'âge de 3 ou 4 ans, tant bien que mal, et, plus tard, il a pu travailler habilement de ses mains, dans une profession dont l'exercice est, paraît-il, assez fatiguant.

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Voici ce qu*il raconte concernant cette paralysie d'enfance dont il sera question plus d'une fois encore par la suite. Elle se serait développée très rapidement vers l'âge de deux ans, et elle aurait envahi du même coup les deux membres inférieurs et le membre supérieur droit, et dans ces membres l'impuissance motrice aurait été, pendant plusieurs mois, absolument com- plète. Puis est sur\'enue, suivant la règle, la période de rétrogression ou de ré- trocession, comme vous voudrez l'appeler. C'est alors que le membre supérieur droit, tout d'abord se dégage ; il devait cependant, par la suite, pendant longtemps se montrer un peu plus ffiible que le membre correspondant. Pais cela a été le tour des cuisses. Mais, pour ce qui est des jambes, elles sont res- tées depuis l'époque considérablement atrophiées, l'une et l'autre, surtout la gauche. De plus il s'était formé à droite un pied bot, tandis qu'à gauche le pied est demeuré flasque, ballant dans toutes les directions. Un examen som- maire vous fait reconnaître la forme conique des membres inférieurs, la co- loration violacée et les rugosités que présente la peau des jambes et des pieds, en même temps que l'application de la main sur ces parties vous y fait per- cevoir une sensation de froid très caractéristique.

A propos du développement de cette maladie d'enfance, je relèverai que les tares nerveuses ne font pas défaut dans la famille du malade. Sa mère, d'après le récit qu'il nous donne, était atteinte d'une^maladie de nerfs »qui la faisait se tenir le corps courbé en avant; quand elle marchait elle allait sou- vent plus vite qu'elle ne le voulait; ses mains tremblaient. Ces quelques traits suffisent pour nous faire reconnaître qu'il s'est agi de la paralysie-agitante ou maladie de Parkinson. Ajoutons qu'un des frères de notre homme est épi- leptique. Ces faits, vous l'avez compris, pourraient servir d'arguments en faveur de la thèse que je soutiens depuis longtemps, à savoir : que la paraly- sie spinale infantile est moins une maladie accidentelle, contingente, micro- bienne surtout comme on l'a voulu prétendre, qu'une maladie d'hérédité ner- veuse. Ils pourront contribuer peut-être du même coup à éclairer la genèse des incidents pathologiques qui se sont produits par la suite vers l'âge de 36 ans.

Veuillez vous remettre en mémoire. Messieurs, la situation d'un sujet chez lequel, comme c'est la règle, la paralysie infantile a laissé subsister après elle, pour toute la vie, une impuissance motrice plus oumoins accusée d'un ou plusieurs membres. L'anatomiste constaterait, vous le savez, chez un tel sujet, dans certaines régions de la moelle épini ère, les vestiges de la myélite centrale aiguë, cause de tousles désordres. Ils se présenteraient là, sous la forme d'un tissu cicatriciel plus ou moins étroitement localisé dans les cornes antérieuresde substance grise, constituant, on peut le dire, une lésion indélébile : je l'ai pour mon compte rencontrée plus de 60 ans après la cessation de la maladie qui lui avait donné naissance. A ces lésions spinales, à titre de faits consé- cutifs, correspondent dans les membres paralysés, une atrophie dégénérative

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des troncs nerveux émanant des parties altérées des cornes antérieures, l'atro- phie des muscles auxquels ces nerfs se distribuent et enfin, dans certains cas, une altération de nutrition des os, s'accusant par une fragilité anormale. Cet état du tissu osseux dans les membres affectés peut expliquer que trois fractures se soient produites à diverses époques chez notre homme, la première àVâgede i4ans portant sur les deuxosde la jambe gauche, la secondeàl'âge de 30 ans surThumérusducôtédroit, et la troisième enfin, trois ans plus tard sur le même humérus. A propos de la troisième fracture, il est intéressant de faire remarquer cette persistance, jusqu'àl'ûge mûr, delà fragilité osseuse surce membre supérieur droit qui, un instant frappé de paralysie complète, s'était cependant, dans la période de rétrocession, à peu près complètement dégagé. Pour ce qui est de Tatrophie des nerfs et des muscles signalée plus haut, il faut y voir des lésions fixées,défînitives, dont on ne doit attendre aucun retour agressif. Elles sont comme les reliquats d'un processus morbide éteint pour toujours et qui, passez-moi le mot, ne se rallumera plus. Peut-on en dire autant de la lésion cicatricielle de la moelle épinière ? Cela certes, n'est pas aussi démontré. On sait bien que dans la paralysie spinale aiguë de Tenfance il n'y a pas, à proprement parler, de récidives à craindre; c'est une maladie qui ne nous attaque qu'une fois dans la vie. On comprend d*ailleurs que le processus de la téphro-myélite aiguë ne puisse plus se reproduire jamais, au moins sur ces régions des cornes antérieures les cellules motrices ont été irréparablement détruites. Mais le tissu cicatriciel qui dans ces régions s'est substitué à la substance grise ne peut-il pas être considéré comme un foyer permanent d*irritation latente où, sous de certaines influences, l'incendie pourra s'allumer et se communiquer de proche enprocheaux parties voisines? Ainsi se produiraient, par propagation, des lésions spinales nouvelles évoluant soit dans le mode subaigu, soit dans le mode chronique et occupant princi- palement, du moins à Torigine, les cornes antérieures. Cesont des questions qui se présentent naturellement à l'esprit et dont nous aurons justement à nous occuper tout spécialement dans la suite.

II

Ainsi que nous l'avons dit il n'y a qu'un instant, Ni., las quoique infirme, a pu, jusque dans ces derniers temps, gagner sa vie en exerçant sa profession de bijoutier, et pendant cette longue période il n'avait éprouvé aucune maladie, aucune indisposition sérieuse. Mais voilà qu'il y a 4 ans, 34 ans après l'époque la paralysie spinale infantile a cessé d'évoluer, sans qu'une cause appré- ciable soit intervenue, il s'aperçoit que son épaule droite, puis le bras du

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même côté s'affaiblissent; si bien que Texercice de sa profession,d'abordgéné, devint bientôt impossible. Un an après surviennent dans ces parties desfoui^ millements ; en même temps l'atrophie des muscles intéressés y devient des plus évidentes. Un peu plus tard, Tépaule d'abord, puis le bras gauche subissent exactement le même sort. Enfin, c'est le tour des cuisses les fourmillements ainsi que Tatrophie musculaire se montrent également^ et, en conséquence de celle-ci, Taffaiblissement se prononce progressivement dans les membres inférieurs au point que la station et la marche en deviennent de plus en plus difficiles.

Ainsi, je le répète, le malade ayant atteint l'âge de 36 ans, on voit ce mem- bre supérieur droit qui, 34 ans auparavant, après avoir été un moment sérieusement impliqué dans la paralysie infantile, s'était à peu près complè- tement dégagé, restant seulement un peu plus faible que son congénère, sur lequel plus tard, il s'était produit deux fractures, on voit dis-je, ce membre, devenir le siège d'une amyotrophie localisée d'abord dans l'épaule et Tavant- bras, puis se répandant sur les parties symétriques du membre supérieur gauche, épaule et avant-bras, et en dernier lieu apparaissant dans les membres inférieurs elle occupe les cuisses.

Telle a ùté, d'une façon sommaire, l'évolution du mal dont nous pouvons actuellement étudier les efiets. Mais avant d'entrer dans les détails, je dois vous prévenir que l'histoire clinique de notre homme figure déjà dans la science deux fois, comme s'il s'agissait de deux sujets différents. Ainsi,le cas publié dans la Gazette médicale du 7 janvier 1888, par mon interne d'aujour- d'hui, M. Dutil, est, je m'en suis assuré, relatif au même individu que celui dont l'étude, faite par M. le D' Rémond de Metz, a paru récemment dans le Progrès médical {i^ ianyier 1889). Je dois à l'obligeance démon collègue M. Debove^ d'être mis en mesure de vous présenter, actuellement, ce même malade déjà étudié séparément, avec grand soin, par les deux auteurs que je viens de vous citer et dont j'aurai l'avantage de pouvoir utiliser les observa- tions.

Nous avons déjà parlé de l'amaigrissement considérable qu'aux membres inférieurs présentent les jambes par le fait de la paralysie d'enfance ; il sem- ble que les masses musculaires aient en grande partie disparu. La peau qui les couvre,est comme on l'a dit, froide, rugueuse, écailleuse, d'une teinte vio- lacée. Les cuisses présentent relativement un volume assez considérable ; le malade affirme néanmoins que depuis quelque temps elles ont notablement diminué de volume. On voit, surtout le sujet étant debout,toute la masse mus- culaire du triceps et le couturier constamment agités par des secousses fîbril- laires qui s'exagèrent sous l'influence du moindre choc. N..la8, se plaint que, depuis quelque temps, la marche et la station lui sont devenues difficiles. Il descend maintenant les escaliers avec peine. Par moment, les triceps fémo- raux se relâchant, il est menacé de s'affaisser. La station est instable ; il est

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obligé à chaque instant de se tenir aux objets environnants et de changer de place.

Au bras droit, les muscles du moignon de Fépaule sont atrophiés, y compris les sus et sous épineux et le sous-scapulaire. Du deltoïde il semble ne rester presque plus rien, et au travers de ce qui en persiste on arrive à sentir très facilement les surfaces articulaires. Le malade ne peut pas étendre l'avant- bras sur le bras sans s*aider de la pesanteur ; le biceps est très atrophié mais se dessine encore à Tétat de corde sous la peau. L'adduction et Tabduction du bras sont impossibles, il en est de même de Télévation. L'avant-bras est amaigri, mais considérablement moins que le bras ; la supination est impos- sible, la pronation très incomplète. Les muscles de Tépaule et du bras sont agités de tremblements fibrillaires presque incessants. La main parait géné- ralement amaigrie quand on la compare à celle du côté opposé, mais sans prédominance bien marquée sur les éminences thénar et hypothénar.

A gauche même atrophie, seulement moins prononcée, de Tépaule et du bras, mêmes secousses fibrillaires. Le malade peut encore lever ce bras enTair, mais quand il est placé dans Textension, le triceps ne suffit plus à le maintenir et le poing retombe bientôt de tout son poids sur l'épaule. L'avant-bras est beaucoup moins atrophié que celui de l'autre côté. La main paraît à peu près normale.

Telles sont les principales particularités que l'examen des membres nous permet de constater. A la face, pas le moindre signe d'atrophie musculaire : les lèvres ne paraissent pas grosses ni allongées en museau ; siffler est pour le malade chose facile ; les yeux sont ouverts également des deux côtés et se ferment complètement. Il en est de même pour ce qui concerne les muscles du cou ; leur examen ne donne que des résultats négatifs. Au tronc, les pecto- raux ont légèrement diminué de volume eton y voit des secousses fibrillaires. Les autres muscles de la face antérieure du tronc et de l'abdomen ne sem- blent pas altérés. LesmusclcE des gouttières vertébrales et de la masse sacro- lombaire ne semblent pas avoir été atteints ; les muscles fessiers sont également encore assez volumineux.

Aux cuisses, et aux membres supérieurs, les réactions électriques sont d'une façon générale assez peu modifiées, si ce n'est cependant sur la plupart des muscles très atrophiés, les deltoïdes par exemple, la réaction tant gal- vanique que faradique est absolument nulle.

Il importe de relever en terminant ce bref exposé de l'état actuel de notre homme que les réûexes tendineux nuls chez lui aux genoux, se montrent normaux, plutôt faibles, aux membres supérieurs ; qu'il n'existe en aucun point du corps, à parties fourmillements dont il a été question, aucun trouble permanent de la sensibilité cutanée ou profonde; pas d'anesthésie cutanée, en particulier, pas de thermoanesthésie. Aucune modification pupillaire.

D'après ce qui précède, vous voyez que la maladie qui s'est manifestée pour

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la première fois chez notre homme il y a un peu plus de quatre ans, peut être appelée sommairement du nom d'amyotrophie progressive. Mais de quel genre d'atrophie musculaire à marche progressive s'agit-il ici ? L*affection myopathique est-elle la conséquence d'une lésion primitivement développée dans la moelle épinière, ou est-elle, au contraire, primitive elle-même et indépendante de toute lésion des centres nerveux? Après quoi, la myopathie étant classée, catégorisée, il nous faudra encore rechercher si elle se rattache vraiment par une relation quelconque à la lésion spinale datant de Tenfance. Ce sont là, vous le savez, les questions dont nous devons nous appliquer maintenant à chercher la solution.

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Mais^au préalable, je crois utile devons remettre en mémoire l'arrangement que j'ai proposé d'adopter dans le temps, pour classer les diverses formes d*atrophie musculaire à évolution progressive.

A. Le grand groupe des amyotrophies spinales chroniques progressives^ comme je Tai appelé, comprend des affections diverses autrefois confondues sous la dénomination commune d'atrophie musculaire progressive. C'est, vous le savez, Tanatomie pathologique surtout qui a permis d'établir qu'il ne s'agit pas d'un groupe homogène. En effet les lésions qu'on peut rencontrer dans les cas qui portent en clinique cette dénomination d'atrophie musculaire progressive, sont très variées. Elles ont toutefois, en commun, un trait par- ticulier qui constitue, pour ainsi dire, le caractère anatomique fondamental du groupe. C'est la lésion des cornes antérieures de substance grise et, plus explicitement, l'altération alrophique des cellules motrices de la région.

a). Une première catégorie à distinguer dans ce groupe, comprend les cas qui répondent cliniquement au type décrit parCruveilhieretsurtoutDuchenne, de Boulogne et Aran (type Duchenne-Aran); ils sont caractérisés anatomique- ment par une lésion exactement, systématiquement, limitée aux régions anté- rieures de la substance grise et laissant parfaitement indemnes tous les autres départements de la moelle épinière, substance blanche et substance grise. J'ai proposé d'appliquer à ce type d'amyotrophie spinale la qualification deprotopathique. Sa constitution qui, je le répète, reproduit en quelque sorte dans le mode clironicpio, la paralysie spinale infantile, est relativement fort simple. Ainsi l'élément anatomo-pathologique est représenté : dans la moelle par une lésion systématiijucmcnt limitée aux cornes grises antérieures; l'altération des grandes cellules nerveuses étant d'ailleurs une condition nécessaire, sine qua non, et parfois la seule lésion appréciable ; dans les

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racines motrices et les nerfs moteurs, par une atrophie, conséquence de la lésion spinale; 3* enfin dans les muscles par des lésions trophi(|ues également consécutives à l'altération des cornes antérieures et d'où procède à propre- ment parler toute la symptomatologie de l'affection.

6). Les choses sont plus compliquées dans une seconde catégorie d'amyo- trophies spinales chroniques que, par opposition à la précédente, je désignerai sous le nom de deutér apathiques. Ici, en eff'et, la lésion des cornes antérieures etdescellules nerveuses est nécessairement présente aussi, mais elle n'est qu'un fait de seconde date, consécutif. La lésion originelle siège encore dans la moelle épinière, mais elle s'est développée primitivement en dehors de la substance grise ; ce n'est que secondairement, par extension, que celle-ci a été à son tour envahie. A la vérité,lorsque cet envahissement s'est opéré, la même série de phé- nomènes et, en particulier, Tatrophie progressive des muscles se manifeste ; tou- tefois, on le comprend, ces symptômes amyotrophiques se trouveront en quel- que sorte surajoutés, dans la clinique, à ceux de la maladie spinale primitive.

On comprend aisément combien l'ensemble symptomatique résultant de ces diverses combinaisons, pourra se montrer complexe et variable, car, de fait, il n'est peut-être pas une lésion élémentaire chronique de la moelle épi- nière qui ne soit susceptible, à un moment donné de son évolution, de s'étendre à la substance grise antérieure et d'y déterminer l'atrophie des cellules mo- trices. Parmi les diverses affections qui peuvent venir figurer dans cette classe des amyotrophies spinales deutéropathiques, je signalais la pachy méningite cervicale hypertrophique, la sclérose tabétique des faisceaux postérieurs, divers types de myélite centrale spontanée ou traumatique, Thydromyélie ou syrin- gomyélie, certaines tumeurs intraspinales, la sclérose en plaques et enfin la maladie que j'ai désignée sous le nom de sclérose latérale amyotrophique.

Aujourd'hui, après l'épreuve du temps, je ne vois vraiment rien d'essentiel à changer, dans tout ce qui précède.

B. Un second groupe fondamental doit comprendre les cas dans lesquels une myopathie généralisée à marche progressive se développe indépendam- ment de toute lésion de la moelle épinière et, le plus souvent aussi, des nerfs périphériques (i). Autrefois je n'avais à citer, comme exemple du genre, que la paralysie dite pseudo-hypertrophique, laquelle peut évoluer, on le sait bien

i. Leçons sur les maladies du système nerveux etc. t. II. Voir onzième leçon, p. 213 et quatorzième leçon p. 283.

Je ne puis me dispenser de tous entretenir... de certaines amyotrophies qui ne relèvent pas « d*une lésion spinale et qui sont susceptibles cependant... de se généraliser et d'affecter une « marche progressive. Parmi les amyotrophies de ce groupe, je citerai seulement à titre « d'exemple, la maladie dite paralysie pseudo-hypertrophique... Je me propose de montrer qu'en « matière d'amyotrophie progressive, Û faut se garder de céder à Tenvie de tout expliquer par la « lésion des cornes spinales antérieures.Cette lésion a son domaine pathogénique, fort vaste déjà, « U ne faut pas retendre k l'excès si Ton ne veut pas courir le risque de tout compromettre ».

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aujourd'hui, sans qu'il y ait apparence d'hypertrophie, et même se montrer constamment marquée par une atrophie manifeste de la plupart des muscles affectés. Les travaux de MM. Erb, Landouzy et Déjerine et quelques autres ont récemment étendu singulièrement les limites du groupe. Celui-ci, en effet, doit embrasser aujourd'hui, en outre de la paralysie myosclérosique de Duchenne, non pas comme espèces distinctes à mon avis, mais bien comme formes cliniques intéressantes à considérer séparément, le type juvénile d*Erb et le typ3 Duchenne-Landouzy-Déjérine. La dénomination d'amyotro- phies ou, si vous voulez, de myopathies primitives, par opposition à celles qui méritent le nom de spinales, convient pour désigner cette classe.

A quel groupe, à quel genre, à quelle espèce appartient Tamyotrophie observée dans notre cas? C'est ce qu'il nous faut examiner maintenant. A pre- mière vue et sans y regarder de plus près, la localisation de l'atrophie dans les muscles des épaules et des bras, les avant-bras et les mains étant relati- vement préservés, de manière à figurer ce qu'on appelle en myopathologie le Type scapuh'humeral, conduirait à la rattacher au gi^oupe des myopathies primitives, ce type est en quelque sorte classique. Mais en examinant les choses attentivement, on voit se présenter un certain nombre de faits, consti- tuant autant d'arguments qui ne permettent pas de s'arrêter à cette solution. Contre elle, on peut faire valoir en premier lieu l'existence, chez notre sujet, de secousses fibrillaires très intenses et généralisées à tous les muscles atrophiés ou en voie d'atrophie. Or, pareille chose ne se voit dans aucune des formes de la myopathie primitive. Dans celle-ci, les secousses fibrillaires sont éminemment rares, très discrètes en tout cas, et quelques auteurs même, peut-être à la vérité vont-ils trop loin prétendent que leur absence est pour la myopa- thie primitive, un caractère absolu. Peu nous importe, du reste; les secousses en question sont dans notre cas, je le répète, on ne peut plus accentuées; et à ce degré, on peut l'affirmer, on ne les rencontre que dans les amyotrophies de cause spinale.

Un autre point à relever chez N...las, c'est l'intégrité absolue des muscla de la face ; tandis que, comme on sait, chez les myopathiques du type Lan- douzy-Déjerine une atrophie de certains muscles faciaux amenant la gêne des mouvements des lèvres, et faisant obstacle à Tocclusion complète des pau- pières, est en quelque sorte la règle. Il ne faut pas oublier non plus que la myopathie primitive est, sauf de trèsraresexceptions,unemaladie infantileou pour le moins juvénile; or, vous savez que notre malade n'a vu apparaître les premiers symptômes de l'amyotrophie progressive qu'à l'âge de trente-six ans. Enfin, la constatation chez lui de laréaction électrique de dégénérescence dans quelques-uns des muscles les plus profondément lésés, ainsi que la participa- tion à l'atrophie des sus et sous-épineux, sous-scapulaires et des fléchisseurs de l'avant-bras, peuvent être cités encore comme autant de caractères qui n'appartiennent pas au groupe myopalhique.

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Pour mieux accuser le contraste j'ai fait placer à côté de N...las, un nommé C.nat, chevrier de sa profession, qui présente les sympt<^me8 classi- ques de la myopathie primitive. Le premier signe qui l'ait frappé est qu'il ne pouvait plus siffler ses chèvres ; ce sont donc les muscles de la face qui ont été pris en premier. Aujourd'hui, l'atrophie porte sur les muscles des épaules et des bras^ et elle s'y montre à un haut degré : type scapulo-huméral. Il est à remarquer que les sus, sous-épineux, sous-scapulaire ainsi que les fléchis- seurs de Tavant-bras sont parfaitement conservés; il en est de même des mus- cles de la main et de l'avant-bras; l'examen le plus attentif ne fait recon- naître sur les muscles afiectés, aucune trace de secousses fibrillaires. Vous le voyez, les analogies entre les deux cas sont superficielles^ elles ne portent pas sur le fonds.

C'est donc en résumé parmi les amyotrophies de cause spinale qu'il faut ranger le cas de notre homme. Mais ici,il y a dcF distinctions à établir. S'agît- il de l'une des formes quelconques des amyolro, hies spinales deutéropathi- ques? Evidemment non. En effet, les difl'érenteG afiections spinales, tabès syringomyélie, sclérose en plaques^ etc., etc.,— -qui, comme nous le rappelions il n'y a qu'un instant, peuvent accidentellement envahir les cornes anté- rieures de substance grise et produire en conséquence l'amyotrophie, sont mises hors de cause par ce seul fait, que les complexus symptomatiques qui leur appartiennent en propre, font ici complètement défaut. La sclérose latérale amyotrophique elle-même, à laquelle il est naturel de songer toutes les fois qu'il se présente une atrophie musculaire à. marche progressive, non accompagnée de troubles marqués de la sensibilité, doit être immédiatement écartée. Nous avons en effet relevé avec soin chez notre malade l'absence de contractures, de rigidité musculaire et aussi d'une exagération même minime des réflexes tendineux ; nous aurions pu vous faire remarquer en outre qu'on ne rencontre chez lui aucune trace de la lésion bulbaire, qui, plus de trois ans après le début des symptômes d'amyotrophie dans les membres, ne manque- rait pas d'exister, ne fût-ce qu'à l'état rudimentaire, s'il s'agissait véritable- ment delà sclérose latérale amyotrophique.

En conséquence de ces éliminations successives, notre cas se trouve tout naturellement classé, vous l'avez compris, dans la catégorie des amyotrophies spinales protopathiques. Ici, je vous le rappelle, la lésion spinale d'où procède l'atrophie musculaire est systématiquement localisée dans les colonnes anté- rieures de substance grise, sans participation aucune, soit des cornes posté- rieures ou des commissures, soitdes faisceaux blancs, tandis que, cliniquement, le tableau symptomatique répond à ce que j'ai proposé d'appeler du nom de type Aran-Duchenne : marche lente de l'amyotrophie progressive, absence de troubles permanents de la sensibilité, pas d'exagération des réflexes tendi- neux ; participation bulbaire non constante, toujours très tardive en tout cas ; secousses fibrillaires en général très accusées ; absence de rigidité muscu-

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lairedanslcs membres, et àplus forte raison de contractures, etc.^etc. ; c'est bien Tenscmblo des faits que nous a révélés Texamen. de notre homme. Il est cependant un point par lequel la symptomatologie s'éloigne chez lui de la règle : c'est que Tamyotrophie s'est d'abord localisée sur les épaules et les Jbras, tandis que dans les cas classiques du type Duchenne-Aran, c'est géné- ralement par les muscles des éminences thénar, hypothénar et de Tavant- bras que le début s'opère. Mais on ne saurait voir là, évidemment, qu'une -anomalie d'ordre secondaire ; et d'ailleurs, s'il est vrai que le type scapulo- huméral appartienne à la caractéristique de la myopathie primitive, il n'est pas sans exemple, cependant, ainsi que Vulpian l'a montré, qu'on le rencon- tre,.par exception à la vérité, dans Tamyotrophie spinale protopathique.

IV

Il ne nous reste plus désormais qu'une question à toucher. La iephro- myélite antérieure chronique développée chez notre malade à Tâge de trente-six ans, a-t-cUe une relation quelconque avec la tephro-myélite anté- rieure aiguë qu'il a subie dans l'enfance, à l'âge de deux ans, c'est-à-dire trente-quatre ans auparavant; et si cette relation existe réellement, en quoi consiste-t-elle?

Je crois, Messieurs, que la relation existe en effet, et, en faveur de Topinion que je soutiens, je ferai valoir que les cas semblables au nôtre, c'est- à-dire dans lesquels une amyotrophie progressive survient chez des indi- vidus qui dixi quinze, vingt ans auparavant ont été atteints de paralysie infantile spinale, ne sont pas tout à fait rares et qu'ils constituent déjà en noso- graphie un groupe cohérent, c'est-à-dire dont tous les composants présentent en quelque soiie un air de famille. Plus haut je vous ai dit, et je maintiens l'assertion, que la paralysie atrophique infantile ne récidive point, à propre- ment parler. Cela est vrai, Messieurs, en tant qu elle ne se reproduit pas sous forme de tephro-myélite antérieure aiguë. Mais, par contre, chez les sujets qui portent en eux les reliquats ineffaçables de la lésion spinale infantile, il n'est pas très rare, je le répète, de voir se manifester à échéance plus ou moins longue, des symptômes de tephro-myélite qui évoluent cette fois, tantôt sous la forme subaiguë ainsi que MM. Landouzy et Dejérine en ont fourni un exemple intéressant, suivi d'autopsie ; tantôt, plus fréquemment, sous la forme chronique. Ainsi, vous le voyez, l'existence passée d'une tephro-myélite antérieure survenue dans l'enfance, semble constituer, en quelque sorte, une prédisposition au développement ultérieur de la forme subaiguë et plus parti- culièrement de la forme chronique de la lésion systématique des cornes anté- rieures de substance grise. Ce sont, vous l'avez compris, les faits du dernier genre, ceux il s'agit de la tephro-myélite antérieure chronique, qui, en

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raison de l'étroite analogie qui les rattache au nôtre, nous intéressent plus particulièrement. Leur histoire se trouve tracée tout au long dans un intéres- sant mémoire de MM. Ballet et Dutil, publié en 1884 dans la Revue de méde- cine, sous ce titre significatif : « De quelques accidents spinaux déterminés par la présence^ dans la moelley d'un ancien foyer de myélite infantile (1). »

Je vous renvoie pour les détails à ce travail et je me bornerai ici à vous dire d'une façon générale et sommaire ce qui est commun aux cas qui y sont étudiés. En général, le début de Tamyotrophie chronique s'est fait dix, quinze, vingt ans après Tépoque a sévi la paralysie de l'enfance. plus souvent, ce sontles membres inférieurs qui ontété le siège primitif de l'atrophie progressive ; mais il existe un certain nombre d'observations Ton voit, comme cela s'est produit chez N...las, les membres supérieurs pris les premiers, (jonformément à ce qui est la règle dans le type Aran-Duchenne, les muscles des éminences thénar et hypothénar, sont, en tant qu'il s'agit des membres supérieurs, atteints en premier lieu ; mais plusieurs fois, ainsi que cela a eu lieu chez notre malade, c'est la localisation scapulo-humérale qui s'est pré* sentée tout d'abord. Plusieurs fois, on a relevé avec soin Texistence de se- cousses fibrillaires, et l'absence des troubles delà sensibilité. Enfinje ne vois pas qu'il y ait dans ce groupe d'exemples d'une rétrocession, voire même d'un temps d'arrêt dans l'évolution des symptômes amyotrophiques.

Vous le voyez, sur tous les points essentiels, notre cas se confond avec ceux qui composent le groupe dont nous venons d'indiquer les principaux carac- tères ; car on ' ne saurait vraiment considérer comme constituant une diffé- rence capitale ce fait que, chez notre homme, l'apparition de l'amyotrophie a été plus tardive que chez les autres sujets. Il n'y a en définitive qu'une question du plus au moins.

La conclusion de tout ceci doit être, si je ne me trompe, que, contrairement à une opinion assez généralement répandue, les individus qui ont subi autre- fois les atteintes de la paralysie infantile spinale, ne sont pas pour cela à l'abri de manifestations spinales nouvelles^ se produisant à une époque plus ou moins avancée de leur existence ; et, du même coup, il y a lieu de relever que parmi ces manifestations, les plus habituelles, les plus classiques, si l'on peut ainsi parler, ont avec la paralysie infantile un trait commun : c'est que, comme dans celle-ci, le substratum anatomique consiste en une lésion systé- matiquement localisée dans les cornes antérieures de la substance grise. Il y y a cette différence, toutefois, que dans la maladie d'enfance, la lésion évolue constamment suivant le mode aigu, tandis que c'est le mode chronique qu'elle affectera au contraire, dans la maladie de l'adulte.

1. Voir sur le même sujet, E. Thomas. De t atrophie musculaire progressive^ consécutive à la paralysie infantile, Thèse de Oenève 1886. Sattler. Contribution à Cétude clinique de quelques accidents spinaux consécutifs à la tephromyélite antérieure aiguë, Thèse de Pariii,1888'.

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li parait bien difficile, après ce qui vient d^étre exposé, de ne pas reconnaître que l'apparition successive chez un même sujet, dans les circonstances indi- quées plus haut, de i'amyotrophie spinale infantile d'abord, puis de Famyo- trophie de l'adulte^ ne saurait être le fait d'une coïncidence purement fortuite. Il y a, à n*en pas douter, un lien causal qui rattache d'une façon quelconque les deux événements pathologiques Tun à l'autre : il est possible que raffection la plus récente procède directement de la plus ancienne suivant les lois d*un mécanisme qu'il s'agira de déterminer ; il est possible aussi que Tune et l'autre relèvent au contraire, séparément, d'une cause commune capable de mani- fester son inûuence, suivant l'époque de la vie, par des effets différents. A laquelle des deux hypothèses faudra-t-il s'arrêter ? C'est ce qu'il s'agit d'exa- miner maintenant.

A propos d'un cas recueilli dans mon service en i872parM. Raymond, alors mon interne, et communiqué par lui à la Société de biologie vers la même époque, j'ai émis le premier peut-être Topinion que les lésions cicatricielles des cornes antérieures que laisse après elle la tephro-myélite aiguë de Ten- fance, représentaient des foyers mal éteints, pouvant se rallumer sous de cer- taines influences et propager ensuite l'inflammation aux parties avoisinantes de la moelle épiniëre. Cette théorie peut sans doute s'adapter légitimement à Tin- terprétation de certaines observations dans lesquelles,la tephro-myélite infantile ayant définitivement paralysé un membre, on voit, longtemps après, le membre du côté opposé se prendre à son tour lentement et s'atrophier. Dans ces obser- vations, la paralysie atrophique de nouvelle formation est restée localisée dans le membre qu'elle a envahi, ainsi que cela a eu lieu justement dans l'ob- servation de M. Raymond ; elle parait n'avoir pas eu de tendance à se géné- raliser. Mais cette théorie « de l'épine morbide > me paraît tout à fait inac- ceptable, au moins comme élément principal, lorsqu'il s'agit du cas que nous considérons particulièrement en ce moment. I'amyotrophie progressive répond, ainsi que nous l'avons dit, au type Duchenne-Aran, et suppose, par conséquent, une lésion systématiquement limitée aux cornes antérieures spi- nales. Or, il serait impossible, de comprendre qu'une lésion développée, en quelque sorte accidentellement, autour d'un foyer circonscrit, et propagée par la voie diffuse des éléments de la névroglie, au hasard des circonstances^ puisse se conformer à une localisation aussi étroite et ne pas se répandre, çà et là, sur la substance grise postérieure et les faisceaux blancs. Il est bienplus vraisemblable que le système des cellules motrices est dans la tephromyélite antérieure chronique, conmie il l'avait été autrefois dans la tephromyélite antérieure aiguë, le premier siège du travail morbide (1). C'est au voisinage

i. Conrormémcal à Topinion que M. Charcol a soutenue dès Torigine, M. John Rissier dans un travail fort intéressant, fait sous la direction du P' Wising, a montré qu'une altération primitivement développée dans les cellules ganglionnaires est le point de départ des lésioos de la paralysie infantile spinale. (Nord. med. Arkiv. Stockholm 1889. Bd. XX 22.)

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immédiat de ces éléments histologiques et en conséquence de « l'irritation » qu'ils lui transmettent, que la névroglie des cornes antérieures vient à son U)ur, secondairement, prendre part au processus morbide. Chez les sujets prédisposés, probablement par hérédité névropathique, à contracter successi- vement, dans Tenfance, la tephromyélite antérieure aiguë, puis dans un âge plus ou moins avancé, la tephromyélite antérieure chronique, il y aurait lieu, d'après ce qui précède, d'admettre Texistence d'une sorte de vulnéraôilité native du système des cellules motrices , vulnérabilité que les causes provo- catrices mettraient en jeu, tantôt sous la forme d'un processus aigu, tantôt sous celle d*un processus chronique, suivant les circonstances. Si cela est, dans les cas que nous considérons ici et parmi lesquels figure notre malade, la myélite aiguë de l'enfance, et la myopathie progressive survenue par la suite, représenteraient en quelque sorte deux épisodes logiquement enchaînés d'une même histoire pathologique.

C'en est assez sur la théorie, considérons maintenant le côté pratique. Je n'ose pas vous dire que nous soyons en mesure, soit par l'application de l'électrisation méthodique, soit par l'application répétée de révulsifs sur la région spinale, ou par tout autre moyen, d'arrêter la marche fatalement progressive de la myopathie. A cela, je vous l'avouerai, je ne crois guère. Mais je crois que nous pouvons compter pour le moins sur l'évolution lente et marquée parfois par des temps de répit, qui caractérise le type Duchenne-Aran. Certes il n'en serait pas de même si l'affection des muscles se rattachait à la sclérose latérale amyotrophique.Dans celle-cî, vous le savez, la terminaison fatale, annoncée par l'invasion des symptômes bulbaires ne se fait pas attendre plus de trois, quatre, cinq ans, rarement plus. Il n'était pas inutile, je crois, de nous arrêter un instant sur le diagnostic de ces deux espèces morbides que rapprochent des analogies symp- tomatiques lesquelles pendant longtemps les ont fait confondre l'une avec Tautre, mais dont le pronostic, quoad vitam^ en somme, est si différent.

Malade (1).

Vous avez devant vous un malade qui présente trois éléments nosographi- ques superposés, combinés, mais qui ne se confondent pas. Ils vivent là, sé-

1. Cette partie de U leçon a été recueillie par M. Dutil, interne dans le service de U Clinique.

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parés, chacun pour son compte. Le premier de ces éléments est TÉpilepsie vraie, le mal comitial; le second, c'est THystéro-épilepsie à crises mixtes ou Grande Hystérie, et le troisième enfm est une névrose artificielle que le ma- lade a créée lui-même, une névrose toxique, la Morphinomanie.

Il est clair que de cet assemblage d'espèces morbides résulte un état com- plexe, une confusion de symptômes qui au premier abord paraît inextricable. Cependant, je crois pouvoir vous dire qu'à l'aide de l'analyse clinique nous serons à même de séparer ces éléments et de vous montrer comment ils se sont développés côte à côte, sans s'altérer mutuellement, sans s'influencer le moins du monde. C'est là, vous le savez, un genre de problème que nous aimons à aborder. C'est de la pure clinique après tout. Le rôle du clinicien, n'est-il pas de s'attacher aux choses telles qu'elles se présentent dans la na- ture et de les simplifier, si c'est possible, sans les altérer? Mais, je dois d'abord vous présenter notre malade.

C'est, vous le voyez, un homme plutôt vigoureux d'apparence. Il se nomme Gu..aud, et est âgé de 24 ans. 11 exerce la profession de chaudronnier. Il est pâle, il a les yeux hagards, l'air triste et morne. Il a ses raisons pour cela; n'oubliez pas qu'il est morphinomane. Ses antécédents héréditaires sont-ils intéressants à signaler? L'hérédité vous dira presque tout. C'est en quelque sorte dans un drame de famille que nous allons entrer.

Du côté paternel, il a un oncle aliéné qui est interné dans un asile. Son père est tuberculeux.

Sa mère se mord la langue, elle a des attaques qu'on peut considérer com- me des attaques d'épilepsie. Une de ses sœurs est épileptique, comme lui.

Voilà certes un tableau de famille charge de tares névropathiques gravest

COTE PATERNEL

Oncle, aliéné A Tasilo (rAnjrors

Sœur 0

PèiiE Tuberculeux

Sœur Épileptique

Père de mère, nerveux COTÉ MATERNEL

Mkre

Épilepsie Se mord la langue

Notre malade

Hystérique et Epileptique

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Venons à son histoire personnelle. Il avait 7 ans à peine lorsqu'il commen- ça à avoir des attaques qui déjà présentaient les caractères très significatifs qu'elles ont encore aujourd'hui. C'est toujours la nuit qu'elles survenaient vers deux ou trois heures du matin. Dans ces attaques, qui ne laissaient d'ailleurs dans l'esprit du malade aucune espèce de souvenir, il se mordait la langue et urinait au lit. C'était le mal comitial dans toute sa pureté terrible. Les accès étaient nombreux ; il en avait deux ou trois par semaine. Les cho- ses allèrent ainsi, avec quelques améliorations momentanées produites par l'emploi du bromure, jusqu'à l'âge de vingt ans. Survient alors une fièvre typhoïde d*une extrême gravité. Pendant la convalescence, divers accidents se sont produits sur lesquels nous reviendrons plus tard. Je signalerai seule- ment pour le moment un certain état mélancolique qui persista longtemps.

Au sortir de cette fièvre typhoïde, les accès convulsifs reparaissent avec une intensité nouvelle, présentant toujours les mêmes caractères. S'il fallait une autre preuve pour vous démontrer que c'est bien d'épilepsie qu'il s'a^s- sait, je m'adresserais à certaines recherches faites par M. Lépine d'abord, puis par M. Mairet, de Montpellier et qui ont été reprises ici dans mon ser- vice par MM. Gilles de la Tourette et Cathelineau. 11 y a longtemps qu'on a constaté chez les épileptiques une certaine élévation de température à la suite des accès. Il était donc intéressant de savoir ce que donnerait l'ana- lyse des urines ; or, on est arrivé à reconnaître que les accès étaient suivis d'un accroissement de la quantité de Turée. Un homme urine, par exemple, 25 grammes d'urée; après une attaque on en trouve 30 ou 35 grammes : il y a donc une élévation du taux de l'urée qui semble coïncider avec l'élévation de la température. De même la quantité des phosphates terreux et alcalins s'accroît, tandis que le rapport des phosphates terreux vis-à-vis des phospha- tes alcalins reste dans les conditions normales. Ces données ont un grand intérêt au point de vue de la théorie et aussi au point de vue du diagnostic. Elles constituent, en quelque sorte les caractères chimiques de l'épilcpsie.

Eh bien, notre malade qui donne en moyenne 21 gramnes d'urée à 1 état normal, fournit 35 grammes d'urée et 2 grammes de phosphate, le jour d'une attaque.

Il est donc épileptique et voilà dûment constaté, chez notre malade, le premier élément nosographique auquel sont venus s'ajouter l'Hystéro-épilep- sie et la Morphinomanie.

II

En procédant à un examen méthodique de notre sujet, nous avons reconnu chez lui l'existence d'une anestbésie cutanée complète, qui embrasse toute

l'étendue du corps, à l'exception de la plante des pieds la sensibilité est seulement émouasée, et de la région sous-ombilicale l'on constate une hypérestbésie particulière dont nous reparlerons parce qu'elle oïEre on

u tr'néra'is*e pour le conUcl, In douli-iip, le nhïud cl le fnilil. 6. riaquB liyp/'vcsIhÉsiquc son» ombilicale. c. Foinli hysti-ronf'nes.

très grand întérûl au point de vue du diagnostic. Je tiens i vous montrer jus- qu'àquei point cette anesthésie est pail'uite. Vous voyez qu'on peut traverser

la peau du malade de part en part avec uneaiguîlEe, promener un bloc de glace & la surface du dos sans qu'il tressaille le moins du monde. Il ne sent ni le conlact, ni la douleur, ni la température. Cette ampoule que vou:4 apercevez sur son épaule a été produite hier par le contact de la plaque métallique du

thermomètre de surface qu'on avait trop chauffée et il ne s'en est nullement aperçu. Le sens musculair<i est également affecté chez lui, mais pas d'une façon complète, Cette anesfhésie est évidemment de nature hystérique. Quelle est la maladie or^^anique qui pourrait produire une pareille insensibilité?

Si nous examinons les choses de plus près, nous trouvons que le goAt, l'odorat sont perdus, que l'ouïe est obnubilée, qu'il ya unrélrécissementeon- centrique permanent, très prononcé du champ visuel (voir le schéma fig. 84). Tout cela est encore hystérique. Un neuropathologiste fort distingué de Ber- lin, H. Oppenheim, a émis l'opinion qu'on ne pouvait pas se servir du rétn^- cissement du champ visuel pour distinguer l'hystérie de l'épilepsie, parce qu'il se rencontrait chez les épileptiques. Ouij sans doute, le rétrécissement du champ visuel se retrouve dans l'épilepsie, et nous le savons bien, comme phénomène transitoire après l'attaque. 11 peut même se rencontrer à l'état permanent dans l'épilepsie. Sur 74 épileptiques que nous avons examinés l'année dernière, à ce point de vue, avec le concours de H. Parinaud, nous en avons trouvé 11 qui le présentaient. Mais en même temps nous avons trouvé chez ceux-là des pointshys- térogènes, des attaques d'hystéro-épilepsie ou des équivalents de ces attaques; par conséquent, il s'agissait d'une combinaison des deux névroses et non

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d*autre chose. Lorsque vous constatez, comme nous Tavons fait plusieurs fois, une hémianesthésie et des stigmates chez un individu atteint de sclérose en plaques, ou chez un myopathique, direz-vous que c'est la sclérose en plaques ou la myopathie progressive qui en sont la cause? Mais non, rhystérie, sachez- le bien, peut se combiner, s'associer avec une foule d'autres affections et en particulier avec Tépilepsie. Eh bien, chez ce malade, nous n'avons pas seule- ment les stigmates de Thystérie, nous en avons aussi les attaques. Je vous ai montré qu'il était insensible partout, excepté sur le ventre, au-dessous de l'ombilic. 11 y a deux choses à considérer: la région qui est tout entière hypéresthésique et deux plaques hystérogènes (voir le schéma fig. 8i). Si je presse sur ces deux points, vous voyez les yeux du malade devenir fixes, hagards, et si vous l'interrogez en ce moment précis, il vous répond: < Cela monte, j'ai de la pression dans l'estomac, je ne puis plus respirer, j'ai mal à la tête, cela me serre le front ; j'ai des bruits d'oreilles. » Si on insistait on lai donnerait une attaque. Mais quelle attaque lui donnerai t-t-on? Assurément pas une attaque d*épilepsie. En résumé, nous avons ici des stigmates très accentués,des points hystérogènes,dont la pression détermine la production de Vaura, Ce malade n'aurait point d'attaques convulsives que cela nous suffirait, remarquez-le bien, pour dire : c'est un épileptique qui a quelque chose de plus que son épilepsie; il a deThystérie. Mais il a, je le répète, des attaques d^hys- térie qui surviennent spontanément et de ces attaques voici la description :

C'est au sortir de sa fièvre typhoïde qu'il est tombé dans la grande hystérie; c'est alors que sont apparues cette anesthésie, ces douleurs de ventre, ces crises qu'il ne connaissait pas auparavant. En quoi consistent-elles, en quoi diffèrent-elles des crises épileptiques? Le malade les a distinguées lui-même. Il les appelle ses crises de jour. Je lui ai demandé comment nlles étaient faites et voici ce qu'il m'a répondu : Ce sont des crises qui commencent par quelque chose qui me part du ventre, de l'estomac et qui me remonte à la tête. J'ai le temps de me garer: c'est absolument ce que vous m'avez fait Tautre jour... > Un jour je lui ai fait cette pression sur l'abdomen dont vous venez de voir reflet. Il a reconnu son awra et il a manifesté le désir de se coucher. Poursui- vant sa description, le malade nous a appris que ces crises-là sont très fortes en ce sens qu'il se débat énormément, qu'il faut deux ou trois personnes pour le tenir, tandis que dans les crises qui viennent la nuit, il n'est jamais tombé de son lit; qu'enfin, il ne se mord pas la langue et n'urine pas sous lui comme il le fait dans ses crises de nuit. Ce sont bien là, si je ne m'abuse, des attaques d'hystérie. Il y a encore un autre caractère qui nous manque et dont je vous parlerai tout à Theure. Je voudrais auparavant, puisque l'occasion s'en pré- sente, vous rappeler la grande différence qui existe suivant moi, dans la forme^ comme d'ailleurs dans le fond, entre l'attaque d'épilepsie et l'attaque d'hystéro-épilepsie.

Mon respect pour la tradition m'a fait jadis maintenir cette dénomination

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d'hystéro-épilepsie; mais elle me gène fort, je vousTavoue, car elle estabsurde. Voilà un malade qui est sous le coup de deux afiections foncièrement diffé* rentes, et elles portent le même nom. Il n'y a pas le moindre rapport entre Tépilepsie et Thystéro-épilepsie même à crises mixtes. Ce qu'on doit dire de cet homme, c'est qu'il est à la fois hystérique et épileptique. C'est une erreur de dire qu'il est hystéro-épileptique, si l'on prend la signification du terme au pied de la lettre. A ses crises de jour, qui sont des attaques de grande hys- térie, Tépilepsie, le mal comitial, ne prend aucune part; et inversement, l'hystérie n'intervient d'aucune façon dans ses crises de nuit : pendant le sommeil de la nuit, vers trois heures du matin, je suppose, le voilà qui tout à coup se raidit, ses yeux sont hagards, convulsés, il se mord la langue, puis il se met à ronfler; cela dure un certain temps et c'est fini. Voilà l'ac- cès d'épilepsie dans sa simplicité .

L'attaque d'hystéro-e'pilepsie n'est pas faite comme cela. J'en ai bien souvent redit ici les caractères et retracé les phases. Cette fois, pour ne pasme répéter, je vais prendre une description très fidèle, très artistique, parfaite en un mot, qui nous vient d'Allemagne. Je l'ai trouvée dans la Gazette hebdomabaire de Berlin; elle est accompagnée de dessins onne peut plus fidèles et significatifs ; ils sont la reproduction de photographies instantanées représentant un homme en proie à une attaque d'hystéro-épilepsie. (1).

L'auteur est un chirurgien major assisté dans l'observation d'un médecin attaché à la clinique d'Heidelberg, et le sujet un grenadier de l'armée alle- mande âgé de 23 ans, en garnison à Carlsruhe. L'hystérie mâle n'est donc pas vous le voyez, comme on l'a donné à entendre, un produit de nationalité ex- clusivement française. J'ai dit ici un jour, en plaisantant, que je serais enchanté de voir constater l'hystérie chez un cuirassier prussien. Eh bien voilà un grenadier allemand qui est hystérique. On en trouvera, j'en suis convaincu, dans toutes les armées du monde. Voici l'histoire : Ce grenadier avait désiré ardemment assister aux obsèques de je ne sais quel duc ; on le retint à la caserne et ce fut là, pense-t-on, la cause occasionnelle de sa ma- ladie. Il tombe en attaque ; on le transporte au lazaret; les médecins étudient avec beaucoup de talent et une grande sincérité d'observation tout ce qui se passe et photographient toutes les attitudes du malade

Dans la première phase le sujet a les yeux fixes, c'est l'aura ; l'attaque va commencer. Que se passe-t-il? Il a malà la tète, il entend des bruits dans les oreilles etc. C'est la reproduction à peu près exacte de ma description dans le premier volume de mes leçons, qui date de 1872.

La première phase, disent ces messieurs, ressemble tellement à l'épilepsie,

1. Oberstabartz D' Andrée in KarUrùhe und D' Knoblaucb Asiistcnt an der psycbittriscben Klinik in Heidelberg : Ueber einen Fall von Bysiero-Epilepsie bei einem Manne, In Berliner klin. Wochenschrifl. N* 10, 11 mars 1889, p. 204.

qu'il n'y a pas de différence apparente. Voilà l'origine de cette dénômina Uon d'hystéro-épilepsie. Le malade se comporte comme un épileptique, en ce

sens qu'il présente une période de convulsiuns toniques puis de convulsions cloniques, mais il en diffère en général par quelques points ; habituel- lement, il ne se mord pas la langue et n'urine pas, et si l'on intervient violemment par des rris, ou bien en comprimant certaines zdnes. l'attaque

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s'arrête, tandis qu'on n'arrête jamais l'accès d'épilepsie vraie par desprocédés de ce genre. En un mot ainsi que je l'ai depuis bien longtemps proclamé, l'épilepsie n'est que dans la forme.

Dans une seconde phase, le sujet s'agite, se tord dans tous les sens, fait de grands mouvements de salutation, s'arc-boute de manière à former l'arc de cercle ouvert en avant (Emprosthonos). C'est la phase des gi^ands mou- vements j des contorsions ou encore du clownisme, que nous avons si souvent décrite. Fig. 85, 86, 87.

F\g. 87. Arc de cercle. Emprosthotonos.

Voici enfin la troisième période, celle des attitudes passionnelles^ comme je rappelle. Celles-ci sont dirigées en quelque sorte par des hallucinations dont elles représentent la formule motrice. En bon militaire qu'il est, le sujet tire des coups de fusil, s'escrime à coups de baïonnette contre un ennemi ima- ginaire; après cela, il menace du poing, prend l'attitude du crucifiement, etc. Bientôt, l'attaque se termine, et, après un moment de calme, il s'en produit une seconde, une troisième etc. semblables en tout à la première. En général, les crises d'hystéro-épilepsie, vous le savez, s'eachainent en séries. Voilà ce qu'on appelierhystéro-épiiepsie à crises mixtes. Sachez qu'il n'y a dans tout cela que l'apparence de l'épilepsie. La première phase qui seule est épilcptique, non dans le fond, mais dans la forme, est, comme tout le reste, hystérique et rien qu'hystérique. Fig. 88, 89,90, 9i.

11 paratl exister un autre caractère distiactii, d'ordre chimique celui-là. Je toub disais tout à l'heure que dans l'épilepsie, MU. Lépine et Hairet ont

Vig. ffJ. Pcrioiic Jcr 1 lallucinalioncn. constaté une augmentation du taux de l'urée urinaire. HM. Gilles de la Tou- rette et Cathelineau ont fait des recherches inléressantes dont les résultais, s'ils venaient à se confirmer, constitueraient une véritable découvert*. La phase épileptoide de la grande attaque d'hystérie est si bien une simple appa-

rence que si l'on étudie les urines «les byaléro-épileptiqueB, au lieu d'y trouver un accroissement du taux de l'urée, on constate au contraire que

r^(/

Fig. 90. Période der Hanuclnationei).

Fig. 91. -~ Pehods der Hallucloaliooen.

l'urée a diminué. Ou n'a pas encore eu l'occasion de faire l'analyse des urines de notre homme lors de ses attaques hystéro-épileptiques, mais nous avons ici depuis longtemps unemalade qui est comme lui, àlafoîsépileptiqueethystéro- épileptique.Cbez c«tte femme, le chiffre Qormalde l'urée estdeÎ8gr.60;or, ft

m)

la suite de ses crises d'hystérie, ce chiffre descend à 14 gr. Après les accès d*épilepsie^ au contraire, Turée remonte à 22 gr. 40 et les phosphates s'élèvent de 1 gr. 80 à 2 gr. Si cette observation remarquable se confirme, elle sera la plus belle preuve de ce que j'affirme depuis bien longtemps, & savoir que dans Thystéro-épilepsie il n'y a pas trace d'épilepsie, il n'y en a que l'apparence. Quand les deux maladies cohabitent chez un même indi- vidu, elles vivent séparément; il n'y a pas de mélange entre elles, pas de fusion, pas d'hybridité.

III

Nous arrivons au troisième élément nosographiqoe que présente notre ma- lade, à la névrose artificielle qu'il a créée en lui, la morphinomanie.

Et d'abord, qu'est-ce qu'un morphinomane ?

Pour une douleur quelconque, un individu se fait une injection de mor- phine. Le médecin a l'imprudence de lui laisser une seringue entre les mains et il contracte l'habitude de s'administrer plusieurs injections par jour. Bientôt, il lui devient impossible de s'en abstenir sans tomber dans de états très pénibles et quelquefois très graves. Il se fait une injection le matin aa réveil, une avant le déjeuner, une autre avant le dîner, une autre enfin avant de se coucher, en somme quatre ou cinq dans les 24 heures. Si pour le dé- morphiniser^ quelqu*un lui enlève sa seringue^ si on ne lui donne pas la dose du médicament qu'il s'est habitué à prendre chaque jour la dose d'ailleurs, jusqu'à un certain point, importe assez peu, alors va commencer une scène lamentable. Notre homme d'aujourd'hui est morphinomane à 30 centi- grammes par jour. C'est ladose moyenne. Ih^st des sujets morphinomanes qui en prennent plus, beaucoup plus; d'autres, par contre qui en prennent beau- coup moins. Ijadose, comme vous voyt*z varie suivant les sujets ; mais, je le répèle, une dose de 0, 30 centigrammes en 24 heures, est chose vulgaire dans l'espèce. Voici comment notre malade est arrivé à cet état :

Vous savez comment, après sa fièvre typhoïde, il est devenu hystérique. U paraît qu'au début il a souffert d'une hypéresthésie très douloureuse de tout le coté gauche du corps, et c'est sa sœur, épileptique comme vous savez, et morphinomane elle-même qui, à ce propos, lui a montré l'usage de la mor- phine. Il a commencé par avoir des vomissements; il se refusait à continuer. Sa sœur Ta encouragé et il a fini par s'y faire. Les douleurs ont disparu, mais il est devenu morphinomane. Il n'est pas inutile de vous montrer comment il distribue les 30 centigranmics qu'il absorbe chaque jour.

Au réveil, vers 7 heures, il se sent considérablement prostré, affaibli; si on ne lui donnait pas alors sa première injection, il serait incapable de se lever.

\ Il heures et demie, le besoin de la morphine commence â as faire sentîi- ; il L'prouve cerlaios symptAniGs que je vuus dirai bientôt. Après cette deuxième injection, il mange iin peu ; Iroisi&me injection à 3 heures ; quatrième injec- tion à fi heures qui lui permet de dîner les morphinomanes ne mangent pas beaucoup, et pour la plupart ils seraient complètement incapables de pi-endre des aliments sans l'injection préalable; cinquième injection A 8 heures du soir. Vers minuit, il prend 20 gouttes de laudanum pour passer, tant bien que mal, le reste de la nuit. Je dis tant bien que mal parce que. pour peu qu'il dorme, surviennent bientôt des rêves il voit des animaux menaçants, l'enterrement deson père auquelil assiste la nuit, sans lumière, et autres images sinistres. Ces rêves procèdent-ils de l'hystérie ou de la morphinomanie ? Des deux peut-être.

Nous appelons périodes d'euphorlf les périodes pendant lesquelles le malade n'éprouve pas le besoin de morphine. Lorsque le morphinomane espace conve- nablement ses piqûres et s'arrange de façon à ce que les périodes d'euphorie se confondent les unes avecles autres, il n'y a pas de diagnostic ft faire; le sujet n'éprouve aucune souffrance marquée, aucune gf^ne, il ne profère aucune plainte.

Mais lorsque les périodes d'euphorie sont séparées par des entr' actes d'amor- pkinisme, alors les malades accusent une série de troubles qu'il faut bien con- naître. Notre malade est, en ce moment, au début de la période de besoin. Elle s'annonce chez lui entre autres par un phéuiimène particulier. C'est un trem- blement d'un genre spécial, qui ressemble A quelques égards au tremblement des alcooliques. Comme ce dernier, qui apparaît quand l'alcoolique est à jeun d'alcool, il se montre dans la pérîoded'smorphinisme els'apaise après la prise du médicament. Il est surtout accusé aux mains. Nous avons étudié graphî-

B| FIr. PÏ. n. Tme* pri« un quart rtnicurn »|.r*s linjoeHon de morphine.

H quement ce Iremblement : il est assez irrégulier. Nous avons compté qu'il y

avait six ou sept oscillations par seconde. Vous savez qu'il y en a de 7 ft B dans

le tremblement vibratoire de la maladie de Basedow. Ce n'est donc pas un

tremblement rapide au premier chef. Il persiste, mais très faible, dans la pé-

riode d'euphorie. Dès que le besoin de morphine se fait sentir, ce tremble-

ments'accroit;le3oscillationsdeviennentalor5.progressive.ment.pl«s grandes

^ et un ^^H trout

^^M lesp ^^H mala

peu plus rapides. Ce tremblement a été signalé d'aiUeure^Upî^^^H des auteurs qui ont décrit les symptûmes de l'amorphinisrae. On le H e déjà étudié avec quelque soin dans la thèse de M. Jouet faite en 1883. H ma direction. Il n'existe pas, je m'en suis assuré, dans tout les cas, même 1 us invétérés. Mais il y a d'ailleurs bien d'autres symptdmesd'amorpbi- 1 e que vous devez connaître parce qu'ils vous permettront de découvrir la 1 die quand les malades s'en cachent, ce qui est d'ailleurs assez fréquent. H

¥\g, 93. b. Tracé pris 3 lieuras uprfts l'injc^ctlon. ^^^^^^^^^^|

nmmHHiB

Fig. 91. 0. Tmcé pris + heurBa et demie aiirèa l'injcclioa.

^^^h Voici ce qui se passe le plus communément, dans les périodes umorphini- ^^^m ques. Le malade accuse des sueur» froides, une inquiétude vague, il balUo ^^^B sans cesse, il est pris de coliques et va cinq ou six fois t la garde-robe, pree- ^^^H que coup sur coup ; c'est la diarrhée du morphintsme. 11 se gratte de tous ^^^H cAtés. Puisdes troubles psychiques se maniiestent.il devient insolent, il veut, ^^^B il exige absolument qu'on lui fasse ses piqûres; il s'emporte et se livrerait ^^V volontiers à des actes de violence si on ne lui cédait point. C'est un véritable ^^H délire. Parfois il est pris de vomissements et tombe en syncope. Si on lui fait ^^H une injection de morphine, tout rentre rapidement dans l'ordre. ^^H Comment peut-on démasquer un morphinoiuane qui veut vous cacher qu'il ^^H prend de la morphine ï 11 y a une dizaine d'années, je fus appelé auprès d'une ^^H dame qui ne pouvait plus quitter sa chambre depuis trois ou quatre ans. Elle ^^H avait eu, à cette époque, un phlegmon du bassin très douloureux et depuis ^^B elle traînait, se plaignant de ceci, de cela : elle avait vu je ne sais combien de ^^^1 médecins ; j'étais peut-être le neuvième et tout d'abord, je ravoue,je ne com- ^^^1 prenais riea h l'atTaire. Les consultations de mes collègues, qu'on m'avait coin- ^^H muniquées, ne m'apprenaient rien non plus. En interrogeant le sujet dans ^^H tous les sens, je floia par découvrir une chose : c'est que la maladie évoluait

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chaque jour en cinq actes, séparés par des entr 'actes de calme et de bien être. Cela me frappa et me remit dans l'esprit ce qui se passe chez les nombreux morphinomanes que j'ai l'occasion de voir journellement à la Salpétrière. Je dis tout d'un coup : « vous avez une seringue de Pravaz? » Et aussitôt je vis la rougeur s'étendre sur son visage et sur celui de son mari. Elle nia, tout d'abord. « Montrez donc vos bras ; vous vous faites des injections de mor- phine. Depuis quand Et elle me répondit : « C'est depuis que j'ai eu ma maladie du ventre. » La maladie ^ du ventre » avait depuis longtemps dis- paru ; mais la malade était devenue morphinomane : elle n'avait pas autre chose.

Quant à notre homme, il présente tous les phénomènes du morphinisme au degré le plus élevé; et le voua épileptique, hystéro-épileptique et morphino- mane. Nous voudrions tâcher de faire quelque chose pour lui. Mais, par commencer ? Toutes les fois qu'un individu est en puissance de la morphine, il n'y a pas un autre remède à placer chez lui. La morphine n'admet pas de médication satellite ; elle règne en maîtresse absolue sur les organismes qu'elle détient. Il faudra donc le démorphiniser, soit par la méthode de suppression brusque, soit en diminuant progressivement les doses. Mais rien n'est plus difficile ; les succès sont rares et les récidives fréquentes. J'ai la conviction d'ailleurs que jamais le malade ne voudra se laisser faire. Et puis, en admet- tant qu'on parvienne à le délivrer de la morphine, il lui restera ses deux au- tres maladies, tenaces elles aussi, à quel degré, je n'ai pas besoin de vous le dire ; l'hystérie peut-être autant que l'épilepsie.

En somme, je crains fort que ces trois éléments morbides qui se sont déve- loppés chez cet homme ne continuent à vivre côte à côte encore pendant bien longtemps.

«•.drM8«o.d»Typb 11«mn .. t, t. CaBnnym Pi—Hw. Vtn.

Policlinique du Mardi 28 Mai 1889

DIX-NEUVIÈME LEÇON

Accidents nerveux provoqués par la foudre.

Messieurs,

Je saisis avec empressement roccasion qui m'est offerte de vous présenter un sujet chez lequel nous pouvons étudier ensemble divers troubles nerveux qui relèvent plus ou moins directement de la fulguration.

L'accident dont notre malade a été victime, s'est produit le 7 mai dernier, c'est-à-dire il y a vingt jours à peine. L'affection qui en a été la conséquence est donc, vous le voyez, de date toute récente, et, d'après les renseignements que nous avons en notre possession, il nous est permis d'affirmer que les principaux symptômes s'offrent à nous, à l'heure qu'il est, tels qu'ils se sont montrés le lendemain même de Torage du 7 mai ; ils ne paraissent pas, j'y insiste, avoir subi depuis lors la moindre modification.

Messieurs, M. Boudin auquel on doit une série de travaux intéressants con- cernant la foudre, considérée principalement au point de vue de l'hygiène publique, pouvait dire en 1855. « Ce qui caractérise les effets de la foudre, c'est l'imprévu, le protéiforme, le contraste, l'opposition, le mystérieux (I). » Le tableau était un peu forcé, sans doute, déjà pour l'époque, et le mystère d'ailleurs tend chaque jour à disparaître, au fur et à mesureque les faits, qu'il enveloppe de son obscurité, sont amenés à la lumière et méthodiquement étudiés. 11 n'en est pas moins vrai toutefois, qu'aujourd'hui encore, c'est une bonne fortune pour le médecin, en particulier pour le neuropalhologue, de pouvoir étudier à loisir un homme intelligent, sincère^ qui a vu la foudre de près et en a ressenti les effets assez durement.

Il y a longtemps que, parmi les accidents pathologiques que la fulguration

1. M. Boudin. De la foudre considérée au point de vue de Vhistoire,de la médecine légale et de Vhygiène publique» Extrait des Annales d Hygiène publique^ Paris, 1855.

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peut produire chez rhomme, on a signalé des troubles nerveux divers et plus particulièrement des paralysies. Dans Tespèce, celles-ci ne sont point très rares. La plupart des foudroyés^ quand ils ne sont pas tués sur le coup, à part quelques cas exceptionnels la mort survient après qixelques jours, en sont quittes pour des accidents nerveux, en général bénins et de courte durée, parmi lesquels figurent au premier rang les paralysies. Mais quels sont exactement les caractères cliniques de ces paralysies des foudroyés ou kerauno^paralysieSj comme vous voudrez les appeler? Présentent-elles, vérita- blement, quelque chose de spécial, leur appartenant en propre; ou bien ren- trent-elles au contraire, tout simplement, dans les cadres vulgaires des paralysies traumatiques ? C'est ce qu'on ne saurait encore décider péremp- toirement, faute d'observations et de descriptions suffisamment précises et méthodiques, et c'est incontestablement une circonstance bien faite pour accroître, à nos yeux, Tintérêt qui s'attache au cas actuel.

I

Je vais maintenant exposer, 9vec détails, tout ce que le malade sait, tout ce qu'il nous-a dit sur la maladie pour laquelle il est venu nous consulter, et sur les diverses circonstances au milieu desquelles elle s'est développée. Vous serez par mis en mesure d'apprécier à leur juste valeur les faits sur les- quels je veux surtout appeler votre attention. Mais, auparavant, je dois vous faire connaître ce qu'était le sujet avant l'accident du 7 mai.

D... cy, c'est ainsi qu'il se nomme, est âgé de 45 ans. 11 exerce la profession de garçon de recette attaché à une papeterie. Il est entré à la Salpétrière, le ^1^1 mai, c'est-à-dire il y a six jours.

En ce qui concerne ses antécédents de famille, il nous apprend qu'un deses oncles, du côté paternel, était emporté, violent à l'excès. Du côté maternel, il y a à signaler une tante tellement impressionnable, qu'elle tremblait « de tous ses membres, à la moindre émotion » ; c'est tout. Mais il y a lieu de remarquer que, relativement à ses grands-parents, le malade ne peut fournir aucun ren- seignement. Il les a à peine connus.

Le récit de son histoire personnelle nous a fourni des faits dignes d*intérèt : D...cy est à La Martinique il a passé les premières années de son enfance. Puis il a habité Lyon son père, officierd'infanterie, se trouvait en garnison. il a reçu de Tinstrurtion ; il a fait ses classes au collège jusqu'à la philo- sophie. Toujours il s'était montré calme, froid môme, difficile à émouvoir, lorsque, dans le cours de sa dernière année d'études, ayant été Un jour mo- lesté et humilié par un de ses professeurs, qui lui avait « tiré les oreilles », il

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riposta par un soufllet et fut en conséquence, suivant les règlements, chassé de rétablissement. Il était alors âgé de 18 ans. Furieux, son père Tobligea à s'en- gager. Il partit comme soldat dans Tinfanterie de marine. Bientôt il prit part à l'expédition du Mexique, et, dans cette campagne, assista au siège de San Lorenzo, à la bataille de Puebla, « la foudre, dit-il, tonnait autant que le canon », et à la prise de Mexico.

Libéré du service militaire à 25 ans, il s'engagea deux ans après, dans les équipages de la flotte. Sur ces entrefaites, la guerre franco-allemande écla- tait. D... cy fit campagne dans Tarmée de la Loire : il assista aux combats de Patay, de Coulmiers, de Marchenoire. Enfin, loi*s de la répression de Tinsur- rection de la Commune de Paris, par Tarmée de Versailles, il prit part à la prise du cimetière du Père-Lachaise les « obus pleuvaient dru ». Il y fut blessé à la jambe gauche, peu grièvement d'ailleurs par ur. éclat d'un de ces projectiles.

J'ai tenu, messieurs, à vous faire connaître tous ces détails afin de vous bien montrer que notre malade n'était rien moins à cette époque qu'un débile, un pusillanime. Certes, dans ce temps-là, il n'était pas homme à prendre peur de l'orage. Dans cette série d'aventures que nous venons d'énumérer et dont quelques-unes ont été fort dramatiques, il a certainement entendu de rudes canonnades, et assisté à des spectacles autrement terrifiants que ceux que peut donner un orage avec ses éclairs et ses coups de foudre ; jamais cependant sa santé n'en avait été troublée : mais alors il n'était pas dans l'état d'alTaiblissement, d'opportunité morbide nous allons voir qu'il est tombé depuis, et il se trouvait justement lorsque la foudre, en le frappant le 7 mai dernier, a déterminé chez lui la maladie qu'il nous faudra tout à l'heure étudier.

Après la guerre D... cy navigua longtemps comme maître timonier à bord des paquebots transatlantiques. 11 y a un an, en mai 1888, il abandonna définitivement la marine et entra comme garçon de recettes dans un établis- sement de papeterie. Jusqu'alors, à part Ténurésie et les terreurs nocturnes auxquelles il est resté sujet dans l'enfance jusqu'à l'âge de 5 ans, il n'avait jamais présenté aucune marque neuropathique; il n'est d'ailleurs ni syphilitique ni alcoolique. Mais bientôt devaient survenir des chagrins, puis des fatigues physiques exceptionnelles qui changèrent du tout au tout la situation.

La mort de ses parents, celle de sa mère en particulier qui fut inopinée et à laquelle il ne put assister, l'avaient déjà profondément ébranlé lorsque, au mois de décembre dernier, l'exercice de sa profession qui parait-il, est assez pénible déjà en temps ordinaire, l'obligea, à cause des recouvrements de fin d'année à subir des fatigues excessives. Il se « surmena» dans l'acception la plus générale du mot. Peu à peu ses forces allèrent en déclinant; il perdit du même coup son entrain et sa vigueur d'autrefois, il était déprimé, triste, mélancolique, et, en même temps, il se sentait vite fatigué : il éprouvait

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quelque peine à monter les escaliers, les jambes lui semblaient faibles, comme paralysées, les pieds souvent « butaient » en marchant. Il se plai- gnait d'une sensation de poids et de constriction sur le crâne ; ses digestions étaient pénibles, son estomac se gonflait après le repas et il était pris alors d'invincibles envies de dormir. En un mot, les symtômes de la neurasthénie cérébro-spinale s'étaient nettement accusés chez lui ; et, cependant, il con- tinuait, malgré tout, à se livrer tant bien que mal, à ses occupations, très fatigué toutefois et surtout très préoccupé de son état.

Vous le voyez, messieurs, je tiens à vous le faire bien remarquer, la santé nerveuse de D... cy était incontestablement déjà fort ébranlée, lorsque, il y a vingt et un jours, il fut frappé parla foudre dans les circonstances que nous allons étudier.

II

Donc, c'était le 7 mai dernier ; il suivait à piedlagrand'route qui conduit de Noisy-le-Sec à Paris, revenant de Noisy il était allé faire des recouvre- ments. Il marchait sur un des côtés du chemin, ayant le fossé à sa droite et notez le fait, cherchant des yeux, dans les champs voisins un pied de bruyères blanches qu'il avait remarqué en allant à Noisy et qu'il se proposait de cueillir pour l'apporter à Paris... S' adressant au malade : Veuillez nous dire le reste. Quelle heure était-il lorsque l'orage a éclaté ?

Le MALADE. C'était entre 3 et 4 heures de l'après-midi. Le ciel était noir, le tonnerre grondait depuis quelque temps déjà. Je n'y portai pas grande attention tout d'abord. Mais tout à coup, il se produisit un coup beaucoup plus fort et beaucoup plus rapproché que les autres, et alors, je ne sais pourquoi, j'ai pris peur; il me vint à l'idée que je pourrais bien être foudroyé, et je pressai le pas : d'ailleurs il commençait à pleuvoir. J'avais peut- être fait 300 ou 400 mètres, lorsque survint un second coup extrêmement sec: j'ai vu l'éclair et j'ai entendu le coup en même temps, du moins je le crois, car il y a à cet égard un peu de vague dans mon esprit ; mais ce que je me rappelle bien c'est que le bruit ressemblait à un coup de canon accom- pagné du fracas que feraient en tombant sur le sol des milliers d'assiettes.

M. CuARCOT, aux auditeurs :\Q\xil\ez prêter, messieurs, uneattention particu- lière aux déteuls qui vont suivre.

Au malade : C'est alors que, comme vous l'avez dit, vous avez vu la foudre de près ? Veuillez nous conter cela en détail.

Le malade : A l'instant même j'entendais éclater au dessus de ma tête le bruit que je vous ai dit, j'ai vu sur la route, à ma gauche, un peu en arrière de

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moi, peut-être & une distaoce de 2 ou 3 mètres, une boule de feu très brillante et qui tourbillonnait. Elle avait à peu prè3 laforme et les dimensions d'un petit baril de bière, c'est-à-dire peut être SO centimètres de long ; c'est du moins l'effet que cela m'a fait.

H. CfiABCOT : Pouvez-vous diresileglobede feu vous estapparu avantou après que s'est produit le grand bruit d'assiettes brisées ?

Le halade :A cet égard je ne puis rien préciser, tout ce que je puis dire, c'ftgt que, de la boule de feu il s'est dégagé trois bouffées, trois petits nuages

FIg. 95. D'ftprè* un croquU fail par le malide. a, le fosié ; b, la routo ; c, lo baril lumineux ; d, le Sujet, e e' e", les nuagOB de ruinde.

de fumée gris&lre, d'une odeur acre, suffocante, prenant à la goi^e, qui se dirigeait vers moi. Cela ressemblait aux flocons de fumée qui sortent de la cheminée d'une locomotive lorsqu'elle se met en marche. L'odeur était celle du soufre ou mieux de la poudre brûlée. Tout cela a se passer bien vite, car à peine avais-je aperçu sur ma gauche la boule de feu,que je me sentais frappé h la jambe gauche, renversé à terre, et bientAt après je perdais connais- sance.

M. Cbarcot : Parlez-nous de ce choc que vous dites avoir ressenti dans la jambe gauche.

Le malade: Je l'ai ressenti au moment même la boule defeu m'est apparue. Il m'a semblé qu'on m'assénait un coup violent, comme avec une planche ou

iiO

un gros bâton. Gela s'est fait sentir surtout dans le pied gauche au-dessous des chevilles, mais aussi en même temps dans la jambe et la cuisse gauches, le côté gauche du tronc et même de la tête. Les parties j'ai ressenti le choc m'ont paru aussitôt lourdes, pesantes, comme engourdies.

U.Ciik^coT, aux auditeurs : Avant-hier, j'ai faitplacer le malade sur le tabou- ret électrique et on a tiré d'une de ses mains à l'aide de la pomme, une forte étincelle. Il assure avoir parfaitement reconnu la sensation particulière de choc qu'il vient de décrire. C'était tout à fait cela, a-t-il dit, en petit. >... Mais continuons l'exposé des faits, sans plus de commentaires ; la critique viendra plus tard. Au malade : Dites-nous, je vous prie, ce qui s'est passé après la secousse ressentie dans le côté gauche du corps.

Le malade : Monsieur^ ainsi que je vous Ta! dit, à partir de ce moment-là mes souvenirs deviennent plus vagues. Il me semble que j'ai été attiré ou poussé du côté delà boule de feu, en tous cas j'ai été renversé; j'ai faire un demi-tour sur moi-même en pivotant d'abord sur le côté gauche; c'est du moins ce que je crois d'après ce qu'il me semble avoir éprouvé et aussi lorsque je songe qu'en me réveillant, je me suis trouvé sur la route, couché sur le dos, le tête près du fossé, tournée du côté de Noisy, et les pieds par consé* quent du côté de Paris.

M. Cuarcot: Vous avez un instant perdu connaissance?

Le MALADE : Oui, monsieur, complètement, pendant huit ou dix minutes peut- être, mais je ne puis rien affirmer là-dessus.

M. Charcot : Vous avez compris, messieurs, que l'analyse seule, procédé tou- jours un peu artificiel, a permis de séparer tous ces faits, qui, suivant toute vraisemblance, se sont succédé avec une rapidité telle qu'on pourrait les dire presque simultanés. Quoi qu'il en soit, nous voici arrivés au moment, cou- ché sur le dos, en pleine route, le malade reprend, au moins en partie, pos- session de lui-même. Au malade : Continuez votre récit.

Le malade : Quand je me suis réveillé^ je ne me suis pas bien rendu compte tout d'abord de l'endroit j'étais, ni de ce qui était arrivé : j'étais tout aba- sourdi. J'avais uriné dans mon pantalon. Je me rappelle bien que je me suis efforcé en vain, à deux reprises, de me dresser sur mon séant. Ce n'est qu'à la troisième fois que j'y suis parvenu. Une fois assis, je regardai de tous côtés autour de moi et je me mis à trembler et à pleurer, comme un enfant. Il y a longtemps que cela ne m'était arrivé.

M. CnARCOT : Il n'avait ni tremblé, ni pleuré à Puebla alors que tonnerre et canon à l'envi faisaient rage, il n'avait pas pleuré non plus au Père Lachaise, lorsqu'un obus est venu éclater près de lui. Mais depuis qu'il a été « touché » par la foudre^ une transformation radicale s'est produite en lui : le voilà devenu émotif à l'excès, pleurard ; désormais sous l'influence de la moindre émotion on le voit fondre en larmes. Au malade : Vous êtes-vous souvenu enfin de ce qui s'était passé avant que vous ne fussiez renversé?

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Le malade: Oui, monsieur. Je me suis rappelé presque aussitôt que la foudre était tombée près de moi, que j'avais été frappé, renversé, tout ce que je vous ai raconté en un mot. Je me suis tâté de tous les côtés, j'avais peur d'avoir quelque chose de cassé ou de brûlé. Je me suis aperçu que je n'avais rien de « visible » et j'ai repris un peu confiance, mais j'ai eu grand mal à me mettre sur mes jambes ; elles me semblaient excessivement lourdes; on aurait dit que j'avais à traîner des boulets. La gauche surtout, avait peine à me porter; elle était tout engourdie, comme cela arrive quelquefois lorsque, assis surune chaise, on s'est comprimé le nerf de la cuisse en dormant dans une mauvaise position. Elle se dérobait sous moi ; je ne la sentais plus guère, elle me parais- sait gonflée ; je ne savais pas si, oui ou non, elle portait sur le sol. Cepen- dant, j'ai pu me mettre en route et tout en boitant, je précipitai le pas, comme un fou, ne sachant pas trop j'allais : c'est presque instinctivement que je me suis dirigé sur Paris, car il me semble que j'aurais pu tout aussi bien, ne sachant pas trop ce que je faisais, retourner du côté deNoisy, tant j'étais ahuri.

M. Chargot: Le voilà donc qui se met en marche, boitant, traînant la jambe gauche, tout tremblant, obsédé, assure-t-il, constamment par une odeur de soufre et la sensation de quelque chose d'acre qui le tenait à la gorge, et dans un état mental sur lequel il importe d'attirer votre attention. 11 avait fait environ un kilomètre lorsqu'il recontra devant une auberge une voiture qu'il reconnut pour appartenir à un de ses amis. Il entra dans la maison il fut accueilli par son ami qui, intervenant ici comme témoin, nous a raconté dans tous les détails la conversation singulière qui a suivi leur rencontre... L'ami le voyant tout pâle, tout tremblant, les habits souillés par la boue et en désordre, lui demande : « Qu est-ce que tu as? R. Qu'est-ce que ça te fait, espèce de J... f. D. Mais qu'as-tu donc? R. J'ai que je suis f..., je suis f..., j'ai failli être tué par le tonnerre. » En ce moment, il s'est assis. On lui a offert à boire, mais il a refusé. Par moments, il répondait tout de travers aux questions qui lui étaient adressées et prononçait des paroles sans suite. Tantôt il répétait plusieurs fois : « Je voudrais bien avoir mon bouquet de bruyères blanches. » Tantôt il disait : « Je suis f.., je suis f... » et il se mettait à pleurer. « Il n'y avait rien à en tirer, dit son ami : Je pris le parti de le prendre dans ma voiture et de le ramener à Paris à son domicile. »

Nous avons maintenant des renseignements sur ce qui s'est passé, lorsque D... cy est arrivé chez lui vers Sheures du soir, par le récit que nous a commu- niqué la bonne du marchand do vin chez lequel il demeure.M.D...cy,«nousa-t- elle dit, était très pâle lorsqu'il est arrivé à la maison ; il tremblait, il avait les yeux égarés, il a refusé de manger et s'e^ couché. Je suis restée près de lui jusqu'à 2 heures après minuit. 11 disait des choses sans suite ; par moments il ne répondait pas, et regardait fixement le plancher, toujours sur le même point ; puis il se mettait à pleurer. Enfin il a paru s'endormir et je l'ai quitté. Le lendemain matin, je l'ai trouvé tout aussi agité que la veille, surtout après

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qu'il a eu reçu la visite de son patron qui lui a dit : « Vous avez eu bien de la chance ,il y a eu, à ce qu'on m'a dit, un homme'de tué. » Alors M. D...cy a eu comme une crise de nerfs ; il s'est mis à trembler et à pleurer ; puis il s'est caché la tète dans ses draps et s'est tourné du côté du mur; il pouvait à peine parler tant il bégayait. » S'adressant au malade : Tout cela est-il exact?

Le malade: Monsieur, je le crois; il me semble bien me rappeler la plupart des choses qu'on vous a dites; mais tout cela n'est pas bien précis dans mon

espril. M. Charcot: Avez-vous vraiment dormi cette nuit-là?

Le malade : A peine, monsieur; à chaque instant j avais des explosions de larmes; j'avais la gorge serrée et je sentais des battements dans les tempes. A peine étais-je assoupi que je révais d'éclairs, d'orage et je me dressais tout à coup sur mon lit croyant entendre le bruit du tonnerre.

M. Charcot: G'estbien. Veuillez nous dire, actuellement comment s'est passé la journée du 8 mai.

Le malade: Après la visite de mon patron qu'on vous a contée, j'ai voutd me lever; mais une fois debout j 'eu failli tomber : il me semblait que ma jambe et ma cuisse droites étaient en coton; elle ne me portait pas ; elle était bien plus faible que la veille ; elle s'est cognée contre l'angle de ma table de nuit et je m'y suis fait une assez forte contusion. C'est alors que je me suis aperçu qu'elle était complètement insensible, car bien que le coup ait été assez fort, je n'avais ressenti aucune douleur ; alors je me suis pincé la peau de toutes mes forces et je n'eu absolument rien senti. Cependant j'ai voulu me forcer, je suis parvenu à sortir de ma chambre, et je suis même descendu dans la rue, traînant la jambe, jnais après quelques pas, je n'en pouvais plus, et j'ai rentrer chez moi. Je suis resté couché quelques jours et enfin, j'ai pris le parti de me rendre à rhôpital Saint-Antoine d'où, le lendemain de mon arrivée, j'ai été envoyé ici.

M. GuAUCOT : 11 nous a été bienveillamment adressé par mon collègue et ami M. Hanot qui a pensé à juste titre que le cas pouvait nous intéresser. 11 a été admis dans le service de la clinique le 22 mai, c'est-à-dire seize jours après la fulguration.

m

Tel est, messieurs, le récit du malade, récit complété et contrôlé, comme vous l'avez vu, dans sa dernière partie, par la personne qui a reconduit Da..cy à son domicile, immédiatement après raccidont et par celle qui l'a vu le soir même, ainsi que le lendemain matin. 11 nous faut chercher maintenant à apprécierlesdiversescirconstancesde ce récit, à les mettre en place, à entrouver

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lalogique, en quelque sorte, et à déterminer surtout jusqu'à quel point elles con- cordent avec ce que nous ont appris, relativement à la foudre et à ses effets sur l'homme, les observations coUigées par les auteurs compétents ; et, à ce propos, je ne saurais trop vous recommander la lecture du très intéressant Traité de la Foudre, deSestier, publié par le D' C. Mehu (1), ouvrage fort consciencieux^où se trouvent catégorisés, concernant la foudre et la fulguration, une immense quantité dedocuments de bon aloi,etqui,on peut le dire, renferme sur ces questions-là, tout ce qu'on savait de positif, à l'époque toute récente encore il a paru. Du résultat de la comparaison que nous allons faire entre ces documents antérieurs et ceux que nous devons actuellement soumettre à l'épreuve de la critique, dépendra en grande partie, vous l'avez compris., la confiance que ces derniers devront nous inspirer.

A ce propos, il importe de relever tout d'abord que notre homme recon- naît volontiers le vague de ses souvenirs, relativement à certaines parti- cularités de l'événement dont il a failli être victime, notamment surtout en ce qui concerne l'ordre de succession des incidents, bien qu'il ne varie jamais, cependant, sur les points fondamentaux. Toujours il s'est montré modeste dans ses assertions ; jamais il n'a cherché à nous les imposer abso- lument. Ce sont là, si je ne me trompe, des circonstances qui déposent en sa faveur. Déplus, il nous affirme, et, à cet égard nous avons toute raison de croire qu'il est sincère, que jamais, soit dans ses lectures soit d*une autre manière, il n'a reçu d'informations spéciales sur la foudie envisagée comme météore et considérée dans ses diverses formes ; qu'il ne connaît guère enfin, du phénomène de la fulguration que ce qu'en sait le vulgaire et ce qu'en ra- content de temps à autre les « faits divers » publiés par les journaux.

Ces renseignements contribuent évidemmentàétablir la valeur morale dusujet, source principalede nos informations. Maintenant vous allezétreamenésà recon- naître, après discussion, que si son histoire s'écarte à beaucoup d*égards, de ce qu'on sait des cas de fulguration vulgaire,elle se rattache par contre, étroitement, même par les menus détails, à un groupe de faits, exceptionnels sans doute, mais parfaitement cohérents et nettement déterminés cependant ; et nous trouvons encore, à mon avis, une nouvelle garantie de la véracité du récit de notre malade.

Il est une première objection qui, sans aucundoute,pendantladuréederex- posé,se sera plusieurs fois présentée à votre esprit. D...cy assure avoir entendu le coup de tonnerre et avoir vu la foudre. Or, Ton admet, en général, vous le savez, que jamais la foudre n'atteint celui qui voit Téclair et entend le coup. Cette croyance qui, je crois, remonte jusqu'à Pline, n'est pas» tant s'en faut, dénuée de fondement : elle a été confirmée par une foule de faits relatés dans les travaux d'Arago,de Boudin,dans le livre deSestier, etc., etc., mais elle n'est

i. Paris, 1866. 2 vol. in-8".

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pas, malgré tout, applicable à tous les cas. Elle n*est légitime qu'en tant qu'il s'agit des faits de fulguration produits par la foudre vulgaire, dite en zig-zag. 11 est certain, en effet, que la plupart des sujets frappés par cette espèce de foudre» quand ils ne sont pas tués sur le coup, déclarent qu'ils n'ont rien tu, rien entendu et ne savent rien, absolument rien de ce qui s'est passé* liais même dans ces conditions-là, il ne faut pas voir une règle tout à fait géné- rale : on compte des exceptions. Il est possible, tout d'abord, qu'un indUvidu frappé par la foudre en zig-zag et qui aura vu Técleûr, en ait perdu le sou- venir au moment il reviendra à lui, en conséquence de cette amnésie rétrograde qui se produit fréquemment par le fait de chocs traumatiques suivis de perte de conscience. Mais il y a mieux : on cite des cas parfaitement authentiques le foudroyé se rappelle, en revenant à lui, la vive lumière qui Ta douloureusement ébloui et peut-être aussi le pétillement et la sensation de brûlure qu'il aura éprouvés à la fois (1). D'ailleurs, à côté du foudroiement général, il y a lieu de placer la fulguration partielle, dans laquelle le sujet» même lorsqu'il est plusou moins grièvement blessé, peut ne pas perdre connaissance, oupourlemoinsnepaslaperdresurlecoup.il voit la lueur de l'éclair, il entend le bruit du tonnerre, lise sent frappé sur telle ou telle partie de son corps et assiste en un mot à toutes les phases de l'accident. <c Un homme observé par leD' Gabard fut très grièvement blessé par la foudre ; il se sentit fortement saisi ; il devint immobile et il s'aperçut que son gilet brûlait ; mais il ne perdit pas connaissance, et son intelligence resta intacte pendant les diverses périodes de Taccident. »

<c L'n matelot à bord de la remorque Le Londres, était occupé àlamancravre sur le mât de hune, quand la foudre le blessa ; et, bien qu'il sentit ses jambes raideset hors d'état de lui rendre service, il eut la présence d'esprit de se tenir aux cordages avec une main et d'éteindre avec l'autre la flamme qui consignait son pantalon (:2). »

« Les foudroyés sont parfois seulement étourdis par la décharge électrique. Un jeune homme cité par M. Biol, fut atteint par l'étincelle qui, sans le bles- ser, fondit cependant plusieurs objets métalliques qu'il portait sur lui; il nVpiuuva au moment du choc qu'un étourdissement, un éblouissementquine dura (jue sept à huit secondes (3.) »

Je pourrais citer nombre de faits du même ordre démontrant que l'asser- tion de Pline ne doit pas toujours être prise au pied de la lettre. D'ailleurs, je le répète, tout ce qui a été dit sur cette perte de conscience immédiate des foudroyés et sur l'absence totale de souvenir après l'accident, n'a trait qu'à la foudre vulgaire ou foudre en zig-zag.

i. Cas de M. Marie. Scsticr, t. II. p, 85.

2. Seslier, t. II p. 95.

3. Id. loc.cil.

445

Les événements ont une marche beaucoup moins rapide quand il s*agit do la foudre en globe. Ces derniers météores ont une évolution relativement lente et l'homme peut, avant d'en être frappé, les voir quelquefois tout à loisir après avoir entendu la décharge électrique qui les a produits (i). Pour ne parler ici que de la foudre globulaire ou en boule, comme on rappelle encore, vous savez comment les choses se passent en général en pareil cas. On voit un éclair, on entend le bruit du tonnerre, et l'on aperçoit presque aussitôt un corps lumineux, incandescent, flxe ou au contraire en mouvement, plus ou moins volumineux. « M. Meunier (2) se trouvait dans une rue de Paris (la rue Montholon), lorsqu'un éclair ordinaire fut presque immédiatement suivi d'un coup de tonnerre ; alors apparut une boule énorme et lumineuse qui éclata au milieu de la rue... » « Un ouvrier tailleur entend un grand éclat de tonnerre et, bientôt après, un globe lumineux sort doucement de la cheminée, se pro- mène dans la chambre et remonte par la même cheminée. » « Le !•' septem- bre 1881 vers midi, un orage passe sur la ville (Velletri) ; la foudre tombe près de la station du chemin de fer et presque au même instant, sur un point opposé de la ville, une femme vit descendre du nord-ouest, avec une inclinaison d'environ 45*, une balle de feu, rouge comme un charbon incandescent ; le globe se mouvait assez lentement pour être parfaitement suivi de l'œil. Il vint frapper sur le pavé de la rue il éclata avec un grand fracas (3). »

Pour ce qui est du globe lui-même, les uns le comparent pour la forme et les dimensions, à la lune^ au soleil, à un gros œuf, à une balle d'enfanti Sui- vant d'autres, « la masse ignée et foudroyante, aurait été du volume d'un enfant nouveau-né, d'un baril ordinaire^ d'un tonneau (4). » Veuillez remar- quer, je vous prie, cette comparaison avec un baril relevée par Sestier ; par une coïncidence qui, dans l'espèce, ne manque certes pas d'intérêt, c'est jus- tement, vous ne l'avez pas oublié, celle que notre malade a invoquée pour nous dépeindre le corps lumineux et tourbillonnant qu'il a vu, après l'éclair et le coup de tonnerre, paraître à quelques pas de lui.

N'oubliez pas également ces petits nuages de fumée grisâtre d'une odeur acre, sufiocante, prenant à la gorge qui, suivant le récit du malade, se déga- geaient de la masse incandescente ; l'odeur était^ il y insiste, celle du soufre

i. Sestier t. II, p. 82.

2. Id. t. I. p. 166. Sur la foudre globulaire consultez, en outre du livre de Sestier, les tra- vaux de M. Gaston Planté et en particulier la note qu'il a communiquée à TAcadémle des Sciences le 11 août 1884 (voir la Nature p. 196. iî* année 1881, semestre) ; consultez aussi les intéressante» observations consignées par le savant directeur de Tobservatoire météo- rologique de Velletri, M. le professeur Ignazio Galli, dans divers numéros du Bulletin mensuel de la Société météorologique itaUenne. (Série II. vol. V. YIII. Agosto 18^ p. 125 et série II, vol. I n- X, 1881, p. 215.)

3. Galli, loc. cit. p. 214, 1881. Voir également, dans la Nature, 1876, semestre, p. 280, la description de Torage du 24 juillet, par G. Planté.

4. Sentier 1. 1, p. 150.

440

ou mieux de la poudre brûlée. Cela, remarquez-le bien, concorâe encore par tous les points avec ce qu'enseignent les auteurs compétents, c La foudre en globe dit Sestier^ répand dans Tatmosphère, près du sol et surtout dans les maisons, une odeur le plus ordinairement sulfureuse.... » Suivant M. Peltier, Todeur sulfureuse ou nitreuse qui accompagne la foudre globulcdre, est beau- coup plus intense que celle de la foudre linéaire. Souvent aussi, la boule ful- minante répand ou fait naître dans les lieux qu'elle parcourt une vapeur ou une fumée ordinairement sulfureuse, parfois tellement épaisse, qu'elle semble menacer Thomme de suffocation. Au moment une boule de feu descen- dait dans une noue de plomb, le toit fut entouré d'une vap eur si semblable à de la fumée, qu'on crut le grenier en feu (l). > Suivant M. le Prof. Galli qui s'est particulièrement occupé de la foudre globulaire, l'odeur qu'elle répand est surtout celle de la poudre brûlée (2) et, c'est dans ces termes mêmes, vous le savez que^ D...cy s'est exprimé pour rendre compte des sensations olfactives qu'il dit avoir éprouvées.

Par ce qui précède, vous êtes mis en mesure de reconnaître que les descrip- tions données par les auteurs du singulier météore de la foudre globulaire se trouvent reproduites en quelque sorte trait pour trait dans le récit de D...ey. L'éclair, le coup de tonnerre, Tapparition du globe de feu, la fumée, l'odeur suffocante enfin, rien n'y manque. Après cela, il n'y a pas à en douter, je pense, c'est bien à l'évolution de ce phénomène de la foudre en globe, phé- nomène rare, peu connu des laïques, mystérieux encore pour les savants, mais dont la réalité toutefois n'est pas à discuter, que notre malade a assisté.

Une autre question <5e présente. D...cy a-t-il été réellement frappé parla foudre comme il l'affirme et comme semblent l'établir d'ailleurs diverses cir^ constances de son récit, à savoir enbe autres, la rude sensation de choc qu'il a éprouvée tout à coup dans le membre inférieur gauche, la chute, puis la perte de conscience qui ont suivi, et enfin la paralysie de ce membre cons- tatée lors du réveil ?Tout cela à la rigueur pourrait être considéré, me direz- vous, comme une conséquence fort indirecte de la fulguration, comme résul- tant, par exemple de Tébranlement psychique produit par la seule apparition terrifiante du météore.

En faveur de cette interprétation, on arguera peut-être de l'absence, chez notre homme, de toute marque de fulguration imprimée soit sur sa peau soit même sur ses vêtements. Mais ce ne saurait être là, tant s'en faut, un argument décisif, car Ton sait que même chez les sujets tués sur le coup par fulgura- tion ces marques peuvent faire absolument défaut ; c'est ce qui a été constaté entre autres, par M. le professeur Tourdes (3\ sur un homme foudroyé à

1. Svîatier t. I. p. 152.

2. J. Galli, loc. cit. 1885. p. 12().

3. Dict Encyclop«''clique de Dechambre, art. Ful-ruration. p. 3(r

Ail

Nancy le 18 juillet 1873, mort sur le coup : on a trouvé seulement sur cet homme une petite déchirure à peine roussie du pantalon, et une rupture de Tune des bottes. On comprend aisément qu'un choc beaucoup moins violent, aura pu se produire, chez notre homme sans laisser de traces aucunes, même sur les vêtements.

On pourra encore rappeler que, plusieurs fois, la foudre globulaire a pu paraître presque au contact de Thomme et le toucher même, assure-t-on, sans produire aucun accident de fulguration. Mais c'est sans doute une excep- tion rare, et Ton peut citer nombre de faits où, dans ces conditions là, même sans éclater, elle a produit des lésions diverses plus ou moins sérieuses, la syncope etc. c Ce n'est pas toujours, dit Sestier (i), que les efiets de la foudre globulaire sont innocents. » Souvent il arrive qu'elle frappe de mort ceux qu'elle atteint, et il cite le cas du physicien Richman, l'événement de Ghâteau- neuf-les-Moutiers, celui de Feltri soixante-seize personnes furent tuées ou blessées par la chute de la foudre en globe. « D'ailleurs les lésions produites sur l'homme, par la foudre en globe, ne diffèrent pas, ajoute-t-il, de celles que cause la foudre vulgaire. Suivant M. Gaston Planté (2), le globe fulminaire n'est point dangereux par lui-même ; « mais sa présence est néanmoins re- doutable^ car il amène Télectricité de la nuée orageuse avec laquelle il com- munique d'une manière latente ou quelquefois visible, comme à l'extrémité des trombes et révèle le lieu d'élection de son écoulement. »

On pourrait enfin faire remarquer que la distance à laquelle, par rapport au sujet, a paru la masse lumineuse, deux mètres environ, à ce qu'il assure, est peu favorable à l'idée d'une action directe, mécanique, exercée sur le membre inférieur gauche, le globe n'ayant pas éclaté, du moins au moment le choc a été ressenti. A ce propos, je suis heureux de pouvoir invoquer l'autorité du savant directeur de l'Institut météorologique de Velletri, ^i. le Prof. Galli qui, sur ce sujet de la foudre globuleure dont il a fait une étude spéciale, a bien voulu me fournir de précieux éclaircissements (3). Il pense que, même dans les conditions indiquées par le récit de notre malade, il se peut qu'une décharge se soit détachée du globe pour venir frapper un des membres.

En ce qui concerne la chute et la perte de connaissance, il est moins facile, peut être, d'éliminer l'influence de l'émotion. Je ferai vsdoir toutefois que le globe fulgurant a pu à un moment donné éclater, comme c'est à peu près la règle, et, par le fait d'une action à distance bien connue dans l'histoire de la

i. T. I. p. 163.

2. Note 5 l'Académie des sciences, 11 août 1884.

3. Communication écrite.

us

foudre en général, et de la foudre globulaire en particulier (i), déterminer la sidération, sans que le sujet, devenu inconscient aussitôt que frappé, en ait pu rien entendre. Qu'il ne se soit pas agi ici, tout simplement, d*une syncope émotive, ou encore d*une attaque hystérique de même origine, cela est rendu fort vraisemblable, d*un autre côté, parce fait que notre homme s'est réveillé ayant uriné sous lui, circonstance qui semble révéler un ébranlement vrai- ment profond de l'organisme.

Mais, de tous les arguments à invoquer en faveur de Topinion que D...cy a été, comme il le croit, frappé physiquement, matériellement, électriquement par la foudre, lin des plus puissants, si je ne me trompe, doit être tiré delà description de la paralysie produite chez lui, autant qu'on en peut juger, au moment même il a ressenti le choc. Ses caractères cliniques, en effet, nous le verrons dans un instant, concordent en effet sur tous les points avec ceux qu'on assigne, ajuste titre je crois, aux paralysies déterminées par la ful- guration dans des circonstances l'action physique de celle-ci n'est pas con- testable. C'est un point sur lequel je vais insister dans un instant.

Auparavant, je voudrais revenir en quelques mots, parce qu'il y a encore à signaler quelque chose d'assez typique, sur l'état mental que le malade a présenté à la suite de l'accident, à partir du moment où, reprenant ses sens, il s*est trouvé couché sur le bord de la route. Le voilà, lui brave autrefois^ de- venu affolé, terrifié; il pleure, il tremble, il se lamente, il prononce au mo- ment où il rencontre son ami des jurons, des paroles grossières ; il l'insulte. Puis ce sont des phrases sans suite, incohérentes, enfantines au premier chef. Tantôt il se dit presque mort et, un instant après, il exprime le regret de n'avoir pas pu cueillir le bouquet de bruyère blanche qu'il cherchait sur le bord de la route au moment oùla foudre a éclaté... Singulière préoccupation chez un homme qui se croit avoir un pied dans la tombe. Ceci concorde fort bien, il faut le remarquer^ avec ce que dit Sestier des troubles psychiques immé- diats produits parle foudroiement. 11 est presque constant, assure-t-il, que les individus frappés par la foudre éprouvent des troubles plus ou moins pro- fonds, plus ou moins durables dans leurs facultés intellectuelles, tels sont: Tétourdissement, la stupeur, la perte de connaissance, la perte de la mémoire, l'incohérence dans les discours, le délire quelquefois furieux (2). « Une jeune femme blessée au^bras, sort frénétiquement de sa chambre, et parcourt la

1. LVxploàion des i^lobcd fiilmin.iircs peut joler à terre des personnes qui se trouvent à une distance de 200 à 300 mètres, couime cela a eu lieu dans la soirée du 20 septembre 1875 (P' Gallit communication ëcrilc). Udns l'orage du !•' septembre 1881, à Vellelri, la foudre globulaire a éclaté sur le pavé de la ruf-, devant une maiàon se trouvaient plusieurs personnes. Un bomini- qui était au 2* étage de la dite maison, se sentit frappé sur la nuque et fut étourdi pendant quelque temps. (P' Galli. BoUetino mensuale.) Série II, vol. 1, 10,p. 214 : 1881.

2. Sestier t. II. p. 97-99.

449

maison en jetant des cris (Marc Stella). Une servante se trouve dans la cuisine au rez-de-chaussé lorsque la foudre y pénétre; dans son effroi, elle saute par la fenêtre (Feltstrôm). Dans le trouble de leur esprit, lés foudroyés se livrent souvent à des actes bizarres constituant un véritable délire. < Quatre hommes s'étaient réfugiés sous un appentis, au moment la foudre tombe à 25 ou 30 pieds ; on voit Tun d'eux se baisser comme pour ramasser quelque chose avec ses deux mains, se redresser, élever les bras, puis se baisser de nouveau et répéter cette manœuvre à plusieurs reprises. Ensuite, s'adressant aux per- sonnes présentes : « La foudre leur dit-il est si épaisse sur la terre qu'on en peut remplir une corbeille à blé » (Linsley). C'est ce qu'on a quelquefois appelé le délire des foudroyés. Il prend parfois un caractère furieux. Une chose assez remarquable, c'est que le plus grand nombre des observations qui signalent ce genre de délire, se rapportent a des soldats, ou à des marins. Notre malade, ne l'oubliez pas appartenait à cette classe. Il était fort coura- geux autrefois et habitué à braver le danger. « Un marin blessé par la foudre resta plus d'un quart d'heure dans un état de mort apparente ; à peine rap- pelé à la vie^ il jeta des regards effarés autour de lui : puis, tout à coup, il voulut s'échapper de son lit. On l'y retint de force; alors commencèrent ûes plaintes, des gémissements, des pleurs accompagnés d'un tremblement de tout le corps. Dans ses invocations fréquentes et ferventes, il appelait la Sainte Vierge à son secours. Son anxiété, sa terreur étaient extrêmes, comme s'il avait encore sous les yeux le tableau du péril auquel il venait d'échapper ou qu'il eût redouté d'en être atteint une seconde fois». « Lorsque le docteur Brillouët eut repris en partie ses sens, il éprouva un tel accès de fureur qu'il frappait la terre avec son couteau de chasse, dont il voulait percer les bateliers du bac qui étaient venus le secourir » (i). J'ai tenu à citer ces faits parce qu'ils rappellent fort bien ■ce qui s'est produit chez D..cy, lorsqu'il a repris ses sens, et nous avons relevé que chez lui, l'état mental en question s'est prolongé jusqu'au moment où, fort tard dans la nuit, il a fini par s'endormir. Il ne saurait vous échapper qull y a lieu de se demander si ce trouble psychique mérite véritablement d'être spécifié sous la dénomination de délire des foudroyés, et s'il ne faut pas voir tout simplement, comme le suggère du reste Sestier lui-même, un délire de terreur ou d* épouvante comme vous voudrez l'appeler.

J'en viens aux quelques détails, que je crois utile de vous présenter main- tenant, relativement à ce qu'on sait sur les paralysies des foudroyés. Vous n'ignorez pas que ces paralysies peuvent être jusqu'à un certain point repro- duites expérimentalement. 11 y a longtemps même qu'on s'est occupé d'étudier les effets de la fulguration artificielle chez les animaux, car le^ observations de Troostwyck et Krayenhaff dAtent de loin. Plus rùccmincnt, Dechambre

1. Tous ces exemples sont empruntés h Sestier, loc. cit., t. II, p. 99, 100, 101.

450

dans son excellent article Fulguration, du Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales (i), et le professeur Nothnagel dans un mémoire fort intéres- sant inséré dans les archives de Yirchow (2), sont revenus sur ce sujet. Il faut naturellement distinguer, dans ces expériences, les effets de la fulguration générale de ceux de la fulguration partielle ; c*est dans ce dernier cas surtout que les paralysies kerauno-expérimentales ont été étudiées. Que le choc électrique ait été dirigé sur un membre dans le sens de la longueur ou trans- versalement, les paralysies produites immédiatement après le choc, sont marquées par les troubles de la sensibilité à savoir : anesthésie cutanée et profonde ; 2^ par des paralysies motrices plus ou moins prononcées, avec diminution temporaire de Texcitabilité électrique. Un des caractères de c€^ paralysies, c'est que, quoi qu'on fasse, elles ne sont pas durables. Elles ne s'accompagnent d'aucune lésion organique appréciable et guérissent, sponta* némenten général, en fort peu de temps, quelques heures^ un jour à peine. Ce résultat est d'autant plus remarquable que les animaux, ainsi que l'ont reconnu tous les auteurs qui se sont occupés de la question, sont relativement très sensibles aux effets de la foudre, et sont souvent tués dans des circons- tances où l'homme ne reçoit qu'une commotion (3).

Mais ce sont surtout, vous l'avez compris, les kerauno-paralysies de rhomme qui nous intéressent plus particulièrement. Bien que nous ne possé- dions pas, à cet égard, des observations toujours très explicites, les faits publiés, malgré bien des imperfections, sont en général suffisamment concordants pour qu'on puisse relever un certain nombre de caractères cliniques qui paraissent propres à ce genre de paralysies. Il sufQt, pour s'en convaincre, d'étudier avec soin et de comparer entre elles les nombreuses relations concer- nant ce sujet qu'on trouve réunies et méthodiquement groupées, dans l'inté- ressante monographie de Sestier {A),

Ces paralysies d'ailleurs, dans l'espèce, paraissent être un fait commun. Il est rare qu'un individu foudroyé d'une façon quelconque n'en soit pas atteint à un certain degré.

Un de leurs caractères est que le début est soudain, et d'emblée, remarquez- le bien, elles atteignent leur maximum. Dès l'instant qui suit le choc, ou bien dès le réveil, s'il y a eu perte de connaissance, la paralysie existe, complète ou incomplète suivant les cas.

Elles portent à la fois sur la sensibilité et sur la motilité. Il est très rare pour le moins que la sensibilité ait été conservée. Sestier ne cite que deux cas

1. Dicl. de Dechambrc, t. VI, 4* série, p. 2Sj, 287.

2. Zur Lehre von den \Vij'ku7igen des Blitzes auf den Ihierischen Korper. Iq Virchow's Archiv. Achtzig. Bd., 1880, p. 327.

3. Voir Tourdes : Art. Fulguration du dict. de Dcchambre. Cas de Vincent et autres p. ;'03, et Seàticr, Passim.

4. Loc. cit. . II, p. 112; art. 3. Paralysie des foudroyés.

451

de ce genre. On n'y voit pas, même dans les cas les plus intenses, et alors qu'il s'agit d'une forme paraplégique, de paralysie de la vessie et du rectum, non plus que des eschares. En somme, il paratt s'agir là, à peu près toujours, ainsi que l'indiquent encore d'autres caractères, de paralysies périphériques.

Leur siège et leur étendue sont généralement en rapport avec le siège et l'étendue des lésions produites par l'étincelle ; ainsi, si la lésion atteint le bras, c'est le bras qui sera paralysé ; ce sera le pied au contraire si c'est lui qui porte la marque du choc électrique ; enfin, si la foudre sillonne tout le côté gauche du corps, il y aura hémiplégie gauche plus ou moins complète. Mais il est des cas la paralysie s'étend bien au-delà du point frappé par la fou- dre; ainsi, chez un homme qui portait une toute petite plaie sur la cuisse gau- che, la paralysie s'étendait à tout le membre inférieur gauche ; elle occupait les deux membres inférieurs sous forme paraplégique, dans un cas du môme genre. Enfin, la paralysie affecte quelquefois des individus qui sans avoir été blessés par l'étincelle^ se sont seulement trouvés dans sa sphère d'activité à une distance plus ou moins considérable. Tel est le cas de ces deux personnes para- lysées momentanément, dans une maison la foudre frappa de mort une vieille dame et sa nièce, à Borlington (i).

La paralysie peut revêtir la forme d'une hémiplégie, d'une paraplégie ou encore, et c'est le cas le plus fréquent,d'une monoplégie pure. Dans un cas, il s'est agi d'une paralysie alterne. « Une femme fut atteinte par la foudre près de Montargis ; en tombant elle crut qu'elle avait le bras et la jambe cassés. Lorsque le D' Gastillier arriva auprès d'elle, il la trouva paralysée de l'extré- mité supérieure droite, depuis l'épaule jusqu'au bout des doigts, et de l'extré- mité inférieure gauche.depuis l'articulation ilio fémorale jusqu'aux extrémités des orteils. Les muscles des membres étaient mous et flasques. Depuis l'articu- lation du poignet droit jusqu'à l'extrémité des doigts, et depuis l'articulation dupiedgauche jusqu'au bout des orteils, la perte du sentiment suivait celle du mouvement. Elle était totale. Quatre jours après, la malade éprouva des four- millements dans les parties paralysées, fourmillements qui lui étaient insup- portables. Le septième jour, elle commença à mouvoir le bras droit,la main et les doigts, et la sensibilité se manifesta en même temps à la]|main droite et au pied gauche. Le neuvième jour,le bras avait acquis assez de force pour se ser- vir de béquilles et venir au secours de la jambe paralysée ;[cela dura pendant dix ou douze jours, après quoi on ne pouvait plu3 distinguer les parties qui avaient été paralysées. Il importe de remarquer,ajoute l'auteur de cette obser- vation (2), pour se rendre compte de cette hémiplégie croisée, que,la femme dont on vient de parler fut directement blessée par la foudre au pied gauche qui fut dépouillé de son épiderme dans une petite étendue, et qu'elle tenait la main

1. Cosmos, t. XIX, p. 31, 1861, dans Sosticr, loc, cit. t. II, p. 113.

2. Oiraull, dans Sestier, loc. cit., l. II, p. 114.

(1

452

droite appuyée sur un panier plein d*herbes porté par un àne qui fut tué par Texplosion électrique. » J'ai tenu adonner en entier la relation de cette obser- vation parce qu'elle est une des plus explicites du groupe et qu'elle signale on grand nombre de faits intéressants au premier chef. Voici encore un fait du même genre rapporté par mon savant confrère le professeur de Quatrefages (1). «. Lorsque M. Roaldès eut été atteint par la foudre, les membres inférieurs et le bras droit étaient entièrement privés de sensibilité et de mouvement.Bientôt un fourmillement se manifesta, et il ne tarda pas à retrouver le pouvoir de re- muer légèrement les parties naguère paralysées ; trois heures après l'accident, le malade put, en s*aidant du bras d'un de ses amis, monter sur le comble de sa maison pour y inspecter les dégâts causés par la foudre. »

Un autre caractère est que, dès le début de ces paralysies, on peut le dire, tout le mal est fait ; elles ne s'aggravent pas dans la suite, ou en d'autres termes elles n'ont aucune tendance progressive ; elles restent un moment 8ta« tionnaires ; puis on les voit s'amoindrir et disparaître.

Leur durée est dans la règle fort courte. On voit, par les 28 observation ras- semblées par Sestier, que la paralysie n'a pas dépassé 24 heures dans 12 cas, c'est-à-dire dans la moitié des cas. Plusieurs fois elle a duré seulement une demi-heure., trois quarts d'heure, deux heures ; il est très exceptionnel qu'elle ait duré plus de huit jours^ et l'on doit signaler comme des cas très rares ceux dans lesquels elle a persisté deux ou trois mois.

Vous voyez qu'en somme, par les grands côtés, les paralysies par fulgura- tion chez l'homme et celles artificiellement produites chez les animaux par l'étincelle électrique, paraissent identiques.

Il nous faut rechercher maintenant messieurs, si la paralysie ou mieux la parésie car il s'agit d'une forme légère observée chez notre homme, appartient au type que nous venons de décrire. Elle s'y rapporte en réalité par son apparition immédiate, antérieure même à la perte de conscience sun'enue à la suite du choc ressenti par le malade; elle était déjà parfaitement cons- tituée au moment du réveil qui a eu lieu seulement quelques minutes après et telle qu'elle est restée jusqu'au lendemain : elle s'y rapporte encore par la concomitance de troubles de la sensibilité. L'anesthésîe cutanée ou profonde n*a pas été, à la vérité, constatée directement, à ce moment-là ; le malade ne s*en est aperçu que le lendemain matin. Mais il n'est pas douteux que dès Torigine, le sens musculaire, pour le moins, a été aflecté, puisque suivant le récit de D...cy, sa jambe gauche, au moment il s'est relevé pour se mettre en marche se dérobait sous lui ; il ne la sentait plus guère^ elle lui paraissait gonflée : « Je ne savais, dit-il, si oui ou non elle portait sur le sol. » Voilà qui est siiffisamment explicite ; mais il est un point, cependant, et un point capital, par lequel la paralysiede notre malade s'éloigne du tableau classique :

2. l^e:it L-r, îci\ cit. p. 115.

\r3

c'est que, au lieu de s'atténuer progressivement, comme cela paraît être la règle, elle est allée, au contraire, en s'aggravant de telle sorte que le lende- main de l'accident, lorsque le malade a voulu se lever, il Ta trouvée beaucoup plus accentuée que la veille ; la station et la marche étant devenues à peu près impossibles. C'est ici, messieurs, le lieu d'entrer dans une nouvelle discussion, après avoir relevé un certain nombre de faits que, à dessein, nous avons jusqu'à présent laissés dans l'ombre.

IV

Il résulte donc de Tobsen^ation du cas, messieurs,que la paralysie de notre homme qui n'était pour ainsi dire qu'ébauchée après le choc, s*est trouvée en quelque sorte confirmée et notablement aggravée le lendemain de la fulguration et c'est en cela justement que consiste la grande anomalie que je viens de relever ; mais si nous examinons les choses de plus près, nous allons bientôt trouver l'occasion d'en signaler d*autres.

Etudions d'abord Tétat actuel du membre paralysé ; il ne diffère aujourd'hui en rien d*essentiel de ce qu'il était justement le lendemain de l'accident, alors que le malade, après une nuit agitée par des rêves terrifiants, a voulu sortir du lit. Nous avons dit qu'à ce moment-là ce membre avait beaucoup de peine à le porter, et que la station ainsi que la marche étaient devenues beaucoup plus difficiles que le jour précédent. C'est un peu après que l'anesthésie cutanée a été bien et dûment constatée, le malade s'étant cogné le membre contre un meuble, assez durement et n'ayant cependant éprouvé aucune dou- leur; à la suite de quoi s'étant pincé vigoureusement il reconnut que l'insen- sibilité était complète. Vous pouvez constater aujourd'hui, à l'aide des pro- cédés usuels, cette anesthésie cutanée qui occupe en avant la partie antéro- externe de la cuisse et de la jambe gauche, et s'étend en arrière sur la fesse, sur le tiers externe de la cuisse, sur le tiers inférieur de la jambe et sur le pied (voir le schéma fig. 9fi) ; elle porte à la fois et à peu prés au même degré sur le tact, la sensibilité à la douleur et à la température. Les notions du sens musculaire sont notablement obtuses, mais non totalement supprimées en ce qui concerne les mouvements de l'articulation de la hanche et de celle du genou, ceux de la première surtout.

Veuillez remarquer la grande cicatrice ovalaire, luisante, gaufrée, qui se voit au niveau du tiers inférieur de la cuisse gauche, un peu au dessus du genou. C'est la trace d'une brûlure assez profonde, produite par l'application d'une cuilller chauffée au rouge. Cette application a été faîte subrepticement, sournoisement, à l'insu du médecin en chef, de l'interne et bien entendu du sujet lui-même, dans le service D .. cy a séjourné un instant avant d'être

admis & la Salpétrière, par un jeune élève assez peu scrupuleux, tous le voyez, dans le choix des moyens de recherche clinique. Il espérait se con- vaincre, parait- il, et convMucre tout le monde, & l'aide d'une expérience rraiment décisive, de la non-existence de l'insensibilité annoncée par le

Fig. 06.

a. AnaMiEe. Li dlslribullon oal ï peu pr^s U

mfme en ce qui concerne la perte des aulres

modea de leDslblllté : tact, température.

b, plaque h yitérogèoe.

malade. Ce jeune homme est sans doute un de ces « esprits forts » élevés à l'école du nihilisme en matière de pathologie nerveuse, dont le nombre tend k décroître chaque jour à mesure que l'ignorance recule. Entre nous, il me parait avoir grand besoin de quelque» bonnes leçons de déontologie médicale. Toujours est-il que son attente a été trompée, car devant l'expé- rience brutale ù laquelle il a ijté soumis à son insu, D.. cy n'a pas bronché : il ne s'est aperçu absolument de rien.

455

Voici maintenant ce qui est relatif à la paralysie motrice. Le malade marche en boitant, sans frotter le sol du pied, wus traîner le membre après lui & la manière d'un corps inerte : sa boiterie parait tenir surtout & un défaut d'énergie dans les mouvements de l'articulation de la hanche. C'est dans cette jointure, principalement, que les mouvements de Qexion et d'extension sont très affaiblis. Le réflexe tendineux est normal ; il n'y apas d'amaigrisBement du membre.

Cette même anesthésie, relevée à propos du membre inférieur gauche, se rencontre tout aussi prononcée sur une bonne partie du membre supérieur dn même côté, en particulier au niveau de l'épaule, et en même temps

tous les mouvements de ce membre sont manifestement plus faibles qu'à l'état normal, ceux surtout qui se passent dans l'articulation acapulo humérale. Tandis que l'exploration dynamométrique donne H kilos pour la main droite, elle ne donne que 15 pour la main gauche.

Vous le voyez, en somme, dans tout ce qui précède nous ne relevons rien qui ne puisse rentrer dans la caractéristique des paralysies par fulguration, mais voici maintenant une série de faits qui sortent évidemment du cadre.

En portant l'investigatiou clinique en dehors de U sphère des membres,nous avons reconnu ce qui suit.

Tout d'abord l'anesthésie révélée par l'examen des membres du cAté gauche se retrouve sur la partie postérieure du trcoc du même côté et, encore à gauche, sur la moitié du cou, en avant comme enarrière,ainsique sur la moitié

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de la tête, de telle* sorte qu'il s*agit d*une hémianesthésie, incomplète à la vérité, mais fort étendue encore, cependant. Cette constatation devait nous conduire k l'examen des organes des sens. Il nous a fait reconnaître l'existence d*un affaiblissement très prononcé de l'ouïe, de Todorat et du goût à gauche, en même temps que le pharynx est insensible de ce même côté. Le champ visuel est un peu rétréci à droite 70**), beaucoup plus rétréci à gauche (30"). Il y a diplopie monoculaire et micromégalopsie de Tœil gauche ; pas d'achromatopsie.

Vous avez pu remarquer lorsque j'ai examiné le malade, Texistence chei lui d'un bégaiement assez prononcé dont il a été déjà question. Il est apparu le lendemain de Taccident, peu après qu'il eut reçu la malencontreuse visite de son patron qui, tout en le félicitant d'avoir échappé à un si grand dan- ger,lui raconta quelques faits defoudroiement suivis de mort. Ces propos, vous le savez, l'émurent vivement et, sur-le-champ, il ressentit comme une boule qui lui montait à la gorge, puis des battements dans les tempes ; enfin la vue se troubla et il eut < une faiblesse ». Tout cela se termina par une crise de larmes : c'est depuis lors que le bégaiement s'est établi.

Ces divers troubles à savoir : sensation de boule, battement, des tem- pes, etc, etc, appartiennent vous l'avez compris, à Vaura hystérique. Ils se sont renouvelés sous forme d'accès, un grand nombre de fois depuis : à deux reprises même, ils ont été suivis de perte de connaissance absolue, mais le malade ignore si, dans ces circonstances, il a eu des convulsions. Il existe d'ailleurs chez notre malade, au dessous du rebord costal du côté gauche, une plaque hystérogène dont la compression détermine d'une façon très manî* feste l'apparition de l^aura hystérique. Ajoutez à tout cela des traces suffisam- ment accusées de spasme glosso-labié : la langue est tirée vers la droite, la lèvre supérieure du côté gauche est plus relevée qu'adroite; puis, un cer- tain nombre de symptômes d'ordre neurasthénique, tels que douleur en casque, la plaque sacrée, la dyspepsie nerveuse, etc, et vous aurez rassemblé une collection de faits dont la signification clinique ne saurait vous échapper.

Evidemment, nos dernières constatations nous obligent à sortir du cadre des paralysies par fulguration : elles nous ont fait retrouver en effet, chez notre foudroyé, la plupart des phénomènes nerveux que nous avons vus se produire tant de fois, dans nos récentes études, à la suite des grands ébranleoicnts psychiques et physiques, de traumatismes divers, des collisions de chemin de fer en particulier; et, à propos de ces dernières, ne peut-on pas dire qu'elles sont à beaucoup d'égards, comparables aux accidents de fulguration, tant par la soudaineté de l'événement, le caractère terrifiant au premier chef des circonstances, que par la violence extrême de la commo- tion^ mécanique dans un cas, électrique dans l'autre, En somme, nous trou- vons réunis chez notre homme, tous les éléments fondamentaux de ce comple- xus névropathique qu'on a, dans ces derniers temps,voulu considérer comme

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représentant une névrose à part, dite traumatique, et où, quant à moi, je ne puis décidément voir autre chose que la névrose hystérique, une et indivisible, combinée souvent, mais non nécessairement, tant s'en faut, à la névrose neu- rasthénique.

Quoi qu'il en soit, l'hystérie ou la névrose traumatique, cemme vous voudrez rappeler dans l'espèce cela me paratt être parfaitement indifférent, est présente dans notre cas, douée de tous les caractères qui la distinguent cliniquement. Hémianesthésie sensitîve et sensorielle, avec rétrécissement très prononcé du champ visuel ; zone hystérogène ; aura suivie de perte de con- naissance, de crises de larmes ; attaques incomplètes mais très suffisamment formulées cependant ; bégaiement ; état mental particulier mais fort vulgaire dans les formes les plus diverses de l'hystérie virile et, quelle qu'en ait été la cause provocatrice: n'y en a-t-il pas assez pour lever tous les doutes et légi- timer absolument le diagnostic ? A quoi bon discuter, cela est clair comme le jour et il faudrait être bien « préoccupé » pour ne pas voir les choses telles qu'elles sont dans la réalité : notre malade est un hystérique et Ton peut ajouter que l'hystérie développée chez lui, par le fait de la fulguration, ne porte pas avec elle, dans ses manifestations cliniques, de marques vraiment spéciales, capables de dénoncer son origine.

Après cela irons-nous, de suite, affirmer que tous les accidents névropa- tbiques qu'on a observés dans ce cas^ ont été, dès les premiers commence- ments^ d'ordre hystérique ? Évidemment non. Il convienten, effet, de faire tout d'abord la part de l'élément neurasthénique développé sous Tinfluence d un excès de travail et de chagrin qui, ainsi que nous l'avons expressément signalé^ préexistait à l'accident. Et puis, il faut se demander si les premiers ti*oubles nerveux apparus immédiatement après la fulguration, au moment du choc reçu sur le membre inférieur gauche, ne relèvent pas directement de la com- motion électrique. Eh bien, messieurs, relativement à ce dernier point, mon opinion est qu'il y a eu véritablement chez notre sujet, au moment même il dit avoir ressenti le coup, paralysie par fulguration, et c'est sur cette paralysie que, ultérieurement la paralysie hystérique est venue se greffer. Vous pré- voyez certainement, et sans qu*il soit nécessaire d*insister, comment, d'après moi, les choses se seraient passées : il s'est produit, réellement, le 7 mai^ au moment où,à la suite d*un grand coup de tonnerre, le globe de feu a paru sur la route, un choc électrique, local, immédiatement suivi d'une esquisse de paralysie dans le membre frappé. Puis à la faveur de l'état préexistant de neurasthénie cérébrale, créé par des chagrins et un surmenage récent;§,rbystéric s'est bientôt développée, sous l'inQuence de la commotion physique et de l'ébranlement psychique qui Ta accompagnée, celles-ci jouant, par rapport à la névrose, le r61e d'agents provocateurs.

llemettez-vous un instant devant l'esprit, l'état mental du sujet pendant la soirée et la nuit qui ont suivi l'accident : égaré, terrifié, tremblant, pleurant

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comme un enfant, puis rêvant de tonnerre et d'éclairs» sachant qu'il avait été frappé par la foudre et de ce fait paralysé d'un membre, eu proie d'ailleurs aux pressentiments les plus sombres,il a dû, vous le concevez aisément, dans un pareil état d*esprit qui ne s*éloigne sans doute pas beaucoup de- celui que produit rhypnotisme, compléter, si Ton peut ainsi parler, la paralysie hystérique déjà existante, et l'amplifier en conséquence d'une auto-sugges- tion^ ou autrement dit, d'une sorte de rumination mentale. C'est ainsi que la paralysie est venue se superposer à l'ébauche de paralysie déterminée par le choc électrique et c'est dans ce temps-là aussi, vraisemblablement, que se seront manifestés les stigmates sensitifs et sensoriels, les attaques précédées d'aura spéciale, et autres marques révélatrices de la diatbése hystérique.

Il était du reste à prévoir que les fulgurations partiellcb ou générales, lors- qu'elles rencontreraient chez les victimes un terrain préparé, devraient déterminer ce développement d'accidents hystériques, tout comme elles déter- mineraient l'apparition d'affections nerveuses d'un autre ordre, la chorée, Tépilepsie par exemple, etc., etc., si la prédisposition était autre. C'est ainsi que les choses se passent dans les chocs par collision de trains et il n'y a aucune raison pour qu'elles ne se passent pas de même dans les cas de fulgu- ration.

Toujours est-il que, comme on voit, la foudre doit, ainsi qu'on pouvait 8*y attendre, figurer parmi les agents provocateurs de l'hystérie, et même il est singulier que les faits à l'appui de cette proposition, ne se rencontrent pas, dès à présent,en plus grand nombre dans les recueils scientifiques. Je pourrai cependant, dans un instant vous citer trois cas de cet ordre. Trois cas, c'est peu; mais je dois avouer que mes recherches, à ce sujet, n'ont pas été très étendues; d'ailleurs, j'en suis convaincu, le nombre de ces faits se multipliera très certainement, si à l'avenir on étudie, à la lumière de nos connaissances actuelles concernant l'hystérie, l'hystérie masculine surtout, les troubles ner- veux divers qui s'obser\^ent chez les foudroyés.

La première des observations auxquelles je faisais allusion tout à l'heure appartient à M. le professeur Nothnagel (1). Il s'agit d'un forgeron âgé de 36 ans, observé pour la première fois, le 24 octobre 1879. Six ans aupara- vant, vers 10 heures du soir, revenant chez lui pendant un orage^ il fut frappé par la foudre et resta sans connaissance. Lorsqu'il revint à lui, sa main droite était insensible, presque incapable de mouvement et portait sur sa face dor- sale une plaque brune de la dimension d'un thaler environ. On le traita par Vélectrisation. 11 avait été électrisé pendant six semaines sans succès, lorsqu'un jour, tout à coup, inopinément, la sensibilité et le mouvement reparurent.

Six ans après, pendant qu'il travaillait de son métier, son marteau lui pîu*ul lourd et bientôt se reproduisit, comme la première fois la paralysie du mou-

1. Virchow's Archiv., lî<80, t. LXXX, p. 345.

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vement et de la sensibilité dans la main. Le malade est sorti de la clinique, guéri, quatre mois seulement après. A Tépoque il a été admis à Ttiôpital^ on a relevé ce qui suit. Il y a un peu d'atrophie des interosseux, de Témi- nence thénar et hypothénar ; les mouvements du poignet et des doigts sont très faibles; impossibilité d'écarter les doigts et de fermer le poing complète- ment. L'anesthésie de la main est complète : « on peut lui planter une aiguille dans la main, lui appliquer les courants induits les plus énergiques ou le pin- ceau électrique, y placer de la glace ou de Teau chaude, lui appuyer sur la main de tout le poids du corps avec le talon de la botte, il ne sent rien. Sens musculaire complètement aboli ; il ne se rend nul compte des mouve- ments qui, lorsqu'il a les yeux clos^ sont imprimés à ses doigts. Les limites de cette anesthésie sont très spéciales. Elle comprend la main entière et cesse un peu au-dessus du pli du poignet par une ligne droite circulaire passant au niveau des apophyses styloïdes. Les courants continus étant restés sans effet, on appliqua au voisinage de la ma'n un gros aimant; au bout de trois quarts d'heure de cette application, il se produisit un fourmillement dans la main et bientôt après la sensibilité y reparut. Après six ou sept nouvelles applica- tions de Taimant, la guérison était complète.

L'auteur de cette relation qui est, comme chacun sait, un observateur des plus distingués, ne manque pas de reconnaître qu'il existe des analogies frappantes entre la paralysie observée chez ce malade et les paralysies hysté- riques : même invasion brusque, même guérison soudaine ; même mode de limitation de Tanesthésie par une ligne droite circulaire (anesthésie en forme de gant), pourrions-nous ajouter aujourd'hui. Mais comment admettre que l'hystérie soit en cause chez un homme robuste ? A peine est-il besoin d'émet- tre cette hypothèse : elle sera naturellement repoussée du premier coup. » A l'heure qu'il est, on ne saurait plus avoir de pareils scrupules et l'on recon- naitrait,assurément,que c'est bien de l'hystérie qu'il s'est agi chez cet homme, au moins dans le second épisode de son histoire.

La deuxième observation a été présentée par M. Gibier de Savigny, alors interne des hôpitaux, à la Société de Biologie et reproduite dans la Revue médicale française et étrangère, du 19 mars 1881 (1); Le sujet est un homme de 28 ans exerçant la profession d'inûrmier à Phôpitaldu Midi. Il est issu d'un père émotif qui a eu plusieurs crises nerveuses (?) et d'une mère également nerveuse mais sans crises. Lui, a été autrefois atteint de rhumatisme articu- laire aigu. Ginqans avant l'époque il a étéobservé, la foudre tomba à 8 ou à 10 mètres de lui et fit une grande brèche dans un mur voisin. Il fut renversé et perdit connaissance une demi-heure. Lorsqu'il revint à lui, il rendit du sang par le nez, la bouche et les oreilles. Son membre supérieur droit était paralysé^

1. Note sur un ca» de monoplégie brachiale droite produite par la foudre. Guérison. Réap' parition passagère de la paralysie d foccasion de chaque orage.

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insensible et flasque. La paralysie dura telle quelle pendant trois mois» mais ce ne fut qu'au bout de six mois que le membre récupéra complètement ses fonctions normales et encore ne peut-on pas dire que laguérison ait été abso- lument complète, puisque, depuis lors, la paralysie reparaît pendant quelques heures à Toccasion de chaque orage.

Dans rintervalle de ces récidives^ le membre droit est parfaitement normal sous tous les rapports et particulièrement en ce qui concerne la sensibilité et le mouvement. Mais lorsque survient un orage, à mesure que le bruit du tonnerre se rapproche, on voit, à la suite de quelques prodromes parmi lesquels figure la sensation dans Tœil droit d'un cercle lumineux présentant les couleurs de Tarc-en-ciel (scotome scintillant ?) on voit, dis-je, la paralysie se reproduire sur le membre supérieur droit avec perte complète de la sensi- bilité et du mouvement. Gela dure environ deux heures en moyenne, après quoi surviennent des fourmillements qui précèdent à courte échéance le retour à Tétat normal. On a plusieurs fois essayé mais, sans succès, de déter- miner, en dehors de Torage, le retour de cette paralysie, par l'application sur le membre de l'électrisation faradique. Plusieurs fois le malade en question a éprouvé des crises convulsives, débutant par la main droite et suivies de perte de connaissance (attaques hystériques à forme d'épilepsie partielle).

La caractéristique de la névrose hystérique saute aux yeux dans ce cas : c'est d'elle évidemment que relève cette paralysie récidivant à l'occasion des orages. Mais « peut-on songer,dit rauteur,à l'hystérie chez l'homme I » Plutôt que de s'arrêter à cette interprétation, cependant si naturelle^ il aime mieux imaginer je ne sais quelle lésion cérébrale en foyer, localisée je ne sais com- ment, et jouissant delà propriété singulière de se raviver, à chaque orage, sous l'influence de « l'électricité atmosphérique » !

La troisième observation du groupe est de date toute récente. Elle ne se rapporte pas exactement à la fulguration, mais à un phénomène connexe. Elle a été communiquée à la Société de Biologie par le D' Onimus, en i887 (i). Lors du dernier tremblement de terre de Nice, un employé du télégraphe avait, au moment survinrent les premières secousses, le médius et l'index en communication avec les parties métalliques d'un appareil électrique dont les fils conducteurs sont, sur une étendue de 600 mètres, enterrés à une profon- deur de 1 m. 50. Il ressentit en ce moment-là, une secousse dans la main droite, éprouva une sorte d'éblouissement et resta étendu, immobile sur son siège, pendant peut-être dix minutes. Le lendemain, une paralysie incomplète pour le mouvement, mais très prononcée en ce qui concerne la sensibilité, s'étendit à ce membre tout entier. En même temps^des contractions fibrillaires se voient

1. Soc. de Biologie, 1887-88. Paralysie par courant électrique d'origine tellurique, iiinon. Thèse de Paris. i889. n. 68.

Guinon, Thèse de Paris, 1889, p. 68.

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dans le côté gauche de la face, et, de ce même côté, se produit un blépharo- spasme.

L'auteur ne songe même pas à la possibilité de la présence de Thys- térie dans ce cas, bien qu'elle y soit facile à reconnaître ; il n'y voit qu'une paralysie par courant électrique d'origine tellurique. Quatorze mois après l'accident, la guérison n'est pas encore parfaite. Malheureusement cette très intéressante observation est restée fort incomplète au point de vue clinique. Pourquoi n'avoir pas recherché l'anesthésie par moitié, les points hystérogènes, le rétrécissement du champ visuel et autres stigmates qui peut-être étaient présents, et dont la constatation aurait écledré la situation? C'est encore un de ces cas dans lesquels la connaissance des travaux récents relativement à l'hystérie mâle eût rendu quelques services.

Les trois observations qui viennent d'être relatées sont,comme on voit, com- parables à celle qui fait Tob jet de la présente étude, en ce sens que, dans toutes, à une paralysie produite par la commotion électrique, est venue se surajouter,èi diverses échéances, la paralysie hystérique. Les cas dans lesquels l'hystérie s'est développée à l'occasion d'un coup de tonnerre sont plus vul- gaires sans doute, et il ne serait probablement pas fort difficile, à la suite de quelques recherches, d'en aligner un certain nombre (1) ; mais je n'ai voulu parler ici que de ceux la paralysie s'est produite immédiatement à la suite du choc électrique et comme conséquence directe de celui-ci. Or, ces cas-là sont rares quant à présent, j'ai tout lieu de le croire.

Messieurs^ après tout ce qui précède et en manière de conclusion, je vous demande la permission de formuler deux propositions qui me paraissent résumer ce qu'il y a de plus important à retenir dans les enseignements fournis par notre observation et par celles du même ordre que nous avons invoquer pour la bien mettre en valeur :

Dans les cas de fulguration, en outre des accidents nerveux qui relèvent directement de la commotion électrique, il faut s'attendre à voir souvent l'hystérie intervenir tôt ou tard.

â® Lorsqu'une fulguration partielle aura déterminé la production d'une paralysie relevant directement de l'action électrique, si l'hystérie, par suite, entre en scène^ la paralysie hystérique pourra se superposer et ensuite se substituer à la paralysie primitive.

1 . Les spasmes de la face et des paupières, Taphonle, le mutisme, le bégaiement, certaines formes de tremblements et autres accidents qui appartiennent si fréquemment à la symptoma- tologie de rhystéric, sont souvent cités parmi les troubles nerveux qui se développent en conséquence de la fuliçuration. Voir Sestier, t. II, scct. 11 .

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A partir du 28 mai, jour D...cya été présenté au cours, jusqu'au 23juillet date de sa sortie, il a été régulièrement soumis au traitement suivant i"^ application de la douche froide générale tous les matins, électrisation statique tous les deux jours (bains électriques), bromure de potassium à la dose de 3 ou 4 grammes par jour ; régime tonique.

Le 29 mai, jour d'orage le malade s'est plaint une demi-heure environ avant qu'on ait entendu le premier coup de tonnerre, d'un malaise inexprimable et d'envies de pleurer ; puis au moment le tonnerre s*est rapproché il a été pris d'une sensation de constriction à la gorge, d'angoisse respiratoire, de battements dans les tempes. Gela a duré quelques minutes ; il était environ 4 heures du soir. En ce moment-là, il est allé s'étendre sur son lit: bientôt après il s'est mis à s'agiter sans perdre connaissance, puis il a pleuré ; à chaque instant, il répétait qu'il n'en pouvait plus, qu'il étouffait, qu'il voulait s'en aller. Cette agitation, ces pleurs ont persisté pendant toute la durée de l'orage qui n'a cessé que vers 8 h. 1/2 du soir ; alors D.. cy s'est endormi jusqu'au lendemain.

Le 5 juillet,vers cinq heures du soir, sans nouvel orage, aurapuis quelques convulsions et enfin perte de connaissance ; après quoi est survenu un sommeil très profond dont on n'a pas pu le tirer ni en lui frappant sur les joues, ni en le secouant fortement. Il ne s'est réveillé que le lendemain matin, très calme d'ailleurs.

Leii juillet, lemaladeditquesonétats'estfortamélioré ; quesajambegauche cstplus forte; eneffet,il saute à « cloche pied» sur le pied gauche, ce qu'il ne pouvaitpas faire autrefois. L'épreuve dynamométrique donne, pour le membre supérieurdroit.25kilosetpour legauchelT. Le rétrécissement du champ visuel n'a pas varié. L'anesthésie du membre inférieur gauche persiste telle qu'elle était au moment de l'entrée du malade, mais au membre supérieur gauche et à la face elle est beaucoup moins accentuée qu'alors. Le point hystérogène existe toujours, mais il faut exercer sur lui une pression beaucoup plus forte pourpro- voquer le phénomène de l'aura.

Le 23 juillet, le malade dit qu'il se sent aussi fort de la jambe gauche que de la droite. Le dynamomètre donne pour la main droite 27 kilos et 19 pour la gauche. Il n'y a plus d'anesthésie ni à la tête, ni au tronc, ni au membre supérieur gauche. Au membre inférieur gauche, il n'existe plus qu'une large plaque d'anesthésie occupant les faces antérieure et externe de la cuisse. Le rétrécissement du champ visuel persiste, mais on ne le retrouve plus qu'à f^^auche il est seulement de 40. Ls goût ot l'odorat sont toujours abolis à f;auche. Evidemment, l'émotivité est beaucoup moindre qu'elle ne Tétait il y a quelques jours seulement.

Le malade a voulu absolument sortir ce jour- fort amélioré sans doute, mais non complètement guéri.

IMI

\ MMZlfTlK. 8, BUE CAMPAGNK-PKbMlËUK, PAIUâ.

Policlinique du Mardi 4 Juin 1889

VINGTIÈME LEÇON

1" et Malades. Deux malades, étudiées comparative- ment : 1*" Tics généralisés simulant la chorée chro- nique ; 2^ Chorée chronique dite d'Huntington ; on insiste sur les difficultés du diagnostic.

3% et Malades. Cas d'abasie : Abasie paralyti- que chez un homme de 44 ans ; 2'' Âbasie trépidante chez un homme de 49 ans ; 3** Même forme chez un vieillard de 75 ans.

Messieurs,

Dans notre première leçon du mardi de la présente année scolaire (i), j'ap- pelais votre attention sur ce que j'appelle volontiers le grand tic convulsif, par opposition au petit tic convulsif ou tic vulgaire, et je relevais qu'entre ces deux formes il n'y a pas, tant s'en faut, un abîme. La différence, en effet, est seulement dans le degré d'intensité et de généralisation des troubles moteurs.

Ainsi, il se peut faire qu'un individu qui, dans l'enfance, n'a eu que des tics légers, les voie empirer, dans un âge plus avancé, au point qu'ils arrivent à constituer une infirmité détestable. De plus, les modifications psychiques, telles que impulsions, obsessions, idées fixes, doutes, scrupules, terreurs mor- bides, qui sont un accompagnement si fréquent du tic convulsif, se rencon- trent à peu près également dans ces deux formes.

J'insistais en outre sur ce points que les mouvements convulsifs appelés tics, quelque complexes et bizarres qu'ils puissent paraître, ne sont pas toujours.

1. Leçon du mardi 23 octobre 1888.

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comme on est porté à le croire lorsqu'on y regarde superQciellement, déré- glés, incoordonnés, contradictoires au premier chef. Ils sont, disais-je, au contraire systématisés en général, en ce sens qu'ils reparaissent toujours les mêmes chez un même sujet, et, de plus, ils reproduisent, en les exagérant cependant, certains mouvements automatiques complexes, d'ordre physiolo- gique, appliqués à un but ; ce sont en quelque sorte, en d'autres termes, la caricature d'actes, de gestes naturels. Ainsi parmi les tiqueurs, les uns sem- blent vouloir expulser à l'aide d'une brusque expiration nasale, un corps étranger engagé dans le nez; les autres, à l'aide de ce mouvement d'occlusion brusque des paupières que vous connaissez, semblent protéger leurs yeux contre l'invasion d'un corps étranger ; un autre encore se gratte comme pour combattre la sensation d'une démangeaison intense; il en est d'autres enfin qui reniflent ou crachotent ou se frappent le front, le visage, la poitrine comme dans un acte de contrition, ou encore, élèvent le bras comme dans un mouvement de défense. On n'en finirait pas à cet égard, si l'on voulait tout dire, même sommairement. Toujours est-il que, comme vous le voyez, le mouvement complexe du tic n'est pas absurde en soi ; il est absurde, illogique, parce qu'il s'opère hors de propos, sans motif apparent. L'acte de se gratter se produit alors qu'il n'existe pas de démangeaison, le clignotement a lieu en l'absence de tout corps étranger, etc., etc. Ajoutons à cela que les mouve- ments des tics sont brusques, rapides^ instantanés, et qu'ils n'ont pas, par exemple, la lenteur des gesticulations choréiques; qu'ils ne sont pas continus, mais surviennent par accès plus ou moins répétés et plus ou moins longs, que les malades peuvent souvent, pour un temps, les arrêter par un effort de la volonté, que souvent aussi, en même temps qu'ils sont sous le coup de leurs secousses grimaçantes, ils profèrent fréquemment des exclamations ou des mots entiers fort communément orduriers, et vous aurez accumulé des carac- tères cliniques tellement particuliers qu'ils paraissent devoir permettre de distinguer, à coup sûr, la maladie des tics de toutes les autres espèces d'af- fections convulsives.

Vous voyez, » disais-je après l'exposé de ces caractères, dans cette même leçon à laquelle je vous renvoie, < jusqu'à quel point les secousses comme électriques du tiqueur se distinguent profondément des gesticulations lented et permanentes des sujets atteints delà chorée deSydenham. Entre le tic et la chorée il y a un abime : ne l'oubliez pas, car il s'agit d'affections auxquelles on donne quelquefois, bien à tort, le même nom et dont le pronostic est bien différent. »

Si j'ai rappelé tout ce qui précède, messieurs, c'est parce que j'y trouve l'occasion de revenir un instant sur ce que la proposition que je viens de repro- duire renferme de trop absolu. Sans doute, nosographiquement, les tics et la chorée représentent bien, comme je vous l'ai dit, deux affections radicalement distinctes, en même temps que, cliniquement, les troubles moteurs quiappar-

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tiennent à Tune, diffèrent foncièrement de ceux qui appartiennent à l'autre ; tout cela est parfaitement exact. Il n*en est pas moins vrai qu'en pratique, dans des circonntances rares à la Tenté, et seulement, bien entendu, lorsqu'on ne regarde pas les choses de très près, la confusion est possible. Elle est pos- sible, par exemple, lorsque les tics se sont généralisés en quelque sorte à toutes les parties du corps, et se montrent sans repos et sans trêve, pour ainsi dire d'une façon continue; si alors, je le répète, on n'y regarde pas d'un peu près, on peut croire que c'est la chorée qui est en jeu.

!'• ET 2* Malades

L'étude comparative des deux malades que j'ai fait placer, côte à côte, sous V3S yeux, justiQera pleinement les réserves que je viens d'émettre. En effet, messieurs, vous le reconnaissez, à ne considérer que les mouvements invo- lontaires, incessants, généralisés, que présentent les deux sujets, les analo- gies paraissent fort étroites entre les deux cas. L'une de ces femmes, cependant, est atteinte de chorée chronique, tandis que Vautre est sous le coup des tics généralisés; eh bien, chez l'une, comme chez l'autre, vous voyez ces mouve- ments occuper à la fois la tète, le tronc, les membres à peu près au même degré; leur nombre chez celle-ci, comme chez celle-là, est de 23 à 30 environ par seconde, etc., etc. ; en un mot, la ressemblance est telle, à tout prendre, que la plupart d'entre vous hésiteraient, j'en suis sûr, à formuler le diagnos- tic; et, de cette hésitation, messieurs, vous n'auriez pas trop à rougir, car je vous dirai, entre nous, qu'un médecin versé dans les études neuropatholo- giques, a tout récemment, à la vérité à la suite d'un examen un peu sommaire^ désigné comme atteinte de chorée chronique^ celle des deux malades qui au contraire, je vais vous le démontrer dans un instant^ ofïre un exemple remar- quable de tics généralisés.

C'est justement dans la difficulté qu'il peut y avoir à distinguer ces deux cas, que git rintérét de la situation, et nous allons nous appliquer en consé- quence, à mettre maintenant bien en relief les caractères qui nous permet- tront d'établir, à coup sûr, cette distinction.

L'une de nos malades, la nommée .1... est âgée de 21 ans, l'autre, la nom- pdée Ch,.. a dépassé sa 51* année,

llill

Si vous examinez ces deux femmes très atteulivement, tour ù tour, k [ila*« fiieurs reprises. cherchant è. reconnaître en quoi coneislent chez elles les moa-4 vements involontaires, vous finirez par discerner que chez Ch., laplusftgée. i* s'iigit de gesticulations relativement lentes, comme arrondies, pour ainsi dire,'| tandis que chez l'autre, la plus jeune, ce sont des mouvements brusques, ! cddés que l'on observe : au premier abord, cela ne saute pas aux yeux, il fatri é'.re prévenu pour le constater ; mais cela devient tout k fait évident, i traire, si vous consultez les tracés obtenus & l'aide desappareils euregistreurl que je fais placer sous vos yeux et qui représentent graphiquement les mou-J

Kig. Ifj.

Tricé* rcproilulsanl \i^3 mouvemonU iiivolonlaîrei de lik Me c]u^i une m^ilnde uttein caovuliirs, l'I cljez une cborëique ohronlr[ue, ODro^ls(r6s d'l[i''^« U mi^lhoili! graphtifuadj Mitray. Le cylindre cnregistrciir csl animé d'une vliniso [uofunna »t lail un tôorcodl KBoaàea. A, maUdlc des lies; D, cbon'c clironiquo. (Commimiquéa pu- H. OuUI, lalcrd de la Clinique de» maladies du syslàme nerveux.]

vements involontaires de la tète chez les deux sujels. Le premier tracé 4 montre bien la brusquerie, l'instantané ité, l'étendue, la répétition coup f coup des mouvements chez J...; tandis que le tracé B fait bien voirqufi du la malade Ch., les mouvements n'ont plus cette brusquerie, cette soudainetAl ils ne se répètent pas coup sur coup, mais à intervaÛes plus ou moins espi ces. On pourrait dire que, dans le premier cas, les mouvements sont eu qu^ que sorte angulaires ; qu'ils sont au contraire arrondis dans le second. Von voyez par Ik le service signali5 que pourra rendre, en pareille circonstance l'application de la miithode graphique pour l'interprétation des cas difflcilo^

Autre difTérence : examinez comparativement les deux malades pendj une assez longue période de temps, et vous reconunitrezquechezGb,,., laplq ftgéedcs deux, les mouvements ne cessent jamais, même un instant, de se

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duîre, ils ne s'arrêtent, en réalité, que pendant le sommeil, tandis que chez J..., on les voit de temps en temps, s'arrêter complètement, pendant une période de 4, 5 minutes et même plus.

J..., par un effort de la volonté peut momentanément arrêter les mouve- ments, ceux de la main, par exemple, prendre une plume et écrire. Ch..., ne peut en faire autant ; écrire lui est chose absolument impossible, à peine même peut-elle tenir un instant la plume qu'elle a prise en main.

Vous avez pu remarquer que pendant toute la durée de notre examen, Ch..., est restée absolument silencieuse, tandis que J... de temps en temps a poussé des bruits laryngés expressifs: on dirait tantôt un grognement d'impa- tience, et tantôt un cri provoqué par une douleur soudaine. Il arrive parfois que c'est un juron qu'elle profère ainsi involontairement.

Enfin, il ne vous a certainement pas échappé que chez Ch..., les mouve- ments involontaires ne sont autres que des gesticulations incoordonnées, illo- giques, absurdes, tandis, que chez J..., leur caractère de coordination et de reproduction stéréotypée peut par moments être mis en relief ; ainsi, de temps à autre^ elle se frappe successivement et toujours dans le même ordre, le côté droit de l'abdomen, puis la poitrine, puis le front du même côté ; un instant après, on la voit saisir un pli de sa robe de la main droite, au niveau de cette même région de l'abdomen, que tout à l'heure elle frappait du poing, en extraire du fil et le déchirer ; aussi cette robe, en ce point, ainsi que la parti du jupon qui est au-dessous, sont-ils dans un état de délabrement pitoya- ble ; ajoutons qu'en raison des coups répétés qu'elle y porte, la peau du ventre elle-même, dans la région correspondante, est couverte d'ecchymoses. D'autres fois, elle secoue brusquement son tronc et ses membres et frappe le sol du pied, de manière à figurer un mouvement de grande impatience, etc., etc.

Inutile d'insister plus, vous avez certainement reconnu par tout ce qui précède que c'est chez J... qu'existe la maladie des tics, et vous avez pu vous convaincre du même coup, que lorsqu'ils se généralisent et tendent à la con- tinuité, de façon à rappeler la chorée chronique, les tics, à ne considérer même que ce qui est relatif aux mouvements, peuvent encore, à Taide de certains caractères, être distingués, sans trop de difficultés, des gesticulations chroniques.

Mais la différence fondamentale qui sépare les deux états morbides apparaîtra surtout, dans son véritable jour si, au lieu d'envisager seulement un des aspects de la maladie, on s'attache à en embrasser l'histoire tout entière.

Ch..., la plus âgée des deux malades elle a plus de 51 ans nous est connue déjà. Je vous l'ai présentée l'an passé comme atteinte de chorée chro- nique ou chorée d'Huntington. Je vous rappellerai àce propos que, suivant nous, la chorée dite d'Huntington ne constitue pas une maladie spéciale, autonome, distincte foncièrement de la chorée infantile, ou chorée de Sydenham ; mais

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que, au contraire, elle se rattache à celle-ci, qu^elle représente sous la forme chronique (1). Mais ce n'est pas cela qui importe pour le moment; nous .devons surtout nous attacher actuellement à mettre en relief les traits qui permettront de différencier le cas de Ch..., de celui que nous allons considérer tout à rheure. Eh bien, nous ferons valoir à cet égard, que le début de la maladie s*est fait à 33 ans seulement, tandis que les tics, en général» font leur première appaiîtion dans Tenfance ; que notre malade compte d^nB sa famille quatre cas de chorée chronique, en outre d'un certain nombre d'exem- ples de névropathie d'une autre espèce : qu'enfin, les modifications psychiques concomitantes des troubles moteurs sont accusées ici dans le sens de la démence et qu'elles n*ont, par conséquent, aucune relation directe avec celles qui accompagent si vulgairement les tics convulsifs.

J., notre seconde malade^ est, comme on l'a dit, âgée de 21 ans seulement, et chez elle les tics ont commencé à paraître à l'âge de 12 ans. Ils se sont pré- sentés d'abord sous la forme de tics vulgaires, consistant dans de brusques mouvements des paupières, puis ils ont occupé la tête et les membres supé- rieurs. — Déjà à cette époque, les bruits laryngés et la coprolalie s'étaient accusés. La malade ne pouvait pas souffrir qu'on lui portât inopinément une main sur l'épaule, sans tressauter.

Une accalmie s'est produite après l'apparition des règles, à l'âge de 13 ans. Elle a duré jusqu'à il y a trois ans; à cette époque J..., qui s'était mariée à 17 ans, éprouva de grandes contrariétés. Elle eut, bientôt après, une fausse couche, et à la suite les tics reparurent.Un accouchement survint il y a un an ; et c'est à ce moment-là que les mouvements convulsifs ont acquis l'intensité que nous leur voyons aujourd'hui. Ils se montrent depuis lors, tellement généralisés et tellement continus en quelque sorte, qu'ils simulent jusqu'à un certain point ainsi qu'on Ta vu, la chorée chronique. L'écholalie est actuellement très accusée et, de plus, la malade involontairement répète sou- vent à haute voix les paroles qu'elle entend prononcer autour d'elle (écho- lalie). Elle présente aussi de réchokinésie ; si l'on imite devant elle, dans les moments elle est relativement calme, les gestes qu'elle a l'habitude de faire, elle les reproduit malgré elle et l'on peut provoquer ainsi un accès de mouvements involontaires. Il y a encore à noter, chez elle, de Tarithmo- manie : il lui arrive en effet de compter automatiquement, quand elle marche, les pavés sur lesquels elle pose les pieds. Elle est violente, sujette à des co- lères enfantines survenant pour les motifs les plus futiles. Le soir, elle se sent prise de terreurs folles et, avant de se coucher,elle examine tous les recoins de la chambre pour s'assurer que personne ne s'y trouve caché. Rien d'ailleurs qui ressemble à un aff'aiblissement réel des facultés intellectuelles. Les marques

i Voir à ce sujel,lcs leçons du mardi, 1887-1888— H et 21 juillet; etJ.Huel; De la chorée cl^ronique, thèse de Paris, 1889.

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névropatliiques ne font pas défaut dans lu famille. Mais il n'y a à cet égard rien de bien accentué. Sa mère est très nerveuse, sujette à des colères sans frein : elle a plusieurs fois, dans des accès de jalousie, cherché à s'empoi- sonner; son grand-père maternel est, assure-t-elle, mort de chagrin à la suite de revers de fortune ; elle a un frère sujet à de grands emportements. La chorée chronique ne figure pas, comme vous voyez, dans les accidents héré- ditaires.

Cette histoire abrégée de nos deux cas, suffit, je pense, pour vous permettre de reconnaître que les ressemblances qui paraissaient au premier abord les rapprocher étroitement, sont tout extérieures, toutes superficielles. Elles sont dans la forme et nullement dans le fond. Il y a lieu en somme, d'établir entre les deux ordres de faits une séparation radicale.

Messieurs, la chorée chronique passe, et c'est de toute justice je crois, pour une maladie incurable ; son évolution est fatale, et la thérapeutique est im- puissante à l'arrêter, ne fut-ce qu'un instant, dans sa marche progressive. Il n'en est pas tout à fait de même de la maladie des tics ; elle aussi est des plus fâcheuses, en ce sens qu'on ne saurait dire qu'on la guérisse jamais ; mais on peut compter cependant sur des temps d'arrêt, souvent fort longs, sur des attermoiements, soit spontanés, soit provoqués par une thérapeutique appro- priée; l'hydrothérapie, la gymnastique rationnelle, l'isolement peuvent être signalés entre autres, parmi les moyens capables en pareils cas de rendre des services. Vous voyez qu'il n'était pas sans intérêt d'apprendre à bien distin- guer, l'un de l'autre, deux états morbides dont le pronostic est si différent.

3% ET 5^ Malades.

Dans la le^on du mardi 5 mars de cette année (p. 364), en vous parlant de Vabtuie^ je relevais expressément, que malgré l'unité foncière de ce syn- drome, les phénomènes qui s'y rattachent ne se manifestent pas toujours dans la clinique sous le même aspect et, à cet égard, il y a, ajoutais-je, à con- sidérer un certain nombre de groupes répondant à autant de types sympto- matiques, distincts les uns des autres.

Je suis entré dans cette même leçon dans quelques détails à propos du

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groupe de Tabasie trépidante, dont je vous présentais un bel exemple, et j'y faisais allusion, en passant, au groupe de Tabasie choréiforme ; mais j'aya^s signalé tout d'abord « les cas dans lesquels le malade qui couché, exécute, avec les membres inférieurs, tous les mouvements de l'état normal, se trouve, lorsqu'il veut quitter le lit, dans l'absolue impossibilité de se tenir debout, ne fût-ce qu'un instant, et s'afiaisse sur lui-même ; puis le même malade, immé- diatement après, s'il est soutenu par deux aides, pourra se tenir debout; maû aussitôt qu'il s'agira de marcher, les membres resteront accolés l'un à l'autre, sans raideur toutefois, les pieds ne se détachant du sol qu'avec peine. Od dirait alors un très jeune enfant complètement inexpérimenté encore dans l'exécution du mécanisme de la marche, qui, soutenu par sa nourrice, s'exerce gauchement à esquisser ses premiers pas ». Je vous ai proposé, vous ne Tavex peut-être pas oublié, de désigner ce groupe de faits sous le nom (Tabatie para- lytique.

Ainsi, à côté des abasies trépidante et choréiforme, il y a lieu de placer l'abasie paralytique et justement c'est sur un exemple du dernier genre que je vais actuellement appeler votre attention.

Il s'agit d'un homme âgé de 44 ans, nommé Cher... ni qui exerce la pro- fession d'artiste dramatique. Ses antécédents de famille sont fort significatifs et méritent d'être relevés avec quelque soin.

Il serait le petit-fils, du côté paternel, du grand musicien qui porte le même nom que lui ; sa mère le lui aurait affirmé, mais un mystère semble régner sur ce point.

Son père était artiste dramatique ; il a été tué à Blidah en 1851, lors d'une révolte des Arabes. Il a été fort peu connu de son fils, qui avait à peine 7 ans lorsque cet événement eut lieu.

Du côté maternel : grand'mère « nerveuse », c'est tout ce qu'on en sait ; elle serait morte d'hémorragie cérébrale. Le grand-père de ce côté n'a pas été connu du malade.

Sa mère exerçait, elle aussi, la profession d'artiste dramatique. Elle se livrait avec excès à l'usage des boissons alcooliques : elle est morte à l'âge de 57 ans, à l'hôpital Saint-Antoine.

Un des frères de sa mère, comédien, avait la mauvaise habitude de boire beaucoup d'absinthe; il est mort t'galenient à l'hôpital Saint-Antoine.

Voici maintenant ce qui concerne les antécédents personnels de notre homme. Jusqu'à l'âge de 34 ans, il n'avait jamais été malade; sa santé était parfaite, seulement il était très nerveux, très émotif; d'ailleurs élevé par sa mère, dans le théâtre, il avait été excessivement gâté dans son enfance. Il pleurait pour les motifs les plus futiles. Il lui arrivait souvent au théâtre, quand il y allait comme spectateur, de pleurer au moment des scènes pathéti- ques : le cœur lui battait, il se sentait serré à la gorge et se mettait à san- gloter. Par un contraste singulier, quand il est au delà de la rampe, faisant

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son métier d'acteur, il ne s*émeul jamais hors de propos, comme comédien. Il joue les comiques, les« queux-rouges » comme on dit dans le métier; Arnal et Alcide Touzé sont les types dont il essaie de se rapprocher. 11 n'a jamais pu par suite, dit-il, d'un vice de prononciation, aborder les personnages sérieux. Il n'est jamais parvenu d'ailleurs, dans sa profession, à s'élever au- dessus des rangs les plus modestes.

Les premiers accidents nerveux bien caractérisés qu'il ait éprouvés remon- tent à dix ans. 11 apprit à cette époque-là que sa femme le trompait : il en éprouva un très violent chagrin, et un jour en sortant d'une répétition, il sentit quelque chose qui lui montait à la gorge et l'étoufTeût. Peu après survin- rent des battements dans les tempes, puis un tremblement général très violent, entrecoupé de sursauts, de brusques détentes : pas de perte de con- naissance. La crise se calmait de temps à autre ; puis les accidents nerveux reparaissaient comme de plus belle. Pendant près de 8 jours, il a du rester à la chambre.

A partir de cette époque, des attaques analogues se sont reproduites, une fois tous les six ou huit mois, toujours à la suite de contrariétés et d'émo- tions, et c'est à peu près constamment vers minuit ou une heure du matin, après le spectacle, qu'elles ont éclaté.

C'est, il y a deux ans, en avril 1887, encore à la suite d'une grande émo- tion, que s'est pour la première fois produit le syndrome abasie paralytique que nous allons pouvoir étudier dans un instant. Ch... ni était alors à Angou- léme,régisseur d'un concert-théâtre il jouait la comédie et chantait.il apprit tout à coup que le régisseur de cet établissement, ayant fait de mauvaise afiaîres, s'étadt enfui subrepticement. Alors survint une de ces crises de trem- blement précédé d'une aura caractéristique, auxquelles il était devenu sujet depuis 8 ans : celle-ci dura environ 2 jours ; pendant ce temps le malade ne put pas quitter le lit.

Les accidents nerveux, au bout de cette période, s'étant amendés, il voulut un matin, se croyant guéri, se lever pour retourner à ses occupations, mais à son grand désappointement, à peine ses pieds avaient-ils touché le sol, qu'il s* affaissa et tomba lourdement sur les genoux, L'abasie et l'astasie s'étaient constituées telles que nous les retrouvons aujourd'hui : en effet, il est parfaite- ment établi par le récit du malade que, lors de cette première atteinte, les membres inférieurs, qui, lorsqu'il s'agissait de la station, ne pouvaient pas le supporter, étaient capables cependant, dans le lit, d'exécuter tous les mouve- ments possibles avec force et précision. L'abasie-astasie a duré alors près de quatre mois, durant lesquels il ne s'est pas produit de nouvelles crises de tremblement, précédées d'aura. Le malade a été traité à l'hôpital d'Angou- léme ; les applications de pointes de feu, les bains alcalins, sulfureux, sont les principaux agents qui y ont été employés. L'amélioration ne s'est produite que très lentement, progressivement. Le fait est que, pendant deux mois, le

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séjour au lit a été à peu près absolu et que, pendant deux autres mois, la station et la progression n'ont été possibles qu'avec le secours de béquilles. Puis vint une période la marche pouvait s'exécuter simplement à l'aide, d'une canne. Mais il importe de remarquer que jamais depuis lors, la gué- rison n'a été absolument complète.

Il a été impossible à Ch... ni, depuis cette époque, de remonter sur la scène, et il a se résigner à faire le métier de régisseur dans les cafés-con- certs. C'est qu'en effet,bien qu*il pût se tenir debout et marcher, l'un ou l'autre de ses membres inférieurs était exposé à se dérober sous lui, de temps en temps, inopinément, et plusieurs fois ces effondrements l'ont précipité à terre.

Les choses étaient ainsi, lorsqu'à la fin de Tannée dernière^ le 13 novem- bre 1888, en apprenant une nouvelle perte d'argent, qui cette fois le plon- geait définitivement dans la misère, i) fut pris derechef d'une crise de trem- blements semblable aux précédentes, et qui, elle aussi, se répéta à peu près incessamment durant une période de deux ou trois jours. Au bout de ce temps, les crises ayant cessé, le malade voulut sortir du lit, mais l'astasie s'était re- produite dans toute son intensité première et, aujourd'hui, nous retrouvons, après huit mois, le syndrome dont il s'agit, tout aussi développé qu'il l'était àTorigine.

Vous reconnaîtrez facilement, messieurs, que lorsque notre malade est cou- ché sur le brancard, ou assis sur une chaise, les divers mouvements qu'on lui prescrit sont exécutés par ses membres inférieurs avec une énergie et une précision qui ne laisse rien à désirer, aussi bien lorsque les yeux sont ouverts que lorsqu'ils sont clos. J'ajquterai que l'exploration de ces membres ne fait reconnaître aucune particularité indiquant l'existence soit de l'ataxie loco- motrice, soit au contraire de la paraplégie spasmodique ; ainsi, les réflexes sont présents; ils ne sont pas exagérés; il n'y a pas de rigidité des mem- bres ; le phénomène du pied n'existe pas ; pas de douleurs dans ces membres; pas de troubles urinaires, etc., rien en un mot qui révèle l'une quelconque des lésions organiques spinales connues.

11 y a à observer seulement, dans ces membres, un léger tremblement vibra- toire, qui existe également dans les membres supérieurs, et qui, bien qu'il s'exagère manifestement à l'occasion des divers mouvements exécutés, ne les trouble pas notablement.

Maintenant deux personnes sont forcées de soulever Ch... et de le soutenir sous les aisselles, afin qu'il puisse essayer de se tenir debout. Vous voyez que la station est impossible et que, dans les efTurts qu'il fait pour se tenir sur ses membres inférieurs, ceux-ci se placent dans l'extension puis, un peu après, se fléchissent au niveau des genoux, de façon que les pieds ne portent plus sur le sol. C'est là, vous l'avez compris, le phénomène de l'astasie dans toute sa singularité. Celle-ci implique nécessairement l'abasie ; car on ne saurait mar- cher, du moins de la marche ordinaire, lorsqu'il est impossible de se tenir

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debout. Mais, remarquez-le bien car c'est un trait l)ien particulier— Tim- puissance motrice n'est pas relative, chez notre homme, à tous les modes de station ou de progression: ainsi nous lui prescrivons de se mettre à genoux ; vous voyez qu'il est capable de se tenir fort bien, dans cette position, le tronc droit et sans que les fesses portent sur ses talons et si nous lui disons de pro- gresser ainsi, il exécute ce genre démarche, sans difficulté et sans l'inter- vention de mouvements contradictoires ; il progresse aussi, vous le voyez, -< à quatre pattes » à peu près comme le ferait un sujet normal. Enfin, étant assis sur une chaise, il peut, se transporter, cette fois, à peu près sans le secours des membres inférieurs, par des mouvements qu'il imprime à son siège à laide des mains.

Telle est, messieurs, Tastasie-abasie paralytique : c'est sous cette forme, je vous l'ai dit, que le syndrome m'est apparu la première fois que je l'ai remarqué. C'était chez un jeune garçon âgé d'une douzaine d'années (1). Je suis porté à croire qu'il se rencontre à cet âge plus fréquemment que chez l'adulte.

Tout récemment,messieurs,le D'Brunon a publié dans len° 9,(1*' mai 1889), de Normandie médicale un intéressant exemple de ce genre dont je crois devoir vous faire connaître les principaux traits; il rappelle de tous points notre cas d'aujourd'hui, bien qu'il s'agisse d'un enfant de 8 ans.

Au sortir d'une éruption papuleuse discrète, qui fut désignée sous le nom de rougeole, bien qu'il n'y eût pas de fièvre, on remarqua que cet enfant « ne tenait pas sur ses jambes. 11 lui était en effet impossible de marcher et de se tenir debout. Quand on essayait de le mettre sur ses pieds, ses membres inférieurs fléchissaient et se dérobaient sous lui. 11 serait tombé si on ne l'avait pas soutenu sous les bras ». L'enfant étant replacé sur son lit, dans le décubitus dorsal, rien ne pouvait faire remarquer dans les membres infé- rieurs, un trouble fonctionnel quelconque. Sans effort, il soulevait les mem- bres au-dessus du pian du lit. Pas la moindre apparence d'ataxie, le pied était dirigé très sûrement vers le point que Ton désignait avec la main ; l'enfant se faisait un jeu de cet exercice. Les réflexes étaient normaux. Les fonctions des réservoirs étaient intactes. « Pendant quatre jours l'examen, à la visite du matin, donne les mêmes résultats. Deux élèves étaient obligés de soutenir l'enfant sous les bras et quand on lui disait de marcher, les jambes s'agitaient comme celles d'un enfant en lisières , il riait lui-même en regardant ses pieds...,» quelques jours après, il y avait un progrès notable. L'enfant pouvait marcher seul, mais très lentement. Les progrès furent ensuite très rapides.

Il semble, d'après ce que j'ai vu, qu'à cet âge l'aslasie paralytique ait une

i. Leçon du maidi 5 mars 1889. iù' loçon, p. 36^.

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tendance habituelle à se terminer rapidement par la guérison; il n*en est pas tout à fait de même chez Tadulte, et je vous ferai remarquer^ à ce propos, que chez notre homme, elle dure déjà depuis 8 mois et ne parait pas prôte à s'amender.

Le plus souvent, autant qu'on sache, Tabasie et Tastasie, quelle qu'en soit la forme, doivent être considérées comme se rattachant à la diathèse hystéri- que ; mais le plus communément, à ce qu'il parait, elle se présente à titre de manifestation isolée, sans concomitance de stigmates sensitivo-sensoriels ou d'attaques (1). Il n'en est pas ainsi chez notre homme; chez lui, d'abord, les attaques avec aura caractéristiques sont chose vulgaire et de plus, en fait de symptômes permanents, il y a à noter une hémianalgésie droite, avec anesthésie très nette de la cornée de ce même côté, mais sans rétrécis- sement bien marqué du champ visuel ; un tremblement des extrémités dont il a déjà été question et enfin une diminution du goût et de l'odorat, sur la moitié droite.

Notre homme est donc manifestement un hystérique, tout ce que nous ob- servons chez lui, l'astasie comme le reste, relève de l'hystérie, et c'est comme hystérique qu'il devra être traité à l'aide des moyens que nous avons en notre possession,et sur l'application desquels il nous parait inutile d'insister à nou- veau , pour le moment.

Je ne voudrais pas abandonner ce sujet de l'abasie paralytique sans vous signaler les difficultés qu'il pourrait y avoir, dans certains cas particuliers, à la distinguer de ce que Ton pourrait appeler l'abasie ou l'astasie relevant d'une lésion organique du cervelet. C'est, vous l'avez compris, à ce qu'on appelle l'ataxie ou incoordination cérébelleuse que je fais allusion ici. Et vous savez qu'elle s'obsei^ve surtout dans les cas il y a participation du vermis. Dans ces cas, comme dans ceux que nous «étudions ici, le malade étant au lit, peut, vous le savez, déployer dans les mouvements de ses membres inférieurs une grande force musculaire et il n'existe dans ces mouvements aucune trace d'in- coordination ; mais, lorsqu'il est question de se tenir debout et de marcher, c'est tout autre chose. Deux cas peuvent alors se présenter: tantôtlemalade peut encore, tant bien que mal, se tenir debout et marcher tout en titubant comme un homme ivre et alors le diagnostic est en général facile. D'autres fois, la sta- tion et la marche sont, comme dans notre cas d'aujourd'hui, absolument impossibles, et lorsque le sujet, étant soutenu sous les aisselles, fait des efforts pour se tenir debout, il s'affaisse sur lui-même. 11 ne serait pas difficile de trouverdansla science un certain nombre d'exemples de lésions cérébelleuses, accompagnées de cette impuissance motrice relative h la marche, rappe-

i. Voir la 16« leçon, p. 3^7

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lant vous le voyez, la symptomatologie du syndrome astasie paralytique (i). Ici l'œuvre de diagnostic pourra rencontrer des difficultés très sérieuses et, pour la mener à bien, il faudra le plus souvent considérer les circonstances concomitantes: c*est ainsi que les douleurs de tète fixes et intenses, accompa- gnées de vomissements, la présence d*une névrite optique, les vertiges de translation, etc., révéleraient la lésion cérébelleuse, tandis que la coexistence des stigmates sensitivo-sensoriels ou d'attaques caractéristiques contribuerait à démasquer Torigine hystérique des accidents.

Il importait de vous signaler cetécueil,que vous rencontrerez peut-être plus d'une fois, dans la pratique, et qu'il vous faudra chercher à éviter à tout prix.

Les circonstances m'amènent^ messieurs, à vous parler maintenant de deux autres cas d'abasie qui ont été ces jours-ci admis dans le service. Vous voyez comment des faits cliniques, qu'on croyait des plus rares, semblent tendre à devenir presque vulgaires, lorsqu'on a appris à les reconnaître et qu'ils ont enfin fixé l'attention. Cette fois, comme dans l'exemple qui a fait le sujet de notre 16* leçon de la présente année c'est, dans les deux cas, de l'abasie trépidante qu'il s'agit.

Le premier est relatif à un homme de 49 ans nommé Sal...ès, autrefois con- tremaître dans une fabrique de papiers peints, à Epinal.

Vous constatez, par la démonstration que j'en fais devant vous, que chez lui le syndrome abasie est quelque peu efiacé, en ce sens qu'il n'est point permanent. Vous retrouvez bien ce contraste entre l'intégrité parfaite des mouvements des membres inférieurs lorsque le malade est couché ou assis, et leur vicieuse adaptation aux mouvements de la marche qui constitue, en somme, le caractère le plus saillant du trouble abasique ; mais cette incoordi- nation spéciale à la marche, je le répète, ne se montre pas constante : il faut souvent, pour la mettre en relief, la provoquer à l'aide de certains artifices. En général, elle s'accuse très évidente quand le malade, après avoir marché pendant quelque temps, se prépare à s'asseoir, ou encore lorsqu'étant assis il se lève et se prépare à marcher. Dans ces circonstances-là, on voit se dessiner parfaitement cette progression trépidante que nous avons minutieusement décrite, à propos du cas de Ro...el, dans la leçon du mardis mars, à laquelle je vous renvoie pour les détails (2). Elle se manifeste encore à coup sûr quand il essaie de marcher à reculons et aussi lorsque, pendant qu'il s'avance, mar- chant à peu près régulièrement, on cherche à lui faire obstacle en appliquant légèrement une main sur le devant de sa poitrine. Il s'agit donc en quelque

i. Voir 8UP ce sujet de l'aslasie cérébelleuse, Dreschfeld, Five Cases of cerebellar Disease 4882. Carrion, Hémorragie cérébelleuse, Tbèsede Paris, 1875.— Bernhardt. llim Geschivalste p. 239, Berlin. Voir aussi Duclienne de Boulogrne et Nothna^l.

2. Leçoni> du mardi IS^l», p. 356-351.

sorte d'un état mixte, rappelant ce qu'on voit dans les cas ou Tabasie, après s'être montrée absolue pendant une période de temps plus ou moins longue, commence à s'amender : alors les phénomènes de la marche normale repa- raissent par épisodes, d'abord, puis ils tendent progressivement à se substituer aux phénomènes anormaux pour prendre enfin décidément, à un moment donné, le dessus D'ailleurs, chez notre homme, vous retrouvez cette facilité à progresser à quatre pattes, ou à pieds joints que nous avons signalée déjà dans d'autres circonstances.

Voilà pour le côté descriptif; il s'agit maintenant de faire connaître les conditions dans lesquelles s'est développé ici le syndrome abasie, et de cher- cher à en déterminer la signification clinique, si possible. Pour ce faire, il nous faut exposer, ne fût-ce quen quelques mots, les principaux traits de Thlstoire de notre malade,

Il y a chez lui quelques antécédents héréditaires à signaler : la mère serait morte d'une maladie de la moelle épinière ; ses jambes étaient complètement paralysées et, dans les derniers temps, il s'était produit chez elle une largeplaic à la région sacrée. Un de ses cousins germains, du côté maternel, a été un grand buveur d'absinthe. Il était sujet à des accès <c de manie furieuse >. Puis Taliénation serait devenue permanente.

Lui-même pendant son enfance, vers Tàge de 6 ou 7 ans, aurait été sujet à des hallucinations hypnagogiques terrifiantes ; il voyait souvent, avant de s'endormir apparaître devant lui un fantôme vêtu de blanc. Plus tard il a toujours été excessivement émotif, colère, emporté, se chagrinant pour des riens et pleurant pour les motifs les plus futiles.

Il n'avait jamais été malade cependant, à proprement parler, lorsqu'il y a huit ans, il fut tout à coup, sans pertede connaissance, frappé d'une hémiplé- gie qui prédomina dans le membre inférieur gauche et le retint trois jours au lit. La paralysie motrice ne fut pas de longue durée et, depuis longtemps, il n'en reste plus de traces ; mais dès l'origine^ des troubles cérébraux sérieux se sont produits et depuis, ils ont persisté toujours à un certain degré, si bien que tout travail lui est devenu complètement impossible.

La mémoire surtout a été profondément altérée ; elle Test encore aujour- d'hui à peu près au même degré. Il embrouille tous les événements de sa vie et ne se souvient pas le lendemain de ce qu'il a dit ou fait la veille ; dans Tes- pace de quelques minutes il répète dix fois la même chose, et souvent il hésite, bredouille et émet des paroles incohérentes. En somme, c'est un être désor- mais fort dégradé intellectuellement et devenu totalement incapable de se conduire lui-même ; c'est un dément.

Dans quelles circonstances les phénomènes abasiques se sont-ils produits chez lui? c'est ce qu'il a été impossible d'établir. Sa femme assure qu'elle les a remarqués il y a deux ou trois ans déjà et que, depuis cette époque, ils n'ont pas cessé d'exister tels que nous les retrouvons aujourd'hui. Il ne paraît pas

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qo'A cette époque aucun incident Eoit surveau,capable d'en expliquer le déve- loppement. L'examen attentif que nous avons faitdusujetlors de sou admission à l'bdpital nous a fait reconnaître ce qui suit : il existe un rétrécissement du champ visuel très développé dans les deux yeux, à 40° (voir le scliéma), sans

Fig. 100.

dyschromatopsie^ sans diplopie monoculaire, et en outre une hyperesthésie

superficielle et profonde répandue sur la plus grande partie delà moitié gauche du corps. La tète seule , et les extrémités, main et pied, sont ex- ceptés. Les frictions, niômo lùgÈres, sont très douloureuses, vraiment insup- portables sur la scrotum et le testicule gauche, sur le cordon et dans les régions avoisinantes ; pli de l'aine, flanc, hypogastre. Néanmoins, quelque insistance que l'on mette à pincer, à comprimer les régions en question, on ne provoque pas les symptômes de l'aura hystérique. Celle-ci ne se manifeste pas non plus spontanément, et il n'y a rien dans l'histoire classique du cas qui ressemble à des attaques. Pas d'aneslhésie pharyngée, le goût, l'odoral, l'ouïe sont à l'état normal des deux côtés, La paralysie motrice d'autrefois, ainsi que nous l'avons déjà dit, n'a laissé aucune trace, aucune modification des réflexes tendineux dans les membres du côté gauche. Le dynamomètre dooae 26* pour la main droite et 23 pour la main gauche.

Vous avez certainement compris, messieurs, que la question à résoudre est celle-ci : l'hémi-hyperesthêsie ainsi que le rétrécissement du champ visuel que nous venons de signaler, sont-ils l'expression d'un état hysté rique développé ily adeuxou trois ans et auquel se rattacherait & titre de consé que uce plus ou moins directe, le syndrome abasie; ou, au contraire, ces troubles sensitifs et sensoriels relèvent-ils d'une lésion organique en foyer,

localisée dans les parties postérieures de la capsule interne de façon fc in- téresser surtout le faisceau sensitif î Dans ce dernier cas, les troubles de la sensibilité en question seraient vraisemblablement contemporains des

dp l'HypcrpslIiésio si

troubles moteurs hémiplégiques, survenus il y a huit ans, et qui reconnaî- traient la même origine : seuleraenllalésionorganique, probablement un foyer de ramollissement ischémique localisé, cumme on l'adît, dans lapartie posté- rieure de la capsule, n'aurait affecté lo faisceau moteur que légèrement, tran-

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sitoirementy par compression, tandis qu'elle aurait compromis plus gravement et d'une façon peut-être définitive, le faisceau sensitif(l). Dans la seconde hypothèse, à laquelle je suis fort enclin à me rattacher,bien que je ne me sente pas en mesure, je Tavoue, de rétablir sur des arguments absolument décisifs, quelle serait la raison de la coexistence du syndrome abasie ?

Il n'est guère douteux, ainsi que je vous le disais dans la leçon du 5 mars à laquelle je vous ai renvoyés déjà (2) que, dans la grande majorité des cir- constances,rabasîe relève de Thystérie. « Mais,ajoutais-je,il faut compter sur les anomalies possibles. S*il est vrai en effet, comme tout porte à le croire, que les groupes cellulaires divers qui président aux mouvements spécifiés, pour la marche^ la station, le saut, etc., constituent dans Taxe cérébro-spinal autant de centres distincts, topographiquement comme fonctionnellement, les uns des autres, on peut concevoir que chacun de ces groupes puisse être plus ou moins gravement intéressé par une lésion organique. » Mais comme il est vraisemblable qu'en pareil cas, la lésion ne sera pas étroitement loca- lisée dans tel ou tel des centres en question et s'étendra aux parties voisines, on devra s'attendre à la voir se traduire, pendant la vie, par un ensemble de phénomènes complexes parmi lesquels l'abasie pourra figurer à titre d'élé- ment concomitant.

Or c'est justement ce qui se sera produit, je pense, chez notre homme ; l'abasie figure chez lui, je le suppose, comme le résultat d'une extension des lésions primitivement développées dans la capsule interne et probablement dans les régions antérieures des hémisphères, lésions d'où relèvent l'hémi- plégietransitoire,rhémi-hyperesthésie et les troubles psychiques. Cette exten- sion aura eu pour résultat d'intéresser certaines régions encéphaliques non encore connues, mais que l'étude méthodique de cas semblables au nôtre per- mettra sans doute de déterminer un jour. J'ai l'impression, ajouterai-je, que si la démarche « à petits pas » bien connue comme s'observant chez certains sujets atteints de ramollissement cérébral en foyer, avec ou sans localisation hémiplégique, était étudiée plus attentivement qu'elle ne l'a été jusqu'à ce jour, on y trouverait probablement, associés peut-être à d'autres troubles moteurs, les éléments du syndrome abasie trépidante.

Mais je ne voudrais pas insister plus longuement sur ce fait clinique, dont l'intérêt principal est qu'il nous conduit à signaler des questions pendantes, des desiderata, et qu'il montre bien que dans la séméiologie des troubles de la marche, il reste beaucoup à faire.

1. Sur l'hémianeslhésic sensitive et sensorielle par lésion de la capsule interne, voir les Leçons de mardi 1887-1888. pp. 288-296 et l'appendice, p. 586.

2. 1889, p. 367.

65

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J'en viens donc à l'exposé du second fait, nous allons rencontrer encore, ainsi que je vous Tai annoncé, le syndrome abasie trépidante.

Le sujet est ce brave homme, ftgé de 75 ans, nommé Cr...t, que je viens de faire paraître devant vous. Il est d'aspect vigoureux, vous le voyez, et commeon dit, parfaitement conservé pour son âge, du moins en apparence. Voici son histoire en abrégé; elle est fort simple, du reste, vous allez le reconnaître.

Il n'y a pas dans la famille d'antécédents héréditaires qui méritent d*étre signalés. Jamais^ à part une fièvre d'Afrique, Gr...t, n'a subi de maladie. Ha servi comme soldat en Afrique pendant douze ans, de 22 à34ans ; de 34 à 56 ans il a été employé comme gardien de prison à Melun, et de 56 à 68 ans comme surveillant à Mazas. Il a pris sa retraite en 1882. « J'ai toujours eu, dit-il, une santé magnifique.» C'est un homme régulier, marié, père de deux enfants; il n'a connu ni la syphilis, ni l'alcoolisme. Il parait très soumis aux pratiques de l'hygiène; il a toujours fait un fréquent usage du tub et des bains de rivière. 11 n'est pas du tout ce qu'on appelle un nerveux et n'a jamais donné de signes d'émotivité maladive. Il ne parait présenter, à l'heure qu'il est, aucune marque de déchéance intellectuelle autre que celle que la sénilité entraine à peu près nécessairement avec elle.

Les premiers désordres relatifs aux mouvements de la marche ont com- mencé à paraître chez lui il y a six ans, sans cause connue, progressivement, sans accompagnement de vertiges ou de troubles cérébraux quelconques. 11 se produisit alors, dans les mouvements de la hanche gauche, une certaine gêne accompagnée d'un sentiment de pesanteur qui l'obligeait lorsqu'il montait un escalier à s'appuyer sur le mur, de la main gauche. En marchanl.il y avait une légère boiteric, ou plutôt un certain désordre de la marche, consistant principalement en ce que toujours il était forcé de porter le premier le pied gauche en avant, le pied droit suivant par derrière ; il procédait ainsi à petits pas. Le membre supérieur gauche n'a jamais présenté, dans l'exécution des mouvements, aucun trouble appréciable.

Les choses sont restées telles quelles pendant cinq ans; c'est il y a huit mois seulement que l'état actuel s'est constitué, encore sans qu'aucune cause occasionnelle puisse être invoquée. Cr...t a commencé à ressentir, à cette époque, un sentiment de pesanteur à la nuque et à l'occiput, sur les épaules et le devant de la poitrine. « Il lui semble qu'il porte une chape de plomb. > 11 ressent déplus une v< lourdeur » comparable à celle qui occupait autrefois exclusivement la hanche gauche, dans toute l'étendue des deux membres infé- rieurs. D'ailleurs,actuellement,le désordre des mouvements relatifs à la mar- che, autrefois localisé comme on l'a dit dans le membre gauche, s'étend éga- lement, vous allez le reconnaître bientôt, au membre inférieur droit.

Etudions tout d'abord l'état des mouvements des membres inférieurs lorsque le malade est couché ou assis. Vous voyez que dans ces conditions-là, en ce qui coMcerne la force et la précision, les mouvements d'ensemble ou les actes

>iHi

partiels ne laissent rien à désirer. Il n*y a ni paralysie, ni ataxie. Les réflexes patellaires sont parfaitement normaux des deux côtés et la sensibilité y est indemne dans tous ses modes. Aucun trouble des fonctions vésicales.

Le malade se tient debout parfaitement, et, au premier abord, dans cette attitude rien d'anormal ne s'observe chez lui ; mais si Ton vient à le pousser même légèrement parles épaules, il oscille, et l'on voit alors, dans les efforts qu'il fait pour se remettre en situation, survenir dans ses membres des mouve- ments de flexion bientôt suivis d'une extension rapide, qui représentent en quelque sorte le premier germe de la trépidation que nous allons voir,tout à l'heure, se substituer à la marche normale. Quoi qu'il en soit, lorsqu'il s'agit de se tenir sur un seul pied, de sauter à pieds joints ou à cloche-pieds, démar- cher à quatre pattes, tout cela s'exécute parfaitement^ si ce n'est peut-être que le sujet,bien certainement en raison de son âge, se montre un peu «lourd» dans Taccomplissement de ces actes divers : Cr...t est bon nageur, et lorsque placé à plat ventre sur un lit, on le prie de figurer les mouvements de la natation, il s'en tire, vous le voyez, plutôt brillamment.

Etudions maintenant ce qui se passe à l'occasion de la marche vulgaire. Vous voyez se produire, dès Torigine, une trépidation, un piétinement sur place, qui remplace les mouvements normaux et gêne singulièrement la pro- gression ;puis le sujet, faisant effort, porte son tronc en avant; alors la trépi- dation se précipite en même temps que les pieds frottent sur le sol et l'allure devient plus rapide. L'analyse montre que ce piétinement résulte de ce que la flexion du genou suivie d'élévation du pied^ qui, dans la marche nor- male, inaugure chaque projection du membre en avant, est interrompue ici par un mouvement d'extension brusque, qui maintient la jambe rigide. Gela fait que le malade progresse les jambes raides, en précipitant l'allure de manière à rappeler, à quelques égards, certaines formes de la démarche spas- modique. Nous retrouvons donc exactement, vous le voyez, chez Cr...t,tous les caractères de Tabasie trépidante relevés avec soin, à propos de l'observation de Ro... (16 leçon) que nous considérons comme un type parfait dans l'espèce. Seulement, chez G...t, contrairement à ce qui existait chez R. lorsque nous vous l'avons présenté pour la première fois, l'allure trépidante fait place par moments, à la marche normale ; il est vrai qu'après quelques pas, elle ne tarde pas à reparaître soit d'elle-même, soit sous l'influence d'une légère impulsion imprimée au sujet, par exemple en le poussant par les épaules. A cet égard, le cas présent se rapproche beaucoup, vous le voyez, de celui dont il a été question précédemment.

Cr...t nous fournit l'occasion de vous faire constater une fois de plus ce fait intéressant au premier chef, que les désordres abasiques concernent exclu- sivement la marche vulgaire, commune, automatique par excellence : tandis que les autres modes moins usités de la marche, plus étudiés par consé- quent et non automatiques au même degré, s'opèrent au contraire réguliè-

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rement. Ainsi notre homme, qui a été militaire, n'a pas oublié le pas marqué dit « pas ordinaire ». Une, deux, une, deux ! vous le voyez, cela va parfaite- ment ; il procède ainsi sans que les trépidations apparaissent un seul instant. Tel n*est pas cependant le mode de progression qu'il emploie dans la pratique pour se transporter d'un point à un autre. Dans les rues, pour rem- placer la marche vulgaire interrompue chez lui, à chaque instant, par les piétinements que vous savez, il s'est arrêté^ après bien des tâtonnements, aune allure plus rapide et plus commode sans doute, mais passablement extraor- dinaire par contre, et éminemment ridicule ; si bien qu*il ne manque jamais d'exciter, partout oùil passe, l'hilarité bruyantedes gamins. Ainsi il procède à très grands pas, faisant presque le c grand écart » en avant, courant et sautant plutôt qu'il ne marche et portant vivement devant lui ses bras étendus, comme pour s'entraîner; de plus, à chaque trois pas,il appuie fortement sur le sol une canne qu'il tient de la main gauche, et à l'aide de cette manœuvre il semble se « donner de l'élan ». Tel est le mode de progression singulière l'aide duquel il parcourt journellement les rues du quartier Picpus qu'il habite, au grand ébahissement des passants qui ne manquent guère pour la plupart, cela va sans dire, de le considérer comme un fou ou, pour le moins, comme un original fieffé.

A n'envisager que les troubles de la marche considérés en eux-mêmes et indé- pendamment des autres faits cliniques qui s'y observent, le casde notre homme, en ce qui concerne la netteté, l'originalité du syndrome abasie, ne le cède en rien aux exemples les plus caractéristiques du genre. Mais par contre, à d'autres égards, il diffère très notablement de ces cas typiques. Nous ne trouvons pas ici, en effet, les tares nerveuses héréditaires, les antécédents névropathiques, l'accompagnement de phénomènes manifestement hysté- riques, non plus que l'influence de causes provocatrices paissantes, émotives ou autres, qui, dans la règle, appartiennent à ces derniers. Rien de tout cela, je le répète, ne se rencontre chez Cr...l, et à part le sentiment de pesanteur qu'il dit éprouver derrière la tête, sur les épaules, dans les membres, et certaines sensations de marcher comme sur un tremplin, ou un « sommier élastique > dont il se plaint parfois, on ne lui trouve aucun symptôme d'ordre nerveux surajouté à l'abasie. Entre autres, pas de troubles permanents de la sensibi- lité, pas de rétrécissement du champ visuel, de parésie, rien enfin qui rap- pelle l'attaque hystérique sous une forme quelconque. Il faut dire encore que, chez lui, l'incoordination motrice relative à la marche parait pas être, comme chez la plupart des autres, un accident plus ou moins fugace et transi- toire, toujours de pronostic relativement favorable; il en souffre en effet depuis tantôt cinq ans, d'une façon permanente ; elle paraît s'être plutôt aggravée dans ces derniers temps et ne semble pas par conséquent devoir céder de sitôt. Enfin, on ne doit pas l'oublier, il s'agit d'un vieillard de 75 ans, et, à cet âge, bien que ce ne soit pas là, tant s'en faut, une règle absolue, les

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lésions dites dynamiques des centres nerveux cèdent volontiers la place aux lésions anatomiquement constatables.

Est-ce donc qu'il faut admettre que chez C.t, comme nous avons supposé que cela devait être dans le cas deSob...re précédemment étudié, Tabasie relève d'une lésion organique en foyer, intéressant par exemple, dans Técorce cérébrale, le groupe cellulaire organisé pour mettre en jeu le mécanisme de la marche ? J'avoue que je ne me sens pas suffisamment préparé, cette fois encore, pour répondre à la question d'une façon catégorique. Il ne serait certainement pas difficile d'imaginer, pour les besoins de la cause, l'existence d'un foyer produit en conséquence d'un processus d'artério- sclérose. En pareille matière, les hypothèses ne coûtent pas grand'chose ; mais il faudrait alors reconnaître, pour le moins, que la localisation hypothétique devrait être bien étroitement, bien précisément limitée à la région physioiogiquement spécifiée; car, ainsi que nous Tavons expressément signalé, dans l'exposé de l'observa- tion, on ne rencontre chez le sujet, en dehors de l'incoordination abasique, aucun des troubles de l'intelligence, de la sensibilité ou du mouvement qui devraient, ne fût-ce qu'au plus léger degré, coexister avec elle, s'il s'agis- sait vraiment comme on le supposait tout à l'heure d'une lésion encéphalique, en foyer,à peu près nécessairement toujours un peu diflFuse. Aussi, messieurs, jusqu'à plus ample informé, et pour ainsi dire à titre provisoire, vous pro- poserai-je d'admettre que ce brave homme est,sans le savoir et sans le paraître, un névropathe, sujet comme tel à l'action des auto-suggestions, et c'est à ce point de vue que nous essaierons tout d'abord de le traiter (i).

1. Le malade en question, Cr...t., a voulu quitter le service à la fin du mois d'août dernier. Aucun changement dans son état ne s'était produit à cette époque. Dans les derniers temps de son séjour à Thôpital, il a à plusieurs reprises présenté les phénomènes suivants: Tout à coup le malade éprouve une sensation de malaise difficile à déflnir. Il lui semble que « quelque chose » lui monte du ventre vers la gorge et produit un sentiment desufTocation. Bientôt après, surviennent une rougeur intense de la face, des battements dans les tempes, une obnubilation de la conscience et finalement le malade tombe à terre. Quelques mouvements convulsifs des membres se manifestent alors. Des pleurs et des sanglots terminent la crise. Ces faits n*ont pas besoin de commentaires. Évidemment c'est bien, comme on la supposé, l'hystérie qui est en jeu dans ce cas, bien qu'il s'agisse d'un vieillard de 75 ans.

».<toMftM.4»Tfph IVmmt-- ,t.r*CuHy«cfM-

P<^clinique du Mardi 28 Juin 1889

VINGT ET UNIÈME LEÇON

l^r et Malades. Cas de syringomyélie gliomaleuse. 3** Malade. - Simulation hystérique de la syringomyélie.

Messieurs,

Je me propose de vous présenter aujourd'hui, pour les étudier avec vous, quelques exemples d'une maladie organique spinale nouvellement introduite dans la clinique neuropathologique, elle devra désormais occuper un rang distingué ; car il ne s'agit pas d'une affection beaucoup plus rare, sans doute, que ne Test, par exemple la sclérose latérale amyotrophique. J'ai nommé la Syringomyélie (i).

Je viens de dire que l'introduction dans la clinique de la maladie en ques- tion était de date toute récente : cela est parfaitement exact ; car, si depuis longtemps on connaissait anatomiquement, d'une façon plus ou moins exacte, certaines cavités qui peuvent se former dans les parties centrales de la moelle épinière, on a ignoré jusque dans ces derniers temps les symptômes qui les peuvent révéler pendant la vie. En somme, jusqu'à ce jour, la syringomyélie passait pour une pure curiosité anatomo-pathologique ; en pratique elle ne comptait point (2).

C'est à deux auteurs allemands, M. Schultze, aujourd'hui professeur à Dor- pat, et M. Kahler, professeur à Prague, qu'on doit d'avoir, à partir de 1882, dans une série de travaux importants, appris à rattacher à la lésion syringo- myélique un certain nombre de troubles fonctionnels ou organiques qui, lorsqu'ils se présentent dans la clinique, permettent d'annoncer Texistence de

1. « Syriogoymélie : « cavité centrale dans la moelle épinière, » OUivlcr d'Angers, Paris iSbl de avp(YYio8Y)c, creusé en forme de tuyau, et liueXoc moelle.

2. Dans la première édition des leçons sur les maladies du système nerveux de M. Cbarcot (1874) la ayringoymélie est signalée comme une dea causes possibles de Tatrophie musculaire spinale deutéropathique; (t. II, p. 2i6).

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*88

l'altération et de déterminer môme les principales particularités relatives à son siège, à son étendue, à sa localisation étroite. Plusieurs fois, d'ailleurs, deux fois par M. Schultze, une fois par M. Kahler le diagnostic affirmé pendant la yie, par nos confrères allemands, s'est trouvé pleinement justifié à Tautopsie.

Malgré tout, ces messieurs sont loin de méconnaître que le diagnostic dans les circonstances en question, pourra encore, parfois, rencontrer des diffi- cultés sérieuses ; ils n'ignorent pas qu'à côté des types, faciles à détermi- ner, il y a toujours à compter sur la présence possible des formes frustes, dégradées, défigurées. Mais ils estiment, et c'est avec raison, je pense, quelle plus souvent, les difficultés pourront être surmontées, grâce à Tapplication ce sont les propres paroles de M. Schultze de principes analogues à ceux que nous avons établis à propos de la sclérose en plaques des centres ner- veux.

Quoi qu'il en soit, en lui rendant, pour la pratique, un service signalé par les travaux auxquels je viens de faire allusion, MM. Schultze et Kahler^ cela est incontestable, ont bien mérité de la neuropathologie. Car, messieurs, c'est pour un médecin une grande chose, que de faire sortir du chaos une espèce morbide auparavant ignorée et méconnue, de la montrer pour la première fois douée d'attributs symptomatiques qui désormais la feront reconnattre de tous, de communiquer enfin la vie clinique et nosographique à tout un groupe de phénomènes qui, jusque-là, étaient restés lettre morte.

Parmi les auteurs qui, après MM. Kahler et Schultze, ont, en Ailemi^e, le plus contribué au développement l'histoire de lasyringomyélie,ilfaut citer, particulièrement, MM. Bernhardt, Remak, Oppenheim, Furstner et Zacher, Freud, A. Bafimler, etc. ; en Russie, nous signalerons un excellent travail sur le même sujet de M. A. Roth, publié dans les Archives de Neurologie ;en Amérique, une|note intéressante deM.Starr.(i)£n France, c'està mon collègue M. Debove, que nous devons d'avoir pour la première fois,sur un malade qui justement sera placé sous vos yeux tout à Theure, démontré dans une séance récente de la Société médicale des hôpitaux (22 février 1889), les caractères cliniques, au- jourd'hui devenus classiques, de la syringomyélie. Dans cette même séance, M. Déjerine a fait connaître, à son tour, une importante observation qui se rapporte au même ordre de faits.

t. Voir surtout SchuUxe : Virchow'» Archiv. t. 87 p. 535, 1885 ZeUsch. fut Klin med. t. XIII. 1888 p. 523 Kahler i Prager med. Woch. 1882-no 42, 45 Prag. med. Wocb. 1888. n* 6, 8. Bemak. Oedem deh oherextremitàten aufspinaler Boêis, SynngomyéUe,fiet- Un. klin. Wocb. 3, 1889. Bemardth, GentralblaU.. fur NervenheUk. 15 janr. 1889. Syrin» gamyelie uhd Skoliose. A. Baûltner, Thèse, Zurich. 1887. Allen Siarr» Amer. Joumil o( ihe Med. Soiènees, May 1888. Rolh. Arch. de Neurologie, t. XV et XVL

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I

C*en est assez, je pense, sur ce qui a trait à l'historique. Actuellement avant de procéder à Texamen des malades que je me propose d'étudier avec vous, je crois utile, en manière de préliminaire, d'entrer dans quelques développe- ments relatifs à Tànatomie pathologique, à la symptomatologie, et aux diverses circonstances, en un mot, de l'histoire de la syringomyélie, telle qu'elle est aujourd'hui constituée. Dans l'accomplissement de cette tâche, mon rôle se bornera à suivre pas à pas les enseignements fournis par les auteurs cités plus haut. Je n'ai, en réalité, rien de personnel à y ajouter : si ce n'est toutefois sur un point et ce point est relatif au diagnostic.

On a beaucoup discuté, déjà, messieurs, la plupart des questions relatives au diagnostic difiérentiel de la syringomyélie, et à propos des maladies orga- niques spinales qui par plusieurs traits lui ressemblent, on a relevé avec soin certains caractères qui permettent d'éviter la confusion. Toutefois, parmi les membres de la grande famille neuropathologique, il en est un qui n'appartient pas au groupe des affections organiques, et qui peut, cepen- dant — je saisirai bientôt l'occasion de vous le démontrer simuler la syrin- gomyélie, dans de certaines circonstances données, de la façon la plus embarrassante. Ce que j'avance là, je pourrai le prouver, je le répète, par un exemple frappant. Vous avez compris que ce membre de la famille auquel je fais allusion, toujours un peu négligé et repoussé même parfois du foyer, bien qu'il réclame cependant chaque jour, de plus en plus impérieusement et légitimement du reste, sa place au soleil, n'est autre que la névrose hysté- rique, cette grande simulatrice, comme je l'ai dit ailleurs, des maladies orga- niques des centres nerveux. Jamais le clinicien avisé ne devra un instant la perdre de vue, car, en neuropathologie, elle est présente partout, semant devant lui des écueils ; et à ce propos, je montrerai que peut-être cela est fort possible en somme, un certain nombre d'observations produites par lès auteurs sous le nom de syringomyélie, ne sont autres que des cas d'hystérie.

. J'en viens actuellement à l'exposé de quelques notions relatives à l'ana- tomie pathologique ; je ne les toucherai que légèrement, et en tant seulement qu'elles peuvent nous intéresser pour l'interprétation des symptômes ; pour les détails précis et circonstanciés vous voudrez bien vous reporter aux auteurs spéciaux, que j'ai cités plus haut.

Je relèverai en premier lieu, messieurs, que ce terme de syringomyélie s'est appliqué autrefois, d'une façon générale et indistinctement, à désigner toute lésion cavitaire occupant les parties centrales de la moelle : mais tout porte à croire aujourd'hui, qu'il existe plusieurs espèces d'altérations foncièrement

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distinctes, pouvant aboutir à la formation d'une cavité dans la subetance grise spinale. i

1<^ En premier il y a lieu de signaler, dès à présent, comme constituant un groupe à part, les cavités formées en conséquence d'une malformation ou d*une dilatation du canal central : à ces cas-là M"* Baiimler propose de réserver le nom d'hydromyélie.

2^ Viennent ensuite les formations cavitaires résultant de la fonte du tissu de la substance grise spinale préalablement modifié par le fait d'un processus d'inflammation chronique ; ce genre d'altération a été décrit en 1869, par M. Hallopeau, alors interne à la Salpêtrière, sous le nom de sclérose péri- épendymaire]et à la même époque, avec ma collaboration, par M. Joffroy, mon interne d'alors qui, tout récemment, a consacré à cette forme anatomique qu'il appelle myélite cavitaire, un travail important. Je sais bien qu'on a voulu, dans ces derniers temps rayer, d'un trait de plume, cette dernière espèce du cadre nosologique et l'absorber dans le groupe qui va suivre ; mais cela doit être considéré, jusqu'à plus ample informé, comme une prétention purement arbitraire. Les observateurs qui ont décrit la myélite cavitaire sont de ceux qui ont contribué à établir les premiers fondements de i'anatomo-pathologie spinale moderne, et il est au moins vraisemblable qu'ils ne sont pas gens à méconnaître les caractères qui séparent la gliomatose d'un processus d'inflam- mation chronique.

3** Une troisième espèce appartient bien et dûment, cette fois, à la catégorie des productions gliomateuses. Il s'agit d'un néoplasme formé le plus souvent, aux dépens de Tépendyme et diverses régions de la substance grise spi- nale, principalement celle des cornes postérieures. Il consiste essentiellement dans l'hyperplasie des éléments de la nevroglie qui se présentent sous la forme de volumineuses cellules à prolongements multiples ; celles-ci, tantôt sont comme infiltrées parmi les éléments nerveux qui peu à peu tendent à dispa- raître ; tantôt elles forment par leur agglomération dense une véritabletumeur, se séparant plus ou moins nettement des parties ambiantes qu'elle comprime, et pouvant parfois nettement s*énucléer. C'est la fonte de ce tissu néoplasique soit infiltré, soit ramassé en tumeur qui détermine la formation delà plupart des lésions cavitaires dont nous avons à nous occuper. C'est en efi*et à cette forme anatomo-pathologique que se rapportent jusqu'ici toutes les observa- tions rattachées pendant la vie à la syringomyélie dans lesquelles le diagnos- tic a été vérifié par l'autopsie. Ce n'est pas à dire pour cela que les autres espèces de cavités spinales, Thydromyélie, la myélite centrale cavitaire, ne viendront pas, quelque jour, figurera leur tour, dans la clinique, llest même fort vraisemblable qu'il en sera ainsi, et l'on peut prévoir qu'alors leur symptomalotogie ne s'éloignera pas considérablement de celle de la glioma- tose : il y aura donc pour le diagnostic une pierre d'achoppement.

Je n'insisterai pas longuement sur les détails anatomiques relatifs à la

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ETringomyélie gliomateuse ; j'indiquerai seulement ce qui est utile à connais tre pour l'intelligence des troubles fonctionnels qui seront énumérés tout ft l 'heure,

La production gliomateuse occupe généralement la moelle dans toute sa

Moelle de lyringomjrélie par gtlomatose mi'dullalre. Hég:ioii ccrvico- dorsale. Hos- pice de la Salpèlrière. Coupe faite par M. MoKe. 1 Zone de condensatioQ avec apparence papUlo mate use.

1' HégioDdani laquelle existe encore un peu d'épiUi£Uuni épendymdre normal. £ Zone gliomateuse.

3 Subslanco ^s8.

4 Cavité syringomyéllque.

5 Eubilancc blanche; on remarquera que dans son étendue celle-ci pn'scnle des teintes différentes, les plus foncées correspondent aux régions dans les quelles la névrogliea aoqul* le plus grand développement (1).

1, L'obserraUonilaquelleceltepréparaUonest relative a £té communiquée! la Socle Clinique de I>aris, dans la séance du 9 juillet 1885, par H. Paul Berbez et publiée dans la France midi- _ eaU, n>97, 20 août 1885, p. 1162, sons ce titre slgnlIlcBtir: Ettai dt diagnottic d'une afftction

4W

hauteur ; quelquefois cepeûdant elle reste limitée soit à la région lombaire, soit à la région cervico-brachiale : ce dernier cas est de beaucoup le plus fréquent, et si la lésion se traduit alors par des symptômes moteurs, on com-. prend que ce soit sous Taspect de la paraplégie cervicale qu'eila se présente dans la clinique. Elle peut aussi envahir le bulbe elle reste limitée tou- jours, autant qu'on sache^ au noyau d'origine de la 5* paire.

Qu'il y ait ou non formation cavitaire, la partie centrale de la commissure grise, en arrière du canal central qu'on trouve souvent parfaitement indemne, est un lieu le gliome se localise avec prédilection. De il tend à s'étendre d'abord vers les cornes postérieures, puis vers les cornes antérieures de sub- stance grise, à titre de lésion consécutive, soit par infiltration néoplasique,soit par le fait d'une simple compression. Les faisceaux latéra^ix, et la partie antérieure des faisceaux postérieurs, peuvent être à leur tour envahis.

Les lésions que la gliomatose produit dans la moelle sont indélébiles, irré- parables. Leur marche est lentement progressive ; mais, autant qu'on en peut juger d'après lu clinique qui fait constater dans l'évolution du mal des hauts et des bas, elles procèdent par poussées.

La formation des lésions cavitaires n'est pas nécessaire, cela est clair, à la production des symptômes qui révéleront pendant la vie la gliomatose médul- laire. La compression ou la destruction des éléments nerveux est seule la condition indispensable. Parmi les lésions^ d'ailleurs, il en est qu'on peut dire intrinsèques ; ce sont celles qui restentlimitées à la substance grise spinale, siège classique de l'altération gliomateuse ;les autres, celles qui portent sur les faisceaux blancs, sont, à proprement parler, des lésions de voisinage, produites tantôt par l'envahissement néoplasique des tissus, tantôt et le plus souvent par simple compression, s'exerçant de dedans en dehors, du centre gris spi- nal vers la périphérie.

Peut-on, en se fondant sur nos connaissances actuelles en pathologie spinale, prévoir quelle sera la symptomatologie des lésions de cet ordre, localiséesde

de la moelle indépendante du Tabès avec arthropathie du coude gauche. Le fait est que jusqu'au dernier terme, le diagnostic est resté oscillant. La connaissance des travaux coocernant la syringomyélie n'était pas encore répandue dans ce temps-là et il est facile de reconnaître, par la lecture du cas, que l'étude des troubles de la sensibilité n'a pas été faite en connait- sancc de cause. Les détails de l'autopsie, pratiquée à la Salpôtrière, ont été communiqués à la société anatomique dans la séance du 18 février 1887, 62< année, page 83, par M. Paul Blocq. La communication est intitulée : Paraplégie spasmodique. Arthropathie du coude. Néphrite suppurée. Cystite. Perforation de la vessie. Péritonite. Mort. Autopsié, ^ Syringomyélie, En outre de la lésion spinale on signale particulièrement dans cette note, l'arthropathie du coude gauche, marquée par des déformations considérables aveo prodaetioo

l'une d'elles que s'est faite la perforation.

eette façon ? Oui, sans doute^ jusqu'à un certain point, du moins. Veuillez jeter les yeux sur cette figure schématique qui représente en quelque sorte, Vépitome de la pathologie de la moelle épiniëre telle que l'ont faite les travaux récents (/^. 104). Nous savons que les lésions étendues etdurables desfaisceaux

Tig. 104. A,A, cordons laléraui : A' riiacetni de Turch. B,B, lone* radiculuK» postérieure». G,C, cornea poslérlaares. D,D, cornes snlérieure». F, lones radiouleires antérleurea. E, cordon* de Gotl. Extrait du t. Il des' Œuvrtt complèleM de J. M. Chorcot, p. S9&.

finaux postérieurs, celles surtout des zones radiculaires, B B, entrât-, nent avec elles la production ies symptAmes tabétiques, tandis que-, celles des faisceaux latéraux ou pyramidaux, comme on les appelle encore, se traduisent pendant la vie par des symptômes d'impuissance motrice plus ou moins prononcée, avec exaltation des réOezes tendineux et tendant an développement de phénomènes spasmodiques.

Pour ce qui est de la substance grise centrale, nos connaissances, en ce qui concerne les effets des lésions des cornes antérieures, paraissent & peu près' déflaitivement fixées. Il semble en efiet bien établi aujourd'hui, que ces régions-là peuvent être lésées isolément, primitivement, ou au contraire d'une façon secondaire et l'on sait que dansles deux cas, si l'altération intéresse, les grandes cellules motrices, il s'ensuit forcément la production d'une amyo- trophie. Celle-ci se développe rapidement, si la lésion spinale évolue suivant le mode aigu (paralysie spinale infantile], ou au contraire, d'une façon lente et progreBsive (amyotrophie spinale protopatfaique, sclérose latérale arayo-

494

irophique, etc.)) si elle évolue suivant le mode chronique. Les cornes grises antérieures (cellules nerveuses motrices,) et les zones radiculaires antérieui^ (trajet intraspinal des racines antérieures), sont en somme les seules régions de la moelle épinière qui intéressent directement la nutrition des muscles; On sait encore très positivement, par Thistoire de la paralysie infantile d*an côté et de l'autre par celle de Tatrophie musculaire progressive du type Aran- Duchenne et de la scélérose latérale amyotrophique, que les lésions limitées à la région des cornes antérieures de substance grise ne sont pas accom- pagnées de troubles permanents de la sensibilité.

Relativement aux efiets des altérations des cornes grises postérieures (CC) nous étions par contre, jusque dans ces derniers temps, restés dans le vague : on savait seulement d'une façon très sommaire et sans qu'on eut spécifié quels modes de la sensibilité peuvent être alors affectés à Texclusion des autres, que les lésions de ces cornes quand elles sont profondes, déterminent une « ânes- thésie cutanée », plus ou moins prononcée et plus ou moins étendue, suivant les cas, dans les parties du corps situées du même côté que l'altération spi- nale. On pouvait supposer encore^ sans Tailirmer toutefois, en invoquant les résultats de certaines expériences de Schiff, contestées d'ailleurs par quel- ques auteurs et relatives seulement au chien, que la transmission des impres- sions douloureuses se fait par Ja voie des cornes postérieures de substance grise, tandis que celle des impressions tactiles chemine dans les faisceaux postérieurs. Or, les nouvelles études anatomo-cliniques concernant la syrin- gomyélie tendent justement, nous allons le voir, à préciser et à étendre singu- lièrement nos connaissances à cet égard. Elles paraissent montrer, en effet, conformément aux assertions de Schiff, que les conducteurs des impressions tactiles appartiennent aux faisceaux postérieurs, tandis que les cornes grises postérieures transmettent les impressions douloureuses : elles montrent en outre que, dans cette même région des cornes postérieures, siègent encore les conducteurs, quels qu'ils soient, de la sensibilité au froid et à la chaleur, àTexclusion de ceux qui concernent les notions dites du sens musculaire; elles montreraient enfin, si Ton en croit certaines observations qui paraissent parfaitement authentiques, que les éléments nerveux qui dans les cornes pos- térieures servent à la transmission des divers modes de la sensibilité, chaud, froid, douleur, occupent dans ces régions-là des départements distincts ; car chacun de ces modes de la sensibilité générale peut se montrer profondé- ment affecté à rexclusion des autres. Mais n'anticipons pas ; sur tous ces points, nous aurons à revenir tout à l'heure.

On ne connaît pas encore les effets d'une lésion isolée des commissures. Cependant quelques faits appartenant encore à l'histoire de la syringomyélie semblent les désigner comme une région dont les altérations se traduiraient par la production de ces affections cutanées, sous-cutanées et autres qu'on désigne assez communément sous le nom de troubles trophiques.

495 -

P&r tout ce qui précède, vous prévoyez que les symptômes relevant des altérations syringomyéliques considérées dans leurs combinaisons diverses» pourront être ramenés à deux grands groupes: i^ Symptômes intnnsèques, c'est- à-dire relevant des lésions limitées aux diverses régions de la substance grise centrale, et ici il y a lieu de distinguer : a. les symptômes poliomyéliques anté- rieurs, à savoir : amyotrophie musculaire à marche progressive^ rappelant le typeDuchenne-Aran ; b, les symptômes poliomyéliques postérieurs : anesthésie à la douleur, au chaud, au froid, sans participation de la sensibilité tactile ou du sens musculaire; c. symptômes poliomyéliquesmédians, groupe jusqu'ici fort problématique encore : divers troubles trophiques autres que ceux qui sont relatifs au système musculaire ; Symptômes extnmèques. Ils n'appar- tiennent pas en propre à la symptomalologie de la syringomyélie glioma- teuse, mais ils s'y associent fréquemment. Ils résultent tantôt, de l'envahis- sement soit des faisceaux postérieurs, soit des faisceaux pyramidaux, soit des deux systèmes à la fois, par la néoplasie ; tantôt, de la compression que ces faisceaux subissent de la part de celle-ci. Il y a lieu d'établir ici une dis- tinction entre a. les symptômes leucomyéliques latéraux: parésiesou paralysies de genre spasmodique, et b. les symptômes leucomyéliques postérieurs : phé- nomènes tabétiques divers, troubles de la sensibilité tactile, etc.

Nous allons voir, maintenant, jusqu'à quel point les diverses propositions qui viennent d'être émises, et qui à plusieurs égards reposent encore sur des fondements hypothétiques^ trouveront leur justification dans l'exposé clinique.

II

Le plus souvent, les symptômes d'atrophie musculaire progressive, débutant par les éminences thénar et hypothénar, avec secousses fibrillaires et sans exagération des réflexes tendineux, sont les premiers qui attirent Taitention du malade et des médecins. Ils n'ont, considérés en eux-mêmes, rien de spécial à la syringomyélie, rien qui puisse servir à la caractériser. Ils rap- pellent plutôt en effet, envisagés isolément, l'espèce morbide ante'rieurement connue sous le nom d'atrophie musculaire progressive du type Duchenne- Aran : ils ne valent, en somme, que par leur association avec des troubles sensitifs, vraiment particuliers cette fois, pour ainsi dire spécifiques, qui les accompagnent ou qui les ont précédés peut-être, sans avoir été remarqués cependant. Ceux-ci consistent, essentiellement, dans la perte plusou moins com- plète de la]sensibilité à la douleur, au chaud et au froid, la sensibilité tactile, le sens musculaire étant conservés, et justementc'estlaconnaissancede ce genre si particulier, si original de dissociation des divers modes de la sensibilité, ou autrement dit de paralysie sensitive partielle, appliquée au diagnostic

67

de la it^rinj^bniyélie ({tii cbtistittito 1& décbuverte hos bonfi^H» &11»- mtods. i Schnit^ë i;dit H: Kkhiisr soiiëthùlë dkn^ (ioili^uite de cei «iilâ»; « aie préihiet* àt^peié râttehtioh silr bbmbitiaisdn de Tàtrophie iniisbulaiit; < avec des troubles pat^ticUlièrs la getisibilitë dans lès cas riHvéiSti- « galion nécroscbpiqtlé fait reconnaître dans la moelle rekUieilce la svHiigomyélié btl du glibinë bentràl. Ce qu'il y à spëêial dans ces tlrOti- <t blIés db la sëiisibilitë, c'bât qtlls, «br iéS (laHiës de peau qui eb àbUt alftb= « tééà otl ti*butë; au moins U'iiiië façbtl prëdoihiilantë; à la Mi uilë jp^ëKé de 4t la sensibilité ft la dobleut* et de la propriété d*apprécier lés différences « temt)ératdrb; taUdis que la sensibilité au tabt restie ihdenine. i G^eisl bien Ift eh ëflfët la bief de la situation, bans la syringôthyélie lés iftymptôiiies pblib- myéliqùés dtitéHbhi*s li'bnt, je le répète; âiictlné valeur dia^ostiqué abâbliié. SeulÀ les symptômes pbliomyéliquesj^ibStériélirs lut apt^àrtienneiit ett pattlbti- liér bt lui impriihent Uh cachet&péciflqué.

Ainsi, voilà ub sbjét qlii se pirésente avec lés apparences de ramyolhjphîe spinale prbgrbsisive du type Duchennë-Aran; débutant suivant la irèglè par les ëxtrébiitéà supérieures ; lés émihencës thénar et hypothénar sont déjà plbs ibbiUé bbhsidérablement atrophiées ; les déformàtiobs de la c uiaiti de singe > sont déjà ))eùt-étré nettement accusées ; les secoÙàSes fibril- laires sbnt très mai^qbécê, etc., etc. Mais, Ub bxaUiéU plus attentif fait rbbbh- nattre; chez lui; surtbût dàhs lés thëmbres siège rati*opUiie musculaire, I^existenbb cbiicbmitiiilté de troubles tbès particuliers Sensibilité: CW à savoir, que les notions relatives au tact et au sens musculaire étant par- faitement conservées, les imi)ressions produites dans des conditions physio- logiques par la piqûre, le pincement delà peau, Tapplication sur elle d'un corps chauffé à soixante ou quatre-vingts degrés, ou inversement celle delà glace^ sont au contraire obnubilées ou même supprimées et ne produisent qu'une sensation uniforme de contact. Alors, quand ce concours singulier de circonstances se trouve réuni, on peut affirmer, sauf toutefois quelques réserves prudentes qu'il convient de ne point négliger et qui commandent certaines vérifications dont il sera question par la suite, on peut afOrmer, dis-je, que le diagnostic est fait: c'est d'un cas de syringomyélie qu'il s'agit.

Ces troubles de la sensibilité, dont nous venons de mettre en relief les ca- ractères fondamentaux^ se distinguent encore par d'autres traits dont on ne saurait méconnaître l'importance. Nous avons supposé l'analgésie et la ther- mo-anesthésiesyringomyéliques limitées aux parties se voit Tatrophië mus- culaire : Ge cas, tant s'en faut, n'est point le plus commun, et Ton peut même dire que dans la régie les troubles de la sensibilité dont il s'agit, se montrent répandus sur des parties du corps plus ou moins étendues. Ainsi, il n'est point très rare qu'ils occupent exactement toute une moitié du corps (forme hémia- nalgésique) on-, à des degrés divers, le corps tout entier. Loi*sque l'analgésie o\\ la thermo-anesthésie restent plus étroitement localisées, elles se distinguent

497

ei^coce par leur mode de distribution fort remarquable, sur lequel M- le D'Rptb a insisté avec raison (1). Cette distribution, ainsi qu'il le relève expressément, n'est point conforme à celle des nerfs : elle se fait par seg^ients de ipcmbres ; ainsi el|e ocpupe soit la main seule, SQÎten outre une partie de Tavapt-bras pu péme le membre supérieur tout entier, et tpujours,eu pareil cas, la délimita- tion de la zone anesthésiée et des partie^ normalement sensibles» se faif par une ligne circulaire, nettement tranchée, déterminant uq plap perpendicu- laire à Taxe du membre.

Il ne saurait vous échapper, messieurs, que les partipularitéç qui vjenfient d'être relevées, à propos du mode de répartition et de distribution 4ps troubles de la sensibilité syringomyéliques, rapprochent singulièfeQ^ent pes dernie]rs fie ceux qui appartiennent à l'hystérie: c'est un point §ur lequel nops aÛonç avoir à revenir ; mais dès à présent, on peut faire ressortir ^ pe prppps, comTf^e unp cirponstance remarquable et qui pourra contribuer puis^ammppt ^ éi§i)lir Ip diaguostic, que jamais, jusqu'4 ce jour du moins, pu U-^ vu, da^s la syringo^ n^yélie, les troubles sensitifs accompagnés décès troubles sensoriels, tels que ré- trécissement du champ visuel, anosmie, agustie,etc., qui figurent, aucouff^^re, pour ainsi dire d'une façon banale dans la symptpmatolpgip classique de l'hys- térie.

Un troisième groupe de symptémes répond h une série de lésiops cutanées ou sous-cutanées, osseuses pu ligamenteuses, que Von appelle y u) gai retient du nom générique de troubles trophiquesy semsplus préciser,bieu qu-eu faisant usage de cette dénomination Ton sous-entende 4 peu près toujours que les lésions dont il s'agit relèvent plus ou moins direclement d'une affectipu de certaines parties des centres nerveux ou des nerfs périphériques. Ces trpul)(es tropbiques sont vulgaires dans l'histoire clipique de la 3yringpn:^yélie ; ils offrent, en particulier, pour le diaguostic, un vif intérêt, }}\en qu'ils n*app^- tiennpnt pas cependant, essentiellement, à la constitution 4u typ.Q nospgra- pfaique. Il y a, sous ce rapport, plusieurs catégories à*ét^l>lir-

En premier lieu, viennent des éruptions (fullçus^s siégeaut principalement sur certaines parties des mains et des avant-bras, lais^aut ^près elles des ulcérations plus ou moins profondes du denpe^ remplacées fiualeufent p^ des cicatrices déprimées ou au cpptraire des chélpïdes.

Après cela on signalera des lésions spus-cutau.ées ; tels^put certaines bpufi^r sures des œdèmes indolents, souvent accQ^^)j^gués d'une teiute viplapée pu rougeÀtre, plus ou moins foncée, du téguweut externe qui présente en mdpe temps un abaissement relatif de la température. Ces œdèmes, signalés dans la syringomyélie par Remak (2), y ont été observés plusieurs fois par

1. W. Roth. Contribui. à l'étude symptomatique de la gliomato99 médullaire, Arc|i. <|e Neurologie. 1887-88. pp. 66, 67, 71, du tirage à part.

2. Berlin, klin. Woch. no3, 1889.

498

Roth (1). Ils paraissent occuper le plus souvent le dos d'une des maius qui alors est complètement atteinte d*analgésie et de thermo-anesthésie. Dans la même classe rentrent le faux phlegmon, la peau-liste (glossy skin) et certains panaris qui, à l'image de ce qui se voit dans la lèpre anesthésique, peuvent aboutir sans douleur, à la perte d*un ou de plusieurs des doigts de la main; enfin certaines toumioles, suivies parfois de la chute desongles, représentent en quelque sorte une forme relativement bénigne du précédent processus.

n convient de ne pas oublier que les parties analgésiées chei les syringomyéliques sont souvent couvertes de cicatrices, résultant de brûlures ou de plaies produites accidentellement chez les malades sans qu'ils en aient été avertis par aucune douleur.

C'est une question fort discutée encore que celle de savoir si la maladie de Morvan, de Lannilis, ou, autrement dit le Panaris analgésique doit rentrer, de toutes pièces, dans le cadre de la syringomyélie ou au contraire occuper une place à part. Cette question je la laisserai de côté pour le moment, afin de ne pas compliquer la situation. Je me bornerai à relever seulement que Tautopsie relatée par mon ami, M. le D' Gombault, dans la séance de la Société médicale des hôpitaux du 8 mai 1889, paraît peu favorable à la doc- trine unitaire (â).

â* Une troisième catégorie est celle des troubles trophiques articulaires et osseux. Il faut citer ici les /rac/ur^f spontanées se reproduisant souvent plusieurs fois aux dépens dun même os ; et qui rappellent singulièrement celles qu'on observe, assez fréquemment, dans Tataxie locomotrice progressive ; des arthrites d'une espèce particulière aboutissant rapidement à l'ankylose; enfin des arthopalhies végétantes tout à fait comparables à celles qui se voient dans la forme dite hypertrophique des lésions articulaires tabétiques (3). J'ai observé pour mon compte, tout récemment, un cas de ce genre. Il fant vraisemblablement rattacher à ce groupe la scoliose qui, dans la syringomyélie^ se montre fréquemment puis qu'on l'y observe, suivant M. Bernhardt, 18 fois sur 70 cas, ou autrement dit, 25 fois 0/0 (4).

Une observation suivie d'autopsie, recueillie dans mon service* tendrait à établir que la syringomyélie peut s*accompagner de lésions trophiques viscé- rales. En effet le sujet en question a succombé inopinément à une péritonite, survenue en conséquence d'une perforation de la vessie déterminée par l'extension d'un ulcère simple >.

Nous mentionnerons en dernier lieu, comme n'ayant pas trouvé place dans

i. Rolb. obs. II, V.

2. Voir ausii un nouveau trtrtil de M. le D' Morvan: De Vanesthéne soys ses diwers wimk$ dont la paréso-anatgésiet publié (Uoi la Gazette kelniomadaire. 1S89. 35 et 36.

3. WolCr. Berlin. Klio. Woch. 6, 11 février 1889.

4. M. Bjmhardt. Syr'.ngomyelic und S:olio)e. 15 janvier 1839.

499

les catégories précédentes des troubles Tasomoteurs accompagnés ou non de sueurs partielles (1). Ils s'observent assez fréquemment encore dans la syrin- gomyélie.

On ne saurait dire quant à présent, nous Tavons fait remarquer déjà, dans quelles régions de la substance grise siègent les lésions d*où dérivent les troubles trophiques divers qui viennent d'être énumérés. D'après ce que nous savons des efiets produits par les altérations qui occupent soit les cornes antérieures, soit les cornes postérieures, il ne parait pas qu'on doive les y localiser. Il y a quelques raisons, au contraire, de penser avec M. A. Starr (2), ne fût*ce que par la nécessité d'exclure les autres parties, que c'est dans la région centrale^ commissurale de la substance grise, qu'il conviendra de chercher le point de départ des accidents ; il pourrait se faire aussi que les régions dites colonnes intermédiaires de Olarke, naîtraient sui- vant M. le prof. Pierret^ les filets vasomoteurs du grand sympathique, jouas- sent ici un certain rôle (3).

Les divers groupes symptomatiques qui viennent d'être passés en revue pourront être dits intrinsèques, en ce sens qu'ils représentent en quelque sorte directement les troubles fonctionnels produits par la lésion gliomateuse des diverses parties de la substance grise ; Tenvahissement par celle-ci des régions blanches, faisceaux pyramidaux et faisceaux postérieurs, ou leur compression pure et simple aura pour effet de déterminer l'apparition de symptômes qui pourront au contraire être appelés extrinsèques. En pareille circonstance, nous l'avons signalé tout à l'heure, on verra suivant le cas, soit des phénomènes tabétiques, soit des symptômes de parésie ou de paraplégie spasmodique venir se surajouter en proportions diverses au tableau clinique propre à la syringomyélie et embarrasser peut-être la diagnostic.

Pour en finir avec l'aperçu sommaire que j'ai tenu à vous présenter de l'histoire nosographique et clinique de la syringomyélie, il me reste à vous dire un mot concernant l'évolution de la maladie, son pronostic, son étiologie et enfin le diagnostic.

Elle paraît être plus fréquente chez l'homme que chez la femme; c'est de 15 à 2ft ans surtout qu'elle fait son apparition que certaines causes excep- tionnelles semblent provoquer, à savoir : les traumatismes, le surmenage physique, l'affaiblissement de l'organisme déterminé par diverses maladies infectieuses, telles que la fièvre typhoïde, le rhumatisme articulaire aigu, la

1. Voir dans le « Montpellier médical » les leçons du P' Grasset sur le Syndrome bulho- médullaire, etc., etc. juillet 1S89. 1 et sulr.

2. Syriogomyelia, etc. American Journal, of med. Science, May, 1888.

3. E. Patnam. Troubles foncUonnels des nerfs vasomoteurs dans l'évolution du tabès sen~ sitif. Thèse de Paris, 1882.

500

syphilis, les fièvres intermittentes enfin. Vous comprenez qu'il reste considérablement à faire relativement à ce chapitre de Tétiologie.

L'évolution du mal est remarquablement lente, il peut arriver qu'une fois U maladie constituée, le sujet reste de longues années sans que survienne la IQpiQdre (iggravation dans son état; mais il faut compter sur la possibilité d'empir^ip^nts soudains, inopinés, comme aussi sur des amendements r^ides, inespérés.

« Li^gpérison est*elle possible? » se demande M. Roth. « Nous avons vu, dit-il, qu^ de nombreux symptômes peuvent s'améliorer considérablement ; nous avons vu également que le processus morbide peut pe pas progresser d'une ïTianière notable durant dix ans, par exemple. » En vue de tout cela, ajoute-tr il nous pouvons admettre la possibilité de Tarrèt de la maladie et de son amélioration considérable et peut-être môme la disparition des symptèmes».

Sur ce dernier point, nous nous permettrons de rester sceptiques. Jl n'est pas impossible en eflet que les prétendus cas de syringomyélie terminés par la guérison, correspondent peut-être à de certaines erreurs dans le diagnostic sur lesquelles nous aurons à insister tout à l'heure. Toujours est-il, qu'en raison même de la lenteur et dès atermoiements qu'elle présente frëquem- mept dans sa marche progressive, la syringomyélie est, à tout prendre; d'un prqnostic moins sombre que ne l'est celui de ]^, plupart des afFections orga- niques spinales dont elle peut être cliniquement rapprochée.

La mort a été quelquefois déterminée par l'extension aux régions bulbaires du processus morbide ; plus souvent elle s'est produite en conséquence de quelque lésion accidentelle. G*cst ainsi que la pyoémie a pu survenir à la suite d'une inflammation phlegmoneuserelevant elle, toutefois, plus ou moins directement de l'altération du centre gris. Dans un cas observé à la Salpé- trière, dont il a été question déjà, une perforation de la vessie suivie de péritonite suraiguë a occasionné la terminaison fatale.

L'atrophie musculaire progressive du type Duchenne-Aran, lasclérose laté- rale amyotrophique, lapachyméningite cervicale hypertrophique, certaines formes du tabes^ telles sont, sans parler de la lèpre anesthésique, les diverses alïections organiques du système nerveux que, dans la pratique^ on a cru, le plus souvent avoir sous les yeux, alors que cependant, après vérification nécroscopique, c'était de la syringomyélie qu'il s'était agi. H est vrai que ces erreurs datent de l'époque les caractères cliniques de celle-ci étaient à peu près complètement ignorés, mais il ne faut pas oublier que ces temps-là sont tout récents et aujourd'hui encore, très certainement, il reste quelque chose à faire pour établir sur des bases solides les fondements du diagnostic différentiel de la syringomyélie.

11 est clair que les principales difficultés qui peuvent se produire dans ce domaine tiennent à ce que les principaux symptômes liés à la syringomyélie

8bi

gUomâteuée; méttie leâpltis spéciailt d'entre ébt, telle que Test; par exemple; dissoci&tibii des diters iliodé^ âbnâiBilité âUr laquelle hotis â^bHâ inéiâté; ne sauraient lui appartenir en propt*é.

Eh sothme; ces symt)tômës révèlent seulement la lésion plus oii iiibins pi*0- fbnde que subisseht les élénléhts herbeux des bornes antérieut-éis et pbsté- riébteâ eil J)réôettbe des produits nëbiilàsiques. Ih devront, par cbhséijllfeilt; bti doit le prévdir, se teli'buver tôUjoiirs.plus moins accentiiéà, totltëà lès fois que danâ les lésibhs leâ plus diverses par leur hature, glibmàteusës oti tibn gliothateilses; de subiâtance griiâé céîlti*àle, lés métnes bbnditiohs anâtbmb- patholôgiques relatives aux éléments nerveux se trouveront reprbdults. Gbla est évidemment dans la Ibgique des choses.

Sur cette question du diagnbstib db la syrirtgomyélié.tiôtià tiotiS bbrnëronsi à proptis des lésions organiques spinaleè qui pèuVfent la sibliilèr, aUx reiilar- ques suivantes.il est très certain, ainsi qufe Ta biëii relevé M. Déjériné; (ttié Tort à fort souvent rapporté à Tatrophie musculaiirë du type Aràii-Duchènne des cas sëulb la syringomyélié était en jëû. L'ërrëtir, à ti'én pas douter, a été cdmitlise par Ducheiirie lui-triêmë: Il admettait, vbus TignOreJ: paô, que parfois, par exception, une aneslhésie ciitanéé, j[tlus OU thbins prononcée, se montrait combinée aux symptômes classiques de l'atrophie musculaire pro- gressive. * Cette àttësthésie », étrit-il à la ^agë 493 de la dernière édition dfe sbn Electrisation localisée; * est quelquefois si grande que les hialàdes iië t)ei'- çoivent ni les excitations faradique^ teiplûsfottet ifAVacliôÀ dnfe^. J'en ai m qui s'étaient laissé brûler profondément les parties anesthésiées parce quHls n'avaient pas perçu Vactiondes corps incandescents et qu ils n'avaient pas été prévenus par la vue que ces parties se trouvaient en contact avec eux, » Nous reconnaissons facilement dans ce passage lanalgésie et la thermo anesthésie qui, ainsi que l'ont montré les travaux récents, appartiennent à la syringomyélie et peuvent sétMrâ la liiétingucr vis-fl-vis de la téphrb-hiyélité antérieure chrbhî'dlie (1).

La présehce die ces mêmes troubles si [idrticùliérs seiislbillté dans un cas dohtté, permettrait également d'^éliminer la sclérose latérale amyotrb- phidué bli ôh rie lès voit point, et dont, d'un autre côté, l'évolution relatlvé- méht très rapide tié manquerait pas d'attirer lâttëntion du clihicieri. Il He faut pas négliger cependant de remarquer que, contrairement â ufaë bjiîriibh âssex giébéralfehient répandue, quelques trôbblés de sensibilité peuvent, cbhlhië le tbht remarquer M. Érb et M. SchuÙze (2), s'é mahlfesteir dàhs ceîr- tàihs càid parfaitement caractérisés de sclérosé latérale ani^btrophiique rfiàls 11 lie s'agit toujours que de douleurs plus moins vives, cohstàm-

1. M. Charcot a récemment montré à la clinique un nommé Schwci...eh, autrerols traité par Dachenne de Boulogne comme .atteint d'atrophie muàculaire avec anestbé;»ie. Un examen- attentif k montré que dans ce cas il s'agit bel et bien de syringomyélie.

1 kcbullzlB. Zeitscb. ir. klih Medic. Berlin 1^8 JBd. p. 53.

502

ment transitoires, ou d'engourdissements, de fourmillements passageraJamais on n'y observe de troubles permanents de la sensibilité comparables à ceux qui sont, au contraii*e, l'apanage de la syringomyélie.

Des considérations du môme ordre s'appliqueront au diagnostic du tabès, et de la pachyméningite cervicale hypertrophique qui, ainsi qu'on Ta fait remarquer tout à rheurCi ont pu être quelquefois simulés par la syringomyélie.

Ici encore la dissociation sensitive particulière à la syringomyélie,principa- lement dans les cas celle-ci s'est accompagnée, en outre, de l'atrophie mus- culaire à marche lente, de divers troubles trophiques, tels que bulles, frac- tures spontanées, arthropathies, etc., etc., servirait surtout de critérium. D'ailleurs, on n'observe point dans la syringomyélie les troubles oculaires, pupillaires ou autres^ propres aux tabétiques, non plus que les douleurs vives occipitales, cervicales et frachiales qui marquent d'un cachet si particulier la phase initiale de la pachyméningite cervicale hypertrophique>

Ce serait le lieu de considérer maintenant le rapprochement qui^ ainsi que nous l'avons afOrmé dès le commencement de cette leçon, doit être établi, au point de vue du diagnostic, entre la syringomyélie, maladie organique du centre spinal, et certains aspects de la névrose hystérique. Mais avant d'en venir à ce point qui, pour être exposé convenablement, nécessite quelques dé- veloppements, je crois utile de placer sous vos yeux, pour les soumettre à l'analyse clinique deux malades chez lesquels vous trouverez présente toute la symtomatologie classique de la syringomyélie.

III

Le premier de ces malades est justement celui que M. le D' Debove a pré- senté, il y a quelques semaines, à la Société médicale des hôpitaux. C'est un

nomme Bar my, âgé de 38 ans qui, tour à tour, a exercé la profession de

voyageur en liquides et celle d'employé aux écritures, professions qu'il a abandonner Tune et Tautre il y a cinq ans, en raison des progrès de la maladie dont il est atteint.

Il n'y a pas à signaler dans son histoire d'antécédents héréditaires et, dans les antécédents personnels, nous relevons Texistence d une fièvre typhoïde à l'âge de 14 ans et demi, et à Tàge de 17 ans environ, l'apparition d'une scoliose, aujourd'hui très prononcée, à convexité droite. 11 y a eu autrefois de l'alcoolisme.

11 y a cinq tins, en 1884, il commença à éprouver de la faiblesse dans les mou- vements de la main droite où, peu après, se manifesta l'amaigrissement des émi- nenceslhenar, puis la déformation en «griffe > (griffe interosseuse) (voy./Çjr. 105).

Les secousses fibrillaires se sont montrées très accentuées dès l'origine

^ 503

La parésie et Tatrophie gagnèrent rapidement le membre supérieur droit tout entier^ puis, en commençant par la main, le membre supérieur gauche

Fig. 105. ~ La main droite de Bar my. Etat actuel.

actuellement elles sont beaucoup moius prononcées encore que du cùlé droit (1).

L'examen direct vous fait connaître toutes les particularités que je viens d*énoncer ; vous remarquerez en particulier Tintensité des secousses ûbriilaires qui se voient à droite comme à gauche, aux mains, sur les avant-bras, les bras, les épaules el quelques muscles du tronc. Les réflexes tendineux, comme vous pouvez le constater, ne sont pas exagérés aux membres supérieurs.

Les deux membres inférieurs ont commencé à s'afTaibJir et à maigrir il y a deux ans.Yous voyez que l'atrophie est surtout prononcée sur les muscles anté- rieurs de la cuisse droite, Ton voit se dessiner des secousses fibrillaires très accusées. Peut-être le réflexe rotulien est-il un peu exagéré de ce côté : à gauche, au contraire, il est aboli ; par contre, la cuisse est ici beaucoup moins atrophiée et les secousses fibrillaires sont moins intenses.

L'examen électrique a donné les résultats suivants (2) : sur quelques mus-

1. Main droite : pression dynamométrique 15 le. Main gauche: 30 le.

2. Note aiir les résultats de Texamen électrique fait par M. Vigoureux les 30 mars, 6 et 9 avril.

A. Réaction de dégénérescence: !<> totale! : 3* interossoux palmaire gauche et extenseur corn- moo des orteils gauches; 2^ partielle : ancôaé gauche et droit; 4* interosscux gauche.

B. Muscles ae répondant pas aux excitations soit galvaniques soit faradiqueit : muscles de rémioeneohypolhéaar droite, long extenseur du pouce gauche : court péronier latéral gauche, grand fessier gauche, loogue portion du tnceps crural droit.

C. Muscles répondant aux excitattoos fartdiques mais non aux excitations galvaniques;

68

des : émineDcea tbéoar et hypothénar de la mÛD droite ; moscle grand-fessier do cAté droit, les réactions soit faradiqaes, soit galvaniques font absoliinieiit

SfoMbUté u uet. défant. Les interoaseuz palmures do c6té gauche présentent la réaction de dégéoérescence ; partout ailleurs, il ; a seulement dans les muscles atrophiéB

Juneinx «darne et interne gauchM. La Ji vn eonnot trii Fort D. Lei anlm moaclei oxplorii na [«éaentait pa» da réwtfa

eztane n* m eoDttacta fa'ndU fw

■impie diminution parallèle de l'excitabilité tant faradique que galvaniqua.

Vous Toyez, messieurs, que jusqu'ici, l'impression produite par l'examen

du malade est qu'il s'agit chez luî de l'atrophie musculaire progressiTe du

A

Fig. loe Fis. loe

Seniitrflilé fc U donleor.

Analgésie giDiralisfe.

type Aran-Duchenne ; l'absence d'une exagération des réflexes tendineux soit dans les membres atrophiés, soit dans ceux qui ne le sont encore qu'à un fuble degré fc part toutefois au membre inrérieur droit qui ï cet égard fait exception ; et aussi la non-apparition des phénomènes bulbaires cinq ans aprèâ le début, permettent de rejeter la sclérose latérale amyotrophique. Mail le point de vue se déplace complètemeat, lorsque, & la lumière daf

500 -

notions nouvelles en malièra de syringomyéUe, on étudie méthodiquemRd comme la fait M. Debove à propos de co cas. les Irouhles de la se-nsihUité q- iusque-Ià étaient restés dans l'ombre. Voici en quoi consistent ces troubles sensitifs ; je vou'i enpaae pendant I «

Suiia>tilI11<< i la chaloiir i.lj. posé qnc je vais en faire, à porter vos yeux sur les schémas ijue j'ai pM devant VOUE, ils montrent bien la disposition qu'aiïectent à lu surface due chex notre homme, les divers modes de l'auesthésie. Je vous feini remanjuer tout d'abord (|uc partout, sur toute Tét

507

corps, tète, tronc, mèmbre8,extrémité8,le8 impressions tactiles sont transmises d'une façon absolument normale (fig. 106 et 107). Partout au contraire, par un contraste frappant, dans les mêmes parties qui viennent d^étre énumérées, il y a obnubilation ou perte complète de la sensibilité aux impressions dou- loureuses; partout en un mot les pincements et les piqûres sont perçues seulement comme phénomène tactile ; ils ne provoquent point de douleur. Seules les excitations fortes des membranes urétbrale et anale au-dessus du sphincter sont douloureuses. Les cornées et les conjonctives, ainsi que la membrane muqueuse buccale et celle de la langue peuvent par contre être pincées, tiraillées, piquées sans que la douleur s'ensuive (fig. 108 et 109). Les titillations du pharynx provoquent des nausées.

Pour ce qui est de la sensibilité à la chaleur voici les résultats obtenus pui rcxploration faite à Taide d'un thermomètre de surface (1), dont la plaque métallique, chauffée progressivement à Taidc d une lampe à alcool, peut être à volonté portée à divers degrés de température (fig. 112). Sur toute retendue des deux membres supérieurs, symétriquement, en avant comme en arrière, depuis Textrémité des doigts de la main, jusqu'aux attaches des épaules, l'application de la plaque du thermomètre chauffée jusqu'à 90** ne produit pas autre chose qu une sensation de contact ; il n'y a pas trace d'une iraprcssio!) soit de chaleur, soit de douleur. La même chose a lieu sur toute l'étendue des jambes et des pieds et sur le quart inférieur des cuisses, les genoux y compris. Sur toutes les autres parties du corps, la thermoanes- thésie est seulement relative : ainsi, sur les parties supérieures des cuisses, sur l'abdomen^ la partie inférieure de la poitrine, surtout à gauche, sur la tête, le cou, le malade éprouve un sentiment pénible de brûlure lorsque la plaque du thermomètre a été portée à 100°. Les tempéra- tures plus basses sur ces parties-là ne sont en général pas perçues.

La seule région du corps Tanesthésie à la chaleur fasse com-

1. L'inslrumeni à Taide duquel nous avons mesure le degré de seosibUilé ther- mique de la peau chea nos malades, se compose ainsi que le montre la figure cl- jointc, d*un thermoroèt'*e à ré^civoir plat, dont Textrémité inTérieure de la tige et le réservoir sont compris dans deux cylindres métalliques à glissement doux. Le cylindre externe s'cnléve de façon à ce que Ton puisse constater si la cuvette thermométrique est toujours en place et on bon état. Le cylindre interne est rempli de limaille de cuivre destinée à fournir autour de la cuvette un manchon protecteur et à température fixe, pendant un certain temps tout au moins.

Une vis de pression, située à la partie supérieure des cylindres, permet de maintftnir le thermomètre en place et d'éviter les glissements de la tige.

Le cylindre métallique externe est chauffé à la flamme d*une lampe à alcool tenkement, doucement, de façon à ce que la température ne s'élève pas au- deaaus de 100*, et ne s'accroisse pas d'une façon trop brusque. La graduation du ibermoaiètre va jusqu'à 115 degrés; mais il faut éviter à tout prix les élévations brusquet qui pourraient avoir pour effet de rompre le tube capillaire.

Fig. 112.

plètement défaut est représentée par une large plaque qui occupe toutel'élen- due du tiers supérieur de la poitrine en avant [Qg. 110).

froid (1)*).

Les Tig. 113, lit. montrent les régions l'application surla peau d'un Uw de glace ne produit pas de sensations de frt-id et celles Irs improssinns i" froid sont seulement émoussées On voit, en comparant leî fig. 1 10. 111 . 113^ el 114 entre elles. i|iie les zones insensibles ou peu sensibles à lu chaleur, e celles ofi la senâibilité au froid {au°) est soil éteinte.soîl seulement obaubil£«,f se superposent à peu près exactement,tandi3 que l'insensibilité cutanAe & la4

809

douleur occupe à peu près indistinctement toutes les parties du corps (fig. 108 et 109).

Le malade s'était depuis longtemps plusieurs fois aperçu à ses dépens de cette insensibilité absolue de certaines régions de son corps aux impressions thermiques. Ainsi, déjà en 1886, deux ans après l'apparition des premiers symptômes amyotrophiques, un jour qu'il se chauffait devant une cheminée, il laissa se produire sur Tune de ses jambes, une brûlure au premier degré. Plus tard, alors qu'il était placé dans service de M. Debove, une boule d'eau chaude placée dans son lit lui a occasionné, sans qu'il en ait ressenti la moindre douleur, une brûlure au 3* degré de la plante du pied droit, dont la guérison a mis plusieurs mois à se parfaire.

Tels sont, dans toute leur originalité, les troubles sensitifs observés chez notre malade. On voit qu'ils se rapportent de tous points au type syringo- myélie. Les quelques détails complémentaires qui vont suivre serviront mieux encore aies caractériser.

Les notions du sens musculaire sont partout conservées, aussi bien que les impressions tactiles : Il n'existe aucune modification appréciable des sensibi- lités spéciales. L'ouïe, l'odorat, la vision, le goûl sont parfaitement conservés.

Si la membrane muqueuse linguale, comme celle de la cavité buccale, sont analgésiques, le malade, par contre, perçoit parfaitement le goût des aliments et il sait dire même s'ils sont chauds ou froids. Si les cornées comme les con- jonctives sont insensibles à la douleur, elles perçoivent cependant les impres- sions thermiques, et ainsi qu'on l'a dit la vision n'est nullement modifiée : pas traces de lésions opth^dmoscopiques, pas de rétrécissement du champ visuel. Aux parties génitales seules, la muqueuse du gland et celle de l'urèthre sont douloureusement affectées par la piqûre et le pincement.

Une certaine rigidité dans l'articulation coxo-fémorale droite, une cystite qui date de 1887, la scoliose enfin qui a été remarquée dès l'âge de 17 ans, représentent ici la catégorie des troubles trophiques.

Il est impossible de déterminer exactement si les symptômes amyotrophi- ques ont précédé les troubles sensitifs; ni si c'est l'inverse qui a eu lieu.

L'évolution de la maladie a été jusqu'ici lentement progressive ; elle n'a été marquée par aucun épisode répondant, soit à un temps d'arrêt, soit à une marche précipitée des accidents.

Je passe au second cas qui, suivant moi, nous présente un nouvel exemple de syringomyélie gliomateuse. Il s'agit d'une nommée Marie F...ée, âgée de 48 ans, ayant exercé autrefois la profession de passementière. Chez elle la maladie parait avoir débuté en 1879, c'est-à-dire il y a 10 ans par des symp- tômes amyotrophiques d'abord localisés aux mains. Depuis 5 ans, Tétat reste absolument stationnaire. Vous voyez (fig. 115) comment Tamyotrophie et les

Fig. 115. I '' 7

5H

troubles moteurs occupent exclusivement les deux membres supérieurs, qui sont aflectés symétriquement, à peu près au même degré ; ils sont pendants le long du corps: les épaules, les bras, les avant-bras et la main considérable- ment amaigris présentent à peu près partout des secousses fibrillaires très accusées, presque incessantes.

Du côté droit, l'articulation scapulo-humérale est rigide, ankylosée, le deltoïde très amaigri. L*avant-bras est en pronation forcée, et l'on perçoit des craquements lorsque Ton meut Tarticulation du coude. Les seuls mouvements volontaires qui se produisent dans ce membre sont un certain degré d'exten- sion en masse de la main, les mouvements particuliers desdoigtsétant impos- sibles. Par suite de la prédominance de l'atrophie musculaire dans la sphère d'innervation des nerfs cubital et médian, les muscles innervés par le radial restant relativement indemnes, la main offre l'attitude d'extension forcée, familière aux < prédicateurs », décrite par M. Joffroy et par moi à propos de la pachyméningite cervicale hypertrophique (1). Du côté droit, il y a éga- lement un certain degré de rigidité dans l'articulation de l'épaule ; le deltoïde est de ce côté littéralement absent. Le grand pectoral, au contraire, paraît respecté^ et l'on peut dire que,d'une façon générale, il en est de même de tous les muscles du tronc. 11 y a également ici pronation forcée de l'avant-bras ; l'attitude de la main est analogue à ce que l'on voit du côté gauche, mais Textension est moins prononcée. Quelques mouvements volontaires d'extension de l'index et du médius sont dans ce membre les seuls possibles.

L'examen électrique des muscles atrophiés des membres supérieurs a fait trouver un peu partout la réaction de dégénération partielle.

Les membres inférieurs ne sont nullement affectés ; tous les mouvements naturels y sont parfaitement libres; on n'y voit point d'atrophie. Les seules anomalies qu'on y observe consistent en une légère exagération des réflexes rotuliens, sans accompagnement de trépidation spinale.

Nous avons donc ici l'image parfaite de la < paraplégie cervicale » avec amyotrophie. L'attitude particulière des mains avait pu faire songer un instant à l'existence d'une pachyméningite cervicale hypertrophique comme point de départ de tous les désordres, mais l'absence bien consultée de la « période douloureuse > au début de la maladie avait bien vite fait repousser cette hypothèse. On était plutôt enclin à penser qu'il s'agissait soit d'une forme anomale de l'atrophie musculaire progressive, du type Aran-Duchenne, soit, mieux encore, d'une myélite partielle centrale, localisée dans les régions qu'occupent habituellement les lésions spinales dans la pachyméningite cer- vicale hypertrophique. Mais en somme, il fautbien le reconnaître, le diagnostic est resté flottant jusqu'à Tépoque, éclairé parles travaux récents relatifs à

i. Ghareot. Leç, sur les mal, du sysL nerveux, t. If, p. 275, 276, 1886.

69

la symptomatologie de la syringomyélie, on a procédé enfin* l'étude métho- dique jusque-là négligée des troubles de la sensibilité.

Voici ce que cette étude a fait reconnaître (voir les figures). 1' Les sensa-

Vig. IIG FiR. in

Sensibilité au tacU tionfltactilefsont restées normales dans toute l'étendue du corps (Pig. llCel 117) 2" L'aniil^ésie (pincement et piqûre) est complète en avant comme en arrière, aux mains, aux avant-braa, sur toute l'étendue du tiers inférieur des bras. Sur les L'i>nu1es. la partie supérieure lies bras, le cou, le devant de la poitrine, la moitiésu|>6rieurcdu tronc en arrière, il y a seulement obnuljilatioinle la sensi- bilitéà la douleur. L'exploration de ce mode de la sensibilité répétée à plusieurs

M3

reprises, permet de constater qu'il y a d'un jour à l'autre quelques variations dans l'intensité des phénomènes del'analgésie et dans leur mode de répartition (fig. 118 et tt9).3* Dans une première exploration, l'application d'un morceau

Kig. un lis. liy

SenûbilUé i 1& douleur.

de glace sur la partie supérieure du doset sur ledevant de la poitrine ne produit qu'unesensation de contact. 11 en est de mémesurlouterétendue des épaules, des bras, des avant-bras et de lamain. Dans d'autres explorations par la même application, la sensation de froid est perçue h un certain degré sur la poitriae en «vantcomme en arrière, tandis que toujoors, dans toutes les explorations

des membres supérieurs sur toute leur étendue, les membres sapérienra sont restés insensibles au froid {&g. 120 et 131). 4* Sur le dos et sur le devant de la poitrine, l'application de la plaque da thermomètre ne donne la sensation de

Kis- lîO Vig. m

SeniibiliU tu froid.

brûlure que lorsqu'elle est chaufTée à 50* et au-dessus. Sur les mains, les avunt-bras, et le tiers inférieur des bras, pour produire la sensation de chaud, il faut que le thermomètre marque 63° et au-dessus. Nous n'avons pas observé, en ce qui concerne la transmission des impressions de chaud, les variations d'un jour à l'autre relevées à propos de la sensibilité au froid et à la douleur. (Voy. les fig 122 et 123.)

Od voit, en comparant les divers schémas, que les champs de l'analgésie et de la thermo-anesthésie se superposent à peu près exactement. Le mode de répartition des troubles sensitifs, dans ce cas, rappelle la dispo-

BeniiblliU fc la chtleur.

sition en < veste >siftDaIée dans quelques-unes des observations deH.Rothfl). Pas de troubles sensoriels. Les troubles trophiques, eu dehors des amyotrophies, sont représentés

1. t^. cit. Hg. s et 3.

5ie

ainsi qu'il suit : 1'' Il existe des lésions articulaires ayant entrainé la rigidité de la jointure aux deux épaules et dans le coude gauche. 2"" On constate Texistence d'une légère scoliose à convexité droite que la malade n'a point remarquée. 3* Depuis 1884, il s'est produit à plusieurs reprises soit aux doigts de la main, soit aux orteils, des panaris superficiels ou des tournioles qui plusieurs foi& ont entraîné la chute des ongles. Il n'existe pas de troubles vési- eaux.

Les quelques détails qui vont suivre permettront de comploter robservation de cette malade.

Il n'y a pas à signaler d'antécédents héréditaires ; pas de maladies anté- rieures au développement de celle qui nous occupe actuellement, si ce n'est une série de bronchites vers l'âge de 24 ans, et une pleurésie & la môme époque. Pasd'hémoptysies.

L'affection d'aujourd'hui aurait commencé en 1879. La malade au nut éprouvé d'abord pendant près de six mois un sentiment habituel de courbature, de faiblesse générale, avec quelques douleurs passagères à la nuque qui paraissent avoir peu fixé son attention. Au bout de six mois, elle commença à remarquer que ses mains s'affaiblissaient et maigrissaient ; les secousses fibrillaires y ont été très accentuées dès l'origine. L'amaigrissement et les secouseesse sont produits sept ou huit mois plus tard, dans les avant-bras d*abord,puis dans les bras et enfin dans les épaules.

Depuis 1882 l'évolution de la maladie semble arrêtée; lalrophie musculaire tout au moins n'a pas progressé depuis cette époque.

Nos deux observations peuvent se passer de commentaires.

IV

Il ne nous reste plus, pour remplir notre programme, qu'à insister sur les ressemblances qui peuvent, ainsi que je vous l'ai annoncé dès le début exister entre la syringomyélie et certaines formes d'hystérie de façon à tenir le diagnostic en échec.

Je relèverai en premier lieu que la dissociation spéciale des divers modes de la sensibilité à laquelle on a, à juste titre, fait jouer un rôle capital dans la caractéristique clinique de la syringomyélie ne lui appartient cependant pas en propre. Elle peut se rencontrer ailleurs, elle peut se montrer par exemple douée de toiiles les particularités que nous faisions ressortir tout à l'heure, dans l'anesthésie des hyslériques ; et, en pareil cas , tantôt elle

517

existe naturellement chez le sujet, tantôt elle a pu être déterminée chez lui, artificiellement, en conséquence d* une suggestion produite dans l'état hypno- tique ; c'est ce que nous pouvons reconnaître chez les quelques sujets hysté- riques avec hémianesthésie que j*ai fait placer sous vo^ yeux.

Dans la règle, comme vous le savez, Thémianesthésie, qu'elle soit complète, absolue ou qu'il s'agisse seulement d'hypoanesthésie, porte uniformément chez les hystériques, sur tous les modes de la sensibilité, tact, douleur, sensi- bilité au chaud et au froid. Eh bien, quelques recherches ad hoc que je viens de faire et qui ont trait à 17 hystériques hémianesthésiques, hommes ou femmes pris au hasard dans mon service, montrent que cette règle est loin d'être absolue. Si, en effet, sur ces 17 cas, il en est 11 qui offrent le type anesthésique vulgaire, il en est 6 les divers modes de la sensibilité se montrent dissociés. Sur ces 6, il s'en trouve 2 qui ont conservé |la sensi- bilité au tact et à la douleur, mais qui ont perdu la sensibilité thermique.^Ge type a été parfaitement décrit par M. le professeur Pitres de Bordeaux, sous le nom de thermo-anesthésie hystérique, dans ses intéressantes leçons sur les anesthésies hystériques, publiées en 1887. Les malades, dit-il, perçoivent alors les contacts, ils souffrent quand on les pince : mais on peut les brûler sans qu'ils aient la sensation thermique. « Voici, ajoute-t-il, un jeune homme hystérique ; on peut plonger indifféremment son pied gauche dans la glace ou dans l'eau très chaude, sans qu'il en soit impressionné. On peut comme je le fais maintenant, promener le thermocautère rougi sur la peau de la cuisse, sans qu'il en éprouve la moindre souffrance, et cependant il sent les contacts et se plaint vivement, si on le pince ou si on le pique. » Dans les quatre autres cas, la dissociation répond exactement, comme vous pouvez en juger, au type syringomyélique ; c'est-à-dire que seule la sensibilité tac- tile est préservée, les sensibilités à la douleur, au chaud et au froid étant éteintes absolument ou seulement profondément obnubilées. Sur ces quatre cas, deux fois la dissociation du type syringomyélique a été obtenue, les sujets étant hypnotisables, par voie de suggestion. Chez les deux autres, elle s'est présentée telle quelle, sans intervention d'aucun artifice.

Ainsi, cela est bien entendu, les troubles sensitifs particuliers qui distin- guent la syringomyélie de la plupart des maladies spinales organiques peuvent,par contre, se retrouver exactement reproduites dans l'hystérie ; et si vous ajoutez à cela que les anesthésies syringomyéliques peuvent être, ainsi que nous l'avons relevé expressément déjà, disposées à la surface du corps, comme le sont les anesthésies hystériques, par zones géométriquement limitées, par segments de membres, sous forme hémiplégique, etc., etc., vous comprendrez aisément quelles difficultés, venant de ce côté, devront se présenter parfois dans la pratique. 11 est vrai que jamais, autant qu'on sache, on n'observe dans la syringomyélie les troubles sensoriels qui dans l'hystérie s'associent si fréquemment aiïx troubles sensitifs; mais la règle

518

pour celle-ci n'étant pas absolue, la remarque restera malgré tout applicable

au moins à un certain nombre de cas.

Mais, direz-vous peut-être, l'écueil très réel sans doute que vous venez de signaler, sera aisément évité par ce seul fait que Ton ne rencontrera pas dans rhystérie, ces troublestrophiquesmusculairesou autres qui sont un accom- pagnement pour ainsi dire nécessaire des troubles sensitifs, quand il s'agit de la syringomyélie. Eh bien ! si vous pouviez penser, messieurs, que les choses sont réellement ainsi, je devrais essayer de vous détromper. Certaines formes d'atro- phie musculaire,eneffet,relè vent directement de l'hystérie ainsi que nous Tavons montré, M. Babinski et moi (i) en I8S6. Il y a, comme on sait, des troubles vasomoteurs, des œdèmes hystériques (2) et j'ai fait voir depuis longtemps que la contracture hystérique peut se compliquer de rétractions tendineuses et de formations conjonctives périarticulaires (3). Je pourrais facilement multiplier les exemples ; mais c'en est assez pour montrer que les troubles trophiques ne font pas défaut dans la névrose hystérique contrairement à une opinion très généralement répandue, si je ne me trompe, jusque dans ces derniers temps.

Ainsi, vous le voyez, je ne viens pas à plaisir dresser devant vous des obstacles imaginaires pour me donner ensuite la vaine satisfaction de les aplanir à grand renfort de dialectique; les difficultés que je signale sont réelles et, s'il est vrai, comme le suppose M. Schulze (4), que plusieurs cas rattachés à Thystérie ont être plus tard considérés comme des exemples de syringomyélie, il est vrai également, je me crois autorisé à l'affirmer après m'ôtre livré à la critique des observations, que parmi les cas signalés comme appartenant à la syringomyélie, il en est un certain nombre qui relèvent de l'hystérie.

Mais je ne veux pasm'arrêter à faire ici un procès de tendance. Je me crois en mesure de vous démontrer séance tenante, à propos d'un exemple appro- prié, que rhystérie peut dans de certaines circonstances simuler la syringo- myélie au point de rendre bien embarrassante la situation du clinicien.

P... eyn., aujourd'hui âgé de 46 ans, a exercé la profession de marin jusqu'en 1876. Depuis cette époque, il travaille comme veilleur de nuit à l'usine Eiffel. C'est un homme vigoureux, solide. Jamais il n'avait été atteint d'affection nerveuse jusqu'à il y a trois années; et on n'a pas relevé

1. Babinski. De Valrophie musculaire dans les paralysies hystériques. Arch. de Neurologie, numéro 34 et 35, 1886.

2. Weir Miichell. Unilatéral Swelling of hysterical Hemiplegia. Am. Journ. of médic. Scien. Juin 1884.

3. Voir Bull, médical, du 23 mars 1887.

4. Ylrchow's arcLiv. 1882 p. 537

519

chez lui d^antécédents héréditaires. La mort de sa femme qui a eu lieu il y a cinq ans l'avait plongé dans un profond chagrin et avait ébranlé sa santé ; celle d'un enfant qui,deuz ans plus tard^succomba au croup, lui a comme il le dit, < porté le dernier coup. >

Déjà en 1886, c'est-à-dire il y a trois ans, il commença à souffrir de vertiges survenant soudainement et qui Tobligeaient, dans la crainte de tomber, à se cramponner aux objets voisins et à s'accroupir; ces vertiges survenaient par moments jusqu'à cinq ou six fois par jour. Ils ont été remplacés il y a deux ans, par des bouffées de chaleur revenant deux ou trois fois par semaine et qu'il appelle des congestions. En môme temps les nuits sont devenues agitées par des rêves qui souvent le font pleurer. Le premier début des accidents actuels remonte à trois années; ils ont commencé à paraître deux ou trois mois après la mort de son enfant.

Dans le but de rendre l'enseignement plus frappant, je pourrais m'appliquer à vous démontrer tout d'abord, que le cas dont il s'agit est un exemple de syringomyélie et probablement, à entendre l'exposé des arguments que je pourrais vous présenter en face de cette opinion, vous accepteriez la solution proposée; après cela, à l'aide d'arguments adverses, je viendrais combattre le diagnostic accepté, renversant pièce par pièces l'échafaudage primitivement construit, et établir enfin sur des fondements inébranlables le diagnostic : hystérie. Il faut donc, pour que cela soit ainsi, qu'il y ait une difficulté sérieuse, qu'une étude attentive permettra, seule de surmonter. Vous allez du reste en juger.

Vous voyez comment à la main droite les mouvements chez notre homme sont, au poignet comme aux doigts, paralysés aussi bien pour la flexion que pour l'extension. Vous remarquerez aussi la tuméfaction singulière que présentent toutes les parties de cette main surtout sur la région dorsale; elle est due à un œdème dur, ne recevant pas Tempreinte du doigt; la teinte des téguments sur les parties tuméfiées est violacée et la température y est moins élevée que sur les parties correspondantes de la main gauche (fîg. 124). Sur les parties ainsi paralysées et tuméfiées, la sensibilité présente les modifi- cations suivantes : les impressions tactiles, môme les plus délicates, sont perçues normalement; par contrôles sensibilités à la douleur (piqûre, pincement),à la chaleur (plaque du thermomètre à surf ace portée à 80^), et au froid (application sur les parties d'un morceau de glace) sont complètement abolies. Veuillez relever que ces troubles de la sensibilité sont uniformément répandus sur les doigts, la main, le poignet et le cinquième inférieur de l'avant-bras. De ce côté, ils se séparent des parties restées normales par une ligne tranchée, horizontale, déterminant un plan circulaire à l'axe du membre supérieur.

Ainsi, vous le voyez, nous trouvons ici, liée à une paralysie de l'extrémité supérieure droite, cette dissociation si particulière des trois modes de la sen-

70

sibilité que les travaux de HH. Schullze et Kfthler ont bien mis en relief, et en mâme temps l'œdëme violacé du dos de la main qui,d'après les remarques de HM. Remak et Roth. figure à titre d'accident fréquent parmi les troubles tropbiques syrîugomyéliques. N'en voila-t-il pas assez, en se fondant sur les principes plus baut acceptés, pour supposer chez notre malade l'existence d'un ces frustedesyringomyélie?

Sans doute voilà, direz-vous, une hypothèse fort vraisemblable. Haisvoid que le chapitre des objections va s'ouvrir maintenant.

La syringomyélie est vous le savez, par excellence, une maladie lentement

Fjg. lU. A. la main droUe de P. B, la main ijauchc,

itliÉsiée, luinOlièc, bleuâtre.

progressive, susceptible, sans doute, nous l'avons relevé avec soin, de rémis- sions, de temps d'arrêl; mais les guérisons véritables, les guérisons brusques par-dessus tout, y sont totalement inconnues. Eh bien vous allez voir une de ces guérisons soudaines, inopinées, figurer dans l'histoire passée de notre malade.

Celte histoire comporte deux périodes distinrtes. La première a commencé il y a trois ans par une paralysie de cette môme main droite, dont il est de nouveau question aujourd'hui, survenue tout à coup pendant le sommeil. Dans ce temps-là, le malade avait les nuits tourmentées par des rêves pénibles et il était devenu fréquemment sujet à des attaques de vertiges. Celte fois la

- 541

sensibilité des parties paralysées du mouvement, main et poignet, était absente dans tous les modes, tact, douleur, sensibilité au froid et au chaud. La durée de cette paralysie a été de douze mois environ, durant lesquels il y a eu des hauts et des bas, et c*est pendant une des exacerbations que s*est pro- duit pour la première fois le gonflement violacé, avec abaissement de la tem- pérature qui s^est manifesté dès Torigine, dans la crise actuelle. Eh bien, la guérison de tout cela s'est faite un beau jour alors que tous les moyens en apparence rationnels avaient été employés sans succès, et cela inopinément, tout à coup, au moment le malade, oubliant en quelque sorte un instant son impuissance motrice^ voulait prendre un verre pour le porter à sa bouche. Si j'avais été à Lourdes, dit le sujet, en rappelant cet événement^ j'aurais cru à un miracle. »

Toutefois,si la disparition des troubles moteurs a été littéralement soudaine, celle des troubles de la sensibilité, ainsi que cela me parait être la règle dans les circonstances de ce genre, ne s'est faite que successivement, pro- gressivement, dans l'espace d'une huitaine de jours. 11 est vrai qu'au bout de ce temps, le retour à l'état normal était complet sur toute la ligne.

La paralysie nouvelle qui s'offre aujourd'hui à notre étude s'est produite elle aussi,tout à coup,il ya decelaenviron trois mois, et elle occupe exactement les mêmes parties. Donc,en se réveillant,le malade a trouvé sa main droite de nouveau paralysée, comme lors de la première attaque, mais cette fois, dès l'origine elle était gonflée, violacée, cyanosée,telle en un mot que vous la voyez encore aujourd'hui. De plus, dès l'origine il y a eu dissociation des divers modes de la sensibilité suivant ce que j'appellerais volontiers le mode syringo- myélique à savoir : tact conservé, contrairement à ce qui a été observé la première fois, sensibilité à la douleur,au chaud et au froid,totalement abolies, notions du sens musculaire conservées.

Le début subit des accidents constaté à deux reprises, leur guérison sou- daine observée une fois de plus, voilà des faits qui ne permettent pas de res- pecter le diagnostic que je vous avais proposé d'accepter tout à l'heure; c'est d'hystérie màle^ tout simplement, qu'il s'agit dans le cas et non de syringo- myélie. La dissociation de la sensibilité observée chez notre homme non plus que rœdème,d'aprës ce que nous en avons dit plus haut, ne sont certainement pas faits pour nous embarrasser dans notre nouveau diagnostic. Sans doute, notre malade n'a point d'attaques, point d'attaques régulières, au moins, car ses « accès de vertiges >, comme il les appelle, pourraient être considérés à la rigueur comme des < représentants d'attaques ». Mais, par contre, dans la catégorie des stigmates,nous avons à signaler une perte très nette du goût sur le côté droit de la langue, la sensibilité de la membrane muqueuse étant con- 8ervée,et c'est làencore un indice qui,ajouté à tout le reste, vient, si je ne me trompe, compléter la démonstration.

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Ici se termineront les leçons de cette année. Je les finis, messieurs, vous l'aurez remarqué sans doute^comme je les ai commencées,c'e8t-à-dire en vous parlant de l'hystérie masculine, dont il a été, d'ailleurs, bien souvent ques- tion pendant toute la durée du cours. Il faut voir un signe des temps. Sous l'influence des études récentes, l'hystérie mâle a été définitivement réhabilitée et l'on a appris à la reconnaître, on la méconnaissait autrefois. Or, par un singulier revirement des choses, il se trouve que, tout compte fait, autre- fois reléguée parmi les cas rares, elle devra désormais occuper dans la cli- nique une large place ; car, incontestablement, les statistiques du jour le démontrent, elle est une des maladies les plus vulgaires parmi les travailleurs manuels qui fréquentent les hôpitaux de Paris. Il faudra donc dorénavant compter avec elle.

Nous, en particulier, qui, par profession, sommes voués à cultiver spécia- lement le champ neuropathologique, nous ne devrons jamais oublier que les types les plus divers d'affections organiques cérébrales ou spinales^ avec les- quelles nous sommes aujourd'hui familiarisés, pourront à chaque instant, dans la catégorie de l'hystérie^ rencontrer un pendant, un représentant, un sosie », pour mieux dire, qu'il nous faudra savoir démasquer.

A partir du 28 juin 1889, époque le malade a été présenté à la leçon, les accidents hystériques les plus significatifs se sont accumulés chez lui, au point que le diagnostic proposé s'en trouve confirmé de la façon la plus écla- tante.

Le 23 juillet,est survenue une attaque cla8sique,précédéepar l'aura vulgaire et dans laquelle on a vu se succéder la phase épileptoïde, Tare de cercle, les grands mouvements, et enfin une phase de délire avec hallucinations. Les attaques de même caractère se sont reproduites depuis lors, tous les huit ou dix jours,etleur apparition est déterminée sous l'influence des moindres émo- tions. Quelquefois, l'attaque reste à l'état rudimentaire et l'on peut reconnaître aujourd'hui que les < anciens vertiges » n'étaient autre chose que des crises convulsives avortées.

En même temps que les attaques ont paru, il s'est manifesté dans les deux flancs, surtout à gauche, une zone ou plaque hystérogène. Le moindre frôle- ment, la moindre pression exercés sur ces plaques font apparaître les prodro- mes de l'attaque et parfois l'attaque elle-même.

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Il existe un rétrécissement double du champ visuel à 50 à droite, à 70 à gauche.

Ânosmie de la narine droite. La perte du goût sur la moitié droite de la langue persiste et il y a une diminution très nette de Touïe dans Toreille droite.

La tuméfaction cyanosée de la main disparaît, puis réapparaît de temps à autre rapidement, le plus généralement à la suite d*une attaque. Il en est de même de la paralysie des mouvements. Mais jamais,depuis le 28 juin,ranesthésie n'a disparu : elle présente toujours le caractère de dissociation sur lequel nous avons insisté ; c'est-à-dire que l'analgésie et la thermo-anesthésie sont absolues tandis que les notions du tact les plus délicates sont conservées. Les notions du sens musculaire au contraire paraissent notablement obnubilées dans les doigts de la main.

Il est reiûarquable que les troubles, ci-dessus signalés, de la sensibilité qui autrefois ne remontaient pas au-dessus du tiers inférieur de Tavant-bras, s'étendent aujourd'hui jusqu'au-dessus du coude ils se terminent d'ail- leurs par une ligne droite, perpendiculaire à l'axe du membre.

{Note du 10 novembre 1889.)

uap. é» U Sm. é» ^1^ n«uam, •, r. Cmmftgam-tf, PaiV

APPENDICE

APPENDICE 1

Hystérie et névrose traumatiqiLe. Voir leçons 7 (2* Malade, p. 131); 12 ( 2% 3- et 4' Malades/p. 256); 13 (3* et 4- Malades, p. 283); 17 (3« et 4' Malades, p. 392).

Parmi les observations de Jtailway Spine publiées jusqu'à ce jour, il existe nombre de cas si nets, si typiques soit de neurasthénie, soit d'hystérie pure, que toute contestation à l'égard de ces faits est devenue impossible. En pré- sence des cas indéniables d'hystéro-traumatîsme apportés par M. Gharcol en France.par MM. Bernhardt,Leyden et autres en Allemagne,il a bien fallu recon- naître que rhystérie occupait la plus large place dans Thistoire du« Railway Spine ». Cette évolution des esprits en Allemagne vers la solution française s'est accentuée dans le mémoire de M. StrUmpell, paru en 1888, et, dans son dernier travail sur la matière (Die traumatische Neurosen 1889) M. Oppenheim semble vouloir réserver la dénoniination de névrose traumatique au groupe plus restreint des cas complexes dans lesquels la neurasthénie et Fhystérie se trouvent associées. C'est donc autour des faits de cet ordre que parait s'être cantonné le débat. L'observation recueillie dans le service de M.Charcot qui va être rapportée, ressortit à cette catégorie de cas qui servent aujour- d'hui de substratum principal à la prétendue névrose traumatique ; c'est un bel exemple d'hystéro-neurasthénie développée chez un employé de la Com- pagnie internationale des wagons-lits, à la suite d*une collision de trains, lors de l'accident récemment survenu à Velars^ près Dijon.

71

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Obs, ^ Collision de trains (accident de Velars), Neurasthénie et hystérie consécu- tives (névrose traumatique). - Glaw... Louis, âgé de 42 ans, employé de la Compa- gnie internationale des wagons-lits, est entré à la Salpétrière, dans le service de M. le professeur Gharcot, le 3 juillet 1889.

Antfîcédents héréditaires. - Le malade ne peut donner aucune indication sur Tétat de santé de ses grands-parents. Cette réserve faite, on ne retrouve chez ses ascen- dants, dans la ligne directe comme dans la ligne collatérale, aucun élément d'héré- dité névropathique. Son père est mort à Tàge de 68 ans, il était « d'un tempérament calme » et n'avait jamais commis d'excès d'aucune sorte. Trois oncles vivants et en parfaite santé. Du côté maternel : Sa mère est morte subitement à 69 ans : elle n'était pas nerveuse et n'avait jamais été malade. Un oncle vit encore, bien portant. Le malade a eu onze frères ou sœurs : une sœur est morte en bas-âge; une autre sœur^ succombé à une maladie de poitrine à l'âge de 11 ans; un frère est mort de pneu- monie à 32 ans. Tous les autres vivent en parfaite santé. Le malade affirme qu'il n'y a dans sa famille, ni goutteux, ni rhumatisants, ni épileptiques, ni aliénés.

Antécédents personnels Glaw... est en Alsace ; dans son enfance, il a vécu à la campagne, travaillant aux champs. Il n'a pas été sujet à ces terreurs nocturnes, à ces hallucinations hypnagogiques si fréquentes chez les jeunes enfants issus de souche névropathique.

A l'âge de 18 ans, il ût une chute dans laquelle il se contusionna fortement Fépaule droite.

En 1870, il reçut à Gravelotte un coup de feu au mollet gauche. La plaie qui était superficielle se cicatrisa rapidement et après un mois de repos, il put reprendre son service. Ces deux traumatismes, tout son passé pathologique, n'eurent aucune suite fâcheuse et n'altérèrent en rien sa santé générale.

Il a toujours été un homme sobre, nullement porté aux excès alcooliques ou autres, de mœurs simples et tranquilles. Marié, il a eu sept enfants; deux de ses enfants sont morts du croup; les autres sont bien portants.

Après la guerre, il vint habiter Paris. Il a été successivement garçon d'hôtel, valet de chambre, et garde de propriété en Normandie.

Il y a un an, en juin 1888, il entra comme conducteur à la Compagnie des wagons- lits. Ses fonctions consistaient à surveiller les voitures de la Compagnie dans les trains en marche et à aider au service des voyageurs. Cette existence faite de voyages incessants, de sommeils interrompus, de préoccupations continuelles, de responsabilités sérieuses, contrastait singulièrement avec la vie calme et régulière qu'il menait avant d'entrer au service de la Compagnie, alors qu'il était garde de propriété en Normandie. Cependant, malgré les fatigues qu'il avait à subir dans l'exercice de sa nouvelle profession, sa santé resta parfaite. 11 n'éprouvait aucun malaise, aucun trouble nerveux notamment, lorsqu'il fut victime d'un accident de chemin de fer dans les circonstances que voici :

Pendant la nuit du 4 au 5 septembre 1888, G... se trouvait dans un train rapide venant de Genève et allant à Paris. Vers trois heures du matin, à Velars, près de

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Dijon, ce train dérailla, empiéta sur la voie collatérale et fut pris aussitôt enécharpe par un train express lancé à toute vitesse. Le malade raconte qu'il était debout dans le couloir du wagon au moment le choc se produisit. Il fut projeté contre la paroi du compartiment et perdit immédiatement connaissance. Quand il revint à lui, deux ou trois minutes après, il s'entendit appeler par les voyageurs ; il se leva rapidement et sans difficulté. L'obscurité était complète, les lampes s'étant éteintes au moment de la collision ; il chercha à tâtons un sac dans lequel il se souvenait d'avoir mis une bougie ; puis ne le trouvant pas,il sortit du wagon en passant à tra- vers les débris de toutes sortes qui l'environnaient. Arrivé sur le talus qui bordait la voie, il examina s'il n'était point blessé et il s'aperçut qu'il avait des contusions au côté gauche de la poitrine, une plaie superficielle sur la face dorsale du poignet droit et une longue éraOure à la jambe gauche. Ces blessures ne saignaient pas, ne lui causaient aucune douleur ; il avait conservé la liberté et l'énergie de tous ses mouvements. Les voyageurs qui se trouvaient couchés dans sa voiture au moment du choc étaient sains et saufs. Pendant deux heures environ, il travailla sans relâche à secourir les blessés, â dégager les voyageurs emprisonnés sous les décombres* C'est alors seulement qu'il commença à se sentir ému ; à ce moment il éprouva un malaise général; ses forces faiblirent, ses jambes se dérobaient sous lui. Il dut ces- ser de travailler; et après avoir fait panser son poignet et sa jambe blessée, il alla se coucher. Mais il était dans un tel état d'angoisse et d'agitation qu'il lui fut impossible de dormir. Il resta ainsi toute la journée du 5 septembre sur le lieu de l'accident, assistant au sauvetage et à l'enlèvement des victimes, sous le coup d*une émotion grandissante qui le faisait parfois trembler de tous ses membres et qu'il ne pouvait pas maîtriser. Il passa la nuit suivante couché dans un wagon-lit. Mais il ne put fermer l'œil. Il avait, nous dit-il, la tête perdue, il lui semblait entendre les cris des blessés, il revoyait tous les accidents du drame auquel il venait d'assister. Le lendemain au soir quand il arriva à Paris il était encore tremblant et tout ému. On dut l'aider â descendre du wagon.

Rentré chez lui, le malade s'alita jusqu'à la complète guérison de ses contusions et de ses blessures, c'est-à-dire pendant une dizaine de jours. Durant cette période, il se plaignait surtout de ne pouvoir pas dormir. Dans la journée il était assez calme ; mais tous les soirs vers 8 ou 9 heures, il entrait dans un état d'agitation violente accompagnée de rêves, de cauchemars et parfois même d'hallucinations. Tantôt il se croyait dans un train en marche, il parlait à haute voix, s'adressant aux voyageurs, appelait un de ses camarades, etc., tantôt il assistait à certaines scènes de l'accident de Yelars. Parfois il avait des visions de chats ou de rats courant sur ses couver- tures. Une nuit il se leva, saisit un seau d'eau et se mit à poursuivre des rats, vou- lantydis ait-il, les noyer. Pendant ces sortes de rêves en action, il appelait sa femme, lui montrait avec insistance ces animaux imaginaires, l'invitait à les tuer, etc. Il ne se calmait qu'aux approches du jour, vers 4 ou 5 heures du matin.

Dix jours après l'accident, les blessures étant guéries, il put se lever et faire quelques promenades au dehors. Mais, dans la dernière semaine de septembre, U

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commença à éprouver un mal de tète consistant en une sensation continuelle de serrements ou de poids pesant sur tout le crdne.

Cette céphalée était particulièrement intense dans la région occipitale. En outre, il se plaignait d'une gêne douloureuse siégeant à la partie inférieure du dos sur la ligne médiane, un peu au-dessus du sacrum. Cela lui faisait mal lorsqu'il passait de la station assise à la station debout, ou bien quand il se baissait pour ramasser un objet. Il n'avait plus d'appétit; ses digestions étaient pénibles ; il se plaignait d'avoir l'estomac gonflé ; après les repas il était pris d'un besoin de sommeil irré- sistible. Il attribua tous ces troubles à la vie sédentaire qu'il menait depuis son accident et il se décida à reprendre ses fonctions de conducteur.

Au commencement du mois d'octobre, un mois après i*accident, il ût un voyage à Vienne. Pendant le trajet il remarqua en délivrant un reçu à un voyageur que sa main droite tremblait ; ce tremblement fut assez prononcé pour l'empêcher d'écrire, mais il s'atténua quelques heures après. De retour à Paris, quand il remit son carnet au contrôleur de la Compagnie, celui-ci lui Ht observer, que ses écritures étaient en désordre et que ses comptes étaient faux. Il s'excusa en disant « que depuis l'ac- cident qui lui était arrivé, il n'avait plus sa tête à lui, que sa mémoire était em- brouillée ».

Aprèsquelques jours de repos, il partit pour un second voyage. Il devait aller jusqu'à Madrid. Mais, à Bordeaux, il fut obligé de s*arrêter. Le tremblement de la main droite s*était accentué, de même que la céphalée constrictive ; il sentait que sa jambe et son bras droit devenaient faibles ; il obtint un congé et rentra chez lui.

Pendant une huitaine de jours, il garda la chambre. Il était triste, maussade, tout l'agaçait. Il se mettait tout à coup à pleurer sans trop savoir pourquoi. Constamment préoccupé de son état de santé, il disait souvent à sa femme « qu'il avait peur (Tétre paralysé ». Le tremblement du membre supérieur droit était devenu incessant; la jambe droite commençait aussi à trembler. Les troubles dyspeptiques, la céphalée constrictive, le point douloureux lombaire, persistaient. Parfois il était pris de vertiges. Tel était l'état du malade, lorsque dans les premiers jours de novembre, il eut ce qu'il appelle sa première « attaque de nerfs ».

Un jour, vers 6 heures du soir, étant dans sa chambre, il éprouva tout à coup « comme des secousses électriques dans les membres, puis il sentit quelque chose lui monter à la gorge ; il étouffait ». Ses tempes battaient, il entendait des bourdon- nements dans les oreilles ; au même instant sa vue se troubla et il tomba sans con- naissance. Quand il revint à lui, au bout de dix minutes environ, sa femme, qui était présente, lui raconta ce qui s'était passé : elle lui dit qu'il s'était débattu, qu'il s'était roulé sur le parquet en criant et en cherchant à déchirer ses habits et elle ajouta: « Tu as eu une crise de nerfs comme la voisine ». Or, renseignements pri?, la voisine est une hystérique qui a de temps en temps de grandes attaques, et qui lorsqu'elle sent qu'elle va avoir sa crise », appelle auprès d'elle la femme du malade.

Au sortir de cette première attaque, Glaw... remarqua que sa jambe et son bms droit? tremblaient plus fort, que ces membres étaient devenus beaucoup plus faibles.

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Deux jours après, il eut encore vers 7 heures du soir, une seconde attaque sem- blable à la première et précédée commeelle des mêmes sensations de serrement à la gorge, d^étoufTement, do battements dans les tempes, etc. Depuis cette époque les crises allèrent se répétante des intervalles variables. Au mois de janvier 1889, il alla consulter à l'hôpital Necker et sous Tinfluence du traitement hydrothérapique qui lui fut prescrit par M. le D' Rendu, ces crises devinrent un moment moins fré- quentes. Depuis lors tous les troubles que présentait le malade lors de sa première attaque ont persisté sans se modifier le moins du monde, en dépit des thérapeuti- ques diverses auxquelles il a été soumis.

Voici quel est l'état du malade le 3 juillet 1889, jour de son entrée h la Salpè- trière.

Etat actuel (3 juillet 1889). G*est un homme de taille moyenne, bien musclé et d*a8- pect assez robuste. Il est intelligent ; il répond avec précision aux questions qu'on lui pose, mais d'une voix cassée et qui tremble par instants.

Motilité. Les traits du visage sont symétriques et réguliers. Il n'y a aucune apparence de spasme ni de paralysie. La langue est tirée droite et se meut dans tous les sens sans difficulté.

Le malade se plaint d'avoir perdu ses forces ; & peine a-t-il fait quelques pas qu'il se sent fatigué. Indépendamment de cet affaiblissement général, il existe chez lui une parésie très prononcée des membres du côté droit.

Le membre supérieur droit est un peu moins affaibli que la jambe. Le malade peut exécuter avec son bras droit tous les mouvements qu'on lui commande, mais à la condition que ces mouvements ne nécessitent pas d*effort.

. .XI ( niain droite =11 kilogrammes.

Au dynamomètre | _ ^^^^^^^^^ «_

La main droite est animée d'un tremblement continu assez rapide, qui s'atténue légèrement quand le malade laisse reposer sa main sur ses genoux, et qui s'accroît un peu quand il saisit un objet. Les oscillations sont assez fortes pour que le malade ne puisse pas porter un verre d'eau à sa bouche sans répandre une partie du liquide. Ce tremblement cesse pendant le sommeil, il s'accroît sous l'influence des émotions, des efforts; cependant deux ou trois jours après chaque attaque, il acquiert une intensité telle que le malade est incapable de se servir de sa main droite pour manger ou bien pour boutonner sa veste par exemple.

Le membre inférieur droit tremble aussi, mais beaucoup moins que le bras. Par contre, il est relativement plus affaibli. Le malade ne peut pas se tenir debout sur le pied droit; il marche lentement, en s'aidant d'une canne; il boite et traîne un peu le pied par moments. Les réflexes tendineux sont conservés et d'intensité nor- male.

Sensibilité. On constate une anesthésie absolue dans toute la moitié droite du corps pour la sensibilité & la douleur, la sensibilité thermique et le sens musculaire. Par contre la sensibilité tactile n'est que diminuée. La conjonctive de l'œil droit, la

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muqueuse nasale du côté droit, la moitié droite du pharynx sont complètement insensibles.

On peut comprimer fortement le testicule droit sans provoquer aucune douleur.

Sens. L'ouïe et Todorat sont affaiblis notablement du côté droit.

Le goût est complètement aboli sur toute la moitié droite de la langue. .

Pas de troubies oculaires.

Zone hystérogène, Lorsqu'on exerce une pression un peu énergique au niveau de la partie droite de Thypogastre immédiatement au-dessus du pli de raine, le malade accuse d*abord une vive douleur, puis il sent comme une boule qui lui monte du ventre à la gorge; sa respiration devient anxieuse, et si on Tinterroge sur ce qu'il éprouve, il se plaint d'avoir des bourdonnements dans les oreilles ; des battements dans les tempes ; puis sa vue se brouille et il menace de tomber, les choses s'arrêtent là, et Taura ainsi provoquée n'est pas suivie d'attaque.

État mental. Depuis l'accident dont il a été victime, le malade est triste, apa- thique ; il cause peu ; parfois il pleure sans motif. Il n'a plus la vivacité d'esprit, l'entrain, qu'il avait autrefois, mais son intelligence parait intacte. Par contre sa mémoire est affaiblie; il le sait et il s'en plaint. « Il y a des jours, dit-il, j'oublie tout ce que je viens de faire et d'autres jours je me rappelle très bien. » Cependant il nous a raconté l'histoire de sa maladie, à plusieurs reprises, sans trop d'hésita- tion et sans trop varier dans ses assertions.

Enfin le malade accuse toujours cette céphalée gravative incessante et prédomi- nant dans la région occipitale qui est apparue dès la seconde semaine après la col- lision. Dès qu'il se met à lire, son mal de tête s'accroît. Il a souvent des vertiges. L'appétit est médiocre, les digestions sont pénibles, il étouffe et il a le sang à la tète après le repas.

Le 6 juillet le malade demande sa sortie. Nous l'avons revu et examiné à nouveau le 25 juillet, puis le 4 et le 26 août. Il n'y a rien de changé dans son état. Il présente exactement les mêmes symptômes que nous avions constatés pendant son séjour dans le service de la Clinique. Il a toujours des attaques, une ou deux par semaine en moyenne. Mais il existe chez lui actuellement, de la diplopie monoculaire et un rétrécissement concentrique et permanent du champ visuel (examen du 26 août), signes qui faisaient encore défaut à l'époque le malade a quitté l'hôpital.

Il est difficile, en vérité, de ne pas reconnaître dans l'histoire clinique du cas de railway-spine qui précède, l'association d'un état neurasthénique des plus nets à l'hystérie. Si, actuellement, les symptômes de Tune et l'autre névrose se trouvent réunis chez ce malade de façon à constituer un complexus en apparence autonome, il n'en a pas toujours été ainsi. Les signes de la neurasthénie ont apparu chez Claw... trois semaines environ après l'accident dont il a été victime. Une céphalée constric- tive, tenace, généralisée, mais prédominante à l'occiput, une zone médiocrement douloureuse, située à la partie inférieure de la colonne lombaire, l'appétit nul, des digestions pénibles, un affaiblissement général, de la tristesse, la mémoire amoin-

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drie, voilà quels sont les troubles qu'il a tout d'abord accusés. En quoi cet état diflère-t-il du tableau syynptomatique de la névrose de Beard ? Or, ce n*est qu'un mois plus tard que ce sont montrées les premières manifestations hystériques, telles que la parésie, le tremblement des membres du côté droit et les attaques. Le sujet a donc été pendant un certain temps seulement neurasthénique. Après quoi, conformément à une évolution sur laquelle M. Charcot a plusieurs fois appelé Tat- tention, Thystérie est venue s'ajouter à la neurasthénie déjà existante. Celle-ci a précédé un moment celle-là. La dissociation clinique des deux névroses lorsqu'elles se combinent ainsi chez le même individu, est donc parfaitement légitime, elle répond à laxéalité des faits; elle n'est pas seulement une vue de Tesprit, puisque l'hystérie et la neurasthénie peuvent apparaître successivement chez le même malade, comme elles peuvent se montrer isolément sur des sujets différents.

La présence de l'hystérie chez notre patient, ne saurait, je pense, faire l'ombre d'un doute. Une hemianesthésie droite totale absolue pour le toucher, la douleur, la sensibilité thermique et le sens musculaire, un rétrécissement concentrique du champ visuel des deux yeux, l-abolition du goût dans toute la moitié droite de la langue, un affaiblissement très appréciable de Touîe et de l'odorat du même côté, une zone hystérogène, des attaques caractérisques, que faut-il de plus? Je ne vois vraiment pas par quels artiQces de dialectique on pourrait arriver à démontrer que cet assemblage de symptômes et de stigmates hystériques n'est pas, purement et simplement, de nature hystérique.

Il est vrai que MM. Oppenheim et Thomsen ont cru trouver dans la ténacité des anesthésies chez les traumatisés un caractère qui permettrait de les différencier des anesthésies vraiment hystériques. L'anesthésie des traumatisés, disent-ils, est tou- jours tenace ; elle ne présente pas cette mobilité, ces changements capricieux qui earactérisent les anesthésies hystériques. Mais cet argument ne vaut pas. Il est né, M. Charcot (1) l'a parfaitement dit, « de l'idée relativement fausse que l'on se fait en général du tableau clinique de 1 hystérie chez la femme. Chez le mâle, en effet, la maladie, quelle qu'en soit la cause, se présente souvent comme une affection remarquable par la permanence et la ténacité des symptômes qui la caractérisent. Chez la femme au contraire, et c'est ce qui semble faire la différence capitale entre les deux sexes, pour qui ne connaît pas à fond la maladie chez la femme, ce que Ton croit être le trait caractéristique de l'hystérie, c'est l'instabilité, la mobilité des symptômes »... Or cette mobilité, cette fugacité n'est pas, tant s'en faut, notre maître Ta montré par de nombreux exemples, un caractère univoque de la maladie hystérique, même chez la femme. Chez elle, il y a des hystéries aux stig- mates permanents, d'une stabilité inéluctable, résistant pendant des années entières Toire même des dixaines d'années, aux interventions les mieux conduites.

Un autre argument invoqué à Tappui de leur thèse, par les mêmes auteurs, c'est que Vétat psychique des traumatisés n'est pas celui des hystériques. Ces derniers sont,

. i. Leçons sur les maiadlef du système nerv., t lll, p. 252.

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dit-on, d'humeur fantasque, changeante, le plus souvent indifférents ou gais. Les traumatisés sont au contraire toujours tristes, mélanmenttouliySco srquè par des- rêves effrayants, des hallucinations hypnagogiques ; leur mémoire présente de nom breuses lacunes ; leurs facultés intellectuelles sont amoindries. Tous ces désordres dans Tétat mental constitueraient, si Ton en croit MM. Oppenheim et Thomson, une psychose spéciale appartenant en propre aux traumatisés et complètement étrangère à Thystérie proprement dite.

Cependant, si Ton examine un à un les divers éléments qui, par leur assemblage, forment cette prétendue psychose, on n'en découvre véritablement aucun qui ne soit connu déjà comme appartenant au tableau clinique, soit de la neurasthénie, soit de l'hystérie.

La tristesse, la mélancolie, Tapathie intellectuelle ? Mais M. Gharcot à déjà montré que chez le mâle en particulier, la dépression et la tendance mélancolique s^observcnt le plus communément dans les cas d'hystérie les plus accusés, indépen- dants de tout traumatisme, les moins contestables. Et puis les changements d'hu- meur, les caprices n'existent pas toujours nécessairement dans l^hystérie de la femme. Ces troubles ne sont donc pas caractéristiques do l'hystérie. Tout cela n'a rien d'absolu. Il y a des hystériques mâles qui sont gais, et l'on peut rencontrer des femmes hystériques d'humeur toujours mélancolique, tristes, déprimées, à la manière des traumatisés, alors même que le traumatisme n'est pas & l'origine de leur névrose.

Les rêves effrayants auxquels l'accident dont les malades ont été victimes sert très souvent de thème, les visions d'animaux, les hallucinations... etc., mais tout cela c'est la monnaie courante de l'hystérie.

Il y a encore l'affaiblissement de la mémoire, la torpeur intellectuelle. Est-ce qu'il n'est pas banal de rencontrer de purs neurasthéniques que leur état d'apathie^ leur dépression mentale, leur mémoire troublée rendent incapables de se livrer à leurs occupations habituelles? Qu'ont donc de spécial les troubles psychiques des traumatisés ? Eu réalité, ils rcssor tissent les uns à la neurasthénie, les autres à l'hystérie. Leur association chez un même individu ne légitime pas plus la création d'une psychose nouvelle, que la coml)inaison de l'hystérie et de la neurasthénie ne constitue une névrose particulière, qui serait la névrose traumatique.

Il est certain que cette superposition des symptômes de la neurasthénie aux stig- mates hystériques s'observe plus habituellement chez les traumatisés. Mais il ne faut pas oublier que le traumatisme n'a nullement le privilège de déterminer l'ap- parition de cet état complexe dans lequel l'hystérie et la neurasthénie se dévelop- pent côte à côte.

Souvent le choc physique a fait défaut ou n'a pas atteint le malade ; celui-ci n'a été ni contusionné, ni commotionné le moins du monde. Il a seulement éprouvé au moment l'accident s'est produit, une frayeur plus ou moins vive, une émotion soudaine. On dit alors qu'il y a eu shock nerveux. Cette expression fait image ; mais elle ne saurait évidemment signifier autre chose, dans l'espèce que: émotion subite.

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Il faut se garder de la prendre trop à la lettre et ne pas s'imaginer, sous prétexte que dans « shock nerveux » il y a « shock », qu'un sujet qui devient hystéro- neurasthénique, par exemple, pour avoir failli être tamponné en traversant la voie ferrée, est malade au même titre que tel autre voyageur qui a subit Ics^efTets maté- riels et psychiques d* une collision. Le premier de ces malades n'appartient plus à la série traumatique. Son cas doit être rangé dans la catégorie des hystéries provo- quées par une émotion quelconque. Si Ton veut faire passer les faits de cet ordre à Tactif du railway-spine ou de la névrose traumatique, nous demanderons en quoi le shock nerveux éprouvé par un individu qui voit avec terreur une locomotive arriver sur lui,mais qui peut se sauver à temps sans être atteint, diffère du shock nerveux de tel autre individu qui apprend tout à coup qu'il a perdu sa fortune ou qui voit périr son ûls de mort violente (i). Dans tout cela, est le traumatisme, et, par- tant, que devient la névrose traumatique (2) ? »

APPENDICE No 2

Rétractions fibro-tendiiieuses dans les paralysies spasmodiques par lésions organiques spinales^ dans les paralysies alcoo- liques et dans la contracture spasmodique hystérique. (Pied bot hystérique (3). Voir la Leçon 17 (2* Malade, pp. 381, 384).

c Considéré en soi, le premier sujet sur lequel je vais appeler votre attention n'offre plus guère actuellement qu'un intérêt purement rétrospectif. La malade dont

i, Voir la leçon 13, p. 292, et le tableau p. Î98.

2. Extrait d*un travail publié par M. Dutil, inleroe du service de la clinique à la Salpô- trière, dans la GazeUeMédieale du samedi 23 novembre 1889.

3. Leçon de M. Charcot recueillie par M. Babinski, cbef de clinique et publiée par le Bul- Uiin médical ; mars 1887, p. 109.

Le sujet dont 11 est traité dans cette leçon a été développé avec un imposant concours d*argamentt d'ordre chirurgical dans une imporlaute communication faite à la Société de chi- rurgie par M. le D' Terrillon, chirurgien de Thospice de la Salpôtrière.

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il s'agit, est en effet complètement guérie depuis trois ans de Faffection dont elle a souffert et qui l'a immobilisée au lit pendant une période de plus de Yingt-quatre mois. Mais je pense que son histoire, que je vais rappeler dans un instant, pourra nous aider tout à l'heure dans l'interprétation d'un deuxième cas qui doit être l'objet principal de la leçon d'aujourd'hui. Je tiens à vous prérenir tout d*abord« messieurs, que les deux sujets que nous rapprocherons Tun deTautre appartiennent à des groupes nosographiques fort éloignés, puisque, dans Tun il s'est agi d'une affection organique par excellence, la pachyméningite cervicale hypertrophîque, tandis que dans l'autre il s'agit, au contraire, d'une affection purement dynamique, sans lésions matérielles appréciables ; je veux parler de la contracture spasmo- dique hystérique. Mais voici le point commun qui me parait motiver le rap- prochement que nous allons établir entre les deux cas : dans le premier, une intervention chirurgicale a été nécessaire pour compléter la guérison, et cette même intervention chirurgicale, ou du moins une intervention du même ordre, me parait actuellement nécessaire pour compléter la guérison dans le deuxième cas. D'ailleurs nous finirons peut-être par reconnaître, chemin faisant, que bien qu'ils appartiennent à deux catégories absolument distinctes, ces deux cas présentent cependant, à certains égards, des traits communs plus nombreux qu'on ne le pour- rait supposer tout d'abord.

Nous commencerons par le cas de la pachyméningite cervicale hypertrophique. Il s agit d'abord de démontrer que le sujet présent qui, depuis trois ans, a retrouvé complètement l'usage de tous ses membres, a été atteint de pachyméningite cer- vicale hypertrophique. Cela étant fait, nous n'aurons pas à nous étonner outre me- sure que le malade ait guéri, car on possède aujourd'hui un certain nombre de cas de guérison dans cette affection, qui ont été récemment réunis par IL EdgardHirIz, dans un mémoire publié en juin i886, dans les « Archives de médecine ». Mais le fait intéressant, ainsi que je le relevais tout à l'heure, c'est que la guérison dans ce cas, commencée et poussée assez loin par les moyens médicaux, n'a pu devenir complète que par l'intervention chirurgicale, et c'est sur cette intervention dans un cas de paralysie spasmodique d'origine spinale que je veux particulièrement insister.

Notre malade est aujourd'hui Agée de 62 ans ; elle a eu cinq enfanta, a souffert autrefois de douleurs rhumatoldes. Elle a habité pendant vingt-quatre ans dans une boutique humide, couchant dans Tarrière-boutique. 11 y a six ans de cela, elle a été prise de douleurs névralgiques dans les membres supérieurs, dans le cou, le dos et la poitrine. Il y a donc eu peut-être une participation dorsale. Cette période dou- loureuse a duré six mois ; puis s'est développée une paralysie avec amyotrophie des membres supérieurs qui présentaient la griffe radiale (mains de prédicateur) ; plus tard encore est apparue une paraplégie lombaire spasmodique avec exagération des réQexes tendineux et trépidation épileptoîde .

On lui appliqua pendant ce temps des pointes de feu le long de la colonne verté- brale et on lui fit prendre de l'iodufe de potassium. Il y a de cela trois ans, l'amé-

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lioration commença à apparaître ; la contracture des membres inférieurs s'atténua, les réflexes tendineux diminuèrent d'intensité, la trépidation disparut ; l'améliora- tion du côté des membres supérieurs marchait du même pas et même plus rapide- ment, car bientôt la griffe radiale cessa d'exister, Tamyotrophie diminua et il y eut récupération des divers mouvements. Mais ce qui nous intéresse particulièrement, c'est ce qui s'est passé du côté des membres inférieurs.

La paralysie spasmodique s'atténua de plus en plus, et même à un moment donné il était devenu évident que la rigidité spasmodique des muscles n'existait plus et que, par conséquent, TafiTection spinale n'était plus en jeu. Cependant une flexion à angle droit des jambes sur les cuisses et non plus à angle aigu comme autrefois persistait encore. Quelle était donc la cause de Tobstacle à la flexion et surtout à l'extension qui* existait encore ?

L'examen attentif rendit probable qu'il s'agissaitlà : i^ d'un raccourcissement des tendons des muscles fléchisseurs de la cuisse, et de la rétraction du tissu cel- lulo-Ûbreux formé autour de la jointure, surtout en arrière dans le creux poplité.

Ce qui rendait cette opinion déjà vraisemblable, pour ne pas dire plus, c'était : l'^ la disparition de l'exagération des réflexes rotuliens et de la trépidation spinale'; la sensation produite par les tentatives de flexion ou d'extension du genou.

Dans le cas de contracture spasmodique, les muscles d'action contraire, vous le savez, sont simultanément en jeu ; la contracture occupe, en effet, à peu près au même degré, les fléchisseurs et les extenseurs, par exemple ; seulement, les fléchis- seurs et les extenseurs prédominent suivant les cas, et dans Tobservation présente c'étaient les fléchisseurs. Tant que la contracture persiste, la résistance est à peu près aussi grande du côté de la flexion que de celui de l'extension et quand on cherche à imprimer au membre un mouvement passif, on éprouve la sensation d'une résistance progressive et élastique, en quelque sorte, les parties tendant à reprendre d'elles-mêmes la position dont on les éloigne. Or cbe;: notre malade, ce n'était plus cela qu'on observait ; Textension pouvait se faire facilement dans une certaine mesure, mais à un moment donné, brusquement, elle se trouvait limitée par un obstacle mécanique ne donnant pas la sensation de ré- sistance élastique et absolument invincible. D'ailleurs le chloroforme devait ré- soudre la question ; toute contracture spasmodique se résout absolument sous l'influence du sommeil chloroformique poussé suffisamment loin ; or ici, même dans le sommeil profond, l'obstacle persistait. Cest alors que nous priâmes M. Ter- rillon d'intervenir^

L'examen du genou fit voir en avant un certain degré d'immobilité de la rotule, et dans le creux poplité la rigidité des fléchisseurs de la jambe sur la cuisse, et de plus cet examen fit éprouver dans cette région une sensation montrant que celui-ci était rempli de tissu fibreux rétracté.

Les opérations qui suivirent vinrent confirmer l'opinion qu'on s'était faite de l'état des tis8U8«

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Une première opération consista dans la section des tendons fléchisseurs, qui n'amena qu'un redressement incomplet ; quinze jours après, une deuxième tenta* tive consistant à provoquer sous l'action du chloroforme Textcnsion forcée, soivie d'immobilisation, avait démontré, en outre de la rétraction tendineuse, Texistence du tissu fibreux rétracté que d'ailleurs on entendait se déchirer en produisant des craquements pendant les manœuvres d'extension : une troisième tentative du même genre fut nécessaire pour amener l'extension complète. A la suite de cette opéra- tion en trois fois, il s'est passé encore deux mois avant que la malade pftt marcher. Sous l'influence du repos prolongé, les muscles des membres s'étaient émaciés ; l'électrisation fut mise en jeu pour les ramener aux conditions normales. Enfin, depuis trois ans, la malade est guérie ; elle ne souffre plus, fait de longues courses à pied, ne présente pas la moindre trace de paralysie spasmodique, et comme vestige de Taffection dont elle a souffert, il ne reste plus qu'une difficulté à se met- tre à genoux et un peu de raideur dans le cou ; mais c'est en somme bien peu de chose, et l'on peut dire que la guérison est complète, absolue.

Puisque j'en suis à vous parler des guérisons de la pachyméningite, je puis vous montrer un autre cas du même genre. Ici, l'affection a été moins grave, la paralysie spasmodique n'a jamais été qu'ébauchée, c'est-à-dire que les accidents de la troisième période ne se sont pas complètement accusés ; mais, par contre, révo- lution rétrograde s'est arrêtée en chemin et nous ne pensons pas qu'on puisse es- pérer le retour à Pétat normal. Gela tient peut-être d'ailleurs aux habitudes du sujet. Cest une femme de 34 ans, cuisinière, qui a habité pendant deux ans un rez-de-chaussée humide. L'affection a débuté il y a quatre ans. Après une période douloureuse classique de six mois, il s'est développé une paraplégie cer- vicale atrophique, et enfin la troisième période n'a été qu'esquissée et a été carac- térisée par une parésie des membres inférieurs, avec exagération des réflexes tendi- neux. Aujourd'hui, il n'y a que des vestiges de la paralysie lombaire marquée seu- lement par des réflexes rotuliens exagérés ; mais, au membre supérieur, il y a une amyotropbie avec réaction de dégénérescence, surtout dans les muscles de la main, sans espoir de guérison ; c'est pourquoi il paraît inutile d'essayer de modifier chirurgicalement la griffe qui existe et dans laquelle les doigts sont maintenus en crochets par le raccourcissement des tendons fléchisseurs et la production de brides fibreuses.

Messieurs, j'insiste comme vous le voyez, sur la production possible de ces brides fibreuses, de ces raccourcissements de tendons qui maintiennent les déformations dans certains cas de paraplégie spasmodique curables ou déjà guéris. Je dis : dans certains cas, parce que cette complication ne se voit pas dans tous les cas appar- tenant à un môme groupe ; ainsi je pourrais citer au moins un cas de pachymé- ningite cervicale hypertrophique ayant produit une paraplégie spasmodique avec flexion des membres dans lequel la paralysie a guéri au bout 'de deux ans, sans

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qu'on pût constater autour de l'articulation, de celle du genou en particulier, la moindre trace de rétraction fibreuse périarticulaire. Ce que je viens de dire de la paraplégie spasmodique, de la pachy méningite hypcrtrophique, je puis le répéter à propos de la paraplégie par mal de Pott. Vous savez que souvent, cette paraplé- gie dépend d*une pachyméningite caséeuse, et que c'est dans ce cas une paraplégie par compression. Cette paraplégie, comme Ta depuis longtemps indiqué Leudet, et comme je Tai fait voir à mon tour, est quelquefois curable. Il faut ajouter que dans ces paraplégies par compression, la flexion des cuisses sur le bassin et des jambes sur les cuisses est en général très prononcée (caractère commun, du reste, à toutes les paraplégies par compression). Eh bien, dans la plupart des cas de ce genre que j'ai observés, la résolution des contractures et la guérison se sont faites absolument sans intervention chirurgicale, tandis que dans d'autres cas, de beau- coup les moins nombreux, en raison de Texistence de productions fibreuses périar- ticulaires et du raccourcissement des tendons, Tintervention chirurgicale a été, comme dans notre cas, nécessaire pour faire disparaître la déformation. Et ici, vous le voyez, se pose un problème intéressant de pathologie.

Pourquoi, tout étant égal d'ailleurs, du moins en apparence, la complication tcndino-fibreuse se produit-elle dans certains cas, et non dans d'autres? Qu'ont donc de particulier les sujets chez lesquels elle se produit? $'agit-il d'une influence diathésique, d'un élément rhumatismal, arthritique que présenteraient ces sujets? On sait que certaines rétractions fibreuses, indépendantes de toute paralysie, comme la rétraction de l'aponévrose palmaire, relèvent, au moins sou- vent, d'un élément arthritique.

Cest un point qu'il serait intéressant d'éclaircir et sur lequel malheureuse- ment je ne suis pas en mesura, quant à présent, de vous donner des renseigne- ments précis.

Nous devons donc i^ous borner, pour le moment, à enregistrer le fait et à en tirer parti, pour le plus grand bien des malades, le cas échéant.

Mais je ne dois pas vous laisser ignorer que celte complication, que je signale à votre attention, n'est pas exclusivement propre aux paraplégies spasmodiqucs ; elle peut se montrer encore dans des paralysies la déformation ne dépend par d'une con- tracture des muscles; tel est le cas de la paralysie alcoolique, dont je vous pré- sente un exemple.

n y a dans ces cas-là, en conséquence d'une névrite qui semble primitivement périphérique, une atrophie des muscles extenseurs, suivie d'une chute du pied, analogue à la chute du poignet qu'on observe dans la paralysie saturnine ; rien ne retient la flexion du pied qui est flottant, ballottant que l'influence de la pesanteur.

Dans d'autres cas, cependant, la prédominence des fléchisseurs moins atrophiés oppose une légère résistance bientôt vaincue ; môme, il ne s'agit pas d'une dévia- tion spasmodique, mais d'une déviation paralytique; la tonicité des muscles non altérés est seule en jeu.

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Mais il est enfin un troisième ordre de faits, qui dans Tespèce me parait asseï fréquent, et dans lequel, cette fois, Téquinisme ainsi produit est maintenu désor- mais par le fait de la rétraction du tendon d'Achille, combinée avec la production du tissu fibreux périarticulaire.

J'ai observé deux cas de ce genre dans lesquels, après guérison, rintenranlioa chirurgicale a été nécessaire, et a réussi une fois de plus entre les mains de M. Ter- rillon.

L'opération, dans ce cas, a être faite, comme dans le cas de la paehjméain- gite, en plusieurs temps.

La section du tendon d* Achille n'a pas suffi pour obtenir le redressement; il a fallu, à deux ou trois reprises, en produire Textension forcée, déchirer les brides fibreuses périarticulaires ; les malades ont parfaitement guéri.

On ne s'étonnera pas de voir fréquemment des brides fibreuses périarticulaires et des raccourcissements de tendons se produire dans la paralysie alcoolique^ si Ton remarque, ainsi que M. Lancereaux et moi nous Tavons fait ressortir, que les troubles trophiques sont chose vulgaire dans les membres inférieurs chez les sujets atteints de paralysie alcoolique, et c'est une circonstance qui pouvait être prévue dans un cas le point de départ de la paralysie est une lésion infiamma- toire des nerfs périphériques. De fait, les troubles vasomoteurs, rœdème, l'empâ- tement, les lésions des ongles, la peau lisse sont fréquents dans les parties siège la paralysie alcoolique. Mais je ne veux pas m'é tendre plus longtemps sur ce sujet qui mériterait bien une étude approfondie et que je me borne à signaler à votre attention. Cette complication de rétractions fibreuses qui peut survenir dans divers cas de paralysie spasmodique ou non spasmodique peut nécessiter Tinter- vention chirurgicale.

Il est temps d'en venir maintenant au cas que j'ai eu pour objectif pendant toute la durée de cette leçon.

Il s'agit, je vous l'ai annoncé déjà en commençant, d'une déformation produite par la contracture spasmodique hystérique. C'est dire que s*il est vrai, comme il faut l'admettre, que le point de départ de TaiTection doit être cherché dans la moelle, celle-ci, cependant, n'a jamais présenté aucune altération appréciable. Actuellement, ainsi que je vous le démontrais tout à Theure, la contracture spas- modique n'existe plus, et à ce point de vue on peut dire que la malade est guérie, malgré les apparences contraires qui sont dues à ce que la difformité persiste.

Eh bien, messieurs, je prétends que la cause do la persistance de cette défor- mation doit être cherchée, comme dans le cas de paralysie organique que je vous citais tout à l'heure, dans la production de tissu fibreux périarticulaire et dans le raccourcissement qu'a subi le tendon d'Achille. De sorte qu'ici encore la guérison ne pourra être complétée que par une intervention chirurgicale du même genre que celles dont il a été question, et dont mon collègue, M. Terrillon, voudra encore bien se charger.

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Mais jusqu'ici, je n'ai procédé que par assortions; il me faut actuellement procé- der par démonstration. J'ai à établir les points suivants :

1* La déformation en pied bot équin varus, que nous avons sous les yeux, a bien pour point de départ une contracture spasmodique d'origine hystérique ;

2* Aujourd'hui l'élément spasmodique a complètement disparu, et la déformation autrefois tout entière de cause musculaire est maintenue désormais seule- nent par les rétractions tendineuses et fibreuses, qui se sont produites consécuti- vement à titre de complication.

Si nous parvenons à bien montrer tout cela, nous aurons rendu manifeste du même coup que l'intervention chirurgicale est opportune, nécessaire, et que cette entreprise a toutes les chances d'être couronnée d'un plein succès.

Il nous sera facile de démontrer que la malade est bien hystérique et que le double pied bot qu'elle présente a pour origine une contracture hystérique. H nous suffira pour cela d'indiquer les principaux traits de l'histoire de cette malade.

Elle a un père aliéné mort à Tasile de Glermont ; elle a 25 ans ; de 20 à 24 ans, elle a beaucoup souffert moralement ; sous cette influence sont survenus des vomis- sements fréquents se produisant sans effort et sans douleur et évidemment de nature névropathique, des accidents qu'elle appelle des syncopes et qui paraissent bien avoir été des crises hystériques, une paralysie transitoire du membre supérieur gauche avec anesthésie et perte du sens musculaire qui, manifestement, doit être rattachée à l'hystérie.

Enfin, il y a deux ans, tout à coup, un matin, sans prodromes, s'est produite la déformation des pieds en varus équin qui a atteint immédiatement son plus haut degré, et dont vous retrouverez aujourd'hui les vestiges. Il y avait un an à peu près que cela durait quand la malade est entrée à la Salpêtrière. Nous avons pu cons- tater alors que l'articulation du genou était aussi rigide, que les tentatives de redressement du pied donnaient la sensation de résistance élastique qui est propre aux contractures spasmodiques. Nous avons reconnu enfin Tabsence, à cette époque, de tout stigmate hystérique sensitif ou sensoriel et nous avons constaté qu'il était impossible de produire aux membres supérieurs la contracture artificielle ; enfin, les attaques avaient complètement cessé. On pouTaitdonc espérer que la diathèse hystérique était épuisée et que l'on viendrait sans doute bientôt à bout de la con- tracture spasmodique du pied. Les tentatives d'hypnotisme étaient restées sans résultat ; nous ne pouvions compter sur une disparition des accidents par voie de suggestion. Les moyens employés ont été Télectrisation et le massage ; ce dernier mode de traitement, mis en œuvre pendant un mois, parait avoir produit une très notable amélioration. La flexion du genou est devenue possible ; quelques mouve- ments ont reparu dans Tarticulation tibio-tarsienne, et la malade a pu alors se tenir debout sur la pointe des pieds, comme voii^ le voyez aujourd'hui. Vous pou*

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vez observer comment la malade peut marcher sans appui en faisant reposer les pieds sur Textrémité des deux ou trois derniers métatarsiens.

Mais, au bout d'un certain temps, il est devenu clair qu'il ne se faisait plus de progrès, et nous nous sommes demandé si la contracture spasmodique n'ayait pas disparu, et si la déformation n'était pas entretenue seulement par des productions fibro- tendineuses. Les productions de ce genre sont rares, à la vérité, dans les con- tractures hystériques, alors même qu'elles ont duré de longues années ; la dispari- tion de la contracture spasmodique peut se faire progressivement ou même subite- ment sans laisser après elle aucune trace de rigidité articulaire, alors même que la rigidité par contraction a duré plusieurs mois, voire plusieurs années ; mais il faut reconnaître que le fait n'est pas absolument général ; et il faut savoir que les rétractions fibreuses peuvent compliquer les contractures hystériques, comme elles compliquent les paralysies organiques. Je pourrais même citer trois exemples de ce genre dont deux, par une singulière coïncidence, chez des dames russes.

Mais pouvons-nous démontrer que la contracture spasmodique n'existe plus ? Oai, je le crois.

Vous voyez que la malade peut, dans une certaine mesure, mouvoir son pied librement en dedans, en dehors, en avant, en arrière, ce qui n'arrive jamais an même degré dans les contractures hystériques les choses sont poussées toujours à Textrême, si bien qu'en général le. malade ne peut imprimer aucun mouvement aux parties contracturées. De plus, quand on imprime des mouvements passifs à la jointure, en dedans ou en dehors, le mouvement est à peu près complet; le mou- vement de flexion plantaire et aussi assez étendu, et on ne sent nulle part cette résistance élastique, qui donne la sensation d'un ressort tendu, qui appartient à la contracture spasmodique.

Au contraire, quand on veut produire la flexion dorsale du pied, on est bientôt arrêté brusquement par un obstacle purement mécanique qui paratt être surtou le tendon d'Achille raccourci, mais qui pourrait bien avoir aussi sa cause, d'après ce que nous savons, dans la production de tissu fibreux périarticulaire. S'il vous reste encore après cela un doute dans l'esprit, je pourrais vous fournir enGn un argument absolument décisif en faveur de la thèse que je soutiens : la malade a été soumise à la chloroformisation et, pendant le sommeil profond, la déformation ne s'est en rien modifiée, elle est restée telle quelle, sans que nous ayons pu rien gagner. Il est donc évident parla que le spasme musculaire n'est plus ici pour rien, et toute la déformation doit être mise sur le compte des rétractions fibro tendineuses. La chirurgie seule a donc [désormais le pouvoir de rendre au membre l'intégralité de ses mouvements.

Mais l'opération est-elle opportune? oui, incontestablement. Tant que persiste l'élément myospasmodique, je repousse toute tentative de redressement à l'aide d'appareils, car j'ai constaté toujours les plus fâcheux effets de ce mode de traite- ments, et je proche en pareil cas, avec conviction, la doctrine de l'expecta^ion. Mais ici nous ne sommes plus dans ces conditions-là : d'un côté, il n'existe plus

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actuellement aucune manifcs talion de l'hystérie, et, de Tautre, Télément myos- pasmodique a complètement disparu. Nous sommes donc dans les conditions les plus favorables au succès de Tentreprise, et il n'y a pas à hésiter. Ce soir môme la malade sera confiée aux soins de M. Terrillon, et j'espère dans quelques semaines TOUS la présenter de nouveau, cette fois complètement guérie et libre de tous ses mouvements (1).

APPENDICE 3

Hystérie provoquée chez V homme par la peur de la foudre (2). Voir la Leçon 19, pp. 435, 461.

L*observation qu*on va lire offre un bel exemple d*hystérie développée chez l'homme par suite du saisissement ressenti au moment la foudre tombait sur un lieu éloigné. Le « schock nerveux » produit par Téclair, le bruit de la foudre sont ici seuls en cause ; le choc électrique n'y est pour rien.

Le nommé H... Augustin, employé, âgé de bl ans, se présenta à Thôpital Necker,

le 8 août 1887. Cet homme se plaignait d'être paralysé du côté gauche et il ajoutait

aussitôt que cette paralysie lui était venue « à la suite d'un coup de foudre ». Il

fut admis salle Saint-Luc, lit n^* 13, dans le service de M. le professeur Peter suppléé

par M. Ballet.

I. L'opéniion a été en effol pratiquée par M. Terrillon quelques jours iprès la leçon. La malade eat aortie do 1 hôpital deux mois après complèteir.ent guérie. Voir d^ailleurs la fin de

hSatoire de cette malade dans la Nouvelle Iconographie de la Salpètrière, t. I, 1888, p. 93. De rinUrvtnlion chirurgicale dans certains cas de rétactions musculaires ivccidc ni à la eontraclure spasmodigue'p^r TerriJlon, chirurgien de la Salpélrière.

S. Cette observation a été recueillie par M. Dutil-, alors interne dans le service de M. Ballet, suppléant M. le Prof. Peler. ^

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Antécédents hén^éditaires, Les renseignements donnés par le malade sur Tétat de santé de ses parents sont fort incomplets. Il n'a pas connu son père, il ne sal^ rien de sa mère qui mourut pendant qu'il était encore en bas Âge. D n'a jamais oui dire qu'aucun de ses parents dans la ligne collatérale fût atteint d'une maladie nerveuse quelconque. Il a quatre enfants qui jouissent d'une excellente santé.

Antécédents personnels, Par contre les antécédents personnels de cet homme pré- sentent quelques particularités dignes d'être notées.

Bien qu'il n'ait jamais eu ni crise de nerfs, ni syncopes, H... n'en est pas moins, comme il le dit lui-même, « très nerveux, » très impressionnable; parfois il s'émeut d'un incident futile, comme il pourrait le faire d*un événement grave, et qui aurait pour lui les plus fâcheuses conséquences. Une surprise, une émotion quelconque, le font trembler des quatre membres. Le fond de son caractère est la mélancolie.

Il n'est ni syphilitique, ni alcoolique. Une blennorrhagie qu'il eut à l'Âge de 18 ans constitue tout son passé morbide.

H. raconte que dans sa jeunesse (vers l'Âge de 12 ans), un jour qu'il mar- chait sur une grande routes par un temps d'orage, la foudre vint à tomber près de lui, dans le fossé même qui bordait le chemin. Il vit l'étincelle frapper le sol en même temps qu'un violent coup de tonnerre éclatait sur sa tête. Saisi d'une terreur folle, il se mit à courir jusqu'à son domicile. Cet accident fit sur lui une impression si profonde qu'elle ne s'est jamais complètement effacée. Depuis cette époque il a toujours craint l'orage; non pas qu'il aitpetir de la foudre comme au temps de son enfance; mais le tonnerre, la vue des éclairs lui causent une émotion, une an- goisse qu'il ne peut pas toujours surmonter. Un jour qu'il travaillait dans une prai- rie, l'apparition d*un éclair Timpressionna si vivement qu'il devint tout pÂle et fat obligé de s'asseoir pour ne pas tomber.

Voici maintenant dans quelles circonstances il a été frappé d'hémiplégie.

Le 30 juillet dernier, cet homme travaillait rue Yavin, dans un atelier couvert en vitrage, lorsqu'un violent orage vint à éclater. Versquatrc heures et demie, un coup de tonnerre formidable ébranle la toiture de Tatelier en même temps qu'un éclair jetait une très vive lueur. H... en fut tout saisi; il crut que la foudre était tombée sur le trottoir qui borde la maison. En réalité, le tonnerre était tombé au loin, dans un quartier voisin, il n'avait d'ailleurs ressenti aucune secousse, aucune commo- tion électrique.

Dans la soirée, en rentrant chez lui, il éprouva u des frémissements », des pico- tements dans le bras gauche, < comme si on Tavait électrisé»; puis il se sentit pris d'une faiblesse générale. Quelques instants après, TafTaiblissement s'accen- tuait dans les membres du côté gauche. Il se coucha inquiet, agité, sentant qu'il perdait ses forces. Il dormit peu durant la nuit. Le lendemain, quand il voulut se lever, il était paralysé du bras et de la jambe gauche; il était incapable de mouvoir ces membres qui étaient comme morts et complètement insensibles.

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Durant les deux jours qui suiriren^, la paralysie s'améliora surtout au membre inférieur; le malade put se lever et marcher, sans trop boiter, sans traîner la jambe malade. Celle-ci néanmoins restait très affaiblie; et le malade aurait été incapable de se tenir longtemps debout et de faire une course un peu longue. Au membre supérieur, dont la paralysie était complète, absolue le premier jour (30 juillet), il ne recouvra que quelques très légers mouvements des doigts et de la main.

Quant à la face, au dire du malade, elle n'a pas été touchéee par la paralysie ; à aucun moment sa bouche ne s'est déviée dans un sens ni dans l'autre.

Le 8 août, voyant que son état restait staiionnaire, le malade se décida à entrer à Thôpital. Voici ce que l'on constatait:

Etat actuel, A la face, quelque attentif que fût Texamen, on ne découvrait pas trace de paralysie ni de contracture. Au repos, les traits étaient bien symétriques ; et quand la physionomie entrait en jeu, comme par exemple, dans Tacte de rire, grincer des dents, souffler, etc., on ne découvrait aucun trouble de la mobilité de telle ou telle partie du visage. Les mouvements des paupières aussi bien que ceux des globes oculaires s'exécutaient librement.

La langue était tirée droite, elle no présentait aucune déformation, aucun pli, indice d'une contracture partielle.

Les mouvements de la tête et du cou étaient parfaitement libres.

Le membre supérieur pend inerte le long du tronc. La paralysie du membre supé- rieur gauche est totale, et à peu près absolue. Quelques légers mouvements de flexion des doigts et d'extension de la main, voilà tout ce que le malade peut faire. Le membre paralysé est ilasque; on peut le déplacer, fléchir et étendre ses divers segments sans éprouver la moindre résistance.

L'exploration dynamométrique donne les résultats que voici :

Main droite = 38 k. gauche = 3 k.

Membre inférieur. Le membre inférieur gauche est très incomplètement paralysé.

Le malade peut exécuter à peu près tous les mouvements qu'on lui commande, mais ces mouvements sont lents et comme inhabiles. Le malade ne peut se tenir debout sur la jambe gauche ; dès qu'il soulôve le pied droit pour porter le poids du corps tout entier sur le membre inférieur gauche,celui-ci fléchit aussitôt.

Dans la marche, la jambe gaucho est plus lente à exécuter les divers temps du pas, elle est un peu en retard sur Tautre, mais il n^ & ni balancement du tronc, ni frottement de la pointe du pied sur le parquet.

Les mouvements de flexion, d'extension, d'inclinaison latérale, etc., du tronc sont normaux. Il s'agit donc en somme non d'une hémiplégie, mais de monoplégies associées du membre supérieur et du membre inférieur.

Sensibiliti. La sensibilité de la peau au contact, & la piqAre et à la températtue (rroid) est abolie complètement dans la moitié gaache de la tète et cou, et dau tout lo membre supérieur du même cAté. Cette aneelhésie s'iaterroropt brusqoe-

Fie. 125.

ment sur la ligne médiane h la tête et au cou, mais à la partie supérieure du thorax, elle s'étale un peu tout autour de l'épaule et si l'on en délimite les contours à ce niveau, on voit que la ligne de démarcation partant de la ligne médiane anli'rieure du cou descend en décrivant un arc de cercle à convexité inférieure an

detimt des côtes, et, coupant la ligne ailUaire très près du creux de l'aisselle, remonte

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ensuite derrière Tépaule vers l'épine dorsale qu'elle atteint à la hauteur de la deuxième dorsale.

La peau du membre inférieur est également insensible au contact, à la piqûre et au froid, mais Tanesthésie n'est pas aussi complète qu'au membre supérieur et à la face. La zone anesthésique dépasse la ligne d'attaches de la cuisse ; sa limite remonte même un peu au-dessus de la fesse et de l'épine iliaque supérieure en ar- rière; en avant elle descend obliquement dans le pli inguinal scrotal.

La peau du tronc a conservé toute sa sensibilité dans la zone intermédiaire qui sépare la nappe anesthésique péri-scapulaire de celle qui circonscrit la partie supé- rieure de la cuisse.

L'anesthésie des membres est profonde. On peut tordre les doigts, les tirailler sans que le malade accuse la moindre douleur.

Le sens musculaire est très compromis. Le malade ne peut, les yeux fermés , porter l'index gauche à son nez; de même il tâtonne pour saisir avec sa main droite son poignet gauche, etc.

Le testicule gauche, sans être complètement insensible, supporte une près non beaucoup plus forte que celui du côté droit.

Le réflexe rotulien est sensiblement diminué à gauche.

Le réûexe crémastérien est nul à gauche, très prononcé à droite.

Aneslhésie pharyngienne.

Organes des sens. Vue, 11 existe un rétrécissement ooncentrique du champ visuel de l'œil gauche. Pas de dyschromatopsie. Micropsie.

Ouïe. L*acuité auditive est très dimiauée du côté gauche; le tic tac d'une mon- tre est perçu à une distance de 25 cent, par Toreille droite; dès qu'on éloigne la montre de 5 cent, de l'oreille gauche, le malade cesse de l'entendre.

Le goût est également diminué à gauche (sulfate de quinine, sucre en poudre).

Uodorat ne semble pas être intéressé; le malade reconnaît l'eau de Cologne, le benjoin. Par contre, la sensibilité générale de la muqueuse do la fosse nasale gau- che est complètement abolie. Le malade flaire, sans être nullement incommodé, un flacon d'ammoniaque.

Le 9 août au matin, s'adressant aux élèves de la clinique, M. Ballet déclare en présence du malade, de façon à être bien entendu de lui, que cette paralysie va dis- paraître, à coup sûr, sous l'influence d'une pilule fulminante. Eu égard à l'activité grande de cette préparation pharmaceutique, on recommande au malade de la prendre en deux fois, de s'abstenir d'en ingérer la seconde moitié au cas la pre- mière produirait des effets trop énergiques... etc.

Le 10 août, le malade nous dit que la pilule « Ta violemment travaillé, qu'il va beaucoup mieux, que la peau est redevenue sensible ». Nous constatons en effet, qu'il n'existe plus trace d'ancsthésie du côté gauche ; il n'y a plus de rétrécissement

'*' n*

548-^

du champ yisuel ; le goût est normal, mais il y a encore une dimination quée de Tacaité auditiYe à gauche ; le pharynx a ^ecourré sa sensibilité.

La paralysie motrice s'est également amendée, mais à un moindre degré. L'expo- ration dynamométrique donne les résultats suivants:

Main droite » 50 k. -^ gauche = 15 k.

on prescrit au malade deux nouvelles pilules fulminantes.

Le 11 aoftt, à la visite du matin, H... nous déclare qu'il n'avait pris qu'une des pilules parce que la première avait suffi à le bouleverser complètement. Nous constations en même temps que l'ouïe avait repris son acuité normale et que la force musculaire s'était de nouveau accrue dans les membres paralysés.

Main droite =50k. gauche = 25 k.

'^H

Le 12 tpftt, le malade se trouve complètement guéri ; 11 affirme qu'il a entière- ment repris ses forces.

Main droite » 51 k. gauche = 35 k.

La sensibilité tant générale que sensorielle e«l p^^^^^ aoi^°^^®* Durant les quelques jours que le malade passa encore à l'hôpital, en attendant la disparition d*une poussée d'eczéma aigu au cuir chevelu, la guérison s'est mainte- nue complète et tout porte à croire qu'elle est définitive.

On remarquera que dans ce cas la paralysie très certainement n'a pas été produit par le choc électrique : elle ne s'est pas manifestée immédiatement, au moment même la foudre est tombée, mais seulement le lendemain. Il y a eu là, ainsi qu'on Ta fait remarquer plusieurs fois dans des circonstances analogues, une sorte d*in- cubation.

Une observation de même caractère que la précédente, avec cette différence toute- fois que le shock nerveux a déterminé immédiatement une attaque d'hystérie suivie de mutisme, a été publiée par M. le docteur Bettencourt Rodrigues (accidentes kyste- riformes determinados pela acçdo d'um raio a distanda in Revista di Nevrologia Psychiatria ; 1889, nM, t.I", série, Lisboa). L'observaiion est relativeàun homme de 30 ans, ancien militaire.

IMr. NOlZKTiB, i, RUK C▲MI>AG^B-PBKM1KRB, PABIS.

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TABLE

DES TABLEAUX, FIGURES ET FAC-SIMILE

CONTENUS DANS CE VOLCXE

A. TABLEAUX

Pages.

Tableau généalogique (Sciatique, Neurasthénie et Hystérie) ... 35

(Chorée aiguë grave) Hl

(Chorée de Sydenham ). 131

(Paralysie infantile) 144

145

Tableau synoptique des symptômes oculaires dans le Tabès, la

Sclérose en plaques et l'Hystérie 163

Tableau généalogique (Hystéro-neurasthénie) 261

286

296

Tableau synoptique des antécédents et des symptômes chez quatre

hommes hystéro-neurasthéniques 298,299

Tableau synoptique d'accès d'Automatisme ambulatoire 308

Tableau généalogique (Abasio trépidante) 372

(Epilepsie, Hystérie et Morphinomanie.)

B. FIGURES, FAC-SIMILE ET TRACÉS.

Fig. 1, 2, 3, 4, 5, Bâillement hystérique. Tracés de la respi- ration 4, 5

Fig. 6. Bâillement hystérique (Sensibilité) 8

Fig. 7. (Champ visuel) 9

530 ^

Pages.

Fig. 8. Dyspnée hystérique (Tracé respiratoire) 12

Fig. 9, 10. Sciatique (Déformation du tronc dans la) ... 20, 21

Fig. il ; (Points douloureux) 26

Fig. 11 et hystérie (Sensibilité) 33

Fig. 12 (Champ visuel) 31

Fig. 13. Hémiplégie hystérique (Sensibilité) 47

Fig. 14 (Champ visuel) 49

Fig. 15. Syndrome de Brown-Séquard (Etat de la moelle) ... 54

Fig. 16 (Sensibilité) 59

Fig. 17 id 60

Fig. 18,19. Amyotrophie de cause articulaire (Attitude) . . , 73

Fig. 20,21 (Atrophie) ... 74

Fig. 22. Alcoolisme, paralysie infantile, hystérie (Sensibilité) . 97

Fig. 23 (Champ visuel) 98

Fig. 24. Chorée aiguë grave (Tracé de la température) 107

Fig. 25,26. Epilepsie (Rétrécissement du champ visuel) . . . 120

Fig. 27. Hystérie chez un saturnin (Sensibilité) 122

Fig. 28 - (Champ visuel) 124

Fig. 29. Chorée aiguë grave (Lésions cardiaques) 128

Fig. 30,31. Hystéro-neurasthénie (Champ visuel) 137

Fig. 32. Paralysie infantile (Lésions médullaires, région lombaire) 141 Fig. 33 du membre supérieur (Lésions médul- laires) iiC

Fig. 34. A taxie et hystérie (champ visuel) iot)

Fig. 35 (Sensibilité) 160

Fig. 36. Sclérose eu plaques et hystérie (Sensibilité) .... i67

Fig. 37, 38 (Champ visuel) ... 168

Fig. 39. Pachyméningite caéseuse dans le mal de Pott ... 181

Fig. 40, il. iMaldoPott cthyslério (Sensibilité) 165

Fig. 42 (Champ visuel) 187

Fig. i3, ïï. Siiniilatioii byslùi'i(|U(' du mal de Pott (Seiisibililé) !î)3

Fig. 4.J (Champ visuel) lîMî

Fig. 46. Sus[)ens>ioii dans le tabès. Appareil suspenseur . . . . 203

Fi^. i7. Appareil en place pour la tôle 206

Fig. 48. Suspension du malade 20

- 581

Pages.

Fig. 49.50. Tremblement mercuriel (Tracés) 233

Fig. .^1. Tremblement de la maladie de Basedow (Tracés) . . . 233

Fig. 52. Attaque hystérique. Attaque de contrature 253

Fig. 53 Arc de cercle 253

Fig. 54, 55. Hystéro-neuraslhénie (Sensibilité) 263

Fig. 56, 57 (Champ visuel) 264

Fig. 5S, .59 (Sensibilité) 267

Fig. 60 (Champ visuel) 268

Fig. 61. Attaque de sommeil (Champ visuel) . . 272

Fig. 62,63. —Tabès et hystérie (Sensibilité) 280

Fig. 64, 65. Hysléro-neurasthénie (Champ visuel) 290

Fig. 66, 67 _ _ (Sensibilité) 291

Fig. 68 . . (Champ visuel 294

Fig. 69, 70 (Sensibilité) 295

Fig. 71.- Hystérie mâle (Contracture) 350.

Fig. 72, 73. Paralysie hystérique (Sensibilité) 351

Fig. 74, 75. Paraplégie alcoolique (Sensibilité) 387

Fig. 76, 77. Hystérie mâle (Sensibilité) 396

Fig. 78 (Champ visuel 397

Fig. 79, 80 (Sensibilité) 401

Fig. 81 (Champ visuel) 402

Fig. 82, 83. Hystérie, épilepsie et morphinisme (Sensibilité) . . 422

Fig. 84 (Champ visuel) . 423

Fig. 85, 86. Hystérie mâle. Phases de l'attaque 426

Fig. 87 427

Fig. 88, 89 428

Fig. 90, 91 429

Fig. 92. Morphinisme. Tremblement . . . , 431

Fig. 93, 94 432

Fig. 95. Foudre globulaire 439

Fig. 96,97. Paralysie de foudroyés et hystérie (Sensibilité) . . 454

Fig. 98. (Champ visuel) 455

Fig. 99. Tic convulsifet chorée chronique (Tracé des mouvements) 466

Fig. 100. Abasie trépidante (Champ visuel) 477

Fig. 101, 102 (Sensibilité 478

î'v^î^^v

552

Fig. 103. SyrmgomyéUe (Lestons médullaires) 191

Fig. 104. Coupe de la moelle normale ....... 493

Fig. 105. Syringomyélie. Main en griffe 503

Fig. 106,107 Sensâ)illté au tact 504

Fig. 108, 109 Sensibilité à la douleur bO/S

Fig. 110, 111 àlachaleur 506

F%. 112. Thermomètre de surface 507

Fig. 113,114. Syringomyélie (Sensibilité au froid) . . . . ... 5(M

Fig. 115. Syringomyélie 510

Fig. 116» 117 Sendbilité au tact. . 511

Kg. 118, 119 à la àouimst . i . . . . 513

Fig. 120, 121 au froid ....... 514

Fig. 122.123 à la chaleur 515

Fig, 124. Simulation hystérique de la syringomyélie. 590

Fig. 125, 126. Hystérie provoquée par la foudre (Sensibilité). . . 546

TABLE DES MATIÈRES

PREMIÈRE LEÇON

Pagres

1** et 2\ Bâillement hystérique (bâillement naturel et bâil- lement suggéré) 1

3**. Dyspnée ou mieux tachypnée hystérique H

4**. Grand tic convulsif ; coprolalie ; troubles psychiques

concomitlants 13

DEUXIÈME LEÇON

1" malade. Sur un même sujet: sciatique avec défor- mation spéciale du tronc ; à la suite d'un coup reçu sur le front, neurasthénie et hystérie . . . . 19

V malade. Chorée paralytique chez un enfant de 8 ans;

hérédité arthritique et névropathique 37

TROISIÈME LEÇON

1" malade. Intoxication par le sulfure de carbone .... 43 2* malade. Hémiparaplégie spinale croisée (syndrome de Brown- Séquard) par lésion traumatique de la moelle épinière dans sa moitié latérale 53

554

QUATRIÈME LEÇON

1**. Attaque de sommeil hystérique 63

2\ Amyotrophie par lésion articulaire 72

3**. Deux cas de paralysie faciale périphérique avec hérédité nerveuse. CasnM : père aliéné, grand-père irrégulier, etc. Cas n"* 2 : plusieurs cas de bégaiement et un épileptique

dans la famille 78

i\ Vertige de Ménière : forme chronique et vertige par

accès 80

CINQUIÈME LEÇON

1*'' malade. Cas complexe : paralysie spinale infantile, para- plégie alcoolique, attaques hystéro-épileptiques ... 84 2% 3' et 4* malades. Paralysie faciale périphérique ... 100

SIXIÈME LEÇON

r. Chorée aiguë grave chez un jeune hommede 18 ans. Anté- cédents nerveux héréditaires très accentués. Rhuma- tisme articulaire aigu dans les antécédents personnels 103

2°. « Secousses » servant de prodromes aux accès chez une jeune épileptique de 15 ans. Rétrécissement du champ visuel après les accès 117

3°. Hystérie chez un saturnin âgé de 28 ans 121

855 SEPTIÈME LEÇON

Paires.

1°. Relation de l'autopsie du sujet atteint de chorée présenté

dans la dernière leçon 127

2\ Cas de chorée vulgaire chez une jeune fille âgéede 12 ans. Hérédité nerveuse et antécédents personnels névropa- thiques très chargés 130

3^ Cas d'hystéro-neurasthénie survenue à la suite d'une collision de trains chez un employé de chemin de fer âgé de 56 ans 131

4^ Deux cas de paralysie infantile spinale présentant quel- ques anomalies 140

HUITIÈME LEÇON

1^' malade. Cas complexe. Ataxie locomotrice et hystérie 151 2' malade. Cas complexe. Hystérie et scléroseen plaques. A propos de ces deux cas on fait ressortir l'importance pour le diagnostic de l'étude des troubles oculaires . . . 162 3* malade. Chorée molle chez un enfant de 12 ans. Héré- dité nerveuse 171

NEUVIÈME LEÇON

T' malade. Femme de 47 ans. Autrefois paraplégie par mal de Pott; la guérison date devingtans. A l'époque de la ménopause, apparition d'accidents hystériques, simulant un retour du mal vertébral et de paraplégie 175

2- malade. Simulation hystérique du mal de Pott chez un

garçon âgé de 24 ans 189

DIXIÈME LEÇON

PMM.

Du traitement de l'ataxie locomotrice par la suspensicm, sùî-

Taot la méthode du D' Motchoutkowsky 199

Appendice S(8

ONZIÈME LEÇON

1* cas. Goutte articulaire, puis otite goutteuse ; tsTasion du Yert^eaioureicesa : àiplopte, paralysiefaciale soudaine transitoire. Le vertige s'établit à l'état permanent. Trai- tement par le sulfate de quinine à hautes doses long- temps prolongées £23

2*, 3*, 4*, 5* et 6 cas . Exemples de maladies de Basedov présentant certaines particularités int^es- santes : tremblement, fièvre, paraplégie spéciale dans la maladie de Basedow. Combinaison de la maladie avec l'hystérie, l'ataxie locomotrice progressive ; 23)

DOUZIÈME LEÇON

i" cas . Accidents hystériques graves survenus chez une femme à la suite d'hypnotisations pratiquées par un magnétiseur dans une baraque de fête publique 247

t*, 3' et 4" cas . Un cas de neurasthénie et deux casd'hys-

téro-neurasthénie chez l'homme 256

5î$7 TREIZIÈME LEÇON

Pages.

1" malade. Encore une dormeuse. Réveil produit par la

compression exercée sur la région ovarienne 271

2* malade. Contraction hystéro-traumatique chez une tabé-

tique 277

3* et V malades. Deux cas d'hystéro-neurasthénie chez rhomme^ faisant suite aux cas 3* et 4* de la précédente leçon. A ce propos, considérations générales sur Thystéro- neurasthénie développée chez les individus de la classe ouvrière 283

QUATORZIÈME LEÇON Cas d'automatisme comitial ambulatoire * . 303

QUINZIÈME LEÇON

1*"^ cas. Crises gastriques tabétiques avec vomissements

noirs 331

2" cas. Chez unisraélite : paralysie et contractures hysté- riques développées à la suite d'un repos (sommeil) de plusieurs heures sur la terre humide 347

SEIZIÈME LEÇON

Un cas d'abasie trépidante survenue à la suite d'une intoxi- cation par la vapeur de charbon 355

75

558 DIX-SEPTIÈME LEÇON

Pages.

1*' malade. Nouvel examen du malade atteint d'abasie tré- pidante présenté dans la dernière leçon 379

2* malade. Chez une femme : paraplégie alcoolique avec

rétractions fibro-tendineuses 381

3* et 4* malades. Hystérie et dégénérescence chez l'homme 392

DIX-HUITIÈME LEÇON

1". Amyotrophie spinale progressive survenue à l'âge de 34 ans chez un homme qui, à l'âge de 2 ans, avait été atteint de paralysie spinale infantile 407

Chez un homme de 24 ans : épilepsie; hystérie majeure et

morphinomanie combinées 419

DIX-NEUVIÈME LEÇON Accidents nerveux provoqués par la foudre 435

VINGTIÈME LEÇON

{•'et 2" malades. Deux malades étudiées comparativement: l*' Tics généralisés simulant la chorée chronique ; 2**Cho- rée chronique dite d'IIuntington. On insiste sur les difficultés du diagnostic 463

3% 4* et 5" malades. Cas d'abasie : 1^ Abasie paralytique chez un homme de 44 ans; 2*" Abasie trépidante chez un homme de 49 ans ; Même forme chez un vieillard de 75 ans , 469

559

VINGT ET UNIÈME LEÇON Pa^cs.

1" et 2' malades. Cas de syringomyélie gliomateuse .... 487 3' malade. Simulation hystérique de la syringomyélie . . 516

APPENDICE

Appendice n^ 1. Hystérie et névrose traumatique 527

Appendice n°2. Rétractions fibro-tendineusesdans les para- lysies spasmodiquespar lésions organiques spinales dans les paralysies alcooliques et dans la contracture spas- modique hystérique (Pied bot hystérique) 535

Appendice n** 3. Hystérie provoquée chez l'homme par lapeur

de la foudre 543

TABLE DES TABLEAUX FIGURES ET FAC-SIMILE CONTENUS DANS CE VOLUME

A. Tableaux 549

B. Figures, fao-simile et tracés 549

TABLE DES MATIÈRES 553

INDEX ANALYTIQUE 561

INDEX ANALYTIQUE

Abasib. (Voy, aussi Abasie-Astasie ,) (Autosuggestion dans V). choréi- forme, 365. Début, 374. (Des différents mouvements dans l*), 356, 358, 360. Diagnostic, 366. (Ecri- ture dans r), 359. et chorée vul- gaire, 366. et hystérie, 366, 375.

Etiologie,366. et tabès (diag.), 366.— (Hérédité dans T), 371, 372. indépendante de lastasie, 363. Mécanisme, 861, 367. Mécanisme psychique, 374. (Mouvements des membres supérieurs dans 1"), 359. paralytique, 470. Pronostic, 376. Variétés, 469.

Abasie trépidante, 356,365, 481. Mécanisme, 357, 481. -— Traitement, 380.

Abasie- AsTAsœ. [Voy.atissi Aôosû?.)— 360, 471 , ataxique, 366. Dérobement des jambes, 364. Durée, 482. et hé- miplégie capsulaire, 477, 479. et hystérie, 474, 477, 479, 483. et incoordination cérébelleuse, 474. Etiologie, 483. Hérédité, 476. Intégrité des autres modes de pro- gression,473. Intégrité des autres mouvements, 472, 445. Mécanisme de Tastasie, 472. paralytique, 364.

Sensibilité, 363. Spécialisation à la marche vulgaire, 481. Va- riétés, 364, 365, 366.

ABSINTmSMB, 96.

Accès BPiLEPTiQnss incomplets, 289. (Voy. Epilepsie, etc.)

ACHARD, 71.

AcHROMATOPsiE. et hystérie, 159, 165, 169. et sclérose en plaques, 165. et tabès, 158, 165.

Age dans la chorée, 109, 110.

Agraphie et abasie, 359.

Alcoolique (Paraplégie). (Voy. Paralysie alcoolique,) Tremblement, 232.

Alcoolisme, 84. Difficultés de le déceler chez les femmes, 388. et concep- tion, 93. et épilepsie, 95. et hystérie, 35, 99, 288. et maladies nerveuses, 93. Hallucinations, 390. Rêves, 288, 389.

Aliénés voyageurs, 327.

Amaurose. de la sclérose en plaques, 164. hystérique, 164. tabéti- que, 158, 164.

Ambulatoire (Automatisme). ( Voy. AU" tomatisme). Déterminisme, 327.

Amnésie. dans l'empoisonnement par l'oxyde de carbone, 369. dans la paralysie alcoolique. et choc ner- veux, 133.

Amnésie traumatique, 317. et automa- tisme ambulatoire, 317. et épilep- sie, 322.

Amorphinisme (Périodes d'), 43 t.

AnTOTROPBiB. [Voy. Atmphie nuscubart,

Jfyopatftie.) Ahtotkopbii db cAtii* abiiculaire, "^S.

Riftction da dëgénàratioâ, 77.

Théorie, n. AMTOTRoraiB BFiMux pnooiisaivi ds U

paralysie infantile, 144. {Voy. Atro- phie muKulairt.) Amtotbopsioce paralysie), 76. AHàûisiB strbiqoiitAuqub, 495, 4M. AitDBfi, 426. Aphasie (Formes de V), 250. et mutisme

hystérique, 247, 249, SSO. ApoPLECTiQijEs (B&iUement chei les), S. Apopicue HTSTiHIOm, 71. AppuxtL SDSPBNSBCR pouT le tabes, 204,

sq. Auoo, 443. Aman, 412. Amtll HoBUisoN (Signe d*) 1S8, 164,'

IMelpatmi. ABtnHOitANDe, 468. Ajumic, B4.

Akthbitbs et amyotrophies, 76. ABi8BOPATHiEsdesàtaïiques,333. «yrin-

gomyéliques, 498. tabéliques et

crises gastriques, 336. Akticuuise (Amyotrophie de cause), 75.

(Voy. Amyotrophie.) AsaoHHOin (L*) 8B. A»rAstE. {Voy. Abasie.) Atasib BYSTfoiQDE, 362. (Voy. Abatte.)

ATAXtE LOCOMOTBICB PBOGBESSIVE. (Voj.

Tabes.)

Ataxib sulfo- carbonée, 52.

Ataxib par défaut de coordination au- tomatique. (Voy. Abasie.)

Atrophiemosculaibb. -dansl'hyst6rie,403, dans la paralysie, alcoolique, 8S, 86, de cause articulaire, 75.

duiB la syringomyélie, 4W, 4». Di&gnoitic de l'atrophie syiingo- myéllqué, 611. ArKapBiBS KUSCIA.UKBS paofiBKssiTxs. classiflcation, 412.

Atrophies muscolairee spinales progresslres. dentéropathiqvsi, 413. Symptdmes, 414, 41 S.

Atrophie musculai ra progressive et myopathie, 413. Diagnostle, 414.

Atr. musc. sp. prog. dans la pa- ralysie infantile, «1. 144, 147, 1««, 407,416. Mécanisme pathologique, 418. Pathûgéuie, 40». 410. Réactions électriques, 411. lU- flexes, 411. Râle des cellules des cornes antérieures, 418. Sensibi- lité, 441. SymptAmas, 410. Va- leur récIpKNpie des deux éléments morbides, 417, 418.

Atroph. mosc. sp. prog. Pronos- tic 419. Protopatbiqoes, 411, 415.

S,ins lésions médullaires, 413. Attiqdes de aoMSKiL. (Voy. aus-i Hysté- rie, Hyslmque {sommeil), etc., etc.), 07, 272 , 273. (Alimentation dansO, 273,274. Attitudes pas- sionnelles, 27!i. Début, 67. 1 ElTet de la pression ors rien ne .Sin.

SEITct des excitations extérieures, 275. et alUques, «6, 67. et ca- talepsie. 70. (Grands mouvements dans r),274, 275. (HouTements de - salutation dans le), 67. Nutrition, 273, 274. Poids du corps, 273. Réreil, 276. Urines, 273. Vi- bration des paupières, 273, 274,

ÂTTAouits HïSTiÏBiouES, 7. (Antagonîsmc entre les) et les accidents locaux, 7.

transformées, 13. (Poy- Hystérie, Hystériques, etc., eU.)

AUDBY, 194.

AuBA épileplîque, 118. hystérique, 34. Adtohatishe aubulatoibb. Etat men- tal, 31<), Comitial ambulatoire.

563

303 sq. Gomitial ambulatoire et traumatisme, 323. —.et amnésie traumatique, 317.— hystérique, 325. et somnambulisme, 324. et somnambulisme provoqué, 325. hystérique (Catalepsie), 326.

Automatisme (Petit), 321. Automatisme physiologique, 316.

AuTosuG'îESTioN. dans Tabasie, 375. dans les phénomènes hystériques,375.

AzAM, 133, 326.

B

Babinski,23, 27, 199, 283, 403, 518,535.

Bâillement, 2. chez les apoplectiques, 5. chez les morphinomanes, 5. '- (Contagion du), 2, 9. dans la grossesse, 5. épileptique, 5. et fièvre puerpérale, 5. hystéri- que, 2, 7. imité, 10. (Méca- nisme du), 4. pathologique, 5. physiologique, 4. rhythmé, 2. (Séméiologie du), 5.

Bacon, 204.

Ballet, 243, 284, 392, 417, 54".

Barrié, 243.

Barth, 332.

Basedow (Maladie de). Crises diar- rhéiques, 233, 236, 240, 241, 335. Etat de mal, 239. Kmotions mo- rales, 234, 236, 239. et hystérie,

240. et tabès, 243. Examens des urines, 238. Exophlhalmie, 233, 234, 236, 239, 241. (Fièvre dans la), 237, 238. Formes frustes, 233, 234. Goitre, 233, 234, 235, 236, 239,

241. Hérédité, 236, 239, 241. Paraplégie 235, 239, 240, 242. Phénomènes oculaires, 235. Symp- tômes généraux, 235, 236, 240, 241. Tachycardie, 233, 234, 235, 236,

239, 241. —Thermophobie, 235,236, 237, 239, 241. Traitement élec- trique 239, 240. Tremblement, 231, 232, 234,236, 239, 241.

Baumler, 488, 490.

Bearo, 259.

BÉGAIEMENT (Hérédité dans le), 79.

Berbez (Paul), 491.

BERIBERI, 84.— et paralysiealcoolique,388,

Bernharot, 475, 488, 498, 527.

Bertote, 238.

Bettencourt Roorigubs, 548.

BiOT, 444.

Blépharospasmb, 262.

Blocq, 217, 339, 340, 360, 362, 366, 367, 492.

Bonnet, 44.

Boughereau, 369.

Boudin, 435, 443.

Bourdon, 369.

Bournbvillb, 64, 80.

Briand, 369, 381, 390.

Briquet, 362.

Brissaud, 178, 369, 386.

Brodie, 194.

Bromure de potassium dans Tépilepsie et l'hystérie, 117, 118.

Brouardel, 84.

Brown-Skquard, 55, 143.

Brown-Séquard (Syndrome de), 56, 61, 62.

Bruit de pointe, 84. Bruit de talon, 84. Brunon, 473. burlurbaux, 118. BuzzARD, 330, 341.

564

Cancer (Vomissements noirs du), diag- nostic ayec Tabès, 331.

Gahaux sBMi-ciRccjLÀiRKs et mouvements des yeux, 227.

Garpentrb, 316.

Garrion, 475.

Gartax. 345.

Casque neurasthénique, 29.

Catalepsie. et grand hypnotisme, 70.

et Sommeil hystérique, 70.

Cathelineau, 69, 238, 273, 275, 421, 428.

Ciari verbale, 250.

Centrés phtsiologiqubs., 359> 360.

dpEALÉB neurasthénique, 136. (Voy. Neu- rasthénie, Hystéro-Neurasthénie,)

CÉRÉBRAUX (Troubles) dans Tempoisonne- ment par Toxyde de carbone, 370.

Cbryelet (Maladies du) et Abasie, As- tasle, 474.

Champ visuel (Rétrécissement du), 138. dans la Sclérose en plaques, 165, 166. dans TEpilepsie et THys- térie, 423. » dans inÊpilepsie, 31, 119, 423. (Rétrécissemenl perma- nent du champ), 31, 32, 50. Rétré- cissement temporaire du champ), 32. dans l'Hystérie, 165 eipœtsim.

dans le Tabès, 159, 165.

Gharcot, 35, 54, 179, 277, 362, 418, 487, 501, 527, 533, 534.

Choc NERVEUX. {Voy. Shock,)

Chorée (Gh. vulgaire, Ch. de Sydenham) {Voy. aussi Chorée chronique. Tic), 7, 14, 37, 130. (Délire dans la), 106. Diagnostic avec Abasie, 366.

Emotionnelles, iil. et dégéné- ration physique, 131. et gros- sesse, 110. et Rhumatisme arti- culaire, 104, 113, 114, 130. et Tic convulsif, 14, 464. -— Etat de mal.

113, 239. (Etat mental dans la), 105, 114, 130. ^ Fièvre, 106, sq. Chorée graye, 103. Autopsie, 128.

(Causes de la mort dans la), 112. —Complications dans la),108.— Etat mental dans la, 111. et Etat de mal épileptique, 113. Fièvre dans la, 106, sq. —Hérédité dans la, 111. Intensité des mouvements, 111.-* Mort dans la, 127. Fréquence 4e la mort dans la, 109. Phénomènes généraux, 108. Pronostic dans la 108. Soubresauts des tendons dans la, 108, 111.

Chorée.— gravide, 110.— Hérédité dans la, 40, 111, 114, 115, 131, 172.

Idées de persécution dans la, 105.

(Langue dans la), 38.

Chorée molle, 38, 108. Parole, 171. Réflexes, 171. Termi- naison. 39.

Chorée. (Mort dans Lbl), 103. » Mouvements,! 04.— (Mouvements in- tentionnels dans la),130. (Mouve- ments volontaires dans la), 105. (Pronostic dans la), 103. Suivant les âges, 109, 110. Paralytique ou molle, 38, 171. —(Troubles de la parole dans la), 3^, 104.

CiiORÉE CHRONIQUE, 109. ct Choréc de Sydenham, 467.

Chorée chronique et Tic convul- sif. — Coordination des mouve- ments, 467. Début, 468. Mou- vements, 465. Séméiologie des mouvements, 466. Pronostic, 469.

Chorée d'huntington. {Voy. Chorée chro^ nique),

Chorée rhythméb. Démarche, 357. Rhyihme et cadence dans la, 5.

Classb ouvrière (Pronostic des maladies nerveuses dans la), 261.

Clinique (de la Méthode), 25.

COMBEMALE, 94.

Commissures de la moelle (Réle). 494, 499.

565 -

Commotions prémonitoires de TEpilepsie, li8.

CoNXKPTioN (Etat mental pendant la), 93.

Contracture. (Attaques de), 251, 252.

Hystérique, 349, 540 sq. Hysté- rique et rétractions tendineuses, 540, sq. Hystérique et rétractions fibro-tcndineuscs (Opportunité de l'intervention chirurgicale), 542. (Opportunité de), 178.Spasmodiques etcontraclures retractiles,537. {Voy, aussi Hystérie^ etc.)

CopROLALiE, 15, 468. - et Echolalie, 15.

CORDIER, 146.

Cornes post^riecres (Rôle des), 494.

COTCGNO, 24.

Crises gastriques du tabès (Voy. aussi Tabès), 156, 331, 333, 346. Ana- tomie pathologique, 336. Avec vomissements noirs, 342, 343, 344.

Chimie des vomissements dans les crises gastriques, 334. Crises gastriques de longue durée, 340. (Diagnostic), 339. et arthropa- thie, 336. et crises laryngées, 336, 345. et douleurs fulgurantes, 333, 334. et suspension, 202. Périodicité, 335,341. Phénomènes généraux, 335. (Pronostic), 344.

(Symptomathologie), 334. (Ter- minaison), 336.

Cruveilhier, 412.

Cubital (Douleurs du nerl), 155, 278.

Cyon, 227.

Damascuino, 90. de beauvais, 369.

Debo\% 71, 121, 337, 338, 410, 488, 502, 506, 509.

Deghambre, 446, 449.

Dégénération physique et Chorée. 131.

DÉGÉNÉRÉS 93, 392. Sligmi.tes psy- chiques, 16.

Dégénérescence et Hystérie, 392, 393, 399.

Dkjerine, 101, 144, 145,414, 416, 488, 501.

Delasiauve, 64, 313.

Deleau, 22 .

Délire dans la Chorée, 106. des fou- droyés, 449.

Delpech, 43, 44, 45, 49, 51, 52.

Démange, 336.

Démarche. dans le Vertige de Ménière, 228. dans les paralysies toxiques, 84. du Stoppeur, 83. et Sus- pension, 210,211, 212,213, 214,216. Tabétique,84, 157, Tabétiqueet Suspension, 201.

Dérobement DES jambes dans le Tabès, 157.

Deséquilibrés, 16, 93, 349.

Déterminisme ambulatoire, 327.

Diarrhée. dans la maladie de Basedow, 233, 236, 240, 241, 335. dans la morphinomanie, 432.

Déterminisme en pathologie, 152. Digkinson, 109, 110.

DiPLOPiE.— de la Sclérose en plaques, 164, 166. de THystérie, 164, 266. du Tabès, 164. et Vertige de Ménière, 226. Monoculaire, 32.

Dissociation de la sensibilité, 495, 496,

Dormeuses. (Voy. attaques de sommeil)^ 63.

Double personnalité. 327.

Douleurs, —dans la paralysie alcoolique, 87. en ceinture, 153. Fulgu- rantes et crises gastriques, 333, 334.

Douleurs fulgurantes, 154. Fulgu- rantes et suspension, 211, 213, 216.

Douleurs goutteuses, 224.

Dreschfeld, 475.

76

566

Dubois (Paul), 336.

Dubois, 156.

DuCHEiNNE DE BOULOGNE, 43, 412, 475, 501.

DUPONCHEL, 327.

DuTiL, 339, 410, 417, 419, 466, 535, 543.

Dynamometrique (Examen) dans la Neu- rasthénie, 29.

Dyspepsie neurasthénique, 136.

Dyspnée hystérique, 11.

echevsrria, 324. echokinésie, 468. Echolalie, 15, 468. Ecriture dans Tabasie, 359. Edwards, 68.

Effondrement des jambes, 157.

Electriques (Réactions). dans la para- lysie alcoolique, 86, 383. dans la paralysie infantile, 143. (Traite- ment) de la maladie de Basedow, 239, 240.

Elkctro -pronostic et paralysie faciale, 101.

Enfants du siège, 116.

Epilepsie. Accès, 421. Alcoolique,95.

A secousses interparoxysmales, 117. Aura, 118, Automatisme ambulatoire, 303 sq. 310, 320 sq.— (Bâillement dans T), 5. (Champ visuel dans T). 31, 119, 423. Etat de mal, 113, 239. Etat mental, 321. Composition de l'urine après Fattaque, 421. et Amnésie trau- matique, 322. et Alcoolisme, 95.

et Rétrécissement du champ vi- suel, 31.

Epilepsie et Hystérie. Différence des attaques, 424. (Indépendance - de V). 424.

Epilepsie. et traumatisme, 322.

Hystérie et bromure de potas- sium, 117, sq. Epilepsie, hystérie et morphinonianie, 420, sq. Par cellaire, 118. Petit automatisme, 321. Petit mal 314. Secousses interparoxysmales, 117. (Secous- ses prémonitoires des accès dans F), 118. —Tardive, 309.

Epileptioue. Automatisme ambulatoire.

et traumatisme,323. Délire post convulsif, 320. Etat de mal, 113, 239. Vertige, 34.

Epileptiques. (Accès) incomplets, 289,

(Actes de violence des), 312. - (Délits commis par les), 321. (Etat mental des), 321.

Erb 101, 102, 225, 414, 501.

Erb (Point d'), 14.

Erichsen, 288.

Erlenmeyer, 362.

Espèces morbides (Association des), 152.

(Fixité des), 151.

Etat de mal. choréique, 113, 239. de la maladie de Basedow,239.

Etat de mal épileptique, 113,239. (Mort dans 1'), 113. et chorée grave, 113.

Etat de mal hystérique, 68.

Etat mental. {Voy. Mental {Etat,) Eulenbourg, 164, 166. Euphorie (Périodes d'), 431. Extenseurs (Paralysies des), 84.

Facial (Trajet du nerf), 225.

Faciale. Paralysie {Voy, Paralysie fa- ciale).

Falret, 321, 323.

Faisoeaux'postérieurs (Rôle des), 494.

FeltstrÔm, 449.

- 567

FERi, 5, 179, 277, 320.

FiBRiLLAiREs (Secousses) et paralysie fa- ciale, 101.

Fièvre. Dans la chorée, 106 sq. Dans la maladie de Basedow, 237, 238. Rhumatismale et chorée. 114.

FiNKELSTEUN, 119.

Foudre. (Vay. fulguration), (Accidents déterminés par la), 435. agent pro- vocateur de l'hystérie, 458, 543, sq. en zig-zag, 444. globulaire, 445.

Foudroyés (Délire des), 449.

FouHNiER, 333, 339, 340,

Fraenkel, 234.

Freud, 488.

Frey, 143.

Friedreich (Maladie de). et suspension, 217, 220, 221. Nystagmus, 164.

Froid. et paralysie faciale, 100.

Fulguration. (Amnésie dans la), 444. (Etat mental à la suite de la), 448. et hystérie, 543, 540. Hystérie et neurasthénie, 457. (Lésions pro- duites parla), 446, 447.

Fulguration. (Paralysies par), 436,441,446, 448, 449. à distance, 451. Début,450.—Durée,452.— ex- périmentale, 450. Formes, 451. Siège, 451. Symptomatologie, 450, 451.

Fulguration partielle, 444.

FURSTNER, 488.

Gabard, 444.

Galien, 57.

Galli (Ignazio), 445, 446, 447, 448.

G ALTON, 260.

Gastillier, 451.

Gastralgiques (Grises). Voy. Crises gas- triques.

G ELLE, 170, 227.

Genu recurvatum, 73.

Gibier de Savigny, 459.

Gilles delà Tourette, 15, 16. 65,69, 201, 238, 273, 275, 421, 428. '

Girard, 360.

GiVING WAY OF THE LEGS, 157.

Gliomatose médullaire, 490. Gnauck, 164, 166.

Goitre Exophthalmiqde. Voy. Basedow (Mal. de).

GOIIBAULT, 498.

Goutte. Douleurs, 224. Otite, 224. GowERS, 182, 321. Grasset, 363, 365, 499. Graves, 336.

Grossesse et bdillement, 5. et chorée, 110.

GuiNON, 16, 37, 110, 161, 287, 460.

H

Hack Tuke, 324.

Hallopeau, 490.

Hamlet, 5.

Hansen, 255.

Heinemann, 119.

hémiparaplégie spinale avec hémianes- THÉsiE croiSBE (syudrome de Brown- Séquard), 56, 59.

HÉMIPLÉGIE. (Facial inférieur dans T), 48. Hémianesthésie dans F), 47.

HÉMIPLÉGIE CAPsuLAiRE et abasic-astasie, 477, 479.

HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE, 262.— (Voy, Hys- térie.)

568

HÉMISPASME GLOSSO-LABIÉ, 49.

HÉRÉDITÉ.— alcoolique, 88.— dans TAba- sii,371, 372. dans l'Abasie trépi- dante, 476. dans la chorée, 40, 111, 114, 115, 131, 172 dans la chorée grave, 111. dans le bégaie- ment, 79. dans l'hystérie, 6, 35, 541. dans Thystéro neurasthénie, 261, 286, 296, 297, :>28. dans la maladie de Basedow, 236, 239, 241.

dans la neurasthénie, 35. dans la paralysie faciale, 78, 101, 225 dans la paralysie infantile, 144,146, 408. --dans la syringomyélie, 502.

nerveuse, 6, 92, 420. nerveuse des juifs, 11.

Herpin, 118, 289.

HiRTZ, 536.

Hoffmann (J), 334.

Hoquet, 6.

hughlings jackson, 226, 321.

Hughes, 109.

HuNTiNGTON (Chorée d*). (Voy, Chorée chronique),

HUTINEL, 45.

Htdromtélie, 490.

Hyperexcitabilité neuro -musculaire, 70.

Hyperesthesie, dans la paralysie alcoo- lique 86, 87.

Hypnotisme, 52. Contagion, 254. (Dangers de T), 247. et Hystérie mâle, 100, 380. Période de léthar- gie, 70. (Restriction de 1'), 255. Somnambulisme provoqué, et automatisme ambulatoire. 325

Hypnotisme (Grand). Bâillement imité dans le grand, 10. et Catalepsie, 71. (Etat psychique), 10. (Le moi dans le), 10. Phénomènes so- matiques, 10. Pouvoir d'inhi- bition, 10. (Simulation et illusion, dans V), 10.

Hysteria Major, 32.

.Hystérie. {Voy, aussi. Attaques de som- meil, hystérie mdk, hystéro-neur as- thénie. Champ visuel. Contractures, rêves, etc., etc. Hérédité) . Achro- matopsie, 158, 165, 169. (Agent pro- vocateurs de P), 48, 1 21 , 1 97 . Amau- rose,amblyopie, 164.— (Antagonisme entre les attaques et les accidents locaux), 7. Atrophie musculaire, 403. (Attaques), 7, 195. {Voy. aussi Attaques). Attaques de con- tractures, 252. {Voy. Contracture). Attaques de sommeil. (Voy. A Wa^wes). Attaques transformées, 13. Au- tomatisme ambulatoire, 325. (Bro; mure de potassium dans 1*), 118. (Bruits lar)'ngés dans P), 4, 6. (Cadence des accidents), 5. Champ visuel, 31, 159, 165, 423. Chez les misé râbles, 285. Compres- sion ovarienne, 275, 276. Conta- gion des accidents hystériques, 11.

Hvstérie. Contracture avec ré- tractions tendineuses, 540 sq. Con- tracture avec rétractions fibro-tendi- neuses, opportunité de Pinterven- tion chirurgicale, 542. Contrac- ture chez une tabétique, 278, 279.

Hystérie. Crises d\ 161.— -Dans l'armée allemande, 425, Dans Pempoisonnement par Poxyde de carbone, 370. (Déterminisme dans P), 272. Diplopie, 164, 266. Dormeuses, 63.

Hystérie. et abasie, 366, 375. et Abasie, astasie,474, 477, 479, 483. et abasie trépidante, 474, 477, 479, 483.

Hystérie et alcoolisme, 35, 99, 288. Rôves, 389.

Hystérie. épllepsie et morphino- manie, 420, sq. et Choc nerveux, 132. et Dégénérescence, 392, 393, 395, 399, 400. et Epilepsie (diffé- rence des attaques), 424. et épi-

569

lepsie (Influence du bromure de Pot.), 322.

Hystérie et mal de Pott, 186, 189, sq., 194. Douleurs lombaires, 190.

Sensibilité du rachis à la pression, 192. —Stigmates, 186, sq., 192.

Hystérie. et mal. de Basedow, 240.— et saturnisme, 121, sq., et sclérose en plaques, 162.

Hystérie et syringomyélie. (Dia- gnostic), 489. Sensibilité, 516, 517.

Troubles sensitifs, 497. Troublos trophiques, 518, 519.

Hystérie et Tabès, 161, 277, sq., 28J. Réflexes, 282. Stigmates, 281 , 282.

Hystérie. et tics, 15. et trau- matisme, 30.— et Utérus, 37. —(Etat mental, dans 1') 188,533.— Etourdis- semenls, 289. Fugues, 325. Grande hystérie. 96. (Hérédité dans F), 6, 35, 541. (Influence du sommeil sur les accidents), 4, 12. La misère cause de rhvstérie, 403.

Locale, 6. Monosymptomatique, 6,13.— (Multiplicité de T,) 197. Neurasthénie et fulguration, 457.

Hystérie provoquée par la foudre, 457, 543 sq. Paralysies dans l'hystérie par fulguration 453, sq. 456, 457, 450, 460.

Hystérie. phases de l'attaque, 106. : Phénomènes laryngés, 7. Po- lyopie monoculaire, 166. Pres- sion ovarienne, 275, 276. Pro- nostic, 9. (Hachialgie dans T), 153. Rêves, 292, 294, 389. Rhythme dans les accidents, 5. sénile, 162. Spasme glosso labié, 49. Stigmates, 8, 13, 31, 32, 36, 97, 123, 166, 196, 273, 350, 351, 421 sq. Symptômes oculaires, 163. Thermo-anesthésie, 517, 519. Traitement des contractures, 282. Transfert, 283. Tremblement, 471, 472. Troubles trophiques, 519. (Unité de P), 36, 121. Variétés des

formes, 470, 471. Vomissements 272, 273.

Hystérie mâle, 36, 48, 100, 419 sq. 458, 459, 522, 533. Attaques, 425. Blépharospasme, 262. dans la classe ouvrière, 50. Diplopie, 266. (Etat mental) 50. et Hypnotisme, 100, 380. Etiolo- gie, 284. Hémiplégie, 266. (Pronostic de 1'), 52. Stigmates, 263, 267, 268. —Rêves, 51, 265, 268, 352. Spasme glosso-labié, 262. Stigmates, 263.

Hystérique. Apoplexie,71.— Aura, 34.

(Automatisme ambulatoire) et catalepsie, 326. Autosuggestion dans les phénoraùnes, 375. Bâille- ment, 2, 7. (Voî/. aussi Bâillement).

Contracture, 349, 540 sq. Dyspnée, 11, Etat de mal, 68,

Hémiplégie, 262. Mutisme, 247, 248. (Mutisme) et aphasie, 247, 249, 250. Nutrition dans l'at- taque de sommeil, 69. Paralysie, 521 . Paraplégie (diagnostic avec Tabasie), 366. (Périodes de la grande attaque), 33. (Signe de Todd dans l'hémiplégie). 268. Sommeil (Voy. Attaques de sommeil). (Sommeil) et catalepsie, 70. (Som- meil) et léthargie, 70. (Sommeil) et points hystérogènes, 66. (Som- meil) et sommeil naturel, 65, 69, "ÎO.

Sommeil (mouvements de salu- tation), 67. (Somnambulisme) et somnambulisme spontané, 326, Tachypnée, 12. Toux, 4, 7.

Tremblement, 471, 472.

Hystéro-epilepsie, 32. A crises sépa- rées, 424. (Signification du terme), 425.

Hystérogènes. (Points) dans le som- meil* hystérique, 66. Zones, 33.

Hystéro-neurasthénie (Voy, aussi hys- térie, hystérie mdle, hystérique, neu-

570

rasthénic),M, 35, 51, 2(39, 2S:\. Attaques, 294, 295, 530. Carac- tères, 36. Casque, 291, 293. Causes psychiques, 292. Céphalée, 530, 532. et névrose traumatique, 298. et traumatisme, 36. Etat mental, 532. Etiologie, 284, 292, 296, 297, 529. Hémiplégie, 293, 294. Hérédité. 261, 286, 296, 297, 528. Ordre d'apparition des deux névroses, 293. Profession, 284. Rêves. 288, 529, 534. Sexe, 284. Spasme glosso-labié, 293. Stigmates. 289, 204, 531,532. Ta- bleau synoptique, 293, 299. Trem- blement, 530, 531.

Hystéro-traumatique. Paralysie, 352. - Mécanisme, 62, 352.

I

Ictus laryngé, 346.

Impuissance. neurasthénique et sus- pension, 217. non tabétique et suspension, 203. tabétique. ( Toy. Suspeni^km.)

I.NHiBiTioN. ^Faculté d'), 10. (Pouvoir d) dans le grand hypnotisme, 10.

Intellectuel (Surmenage). et maladies nerveuses, 93.

ISCHIAS ARTHRITIGA, 25, 27. ISCHIAS NERVOSV, 24. ISCHIAS NERVOSA ANTICA, 25. IsCHIAS NERVOSA POSTiaV, 25, 27.

Ivresse (Etat mental dans 1% 50.

Jaccoud, 110, 361.

Jean, 336.

JoFFROY, 54, 243, 400. 511.

Jouet, 432.

Juifs. (Hérédité nerveuse chet les), 11 Névropathie des, 348.

Kaempfen, 319.

Kahler, 182, 487, 488, 496, 520.

Kelscu, 339, 340. Kennedy, 143. Keràuno paralysies, 436. Keser, m.

KiRCHNER, 230.

Klippel, 77. Knoblauch, 425. Kragenhaff, 449.

Lachèze (de), 37.

Lancere.\ux, 369, 386, 540.

Lanoouzt, 25, 414, 41Ô.

Langage (Matériel de la faculté du), 250.

Langue dans la chorée, 38.

Lannelongue, 180, 182, 191.

Lannois, 334.

Laryngés (Bruits). chez le tiqucur, 15.

dans rhystérie, 4, 6.

Laryngées (Crises) tabétiques, 345, 346. et crises gastriques, 336.

Laryngés (Phénomènes), hystériques, 7.

et attaques, 7.

LvsÈGï'K, 2i, 25.

Lear (le roi), 93.

Legrand du Saule, 64.

LÉO, 227.

LÉPiNE, 334, 421, i28.

Léthargie. et sommeil hystérique, 70. (liyperexcitabili neuro-musculaire dans la), 70.

Leucomyélioues (Symptômes), 495.

Leudet, 108, 369.

571

Leyden, 337, 338, 527,

LlNSLEY, 449. LiTTEN, 370.

Lorrain, 176. LucAE, 230. LuYs, 89.

M

MagnaN, 16. 95, 96.

Mairet, 94, 421,428.

Mal coMiTiAL (Voy. Epilepsie).

Manie hypnotisante active, 254.

Marche (Voy. aussi Démarche). (Méca- nisme de la), 358.

Marche trépidante (Mécanisme), 357.

Marc Stella, 449.

Maret, 12.

Marie, 45, 46, 50, 68, 84, 232, 233, 285, 393, 491.

Maroc (Hérédité chez les Juifs au), 11.

Marquez Y, 392.

Marshall (John),200.

Mathieu, 139.

MÉHU, 443.

MÉMOIRES partielles, 360.

MÉNIÈRE (Vertige de) {Voy, Vertige de Mé- niùre).

Mental (Etat) {Voy. aussi Psychique). dans Tautomatisme ambulatoire, 31 9.

Dans la chorée, 105,114,130.— Dans la chorée grave, 111. dans la fulguration, 448. Dans l'hys- téro-neurasthénie, 532. Dans rivresse, 50.— Des épileptiqucs, 321.

Des hystériques, 188. Des hys- tériques mâles, 50.

Mbrcati, 255.

Mercuriel (Tremblement), 232.

Mesnet, 326.

Michaud, 179, 180, 182.

Miction et suspension, 210, 212, 213, 214,210.

MlERZEEWSKI, 119.

Miliotti, 64, 68, 362.

Misère et hystérie mâle, 285.

MoBius, 235.

Moelle épinière. Compression, 179,182. (Hémisection de la),54.— Localisa- tions pathologiques, 493. (Piqûres de la), 55. (Traumatismes de la), 53.

Moi (le) dans le grand hypnotisme, 10.

MoRAx, 257.

Morbides (Espèces) (Voy. Espèces).

MoRPHiNOMANiE. Description, 430, sq. Diarrhée, 432. Hystérie, epilepsie, 420 ;^sq. Importance des périodes au point de vue diagnostic, 433. Périodes d'amorphinisme, 431. Périodes d*euphorie, 431. Sueurs, 432. Traitement, 433. Tremble-

' ment, 431.

Morphinomanes (Bâillements chez les), 5.

Mort. dans la chorée, 103, 108.— Dans la chorée grave, 109, 112, 127.— Dans rétat de mal épileptique, 113.

MoRVAN, 498.

MoRVAN (Maladie de), 498.

Motchoutkowsky, 199, 200, 201, 202,203, 204, 216, 217.

Motet, 320, 322,323.

Mouvements. Dans la chorée, 104. Dans la chorée chronique, 465, 466.

Intentionnels dans la chorée, 130.

Mécanisme des, 367. (Mémoire organique des) 367.— (Mémoire psy- chologique des), 367. Volontaires dans la chorée, 105.

Mouvements automatiques physiologiques chez les liqueurs, 14.

HflLLBR, 64, 59, 60.

Hdscuuiu (Atropnie) de cause arUcu- laire, 7g.

HuTisuE hystérique, S47, 218,240,250.

llTiLiTB cavitaire, 490. Diffuse chro- nique et suspension, 204. Trans- versedu HaldePoU, 18S.

Ht opATBiB3( Yo\i. dtuït atrophie mutculaire progrettive) .— etAtrophiemusculaire progressive 413. Diagnostic, 414. Myopathies prlmîtiTea, 414.— EUolo- gie, 414. Réactions électriques, 415. Symptômes, 416. —Type sca- pnlo-humérâl, 414.

Hiosis. Dana la sclérose en plaque^ 164.

NACB& (PapUle du tabès), 164.

NEBTEOses (Ualadien). et rhumatisme, 114. et Traumatisme, 30.

NtuiiKN, 78, 19, 101, 224, 225.

Neubasthéhib, 29(Vov. «nuit kyUéro-nea- rastltéme). Cérébro-spinale, 438, DaDslaclasseouTriËre,2i)6. et choc nerveux, 132, 139,260. ethystérie, 3). cl hystérie (Hérédité) 261. et surmenage, 29. et surmenoge intellectuel, 260. et traumatisme, 30.

Neurasthénie. Etîologie, 20, 136.— Examen dynamo m étriqué, 29.

Fonctions génitales, 137. Force dynamométrique. 137. Hérédité, 35. Hystérie et fulguration, 457.

Pronostic, 261 . (Symptômes de la), 130,238,— (Traumall5meset),288.

Neurasthénique. Casque, 29.— Cépha- lée, 136, Dyspepsie, 136. (Im- puissance) et suspension, 217.

NkURO PALLIE, 37.

NivBÂLGOi (GaractArte difTërnntiets de^

24. î*tnvn bpnoot, iH, 105, 166. Nétiutks PBBiFBfeiQtR:», 85, 384. KrivBoss sDLPO-ciMonGK, 44. N£vaosETBAi;]UTtuin:,36, Dl, 537, sq.— at

bystéro-neuraslhf nie mâle, £98.

NlCOLADONl, 29.

NoTHNAGEL, 450, 458, 475.

Nu (de l'étude dn) en pathologie, 20.

Notwtioh pendant l'attaque du sonmieO,

6». Ntstuhus, lU, 170.

OcoLAiHK (Uouvemeots du globe). <t canaux 1/2 circulaires, 227.

OcoLAiaE3(Sympt6mfls).— du tabès etsus- pension, 201. 202, 21 1 , 'fl2. (Symp- Urnes) dans lliyEtlérie, 163. Dana !a maladie de Bascdow, SSii. la Bdérose en plaques, iCS. Dau le tt^es, 163.

Olli\e (D' g.), 3f.

Ollivier d'angers, 487.

Ox.iNOFF, 200, 204,

Onimus, 460,

Opiithalvologce en palhologîe nerveuse, 152.

Oppenheiv, 119, 288, 336, 423,488,537, 333, S34.

Optique (névrite), 164, 185, 166,

OTrTE goutteuse, 224. et Paralysia fa- ciale, 223. Palhogénie, 225.

OuRiE.NNE (KITet de la pression), sur les phénomènes hystériques, 273, 276.

573

Oxyde de carbone (Accidents provoqués par r), 355. (Amnésie dans Tem- poisonnement par r),369. (Anes- thésie dans Tempoisonnement par T), 369. (Coma dans Tempoison- nement par 1'), 369. (Hystérie causée par T), 370. (Paralysie dans Tempoisonnement par 1'), 376. (Ramollissement cérébral dans l'empoisonnement par T), 370. (Troubles cérébraux dans Tempoi- sonnement par T), 370. (Troubles trophiques dans l'empoisonnement par 1'), 370.

Pachymeningite cervicale hypertropuique, 536. et syringomyélie, 511. et syringomyélie (diagnostic). 502. Pathogénie, 536. Kétractions ten- dineuses, 537, 538. Traitement des rétractions tendineuses, 538

PaghyiuLningite par Mal de Pott (lésions),

182. Page, 30, 288.

Paget, 194.

Panaris analgésique (Mal. de Morvaii), 498.

Papille tabétique, 164.

Paralysie agitante. (Voy. Parkinson (ma- ladie de).

Paralysie alcoolique. (Amnésies dans la), 389. Diagnostic, 388. Dou- leurs, 87. et névrite périphérique,

385. et rétractions fibreuses, 385.

et tabès, 388. Hyperesthésie,

386. (Lacunes dans la mémoire dans la), 389. Pied tombant, 382.

Pronostic, 391 . Réactions élec- triques, 383. Réfiexcs, 86. Re- tard dans les sensations, 388. Rétractions tendineuses, 382, 539. (Rêves dans la), 389. (Sensibilité

dans la), 386. Troubles bulbaires, 391. Troubles thermiques, 85. Troubles trophiques, 383, 384, 386, 540. Troubles vasomoteurs, 86.

Paralysie amyotrophique, 76.

Paralysie choréique, 38.

Paralysie faciale, 78, 100. Electro- pronostic, 101. et otite, 225. et vertige de Ménière, 226. (Froid dans la), 225. (Hérédité dans la), 78, 79, 80, lOi, 225. Périphérique, 102, 225. (Pronostic de la), 79, 101.

Paralysie générale. et paralysie infan- tile, 144, 145. Tremblement, 232.

Paralysie hystérique. Paraplégie, etc* {Voy. hystérie, hystéinque, hystéro-neu- rasthéniey etc., etc.

Paralysie infantile. 38,91, 140. (Amyo- trophic de la), 144, (Voy. a tissi atrophie musculaire). (Début), 147, 149. et amyotrophie spinale progressive (Voy. aussi atrophie musculaire), M7.

et paralysie générale, 144, 145.

(Electro-pronostic), 143. Frac- tures pontanées 409. Hérédité, 14'^, 146, 408.— (Infirmités résul- tant de la), 143. (Lésions de la) 141, 142, 408.— Période de répa- ration, 143. Réactions électri- ques, 143. Symptômes, 14?. Troubles trophiques, 143, 144, 409.

Paralysie par fulguration et hystérie 453 sq. 456. 457, 459, 460.

Paralysie sensitive partielle, 295.

Paralysies des extenseurs, 84.

Paralysies des foudroyés, 463. (Voy, aussi ' Fulguration),

Paralysies et productions cellulo-fibreu- ses, 384, 385.

Paralysies psychiques, 281. sensibilité, 281.

77

pABALTItBS TOXIQUES, 64, 344, 37».

PAtULYTiomi.— Abasie,410.— (Ab&Bla) «t

trépidante, 3M. Cliorâe, 38, 171.

P*rapiJgie.— alcoolique, 85. (Voy. outti

pitralj/sie aieooUque.) DwiB ta

maladie de Buedow, i3H, 839, 840,

S42. du Mal de Pott. (Voy. Patt.)

Paraplégie apasmodique. D4-

iQBrche,356— DiagQosUc avec abasie,

366. —Rétractions tendineuses, 538.

(Suspension dans la), 204, SM.

PàunAlli», 98, 158, 1S9, 164, iST, 4S3.

PABirasoN (Maladie do). et suspension,

&S0,8SI. pAioLB. dans la oborée, 38, 104.

dans la chorée molle, 111. Peacooi, 110. pELnBR, 446.

PsastomoK (Idées de) dans la chorée, 105.

PtoODI PR^ATÛlOm DU TABIS, 333.

PsKSONnAuiti (double), 327. PsTiT «AL épileptique, 314.

PbTSIOLOOW PATHOLOOIQUB, 339.

PiCK, 182.

Pœoui, 176.

Pied tombant, 85, 382,

PiEMET, 33fl, 499.

PiORRÏ, 37.

Pitres, 7, 15. 283, 326, 340, 517.

Planté (Gaston), W5,447.

Pline, 443, 444.

Pneumonie des viellards, 112.

Point d'Erb, 14.

Policlinique (But de la), I.

pOLioMYBLiouEs (Symptômes), 495. *

POLYOPIE aONOCULATHE, 32, 166.

PoTT (Mal de). (antécédents dans le), 190. Compressiondela moelle, 179, 18*. Difttculté du diagnostic au début, 189,191.

Pott (Mal de) et hystérie. Dou- leurs lombaires, 190. ~ Sensibilité du rachis à la pression, 192.— Slig- mates. 186, sq.. 192.

Pott (Mal de). iîétractions ten- dineuses, i>39. (Lésions do la pa- chyméningitc par mal de). 182. Myélite tralisvcrse du, 182.

i'otl. —(Paraplégie par mal de), 17.1. 176.- r.uérison,177,— Béfleses, 178. Trépidation spinale. 178. Patliogéiiie de), 17!). (SympWmes de), 183.

Pott (Mal de). SimnlfttlMiliTi- tériqne 18« sq., 194. STmpt6HiM, 176, SymptAmw pMado-né*nl- giqiiea, 1 SI . SymptAmea rwliculal- res, 182. Tnit«m«it, 177.

POWELL, 110.

pBiATAXiQtn (Période) du t«lMS, 16t.

Pbevost, 141,

PaoonBssioK (Variétés de mécanisme des

roourementi de), 3lf6, 868, 8». PsTcHiooR (Etat). (Voy. atOM lÊtHUl

[Etai]. dans le grand hyp"»

tisme, 10. des liqueurs, 13,15, 17,

464. Psychique. (Mécanisme) de

l'Abasie, 374. PsTCHLouEs (Causes) do l'bystéro-neo

rasthéoie. (ModîBcalions) dans le

tic convulsir, 464.— Paralysies, 281 .

(Stigmates) dans le tic, 16. (Troubles) chei le tiqueur, 13, 15 17;

danslachorée'graïe, 111 ; —dans la fulguration, 448.

Puerpérale (ûôvre). et bâillement, 5. PupiLLAiRE Inégalité dans le tabès, 158.

PUTNAM, 499.

Ql'athefages (de), 452.

575

Rachialgie, 153.

Rachis (Mobilité du), 19i.

Railway brain, 30, i3i, i39.

Railway spine, 30, 131, 288, 297, 527. Ramollissement cérébral dans Tempoi-

sonnement par Toxyde de carbone,

370.

Raymond 195, 200, 203, 418.

Raynaud, 332.

Réflexes. dans la chorée molle, 171. Dans laparalysie alcoolique, 86. Dans le tabès, 157. Dans les paraplégies toxiques, 85. et suspension, 202, 216.

Regnard, 64.

Remak, 488, 497, 520.

RÉMOND, 338, 410.

Renault, 238.

Rendu, 369, 531.

RÉTRACTIONS TENDINEUSES. daus la pachy- méningite cervicale hypertrophique, 536, 537.

RÊVES. chez les nerveux, 372. dans l'alcoolisme, 288, 389. - dans la paralysie alcoolique, 389. dans l'hystérie, 292, 294. —dans Thystérie mâle, 51, 265, 268, 352. dans l'hystéro-neuraslhénie, 288, 529, 534. Apparition des images du côté anesthésié, 288^ 294. Dans l'hystérie et l'alcoolisme, 288, 389.

Reynolds, 117, 118, 119, 376.

Rhumatisme ARTICULAIRE. et chorée, 104, 113, 114, 130. et maladies nerveu- ses, 114.

Rhythme. dans le bâillement, 2. dans les accidents hystériques, 15. dans les tics, 15.

RiBOT, 94,321.

Richer, 22, 252, 253, 288, 289, 361.

RiCHET, 55.

RiLLiET et Barthez, 111.

RiSSLKR, 418.

robertson, 226. Roche, 225. Rœderer, 5.

RoMBERG (Signe de) ; » dans le Tabès, 157*

et suspension, 201.

RoMEi, 362.

Roques, 93.

Rosenthal, 61.

RoTH, 488, 497, 498, 500, 520.

RouiLLÀRD, 317, 319, 320.

S

Sahli, 334. Salmon, 54. Sapelier, 44. Sattler, 417.

Saturnisme, 84. et hystérie, 121 sq.

et maladies nerveuses, 93.

Sayre (Corset de), 200, 204, 209.

SCHIFF, 494.

ScHULTZB, 487, 488, 496, 501, 518, 520.

SCHVALBACH, 226.

SçiATiQUE. Bénigne, 26. (Déforma- tion du tronc dans la), 19, 22, 27. (Douleur dans la), 25. Formes, 25. —Historique, 24. Maligne, 25. (Points douloureux dans la), 24, 25. (Station assise dans la), 23. (Sta- tion debout dans la), 23. (Trou- bles trophiques dans la), 24, 25. (Zona dans la), 25.

SciATiQOB NÉVRALGIE et Sciatiqu6 névrite, 25.

SciATIOUB HfiVBITE, 3t.

ScL^BOSE EK PUûUBB, AcbromatopHie, 16B, 169. Aniaurose, JS4. CUmp tIsubI, 168, 167. Démarche, 170, Diplopie, 164, 166. et hystârie, 162. et suspeneioD, 204, 217, jtSD, iU. HyoBis, 164. - Nyst&gmus, 164, 170. (RémissionB dans la), 170. Symplâmes oculaires, 163. Trem- blement, 170.

SciikOBB utjinkLR AHVOTROPHiQine. Pro- noatic, 419.

Scoliose et sjrringomyélie, 498.

SCOTOHB SCINTILLANT, 289.

SBCODSiBs. InterpBTOxrHmaleB épilep- tiques. 117. Prémonitoires des accès épîleptiques, 118.

Sbgoussbs fibbilluus Valeur diagnos- tique, 414.

SebligmOllsk, 147.

S<0U9, 248.

Sensibilité. dans la paraplégie alcoo- lique, 8S. Dans les paralysies toxi- ques, 85.

Sestier,443, 445, 446, 447, 448, 449, 450, 453, 460.

Seiuelles (FouclioQs) et suspension, 201, 202, 204, 212, 213, 214, 210.

Shakesi-eare, g, 53, 93, 197.

Shooe NERVEUX, 131 sq, 1J6, 13S,B34, !i43. et amnésie, 133. et neurasthé- nie, 132, 139, 260, —Voy. auKi Neu- rasthénie.

Sinon, 370.

SiBOMN, 334.

Sket, 194.

Se 01

, 101.

SoMKBiL (Attaques de). Voy. Attaques. SoHHEiL. •— dans le tic convulsif, 14.

(luQuencB du) sur les accidents liy?-

tériques. 4, 12.

bjrsUHipic,

SoKHAMBUUSiii. et antonutisiiie amba- J latoire, 384. hypaotiqii'< ci 9[>ûn- ] tanë, SS8. naturel, 3W. ~ praro- que, 325. spontané et hTtt^^iiB, 396. sponloBé pathologique, SSS.

souu letts, 68,

Spaske glosso -labiA, MS.

Spasms ronctionnels (Diagnostie aree abasie), 306.

Starr, 488,490.

Steppaoi, 83, &4.

SnppKOB, 83. (Voy. Dimanke'),

SiiciUTBa. Hystériques, 13. (Vof. Hystérie).

Straus, 343,

StbQmpbu., (82, S27,

Stuaht mu. (John), 316.

Stuhges, 108,10», 110.

SuLFATB db ouiNm (dans le Tertige da Hénière), 289.

SuLPDBS DB CABBONE. (acddenti dus au), 43. (Industrie du), 43.

SoLFOCABBONéE. Alaiie, 32. (Exa- men dynamométrique dans l'hémi- plégie par intoxication), 40. Hé- miplégie dans l'intoxication, 45. Surdité vi

«ENAGE. (des adultes), 29. enfants, 29. et neurasthénie, i Intellectuel, 260.

Des

Suspension. Accidents de la, 220. Contre indications, 203, dans la myélite diffuse chronique, 204. dans la paraplégie spasmodique, 204, 220. Dans ia sclérose en pla- ques, 204, 217,220,221 —Dans l'im- puissance neurasthénique, 217. Dans le tabcs, 199, sq. et Démar-

577

che tabétique, 20^, 202. Douleurs fulgurantes, 201, 202, 210, 211, 212, 213, 214, 216.- Durée, 203, 209. Effets physiologiques, 203, 204, et maladie de Friedreich, 217, 220, 221. Inefficacité de la, 215. Manuel opératoire, 203, 204 sq. Miction, 202, 210, 212, 213, 214, 216.

Réflexes, 201, 202, 216. Statis- tique, 218 sq. Signe de Romberg,

201. Symptômes oculaires, 201,

202, 211, 212.— (Théorie de la), 203.

Sydenham (Chorée de). Voy. Chorée.

Syndrome bulbo-médullaire, 499.

Striwgomyelïe. 487. Anat. pathologique, 489. Arthropathies, 498. Atrophie musculaire, 495. Causes, 499. Cicatrices, 498. Diagnostic, 500.

Diagnostic avec Tatrophie mus- culaire, 501. Eruptions hui- leuses, 497.

Syringomyélie. et hystérie. (diagnostic), 489. Sensibilité, 497, 517, 510. Troubles trophiques,518, 519.

Syringomyélie. et maladie de Morvan, 498. et lésions trophiques viscérales,498. et pachyméuingito cervicale hypertrophique. (Diagnos- tic), 502 et paraplégie cervicale hyp., 511. et scoliose, 498. et tabès (diagnostic), 502.

Syringomyélie. Evolution, 499.

Faux phlegmon, 498. Fractures spontanées, 498. Gliomateuse, 490,

491. Glossy skin, 498. Griffe interosscuse, 502. Hérédité, 502.

Importance pour les localisations médullaires, 494. Lésions, 491,

492. Localisation, 491, 492. Œdèmes, 497. Peau lisse, 498. Processus anatomique,490. Pro- nostic, 500. Siège anatomique des troubles trophiques,499. Si- gniflcation du terme, 487, 489.

Symptômes, 495. Symptômes extrinsèques, 495, 499. Symp- tômes intrinsèques, 495, 499. Symptômes leucomyéliques, 495. Symptômes poliomyéliques, 495. Symptômes poliomyéliques anté- rieurs (valeur), 496. Symptômes poliomyéliques postérieurs (valeur), 496. Terminaisons, 500. Ther- moanesthésie, 495, 496, 507, 513. Troubles sensitifs, 495, 506, 512. Troubles sensitifs (distribution),496. Troubles trophiques, 497. Troubles vasomoteurs, 499.

Tabaraud, 392.

Tabes. Achromatopsie, 158, 165. Amaurose, 164. Arthropathies et crises gastriques, 333, 336. Atro- phie des nerfs optiques,l 58. Champ visuel, 159, 165. Crises gastriques, {Voy. crises gastriques). Crises laryngées, 346. Crises laryngées et crises gastriques, 336. Crises rectales, 333. Crises vésicales, 333. Démarche, 346. Déro- bement des jambes, 157, 277, 278, 279. Diagnostic avec abasie, 366. Diplopie, 155, 164, 278. Dou- leurs cubitales, 155, 278. Dou- leurs fulgurantes, 154,201, 277, 278, 279. Champ visuel, 165.

Tabes et hystérie. ^ 161,277, sq. 281.— Stigmates, 281, 282. —Ré- flexes, 282.

Tabes. et maladie de Basedow, 243. et nystagmus, 164. et parai, alcoolique, 388. et syringo- myélie (Diagnostic), 502. (Formes bénignes du), 199. (Impuissance) et suspension, 217. Incoordina- tion motrice 157. Inégalité pupil- laire, 158. Parésie vésicale, 155, 157.— Période préataxique, 333.

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(Rachialgie dans le), 153. Réflexes, 157. —Réflexes exagérés, 278. Sensilif (tabès) 499. Signe d'Argyll Robertson, 158, 164. Signe de Romberg, 157. (Suspension dans le), 199,200. Symptômes oculaires, 163. Symptômes oculaires et sus- pension, 201, 202, 211, 212. Trai- tement du), 199. Troubles de la miction, 278. Vomissements, 156. Vomissements noirs, 331, 334.

Tab<tique. Démarche, 84, 157. In- fluence de la suspension sur la dé- marche, 201. Papille, 164.

Tabétiques. Pronostic des phénomènes, 344.

Tachypnée hystérique, 12.

Tarassis. 37.

Tardiru, 322, 323.

TÉPHRO-MYÉLiTEs autérleures, 416.

Tbrrillon, 385, 535, 537, 540, 543.

Tessier, 243.

Testaz, 101.

Thermiques (Troubles) dans la paralysie alcoolique), 85.

Thermo A NEsTHÉsŒ svringomyélique, 495, 496.

Thermomètre à surface, 507.

Thermophubie dans la Mal. de Basedow, 235.

Thomas, 417.

Thomsen, 119, 533, 534.

Tic convulsif, 13, 464. Arithmomanic, ArnU des mouvements, 464. (Bruits laryngés dans le), 13. (Coprolalie dans le), 15, 408. Echokinésie, 468. Echolalie, 468.

Tic convulsif et chorée, i V, 464.

Tic convulsif et choréc chronique. Coordination des mouvements, 467. Début, 468. Mouvements,

465. Pronostic, 469. Séméiologie des mouvements, 466.

Tic convulsif. Etat psychique, 13,15, 16. 17,464.— (Exagération de mouvements physiologiques dans le), 464 Mouvements, 463, 468. (Reproduction de mouvements phy- siologiques dans le) 14. (Sommeil dans le), 14. Stigmates psychi- ques, 16. Systématisation des mouvements, 14. Variétés, 464.

Tic CONVULSIF VILGAIRE, 13.

Tic D'iDéEs, 16.

Tic nouLoiTREUX. et sciatique, 24. et névralgie brachiale, 24.

Tic moteur, 16.

Tics et Hystérie, 15.

Tics ET Rhythme, 15.

TiLLAUx, 225.

TiLMANN, 225.

TissiÉ, 327.

ToDD, 46.

ToDD (Signe de), 268.

TOPINARD, 332. TouRDEs, 446, 450. Toux hystérique, 4, 7. Toxiques (Paralysies), 84, 344.

Transfert, 283.

Traumatique (Névrose), 36, 51, 527, sq. (Voy. neurasthénie, hystéro-neurasthi^- nie, Shockf etc., etc).

Traumatisme. et automatisme ambula- toire épileptique, 323. et épilepsie, 322 et liystérie, 30 et mala- dies nerveuses, 30. et neuras- thénie, 30.

Traumatismes de la moelle, 53.

Tremblement, —alcoolique, 232 dans la morphinoinanie, 431, dans Thystéro

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neurasthénie, 530, 53 i. do la maladie de Basedow, 231, 232, 234, 236, 239, 241 de la paralysie gé- nérale, 232 hystérique, 471, 472, 530, 531. mercuriel, 232.

Tremblement» (Diagnostic des), 431.

Tristram Shandy, 93.

Troltsch, 225.

Troost\»yck, 449.

Trocsseau, 313, 321.

u

Urines (Examen des). dans l'attaque de sommeil hystérique, 273. ùans la mal. de Basedow, 238. dans Tépilepsie, 421.

Utérus et hystérie, 37.

Valleix, 24.

Vasomoteurs (Troubles) dans la paralysie alcoolique, 86.

Vertige de méniére, 80, 225, 226. à crises distinctes, 228, 230. Démarche 228. Diplopie, 226. —et paralysie faciale, 226, permanent, 228, 230. Traitement, 82. Traitement par le sulfate de quinine, 229.

Vertige. Epileptique,34. Comitial et ctourdissements hystériques, 289.

Vertkîo ab aure l.esa. Voy. Vertige de MûnUre,

VÉsicAux( Troubles) du tabès, 157.

ViBERT, 287.

Vigouroux, 58, 239, 383, 503. ViGUÈs, 54.

ViRCHOW, 234.

Visuel (Rétrécissement du champ).

{Voy. Champ visuel). Voisin (Jules), 64, 70, 325.

VOLKMANN, 202.

Vomissements. dansletabcs,156. noirs du tabès, 331,334. noirs et crises gastriques, 334, 342, 343, 344. Diagnostic avec le cancer, 331.

Vomissements hystériques, 272, 273.

VuLPiAN, 77, 161, 334, 336, 340, 343, 416.

w

Westphal (Signe de), 178. Weir Mitchell, 362, 518. Wilde, 225. Wising, 418.

WOLFF, 498.

Zacuer, 488.

Zola, 88.

Zona dans la sciatique, 25.

înip. de Ift Soc. de Typ.— Nowwtb.S, r. CampAgii6-lr«, Paris

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