EU LECONS SUR LA PIYSIOLOGIE DE LA DIGESTION, . FAITES AU MUSEUM D'HISTOIRE NATURELLE DE FLORENCE PAR M. MAURICE SCHIFF, Professeur à l’Institut des Études Supérieures, RÉDIGÉES par le D' ÉMILE LEVIER. 18 } 2 o D \ her 3€" OLE s/ | rats TOME PREMIER. FLORENCE & TURIN HERMANN LOESCHER, PARIS BERLIN "#1 , |GERMER BAILLIÈRE. LIBRAIRIE HIRSCHWALD. ASUS RE FE LA di 1868. | = 44 Qu LECONS SUR LA PESIOLOGIE DE LA DIGENTION, FAITES AU MUSEUM D'HISTOIRE NATURELLE DE FLORENCE PAR M. MAURICE SCHIFF, Professeur à l'Institut des Études Supérieures, RÉDIGÉES par le D' ÉMILE LEVIER. TOME DEUXIÈME. FLORENCE & TURIN HERMANN LOESCHER. BERLIN PARIS LIBRAIRIE HIRSCHWALD. ç 18 GERMER BAILLIÈRE. É ) 1868. Lee CAR Le PE TR RS EE IR LEÇONS SUR LA PNIOLOGEE DE LA DIGENTION, FAITES AU MUSEUM D'HISTOIRE NATURELLE DE FLORENCE PAR M. MAURICE SCHIFF, Professeur à l’Institut des Études Supérieures, e RÉDIGÉES TOME PREMIER. FLORENCE & TURIN HERMANN LOESCHER. PARIS BERLIN GERMER BAILLIÈRE. LIBRAIRIE HIRSCHWALD. 1867. IMPRIMERIE BONA Turin, rue Charles-Albert, 4. AVERTISSEMENT Les Lecons sur la Physiologie de la Digestion, qui forment le sujet de ces deux volumes, n'étaient pas, dans l'origine, destinées à l'impression. Deux auditeurs très-assidus de mon cours, MM. les Docteurs HerzEn et Levier, ont pris l'initiative de cetle publication. Dans un travail entrepris en commun, ils ont rédigé d’après leurs notes et traduit en français ces Leçons faites en langue italienne, aussi fidèlement du moins que le per- mettait la rapidité d'une exposition orale, souvent in- terrompue par des expériences. M. Levier, chargé de la révision, a non seulement reussi à rendre aux Lecons à peu de chose près leur caractère originaire, mais il s’est appliqué à revoir toutes les citations jelées dans le cours de l'exposition orale, et à les rectifier en cas de besoin; il a ajouté au texte un grand nombre de citations nouvelles et de notes bi- bliographiques, de sorte que la partie hislorique de cet ouvrage est dûe presque entièrement non à moi, mais à M. Levier. Lorsque mes jeunes amis me présentèrent leur tra- vail en me priant d’en autoriser la publication, je me rendis d'autant plus volontiers à leur désir qu'il n'existe jusqu'à-présent aucun ouvrage français qui conlienne une exposition tant soit peu complète des idées nouvelles sur la Digestion. Toutefois, comme la première moitié de ce cours avait été faite il y a deux ans déjà, je priai M. Levier d'ajouter en note les résullats des travaux particuliè- rement importants qui ont paru depuis lors sur les mêmes sujets. De nouvelles recherches que j'ai instituées dans le même laps de temps, ont également trouvé leur place dans ces adjonctions, imprimées pour la plupart en pe- tils caractères. Si cette publication, dans sa forme actuelle, est favorablement accueillie, M. Levier est prêt à faire pa- raître, dans un troisième volume, mes Leçons sur la di- gestion intestinale. Florence, juin 1867. SCHIFF. PREMIÈRE LEÇON. Sommaire: Rôle de la digestion. — Nécessité d’une fonction réparatrice destinée a com- penser l'usure des organes par la vie. — Caractères de cetle usure après un mouvement général. — La force musculaire est-elle düe à l'usure des substances azolées ou à celle des substances non azotées? — Recherches de Lehmann, Speck, Voït, Ranke, Fick et Wislicenus. — Résultats. — Production d'acide carbonique par la contraction musçu-. laire. — Augmentation de l’eau constitutive du muscle par le fait de sa contraction. — Produits de la décomposition du tissu nerveux en activité ; hypothèse de Flint.— Activité de l'organisme en repos. — Pertes dépendant de la calorification. — Rapport entre la déperdition de chaleur et le besoin de nourriture, Messieurs , La digestion est le premier acte de la nutrition. C’est par elle que l'organisme acquiert la faculté de s'approprier les matières de rechange qui lui viennent du dehors, d’en extraire les éléments wéiles et d'en modifier les propriétés de manière à les rendre assimilables. La vie n’est possible que grâce au mouvement incessant des organes qui mettent en circulation les fluides nourriciers, et comme le mouvement est inévitablement lié à une usure des organes qui servent à le produire, cette usure finirait par détruire ces derniers, s’il n’existait une compensation continuelle aux pertes subies par le corps en vertu même de la vie. En- TOME PREMIER I 2 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. visagée à ce point de vue, la digestion est avant tout une fonction de réparation. Toute machine en activité con- sume de la substance; le mouvement, la calorification et la plupart des autres manifestations de la vie pouvant être considerées, d’après les lois de la transformation des forces, comme autant de résultantes des actions chimiques qui se passent sans interruption dans le corps, il est indispen- 1 sable que l'organisme ait toujours à sa disposition des matériaux nouveaux aptes à réparer l'usure produite par le travail organique et à alimenter ce travail lui-même. Un appareil destiné à réaliser une certaine somme de tra- vail ne peut continuer à agir, qu'à la condition que la source de sa force ne tarisse pas. Ce principe s’ap- plique surtout aux appareils organiques, aux plantes et aux animaux, en raison même de la continuité et de la multi- plicité de leur action. Il s’use plus de matière dans un corps vivant, parce que la composition de ses parties est plus compliquée et que la stabilité de ses éléments est moindre. Tout muscle qui se contracte subit des chang'e- ments de ses propriétés chimiques; de neutre qu'il était à l'état de repos, il devient acide après avoir exécuté 4, 5, 6 contractions. Or, si nous nous représentons comme cause efficiente de cette altération une oxydation, une combustion de substance organique, 1l est très-peu vraisemblable que les produits de cette oxydation puissent rentrer comme partie intégrante dans l'organisme, pour contribuer à sa nutrition, à supposer même que ces “produits soient con- formes à la composition du corps, c’est à-dire qu’ils ren- ferment une proportion prédominante d’azote. Nous savons au contraire qu'après un mouvement général le poids du corps diminue (Speck), et que nos excrétions sont modi- fiées. Il y a perte. Mais quel est le caractère de cette mo- dification ? On a fait longtemps le raisonnement suivant: Puisque les tissus dont se compose le corps contiennent, presque PREMIÈRE LEÇON. 3 sans exception, une très-forte proportion d'azote, c’est sur- tout une combinaison azotée qui doit reparaître dans les excrétions après un travail prolongé ou après des contrac- tions musculaires souvent répétées. Et, sous ce rapport, on a déjà prétendu, vers le commencement de ce siècle, qu'en effet, après un travail musculaire plus fort qu’à l'or- dinaire, les urines se montrent surchargées d’urée. - Cette opinion étant encore admise comme indubitable par la ma- jorité des médecins et par beaucoup de savants, il ne sera pas inutile de nous y arrêter un instant. Les urines, après un travail musculaire soutenu, sont-elles en effet plus chargées de matières azotées qu’à l’état de repos, et cet excès de matières azotées, s’il existe, peut-il être re- gardé comme l'expression de l'usure de la substance mus- culaire par son activité ? Un auteur américain, ayant fait en 1856 des recherches sur lui-même, affirme qu’il n’a pas observé d'augmentation de l’urée excrétée, lorsqu'il se donnait .de l'exercice sans changer de régime. Draper croit devoir admettre que l’azote devenu libre par le mouvement musculaire est exhalé par les poumons. — D'autres auteurs ont affirmé et nié tour-à- tour que le produit de la contraction musculaire se montrât dans les urines sous forme d’urée ou d’une autre combi- naison azotée. Déja en 1852, la question, mise au con- cours en Allemagne, avait été en partie résolue affr- mativement par les travaux de Lehmann et de Speck. Lehmann expérimenta sur trois hommes, une femme et un enfant; chez les hommes, l'exercice musculaire ne parut pas produire de différence dans la quantité d’urée excrétée; chez la femme et l'enfant au contraire l’urée augmenta de gr. 4,55 en 24 heures. — Speck trouva une augmentation plus considérable encore; le travail musculaire d'un homme adulte porta son urée de gr. 33,6 à 44,3 en 24 heures. — Les expériences de Simon, de H. Beigel, de Genth vinrent à l’appui de ces résultats. 4 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Toutes ces recherches ayant pour base le principe non encore démontré que la quantité d’urée excrétée en un temps donné correspond ou du moins est proportionnelle à la totalité des substances albuminoïdes consumées par l’or- ganisme pendant ce temps, elles ne pouvaient être regar- dées comme décisives dans la question qui nous occupe. Il restait à examiner si par la respiration, la perspiration cu- tanée et par les excréments, le corps ne perd pas conti- nuellement une proportion de matières azotées devant entrer en ligne de compte dans des calculs. — Les premiers travaux exécutés dans cette direction, ne furent pas favo- rables à l'hypothèse qui considère l’urée comme la mesure des matières protéiques décomposées dans l'organisme. Des expériences de contrôle sur la nutrition, faites par Barral, Bischoff, Bidder et Schmidt, pour comparer entre elles les quantités de matières azotées ingérées avec les aliments, et celles excrétées par les reins, donnèrent pres- que constamment un déficit d'azote pour ces dernières. Tout semblait indiquer l'existence d’une voie excrétoire de l'azote jusqu'alors incontrôlée et cause du déficit observé. D'ailleurs Boussingault, Regnault et Reiset, Matteucci, Valentin a- vaient dejà constaté. l’exhalation d’une certaine quantité d'azote par les voies respiratoires, résultat que Valentin seul penchait à attribuer à des erreurs d'observation. — Ce- pendant des recherches plus exactes de Voït et de Bischoff sur le chimisme dela nutrition ne confirmèrent pas l’exis- tence d’un déficit dans l'azote excrété et dès lors l'hypo- thèse primitivement adoptée, qui considère l'urée comme me- sure del’usure des substances protéiques, regagna du terrain. On avait reconnu qu'on ne pouvait établir de rapport entre la somme des substances protéiques réellement consumées par l'organisme, et la quantité variable d'azote reparais- sant dans les excréments. Après que d’autres travaux eurent démontré que ni la perspiration cutanée ni la respiration u'en charrient des quantités pondérables, Bischoff et Voït PREMIÈRE LEÇON. 5 durent discuter une autre objection tendant à donner à leurs travaux une interprétation essentiellement différente de celle qu'ils avaient adoptée. L’urée excrétée par les reins peut-elle être considérée comme résultant exclusivement de la transformation et de l'usure des matières azotées dans les organes ? Ne se pourrait-il pas qu’une partie de ces substances circulant dans le sang après avoir été absorbées pendant la digestion, fussent directement transformées dans le sang et excrétées sous forme d’urée sans avoir servi à l’as- similation ? Cette conjecture, formulée par Vogt, Speck et Meissner, souleva de très-énergiques réclamations de la part de Bischoff. Les arguments qu'il apporta contre l’objection mentionnée, servirent, il est vrai, à la rendre assez peu vraisemblable, mais ne la réfutèrent pas entièrement. La solution du problème concernant l'augmentation de l’urée après le travail musculaire, devenait donc assez compliquée et exigeait des précautions particulières quant à l’ali- mentation. Il s'agissait d’exclure la source d'erreur que nous venons de signaler ou du moins de disposer les expé- riences de manière à rendre impossible l'admission d’un excès d’urée provenant indirectement des aliments. La dif- ficulté ne pouvait être tournée qu’en soumettant les sujets en expérience à une abstention prolongée d'aliments albumi- noïdes; en effet au bout d’un certain temps, l'excès d’azotenon assimilé doit avoir complètement abandonné le sang. Comme d’ailleurs il n’est guère praticable de laisser des hommes à jeun jusqu'à l'épuisement de cette proportion d'azote de provenance hypothétique, pour les soumettre ensuite à des exercices musculaires longtemps soutenus, Voït reprit les mêmes recherches sur un chien laissé à jeun pendant 2 jours. Pendant ces deux jours de jeûne, il observa une dimi- nution progressive de l’urée excrétée. Le troisième jour, il fit marcher le chien dans une roue, munie d'un compteur 6 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. indiquant le nombre des rotations exécutées par l'animal. Dans plusieurs séries d'expériences, Voït détermina l’urée excrétée en 24 heures avant et après le travail. Voici les chiffres de 4 séries: Urée Urée 1° avant le travail gr. 14, 3 pendant et aprés le travail gr. 16, 6 2° » » 10,88 » » 12,33 3° » » 10,9 » » Il, 4 4 » ».11, 0 » ». 1154 L'augmentation d’urée se trouvant très-petite et n'étant pas toujours en proportion avec la somme de travail cal- culée d’après le nombre des rotations de la roue et l’équi- valent mécanique des mouvements de l’animal, Voït en déduit que cette augmentation n'autorise à aucune con- clusion affirmative pour la question dont il s’agit ici, et que l'augmentation pourrait bien être dûe seulement à l’ac- célération de la circulation et de la respiration qui accom- pagne toujours le mouvement et qui, de son côté, active l'échange général des matières dans l'organisme. Voït ré- sume ses résultats en disant que le travail, comme tel,. n’augmente pas la quantité d’urée excrétée, ou du moins que l'augmentation de ce produit dans les urines n'est pas en rapport avec la somme de travail effectuée par l'animal. — Mais on voit néanmoins qu'il y a eu dans ses expé- riences des traces d’une augmentation, quoique faible, des matières azotées excrétées à la suite des contractions musculaires. Ranke, dans son livre intitulé « Zéfanus », qui renferme des recherches d’un grand mérite sur le chimisme de la contraction musculaire, a publié cette année (1865) des expériences nouvelles sur le même sujet, faites d’après une méthode différente de celle de Voït. L'auteur expérimente sur lui-même et au lieu de calculer, comme Voiït, la somme de l’urée excrétée pendant 24 heures, il procède d’heure en heure, en déterminant les quantités excrétées, avant, pendant PREMIÈRE LEÇON. ï, et après le travail. Ranke part du raisonnement suivant: Par des expériences préliminaires, et en se soumettant à un jeûne de 48 à 50 heures, il constate que la quan- tité d’urée’ contenue dans les urines subit une dimi- nution progressive pendant la matinée jusqu'à midi. Cette diminution étant reconnue constante, il s’agit d’exa- miner si l'exercice musculaire intervenant pendant la pé- riode de diminution de l’urée, est capable d'en modifier les progrès; toute augmentation de l’urée, se produisant durant cette période, devra être attribuée aux conditions mêmes de l'expérience. Voici d’abord les chiffres de l’urée excrétée par l’orga- nisme à jeun et à l'état de repos, de 7 heures du matin à 1 heure de l’après-midi: Urée excrétée par heure De 7à 9heures . . . . . gr. 1,96 ÉLLE E E S LMETIN TS: LAN TNETd ) EN à M ot RE PR CSA Das 0. Suivent deux observations faites sur l’excrétion de l’urée avant, pendant et après le travail. En voici les chiffres: PREMIÈRE EXPÉRIENCE. — Jeûne préalable pendant 17 heures. Vessie complètement vidée à 6 heures du matin. I. Periode de repos avant le mouvement. Urée excrélée par heure. De 7 à 8 heures mat. . . . . gr. 1,9% » 8à9 » PRIOR RM ETS IL. Période de travail. — (Marche dans le plan horizontal pendant 2 heures : 13200 pas). Uree excrélée par heure De 9 à 10 heures mat. . . . gr. 1,38 UE À 5 à » MERE PE DIOE III. Période de repos après le travail. De 11 à 12 heures . . . . . gr. 1,26 » 12à 1 >» après-midi . » 2,22 8 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. DeuxIÈME EXPÉRIENCE. — Jeüne préalable de 9 heures. I. Période de repos avant le travail. Urée excrétée de 9 heures du soir à 6heures du matin: gr. 17,1. Urée excréke par heure De 9 heures soir à 6 heures mat. gr. 1,90 = »”. 6.0 “mat. à 7 » » 1,60 Il. Période de travail. — (Marche: 13200 pas). De 7:à:8 heures. : 54h un gr. 2,04 » 8à9 » AS NET DT OU III. Période de repos après le travail. De 9 à 10 heures . . . . . gr. 2,00 ».- 1054, 11,525 sie és Elle pi LL à 12008 ST ne ». A2 ar MS PE LIU et ARUR L'auteur conclut de ces expériences qu’un travail muscu- laire dont il évalue l'équivalent mécanique (à l’aide des formules des frères Weber) à environ 50000 kilogrammètres, modifie l’excrétion de l’urée dans l'organisme à jeun. Au lieu de la diminution progressive, observée dans l’état de repos, pendant la matinée, il s’est produit, soit dejà pendant l'exercice (Exp. Il), soit pendant le repos après le travail, une augmentation insignifiante de l’urée. Cette augmentation se maintient encore quelque temps pendant le repos après le travail (Exp. I et II), et est suivie dere- chef (Exp. Il), par une diminution rapide. Deux courbes que l’auteur joint à ces chiffres, représentent graphiquement les variations que l'excrétion de l’urée subit pendant le repos qui précède et pendant celui qui suit le mouvement. Considérant que malgré la production de la même somme de travail dans ces 2 expériences, le mode d'excrétion de l'urée à présenté des différences notables, Ranke croit pou- voir confirmer pleinement les résultats de Voït et conclut à la non-existence d’un rapport direct entre le travail mus- PREMIÈRE LEÇON. 9 culaire et les quantités d'urée excrétées et déterminées d'heure en heure. REMARQUE. Les données que nous avons communiquées jusqu'ici, ne sont déduites que de sommes de travail musculaire relativement peu considérables, et les légères variations de la proportion d’urée excrétée en dehors et pendant l’exercice, ne permettent pas encore de se prononcer définitivement sur la question de l’usure des subs- tances azotées par la contraction musculaire. Il était à désirer que d’autres expériences fussent entreprises pour déterminer l’in- fluence d’un mouvement plus prolongé et plus énergique. Cette condition a été réalisée par deux professeurs de Zurich, Fick et Wislicenus qui, postérieurement à ces leçons, ont publié un mé- moire très-intéressant sur l’origine de la force musculaire (1). Les auteurs partent du théorème que la force extérieure engendrée par le muscle est la résultante mécanique de l’oxydation des matières combustibles contenues dans le muscle. Se ralliant à l’opinion de Voït, discutée précédemment, ils considèrent comme _ bien établi que l’azote provenant de la décomposition des matières protéiques quitte le corps presque uniquement par la voie des urines, et que par conséquent la quantité d’urée excrétée peut être regardée comme mesure de la décomposition des matières albumi- noïdes. Comme ils n’ont d’ailleurs à s’occuper, dans cette recherche, que de la mesure des matières oxydées à un haut degré, c’est-à- dire dont la chaleur de combustion est transformée directement en travail mécanique extérieur, ils croient pouvoir négliger la pro- portion d'azote déversé avec les excréments et provenant de dé- compositions moins énergiques, incapables de fournir une somme de travail mécanique appréciable. — Le problème que les auteurs se posent, est conçu en ces termes : Quelles sont les matières en particulier dont la combustion fournit le travail musculaire? Et il est limité à cette question plus spéciale : La décomposition de l’albu- mine peut-elle sewle fournir la force vive qui se manifeste comme travail musculaire, et la décomposition des matières non azotées, comme les corps gras, etc., ne peut-elle pas contribuer à la pro- duction de ce travail? — Afin de montrer plus clairement que la première de ces manières de voir n’est rien moins que probable, (1) À. Fick et J. Wislicenus. Uber die Entstchung der Muskelkrafl. (Vierteljahrsscebr, d. Zürch. Nalurforsch Gesellsch, 3, X.). 10 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. les auteurs empruntent à la mécanique la comparaison suivante : « Supposons qu’un homme, ignorant le mécanisme des machines « à vapeur, fasse des recherches sur la source du travail d’une « locomotive. Il trouvera que l’objet de ses recherches est com- « posé en grande partie de métaux, de fer, d'acier, de laiton, etc. « 11 n’y trouvera que très-peu de charbon. S’il raisonnaît d’après «les principes de beaucoup de physiologistes par rapport au « muscle, il arriverait à la conclusion suivante : Puisque cet ap- « pareil producteur de travail est composé presque uniquement « de métaux, ce sont nécessairement les métaux qui par leur « combustion engendrent le travail. Pour nous, auxquels le vrai « mécanisme de la machine à vapeur est connu, l’erreur de cette « conclusion saute aux yeux. Nous savons que c’est la combustion « du charbon qui constitue la source de la force, bien que peu s’en «trouve dans la machine à chaque instant. De même il est pos- « sible que la force musculaire soit fournie par la combustion de « matières %0%-azotées, bien qu’il ne s’en trouve qu’une petite « quantité à chaque instant dans le tissu contractile » (1). L’expérience de Fick et Wislicenus consista à faire, à jeun, l’ascension du Faulhorn (sommet des Alpes bernoises) et à déter- miner l’azote excrété par les reins avant, pendant et après l’ascension. Le travail musculaire réalisé en un temps donné (huit heures) se composant de plusieurs facteurs connus (hau- teur de la montagne, poids du corps, battements du cœur, nombre des respirations, etc.), les auteurs déterminent une pre- mière somme exprimée en kilogrammètres et correspondant au travail extérieur. Calculant ensuite, d’après l’azote excrété par les reins, la quantité d’albumine ayant dû être décomposée pour fournir le chiffre trouvé d’azote, et déterminant en kilogram- mètres l’équivalent mécanique de la chaleur de combustion de cette quantité d’albumine, ils arrivent à une seconde somme exprimée en kilogrammètres et correspondant & Za décomposition de l’albumine pendant le travail. Rapprochant ces deux chiffres, ils font le raisonnement suivant: S% l'équivalent mécanique de la chaleur de combustion de l'albumine brûlée se trouve moindre que le travail extérieur produit pendant le même temps, il est démontré que ce n'est pas seulement la décomposition des matières albwmi- noïdes qui peut fournir le travail musculaire. 4) Voy. IL Nuovo Cimento, No du 3 août 1866, pag. 71. Analyse du mémoire des auteurs cilés. PREMIÈRE LECON. Il Les limites de cet ouvrage ne permettant pas de suivre les auteurs dans leurs calculs et de discuter la valeur de leurs chif- fres, nous nous bornerons à extraire les chiffres représentant les quantités d’urée et d'azote déterminées pour la totalité des urines excrétées dans le cours de leur expérience, et à communiquer les résultats généraux. Les lettres FÆ. et W. désignent les deux personnes soumises à l'expérience : Quantité en| Grammes d’urée Contenu total cent. cub. d’azole, grammes A. Urines nocturnes sécré-| F. W.| F. 1: ARS DO de W. tées avant le travail . | 790-916 |12,4820 - 11,7614 6,9153 - 6,6841 B. Urines sécrétées pendant PPT OU LL I. - ie à = 396-261 | 7,0330 - 6,6973 3,3130 - 3,1336 C. Urines excrétées après le | travail (repos) ..... 198-200 | 5,1718- 5,1020 2,4293 - 2,4165 D. Urines %octurnes (repos) après un repasabondant | 258-270 | non mesurée 4,8167 - 5,3462 k ‘Si nous calculons, pour 4, 2, C! les chiffres de l’urée excrétée par heure, pour comparer ces résultats à ceux de Ranke, nous obtenons le tableau suivant: Nombre Grammes d’urée d'heures par heure HONTE A. Urines excrétées avant le travail (repos) | 10h. 55m. | 1,143 - 1,077 B. Urines excrétées pendant le travail . . . | 8h. 10m. | 0,861 - 0,820 C. Urines excrétées après le travail (repos) | 5h. 40m. | 0,912 - 0,900 En opposition aux auteurs précédemment cités, Fick et Wisli- cenus n’ont pas observé d'augmentation de l’urée pendant et après l’exercice musculaire. Il y a eu, au contraire, diminution (1). Les auteurs prouvent d’abord par un raisonnement assez simple, dont nous connaissons déjà la substance, qu’on ne peut admettre que la quantité d’albumine brûlée pendant le travail soit plus (1) Un auteur anglais, Frankland, vient d'émettre la supposition que cette diminution marquerait le moment dans lequel, par suite de la privation d’aliments azolés, l’orga- nisme commencerail à sécréter, par la voie des reins, une proportion moindre d’azote, (Comparez pour la critique de cette hypothèse les intéressantes observations de Voit sur la diminution progressive de l’azote dans les urines, pendant l’abstinence. Journal de Biologie, de Munich, vol. Il, 3° livraison, pag. 507). — Frankland a fait, sur les chiffres obtenus par Fick e Wislicenus, de nouveaux calculs qui démontrent une fois de plus que le travail fourni par le système musculaire ne peut pas étre la résultante exclusive ni même principale de la décomposition de la substance azotée des muscles ( Royal in- slitulion of great Britain, june 1866). 12 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. grande que celle qui correspond à la somme de l’azote contenu dans les urines excrétées pendant le travail, et pendant le repos après le travail (B et C). Pour le second des expérimentateurs, W., cette quantité d’albumine serait de 37 grammes. Combien peut-il être produit de chaleur par la combustion de 37 grams. d’albumine? La chaleur de combustion de l’albumine n’étant pas connue, les auteurs fixent pour cette valeur une limite supérieure qui, selon eux, ne saurait en aucun cas être dépassée. Ils s’apppuient sur les considérations suivantes : Un gramme d’albumine ne dégage certainement pas, par sa combustion parfaite, autant de chaleur que n’en dégageraient, brûlés à l’état libre, le carbone et l’hydro- gène contenus dans ce gramme d’albumine. En adoptant cette dernière valeur, c’est-à-dire 6,73 calories, et en la multipliant par le nombre de grammes d’albumine décomposés pendant l’ascen- sion (6,73 x 37—249 calories) on est donc parfaitement sûr d’être bien au dessus des valeurs réelles, d’autant plus que ce n’est pas une combustion parfaite qui a lieu dans le tissu musculaire. Les calculs basés sur ces chiffres mazima fourniront par conséquent des résultats considérablement trop grands et ridiculement favo- rables à l’hypothése qui regarde le travail musculaire comme résul- tante de la combustion des corps albuminoïdes. Or l’équivalent mécanique de 249 calories — 105825 kilogrammètres. Voyons maintenant quelle est la somme de travail extérieur mesurable, réalisée par l’expérimentateur W., en élevant le poids de son corps du niveau du lac de Brienz jusqu’au sommet du Faulhorn. Le poids de W., y compris les vêtements, était de 76 kilogrammes. D’autre part la hauteur du sommet du Faulhorn au dessus du lac de Brienz est de 1956 mètres. Nous obtenons ainsi un travail réel de 148656 kilogrammètres. A ce chiffre il faut ajouter le travail du cœur et des muscles respiratoires, qui le portent à 184287 kilogrammètres. Ce n’est pas tout. On perd né- cessairement beaucoup de travail en gravissant une montagne : en d’autres termes, une bonne partie de la force vive dégagée dans les muscles existe, il est vrai, sous la forme de travail mé- canique à Certains moments, mais à d’autres moments, les actions chimiques à l’intérieur du muscle ne développent que de la cha- leur. On sait que la force vive dégagée par des actions chimiques quelconques productrices de travail n’existe jamais tout-entière comme telle, qu’au contraire une proportion assez considérable de cette force vive est primitivement développée sous forme de chaleur. Il est donc hors de doute que le travail extérieur de PREMIÈRE LEÇON. 13 184287 km. calculé d’après les données connues du problème, est de beaucoup inférieur à la force vive dégagée en réalité par les actions chimiques productrices de la force musculaire. En confrontant les deux chiffres obtenus par ces calculs approxi- matifs, on voit qu’il est impossible que la combustion des matières azotées seules puisse engendrer le travail mécanique produit par le mouvement. Les auteurs terminent avec les considérations suivantes que nous reproduisons textuellement : = À « «On peut donc conclure que la décomposition de l’albumine n’entre que pour une très-petite part dans la production de la force. Cette conclusion admise, on se fera une idée plus nette des phénomènes chimiques qui ont lieu dans le tissu musculaire, si l’on se rappelle la comparaison dont nous nous sommes servis dans les considérations préliminaires. Nous pouvons regarder la fibre musculaire comme une machine construite à l’aide de substances protéiques. Dans cet appareil, des matières 20#-azotées sont brülées pour produire de la force: tout comme la machine à vapeur, bien que construite en métal, consume du charbon pour effectuer son travail. Mais dans la machine à vapeur il se lie nécessairement à la combustion productrice de travail une autre combustion ou consommation, savoir l’usure du matériel de construction. Ainsi dans le muscle il faut distinguer deux sortes de phénomènes chimiques, les uns proprement destinés a la production de la force, et ce sont des matières #0%-azotées qui servent à ce but, peut-être exclusivement. D’autre part le muscle subit inévitablement une wswre de son tissu propre, de son matériel de construction, et comme ce dernier est constitué par des matières protéiques, nous rencontrons parmi les produits de cette usure l’wrce, c’est à dire le corps excrémentitiel le plus riche en azote. Ceci nous explique en outre très-bien pourquoi les efforts musculaires exagèrent si considérablement l’exha- lation de l’acide carbonique, tandis qu’ils influent à peine sur l’excrétion de l’urée. En effet, à notre point de vue, il est très- probable que l’usure du matériel de construction marche du même pas pendant le repos que pendant le travail, et que la consommation seule du combustible soit augmentée par le tra- vail. Il en est à-peu-près comme d’une machine à vapeur qu’on laisserait toujours chauffée, prête à l’action; dans ces conditions l'oxydation des métaux, dont est construite la machine, mar- cherait sensiblement du même pas pendant le repos que pendant le travail ». 14 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. A-peu-près contemporainement aux recherches de Fick et Wis- licenus, M. Playfair publiait, dans le Medical Times de Londres (1865), une série de recherches quantitatives faites sur l’homme, et appuyées par des données analogues, obtenues par d’autres auteurs anglais sur les grands animaux domestiques, recherches destinées à démontrer que les matières albuminoïdes sont essen- tielles à la production de la force musculaire. L'auteur s’appuie principalement sur la grande loi empirique, peu contestée en général, que le besoin d’aliments albuminoïdes se modifie en de très-grandes limites, proportionnellement aux sommes de travail réalisées par l’organisme. Le travail, selon Playfair, doit donc détruire une partie des matières albuminoïdes du corps et être la résultante de l’oxydation des matières azotées constitutives du tissu musculaire. Pour exprimer en chiffres le rapport indiqué entre l’alimen- tation « plastique » et les sommes de travail extérieur effectuées, Playfair établit cinq catégories, en échelle ascendante, dans lesquelles sont rangées les rations quotidiennes, suffisant exacte- ment à l'entretien : 1° de l’homme en repos, sans travail extérieur (convalescent, etc.); 2° de l’homme sain, dans le repos relatif (les chiffres de cette série sont calculés d'après les rations quoti- diennes que reçoivent les détenus des prisons d’Edimbourg); 3 de l’homme sain, adulte, réalisant, par jour, un travail extérieur moyen, équivalent au déplacement du corps sur un expace plan de 5 à 7 milles anglais (ration des soldats en garnison); 4 de l’ouvrier, aux jours de travail, ou du soldat en campagne, travail équivalant, en moyenne, d’après les calculs de Coulomb, de La- mande et de Haughton, à 107561 kilogrammètres ; 5° enfin, de l’ouvrier, aux jours de travail forcé (.ardmorked labourers). Les rations quotidiennes swfisantes, correspondant à ces cinq catégories, sont exprimées en grammes dans le tableau suivant : | L. IL. IT]. IY. Y. | | Repes Repos Mouvement Travail Travail | ; Ÿ complet relatif modéré forcé | Aliments, plastiques, | ———| —— rl: Li. OÙ AZDIÉB 5. 20e 56,70 | 70,87 | 119,07 | 155,92 | 184,27 , | ÉTGIS8E de ee je | 14,17 | 28,35 | 51,03 | 70,87 | 70,87, | Fécule 340,20 | 340,20 | 530,15 | 567,00 | 567,00 | Carbone total ..... 189,95 | 209,80 | 337,37 | 380,40 | 405,40 | | PREMIÈRE LEÇON. 15 Playfair calcule, d’après les expériences des agriculteurs de Sussex, qu’un bœuf de labour consomme, en 24 heures, 1094,3 grammes d'aliments plastiques, pour équilibrer les pertes occasion- nées par le travail; et qu’un cheval en travail en consomme par jour 1593,27 grammes. Ces deux rations sont entre elles comme 1 est à 1,46. Or les équi- valents mécaniques des sommes de travail , fournies en moyenne par le bœuf et par le cheval, dans le même temps, sont entre eux comme ] à 1,43. La concordance remarquable de ces deux rapports et les chiffres ascendants du tableau qui précède, indiquent, avec toute proba- bilité, selon Playfair, que le travail extérieur réalisable par l’orga- nisme, est directement proportionnel à la quantité d’aliments plastiques ingérés. Nous ne pouvons suivre l’auteur dans les considérations qu’il rattache à ces faits et dont il croit pouvoir déduire que le travail musculaire résulte réellement de l’oxydation des matières albumi- noïdes constitutives du muscle, et non pas de l'oxydation des éléments du sang dans le muscle, ni de la combustion des sub- stances non-azotées des organes du mouvement. Les aliments non azotés, d’après cette manière de voir (qui se rallie entièrement à celle de Liebig) ne contribueraient pas directement à la production de la force musculaire et ne serviraient qu’à la calorification. Les raisonnements par lesquels Playfair, dans une autre partie de son mémoire, cherche à consolider sa théorie, en s’appuyant sur le fait de l’augmentation de l’urée excrétée après le travail musculaire (fait qu’il croît bien établi par les recherches de Chris- tison, de Hammond et de E. Smith) n’ont pas la valeur démonstra- tive que leur attribue l’auteur. En effet, toutes les expériences citées sont sujettes au même reproche que celles qui ont précédé, en Allemagne, les travaux plus exacts de Voït. L'équilibre entre les recettes et les dépenses de l’organisme n'étant pas rigoureu- sement établi par les conditions préalables des expériences, et Palimentation ayant varié dans les sujets sur lesquels on opérait, lexcédant d’urée ne peut pas être simplement rapporté à l’usure plus grande des organes. Une remarque très-digne d’être prise en considération, dont Playfair fait suivre cet exposé, est déduite des recherches de E. Smith (Philosophical transactions, vol. 151). Ces recherches pa- raissent indiquer que la période durant laquelle il se forme le plus d’urée dans le corps, ne coïncide pas nécessairement avec la 16 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. période d’augmentation de l’urée excrélée. En d’autres termes : l'usure plus grande des matériaux azotés de l’organisme ne se traduirait pas par une augmentation immédiate de l’azote excrété. Playfair rapporte que chez des individus soumis à des exercices musculaires violents, l’alimentation restant la même, l’augmen- tation de l’urée, dans les excrétions, n’apparaissait quelquefois que deux jours après l’expérience. On voit d’avance de quelle importance serait, pour toutes les recherches de ce genre, la possibilité d’une rétention temporaire dans l'organisme, ou, si l’on pouvait s'exprimer ainsi, d’un e#- magasinage des matières excrétoires formées par le travail. Cette possibilité ne serait pas sans analogies, car, comme viennent de le trouver Voït et Pettenkofer, par une série d’expériences très- remarquables sur l’échange des gaz dans l’organisme en repos et en travail, l'oxygène absorbé présenterait également cette pro- priété d’être emmagasiné dans les organes, avant de quitter le corps sous forme d’eau, et d'acide carbonique. «Nos observations, « disent les auteurs cités, indiquent, avec une certitude presque « absolue, que l’oxygène introduit dans l’organisme n’y opère « pas, dès son arrivée, la métamorphose définitive des tissus en « leurs produits ultimes de décomposition, mais que l'oxydation « parcourt des degrés intermédiaires, espèce de cycle compliqué «ayant pour effet d'occuper ou de retenir l'oxygène durant des « heures entières dans l’intérieur des organes, avant qu'il soit « excrété sous forme d’eau et d'acide carbonique ». Il ressort, en effet, des expériences de Voït et Pettenkofer que l’homme sain et ex repos excrète, à l’état de veille, une proportion d'acide carbonique notablement supérieure à celle qu’il excrète pendant le sommeil. Au contraire la quantité d’oxygène qu’il absorbe pendant le sommeil est double de celle qu’il absorbe du- rant l’état de veille. Cet antagonisme entre les chiffres du jour et de la nuit se prononce bien davantage encore lorsque le som- meil est précédé d’une journée de travail musculaire, continué sans relâche pendant un certain nombre d'heures. L'emmagasinage de l’oxygène aurait donc lieu surtout pendant la nuit, et l'acide carbonique, excrété pendant le travail, à l’état de veille, se for- merait en grande partie par l’action continuée de l’oxygène, ac- accumulé dans l’organisme durant la période de sommeil qui a précédé le travail. Ludwig penche à admettre que même l’acide carbonique, comme tel, puisse être retenu dans le sang ou dans les organes, pendant PREMIÈRE LECON. 17 un certain temps, relativement très-court, mais devant néanmoins entrer en ligne de compte. I1 est indispensable de consulter, pour les détails, les mémoires originaux de Voït et Pettenkofer, présentés à l’Academie des sciences de Munich le 10 novembre 1866, et le 9 février 1867. Un simple extrait de ces travaux, étrangers d’ailleurs au sujet qui nous occupe, ne donnerait au lecteur qu’une idée imparfaite de l'importance des questions qui y sont traitées. Les expériences de Voït et Pettenkofer confirment encore une fois, chez l’homme, le fait singulier découvert par Voït, que l’aug- mentation du travail musculaire n’est pas accompagnée ni suivie, dans les premières 24 heures, d’une augmentation de l’urée ex- crétée par les reins. En opposition aux déductions de Fick et Wislicenus, et se ral- liant davantage, en cela, aux résultats empiriques de Playfair, Voït tient pour certain qu'il existe un rapport intime entre la richesse de l'alimentation en matières albuminoïdes et la capacite’ de l’organisme d’exécuter des efforts musculaires. On voit, par ce qui précède, que l'opinion ancienne qui admettait, comme suite naturelle de l’usure augmentée des organes par le mouvement, une augmentation de l’urée excrétée par les reins, n’a pas pour elle autant de faits qu’on le suppose généralement, et qu’au contraire il devient très-probable que la petite augmentation d’azote que l’on a souvent constatée dans les urines immédiatement après ou pendant un mouvement prolongé, est dûe plutôt à des circonstances accessoires qui accompagnent le mouvement. A tout considérer, l'hypothèse déjà émise par Traube, que les matières usées par le mouvement musculaire soient essen- tiellement des combinaisons on azotées, gagne de plus en plus en vraisemblance. Mais si les expériences ne nous ont pas encore révélé dans toutes leurs particularités les métamorphoses et les décom- positions des substances protéiques par l’activité musculaire, en revanche nous possédons des données positives sur quelques autres altérations chimiques qui accompagnent TOME PREMIER 2 18 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. constamment le mouvement. Déjà Matteucci et Valentin avaient démontré que la contraction musculaire est tou- jours liée à la formation d’une certaine quantité d'acide carbonique, provenant directement du muscle, preuve que le carbone de la Substance musculaire est oxydé, brûlé pen- dant l’activité. Mais nous savons de plus que la proportion d'acide carbo- nique contenue dans l’air expiré augmente considérablement pendant et après un mouvement général, et comme nous venons de voir que l'acide carbonique est un produit immé- diat du muscle qui se contracte, l’exhalation plus vive de ce gaz pendant le travail musculaire ne saurait être attribuée dans sa totalité à des circonstances accessoires, comme l'accé- lération de la circulation, etc., qui accompagnent ordinaire- ment le mouvement. En voici du reste la preuve directe: Une grenouille dont on a détruit la moëlle allongée et qui, par conséquent, ne respire plus par les poumons, est mise sous une cloche et on analyse l’air de la cloche au bout d’un certain temps. On trouve de petites quantités d'acide car- bonique et d’ammoniaque, formées par la perspiration cu- tanée de l'animal, et en même temps une diminution de l'oxygène primitivement contenu dans l’air de la cloche. On répète l'expérience sur une autre grenouille, de même taille, que l’on tétanise par un courant électrique. L'air a- nalysé au bout d’un temps égal à celui de la première expérience, se montre considérablement plus chargé d'acide carbonique et d'ammoniaque que dans le premier cas et beaucoup plus d'oxygène a été absorbé. Cependant il n'ya pas eu augmentation de la respiration ni, comme il paraît, accélération de la circulation. Disons toutefois que la pos- sibilité d’une accélération de la circulation ne peut être entièrement exclue dans les conditions que nous venons de considérer. Dans les recherches déja mentionnées de Æanke sur le chimisme du tétanos, un paragraphe spécial est consacré à PREMIÈRE LEÇON. 19 la diminution des éléments solides du tissu musculaire par la contraction. Cette diminution se manifeste par une awg- mentation de la proportion d'eau contenue dans le muscle, — Ranke ampute une cuisse de grenouille en écrasant les parties molles au moyen d’un fil, pour éviter toute hé- morrhagie. Après avoir exprimé, par un massag'e de quelques instants, tout le sang contenu dans l'extrémité, et bien es- suyé la surface de section, de manière à n’y pas laisser trace de sang, il retire la peau, dessèche soigneusement avec du papier à filtrer les muscles mis à nu, et en coupe une partie qui est aussitôt enfermée entre deux verres de montre et pesée. Cette préparation est faite très-rapidement pour empêcher l’évaporation de l’eau du muscle. — Le même procédé est répété après 30 minutes sur l’autre extrémité de l’animal, préalablement tetanisé par une dose de strych- nine introduite sous la peau. L'auteur détermine le poids primitif et le résidu sec des deux préparations et trouve constamment une diminution des substances solides pour le muscle tétanisé, correspondant à une augmentation de son pour cent d’eau. Six expériences faites d’après cette méthode, donnent en moyenne: pour le muscle en repos: eau 80,4 ‘|; résidu sec 19,6 % pour le muscle tétanisé: » 82,1 °j; » 17,9 °, L'eau du muscle augmente donc par le tétanos strychnique dans la proportion de 1000 à 1021. Comparant ensuite, pour chaque cas particulier, l’énerg'ie des contractions à l'augmentation d’eau observée dans le muscle, l’auteur trouve cette dernière directement propor- tionnelle à la première. Le muscle le plus riche en eau est en effet le cœur. Déjà Bischoff avait constaté une proportion d'éléments so- lides plus considérable dans les muscles ex repos de l'adulte que dans ceux de l'enfant nouveau-né. Ces derniers sont à ceux de l’adulte, par rapport à l'eau qu'ils contiennent, 20 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. comme 81,8 ‘,, : 75,7 °,. Ranke confirme pleinement ce fait et le formule dans la loi suivante: moins le muscle en repos contient d’eau, ou en d’autres termes, plus il est riche en éléments solides, plus aussi il est capable d'exécuter des contractions énergiques, ce qui n’infirme pas la première . loi qui établit pour chaque organisme en particulier, une plus forte proportion d’eau dans les muscles exécutant de fait les contractions les plus nombreuses et les plus éner- giques. Les chiffres suivants empruntés à Bischoff, ren- dront tout-à-fait clair ce double rapport: Eau ‘1, 1. Adulte Muscles . . . 79,1 CŒUF?. . 100 2. Nouveau-né Muscles . . . 81,8 CŒUT … .-. Oo La proportion d'éléments solides et avec elle la force du muscle augmente progressivement à partir de l'enfance jusqu'à l’âge viril et décroît de nouveau dans la vieillesse, comme il résulte des pesées de Ranke. Quelle est la conséquence de ces faits? C'est que les produits de décomposition formés aux dépens des élé- ments solides du muscle par son activité, n’y séjournent pas indéfiniment, mais qu'une partie de ces produits, su- bissant le contact du sang au travers des tissus, est né- cessairement éliminée par diffusion des liquides et remplacée par son équivalent d'eau. De là un appauvrissement de la substance musculaire, de là les phénomènes de la fatigue et finalement l’inaction, l'arrêt de la fonction, si une com- pensation suffisante n’est fournie par d’autres voies. Nous pourrions augmenter les exemples des altérations chimiques inséparables de la contraction musculaire, en exposant d’autres faits trouvés par Helmholtz, Ranke, etc. mais nous croyons en avoir dit assez pour démontrer la décomposition, l’usure des appareils contractiles de notre organisme par leur activité. Jetons encore un coup d'œil PREMIÈRE LEÇON. 21 sur ce que nous savons relativement aux produits de dé- composition formés par l’activité de quelques autres organes. Le docteur Flint, Américain, dit avoir constaté une aug- mentation de la cAolestérine dans le sang renvoyé des centres nerveux au cœur. Ayant analysé comparativement le sang des artères carotides et des veines jugulaires, il trouva constamment un léger excès de cholestérine dans le sang de ces dernières. Il en conclut que la cholestérine est un produit de décomposition des centres nerveux par leur activité. Le même fait, selon Flint, aurait lieu aussi pour les troncs nerveux périphériques, quoique dans des proportions plus restreintes; ainsi, dans trois hémiplégiques, le sang veineux des extrémités non paralysées contenait, après un mouvement d’une certaine durée, plus de cholesté- rine que celui des extrémités paralysées. Sans vouloir mettre en doute les résultats annoncés par Flint, il n’est pas évident pour nous que l'augmentation de la cholestérine dans le sang des extrémités saines pro- vienne directement de la plus grande activité des troncs nerveux, car beaucoup d'autres circonstances pourraient s’op- poser, dans les muscles paralysés, à la formation de ce produit de décomposition, sans qu'il y ait lieu d’invoquer, comme cause immédiate du phénomène, l’absence de la transmission nerveuse. L'auteur aurait mieux prouvé sa thèse (à supposer que le procédé fût réalisable) s’il avait galva- nisé les nerfs, en évitant les contractions musculaires et toute autre action mécanique d'influence problématique, et s’il avait vu, après la seule excitation des nerfs, une aug- mentation de cholestérine dans les veines correspondantes. Flint fait suivre son mémoire de quelques considérations sur la provenance de la cholestérine dans l'organisme, qui, bien qu'hypothétiques, n’en sont pas moins remarquables en ce sens que personne, jusqu'à ce jour, n'avait entrevu la possibilité de contrôler chimiquement l'usure matérielle pro- duite par le travail intellectuel, et que des recherches de- 22 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. ce genre paraissaient devoir se soustraire encore pour long- temps à nos moyens d'observation. En effet, se demande le docteur Flint, d'où provient la grande quantité de cholesté- rine contenue dans la bile? Nous n'avons aucune raison de croire qu'elle se forme dans le sang. Le sang la trouve donc dans les tissus spécialement destinés à la produire et qui en abandonnent continuellement un excédant au fluide circulatoire. Or nous savons que de tous les organes c’est le cerveau qui en contient la proportion la plus considé- rable; il est donc vraisemblable que l’activité des centres nerveux est liée à un mouvement matériel dont la choles- térine forme l’un des produits et que pareillement aux autres produits de décomposition de notre corps, une partie de cette substance, désormais inutile aux fonctions des tissus, est continuellement entraînée par le courant sanguin. Pour donner à cette hypothèse un caractère plus positif, il y aurait une expérience assez simple à tenter: Comme la bile ne se forme pas seulement pendant la vie, à certaines périodes de la digestion, mais aussi après la mort (ainsi que nous avons pu nous en convaincre chez des lapins et des cochons d'Inde, tués par le curare et chez lesquels nous entretenions la respiration artificielle), ou pourrait, chez des animaux placés dans les conditions indiquées, exciter les centres nerveux, par exemple à l’aide du galvanisme, et examiner ensuite la quantité de cholestérine contenue dans la bile sécrétée pendant l'expérience. — Si le curare ou l’éther ne suffisaient pas, comme nous le présumons en effet, pour obtenir une insensibilité d'assez longue durée, telle que l'exige cette expérience, nous proposerions d’es- sayer sauf vérification préalable, l'application endermatique de la morphine combinée aux inhalations d’éther, moyen anesthétique retrouvé tout récemment, après avoir été oublié pendant de longues années. Nous regrettons de n'avoir pu nous occuper encore de cette question. Pour le moment, bien qu'il ne soit pas encore rig'oureu- PREMIÈRE LEÇON. 23 sement démontré que la cholestérine soit l’un des produits de décomposition fournis par l’activité des centres ou des nerfs périphériques, ne nous hâtons pas de rejeter entière- ment l'hypothèse suggérée à Flint par ses expériences et rendue assez plausible par le fait que la cholestérine entre pour une proportion notable dans la composition du système nerveux. Avouons du reste que nos connaissances sur les produits ultimes de la décomposition des nerfs et des muscles sont encore bien fragmentaires et que nous ne saurions user de trop de réserve en établissant nos conclusions sur les données quantitatives fournies par la chimie. Quant aux corps résultant de la décomposition des autres organes par leur activité, nous n'avons pas même d’hypothèse qui puisse nous éclairer sur leur nature. Quoiqu'il en soit, logiquement nous devons admettre cette décomposition et l'on aura à s'occuper de la recherche des produits qui en résultent pour chaque organe en par- ticulier. Les données isolées que nous possédons sur cette question et qui sont bien acquises à la science, convergent sans exception vers ce principe, que toute activité organique, toute manifestation de la vie, quelle qu’elle soit, est liée à une altération matérielle des tissus, déjà demontrée pour une foule de cas particuliers. Ainsi le nerf, d’après Funke, devient acide par une excitation prolongée qui équivaut au maximum de son activité « spontanée ». Et si l’activité, en apparence la plus immatérielle, altère, use les organes, nous sommes forcés d'admettre une décomposition continuelle de notre corps, car il n’est pas un moment ou il reste sans activité. Ce que nous appelons « éfat de repos » n’existe jamais d'une manière absolue et ne se rapporte qu'aux organes qui servent à la vie de relation. Pendant ce repos apparent, plusieurs de nos organes continuent une activité sans relâche dont les proportions sont aptes à nous surprendre. Bernouilli qui, le premier, à soumis au calcul 24 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. le travail mécanique du cœur, évalue, selon Vierordt, la force vive fournie par le ventricule gauche à 0,54 kilo- grammètres par Seconde, ce qui fait 32,40 km. par minute et 46656 km. en 24 heures, le nombre des battements du cœur étant estimé à 60 par minute et à 86400 en 24 heures. Chaque pulsation du cœur est capable de déplacer de 4 centimètres une colonne de mercure de 200 millimètres. Même en admettant que le travail des autres parties du cœur soit inférieur à celui du ventricule gauche, nous ar- rivons, à l'aide de ces chiffres, au résultat étonnant que le cœur total élève son propre poids à plus de 150 mètres par minute, Aucune machine ne saurait en faire autant. D'autre part la respiration met continuellement en jeu un grand nombre de muscles dont le travail, pour un acte respiratoire, déplaçant 600 cent. cub. d'air, a été estimé par Fick, d’après les données de Donders, à environ 0,63 km. L'homme respire environ 12 fois par minute, donc 720 fois par heure, et 17280 fois en 24 heures, ce qui équivaudrait à un travail total de 10886,4 km. par jour. D'après Scharling nous produisons 443,000 cent. cub. d'acide carbonique en 24 heures. A ces mouvements s'exécutant sans relâche pendant l’état de veille et de sommeil viennent s’ajouter ceux de quelques autres org'anes (tube digestif, etc.), sur la mesure desquels nous n'avons aucune donnée. Mais les chiffres approximatifs que nous avons cités, suffiront pour donner une idée de la grandeur du travail accompli par l'organisme en repos. Ce n’est pas tout. La chaleur animale se produit soit aux dépens des aliments, soit aux dépens du corps. Chaque mouvement est accompagné d’un dégagement de chaleur, représentant une fraction importante de la force vive engendrée par les décompositions chimi- ques des tissus, fraction qui n’est pas directement trans- formée en travail mecanique ewtérieur. Mais selon la dé- finition généralement admise du travail mecanique il faut PREMIÈRE LEÇON. 25 admettre qu’une très-grande partie de la chaleur animale se produit « directement », c'est à dire sans avoir jamais été transformée en travail mécanique. C'est cette partie importante et variable de la chaleur dont les frais de pro- duction doivent être ajoutés aux dépenses enumérées de l'organisme. On a essayé d'évaluer la quantité de chaleur dégagée par l’homme adulte en un temps donné. Barral l'extime à 3,191,000 calories en 24 heures. Une partie de cette chaleur se perd par le rayonnement, une autre partie sert à réchauffer l'air que nous inspirons, les liquides froids que nous buvons, etc. Plus cette déperdition de chaleur est grande, plus le corps a besoin de nouveaux matériaux « com- bustibles », pour maintenir sa température au degré neces- saire à l'entretien de la vie. Dans le froid, le corps doit fournir plus de chaleur ; aussi dans les climats froids ré- siste-t-on moins à la faim, et le besoin de nourriture dé- croît-il à mesure qu'on s’avance vers les zônes plus méri- dionales. La même loi s'applique à la déperdition de calorique par le rayonnement. Les animaux de petite taille et les petits des animaux, offrant, proportionnellement à leur vo- lume, plus de surface au rayonnement, perdent plus de chaleur que les animaux plus grands; aussi ont-ils propor- tionnellement un plus grand besoin de nourriture. Il serait tout-à-fait erronné de vouloir calculer, d'après ce que mange une souris, la quantité d'aliments necessaire à un éléphant, en ne tenant compte que du volume relatif des deux animaux. En effet, l'éléphant perd proportionnellement beaucoup moins de chaleur que la souris, non seulement par ce qu'il est protégé par un épais épiderme, très-mauvais conducteur, mais principalement parce que la surface rayonnante, par rapport au volume de son corps, est beaucoup moindre que chez la souris. Le besoin de nourriture se subordonnera done nécessairement à ces conditions. A cette occasion je vous ferai remarquer qu'on a très- souvent exagéré la quantité d'aliments qu'ont dû prendre 26 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. les animaux gigantesques de la faune antédiluvienne. Sans compter que beaucoup d'entr'eux étaient des animaux à sang froid, n'ayant par conséquent pas besoin d’une forte production de chaleur, les dimensions colossales de leur corps les préservaient d’une trop grande déperdition de ca- lorique. — Les enfants mangent plus que les adultes; — que de fois n’entend-on dire que c'est pour suppléer aux besoins de leur croissance! Il n’est rien de plus inexact. Le surplus de nourriture que prend l'enfant, est bien plus considérable que ne le comporterait l'augmentation seule du poids de son corps. L'enfant mange davantage surtout pour être à même de réparer la perte de chaleur beaucoup plus grande dans son petit corps que chez l'adulte. On voit donc que la quantité d'aliments nécessaire à la conservation de l’org'anisme, n’est par détérminée seulement par l’activité fonctionnelle et l'usure des tissus par le mou- vement, mais aussi et très-essentiellement par la somme de chaleur que les animaux doivent produire pour se main- tenir dans les conditions indispensables à l'entretien de la vie. Mais outre les organes présidant au mouvement et à la calorification que nous avons considérés presque excelusi- vement jusqu'à-présent, notre corps se compose d’une foule d'autres appareils et d’autres tissus qui n’ont jamais à en- gendrer de force vive et qui ne paraissent pas nonplus contribuer essentiellement à la production de la chaleur ; ce sont les os, les glandes, les membranes muqueuses, etc. Tous ces tissus ne sont pas stables, leur matière s’use, s’altère sans cesse; — autre source de déperdition qui re- quiert un renouvellement proportionné. La vie, en somme, est une oxydation, une décomposition non interrompue, et notre corps serait bientôt réduit à zéro, si les gains réa- lisés par l’introduction de nouveaux matériaux de rechange, venus du dehors, ne contrebalançaient les pertes qu’il subit à chaque instant. PREMIÈRE LEÇON. 27 Voltz a trouvé que sans faire de mouvements, à jeun et sans évacuations sensibles, il perdait par heure 50 grammes de son poids. Dans l'air sec la perte est plus grande. Tout compris, l'homme adulte perd environ 2800 gr. de son poids par jour. Beaucoup d'animaux perdent, relativement à l’homme, presque le double; on a trouvé des différences s'élevant jusqu'à la proportion de 1,83 (pertes de l’animal) à 1,00 (pertes de l'homme). De toutes ces pertes naît un état général qui affecte les _ centres nerveux d’une manière particulière et que nous re- connaissons par les sensations de la faim et de la soif. L'étude de ces sensations et les discussions qui ont été sou- levées relativement à leur origine, soit dans les centres, soit à la périphérie, formeront le sujet de la prochaine leçon. | SE Mange 4e asie er étseres Eee MT. DT SR Dr Co NT MR vas oieninls MG RE NES NS À Sade APR me dur cer AR ARRMRT. DU Se ET Ho he sont: gala RUE Mel fer ititaaes an, Dr Bien DO EL À “qu rer Se ju Ft À x sega PA are à à À ones TE dit SET Æ ESS HN Ent deee Me D Er) HE: na tete sait EURE tt sn PGA REN TE DEL De or 2, DEN DEUXIÈME LEÇON. Sommaire : De la faim et de la soif, — Ces sensations sont-elles d'origine locale ou ge- nérale ? — Perception de la faim dans l'estomac, — Exceptions. — Discussion des theo- ries mécaniques de la faim. — Influence de la yacuité et de la réplétion de l'estomac, etc. — Hypothèse de Beaumont. — Influence de la réaction acide du suc gastrique sur la production de la faim. — La faim persiste après la section de tous les nerfs sensibles de l'estomac. — Preuves de l’origine générale de la faim, tirées des phénomènes de l'inanition et de l'apparition de la faim chez le nouveau-né. — Preuves de l’origine générale de la soif. Messieurs , Nous avons été conduits, par les considérations prélimi- uaires exposées dans la dernière leçon, à admettre une usure continuelle de nos organes par la vie et une destruction de leurs éléments anatomiques, suite nécessaire de leur acti- vité fonctionnelle. Cette usure et cette destruction sont causes de modifications importantes de la composition du sang. D'une part les produits de la décomposition chi- mique des tissus, Corps désormais inutiles à la fonction de l’organe dont ils procèdent, sont emportés par le courant circulatoire; d'autre part les tissus appauvris, altérés dans leurs propriétés normales, empruntent au sang qui les baigne 30 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. les matériaux aptes à les reconstituer. De là une double al- tération de ce liquide: augmentation des corps excrémenti- tiels, inutiles à la vie, et diminution des éléments utiles et réparateurs des tissus. On conçoit que cette altération, ar- rivée à un certain degré, ne peut rester sans influence sur ce que nous appelons l'é{at général, ou, en d’autres termes, que les centres nerveux doivent subir l'impression du sang appauvri et réagir à cette impression par une sensation par- ticulière et de nature générale. J'appuie avec intention sur les effets seuls de l'appauvris- sement du sang, car nos moyens actuels sont loin de nous mettre en mesure d'apprécier exactement l'influence exercée sur les fonctions générales par l'accumulation dans le sang des matériaux usés par les organes. Ai-je besoin de vous démontrer que les centres subissent en effet l’influence de la composition chimique du sang ? Chacun de vous sait que les maladies qui sont accompa- œnées d’un excès ou d’un manque de certains éléments con- stitutifs du sang (comme la fibrine, l’eau, etc.), se caractéri- sent par des symptômes généraux, proportionnés à la gravité de l’altération sanguine. Or les symptômes particuliers qui nous font connaître cet appauvrissement du sang résultant de l'exercice régulier de nos organes, sont ce que nous désignons sous le nom de sensations de la faim et de la soif. À première vue, rien ne semble plus simple que de rap- porter directement ces sensations à l'altération de la masse sanguine; mais les théories qui ont voulu assigner à la faim et à la soif une origine toute locale, n’ont pas fait défaut; nous aurons par conséquent à examiner en premier lieu la valeur de ces théories, et à démontrer ensuite, par des preuves plus positives, l'origine générale de la faim. Les phénomènes de la faim prolongée et les altérations qui en résultent dans les tissus et dans les organes, appar- tenant plutôt à l'étude de la nutrition qu’à celle de la diges- DEUXIÈME LECON. 31 tion, nous ne ferons pas ici l’histoire complète de la faim et de la soif, nous bornant à rechercher les causes de la sen- sation subjective, avant la période d’inanition proprementdite. Et d’abord, on admet assez généralement que la faim est perçue dans l'estomac, premier argument en faveur de l'ori- gine locale de cette sensation. Mais le siége d’une sensation prouve-t-il à lui seul que l’altération qui lui donne naissance, soit située dans l'organe d’où part la sensation? Ne savons- nous pas au contraire qu'une altération des troncs nerveux qui réunissent l'organe en question avec les centres, ou une altération des centresnerveux eux-mêmes peuvent être perçues à la périphérie? La localité qui perçoit, n'est pas nécessai- rement celle qui engendre la sensation, car celle-ci pourrait même naître ailleurs, à la périphérie, et être rapportée à l’or- gane en question, dans notre cas à l'estomac, par action réflexe. D'ailleurs, est-ce toujours vraiment dans l'estomac que nous sentons la faim? J’ai eu occasion d'interroger sur ce point un certain nombre de militaires, me tenant de préfé- rence à des individus sans connaissances anatomiques, pour ne pas obtenir de réponses influencées par une localisation involontaire de la sensation. Plusieurs m'indiquèrent vague- ment le cou ou la poitrine, 23 le sternum, 4 ne surent lo- caliser la sensation dans aucune région déterminée, et 2 seulement me désignèrent l'estomac comme siége de la faim. C'étaient deux infirmiers, ayant par conséquent une teinte de connaissances anatomiques. Ces chiffres sont trop petits pour être concluants; ils montrent cependant que la loca- lisation de la faim dans l'estomac n’a pas lieu chez tout le monde et que c’est au contraire l'estomac qui est le plus rarement désigné comme siége de la sensation. On a dit que la faim se manifestait chaque fois que l’es- tomac ne renfermait plus d'aliments. La vacuité de l'organe en serait donc la cause véritable. Or nous savons déjà par les observations de Beaumont sur un Canadien atteint de 32 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. fistule stomacale (observations sur lesquelles nous aurons encore souvent à revenir) que l'estomac se vide complète- ment plusieurs heures avant le retour de la faim, laquelle ne se fait sentir que lorsque non seulement la digestion sto- macale, mais aussi la digestion intestinale est achevée. Chez les animaux carnivores qui n'ont pas été trop abondamment nourris, la digestion stomacale peut être achevée déjà au bout de 4 à 5 heures; ordinairement elle l’est au bout de 6 à 7 heures, et pourtant les signes de la faim ne repa- raissent que beaucoup plus tard. — Ce n’est donc pas la vacuité de l'estomac qui nous révèle le besoin de manger; à ce compte, les animaux herbivores n'auraient jamais faim. On sait en effet que p. ex. les cochons d'Inde mangent 3 ou 4 fois par jour, avec tous les signes de l'appétit, lors même que leur estomac est encore rempli des résidus des repas précédents. L’estomac des lapins est toujours plein ; il ne déverse une partie de son contenu qu’à l’arrivée de nou- veaux aliments qui font naître des contractions du viscère. Il n’est possible d'évacuer entièrement l'estomac des lapins qu'en leur faisant avaler du gypse ou du sable; autre- ment les résidus alimentaires y séjournent sans se dé- placer jusqu'à deux semaines. C'est ce que j'ai observé dans des expériences sur des lapins que je nourrissais par des injections de nutriments (substances directement assimila- bles) dans les veines ou dans le rectum. Les aliments dis- sociés et liquefiés passaient peu-à-peu dans l'intestin, mais il restait toujours dans l'estomac une masse composée de résidus indigestes, ne donnant plus d'extrait nutritif et pro- venant essentiellement de la trame celluleuse des végétaux ingérés au dernier repas. La sensation de la faim a été ensuite attribuée aux co”- tractions de l'estomac vide, contractions qui en comprime- raient la membrane muqueuse et qui seraient perçues comme impression particulière. Mais outre qu’ une compression de cette Intensité est impossible dans l'estomac vide, puisqu'il DUEXIÈME LEÇON. 33 manque la masse musculaire pour l’effectuer, les mouve- ments de l'estomac vide sont rares et beaucoup moins éner- giques qu'ils ne le sont pendant la digestion. La compression de la muqueuse, invoquée par l'hypothèse, est d’ailleurs bien plus prononcée dans l’estomac rempli d'aliments, et, en raison- uant ainsi, il serait difficile de comprendre comment certains animaux qui ont l'habitude de distendre démésurément leur estomac (comme p. ex. les marmottes), n’ont pas la faim la plus intense immédiatement après les repas. On a cherché une cause plus directe de la faim dans la compression des nerfs sensibles des parois stomacales, pro- duite par la réfraction de l'organe vide. Cette hypothèse n’est pas plus justifiée que la précédente. Les contractions de l'estomac, vers la fin de la digestion, sont incompara- blement plus fortes et devraient en comprimer bien plus énergiquement les nerfs sensibles que la faible rétraction qui s'opère quand il est vide. On sait que c'est surtout la portion pylorique de l'estomac qui, par ses contractions al- ternantes, chasse le chyme dans l'intestin vers la fin de la digestion. Ces contractions devraient donc, selon l’hypo- thèse, reproduire périodiquement la faim quelques heures après chaque repas, ce qui n’a pas lieu. On a invoqué encore une espèce de frottement continuel, de trituration des parois de l'estomac vide, l’une contre l’autre, pour expliquer la sensation de la faim. Nous savons aujourd'hui que rien de semblable n’existe chez les animaux à estomac membraneux et que chez les oiseaux à estomac corné la trituration n’a lieu que pendant la digestion. En- core cette trituration ne peut-elle réveiller aucune sensation, puisque, chez les animaux en question, l’épaisse couche de tissu corné qui tapisse la cavité stomacale est entièrement dépourvue de nerfs. Il n’est pas rare de trouver dans l’es- tomac de ces animaux des pierres, des morceaux de verre cassé, dont la présence ne paraît éveiller aucune sensation désagréable. TOME PREMIER 3 34 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Une autre explication que nous ne mentionnons que pour compléter cette exposition des théories mécaniques de la faim, a été tirée du fait que cette sensation n’est pas exactement localisée dans la région de l’estomac, mais se répand plus ou moins dans toute l'étendue des insertions du diaphragme. On s’est représenté l'estomac rempli d’ali- ments comme une espèce de coussin sur lequel repose le foie. Ce coussin venant à manquer, par l’affaissement de l'organe vide, le foie tomberait en vertu de sa pesanteur et exercerait ainsi sur le diaphragme une traction qui réveillerait la sensation de la faim. L’absurdité de ce raison- nement saute aux yeux, puisqu'il n’est adapté qu’à l’homme et aux animaux à station verticale. Beaumont croyait que dans l'estomac à jeun, les glandes ne pouvant verser au dehors les produits de leur sécrétion, il s'en suivait une certain gonflement de la muqueuse qu'il envisageait comme cause de la faim. Ce gonflement pro- duirait, selon Beaumont, une espèce de sollicitation, récla- want l'introduction de substances alimentaires dans l'esto- mac, le contact de ces dernières pouvant seul donner issue aux liquides sécrétés par les follicules. Les lois de la sécré- tion du suc gastrique, que nous étudierons plus tard, sont en opposition formelle avec cette manière de voir. En effet, la sécrétion du vrai suc gastrique, à propriétés dig'estives, ne précède pas l'ingestion des aliments, mais lui est posté- rieure. Cette sécrétion n’a lieu ni dans les intervalles entre les digestions ni pendant l’abstinence, et réclame, comme condition première, l'absorption préalable de certaines subs- tances contenues dans les aliments. Il ne peut donc jamais y avoir, comme le croit Beaumont, une accumulation de suc gastrique dans les glandes de l'estomac vide, d'autant moins que le conduit excréteur de ces glandes est toujours ouvert. On peut d’ailleurs irriter mécaniquement la mu- queuse de l'estomac vide et faire sécréter un liquide abon- dant à ses follicules, sans que la faim cesse. DEUXIÈME LEÇON. 35 Quelques auteurs ont attribué à la réaction acide du suc gastrique et à l'irritation de la muqueuse, produite per cet acide, le renouvellement périodique de la faim. Il croyaient pouvoir se fonder sur certaines formes d’affections stoma- cales, où, à côté d’une sécrétion très-abondante d’acide dans l'estomac, il existe un besoin fréquent de manger. Nous verrons que ce besoin n’est pas réellement de la faim, ces malades, à la vérité, mangent souvent, mais peu à la fois. — Assurons-nous directement de la réaction de la muqueuse stomacale dans l’état à jeun et pendant la digestion. Cet examen nous permettra de juger à sa véritable valeur l'hypothèse qui nous occupe. Voici un chien auquel j'ai pratiqué une fistule stomacale il y a vingt mois, après lui avoir enlevé la rate il y a deux ans. Cet animal n’a pas encore mangé aujourd’hui et son estomac, exploré par la fistule, ne contient qu'un os. Le liquide qui s'écoule par la fistule rowgit très-faiblement le papier de tournesol. Je vais faire donner à manger à ce chien, et après une demi-heure nous examinerons de nou- veau la réaction du liquide stomacal. Chez cet autre chien, à fistule stomacale, nourri exclusive- ment avec du riz depuis plusieurs semaines, et qui n’a pas encore mangé aujourd'hui, le liquide retiré de l’estomac vide présente une réaction acide presque nulle. Nous répéterons cet examen quand l'animal sera en digestion, et nous ver- rons que l'acidité de l'estomac sera bien prononcée. En règle générale, l'estomac vide présente une réaction légèrement acide; quelquefois elle est neutre, rarement alcaline. Chez l'homme à jeun cependant l’alcalinité est plus fréquente, parcequ'au liquide sécrété en très-petite quantité par l’estomac se mêle toujours une proportion notable de salive avalée dont la réaction est alcaline. Du moment que le suc gastrique prédomine, la réaction devient distincte- ment acide. En provoquant une sécrétion salivaire plus abondante chez le chien, nous pouvons à volonté alcaliniser 36 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. l'estomac. — Dès le commencement de la digestion, la réaction de l'estomac devient franchement acide. Ce serait donc manquer de logique que de vouloir expliquer la faim par un phénomène à peine appréciable dans l'estomac vide et augmentant d'intensité par l’ingestion des aliments. Encore moins chercherons-nous la solution du problème dans les particularités physiques de la muqueuse stomacale, dans sa couleur, son degré d'injection, sa turgescence, etc. La muqueuse stomacale du chien est pâle dans l'état à jeun, rouge pendant la digestion. Mais il est facile de pro- duire la coloration rouge aussi en dehors de la digestion, par l'introduction de corps étrangers , inertes, qui peu- vent apaiser la faim momentanément, mais ne la calment pas à la durée. Nous savons que dans le catarrhe de l’es- tomac la muqueuse est plus rouge qu'à l'ordinaire, malgré l’abolition complète de l’appétit. Après avoir exclu de cette manière toutes les théories qui tendent à localiser dans l'estomac ou dans les organes voisins la sensation de la faim, nous pouvons établir par des preuves directes et positives que malgré l'existence d'une sensation plus ou moins confuse à la périphérie, sen- sation qui n’a rien de constant et qui manque chez beaucoup d'individus , la faim est essentiellement d’origine générale et indépendante des terminaisons des nerfs de l'estomac. Les seuls nerfs Zistinctement sensibles de l'estomac sont les poeumogastriques; quand ils sont coupés, l'estomac est insensible aux irritations qui auparavant réveillaient des sensations vives et immédiates. L'expérience démontre que les filets gastriques du grand sympathique ne conduisent que des impressions sensibles se révélant par des phéno- mènes réflexes, éardifs à se montrer et inconscients. Toutes les sensations que nous éprouvons généralement dans l’es- tomac, nous viennent donc par les nerfs pneumogastriques. Or si après la résection de ces nerfs on réussit à conserver les animaux assez longtemps pour laisser passer les désordres DEUXIÈME LECON. 37 généraux et l’anorexie qui suivent nécessairement toute opé- ration grave, on voit la sensation de la faim se reproduire comme à l’état normal. Sédillot a conservé des chiens, après cette opération, pendant plusieurs semaines et assure avoir observé chez eux les signes les plus indubitables de la faim. Les animaux une fois rétablis se pressaient autour du gar- dien chargé de leur distribuer la nourriture avec la même impatience qu'avant l'opération. Nous avons été moins heureux que Sédillot, et nos chiens n’ont pu être conservés que six jours au plus tard; néanmoins nous avons pu Con- firmer pleinement les résultats de Sédillot, quand au rétablis- sement de l'appétit des animaux, aussitôt les effets généraux de l'opération passés. Le fait est bien plus évident chez le cheval qui présente la particularité de réagir moins vive- ment à la section de la paire vague et qui continue à manger immédiatement après l'opération. Longet considère les ganglions du grand sympathique comme la voie par laquelle la sensation de la faim est probablement transmise au centre nerveux. Mais outre que ces ganglions ne président pas, comme nous l'avons in- diqué tout-à-l'heure, à la sensibilité distincte et consciente de l'estomac, on peut couper ou extirper les différents rameaux et les masses ganglionnaires par lesquelles le œrand sympathique communique avec l'estomac, sans abolir les manifestations de la faim. Brunner et plus tard Hensen ont fait la section des nerfs splanchniques et les animaux continuèrent à manger avec tous les signes de l'appétit. Chez des lapins j'ai coupé les deux pneumogas- triques, les deux sympathiques, et extirpé les ganglions cæliaques, et souvent j'ai conservé les animaux cinq à Six jours pendant lesquels ils mangeaient et digéraient très- bien. J'aurai à revenir sur ces expériences quand je trai- terai de l'influence des nerfs sur les différentes fonctions de l'estomac, et je démontrerai que ces opérations n’abolissent pas la digestion. — La section des pneumogastriques sous 38 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. le diaphragme, que j'ai pratiquée d'après une méthode par- ticulière et de manière à tailler tous les rameaux gas- triques et hépatiques, a été suivie des mêmes résultats, avec la seule différence que l'opération étant moins grave, l'observation à pu être continuée pendant plusieurs mois. Les animaux, pendant tout ce temps, montrèrent le retour régulier de l’appétit, absolument comme des animaux sains. A l’autopsie, faite plus tard, je trouvai toutes les fibres ner- veuses dégénérées au dessous de leur section, preuve que l'opération avait bien réussi. Un phénomène longtemps inexpliqué que l’on observe assez souvent après la section de la paire vague au cou, a donné lieu à une autre interprétation des manifestations de la faim qui se montrent chez les animaux rétablis des suites immédiates de l'opération. Il arrive dans certains cas que les sujets opérés recommencent à manger avec avidité; mais presque aussitôt des vomissements se déclarent; les masses rejetées sont reprises immédiatement et régurgitées encore, et ainsi les animaux mangent et vomissent presque incessamment avec l'apparence d’une faim insatiable. Ne connaissant pas le véritable mécanisme de ce vomissement, quelques auteurs en ont conclu que les animaux, après la section des pneumogastriques, ne mang'eaient que par gour- mandise, parceque leur goût était excité par la vue et l'odeur des aliments, et que ne sentant plus leur estomac, ils continuaient à avaler de la nourriture jusqu’à la vomir, l’anesthésie de l'estomac, dans ce cas, ayant aboli la per- ception de la faim et de la satiété. — Nous aurons à revenir plus tard sur ce phénomène et nous verrons que les vomis- sements dans ces conditions ne sont qu'apparents, que l’es- tomac n’y prend aucune part et qu'ils ne sont que l'effet mécanique de la constriction de la portion inférieure de l’æsophage, consécutive à l'opération. Cette constriction in- tercepte le passage des aliments qui s’accumulent peu-à-peu dans l’œsophage, le distendent et finissent par être régur- DEUXIÈME LEÇON. 39 gités, lorsque la distension a atteint un trop haut degré. ‘Les substances avalées, vomies et reprises par l'animal, n’arrivant pas à son estomac, ne le nourrissent pas en réalité et il reste affamé tout en ayant l'air de beaucoup manger. J'ai nourri des animaux qui se trouvaient dans cet état, en forçant le rétrécissement œsophagien à l'aide d'une sonde par laquelle je portais de la nourriture directement dans l'estomac. Dès que les animaux avaient reçu, de cette ma- nière, une portion suffisante d'aliments, la boulimie cessait et ils ne vomissaient plus. Il résulte en outre des expériences de Longet que des chiens qui avaient subi, de chaque côté, la résection des nerfs glossopharyngien et lingual et celle de la paire vague, ont mangé sans dégoût, en assez grande quantité, des substances alimentaires ramollies dans une décoction de coloquinte. Ces faits établissent encore une fois, avec plus d’évidence, que la section des pneumogastriques n’abolit pas la sensa- tion de la faim, engendrée, dans les exemples cités, par l'impossibilité matérielle de l’arrivée du bol alimentaire dans l'estomac. En général, toute lésion qui, dans l'organisme capable de digérer, met obstacle à l'élaboration normale et complète des matériaux destinés à réparer les pertes du sang, sera suivie d’une faim continue et dévorante. La clinique nous en fournit de nombreux exemples. Busch a publié l'observation d’une femme atteinte de plaie perforante du duodénum , à la suite de laquelle cette portion de l'intestin, largement ouverte, s'était sondée par ses deux bouts aux parois abdominales, formant ainsi une fistule à double ouverture communiquant d’une part avec l'estomac et de l’autre avec l'intestin. La malade était con- tinuellement en proie à la faim la plus atroce que rien ne pouvait assouvir. L’estomac digérait, absorbait, et néan- moins la faim persistait avec toute son intensité, parceque l'absorption intestinale était empêchée par suite de l’écou- 40 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. lement des matières par la fistule supérieure. Busch ayant fait passer des aliments par la portion inférieure de l'in- testin, la faim s’apaisa aussitôt. Les phénomènes de l’inanition nous fournissent d'autres arguments contre l’origine locale de la faim. L’estomac une fois vide, son état ne change plus, la faim au contraire augmente d'intensité le deuxième, troisième et quatrième jour. Où chercherons-nous les causes de cette exagération de la sensation, sinon dans l’altération toujours croissante du sang, affectant de plus en plus les centres nerveux? La première apparition de la faim chez l'enfant nouveau-né parle encore plus clairement en faveur de notre manière de voir. L’estomac du fétus normal ne contient pas de li- quide et reste vide après la naissance. Il ne s’y passe au- cun changement, et pourtant, au bout de quelques heures, l'enfant manifeste par son inquiétude et ses cris le besoin de nourriture qu’il éprouve. Que s'est-il donc passé pour pro- voquer cette première manifestation d’une sensation jusque là inconnue à l'enfant? C’est qu’évidemment il a perçu l’ap- pauvrissement graduel de son sang qui ne recevait plus de matériaux de rechange par le sang maternel. Disons toute- fois que l'estomac du fétus, au moment de la naissance, n’est pas toujours complètement vide et qu’il peut renfer- mer un peu de liquide amniotique. On a même prétendu que ce liquide formait la véritable nourriture du fétus; mais les recherches faites depuis le commencement de ce siècle ont prouvé que ce phénomène est tout-à-fait accidentel et que ce serait une erreur de le considérer comme règle gé- nérale. Encore moins peut-il jouer un rôle quelconque dans la nutrition du fétus. Comme du reste la sensation de la faim existe bien dis- tinctement dans les espèces animales dépourvues de cer- veau proprement dit et que l’on a vu des fétus humains anencéphales, c'est-à-dire complètement dépourvus de lobes cérébraux et de cervelet, vivre plusieurs jours en donnant DETXIÈME LEÇON. 4l des signes indubitables de faim, on ne saurait placer le centre de la sensation de la faim et l'instinct de la nour- riture dans une partie déterminée des circonvolutions des hémisphères, comme le veulent quelques phrénologistes. En opposition aux arguments qui prouvent que la sensa- tion de la faim est indépendante de l'état de l'estomac, on a dit, pour sauver l'origine locale de cette sensation, qu'à défaut d’impressions transmises par les nerfs de l’estomac, elle pourrait être produite par des impressions partant de l'intestin et dépendant peut-être de l'absorption intestinale; mais on voit bien que les preuves tirées de l’apparition de la faim chez le nouveau-né et de son intensité croissante dans l’inanition, réfutent toutes les hypothèses qui défen- dent l'origine abdominale de cette sensation. La faim ne peut être que l'impression d'un état général sur le centre de la sensibilité. La soif n'est pas plus que la faim une sensation locale, et le sentiment de sécheresse à la gorge qui l'accompagne ordinairement, n’a que la valeur d’un phénomène secondaire, analogue à la pesanteur des paupières qui annonce le som- meil. Dupuytren ayant fait courir des chiens au soleil, vit disparaître très-rapidement la soif qu'ils trahissaient par leur respiration rapide et leur langue pendante, en leur injectant dans les veines de l’eau et divers autres liquides. Les injections d’eau dans les veines ont eté employées avec succès chez l’homme, dans un cas d’hydrophobie rapporté par Magendie. Le malade, ne pouvant satisfaire la soif violente qui le tourmentait, à cause du spasme des muscles de la déglutition que produisaient la vue et le contact de l’eau, fut très-promptement soulagé par l'injection dans les veines de ce liquide. J’ai souvent désaltéré des animaux en leur iujectant de l’eau par une fistule inte- stinale. On a voulu voir dans l’apaisement momentané de la soif que produit l’humectation de l’arrière-gorge, la preuve de 42 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. l’origine locale de cette sensation. Mais dans ce cas il pour- rait y avoir déjà absorption par la muqueuse d'une quantité d’eau suffisante pour calmer la sensation pendant quelques instants. D'ailleurs l’anesthésie complète du pharynx laisse subsister dans leur intégrité les manifestations de la soif chez les animaux. Voici p. ex. un chat qui a subi la section bilatérale des nerfs glossopharyngien et laryngé supérieur, et qui boit tout comme un chat normal. Longet a coupé, chez des chiens, les nerfs glossopharyngien et lingual des deux côtés et il assure que ces animaux buvaient, après chaque repas, dans les mêmes proportions que de coutume. Sur quelques-uns d’entre eux il pratiqua, en outre, la résection des pneumo- gastriques dans la région cervicale, et la soif se fit néan- moins sentir, avec une grande vivacité, dès le lendemain de l'expérience, et surtout les jours suivants. La soif étant donc avant tout une sensation générale, provenant du manque d'eau dans le sang, et ne pouvant être identifiée avec le sentiment de sécheresse à l’arrière- gorge, il serait tout-à-fait oiseux d’en chercher la transmis- sion dans quelque autre nerf particulier, comme p. ex. dans les filets du grand sympathique, comme l'ont fait quelques auteurs. Tout démontre que la sensation pharyngienne /0- cale peut manquer et la soif néanmoins être très-vive. Pour terminer, examinons l'effet qu’a produit l’ingestion des aliments sur la réaction du suc gastrique de nos deux chiens. Vous voyez, messieurs, qu’actuellement le papier de tournesol est plus fortement rougi par le liquide extrait de l'estomac qu'il ne l'était par les liquides de l'estomac vide; en confrontant le produit des deux réactions, la différence est évidente. TROISIÈME LEÇON. Sommaire : Développements relatifs à l'origine centrale de la faim. — Faim pathologique (Obstacles dans les voies lymphatiques, rétrécissement du pylore ; brièveté de l'intestin, normal chez certaines espèces animales; fistules biliaires ). — La sensation locale de la faim est d’origine centrale. — Parallèle de cette sensation avec d'autres sensations « ex- centriques »; moyens palliatifs pour l’apuiser, — Distinction entre la faim et l'appétit. — Suppression de l'appétit avec persistance du besoin de nourriture, — Anorexie patholo- gique avec conservation de la faculté digestive. — Question de l'alimentation des blessés. Messieurs , Nous avons parcouru sommairement, dans la dernière leçon, les raisons principales qui militent en faveur de l’o- rigine centrale des sensations de la faim et de la soif. Permettez-moi de revenir aujourd’hui avec un peu plus de détails sur quelques-uns des faits qui démontrent que la sensation de la faim est indépendante de l’état local de l’es- tomac, que même l’accomplissement normal de la digestion stomacale et intestinale ne suffit pas à la faire disparaître et qu’elle ne cède, en définitive, qu'à l'absorption des matières digérées, lorsque celles-ci se mêlent au sang et rétablissent ainsi la composition des centres nerveux. : Déjà Morgagni a fait connaître un cas, observé par lui, 44 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. d’engorgement tuberculeux des glandes mésentériques, chez un individu tourmenté par une faim continuelle. Le malade mangeait et digérait, mais les produits de l’absorption in- testinale se trouvant arrêtés au niveau des glandes dégé- nérées, le besoin de nourriture persistait, malgré l'intégrité des fonctions digestives proprement dites. La casuistique clinique nous fournit d’autres exemples de cette faim pathologique. Tiedemann cite un cas, observé par Morton, de rupture du conduit thoracique. Ici encore la digestion était normale et l’absorption par les lym- phatiques s’effectuait régulièrement, mais les nutriments absorbés n'étant plus versés dans le courant de la circulation veineuse, le sang ne se renouvelait pas; aussi le malade accusait-il une faim permanente. Les rétrécissements du pylore, qui empêchent la progression du chyme dans l'intestin, sont accompagnés, comme on sait, de tous les phénomènes de l’inanition, avec les mani- festations d’une faim violente, à une époque où l'estomac peut encore se remplir et digérer normalement. Cabrol, Dionis, Pozzis, Albin ont décrit des cas venant seranger dans la même catégorie, de longueur insuffisante de l'intestin chez l’homme. Rien dans ces cas n’entravait le travail normal de la digestion, mais les matières digérées n'avaient pas le temps d'être absorbées en quantité suffi- sante, leur passage s’effectuait trop vite, il s'en perdait une partie avec les excréments, et les malades avaient faim. — Cet état de l'intestin, pathologique chez l'homme, est normal chez quelques oiseaux granivores. Aussi, pour Com- penser la durée insuffisante du travail digestif et quoique habitués à une alimentation très-riche en matériaux nutri- tifs, ces animaux sont-ils obligés d'en dévorer de très- grandes quantités. Quelques uns mangent jusqu'à un di- xième de leur propre poids par jour. La raison en est tou- jours la même; ils perdent une grande proportion de leur nourriture dans leurs déjections qui peuvent elles-mêmes TROISIÈME LEÇON. 45 servir aux repas de beaucoup d’autres animaux. Les grains qu’ils rejettent sont souvent si peu digérés qu'ils peuvent encore germer et se développer. On sait que les semences du gui (viscum album) après avoir passé par l'intestin de la grive, conservent la faculté de germer et de reproduire la plante qui devient fatale à une foule d'oiseaux, puisque c’est avec son suc que se prépare la glu des chasseurs. De là le proverbe romain: Z'wrdus ipse sibi malum caca. — Certains poissons dont l'estomac est très-petit, se trouvent dans le même cas que les oiseaux à intestin trop court, et mangent presque contmuellement. A l'observation déjà citée de Busch (Leçon IT) se ratta- chent les cas si fréquents en chirurgie d’anus contre na- ture. Personne n’ignore que ces ouvertures anormales de l'intestin produisent des troubles de nutrition d'autant plus graves qu'elles se trouvent plus à proximité de l'estomac, et que de plus grandes proportions de matières alimentaires ou stercorales s'écoulent au dehors, sans pouvoir servir à l'assimilation. Les fistules biliaires , en détournant de sa voie normale un des liquides intervenant activement dans la digestion intestinale, créent des désordres tout-à-fait analogues. Les animaux auxquels on a pratiqué des fistules biliaires, mangent énormément, deux et même trois fois plus qu'à l'état normal, et néanmoins beaucoup d’entre eux finissent par mourir d'inanition. Ici encore ce n’est pas la digestion proprement dite qui est troublée, mais l'absorption de cer- taines substances alimentaires qui ne trouvent plus dans l'intestin l'agent destiné à modifier mécaniquement leurs qualités physiques, de manière à les rendre accessibles à l'absorption. — Je ne citerai qu'à titre d'exception les faits de conservation de plus longue durée des animaux porteurs de fistules biliaires. C'est ainsi que Blondlot réussit à con- server pendant cinq ans une chienne affectée de cette lésion. Dans une autre partie de ce cours, qui traitera de la di- 46 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. gestion intestinale, nous aurons à nous occuper des causes de l’augmentation de l'appétit chez les animaux ayant subi l’extirpation de la rate, et je démontrerai que cette aug- mentation tient à des causes analogues à celles que nous venons de considérer, c’est-à-dire, à une diminution du pouvoir digestif d’un district important de l'intestin. De tout ce qui précède, il résulte que la faim est en rapport inverse non pas avec la quantité de nutriments produite dans le tube digestif par l'élaboration des aliments, mais bien avec celle qui pénètre dans la masse du sang après avoir passé par les voies de l'absorption. Il est une expérience qui démontre ce principe de la ma- nière la plus décisive. Si l’on injecte dans le sang d'animaux affamés et en quantité suffisante des matières alimentaires artificiellement modifiées, de manière à les rendre directe- ment assimilables et à en faire par conséquent des utri- ments, non seulement la faim des animaux s'apaise, mais ils se nourrissent parfaitement, sans avoir besoin de manger. C'est en quelque sorte la reproduction de l’expérience de Dupuytren qui, en injectant de l’eau dans les veines de ses chiens altérés, vit disparaître chez eux les signes de la soif. Si tous les faits exposés jusqu'ici concourent à nous faire regarder la faim comme une sensation d’origine générale, il n’en est pas moins vrai qu'elle est accompagnée, chez un grand nombre d'individus, d’une sensation particulière à la périphérie, perçue le plus souvent sous le sternum et dans la région épigastrique. Quelle est l’origine de cette sensation? Tient-elle à un état particulier de l'estomac et ses caractères sont-ils ceux d’une sensation purement locale? À cela nous croyons devoir répondre négativement. — Son siége si variable, son absence constatée dans beaucoup de cas, la facilité avec laquelle elle cède aux irritations péri- phériques artificielles, sont autant de raisons qui indiquent qu'il s’agit ici d’une sensation tenant non pas à une modi- fication locale de l'estomac, mais à une altération quel- TROISIÈME LEÇON. 47 conque des centres nerveux, perçue à la périphérie, à la manière des sensations dites excentriques. Pour n’en citer qu'un exemple, les malades affectés de tumeurs cérébrales ne se plaignent-ils pas souvent de douleurs sourdes dans les extrémités, de fourmillements, d’hallucinations ?(1). Or il n’est pas indispensable que l'irritation des centres soit de nature mécanique; elle peut tout aussi bien provenir d'une altération chimique, d’un changement de composition de la masse du sang. Dès lors on conçoit que la diminution des éléments constitutifs du sang qui nous fait sentir le besoin de nourriture, puisse aussi se trahir par des altéra- tions de la sensibilité locale, sans que la localité où nous percevons cette altération soit directement affectée. Ce qui donne un certain poids à cette conjecture, c’est qu'il n’est pas excessivement rare d'observer des lésions profondes de l'estomac, des destructions cancéreuses du cul de sac, de la région pylorique, de la petite et de la grande courbure, sans que les malades aient cessé de percevoir la sensation gastrique spéciale qui annonce la faim. (1) Les altérations des centres peuvent se révéler non seulement par des sensations, mais aussi par des mouvements excentriques. C'est ainsi que l’on produit une série de mouvements spasmodiques, en soulirant à un animal une grande quantité de sang el en l'injectant de nouveau dans ses veines après l'avoir défibriné. On voit alors apparaître des contractions fasciculaires de beaucoup de muscles, le tremblement, des convulsions générales, le hoquet et le vomissement, et l’on peut prouver, du moins pour les con- xulsions, que ni les muscles ni les nerfs ne sont en aucune façon affectés localement Si durant les convulsions on fait d’un côté la section du nerf sciatique, l'extrémité cor- respondanle reste en repos, landis que l’autre continue à prendre part aux convulsions générales. Il est évident que si les contractions dépendaient d’altérations locales des muscles ou des nerfs, elles ne cesseraient pas dans ce cas. — D’aulre part nous avons, dans différentes maladies, des exemples frappants de mouvements géneraux dépendant d’altérations locales. Ainsi chez les animaux empoisonnés par la résorption d'une grande quantité de matières biliaires on voil, au moment de la mort el immédiatement aprés la mort, se déclarer des contractions musculaires qui ne cessent pas par la réseclion des lroncs nerveux et qui par conséquent sont d’origine périphérique. Les mouvements au- tomaliques qui se montrent au moment de la mort dans le choléra, la fièvre jaune, el dans certaines formes d’hépalite, et qui souvent se renforcent après la mort, doivent être rangés dans la même catégorie. 48 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. La désignation de sensation gastrique qui est employée par beaucoup de physiolog'istes n’est du reste justifiée que pour un certain nombre d'individus, comme j'ai déjà eu l’oc- casion de le faire observer précédemment. J’ai connu trois personnes, grand-père, père et fils, qui accusaient la sen- sation de la faim exclusivement dans l'arrière-g'orge, ce qui semblerait indiquer que dans le mode particulier de perce- voir cette sensation, l’hérédité peut jouer un certain rôle. Beaucoup de personnes, interrogées sur l'endroit où elles sentent la faim, montrent le sternum. D’autres encore, n'éprouvant qu'une sensation générale indéfinie, ne se ren- dent pas exactement compte de leur état, surtout si elles sont préoccupées par autre chose; elles se sentent faiblir et n’en comprennent la cause que si quelque circonstance extérieure leur rappelle la nécessité de prendre de la nourriture. La cause d’une sensation aussi variable dans ses manifestations ne peut pas être sous la dépendance d’un seul organe et nous ne risquons pas de nous tromper si nous la cherchons plutôt dans les parties centrales où se réunissent les nerfs sensibles des différentes localités qui peuvent, en apparence, être affectées par la faim, c’est-à-dire, dans la moelle al- longée, un peu au dessus des racines des nerfs pneumo- gastriques. Ainsi, quoique la sensation locale de la faim ne soit pas identique avec la faim elle-même, aussi peu que la séche- resse de l’arrière-orge l’est avec la soif, elle n’en imprime pas moins à la sensation son cachet physiognomique par lequel l’animal reconnaît l'existence du besoin de nourri- ture, et à ce point de vue elle ne perd pas de son impor- tance, si même elle ne réside pas dans l'estomac. Quelques physiologistes ont fait le raisonnement suivant: La sensation particulière siégeant dans la région épigas- trique et qui n’est autre chose que la manifestation limitée et localisée d'un état général, le prodrome des nombreux phénomènes de la faim, doit néanmoins tenir à un état par- TROISIÈME LEÇON. 49 ticulier de l'estomac, car par la compression exercée sur cette région, par l'introduction dans l'estomac de matières uon alibiles, on peut la faire disparaître sans que pour cela la faim réelle disparaisse. Or que nous enseignent l'expérimentation et l'observation clinique? C'est qu'une sensation purement périphérique est toujours plus puissante qu'une sensation excentrique. Si chez un malade affecté de tumeur cérébrale, qui accuse en même temps des douleurs excentriques dans les membres, on fait transmettre au nerf sensible du membre douloureux une impression forte, produite à la périphérie par action mécanique, p. ex. par une pression vigoureuse exercée avec ja main, il n’est pas rare de voir disparaître la douleur. Beaucoup de névralgies sont momentanément calmées et inême supprimées par l’application d'une douleur extérieure. C’est l'impression périphérique qui prévaut sur la sensation d’origine centrale. Eh bien! si nous appliquons ce principe à la sensation sto- macale de la faim, pour nous renseigner sur son origine locale ou centrale, ne voyons-nous pas se produire exacte- ment le même soulagement par l'effet des agents extérieurs? Aïnsi la constriction de la région épigastrique au moyen d’une ceinture bien serrée apaise momentanément la faim, comme chacun sait. C’est encore l'irritation périphérique de la peau qui masque pour quelque temps la sensation ex- centrique. La même explication vaut pour l’ingestion de substances inertes, de pierres, de sable, moyen palliatif qui malheureusement n'a été que trop souvent expérimenté contre la faim en temps de disette; ici c'est l'irritation locale appliquée aux nerfs sensibles de la cavité stomacale qui se substitue à la sensation transmise des centres. On voit donc que l'opinion qui regarde la sensation épi- astrique de la faim comme dépendant d'un état local de l'estomac, parcequ'il existe des moyens palliatifs locaux pour l’apaiser, est fondée sur une erreur de raisonnement, TOME PREMIER 4 50 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. et que c'est précisément le contraire que nous enseigne l’analogiie. L'observation journalière nous offre d’autres exemples frappants de cette propriété des sensations centrales de pouvoir être masquées par une impression vive perçue à la périphérie. Personne ne doute que le sommeil soit un besoin général; et pourtant ce besoin se manifeste surtout et avant tout par une sensation particulière dans les yeux, de la pesanteur et des démangeaisons aux paupières, souvent accompagnées d’une injection plus marquée de la conjonc- tive. Or rien n’est plus facile que de supprimer pour quel- ques instants la sensation du besoin de dormir, en donnant le change, par des moyens extérieurs, à la sensation locale siégeant dans les yeux. L'eau froide appliquée sur les pau- pières est le révulsif par excellence contre les approches du sommeil. Remarquez que ce moyen, pas plus que l’ingestion de corps inertes dans la faim, n’est un remède radical; aus- sitôt l'irritation extérieure passée, le besoin général reprend le dessus et n’est réellement apaisé que par son remède naturel, le sommeil. — Ce qui prouve du reste avec quelle facilité les besoins généraux de l'organisme sont involon- tairement identifiés avec les sensations locales qui nous les révèlent , c’est qu’au début de certaines ophtalmies, s’an- nonçant par de la pesanteur et des démangeaisons aux paupières, beaucoup de malades croient avoir continuelle- ment sommeil, sans avoir réellement besoin de dormir. — Le corollaire de cette observation, quant à l'estomac, a été déjà mentionné précédemment. Dans la dyspepsie, le pyrosis, maladies accompagnées de sensations anormales à l'estomac, il n’est pas rare d'entendre les patients se plaindre à tout propos d’avoir faim. Il mangent souvent, mais pe à la fois, précisément parceque la sensation locale, prise involontairement pour l'expression de la faim, ne correspond pas à un besoin réel de l’organisme. Nous nous sommes servi jusqu'ici indifféremment des TROISIÈME LEÇON. 5l ‘expressions faim et appétit, qui, dans le langage ordinaire, ne désignent en effet que des nuances de la même sensa- tion. S'il s'agissait de définir plus rigoureusement ce que nous entendons par faim et appétit, distinction qui, toute scolastique qu’elle paraît, n’en a pas moins un certain in- térêt pratique, nous dirions que la faim est la sensation du besoin de manger, tandis que l’appétit n’est que la sensation agréable que se lie à l'idée de manger et qui réveille en nous le désir de manger. Dans l'immense majorité des cas, ces deux sensations n'en forment pour ainsi dire qu'une, et on se sent de l'appétit parcequ'on a faim. Toutefois, aux termes de notre définition, la faim et l'appétit ne sont pas identiques et ne coïncident pas nécessairement. En effet, la première peut exister sans le second et vice-versa nous pouvons convoiter, par simple gourmandise, un aliment dont notre corps n’a pas réellement besoin. Le premier cas ne se rencontre guère qu'à l’état de ma- ladie et l’on pourrait s'attendre à le voir se réaliser dans les affections des centres nerveux. Cependant nous n’en connaissons d'exemples authentiques que dans les maladies du tube digestif. Les malades dont il s’agit ont la cons- cience de l’appauvrissement de leur sang, ils savent qu'ils auraient besoin de se restaurer et ils se sentent faiblir par la faim qu'ils éprouvent; mais ils ne sont pas disposés à manger; l’idée de prendre de la nourriture leur répugne, et s'ils essaient de vaincre leur dégoût, il ne fait qu'augmenter par l'ingestion des aliments. — Comment expliquer cette suppression de l'appétit? — On sait que le plaisir de manger et par conséquent l'appétit n'existent que grâce au sens du goût qui est agréablement affecté par les aliments. L’appétit est donc intimément lié à l’état de la muqueuse gustative; des troubles locaux qui en altèrent la sensibilité spéciale ou qui, sur un point quelconque des voies digestives, font naître des sensations pathologiques au contact des aliments, doivent en conséquence abolir l’appétit. Un goût amer ou 52 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. repoussant sur la langue, l'empâtemeut de la bouche, ré- sultant p. ex. de la propagation d'un catarrhe stomacal sur les portions supérieures des voies digestives; une trop srande sensibilité du cardia, donnant lieu à des mouvements réflexes et à des nausées au passage des aliments; les gas- tralgies accompagnées d'une accumulation de suc acide dans l'estomac; toutes ces causes peuvent faire disparaître l'appétit sans abolir nécessairement la conscience de la faim. Les mêmes phénomènes s’observent sur les animaux chez lesquels il est plus facile, comme nous le verrons, de constater l'intégrité des fonctions digestives, lors même qu'il existe de l'anorexie. Il n’est quelquefois pas sans im- portance pour le médecin de décider, dans un cas donné, si le manque d'appétit qu'accuse le malade dépend simple- ment d’une altération de la sensibilité, ou s'il tient à un dérangement plus profond, à une véritable suspension des fonctions digestives. La sémiotique ne nous fournit malheu- reusement aucune donnée certaine à cet égard et nous sommes réduits à l'expérimentation pour nous fixer sur le diagnostic et le traitement. ; Ceci nous conduit à une autre question à laquelle nous avons déja touché il y a un instant sans nous y arrêter. Est-il vrai, comme on le croit assez généralement, que lorsqu'un malade refuse de manger, sa digestion soit af- faiblie ou nulle, et vice-versa, toutes les fois que l'appétit existe, la digestion est-elle normale? Théoriquement et d’a- près tout ce que nous venons de voir, nous pourrions ré- pondre négativement pour les deux cas, mais pratiquement le contraire n’est démontrable que pour le premier cas. Encore ne puis-je vous citer d'exemples décisifs que ceux tirés de l'observation des animaux malades. Chez des chiens porteurs de fistules stomacales, il est en effet possible de contrôler à chaque instant le pouvoir digestif de l'estomac et de juger si l’anorexie accusée par l'animal, est d'origine dyspeptique ou non. Eh bien, j'ai constaté fréquemment CON ET TROISIÈME LEÇON. 53 chez ces animaux une absence totale d'appétit, produite par des ôpérations graves ou par une autre cause quelconque, et lorsque j'examinais la force digestive de leur estomac, elle équivalait, sous tous les rapports, à celle d'animaux de même taille, parfaitement sains et jouissant de la pléni- tude de leur appétit. Ce phénomène s'observe quelquefois après des opérations qui ne compromettent nullement les organes de la digestion, comme p ex. la résection du nerf sciatique ou les sections transversales de la moelle épinière. Les animaux opérés de la sorte refusent de manger et ce- pendant des aliments introduits dans leur estomac et reti- rés par la fistule au bout d'un certain temps, se montrent parfaitement digérés. Le même fait a lieu immédiatement après l'établissement d’une fistule stomacale et après d’autres opérations sur l'estomac, qui provoquent des vomituritions continuelles, comme p. ex. la ligature du pylore. Si dans ces derniers Cas, on empêche le vomissement par la liga- ture de l’œsophage, on peut se convaincre, du moins dans les premières heures, que la digestion s’accomplit malgré les mouvements convulsifs qui de temps en temps agitent l'animal. Mais il arrive un moment où à l’anorexie déja existante vient se joindre une cause plus directe, c’est-à- dire l'arrêt de la fonction digestive. C’est lorsque se déclare la fièvre traumatique. Dès ce moment la digestion ne se fait plus ou est réduite à des proportions minimes. Chez le cheval, la faculté digestive résiste plus longtemps et ne fait que diminuer sous l'influence de la fièvre traumatique, qui, chez ces animaux, il faut le dire, est en général beau- coup moins intense et plus tardive à se déclarer. Quant au phénomène inverse que réclame la théorie, je veux dire la persistance de l'appétit malgré la suspension de la digestion stomacale, je ne l’ai pas encore observé. Le cheval seul semble faire exception à cet égard, car il continue à manger, même lorsque sa digestion est com- plètement dérangée. Les aliments séjournent alors dans son 04 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. estomac sans être modifiés et pour ainsi dire en provision, jusqu’au rétablissement de la digestion. On pourrait demander enfin si une awygmentation de la force digestive de l'estomac doit aussi augmenter la faim ou l'appétit. Je ferai connaître, dans la suite de ce cours, le procédé expérimental par lequel nous pouvons à volonté augmenter à un haut degré le pouvoir digestif de l'estomac des chats, des chiens et des lapins. Ce procédé qui consiste à injecter dans les veines de l'animal certaines substances ayant la propriété de saturer de pepsine les parois stoma- cales, donne des résultats frappants surtout chez le lapin. Eh bien, dans les animaux, d’ailleurs bien portants, que j'ai soumis à ce traitement et dont l'estomac avait acquis un pouvoir digestif beaucoup plus considérable qu’à l'ordinaire, je n'ai pu, jusqu'à présent, constater d'augmentation évi- dente de l'appétit. En revanche, chez les animaux qui, à la suite d’autres opérations, subissent des pertes continuelles des substances destinées à les nourrir, l'appétit peut aller en croissant à mesure que se rétablit et qu'augmente la force digestive de l’estomac. Nous parlerons de cas de ce genre en traitant des effets de l’extirpation de la rate. Quelque temps après l'opération, quand les animaux sont remis des désordres généraux dépendant du traumatisme, leur appétit s'accroît parallèlement au pouvoir digestif de l'estomac. Cette aug- mentation de l’activité digestive est aussi réelle que celle que l’on produit artificiellement par les injections dans le sang, dont j'ai parlé tout-à-l'heure, mais coïncide dans ce cas, chose essentielle à remarquer, avec la diminution du pouvoir digestif d’un district de l'intestin. Pendant les premiers jours qui suivent l'opération et tant que l'animal se ressent de l'action traumatique, son appétit est diminué; mais on peut observer des cas où malgré l’anorexie exis- tante, la force digestive de l'estomac est déjà augmentée. C’est ce qui se montre non seulement dans la première TROISIÈME LEÇON. 55 semaine après l’extirpation de la rate, mais aussi après cer- taines lésions traumatiques des glandes mésentériques et dans des cas de suppuration, même peu abondante, de la cavité péritonéale. Lorsque, dans des opérations pratiquées p. ex. sur les nerfs sympathiques abdominaux, on a un peu trop vivement irrité le péritoine, l’animal accuse un malaise général, il maigrit et reste longtemps sans appétit. Mais s'il est forcé à manger et sacrifié au milieu de la digestion, l'infusion préparée avec son estomac peut montrer un pou- voir digestif supérieur à la moyenne que l’on constate chez des animaux normaux, de même taille. Il en résulte que l'appétit n’est pas en rapport direct avec la faculté digestive et que si l’anorexie coïncide le plus souvent avec la suppression de la faculté digestive, ces deux phénomènes ne sont pas nécessairement subordonnés l'un à l’autre, tout en pouvant dépendre de la même cause fondamentale. Puisque la perte de l'appétit n'implique pas toujours la suspension des fonctions digestives, d’après quels principes dévons-nous régler l'alimentation des malades qui refusent la nourriture? Doit-on en général et peut-on impunément donner à manger aux individus affectés de maladies des voies digestives, de fièvre et surtout de fièvre traumatique ? Cette question, l’une des plus importantes en thérapeu- tique, a été jadis vivement débattue en France, et Boyer s’est prononcé en faveur de l'alimentation des blessés. D'autres médecins, contraires à l'opinion de Boyer, insistaient, de leur coté, sur les dangers d'une alimentation intempestive qui, selon eux, ne faisait qu'encombrer les voies de la diges- tion de substances inutiles et par là compromettait davan- tage la vie des malades. C'était, pour nous servir de leurs expressions, nourrir la maladie, alimenter l'inflammation que de donner à manger aux blessés. Pour décider en fin de cause cette grave question, il nous manque sans doute encore bien de documents indispen- 56 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. sables; cependant, s'il est permis de s’en rapporter à ce que nous enseignent l'observation sur les animaux atteints de fièvre traumatique et les progrès qui se sont opérés depuis un certain nombre d'années dans la thérapeutique des fièvres septiques et d'infection, nous pouvons dès à présent réduire à leur juste valeur les craintes exagérées exprimées par les adversaires de Boyer. Il suflirait de citer l'expérience qui va se consolidant de jour en jour, que dans le traitement des fièvres typhoïdes, p. ex. une alimentation prudente et légère est généralement bien supportée par les malades et paraît exercer une influence heureuse sur la durée de la convalescence. Que de fois les médecins anglais n’ont-il pas attribué les nombreux insuccès des thérapeutistes allemands, dans le traitement de la fièvre typhoïde, à la diète absolue que ceux-ci imposaient à leurs malades et par laquelle, aux désordres causés par la fièvre, venaient s'ajouter encore les effets meurtriers de l’inanition. Dans une série d'expériences faites sur des animaux qui avaient subi diverses opérations et qui par suite du trau- matisme refusaient de manger, j'ai pu me convaincre moi- même de l'utilité de l'alimentation artificielle. L'introduction de matières alimentaires par une fistule stomacale n’aug- mentait pas la fièvre; la guérison locale, la cicatrisation n'étaient ni empêchées ni retardées; et, quant à l’état gé- néral, il gagnait positivement en ce sens que la convales- cence devenait moins pénible, quoique sa durée ne fût pas moindre que chez d'autres animaux opérés de la même mauière, mais uourris simplement selon leur appétit. C’est ce que Jj'observai alternativement sur 27 chiens, après la résection des nerfs glossopharyngiens. Les sujets nourris artificiellement restèrent, durant tout le temps de leur ma- ladie, plus forts et plus dispos que ceux que je laissai manger à leur guise. Hâtons-nous d'ajouter qu'il existe des contre-indications formelles à l'alimentation forcée, selon la localité de l’or- TROISIÈME LEÇON. 57 gane lésé et le degré de la fièvre traumatique. Si, p. ex, on essaie de nourrir par force ou artificiellement des ani- maux dont le tube digestif est blessé en un point quelconque, on empire leur état général en provoquant le vomissement. De même, dans la période aiguë de la fièvre traumatique, la digestion ne se fait plus et ne se rétablit pas par l’ali- mentation artificielle. Nous pouvons donc statuer en règle générale que l'ali- mentation des malades et des blessés est permise chaque fois que la localité de l'organe affecté ou de la blessure ne la contre-indique pas et tant que la fièvre traumatique n’ex- cède pas un certain degré. Dans la fièvre traumatique légère, l'alimentation n’est pas toujours nuisible, malgré l'absence de l'appétit, et souvent même utile, comme le démontrent les exemples cités. QUATRIÈME LEÇON. Sommaire: Des aliments. — Définition et composition générale des aliments. — L'orga- nisme animal ne se nourrit que des substances déjà organisées — La faculté d'organiser les corps simples du règne minéral forme l’attribut exclusif des plantes. — Similitude de composition des aliments et du corps animal, — Destinations diverses des aliments. — Du régime végétal et du régime animal, considérés chez les différentes classes d’animaux.— Rap- port entre le genre de vie et le régime. — Pertes et gains de l’organisme. — Rapport entre la composition de Ja nourriture normale, suflisante, et la composition du corps humain. — fransformations des substances alimentaires dans l'organisme. — Nécessilé de la trans formation digestive. — Expériences. — Remarques sur la valeur nutritive des terres fossiles. Messieurs, Nous avons vu comment se produit l’appauvrissement du sang, conséquence du mouvement et de Ja vie, et quelles en sont les manifestations subjectives. En abordant aujour- d’hui l'étude des aZiments, je n’ai l'intention de vous pré- senter que quelques considérations générales sur leur com- position et le rôle qu'il sont appelés à jouer dans l'économie, réservant les détails essentiellement chimiques de cette étude pour la partie de ce cours qui traitera de l’action des liquides digestifs sur les différents groupes de substances alimentaires que nous fournissent le règne animal et végétal. Les aliments sont des substances destinées à com- penser les pertes de l'organisme et à donner au sang, dans lequel leurs éléments sont versés par absorption, les qualités nécessaires pour rendre leur composition normale aux tissus appauvris. L'aliment devient nutriment quand, ne QUATRIÈME LEÇON. 59 après avoir subi l'action modificatrice des liquides digestifs, il peut être absorbé et assimilé en totalité, sans reparaître dans les excrétions. — Aux termes de notre définition, les aliments doivent né- cessairement être composés de manière à pouvoir se subs- tituer aux corps usés et rejetés par l’économie. L’aliment idéal serait celui qui contiendrait tous ces corps exactement dans la proportion dans laquelle ils sont éliminés par l’exer- cice journalier des organes. L'aliment complet est celui qui renferme {ous les éléments de nos tissus. On n’a pas toujours admis, aussi rigoureusement qu'on le fait actuellement, la proposition que les aliments, pour répondre a leur destination, doivent contenir ous les élé- ments de nostre corps. Au commencement de ce siècle, on ait encore l'existence de l'azote dans les plantes; partant on était obligé d'accorder aux animaux herbivores la fa- culté de fabriquer de toutes pièces des composés azotés dans leur corps. Certaines substances que la chimie re- connaît actuellement comme élémentaires, étaient regardées pendant longtemps comme pouvant se former directement dans l'organisme animal, en vertu d’une force mystérieuse, la force vifale, que l’on invoquait et qu’on invoque encore pour toutes les manifestations de la vie échappant à nos moyens d'analyse. Ces substances ayant été reconnues dans le corps animal et non dans les plantes où elles se trouvent en proportion relativement beaucoup plus faible, on ne pouvait en effet se rendre compte, avec les connaissances chimiques qu'on possédait alors, de la manière dont elles entrent dans l'économie des herbivores. On se représentait le corps animal comme un laboratoire chimique beaucoup plus parfait qu'il ne l’est en réalité, en lui attribuant des facultés organisatrices, vis-à-vis des éléments bruts du rèone animal. Eh bien, quant à l'azote, tout le monde sait aujourd'hui que le règne végétal en contient en abondance et en gé- 60 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. néral que tous les éléments et toutes les combinaisons ter- naires et quaternaires qui constituent la trame du corps animalont leurs représentants isomériques dans les végétaux. La formation de toutes pièces, au moyen des corps simples du règne inorganique, de composés complexes et de tissus doués de vie, n'appartient qu'aux plantes et non aux animaux. Le corps animal se borne à transposer et à com- biver un peu différemment les éléments des composés déjà organisés qu'il reçoit du dehors. Ces éléments qui sont es- sentiellement le carbone, l'hydrogène, l'azote, l'oxygène et de plus faibles proportions de chlore, de phosphore, de calcium, de fer, etc., faisant partie des cendres animales, ne sauraient jouer, comme tels, ou même dans leurs com- binaisons les plus simples, le rôle d'aliments. S'il en était ainsi, il suffirait de fournir au corps animal de l'air, de l’eau, du carbone, et quelques sels pour lui permettre de se re- constituer à chaque instant. On espérait encore, à une époque qui n’est pas très-éloignée de la nôtre, que la chimie parviendrait à combiner les éléments de manière à rendre possible leur assimilation, mais jusqu'à présent il n'y a pas le moindre indice qu’elle atteigne jamais ce but, mi dans le corps animal ni en dehors de lui, Le seul intermé- diaire entre la nature inorganique et le règne animal, le véritable laboratoire placé sur le chemin de ce dernier pour préparer et organiser la matière brute et lui donner la forme adaptée à ses besoins, c’est le règne végétal. C'est lui qui, avec un petit nombre de corps simples et de combinaisons primaires, fabrique les substances isomériques à celles du corps animal, et celui-ci n’a ensuite qu'à les modifier très- légèrement pour les rendre tout-à-fait semblables à sa propre : substance. La plante qui se nourrit presque uniquement d'acide carbonique, d'eau, d’ammoniaque et de sels, produit des fécules, des graisses, des matières albuminoïdes, c'est- à-dire les représentants des trois groupes principaux de substances dont se nourrit et se compose le corps animal. QUATRIÈME LEÇON. 61 L'animal, laboratoire beaucoup plus imparfait que la plante, ue fait pour ainsi dire rien par lui même; la seule opération un peu plus compliqué: qui lui soit propre, c’est la formation des graisses au moyen des adipogènes, c’est-à-dire des fé- cules, du sucre, et peut-être des corps albuminoïdes. Quant aux autres séries, il s'empare des composés déjà tout formés, en modifie un peu l'arrangement moléculaire, en extrait les parties utiles, et finit par les décomposer tout-à-fait par la combustion et la réduction qui sont incessamment à l'œuvre dans son corps. Il les rend au monde extérieur sous forme d'acide carbonique, d’eau, d'ammoniaque ou de substances qui se résolvent facilement en celles-ci et qui dès lors redeviennent aptes à servir à la formation des plantes. Tel est le cercle éternel dans lequel se meut la vie et qui préside à la solidarité de tous les êtres organisés. Ce qui importe dans l'étude des aliments, ce n’est donc pas la recherche de leur constitution éléinentaire ni leur formule chimique , mais la connaissance des composés qui y sont contenus et qui, par leur caractère homologue à celui des tissus du corps animal, sont aptes: à être digérés et assimilés par ce dernier. — Nous avons déjà énuméré les 3 groupes principaux que l’on distingue parmi ces subs- tances et qui sont: les zatières albuminoïdes ou protéiques, les matières féculentes (et succharines) et les graisses. La plupart de nos tissus, ceux du moins dont l’activité plus énergique réclame une restitution continue, sont réductibles à ces 3 groupes dont le premier et le plus important, celui des corps albuminoïdes, est le seul qui renferme des com- posés azotés. Toutes les autres combinaisons que l’on trouve dans le corps animal et qui ne sont pas comprises dans l’une de ces trois séries, ou bien appartiennent à sa charpente inor- ganique (os, etc), au renouvellement plus lent, ou bien forment, non pas des parties constitutives des tissus, mais des produits de décomposition, ne se rencontrant que sur 62 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. les voies excrétoires. — La fibrine du sang et du muscle est très-analogue à l'albumine végétale; cette dernière peut donc remplacer l’usure de la première et à ce titre elle est un aliment. Un mélange quelconque d'azote, d'hydrogène, de carbone et d'oxygène, dans des proportions même tout- à-fait semblables à celles de l’albumine. serait probablement rejeté comme corps étranger par l'économie. — Il en est de même des matières amyloïdes, du sucre et des graisses qui ont leurs représentants isomériques dans l'organisme animal, et dont une série, les graisses, paraît même pouvoir se former directement dans le corps, aux dépens des subs- tances des autres séries. Envisagée dans cette simplicité, la question de l'alimen- tation ne serait résolue qu'à moitié. En effet, outre sa des- tination fondamentale de reconstituer les tissus appauvris et de les maintenir dans leur composition normale, elle en a à remplir une autre, non moins importante et sur laquelle je me suis déjà longuement étendu à une autre occasion, c’est-à-dire, de fournir au corps les matériaux nécessaires à la production de la force vive et de la calorification. De plus, la composition et la quantité des aliments se réglant d'après les exigences de l’üsure organique? du travail mé- canique et de la calorification, il ne sera pas indifférent que les organes destinés à élaborer la nourriture, soient cons- titués de telle ou de telle manière. Une surface plus ou moins grande des muqueuses digestives , la longueur va- riable de l'intestin, la structure spéciale des appareils ser- vant à saisir, à diviser les aliments et à les préparer à l'acte de la digestion, sont autant de circonstances qui dé- termineront le genre de nourriture le plus adapté à chaque animal. - En principe, les produits végétaux renferment tous les éléments du corps animal. Cela veut-il dire que l’alimen- tation végétale suffira aux besoins de tous les animaux? Evidemment non. Pour extraire p. ex. de substances her- QUATRIÈME LEÇON. 63 bacées la quantité de matière albuminoïde nécessaire à l’en- tretien d'un carnassier, les dimensions de son intestin ne suffiraient pas. Ou bien il serait forcé d'en manger des quantités telles que sa digestion même en souffrirait, ou bien, en ne mangeant qu'en proportion de son régime nor- mal, il risquerait de périr d’'inanition. Le raisonnement invers s'applique aux herbivores. Ne serait-on pas tenté de considérer le régime animal comme correspondant à notre définition de l'aliment idéal, puisqu'il procure à l'organisme des substances non seulement analo- gœues, mais identiques, et qu'il rend en apparence superflue jusqu’à la légère modification que les aliments doivent subir au contact des liquides digestifs, pour être directement as- similés ? Eh bien, cette supposition est erronée, même à l'égard des carnivores, comme nous le verrons en étudiant les propriétés des liquides digestifs et leur mode d’agir sur les substances alimentaires. A plus forte raison ne peut-elle s'appliquer aux animaux herbivores dont le genre de vie et la conformation anatomique sont si différents de ceux des carnivores. La plupart des animaux qui se nourrissent exclusivement de végétaux, montrent une respiration rapide et exécutent des mouvements énergiques et longtemps soutenus; ils consument par conséquent une très-forte pro- portion de carbone que des quantités même considérables de chair ou de sang, ingérées et parfaitement digérées, ne pourraient jamais leur fournir. On calcule qu’un cheval, travaillant et respirant comme dans les conditions normales, en ne se nourrissant que de viande, devrait en manger à peu-près le cinquième de son poids par jour, pour en tirer la quantité de carbone nécessaire, ce qui supposerait un estomac et un abdomen immenses qui l’empêcheraient de se mouvoir librement et de faire l'exercice musculaire qui est précisément la cause de cette énorme consommation de carbone. La nécessité d'ingérer de grandes quantités d'aliments cesserait dès lors d'elle-même. 64 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Les carnivores au contraire se meuvent peu et dorment beaucoup. S'ils exécutent quelquefois des mouvements plus rapides et plus énergiques que les herbivores, leur activité west pas de longue durée et le reste du temps ils sont couchés et se livrent au sommeil, le jour comme la nuit. Comparez le genre de vie du chat p. ex. à celui de nos ruminants domestiques. Les bœufs de labour, malgré le travail très-considérable et très-soutenu qu'ils sont habitués à faire, dorment très-peu: ils sont en mouvement et man- went même la nuit et ce n’est que pendant la rumination qu'ils se couchent et prennent un peu de repos. Les petits herbivores en font autant. Traube, s'appuyant sur la théorie que l’activité musculaire résulte principalement de la destruction d’une substance non azotée, analogue aux matières féculentes, a le premier signalé ce rapport entre la proportion de carbone qui entre dans l'alimentation, et la somme de travail que les animaux sont capables de réaliser. Il pense que l’alimentation végétale est la seule qui puisse subvenir à des mouvements très-pro- longés et très-énergiques et qu'un régime exclusivement animal ne fournirait pas à l'organisme de quoi remplacer les pertes des muscles, épuisés par des contractions trop longtemps soutenues. Il insiste sur le fait que tous les animaux dont l’homme se sert pour le travail, sont herbi- vores et que les carnivores qui dorment presque toujours et nese mettent en mouvement que lorsqu'ils y sont poussés par la faim, ne seraient jamais capables de réaliser les sommes d'efforts musculaires que l'on voit exécuter p. ex. au cheval et au renne. Cette remarque, juste pour les maminifères, ne s'applique cependant pas indistinctement à toutes les autres classes d'animaux. Chez les oisaux, p. ex., nous voyons que ce sont les carnivores et la plupart des insectivores qui se distin- gnent par les mouvements les plus énergiques et le plus longtemps soutenus. Parmi les reptiles, ce sont encore les Rd tie mn bé QUATRIÈME LEÇON. 65 carnivores qui l’'emportent par la puissance et la durée de leurs contractions musculaires sur le petit nombre d'herbi- vores qui nous sont connus. Quant aux ##sectes, la remarque de Traube s’applique très-bien aux or/hoptères, et aux hé- mipières non nageurs. Dans ces deux ordres d’articulés , les carnivores présentent des mouvements lents et peu éner- œiques, comparativement aux herbivores. La même règle pourrait peut-être s'appliquer aux Ziptères. Quelques Empides (Empis) qui se distinguent par des mouvements très-rapides, ne font exception qu’en apparence, Car bien qu’on les range ordinairement parmi les carnivores, se nourrissant exclu- sivement d'autres insectes, il est à peu près certain au- jourd’hui qu’ils sont omnivores, c'est-à-dire se nourrissant indistinctement de sucs animaux et végétaux. Dans le grand nombre des coléoptères, l'activité la plus infatigable et la plus énergique est au contraire l'attribut des carnivores, bien qu'il faille convenir que le plus grand développement de la force, à en jug'er d’après les actes qu'on leur voit exé- cuter dans les conditions physiologiques, appartient aux grands herbivores ou coprophages. Mais cette force est rarement mise en jeu et ne se déploie qu'à certains moments en rapport avec les conditions spéciales du genre de vie de ces animaux. C'est ainsi que l’on voit p. ex. l’Afeuchus transporter, avec ses deux pattes de derrière, des boules de fumier aussi grandes que son propre corps et les élever à une hauteur considérable, en ne marchant que sur ses quatre pattes de devant. De même les ZTater, posés sur le dos, sont capables, par un simple mouvement de flexion du thorax sur l'abdomen, de s’élancer à une hauteur qui dé- passe plus de 30 fois la longueur de leur corps. Mais ces tours de force ne soutiennent pas la comparaison, quant à la somme de travail qu'ils réalisent, avec les mouvements continus des coléoptères carnivores, comme p. ex. des C5- cindèles. Dans la famille des Brachélytres, qui renferme des groupes carnivores et des groupes herbivores, ce sont TOME PREMIER 5 66 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. surtout les représentants des premiers qui se distinguent par leur activité infatigable, tandisque ceux des groupes her- bivores, ordinairement cachés sons le fumier, mènent une vie sédentaire, à l'exception de quelques espèces qui en volant exécutent des danses en l’air, mais dont on ne con- uait pas définitivement le genre de nourriture, quoique leur forme générale les fasse ranger plutôt parmi les co- prophages. La plupart des familles des Arachnides sont carnivores et sédentaires; la division des Acarides seule compte quelques genres que l’on peut regarder comme her- bivores, et ce sont les représentants de ces genres qui montrent les mouvements les plus vifs. Quelques uns, ap- partenant au genre Arenurus, se distinguent par la grande vélocité et l'énergie de leurs mouvements presque continus. Ces espèces, à l'état parfait, paraissent se nourrir exclusi- vement de débris de plantes. La vitesse de leur locomotion est telle qu'on ne distingue pas les mouvements de leurs extrémités et qu'un Arenurus en marche fait l'impression d’un point glissant très-rapidement sur la terre. Quelle dif- férence du genre de vie de ces animaux à celui de l’Acare de la gale et plus encore à celui de certaines larves de Trombidides qui sucent des liquides animaux et qui, à l'état normal, et sans être excités, ne montrent pas dutout de locomotion, mais végètent immobiles sur le point de l’a- nimal où elles sont fixées! Vous voyez, messieurs, d'après les exemples cités, que le genre d'alimentation qui convient le mieux à chaque animal, n’est pas réglé d’après des lois absolues. Une foule de circonstances, dont quelques-unes probablement nous échappent encore complètement, concourent à faire d'un animal un Carnivore ou un herbivore. La nature elle-même nous offre des variations de régime chez le même animal, selon les conditions extérieures où il se trouve et selon l'état de ses organes. Beaucoup d'oiseaux, insectivores en été, deviennent exclusivement granivores en hiver, et cela | QUATRIÈME LEÇON. 67 non seulement parcequ'en hiver ils ne trouvent pas d’in- sectes, car une foule d'oiseaux qui sont dans le même cas et qui ne peuvent se passer de nourriture animale, s’en vont la chercher dans des climats plus chauds ; mais parce que, pendant la saison froide, ils ont besoin d'aliments plus riches en carbone, pour maintenir leur température au degré normal. D'autres animaux changent de régime dans les différentes phases de leur développement: le têtard est herbivore, la grenouille se nourrit d'insectes. J'ai nourri des lapins, pendant deux mois, avec des gre- nouilles mortes, sans provoquer chez eux de perturbation appréciable de la nutrition. Dans les pays septentrionaux où le fourrage vient à manquer à certaines époques de l’année, on nourrit le bétail avec du poisson. J'ai vu deux loups qui avaient été élevés, depuis l’âge de deux mois jusqu'à celui de trois ans, avec du pain. On dit que le tigre et le lion sont les seuls félins qui ne se soient jamais laissé imposer une diète exclusivement végétale; mais ces essais ont-ils été dirigés convenablement ? Com- ment d’ailleurs s'attendre à ce que des observations con- cluantes soient faites dans les pays où ces animaux vivent sauvages et où les aliments de provenance animale abondent bien plus que les aliments végétaux? L’hyène peut être élevée et nourrie avec du pain et des fruits, ainsi que les petits oiseaux carnivores. Quant aux grands oiseaux carnas- siers, ces tentatives ont toujours échoué, parceque la capacité de leur estomac et la longueur de leur intestin ne sont pas proportionnées à la quantité d'aliments végétaux qu'exigerait leur entretien. L'homme s'accoutume presque également bien aux deux régimes; la grande majorité des hommes est omnivore. Le régime exclusivement végétal rend à la longue faible de corps et d'esprit, patient et phlegmatique; le régime exclu- sivement animal au contraire rend actif et vigoureux, mais 68 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. impose beaucoup d'exercice, pour permettre la transforma- tion en urée et en acide urique des substances ingérées dans lesquelles l’azote prédomine. En partant, comme nous l'avons fait, du principe que le corps ne forme, par lui même, aucun élément et que tout lui vient du dehors, sous une forme presqu'identique à celle de sa propre substance, il est facile de tomber dans l'erreur suivante: Donnons, comme unique aliment, à celui qui fait beaucoup travailler ses muscles, de la chair; donnons du cerveau à celui qui pense beaucoup, du lait à la femme qui allaite, et ainsi de suite. Abstraction faite de toutes les raisons exposées précé- demment et qui rendent illusoire un pareil raisonnement, il ne faut pas oublier qu'entre l’ingestion et l'assimilation des aliments il est une opération intermédiaire indispensable, la digestion. C’est dans l’estomac que nous introduisons la chair, le lait, la graisse cérébrale, et non pas dans le courant sanguin; toutes ces substances n'arrivent à nos organes que dissoutes, altérées, sous forme de composés essentiellement différents de ce qu'elles étaient primitivement. Admettons même un instant qu'une certaine quantité de lait puisse passer dans le sang directement et non altérée, qu’arriverait- il? C’est que le sang chargé de ce liquide, en traversant les organes, leur en abandonnerait peu à peu les éléments con- stitutifs et que les glandes mammaires n’en recevraient en somme que les résidus, dans des proportions evidemment tout autres que celles qui constituaient le lait primitivement. En ne donnant que du lait pour tout aliment, nous serions donc à peu près sûrs de priver les glandes mammaires de la vraie proportion de substances nutritives qu’exige leur ‘ fonction, et leur sécrétion elle-même tarirait. Le choix des aliments, dans ce cas spécial, est subordonné à des conditions beaucoup plus complexes. Ce qu'il s’agit de fournir à l’économie, ce n’est pas seulement le liquide en nature dont nous voulons favoriser la formation dans le QUATRIÈME LECON. 69 corps, mais uu ensemble de matières alimentaires qui, après avoir servi à la nutrition générale, laissent encore à la dis- position des glandes productrices de lait les éléments cons- titutifs de ce liquide et cela dans les proportions les plus convenables Vouloir déterminer les proportions exactes de cette alimentation, ce serait entreprendre un calcul très- compliqué avec des facteurs pour la plupart incounus et variables au plus haut degré d’un individu à l’autre. Heu- reusement la nature nous dispense de ce soin et la répar- tition des liquides nourriciers s’accomplit à notre insu, suivant le bilan spécial des pertes et des gains de chacun de nos organes. Cette question spéciale nous amène à la question plus générale des pertes et des gains de notre organisme, con- sidéré dans son ensemble. On a essayé — (Barral et Wood sont les premiers auteurs qui aient tenté ce travail com- pliqué) — on a essayé, dis-je, d'établir la moyenne des aliments nécéssaires au corps de l’homme en un temps donné et à déterminer, au moins approximativement, ses dépenses pendant le même temps. Dans tous ces calculs qui ne sont qu’approximatifs, bien des facteurs se soustraient encore à notre appréciation. Ainsi, dans la liste des pertes, com- ment fixer les valeurs correspondant à la desquamation de l'épiderme et de l'épithélium, à la chûte des poils, etc.? Voici les moyennes résultant des plus récentes détermi- nations : Le minimum d'aliments mixtes dont un homme adulte a besoin par jour, pour ne pas souffrir de déficit par l’activité de ses organes, représente un poids d'environ 3460 grs. Dans ce chiffre total il entre 110 à 130 grs. de matières albumi- noïdes, 84 grs. de graisses, 420 grs. de fécule, 30 grs. de sels et 2800 grs. d’eau. Si d'autre part nous évaluons ce que l’homme adulte perd par jour d'azote, d'hydrogène, d'oxygène, de carbone et de sels avec ses excrétions, et si nous transformons ces valeurs 70 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. en quantités équivalentes d’albumine, de fécules, de graisse, etc., pour les comparer aux chiffres de la première liste, nous obtenons le tableau suivant: Substances contenues Quantités des mêmes substances, Différence dans le minimum de la nourriture calculées d’après | en 2% heures. les pertes journalières en faveur des aliments. | SRE D 20 POSTE RES | Albumines 110 gr. — 100 gram. + 10 | Graisse 84 » — » + 9 | Fécules 420 » — 365 » + 55 | Sels 30 » 2 > 79 | Eau 2800 » — 2790 » + 10 (1) On voit, d'après ce tableau, qu'il existe une légère diffé- rence entre la somme d’aliments correspondant aux pertes journalières de l'organisme et la quantité que l'expérience a démontrée nécessaire à l'entretien de la vie de l’homme adulte. Le minimum de la nourriture contient des quantités de matières élémentaires un peu supérieures à celles qui re- présentent les pertes en 24 heures. Mais il doit en être ainsi, pour deux raisons. En premier lieu, les excrétions mesurées ne correspondent pas à toutes les excrétions véritables du corps, parceque nous perdons par la peau, par les poumons, par le mucus, etc. des quantités de substances qui jusqu’à présent sesont soustraites au calcul. Deuxièmementleschiffres exprimant le minimum de la ration normale de l’homme adulte par jour, sont obtenus en grande partie sur des sujets n'ayant pas encore entièrement achevé leur développement et dont le corps était encore en voie d'augmentation; il n'y avait donc pas, chez eux, équilibre stationnaire. S’il est incontestable que le corps animal ne forme pas ses éléments, mais qu’il les introduit tous par la nourriture et avec l’air qu'il respire, s’en suit-il que la nourriture doive renfermer ces éléments dans la même proportion dans la- (1) Le calcul sur lequel s'appuient ces chiffres a été fait par Moleschott el les docu- ments qui s’y rapportent, sont consignés en entier dans son ouvrage sur la « Physiologie des matières alimentaires », livre très-riche en faits et auquel nous avons emprunté la plupart des moyennes que nous venons de communiquer. QUATRIÈME LECON. riT quelle ils se trouvent dans les parties constituantes du corps? Nous pourrions répondre affirmativement à cette question, si toutes les parties du corps étaient également sujettes aux changements résultant de la décomposition de leurs éléments, et si tous les tissus contribuaient, en proportion directe de leur volume, aux pertes journalières que l'alimentation doit réparer. Mais nous savons qu'il n’en est pas ainsi; nous savons qu'il est des tissus dans lesquels le mouvement nu- tritif et par conséquent l’absorption est plus vive, d’autres dont l'état est plus stationnaire, et qui ne prennent, pour ainsi dire, qu'une part secondaire aux changements de com- position qui se passent dans le corps. Ainsi dans les os, dans les tendous, etc. l'échange des éléments, au contact desliquides nourriciers, est moins actif que dans les parties molles qui contiennent une plus forte proportion d’eau. Il existe d'ailleurs des différences individuelles, dépendant de l’activité plus ou moins vive de certains organes, et en général des conditions extérieures au milieu desquelles les êtres vivants se trouvent placés. — L’ouvrier obligé de faire beaucoup d'efforts mu- sculaires , subira les pertes les-plus considérables par ses muscles ; l’homme de lettres, habitué à une vie sédentaire - et aux efforts intellectuels, consommera une plus grande proportion d'éléments nerveux, etc. — On est donc en droit de s'attendre à des différences assez sensibles entre la composition générale du corps et celle des aliments, qui doit correspondre plutôt aux pertes de l’organisme. Le tableau suivant le démontre clairement : ET ET RER NO IPN | Composition de l'alimentation normale Composition moyenne du corps humain, | et complète en mille parties : d’après Moleschoit (op. cit.) en mille parties: | Corps albuminoïdes 37,70 Corps albuminoïdes 152 | Graisses 24,36 Dérivés des albuminoïdes 49 : Graisses 25 Adi | papnes , Ra | Matières extractives 6 Sels RER SA TE 92 Eau 812,07 | Eau 676 1000,00 | 1000 TR PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Comme:on le voit, la différence entre ces deux séries est énorme; elle se prononce surtout dans le rapport des sels et des matières azotées, dont le corps contient des propor- tions bien supérieures à celles de la nourriture. Mais il n’en peut être autrement si l’on considère que se sont précisément ces deux groupes de substances qui constituent la trame solide de l'organisme. Les os sont les parties les plus riches en sels; les matières collagènes celles le plus riches en azote; toutes deux ne participent que faiblement aux changements généraux de la nutrition et leur activité très-limitée ne de- mande qu'un renouvellement lent de leurs éléments. Ce sont, si je puis m’exprimer ainsi, les organes passifs du mouvement. Mais revenons à notre premier sujet de la transformation des substances alimentaires dans l'organisme, question de la plus haute importance et formant pour ainsi dire le point de départ de toutes nos études sur la digestion. Les propriétés et la constitution de l’aliment changent dans l'estomac, souvent déjà avant son arrivée dans l'estomac. Si nous mang'eons de la fibrine, ce n’est pas de la fibrine que nous introduisons dans le sang, mais une substance qui en résulte par l’action du suc gastrique. Et notez bien que ce n’est pas une simple dissolution de la fibrine qui s’opèredans nos organes digestifs ; si le rôle de l'estomac et de l’intestin se bornait à dissoudre les aliments, il suffirait de préparer artificiellement différentes solutions alimentaires et de les boire, pour rendre toute digestion inutile. Or je démontrerai que si nous pouvions injecter dans le sang d’un animal une solution de viande p. ex., pour essayer de l'en nourrir ex- clusivement, il mourrait de faim. L’albumine est faiblementsoluble dans quelques acides, mais elle est précipitée de cette dissolution par les alcalis. Si l'albumine que nous mangeons, ne faisait que se dissoudre dans l'acide gastrique (à supposer que cet acide eût la fa- culté de la dissoudre), elle se précipiterait de nouveau, une fois arrivée dans le sang, dont la réaction est alcaline. QUATRIÈME LEÇON. 73 Ses particules, charriées par le courant sanguin, iraient obstruer les petits vaisseaux capillaires et causeraient la mort par embolie. — Aussi la digestion stomacale de l’albumine ne consiste-t-elle pas en une simple dissolution, elle en mo- difie les propriétés de manière à lui permettre de se main- tenir à l’état dissous dans un liquide neutre, et de ne pas se coaguler au contact d’un liquide légèrement acide ou alcalin. Le même raisonnement s'applique à la digestion du sucre Une simple solution de sucre de canne n’est pas un nutri- ment; en d'autres termes, du sucre de canne dissous dans l'eau et injecté dans les veines est rejeté par l’économie comme un corps étranger, ainsi que je le montrerai tout-à- l'heure. D'ailleurs, si le corps ne faisait que s’assimiler des subs- tances dissoutes, sans les modifier, nous aurions de la peine à nous nourrir, car le nombre de substances solubles dans l'eau est très-petit. On objectera peut-être que certains ma- lades ont été maintenus en vie à l’aide de lavements nutritifs composés de solutions aqueuses de différentes substances. Mais nous verrons que par la cuisson on peut reproduire pour certains aliments, en de très-faibles proportions, 1l est vrai, la transformation digestive. En outre il faut considérer que suivant la hauteur à laquelle les injections alimentaires parviennent dans l'intestin, elles peuvent donner lieu à un travail digestif rudimentaire. Ce qui est certain, c’est que tout ce qui n'est pas transformé ne peut pas servir à la nutrition, même si l'absorption à lieu régulièrement. Pour vous démontrer expérimentalement la nécessité de la transformation digestive, j'examinerai devant vous les urines de trois lapins auxquels j'ai fait, peu d’instants avant la leçon, les injections suivantes dans l’une des veines jug'ulaires : Premier lapin. Injection d’une solution diluée de 7 centim. cub. de sucre de canne. 74 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Second lapin. Injection d’une certaine quantité de blanc d'œuf secoué avec de l’eau et filtré, afin de le débarrâsser de ses particules membraneuses. Troisième lapin. Injection d’un mélange d’albumine et de sucre, préalablement transformés par une digestion arti- ficielle. Les animaux ont été placés dans des appareils servant à recueillir les urines. I1 s’est écoulé à peu-près une heure depuis les injections. L’urine du premier lapin (injection de sucre de canne) est blanchâtre et opaque, mais redevient claire par l’adjonction d'une goutte d'acide acétique. L'ébullition n’y produit pas de précipité, preuve qu’il n’y a pas d’albumine. Si cet animal a rendu, avec ses urines, le sucre de canne qui a circulé dans son sang, c'est sous forme de sucre de canne qu'il a dû être excrété. Le sucre de canne ne réduit pas le liquide cu- pro-potassique. Pour constater la présence du sucre de canne dans cette urine, il faut que nous le changions préa- lablement en glycose, pour procéder ensuite à l'examen avec le liquide de Trommer. A cet effet, j'ajoute à une première quantité d'urine une goutte d'acide sulfurique et je chauffe. Le liquide cupro-potassique versé actuellement dans le mé- lange est réduit en totalité. Précipitation très-abondante d'oxydule de cuivre. — Je répète l'expérience sur une autre quantité d'urine, sans ajouter préalablement d’acide sulfurique: la réduction est presque nulle. L’urine du second lapin (injection de blanc d'œuf) est jaune et limpide, preuve qu'elle est acide et non alcaline comme celle du premier. Je chauffe jusqu’à l’ébullition: pres- que la totalité du liquide contenu dans l’éprouvette se coa- gule en une masse blanchâtre (albumine) dont la densité paraît augmenter encore par l’adjonction, avant l’ébullition, d'une goutte d'acide acétique. L’albumine injectée dans le sang de cet animal a été rejetée en entier. Il n’y a pas eu assimilation. DEUXIÈME LEÇON. 75 L'urine du troisième lapin (injection d’albumine et de sucre digérés) est limpide et acide. L’ébullition n'y produit aucun précipité, preuve qgw'il n'y a pas d'albumine; l'adjonc- tion d'un peu de potasse donne un léger nuage blanc de phosphates terreux; chauffée ensuite avec du sulfate de cuivre, elle ne produit pas de trace de réduction de protoxyde de cuivre, même après l’ébullition. Donc eZ/e ne renferme pas non plus de sucre. L'albumine et le sucre, modifiés préa- lablement par une digestion artificielle, puis injectés dans le sang de cet animal, ont été mis à profit par l'économie et assimilés dans leur totalité. Ces expériences sont décisives. Elles démontrent que la digestion est une opération préliminaire nécessaire à l’assi- milation, et qu’elle ne saurait être remplacée par l'absorption, même parfaite, d'une simple dissolution des aliments. Il ne faudrait cependant pas s'attendre à ce que l’injection d'une quantité gwelconque de matières assimilables ou de nutriments donnât toujours les mêmes résultats que chez notre troisième lapin. Si chez cet animal nous avions injecté une quantité excessive de sucre ou d’albumine digérés, l'excès aurait immanquablement reparu dans les urines. Assurons- nous en par l'expérience. La dextrine en général se comporte à la manière des substances digérées. Une quantité modérée de dextrine, in- jectée dans le sang, ne reparaît pas dans les excrétions. Voyons si l'injection d'une grande quantité de cette subs- tance donne lieu à l'excrétion d'un corps analogue à la dextrine, ou de l’une de ses modifications, comme l’est, p. ex. la glycose. Voici un chien dans la veine fémorale duquel j'ai injecté, il y à une heure, une solution concentrée de dextrine. Son urine , traitée à chaud par le liquide cupro-potassique, en opère immédiatement la réduction. Outre les sels que nous avons vu entrer, pour une assez forte proportion, dans la composition de la nourriture nor- 76 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION, male, les habitants de certaines contrées font parfois usage, surtout en temps de disette, de substances terreuses parti- culières, connues sous le nom de farines fossiles, qu'ils mangent mêlées à la farine de blé ordinaire. Ces terres, composées en majeure partie de squelettes siliceux de dia- tomées fossiles et dont quelques-unes seulement renferment des traces de restes organiques, ne sauraient évidemment jouer le rôle d'aliments. Hanstein qui a fait l'analyse des terres fossiles de la plaine de Lunebourg, en Allemagne, a trouvé des traces organiques dans les couches les plus superficielles; les couches inférieures étaient presque entière- ment inorganiques. Une terre analogue que l’on rencontre en Suède et dont je vais faire passer sous vos yeux un échan- tillon, est composée uniquement de silice. Chauffée dans un creuset de platine, elle ne noircit pas à la température où se carbonisent les corps organiques. Voici une variété, origi- naire de Laponie, qui contient de la silice et du fer (1). J'ai examiné la plupart des espèces connues de farines fossiles dont notre Musée possède une riche collection et je ne les ai pas trouvées essentiellement différentes de celles de Suède. À part un très-petit nombre d'espèces, comme celles de la plaine de Lunebourg, une autre espèce provenant de la Hesse Electorale et quelques échantillons recueillis dans l'Amérique septentrionale, aucune de ces terres ne contient des traces de matière organique, noircissant par la com- bustion. Dans les espèces américaines, la matière organique paraît surtout provenir de spicules d’épong'es qui se trouvent mêlées aux squelettes de diatomées; ces derniers conservent leur transparence même dans la masse noircie par la cha- leur, tandis que les spicules noircissent à leur circonférence et s’entourent d'un détritus granuleux dont je n'ai pu dé- terminer la nature. Toutes ces substances sont à-peu-près insolubles dans la salive et dans le suc gastro-intestinal. C’est à peine si la {1) Le fer se rencontre assez fréquemment dans d’autres espèces de farines fossiles. ÉE , d' QUATRIÈME LEÇON. 97 millième partie en est dissoute dans les liquides du tube di- estif de l'homme. Les sucs digestifs de quelques oiseaux en dissolvent davantage. Si même il en était ainsi chez l’homme, à quoi lui servirait l’absorption d’une substance, telle que la silice, dont son corps ne renferme que des traces? CINQUIÈME LEÇON. Sommaire: Du sens du goût. — Non-identité des sensibilités tactile et gustative. — Nerfs gustalifs. — Opinions anciennes. — Expérience de Magendie. — Rôle du glos- so-pharyngien, déclaré seul nerf du goût par Panizza. — Objections de J. Müller. — Extir- pation de la neuvième paire; procédé opératoire. — Effets de cette opération sur la sensibilité gustative. — Usages du rameau lingual du trijumeau. — Effets de sa section. — Répartition des fibres gustatives de la neuvième et de la cinquième paire sur les parties postérieures et antérieures de la langue. Messieurs, Avant d'aborder l'étude spéciale des transformations chi- miques des aliments dans l'organisme, nous avons à exa- niner de quelle manière les substances introduites du dehors agissent, par leurs qualités physiques, sur l'appareil sensitif placé à l'entrée des voies digestives. Parmi les fonctions préparatoires de la digestion, celle qui nous révèle les pro- priétés sapides des corps ou le sens du goût, n’est pas la moins importante. Non seulement elle nous permet de dis- tinguer et de reconnaître les aliments, mais en même temps elle est un moyen, le plus puissant peut-être dont dispose l'organisme, pour provoquer et stimuler la sécrétion de certains liquides digestifs, et en particulier de la salive buccale. À ce point de vue, l'étude du sens du goût se lie étroitement à celle des autres phénomènes préliminaires CINQUIÈME LEÇON. 79 de la digestion, comme la préhension, la division des ali- ments, phénomènes purement mécaniques dont nous ne nous occuperons qu'accessoirement dans la suite de ces leçons. La sensibilité gustative a son siége principal sur la mu- queuse de la langue et est distincte de la sensibilité tactile ou générale. Cette distinction est à peu près généralement adoptée depuis que les observations pathologiques ont dé- montré la possibilité d’affections isolées de ces deux ordres de sensibilités. On a vu le goût aboli sur des parties de la langue restées sensibles aux impressions tactiles et doulou- reuses, et beaucoup plus rarement, il est vrai, le cas inverse. Ce n’est donc pas sans raison, comme nous l'établirons en- core par des preuves plus positives, que l’on a admis des nerfs séparés pour le goût et pour le toucher et que l'on a rangé la première de ces fonctions parmi les sens proprement dits, à côté de l’olfaction, de l'audition, etc. Mais, hâtons-nous de le dire, les conditions du problème sont loin d’être aussi simples que pour les autres sens qui s’exercent à l’aide de #roncs nerveux distincts dès leur ori- gine. Parmi les troncs nerveux qui se rendent à la langue, nous n’en Connaissons aucun qui préside exclusivement aux impressions gustatives et dont la section abolisse le goût, sans porter atteinte à la sensibilité tactile. Partant de ce fait, on a dû se demander si les nerfs de la langue con- tiennent en réalité des fibres séparées pour le goût et pour le toucher, ou si ses deux fonctions n’en forment pour ainsi dire qu'une, se manifestant à des degrés un peu différents. En d’autres termes: le goût est-il un sens, dans l’acception véritable du mot, ou n’est-il qu'une modification de la sen- sibilité générale, modification indépendante des nerfs et pou- vant s'expliquer par la texture particulière de la muqueuse linguale? Est-il possible d'admettre, p.ex., que la muqueuse se laissant pénétrer plus facilement que l’épiderme par les substances en solution, il s’en suive une impression plus vive, plus complète, capable de porter à notre conscience 80 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. des propriétés de certains corps qui, appliqués sur l'épiderme, y exercent qu'une action uniforme et mécanique? — Le contact plus intime des substances dissoutes avec les ter- minaisons nerveuses de la langue serait, d’après cette hy- pothèse, la véritable et seule cause de l'impression gustative, et celle-ci ne différerait que quantitativement de l'impres- sion tactile. — Nous savons par l’expérimentation phy- siologique que les acides et les alcalis dilués qui, appliqués sur la peau, ne sont perçus que comme simples liquides, pro- duisent des effets très-différents selon qu'ils sont mis en contact immédiat avec les nerfs sensibles ou avec les nerfs moteurs. Les acides faibles excitent les nerfs sensibles et v’agissent (sauf quelques exceptions, comme les acides la- ctique et phosphorique) que très-indistinctement sur les nerfs moteurs, lesquels, en revanche, sont très-vivement ex- cités par les alcalis fixes, dilués. De même la muqueuse lin- guale pourrait, grâce à sa texture, laisser passer certains éléments particuliers des corps sapides, les porter au con- tact immédiat des nerfs et être affectée ainsi par chacun d'eux d’une manière particulière et spécifique. Les cas pathologiques d'abolition du g'oût avec conser- vation de la sensibilité tactile s’expliqueraient alors par des altérations quelconques de la muqueuse, devenue moins pé- nétrable et rendue en quelque sorte semblable à l'épiderme. Ce qui ajoute peut-être à la vraisemblance de cette sup- position, c'est que dans les cas de paralysie isolée du. goût, l'anatomie n'a pas encore démontré la dég'énerescence com- plèle d'un nerf de la langue, et que cette lésion n'a été constatée que dans les cas de paralysie simultanée des deux sens. Cependant de graves difficultés s’opposent à cette manière de voir. — Et d'abord comment expliquer, d’après l’hypo- thèse énoncée, les cas, très-rares il est vrai, d’abolition de la sensibilité tactile, avec conservation du goût? — En second lieu, s'il suffisait d’un contact plus intime des corps PET «+ CINQUIÈME LEÇON. 8l sapides avec les nerfs, pourquoi des surfaces excoriées ou ulcérées de la peau ne jouiraient-elles pas, au même degré que la langue, de la faculté gustative? Il est vrai que l’ap- plication, sur un point dénudé de la peau, d’un acide ou d’un alcali produit des sensations un peu différentes, mais ne dépendant que de la réaction du liquide et n'ayant rien de commun avec l'impression gustative. J'ai expérimenté sur moi même avec diverses substances sapides dont je baignais ou saupoudrais la plaie d’un vésicatoire que je m'étais appliqué au bras. Je n'ai pas pu reconnaître la moindre différence entre les impressions produites par le sucre de canne et le sucre de lait, ni entre les effets du sucre et du sulfate de quinine; en revanche la limonade citrique, en produisant un peu de brûlure, était perçue dif- féremment du sucre; de l'écorce de grenadier agissait comme de la poudre de carbonate de chaux, etc. — Une excoriation aux lèvres, traitée de la même manière, ne donna pas d’autres résultats. Les légères différences que l’on perçoit ainsi, n’ont d'ailleurs pas le moindre rapport avec l'impression gustative. En troisième lieu, et cette objection est des plus impor- tantes, l’observation directe démontre que la sensibilité tactile et la sensibilité gustative sont loin d’être également développées sur tous les points de la langue. Les régions de la langue qui perçoivent les différences les plus fines de la surface des corps ne sont pas celles qui possèdent au plus haut degré la sensibilité gustative, et vice-versa. La sensibilité tactile prédomine sur la pointe de la langue qui, en revanche, ne perçoit que très-imparfaitement les saveurs, du moins les saveurs amères. La base de la langue, dont la sensibilité tactile est bien moins exquise que celle du tiers antérieur, puisqu'elle distingue à peine deux pointes éloignées d’un demi-centimètre, jouit au contraire au plus haut degré de la sensibilité spécifique pour l’amer, et perçoit aussi très-bien le goût sucré. — Si la quinine ou l’extrait TOME PREMIER 6 82 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. de coloquinte affectent désagréablement le tiers antérieur de la langue, cette sensation n’est pas encore la sensation spécifique de l’amer. En revanche le lieu d'élection pour la perception du goût acide est la partie antérieure de la langue, beaucoup plus sensible, sous ce rapport, que la base. Faut-il conclure de là, comme on l'a fait quelquefois, que le goût acide n’est pas un goût, au même titre que l'amer et le doux, et qu’il ne résulte que de l’altération chimique de la muqueuse? — S'il en était ainsi, les acides devraient être perçus également, comme tels, par les surfaces excoriées de la peau, ce qui n’a pas lieu. D'ailleurs les acides très- dilués qui se révèlent encore très-distinctement à notre goût, ne produisent pas d’altération anatomique appréciable sur la muqueuse linguale. Le fait suivant parle encore plus clairement contre l’iden- tité des deux sens. Quand on touche la langue d'un animal avec un acide dilué, les signes de dégoût qu'il donne ne sont pas aussi prononcés que ceux que l’on provoque chez lui par les saveurs amères. Mais il est affecté désagréablement, il se défend, et une forte salivation survient, ayant sa source princi- palement dans la glande parotide. Eh bien, si l’on fait la section des nerfs sensibles de la langue et si l’on applique le même acide sur l’extrêmité de leur bout central, on n’ob- serve pas d'augmentation de la sécrétion parotidienne, tandis que les irritations mécaniques des mêmes extrémités nerveuses la provoquent comme si elles agissaient sur la langue elle-même: preuve que la perception de l’acide est bien réellement une impression sensorielle, différente de l'impression tactile. Les g'oûts ou saveurs que nous pouvons considérer comme étant de nature spécifique, sont réductibles à quatre groupes, ce sont: les sensations de l’exer, de l'acide, le goût sucré et salé. Une foule d’autres goûts que l’on désigne commu- nément comme tels et qui ne rentrent pas dans l’un des CINQUIÈME LÉÇON 83 quatre groupes énumérés, ne sont très-probablement que des impressions tactiles combinées à des impressions de l'odorat, sensations souvent très-difficiles à distinguer, par- ce qu’elles sons perçues simultanément. Ainsi le goût de l'huile ne paraît être que la sensation de la diminution de frottement entre la langue et le palais, combinée à l'odeur spécifique du corps gras. L'huile de ricin n’a pas d’odeur pour certains individus; pour eux elle n’a pas non plus de goût. D'après les remarquables observations de Romberg, sur des malades affectés de diminution ou d’abolition de l'odorat, il en serait de même pour la grande majorité des autres goûts, non compris dans l’une des quatre catégories indiquées. — La différence de saveur entre l’amande et la châtaigne ne consiste, selon toute probabilité, qu’en une différence de consistance et d'odeur. La finesse du goût, aussi bien que de l’odorat et des autres sens, et la délimitation anatomique des surfaces g'us- tatives sont sujettes à de nombreuses variations indivi- duelles. Chez la plupart des hommes, c’est la langue qui est l'organe principal du goût, mais très-souvent les saveurs sont aussi perçues par les piliers antérieurs du voile du palais et le voile du palais lui-même. Ce fait n’a rien que de na- turel si l’on a présente à l'esprit la distribution des filets nerveux de la neuvième paire ou glosso-pharyngiens. — Les bords et la base de la langue sont plus vivement impres- sionnés par les corps sapides que ne l’est le milieu ou le dos de l'organe. On a même nié la sensibilité gustative de cette dernière région, car si l’on recouvre les bords de la langue avec de la toile cirée et que l’on applique des substances amères sur l'espace médian resté à découvert, la sensation est presque nulle. Elle n’augmente pas, aussi longtemps que la langue est maintenue immobile, mais elle éclate avec toute sa vivacité, dès que l’org'ane est mis en mouvement ou frotté avec un corps étranger à l’endroit de l’application. Ceci nous indique une autre particularité de l'impression 84 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. œustative: celle de ne se produire avec toute son intensité que grâce aux mouvements de l’organe qui la perçoit. La langue, en se déplaçant et en se frottant contre la voûte du palais, établit en effet un contact plus intime des subs- tances sapides appliquées à sa surface et favorise ainsi leur pénétration dans les replis de la muqueuse. Dans ces derniers temps, Neumann s’estservi de l'excitation électrique pour déterminer les régions de la cavité buccale douées de sensibilité gustative. Rosenthal déjà avait dé- montré par des procédés spéciaux que le goût acide ou al- calin qui se manifeste au moment de l'application des pôles d’une pile à la muqueuse linguale, n’est pas dû à la décom- position électrolytique des liquides buccaux, mais à l’exci- tation directe des terminaisons nerveuses. Partant de ce principe, Neumann rechercha les points de la cavité buccale sur lesquels l'électricité réveille la saveur acide caracté- ristique qu’il est impossible de confondre avec la simple sensation de contact. Il employa, à cet effet, des courants de faible intensité, ne pouvant par conséquent se propager aux couches plus profondes de la muqueuse. Pour localiser exactement les sensations accusées par les sujets soumis aux expériences, il se servait d’électrodes de cuivre, terminés par des renflements en têtes d'épingles, et séparés seulement par un intervalle d’une demi ligne. — Ses résultats ne con- cordent pas entièrement avec ceux de ses prédécesseurs, comme Drielsma, Stich, Klaatsch, Schirmer, qui avaient expérimenté avec des substances sapides. Neumann regarde comme organes du goût: la pointe, les bords et la base de la langue, y compris la région des papilles calicinées; en revanche la surface médiane supérieure, toùte la surface inférieure, ainsi que le filet de la langue en seraient dé- pourvus. Il ne reconnaît de sensibilité gustative ni aux gencives, ni à la muqueuse des joues, du plancher de la cavité buccale et des lèvres. Contrairement à Drielsma qui avait reconnu des propriétés gustatives à la voûte du CINQUIÈME LEÇON. 85 palais, Neumann trouva cette région complètement insen- sible aux saveurs chez plusieurs individus. La partie anté- rieure du voile du palais participerait à la faculté gustative à l'exception de la luette que Drielsma rangeait parmi les organes du goût. Neumann ne restreint pas, à l'exemple de Schirmer, la sensibilité gustative du voile du palais aux bords de cet appendice membraneux, mais la reconnaît à toute sa surface antérieure, hormis la luette. Quant aux prolongements latéraux du voile du palais, les piliers anté- rieurs seuls jouiraient, selon Neumann, de la faculté de per- cevoir les saveurs, et en cela il est d'accord avec Schirmer. Les piliers postérieurs, les amygdales et les parois du pha- rynx se montrèrent privées de goût. Voici l’ordre dans lequel Neumann classe les régions énumérées, d’après le degré de leur sensibilité pour l'acide: langue, piliers anté- rieurs du voile du palais, voile du palais. Je n'ai pas besoin d’insister sur ces détails qui sont généralement connus. Arrétons-nous à la question plus controversée de l'origine des nerfs qustalhifs, et pas- sons rapidement en revue les faits principaux qui s’y rat- . tachent. Au siècle passé, le rameau Zingual du trijumeau jouissait encore du privilége exclusif de présider au sens du goût; son ancienne dénomination de nervus gustatorius en fait preuve. Cette opinion se fondait sur une observation de Heuermann qui, chez un malade affecté d’abolition unila- térale du goût, avait trouvé le nerf lingual dégénéré du même côté. Rolfink, Sténon et leurs contemporains furent conduits à la même conclusion par l’autopsie d’un charlatan qui, sous le nom de Zazare Vitrivore ou mangeur de verre, s'était fait voir pour de l'argent pendant sa vie, et chez lequel on constata l’absence du nerf lingual. Ces deux cas et la plupart des observations de ce genre ne. permettent pas de conclusion absolue, car elles ne donnent pas la certitude complète que le goût ait manqué sur toute 86 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. l'étendue de la langue, ni que tout le trijumeau fût dégé- néré, ni que le trijumeau seul le fût. Or nous savons que la langue reçoit, de chaque côté, trois nerfs: 2ypoglosse (12% paire), le y/ossopharyngien (9ème paire) et le Zingual (rameau de la 5" paire). L'hypoglosse, le plus gros d’entre eux, se termine dans les muscles de la langue et est reconnu depuis longtemps comme nerf exclusivement moteur. — Le glosso-pharyngien, beaucoup plus mince que le précédent, forme selon Scarpa et Sæm- mering', la première portion de la huitième paire de Willis ou vague. On est à peu près unanime de nos jours pour le considérer comme paire distincte. Il se distribue aux deux tiers postérieurs de la langue et aux régions supérieures du pharynx. C’est ce nerf et le suivant qui président à la sensibilité de la langue et dont les fonctions nous inté- ressent plus spécialment. — Le lingual, rameau de la troi- sième branche du trijumeau, auquel est principalement confiée la sensibilité tactile de la langue, ne se répand que dans le tiers antérieur de l’organe, comme nous le prouverons encore plus tard. Magendie a nié pendant longtemps la fonction gustative du glosso-pharyng'ien, et plaçait, ainsi que ses prédécesseurs, le sens du goût exclusivement dans le lingual. Ses preuves étaient tirées de l'expérimentation physiologique. Il avait vu des animaux privés des glosso-pharyngiens (ou du moins qu’il supposait privés de ces nerfs) refuser des aliments rendus amèrs, et ne les manger sans signes de répugnance, qu'après leurs avoir coupé le trijumeau. Quant à l’hypoglosse, Ma- gendie le considérait comme exclusivement moteur et dépourvu de sensibilité. Deux circonstances doivent nous frapper dans l’expérience citée de Magendie. En premier lieu il déclare la section des glosso-pharyngiens une opération d'exécution aisée, opinion un peu suspecte si l’on considère la profondeur à laquelle est située l’origine de ces nerfs. C’est, en effet, presque immé- CINQUIÈME LEÇON. 87 diatement à leur sortie du crâne qu'il faut aller les chercher pour en faire la section complète au dessus de leur divi- sion en deux rameaux. Dans cette opération, on rencontre constamment, avant d'arriver au glosso-pharyngien, le ra- meau pharyngien du pneumogastrique , dont le trajet est parallèle à celui du premier, et que l'on peut très-facilement confondre avec lui. — En second lieu, Magendie indique que ses animaux présentaient ordinairement des troubles de déglutition qu'il attribue à la section du glosso-pha- ryngien; mais ces mêmes troubles s’observent également et à un plus haut degré après la résection du rameau pha- ryngien de la dixième paire. — Il est donc assez probable que Magendie, croyant couper le glosso-pharyngien, n’a lésé que le rameau pharyngien du vague, erreur qu'il n’est guère possible d'éviter autrement qu’en poursuivant le nerf que l'on a devant soi, jusqu'à la bulle osseuse, à laquelle le glosso-pharyngien vient s’accoller après sa sortie par le trou déchiré postérieur. Panizza a vu la sensibilité tactile de la langue disparaître et le goût au contraire se conserver après la section du lin- œual. La section du glosso-pharyngien au contraire abolissait le goût. Panizza en conclut que se sens réside entièrement dans la neuvième paire, à laquelle il attribue une autre pro- priété caractéristique des nerfs des sens proprement dits : celle de réagir au moment de sa section, non par de la douleur, mais par une sensation gustative. Ses preuves de la localisation du sens du goût dans le glosso-pharyngien ne sont cependant pas suffisantes, car elles ne donnent pas la certitude de l'absence complète du goût après la section de ce nerf. Ses chiens, il est vrai, mangeaient sans dégoût, après l'opération, de la viande rendue amère par de la dé- coction de coloquinte, mais ce fait n’implique pas encore que leur goût fût entièrement aboli. Il aurait pu être simple- ment diminué, ou bien l'envie que les animaux avaient de manger être plus forte que leur aversion contre la colo- 88 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. quinte, D'ailleurs, en admettant même les résultats obtenus par Panizza, il resterait encore à examiner si le nerf g'losso- pharyng'ien n’est pas peut-être le nerf spécial pour la per- ception de l’amer, tandis que d’autres nerfs présideraient à celle des autres goûts. Cette dernière supposition, tendant à répartir les fibres gustatives dans plusieurs nerfs, a été formulée pour la pre- mière fois par J. Müller. Tout en regardant, avec Magendie et ses prédécesseurs, le nerf lingual comme le nerf principal du goût, J. Müller ne refusait pas au glossopharyngien des propriétés gustatives, localisées sur les parties postérieures de la langue et sur le pharynx. Ayant observé attentivement la manière dont se comportent les animaux privés des glosso- pharyngiens, en mangeant des substances rendues amères, il se persuada qu'ils avaient conservé un reste évident de sensibilité gustative, bien que la perception de l'amer fût notablement diminuée chez eux. Il ne suffit pas, en effet, d'examiner si les animaux, après cette opération, mangent ou non des aliments rendus amers, mais il faut voir comment ils les mangent, Voici deux chats à jeun depuis 24 heures. Le premier est normal; le second a subi, il y a quelque temps, l'extirpation des glosso-pharyngiens à leur sortie du crâne. Présentons à ces animaux de la viande imprégnée de décoction de colo- quinte fraîchement préparée, et voyons de quelle manière ils réag'iront au contact de cette substance. Le chat normal laisse tomber immédiatement les morceaux qu'on lui fait saisir. Si l’on essaie d’en introduire par force dans sa bouche, il résiste violemment, secoue la tête, fait des mouvements de mastication à vide, et rejette la viande avec une grande quantité de salive. Le chat opéré accepte sans difficulté les morceaux préparés qu'on lui présente. Illes saisit entre les dents, mais au lieu de les mâcher d’une manière suivie comme les morceaux non préparés, il les rejette à plusieurs reprises, les reprend di 55 CINQUIÈME LEÇON. 89 encore, mais lentement, avec méfiance, et ne les avale qu'après avoir plusieurs fois secoué la tête et donné des signes évidents d'une impression désagréable. J. Müller, auquel ces phénomènes n'avaient pas échappé dans des expériences analogues faites en commun avec Kornfeld, avait donc raison de dire que la section de la neuvième paire n'abolit pas entièrement la gustation, et que si le glosso-pharyngien conduit certaines impressions gustatives , il n’en constitue pas la voie de transmission exclusive. Cependant est-ce bien un reste de goût qui est cause des phénomènes que nous venons d'observer, et les signes de répugnance qu'a donnés le dernier de nos animaux ne pour- raient-ils pas être rapportés à l'odeur de la coloquinte ? — A cette objection nous pouvons répondre que la décoction de coloquinte ne dégage d'odeur appréciable qu'après avoir été conservée pendant quelque temps, et que celle dont nous nous sommes servis est fraîche et tout-à-fait inodore. D'ailleurs, si même la décoction fraîche impressionnait désagréablement le nez du chat, notre animal aurait flairé les morcaux pré- parés et s’en serait éloigné sans y toucher. Tout le monde sait à quel point le chat est sensible aux odeurs qui lui déplaisent et avec quel soin il choisit sa nourriture. Jamais on ne le voit manger de la viande en décomposition, tandis- que le chien, dont l’odorat est beaucoup plus fin, ne la refuse pas s’il est affamé. — C’est précisément pour cette raison que le chat s'adapte mieux à ce genre de démonstrations. — Dans l'expérience de tantôt vous avez remarqué avec quelle hésitation l'animal opéré a mangé la viande amère. Ce n’est pas avant de la saisir, mais après l'avoir introduite dans la bouche et mâchée qu’il montrait de la répugnance; il y est retourné à plusieurs reprises, sans la flairer, ce qui in- dique assez que le motif de sa répugnance siégeait dans l'organe du goût et non dans celui de l'olfaction. Mais si nous comparons la vivacité des impressions pro- 90 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. duites par la même substance chez ces deux animaux, il faut convenir que le dernier n'avait plus qu'un reste de sensibilité pour l’amer. Il paraît donc bien que cette sensi- bilité spécifique siège principalement dans les terminaisons du glosso-pharyng'ien. D'autres expériences nous montreront que pour la perception des autres goûts ce nerf ne joue qu’un rôle secondaire. La même expérience a été répétée par Bifi sur des chiens, avec une modification ingénieuse qui démontre plus claire- ment encore l'existence d’un reste de sensibilité pour l’amer, après la section des glosso-pharyngiens. Bifi présente aux animaux opérés leur nourriture divisée en deux portions : l’une, non préparée, dans un vase blanc; l’autre, rendue amère, dans un vase jaune. Les chiens s'approchent d'abord indifféremment des deux vases, mais bientôt ils ne tou- chent plus au contenu du vase jaune. Les phénomènes de la salivation réflexe, survenant par l'effet des excitations du goût, nous fournissent d’autres preuves plus rigoureses du théorème que nous voulons dé- montrer. Le contact de substances amères avec les mu- queuses gustatives produit, à l'état normal, une augmen- tation considérable de l'écoulement salivaire. Cette augmen- tation se montre encore, quoique à un plus faible degré, après la section des glosso-pharyngiens , tandisque les impressions de l'odorat sont impuissantes à la produire, dans l’un et l’autre cas. Nous aurons à revenir sur ces phénomènes en parlant des f#s{ules salivaires et nous verrons que c’est surtout la sécrétion parotidienne et sous-maxillaire qui sont excitées par les impressions gustatives. L’aug- mentation de sécrétion est moins évidente, mais toujours appréciable, après la section des glosso-pharyngiens, dans la glande parotide; elle est presque nulle dans la glande sous-maxillaire. Ces faits prouvent que si l’animal opéré réagit encore à l'ingeestion des substances amères, c’est bien par l'organe du goût et non par un autre sens qu’il est CINQUIÈME LEÇON. 91 averti de leur contact. L'étude que nous ferons des autres voies par lesquelles se transmet l'impression gustative, ré- soudra définitivement cette question. Après que J. Müller eût apporté les premiers documents positifs contre la doctrine de Panizza, plusieurs travaux confirmatifs vinrent appuyer l'opinion du physiologiste al- lemand. Les recherches très-étendues et consciencieuses de Bifi et Morganti mirent hors de doute que le trijumeau transmet des impressions gustatives, résultat déjà précé- demment obtenu par Longet. En 1848 et 1849 je confirmai, de mon côté, les résultats de Biffi, sauf un point concernant la salivation réflexe après la section de la neuvième paire. Selon Bifñ, l'écoulement salivaire provoqué par les goûts amers, ne diminue pas après cette opération; tandisque, dans mes expériences, j'ai toujours observé une certaine diminution, comme je l’ai dejà indiqué tout-à-l’heure. La résection des glosso-pharyng'iens n’est pas une opéra- tion dangereuse ni d'exécution très-difficile si l’on se con- forme aux règles suivantes. (On a exagéré surtout le danger d'hémorrhagie, puisqu'on est allé jusqu'à recommander la ligature préalable de la carotide). Après avoir incisé la peau, on se guide d’après la posi- tion du nerf hypoglosse qui est facilement reconnaissable, et que l’on suit, avec les doigts ou l’extrêmité mousse de la pince fermée, jusqu’au point où il se croise avec la ca- rotide. Un aide est chargé d'attirer en dehors le nerf et l'artère. Dès lors on pénètre directement, et par le même procédé, c'est-à-dire sans employer d'instruments tranchants, jusqu'à la bulle osseuse, où l’on rencontre d’abord le rameau pharyngien du pneumogastrique. En exerçant sur ce nerf une légère traction avec la pince, on fait mouvoir le tronc du pneumogastrique, mis à nu, caractère suffisant, dans tous les cas, pour ne pas le confondre avec le glosso-pha- ryngien. C’est un peu au dessus de ce rameau que se trouve le tronc du glosso-pharyng'ien, accolé à la partie postérieure 92 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. et interne de la bulle osseuse. On le saisit alors aussi près que possible du trou déchiré postérieur par lequel il sort du crâne et on l’arrache par un léger mouvement de trac- tion. De cette manière on est sûr de l’extirper avec tous ses rameaux. Nous allons faire cette opération sur un chat, préparé pour ce but, afin de voir de quels phénomènes est accompagnée l’extirpation du nerf. Cet animal à déjà subi, environ une heure avant la leçon, l’extirpation de l’un des glosso-pha- ryngiens. L'autre nerf, encore intact, a été préparé et isolé au moyen d'un fil, tout près du point où il sort du crâne. Une simple traction sur le fil suffira pour l’arracher. Vous voyez que l'animal est alerte et que ses mouvements ne présentent rien d’anormal; preuve qu'il n’a pas souffert de la double préparation qu'il a subie. L'hémorrhagie, en effet, a été presque nulle. Je romps le nerf, en tirant sur le fil. — Le chat a poussé un petit cri, mais ne s’est pas débattu. Il a éprouvé une sensation douloureuse qui n’a duré qu’un instant et qui a coïncidé avec la rupture du nerf. Il est impossible d'at- tribuer ce phénomène à quelque autre cause, car il n'y avait pas d'autre rameau nerveux compris dans le fil, et le glos- s0-pharyngien ayant été isolé jusqu’au crâne, il n’est pas à supposer que sa gaîne ou le tissu cellulaire aient transmis une traction aux nerfs sensibles du voisinage. Nous ne pouvons pas non plus admettre d’irritation de la moëlle al- longée, provoquée par l’arrachement des racines du glosso- pharyngien, car, outre que ces racines sont excessivement minces, leur point d'insertion dans la moëlle n’est pas sensible. Je puis ajouter que dans d’autres expériences de ce genre, faites sur des chats, les animaux à moitié réveillés de l'éthérisation se montraient très-inquiets au moment de la préparation du nerf. Mais après l’extirpation, je pouvais toucher impunément et sans provoquer de signes de douleur, CINQUIÈME LEÇON. 93 l'extrémité périphérique du nerf, ainsi que la bulle osseuse à laquelle il adhère. Ces expériences prouvent que le glosso-pharyng'en est sensible à la douleur et que cette sensibilité ne lui est pas communiquée par des anastomoses avec d'autres nerfs. Dans ce dernier cas, le tronc du nerf, séparé de la moëlle, devrait rester sensible. Nous ne pouvons donc pas accepter l'opinion de Panizza qui n’accorde au glosso-pharyngien que la sensibilité gustative. Un autre fait important est contraire à cette opinion: c’est qu'après l’extirpation de la neuvième paire, la base de la langue perd non seulement une grande partie de sa sensibilité spécifique pour l’amer, mais encore sa sensi- bilité tactile. On peut, chez les animaux opérés, toucher impunément la muqueuse de l’arrière-bouche et la base de la langue, sans provoquer les mouvements réflexes, si évidents et si prompts à se produire dans l’état normal. Donc le nerf glosso-pharyngien n’est pas seulement nerf gustatif, mais encore doué de sensibilité tactile et doulou- reuse. Sous ce rapport, il diffère essentiellement des autres nerfs des sens proprement dits, qui ne réagissent pas par la douleur aux irritations mécaniques. L’extirpation du glos- so-pharyngien est accompagnée constamment d’un autre phénomène, encore très-visible chez le chat que je viens d'opérer, c'est-à-dire, d’un abondant écoulement salivaire. L’irritation de la cinquième et de la septième paire produit le même effet, ce qui peut servir à expliquer la salivation observée chez l'homme dans beaucoup de névralgies. Laissons passer la salivation réflexe chez l’animal que vous avez sous les yeux et examinons ensuite de quelle manière il réagira aux excitations g'ustatives. Vous voyez, messieurs, que l'écoulement a cessé. J’introduis entre les dents du chat un petit fragment de coloquinte. L'animal secoue la tête, fait des mouvements de mastication et rejette la coloquinte. En même temps les coins de sa bouche 94 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. donnent passage à une salive épaisse et filandreuse. Cette sécrétion toutefois cesse bientôt. — Voyons comment il réagira à l'introduction d’un liquide sans saveur. Quelques groutes d’eau que je verse dans sa bouche, lui font également secouer la tête, mais n'amènent pas de salivation. — Je prépare une décoction fraîche de coloquinte: le liquide, préa- lablement refroidi, puis appliqué sur la langue du chat, provoque immédiatement un abondant écoulement de salive, comme la coloquinte appliquée en nature. — Un morceau de viande saupoudrée de quinine, substance qu’on n’accusera certes pas d’affecter désagréablement l’odorat du chat produit exactement le même effet. La réaction, à vrai dire, n’est ni si évidente ni si éner- gique qu'avant l'opération; mais elle existe. L'amer est encore faiblement perçu. Quant aux saveurs acides, leur perception ne paraît pas être altérée par la section des glosso-pharyng'iens. De l’acide acétique dilué au point de ne plus agir, sous le microscope, sur les cellules épithéliales, c’est-à-dire, de ne pas rendre leur noyau plus visible, donne lieu aux mêmes réactions et au même degré de salivation chez les animaux privés ou non de la neuvième paire. Ainsi, messieurs, l'impression des saveurs acides est transmise par un autre nerf, doué en même temps d'un peu de sensibilité pour l’amer, comme vous avez pu vous en convaincre par deux expériences. La section du nerf 4ypoglosse paralyse les mouvements de la langue, mais n’en modifie en aucune sorte la sensibilité. C’est donc bien au rameau Zingual du trijumeau qu'est dévolue la fonction signalée en dernier lieu. On a été trop exclusif en attribuant au lingual la transmission de outes les impressions gustatives, et il n’y a pas à s’étonner de cette erreur si l’on considère de quelle manière ont été constatés pendant longtemps les troubles de la gustation chez les malades. Voici le procédé que vous trouverez décrit dans la plupart des ouvrages cliniques. On faisait CINQUIÈME LEÇON. 95 sortir la langue au malade, et l’on expérimentait avec différents corps sapides sur la partie de l'organe visible au dehors, sans s'occuper de la sensibilité des parties po- stérieures qui demeuraient cachées dans la bouche. Le district du glosso-pharyngien restait ainsi inexploré et l’on déclarait privés de goût des sujets affectés peut être seulement d’a- nesthésie du lingual. De nos jours l'observation clinique devra soigneusement éviter cette erreur. Le lingual, ainsi que le glosso-pharyngien, est un nerf de sensibilité mixte. Il transmet les impressions tactiles et gu- statives Zu liers antérieur de la langue. Les recherches de Longet, de Biffi et les expériences que j'ai faites sur le même sujet, démontrent que la section bilatérale du lingual abolit la sensibilité tactile et gustative du tiers antérieur de la langue, tandis qu'elle laisse subsister ces fonctions sans altération sur les deux tiers postérieurs. Les animaux, après avoir subi cette opération, lèchent sans répugnance de la viande ou du lait rendus amers, mais les rejettent aussitôt que les premières portions arrivent dans l’arrière-bouche. On a attribué la sensibilité gustative de la portion anté- rieure de la langue à des rameaux de communication du glosso-pharyngien avec le lingual, opinion suffisamment refutée par ce qui précède. En France, au contraire, on à admis que la sensibilitè de la base de la langue dépendait d'un rameau récurrent du lingual, décrit par Hirschfeld. Mais comment la simple dissection au scalpel peut-elle nous éclairer sur l’origine et sur la fonction d'une anastomose nerveuse ? C’est à peine si au microscope on réussit, dans des cas rares, à suivre bout à bout les fibres croisées et capricieusement entremêlées qui composent un même rameau nerveux. À plus forte raison l’examen microscopique ne pourra-t-il jamais nous renseigner sur l’origine et la direction des filets de réunion entre des troncs nerveux de source « différente. La seule méthode apte à décider ces sortes de x questions consiste à couper, l’un après l’autre, les troncs 96 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. nerveux que relient les filets d’origine inconnue, et à pour- suivre à la périphérie, l’altération caractéristique des fibres primitives frappées de paralysie. Cette altération qui consiste en une dégénerescence graisseuse du contenu des tubes nerveux, se déclare visiblement à partir du douzième jour, dans toutes les ramifications du tronc séparé des centres. Le contenu des tubes primitifs, parfaitement homogène et trans- parent à l’état normal, se subdivise d’abord en fragments cy- lindriques, à contours opaques; ces derniers se subdivisent, à leur tour, en fragments plus petits qui, en s’arrondissant, don- nent au contenu nerveux un aspect moniliforme. Vers le vingtième ou vingt-cinquième jour, toute la fibre primitive est envahie par des gouttelettes de graisse, de grandeur variable et permettant de distinguer au premier coup d'œil les fibres paralysées de celles qui ne le sont pas. Eh bien, si l’on applique ce procédé au ling'ual, en le cou- pant des deux côtés et en laissant vivre l'animal jusqu'à l’accomplissement de la dégénerescence graisseuse, voici ce que l’on observe: La partie antérieure de la langue est parcourue par une multitude de filets dégénérés, tandis que dans le tiers postérieur il est impossible d’en reconnaître un seul. Ce fait nous donne la certitude absolue que le lingual n’envoie pas de filet récurrent à la base de la langue. L'examen du goût, chez les animaux ayant subi la résection bilatérale du lingual, n’est pas aussi exempt de difficultés que le même examen après l’extirpation de la neuvième paire. Il va sans dire d’abord qu'on ne peut ex- périmenter indifféremment avec des substances acides ou amères, puisque l'application de ces dernières serait suivie des réactions ordinaires dans le district du glosso-pharyn- gien, resté intact. En second lieu, cette opération entraînant l’anesthésie complète des parties antérieures de la langue, les animaux que plus rien n’avertit de la présence de l’or- gane dans leur bouche, en déchirent involontairement les CINQUIÈME LEÇON. 97 bords avec les dents. Il est donc préférable, si l’on veut pro- longer l'observation et conserver les animaux, de ne les opérer que d'un seul côté, après les avoir préalablement habitués à se laisser ouvrir la bouche et examiner la langue sans résistance. Puis on étudie alternativement la sensibilité œustative des deux côtés de la langne, en ne se servant d'abord que de substances sans saveur, et en passant ensuite de préférence aux acides. Sur le chien que voici j'ai fait, il y à environ quinze jours, la section du lingual du côté droit. Comme vous le voyez, la moitié droite de la langue est déjà profondément entaillée et dilacérée par les dents de l'animal. — De l’eau pure que J'instille dans sa bouche, ne produit aucun effet. Du vinaigre dilué, appliqué alternativement sur les deux côtés du tiers antérieur de la langue, laisse l'animal parfaitement indif- férent du côté lésé, tandis qu'il réagit énergiquement, par ses gestes et par une abondante salivation, du côté sain. La base de la langue est sensible des deux côtés. Arrivés à ce point de notre étude des nerfs du goût, nous pourrions formuler très-simplement les lois de leur distri- bution. D'une part le glosso-pharyng'ien, présidant à la sen- sibilité de la base de la langue et chargé plus spécialement de la perception des goûts amers; d'autre part le rameau lingual du trijumeau, envoyant ses fibres au tiers anté- rieur de l'organe et plus particulièrement en rapport avec la perception des saveurs acides, sans tenait être insen- sible aux amers. Mais de cette manière nous n’aurions pas épuisé les sources des nerfs gustatifs. Outre la cinquième et la neuvième paire, nous verrons, dans la prochaine leçon, qu'il existe une troisième voie de transmission pour le goût des parties antérieures de la langue, voie nerveuse intéressante surtout par les controverses auxquelles elle a donné lieu, et dont les recherches modernes n’ont pas encore définitivement précisé les origines. TOME PREMIER 7 SIXIÈME LEÇON. Sommaire: Séparation anatomique des fibres gustatives et sensibles des parties antérieures de la langue. — Faits qui rendent probable cette séparation. — Effets des paralysies cen- trales du trijumeau. — Troubles gustatifs, consécutifs à cette lésion. — Casuistique. — Exceptions. — Influence de la corde du tympan sur la gustalion. — L'hémiplégie faciale considérée dans ses rapporis avec la gustation des parties antérieures de la langue. — Casuistique pathologique. — Expériences directes sur la corde du tympan. — Hypothèses anatomiques destinées à expliquer le rôle de la corde du tympan dans la gustation. Messieurs, Nous avons démontré que le sens du goût est sous la dépendance de deux nerfs, distribués l’un au tiers antérieur, l’autre aux deux tiers postérieurs de la langue, et doués tous deux de sensibilité tactile et douloureuse. Contrairement aux autres nerfs des sens, qui ne transmettent aux centres qu'une seule espèce d'impressions spécifiques, le rameau lingual du trijumeau et le glosso-pharyngien sont éminem- ment sensibles, et leur section entraîne non seulement la perte du goût, mais aussi l’anesthésie. Il n’en est pas moins évident que ces deux fonctions dont une foule d'observations cliniques et physiologiques attes- tent la non-identité, ne sauraient s'exercer par l'intermé- diaire des mêmes fibres nerveuses et que nous devons admettre des voies séparées pour les impressions tactiles SIXIÈME LEÇON. 99 et gustatives. Les exemples d’anesthésie de la langue, avec conservation du goût sur les parties insensibles au contact et à la douleur, excluent toute autre interprétation. Mais comment arriver à une séparation anatomique de ces deux ordres de voies nerveuses? Leur séparation cli- nique, c’est-à-dire, l'observation de lésions isolées de l’un ou de l’autre sens, ne compte que des exemples peu nom- breux et peu décisifs, en grande partie parceque la distin- ction entre le goût des parties antérieures et postérieures de la langue n’a été appliquée à l'examen des malades que depuis un temps relativement très-court. Romberg (1) lui- même confesse que ses premières observations d'ageustie ou d'absence du g'oût, constatées d’après l’ancienne méthode que nous avons critiquée dans la dernière leçon, n’ont pas de valeur, et il applique la même remarque aux expériences antérieures, Cconsignées dans son livre et qui ne reposent pas sur cette distinction. Quant aux parties postérieures de la langue, innervées par la neuvième paire, ni la pathologie ni l’expérimentation physiologique ne nous fournissent jusqu’à présent d’indi- cation à laquelle nous puissions rattacher l'espoir d’une séparation anatomique de leurs fibres sensibles et gusta- tives. On n'a pas observé ni obtenu artificiellement, par des résections de nerfs, l'abolition isolée du goût ou de la sensibilité tactile de la base de la langue. Il n’en est pas de même du tiers antérieur de l’org'ane, innervé par le rameau lingual du trijumeau. Ce sujet de- mande quelques développements. Nous avons, dans la der- nière séance, passé en revue quelques-uns des arguments qui démontrent les fonctions gustatives du nerf lingual par les résultats de l’expérimentation sur les animaux. Nous avons vu quels sont les effets de la section de ce nerf, (1) M. H. RowserG. Lehrbuch der Nervenkrankheiten des Menschen. Il édit, 4851. T. I. pag. 304. : 100 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. avant son entrée dans la langue, et quelle est l'extension du district privé de goût après cette opération. J'ajouterai que chez le cochon d'Inde, ce district comprend les Zewx liers antérieurs de l'organe et chez le lapin la woitié an- térieure, tandisque chez la plupart des autres animaux un tiers seulement se montre affecté. Ce dernier mode de distribution des fibres du lingual a été constaté également chez l'homme, comme il résulte d'un cas rapporté par Lus- sana et Inzani (1). Chez un malade affecté d’une violente névralgie de la face et de la langue, Inzani pratiqua la section unilatérale du lingual, dans l’espace compris sous les ptérygoïdiens. La moitié correspondante de la langue resta dès lors insensible aux impressions tactiles et douloureuses. Le diers antérieur du côté paralysé perdit le goût pour les substances amères, douces et acides. La base du même côté et tout le côté non paralysé continuèrent à percevoir normalement les impressions tactiles et gustatives. Ce résultat, suite de la secéion du tronc du lingual, est constant et l’on pourrait s’attendre à le voir se reproduire dans les paralysies centrales des racines du trijumeau. Voyons ce que nous enseigne sous ce rapport la casuistique pathologique. : Serres (2) rapporte l’histoire d’un jeune homme de 26 ans, affecté d'anesthésie de toute la moitié droite de la face et de la langue. Du poivre et de la quinine appliqués sur le côté insensible de la langue (l’auteur ne dit pas sur quelle portion de ce côté) ne réveillaient pas d'impression gusta- tive, mais étaient vivement perçus sur l’autre moitié de l'organe. L’autopsie révéla une dégénérescence étendue à toute la portion sensitive du ganglion de Gasser; la petite portion motrice paraissait épargnée. (4) G. Inzanr et F. Lussana. Annal. universal, CLXXXI, p. 282, 1864. (2) Serres. Anatomie comparée du cerveau. T. IL p. 67, 1826. SIXIÈME LEÇON. 101 Rigler, dans une communication adressée à Romberg (1) décrit un cas analogue, observé sur un employé turc, à Constantinople, qui, à la suite d'une chûte sur le côté gauche de la tête, fut frappé d’insensibilité de la moitié corres- pondante de la face et de la langue. De la poudre de rhubarbe ou de quinine appliquée sur es portions antérieures et moyennes du côté gauche de la langue n'était pas perçue par le malade; toute la base de la langue au contraire se montrait normalement sensible aux saveurs. Cette obser- vation est doublement intéressante pour la question qui nous occupe, en ce que la distinction entre les portions antérieures et postérieures de la langue y est pour la première fois clairement établie. Cette distinction n’a malheureusement pas été faite dans le cas suivant, également rapporté par Romberg, d’après une lettre du professeur Fenger, de Copenhague (2). Une femme de 57 ans, qui avait été opérée, à l'âge de 49 ans, d'un cancer du sein droit, fut prise de cachexie générale, ac- compagnée au début d’atrophie et de parèse du bras droit. Bientôt il se déclara une violente névralgie du côté droit de la face, qui passa peu-à-peu à une paralysie complète de la sensibilité de cette région, avec exophthalmos, ulcé- ration de la cornée, perte de l’odorat à droite, et abolition totale de la sensibilité gustative et tactile de la moitié correspondante de la langue. A l’autopsie, on trouva le ganglion de Gasser du même côté changé en une masse dure, du volume d’une grosse noisette, et les trois rameaux du trijumeau considérablement épaissis jusqu'à leur issue du crâne. Je cite d'après Romberg un autre cas, plus compliqué, observé par l’auteur lui même sur une femme de 69 ans (3). Il y avait en même temps paralysie du facial (1) RowgerG. loc. cit. T. I. p. 253. (2) Ibid. p.254. (5) Ibid, p. 256. 102 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. et du trijumeau à gauche. La moitié gauche de la langue était anesthétique et privée de goût. (Les portions anté- rieure et postérieure n’ont pas été examinées isolément). Guérison. : Observation de Fr. v. Meyer (1). Une femme enceinte de 7 mois, fut blessée par un coup de pistolet dans le côté droit du cou. Peu de jours après il survint de l’anesthésie dans toute la moitié droite de la face, des troubles de mo- tilité dans les extrémités inférieures et supérieures, et d’autres désordres qui n’ont pas de rapport avec la question que nous étudions. A l'examen clinique, la langue présenta les phénomènes suivants: Insensibilité de la portion anté- rieure du côté droit, sensibilité normale de la portion po- stérieure : les attouchements de cette partie provoquaient des vomituritions. L'application de sucre, d’acide acétique, d'encre, de poudre de rhubarbe ne réveillait aucune sensa- tion sur les portions antérieure et moyenne du côté paralysé, tandisqu'à gauche les saveurs de ces corps étaient norma- lement perçues. La bouche ne pouvant être complètement ouverte; les parties postérieures de la langue n'étaient que difficilement accessibles à l’expérimentation; cependant la poudre de rhubarbe y produisait l'impression amère carac- téristique Zu côté droit. La malade, après être accouchée à terme, succomba au bout de sept mois à une suppura- tion du poumon droit. Parmi les graves lésions qui furent trouvées à l’autopsie, je ne mentionnerai que celles qui nous intéressent plus spécialement. La balle, après avoir traversé la paroi postérieure du pharynx, avait pénétré dans le canal rachidien par la seconde vertèbre cer- vicale, et s'était arrêtée dans la cavité crânienne, à la surface antérieure du rocher droit, et à côté du ganglion pétreux. Les portions sensitive et motrice du trijumeau droit étaient visiblement amincies; le ganglion de Gasser, (1) Fr. v, Meyxr. Dissert. inaug. sistens paralyseos nervi trigemini casum. (lena 1847). SIXIÈME LEÇON. 103 ainsi que le lobe moyen du cerveau présentaient une colo- ration jaune et se trouvaient dans un état de ramollisse- ment, également reconnaissable dans les trois branches du trijumeau et dans le nerf moteur oculaire externe. Le nerf moteur oculaire commun, le facial, et le glosso-pharyngien n'étaient pas altérés (1). Ces observations sont d'accord avec les résultats obtenus par Magendie en pratiquant sur des animaux des lésions intracrâniennes des racines du trijumeau. Magendie affirme avoir produit de cette manière l'abolition complète du goût sur le côté correspondant de la langue. Cependant, dans la description qu’il donne de ses premières expériences sur la section intracrânienne du trijumeau (Journ. de Phys. 1824, 3% livrais.). Magendie dit expressément que le goût n’était aboli que sur le tiers antérieur de la langue et qu'il existait encore sur le milieu et sur la base de l'organe. Magendie aurait-il oublié ces détails dans ses publications postérieures ? Tous ces faits parlent en faveur de la sensibilité gusta- tive du lingual. — Passons aux exceptions. Observation du D. Stamm (2). Un homme de 50 ans, chez lequel on trouva, à l’autopsie, un squirrhe du pharynx et une tumeur analogue située sur la grande aile du sphénoïde droit, avec propagation de la dégénérescence sur le ganglion de Gasser, qui était intimement confondu avec elle, avait pré- senté pendant sa vie les phénomènes suivants: dysphagie; anesthésie progressive de la moitié droite de la face, de la cavité buccale et de la langue. Les régions paralysées avaient été, pendant quelque temps , le siége de douleurs violentes, auxquelles succéda la perte totale de la sensibi- lité tactile et douloureuse. Des épingles enfoncées dans la (1) Un cas non moins instructif d’abolition du goût sur les parlies antérieures d’un côlé de la langue, frappé d’anesthésie, se trouve dans Romberg, loc. cit. pag. 303, Toute la base de la langue avait conservé sa sensibilité gustative. (2) Heidelberger Medicin. Annal, 1839. J, V. p. 70. 104 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. côté’affecté de la langue, ne réveillaient aucune sensation: en revanche des corps amers appliqués sur le bord droit de l'organe étaient distinctement perçus comme tels. Cette expérience, faite sans distinction des portions antérieures et postérieures, fut répétée plusieurs fois avec le même succès. L'auteur ajoute cependant que la perception des saveurs avait lieu plus rapidement du côté non affecté. — La tumeur qui fut trouvée à l’autopsie dans la région du trou rond, à droite, n’avait épargné que des portions in- signifiantes du ganglion de Gasser, qui laissa reconnaître quelques restes de substance nerveuse aux points d’émer- gence de la branche ophthalmique et sousmaxillaire. Bérard (1) publia en 1840 une observation faite sur un homme de 64 ans, qui, pour se suicider, s’était tiré un coup de pistolet dans l'oreille droite et qui mourut au bout de 10 jours, paralysé du côté droit de la face. Toute la moitié correspondante de la tête était insensible aux attouche- ments. La surface interne de la joue, l’amygdale, la voûte du palais, le voile du palais et la langue étaient frappés d’anesthésie jusqu'à la ligne médiane. La motilité et la sensibilité gustative de la langue ne paraissaient pas al- térées. De l’eau sucrée, du vinaigre, etc., appliqués sur les bords du côté droit de l'organe, étaient immédiatement reconnus à leur saveur par le malade. — A l’autopsie on constata une fracture comminutive du rocher droit; le tri- jumeau de ce côté, ainsi que le ganglion de Gasser étaient fortement injectés et ramollis. Le facial était détruit dans tout son trajet à travers le canal de Fallope. La balle se trouva dans le lobe moyen de l'hémisphère droit. Des observations analogues, mais sans autopsie, ont été publiées par Burrows, Noble et C. Vogt. Dans aucun de ces cas, la portion postérieure de la langue n’a été examinée isolément. (1) Gazelle médicale de Paris. 1 août 4840. p. 490: SIXIÈME LEÇON. 105 Les exceptions que je viens de citer, permettent-elles de conclure à l'existence d’autres voies de transmission pour les impressions gustatives des portions antérieures de la langue? Les cas de Rigler, de Meyer, de Romberg et sur- tout les expériences de Magendie n’admettent guère cette supposition. D'ailleurs la conservation du goût, notée dans les deux dernières observations, pourrait être rapportée à l'intégrité de quelques fibres du trijumeau, au milieu des foyers de désorganisation trouvés à l’autopsie dans le voi- sinage du ganglion de Gasser. Ni Bérard, ni Stamm n'ont fourni la preuve que éoutes les ramifications de la cinquième paire fussent altérées dans leur texture, et l'examen au mi- croscope seul aurait pu décider de la véritable étendue de ces altérations. Mais à supposer même que nous ayons écarté cette dif- ficulté, dont la portée est au moins problématique, il en reste une autre, bien plus sérieuse, à laquelle j'ai déjà fait allusion à la fin de la dernière leçon. Le nerf lingual, comme vous savez, reçoit, avant son entrée dans la langue, un filet constant de la septième paire, Za corde du tympan. Ce filet paraît exercer une influence sur le goût, et l’on est allé jusqu’à lui attribuer foutes les fibres gustatives des parties antérieures de la langue, en excluant les fibres in- trinsèques du lingual, provenant originairement de la cin- quième paire. — Cette hypothèse qui tendrait à placer dans la septième paire une grande partie des nerfs du g'oût, est en opposition formelle avec ce que nous savons jusqu'ici sur le rôle du trijumeau dans la gustation, et il est du plus haut intérêt pour nous de rechercher les causes de ce désaccord. Récapitulons en quelques mots le trajet de la corde du tympan. Ce petit faisceau nerveux se détache du facial à quelques millimètres au dessus du trou stylomastoïdien, remonte d’abord en sens contraire de ce nerf, pénètre en- suite dans l'oreille moyenne où il décrit une courbe à con- cavité inférieure, en passant entre les osselets de l’ouïe, et 106 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. sort du crâne par un conduit parallèle et supérieur à la fissure de Glaser. Dans son trajet descendant, il se réunit à angle aigu au nerf lingual, entre les deux ptérygoïdiens. Les premiers faits qui attirèrent l'attention sur cette attribution nouvelle de la septième paire furent des cas d'hémiplégie faciale accompagnée de diminution ou d'alté- ration du goût sur le côté correspondant de la langue. Ainsi Arnold observa un malade paralysé d'un côté de la face, qui ne percevait qu'imparfaitement les saveurs sur une moitié de la langue. Cette moitié, correspondant à l’hé- miplégie, était en même temps le siége d’une sensation de sécheresse désagréable. Le célèbre chirurgien Roux, atteint de paralysie du facial droit, mentionne, dans l'excellente description qu’il donne de sa maladie, un affaiblissement notable du goût sur le même côté de la langue, et ajoute que dans cette région il perçoit un goût métallique particulier qui se prononce surtout au contact des autres corps sapides (1). Des exemples analogues sont rapportés par Montault (2). CI. Bernard, en 1843, recueillit une série d'observations semblables (3), dont il conclut que la septième paire influe incontestablement sur le goût. par l'entremise de la corde du tympan. L’hémiplégie faciale produirait, selon CI. Bernard, un affaiblissement, un retard de l'impression gustative, faci- lement reconnaissable par la comparaison des deux côtés de la langue. C’est ainsi qu’une saveur perçue instantanément du côté sain, n’était accusée, du côté malade, qu'après plu- sieurs secondes et parfois à peine après une demi-minute. Dans l’un des cas rapportés par cet auteur, l'hémiplégie faciale était compliquée de surdité du côté gauche; ces symptômes (1) Descor. Dissertation sur les affections locales des nerfs, Paris 4825, p. 351, (2) Monraucr. Dissertation sur l'hémiplégie faciale, Paris 4851, p. 45. (5) CI. Bernanp. Recherches anatomiques et physiologiques sur la corde du {ympan. Journal de l'anatomie, de la physiologie et de la pathologie du système nerveux, Paris 4843, T. [. p. 408. SIXIÈME LEÇON. 107 avaient apparu à la suite d’une lésion traumatique du rocher. La sensibilité tactile et les mouvements de la langue n’a- vaient subi aucune altération. En revanche /a portion an- lérieure du côté gauche de la langue se montrait moins sensible aux saveurs, particulièrement aux saveurs acides. De la poudre d'acide citrique , appliquée sur cette région, était perçue plus lentement et plus indistinctement que du côté sain. Frappé par ces faits, CI. Bernard pratiqua la ré- section de la corde du tympan sur des animaux. Sa pre- mière méthode, difficilement applicable chez le chien, con- sistait à pénétrer dans l'os pétreux par en bas et à couper la corde du tympan avant son arrivée dans l'oreille moyenne. Le grand développement de la bulle osseuse chez le chat rendait l'opération un peu plus facile chez cet animal. Plus tard C1. Bernard substitua à ce procédé la résection directe de la corde du tympan dans l'oreille moyenne, à l’aide d’un petit crochet tranchant dans sa concavité, qu’il introduisait par le conduit auditif externe, en perforant la membrane du tympan. Le sens du goût, étudié préalablement chez les animaux intacts, ne se montra pas aboli, mais re/ardé dans ses ma- nifestations du côté opéré. Les réactions caractéristiques du dégoût, produites par les saveurs désagréables, apparais- saient beaucoup plus promptement quand l'application avait lieu du côté non lésé. Ne pouvant toutefois reconnaître des fonctions de sensi- bilité à la septième paire dont les origines sont exclusivement motrices, C1. Bernard imagina un mode d’explication de ces phénomènes qui paraissait concilier ce qu’ils présentaient de contradictoire. L'influence de la corde du tympan, suivant cette théorie, serait toute mécanique et en rapport avec la propriété bien connue de l’acte gustatif de ne s’accomplir que grâce à certains mouvements. Le filet moteur envoyé à la langue par le facial, se distribuerait aux papilles, et en les faisant ériger , il les adapterait en quelque sorte aux corps sapides, comme les muscles de la main adaptent la 108 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. : pulpe des doigts aux objets dont nous voulons étudier la configuration. Cette hypothèse invoquée autrefois par CI. Bernard, pour expliquer le retard de la gustation dans l’hémiplég'ie faciale, ne repose pas sur des faits d'observation. Personne n’a vu ni démontré, jusqu'à présent, la contraction de la muqueuse lnguale ni l’érection des papilles pendant l'acte gustatif. Tout ce qu'il est possible d'apercevoir, chez l'homme, en examinant la langue à la loupe, après y avoir appliqué des corps sapides, c’est une propagation rapide des particules liquides d’un sillon de la muqueuse à l’autre. L'application de substances sans saveur ne laisse pas reconnaître d'autre différence, sous ce rapport, qu'une humectation un peu moins prononcée de l’organe. Chez le chat il est impossible de voir rien qui ressemble à une érection des papilles, pourtant très-développées chez cet animal. On pourrait objecter que les papilles linguales des félins ne s'adaptent pas à ce genre de recherches, parcequ’elles sont cornées et rigides: mais j'ai répété le même examen, sans plus de succès, chez le renard dont les papilles sont plus larg'es que celles du chat et entièrement molles. Néanmoins, au point de la discussion où nous sommes arrivés et tout en niant l'érection des papilles, nous ne sau- rions nous refuser entièrement à la déduction de C1. Bernard, qui fait intervenir la corde du tympan dans l'acte gustatif par un mouvement quelconque. En effet, si la corde du tym- pan est un rameau provenant originairement du facial, d'où lui viendrait cette sensibilité qui, comme nous le savons déjà, peut être abolie par la section simultanée de la cinquième et de la neuvième paire? Plusieurs difficultés cependant s'opposent à cette conjec- ture. En premier lieu, si le facial avait une influence mo- trice sur la langue, sa galvanisation devrait produire des mouvements de cet org'ane; or ni la g'alvanisation du tronc du facial ni celle de la corde du tympan n’ont cet effet, à SIXIÈME LEÇON. 108 moins qu’il n’y ait déviation du courant sur l’hypoglosse qui est le seul nerf moteur de la langue (1). En second lieu il est impossible de rapporter à des troubles de motilité le goût métallique subjectif noté par Roux et constaté également dans d’autres cas d’hémiplég'ie faciale, sans lésion conco- mitante du trijumeau. Enfin, et cet argument est décisif, la corde du tympan examinée chez les animaux n’est pas dé- pourvue de sensibilité. Son irritation provoque des signes évidents de douleur (2). Il en est de même de la portion pétreuse et externe du facial, après sa sortie par le trou stylomastoïdien. Cette propriété est communiquée à la sep- tième paire par des fibres récurrentes du trijumeau et du pneumogastrique. Ce dernier nerf, comme le prouvent les expériences que j'ai faites à ce sujet, est étranger à la sen- sibilité de la corde du tympan, que j'ai vue au contraire entièrement abolie après la section intracrânienne du tri- jumeau. (1) Guarini, en 14842, crut pouvoir attribuer à la corde du tympan la fonction de soulever la pointe de la langue pour l’arliculation de certaines consonnes, etc. Mais les expériences sur lesquelles l’auteur fonde cette asserlion sont faites d'après une mé- ‘hode défectueuse, comme l’a déjà trés-justement fait remarquer Davaine. «En appli- « quant l’un des pôles de la pile aux nerfs de la langue et l'aufre aux muscles de cet « organe, Guarini n’a pas pris garde que ceux-ci, recevant l'influence directe du galva- « nisme, ont pu se contracter sans l'intervention des nerfs» (DAvAINE, Comptes rendus de la Société de Biologie, tom. 1v, 1852). Il est clair que si Guarini eût appliqué l’un des pôles au nerf sciatique et l’autre à la langue, il aurait également obtenu des con- fractions de celte dernière et pu prétendre avec le même droit que le nerf sciatique préside aux mouvements de la langue. — Je ne fais mention de celle curieuse erreur que parceque tout récemment encore elle a élé reproduile par un expérimentateur italien. (2) Faut-il rapporter à la même cause l'observation singulière du Docteur Wilde, à Dublin, consignée dans le journal de Bebrend et Hildebrand (tom. in, pag. 195) et repro- duite par Romberg? (loc. cit., tom. 11, pag. 45). Une jeune dame alleinte d’otorrhée et de perforalion du tympan, chez laquelle de peliles excroissances de celle membrane durent étre caulérisées avec le nitrale d'argent, accusait, à chaque application du caustique, une sensalion (gustative?) qui se propageait distinctement le long du bord de la langue (du même côlé) d’arrière en avant, jusque près de la pointe, sans cependant atteindre celle dernière. 110 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Après cette première preuve d’une connexion entre la cinquième paire et la corde du tympan, il ne sera pas sans intérêt d'examiner quelles sont les hémiplégries faciales qui sont plus ne liées à l’altération gustative que nous étudions. Vous savez que les Mai du facial (le plus souvent unilatérales) se divisent, d’après leur siége, en trois caté- gories bien distinctes: celles des origines encéphaliques et de la portion intracrânienne de ce nerf, celles de sa por- tion pétreuse, comprenant tout son trajet à travers le canal de Fallope, et celles de la portion externe, après son issue par le trou stylo-mastoïdien. Déjà Romberg a relevé la particularité des paralysies centrales, suite de désorg'anisations du cerveau, de ne frap- per qu'exceptionnellement toutes les fibres du facial. Ainsi c'est le plus souvent le muscle élévateur commun de l'aile du nez et de la lèvre supérieure qui se montre paralysé” dans l’apoplexie cérébrale. La paralysie peut être bornée aux rameaux inférieur et moyen, bi rarement au rameau supérieur, plus rarement encore à la portion interne (1) du facial. Eh bien, dans les quelques observations de paralysie cen- trale du facial, dans lesquelles le goût a été soumis à un examen spécial, 27 ne s'est pas montré altéré. Cette altération se montre au contraire le plus fréquem- ment et avec ses caractères les plus marqués dans les pa- ralysies, suite de lésions de la portion pétreuse du facial. Ces paralysies sont relativement rares. Lorsqu’elles ne sont pas compliquées de fractures du rocher, d’otorrhée purulente avec expulsion de séquestres osseux, de surdité, — symptô- mes qui ne laissent guère de doute sur le siége de la lésion nerveuse, — leur diagnostic peut présenter de sérieuses difficultés. L'hémiplég'ie du voile du palais, et la courbure en (1) Voyez l'exemple cité par Davaine (loc. cit.). SIXIÈME LEÇON. 111 arc de la luette, déviée avec sa pointe du côté paralysé, sont peut-être, avec l’altération gustative, les seuls signes pathognomoniques qui les fassent distinguer des paralysies faciales de cause externe. Toutefois il faut se garder de con- fondre avec la forme caractéristique de l’hémiplégie du voile du palais l’obliquité de la luette que l’on rencontre quelque- fois à l’état normal. Voici ce que Davaine fait observer à ce sujet : « La déviation de la luette que l’on observe normalement « chez un certain nombre de personnes n'est en général, « comme nous nous en sommes assuré, qu'une simple incli- « naïson de cet appendice, inclinaison qui peut même varier « avec les diverses positions que l’on donne à la tête. En « outre, dans cette déviation de la luette, le voile du palais reste parfaitement normal, et les arcades que forment « ses piliers sont égales et régulières. Dans la paralysie du « facial, ce n’est plus une simple déviation de la luette que « l’on observe, mais une courbure en arc de cet appendice. « Du côté du voile du palais l’on observe en même temps « des changements non moins notables: les arcades pala- « tines ne sont plus bien symétriques; elles n’ont plus une « largeur et une hauteur égales pour chaque côté, et le « désaccord se fait surtout remarquer sur les piliers pos- « térieurs» (1). Davaine, dans le mémoire dont je viens d’extraire ce pas- sage, rapporte deux cas d’hémiplégie faciale avec torsion de la luette, dans lesquelles le goût se montra diminué sur le côté correspondant de la langue. Plusieurs exemples analogues se sont aussi présentés à mon observation. Abstraction faite d’une série de cas de dégénérescence tuberculeuse du rocher, chez des enfants en bas âge qui ne s’adaptaient pas aux expériences sur le goût, J'ai constaté des altérations de ce sens chez deux A (1) Loc. cit., pag. 469. 112 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. sujets adultes, atteints de paralysie éoéale du facial d'un coté. / Le premier me fut montré jadis par Gueneau de Mussy. A côté des symptômes de l’hémiplégie faciale, il y avait un affaiblissement notable du goût sur la portion antérieure de la langue, du côté paralysé. — Le second cas que j'ai observé plus récemment, concerne un jeune homme de 20 ans qui prit froid en sortant du théâtre et qui se réveilla le lendemain avec le facial gauche paralysé dans toutes ses branches. Le malade pouvant me rendre compte exactement de toutes ses sensations, je m’abstins d'attirer son attention sur le goût. Le premier jour il ne prit pas de nourriture; le second jour il accusa de lui même un goût métallique particulier qui du côté gauche de la langue se mêélait à la saveur de tous les aliments qu’il prenait et qui persistait plus faiblement dans les intervalles entre les repas. La per- ception des saveurs ne paraissait d'ailleurs pas affaiblie ni retardée. Cette altération singulière qui coïncide exactement avec celle qui existait chez Roux, se maintint pendant plus de deux mois et j'ai pu répéter mes expériences un grand nombre de fois. — Désireux de savoir si le goût métal- lique tenait peut-être à la sécheresse du bord de la langue, produite par le courant d’air qui entrait et sortait par l’angle paralysé de la bouche, j'engageai le malade à fermer ses lèvres avec la main et à respirer par le nez pendant une ou deux heures, après avoir rempli sa bouche d’eau. Le goût métallique diminua d'intensité, mais ne disparut pas com- plètement. La sécheresse du côté affecté de la bouche, déjà notée dans le cas d’Arnold, est un symptôme fréquent de l’hémi- plégie faciale et peut, jusqu’à un certain point, nous rendre compte du retard de l'impression gustative. Elle existe quel- quefois sur les bords de la surface de la langue, malgré l'écoulement salivaire qui continue à avoir lieu par les parties déclives de la bouche et le coin paralysé des lèvres. SIXIÈME LEÇON. 113 Or l'expérience journalière démontre que le manque d'humi- dité de la muqueuse linguale affaiblit singulièrement la f- nesse de la gustation. Van Dœveren, dans une ancienne thèse hollandaise, décrit plusieurs cas de macroglossie dans lesquels les malades, obligés de tenir constamment leur bouche ouverte, se plai- gnaient d'avoir un goût faible et perverti, tant que l'air desséchait leur langue. Le goût, ajoute l’auteur, se rétablis- sait promptement, dès que l’on humectait artificiellement l'organe hypertrophié. Cette expérience, facile à faire dans l’hémiplég'ie faciale, pourra, dans quelques cas, remédier au retard de l'impres- sion gustative, mais, ainsi que nous venons de le voir, elle laisse subsister le goût métallique subjectif, dont elle ne fait que diminuer l'intensité. Ce symptôme ne peut guère s’expliquer que par une altération périphérique de la mu- queuse, altération dont la nature nous est inconnue et qui se manifeste plus vivement lorsque l'attention est portée de ce côté, comme cela a lieu dans l’acte gustatif. — On pourrait imaginer encore que la corde du tympan préside à la sécrétion du mucus lingual et que la présence de ce liquide est indispensable à la perception normale des sa- veurs. Mais ce n’est là qu’une supposition que nous ne sau- rions appuyer par aucune donnée positive. Remarquez du reste que l’on ne connaît pas, jusqu’à présent, de vé- ritables hallucinations du g'oût, comparables aux hallucina- tions des autres sens. D'ailleurs chez les animaux qui montrent un affaiblisse- ment du goût après la section de la corde du tympan, cet affaiblissement est indépendant de l'état d'humidité ou de sécheresse de la langue. C’est ce que j'ai souvent constaté chez des chiens. : Quelque peu d'importance que nous puissions accorder, après toutes ces considérations, à l'état plus ou moins humide de la langue, nous devonsdistinguer, théoriquement au moins, TOME PREMIER 8 114 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. une autre espèce de sécheresse de la bouche, tenant de plus près à la paralysie de la corde du tympan et causée direc- tement par la diminution de la salive du côté hémiplégique. La corde du tympan, comme je le démontrerai dans la suite, est le nerf qui transmet à la glande sousmaxillaire les impressions agissant par voie réflexe sur sa sécrétion, et dont l'excitation directe produit un abondant écoulement salivaire par le conduit de Wharton.—- Après sa section, les agents qui, à l'état normal, provoquaient un écoulement copieux de salive sousmaxillaire, restent inactifs, et, sans tarir, la sécrétion de ce liquide n'est plus influencée par aucune excitation périphérique. On conçoit que dans l’hé- miplégie faciale, suite de lésions du trajet pétreux de la septième paire, la condition pathologique dont je viens de parler, puisse entrer en jeu et se trahir par une insalivation moins parfaite du bol alimentaire. Je répète que jusqu’à pré- sent cette distinction est purement théorique et que la sécheresse de la bouche, à elle seule, ne saurait en aucune sorte nous renseigner sur le siége de la lésion nerveuse. L'expérience aurait d’abord à décider, dans un cas donné, de l'existence ou de l'absence de la salivation sousmaxillaire réflexe, et c’est alors seulement que ce signe pourrait servir au diagnostic de la lésion de la corde du tympan. Ce dernier point nous ramène au côté expérimental de la question. Les cas pathologiques que nous venons de passer en revue, nous ont offert des symptômes assez analogues aux résultats obtenus par Bernard par la section de la corde du tympan dans le rocher et dans l'oreille moyenne. Ces résultats ne concordent cependant pas dans toutes leurs par- ticularités avec ceux d’une autre série d'expériences, faites plus récemment sur le même sujet par Biffi et Morganti. Ces auteurs ont coupé la corde du tympan sur des animaux très-jeunes, en pénétrant, comme C1. Bernard, par l'os pétreux, moins dur que chez des animaux adultes et guérissänt plus vite. Biff et Morganti n’ont pas constaté de reéard de SIXIÈME LEÇON. 115 l'impression gustative, mais un affaiblissement notable des réactions provoquées par l'application des corps sapides sur l'un des côtés de la langue. Le côté de la langue corres- pondant à la lésion de la corde du tympan percevait les saveurs, à en juger par les signes de dégoût que donnaient les animaux; mais ces signes étaient beaucoup moins pro- noncés que ceux que produisait l'expérience répétée de l’autre côté, quoique la rapidité de leur apparition fût la même. Pour vous faire la démonstration des phénomènes ordi- naires qui s’observent après la section é/atérale de la corde du tympan, j'ai fait, il y a deux jours, cette opération sur un chien qui avait déjà subi précédemment l'extirpation des deux glosso-pharyngiens. Voyons actuellement comment cet animal réagit aux exci- tations gustatives. J'applique sur sa langue un peu d'acide tartrique. La langue fait quelques mouvements et l'animal donne des signes faibles . mais indubitables de dégoût. La coloquinte également est perçue et produit immédiatement les réactions ordinaires, quoique moins vives qu’à l'état normal. L'animal retire le coin de ses lèvres, fait des mouvements de mastication, se- coue la tête, se débat si l'on veut recommencer l'expérience, mais remarquez bien qu'il ne survient pas, chez lui, d’a- bondant écoulement salivaire comme chez les chats que nous avons examinés dans la leçon précédente. — Je donne au chien quelques morceaux de viande qu’il mange avidement; voici un morceau imprégné de décoction de coloquinte; l’a- nimal le saisit comme les autres, mais le laisse retomber aussitôt avec dégoût. Je reprends le même morceau et je le porte au fond de sa bouche; il l’avale sans aucune diffi- culté, parceque cette région est privée de goût, par suite de l'extirpation de la neuvième paire. Il n'est pas douteux que chez ce chien les parties anté- rieures de la langue perçoivent les saveurs presque norma- lement; l'impression n’est pas retardée, mais peut-être wr 116 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. peu affaiblie, à en juger d’après le mode de réagir de l'animal. Cette sensibilité si évidente ne peut tenir qu'à l'intégrité du lingual, le seul nerf qui puisse encore transmettre des impressions gustatives, puisque le glosso-pharyngien et la corde du tympan sont coupés des deux côtés. — La plupart des expériences que j'ai faites d’après cette méthode m'ont donné le même résultat. Je pratiquerai devant vous la section de la corde du tympan sur un chat, déjà privé depuis quelque temps des deux nerfs de la neuvième paire. — Vous voyez que l'animal réagit encore par une salivation abondante à l'introduction de corps amers dans sa bouche. Mis sous une cloche de verre avec une éponge baignée d'éther, il se passe quelque temps avant que la salivation recommence; ce léger retard de l’action de l’éther tient probablement à ce que l’animal, soumis déjà plusieurs fois aux inhalations, y est plus ou moins accoutumé. — J’attendrai, avant d'opérer, qu'il soit devenu complètement insensible. Il chancelle, il tombe ; ses membres sont relâchés, et les attouchements de la conjon- ctive ne produisent plus de clignement de la paupière. — Je coupe la corde du tympan dans l'oreille moyenne, d'un côté puis de l’autre. Au moment où j'ai traversé avec l'instrument la membrane du tympan, vous avez entendu un petit son sec particulier, analogue à celui que produirait la perforation d’un feuille de parchemin. L'irritation de la corde du tympan, au moment de sa section, se traduit maintenant par une plus forte salivation sous-maxillaire que nous devons laisser passer, avant de procéder aux expériences sur le goût. Dif- férons cet examen jusqu’au réveil de l’animal. Dans notre exposé des altérations gustatives observées dans la paralysie du facial, nous n'avons pas encore parlé des suites des lésions de la portion extracrânienne de ce nerf après sa sortie par le trou stylo-mastoïdien. — Vous vous étonnerez peut-être, messieurs, que nous ayons à nous OC- cuper de ces lésions, en apparence étrangères à notre sujet, SIXIÈME LEÇON. 117 puisque étant situées plus bas que l'origine de la corde du tympan, elles ne sauraient influer directement sur l’état nerveux de la langue. Nous verrons tout-à-l'heure par quelles hypothèses anatomiques on est arrivé néanmoins à admettre une influence directe des filets extérieurs de la septième paire sur le sens du goût. Quelque paradoxale que paraisse au premier abord cette assertion, je ne puis la passer sous silence, à cause des faits sur lesquels elle a été fondée et des conséquences qu'on en a tirées sur la séparation a- natomique des nerfs gustatifs et sensibles de la langue. Les premières données relatives à cette question se trou- vent dans un mémoire de Stich (1) publié en 1857 et com- prenant une série d'observations sur des malades affectés d'hémiplégie faciale. L'auteur affirme avoir constaté des troubles de la g'ustation dans des cas où la cause de la paralysie siégeait évidemment plus bas que l’origine de la corde du tympan. Chez neuf malades de cette catégorie, la sensibilité gustative se montra diminuée et en partie abolie sur le bord de la partie antérieure de la langue, du côté lésé; la perception des corps sapides, appliqués sur cette région, était ralentie et souvent indistincte. Du sel de cuisine y était perçu tantôt comme acide, tantôt comme corps sucré; de l'extrait de quassia y réveillait l'impression d’un acide, etc., tandis qu'à la base de la langue et sur les bords du côté non affecté les saveurs acides, amères, etc., étaient im- médiatement reconnues par les malades. Chez l'un d'eux, le facial avait été coupé accidentellement au devant de l'oreille pendant l’extirpation d'une portion du maxillaire inférieur. Dans ses conclusions, l’auteur cherche à démontrer que l’al- tération du goût accompagne constamment les paralysies faciales de cause externe, et qu’elle ne se rencontre qu'excep- (1) Srics. Beitræge zur Kenntniss der Chorda tympani. Anna]. der Charité; Berlin, 4857 pag. 59. 118 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. tionnellement dans celles qui résultent de lésions du rocher. Voici comment il explique ces faits: Dans son trajet à travers le rocher, le nerf facial recevrait, avec la corde du tympan, une partie des filets gustatifs des portions antérieures de la langue; ces filets, au lieu de remonter au cerveau, accompagneraient le tronc du facial à sa sortie par le trou stylo-mastoïdien et iraient se mêler aux anastomoses extracrâniennes de la septième et de la cin- quième paire, pour retourner aux centres par la branche ma- xillaire inférieure du trijumeau. Les lésions de la portion ex- tracrânienne du facial, intéressant également les fibres sen- sibles en question, interrompraient donc nécessairement une des voies de transmission de l'impression gustative. De à l’affaiblissement du goût sur les parties antérieures de la langue. Mais, à ne considérer que les possibilités anatomiques, l'hypothèse de Stich n’est pas la seule qui puisse, au besoin, s'adapter aux phénomènes décrits par l’auteur. On sait que la portion pétreuse du facial communique, par le nerf vidien, avec la seconde branche du trijumeau. — Les fibres gusta- tives, altérées dans les cas de Stich, pourraient donc che- miner dans la voie du lingual jusqu'à son point de jonction avec la branche maxillaire inférieure, de là redescendre à la périphérie avec les nerfs auriculo-temporaux qui s’anas- tomosent avec les terminaisons du facial, entrer ensuite dans le tronc du facial et retourner au trijumeau par le nerf vidien. Cette hypothèse, hâtons-nous de le dire, n’est pas plus justifiée que celle de Stich, mais elle nous dispense de faire passer les fibres gustatives dont il s’agit par la corde du tympan. Elle expliquerait en même temps les altérations du goût consécutives aux lésions de la portion pétreuse du facial, altérations que Stich est obligé de nier ou au moins de mettre en doute, pour sauver sa théorie. Mais sans recourir à des suppositions si peu vraisembla- SIXIÈME LEÇON. 119 bles, nous savons que les lésions extracrâniennes du facial ne portent pas atteinte, dans la grande majorité des cas, à la perception normale des saveurs. Ainsi, dans un cas très- remarquable d'hémiplégie faciale bilatérale, observé par Du- puytren (et appartenant avec toute évidence à cette caté- gorie des paralysies périphériques) il est expressément dit que ni le goût ni l’odorat n'avaient subi la moindre alté- ration (1). J'ai observé moi-même un assez grand nombre d'hémiplégies faciales extracrâniennes, dans lesquelles l’e- xamen le plus attentif des parties antérieures et latérales de la langue ne laissait pas reconnaître la moindre altération de la sensibilité gustative, et je n'hésite pas à déclarer que l'intégrité du goût constitue la règle dans cette affection. Voici un chat auquel j'ai réséqué, il y a 14 semaines, le tronc du nerf facial à sa sortie du trou stylo-mastoïdien, en arrière de la parotide. Il n’y a pas de rég'énération, comme vous le voyez à l'immobilité de la moitié gauche de la face et aux tremblements qui agitent les poils de la moustache de ce côté (2), tandisque les poils de l’autre côté de la lèvre supérieure sont parfaitement immobiles, quand l’animal ne les met pas « volontairement » en mouvement. De la dé- coction de coloquinte, appliquée alternativement sur les deux moitiés de la langue, en laissant toujours passer un temps suffisant entre deux applications, est perçue également bien et également vite des deux côtés. J'ai souvent fait cette expérience sur le chien, et j'ai obtenu le même résultat. Sans vouloir mettre en doute l'exactitude des observations de Stich, je crois cependant devoir signaler à votre at- teution une circonstance qui, dans la paralysie faciale, peut contribuer à rendre l'impression gustative plus indistincte du côté lésé, sans qu'il y ait lieu d'invoquer une altération des nerfs du goût. Si, avant de déguster un corps, nous écartons artificiellement les joues, de manière à empêcher (1) Voy. Ce. Bec. The nervous system, elc. pag. 526. Loudon, 1836 ; 3 édition. (2) Comparez pour ce fail ma Physiologie du syst. nerv. pag. 179. 120 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. leur frottement avec les bords de la langue, l'impression sapide est notablement affaiblie et confuse. Il peut arriver, dans ces conditions, que l’on obtienne des personnes sur lesquelles on expérimente des indications tout-à-fait er- ronées sur la saveur des substances qui, appliquées sur les bords de la langue en contact avec les joues, sont norma- lement perçues un instant après. — Un auteur hollandais, Drielsma, ayant examiné le goût chez 6 individus sains, n’obtint que 18 fois sur 24 des indications exactes sur la saveur des corps appliqués aux bords de la langue, tenue immobile et isolée des autres muqueuses buccales; 6 fois la sensation produite ne correspondit pas à la saveur du corps appliqué, ou se trouva nulle au commencement pour ue se réveiller que beaucoup plus tard (1). — Le mécanisme que je viens de caractériser est nécessai- rement dérangé dans l'hémiplégie faciale qui paralyse le buccinateur et empêche la tension de la joue. Les anoma- lies de la g'ustation, observées par Stich, tiendraient-elles à cette condition particulière, qui intervient plus facilement du côté paralysé de la bouche que du côté sain? Quoiqu'il en soit, Stich ne considère la corde du tympan que comme une voie accessoire de l'impression gustative des parties antérieures de la langue et conserve au lingual et à la cinquième paire l'attribution de conduire la majeure partie de ces impressions. D’autres auteurs sont allés plus loin, et ont placé dans la corde du tympan la totalité des fibres g'ustatives de cette région, ne réservant ainsi au lingual que des fonctions de sensibilité générale. Déjà Civinini, dans une thèse de Pavie soutenue en 1842, avait énoncé cette opinion. Baragiola, dans une dissertation italienne, publiée en 1847, se rangea du même avis. En 1864, Neumann fit connaître une obser- vation pathologique dont il résulterait également que la (1) A. Drrezsma. Onderzæk over den Zelel van het Smaakzinluig. Groningen, 1859. SIXIÈME LEÇON. 121 corde du tympan est le seul nerf gustatif des portions an- térieures de la langue, à l'exclusion du lingual. Chez un malade affecté d'hémiplégie faciale (de cause rhu- matismale ?) Neumann constata, à l'examen électrique (1) l'abolition du goût sur tout le bord antérieur de la langue . du côté lésé, à partir du milieu de la pointe jusqu'à un point très-exactement délimité de la base. L'auteur communique, dans le même mémoire, deux autres observations d'abolition presque totale du goût sur les par- ties antérieures de la langue, coïncidant avec des lésions profondes du rocher qui rendaient excessivement probable la destruction de la corde du tympan. Dans ces deux cas il existait un écoulement purulent par le méat auditif ex- terne, et la membrane du tympan était perforée. Le goût électrique, ainsi que la perception des saveurs amères, acides salées et sucrées étaient abolis sur le district antérieur du côté correspondant de la langue, à l'exception d’une très- petite zône du bord antérieur dont la sensibilité gustative ne paraissait pas altérée. Pour justifier sa conclusion, l’auteur insiste particulièrement sur ce que, jusqu'à nos jours, la science n’a enregistré aucun fait qui établisse clairement l'existence de troubles de la gustation dans des cas de pa- ralysie isolée du lingual, sans lésion simultanée de la corde du tympan. Dans le travail déjà cité de Lussana et Inzani il est fait mention d’un cas analogue à ceux de Neumann. Un indi- vidu, opéré dans l'oreille moyenne par un charlatan, avait probablement subi la section de la corde du tympan. A la suite de cette lésion, les deux tiers antérieurs de la moitié correspondante de la langue avaient perdu le goût, tout en conservant parfaitement intacte leur sensibilité tactile et douloureuse. L'observation la plus remarquable de cette série a été faite (1) Voy. Leçcn V, pag. 85. 122 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. également par Lussana, sur un chien qui avait subi depuis quelque temps l'extirpation bilatérale des glosso-pharyn- giens, et auquel il coupa plus tard les deux cordes du tympan, dans l’espace compris entre leur issue du rocher et leur point de jonction avec le lingual. Chez cet animal, le goût se montra entièrement aboli, tandis que les parties antérieures de la langue avaient conservé leur sensibilité tactile et douloureuse. Ce phénomène bizarre fut constaté aussi par les élèves de Lussana, que celui-ci avait pris soin de ne pas avertir pour ne pas influencer leur jugement. Comment interpréter ce résultat, si différent de ce qui se voit ordinairement après la section de la corde du tympan? Le point choisi par Lussana, pour réséquer le nerf, aurait- il donné lieu à des lésions concomitantes, en rapport avec les phénomènes observés? Ou bien Lussana a-t-il raison d'admettre en principe, que la corde du tympan est le seul nerf gustatif du tiers antérieur de la langue? Assurément une seule expérience n’est pas suffisante pour justifier une conclusion de cette portée, et des recherches nouvelles sont nécessaires pour déterminer la circonstance particulière qui doit nous échapper dans l'expérience du physiologiste italien. Examinons actuellement le chat que j'ai opéré devant vous il y a quelques instants. L'animal est revenu à luiet la salivation a cessé. — La position de la langue ne laisse apercevoir aucune déviation et ses mouvements sont normaux comme avant l'opération, ce qui a toujours lieu, lorsque l’hy- poglosse est resté intact. C’est donc bien à tort que certains auteurs ont cru voir dans la corde du tympan un des nerfs moteurs de la langue. — Un fragment de coloquinte, mis en contact avec la langue du chat, provoque de faibles signes de dégoût, et la salivation est presque nulle. L’éther n'augmente pas non plus l'écoulement salivaire. Les ré- actions que nous observons à l'heure qu’il est, démontrent que le goût n’est pas aboli, mais seulement diminué; ré- SIXIÈME LEÇON. 123 sultat qui est d'accord avec celui de notre première expé- rience. Si nous essayons, messieurs, de résumer les points prin- cipaux qui ressortent des faits exposés dans cette lecon, il est une première conséquence qui n'aura échappé à aucun de vous, c’est que la séparation anatomique des filets gus- tatifs et sensibles de la langue — problème qui a formé le point de départ de notre discussion — n’est pas encore faite, et reste à faire. Mais tandis que l'observation clinique ne nous a fourni aucune donnée positive à laquelle nous puissions rattacher l'espoir de cette séparation, l'expérience de Lussana, citée en dernier lieu, nous en démontre au moins la possibilité, et c'est dans cette voie que la science expérimentale devra poursuivre la solution du problème. Les déductions suivantes qui se rattachent à cette question difficile et hérissée de données contradictoires, ne sont donc que provisoires et pourront trouver d'importantes modifi- cations dans le démembrement expérimental des différents éléments qui la composent. Voici, pour le moment, ce qu'il nous est permis de conclure, avec une certaine vraisem- blance, des faits dont nous disposons : 1° La corde du tympan influe sur le goût des parties antérieures de la langue. 2° L’altération du goût que l’on observe après la section de la corde du tympan dans le rocher ou dans l'oreille moyenne, ne peut pas dépendre exclusivement de circons- tances accessoires comme le défaut de la salivation sous- maxillaire, la sécheresse de la langue, etc. 3° L'influence de la corde du tympan sur le goût ne peut lui être communiquée par les origines de la septième paire qui sont exclusivement motrices. 4 La section centrale de la cinquième paire et l’extir- pation des deux nerfs de la neuvième paire abolissant com- plètement le goût, les fibres gustatives de la corde du tympan doivent lui être communiquées par les anastomoses 124 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. à intracrâniennes du facial avec le trijumeau;, sinon, il fau- drait admettre que les fibres gustatives de la corde du tympan sont constituées de manière à modifier par leur ex- citation la sensibilité gustative du trijumeau, et à ne pou- voir se passer elles-mêmes du concours du trijumeau pour transmettre une impression gustative. Ce serait, jusqu'à pré- sent, le seul exemple connu d’un nerf sensible qui, par une disposition incompréhensible et sans analogie dans le reste du système nerveux, aurait besoin du concours d'un autre nerf sensible pour pouvoir exercer sa fonction. SUPPLÉMENT À LA LEÇON VI. Recherches nouvelles de l'auteur sur l'origine et le trajet des nerfs gustatifs des portions antérieures de la langue. Depuis que ces leçons ont été faites, nous avons repris dans plusieurs séries d'expériences, instituées d’après un plan nouveau, l'examen de la question débattue dans les pages qui précèdent. Ces expériences nous ont révélé des particularités très-singulières sur les voies suivies par les nerfs gustatifs des portions antérieures de la langue, et nous mettent à même de réconcilier quelques-unes des con- tradictions en apparence insolubles qui ont existé jusqu'ici entre les résultats de l'observation clinique et ceux de l'in- vestigation physiologique. Nous avons opéré presque exclusivement sur des animaux dont les nerfs glosso-pharyngiens avaient été préalablement coupés. IL. — Plusieurs auteurs, ainsi qu'il vient d'être exposé, ont attribué aux fibres de la corde du tympan une partie ou la totalité du goût des portions antérieures de la langue. Afin de vérifier par de nouveaux faits jusqu'à quel point cette opinion est fondée, et en admettant que les phénomènes sur 126 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. lesquels on l'a établie ne soient pas entièrement dûs à des circonstances accessoires, nous avons cherché, dans une première série d'expériences, à isoler la fonction gustative de la corde du tympan, en coupant le nerf lingual ou maxil- laire inférieur au dessus de sa réunion avec cette dernière. Après quelques tentatives infructueuses, nous réussîmes à pratiquer la section indiquée, en attaquant le nerf lingual par une petite plaie faite dans l’intérieur de la bouche et en détachant sous la muqueuse le muscle ptérygoïdien interne. De cette manière le nerf peut être coupé tout près de la base du crâne. — L'hémorrhag'ie, assez forte d'abord, cessa après peu de temps. Les animaux, revenus de l’éthérisation, ne montrèrent pas de troubles généraux. La sensibilité tactile et douloureuse du district antérieur de la langue était en- tièrement abolie, quelque violente que fût l'irritation appli- quée à cette région, #ais 1 restait une trace de goût, quel- quefois très-évidente, dans d’autres cas très-faible, mais toujours reconnaissable aux mouvements et aux grimaces des animaux, ainsi qu'à l'augmentation de la salivation sousmaxillaire. L'application d'acides dilués (ac. tartrique, phosphorique, etc.) provoquait une réaction assez prononcée; la coloquinte agis- sait avec moins d'évidence, et quelquefois le goût amer ne paraissait pas être perçu dutout. Dans tous ces cas, je le répète, les signes de réaction que l’on obtenait étaient peu énergiques, quoique instantanés; et bien moins manifestes qu'à l’état normal. En comparant la sensibilité gustative du côté lésé à celle du côté sain, on s’apercevait d’une très- notable différence. Ce reste de goût put être constaté non seulement pendant les premiers jours qui suivirent l’opéra- tion, mais il persista sur les parties latérales et antérieures de la langue, plusieurs semaines après, lorsque les bords insensibles de l'organe étaient déjà profondément entaillés et déchirés par les dents de l'animal. Toutefois, en appliquant des corps sapides sur les cicatrices des morsures, on recon- SIXIÈME LEÇON. 127 naissait que les réactions ordinaires n'étaient pas si promptes à se produire; aussi avons-nous toujours eu soin d'éviter les cicatrices et de n’expérimenter que sur les parties de la muqueuse restées saines. Dans ces expériences nous avions coupé le nerf maxillaire inférieur assez près de la base du crâne, mais non immé- diatement au dessous du trou ovale. Le nerf, comme il fut constaté à l’autopsie, était déjà séparé du dentaire inférieur. Dans deux chats cependant la section put être faite plus haut, au niveau des rameaux musculaires supérieurs du maxillaire inférieur et au niveau du ganglion otique. Ces deux animaux présentèrent des phénomènes un peu diffé- rents de ceux que nous venons de décrire, en ce que, chez eux, la sensibilité qustative se conserva dans presque toute son intégrité. Pendant les premiers jours qui suivirent l'o- pération, il ne fut pas possible d'observer une différence, quant au goût, entre le côté anesthétique et le côté normal de la langue. Ce n'est qu'après plusieurs jours, lorsque le bord insensible de l'organe commença à subir l’action des dents, que le goût diminua sur les parties de la mu- queuse excoriées ou en voie de cicatrisation. Les parties non-lésées du côté anesthétique, dans le voisinage de la pointe de la langue, quoique parfaitement insensibles aux irritations mécaniques, conservèrent toute leur énergie gustative. Inutile d'ajouter que nous nous sommes soigneusement garanti contre l'erreur qui aurait pu se produire si les li- quides sapides appliqués sur l’un des côtés de la langue, avaient gagné l’autre côté resté sensible, en rampant de proche en proche dans les petites inégalités da la muqueuse. Il est facile d'éviter cette source d’erreur, si l’on coupe le rameau Jlingual de l’autre côté, d’après le procédé ordi- naire, c'est-à-dire au dessous de sa réunion avec la corde du tympan, En procédant ainsi — et ce moyen a été souvent mis en usage — la sensibilité tactile et douloureuse de la 128 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. langue était également abolie des deux côtés, tandisque le côté correspondant à la section haute du lingual (ou maxil- laire inférieur) accusait sew7 un reste de sensibilité gustative. L'autopsie, dans tous ces cas, démontra que le tronc du lingual était parfaitement coupé, et que dans la portion du nerf, comprise entre la section et l'entrée des nerfs qui constituent le faisceau de la corde du tympan, toutes les fibres nerveuses étaient dégénérées, tandis que plus bas les fibres correspondant à l’anastomose de la corde du tympan n'avaient pas subi d'altération. (Je n'ai malheureusement pas pu faire l'examen microscopique chez les deux chats mentionnés plus haut). Il ressort de cette première série d'expériences que la corde du tympan, ou peut-être les autres rameaux nerveux anastomotiques entrant dans le lingual au dessous du point où nous en avons fait la section, possèdent une influence directe sur le goût, particulièrement des substances acides. Pour être rigoureux, bornons-nous à conclure, pour le mo- ment, que la corde du tympan et les autres anastomoses signalées possèdent un faible degré de sensibilité gusta- tive, tandis que le lingual seul préside à la sensibilité gé- nérale du district antérieur de la langue. La part de la corde du tympan seule dans l'acte gustatif est d’ailleurs si petite que l’on n’observe, dans les cas les plus favorables, qu'une faible diminution du goût après sa section isolée dans l'oreille moyenne. IT. — Avant de nous occuper de l’origine des fibres g'us- tatives contenues dans la corde du tympan, nous avons dû nous poser une autre question dont la solution était de la plus haute importance pour la marche à suivre dans la continuation de ces recherches. La troisième branche du trijumeau participe-t-elle réelle- ment, par ses fibres propres, à la transmission des impres- sions gustatives, et ne serait-il pas possible, en coupant SIXIÈME LECOK. 129 tous les nerfs qui s’anastomosent avec le lingual, d’abolir le goût, en laissant intacte la sensibilité tactile et doulou- reuse du tiers antérieur de la langue? Comme nous l’avons dit à la fin du dernier paragraphe et comme l’affirment la plupart des expérimentateurs, la section de la corde du tympan dans l'oreille moyenne laisse persister la sensibilité gustative, ou du moins ne l’altère que d’une manière insignifiante. Mais quels sont les effets de sa section dans le voisinage ou à côté du nerf lingual ? A priori, il serait difficile de s'attendre à un résultat très-dif- férent du premier, puisqu'après sa sortie de l’oreille moyenne la corde du tympan ne contracte plus d'anastomoses à con- sidérer dans la question qui nous occupe. Plusieurs circon- stances cependant nous engagèrent à tenter l'expérience. En premier lieu Lussana (1) dit avoir obtenu une aboli- tion totale du goût du tiers antérieur de la langue, en réséquant la corde du tympan entre le rocher et sa réunion avec le ling'ual. Ensuite Bernard, en parlant du prétendu ralentissement de l'impression gustative, consécutif à la section de la corde du tympan, fait la remarque suivante : « Toutefois il nous a semblé que le phénomène ne de- « venait surtout évident que lorsqu'on coupait la corde du « tympan après sa sortie de l'oreille moyenne. On sait, en « effet, que dans ce point la corde du tympan contracte des « anastomoses avec des filets du grand sympathique qui ac- « compagnent l'artère méningée moyenne » (2). Les anastomoses auxquelles se rapporte ce passage des Leçons de CI. Bernard, ne sont d’aucune importance pour la fonction que nous étudions, attendu que par des expériences antérieures nous nous sommes convaincu que la section de la corde du tympan, dans l'oreille moyenne, n’agit pas avec (1) Voy. pour cette observation la Lecon qui précède. (2) CL. BerNaRD, Leçons sur la physiologie du syslème nerveux, vol. 11, pag. 240. TOME PREMIER 9 130 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. plus d’évidence sur le goût, si l’on a extirpé en même temps les ganglions cervicaux supérieurs du grand sympathique. Comme d’ailleurs l'existence des anastomoses en question n’a pas toujours pu être constatée avec une entière certi- tude, nous ne saurions attribuer au grand sympathique d'influence appréciable sur la gustation. Par une section longitudinale des parties molles situées au bord interne du tronc du maxillaire inférieur et du rameau lingual, et en suivant exactement la direction de ce nerf jusque vers la base du crâne, nous avons réussi, dans plu- sieurs expériences, à couper la corde du tympan dans le voisinage immédiat du lingual, sans léser ce dernier, comme le démontrait l'autopsie faite plus tard. Cette opération fut pratiquée sur des chats et sur des chiens de grande taille. Plusieurs des animaux opérés n'offrirent pas d’autres symp- tômes que ceux qui suivent ordinairement la section de la corde du tympan, faite d'après la méthode usuelle; mais en répétant l'opération sur beaucoup de sujets, nous parvînmes, chez quelques-uns, à couper tous les filets nerveux qui en- trent dans la périphérie interne et postérieure du nerf lingual et maxillaire inférieur. L’incision avait été prolongée jusqu’au dessus du point où les autres rameaux de la branche ma- xillaire inférieure quittent le voisinage du lingual et même jusqu’au niveau du ganglion otique. Il y avait eu, dans quelques cas, compression mécanique de la partie postérieure du maxillaire inférieur et par suite affaiblissement de la sensibilité tactile des portions antérieures de la langue. Généralement les origines de la branche auriculo-temporale se montrèrent lésées ou coupées, et, ce qu'il importe de re- marquer, la section s'était étendue à des rameaux de com- munication du maxillaire inférieur avec le ganglion otique. Plusieurs fois il survint une forte hémorrhagie, suite de la lésion de l'artère méningée moyenne. Constamment, si cette dernière opération avait bien réussi, le goût du tiers antérieur de la langue avait entièrement SIXIÈME LEÇON. 131 disparu. Dans trois cas, l'absence totale de la sensibilité qustative coïncida avec la persistance tout-à-fait normale de la sensibilité tactile et douloureuse. Cette seconde série nous fournit un résultat très-intéressant: c’est que les fibres présidant à la sensibilité générale du tiers antérieur de la langue sont anatomiquement distinctes des fibres présidant aux impressions gustatives. Partant, le nerf lingual proprement dit, abstraction faite de ses fibres vasomotrices, est un nerf purement sensitif et n’acquiert des propriétés gustatives que grâce à ses communications avec d'autres nerfs, communications dont la corde du tympan fait partie, sans les renfermer toutes. — Ajoutons que dans deux cas de cette série, dans lesquels le g'oût s'était montré totalement aboli, mais où la sensibilité tactile et douloureuse était entièrement conservée, on vérifia à l’autopsie l'intégrité de tous les rameaux appartenant originairement à la troi- sième branche du trijumeau. Conséquence: Zes rameaux anastomotiques qui se réunissent avec la portion supérieure du lingual et du maxillaire inférieur et qui lui communi- quent la sensibilité gustative, ne sont pas coulenus origi- nairement dans la troisième branche du trijumeau. Cependant on pourrait imaginer qu'une partie des nerfs œustatifs se trouvent dans la troisième branche, à son or1- gine, mais la quittent au niveau des communications supé- rieures avec le ganglion otique, pour y rentrer avec les filets inférieurs que ce ganglion envoie au maxillaire infé- rieur Ou à ses rameaux. Nous ne pouvons entrer ici dans le détail des premières expériences qui nous ont fait rejeter cette hypothèse. Qu'il nous suflise de l’avoir signalée, pour n’avoir pas à y revenir plus tard, quand nous exposerons les expériences de la qua- trième série qui la rendent inadmissible. Retenons, pour le moment, que l’on peut priver le Hingual de ses propriétés gustatives, par une incision faite un peu en dessous de la base du crâne et en arrière de ce nerf; 132 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. c’est-à-dire dans et jusqu'au dessous de l'angle compris entre le maxillaire inférieur et la corde du tympan. Ceci nous expliquera peut-être comment Lussana, en opérant dans cette région, pour couper la corde du tympan, a pu dé- truire le goût du tiers antérieur de la langue, sans porter atteinte à la sensibilité générale de l'organe. Probablement l'expérimentateur italien aura coupé ou arraché, avec la corde du tympan, d’autres filets nerveux, en rapport avec le lingual, et crû pouvoir rapporter exclusivement à la section de la corde du tympan des symptômes qui ne résultaient qu'en partie de cette lésion. III. — Le nerf maxillaire inférieur est la seule branche du trijumeau qui envoie directement des filets à la langue. Or si les nerfs gustatifs dont il s'agit n'appartiennent pas ori- ginairement à cette branche, il faut qu'ils lui arrivent par des communications avec d’autres nerfs. Les seules communi- cations connues de la portion supérieure du lingual ou du nerf maxillaire inférieur avec d’autres paires cérébrales sont: la corde du tympan et le nerf petit pétreux superficiel, provenant tous deux de la portion pétreuse du facial. Quant au nerf petit pétreux superficiel qui se détache de l'angle antérieur du ganglion géniculé pour se jeter, à sa sortie du crâne, dans le ganglion otique, nous avons déjà démontré, par des recherches antérieures, qu'une partie de ses fibres se rendent à la glande parotide par l'intermédiaire des nerfs temporaux superficiels et jouent, par rapport à cette glande, le même rôle que la corde du tympan joue par rapport à la glande sousmaxillaire (1). Or la parenté qui existe entre ces deux nerfs, quant à leur mode d'agir sur la sécrétion salivaire, n’existerait-elle pas également quant à leurs fonctions de sensibilité? Ne serait-il pas possible, puisque (1) M. Scmirr, Physiologie du système nerveux, 1858-59. Ces expériences ont élé con- firmées plus lard par CI. Bernard, SIXIÈME LEÇON. 133 la corde du tympan ne renferme que quelques-unes des fibres gustatives que nous étudions, qu’une autre partie de ces fibres passât par la voie compliquée dont nous venons de parler, c’est à-dire par le nerf petit pétreux superficiel, le ganglion otique et les communications de ce ganglion avec la troisième branche du trijumeau ? Cette supposition, si elle devait se confirmer, aurait pour conséquence que les nerfs g'ustatifs en question naissent dans le facial, et expliquerait d’une manière assez satisfai- sante les troubles dela g'ustation qui succèdent, chez l'homme, aux lésions du nerf facial dans son trajet à travers le canal de Fallope. Mais, hâtons-nous de le dire, elle nous mettrait gravement en contradiction avec la doctrine généralement adoptée et confirmée par un grand nombre de nos propres expériences, doctrine qui place d'origine de dous les nerfs gustatifs des parties antérieures de la langue dans la cin- quième paire. En effet la section intracrânienne du trijumeau abolit entièrement le g'oût et la sensibilité générale de cette portion de la langue. L'hypothèse que nous avons émise serait également en désaccord avec quelques observations pathologiques dans lesquelles des lésions du ganglion de Gasser ont coïncidé avec la perte totale du goût dans le tiers antérieur de la langue. Il est à remarquer que ces observations n’ont pas été prises assez en considération par les auteurs qui, partant d’autres faits pathologiques, ont at- tribué à la septième paire ou à ses ramifications une in- fluence directe sur le goût. ; Comme on le voit, nous nous trouvons ici en face d’une très-sérieuse difficulté. D'une part nous ne pouvons placer les nerfs gustatifs dont il s’agit dans les fibres intrinsèques de la troisième branche du trijumeau, d'autre part, cette origine ne peut pas être cherchée nonplus, — du moins exclusivement, — dans le facial, et néanmoins l’Anatomie ne nous enseigne pas d’autres sources des nerfs des parties antérieures de la langue. Impossible de sortir de ce dilemme, 134 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. à moins de faire une supposition, en apparence très-invrai- semblable, qui transporterait ailleurs l'origine des nerfs en question. Mais avant de discuter cette hypothèse , il nous reste à examiner si l'abolition du goût, consécutive à la section intracrânienne du trijumeau, ne résulte pas peut-être de lésions concomitantes de filets nerveux voisins du ganglion de Gasser, et dont on pourrait avoir négligé jusqu'ici de constater l'intégrité aux autopsies. Pour éclaircir ce doute et maloré les résultats si évidents de la seconde série, exposés plus haut, nous nous sommes décidé à répéter les sections intracrâniennes du trijumeau, et cela de préférence sur des chats, chez lesquels, comme l’on sait, les excitations du goût se manifestent par des signes plus énergiques encore que chez les chiens. Nous pratiquâmes donc, dans une éroisième série d'expé- riences, la section, à l'intérieur du crâne, soit du trijumeau entier, soit de sa seconde et troisième branche à la fois, en nous assurant avec un soin tout particulier aux autopsies qu'aucun autre nerf (comme p. ex. le nerf grand pétreux superficiel) n'avait été lésé. C’est dans cette troisième série que les nerfs glossopharing'iens n’ont pas été préalablement coupés. . L'absence de lésions concomitantes ayant été constatée d'une manière indubitable dans plusieurs expériences, nous pouvons confirmer pleinement les résultats des recherches antérieures qui ont été instituées à ce sujet et qui démon- trent que le goût du tiers antérieur de la langue est aboli par la section complète du trijumeau ou par la section si- mullanée de sa seconde et troisième branche dans le crâne. Il est à regretter que jusqu’à présent nous n’ayons pas réussi à pratiquer la section #so/ée de la éroisième branche, à son origine, sans léser le nerf grand pétreux superficiel; mais en procédant par exclusion et surtout en tenant compte des résultats de la seconde et de la quatrième série que SIXIÈME LEÇON. 135 nous Ccommuniquerons incessamment, 1l ne saurait y avoir de doute que la branche maxillaire inférieure est étrangère, par ses fibres intrinsèques, à l'acte de la gustation. Ajoutons que chez les animaux de cette série (III) toute trace de goût disparaissait dans un côté de la langue, si, avec la section haute du trijumeau, on pratiquait celle du glosso-pharyngien du même côté. Il ressort de tout ce qui précède que les nerfs gustatifs du tiers antérieur de la langue proviennent effectivement de la cinquième paire. Comme d'ailleurs ils ne sont pas con- tenus originairement dans la troisième branche de cette paire et que nous savons, par les expériences de la seconde série, qu'ils se rendent au nerf lingual par ses anastomoses avec le facial qui en fournit la majeure partie (ou qui les contient peut-être toutes ?) nous arrivons à la conclusion très-extraordinaire que les filets gustatifs du tiers anté- rieur de la langue ne font que traverser le facial, pour se rendre, des origines du trijumeau (seconde branche) aw nerf lingual. Cette assertion pourra paraître très-para- doxale et même contraire à tout ce que nous enseigne l’in- duction anatomique, mais arrivé a ce point de nos recher- ches, nous ne pouvions nous dispenser de l’examiner par de nouvelles expériences. Il s'agissait d'attaquer directement les filets de communication entre la seconde branche du tri- jumeau et le facial. IV. — On sait que des altérations du goût ont été obser- vées quelquefois à la suite d’une opération consistant à couper le nerf facial à sa racine, dans la cavité crânienne. Eh bien, si l'on considère avec quelle facilité, dans cette opération, les anastomoses intracrâniennes de la cinquième et de la septième paire ont pu être lésées, on comprendra combien il était essentiel pour nous de rechercher à laquelle des deux lésions indiquées devaient être rapportés les symp- 136 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. 5 tômes signalés par les auteurs. Il était évident que si nous réussissions à produire ces mêmes altérations par la section isolée des filets anastomotiques, l'opinion si longtemps dis- cutée des fonctions gustatives du facial se trouverait tout naturellement réfutée. Les anastomoses intracrâniennes de la cinquième et de la septième paire proviennent de la seconde branche du trijumeau, et traversent le ganglion sphéno-palatin et les nerfs vidiens. Il y avait donc à examiner en premier lieu si les nerfs gustatifs qui nous intéressent sortent du crâne avec la seconde branche du trijumeau pour entrer dans le ganglion sphéno-palatin et pour se rendre de là à la troi- sième branche, soit par la longue voie du facial, soit par le rameau direct découvert par Valentin et désigné par lui sous le nom de rameaw récurrent où sphénoïdal (1). Ce filet récurrent ou sphénoïdal qui n’a pas toujours été retrouvé chez l’homme, mais que nous avons souvent préparé chez le chien, part du prolongement postérieur du ganglion sphéno- palatin, passe sous le ganglion de Gasser et se jette dans la partie supérieure de la troisième branche, chez l’homme à son bord antérieur, chez le chien à son bord externe. Comme nous ne connaissons pas d'autre communication directe entre la seconde et la troisième branche du triju- meau, cette anastomose est d’une importance particulière pour la question qui nous occupe, si l'hypothèse énoncée il y à un instant doit se confirmer. En effet, de l’aveu de presque tous les expérimentateurs , l'extraction ou la des- truction du facial dans le rocher n'abolit pas complètement la sensibilité gustative du tiers antérieur de la langue. Les- fibres qui transmettent cette sensibilité ne peuvent donc pas être contenues dans leur totalité dans le nerf vidien ou grand pétreux superficiel. | Quoiqu'il en soit, nos expériences directes ont dû se con- (4) VaLeNTiN, Neurologie, 1841. SIXIÈME LECON. 137 centrer sur le ganglion sphéno-palatin et les rameaux qui y entrent et qui en sortent. Par de nouveaux procédés opératoires que nous décri- rons plus en détail à une autre occasion, nous parvîinmes à faire, dans des chats et des chiens, les sections suivantes : 1° Section de la seconde branche du trijumeau, au dessus de l'origine des rameaux qui se rendent au ganglion sphéno- palatin (chats). 2° Section de quelques rameaux de communication entre la seconde branche et le ganglion indiqué — et c'était là l'opération la plus difficile (chiens). 3° Section des rameaux qui sortent postérieurement du ganglion sphéno-palatin et qui forment le nerf vidien (chats et chiens). Enfin, 4 Section et extraction partielle du prolongement posté- rieur du ganglion sphéno-palatin lui même (chiens). Les animaux opérés ne présentèrent pas de troubles généraux et furent soumis à une observation attentive pen- dant plusieurs semaines. Comme il nous ont fourni, par rap- port à la sensibilité gustative des parties antérieures de la langue, des résultats identiques, nous pouvons résumer ces derniers en peu de mots: Intégrité porfaite de la sensibilité tactile et douloureuse, abolition totale du goût. Chez tous les chiens, à l'exception d’un seul, nous pra- tiquâmes , quelque temps avant ou après l'opération, une fistule sousmaxillaire permanente, soit d’un côté, soit des deux, selon que la résection des nerfs gustatifs avait été uni- ou bilatérale. L'application de corps sapides (et surtout de substances acides) aux parties antérieures de la langue ne provoquait pas le moindre signe de dégoût et n’augmen- tait pas l'écoulement de la salive sousmaxillaire. Ces résultats, qui confirmèrent pleinement nos prévisions théoriques, éclaircissent d’une manière très-satisfaisante le désaccord qui existait, jusque dans ces derniers temps, entre 138 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. les données de l'observation pathologique chez l’homme et celles de l’expérimentation sur les animaux. Ils nous permet- tent de nous rendre compte des conditions particulières qui ont pu altérer le goût dans les maladies soit du trijumeau, soit du facial, sans nous imposer la nécessité de nier ou de mettre en doute les résultats souvent contradictoires de l'investigation physiologique. Rappelons les observations précédemment citées de Lussana et de CI. Bernard, obser- vations qui ont déjà trouvé en partie leur explication par la seconde série expérimentale communiquée dans cette note. A ce propos mentionnons encore un cas singulier qui s’est présenté à notre observation avant ces dernières recherches. Dans le compte-rendu de la leçon qui précède, nous avons décrit les symptômes offerts par un chat qui avait subi depuis plusieurs semaines l’extirpation des deux glosso- pharyngiens et sur lequel nous pratiquâmes la section bilatérale de la corde du tympan dans l'oreille moyenne. On se souvient que cet animal, examiné peu de temps après cette dernière opération, continua à montrer des signes évi- dents, quoique un peu affaiblis, de sensibilité gustative. Le tiers antérieur de la langue, examiné à plusieurs reprises pendant la première semaine qui suivit l'opération, persista à se montrer sensible à l'application de substances amères ou acides; preuve de plus de l’influénce très-secondaire que la corde du tympan exerce sur le goût. Au bout de quelque temps il survint une suppuration de l'oreille moyenne (et interne?) avec écoulement abondant qui dura pendant plusieurs semaines. L'examen des parties antérieures de la langue donnait toujours les mêmes résultats. Quand le méat auditif ne versa plus de pus, le chat refusait encore, comme auparavant, de manger des aliments rendus acides ou amers. Deux mois après la section des cordes du tympan et trois semaines après que l'animal eût montré pour la dernière fois des signes évidents de sensibilité gustative, il fut sou- mis à un nouvel examen. La partie antérieure de la langue SIXIÈME LECON. 139 avait conservé toute sa sensibilité tactile et douloureuse, mais, à mon grand étonnement, Ze goût y avait disparu complètement. L'animal mangeait, sans la moindre répu- onance, de la viande imprégnée de décoction de coloquinte, de sulfate de magnésie ou d’acide tartrique, et ne faisait pas de distinction entre les morceaux préparés et ceux qui ne l’étaient pas. Cette absence du goût, coïncidant avec l’in- tégrité de la sensibilité générale, s'est maintenue jusqu’à présent, c’est-à-dire plus de treize mois. Notons encore, chez cet animal, l'intégrité des mouvements mimiques, dépendant du facial. On conçoit aisément que, chez cet animal, ce n’est pas la paralysie de la corde du tympan qui a détruit le goût, mais une circonstance accessoire qui a compliqué l’opéra- tion et dont les effets n’ont pu se produire qu'après un in- tervalle de plusieurs semaines. Actuellement nous pouvons nous faire une idée des altérations qui ont probablement causé la perte du goût dans ce cas particulier. Si la suppu- ration dans l’oreille moyenne s’est étendue à d'autres points du rocher, voisins des nerfs pétreux, elle a pu entraîner une paralysie de ces derniers et interrompre ainsi les voies de communication entre le trijumeau et le facial, reprodui- sant ainsi l’une des conditions réalisées dans notre qua- trième série expérimentale. Nous pouvons admettre avec beaucoup de vraisemblance que les communications qui existent entre la deuxième et la troisième branche du trijumeau renferment un nombre de fibres gustatives très-variable d’un individu à l’autre, et que c’est tantôt l’une, tantôt l’autre de ces anastomoses qui joue le rôle le plus important dans la conduction des impressions du goût. C’est ainsi que s’expliquerait comment la même lésion du facial dans le rocher, qui, dans un cas, entraîne une perte presque absolue de la gustation, peut laisser cette fonction sans troubles très-appréciables dans un autre cas. 140 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Conclusion : Les nerfs gustatifs des parties antérieures de la langue quittent l'encéphale avec les racines du trijumeau, sortent du crâne avec la seconde branche de ce nerf, en- trent dans le ganglion sphéno-palatin et de là se rendent soit par le nerf sphénoïdal directement à la troisième bran- che (?), soit par les nerfs vidiens au ganglion géniculé du facial, pour s’accoller ensuite au tronc du maxillaire infé- rieur au niveau du ganglion otique ou pour se jeter dans le nerf lingual avec les filets compris sous le nom de corde du tympan. SEPTIÈME LEÇON. Sommaire: Fonctions des glandes salivaires. — Salive mixte ou totale. — Gentinuité de sa sécrétion. — Agents qui la stimulent. — Expériences. — Composition de la sa— live mixte. — Elle contient du sulfocyanure de potassium. — Propriété diastatique de Ja salive et son rôle dans la digestion des substances amylacées — Démonstration de l'action saccharifiante de la salive. — Rapidité apparente de celle action, — Propriète de la salive de décolorer la combinaison bleue de l'amidon avec l'iode. Messieurs , L'étude que nous avons faite de la gustation, nous a montré l'influence marquée que ce sens exerce sur la sécrétion sa- livaire. À ce propos, j'ai déjà mentionné accessoirement quelques-unes des particularités qu'offre l'innervation de l'appareil sécréteur de la salive; aujourd'hui nous avons à nous occuper des fonctions générales de cet appareil et du rôle qui lui est confié dans l'acte chimique de la digestion. La salive est le premier liquide sécrété au contact de l'aliment, dans son trajet à travers les voies digestives. À peine introduit du dehors, et tout en continuant à agir par ses qualités sapides sur les organes du goût, pendant l’acte de la mastication, l'aliment se trouve ainsi en présence d’un fluide aqueux qui, en le ramollissant et en l'imprégnant d'hu- midité, rend possible la formation du bol alimentaire. Mais outre cette utilité purement mécanique de la salive dans la préparation et la déglutition des substances plus ou moins 142 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. consistantes qui nous servent de nourriture, ce liquide con- tribue, chez l'homme et chez plusieurs animaux, par sa com- position et ses propriétés chimiques, à la transformation digestive des aliments. L’extraction aqueuse d'un grand nombre de substances alimentaires et la transformation en sucre des corps amylacés, tels sont les usages les plus im- portants de la salive, et ceux auxquels nous aurons à nous arrêter plus longuement. Le liquide qui humecte la surface des muqueuses buccales provient de plusieurs sources bien distinctes et c’est du mélange de ces différentes sécrétions que résulte ce que l’on est convenu d'appeler salive mixte ou totale. Les sources de la salive mixte sont: 1° les glandes parotide, sousmaxil- laire et sublinguale, placées symétriquement des deux côtés de la bouche, et 2° les glandules buccales, beaucoup plus nombreuses et plus petites que les premières, distribuées sur presque toute la surface interne de la bouche, et destinées à sécréter le mucus. Le premier groupe, celui des glandes salivaires proprement dites, étant seul pourvu de conduits excréteurs assez grands pour permettre l'isolement de leurs produits, ce sont surtout ces glandes qui ont été étudiées avec soin; quant aux glandules buccales et au mucus qu’elles sécrétent, leurs attributions sont encore peu connues et nous ne ferons qu'indiquer en passant le peu que l’on sait à leur égard. La salive mixte est sécrétée d’une manière continue et il s’en trouve toujours une certaine quantité dans la bouche, même en l'absence de toute irritation. Les enfants et beaucoup d'adultes qui dorment la bouche ouverte et couchés sur le côté, perdent continuellement de la salive pendant le sommeil. Chez les personnes qui dorment avec la bouche fermée, si l’on place un petit tube de verre dans l’angle le plus déclive de la bouche, on le voit se remplir de salive, découlant goutte à goutte. Longet ayant observé des individus endormis, dit avoir constaté chez eux un mouvement de déglutition in- SEPTIÈME LECON. 143 termittent, se renouvelant toutes les 3 ou 4 minutes et qu'il rapporte à la même cause. Ces mouvements de déglutition, d'après le même auteur, seraient beaucoup plus fréquents durant l’abstinence, à l’état de veille. Dans l’hémiplégie fa- ciale, comme :l a été dit à uné autre occasion, les malades présentent presque toujours un écoulement de salive ayant lieu par l'angle paralysé et entr'ouvert de la bouche.— J'in- diquerai plus tard les moyens dont nous disposons pour prouver que le fluide qui s'écoule dans ces circonstances est vraiment de la salive, bien que l’on ait nié l'identité des liquides buccaux sécrétés sous ces diverses conditions. Il est démontré, au moins pour l'homme, que la sécrétion salivaire n’est pas énéermittente, c'est-à-dire, cessant com- plètement à certains moments, comme beaucoup d'auteurs l'ont prétendu dans ces derniers temps. Elle est rémitéente, c'est-à-dire subissant de très-grandes variations de quantité, sans s'arrêter jamais. Déjà Mitscherlich, après avoir observé chez l’homme un cas de fistule du conduit de Sténon, se prononça, en 1837, pour la continuité de la sécrétion paro- tidienne, en indiquant toutefois qu'à la suite de certaines excitations, cette sécrétion peut devenir jusqu'à trente fois plus forte qu'à l’état de repos. Bidder et Schmidt avaient admis que le mode de la sé- crétion salivaire est essentiellement le même chez le chien que chez l’homme. Nous examinerons, sur un chien, comment a lieu la sécrétion des glandes principales dont les conduits excréteurs peuvent être isolés et servir à l'établissement de fistules artificielles. Voici un chien auquel j'ai pratiqué une fistule du conduit de Sténon, sans y adapter de canule. La plaie est guérie depuis quelque temps. Les environs de la fistule qui débou- che à l'extérieur, dans la région massétérienne, sont rasés et paraissent secs. En effet, dans le repos, la salive paro- tidienne est formée en quantité si peu considérable que la pression exercée par le liquide ne suffit pas à ouvrir le PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. 144 conduit. Mais dès qu'avec les doigts je comprime légèrement la région du conduit ou la glande elle-même, vous voyez apparaître à l’orifice externe une goute de salive limpide. Si je répète la pression, il se passe quelque temps avant qu'il reparaisse une secondé goutte , preuve que l'issue de la première goutte n’a pas été l'effet d’une irritation ner- veuse, ayant agi sur la parotide par voie réflexe. La se- conde, la troisième et la quatrième goutte sortent sponta- nément, sans que j'aie comprimé de nouveau. Je n'ai donc fait autre chose au commencement qu'ouvrir mécaniquement les lèvres du conduit qui étaient collées et exprimer la quantité de liquide déjà sécrété qui s’y trouvait. Je présente à l’animal un morceau de fromage qu'il lèche: pas d'augmentation évidente de l'écoulement. Je lui en donne à manger un petit morceau: même effet; mais un morceau plus grand qu’il mâche et avale, augmente con- sidérablement la sécrétion. La salive découle le long de la joue et du cou et vient tomber sur la table. Nous analy- serons bientôt les agents de l'excitation que vient d’avoir lieu. Je répète l'expérience sur un autre chien, porteur d’une fistule des conduits de la glande sousmaxillaire et sublin- guale. La sécrétion de ces glandes est rémittente comme celle de la parotide et est sujette à des variations tout-aussi considérables. Vous voyez, messieurs, que l’écoulement, très-faible d'abord, devient plus copieux encore que dans l'expérience précédente, aussitôt que j'excite le goût de l’a- nimal. La mastication modifie très-peu le phénomène. Nous ne tarderons pas à voir que cet effet est principalement dû à la glande sousmaxillaire dont l’activité réflexe, chez les carnivores, prédomine sur celle des deux autres glandes. Je pourrai peut-être, messieurs, vous montrer, à une autre occasion, une fistule de la glande sublinguale seule. Ces fistules qui ne peuvent guère être obtenues à l'état per- manent, sont difficiles à établir, parceque la glande sub- SEPTIÈME LEÇON. 145 linguale du chien est très-petite et que son conduit ex- créteur se confond souvent avec celui de la glande sous- maxillaire très-loin de son orifice externe. C’est pour cette raison que quelques auteurs, et parmi eux Colin, ne consi- dèrent la glande sublinguale que comme un lobe acces- soire de la glande sousmaxillaire. Chez le lapin, ainsi que chez le chien, j'ai toujours trouvé la sécrétion salivaire continue et rémittente; chez le chat la sécrétion parotidienne est presque intermittente et la quantité de liquide excrétée pendant le repos est si petite que les fistules du conduit de Sténon se ferment avec la plus grande facilité si elles sont abandonnées à elles-mêmes. Ce fait ne manque pas d'intérêt si l’on songe aux difficultés considérables qui s'opposent, chez l'homme, au traitement chirurgical des fistules du canal de Sténon. La gustation, la mastication, et les excitations générales, tels sont les agents principaux qui stimulent la sécrétion salivaire. On a cru pouvoir admettre, d’après Cl. Bernard qui le premier a examiné séparément et comparé entre elles les salives fournies par les trois principales glandes de la bouche, qu'à chacune des influences énumérées correspondait une salivation particulière: on aurait ainsi trois appareils salivaires, un pour la mastication (parotides, glandules labiales et molaires), un autre pour la déglutition (glandes sublinguales et glandules buccales), et un troisième pour la gustation (glande sousmaxillaire). En étudiant isolément les salives produites par les glandes salivaires proprement dites, nous verrons qu’elles ont, en effet, des propriétés différentes, mais qui ne répondent pas, d’une manière gé- nérale, à une semblable classification. Nous avons déjà vu dans nos expériences de tout-à-l'heure que tous les excitants n’agissent pas également sur la sé- crétion abondante des salives parotidienne, sousmaxillaire et sublinguale. Chez le premier chien, avec fistule du conduit de Sténon, l'acte de lécher et de mang'er un pefit morceau TOME PREMIER 10 146 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. de fromage, n’augmentait pas visiblement l'écoulement sali- vaire, tandis qu'un grand morceau avait un effet très-décisif. L'impression gustative produite par Ces deux morceaux ne peut pas nous rendre compte de leur manière diverse d'agir sur la salivation , et il devient dès à-présent très- probable que la mastication a dû contribuer au résultat de la première expérience. Est-ce la compression de la glande parotide par le muscle masséter, qui entre en jeu pendant la mastication et qui fait jaillir au dehors la salive plus abondamment formée? Cela n’est pas vraisemblable, puisque nous avons vu qu'en Comprimant la parotide avec les doigts ou avec toute la main, on ne fait sortir qu’une petite goutte de salive, déjà sécrétée et se trouvant en voie d’excrétion. Nous pouvons d'ailleurs mesurer très-exactement la pression qu'exerce sur la glande le masséter en se contractant et reproduire cette même pression artificiellement; mais jamais de cette manière nous n’obtiendrons d'écoulement abondant. La stimulation exercée par la mastication sur l’activité de la glande parotide, est donc un phénomène réflexe du même ordre que celui qui à lieu pour la glande sousmaxillaire après les excitations du goût. J'ai déjà nommé l’une des voies nerveuses par lesquelles ces excitations se transmet- tent à l'appareil salivaire. En étudiant plus en détail, dans la suite, le mécanisme de cette transmission, nous verrons que l'excitation nerveuse se manifeste non seulement par une augmentation de la sécrétion, mais aussi par un ac- croissement de la pression des liquides à l’intérieur des conduits glandulaires. C’est sur la glande sousmaxillaire que nous étudierons ces faits et elle pourra nous servir de type pour l’activité fonctionnelle de la plupart des autres glandes qui versent leurs produits dans le tube digestif et dont la sécrétion est placée sous la dépendance des centres nerveux. La salive mixte de l’homme est tout-à-fait semblable à celle de beaucoup d'animaux. Recueillie en plus grande SEPTIÈME LEÇON 147 quantité, elle présente l'aspect d'un liquide transparent ou légèrement opalin recouvert par de nombreuses bulles d'air. La salive du chien n'acquiert cette propriété d'être spumeuse qu'au moment du mélange des différents liquides qui la composent, et grâce à sa densité qui n'est pas la même que celle des salives isolées. Liebig regardait comme une des fonctions principales de la salive de se mêler in- timément avec l'air qui, arrivé avec elle dans l'estomac, devait, selon lui, y favoriser la fermentation des aliments. Schwann a prouvé que l’air n’est pas nécessaire à la fer- mentation digestive; et d’ailleurs nous en avalons de telles quantités avec les aliments que sous ce rapport, la salive ne pourrait jouer qu'un rôle tout-à-fait secondaire. Parmi les éléments qui entrent dans la composition du fluide salivaire, il n’en est qu'un très-petit nombre qui aient un intérêt direct pour notre sujet. La salive mixte contient une très-forte proportion d’eau, et à peine un pour 100 de principes solides. Dans le nombre des corps salins qui con- stituent son résidu sec, je signalerai le sy/focyanure de potassium, dont la présence a été pour la première fois re- connue par Tiedemann et Treviranus. Il résulte des recherches de ces auteurs que le sulfocyanure de potassium doit être considéré comme un des principes normaux et constants de la salive; et ce résultat est à-peu-près généralement admis de nos jours, bien qu’une foule d'opinions contradictoires aient été tour-à-tour émises à ce sujet. Les expériences de Longet et celles toutes récentes de Oehl, à Pavie, de plus celles de Sertoli et de Fajani, ont définitivement confirmé l'opinion de Tiedemann et Treviranus, et ont mis au jour quelques particularités intéressantes, pour lesquelles le livre de Oehl et le mémoire de Sertoli méritent d’être spécialement consultés. — On a prétendu que le sulfocyanure de potas- sium était le produit d’une altération spontanée de la salive, parce qu’en effet sa quantité paraît augmenter lorsque ce fluide subit un commencement de décomposition. Ainsi, en 148 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. examinant deux portions de salive d’un animal sain, l’une immédiatement après son excrétion, l’autre 20 minutes plus tard, je trouvai la réaction du sulfocyanure notablement plus prononcée dans la dernière. C’est probablement cette circonstance qui a induit en erreur les auteurs qui, dans la salive des chiens enragés, disent avoir constaté la présence d'une proportion de sulfocyanure beaucoup plus forte que celle que contient la salive de chien normale. En effet, chez des ani- maux enragés, l’expérimentation n’est pas facile, on ne s’ap- proche pas volontiers d’eux pour recueillir leur salive au fur et à mesure qu'elle se forme, mais l’on se contente de leur ap- pliquer, une fois pour toutes, un collecteur où il s’en ramasse une certaine quantité que l’on examine après quelque temps. — Je n'ai relevé ce fait que parceque, se fondant sur l’ob- servation que je viens de citer, quelques auteurs ont essayé d'attribuer la transmission de la rage à l’inoculation de la salive rendue toxique par une plus forte proportion de sul- focyanure de potassium. Inutile d'ajouter que cette hypo- thèse invraisemblable n’est justifiée par aucune expérience probante. CI. Bernard regarde comme très-probable que le sulfocya- nure ne préexiste pas dans la salive, mais qu'il s’y développe sous certaines influences accidentelles. En examinant di- rectement, à l'aide de quelques gouttes de perchlorure de fer, la salive mixte fraîche de beaucoup de personnes, en apparence saines, il trouva que chez les unes la salive prenait toujours la coloration rouge caractéristique du sulfocyanure, tandisque chez les autres cette réaction ne s’observait jamais. Ces différences individuelles sont attribuées par Bernard à l'état de carie d’une ou de plusieurs dents, à l'usage du tabac, etc. Longet, tout en confirmant que la propriété ru- béfiante de la salive, vis-à-vis du perchlorure de fer, est loin d’être la même chez différents individus, pris au hasard et examinés soit avant, soit après le repas, ne considère ce- pendant les exceptions que comme apparentes, et persiste SEPTIÈME LECON. 149 à voir dans le sulfocyanure de potassium un des éléments caractéristiques de la salive normale. En faisant évaporer très-lentement le liquide salivaire au bain-marie, jusqu’à réduction de moitié ou des deux-tiers, et en faisant agir le perchlorure de fer sur le résidu refroidi, Longet affirme n’a- voir plus trouvé un seul cas douteux, comme l'avaient été quelques-uns des cas appartenant à ses premières observa- tions, faites sur de la salive fraîche. D’après ce qui vient d'être dit, on voit que ce dernier procédé de Longet n'ex- clut pas entièrement la possibilité de la formation après coup d'une certaine quantité de sulfocyanure; cependant hâtons-nous d'ajouter que ses résultats concordent entiè- rement avec ceux de Tiedemann et Treviranus qui, eux aussi, constatèrent la présence de ce sel dans la salive d’un grand nombre d'individus, de tous les âges et des deux sexes. La salive mixte est essentiellement composée d’eau (plus de 99 pour 100), et les quantités de ce liquide que les glan- des salivaires soutirent au sang, sont quelquefois très- considérables. Elles sont surtout considérables chez les herbivores et les ruminants qui, pour humecter convena- blement leur nourriture, ont besoin de beaucoup d’eau. Riquet calcule la moyenne de la salive sécrétée par le cheval à environ 8 kilogrammes pour l’espace de 24 heures. Divers états pathologiques qui, chez l’homme, sont accom- pagnés d’un abondant écoulement salivaire (le ptyalisme mercuriel, celui qui se montre dans certaines ang'ines, dans l'hystérie, etc.) sont ordinairement caractérisés par une soif vive, résultat de la perte d’eau éprouvée par l'organisme. Les fumeurs qui crachent beaucoup, ont souvent besoin de se désaltérer. Les salives des trois glandes ont, comme nous avons dit, des densités différentes; cela tient à ce qu’elles ne renfer- ment pas les mêmes proportions d’eau. La salive paroti- dienne est la plus aqueuse, la sublinguale la plus riche en 150 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. éléments solides. — Il y a une espèce de migraine dans laquelle la salive sousmaxillaire devient plus aqueuse, con- trairement à ce que l’on pourrait attendre d'un état con- gestif. Pour la parotide il n’existe pas d'observation analogue. J'ai déjà signalé, en commencant, la double importance de la salive dans l’acte chimique de la digestion. La pre- mière attribution, consistant à préparer l'extrait aqueux d’un grand nombre de substances alimentaires, ne sera bien comprise que lorsque nous aurons étudié les causes qui pré- sident à la sécrétion du suc gastrique. Nous aurons, par conséquent, à revenir sur ce sujet, en traitant de la diges- tion stomacale. Occupons nous, pour le moment, de l’action spécifique de la salive mixte sur les matières féculentes qu’elle transforme d'abord en Zextrine, puis en glycose. Leuchs le premier a trouvé et Valentin a confirmé le fait que si l’on chauffe avec de la salive fraîche de l’amidon reduit en empois par la cuisson, cette substance se liquéfie et se change en sucre. Les matières amylacées formant une grande partie de nos aliments, on conçoit l'importance d'un liquide ayant la propriété de dissoudre ces corps et de les rendre accessibles à l'absorption presque dès leur entrée dans les voies digestives. Examinons d’abord le fait et voyons dans quelles circonstances particulières il se produit. Il y a beaucoup de méthodes pour reconnaître dans un liquide la présence du sucre. Nous nous servirons de pré- férence dans nos expériences de la méthode de Trommer, dont l'application est facile et qui suffit aux détermina- tions qualitatives que nous avons à faire. Elle consiste à ajouter au liquide que l’on veut examiner, un petit excès de potasse caustique, de manière à le rendre franchement alcalin, et à chauffer le mélange avec quelques gouttes d’une solution de sulfate de cuivre. La glycose traitée par la potasse caustique forme avec elle une combinaison très- avide d'oxygène, qui a la propriété de réduire le sulfate de cuivre, c’est-à-dire de produire dans la solution bleue SEPTIÈME LEÇON. 151 de ce dernier un précipité rouge ou orange d’oxydule de cuivre. La salive mixte pure ne contenant pas de substances ca- pables de réduire spontanément les sels d'oxyde de cuivre, la méthode de Trommer appliquée à l’examen de la salive, ne renferme pas de sources d'erreur, comme cela a lieu pour d'autres liquides de l’organisme. L’urine, par exemple, contient assez souvent des matières qui peuvent réduire la solution cupro-potassique; dans ce cas il est préférable, pour reconnaître la présence du sucre, de se servir de la méthode basée sur la décomposition de la glycose en alcool et en acide carbonique, au contact des ferments, comme la levüre de bière. Voici de l’empois d’amidon fraîchement préparé; j'y ajoute un peu de salive fraîche, j'agite l’éprouvette un instant et je chauffe le mélange jusqu'à l'ébullition. Mon intention, en opérant ainsi, est de limiter l’action saccharifiante de la salive aux quelques instants qui ont précédé .l’ébullition. Soumis pendant quelque temps à la température de l’ébul- hition de l’eau, le principe actif de la salive, principe dont dépend la transformation de l’amidon en sucre et que nous désignerons provisoirement sous le nom de ferment dias- latique — perd son pouvoir saccharifiant et ne le reprend pas par le refroidissement du liquide. Cette propriété dont nous nous servirons souvent pour arrêter l’action de la salive, sera plus amplement démontrée et discutée dans la suite. Le mélange étant refroidi, j'y ajoute un peu de potasse caustique et quelques gouttes de solution de sulfate de cuivre. Remarquez, messieurs, qu'au contact de la salive, la solution cupro-potassique qui ordinairement est d’un beau bleu saturé, change légèrement de couleur et devient d’un xiolet clair limpide. D’autres liquides de l’économie animale produisent, dans le mélange de Trommer, le même chan- gement de couleur qui, notez-le bien, n’est pas une réduc- 152 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. tion, puisqu'il n’y a pas trace de précipité. Nous ne tar- derons pas à voir s'effectuer, au contact de la salive, une autre décoloration de ce genre, qui a donné lieu à une sin- gulière méprise sur l'énergie du pouvoir saccharifiant de ce fluide. Je chauffe la solution violette que nous venons d’obtenir; elle devient de plus en plus pâle, se décolore tout-à-fait, et, avant l’ébullition, il s’y forme un abondant précipité d’oxy- dule rouge de cuivre. Il a donc suffi du contact de quelques secondes pour que la salive transforme en glycose une quantité appréciable d’empois d’amidon. Cette expérience, messieurs, serait tout- à-fait concluante, si je vous avais fourni la preuve que ma salive n'aurait pas eu, à elle seule, la même action sur le mélange de Trommer. Je vais donc répéter la réaction sur la salive, sans adjonction d’amidon. Vous voyez que le li- quide reste tout-à-fait limpide, même si je prolonge l’ebul- lition. Pour plus de sûreté et en prévision de l'expérience que je devais faire devant vous, je me suis abstenu de manger ce matin et j'ai soigneusement rincé ma bouche avant la leçon. Nous n'avons donc pas eu affaire à une alté- ration accidentelle du liquide salivaire, produite, p. ex., par des restes d'aliments féculents ayant déjà subi un commen- cement de fermentation dans les interstices des dents. Dans notre expérience l’action de la salive sur l’empois d'amidon a mis certainement moins de temps à se produire que ne dure le séjour des aliments dans la bouche, pendant la mastication. Ainsi, au moment de la préparation que nous faisons subir aux aliments féculents avant de les avaler, nous avons la faculté de produire, dans notre bouche, une quantité très-notable de glycose, et cela à d'autant plus forte raison que ce changement s’accomplit dans une tem- pérature tiède, éminemment favorable à l’action du ferment salivaire. Toutefois n’oublions pas que la propriété dont il s’agit ici ne s'applique qu'a l’amidon modifié par la cuisson; SEPTIÈME LEÇON. 153 quant à l'amidon cru, nous verrons que pour obtenir sa transformation en sucre, il faut un contact beaucoup plus prolongé avec la salive. A froid, il n'y a presque pas de trace de transformation. Messieurs, il est une autre erreur contre laquelle je dois vous mettre en garde. Or a souvent exagéré la quantité d'amidon qui peut être transformée en sucre par la salive, en s'appuyant sur le fait que l’iode cesse de donner la réac- tion bleue caractéristique avec l'amidon, dès que ce dernier a été un seul instant en contact avec le fluide salivaire. Le fait est parfaitement juste, comme nous allons nous en as- surer immédiatement, mais la conclusion qu'on en a tirée, l'est-elle au même degré? Je prends un peu d’empois d’amidon et je le colore en bleu à l'aide d'une goutte de teinture d'iode. Cette éprouvette nous servira de terme de comparaison. Je reprends du même empois dans lequel je fais tomber un peu de salive fraîche; j'agite le mélange pendant quel- ques secondes et j'y ajoute une goutte de teinture d’iode. Vous voyez qu'au lieu de bleuir fortement, le liquide prend une teinte violette claire, et en le réchauffant légèrement je fais disparaître toute trace de coloration. Voici un autre tube dans lequel l’amidon a séjourné en- viron pendant deux minutes avec de la salive. L'iode y pro- duit à peine une légère teinte jaunâtre. . Que s'est-il passé dans ces deux expériences? Admettrons- nous que tout l'amidon a été changé en sucre et qu'il a réellement disparu comme tel, parce que l'iode ne nous en révèle plus la présence? S'il en était ainsi, la rapidité d'ac- tion de la salive serait vraiment merveilleuse, et c’est en effet ce qui a été affirmé par plusieurs auteurs, comme Bidder et Schmidt, qui ne savaient pas autrement se rendre compte du phénomène que je viens de produire devant vous. Mais avant de rien conclure, examinons plus en détail le mode 154 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. d'agir de la salive sur la combinaison bleue de l’amidon avec l'iode. Vous n'êtes pas sans connaître un tour de passe-passe que l’on voit quelquefois exécuter aux escamoteurs de place publique. Ce tour consiste à prendre dans la bouche un liquide noirâtre, ayant l'aspect de l'encre, et à le recracher incolore et transparent. L’encre qui soit-disant sert dans ces occasions, n’est autre chose qu'un mélange d'eau ami- donnée et d’iode qui, dans la température de la bouche, perd rapidement sa couleur. Nous pouvons faire l'expérience analogue sur le mélange d'iode et d'amidon que j'ai préparé tout-à-l'heure. Un peu de salive fraîche que j'y laisse tomber fait passer rapide- ment sa couleur du bleu foncé au violet clair, et si je le secoue dans ma main, tout le liquide se décolore. Cette expérience ne prouverait rien par elle-même, puis- que la salive pourrait avoir transformé l’amidon, malgré la présence de l’iode. Mais je démontrerai que la transforma- tion de l’amidon n’entre pour rien dans le phénomène. Per- sonne, je suppose, n’attribuera à l’urine du chien le pouvoir diastatique de la salive, et pourtant ce liquide jouit, au même degré que la salive, de la faculté de décolorer le mé- lange d’iode et d’amidon. Je refais l'expérience avec de l'urine de chien, et vous voyez que la décoloration est immédiate. D'autres liquides organiques présentent cette propriété. Je pourrais reproduire le phénomène, avec le même succès, en me servant, p. ex., de la sérosité exprimée de muscles frais, de suc pancréatique, etc. Il est bon d’être averti de ce fait qui a une certaine importance, même au point de vue clinique. Beaucoup de médecins, ayant à rechercher l’iode dans les urines (dans des cas d’iodisme, etc.), se con- tentent ordinairement d'y ajouter un peu d’amidon délayé dans de l’eau et concluent, de l’absence de la réaction, à l'absence de l’iode. Ce procédé est doublement vicieux, car SEPTIÈME LEÇON. 155 outre la non-production de la réaction bleue en présence de l'urine, cette réaction est encore empêchée, dans une foule de liquides organiques, par le fait que l’iode n’y est jamais contenu à l'état libre, mais à l’état d'acide iodhy- drique (1). (C’est ce qui a lieu, p. ex., pour le lait, pour les urines, la sérosité de l'hydrocèle, etc.). Magendie déjà con- naissait cette particularité. L'amidon cru est aussi coloré en bleu par l'iode, seulement le mélange étant moins intime, la coloration est moins sa- turée que celle qui se produit dans l'empois. Or nous savons que la salive ne transforme pas l’amidon cru à froid, ou, si elle le fait, ce n’est qu'avec une extrême lenteur. Nous pouvons donc considérer la salive comme à peu près inac- tive en présence de l’amidon non modifié par la cuisson. Néanmoins, et c’est ce dont nous allons nous assurer par l'expérience, la réaction de l’iode sur l’amidon est également empêchée dans ces conditions. De la salive fraîche et refroidie que je mets en contact avec du lait d’amidon cru, ne se colore pas en bleu par l'adjonction d’un peu de teinture d'iode. Cette coloration est au contraire très-évidente, si je fais agir directement l'iode sur l'amidon. Je répète l'expérience en me servant, au lieu de salive d'homme, d'une infusion des glandes salivaires du chien. Ce liquide qui, comme nous le verrons, équivaut à une sa- live artificielle, n’agit, ainsi que la salive naturelle du chien, qu'avec une extrême lenteur sur l’amidon. Même effet, et dans ce dernier cas démontré & fortiori, puisqu'encore moins que dans la première expérience, il a pu intervenir ici une transformatien chimique de l’amidon. Vous voyez la réaction bleue également empêchée dans un mélange d'amidon cru et d'infusion pancréatique de chien. (1) C'est précisément parce que l’iode, au contact des liquides organiques, se change en acide iodhydrique que la salive, le suc pancréalique, etc, décolorent l'iodure d’amidon, 156 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Tout ceci nous prouve que la propriété que possède la salive d'empêcher ou de faire disparaître la réaction bleue de l’amidon sur l’iode, ne lui est pas inhérente en vertu de son action saccharifiante et qu’elle n’est en aucune relation directe avec cette dernière (1). Mais comment montrer que dans un mélange récent d'amidon et de salive il y a encore une partie d’amidon non transformée, et que par conséquent le pouvoir diasta- tique de la salive n’est pas illimité, comme l’admettaient Bidder et Schmidt, mais a besoin d’un certain temps pour se manifester ? — Les faits suivants vont répondre à cette question. Les liquides organiques qui masquent la réaction de l'iode sur l’amidon dans les solutions diluées, n’ont plus cet effet dans les*olutions très-concentrées. Il suffit donc, pour dé- montrer la présence de l’amidon dans un mélange renfer- mant de l’iode et de la salive, de le chauffer d’abord rapi- dement jusqu’à l'ébullition, de l’y maintenir pendant quelque temps, pour arrêter l’action du ferment, et d'évaporer en- suite jusqu’à consistance sirupeuse. Dans le résidu on recon- naît alors, à la coloration caractéristique, soit la présence de l’amidon en ajoutant une goutte de teinture d’iode, soit celle de l'iode en ajoutant un peu d’empois d'amidon. Dans les deux cas le procédé est le même; il faut seulement se (1) Henssr a indiqué, dans son ouvrage sur le Système lympbalique, le caractère sui- vant pour reconnaîlre les granules d’amidon, à l’aide de l’iode, dans le sérum du sang, liquide qui jouit comme la salive de la propriété de décolorer la combinaison bleue de l’iode avec l’amidon. L'amidon en granules, au premier moment de son contact avec l’iode, prend. une légére coloration bleue qui est (rès-prompte à disparaîlre, et celte propriélé peut faire reconnaître l’'amidon dans les liquides organiques décolorants, surtout.si on l’y a ajoulé à dessein. Nous avons plusieurs fois confirmé ce fait, mais nous devons dire que la réaction indiquée par Herbst est si légère et si fugace qu'il faut concentrer toute son attention pour la surprendre, si la quantité de granules d’amidon est petite. Et il ne saurait en être autrement, puisque la coloration bleue ne peut se former et persister que durant le très-pelil espace de temps que l’iode met à se combiner à l’hy- drogène du liquide organique. Lorsque l’amidon est trituré ou dissous, et lorsque sa quanlilé n’est pas excessive, on ne réussit même pas à produire la coloration. SEPTIÈME LEÇON. 157 souvenir que s'il s'agit de retrouver de l’amidon, il n’y a pas grand mal à évaporer à sec; mais qu'il faut bien se garder d'en faire autant si l’on veut constater la présence de l’iode, substance éminemment volatile. Pour nous assurer du fait, prenons le contenu de notre première éprouvette où il y a de la salive et de l’amidon mélangés depuis plus de 20 minutes et où, par conséquent, il ne devrait plus y avoir de trace d’amidon, si l’action de la salive était en réalité aussi rapide qu'on se l’est figuré. Je fais évaporer le liquide après l’avoir maintenu en ébul- lition pendant quelque temps; je continue l’évaporation jus- qu'à ce que le tout prenne une consistance sirupeuse et j'ajoute une goutte de teinture d’iode. Les bords de la goutte se colorent immédiatement en bleu foncé. Vous voyez, messieurs, que dans la mélange que nous avons examiné, il est resté une quantité appréciable d'’a- midon non transformé. En effet, nous n'aurions guère ob- tenu, avant une demi-heure, la transformation complète de toute la quantité d’amidon qui nous a servi dans cette ex- périence. Ainsi, pendant la mastication, une certaine partie des aliments amylacés que nous ingérons est changée en glycose, mais la transformation est bien loin de s'achever cemplètement jusqu'au moment de la déglutition. La réaction de la salive mixte normale est légèrement alcaline. Cette propriété est-elle dans un rapport quelconque avec le pouvoir diastatique de la salive, ou bien ce fluide peut-il être indifféremment alcalin, neutre ou acide, sans . men perdre de son activité spécifique? En d’autres termes, le bol alimentaire imprégné de salive, continue-t-il à subir l'influence de cette dernière, en arrivant dans le milieu acide de l'estomac? — L'examen de cette importante question nous occupera dans la prochaine leçon. HUITIÈME LEÇON. Sommaire: Influences des acides et des alcalis sur les propriétés sacchariflantés de la salive. — Différence d'action de ces deux ordres d'agents, — Action de la chaleur sur le ferment salivaire. — Physiologie comparce de la salive mixte de quelques animaux herbivores et carnivores. — Mode d'action de la diastase salivaire sur l'amidon, — Constitution chimique du corpuscule amylacé. Messieurs , Continuant notre étude des propriétés chimiques de la salive mixte, nous avons à examiner aujourd'hui si l'alca- linité normale de ce liquide est essentielle ou non à ses pro- priétés saccharifiantes. Les expériences de la dernière leçon nous ayant montré que la transformation des corps amy- lacés ne fait que commencer dans la bouche et est loin de s'achever jusqu'au moment de la déglutition, il est du plus haut intérêt de savoir si dans le milieu acide de l'estomac cette transformation peut se continuer, ou bien si elle y est suspendue jusqu’à l'arrivée du chyme dans l'intestin, où il existe d’autres agents capables de transformer l’amidon en sucre. | Nous savons de plus que dans certaines affections, spé- cialement dans les‘fièvres éruptives, la salive peut présenter, surtout le matin, une réaction acide. Cette acidité est-elle un obstacle à l’action caractéristique de ce liquide sur les corps amylacés ? HUITIÈME LEÇON. 159 Nous allons, pour décider cette question, acidifier une portion de salive et étudier, par la méthode ordinaire, son action sur l’empois d’amidon. J'ai excisé les glandes salivaires d’un cochon d'Inde mort depuis environ une heure. La salive naturelle et artificielle de cet animal jouit, à un plus haut degré encore que celle de l'homme, de la propriété de changer en sucre la fécule cuite. Pendant que mon aide préparera la salive artificielle en coupant les glandes salivaires en petits morceaux et en les imfusant dans de l’eau, je ferai une première expérience avec ma propre salive. À une petite portion de celle-ci j'ajoute quelques gouttes d’acide acétique, jusqu'a ce que le liquide rougisse très-franchement le papier bleu de tournesol; puis un peu d'empois d'amidon ; j'agite le mélange pendant une minute, temps plus que suffisant, dans les conditions normales, pour permettre la formation d'une notable quan- tité de glycose. Chauffé avec un peu de potasse caustique et de sulfate de cuivre, le liquide se décolore peu-à-peu, et, à l'ébullition, il se forme un très-faible précipité d’oxydule de cuivre. Il paraît donc que l'acide, mélangé à la salive mixte, diminue, jusqu'à un certain degré, son pouvoir saccharifiant. La réduction que nous avons obtenue est certes insignifiante à côté de ce qu'’aurait produit la même salive, non acidifiée. Mais n'oublions pas que, dans cette expérience, nous avons pris une quantité d’acide de beaucoup supérieure à celle du suc gastrique ou à celle de la salive pathologique. Répétons par conséquent l'expérience sur l’infusion des glandes salivaires du cochon d'Inde, en ayant soin de n’y ajouter que la proportion d’acide qui correspond à la réac- tion du suc gastrique actif. — Je partage l’infusion en deux portions. À l’une j'ajoute directement un peu d'empois d’a- midon ; j'acidifie très-légèrement l’autre, de manière à ob- tenir à peu près, sur le papier bleu de tournesol, la colora- tion rouge que produirait le suc gastrique. Puis j'y ajoute 160 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. la même quantité d'empois d'amidon. J'expose les deux portions à une température de 35 à 40 degrés, pour imiter autant que possible les conditions dans lesquelles la salive se trouve dans l'estomac. — Au bout de quelques minutes, la première portion, examinée avec le réactif de Trommer, pro- duit un abondant précipité d’oxydule de cuivre. — Avant de soumettre la seconde portion (acidifiée) à la même réac- tion, assurons-nous si la température du bain-marie n’a pas fait évaporer l'acide acétique qui y a été ajouté, Vous voyez, messieurs, que le papier de tournesol accuse, encore main- tenant, un léger excès d'acide. La réaction de Trommer donne un précipité d'oxydule de cuivre, égal en densité.à celui de la première expérience, autant qu’il est possible d'en juger par la simple inspection. Cette expérience nous indique que le ferment salivaire ne perd , pour ainsi dire, rien de son activité dans un milieu légèrement acide, comme celui de l'estomac pendant la pé- riode digestive. Toutefois, comme nous avons vu, en commençant, la salive perdre notablement de son pouvoir diastatique par une acidité dépassant celle de l'estomac, il nous reste à faire une troisième expérience, en ajoutant un très-grand excès d'acide, Si nos prévisions sont justes, nous aboli- rons entièrement, de cette manière, l’action du ferment salivaire. Je me servirai, cette fois, au lieu d'acide acétique, d'acide tartrique qui, comme nous le savons, se produit quelquefois pathologiquement dans la bouche et peut se mêler ainsi à la salive. | Je prends de ma propre salive et j'y ajoute de l'acide tartrique, jusqu'à ce qu’elle rougisse fortement le papier de tournesol. J'y laisse tomber quelques gouttes d'empois d'a- midon liquide et j'agite le mélange pendant environ une demi-minute. Chauffé à l’ébullition et soumis ensuite à la réaction de Trommer, le liquide devient d'un beau violet qui HUITIÈME LEÇON. 16] se maintient à une seconde ébullition; une troisième et une quatrième ébullition n’amènent pas d’autre changement que de faire pâlir légèrement le mélange. Pas de précipité: partant, pas de sucre. — Cette expérience nous démontre qu'un très-grand excès d'acide empêche complètement la transformation de l’amidon en sucre. J'ai à peine besoin de vous faire remarquer, messieurs, qu'un semblable excès d'acide ne se produit jamais, même pathologiquement, dans la cavité buccale ni dans l'estomac. Cependant, notre première expérience nous ayant montré qu'un excès relativement peu considérable d'acide suffisait pour ralentir l’action saccharifiante de la salive, nous avons encore à résoudre la question de savoir quelle est la nature de l’obstacle apporté par l'acide à la transformation de l’a- midon. Il y a deux possibilités: Ou bien l'acide, ajouté en grande quantité, détruit définitivement le ferment salivaire. Dans ce cas nous aurons beau neutraliser le mélange par l'adjonction d’un alcali; la salive ne reprendra jamais son pouvoir diastatique. Ou bien, — seconde possibilité, — l’action du ferment salivaire se trouve simplement voilée ou suspendue par la présence de l'acide. Dans ce cas, ses propriétés lui seront rendues par la neutralisation du li- quide. Au point de vue thérapeutique, l'examen de cette question n’est peut-être pas sans importance, puisqu’en donnant des alcalis, nous aurions ainsi le moyen, dans des cas d’acidité pathologique de la cavité buccale ou stoma- cale, de rendre au liquide salivaire son influence entière sur la digestion des fécules. J'acidifie fortement, avec de l'acide tartrique, une quan- tité de salive fraîche que je divise en deux portions. Je ré- pète sur l’une des portions l'expérience faite en dernier lieu, pour bien m'assurer que l’adjonction de l'acide a entièrement aboli l’action saccharifiante du ferment qui y est contenu. Chauffé avec de l’empois d'amidon et mélangé avec le ré- actif de Trommer, le liquide ne change pas de couleur à la TOME PREMIER II 162 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. première ni à la seconde ébullition: preuve qu’à ce degré d’acidité cette salive est inactive. Je neutralise exactement la seconde portion, avant d'y ajouter l’empois d’amidon , et je répète la même réaction. Abondant précipité d’oxydule de cuivre. Ainsi l’alcali, en neutralisant l’acide tartrique, a rendu à la salive son pouvoir saccharifiant. Nous pouvons formuler nos résultats en ces termes: Une faible acidité, telle que la présente p. ex. le suc gastrique actif, n’est pas nuisible à l’action de la salive sur l’amidon cuit. Un fort excès d'acide au contraire prive momenta- nément la salive de ses propriétés saccharifiantes, mais sans détruire le ferment diastatique qui reprend son action dès que l'on neutralise le liquide. Il semblerait assez rationnel, d’après ces données, d'ad- ministrer des alcalis dans les cas d’acidité pathologique de la bouche ou de l’estomac, comme p. ex. dans le py- rosis, pour rétablir la digestion normale des fécules. Mais en parlant des sécrétions de l'estomac, je montrerai que l'on ne peut satisfaire à cette indication, en apparence si simple, avec la même facilité que nous le faisons artificiel- lement dans les liquides isolés de l’organisme. Messieurs, si au lieu d’expérimenter sur la salive acidifiée, jy avais ajouté, avant d'y mettre l'empois d’amidon, un excès d’un alcali quelconque, quelle en aurait été la con- séquence? à A l'état normal, comme nous l'avons vu à plusieurs re- prises, la salive mixte de l’homme est Zégèrement alcaline. Mais sous l'influence de diverses causes pathologiques, cette alcalinité peut étre singulièrement exagérée. Ainsi l’on ob- serve quelquefois , dans le catarrhe des conduits glandu- laires, une alcalinité insolite de la salive sousmaxillaire et sublinguale, propriété qui dès lors se communique à la salive totale. — Des ulcérations et des suppurations siégeant dans la cavité buccale et mélant leurs produits à la salive, HUITIÈME LEÇON. 163 peuvent également produire cet effet. Quelles seront les conséquences de cette altération sur l’activité du ferment salivaire ? Disons à l'avance qu’au point de vue pratique cette question a moins d'importance que celle que nous avons discutée en premier lieu, attendu que l’alcalinité exagérée de la salive est un phénomène beaucoup moins fréquent que l'acidité et ne se rencontre jamais dans les conditions normales. Cependant l'influence de l’alcali mérite d'être étudiée à part, et pour cet examen, nous suivrons la même marche que nous avons adoptée pour notre première recherche, rela- tive à l'influence de l'acide. Voici un peu de salive fraîche, normale, qui, ainsi que vous le voyez, bleuit très-faiblement le papier rouge de tournesol. Ajoutons une goutte d’une solution saturée de potasse, de manière à obtenir une réaction un peu plus vi- sible, mais en restant à-peu-près dans les limites de l’al- calinité pathologique, telle qu’on la rencontre quelquefois. Mélangé et secoué avec un peu d’empois d’amidon, porté à l'ébullition et puis soumis à la réaction de Trommer, le liquide passe du bleu au violet, et ne montre, à une nou- velle ébullition, qu'une légère décoloration, trop faible pour _ faire admettre la formation d’une trace d’oxydule de cuivre. Nous pouvons, de ce résultat, conclure à l’absence de sucre dans la salive examinée. Il s’en suit qu'une proportion très-faible d’alcali s'oppose à l’action du ferment salivaire avec bien plus d'énergie que ne le ferait la même pro- portion d'acide. — Et pour qu’on ne dise pas que dans cette expérience nous ayons ajouté un excès trop considé- rable d’alcali, je répéterai la réaction, en ne mélant à la salive qu'une trace de potasse caustique. Je trempe l’ex- trêémité d’une baguette de verre dans la solution alcaline et je la remue dans le tube qui contient la salive. Si l’on examine de la salive normale, il faut généralement attendre quelques instants avant que se montre sur le papier rouge 164 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. de tournesol un commencement de coloration bleue. La sa- live alcalinisée au degré de la portion que nous allons exa- miner, fait apparaître cette coloration un peu plus vite, mais sans la rendre sensiblement plus intense. Je procède comme tout-à-l’heure: Adjonction d'un peu d’empois d’amidon; é- bullition; réaction de Trommer. Même résultat. Pas de pré- cipité. Ainsi l’exagération, même très-peu considérable, de la réaction naturelle de la salive est plus nuisible à ses pro- priétés physiologiques que ne l’est la neutralisation et même l'interversion jusqu’à des certaines limites, de sa réaction na- turelle. On sait depuis longtemps combien est nuisible à la digestion stomacale une alcalinité anormale du suc gastrique; mais ici les conditions sont essentiellement. différentes, puisque ce suc est normalement acide. Il est singulier qu’il en soit de même pour la salive, liquide alcalin à l’état normal. Ici se présente la même question que nous avons déjà précédemment discutée à propos de l'influence de l'acide sur l’action de la diastase salivaire. L’alcali ne fait-il que suspendre cette action ou la détruit-il d'une manière per- manente? Autrement dit: La neutralisation rend-elle ses propriétés à la salive rendue inactive par l’adjonction d’un alcali? L'expérience directe nous éclairera immédiatement sur ce point. Voici de la salive fraîche franchement alcalinisée. Je la neutralise avec de l'acide acétique, jusqu'à ce que le papier de tournesol ne montre plus aucun chang'ement de couleur. J'ajoute un peu d’empois d’amidon et j'agite le mélange un peu plus longtemps que d'habitude, afin de mettre la diastase salivaire dans les meilleures conditions possibles pour former du sucre. Le liquide neutralisé, soumis à la réaction de Trommer, passe au violet et ne change plus de couleur ni à la première ébullition ni aux ébullitions suivantes. La salive, après avoir été en présence d’un léger excès d’alcali, a donc perdu la faculté de changer lamidon en HUITIÈME LEÇON. 165 sucre et, tandis que l’acide ne fait que suspendre ou voiler cette propriété, l'alcali paraît l'abolir d’une manière irrévo- cable. Je dis paraît, car, bien que ce liquide ne nous ait pas fourni de précipité, il serait possible qu'il se fût formé une certaine quantité d'oxydule de cuivre, mais qu'en même temps une autre substance, contenue dans le mélange, en eût empêché la précipitation et voilé ainsi la réaction que nous aurions dû obtenir. Nous rencontrons fréquemment dans les liquides animaux des substances douées de cette propriété: telle est p. ex. l'ammoniaque. Ainsi une urine très-chargée d’urée et fournissant, par conséquent, très-fa- cilement de l'ammoniaque par un commencement de dé- composition, ne nous donnera pas, par la réaction de Trommer, de précipité d'oxydule de cuivre, lors même qu'elle contiendra des quantités notables de glycose. Nous ap- prendrons, tout-à-l’heure, à éviter cette source d'erreur, en nous servant d’une méthode apte à faire reconnaître des quantités minimes d’oxydule de cuivre. — Dans le cas pré- sent, le moyen le plus simple de nous assurer s’il y a, dans la salive examinée, une substance s’opposant à la réaction de Trommer, consiste à y ajouter un peu de glycose en substance et à voir si le liquide cupro-potassique, déjà con- tenu dans le mélange, nous en révèlera la présence aussi promptement et aussi évidemment qu'il le ferait dans une solution aqueuse. Je verse dans la même portion de salive une goutte d'une solution diluée de glycose et je chauffe. A l’ébulli- tion, le liquide se décolore et donne un précipité très-évident d’oxydule jaune de cuivre. Si donc, dans ce liquide, notre première réaction avec la solution cupro-potassique ne nous à pas indiqué de sucre, c'est que réellement il n’en contenait pas, puisque, comme le démontre la dernière expérience, rien ne s'oppose à l’ap- parition du précipité caractéristique, du moment qu'une trace de glycose y est à dessein ajoutée. Nous pouvons, 166 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. dès lors, conclure à coup sûr que l’alcali abolit définitivement l'action saccharifiante du ferment salivaire. Toutefois n'oublions pas qu’à cette dernière portion de sa- live nous avons ajouté une quantité d’alcali de beaucoup supérieure à celle qui peut se rencontrer dans la salive pathologique, mélangée de pus ou des produits catarrhaux des conduits glandulaires; le pus lui-même d’ailleurs n’est que faiblement alcalin. Il est donc probable, — et ceci concorde avec l'observation directe, — que le pouvoir sac- charifiant n’est jamais complètement détruit, mais sim- plement diminué dans la salive pathologiquement alcalinisée. Pour arrêter la transformation en sucre de l’amidon cuit, j'ai, dans la plupart des expériences qui précèdent, porté à l'ébullition pendant quelques instants la salive sur laquelle j'opérais. Cette propriété de la diastase salivaire d'être dé- truite à la température de l’ébullition de l’eau, est assez importante par ses applications nombreuses à ce genre de recherches, pour que j'y consacre une démonstration spé- ciale. Nous avons à nous demander, à la même occasion, quelle est en général l'influence de la chaleur des aliments sur le pouvoir saccharifiant de la salive. L'homme ingère chauds une grande partie de ses aliments. Le café est peut-être le breuvag'e qui se prend habituellement à la température la plus élevée: nous le supportons aisément à 65° c. Le thé se prend à environ 55° et le bouillon à 60°. — Or, comme tous les ferments azotés qui sont sécrétés sur le trajet du tube digestif, perdent leur activité à une température de 50° à 60° (c'est du moins ce que l’expé- rience démontre pour le suc gastrique, pancréatique, etc.) nous avons à voir en premier lieu s’il en est de même pour le ferment salivaire. Je prends un peu de salive fraîche et je la porte rapi- dement à l’ébullition. J'ajoute de l’empois d’amidon, je remue le mélange pendant quelques instants et je le sou- HUITIÈME LECON. 167 mets à la réaction de Trommer. Précipité abondant d'oxy- dule de cuivre. A en juger d’après cette expérience, la diastase salivaire ne serait pas affaiblie dans son activité par une ébullition momentanée. Ce seul fait nous indique suffisamment que les aliments les plus chauds que nous prenions, ne sauraient compromettre sérieusement les propriétés physiologiques de la salive. Mais ne perdons pas de vue que, dans ce cas, l’ébullition n’a été que de très-courte durée, que le liquide était con- tinuellement soulevé par des bulles de vapeur et que chaque particule de salive, entraînée dans un mouvement de remou, n'a pu atteindre que momentanément la température de l'ébullition. Répétons, par conséquent, l'expérience sur une quantité de salive un peu plus grande et en prolongeant l’ébullition, comme nous le faisions habituellement dans les recherches précédentes. — Cette question a un autre intérêt, en rapport avec les idées que l’on s’est faites dans ces derniers temps sur les propriétés vitales des ferments en général. Beaucoup d'auteurs penchent à attribuer tous les phénomènes de fer- mentation à la présence de molécules animales ou végétales, contenues dans l'air etse multipliant partout où elles trouvent un terrain favorable. Ces molécules, à supposer que ce soit d'elles aussi que dépend le pouvoir diastatique de la salive, peuvent-elles résister à une température de 100 degrés, ou bien la chaleur de l'ébullition enlève-t-elle à toutes les sub- stances organiques en général leurs propriétés dites vitales? Je prends une nouvelle portion, plus grande, de salive fraîche et je la maintiens en ébullition pendant environ une demi-minute. Après l’adjonction d'un peu d’empois d’amidon j'attends encore une demi-minute, avant de procéder à la réaction de Trommer. La solution cupro-potassique passe au violet-clair qui devient encore un peu plus pâle par l'é- bullition, mais sans donner de précipité d’oxydule de cuivre. 168 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Ainsi une ébullition prolongée de la salive en diminue les propriétés diastatiques au point de rendre à-peu-près nulle la transformation en sucre de l’amidon. Messieurs, je vous ai parlé, il y a peu d’instants, de subs- tances qui peuvent dissimuler la présence de l’oxydule de cuivre dans les liquides soumis à la réaction de Trommer. Dans ces cas douteux j'ai habituellement recours à un ré- actif d’une extrême sensibilité et qui permet de reconnaître les plus petites traces d'oxydule de cuivre (1). Il est basé sur la propriété de l'acide iodique de se décomposer en présence de l’oxydule de cuivre et de fournir de l’iode libre, facilement reconnaissable par son action colorante sur l’amidon. L'oxyde de cuivre ne partage en aucune façon cette propriété. — L'application de ce réactif exige quelques précautions. On ajoute au liquide à examiner de l'acide chlorhydrique pur en excès, destiné à dissoudre et à déco- lorer le sel de cuivre; puis un peu d’empois d’amidon qui reste suspendu à la surface du liquide et enfin une goutte d'acide iodique. Au contact de l’amidon, l’iode mis en li- berté par le sel cuivreux produit un anneau d’un bleu foncé. Il faut avoir soin de bien refroidir le mélange avant de faire la réaction, attendu que cette dernière est empêchée par la chaleur, particulièrement dans les liquides organiques qui ont la propriété de décolorer l'iodure d’amidon.— Faisons cette expérience sur le contenu de la dernière éprouvette. Comme le liquide est encore tiède, je le refroidis en re- muant le tube dans un bassin d’eau froide.— L’adjonction d'un peu d’acide chlorhydrique décolore le mélange et le rend parfaitement limpide. J'ajoute un peu d’empois d’a- midon et une goutte d’acide iodique. A l'instant vous voyez apparaître, au point de contact des deux substances, un anneau d'un violet foncé qui augmente d'intensité par de (1) Ce réaclif a elé découvert par M. Hugo Schiff (Voyez: Liebigs Annalen. exit. pag, 572, el: Repertorio di chimica e di farmacia, 1, pag. 289). HUITIÈME LEÇON. 169 très-petites secousses que j'imprime au tube. Une seule secousse un peu plus forte fait disparaître l'anneau, parce que les matières organiques de la salive le décolorent. Une nouvelle goutte d'acide iodique le fait apparaître de rechef. Nous savons actuellement que cette portion de salive a opéré la réduction d'une trace de sel de cuivre, réduction tellement minime qu’elle ne se trahissait pas par la plus légère teinte jaunâtre. Certes, la quantité de sucre qui a opéré cette réduction n’est pas de nature à modifier nos : premières conclusions, et nous pouvons établir, en thèse générale, que l'ébullition prolongée rend la salive inactive, tandis qu'une ébullition momentanée ou une chaleur infé- rieure au point d'ébullition, comme l’est, p. ex., celle des aliments que nous prenons, ne porte pas atteinte à ses pro- priétés physiologiques. À ce point de vue, Rousseau et les humanistes du siècle dernier étaient évidemment dans l’er- reur, lorsqu'ils prétendaient que l'homme nuit à sa santé et se dénature en prenant des aliments chauds. L'erreur porte non seulement sur la digestion buccale, mais aussi sur la digestion stomacale, car les aliments sont déjà con- sidérablement refroidis, lorsqu'ils arrivent dans l'estomac. Il nous reste à consacrer quelques considérations à la physiologie comparée de la salive mixte de quelques ani- maux herbivores et carnivores. Nous avons déjà vu que la salive totale du cochon d'Inde transforme l’empois d’amidon avec plus de promptitude en- core que ne le fait celle de l'homme. Cette propriété de la salive d'agir énergiquement sur la fécule cuite se retrouve, à un moins haut degré, chez la plupart des animaux her- bivores et omnivores, dans la nourriture desquels les sub- Stances amylacées entrent pour une large proportion. Les conséquences que l’on peut tirer de ce fait et les restric- tions qu'il subit chez quelques espèces, nous occuperont en temps et lieu. La salive wixle du Zapin ne s'obtient que difficilement 170 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. dans les conditions normales, attendu que le peu qui en est sécrété est immédiatement avalé. Cependant j'ai pu en recueillir en assez grande abondance sur des animaux Cu- rarisés, chez lesquels j'entretenais la respiration artificielle. Le curare augmente, du moins en apparence, plusieurs sécrétions, en particulier les larmes et la salive qui s'écoule librement, dès que, par l’action du poison, les muscles de la déglutition ont cessé de fonctionner. J’ai reconnu que la salive totale du lapin, recueillie dans ces conditions, était moins active, à poids égal, que la salive mixte de l’homme. N’en ayant pas à ma disposition dans ce moment, je vous ferai voir comment agit l'infusion de la glande parotide de ce rongeur. Si je me sers, dans cette occasion, d’une salive isolée, je le puis, grâce à une particularité curieuse des glandes salivaires du lapin que je ne trouve indiquée chez aucun auteur. L'agent actif de la salive mixte du lapin est fourni presque exclusivement par la salive parotidienne, la salive sousmaxillaire étant à-peu-près sans influence sur l'empois d'amidon, durant les premières 10 à 15 minutes de séjour à l’étuve. — L'infusion de la parotide nous donnera conséquemment des résultats un peu supérieurs à ceux que nous obtiendrions avec un poids égal d'infusion des deux glandes ou de salive mixte. J'excise la glande parotide d’un lapin récemment tué; je la coupe en petits morceaux et je l’infuse à froid dans un tube à demi rempli d’eau distillée que je secoue pendant une ou deux minutes. J'ajoute au liquide décanté et légè- rement rougeâtre un peu d'empois d’amidon et je procède aussitôt à l'analyse d’une première portion; l'autre est placée à l’étuve. Le réactif de Trommer donne, avec la pre- mière, un précipité jaune évident, mais moins dense que ne le donnerait, toutes conditions égales d’ailleurs , la salive humaine, à en juger d’après une évaluation approximative. Cette portion nous ayant donné une réaction si marquée, nous pouvons nous dispenser d'examiner la seconde. HUITIÈME LEÇON. 171 La salive du ru est moins active encore que celle du lapin. Je n'ai pu m'en procurer chez des rats curarisés que de très-petites quantités, suffisantes cependant pour m'’as- surer qu'elle n'exerce d'action sur l’empois d’amidon qu'a- près un contact de deux à trois minutes. Les inhalations d'éther provoquent chez le chat, comme vous avez pu le voir dans une des lecons précédentes, un abondant écoulement salivaire, et l’on peut se servir de ce moyen pour recueillir de grandes quantités de ce liquide. Je retire de l'étuve, où je l’ai placée quelques minutes avant cette leçon, une petite portion de salive mixte de chat, obtenue de la manière indiquée. Examinons en le pouvoir saccharifiant. Secouée pendant quelques instants avec de l’empois d’a- midon, une première portion ne produit pas, dans le liquide cupro-potassique, de précipité appréciable. A peine la colo- ration du réactif diminue-t-elle un peu d'intensité, à la chaleur de l'ébullition, ce qui peut être attribué à la faible proportion de mucus contenue dans la salive. Une seconde portion de salive, également mêlée avec de l'empois, est remise à l'étuve et sera examinée plus tard. Le résultat que nous venons d'obtenir indique que la sa- live mixte du chat est à-peu-près inactive dans les premiers moments de son contact avec l’empois d’amidon. Joignez à cela le peu de durée de la mastication chez le chat et chez les carnivores en général; comme la salive de ces der- niers paraît être semblable à celle du chat, il en résulte que chez ces animaux la transformation en sucre des fécules ne commence même pas dans la bouche. Voici une infusion de la glande sousmaxillaire du chat, préparée et mise à l’étuve il y a environ deux heures. Quel- ques instants avant cette leçon j'y ai ajouté de l’empois d'amidon; l’action de la salive a donc duré à-peu-près trois quarts d'heure. Le réactif de Trommer passe au violet, à cause de la présence d'une grande proportion de corps albu- 172 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. minoïdes, et donne , à l'ébullition, un très-faible précipité d'oxydule de cuivre. Cette expérience peut vous donner une idée de la lenteur avec laquelle ag'it la salive de chat, si toutefois l’infusion des glandes salivaires est comparable à la salive naturelle. Elle l’est généralement, si l’on fait abstraction des substances albuminoïdes et du sang qui s’y trouvent nécessairement mêlés. Les sels n’ont pas d'influence sensible sur la sac- charification. Quant aux corps albuminoïdes (tissu glandu- laire, etc.), ils peuvent, comme vous le savez, masquer la réaction de Trommer, mais nous connaissons déjà le moyen de nous garantir contre cette source d’erreur. D'autrepart le sang peut accélérer la saccharification, surtout si l’animal est diabétique. Chez les animaux atteints de diabète arti- ficiel, la salive n’acquiert pas, en général, de pouvoir sac- charifiant plus marqué qu’à l’état normal, mais il en est autrement de l'infusion des glandes, lorsqu’au ferment sa- livaire il se mêle du sang. Ce dernier, dans le diabète, est chargé lui-même d’un ferment très-actif, opérant avec une grande promptitude la transformation de l’amidon. Dans ces conditions, on le conçoit, la salive pure montrerait des propriétés essentiellement différentes de celles de la salive artificielle. Le mélange de salive naturelle de chat et d’empois que je retire actuellement de l’étuve et dont une première por- tion, examinée il y a quelques minutes, s’est montrée inac- tive, ne paraît pas contenir de glycose, même à l'heure qu’il est, car il ne réduit pas le liquide cupro-potassique. — La salive naturelle du chat n’a donc pas une influence plus marquée sur l’'amidon que ne l’a la salive artificielle. En effet, pour obtenir une réduction appréciable avec le mélange que voici, il faudrait prolonger au delà d’une heure son séjour à l'étuve et ce n’est qu'après 24 heures que la transformation serait devenue comparable à celle qu’opère en deux ou trois minutes la salive de lapin. HUITIÈME LEÇON. 173 Passons à l'examen de la salive mixte d'un autre carni- vore. J'ai, dans ce tube, de la salive de chien, obtenue en forçant l'animal à mâcher un petit morceau de coloquinte, appliqué sur la région postérieure de la langue. Je répète les opérations que je viens de faire avec la salive de chat et vous voyez qu'après un contact de quelques instants avec l'amidon, les réactifs ne nous indiquent pas de trace de glycose. Il est donc certain que la salive du chien n’agit pas im- médiatement: en effet, l'expérience démontre que ce n’est én moyenne qu'après 15 à 30 minutes que se manifeste un commencement de saccharification. Si Bidder et Schmidt sont d'un avis opposé et pensent que la transformation a lieu immédiatement, c'est uniquement pour s'être fiés à l’ab- sence de la coloration bleue de l’amidon par l’iode, dans un mélange contenant de la salive de chien. Je me suis suffi- samment étendu sur la signification de ce phénomène pour _ n'avoir pas besoin d’y revenir ici; je rappellerai seulement qu'il se produit également bien dans toutes les salives, même dans celles qui sont dépourvues de pouvoir saccharifiant. Une autre portion de salive de chien, qui a séjourné à l'étuve avec de l’empois, pendant près d'un quart d'heure, ne décolore pas le réactif cupro-potassique à une première ébullition ; mais en prolongeant celle-ci, il se produit un faible commencement de réduction qui nous indique que la salive du chien, bien que peu active, l’est cependant davan- tage que celle du chat. Ces exemples, trop peu nombreux peut-être pour permettre une conclusion générale, paraissent cependant établir, avec une certaine probabilité, que le pouvoir diastatique de la salive, chez les différentes espèces animales, est dans une dépendance plus ou moins directe de l'alimentation. Gardons-nous toutefois de nous prononcer d’une manière trop absolue, car il est beaucoup d'herbivores proprement dits dont la salive n’est guère plus active que celle du chien. 174 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Chez le mouton, p. ex., il faut attendre jusqu’à 10 minutes; chez le cheval et le bœuf, de 15 jusqu'à 25 minutes, avant d'obtenir, avec la salive mixte, des vestiges de glycose. Quant aux carnivores, les recherches n’ont guère porté, jusqu'à présent, que sur la salive de chien et de chat. Dans les cas où la salive ne transforme l'amidon qu'avec une extrême lenteur et où il faut prolonger son séjour à l’étuve au delà de plusieurs heures , il surgit un autre in- convénient qui doit nous inspirer la plus grande réserve dans l'appréciation des résultats ainsi obtenus. Je veux parler de la décomposition du fluide salivaire au contact de l'air. Rien ne s’oppose à admettre que dans les cas où la salive fraîche et normale se montre absolument inactive, l’altération spontanée qu’elle subit à l’air, ne puisse direc- tement donner lieu à la formation d’une certaine quantité de ferment. Est-il besoin d'ajouter que cette source d'erreur échappe entièrement à nos moyens de contrôle? Voici, par exemple, une petite portion de salive paroti- dienne de l’homme, obtenue, il y a environ une heure et demie, par le cathétérisme du conduit de Sténon. Le liquide, d’abord incolore et limpide, est actuellement trouble et blanchâtre. Le bicarbonate calcaire qu'il contenait primiti- vement, s’est changé, à l'air, en carbonate simple, insoluble, La salive sousmaxillaire s’altère non moins promptement à l'air; elle perd de l’eau et devient plus visqueuse. Il en est probablement de même de la salive sublinguale que je n’ai pas encore eu l'occasion d'examiner à cet égard. Messieurs, de ce que nous avons reconnu un rapport très- probable entre le pouvoir saccharifiant de la salive et l'ali- mentation des diverses classes d'animaux, résulte-t-il qu'en intervertissant artificiellement le régime d’un herbivore et d'un carnivore, nous puissions aussi communiquer aux sa- lives de ces animaux des propriétés nouvelles, en harmonie avec leur nouveau genre de nourriture? — L'expérience répond négativement. HUITIÈME LEÇON. 175 J'ai nourri un chien, pendant deux mois consécutifs, ex- clusivement de bouillie de riz, c’est-à-dire de l'aliment le moins azoté et le plus végétal possible; sa salive, examinée à plusieurs reprises, ne présenta néanmoins, à aucune pé- riode de l’expérience, une augmentation du pouvoir sac- charifiant. Ce chien portait une fistule permanente du conduit sousmaxillaire gauche et une fistule stomacale, et l'examen se portait aussi bien sur la salive isolée que sur la salive mixte et même sur le liquide pharyng'ien. Ce n’est donc pas la nature de l'aliment, comme tel, qui détermine le degré d'énergie avec lequel se manifeste, chez les différents animaux, l’action de la diastase salivaire. Mais il est permis de supposer que l’organisation générale qui, dans une espèce donnée, préside au choix particulier des aliments, qui rend, p. ex., un herbivore plus spéciale- ment frugivore et un autre plus spécialement herbivore, dans le sens restreint du mot, que cette organisation générale, dis-je, est aussi le facteur déterminant du plus ou moins d'énergie du pouvoir diastatique de la salive. D'ailleurs, ce qui nous prouve, mieux que tous les raisonnements théori- ques, l’absence d’une relation directe et immédiate entre l'énergie de ce ferment et la nature variable des aliments, c'est qu'il est des animaux qui se nourrissent absolument des mêmes substances et dont les salives ne sont rien moins qu'identiques, quant à leurs propriétés transformatrices. Il en est ainsi, p. ex., du bœuf et du cochon d'Inde. — Com- ment expliquer enfin, par un simple rapport de causalité, originairement fourni par la composition de l'aliment, la différence si singulière que nous avons notée entre les sa- lives parotidienne et sousmaxillaire du lapin? Cette dernière ue transforme pas l’amidon beaucoup plus promptement que ne le fait la salive mixte du chien, tandis que l’action de la première est instantanée. . Après cette digression de Physiologie comparée, retour- nons à la salive mixte de l’homme et voyons quelles sont 176 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. les substances sur lesquelles elle se montre active et quel est, en particulier, son mode d'agir sur la fécule. Nous savons déjà que la salive humaine transforme avec une grande rapidité l'empois d'amidon, c’est-à-dire l'amidon gonflé par l’eau à la chaleur de l'ébullition. Elle transforme aussi, quoique plus lentement, l'amidon qui n’a été g'onflé qu'à une température d'environ 60° c. Son action sur l'a- midon cru est plus complexe. Elle ne le transforme pas directement, mais elle en extrait une partie, qui seule est changée en glycose, le reste demeurant inaltéré. Voici de la salive mixte d'homme, qui a séjourné pendant deux heures et demie à l’étuve avec de l'amidon cru. Voyons si du sucre s’est formé. Le liquide colore en violet le réactif cupro-potassique et à l’ébullition il en opère la réduction d’une manière éclatante. Mais cette action a-t-elle également lieu au moment même du contact? J'ajoute, à une autre portion de salive fraîche, quelques granules d’amidon cru et j'agite le mélange. Il va sans dire que nous ne pouvons appliquer ici notre procédé ordinaire de l’ébullition préalable, destinée à interrompre l’action du ferment et à détruire les substances organiques dont la présence pourrait plus tard rendre moins visible la réaction de Trommer, car, en chauffant le mélange, nous produirions de l’empois qui serait aussitôt transformé. Bornons-nous donc à délayer avec un peu d’eau, laissons se déposer l’a- midon et décantons une portion du liquide pour l’examiner tout de suite. J'ajoute de la potasse caustique, à froid. Cette adjonction, je n’ai pas besoin de vous le rappeller, interrompra défini- tivement l’action du ferment salivaire, et l’empois qui va se former nécessairement pendant l’ébullition avec le sel de cuivre, ne pourra plus subir d'influence de la part de la salive. Le réactif passe au violet et reste inaltéré à 100° c. Un contact momentané de la salive avec l'amidon cru ne suffi donc pas pour produire de la glycose. ‘ HUITIÈME LEÇON. 177 C'est là, messieurs , le résultat constant de nombreuses expériences qui ont été faites à ce sujet. L’amidon cru ne commence à être transformé par la salive d'homme qu'après un contact de deux à trois heures; à partir de là, la sac- charification progresse lentement, jusqu’à ce que, au bout de deux à trois Jours, elle soit achevée. Si alors on soumet au microscope le résidu blanchâtre qui ne subit plus de métamorphose ultérieure, on trouve, chose singulière, que les corpuscules amylacés sont intacts, qu'ils ont conservé leur forme et leur structure stratifiée, qu'ils présentent la croix colorée à la lumière polarisée; seulement leur vo- lume est légèrement augmenté. Qu'est-ce donc qui s’est transformé ? Pour la compréhension de ce qui va suivre, j'ai besoin de vous exposer quelques-uns des résultats des intéressantes recherches de Naegeli, sur la constitution chimique du grain d'amidon, Naegeli admet, dans le corpuscule amy- lacé, deux substances distinctes: l’une qu'il appelle ceZZwlose, constituant l'enveloppe et pour ainsi dire le squelette du corpuscule, présentant la croix de polarisation et insoluble dans l’eau; — l’autre, nommée par lui granulose, formant le contenu du corpuscule, se colorant seule en bleu par l'iode et éminemment soluble dans l’eau. Ce serait cette dernière substance seule, la granulose, qui, au contact de la diastase salivaire, se transformerait en glycose, et sa transformation achevée, un contact plus prolongé de la sa- live avec la cellulose ne fournirait plus de sucre. Cette proposition qui se vérifie avec une entière exacti- tude pour l’amidon cru, ne saurait toutefois s'appliquer à l’amidon réduit en empois, car ce dernier, après avoir subi action prolongée de la salive, paraît s’y dissoudre en tota- lité et ne laisse plus voir, au microscope, de particules so- lides. C’est donc l'enveloppe celZuleuse du grain d'amidon cru qui, durant les premières heures de contact, empêche le TOME PREMIER 12 178 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. fluide salivaire de pénétrer dans son intérieur et de trans- former la matière soluble centrale ou granulose. Voici une expérience qui confirme pleinement cette maniere de voir: On soumet de l’amidon cru à une trituration prolongée, en se servant à cet effet, p. ex., de verre pilé. La poussière fine, ainsi obtenue, est mise sur un filtre et un filet d’eau, continu, est dirigé sur l’entonnoir, de manière à faire traverser la masse triturée par une grande quantité de liquide que l’on recueille à part. — Ou bien encore on secoue l’amidon trituré dans un vase rempli d’eau et on laisse déposer. Le liquide recueilli d’après la première méthode, ou décanté, au bout de 24 heures, d’après la se- conde, est parfaitement limpide, et contient toute la gra- nulose en dissolution. Le microscope n’y révèle pas de traces de particules solides et une goutte de teinture d’iode, ajoutée à la dissolution, y produit une coloration d’un bleu uniforme qui se maintient indéfiniment et aussi longtemps dans les couches supérieures que dans le fond du liquide, sans que la limpidité de ce dernier soit le moins du monde troublée. Tous ces caractères concourent à démontrer que c’est à une véritable dissolution et non à une simple suspension de particules très-déliées que l’on a affaire. Eh bien! messieurs, cette granulose dissoute, qui par elle même n’exerce pas la moindre action réductrice sur le li- quide cupro-potassique, est rapidement et complètement transformée en glycose par la salive humaine, tout comme le serait l’empois d'amidon lui-même. J'ai dit plus haut que l’amidon réduit en empois est é- g'alement dissout ex totalité par la diastase salivaire, sans que l’on puisse reconnaître dans la solution de résidu (de cellulose) non altéré (1). Ce fait de l’absence de particules (1) Pour produire la transformation totale de l’amidon gonflé il est inulile de préparer d'abord l’empois et de lraiter ce dernier par la salive. En ajoutant directement de la HUITIÈME LEÇON. 179 solides dans le liquide saccharin serait, à la rigueur, une preuve suffisante de ce que j'avance, mais il est deux autres preuves indirectes, démontrant que par l’ébullition avec l'eau, la cellulose de l’amidon a déjà spontanément subi une modification quelconque qui la rend apte à être complè- tement dissoute par la salive. En premier lieu nous savons que fout l’amidon, c’est-à- dire, à la fois la cellulose et la granulose, se convertit en dextrine, avant de former de la glycose, et que traitée par de la salive, cette dextrine est transformée en totalité. En second lieu, si l’on injecte dans les veines d’un a- nimal de l’amidon cuit, dissout dans l’eau, il y a production dans le sang, d’un ferment diastatique énergique qui ne se rencontre pas dans le sang normal, circulant dans les vaisseaux. Or en injectant seulement une solution de gra- nulose, isolée par les moyens indiqués (et en opérant sur de l’amidon cru), solution soumise ou non, à une ébullition préalable, — il ne se produit pas de ferment. Il faut donc que ce soit la cellulose et elle seule qui donne lieu à la production de la diastase dans le sang et qu’elle soit douée de cette propriété, même dans l’amidon réduit en empois. Si la cellulose de l’empois était réfractaire à l’action de la salive, comme elle l’est dans l’amidon cru, l'empois traité longtemps par la salive et injecté dans les veines, devrait également produire le ferment, mais cela n’a pas lieu. Il salive à l’amidon cru et en portant le mélange à une temperature de 70 à 75 centigr., la transformation s'opère immédiatement et elle est totale, concernant à la fois la cellu- lose et la granulose, À celte occasion nous citerons un fait remarquable lrouvé par Mohl, savoir que si l'on a traité de l’amidon cru pendant longlemps par de la salive à 40°, afin d'obtenir la conversion en sucre de la granulose et l'isolement de la cellulose , cette cellulose isolée reste inaltérée quand on la chauffe avec de l’eau, jusqu’à l’ébullilion. Elle a perdu la propriété de former de l’empois; dans cel état elle reste méme inaltérée après un contact prolongé avec de la salive à T0° et ne fournit plus de sucre. Donc la _ même substance qui, combinée à la granulose, pouvait se changer en sucre, ne le fait plus quand elle esl isolée. 180 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. est donc nécessaire que même la cellulose de l’amidon cuit ait subi la transformation caractéristique par la salive (1). Les autres propriétés de la salive mixte sont pour nous de peu d'importance. Elle rend la viande plus pâle, plus friable et contribue probablement à la dissociation de ses éléments. Elle possède, à un très-faible degré, la faculté d’é- mulsionner les graisses. J'ai vu se produire l’'émulsionnement d’une certaine quantité de graisse par la salive sousma- xillaire de chat. Chez l'homme et chez une série d’autres ani- maux je n'ai pu obtenir la reproduction de ce phénomène. Nous aborderons, dans la prochaine lecon, la physiologie spéciale des différents liquides salivaires, en commençant par la sécrétion parotidienne. Cette étude nous fera revenir avec plus de détails sur des faits qui nous sont déjà connus; mais il est des répétitions utiles et des erreurs qui ne sauraient être assez souvent réfutées. — Quelques physio- log'istes, d’ailleurs très-disting'ués, comme Bidder et Schmidt, Bernard et d’autres, ont prétendu que la salive ne devait en général ses propriétés caractéristiques qu'à sa qualité de liquide #ivte et spécialement à son mélange avec le mucus buccal. On est allé même jusqu’à refuser à la salive parotidienne pure tout pouvoir saccharifiant. Comme j'ai ici une certaine quantité de salive paroti- (1) J'ai reconnu tout récemment que c’est l’action diastatique et non la simple présence de la salive dans la solution d'amidon cuit, qui empêche la production du ferment après son injection dans le sang, car si l’on se sert, pour ce but, de salive rendue inactive par une ébullition prolongée ou de salive naturellement inactive (comme celle du chien), on n'empêche pas la formation du ferment dans le sang. Il est à remarquer que dans toutes ces expériences il faut fillrer, avec le plus grand soin, le liquide qui doit servir à l'injection, car il s’agit ici non seulement de prévenir une embolie, mais aussi de prévenir la formation du ferment qui pourrait naïlre par le fait même de l’embolie, quand même celte dernière, par son extension el sa localité, ne porterait pas atteinte à la santé de l'animal. Ces faits ne pourront être compris dans leur ensemble que lorsque, dans une autre partie de ce cours, nous traiterons de la physiologie du foie et du diabète artificiel. Nous y renvoyons le lecteur, HUITIÈME LEÇON. 181 dienne d'homme, je vais faire devant vous une dernière expérience. J'ajoute à cette salive de l’empois d’amidon, je la secoue un moment, je chauffe à l'ébullition et j'ajoute le réactif de Trommer. Réduction immédiate et éclatante. Ce fait a déjà été reconnu par Eckhard, Oehl et d’autres, et nous pouvons en déduire que l’amidon cuit est énergi- quement transformé par la salive parotidienne pure de l'homme, — disons, pour le moment, de l’homme adulte. NEUVIÈME LEÇON. Sommaire: Usages, propriétés chimiques et histologignes, et mode de sécrélion des sa- lives parotidienne, sousmaillaire et sublinguale isolées. — Physiologie comparée de ces salives chez l'homme et les animaux supérieurs. Messieurs, Nous abordons aujourd’hui la physiologie spéciale des salives 1solées. Autrefois on croyait que les fluides sécrétés par les dif- férentes parties de l'appareil glandulaire buccal, étaient égaux sous tous les rapports, sauf peut-être celui de la densité. Ainsi que je l’ai dit en commençant, c’est CI. Ber- nard qui, le premier, a étudié les fonctions particulières des salives pures ou isolées, assignant à chacune d’elles sa mission déterminée dans les actes de la mastication, de la déglutition et de la gustation (Voy. Leçon 7). Les lois formulées par cet éminent physiologiste relativement aux différences de composition des fluides salivaires, ainsi qu'aux excitants spéciaux présidant à la sécrétion de chacun d’eux, donnaient une explication si nette et en apparence si plau- sible des divers phénomènes qui s’observent chez le chien, sur lequel CI. Bernard a presque exclusivement expérimenté, qu'elles ont passé pendant assez longtemps pour l’expres- sion d’une vérité générale. Mais des faits constatés sur une NEUVIÈME LECON. 183 seule espèce pouvaient-ils être indistinctement érigés en lois, valables pour toute la série animale? Aussi des ob- jections ne tardèrent-elles pas à s'élever, en France même, contre l’opinion de CI. Bernard. Ces objections trouveront tout naturellement leur place dans l'étude que nous allons consacrer à chacun des appareils salivaires. D'après CI Bernard, la sécrétion parotidienne serait dans un rapport particulier avec la #mastication, qui en consti- tuerait pour ainsi dire l’excitant normal. Cette salive étant plus liquide, plus aqueuse que les autres, elle servirait à l’humectation des aliments qui, plus tard, formés en bol et recouverts d’un enduit visqueux fourni par la glande sub- linguale et les glandules buccales, deviendraient aptes à la déglutition. — L'examen comparatif de la sécrétion paro- tidienne chez plusieurs mammifères et l'étude circonstanciée des causes qui la provoquent chez le chien, pourront nous renseigner à l'égard de cette première assertion. Et d’abord de quelle manière se procure-t-on la salive pa- rotidienne, non mélangée des autres sécrétions buccales ? Plusieurs moyens peuvent servir à ce but. Le procédé le plus simple, sans contredit, consiste à introduire un tube dans le conduit de Sténon et à recueillir les gouttes de fluide qui en découlent. Une précaution est essentielle au succès de cette opération. Le conduit de Sténon porte, à une distance plus ou moins longue de son orifice buccal, des glandules mucipares microscopiques (constantes p. ex. chez le lapin), dont la sécrétion se mêélerait à la salive parotidienne et en modifierait les propriétés, si la canule n’était pas introduite à une profondeur suflisante. On aura, par conséquent, soin de faire dépasser à l'extrémité supé- rieure de la canule le niveau, préalablement déterminé, de ce groupe de glandules. Chez l’homme, le cathétérisme du conduit sténonien est une opération d'exécution facile. On fait ouvrir la bouche et l’on se dirige d’après la petite papille située vis-à-vis 184 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. de la seconde molaire supérieure et au rebord de l’orifice buccal du conduit. Parfois la muqueuse forme, à cet endroit, un petit pli qui rend un peu plus difficile l'introduction de la canule, mais que l’on apprend à franchir, avec un peu de pratique. Eckhard et Ordenstein ont les premiers indi- qué cette méthode qui, tout récemment encore, a été dé- crite avec des détails minutieux et perfectionnée par le professeur Oehl, de Pavie (1}.— Le cathétérisme du conduit de Sténon, quoique permettant d'observer très-exactement toutes les oscillations de la sécrétion parotidienne, a ce- pendant l'inconvénient de ne pouvoir s’appliquer que pendant un temps relativement très-court et, de plus, ne garantit pas contre certaines anomalies de la sécrétion, produites par l'excitation même du canal. — Il a donc fallu imaginer d’autres procédés, permettant de prolonger les observations et de soumettre l’excrétion salivaire à un examen continu dans les conditions les plus normales possible. Chez les animaux où l'observation dans l’intérieur de la bouche n’est d’ailleurs pas si aisée, on isole le conduit par une incision comprenant les téguments externes, le tissu cellulaire, et les muscles qui le recouvrent et l’on introduit le tube dans le conduit coupé transversalement. L'ouverture anormale externe, donnant passage à la salive parotidienne constitue alors une fstule salivaire. J'ai souvent pratiqué sur des animaux des fistules salivaires permanentes, d’après une méthode un peu différente de celle qui est généralement en usage. Par une incision des tégu- ments, j'isole un long trajet du conduit de Sténon, que jJ'attire à l'extérieur et que je coupe aussi loin de la glande que possible. Fermant ensuite la plaie par un point de su- ture, je laisse pendre librement en dehors le bout isolé du conduit, et pour en empêcher la rétraction, je le traverse au niveau de la plaie par un fil métallique, dirigé à angle (1) Oger, La saliva umana, Pavia, 1864. NEUVIÈME LECON. 185 droit sur cette dernière. La plaie guérie, le bout libre du conduit se mortifie, tombe et l’on a une fistule permanente sans canule, qui peut servir à l’observation continuée pendant plusieurs semaines. Ces fistules, comme celles avec canule, se ferment avec une grande facilité, si la sécrétion n’est pas très-active ou si elle est pathologiquement re- tardée, comme p. ex. après la section de certains nerfs. On fait bien dans ces cas d'introduire chaque jour par la fistule une petite sonde boutonnée, pour maintenir à dis- tance les lèvres du conduit. Comme, dans ces sortes de fistules, on peut différer le commencement des observations jusqu'au rétablissement complet de l'animal, on évite les anomalies de la sécrétion, causées par l’opération elle-même. Des recherches souvent répétées m'ont montré que l’opé- ration sur le conduit de Sténon produit régulièrement , pendant les premiers jours, un excès de la sécrétion paro- tidienne, tandis que les lésions fraîches du conduit de Wharton produisent une diminution de la sécrétion sous- maxillaire. On peut aussi recueillir les salives isolées au moyen de l'aspiration par une seringue. C’est le procédé dont se servait Longet; mais il est clair qu'avec ce moyen, même tel qu'il a été perfectionné par CI. Bernard, on n'obtient jamais la salive d’une pureté absolue, comme cela est possible par le cathétérisme profond. Chez le chien que voici, j'ai établi, il y a environ quinze jours, une fistule du conduit de Sténon. Le conduit est dévié et fixé extérieurement à une petite ouverture des téguments de la joue. L'animal est complètement remis; les environs de la fistule ne montrent ni rougeur ni tumé- faction; et les quinze jours écoulés depuis l'opération nous garantissent l’absence de toute excitation locale fraîche, pouvant causer les anomalies sécrétoires signalées tout-à- l'heure. Nous pouvons donc considérer la parotide de ce côté, 186 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. comme fonctionnant dans des conditions parfaitement nor- males. Commençons par étudier les causes propres à stimuler l'écoulement salivaire, en isolant autant que possible, l’action des divers agents que nous mettrons en jeu. — Les pro- blèmes à résoudre se réduisent essentiellement aux quatre chefs suivants: 1° Influence des excitations de la vue et de l’odorat, ou en d'autres termes, des impressions morales,se manifestant, p.ex. par l’envie de l’animal de saisir un morceau de viande tenu à distance, avec empêchement des mouvements de mastication. 2° Influence de la mastication seule, sans excitation con- comitante du goût, et avec exclusion des mouvements de déglutition. 3 Influence des impressions gustatives seules, sans mou- vements de mastication. Et enfin 4 Influence du goût et de la mastication réunis. Remarquez d’abord, messieurs, que l’orifice de la fistule est à peine humide. En pressant sur la glande et sur la partie interne du conduit, je ne parviens à exprimer de celui-ci qu'une très-petite goutte de liquide; je répète cette manipulation plusieurs fois, afin d’être bien sûr que tout ce qui s’écoulera plus tard, sera de la salive fraîchement formée. Je montre un os à l'animal qui est retenu par un aide. Le chien à jeun depuis hier, s’agite et donne des signes de grande impatience. L’écoulement n’augmente pas. J'ap- proche l'os des narines de l'animal, en lui saisissant le museau d'une main, pour l'empêcher d'ouvrir la bouche et de faire des mouvements de mastication. Il s’agite encore davantage et fait des mouvements avec sa langue. Pas de salivation. — Ainsi les excitations «morales» de ce genre se moutrent sans effet. J'ouvre la gueule du chien et je lui pose transversalement entre les mâchoires un morceau de bois que je retiens par un bout, en ayant soin de ne pas le laisser glisser trop NEUVIÈME LEÇON. 187 en arrière, pour ne pas irriter la papille salivaire. Quelques coups de dent que l'animal donne au bâton, font appa- raître à l’orifice fistuleux une petite goutte de salive que j'enlève avec une éponge et qui est lente à se renouveler. Tout en conservant au bâton sa position primitive, j'ap- proche encore une fois l'os du museau de l’animal. Celui-ci se met à mâcher énergiquement le morceau de bois qui est bientôt broyé et concassé dans toutes les directions. Il ne se montre de nouveau qu'une très-petite goutte à la fistule. Je répète la même opération avec un autre morceau de bois, mêmes résultats. — Même expérience avec un paquet de filasse que l’animal mâche, toujours en vue de l'os. Pas d'augmentation visible de la salivation. — Voici déjà un premier résultat, contraire à la théorie de CI. Bernard. La mastication sewle, c'est-à-dire non accom- pagnée d'impression gustative, n’a que très-peu ou pas d'influence sur la sécrétion parotidienne. Toutefois ne nous hâtons pas de conclure à l’inefficacité absolue des mouve- ments masticatoires; nous verrons tout-à-l’heure que ce serait tomber dans l’erreur opposée. Passons aux excitations isolées du goût. — J'applique de la. poudre de sucre sur la pointe de la langue de l'animal. Pas d'effet appréciable. — J’en mets une quantité double sur la base, toujours en fixant le museau du chien, afin d’em- pêcher les mouvements masticatoires. — Il se montre une goutte à la fistule; cette goutte augmente peu-à-peu, mais ne découle pas. Le goût sucré, perçu par la neuvième paire (glosso-pha- ryngiens) paraît donc activer, à un faible degré, la sécré- tion parotidienne. Une goutte de vinaigre est appliquée, à l’aide d’une baguette de verre, sur la pointe de la langue, les mâchoires étant fixées. La fistule donne immédiatement plusieurs gouttes qui se suivent rapidement et découlent le long de la joue. Un peu d'acide tartrique, appliqué au même point, accélère la salivation avec une grande évidence. 188 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Attendons quelques minutes pour laisser passer cette ex- citation. L’écoulement ayant cessé, je répète l'expérience avec, une substance légèrement amère (solution peu concentrée de sulfate de zinc), que j'applique encore une fois au district de la langue, innervé par le lingual et par conséquent peu sensible à l’amer. La sécrétion ne tarde pas à se montrer et augmente progressivement, l’animal ne donne pas de signes de décoût. Je lâche le museau du chien qui aussitôt fait quelques mouvements de mastication: l'écoulement n’augmente pas. — Le sulfate de magnésie, expérimenté de la même manière, produit des phénomènes analogues. — Une décoction très-concentrée de coloquinte, mise en contact avec la langue, sans fixation des mâchoires, produit des mouvements de dégoût et la salivation augmente considé- rablement. En attendant que l’écoulement ait repris ses proportions normales, je répéterai une partie de ces expériences sur un autre chien auquel j'ai pratiqué, environ deux heures avant la leçon, une fistule du conduit de Sténon avec canule. L'animal est très-jeune, très-peureux et crie pour le moindre motif. La fistule donnait beaucoup au commencement, parce que l’animal avait été éthérisé pour l'opération. Actuellement l'écoulement est très-modéré. L'acide acétique dilué aug- mente visiblement la sécrétion; les g'outtes se suivent avec rapidité. L'acide tartrique, plus concentré, l’accélère encore davantage, et, sur le point de cesser, la salivation reprend de nouveau, lorsque l'animal fait des mouvements masti- catoires. Ceci nous indique que a mastication combinée à la gusta- tion a une influence marquée sur la sécrétion parotidienne. Cette double influence pourra être démontrée plus claire- ment encore sur le premier chien, opéré depuis un temps plus long, et chez lequel nous connaissons déjà les effets : des excitations isolées. Les bords de la fistule sont presque NEUVIÈME LEÇON. 189 entièrement secs et la sécrétion est aussi insignifiante qu'au commencement des expériences. — Je provoquerai encore un fois le plus haut degré de salivation que nous ayons obtenu précédemment et qui nous servira de terme de comparaison. Un peu de décoction de coloquinte que j'ap- plique sur la langue de l'animal, sans fixer les mâchoires, fait apparaître une série de gouttes de salive qui découlent lentement le long de la joue : l'écoulement est loin d'être excessif, Ce fait bien constaté et l'excitation passée, je donne au chien l'os qu'il n’a fait que flairer tout-à-l'heure. Il le mâche et le brise avec avidité, malgré la position élevée de la tête que je le force à garder avec ma main posée sous la mâchoire inférieure. La salive, comme vous voyez, jaillit avec plus d’abondance que jamais et d'une manière presque continue: elle se repand sur la joue, le cou et découle jusque sur la table. Pourquoi cette salivation énorme ? Il est certain que la mastication seule n’a pas cet effet et que les saveurs désa- gréables ne l'ont qu'à un degré beaucoup moindre. Mais réunies, les impressions gustatives et les mouvements mas- ticatoires agissent très-puissamment sur la sécrétion. Ce phénomène est constant et ne dépend pas, comme on pourrait peut-être le supposer, de la nature du corps sapide. En effet, si je donnais au chien un morceau de viande en l'empêchant de remuer ses mâchoires, j'augmenterais de beaucoup la sécrétion, mais toujours est-il que cette aug- mentation serait encore plus apparente, si je laissais l'animal mâcher le morceau en liberté. — Je dois me borner à vous indiquer ce résultat empirique dont je ne connais pas moi- même l'explication exacte. Ce chien nous servira à une dernière expérience, relative à l'influence qu’exerce, sur la sécrétion parotidienne, la mastication limitée au côté correspondant à la fistule ou au côté opposé. — Je présenterai à l'animal un os très-dur qu'il ne rompra pas facilement, et que je tiendrai alternativement 190 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. sous les molaires d’un côté, puis sous celles du côté opposé. Vous voyez que la salivation atteint son plus haut degré lorsque les mouvements masticatoires s’exécutent du côté de la fistule, et qu’elle diminue lorsqu'ils ont lieu du côté opposé. Chez les carnassiers ce phénomène est assez difficile à observer: il se prononce avec une grande clarté chez les grands ruminants et les solipèdes, comme :il résulte des observations de Colin, sur lesquelles j'aurai à revenir tout- à-l’heure. La sécrétion parotidienne offre généralement des varia- tions considérables de la quantité de liquide sécrétée en un temps donné. Elle est le plus souvent rémittente, c'est-à-dire ne cesse jamais complètement, sauf peut-être chez le cheval et l’âne, où, d’après les recherches de Colin, elle serait com- plètement nulle pendant le repos. J'ai constaté tout récem- ment que chez le chat il y a également cessation complète de l'écoulement pendant le sommeil. Les excitations gustatives du district du /ingual agissent moins puissamment, chez ce carnassier, sur la sécrétion paro- tidienne que celles qui frappent les terminaisons du glosso- pharyngien ; cette observation ne s'applique cependant qu'aux goûts amers. Chez la plupart des mammifères examinés sous ce rapport, l'excitant le plus puissant est l'aliment naturel dont la sa- veur agit simultanément avec les mouvements mastica- toires. Cette double influence ressort très-clairement des tables suivantes, communiquées par Colin, dans son excellent traité de PAysiologie comparée des animaux domestiques (1). L'auteur, évaluant en grammes la quantité de salive fournie par une fistule du conduit de Sténon, en un temps donné, constate régulièrement chez deux chevaux une augmenta- tion de cette quantité, lorsque à la saveur des aliments se (1) Coin, Traité de Physiologie comparée des animaux domestiques, Paris, 4854, tom. 1, pag. 470. NEUVIÈME LEÇON. 191 joignent les mouvements masticatoires ayant lieu du côté de la fistule. La mastication, chez ces animaux, se conti- nuant dans un sens pendant un quart d'heure, une demi- heure et même davantage, les chiffres obtenus par Colin acquièrent une autre importance que je signalerai inces- samment. PREMIER CHEVAL TEMPS FISTULE GAUCHE SENS Minutes. (Salive en grammes). de la mastication. 15 450 à droite 15 590 à droite 15 | 1,110 à gauche 15 1,020 à gauche 15 1,000 | à gauche 15 370 à droite 15 660 à droite 15 | 1,000 à gauche | 15 | 520 à droite | l DEUXIÈME CHEVAL TEMPS FISTULE DROITE SENS Minutes. (Salive en grammes). de la masticalion. 15 450 à gauche 15 500 à gauche 15 460 | à gauche 15 780 à droite 15 630 __ à droite 15 220 à gauche 15 500 à gauche | 15 640 à gauche 15 510 à gauche Colin ajoute: « L’inégalité d'action des deux parotides et « la rémittence alternative de la sécrétion de ces glandes « sont une particularité constante qui ne souffre pas d’ex- « ception, lors même que le sens de la mastication change « vingt fois pendant la durée d’un repas ». 192 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Il ressort en outre de ces tables que le surcroît de sé- crétion paraît en quelque sorte épuiser la glande correspon- dante au sens de la mastication, puisque, quand les mou- vements masticatoires changent de direction, non seulement la glande cesse de fournir ce surcroît, mais encore sa sé- crétion devient, pour quelque temps, inférieure à ce qu'elle était avant la première augmentation. L'influence du sens de la mastication est à peine pro- noncée chez l’homme. Nous pouvons mâcher habituellement d'un seul côté, pendant des semaines et des mois entiers (soit à cause de dents cariées, rendant la mastication dou- loureuse d’un côté, soit pour tout autre motif), sans que pour cela les parotides cessent de fonctionner à-peu-près également, comme il est aisé de s’en convaincre par le cathétérisme du conduit de Sténon. Je vais faire cette opération devant vous, sur l’homme, en me dirigeant, pour la direction à donner à la canule, d'après les figures données par Oehl (dans son ouvrage déjà cité), et représentant la courbure du conduit sténonien chez l'homme. S La personne qui a bien voulu se prêter à cette démonstra- tion, ayant la papille salivaire très-développée, l'introduction de la canule d'argent (munie d’un mandrin à pointe émous- sée) se fait avec la plus grande facilité et sans la moindre douleur. La tête étant remise dans sa position normale et la bouche entr’ouverte, nous allons d’abord observer la sé- crétion, en l'absence de toute espèce de mouvements de l'appareil buccal et sans appliquer d’irritants. — A cet effet je retire le mandrin; il sort aussitôt de la canule une salive parfaitement limpide et très-liquide, découlant lentement, goutte à goutte, et que je recueille dans un tube de verre. On voit que la sécrétion est peu active, mais continue. — L'irritation mécanique que j'exerce sur le conduit, en im- primant quelques mouvements à la canule, accélère visible- ment la sécrétion, mais seulement pour quelques imstants NEUVIÈME LEÇON. 193 L'application à la langue d’un peu de sucre fait survenir une nouvelle augmentation de l'écoulement, qui se prononce encore davantage à la suite de légers mouvements de la langue et des mâchoires. — L’'acide tartrique en solution, appliqué après quelques minutes d'intervalle, accélère très- fortement la sécrétion. — Ces expériences suffisent pour nous montrer l’analog'ie parfaite qui existe entre l’action des divers excitants de la salivation parotidienne, chez l’homme et chez les animaux que nous avons examinés précédem- ment. Nous nous dispenserons, en conséquence, d’expéri- menter l’action de la coloquinte. La salive parotidienne que je viens de recueillir, est par- faitement pure, le cathétérisme ayant été fait assez profon- dément. Il ne sera pas inutile de répéter encore une fois l'expérience par laquelle j'ai terminé la dernière Lecon, pour qu'il ne reste aucun doute sur les propriétés diastatiques de cette espèce de salive, fraîche et sans mélange d’autres sécrétions buccales. La salive, mélangée et secouée pendant environ une demi- minute, avec de l’empois d’amidon, reduit abondamment le réactif de Trommer. Nous ne saurions, en considérant ces faits, accorder de valeur générale à l'hypothèse déjà signalée qui attribue le pouvoir saccharifiaut de la salive au #élange des diverses sécrétions buccales : cette hypothèse, évidemment erronée pour l’homme, l’est également pour le chien et le chat dont la salive parotidienne ne transforme l’amidon qu’au bout d'un temps très-long, ce qui a lieu d’ailleurs aussi pour leur salive mixte. Mais il n'en est pas tout-à-fait de même chez tous les animaux. Nous avons déjà vu que la salive mixte du lapin transforme, à poids égal, moins d’amidon que la salive parotidienne seule, parce que dans la salive totale il entre une proportion déterminée de fluide sousmaxillaire, presqu'entièrement inactif. Je reviendrai, en traitant de cette dernière espèce de salive, sur cette curieuse particularité TOME PREMIER 13 194 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. dont l'Anatomie nous donnera l'explication. — La salive mixte du mouton se comporte, vis-à-vis de l'amidon, d'une manière analogue à celle de la salive parotidienne isolée. La seule exception connue à laquelle s'adapte l'hypothèse énoncée, se rencontre chez le cheval. Chez ce solipède la salive totale transforme l’amidon, tandis que la salive pa- rotidienne seule n’agit guère plus promptement que celle du chien. Le fluide sécrété par la parotide est généralement calin. Chez l’homme cependant il n’est pas rare de le rencontrer acide, à l'état normal. On a cru pouvoir attribuer cette réaction à un commencement d’altération que la salive pa- rotidienne subirait dans le conduit sténonien, par le séjour plus prolongé qu’elle y ferait durant l’abstinence ou sim- plement pendant les intervalles des repas. Mais les recher- ches de Oehl ont montré qu’au moment même de la sécrétion d’une portion fraîche, ce liquide peut présenter la réaction acide. Toutefois, au contact de l'air, il ne tarde pas à rede- venir neutre et même légèrement alcalin. Dans les condi- tions normales, l'acidité de la sécrétion parotidienne ne pourra donc pas se communiquer d'une manière durable à la salive totale. Pour la production d’une salive mixte acide il faut le concours de quelque autre agent extérieur, comme la fermen- tation lactique des restes d'aliments féculents, retenus dans les interstices des dents, et longtemps exposés à l’action du mucus buccal. Cette acidité accidentelle de la salive mixte, cesse facilement si les individus soumis à l'expérimentation se rincent la bouche. Mais, je me hâte de l’ajouter, il est des cas pathologiques où la salive parotidienne elle-même est suffisamment acide pour communiquer cette réaction à la salive totale, et cela en l’absence de restes alimentaires ayant subi la fermentation lactique. J'ai vu des exemples de cette intéressante anomalie, chez des malades affectés d’aphthes et d’angine catarrhale. L'acidité disparut avec le mal local qui l'avait provoquée. NEUVIÈME LECON. 195 Encore une remarque concernant l'influence de la cércu- lation sur la quantité de salive sécrétée par les parotides en un temps donné. Une diminution brusque de la masse sanguine affluant aux glandes en question, diminue, à un degré très-prononcé, le liquide fourni par leurs conduits excréteurs (évalué avant et pendant l'expérience). On peut facilement observer ce phénomène en comprimant les carotides chez un animal avec fistule du conduit de Sténon. La même expérience m'a plu- sieurs fois réussi chez l’homme (1), particulièrement chez des enfants, ayant un tube fixé dans le conduit de Sténon. Le résultat a été nul dans quelques cas; ces insuccès s’expli- quent probablement par une plus grande abondance et une expansion plus rapide des voies vasculaires collatérales. En revanche, les excitations générales, accompagnées d'accélération du pouls, augmentent regulièrement la sécré- tion parotidienne. Je ne m'arrêterai pas très-longuement à l'étude de la sécrétion sousmaxillaire, sur laquelle j'aurai à revenir avec plus de détails, en traitant de l'influence du système nerveux. Pour la glande sousmaxillaire, comme pour la parotide, c'est avant tout la gwstation qui constitue l’agent propre à en activer la sécrétion. CI. Bernard, qui le premier a signalé ce fait, aurait eu complètement raison s’il n'avait, en quel- que sorte, refusé la même propriété aux autres parties de l'appareil salivaire, pour en faire l’attribut exclusif de la glande sousmaxillaire. Celle-ci n’a, à ce point de vue, d'autre avantage sur la parotide que celui d’être la première à réagir aux impressions du goût. C’est ce qu’il est très-aisé de con- stater sur des chiens portant à la fois une fistule du conduit de Wharton et du conduit de Sténon. L’impression produite par les corps sapides sur la langue est suivie immédiatement (1) C’est Oehl, de Pavie, qui, le premier, a publié une expérience de ce genre, faite sur l’homme. 196 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. d’un écoulement par la première de ces fistules (sousmaxil- laire), auquel ne tarde pas à succéder l'écoulement par la seconde (parotide). La cause de ce phénomène réside-t-elle dans la circonstance que le conduit de Wharton est, en pro- portion de la glande, plus large que le conduit de Sténon? Ou bien doit-on l’attribuer à ce que chez les animaux qui servent presque exclusivement à cette sorte d'expériences, le volume de la sousmaxillaire, comparé à celui de la pa- rotide, est beaucoup plus considérable qu'il ne l’est chez l'homme dont la parotide est relativement grande ? C’est à peine s’il y a lieu d'établir de différences entre les causes qui augmentent la salivation sousmaxillaire et celles agissant sur la salivation parotidienne. Nous pouvons ad- mettre, pour la sécrétion sousmaxillaire, tout ce que Cl. Bernard a trouvé à l'égard des agents aptes à la stimuler, avec la restriction toutefois que ces propriétés ne forment pas un attribut exclusif de la glande sousmaxillaire, Disons cependant que les oscillations sécrétoires s'observent moins facilement sur la sousmaxillaire que sur la parotide, at- tendu que la première de ces glandes présente beaucoup moins de rémissions et d'intermissions de son activité que la seconde. Sur ce chien, qui porte depuis plusieurs semaines une fistule permanente du conduit de Wharton, nous verrons aisément, en répétant quelques-unes des expériences précé- dentes, la confirmation de ce que j'avance. L’excitation générale, résultant de la vue et de l’odeur des aliments (viande), ne cause pas, chez l'animal affamé, d'augmentation de l'écoulement. Les mouvements mastica- toires, sans excitation du goût, agissent d'une manière un peu plus marquée que cela n’a eu lieu pour la glande pa- rotide, attendu que les contractions du muscle digastrique irritent la glande et en compriment directement le conduit excréteur. — Les impressions gustatives ont un effet im- médiat et incontestable; mais toujours est-il que la sécrétion NEUVIÈME LEÇON. 197 atteint son #aximum seulement lorsqu'à la gustation se joignent les mouvements masticatoires , et que le corps sapide est un aliment agréable à l'animal. Voici ce que Colin, dans son livre déjà cité, note à ce propos (pag. 473): « La sécrétion des maxillaires, très-abondante pendant « le repas, jouit d’une activité proportionnelle à la vitesse « de la mastication, à la qualité et à la sapidité des ali- « ments. Ainsi son produit est beaucoup plus considérable « au commencement qu'à la fin des repas; il est également « augmenté lorsque l’animal mange de l’avoine, de la farine « ou d’autres substances qui lui plaisent ». Le même auteur, dans ses nombreuses recherches sur le cheval, le taureau, la vache et le bélier, n’a pas trouvé, durant l’absence de toute irritation, cette intermittence véritable, cette suspension complète de la sécrétion sous- maxillaire, dont quelques auteurs ont voulu faire un carac- tère distinctif de la salivation en général, et qui ne se ren- contre même pas toujours dans la sécrétion parotidienne. Colin continue: « Elle est presque nulle pendant l’abstinence, et en cela elle se distingue encore de la sécrétion parotidienne, qui est alors complètement suspendue. Chez les solipèdes et les ruminants elle donne toujours, dans cette circonstance, une très-petite quantité de liquide qui se mêle à la salive non visqueuse pour être déglutie à des intervalles plus ou moins rapprochés ». — Et ailleurs: « Lorsqu'on adapte à l’un des canaux de Wharton l'ap- pareil précédemment indiqué, on voit que la mastication a lieu tantôt à droite, tantôt à gauche et que la sécré- tion n’est pas plus abondante pendant que la mastication s'opère du côté de la fistule que lorsqu'elle se fait du côté opposé. Si l’on a établi deux fistules, on voit, pourvu que « les tubes soient semblables, que les quantités de salive « fournies par une glande sont, pour un même temps, sen- ARR PA A AP ME AR A 198 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. « siblement égales à celles données par l'autre. C'est ce « que j'ai constaté maintes fois sur le cheval, le taureau, « la vache et le bélier; il ne saurait y avoir aucun doute « à cet égard. « Voici un spécimen de l’activité de ces glandes pour trois « de nos espèces domestiques : CHEVAL (Fistule à droite). TEMPS QUANTITÉ | SENS | OBSERVATIONS Minutes, | sécrélée, grammes. de la mastication. Aliments. 15 | 31 |. à gauche | foin 15 | 26 | à gauche. | foin 45 | 24 à gauche foin 15 | 22 | à gauche foin 15 | 23 | à droite foin 15 19 à droite | foin | 15 22 à gauche foin 15 31 à gauche foin 15 50 à gauche | avoine 15 23 à gauche foin 15 26 à droite foin 15 26 à gauche foin VACHE (fistule à droite). | 15 19 cel: draite foin | | | TEMPS QUANTITÉ SÉCRÉTÉE OBSERVATIONS Minutes. Grammes. Aliments. 15 110 foin 15 85 foin 15 65 foin 15 70 foin 15 80 foin | 15 85 foin 13 70 foin 45 60 foin 15 90 foin | 15 70 sel marin 15 20 genièvre 15 40 poivre 15 80 | poivre NEUVIÈME LEÇON. 199 BÉLIER (fistule à droite). TEMPS QUANTITÉ SÉCRÉTÉE OBSERVATIONS Minutes. Grammes. Aliments. 15 21 foin | 15 20 foin 15 25 foin 15 15 foin 15 26 foin | 15 21 foin | 15 20 foin 15 s 24 sel marin | 15 4 foin | 15 2 abstinence | 15 8 poivre | 15 20 sel marin (1). La particularité la plus remarquable de la sécrétion sous- maxillaire, découverte par Colin, est sa suspension pendant la mastication mérycique des ruminants. Comme les ma- tières ruminées sont acides et que, selon toute apparence, elles plaisent beaucoup au goût des animaux, c’est là une preuve de plus que les maxillaires ne sont pas exclusive- ment et spécialement destinées à réagir aux impressions gustatives. Cet exemple est le seul que nous connaissions jusqu'à présent d’une intermittence véritable de la sécrétion sous- maxillaire, ayant lieu dans les conditions normales, si réel- lement cette intermittence concerne la sécrétion, et non pas peut-être seulement l’excrétion. Chez l'homme et chez les autres animaux non ruminants la sécrétion sousmaxillaire est rémittente : tout en étant continue , elle présente, sous l'influence de divers agents, {1) Coin, Op. cit., pag. 474. 200 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. des variations très-considérables de la quantité de salive produite en un temps donné. L’excitant principal, mais non exclusif de la sécrétion, est le goût, et plus encore le goût joint à l’acte de la mas- tication. Parmi les substances sapides non alimentaires, ce sont les acides qui paraissent agir le plus énergiquement sur la glande : leur action est plus marquée encore que celle des amers, qu'on les applique soit à la base, soit à la pointe de la langue. Nous verrons, en traitant de l’innervation de la glande sousmaxilliare, d’autres conditions qui peuvent modifier puissamment la quantité et la qualité de son produit de sécrétion. La salive sousmaxillaire est plus dense que la salive pa- rotidienne. Sa densité est sujette à certaines variations : tantôt la salive est limpide et assez liquide pour couler en gouttes, comme nous venons de le voir après l’excitation produite par les saveurs acides, mais même alors elle n’a pas la fluidité de la salive parotidienne; tantôt elle est moins limpide, épaisse et visqueuse , au point de se laisser étirer en fils d’une très-orande longueur. Ces variations peuvent se rencontrer chez tous les animaux et dépendent soit de leur état général, soit de l’irritant spécial que l’on fait intervenir. Ainsi les acides provoquent la sécrétion rela- tivement la plus fluide et la plus transparente; les irritations mécaniques de la muqueuse buccale produisent une salive plus filante; CI. Bernard, ayant excité la partie centrale du nerf lingual, coupé près de l’angle de la mâchoire, vit ap- paraître une salive d’une densité plus grande encore; enfin, le liquide le plus visqueux et le plus opaque est sécrété après la galvanisation du grand sympathique céphalique ou cervical. Il est à remarquer qu'avec la densité croissante de la salive sousmaxillaire, sa quantité diminue, et de plus, que les diverses irritations dont nous avons parlé, ne manifestent NEUVIÈME LEÇON. 201 bien leurs effets sur les propriétés de la salive sousmaxil- laire que si on laisse passer un certain temps entre deux irritations de genres différents. La réaction de la salive sousmaxillaire est constamment alcaline et ne présente jamais, même dans les conditions pathologiques, ces variations que nous avons notées comme caractéristiques de la salive parotidienne. Sebastian, à qui nous devons ces recherches, assure que même dans les cas où la parotide sécrétait un suc franchement acide, la salive sousmaxillaire avait conservé sa réaction alcaline. Quant au pouvoir saccharifiant de la salive sousmaxillaire, nous ne pouvons statuer de règle généralement applicable aux différentes classes d'animaux; ordinairement cependant sa faculté de transformer l’amidon est proportionnelle à celle de la salive mixte. Hâtons-nous d'ajouter qu'il y a des ex- ceptions importantes. Ainsi, chez le chien, la salive sous- maxillaire transforme l’amidon beaucoup moins que la salive totale: celle-ei a le pouvoir double et plus. Chez le chat, je n'ai pas réussi à obtenir des traces de glycose, même en laissant séjourner à l’étuve, pendant plusieurs heures, un mélange d'empois et de cette sorte de salive. Ce n’est qu’au bout de sept, huit et même neuf heures que la transforma- tion commençait à faire des progrès appréciables, mais déjà la salive présentait des signes évidents de décomposition. Ces recherches ont été faites sur des quantités assez no- tables de salive sousmaxillaire de chat, dont la sécrétion avait été provoquée par l'irritation de la corde du tympan après la section du nerf lingual. Peut-être cette opération n'est-elle pas sans influence sur les propriétés physiques de ce liquide. Il était un peu plus dense qu’à l'ordinaire. D'ailleurs la salive pure, ainsi que l’infusion de la glande, se montrèrent également inactives vis-à-vis de lempois d'amidon, durant les premières heures du mélange. Plus tard seulement, quand l’infusion se précipitait, le sucre apparaissait. — 202 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. À l’époque où ces expériences étaient exécutées sur un grand nombre de chats (1851), j'ajoutai à de la salive sous- maxillaire, du #ucus buccal d'un chat récemment tué, mucus obtenu en grattant la surface de la muqueuse (avee les précautions nécessaires pour éviter tout mélange avec la salive parotidienne). Ce liquide transformait de l’amidon en sucre après 20 à 30 minutes. J’ai cru devoir signaler à votre attention ce fait curieux, de l’activité plus prononcée d’une salive mixte, comparativement à celle de chacune des sa- lives isolées qui entrent dans sa composition; mais, je le répète, il serait erroné d’en déduire un principe g'énéral , à l'exemple de M. Bernard; car, en essayant de reproduire cette expérience sur le chien, je n'ai obtenu que des ré- sultats négatifs. Pour recueillir à l’état de pureté la salive sousmaxillaire de l’homme, Eckhard et Oehl ont appliqué le cathétérisme du conduit de Wharton. Cette méthode dont l'application n’est pas toujours facile, peut être remplacée avantageu- sement, dans la plupart des cas, par un procédé plus simple dont la première idée appartient à Longet, et que j'ai mo- difié de manière à éviter le mélange de la salive sous- maxillaire avec la salive sublinguale et le mucus buccal. — Voici le procédé tel qu’il est indiqué par Longet ( Op. cit. pag. 118). On fait entr'ouvrir légèrement la bouche, relever la pointe de la langue et avancer un peu la lèvre inférieure de ma- nière à agrandir le sillon alvéolo-labial: bientôt avec une pipette, on peut recueillir, au fond de ce sillon et sur la portion du plancher buccal située derrière les incisives, deux salives distinctes; la première, plus fluide, venant des parotides; la seconde, plus visqueuse, émanant des sous- maxillaires et des sublinguales. Aussi pour éviter leur mé- lange, convient-il d’oblitérer avec de la cire blanche les intervalles dentaires inférieurs. Le liquide qui se ramasse ainsi derrière les incisives in- NEUVIÈME LEÇON. 203 férieures, se compose non seulement des salives sousma- xillaire et sublinguale, mais encore de la sécrétion des glandules du plancher buccal, parmi lesquelles je citerai spécialement celles qui entourent la papille située à l’orifice du conduit de Wharton. Remplaçant la pipette par une se- ringue de verre, à canule très-longue, coudée à angle droit, dont l'extrémité renflée en ventouse permet d’embrasser exactement la papille en question, j’aspire directement la salive sousmaxillaire (dont les premières gouttes seulement peuvent contenir un peu de mucosité venant des glandules mentionnées), et je néglige les premières gouttes. De cette manière on obtient une salive sousmaxillaire suffisamment pure. Je vais faire cette petite opération devant vous sur l’homme. L'application de la seringue ne donne pas de trace de liquide pendant les premières aspirations. L'absence de mucus nous dispensera , par conséquent, d'éloigner les premières portions de salive qui vont être sécrétées sous l'influence d'une excitation gustative. Je mets sur la pointe de la langue quelques cristaux d'acide tartrique; aussitôt la sé- crétion commence. La salive aspirée est assez fluide, claire et n’a pas d'action sur le papier bleu de tournesol. Pour examiner le pouvoir saccharifiant de ce liquide, je me ser- virai, au lieu d'empois d’amidon, de glycogène de foie de grenouille. REMARQUE. — L’infusion du foie des grenouilles en hibernation, comme nous l’avons trouvé depuis neuf ans, ne renferme pas de sucre, mais une matière amylacée que l’on a désignée sous le nom de glycogène, matière très-voisine de l’ixwline et se con- vertissant avec une grande facilité en glycose. Le sang des gre- nouilles hibernantes ne contenant pas de ferment apte à opérer la transformation du glycogène hépatique, la décoction de ce viscère peut donc servir comme une véritable dissolution d’amidon (1). (1) Cette particularité du foie des grenouilles hibernantes est un phénomène constant et indépendant de la température ambiante, contrairement à l'opinion de CI. Bernard qui, ayant confirmé le fait sur quelques grenouilles en hiver, crut pouvoir l’allribuer à 204 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Cette décoction de foie, chauffée avec le réactif cupropo- tassique, ne donne pas de trace de réduction. Mélangée et secouée un moment avec la salive sousmaxillaire, puis sou- mise de rechef à la même réaction, elle précipite une quan- tité très-notable d’oxydule de cuivre. Le pouvoir saccharifiant de la salive sousmaxillaire est donc aussi évident que celui de la salive parotidienne de l'homme, examinée à l’état de pureté. — Si l’on objectait que notre méthode ne présente pas toutes les garanties nécessaires, quant à la pureté du liquide aspiré par la se- ring'ue, nous pourrions nous en rapporter aux expériences de Eckhard et de Ordenstein qui, ayant retiré la salive sousmaxillaire à l’aide du cathétérisme, reconnurent à ce fluide la même rapidité d'action sur l’empois d’amidon. Je puis d’ailleurs confirmer moi-même cette remarque pour la salive sousmaxillaire obtenue par le cathétérisme chez plusieurs individus. La salive sousmaxillaire du cochon d'Inde et du rat jouit de propriétés entièrement analogues à celles que nous venons de reconnaître à cette espèce de salive, chez l’homme. J'ai déjà mentionné, à deux reprises, l'exception intéres- sante que présente sous ce rapport le Zapin. L'nfusion des maxillaires chez ce rongeur est absolument dépourvue de propriétés diastatiques, tandisque la salive totale transforme l’amidon plus rapidement encore que ne le fait la salive mixte de l’homme, c’est-à-dire, après une demi-minute et même moins. Pourquoi cette différence? Conformément à la supposition de CI. Bernard, et de Bidder et Schmidt, le fait du mélange suffrait-il pour développer ou du moins pour accroître à un haut degré le pouvoir saccharifiant des sa- lives réunies ? l’action seule du froid. En effet, l'exposition prolongée de ces batraciens, en état d’hiber- palion, à une température de 40 à 42 degrés c., est impuissante, même après plusieurs semaines, à faire reparaîlre la glycose hépatique, telle qu’on a l'habitude de l'ob- lenir par les procédés ordinaires, NEUVIÈME LEÇON. 205 La solution du problème réside dans une particularité ana- tomique de l'appareil salivaire du lapin. Il existe, comme vous pouvez le voir sur cette préparation des glandes sa- livaires d’un lapin, tué par une dose de sulfocyanure de mercure (substance éminemment toxique, vendue commu- uément au public sous le nom de serpent de Pharaon), il existe, dis-je, à la périphérie externe de la parotide et de la sousmaxillaire, en avant de l'angle de la mâchoire et de la parotide elle-même , une petite glande, nettement sé- parée du corps de cette dernière et munie d’un conduit distinct dans lequel j'ai introduit une petite sonde. C’est la glande massétérique, découverte déjà au siécle passé par Méry, oubliée depuis et retrouvée à deux reprises, d’abord par Meckel, puis par CI. Bernard. Les trois glandes que vous voyez réunies dans cette préparation, se distinguent au premier coup d'oeil, par des différences très-marquées de leur coloration. La massétérique présente la couleur jaunâtre la plus claire, la parotide est d’un rose jaunâtre plus foncé, et la sousmaxillaire offre une teinte violacée plus saturée. Ces différences correspondent évidemment à des degrés divers de vascularisation et à la distribution plus ou moins serrée des réseaux capillaires. Eh bien, il est à remarquer que la teinte foncée, caractéristique de la sousmaxillaire du lapin, correspond à une distribution vas- culaire qui se retrouve à-peu-près au même degré dans les glandes salivaires des animaux carnassiers, glandes ne sé- crétant pas de principe diastatique. L’analogie de coloration est certainement plus grande entre la sousmaxillaire du lapin (sans action sur l’amidon) et les sousmaxillaires et les parotides des carnassiers, qu'elle ne l'est entre la sous- maxillaire et la parotide du lapin lui-même. — Sans vouloir affirmer, en thèse générale, que de l’aspect extérieur d’une glande salivaire, il soit possible de déduire, dans tous les cas, la mesure de son pouvoir saccharifiant, il est néanmoins incontestable que chez le lapin la grande différence des 206 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION, teintes, allant du rouge violacé au rose jaunâtre-clair, coïncide avec une proportion croissante de ferment diasta- tique. La petite glande massétérique, la moins colorée de toutes, jouit aussi du pouvoir saccharifiant le plus prononcé, et c’est son produit qui communique à la salive totale du lapin l'énergie que vous lui connaissez. Une infusion très-concentrée de la sousmaxillaire, dé- tachée de la préparation, et réduite en petits morceaux, n’exerce pas d'action sur l’empois d'amidon, même après un contact de plusieurs minutes, comme le démontre actuel- lement la réaction avec le liquide cupropotassique , faite après l’ébullition et la décantation de l'infusion. Pas de précipité. — Au contraire, une infusion très-diluée de la glande mas- sétérique, secouée pendant quelques instants avec de l'em- pois d’amidon, et traitée de la même manière, réduit une quantité énorme de sulfate de cuivre. Et pourtant ce petit lobe glandulaire ne sécrète guère, dans l’unité de temps, que le dixième du liquide que peut fournir la glande sous- maxillaire chez le même animal. Notez du reste que la salive sousmaxillaire du lapin est plus dense que la salive parotidienne et qu’elle partage toutes les propriétés physiques qui la font distinguer de cette dernière chez l’homme et les autres animaux. Le pouvoir saccharifiant du fluide sousmaxillaire n’est pas le même à toutes les époques de la vie. Il est nul chez l’homme, et chez la plupart des animaux pendant les premières semaines de leur développement extra-utérin. Le ferment diastatique n'apparaît, chez l’homme, qu’à l’époque de la première dentition. Je puis confirmer tous les résul- tats obtenus par Bidder qui s’est le premier occupé de cette question. Le cochon d’Inde forme la seule exception connue à la règle énoncée; la salive sousmaxillaire de ce rongeur, examinée pendant la première semaine de la vie, possède, NEUVIÈME LEÇON 207 comme je l'ai vu, des propriétés franchement diastatiques (1). Aucun autre animal, de genres même très-voisins, ne m'a offert cette particularité. Je l'ai vainement cherchée chez le hérisson. Messieurs, 1l me reste à vous signaler une particularité histologique, découverte par M. Oehl dans la salive sous- maxillaire du chien. Après l'établissement d’une fistule du conduit de Wharton chez le chien, si l’on examine sous le microscope le fluide qui en découle, on le trouve mélangé, en proportion variable, de petits corps transparents amœ- boïdes, c'est-à-dire changeant lentement et continuelle- ment de forme, comme le rhizopode que les zoolog'istes ont désigné sous le nom d'Amœæba. Ces changements de forme s’opèrent assez lentement pour qu'au premier abord on ne distingue pas de mouvement, mais pour peu que l’on fixe attentivement un des petits corps en question, on lui voit prendre successivement les contours les plus variés; sem- blable à une goutte de gelée qui coulerait sur le porte-objet, d'oval il devient oblong, pousse des prolongements de côté et d'autre, prend un aspect rayonné, etc. Le premier jour de l'établissement de la fistule il est rare de trouver ces corpuscules ; c'est en général le second jour qu'ils se mon- trent, et dès lors ils y existent toujours en grande quan- tité. Il est probable qu'ils ne font pas partie intégrante de la salive sousmaxillaire normale, mais qu’ils prennent nais- sance sous l'influence de l’irritation exercée sur la glande par la déviation de son conduit. Le même -expérimentateur a constaté l'existence de cor- puscules mobiles un peu différents dans la salive sousmaxil- laire du mouton. — Jusqu'à-présent on ne les a pas trouvés chez l'homme; peut-être parce qu'on n'a pas eu l’occasion (1) J'ai eu occasion, plus récemment, d'examiner l'infusion des glandes salivaires d'un cochon d'Inde, mort pendant la naissance ou peut de temps avant, mais venu complète- ment à lerme. Celle infusion ne transformail pas l'empois d'amidon, 208 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. d'examiner la salive sousmaxillaire humaine exactement dans les mêmes conditions que celles qui résultent de l’éta- blissement d’une fistule artificielle chez le chien. S'il se présentait à l'observation clinique des cas d’affections ca- tarrbhales du conduit de Wharton, il ne faudrait pas négliger de soumettre au microscope le liquide sécrété par la glande sousmaxillaire. Cette recherche offrirait d'autant plus d'intérêt que nous connaissons un autre mouvement moléculaire, ayant lieu à l'intérieur de petites cellules de la muqueuse buccale, situées principalement dans le voisinage de la papille sousmaxil- laire, et emportées par la sécrétion salivaire. Ces cellules, connues sous le nom de corpuscules salivaires, augmentent considérablement à la suite des irritations catarrhales de la bouche, ce qui montre chez elles une certaine analogie, du moins étiologique, avec les corpuscules amæboïdes de Oehl. Leur vraie signification fut déterminée par Donders, et c'est Brücke qui découvrit, à leur intérieur, le mouve- ment dont il est question. Ces corpuscules qui ne parais- sent être autre chose que des cellules épithéliales plus activement formées et détachées à l’état jeune de la mu- queuse irritée, se montrent , à un grossissement suffisant et avec des objectifs très-pénétrants, remplis de molécules agitées d’un mouvement analogue au mouvement brownien, mais différent de ce dernier par sa physiognomie générale. Le déplacement des molécules a lieu surtout en direction ascendante et descendante, et conserve toujours une certaine régularité, laquelle manque entièrement au mouvement brownien, qui est comparable plutôt à un tourbillon désor- donné et en tout sens des plus petites particules. Ce phé- nomène qui est d’ailleurs visible aussi dans la salive fraîche, toutes les fois qu'elle renferme les corpuscules mentionnés, est attribué par Henle à des courants endosmotiques et exosmotiques, et je partage cette opinion. L’évaporation n’y paraît entrer pour rien; du moins j'ai vu se maintenir le NEUVIÈME LEÇON. 209 mouvement, en observant la salive dans des cellules de verre hermétiquement fermées. Ajoutons que les éléments microscopiques de la salive sousmaxillaire varient avec sa densité. — Dans le liquide visqueux, sécrété après les irritations du grand sympathique, on trouve de petits corps opaques formés par une substance albuminoïde, corps qui ne se rencontrent que rarement dans la salive claire et fluide, sécrétée en l'absence de lésions nerveuses, à la suite des impressions gustatives ou des irri- tations de la corde du tympan (1). Je n’ai que peu de détails à vous communiquer sur la salivation des sublinguales. La salive de ces glandes n’a pu être isolée que chez les grands ruminants. « La sublinguale (Colin, ouvr. cit. pag. 474) est, chez ces « animaux, pourvue à sa partie inférieure d’un canal qui suit celui de la maxillaire et vient se terminer au même point que ce dernier. Or, ce canal supplémentaire, signalé « par les auteurs des Zeçons d'anatomie comparée, est assez « grand pour qu'on puisse y placer un petit tube muni de « son ampoule. Grâce à une si heureuse disposition, la petite « glande a un rôle qui peut être déterminé avec autant de rigueur que celui des parotides et des maxillaires. « Pour établir une fistule, on fait une incision dans l’es- « pace intramaxillaire, de 4 à 5 centimètres, en arrière de « la surface génienne; on met à découvert le canal en « isolant les granulations qui le recouvrent à la face in- « terne de la glande, puis on l’isole, et enfin on y fixe le « tube. « Dès que l'opération est achevée, on voit la salive couler « en un filet très-fin, ordinairement non interrompu; cette « salive est si visqueuse que le filet descend jusqu'à terre À A À (4) I n’est pas exact de prétendre, comme on l’a fail, que ces corps se retrouvent en L] quantité égale dans la salive sousmaxillaire toutes les fois que sa sécrélion est excilée après la paralysie de la code du tympar. TOME PREMIER 14 210 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. sans se briser, et se renforce de temps en temps par une « gouttelette qui, avant de s'étendre, forme un petit nœud « longtemps à disparaître. Pendant le repas et la rumina- « tion, l'écoulement est continu sans aucune interruption; «il l’est également lors de l’abstinence et lorsque des sub- « stances excitantes sont mises en contact avec la mu- « queuse buccale : seulement, il est plus abondant quand « l'animal mange, que dans toutes les autres circonstances ; « il donne alors de 18 à 20 grammes de liquide par heure. « En suivant attentivement l'expérience, on voit très- « nettement: 1° que la salive de la sublinguale est encore « plus épaisse et plus visqueuse que celle de la maxillaire, « et à tel point qu’elle ressemble à du mucus presque pur; « 2° que la sublinguale sécrète d'une manière continue « pendant que l’animal mange, et non pas seulement à « l'instant de la déglutition, comme l’a avancé CI. Bernard, « d’après ses recherches sur les glandes salivaires du chien; « 3° qu'elle sécrète sous l'influence des excitants mis dans « la bouche, et que, par conséquent, elle agit, sous ce rap- « port, absolument comme la maxillaire; 4° enfin, on voit « qu’elle fonctionne encore pendant l’abstinence pour con- courir à la production du liquide mixte qui humecte la muqueuse des premières voies digestives ». Chez le chien, nous ne savons pas s’il existe une sub- linguale distincte. Le petit lobe glandulaire que CI. Bernard a appelé de ce nom, est considéré par la plupart des ana- tomistes (Meckel, Colin, etc.) comme une portion de la sous- maxillaire. Ce lobe, chez le chien, fournit, il est vrai, une salive un peu plus dense que le reste de l'organe. — Chez l’homme on n’a pas encore isolé la salive sublinguale. En l'absence de la salive provenant des sources que nous venons de décrire, p. ex., après l’extirpation de toutes les glandes salivaires, c'est le wucus buccal et pharyngien qui sert à humecter le bol alimentaire et à faciliter, par l’enduit visqueux déposé à la surface de ce dernier, son passage A À AR NEUVIÈME LEÇON. 211 dans le conduit œsophagien. C’est là, à-peu-près, la seule utilité du mucus buccal et pharyngien, car il ne produit aucune transformation chimique des aliments. Toutefois il dissout, après un contact très-prolongé, le tissu connectif, en laissant intacte la fibre charnue. On peut se servir de ce moyen pour la préparation microscopique des fibres mus- eulaires (1). — Chez le lapin, le mucus buccal a la propriété d'émulsionner les graisses; l'émulsion est cependant peu intime et peu durable. — Le mucus buccal du cheval ne partage pas cette propriété (2). Nous ne pouvons pas nier d’une manière absolue que chez les carnassiers les glandules mucipares de la muqueuse buccale puissent sécréter un liquide analogue à la salive proprement dite; cette dernière étant inactive, nous n’avons aucun moyen direct pour la distinguer d'autres sécrétions muqueuses analogues. (1) A cet effet on fait bien d'ajouter au mélange un peu de strychnine pour empêcher la décomposition putride des particules animales suspendues dans le liquide, (2) Nous recevons, au moment de mellre sous presse, un mémoire de Kehrer, pro- secteur à Giessen (Über den Bau und die Verrichtung der Augenhôhlendrüse. Henle u. Pfeufers Zeitschrift, vol 29, pag. 88). Kebrer s’est occupé des fonctions de la glande sous- zygomatique (de Cuvier), qui chez les carnivores est la glande mucipare la plus volumi- neuse dont les produits se déversent daus la bouche. Le liquide sécrélé par la glande indiquée est trés-dense, filant et sa réaction est neutre. — Kebrer a trouvé que la glande souszygomalique, chez le chien, est innervée par un rameau du nerf buccinaleur. Lorsque le nerf n’est pas irrité, la sécrétion est très-lente et se fait en trés-petite quantité; mais si le nerf est irrilé, soit par action directe, soit par une action réflexe parlant de la muqueuse buccale, la sécrétion devient plus abondante. Les premières goulles, recueillies a l’aide d’un procédé spécial et après une préparation pénible du nerf et du conduit ex- créteur de la glande , contenaient des cellules épithéliales, les gouttes qui suivaient ne renfermaient pas d'éléments histologiques et étaient formées d’un liquide trés cohérent , presque gélatineux. Le produit de la glande souszygomalique, pris isolé ou mélé à de la salive sousmaxillaire, et mis à l’éluve à une température de 38o c., ne transformait pas l’amidon, mais possédait, à un haut degré, la propriété d’émulsionper les graisses liquides. DIXIÈME LEÇON. Sommaire : Innervation des glandes salivaires, — Les nerfs influent-ils sur la sécrétion ou sur l’excrétion ? — Expériences de Ludwig sur le nerf sousmaxillaire. — Phénomènes vasculaires accompagnant l'augmentation de la sécrétion. — Rôle des nerfs vasomoteurs. — Détermination expérimentale des nerfs « salivaires » de la glande sousmaxillaire.—Anta- gonisme de la corde du tympan et du grand sympathique.— Nerfssalivaires parotidiens, — Extirpalion du ganglion otique, du nerf petit pélreux superficiel et de l’auriculo-temporal. Messieurs , On sait que différentes glandes du corps présentent, à l'état normal, une sécrétion très-faible et que le liquide qu’elles fournissent n’augmente pas, aussi longtemps que certains nerfs, en communication directe ou indirecte avec appareil sécréteur, ne sont pas excités. Ainsi, la glande lacrymale ne sécrète, à l’état de repos, que la quantité de larmes qui suffit à maintenir humide la surface du globe oculaire, mais la moindre irritation venant frapper la con- jonctive, fait découler une abondante quantité de larmes. De même les glandules gastriques qui, dans l'estomac vide, ne fournissent que peu ou point de suc acide, laissent échapper ce liquide abondamment, dès qu’un irritant quel- conque est porté sur les terminaisons périphériques des nerfs gastriques. On connaissait depuis longtemps l’effet que les impressions gustatives exercent sur la salivation, et déjà Mitscherlich avait observé, en 1837, sur un malade atteint de fistule du DIXIÈME LEÇON. 213 conduit de Sténon, l'augmentation de la sécrétion paroti- dienne, consécutive aux mouvements masticatoires et aux mouvements qui accompagnent la parole. Mais ce qu'il im- porte de remarquer, c'est que, dans ce temps-là, et jusqu’à il y a 25 ans, tout en reconnaissant au système nerveux une action évidente sur les glandes salivaires, on croyait son rôle borné à stimuler seulement l’excrétion, l'acte de la sécrétion étant considéré comme une fonction sui generis, indépendante des nerfs. Les phénomènes physico-chimiques qui se passent à l’intérieur des glandes et qui constituent la sécrétion proprement dite, passaient pour résulter de l’activité continue des éléments glanduleux; les liquides éliminés du sang venaient, selon cette hypothèse, remplir peu-à-peu les conduits excréteurs, munis, comme on l’ad- mettait déjà alors, de fibres contractiles, et c’est sur ces fibres, disait-on, que se portait l'action des nerfs glandu- laires. Le rôle des nerfs était donc tout simplement de faire contracter les conduits excréteurs et de produire mé- caniquement l’excrétion. À partir des premiers travaux de Stilling, en 1841, on joignit à cette théorie un élément de plus, savoir l'état de dilatation vasculaire déterminé par l’action nerveuse. L'état des vaisseaux glandulaires, négligé jusqu'alors, devait fournir à l'observation de nouvelles données sur le mode de l’excrétion, et bientôt aussi sur celui de la sécrétion elle-même. Stilling avait vu qu'à la suite de certaines 1irritations nerveuses il se produit une injection, une plus grande abon- dance de sang dans divers organes, et en particulier dans les glandes. Parmi les nombreuses théories qui furent émises pour expliquer ce phénomène, il en était une, assez plau- sible en apparence, qui partait de la supposition que l’ex- - citation nerveuse faisait entrer en contraction les petites veines efférentes de l'organe glanduleux: cette contraction créait un obstacle à la circulation capillaire et artérielle de 214 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. la glande, de sorte que, la poussée du sang continuant, il en résultait une réplétion plus grande de tous les vaisseaux situés en avant des petites veines et consécutivement une plus grande transsudation sécrétoire. Ludwig eut le premier l’idée d'irriter un nerf glandulaire et d'observer simultanément, à l’aide du manomètre, la pression du liquide sécrété et celle de l’onde sanguine, afin de voir si l'augmentation de la sécrétion correspondait aux variations de la pression du sang. Les premières expériences sur la parotide n’aboutirent à rien de certain. Les résultats furent plus clairs pour la sousmaxillaire. Ludwig prépara la glande, isola le conduit de Wharton, dans lequel fut in- troduite une canule pour observer l'écoulement, et mit à nu les vaisseaux principaux de la glande avec le rameau nerveux, assez visible chez le chien, qui, du lingual, va à la glande sousmaxillaire. L’irritation de ce rameau produisait une augmentation immédiate et évidente de la salivation. Jusque-là rien de nouveau; mais ce qui ne tarda pas à frapper Ludwig, ce fut l’abondance extraordinaire du liquide qui s’'écoulait pendant l'irritation. Le volume de la salive sé- crétée en un temps relativement très-court, égalait et dé- passait de beaucoup le volume de la glande elle-même. Cette augmentation de l'écoulement se maintenait assez longtemps, elle atteignait le waæimum pendant la quatrième et la cinquième minute; elle allait rapidement en décrois- sant et cessait bientôt après la cessation de l’irritation. Ce qui ressortait clairement de cette expérience, c’est que tout le volume de la salive excrétée pendant l’irritation, ne pouvait pas être contenu primitivement dans la glande, et qu’ainsi l'irritation nerveuse agissait non seulement sur l’excrétion, comme on l'avait cru, mais aussi sur la sécré- tion. Il restait à décider si la pression sanguine suffisait à rendre compte du phénomène. Or Ludwig, ayant me- suré la pression sous laquelle s’écoulait la salive , la trouva égale à 170 à 180 millimètres de mercure, c’est-à-dire no- DIXIÈME LEÇON. 215 tablement supérieure à la pression du sang dans l'artère ou la veine principale de la glande, observées pendant l'ir- ritation. Même en admettant un rapport quelconque entre la pression sanguine et celle de l'écoulement salivaire, il y avait là une augmentation inexplicable et il fallut bien reconnaître qu’une autre force, s’ajoutant à la poussée du sang dans les vaisseaux, intervenait dans le phénomène de la sécrétion. Ludwig alla jusqu’à nier toute relation entre la pression sanguine ét l'augmentation de la sécrétion et de l’excrétion salivaire. Les conditions dans lesquelles était faite l'expérience de Ludwig, permettaient de contrôler directement la valeur de l'hypothèse dont j'ai parlé tout-à-l'heure, hypothèse qui attribuait les effets de l’irritation nerveuse à une contrac- tion des petites veines et à la stagnation du sang dans le système capillaire et artériel de la glande. Si cette sup- position était exacte, le tronc veineux sortant de la glande devait paraître moins rempli pendant l'irritation qu'avant et qu'après. Mais en observant la veine principale pen- dant la faradisation du nerf sousmaxillaire, on ne distingue aucune diminution de son calibre. Au contraire, j'ai tou- jours vu dans mes expériences que l'excitation nerveuse a pour effet de dilater aussi bien les veines que les artères, et que le sang veineux de la glande prend une coloration plus claire (1). — Si, d'autre part, il était vrai qu'un ob- stacle à la circulation des petites veines fût suffisant pour stimuler la sécrétion, à bien plus forte raison l’augmenta- tion devait-elle se produire si l’on comprimait les grosses veines sortant de la glande. Cette compression exécutée par Ludwig, sans irritation simultanée du nerf glandulaire, ne donna pas non plus le résultat attendu par l'hypothèse: la salivation n’augmenta pas. (1) Déjà CI. Bernard a noté que, dans ces” conditions , la veine glandulaire charrie plus de sang et un sang plus clair, qu’elle offre parfois de véritables pulsalions, et nous avons constaté, de nolre côté, une augmentation de pression dans la veine, 216 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. De ses observations, Ludwig déduisit la théorie suivante qui, il est vrai, n'était pas l'expression pure et simple des faits, mais qui excluait au moins les anciennes erreurs. Les nerfs « salivaires » de Ludwig sont indépendants des nerfs vasomoteurs; leur fonction spéciale est d'activer la sécrétion , comme celle des nerfs musculaires est de faire contracter les muscles. Et cette fonction s’accomplit indé- pendamment d'un resserrement des petites veines glandu- laires, indépendamment d’une altération de la pression du sang. L’excitation des nerfs salivaires, ajoute-t-il, a pour effet de pousser le liquide «salivaire»s du sang: dans les vésicules de la glande et ce passage a lieu avec une énergie supé- rieure à la pression sous laquelle le sang circule dans les petites artères de la glande. Ludwig, tout en rejetant, par des raisons anatomiques, une contraction des petits conduits de la glande, rapporte toute la pression qui peut étre vaincue par le liquide sortant de la glande irritée, à l'énergie de la sécrétion qu'il se croit autorisé à comparer à l’endos- mose dite électrique. Nous allons plus tard revenir sur ces théories, mais d’abord occupons nous de la question de sa- voir quels sont ces prétendus nerfs salivaires. Le nerf excité par Ludwig est, comme je l'ai dit précé- demment, un rameau du lingual, ordinairement décomposé en un nombre variable de petits filets qui, après avoir fourni le ganglion sousmaxillaire, vont se terminer dans la glande du même nom. Or quelle est l’origine et le trajet des fibres nerveuses qui président à la sécrétion sousmaxillaire? Nous avons déjà vu, dans une des leçons précédentes, qu'Arnold, en 1837, avait observé sur un malade atteint de paralysie du facial, une sécheresse particulière de la bouche. Ce fait, joint à un autre plus ancien encore, mais beaucoup moins connu, d’un observateur sicilien, Fodera (1), devait faire naître (1) Journ. Complém. xv, pag. 299. DIXIÈME LEÇON. 217 la supposition que tous les nerfs «salivaires » de la glande sousmaxillaire ne sont pas contenus dans les filets propres du trijumeau (lingual), mais lui viennent peut-être de son anastomose avec le facial, la corde du tympan. En vue de cette supposition j'instituai, dès 1851, une série de recher- ches sur la corde du tympan (1), recherches qui, dès lors, ont été répétées avec le même résultat par beaucoup d'au- tres auteurs. Mes premières expériences ont été faites sur des chats avec fistule du conduit sousmaxillaire; la corde du tympan était mise à nu dans la bulle osseuse. Après avoir observé pen- dant quelque temps l'écoulement salivaire et étudié les causes aptes à le stimuler, je coupais la corde du tympan. Au moment de la section du nerf, il se produisait régulière- ment une salivation très-abondante, mais d'assez courte durée ; ce symptôme passé, les irritations de la muqueuse gustative au moyen de substances acides, amères ou à laide du galvanisme, ne produisaient plus, comme avant l'opération, d'augmentation de l'écoulement salivaire par la fistule. J'ai eu l’occasion, messieurs, de vous montrer des chats ayant la corde du tympan coupée d’après le procédé de Cl. Bernard, au moyen d’une aiguille introduite par le conduit auditif externe jusque dans la caisse du tympan. Ces ani- maux, tout en ayant conservé le goût, ne montraient plus d'augmentation de la salivation sousmaxillaire, après les impressions gustatives les plus désagréables, ni lorsqu'ils étaient placés sous une cloche remplie de vapeurs d’éther. Voici le chat, sans glosso-pharyngiens, auquel j'ai coupé, en votre présence, la corde du tympan des deux côtés (Voy. Lec. VI) et qui, après cette opération, avait conservé, dans les portions antérieures de la langue, un reste assez (1) Voy. Archiv £. physiolog. Heilk, Wunderlich u. Vierordt. 1852 (M. Scuire. Ueber motorische Zungenlæhmung). 218 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. distinct de sensibilité pour l’acide et même pour l’amer. Cette sensibilité existe encore; mais, comme vous le voyez, ui l'acide tartrique, ni la coloquinte, appliqués sur la langue, v’augmentent visiblement l'écoulement salivaire, parce que la parotide seule sécrète encore sous l'influence des exci- tants, et que, chez le chat, la sécrétion parotidienne est beaucoup moins abondante que celle de la sousmaxillaire. Chez un second chat qui a subi les mêmes opérations et qui porte en outre une fistule du conduit sousmaxillaire, la décoction de coloquinte produit des signes évidents de dégoût, mais à peine voit-on apparaître un peu d'humidité à l’orifice fistuleux. L'augmentation momentanée de la salivation sousmaxil- laire au moment de la section de la corde du tympan, phé- nomène auquel vous avez assisté lors de l'opération du premier chat, me dispenserait de vous parler du complé- ment nécessaire des expériences qui précèdent, savoir des effets de l'irritation de la corde du tympan on coupée. — Néanmoins, pour être complet, j'ajouterai que cette irri- tation stimule, à un haut degré, la salivation sousmaxillaire tout comme la galvanisation directe des filets sousmaxil- laires eux-mêmes. Il est très-probable, d'après ces deux ordres de faits, que les nerfs « salivaires» qui se rendent à la glande sousma- xillaire, dans la voie du ling'ual, ont leur source dans la corde du tympan. La preuve en est d’ailleurs que lorsque la corde du tympan a été coupée et que ses terminaisons périphériques sont dégénérées, l’irritation du lingual et des filets sousmaxillaires reste sans effet sur la salivation. Il s’en suit que l’abondante sécrétion qui, à l’état normal, s’observe après l'irritation des terminaisons linguales du trijumeau ou après celle du tronc du lingual, au dessus de l'entrée de la corde du tympan, — est une action réflexe transmise par les centres aux nerfs « salivaires ». Par la section de la corde du tympan, nous interceptons cette DIXIÈME LECON. 219 action réflexe, et nous privons les filets sousmaxillaires de la faculté de réagir, par une stimulation de la sécrétion, aux diverses excitations sensibles qui, à l’état normal, pro- voquent ou accélèrent la salivation (1). CI. Bernard a répété, dès 1856, ces expériences, peut-être sans connaître les nôtres, et est arrivé au même résultat, savoir que c’est par son anastomose avec la corde du tympan que le lingual influe sur la sécrétion sousmaxillaire. Il importe de remarquer que la corde du tympan n'est pas la seule voie nerveuse par laquelle des excitations 7é- Jlexes peuvent se transmettre à la glande sousmaxillaire et en stimuler l’activité excrétoire, de même que (du moins e” apparence) la sécrétion. L'irritation des glosso-pharyng'iens, soit de leur périphérie, soit de leurs troncs, produit encore une légère augmentation peu durable de la salivation, lorsque la corde du tympan est coupée et dégénérée jusque dans ses terminaisons. Ce phénomène est dû à une action réflexe transmise par le grand sympathique, dont quelques filets, accompagnant les vaisseaux, pénètrent dans la glande Sousmaxillaire. En effet, l’irritation du grand sympathique cervical ou céphalique agit, d’une manière particulière et en l'accélérant au début, sur l’excrétion de la salive sous- maxillaire. Les considérations qui se rattachent à l'influence du grand sympathique, seront mieux comprises, quand nous aurons étudié expérimentalement sur un animal, les effets de l'irritation du lingual et ceux de l'irritation du grand sympathique. Voici un chien à fistule sousmaxillaire donnant très-peu de salive à l'état de repos et en l'absence d’excitations périphériques. Remarquez, à ce propos, que quelques expéri- mentateurs, trompés par une circonstance accessoire que je (1) L'ivritation du bout central du pneumogastrique coupé amène également, comme la prouvé Oehl (op. cit.), une augmentation de la salivalion sousmaxillaire, en verlu d'une action réflexe qui s'exerce sur la corde du tympan. 220 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. vais indiquer incessamment, ont cru pouvoir déclarer nulle la sécrétion sousmaxillaire, dans l’état de repos. On tombe très-facilement dans cette erreur, si pour observer l'écou- lement salivaire, on se sert de tubes métalliques. La salive déjà très-dense, adhère à la paroi de la canule; le peu qui en est sécrété, se dessèche, et l'écoulement peut, en effet, paraître nul. J'ai appris à éviter cet inconvénient, en me servant de tubes dont la surface interne offrait moins d’ad- hérence à la salive, comme, p. ex., de tuyaux de plume. A défaut d’un tuyau de plume convenable, j'ai dû me servir, pour cette expérience, d’un tube de verre, toujours préfé- rable aux canules métalliques. Si vous observez pendant quel- que:temps l’orifice de la fistule, vous pourrez aisément vous convaincre que la sécrétion a lieu d'une manière continue, quoique en très-petite quantité actuellement. J'isole le nerf lingual dans le point où il fournit les ra- meaux glandulaires. Ordinairement cette manipulation suffit pour augmenter légèrement la salivation, mais, dans ce cas, soit que la traction ait-été très-faible, soit que l'animal soit peu excitable en général, cette augmentation ne se montre pas. ; Pour irriter le tronc du lingual (au dessus des rameaux glandulaires) je me servirai d’un courant d’induction, d'abord excessivement faible. Pas d'effet. Je rapproche un peu la spirale secondaire de la primaire. La sécrétion devient plus visible. Je renforce encore le courant. L'écoulement devient plus abondant. Il augmente considérablement, à un nouveau mouvement imprimé à la spirale secondaire, et je puis re- cueillir la salive que nous examinerons tout-à-l’heure. Laissons passer l'effet de l’irritation, jusqu'à ce qu’on ne voie plus de liquide dans la canule de verre, En attendant, je préparerai le tronc du sympathique cervical. L'irritation de ce nerf, par un courant de moyenne in- tensité et peu de temps après la cessation complète de DIXIÈME LEÇON. 221 l'écoulement antérieur, renouvelle immédiatement la sali- vation qui devient pendant un moment assez abondante, mais qui cesse bientôt. La salive obtenue par l'irritation du grand sympathique diffère considérablement, par ses propriétés physiques , de celle recueillie après l'irritation du lingual. Elle diffère également d'une autre portion de salive sousmaxillaire, ob- tenue, sur le même animal, avant l'opération (et avant la leçon) en lui faisant inspirer des vapeurs d’éther. Ces deux dernières salives sont aqueuses, limpides et coulent en gouttes. Celle qui a été sécrétée sous l'influence des inhalations d’éther, et en général la salive sousmaxil- laire sécrétée pendant l'excitation des terminaisons périphé- riques du lingual, à une consistance un peu plus aqueuse que le liquide recueilli dans notre première expérience à la suite de la g'alvanisation du tronc même du lingual, un peu au dessus du point d’émergence des filets sousmaxillaires. Au contraire, la salive qui s'écoule pendant l'irritation du grand sympathique, est dense, peu limpide, et si visqueuse qu’elle sort avec peine de l'éprouvette et que le filet descend jusqu'à terre sans se briser. Cette condensation singulière de la salive sousmaxillaire au moment de l'irritation du srand sympathique, est un phé- nomène qui a été pour la première fois observé par Eckhard. Il se montre constamment, dans les mêmes conditions, chez tous les animaux qui ont été examinés à cet effet. Je me hâte d'ajouter que l'augmentation de la sécrétion, dans ce dernier cas, n’est que passagère, car si l’on con- tinue la g'alvanisation du sympathique cervical, l'écoulement au bout de peu de temps cesse tout-à-fait. La densité de là salive est quelquefois si grande que si l’on se sert de tubes d’argent, à adhérence forte, il peut arriver qu’on n'ob- tienne pas d'écoulement dutout. C’est ce qui a fait dire à certains expérimentateurs que l’irritation du grand sympa- 222 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. thique suspend, dès le commencement, la sécrétion sous- maxillaire. Notons cette double action du grand sympathique: 1° Ex- crétion d’un liquide plus dense que celui qu’on obtient par l’irritation de de la corde du tympan, et 2° après quelque temps, arrêt définitif de la sécrétion sousmaxillaire. La théorie des nerfs vasomoteurs va nous donner l'explication toute naturelle de ces deux phénomènes. Rappelons avant tout les conditions de vascularisation de la glande sousmaxillaire, observée pendant l'irritation du lingual au dessus de la corde du tympan, et des rameaux sousmaxillaires eux-mêmes. J'ai dit, et CI. Bernard a égale- ment constaté dans de nombreuses expériences, que durant cette irritation, la glande tout entière paraît plus injectée; que les artères aussi bien que les veines efférentes de l’or- gane, sont visiblement dilatées, et que ces dernières, comme Bernard l’a fait très-justement observer, charrient un sang plus rouge, en même temps qu’elles montrent des pulsa- tions isochrones à celles du cœur. Ces changements qui coïncident avec une sécrétion copieuse et non interrompue d'un liquide aqueux et limpide, ne sauraient provenir, comme Ludwig l'a prouvé, d'un resserrement des petites veines glandulaires, supposition infirmée par l'expérience directe. L’explication de tous ces phénomènes est au contraire assez aisée, comme je le démontrerai plus amplement dans la suite, si l'on admet une dilatation active des vaisseaux, c’est-à-dire, une augmentation du calibre vasculaire, pro- duite directement par l'activité de certains nerfs, bien dis- tincts des autres nerfs vasomoteurs, dont la fonction con- siste à diminuer le calibre vasculaire. Des recherches faites antérieurement sur d'autres parties du corps, m’avaient depuis longtemps fait admettre l'existence de nerfs vaso- moteurs dilatateurs, et l’analogie avec les phénomènes qui ont lieu dans la glande sousmaxillaire deviendra tout-à-fait DIXIÈME LECON. 223 évidente, lorsque J'aurai communiqué les faits physiologi- ques et pathologiques qui forment le point de départ de cette théorie. — Réservant à une autre occasion la partie démonstrative de cette exposition, j'aborde directement les applications pratiques du principe énoncé, en tant qu'il se rapporte à notre sujet. C'est la corde du tympan, et dti le rameau sousma- xillaire, qui contiennent les filets dilatateurs des vaisseaux glandulaires. L'irritation de ces nerfs, augmentant le ca- libre des vaisseaux, fait affluer à l'organe une plus grande quantité de sang, qui, dès lors, se répand dans des districts qui auparavant n'avaient pas montré d'injection. C’est ce qu'il est très-aisé de constater, en examinant à la loupe la surface de la glande pendant l'irritation; non seulement tout le système vasculaire se remplit davantage de sang, mais on voit apparaître des arborisations vasculaires là où il n’en existait pas auparavant. Même en admettant que les ca- pillaires ne participent pas à la dilatation active (je crois avoir trouvé le contraire tout récemment), on se rendra facilement compte de ces phénomènes, en considérant les effets mé- caniques de la dilatation des vaisseaux eférents. -Le diamètre de ceux-ci s'agrandissant, comme le dé- montre l'inspection directe, le frottement de la colonne sanguine avec les parois vasculaires devient moindre et l'onde liquide a plus de facilité de se propager, avec son impulsion primitive, jusque dans le système capillaire, et même au-delà. D'où, en premier lieu, l'injection plus marquée des capillaires, et en second lieu la pulsation veineuse, ob- servée par CI. Bernard. On conçoit que le frottement étant diminué dans le système capillaire, l’action intermittente du cœur puisse rester visible jusque dans le système veineux. L’artérialisation plus marquée du sang veineux et de toute la glande reconnaît les mêmes causes. En effet, la rapidité plus où moins grande de l’échange des gaz entre le sang et les éléments glanduleux dépend du contact plus ou 294 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. moins intime de la colonne sanguine avec les tissus. À mesure que les vaisseaux se dilatent, leurs parois s'éloignent de l'axe du filet sanguin; le sang donne à la substance de la glande relativement moins d'oxygène et en reçoit moins d'acide carbonique; il y a production relativement moindre de sang veineux. Mais ces éléments: dilatation active des vaisseaux, aug- mentation de la pression du sang , suffisent-ils pour nous rendre compte de la plus grande transsudation des parties liquides du sang, et de l'accélération de la sécrétion ? S'il restait des doutes à cet égard, une contrépreuve très-simple de toutes les assertions qui précèdent, nous est offerte par l'action des constricteurs vasculaires, étudiée en irritant le grand sympathique. C'est en effet le grand sympathique qui contient la ma- jeure partie des filets constricteurs qui se rendent aux vaisseaux de la glande sousmaxillaire; et il en est de cet organe comme de l'oreille du lapin où les phénomènes du resserrement vasculaire par action nerveuse ont été depuis longtemps étudiés. L'irritation des filets du grand sympa- thique qui accompagnent l'artère sousmaxillaire ou l'irrita- tion de son tronc cervical, produisent les effets inverses de la galvanisation du lingual (corde du tympan). La glande devient plus pâle, plus petite, exsangue, les petites arbo- risations capillaires, visibles dans l’état normal à la surface de l'organe, disparaissent; les veines efférentes ne montrent pas de pulsation et charrient un sang plus noir; la sécré- tion, assez copieuse au premier moment, diminue et finit par tarir complètement. Après ce qui précède, rien de plus simple que l’explication mécanique de ces phénomènes. Les vaisseaux étant plus resserrés, la friction de l’onde liquide contre leurs parois augmente; l'impulsion du cœur s’épuise avant l’arrivée du sang dans le système capillaire, d’où la pâleur de la glande et l’absence de la pulsation veineuse. Une incision superficielle de l'organe, faite dans ces condi- DIXIÈME LEÇON. 225 tions, donne très-peu de sang, tandisque pendant l’irritation de la corde du tympan , la même lésion produit une abon- dante hémorragie. Le contact du sang avec les éléments glanduleux est plus intime, d’où une plus grande rapidité de l’échange des gaz et l'aspect veineux plus prononcé de tout l'organe. Ayant ainsi traité de l’innervation de la glande sousma- xillaire, je dois ajouter quelques mots sur les nerfs «sali- vaires » de la parotide. Pour cette glande, comme pour la sousmaxillaire, nous avons à déterminer les voies de l’action réflexe par laquelle les irritations gustatives et mécaniques réagissent, en l’accélérant, sur la sécrétion salivaire. Les nerfs de la glande parotide sont: 1° Quelques filets de la branche temporo-faciale ou terminale supérieure de la VII paire, qui, partant de l’origine des rameaux nasaux ou sous-orbitaires, se distribuent dans l'épaisseur de la glande. 2° Des filets de la branche cervico-faciale, ou ter- minale inférieure de la même paire (facial), partant des ra- meaux buccaux de cette branche. 3° Les rameaux paro- tidiens du nerf temporal superficiel ou auriculo-temporal, de la cinquième paire. — Les ramuscules provenant du tri- jumeau et du facial non seulement s’anastomosent entre eux, mais encore avec 4° d’autres filets venant de la branche auriculaire du plexus cervical. Enfin 5°, des filets du grand sympathique accompagnant les vaisseaux de la glande pa- rotide. Déjà CI. Bernard avait prouvé que l’arrachement complet du facial abolit l'augmentation réflexe de la salivation pa- rotidienne, qui se produit, à l’état normal, sous l’influence des irritants gustatifs et mécaniques. Il en conclut que les nerfs qui président à cette augmentation de la sécrétion, sont originairement contenus dans le facial. On sait, d’ail- leurs, qu'après la section de la corde du tympan les fistules du conduit de Sténon montrent, comme auparavant, un écou- lement copieux, dès que, parlesirritants ordinaires, on stimule TOME PREMIER 15 226 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. la sécrétion parotidienne. Le facial fournissant à la parotide un certain nombre de filets après sa sortie par le trou stylo-mastoïdien, il pouvait paraître tout naturel d'attribuer à ces ramuscules l'influence postulée par les expériences de C1. Bernard. Mais déjà Rahn, puis CI. Bernard ont vu assez souvent, et moi-même je puis vous montrer sur un animal opéré à cet effet — que les nerfs sa/ivaires parotidiens ne sont pas contenus dans les ramifications fournies à la glande par le facial, après son issue du trou stylo-mas- toïdien. En effet, chez ce chat, porteur d’une fistule du conduit de Sténon et auquel j'ai coupé, il y a quelque temps, le tronc du facial au niveau du trou stylomastoïdien, les impressions gustatives associées aux mouvements masti- catoires provoquent un écoulement salivaire aussi abondant que chez un chat normal. On s’est donc demandé: quels sont les rameaux par lesquels le facial communique avec la parotide et qui pré- sident à son activité sécrétoire? Et déjà CL Bernard avait énoncé la supposition que ces communications devaient être cherchées à l’intérieur du rocher, dans les anastomoses que la septième paire envoie, au niveau du ganglion géniculé, à la troisième branche du trijumeau. Mais la confirmation expérimentale de cette hypothèse n’a pas été fournie à cette époque par CI. Bernard. ] D'autre part on avait vu, en irritant, immédiatement après la mort, avec de l'acide nitrique, les racines du nerf trijumeau, coupées au dessus du ganglion de Gasser, on avait vu, dis-je, se produire une augmentation de la sé- crétion parotidienne; et, partant de ce fait, on avait conclu à l'existence de nerfs salivaires parotidiens, contenus ori- ginairement dans le tronc du trijumeau. L'irritation #éca- nique, limitée très-exactement à la grande et à la petite portion des origines du trijumeau, et pratiquée sur des lapins et des chats, au moment de la mort, ne m'a jamais DIXIÈME LEÇON. 227 fourni, dans mes expériences, d'augmentation appréciable de la sécrétion parotidienne; mais , chose singulière! dès que je me servais d'irritants chimiques, cette influence se vérifiait d’une manière indubitable, et j'obtenais régulièrement l'augmentation de la salivation. Abstenons-nous toutefois de rien déduire de positif de ce dernier groupe d'observations — cette déduction ressortira clairement de ce qui suit — et voyons quels peuvent être les rameaux que le facial envoie à la parotide, si les nerfs que nous cherchons, ne sont pas les ramifications externes de la septième paire qui, comme tout le monde le sait, par- courent l'épaisseur de la glande nommée. Les seules anasto- moses dont il peut être ici question, sont les nerfs pétreux. Quant au nerf grand pétreux superficiel, il ne communique avec aucun des nerfs qui envoient des filets à la parotide; mais le nerf petit pétreux se jette, comme l’on sait, dans le ganglion otique, et ce ganglion est en communication intime avec quelques filets de la troisième branche du triju- meau, qui forment le nerf awriculo-lemporal, lequel va, en arrière du condyle de la mâchoire inférieure, vers la région parotidienne. C’est donc sur le ganglion otique et sur les nerfs qui y entrent et qui en sortent, que devaient avant tout se porter mes recherches. A cet effet j'établis, sur des lapins et des chats, des fis- tules parotidiennes permarientes, en coupant transversale- ment le conduit de Sténon et en le fixant aux lèvres de la plaie; l'excitation souvent répétée de la sécrétion par les moyens connus, quelquefois aussi l'introduction d’une sonde très-mince, suffisaient à empêcher l’occlusion de la fistule. Après avoir bien clairement reconnu et observé l’aug- mentation de la salivation parotidienne, par les irritants ordinaires, précédemment étudiés, je cherchaï, sur des chats, à atteindre et à extirper le ganglion otique. Ayant mis à nu la surface antérieure et inférieure de la caisse du tym- pan, et me dirigeant d’après le sillon situé antérieure- 228 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. ment entre la caisse du tympan et la base du crâne, je m'avançai, de ce sillon, vers l'artère méningée moyenne qui souvent fut lésée dans cette préparation. Cet acte de l'opération est très-pénible et rendu particulièrement difficile par l’hémorragie, qui est toujours assez forte, et qui né- cessite l'usage presque continuel de l'éponge. L'artère trouvée, je me dirigeais, à travers les masses musculaires de cette région, vers le point de sortie, par le trou ovale, de la troisième branche du trijumeau. C’est un peu au dessous et en dehors de ce point que se trouve le ganglion otique, petite masse rosée, de la grosseur d’un grain de pavot ou d’une petite tête d’épingle, et dont l’ex- traction n'offre aucune dificulté. Les animaux que j'avais soin de choisir assez jeunes, ne paraissaient pas beaucoup souffrir de cette opération. A leur réveil de l'éthérisation, Za fistule parotidienne ne donnait plus qu'une faible trace d'humidité, qui n'augmentait ni par les excitations qustatives de la muqueuse buccale, ni par les mouvements masticatoires. Ce résultat, déjà suffisamment évident chez les chats qui ne portaient qu'une fistule du côté opéré, se produisait d'une manière plus éclatante encore chez les animaux à fistule double. La différence que présentait la sécrétion de l'une et de l’autre glande ne laissait aucun doute à cet égard. L’inspection directe de la parotide, après l'opération, mon- trait, chez l'animal encore éthérisé, la surface de la glande devenue plus pâle, moins vascularisée que ne l'était la glande du côté non opéré, également mise à nu. La dif- férence restait appréciable pendant un ou deux jours après l'opération. Etant prouvé, par ces recherches, que le ganglion otique envoie à la parotide la majeure partie ou la totalité des nerfs salivaires (ou plutôt vasculaires ), il restait à examiner si c'est en effet le ef petit pétreux superficiel qui, recevant DIXIÈME LEÇON. | 229 les fibres en question des origines du facial, les transmet au ganglion otique. La section du nerf petit pétreux superficiel me parut impraticable chez le chat. Mais chez le lapin, ce nerf passe, pendant une courte partie de son trajet, sous la dure-mère crânienne, à la surface du rocher, tout près du bord externe du tronc du trijumeau: c’est dans ce point qu'il fallait cher- cher à l’atteindre et à le couper avec un instrument intro- duit à travers l'épaisseur du crâne. Cette opération, assurément l’une des plus délicates de la chirurgie expérimentale , fut couronnée de plein succès chez plusieurs animaux, dont l’autopsie a été faite en pré- sence du professeur Valentin, de Berne. Chez des lapins non éthérisés, à fistules parotidiennes, j'mtroduisais à travers le crâne, immédiatement en avant de l'anneau osseux qui entoure l’orifice du conduit auditif externe, un fort instrument d'acier, à-peu-près de la forme de ceux que Longet a proposés pour la section in- tracrânienne du trijumeau: avançant ensuite lentement et avec beaucoup de précaution, le long de la base du crâne, jusqu'au trijumeau, j'épiais le moment où les signes de douleur de l'animal m’avertissaient que j'étais arrivé dans le voisinage du nerf sensible qu'il s'agissait de ne pas léser. Dès que la sensibilité de l’animal se réveillait, j'arrêtais l'instrument en le retirant d'à-peu-près un demi-millimètre. Dans cette position, j'appuyais la lame fortement sur la base du crâne et je la retirais par un mouvement rapide, coupant de cette manière toutes les parties molles qui re- couvrent la partie externe et antérieure de la surface crâ- nienne du rocher. La réussite de l'opération, c'est-à-dire. la section du nerf petit pétreux superficiel, m'était annoncée immédiatement, pendant que je tenais encore l'animal et avant que j'eusse retiré l’instrument, par une très-forte salivation apparais- sant à l’orifice fistuleux. L’écoulement se maintenait, en 230 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. diminuant de plus en plus, pendant environ dix minutes, puis tarissait, comme après l’extirpation du ganglion otique chez le chat. La sécrétion, comme nous le verrons tout-à- l'heure, n'était pas complètement suspendue, mais, chose essentielle, elle ne répondait plus aux irritations qui la pro- voquent à l'état normal. Chez le chat je n’ai pas observé, au moment de l’extir- pation du ganglion otique, de salivation irritative ; cette circonstance dépend très-probablement de ce que l’opération était faite sur des animaux éfAérisés, tandis que mes lapins ne l’étaient pas. Après la section du nerf petit pétreux ou du ganglion otique, la fistule parotidienne sécrétant très-peu, avait une forte tendance à se fermer; cependant la sécrétion n'était que fortement diminuée; elle paraissait être continue, même en l’absence complète d'irritations périphériques et de mou- vements masticatoires. Il est à remarquer que lorsque les chats avaient passé quelque temps sans remuer leurs mâchoires, sans manger, sans être soumis à de fortes exci- tations gustatives, l'écoulement était nul et la glande se trouvait dans une inactivité apparente: mais, fait singulier, dès qu'après une certaine durée de ce repos apparent, on comprimait avec les doigts la parotide gonflée, la fistule lais- sait échapper une certaine quantité de liquide, un peu filant et diastatique chez les lapins, quantité en soi-même très- petite, mais relativement grande si elle était confrontée à ce que la glande sécrétait habituellement après l’opération. La provision de salive une fois exprimée, de nouvelles irritations ne faisaient plus sortir de liquide. Il en était de même si, après un repos prolongé, on provoquait des mouvements masticatoires: au premier mouvement, la sécré- tion paraissait stimulée, pour tarir aussitôt après, ou pour redevenir excessivement faible (1). En surprenant mes chats (1) Les mouvements maslicaloires agissaient, sous ce rapport, avec bien moins d'évi- dence que ne le faisait la compression directe de la glande avec les doigts. DIXIÈME LEÇON. 231 le matin, encore à moitié endormis, je trouvais l'ouverture fistuleuse absolument sèche, quelquefois recouverte d’une petite croûte; avec un peu de précaution je pouvais éloigner cette croûte sans faire sortir une quantité notable de liquide; mais dès qu'ensuite je comprimais la parotide qui était un peu gonflée, la fistule donnait abondamment. Ici encore ce n’est que la quantité de liquide emmagasinée dans la glande, qui s’échappait au premier moment de la compression , car, en répétant cette manœuvre aussitôt après, on n'’obtenait plus d'écoulement. — Il paraît donc, et ce résultat est nouveau, que l’extirpation des parties nerveuses indiquées ne produit pas seulement un affaiblissement très-notable de la sécrétion, mais aussi de l’excrétion. De cette manière nous aurions déterminé les voies intra- crâniennes et une partie des voies périphériques suivies par les nerfs csalivaires » parotidiens. D'après une expérience publiée depuis 7 ans et confirmée par Bernard, je puis ajouter que la section du nerf auriculo-temporal, pratiquée un peu au dessous de son origine de la troisième branche du tri- jumeau, est suivie des mêmes résultats. En terminant, je ne puis passer sous silence une observa- tion intéressante que j'ai eu l’occasion de faire à deux re- prises sur des lapins auxquels j'ai coupé le nerf petit pétreux. Avant l'opération je fis, dans la partie antérieure de la parotide, une petite incision qui lésa quelques vaisseaux superficiels et produisit une légère hémorragie, très-prompte à se renouveler, lorsqu'avec l'éponge on essuyait le sang épanché. Aussitôt après la section du nerf petit pé- treux et au moment même de l'opération, l’hémorragie devint considérablement plus forte et persista pendant 7 à 8 minutes: dès ce moment et simultanément avec la ces- sation de la salivation irritative, l’écoulement de sang cessa et ne fut plus renouvelé par l'éponge. Aiï-je besoin, après avoir appelé votre attention sur la très-petite distance qui sépare le trijumeau de la portion 232 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. intracrânienne du nerf petit pétreux, de revenir sur l’expli- cation des causes qui, dans quelques cas, ont pu produire une salivation irritative de la parotide, alors que des irri- tations mécaniques mal localisées ou des excitants chi- miques, à diffusion facile, étaient portés sur le tronc du trijumeau ? La plus grande partie des expériences que je viens de vous communiquer, ont été publiées, dès 1859, dans mon Traité de la Physiologie du système nerveux et musculaire (pag. 393-398). Ce n’est que deux ou trois ans plus tard que CI. Bernard confirma expérimentalement, de son côté, la supposition autrefois émise par lui-même, que le nerf petit pétreux, le ganglion otique et l’auriculo-temporal inter- viennent activement dans les phénomènes de la sécrétion parotidienne (1). Il a vu, comme nous, que la section isolée de l’auriculo-temporal, section qu’il n’a pu pratiquer qu’après une longue préparation, abolit définitivement la salivation réflexe des parotides. (4) Sur la foi d'une communication orale erronée qui nous fut faile en 1858 par un médecin de Paris auquel nous avions parlé de nos expériences, nous avions annoncé, dans le paragraphe de notre (raité relatif à celle question, que M. CI. Bernard venait d'observer, à la suite de l’extirpation du ganglion olique , l'arrêt de la sécrétion paroti- dienne. La publication de l’article de M. CI. Bernard, dans la Gazette médicale de Paris 4860, N° 43, prouva que ses recherches étaient postérieures à la date que nous avions indiquée et à nos propres recherches. ONZIÈME LEÇON. Sommaire : Théorie de la dilatation active des vaisseaux. — Exporiences sur l'oreille du lapin. — Systole et diastole de l'artère auriculaire centrale, phénomène indépendant du cœur et démontré inexplicable par l’action seule des nerfs vasomoteurs constricteurs. — Différences entre l'hypérémie névroparalytique et l’hypérémie active. — Dilatation ac- tive des vaisseaux de l'oreille, produite par l'irritation du tronçon central du nerf au- riculo-cervical coupé. — Dilatation vasculaire active, consécutive aux irrilations méca- niques de l’oreille, après la section de tous ses nerfs. — Hypérémie active de l'oreille par l'effet de la chaleur et des excitants généraux : absence de cette hypérémie du côté où le sympathique est coupé. — Dilatation active produite par l'irritation directe du ra- meau auriculaire de la cinquième paire. Messieurs , J'ai touché, dans la dernière leçon, à la question des nerfs vasomoteurs, et la glande sousmaxillaire, étudiée au double point de vue de sa sécrétion et de sa vascularisation, nous a montré un curieux antagonisme entre l’action des deux nerfs qui se distribuent à ses vaisseaux. Nous avons vu, en irritant les rameaux sousmaxillaires du lingual (provenant de la corde du tympan), une dilatation de tous les vaisseaux de la glande, coïncidant avec une augmentation considérable de la sécrétion, et j’ai appelé cette dilatation active, c’est-à- dire produite directement par l’état excité de certains nerfs, excluant de cette manière, comme il importe de le remar- quer, l'hypothèse d’une paralysie momentanée ou d’un épui- sement des nerfs vasomoteurs constricteurs, les seuls admis depuis les travaux de Stilling.— Les nerfs constricteurs des vaisseaux glandulaires, nous les avons reconnus dans les filets du grand sympathique, accompagnant les vaisseaux 234 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. de la sousmaxillaire; en effet, l'irritation du tronc cervical du grand sympathique, comme vous avez pu le voir, a été suivie d’un resserrement des vaisseaux; la glande, de plus en plus anémique, a sécrété d’abord un liquide dense, pauvre en eau, et en continuant l'irritation, nous aurions assisté à l'arrêt complet de la sécrétion. La thèse de la dilatation active des vaisseaux, que des travaux antérieurs m'avait fait admettre depuis longtemps et dont les premières indications se trouvent dans mes Etudes névrologiques, parues en 1854, touche de si près à plusieurs des questions les plus importantes de la pathologie et de la physiologie, que je ne juge pas inutile d'entrer, à ce sujet, dans quelques développements, rendus nécessaires d’ailleurs par les interprétations erronées qu’on a, à plusieurs reprises, essayé de donner des phénomènes sur lesquels a été fondée la théorie de la dilatation vasculaire active. En prévision d’une démonstration que va exiger cette étude j'ai coupé, il y a peu d’instants, au lapin que voici, le sym- pathique cervical du côté gauche: l'oreille gauche de l’a- nimal, comme chacun de vous peut s’en assurer, et con- formément aux observations de CI. Bernard, est plus rouge et plus chaude que celle du côté droit; ses vaisseaux sont visiblement dilatés et l'élévation de sa température, com- parativement à celle de l'oreille droite, se constate sans thermomètre, au simple toucher. Je mettrai ce lapin, pen- dant quelque temps, dans un bain d'air chaud (étuve), à une température de 30 à 40 degrés, et nous l’examinerons plus tard. Messieurs, la dilatation vasculaire que nous venons d'ob- server, est un phénomène essentiellement différent de l’hy- pérémie de la glande sousmaxillaire, au moment de l'irrita- tion de la corde du tympan. La première est un phénomène essentiellement paralytique, la seconde le résultat de l’acti- vité de certains nerfs que nous savons être contenus origi- nairement dans la septième paire. ONZIÈME LECON. 235 Mais cette dilatation active est-elle admissible, aux termes de la doctrine généralement reçue des nerfs vasomoteurs ? D'après cette doctrine, telle qu’elle nacquit des recherches de Henle et surtout de Stilling à qui nous devons la dési- gnation de nerfs vasomoteurs, les seuls éléments anatomi- ques du système vasculaire, qui soient accessibles à l’action nerveuse, sont les muscles circulaires de la tunique moyenne des vaisseaux. Ces fibres, en effet, sont les seuls appareils contractiles qui jusqu'à-présent aient été reconnus avec certitude dans les vaisseaux. L'activité des nerfs que l’on voit se distribuer aux fibres circulaires, ne saurait donc avoir pour résultat que la cons- triction, que la diminution de calibre des vaisseaux. Cette contraction existe aussi, à un degré moins marqué, dans l'état de repos et constitue alors ce qu’on est convenu d’appeler la donicité, propriété qui se retrouve dans d’autres tissus contractiles de l'organisme, habituellement en état de con- traction légère ou tonique. — Elle cesse dès que le nerf vasomoteur est paralysé ou séparé de son centre. Comme on le voit, la seule dilatation vasculaire qui, d’après cette théorie, puisse être rapportée directement à une mo- dification de l'influence nerveuse, est celle qui résulte d’une suspension d'action ou d’une paralysie des nerfs vasomo- teurs. Nous connaissons, pour une foule d'organes, les con- séquences de l’Aypérénie névro-paralytique. C'est d’abord constaminent, pour les organes périphériques, une é/évation de la température qui s'explique par la plus grande masse de sang circulant dans l'organe. De plus, à la dilatation vasculaire névro-paralytique succèdent très-fréquemment des altérations de la nutrition. Ces altérations n'ont pas pu être constatées, jusqu'àa-présent, dans tous les tissus; mais les recherches que j'ai instituées à cet effet, m’en ont démontré l'apparition constante dans les poumons, dans les os, dans le tissu cellulaire, dans la cornée, dans le pénis. Je l’avais vue, depuis longtemps, dans la muqueuse stoma- 23% PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. cale et nous aurons à revenir, avec plus de détails, à ce sujet, en traitant de l’innervation de l'estomac. Plus récem- ment j'ai prouvé que pour que cette altération de la nu- trition se manifeste comme production pathologique, il faut qu'aux effets immédiats de l’hypérémie névro-paralytique vienne s’ajouter un léger érritant mécanique local (1). CI. Bernard, transportant en France une théorie depuis longtemps connue et vulgarisée en Allemagne, reprit, en 1851, les expériences sur les nerfs vasculaires. Ses premières recherches furent faites sur l’oreille du lapin et du chien, organes membraneux particulièrement favorables à ce genre d'observations par leur translucidité et par l’absence d’une source d'erreurs dont il a été question déjà à propos des glandes salivaires, je veux dire : la compression des vais- seaux par les contractions musculaires. CL. Bernard, ayant coupé le sympathique cervical, obtint constamment une dilatation des vaisseaux de l'oreille et de la face du côté correspondant, avec augmentation de la chaleur. Mais Ber- nard ne reconnut pas alors la relation que ces phénomènes ont entre eux ni leur dépendance directe de la paralysie vasculaire. Depuis longtemps quelques observations, du ressort de la pathologie, ne semblaient pas s'adapter à la manière de voir usuelle. Déjà Stilling avait été frappé par certains phé- nomènes, tels que la rougeur congestive et la salivation qui accompagnent quelquefois la névralg'ie faciale. Sentant bien la difficulté de ranger ces phénomènes dans la caté- gorie des paralysies, il préférait avouer l'impossibilité où il se trouvait de les expliquer par les données de sa nouvelle théorie. L'opinion qu'il exprima alors, savoir que la rougeur (1) Maus. Scmirr, Influenza della midolla spinale nei nervi vasomotori delle estremità (1 Morgagni, 1864). Relalivement à la cornée ce résultat avait déjà élé publié dans le rapport annuel de Cannstadt 1858, et dans une thèse de Hausser publiée sous ma direc- lion. Paris, 1858. Du reste Virchow avait déjà entrevu ce fait, mais sans le prouver par l'expérience directe. ONZIÈME LEÇON. 237 congestive devait reposer sur un mécanisme encore inconnu et différent de celui de la rougeur paralytique, était par- faitement fondée, comme nous le verrons incessamment. Ce fut l'observation attentive de l’oreille normale du lapin qui me conduisit, de mon côté, à formuler pour la première fois, d'une manière plus positive, l'hypothèse de la dilata- tion active des vaisseaux. Si, sur le lapin normal que voici, nous observons, pendant quelque temps, l'artère principale qui se dessine sur le pavillon de l’oreille, tenu contre la lumiére et étalé sans en comprimer les vaisseaux, nous ne tarderons pas à voir que le diamètre de l'artère ne reste pas toujours le même et que le tronc vasculaire montre, dans toute sa longueur, des alternatives dé dilatation et de constriction, se succédant lentement et non isochrones avec les battements du cœur. Ces changements rythmiques de l’état de réplétion de l’ar- tère reproduisent une véritable diastole et systole, indépen- dante, je le répète, des pulsations du cœur et beaucoup plus lentes que ces dernières. Tandis que le cœur du lapin se contracte, en moyenne, 220 fois par minute, la systole au- riculaire n’a lieu que de 2 à 8 fois dans le même temps, comme il résulte des observations que j'ai faites sur un très-crand nombre d'individus. Le lapin et le lièvre sont, jusqu'ici, les seuls mammifères dont l'oreille m'’ait présenté cette espèce de cœur.accessoire et périphérique, qui mani- feste son activité d’une manière bien évidente sur l’animal que vous avez sous les yeux. Remarquez encore, messieurs, que la diastole de l'artère principale ne coïncide, en aucune façon, avec un resserrement des veines efférentes de l'oreille; au contraire, au moment de la dilatation artérielle, tous les vaisseaux visibles de l'organe sont plus fortement injectés. Il serait donc erroné de vouloir chercher la cause du phénomène dans une stagnation momentanée du sang, car celle-ci ne pourrait être causée que par une constriction soit des capillaires périphériques, soit des veines elles-mêmes 238 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. qui, de cette manière, empêcherait l'onde sanguine de se propager normalement. Que le rétrécissement ait lieu dans les capillaires ou dans les veines, toujours est-il que le système veineux devrait contenir moins de sang, à mesure que le système artériel s’en remplirait davantage; mais l'observation directe montre que pendant tout le temps de la diastole artérielle, les veines de l'oreille ne sont ni vides ni rétrécies, et qu'au contraire elles sont plus dilatées qu’au moment de la systole de l'artère centrale. Ces faits permettent de conclure que la dilatation des vaisseaux auriculaires ou bien consiste en un relâchement passif, succédant à la constriction (qui seule serait de na- ture active), ou bien que la dilatation comme la constriction sont toutes deux de nature active, c'est-à-dire produites par l’activité de nerfs vasculaires antagonistes. La preuve que le phénomène en question dépend bien réellement des nerfs, c'est que si l’on coupe les nerfs vas- culaires de l'oreille, le mouvement rythmique des vaisseaux auriculaires cesse immédiatement et ne se reproduit plus dans sa régularité primitive, à moins qu'il n’y ait régéné- ration des nerfs. Notons toutefois le fait, analogue d’ailleurs à ce qui s’observe aussi sur les muscles striés paralysés (1), que quatre à cinq jours après la section des nerfs vaso- moteurs, on voit très-communément se déclarer des mou- vements #rréguliers et presque continuels des vaisseaux de l'oreille ; il survient des constrictions locales, n’occupant jamais la totalité du canal artériel ou veineux et ne se pro- pageant pas à la manière des mouvements péristaltiques comme dans l’état normal; l’oreille, à cette période, présente des îlots irréguliers de vaisseaux dilatés et de vaisseaux contractés, et les variations de diamètre de ceux-ci, bien que notablement plus lentes pour chaque point que l’on (1) Spécialement de la langue, aprés la section du nerf hypoglosse — (Voy. M. ScHIFr, Sur la paralysie motrice de la langue. Archives de Tubingue, 1851). ONZIÈME LEÇON. 239 observe, paraissent néanmoins, pour la totalité des vaisseaux, plus fréquentes qu'avant l'opération. J'ai dit que la diastole auriculaire normale, que nous sa- vons actuellement être le résultat d’une action nerveuse, provenait soit d’un relâchement passif, soit d’une dilatation active du vaisseau. Examinons la valeur de la première de ces suppositions. Si la dilatation est un phénomène purement passif, un simple relâchement des fibres circulaires des vaisseaux, l'oreille, après la section de tous les nerfs vasomoteurs, devra montrer un degré de dilatation vasculaire plus pro- noncé ou du moins aussi prononcé que pendant la diastole régulière de son artère principale. Cette conséquence se vérifie en effet pour les deux ou trois premiers jours qui suivent l'opération. La dilatation, au premier moment de la paralysie, est plus grande que celle qui alterne rythmi- quement, à l’état normal, avec l'état de constriction. Mais si l’on continue à observer le diamètre des vaisseaux auri- culaires pendant trois ou quatre jours, on voit la dilatation diminuer sensiblement, malgré la persistance de la para- lysie nerveuse. Elle diminue au point que les vaisseaux paralysés n’atteignent plus le diamètre des vaisseaux du côté sain, observés au moment de leur diastole. Cette dif- férence peut étre constatée pendant plusieurs mois consé- cutifs et en l'absence de toute régénération des nerfs. A l'exception des deux premiers jours, on voit constamment les vaisseaux du côté lésé moins dilatés que ceux du côté sain, pendant leur diastole normale. Le maximum de dila- tation qui succède immédiatement à la section des nerfs, ne peut done pas être causé uniquement par la paralysie, et il doit entrer, dans la production du phénomène, un élé- ment de plus, dont les effets sont passagers et qui, au bout de deux ou de trois jours seulement, laisse apercevoir, dans sa pureté, la dilatation paralytique proprement dite. Dès l'élimination de cet élément que je n’ai pas besoin de dé- 240 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. finir pour le moment, l’état paralytique des vaisseaux se maintient au même degré, pour un temps indéfiniment long, avec les légères variations que j'ai indiquées tout-à-l'heure. Le point essentiel qui ressort de ces faits, c’est que la paralysie vasomotrice complète est un obstacle à la produc- tion du maximum de dilatation, tel qu'il existe pendant la diastole normale des vaisseaux auriculaires. Or un phénomène qui est empêché de se produire dans sa tota- lité par la paralysie des nerfs, ne peut pas être un phéno- mène purement passif, et doit nécessairement dépendre, en partie, d'un éfat actif des nerfs coupés. De cette manière nous pouvons exclure, à coup sûr, la première de nos sup- positions, énoncées au début. Même si, à l'aide de courants galvaniques d'induction, on produit dans l'oreille paralysée une constriction passagère des vaisseaux, cette constric- tion n’est pas suivie d’une dilatation aussi forte que l’est celle des vaisseaux de l'oreille saine au moment de leur diastole. Donc la diastole plus prononcée de l'artère du côté sain ne doit pas sa supériorité à la fatigue produite parla contraction antérieure. — L'étude de la distribution et des sources des nerfs vasomoteurs auriculaires va nous fournir d’autres preuves, plus évidentes encore, à l'appui de: notre thèse. L'oreille du lapin reçoit trois ordres de nerfs qui nous intéressent plus particulièrement, au point de vue de leurs fonctions vasomotrices. Ce sont: 1° les filets du grand sym- pathique, ayant leur source dans le ganglion cervical su- périeur; 2° la branche auriculaire du plexus cervical, ordi- nairement décomposée en un rameau auriculaire externe et interne; 3° des rameaux provenant du facial et du trijumeau, formant presque constamment une anastomose avant leur entrée dans l'oreille. — Je ne cite qu’accessoirement le ra- meau auriculaire du pneumo-g'astrique auquel nous n’aurons pas à nous arrêter: Nous connaissons déjà les effets de la section du grand sympathique cervical. De ce que, dans la grande majorité ONZIÈME LECON. 24; des cas, sa paralysie dilate et de ce que l'irritation de son bout périphérique contracte les vaisseaux auriculaires, on a conclu que le grand sympathique est par excellence le nerf vasomoteur (constricteur) de l'oreille. Je démontrerai que non seulement les filets sympathiques ne renferment pas tous les nerfs vasculaires de l'oreille, mais que nous ne sommes pas même en droit d'attribuer à ces filets des fonctions exclusivement destinées à produire la constriction des vaisseaux. Il est parfaitement juste de dire que les filets constricteurs prévalent dans le grand sympathique, mais rien ne prouve qu'il n’en renferme pas d'autres, ayant la fonction opposée. La branche auriculaire cervicale exerce sur les vaisseaux de l’oreille une action qui, au premier abord, paraît identique à celle du grand sympathique. Sa section produit la dilata- tion, et l’irritation de son bout périphérique la constriction vasculaire. La dilatation consécutive à la paralysie de la branche auriculaire cervicale est, au commencement, tout- à-fait analogue à celle qui se montre après la section du grand sympathique; mais ce qui l’en distingue, c'est son peu de durée. Cinq à six heures après la section du sympathique cervical, le diamètre des vaisseaux dilatés n’a pas varié, dans la majorité des cas. Trois à quatre heures après la section de l’auriculo-cervical, la dilatation est fortement diminuée ou a entièrement disparu chez les animaux faibles. Cette différence toutefois n’est pas absolue, car on rencontre des cas, rares, il est vrai, dans lesquels on observe la même diminution des phénomènes après les deux opérations indi- quées. Quelle que soit d’ailleurs la différence observée, tou- jours n'est-elle que quantitative et non qualitative, j'insiste sur ce point, parce que, dans les derniers temps encore, on a voulu — passez moi l'expression — monopoliser l’action vasomotrice du grand sympathique et refuser la même pro- priété aux autres nerfs de l’org'anisme. C’est ainsi que par un sophisme inadmissible on a tenté d’expliquer l’action de TOME PREMIER 16 242 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. la corde du tympan sur la glande sousmaxillaire, par cer- taines anastomoses du facial avec un filet sympathique, dans lequel on a également voulu voir la source de la corde du tympan. Voici un lapin auquel j'ai coupé, il y a environ 5 heures, la branche auriculaire cervicale du côté gauche. L’oreille correspondante montre encore une trace de dilatation vas- culaire et sa température est un peu plus élevée que celle de l'oreille saine, phénomènes qui étaient très-prononcés immédiatement après l'opération. J'ai isolé, au moyen d’un fil, la partie périphérique du nerf coupé; j'irrite son extré- mité en la comprimant entre mes doigts; aussitôt l'oreille devient plus pâle. L’irritation plus forte, avec un appareil d’induction, fait paraître les vaisseaux de l’oreille presque exsangues et diminue sensiblement la température de tout l'organe. L'action vasomotrice du nerf auriculaire cervical, sur la- quelle , après cette expérience, il ne saurait y avoir le moindre doute,aété attribuée à ses anastomoses avec legrand sympathique. Cette opinion est réfutée par deux faits. En premier lieu on peut entièrement priver l’auriculaire de ses filets sympathiques, en détruisant une partie du tronc du sympathique cervical, avec le ganglion cervical supérieur. Si, après cette opération, on laisse s’écouler huit à dix jours, c’est-à-dire plus que le temps suffisant pour que les filets paralysés aient perdu toute excitabilité, on peut ré- péter, avec le même succès, l'expérience sur le nerf auri- culaire, sans observer la moindre modification de ses pro- priétés vasomotrices. J'ai noté des cas où ces propriétés se manifestaient même avec plus d’évidence du côté où le sym- pathique manquait. En second lieu, si l’on coupe les racines de la branche au- riculaire, à leur sortie de la moëlle, et avant leur jonction avec les filets sympathiques, les phénomènes décrits plus ONZIÈME LEÇON. 243 haut sont encore les mêmes. J’ai fait cette expérience trois fois avec un égal succès. Nous avons vu que quelques heures après la section de la branche auriculaire, l'injection de l'oreille diminue. Si l'on attend qu’elle soit entièrement passée et qu’alors on irrite le bout central du nerf coupé, ou, en d’autres termes, si l’on fait sur le système nerveux central une impression équivalente à une forte irritation des terminaisons périphé- riques du nerf coupé, — on observe régulièrement une forte dilatation des vaisseaux de l'oreille. Cette expérience cu- rieuse réussit toujours, pourvu que la douleur de l’animal ne soit pas assez forte pour interrompre momentanément l'action du cœur. Toutes les fois que par l'excès de la douleur le cœur suspend ses battements, la dilatation est précédée d’une anémie presque complète de tous les vais- seaux des deux oreilles et il faut attendre de 8 à 10 se- condes pour voir s'établir l’hypérémie du côté opéré. On évite facilement cet inconvénient, en interceptant d'avance la voie par laquelle l’irritation réflexe se transmet au cœur, c'est-à-dire, en arrachant les nerfs spinaux ou accessoires de Willis. Parlons de la dilatation vasculaire qui succède à l'irri- tation sensible centrale. Il est évident que nous avons à faire ici à un phénomène nerveux et non à une injection d'origine locale ou mécanique, comme on a essayé de le statuer par exemple pour la roug'eur inflammatoire et pour les hypérémies cutanées, suite d'irritations mécaniques et galvaniques, injections que certains auteurs ont mises sur le compte de modifications locales des tissus. Ces suppo- sitions sont exclues, puisque nous avons agi directe- ment sur le tronc nerveux, à distance des tissus où s’est manifestée l'influence vasomotrice. — La dilatation vascu- . laire ne reconnaît pas non plus pour cause une constriction des veines efférentes de l'oreille, amenant à sa suite une augmentation de pression et une stagnation du sang ar- 244 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. tériel, car si l’on met à nu les veines auriculaires jusqu’à leur jonction avec la jugulaire, on les voit prendre part à la dilatation dans tout leur trajet et la pression du sang veineux, controlée au manomètre, augmenter durant tout le temps de l’irritation nerveuse. L'augmentation de pression se démontre même sans manomètre, à l'aide d’une petite incision pratiquée dans la veine; l'hémorragie qui en ré- sulte, augmente manifestement, au moment de l’irritation, ou recommence aussitôt, si l’on attend, pour irriter le nerf, qu'elle ait cessé spontanément. Comment expliquer le mécanisme de cette dilatation, con- sécutive à l’irritation centrale de l’auriculaire, et n’appa- raissant que du côté opéré, même dans les cas où elle est momentanément précédée d’une apparente coustriction de tous les vaisseaux des Jeux oreilles? Le fait de la constriction préalable des vaisseaux, dont j'ai déjà indiqué la veritable signification, a suggéré à Donders l'hypothèse suivante: L’irritation centrale, trans- mise aux nerfs vasomoteurs constricteurs, encore intacts , déterminerait dans ceux-ci une activité exagérée, se tra- duisant d’abord par l’anémie des vaisseaux de l'oreille, et passant ensuite à l'épuisement. La dilatation vasculaire ne serait ainsi que l'expression d’une paralysie momentanée des constricteurs, suite d'un excès d'activité. Il y a plusieurs arguments à opposer à cette manière de voir. Premièrement, toutes les fois que la dilatation est précédée de constriction, celle-ci se montre dans les deux oreilles à la fois, bien que la dilatation consécutive ne se prononce distinctement que dans l'oreille du côté opéré. L’anémie bilatérale dépend, comme nous l'avons vu, d’un arrêt passager de la circulation, puisque la section des nerfs spinaux qui constituent la voie par laquelle les actions ré- Jfiexes « arrestatrices » se transmettent au cœur, l'empêche dans tous les cas de se produire. Secondement, même en admettant, avec l'hypothèse de Donders, une constriction ONZIÈME LEÇON. 245 tellement instantanée et tellement fugace qu'elle échappe à l'observation, on ne comprendrait pas comment il pour- rait s’en suivre un épuisement capable de se maintenir pendant plusieurs minutes, épuisement que j'ai vu durer quelquefois jusqu'à une demi-heure, chez le cochon d'Inde. D'ailleurs, si l’on applique aux nerfs vasculaires constricteurs une irritation d'une force telle qu’elle ait pour résultat une dilatation des vaisseaux par épuisement, cet état ne se main- tient que pendant un temps extrêmement court, quelques secondes au plus. On peut galvaniser des vaisseaux pendant 10 minutes de suite et les voir revenir à l’état normal, presque aussitôt qu'on a cessé l’irritation. En irritant très- énergiquement la partie périphérique soit du sympathique, soit de l’auriculaire coupés , afin de produire le maximum de constriction vasculaire possible, on devrait, selon la théorie de Donders, voir survenir une dilatation consécutive beaucoup plus prononcée qu'après l’irritation du bout central de l’auriculaire; mais c'est le contraire qui a lieu; cette di- latation par épuisement est bien loin d'être aussi intense et aussi prolongée que celle qui suit l’excitation centrale. Ayant ainsi exclu toutes ces causes: modification locale des tissus, constriction des veines, épuisement des con- stricteurs, nous sommes forcément reconduits à notre thèse de la dilatation active, c’est-à-dire, d’une hypéremie pro- duite directement par action nerveuse. Les filets dilatateurs sur lesquels réagit l'excitation sensible centrale, devront être cherchés soit dans le sympathique, soit dans les autres nerfs qui, à l'exclusion de la branche auriculaire du plexus cervical, se distribuent aux vaisseaux de l'oreille. Examinons maintenant le lapin que j'ai enfermé à l'étuve au commencement de la lecon et dont l'oreille gauche montrait, d'une manière si évidente, l'hypérémie névropa- ralytique consécutive à la section du grand sympathique cervical du même côté. L'animal ne paraît pas altéré par le séjour prolongé à l’air chaud, ses mouvements sont normaux 246 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. et vigoureux; rien chez lui n'indique l’existence d’un état maladif. L'examen simultané de la vascularisation des deux oreilles nous fournit, au premier coup d’œil, un résultat in- téressant. Ce n’est plus l'oreille gauche qui a les vaisseaux les plus dilatés, mais l’injection et avec elle l'élévation de la température prévalent très-distinctement du côté droit. Par le réchauffement de l’animal, nous avons interverti les conditions primitives. L’oreille gauche, il est vrai, montre encore ses vaisseaux plus injectés qu’à l’état normal, mais la différence est entièrement en faveur du côté droit où le sympathique n’est pas coupé. De quelle manière la chaleur a-t-elle pu agir dans cette circonstance ? La température à laquelle l'animal a été exposé, n'était pas supérieure à celle de son sang et n’a pas produit de désordres généraux qui pourraient compliquer nos résultats. Si nous avions fait l'examen des deux oreilles un quart d'heure plus tôt, nous aurions vu d’abord l'injection et la chaleur égalisées des deux côtés; plus tard, sans que la di- latation du côté opéré ait diminué, nous avons constaté une chaleur et une vascularisation beaucoup plus prononcées du côté non lésé. J’ai noté jusqu'à 3 degrés centigrades de différence entre les deux oreilles, dans les mêmes circons- tances. Si l'oreille du lapin, à l’état normal, avait de 31 à 32 degrés cent., sa température s'élevait à 38° après la section du grand sympathique. L’exposition prolongée de l'animal à une température d'environ 36° ne changeait rien à la température de l'oreille lésée, qui continuait à accuser environ 38°; mais du côté non lésé, le thermomètre montait jusqu'à 40 et 41 degrés. L’injection augmentait parallélement à la température. Chercherons-nous la raison du phénomène dans l’action de la chaleur sur les mouvements du cœur et dans le ren- forcement ou la plus grande fréquence de ses contractions? En admettant cette supposition, la dilatation observée serait ONZIÈME LEÇON. É 247 un phénomène passif et devrait se prononcer avec plus d'évidence dans les vaisseaux soustraits à l'influence de leurs nerfs constricteurs. Dans ceux-ci le sang, ayant à vaincre une résistance moindre, se serait accumulé davan- tage et c’est du côté paralysé qu’aurait dû se montrer le maximum de dilatation. Or c’est le contraire que nous avons vu s'effectuer. Ce n’est donc ni la plus grande force ni la plus grande fréquence des battements du cœur que nous pourrons invoquer Comme causes directes et méca- niques de la dilatation du côté sain. Par la même argumentation on élimine l'hypothèse d’une paralysie vasomotrice périphérique, suite de l’action locale de la chaleur. Même en admettant qu'il y ait encore des nerfs vasculaires à paralyser du côté où manque la sym- pathique, la chaleur ne pourrait amener, dans le cas le plus favorable à l'hypothèse, qu'une égalisation de l'injection des deux côtés. Jamais nous ne verrions la dilatation vas- culaire outrepasser cette limite du côté sain. Comme c’est néanmoins ce dernier cas qui se réalise, nous sommes bien obligés d'admettre que la dilatation est favorisée, du côté non lésé, par une cause quelconque qui n’existe plus après la section des nerfs. Peut-être, dira-t-on, les filets sensibles du sympathique étant conservés du côté sain , il existe, pour l'oreille non lésée, la possibilité d’une dilatation vasculaire réflexe, pos- sibilité abolie du côté opéré. L'irritation de ces filets sen- sibles par la chaleur déterminerait une dépression de la moëlle allongée, centre de tous les nerfs vasomoteurs de l'oreille, et cette dépression se traduirait par le relâchement des vaisseaux du côté sain seulement, puisque l'irritation sensible, selon l'hypothèse, est nulle du côté lésé, par suite de la section du grand sympathique. Nous savons en effet qu'il existe des irritants qui, au lieu d'augmenter l'action réflexe de la moëlle, la diminuent, l’enraient, et, en vertu du même principe, la dilatation vasculaire consécutive à la 248 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. surexcitation centrale, pourrait être attribuée à une espèce de paralysie réflexe des constricteurs. Dans notre cas par- ticulier, c’est la chaleur qui aurait produit la surexcitation centrale et l’hypérémie névroparalytique réflexe du côté sain, et rétrospectivement nous pourrions appliquer la même objection à l'expérience discutée précédemment, c’est-à-dire à l'hypérémie se produisant après l'irritation du bout cen- tral de la branche auriculo-cervicale, dans l'oreille du même côté. Voyons quelle peut être la valeur de cette objection pour les deux cas dont il s’agit. S'il est vrai que la moëlle allongée contient les racines de tous les nerfs vasomoteurs de l'oreille (et de nombreuses expériences ne laissent aucun doute à cet égard), une dé- pression du centre devra nécessairement se traduire par une cessation d'action de tous les nerfs vasomoteurs au- riculaires, cessation équivalente par conséquent au ma- ximum de dilatation passive. Or si l’on coupe fous les nerfs qui envoient des ramifications dans l'oreille, c’est-à-dire le sympathique, la branche auriculaire du plexus cervical, le trijumeau, le facial et le pneumog'astrique, et qu’on laisse passer l'excitation périphérique momentanée qui résulte de cette opération, les irritants mécaniques locaux, appliqués à l’oreille, sont encore capables d'augmenter sensiblement la dilatation vasculaire, suite de la paralysie totale de l'or- gane. Toute action réflexe est exclue dans cette expérience. Preuve de plus de l'existence d’une dilatation active, se manifestant, dans les conditions indiquées, grâce à l'irri- tation locale des terminaisons périphériques des filets dila- tateurs (1). — D'ailleurs l'hypothèse d'une action réflexe, (1) Cette expérience rend excessivement probable l'hypothèse que la rougeur de la peau, provoquée par les irritants locaux, n'est pas, comme l’admetlait Henle, suile d’une pa- ralysie réflexe des nerfs vasculaires constricteurs, ni d’un resserrement des vaisseaux efférents, supposition réfutée par l'observation directe, mais est l'effet direel de l'irritation locale des nerfs dilatateurs. ONZIÈME LEÇON. 249 transmise par les filets sensibles du grand sympathique aux centres et de là aux vaisseaux de l'oreille, peut être directement réfutée; car si l’on galvanise l’extrémité cen- trale du sympathique coupé, on n’observe pas d’augmen- tation de calibre des vaisseaux auriculaires. Après ces considérations, est-il besoin d'ajouter que pour l'expérience du lapin réchauffé à l’étuve, la supposition d'une hypérémie réflexe de l'oreille non lésée ne fait que tourner la difficulté? Il est clair que si l’on admet d’un côté une action réflexe dépendant des filets sensibles du sympathique, on ne saurait refuser la même propriété aux autres nerfs sensibles auriculaires qui n’ont pas été lésés du côté opéré. Il resterait donc à expliquer pourquoi, dans l'oreille soustraite à l’innervation du grand sympathique, là chaleur n’exerce pas sur la vascularisation g'énérale de l'organe une influence analogue par l'intermédiaire des au- tres nerfs sensibles restés intacts (1). Je ne mentionnerai qu'accessoirement un dernier mode d'explication que l’on pourrait être tenté d'appliquer à la dilatation vasculaire observée dans l'expérience qui nous occupe. La chaleur, objectera-t-on, agit sur les #roncs vei- neuæ encore contractiles d’un côté, paralysés de l’autre. Contrairement à l'hypothèse discutée précédemment, selon laquelle la chaleur paralyserait les ramifications vaseu- laires, par action locale, nous aurions ici l'effet contraire: l'irritation et la contraction des vaisseaux efférents. Vous voyez, messieurs, que ce raisonnement nous ramène, par un autre chemin, à la supposition déjà écartée d’un obs- tacle circulatoire dans le système veineux. Je me suis convaincu de l’inexactitude de cette manière de voir, non seulement en mettant à nu les veines de l'oreille, jusqu’à (1) D'ailleurs il est .à remarquer que l'effet de l'expérience aurait élé le même, si au lieu du sympathique seul on avait coupé d’un côté tous les nerfs vasomoteurs de l'oreille externe. Le maximum de l'effet d’une paralysie réflexe ne peut aller au delà de l’effet de la section de tous les nerfs. ° 250 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. leur jonction avec la jugulaire, mais en les faisant saigner. Je répète que jamais je n'ai vu la moindre constriction, mais l'effet contraire; de plus les veines de l'oreille saine qui, avant le réchauffement de l'animal, saignaient beau- coup moins que celles du côté opposé (où manquait le sympathique), donnaient d’abondantes hémorragies, dès que l'action de la chaleur se traduisait par la dilatation vascu- laire. En définitive, aucune des théories qui considèrent le sym- pathique comme un nerf exclusivement constricteur, ne saurait nous rendre compte du phénomène de la dilatation vasculaire produite par l'effet de la chaleur dans l'oreille non lésée. Toutes les hypothèses, débattues dans les consi- dérations qui précèdent, viennent se heurter contre ce fait que la paralysie des filets sympathiques auriculaires crée un obstacle à la production du maximum de dilatation vasculaire, maximum que l'on voit au contraire se réaliser dans l'oreille normalement innervée. La chaleur n’est pas le seul agent capable de produire l'interversion de l’état vasculaire des deux oreilles : toutes les causes d’excitation générale qui, chez l'animal, déter- minent une accélération momentanée ou persistante de la circulation (comme le mouvement actif, la course, les impressions vives, la fièvre traumatique ou septique), repro- duisent l’hypérémie de l'oreille saine, toujours de beaucoup supérieure à l’hypérémie passive de l’autre oreille, privée de l'influence du grand sympathique. Quoi de plus naturel, dès lors, que d'appeler cette hypé- rémie, réalisable seulement pendant l'intégrité des nerfs, un phénomène actif, c'est-à-dire produit directement par une activité des nerfs? Les filets dilatateurs doivent être contenus dans le grand sympathique, puisque, par la section de ce nerf, nous avons aboli en grande partie la possibilité de la dilatation. S'il en était autrement et si le sympathique était exclusivement constricteur, sa paralysie ne pourrait ONZIÈME LEÇON. 251 pas empêcher l'apparition d’une hypérémie locale, provoquée, à l’état normal, par toutes les excitations générales de l’a- nimal. Le relâchement des muscles circulaires des vaisseaux, je le répète encore une fois, devrait favoriser la production de cette hypérémie et non pas s’y opposer, comme il arrive en réalité. Il suit de là que le sympathique auriculaire doit ren- fermer des fibres dont l'intégrité est nécessaire pourque la dilatation vasculaire puisse avoir lieu, fibres antagonistes de celles qui ont pour mission de resserrer les vaisseaux. Il y a dans cette double action du grand sympathique une contradiction apparente qui n’est cependant pas sans ana- logie dans le reste du système nerveux. Le sciatique, lors- qu'il est irrité, fait contracter les extenseurs de la jambe, mais parceque généralement une forte irritation ne produit : que l'extension, nous ne nierons pas que le sciatiqne anime aussi des fléchisseurs. Si maintenant nous examinons encore une fois le lapin qui a donné lieu à cette longue discussion, nous verrons les conditions primitives rétablies, telles qu’elles existaient avant l'exposition de l'animal à la chaleur de l’étuve. En effet, l'injection de l'oreille droite a disparu et l'oreille gau- che montre, comme au commencement de la leçon, l’hypé- rémie passive, suite de la paralysie du grand sympathique. Le phénomène de la dilatation active a été passager, comme la cause qui l'avait provoqué. Je reviendrai, avec plus de détails, sur les conditions générales du phénomène et nous étudierons les autres agents, déjà sommairement indiqués, qui le font apparaître chez d’autres animaux, dépourvus de cœur accessoire auriculaire. Nous avons considéré tour-à-tour l’action vasomotrice du grand sympathique et celle de la branche auriculaire du plexus cervical. L’irritation centrifug'ale de ces deux nerfs, après leur section, ne nous a donné d'autre résultat que la constriction vasculaire, et il ne saurait en être autrement, puisque les filets constricteurs prévalent dans le grand 252 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. sympathique (1). L'existence de filets dilatateurs ne nous a été démontrée jusqu’à présent que par un détour, dans quel- ques expériences isolées où nous avons exclu, par le raison- nement, la participation des nerfs vasomoteurs constricteurs. On conçoit quel intérêt il y aurait à découvrir pour l'oreille un rameau nerveux dont l'irritation directe fût suivie cons- tamment de dilatation active des vaisseaux. L’analog'ie avec la glande sousmaxillaire dont les nerfs vasomoteurs dilata- teurs se révèlent si clairement par l'irritation de la corde du tympan, serait alors parfaite. Eh bien, une série de recherches plus récentes, sur l’action vasomotrice des différents nerfs auriculaires, me permet au- jourd’hui d'affirmer l'existence, si non constante, du moins ‘très-fréquente chez le lapin, d’un rameau jouissant de la propriété en question, analogue, en tout point, à celle de la corde du tympan par rapport à la glande sousmaxillaire. C'est le rameau, déjà signalé plus haut, provenant de l’au- riculo-temporal du trijumeau et formant, presque constam- ment, une anastomose avec l’auriculaire antérieur de la septième paire ou facial. J'ai vu, dans beaucoup de lapins et, comme il me paraît, dans la majorité de ces animaux, que l'irritation g'alvanique (avec un appareil d’induction) du ramean indiqué donne lieu immédiatement à une dila- tation des vaisseaux de l'oreille correspondante, dilatation cessant avec l'irritation et se reproduisant autant de fois que l'on répète la galvanisation. La galvanisation du ra- meau de la septième paire, après l'entrée de l’anastomose du trijumeau est suivie du même résultat. Ayant varié l'expérience sur un certain nombre de jeunes lapins, de la méme portée, voici ce que je constatai: chez plusieurs de ces animaux l’irritation du rameau auriculaire (1) Nous mentionnerons, à une autre occasion, quelques-unes des particularités de la distribution vasculaire de l'oreille, qui se montrent pendant l'irritation péfiphérique du sympathique coupé et qui prouvent que pendant les premiers moments de la galvani : salion, l'icritant frappe à la fois les filets constricteurs ei les filets dilatateurs. ONZIÈME LEÇON. 253 mis à nu donna, avec un succès complet et des deux côtés, le résultat indiqué. Chez un lapin je pratiquai la section intracrânienne du trijumeau du côté gauche : après quatre jours l’anastomose du même côté avait perdu son action dilatatrice, celle du côté opposé l’avait conservée. Un autre lapin, toujours de la même portée, subit la même opération intracrânienne du côté droit: après quatre jours je préparai l'anastomose des deux côtés; la galvanisation produisait la dilatation vasculaire à droite et à gauche. L’autopsie montra, dans le premier de ces lapins, le trijumeau coupé dans le milieu du ganglion de Gasser ; dans le second, le trijumeau était coupé plus haut, entre son émergence du cerveau et le ganglion de Gasser (1). Toutefois, en répétant un plus grand nombre de fois l'expérience fondamentale sur l’anastomose auriculaire en question, je ne tardai pas à rencontrer des exceptions. Tous les lapins ne montrent pas également bien le phénomène, et les cas ne sont pas très-rares où la galvanisation du ra- meau auriculaire du trijumeau paraît être sans effet sur les vaisseaux. Sur onze lapins que j'ai examinés à cet effet, dans une série d'expériences faites il y a peu d'années à Paris, six seulement me donnèrent le résultat cherché, et chez cinq il n’y eut pas d'effet visible. Ces exceptions, du reste, n'ont rien d'étonnant si l’on considère l’inconstance du trajet des nerfs vasomoteurs en général, pour tout organe recevant des nerfs vasculaires de plusieurs sources distinctes. Pour n’en citer qu’un exemple, je vous rappellerai que même les effets ordinaires de la sec- tion du sympathique cervical sur les vaisseaux de l'oreille ne sont pas constants et peuvent manquer dans certains cas. J'ai trouvé assez souvent, dans la variété des lapins, (1) Le ganglion de Gasser consliluant le centre de nutrition des branches du trijumeau, la perte d'excitabilité de ses terminaisons périphériques n'avait pu, dans ce dernier cas, s'effectuer jusqu’au quatrième jour. 254 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. à oreilles courtes, qu'après la section du sympathique 1l ne se produisait ni dilatation vasculaire ni élévation de tem- pérature du côté correspondant. MM. Valentin et Brown- Séquart ont observé des exceptions semblables. Il y a cer- taines contrées où cette exception paraît former la règle, parce que la race des lapins qu’on y élève, appartient presque exclusivement à la variété à oreilles courtes. C’est dans les mêmes contrées que l’on rencontre assez fréquemment des lapins albinos aux yeux noirs. Ces faits parlent assez en faveur de notre thèse de la dilatation active, pourque je n’aie pas besoin de m'étendre sur les interprétations divergentes qu'on pourrait être tenté de donner de ces dernières expériences. La possibilité, dé- sormais démontrée pour l’oreille, d’une dilatation vasculaire produite directement par l’irritation centrifugale de certains nerfs, va nous servir à appliquer l’ensemble de nos résultats sur l’activité vasomotrice, aux particularités observées sur les glandes salivaires et à mieux comprendre le phénomène de la sécrétion en général. — Avant de quitter ce sujet, je dois ajouter encore, en prévision d’une objection qu’on pour- rait soulever contre la valeur de nos conclusions, que toutes les fois que la galvanisation du rameau auriculaire intact est suivie de dilatation vasculaire, le même effet s’'ob- serve, et d'une manière encore plus évidente, si l’on irrite la partie périphérique du même rameau, préalablement coupé. DOUZIÈME LEÇON. Sommaire: Développements relatifs à la question des nerfs vasculaires dilatateurs. — Hy- pérémie actire de l'oreille du chien, suite des excitations générales, de l'accélération du pouls, des impressions vives. — Effets de la fièvre sur les organes périphériques, privés de leurs nerfs vasomoteurs. — Ces effets observés dans différentes parties du corps; loi générale qui en résulte. — De l’érection. — Hypothèses anciennes sur les causes de l'érection. — Expériences directes de Eckhard, — Caractère actif de l'érection, résultat de l'excitation des nerfs vasculaires dilatateurs. — Application de la théorie vasomotrice aux variations de la salivation sousmaxillaire et au mode de la sécrétion en général. — Analyse des phénomènes consécutifs à l’irritation des filets sympathiques sousmaxillaires. — Preuves de la nature mixte de ces filets, composés de nerfs vasculaires eonstricteurs et dilatateurs. — Du ganglion maxillaire, considéré comme centre autonome de réflexion par CI. Bernard, — Réfulation expérimentale de cette hypothèse. Messieurs, Les résultats que nous ont fournis quelques expériences isolées sur l'oreille du lapin, nous ont conduits à admettre, avec toute probabilité, une dilatation active des vaisseaux. Je crois vous avoir démontré que la dilatation vasculaire, dans les différentes formes où nous l’avons considérée, est bien réellement l'effet d’une activité nerveuse, et ne saurait en aucune façon être rapportée à un relâchement des vais- seaux, ni à un épuisement des nerfs constricteurs (1). Aucun fait probant n'a été allégué jusqu’aujourd’hui contre notre hypothèse, et quoique le mécanisme, l'instrument de la dila- tation active échappe encore à nos moyens d'investigation, (1) Quant à la prétendue action modératrice des centres, qui devait expliquer le phé- pomène, nous en parlerons encore dans celte leçon, 256 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. rien au moins n'en démontre l'impossibilité anatomique. Tout ce que nous en pouvons dire provisoirement, c’est que si le mécanisme de la constriction est directement expliqué par l'examen microscopique des muscles vasculaires, la dila- tation active parait être étrangère aux tuniques propres des vaisseaux et s'effectuer par l'intermédiaire des tissus intervasculaires. Il serait téméraire de nier un fait directe- ment observé parce que nous n’en comprenons pas encore le mécanisme. Je croirais rester au dessous de ma tâche si, dans une question d’une si grande portée, je n'essayais de corro- borer les résultats déjà acquis par d’autres données, plus gé- nérales et aptes à montrer l'application du même principe à une foule de phénomènes physiologiques et pathologiques, inexplicables par l’ancienne théorie des nerfs vasomoteurs. Nous avons choisi, pour notre première série expérimen- tale, exposée dans la dernière lecon, l'oreille du lapin, bien que dans la glande sousmaxillaire la distribution des nerfs vasculaires constricteurs et dilatateurs présente bien moins de complications. J'ai déjà mentionné quelques-uns des motifs qui m'ont déterminé dans ce choix. La faible épais- seur du pavillon de l'oreille est, en effet, une circonstance éminemment favorable à ce genre d’observations. L'expé- rience est plus pure, parce que tous les changements de couleur, de température et de vascularisation peuvent être appréciés sans lésion extérieure et sans irritation locale concomitante. Outre qu'on n’a pas de vaisseaux à mettre à nu, on n’est pas induit en erreur par les contractions des muscles volontaires qui manquent dans le pavillon de l'oreille, expansion membraneuse presque entièrement com- posée de cartilages minces, de tissu cellulaire et de peau, au milieu desquels se ramifient les nerfs et les vaisseaux. Aucune de ces conditions n’est réalisée dans les glandes salivaires dont l'examen direct exige la préparation au scalpel et n’est applicable qu'à la surface externe de l'organe. k DOUZIÈME LEÇON. 257 L'oreille du lapin ne s'adapte cependant pas également bien à toutes les expériences qui ont pour objet l’étude des modifications survenant dans l'état des vaisseaux sous diverses influences. Toutes les fois qu'il s'agira de prolonger les observations sur l’ypérémie passive, résultant, p. ex., de la ligature des veines, il sera préférable de choisir, à cet effet, l'oreille du chat ou du chien, et voici pourquoi. Vous n'avez pas oublié, messieurs, le mécanisme singulier sur lequel j'ai, déjà attiré votre attention et qui constitue, chez le lapin, une espèce de cœur accessoire auriculaire, indépendant du cœur central et exécutant ses phases beau- coup plus lentement que ce dernier. Eh bien, grâce à ce mécanisme, toute hypérémie passive, venant frapper l’oreille du lapin, ne peut persister que pendant un temps relative- ment très-court, parce que si la pression du sang artériel cet celle du sang veineux viennent à s’équilibrer, comme cela a lieu après une ligature des veines, cet équilibre est tôt ou tard troublé par l’activité du cœur auriculaire qui, à l’im- pulsion du cœur central, ajoute l'effet d’une contraction ar- térielle indépendante, se répétant rythmiquement et capable de surmonter la résistance opposée par la stagnation du sang veineux. Comme la systole artérielle se répète de deux à huit fois par minute, une dilatation passive des artères ne pourra pas durer au delà d'un temps très-court. Nous pouvons aller plus loin et dire que l'énergie de la systole de l'artère auriculaire est supérieure à la pression exercée sur le même vaisseau par le sang venant du cœur, puisque les deux systoles peuvent coïncider, comme le démontre l’observation directe. Or du moment qu'il est démontré que la contraction ar- térielle périphérique peut avoir lieu malgré l'effort dilatatoire exercé sur les parois vasculaires par le sang, il s’en suit que l'énergie de la systole artérielle est supérieure à la pression sous laquelle le sang entre dans l'artère. Chez le lapin d’ailleurs, la section du sympathique cer- TOME PREMIER 17 258 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION, vical n'entraîne pas, dans les vaisseaux auriculaires, une di- latation d'aussi longue durée que chez le chien et le chat. Tandisque chez le lapin l’hypérémie, très-prononcée au com- mencement, diminue déjà au bout de deux à troisjours (1), pour disparaître presque entièrement plus tard, je l’ai vue, chez le chien, persister presque au même degré jusqu’à deux ans. Le lapin ne s'adapte donc que pendant les premiers jours à l'expérience de l'hypérémie active, provoquée dans l'oreille normale par les excitants généraux, lorsqu'il s’agit de com- parer cette hypérémie active à l'injection passive de l'oreille paralysée. Sur le chien ou le chat, au contraire, on peut re- produire l'expérience autant de fois que l’on veut, et la varier de diverses manières, longtemps encore après la section du grand sympathique. On a prétendu, comme vous le savez, que l'oreille du côté opéré est toujours et en toute occasion plus chaude que celle du côté non paralysé. Si cette assertion était vraie, on aurait raison de dire que le sympathique ne renferme que des filets constricteurs. Mais déja sur le lapin exposé pendant quelque temps à la chaleur de l’étuve, vous avez pu voir, messieurs, que cette opinion n’a rien d’absolu et (1) La même diminution s’observe chez le cochon d'Inde et chez le cheval, qui ne possèdent pas de cœur accessoire auriculaire. L'explicalion de ce phénomène doit étre trés-probablement cherchée dans une propriété des muscles paralysés, sur laquelle le lecteur lrouvera quelques remarques dans mon Traité de la Physiologie du système ner- veux et musculaire (MonriTz SGHiFF, Lehrbuch der Physiologie des Menschen, }, pag. 182). Les muscles, surtout des oïseaux, monirent, quelque temps après la section de leurs nerfs moleurs, une décroissance plus ou moins rapide de leur exlensibilité, diminution qui alteint finalement un degré à partir duquel elle ne varie plus. Mais émmtdiatement après la section nerveuse, il n’est point rare d’observer, chez tous les vertébrés, une aug- mentation passagère de l’extensibilité musculaire, C’est à cette période qu’appartiendrait la dilatation vasculaire qui, durant les premiers jours après la section du sympathique cervical, se prononce à un si haut degré dans l'oreille de beaucoup d'animaux. Chez le lapin, le cochon d'Inde et le cheval, la diminution de l’extensibililté des muscles vasculaires paralysés paraît suffire pour amener, au bout de 2 à 5 jours, un relour des vaisseaux ‘à-peu-près à leur calibre normal. Plus tard, pendant la période de la para- lysie définitive, les vaisseaux du côlé opéré charrient chez le lapin, dans leur ensemble, moins de sang que ceux du côté sain. DOUZIÈME LEÇON. 259 - que certaines conditions intervertissent l’état des vaisseaux des deux oreilles. — Voici une série d’autres faits à l'appui de cette proposition. Un chien à qui j'avais coupé, depuis quelque temps, le sympathique cervical d'un côté, et qui, à part l'injection permanente des vaisseaux d’une oreille, ne montrait rien d’anormal, fut sorti un jour de son chenil et me suivit à la campagne. La température extérieure n’était pas très-élevée. Le chien, courant en liberté, ne tarda pas à être un peu ex- cité et à respirer plus rapidement, avec la bouche ouverte et la langue pendante. J'eus l’idée, au bout d’une demi-heure, d'examiner l'état de ses vaisseaux auriculaires. L’oreille du côté où manquait le sympathique paraissait injectée comme à l'ordinaire, mais, à ma grande surprise, l'oreille saine é- tait plus chaude et montrait ses vaisseaux beaucoup plus dilatés que ceux de l'oreille opérée. Cette interversion de l'état habituel, que je voyais alors pour la première fois, était en désaccord formel avec l’idée qu’on s'était faite jusqu'alors du mode d'agir des nerfs vasomoteurs. Une excitation géné- rale avait produit une hypérémie locale qui, par la section du sympathique cervical, avait été empêchée de se mani- fester du côté paralysé. Une dilatation vasculaire, faisant défaut du côté où manquait le sympathique, devait néces- sairement conduire à l’idée de filets vasculaires Zilatateurs, contenus dans ce nerf. L’excitation produite par le mouvement actif de l’animal, reconnaît pour cause essentielle la plus grande énergie des contractions du cœur. Il était très-probable que l’augmen- tation de leur fréquence aurait dans certains cas le même résultat. Pour vérifier cette supposition, je provoquai, chez des chiens et des chats ayant le sympathique cervical coupé d’un côté, des fièvres artificielles, en leur injectant du pus dans les veines jugulaire ou crurale. L'observation préa- lable des deux oreilles avait montré constamment une diffé- rence de température de deux à quatre degrés centigrades, 260 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. en faveur du côté paralysé. Le premier effet de la fièvre fut une augmentation générale de la température du corps. Cette augmentation se montra plus rapide dans l’oreille normale et bientôt la température de celle-ci dépassa nota- blement celle de l'oreille paralysée qui ne participait que faiblement à la chaleur fébrile. Afin d'éviter l'objection, peu importante d’ailleurs, que le caractère «seplique » de la fièvre ait pu engendrer des altérations locales, causes du phénomène observé, j'ai pro- . duit dans d'autres animaux des fièvres inflammatoires, non putrides, en irritant la plèvre et d'autres membranes sé- reuses. La pleurésie et la péritonite traumatiques reprodui- saient constamment, dès le début de la fièvre, l'hypérémie active plus prononcée dans l'oreille du côté non lésé. Mais, me demandai-je, la position périphérique de l'oreille ue crée-t-elle pas des conditions mécaniques qui, d’une ma- : nière quelconque, peuvent favoriser la production de la dila- tation vasculaire, abstraction faite de toute influence ner- veuse? Il fallait, pour éclaircir ce doute, examiner si d’autres parties périphériques du corps, placées à dessein dans des conditions analogues, étaient susceptibles desmêmes chang'e- ments vasculaires. A cet effet je taillai, chez un lapin, tous les nerfs de la cuisse. La température des doigts et des plis de la plante des pieds s'éleva aussitôt de 12 degrés, puis resta pendant deux semaines de 10 degrés supérieure à celle de l’autre extrémité. J’attendis la guérison de la plaie, et lorsque l'animal ne montra plus de symptômes fébriles ni d’anorexie, je provoquai chez lui une fièvre artificielle en iujectant du pus dans ses veines. La température générale du corps augmenta, et augmenta dans le membre non lésé au delà du degré accusé par le membre paralysé. Le pied, privé de ses nerfs vasomoteurs, continua à accuser à-peu-près la même température qu'avant l'injection. J'ai répété cette expérience sur les extrémités antérieures, et le résultat a été le même. DOUZIÈME LEÇON. 261 La loi générale qui découle de ces faits peut être for- mulée de la manière suivante: Une partie quelconque de la périphérie du corps, que l'on prive entièrement de ses nerfs vasomoteurs, ne se réchauffe pas autant par la fièvre que le font d’autres parties pour- vues de tous leurs nerfs. J'ajouterai que le fait trouvé pour l'oreille, après la section du sympathique cervical, se confirme aussi pour les autres districts où ce nerf envoie des ramifications. Je l'ai vérifié, par l'examen thermométrique, sur les narines et sur la lèvre supérieure. Ces expériences paraissent indiquer que la rouwgeur de la peau engendrée par la fièvre n'est pas l'effet exclusif de l’action plus énergique et plus fréquente du cœur, mais qu’elle reconnaît également pour cause une excitation va- somotrice active. En effet, l'expérience démontre que l'in- técrité des nerfs vasomoteurs est aussi nécessaire à la production de la rougeur cutanée, qu'elle l'est à celle de l'hypérémie active des vaisseaux auriculaires. Qu'on ne croie pas pour cela que dans tous les cas où il y à paralysie, il doive inévitablement s’en suivre une non- participation de l'organe aux phénomènes vasculaires de la fièvre. La paralysie motrice et sensible peut être en ap- parence complète, et néanmoins ne pas s'étendre à la tota- lité des nerfs vasomoteurs de l'organe. La loi enoncée n’est valable que pour les paralysies qui ont mis hors de fonction tous les nerfs vasculaires, y compris surtout les dilatateurs et ne s'applique, comme il importe de le remarquer, qu'aux organes ayant une position plus ou moins périphérique et dont la température est indépendante de celle des organes voisins. Pour les organes interues, entourés de toutes parts et réchauffés par le voisinage d'autres groupes d'organes il serait absurde de vouloir déterminer des différences de température dépendant de l’état particuliér de leurs nerfs vasomoteurs. ; 262 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Toutes les expériences, dont on a déduit la loi formulée il y a un instant, sont faites sur les éroncs nerveux, et non pas sur leurs origines dans les centres. Or rien n'indique jusqu’à présent que des désorganisa- tions médullaires d'extension limitée, bien qu’interrompant les voies de certaines actions vasomotrices, soient #éces- sairement suivies des mêmes effets à la périphérie que ceux produits par la section de tous les troncs nerveux d’un organe après leur séparation de la moëlle. Je m'explique. Si l’on pratique, dans la moëlle dorsale, une section trans- versale complète, les nerfs émanant du tronçon inférieur sont paralysés, dans le sens que l’on attache ordinairement à ce mot, c’est-à-dire soustraits à l'empire de la volonté. L'interruption d’un grand nombre de voies nerveuses va- somotrices se traduit par une élévation de la température des deux extrémités postérieures et par une dilatation bien marquée de leurs vaisseaux. L'examen de la membrane in- terdigitale montre alors très-clairement l'existence de l’hy- pérémie névro-paralytique. Après avoir observé ces phéno- mènes pendant quelque temps et reconnu leur constance, il est possible de prouver que, dans les conditions données, la paralysie vasomotrice n’est pas à son maximum. En effet, si l’on détruit maintenant, dans toute sa longueur, le tronçon médullaire situé en dessous de la section — opération que l'animal ne peut plus sentir et qui, par la large plaie os- seuse qu’elle nécessite, engendre une fièvre plus intense que la simple section transversale — la chaleur et l'injection des extrémités paralysées augmentent encore sensiblement. Cette augmentation persiste assez longtemps après la des- truction médullaire pour qu’elle ne puisse pas être attribuée à l’effet irritatif de l'opération elle-même. Le tronçon infé- rieur de la moëlle n’avait donc pas perdu toute influence sur les vaisseaux des extrémités inférieures, et la dilatation observée après la simple section transversale, n'était pas l'expression de la paralysie vasomotrice complète. — Voilà DOUZIÈME LEÇON 263 pourquoi je disais que la loi trouvée pour la paralysie des troncs nerveux, ne s'applique pas à foutes les paralysies centrales d'extension limitée. Nous voyons souvent, chez l'homme, des rougeurs et des hypérémies locales passagères succéder aux impressions vives produites par la frayeur, la joie, la honte, la dou- leur, etc. D'après tout ce qui précède, il devient excessive- ment probable que dans ces phénomènes la dilatation vascu- laire active joue un rôle essentiel. Nous pouvons reproduire des effets analogues sur les animaux. — Si nous enivrons un animal avec des alcooliques, après lui avoir coupé le sympathique cervical d’un côté, la rougeur congestive ne se montre que dans celle des oreilles dont les nerfs sont intacts. — Un de mes chiens qui faisait avec passion la chasse aux lapins et qui avait subi l'opération indiquée, m'a servi bien des fois à la démonstration de l'injection active. Quand je promenais un lapin devant le museau du chien, en empêchant celui-ci de le saisir, l'oreille saine s’injec- tait presque aussitôt et sa température s'élevait au dessus de celle de l'oreille paralysée. J'ai eu occasion de répéter cette expérience devant une société de savants, sous une forme encore plus amusante, en prenant, au lieu d’un lapin vivant, une fausse souris en papier mâché, que je faisais passer rapidement devant le nez du chien. L’injection plus marquée de l'oreille saine se montrait aussitôt que l'animal, retenu avec force, commençait à grogner et faisait mine de se précipiter sur l'objet de sa convoitise. Il y a d’autres moyens d’'exciter le moral des animaux. Beaucoup des mes chiens, enchaînés au chenil, se montrent excessivement impatients lorsque, dans mes tournées, je fais semblant de ne pas m'occuper d’eux et que je caresse d’autres chiens, leurs voisins. Cette espèce de jalousie produit régu- lièrement, chez les animaux opérés, une hypérémie plus prononcée dans celle des oreilles dont le sympathique est intact. À moins que nous ne voulions admettre, avec le 264 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. moyen-âge, que la jalousie fait entrer de la bile dans le sang, il faut bien recourir encore, pour l'explication de ce phénomène, à notre hypothèse de la dilatation active, à une excitation vasculaire qui manque lorsque le nerf manque. A toutes ces expériences on pourrait objecter que la dila- tation vasculaire plus forte, observée du côté sain, n’était . peut-être autre chose que l'épuisement qui succédait à une constriction plus énergique, non observée, constriction qui manquait du côté opéré et qui, par conséquent, ne pouvait produire, de ce côté, la dilatation par épuisement. Cette supposition, dont il a déjà été question ailleurs, est réfutée par l'observation directe. Il suffira de dire que je ne me suis pas contenté d'examiner l'oreille des animaux une ou ‘deux fois après un certain temps d’excitation, mais que très-souvent j'ai concentré toute mon attention pour sur- prendre, dès le début de l'expérience, les moindres chang'e- ments survenant dans le calibre des vaisseaux. Jamais je n'ai pu constater autre chose que la dilatation croissante, et je n'ai pas vu une seule fois la constriction hypothétique dont il vient d’être question. Messieurs, un autre phénomène physiologique dont la cause doit être cherchée dans une dilatation vasculaire par irritation directe des nerfs, c’est l'érection. On a dit pen- dant longtemps, sans essayer de le prouver, que l'érection consistait en une réplétion exagérée des vaisseaux du pénis, déterminée par une compression des veines et par une sorte d'arrêt de la circulation dans les vaisseaux efférents. Or il est facile de se convaincre, chez le cheval dont l'érection est de très-longue durée, que les pulsations de l'artère dorsale du pénis ne s’affaiblissent nullement .et qu’elles acquièrent même plus d'intensité qu'à l'état normal (1). Il n’est donc pas possible de supposer un arrêt de la circulation. (1) Le contraire devrait avoir lieu si Partere étail beaucoup plus tendue qu'à l'état normal, DOUZIÈME LEÇON. 265 En outre nous ne connaissons pas le mécanisme anatomique par lequel la compression hypothétique des veines pourrait se produire, et le pénis lui-même, examiné pendant l’érec- tion, n'a pas l'aspect plus veineux qu'à l’état normal. Plus tard on a cherché la cause de l'érection dans la disposition particulière des petites artères situées à l’inté- rieur des cloisons des corps caverneux. Ces artères que l’on supposait fermées et presque exsangues à l’état de repos, se rempliraient outre mesure pendant l'érection. Mais depuis longtemps Valentin a prouvé, par des dissections attentives, que les artères *é/icines sont un produit artificiel, résultant de l’enroulement élastique des vaisseaux dans les coupes microscopiques. IL est singulier, messieurs, qu'à défaut d'autre explication on ait même voulu faire de l’érection un phénomène para- lytique, analogue à la dilatation vasculaire de l'oreille après la section du sympathique cervical. Une expérience très- simple réfute cette manière de voir. Si l’on fait la section de tous les nerfs du pénis, on voit, en effet, l'organe se gorger de sang et présenter tous les phénomènes de l’hy- pérémie passive, mais bien loin de montrer rien d'analogue à l'érection, il devient p/ws mou qu'à l’état normal. Bientôt l’épiderme tombe, et si l’on n'a pas soin de garantir l’or- gane très-exactement contre toute irritation mécanique, quelque légère qu’elle soit, il se couvre d’ulcérations et ne tarde pas à subir la destruction gangréneuse. La paralysie vasculaire, en un mot, se traduit par des signes qui ne rappellent en aucune facon la physionomie du pénis pendant l’érection. Les expériences directes de Eckhard excluent mieux en- core que les faits allég'ués jusqu'ici, les hypothèses précé- demment discutées. Eckhard irrita les nerfs spinaux dont les ramifications se distribuent au pénis, et, après un in- tervalle plus où moins court, il vit se produire l'érection, en même temps qu'une circulation plus énergique s’établissait 266 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. dans tout l’organe. Si, avant l’irritation, il avait lésé une ar- tère superficielle du pénis, le vaisseau qui, à l’état normal, ne donnait qu’un rayon de sang insignifiant, en donnait au contraire un rayon considérable pendant l'érection. Eckhard fit l’ablation du pénis et observa la rapidité avec laquelle le sang s’écoulait. Cette rapidité augmentait à vue d'œil, dès qu'il irritait les nerfs spinaux et le moignon du pénis, encore adhèrent au bassin, redevenait rigide. Deux conclusions importantes ressortent de ces expé- riences. En premier lieu il est prouvé, une fois de plus, que l'érection n’a rien à faire avec un arrêt de la circulation veineuse. En second lieu, tout démontre que la pression du sang artériel est augmentée pendant l'érection. Or ces faits ne peuvent s'expliquer que par une dilatation vascu- laire, si l'on ne veut pas recourir à des hypothèses très- artificielles et dépourvues de toute probabilité. Ce que l’on observe, à l'examen direct, sur le pénis érigé de différents animaux , vient tout-à-fait à l'appui de ces déductions.-Le pénis du cochon d'Inde, par le peu d’épais- seur et la transparence de son épiderme, s'adapte particu- lièrement bien à ce genre de recherches. Pendant l'érection, les vaisseaux superficiels se gonflent et charrient visible- ment plus de sang qu'à l'état de repos; on voit apparaître de petites arborisations vasculaires qui n’existaient pas aux mêmes points auparavant; des plaies du pénis qui, à l’état de repos, ne donnaient que peu ou point de sang, saignent abondamment, et le rayon qui jaillit des artères coupées semble plus gros que le diamètre vasculaire lui- même. Ces faits sont au moins suffisants pour faire ranger l'érec- tion parmi les hypérémies actives. Il resterait à prouver que la dilatation vasculaire précède bien réellement l'aug- mentation de la pression sanguine; mais, à défaut de preuves directes, est-il possible d'imaginer une autre cause DOUZIÈME LEÇON. 267 de l'augmentation de pression dans les vaisseaux du pénis amputé aux trois-quarts, sinon une modification du calibre des vaisseaux eux-mêmes ? On pourrait encore faire l'hypothèse très-hasardée que les artères du pénis sont douées d'une propriété analogue à celle que présentent les artères de l'oreille du lapin, c’est- à-dire, qu'elles exécutent des contractions rythmiques in- dépendantes de celles du cœur et capables d’accumuler, sous certaines conditions, assez de sang dans l'organe pour pro- duire l'érection. Mais on a beau examiner, avec toute l’at- tention imaginable, la circulation des vaisseaux superficiels du pénis, pendant et en dehors de l'érection, — on ne dé- couvre rien qui rappelle le cœur périphérique de l'oreille du lapin. Si l'augmentation de la pression sanguine dépendait de contractions rythmiques des vaisseaux du pénis, l’obser- vation au manomètre, déjà appliquée par Eckhard , devrait montrer des alternatives régulières d'augmentation et de diminution de la pression du sang’, alternatives non isochro- nes avec les contractions du cœur. Je n’ai pas eu, jusqu'à présent, l’occasion de me livrer à cette recherche; mais il est vraisemblable que la communication plus détaillée des chiffres obtenus par Eckhard nous mettra en mesure de dé- cider cette question avec une entière clarté. L'application la plus importante des lois de l'innervation des vaisseaux, application que j'ai indiquée d’ailleurs dès le début et qui va nous ramener au véritable sujet de ce cours, est la manière dont nous pouvons nous représenter, dès à présent, le mode d'action des glandes salivaires, et le mé- canisme de la sécrétion en général. L'ancienne théorie de l'innervation vasculaire, qui n’admettait que des nerfs cons- tricteurs, laissait entièrement inexpliqué le phénomène le plus saillant que nous ait présenté la glande sousmaxil- laire, je veux dire l'énorme accroissement de sa sécrétion, et l’hypérémie artérielle, résultats constants de l’irritation « 268 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. de la corde du tympan ou des filets qui en proviennent. — Je ne reviendrai pas sur les arguments qui nous ont servi à exclure, pour tous les phénomènes analogues dans d’autres organes, les hypothèses d’un épuisement des nerfs vasculaires constricteurs, d'une action modératrice ou paralysante des centres sur ces mêmes nerfs, de conditions mécaniques lo- cales, échappant à l'analyse. L'expérience par laquelle nous avons écarté définitivement, pour l'oreille du lapin, l’inter- vention d'une action réflexe modératrice, réussit également bien sur la glande sousmaxillaire. Si, après avoir inter- rompu toutes les communications nerveuses de la glande avec les centres, on isole le rameau sousmaxillaire, encore excitable, les irritations de son extrémité périphérique (en rapport avec la glande) reproduisent, sans aucune diffé- rence appréciable, l'hypérémie générale de l'organe et l'aug- mentation de la sécrétion. — Il y a, dans ce simple fait, une difficulté insurmontable à l'admission exclusive de nerfs vasculaires constricteurs, difficulté qui, au contraire, est ré- solue de la manière la plus satisfaisante Fan l'hypothèse de la dilatation active. Il reste, au moins pour la glande sousmaxillaire, une dernière objection qui a été formulée par CI. Bernard. Si la dilatation vasculaire n’est pas l'effet d'une paralysie ré- flexe centrale, ne pourrait-elle pas provenir d’une suspension de l’activité des nerfs constricteurs, suspension émanant des ganglions périphériques, distribués en grand nombre sur le trajet des nerfs intraglandulaires ? L'irritation du tronc ner- veux se propagerait, d'après cette hypothèse, jusqu'aux gan- glions, espèces de petits centres modérateurs, dont l’activité, réveillée par l’irritant centrifugal, consisterait à enrayer la fonction, à produire la paralysie momentanée des derniers ra- musculesnerveux, en rapport avec les muscles vasculaires (1). (t) La paralysie des dernières terminaisons des nerfs ne produit pas des effets entierement semblables dans les muscles communément appelés volontaires et dans les muscles non striés. La différence dépend, comme il est facile de le prouver, de la nature de l’'irritant qui, DOUZIÈME LEÇON. 269 Comme on le voit, l'explication de CI. Bernard »'exclut pas, en principe, la thèse de la dilatation active dans le sens où nous l’adoptons, c'est-à-dire d'une dilatation vascu- laire, produite par l'activité d'un nerf. Seulement CI. Ber- uard va plus loin, puisqu'il admet que cette activité d’un nerf agit secondairement sur un autre nerf, et produit dans ce dernier un défaut d'activité dont résulterait la di- latation vasculaire. Il y a, dans ce raisonnement, une ten- tative d'expliquer le mode suivant lequel les nerfs dila- tateurs produisent la dilatation, tandis que nous avouons ne pas connaître ce mécanisme. Notre théorie se borne à : établir que les nerfs dilatateurs ne se manifestent comme tels que s’ils sont frappés par des irritants qui provoquent leur activité fonctionnelle. — Bien que, par conséquent, nous ne puissions regarder M. CI. Bernard comme adversaire de notre théorie, il est né- anmoins à remarquer que la nature centrale des ganglions périphériques, invoquée tant de fois pour expliquer des phé- nomènes en rapport avec d'autres fonctions soi-disant ar- restatrices (cœur, etc.), n'a pour elle aucune preuve qui soutienne l'analyse expérimentale et qu'elle repose sur une hypothèse entièrement arbitraire. Je ne chercherai pas la preuve de ce que j'avance, dans la glande sousmaxillaire dans ces deux groupes d'organes contractiles, détermine l’activilé physiologique ou nor- male du muscle. Pour les muscles volontaires qui ne sont pas appelés à réagir, à l'état normal, à des irrilations locales périphériques, et dont la seule fonction est de répondre aux impulsions centrales (volonté, ele.) il sera indifférent que la cause de la paralysie siége plus ou moins prés de la périphérie des troncs nerveux ou dans les centres eux- mêmes. Mais pour les muscles lisses qui physiologiquement sont mis en activilé par deux ordres d’excilations, les unes centrales, les autres périphériques ou locales (el l'on sait que celles-ci continuent à agir régulièrement sur les muscles organiques, même apres la section de leurs troncs nerveux), les effets de la paralysie devront étre beaucoup plus marqués, quand la suspension de l’action nerveuse concernera les derniéres extrémités des lilets moteurs. C'est ce dernier cas qui se réaliserait, selon l'hypothèse de CI. Bernard, pour les vaisseaux de la glande sousmaxillaire, grâce à la prélendue transformation, dans les masses ganglionnaires, de l’excitation motrice en action arreslâtrice ou paralysanté des dernières extrémités nerveuses, 270 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. où, en effet, les ganglions existent; mais si la supposition de CI. Bernard est juste, elle doit l’être aussi pour l'oreille du lapin, où nous avons également la possibilité d’une di- latation vasculaire, produite par l’irritation directe des nerfs. Or depuis dix ans que je m'occupe de l’examen de cette question, à laquelle j'ai consacré des mois entiers d'un tra- vail assidu, je n'ai jamais réussi à découvrir un ganglion microscopique dans l'oreille du lapin, ni dans celle du chien, du chat, et de l’homme. D'ailleurs, pour les glandes comme pour les autres or- ganes que nous avons considérés jusqu'ici, les effets de la dilatation vasculaire paralytique sont bien différents de ceux de la dilatation active. Les vaisseaux de la glande lacrymale, à l'état normal et non excité, sont peu ou point dilatés, et la sécrétion de larmes est très-peu abondante; elle suffit à maintenir humectée la surface du globe sa- laire. Elle augmente passagèrement, à la suite des irri- tations mécaniques et chimiques de la conjonctive. Du ca- lomel mis en contact avec cette membrane, provoque presque instantanément une hypérémie réflexe et active de la glande, se traduisant par une abondante sécrétion de larmes très- aqueuses. — Les mêmes effets s'observent après l’action lo- cale du froid, du vent, à la suite des émotions vives. On pleure de joie et de douleur, comme l’on rougit. — Dans tous ces cas, le liquide sécrété par la glande lacrymale est très-riche en eau, et cesse de couler abondamment, lorsque l'excitation vasomotrice est passée. — Il en est tout au- trement de la sécrétion de larmes, telle qu’elle a lieu pendant l’hypérémie névroparalytique de la glande, après la section de ses nerfs, c'est-à-dire du sympathique et du trijumeau. Dans ce cas encore, la quantité de larmes est augmentée, mais leur sécrétion est continue; la sécrétion est plus aqueuse qu'à l’état normal, moins cependant qu'après les excitations réflexes actives; et aussi longtemps qu’elle dure (car après une certaine durée de la paralysie, elle se DOUZIÈME LEÇON. 271 réduit à un minimum, tout en restant continue) il est tou- jours possible de recueillir un peu de liquide sur le globe oculaire. Analysons encore, à cette occasion, les résultats que nous a fournis l’irritation directe des nerfs de la glande sous- maxillaire. Quant à la corde du tympan et au rameau sous- maxillaire dont l'excitation accélère à un si haut degré la sécrétion salivaire, ou ne saurait douter, après toutes les analogies énumérées, que leur rôle est bien réellement de dilater les vaisseaux glandulaires et de provoquer, par l'augmentation de la pression sanguine, une transsudation sécrétoire plus énergique. — Les effets de l'irritation des filets sympathiques sont plus complexes, et en rapport avec la particularité du grand sympathique, déjà signalée pour d'autres org'anes, de renfermer à la fois des filets dilatateurs et constricteurs. Supposons , en effet, cette double attri- bution au nerf glandulaire. Son irritation, frappant simul- tanément des nerfs vasomoteurs à fonctions antagonistes, pourra se manifester de deux manières. Dans le premier cas, si la distribution périphérique des nerfs constricteurs et di- latateurs n’est pas exactement la même, on aura des dila- tations et des constrictions partielles, selon les districts glandulaires où l’un ou l’autre ordre de filets sera en pré- pondérance. Etant données ces conditions, la quantité et la qualité de la sécrétion pourront être modifiées simultanément dans divers districts glandulaires. Si, par exemple, dans une moitié de la glande il y a constriction vasculaire et par conséquent manque d’eau, tandis que dans l’autre moitié il y a dilatation active, le résultat général pourra être une augmentation de la sécrétion. Le liquide plus dense d’une moitié de la glande se mélera au liquide plus aqueux de l’autre et l’on aura une sécrétion mixte, à propriétés diffé- rentes de celles de la sécrétion normale. — Seconde possibi- lité: La distribution anatomique des deux ordres de nerfs étant supposée sensiblement la même, il pourra y avoir, 272 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. dans le premier moment de l'irritation, prévalence de la dilatation, puis lutte entre la dilatation et la constriction, et enfin constriction seule, spécialement pour le cas où les filets constricteurs prévaudront dans le tronc nerveux irrité. Cette construction théorique qui, à beaucoup d’entre vous, paraîtra au moins hasardée, s'appuie cependant sur les faits qui s’observent directement, d’une part sur la glande sous- maxillaire, d'autre part sur l'oreille, après l’irritation du grand sympathique. Etudiés plus en détail, ees faits nous feront comprendre aussi les divergences d'opinions que la fonction mixte du grand sympathique a fait naître sur son rôle véritable par rapport à la sécrétion sousmaxillaire. Nous savons déjà que si l’on irrite le sympathique cervical, il se produit, au bout d’un certain temps (après 1 à 2 mi- nutes), une constriction générale de tous les vaisseaux de l'oreille. L’oreille devient pâle, exsangue et froide. Mais que se passe-t-il immédiatement après le commencement de l'irritation? Le vaisseau central de l'oreille se rétrécit le premier; mais, dans les vaisseaux latéraux, on observe, jusqu’au moment de la constriction définitive, des Zilata- tions passagères, alternant avec l'état contraire. Il y a lutte entre l’action des nerfs constricteurs et celle des nerfs dila- tateurs, les premiers finissant toujours par l'emporter. Les mêmes oscillations peuvent être constatées, quoique moins parfaitement, comme il va sans dire, sur la glande sousmaxillaire, durant les premiers moments de la galvani- sation du sympathique cervical. Au début, l'artère sous- maxillaire ne paraît pas changer de calibre, tandis que les veines commencent déjà à se resserrer et à perdre de leur turgescence. Le resserrement gagne de proche en proche et s'étend bientôt aussi sur l'artère et sur le système ca- pillaire de la surface de l'organe. La glande elle-même présente quelque chose d’analogue aux oscillations des vais- seaux latéraux de l'oreille. Dans quelques points des lobes . DOUZIÈME LEÇON. 273 autérieurs de la glande il y a d'abord un peu plus d’m- jection et de rougeur qu'à l'état normal; puis, à mesure que l'artère se resserre, l’anémie gagne des portions de plus en plus étendues de l'organe, et finit par envahir aussi celles qui étaient plus injectées au commencement (1). Il est probable que dans les îlots momentanément hypé- rémiés il se sécrète plus de salive et une salive moins dense que dans les îlots anémiques: c'est le mélange de ces deux sécrétions que l’on voit s’écouler par la fistule, sous forme d’un fluide plus abondant d’abord et plus dense qu’à l’état normal. Il manque à cette hypothèse une expérience qui consisterait à observer directement la qualité de la salive fournie par les lobes glandulaires hypérémiés et à la com- parer à celle des lobes anémiques. Czermak croyait avoir trouvé dans le sympathique le ngrf arrestateur de la sécrétion sousmaxillaire, parce que, dans des animaux dont la salivation était déjà activée par des impressions gustatives, il avait vu constamment l’écou- lement cesser peu de secondes après la galvanisation du sympathique. Pour faire reparaître ensuite la sécrétion, au moyen des excitations gustatives, il avait dû attendre ou (1) Il va de soi que ces observations ne s'appliquent qu'aux chiens chez lesquels le sympathique envoie à la glande maxillaire des filets vasculaires constricleurs et dilatateurs à la fois. Mais déjà plusieurs fois nous avons eu occasion de rappeler que la distribution des perfs vasculaires est sujelte à de nombreuses variations individuelles, et il y a des chiens chez lesquels l'irritation du sympathique ne détermine pas autre chose que la constriclion des vaisseaux glandulaires. Chez ces animaux la sécrétion, si elle se montre après l’irritalion du sympathique, fournit un liquide beaucoup plus dense el larit bientôt. Nous avons vu, sur des chiens qui présentaient cette particularité, que si l’on irrilait le sympathique cervical, immédiatement après une excitation de la corde du tympan, pen- dant que la sécrélion provoquée par celle dernière excilalion durait encore, nous avons vu que, dans ces eas, l’irritation du sympathique faisait cesser presqu'aussitôl la sécrélion salivaire, sans produire l’excrétion préalable d’un liquide très-dense. Le sympathique, dans ces cas, comme dans ceux observés par Ludwig et Czermack , se montrait en réalité le nerf arrestateur de la sécrétion. — Mais si, au lieu d’exciter le sympathique immédia- tement après une irritalion de la corde du tympan, on laissait la glande en repos pendant 10 à 20 minutes, la galvanisation du sympathique, faite après cet intervalle, produisait l’excrélion d'une cerlaine quantité de salive visqueuse. TOME PREMIER 18 274 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. continuer les excitations pendant un temps beaucoup plus long que cela n’est nécessaire à l’état normal, quand le sympathique n’a pas été préalablement irrité. Le sympa- thique sousmaxillaire serait donc le nerf arrestateur de la sécrétion, et la corde du tympan aurait la fonction diamé- tralement opposée. L'observation de Czermak est juste en soi, mais sa con- clusion est trop absolue. L’antagonisme qu’il statue et que nous reconnaissons nous-même en partie, n’existe qu'entre les filets sympathiques constricteurs et les filets diatateurs de la corde du tympan. Les expériences faites sans exci- tation préalable du goût, montrent que presque régulière- ment la galvanisation du sympathique est suivie d’une augmentation initiale de la sécrétion, pouvant durer de 5 à 10 et même à 25 secondes, et ne cessant que si l'on prolonge l'irritation au delà de ce temps. Si quelques observateurs n’ont pas réussi à constater l'augmentation initiale, c’est que, selon Eckhard qui le pre- mier a signalé cette possibilité, la salive sympathique est parfois tellement dense qu’elle ne sort pas des canules mé- talliques dont on se sert généralement. En irritant un peu plus tard, dans ces cas, la corde du tympan, on fait repa- raître la sécrétion, mais très-lentement, et les premières gouttes de salive qui s’écoulent sont plus denses qu'elles ne le sont jamais dans les conditions ordinaires — preuve que l'irritation du sympathique avait laissé dans le conduit un résidu de liquide visqueux, détaché seulement par la salive aqueuse, venue plus tard. Dans tout ce qui précède, nous avons admis implicitement que la dilatation des petits vaisseaux glandulaires et: le contact plus intime du sang avec les éléments sécréteurs, qui en est la suite, suffisent pour expliquer l'augmentation de la sécrétion, coïncidant avec l’irritation des nerfs dila- tateurs. On se souviendra des expériences de Ludwig, que j'ai rapportées à une autre occasion et des conséquences DOUZIÈME LEÇON. 275 que cet auteur en a tirées. Ces expériences rendent en effet assez plausible l'hypothèse que la sécrétion salivaire est tout-à-fait indépendante de la pression sanguine et que lirritation des nerfs, en produisant la sécrétion, agit d’une manière spécifique. Dans cette hypothèse de Ludwig il faut distinguer deux éléments, l’un qui se rapporte à l’acte même de la sécrétion, l’autre concernant les forces qui produisent l'expulsion de la salive. Quant à la sécrétion proprement dite, c’est-à-dire l'énergie avec laquelle s'opère la transsudation des éléments salivaires, des vaisseaux dans le parenchyme de la glande, cette énergie est considérée par Ludwig comme indépendante de la pres- sion sanguine et de l’état de dilatation des vaisseaux. En effet, d’autres expériences avaient fait admettre à Ludwig que, durant la sécrétion irritative, il n’y a pas d’augmen- tation de la pression sanguine dans la veine glandulaire ; de plus, il n'avait pu constater, dans l'artère sousmaxillaire, des variations de pression, aptes à expliquer une variation de la circulation glandulaire. | Or nous avons vu — et l'observation directe des vaisseaux le démontre bien clairement — que toutes les fois que la sécrétion est activée par l'irritation, soit directe, soit réflexe du nerf lingual, il y a en même temps dilatation très-pro- noncée de tous les vaisseaux de la glande. Nous avons vérifié la description que CI. Bernard donne de l’état de la veine pendant la sécrétion copieuse. Les pulsations dont le vaisseau devient le siége, sa turgescence, sa coloration plus artérielle sufiraient au besoin pour démontrer l’aug- mentation de la pression du sang veineux, mais nous pou- vons fournir des preuves plus positives de cette augmen- tation qui coïncide régulièrement avec l'irritation des fibres de la corde du tympan. Voici l'expérience qui m’a servi à cette démonstration. Après avoir énucléé la glande et lié l’une des deux veines 276 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. principales, l’autre veine, encore perméable, a été placée sur un petit support de fer, muni d’un ressort très-mince, dont on pouvait augmenter ou diminuer la tension par un mé- canisme spécial; ce ressort servait à comprimer le vaisseau sans le léser. J’ai préféré ce procédé aux moyens ordinaires qui servent à mesurer la pression du sang, afin de com- promettre aussi peu que possible, dans la suite, les condi- tions normales de la circulation. Avant l'irritation du nerf glandulaire, je donnais au ressort le degré de tension qui suffisait exactement pour intercepter la circulation dans le vaisseau comprimé. Puis j'irritais le nerf lingual, soit direc- tement, soit en instillant un peu de vinaigre dans la bouche de l'animal. La sécrétion ne tardait pas à se montrer et avec elle la turg'escence des vaisseaux glandulaires. Après un temps très-court d'excitation, le ressort, cédant aux pul- sations de la veine, exécutait des mouvements alternatifs d'élévation et d’abaissement, et, à chacune de ces saccades, un jet de sang traversait le vaisseau. Je regrette, messieurs, de rie pouvoir, dans ce moment, répéter cette expérience devant vous, car à force de limer le ressort, pour l'adapter aux veines de chiens plus petits, j'ai fini par le consumer tout-à-fait. Si Ludwig n’a pas réussi à constater l'augmentation de pression, si clairement démontrée par l'expérience qui pré- cède, c’est probablement pour avoir laissé trop d’anasto- moses ouvertes, de sorte que le surcroît de pression se trouvait réparti sur un trop grand nombre de vaisseaux. Ce fait bien établi, l'augmentation de la production sa- livaire, dans les conditions indiquées, n’oppose pas plus de difficultés à l'interprétation physiologique que ne le fait, en général, l'énergie augmentée de toute sécrétion, coïn- cidant avec une hypérémie active de l’organe sécréteur. Je suis loin de prétendre que nous comprenions tout ce qui se passe dans ces cas, mais au moins pouvons-nous déclarer entièrement superflue l'hypothèse qui admet des nerfs « sé- DOUZIÈME LECON. 277 crétoires » particuliers, hypothèse qui, sous prétexte d’ex- pliquer la connexion de certains phénomènes, ne sert qu'à déguiser notre ignorance. Mais voici une objection plus sérieuse à notre manière de voir. Ludwig dit avoir observé que la lig'ature des deux carotides n'empêche pas le phénomène de la salivation irri- tative de se produire au moment de la galvanisation du nerf glandulaire, et que la sécrétion a même encore lieu, si l’on applique l’irritant nerveux immédiatement après la dé- capitation de l’animal. Ce fait curieux a été constaté sur le lapin. Mais il importe de remarquer, et cette circonstance a été relevée déjà par Oehl qui a répété l'expérience de Ludwig, il importe de remarquer, dis-je, que l’augmentation de la sécrétion constatée dans ces cas, est infiniment infé- rieure à ce qu'elle est durant la persistance de la circulation. D'ailleurs la ligature et même la section des vaisseaux principaux de la glande ne sauraient empêcher les petits vaisseaux de l’intérieur de la glande de se dilater au mo- ment de l’irritation des nerfs vasculaires dilatateurs, et de cette manière le reste de sang qui existe dans leur voisi- nage peut entrer plus intimement en contact avec le paren- chyme sécréteur. Oehl a vu, de plus, que la compression de la carotide, chez l'homme vivant, diminue notablement la quantité de salive fournie par la parotide au moment de l'excitation réflexe de la glande; et j'ai eu occasion de confirmer cette observation chez l’homme et chez le chien. Toujours est-il que, dans les observations citées, il y avait encore sécrétion. Or, ne savons-nous pas que la ligature de la carotide n'empêche pas l'oreille du côté correspondant de se réchauffer et de s’hypérémier par la section du sym- pathique cervical, bienque la chaleur et l'injection ne soient pas, à beaucoup près, aussi prononcées que lorsque la ca- rotide n’est pas liée ? La salivation, observée par Ludwig et par Rahn sur l’a- 278 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. nimal décapité, est du reste si peu considérable qu'on pour- rait bien la regarder comme une simple augmentation de l’excrétion. Quant au second élément que nous avons distingué dans la conclusion hypothétique de Ludwig, élément relatif aux forces qui produisent l'expulsion de la salive et que l'ex- périence a démontrées de beaucoup supérieures à la pres- sion du sang dans les grands vaisseaux glandulaires, il est évident que nous ne pouvons pas les regarder comme le résultat mécanique de l’affiux augmenté du sang. Aucun des phénomènes observés directement sur la glande, ne nous renseigne sur la source de cette force additionnelle. L'hypothèse de Ludwig paraît admettre que la pression dont il s’agit ici, soit dûe à ce qu’il appelle l'énergie de la sécrétion; mais qu'est-ce que cette énergie de la sécrétion? — Elle ne peut pas être la force avec la- quelle les éléments de la salive sont exprimés des vaisseaux pour pénétrer dans le parenchyme glanduleux, car si ces éléments subissaient réellement une semblable pression, avant d'avoir quitté les vaisseaux, cette pression serait inhérente à la colonne sanguine elle-même, ce qui est con- traire à la prémisse expérimentale. À supposer même qu’elle existât, cette pression formerait bientôt un obstacle à la circulation, et le sang devrait refluer des extrémités vascu- laires vers les troncs. — Elle ne peut donc être produite et agir sur la salive qu'après que ce liquide a été éliminé des vaisseaux et après qu'il a passé dans le tissu glandulaire proprement dit. — Or il est très-peu probable que le maxi- mum de la pression, observé par Ludwig, maximum qui, selon la remarque très-juste de l’auteur, est probablement de beaucoup inférieur au maximum réel, puisse agir sur le liquide dans le voisinage immédiat des vaisseaux, car la pression, propagée en tout sens dans le liquide, réa- girait à son tour sur les ramifications vasculaires qui se trouveraient comprimées de toutes parts. Il faut donc DOUZIÈME LEÇON. 279 qu'il s’intercale entre les vaisseaux et le liquide un obstacle quelconque , une paroi, capable de résister à cette pres- sion, ou plutôt, servant à la produire, par quelque chose - d’analog'ue à une contraction. La réserve que je mets à me prononcer sur ce dernier point, sera justifiée si l’on consi- dère que nous ne connaissons pas, dans le parenchyme des glandes salivaires, d'éléments musculaires contractiles; mais est-il besoin de rappeler qu'il existe dans l'organisme animal d'autres appareils contractiles (vésicules, etc.), dont la con- stitution microscopique ne correspond nullement à celle du tissu musculaire ? Notre aide actuel, M. le docteur Giannuzzi, a fait, pen- dant son séjour à Leipzig , des expériences qui prouvent, en effet, que la salive produite lors de l’irritation des nerfs, ne pénètre pas directement des vaisseaux dans les conduits de la glande, mais qu’elle passe par un tissu intermédiaire qui appartient au parenchyme glanduleux. Rien n'empêche d'admettre que ce parenchyme puisse engendrer, par un phénomène analogue à une contraction, une partie de la force servant à expulser la salive, ou du moins à la faire pénétrer dans les canaux excréteurs, lorsque la muqueuse de ces derniers est normalement perméable. Ce qui tendrait à confirmer cette supposition, c'est que, quand la muqueuse des conduits a été rendue imperméable à l’aide d’un pro- cédé spécial, imaginé par M. Giannuzzi, la glande, soumise aux excitations ordinaires, cesse d’excréter, pour devenir bientôt le siége d’un œdème diffus, accompagné de turges- cence de ses lymphatiques. Le procédé de M. Giannuzzi consistait à injecter, dans le conduit principal et jusque dans les conduits secondaires de la glande, une dissolution saline, ayant la propriété d’altérer la texture et la consti- tution physique de la couche épithéliale qui garnit la mu- queuse des conduits. M. Giannuzzi obtint de cette manière, comme nous l'avons dit, un gonflement œdémateux de la glande sousmaxillaire, après avoir excité pendant un certain 280 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. temps le goût de l'animal ou le nerf lingual; un liquide s’accumulait dans le parenchyme de la glande, sans qu'une goutte de salive vint humecter l'orifice externe du conduit. Mais, remarque importante, ce liquide recueilli, à l’aide d'in- cisions faites dans le corps de la glande, n’était pas encore de la salive complètement élaborée, mais, à ce qu’il paraît, un dérivé plus voisin du sérum sanguin, dont il rappelait la composition par sa richesse en albumine, bien supérieure à celle de la salive. Du reste, nous ne nous arrêterons pas à rechercher si la pression qui peut être surmontée par l’excrétion salivaire ou, ce qui revient au même, si l'énergie avec laquelle se fait cette excrétion, est engendrée dans le parenchyme même de la glande, ou bien dans les parois des conduits excréteurs, à leurs origines les plus déliées. Il nous suffit, pour le moment, de savoir que cette force a une autre origine que celle qui fait sortir les éléments salivaires des vaisseaux, et que, par conséquent, si l’on peut s'exprimer ainsi, elle lui est postérieure, quant à sa production. Assurément il ne peut plus être question de mettre la production de cette force sur le compte de nerfs préposés à la sécrétion; c’est plutôt nerfs ewcréloires qui faudrait dire, si l’on voulait, à toute force, maintenir l'hypothèse d’une action spécifique des nerfs glandulaires. Mais est-on en droit de créer une catégorie particulière de nerfs excré- toires, seulement parce que l'instrument anatomique, l'agent d’une contraction, qui est postulée par les données expé- rimentales, a échappé jusqu'à-présent à nos moyens d'analyse microscopique? Admettons qu'au temps où ont été faites les expériences de Ludwig, on ait connu l’hypérémie active de la glande et des petits muscles dont sont pourvues les dernières ramifications des conduits excréteurs, rien, dans ce cas, n'eût justifié la création d’une classe à part de nerfs sécrétoires. Eh bien, dans l’état actuel de la science nous connaissons l’hypérémie glandulaire, allant de pas DOUZIÈME LECON. 281 égal avec la production de la salive; nous savons de plus que la possibilité d'une contraction n’est pas indissoluble- ment liée à l'existence d'un tissu caractéristique, d'éléments musculaires, en un mot, que l’on regardait autrefois comme la condition indispensable de tout mouvement contractile. Donc, au lieu de nous reposer sur l’hypothèse gratuite de nerfs particuliers, préposés, par leur activité intrinsèque, au phénomène mécanique de l’excrétion, nous devrions plutôt chercher à analyser la seule chose qui soit réelle- ment caractéristique dans le phénomène de la salivation, je veux dire le.mode selon lequel la salive est poussée dans le tronc principal du conduit excréteur. Nous devrions exa- miner expérimentalement si peut-être durant cette pro- pulsion il se passe des phénomènes, pouvant servir à con- firmer ou à infirmer l'hypothèse d'une contraction paren- chymateuse qui se trouverait sous la dépendance des nerfs glandulaires. Et à ce propos, je dois vous rappeler encore une fois nos expériences sur la parotide du lapin, après la section du nerf petit pétreux. Comme je l’ai déjà décrit, il y avait, chez les animaux ainsi opérés, non pas cessation absolue de la sécrétion, mais persistance d’une sécrétion continue et uniforme, très-faible, dont le produit s'accumulait dans l'intérieur de la glande, sans être excrété spontanément. La glande se tuméfiait et ne déversait son contenu que si elle était comprimée extérieurement; l'effort exercé sur elle par la contraction des muscles sousjacents n’amenait au dehors qu'une très-petite proportion du liquide retenu dans son intérieur. Vous voyez, messieurs, qu'il y a là encore des points obs- curs, mais cette obscurité réside toute entière dans notre ignorance des agents mécaniques de l’excrétion, agents sur la texture desquels l’histologie est bien loin d’avoir dit son dernier mot. Quoiqu'il en soit, on entrevoit déjà que l'expérience de 282 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Ludwig ne pourra plus être invoquée pour prouver l'influence directe des nerfs sur l'acte de la sécrétion proprement dit, ni comme on l'a encore imaginé, pour faire admettre une action spéciale des nerfs sur la porosité des parties servant à re- tenir les liquides dans l’intérieur des organes, ou une action plus énigmatique encore des nerfs sur les affinités chimiques, déterminant les transformations des éléments nourriciers en produits sécrétoires. Toutefois, avec cette exposition, nous n'avons pas défini- tivement écarté les difficultés qui s'opposent à notre théorie. Nous avons subordonné la sécrétion à la vivacité de la cir- culation et surtout à la dilatation vasculaire, mais les par- tisans des nerfs sécrétoires nous demanderont toujours : comment se fait-il que le grand sympathique qui rétrécit les vaisseaux et qui, par conséquent, diminue la quantité de sang circulant dans la glande, puisse néanmoins donner lieu à la sécrétion et à l’excrétion d'un liquide particulier et bien caractérisé, liquide formé en quantité plus grande qu’il ne l’est durant le repos de la glande ? On conçoit bien, d’après notre manière de voir, que le sympathique, aussi bien que le lingual, puisse produire une contraction des éléments qui président à l'excrétion, mais comment peut-il activer, en apparence du moins, la sécrétion ? Nous avons déjà, dans ce qui précède, cherché à répondre à cette ob- jection, en démontrant que, chez le chien, le sympathique fournit à la glande sousmaxillaire des filets vasculaires mixtes, c'est-à-dire, à la fois des nerfs dilatateurs et des nerfs constricteurs, mais je suis le premier à convenir que cette explication ne lève pas toutes les difficultés et que de nou- velles recherches sont nécessaires pour élucider entièrement les problèmes indiqués. Messieurs, avant de quitter l’histoire de l’innervation des glandes salivaires, je ne puis passer sous silence une as- sertion qui a été émise, dans ces derniers temps, par Cl. Bernard, sur le rôle du ganglion sousmaxillaire et qui serait DOUZIÈME LEÇON. 283 d’une importance incalculable pour toute la physiologie du système nerveux, si elle venait à se confirmer. Il ne s’agit de rien moins que de l’indépendance complète du ganglion sousmaxillaire, vis-à-vis des centres nerveux. Ce ganglion formerait une sorte de centre autonome, capable de trans- former une impression sensible en excitation motrice, et de provoquer la sécrétion salivaire, même après avoir été com- plètement isolé de la périphérie et des centres, au moyen d’une double section du nerf lingual, en dessus et en dessous de l'émergence du rameau sousmaxillaire. Voici en quoi consiste l'expérience de CI. Bernard: Sur des chiens de très-grande taille, il coupe le nerf lingual, au niveau de sa bifurcation terminale, et presque immédiatement avant son entrée dans la langue, c’est-à-dire à environ quatre centimètres au dessous du point d’émer- g'ence du rameau sousmaxillaire. Ouvrant ensuite le conduit de Wharton, il y fixe une canule, afin d'observer les variations de la sécrétion salivaire. Aussitôt après cette double opé- ration, le même nerf lingual est coupé une seconde fois, au dessus de la sortie du rameau sousmaxillaire. De cette manière, toute la portion du nerf comprise entre les deux sections, se trouve séparée des centres et de la périphérie, et les irritations appliquées à son extrémité périphérique, ne peuvent plus être transmises aux centres n1 se communiquer à d’autresnerfs, par l’action réflexe de la moëlle et du cerveau. Dans l’animal ainsi préparé, l’irritation du bout périphérique de la portion isolée dulingual produit néanmoins encore une augmentation évidente de la sécrétion. Si cette augmentation, comme CI. Bernard croit pouvoir l’admettre, est le résultat d’une action réflexe, celle-ci n’a pu s'effectuer que dans le ganglion sousmaxillaire, qui, en effet, est la seule masse ganglionnaire restée en communication avec le point irrité et la glande. Pour exclure la possibilité que les racines sym- pathiques du ganglion aient quelque influence sur le phé- nomène, CI. Bernard fait la section de ces racines et les 284 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. effets restent les mêmes. — Mais dès que le ganglion lui- même est extirpé, l'irritation du bout périphérique de la portion isolée du lingual ne réagit plus sur la sécrétion salivaire. L'action réflexe, admise par CI. Bernard, ne se montre pas, selon lui, si l’on s’est borné à couper le lingual en un seul point, au dessus de l’émission du rameau sousmaxillaire, et si après cette opération, on irrite la langue à l’aide de sub- stances sapides. — On n'obtient, dans ces conditions, l'effet indiqué que si l’on galvanise, avec des courants très-éner- giques, la langue de l’animal, ou si de l'éther est appliqué sur les portions antérieures de l'organe. Je préviens que le fait annoncé par CI. Bernard est exact si l’on choisit, pour l'expérience, des chiens de très-grande taille, avec fistule sousmaxillaire, et si l’on irrite la portion isolée du lingual, jusqu'à 4 centimètres au plus en dessous du rameau sousmaxillaire. Cette irritation augmente très- manifestement la sécrétion. Allons-nous être forcés, pour cela, de recourir à l’ancienne hypothèse de l’autonomie des gan- glions périphériques, et y a-t-il réellement lieu de ressusciter une doctrine si formellement en opposition avec tout ce que nous savons aujourd'hui sur la solidarité du système nerveux? L’expérimentateur français ne se serait-il pas laissé induire en erreur par quelque circonstance accessoire, à laquelle il n’a pas assez pris garde, et qui nous rendra compte, d’une manière bien plus simple, des résultats de son expérience? Voici un premier fait qui affaiblit singulièrement l’expli- cation proposée par CI. Bernard et qui me frappa, dès que j'essayai de reproduire, avec quelques variations, l’expérience en question, peu de temps après qu’elle eût été publiée. Supposez, messieurs, qu’au lieu de pratiquer la double sec- tion du lingual en une fois, nous fassions d’abord la section périphérique, à quatre centimètres au dessous de l’origine du rameau sousmaxillaire, et que nous attendions quatre ou cinq jours, avant d'exécuter la seconde partie de l'opération. DOUZIÈME LEÇON. 285 Cette première lésion, tout le monde en conviendra, ne pourra compromettre, en aucune façon, ni la sensibilité ni la nu- trition de la partie supérieure du nerf, encore en communi- cation avec les centres. Achevant ensuite, au bout de ces quatre jours, l'expérience de CI. Bernard, en suivant scru- puleusement toutes ses indications, le résultat devra être forcément le même, puisqu’aucune altération n’aura pu sur- venir, pendant cet intervalle, dans la portion actuellement isolée du lingual. L'irritation sensible de l'extrémité péri- phérique de cette portion devra, comme au premier jour, se transformer en excitation motrice dans le ganglion sous- maxillaire et provoquer l'augmentation de la sécrétion salivaire. Voici un chien qui a subi, il y a quatre jours, la section du lingual gauche, à 3 ou 4 centimètres au dessous de l’é- mergence du rameau sousmaxillaire, et un peu au dessus de la bifurcation du lingual, avant son entrée dans la langue. Nous allons préparer le lingual de l’autre côté qui est en- core intact et le couper au même point que celui de gauche, afin d'établir la comparaison entre les deux côtés. — Cette opération étant faite, j'introduis des tubes dans les deux conduits de Wharton, et je fais immédiatement la section haute du lingual, au dessus du rameau sousmaxillaire, à gauche d’abord, puis à droite. La sécrétion, dans ce moment, est très-abondante des deux côtés, par suite de l’irritation mécanique des nerfs, et de l’éthérisation de l'animal. At- tendons jusqu'à ce que la sécrétion irritative ait cessé, ou qu’elle se soit assez affaiblie pour permettre de reconnaître une nouvelle augmentation. Actuellement j'élève, sur un crochet de fer, la portion isolée du lingual droit (non coupé préalablement) et j'irrite, avec un courant d'induction, son extrémité inférieure. Vous voyez presqu'aussitôt la salive qui, auparavant ne s’écoulait que très-lentement et par gouttes isolées, s'échapper en quantité abondante et former comme un ruisseau autour 286 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. de la canule. Confirmation éclatante du phénomène découvert par M. Bernard. | Irritons de la même manière le lingual de l’autre côté. Il n'y a pas d'effet visible. La salivation n’est pas aug- mentée. Pourquoi cette différence des deux côtés? Pour vous montrer que la glande salivaire du côté pré- paré il y a 4 jours, n’est pas moins capable de montrer une augmentation de sa sécrétion que celle du côté droit, j'ir- riterai le tronc du lingual, au point où il envoie les racines supérieures au ganglion sousmaxillaire. Salivation abon- dante, augmentée plus encore que dans l’expérience faite de l’autre côté. Il ressort de ces faits: 1° que la section périphérique du Hingual droit, faite il y a quatre jours, a altéré une des con- ditions nécessaires à la réussite de l'expérience de CI. Ber- nard; 2° que ce n’est pas une irritation sensible de la portion isolée du lingual qui a provoqué l'augmentation de la sécré- tion salivaire, observée du côté non preparé; car la section des nerfs sensibles n’altère pas la sensibilité de leur portion centrale, restée en communication avec le cerveau ou la moëlle. Si ce n’est pas une irritation sensible qui a eu lieu, c’est donc une excitation #otrice (ou vasomotrice ) Zrrecte qui est cause du phénomène observé. Cette supposition n’est admissible que s’il existe, dans la portion périphérique du lingual, avant sa bifurcation dans la langue, quelque filet récurrent, envoyé par le nerf à la glande sousmaxillaire, et qui perd son excitabilité le quatrième jour après sa section. La confirmation de cette particularité anatomique, assez peu : vraisemblable en elle-même, excluerait, à coup sûr, l’action réflexe admise par CI. Bernard. Eh bien! que nous enseigne l’anatomie, chez l’homme? Les tables d’Arnold (}riderici Arnoldi icones nervorum capitis. Heïidelbergæ, 1834) représentent le ganglion maxil- DOUZIÈME LECON. 287 laire muni de plusieurs racines, sortant, à des hauteurs dif- férentes, du nerf ling'ual (Table VII. N° 38, 39, 43. Con- frontez notre esquisse, Fig. 1). Trois petits filets, ac- collés l’un à l’autre (Z' À), émergent du lingual, au dessous du ganglion ma- xillaire, et sont récurrents. La même disposition se À DFE De trouve représentée dans ingual. G Ganglion sousmaxillaire. l'ouvrage de M. Long'et C Corde du tympan. « : : R R Racines supérieures. (Anatomie et Physiologie R' R' Racines récurrentes du ganglion. du système nerveux. T. II XL, $ Racine sympathique. VV Rameaux destinés au conduit de Wharton. pl. II, fig. 16 , 1842) (1). Si, dans les animaux dont s’est servi CI. Bernard, cette disposition se trouvait exagérée, c’est-à-dire, si, à 4 centi- mètres au dessous des racines supérieures du ganglion, il existait normalement une racine récurrente, beaucoup plus longue que les autres, l'excitation appliquée en ce point du lingual, serait évidemment une excitation directe de la racine supposée et par conséquent du ganglion lui- même. M. Bernard a opéré sur des chiens. Je me permets de faire passer sous vos yeux des dessins d'un anatomiste suédois, Evert Julius Bonsdorff (2), représentant la disposition des racines du ganglion sousmaxillaire, chez le chien. Cet ana- tomiste, étranger à la question qui nous occupe, peut être consulté par nous comme juge impartial. (Confrontez notre esquisse, Fig. IT). Bonsdorff n’admet pas, chez le chien, de (1) Comparez également E. P. BiscHorr. Microscopische Analyse der Kopfnerven. 1865 {(Labl: XIL fig. 40, i.), et MeckeL, De quinto pare nervorum cerebri, 1748, Gotlingæ. (2) Analtomisk Beskrifning ôfver de sex forsla Cerebral-Nerv-paren hos Hurden (Canis familiaris, Linn.). Helsingfors, 1846. Le travail dont il est ici question, a élé fait par DE HAaRTuANN, sous la direction de E. J, Bonsdorff, 288 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. véritable ganglion, mais un plexus sousmaxillaire (2 fig. IT) renfermant des corps ganglionnaires microscopiques. # # / / j j Hi Ÿ Z- SZ) \ NE VW / : = ÈS m7 | n = FR Le === NY ss 2 | c> RUN LA SAN L j VC ah AR A TA D CES a st (2 Æ 2 Re va __AN D Tr — CR 4 T3 Fig. I. L Nerf lingual. C Corde du tympan. P Plexus sousmaxillaire. r Racine supérieure de ce plexus. r' r’ Racine récurrente, à double origine. L' L' Bifurcation terminale du lingual. m Rameau sousmuqueux, buccal. S Rameau sublingual. a a Anastomoses entre le lingual et le rameau sublingual. g Rameau destiné à la glande maxillaire. Le rameau sousmaxillaire proprement dit (r) est simple sur la figure de Bonsdorff, mais bien au dessous de ce ra- meau, en avant même de la bifurcation terminale du lingual, vous voyez se détacher de la branche supérieure de cette bifurcation deux racines minces qui ne tardent pas à se réunir, pour former un long filet récurrent, entrant dans le plexus maxillaire. C’est l’existence de ce filet, long pré- cisément d'environ 4 centimètres, qui a échappé à CI. Ber- nard et qui va nous expliquer très-simplement ses résultats. Si l'on pratique, comme je l’ai fait aujourd’hui en votre présence, la double section du lingual en deux temps, en commençant par la section périphérique, et si l’on attend deux semaines, avant d'achever l'expérience, on trouve ré- gulièrement, à l'examen microscopique, un petit filet ner- veux désorg'anisé, accompagnant la portion isolée du lingual, depuis le niveau de la section inférieure jusqu’au plexus maxillaire. Ce filament, dans les conditions indiquées, ne DOUZIÈME LEÇON. 289 peut pas avoir été désorganisé par l'effet de la seconde section (supérieure) du lingual, pratiquée quelques instants , avant la mort de l’animal], mais a dû être séparé des centres lors de la première section, et il ne saurait en être autre- ment si l’on considère le trajet anatomique de la racine récurrente, située à proximité immédiate de la bifurcation du lingual. L’intervalle de 15 jours, écoulé entre les deux temps de l'opération, est suffisant pour amener la dégéne- rescence de la racine en question et nous rend compte aussi du non-succés de l'expérience de Bernard, faite seu- lement au bout de ce temps. J'ai réussi, dans un chien de très-grande taille, à pratiquer la section isolée de ce filet récurrent, après avoir disséqué et soulevé le tronc du lingual, sans le couper; puis j'ai laissé l'animal se remettre, pendant huit jours. La langue, examinée peu de temps après l'opération, avait perdu un peu de sa sensibilité, probablement par l'effet des tiraille- ments exercés sur le lingual; mais déjà le lendemain la sensibilité était redevenue normale, et le resta jusqu’au moment de la seconde opération, consistant dans la répé- tition pure et simple de l'expérience de CI. Bernard, avec la seule différence que la section haute du lingual fut faite sur l'animal éfhérisé, et que j'attendis deux heures, avant d'achever le reste des opérations. L'expérience demeura sans effet de ce côté, et réussit parfaitement de l’autre. Messieurs, s’il existait, dans le ganglion maxillaire, la possibilité d’une action réflexe, déterminée par les irritations sensibles des terminaisons du lingual, sans qu'il y eût nécessité d’une transmission préalable de l'excitation aux centres, les irritants appliqués aux rameaux buccaux et sousmuqueux du lingual, devraient encore provoquer la salivation réflexe, même après que l’on aurait coupé le tronc du lingual, avec la corde du tympan. Cette action réflexe devrait même se manifester avec plus d’évidence - que celle que l’on obtient à l’aide des irritations du éronc du TOME PREMIER 19 290 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. lingual, car nous savons en principe que les actions réflexes sont plus facilement déterminées par les impressions de la périphérie sensible. Nonobstant, tous les expérimentateurs et CI. Bernard lui-même sont d'accord sur ce point, qu'après la section du tronc du lingual, réuni à la corde du tympan, les excitations de la partie antérieure de la langue, par exemple, à l’aide de substances sapides, ont perdu toute influence sur la salivation maxillaire. Toutefois CI. Bernard fait observer, dans son dernier mémoire, que si, en thèse générale , les substances sapides ne sont pas aptes à ré- veiller l’action réflexe, admise par lui dans le ganglion maxillaire, cette action peut se montrer encore, toutes les fois que l’on électrise énergiquement ou que l’on irrite avec de l'éther, appliqué en substance, les parties antérieures de la langue, même après la section du lingual, pratiquée au dessus du rameau sousmaxillaire. Ces observations, je m’empresse de le déclarer, sont éga- lement exactes, mais ne prouvent rien en faveur de l’au- tonomie du ganglion maxillaire. Quant à la galvanisation de la langue, après la section du lingual et de la corde du tympan, ‘elle n’agit sur la salivation que si l’on se sert de courants érès-énergiques; et dans ce cas, il n’est plus pos- sible de limiter exactement l’action du galvanisme dans un organe gros, musculeux et mobile comme la langue; des déviations du courant sur les districts innervés par le glosso-pharyngien sont inévitables, et il y a action réflexe sur la glande, par l'intermédiaire du grand sympathique. Les expériences directes que j'ai faites à ce sujet, me per- mettent d'affirmer que l'excitation se transmet effective- ment par les nerfs indiqués et non par la voie du lingual. Quant à l'application de l’éther, il est indubitable que dans les conditions signalées, elle excite encore la sécrétion sousmaxillaire, bien qu'à un degré beaucoup moins marqué qu'avant la section du lingual. J'ai constaté que durant le premier jour après l'opération, l’action de l’éther, sous ce DOUZIÈME LEÇON. 291 rapport, est moins évidente qu'elle ne l’est une ou deux semaines plus tard: mais, remarque très-essentielle, les ef- fets de cette substance sont encore identiquement les mêmes, si, au lieu de l’appliquer sur la langue, on la porte au contact de la muqueuse labiale, de la muqueuse palatine ou même nasale, à l'exclusion de la langue, ou bien si l'on en fait respirer les vapeurs à l'animal opéré. L'action de l’éther sur la glande maxillaire ne dépend donc pas seule- ment d’une irritation du nerf lingual, mais d’une excitation plus généralisée qui a lieu également , quand l’éther est appliqué sur les parties antérieures de la langue rendues insensibles. — Rien, dans tous ces faits, je le répète, n’au- torise à admettre, avec CI. Bernard, une action réflexe ayant lieu dans le ganglion sousmaxillaire (1). Messieurs, comme nous aurons à nous occuper prochai- nement du mécanisme de la déglutition et du rôle que l’épiglotte joue pendant cet acte, je vais, avant de terminer cette leçon, extirper ce fibro-cartilage chez un chien sur lequel a été pratiquée depuis quelque temps la section des nerfs laryngés inférieurs. Je suis obligé de faire subir cette dernière opération à beaucoup de nos chiens fraîchement arrivés au laboratoire, pour les empêcher de se livrer à des concerts nocturnes trop bruyants et de discréditer ainsi les études physiologiques auprès des habitants du quartier. L'animal étant profondémment éthérisé, je fais largement (1) Voy. M. Scmirr. Relazione generale sugli sperimenti fatli nel primo trimestre del- l’'anno 1866 nel laboratorio fisiologico del Museo di Firenze. XI. Il ganglio sottomascel- lare non è da considerare come organo centrale di riflessione (Il nuovo Cimento, Tom. XXE, 12 luglio 1866). — Au moment de mettre sous presse, nous recevons un mémoire de Eckhard qui, ayant répété l'expérience de CI. Bernard, n’a pu copslater aucun des ré- sullats oblenus par l’expérimentaleur français. Nous ne pouvons expliquer celle différence de faits que par la différence des animaux employés. En effel, si l'on opère sur des chiens de faille moyenne ou même un peu au dessus de taille moyenne , le phénomène de la salivalion sousmaxillaire irritative, dans les conditions établies par CI. Bernard, manque trés-souvent. Dans plusieurs cas semblables, nous n'avons pu {rouver, à l’autopsie, le long rameau récurrent dont il vient d’êlre question. 292 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. écarter ses mâchoires par deux aides, dont l'un saisit la langue et l’attire énergiquement au dehors. Dans cette position, il est aisé de voir, au fond de la bouche, l'épiglotte dressée dans l’échancrure du voile du palais et de la saisir à l’aide d’un crochet, pour l’amener à proximité des doigts ou de l'instrument tranchant. Le crochet dont je me sers à cet effet, est aplati dans le sens de la largeur, pour per- mettre de traverser l’épiglotte dans son milieu et pour em- pêcher l'organe de ce placer obliquement au moment de l'opération, ce qui rendrait plus difficile son extirpation complète. — Après avoir attiré l’épiglotte avec le crochet, je la saisis directement entre mes doigts, et je la coupe, avec un bistouri droit, aussi près de son insertion que pos- sible, et de manière à ne rien laisser de la partie saillante du cartilage. L’hémorragie est peu considérable. L'animal étant encore insensible, il importe de prévenir l'entrée du sang dans les voies respiratoires. Le chien est rapidement délié ét couché sur le flanc, la tête dépassant le bord de la table: de cette manière le sang s'écoule librement au dehors. Le peu qui en est resté au fond du gosier, donne lieu à des mouvements de déglutition, dès le réveil de la sensibilité de l’animal. — A partir de ce moment le chièn peut être considéré comme hors de danger. Nous examine- rons, dans la prochaine lecon, les effets de cette opération. SUPPLÉMENT À LA LECON XII. Influence du nerf sympathique sur la salivation parotidienne du cheval. Postérieurement à ces Lecons, M. Eckhard a publié, dans le Journal de Henle et Pfeuffer (Tom. XXVIII, p. 120) une note concernant la sécrétion parotidienne du cheval, ob- servée au moment de l’irritation des nerfs glandulaires. Cet expérimentateur confirme, pour la parotide du cheval, la différence connue depuis longtemps pour la sousmaxillaire du chien, entre le liquide sécrété pendant l'irritation des nerfs cérébraux et celui sécrété pendant la galvanisation du grand sympathique. Eckhard avait coupé le sympathique avant sa réunion avec le pneumogastrique; irritant ensuite la partie céphalique du nerf coupé, il vit s’écouler par une fistule temporaire du conduit de Sténon, une salive qui se distinguait par plusieurs caractères de celle obtenue par l'ir- ritation des nerfs cérébraux. La salive « sympathique » pré- sentait un aspect blanchâtre et trouble, sa densité et sa cohésion étaient notablement plus grandes que celles de la salive « cérébrale », sans égaler cependant la densité de la salive « sympathique » sousmaxillaire. Cette salive paroti- 294 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. dienne blanchâtre contenait, à l'examen microscopique, beau- coup de petites molécules granuleuses, ayant un très-fort indice de réfraction; mais Eckhard ne put y retrouver les petites masses de protoplasme transparent que lui le premier avait découvertes dans la salive « sympathique » de la glande sousmaxillaire du chien. — Ces faits engagèrent l’auteur à répéter l'expérience sur la parotide du chien, mais il ne parvint pas à produire, chez cet animal, de sécrétion appré- ciable, par l'irritation du sympathique cervical. Eckhard suppose qu'en répétant l'observation sur le cheval, il sera peut-être possible de retrouver les masses de protoplasme dont il vient d’être question et qui sont probablement iden- tiques aux corpuscules de Oehl. M. Schiff a immédiatement répété ces expériences et en a confirmé tous les résultats chez le cheval. La salive qui s’é- coule pendant l'irritation du grand sympathique, est trouble, blanchâtre; elle contient une grande quantité de granulations moléculaires, provenant évidemment des cellules épithéliales de la glande, granulations qui, en très-peu de temps, se réunissent en masses irrégulières plus grandes, visibles à l'œil nu, et qui, après un repos prolongé, tendent à se dé- poser au fond du vase, mais dont une proportion notable reste suspendue dans le liquide auquel elles communiquent un aspect laiteux. Cette salive blanchâtre contient une pro- portion notable d’albumine dont une très-petite partie paraît ne pas se précipiter par l’ébullition. Son pouvoir diastatique n’est pas supérieur à celui de la salive parotidienne ordinaire. Elle est sans aucune action sur la cellulose, même après un contact très-prolongé. M. Schiff n’a pu y découvrir les masses de protoplasme déjà vainement cherchées par M. Eckhard. L'irritation du pneumogastrique, au cou, ne provoque pas, chez le cheval, de sécrétion parotidienne, au moins dans les cas observés jusqu'à-présent à Florence. On pourrait donc, à la rigueur, se dispenser de séparer les troncs du pneumo- gastrique et du grand sympathique pour obtenir la salive DOUZIÈME LEÇON. 295 dite sympathique; mais la galvanisation du pneumogastri- que donnant lieu à des désordres respiratoires, M. Schiff, à l'exemple de M. Eckhard, a toujours cherché à isoler com- plètement le sympathique, avant de l'irriter. La séparation réussit plus facilement du côté droit. Chez le cheval, c’est moins la cohésion que la couleur qui distingue la salive parotidienne « sympathique » de celle qui s'écoule au moment de l’irritation des nerfs cérébraux: mais cette différence de coloration saute tellement aux yeux qu'on reconnaît déjà la salive « sympathique » à la couleur des gouttes qui viennent se former à l'extrémité de la canule introduite dans le conduit de Sténon. Ce caractère est d'autant plus apparent que la salive sympathique s'écoule toujours en gouttes très-orosses. Il devient, dès lors, très-facile de recueillir séparément la salive sympathique et la salive or- dinaire, et de comparer entre elles, dans des expériences successives, les quantités de liquide fournies par l’un et par l’autre ordre d’excitants. Les quantités relativement grandes de salive « sympathique » que l’on obtient chez le cheval, permettent une évaluation sujette à moins d'erreurs que chez le chien, chez lequel une goutte de salive «sympathique » sousmaxillaire représente à elle seule une fraction importante de la quantité totale. Grâce à la possibilité de cette évaluation approximative, M. Schiff a pu diriger son attention sur quelques autres particularités de la salive parotidienne « sympathique » et étudier plus exactement les conditions spéciales sous lesquelles ce liquide est excrété. Cette recherche a été en- treprise surtout dans l'espoir d’éclaircir les difficultés que présente jusqu'ici le fait que l’irritation du grand sympa- thique, quoique ayant pour effet prépondérant la constriction des vaisseaux glandulaires, n’est pas toujours suivie immé- diatement par l’arrêt de la sécrétion, mais donne lieu d’abord à l’excrétion d'un liquide particulier ou du moins supposé tel. Chez un cheval qui n'avait pas mangé depuis 15 à 30 296 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. minutes, et dont le sympathique cervical ne fut préparé que plus tard, M. Schiff mit à nu et ouvrit le conduit de Sténon, opération qui excite toujours un peu la sécrétion de la glande. Le conduit, au premier moment et avant l'introduction de la canule, donna passage à 6 à 8 gouttes d'une salive blanche tout-à-fait semblable à la salive « sympathique » et seule- ment après vint la salive « cérébrale » transparente et très- aqueuse, comme l’est également celle qui est sécrétée sous l'influence des excitations du goût et de la mastication. Quelque chose d’analogue à déjà été observé par Bidder après l'ouverture du conduit de Wharton, chez le chien. L'excitation de la sécrétion parotidienne, produite chez le cheval par l'ouverture du conduit de Sténon et par l'intro- duction de la canule, diminua bientôt. L'animal étant aban- donné à lui-même et ne recevant pas de nourriture, l'écou- lement finit par tarir tout-à-fait. Du papier buvard, appliqué à l'extrémité de la canule, ne laissa pas, au bout de quelques minutes, reconnaître de traces d'humidité. Il y avait donc là, selon toute apparence, une intermittence complète de la salivation, circonstance éminemment favorable, comme on le verra encore, au genre de recherches qu'’ils'agissait d’instituer. Après avoir observé l'absence de toute salivation pendant environ 20 minutes, on donna à manger au cheval. Dès les premiers mouvements masticatoires, l'écoulement recom- mença, mais, chose singulière ! les premières gouttes se montrèrent de nouveau opaques, blanchâtres, semblables en tout point à la salive sympathique. Après elles vint la salive” irritative ordinaire, claire et aqueuse. Cette expérience, ré- pétée plusieurs fois, donna constamment le même résultat. Après chaque intervalle de repos, l'écoulement de la’salive limpide etait précédé de l’excrétion d’une petite quantité de salive blanche. Ayant laissé au cheval quelque temps de repos, M. Schiff isola le sympathique cervical et en irrita l’extrémité cépha- lique, à l’aide d’un courant induit faible. Comme dans les ESS DOUZIÈME LEÇON. 297 expériences antérieures, cette irritation produisit l'excrétion d'une certaine quantité de salive laiteuse. Les gouttes au commencement se suivaient rapidement, mais bientôt l'é- coulement se ralentit, et cessa tout-à-fait, bien que, comme nous l'avons dit, l'intensité du courant fût choisie, à dessein, assez faible pour ne pas produire l'épuisement rapide du nerf. — Néanmoins on continua encore pendant plusieurs minutes la galvanisation du sympathique, toujours sans observer le moindre écoulement salivaire. Cet arrêt de l'excrétion est entièrement analogue à ce que présente dans les mêmes conditions la salivation sous- maxillaire du chien. Selon l'hypothèse émise autrefois par Eckhard et déjà citée dans les pages qui précèdent, la salive blanche « sympathique » continuerait à se produire dans l'intérieur de la glande, pendant les derniers moments de l'irritation galvanique; mais sa viscosité l'empêcherait de s'écouler au dehors. Ce n’est qu'après une nouvelle excitation de la sécrétion, provoquée par les nerfs cérébraux (pour la glande sousmaxillaire, par la corde du tympan) que la pro- vision de salive sympathique, retenue dans les conduits excréteurs de la glande, serait poussée au dehors par une espèce de vis a tergo. Nous ignorons si Eckhard applique cette hypothèse, imaginée pour expliquer les observations faites sur la glande sousmaxillaire du chien, à la sécrétion parotidienne du cheval, dont le produit, fourni par l'excitation du grand sympathique, est beaucoup moins visqueux. — Quoiqu'il en soit, aux termes de cette hypothèse, si le sym- pathique a été irrité pendant plusieurs minutes, sans qu’il y ait eu excrétion, la salive formée dans l’intérieur de la glande, sous l'influence de cette irritation, devrait s'écouler en plus grande quantité ensuite, lorsqu'une nouvelle exci- tation viendrait frapper les nerfs cérébraux de la glande. La quantité de salive sympathique , sécrétée avant la salive irritative limpide, devrait, dans ces conditions, être supérieure à celle excrétée après un intervalle de repos de 298 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. la même longueur et même plus long. Eh bien, c’est ce qui n’a pas lieu. Lorsque, après l'expérience mentionnée, c’est-à-dire après l'irritation infructueuse du grand sympathique, pendant 2 minutes, M. Schiff attendait encore 6 minutes avant de donner à manger au cheval, les premières gouttes de salive qui s’écoulaient étaient bien de la salive blanche sympathique, mais leur quantité, au lieu d'être plus grande, était moindre que dans les expériences précédentes, où le repos avait duré par exemple 12 minutes. C'est ce que l’on vit très-clairement, en recueillant séparément et en mesurant les différentes portions de salive blanche sympathique, correspondant aux différentes périodes de l'expérience. Il est donc évident en premier lieu, que la salive « sym- pathique » ne s’accumule pas dans l’intérieur de la glande, n’est pas sécrétée en quantité augmentée, pendant l'arrêt de l’excrétion,observé au moment de l’irritation du sympathique. En second lieu, si la production de la salive blanche dépend réellement de l'irritation du grand sympathique, on doit forcément admettre que cette irritation a un effet double: c'est-à-dire qu’elle agit différemment au commencement et dans la suite de l'expérience; que durant les premiers mo- ments seulement elle provoque la salivation caractéristique, pour la suspendre et la faire tarir plus tard. Nous pouvons dès à-présent exclure la supposition que la glande continue, pendant la galvanisation du sympathique, à former, dans son intérieur, un liquide qui ne serait empêché de s’écouler au dehors qu'à cause de sa viscosité. Mais cette double action elle-même, si l’on y réfléchit, est assez énigmatique. On ne conçoit pas, en thèse générale, que le sympathique puisse provoquer, par le fait de son ir- ritation, une sécrétion quelconque, de quelque densité que ce soit, puisque nous n'avons aucun indice pour admettre que, chez le cheval, le sympathique envoie des filets dila- tateurs aux vaisseaux de la parotide, comme cela a lieu DOUZIÈME LEÇON. | 299 pour la sousmaxillaire du chien. Chez le chien, la galvani- sation du sympathique exerce une action mixte sur la sa- livation sousmaxillaire; selon la prépondérance plus ou moins marquée des filets dilatateurs, on obtient au commencement une salive plus ou moins aqueuse, devenant de plus en plus dense et plus rare, à mesure que l’action des nerfs constric- teurs prend le dessus sur celle des dilatateurs; il y a un passage graduel d'une espèce de salive à l'autre. Chez le cheval au contraire, la salive parotidienne présente deux mo- difications bien distinctes, sans degrés intermédiaires; c'est d'une part la salive claire, aqueuse, dite cérébrale, d'autre part la salive blanchâtre, opaque, dite sympathique. Cette différence est si tranchée et s'est montrée si régulièrement dans les expériences faites jusqu'à-présent sur le cheval, qu'elle suggère tout naturellement deux modes d'explication, les seuls possibles dans les conditions données, et entre les- quels l’expérimentation doit décider. Rappelons encore une fois que dans la dernière expérience, précédée d'irritation du sympathique, la salive blanche, ex- crétée après l'arrêt de la salivation pendant 8 minutes, était venue en quantité moindre que dans les expériences précé- dentes, sans irritation du sympathique, après un intervalle de 12 minutes, pendant lequel la glande n'avait pas excrété. On pourrait donc supposer — et c’est la première de nos explications — que la quantité de salive blanche, formée dans l’intérieur de la glande, est proportionnelle au temps de repos des nerfs glandulaires, que ce liquide n’est formé en général que durant le repos, indépendamment de toute action nerveuse, et que son expulsion est indistimctement provoquée, soit par l'irritation du grand sympathique, soit par celle des nerfs cérébraux. Ou bien — et c’est la seconde des explications — le sympathique conserverait son attri- bution de nerf salivaire; c'est lui réellement qui produirait, par son action spéciale, la sécrétion de la salive blanche. Il faudrait alors supposer de plus que durant le repos de : 300 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. la glande, l’action du sympathique prévaut relativement sur celle des nerfs cérébraux (qui président à la sécrétion de la salive aqueuse), et que cette prédominance d'action du sym- pathique ne vient à cesser qu'au moment de l'irritation , directe ou réflexe, des nerfs cérébraux. Cette dernière suppo- sition a déjà été formulée par Bidder. Comme on le voit, la première hypothèse exclut toute spé- cificité d’action du grand sympathique dans la production de la salive blanche; la seconde, au contraire, conserve une es- au sympathique son action spécifique, en lui attribuant de plus pèce de éonicité, d'innervation prévalant habituellement sur celle des nerfs cérébraux, en l'absence de toute excitation. Pour trancher l'alternative entre ces deux hypothèses l'expérience rapportée en dernier lieu ne suffit pas, bienqu’en apparence elle parle contre la spécificité d'action du grand sympathique. Il est vrai que dans une première période d’ar- rêt de la sécrétion, sans irritation du nerf, de 12 minutes, il s'était produit plus de salive «sympathique» que dans une autre période d'arrêt, longue seulement de 8 minutes, mais dont les 2 premières minutes avaient été occupées encore par la galvanisation du sympathique. Comme l’irritation em- ployée n’était pas de celles qui épuisent le nerf, on pourrait être enclin à admettre que la galvanisation du nerf, pendant les 2 premières minutes de l'intervalle, aurait dû produire, pendant les 6 autres minutes, une prévalence d'action du sympathique, supérieure à sa prévalence habituelle et phy- siolog'ique, admise hypothétiquement, et que par conséquent la salive blanche, pendant l'intervalle de 8 minutes, aurait dû se former en quantité plus grande que durant l'intervalle de 12 minutes, sans irritation, ce qui n’a pas eu lieu. Mais même en concédant (ce qui, comme nous l'avons vu, n’est pas exact) que le sympathique ait fait augmenter la sécrétion pendant les deux premières minutes d’irritation, on pourrait objecter à ce raisonnement que le nerf, durant les 6 autres minutes, se trouvait peut-être dans un état, sinon d'épuise- DOUZIÈME LEÇON. 301 ment, du moins de fatigue, de sorte que l'effet de son exci- tation initiale aurait été compensé par sa dépression subsé- quente. De cette manière la sécrétion, plus vive d’abord, se serait ralentie plus tard, jusqu’à descendre au dessous de son énergie normale. De là aussi l’excrétion de salive blanche moins copieuse après l'intervalle avec irritation préalable, que dans l'intervalle plus long, sans irritation. Il était nécessaire de contrôler la valeur de cette objection par de nouvelles expériences. Si, comme le veut l'hypothèse, la salive blanche est pro- duite grâce à une action continue et physiologique du grand sympathique, cette action doit se prononcer davantage, et il doit se former plus de salive opaque, au commencement de l'irritation galvanique du nerf. Voici par quel procédé M. Schiff parvint à exclure cette supposition. Exp. I. Chez un cheval, il variait les périodes de repos entre chaque irritation du sympathique. Au moment de l'ir- ritation, il recueillait la salive blanche qui s’écoulait, et l’ir- ritation était continuée, jusqu’à ce que les gouttes de salive devinssent très-rares. Les quantités de liquide, ainsi re- cueillies et mesurées, étaient comparées à la longueur de l'intervalle de repos qui avait précédé l'irritation. On con- stata de cette manière que les quantités de salive blanche que l’on obtient par l'irritation du sympathique, sont à-peu- près en raison directe de la durée du repos qui précède, pour les intervalles inférieurs à 36 minutes. Pour les inter- valles supérieurs à 36 minutes, les deux valeurs ne sont plus proportionnelles, et l'augmentation de la salive est re- lativement moindre, mais toujours est-il qu'après un repos plus long, il s’écoule plus de salive. Exp. IT. Autre cheval. L'animal n’a pas reçu d'avoine depuis environ 30 minutes, mais on ne sait pas combien de temps il a mis à manger la dernière ration. — On ouvre le con- duit de Sténon; écoulement d’une quantité à peine appré- 302 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. ciable de liquide. La canule est mise en place, et l’on donne à manger au cheval. Immédiatement il sort par la canule de la salive blanche, laiteuse , qui est recueillie dans un tube de verre, jusqu'à ce que les gouttes commencent à devenir transparentes. | nan Lt M ou Repos inférieur à 30 mi- | Salive blanche | Salive aqueuse ve- nutes. | 12 à 13 vol. nue après: 160 vol. RÉMMRS RO 7 | On retire la nourriture | | ? Q . . | À | Sali 0 ë Faite ait RER | Salive blanche | dé PAMAEEUER de 10 minutes, après le- | . .. quantité non déter- à | initiale 9 vol. : | quel on donne à manger | minée. | au cheval. | GR “ Ensui ï ge Repos de 10 minutes, a- co les PiAnCHE nsuite Le clai près lequel on force l’a- re,enquantiténon | N | 8 vol. + nimal à manger. déterminée. | | Reposde 10 minutes. On | met de l’avoine dans la Salive blanche Salive claire. | bouche du cheval; il la 8 1/2 vol. | donne à manger. | 9 3/4 vol. | | mâche. a Même expérience, après | Salive blanche | Salive claire. | | un repos de 10 minutes. 7 3/4 vol. | | Era Fanane à ir | Même expérience, après | Salive blanche | Salive claire. | | un repos de 10 minutes. 8 1/2 vol. | | | ne | | | 12 minutes de repos. On Salive blanche : Salive claire. | | | | | On prépare et l'on coupe le sympathique cervical. On coupe aussi le pneumogastrique et l’on soulève les deux nerfs, au moyen de fils, pour les isoler dans l'air. Peu de temps après on donne à manger au cheval, et l'on obtient: Salive blanche, 14 vol. | DOUZIÈME LECON. 308 Puis le liquide qui s'écoule, devient rapidement opalescent, et enfin tout-à-fait clair. On retire la nourriture à l’animal. | Repos de 10 minutes. On donne à man- | ger. Salive blanche: 9 vol. _ On retire la nourriture. | Après 10 minutes de repos, galvanisa- | tion du sympathique. L'animal fait très- | peu de mouvements La fistule donne: | 8 vol. de salive blan- che, tout-à-fait sembla- (ble à la première. Ensuite la canule reste à-peu-près sè- che, malgré la continuation de la gal- | | | | | vanisation. | | | Repos de 10 minutes. Galvanisation | | | plus forte. Salive blanche : 8 12 | vol., puis arrêt de l’ex- | | crétion. | La galvanisation du pneumogastrique suspend la respi- ration dans l'inspiration. Pas d'écoulement salivaire. (Avant cette dernière g'alvanisation on avait pratiqué la trachéo- tomie). | 14 minutes après la dernière galva- | nisation du sympathique, on donne à manger. Salive blanche: 10 vol. Après la salive blanche, il s'écoule de | la salive opalescente, puis tout-à-fait | claire. On retire la nourriture. | 15 minutes après, on donne à manger. | Lasalive blanchen’est | pas mesurée, mais son volume ne paraît pas inférieur à celui dela dernière expérience. | | 4488 304 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Après la salive blanche, il vient une grande quantité de salive claire qui s'écoule en jet. Dans ce moment on irrite mécaniquement le sympathique. Le jet de salive se rompt, pour former des gouttes qui deviennent de plus en plus rares et qui cessent bientôt, quoique l’animal contmue à mâcher l’avoine. On fait cesser l’irritation, et la salivation recommence presque immédiatement. La même expérience a été faite, avec un égal succès, sur une partie un peu plus périphérique du sympathique. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les chiffres qui pré- cèdent, pour se convaincre que l’irritation du sympathique n’agit pas, d’une manière spécifique, sur la sécrétion de la salive blanche. Zes quantités de salive blanche, obtenues soit par la galvanisation du sympathique, soit par l'eæci- lation réflexe des nerfs cérébraux, sont sensiblement les mêmes après des intervalles égaux de repos. L'irritation du sympathique n’ajoute donc rien à la quantité de salive blanche formée dans l'intérieur de la glande pendant un temps donné, et c’est la longueur de l'intervalle de repos qui règle cette quantité. A fortiori il faut donc rejeter l'hy- pothèse qui attribue la formation de la salive blanche à une action non interrompue, à une Zonicité du grand sym- pathique, hypothèse qui, pour s’étayer, a besoin de la se- conde hypothèse d’une prévalence d'action du grand sym- pathique sur celle des nerfs cérébraux, pendant le repos de la glande. Ayant ainsi exclu la première de nos deux possibilités, indiquées plus haut, nous sommes forcément ramenés à la seconde, qui consiste à regarder la salive blanche comme le produit d’une sécrétion continue des éléments glandu- leux, produit simplement exprimé du tissu glandulaire par lirritation du grand sympathique, comme il peut l'être ég'alement par l’irritation réflexe dés nerfs cérébraux. Il est probable que le grand sympathique qui a pour fonction de resserrer les vaisseaux parotidiens, fait contracter en même DOUZIÈME LECON. 305 temps le tissu de la glande, et que par cette contraction la glande se débarrasse de son contenu, formé indépen- damment de l’action nerveuse. Mais ces faits ne nous enseignent rien de positif sur ce qu'est la salive claire et aqueuse qui s'écoule pendant l'irritation réflexe des nerfs cérébraux. Ce liquide est-il spé- cifiquement différent de la salive blanche que nous appel- lerons salive de repos? En d’autres termes, la sécrétion habituelle et continue de la glande est-elle supprimée ou non, pendant que les nerfs cérébraux provoquent l’écou- lement copieux de la salive transparente ? Cela paraît peu pro- bable. Il est plus vraisemblable que la salive transparente n’est autre chose qu'un mélange de la salive de repos (formée en quantité proportionnelle au temps que dure l'excitation), avec le liquide aqueux fourni par la transsudation des vais- seaux, durant l'augmentation de la circulation glandulaire. Mais que deviennent, dans la salive transparente, les éléments histologiques, les granulations, les débris épithé- liaux, ete, qui sont contenus en si grande quantité dans la salive de repos, et qui forment dans celle-ci des agglo- mérations polymorphes, visibles à l'œil nu ? _ Eh bien, ces éléments ne manquent pas dans la salive transparente, seulement, étant délayés dans une très-grande quantité de liquide, ils sont rendus moins visibles et peuvent paraître nuls dans la salive fraîchement excrétée. Il suffit de recueillir 60 à 100 grammes de salive transparente et de la laisser reposer pendant un peu plus d’une heure et demie, pour voir se ramasser au fond du vase une pellicule à bords irréguliers, filamenteux et enroulés, pellicule qui en peu de temps devient beaucoup plus compacte , se dé- double parfois en deux couches et qui ressemble à s’y mé- prendre, à un coagulum d’albumine. A l'examen micros- copique , ce précipité se montre essentiellement composé des mêmes granulations qui constituent les grumeaux de la salive blanche: il contient en outre des cristaux de car- TOME PREMIER 20 306 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. bonate de chaux. La salive transparente renferme donc les éléments histologiques caractéristiques de la salive blanche et ne se distingue de cette dernière que par sa plus grande richesse en eau et en sels. Après la déposition de la masse blanchâtre décrite, le liquide surnageant devient encore plus clair. D'autre part, si l’on recueille toute la salive ar ah qui s'écoule pendant 5 minutes (de mastication), et si en- suite on laisse à la glande 5 minutes de repos complet (sans excrétion), on peut, par l'irritation du sympathique, faire sortir une certaine quantite de salive blanche. Cette petite quantité de salive blanche, selon ce qui vient d'être exposé, doit être équivalente à la quantité de salive blanche contenue dans la portion de salive transparente, recueillie d’abord. En effet, si l’on ajoute à la salive opaque recueillie en dernier lieu, de l’eau, jusqu’à lui faire égaler le volume de la première portion, elle en prend tout-à-fait l’aspect et la transparence, à la différence près que dans la salive aqueuse, abandonnée à elle-même pendant quelque temps, les dépositions grumeuses se réunissent ordinairement en une ou deux portions plus grandes, tandisque dans l’autre salive les grumeaux sont plus nombreux et plus petits. On voit donc que la salive blanche est sécrétée non seu- lement pendant le repos, mais que sa sécrétion est con- tinue et qu’elle ne cesse pas pendant l’excrétion de la sa- live transparente. Ces expériences permettent de nier, en thèse générale, l'existence d'une salive « sympathique » particulière pour la parotide du cheval, et démontrent que le liquide qui a été regardé par quelques auteurs comme spécifiquement distinct de la salive parotidienne aqueuse, n’est autre chose que le ptoduit de la sécrétion normale et continue des élé- ments glandulaires. Nous avons déjà dit que Bidder a formulé récemment, pour la sousmaxillaire du chien, la supposition, actuellement ré- DOUZIÈME LEÇON. 307 futée, d’une action spécifique du grand sympathique, se mani- festant même à l’état de repos de la glande, par une espèce de prédominance relative et physiologique de l’action de ce uerf sur celle des nerfs cérébraux. Hâtons-nous d’ajouter que Bidder ne s’est pas définitivement prononcé pour cette opinion et qu'il paraît également avoir entrevu la possibilité con- traire que nous venons de discuter. Mais cette possibilité n’a pas été contrôlée par Bidder au moyen d’expériences directes. Si la parotide du cheval conduit à ce résultat, M. Schiff n'hésite pas à le généraliser pour les autres glandes sali- vaires. Seulement les données expérimentales fournies par la parotide du cheval, sont beaucoup plus claires, en pre- mier lieu parcequ'elles sont mesurables et en second lieu parceque, selon toutes les expériences faites jusqu’à présent, le sympathique n'envoie à la parotide du cheval que des filets vasculaires constricteurs. La séparation anatomique des nerfs vasculaires à fonctions antagonistes est une cir- constance éminemment favorable à l'étude de leurs attri- butions physiologiques, et cette séparation , comme on le sait, n'existe pas chez le chien, dont le sympathique sous- maxillaire peut renfermer à la fois des filets constricteurs et des filets dilatateurs. Les partisans de la théorie des nerfs « sécrétoires » spé- claux, nerfs qui auraient pour fonction d'augmenter ou de diminuer la sécrétion indépendamment de la circulation, ont souvent invoqué, à l’appui de leur thèse, l’existence d'une salive sympathique, distincte de la salive ordinaire. Ils ont demandé comment on pouvait expliquer le fait que l'irritation d’un nerf qui rétrécit les vaisseaux et qui di- minue la circulation, donne lieu à une sécrétion dont le produit, bien que présentant des caractères différents de ceux de la sécrétion normale, est néanmoins toujours formé en quantité plus grande que pendant le repos de la glande. Jusqu'ici il n’était pas facile de donner une explication sa- tisfaisante de ce phénomène, parce que, chez le chien, il ne 308 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. se montrait pas sous une forme simple et constante. Chez le cheval, cette forme simple et constante est trouvée, et, en effet, rien ne nous autorise plus à admettre une salive sympathique spéciale. TREIZIÈME LECON. Sommaire: Du mécanisme de la déglutition. — Différences à établir entre la deglutition des solides et celle des liquides, — Usages de l’épiglotte dans la déglutition des liquides. — Mécanisme de la déglutition secondaire, qui succède normalement à l'ingestion des li- quides. — Effets de l'exlirpation de l’épiglotle. — Expériences sur un animal sans épi- glotte. — Cas pathologiques chez l'homme. — Particularités de la déglutition chez les mam- mifères inférieurs, à épiglolte fortement développée. Messieurs, Je n'ai pas l'intention de faire, dans ce cours, une expo- sition détaillée des phénomènes mécaniques de la Zéglutition, qui sont longuement décrits dans la plupart des traités de Physiologie. Il suffira, pour notre but, de récapituler, en quelques mots, ce que ces phénomènes ont de plus saillant et d'indiquer les points qui importent particulièrement à la compréhension des problèmes spéciaux et non encore suffisamment élucidés dont nous aurons à nous occuper ensuite. Messieurs, l'acte de la déglutition, chez les animaux supé- rieurs, se compose d’une série de mouvements réflexes, destinés, par le déplacement et la juxtapposition consécu- tifs des organes de l’arrière bouche et de ceux qui entou- rent l’isthme du gosier, à créer un canal à parois continues, apte à permettre le glissement et la propulsion du bol ali- mentaire de la cavité buccale dans l’œsophage. Ce canal 310 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. ayant à effectuer, à l’aide des ses parois, la propulsion du bol alimentaire, devra reproduire en quelque sorte, et malgré la non-homogénéité de sa composition, le mouvement péri- stallique des autres canaux contractiles chargés de la même fonction, c’est-à-dire se transformer momentanément en un cul-de-sac mobile, embrassant en avant le corps à déplacer et empêchant le retour de ce dernier vers la bouche. Cette condition est réalisée, dès l’arrivée de l'aliment dans l’arrière- bouche, par l'application de la langue à la voûte du palais. La continuité de l’espace creux à parcourir au delà, étudié à l’état de repos, est interrompue en plusieurs points, savoir: en haut, par la saillie du voile du palais et par l’ouverture postérieure des fosses nasales; en bas, par une série d’iné- galités qui sont, d'avant en arrière, la rigole glosso-épiglot- tique, la proéminence de l’épiglotte et enfin l'orifice supé- rieur du larynx. Au moment de la déglutition, toutes ces parties changent de rapport; les saillies s’effacent , les la- cunes se comblent et l'entrée des voies respiratoires se trouve protégée par un double mécanisme. Les arrière- narines, d’une part, sont fermées à l'accès du bol alimen- taire par une cloison oblique, produite par la tension et le rapprochement des piliers postérieurs du voile du palais, et complétée en arrière par le muscle constricteur supérieur du pharynx qui, en se contractant, vient s'appliquer exac- tement au bord du voile du palais. — D'autre part, le plan incliné de la base de la langue et le reste du pharynx con- courant seuls à former le plancher du canal que doit par- courir l'aliment, le rapprochement de ces deux organes efface la lacune offerte par l’orifice supérieur du larynx et protège efficacement l'entrée du vestibule susglottique. Ce rapprochement serait impossible sans un mouvement en totalité du larynx, porté en haut et en avant par la con- traction des muscles sus- et sous-hyoïdiens. Les effets de ce déplacement en totalité sont doublement importants; 4 car, grâce à la fixation de la base de la langue, l’épiglotte TREIZIÈME LEÇON. 311 entraînée à la rencontre de cette dernière, exécute un mou- vement de bascule qui l’applique sur l’orifice supérieur du larynx; en même temps le pharynx, dont les muscles s'in- sèrent sur les cartilages laryngiens et sur l'os hyoïde, est forcé de suivre l'ascension du larynx lui-même et de venir se juxtapposer à la base de la langue, voûtée en arrière. Comme on le voit, le larynx, au moment de la déglutition, se trouve entièrement caché sous le bourrelet de la base de la langue; il est recouvert en outre par un opercule spécial, l'épiglotte, et si bien protégé contre l’entrée de tout corps étranger, que l'occlusion de la glotte pourrait paraître en- tièrement superflue. Cette occlusion néanmoins a régulière- ment lieu, et, comme l’a très-bien démontré Longet, en vertu d'un mécanisme indépendant des muscles intrinsè- ques du larynx. Nous reviendrons à ce mécanisme en ana- lysant les actions réflexes qui interviennent dans l’acte de la déglutition. Cet acte achevé, et l'aliment solide ou liquide, arrivé dans les portions supérieures de l’æsophage , le canal mo- mentanément formé par les parties entourant l’isthme du gosier, se disjoint, grâce à l'écartement et au retour à leur position primitive de toutes ces parties. À ce moment, si de nouvelles portions d'aliments n'arrivent pas de l’ar- rière-bouche , l'acte proprement dit de la déglutition peut être considéré comme terminé ; du moins il l’est pour les solides (1). Mais, quant aux liquides, nous verrons bientôt que leur déglutition ne s'arrête pas là et que même après le passage complet du courant principal, il survient une uouvelle sollicitation agissant d’une manière particulière sur l'appareil de la déglutition. Messieurs, quel est en tout ceci le rôle véritable 1e l'épe- glotte? Les opinions émises à cet égard par les phyÿsiolo- (1) Le passage du bol alimentaire de l'arrière-gosier dans l'estomac est ordinairement désigné comme troisième lemps de la déglutition. Nous y reviendrons. 312 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. gistes anciens et modernes, divergent sur plusieurs points et ne renferment pas de solution nette et définitive du pro- blème. Autrefois — est-il besoin de le rappeler? — on croyait que le bol alimentaire lui-même, en traversant l’isthme du gosier, abaissait élastiquement l’épiglotte sur l’orifice su- périeur du larynx et produisait ainsi, par le fait même de sa déglutition, l’occlusion des voies aëriennes. Cette théorie est généralement abandonnée, depuis que l'expérience a démontré que l’occlusion du larynx est un acte indépendant de la pression ou de l'effort mécanique, exercés directement par le bol alimentaire, et que l’ascension du larynx pré- cède l’arrivée du bol au dessus des voies aëriennes. Comîne nous l'avons vu tout-à-l’heure, l’épiglotte exécute son mouvement de bascule, en même temps que le larynx est attiré en haut et en avant; de plus il est facile de se convaincre que l'ascension du larynx à lieu dès que le bol alimentaire a touché la base de la langue et avant qu'il se soit engagé dans l’isthme du gosier. L’épiglotte, il est vrai, peut être aidée dans son mouvement de bascule par l’action de ses muscles propres: et Czermak considère ces muscles comme essentiels au mécanisme en question; mais très-souvent on n’en trouve pas de vestige à l'examen ana- tomique , sans que , durant la vie, ce mécanisme ait été en aucune façon altéré (1). Ne perdons pas de vue d’ailleurs qu'au moment où l’épiglotte vient s'appliquer sur l’orifice supérieur du larynx, la glotte est déjà fermée par la con- traction des muscles extrinsèques du larynx; qu’en outre les bords supérieurs du larynx et les ventricules latéraux (ou fossettes pyriformes) latéralement contigus à ces bords, se trouvent protégés et recouverts par la base de la langue; (1) On peut d’ailleurs se convaincre, par l'examen direct, que si l’on provoque des mouvements de déglulition chez des animaux dont on fixe énergiquement le larynx, pour l'empêcher d'exécuter son mouvement d’ascension, l'épiglotte reste immobile, el que par conséquent l’action des muscles aryléno- et (hyro-épigloltiques, admise par Czermak, est illusoire, dans l'attribution spéciale que voudrait leur donner cet auteur. TREIZIÈME LEÇON. 313 conséquemment le bol alimentaire, en passant de l'isthme du gosier dans l’œsophage, ne peut entrer en contact avec aucun point du larynx ni même de l’épiglotte, superposée à ce dernier. | Dès lors, à quoi bon cet appendice cartilagineux situé entre la langue et le larynx, si les aliments, pendant leur passage, ne le touchent nulle part, hormis peut-être sur une petite zône de ses bords, dépassant latéralement le niveau du larynx, et ne contribuant par conséquent pas à protéger l'entrée des voies aëriennes ? — Aussi l’inutilité de l’épi- glotte, pour la déglutition des substances solides, est-elle admise sans restriction par la plupart des expérimentateurs. Les avis diffèrent, quant à la déglutition des liquides. On conçoit, en effet, que les solides, lubréfiés à leur surface par le mucus buccal et pharyngien, ne laissent dans les voies de la déglutition aucune trace de leur passage; et théoriquement il est tout aussi inadmissible que la masse du courant liquide, au moment de son écoulement de l’ar- rière-bouche dans l’œsophage, puisse entrer en contact avec la surface de l’épiglotte. Mais, après l’accomplissement de la déglutition, quelques g'outtes, restées adhérentes à la base de la langue, pourraient s'engager dans le sillon situé entre cet organe et l'insertion de l'épiglotte, et se porter de là soit sur la surface de l’épiglotte, soit dans l’orifice supérieur du larynx, dans le cas où son opercule viendrait à manquer. L’utilité de l’épiglotte, dans la déglu- tition des boissons, serait alors assez évidente. Pour vérifier expérimentalement ce rôle hypothétique de lépiglotte, il fallait avant tout connaître les points de sa surface que les liquides peuvent humecter, pendant et après la déglutition. Voici par quel procédé j'arrivai à déterminer plus exactement ces points. J'accoutumai un chien de grande taille et naturellement très-patient, à se laisser largement ouvrir les mâchoires, et attirer la langue au dehors, jusqu'à ce que la base de 314 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. l'organe et l’épiglotte devinssent distinctement visibles. (L'animal portait, depuis quelque temps, une fistule stoma- cale). L’ayant amené à subir cette manipulation sans ré- sistance, même au milieu de ses repas, je préparai un mé- lange de sucre et d'encre d’alizarine très-fortement colorée, et, tenant la tête de l’animal légèrement élevée, je lui versai, par la bouche entr'ouverte, une certaine quantité du liquide colorant sur le tiers antérieur de la langue, dans ce moment rapprochée de la voûte du palais. Le chien s’agita aussitôt, m'échappa des mains, et fit un mouvement de déglutition en secouant la tête. Un peu d'encre se répandit à terre, et quelques gouttes, mélées de salive, jaillirent latéralement des lèvres de l’animal. Immédiatement je le saisis de rechef. et, lui ouvrant largement les mâchoires, j'attirai sa langue au dehors. La voûte du palais et toute la partie antérieure de la langue étaient fortement colorées en noir-violacé. Environ à deux centimètres en avant de l'extrémité posté- rieure de la langue, la coloration paraissait moins intense et se perdait entièrement sur la zône terminale de l’organe, jusqu'à l’épiglotte, dans une extension d'à-peu-près 10 à 12 millimètres. L'épiglotte elle-même ne montrait pas de traces de coloration. Tout le reste de l’isthme du gosier, visible du dehors, était noirci par le passage de l'encre. Les ven- tricules latéraux du larynx ne portaient de vestiges du liquide colorant que dans leur angle postérieur, à l'endroit où ils dépassent, pour l’œil de l'observateur, l'extrémité pos- térieure de la fente glottique qui leur est, en réalité, infé-- rieure. L'examen par la fistule stomacale montra que la plus grande partie de l’encre avait été avalée. Le résultat indiqué s'obtient toutes les fois que l'animal ne résiste pas à l'expérience et que l’on réussit à faire l’e- xamen du gosier ##médiatement après la déglutition, sans perdre un instant. Si l’on perd seulement 8 à 10 secondes, la coloration a déjà gagné, quoique à un degré peu prononcé, le dernier district de la base de la langue, mais sans atteindre TREIZIÈME LEÇON. 315 l’épiglotte. Plus tard encore on observe, dans beaucoup dé cas, une ligne colorée, transversale, correspondant au sillon glosso-épiglottique, mais la surface libre de l’épiglotte con- tinue à montrer sa colo:ation rosée normale. Il n'en est pas de même, lorsque l'animal est indocile et s'agite beaucoup au moment où sa langue est attirée au dehors. Il peut arriver, dans ces conditions, que la surface de l’épiglotte montre, vers son milieu, deux lignes noirâtres, longitudinales et irrégulières. Comment expliquer ce fait? On n'admettra certes pas que le liquide dégluti ait produit, par son contact direct, les deux lignes dont il s'agit, situées non pas sur les bords, seule portion de l'épiglotte non re- couverte pendant la déglutition, mais tracées sur la portion médiane et proéminente du cartilage. L'observation répétée ne Fed pas à m'éclairer sur la cause du phénomène, que je vis, à plusieurs reprises, se produire sous mes yeux, après avoir déjà ouvert la gueule du chien. Si, en ce moment, et la langue étant fortement attirée au dehors, l'animal com- mençait à s’agiter et contractait les muscles élévateurs de l’os hyoïde, l’épiglotte qui, dans la position donnée à la langue, proémine déjà librement dans l’échancrure du voile du palais, se rapprochait encore davantage de ce dernier et venait se frotter, avec sa face supérieure, contre le bord libre du voile du palais coloré en noir. Comme la muqueuse de l'épiglotte n’est pas unie, mais marquée de quelques inéga- lités saillantes, ce sont celles-ci qui doivent surtout recevoir l'empreinte colorée. De là la formation des lignes irrégulières indiquées. — Une confirmation bien évidente de ce qui pré- cède, me fut offerte dans un cas où l'encre contenait de petites particules demi-solides et gluantes. Une de ces par- ticules s'était accollée au voile du palais; l'animal ayant fait, au moment de l'examen, quelques mouvements et contracté les muscles élévateurs de l'os hyoïde, je vis la particule passer du voile du palais sur la surface libre de l’épiglotte. Il est aisé de se représenter le mécanisme que je viens 316 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. de décrire, si l'on considère la position élevée que prend l'épiglotte, lorsque la langue est énergiquement attirée au dehors. Dans ces conditions, même si l'os hyoïde n’est pas élevé par la contraction de ses muscles propres, la pointe mousse de l’épiglotte remplit presque complètement l’échan- crure médiane du voile du palais. Il suffit alors d’un très- léger mouvement d'ascension de l'os hyoïde, pour porter l'épiglotte au contact immédiat du voile du palais et pour appliquer la base de la langue de chaque côté aux piliers de ce voile. On aperçoit alors, au fond de la bouche, une cloison complète, formée par la juxtapposition de toutes ces parties, et établissant une séparation entre le fond de la cavité buccale d'une part et l'ouverture postérieure des fosses nasales et le pharynx d’autre part. Il résulte de ces observations que, chez le chien, les li- quides versés dans les portions antérieures de la bouche, /’a- nimal étant debout, sont déglutis sans toucher directement la base du plan incliné formé en arrière par la langue, et sans kumecter l’épiglotte ; mais que plus tard, après l’accom- plissement de la déglutition, quelques gouttes liquides, re- tenues dans l’isthme du gosier, peuvent passer, par diffusion, sur les parties indiquées. Je répète que l'ascension du larynx a lieu, dès que l’a- nimal averti et sollicité par le contact du corps étranger avec le milieu et la base de la langue, se prépare à l'acte de la déglutition, et avant que les aliments solides ou liquides se soient engagés dans l’isthme du gosier. L'introduction brusque de liquides dans l’arrière-bouche, chez des animaux couchés sur le dos, devra, comme on le conçoit, créer des conditions essentiellement différentes de celles considérées jusqu'ici. Nous aurons à revenir à ce sujet, en nous occupant du mécanisme de l’occlusion de la glotte Ra la dé- glutition. Le petit nombre de données expérimentales que l’on pos- sède sur cette question, chez l'homme, confirme pleinement TREIZIÈME LEÇON. 317 nos résultats, savoir que l’épiglotte, au moment de la dé- olutition, n'est ni touchée ni humectée par les aliments qui traversent l’isthme du gosier. Le problème que nous nous sommes posé au début, savoir si l’epiglotte est essentielle ou non à l’accomplissement normal deladéglutition, paraît donc devoir être résolu par la négative. C’est en effet à cette conclusion que tend le travail de Magendie, paru en 1813, sur l'usage de l’épiglotte dans la déglutition. Magendie qui, le premier, pratiqua l’extirpation de l'épiglotte par une plaie faite au cou, vit ses animaux avaler des aliments solides et liquides, sans accuser la moindre gêne. Le même auteur dit avoir vu, chez l’homme, des cas de destruction totale de ce fibro-cartilage, sans qu’il y eût aucune gêne de la déglutition. Il explique quelques obser- vations antérieures qui paraissent contraires à sa manière de voir, par la coëxistence probable, dans ces cas, de dés- organisations ulcéreuses du larynx ou du pharynx lui-même. Mais déjà Reichel (1), ayant répété, trois ans plus tard, les expériences de Magendie, arriva à d’autres résultats, plus en accord avec les idées que l'on s'était faites jus- qu'alors sur l'utilité de l’épiglotte pendant la déglutition. Il vit constamment survenir, chez les animaux auxquels il avait excisé ce fibro-cartilage, une certaine gêne de la déglutition, surtout des liquides. En 1841, Longet (2) se prononca dans le même sens, après avoir observé, sur six chiens, les effets de l'opération de Ma- gendie. Il vit que les aliments solides continuaient à être normalement déglutis, « mais, ajoute-t-il, il n’en est plus « de même des liquides, dont la déglutition est constamment « suivie d’une toux convulsive ». L’extirpation 2rcomplète de l’épiglotte, également pratiquée par cet expérimentateur, ne produit pas, selon lui, les troubles signalés, lors même (4) De usu epiglottidis. Berlin, 1816. (2) Recherches expérimentales sur les fonctions de l'épiglotle. Paris, 1841, 318 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. qu'on ne laisse subsister qu'une très-petite portion de l'organe. Citant ensuite une série de cas pathologiques, observés chez l’homme par Mercklin, Bonnet, Pelletan, Percy, Larrey, etc., et dans lesquels la destruction totale de l’épiglotte avait été suivie d'une gêne quelquefois exces- sive de la déglutition, Longet conclut à l'utilité évidente de cet opercule, dans l’acte spécial de la déglutition des liquides. Magendie, Reichel et Louget ont pratiqué l’excision de l'épiglotte, en mettant cette dernière à nu par une plaie faite au cou et en lésant la membrane hyo-thyroïde. Cette opération compromet inévitablement quelques muscles dont la fonction est étroitement liée au mécanisme normal de la déglutition. Aussi faut-il attendre la cicatrisation complète, avant de pouvoir commencer les expériences. L'opération , messieurs, que j'ai faite en votre présence à la fin de la dernière leçon, vous a montré la possibilité d'éviter les inconvénients signalés; en effet, à l’aide du pro- cédé, qui consiste à saisir et à extirper l’épiglotte au fond de la bouche de l’animal, on n'altère aucune des conditions présidant à l’accomplissement régulier de la déglutition. En outre l'hémorragie que vous avez vue très-modérée dans notre expérience, et qui est plus insignifiante encore dans d'autres cas, ne peut jamais être la cause d'accidents as- phyctiques, si l'on a soin de donner à la tête et au cou de l’animal, encore éthérisé, une position déclive. Avec le retour de la sensibilité, les derniers restes de sang, épanchés dans le gosier, sont promptement régurgités. J'ajouterai qu'après l’extirpation de l’épiglotte et avant le réveil de l’animal, il est possible de voir directement les mouvements respira- toires de la glotte, en écartant fortement les mâchoires et en déprimant la base de la langue. De la même manière on peut s'assurer, sur l'animal vivant, que l’on a coupé la to- talité de l’épiglotte ou qu’on en a laissé subsister une partie, comme je l’ai fait à dessein deux fois. TREIZIÈME LEÇON. 319 _Examinons maintenant le chien opéré il y a quelques jours. L’extirpation de l’épiglotte n’a pas influé sur son état général et il a continué à se nourrir comme à l'ordinaire. La déglutition des substances solides, — et en ceci nous pouvons confirmer pleinement les expériences de nos pré- décesseurs, — s’accomplit sans la moindre gêne. Je donne à l'animal un morceau de pain qu'il mâche et avale tout- à-fait régulièrement. — Je pose devant lui un vase rempli de lait. Il boit longtemps, sans tousser; les mouvements respiratoires ont lieu entre les mouvements de déglutition, dont la succession et la facilité ne laissent rien apercevoir d'anormal. I1 vide le vase et en lèche le fond, toujours sans Éousser. Comment, dès-lors, expliquer les assertions de Reichel et de Longet? Nous allons répéter l'expérience, avec une légère modi- fication. Je présente encore une fois au chien le vase rempli de lait. Je lui en laisse boire quelques gorgées; puis je lin- terromps brusquement, soit en l'appelant, soit en lui reti- rant tout-à-coup l'assiette. Chacune de ces interruptions est bientôt suivie, chez l'animal, d’un petit accès de toux, se répétant deux ou trois fois, mais n'ayant rien de véhément ui de convulsif, comme l'indique Longet. Parfois une quan- tité insignifiante de lait, — quelques gouttes à peine, — sont projetées au dehors par l'effort expiratoire. Cette toux, — vous le voyez, messieurs, — est si légère et l'animal a si peu l’air d'en souffrir, qu’il n’est pas éton- nant que, dans certains cas, elle ait pu échapper aux ob- servateurs qui, après l’extirpation de l’épiglotte, s’attendaient à des effets plus marqués. Les résultats négatifs de Magendie sont probablement dûs à cette circonstance. Est-ce le fait de l'interruption brusque de l'animal occupé à boire qui, dans les deux expériences qui précèdent, a pro- voqué l’accès de toux? 320 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Je vais répéter l'expérience avec une nouvelle modification. Le chien ayant recommencé à laper dans un vase un peu plus profond, j'enfonce son museau dans le lait, en appuyant ma main sur sa tête, ce qui ne l'empêche pas de continuer à boire; — puis je lui retire brusquement le vase. Le chien lève la tête, suit le vase des yeux, lèche le lait resté adhé- rent à son museau, e/ ne lousse pas. Un seul détail, messieurs, sur lequel je n’ai pas voulu at- tirer votre attention jusqu'à-présent, va nous rendre compte très-simplement de ces résultats contradictoires. En répé- tant à plusieurs reprises les expériences qui précèdent, vous reconnaîtrez, avec un peu d'attention, que toutes les fois que le chien, après avoir cessé de boire, exécutera un ou deux mouvements de déglutition, en apparence à vide, 1l ne tous- sera pas. Il toussera au contraire lorsque cette déglutition secondaire n'aura pas lieu par une cause quelconque. Ce fait bien établi, il suffira, pour en comprendre la signi- fication, de rappeler la disposition des organes composant l'isthme du gosier et les phénomènes qui ont lieu immé- diatement après la déglutition des liquides, à l’état normal. J'ai dit en commençant, et l'expérience démontre que, pen- dant cet acte, les liquides ne touchent aucun point de la surface de l’épiglotte, qui est alors presque entièrement cachée et protégée par la base de la langue, voûtée en haut et en arrière. Les substances solides et les liquides très-denses, en parcourant rapidement le canal formé par la réunion des organes de l’isthme du gosier, n’y peuvent laisser que très-exceptionnellement des traces de leur pas- sage; mais des liquides aqueux ou peu cohérents, comme je m'en suis assuré par deux expériences directes sur le chien, déposent régulièrement un peu d'humidité sur la paroi antérieure de ce canal. Cette humidité se réunit en gouttes qui s’écoulent le long du plan incliné de la base de la langue, et, lorsque le larynx est redescendu à sa place et l’épiglotte dressée librement, le liquide vient rem- TREIZIÈME LEÇON. 321 plir peu-à-peu le sillon glosso-épiglottique et descend de là dans les ventricules latéraux du larynx, quand l’épiglotte est intacte. Le résidu liquide qui, au commencement, se trouve ré- pandu sur toute la base de la langue, ÿ forme une couche trop mince pour réveiller, par action réflexe, un mouvement de déglutition immédiat. Mais plus tard, lorsque les gouttes se sont accumulées en quantité suffisante dans les ventri- cules latéraux du larynx, où elles sont déviées par l’épiglotte dressée au milieu de leur chemin, il y a irritation locale et production d’un mouvement réflexe de déglutition. Par ce mouvement, le larynx est de rechef élevé avec force et les fossettes pyriformes, changeant de niveau et même de forme, par l’action latérale des constricteurs du pharynx, déversent leur contenu dans le fond du gosier. — Cette déglutition secondaire pourra être simple, c’est-à-dire ne se produire qu’une fois, comme cela a lieu dans le plus grand nombre de cas, ou bien se répéter deux ou trois fois, jusqu’à ce que la sollicitation réflexe partie des ventricules latéraux du larynx, ait définitivement cessé, après l’expul- sion des dernières gouttes qui y étaient retenues. Je vous invite, messieurs, à faire sur vous-mêmes l’ob- servation suivante qui vous démontrera que ce que nous venons de constater chez le chien, a également lieu chez l’homme. Après avoir bu une quantité quelconque de liquide, et contrôlé les mouvements alternatifs de votre larynx, à l’aide d’un doigt posé sur la cartilage thyroïde, continuez à observer les déplacements de cet organe. Vous sentirez régulièrement, quelques secondes après avoir cessé de boire, une nouvelle contraction des muscles élévateurs du larynx, contraction correspondant à un mouvement de déglutition, exécuté avec la bouche et l'arrière-g'orge en apparence entiè- rement vides. Avertis du phénomène, vous réussirez peut- être, par un effort de votre volonté, à le supprimer ou à le retarder; mais beaucoup d’entre vous auront la sensation TOME PREMIER 21 322 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION, (que j'ai vue se produire chez un grand nombre de per- sonnes), comme s’il leur restait quelque chose à faire ou comme si l'acte de la déglutition n'était pas entièrement achevé. Il est facile de se convaincre de l'existence du même phénomène chez beaucoup d'animaux. Je lai souvent ob- servé chez le chat et chez des chiens à qui j'avais enfoncé, à cet effet, une aiguille longue et très-mince à travers la peau du cou jusque sur le bord supérieur du cartilage thy- roïde. Le mouvement secondaire de déglutition qui succède, après un intervalle relativement assez long, à la fin de la déglutition proprement dite des liquides, est, sans aucun doute, causé par l'accumulation des petits restes d'humidité qui peu-à-peu passent de la rigole glosso-épiglottique dans les ventricules latéraux du larynx. C’est probablement par le même mécanisme que nous avalons, nuit et jour, les petites quantités de salive qui s'accumulent lentement dans l’isthme du gosier et qui, de là, passent dans les fossettes pyriformes du larynx. Comment ce mécanisme va-t-il être influencé par l’excision complète de l’épiglotte ? La première conséquence de cette opération, comme on le voit, sera une direction un peu différente imprimée à l'écoulement du résidu liquide, à partir du sillon glosso- épiglottique. Ce qui dirige, à l’état normal, ce résidu dans les ventricules latéraux du larynx, c’est précisément l’ob- stacle de l’épiglotte qu’il rencontre dans la ligne médiane et qui le dévie, à droite et à gauche, vers les points les plus déclives. L’obstacle de l’épiglotte étant enlevé, plus rien ne s'oppose à l'écoulement direct du liquide dans l’orifice supérieur du larynx et, en revanche, il pénétrera moins d'humidité dans les fossettes pyriformes. L’'irritation de ces dernières ne sera donc pas suffisante pour réveiller un mou- vement secondaire de déglutition; les mouvements inspi- ratoires amèneront une partie du liquide dans le vestibule TREIZIÈME LEÇON. 323 sus-glottique et 1l en résultera la toux que vous avez vue tout-à-l'heure survenir chez notre chien, toux qui n’a pas besoin d'être bien énergique pour expulser du larynx les parties liquides qui y sont entrées. J’ajouterai, pour ne laisser dans votre esprit aucun doute à cet égard, que les irritations mécaniques légères, portées sur les ventricules latéraux du larynx, la langue étant forte- ment attirée en dehors et déprimée à la base, produisent régulièrement des mouvements de déglutition, tandis que l'irritation du vestibule sus-glottique et des cordes vocales provoque directement la toux. Les auteurs qui, à l'exemple de Longet, ont attribué à l’épiglotte un rôle important dans la déglutition des liquides, avaient donc raison d'admettre que la toux survenant quel- que temps après cet acte chez les animaux privés d’épiglotte devait être causée par les particules liquides retenues dans l'isthme du gosier et passant de là dans le larynx; mais ils étaient dans l'erreur en considérant cette toux comme une conséquence nécessaire et inévitable de l'opération in- diquée. Nons avons déterminé les conditions dans lesquelles ce phénomène à lieu, et c’est, je le répète, lorsqu'il ne sur- vient-pas, chez l'animal, un mouvement ultérieur de déglu- tition, servant à débarrasser l’isthme du gosier du résidu liquide qui y adhère encore, avant sa chûte dans le vesti- bule sus-glottique. Or, si nos conclusions sont exactes, un moyen très-efficace nous est offert, pour empêcher, à volonté, la toux de se produire chez les animaux sans épiglotte, après l’ing'estion des liquides. C’est en provoquant artificiellement, après l’ac- complissement de la déglutition proprement dite, une ou plusieurs déglutitions ultérieures faites à vide. J'ai appliqué, à deux reprises, ce moyen devant vous, et les résultats apparemment contradictoires que nous avons obtenus, concordent au contraire en tout point avec le principe établi. Souvenez-vous, messieurs, que lorsque le 324 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. chien, après avoir fini de boire, a Zéché l'assiette vide, ou son #useau, plongé un instant dans le liquide, il n’a pas toussé; de plus, que la toux n’est survenue chez lui que quand je lui ai retiré brusquement l'assiette qu'il a suivie des yeux, ou que je détournais fortement son attention en l'appelant pendant qu'il buvait. | Sur deux chiens à qui j'avais, le même jour, excisé l’épi- glotte, j'ai varié ces expériences de différentes manières. A l’un d'eux je présentai un grand vase rempli d’eau; à l’autre une assiette avec un peu de lait. Le premier ayant bu une partie de l’eau, s’éloigna et fut bientôt pris d’un léger accès de toux. Le second, après avoir soigneusement léché le fond de l’assiette, ne toussa pas. — Chez ce dernier l'acte de lécher les dernières gouttes d'un liquide très- agréable à son goût, avait déterminé quelques mouvements de déglutition à vide ou presque à vide, et, de cette ma- nière, il n’était rien resté au fond de son gosier. — Chez le premier, au contraire, les déglutitions avaient cessé au mo- ment où l’animal, rassasié, s'était éloigné du vase. La toux se montrait également, chez les deux chiens, lorsque je leur permettais de boire dans un grand vase rempli de lait et lorsque, avant de l'avoir vidé, ils s’en éloi- gnaient rassasiés. De même, quand je présentais aux animaux deux vases pleins d’eau et quand, au moment où ils avaient fini de boire, je jetais un morceau de viande ou un os au fond de l’un des vases, le chien qui saisissait l’os ne toussait pas, tandis que la toux ne manquait jamais de survenir chez l’autre chien, désaltéré cependant comme le premier. Voici un autre exemple de cette différence, réalisable à volonté: Mes animaux ayant été préalablement altérés par la privation complète de boissons pendant 12 heures, je leur présentai de l’eau : à l’un, dans une coupe plate, à l’autre dans un vase à fond étroit, terminé en entonnoir. Celui des chiens qui but dans le vase étroit et qui, arrivé au fond, TREIZIÈME LECON. 329 n'atteignait plus avec sa langue le niveau du liquide, fut obligé de laper et d’avaler à vide pendant quelque temps et ne toussa pas. L'effet contraire se montra chez l'autre. J'intervertis leurs rôles le lendemain et le vase à fond étroit déploya encore sa vertu préservatrice de la toux. Inutile de décrire plus en détail les variations multipliées que j'apportai à cette expérience, dont lé résultat fut constam- ment le même, savoir: que l’excision complète de l'épi- glotte, chez le chien, ne trouble pas la déglutition des liquides, si cet acte est suivi de déglutitions ultérieures, J'aites à vide et servant à débarrasser l'isthme du gosier des particules liquides qui y sont restées adhérentes. Cette opération, du reste, ne compromet en aucune façon la santé des animaux, et les chiens, après l'avoir subie, peuvent être conservés indéfiniment et continuer à se nourrir comme à l’état normal. Ajoutons encore que l'intensité de la toux qui succède à l’ingestion des boissons, dans les conditions signalées tout- à-l'heure, augmente d'une manière à peine appréciable si, au lieu d’eau ou de lait, on fait avaler aux animaux du bouillon fortement salé. L’excision incomplète de l'épiglotte, qui laisse subsister une portion plus ou moins étendue de la base de ce fibro- cartilage, n’est pas suivie, comme Longet l'a très-juste- ment fait remarquer, d’altérations appréciables de la déglu- tition des solides, ni des liquides. Les expirations rauques et bruyantes que l’on voit ordinairement succéder au vo- missement et qui servent à expulser du gosier les restes de nourriture provenant de l'estomac, ne m'ont pas paru être modifiées, quant à leur durée et à leur intensité, après l’ablation partielle de l’épiglotte. Le caractère de ces expi- rations varie d’ailleurs, en d’assez larges limites, chez les animaux sains eux-mêmes. Chez un seul chien je constatai, sous ce rapport, une différence assez marquée, avant et après l'opération dont il s’agit. Tandis qu'avant celle-ci, le 326 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. vomissement, provoqué par une dose d'émétique, était suivi de quelques efforts expiratoires peu énergiques et peu s0- nores — après l’excision incomplète de l’épiglotte, ces ex- pirations me parurent gagner en intensité et en sonorité, lorsque l’animal avait fini de vomir des restes alimentaires demi-liquides. Les faits communiqués jusqu'ici ne sont pas entièrement d'accord avec quelques observations pathologiques faites chez l’homme et déjà citées par les physiolog'istes qui, avant nous, se sont occupés de cette question. La destruction ou l’arra- chement complet de l’épiglotte est, en effet, suivie, chez l'homme, de symptômes assez variables, selon le caractère spécial et surtout selon les complications accidentelles de cette lésion. Disons à l’avance que les résultats des expé- riences faites sur des animaux, ne sont pas rigoureusement applicables à l’homme, chez lequel, comme nous le verrons, le mécanisme de la déglutition n’est pas, dans toutes les conditions, lé même que, p. ex., chez le chien. Si nous faisons abstraction des cas dans lesquels les lé- sions de l’épiglotte étaient compliquées d’altérations graves des organes voisins, essentiels au mécanisme de la déglu- tition, il va sans dire que les symptômes des maladies lo- calisées à l’épiglotte, ont dû varier beaucoup, selon que ce fibro-cartilag'e était détruit en totalité ou en presque tota- lité, mais en même temps tuméfié ou exulcéré. Dans ce dernier cas — et cette circonstance n’a été relevée par aucun des adversaires modernes de l'opinion de Magendie — dans ce cas, les troubles de déglutition ont dû étre de nature plus grave après la perte partielle qu'après la perte totale de l’épiglotte (1). Les ulcérations de cet opercule cartilagineux sont presque constamment accompagnées de (1) Ce fait a déjà été signalé par Haller (Elem. physiol. Vol. VI. Bernæ 1764, p. 89): Hinc, ab epiglottide erosa, aut rigida, aut resoluta , ut inverti nequiret, ex illapso in laryngem potu, funesti eventus sequuntur (Haller, à ce propos, rapporte des ças de Merklin, de Bonnet et de V. Helmont). 1 TREIZIÈME LECON. 327 tuméfaction irrégulière des ses bords. Au moment de la déglutition, le larynx est gêné dans son mouvement d’as- cension, par le corps charnu et calleux interposé entre les cartilages thyroïdes et la base de la langue. La juxtappo- sition de ces parties ne se fait done pas avec l'exactitude nécessaire à l’occlusion des voies aëriennes. Il reste, à l’en- droit de l’épiglotte déformée, une fente plus ou moins large, en communication avec l'orifice supérieur du larynx, et des parcelles d'aliments liquides et même solides peuvent, au moment de leur passage dans l’isthme du gosier, s'engager dans le vestibule sus-glottique et y réveiller des accès de toux violents. C’est ainsi que s'expliqueraient, en partie, les cas patho- logiques dans lesquels l’ingestion des substances solides aussi bien que liquides était constamment suivie d’une toux très-intense et suffocante. Il va de soi que la déglutition des liquides, dans tous ces cas, devait être plus régulière- ment altérée que celle des solides, proposition confirmée d’ailleurs par la plupart des observateurs. On voit que, dans les conditions signalées, l'épiglotte partiellement détruite et altérée dans sa structure, au lieu de faciliter la déglu- tition, formait, au contraire, le principal obstacle à l'ac- eomplissement régulier de cet acte. Guillelmini, Targioni et Magendie rapportent des cas de perte totale de l’épiglotte, supportée par les malades sans aucun trouble apparent de la déglutition. Ces faits semble- raient en opposition avec les observations de Larrey, citées par Longet comme preuves de l'utilité de l’épiglotte. Chez le second des blessés de Larrey, l'épiglotte avait été déta- chée en totalité par le projectile, « ce qui fut facile à vérifier, « puisqu’expectorée immédiatement après l'accident, elle « avait été présentée par le blessé au chirurgien. Cette « blessure, dit Larrey, laissant par conséquent tout-à-fait « à découvert la cavité du larynx » (nous savons qu'il n’en est pas ainsi) «ne put permettre à ce militaire, tourmenté 328 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. « par la soif que lui causaient la chaleur -très-forte de la « saison et l’irritation de la plaie, d’avaler aucun liquide « sans entrer aussitôt dans une toux convulsive et suffo- « cante ». Larrey ajoute que même après la cicatrisation opérée, cette difficulté particulière de déglutition existait toujours. Malgré l’assertion très-nette de Larrey, nous ne tenons pas pour entièrement certain que, chez le blessé dont il parle, l'épiglotte ait été détachée en totalité. De plus, il importe de remarquer que, dans ce cas, la toux convulsive se déclarait au moment même de l’ingestion des liquides, tandis que chez les animaux porteurs de la même lésion, elle ne survient, comme nous l'avons vu, que quelque temps après l’accomplissement de la déglutition. A supposer même que, chez les militaires de Larrey, il y ait eu arrachement complet de l’épiglotte, il n’y aurait pas encore lieu de sta- tuer, pour cet exemple, une exception absolue aux faits qui précèdent, car la lésion ayant été produite par un pro- jectile, celui-ci avait peut-être, en traversant le cou, désor- ganisé d’autres parties essentielles au mécanisme de l’as- cension du larynx, sans lequel la déglutition régulière n’est pas possible. Je dois, messieurs, revenir à cette occasion aux différences individuelles déjà signalées tout-à-l’heure, qui se rencon- trent, chez l’homme, dans le mode spécial d’ingérer les boissons. Chez Je chien et chez la plupart des mammifères qui boi- vent en Zapant et avec la tête baissée, les liquides ne pé- nètrent jamais dans l'estomac en vertu de leur pesanteur, mais grâce au mécanisme actif et péristaltique de la déglu- tition, qui a lieu également chez l'homme et qui permet à ce dernier de boire, comme on le voit faire à certains sal- timbanques, avec la tête en bas et les pieds en l'air. Ici les organes entourant l’isthme du gosier sont déjà préparés, par l'élévation du larynx, à recevoir les liquides ou, pour TREIZIÈME LEÇON. 329 mieux dire, à en empêcher l’entrée dans les voies respira- toires, avant que le fluide ingéré ait directement touché le gosier. — Lorsque nous buvons dans un verre ou à l’aide d'une cuiller, nous aspirons ordinairement le liquide ou nous le Awmons, comme l’a très-bien expliqué Maissiat. Le larynx, pendant cet acte, est ouvert et au maximum de sa phase inspiratoire; mais, à ce moment, le liquide ne se trouve encore en contact qu'avec les parties antérieures de la bouche. De là il progresse vers le fond de la cavité buccale et c’est alors seulement que commence, par action réflexe, la série de mouvements coordonnés qui constituent l’acte de la déglutition. Ces mouvements sont d’abord: le soulèvement de la base de la langue, portée en même temps en arrière, et l'ascension du larynx, déplacements qui, en se combinant, ont pour effet de couvrir le vestibule sus- glottique. Il est clair que l’absence de l’épiglotte, dans ces conditions, ne pourra pas être suivie de phénomènes diffé- rents de ceux que nous avons observés chez le chien. Mais il est des hommes, en assez grand nombre, qui ont perfectionné l’art de boire au point d'ingurgiter le contenu d’un verre ou même d’une bouteille, sans exécuter les mou- vements alternatifs d’élévation et d’abaissement du larynx. A cet effet ils renversent la tête légèrement en arrière, élèvent le verre au dessus des lèvres, et en laissent couler le contenu, en filet non interrompu, jusqu’au fond du gosier, d’où il gagne directement l’œsophage et l'estomac, en vertu de sa pesanteur. Cette manière de boire qu'il n’est pas rare de voir pratiquer aux s/ceple-chase bacchiques des confré- ries universitaires de l'Allemagne, paraït être très-répandue parmi la plupart des populations slaves. — C'est ce qu’on appelle, dans le midi de la France, boire à la régalade. Pour les hommes de cette catégorie (et la même possibilité doit se retrouver chez le singe), l'épiglotte est incontesta- blement d’une grande importance, car bien que ne recou- vrant pas exactement le larynx, resté en place pendant 330 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. l'ingestion des liquides, du moins elle en protège l'entrée, en déviant le courant liquide a droite et à gauche. Sup- posez ces personnes sans épiglotte, les boissons pourront pénétrer directement dans le vestibule sus-glottique, et, à moins d’une anesthésie de la muqueuse laryngée, il devra en résulter, dès le commencement de l'expérience, une toux irrésistible. — Les deux militaires de Larrey auraient-ils été des exemples de cette curieuse coïncidence? La déglutition, étudiée chez les mammifères inférieurs, présente quelques particularités dignes d'intérêt et en rap- port avec la question qui vient de nous occuper. Dans plusieurs classes de ces animaux, les liquides qui leur ser- vent de boisson pénètrent à l’improviste et d'emblée jusque dans l’arrière-bouche, sans que l’appareil élévateur du larynx ait eu le temps de se préparer à l’acte de la déglutition. C’est ce que l'on observe, p. ex., chez les marsupiaux et chez les monotrèmes, dans leur première jeunesse. Les petits de ces animaux ne tettent pas, mais préalablement fixés aux mamelles de leur mère, celle-ci, à l’aide de contractions d'un muscle volontaire, embrassant en arrière la glande mammaire (et dont je puis vous montrer les fibres striées dans des préparations que je possède), leur injecte de temps en temps le lait au fond du gosier. C’est ainsi encore que les cétacés, en saisissant leur nourriture, ing'urgitent toujours de très-grandes quantités d'eau qui n’a pas le temps de réveiller, dans les parties postérieures de la bouche, les mou- vements réflexes du larynx et des organes qui l’entourent. Chez ces animaux, l'appareil épiglottique doit très-essen- tiellement contribuer à la protection des voies respiratoires. L’Anatomie comparée confirme, de la façon la plus éclatante, cette supposition. Non seulement l’épiglotte des marsupiaux et des monotrèmes atteint un développement énorme, mais au cartilage protecteur du larynx s’ajoutent encore latéra- lement les apophyses des cartilages thyroïdes, faisant saillie dans la cavité pharyngienne. Rien de plus facile que d’étu- TREIZIÈME LEÇON. 331 dier cette remarquable disposition sur des exemplaires de marsupiaux à la mamelle, conservés dans l'esprit de vin, comme il s'en trouve dans toutes les collections d'anatomie comparée. Chez les cétacés, comme il est généralement connu, l'appareil épiglottique présente une disposition tout-à- fait analogue. — Ajoutons que Wolff a décrit, chez la loutre, une forme non moins singulière de cet appareil, également explicable par le genre de vie aquatique de ce carnassier. Encore une remarque sur les phénomènes qui se montrent, à l’état pathologique, à la suite de la déglutition des liquides. Nous avons vu que la déglutition secondaire qui a lieu avec la bouche et le pharynx en apparence vides, a pour cause l'irritation sensible des ventricules latéraux du larynx, par les restes d'humidité provenant de la base de la langue et du sillon glosso-épiglottique, humidité trop dispersée sur ces derniers points, pour y provoquer une nouvelle déglu- tition. L'action réflexe dont il s’agit ici, part des laryngés supérieurs du pneumogastrique, qui président à la sensi- bilité des fossettes pyriformes. Cette sensibilité abolie, le phénomène réflexe ne pourra plus avoir lieu, et le liquide, finissant par déborder des ventricules latéraux, pénétrera, en vertu des mouvements inspiratoires, dans le vestibule sus-glottique. S'il était possible d’abolir isolément la sen- sibilité des ventricules latéraux, en laissant intacte celle du reste du larynx, le liquide ne pénétrerait pas au delà, car en touchant la muqueuse sus-glottique, il provoquerait aus- sitôt un accès de toux qui le rejetterait des voies respira- toires. Nous aurions, dans ce cas, des effets presque iden- tiques à ceux de l’extirpation de l'épiglotte, sans paralysie des laryngés supérieurs. — Mais, on le sait, la condition supposée n’est pas réalisable, car en coupant les laryngés supérieurs, nous abolissons du même coup la sensibilité des fossettes pyriformes et celle de toute la muqueuse laryngée. En conséquence l’anesthésie complète du larynx permettra au liquide de traverser la glotte et de pénétrer dans des 332 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. points plus déclives de la trachée-artère. Or, l'observation démontre que la trachée est douée d’une sensibilité indé- pendante des laryngés supérieurs, et qu’à partir d’une zône plus ou moins rapprochée du cartilage cricoïde , les irritations de la trachée provoquent encore des accès de toux violente, après la section des nerfs indiqués. Dans les conditions qui nous occupent, cette toux ne pourra se produire que lorsque le liquide aura atteint les districts sensibles de la trachée; en outre, l’accès, comme il est fa- cile de le prevoir, sera plus violent et plus tardif à se dé- clarer qu'après l’irritation du vestibule sus-glottique. D'autre part 1l est évident que ce phénomène pourra être prévenu ou empêché exactement comme après l’extirpation de l’épiglotte, à l’aide d’un mouvement ultérieur de déglu- tition, artificiellement provoqué et exécuté avant la chûte des particules liquides dans la cavité du larynx. L'expérience confirme pleinement toutes ces prévisions. Notons enfin que la toux consécutive à la déglutition des liquides, chez les animaux privés des laryngés supérieurs, et en l’absence de déglutitions secondaires, accidentelles ou provoquées, n'est pas tout-à-fait aussi constante à se montrer que celle qui s’observe, dans les mêmes circon- stances, chez les animaux sans épiglotte. Je l’ai vue man- quer plusieurs fois, dans le premier cas, lorsque les animaux n'avait bu que des quantités très-petites de liquide (1). (1) Pour celte leçon, comparez M. Scuirr. Ueber die Function des Kehldeckels (Mo- lescholl’s Untersuchungen zur Naturlehre, IX, 4, 1864. QUATORZIÈME LEÇON. Sommaire : Innervation de l'appareil de la deglutition. — Fonctions sensibles et motrices des glosso-pharyngiens. — Rôle des trijumeaux et des pneumogastriques. — Attributions des rameaux pharyngiens de la dixième paire. — Usages des nerfs laryngés supérieurs et inférieurs. — Mecanisme de l'occlusion de la glotte, pendant la déglutition. — Effets, sur ce mécanisme, de la paralysie des nerfs laryngës. — Distinction à établir entre la déglu- tition normale ou régulière et la déglutition irrégulière. — Ces deux modes de déglutition considerés chez les animaux à larynx paralysé. — Toux trachéale, suite constante de la déglutition irrégulière, après la section des nerfs laryngés. — Usage des nerfs œsophagiens. — Effets de la paralysie de ces nerfs. Messieurs, Le sujet auquel j'ai touché en terminant la dernière leçon, nous amène à considérer aujourd'hui plus en détail les voies nerveuses par lesquelles a lieu le mécanisme ré- flexe de la déglutition. Comme dans toute action réflexe, nous avons à distinguer les nerfs qui perçoivent la sensa- tion et les nerfs qui transmettent l'impulsion motrice en- gendrée dans les centres. Les nerfs moteurs et les muscles qui entrent en contraction pendant la déglutition, étant - suffisamment connus, nous nous occuperons surtout des nerfs qui transmettent l'impression sensible. Et d’abord, la déglutition est-elle réellement un acte placé sous la dépendance exclusive des incitations dites réflexes, c'est-à-dire étranger à cette forme particulière de l’action réflexe que nous appelons la vo/onté? Il paraît évident, au premier abord, que nous pouvons exécuter, à volonté, et coup sur coup, des mouvements de déglutition 334 | PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. à vide; mais pour peu que l’on s’observe, on trouve que ces mouvements, très-faciles au commencement, se ralentissent de plus en plus et deviennent impossibles, dès que la pro- vision de salive qui servait à les provoquer est épuisée par 5 ou tout au plus 8 déglutitions consécutives. Aussi la fa- culté d’avaler à vide ne se reproduit-elle qu'avec la sécré- tion de nouvelles quantités de salive. — Aïnsi, dans cette expérience, l’acte facultatif ou volontaire n’est pas la dé- glutition elle-même, mais le mouvement par lequel nous portons la langue à la voûte du palais et par lequel nous faisons découler au fond de la bouche le liquide qui y est naturellement sécrété. L'impression sensible produite en ce point, nous ne pouvons plus, à moins d’un grand effort de volonté, nous opposer efficacement à l’accomplissement de l’acte réflexe qui en résulte. — Tout le monde sait à quel point il est difficile de retarder l'acte de la déglutition, quand , sollicitées par le contact d’un corps étranger, les parties postérieures de la bouche ont déjà donné l'éveil à l'appareil moteur du gosier. Comme la base de la langue et le voile du palais sont les premiers points dont l’irritation directe produit des mou- vements de déglutition, il semble naturel de placer dans la neuvième paire ou glosso-pharyngiens le point de départ de l’action réflexe. L'expérience répond que si normalement les glosso-pharyngiens participent à cette action, leur inté- grité n’est point indispensable à l’accomplissement régulier de la déglutition. Nous savons que les animaux qui ont subi l’extirpation de la neuvième paire, à sa sortie du crâne, avalent aussi promptement et aussi complètement que des animaux sains. Voici un chien que nous avons eu occasion d'observer autrefois en nous occupant du sens du goût. Chez lui, la résection et l’arrachement des glosso-pharyngiens ont été pratiqués dans la proximité immédiate de la bulle osseuse et du trou déchiré postérieur qui donne passage à ces nerfs; QUATORZIÈME LEÇON. 335 nous sommes donc sûrs de n'avoir épargné aucun rameau de la neuvième paire, et de ne pas avoir confondu cette dernière avec les rameaux pharyngiens supérieurs du pneu- mogastrique, comme il est arrivé à quelques expérimenta- teurs qui ont obtenu des résultats différents des nôtres. Inutile de rappeler ici les précautions que nous avons prises pour nous mettre à l’abri de cette erreur. Il suffit de voir l’'embonpoint de l’animal que l’on vient d'amener, pour se convaincre que sa nutrition n’a aucunement souffert depuis l'opération. Afin de vous permettre à tous d'observer à dis- tance les mouvements de déglutition de ce chien, je vais, messieurs, lui enfoncer, à travers la peau du cou et jusque sur le bord supérieur du cartilage thyroïde, une longue aiguille très-mince, terminée par un renflement blanc qui nous servira d’indicateur. Le chien étant placé debout sur la table, je lui ouvre largement les mâchoires et je touche, avec un doigt, la base de la langue. Pas de mouvement de l'aiguille. Je touche maintenant les piliers postérieurs du voile du palais. Aussitôt le chien fait une ou plusieurs dé- glutitions, pendant lesquelles l'aiguille se dirige en bas, indiquant que le larynx s’est déplacé de bas en haut. Ayant répété cette manipulation plusieurs fois et le phénomène étant reconnu constant, donnons au chien un peu de lait à boire. Il avale avec la plus grande régularité, malgré l’anesthésie de la base de la langue. Versons-lui brusque- ment de l’eau au fond du gosier en tenant sa tête élevée; il avale bien, mais à la déglutition succède immédiatement un très-léger accès de toux, résultant, avec toute évidence, de l’irritation du vestibule sus-glottique, surpris par quel- ques gouttes de liquide, avant l'ascension du larynx. La contrépreuve de cette expérience, répétée sur un chien normal, montre que, chez lui, les attouchements de la base de la langue provoquent régulièrement des mouvements de déglutition. La même régularité de ces mouvements nous est offerte 336 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. par le chat qui a servi à nos expériences sur le goût, et qui, outre la résection des glosso-pharyngiens et des cordes du tympan, a subi plus récemment la section des laryngés supérieurs du pneumogastrique. L'animal, placé devant un - vase de lait, boit longtemps et sans trouble appréciable de la déglutition; mais, dès que je l’interromps en l’effrayant ou en lui retirant l'assiette, il est pris d’une toux assez pro- longée et beaucoup plus violente que celle provoquée tout- à-l'heure chez le chien, par l'injection brusque d'un liquide au fond de son gosier. Nous connaissons les causes de cette différence et nous y reviendrons incessamment. Remarquez seulement que notre chat a toussé, bien qu'il soit privé des nerfs sensibles qui, d’après Bidder, ont seuls le privilège de provoquer la toux. Comme nous avons produit des mouvements de dégluti- tion, d'une part en irritant la base de la langue, d’autre part en irritant les piliers postérieurs du voile du palais, nous devons admettre que les deux nerfs qui donnent l'éveil à l'action réflexe dont il s’agit ici, sont les glosso-pharyngiens et les rameaux palatins descendants de la seconde branche du trijumeau. Il n’existe pas d'expérience directe sur le rôle de ces derniers nerfs. D'ailleurs les animaux qui ont subi la section intracrânienne des deux trijumeaux, ne peuvent pas être conservés au delà d’un certain temps. La plus grande partie de leur bouche étant devenue insensible, ils cessent de manger spontanément; les bords de leur langue s’exulcèrent, par l’action des dents, et on est obligé de les nourrir en leur faisant pénétrer les aliments par morceaux au fond de la bouche et du gosier, opération qu'ils suppor- tent très-patiemment et qui est suivie de mouvements de déglutition, dépendant de la sensibilité des glosso-pharyn- siens et des pneumog'astriques (1). (1) Les mouvements de déglutition ne m'ont pas paru altérés chez les animaux auxquels j'avais extirpé la plus grande partie ou la totalité du ganglion sphéno-palalin d’un côté (Voy. Supplément à la leçon VI) et dont les glosso-pharyngiens élaient arrachés. QUATORZIÈME LEÇON. 337 . Nous ne connaissons pas les effets qui résultent, pour le mécanisme de la déglutition, de la section simultanée des deux glosso-pharyngiens et des deux trijumeaux. Selon Brown-Séquart il paraîtrait que la paralysie bila- térale:du facial empêche directement la déglutition. Cette assertion n’est pas exacte: l'obstacle, dans ce cas, ne siège pas dans l'appareil de la déglutition, mais dans celui de la mastication, gêné dans son exercice régulier parce que les aliments ne peuvent plus être retenus dans la bouche. Est-il besoin de rappeler que les malades, en s’aidant des mains, appliquées sur les lèvres et sur les joues, apprennent bientôt à corriger, jusqu'à un certain degré, ce défaut, et qu'alors la déglutition s’accomplit normalement? Chez les lapins, après la section bilatérale de la septième paire, les aliments s'échap- pent également par les coins paralysés des lèvres, mais il est bien facile de se convaincre que, chez eux, l'introduction forcée d'aliments au fond de la bouche est immédiatement suivie de mouvements normaux de déglutition. — La para- lysie bilatérale de la septième paire n'est dangereuse et même mortelle que chez les enfants à la mamelle, par l'impossibilité de téter qui en résulte pour eux. Je ne veux pas nier que, dans ces cas, la nutrition artificielle ne puisse donner quel- quefois des résultats avantageux, mais, à ma connaissance, il n'existe pas d'exemple de guérison de cette maladie, tandis que l’kémiplégie faciale des nourrissons, de l'avis de la plupart des cliniciens, compte des exemples de gué- risOn. Le glosso-pharyngien intervient dans la déglutition non seulement comme nerf sensible, mais aussi, à ce qu'il paraît, comme nerf moteur. Herbert Mayo et Jean Müller ont trouvé que l'irritation de la partie périphérique du glosso-pharyngien produit, #xmédiatement après la mort de l'animal, des mouvements du pharynx. Biffi et Morganti ayant exclu, dans cette expérience, l'intervention de toute action réflexe, ont également obtenu ce résultat. Aujour- TOME PREMIER 22 338 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION, d’hui il est presque généralement admis que la neuvième paire envoie des filets moteurs aux muscles stylo-pharyn- gien et constricteur moyen du pharynx. Il n’est donc guère à supposer que le mécanisme de la déglutition, après l’ex- tirpation de la neuvième paire, reste toujours et dans toutes les conditions aussi normal qu'il s’est montré à nous dans les quelques expériences qui précèdent. En effet, les cas ne sont pas très-rares dans lesquels on observe, chez les chiens privés des glosso-pharyng'iens, des mouvements de flexion de la tête sur le cou, et du cou lui-même en avant, au moment de la déglutition qui, d’ailleurs, peut être aussi prompte et aussi complète qu’à l’état normal. Ces mouvements rappel- lent, par leur physiognomie, ceux qui accompagnent la déglutition d'un corps trop volumineux et donnent l’idée d’un effort nécessité par le jeu moins facile de l'appareil de la déglutition. Ils diminuent après une ou deux se- maines et ne se montrent pas chez tous les animaux chez lesquels en apparence l’extirpation de la neuvième paire a été également complète. Il y a tout lieu de croire que, dans les premiers cas, le défaut d’innervation des stylo- pharyng'iens et du constricteur moyen du pharynx crée une certaine gêne de la déglutition, gêne de peu d'importance d’ailleurs , puisqu'elle ne compromet en rien l'effet méca- nique de cet acte. La part d’innervation communiquée aux deux muscles indiqués par la neuvième paire, est très-pro- bablement sujette à beaucoup de variations individuelles, car la majorité des chiens ne m'a pas présenté les phé- nomènes décrits tout-à-l’heure, malgré l'existence de la même lésion nerveuse. ë Si Panizza a nié les fonctions motrices de la neuvième paire, c’est pour n'avoir pas connu une singularité qui distingue les filets moteurs de cette paire de la plupart des autres nerfs présidant au mouvement. La partie motrice du glosso-pharyng'ien paraît être, de tous les nerfs de la même catégorie, la première à perdre son excitabilité après la mort. QUATORZIÈME LEÇON. 339- L'excitabilité s'éteint si vite que, pour en démontrer l’exis- tence, il faut appliquer l'irritant presque au moment même de la mort de l’animal, et avant que le cœur ait suspendu ses battements. Lorsque toute réaction a cessé dans les filets moteurs de la neuvième paire, le facial, le pneumo- gastrique , les nerfs cervicaux réagissent encore parfaite- ment. Bifñ et Morganti ont, les premiers, signalé cette particularité (1). On pourrait être tenté, d’après ces données, d'attribuer exclusivement à un affaiblissement des glosso-pharyngiens les troubles de déglutition qui surviennent chez les mo- ribonds ; mais il n’en est pas ainsi, puisque l'expérience démontre que les phénomènes mécaniques de la déglutition ne sont jamais sérieusement compromis par la paralysie isolée de la neuvième paire. De tous les nerfs qui par leur sensibilité ou par leur fonction motrice influencent l’acte de la déglutition, c'est la paire vague qui joue le rôle le plus important. Les ani- maux auxquels on a coupé les pneumogastriques, tout près de leur sortie du crâne et au dessus du ganglion in- férieur ou plexus gangliforme de Willis, n’avalent, après cette opération, qu'en faisant les efforts les plus considé- rables, et très-souvent régurgitent les liquides presque aus- (4) Dans leur premier (ravail, paru en 1846, ces auleurs concluaient, comme Panizza, que les fonctions du glosso-pharyngien élaient exclusivement sensibles et sensitives. Mais une année plus tard , dans une lettre adressée à J. Müller (Müller’s Archiv. 1847), Bifä et Morganti décrivent un grand nombre d'expériences, faites sur des chiens, des agneaux et un cheval, avec toutes les précautions nécessaires pour exclure l’action réflexe des centres (isolément des racines de la neuvième paire sur des plaques de verre; destruction des centres), expériences confirmalives en tout point des résultats annoncés par J. Müller. Volkmann el Hein, ayant répété ces expériences, se prononcèrent également en faveur des fonclions motrices du glosso-pharyogien. J'ai eu souvent l’occasion d'observer des mouvements des piliers du voile du palais, de la luette, et des contractions du pharynx, accompagnées d’élévalion de ses portions supérieures el latérales, en irritant les extrémités des glosso-pharyngiens, arrachés du crâne avec leurs racines, et complètement isolés. Ces phénomènes, comme l'ont très-bien décrit Bit et Morganti, disparaissent trés-promptement aprés la mort de l'animal. 340 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. | sitôt après les avoir déglutis. La physiognomie des chats ét des chiens rappelle assez, dans ces conditions, celle qui à l’état normal accompagne chez eux la déglutition d’un bol trop volumineux. Pour aider la propulsion du bol alimen- taire qui, arrivé dans l’isthme du pharynx, n'est plus em- brassé et pressé par les plans musculeux dont l’action com- binée devrait le pousser dans l’œsophage, les animaux exécutent involontairement une série de mouvements de la tête et du cou, qui souvent sont infructueux et se terminent par le rejet des aliments dans la cavité buccale. La section haute des pneumogastriques, faite dans le mode indiqué, paralyse à la fois les rameaux pharyngiens, æsophagiens et laryngiens de la dixième paire, plus parti- culièrement intéressés dans le mécanisme de la déglutition. Si l'on a coupé les pneumogastriques au cou, la paralysie ne concerne que les nerfs laryngés inférieurs ou récurrents et les rameaux œsophag'iens inférieurs. Les troubles de dé- glutition qui surviennent dans ces conditions, sont de nature moins grave que dans le premier cas, et nous au- rons à y revenir, en parlant des mouvements de l’œsophage. Quant aux filets laryngés, tant supérieurs qu'inférieurs , nous verrons qu'ils n’interviennent activement et utilement dans la déglutition, que si cet acte est accompli d’une ma- nière anormale ou irrégulière. Tout ce que nous aurons à dire sur les fonctions des nerfs laryng'és, ainsi que sur le mécanisme de l'occlusion de la glotte, au moment de la déglutition, sera d’ailleurs très-facilement compris, après l'étude détaillée que nous avons consacrée au rôle de l’épi- glotte et au mécanisme de la déglutition secondaire après l'ingestion des liquides. Occupons-nous d'abord des fonctions des rameaux pha- ryngiens. J'ai déjà indiqué, à une autre occasion, que la section bilatérale de ces rameaux, quelquefois confondus avec les troncs des glosso-pharyngiens , est suivie d’une QUATORZIÈME LEÇON. 341 gêne très-prononcée de la déglutition. Cette gêne, dûe principalement à la paralysie des constricteurs supérieurs du pharynx, peut aller également jusqu'à la régurgitation des liquides, surtout durant les premiers temps après l’opé- ration. On observe les mêmes contorsions , le même allon- gement du cou, et toute la série de mouvements supplé- mentaires que j'ai déjà signalés comme caractéristiques de la paralysie totale de la dixième paire. Les efforts de déglutition, peut-être un peu moins pénibles après la section des rameaux pharyng'iens qu'après celle des paeumo-g'astriques, à cause de l'atteinte moins grave portée à l'organisme en général, le sont cependant bien plus que dansles cas exceptionnels où on Les observe après l'extirpation des glosso-pharyng'iens. Il n’est donc guère possible de. Con- fondre ces deux états. Les fonctions des rameaux Sitéongtit sont mixtes. Ce sont eux surtout qui président à la sensibilité des parois postérieures et latérales du gosier. L'irritation de ces parois provoque, chez l'animal normal, d'énergiques mouvements de déglutition. Les liquides découlant de l’ouverture posté- rieure des fosses nasales, produisent le même effet, dès qu'ils arrivent dans le pharynx. Il est à remarquer que les corps étrangers, introduits par les fosses nasales, ne provoquent de mouvements de déglutition que s'ils viennent à toucher les parties supérieures du pharynx; avant ce moment, la sensation du corps étranger se traduit seulement par des expirations boietos, exécutées avec les lèvres fermées et de manière à chasser l'air par les narines. L’intensité de la sollicitation réflexe, exercée sur l'appareil de la dégluti- tion par les nerfs sensibles du gosier, varie, d’ailleurs, en d'assez larges limites Chez l’homme, et peut être singuliè- rement émoussée par l'habitude ou par la volonté. Les dif- férences de sensibilité qui existent sous ce rapport chez Tadulte, sont assez connues, surtout des laryngoscopistes, 342 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. pour que je n’aie pas besoin de m'y arrêter ici (1). — Les fonctions des nerfs laryngés nous ramènent à la question, déjà touchée à plusieurs reprises, du mode d’occlusion de la glotte pendant la déglutition. Si, par une ouverture pratiquée dans la trachée, on ob- serve, p. ex. chez un chien, les lèvres de la glotte, et si l'on provoque chez l’animal un mouvement de déglutition, on voit ces lèvres se juxtapposer exactement, à l'instant même où a lieu le mouvement ascendant du larynx. Comme les agents musculaires constricteurs de la glotte sont placés sous la dépendance exclusive des nerfs laryngés inférieurs ou récurrents, on pourrait s'attendre à voir la constriction de la glotte faire défaut après la section de ces nerfs. Mais il n’en est pas ainsi : le rapprochement des lèvres de cet orifice, au moment de la déglutition, a encore lieu après la paralysie de tous les nerfs et de tous les muscles intrinsèques du larynx. Longet, le premier (2), a signalé et expliqué ce fait intéressant, dont il a déduit gwe les mou- vements de la glotte qui accompagnent la déglutilion sont soumis à d'autres agents musculaires que ceux qui meuvent le même orifice durant la production des phénomènes vo- caux et respiratoires. Le principe établi par Longet pouvant faire supposer que les nerfs et les muscles intrinsèques du larynx n’intervien- nent pas, en thèse générale, dans l'acte de la déglutition, ce qui ne serait pas rigoureusement exact, nous modifie- rons cette conclusion en disant: que l’occlusion de la glotte qui a lieu pendant la déglutition peut s'effectuer sans le concours des agents musculaires qui meuvent cet orifice (1) On sait que les enfants trés-jeunes ne crachent jamais les produits de sécrélion de leurs bronches, mais les avalent, dès que l'effort expiraloire les a amenés à l'orifice su- périeur du larynx. Il est probable qu'ici la sensibilité des laryngés supérieurs contribue, de son côté, à provoquer la déglutition. (2) Loncer. Recherches expérimentales sur les fonctions de l’épiglotte et sur les agents de l’occlusion de la glotte dans la déglutition, le vomissement el la ruminalion. Archi. génér. de Méd. 1841. QUATORZIÈME LEÇON. 343 lors de la production des phénomènes vocaux et respira- toires, bien que ces mêmes agents soient également en jeu pendant l’acte normal de la déglutition. — Il est, en effet, facile de se convaincre que l’occlusion de la glotte ne se fait pas, à beaucoup près, aussi rapidement après la sec- tion de tous les nerfs laryngés que lorsque ces nerfs sont intacts, et qu'elle n’a pas lieu, si, en provoquant un mou- vement de déglutition, on fixe simultanément le larynx paralysé, de manière à l'empêcher d'exécuter son mouve- ment d’ascension Je vais tâcher, messieurs , de vous faire voir, sur une préparation anatomique fraîche de la langue, du larynx et du pharynx d'un lapin, l’occlusion de la glotte, produite indépendamment des muscles intrinsèques du larynx. Pour reproduire, sur cette préparation, le déplacement en totalité du larynx qui a lieu au moment de la déglutition, je fixe d’une part le pharynx, dans sa périphérie postérieure et supérieure, et d'autre part j'attire fortement, à l’aide d'un petit crochet, la larynx en haut et en avant, en écar- tant l’épiglotte pour rendre visible la fente glottique. On voit qu'à chaque traction que j'exerce sur le larynx dans la direction indiquée, les lèvres de l’orifice glottique, d’abord distantes, se rapprochent et finissent par se toucher com- plètement. En revanche si je me borne à élever le larynx, sans fixer le pharynx en arrière, la glotte ne se ferme pas. Messieurs, les agents extérieurs qui, dans cette expérience, produisent l’occlusion de la glotte, sont également en jeu pendant la vie. Ces agents sont principalement les muscles . constricteurs inférieurs du pharynx. Embrassant de chaque côté les lames divergentes des cartilages thyroïdes aux- quelles ils s’insèrent, ces muscles, fortement tendus et attirés en avant au moment de l'élévation du larynx, doi- vent naturellement rétrécir l’espace compris entre leurs in- sertions et tendre à diminuer la divergence des cartilages thyroïdes. Par le rapprochement de ces derniers, comme il 344 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. est facile de le démontrer sur cette préparation, les lèvres de la glotte se trouvent exactement appliquées l'une contre l'autre, protégeant ainsi l'entrée des voies aëriennes pen- dant l’acte de la déglutition, même en l'absence de tout mouvement intrinsèque du larynx. Durant la vie, la fixa- tion du pharynx est réalisée par les muscles stylo-pharyn- giens qui, pareils à deux cordons insérés sur les côtés de l’arrière-gosier, élèvent celui-ci verticalement et l'empêchent d’être entraîné en avant par l’excursion du larynx. Le point saillant de tout ceci, c’est que l’occlusion de la glotte, par les agents externes, coïncide avec le déplace- ment en totalité du larynx et ne saurait avoir lieu sans ce déplacement qui, seul, permet aux constricteurs infé- rieurs du pharynx d'acquérir la tension nécessaire pour rapprocher les lames divergentes des cartilages thyroïdes. La possibilité d’une occlusion mécanique de la glotte, au moment de la déglutition, étant bien reconnue, nous pou- vons déterminer d'avance les cas dans lesquels l’action propre des muscles constricteurs de la glotte sera de quel- que utilité et devra intervenir, pour protéger l'accès des voies aëriennes. C’est chaque fois que le mouvement d’as- cension du larynx n'aura pas lieu ou aura lieu trop tard, non avant, mais après l’arrivée des corps déglutis dans l’isthme du gosier; c’est-à-dire chaque fois que la déglutition se fera irrégulièrement, d’après l’un des modes que nous avons analysés précédemment en nous occupant des fonctions de l’épiglotte. Tous les problèmes relatifs aux suites qui résultent pour la déglutition, de la paralysie sensible ou motrice du larynx, sont donc essentiellement les mêmes que ceux que nous avons déjà discutés en nous occupant des effets de l’extir- pation complète de l'épiglotte. La paralysie complète du larynx ne pourra pas être ‘suivie d'effets fâcheux dans la déglutition xormale, puisque si- même l’occlusion de la glotte n'avait pas lieu, l’orifice QUATORZIÈME LEÇON. 345 supérieur du larynx serait néanmoins protégé par l'épiglotte et par la base de la langue, au moment du passage des aliments. Mais l’occlusion mécanique de la glotte elle-même s'effectue dans ce cas, puisque le déplacement en totalité du larynx n’est pas compromis la paralysie des nerfs laryngés. En revanche, la déglutition anormale, c'est-à-dire rendue irrégulière par le défaut d'une des conditions essentielles à l'accomplissement de cet acte, devra se traduire, lors de la paralysie ou de l’anesthésie du larynx, par les phéno- mènes caractéristiques de l'entrée des corps étrangers dans les voies respiratoires. — Ainsi, d’une part, la position irré- gulière donnée à l'animal, au moment de la déglutition des liquides, l'injection brusque de liquides au fond du gosier, tout ce qui, en général, peut empêcher l'élévation du laryux de s'exécuter à temps — d'autre part, l’absence de déglutitions secondaires après l’ingestion des liquides — sont autant de circonstances dont l'effet, dans les conditions indiquées, sera la {oux trachéale. Ce qui dans l'animal normal empêche, pendant la déglo- tition irrégulière, la pénétration des corps étrangers au delà de l'orifice glottique, c'est la sensibilité de la muqueuse sus-glottique qui, par action réflexe et indépendamment de tout mécanisme externe, produit l’occlusion instantanée de la glotte par les muscles intrinsèques du larynx. Paralysez l’un ou l’autre ordre des nerfs laryngés, cette action réflexe sera nécessairement abolie. Dans un cas, c'est l'élément centripète, dans l’autre cas c’est l'élément centrifuge du mécanisme réflexe qui est supprimé; dans les deux cas, les liquides (ou tout autre corps étranger), une fois entrés par l'orifice supérieur du larynx, ne se trouvent plus arrêtés au niveau de la glotte, traversent cette dernière, et pénètrent jusqu'aux districts encore sensibles de la trachée: ici seule- ment est engendrée la toux, destinée à les expulser des voiés respiratoires. De là aussi l’apparition tardive et la persistance ‘846 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. de cette toux, bien différente, sous ce rapport, de la toux engendrée dans le vestibule sus-glottique (1). La question ainsi réduite à quelques facteurs très-simples, nous n’aurons aucune difficulté à expliquer et à accorder entre elles les opinions souvent contradictoires qui ont été émises, à différentes époques, sur la coopération active ou sur la non-coopération des nerfs laryngés dans l'acte de la déglutition. — Tous les expérimentateurs qui, par inadvertance ou à dessein, ont méconnu l’importante dis- tinction entre la déglutition normale et la déglutition anor- male, devaient nécessairement arriver à des résultats confus ou faux, si, partant des données fournies par un seul pro- cédé, ils généralisaient leurs conclusions pour tous les modes de déglutition indistinctement. Ainsi Traube (2), en versant brusquement ou en injectant un liquide coloré dans le fond du gosier d’un chien, Zé sur le dos, et narcotisé par une dose d'opium, ne vit pas reparaître le liquide à l'orifice glottique, préalablement mis à nu par une plaie pratiquée dans la trachée. La glotte, dans ce cas, se fermait en même temps que des mouve- ments de déglutition étaient exécutés par l’animal.— Ayant ensuite, sur le même animal, coupé les pneumogastriques au cou ou les nerfs laryngés inférieurs, Traube répéta son expérience et vit, après chaque injection, le liquide coloré s'échapper en jet par la glotte et par la trachée. Dans ce (1) Quand on donne à boire à un malade dans la posilion dorsale et qu’il tousse, on dit en général que la déglulition est génée, Cependant la toux, dans celte posilion où la déglutition est rendue irrégulière, peut ne tenir qu'à une diminution de la sensibilité des jaryngés supérieurs et de la glotte qui, dans ce cas, doit se fermer par son propre mou- vement. Il faut, chez ces malades, verser les liquides non pas au fond de la bouche, mais sur les parties antérieures ou moyennes de la langue, pour que l'impression sensible puisse se développer sur une plus grande étendue et avertir ainsi les nerfs qui servent à pro- duire le déplacement en totalité du larynx. Ce déplacement, comme nous l'avons vu, est suffisant pour opérer l’occlusion mécanique de la glotte. — Du moins J'ai toujours vu, même chez les animaux {rès-malades, l’action réflexe des muscles élévateurs du larynx s’accomplir très-bien, à la suite des excitations de la base de la langue. (2} Taaues. Beiträge zur experimentellen Pathologie und Physiologie. Berlin, 4846. QUATORZIÈME LEÇON. ‘347 cas encore, des mouvements de déglutition nitt lieu, et pendant ces mouvements, Traube vit se rapprocher les lèvres de la glotte, en apparence jusqu’à contiguité. — De cette expérience il crut pouvoir déduire que les laryngés inférieurs concourent, pour une part très-essentielle, à effectuer l’oc- clusion hermétique de la glotte, pendant la déglutition des liquides en général. Nous serions tout-à-fait d'accord avec la conclusion de Traube, si au lieu de l'appliquer à la déglutition en général, il s'était borné à l’appliquer à son cas spécial d’un chien, ou même de tous les chiens couchés sur le dos, auxquels on injecte un liquide dans le pharynx. Dans les arguments que j’opposai, dès 1847, à l’assertion du professeur berlinois, je signalai, en premier lieu, le fait que des animaux ayant subi la section, non pas des pneu- mogastriques au cou, mais des nerfs récurrents seuls (ce qui revient au même dans le cas dont il s’agit), CRE à boire tout-à-fait normalement si on n’altère pas à dessein, chez eux, le mécanisme régulier de la déglutition, soit en les effrayant, soit en leur donnant une position anormale, comme celle choisie par Traube pour cette expérience. Il est clair que les liquides, versés brusquement dans le go- sier, avant que le larynx ait eu le temps d'effectuer son mouvement d'ascension, doivent pénétrer dans le vestibule sus-glottique, où, à l'état normal et indépendamment de tout mouvement de déglutition, ils provoquent, par action réflexe, l’occlusion instantanée de la glotte par les muscles seuls du larynx; mais qu'après la paralysie de ces muscles, le mouvement de déglutition s'exécute trop tard pour ga- rantir entièrement l’occlusion de cet orifice par les seuls a- gents extrinsèques du larynx (1). L’innervation des laryngés inférieurs, importante, en effet, dans ces conditions exception- (1) Même les animaux liés sur le dos peuvent, après avoir subi la section des laryngés ‘inférieurs, avaler des liquides colorés sans qu'une goutte pénètre dans leurs voies res- piraloires, si, au lieu de leur injecter le liquide dans le pharynx, on le leur verse sur 348 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. nelles, ne peut donc pas être regardée comme également essentielle dans le mécanisme régulier et normal de la déglutition. Je puis me dispenser, messieurs, après cette remarque, de répéter devant vous l'expérience de Traube; mais il ne sera pas inutile de nous assurer encore une fois que les chiens privés des laryng'és inférieurs, boivent aussi régu- lièrement que des chiens normaux. Voici un chien sur lequel cette opération a été faite, il y a plusieurs semaines, et qui ne porte pas d’autre lésion. Je lui présente un vase de lait, il le vide sans s'arrêter un instant, en lèche le fond et ne tousse pas. Un chat, opéré de la même manière, que je fais boire en votre présence, ne montre pas non plus de troubles apparents de la déglutition. Je l’effraie, en frappant dans mes mains; il s'éloigne du vase, et, peu de temps après, il est pris d'un accès de toux assez violent et assez prolongé. Ici, comme après l’extirpation de l'épiglotte, c'est encore parce que le mouvement secondaire de déglutition n'a pas eu lieu que quelques gouttes liquides ont pu entrer dans les voies re- spiratoires. La section bilatérale des laryng'és inférieurs, généralement bien supportée par les chiens adultes et par beaucoup de chats adultes, est plus fréquemment suivie d'accidents graves chez les animaux naturellement très-peureux, comme les lapins, chez lesquels un rien suffit pour déranger le jeu coordonné de l'appareil de la déglutition. Assez souvent, chez ces animaux, des particules liquides et même solides pénètrent dans les bronches, et y provoquent une pneu- monie mortelle. J'ai vu quelques chats succomber de la même manière. la langue, de manière à le laisser couler peu-à-peu jusque dans l’arrière-bouche. Dans ee cas, l'impression sensible réveillée sur la base de la langue, provoque un mouvement de déglulition et la glolte se ferme avant que le liquide ait pu arriver jusqu'au veslibule :sus-glottique. : QUATORZIÈME LECON. | 349. + Une autre circonstance qui contribue, particulièrement chez les lapins, à rendre plus graves les effets de la para- lysie du larynx, c'est le peu de développement des lames de leurs cartilages thyroïdes. Ces cartilages offrant un point d'appui moins solide à l’action des constricteurs du pharynx, l’occlusion mécanique de la glotte, par ces der- mers , est moins parfaite, d’où il suit que la coopération des muscles intrinsèques du larynx est plus souvent et plus directement utile pendant la déglutition, surtout irrégulière. Je ne reviendrai pas sur les suites de l’anesthésie du larynx, que nous avons déjà étudiées par rer en nous occupant du rôle de l'épiglotte. - La progression du bol alimentaire du pharynx dans bise sophage, ordinairement désignée comme troisième temps de la déglutition, présente quelques particularités intéres- santes, dont la connaissance est en partie dûe à Wild, qui, sous la direction de Ludwig , a fait de nombreuses expé- riences sur ce sujet. Wild s’est attaché surtout à démontrer le caractère péristallique des mouvements œsophagiens. Selon cet auteur, ces mouvements, une fois réveillés, s'exé- cutent et se propagent jusqu'à l'estomac, indépendamment du corps étranger qui les à provoqués. Ainsi, ayant fait avaler à des animaux dont l’œsophage était mis à nu, une boule retenue par un fil, Wild observa que malgré l'arrêt de la boule, l’onde péristaltique progressait PTE jusqu’à l’orifice supérieur de l'estomac. - La continuité et, si je puis m'exprimer ainsi, la Sat: nation de ces mouvements péristaltiques sont, en grande partie, dûes aux rameaux œsophagiens du pneumogastrique. Mais, hâtons nous de le dire, ces rameaux ne sont pas les seuls nerfs qui président aux mouvements des parties moyennes de l'œsophage. Il est même intéressant de voir, après la section des pneumogastriques au cou, section qui paralyse toujours les rameaux œsophag'iens inférieurs let les nerfs récurrents, avec quelle facilité relative a encore 350 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. lieu, chez le chien, le mouvement péristaltique des portions moyennes et supérieures de l’œsophage. Ce fait s’explique par la présence constante d’un filet moteur, descendant, que le nerf laryngé supérieur envoie à la portion thoracique de ce canal. Les effets de la paralysie des rameaux œsophagiens in- férieurs, effets que l’on observe si fréquemment après la section de la paire vague au cou, et sur lesquels nous re- viendrons avec plus de détail, en parlant des mouvements de l'estomac, se résument aux phénomènes suivants: Au commencement, troubles de déglutition peu appréciables ou nuls, puisque l’opération n’a pas compromis les rameaux pharyngiens et laryngés supérieurs; — d’ailleurs, les ani- maux ne prenant pas de nourriture par eux mêmes, immé- diatement après l'opération, rien ne les sollicite à faire des mouvements de déglutition, sinon les nausées, qui se dé- clarent, dans beaucoup de cas, après la section des vagues au cou. — Plus tard, lorsque les animaux mangent, le troi- sième temps de la déglutition est visiblement gêné et presque toujours suivi, tôt ou tard, de régurgitation des matières ingérées. Ces efforts de régurgitation qui ont été pris, bien à tort, pour un véritable vomissement stomacal, résultent de l'accumulation des matières ingérées dans les portions inférieures de l’æœsophage , accumulation produite elle-même par le rétrécissement ARR de cette partie du canal. Tout ce qu’on a dit sur le soi-disant relâchement para- lytique de l’œsophage après la section des nerfs pneumo- gastriques, relâchement qui permettrait l’ascension dans la bouche et dans les fosses nasales, des matières contenues dans l'estomac, repose sur une erreur d'observation, comme il résultera très-clairement de nos études ultérieures sur le vomissement. Il n'est pas rare de voir durer le resserrement œsophagien et avec lui la régurgitation des aliments, jusqu’à la mort QUATORZIÈME LEÇON. 351 de l'animal, si celui-ci succombe avant le quatrième jour. Cet état toutefois diminue peu-à-peu et cesse, dans quelques cas rares, déjà au bout de 7 à 8 heures. La section des rameaux œsophagiens de la dixième paire, section pratiquée d'après un procédé spécial dans les parois de l’œsophage, sous le diaphragme, est aussi très-promp- tement suivie d’un resserrement spasmodique des portions inférieures de ce canal. Mais cette constriction est de beau- coup plus courte durée que celle qui s’observe après la section de la paire vague au cou. Au bout de 12 à 18 heures, chez la plupart des animaux ayant subi la première des opérations mentionnées, la faculté d’avaler des liquides et des solides se montre entièrement rétablie. Disons toute- fois que les parties inférieures de l’œsophage continuent à présenter, pendant très-longtemps , chez ces animaux, un état de constriction légère, d’ailleurs facilement vaincue par l’approche du bol alimentaire. Ajoutons encore qu'à l’état normal le bol alimentaire ne progresse pas, avec une vitesse uniforme, de l’arrière-gosier jusqu’à l'orifice cardiaque de l'estomac. La marche du bol, observée sur des animaux dont l'œsophage.est mis à nu dans la région cervicale et exploré simultanément, à son extrémité inférieure, avec le doigt, passé par une large fis- tule stomacale, se subdivise en trois étapes distinctes : Au moment du passage du bol alimentaire de l’arrière- . bouche dans le pharynx (deuxième temps de la déglutition), sa marche est très-rapide; elle l’est encore dans la portion cervicale de l'œsophage , visible du dehors. Mais à partir de là, elle se ralentit sensiblement dans toute la longueur de la portion thoracique, cachée à l'observateur. Le bol, en définitive, n'arrive au cardia et au doigt qui explore cet orifice, que bien plus tard qu’on ne s’y attendrait, à en juger d’après la rapidité de sa marche initiale. Arrivé près de l’orifice cardiaque, le mouvement, de plus en plus ralenti, s'accélère de nouveau, et le bol est poussé dans l'estomac, sinon d’un 352 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. seul coup, du moins par une impulsion rapide et continue. -J'exposerai, dans une autre partie de ce cours, les détails du mode opératoire à l’aide duquel j'ai observé ces phé- nomènes. | _En parlant des fonctions des différents rameaux de la dixième paire, intervenant dans le mécanisme de la déglu- tition, je n’ai pas distingué, à dessein, entre ceux de ces rameaux qui proviennent de la dixième paire proprement dite, ou pneumogastriques, et ceux qui proviennent plus particulièrement de la onzième paire, ou nerfs accessoires de Willis. On sait que l’arrachement, avec toutes leurs ra- cines, des nerfs spinaux, n’est pas suivi, chez le chat, d’une gêne constante et fortement accusée de la déglutition. Les troubles qui s’observent après cette opération, accompagnent exclusivement la déglutition anormale, et ont leur raison d'être dans la paralysie des laryngés inférieurs, qui pro- viennent originairement des nerfs accessoires de Willis. Ces troubles nous ont assez longuement occupés, pour que je n’aie pas à y revenir encore une fois. — Le fait le plus digne de remarque, après l'extirpation complète des nerfs de la onzième paire, c'est la conservation des mouvements de déglutition du pharynx : mouvements qui sont abolis après la section isolée des racines de la dixième paire. On a eu tort, par con- séquent, de considérer les pneumogastriques comme nerfs ex- clusivement sensibles et de rapporter aux filets des spinaux toutes les attributions motrices, caractéristiques des troncs réunis de la dixième et de la onzième paire. Les nerfs moteurs du pharynx nous présentent un exemple bien décisif et le seul peut-être qui soit rigoureusement démontré, de la double nature, sensible et motrice , de certaines fibres originaires des pneumogastriques. QUINZIÈME LEÇON. Sommaire: Digestion stomacale. — Action essentiellement chimique du suc gastrique. — Moyens propres à obtenir le suc gastrique. — Procédés de Réaumur et de Spallanzani. — Fistules stomacales accidentelles, observées chez l'homme. — Méthode d'Eberle. — Produits de l’extraction aqueuse de divers organes glandulaires; analogie de ces produits avec les se- crétions naturelles. — Digestions artificielles, à l'aide de l’infusion stomacale. — Etablis- sement des fistules gastriques artificielles chez les animaux. — Procédés de Bassow et de Blondlot. — Mode opératoire de l’auteur. — Fistules à canules inamovibles et à canules mobiles. — Parallèle entre les résultais de la méthode d'Eberle et ceux de la méthode de Blondlot. — Moyens propres à exclure la salive. Messieurs, L'étude de la digestion stomacale, que nous abordons aujourd'hui, est avant tout une étude chimique. L'aliment, pour devenir #utriment dans l'estomac, doit y subir une série de métamorphoses qui dépendent d'un agent spécial, le suc gastrique. Cet agent, quoique produit par l'organisme vivant, ne réclame pas, comme condition de son activité, la vie elle-même ; car, isolé du corps ou pris dans l’animal mort, ses propriétés caractéristiques existent encore et peuvent être reconnues à l’aide de nos procédés artificiels. Le résultat final des Zigestions artificielles est chimiquement et physiologiquement le même que celui auquel aboutit la l'élaboration vitale, et, ce qui le prouve, c’est que nous pouvons nourrir un animal de ce produit artificiel, en lui épargnant complètement le travail de la digestion propre- ment dite, et en faisant accomplir ce travail par un autre TOME PREMIER 23 304 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. estomac, mort ou vivant. La digestion, considérée dans ses effets sur les aliments, est donc essentiellement une opération chimique. Elle forme le préliminaire le plus im- portant à l'acte de la nutrition, dont les opérations ulté- rieures, bien distinctes du travail digestif lui-même, sont l'absorption et l'assimilation des matériaux transformés. Autrefois on accordait une grande importance aux phé- . nomènes #écaniques de la digestion stomacale, phénomènes dont on faisait dépendre la désagrégation et même la dis- solution des aliments, et l’on construisait d’étranges hypo- thèses sur la force musculaire de l’estomac. On est allé jusqu’à exprimer en chiffres la puissance soit-disant énorme des fibres spirales de cet organe. — Cependant Spallanzani et Réaumur avaient déjà fait des digestions artificielles et démontré par leurs expériences que l'aliment n’a pas besoin d'entrer en contact immédiat avec les parois stomacales pour être liquéfié et digéré. Il est vrai que dans les oiseaux, les crocodiles, dans quelques vertébrés inférieurs , et dans un certain nombre d'animaux invertébrés, l'estomac est organisé de manière à opérer, outre l’action chimique, une action mécanique, une espèce de éritwration des aliments ; les Echidna parmi les mammifères monotrèmes présentent également cette particularité; chez les oiseaux carnivores, les mammifères monodelphes et marsupiaux il n’existe en revanche pas d'estomac capable d'exercer sur les aliments un effort de quelque importance, et nous pouvons dire qu'en général chez tous les mammifères, y compris l’homme, c’est le suc gastrique seul qui accomplit la digestion stomacale. Jusqu'à une époque très-rapprochée de la nôtre, on a con- sidéré l'estomac comme l'organe central et essentiel de la digestion. Ce n’est pas le lieu d'examiner ici ce que cette opinion renferme d’erroné. Bornons-nous à rapeller que, de l'aveu même des défenseurs modernes de cette théorie, l’action chimique de l’estomac est limitée à un seul groupe, QUINZIÈME LEÇON. 395 très-important, il est vrai, des substances alimentaires, c’est- à-dire aux corps albuminoïdes. Encore démontrerons-nous, dans une autre partie de ce cours, que l’estomac n’accomplit pas exclusivement, dans l’animal vivant, la transformation des corps albuminoïdes et qu'ils sont transformés aussi en partie par l'intestin. Cela est si vrai que l’action du suc gastrique peut être remplacée par d’autres sucs digestifs, sécrétés plus bas que le pylore. De plus, et cette remarque n’est pas moins importante, certaines substances alimen- taires, que nous introduisons continuellement dans nos organes digestifs, ne sont transformées ni par la salive ni par le suc gastrique. Comme néanmoins elles ne repa- raissent pas dans les excrétions , il faut bien admettre que leur digestion a dû s’opérer ailleurs que dans la bouche et dans l'estomac. Il en est tout-à-fait de même des substances, digestibles d’ailleurs dans la bouche et dans l’estomac, mais qui abandonnent ce dernier avant d’avoir été transformées en totalité; substances que l’on rencontre non transformées et en grande quantité dans le haut de l'intestin, et qui néanmoins ne se retrouvent pas dans les excrétions (1). On a été fort longtemps sans connaître le véritable suc gastrique. Mais aussi quels moyens employait-on pour se le procurer? — Réaumur, Spallanzani et Braconnot faisaient avaler aux animaux des éponges attachées à des fils; ils retiraient l'éponge au bout de quelque temps et le liquide qu’on en exprimait, passait pour être du suc gastrique. Deux cas étaient possibles avec cette manière de procéder. Ou bien l’animal était en digestion et l'éponge s’imprégnait d’un liquide à composition complexe, renfermant d’une part les produits de la digestion des aliments et d'autre part une proportion variable de suc gastrique ayant déjà servi à la digestion, — ou bien l’animal était à jeun, et l’éponge (1) Il est d’ailleurs aisé de démontrer que ce n'est pas le suc gastrique, déversé dans l'intestin avec le chyme, qui produit les transformations ultérieures de ces substances. 396 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. s'imbibait d’une sécrétion muqueuse, à-peu-près inactive, comme nous le verrons encore, mélangée en outre à une grande quantité de salive avalée. C’est cette dernière cir- constance qui a fait croire à beaucoup d’observateurs que le liquide stomacal est souvent neutre ou alcalin, opinion qui n’est justifiée que pour quelques cas très-exceptionnels. On voit que de l’une ou de l’autre manière on n’obtenait pas de vrai suc gastrique, pouvant servir à l'étude de ses propriétés chimiques. Plus tard on eut l’occasion d'observer des fistules stoma- cales accidentellement produites chez l’homme, et d'expéri- menter sur les sucs déversés par ces fistules ou recueillis dans l'estomac lui-même. Mais le progrès ne fut pas grand, car ici encore on opérait de préférence sur l'estomac à jeun, afin d'obtenir un suc gastrique plus pur. Nous avons déjà dit que les parois stomacales sécrètent, à jeun, un liquide essentiellement différent du vrai suc gastrique; cette méthode ne pouvait donc, pas plus que la précédente, aboutir à des résultats concluants. William Beaumont, dont nous avons déjà eu occasion de citer les remarquables obser- vations, vit, de son côté, la dissolution des aliments s’opérer hors du corps, après les avoir soumis à un contact prolongé avec le liquide extrait de l'estomac, nouvelle preuve de l'action purement chimique du suc gastrique. La méthode de Beaumont était sans contredit préférable à celle de Tiedemann et Gmelin qui, pour se procurer du suc ga- strique ou un fluide qu’ils considéraient comme tel, tuaient les animaux après leur avoir fait avaler soit des aliments, soit des corps irritants et insolubles, destinés à exciter la sécrétion des parois stomacales. Les dig'estions artificielles de Beaumont étaient cependant bien loin de réaliser les conditions de la digestion naturelle, puisqu'un très-petit morceau de viande mettait 10 à 12 heures à se liquéfier dans le suc extrait de l'estomac, tandis que l'organe vivant digérait un repas entier en 6 ou 7 heures. Cette QUINZIÈME LEÇON. 357 différence fut attribuée par Beaumont à ce que, dans l’es- tomac, les produits de la digestion sont absorbés au fur et à mesure qu'ils se forment et à ce que, pendant la vie, de nouvelles quantités de suc gastrique frais sont continuelle- ment fournies par les glandules peptiques; explication très- plausible en effet, mais non admissible sans restriction. En effet, le suc gastrique, retiré au moment le plus actif de la digestion, est déjà dilué ou saturé par les produits digestifs eux mêmes, et, pris hors ou au commencement de la diges- tion, avant qu'il soit saturé, sa concentration, ou, pour mieux dire, sa richesse en pepsine est encore trop faible pour permettre une digestion artificielle hors du corps. Dans les deux cas, Beaumont a dû par conséquent obtenir des résultats inférieurs à ceux de la digestion naturelle. Les recherches , faites à cette époque sur la digestibilité d’une foule de substances alimentaires et sur leurs chan- gements au contact du suc gastrique, se ressentent encore davantage des procédés défectueux au moyen desquels on se procurait alors ce liquide. Le mélange constant des pro- duits de la sécrétion stomacale avec de grandes quantités de salive faisait attribuer au suc gastrique ce qui, en réalité, n’était qu’un effet de la salive : ainsi, tout ce que W. Beaumont rapporte sur les transformations que subit le pain dans le suc gastrique, est bien observé, mais est presque exclusivement dû à l'influence de la salive. D’autres encore, trompés par la même circonstance, prenaient pour une dissolution digestive ce qui n’était qu'une désagrég'a- tion par le fluide buccal ou par l'acide ajouté au liquide. L'étude de la digestion stomacale reçut une impulsion nouvelle et destinée à exercer la plus heureuse influence sur la solution des problèmes qui nous occupent, lorsque Eberle, en 1834, parvint à préparer un suc gastrique « ar- tificiel » en infusant dans de l’eau la membrane muqueusé de l’estomac ou la couche de mucus qui recouvre inté- rieurement cette membrane pendant la digestion. La théorie 358 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. qui guida Eberle dans ses expériences, n’est pas admissible dans la forme trop g'énérale dans laquelle il erut alors pou- voir l’énoncer; mais il n’en reste pas moins certain que par son procédé il est possible d'obtenir un liquide qui jouit des propriétés essentielles et caractéristiques du suc g'as- trique. Nous n’avons pas, dans ce moment, à rechercher si, comme le croyait Eberle, la même méthode peut aussi servir à reproduire artificiellement les liquides sécrétés par l'in- testin et par les divers organes glandulaires; bornons-nous à indiquer que le procédé par infusion, que nous avons déjà appliqué dans ce cours, en étudiant la sécrétion salivaire, est fécond en résultats instructifs pour ceux des organes glanduleux qui portent en eux un Zépôt de leurs produits de sécrétion; mais qu’il serait très-peu rationnel de vouloir l'appliquer à toutes les glandes en général. Personne ne songera à faire, p. ex., de l’urine ou de la bile artificielles, en infusant dans l’eau les reins ou le foie, ni à préparer des larmes, en infusant la glande lacrymale. Tous les or- ganes glandulaires qui ne font, pour ainsi dire, que filtrer à travers leur parenchyme, un choix des substances solubles contenues dans la masse du sang, et qui déversent pres- que immédiatement les produits de cette filtration soit au dehors, soit dans des réservoirs spéciaux annexés au Corps des glandes, ne donneraient par le procédé d’infusion, comme on le prévoit aisément, qu’un extrait plus ou moins sanguinolent ou fibrineux dans lequel il serait à-peu-près impossible de reconnaître les éléments caractéristiques de la sécrétion naturelle. Il en est autrement des glandes orga- nisées de manière à élaborer et à retenir dans leur intérieur, du moins pour quelque temps, les produits de leur sécrétion, et dans lesquelles l’excrétion est déterminée, à certains mo- ments , par des excitations nerveuses particulières. Il faut remarquer que, même dans ce cas, le suc artificiellement préparé, quoique jouissant des caractères essentiels du suc naturel, diffère de ce dernier, quant à sa concentration et QUINZIÈME LEÇON. 359 quant à ses propriétés accessoires. Pour n’en citer qu'un exemple , l’infusion du pancréas, préparée au moment de l'activité de cet organe, dissout et transforme les corps albuminoïdes exactement comme le suc pancréatique na- turel; mais sa propriété d'émulsionner les graisses est à peu-près annulée. Quant à l'infusion stomacale, elle possède également les propriétés caractéristiques du suc gastrique naturel, et le procédé d’Eberle nous sera d’un grand secours pour toutes les études qui vont suivre; mais ici encore il ne faut pas oublier que celle des sécrétions stomacales qui nous intéresse surtout, n’est pas continue, mais intermittente, formant dépf, et ne déversant ses produits au dehors que sous l'influence de certaines irritations périodiques. Le procédé d’Eberle ne sera donc applicable à l'estomac qu'à un moment donné de l’activité de cet organe, moment que nous aurons à déterminer et correspondant à la production du suc ga- strique actif; en dehors de ce moment, ce serait commettre l'erreur signalée plus haut, que de vouloir assimiler chimi- quement l’infusion au suc naturel. Les premières expériences d’Eberle sur le pouvoir digestif des infusions stomacales, ne conduisirent pas au résultat attendu par la théorie: les aliments, au lieu d’être digérés, passaient souvent à la putréfaction. Cet insuccès fut d'abord attribué par l’auteur au défaut de la circulation sanguine, si active dans la muqueuse stomacale pendant l’accomplis- sement de la digestion. Mais plus tard, ayant mis à profit les observations de Tiedemann et Gmelin, qui avaient trouvé que le suc gastrique actif est toujours acide, Eberle reprit ses recherches en acidifiant le suc artificiel, et dès lors il obtint de véritables digestions. De nos jours on reproche souvent à la méthode d’Eberle d'être trop artificielle et de reproduire trop imparfaitement les conditions naturelles de la digestion stomacale. Ce reproche n’est pas juste, et, dans beaucoup de cas, comme nous le 360 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. verrons, le procédé par infusion est préférable à tout autre. Ce n’est pas à dire que l’observation directe de la digestion, à l’aide de fistules g'astriques artificielles, ne nous fournisse des renseignements précieux et qu'il est souvent impossible d'obtenir d’une autre manière. Aussi l'observation par les fistules artificielles occupera-t-elle une place importante dans la suite de ce cours. En revanche, aucune des re- cherches ayant pour objet la détermination du pouvoir digestif de la totalité d’un estomac, dans un moment dé- terminé de l'expérience, ne saurait être faite sur l’animal vivant. Comment, par exemple, arriver à savoir, en retirant simplement le contenu de l'estomac vivant, si l'absorption préalable d’une certaine quantité de dextrine, d’alcohol ou de toute autre substance, a augmenté ou diminué le pouvoir digestif? Le procédé par infusion — et c’est en ceci préci- sément que consiste sa grande utilité — nous donne à chaque instant la mesure du pouvoir digestif de la totalité de l'estomac, tandis que l'examen d’une portion d'aliment introduite dans la cavité gastrique pendant la vie, et retirée au bout d’un certain temps, ne nous fournit qu'un aperçu qualitatif des changements survenus dans le volume, dans la consistance et dans la composition chimique de l'aliment, espèce de résultante, pouvant se modifier encore avec les progrès de la digestion. Les qualités du suc gastrique, à un moment donné, dépendent d’une foule de circonstances accessoires qui, dans l’animal vivant, échappent à l'analyse, parce que les conditions de l'animal vivant changent con- tinuellement, tandis que, dans l'animal mort, l'estomac persiste nécessairement dans l’état de saturation peptique dans lequel il a été soustrait à la circulation. Dans notre cas, supposé tout-à-l’heure, après avoir fait absorber à l'animal une substance dont nous voudrions étudier l'influence sur la digestion d’un aliment, p. ex. d’un morceau de viande, préalablement introduit dans l'estomac, nous trouverions, au bout d’un certain temps, la viande plus QUINZIÈME LEÇON. 361 ou moins ramollie ou même digérée; mais de ce résultat pourrions-nous déduire quelle était la force digestive de l’e- stomac, au dernier moment de l'expérience? Aucunément. L'influence de la condition artificiellement introduite dans l'expérience, se confondrait nécessairement avec la somme de toutes les influences ayant agi pendant ce temps à côté et indépendamment de la première. Pour fixer et déterminer l’état momentané de l'estomac, il importe avant tout d'arrêter l’absorption et l'excrétion de l'organe, c’est-à-dire la circulation elle-même; et, en second lieu, d'opérer sur la quantité totale ou sur une fraction connue des sucs emmagasinés dans les parois stomacales. — En sa- crifiant l'animal, et c’est le seul moyen pour arriver à ce but, nous arrêtons, si je puis m'exprimer ainsi, l'horloge à l’heure voulue ; nous mettons fin à toutes les oscillations de la quantité et de la qualité du suc gastrique: il n’y a plus, dès lors, qu’à déterminer, dans l’infusion stomacale, la quan- tité de pepsine qui y est contenue, et cette quantité cor- respondra réellement à celle sécrétée par le viscère et con- tenue dans ses membranes au moment de la mort. Il peut vous paraître singulier, messieurs, que j'insiste tant sur l'importance de cette détermination faite à w» moment donné; mais une foule de problèmes qui intéressent également le médecin et le physiologiste, ne sauraient être résolus, comme je le montrerai dans la suite, qu’à l’aide de cette détermination. Les premiers expérimentateurs qui, engagés par l’obser- vation de Beaumont, tentèrent d'établir, sur des animaux, des fistules g'astriques artificielles, furent Bassow et Blon- diot. Bassow, qui publia son mémoire vers la fin de 1842, dans les Bulletins de la Société des Naturalistes de Moscou, paraît avoir expérimenté contemporainement à Blondlot, dont les recherches, poursuivies depuis longtemps, ne paru- rent qu’en 1843, dans son 7raité analytique de la digestion. Bassow se contentait d’inciser les parois abdominales et 362 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. les parois stomacales, après avoir fixé ces dernières aux lèvres de la plaie des tég'uments. Il obtenait, de cette ma- nière, des fistules étroites qu'il bouchait à l’aide d’une é- ponge, retenue par un fil, fixé lui-même aux téguments. Ces ouvertures artificielles montraient une grande tendance à se fermer, et n'avaient, trois mois après l'opération, plus guère qu'un centimètre de diamètre, largeur insuffisante pour la plupart des expériences. Le procédé opératoire de Blondlot est incontestablement supérieur au précédent, par le mode d'ocelusion de l’ouver- ture fistuleuse. Blondlot se servait, à cet effet, d’une pe- tite canule d'argent, munie d’un double rebord saillant, dont l'introduction exigeait un certain effort: les lèvres de la plaie, en revenant sur elles mêmes, empéchaient l'instrument de se déplacer ou de tomber au dehors. Dans l'intervalle des expériences, la canule était fermée à l’aide d'un bouchon de liège. Dans nos expériences sur des animaux à fistules, nous appliquerons souvent le mode d’occlusion imaginé par Blon- dlot (1). Mais, disons-le d'avance, l'utilité des fistules de petit diamètre, avec canule inamovible, telles que les pratiquait Blondlot, est restreinte à quelques cas particuliers qu’il im- porte de préciser. Ce sont les cas dans lesquels on se pro- pose, non pas d'introduire dans l'estomac de grandes quantités d'aliments, mais seulement d'en extraire les liquides qui y sont contenus, ou bien de déterminer le temps que met une certaine quantité d'un aliment, de digestion lente, à se liquéfier ou à se désagréger dans l'estomac. Si les conditions de l’expérience le permettent d’ailleurs, on peut, pour faciliter ces sortes d'observations, pratiquer l’ouverture (1) Blondlot a proposé plus tard (Journ. de Physiologie de Brown Séquard) un autre procédé pour obtenir l'occlusion de la Sslule, procédé dont nous ne nous sommes pas servi QUINZIÈME LEÇON. 363 artificielle dans le grand cul-de-sac de l'estomac et donner à la canule des dimensions plus grandes que d'ordinaire. J'ai souvent employé des canules de ce modèle, ayant jusqu’à 2 1[2 centimètres de diamètre. Le mode opératoire de Blondlot consiste à inciser les té- guments dans la ligne blanche, à attirer au dehors un pli de l'estomac, et à fixer le pli aux lèvres de la plaie, à l’aide d’un fil d'argent qui le traverse de part en part. Les deux extrémités du fil sont tordues ensemble sur un bâ- tonnet. Chaque jour la torsion du fil est augmentée, jusqu’à ce que la portion étranglée de l'estomac tombe; alors seu- lement on introduit la canule. Il n’est pas indispensable, pour les fistules de cette ca- tégorie, d'opérer en deux temps, comme le prescrit Blondlot. J'ai l'habitude d'établir la fistule en un seul acte, sans at- tendre préalablement la réunion de l'estomac aux parois abdominales. Claude Bernard procède également ainsi. Voici le mode opératoire que j'applique depuis un certain nombre d'années. On donne à manger à l'animal, immédiatement avant l'opération , afin de distendre l'estomac et de rendre ses parois plus faciles à saisir. L'animal étant éthérisé, on fait dans la ligne blanche ou à côté de cette ligne, sous le re- bord des fausses côtes gauches, une incision d'environ 3 centimètres, par laquelle on introduit une pince à anneaux servant à saisir et à attirer au dehors un pli de l'estomac. Un aide fixe et étale le pli. Avec un bistouri à lame étroite on incise le viscère tout près du point où il est saisi par les dents de la pince; puis, à travers l'ouverture, on fait passer l'extrémité mousse d’une pince fermée, à l’aide de laquelle on dilate la plaie stomacale, jusqu'à ce qu'elle donne passage au rebord interne de la canule. La pince étant retirée, les lèvres de la plaie que l’on à eu soin de faire plus petite que n’est le diamètre de la canule, s'appliquent exactement autour de l'instrument. L’estomac est en outre 364 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. lié au tube, en avant du rebord saillant de ce dernier, au moyen d’un long fil, dont les deux bouts, enfilés dans des aiguilles courbes, servent à toutes les sutures qu'exige la fin de l'opération. On commence par fixer, par un point de suture, la portion de l'estomac, déjà liée à la canule, puis on réduit le viscère à travers la plaie des parois abdomi- nales. L’estomac étant toujours maintenu en contact avec les lèvres internes de la plaie abdominale, par les extrémités tendues du fil, on termine l'opération, en réunissant, par deux points de suture, en dessus et en dessous de la ca- nule, les parois stomacales aux téguments. On noue soli- dement les fils et on abandonne l'animal à lui-même. Celui-ci, à son réveil de l’éthérisation, ne tarde pas à être pris de vomituritions, et le contenu stomacal est en partie régurgité par la bouche, en partie chassé par l’ori- fice fistuleux, laissé ouvert à dessein. Ce n’est qu'à la fin des premiers vomissements que j'ai coutume d’obturer la fistule. Si l'on se hâte trop de mettre le bouchon, il peut arriver que, par les efforts du vomissement, un peu de con- tenu stomacal pénètre entre le rebord interne de la canule et les parois du viscère et rende moins exacte la juxtap- position de l'instrument à ce dernier; dans des cas mal- heureux, des particules liquides ou solides peuvent même s'échapper, par la voie indiquée, jusque dans la cavité du péritoine, ce qui entraîne inévitablement la mort de l'animal. Si, au contraire, on maintient la fistule ouverte au moment du vomissement, les matières sont directement projetées au dehors, sans pouvoir s'infiltrer dans les interstices compris entre la canule et le pourtour interne de l’ouverture fistuleuse. — C’est principalement la crainte de cet acci- dent, déjà bien connu des premiers expérimentateurs, qui leur faisait recommander d'exécuter l'opération en deux temps et de n'inciser les parois stomacales qu'après en avoir provoqué la réunion solide avec les téguments. Ils voyaient, avec raison, dans ce mode de procéder, la QUINZIÈME LEÇON, 369 garantie la plus efficace contre les épanchements du con- tenu stomacal dans la cavité péritonéale. — La précaution que je viens d'indiquer et qui consiste à n'obturer la fistule qu'environ une demi-heure après l’opération, faite en un seul acte, rend cette crainte tout-à-fait superflue; car, s’il y a épanchement, c’est durant la première demi- heure seulement qu’il s'effectue; plus tard il n’est plus à craindre. Cet accident est d’ailleurs assez rare, même si l'on néglige la précaution signalée et si l'on ferme la ca- nule dès la fin de l'opération. Pour obturer la canule, je me sers habituellement d’un cylindre massif de gutta-percha, muni à sa surface interne (tournée vers l'estomac) d’un petit crochet. C'est à ce crochet que l’on fixe le sac de tulle ou de gaze légère, con- tenant les substances sur lesquelles on veut faire agir le suc gastrique naturel. — Beaucoup de chiens rongent con- tinuellement la plaque externe de leur appareil et, pour peu que le bouchon fasse saillie au dehors, ils l’arrachent avec leurs dents. Dans ces cas, il est utile de remplacer le bou- chon de gutta-percha par un bouchon de liége, très-poreux, que l’on fait cuire préalablement dans de l'extrait de co- loquinte. Encore ce moyen ne suffit-il pas toujours, et les animaux continuent-ils, malgré l’amertume du bouchon, à le détériorer avec leurs dents. Chez plusieurs animaux que la coloquinte n'avait pas corrigés de leurs mauvaises ha- bitudes, j'ai employé avec succès l'acide phosphorique, ap- pliqué au rebord externe du bouchon. Voici un chien porteur d’une fistule gastrique, établie d'après la méthode indiquée, il y a près de deux ans. Depuis _ bien longtemps, habitué à se laisser ouvrir et examiner l'estomac, il nous approvisionne, par sa fistule , de presque toute la quantité de suc gastrique naturel dont nous avons besoin pour nos expériences. L'animal n’a rien perdu de sa gaîté et accompagne le serviteur du laboratoire à toutes ses courses en ville. La fistule lui ayant procuré une nour- 366 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. riture plus choisie , l'animal a même gagné en a. depuis un an. On a proposé, comme matériel des canules de Blondlok, l'argentin ou le maillechort. J'emploie de préférence l’éfain; le laiton peut également servir à cet usage. En revanche il importe d'éviter le fer blanc ou tout alliage contenant une forte proportion de fer, attendu que ce métal ne tarde pas à être attaqué et à devenir friable au contact du suc gastrique. Durant le premier jour qui suit l'établissement de la fis- tule, les chiens se montrent ordinairement abattus et re- fusent toute nourriture. Les lèvres de la plaie se tuméfient considérablement, jusqu'à s'élever autour du rebord externe de la fistule qui n'apparaît plus alors que comme une dé- pression enfoncée au milieu d'un anneau de chairs gonflées. Dès le troisième ou le quatrième jour, l'appétit se rétablit, et, à partir de ce moment, la digestion recommence à s’ef- fectuer normalement. Messieurs, beaucoup de nos expériences sur les fistules stomacales, comme je l'ai dit tout-à-l'heure, n’ont pas seu- lement pour but l'extraction des liquides contenus dans le viscère, ou celle des substances partiellement digérées après un séjour plus ou moins prolongé dans l'estomac. Très-souvent nous avons besoin de fistules de grand dia- mètre, permettant d'introduire dans l'estomac des masses volumineuses d’aliments ou même plusieurs doigts à la fois, opération dont l'utilité a été signalée déjà à une autre oc- casion. On conçoit que la canule à double rebord, de Blon- dlot, quelque spacieuse qu’on la rende, ne saurait s'adapter à cet usage, et qu’il ait fallu recourir à un appareil d’oc- clusion pouvant être enlevé totalement et replacé dans la fistule à volonté, de façon à permettre l'exploration directe de la cavité stomacale à travers l'anneau fistuleux qui présente en outre l'avantage d'être extensible jusqu'à un certain degré. QUINZIÈME LEÇON. 367 La canule que je vais faire passer sous vos yeux, et qui est mobile, tout en présentant un moyen d’occlusion aussi solide que la canule de Blondlot, est construite d'après une indication de Bardeleben. C’est, comme vous voyez, un tube massif de cuivre jaune, de la longueur d'environ 4 centi- mètres, et dont les parois ont de 1 jusqu'à 1 12 millimètre d'épaisseur. Le diamètre de l’orifice, que l'on fait varier selon le but spécial des expériences, mesure de 2 jusqu'à 4 centimètres. L'orifice externe de la canule est entouré d’un large rebord qui s’applique aux téguments abdominaux. L’extrémité interne ne porte pas de rebord saillant. Celui-ci est remplacé par deux lames de métal, mobiles, recourbées à angle droit à leurs deux bouts, et pouvant être mises en place après l'introduction de la canule. Ces lames, larges de 5 à 8 millimètres et un peu plus longues que la canule, glissent dans deux rainures de la surface interne du tube qu'elles remplissent sans faire saillie (l'épaisseur de la ca- nule est choisie si forte précisément pour ce but); les pièces horizontales, qu’elles portent aux deux extrémités, ne sont pas d’égale grandeur: celle destinée à faire saillie dans l'estomac est plus large que celle qui couvre le rebord ex- terne de la canule; le crochet interne n’est cependant pas plus large que le diamètre de la canule, dont il peut être librement retiré. Les deux lames sont maintenues en place par le bouchon dont la pression les applique solidement aux parois de la canule. Le bouchon enlevé, les crochets devien- nent mobiles et peuvent être retirés, ainsi que tout l’appareï.. Pour établir les fistules de grand diamètre auxquelles s'adapte cet appareil d’occlusion, il est préférable en gé- néral d'opérer en deux temps, comme le prescrit Blondlot. Le premier acte consiste à attirer au dehors, par une in- cision des téguments, et d’après la méthode déjà indiquée, un pli de l’estomac, dont on provoque la réunion circulaire aux parois abdominales. Au bout de cinq à sept jours seule- ment, on exécute le second acte de l'opération, consistant 368 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. à inciser la portion herniée de l'estomac et à fixer dans l'ouverture la canule munie de ses deux pièces latérales. Ici encore on à soin de faire l’incision plus petite que n’est le diamètre du tube, afin que les lèvres de la plaie stomacale, en revenant sur elles-mêmes, s'appliquent exactement au- tour de l'instrument. On facilite ce dernier temps de l'opé- ration en fixant à l'extrémité interne de la canule (extrémité dépourvue de rebord saillant) un cône solide de cire jaune, destiné à élargir l'ouverture par laquelle doit passer l’in- strument. L'introduction du tube ne présente de cette manière aucune difficulté; et, la canule une fois engagée dans l’e- stomac, on peut retirer le cône de cire à l’aide d’un crochet ou le pousser dans l'estomac avec une baguette, ce qui n'offre aucun danger. Sur des animaux qui ne sont pas trop gras, il n’est pas impossible d'établir la fistule en un seul acte. Une précau- tion cependant est indispensable au succès de cette opé- ration. Après avoir fixé la canule dans la plaie de l’estomac, on réduit le viscère; mais non content de l’avoir solidement lié à l'instrument, on réunit encore, par au moins quatre points de suture, les parois stomacales aux lèvres de la plaie des téguments. Ce moyen est le seul qui prévienne, avec quelque sûreté, les déplacements de l’estomac et l’épan- chement de son contenu dans la cavité péritonéale, pendant le vomissement. Le rebord interne de la canule n'étant formé que par les deux saillies horizontales des crochets mobiles, et par conséquent interrompu dans les inter- valles de ces saillies, on conçoit que lors d’une locomotion violente de l'organe, les lèvres de la plaie stomacale pourraient facilement se disjoindre de l'instrument, dans les intervalles signalés, et permettre la sortie du contenu stomacal dans le péritoine. La ligature qui sert à appliquer l’estomac au pourtour de la canule n’est réellement suffisante que durant le premier ou les deux premiers jours qui suivent l'opération: plus tard la portion du viscère, étranglée par QUINZIÈME LEÇON. 369 le fil, s'atrophie et ne résiste plus efficacement aux efforts qui tendent à éloigner l'estomac des parois abdominales. La suture est d'autant plus nécessaire, dans ces condi- tions, que l’on n’a pas, comme dans le premier procédé, la ressource de laisser la canule ouverte pendant les vomisse- ments qui succèdent à l'opération. En effet, si l’on ne se hâtait pas d'appliquer le bouchon, les pièces latérales de l'appareil et la canule elle-même risqueraient de tomber. — Le bouchon retenant seul l'appareil, il importe également de le protéger des dents de l’animal. Le moyen le plus simple consiste à se servir, durant les trois ou cinq premiers jours, d’un bouchon de liége, remplissant exactement la canule, mais ne faisant pas saillie au dehors. Plus tard, lorsque la cicatrisation est achevée, on le retire à l’aide d'un tire-bouchon, et on le remplace par un autre bouchon plus long et doublé de fer-blanc à son extrémité. Les sub- stances sur lesquelles on veut faire agir le suc gastrique, sont renfermées dans un sac de tulle que l'on fixe à un petit crochet que porte la surface interne du bouchon. Que l'on ait fait l’opération en un ou en deux actes, on peut, après l’établissement de la fistule, abandonner l’animal à lui-même, sans se préoccuper des fils restés au fond de la plaie. Ce n'est qu'exceptionnellement, lorsque les fils sont restés en place très-longtemps après la cicatrisation, que l'on est obligé de les retirer. Le plus souvent l'animal lui-même les enlève, en léchant la plaie. Si, plus tard, dans le cours des expériences, l'ouverture fistuleuse vient à se dilater spontanément, de manière à laisser échapper le contenu stomacal à côté de la canule, on enlève tout l’appareil pendant quelques heures, ce qui suffit toujours pour amener la rétraction de l'anneau fistu- leux. Dans le cas contraire, s’il y a rétrécissement de la fistule, rendant plus difficile ou impossible l'introduction de la canule, il n’est pas dutout nécessaire, comme on l’a proposé, de mettre en usage l'éponge comprimée; le cône TOME PREMIER 24 370 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. de cire jaune, fixé à l'extrémité interne du tube, est, encore ici, le moyen le plus expéditif pour faire rentrer l'instrument. L'établissement d’une fistule dans la portion médiane et dans la moitié gauche de l'estomac est une opération rela- tivement facile et sans danger. Il n’en est pas de même des fistules de la portion pylorique, qui demandent des soins beaucoup plus minutieux, vu la position moins superficielle de la moitié droite de l'estomac et sa tendance bien plus marquée à se retirer vers l'intérieur de la cavité abdomi- nale. Il est presque indispensable d'établir ces sortes de fistules en deux actes, de fixer d'abord très-solidement les parois stomacales au pourtour de la plaie des téguments et de n’inciser l'estomac qu'après sa réunion intime avec les pa- rois abdominales. A cet effet, il est avantageux de traverser le pli de l’estomac , après qu'on l’a attiré au dehors, avec un fil, et de fixer ce dernier à un gros bâtonnet dont la longueur dépasse de beaucoup celle de l'incision des tégu- ments. Le bâtonnet lui-même est creusé d'une gouttière circulaire destinée à recevoir les extrémités du fil. Il faut prendre soigneusement garde de ne pas opérer sur un pli trop petit ni trop faible de l'estomac; ce pli, par les tractions exercées sur le fil, au moment du vomissement, pourrait être coupé et se retirer dans la cavité abdominale, accident qui entraînerait infailliblement la mort de l’animal. J'ajouterai que j'ai réussi quelquefois à établir des fistules de la portion pylorique en un seul acte; mais je ne puis engager personne à renouveler cette tentative. Beaucoup de mes animaux, opérés ainsi, ont succombé, parce que, dès les premiers vomissements, les adhérences établies entre l'estomac et les parois abdominales, se rompaient, bien que j'eusse mis tous mes soins à rendre la suture circulaire aussi complète et aussi solide que possible. Messieurs, quels sont, dans les termes les plus généraux, les problèmes qui peuvent être résolus par l'expérimenta- tion sur les fistules stomacales ? QUINZIÈME LEÇON. 371 Il va sans dire d’abord que pour tout ce qui a rapport au mode de sécrétion du suc gastrique pendant la vie, les observations faites à l’aide des fistules nous fournissent les renseignements les plus directs et les plus clairs. — Mais en est-il de même des problèmes relatifs à l’action chimique du suc gastrique? — Je reviens à dessein à cette question, parce que, de nos temps, un grand nombre de physiolo- gistes professent l'opinion que, grâce à la méthode des fistules artificielles, l’expérimentation par le procédé d’in- fusion est désormais rendue entièrement superflue. Rien de plus erroné que cette assertion. L'observation par les fistules nous indique la diminution de poids et de volume que subit dans l’estomac, pendant un temps donné et sous certaines conditions, une quantité mesurée d'un aliment solide; mais cette diminution ne peut pas être regardée comme proportionnellement équivalente à la quantité de nutriment soluble ou de peptone qui a été formée aux dépens de l’aliment. En d’autres termes: le dé- ficit trouvé ne nous donne pas la mesure de ce qui a été réellement digéré, car la plus grande partie de ce qui . manque dans le sac de tulle, pourrait avoir passé par les mailles du sac, après avoir été désagrégé en particules très-fines, mais non encore complètement digérées. Nous ver- rons plus tard que cette supposition se réalise très-probable- ment pour une foule de cas. — Tous les résultats quantitatifs, obtenus par ce procédé, sont donc empreints d’un caractère d'incertitude quant au produit final de la digestion, car la méthode nous apprend tout au plus combien de l'aliment a été préparé à la liquéfaction digestive, mais non pas combien a été digéré, ni quelle est la nature du produit digestif. La méthode parinfusion, au contraire, établit la comparaison directe, p. ex., entre les quantités d'aliments qui peuvent être digérées par deux estomacs, pris au moment de la mort des animaux et mis dans des conditions expérimentales 372 RHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. identiques. De plus, disposant de la totalité des produits digestifs eux-mêmes, nous pouvons séparer la partie Ziquéfiée de l'aliment de celle qui n’a été que Zésagrégée; et distin- guer, dans la première, entre ce qui a été réellement digéré, et ce qui a été simplement dissous, mais non encore trans- formé. Le procédé par infusion est, sans contredit, celui dont l'application a le plus contribué à faire avancer nos con- naissances sur le chimisme de la digestion stomacale: aussi voit-on journellement tomber dans les erreurs les plus grossières les physiologistes qui en ont méconnu la valeur et qui s'appliquent exclusivement à l'observation par les fistules stomacales. Messieurs, dans l’étude des propriétés du suc gastrique, il importe quelquefois d’exclure la salive et le mucus du pharynx et des parties supérieures de l’œsophage. On a pratiqué, à cet effet, l’extirpation de toutes les glandes sa- livaires et la ligature de l’œsophage. Disons à l’avance que l'exclusion permanente de la salive n'est réellement utile que dans quelques cas très-rares que j'indiquerai ailleurs ; dans ces cas on peut avoir recours, comme je l’ai fait moi- même, à l’extirpation des quatre glandes salivaires, opéra- tion qui ne compromet pas directement la vie de l’animal, ainsi qu'il résulte des expériences de Budge et de Febr. La plupart des questions pour l'examen desquelles on jugeait nécessaire, autrefois, l'exclusion permanente de la salive, peuvent être déclarées aujourd’hui comme mal posées, ou être résolues tout aussi bien par d’autres moyens plus simples, comme l’est, p.ex. l'exclusion {emporairede la salive. Ainsi on a cru devoir extirper toutes les glandes sali- vaires pour résoudre la question suivante: Combien un gramme de suc gastrique pur peut-il digérer d'albumine so- lide? Tout le monde sait aujourd'hui que le pouvoir digestif de l'estomac varie à un tel degré, selon l’état de saturation de ses glandes peptiques, qu'on ne saurait même songer à donner de réponse absolue à cette question. — On a fait à des QUINZIÈME LEÇON. 373 animaux la même extirpation, pour arriver à déterminer le degré d’acidité normal du suc gastrique. Mais l’exelusion {em- poraire de la salive est tout-à-fait suflisante pour ce but, si l'on fait abstraction des sources d'erreur pouvant résulter du mucus œsophagien et du mucus stomacal lui-même, dont l'ex: clusion n’est d'ailleurs pas plus possible par le premier procédé que par le second. — L’exclusion temporaire de la salive, qui nous a été très-utile dans certaines expériences, s'obtient par la ligature de la portion cervicale de l’œsophage, liga- ture que l’on rouvre au bout d’un certain temps. Une petite ouverture pratiquée latéralement dans le canal œsophagien, au dessus de la ligature, permet l'écoulement de la salive par la plaie du cou. J'ai cru bien faire, messieurs, en vous présentant ces quelques généralités sur la mé/hode expérimentale que nous suivrons dans l'étude de la digestion: les principes sur les- quels cette méthode est fondée, ainsi que la valeur des pro- cédés spéciaux dont j'ai essayé de vous donner un aperçu aujourd'hui, se dégageront d’ailleurs de plus en plus claire- ment, à mesure que nous entrerons dans le détail des expe- riences elles-mêmes. Nous commencerons, dans la lecon prochaine, par étudier les propriétés de la dissolution digestive des substances albu- minoïdes mélangées et isolées; nous examinerons par quels caractères chimiques et physiologiques le produit de l’éla- boration digestive se distingue de la dissolution simple des corps albuminoïdes, telle qu'on l’obtient, p. ex., par l'eau acidulée. Ce sujet nous amènera à considérer, dans l’action du suc gastrique, deux agents distincts : l'acide et le fer- ment peptique, et à rechercher, pour chacun d’eux, le rôle spécial qu’ils remplissent dans l’acte de la digestion. Le suc gastrique ne dissout et ne transforme que les substances albuminoïdes ; mais s’il ne dissout pas les fécules, il ne s’en suit pas que celles-ci ne puissent continuer à se transformer et à se liquéfier dans l'estomac par l’action persistante de la salive, dont une notable proportion est toujours mêlée 374 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. au suc gastrique. Quelques physiologistes ont prétendu que la transformation de l’amidon s'arrête dans le contenu acide de l'estomac pour ne recommencer que dans l'intestin, où les sucs, provenant de l'estomac, sont neutralisés par les sécrétions intestinales alcalines. Bien que nous ayons déjà vu qu'un degré d’acidité de beaucoup supérieur à celle du suc gastrique, ne suspend pas l’action diastatique du ferment salivaire, il sera utile de reprendre l’examen de cette question sur l'animal lui-même. Nous continuerons ces recherches par l'étude de la sécré- tion du suc gastrique actif, question de la plus haute im- portance, comprenant non seulement les phénomènes exté- rieurs et physiques de la sécrétion, mais les causes et les circonstances particulières qui président, dans l’animal vivant, à la production du ferment peptique. Cette étude mettra au jour une série de faits intéressants, concernant les substances qui, absorbées par le sang, provoquent l’acti- vité caractéristique des glandules peptiques. Plusieurs leçons seront consacrées à la recherche des propriétés et du mode d'action de ces substances que nous appellerons dès à-pré- sent peptogènes, c'est-à-dire productrices de pepsine, par le fait de leur présence dans le sang. Après avoir considéré les phénomènes chimiques de la digestion stomacale, nous nous occuperons, en dernier lieu, de l'influence du système nerveux sur la digestion; des mouvements physiologiques de l'estomac et des mouve- ments que peut présenter le viscère anormalement, comme pendant le vomissement. Les attributions spéciales des nerfs gastriques dans le mécanisme de ces mouvements, devront être déterminées par d’autres séries d'expériences. Tels sont, messieurs, les nombreux problèmes auxquels s'adresseront nos investigations. Le temps et nos moyens suffisent à peine pour épuiser un seul des sujets énumérés. Tâchons au moins d’en éclaircir quelques-uns, et, à défaut de résultats définitifs, de trouver la méthode qui pourra nous y conduire. SEIZIÈME LEÇON. Sommaire: Caractères de la dissolution digestive des matières albuminoïdes. — Le produit digestif est une véritable dissolution, et non une suspension de matières finement divisées. — Produits de l’autodigestion d'un estomac de chien. — Propriétés de ces produits, com- parées à celles d’une dissolution simple d’albumine, de fibrine, etc. dans l'eau acidulée. — Différences de ces deux sortes de dissolutions. — Incoagulabilité du produit digestif par l’ e- bullition. — Effets de la neutralisation: précipitation d’une petite partie du produit di- gestif (parapeptone); non-altération de la plus grande partie du corps albuminoïde dissous (peptone ou albuminose). — Incoagulabilité du produit digestif par les acides forts. Substances propres à coaguler la dissolution de peptone: nitrale nitreux de mercure (réactif de Millon) ; bichlorure de mercure, acétate basique de plomb, tannin, etc. — Action par- ticulière du sulfate de magnésie. — Examen d’une solution digestive de viande. — Examen des peptones d’albumine, de caséine, et de fibrine. — Similitude des peptones, en général. Messieurs , Quelques physiologistes professent l'opinion que le suc gastrique ne fait que dissoudre l'albumine, comme le ferait un acide dilué; d’autres, et le plus grand nombre, admettent que l’albumine, traitée par le suc gastrique, se dissout et se transforme en même temps. L'examen de cette question qui est, pour ainsi dire, à la base de toutes nos recherches subséquentes, doit nous occuper en premier lieu. Il s’agit d'étudier les caractères d’une dissolution d’albu- mine, opérée par le suc gastrique. Peu importe, à cet effet, que nous choisissions le suc gastrique naturel ou le suc artificiel, gagné par l’infusion de la muqueuse stomacale. Ce dernier est, du reste, préférable, puisque nous pouvons l'obtenir relativement pur et en grande quantité, sans mé- lange des produits d’une digestion antérieure. Il y a quelques jours, j'ai fait, sur deux chiens, la ligature de la veine porte: tous deux sont morts au bout d'environ 376 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. une heure et vingt minutes, après avoir présenté les symp- tômes qui surviennent toujours après cette opération, c’est- à-dire la somnolence, le coma, l'insensibilité progressive, phénomènes sur lesquels nous aurons à revenir dans une autre partie de ce cours. — J’ai pris les estomacs des deux animaux, je les ai coupés en petits morceaux, et infusé chaque estomac à part, dans 400 grammes d’eau légère- ment acidulée. La première de ces infusions a été placée pendant 9 heures à l’étuve, à une température de 40 degrés c.; la seconde est restée jusqu’à aujourd’hui dans la température ambiante. La seconde infusion que vous voyez ici, n’a presque pas changé d'aspect. Elle montre encore toute la substance de l'estomac, suspendue dans uu liquide sanguinolent : les fragments de l'estomac sont gonflés, mais non dissous. Le premier estomac, placé à l'étuve, avait presque entiè- rement liquéfié sa propre substance au bout de 9 heures. Ce qui n’a pas été dissous, a été conservé sur le filtre que voici. C’est un petit résidu brunâtre et pulpeux. L'infusion filtrée, que vous voyez ici distribuée en trois vases, doit contenir en dissolution tout le reste de l'estomac, qui était plus grand que celui de l’autre chien. J'ai, messieurs, choisi à dessein, pour cette expérience, l'autodigestion de l'estomac, de préférence à la digestion de l’albumine pure, afin de vous donner une idée générale de l’action du suc gastrique. Nous trouvons réunies, dans l'estomac, les principales substances animales servant à la nutrition, sur lesquelles s’exerce particulièrement l’ac- tion du suc gastrique: nous avons l’albumine et la jt- brine du sang, en quantité supérieure à celle que con- tiendrait un estomac normal, puisque, par la ligature préa- lable de la veine porte, nous avons produit à dessein une réplétion considérable de tous les vaisseaux gastriques; — nous avons la fibre musculaire des parois stomacales ; le tissu conjonctif qui, un peu modifié, fournit la gélatine ; SEIZIÈME LEÇON. 377 en un mot, cette infusion équivaut au produit de la diges- tion d’un aliment complexe, contenant les représentants des groupes principaux de corps albuminoïdes, tirés de l'or- ganisme animal (moins cependant la caséine). Avant tout assurons-nous que nous avons à faire à une véritable dissolution, et non pas à une suspension de matières finement divisées. Tout le liquide a passé à travers le filtre, il est clair, limpide, uniformément jaune, et ni à l’œil nu, ni au microscope on n’y distingue des particules solides. Placé, à froid, dans un tube fermé au bout par une mem- brane animale, il traverse facilement cette dernière, par endosmose, sans changer de densité. Hoffmann, l’un des premiers, a émis l'hypothèse que les corps albuminoïdes, traités par le suc gastrique, ne s’y dis- solvent pas réellement, mais ne subissent qu'une désagré- gation très-fine de leurs éléments (1). Blondlot a exprimé la même opinion. CI. Bernard, bien que restreignant un peu l'assertion de Blondlot, est cependant du même avis. Il suppose que le suc gastrique ne dissout que les substances qui se dissolvent également par la coction ordinaire dans l'eau, et qu’il ne fait que diviser en particules très-ténues celles qui ne sont pas solubles dans l’eau bouillante. D'après cette théorie, le tissu cellulaire et la gélatine seraient faci- lement solubles dans le suc gastrique, tandis que la fibre musculaire, l’albumine solide et la caséine ne le seraient pas. Or nous venons de voir que dans ce liquide qui contient la plus grande partie d’un estomac de chien, il n’est plus possible de reconnaître des traces de particules solides; que ce liquide passe inaltéré à travers les membranes ani- males , et qu’il est par conséquent une véritable dissolution. Un coup d'œil jeté sur le faible résidu , resté sur le filtre, suffit pour constater que ce résidu n’équivaut pas à la masse de membranes animales, muscles, fibrine, etc., que nous (1) Hæser’s Archiv. 1844. 378 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. voyons presque inaltérée dans l’infusion du second estomac, originairement plus petit que le premier. Une expérience que j'aurai plus tard l’occasion de faire devant vous, rend d’ailleurs complètement illusoire le principe statué par Cl. Bernard. De la viande soumise à une coction de plusieurs heures, et qui, par conséquent, selon CI. Bernard , aurait perdu la faculté d’être dissoute par le suc gastrique, se dissout néanmoins très-bien et sans laisser de résidu solide, tant dans l'estomac vivant que dans le suc gastrique arti- ficiel. Dans quel état retrouverons-nous les corps albuminoïdes contenus dans cette solution ? Nous savons que l’albumine, dissoute dans un acide dilué, mais x0n transformée, est précipitée par l’ébullition. Il en est de même de la fibrine et de la syntonine. Pour l’albumine, ce fait est généralement reconnu; pour les deux autres substances, les avis sont partagés. Brücke nie que la f- brine et la syntonine, une fois dissoutes, puissent se pré- cipiter de nouveau. Les recherches de Mülder ont concilié les deux opinions: selon lui, une dissolution de fibrine, faite avec de l’eau contenant un millième d'acide, et exposée à une température de 25 à 30 degrés, est encore précipitée par l'ébullition au bout de 2 à 3 heures; plus tard, on n'obtient plus de précipité. Si, dès le commencement, le liquide est exposé à une température plus élevée, sa coagulabilité par l'ébullition disparaît plus vite, mais toujours, à un certain moment, la fibrine passe par l’état coagulable. Portons à l’ébullition une partie de notre liquide digestif, pour voir s’il contient un corps albuminoïde précipi- table, c’est-à-dire, non transformé, et semblable à l’albu- mine dissoute dans l’eau acidulée. — Comme l’infusion est faiblement acide, l’albumine a dû, à un moment donné, passer par cet état; reste à savoir si après un séjour de 9 heures à l’étuve, cet état a pu se maintenir. Je chauffe; le liquide est en pleine ébullition; mais, comme vous le SEIZIÈME LEÇON. 379 voyez, il reste parfaitement limpide. Nous pouvons donc af- firmer que l'albumine a perdu, par l’action du suc gastrique, une de ses propriétés primitives, celle d'être coagulable par la chaleur. Il y a eu transformation, et probablement transformation totale. Du reste jene l’ai jamais vue manquer dans les mêmes conditions, au bout de 9 heures. Le premier fait général qui résulte de cette expérience, c’est que les corps albuminoïdes, digérés complètement par le suc gastrique, ne sont plus précipités par l'ébullition. Je me hâte d’ajouter que l’incoagulabilité, à 100 degrés, n’est pas une propriété exclusive des albumines liquéfiées par la digestion ou peptones. On trouve quelquefois, dans le corps animal, une modification incoagulable de l’albumine, modi- fication produite indépendamment de la digestion. C’est ainsi que l’urine contient parfois une substance albuminoïde, non précipitable par l’ebullition. De plus, presque tous les tissus du corps animal, soumis à une coction excessivement prolongée, fournissent une dissolution albumineuse, en partie non coagulable. On croit ordinairement que l’ébullition simple suffit pour démontrer, dans une dissolution aqueuse ou acidulée, la pré- sence de tout corps albuminoïde coagulable. C’est une erreur. Quelques-uns de ces corps, non précipitables à 100° c., sont précipités à une chaleur supérieure de peu de degrés au point d’ébullition. On le démontre, en ajoutant à l’eau que l'on chauffe, une substance qui en élève le point d’ébullition, comme le sulfate de soude. Par ce moyen, la température de l’eau peut être portée jusqu'à 105 et même 109 degrés, et alors seulement il y a coagulation. C’est ainsi que les mé- decins devraient toujours faire, avant de se prononcer sur l'absence de l’albumine dans l'urine. Appliquons ce moyen à notre solution digestive. Traitée par le sulfate de soude, et chauffée à l’ébullition, elle ne se trouble pas. La preuve est donc complète, que l’albumine 380 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. et la fibrine digérées ne sont pas coagulables par la chaleur (1). Une second® propriété de la dissolution simple, dans l'eau acidulée, de presque tous les corps albuminoïdes (albumine, fibrine, caséine , syntonine), c’est d'être précipitée par la neutralisation. Voyons si notre dissolution stomacale a conservé cette pro- priété. — J'ajoute lentement au liquide de l’alcali (soude caustique) jusqu’à ce qu'il n'y ait plus de réaction visible sur le papier rouge de tournesol. Le liquide se trouble un peu; mais le précipité qui s’est formé est évidemment de beaucoup inférieur à la somme de tout ce qui est dissous dans l’infusion. Ce n’est donc qu’une partie de l’albumine qui à été ramenée à l’état solide par la neutralisation. Ici se présentent deux possibilités: Ou bien une fraction de la substance stomacale a résisté à l’action du suc ga- strique et n’est pas encore transformée. C’est l'opinion de Brücke. — Ou bien la substance précipitée est aussi trans- formée, mais autrement que le reste. Dans ce cas, le produit final de la digestion stomacale serait double; d’une part nous aurions un Corps albuminoïde incoagulable par la chaleur et par la neutralisation : la peptone proprement (1) J'ai eu occasion de m'assurer, peu de jours après cette leçon, que si le sulfate de soude et quelques autres sels voisins (comme le sulfate dé magnésie el le chlorure de sodium) précipitent à chaud certaines modifications de l’albumine, ce n'est pas seulement par l'élévation du point d'ébullition de l'eau, mais aussi par action chimique. J'opérais sur un liquide qui contenait de l’albumine dans un état où elle ne se montrail pas coa- gulable par l’eau à 400, mais bien par l'ébullition avec les trois sels mentionnés. Ayant chauffé le liquide, sans addition de sel, jusqu’à l’ébullition, je retirai la lampe et Jj'ajoutai à la dissolulion une certaine quantilé de sulfate de soude. Bien que le sel, en se dissol- vant, dût contribuer à l’abaissement de la tempéralure, néanmoins je vis se produire, presque instantanément, un précipité que je reconnus pour être de l’atbumine. L'adjonction du sel mentionné, à une température inférieure à 400°, peut donc favoriser la coagulation de l’albumine, dans certaines conditions où celte substance n’est pas coagulable au point d'ébullition de l’eau, sans addition de sel. — L'erreur qui pourrait résuller de celle cir- constance exceplionneile, sera facilement évitée, si l’on a soin d'appliquer à toutes les expériences de ce genre le contrôle très-simple que je viens d'indiquer. SCHIFF. SEIZIÈME LEÇON. 381. dite, ou albuminose; d’autre part un corps albuminoïde, éga- lement transformé, puisqu'il n’est plus précipité par la chaleur, mais resté précipitable par la neutralisation. C’est la para- peptone de Meissner. — Cette dernière suppôsition, selon toute apparence, est la vraie, puisque si le suc gastrique avait laissé une partie de la substance dissoute dans son état primitif, comme l’admet Brücke, celle-ci aurait néces- sairement dû être précipitée à l’ébullition, ce qui n’a pas eu lieu. Nous avons d'autres moyens pour reconnaître chimique- ment l’albumine simplement dissoute, et non transformée. Une solution albumineuse, préparée avec de l’eau faiblement acidulée, donne un précipité avec un excès d’acide: mais ce précipité se redissout dans un nouvel excès d'acide. Ces deux sortes de dissolutions obtenues par une quantité plus petite et plus grande d'acide, ont été désignées par Ber- zelius sous les noms de solution #icrolytique et de solution macrolytique. Purkinje, Valentin, Mulder, et d’autres ont, par leurs recherches, confirmé cette double solubilité des corps albuminoïdes. Or, notre solution stomacale est iris puisqu'elle a été produite dans un milieu très-faiblement acide. D'’ail- leurs on sait que la solution macrolytique est caractérisée par des changements particuliers de la coloration du liquide (pour l’albumine coagulée, traitée par l'acide chlorhydrique, c’est une teinte bleuâtre), changements que nous n'avons pas vus survenir dans notre solution. Si celle-ci contient encore des substances albuminoïdes non transformées, elle doit par conséquent être précipitée par l’adjonction d’un excès d'a- cide. Mais vous voyez que je puis ajouter beaucoup d'acide chlorhydrique , sulfurique ou nitrique, sans que le liquide se trouble: nous avons en ceci une preuve de plus que la dissolution de l'estomac de chien ne contient plus de corps albuminoïdes dans leur état primitif, et que tout ce qui est dissous, est transformé. Nous ne pouvons pas dire que tout soit également transformé, puisque la neutralisation nous 382 PHYSIOLOGIE DE LA-DIGESTION. a donné un léger précipité. Nous avons provisoirement at- tribué ce précipité à un premier degré de transformation des corps albuminoïdes, non encore définitivement digérés par le suc gastrique, mais déjà rendus incoagulables par la chaleur. Si ce précipité ne représentait pas une modification de l'albumine, mais résultait simplement de l’action de l’alcali sur l’albumine non transformée, il devrait augmenter par l’adjonction d’une nouvelle quantité d’alcali. Voici l’é- prouvette contenant la solution neutralisée et troublée par la présence du corps que Meissner a appelé parapeptone. J'ajoute un excès de soude, de manière à rendre le liquide franchement alcalin, comme le démontre la réaction sur le papier bleu de tournesol, mais le précipité n’augmente pas. Mais, pourra-t-on m’objecter, ce précipité est-il réellement une fraction très-petite de la substance dissoute dans le liquide, et n'est-il pas arbitraire de supposer que l'infusion contienne encore une grande quantité d’albumine, non pré- cipitée? Un moyen très-simple nous est offert pour décider cette question; c'est de filtrer, et de traiter le liquide filtré par un réactif apte à produire la coagulation de toute l’albumine. Le nitrate nitreux de mercure, dit réactif de Millon, est, de tous les corps propres à précipiter les corps albuminoïdes de leurs dissolutions, celui dont l’action coagulante est la plus énergique et la plus complète. Le précipité, fourni à froid par le réactif de Millon, est d’un blanc jaunâtre passant au rouge vif par l’action prolongée du réactif ou par l'ébul- lition. — J'ai, dans ce tube de verre, un peu de sérum sanguin filtré; quelques gouttes du réactif y produisent immédiatement un précipité jaunâtre très-volumineux, pas- sant au rouge, dès que je réchauffe le mélange. — Je mets sur un filtre la dissolution stomacale neutralisée. En attendant qu’elle passe, traitons par le nitrate nitreux de mercure l'infusion stomacale primitive, pour nous donner une mesure de la quantité d'albumine qui y est contenue. Il faut remarquer toutefois que comme l'infusion a été aci- SEIZIÈME LEÇON. 383 difiée par quelques gouttes d'acide. chlorhydrique, nous aurons un précipité de calomel; mais l'acide étant très- dilué, et notre recherche n'ayant pour but qu'une évaluation approximative, ce précipité ne nous gênera pas beaucoup; d’ailleurs la coloration caractéristique du coagulum albu- mineux ne nous échappera pas. Vous voyez que le réactif de Millon coagule tout le liquide en une masse floconneuse jaunâtre. Si nos prévisions sont justes, la solution neutralisée et actuellement filtrée, devra donner un précipité presque égal en densité à ce dernier. L'expérience confirme cette prévision. Il est donc démontré que par la neutralisation nous n’avons précipité, du produit de la digestion stomacale, qu’une très- petite portion des corps albuminoïdes qui y étaient contenus. Nous pouvons confirmer ce résultat par d’autres réactifs, comme le éannin, qui précipite également les corps albu- minoïdes de leurs dissolutions (sauf un très-petit nombre de modifications de ces corps). Une seconde portion de notre liquide, neutralisée et filtrée, est abondamment précipitée par l’adjonction de quelques gouttes de solution d'acide tan- nique. — Sûrs des faits qui précèdent, nous pouvons formuler ainsi nos conclusions provisoires : Le suc gastrique non seulement dissout les corps albu- minoïdes, mais il les éransforme. Bien que l’action du suc gastrique ne puisse se manifester qu’en présence d’un acide faible, le produit digestif n’a pas les propriétés d’une simple dissolution albumineuse opérée par l'acide seul. Le produit digestif se distingue, au contraire, de la dissolution simple dans l’acide, par trois caractères importants qui sont: 1° Son incoagulabité à la température de l’ébullition de l’eau, et à une température plus élevée de quelques degrés, comme celle obtenue par la coction avec le sulfate de soude (1); (1) La remarque mise en note à la page 380, avertit le lecteur de ce qu'il y a d'er- roné dans l'appréciation du fait sur lequel est fondée la dernière partie de cette con- clusion. La coagulation de certaines substances albuminoïdes, non précipitables dans l’eau acidulée, à 100 degrés, par l’adjonction au liquide en ébullition de quelques cristaux ou 384 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION, 2° Sa propriété de n'être précipitée qu’en petite partie par la neutralisation, partie d’ailleurs transformée elle-même; 3° Son incoagulabilité par les acides minéraux forts, ajoutés en petite et en grande quantité. Messieurs, je me suis servi, jusqu'à-présent, et à dessein, du terme de dissolution simple d'albumine dans l’eau acidulée, pour distinguer cette dissolution soit du composé résultant d’un contact prolongé de l'eau acidulée avec les substances albuminoïdes liquides, soit de la dissolution opérée avec une élévation considérable de la température du liquide. Le con- tact un peu prolongé de l'acide avec les corps albuminoïdes produit, même à la température ordinaire, comme nous le verrons dans la suite, des modifications des propriétés de l’albumine qui n'existent pas dans le mélange récent et qui rendent nécessaire cette distinction. Il est donc bien entendu que toutes les conclusions qui précèdent, ne s’appliquent qu’à la solution digestive comparée à la dissolution récente, et faite à froid, des corps albuminoïdes dans les acides dilués. Nous avons opéré tout-à-l’heure sur un mélange des pro- duits digestifs de toutes les substances albuminoïdes qui entrent dans la composition de l’estomac de chien. Voici une autre dissolution, résultant de l’action prolongée d’une dissolulion saturée de sulfate de soude, ne résulte pas seulement de l'élévation du point d’ébullilion, mais aussi d'une véritable action chimique. Il n’en est pas moins vrai que le précipité obtenu par le sulfate de soude, à une température inférieure à 100 degrés, est peu cohérent , finement divisé et reste suspendu dans le liquide, dont la filtration, dans cet élat, est très-longue et lrès-difficile, tandisque si on maintient le liquide en é- bullition (c'est-à-dire au dessus de 100°) pendant quelque temps, toute l’albumine se prend en un ou plusieurs coagulums concrets et cohérents, dont il est trés-facile de décantet le liquide, sans le filtrer, Cette propriété est souvent utilisée pour les expériences dans lesquelles il s’agit d’éloigner d’un liquide animal loute l’albumine qui y est contenue el dont la présence pourrait empêcher ou troubler une âulre réaclion chimique. Ainsi la dissolution albumineuse ou fibrineuse que l’on obtient par le massage dans l’eau defragments de foie ou de muscles de grenouille el par la filtration du liquide, n'est précipilée qu’im- parfaitement par la coction, tandisque si l’on ajoute du sulfate de soude, l'ébullition un peu prolongée du liquide coagule, en grumeaux consistants, toute la substance albuminoïde qui y est contenue, SEIZIÈME LEÇON. | 385 d'un suc gastrique artificiel sur de la oiande. Répétons, sur ce liquide, les réactions principales que nous venons d'étudier. La solution rougit visiblement le tournesol. Je neutralise avec quelques gouttes de potasse caustique: léger précipité de parapeptone qui évidemment, et comme je le prouverai par la réaction suivante, ne correspond pas à toute la quantité des corps albuminoïdes dissous. J’acidifie de rechef la même portion du liquide avec un peu d'acide acétique et j'ajoute du bichlorure de mercure qui, ainsi que le réactif de Millon, a la propriété de précipiter les corps albuminoïdes de leurs solutions. Abondante coagulation qui démontre que la so- lution est assez concentrée et que le léger trouble que nous avons obtenu par la neutralisation, ne correspond qu’à une très-petite partie de la viande digérée, partie douée d’autres propriétés que le reste du corps dissous, lequel n’est pas pré- cipité par la neutralisation. Je pourrais ajouter à la série des Corps aptes à coaguler les substances albuminoïdes , l’acétate basique de plomb; mais les auteurs ne paraissent pas être tout-à-fait d'accord sur l’action de ce sel. Les uns affirment qu’il donne, dans tous les cas, le précipité caractéristique. D’autres croient que le précipité peut manquer si la digestion artificielle a été très-complète et très-prolongée. Dans mes expériences j'ai toujours obtenu le précipité, quand même la digestion avait été prolongée au delà de sa durée moyenne. Un autre sel, à propriétés coagulantes, mérite une mention particulière: c'est le sulfate de magnésie. Si à notre dissolu- tion (de viande) j'ajoute du sulfate du magnésie et que je chauffe, il y a précipité. Ce précipité se redissout dans un excès d’eau, mais ne se redissout pas dans un excès de dis- solution de sel. Il est intéressant de voir cette propriété de la solution digestive, vis-à-vis du sulfate de magnésie, par- _ tagée par un autre liquide de l'organisme, également très- riche en albumine, mais coagulable par l’ébullition, je veux TOME PREMIER 25 386 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. dire par le suc pancréatique. Le coagulum qui se produit dans le suc pancréatique par la coction ne se redissout pas dans l’eau, tandis que, selon CI. Bernard qui a trouvé ce fait, le même suc, traité par le sulfate de magnésie, donne un précipité qui se redissout dans l’eau. — D’autres dissolutions simples de substances albuminoïdes normales de l'organisme animal présentent la particularité d’être précipitées par l’adjonction de grandes quantités de sulfate de magnésie. Tel est, p. ex., le sérum du sang de beaucoup d'oiseaux, qui est coagulé en partie par le sel indiqué. — Beaucoup de liquides pathologiques qui se distinguent par leur richesse en corps albuminoïdes, montrent la même propriété (1). Il importe de remarquer que toutes les solutions diges- tives ne jouissent pas, au même degré, de la propriété d’être précipitées par le sulfate de magnésie. Le précipité peut manquer lorsque la digestion a été complète. Voici, par exemple, une autre solution de peptone, résul- tant d’une digestion un peu plus prolongée que celle de notre dernière expérience. J'ajoute des cristaux de sulfate de magnésie et je chauffe à l’ébullition; mais, comme vous voyez, le liquide ne se trouble pas. Cette expérience toute- fois ne prouve pas encore que la digestion ait été parfaite, car nous pourrions avoir pris trop peu de sulfate de ma- gnésie. En effet, si j'ajoute une nouvelle quantité de sel et que je chauffe, il y a formation d’un faible précipité. Ce précipité se redissout dans un excès d’eau, comme dans l'expérience précédente. Pour qu’on ne dise pas que le pré- (1) Des recherches récentes ont montré que l’action coagulante du sulfate de magnésie, dans les cas indiqués, n’est pas dûe à la présence d’une substance albuminoïde particu- lière, à propriétés chimiques distinctes, mais à la présence d’une certaine proportion de soude ou de carbonate de soude, mélée au corps albuminoïde et constituant une simple modification de ce dernier. On peut reproduire artificiellement cette modification,en ajoutant à l’albumine normale de la soude ou du carbonate de soude, — Les mêmes substances albuminoïdes qui sont coagulées par le sulfate de magnésie, le sont aussi par l'alcool: et le précipité obtenu à l’état récent par l'alcool, se redissout dans l’eau; plus tard, après un contact prolongé avec l'alcool, le précipité n’est plus soluble dans l'eau. SEIZIÈME LEÇO,,. 381 cipité soit devenu invisible par dilution, je répète l’expérience en ajoutant à une autre quantité de peptone, d’abord de l'eau, jusqu’à la délayer autant que la première, puis du sel, en quantité proportionnellement plus grande. Le préci- pité, quoique distribué dans un volume plus grand de liquide, est encore bien visible. Très-souvent, lorsque la digestion avait été très-complète, je n'ai pas obtenu de précipité avec le sulfate de ma- oœnésie. La limite à laquelle s'arrête l’action du sel, n’est pas encore exactement connue et de nouvelles recherches sont nécessaires pour déterminer les conditions qui favo- risent ou qui empêchent la formation du précipité en ques- tion. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il se montre sans exception dans le produit digestif naturel, qui est toujours beaucoup plus imparfaitement élaboré que le produit arti- ficiel, sur lequel on peut prolonger, à volonté, l’action du suc gastrique. Le chyme commençant à être déversé dans le duodénum avant la sixième heure de la digestion, on con- çoit qu'en retirant le produit digestif par une fistule sto- macale, on ne puisse jamais, chez l’animal vivant, l'obtenir entièrement transformé. Le réactif de Millon ne présente pas la même inégalité d'action vis-à-vis des dissolutions albumineuses. Il les précipite non transformées ou incomplètement transformées, comme il précipite aussi le produit de la digestion complète; mais tous les auteurs ne sont pas d'accord sur la couleur du précipité que le nitrate nitreux de mercure fait naître dans la dissolution de peptone. Selon les uns, ce précipité serait jaune orange, selon les autres d’un rouge vif. Voyons ce que dit, à cet égard, l'expérience. Je prends une solution digestive (de viande, par exemple), sans neutraliser, et j'ajoute le réactif de Millon. Il se forme un précipité jaune orange qui ne devient pas rouge par la chaleur, comme le fait le précipité obtenu avec l’albu- mine non transformée. — Je répète l'expérience, mais avant 388 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. d'ajouter le réactif, je meufralise la solution. Le nitrate nitreux de mercure, au moment où il entre en contact avec l'albuminose, produit maintenant, comme vous le voyez, un précipité blanc, qui passe presque aussitôt au rouge in- tense. Ainsi l'absence de la coloration rouge, notée par quel- ques auteurs, s'explique par l'acidité du liquide albumineux. Il suffit de neutraliser, pour obtenir le passage rapide de la couleur blanche du précipité au rouge vif. Le passage s'opère plus promptement, si l'on réchauffe un peu le liquide. Les solutions digestives des corps albuminoïdes isolés (albumine, caséine, fibrine, etc.) se comportent de la même manière vis-à-vis du nitrate nitreux de mercure. Au lieu de peptone de viande, prenons, par exemple, de la peptone d’albumine. Le réactif de Millon produit, dans la solution acide, une coagulation blanche épaisse, passant au jaune orange, si l’on réchauffe un peu le liquide. — Dans une autre portion de la même solution, préalablement new- tralisée, le précipité, d’abord blanc, devient presque aussitôt rouge, avant même qu'on ait réchauffé. — (Cette albumine a été digérée par l'estomac d’un chien, tué à jeun, dont le suc gastrique artificiel n’était pas très-riche en pepsine, mais qui, par une espèce d’autodigestion, que l’on observe assez fréquemment, avait liquéfié dans l’infusion la plus grande partie des parois stomacales). Après avoir considéré les propriétés des peptones mélan- gées, et résultant de la digestion de deux ou de trois corps albuminoïdes réunis, complétons cette étude, en contrôlant sur les différentes espèces de ces corps, prises isolément, les données générales que nous venons d'obtenir. Nous aurions à reprendre les réactions, faites jusqu’à-présent, pour chacune de ces espèces (fibrine, albumine, caséine, synto- nine, etc.) préalablement transformées par la digestion. Je me bornerai à reproduire devant vous les expériences prin- cipales, sur le produit digestif des trois espèces de substances SEIZIÈME LEÇON. 389 albuminoïdes qui nous intéressent le plus directement, c'est-à-dire, l’albumine, la caséine, et la fibrine. 1. Albumine liquéfiée par une digestion artificielle de 30 heures. Solution acide. Je neutralise. II se forme un précipité (parapeptone) qui gagne bientôt le fond du tube. Le liquide, décanté avec précaution, est tout-à-fait clair et peut servir à d’autres réactions. Nous verrons tout-à-l'heure si le petit dépôt qui vient de se former, correspond à toute l’'albumine dissoute. L’ébullition du liquide décanté fait naîtré un léger nuage qui indique que la digestion n'a pas été complète. Je filtre. S'il y a eu digestion, la majeure partie de l’albumine doit être contenue dans ce qui passe à travers le filtre. L'acide nitrique n’y produit pas de trouble, preuve qu'il n’y a plus d’albumine non transformée. Ajou- tons un des réactifs coagulants, énumérés il y a un instant, p. ex. le tannin. Le précipité que nous obtenons est faible, parce que le liquide est très-acide. Je neutralise. Maintenant la première goutte de solution tannique que j'ajoute, donne lieu à une coagulation des plus prononcées. Il s’en suit que dans cette solution il existe une grande quantité d’albumine complètement digérée. 2. Caséine digérée pendant le même temps et avec l’in- fusion du même estomac qui a digéré l’albumine. L’ébul- lition produit un léger trouble qui fait paraître le liquide opalescent, mais sans précipité proprement dit. Je neutra- lise une autre quantité et j'ajoute une goutte de nitrate nitreux de mercure, pour savoir quelle est à-peu-près la richesse du liquide en caséine dissoute. Abondant précipité blanc qui presque aussitôt devient rouge. Ainsi la quantité de caséine, restée en dissolution, est de beaucoup supé- rieure à la petite quantité qui s’est précipitée par l’ébullition. 3. Voici un troisième liquide qui résulte de l’action d’une autre infusion stomacale sur de la fbrine. La fibrine provient d’un coagulum sanguin, non lavé jusqu’à décoloration et mis en contact tel quel avec le suc gastrique artificiel. Le mé- 390 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. lange montre encore la coloration des pigments du sang. L'ébullition du liquide filtré fait apparaître un précipité épais qui prouve qu'une grande partie de la fibrine n’a pas été digérée. En effet, le coagulum sanguin n’a séjourné que pendant 3 heures dans une infusion stomacale, pauvre en pepsine. Voici une autre solution de fibrine, obtenue par une di- gestion de 30 heures dans un suc gastrique plus actif. Je chauffe à l’ébullition. Pas de trace de précipité. J’a- joute, goutte à goutte, de l’acide .nitrique concentré. Pas de précipité, mais légère coloration jaune. On voit souvent se produire, au contact de l’acide nitrique avec beaucoup de substances azotées de l’org'anisme animal, cette colora- tion jaune que l’on a attribuée à la formation d’un composé particulier, l'acide xanthoprotéique. Je reprends la solution primitive de fibrine, qui est légèrement acide et je neutra- lise avec de la potasse. À-peu-près à la limite de la réaction neutre, il se produit un léger trouble, tout-à-fait analogue au précipité que nous avons vu se former dans le produit digestif de l’albumine, dans les mêmes conditions. Nous avons donc ici une parapeptone de fibrine. Le précipité ne correspond pas à toute la fibrine dissoute; il n’en est qu’une insignifiante fraction qui, comme vous le voyez, se redissout facilement dans un excès de potasse. En effet, si j'ajoute maintenant du bichlorure de mercure, il se forme une coagulation très-considérable qui devient encore plus dense &i je chauffe. Ce coagulum lui-même ne représente pas toute la fibrine dissoute, car le réactif de Millon pro- duit un dépôt encore plus volumineux. Aïnsi les corps albuminoïdes, de provenance animale, acquièrent, par l'action transformatrice du suc gastrique, les mêmes propriétés essentielles. Dans une solution diges- tive, nous ne pouvons plus distinguer ce qui primitive- ment était de l’albumine, de la caséine ou de la fibrine. Aussi beaucoup d'auteurs admettent-ils sans réserve que SEIZIÈME LEÇON. 391 le produit final de la digestion de toutes les substances albuminoïdes est un seul et même composé, Z’albuminose ou la peptone. Il existe cependant, au point de vue chimique, de légères différences dans les propriétés des peptones, dif- férences qui, il est vrai, ne sont pas encore bien exacte- ment déterminées et qui n’ont pas d'importance pour l’é- tude qui nous occupe. Quant aux caractères essentiellement physiologiques de ces corps: leur diffusion prompte par endosmose, leur solubilité dans les liquides acides et alcalins de l’organisme, leur propriété d’être absorbés par le sang, sans reparaître dans les urines, pour tous ces caractères, les différentes peptones montrent une similitude complète. Rappelons, en terminant, l’importante distinction que nous avons dejà indiquée à une autre occasion : tandisque dans leur dissolution simple, dans l’acide, les substances albuminoïdes restent, chacune, un seul corps, un seul indi- vidu chimique, elles sont dédoublées, par la transformation digestive, en plusieurs dérivés à caractères chimiques dif- férents, dérivés séparables les uns des autres par des pro- cédés spéciaux (peptone et parapeptone). DIX-SEPTIÈME LEÇON. Sommaire: Transformations des substances albuminoïdes par la digestion naturelle. — Dif- férences entre les produits de la digestion naturelle et ceux de la digestion artificielle prolongée. — Examen du contenu stomacal d’un chien, nourri d’albumine cuite. — Re- cherche des peplones dans les liquides albuminoïdes, de constitution mixle. — (Méta- peptone, Dyspeptone, A, B et C peptones). — Caractères de la parapeptone, — Conditions dans lesquelles s'effectue sa précipitation. — Insolubilité de la parapeplone dans les li quides non entièrement neutralisés, mais encore légèrement acides. — Importance de cette propriété, considérée en rapport avec l'absorption stomacale. — Stabilité de la parapeplone, en tant que produit définitif de la digestion stomacale, — Examen des opinions qui. r6— gardent la parapeptone comme un état transitoire des corps albuminoïdes en digestion, — Messieurs, Nous avons étudié, dans la Lecon précédente, le produit digestif des substances albuminoïdes traitées par le suc gas- trique artificiel. Examinons aujourd'hui les changements que ces substances subissent par la digestion stomacale naturelle. Le suc gastrique, comme nous le savons, agit non seule- ment comme «ferment » transformateur, mais aussi comme simple dissolvant , par l'acidité dont il est doué. S'il n’est pas très-actif, c’est-à-dire, s’il est pauvre en pepsine, son premier effet sur les substances albuminoïdes est de les dis- soudre, et ce n’est que plus tard, après une durée plus longue de son action, que surviennent les transformations que nous avons reconnues comme caractéristiques du travail digestif. Le suc gastrique artificiel, même s’il est très-actif, a besoin DIX-SEPTIÈME LEÇON. 393 d’un certain nombre d'heures pour opérer la transformation complète des aliments albuminoïdes. Dans le produit d’une digestion artificielle d’albumine que j'ai examiné devant vous dans la dernière Leçon, et qui n'avait pas séjourné moins de 30 heures à l’étuve, l’ébullition du liquide filtré, après la précipitation de la parapeptone, produisait encore un léger trouble, preuve que tout n'avait pas été entière- ment transformé. Trente heures n'avaient donc pas suffi pour achever entièrement la digestion. Toujours est-il que la méthode des digestions artificielles nous offre le moyen d'arriver à la transformation complète, pourvu que nous prolongions assez le séjour de l’infusion à l’étuve. Mais comment les choses se passent-elles dans les con- ditions naturelles de la digestion stomacale ? Chez le chien, p.ex. il est connu que les aliments ne séjournent dans l'estomac que durant cinq, six et quelquefois seulement quatre heures, temps évidemment insuffisant pour permettre la transformation complète des corps albuminoïdes ingérés. De plus, le suc gastrique lui-même n’est pas toujours ég'a- lement chargé du principe digérant, et son action sur les aliments est plus ou moins prompte, plus ou moins éner- gique. Aussi, dans la digestion naturelle, trouve-t-on ordi- nairement, au bout de cinq ou de six heures, le contenu sto- macal formé par un mélange de peptones, de parapepto- nes, de substances albuminoïdes simplement dissoutes et de restes de matières solides, non altérées par le suc gastrique. Voici un chien qui porte, depuis longtemps, une fistule stomacale, à canule mobile, L'animal ne montre pas le plus léger trouble de ses fonctions générales; il mange beau- coup et avidement, et son suc gastrique, comme il résulte d'expériences antérieures, est toujours abondamment fourni de pepsine, au moment de la digestion. Ce matin, il y a environ six heures, le chien a reçu, au lieu de sa ration ordinaire de pain, un œuf cuit qu'il a avalé par morceaux. Je vais déboucher sa fistule et examiner, devant vous, le 394 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. contenu de son estomac. La recherche des peptones dans les liquides albuminoïdes, de composition mixte, est une opération qui n’intéresse pas seulement le physiologiste, mais qui peut être, dans certains cas, d’une grande utilité pour le médecin. Ainsi, dans les cas d’anus contre nature, chez l'homme, la composition des matières qui s’écoulent par la fistule peut indiquer, à-peu-près, à quelle hauteur de l’in- testin est située l'ouverture accidentelle, et la nutrition du malade peut être, en quelque sorte, réglée d’après la quantité de peptones, versée au dehors avec le contenu intestinal. De même, dans certaines diarrhées, très-rebelles, l'examen chimique des matières fécales fournit quelquefois des indications précieuses sur la rapidité avec laquelle les aliments, partiellement élaborés par l'estomac, parcourent le tube intestinal. Ritter, de Strasbourg, a tout récem- ment observé un cas de ce genre, dans lequel une quan- tité notable de peptones reparaissaient dans les déjections alvines, preuve évidente de la trop grande rapidité des mouvements intestinaux et de l’accomplissement normal de la digestion stomacale. La même preuve de la persistance normale de la digestion stomacale peut être obtenue, grâce à ce procédé, dans certains cas de vomissements opi- niâtres. Le chien étant lié sur la table, je retire le bouchon de la canule; les deux pièces latérales de l’appareil d’occlusion ainsi mobilisées et enlevées, le tube métallique sort très- facilement. L'ouverture fistuleuse est presque parfaitement circulaire, un peu ridée sur les bords et entourée d’une lèvre rouge. Le diamètre de l’orifice est d'environ deux centimètres, assez grand pour permettre l'introduction d’un doigt. Le liquide qui s’écoule de l’estomac et que je recueille dans un vase de verre, est brunâtre, épais, visqueux et sort difficilement: on n’y reconnaît pas de traces d’albumine solide, mais des petits grumeaux de pain. En effet, l’explo- ration de la cavité stomacale, avec le doigt, amène au de- DIX-SEPTIÈME LEÇON. 395 hors quelques morceaux de pain, presque entiers, et des brins de paille. L'animal qui a été enfermé, sans nourriture, depuis ce matin, aura probablement trouvé et avalé ces subs- tances, pendant son trajet du chenil au laboratoire. Pour obtenir tout le contenu stomacal, je fais verser de l’eau dans la bouche du chien, jusqu’à ce que le liquide qui sort par la fistule et que je continue à recueillir, ne soit plus coloré en brun, et jusqu’à ce que, par l’orifice fistuleux, on distingue la muqueuse rouge de la paroi opposée de l’es- tomac. Maintenant, messieurs, s’il ne s'agissait de constater dans ce liquide que la présence des peptones, il suffirait de chauffer à l’ébullition, de filtrer, et de traiter la solution neutralisée et filtrée une seconde fois, par l’un des réactifs qui coagulent les corps albuminoïdes. Mais nous voulons savoir s’il n'existe pas, dans le liquide, à côté des produits définitifs de la digestion, de l’albumine simplement dissoute et non transformée en peptone. Comme cette albumine pourrait se coaguler par l’ébullition, je filtre le liquide à froid. Dans l'intervalle je replace la canule, en fixant les pièces latérales à l’aide d’un nouveau bouchon, l'ancien étant usé. Le chien est emmené. Le liquide qui passe à travers le filtre, ne rougit pas le papier de tournesol bleu: il n’agit pas davantage sur le papier rouge de tournesol, et est par conséquent parfaite- ment neutre. C'est là, messieurs, un cas très-rare, et la seule explication que je puisse en donner provisoirement, c'est que l’acide gastrique aura été neutralisé par la salive avalée en plus grande quantité que d'ordinaire. Cette cir- constance exceptionnelle qu’il était impossible de prévoir, exclut de notre recherche la parapeptone, puisque nous savons que cette substance est précipitée par la neutrali- sation. | Mais la réaction neutre n’est pas un obstacle à la pré- sence, dans le liquide, à l’état dissous, des peptones et de 396 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. l’albumine primitive. Cette dernière doit se coaguler, par l’ébullition, dans tous les cas où la solution ne contient pas un grand excès d’alcali. Vous voyez que l'ébullition ne change pas l'aspect de notre liquide: il reste, comme auparavant, clair et citrin. Ce fait exclut la présence de l’albumïne primitive; il exclue- rait également celle des autres corps albuminoïdes non transformés, si notre recherche s’adressait à ces substances. La solution pourrait cependant contenir cette forme parti- culière de l’albumine, analogue à certaines albumines que l'on rencontre dans l'urine à l’état pathologique et qui ont la propriété de ne pas se coaguler par l’ébullition simple, mais bien par l'ébullition avec quelques sels alcalins ou ter- reux, comme le sulfate de soude et le sulfate de magnésie. Ni l’un ni l’autre de ces sels, ajoutés au liquide en ébul- lition, n'y produit de précipité. Il est donc certain que si la solution renferme un corps albuminoïde, ce dernier n’y est plus contenu à l’état pri- mitif. Deux cas sont possibles maintenant: ou bien la so- lution ne renferme pas de substance albuminoïde du tout, ou bien elle ne renferme que de l’albuminose. Une troisième possibilité existerait si le chien avait mangé un aliment composé, de provenance animale, car alors le liquide pour- rait contenir de la gélatine, ou de la chondrine. J’indiquerai tout-à-l'heure par quel procédé on reconnaît cette dernière substance, à côté des peptones. Afin de nous fixer sur l’une des deux premières possibi- lités, ajoutons au liquide un des réactifs qui nous servent à précipiter les peptones de leurs solutions, par exemple le tannin. J'ajoute d’abord une goutte d’acide acétique, pour rendre le liquide acide, ce qui favorise la précipitation par le tannin, et puis quelques gouttes de solution d’acide tannique. Précipité abondant. Ne nous hâtons cependant pas encore de conclure, de cette réaction, que le liquide ne contient réellement que de l’albuminose, car une série de DIX-SEPTIÈME LEÇON. 397 substances que la chimie, à défaut de les mieux connaître, ‘a rangées dans la grande catégorie des corps extractifs, sont également précipitées par le tannin; — seulement, distinc- tion importante, le précipité que l’on obtient de ces subs- tances, à l’aide du tannin, est toujours relativement faible. D'ailleurs, et ceci va décider la question, les corps extrac- tifs ne sont pas du tout précipités par le réactif de Millon. Le nitrate nitreux de mercure, ajouté à une autre partie du liquide, y produit un coagulum épais qui, d’abord blanc, passe immédiatement au rouge brique, dès que je chauffe. Aucun doute que le contenu liquide de l'estomac ne ren- ferme un corps albuminoïde, et que ce corps ne soit trans- formé en totalité par la digestion. S'il ne l'était pas, il se serait précipité lors de l’ébullition simple ou de l’ébullition avec le sulfate de soude ou de magnésie. A supposer que nous eussions à rechercher, dans cette solution, la présence de la gélatine ou de la chondrine, nous ajouterions de l'alcool. L'alcool donne avec les pep- tones bien élaborées un précipité insignifiant qui se redis- sout dans l’eau froide; tandis qu'avec la gélatine et la chondrine il fournit un précipité volumineux qui n’est rapidement soluble que dans l’eau bouillante. J'ajoute au liquide un peu d’alcool. Précipité peu abondant qui se redissout par l’adjonction d’une certaine quantité d’eau froide. Aïnsi il est bien démontré que le liquide filtré que nous examinons, est une véritable solution digestive, solution composée un peu différemment de celles que l’on obtient ordinairement par la digestion naturelle et artificielle, puis- qu’elle est neutre et ne saurait contenir, par conséquent, de parapeptone. Assurons-nous, par quelques autres réactions que j'ai négligé de mentionner jusqu'à-présent, que cette peptone d’albumine n’a plus aucun des caractères de la solution simple d'albumine. Plusieurs sels métalliques, comme le ferrocyanure de potassium, le sulfate de fer, le sulfate 398 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. de cuivre, le chlorure d’étain, — ont la propriété de préei- piter l’albumine simplement dissoute, et non transformée, et de ne pas précipiter l’albumine peptonisée. Le sulfate de cuivre que je choisis, p. ex., laisse le liquide parfaitement limpide. D’ailleurs la réaction qui trahit le plus sûrement la présence d’un résidu albuminoïde non élaboré, c’est l’ébul- lition avec une grande quantité de sulfate de soude. Nous avons fait cette réaction, et elle ne nous a pas donné de précipité. Un autre moyen, aussi sensible que ce dernier, pour reconnaître si l’albumine est bien complètement traus- formée, consiste à chauffer le liquide, préalablement alca- linisé, avec du carbonate d’ammoniaque. Par ce procédé, on précipite toute l’albumine qui n’est pas réduite à l’état de peptone parfaite. On obtient quelquefois encore le pré- cipité avec le carbonate d’ammoniaque après 60 heures de digestion artificielle, et ce n’est qu'au bout de 80 à 90 heures qu’on peut être généralement sûr de ne plus le voir se produire. Il importe, pour cette réaction, d'opérer sur un liquide franchement alcalin, pour ne pas précipiter, par le carbonate d’ammoniaque, les substances terreuses qui peuvent être mêlées à la solution. J'ajoute au liquide stomacal de la soude caustique, jusqu'à ce que le papier rouge de tournesol soit fortement bleu. Le liquide reste limpide. J'ajoute du carbonate d’ammo- niaque, en dissolution très-concentrée; pas de précipité. Je chauffe, pas de précipité. — Toutes ces réactions concourent à démontrer que le produit digestif est aussi parfaitement élaboré qu'il peut l'être. Il serait presque superflu, après cela, d'examiner l’action des acides forts. Nous ne pourrions pas nous en dispenser si, au lieu d'albumine, nous avions donné à manger à l’a- nimal de la caséine. L’adjonction d’un acide fort nous révè- lerait très-probablement, dans ce cas, la présence d’un corps que Meïissner a nommé #éfapeptone, et dont je n’ai pas fait particulièrement mention jusqu'ici, attendu qu’il n’est e DIX-SEPTIÈME LEÇON 399 qu’une modification transitoire et passagère des substances albuminoïdes en digestion, modification intermédiaire entre la dissolution simple et le produit digestif définitif de ces substances. La métapeptone a la propriété d'être précipitée, quand. on acidifie la solution neutre, et de se redissoudre dans un léger excès d'acide. La nourriture des enfants à la mamelle consistant surtout en caséine, on trouve ce corps en grande quantité dans les matières que les enfants rejettent si souvent par le vomissement (1). {1} Comme il ne sera plus question qu'accéssoirement, dans ce cours, des modifications transitoires ou instables des substances albuminoïdes en digestion, nous exlrayons des publications de Meissner el des aulres auteurs qui se sont occupés de celte question, les caractères sur lesquels on a cru devoir fonder la série de composés, connus sous le nom de métapeptone, dyspeptone, À, B et C peptones. Nous dislinguons en principe la parapeptone qui est un produit constant de la digestion stomacale, produit qui ne subit pas de modification ultérieure par l'action même trés-prolongée du suc gastrique, et dont la digestion définitive (c'est-à-dire, la transformation en peplone) n’a lieu que dans l'intestin. La parapeptone est précipitée de ses dissolulions faiblement acides ou faiblement alcalines, par l'alcool mélé d’éther (nous rappelons que le précipité de pa- rapeptone que l’on obtient par la neutralisation du liquide acide, est soluble dans un excés d’alcali); en outre elle est précipitée de ses solulions acides ‘par des dissolutions concentrées de différents sels d’alcali neutres, comme le sulfate de soude. La métapeptone, lrouvée pour la première fois dans le produit digeslif de la caséine, se reconnaît aux caractères suivant(s: Reslée en dissolution avec les peptones dans le liquide préalablement neutralisé et débarrassé de la parapeptone par la filtration, la métapeptone est précipitée par l’adjonction au liquide d’un acide, dans une proportion supérieure à celle de 4 à 1000. Elle forme alors un précipité floconneux qui se redissout dans un léger excès d’acide (Solution macrolytique). Les acides minéraux concentrés la précipitent définitivement. La caséine, exposée à l’aclion prolongée du suc gastrique, laisse ordinairement un ré- sidu insoluble, dont la consistance rappelle celle du savon. C’est la dyspeptone de Meiss- ner. Complèlement insoluble dans l’eau et dans l'alcool, elle ne l’est que partiellement dans les acides de concentration moyenne. Trailée par l’éther, elle abandonne un peu de graisse et reste dès lors à l’élat de dyspeplone pure. Cent parlies de caséine, soumises à use digestion artificielle aussi complèle que possible, ont fourni à Meissner 2 parties de parapeptone et 20 parlies de dyspeptone. La synlonine liquéfiée et transformée par le suc gastrique, fournit une dissolution dans laquelle il est également possible de reconnaitre la parapeplone et la métapeptone, à laide des réactions que nous venons d'indiquer. La neutralisation ou l’adjonction de sels d’alcali neutres (carbonate d'ammoniaque, sulfale de soude) précipilent la parapeptone; 400 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Une dernière question à examiner serait celle de savoir si notre liquide digestif est très-riche en peptone. Les pré- cipités que nous avons obtenus , à l’aide des réactifs qui dans le liquide filtré (neutre ) restent la métapeplone et la peptone. En acidifiant le li- quide jusqu’à environ un millième d'acide et même à un peu au dessous de ce degré, on précipite la métapeptone. Le précipité, obtenu par ce faible degré d’acidilé, se redissout dans un léger excès de l'acide, et est aussi soluble dans l'eau (Publications de 1859). Un an plus tard, ayant continué ces recherches, Meissner concède que la métapeplone que l'on oblient par la digestion de la fibrine du sang, n’est qu'un produit transitoire qui est définitivement changé en peplone par les progrès ultérieurs de la digeslion. Quant à la parapeptone de fibrine, Meissner persiste à la regarder comme un produit constant, non susceptible de se transformer ultérieurement par l’action du suc gastrique. 100 parties de syntonine ont fourni à Meissner, par la digestion arlificielle, 45 parties de peptone, 18 de parapeplone et 37 de sels et de corps extraclifs (Publications de 4860). Dans ses premières expériences sur la digestion de la fibrine du sang, Meissner avait constaté, à côté de la peptone de fibrine , l'existence d’un résidu ipsoluble, analogue à la dyspeptone de caséine. Des recherches ullérieures, failes en commun avec De Bary, démontrérent que ce résidu n'était autre chose qu’une partie de la parapeplone, ayant la propriété de devenir de moins en moins soluble par l'action prolongée du suc gas- trique ou par l’action de l’eau bouillante. L’acide, dans la proportion de 2 pour 4000, précipite cette modification particulière de la parapeptone, — Par cette tendance de perdre de plus en plus leur solubilité, les parapeptones des différents corps albuminoïdes se dis- tinguent les unes des autres. La parapeptone de caséine passe le plus promptement à la modification insoluble; après elle vient la parapeplone de fibrine. Ces deux subslances sont précipitées en partie spontanément par la digestion artificielle, suffisamment prolongée. {Dans la digestion naturelle , nous ne pensons pas que la dyspeptone de fibrine el celle de caséine aient jamais le temps de se former). Métapeptone de fibrine. On précipite celte substance du produit digestif, préalablement débarrassé de la dyspeptone et de la parapeptone, en acidifiant très-faiblement le liquide peutre, filtré, avec de l'acide acétique. La métapeptone étant séparée du liquide par la filtration , il reste dans la solution un autre corps albuminoïde, précipitable par la chaleur et distinct, par conséquent, de la peptone définitive. Ce corps est une modification transitoire de la fibrine, et se converlil, par l’action prolongée du suc gastrique, en peptone, non coagulable par la chaleur. La peptone que fournit la digeslion définilive du corps transiloire en question, affecte les deux formes que nous allons caractériser sous les noms de B peptone el de C peptone. Après l'élimination du corps décrit en dernier lieu, le liquide clair, recueilli sous le tiltre, ne renferme plus que les peptones proprement dites. Ces peplones peuvent êlre distinguées, au moyen des réactifs suivants, en trois produits, qui sont: 1° L'A peptone, précipitable des dissolutions neutres par l'acide nitrique concentré, et des dissolulions très-légèrement acidulées avec de l'acide acélique, par le ferro-eyanure de potassium. DIX-SEPTIÈME LEÇON. 401 éoagulent tous les corps albuminoïdes, ne nous renseignent qu'approximativement et d’une manière très-imparfaite sur cette question. Pour évaluer plus exactement la proportion 29 La B peptone, non précipitable par l'acide nitrique concentré, mais bien par le ferro- cyanure de polassium. 30 La C peptone, non précipitable par les deux derniers réaclifs. (Nous considérons ce dernier corps seul, C peptone, comme le produit définitif de la- digestion). Les. trois formes énumérées se caraclérisent par leur solubilité facile dans l'eau et dans les acides dilués. | La métapeptone, transformée par les progrès ultérieurs de la digestion, ne fournit que les deux dernières formes de la peptone (B el C peptone). (Publications de 1861). L'année suivante, Thiry confirma que la mélapeplone n'est qu’un produit transitoire, aboulissant à la peptone définitive, par l’action ultérieure du suc gastrique. Thiry, exa- minant les produits ultimes de la digestion de l’albumine, n’y trouva pas la forme À, mais seulement les formes B et C. L'albumine végétale (gluten, légumine), soumise par De Bary à l’action du suc gastrique artificiel, fournit, comme produits définilifs, de la parapeptone et les peptones A et B. — Il résulte des recherches de Meissner et de De Bary que la parapeptone de l’albumine végétale n'est pas susceptible de passer, par les progrès de la digestion, à l’élat de peptone parfaite; mais que, soumise à l’aclion très-prolongée du suc gastrique, la parapeptone de gluten et de légumine, comme celles des subslances albuminoïdes animales, perd de plus en plus de sa solubililé’ et se change partiellement en dyspeplone. (Publications de 4862). Dans nos recherches sur la digestion stomacale naturelle, nous avons loujours trouvé la parapeptone et les peptones B ef C. -— Notre opinion, énoncée plus haut, sur l'unité du produit définitif de la digestion (C peptone, abstraction faite de la parapeptone) n’est donc pas applicable aux produits digeslifs naturels des ‘substances albuminoïdes , car il n’est pas démontré, jusqu'à présent, que, dans l'estomac vivant, la B peptone puisse se transformer en C peptone, quelque complet que soit d’ailleurs le travail digestif naturel. — En revanche, dans les digeslions artificielles , failes avec un estomac bien chargé et infusé avec toutes les précautions nécessaires , il arrive un moment où le liquide. ne contient plus de peptones A et B, mais seulement la forme C, que nous considérons, avec la parapeptone , comme le produit définitif de la digestion slo- macale. Dans quelques cas néanmoins il reste une trace de B peptone, mais ici encore il est aisé de se convaincre que cette trace va en diminuant, avec les progrès ullérieurs de la digestion. — Nous avons obtenu les digestions artificielles les plus complètes, en faisant passer, par dialyse, le produit liquide d’une première élaboration peplique dans de l’eau légèrement acidulée et en traitant ce liquide par une infusion stomacale fraîche, riche én suc gasirique actif; le tout étant remis à l’éluve pour plusieurs beures. Les peptones B et C, ainsi que la parapeptone, passent {rès-facilement par le dialysateur (cette dernière seulement si la solution primilive est acide); pendant la durée de la seconde digestion, la peptone B diminue de plus en plus, et il ne reste finalement que la peptone C, avec la parapeptone. TOME PREMIER 26 402 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. de peptone contenue dans ce liquide, voici le procédé que nous aurions à suivre: évaporer à sec; dissoudre le résidu solide dans de l'acide; précipiter cette dissolution avec de l’acétate basique de plomb; puis décomposer le précipité ainsi obtenu, par le gaz acide sulfhydrique. Après avoir bien lavé le nouveau précipité de sulfure de plomb et filtré le liquide, nous aurions dans ce dernier les peptones, le sucre et les corps extractifs. Du mélange de ces corps, préalablement évaporés à sec, le sucre pourrait être éloigné par l'alcool; quant aux matières extractives, il n’existe pas de moyen sûr pour les séparer des peptones, et le résidu définitif représenterait la somme de la peptone d’albumine et des corps extractifs, pris ensemble. On voit que ce procédé est loin de réaliser une déter- mination quantitative des peptones. Aussi, dans beaucoup de cas, peut-on se dispenser de ces opérations chimiques compliquées, et évaluer la proportion de peptones contenue dans un liquide, à l’aide de l’aréomètre. La comparaison des poids spécifiques de l’infusion stomacale primitive et du produit digestif fournit des données, sinon absolument exactes, du moins beaucoup plus rapprochées de la vérité que le procédé chimique que je viens d'indiquer ; mais cette méthode n'est guère applicable qu'aux produits de la di- gestion artificielle. La détermination quantitative des pep- tones est souvent d’une véritable utilité pour le physio- logiste, tandisque jusqu’à-présent on s’est rarement vu dans le cas de l’appliquer, en clinique, à des liquides albu- minoïdes, sécrétés par l’organisme malade. Ce n’est pas à dire qu’en pathologie même, cette recherche ne puisse être appelée, un jour, à rendre des services importants, au point de vue du diagnostic et du traitement. Au commencement de cette Lecon, je vous prévenais, messieurs, que nous ne pouvions pas nous attendre à trouver une digestion naturelle complètement achevée au bout de cinq ou de six heures. L'expérience cependant a démenti DIX-SEPTIÈME LEÇON. 403 cette prévision, puisque l’albumine d’un œuf cuit, donné au chien 6 heures environ avant l'examen que nous avons fait de son contenu stomacal, s’est trouvée non seulement com- plètement liquéfiée, mais peptonisée en totalité, du moins pour tout ce qu’on a retrouvé dans l'estomac. Nous aurons souvent l’occasion d'examiner les produits de la digestion naturelle, dans des conditions semblables, et nous verrons très-rarement se reproduire le cas d’une transformation com- plète de l’albumine. Ce cas était doublement exceptionnel, puisque nous avons trouvé le liquide stomacal parfaitement neutre, fait qui ne s’observe généralement pas chez des ani- maux sains et immédiatement après la digestion. Cette der- nière circonstance, comme je l’ai signalé dès le début, nous a empêchés d'étendre nos recherches à la parapeptone d’al- bumine, produit constant de la digestion stomacale et au- quel se rattachent des considérations d’un intérêt tout par- ticulier pour l'étude qui nous occupe. En effet, précipitée dans le milieu neutre de l'estomac, la parapeptone a dû rester sur le filtre, avec les particules solides (pain, paille) qui étaient mêlées au contenu stomacal. La parapeptone que l’on trouve constamment dans les solu- tions digestives, légèrement acides, de toutes les substances albuminoïdes sans exception, et qui constitue, avec la pep- tone, l’un des deux produits définitifs de la digestion stoma- cale, est-elle réellement une modification des aliments albu- minoïdes et non pas peut-être un corps accidentellement mêlé à la solution peptique, provenant soit du mucus stomacal, soit de l’autodigestion des tuniques stomacales infusées? L'expérience répond négativement à cette dernière supposi- tion. Car si l’on éloigne le mucus, en lavant préalablement la muqueuse stomacale qui doit servir à la digestion artifi- cielle, et si l’on empêche l’autodigestion en infusant l’es- tomac à froid et en ne se servant que du liquide filtré, on obtient un suc gastrique pur, qui n’est pas précipité lui-même par la neutralisation. Néanmoins, dans la solution digestive 404 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. d’albumine, obtenue par ce suc gastrique pur, la neutra- lisation produit encore un précipité, lequel, isolé, présente tous les caractères des substances albuminoïdes et est iden- tique à la parapeptone de la digestion naturelle ou artifi- cielle, faite sans les précautions indiquées. Ce précipité, bien que soluble dans les alcalis faibles, ne disparaît pas dans un très-léger excès d’alcali et n’est par conséquent pas apte à se redissoudre dans les liquides alcalins de lor- ganisme, comme le sang et la lymphe. De plus nous aurons encore l’occasion de nous assurer que les digestions artifi- cielles, faites avec de la pepsine purifiée, produisent égale- ment la parapeptone. Or voici la question que nous avons à résoudre actuel- lement. La parapeptone, toujours mêlée, pour une assez forte proportion, au produit digestif naturel, au uwtriment albuminoïde directement assimilable, passe-t-elle ou non par les voies de l’absorption stomacale? Avons nous assez exactement déterminé les conditions de sa précipitation, pour pouvoir affirmer que dans le chyme stomacal légé- rement acide la parapeptone doit nécessairement et toujours se trouver à l’état dissous? S'il en est ainsi, nous nous trouvons placés en face du dilemme suivant: Ou bien la parapeptone, absorbée en même temps que les peptones, est précipitée dès son arrivée dans le sang et dans la lymphe, liquides tous deux alcalins. Transportée par la circulation jusque dans les capillaires des organes internes, elle irait donc, si cette supposition était vraie, obstruer les vais- seaux des poumons, du cerveau, etc. et, à ce compte, toute digestion serait une maladie mortelle. Ou bien l’es- tomac, par une sorte d'élection inexplicable, n’absorbe du produit liquide de la digestion, que le nutriment pro- prement dit, non précipitable par le sang’; supposition dont l'invraisemblance saute aux yeux, puisque l’absorption est un phénomène purement physique , identique à l'endosmose. Admettrons-nous qu'il se passe, dans l’absorption stoma- DIX-SEPTIÈME LECON. 405 cale, quelque chose d’analogue à la dialyse des solutions mélangées, séparables par leur filtration lente à travers les membranes animales, et que les parois gastriques ne sont traversées que par la solution de peptone? Non, car des essais directs ont démontré que les membranes animales laissent passer également bien la peptone et la parapeptone à l’état dissous, isolées ou mélangées. De toutes facons, nous ne pouvons sortir de cette difi- culté si nous continuons à considérer la parapeptone comme précipitable seulement par la neutralisation, car le produit de la digestion stomacale naturelle et la muqueuse de l’es- tomac sont toujours acides, au moment le plus actif de l'absorption; seulement la muqueuse stomacale l’est un peu moins que le liquide stomacal. Afin de nous rendre compte de ce qui a lieu pendant la vie et de quelle manière est empêchée l'absorption de la parapeptone, que nous ne saurions admettre, après les con- sidérations qui précèdent, étudions encore une fois, dans tous ses détails, le phénomène de la précipitation de cette substance, dans un liquide qui en contienne une quantité facilement reconnaissable. Voici une solution digestive de viande, soumise depuis huit jours à l’action d’un suc gastrique très-riche en pepsine. Le liquide, filtré aujourd'hui, ne laisse pas reconnaître de trace de putréfaction. Nous pouvons nous attendre, par con- séquent, à une digestion aussi complète que possible. L’é- bullition ne produit pas de précipité. L’adjonction d’un acide concentré (acide chlorhydrique), pas plus que celle du ferro-cyanure de potassium, ne diminue la transparence de la solution, preuve que le liquide ne renferme plus de corps albuminoïdes à l'état primitif. En revanche, par le réactif de Millon, nous obtenons un coagulum abondant qui, chauffé, devient rapidement d’un rouge intense. Comme le liquide roug'it distinctement le papier bleu de tournesol, la neutralisation va nous déceler la présence de la parapep- 406 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. tone. Il importe de procéder lentement, afin de surprendre le moment précis où commencera la précipitation et le moment où elle sera devenue complète. Les premières gouttes de potasse caustique, que j'ajoute, ne produisent pas d'effet. Le liquide rougit toujours distinctement le papier bleu de tournesol. L’adjonction de nouvelles gouttes fait appa- raître dans la partie supérieure du liquide, un trouble blan- châtre, qui disparaît lorsque je secoue légèrement le tube. Puis voici que le précipité se déclare dans tout le liquide. La réaction persiste à être acide. Je continue à verser des gouttes d’alcali, tant que le précipité augmente, et je m'arrête au moment où il commence à se rassembler en flocons, signe que la neutralisation a fait tout ce qui est en son pouvoir et que rien ne se précipite plus. Examinons si le liquide est réellement neutre en ce moment. Eh bien, messieurs, le tournesol, comme vous voyez, est encore roug'i, quoique à un degré beaucoup plus faible qu'au commen- cement de la précipitation. Je filtre et j'ajoute encore une goutte d’alcali. Le liquide reste limpide. Donc toute la pa- rapeptone a été précipitée. Il résulte de là, en harmonie avec les observations de Meissner, que /4 parapeptone devient insoluble, non pas à la neutralisation complète, mais aux approches de la neu- tralisation, lorsque le liquide présente encore un très- faible degré d'acidité. Ce fait nous permet d'affirmer que la parapeptone n’est pas absorbée par les vaisseaux gas- triques. En effet, si elle commençait à pénétrer dans la muqueuse, elle serait arrêtée dans la couche moins acide de cette tunique, qui doit exister entre le sang alcalin et le contenu stomacal acide. _ La digestion stomacale de toutes les substances albumi- noïdes est accompagnée de la formation d’une certaine quan- tité de parapeptone laquelle, je le répète, est un produit cons- tant et définitif de l’action du suc gastrique sur ces subs- tances. Brücke n’est pas d'accord, en cela, avec Meissner , et DIX-SEPTIÈME LEÇON. 407 considère la parapeptone comme un produit transitoire, ca- pable de se convertir lui-même en peptone, avec les progrès ultérieurs de la digestion. Cette question, comme je vais le montrer, n’a pas seulement un intérêt théorique, mais de sa solution, dans l’un ou dans l’autre sens, peuvent dé- pendre des indications précieuses pour le traitement de certaines maladies chroniques de l’estomac chez l’homme. Ainsi, dans les cas de rétrécissement du pylore, avec persi- stance normale de la digestion stomacale, il importe de don- ner aux malades des aliments qui puissent être entièrement élaborés et absorbés dans l’estomac même. Beaucoup de méde- cins croient suffisamment satisfaire à cette indication, en nourrissant leurs malades d'albumine, de fibrine, de lait (ca- séine) et en empêchant, par tous les moyens possibles, les vomissements qui accompagnent presque toujours cette affection. Leur but, en agissant ainsi, est de prolonger assez le séjour des aliments dans l'estomac, pour en rendre l’ex- traction et la transformation aussi complètes que possible Les théoriciens qui partagent, à l'égard de la parapeptone, l'opinion de Brücke et de Mulder et qui pensent que ce corps est, comme la métapeptone, un état passager de l’albumine en digestion, doivent approuver pleinement les efforts tentés par les médecins pour supprimer le vomissement, afin de donner à la parapeptone le temps de se convertir elle-même en un nutriment assimilable. — Ceux au contraire qui ad- mettent, comme nous, que la parapeptone est un produit non susceptible de métamorphoses ultérieures dans l'estomac, conseillent de ne pas empêcher le vomissement, vers la fin de la digestion, lorsque l'organe est chargé du précipité de parapeptone qu’il ne peut plus ni transformer ni absorber. Il est évident que c’est cette dernière indication qui devra _ prévaloir, si nous démontrons l'exactitude de notre première assertion, confirmative de l’opinion de Meissner. Voici sur quels faits Brücke s'appuie pour déclarer la 408 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. parapeptone une modification instable des corps albumi- noïdes en digestion. Si l’on mélange de l’albumine crue, liquide, avec de l’eau faiblement acidulée, contenant de la pepsine, on observe qu'au bout de quelque temps l’albumine, d’abord soluble dans l’eau, devient insoluble , car si l’on fixe l’acide à un alcali, en neutralisant le liquide, toute l’albumine est pré- cipitée. Plus tard, avec les progrès de la digestion, la neu- tralisation produit un précipité de moins en moins consi- dérable (qui serait la parapeptone de Meissner), et la plus grande partie de l’albumine reste à l’état dissous. Partant de la supposition erronnée de l'identité de ces deux précei- pités, l’auteur en conclut que toute l’albumine en digestion passe d’abord par un état insoluble dans l’eau, pour rede- venir peu-à-peu soluble par l’action ultérieure du sue gas- trique, et que la parapeptone n’est autre chose que le ré- sidu de ce corps intermédiare, destiné à se convertir éga- lement en peptone soluble, avec les progrès de la digestion. La même chose, selon Brücke, aurait lieu dans l’estomac. La première partie de ce raisonnement paraît être exacte. Toute albumine liquide passe en effet, comme l’a trouvé Meissner, et comme je l'ai pleinement confirmé, par un état insoluble dans l’eau, quand elle est soumise pendant quelque temps à l’action d’un acide faible. Nous pouvons déduire entre autres de cette propriété, sur laquelle nous reviendrons encore, que la digestion d’un œuf cru doit être plus longue et plus lente que celle d’un œuf cuit, car l’albumine de l'œuf cuit se trouve déjà dans l’état in- soluble, que l’acide gastrique doit préalablement produire dans l'œuf cru, avant que puisse commencer la transforma- tion digestive proprement dite. Cette première modification demande un certain temps, perdu pour la digestion de l'œuf cru, et épargné pour la digestion de l’œuf cuit, dont la métamorphose en peptone peut commencer tout de suite. En effet, certains individus sont pris de malaise et de DIX-SEPTIÈME LEÇON. 409 nausées, s’ils boivent de l’eau quelque temps après avoir mangé des œufs frais. Ils provoquent, de cette manière, la précipitation partielle de l’albumine ingérée, devenue inso- luble dans l’eau, et la formation brusque de grumeaux s0- lides dans l'estomac (comme il arrive aussi dans la digestion du lait), peut entraîner, chez des personnes particulièrement sensibles, un malaise général, allant parfois jusqu'aux nau- sées et au vomissement. En vertu du même principe, si l'on ordonne des œufs crus à des convalescents, on fait bien de leur défendre de boire beaucoup d’eau après, et de leur re- commander, au lieu de l'eau pure, la limonade et les liquides acidulés en général. Quant à la seconde des assertions que nous discutons, savoir l'instabilité de la parapeptone et sa métamorphose définitive en peptone, elle est décidément en opposition avec les faits. La solution de viande que nous avons exa- minée aujourd'hui, et qui résultait d’une digestion artifi- cielle, continuée pendant huit jours, c’est-à-dire infiniment plus longtemps que ne peut l'être aucune digestion dans l'estomac vivant, a montré néanmoins assez clairement la présence de la parapeptone, qui a formé, lors de la neutra- lisation, un nuage blanchâtre dans le liquide. Meissner n’a jamais pu éviter la formation de ce produit, même en prolon- geant encore davantage la digestion artificielle, et en cher- chant à la rendre aussi complète que possible , par l’addi- tion répétée de quantités fraîches de pepsine acidifiée. Non seulement la production de la parapeptone est un fait in- variable pour la digestion peptique de toutes les substances albuminoïdes qui ont été examinées sous ce rapport, mais encore sa quantité proportionnelle dans la solution diges- tive paraît être presque toujours la même, sans que par la prolongation indéfinie de la digestion on parvienne à mo- difier cette proportion. Pour l’albumine coagulée (d'œuf) cette quantité représente environ un tiers de l’albumine primitive. 410 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Mais il y a plus. On peut isoler la parapeptone, obtenue par la neutralisation du liquide digestif, et la soumettre à une nouvelle digestion artificielle, sans réussir davantage à la convertir définitivement en peptone. Dans ces condi- tions, la parapeptone tend, au contraire, à devenir de moins en moins soluble, et à se changer en un autre corps que l’on a désigné sons le nom de dyspeptonc. Étant ainsi prouvé que la parapeptone est un produit définitif de la digestion, non susceptible de métamorphoses ultérieures dans l'estomac, il ne reste pas moins douteux si nous devons considérer la parapeptone comme le résultat d’une véritable transformation des corps albuminoïdes par le suc gastrique, ex {ant qu'agent organique, ou si elle n’est, comme le veut Brücke, qu’une fraction de l’albumine primitive, persistant dans la modification précipitable par la neutralisation, modification que l’on obtient par l’action seule des acides dilués. Il s'agira donc, avant tout, dans la continuation de ces études, de déterminer les modifications que détermine, dans la constitution des substances albuminoïdes, l’eau acidulée seule, abstraction faite du ferment peptique. FIN DU PREMIER VOLUME. TABLE DES MATIÈRES Première Lecon Me scie nt. Mur L à ete Page Sommaire: Rôle de la digestion. — Nécessité d’une fonction réparatrice destinée : à compenser l'usure des organes par la vie. — Çaractères de celte usure après un mouvement général.— La force musculaire est-elle dûe à l'usure des substances azotées ou à celle des substances non azotées? — Recherches de Lehmann, Speck, Voit, Ranke, Fick et Wislicenus. — Résultats. — Production d’acide carbonique par la Cbutraction musculaire.— Augmentation de l’eau constitutive du muscle par le fait de * ga contraction. — Produits de la décomposition du tissu nerveux en activité ; hy- pothèse de Flint. — Activité de l'organisme en repos. — Pertes dépendant de la calorification. — Rapport entre la déperdition de chaleur et le besoin de nourriture. Deuxième Lecon cntdsa sh moon ut caf dan Alt Puf Sommaire: De la faim et de la seif. — Ces sensations sont-elles d’origine locale ou générale? — Perception de la faim dans l'estomac. — Exceptions. — Discussion desthéories mécaniques de la faim. — Influence de la vacuité et de la réplétion de l’es- tomac, ete. —Hypothèse de Beaumont.— Influence de laréaction acide du suc gastrique - sur la production de la faim. — La faim persiste après la section de tous les nerfs sensibles de l’estomac.— Preuves de l’origine générale de la faim, tirées des phénomènes .de l’'inanition et de l'apparition de la faim chez le nouveau-né. — Preuves de l'origine générale de la soif. © Troisième Leçon Vins à AGE dec 4 tram Ni ares mie 2 0 Sommaire: Développements relatifs à l'origine centrale de la faim. — Faim pathologique (Obstaclés dans les voies Iymphatiques , rétrécissement du pylore ; brièveté de l'intestin, normal chez certaines espèces animales; fistules biliaires). — La sensation locale de la faim est d'origine centrale — Parallèle de cette sensation avec d’autres sensations « emcentriques »; moyens palliatifs pour apaiser. — Distin- clion entre la faim et l'appétit. — Suppression de l’appétit avec persistance du besoin de nourriture. — Anorexie pathologique avec conservation de Ja faculté digestive. —, Question de l'alimentation des blessés. DDRETIOUIE MAUR A CT D de SN” Sommaire: Des aliments. — Définition et composition générale des aliments. — L'organisme animal ne se nourrit que de substances déjà organisées. — La faculté d'organiser les corps simples du règne minéral forme l’attribut exclusif des plantes. — Similitude de composition des aliments et du corps animal. — Destinations diverses des aliments. — Du régime végétal et du régime animal, considérés chez les differentes classes d'animaux. — Rapport entre le genre de vie et le régime. — Pertes et gains de l'organisme. — Rapport entre la composition de la nourriture normale, suffisante, et la composition du corps humain. — Transformations des substances alimentaires dans l'organisme. — Nécessité de la transformation digestive. — Expériences, — Remarques sur la valeur nutritive des terres fossiles. 412 TABLE DES MATIÈRES. Cinquième LeCom ? :| MUNIE Mr SE en Page 78 Sommaire: Du sens du goût. — Non-identité des sensibilités tactile et gustative. — Nerfs gustatifs. — Opinions anciennes. — Expérience de Magendie. — Rôle du glosso-pharyngien, déclaré seul nerf du goût par Panizza. — Objections de J. Müller. — Extirpation de la neuvième paire; procédé opératoire. — Effels de celte opération sur la sensibilité gustative. — Usages du rameau lingual du trijumeau. — Eflels de sa section, — Répartition des fibres gustatives de la neuvième et de la cinquième paire dans les parties postérieures et antérieures de la langue. Sixième Leçon . . Sommaire: Séparation anatomique des fibres gustatives et sensibles des parties antérieures de la langue, — Faits qui rendent probable celte séparation. — Effets des paralysies centrales du trijumeau. — Troubles gustatifs, consécutifs à cette lésion. — Casuistique. — Exceptions. — Influence de la corde du tympan sur la gustation. — L'hémiplégie faciale considérée dans ses rapporls avec la gustation des parties antérieures de la langue. — Casuistique pathologique. — Expériences directes sur la ‘corde du tympan. — Hypothèses. anatomiques destinées à expliquer le rôle de la corde du tympan dans la gustation. Supplément à la Lecon VI . . . 3 3 : : Recherches nouvelles de l’auteur sur l’origine et le trajet des nerfs gustatifs des portions antérieures de la langue. SÉDHCME DÉEQT U é ei die OL, Sommaire: Fonctions des glandes salivaires. — Salive mixte ou totale, — Con- tinuité de sa sécrétion. — Agents qui la slimulent. — Expériences. — Composition de la salive mixte. — Elle contient du sulfocyanure de potassium. — Propriété dias- tatique de la salive et son rôle dans la digestion des substances amylacées. — Dé- monstration de l’action saccharifiante de la salive. — Rapidité apparente de cette action. — Propriété de la salive de décolorer la combinaison bleue de l’amidon avec l'iode. HUMAN Re MATE QUE TA CONTE ETES » 98 _» 195 » 141 » 158 Sommaire : Influence des acides et des alcalis sur les propriétés saccharifiantes de la salive. — Différence d'action de ces deux ordres d'agents. — Action de la chaleur sur le ferment salivaire. — Physiologie comparée de la salive mixte de quelques animaux herbivores et carnivores. — Mode d'action de la diastase galivaire sur l’amidon. — Constitulion- chimique du corpuscule amylacé. Neuvième; Léon, 1568 8 eat PAU PAIN MR ARS Sommaire ; Usages, propriétés chimiques et histologiques, et mode de sécrétion des salives parotidienne, sousmaxillaire et sublinguale isolées. — Physiologie com- parée de ces salives chez l'homme et les animaux supérieurs. Dixiènre Ebeon TH Hiireig0s BAY bipocilun slausbsta Sommaire: Innervation des glandes salivaires. — Les nerfs influent-ils sur la sécrétion ou sur l'excrétion ? — Expériences de Ludwig sur le nerf sousmaxillaire. — Phénomènes vasculaires accompagnant l'augmentation de la sécrélion.— Rôle des nerfs vasomoleurs, — Détermination expérimentale des nerfs « salivaires » de la glande sousmaxillaire. — Antagonisme de la corde du tympan et du grand sympathique, — Nerfs salivaires parotidiens. — Extirpation du ganglion otique, du nerf petit pétreux superficiel et de l’auriculo-temporal. OnzièméLieetn 2 AA AN RL El énge Hate D) Sommaire: Théorie de la dilatation active des vaisseaux. — Expériences sur l'oreille du lapin. — Systole et diastole de l’arlère auriculaire centrale, phénomène indépendant du cœur et démontré inexplicable par l'action seule des nerfs vagomoteurs » 182 » 212 TABLE DES MATIÈRES. 413 constrieteurs. — Différences entre l’hypérémie névroparalytique et l'hypéremie actite. — Dilatation active des vaisseaux de l'oreille, produite par l'irritation du tronçon central du nerf auriculo-cervical coupé. — Dilatalion vasculaire active, conséculive aux irritations mécaniques de l'oreille, apres la section de tous ses nerfs. — Hypérémie active de l'oreille par l'effet de la chaleur et des excitants généraux : absence de cette hypéremie du côté où le sympathique est coupé. — Dilatation active produite par l'irritation directe du rameau auriculaire de la cinquième paire. Douzième Lecon MEUPME TS 77 P'LEÉR Egg 7 R En) ATOS Page 255 Sommaire : Développements relatifs à la question des nerfs vasculaires dilatateurs. — Hypérémie active de l’oreille du chien, suite des excitations générales, de l’ac- célération du pouls, des impressions vives. — Effets de la fièvre sur les organes périphériques, privés de leurs nerfs vasomoteurs. — Ces effets observés dans diffé- rentes parties du corps; loi générale qui en résulte. — De l'érection. — Hypothèses anciennes sur les causes de l'érection. — Expériences directes de Eckhard. — Ca- ractère actif de l'érection, résultat de l'excitation des nerfs vasculaires dilatateurs. — Application de la théorie vasomotrice aux variations de la salivation sousmaxillaire et au mode de la sécrétion en général. — Analyse des phénomènes consécutifs à l’irritation des filets sympathiques sousmaxillaires. — Preuves de la nature mixte de ces filets, composés de nerfs vasculaires constricteurs et dilatateurs. — Du ganglion maxillaire, considéré comme centre autonome de réflexion par CI. Bernard. — Re- futalion expérimentale de celte hypothèse. Supplément à la Lecon XII . . . Soon ent 298 Influence du nerf sympathique sur la salivation parotidienne du cheval. Treizième Leçon PRE CASE PRES RM AOC ARE PNA PSN Pi ONE Sommaire: Du mécanisme de la déglutition. — Différences à établir entre la déglutition des solides et celle des liquides. — Usages de l’épiglotte dans la déglutition des liquides. — Mécanisme de la déglutition secondaire, qui succède normalement à l’ingestion des liquides. — Effets de l'extirpation de l’épiglotte. — Expériences sur un animal sans épiglotte. — Cas pathologiques chez l’homme. — Particularités de la déglutition chez les mammifères inférieurs, à épiglotte fortement développée. CORRE PÉEOR UE INTERNES POP RER ALERTE 333 Sommaire : Innervation de l’appareil de la déglutition, — Fonctions sensibles et motrices des glosso-pharyngiens. — Rôle des trijumeaux et des pneumogastriques. — Attributions des rameaux pharyngiens de la dixième paire. — Usages des nerfs laryngés supérieurs et inférieurs. — Mecanisme de l’occlusion de la glotte, pendant la déglutition. — Effets, sur ce mécanisme, de la paralysie des nerfs laryngés. — Distinction à établir entre la déglutition normale ou régulière et la déglutition irré- gulière. — Ces deux modes de déglutition considérés chez les animaux à larynx paralysé. — Toux trachéale, suite constante de la déglutition irrégulière, après la section des nerfs laryngés. — Usage des nerfs œsophagiens, — Effets de la paralysie de ces nerfs. name LOGO LE de il bof Ÿatréepe vite crc. D SDS Sommaire: Digestion stomacale. — Action essentiellement chimique du suc gastrique. — Moyens propres à obtenir le suc gastrique. — Procédés de Réaumur et de Spallanzani. — Fistules stomacales accidentelles, observées chez l’homme. — Méthode d'Eberle.— Produits de l'extraction aqueuse de divers organes glandulaires; analogie de ces produits avec les sécrétions naturelles. — Digeslions artificielles, à l’aide de l’infusion stomacale. — Etablissement des fistules gastriques artificielles chez les animaux. — Procédés de Bassow et de Blondlot. — Mode opératoire de l’auteur, — Fistules à canules inamovibles et à canules mobiles. — Parallèle entre les résultats de la méthode d’Eberle et ceux de la méthode de Blondlot. — Moyens propres à exclure la salive. 414 TABLE DES MATIÈRES. Seizième Liecoh :: : :: 4 Jansonèo d'in mis dnnaitie + 13P886,97 Sommaire: Caractères de la dissolution digestive des matières albuminoïdes. — Le produit digestif est une véritable dissolution, et non une suspension de matières finement divisées. — Produits de l’autodigestion d’un estomac de chien. — Propriétés de ces produits, comparées à celles d’une dissolution simple d’albumine, de fibrine, etc. dans l’eau acidulée. — Différences de ces deux sortes de dissolutions. — Incoa- gulabilité du produit digestif par l’ébullition. — Effets de la neutralisation: précipitation d’une petite partie du produit digestif (parapeptone); non-aliération de la plus grande partie du corps albuminoïde dissous (peptone ou albuminose). — Incoagulabilité du produit digestif par les acides forts. — Substances propres à coaguler la dissolution de peptone: nitrate nitreux de mercure (réactif de Millon) ; bichlorure de mercure, acétate basique de plomb, tannin, ete. — Action parliculière du sulfate de magnésie. — Examen d’une solution digestive de viande. — Examen des peptones d’albumins, de caséine, et de fibrine. — Similitude des peptones, en général. Dix-septième Leg@n-s 42 jte tante sept udts pee Sommaire : Transformations des substances albuminoïdes par la digestion natu- relle. — Différences entre les produits de la digestion naturelle et ceux de la di- gestion artificielle prolongée. — Examen du contenu stomacal d'un chien, nourri d’albumine cuite. — Recherche des peptones dans les liquides albuminoïdes, de constitution mixte. — (Métapeptone, Dyspeptone, A, B et C peptones). — Caractères de la parapeptone. — Conditions dans lesquelles s’effectue sa précipitation. — In- solubilité de la parapeptone dans les liquides non entièrement neutralisés, mais encore légèrement acides. — Importance de celte propriété, considérée en rapport avec l'absorption stomacale, — Stabilité de la parapeptone, en tant que produit dé- finitif de la digestion stomacale. — Examen des opinions qui regardent la para peptone comme un état transitoire des corps albuminoïdes en digestion. SO YU ES ÿ Y à y 5 16 dernière ligne 4 ligne 10 5 8et9 Pere 07 13825836 JEAN DE lot un27 17 ligne 29 297% 1129 25 » 8 2620716 310250 13 35 » 2 » » 3 39 » 28 4825)#11I 49 » 15 50 » 6 51050033 52 » 32 D3 » 22 0 dernière ligne 58 ligne 6 63 » 1 63 » 27 64 » 32 65 » 13 HE os 13 72 » 5 aa 17 79 » 4 D p 8 » C2 OS Y y v Er ÿ v Lee au lieu de des calculs fussent direc- tement transfor- mées et excrétées n’est soit expace croît puisse soient ou extime par celle qui en- gendre per Il sondée indéfinie l’application soit sur fistules sto- macales cause plus di- recte de qu’il invers comme dans les oisaux nourrissant tendous se de sur la possibilité ERRATA DU TOME l!. lisez: les calculs » füt directement transformée et exciétée » n'était >» est » espace » croit » peut » sont » où » estime » pas » celle où est en- gendrée » par » Ils » soudée » indéterminée » l’apparition » ne soit » en » fistule stoma- cale » cause d’inapré- tence plus directe » des » qu’ils » inverse » dans les » oiseaux » nourrissent » tendons » ce » des » dans » l'existence 234 238 dernière digne » » . 81 ligne 28 au lieu de sur comme Drielsma » hypoglosse » leurs » se sens » morcaux » rigoureses D de la pince » sur les » d'une x résection à réséqué » coutenus » d'origine » ne peut pas- » être cherchée » non plus trouverait n il » des muqueuses» buccales l'expérience » la mélange » jusqu’à des » était » 1 efacez le mot encore 4 au lieu de n’exerce d'action » 241 ligne 2 262 de l’homme » ne cesse » moins que » proportion » . croissante de puissent » obstacle à » efférents » m'avait » 1831 » contracte » Après avoir » des » qui » profondémment » lisez: à Drielsma l'hypoglosse leur ce sens morceaux rigoureuses d’une pince des de section resequé contenus l'origine ne peut non plus être cherchée trouvait ils delamuqueuse buccale uneexpérience le mélange jusqu'à de est n'agit d'homme qu'’ellene cesse moins vite que richesse crois- sante en ne puissent obstacle dans afférents m'avaient 1851 fait contracter Après que l’on a de qu’il profondément 9 transporter les mots une es- à La fin de la ligne suir. 4 au lieu de parties 25 24 3 17 17 lisez : n’avait » souvent » de corps » reparaissaient » intermédiare » particules n’avaient le plus souvent des corps reparaissait intermédiaire, LEÇONS SUR LA PONIOLOGIE DE LA DIGENTION, FAITES AU MUSEUM D'HISTOIRE NATURELLE DE FLORENCE PAR M. MAURICE SCHIFF, Professeur à l’Institut des Études Supérieures, RÉDIGÉES par le D' ÉMILE LEVIER. mt TOME DEUXIÈME. FLORENCE & TURIN HERMANN LOESCHER,. PARIS Ho BERLIN GERMER BAILLIÈRE. LIBRAIRIE HIRSCHWALD,. 1867. IMPRIMERIE BONA Turin, rue Charles-Albert, 1. DIX-HUITIÈME LECON. Sommaire: Action des acides dilués sur les corps albuminoïdes liquides. — Cette action peut-elle être assimilée à celle du suc gastrique actif? — Expériences sur le jaune et le blanc d'œuf crus, traités, à froid et à chaud, par différents acides dilués. — Corps peptonoïde de l'œuf de poule. — Similitude d'action de l'acide, à froid et à la température animale. — Modification de l’albumine, produite par l’acide, — Caractères chimiques de l'albumine modifiée. — Elle est précipitée de ses dissolutions par la neutralisation, — Analogie du précipité de neutralisalion avec la parapeptone. — Différences chimiques et physiologiques de ces deux corps. — Réaction de Meissner. — Influence de la chaleur sur l’action de l'acide, comparée à l’influence de la chaleur sur l’action de la pepsine acide. — Digestion des animaux à sang froid. — L'acide seul ne transforme jamais l’albumine liquide en peptone et en parapeptone. Messieurs , Nous en étions restés à la question, soulevée déjà au com- mencement de ce siècle: l’acide dilué seul peut-il, toutes conditions égales d’ailleurs, transformer et digérer les corps albuminoïdes comme le fait l’estomac vivant ou le suc gastrique artificiel? Cette possibilité a été admise par Tie- demann et Gmelin, plus tard aussi en partie par Schmidt, de Dorpat, et tout récemment encore par Ritter, de Stras- bourg. Schmidt considère comme agent essentiel de la digestion une combinaison particulière de l'acide chlorhy- drique avec le ferment du suc gastrique, combinaison qu'il appelle acide chlorhydro-peptique. Beaucoup de physiolo- gistes ne partagent pas cette manière de voir qu'ils regar- dent comme incompatible avec le fait que toute substance 4 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION, albuminoïde, simplement dissoute par un acide, reste coagu- lable par la neutralisation : ils se refusent à admettre que la digestion stomacale ne soit qu’une dissolution par l'acide gastrique, puisque l’action du suc gastrique consiste essen- tiellement en un dédoublement. Il s’agit donc d’examiner si l’acide seul peut ou non opérer la transformation en peptone des substances albu- minoïdes et dédoubler leur produit final en peptone et en parapeptone. Pour cela, nous étudierons l’action de différents acides, organiques et inorganiques, dilués à-peu-près au même degré que l’acide stomacal, sur un même corps albu- minoïde, comme, p. ex. le blanc d'œuf. Il y aura pour nous un intérêt particulier à observer les effets de ces acides al- ternativement à froid et à la température du corps, puisque nous savons, par l'expérience, que le ferment peptique na- turel ne digère qu'à chaud et dans des limites de tempé- rature assez restreintes, que nous déterminerons encore. S'il nous est possible de constater un changement essentiel des propriétés chimiques du blanc d’œuf traité par l'acide, nous aurons à déterminer le degré d’acidité le plus apte à pro- duire ce changement, et à répéter ces expériences sur les autres corps albuminoïdes qui nous servent d’aliments, afin de voir si les résultats obtenus sur le blanc d'œuf sont l'expression d'une propriété générale. Par des expériences antérieures que je juge inutile de reproduire devant vous, j'ai pu m'assurer que le degré d’a- cidité le plus favorable à ce genre de recherches est celui d’une dilution de notre acide chlorhydrique concentré du commerce dans la proportion de 4 pour 1000 d’eau. Dès que l’on dépasse ce degré, une grande partie de l’albumine crue est précipitée immédiatement au contact même de l'acide, ou peu de temps après. Il se coagule d’autant plus d’albu- mine que la concentration de l'acide dépasse davantage le degré indiqué, et à partir d’une certaine concentration, relativement encore très-modérée, la totalité de l’albumine DIX-HUITIÈME LEÇON. 5 est immédiatement précipitée. Nos expériences, comme vous le voyez, devront être faites de manière à permettre la solution d’une certaine quantité d’albumine, et nous em- ploierons, une fois pour toutes, la dilution aux quatre mil- lièmes qui, pour notre acide chlorhydrique, est la proportion la plus favorable. Nous adopterons arbitrairement la même dilution pour les autres acides qui, sous ce rapport, ne sont encore qu'imparfaitement étudiés, et peut-être nos résultats nous indiqueront-ils si l'action des acides sulfurique, nitrique, lactique etc., est comprise dans les mêmes limites que celle de l'acide chlorhydrique (1). J'ai choisi, pour cette première recherche, l'albumine crue du blanc et du jaune d'œuf. Voici deux rangées de 8 fla- cons chacune: chaque flacon contient soit la moitié d’un blanc d'œuf, soit la moitié d’un jaune d'œuf, avec 60 gram- mes d’eau acidulée, au degré indiqué, par l’un des quatre acides suivants: chlorhydrique, sulfurique, nitrique, lactique. La première rangée de 8 flacons a séjourné dans la tem- pérature de l'air ambiant environ 16 à 18 heures; les fla- cons de la seconde rangée ont été retirés de l’étuve, il y a peu d’instants, après avoir été exposés à une température d'environ 40 degrés pendant 14 heures. Avant de passer à l'examen chimique de l’albumine, traitée dans le mode indiqué, je dois, messieurs, vous mettre en garde contre une source d'erreur qui est inévitablement liée à cette sorte de recherches faites sur l’albumine de l'œuf de poule, erreur que j'ai essayé de diminuer autant que possible, par la préparation que j'ai fait subir aux œufs crus, avant de les traiter par l'acide. (1} Notre acide chlorhydrique est titré à un poids spécifique de 1,10, ce qui équivaut àä-peu-près à 20 01 de HCI. Puisqu'il ne s’agit pas, dans celle leçon, de faire des ex- périences quantitulives, ni de comparer entre elles les forces des différents acides, nous avons pu sans danger prendre 4 millièmes pour tous les acides. Mais seulement pour l'acide chlorhydrique ce degré de dilulion a uo sens délerminé, puisqu'il équivaut à 0,8 gr. de HCI dans le litre. 6 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Lucien Corvisart a trouvé — et je puis pleinement con- firmer ce fait intéressant — que l'œuf de poule contient normalement, à côté de l’albumine coagulable par la cha- leur, une très-petite quantité d’une autre espèce d’albu- mine, parfaitement semblable, par ses caractères chimiques, à l’albuminose ou à la peptone, telle qu'on l’obtient par la digestion peptique des corps albuminoïdes. Ce corps pepto- noïde, non coagulable par la chaleur, forme, dans l'œuf cuit, les quelques gouttelettes d’humidité que la plupart d’entre vous se souviendront d’avoir vu suinter de l’in- terstice entre le chorion et le blanc de l'œuf, au moment de casser la coque. Il s’en trouve quelquefois des quantités un peu plus appréciables dans la dépression du blanc d'œuf, correspondant à la chambre d'air. Comme je l'ai dit, ce corps présente toutes les réactions de l’albumine digérée; il n’est précipité par aucun des agents qui coagulent l'al- bumine primitive (1), tandis que, traité par le réactif de Millon , il se coagule totalement. On l’isole facilement, en délayant le blanc d'œuf dans de l’eau et en faisant bouillir le mélange. L’albumine ordinaire se coagule, l’albumine mo- difiée de Corvisart reste en solution. J'en ai préparé d’après ce procédé et je l’ai injectée dans les veines d’un lapin. (1) 1 y a peut-être, sous ce rapport, à établir une légère restriclion quant au sulfate de soude qui, comme on le sait, n’agit pas sur les vraies peplones à la chaleur de l'é- bullition. A ce propos, rappelons que l'œuf de poule conlient normalement une certaine proportion de glycose, et que l’on s’est généralement lrompé sur la quanlilé véritable de celte glycose, en examinant avec le réaclif de Trommer le liquide qui filtre, aprés la coagulation de lalbumine de l'œuf entier dans de l'eau bouillante. Le corps pepto- noïde de Corvisart, comme beaucoup de substances albuminoïdes non coagulables, a la propriété de masquer la réaction de Trommer, Or si l’on cuit l’albumine, en ajoutant au liquide quelques cristaux de sulfate de soude, on lrouve constamment plus de glycose dans le liquide filtré que si l'on cuit l'œuf dans de l’eau pure. Il paraît done que le corps qui masque la réaction de Trommer, diminue par l’ébullilion avec le sel men- tionné. — I] m'a semblé, d'après une estimation approximative, que le corps peplonoïde en question augmente un peu lors des premières transformations de l'œuf, au commen- cement de l'incubation. Les œufs, pris sous la poule, m'en .ont fourni, en général, des quantités plus appréciables que les œufs examinés avant l'incubalion. DIX-HUITIÈME LEÇON 7 Vous savez que l’albumine non digérée est intégralement éliminée par les reins, tandis que les peptones, à moins qu'on n’en injecte de très-grandes quantités, sont assimi- lées, c’est-à-dire ne reparaissent pas dans les urines (1). J'ai injecté en même temps, dans les veines d’un autre lapin, une solution d’albumine ordinaire, en quantité moindre. Ce dernier sécréta, au bout d’une heure, une urine chargée d’albumine, et continua à éliminer de l’albumine pendant six heures; le premier, au contraire, conserva une urine par- faitement normale. Le corps dont il s’agit, a donc le ca- ractère physiologique le plus important des peptones. La recherche que nous allons faire s'adressant aux trans- formations chimiques que l’acide peut opérer dans l’albu- mine crue, il importait d'éloigner d'avance cette espèce de peptone naturelle, afin de ne pas prendre, après coup, pour une modification par l'acide un corps qui se rencontre nor- malement dans l’œuf. A cet effet j'ai versé le blanc d'œuf dans de l’eau, après en avoir séparé le jaune; j'ai décanté l’eau et pris le blanc ainsi lavé, encore entouré de ses mem- branes, pour le soumettre à l’action de l’acide. Examinons maintenant comment les acides dilués ont agi sur cette albumine crue, à froid et à la température de l’é- tuve. À. Acide chlorhydrique: 1° Blanc d'œuf, avec acide chlorhydrique, à froid. Le liquide est resté limpide. Pas de précipité par l'ébullition simple. L'ébullition avec le sulfate de magnésie et avec le (1) Dans ces derniers temps, un expérimentateur napolitain a cru pouvoir nier ce fait, en se fondant sur l'observation que la peptone de gélatine, injeclée dans les veines, re- paraît dans les urines. On n’a jamais mis en doute celte propriélé de la peptone de gé- latine, dont plusieurs auteurs ont déjà fait expressément mention dans leurs écrits ; mais jamais non plus on n’a songé à idenlifier le corps qu'on a appelé peptone de gélatine avec les vraies peptones. — Le même auteur avance encore que les vraies peptones re- paraissent également dans les urines; mais en cela il s'appuie sur une réaction qui, comme Meissner l'a reconnu depuis longtemps, n'appartient pas aux peptones proprement dites, mais à un corps incomplèlement transformé, qui les accompagne ordinairement, 8 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. sulfate de soude donne un précipité abondant. Le carbonate d’ammoniaque agit de même. La neutralisation coagule l’albumine, et cette coagulation est complète, car, filtré et traité par le tannin, le liquide ne se trouble plus. 2° Blanc d'œuf, avec acide chlorhydrique, à chaud (étuve). Il y a dans le liquide une coagulation partielle qui ne re- présente qu’une fraction de l’albumine dissoute. En effet, chauffé à l'ébullition avec du sulfate de magnésie, du sul- fate de soude ou du carbonate d’ammoniaque, la solution décantée se trouble fortement. Ce précipité représente la totalité de l’albumine dissoute, car filtré et traité par le réactif de Millon, le liquide, comme dans le premier cas, ne se trouble plus. La neutralisation de la solution primitive décantée précipite également toute l’albumine. Mais, dans ce cas encore, l’ébullition simple du liquide acide, sans ad- jonction de sels, »e produit pas de coagulation. — Pour éviter le soupçon que l’acide chlorhydrique se soit volatilisé en partie lors de l'ébullition avec les sels mentionnés et que le précipité obtenu de cette manière soit dû, non aux réactifs salins, mais à la diminution de l’agent dissolvant, je verse dans les premières éprouvettes quelques gouttes d'acide acétique, pour restituer au liquide son acidité pri- mitive, mais le précipité ne disparaît pas. Cette précaution, je me hâte de l'ajouter, est presque superflue pour un li- quide qui ne contient que quatre millièmes d’acide chlorhy- drique dont l’évaporation, dans cette dilution, n’est guère à craindre. 3° Jaune d'œuf, avec acide chlorhydrique, à froid. Le liquide est resté transparent. L’ébuZ/ition ne le coagule pas. L’ébullition avec le sulfate de soude ou de magnésie préci- pite toute l'albumine, et l'adjonction d’un peu d'acide acé- tique ne fait pas disparaître le précipité. Le même effet est obtenu par la neutralisation. Le liquide filtré, après ces deux réactions, ne contient plus d’albumine, ainsi que le dé- montre l’adjonction d’un réactif coagulant, le tannin p. ex. DIX-HUITIÈME LEÇON. 9 4 Jaune d'œuf, avec acide chlorhydrique, à chaud. L’ébul- lition ne le coagule pas. L'ébullition avec le sulfate de magnésie donne un précipité qui n'est pas très-épais; l'ébullition avec le sulfate de soude donne un précipité très- abondant, non soluble dans l'acide acétique. Le sulfate de cuivre agit de même. La neutralisation précipite toute l'al- bumine, comme le démontre l'examen du liquide filtré, à l’aide du tannin. B. Acide sulfurique : 5° Blanc d'œuf, avec acide sulfurique, à froid. La plus grande partie de l'albumine est coagulée. Dans le liquide décanté il existe encore de l’albumine en solution, laquelle est entièrement précipitée par la neutralisation. — Le coa- gulum volumineux qui s’est formé dans l'albumine au con- tact de l'acide sulfurique, se redissout dans un excès de soude. En neutralisant cette seconde solution avec de l'acide acétique, il y a production d’un précipité qui ne disparaît pas dans un excès de cet acide. 6° Blanc d'œuf, avec acide sulfurique, à chaud. Le flacon ne contient pas de coagulum. L'ébullition simple ne trouble pas la solution. L’ébullition avec le sulfate de magnésie ou de soude précipite abondamment. La neutralisation préci- pite tout. | 7° Jaune d'œuf, avec acide sulfurique, à froid. Le liquide, resté clair, ne se trouble pas par l’ébullition. L’ébullition avec le sulfate de magnésie ou de soude précipite abon- damment; le même effet s'obtient par l’adjonction de quel- ques gouttes d’acide nitrique concentré. Dans le liquide filtré il n’y a plus de substances albuminoïdes. 8° Jaune d'œuf, avec acide sulfurique, à chaud. Il y a un dépôt albumineux au fond du flacon. Le liquide surna- geant est clair et semble devenir plus clair encore par l’ébullition simple. L'ébullition avec le sulfate de soude coa- gule tout. 10 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. C. Acide lactique: % Blanc d'œuf, avec acide lactique, à froid. Une grande partie de l'albumine est déjà coagulée. Cela tient à ce que notre acide lactique, provenant du laboratoire de M. Bou- dault, est relativement beaucoup plus concentré que notre acide chlorhydrique. — L’ébullition du liquide décanté ne précipite rien. L'ébullition avec le sulfate de soude coagule peu; l’ébullition avec le sulfate de magnésie donne un précipité un peu plus visible : quant au carbonate d’ammo- niaque, il est sans action. La neutralisation ne donne éga- lement qu'un précipité faible et diffus. Le liquide est mis sur un filtre, pour être examiné plus tard (1). 10° Blanc d'œuf, avec acide lactique, à chaud. L’acidité du liquide est très-faible, plus faible qu'au commencement de l'expérience. Probablement il y a eu neutralisation par- tielle de l'acide lactique par la soude contenue normalement dans l’albumine primitive. — L’ébullition ne coagule pas. La neutralisation complète donne un faible précipité (2). 11° Jaune d'œuf, avec acide lactique, à froid. Le liquide est trouble et l’ébullition simple ne paraît pas augmenter le précipité déjà existant. L'ébullition avec le sulfate de soude produit un coagulum épais; la neutralisation de même. 12 Jaune d'œuf, avec acide lactique, à chaud. L'ébullition simple donne un faible précipité ; l’ébullition avec le sulfate de soude produit un trouble plus visible. D. Acide nitrique: 13° Blanc d'œuf, avec acide nitrique, à froid. L’ébullition simple ne trouble pas le liquide. L'ébullition avec le sulfate de soude coagule imparfaitement. La neutralisation, ainsi (1) L'examen du liquide filtré, après la leçon , démontra que la neutralisation avait tout précipilé et que la faible densité du précipité provenait simplement de ce que la plus grande partie de l’albumine avait déjà élé précipitée par l'acide lactique. (2) Précipilé représentant néanmoins la totalité de l'albumine dissoute, comme le démontra l'examen fait plus tard. Ici encore la plus grande partie de l’albumine avait ét déjà coagulée par l'acide. DIX-HUITIÈME LEÇON. 11 que l’adjonction d'un excès d'acide nitrique, produit un pré- cipité abondant et complet. 14° Blanc d'œuf, avec acide nitrique, à chaud. Pas de précipité par l'ébullition simple. L’ébullition avec le sulfate de soude, la neutralisation et l’adjonction d’un excès d'acide nitrique précipitent toute l'albumine dissoute. 15° Jaune d'œuf, avec acide nitrique, à froid, et 16° Jaune d'œuf, avec acide nitrique, à chaud. Mêmes réactions que 14. Le résultat le plus marquant qui ressort de cette double série d'expériences, c’est que l'acide agit de la même ma- nière sur l'albumine à froid et à une température imitant celle du corps animal. En effet, les altérations de l’albumine liquide se sont montrées à très-peu de chose près les mêmes dans ces deux conditions, et s’il y a eu de légères diffé- rences, elles n’ont porté que sur la quantité, et non pas sur la qualité du produit. Nous avons vu que le même acide, qui à 40° cent. peut maintenir en dissolution pendant 14 heures une certaine quantité de blanc ou de jaune d'œuf, ne laisse pas toujours, à froid, subsister la limpidité du liquide , et précipite bientôt une partie de l'albumine. Mais le produit qui se retrouve dans le liquide filtré, quelle que soit d’ail- leurs sa quantité, est toujours le même, que l'acide ait agi à chaud ou à froid, au moins pour les quatre acides que nous venons d'employer et pour un temps d'action de 14 à 18 heures. Ce produit est une modification de l’albumine. Il se caractérise surtout par son incoagulabilité à la cha- leur de l’ébullition et par son insolubilité dans les liquides ramenés à une acidité très-faible ou complètement neutra- lisés. Pas une seule fois, dans les expériences qui précè- dent, il n'y a eu de vraie digestion, jamais il ne s’est produit un corps analogue à la peptone, et toute l’action de l’acide s’est bornée à rendre l’albumine incoagulable par la chaleur, insoluble dans l’eau neutre, et insoluble même dans les liquides très-faiblement acides. Par une diminu- 12 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. tion très-notable du degré d’acidité qui a servi à modifier l'albumine, diminution n’allant cependant pas jusqu’à la neutralisation, nous avons vu, presque toujours, se préci- piter l’albumine modifiée, et le même effet, comme nous le savons, s'obtient par une augmentation brusque de l'acidité. Nous réservant de faire plus tard des expériences sem- blables et plus étendues avec d'autres-acides, pour qu’il nous soit permis de formuler une loi générale, nous avons à examiner actuellement si le corps que l’on a appelé para- peptone n’est en effet, comme l'ont supposé plusieurs auteurs, que le résidu inaltéré du produit résultant de l’action de l'acide sur l’albumine, ou si la parapeptone a d’autres pro- priétés aptes à la faire distinguer du précipité de neutrali- sation que nous avons vu se produire dans nos dernières expériences. Ce précipité qui partage avec la parapeptone la propriété de naître aux limites de la neutralisation, lors- que le liquide dissolvant a subi une forte diminution de son acidité, peut-il être considéré comme identique à la para- peptone ou non? Eh bien, messieurs, ces deux corps, comme je le montrerai tout-à-l'heure, non seulement diffèrent par des caractères chimiques qui en permettent l'isolement dans le même liquide dissolvant, mais il est encore possible de prouver qu’au point de vue physiologique, c’est-à-dire dans leur manière de se comporter vis-à-vis du suc gastrique naturel ou artificiel, ils ne présentent pas une analogie telle qu'elle puisse être invoquée en faveur de leur identité chimique. Voici un tube qui contient le produit filtré d’une digestion artificielle d’albumine, produit que j'ai retiré à dessein de l'étuve peu de temps après le commencement de la diges- tion, afin de surprendre l’albumine dans sa première modi- fication produite par l’acide libre du suc gastrique. Cette solution peut renfermer déjà de la parapeptone et une pe- tite proportion de peptone. Comment distinguer dans ce li- DIX-HUITIÈMR LEÇON. 13 quide les deux corps dont il vient d'être question, d’une part l'albumine modifiée par l’acide seul, d'autre part la pa- rapeptone, produit spécifique et définitif de l’action du ferment peptique? Et d’abord, bien que nous ayons à faire à un produit digestif incomplètement élaboré, est-il absolument certain qu’une partie de l’albumine y soit contenue dans cet état par- ticulier qui résulte de l’action seule de l'acide libre ? S'il n’y a pas certitude absolue, au moins pouvons-nous dire : que cela est très-probable. — J'ai dû soulever cette ques- tion qui à beaucoup d’entre vous pourrait paraître superflue, parce que, comme il sera encore exposé plus en détail dans la suite, le suc gastrique, même à réaction franchement acide, ne contient pas toujours et nécessairement une pro- portion d’acide libre suffisante pour produire cette modifi- cation. Nous verrons que l'acide stomacal peut être lié aux principes organiques du suc gastrique dans une proportion telle qu'il n’agit plus directement sur l’albumine, comme le ferait un acide libre, bien qu'il en ait distinctement conservé la réaction. Je me hâte d'ajouter que ce cas est relativement rare, qu'en particulier dans la digestion naturelle, chez l’a- nimal vivant, l’action spécifique de l'acide ne manque jamais et qu'elle précède toujours la digestion proprement dite. — Nous pouvons donc être à-peu-près sûrs de rencontrer, dans le liquide que voici, le précipité de neutralisation qu'il s'agit de distinguer de la parapeptone. Je me servirai, pour établir cette distinction, de la réac- tion suivante indiquée par Meissner: une solution de para- peptone dont on a fortement diminué l'acidité jusqu'aux approches de la neutralisation, n’est pas précipitée par l’alcool, mais est précipitée au contraire par l’alcool mélangé d’éther. En revanche l’albumine, dissoute et modifiée par l'acide, est précipitée, dans les mêmes conditions, par l'alcool seul (1). (U) Rilter, dans une thèse de Strasbourg, intitulée u De l’albuminose » , avance. que Valbumine liquide dissoute dans 99 parties d'eau, et traitée par un autre volume de 400 parlies d’eau contenant 0, 25 gr. d'acide chlorhydrique pur (c'est-à-dire 4 cent. cub. d'acide 14 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. J'ajoute au liquide, qui rougit distinctement le papier de tournesol, 2 ou 3 gouttes de solution de potasse caustique; cette adjonction, tout en laissant subsister un faible degré d’acidité, fait naître un précipité qui indique que l’un ou l’autre des corps albuminoïdes auxquels s’adresse notre re- cherche, ou peut-être tous deux sont contenus dans la solution. — Une autre portion du liquide digestif, portée à l’ébullition, ne se trouble pas, preuve qu’il ne s’y trouve plus d'albumine primitive non modifiée. Le tube étant refroidi, j'ajoute une seule goutte de solution de potasse caustique pour diminuer l'acidité du liquide, sans aller jusqu’à la pré- cipitation. Quelques gouttes d'alcool rectifié, versées dans la solution et mélangées avec le liquide, font apparaître vers le milieu du tube un anneau blanc qui ne saurait être de la parapeptone, puisque cette substance est soluble dans l'alcool. Nous avons donc ici le corps albuminoïde corres- pondant au précipité de neutralisation, la modification de l’albumine produite par l’action de l'acide libre. Après avoir attendu quelques moments, jusqu'à ce que l'alcool se soit chargé d’une partie des substances qu'il peut dissoudre, je laisse couler le long des parois du tube, et en ayant soin de ne pas remuer le liquide, une certaine quantité d’éther qui se ramasse peu-à-peu à la surface de l'alcool. Au point de contact des deux liquides, et à une certaine distance au dessus du premier anneau, vous voyez se former un second anneau, moins opaque que le premier. Ce second précipité qui vient de se produire dans les couches supé- rieures de la solution alcoolique, correspond à la parapeptone chlorhydrique ordinaire), n’est plus précipitée par l'alcool. Nous avons répété cette expé- rience, et si quelquefois nous n'avons pas obtenu de précipité en versant dans la masse du liquide une petite quantité d'alcool, nous avons, en revanche, toujours vu se former l’anneau blanc, quand l'alcool avait coulé le long des parois du tube jusqu’à la surface du liquide. Si Ritter admet que le produit de la digestion est insoluble dans l'alcool, vous ne pouvons attribuer la forte précipitation qu’il a obtenue qu’à une grande quantité d'albumine resléé inallérée et dissoute par l'acide de son prétendu suc gastrique artificiel de veau, qui peut-être contenait à peine une trace de pepsine. DIX-HUITIÈME LEÇON. 15 contenue dans la solution et non précipitée par l'adjonction de l'alcool seul. Outre ces deux caractères chimiques, indiqués par Meiss- ner, et que j'ai eu maintes fois occasion de vérifier isolé- ment sur chacune des deux substances, il existe une autre différence qui ne se révèle également que dans les solu- tions dont on a diminué l'acidité jusqu'à la presque neutra- lisation, mais non jusqu’au degré qui produit le précipité. Une solution limpide, faiblement acide, de parapeptone n’est * pas précipitée par l’ébullition; une solution faiblement acide d’albumine modifiée par l'acide, est précipitée au contraire, - si elle est chauffée jusqu’à l’ébullition. Mais abstraction faite de ces différences chimiques dont l'importance peut être secondaire, l'expérience physiologique démontre la non-identité de ces deux formes modifiées de l'albumine, par les produits différents qu’elles fournissent au contact du suc gastrique actif. L'albumine modifiée, préci- pitée d’une solution acide et mise à l’étuve avec du suc gastrique, est digérée, tandisque la parapeptone ne l'est pas. La première diminue sensiblement et finit par disparaître, pour fournir de la peptone et de la parapeptone; la seconde se dissout, mais ne change pas de quantité, ni ne s 'altère dans ses propriétés essentielles. Quoiqu'il en soit, à une période avancée de toute dig'es- tion d’albumine, naturelle ou artificielle, nous rencontrons, à côté des peptones, un corps précipitable par la presque neu- tralisation, lequel ne subit plus de diminution par l’action ultérieure du suc gastrique et qui se distingue de l’albu- mine primitive, modifiée par l'acide, 1° par sa solubilité dans lalcool, et 2° par sa non-précipitation à 100 degrés, dans les solutions dont on a fortement diminué l'acidité (1). (1) A ce degré d’acidilé faible, les solutions de parapeptone ne sont pas non plus préci- pilées par l'ébullition avec le sulfate de soude ou de magnésie, sels qui, dans les mêmes conditions, précipitent l'albumine modifiée par l'acide. I1 convient, pour bien voir cette réaction, de n'ajouter les sels qu’en quantité modérée et de façon à ne pas rendre le 16 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Ce corps, la parapeptone, ressemble d’ailleurs tellement à l’albumine rendue insoluble dans l’eau par les acides dilués qu’il n’y a pas lieu de s'étonner que quelques physiologistes très-distingués aient pu les confondre. Notre but, en étudiant l’action des acides sur l’albumine, était de voir si les modifications imprimées aux substances albuminoïdes liquides par l'acide présentaient quelque ana- logie avec leurs transformations digestives et si l’en- semble des phénomènes chimiques de la digestion sto- macale pouvait se réduire aux effets de l'acide libre du suc gastrique. Nos expériences n’ont pas confirmé cette suppo- sition. Nous avons vu que l’albumine liquide, traitée pen- dant un certain nombre d'heures par différents acides très- dilués, acquiert (du moins en partie) des propriétés nou- velles, se rapprochant de celles des peptones, et que presque constamment elle devient incoagulable par la chaleur. Il s’agit de savoir maintenant si ce que nous avons regardé comme l’effet d’une transformation par l’acide seul, ne ré- sulte que du contact prolongé de l'albumine avec l'acide, ou si un contact de peu d’instants peut donner au corps en solution les caractères propres à l’albumine modifiée par l'acide. Si nous trouvions, p. ex., que l’albumine liquide que l'on vient de mélanger avec un acide dilué peut, dans certaines conditions, passer immédiatement à l’état inso- luble dans l’eau neutre et incoagulable par la chaleur, nous aurions un caractère différentiel de plus entre ce dérivé transitoire et la parapeptone, qui est un produit définitif, dont la formation exige toujours et sans exception un certain temps. Je fais un mélange d’albumine liquide avec de l’eau con- tenant quatre millièmes d'acide chlorhydrique. Je distribue liquide trop eoncentré, La quantité moderée de sel qui, à 400° cent., suffit à précipiter l'albumine modifiée par l'acide, laisse subsister la limpidité de la solution de parapeptone, dont on a fortement diminué l'acidité. ë DIX-HUITIÈME LEÇON. 17 le mélange à parties égales dans deux éprouvettes, et je chauffe Zentement la première jusqu'à l’ébullition. Z7 #e se produit pas de précipité, preuve que l’albumine a déjà perdu l'un de ses caractères primitifs, celui de se coaguler par la chaleur. Neutralisons le liquide, après l'avoir un peu refroidi. Vous voyez qu'il naît un précipité très- évident, autre caractère de l’albumine #odifiée par l'acide, déjà devenue insoluble dans l’eau. — Examinons de la même manière l’autre portion qui n'a pas été chauffée. La neutralisation ne précipite rien. Cette solution neutre d'al- bumine, si elle n’a pas encore subi de modification, doit se coaguler entièrement par l’ébullition. En effet, chauffée, elle fournit un coagulum qui représente toute l’albumine dissoute. Ainsi la coopération de la chaleur accélère notablement l'action de l'acide dilué sur l’albumine liquide; mais remar- quez bien que malgré la production plus rapide de la mo- dification insoluble dans l’eau, l’albumine soumise à l’action prolongée de l'acide, ne se transforme pas plus complète- ment, ou pour mieux dire, ne se digère pas davantage à chaud qu'à froid, comme le démontrent à l'évidence nos premières expériences. Meissner avait déjà indiqué l'influence accélératrice de la chaleur sur la production de la modifi- cation acide de l’albumine, sans parler toutefois de l’instan- tanéité avec laquelle cette modification a lieu, si le mé- lange est graduellement chauffé jusqu’à l’ébullition. En étudiant les conditions les plus favorables à l’action de la pepsine acidifiée, nous verrons combien est différente l'influence de la chaleur sur la digestion proprement dite et sur la production de la modification acide de l’albumine. La pepsine acidifiée est inactive aux températures basses, jusqu'à + 13 degrés; l'acide dilué, sans pepsine, au con- traire, agit encore au dessous de 5 degrés, à condition toutefois que son contact avec l’albumine dure pendant un temps suffisamment long. — La température la plus favo- rable à l’action de la pepsine est comprise entre 36 et 46 TOME DEUXIÈME 2 18 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. degrés; un excès de chaleur est nuisible à son action, et au delà de 60 degrés, la pepsine commence à devenir in- active. — À 100 degrés du liquide, le ferment peptique se détruit pour toujours. L’acide, au contraire, peut être chauffé à 99 degrés et même être porté à l’ébullition, sans rien perdre de son activité; le réchauffement graduel jusqu’à 100° de l’albumine liquide sur laquelle on vient de verser l'acide dilué, loin d'empêcher l’action de ce dernier, la rend presque instantanée. J'ai à noter ici une singularité relative à l’action de l’a- cide libre mélangé de pepsine. Si l'on traite de l’albumine liquide par un mélange d’acide et de pepsine, dans la pro- portion la plus favorable à la digestion et à froid (c'est- à-dire à la température de l'air ambiant), l’albumine se modifie en beaucoup plus petite quantité que si elle est traitée par l'acide seul, à la même température. Cette dif- férence se maintient même si l’on prolonge l’action de la pepsine acide au delà des limites ordinaires, et pendant un très-crand nombre d'heures. La même différence s’observe dans les températures plus élevées, jusqu’au degré qui détruit la pepsine. Alors la différence disparaît et le mélange agit exactement comme l'acide simple. En règle générale, dans tout mélange d’albumine liquide et de pepsine acidifiée active, il se forme moins d’albumine modifiée, insoluble dans l'alcool, que dans un mélange acide, dépourvu de pepsine, et placé dans les mêmes conditions. Mais si l’on opère sur un mélange acide, contenant un très-grand excès de pepsine, l’ébullition, bien que détruisant cette dernière, ne restitue pas entièrement à l'acide son action intrinsèque sur l’albu- mine. Ce dernier liquide, comparé à une autre solution d'al- bumine, ayant le même degré d’acidité, mais sans pepsine, contiendra toujours moins d’albumine modifiée que le second. À ce propos comment se fait-il, demandera-t-on, que l’acte chimique de la digestion, qui exige une température d'au moins 15 degrés, puisse avoir néanmoins lieu chez les pois- DIX-HUITIÈME LEÇON. 19 sons carnivores et chez beaucoup de reptiles? Disons d'abord que sans jamais atteindre le degré le plus favorable à la digestion peptique, la chaleur interne de ces animaux est cependant toujours un peu supérieure à celle du milieu dans lequel ils vivent. Mais il n’en est pas moins vrai que la digestion des reptiles est extrêmement lente et dure quel- quefois deux et même trois semaines. Il est aisé de dé- montrer que c’est en effet par le défaut de chaleur que le suc gastrique de ces animaux digère si lentement, car placé dans une température convenable, il digère aussi activement que celui des mammifères (1). J'ai fait cette expérience sur deux couleuvres dont j'ai infusé les estomacs à part dans de l’eau acidulée. La pre- mière l’infusion, mélangée avec une quantité mesurée d’albumine cuite, a été abandonnée à la température de l'air ambiant, qui a varié, dans le cours de l’expérience, de 10 à 17 degrés centigr. L'autre infusion, avec la même quantité d’albumine, à été mise dans un tube de verre, bien bouché, et introduite dans l'estomac d’un chien vivant, à fistule. La seconde infusion digéra, en 6 heures, autant d’albumine que la première, au bout de érois semaines. Il résulte de ce qui précède que l'acide dilué, même s’il est placé dans les conditions les plus favorables à la di- gestion peptique, n'arrive jamais à fournir le produit de la vraie digestion. Il ne le fournit pas davantage, s’il est placé, dès le début, dans une température qui accélère son action spécifique sur l’albumine liquide. Je puis ajouter qu’il en est encore de même, si on le laisse agir sur l'albumine pendant des semaines et des mois entiers. Cependant, pourrait-on objecter, si l'acide n’achève pas les transformations de l’albumine, c’est peut-être parce- qu'il est absorbé en partie par le nouveau composé au (1) 11 serait bon de faire de nouvelles expériences sur la rapidité de la digestion chez les poissons. Les seules données que nous possédions sur ce sujet, sont dues à Spallan- zani, mais ne portent que sur les phénomènes mécaniques de la digestion. 20 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. quel il donne naissance, ou parce qu'il perd son action, après avoir accompli la première phase de ces transforma- tions, c’est-à-dire après avoir rendu l’albumine insoluble dans l’eau. Donc, puisque, selon cette hypothèse, l’action de l'acide ne s'arrête que parce qu'une grande partie devient inactive au bout d’un certain temps, il suflirait de le re- nouveéler continuellement, comme se renouvelle en effet le suc gastrique. On ne réaliserait pas cette condition, en ajoutant tout d’abord à l’albumine une quantité plus grande d'acide; mais il faudrait, par des adjonctions successives, restituer à l’eau acidulée sa force dépensée à produire la modification insoluble de l'albumine qui, selon l'hypothèse, ne serait que le premier pas vers toutes les autres. J'ai examiné la valeur de cette supposition de deux ma- nières. Après avoir traité de l'albumine liquide par de l’a- cide chlorhydrique convenablement dilué, pendant deux jours temps suffisant pour que toute l’albumine fût devenue pré- cipitable par la neutralisation, j'ai recueilli le précipité ainsi obtenu et je l'ai redissous dans une nouvelle quantité d'a- cide dilué; le mélange, exposé pendant plusieurs heures à la chaleur de l’étuve, ne contenait pas de trace de peptone. Ou bien, après avoir modifié de l’albumine liquide par un acide dilué, le mélange ayant séjourné à la température ambiante pendant deux jours, j'ai commencé par m'assurer, en décantant la moitié du liquide, que l’acide n'avait pas sensiblement perdu de sa concentration. Il demandait, pour être saturé, à volume égal, la même quantité de soude caus- tique, qu'avant le commencement de l'expérience. Toutefois, comme cette espèce de contrôle n’est pas infaillible, et qu’il fallait me conformer à l'hypothèse qu’il s'agissait d'examiner, j'ai ajouté à l’autre moitié de la solution 6 fois son volume d’eau acidulée au même degré. Le mélange, placé à l’étuve pendant 27 heures, et examiné au bout de ce temps, ne con- tenait point de peptone. Je n'y trouvai que de l’albumine dissoute, précipitable par la neutralisation et précipitable DIX-HUITIÈME LEÇON. 21 par l’alcool, si auparavant on avait fortement diminué l’aci- dité du liquide. Le liquide filtré après la précipitation par l'alcool, ne donnait pas de nouveau précipité après l'addition d’un mélange d'alcool et d’éther. Ces expériences tranchent la question que nous nous sommes posée au commencement de cette leçon, savoir si l'acide est apte, par son action intrinsèque, à transformer l’albumine en un nutriment équivalent au produit de la di- gestion peptique. Nous avons vu que l'acide, mis en contact, dans les conditions les plus diverses, avec l’albumine liquide, ne fournit aucun des produits caractéristiques de la diges- tion, et que si la modification acide de l’albumine ressemble à sy méprendre à la parapeptone, la parapeptone ne peut néanmoins, en aucune sorte, être assimilée à cette modifi- cation, qui s’en distingue tant par ses caractères chimiques intrinsèques que par les transformations ultérieures qu'elle - subit, dans l’ordre physiologique, en présence de la pepsine. DIX-NEUVIÈME LEÇON. Sommaire: Solubilité des matières albuminoïdes solides dans les acides dilués. — Gelte solubilité est augmentée à un haut degré par la présence du gaz acide carbonique. — Dif- férences essentielles entre l’action de l’acide et celle du suc gastrique sur les corps al- buminoïdes concrets. — Hypothèse d'une combinaison définie de l'acide avec le principe digestif ou pepsine: acide chlorhydropeptique. — Objections à cette hypothèse. — Dissem- blance fondamentale entre l’action de tous les acides connus et celle de l'acide chlorhy- dropeptique. — Action des acides antifermentatifs sur les matières albuminoïdes, — Fon- etion de l’acide gastrique. — L’acide sert-il uniquement à gonfler les corps albuminoïdes ? — Expérience qui réfute cette supposilion. — L’acide est nécessaire à la transformation digestive. — La pepsine noæ acide est inactive. — L’acide qui gonfle l’albumine n’est pas celui qui digère dans la pepsine acidifice. Messieurs, La solubilité de l’albumine so/ide dans les acides dilués, propriété très-contestée jusqu’à nos jours, paraissait avoir été assez nettement établie par les recherches de Berzelius et de Valentin; Bouchardat de son côté avait vu se dis- soudre de petites quantités d’albumine coagulée dans les acides dilués en proportions déterminées. Néanmoins dans les derniers temps on paraît être assez généralement revenu à l'opinion de Lehmann, qui n’admet pas de vraie solution de l’albumine solide et qui attribue la diminution de poids que l’albumine subit dans les acides, à l'extraction des sels et des matières solubles dans l'eau. DIX-NEUVIÈME LEÇON. 23 Pour compléter la recherche que nous avons entreprise dans la dernière leçon, il importe d'examiner encore une fois, comme nous l'avons fait pour l’albumine liquide, si les acides dilués, mis en contact pendant quelque temps avec de l'albumine solide, en dissolvent ou en modifient une partie. Si tel était le cas, nous aurions à reprendre notre parallèle entre l’action de l'acide libre et celle de la pepsine acide sur l’albumine coagulée. Pour obtenir de l’albumine solide pure, je n'ai pas em- ployé le procédé ordinaire, qui consiste à coaguler rapidement le blanc d'œuf par la chaleur. Il s'agissait d'éviter soigneu- sement la formation de gros caillots qui pouvaient retenir dans leur intérieur la petite proportion de peptone naturelle trouvée dans l’œuf de poule par L. Corvisart. À cet effet, j'ai mêlé le blanc d'œuf cru avec de l'eau et j'ai réchauffé lentement, en agitant continuellement le mélange. La coa- gulation achevée, l’albumine cuite a été recueillie sur un filtre et soumise à un lavage prolongé. Ainsi purifiée, j'ai traité l'albumine par de l'acide chlorhydrique concentré, dilué aux quatre millièmes. Voici le mélange qui a sé- journé à l’étuve pendant plusieurs heures. L’albumine s’est entièrement déposée au fond du vase et est un peu gonflée. Décantons avec une pipette le liquide surnageant qui est parfaitement limpide, et voyons s’il s’est dissous quelque chose. L'ébullition ne donne pas de précipité. J'ajoute au liquide refroidi un peu de solution de potasse: à l’approche de la neutralisation, il se forme un léger nuage. Si le corps qui vient de se précipiter, est de l’albumine, nous savons déjà que ce ne peut être que de l’albumine modifiée, puisque la chaleur ne l’a pas coagulée. Nous savons, d’autre part, que l’albumine modifiée par l'acide, est précipitée soit par la neu- tralisation, soit par l’ébullition dans une neutralisation in- complète et très-proche du degré dans lequel se formerait spontanément le précipité de neutralisation. Je chauffe une 24 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. seconde fois jusqu'à l'ébullition, après avoir ajouté un peu de potasse caustique. Le liquide en effet se trouble davantage. Je diminue encore légèrement l'acidité du liquide et je chauffe de rechef. Le précipité devient plus dense. — L’ad- jonction d’un peu d’acide nitrique fait disparaître d’abord le précipité de neutralisation, mais, ajouté en excès, l'acide produit un précipité opalin, jaunâtre. Ce liquide contient donc en dissolution un corps préci- pitable par la chaleur après une forte diminution de son acidité, et coagulable par les acides plus concentrés. Ce corps, comme on le voit, ne saurait être que de l’albumine, mo- difiée de la même manière que l’albumine liquide, traitée par l’eau acidulée. Voici de l’albumine solide, obtenue en précipitant du blanc d'œuf cru (délayé dans de l’eau), à l’aide d'un acide concentré. Le caillot, préalablement lavé, a été soumis à l’action de l'acide chlorhydrique, dilué dans la proportion de 4 pour 1000, et le mélange a séjourné à l’étuve pendant plu- sieurs heures. Le liquide surnageant est clair et nous pouvons le décanter sans filtrer. L'ébullition ne le trouble pas. Un commencement de neutralisation produit un léger nuage. Chauffé dans cet état, le liquide se trouble davantage. — Le précipité que voici, est-il de l’albumine? — Examinons à l’aide d'un des réactifs qui précipitent tous les corps albuminoïdes de leurs solutions. Une nouvelle quantité de la solution, acidifiée d'abord par un peu d'acide acétique, et traitée par le tannin, se trouble plus fortement et il s’y forme un dépôt floconneux blanchâtre, très-mobile. Des recherches analogues, faites avec l’acide nitrique et l'acide sulfurique, m'ont donné les mêmes résultats. Seu- lement, pour l'acide sulfurique, la dilution doit être plus grande encore si l’on veut obtenir la solution d’une quan- tité appréciable d’albumine. J'ai aussi répété ces expériences avec de l'acide phospho- rique, et j'ai trouvé que cet acide, pour produire l'effet dé- "LCA DIX-NEUVIÈME LEÇON. 25 exit, peut être employé même dans une concentration de beaucoup supérieure à celle des autres acides inorganiques. Je n'ai pas déterminé la limite à laquelle s’arrête son action dissolvante. — Pour donner plus d’exactitude à ces expé- riences, je les ai répétées en faisant agir l'acide sur de l'albumine solide, précipitée d’une solution neutralisée d'’al- bumine liquide au moyen de l'alcool. Les résultats ont été sensiblement les mêmes ; il m'a paru même que cette al- bumine, très-dure, qui au commencement, opposait plus de résistance à l’action de l'acide dilué, se dissolvait ensuite avec plus de facilité. Nous pouvons conclure de ces expériences que l’albumine solide se dissout lentement, mais en quantité AIRE dans les acides très-dilués. Il en est de même de la caséine solide, sur laquelle j'ai fait tout récemment une expérience dont voici encore les résultats. La caséine a été d’abord pulvérisée, puis lavée à l'eau, jusqu’à extraction complète; pour éloigner ensuite la graisse, j'ai comprimé et massé la caséine entre des feuilles de papier à filtrer, à une température de 60 degrés. Je renouvelais le papier, jusqu’à ce qu’il ne fût plus taché. (Ce procédé m'a paru préférable à l'extraction par l’éther qui altère la cohésion de la caséine). Avant d’ajouter l’eau acidulée, j'ai humecté la caséine, parce qu'à l’état sec, elle aurait absorbé de l’eau, ce qui pouvait rendre l'acide plus concentré. La solution filtrée, que je vais examiner devant vous, a été obtenue par l’action prolongée de l'acide chlor- hydrique dilué sur la caséine purifiée dans le mode indiqué. — La neutralisation donne un léger précipité. Le réactif de Millon produit un coagulum qui passe au rouge par la chaleur. Il y a donc solution, mais y a-t-il transformation ? L’ébullition ne trouble pas le liquide; mais l'acide nitrique donne un précipité qui prend une coloration jaune, et qui représente la totalité de la caséine dissoute. Nous n'avons done point ici de peptone. 26 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Je n’ai pas fait moi-même d'expériences sur la solubilité de la fibrine solide; mais on sait qu'elle se dissout dans les acides dilués en quantité un peu plus grande que l’albumine. La solubilité de la fibrine diminue à mesure que l'acide est plus concentré. Tandis que beaucoup d'auteurs persistent, encore de nos jours, à regarder les corps albuminoïdes solides comme in- solubles dans les acides, même très-dilués, Rochleder, déjà en 1858, publiait des expériences qui démontrent que des quan- tités assez considérables d'albumine solide peuvent se dis- soudre dans les acides, même sensiblement plus concentrés, lorsque le mélange est placé dans une cornue remplie de gaz acide carbonique (1). | Mayer qui a fait ces expériences sous la direction de Rochleder, sépara le blanc de 60 œufs, filtra la masse après l'avoir longtemps battue dans l’eau, et ajouta de l'alcool jusqu’à ce que toute l'albumine fût coagulée. Le coagulum digéré pendant trois heures, à 80° centigr., dans de l'acide chlorhydrique étendu de 5 fois son volume d’eau, et saturé de gaz acide carbonique, avant l'exposition à l’étuve, montra déjà au bout de deux heures une diminution très-notable. Le résidu non dissous prit un aspect gélatineux qu'il con- serva jusqu'à la fin de l'expérience. La composition de ce résidu montrait une grande analog'ie avec celle de la chon- drine. La solution contenait, suivant Rochleder, deux modifi- cations de l’albumine, toutes deux facilement solubles dans l'eau acidulée. Outre les trois corps albuminoïdes mentionnés, il s'était formé dans le mélange: de l'hydrogène sulfuré, du chlorure d'ammonium et une petite quantité d'un acide gras volatile, probablement identique à l'acide butyrique, ou valérianique, ou formé par un mélange de ces deux acides. (4) Rocaengr. Ueber Albumin und analoge Stoffe. Sitzgsber. der K, K. Academie d. W. zu. Wien. Bd. 24. p. 58. — (Il est inutile de rappeler que dans celte leçon nous fai- sons abstraction de la solubilité des corps albuminoïdes coagulés dans les acides purs el concentrés). FETS DIX-NEUVIÈME LEÇON. 27 J'ai répété ces expériences. De l’albumine crue, délayée dans l’eau et filtrée fut précipitée par une assez grande quantité d'alcool. Le coagulum, débarrassé de son humi- dité par le massage prolongé dans un linge, se changea en une masse très-dense, de consistance coriace. On versa sur l’albumine de l'eau acidulée, contenant 25 p. 100 d'acide chlorhydrique, et l’on fit traverser le liquide par du gaz acide carbonique jusqu’à ce que tout l’air de la cornue fût chassé. La cornue obturée avec un bouchon de caoutchouc, fut placée à l’étuve, à une température de 72 degrés. — Une seconde portion du même caillot d’albumine fut placée dans un autre vase, contenant la même quantité d’eau aci- dulée, au degré déjà indiqué, et mise à l’étuve sans boucher le vase. — Après 16 heures, l’eau acidulée du premier vase, saturée d'acide carbonique, avait opéré la dissolution d’une grande partie de l’albumine.— Cependant il restait encore de l'albumine non dissoute et il ne s'était pas formé de corps res- semblant à la chondrine. — Le liquide surnageant avait pris une coloration légèrement jaunâtre. La neutralisation y précipitait des flocons. — Dans l’autre portion, restée en communication avec l'air atmosphérique, les réactifs n’accu- sèrent qu'une trace minime d’albumine dissoute et la co- loration du liquide n'avait pas changé. Le mélange saturé d'acide carbonique ayant été placé à l'étuve dans un vase bouché, il avait dû s’y produire une forte pression. Cette augmentation de pression avait-elle peut-être amené la dissolution de l’albumine? Afin d'é- claircir ce point, je fis deux expériences comparatives sur de l’albumine simplement coagulée par la chaleur. Deux portions égales de cette albumine furent traitées, à 67 de- grés, par de l’acide chlorhydrique, étendu de 4 fois son volume d’eau; l’une dans un flacon bouché, l'autre dans un flacon ouvert. Les deux liquides conservèrent leur couleur et ne laissèrent pas reconnaître, au bout de plusieurs heures, de trace d’albumine dissoute. Il paraît donc que la pré- _ 28 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. sence de l'acide carbonique est essentielle au succès de l'expérience de Rochleder. Après tous ces faits, nous pouvons, à bon droit, nous rallier à l'opinion de Berzelius, de Valentin et de Bouchardat qui admettent comme un fait bien établi la solubilité de l’albumine solide dans les acides dilués. Comme on sait que tous les corps albuminoïdes se dissolvent aussi dans le suc gastrique acide, on pourrait être tenté de voir dans ce fait une certaine analogie entre l’action de l'acide libre et celle de la pepsine acidifiée. Mais deux caractères essentiels dis- tinguent la solubilité de l'albumine dans l'acide dilué, de sa solubilité dans la pepsine acidifiée. La première différence porte sur le degré de concentration de l’acide, le plus favorable, dans l’un ou l’autre cas, à la dissolution de l’albumine. L’acide simple, pour agir comme dissolvant, doit être érès-dilué. La proportion est de quatre millièmes pour l'acide chlorhydrique (pour gonfler et dis- soudre la fibrine, l'acidité doit être un peu inférieure, en- viron de 2‘/, millièmes, ce qui correspond à environ 8 dix-millièmes de gaz acide chlorhydrique), mais cette proportion est déjà trop forte pour les acides sulfurique et lactique qui, aux quatre millièmes, précipitent l’albumine liquide. Qu'en résulte-t-il pour la digestion, si nous con- sidérons celle-ci comme une simple dissolution? C’est que l'acidité du suc gastrique devra présenter à-peu-près exacte- ment le degré que nous avons reconnu être le plus favo- rable à la dissolution de l’albumine dans l’eau acidulée, et qui correspond à quatre millièmes d’acide chlorhydrique. En effet, Mulder et d’autres auteurs ont prétendu que le suc gastrique, pour bien agir, doit contenir une proportion d’a- cide égale à celle qui, dans un même volume d’eau, dissout le plus d’albumine primitive. Mais nous verrons que cette opinion n’est exacte que dans certaines conditions difficiles à réaliser et que la proportion d'acide la plus favorable varie, pour le même volume de suc gastrique artificiel, DIX-NEUVIÈME LEÇON. 29 selon la quantité de pepsine disponible et selon la quantité d'albumine déjà dissoute par cette pepsine. Même dans les conditions normales, le suc gastrique contient très-souvent un acide plus concentré, surtout chez les carnivores. La seconde distinction, importante surtout par ses con- séquences physiologiques, porte sur la quantité d'albu- mine solide, soluble dans l'acide simple. Cette quantité, telle que nous l’obtenons par nos procédés chimiques ordi- naires (sans atmosphère d'acide carbonique), est toujours très-petite, quelquefois minime, et à la température de 40 à 60 degrés elle ne devient pas manifestement plus grande. Or si la digestion était une simple dissolution et une transformation par l'acide, il faudrait, pour être con- séquent, attribuer à l'acide stomacal d’autres propriétés que celles qui caractérisent les divers acides sur lesquels nous avons expérimenté, puisque, avec une concentration beaucoup plus grande, il est capable de dissoudre en peu de temps une quantité d’albumine considérable. L'hypothèse qui considère l’agent dissolvant du suc g'as- trique comme un acide particulier, agissant sur l’albumine d’une manière spécifique et dans des proportions autres que les acides simples, étendus d’eau, est d’ailleurs en opposi- tion avec les faits suivants: On peut, dans toute digestion artificielle, remplacer l'acide stomacal par les acides connus; on peut p. ex. pré- parer un extrait neutre de la muqueuse gastrique et l'aci- duler avec de l’acide nitrique ou sulfurique, sans nuire au pouvoir dissolvant de ce suc gastrique artificiel. Au contraire ce même suc, acidifié à un degré qui, pour un mélange aquêéux, serait trop concentré pour dissoudre une trace d’albumine, conserve la faculté de liquéfier et de transformer des quantités considérables d’albumine solide. Les auteurs qui ont cru pouvoir identifier la digestion avec une dissolution dans l'acide, n’ont pas réfléchi qu’en attri- buant à l'acide gastrique les propriétés dissolvantes de l'acide 30 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. chlorhydrique, p. ex., on subordonne nécessairement l'acte chimique de la digestion à la présence d’une {rès-grande quantité d'eau, puisque l’acide chlorhydrique n’agit un peu efficacement que s’il est étendu d'environ 250 fois son volume d’eau. Si le suc gastrique agissait exactement à la manière de l’acide chlorhydrique dilué, il faudrait, pour achever la digestion d’un œuf entier, plus d’un mètre cube, peut-être plus de deux mètres cubes de liquide acidulé. Or il est évident que malgré le renouvellement incessant de la sécrétion gastrique, l'estomac n’a pas à sa disposition une pareille quantité de liquide, même pendant une période digestive entière. Et pourtant, est-il besoin de le rappeler, une période digestive suffit pour digérer bien plus encore que deux ou trois œufs. Il doit donc y avoir dans le suc gastrique quelque chose de spécial qui favorise la solution des corps albuminoïdes, et cet agent spécial on ne peut pas le chercher dans la nature particulière de l'acide. Comme je l'ai dit en commençant, quelques auteurs, pour sauver la théorie qui considère la digestion comme une dissolution dans l'acide, ont cherché la spécificité de l'acide stomacal, non pas dans ses propriétés intrinsèques, mais dans sa constitution chimique, c’est-à-dire, dans son mode de se combiner à la pepsine. Ils croient que par la réunion de la pepsine et de l'acide stomacal il se forme un acide complexe dont ils font dépendre les propriétés actives du suc gastrique (Schmidt, Meissner). Nous verrons dans la suite que beaucoup de faits rendent probable la supposition qu’il se forme dans l'estomac une combinaison déterminée de l’acide avec le principe organique ou pepsine, combinaison ayant ses proportions fixées, comme les combinaisons chimiques. C'est ce corps de composition hypothétique qui a été désigné sous le nom d'acide chlorhydropeptique. Mais, avec cette dénomination, rien n’est expliqué, puisqu'il faut attribuer à l'acide chlorhydropeptique non seulement une constitution ar x DIX-NEUVIÈME LEÇON. 31 particulière, mais aussi un mode d'agir tout-à-fait parti- culier et essentiellement différent de celui des autres acides. Cette différence, comme nous l’avons vu, est fondamentale, car la solution peptique des corps albuminoïdes se distingue doublement de leur solution dans les acides, en premier lieu par les conditions sous lesquelles la vraie digestion s’'accomplit et puis surtout par les produits qui en résultent. Or qui ne voit qu'attribuer à l'acide hypothétique une nature essentiellement différente de celle des autres acides, c’est nier précisément que le suc gastrique agisse sur l’al- bumine à la manière des acides? Dès lors à quoi bon une hypothèse qui n’explique rien et qui force à nier l’analogie en faveur de laquelle elle a été créée ? Que l’on ne croie pas, par ce que nous venons de dire, que nous voulions mettre en doute l'existence d’une combinaison de la pepsine avec l'acide. Le principe digestif peut et doit, en effet, comme nous le verrons dans la suite, se réunir à l’acide, pour di- gérer, et cela à n'importe quel acide, chlorhydrique, ni- trique, etc.; mais ce dont nous ne pouvons convenir, c’est que cette combinaison agisse à la manière des acides, qu’elle soit équivalente, par sa fonction chimique, à un acide, en fournissant avec les aliments, p. ex., des COMPOSÉS 1e ana- logues aux sels, qui seraient les peptones. L'action des acides sur vertes liquide ressemble, à un certain point de vue, à ces actions «par contact» qui modifient les propriétés des corps, sans en altérer la compo- sition chimique. L’acide dilué, sans cesser de présenter sa réaction caractéristique et de se comporter, par conséquent, comme un acide libre, dissout les corps albuminoïdes et en modifie les propriétés. Or il existe quelques acides, comme les acides phénique et sulfureux, qui sont connus pour empêcher les actions « par contact », en particulier celles qui dépendent des ferments organiques. Comment ces acides se comporteront-ils vis-à-vis de l’albumine liquide ? 32 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. La question, bien que fondée sur une analog'ie très-problé- matique, m'a paru mériter quelques expériences spéciales. J'ai ici une solution très-diluée d'acide phénique, dont l’a- cidité correspondait, hier encore, pour le papier de tour- nesol, à quatre millièmes d'acide chlorhydrique, et dans laquelle de l’albumine liquide a séjourné à froid pendant près de 48 heures. Examinons cette solution. L’ébullition coagule fortement. Je reprends une autre quantité du liquide et je neutralise. Il se forme un très-léger précipité. De ceci vous pourrions conclure que l'acide phénique qui laisse subsister la coagulabilité de l’albumine par la chaleur, n’agit que très-faiblement sur cette substance, puisque le préci- pité de neutralisation s’est montré de beaucoup inférieur au précipité obtenu par la chaleur. Mais cette conclusion serait erronée, car hier matin, 24 heures après le com- mencement de l'expérience, l’ébullition ne produisait pas de coagulation dans ce même liquide que je viens d’exa- miner devant vous. Il s'est donc opéré un changement soit dans l’albumine, dissoute et #odifiée il y a 24 heures, soit dans les propriétés de l'agent dissolvant. Dans quelles condi- tions une solution d’albumine, modifiée par l'acide, devient- elle précipitable par l'ébullition? Vous le savez, c'est lorsque l'acidité du mélange subit une forte diminution, qui la rap- proche de l'état neutre. Et c’est là effectivement ce qui a eu lieu spontanément dans le liquide abandonné à lui-même depuis plus de 24 heures. Une bande de papier de tournesol, plongée dans de l'acide chlorhydrique, dilué aux quatre millièmes, est bien plus visiblement rougie que ne l’est une autre bande que j'humecte avec la solution albumineuse, traitée par l'acide phénique. Ainsi, tout ce que nous sommes en droit d'affirmer, quant aux effets de l'acide phénique, c’est que dans les premières 24 heures, il transforme l'albumine à la manière des autres acides, mais que passé 48 heures, le liquide, soit par éva- poration, soit par décomposition, perd une grande partie DIX-NEUVIÈME LEÇON. 33 de son acidité, circonstance qui restitue à l’albumine sa coa- œulabilité par la chaleur. C'est à ce degré d’acidité faible, proche de la neutralisation, que les solutions d’albumine sont précipitées par la chaleur, sans donner encore de coa- gulation à froid. Nous pouvons reproduire à volonté, par une neutralisation approximative, le même état dans tous les mélanges provenant de l’action d’un acide quelconque sur l’albumine liquide (1). Je puis ajouter qu'en faisant agir sur l'albumine de l’a- cide Zactique, j'ai trouvé, après deux à trois jours, la même neutralisation spontanée incomplète que nous venons de voir se produire dans le mélange à l'acide phénique. Examinons maintenant si l'acide sulfureux, que l'on re- garde comme un des agents antifermentatifs par excellence, arrête ou empêche l'action des autres acides sur l’albumine. La solution que je mets sous vos yeux contient de l’albu- mine liquide avec de l'acide chlorhydrique dilué aux trois millièmes; j'ai ajouté au mélange frais du sulfite de ma- gnésie en excès: une partie de l'acide sulfureux s'est dé- gagée, une autre partie s’est dissoute dans le liquide qui en a conservé l'odeur. Au bout de 24 heures, l’albumme s’est trouvée modifiée partiellement, comme elle l'aurait été par l’acide chlorhydrique seul; mais il s’était formé un pré- cipité blanchâtre, laiteux, assez abondant, dont je n’ai pu débarrasser le mélange qu’en le faisant filtrer plusieurs fois à travers du papier très-épais. Voici le liquide clair qui a passé à la dernière filtration. Il contient un corps ayant tous les caractères de l’albumine modifiée. Assurons-nous en par l'expérience. (1) Ayant repris, dans la suile, les expériences sur l’acide phénique, je puis entierement confirmer les conclusions qui précèdent. Afin d'accélérer l’action de l'acide phénique, je - plaçais le mélange à l’étuve el je le retirais avant que son acidité eût sensiblement di- minué. Dans ces conditions, si j'examinais la solution albumineuse, à peine relirée de l'étuve, l’action de l’acide phénique se montrait toujours parfaitement analogue à celle des autres acides dilués. SCHIFr. TOME DEUXIÈME aN:3 34 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. L'ébullition communique à la solution une légère teinte opalescente, sans qu'il y ait précipité proprement dit. La neu- tralisation donne naissance à un trouble blanchâtre bien évi- dent. Du sulfate de soude, ajouté au liquide neutralisé, pro- duit un précipité faible, mais très-distinct et se décomposant en petits grumeaux. Le nitrate nitreux de mercure coagule en blanc et le coagulum passe presque immédiatement au rouge brique, preuve qu'une quantité notable d’albumine a été dissoute. — Vous voyez, d’après ces réactions, que l’a- cide sulfureux, tout en produisant la coagulation d’une fraction de l'albumine primitive, n'a pas empêché l'acide chlorhydrique d'agir sur l’albumine restée en solution. Ainsi les acides connus pour leurs propriétés antifermen- tatives non seulement ne s'opposent pas à la transformation des corps albuminoïdes par les autres acides, mais peuvent, à eux seuls, produire cette transformation. Comment est-ce donc que nous devons envisager la fonction de l'acide stomacal que nous avons reconnu indispensable à l'acte chimique de la digestion ? Voici quelle est, à ce sujet, l'opinion généralement reçue: L’acide prépare les corps albuminoïdes et les rend aptes à la digestion proprement dite, en les gonflant et en leur faisant subir certaines modifications caractéristiques dont nous connaissons maintenant la nature. C’est dans cet état que l'aliment albuminoïde devient attaquable par la pepsine et qu’il peut se changer en nutriment. Dans la digestion naturelle, tous les corps albuminoïdes, avant de se convertir en peptone, passent par la modification acide, et je démon- trerai encore que cette modification doit nécessairement précéder la digestion. Ainsi l’albumine liquide, introduite dans l'estomac d'un animal et retirée avant sa transformation définitive en pep- tone, montre un état tout-à-fait analogue à celui de l'al- bumine liquide, traitée par un acide dilué, hors de l'es- tomac. En effet l’albumine liquide dissoute dans l'acide DIX-NEUVIÈME LEÇON. 39 gastrique 1° n’est plus immédiatement coagulable par la chaleur; 2 elle devient coagulable par la chaleur, au moyen d'une diminution artificielle de son acidité; 3° elle est précipitée par la neutralisation ou par la presque neu- tralisation. L'albumine solide est également dissoute en petite pro- portion dans l’acide gastrique (1). Ce qui n’est pas dissous, se gonfle, et le liquide filtré contient de l’albumine modifiée, insoluble dans l’eau, avant de contenir de la peptone. La caséine liquide se coagule dans l'estomac, comme dans les acides dilués, pour se redissoudre ensuite en partie. Cette dissolution, avant de devenir peptone, présente passagère- ment les caractères de la caséine modifiée par l’acide, comme nous l'avons obtenue artificiellement; mais le passage est très-rapide. La caséine solide se dissout en partie, comme l’albumine, toujours en passant à la modification acide, insoluble dans l'eau. Il y a également gonflement, et le résidu non dissous prend une consistance de savon macéré. Le résidu de la fbrine solide se gonfle énormément. Il devient gélatineux, transparent et perd sa cohésion, comme par l’action des acides dilués. La fibre musculaire se gonfle et devient en partie géla- tineuse; les fibrilles élémentaires se dissocient et l’aspect des stries transversales se perd. Le tissu cellulaire se gonfle aussi et paraît devenir plus succulent. Il n’est pas douteux que ces changements des propriétés physiques et chimiques des matières albuminoïdes, si même ils étaient produits exclusivement par l'acide, prépareraient très-efficacement l’action d’un autre principe dissolvant, puisqu'ils représentent déjà un commencement de dissolution (1) Il est bien entendu que dans ce paragraphe il s'agit toujours du suc gastrique acide, abstraction faite de l’action de la pepsine, 36 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION, ou même une solution complète, comme cela a lieu p. ex. pour l’albumine et Ja fibrine liquides. Mais si l’action de l'acide précède celle de l'agent organique du suc gastrique, cela veut-il dire aussi que éoute l’action de l'acide consiste à opérer la modification préliminaire des corps albuminoïdes ? D'autre part l'opinion généralement reçue a-t-elle raison de mettre entièrement sur le compte de l'acide la préparation de l’albumine, et l’agent organique qui, dans l'estomac, se trouve associé à l'acide, n’a-t-il aucune part à cette prépa- ration ? Je m'explique. Il y a un fait qui rend excessivement pro- bable que dans le suc gastrique artificiel ou naturel l'acide n'agit jamais tout-à-fait indépendamment de la pepsine (1), même pour opérer ces premières modifications que nous avons artificiellement produites à l’aide des acides dilués seuls. Nous avons vu que pour modifier l’albumine, l’acide ne doit pas dépasser un certain degré de concentration, très-faible. Une concentration un peu supérieure à celle que nous avons choisie pour nos expériences, toutes les autres conditions restant les mêmes, ne produit plus de dissolution, mais coa- gule au contraire une proportion de plus en plus grande d’albumine liquide primitive. Eh bien, si l’on se sert d’un suc gastrique artificiel, préparé en infusant un estomac très- chargé de pepsine, on peut acidifier ce suc avec trois, six et quelquefois même dix fois plus d’acide qu'il n’en faudrait pour coaguler, à l’état libre, l’albumine liquide, et néan- moins l’albumine reste dissoute et parcourt la série de ses transformations digestives sans passer par l’état solide. Le suc gastrique des carnivores présente souvent une aci- dité bien supérieure à celle que nous avons employée dans nos expériences sur l'acide libre, sans donner lieu pour cela à une coagulation même passagère de l’albumine en digestion. (1) Nous verrons plus tard quelles sont les conditions expérimentales dans lesquelles on peut faire sécréter un suc gastrique acide non peplique. DIX-NEUVIÈME LEÇON. 37 Mais on pourrait, peut-être avec raison, expliquer ce fait, en admettant non pas que l’action de l'acide soit modifiée par la pepsine, mais que par la présence de la pepsine, une grande partie de l’acide est Ziée, entre en combinaison avec la pepsine. Ce ne serait donc que la partie Zitre, disponible de l'acide qui agirait normalement sur l’albumine. — Ce- pendant voici un autre fait qui ne paraît pas pouvoir être expliqué de cette manière: le gonflement de l’albumine so- lide par l'acide réuni à la pepsine est beaucoup plus visible, s'étend beaucoup plus de la surface vers l’intérieur des fragments que cela n’a lieu par l'intervention de l'acide seul. Le gonflement par l'acide, sans pepsine, ne se mani- feste, pour l'albumine, que dans une couche très-mince de la surface des fragments, si mince quelquefois qu'on ne peut la distinguer à l’œil nu. La simple inspection des fragments traités par l’acide seul et en train de se dissoudre peut sou- vent faire croire que la dissolution n’est pas précédée de gon- flement, parce que la couche gonflée est à peine visible; dans la pepsine acide, au contraire, cette couche gonflée est tou- jours très-visible, surtout aux angles des fragments, et quel- quefois le ramollissement s'étend presque jusqu'au centre des petits fragments. Retenons done qu’au moins pour l'al- bumine, le g'onflement initial se fait déjà avec la coopération de la pepsine, qui lui donne plus de vivacité et d’étendue. Pour la fibrine, cette coopération initiale de la pepsine, si elle existe, est loin d’être aussi évidente. Il paraît donc bien que dès l'arrivée des aliments dans l'estomac, l'action de l'acide se trouve modifiée et en quelque sorte Zimitée par la présence des principes organiques. La pepsine influe donc déjà, dès le commencement de la di- gestion, sur les modifications que l’on peut aussi, à la ri- gueur, produire par l'acide seul. Mais il faut examiner directement l'opinion qui admet que l'acide, modifié ou non par le principe organique, n’a d’autre fonction que de préparer l'albumine à la digestion et que 38 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. c'est à la pepsine seule qu'est due toute la digestion pro- prement dite. L'expérience qui décidera cette question est très-simple. Il suffit d’iso/er l’action préparatoire de l'acide et de soumettre au suc gastrique des corps albuminoïdes déjà modifiés par un acide libre quelconque, comme ils l’au- raient été par l'acide stomacal lui-même. Si l'acide n'inter- vient que dans la préparation des corps albuminoïdes, ceux-ci, une fois modifiés et gonflés, doivent se digérer même dans un suc gastrique artificiellement meutralisé. Voici cette expérience préparée. Il y a six semaines, j'ai mis dans un vase une certaine quantité de éripe sur la- quelle j'ai versé de l’eau acidulée. Le mélange s’est conservé sans se putréfier, et la tripe dont vous voyez ici les restes s’est considérablement gonflée, au point de ressembler à une gélatine semi-transparente. Hier, j'ai tué un chien en di- gestion, j'ai infusé son estomac dans de l’eau acidulée et divisé l’infusion en deux portions égales. Une portion a été mise, sans autre préparation (c'est-à-dire avec son degré primitif d’acidité) en contact avec la tripe gélatineuse. L'autre portion a été neutralisée immédiatement après l’adjonction de la tripe, qui avait été bien lavée et exprimée avec force pour en éloigner l'acide autant que possible. Les deux mé- langes ont séjourné 24 heures à l’étuve et je les en retire dans ce moment, pour les examiner devant vous. L’infusion acide a tout digéré. Le liquide est clair et il n’y reste que quelques filets de tissu fibro-élastique, inat- taquables par la pepsine. L'infusion neutralisée contient encore toute la masse de la tripe, qui est devenue un peu plus opaque et dont l’odeur accuse déjà un commencement de putréfaction. Les quantités, tant de la tripe que de l’infusion stoma- cale, étaient identiques dans les deux expériences. Ainsi, la pepsine non acidifiée ne digère pas, même quand l'acide a complètement préparé l'aliment. Voyons rapidement si réellement il y a eu digestion dans DIX-NEUVIÈME LEÇON. 39 la première portion. — L'ébullition avec le sulfate de soude ne trouble pas le liquide filtré. Le réactif de Millon donne un précipité excessivement abondant qui prend presque aussitôt la coloration rouge caractéristique. En effet, nous pouvons affirmer en loi générale que Za digestion ne s'effectue que dans la pepsine acidifiée, et si dans ces derniers temps encore, Bidder et Schmidt ont reven- diqué pour le suc gastrique neutre un reste très-affaibli de pouvoir digestif, cette opinion repose certainement sur une erreur. Quand on laisse séjourner des matières albuminoïdes dans de la pepsine neutralisée, il peut arriver, en effet, que l'albumine évaporée après l'expérience, donne un résidu sec un peu inférieur au résidu sec d'une autre portion égale d'albumine, non macérée; mais cette faible diminution ne résulte que de l'extraction des parties solubles dans l’eau. Ce qui le prouve, c’est que simplement macérée dans l’eau et puis évaporée à sec, l’albumine perd autant et quelque- fois même plus de son poids que si elle est macérée dans de la pepsine neutre. L'expérience dont vous venez de voir les résultats, je l'ai faite à plusieurs reprises et dans diverses conditions. Je l'ai répétée avec l'infusion stomacale de l’homme et avec dif- férents corps albuminoïdes, et jamais il ne m’a été possible d'obtenir une digestion avec l'extrait stomacal non acide. Mais il faut remarquer que le même résultat négatif ne se présente pas avec la fbrine gonflée, très-fortement im- prégnée d'acide résistant au lavage. C’est ce qui explique l'erreur de Mialhe qui avait admis que la fibrine, préala- blement gonflée par l'acide, pouvait encore se dissoudre dans un suc gastrique neutre. Tous ces faits montrent que l'acide est nécessaire non seulement à la macération préparatoire des aliments qu'il rend ainsi aptes à être attaqués par la pepsine, mais qu'il joue aussi un rôle très-essentiel dans l'élaboration peptique proprement dite. Dès lors on conçoit également que la di- 40 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. gestion puisse s'effectuer en présence d’une quantité d’acide de beaucoup supérieure à celle que réclame l’action modifica- trice de l’acide seul. Mais avec cette déduction nous ne sommes pas encore au bout des problèmes qui se rat- tachent à la fonction de l'acide dans l'acte digestif. Admettrons-nous qu'une partie de l’acide gastrique est librement disponible pour opérer la modification préliminaire des aliments, et qu’une autre partie de l’acide doit toujours se combiner à la pepsine pour achever la digestion? Ou bien l'acide combiné à la pepsine intervient-il dès le com- mencement de la digestion, pour préparer l'aliment, comme le ferait un acide libre, et le même acide coopère-t-il plus tard à l'élaboration du nutriment? Le problème se réduit à celui-ci: L’acide qui prépare les aliments est-il le même que celui qui aide à les digérer? — Les expériences que j'ai faites devant vous jusqu'ici, ne répondent pas à cette ques- tion. Un fait que j'ai déjà eu occasion de citer et que je dois rappeler ici, pourra peut-être nous servir de point de départ pour arriver à la solution du problème. Meissner à fait très-justement observer que la digestion de l’albumine liquide demande un suc gastrique beaucoup plus acide que la digestion de l’albumine solide. L’albumine solide, étant insoluble dans l’eau, est déjà modifiée, avant d’être attaquée par le suc gastrique; l’albumine liquide au contraire doit subir cette modification par l’action de l'acide gastrique avant de pouvoir être digérée. Or, si l'acide com- biné à la pepsine agissait en même temps à la manière de l'acide libre, il est clair que du moment que sa concen- tration suffirait pour digérer l’albumine solide, il devrait aussi transformer et digérer l’albumine liquide. Mais comme néanmoins il faut plus d'acide pour transformer l’albumine non coagulée, il y a tout lieu de croire qu’une partie de l’acide est mise hors d'action par sa réunion avec la pepsine et ne peut plus servir à modifier l’albumine comme le fait l'acide libre. DIX-NEUVIÈME LEÇON. 41 Cette conséquence a déjà été tirée par Meissner et je vais répéter devant vous quelques expériences qui décideront, une fois pour toutes, la question de savoir si l’acide qui prépare l’albumine peut ou non servir en même temps à acidifier l'agent organique qui opère la digestion. Avant-hier j'ai mis à l’'étuve 6 bocaux dont nous allons successivement examiner le contenu. Le suc gastrique (aci- dulé avec 4 millièmes de HCI) dont je me suis servi pour cette recherche, a été obtenu d’un estomac de chat dont l'infusion a été préalablement examinée et reconnue très- active. Vase 1. Ce vase contient 10 centimètres cubes de l'in- fusion stomacale acidulée, étendus de 20 cent. cub. d’eau acidulée aux sept millièmes, plus de l’aZbumine solide pré- cipitée d'une solution acide au moyen de la neutralisation. L’ébullition ne produit pas de coagulation. Le sulfate de magnésie et le sulfate de soude ne précipitent rien. La neu- tralisation donne un léger nuage. L’acide nitrique en excès ne précipite presque rien. Le sublimé et le tannin donnent des précipités abondants. — Toutes ces réactions indiquent la présence d'une notable quantité de peptone, et nous pouvons déclarer la digestion complète. Vase 2. Ce vase contient les mêmes proportions d’infu- sion stomacale et d’eau acidulée que le N° 1; seulement au lieu d’albumine solide, j'ai ajouté de l’aZbwmine liquide. L'ébullition ne produit qu'un léger trouble, mais l’acide nitrique en excès précipite fortement; de même l’ébullition après la presque neutralisation ; mais la neutralisation par elle seule précipite très-faiblement. Le sulfate de magnésie précipite également. — On voit que la digestion, s2 elle est commencée, est restée très-mcomplète, et pourtant la quan- tité d'albumine, ajoutée à l'infusion, a été moindre que dans V'Exp. I. Ce qui est évident, c’est que l’albumine est plus que modifiée par l'acide. Vase 3. Afin de voir si, dans l’Exp. 2, la lenteur de la 42 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. digestion tenait à un manque d'acide, j'ai ajouté au mé- lange N. 3, préparé d'abord exactement comme le mé- lange N. 2, une goutte d'acide chlorhydrique concentré, avant de mettre à l’étuve. (On sait que l’albumine liquide nst toujours un peu alcaline et neutralise par conséquent ene petite fraction de l’acide du suc digestif). La neutralisation ne produit qu’un trouble léger, l’ébul- lition du liquide neutralisé n’augmente pas le précipité. Un excès d'acide nitrique et l’adjonction de quelques cristaux de sulfate de magnésie restent sans effet. Le réactif de Millon coagule abondamment. De même, l’acétate de plomb. Il est évident que nous avons ici une digestion beaucoup plus complète que dans l’Exp. N° 2, et le liquide ne contient probablement que de la peptone et de la parapeptone. Vase 4. C’est encore le mélange N. 2, plus 5 gouttes d'a- cide chlorhydrique pur. Cette concentration de l’acide est telle que, sans pepsine, elle suffirait pour précipiter l’albu- mine liquide et pour en empêcher la dissolution. Néanmoins le liquide est resté limpide et donne toutes les réactions de l'Exp. N. 3. — Digestion parfaite. Mais que fera une augmentation de la pepsine, aux dé- pens de l'acide? Dans le Vase 5 même quantité d'eau acidulée que dans le vase 2 (20 cent. cub.), mais 3 fois plus d’infusion stoma- cale (30 cent. cub.), avec un peu d’albumine liquide. L’ébullition sans neutralisation coagule le tout. L'acide nitrique qui, à lui seul, précipite fortement, ne précipite rien dans le liquide qui surnage au coagulum obtenu par la chaleur. Une autre partie de ce même liquide, préalablement filtrée, n’est pas précipitée par le tannin. Donc la chaleur coagule toute l’albumine contenue dans le liquide et rien n’est transformé ni digéré. Vase 6. Mêmes proportions d’eau acidulée et de pepsine que dans le vase 5; mais , au lieu d’albumine liquide, de l'albumine solide. DIX-NEUVIÈME LEÇON. 43 Ni l’ébullition ni l'acide nitrique ne donnent de précipité. La neutralisation trouble légèrement. L'ébullition après la neutralisation n’augmente pas ce trouble. Pourtant l’albu- mine solide n’est plus visible dans le liquide. Le léger trouble qu’a donné la neutralisation, est donc de la para- peptone et la digestion a été complète (1). Dans la prochaine leçon, nous examinerons les consé- quences que l’on peut déduire de ces faits. (1) 11 y a, dans le compte-rendu de ces réactions, quelques lacunes qui n'ont pu étre comblées après la leçon, et auxquelles le lecteur suppléera facilement en parcourant les conclusions du professeur, dans la leçon suivante, {Note du rédacteur: /. VINGTIÈME LEÇON. Sommaire: Fonctions et conditions quantitalives de l’activité des trois éléments constitutifs du suc gastrique artificiel. — Rôle de l’eau. — Influence de la dilution du suc gastrique sur l'énergie de la digestion, au point de vue quantitatif, — Ce qu’il faut entendre par la quantité la plus favorable d’eau, — Expériences relatives à l'utilité de l’eau, — Rôle de l'acide, en tant qu’agent intrinsèque de la digestion. — Variations du degré d’acidité le plus favorable, selon la proportion d’eau. — Ce degré est fixe dans la quantité la plus favorable d'eau; détermination de ce degré pour différentes substances albuminoïdes. — Rapport entre l'acidité la plus favorable et la richesse d’un liquide en pepsine. — Ce rapport exisle, mais n'est pas direct. — Utilité de l'acide libre du suc digestif. — 11 sert à modifier les corps albuminoïdes liquides. — 11 diminue l'influence perturbatrice ou an- tidigestive des malières albuminoïdes en dissolution et en particulier des peptones. — L’acide se réunit à la pepsine, pour former avec elle le corps qui digère. — L'agent de la digestion peut-il être regardé comme un acide peptique complexe, à proportions déterminées? Messieurs , A la fin de la leçon précédente nous avons fait une série d'expériences qui nous ont offert quelques phénomènes sin- guliers. Nous avons vu d’abord que l’albumine liquide de- mandait, pour être digérée, plus d’acide que l’albumine solide, et j'ai déjà indiqué en passant comment ce fait pouvait être expliqué. Mais nous avons vu de plus que, dans certains cas, une augmentation de la pepsine, c’est-à- dire du principe digestif lui-même, peut être nuisible à la digestion , au lieu de l’accélérer ou de la rendre plus par- faite. Je dois vous avertir dès à-présent que les faits que j'ai produits devant vous ne sont pas des faits isolés, acci- dentels, .mais que l’on peut répéter ces expériences autant VINGTIÈME LEÇON. 45 de fois que l’on veut et avec le même succès, si l'on a trouvé les proportions convenables des liquides. Nous avons done à nous demander, non seulement pour la pepsine, mais aussi pour les autres éléments qui com- posent le suc gastrique naturel ou artificiel, quelles sont les conditions quantitatives de leur activité, pour en déduire, s’il est possible, leur véritable rôle dans la digestion. Le suc gastrique naturel ou artificiel se compose de trois éléments essentiels : l’eau, l'acide et la pepsine. Il s’agit de savoir jusqu'à quel point les proportions mutuelles de ces trois éléments peuvent varier, sans qu'il s’en suive une abolition de leur action physiologique, la digestion, et de quelle manière ces variations réagissent sur la rapidité et sur l'énergie de la digestion. Considérons d'abord les particularités relatives à l'eau. On sait depuis longtemps qu’une solution peptique qui a digéré une certaine quantité de matière albuminoïde et dont l’action vient de cesser ou de se ralentir très-con- sidérablement, alors qu'une partie du corps albuminoïde n’est pas encore digérée, peut reprendre son action si l’on ajoute de l’eau. C’est à tort que quelques auteurs ont voulu ériger ce fait en règle générale; mais il est parfaitement exact que dans la plupart des expériences instituées d’après les méthodes usuelles, la digestion artificielle peut jusqu’à un certain point être rétablie si, toutes conditions égales d'ailleurs, on ajoute au liquide une plus ou moins grande quantité d’eau. Il est impossible de supposer, dans ce cas, que la quantité d'eau que le liquide contenait primitivement n'ait pas suffi à l’acte de la digestion artificielle en lui-même, car la digestion s’est faite; elle s’est maintenue 6, quelquefois 8, et même 12 heures, avant de s'arrêter, et elle a recommencé après une adjonction d’eau. — Il est donc plus juste de dire que si la quantité initiale d’eau n'a pas été insuffisante, elle est Jevenue insuffisante dans le cours de la digestion 46 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. même, et nous avons à nous rendre compte pourquoi plus tard la digestion a eu besoin d’une quantité d’eau plus grande qu'au commencement. Mais, avant de chercher cette cause, étudions un peu mieux le phénomène. Admettons que nous ayons un liquide peptique qui digère très-bien si à 1 centimètre cub. de ce liquide on ajoute 30 cent. cub. d’eau. Ce mélange digèrera pendant un certain temps; puis il y aura arrêt. Au moment où la digestion est à-peu-près arrêtée, nous ajoutons 10 cent. cub. d’eau et la digestion se rétablit. Il se dissout une nouvelle quantité d’albumine, généralement inférieure à la quantité dissoute pendant la première phase de l'expérience. Lorsque la di- gestion a cessé de nouveau, nous ajoutons encore une fois 10 cent. cub. d’eau, et nous voyons la digestion recom- mencer pour un certain temps, mais avec moins de vivacité que pendant la seconde phase de l'expérience. Nouvel arrêt, nouvelle adjonction de la même quantité d’eau. — Même effet. A la fin de la troisième phase digestive, nous ajoutons encore une fois 10 cent. cub. d’eau, et Za digestion ne se rétablit pas. — Pourquoi, dans ce cas, ne s’est-elle pas rétablie ? Ou bien l'acidité de la solution a subi une trop forte diminution, ou bien il existe, pour chaque unité de pepsine, une proportion déterminée d’eau qu’on ne peut dépasser sans porter atteinte à la digestion. Examinons la première possibilité. L’acide a-t-il été trop délayé par les adjonctions successives d’eau? Nous faisons une seconde expérience presque de la même manière. Seu- lement, au lieu d'ajouter successivement de l’eau distillée, nous prenons de l’eau acidulée au même degré que celle qui a servi primitivement à diluer l’infusion stomacale. Nous conservons ainsi le même degré d’acidité et nous ne varions que la quantité totale du liquide. Dans cette expérience, comme dans la précédente, il y a arrêt de la digestion au bout de quelques adjonctions suc- VINGTIÈME LEÇON. 47 cessives. On ne saurait même dire, d’une manière genérale, que cet arrêt se produise plus tardivement par l'addition de l’eau acidulée que par celle de l’eau simple; en revanche la digestion se fait plus activement, c’est-à-dire il se dis- sout plus d’albumine. Mais, hâtons-nous de le dire, cet effet lui-même est subordonné en grande partie au degré d’acidité de l’eau; si cette acidité est un petit peu trop forte, il est plus favorable de prendre, pour la deuxième ou la troisième adjonction, de l’eau simple que de l’eau acidulée. Supposons par conséquent, pour simplifier les choses autant que possible, que l’eau dont nous nous servons, ait le degré d’acidité le plus convenable, et ne nous occupons, pour le moment, que de l'augmentation de l’eau seule, sans avoir égard à l’augmentation proportionnelle de l'acide; qu'arrive- t-11? C’est que, en ajoutant successivement, à la fin de chaque phase digestive, une quantité donnée de cette eau acidulée au degré le plus convenable, il vient un moment où une nouvelle adjonction reste sans effet et ne rétablit pas la digestion. Supposons, p. ex., que nous ayons ajouté au liquide qui primitivement avait le volume de 31 centim. cub., 4 fois 10 centim. cub. d’eau acidulée, et qu’à partir de ce moment la digestion se soit définitivement arrêtée; nous aurons délayé la quantité initiale de solution peptique (1 cent. cub.) dans 70 cent. cub. d’eau acidulée. . Nous faisons maintenant une autre expérience, également avec 1 cent. cub. de solution peptique, mais, au lieu de faire des dilutions successives, nous ajoutons d'emblée 70 cent. cub. d’eau acidulée. — La digestion, dans ce cas, se fait plus rapidemeut. Lorsqu'elle a cessé, nous ajoutons une , nouvelle quantité d'eau; mais la digestion ne recommence pas. Ces expériences comparatives montrent que l’on peut ajouter à la solution de pepsine, soit en plusieurs fois, soit en une seule fois et d'emblée une certaine quantité d’eau 48 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. acidulée, laquelle quantité est la plus favorable au dévelop- pement de l’action digestive — et que l'augmentation de l'eau, dans une solution peptique, ne peut réveiller l’action digestive qui vient de cesser, qu’autant que l’on n’a pas déjà dépassé la quantité d’eau la plus favorable. Cependant j'ai vu assez souvent que la même quantité de solution peptique, diluée d'emblée dans une grande quan- tité d’eau, digérait plus d’albumine que si l’on ajoutait successivement de petites portions d’eau, p. ex., chaque fois la vingtième ou la quarantième partie de la quantité totale. — On prend deux quantités égales de la même so- lution peptique; la première est diluée d'emblée avec 20 ou 40 centilitres d’eau, à l’autre on ajoute 2 centilitres que l’on renouvelle chaque fois que la digestion a cessé. Dans la seconde , la digestion cesse déjà après la cinquième ou la sixième adjonction, tandis que la première non seulement se trouve encore en activité, mais finit par digérer beaucoup plus d’albumine que la seconde.— Il est possible que dans ces cas que j'ai assez fréquemment observés, le liquide peptique de la seconde portion ait été décomposé par son trop long séjour à l’étuve, parce que, avant chaque adjonction d’eau, il importait de s'assurer que la digestion était réellement arrêtée, et pour cela il fallait attendre plusieurs heures; quel- quefois même 12 heures. Le liquide restait donc dans un état d'inactivité, ou, pour mieux dire, avec de la pepsine inactive pendant un temps assez long, durant lequel il était exposé à la chaleur de l’étuve; or cette chaleur pouvait favoriser une décomposition qui n'avait pas lieu dans l’autre liquide, exposé à la même température, mais contenant toujours de la pepsine active. On sait combien la pepsine active est réfractaire à la décomposition. Pour juger de la cessation de la digestion, j'ai fait toutes ces recherches à l’aide de tubes finement gradués, qui per- mettaient d'apprécier exactement la hauteur du dépôt d’al- bumine. Ce dépôt qui, au commencement, avait une hauteur VINGTIÈME LEÇON. 49 considérable, allait en diminuant, à mesure que la digestion progressait, mais enfin il arrivait un moment où il ne dimi- nuait plus visiblement; c’est seulement lorsque l'arrêt s’était maintenu de 1 à 12 heures que l’on considérait la phase digestive comme terminée. Vous voyez, messieurs, que dans ces expériences (comme dans la plupart de celles dont il va être question), le mot de digestion est pris plutôt dans le sens de dissolution, de Ziquéfaction. Je n'ai pas déterminé si tout ce qui était dissous, était aussi réellement digéré et dédoublé ; tout au plus ai-je exclu, dans quelques expériences, la partie liquide restée coagulable par la chaleur. Par ce qui précède (et en faisant abstraction des excep- tions probablement accidentelles que je viens de signaler), nous sommes arrivés à une formule qui nous dit que l’action digestive d’une certaine quantité de pepsine ne se développe entièrement qu’en présence d’une quantité déterminée d'eau. C'est celle-ci que nous avons appelée la quantité Za plus favorable à la digestion. — Mais quel est le sens de cette formule ? Pour préciser ce sens, il faudrait déterminer numérique- ment, dans une série d'expériences, la quantité la plus fa- vorable d’eau correspondant à une unité de poids de pepsine: mais il est clair que c’est là une tâche insoluble, puisqu'il n'existe pas de mesure stéréotype pour la pepsine, laquelle, n'étant pas un produit défini, doit varier nécessairement dans les différentes expériences. Tout ce que l’on peut faire, c’est donc de se servir de la même solution peptique dans les mêmes séries d’expérienées comparatives. Je me suis conformé à ce principe en prenant toujours, Comme point de départ, pour des expériences parallèles, l'infusion stomacale du même animal, infusion faite avec une très-petite quantité d’eau et par conséquent très-riche en pepsine. On pourrait, m’objectera-t-on, trouver une expression très- simple pour la quantité de pepsine, en prenant comme mesure TOME DEUXIÈME 4 50 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. la quantité d'albumine qu’elle dissout; mais nous verrons tout-à-l’heure que cette quantité d’albumine ne dépend pas de la pepsine seule, ni même de la pepsine et de l’eau réunies, mais, comme il ressort d’ailleurs déjà de la série d'expériences faites à la fin de la dernière leçon, cette quantité dépend du rapport mutuel des trois éléments qui constituent le suc gastrique artificiel. Si l’on dépasse la quantité d’eau la plus favorable, on ne détruit pas absolu- ment l’action de la pepsine, mais on l’affaiblit. Je vais essayer de vous faire mieux saisir cette différence par un exemple: Si à la même quantité de solution peptique on ajoute, dans trois expériences comparatives, à A: la quantité d’eau reconnue la plus favorable, à B: la moitié de cette quantité, à C: une fois et demie cette quantité, on voit que dans A et B la digestion, au commencement, va de pas égal; la digestion, en B, se fait sensiblement avec la même vitesse, avec la même énergie qu'en À, et ce n'est que plus tard que se montre la différence. J’ai même trouvé plusieurs fois que s’il y avait au commencement une différence assez légère, elle était en faveur de B qui avait moins d’eau. En C, au contraire, la digestion se trouve affaiblie dès le commen- cement. Voici quelques chiffres destinés à montrer quelle est l'in- fluence de la proportion d’eau, variée de diverses manières : La même quantité de pepsine d’un estomac de chat, est successivement délayée dans les quantités d’eau suivantes: Eau: 200 gr. . digère: albumine solide: 196 gr. 14222400 0 1077 id. 280 » Pepsine id. 400 » . id. 391 » diluée dans | id. 800 » . id. 680 » id. 1200 » . id. 888 » id. 1600 » . id. 870 »(1) (1) Ces chiffres sont oblenus de la manière suivante: Une quantité donnée d’infusion peplique, préparée avec un estomac de chat et conservée 7 \ VINGTIÈME LEÇON. ol Voici une autre expérience, intéressante surtout par les résultats qu’elle a fournis par rapport à la digestibilité crois- sante de l’albumine, à mesure que l’on augmentait La pro- portion d’eau: Un gros chat de 3,8 kilogr. auquel on avait lié les vaisseaux de la rate et le pylore, après lui avoir donné à manger de la viande cuite, est tué 5 /, heures après le repas. L’esto- mac, infusé dans 400 gr. d’eau, est conservé pendant 15 jours. À plusieurs reprises, pendant ce temps, on agite l'infusion dans laquelle la plus grande partie de la substance de l’estomac finit par disparaître. Il ne reste, au fond du bocal, au bout de ce temps, qu’un peu de détritus pultacé. Après 15 jours, on prend: À. 5 centimètres cub. du liquide peptique que l’on délaie dans 20 cent. cub. d’eau acidulée, contenant 4 millièmes d'acide chlorhydrique ; B. 21/2 cent, cub. que l’on dilue dans 40 cent. cub. d’eau aci- dulée au même degré; C. 11% cent. cub. que l’on dilue dans 40 cent. cub. d’eau acid. D. 5/16 id. id. 40 id. id. E. 5/16 id. id. 20 id. id. Les 5 liquides sont mélangés avec de l’albumine cuite et mis à l’étuve à 8 heures du matin. Le lendemain, à 4 heures du matin, A a digéré . . . . . albumine: 20 gr. B id. AR. E id. 118 » C id. M + lle id. 6,5 » D” 10. PMP TES id. 2,3 » E id. SAC LE FE id. 2 » pendant 10 jours, est mélangée avec de l’eau acidulée, jusqu’à 200 gr. De ces 200 gr. on prend 20 gr, pour faire la digestion, et le chiffre de l’albumine dissoute est mulliplié par 10. — Aux 180 gr. qui reslent, on ajoute , le lendemain, c’est-à-dire à la fin de la première expérience , 90 gr. d'eau. On a donc 270 gr., correspondant à une dilution de l'infusion primitive dans 500 gr., puisque les 20 gr. ôlés pour la première expérience, auraient été dilués à 30. De cette quantité de 270 gr. on prend 20 gr. (c’est-à-dire la quinzième parlie de 300), et l'on multiplie le résultat de la digestion par 45. Ainsi de suile, les jours suivants. 52 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Si nous calculons, pour une unité de liquide peptique, la proportion d’eau ajoutée et le chiffre de l’albumine dissoute, nous obtenons le tableau suivant: fes Albüdine Eau Albumine dissoute Solution peptique Eau pour une unité de | par une unité de dissoule || solution peptique | solution peptique |! A 6) 20 20 + 4 B 2 1/2 40 11,8 16 4,72 C 1 1/4 40 6,5 32 5,2 | | D 9/16 40 2,3 128 7,36 E 5/16 20 2 | 64 | 6,4 | On voit donc que c’est D qui a le plus digéré. Or D est égal à cinq seizièmes d’un centimètre cube de liquide pep- tique. On se rappelle que l'estomac entier avait été infusé dans 400 gr. d’eau. D contient done un 1280ïè%e de l’infusion totale. — D a dû être délayé dans 40 gr. d’eau, pour liquéfier 7,36 gr. d'albumine; délayé dans 20 gr. d’eau (en E), il n’en liquéfiait que 6,4 gr. Pour la totalité de l'estomac, nous au- rions par conséquent à ajouter 51,2 Zitres d’eau pour réaliser la même dilution qu’en D, et cet estomac pourrait, d’après le même calcul, liquéfier la quantité énorme de 2944 gr. d'albumine, à condition toutefois que l’on ait pris soin de distribuer l’infusion totale en 1280 petits bocaux, contenant chacun 5 seizièmes de centim. cub. de liquide peptique et 40 grammes d’eau. Mais vous verrez, dans la suite, que les opérations prélimi- naires auxquelles on a soumis ce chat (ligature des vaisseaux de la rate et ligature du pylore), sont de nature à augmenter très-considérablement les quantités de pepsine sécrétées par l'estomac. Les chiffres que je viens de vous communiquer se rapportent donc seulement à un estomac de chat, exception- nellement saturé de pepsine. — Dans d’autres expériences sur des chats tués en digestion, mais non traités de la ma- VINGTIÈME LEÇON. 53 nière indiquée, je suis arrivé à des chiffres inférieurs: 30 à 42 litres d’eau pour l’estomac entier. Chez les chiens de taille moyenne, les chiffres de l’eau varient de 39 à 59 litres, pour l'estomac entier. Souvent, dans ces expériences sur l'estomac de chien, je prenais comme point de départ une infusion de tout l'estomac dans 50 cent. cub. d’eau acidulée. Cette quantité de liquide est relative- ment si petite que l’infusion initiale ne montrait quelquefois qu'un pouvoir digestif très-faible. Dans d’autres expériences où j'avais encore moins d’eau, la digestion était presque nulle. On voit donc qu'à force de diminuer la proportion d'eau, on arrive à concentrer tellement le liquide peptique gu'enfin la digestion ne se fait plus. Mais, à ce degré, le liquide est déjà de consistance sirupeuse. Dans toutes ces recherches, — ai-je besoin de vous le dire? — il ne s'agit que de l'expression numérique d’une possi- bilité qui ne se réalise jamais dans la nature. L’estomac d’un gros chat pourrait sans doute digérer 2 kgr. d’albu- mine solide, l° s'il contenait assez d’eau et 2° si le séjour de l’aliment dans le viscère était assez prolongé. L’estomac vivant pourrait même digérer davantage, attendu que pen- dant la vie, la pepsine est sécrétée d’une manière continue au moment de la digestion, tandisque, dans les expériences sur le suc gastrique artificiel, on n’a à faire qu’à un éfat momentané de l'estomac, surpris, il est vrai, à une période très-favorable de saturation. Mais il est évident que la na- ture n’use pas, au point de vue quantitatif, de foute la force digestive dont dispose l’estomac, et qu’elle préfère accomplir l'acte digestif à l’aide de solutions peptiques plus concen- trées, moins actives au point de vue quantitatif, mais agis- sant avec plus de rapidité. Ainsi la digestion stomacale peut S'accomplir ex moins de temps par la concentration plus grande du suc digestif. D'ailleurs, pour réaliser les. condi- tions de notre dernière expérience, l’animal n'aurait jamais à sa disposition la quantité d’eau nécessaire, car le volume -54 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. correspondant à cette quantité serait considérablement plus grand que le volume de tout son corps. De plus il faut con- sidérer que la grande quantité d’eau que nous avons re- connue être la plus favorable, ne se rapporte qu'à un état momentané de l'estomac et que la pepsine se renouvelle pendant la digestion au moins plusieurs fois. À chacun de ces renouvellements de la pepsine devrait, d’après notre principe, correspondre un renouvellement équivalent de la masse d’eau, ce qui élèverait la quantité de liquide, néces- saire à l’accomplissement le plus parfait possible d’une di- gestion entière, à plusieurs centaines de litres. Pour vous citer un exemple de ce que peut faire une grande masse d’eau en présence d’une certaine quantité de pepsine, je vous raconterai un fait assez singulier, arrivé au Musée il y a trois ans et dont plusieurs d’entre vous ont été témoins. On m'apporta, en été, d’une ménagerie en passage à Flo- rence, deux petits loups, morts peu de temps après leur naïs- sance, qui probablement avaient été étouffés par leur mère. Je voulus les conserver pour en faire des préparations histolo- giques; mais, très-occupé ce jour, je les plaçai provisoirement dans un grand bocal de verre, rempli d’eau, et j'y ajoutai un peu d'acide acétique.Je comptais, après quelques jours, rem- placer ce liquide par le mélange préservatif faible, à l'acide acétique, de M. Moleschott. Avant d’immerger les petits loups, je leur ouvris la cavité thoracique et abdominale et j'injectai, par une petite ouverture faite au duodénum, un peu de liquide acétique dans l'intestin, afin d'en empêcher la putréfaction. À cette occasion je vis, au contenu blanc de l'estomac et de l'intestin grêle, que les petits animaux avaient déjà teté. J'oubliai, pendant les jours qui suivirent, de terminer la préparation; le bocal, simplement fermé par un couvercle à rigole dans lequel j'avais versé un peu d’huile, resta donc exposé à la température assez élevée de ma petite chambre de travail du Musée. — Au bout d’une dizaine de En EL à: YINGTIÈME LEÇON. 55 jours, désireux de voir s’il n’y avait pas un commencement de putréfaction, je visitai le bocal, mais quelle ne fut pas ma stupéfaction en voyant que les petits loups avaient dis- paru! Ils s'étaient digérés eux-mêmes tout entiers, et il ne restait au fond du bocal qu’un amas d’os et de poils. En exa- minant le détritus, j'y reconnus de la poudre calcaire, quel- ques os, des restes de cartilag'es articulaires, les ongles, des lambeaux tendineux, et des morceaux de graisse; quant aux parties molles, aux cartilages des côtes, aux ligaments, etc. il n’y en avait plus de vestige. Le liquide du reste était très-riche en peptone, et répandait une odeur pénétrante de bouillon. Aucune des personnes qui l’examinèrent avec moi, ne lui trouvèrent une odeur de décomposition. Ces petits animaux avaient donc conservé, même après leur mort, cet appétit devenu proverbial, et la puissance digestive de leurs estomacs avait eu beau jeu de se développer, grâce à la grande masse d’eau acidulée où leurs cadavres avaient séjourné pendant quelques journées d’une chaleur d'été, alors exceptionnellement élevée. Nous passons à l'étude du second des agents essentiels du suc gastrique: l'acide. Nous avons à examiner quelle est l'influence que l'acide exerce sur les propriétés peptiques du suc gastrique artificiel et comment les variations de la quan- tité proportionnelle de l’acide agissent sur la digestion. Je vous ai dit que plusieurs auteurs ont regardé le rôle de l'acide comme simplement préparatoire: l'acide, selon eux, n'aurait pas d'autre fonction que de gonfler les corps albuminoïdes qui plus tard, dans cet état, seraient trans- formés par la pepsine seule. Une série de faits que je vous ai cités dans la lecon précédente, sont incompatibles avec cette manière de voir; aujourd’hui nous apprendrons à en connaître d’autres qui démontreront que la fonction de l’a- cide n’est rien moins qu'accessoire dans l’acte même de la digestion peptique. Mulder, Bouchardat et d’autres observateurs modernes, 56 ; PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. après avoir reconnu que l’acide dilué à lui seul gonfle et même dissout en partie les corps albuminoïdes, ont avancé que la proportion d'acide la plus favorable à l’action di- gestive d’un liquide peptique est aussi celle qui, dans un même volume d’eau, se montre le plus favorable au gon- flement préparatoire des matières qui font l’objet de la di- gestion stomacale. Suivant Bouchardat et Sandras, ainsi que Mulder, la proportion d’acide. la plus apte à faire gonfler la fibrine, serait un peu inférieure à celle qu’ils reconnaissent comme la plus apte à faire gonfler et à dissoudre en partie l’albumine solide. Mulder avait déjà conclu de ce fait que, dans le suc gastrique, l'acidité la plus favorable à la di- gestion de la fbrine, devait être un peu inférieure à celle qui est la plus favorable à la digestion de l’aZbumine. Plus tard Brücke s’est également occupé de cette question, et est arrivé à-peu-près aux mêmes résultats que les auteurs cités. Après avoir acidulé successivement des quantités égales de liquide peptique avec 4, 8, 16, 30 dix-millièmes d’acide chlor- hydrique concentré, Brücke examine la rapidité avec la- quelle se dissout dans ces différents liquides #x flocon de Jibrine, et il trouve que la liquéfaction a lieu le plus rapi- dement avec 8 à 9 dix-millièmes d'acide. Des recherches ana- logues faites sur l'a/bumine, le conduisent au résultat que la proportion d’acide la plus favorable, c’est-à-dire celle qui produit la dissolution la plus rapide, est à-peu-près de 12 dix-millièmes. Brücke ne place pas le mélange digestif à l’é- tuve, mais il l’expose simplement à la température ambiante. Il croit avoir remarqué qu'à la température de l’étuve (40°) la digestion de l’albumine, c’est-à-dire la rapidité de cette digestion, ne souffre pas beaucoup si l’on prend une pro- portion d’acide un peu plus considérable; pourtant il est gé- uéralement reconnu qu’à l’étuve, comme à la température ordinaire, une concentration un peu trop forte de l'acide a une influence très-marquée sur la digestion de la fibrine, STE VINGTIÈME LEÇON. 57 qui en est ralentie, diminuée ou même abolie, si l'acidité dépasse un certain degré. Le chiffres indiqués par Brücke pour l'acidité la plus fa- vorable à la digestion, concordent à-peu-près avec ceux de Mulder; seulement, pour l'albumine, Mulder place beaucoup plus haut que Brücke le maximum de concentration de l’a- cide, encore compatible avec une bonne digestion: cette dif- férence s'explique par le fait que Mulder expose ses bocaux à la chaleur de l’étuve pendant plusieurs heures par jour. Mulder du reste ne prend pas pour mesure de la digestion la rapidité avec laquelle a lieu la liquéfaction du corps al- buminoïde. Koopmans qui, antérieurement déjà, s'était occupé de cette question, avait également trouvé que l'acidité la plus favorable à la digestion, au point de vue quantitatif, varie pour les différents corps albuminoïdes. Les données que je viens de vous communiquer, pourraient faire croire qu'il existe des règles générales pour le degré d’acidité le plus favorable à donner à un suc gastrique qui doit digérer tel ou tel corps albuminoïde. Mais en réalité il n’en est pas ainsi. La quantité d’acide apte à communiquer à une quantité donnée de liquide peptique son maximum de pouvoir digestif vis-à-vis d’un corps albuminoïde quel- conque, n’est pas une quantité fixe, mais dépend de plu- sieurs circonstances. Le cas le plus simple est celui dans lequel l’infusion de la muqueuse stomacale est faite dans la quantité Za plus fa- vorable d’eau: alors il existe effectivement un degré d’aci- dité fixe, qui correspond au maximum de la digestion. Ce degré varie un peu pour les différents corps albuminoïdes, il est de 7 dix-millièmes pour la fibrine, et de 11 à 12 dix- millièmes d'acide chlorhydrique absolu pour l'albumine. — Si l’on se sert d’acide phosphorique, la quantité requise pour la digestion de l’albumine est un peu plus considérable; je n’ai pas fait d'expériences avec cet acide sur la fbrine. Mais il paraîtrait, suivant Brücke, que pour la fibrine également, 58 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. on peut augmenter la proportion d’acide phosphorique sans nuire à la digestion, et même porter cet acide à un degré qui serait déjà nuisible avec l’acide chlorhydrique. — L’aci- dité la plus favorable à la digestion de la fibrine (déter- minée, comme précédemment, pour un liquide peptique au- quel on a ajouté la quantité la plus favorable d’eau) est un peu inférieure au degré d’acidité indiqué par Brücke, qui l’évalue à 8 ou 9 dix-millièmes. En revanche pour l’albu- mine l'accord est parfait, ce qui est d'autant plus singulier que Brücke n’a eu en vue que la rapidité de la digestion et non la quantité maximum pouvant être dissoute, comme nous l'avons toujours fait. 3 On prétend généralement que lorsque, dans une expé- rience sur le suc gastrique artificiel, la digestion s’est ar- rêtée, il est possible de la ranimer, même à plusieurs re- prises, si l’on ajoute de l'acide. Eh bien, quand j'expéri- mentais avec la quantité maximum (la plus favorable) d’eau acidulée, et que la digestion avait cessé, une adjonction nouvelle d’acide se montrait presque toujours inapte à la ranimer. Seulement dans quelques cas isolés j'ai vu, après l'adjonction de l'acide, la digestion recommencer d’une ma- nière très-peu évidente. Mais, dans ces derniers cas, la quantité d’infusion digestive mise en expérience était très- considérable et offrait une large surface. La digestion avait dû être continuée pendant longtemps et il est possible qu’un peu d'acide chlorhydrique de l’infusion primitive se soit évaporé ou neutralisé. Des expériences analogues avec l'acide phosphorique, qui toutes ont été faites sur des quan- tités plus petites d'infusion stomacale, ne m'ont pas ue offert ce cas. Un autre cas est celui dans lequel on expérimente avec une quantité d'eau inférieure à la quantité la plus favo- rable de ce liquide. Ici j'ai vu constamment, dans mes expé- riences, une relation évidente entre la concentration la plus favorable de l'acide et la quantité de pepsine. Il n’y a ce- VINGTIÈME LEÇON. 59 pendant pas de rapport direct: une quantité double de pep- sine ne demande pas une concentration double de l'acide, une quantité triple de pepsine ne demande pas trois fois plus d'acide et ainsi de suite. Mais il n’en est pas moins certain que, dans le même volume d’eau, une augmentation rela- tive de la pepsine nécessite toujours une proportion plus élevée de l'acide. Dans cette catégorie de cas il se montrait d’ailleurs, comme règle générale, qu'après que la digestion avait cessé, une augmentation de l’acide pouvait la ranimer pendant quel- que temps. Je n’ai rencontré, à cet égard, que quelques rares exceptions dans lesquelles, par un heureux hasard, j'avais trouvé, dès le commencement, le degré d’acidité le plus favorable, apte à développer toute l'énergie digestive de la pepsine, de sorte qu’une adjonction ultérieure d’acide demeurait sans effet. Brücke, de son côté, avait déjà indiqué qu’une forte con- centration de la pepsine comporte sans désavantage une quantité d'acide supérieure à celle qu'il considère en gé- néral comme la plus favorable. En expérimentant sur des estomacs de chiens, très-sa- turés de pepsine et infusés dans 500 à 600 gr. d’eau, quan- tité de beaucoup inférieure à ce que nous avons appelé la quantité la plus favorable d’eau, — j'ai observé que par des adjonctions successives d'acide on peut, sans désavantage, communiquer peu-à-peu au liquide peptique (concentré) une acidité telle que ce degré d’acidité suffirait à anéantir presque entièrement la digestion dans un liquide contenant la même quantité de pepsine, mais délayée dans la quan- tité la plus favorable d’eau. Ainsi j'ai vu, dans quelques cas, la digestion de l'albu- mine se faire encore dans des liquides peptiques concentrés auxquels j'avais ajouté, à 5 reprises successives, de l’acide phosphorique concentré jusqu’à la proportion finale. de..1 à 40 de liquide. Dans d’autres cas, plus fréquents, j'ai 60 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. vu la digestion se maïintenir dans des liquides peptiques très-concentrés qui contenaient de l’acide phosphorique dans la proportion de 1 à 80. — Je ne possède pas d'expériences aussi complètes sur la fibrine, attendu que pour les digestions artificielles de cette substance, je ne me suis jamais servi de dissolutions très- concentrées de pepsine. Néanmoins j'ai eu occasion de voir la digestion de la fibrine se faire encore dans des liquides qui contenaient un 250°" d'acide, degré résultant toujours de plusieurs adjonctions successives. Arrivés à ce point, nous avons à nous demander tout na- turellement, comme nous l'avons fait pour l’eau , si, après avoir trouvé, par des adjonctions successives, le degré d’a- cidité le plus favorable, la digestion se serait faite éga- lement bien, c’est-à-dire également complètement, au point de vue quantitatif, si, au même liquide peptique concentré, nous avions ajouté d'emblée cette quantité totale d'acide, trouvée par l’expérience. Malheureusement je n'ai pas en- core institué les expériences relatives à cette intéressante question. J'ai toujours, jusqu'ici, commencé avec une con- centration faible de l'acide. Je regrette d'autant plus de n'avoir à vous communiquer aucun fait qui puisse servir à résoudre cette question, que de la réponse à celle-ci dépend la solution définitive d’un autre «problème, débattu depuis longtemps et en relation intime avec celui de la fonction physiologique de l'acide du suc gastrique. On s’est souvent demandé si, dans le suc g'as- trique actif, il existait une proportionnalité entre la quantité de l'acide et la quantité de la pepsine, proportionnalité qui pourrait indiquer que la pepsine et l’acide se réunissent en proportions fixes pour former un acide complexe, lequel a- cide serait l’agent véritable de la digestion. — D’après toutes les données qui ressortent de nos dernières leçons, nous savons que la digestion n’est pas une dissolution dans un acide et que même une modification quelconque d’un VINGTIÈME LECON. 61 acide ou sa réunion avec un principe organique ne sau- raient rendre compte des différences qui existent entre les produits complexes de la digestion d’une part et le produit simple de la dissolution dans l'acide d'autre part. Admet- tons qu’il soit prouvé par les expériences les plus rigou- reuses qu'il y a effectivement dans la solution digestive un acide complexe formé par la réunion de la pepsine et de l'acide ajouté, nous serions forcés d'attribuer à cet acide des propriétés qui n’appartiennent pas aux autres acides, et que l'hypothèse aujourd’hui en vogue attribue simplement à la pepsine acidifiée. Or je ne vois pas que la science ait beaucoup à gagner à cette interversion de termes, qui ne fait que transporter les propriétés spécifiques, c’est-à-dire mystérieuses du suc gastrique, de la pepsine acidifiée à un acide peptique complexe. Mais, quoiqu'il en soit, il serait intéressant d'examiner si dans le suc gastrique actif, il existe une proportion quanti- tative directe entre la pepsine et l’acide, s’il y a, dans ce suc, une Combinaison déterminée de ces deux agents, comme le demande p. ex. l'hypothèse de Schmidt qui a été adoptée dans ces derniers temps par Meissner. Voyons quelles sont les raisons qui peuvent militer en faveur de cette opinion. Nous avons dit que si l’on expérimente sur des solutions contenant moins que la quantité favorable d’eau, il faut ajouter plus d'acide si le liquide contient plus de pepsine, pour que l’action de cette pepsine puisse se développer complètement. Il y a donc en général une relation entre la quantité de pepsine et la quantité favorable d’acide. Cette relation, je le répète, n’est pas directement proportionnelle: pour 2 de pepsine il ne faut pas 2 d'acide, mais il en faut beaucoup moins; pour 3 de pepsine, il ne faut pas 3 d'acide, mais moins encore, et ainsi de suite. Cette dernière cir- constance, telle qu’elle s’est manifestée dans nos expériences avec acidification successive, ne parle pas contre l'existence 6 , PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. d’un acide complexe: elle ne prouve pas que l'unité de pepsine ne se soit pas réunie à une quantité déterminée d'acide, et que 2 unités de pepsine ne se soient pas réunies à 2 fois cette quantité d'acide, et voici pourquoi: On peut se représenter que la quantité d’acide ajoutée en premier lieu et que nous posons arbitrairement égale à 3, ait une fonction double: 1 d'acide se réunirait à 1 de pep- sine; mais 2 parties de l'acide resteraient disponibles dans le liquide, pour se réunir aux corps albuminoïdes, liquéfiés pendant la première phase digestive. De cette manière on admettrait, — et nous verrons bientôt qu'il y a beaucoup de raisons qui parlent en faveur de cette manière de voir, — on admettrait, dis-je, que les peptones formées dans le liquide digestif, Zient en quelque sorte une partie de l'acide et que c’est grâce à cette fraction disponible d'acide que les progrès de la digestion ne sont pas enrayés par la pré- sence des corps albuminoïdes dissous. La digestion étant arrêtée une première fois, on ajoute une seconde quantité d'acide. Cette seconde quantité, selon l'hypothèse qne nous examinons, doit se réunir d’abord à la seconde unité de pepsine qui se trouve dans le liquide, ensuite à la nouvelle quantité de corps albuminoïdes qui peuvent être digérés par la pepsine, sous l'influence de cette seconde portion d'acide. Mais la quantité digérée sous l'influence de cette seconde portion sera moindre que celle digérée sous l'influence de la première. C’est ce qui est prouvé par l'observation. Cela s'explique si l'on considère que l'influence nuisible des produits digestifs de la première portion, a été seulement diminuée, mais non entièrement ané- antie par l'acide. Pendant la durée de son action, la se- conde portion de pepsine acidifiée a donc à combattre lin- fluence nuisible d’une quantité de peptones inférieure à celle des peptones formées lors de la première phase digestive; il en résulte que la quantité d’acide nécessaire pour former une seconde quantité d'acide « chlorhydropeptique » actif, égale AS VINGTIÈME LEÇON. 63 à la première, devra être 1 pour la pepsine et moins que 2 pour les corps albuminoïdes. Donc elle doit être inférieure à 3, c'est-à-dire inférieure à la quantité qui suffisait à la première portion de pepsine. Admettons que la quantité d'acide soit 2 112 au lieu de 3, on voit aisément que la troisième portion de pepsine ne demandera que 2 d’acide environ, et ainsi de suite. Ces chiffres, il va sans dire, sont arbitraires, et dans les expériences quantitatives, le rapport des quantités d'acide, déterminées pour différentes adjonctions successives, décroît bien plus rapidement que dans la proportion de 3 à 2 1/2, comme nous venons de l’admettre. Mais cet exemple en quelque sorte schématique montre au moins que nos obser- vations ne sont pas nécessairement contraires à l'hypothèse qui établit une relation proportionnelle et directe entre les quantités d'acide et de pepsine. Messieurs, pour vous faire cette démonstration, j'ai été forcé de recourir à une autre hypothèse, hypothèse tout-à-fait légitime, puisque, comme vous le verrez, elle s'appuie sur les données de l'observation directe, savoir: que /« présence des matières albuminoïdes liquéfiées exerce une influence nuisible sur les progrès de la digestion, influence pouvant être de beaucoup diminuée par l’adjonction d’un acide. Nous avons supposé que l'acide /iait en quelque sorte ces ma- tières dissoutes. — Eh bien, c’est principalement en vue de ce fait que j'ai insisté sur l'intérêt qu'il y aurait à con- naître la quantité la plus favorable d'acide, à ajouter d’em- blée à un liquide peptique concentré, avant qu'il ait com- mencé à digérer. Si cette connaissance nous était acquise, nous serions à même d'éliminer, dans toutes les discussions de ce genre, l'influence retardatrice des produits de la di- gestion et nous pourrions savoir quel est l'effet, en soi, d'une augmentation de la pepsine relativement à la quan- tité d'acide la plus favorable à l'action de cette pepsine. Nous verrons dans la suite que l’on ne peut mettre en 64 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. doute le fait — déjà soupconné par Schwann et confirmé par les expériences plus récentes de Brücke, — que la pré- sence, dans tout liquide peptique, de corps albuminoïdes dissous et en particulier des peptones, diminue notable- ment l’action digestive, et que Brücke a raison d'admettre que l'influence nuisible de ces matières est diminuée par la présence simultanée, dans le liquide, d’une certaine quan- tité d'acide libre. — Remarquez bien que c’est pour sauver l'hypothèse d'un acide peptique complexe que j'ai attiré dans la discussion ce nouvel élément relatif à l'influence perturbatrice de la densité du liquide albuminoïde. J'ai au moins essayé de vous montrer qu'il n’y a pas forcément contradiction entre l'hypothèse en question et les observa- tions qui établissent que l'acide ne doit pas nécessairement être augmenté en raison directe de la pepsine. Mais ne nous le dissimulons pas: cette influence pertur- batrice des corps albuminoïdes en dissolution, qui ne nous a servi jusqu’à présent que de proposition auxiliaire, pourrait peut-être , à elle seule, servir à expliquer la nécessité que nous avons reconnue d'augmenter l’acide à mesure qu'aug- mente la pepsine active. En effet, la pepsine sur laquelle nous expérimentons, n’est jamais pure; elle est toujours mélangée à d’autres matières extraites avec elle des tuni- ques stomacales par le liquide acidulé. Plus une infusion contient de pepsine, plus elle contient aussi de ces matières albuminoïdes non peptiques, extraites de l'estomac; ces ma- tières, à elles seules, abstraction faite des produits de la di- gestion, peuvent déjà augmenter, à un notable degré, la concentration des liquides auxquels la pepsine est ajoutée. Mais si en outre il est vrai, comme nous le supposons, qu’une quantité plus grande de pepsine digère un volume plus grand d’albumine, les produits de cette digestion constituent une autre cause de concentration, nuisible à l’activité de la pep- sine. Il est donc doublement indispensable d'augmenter la proportion d'acide dès que l’on augmente la proportion de VINGTIÈME LEÇON. 69 pepsine; et rien, dans tout ceci, ne nous impose la néces- sité d'admettre l'existence d’un acide peptique complexe. Si les observations dont il vient d'être question, ne peu- vent pas servir à défendre cette hypothèse, examinons main- tenant la valeur d’un autre argument qui a été invoqué sur- tout par Meissner à l'appui de la théorie qui fait dépendre la digestion d'un acide peptique à proportions déterminées. A cet effet, je dois revenir aux expériences par lesquelles j'ai terminé la dernière leçon et dont je vous dois encore l'explication. C’est dans ces expériences que nous trouverons les seules données directement démonstratives de l'hypothèse qui admet un rapport défini, une combinaison chimique entre l'acide et l'agent peptique. Vous vous rappelez, messieurs, que j'ai examiné devant vous, à la fin de notre dernière réunion, le contenu de six bocaux, renfermant du liquide peptique et de l’acide dilué, mélangés en proportions diverses et ayant séjourné à l’é- tuve, pendant 2 jours, soit avec de l’albumine liquide, soit avec de l’albumine solide. Commençons par l’avant-dernière de ces expériences. Nous avions, dans le bocal N° 5 (1), une grande propor- tion de liquide peptique (30 cent. cub.), avec une quantité d'acide relativement modérée (20 cent. cub. d’eau acidulée aux 7 millièmes). Les 50 centimètres cub. du liquide conte- naient environ 0, gr. 260, c'est-à-dire 0,52 pour 100 d’acide. Une petite quantité d’albumine liquide, traitée par ce mé- lange pendant environ deux jours, à la température de 40, ne se montra #2 digérée ni modifiée: en effet, elle n'avait pas cessé d’être coagulable par la chaleur avant la neutra- lisation, d’où nous pouvons conclure qu'elle ne se serait pas précipitée par la neutralisation. Les autres réactions que nous avons faites sur le contenu de ce bocal, mettent hors (4) Voy. Leçon 19, pag. 42. TOME DEUXIÈME 5 66 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. de doute qu'il ne s'était pas même digéré une fraction, une trace de l'albumine liquide, mise en expérience. Essayons de nous rendre compte d’abord pourquoi cette albumine n’a pas été #odifiée. — La quantité absolue d’a- cide, qui se trouvait dans le liquide exposé pendant deux fois 24 heures à la chaleur de l’étuve, était sûrement suf- fisante pour modifier l’albumine, et nous avons mainte fois vu qu’un liquide acidulé an même degré, sans pepsine, mo- difiait l'albumine liquide en très-peu de temps. C’est donc dans la pepsine que nous devons chercher la cause de l’ab- sence de la modification. Est-ce à la densité de la pepsine ou à celle du liquide, en tant que dissolution albumineuse, qu'il faut attribuer l'inactivité de l'acide? — Non, car le li- quide n'était pas très-dense; il contenait peu d’'albumine, et nous avons vu des dissolutions albumineuses beaucoup plus concentrées se modifier, s’il n'y avait pas de pepsine, et se modifier encore, s’il y en avait et si les autres conditions de l'expérience étaient convenablement disposées. Ce dernier cas s’est même présenté à notre observation plus fréquem- ment que le premier. C’est donc la pepsine, en tant qu’agent spécifique, qui, dans ce cas, a dû empêcher l'acide d'agir sur l’albumine comme acide libre. Il s’en suit que la pepsine modifie par sa présence les propriétés de l'acide ou, ce qui revient au même, que la pepsine peut lier, vis-à-vis de l’al- bumine crue, une certaine quantité d'acide et l'empêcher d'agir comme acide sur l’albumine. Il y avait, dans le li- quide du bocal N°5, une quantité d’acide qui ne suffisait pas ou qui suffisait tout juste pour acidifier la pepsine, mais il n’y en avait pas un ezcès qui, étant libre, pût modifier l’albu- mine. Tout l'acide s'était donc réuni à la pepsine, pour former avec elle le corps qui sert à digérer. — La présence de ce corps dans le mélange N° 5 nous est démontrée par l’expé- rience N° 6, où nous avons eu exactement les mêmes propor- tions d’acide et de pepsine qu’au N°5, mais avec de l’albumine solide, laquelle albumine solide a été complètement digérée. VINGTIÈME LEÇON. 67 Mais pourquoi l’albumine du N° 5 n’a-t-elle pas été di- gérée, comme celle du N° 6, si les deux bocaux contenaient la même quantité du corps qui sert à digérer? A cela il peut y avoir deux causes: En premier lieu, l’albumine liquide, en se dissolvant dans le mélange digestif avant d’être digérée, a dû commu- niquer à ce mélange une densité plus grande. Cette aug- mentation de la densité, insignifiante, comme nous l’avons dit, pour la production de la modification acide, ne l’est pas pour l’activité du corps qui digère. Nous savons, par les expériences de Brücke, que si l’on ajoute de l’albumine li- quide à un mélange qui digère très-bien par lui-même, la présence de cette albumine ralentit la digestion, la rend plus difficile, bien qu'en général elle ne l'empêche pas tout- à-fait. Nous avons vu, en effet, que dans le bocal N° 2, qui contenait, il est vrai, 0,6 pour 100 d'acide, au lieu de 0,52, mais une quantité beaucoup plus grande d’albumine liquide et en revanche une quantité beaucoup plus petite d’infusion peptique, nous avons vu, dis-je, que dans ce bocal l’albu- mine était modifiée et montrait peut-être même un com- mencement de digestion. Dans ce cas, l'acide avait suffi non seulement pour former, avec la pepsine, le corps qui digère, mais il en était resté un excès qui avait modifié l’albumine. Si néanmoins la digestion, dans ce mélange, ne s'est montrée que rudimentaire, c’est que précisément la densité trop grande communiquée au liquide par l’albumine crue, en avait empêché les progrès. Pour expliquer le défaut de tout commencement de di- gestion dans le mélange N° 5, il faut donc recourir à une autre hypothèse, déjà émise par Meissner, et en accord avec les faits que nous connaissons jusqu’à présent, savoir: gue les corps albuminoïdes ne peuvent étre digérés que s'ils ont préalablement subi la modification qui les rend insolubles dans l’eau. — Pour que cette modification puisse avoir lieu, il est nécessaire que le liquide contienne un excès d’acide 68 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. libre: si cet excès manque, et si la pepsine s’est emparée de tout l'acide ajouté au mélange, il n’y a que les corps albuminoïdes solides qui puissent être digérés, parce qu'ils sont déjà insolubles; ceux au contraire qui sont /iguides et qui doivent d’abord devénir insolubles, se montrent réfrac- taires à la digestion. — En appliquant cette hypothèse aux expériences qui précèdent, nous arrivons encore une fois à la conclusion que la portion d'acide qui modifie l’albumine, n’est pas la même que celle qui, combinée à la pepsine, o- père la digestion, et qu'une certaine quantité d’acide est toujours, en quelque sorte, occupée, liée par la pepsine même. L'agent de la digestion est donc un corps produit par la réunion de l'acide avec la pepsine; la présence seule de l’a- cide (c’est-à-dire la réaction acide du mélange) ne suffit pas et la pepsine doit, jusqu'à un certain point, avoir modifié les propriétés de cet acide. S'il en est ainsi, une augmentation de l'acide, dans le li- quide N° 5, aurait suffi pour produire la digestion de l’al- bumine liquide. Un excès très-faible d'acide pouvait, comme nous le savons déjà, suffire à rendre l’albumine insoluble dans l'eau et à en faire commencer la digestion. Mais ce pre- mier obstacle vaincu, il en restait un second, celui qui ré- sultait de la densité communiquée au liquide par l’albumine en dissolution, dès le début de l'expérience. Il aurait donc fallu un excès plus grand, une seconde augmentation de l'acide, pour neutraliser ce second obstacle à la digestion. Le liquide N° 2, vous vous le rappelez, contenait de l’al- bumine crue et n'avait produit sur celle-ci qu'un très-faible commencement de digestion. Cependant les proportions d’a- cide et de pepsine, dans ce mélange, étaient exactement les mêmes que dans le mélange N° 1, lequel avait très-bien digéré l’albumine solide. — Dans l'expérience N°3, nous a- vons ajouté à un mélange composé exactement comme N°2, une seule goutte d'acide chlorhydrique, et la digestion de l'albumine liquide s’est montrée plus parfaite. Enfin un grand VINGTIÈME LEÇON. 69 excès d'acide, ajouté au même mélange N° 2, dans le vase N° 4, a rendu la digestion de l’albumine complète. — Dans le mélange N°5, nous avons essayé de remplacer l'excès d’a- cide par une augmentation de la pepsine; mais, d’après les explications qui précèdent, il n'aurait pas été difficile de prévoir le résultat de cette tentative. L’adjonction, à un liquide médiocrement acide, d’une forte proportion de pepsine, au lieu de rendre la digestion plus parfaite, devait, au con- traire, la retarder ou l'empêcher, s’il est vrai que la pepsine s'empare de l'acide qui doit rester libre pour modifier l’al- bumine. Cette expérience, si heureusement réussie, nous a donné en effet la digestion la plus faible de toute la série, et, malgré la présence d’une grande quantité de pepsine, l’albumine n’a été ni digérée, ni même modifiée. Ce sont des expériences analogues, faites occasionelle- ment par Meissner et suivies à peu de chose près des mêmes résultats que les nôtres, qui, dès 1858, ont servi d’argument à cet auteur pour défendre sa thèse d’un acide peptique com- plexe ou chlorhydropeptique, qui serait le véritable agent de la digestion. Ces expériences sont, en effet, les seules * qui puissent être invoquées à l'appui de l'hypothèse qui en- visage l’agent de la digestion comme une combinaison de l'acide et de la pepsine, et nous croyons qu’elles suffisent pour prouver que cette combinaison a réellement lieu; elles montrent que la pepsine acidifiée qui digère, n’est pas une substance contenant de l'acide libre avec toutes les pro- priétés que cet acide avait avant de se combiner à la pepsine. — Mais, ceci admis, nous ne pouvons pas aller plus loin ; nous ne sommes pas en droit de dire que la pepsine aci- difiée soit équivalente à un acide complexe, lequel acide complexe aurait la propriété de se combiner avec le corps à digérer de la même manière que les acides se combinent avec les alcalis, — et moins encore que la digestion ne soit autre chose qu’une dissolution dans cet acide hypothétique. — Je le répète, le produit de la digestion n’a pas les pro- 70 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. priétés d’un corps albuminoïde dissous dans un acide; et si nous voulions maintenir l'hypothèse qui admet cette disso- lution dans un acide peptique particulier, nous serions forcés d'attribuer à cet acide des propriétés tellement distinctes de celles de tous les autres acides, que notre supposition n'aurait pas la moindre valeur explicative, puisqu'elle ne rendrait l’acte de la digestion ni moins exceptionnel, ni plus facile à comprendre. Un autre fait dont nous devons la connaissance à Schwann, et que cet auteur a déjà fait valoir contre l'idée que le prin- cipe digestif soit un acide complexe particulier, c’est que, pendant la digestion, le degré d’acidité du suc gastrique artificiel, exactement déterminé par la saturation, reste sen- siblement le même: il n’y a donc pas d’acide seutralisé par la digestion. Depuis lors plusieurs auteurs ont déterminé avec la plus scrupuleuse exactitude la quantité de soude ou de potasse que demande, pour être exactement neutralisé, un volume donné de suc gastrique acide, avant et après la digestion, et, d’après ces expériences, que j'ai moi-même ré- pétées, je puis affirmer que la quantité d’alcali requise pour la saturation, ne diminue pas d’un cinquième de milligramme pour toute la durée de l’acte digestif. Si parfois dans mes expériences, les déterminations faites avant et après la di- gestion montraient de très-légères différences, ce n’est pas toujours agrès l'acte digestif que la saturation demandait une quantité moindre d’alcali; ainsi, plusieurs déterminations consécutives me donnèrent une différence d’un huitième ou d’un dixième de milligramme; mais cette différence était en faveur tantôt de la première détermination, faite avant la digestion, tantôt de la seconde faite après. Ce résultat s'obtient avec une constance parfaite, si, pour aciduler le liquide peptique, on se sert d’acide phosphorique, sulfurique ou lactique. Quant aux acides chlorhydrique et acétique, ils montrent un peu plus souvent une très-légère diminution, après l’accomplissement de l'acte digestif, pro- Te | VINGTIÈME LEÇON. 71 bablement parce qu’il s’en évapore une trace pendant le sé- jour des bocaux à l'étuve. — Valentin et Purkinje avaient déjà démontré que presque tous les acides peuvent servir à aciduler le suc gastrique artificiel, et j'ai confirmé ce fait en 1852. Plus tard il a été mis en doute et quelques auteurs ont prétendu que l'acide chlorhydrique et l'acide lactique étaient les seuls aptes à former un bon liquide digestif. Actuel- lement on reconnaît généralement que cette opinion est er- ronée et que la plupart des autres acides fournissent des liquides digestifs non moins actifs, pourvu que l’on prenne soin d'en modifier convenablement les proportions. Or, s’il existait un acide complexe, formé par la combi- - naison de la pepsine et de l’acide, il est plus que probable que cette combinaison varierait pour les différents acides, selon leurs équivalents et en raison de leur capacité de sa- turation. Mais les légères différences que présentent les di- vers acides, quant aux proportions dans lesquelles ils en- trent dans la combinaisoh peptique, ne sont nullement de nature à rappeler les rapports qui existent entre leurs équi- valents de poids et de volume. Contentons-nous, pour le moment, de formuler nos ré- sultats en ce sens: que le principe digestif n’est pas la pepsine seule, qui peut au contraire, comme vous l'avez vu, empêcher la digestion, mais la pepsine acide. Et en disant pepsine acide, nous n’entendons nullement préciser le ca- ractère de cette combinaison. Rappelons-nous que rien ne nous autorise jusqu'ici à envisager cette combinaison comme un acide particulier, supposition dépourvue de toute ana- logie et qui, même si elle venait à se confirmer, ne ferait avancer en rien notre connaissance du procès intime de la digestion. VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. Sommaire: De la pepsine. — La pepsine n’est pas connue à l’état de pureté. — Procédes de purification de Schwann, de Wasmann , de Brücke. — La pepsine paraît ne pas être une substance azolée. — Évaluation comparative du pouvoir digestif de deux liquides pep- tiques. — Les quantités d’albumine digérées par deux liquides peptiques, peuvent-elles servir de mesure du pouvoir digestif de ces deux liquides? — Expériences démontrant que dans un volume égal de liquide il se digère en général d'autant plus d’albumine, que ce liquide contient plus de pepsine, dans un état suffisamment délayé. — Exceptions apparentes de cette règle. — Proportionnalité directe entre les quantités d’albumine digérées et les quantités de pepsine qui digèrent , dans les liquides digestifs délayés dans la quantité la plus favorable d'eau acidulée, — Même proportionnalité, démontrée dans différents liquides digestifs, délayés en proportions égales et maintenus au même degré d’acidité. — Méthode comparative de Brücke. — Critique de cette méthode. — La pepsine agit-elle par simple contact, sans se détruire par la digestion? — Expérience de Brücke. — Critique des con- clusions de Brücke. — Expériences de l’auteur, démontrant que la pepsine se détruit par la digestion. Messieurs , Après avoir traité des fonctions chimiques et de l'utilité de l’eau et de l’acide du suc gastrique artificiel, il nous reste à étudier, au même point de vue, le troisième des éléments essentiels de ce suc, /a pepsine. Et d’abord, sait-on ce qu'est la pepsine à l’état de pu- reté? Est-il possible d’iso/er la pepsine? Depuis les temps de Schwann et de Wasmann qui,les premiers, ont cherché à résoudre ce problème, plusieurs méthodes ont été essayées pour retirer du suc gastrique artificiel le principe digestif et pour le débarrasser des matières albuminoïdes non pep- tiques que l’eau acidulée extrait, avec la pepsine, de la mu- queuse stomacale; mais, comme nous le verrons bientôt, A. VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 73 aucune de ces méthodes n’est apte à fournir une prépa- ration absolument pure. Le procédé de Schwann, modifié par Wasmann, et notablement perfectionné, dans ces derniers temps, par Corvisart et Boudault, n’aboutit guère qu’à éloigner de l’infusion acide de la muqueuse stomacale une certaine quantité de matières inertes; le résidu liquide, concentré au bain-marie, possède, il est vrai, des propriétés digestives très-énergiques, mais on n’a aucune garantie de la pureté de ce produit, qui peut renfermer encore une no- table quantité de substances étrangères à la pepsine. Les nouvelles recherches de Brücke, qui vont nous occuper in- cessamment, ont fourni la preuve péremptoire que toutes les préparations obtenues par les anciens procédés, étaient plus ou moins mélangées de matières albuminoïdes, non peptiques. L'analyse de la pepsine, « purifiée» à l’aide des procédés de Schwann et de ses successeurs, avait fait regarder cette substance comme un corps azoté, très-voisin des corps al- buminoïdes. Si l’on considère que ces sortes de préparations contiennent toujours, à côté de la pepsine, une certaine proportion de substances animales, extraites de la muqueuse de l'estomac, il y aurait lieu de s'étonner si les réactifs chimiques n’y avaient pas constamment révélé l'existence d’un corps albuminoïde, ou voisin des corps albuminoïdes. Seulement a-t-on eu raison d'attribuer ces réactions à la pepsine ? E. Brücke (1), à l’aide d’un procédé nouveau, a réussi à isoler plus complètement le principe actif du suc gastrique. Son procédé est fondé sur la propriété de la pepsine, d’ad- hérer aux corps finement divisés, et d’être entraînée avec certains précipités que l’on produit dans les solutions pep- tiques. On la sépare ensuite de ces précipités, en dissolvant ceux-ci dans des liquides qui ne dissolvent pas la pepsine. Après quelques tâtonnements, voici par quelle méthode (1) Baücxe. Beilrâge zur Lebre von der Verdauung. (Moleschotl's Untersuchg. 1861); 74 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. l’auteur a obtenu la préparation relativement la moins mé- langée de matières étrangères. On infuse la muqueuse stomacale dans de l'acide phos- phorique dilué et l’on digère à 38° c. jusqu'à ce que la muqueuse commence à se séparer en petits fragments, et jusqu’à ce que le liquide filtré ne contienne plus d’albumine précipitable par le ferro-cyanure de potassium. A cette in- fusion on ajoute de l’eau de chaux, presque jusqu’à satu- ration, mais sans neutraliser complètement, et l’on filtre. On exprime tout le liquide contenu dans le précipité de phosphate de chaux et l’on constate que ce liquide, acidulé de nouveau, ne montre que de faibles traces de pouvoir di- gestif, tandisque le précipité calcaire, redissous dans l'acide chlorhydrique dilué, fournit un liquide qui même fortement étendu d’eau, digère très-énergiquement. Brücke en conclut que le phosphate calcaire, en se déposant, en- traîne avec lui la pepsine, et il cite une autre expérience qui rend assez probable que la pepsine reste mécaniquement adhérente aux particules du précipité, sans former de com- binaison chimique avec le sel de chaux (1). Le liquide à qualités peptiques énergiques, obtenu par la dissolution du précipité calcaire, ne montre qu'à un très- faible degré la réaction jaune caractéristique que les corps albuminoïdes donnent avec l’acide nitrique et l’'ammoniaque. Au contraire le liquide presque inerte qui a été séparé du précipité calcaire par la filtration et par la presse, montre cette réaction d’une manière très-prononcée, preuve que le premier de ces liquides, incomparablement plus riche en (1) L'auteur a vu le même effel se produire avec le charbon animal finement divisé. Secouée avec de la poudre de charbon et filtrée, une solulion peptique ne montra plus de traces de pouvoir digestif. Brücke démontre que ce défaut de pouvoir digestif est uniquement dû à l'absence de la pepsine, restée adhérente à la poussière de ‘charbon; car, après l’adjonction d'une petite quantité de pepsine fraîche, le liquide filtré recom- mence à digérer normalement. — On se rappelle que Stas, il y a 20 ans déjà, s'est servi d'un procédé analogue pour isoler cerlaines matières alcaloïdes, en secouant les dis- solutions qui les contenaient, avec de la poudre de charbon. VINGT-ET-UNIÈME LECON. 75 pepsine que le second, contient beaucoup moins de matières albuminoïdes que ce dernier et que n’en contenait l’infusion stomacale elle-même. Brücke répète encore une fois sur la dissolution peptique l'opération que nous venons de décrire: précipitation par l'eau de chaux; dissolution du précipité de phosphate, pré- alablement exprimé, dans l’acide chlorhydrique dilué; filtra- tion. Ce liquide acide contient la pepsine qu'il s’agit de séparer des sels de chaux. Le moyen choisi par Brücke pour arriver à ce but, est celui-ci: Il prépare une dissolution de cho- lestérine dans 4 d’alcool et 1 d’éther; puis ilintroduit dans le fond du flacon qui contient le liquide acide peptique, un entonnoir à long col par lequel il verse la dissolution de cholestérine. La cholestérine est précipitée en formant une masse blanchâtre bourbeuse qui gagne la surface du liquide en entraînant avec elle le principe digestif. On agite le mélange pour faire adhérer plus intimement encore la pep- sine au précipité, et l’on filtre. Le filtre est lavé d’abord avec de l’eau contenant un peu d'acide acétique, puis avec de l’eau distillée. On lave jusqu’à ce que l’eau qui filtre ne contienne plus de traces d’acide chlorhydrique. La choles- térine encore humide qui reste sur le filtre et à laquelle adhère la pepsine, est transvasée dans un flacon, dans le- quel on verse de l'éther, secoué préalablement avec de l’eau distillée pour l'obtenir pur de tout mélange d’alcool. L'éther dissout la cholestérine, et surnage à l’eau qui était restée adhérente au précipité. Cette eau contient en outre un petit reste de matière muqueuse, probablement précipitée par l'alcool et entraînée avec le précipité de cholestérine. Après avoir bien secoué avec de l’éther, on décante; on en ajoute encore, et ainsi de suite jusqu’à épuisement complet de la cholestérine. Il ne reste enfin au fond du flacon qu’un liquide trouble muqueux , recouvert d’une dernière couche d’éther qu’il est impossible d’en décanter et qu’on laisse évaporer à l'air. On filtre pour séparer la matière muqueuse 76 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. et l’on obtient un liquide limpide, à réaction parfaitement neutre, qui, acidulé de nouveau, digère très-énergiquement. Brücke, en ajoutant une seule goutte de ce liquide à 5 cent. cub. d’eau acidulée (contenant 0,001 d’acide chlorhydrique) vit un flocon de fibrine y disparaître complètement en une heure environ. Eh bien, ce liquide qui, à n’en pas douter, était très-riche en pepsine, ne donna pas à Brücke certaines réactions qui jusqu'alors avaient été regardées comme caractéristiques des dissolutions de pepsine « purifiée ». L’acide nitrique concentré, la teinture d’iode, et le tannin n’y produisaient pas le moindre trouble, preuve que la pré- paration ne contenait plus de traces appréciables de corps albuminoïdes. Elle n’était pas précipitée par le bichlorure de mercure. Cependant, la plupart des auteurs qui jusqu'alors avaient préparé ou analysé la pepsine, citaient ce sel au nombre de ceux qui précipitent le principe digestif de ses dissolutions. Le nitrate d'argent communiquait au liquide une faible opalescence que l’ammoniaque faisait promptement dispa- raître et qui provenait probablement de ce que des traces de chlorures étaient restées adhérentes au précipité de cho- lestérine. Le chlorure de platine produisait un trouble évident. Les acétates de plomb, basique et neutre, précipitaient fortement. « Mais, ajoute Brücke, ce liquide, quoique très-actif, con- « tenait peut-être si peu de pepsine qu’il n’était plus pos- « sible de la reconnaître par les réactifs chimiques ordi- « naires; rien ne prouve, en effet, que la pepsine ne puisse « continuer à manifester son action, même en quantités « extraordinairement petites ». Cette objection, qui, à l’auteur, paraît suffisamment justifiée, perd cependant beau- coup de son importance si l’on considère que Brücke ca- ractérise lui-même sa préparation purifiée de pepsine comme VINGT-ET-UNIÈME LECON. tri «pouvant rivaliser avec les liquides peptiques les plus éner- giques qu'il ait jamais eus entre les mains». On se rap- pelle d’ailleurs que déjà le premier liquide, à propriétés peptiques énergiques, obtenu par la dissolution du préci- pité de phosphate de chaux, ne montrait plus qu’à un très- faible degré la réaction jaune avec l’acide nitrique et l’am- moniaque, tandis que le liquide filtré, à peu-près dépourvu de pouvoir digestif, donnait cette réaction très-fortement. Il est donc bien certain qu’au moins une des réactions ca- ractéristiques des corps albuminoïdes peut manquer presque complètement dans un liquide peptique non encore délayé par de nombreux lavages successifs. Cet ensemble de faits rend excessivement probable que la pepsine doit être exclue du groupe des substances albu- minoïdes. C’est l’opinion vers laquelle tend Brücke et qui nous paraît suffisamment justifiée par ses intéressantes ex- périences. Nous sommes même tenté d'aller plus loin et de considérer la pepsine comme un corps non azoté. Déjà avant la publication des recherches de Brücke, nous avions émis cette conjecture, en nous fondant sur le fait que si l’on introduit dans la circulation, directement ou indirec- tement, un corps non azoté, {a dextrine, on voit augmenter très-considérablement la quantité de pepsine qui, du sang, filtre dans les tuniques stomacales. Si, malgré notre sup- position, il venait à être démontré par d’autres recherches que la pepsine est une substance quaternaire, il faudrait supposer (et nous sommes loin de nier cette possibilité) que la dextrine, pour faire sécréter le principe digestif à l'estomac, doit préalablement se combiner dans le sang à d’autres substances azotées. Le but principal en vue duquel ont été instituées la plu- part des expériences sur la pepsine, dont j'ai à vous entre- tenir dans cette leçon, a été celui-ci: Déterminer quantitativement, si possible, la relation exis- tant entre le pouvoir digestif d’un liquide et celui d’un 78 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. autre liquide préparé avec le même extrait peptique, mais en proportions différentes; ou bien, — recherche importante surtout au point de vue pratique, — comparer le pouvoir digestif de deux ou de plusieurs infusions stomacales, pré- parées de la même manière, en opérant sur des fractions connues et proportionnellement égales de ces différentes infusions. Pour cette recherche je n’ai pu, comme vous allez le com- prendre tout-de-suite, appliquer aucune des méthodes que je viens de vous décrire, pour préparer ou pour isoler la pepsine, puisque ni le procédé de Wasmann ni celui de Brücke ne permettent d'extraire {oute la pepsine contenue dans une infusion stomacale. Ces méthodes m'auraient tou- jours exposé à en perdre une grande partie, et dès lors il n’y aurait plus eu de comparaison possible. Ainsi, comme il n'existe pas de moyen pour mesurer directement les quan- tités de pepsine contenues dans différents liquides donnés, on est forcément réduit à évaluer ces quantités indirecte- ment, par les effets qu’elles produisent. Nous examinerons plus tard quels sont, parmi ces effets, ceux qui sont le plus aptes à nous donner une mesure réelle du pouvoir digestif et ceux dont l’observation importe surtout au point de vue comparatif, Bornons-nous, pour le moment, à étudier la ma- nière dont ces recherches doivent être conduites, pour a- boutir à des résultats comparables. Voici la méthode que j'ai suivie pour la plupart des expé- riences de cette catégorie. Je commençais par détacher de l’estomac, préalablement lavé à grande eau, la portion de la muqueuse qui seule porte des glandules peptiques (nous verrons que la petite portion, dépourvue de glandes pepti- ques, ne possède pas de pouvoir digestif); puis j'infusais la muqueuse dans une quantité mesurée d’eau. La quantité d’eau variait, mais était toujours assez grande pour neutra- liser en partie, et, d’une manière suffisante pour notre but l'effet nuisible des matières étrangères à la pepsine. Presque VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 79 jamais je n’ai pris la quantité Za plus favorable d'eau, quan- tité qui, comme vous le savez, ne peut être déterminée qu’à la suite d’une série de manipulations qui sont très-incommodes et demandent beaucoup de temps. Il ne s'agissait pas, en effet, dans ces recherches essentiellement comparatives, de déterminer le maximum du pouvoir digestif d’une ou de plu- sieurs infusions stomacales données, mais il suffisait d’ob- tenir des liquides peptiques qui fussent comparables entre eux, s'ils provenaient d’estomacs différents; ou bien encore de rendre un liquide peptique quelconque suffisamment ho- mogène, pour que des volumes égaux de ce liquide fussent équivalents entre eux, au point de vue de leur pouvoir di- gestif. — Comme ce but pouvait être atteint par un pro- cédé plus simple, je me suis dispensé d’appliquer une mé- thode qui, il est vrai, donne des chiffres plus élevés, mais qui, sans fournir en fin de compte des résultats sensiblement plus proportionnels, demande 4, 5 et même 10 fois plus de temps pour chaque expérience. Il suffira de rappeler qu’une infusion stomacale, délayée dans une quantité donnée d’eau, n’atteint son maximum d'activité qu’au bout de 12 ou de 15 jours et quelquefois même plus tard, attendu que l’eau acidulée n’extrait qu'avec une lenteur extrême les dernières traces de pepsine contenues dans la muqueuse infusée à froid. Je n’ai pas jugé nécessaire de laisser toujours s’écouler un temps si long jusqu'au commencement des digestions artificielles; mes moyens d’ailleurs n'auraient pas suffi à faire un assez grand nombre d'expériences aussi compliquées. Pour la plupart des recherches dont il va être question, Je me contentais d’infuser la muqueuse stomacale dans une quantité d’eau acidulée qui ne dépassait pas 500 à 600 gram- mes, et de laisser reposer l’infusion pendant 5 ou 6 jours, avant de la mettre en activité. — J’ai procédé d’une ma- nière plus expéditive encore dans une autre série d’expé- riences dont j'aurai à vous parler plus tard, lorsque nous étudierons l’action des substances peptogènes. Dans ces 80 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION, expériences où il s'agissait de comparer entre elles les quan- tités d’albumine pouvant être digérées par les infusions de l'estomac entier de deux animaux, afin d'arriver rapide- ment à une évaluation approximative de leur richesse en pepsine, — dans ces expériences, dis-je, j'infusais les mu- queuses stomacales dans une quantité d’eau acidulée de 100 ou de 200 grammes seulement, et j'attendais tout au plus 1 à 2 heures, avant de mettre les infusions en activité. Il est vrai que pendant ce temps si court, je hâtais l'extraction de la pepsine, en plaçant les infusions, pendant une heure au moins, à l’étuve. Cette méthode qui, comme vous le pres- sentez, donne un extrait peptique relativement très-peu sa- turé, c’est-à-dire qui est très-loin de pouvoir digérer la moitié ou même le quart de l’albumine qu’il digérerait s’il était convenablement préparé, peut néanmoins être utilisée lorsque les deux estomacs que l’on veut comparer, ont appartenu à des animaux semblables et ont été traités exactement de la même manière. Mais avant de pouvoir nous occuper des applications de cette méthode en général, nous avons à examiner si le prin- cipe sur lequel elle est fondée, peut être justifié ou non par l'expérience. Sommes-nous autorisés à admettre, comme nous venons de le faire implicitement, qu'une quantité plus grande de pepsine est douée d’un pouvoir digestif plus grand, c’est- à-dire, digère plus d’albumine qu'une quantité moindre? Ou, pour nous exprimer plus rigoureusement, la digestion d’une quantité plus grande d’albumine peut-elle nous indiquer la présence d’une quantité plus grande de pepsine, si cette différence est observée dans deux expériences comparatives, dont toutes les autres conditions ont été parfaitement iden- tiques? — Il est clair que ceux qui envisagent la pepsime comme une substance agissant par simple contact, seront tout disposés à nier qu'il y ait, en règle générale, une re- lation entre la quantité de pepsine et la quantité d’albumine que cette dernière peut digérer. Mais si, par l’expérience, (w) l nous parvenions à démontrer que cette relation existe, nous aurions à nous demander encore si cette relation est directe et proportionnelle; si, étant donné une quantité double de pepsine , il y a aussi digestion d’une quantité double d'’al- bumine, pourvu, bien entendu, que toutes les autres con- ditions restent relativement les mêmes. Vous comprendrez tout-à-l'heure l'importance de cette recherche qui, à beaucoup d’entre vous, au premier abord, pourrait paraître oiseuse et même triviale. Voici quelques expériences relatives à ce sujet. L’estomac d’un chien, tué en digestion, est infusé dans 200 grammes d’eau acidulée aux deux millièmes (acide phos- phorique). On laisse reposer l’infusion pendant deux jours. Au bout de ce temps, on prend un volume arbitraire de linfusion peptique et on l’ajoute à 100 grammes d’eau, aci- dulée également aux deux millièmes (ac. phosph.). — Puis on prend 2, 4, 6 fois ce volume d'extrait peptique, que l’on ajoute à la même quantité de 100 gr. d’eau acidulée. Nous avons 5 bocaux, chacun avec 100 grammes d’eau acidulée: VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. Ces quantités digèrent, à l'étuvè, en 36 heures Albumine cuite. À contient 1 vol. de liq. peptique . 18,7 B:51-41444 2 id. . 28,5 Carrie" 4 id. .; 44 DÉETNME 6 id. . 4 LORS 6 MT id. . 4 Une autre expérience semblable donne: À contient 1 vol. de liq. peptique et digère:. . 4,20 album. cuite BE id, "2 id. id. 1 1619 id. Une autre expérience, faite avec l’infusion d’un estomac de chat, donne, toujours avec la même quantité d’eau: 1 vol. de liquide peptique digère (avec eau): 8,15 album. cuite 2 id. digèrent id. 11,31 id. 4 id. id. id. 15,92 id. 8 id. id. id. 23,4 id. TOME DEUXIÈME 6 82 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Autre expérience. Pepsine de chat: 1 vol. d'extrait peptique digère: . . . . 5,48 id. 2 id. digèrent: . . . ‘7,59 id. 4 id. id. JUS) PAMELER id. 6 id. id. At 2 ARS id. Les deux expériences suivantes ont été faites avec de la pepsine liquide et très-concentrée (1), qui m'a été donnée par M. Boudault, dont l’aide bienveillante m’a été d’une très- grande utilité dans la plupart de ces recherches. Pepsine Albumine digérôe 1 vol. | 3,17 2 id. | mélangés avec 80 grs. d’eau aci- 5,29 3 id. \ dudée (ACL): TL RE 6,75 4 id. 8,82 Autre expérience, avec des volumes plus grands de pep- sine liquide, et de l'eau acidulée à l'acide phosphorique. Pepsine Albumine digérée LivOb ee pre 0 Sc ESSOR AIO MO RE da due NES A Le désert ET ARESESS 1 À 6 PE A er RS PR RE PA NT A Ar EU ER ee RERR CRE AUDE Cas sie Dans toutes ces expériences, on ne déclarait pas la di- gestion terminée à temps fixe, mais on attendait que, pen- dant 2 heures au moins, il n’y eût plus de diminution vi- sible de l’albumine. Dans toutes les expériences, sauf les deux dernières, quand la digestion ne faisait plus de progrès pendant 2? heures, on ajoutait une goutte d'acide et l’on at- tendait de nouveau l'arrêt de la digestion qu’on ne déclarait terminée que lorsque l'acide restait inactif. On voit, d’après tout ce qui précède, qu'il y a plus d’al- bumine digérée, quand il y a plus de pepsine; mais nos chiffres sont bien loin d'indiquer une proportionnalité directe (1) C’est l'eau-mère qui, concentrée au bain-marie et quelquefois mélangée avec de l'a- midon, sert à la préparation de la pepsine du commerce. VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 33 entre les quantités de pepsine et les quantités d’albumine digérée, proportionnalité à laquelle du reste, d’après tout ce que nous avons dit dans la dernière leçon, il serait irra- tionnel de s’attendre. — Mais quelle est la cause de la grande différence qui existe dans ces séries entre l’augmentation géométrique ou arithmétique de la quantité de pepsne et l'augmentation en apparence très-peu régulière de la quan- tité d’albumine digérée, différence qui persiste même dans celles des expériences où l’on a ajouté de l’acide, quand l’action du suc gastrique artificiel est devenue trop lente ou s’est arrêtée ? Cette cause paraît être double et il ne nous sera pas dif- ficile de la déduire des principes établis dans la dernière leçon. D'une part la pepsine ou l'extrait peptique liquides qui ont servi à nos expériences, n'étaient jamais purs; toute augmentation de la pepsine devait donc augmenter la densité du liquide, le charger davantage de matières organiques, en grande partie albuminoïdes. — Voilà une première cause qui, comme nous le savons, tend à _affaiblir l’action digestive et qui ne peut être combattue qu’impar- faitement par une augmentation de l'acide. — Dans nos expériences cependant, cette cause d’affaiblissement n’a pas prévalu, puisque de fait un volume double ou triple de pepsine digérait plus d’albumine qu’un volume simple. En ajoutant plus d'extrait peptique, nous obtenions un liquide plus actif; il se dissolvait donc dès le commencement plus d’albumine et la matière dissoute, plus volumineuse, devait contribuer, de son côté, à augmenter la densité du mélange, et partant aussi à ralentir la digestion. — Dans certains cas, ces deux causes peuvent aller jusqu'à produire l'effet inverse de celui que devrait, en apparence, produire une augmentation du principe digestif; c’est lorsque l’infusion stomacale est très- chargée de matières albuminoïdes non peptiques. En d’autres termes, il n’est pas impossible de donner à l'extrait peptique un degré de concentration tel que l’action digestive soit, au 84 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. moins dans un temps donné, moins énergique que celle du même extrait peptique, délayé dans plus d’eau. C’est ainsi du moins que nous pourrions nous expliquer une expérience faite, il y a longtemps déjà, par Schwann (1). Schwann expérimente sur un liquide peptique qu'il fait agir, d'abord pur et concentré, puis en 5 dilutions de plus en plus faibles, sur de l’albumine cuite. Voici quelles sont les proportions de ces 6 mélanges: A contient un vol. de liquide peptique pur et concentré. B id. ,dans un même volume, 8 pour 100 de ce liquide peptique. Gad. id. 4 id. id. D id. id. Le AE id. E id. id. 1/2 id. id. LA KE À id. 1/4 id. id. Après 12 heures de digestion artificielle, l’albumine se trouve en grande partie liquéfiée en B et en C. La digestion est moins avancée en B qui contient encore quelques restes d'al- bumine. En D, l’albumine est ramollie, transparente, mais non dissoute, et en A, qui contient la plus forte proportion de pepsine, la digestion n’est pas plus avancée qu’en D qui ne renferme pourtant qu'un centième de la pepsine contenue dans A. En E, l’albumine est un peu transparente et légè- rement ramollie; en F, il y a également un léger commen- cement de digestion, mais moins prononcé encore qu'en E. Dans une autre expérience, Schwann a obtenu un résultat presque semblable. J'ai observé des faits analogues, en opérant sur des in- fusions stomacales qui avaient été faites dans des quantités très-faibles d'eau. Lorsque p. ex. je ne prenais que 80 gr. d’eau, pour infuser un estomac entier de chat, ou seule- ment 60 gr. pour infuser un estomac entier de lapin, j'ai vu plusieurs fois qu’un volume de ces infusions concen- trées digérait beaucoup moins bien que le même volume délayé dans une triple quantité d'eau, même si j’aidais la (2) Scawann. Ueber das Wesen des Verdauungsprocesses. Müller's Arch. 1836. VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 85 digestion du premier liquide concentré, chaque fois qu'elle s'arrêtait, par l'addition successive de nouvelles gouttes d'acide. Il m'est arrivé même d'observer ce fait sur l’in- fusion d’un estomac de chien, faite dans 160 gr. d’eau. Il est vrai que l’animal auquel avait appartenu cet estomac, était d'une taille extraordinaire et que le liquide peptique, préparé avec la quantité indiquée d’eau, avait la consistance d'un sirop. Remarquez que dans les expériences que je vous ai com- muniquées, j'ai toujours évalué toute la quantité d’albumine que l'extrait peptique était réellement capable de digérer dans une quantité déterminée d’eau; tandis que Schwann se contentait d'évaluer ce qui était dissous après un certain temps. Mais si ces expériences, faites avec une quantité limitée et relativement très-petite d’eau, ne m'ont pas permis de constater une proportionnalité entre la quantité de pep- sine mise en activité et la quantité d’albumine digérée, en revanche dans d’autres expériences, faites avec des quan- tités d’eau très-grandes, cette proportionnalité s’est montrée de plus en plus distincte, au fur et à mesure que j'ap- prochais de la dilution que nous avons appelée la plus favorable. Plus la dilution était voisine de ce degré «le plus favorable, » plus aussi, dans des volumes égaux d’eau, la quantité d’albumine digérée devenait proportionnelle aux quantités employées de liquide peptique, sans que jamais cependant le rapport direct fût exactement atteint. Dans une seule expérience j'y suis presque arrivé: Estomac de chat, infusé dans 22 litres d’eau (d’après la méthode de fractionnement indiquée dans la dernière leçon). j : Albumine À. 1 vol. de l’infusion, dans 20 cent. cub. d’eau, contenant 1 millième d'acide chlorhydrique, digère 3,25 B. 1/2 id. id. dans 20 cent. cub. d’eau, contenant 1 millième d'acide chlorhydrique, digère 1,64 C. 1/2 id. id, dans 40 cent. cub. d’eau, contenant 1 millième d’acide chlorhydrique, digère 0,7 86 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Le volume de liquide peptique, dans ce cas, était assez considérable, et égalait environ 20 cent. cub. On a choisi cette proportion, parce que l’estomac était déjà délayé dans la quantité considérable de 22 litres d’eau, quantité qui, du reste, était encore de beaucoup inférieure à ce que nous avons appelé la quantité d’eau la plus favorable, puisqu’un demi-volume de l’infusion stomacale supportait encore, dans l'expérience B, une dilution à-peu-près quadruple, sans qu'il y eût affaiblissement de l’action digestive (1). Si l’on com- pare les chiffres correspondant à l'albumine digérée par A et B, on trouvera même que B a digéré relativement plus que A. — Dans C, en revanche, la quantité d’eau la plus favorable a été de beaucoup dépassée, et l'excès d’eau a affaibli la digestion de plus de moitié. Ce degré d’eau correspondrait en effet à la dilution énorme d'environ 176 litres pour l’estomac entier. — On voit, d’après ces expé- riences, qu'aux limites de la dilution «la plus favorable », les causes perturbatrices de la digestion perdent de plus en plus de leur influence, parce que la densité du liguide ne subit plus d'oscillations appréciables par la présence des produits digestifs. Il suit de là que l’on arriverait probablement à des chiffres presque directement proportionnels, entre le volume de la pepsine mise en action et celui de l’albumine digérée, si, en augmentant la pepsine, on pouvait diminuer proportion- nellement la densité du liquide, en lui maintenant toutefois le même degré d’acidité. Ces conditions, disons-le d'avance, sont assez difficilement réalisables. Voici, p. ex, comment on pourrait procéder dans des expériences comparatives de ce genre. On déterminerait d’abord la quantité d’albumine X, pouvant être digérée par 1 volume de liquide peptique. 2 volumes du même liquide peptique sont égaux à 2 fois la (1) Il est probable que, dans le liquide B, la quantité d’eau la plus favorable a été déjà de beaucoup dépassée et que la force digeslive, par cette circonstance, s’est trouvée diminuée, par rapport au maximum possible, VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 87 quantité de pepsine et d’eau, contenues dans le volume 1: ces deux volumes doivent donc digérer 2 X d'albumine, si nos prévisions sont justes. Malheureusement X n’est pas connu d'avance, et il faut, pour le trouver, ajouter peu-à- peu de petites proportions d’albumine, jusqu'à ce que plus rien ne se dissolve. Nous ne pouvons pas, dès l’abord, ajouter une grande quantité d’albumine, attendre la fin de la digestion et puis acidifier de nouveau, car de cette ma- nière nous dérangerions les proportions initiales du liquide qu'il s’agit de doubler exactement dans l'expérience IT. Autre difficulté: si nous déterminons d'avance et séparément le pouvoir digestif du liquide I, détermination qui n’exige guère moins de 2 jours d'observation, nous perdons l’avan- tage de faire simultanément, à la même température, les deux digestions artificielles comparatives; la composition du liquide peptique primitif pourra changer; en un mot, il sera presque impossible de se remettre exactement dans les mêmes conditions. On est donc forcé de commencer les deux expériences en même temps et de mener les deux obser- vations de front. Pour cela, on ajoute d'emblée aux deux liquides (contenant 1 et 2 volumes d'extrait peptique) une petite quantité À d’albumine, et l’on met à l’étuve, en re- muant souvent. Lorsque A est dissous, on ajoute une seconde quantité d’albumine , et ainsi de suite, jusqu'à ce que le mélange I ait cessé de digérer. Les adjonctions successives d’albumine sont continuées simultanément dans le mé- lange II, jusqu'à ce que ce mélange aussi ait cessé de digérer. — Mais la quantité À d’albumine fraîche, qui se digère entièrement dans I et dans II, contient elle-même, à côté d’un poids donné d’albumine sèche, un poids environ 7 fois plus grand d’eau. Cette eau vient s’ajouter au volume du liquide I, et, comme le liquide II doit contenir exactement deux fois ce volume, il faut, pour rétablir la proportionnalité, ajouter à II un surplus d’eau, égal à la quantité d’eau con- tenue dans À d’albumine. — La même correction est appliquée 88 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. à toutes les adjonctions suivantes d’albumine. — Supposons que nous ayons un troisième liquide peptique C, égal à 3 fois le volume du premier, on procéderait de même, mais on ajouterait chaque fois la double quantité d’eau supplé- mentaire, calculée d’après le pour 100 d’eau de l’albumine. — On prévoit que ces adjonctions supplémentaires d'eau diminueront l'acidité des liquides B et C, sans qu'une cor- rection exacte soit possible; c'est pourquoi, ici encore, on ne pourra pas s'attendre à une proportionnalité parfaite des résultats. J'ai fait, d'après cette méthode, l'expérience suivante, qui m'a donné un résultat assez satisfaisant : Estomac de lapin, infusé dans 200 gr. d'eau acidulée. Après 2 jours on prend: à 3 4 gr nn DE À chacun de ces liquides on ajoute 8 gr. C_ 60 ef d’albumine cuite, et l’on met à l’étuve. La dissolution de l’albumine, dans les trois bocaux, va de pas égal, et après 2 heures, l’albumine est digérée presque en totalité. On retire les bocaux de l’étuve et on les y remet après 3 1/ heures. Auparavant on ajoute à tous trois 12 gr. d’albumine. En outre on ajoute à B et C les quantités d’eau supplémentaires, calculées d’après le pour 100 d’eau des 20 gr. d’albumine, mis en digestion, savoir: à B: 17 gr. d’eau (non acidulée) à C:%4 id. id. 1 1/2 heure plus tard, À n’a presque rien dissous des 12 gr. ajoutés en dernier lieu. Dans B restent environ 4 gr. C a tout dissous; et l’on ajoute encore 5 gr. d’albumine. On remet à l'étuve. Dix heures plus tard la digestion paraît avoir cessé dans les trois bocaux. Elle n’a pas fait de nouvaux progrès appréciables dans À ni dans B; dans C il reste à peine un demi-gramme d’albumine. On attend encore 6 heures et rien ne change plus: donc la digestion est arrêtée. La couleur, la consistance, le poids spécifique des 3 VINGT-ET-UNIÈME LECON. 89 liquides présentent une identité parfaite. Les quantités d’al- bumine digérées par chacun d'eux et exactement déter- minées, se répartissent comme suit: À a dissous , . . . . . . . gr. 8,25 B id. nd Te uen CET GiDEy -itane T 0 3 AU Dans une autre expérience, instituée sur le même plan, j'ai obtenu: À. 20 gr. liquide peptique, dissolvent: 91/3 gr. d’albumine B. 40 id. id. 21 id. C. 80 id. id. 4 (1) Je pourrais augmenter cette liste d'expériences ayant rapport au même sujet; mais voilà bien assez de chiffres. Le résultat de la dernière expérience dont l’exécution a été très-compliquée et très-laborieuse, est trivial à force de simplicité. Personne ne doutera, je suppose, que si l’on prend deux volumes égaux de la même infusion stomacale, récemment préparée, ces deux volumes ne digèrent, dans les mêmes circonstances, presque exactement la même quan- tité d'albumine. Ce que nous venons de prouver n’est autre chose que ceci: c’est que ces deux infusions égales con- servent leur égalité d'action, même si elles sont contenues dans le même bocal. Supposons, au milieu de notre second vase B, un diaphragme transversal, séparant la colonne liquide en deux moitiés égales, nous aurons, dans ce vase, deux liquides égaux à A, et il serait très-curieux que la di- gestion de ces deux liquides réunis ne fût pas à très-peu de chose près le double de ce qu’elle est en A. (1) Dans toutes les expériences de ce ‘genre, il est trés-essenliel de secouer régulière- ment, au moins toutes les demi-heures, les bocaux contenant les infusions, afin de main- tenir autant que possible l'homogénéité du mélange. Ne disposant pas, à l'époque où je me livrais à ces recherches, des moyens nécessaires pour élablir un mouvement plus ou moins continu dans mes liquides digestifs, tout en leur conservant la chaleur animale, J'ai, plusieurs fois, employé l'expédient suivant: quand les expériences se faisaient dans de pelits bocaux, je mettais ceux-ci en poche, ou bien, s’il fallait une tempéralure plus élevée, je les liais à une petite courroie que je porlais-en bandoulière entre. la che- mise el le corps. Ainsi transformé en éluve, je faisais de longues promenades, transportant mes bocaux de la maison au laboratoire et du laboratoire à la maison, où je pouvais les examiner à toutes les heures de la nuit. S. 90 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Et néanmoins vous verrez que le temps que nous avons consacré à cette démonstration n’est pas perdu et que la connaissance acquise, quelque insignifiante qu’elle paraisse, nous sera très-utile dans la suite. Mais d’abord permettez- moi de dire quelques mots sur une autre méthode qui a été proposée pour comparer le pouvoir digestif de deux li- quides peptiques. Brücke croit pouvoir admettre que les solutions de pepsine acidifiée digèrent d'autant plus vite qu'elles sont plus con- centrées. Brücke n’opère pas, comme nous l’avons fait, sur des quantités relativement grandes de matières albumi- noïdes, et ne se préoccupe pas du maximum de substance qui peut être liquéfié, en un temps variable, par différents liquides peptiques, mais il envisage comme mesure du pouvoir digestif, le temps que met un seul flocon de fi- brine gonflée ou une tranche très-mince d’albumine, de 1 à 2 millimètres carrés, à se dissoudre dans ces mêmes liquides. Ces expériences sont faites à la température ordi- naire et non à l’étuve. Les flocons de fibrine sont choisis, autant que possible, de grandeur et de consistance égales, et Brücke insiste tout particulièrement sur la nécessité de n'employer jamais, pour des expériences comparatives, de la fibrine de densité ou de consistance différente. Les chiffres communiqués par Brücke montrent en gé- néral qu'un flocon de fibrine (ou une très-petite parcelle d’albumine) est digéré d'autant plus lentement que la so- lution qui le reçoit est moins riche en pepsine. Toutefois les différences de temps sont lojn d’être dans une relation directe avec les différences de concentration du liquide peptique employé. C’est ainsi que dans une série expéri- mentale, faite avec la même pepsine, il voit disparaître les flocons de fibrine dans ee PA te dé un liquide, avec 1 vol. de pepsine, en 45 min. dans un volume égal de liquide, id. 2 id. 20 id. id. id. id. 4 id. 15 id. id. id. id. 8 id. 10 id. VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 91 L'auteur communique des résultats analogues pour l’al- bumine et en déduit, comme règle générale, que, tant pour l’albumine que pour la fibrine, une durée plus longue de la digestion permet de conclure à une dilution plus grande de la pepsine, si les expériences sont faites avec des solutions peptiques qui digèrent la quantité donnée ex plus de 30 minutes. (Quelquefois, dans des solutions très-délayées , la digestion du flocon de fibrine n'était achevée qu'après 9 heures.) Pour les liquides qui digèrent en plus de 30 mi- nutes, l'égalité du temps de la digestion indiquerait ainsi, à-peu-près exactement, l'égalité de la concentration, c’est- à-dire de la richesse en pepsine. Quant aux liquides plus actifs, digérant ex moins de 30 minutes, Brücke ne trouve pas toujours sa règle confirmée avec la même clarté; les différences dans le temps de la digestion tendent à s’effacer ou deviennent si petites qu’elles échappent à l'observation la plus attentive, surtout, ajoute l’auteur, si l’on n’a pas réussi à trouver des flocons de fibrine absolument sembla- bles, ayant identiquement la même densité. En voici un exemple: un liq., avec 1 vol. de pepsine, digère un flocon de fibrine en 45 min. id. id. 2 id. id. 30 id. id. id. 4 id. id. 20 id. id. id. 8 id. id. 20 id. (Le volume du liquide peptique et son degré d’acidité sont toujours les mêmes.) L'auteur, partant de ces faits, observés dans des expé- riences nombreuses et variées de différentes manières, pro- pose la méthode suivante pour comparer le pouvoir digestif de deux liquides peptiques, p. ex. de deux infusions stoma- cales : On commence par donner aux deux liquides que l'on veut examiner, le même degré d’acidité; en général le degré de 1 d'acide chlorhydrique pour 1000 d’eau. Ils sont ensuite versés dans deux burettes, et de chacune des infusions nm PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. on prend successivement 16, 8, 4, 2, 1, 1, 4; centim. cub. que l'on dispose en deux rangées, de 7 bocaux chacune. A tous les liquides, excepté aux premiers qui contiennent déjà 16 cent. cub., on ajoute de l’eau acidulée (au millième), de ma- nière à porter leur volume uniformément à 16 cent. cub., et dans tous on met un flocon de fibrine. Admettons que les quantités de pepsine, orig'inairement contenues dans les deux infusions stomacales, soient entre elles dans le rapport de 1 à 2; le bocal IT de la première série (qui contient 4 cent. cub. de la première infusion), devra digérer avec la même vitesse que le bocal IV de la seconde série (qui contient 2 cent. cub. de la seconde infusion); le bocal IV de la pre- mière série, qui contient 2, devra digérer avec la même vi- tesse que le bocal V de la seconde série qui contient 1, et ainsi de suite. — Etant donnés 2 ou 3 bocaux de la pre- mière série, qui digèrent avec la même vitesse que 2 ou 3 bocaux de la seconde, il est donc facile d’en déduire la re- lation existant entre les proportions de pepsine contenues dans les deux infusions stomacales originaires. Pour trouver cette relation, 1l suffit d'observer quels sont les bocaux de la première et de la seconde série, dans lesquels la digestion du flocon de fibrine marche sensiblement de pas égal. De cette manière, une observation contrôlant l’autre, les ré- sultats acquièrent un plus grand degré de sûreté. Quel- quefois cependant, ajoute Brücke , les indications fournies par les liquides plus concentrés des 2 séries ne concordent pas avec celles qui sont fournies par les liquides plus dilués. Ainsi p.ex. les premiers bocaux des 2 séries peuvent présenter une digestion également rapide, tandis que cette égalité ne se montre plus dans les bocaux de numéros d'ordre plus élevés, c'est-à-dire contenant plus d’eau. Ici ce sera p. ex. le bocal 4 de la première série qui digérera avec la même vitesse que le bocal 6 de la seconde série; de même le temps de la digestion sera égal dans le bocal 5 de la pre- mière série, et dans le bocal 7 de la seconde. Dans ces cas, VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 98 l’auteur recommande de ne tenir compte que des indications fournies par les solutions les plus délayées, puisque, comme il a été dit, à partir d’une certaine concentration, les liquides peptiques ne montrent plus une proportionnalité exacte entre leur richesse en pepsine et la durée de la digestion, et peu- vent ainsi exposer à des erreurs. Vous verrez, messieurs, que dans aucune des expériences comparatives dont j'aurai à vous parler dans la suite, je ne me suis servi de la méthode dont je viens de vous donner un aperçu, et que, même après la publication du mémoire de Brücke, j'ai cru devoir continuer comme avant, à évaluer, d’après mon procédé quantitatif, la proportion relative de pepsine contenue dans deux estomacs: c’est-à-dire en dé- terminant combien d'albumine peut être dissoute dans deux volumes mesurés de liquide, représentant des fractions égales de la quantité totale des deux infusions. Je ne veux pas nier que la méthode de Brücke, dans les limites qu'il lui assigne lui-même, ne puisse être très-utile, dans les cas où l’on opère sur des dissolutions de pepsine à-peu-près pures. Mais dans mes recherches, faites sur des infusions stomacales, dont il s'agissait de comparer le pouvoir digestif, je ne pouvais pas préalablement préparer et purifier la pepsine, ce qui du reste, m'aurait exposé à en perdre une grande quantité non mesurée et non mesurable, et aurait, par là déjà, frappé mes résultats de nullité. J'ai donc toujours commencé par infuser la gotalité des deux muqueuses stomacales, moins la portion pylorique non peptique. Or deux infusions ainsi préparées ne sont, même à volumes égaux, en aucune façon comparables à deux dissolutions de pepsine pure; des ma- tières albuminoïdes non peptiques peuvent être mélangées en proportions très-diverses à chacune d'elles, et, comme la présence de ces matières exerce une influence notable sur la digestion, l'égalité du temps de la digestion dans les deux liquides ne nous indiquerait pas encore, à beaucoup près, l'égalité de leur richesse en pepsine. Il est donc im- 94 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. possible, dans ces conditions, d'appliquer la méthode com- parative de Brücke, parce qu’on ne sait jamais d’avance combien de pepsine et combien de matières étrangères sont contenues dans les deux infusions. La différence de compo- sition des deux infusions, sous ce rapport, peut être telle et est en effet telle dans la plupart des cas que, pour devenir des mélanges physiologiquement équivalents, elles deman- deraient des quantités très-différentes d'acide et même d’eau. Mais comment savoir à l'avance les quantités d’acide à a- jouter à chacune des infusions, quantités capables de neutra- liser également, dans toutes deux, l'influence antidig'estive des matières étrangères , afin d’en faire ainsi des liquides peptiques comparables d’après la méthode de Brücke? Cela n’est pas possible, et nous n'avons d'autre moyen que de procéder en tâtonnant. Après avoir ajouté à un volume donné de l’infusion originaire une quantité mesurée d’albu- mine, on met à l’étuve, et on attend l'arrêt de la digestion. C’est alors qu’on augmente l'acide; on l’augmente plusieurs fois, jusqu'au moment où une nouvelle adjonction n’est plus capable de ranimer la digestion. On fait de même pour l'eau, jusqu’à ce que le liquide ne digère plus. Il est bien entendu qu'après chaque cessation provisoire de la digestion, il faut attendre un certain temps, quelquefois plusieurs heures, pour s'assurer que la cessation a eu réellement lieu. Ces temps d'observation, sans digestion active, se répètent plu- sieurs fois dans le cours de chacune des expériences. De plus, nous savons déjà que par l'addition successive de nou- velles quantités d'acide et d’eau, le liquide peptique passe par plusieurs degrés différents de son énergie digestive. A quel degré faut-il s'arrêter? Tout cela, on ne peut pas le déterminer d'avance. Mais au moins, à la fin de tous ces tâtonnements, qui ne demandent qu’à être faits dans la même mesure dans les deux expériences, on connaît le maximum absolu ou relatif d’albumine, pouvant être digéré par des fractions égales des deux infusions stomacales. Un exemple VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 95 vous fera mieux saisir pourquoi la méthode de Brücke, qui demande une observation continue de la digestion, jusqu'à ce que le flocon de fibrine soit entièrement dissous dans les deux liquides que l’on veut comparer, pourquoi cette méthode, dis-je, n’est pas applicable à des infusions stoma- cales de composition hétérogène, comme celles auxquelles s’adresseront presque toutes nos recherches: Supposez que nous ayons deux infusions stomacales, l’une contenant À de pepsine et B de matières étrangères, dis- soutes dans l’eau acidulée; l’autre contenant 2 A de pepsine et 3 B de matières étrangères, n'est-il pas évident qu’à vo- lumes égaux ces deux liquides ne sont pas comparables, si nous ne donnons pas au second un degré d’acidité plus grand qu’au premier, acidité apte à neutraliser l'influence nuisible qu'exercent sur la digestion la plus grande quan- tité de matières organiques en général (y compris la pepsine elle-même) et la présence d'une triple quantité de matières non peptiques, en particulier? Y a-t-il, pour arriver à con- naître le rapport de leur pouvoir digestif, un autre moyen que de les examiner d’abord comparativement, en leur fai- sant parcourir différents degrés d’acidité,-du plus faible admissible jusqu’au degré maximum qui devient nuisible ? Or, pour juger de l'influence accélératrice ou nuisible d’une nouvelle addition d'acide, pour poursuivre la marche des différentes phases successives de la digestion et pour en apprécier les progrès, nous n'avons pas d'autre terme de comparaison que la quantité de substance digérée. C'est à force de tâtonnements, d’adjonctions successives d'acide et d’eau, faites toujours parallèlement et dans la même me- sure nécessaire dans les deux expériences comparatives, que nous réalisons cette équivalence physiologique des deux li- quides, équivalence que ceux-ci devraient présenter dès le commencement, pour permettre l'application de la méthode comparative de Brücke. — La substance sur laquelle vous me verrez presque toujours expérimenter dans ces sortes de 96 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. recherches, est l’albumine et non la fibrine; je préfère l'al- bumine, parce que dans des liquides présentant des diffé- rences peu considérables dans leur énergie digestive, les quantités d’albumine liquéfiée diffèrent relativement beau- coup plus que les quantités de fibrine, substance qui, sous ce rapport, constitue un réactif beaucoup moins sûr. Mais Brücke, d'autre part, nie #plicitement que les quan- tités de matière dissoute soient en rapport direct avec les quantités de pepsine, contenues dans différents liquides di- gestifs, il paraît admettre que si la liquéfaction digestive elle-même ne créait continuellement de nouvelles causes perturbatrices de la digestion, la même quantité de pepsine pourrait digérer des quantités variables et illimitées de matière albuminoïde; que le contact seul de la pepsine suffit à transformer et à liquéfier des quantités indéfinies d’albu- mine ou de fibrine, et qu'il en serait toujours ainsi (puisque selon sa manière de voir, la pepsine n’est pas usée, n’est: pas détruite par la digestion), si l'accumulation des pro- duits digestifs n’abolissait enfin l'action peptique. Nous sommes arrivés à l’un des points les plus intéres- sants de notre sujet, à la question de savoir sè /a pepsine est usée, détruite par l'accomplissement de l'acte digestif, si l'action de la pepsine peut être assimilée à ces phéno- mènes que l’on a appelés actions par contact, et qui se passent, à ce que l’on admet, sans qu'il y ait altération de l'agent qui les provoque. Les expériences que je vous ai communiquées au commen- cement de cette leçon et que je dois vous rappeler ici, dé- montrent qu’une quantité plus grande de pepsine produit toujours une action plus grande, c'est-à-dire, dissout plus d’albumine que ne le fait une quantité plus petite de pepsine. Ces expériences pourraient, à beaucoup d’entre vous, paraître suffisantes pour établir le principe contraire à celui défendu par Brücke; elles montrent, en effet, que l’action d’un poids donné de pepsine n’est pas illimitée. Cependant il entre , VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 9 dans l'examen expérimental de cette question, beaucoup d’autres circonstances que nous ne devons pas laisser hors de considération; il existe, en particulier, certains faits, en- registrés par la science, qui semblent être en désaccord complet avec les faits en apparence si simples que je viens de vous rappeler et avec la conclusion que l’on pourrait être tenté d’en tirer. Nous devons donc entrer dans une discussion sérieuse pour essayer de résoudre cette importante question: La pepsine se détruit-elle ou non par la digestion? Déjà Schwann a fait quelques expériences dont il a cru pouvoir déduire qu'une quantité donnée de pepsine n’est capable de digérer qu’une quantité limitée d’albumine. Mais Schwann a méconnu l'influence nuisible que les produits de la digestion exercent sur les progrès de cet acte, ou plutôt il ne l’a pas jugée à sa véritable valeur, en n’ad- mettant l'existence de cette cause perturbatrice que dans les solutions peptiques concentrées et en la niant dans les solutions digestives très-délayées. — Et c'est précisément en partant du fait, que même dans des solutions très-dé- layées, la digestion produite par une quantité donnée de pepsine, a ses limites très-bien tracées, qu'il est arrivé à la conclusion que la pepsine cesse d'agir après une certaine durée de la digestion. C’est Vogel qui, le premier, croit avoir prouvé, en oppo- sition à Schwann, que la pepsine ne se détruit pas par la digestion. Les expériences de Vogel ne prouvent pas assez, ou prouvent tout au plus que si, après une certaine durée, la digestion est ralentie, il est possible de la ranimer à l’aide de certaines manipulations qui éloignent de l’infusion les matières non peptiques qui y sont accumulées. Ces obser- vations ne font donc que confirmer ce que nous savons déjà, par ce qui précède, savoir que le ralentissement quelquefois très-considérable de la digestion, que l’on observe avant son arrêt définitif, n’est pas dû seulement à la diminution de la quantité active de pepsine, mais aussi et en grande partie, TOME DEUXIÈME 7 98 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. à l'accumulation des matières organiques non peptiques, dissoutes dans le liquide. Brücke a repris ces recherches d’après une autre méthode, en se fondant sur la proposition que la durée de la digestion d’une petite quantité de fibrine est en relation avec le degré de concentration de la solution peptique, pourvu toutefois que l'acidité du liquide et les autres conditions essentielles de l'expérience comparative soient les mêmes. Il en déduit que si la quantité de pepsine, dans un liquide, va en décroissant, la vitesse de la digestion doit diminuer progressivement. Ceci admis, il ne faut pas oublier que ce n’est pas seulement la diminution du principe digestif qui ralentit la digestion, mais aussi l'accumulation progressive dans le liquide, des produits liquéfiés par la pepsine, accumulation qui aurait un effet analogue, à elle seule, lors même que la quantité de pepsine resterait toujours la même. Or Brücke croit s'être assuré que si la présence des matières digérées empêche les progrès de la digestion, ce n’est pas parce que la pepsine devient moins activé, mais parce que l'accumulation de ces matières epéche le gonflement préparatoire des substances albuminoïdes, gonfiement qui, selon Brücke, doit nécessai- rement précéder la digestion. Pour éliminer l'influence per- turbatrice dont il est question, il suffirait donc d'éliminer l'obstacle qui résulte de ce que la matière albuminoïde ne peut pas subir le gonflement préparatoire. On arrive à cette élimination, en faisant du gonflement un acte indépendant de la digestion elle-même, en ne soumettant à l’action de la pepsine que de la fibrine qui a déjà été complètement gonflée dans un acide dilué. L'obstacle essentiel, pouvant s'opposer aux progrès de la digestion, étant ainsi écarté. et le liquide peptique ne contenant que de la fibrine déjà complètement préparée, il est clair, selon Brücke, que tout ralentissement de la digestion qui se montrera lors des progrès de cet acte, ne pourra provenir que d'une dimi- nution de la pepsine. D'autre part, toute diminution de la VINGT-ET-UNIÈME LECON. 99 pepsine devra, d'après cette manière de voir, se manifester par un ralentissement de la digestion. Cela posé, Brücke décrit l'expérience suivante. On prend une grande quantité de fibrine, que l'on fait g'onfier pendant un temps suffisant dans de l’eau acidulée au millième. On en remplit à-peu-près complètement un vase de verre et l’on y ajoute un peu d’eau acidulée, destinée seulement à couvrir les inégalités que présente la surface du contenu gélatineux. Un autre vase, de même dimension, est rempli jusqu'au même niveau d'eau acidulée (au même degré), et l’on y met un seul flocon de fibrine. Ensuite on verse dans les deux vases 2 centim. cub. d'une solution quelconque de pepsine et l'on secoue le contenu des deux bocaux. — Après un temps qui varie selon la concentration du liquide peptique, le petit flocon est complètement digéré, mais, après le même temps, la grande quantité de fibrine, contenue dans l’autre vase (c'est-à-dire environ 550 centim. cub.) est également liquéfiée en totalité. Brücke conclut de cette expérience que la pepsine ne se détruit pas par la digestion, et voici pourquoi: Appelons le bocal qui ne contient qu'un flocon de fibrine, A; et celui qui contient 550 centim. cub. de fibrine, B. Comme le volume du flocon de fibrine, en A, est nul, par rapport au volume du liquide qui le digère, le temps qu'emploie sa digestion , peut être considéré comme mesure de l'énergie digestive du liquide A, dans sa concentration initiale. — Dans le vase B, contenant une très-grande quantité de fi- brine, nous avons un liquide peptique, dont la concentration est au commencement égale à celle du liquide B (c’est du moins ce que suppose Brücke); ce liquide devra donc, dans la première unité de temps, digérer avec la même vitesse que A. Dans cette première unité de temps, une certaine quantité de fibrine (disons: un tiers de la quantité totale) est dissoute par la pepsine en B. Or, si l’on admet que la pepsine se détruit par la digestion, une fraction de la quan- 100 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. tité initiale de pepsine doit manquer dans le liquide B au commencement de la seconde unité de temps. Le liquide n’a donc plus sa concentration initiale, égale à celle du li- quide A, et doit, selon Brücke, digérer plus lentement. Après la digestion du second tiers, comme il s’est détruit plus de pepsine, le liquide doit agir plus lentement encore. On voit que la rapidité de la digestion doit progressivement dimi- nuer dans le vase B, au fur et à mesure qu'une quantité plus grande de fibrine s’y liquéfie, s’il est vrai que le fer- ment digestif est usé par son activité. D’après ce raison- nement le petit flocon en A, dont le volume est compara- tivement nul, devrait disparaître beaucoup plus vite que la grande quantité de fibrine en B. Or l'expérience montre que la rapidité de la digestion est sensiblement la même dans les deux vases. Donc il faut concéder à Brücke que si ses prémisses sont justes, la pepsine n’est pas détruite par la digestion. L'auteur toutefois ajoute: on pourrait imaginer que malgré la grande quantité de fibrine dissoute en B, il ne se soit détruit que très-peu de pepsine, trop peu pour entraîner une différence appréciable de la concentration des deux li- quides peptiques. De là, l'égalité apparente du temps qu'a employé leur digestion. Pour examiner cette objection, l’auteur répète son expérience avec une quantité beaucoup plus petite de pepsine. La durée de la digestion est de 9 heures, dans les deux vases. — Dans la première des ex- périences communiquées par l’auteur, ce temps est de 1 heure 10 minutes. Dans une troisième expérience faite avec une solution très-concentrée de pepsine, la durée de la digestion, toujours égale dans les deux vases, est de 10 mi- nutes. Brücke conclut: La durée de la digestion, dans deux li quides peptiques, contenant la même quantité proportionnelle de pepsine (c’est-à-dire ayant la même concentration), est indépendante de la quantité de fibrine gonflée que l’on fait VINGT-ET-UNIÈME LECON. 101 digérer par ces deux liquides, — si leur degré d'acidité est suffisant. Mais pourquoi l'influence retardatrice que les peptones exercent sur la digestion, ne s’est-elle pas fait sentir plus fortement dans ceux des vases qui étaient remplis de fi- brine jusqu'au bord, que dans ceux qui n'en contenaient qu'un seul flocon? Nous le savons déjà: c'est que l’auteur n’a employé pour ces expériences que de la fibrine com- plètement gonflée; c'est que selon lui l’action de la pepsine ne cesse pas, parce qu’elle est détruite, mais parce que, dans des liquides surchargés de produits digestifs, la pepsine, qui est indélébile, ne trouve plus de fibrine convenablement préparée à la digestion, et que ce g'onflement est empêché par la présence des matières non peptiques, accumulées dans le liquide. — Si tout cela est vrai, il doit être possible de faire digérer des quantités très-crandes, #7 finiment grandes de fibrine par la même petite quantité de pepsine acidifiée, pourvu que cette fibrine ait subi un gonflement préparatoire suf- fisant. Brücke paraît n'avoir expérimenté que sur des quan- tités de fibrine d’à-peu-près 550 centimètres cub. Mais si lon prenait le double, le triple de cette quantité, la di- gestion se ferait-elle encore? Cette expérience nous paraît importante. De sa réussite dépend la confirmation du prin- cipe énoncé par Brücke. L’exécution de cette expérience, que l’on ne pourrait pas bien répéter à Florence, parce qu'il serait difficile de se procurer ici des quantités assez grandes de fibrine de sang bien battue, m'a été rendue possible à Paris, grâce à la complaisance de M. Boudault. J'ai, à plusieurs reprises, fait gonfler dans de l’eau acidulée (contenant un millième de Z7 C7) des quantités de fibrine de sang de bœuf, allant jusqu'à 3000 cent. cub. — Je me suis servi pour ce but, de deux ou trois cuves de porcelaine très- larges, dont le fond avait environ 5 décimètres carrés. La 102 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. fibrine distribuée dans les 3 vases et couverte d’eau aci- dulée, y séjournait jusqu’à ce que le g'onflement ne fît plus de progrès. Deux kilogrammes de cette fibrine gonflée au maximum, furent transvasés dans un très-crand cylindre de verre, gradué; jy ajoutai une quantité modérée de pepsine, dissoute dans de l’eau acidulée au millième, et j'observai la digestion. — Très-rapide au commencement, elle se montra déjà visiblement ralentie au bout d'environ 6 heures, après qu'environ la moitié de la fibrine (1 kilogr.) eût disparu. Cependant le liquide continua à digérer, quoique de plus en plus lentement, jusqu’à la 12”° ou à la 13" heure après le commencement de l'expérience. Après 13 heures il restait dans le vase une quantité assez no- table de fibrine, à-peu-près un cinquième de la quantité primitive. — L'observation fut interrompue pendant 7 heures, et lorsque je revins, vers la 20° heure de l'expérience, il restait un dépôt de fibrine bien gonflée qui, observé pen- dant 12 heures encore, ne diminua plus (1). Dans mes premières expériences, je n’ai pas ajouté d’a- cide, puisque, selon l’hypothèse de Brücke, l'acide supplé- mentaire ne servirait qu'à rétablir le gonflement de la fi- brine, empêché par l'accumulation des produits digestifs , précaution inutile, puisque, dans mes liquides, la fibrine était déjà gonflée au maximum. — Mais dans d’autres ex- périences semblables, j'ai acidifié après l'arrêt de la diges- tion, et j'ai vu gve la fibrine recommençait à se dissoudre. Mais, même dans ces cas, il restait enfin un dépôt de ma- tière non digérée, dont la hauteur ne diminuait plus, malgré l’acidification supplémentaire, plusieurs fois répétée. Pour ces recherches, j'ai employé, suivant la quantité et la con- centration de mon liquide peptique, soit 2, soit 3 kilogr. de fibrine gonflée. (1) Il est singulier que le résidu non digéré de fibrine ait toujours offerl une coloration un peu plus foncée que la masse de fibrine originairement mise en digestion, quoique le liquide digeslif lui-même ne fût pas coloré. s. VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 103 Vous voyez, d'après ces faits, que la quantité de fibrine gonflée, qui dans un volume déterminé d’eau, peut être li- quéfiée par une quantité modérée de pepsine, x'esé pas 1l- limitée, mais que la digestion, ranimée à plusieurs reprises par des adjonctions d’acide, finit toujours par s'arrêter, après avoir montré un ralentissement de plus en plus no- table. Ces expériences vous donnent en même temps une idée des quantités énormes de fibrine (préparée) qui peu- vent être digérées par un poids relativement modéré de pepsine (1). Nos observations aboutissent donc à un résultat contradictoire à celui obtenu par le professeur viennois, et cette contradiction ne peut pas exister en réalité, puisque les faits ne se contredisent pas. Analysons, par conséquent, toutes les circonstances particulières du problème, et voyons quelle est la valeur des prémisses sur lesquelles la conclu- sion de Brücke est fondée. Brücke attribue la cessation de la digestion dans les liquides peptiques à Za cessation du gon.flement préparatoire du corps albuminoïde, gonfiement qui ne peut être renou- velé que dans une mesure très-limitée par le renouvelle- ment de l'acide. L'accumulation des produits digestifs n’a pas, selon lui, d'action directe sur la pepsine, en tant qu'a- gent dissolvant, mais une action indirecte, en abolissant une des conditions préliminaires indispensables de la diges- tion, le gonflement du corps albuminoïde. Nous connaissons {1} Baücke rapporle une autre expérience qui montre qu'une quantité donnée de pepsine peut digérer une quantité, qui à l'auteur paraît trés-grande, de fibrine non gonflée, si, pour aciduler le liquide digestif, on prend, au lieu d'acide chlorhydrique, de l'acide phosphorique. — L'acide phosphorique, selon Brücke, favorise, plus que l'acide chlor- hydrique, le gonflement de la fibrine, empéché par les produits digestifs, et admel un plus grand nombre d'adjonclions supplémentaires que ne le fait l'acide chlorhydrique, qui, à partir d'un degré de concentration très-peu élevé, devient même nuisible à la * digestion, en empéchant le gonflement préparatoire. Cette expérience, comme on le voit, ne tend qu'à montrer, d’après une autre méthode, que la quantité de fibrine correspondant à la capacilé digestive de la pepsine, est beau- coup plus grande qu'on ne l'avait supposé généralement, mais ne prouve pas encore que la force digestive de la pepsine soit illimitée. 104 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. la preuve de Brücke; mais nous connaissons déjà un fait qui rend cette preuve illusoire. Je vous ait dit que si l’on fait digérer par une quantité modérée de pepsine une quan- tité très-grande de fibrine parfaitement gonflée, ilarrive un moment où la digestion s'arrête; mais elle recommence si l'on ajoute une nouvelle goutte d'acide. Après plusieurs adjonctions d'acide, la digestion s'arrête définitivement, bien que le résidu de fibrine qui n'est plus attaqué, soit encore parfaitement gonflé. Cette expérience n’est pas isolée. J'ai vu très-souvent que les derniers résidus tant de fibrine que d’albumine, qui ne sont plus digérés par un liquide digestif plusieurs fois acidulé de rechef, ou délayé dans de l’eau — que ces derniers résidus qui se déposent après la cessation définitive de la digestion, sont en partie encore très-bien g'onflés. Le gonflement de l’albumine, préalablement divisée en très-petits cubes, est quelquefois tel, qu'à la fin de la digestion on pourrait être tenté de croire que tout a été dissous, à part peut-être un très-faible résidu, à peine visible au fond du liquide. Mais si l’on filtre, on voit que ce résidu est beaucoup plus considérable, composé en grande partie de particules d'albumine tellement c'onflées que leur indice de réfraction est devenu presque le même que celui du liquide où elles étaient suspendues, et où on ne les dis- tinguait plus à cause de leur transparence. Je vais faire passer sous vos yeux un vase de verre, con- tenant un suc gastrique artificiel qui, malgré plusieurs adjonctions supplémentaires d'acide, ne digère plus depuis 6 heures. Vous verrez au fond un dépôt de quelques gra- nules d’albumine, qui y existaient déjà ce matin. — Versons le tout sur un plat de gutta-percha. Vous voyez maintenant, sur le fond noir, que le résidu est beaucoup plus volumi- neux qu'il ne le paraissait à la simple inspection du liquide, mais qu'il est presque entièrement composé de particules semi-transparentes et hyalines. VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 105 Il est clair que dans ce liquide, le gonflement de l'albu- mine n’a pas été empêché par les produits digestifs, accu- mulés en trop grande quantité, comme le suppose Brücke. Et si ce n'est pas la cessation du gonflement qui, dans ce cas, a entraîné la cessation définitive de la digestion, si la condition préparatoire et indispensable de la digestion n'a pas manqué, il faut bien qu’une autre action essentielle du liquide digestif ait cessé. A la rigueur, de l'aspect seul des particules albumineuses que je viens de vous montrer, nous pourrions déduire que leur digestion avail commencé, mais qu'elle & été inter- rompue, Car jamais, avec l’eau acidulée seule, on ne verra le gonflement de l’albumine atteindre un degré si avancé. Ce gonflement ne peut être l’effet que d'une digestion com- mençante. Mais si la digestion a commencé, à plus forte raison la préparation ne peut pas avoir manqué. De même, dans les expériences sur la fibrine , le dépôt resté au fond du vase, après la cessation définitive de la digestion, formait une couche gélatineuse, identique, quant à son aspect et à sa consistance, à la fibrine gonflée au maximum dans l'eau acidulée. Ce n’est donc pas, comme l’admet Brücke, parce que le gonflement des corps albuminoïdes est empêché, que la pepsine cesse d'agir dans les liquides surchargés de pep- tones; et, si nous voulons, avec Brücke, continuer à con- sidérer la pepsine comme une substance qui ne se détruit pas, nous sommes forcés de modifier son opinion sur la cause de l'arrêt digestif. Nous n'avons pas besoin de nier que la cessation de la digestion soit dûe à la présence des peptones, mais, en admettant cette dernière proposition, nous devons admettre aussi que l'ixffuence des peptones s'étend à l'action de la pepsine elle-même; que la pepsine acidifiée cesse enfin d'agir, même sur les corps albumi- noïdes gonflés, s'il existe dans le liquide une trop forte proportion de peptones. 106 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. La pepsine cesse d'agir, ce qui veut dire, selon la théorie que nous examinons, que tout en existant comme tel dans le liquide, le ferment digestif a perdu la faculté de dé- ployer son action chimique. L’accumulation des produits de la digestion a donné au liquide un degré de concentration et des propriétés telles que les propriétés actives de la pepsine sont masquées, empêchées de se manifester. Il faut préciser ce dernier point. L'action de la pepsine est-elle à tout jamais rendue impossible dans le liquide dont il est question? Les propriétés de ce liquide sont-elles absolument inconciliables avec le renouvellement de l’action digestive? Nous savons que non. Par des expériences antérieures, je me suis assuré que si à un liquide peptique qui a définitivement cessé de digérer, on ajoute une nouvelle quantité de pepsine, la digestion reprend, malgré la présence de la même quantité de peptones dissoutes. Cette expérience réussit aussi bien avec des solutions de pepsine purifiée qu'avec des infusions stomacales, toujours mélangées, en plus ou moins forte proportion, de matières solubles non peptiques. Elle réussit même, — et j'insiste sur cette remarque, — si, comme à l'ordinaire, la solution peptique est plus dense qne le mé- lange digestif auquel on l’ajoute. En ajoutant du liquide peptique, on augmente donc aussi la proportion des ma- tières dissoutes, nuisibles à la digestion, et malgré cela, la digestion recommence pour un temps variable, suivant la quantité de pepsine nouvellement ajoutée. On voit par là que la présence des produits digestifs n'empêche pas, d’une manière absolue, l’action spécifique de la pepsine, mais seulement l'action de la quantité de pepsine, primitivement contenue dans le liquide ; que si l'on augmente cette quantité, la digestion reprend, parce que la proportion de peptones, contenue dans le liquide avant cette adjonction, n’est capable de mettre hors d’ac- tion que la quantité initiale de pepsine, mais non pas la quantité initiale, plus la quantité ajoutée. VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 107 Cette modification de l'opinion de Brücke implique déjà que dans tout liquide dont on n'éloigne pas les produits digestifs, une quantité donnée de pepsine ne peut digérer qu'une quantité donnée de matière albuminoïde. Mais pour continuer à maintenir l'hypothèse de l’indestructibilité de la pepsine, nous sommes forcés d’en faire une autre, savoir que si après la cessation définitive de la digestion dans un liquide contenant À de pepsine , on ranime la digestion en ajoutant une quantité B de pepsine, plus petite que À, ce n’est pas la petite quantité B qui agit, mais À +B. En effet, A étant rendu inactif par les peptones accumulées dans le liquide , à bien plus forte raison Z seu/ ne pourra-t-il pas digérer dans ce même liquide, puisqu'il est plus petit que À. Mais la quantité B, incapable en soi et prise isolément, de contrebalancer l'influence nuisible des peptones, remet en activité À, et c'est grâce à l’action combinée de A et de B que la digestion se ranime. Cette supposition qui, tout en modifiant radicalement l'opinion de Brücke, pourrait néan- moins être invoquée encore à l'appui de sa théorie, est susceptible d'être contrôlée par l'expérience directe. On sait que l'ébullition ne détruit ni ne modifie les pep- tones, mais qu’elle détruit définitivement le ferment digestif. Si, par conséquent, nous chauffons à l’ébullition un liquide. peptique dont la digestion est définitivement arrêtée, c’est- à-dire dans lequel, selon l'hypothèse que nous examinons, la pepsine , quoique existant encore, est en quelque sorte paralysée dans son action par la présence d’une trop grande quantité de matière dissoute, nous ne modifions en rien par là la composition des matières digérées ; leur influence nuisible sur la digestion persiste donc comme avant, mais nous détruisons définitivement la pepsine que l’on suppose exister encore, à l’état inactif, dans le liquide. Après l’ébul- lition, nous laissons refroidir le mélange et nous ajoutons une quantité B de pepsine fraîche, quantité plus petite que celle qui existait dans le liquide pendant la première phase 108 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. ; digestive. Cette quantité B, plus petite que A, se trouve donc seule en présence des peptones formées par À; et si la présence de ces peptones a paralysé l’action de A, à bien plus forte raison doit-elle paralyser l’action de B. — Dans ces conditions, si l'hypothèse de Brücke est admis- sible, si ce sont les pepiones seules qui empêchent la con- tinuation de la digestion, l'adjonction, au liquide chauffé à 100°, d'une yetite quantité de pepsine fraîche, doit donc rester absolument sans effet — B étant plus petit que A, ne saurait ranimer la digestion. — Si l'expérience montrait que l’adjonction de B ranime la digestion, même imparfaite- ment, nous saurions que l'obstacle qui s’opposait à la di- gestion avant ce moment, n'était pas dû entièrement à l'accumulation des peptones, mais à une circonstance indé- pendante de cette accumulation, c'est-à-dire à une destruc- lion de la pepsine par la digestion. Toutefois on pourrait objecter à ce raisonnement que l’adjonction d’une certaine quantité de pepsine augmente en même temps le volume du liquide, et diminue, en les étendant dans plus d’eau, l'influence perturbatrice des pep- tones. Une adjonction de pepsine n’agirait donc, en tout ou en partie, que comme le ferait une adjonction d'eau. Mais : en déclarant la digestion définitivement arrélée, on sait que nous avons déjà ajouté de l’eau et de l'acide, à plusieurs reprises, sans plus obtenir d’effet. Il est d’ailleurs facile de prévenir l’objection signalée, en prenant pour B une quan- tité de liquide peptique très-peu considérable, relativement au volume total du liquide, et relativement à A. Dans nos expériences, À était en général une quantité considérable de liquide peptique concentré, délayée dans 100 gr. d’eau; tandis que B n'allait que de la cinquième jusqu’à la qua- rantième partie de À, et disparaissait réellement à côté du volume total du liquide. Ces expériences se subdivisent en deux séries: une série qualitative et une série quantitative. — Les expériences de VINGT-ET-UNIÈME LEÇON 109 la première série (qualitative) sont faites avec trois modi- fications. Première série (qualitative): I. On prend une quantité déterminée d’eau et un volume de liquide peptique, le tout acidulé d'avance au même degré. On y ajoute de l’albumine; on met à l’étuve et l’on attend que la digestion se soit arrêtée, c'est-à-dire que la liqué- faction de l’albumine ne fasse plus de progrès visibles pen- dant plusieurs heures. Alors, sans ajouter ni acide ni eau supplémentaires, on chauffe à l'ébullition le mélange avec le reste d’albumine qu'il contient, et au liquide refroidi à 40 degrés, on ajoute encore un petit volume de liquide peptique acidifié comme le premier, volume inférieur à 1/60èm ou même à 1/80ème du volume total du liquide. On remet à l'étuve et l’on observe /4 liquéfaction d'une petite quantité du résidu d'albumine, resté inaltéré, pendant un certain nombre d'heures, à la fin de la première phase digestive. II. L'expérience est commencée exactement comme au N°1; seulement, lorsqu'après une observation de plusieurs heures le résidu d’albumine ne diminue plus, on ajoute une goutte d'acide, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu'une nouvelle adjonc- tion d’acide ne ranime plus la digestion. C’est alors que l'on chauffe a 100°; puis, au liquide refroidi, on ajoute une nouvelle quantité de pepsine, inférieure à la première. — Ici encore la digestion reprend, quoique très-faiblement; et un petit volume, bien appréciable cependant, du résidu d'albumine est liquéfié. — (Je ne possède que deux expé- riences faites d’après cette modification). III. L'expérience se fait comme au N° II, sauf qu'au lieu d'ajouter des gouttes d'acide seulement, on ajoute, à plu- sieurs reprises, de l’eau acidulée en plus grande quantité, jusqu’à l'arrêt définitif de la digestion. (Cette eau est aci- dulée au même degré que le liquide digestif). Dans ce cas encore, la digestion se ranime après l’ad- 110 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. jonction de la seconde quantité de pepsine. Le résidu d’albu- mine subit une diminution très-faible, mais encore mesurable. Seconde série (quantitative): Au lieu de contrôler les progrès de la digestion par le volume de l’albumine liquéfiée, on détermine, dans cette seconde série, le résidu sec total du liquide à la fin de la première et à la fin de la seconde digestion (nous entendons toujours par seconde digestion celle qui est produite par une quantité supplémentaire de pepsine). Le résidu sec est dé- terminé sur une fraction connue du liquide total et évalué entièrement comme peptone, c'est-à-dire comme albumine liquéfiée par la pepsine. De l'augmentation du résidu sec total on conclut à la digestion d’une plus grande quantité d’albumine. Voici la marche d’une de ces expériences: On ajoute, comme dans la première série, de l'albumine à un volume donné d'eau et de liquide peptique , acidulé au même degré. On bouche bien le flacon, pour que le volume du liquide, #esuré avant l’adjonction de l’albumine, ne diminue pas par l'évaporation à l’étuve. La digestion achevée, on porte tout le liquide à l’ébullition. On en prend une petite portion (20 cent. cub., p. ex.), que l’on évapore à sec. (Cette évaporation devrait toujours être faite à 120 ou à 140 degrés, et non à 100°, comme cela a eu lieu dans nos expériences). D'après le résidu sec de ces 20 cent. cub. on calcule celui de toute la solution. Le chiffre ainsi obtenu, quoique expri- mant le poids des sels et des peptones, contenus dans la solution, est évalué entièrement comme peptones .; ce qui n'offre pas un grand inconvénient, puisque ce calcul est relatif à ce qui a été dissous par la pepsine. — Au reste du liquide, préalablement refroidi à 40 degrés, on ajoute ensuite une petite quantité de pepsine fraîche, de beaucoup infé- rieure à la quantité qui a opéré la première digestion, et le tout est remis à l'étuve, jusqu’à la fin définitive de la seconde digestion. Une petite portion du liquide (10 à 20 cent. cub.) est ensuite versée dans une capsule de porcelaine VINGT-ET-UNIÈME LECON. 111 et évaporée à sec. D'après le poids du résidu sec, on calcule le résidu sec de l’infusion totale, en ayant soin d’additionner à cette valeur celle qui a été trouvée pour le résidu sec des premiers 20 cent. cub., soustraits avant la seconde digestion. — On a donc deux chiffres, exprimant le résidu sec total du liquide à la fin de la première et à la fin de la seconde di- gestion. Constamment on trouve, après la seconde digestion, un résidu sec supérieur en poids, à celui qui correspond à la première digestion. La différence de ces deux chiffres exprime, comme on le voit, le poids de la matière dissoute par la petite quantité supplémentaire de pepsine. Cette différence n’a jamais manqué dans nos expériences; toujours nous avons vu la digestion, arrêtée depuis plusieurs heures, se ranimer par l’adjonction, au liquide chauffé à 100° et refroidi à 40°, d'une seconde quantité de pepsine, inférieure de beaucoup à la première. Mais si l’on compa- rait, d'après le résidu sec, ce qu'avaient dissous d’une part la quantité initiale de liquide peptique, d’autre part la quan- tité additionnelle de ce liquide, on voyait que ces deux valeurs n'étaient rien moins que proportionnelles aux volumes de liquide peptique, employés pour la première et pour la seconde digestion. La seconde portion supplémentaire de pepsine avait toujours digéré relativement beaucoup moins que la portion initiale, et cela se comprend aisément, puis- que cette seconde quantité s'était trouvée, dès le commen- cement, gênée et empéchée dans son action, par la présence d'une forte proportion de matières digérées. Si nous conti- nuons à désigner la quantité initiale de pepsine par A, et la quantité ajoutée plus tard par B, cette dernière n'avait pas digéré "+ de ce qu'avait digéré la quantité initiale, mais 14, 1/7, et parfois même 2/15 seulement de cette quantité . Ainsi, quoique les produits digestifs aient enrayé, jusqu’à un certain degré, l’activité de la seconde portion de pepsine, 112 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. il n'y a pas eu suppression complète, impossibilité de la digestion, comme cela aurait dû être, si, selon l'hypothèse de Brücke, les matières dissoutes seules s’opposaient aux progrès de la digestion. L'arrêt de la digestion ne peut done pas être attribué seulement et exclusivement à l’aug- mentation de la densité du liquide, surchargé des produits digestifs en dissolution. Il y a à cet arrêt une autre cause, indépendante de la densité du liquide, puisqu'une quantité très-petite de pepsine fraîche peut encore, après la destruc- tion définitive de la quantité initiale plus grande, déployer son action, dans un milieu également chargé de matières non peptiques en dissolution. La quantité initiale de pepsine, en cessant de digérer, était donc plus que « paralysée » dans son action; elle était «morte » en tout ou en partie. Dans les expériences de la seconde série, je n'ai pas, après un premier arrêt de la digestion, ajouté d'acide ni d’eau supplémentaires. On pourrait, de cette circonstance, déduire, contrairement à nos conclusions, que la faible digestion, observée après l'addition de la seconde quantité de pepsine, était dûe seulement à l'augmentation du volume du liquide, à sa plus grande dilution. Je crois m'être suffisamment mis à l'abri de cette source d'erreur, en donnant à la quan- tité supplémentaire de pepsine un volume insignifiant par rapport au volume total du liquide. Ordinairement, quand l’albumine non digérée à la fin de la première digestion formait un dépôt bien visible, je fai- sais l’ébullition de tout le mélange, en y laissant ce résidu d'albumine, sur lequel j'observais ensuite la continuation de la digestion. Mais plusieurs fois j'ai filtré le liquide avant de le soumettre à l’ébullition, et j'y ai ajouté de l’albumine fraîche, après avoir laissé l’infusion se refroidir jusqu’à en- viron 40 degrés. La seconde digestion, dans ces derniers cas, s’est effectuée visiblement comme dans les premiers. Ces expériences écartent le soupçon que par l’ébullition dans un milieu acide, l’albumine soit devenue peut-être VINGT-ET-UNIÈME LECON. 113 plus soluble, plus facile à digérer par une quantité même moindre de pepsine. Voici une autre objection que l’on ne manquera pas de faire à nos dernières déductions. Nous avons admis en prin- cipe, vous vous le rappelez, que l’ébullition n’altère pas les propriétés physiques des peptones ni, par conséquent, la résistance que leur présence oppose aux progrès de la di- gestion. En effet, la chaleur de l’ébullition ne produit pas, dans les peptones, d'altération reconnaissable par nos moyens actuels d'investigation; mais ne serait-il pas possible qu'à la température de l’eau bouillante, ces corps subissent un changement quelconque de composition, ayant pour effet de diminuer leur influence nuisible sur la di- gestion ? — Cette hypothèse, quoique rendue très-invrai- semblable par nos observations mêmes qui montrent que constamment la seconde digestion était qfaiblie à un haut degré, mais non entièrement supprimée par la présence des produits digestifs, méritait néanmoins un examen spécial. L'expérience suivante ne parle pas en sa faveur. Une solution peptique, préparée avec de la pepsine très- délayée et de l’eau au même degré d’acidité, mélangées avec le plus grand soin, est partagée en deux portions égales. À l’une on ajoute le quart de son volume de peptone d'al- bumine concentrée, à l’autre on ajoute une quantité égale de la même peptone, préalablement soumise à l’ébullition (1). Ces deux liquides digèrent sensiblement la même quantité d'albumine. Si le principe peptique persistait comme tel, après avoir accompli l'acte digestif, si, après la cessation définitive d’une {1} Nous avons préparé celte peptone en soumettant à la dialyse un liquide peplique qui avait digéré de l’albumine cuile, à saturalion, c’est-à-dire jusqu’à l’arrêt définitif de la digestion. Le liquide externe dans lequel s'élait faite la dialyse, a élé concentré au bain-marie, à 60°, neutralisé presque exactement et filtré. La solution de peptone ainsi obtenue , a élé divisée en deux portions égales. L'une a été soumise à l’ébullition, l'autre non. TOME DEUXIÈME 8 114 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. première digestion, la pepsine avait encore la faculté de digérer, l'adjonction d'une petite quantité de pepsine fraîche au liquide non chauffé à 100°, devrait ranimer la digestion d’une manière beaucoup plus prononcée que la même adjonction, faite après l’ébullition du liquide, c’est-à- dire après la destruction de la quantité initiale de pepsine. La différence si évidente qui devrait se montrer dans ces deux cas, manque complètement dans toutes les expériences. En résumé , nous avons prouvé que ce qui empêche la continuation de la digestion dans un liquide saturé de peptones, n’est qu’en partie la présence des corps albumi- noïdes liquéfiés. Ces corps n'empêchent pas le gonflement préparatoire, donc ils doivent empêcher l’action de la pepsine elle-même. Si l'on voulait admettre que leur présence est la seule cause qui met la pepsine hors action, il faudrait admettre nécessairement qu’une quantité donnée de peptones n’agit que sur une quantité donnée de pepsine; autrement il serait impossible d’éxpliquer comment une augmentation de pepsine peut ranimer la digestion. Mais puisqu’une ad- jonction supplémentaire de pepsine ranime la digestion, même lorsque la quantité initiale est détruite, cette admission devient impossible. De plus nous avons prouvé que la pepsine n'agit pas seulement par sa présence, par son contact, comme le veut l'hypothèse que nous combattons, car deux de pepsine di- gèrent deux d'albumine, si le degré de dilution et d’aci- dité des liquides est exactement le même. Mais si, par des expériences qui nous paraissent suffi- santes, nous avons démontré que la pepsine se détruit par la digestion, comment expliquer l'expérience de Brücke qui, ainsi que je l'ai dit, démontre suffisamment que la pepsine ne se détruit pas par la digestion, si toutefois l’on est d'accord sur la validité des prémisses de Brücke? Deux conclusions contradictoires ne peuvent pas être admises au même degré de généralisation. VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 115 Examinons donc si l'expérience de Brücke, malgré la conclusion très-rigoureuse qui en a été tirée, n’est pas peut- être défecteuse en ce que l’auteur ne s’est pas réellement mis dans toutes les conditions dans lesquelles il croyait se mettre. Brücke prend une très-grande et une très-petite quantité de fibrine et les traite, dans deux bocaux séparés, par deux liquides digestifs, auxquels il suppose le même volume et la même richesse en pepsine. L'égalité de volume, l’auteur la déduit de ce que, dans l’un des bocaux, la colonne li- quide seule a la même hauteur qu'ont, dans l’autre bocal, la masse considérable de fibrine gonflée, plus une mince couche de liquide surnageant. C’est à ces deux quantités de Ziquide, supposées égales, que Brücke ajoute deux vo- lumes égaux de la même solution peptique; il agite le con- tenu des deux bocaux, et c'est ainsi qu'il obtient deux liquides « contenant le même pour-cent de pegsine ». Admettons, en faveur de Brücke, qu'en effet le second bocal, avec la grande masse de fibrine, contienne la même quantité de liquide que le premier, et négligeons le volume peu considérable que représente le résidu sec de 550 cent. cub. de fibrine gonflée; ces deux liquides ne se trouvent pas dans les mêmes conditions physiques. Dans l’un, le li- quide est libre et peut se mêler immédiatement avec les 2 cent. cub. de solution de pepsine que l’on y ajoute; dans l'autre, la plus grande partie de l’eau acidulée est contenue par imbibition dans la fibrine, et seulement une très-petite fraction, — disons un soixantième — du volume total, est de l’eau libre. Suffira-t-il de mélanger mécaniquement, après y avoir ajouté la pepsine, le contenu de ces deux vases, pour obtenir deux liquides peptiques d’égale dilution? L’eau “acidulée, contenue dans la fibrine g'onflée et formant avec elle un corps gélatineux , peut-elle être regardée comme équivalente à de l’eau libre et la fibrine gonflée est-elle en effet à ce point perméable que l’on puisse expérimenter sur 116 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. elle comme sur un simple liquide? C’est ce qu'il faut exa- miner, si nous voulons nous former un jugement sur la valeur des déductions de Brücke. Il y a plus de 15 ans qu’en faisant la critique d'une ex- périence de Mialhe, qui paraissait prouver que la fibrine gonflée dans un acide se digère aussi facilement dans la pepsine seutre que dans la pepsine acide, j'ai communiqué l'observation suivante: On fait gonfler des morceaux de fi- brine dans de l'acide chlorhydrique (ou lactique) fortement étendu d’eau. On les retire quand ils sont bien gonflés, on les lave et on les met dans de l’eau ordinaire. Après 2, 3 et même 5 heures, selon la grosseur des filaments, on trouve qu’ils n’ont pas encore entièrement abandonné l’a- cide dont ils s'étaient imbibés avant de passer dans le milieu neutre. Retirés de l’eau, les filaments plus gros, examinés à leur surface, ne roug'issent pas le papier de tournesol bleu; mais coupés en long ou en travers, leur centre est en- core manifestement acide. L’acidité est d'autant plus pro- noncée et occupe une couche d'autant plus épaisse au centre des filaments agglutinés, qu'ils ont séjourné moins longtemps dans le liquide neutre. C’est à cause de cette acidité persistant dans leur intérieur, que des morceaux de fibrine, préala- blement gonflés dans un acide et lavés, se digèrent encore du centre à la périphérie, dans une solution de pepsime neutre. — On peut faire la même expérience en mettant la fibrine gonflée dans un liquide très-légèrement alcalin. Il faut un temps assez considérable pour voir l’axe des filaments un peu plus gros devenir neutre et enfin al- calin. S'il en est ainsi, il est prouvé que les altérations du li- quide dans lequel est suspendue la fibrine gonflée, ne se communiquent pas immédiatement au liquide contenu dans l’intérieur des flocons, que la fibrine oppose une cer- taine résistance à l'entrée des corps qui sont en dissolution dans le liquide environnant, résistance qui peut varier selon VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 117 la nature de ces corps et qui probablement est plus forte pour les substances dont la dialyse est plus difficile. Mais Brücke n’a pas méconnu ces faits; il les a rencontrés lui-même dans une autre série d'expériences, sans en tenir compte dans celles qui nous occupent. — Brücke opérait sur de la fibrine, qui, d'abord gonflée dans un acide, avait perdu, par l’adjonction d’une dissolution saline, la plus grande partie de son eau d’imbibition. Il croyait, d’après les résultats de quelques expériences antérieures, que cette fibrine dégonflée ne se digérerait pas dans une solution de pepsine. Néanmoins la digestion se fit, en prenant, selon la remarque de l’auteur, une forme très-singulière. Voici cette expérience: Il jette dans de l’eau acidulée (contenant 0,001 d'acide chlorhydrique) un flocon de fibrine dont le gonfiement ne tarde pas à se montrer. À l’aide d’une dissolution de sel de cuisine, il fait de nouveau dég'onfier le flocon qu'il met ensuite dans un liquide peptique concentré, acidulé d'avance au degré le plus convenable. Le flocon n’augmente plus de volume; néanmoins il est consumé lentement, tantôt après un, tantôt après deux jours; seulement la digestion com- mence à son centre, le creuse à l’intérieur, de sorte qu'enfin il ne reste que l'enveloppe, la pellicule externe non gonflée du flocon, qui se désagrége aussitôt qu'on secoue le vase. «Il paraît donc, ajoute Brücke, que la fibrine est pénétrée «avec plus d'intensité par l'acide que par la dissolution « saline, et que la couche externe des flocons se ressent, € plus que leur centre, de l'influence du chlorure de sodium ». L'auteur admet donc lui-même certaines différences dans la perméabilité de la fibrine gonflée, dans le degré de ré- sistance que la fibrine, traitée de cette manière, oppose à l'entrée des liquides de composition différente: or, où il y a différence de résistance, il y a résistance. Donc, si l’auteur ajoute 2 cent. cub. de solution peptique à 550 cent. cub. de fibrine gonflée, recouverts d’une mince couche de liquide, 118 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. il sait fort bien qu'il n’a pas délayé cette petite quantité de pepsine dans 550 cent. cub. d’eau, mais seulement dans les quelques gouttes d'eau acidulée libre qui entourent la fibrine. Ainsi, tandis que celui des bocaux où l’on n’a mis qu'un flocon de fibrine, contient réellement une solution peptique très-délayée, l’autre bocal contient un volume con- sidérable de fibrine gonflée, entourée d'une solution rela- tivement très-concentrée de pepsine. Maintenant, pour bien comprendre la marche ultérieure de l'expérience de Brücke, il faut avant tout se rendre un compte exact des particularités physiques que présente la digestion de la fibrine gonflée. On pourrait imaginer que la pepsine digère la fibrine couche après couche, de dehors en dedans, et que chaque couche est liquéfiée à mesure qu’elle entre en contact avec le liquide peptique. L’imbi- bition, selon cette manière de voir, coïnciderait à peu près avec la digestion. Ce qui précède démontre qu’il n’en est pas ainsi, et je vais, tout-à-l’heure, vous citer d’autres faits qui mettront hors de doute que, bien avant de se dissoudre, la fibrine est imbibée, imprégnée par la pepsine du liquide ambiant. Voici une première expérience que j'ai faite tout récem- ment et qui démontre que la fibrine, après s'être imbibée d'un liquide peptique d’un degré de concentration donné, retient ce liquide avec une certaine ténacité, même si en- suite elle est transportée dans un autre liquide dont la com- position est qualitativement ou quantitativement différente. Trois bocaux contiennent, dans des volumes égaux d’eau acidulée (avec 0,0008 d’acide chlorhydrique): A :2 vol. de liquide peptique (d’un estomac de chat) acidulé au même degré (0,0008 HOCI). B : 1 vol. du même liquide peptique acidulé au même degré. C : 2/5 vol. du même liquide peptique acidulé au même degré. Aux bocaux A et B on ajoute quelques flocons de fibrine gonflée dans de l’eau acidulée (au même degré). C reste VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 119 sans fibrine. Après 30 minutes de digestion à la tempéra- ture ordinaire, toute la fibrine est encore bien visible en A et en B. On retire maintenant la moitié des flocons con- tenus en À et on les transporte dans le vase C. Après 30 autres minutes, la fibrine montre un degré ég'a- lement avancé de digestion en A et C qui ont presque tout dissous. En B, au contraire, la digestion est très-peu avancée, quoique le liquide B soit beaucoup plus concentré que C. Il est donc très-probable que c’est le liquide A, contenu dans l’intérieur de la fibrine transportée en C, qui en a opéré la digestion, malgré le degré de dilution beaucoup plus considérable du liquide environnant. J'ai toujours eu soin de choisir les flocons de fibrine aussi égaux que possible et d’en prendre pour A etB sen- siblement la même quantité. Cette expérience a été répétée un grand nombre de fois, en proportions diverses et en variant le temps, et le résultat a toujours été essentiellement le même. — Plusieurs fois j'ai pris un quatrième vase D, contenant les mêmes proportions d’eau acidulée et de pep- sine que le troisième, mais dans lequel, dès le commen- cement, on mettait un peu de fibrine. Dans ce cas encore, on voyait qu'en À et C qui ne recevait que de la fibrine déjà imbibée en A, la digestion marchait sensiblement de pas égal; elle était plus en retard en B, et beaucoup plus lente en D. — Le résultat indiqué, c’est-à-dire, l'égalité du temps de la digestion en A et en C (ne recevant que de la fibrine suffisamment imbibée en A) s’obtenait constamment si le liquide C ne contenait pas moins d'un cinquième de la pepsine qui se trouvait en A, comme dans l'expérience que je viens de rapporter. Quand C ne contenait qu’un dixième de cette quantité, les résultats variaient, quelquefois la di- gestion marchait encore de pas égal dans A et dans C, quelquefois elle était en retard dans C; mais toujours, même dans ces derniers cas, C digérait plus vite la fibrine imbibée en À, que B ne digérait sa quantité initiale de fi- 120 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. brine. — Si C ne renfermait qu'un douzième de la pepsine contenue dans À, il y avait un retard très-marqué, même si la fibrine, avant d’être transportée en C, avait séjourné pendant un temps relativement plus long en A. Cette der- uière expression demande une explication. Il va sans dire que pour qu'il y ait égalité du temps de la digestion en À et en C, il faut que la fibrine transportée d'A en C, soit suffisamment imbibée. Cette imbibition de- mande un certain temps. Or, dans beaucoup de ces expé- riences, j'ai déterminé préalablement le temps nécessaire à la digestion complète d’un flocon de fibrine en A, afin de connaître, au moins approximativement, le rapport existant entre le temps de la digestion complète et celui de l’imbi- bition sxfisante, dans le sens spécial que je viens de donner à ce mot. Admettons que le temps nécessaire à la digestion complète en À soit égal à N. Eh bien, connaissant ce temps, je disposais mon expérience exactement comme je viens de le décrire plus haut: puis, après un temps égal à : ou _à . ou même à - je transportais la moitié de la fibrine du flacon A dans le flacon C. — C’est dans ce sens que j'ai employé tout-à-l’heure l'expression d'un temps relativement plus long. Cette appréciation du temps n’est pas absolue, mais relative à une expérience préalable. On conçoit aisément qu'en abrégeant de plus en plus la durée du séjour de la fibrine en A, avant son transport en C, on doit arriver à une limite à partir de laquelle il n'y a plus égalité du temps de la digestion en A et en C. Ainsi l'imbibition s’est montrée insyfisante dans toutes les expériences où la fibrine était transportée de A en C, après N RU et un temps plus court que + Jamais l'expérience ne réus- sissait après une imbibition dont la durée n'avait été que de &- Elle réussissait au contraire presque toujours, si l’on VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 121 avait pris, comme durée du séjour de la fibrine en À, un N di te temps égal à = — La détermination exacte de cette limite n'a pas d'intérêt et je ne m'en suis pas occupé. J'ajouterai que répétées à une température de 40°, ces ex- périences m'ont fourni les mêmes résultats. Si nous admettons, avec Brücke, que c’est la concen- tration de la solution peptique qui détermine la rapidité de la digestion, ces expériences ne peuvent être expliquées que de la manière que j'ai déjà indiquée, c’est-à-dire en ad- mettant que c'est le liquide peptique À, contenu dans l'in- térieur de la fibrine transportée en C, qui en détermine la digestion, et non.pas le liquide environnant C qui est beau- coup moins concentré. — En effet, si la digestion est éga- lement rapide en A et en C, la concentration de la solution peptique qui la détermine, doit être la même. La fibrine de A, en apparence non encore digérée, au moment où nous en prenons une portion pour la transporter en C, doit donc contenir et retenir dans son intérieur une certaine quan- tité de liquide peptique, dont la concentration est à-peu- près celle de A. Nous disons qu’elle doit la refenir, parce que, si la concentration de ce liquide interne se mettait en équilibre avec la concentration du liquide externe C, avant le commencement de la digestion proprement dite, il serait impossible d'expliquer pourquoi la fibrine s’est dissoute aussi vite en C qu'en À, plus vite en C qu’en B, et beaucoup plus vite en C qu’en D, dont la concentration est égale à celle de C, mais où la fibrine a été mise dès le commen- cement de l’expérience (1). Il faut donc que la digestion de la fibrine gonflée soit (1) Si nous disons que le liquide interne des flocons ne se mel pas en équilibre avec le liquide externe, moins concentré, dans lequel on transporte les flocons, on conçoit-bien que nous n'avons en vue que des différences de concentration, ne s'éloignant pas beau- coup des proportions que nous avons indiquées pour les liquides A el C. — Si la diffé- rence de concentration entre A et C était très-grande, si, p. ex., pour prendre un cas 122 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. précédée d’une imbibition par le liquide peptique, imbibition ayant lieu avant que la fibrine montre une apparence de digestion. On prévoit en outre que la rapidité de la digestion d'un flocon de fibrine bien imbibé de liquide peptique, ne doit pas souffrir de retard sensible, si même le liquide extérieur qui baigne le flocon, subit, dans la pepsine qu’il contient, un appauvrissement progressif, pouvant aller jusqu’à un cin- quième environ de son contenu primitif. La connaissance de ces deux faits va nous être très-utile pour l'explication de l’expérience de Brücke. Brücke opère, comme nous l'avons vu, sur une petite quan- tité de fibrine suspendue dans un liquide peptique très-dé- layé, et sur une grande quantité de fibrine, entourée et re- couverte d'un liquide peptique relativement très-concentré. Avant que commence la digestion, la petite et la grande quantité de fibrine doivent s’imbiber de ces deux liquides, dont la concentration et le volume, à tort supposés égaux par Brücke, sont en réalité très-inégaux. Examinons quelle sera la marche de cette imbibition. Nous savons que la pepsine digère la fibrine gonflée avecune telle facilité, qu’une très-petite quantité de pepsine se trouve déjà en excès par rapport à une quantité de 550 cent. cub. de fibrine, comme celle que Brücke a choisie pour cette expé- rience. Nous avons vu qu'il faut prendre un volume 5 à 6 fois plus grand de fibrine gonflée, pour qu’une quantité re- lativement minime de pepsine soit insuffisante pour la digérer et par conséquent pour l’imbiber. Il n’y a done pas lieu de supposer que les 2 cent. cub. de liquide peptique, ajoutés par Brücke à la grande masse de fibrine et mélangés avec elle, n’aient pas suffi pour l'imbiber complètement. extrême, C ne contenait que de l'eau acidulée, la digestion de la fibrine la mieux im- bibée souffrirait nécessairement par le transport de À en C, parce que l’exosmose serait trop énergique. Mais, pour notre but spécial, nous n'avons à nous occuper que des Cas compris dans les limites indiquées, parce que, comme nous le verrons eneore, ce sont des cas analogues qui se réalisent dans l'expérience de Brücke VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 123 Mais l'imbibition ne peut pas marcher de pas égal dans les deux vases. La fibrine des deux vases étant gonflée d’eau acidulée au même degré, elle devra s’imbiber d'au- tant plus rapidement, qu’elle se trouvera en contact avec une solution peptique plus concentrée. La grande masse de fibrine commencera donc à s’imbiber avec une énergie beau- coup plus grande que ne le fera le flocon isolé dans l’autre vase. Mettons que dans la première unité de temps cette différence soit comme 2% est à l; dans la seconde unité de temps elle sera moindre, mais on voit qu'elle ne pourra s’é- galiser que lorsque après avoir pénétré de couche en couche, la solution peptique plus concentrée sera à-peu-près uniformé- ment répartie dans la grande masse de fibrine du second vase et délayée par le liquide interne de cette masse. Et ce n’est qu’au dernier moment, lorsque presque tout sera im- bibé, sauf la dernière couche axile de chaque filament, que la vitesse de l'imbibition pourra s'être ralentie dans le vase IT, jusqu’à la vitesse initiale en I, où il n’y a qu’un flocon de fibrine. À ce moment aussi, le liquide extérieur, dans le vase IT, n'aura plus une concentration supérieure à celle du liquide libre en I. * L'imbibition initiale des 550 cent. cub. de fibrine étant plus rapide, plus énergique que celle du flocon isolé dans l'autre vase, la grande quantité de fibrine se pénétrant en outre d’un liquide peptique plus concentré et par conséquent plus actif, on prévoit que Za digestion devra commencer plus tôt dans le vase II, que dans le vase I, d'après le principe même de Brücke, qui établit que la rapidité de la digestion s'accroît avec la concentration de la solution pep- tique (1). (1) Un petit commencement de digestion doit déjà se faire dans les couches externes des flocons en II, lorsque les couches inlernes ne sont encore qu'en voie d'imbibition; et celle circonstance, à elle seule | sufñirait à rendre la digestion plus rapide en Il, qu’en [. Mais nous faisons abstraction de celle circonstance qui pourrait être compensée par un ralentissernent proportionnel de l'imbibition subséquente, 124 ; PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. La digestion, c’est-à-dire la liquéfaction définitive de la fibrine une fois commencée, voyons quelle en sera la marche ultérieure dans celui des vases contenant une grande quan- tité de fibrine (IL). Si la digestion, comme nous l’admet- tons, détruit une partie de la pepsine, cette destruction doit marcher beaucoup plus vite en Il qu'en I. Si dans IL, il y a 100 fois plus de fibrine qu’en I, il doit se détruire, dans le premier moment de la liquéfaction définitive, 100 fois plus de pepsine dans le second des liquides que dans le premier. La fibrine dissoute se mêlera au liquide environnant et con- tribuera à diluer ce dernier. Le résidu non encore dissous du vase II, où il s’est détruit plus de pepsine, se trouvera donc, après le commencement de la digestion, dans un li- quide un peu plus pauvre en pepsine, que n'est le liquide I, et c’est sur cette circonstance que s’appuie Brücke pour nier la destruction de la pepsine, parce que, selon lui, cet appau- vrissement de la solution peptique devrait ralentir la diges- tion. Mais nous avons vu, dans les expériences qui précèdent, qu’une différence relativement faible entre la concentration - du liquide qui imbibe la fibrine et celle du liquide extérieur dans lequel elle est plongée, n’a pas d'influence sensible sur la rapidité de la digestion, pourvu que la fibre ait-été suf- fisamment imbibée par le liquide plus actif. — Donc le léger appauvrissement du liquide peptique extérieur ne ralentira pas la digestion de la fibrine en II. — Cet appauvrissement est, en effet, très-peu considérable. Même lorsque la diges- tion de la grande quantité de fibrine est presque achevée, il ne s’est détruit, comme je l'ai expliqué plus haut, qu'une si petite quantité de pepsine, que la différence de concen- tration qui en résulte entre le liquide extérieur et le liquide intérieur, n'égale certainement pas encore la différence qui existait, dans nos expériences, entre la concentration des liquides A et C (1:5). Malgré la présence des produits di- gestifs, s’accumulant de plus en plus vers la fin de la di- gestion et tendant à affaiblir toujours davantage l'activité VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 125 du liquide extérieur, l’appauvrissement de ce liquide ne crée pas, dans les limites où est faite l'expérience de Brücke, une différence de concentration telle entre la solution 1n- terne et l'externe, qu'il puisse en résuller un retard de la digestion. Or, si rien ne peut ralentir la marche de la digestion dé- finitive en IT, et si l'imbibition préparatoire de la grande masse de fibrine est de beaucoup plus rapide que celle du flocon isolé dans l’autre vase, il faut, tout compris, que la digestion de la grande quantité de fibrine soit achevée, non seulement, comme le dit Brücke, en un temps égal à celui que met le flocon isolé en I à se digérer, mais en un temps plus court. Les cas doivent être relativement rares, dans lesquels cette différence (toute en faveur du mélange Il) se trouve compensée exactement par le très-grand volume de la fibrine et par la faiblesse de la solution peptique em- ployée. En effet, si l’on répète l'expérience de Brücke, même avec des différences plus grandes dans les proportions de la fi- brine, on voit, en suivant attentivement les progrès de la digestion, qu’il arrive très-rarement (beaucoup d’expérimen- tateurs qui voudront reproduire ces expériences, ne rencon- treront peut-être jamais ce cas) que la grande quantité de fibrine se digère dans le même temps que la petite. Presque toujours la digestion est plus rapidement achevée dans le vase contenant beaucoup de fibrine que dans celui qui n’en contient qu'un flocon. J'ai observé souvent que la diges- tion dans le vase II (beaucoup de fibrine) est non seu- lement terminée quelques minutes avant celle du flocon isolé, mais que dès le commencement de la liquéfaction, elle fait évidemment des progrès beaucoup plus rapides. Ces progrès, je ne les ai pas appréciés d'après les quan- tités de fibrine qui disparaissaient en un temps donné, quantités dont l'évaluation approximative aurait pu induire en erreur, mais d’après la consistance de la fibrine contenue 126 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION, dans les deux vases, consistance égale au commencement de l'expérience et diminuant bien plus rapidement dans la grande masse de fibrine que dans la petite. Je me bornerai à vous citer une seule de ces expériences, dont le résultat dépasse encore celui annoncé par Brücke. Deux cylindres de verre, de la capacité de 500 cent. cub., sont remplis jusqu’au même niveau: À, de fibrine, bien gonflée préalablement dans de l’eau acidulée (au degré de 0,0008 d'acide chlorhydrique); B, d’eau acidulée au même degré. Dans ce vase ou met un seul flocon de fibrine gonflée. Au liquide du cylindre À on ajoute 1,6 pepsine de chat. » » B » 2 » » On agite le contenu des deux vases avec une baguette de verre. Le tout reste à la température ordinaire. La di- gestion est lente. Après 3 heures, la grande quantité de fibrine est com- plètement liquéfiée. Après 4 heures le vase B contient encore un reste non dissous du flocon, qui, lorsqu'on agite le liquide, devient bien visible. Le résultat, en apparence si singulier, de l'expérience de Brücke n’est donc en aucune façon en opposition avec celui de nos propres expériences et n’infirme pas notre CS que la pepsine se détruit par la digestion. VINGT-DEUXIÈME LEÇON. Sommaire: Action du suc gastrique sur les aliments. — Son action spécifique et digestive ne s'exerce que sur les corps albuminoïdes. — Dissolution des sels. — La transformation des matières amylacées par la diastase salivaire conlinue-t-elle dans l'estomac? L'acide gastrique n’est pas un obstacle à celte transformation. — Résultats négatifs de la reaction de Trommer dans les liquides de l'estomac en digestion. — Propriété des matières albu- minoïdes de masquer la réduction du réactif cupropotassique. — Réactifs pour reconnaître V’exydule de cuivre, Messieurs , Arrivés au bout de nos considérations sur les propriétés gé- nérales et sur les conditions d'activité du suc gastrique, nous avons à étudier actuellement la digestion stomacale en rap- port avec les différents aliments sur lesquels s’exerce l’action du suc gastrique. Je n'aurai que peu de chose à ajouter à ce que l’on sait généralement sur ce sujet. Nous avons vu que les seuls ali- ments qui soient #ransformés par le suc gastrique, sont les matières albuminoïdes; nous verrons dans la suite que l’es- tomac n’est pas le seul organe qui transforme ces matières et qu’elles peuvent toutes être digérées aussi dans l'intestin. Disons cependant que, sous ce rapport, la digestion intesti- vale ne joue qu’un rôle subordonné à celui de la digestion stomacale, tandis que pour d’autres substances, comme les graisses, c'est l'intestin qui est l'organe digestif par excel- lence. 128 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Mais si l’action spécifique du suc gastrique ne s'exerce que sur les corps albuminoïdes, ces corps ne sont pas les seuls qui se dissolvent et qui se digèrent dans l'estomac. Il y a dans l'estomac, comme nous le savons, des actions digestives qui ne dépendent pas de sa sécrétion spécifique. Cela se comprend très-bien si l’on considère qu'abstraction faite de la pepsine, l'estomac contient et produit une grande quantité de liquide faiblement acide. Tous les corps solubles dans l'eau acidulée peuvent done se liquéfier dans l'estomac et même fournir une dissolution apte à être immédiatement absorbée, si toutefois 27s ne redeviennent pas insolubles en passant dans un milieu faiblement alcalin, comme le sang. C'est ainsi que presque tous les sels solubles dans l’eau ou dans l’eau acidulée sont extraits des aliments dans l’es- tomac et que même une petite partie de la pectose des fruits devient soluble. — Les phosphates p. ex. qui se dis- solvent facilement dans les acides, mais qui sont précipités de nouveau dans les liquides alcalins, ne peuvent pas entrer directement dans le sang: après avoir été dissous par l'es- tomac. L'absorption de ces sels qui entrent en assez forte proportion dans la trame solide de l'organisme, n'est guère explicable que si l’on admet que l'acide phosphorique est mis en liberté par l’action de l'acide gastrique, et qu'absorbé par le sang, il se combine à des éléments constitutifs de ce fluide, par exemple en décomposant des carbonates. Il est vrai que de petites quantités de sels peuvent être dissoutes déjà dans la bouche et dans les voies de la dé- glutition, mais le contact des sels avec la salive est certai- nement de trop courte durée, du moins chez les animaux carnassiers, pour permettre une dissolution complète et moins encore une absorption appréciable par la muqueuse buccale ou œsophagienne. Dans l'estomac, au contraire, le contact des matières so- lubles avec un liquide toujours renouvelé, dure des heures entières et ce contact est rendu plus intime encore par les VINGT-DEUXIÈME LEÇON. 129 mouvements de l'estomac, qui doivent puissamment favoriser la dissolution et l'absorption. C’est ainsi que la digestion des os, chez les animaux carnivores et notamment chez les chiens, s'opère en grande partie au moyen de l'acide sto- macal qui dissout les matières terreuses, après que le suc gastrique proprement dit a extrait et liquéfié la trame orga- nique de l'os. Nous reviendrons plus tard sur ce sujet. Une question à laquelle nous avons déjà touché dans nos premières leçons et qui a été l’objet de beaucoup de con- troverses, est celle-ci: La transformation des jécules con- tinue-t-elle ou ne continue-t-elle pas dans l'estomac? L’esto- mac peut-il, en vertu de sa propre sécrétion, opérer la conversion en glycose des matières amylacées, ou bien la conversion en glycose que l’on observe quelquefois dans l'estomac, n'est-elle que la continuation de l’action de la salive? CI. Bernard et Barreswil considèrent la réaction acide du fluide gastrique comme un obstacle à la transfor- mation de l’amidon et croient que cette transformation ne peut-s’achever que dans l'intestin. — Cette opinion est er- ronée, comme il ressort clairement des expériences que j'ai faites devant vous à ce sujet et qui démontrent que les a- cides dilués n’abolissent pas l’action saccharifiante de la salive. J'ai eu tout récemment l'occasion de vérifier encore une fois ce fait sur la salive sousmaxillaire de l’homme, dans un cas de maladie du conduit de Wharton. Le conduit était dilaté par une concrétion qui s'y était formée et le gonfle- ment consécutif était assez considérable pour gêner la masti- cation. Je pratiquai le cathétérisme du canal et il s’écoula une grande quantité de liquide alcalin à propriétés diastatiques. Acidifié modérément, ce liquide transformait encore l’amidon. Ce n’est donc pas l’acide stomacal qui peut suspendre la transformation des fécules par la salive. Voici néanmoins ce que CI. Bernard et Barreswil ont observé: Quelque temps après avoir donné à manger à des animaux une grande TOME DEUXIÈME 9 130 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. quantité de substances amylacées, ils retirent et filtrent le contenu stomacal. Le liquide filtré ne contient pas de trace de glycose. — Le sucre, disent-ils, ne peut pas avoir disparu par absorption, car l'estomac, au moment d'être ou- vert, renfermait encore une quantité considérable de fécule non altérée. Si le réactif cupropotassique, employé par les auteurs, leur indiquait parfois des traces à peine visibles de glycose (le plus souvent ces traces mêmes manquaient), en revanche l'épreuve par la fermentation ne leur donna jamais que des résultats négatifs. D’autres observateurs ont constamment trouvé des traces de sucre dans l'estomac des herbivores, jamais dans celui des carnivores. C’est en effet le cas, si, pour reconnaître la glycose, on se sert des réactifs ordinaires. Chez l’homme, l'estomac, après l'ingestion de substances amylacées, ne contient pas non plus de glycose reconnais- sable par les méthodes usuelles. J'ai fait l'expérience sur moi-même. Après avoir mangé beaucoup d'aliments fécu- lents, je provoquai le vomissement; les matières rendues ne donnèrent pas le précipité caractéristique avec le réactif cupropotassique. L’acide stomacal ne pouvant pas être envisagé comme un obstacle à la saccharification, puisqu'un mélange de salive et d’amidon, traité par un acide même plus concentré que celui du suc gastrigne, ne cesse pas de fournir de la glycose, l'agent anti-diastatique doit être cherché parmi les autres éléments du suc gastrique. — Pour décider avant tout si le phénomène était dû au suc sécrété par l'estomac à jeun ou au suc gastrique actif, je fis l'expérience suivante: — Chez un chien à jeun, j'irritai la muqueuse stomacale au moyen d'un corps dur; je provoquai ainsi l'écoulement d’un liquide légèrement acide que je mélangeai avec de la sa- live du même animal et avec de l’empois d’amidon. Constam- ment, au bout de 2 à 3 heures, le mélange contenait du sucre. VINGT-DEUXIÈME LECÇON. 131 x — Lorsqu'en revanche je donnais à manger l’amidon au même chien, le contenu stomacal retiré par la fistule au bout de 2 à 3 heures, ne laissait pas reconnaître de glycose par les réactifs généralement en usage. Le sucre avait-il disparu par absorption? Non, car l'estomac renfermait encore des restes de fécule non altérée. Cette preuve ne me paraissant toutefois pas entièrement décisive, je voulus m'’assurer du fait à l'aide d’une espèce d'absorption artificielle. Chez des chiens à fistules larges, j'introduisis dans l'estomac, en même temps que la fécule, une éponge humide. — Le liquide de l'éponge, exprimé au bout de quelque temps, ne contenait pas de sucre. Arrivé, en 1852, à ce point de mes recherches, je déclaraï qu’il n’était pas possible encore de préciser pourquoi la gly- cose n’est pas reconnaissable, par les réactifs ordinaires, dans les liquides de l'estomac en digestion. Deux opinions contradictoires avaient été émises par les auteurs qui, jusqu'alors, s'étaient occupés de cette question. Les uns niaient, les autres affirmaient la possibilité de re- connaître le sucre dans le contenu stomacal. Bouchardat, Sandras, Blondlot, et avec eux CI. Bernard n'avaient jamais pu obtenir la transformation de l'amidon dans l'estomac. Bidder, dans ses premières publications, admettait encore, en 1848, que la salive peut transformer en sucre, dans l’es- tomac du chien , de l’amidon qui y a séjourné pendant au moins 4 heures; mais plus tard, croyant avoir trouvé que l’action saccharifiante de la salive est instantanée, et ayant vu, d'autre part, que la fécule introduite dans l'estomac d'un chien à l’aide de la sonde œsophagienne, ou même simplement mâchée et avalée par l'animal, ne se transformait pas immédiatement dans l'estomac, il nia que la salive conservât son activité en présence du suc gastrique. Selon Bidder il n'y aurait jamais, dans l’estomac du lapin ni du mouton, formation de glycose par la salive déglutie, et la transformation n'aurait lieu que chez le cochon d'Inde, 132 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. chez lequel, en effet, Bidder obtint une réduction du liquide cupropotassique par le contenu stomacal (1). Frerichs, au contraire, croyait pouvoir conclure de ses observations que l'estomac en digestion contient toujours du sucre , lorsque des aliments féculents ont été ingérés par l'animal. Lehmann, dans le 2** volume de sa Chimie physiologique (Edition 1850), signale également la présence constante de la glycose dans le contenu stomacal des animaux nourris de fécule, et il en déduit que la salive continue à opérer la conversion de l’amidon en présence du suc gastrique. Lehmann constate la présence de la glycose par trois pro- cédés: 1° par la réaction ordinaire de Trommer; 2° par la fermentation; 3° par la réaction du saccharate de potasse sur le sulfate de cuivre. (A cet effet, on traite le contenu stomacal filtré par l'alcool, et l’on recueille le précipité; l'extrait alcoolique préalablement dissous dans l’eau, est traité par une dissolution de potasse caustique, qui en précipite le saccharate. Ce saccharate réduit immédiatement la solution bleue de sulfate de cuivre et précipite l’oxydule rouge de cuivre). Malgré ces preuves si positives, Lehmann, dans un autre volume du même ouvrage, se déclare prêt à admettre aussi la possibilité contraire, sur l’autorité de Bidder, qui récuse la formation du sucre dans l'estomac. Lehmann proteste tou- tefois de l'exactitude de ses premières observations. C’est à-peu-près à la même époque que Longet, occupé à étudier l’action de la salive mélangée de suc gastrique, (1) Nous savons déjà, sous ce rapport, que, chez le chien, on ne doit pas s’altendre à une transformation immédiate de l’amidon, puisque la salive pure du chien n’agit elle- même qu'après un contact très-prolongé. Or si, dans lé contenu stomacal du chien, on trouve du sucre quatre heures aprés avoir fait prendre à l'animal des aliments féculents, tandis que le suc gastrique non mélangé de salive ne transforme pas l'amidon, même après un contact de 42 heures, à quel agent attribuer la présence du sucre dans le pre- mier cas, sinon à la salive? On verra, par ce qui va suivre, que la glycose ne fait pas non plus défaut dans les liquides gastriques du Japin et du moulon, contrairement à ce qu’a (rouvé Bidder. VINGT-DEUXIÈME LEÇON. 133 observa plusieurs fois le fait intéressant que la glycose, ajoutée à dessein à une solution digestive, ne pouvait pas être retrouvée par le réactif cupropotassique. Cette observation renferme la clef du problème qui nous occupe. Zes matières albuminoïdes digérées ou transforinées en peptones, ont la propriété de masquer la réaction de Trommer. Or le grain de fécule est contenu dans une enveloppe azotée, qui peut fournir, lors de sa digestion et en l'absence de toute autre matière albuminoïde, assez de peptone pour empêcher la précipitation caractéristique du réactif cupropotassique par le sucre contenu dans la solution. — Le liquide gastrique mé- langé de mucus, que l’on obtient par l’irritation mécanique de l'estomac vide, jouit, à un faible degré, dela même propriété. — Disons en outre que la glycose, ajoutée à une solution fortement délayée de matières albuminoïdes, n’est plus même facilement reconnaissable par l’épreuve de la fermentation. Plus tard Babo et Meissner ont prouvé que la réduction du réactif de Trommer n’est pas réellement empêchée par la présence de l’albuminose, comme l'avait admis Longet, mais que l'oxydule de cuivre formé par la glycose, est dis- sous par les parapeptones qui communiquent au réactif une teinte bleue claire, de plus en plus pâle, à mesure qu'augmente la proportion de sucre. Toujours, dans ces cas, le réactif subit un commencement de décoloration. Ainsi, chaque fois que le contenu stomacal liquide, encore mélangé de fécule non altérée, ne donne pas, avec le réactif de Trommer, de précipité d’oxydule rouge de cuivre, nous ne sommes pas en droit de nier la présence du sucre, mais il faut rechercher, surtout lorsque le réactif, sans se troubler, montre un commencement de décoloration , si de l’oxydule de cuivre n’est pas contenu, à l’état dissous, dans le liquide sur lequel on opère. | Pour reconnaître la présence de l’oxydule de cuivre, Babo et Meissner ont eu recours aux deux réactions bien distinctes que donnent, avec le ferrocyanure de potassium, d'une part 134 PHYSIGLOGIE DE’ LA DIGESTION. l'oxyde, d'autre part l’oxydule de cuivre. Dissous par l'acide chlorhydrique, les sels d'oxyde de cuivre sont précipités en &/anc par le cyanuré jaune; tandis que les sels d’oxydule de cuivre le sont en jaune clair. Cette méthode donne des résultats très-nets, quand le liquide à examiner ne contient qu'un seul des oxydes qu’il s’agit de reconnaître, mais du moment que l’on opère sur un mélange d'oxyde et d'oxy- dule, comme il arrive généralement dans les expériences physiologiques, le procédé de Babo est incertain. Presque toujours on ajoute un peu plus de réactif cupropotassique que n’en peut réduire le sucre présent dans le liquide; une partie de l’oxyde n’est donc pas désoxydée; dans ces con- ditions, la précipitation par le cyanure jaune donne un mélange de deux couleurs dont il est à-peu-près impossible de rien déduire de positif. Trois méthodes ont été indiquées par mon frère Hugo Schiff, pour reconnaître des traces minimes d’oxydule de cuivre, dans les cas où la réaction de Trommer est masquée par des matières albuminoïdes mêlées à la solution de gly- cose. Ces méthodes n’ont pas l'inconvénient de la réaction proposée par Babo, et peuvent être appliquées avec toute sécurité à des mélanges d'oxyde et d’oxydule. J'ai eu l’occasion, en traitant de la propriété qu'a la salive de décolorer l'iodure d'amidon, de décrire et d'appliquer devant vous une de ces méthodes dont je me sers déjà depuis 1857: permettez-moi de vous la rappeler ici: On commence par changer l’oxydule et l’oxyde en chlo- rure cuivreux et en chlorure cuivrique, au moyen de l'acide chlorhydrique ajouté en excès. Puis on ajoute, par gouttes, de l'acide iodique, mêlé à un peu d’empois d’amidon. L’acide iodique se décompose avec le chlorure cuivreux (Cu Cl) et avec l’acide chlorhydrique en excès, l’iode est mis en liberté et colore en bleu l’amidon auquel il est mêlé (1). L’oxyde (1) Celle réaction a lieu d’après l'équation suivante : 12 05 + 10 Cu CI + 10 CI H = 10 Cu CI2 + 5 H£ O + 2 I (Cu = 65,4). VINGT-DEUXIÈME LEÇON. 135 de cuivre, changé en deutochlorure , ne donne pas lieu à cette réaction, et sa présence ne trouble pas la réaction de l'acide iodique sur le protochlorure. Les deux autres réactions sont basées sur des @écomposi- tions analogues du protochlorure de cuivre, obtenu, comme dans le premier cas, en traitant l’oxydule par un excès d’a- eide chlorhydrique très-pur. | Si le liquide acide renfermant le protochlorure, est mis en contact, dans une capsule de porcelaine, avec une trace d'acide tungstique jaune, celui-ci est immédiatement trans- formé en oxyde tungstique intermédiaire, vert (1). #Le même liquide acide contenant le protochlorure, traité par l'acide molybdique (pour cette réaction je me sers ordi- nairement du molybdate d’ammoniaque), prend aussitôt une coloration d’un beau bleu (oxyde molybdique intermédiaire). Cette réaction est moins sujette à induire en erreur que la précédente, attendu que la différence entre la couleur blanche de l'acide molybdique et la couleur bleue de l’oxyde inter- médiaire est plus marquée que ne l'est la différence entre les couleurs de l'acide et de l’oxyde tungstiques. Ajoutons que l'acide tungstique, conservé dans des vases exposés à la lumière, se colore quelquefois spontanément en jaune- verdâtre (2). L'acide sulfurique détruit, à chaud, la propriété qu'ont les peptones et les corps albuminoïdes en général de masquer la réaction de Trommer ; mais ce moyen ne peut être mis en usage qu'en l'absence de corps qui eux-mêmes sont transformés en sucre par l’acide sulfurique. Dans la recherche qui nous occupe et qui a pour objet des liquides souvent mélangés d’amidon non altéré, la propriété indiquée de l’a- cide sulfurique ne peut donc pas être utilisée. , (1) D’après l'équation : | 2 W 03 + 2 Cu CI + 2H CI — W2 05 + 2 Cu CIZ + H2 O (W — 184). (2) Comparez: UGo Scmirr, Sulla ricerca del glicosio (Reperlorio di Chimica e di Far- macia, Vol. If, N° 7. Luglio, 1865). 136 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. En revanche, dans l’urine de l’homme, l’acide sulfurique peut servir à la recherche de petites quantités de glycose, lorsque la réaction deffrommer est masquée par la présence de matières albu- minoïdes non coagulables. Ce procédé n’est cependant pas appli- cable à toute urine indistinctement, car, d’après les intéressantes observations de Schunk, ce fluide contient quelquefois un corps qui, au contact de l’acide sulfurique, se décompose et fournit de la gly- cose.” Ce corps que Schunk à désigné sous le nom de Z#dicane, est analogue à l’Indigo dont il ne diffère que par une proportion plus petite d'oxygène. Il colore l’urine en bleu foncé, lorsque celle- ei est versée dans de l’acide chlorhydrique pur et concentré. Non seulement l’indicane empêche de reconnaître par le moyen de l'acide sulfurique et du réactif cupropotassique la glycose dañs l’urine albumineuse, mais il décompose directement l'acide iodique et l’acide molybdique, qui ne peuvent donc pas être employés comme moyens auxiliaires de la réaction de Trommer. J’ai constaté ce fait pour l’urine de chien et de chat. Dans ce cas — et j’ai fait l’expérience sur de l’urine très-faiblement diabétique de chat, laquelle contenait beaucoup d’indicane et un peu de peptone ajoutée à dessein pour masquer la réaction de Trommer — dans ce cas, dis-je, il faut évaporer l'urine à une température très-modérée, extraire par l’alcool le résidu syrupeux, traiter l’extrait alcoolique par une dissolution alcoolique de potasseet laisser reposer pendant 24 heures. La glycose forme du saccharate de potasse et l’indicane reste en dissolution. Le liquide , ainsi traité, dépose un précipité flocon- neux, presque hyalin, que l’on recueille sur un filtre et qu’on lave à plusieurs reprises avec de l'alcool absolu. Le résidu est séché à une température élevée; on le redissout dans l'eau et l’on fait la réaction de Trommer. Si celle-ci ne donne pas de résultat apparent, on applique le réactif iodique ou molybdique qui maintenant permet de reconnaître les plus petites traces d’oxy- dule de cuivre restées en dissolution. S'il ne s’agit que de faire une analyse qualitative, il suffit quelquefois, pour se préserver de l’action perturbatrice des peptones, de filtrer à travers du charbon animal. Mais ce procédé fait toujours perdre du sucre. A l’aide des réactifs excessivement sensibles que je vous ai décrits, il m'a été possible de constater la présence d'une grande quantité de glycose dans le contenu stomacal de tous les animaux dont la salive transforme l’amidon, et de VINGT-DEUXIÈME LEÇON. 137 démontrer que la diastase salivaire n’est pas neutralisée dans les liquides de l'estomac en digestion. Chez les animaux dont la salive est peu active, j'ai également retrouvé, dans les liquides albumineux de l'estomac, la glycose que j'y avais à dessein ajoutée et qui n'était pas directement reconnais- sable par le réactif cupropotassique. Maïs tandis que chez le cochon d'Inde et chez le lapin, le sucre se montre très- peu de temps après l’ingestion de matières amylacées (comme l’amidon cuit), il faut attendre plus longtemps chez le cheval, et plus longtemps encore chez le chien et chez le chat. Si l’on donne de l’amidon cuit, la transformation, dans l'estomac du chien et du chat, ne commence qu’au bout de 1 à 3 heures ; si l’on donne du riz cuit, le sucre apparaît beaucoup plus tard encore. Il va sans dire que ces temps sont considérablement allongés si l’on donne de l’a- midon cru, car alors la conversion en sucre ne peut com- mencer qu'après que l’amidon a été gonflé par le liquide stomacal, et, le plus souvent, dans ce cas, la plus grande partie de l’amidon passe dans l'intestin. J'ai donné à manger à des chats des foies de grenouilles hibernantes, chargés d’inuline hépatique et ne contenant pas trace de sucre. L’inuline, restée, pendant plusieurs heures, en contact avec la salive déglutie par les animaux, se trans- formait en glycose. — Des pommes de terré, sans trace appréciable de sucre (celles conservées dans les caves, en hiver, nue sont pas en général dans ce cas), mgérées et vomies après quelque temps, en contenaient abondamment (bien que ce sucre fût sans action visible sur le réactif cu- propotassique). Constatons expérimentalement le fait que l’action du sucre sur le réactif cupropotassique peut être masquée par les corps albuminoïdes dissous. Je prends une solution d’albumine à laquelle j'ajoute wx dixième de cent. cub. d'une solution concentrée de glycose. Comment ce mélange agira-t-il sur le réactif de Trommer? 138 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Vous le voyez, le réactif prend aussitôt et déjà à froid une coloration d’un lilas particulier qui est dûe à la présence de l’albumine. Toutes les fois que cette couleur se produit dans nos réactions sur le sucre, nous sommes avertis de la présence d’un corps qui, plus tard, pourra s’opposer à la réduction visible du réactif cupropotassique. — Je chauffe. Le liquide, du lilas intense, passe au lilas pâle, mais ne se trouble pas, même après avoir été en ébullition. — La méde- cine uroscopique dirait probablement, dans un cas sem- blable , que le liquide ne contient pas de sucre, et cette conclusion serait erronée; Car, comme nous le verrons tout-à-l’'heure, notre mélange a réduit le sel de cuivre, mais l'oxydule est resté à l’état dissous. Augmentons encore la proportion de sucre. J'ajoute un second dixième de cent. cub. de la même solution de glycose et je chauffe. Coloration lilas plus pâle, mais pas de précipité. Au troisième dixième de glycose que j'ajoute, le liquide se décolore presque entièrement, mais l’ébullition ne préei- pite rien. Au quatrième dixième on voit apparaître une légère teinte jaunâtre à peine visible. Six dixièmes ne suffisent pas encore à rendre le précipité évi- dent; ce n’est qu’à la huitième adjonction de glycose (toujours d'un dixième de cent. cub.) que l'influence de l’albumine est neutralisée et que le précipité jaune se montre visiblement. Examinons encore l’action des peptones et des parapeptones. Voici une solution digestive provenant d'une expérience de la dernière leçon. — J'en prends un centimètre cube, j'y ajoute 1 1j2 cent. eub. de solution de glycose, et je délaie le tout dans une quantité égale d’eau acidulée. — Le réactif cupropotassique prend, au contact, une coloration d’un ose garance particulier qui est dûe à la présence des peptones (1). (1) Par peptones au pluriel nous entendons ici loujours peptone et parapeptone mélées. Suivant Meissner, les peptones doivent leur propriété de dissoudre l'oxydule de cuivre entièrement et exclusivement à la parapeptone. — Le même auteur a trouvé que la VINGT-DEUXIÈME LEÇON. 139 Ce changement de coloration, indiqué déjà par plusieurs auteurs, a été utilisé pour l'analyse qualitative par Piotrowski, qui le considère comme un des caractères distinctifs des peptones. Mais je dois dire que j'ai obtenu la même teinte rose avec l'extrait de bouillon et avec la viande longtemps macérée qui commençait à se putréfier. Je chauffe à l’ébullition. Le liquide devient à peine plus pâle et ne se trouble pas. À mesure que je le refroidis, il est possible de reconnaître, dans la coloration rose qui persiste, une teinte jaunâtre excessivement légère. Pour vous donner une idée de la quantité de sucre qui existe dans ce liquide, je reprends encore une fois 1 112 cent. cub. de la solution de glycose que je délaie dans un volume d'eau égal au volume de notre dernier mélange. Le réactif cupropotassique est réduit en jaune clair. Prouvons maintenant que les liquides albumineux qui contiennent de la glycose, sans réduire visiblement le ré- actif de Trommer, contiennent néanmoins de l’oxydule de cuivre. Je refroidis dans un bassin d’eau l’éprouvette de la se- conde expérience (mélange de peptone et de glycose) et j'ajoute de l’acide chlorhydrique très-pur, jusqu’à ce que la propriété qu'ont les peplones de colorer le réactif cupro-potassique en rose clair, n'appartient ni à la parapeptone, ni à la peptone purifiée, mais à un corps qu'il n'a pas encore pu définir et qui paraît se former constamment à côlé des peplones dans les solutions digestives. De même la coloration rouge du précipité que produit le réactif de Millon, n’est pas dûe, suivant Meissner, aux vraies peptones, c’est-à-dire à la parapeptone et à la peptone pures, mais à un corps extraclif, non encore isolé, qui paraît étre toujours mélé à la solution digestive de l’albumine d'œuf. Cette restriction de Meissner ne se rapporte qu'à la peptone d’albumine; car d’autres peplones, même purifiées, donnent la réaction caracté- ristique de Millon; telles sont les peptones de viande, de caséine, et de fibrine de sang. Une solution de peptone, acidifiée avec de l’acide acétique, est précipitée par le ferro- eyanure de polassium. Celle précipitation , suivant Meissner, est entièrement dûe à la parapeptone. La peptone pure de caséine p. ex. n'est pas précipitée par le ferrocyanure. La peplone pure de viande fait exception: le cyanure jaune la précipile , comme les parapeplones. 140 = PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. couleur rose ait complètement disparu. J'incorpore au li- quide un peu d’amidon cru et j'y laisse tomber, par gouttes, de l'acide iodique très-dilué. Il se forme un anneau bleu au contact des deux liquides. Lorsque le mélange est refroidi plus complètement , la réaction est plus apparente encore. Même expérience avec l’amidon cuit. L’anneau bleu est beaucoup plus intense. La réduction du réactif cupropotassique par la glycose a donc été simplement masquée par les corps albuminoïdes que nous avons à dessein ajoutés; il en résulte la règle que dans toutes les recherches de ce genre, avant de se pro- noncer sur l'absence du sucre, il faut examiner, par des réactifs plus sensibles, si de l’oxydule de cuivre n'existe pas, à l’état dissous, dans le liquide albumineux qui n’a pas ré- duit visiblement le réactif de Trommer. VINGT-TROISIÈME LEÇON. Sommaire: Action des liquides gastriques sur les matières amylacees, après l'exclusion de Ja salive. -- Action du mucus tonsillaire et du mucus pharyngien déglutis. — Le suc gastrique artificiel frais ne transforme pas l'amidon. — Action diastatique du mucus stomacal dans certaines maladies. — Conversion du sucre de canne en glycose par l’action prolongee du suc gastrique. — Les liquides gastriques agissent-ils sur les graisses? — Action du suc gastrique sur la viande, sur l’albumine solide et liquide. — Phénomènes de la digestion de ces corps, comparés à ceux de leur dissolulion dans les acides. — Coagulation de la cascine au contact du suc gastrique actif. — Causes de celte coagulation. — Action du suc gastrique sur les matières albuminoïdes des végétaux. — Dissolution des sels. — Digestion des 08. Messieurs , La conversion des fécules en glycose peut, comme nous nous en sommes assurés par nos dernières expériences, Con- tinuer dans l'estomac en présence de la salive qui imprègne le bol alimentaire et de celle qui est avalée pendant la di- gestion. Mais si l’on a intercepté l’afflux de la salive ou extirpé les glandes salivaires (1), n’y a-t-il plus dans l’estomac aucun agent qui puisse encore opérer la transformation de l’amidon? — Voici quelle expérience j'ai faite à ce sujet: J'ai donné à manger de la farine de blé à des animaux qui précédemment avaient subi l’extirpation des glandes sa- livaires. Le contenu stomacal, examiné d'heure en heure après l’ingestion de la farine, ne renfermait pas de sucre pendant toute la première période de la digestion. Tou- tefois, vers la 6m° ou 8° heure de la digestion, des traces Æ (1) Sous ce nom nous comprenons toujours les parotides et le paquet glandulaire sousmaïxillaire. 142 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. de glycose pouvaient être reconnues, à l’aide des réactifs sensibles, dans les liquides retirés de l’estomac. Cependant il est hors de doute que le suc gastrique pur et frais, retiré artificiellement d’un estomac dont on a soigneusement lavé la muqueuse, ne transforme jamais l’amidon. Il faut donc que dans l’expérience que je viens de rapporter, quelque autre agent, mélangé au suc gas- trique et provenant peut-être des voies de la déglutition, ait été cause de la production tardive d'une petite quan- tité de glycose, quantité en réalité insignifiante à côté de celle que l’on voit se produire, dès le commencement de la digestion, chez l'animal normal placé dans les mêmes con- ditions expérimentales. Il n’est pas impossible que cet agent soit le mucus ton- sillaire et celui que sécrète la muqueuse pharyngienne, li- quides qui, chez certains animaux, sont sécrétés en quantité beaucoup plus considérable qu'on ne se le figure générale- ment. Mais ce mucus n'a pas les propriétés diastatiques de la salive, ou ne les a qu'à un très-faible degré. Cette action lente du mucus pharyngien pourrait expliquer, à la rigueur, pourquoi l'apparition de la glycose, dans toutes les expé- riences analogues à celle que j'ai rapportée, a lieu si tardi- vement et pourquoi le sucre se forme en si petite quantité. Ce que j'ai dit il y a un instant de l'inactivité du suc gastrique pur, vis-à-vis de l'amidon, ne s'applique qu’à l’es- tomac sain et normal. Dans certains catarrhes de la mu- queuse stomacale, la sécrétion peptique peut plus ou moins faire défaut et être remplacée par une abondante production d’un mucus à propriétés saccharifiantes peu énergiques, du moins quant à la guantité d'amidon qui est transformée, Le ferment qui communique cette propriété au mucus gastrique pathologique, peut d’ailleurs être très-actif, quant à la série de-transformations qu'il est capable de produire. C’est ainsi que, dans ces cas, il n’est point rare de voir la glycose se décomposer elle-même et fournir de l'acide lactique, buty- VINGT-TROISIÈME LEÇON. 143 rique et même acétique, comme l’indiquent quelques au- teurs. L’acide butyrique se manifeste quelquefois par l'odeur désagréable qui s'échappe de la bouche des personnes af- fectées de catarrhe stomacal. Ces malades, comme on le voit, devront éviter avec soin les aliments féculents et su- crés. Même le sucre de canne qui, dans l'estomac sain, n’est jamais décomposé en ses dérivés acides, pourra, en présence du ferment pathologique, subir l'altération que je viens de signaler; nous savons en effet que le sucre de canne, soumis à la fermentation, donne directement de l'acide lactique. Bouchardat et Sandras disent avoir trouvé comme fait constant que le suc gastrique naturel transforme le sucre de canne en glycose. Je n’ai pu confirmer cette observation que lorsque le contact du suc gastrique avec le sucre de canne avait été prolongé beaucoup au delà des limites phy- siologiques. Les expériences de Longet sont confirmatives de cette restriction. — Toutefois, quand le suc gastrique contenait beaucoup d'acide, — pas assez pourtant pour en- rayer la saccharification -— j'ai constaté, à l'étuve, la trans- formation partielle du sucre de canne en glycose déjà au bout d'une heure et demie à deux heures. La preuve que pendant la digestion normale, la transformation en question n'a pas régulièrement lieu, c’est que chez les animaux qui ont ingéré de grandes quantités de sucre de canne, on le retrouve tel quel dans les différents liquides de l'organisme et même dans l'urine. Dans le cours des maladies fébriles qui retardent les mouvements de l'estomac et prolongent par conséquent le séjour des aliments dans ce viscère, en même temps qu’il y a une sécrétion plus abondante de mucus sto- macal, le sucre de canne, comme je l’ai indiqué tout-à-l’heure, fournira probablement aussi une plus grande quantité de glycose, pouvant être ultériéurement décomposée en ses dérivés acides. Lorsque, dans ces circonstances, les matières féculentes se transforment successivement en glycose, en acide lac- 144 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. tique, butyrique, mucique, ou valérianique, c’est en général le mucus stomacal qui joue le rôle de ferment; mais vous vous souvenez que la salive elle-même peut subir, sous l'influence de la fièvre, certaines altérations de ses propriétés qui favo- risent ces fermentations acides. Cependant ce n’est là qu'une possibilité; les altérations imprimées au fluide salivaire par la fièvre, ne sont ni constantes ni même très-fréquentes, et l'on peut, dans certains cas, démontrer directement que ce n’est pas la salive ou que ce n’est pas exclusivement la sa- live qui est cause de la décomposition acide de l’amidon. Les animaux privés de leurs glandes salivaires ou auxquels on a lié les conduits salivaires peuvent en effet, comme je l'ai vu dans quelques expériences, présenter, pendant la fièvre, des anomalies analogues dans la transformation des matières féculentes qui séjournent dans leur estomac. Il y a un fait singulier que j'ai souvent observé sur des chiens auxquels j'avais extirpé les glandes salivaires et coupé les pneumogastriques; c’est que quand je leur donnais à manger, à jeun, de la pâte de farine cuite, la fermentatione acide du contenu stomacal se produisait plus rarement que quand je leur donnais du pain. Y aurait-il dans le pain un reste de ferment qui, après avoir résisté au four, conti- nuerait à agir en présence du mucus gastrique? L'action du liquide gastrique sur la graisse contenue dans les aliments, est très-restreinte. Les corps gras, dans l'estomac, sont liquéfiés, s’émulsionnent très-peu avec le mucus et passent presque toujours en totalité dans l'intestin. Cependant, si on lie le pylore et l'œsophage, après avoir rempli l'estomac de corps gras, il paraîtrait qu’on peut forcer l'organe à en absorber une petite quantité. Dans les expé- riences que j'ai faites à ce sujet, je n'ai pas vu les lympha- tiques de l'estomac remplis de vrais globules graisseux ; mais toute la muqueuse stomacale présentait une sorte d’in- filtration blanchâtre. M. Bruch, de Bâle, dit avoir constaté VINGT-TROISIÈME LEÇON. 145 une Seule fois, dans des circonstances analogues, la présence d'un grand nombre de globules graisseux dans les vaisseaux efférents de l’estomac (probablement les lymphatiques). Nous arrivons à l’action principale et spécifique du suc gastrique, celle qu'il exerce sur les #atières albuminoïdes. Le premier phénomène que présente la viande, soumise à la digestion naturelle, est un gonfiement uniforme de son tissu. La fibre charnue devient plus friable et prend une consistance gélatineuse. On a dit que le suc gastrique faisait perdre à la fibre musculaire ses stries transversales. Aïnsi énoncée, cette proposition pourrait donner lieu à une équi- voque, car ce qui se perd, ce n’est que l’aspect extérieur de la striature et non les éléments anatomiques qui la com- posent. On sait que les stries qui donnent un aspect si ca- ractéristique à la fibre musculaire, sont le résultat de la juxtaposition et du parallélisme des corpuscules élémen- taires, placés, à distances égales, dans l'intérieur des fibrilles contiguës. Or dès que le tissu connectif qui relie entre elles les fibrilles élémentaires vient à se g'onfler et à se dissoudre, et que les fibrilles elles-mêmes se dissocient, ce parallélisme est détruit et avec lui l'aspect, le phénomène optique des stries. Si, après la désagrégation des fibres, on examine au microscope les fibrilles élémentaires , on distingue encore très-nettement à leur intérieur les corpuscules, et on con- tinue à les voir, de plus en plus pâles, jusqu’au moment où les fibrilles elles-mêmes se liquéfient et disparaissent dans le suc gastrique. Ce qui constitue la striature, à pro- prement parler, n’est donc pas détruit, avant la liquéfaction de la fibre charnue elle-même (1). (1) Cependant les fibres musculaires plus réfraclaires peuvent séjourner très-longtemps dans l'estomac, sans perdre leur apparence striée, el conserver celle apparence méme après avoir traversé toute la longueur du tube digestif. Ce qui le prouve, c’est qu’il n'est pas rare de trouver des fibres musculaires presque inallérées dans les matières fécales. — Per- soune, j'imagine, ne voudra voir, dans ce fait, un argument en faveur de la (héorie qui TOME DEUXIÈME 10 146 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Avant de se dissoudre définitivement, la chair, comme je l'ai dit, devient transparente, friable et comme gélatineuse. Le gonflement par lequel commence la digestion de la viande, résulte de l’action du suc gastrique acide sur le tissu con- pectif qui se dissout d’abord et qui, par sa liquéfaction, dé- sagrége les fibrilles. Celles-ci se dissolvent ensuite en grande partie, mais, avant de passer à l’état liquide, elles tendent à se briser en petits fragments transversaux. Les sarcous elements de Bowman, qui ne sont autre chose que les pro- duits de cette division transversale des fibrilles élémentaires, peuvent être préparés et isolés à l’aide du suc gastrique, pourvu qu'on n’attende pas jusqu’à la liquéfaction complète du muscle. Le gonflement de la fibre musculaire, tel qu’il se produit au commencement de la digestion, est tout-à-fait analogue au gonflement de la chair dans les acides dilués. Ces acides à eux seuls, peuvent opérer la dissolution du musele; mais, — ai-je besoin de vous le rappeler? — le produit de cette dissolution est essentiellement différent du produit de la digestion peptique, qui est un corps double et incoagu- lable par les réactifs ordinaires. — Cette propriété qu'ont les acides de dissoudre la fibre musculaire, est très-nota- blement augmentée par la pepsine. On s'assure de ce fait par l'expérience suivante: Un volume donné de suc gastrique de chien est partagé en deux portions. Une portion est mise à l’étuve avec un peu de viande cuite. L'autre portion est d’abord chauffée à l’ébullition (pour détruire le ferment peptique), puis placée à l’étuve avec une quantité égale de viande cuite. — Après 4 ou 5 heures, la première portion a dissous toute la viande, dont une partie est déjà transformée en peptone; dans nie la dissolution de la fibre charnue par le suc gastrique. — Toute digestion laisse un résidu, et le nombre des fibres musculaires inallérées que les fèces laissent quelquefois reconnailre à l'examen microscopique, n’est dans aucun rapport avec le nombre des fibres qui ont été introduites dans l'estomac, VINGT-TROISIÈME LEÇON. 3 147 l'autre portion la viande ne présente qu’un gonflement com- mençant et ce gonflement n’atteint son maximum qu'après un ou deux jours. On sait que le bouillon acide de Liebig n’est autre chose qu'une solution de la fibre charnue dans l'acide, produit qui est tout-à-fait analogue, quant à ses propriétés, aux solutions acides des autres corps albuminoïdes que nous avons précédemment étudiées, et qui ne se distingue de celles-ci que par la grande quantité de substance main- tenue en dissolution. Vous vous rappelez que la plupart des corps albuminoïdes solides ne se liquéfient qu’en proportions minimes dans les acides dilués. Il est une autre différence, quantitative également, qui distingue la solubilité de la chair dans les acides de celle de la plupart des autres corps albuminoïdes, et qui est d’un avantage particulier pour la digestion. Cette différence réside dans la concentration de l’acide la plus favorable à la dissolution de la chair; ce degré d’acidité, le plus favorable, n’est guère inférieur à celui du suc Vastrique, au maximum de son activité. En d’autres termes, le degré d'acidité qui opère la dissolution de la viande dans un liquide non peptique, est à-peu-près le même que celui qui, dans une infusion peptique, se montre le plus favorable à la digestion vraie de la viande. Au contraire, un suc zastrique même très-riche en pepsine, doit, pour digérer p. ex. de Z’albumine solide, présenter un degré d’acidité de beaucoup supérieur à celui que doit offrir un liquide non peptique, pour dissoudre le maximum de la même albumine solide. La concentration maximum de l’acide stomacal, imitée dans un liquide non peptique, avec l'acide chlorhydrique, ni- trique ou sulfurique, précipiterait l’albumine liquide et laisse- rait probablement l’albumine coagulée tout-à-fait inattaquée. La digestion d’une solution acide de viande demandera par conséquent beaucoup moins de temps que la digestion d’une solution acide d'albumine, puisque la préparation par l’acide est déjà faite, aussi bien ou presque aussi bien qu’elle 148 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. l’aurait été par l’acide du suc gastrique lui-même. Elle devra aussi, comme il va sans dire, se-faire plus vite que la digestion de la viande crue. — Elle pourra se faire même quand le suc gastrique sera #oins acide qu'à l’état normal. Nous n'avons pas à revenir ici sur la théorie erronée qui a régné pendant quelque temps et qui proclamait qu'une solution acide de ce genre n’a pas besoin du travail de la digestion pour être assimilée. Toutes les fois que la pep- sine fait défaut (comme cela a lieu dans la fièvre, etc.) l'estomac ne digère pas plus le bouillon acide que la chair crue. Tous les faits que je viens de vous communiquer et que vous avez eu occasion de contrôler vous-mêmes dans les expériences que j'ai faites devant vous, démontrent que la fibre musculaire, crue’ ou cuite, se dissout réellement dans le suc gastrique et qu'il n’y a rien de commun entre la solution digestive de la viande, et la solution partielle que l'on obtient p. ex. par la coction des muscles dans l'eau L’eau bouillante peut dissoudre le tissu connectif et désa- gréger les fibres musculaires, mais il y a bien loin du produit de la coction à celui de l’activité digestive. L'opinion qui a voulu identifier ces deux produits et qui, de nos jours encore, compte parmi ses défenseurs un illustre physiologiste français, n’est pas conciliable avec ce que nous enseigne le plus simple essai de digestion artificielle. Nous verrons — et j'ai hâte de l’ajouter, — qu’une coction très-prolongée peut avoir un effet analogue à celui de la digestion; mais pour obtenir cet effet, la coction doit réa- liser certaines conditions que nous déterminerons encore et qui sont loin d'être réunies dans la simple cuisson culi- naire. — Remarquez en outre (et je reviendrai sur ce fait en traitant de la digestion duodénale), que dans l’estomac vivant jamais toute la viande qui compose un repas ne se transforme en peptone. Une partie quitte l'estomac déjà VINGT-TROISIÈME LECON. 149 à l'état désagrégé, une autre partie à l'état de solution aide. Les transformations que la digestion peptique fait subir à l’abumine sont essentiellement différentes de celles qui résultent, pour ce corps, de l'action des acides dilués. Les dissolutions , en chimie, ont lieu sur foute la surface des corps en contact avec l'agent dissolvant; le suc gastrique, au contraire, use d’abord les angles et n’attaque que très- lentement les facettes planes des morceaux d’albumine que lon expose à son action. Il y a done un véritable chan- gement de forme, un arrondissement progressif qui ne s'ob- serve jamais dans l’acide seul. L'albumine solide, avant de se liquéfier dans le suc gastrique, se gonfle, devient trans- parente, et se réduit ensuite en une pulpe caséeuse, qui gagne le fond du vase, pendant qu'une autre partie de la pulpe reste adhérente aux morceaux et s’accolle au doigt qui les touche. L’acide aussi commence par rendre plus transparents les petits cubes d’albumine, mais il attaque à la fois toute la surface des fragments, sans altérer leur forme ang'uleuse. Si l'expérience est conduite de manière à amener une véritable dissolution, l'albumine disparaît peu-à-peu, sans se décomposer d’abord en particules pou- dreuses, et sans former de dépôt pultacé au fond du vase. Voici de l’albumine qui a séjourné dans le suc g'astrique et qui est en partie digérée. Vous voyez que le résidu non digéré est gonflé et hyalin, que les morceaux, primitivement taillés à angles, sont usés et arrondis, et que le fond du vase est recouvert d’une matière pultacée qui se voit à peine. En remuant ce dépôt avec une baguette de verre, je le rends un peu plus visible. — Il en résulte que si, dans la digestion artificielle, on ne voit plus l’albumine, cela ne veut pas encore dire qu'elle soit réellement dis- soute. Il faut, pour s'en assurer, filtrer le liquide et exa- - miner avec soin si la filtration ne laisse pas de résidu non 150 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. liquéfié. Les flocons hyalins qui restent sur le filtre, lorsque la digestion n’est pas achevée, sont si transparents et ont un indice de réfraction si voisin de celui du liquide où ils sont suspendus, qu’il est à-peu-près impossible de les y re- connaître. L'albumine liquide demandant plus d'acide que l’albumine solide, se digère plus lentement, On a dit que l'acide stoma- cal, avant la digestion proprement dite, coagulait l'albumine liquide. Cette assertion n’est pas exacte. Si l’on donne à manger à un chien de l’albumine liquide, xon filtrée, et si l'on vide par la fistule, après une heure ou une heure et demie, le contenu de l'estomac, on ne trouve jamais de vé- ritable coagulation; mais il n’est pas rare de voir l’albu- mine, encore liquide, traversée par des stries ou des filaments blanchâtres que l’on pourrait prendre pour un indice de coagulation. Un examen plus attentif montre que ces la- melles blanchâtres ne sont autre chose que les membranes des cloisons internes du blanc d'œuf, gonflées et rendues plus visibles par l'acide stomacal. Si l’on donne à l’animal une solution f/{rée d'albumine, il manque jusqu’à cette ap- parence de coagulation. Une petite partie de l’albumine quitte l’estomac vivant à l’état caséeux, une autre partie à l’état de solution acide, sans être transformée en peptone. L’acide du suc gastrique naturel n'est jamais assez éner- gique pour opérer la coagulation de l’albumine liquide, et l'opinion qui admet cette coagulation, ne repose pas même sur des observations faites dans des circonstances excep- tionnelles. Il n’en est pas de même pour la caséine liquide qui, en effet, est promptement coagulée au contact du suc gastrique et dont la coagulation précède toujours la transformation digestive. Lorsque des nourrissons, une ou deux heures après avoir teté, vomissent le lait 20% coagulé, ce phénomène in- dique toujours un défaut de la force digestive ou au moins une altération de la composition du suc gastrique. VINGT-TROISIÈME LEÇON. 151 La coagulation de la caséine n’est pas un effet de l’acide stomacal; plusieurs circonstances concourent pour le dé- montrer. En premier lieu l'acidité du suc gastrique des herbivores et quelquefois même du chien n’est pas suffisante, à elle seule, pour coaguler presque instantanément la caséine liquide, comme cela a lieu, en fait, lorsque ces animaux viennent d’avaler du lait. Deuxièmemeènt, même dans les cas assez nombreux où l'acidité stomacale suffirait pour opérer une coagulation relativement rapide, on peut neutraliser le suc gastrique, sans que la coagulation de la caséine soit empéchée ni même retardée. Troisièmement, le suc gastrique artificiel ou naturel qu’on a soumis à l’ébullition, ne possède plus qu’à un faible degré ou a perdu la faculté de coaguler la caséine liquide, si toutefois il ne présente pas une acidité très-prononcée. La coagulation, dans ce cas, a lieu incomplètement et tar- divement, comme dans l’eau acidulée au même degré que le suc gastrique. Quatrièmement enfin, le suc gastrique soumis à l’ébul- lition et neutralisé ne coagule plus du tout le lait. D'après ces faits, on serait en droit de conclure que la coagulation rapide de la caséine, telle qu’on l’observe nor- malement dans l'estomac en digestion, est dûe à la pepsine. Cependant nous userons d’une certaine réserve et nous dirons seulement que /4 coagulation est l'effet des prin- cipes organiques du suc gastrique, destructibles par la chaleur. Voici les observations qui m’obligent à faire cette restriction : 1° L’extrait aqueux et légèrement acide, obtenu par l'in- fusion de la muqueuse préalablement lavée d’un estomac de mouton, bien qu'il ne digérât pas une trace notable d'al- bumine, coagulait la caséine aussi bien et aussi promptement que le faisait l'extrait de l'estomac d’un autre mouton tué 152 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. en pleine digestion, bien fourni par conséquent en pep- sine. Ce dernier extrait, acide comme le premier, mais peut-être un peu moins, digérait une certaine quan- tité d’albumine. Il est à remarquer cependant qu’en com- parant l’action des deux infusions sur la fibrine gonflée, je n'ai pas réussi à constater de différence appréciable de leur pouvoir digestif. Ceux qui connaissent les quantités considérables de fibrine gonflée que peut dissoudre un suc gastrique relativement peu actif, ne s’étonneront pas de cette différence. 2 La pepsine «isolée » fournit, comme il a été dé- montré par Brücke, un précipité avec la cholestérine. Ce corps, en solution acidulée, digère très-bien l'albumine, mais ne coagule que très-lentement et très-faiblement la caséine liquide. On voit par là que l’acide du suc gastrique n’est pas in- dispensable à la coagulation de la caséine; mais on aurait tort de généraliser ce fait et d'en déduire que l'acide en général n'intervient pas dans la formation du coagulum. Car, comme l’a trouvé Brücke et comme j'ai eu occasion de le confirmer, le lait, avant de se coaguler dans le suc gas- trique neutralisé, ou au moins avant que la coagulation soit visible, est rendu acide par une décomposition intérieure, résultant probablement d’une transformation du sucre de lait. La caséine, aussi bien que la fibrine, passe momenta- nément, après sa liquéfaction dans le suc gastrique, par un état dans lequel elle est coagulable par l’ébullition dans les liquides presque neutralisés. Nous avons si souvent constaté ce fait que nous devons maintenir notre assertion malgré les doutes qui ont été émis à ce sujet. — La fi- brine et la caséine, après avoir été dissoutes, ne tardent pas à prendre en partie, dans l’estomac même, les propriétés des peptones et à devenir incoagulables par la chaleur; elles fournissent d'autant plus de peptone que la digestion VINGT-TROISIÈME LECON 153 a été plus prolongée et plus complète. Comme je l'ai dit à plusieurs reprises et comme je le relève encore une fois à cette occasion, la digestion des corps albuminoïdes, ingérés dans les proportions qui correspondent à l’alimentation nor- male, ne s’achève jamais tout entière dans l'estomac vivant. Il passe régulièrement dans le duodénum un résidu albu- mineux, sinon inaltéré, du moins incomplètement trans- formé.— Cette règle s'applique aussi à la caséine. Les cail- lots de lait peuvent même, après avoir été dissous en grande partie dans l'estomac, passer encore en substance dans le duodénum où leur digestion est achevée. Il n’en est pas moins certain que la caséine, après avoir été coagulée par le suc gastrique, s’y redissout, et s’y dissoudrait entiè- rement si son séjour dans l'estomac durait assez longtemps. C’est ce que démontrent à toute évidence les essais de di- gestion artificielle. Il est assez difficile de concevoir — et en ceci nous nous associons à la remarque qu'a déjà faite L. Corvisart, — comment, dans des Leçons de Physiologie qui ont eu un grand retentissement en France, l'opinion a pu être émise que la caséine devient insoluble dans l’esto- mac et arrive à l’état coagulé dans l'intestin. Nous pouvons affirmer tout au contraire qu'une quantité de lait, même assez copieuse, peut être ex grande. partie digérée et ab- sorbée dans l'estomac, et que le résidu solide inaltéré qui passe dans l'intestin, est très-peu considérable comparative- ment à ce qui se dissout. — Ajoutons encore que la caséine se digère d'autant plus difficilement qu’elle est plus sèche. La caséine purifiée des chimistes, qui ne contient plus de graisse, est un corps presque complètement inattaquable par le suc gastrique. Cette perte des propriétés nutritives de la ca- séine tient très-vraisemblablement à ce que, dans cet état, elle est rendue presque impénétrable par les liquides de l'estomac. Quant aux matières albuminoïdes des végétaux (graines de papilionacées, de graminées, etc.) il est à remarquer que 154 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION la Zégumine présente la particularité de se dissoudre très- facilement dans les acides. Avant d’être digérée, elle fournit donc une solution acide très-concentrée qui ensuite est transformée en peptone. Comme je n’ai pas fait beaucoup de recherches à ce sujet, je ne saurais décider si Mulder a raison d'admettre que l'acide à lui seul peut opérer la transformation de la légumine en peptone. Cet auteur dit avoir trouvé dans la légumine une espèce de pepsine pré- formée qui, en présence d’un peu d'acide, suffirait pour con- vertir spontanément la légumine en peptone, Comme Mulder prolongeait ses expériences jusqu’à 8 jours, on pourrait peut- être se demander si le corps peptoniforme que cet auteur a observé, ne résultait pas d’une décomposition de la légu- mine, plutôt que d’une autodigestion. — Rappelons que la légumine fraîche est aussi soluble dans l’eau et que sa dis- solution aqueuse est coagulée par le suc gastrique, à la manière de la caséine liquide. Ce coagulum se redissout dans l’acide gastrique; et c’est dans cet état de dissolution acide que la légumine est digérée. Les albumines végétales sont toujours contenues dans des enveloppes celluleuses plus ou moins réfractaires à l’action du suc gastrique, et il faut que la salive ou le li- quide stomacal dissolvent ou désagrég'ent ces enveloppes, pour que l’albumine puisse être digérée. Les aliments végétaux que nous mangeons se désagrég'ent peu-à-peu dans l’estomac et se réduisent en bouillie. C’est seulement dans cet état de désagrégation que leurs élé- ments albuminoïdes sont attaqués par le suc gastrique et qu’ils deviennent réellement nourrissants. Dans le pain, nous ne digérons par le suc gastrique que les parties al- buminoïdes qui constituent le gluten; le reste qui n’a pas déjà été dissous par la salive et qui est insoluble dans la- cide dilué, se réduit en petits fragments et passe dans l’in- testin. J'ai déjà dit que la plupart des seZs solubles dans l’eau, VINGT-TROISIÈME LECON. 155 peuvent étre directement absorbés par l'estomac. — C’est dans l’estomac également que se digèrent les os. Cette di- gestion présente quelques particularités intéressantes qui n’ont pas toujours été bien comprises et auxquelles nous devons nous arrêter un instant. La digestibilité des os était niée par Haller, au siècle dernier, quelques-uns de ses contemporains admettaient cependant la digestion de la trame organique du tissu os- seux. Spallanzani a prouvé plus tard, par une expérience très-décisive, que le suc gastrique peut dissoudre et dis- soudre réellement, sans l'intervention d'aucune action mé- canique de la part de l'estomac, une certaine quantité de tissu osseux, et qu’il en liquéfie même la trame inorganique. Blondlot, par ses célèbres recherches sur la digestion des os, a confirmé, de son côté, que la partie organique est dis- soute par l'estomac, mais il se trouve fort embarrassé d’ex- pliquer ce que devient la partie terreuse, puisque, suivant sa théorie sur le mode d'agir de l’acide stomacal, il ne peut y avoir de véritable dissolutioæ du phosphate calcaire par le suc gastrique. Il pense que la matière calcaire est seulement désagrégée ou délitée par une action spéciale et « catalytique » du suc gastrique. Nous examinerons tout- à-l'heure si cette opinion est fondée. Blondlot a très-bien décrit l'apparence des os en digestion. Il fait la remarque que souvent la digestion des os n’a pas lieu uniformément sur toute leur surface, mais qu’elle est précédée d’une usure irrégulière des couches externes, qui se couvrent de pointes et de nodosités de grosseur variable. Ces nodosités, à en juger d’après leur surface uniforme et polie, ne peuvent pas, comme Blondlot le fait très-bien observer, être le produit d’une action mécanique, du brisement d’une partie de la surface osseuse en voie de ramollissement. Les os présentent fréquemment cet aspect rugueux et épineux lorsqu'à une période peu avancée de la digestion on les retire de l'estomac du chien; le même aspect se retrouve également quand on 156 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. les a préalablement entourés d’un réseau métallique, — preuve que les actions mécaniques n’interviennent pour rien dans le phénomène, — Un fait plus constant que la production de ces aspérités et qui a été également relevé par Blondlot, c'est que les os en digestion se recouvrent d’une poudre crayeuse, d’un gris-jaunâtre, qui adhère aux doigts et que l’on peut recueillir en grande quantité si l’on gratte la surface des os retirés de l’estomac, après 2 à 4 heures de digestion. Si l'on remue dans l'eau l'os à demi digéré, cette ma- tière se disperse dans le liquide eu lui communiquant un trouble blanchâtre; plus tard elle se dépose. L’extrait aqueux que l’on en retire, ne contient que des traces de matière organique, et ce dépôt, desséché, donne une poudre blan- che, cohérente et enbiénément composée de sels calcaires. Blondlot fait observer, à tort, que les digestions d'os, faites hors de l'estomac avec le suc gastrique naturel, réussissent rarement et que le plus souvent elles échouent d’une ma- nière complète. Les digestions artificielles d'os, faites avec un suc gastrique comvenablement saturé de pepsine et d'acide, non seulement reproduisent toutes les particularités décrites par Blondlot, l'aspect épineux de la surface osseuse, la formation d'un dépôt pulvérulent etc., mais le suc gas- trique artificiel dissout le tissu osseux plus promptement et plus énergiquement que ne le fait l'estomac vivant. Il suffit pour cela de renouveler de temps en temps le liquide. peptique, si, après la dissolution d’une certaine quantse de gélatine, la digestion vient à s'arrêter. C'est en étudiant séparément l’action du suc gastrique sur chacun des deux éléments des os que Blondlot arrive à la conclusion que la partie terreuse n’est pas réellement dissoute, mais ne fait que « se réduire en poudre ow se dé- liter par suile d'une modification survenue dans le mode d'agrégation de ses molécules intégrantes ». I] avait vu la partie cartilagineuse, isolée du squelette calcaire, se liquéfier assez bien, quoique lentement, dans le suc gastrique, comme VINGT-TROISIÈME LEÇON. 157 le font les autres tissus fibro-cartilagineux; mais, en répé- tant cette expérience sur l'os calciné, il fut très-étonné de le voir se dissoudre aussi et disparaître assez promptement dans l'estomac. Il observa plusieurs fois ce phénomène et ne put se l'expliquer que lorsque, ayant retiré un os huit heures seulement après son introduction dans l'estomac, il le vit recouvert de cette matière crayeuse, semblable à du blanc d'Espagne, dont il a été question plus haut. Cette ma- tière, recueillie et traitée par quelques gouttes d'acide chlor- hydrique, se dissolvait avec une légère effervescence (1). Blondlot avait déjà cru voir que le suc gastrique, filtré pendant la digestion des os et traité par l’oxalate d’ammo- niaque, ne donnait pas un précipité plus abondant que ne le donne le suc gastrique ordinaire. Rapprochant ces deux faits, il en déduisit que le suc gastrique n’agit point ici par son acide, à la manière des dissolvants chimiques, mais que c'est par une espèce d'influence de contact, de force cata- lytique qu'il produit la désagrégation du tissu osseux. Les os réduits en particules fines passeraient directement dans l'intestin et de là dans les matières fécales, sans aban- donner au corps leurs éléments inorganiques. Dans une communication adressée à M. Longet, lors de la publication de son 7raité de Physiologie, j'ai consigné sommairement les résultats d’une série d'expériences faites en 1851, pour vérifier les indications de Blondlot. J'ai trouvé très-exactement confirmée la description que cet auteur donne de l'apparence des os en digestion; mais mes obser- vations diffèrent quant à l’action de l’oxalate d'ammoniaque sur le suc gastrique filtré. Voyant disparaître une quantité relativement si considérable de tissu osseux dans le suc vastrique artificiel, je m'attendais à voir se produire dans le liquide filtré un précipité assez copieux d’oxalate de chaux, et j'avoue que j'ai été frappé, dans mes premières (1) Bconxpcor, frailé analytique de la digeslion, p. 325, 158 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. expériences, par le petit volume de sel qui se précipitait. Néanmoins, en le comparant au volume du précipité que donnait le suc g'astrique ordinaire, j'ai dû reconnaître que le premier est toujours plus considérable et quelquefois beau- coup plus considérable que le second. Il n’est donc pas douteux qu’une partie des matières terreuses se dissout réellement dans le suc gastrique. Voici une expérience qui le prouve d'une manière bien évidente: Si l’on recueille le résidu pulvérulent qui s’est déposé lors de la digestion artificielle d'un os et si l’on traite ce résidu par du suc gastrique frais que l’on renouvelle à plusieurs reprises , la poudre calcaire finit par disparaître entièrement. La dissolution de la matière calcaire est-elle une disso- lution par l’acide gastrique? Tout le monde sait que les acides dilués extraient la matière calcaire des os, et a priori il n'y a aucune raison de supposer que le suc gastrique acide, s’il contient un acide libre, fasse exception à la loi générale. Cependant les phénomènes que l’on observe pendant la digestion des os, ne sont pas en tout point identiques à ce qui se passe lorsque l'os est macéré dans un acide dilué quelconque. Dans ce dernier cas on voit aussi la matière calcaire disparaître peu-à-peu, mais jamais on n’aperçoit, à la surface de l'os, ces proémi- nences et ces aspérités sur lesquelles Blondlot a le premier attiré l'attention. Cette altération singulière de la surfacé osseuse, si elle n’est pas absolument constante, se ren- contre néanmoins dans un assez grand nombre de cas. Sur un os entier, traité par l'acide, on ne remarque pas, comme l'indique déjà Blondlot, que la partie terreuse, avant de se dissoudre, se désagrége en une sorte de bouillie cal- caire recouvrant l'os et se déposant ensuite au fond du vase. C'est précisément cette dissemblance entre les effets de l'acide et ceux du suc gastrique qui avait suggéré à Blondlot l'idée que dans la digestion des os il devait y avoir quelque VINGT-TROISIÈME LEÇON. 159 chose de spécifique , de caractéristique, une action essen- tiellement différente de celle des simples dissolvants chimi- ques. Cette conclusion n’est pas justifiée, car, avant de se prononcer pour une différence des agents dissolvants, il importait d'examiner si l’os, dans l’état où il est attaqué et dissous par l'acide gastrique, est le même objet que l'os entier que l'on soumet, dans un bocal, à l’action d’un acide dilué quelconque. Il s’agit de savoir si les différences bien réelles qui existent entre les effets du suc gastrique acide et ceux des acides simples, ne peuvent pas être expliquées par la non-identité des objets à dissoudre dans ces deux cas, plutôt que par une dissemblance essentielle des agents dissolvants eux-mêmes. Or l'agent organique du suc gastrique, la pepsine, n’inter- vient qu'indirectement dans la production des aspérités osseuses ; ce n’est pas sur les sels calcaires qu'elle agit, mais sur la gélatine, et — ce qu'il importe surtout de re- marquer — elle dissout cette substance beaucoup plus rapi- dement que l'acide ne dissout la partie inorg'anique. L'action, d’ailleurs purement chimique de l'acide stomacal, n’est limitée en rien par la présence de la pepsine, mais elle ne se ma- nifeste que lentement et ne se développe entièrement que lorsque l'agent peptique à mis à nu, en différents points, le squelette calcaire. Comme la dissolution de la gélatine fait des progrès assez rapides, on conçoit comment, à un mo- ment donné, il peut y avoir à la surface de l’os une couche entièrement inorganique sur laquelle, alors seulement, l'a- cide commence à agir. De là aussi l'aspect usé et émoussé que ne tardent pas à prendre les crêtes osseuses. — On peut dire en général que la pepsine agit avec une rapidité telle que lorsque l'acide intervient, il existe déjà une couche su- perficielle dont la partie gélatineuse est entièrement ex- traite par la pepsine. — Au contraire, dans l’os soumis à l’action seule de l’acide, toute cette préparation n’a pas lieu, parce que l'acide ne dissout pas la gélatine; l’extraction de 160 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. la trame organique de l’os manque, et il n’y a pas dénu- dation du squelette calcaire. Des os en digestion, sciés en travers, présentent ordinaire- ment, vus sur leur surface de section, trois couches bien distinctes, qui sont de dehors en dedans: l° une pellicule mince, à peine adhérente au reste de la surface et entière- ment composée d’un détritus pulvérulent, calcaire, qui, après le lavage, ne contient pas de trace de substance organique ; 2 une couche irrégulièrement érodée et ru- gueuse, encore en continuité avec l'os, également privée de sa trame organique: c’est ce stratum qui vient d'être extrait par la pepsine et qui, sous l’action de l'acide, va subir la même désagrégation que celle dont est résultée la pellicule poudreuse externe; 3 à l'intérieur de cette couche, l'os présente sa texture-normale. L'examen de la section transversale d’un os macéré dans l’acide, montre au contraire à la périphérie externe une couche entièrement molle et lisse, composée de tissu carti- lag'ineux légèrement g'onflé, réfractaire à l’action de l'acide; en dedans de ce stratum, le squelette calcaire existe en- core par place, bien que les sels inorganiques soient déjà en partie extraits. Plus au centre, l'os est normal. Eh bien! lorsque un os plongé dans du suc gastrique, présente à sa surface une couche dont le cartilage est totale- ment extrait, l'acide agira tout différemment sur ce stratum calcaire qu'il n’agirait sur l'os intact, puisque maintenant il se trouve en présence d’une couche entièrement composée de particules calcaires solubles qui ne sont plus protégées et retenues en place par une trame gélatineuse, insoluble dans l'acide seul. — Ce qui fait que dans l’os entier, l'acide peut attaquer et dissoudre peu-à-peu le squelette calcaire, c'est que cette trame organique est perméable, et qu’elle laisse passer l'agent dissolvant, sans en être attaquée elle- même. — Dans notre cas, l’acide agit donc librement sur la partie calcaire dénudée et isolée à la surface de l'os. Des VINGT-TROISIÈME LECON. 161 particules de cette surface inégale, dissoutes à leur base et : déjà dégagées par la disparition de la trame organique, se détacheront et tomberont; tout ce que l'acide continue à désagréger, se réduira peu-à-peu en poussière et gagnera le fond du liquide. Les parties calcaires plus denses, plus réfractaires à l’action de l'acide, formeront des aspérités et des anfractuosités, qui, dans l’os non soumis à l’action préa- lable de la pepsine, se forment probablement aussi sous l’in- fluence de l’acide, mais restent enveloppées de toutes parts et cachées par le cartilage. Il existe donc une différence réelle entre l'os entier et l'os privé, par la pepsine, de toute la couche superficielle de sa trame organique, et l’action de l’acide devra nécessairement se présenter sous une autre forme, selon qu’elle s’exercera sur un os entier ou sur un os partiellement digéré. L’os, préalablement extrait par la pepsine, correspond en effet à un os privé de sa matière organique. Donc, pour examiner si les différences trouvées par Blon- dlot autorisent ou non à admettre une différence spécifique entre l’action qu'exerce sur la matière terreuse de l'os d’une part le suc gastrique acide, d’autre part l'acide seul, il faut traiter par un acide dilué quelconque l'objet auquel s'adresse normalement l’action de l'acide gastrique, c’est-à-dire l'os calciné, privé de ses matières organiques par un procédé artificiel préalable. C’est en étudiant l’action du suc gas- trique sur l'os calciné et en comparant cette action à celle des acides inorg'aniques que devra se dégager la spécificité, la propriété catalytique du suc gastrique, telle qu'elle est admise par Blondlot. — J'ai fait cette expérience. J'ai calciné des os en fragments ou entiers, et je les ai soumis comparativement à l’action du suc gastrique et à celle des acides dilués. À mon grand étonnement, les deux dissolutions donnèrent identiquement le même résultat. L'a- cide chlorhydrique dilué reproduisait, à la surface des os, les TOME DEUXIÈME LÉ 162 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. mêmes changements de forme et de consistance que j'étais habitué à ne voir produire qu’au suc gastrique. J’ai retrouvé l'aspect rugueux et épineux des couches externes, la désa- grégation de ces couches en molécules caleaires , le dépôt blanc au fond du vase, en un mot, toutes les particularités qui, suivant Blondlot, dépendraient d’une propriété spécifique du suc gastrique. Mais pourquoi l’acide produit-il ces aspérités et ce dépôt pulvérulent? Pourquoi ne dissout-il pas l'os, comme il dis- soudrait un crystal calcaire? C’est qu’il y a, dans l'os, des couches plus ou moins denses, plus ou moins réfractaires à l'action de l’acide; ces couches sont séparées par des canaux et par des fissures qui permettent au liquide dis- solvant de s’infiltrer dans les parties plus profondes, plus facilement solubles, et de dissoudre celles-ci avant les parties plus superficielles, moins solubles. Ces parties moins so- lubles, par conséquent, seront détachées par leur base, en forme de petits débris irréguliers, plus ou moins volumineux; ou bien elles resteront adhérentes par leur base, pour former des aspérités, des dentelures, des épines, qui ne sont autre chose que les couches concentriques éburnées, entourant ceux des canalicules de Havers, qui sont dirigés transversalement sur le long diamètre de l'os. Nous pouvons conclure de tous ces faits que la dissolution de la matière calcaire des os, telle que l’opère le suc gas- trique, n’est autre chose qu’une dissolution dans l'acide dilué, après que la matière organique a été Zigérée par la pepsine acidifiée. La propriété de digérer et de dissoudre les os (j'insiste sur cette distinction qui est réelle) n’est pas, comme on pourrait le croire, l’attribut exclusif de l'estomac des car- nassiers. J’ai fait avaler à des cochons d’Inde et à des sur- mulots des os de crânes de hibous, des tarses d'oiseaux etc. et je n’ai retrouvé dans leurs excréments que des restes insiguifiants de poussière calcaire. — Le hamster égale- VINGT-TROISIÈME LEÇON. 163 ment digère avec facilité des squelettes entiers de petits oiseaux qu'on lui fait manger avec un peu de chair adhé- rente aux os: les excréments ne laissent reconnaître, après la digestion, que de faibles résidus de détritus calcaire. VINGT-QUATRIÈME LEÇON. Sommaire : La conversion des corps albuminoïdes en peptones n'est pas l'altribut exclusif des agents de la digestion naturelle. — Production artificielle des pepiones. — Efléts de la coction prolongée sur la constitution des corps albuminoïdes, — Albuminose de cuisson de L. Corvisart. — Deédoublement artificiel des matières albuminoïdes en parapeplone et peptones, — Recherches de Mulder et de Meissner sur les peptones artificielles de la syntonine, de la caséine, de la fibrine, de l'albumine et des substances albuminoïdes végé- tales, soumises à une coction prolongée. — Production des peptones artificielles par l'air ozonisé.— Recherches de Gorup-Besanez, confirmées par celles de l'auteur. — Caractères organoleptiques des peptones arlificielles. Messieurs, Jusqu'ici nous ne nous sommes occupés que des peptones produites par le suc gastrique naturel ou artificiel. C'était toujours la pepsine qui, dans les matières albuminoïdes, pro- duisait la transformation isomérique par laquelle ces ma- tières passent de l'état primitif à l’état de nutriments assi- milables. Dans une autre partie de ce cours, j'aurai à vous démontrer que la pepsine n’est pas le sex/ agent au moyen duquel l'organisme peut opérer cette transformation et que la digestion des corps albuminoïdes continue dans l'intestin, sous l'influence du suc pancréatique et du suc intestinal. Mais n’existe-t-il pas d’autres agents, indépendants des organes digestifs de l'animal, capables, comme le suc gas- trique, d'opérer la transformation des matières albuminoïdes en peptones ? VINGT-QUATRIÈME LEÇON. 165 A priori nous n'avons aucune raison de nous refuser à cette admission, puisque toutes les autres transformations chimiques que nous voyons accomplir au corps animal ou aux ferments animaux, perdent de plus en plus, avec les progrès de la science, ce monopole de spécificité dont les théoriciens de tous les temps ont voulu douer les agents de la vie. Dans le monde inorganique dont nous procédons, nous trouvons des agents d’une énergie en général plus grande, mais que nous pouvons employer non moins eff- cacement pour reproduire, avec une similitude complète, quelques-unes des réductions et des décompositions qui ont lieu continuellement dans le corps animal. Si nous voyons l'animal transformer l’amidon en sucre au moyen du fluide salivaire qui, en apparence, n’est pas doué de propriétés chi- miques très-énergiques, nous pouvons obtenir la même trans- formation par l’action prolongée des acides minéraux ou par l’ébullition avec ces acides. Le chimiste, à l’aide de la flamme, décompose les corps organiques en des produits identiques à ceux qui se développent dans notre corps sous l'influence d'un agent beaucoup moins puissant, la respiration. La transformation des matières albuminoïdes en peptones, bien que s’accomplissant à l’aide d’un produit de sécrétion de l'organisme, serait-elle une de ces opérations chimiques compliquées , analogues à celles qui se passent dans l’in- térieur des tissus, pendant l'acte de l’assimilation, et n'y aurait-il aucun moyen de la reproduire sans l’aide d’un ferment animal ? Nous savons aujourd'hui qu’il n’en est pas ainsi, et que par deux procédés artificiels, nous pouvons obtenir quelques produits non seulement analogues, mais identiques, dans toutes leurs particularités, aux peptones de la digestion. Ces méthodes, connues depuis peu d'années, ne sont pas encore bien parfaites, et leur application demande un temps relati- vement très-long, mais ce résultat suffit à démontrer que dans la digestion naturelle des corps albuminoïdes il n’y a 166 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. rien de spécifique, rien qui appartienne exclusivement aux agents «vitaux ». . Le premier de ces procédés consiste dans la coction pro- longée dans l'eau; le second, dans l'exposition prolongée des matières albuminoïdes à l’air ozonisé. Quant à la coction dans l’eau, les recherches de Ber- zelius ont déjà établi que la synfonine (que l’on a aussi désignée sous les noms de fbrine des muscles et de mus- culine) se dissout en grande partie dans l’eau bouillante, si l'expérience est continuée pendant un temps suffisamment long. Berzelius ne s’est pas occupé des caractères particu- liers des produits qui résultent de cette dissolution; il indique cependant que la viande, soumise à une coction excessivement prolongée, subit une espèce de Zestruction de ses éléments nutritifs, et qu'à partir du moment où le tissu cellulaire est dissous, c’est-à-dire après que le but de la coction culinaire a été atteint, la viande perd peu-à-peu sa propriété d'être un aliment, sans communiquer au liquide dans lequel elle est bouillie, de nouvelles qualités nutritives. La coction culinaire proprement dite ne va, comme on sait, que jusqu’à la dissolution de la plus grande partie du tissu connectif du muscle, et ce ne serait, suivant Berzelius, que pendant cette première période de la coction que le zowillon gagnerait en valeur nutritive. Mulder a répété ces expériences sur différents corps albuminoïdes et notamment sur la viande. Il a indiqué, le premier, que dans la solution produite par la cuisson pro- longée, il existe un corps dont les propriétés ont une cer- taine analogie avec celles que l’on reconnaît aujourd'hui aux peptones. Mais les connaissances que l’on possédait alors sur ces corps et les méthodes dont on se servait pour les découvrir dans les liquides animaux, étaient trop imparfaites pour faire ressortir pleinement cette analogie. Je ne vous donnerai pas ici l’histoire complète des tra- vaux qui ont eu pour objet l’action de l’eau bouillante sur VINGT-QUATRIÈME LEÇON. 167 les matières albuminoïdés: cette histoire a été très-bien traitée par Meissner dans ses remarquables recherches sur la digestion. Rappelons toutefois que Luc. Corvisart, en étudiant les caractères distinctifs des aliments et des nu- triments, a également vu se produire, par la coction pro- longée des corps albuminoïdes , une substance qu'il ap- pelle albuminose de cuisson et dont il fait ressortir la grande analogie avec l’a/buminose de Mialhe, laquelle n’est autre chose que la peptone, mélangée des produits ordinaires qui résultent de l'action plus ou moins complète du suc gastrique. Dans quelques recherches faites sur le bouillon considéré comme aliment, j'ai constaté, de mon côté, que l’albumi- nose de cuisson apparaît déjà, en traces minimes, après une coction peu prolongée de la viande et même lorsque la viande a été digérée pendant quelque temps dans l’eau un peu 4% dessous du point d'ébullition. L’albuminose de cuisson existe donc dans le bouillon en général et même dans l'extrait aqueux des muscles, préparé à une tempéra- ture de 50 degrés; mais, je le répète, on n'obtient par ces procédés que des traces très-faibles de cette substance, qui augmente peu-à-peu, au fur et à mesure qu'on élève la température et qu’on prolonge l'action de l’eau bouillante. Meissner, après avoir trouvé que la digestion consiste non seulement en une transformation caractéristique, mais aussi en un dédoublement des corps albuminoïdes en plu- sieurs produits chimiquement distincts, a dû se demander si les mêmes transformations et les mêmes dédoublements ont également lieu pendant la production de l'albuminose de cuisson. Pour examiner cette question, Meissner institua (en partie avec Büttner, Thiry et de Bary) une longue série de recherches sur les produits que fournissent les divers corps albuminoïdes, après avoir été soumis à une coction de plusieurs jours. Ces produits se montrèrent iden- tiques à ceux de la digestion par le suc gastrique artificiel, 168 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. et les différences qu'il put constater, ne portent pas sur les propriétés intrinsèques, mais seulement sur le xombre de ces produits. 1. La syntonine, soumise à une coction de plusieurs jours, fournit une dissolution aqueuse dans laquelle, suivant Meissner, il existe deux corps: l’un, identique à la peptone, l’autre identique à ce que l’auteur appelait s#eéfapeptone de syntonine, composé qui se forme toujours à côté de la peptone, pendant la digestion de la syntonine par le suc gastrique artificiel. La métapeptone se dis- tingue de la peptone par sa propriété d’être précipitée, si l’on acidifie légèrement la solution aqueuse qui la contient (1). — Lors- que, après une coction d’à-peu-près 100 heures, l’eau ne dissout plus rien, il reste au fond du vase un corps jaunâtre, insoluble dans l’eau, et assez difficilement soluble dans les acides dilués. Ce corps n’est autre chose que la parapeptone de syntonine. Meissner fait observer que la coction érès-prolongée a sur cette substance un effet entièrement analogue à celui de la digestion peptique, prolongée au delà des limites ordinaires; c’est-à-dire qu’elle diminue la solubilité de la parapeptone dans les acides. 2. La caséine, soumise à l’action de l’eau bouillante pendant un très-grand nombre d'heures, fournit de la pepéone et le corps qu’on appelait #étapeptone. Une partie du résidu solide est soluble dans l'acide chlorhydrique dilué; le reste est très-peu soluble, même dans les acides un peu plus concentrés qui lui donnent une con- sistance gélatineuse, Ce résidu correspond exactement à la dys- pepione qui se forme aussi dans la digestion artificielle de la ca- séine. On se rappelle que la production de ce résidu insoluble ne s’observe que dans la digestion de la caséine, et que la dyspeptone manque dans la digestion de l’albumine et de la syntonine. La propriété que présente la partie insoluble de ce résidu, de prendre une consistance gélatineuse en présence des acides, manque éga- lement dans la fraction de parapeptone qui, dans le produit de la coction de la syntonine (et de l’albumine), devient dyspeptone, en perdant de sa solubilité dans les acides. — Cette double analogie est très-remarquable. Si, au lieu de traiter la caséine et la syntonine par l’eaw bowil- lante, on les fait cuire dans les acides dilués, on obtient les mêmes dédoublements chimiques, et, suivant Meissner, il ne paraît pas que (1) Voy. Lecon XVII, Tom. prem., pag. 399. VINGT-QUATRIÈME LEÇON. 169 la présence de l’acide accélère la transformation. Cependant Meis- sner fait observer qu’il a obtenu un commencement de transforma- tion, en faisant simplement macérer, pendant quelque temps, les deux corps indiqués dans l'acide dilué, à une température de 40°. Ce fait ne constitue pas une propriété spécifique des acides, puis- que, comme nous l'avons dit plus haut, la macération de la viande dans l’eau distillée, à 50°, nous a également donné une petite quantité d’albuminose de cuisson, même dans les cas où, peu de temps après l’addition de l’eau à la viande finement divisée, nous avons %eutralisé l'acidité produite par l’acide musculaire. Meissner a étendu ses recherches aux matières extractives et aux acides qui se produisent, pendant la coction de la syntonine et de la caséine, à côté des corps complexes que nous avons désignés sous le nom générique de peptones. — La décoction de syntonine présente au commencement et souvent pendant un temps assez long, une réaction acide, et, après l'élimination des peptones, on trouve dans le liquide de l’acide lactique. Plus tard, la réaction devient spontanément alcaline et, au microscope, on observe, comme l’indique Meissner, des cristaux de créatinine et de créatine. La décoction de caséine laisse également reconnaître, au commen- cement, de l’acide lactique et plus tard de la créatinine. Meissner _ se réserve de vérifier ces dernières indications par des recherches plus étendues. Provisoirement il fait observer qu’il n’a jamais trouvé, dans la décoction d’a/humine, ni de l’acide lactique ni de la créatinine. 3. Les produits de la coction prolongée de la ffbrine ont été analysés par Meissner, en commun avec Büttner. Les auteurs ont employé, pour cette recherche, de la fbrine de sang, préalable- ment lavée avec de l’eau ammoniacale, afin d’en éloigner les ré- sidus sanguins qui ne s’extraient que difficilement au moyen de l’eau pure. On se rappelle que Meissner a distingué dans le pro- duit digestif de la fibrine trois corps qui y existent simultanément pendant un certain temps: les À, B et C peptones, dont nous avons indiqué, dans une des leçons précédentes, les caractères différentiels. La fibrine, ainsi que les autres corps albuminoïdes, fournit, par la coction prolongée dans l’eau, des produits complexes de trans- formation , en partie identiques à ceux qu’elle fournit en pré- sence du suc gastrique. Elle se dissout en majeure partie et laisse un résidu complètement insoluble dans l’eau. Dans le liquide on trouve la #étapeplone, la B peptone et la C peptone, sans trace 170 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. de A peptone. La métapeptone ne subit pas de transformation ultérieure par l’action de l’eau bouillante et ne se convertit pas en peptones. Par ce caractère les effets de la coction se distinguent de ceux de la digestion peptique qui, comme on se le rappelle, peut accomplir la conversion de la métapeptone de fibrine en peptone définitive. — Dans le dédoublement que la coction fait subir à la fibrine, il y a donc une partie de cette substance qui s'arrête à l’état intermédiaire de métapeptone; et quand la coction a épuisé son action chimique (c’est-à-dire quand les transforma- tions de la fibrine ne font plus de progrès), l’eau bouillante n’a pas encore donné naissance à tous les composés qui se produisent par la digestion avec le suc gastrique naturel ou artificiel. Mais ce qui reste après la coction, et ce qui n’est plus ultérieurement transformé par l’eau bouillante, est encore susceptible de se transformer par la digestion avec le suc gastrique artificiel. La pepsine extrait du résidu insoluble de la fibrine cuite: 1° l’A peptone qui manquait dans le produit de la coction; 2° la parapepione, qui, après avoir été dissoute par la pepsine, présente son caractère ordinaire d’être précipitée par la neutralisation, et qui laisse finalement un résidu identique au corps que l’on a appelé dyspeptone. Le suc gastrique, comme on le voit, exerce sur la fibrine une action plus étendue que l’eau bouillante; c’est ce que démontre surtout la production de l’A peptone, substance soluble dans l’eau et que l’eau n’extrait pas.— Mais il faudrait bien se g'arder de déduire de ces différences une spécificité quelconque de la pepsine, car toutes les transfor- mations que le suc gastrique opère dans le résidu inaltéré de la coction , l’eau acidulée (aux deux millièmes, — 0,2°0/) les produit également à la chaleur de l’ébullition. Meissner et Büttner ont même trouvé que l’eau acidulée agit plus rapidement que le suc gastrique à 40 degrés. La fibrine se dissout et se transforme très-lentement dans l’eau - bouillante : il se produit, à la vérité, assez promptement une trans- formation partielle, mais, pour obtenir une transformation aussi complète que possible, Meissner et Büttner ont dû prolonger l’action de l’eau bouillante au delà de 200 heures, en soumettant la même quantité de fibrine, pendant environ 4 semaines, à une coction de 6 à 8 heures par jour. Filtrée au bout de ce temps, la décoction est opalescente; sa réaction est neutre, mais pendant l’évaporation elle devient faiblement alcaline. 4. L’albumine, suivant Thiry, élève de Meissner, subit, par la VINGT-QUATRIÈME LEÇON. 17 coction prolongée dans l’eau, des transformations et des dédou- blements analogues à ceux qu’opère sur cette substance le suc gastrique. Comme pour la fibrine, les transformations de l’albu- mine dans l’eau bouillante sont très-lentes à se produire, et ne sont pas aussi complètes, ou, pour mieux dire, pas aussi étendues que celles qui résultent de l’action prolongée du suc gastrique. Ainsi la métapeptone , formée par l’eau bouillante, ne se convertit pas ultérieurement en peptone, quelque prolongée que soit la coction. En revanche la métapeptone formée par la coction peut être changée en B et C peptone au moyen du suc gastrique. Ces deux peptones se trouvent également en dissolution dans le produit de la coction, qui, en outre, contient de la parapeptone. Celle-ci, inso- - luble dans l’eau neutre, laisse un résidu inaltérable, qui n’est pas ultérieurement modifié par l’eau bouillante. — Il ne manque donc, dans le produit de la coction de l’albumine, que l’A peptone qui d’ailleurs, suivant Thiry, paraît aussi manquer dans les produits de la digestion peptique. 5. Meissner et de Bary ont obtenu par la coction prolongée de l’albumine et de la fibrine des graînes mûres de céréales, les mêmes produits de dédoublement et les mêmes peptones que ces substances fournissent aussi en présence du suc gastrique. Je n’ai eu l’occasion de répéter ces expériences que sur un seul corps albuminoïde, la caséine. Toutes les particu- larités chimiques, indiquées par Meissner, se sont trouvées très-exactement confirmées, et je pourrais me dispenser de vous communiquer mes résultats, si je n'avais à remplir une lacune qu'ont laissée les intéressants travaux du phy- siologiste de Gottingue. Meissner, en établissant l'identité des peptones artificielles avec les peptones naturelles, ne s’est occupé que des propriétés chimiques de ces corps, sans essayer de fournir la preuve que cette identité s'étend également à leur qualité de nuériments directement assi- milables par l'organisme. Il était important, au point où en étaient arrivées ces recherches, d'instituer à ce sujet quelques expériences spéciales. Après avoir soumis de la caséine à une coction de 4 fois 10 heures, j'ai filtré le liquide pour le séparer d’un résidu 172 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. assez volumineux de dyspeptone qui s’y était formé. La coction n’ayant pas été prolongée autant que dans les ex- périences de Méissner, ce résidu contenait probablement d’autres produits albuminoïdes, incomplètement transformés. Dans le liquide filtré j'obtins, par l’adjonction de quelques gouttes d'acide, un faible précipité du corps que l'on a ap- pelé métapeptone : après avoir filtré une seconde fois, et neu- tralisé très exactement, je filtrai de nouveau. La solution qui contenait plusieurs peptones, donnait un très-fort précipité avec le tannin (après l’adjonction préalable d’un peu d'acide acétique), un précipité plus volumineux encore avec le su- blimé corrosif, et la réaction caractéristique avec le nitrate nitreux de mercure. J'ai recueilli pendant 3 heures l’urine d’un lapin, et j'ai injecté dans une de ses veines jugulaires la peptone ainsi obtenue et isolée. L’urine rendue par l'animal pendant les 6 heures qui suivirent l'injection, a été également re- cueillie et comparée à celle rendue avant l'opération. Neuf cent. cub. de l’urine émise avant l'injection donnaient avec l'acide acétique et le tannin un trouble très-légèrement floconneux; le même trouble, ni plus ni moins abondant, se formait aussi, par le réactif indiqué, dans un volume égal (9 cent. cub.) de l’urine rendue après l’injection. Le réactif de Millon produisait, dans la première urine, une écume légèrement colorée en rose et le liquide prenait une teinte orange, sans montrer de véritable précipitation: même ré- sultat pour la seconde urine. — Pas de différence non plus dans les effets du sublimé corrosif. — Le réactif de Trommer conservait sa coloration bleue dans l'urine émise avant l'injection; mais l’urine émise après l'injection, le colorait en violet clair. — Comme nous savons, d'après les recherches de Meissner, que ce changement de coloration n’est pas dû à l’action des peptones proprement dites, mais à celle des matières extractives qui se rencontrent toujours à côté des peptones et dont on peut séparer ces dernières, il est VINGT-ET-UNIÈME LEÇON. 173 vraisemblable que ces corps extractifs seuls ont reparu dans les urines, tandis que les peptones proprement dites, formées par la coction de la caséine, ont été assimilées en totalité. Une seconde expérience semblable que j'ai faite avec de la peptone, obtenue par la coction de la caséine à haute pression, m'a fourni des résultats identiques à ceux que je viens de rapporter, à une seule exception près: Le réactif de Millon qui, dans l’une et l’autre urine (rendue avant et après l'injection), produisait une écume de la même teinte rosée, communiquait à la première urine (antérieure à l'injection) une coloration d’un rose orange, tandis que la seconde présentait, au dessous de l’écume, une coloration d'un rouge brique un peu plus saturé. — Du reste pas de précipité. — Cette différence est de peu de valeur, car l'u- rine ormale du lapin prend aussi quelquefois, avec le ré- actif de Millon, cette coloration brique plus saturée. On voit donc que par la coction prolongée, les matières albuminoïdes fournissent des peptones identiques aux pep- tones naturelles , non seulement par leurs propriétés chi- miques, mais aussi par leurs caractères organoleptiques. J'avais du reste trouvé depuis longtemps que les injections souscutanées d'extrait aqueux de viande sont d'autant plus aptes à saturer l'estomac de pepsine, que l'extrait a été préparé à une température plus élevée et que la coction a duré plus longtemps. Il paraît donc que l’albuminose de cuisson est aussi un peptogène (1). De plus j'ai vu qu’en traitant la caséine par l’eau chaude sous une pression de 2 à 3 aimosphères, on obtenait la transformation en peptone beaucoup plus rapidement qu’on ne l’obtient par la cuisson à l'air ouvert. Deux volumes égaux de la même caséine se transformaient, l’un en 17 heures, sous une pression de 2 /, atmosphères, — l’autre en {1} Voir, pour celte remarque, les leçons suivantes. 174 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. 37 heures seulement, sous la pression ordinaire (1). — Ce fait ne paraît pas avoir entièrement échappé à Meissner. Il rapporte qu'ayant exposé à une température élevée un tube de verre fermé à la lampe, dans lequel était contenue de la syntonine avec #x peu d'eau, il à vu la transformation et le dédoublement de la syntonine s’opérer comme dans le suc gastrique. Il paraît indiquer par là que l'augmentation de pression est favorable aux effets de la coction, puisque pew d'eau suffisait, dans ces conditions, à opérer une transfor- mation chimique qui, à l’air libre, réclame une grande quan- tité de ce liquide. Il est à regretter que Meissner n'ait pas parlé du temps nécessaire à cette transformation. N'est-ce pas d'ailleurs un fait connu et vulgaire que le consommé de viande, préparé à l'aide de la marmite de Papin, est plus substantiel que le bouillon ordinaire et que la coction à haute pression extrait plus complètement les matières alimentaires ? Quelques-uns d’entre vous pourront être tentés de voir confirmée, par les faits qui précèdent, l’opinion d’un célèbre physiologiste qui admet que la digestion stomacale n’agit pas autrement que la coction. Mais quiconque a jeté un coup d'œil sur le livre qui contient cette assertion, se sera bien vite persuadé que par le mot de coction l’auteur n’a eu en vue que la cuisson culinaire. En effet l’auteur ex- plique avec beaucoup de détails et même à l’aide de fi- gures, que la viande, par la digestion gastrique, ne perd que son tissu cellulaire et l'aspect strié de ‘ses fibrilles, mais ne se dissout pas; que l’action dissolvante du suc gastrique ne s’exerce en général que sur le tissu conjonctif, et que la pepsine laisse inattaquée la partie intégrante de la fibre musculaire; — que la caséine se coagule dans l’es- tomac et y reste coagulée jusqu'à son passage dans l'in- (1) Cette évaluation n’est qu'approximative: elle a été faite, avec toul le soin possible, sur le résidu de la caséine desséchée à 1000. IL eût été préférable de dessécher à 1200. VINGT-QUATRIÈME LEÇON. 175 testin — modifications en tout point semblables à celles qui se produisent par l'action de l’eau chaude, dans la préparation culinaire des aliments. Est-il besoin de vous dire que ce n’est point à l’aide de cette espèce de coction que Meissner et les physiologistes qui ont répété ses expériences, ont vu se liquéfier les ma- tières albuminoïdes, et qu'il n’a été question, dans tout ce qui précède, que de la coction convenablement prolongée ou faite à haute pression? Comment d’ailleurs assimiler la: digestion stomacale à une opération qui aboutit à rendre insolubles la plupart des corps albuminoïdes, à coaguler le blanc d'œuf, à durcir la fibre charnue? — Et dire que l’on est allé jusqu’à vouloir substituer la préparation culinaire à la digestion stomacale! — Vous voyez, messieurs, que de notre point de vue qui admet que l’eau chaude peut, après une action convenablement prolongée, dissoudre et trans- former les substances albuminoïdes, il y a loin, bien loin à la théorie du physiologiste français qui nie jusqu’à la possibilité de cette transformation par l’eau chaude et par le suc gastrique. | Gorup-Besanez a publié, en 1859 (dans les Annales de Chimie et de Pharmacie de Wüller, Liebig et KÆopp) des recherches relatives à l'action de l’ozone sur les composés organiques; il à examiné entr'autres l’action de l’air ozonisé sur les matières albuminoïdes. Les résultats obtenus par le chimiste d’Erlangen offrent un si grand intérêt pour le . sujet qui nous occupe, que je ne puis me dispenser de vous en faire connaître les points principaux. 1. Albumine. — L'auteur fait passer lentement par une solution aqueuse et préalablement filtrée d'aZbumine d'œuf un courant d’air fortement ozonisé. Le liquide ne tarde pas à se troubler et à changer de coloration en présentant le phénomène du dichroïsme. Vu par réflexion, il offre une couleur rougeâtre, tandis qu'à la lumière transmise sa teinte est d'un jaune-verdâtre. Le trouble augmente peu-à-peu et, 176 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. dans l’écume qui couvre la surface du liquide, il se forme des coagulations d’un blanc sâle et comme fibrineuses, dont bientôt toute la solution est traversée. Ces grumeaux fibri- neux sont insolubles dans l’eau nitrique. L’ozone, après quel- que temps, redissout ce précipité et le liquide s’éclaircit. Lorsque, après plusieurs jours, l'absorption de l'ozone a cessé, le liquide présente un aspect très-légèrement floconneux et sa réaction est acide. Abandonné à lui-même, il laisse dé- poser les flocons, et passe tout-à-fait limpide à la filtration. La solution filtrée n’est précipitée ni par l’ébullition ni par les acides forts, ni par les sels métalliques, à l'exception de l'acétate de plomb basique. L'alcool également la précipite fortement. Ces réactions prouvent qu'il n'y a plus en solu- tion d’albumine primitive. Le liquide, concentré au bain- marie, ne laisse pas déposer de cristaux, même s’il est abandonné à lui-même pendant un temps assez long. Eva- poré à sec, il fournit un résidu brunâtre, qui, traité par l'alcool, ne se redissout qu'en partie. Si l’on évapore à sec la solution alcoolique ainsi obtenue (et dont la réaction est distinctement acide) on obtient un résidu de consistance syrupeuse, dans lequel, malgré les recherches les plus mi- nutieuses, Gorup-Besanez n'a pu constater une trace d’urée, ni d’autres substances chimiquement définies. — L'autre partie du premier résidu, insoluble dans l'alcool, se redissout facilement dans l’eau et cette dissolution aqueuse présente tous les caractères de la peptone de Lehmann. Les acides minéraux, l'acide acétique, le ferrocyanure de potassium et l’alun ne la précipitent pas; le tannin, au contraire, la coagule fortement. — Ni la solution aqueuse, ni la solu- tion alcoolique ne contiennent de traces de sucre. 2. Caséine. — La caséine liquide, exposée à l’action de l'air ozonisé, ne se transforme pas moins énergiquement que l’albumine. Le liquide prend dès le commencement un aspect trouble et laiteux, mais ne montre ni les coagula- tions fibrineuses ni le dichroïsme que présente la solution VINGT-QUATRIÈME LEÇON. 177 d'albumine, après avoir subi pendant quelque temps l'ac- tion de l'ozone. — Peu-à-peu le trouble laiteux disparaît et lorsque l’ozone a cessé d'agir, la solution est redevenue presque transparente. Quand l'ozone a passé pendant quel- que temps, et avant que son absorption ait cessé, la solution de caséine n'est plus précipitée par l'acide acétique, mais est encore coagulable par l’ébullition et par l'acide nitrique. Plus tard, cette modification est détruite à son tour et, à la fin de l'expérience, le liquide filtré se comporte, vis-à-vis des réactifs des matières albuminoïdes, comme l’albumine peptonisée par l'ozone. Gorup-Besanez a répété cette expérience sur du Zait en substance, Au bout de peu de jours le liquide ne contenait plus de caséine reconnaissable par les réactifs ordinaires ; en revanche les corps gras du lait n'étaient que partielle- ment détmits, même si l’action de l’ozone avait duré pen- dant plusieurs semaines. Le sucre de lait restait complète- ment inaltéré. 8. Fibrine. — La fibrine so/ide du sang de porc, frai- chement préparée et soigneusement lavée, se montra com- plètement réfractaire à l'action de l'ozone. — Mêlée avec un peu d'eau et secouée pendant 48 heures dans un ballon rempli d'air fortement ozonisé, la fibrine n’en absorba pas une trace appréciable. Gorup-Besanez dit avoir répété cette expérience plusieurs fois, toujours avec le même résultat négatif. L'auteur n'a pas décidé si les autres corps albu- minoïdes montrent, dans leur modification insoluble, la même indifférence vis-à-vis de l'oxygène actif. 4, La gélatine d'os, dissoute dans l’eau et secouée avec de l’air ozonisé, pendant 36 heures, ne paraît pas non plus absorber une quantité appréciable de ce g'az et reste eutiè- rement inaltérée. 5. Mêmes résultats négatifs pour la ceZZulose et pour lamidon. La grande importance des résultats annoncés par Gorup- TOME DEUXIÈME | 12 178 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Besanez m'avait fait désirer depuis longtemps de répéter ces expériences; malheureusement, faute de temps et d’ap- pareils convenables, je n’ai pu, jusqu’à-présent , étudier les effets de l’air ozonisé que sur un seul corps albuminoïde, le blanc d'œuf. Voici l'appareil qui m'a servi pour ce but et que vous voyez en ce moment en action. Pour produire l'air _ozonisé, j'ai adopté le procédé de Marignac. Au moyen d’un aspirateur on fait passer lentement de l'air atmosphérique par un tube de verre rempli de fragments de phosphore ordinaire. Au contact du phosphore et de l’air il se produit une petite quantité d'ozone, mélangée d’acide phosphoreux. Le tube contenant le phosphore est en communication avec deux grands flacons de Woulf, remplis d’eau et servant à absorber l’acide phosphoreux. Le troisième flacon qui fait suite, contient la solution d’albumine d'œuf. Le gaz, après avoir traversé ce flacon, en ressort par une ouverture laté- rale supérieure, à laquelle vous voyez adapté un tube | de verre plié à angle droit, relié lui même à un très-long tube de caoutchouc. Ce tube passe dans la cour où il est relié à un très-grand vase rempli d'eau, lequel sert d’aspirateur et que j'ai fait construire expressément pour cette expérience. C’est un réservoir cylindrique en tôle vernie, pouvant contenir à-peu-près un mètre cube d'eau et muni de deux ouvertures, dont l’une est en communication, au moyen du tube de caoutchouc, avec l'appareil, et dont l’autre, inférieure, laisse très-lentement écouler l’eau. Chaque goutte de liquide qui s'écoule du réservoir, aspire un volume égal d’air- à travers les tubes de l'appareil. Il importe que l'air ozonisé, avant de traverser l’albumine, n'ait pas été en contact avec des matières organiques que l'ozone pourrait décomposer et qui lui feraient perdre ses propriétés actives: pour cela les flacons de Woulff doivent contenir de l’eau distillée parfaitement pure de tout mélange organique. Même la réunion des tubes servant à relier entre eux les flacons de l'appareil ne doit pas se faire à l’aide de VINGT-QUATRIÈME LEÇON. 179 tubes de caoutchouc, substance qui absorberait une partie de l’ozone, comme le font la plupart des corps végétaux. Pour éviter cet inconvénient, il ne faudrait se servir que de tubes de verre entiers, fléchis au dessus des tubulures; c’est ainsi en effet que j'avais d’abord disposé mon appareil: mais il était devenu trop fragile. Plusieurs fois un ébranlement léger de la table avait suffi pour rompre les tubes; j'ai donc cherché à réaliser un autre mode de réunion moins délicat. Je me suis arrêté enfin au procédé suivant. Après avoir adapté, à chacune des tubulures des trois flacons, un tube de verre fléchi à angle droit, j'en ai rapproché bout à bout les ex- trémités, et j'ai recouvert d’une couche épaisse de paraffine les interstices qui restaient. Autour des soudures on enroulait des lamelles de caoutchouc qu’on liait aux tubes et qui ser- vaient à protéger la paraffine, substance qui, comme on le sait, n’est pas attaquée par l’ozone. — Les bouchons qui donnaient passage aux tubes, étaient également recouverts d’un enduit de paraffine lequel se continuait même dans l'interstice compris entre le tube et le bouchon. On avait, à cet effet, recouvert de cette substance les extrémités des tubes avant de les engager dans les bouchons et on les avait chauffés pour faire fondre la paraffine. — L'appareil, composé de cette manière, tel que vous le voyez ici, est moins fragile, mais toujours est-il très-sensibleaux secousses. — L'aspiration ne doit pas marcher trop vite, pour éviter l'inflammation du phosphore, elle ne doit pas non plus marcher trop lentement, pour que la quantité d’ozone qui traverse la solution ne soit pas trop peu considérable. — A l’aide de cet appareil, j'ai pu confirmer, pour l’albumine, le résultat principal de Gorup-Besanez. Mais pour obtenir la transformation complète de l’albumine dissoute de 5 œufs (environ 130 gr.) j'ai dû, en été, faire passer l'air ozonisé pendant 16 jours. Avant ce terme, le liquide restait toujours partiellement coagulable par la chaleur, bien que la quantité du précipité allât en diminuant vers la fin de l'expérience. 180 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Le premier changement qui s’observait, après quelque temps, était l'apparition d’une teinte légèrement verdâtre dans le liquide vu à la lumière réfléchie. A mesure que cette coloration s’accusait davantage, le dichroïsme déjà indiqué par Gorup- Besanez commençait à se montrer très-faiblement. En même temps apparaissaient dans le liquide des flocons blanchâtres ayant l'aspect et la consistance de la fibrine coagulée. Je n'ai pas mesuré la quantité de ce précipité, mais autant qu'il m'a été possible d'en juger à simple vue, il me paraît que cette quantité n’équivalait pas à toute l’albumine dissoute. Le précipité, très-abondant d’abord, diminuait lentement et finissait par disparaître entièrement. C'est à partir de ce moment, lorsqu'après 9 à 10 jours, la plus grande partie des flocons s'était redissoute, que le liquide commençait à perdre notablement de sa coagulabilité par la chaleur. Lorsque plus rien ne se coagulait par l’ébullition, la solution avait acquis un maximum de dichroïsme: elle était très-peu trouble, s’é- claircissait un peu par la filtration, mais ne laissait pas sur le filtre de résidu appréciable. Le liquide primitivement neutre ou faiblement alcalin, était devenu légèrement acide par l’action de l’ozone. Les réactions essayées par Gorup-Besanez m'ont donné les mêmes résultats. J’ai, comme lui, obtenu une forte précipitation par le tannin. Le réactif de Millon produi- sait un trouble de couleur rouge-orange. — Par la neutra- lisation complète du liquide acide, il se formait un nuage très-léger qui gagnait lentement le fond du vase; après quel- ques heures le précipité s'était déposé et le ps surnag'eant était tout-à-fait clair. La solution contenait donc, ainsi que l'indique Gorup- Besanez, un corps offrant une analogie chimique très-grande sinon complète avec les peptones. Pour m'éclairer mieux encore sur la nature de ce produit, je lai injecté dans les veines d’un lapin à jeun, dont l'urine avait été recueillie et examinée avant l’injection. — Contrairement à ce que j'étais VINGT-QUATRIÈME LEÇON. 181 en droit d'attendre, l'urine, après l'injection de 1 / centim. cub. de la solution, donnait toutes les réactions caractéri- stiques de la substance injectée. Elle était précipitée par le tannin et le réactif de Millon lui communiquait une teinte rouge tout-à-fait semblable à la coloration produite par le même réactif dans une autre portion d'urine (antérieure à l'injection) à laquelle j'avais à dessein ajouté quelques gouttes de la peptone artificielle. Pouvons-nous conclure de cette expérience que l'ozone transforme l’albumine en un corps qui, tout en ayant les propriétés chimiques des peptones, n’en a pas les caractères organoleptiques? Ou doit-on attribuer le passage de cette substance dans les urines à quelque circonstance accessoire comme le serait p.ex.une décomposition chimique? L'action de l'ozone, avait, je le répète, duré 16 jours; or 16 jours de chaleur d'été, à Florence, sont un temps plus que trois fois suffisant pour amener la décomposition putride d’une solution d’al- bumine exposée à l’air libre. Néanmoins, j'ai hâte de l’ajouter, les nez les plus fins ne reconnaissaient pas au liquide ozonisé d’odeur de décomposition. Plusieurs de mes visiteurs et de mes amis auxquels j'ai présenté le liquide, lui trouvaient une odeur de bile ou de bouillon, mais tous m'’assurèrent positivement qu'il n’y avait pas putréfaction. J’invoque ces témoins, parceque, comme vous le savez, sur ce point Jai très-peu de confiance en moi-même. Quoiqu'il en soit, ce résultat singulier ne peut que nous engager à continuer la recherche commencée. J'attends, pour cela , l’arrivée d’un autre appareil, tout en verre, dont la construction est dûe à mon ami, le D' Lœwe, et dont la composition solide rendra l'expérience plus sûre, du moins en nous garantissant contre les fâcheux effets des oscillations de la table, si difficiles à éviter dans un laboratoire où cir- culent des chiens et des chats qui grimpent partout, quelque soin qu'on prenne de les en empêcher. 182 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Contentons-nous, pour le moment, du résultat que nous a- fourni l'expérience de Gorup-Besanez, savoir que ce n’est pas seulement la coction, mais aussi l’action prolongée de l'ozone qui peut transformer l’albumine crue en un corps analogue aux peptones. VINGT-CINQUIÈME LEÇON. Sommaire: Identité d’action de l'estomac des herbivofes et des carnivores. — Examen des conditions présidant à la sécrétion du principe digestif. — Différence fondamentale entre le suc gastrique acide el le suc gastrique peptique. — Détermination des conditions favo- rables à la digestion, — Expériences faites sur des animaux vivants, à fistules stomacales (1° méthode); expériences faites au moyen de l’infusion stomacale d'animaux récemment tués (2** méthode). — Digestion de l'albumine cuite dans l'estomac vide. — Celle digestion ré- clame, comme condition première , l'absorption préalable d'un nutriment soluble quel- conque. — Rôle et mode d’action des substances « peplogënes ». Messieurs, Le suc gastrique des carnivores, comparé à celui des her- bivores, ne présente pas de différence essentielle dans son mode d'agir surles matières végétales; il en désagrég'eles élé- ments, et dissout les corps albuminoïdes ainsi que les parties solubles dans l’eau acidulée qui y sont contenues. A ce point de vue, les herbivores jouissent d'un seul avantage, celui qui résulte de la plus grande activité de leur salive, en présence des fécules. La différence n’est également que quantitative, si l’on compare, chez ces deux ordres d’ani- maux, l’action du suc gastrique sur les matières albumi- noïdes. À poids égal, le suc gastrique des carnivores en digère des quantités plus grandes que ne le fait celui des herbivores. L'estomac des carnivores sécrète plus d'acide et probablement aussi plus de pepsine que celui des herbi- 184 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. vores; mais la nature de cette pepsine et les produits qui résultent de son action sont identiques dans les deux cas. Nous verrons plus tard, — et je fournirai les preuves détaillées de ce que j'avance, — que l’on peut augmenter à volonté et à un très-haut degré, tant chez les carnivores que chez les herbivores, la quantité de pepsine sécrétée par l'estomac en un temps donné. En provoquant l'absorption, soit par l'estomac, soit par le sang, de certaines substances solubles dans l’eau, il est possible de satwrer (de pepsine) l'estomac du lapin au point de lui faire digérer des quan- tités d’albumine égales à celles que digérerait, dans un état de saturation peptique #odérée, un estomac de chien ou de chat. J'ai obtenu, par ce procédé, des estomacs de lapins qui, infusés avec 200 gr. d’eau acidulée, liquéfiaient et transformaient en partie jusqu’à 90 gr. de blanc d'œuf cuit. Cette identité d'action de l'estomac des herbivores et des carnivores ressort avec une grande clarté des. expériences dans lesquelles on observe les transformations successives de l’albumine par le suc gastrique artificiel de différents animaux. Que l’on prenne un estomac d'homme, de carni- vore ou d'herbivore, les phénomènes extérieurs, ou, si je puis m'exprimer ainsi, la forme de la digestion et ses phases successives, demeurent absolument les mêmes. Les produits de la digestion présentent les mêmes caractères chimiques, et les expériences qui vont suivre démontreront qu'ils jouissent aussi des mêmes caractères physiologiques et org'anoleptiques. L’estomac d'un lapin, préalablement nourri de pain mélangé de dextrine, est infusé dans 200 grammes d’eau, contenant 2 1[2 millièmes d’acide chlorhydrique. Au quart de cette infusion (50 gr.) on ajoute 17 gr. d’albumine cuite. La dissolution de l’albumine étant achevée, le liquide est chauffé à l’ébullition, neutralisé et filtré un quart d'heure après la neutralisation; 25 centimètres cubes de la solution VINGT-CINQUIÈME LECON. 185 filtrée sont alors injectés dans la veine jugulaire d'un petit chien dont on a préalablement recueilli les urines pendant les 5 heures qui précèdent l'expérience. On re- cueille également les urines rendues dans les 8 heures qui suivent l'injection. A l'examen, ces deux urines présentent les mêmes caractères essentiels. Rien, dans l’urine excrétée après l'injection, n’y indique la présence du liquide injecté. Or, comme toute matière albuminoïde qui n’est pas un nu- triment parfait se retrouve inévitablement dans l'urine, peu de temps après avoir été injectée dans le sang, ainsi que nous l'avons vu au commencement de ce cours, — nous sommes en droit de conclure que la peptone obtenue par l'estomac de lapin, a servi de nutriment au chien, aussi bien que l'aurait fait la peptone naturellement formée dans l'estomac du chien lui-même. D'autres expériences sur lesquelles je reviendrai, établis- sent que la peptone élaborée par un estomac d’herbivore et injectée dans l’estomac d’un carnivore vivant, y est ab- sorbée directement et sans subir aucune métamorphose reconnaissable par les réactifs; de plus qu’elle exerce sur la sécrétion gastrique et pancréatique du carnivore une action qui équivaut physiologiquement à celle de la pep- tone provenant de la digestion du carnivore lui-même. Des résultats analogues sont fournis par l'expérience in- verse, consistant à nourrir un herbivore du produit de la di- gestion d’un carnivore. A deux lapins , pesant 1000 à 1200 grammes, j'ai in- jecté dans la veine jugulaire une certaine quantité de pep- tone d’albumine, artificiellement préparée avec un estomac de chat. L'un des lapins avait été bien nourri avant l’expé- rience; son urine, examinée avant l'injection, était alcaline, chargée de carbonate de chaux, comme elle l’est toujours chez le lapin pendant l'acte de l'assimilation. L'autre animal avait subi un jeûne préalable de 36 heures; l'urine émise avant l'injection, était claire, faiblement acide et ne con- 186 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. tenait pas de sediment calcaire. Dans les deux urines il n’y avait pas, avant l'injection, de trace de peptone ni d’autres matières albuminoïdes. — Recueillies pendant les 7 heures qui suivirent l'injection, ces deux urines, jusque là si diffé- rentes, se montrèrent exactement semblables. Celle du lapin nourri avant l'expérience, n'avait pas changé d'aspect: sa coloration était devenue peut-être un peu plus saturée, mais les réactifs n’y indiquaient pas de trace de matières albu- minoïdes (1). Celle du deuxième lapin, d'acide et claire qu'elle avait été avant l'injection, était devenue alcaline et présentait un dépôt calcaire: en outre elle réduisait un peu plus abondamment qu’elle ne l'avait fait auparavant, le réactif cupropotassique. — Ainsi, grâce à l'injection dans le sang d’un nutriment élaboré par un estomac de chat, le second lapin, toujours à jeun, avait sécrété une urine dont les ca- ractères indiquaient que l'assimilation avait eu lieu: l'animal s'était nourri sans avoir mangé. J'ai modifié ces expériences, en injectant à des carnivores de la peptone préparée avec des estomacs de ruminants; le résultat a été le même. J'ai introduit dans l'estomac d’un cochon d'Inde, par une fistule œsophagienne, des fragments d'os d'oiseau, et les os retirés au bout de 10 heures, ont présenté un commencement de digestion. Le succès de ces sortes d'expériences est encore plus évident, plus rapide et plus constant chez le rat (2). Il faut tuer les animaux tout au plus 5 heures après l'introduction de la matière animale, parce que plus tard le contenu de l’es- tomac passe dans l'intestin. Ces faits, dans leur ensemble, concourent à démontrer que les différences physiologiques et chimiques que quelques auteurs ont admises en principe entre le suc gastrique des (1) Il ne faut pas prendre pour une indication d'une matière albuminoïde la réaction du biurèle que donnent ces urines avec la polasse et l’oxyde de cuivre. (2) Il s’agit ici du Mus rattus , essentiellement berbivore et non du Mus decumanus commun, qui est omnivore. VINGT-CINQUIÈME LEÇON. 187 herbivores et celui des carnivores, n'existent pas en réalité. Chez les omnivores qui mangent toujours et indistincte- ment des matières végétales et animales, la théorie que nous combattons doit, pour être conséquente, admettre une qualité mixte du suc gastrique. Mais il y a des oiseaux qui en hiver sont frugivores et qui deviennent insectivores en été; il y a de petits singes qui, tout frugivores qu'ils sont, mangent quelquefois des insectes et qui, à l’époque où couvent les oiseaux, recherchent presque exclusivement et avec avidité les œufs et les petits oiseaux à peine éclos. — Les grenouilles sont herbivores à l'état de tétards, et deviennent exclusivement carnivores à l’état parfait. Bon nombre de chenilles qui, à l'état libre, ne vivent que de végétaux, attaquent et dévorent d'autres chenilles , lors- qu’elles-sont en captivité; on peut même les nourrir exclu- sivement de cette manière (1). — Ces exemples pourraient être multipliés indéfiniment. Cette identité de la digestion stomacale chez les herbi- vores et chez les carnivores est loin d’être généralement reconnue. CI. Bernard, p. ex. n’a jamais pu obtenir de vraie digestion de l’albumine par l’infusion stomacale du lapin; aussi, pour lui, existe-t-il une différence fondamentale entre le suc gastrique des carnivores et celui des herbivores. Comment expliquer cette contradiction? Evidemment Claude Bernard a opéré sur l'estomac du lapin dans des conditions peu favorables à la digestion. Quelles sont donc les condi- tions favorables à la digestion, qu’il importe de réaliser dans ces sortes d'expériences ? Pour arriver à résoudre cette question, nous devons, avant tout, déterminer les lois qui président à la sécrétion du suc gastrique actif, ou peptique. On admettait généralement, jusqu’en 1860, que le ferment (1) En Islande, lorsque l'herbe de pâturage vient à manquer, les vaches el les ehevaux sent nourris exelusivement de poisson. 188 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. digestif se formait dans l’intérieur des glandules gastriques d'une manière continue, que ce ferment était produit en vertu même de la nutrition des parois stomacales et que l'on pouvait obtenir un suc gastrique artificiel actif en in- fusant un estomac pris à n'importe quel moment, pourvu que l'animal fût sain. La sécrétion du principe digestif que l'on supposait toujours présent dans les parois stomacales, ne passait pour dépendre de circonstances extérieures qu'en tant que l’arrivée des aliments, en irritant mécaniquement la muqueuse gastrique, déterminait une excrétion plus abondante du liquide accumulé dans les follicules. Il est vrai que dans l'estomac vide et normal les irritations de la mu- queuse provoquent une sécrétion abondante de liquide acide; mais la grande erreur, dans tout ceci, c’est que, comme l’a : déjà justement remarqué L. Corvisart, on a généralement confondu le suc gastrique acide avec le suc gastrique pep- lique ou digestif. Des recherches faites en partie en commun avec Lucien Corvisart, nous avaient déjà conduits au résultat suivant: c'est qu'après l’accomplissement d’une digestion copieuse, le suc pancréatique perd la propriété de dissoudre et de transformer l’albumine, jusqu'à ce que, de nouvelles subs- tances ayant été absorbées par l'estomac, le sang se trouve chargé de rechef des matériaux aptes à être déposés dans le pancréas sous forme de pancréatine. — Partant de ce fait, je me demandai si une loi analogue ne présidait pas à la sécrétion de la pepsine dans l'estomac. Pour éclaircir cette question, j'appliquai parallèlement dans une longue série de recherches, les deux procédés expérimentaux dont les principes ont été exposés au commencement de notre étude de la digestion stomacale. La première méthode consistait à pratiquer à des chiens de taille et de races différentes, des fistules stomacales larges, à canule mobile, permettant avec facilité d'intro- duire deux doigts dans l’intérieur de l’estomac, d’en ex- YINGT-CINQUIÈME LEÇON. 189 plorer la cavité en tous sens et de voir une assez grande étendue de la muqueuse. J'insiste particulièrement, pour cette sorte de recherches, sur la nécessité de pratiquer des fistules Zarges qui sont essentielles au succès des expé- riences. — Lorsque les chiens ne se montraient plus incom- modés par la fistule, je m’appliquais à étudier dans différentes conditions la force digestive de leur estomac. A cet effet, j'introduisais par la fistule, pendant une longue série de jours consécutifs (et toujours, lorsque l’estomac venait d’a- chever la digestion d'un repas préparatoire très-abondant qui devait neutraliser la pepsine antérieurement sécrétée), des morceaux d’albumine, de forme régulière et de volume me- suré, renfermés dans un petit sac de tulle. Le sac était fixé, à l’aide d'un fil, au bouchon de la canule. Après 5 à 6 heures, je retirais le sac et je mesurais encore une fois l’al- bumine pour savoir, au moins approximativement, combien s’en était dissous. Comme il ne s'agissait ici que de quan- tités relatives, je pouvais négliger la petite différence pro- venant du gonflement de J'albumine; toutefois, pour di- minuer cette source d'erreur autant que possible, je ne me servais que d'albumine fraîchement coagulée ou conservée, un jour au plus, dans un vase fermé, avec un peu d’eau au fond. J'ai toujours évité soigneusement d'employer de l’albumine sèche, ou préalablement exposée à une évapo- ration prolongée. La seconde méthode consistait à nourrir abondamment plusieurs chiens d'aliments mixtes ou de viande seule, à les éthériser 12 à 14 heures après le repas, lorsque je pouvais supposer leur estomac vide, à lier le pylore et à mettre l'estomac dans les conditions requises par l'expérience. Au bout de 6 heures je tuais les animaux par la ponction de la moëlle allongée; j'infusais leurs estomacs, coupés en lanières minces, dans 100 ou 200 grammes d’eau acidulée ; l'infusion était placée à l’étuve pendant une heure, puis exposée à la température ambiante pendant 1 à 2 heures 190 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. et quelquefois même plus longtemps. On voit que ce pro- cédé, en raison surtout de la petite quantité d'eau employée pour linfusion, n’est pas propre à développer toute la force digestive de l'estomac, mais puisque ces expériences étaient simplement comparatives et ne devaient pas donner un ré- sultat absolu, je pouvais bien me résoudre à employer cette méthode qui permet de terminer une expérience dans un temps relativement court, et qui est d’une exécution très-commode. — Je déterminais le pouvoir digestif de ce suc gastrique artificiel en traitant une quantité donnée d’albumine cuite par 20 grammes de l'infusion; si toute l’albumine dispa- raissait, j'en ajoutais encore, jusqu'à saturation relative; si, au contraire, il ne s’en digérait qu'une partie, j'ajoutais, en tâtonnant, de l’eau ou de l’acide dilué pour activer la dis- solution. La dissolution achevée, il était facile de calculer le pouvoir digestif de tout l'estomac infusé dans les conditions indiquées. Presque toujours j'ai fait deux expériences paral- lèles sur des animaux placés dans des conditions différentes. Il importe de remarquer que si du volume de l’albumine dissoute dans les sacs de tulle on conclut à la force diges- tive totale de l'estomac, on obtient des chiffres infiniment trop petits. Les résultats obtenus par Bidder et Schmidt, à l'aide d’un procédé analogue, se ressentent singulièrement de cette source d'erreur. D'après leurs expériences, faites également à l’aide de sacs de tulle, l'estomac aurait un pouvoir digestif si infiniment petit qu'il est impossible de regarder leurs chiffres comme l'expression du travail digestif normal. — Chacune des deux méthodes indiquées conduit donc à des résultats qui ne sont comparables que dans une même série, et non pas d’une série à l’autre. Les expériences faites d’après la première méthode, n’ap- partiennent pas à une seule série de jours consécutifs, mais ont été reprises à diverses époques, dans le courant de plusieurs mois, ce qui exclut les erreurs pouvant tenir aux dispositions individuelles et passagères des animaux. VINGT-CINQUIÈME LEÇON. 191 I. Chien vorace, grand et fort, à fistule stomacale spacieuse (premier procédé). Repas copieux de viande de cheval, environ 2 kilogrammes, jusqu’à satiété complète (1). Le chien est enfermé jusqu'au lendemain, sans nourriture. L'estomac étant trouvé vide au bout de 12 à 14 heures, on introduit par la fistule 5 à 8 cent. cub. d’albumine. Le sac de tulle est retiré après 6 heures , et le résidu, mesuré, donne les chiffres suivants : Cinq expériences dans lesquelles l'animal, pendant les 6 heures qui suivent l'introduction de l’albumine, est enchaîné au chenil : Albumine dissoute. 1ère expérience . . . . . . . . Centimètres cubes 0 2ème » ARE PRINT QE à » 5," vQ Sème » A OPA A PC TA » » 0 4ème » Loi Ass per rl TE » >: LOI pème » MEET ET EE RS » » 0 Quatre expériences dans lesquelles l'animal, sur les 6 heures que dure le séjour de l’albumine dans l'estomac, est, en mouvement pendant 3 1/2 à 4 heures: M PADorienee, UT EN eu nn depferirl sabot: 4 0 2ème » Pret PCs 1 COOL TRS EN ES Be TE L 3ème » ABLE ME ed Fute DNS RS SES SEEN NA à 4ème » DE EI UE CE TAN EE ART AURA A Pr TE (D L'animal boit de l’eau, après que l’albumine a été intro- duite dans son estomac. — Deux expériences : RÉ RÉPONDS EUX Lie CRAN CE 2ème » + 0 Dans une expérience, l'estomac, examiné 14 heures après le repas préparatoire, contient encore un résidu de viande. On enlève ce résidu avant d'introduire l’albumine. Albumine dissoute après 6 heures: cent. eub. 0. (1) Le chien est nourri ordinairement le soir et ne reçoit plus d'aliments pendant toute la journée suivante, sauf ceux que l’on introduit quelquefois avec l’albumine pour un bul spécial. 192 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Dans un autre cas semblable on laisse le résidu de viande: cent. cub. 0,3. Dans d'autres expériences sur le même chien, faites tou- jours au moins 14 heures après un repas préparatoire très- abondant, c'est-à-dire dans les conditions de la série précé- dente dans lesquelles l'estomac vide ne digérait que des traces d'albumine cuite, j'ai procédé un peu différemment. Avec le sac de tulle, contenant le volume habituel d’albu- mine, j'introduisais dans l'estomac, soit par la fistule, soit par la bouche, des quantités modérées des substances sui- vantes : Ab, diss. en 6 heures, Cent. cub. lère exp. 100 grammes de pain avec un peu de En 9,0 2ème » 200 grammes de viande crue . . aire 4 3ème » Une quantité non mesurée de viande . 60 4ème » 100 grammes de fromage . . . . . . . 4,8 Dème )» » » » EE OR MCE 5,7 6ème » 20 grammes de dextrine . . . . . . . 4, ème » Viande non mesurée . . … . . : «… 43 II. Deuxième chien adulte, jeune. Les expériences com- mencent 5 semaines après l'établissement de la fistule. L'animal a bon appétit. A. Après un repas préparatoire, et après que l'estomac s'est entièrement vidé, on introduit par la fistule 5 cent. cub. d’albumine. L’estomac est légèrement acide ou neutre. Le sac de tulle est retiré au bout de 6 heures; 13 expériences : Albumine dissoute. Expérience 1 . Centimètres cubes 2,5 » 2 » » 22 » 3 » » 1,9 » 4 » » 2,4 » 5 » » 2,9 » 6 » » 1,9 » 7 » » 2,2 x 8 » » 2,2 » 9 » » ],4 » 10 » » 2,5 » 11 3 » » 2,3 » 12 » » 2,6 » 13 » ». 2,0 VINGT-CINQUIÈME LECON. 193 B. Au lieu de 5 cent. cub. d’albumine, on en introduit 7 (toujours après le repas préparatoire), et de plus une cer- taine quantité de dextrine en poudre: Dextrine introduite. Alb. diss! en 6 heures. Expérience 1 grammes 20 Centimètres cubes 5,2 » 2 » 20 » » 9,6 » 3 » 29 » » 9,9 » 4 » 22 à » 5:3 » 6) » 20 ) » 9,4 » 6 » 40 » » 6,2 » 7 » 40 » » 5,9 » 8 » 40 » » 6,4 » 9 » 30 » » 5,9 » 10 » 30 » » 9,0 » 11 » 30 » » 6,0 et ainsi de suite dans une foule d'autres expériences. III. Troisième chien, à fistule. Animal vif, à digestion très-rapide. On pouvait commencer les expériences 12 à 13 heures après le repas préparatoire qui consistait en une quan- tité moyenne de 2500 gr. de viande de cheval. Introduction de 4 cent. cub. d’albumine cuite. Sac retiré au bout de 6 heures: Albumine dissoute, Expérience . Centimètres cubes 0,2 1! 2 3 4 » OR EE ne » » 0,0 7 ) 8 9 » 10 11 Le même chien a servi à plusieurs autres séries d’expé- riences, avec introduction simultanée d'albumine et de quelque autre substance, toutes les conditions préparatoires (repas, etc.) restant les mêmes. TOME DEUXIÈME 13 194 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION, A. Introduction de 8 cent. cub. d'albumine cuite, avec 250 gr. de viande crue et 150 grammes d’eau: Alb, diss. apres 6 heures. Expérience 1 . Centimètres cubes 4,8 » PR CAN ARE A AS Eine » » 5,2 » EAU LE CRE LU! AT REI » » 6,1 » 4 . 4 à » » 6,0 » 5 » » 5,5 B. Introduction de la même quantité d’albumine, avec la même quantité de viande bouillie dans 210 à 250 gr. d’eau, jusqu'à réduction du liquide à 150 gr. Cette quantité d’eau (bouillon) est injectée par la fistule, en même temps que l’on introduit l’albumine et la viande bouillie. Alb. diss. après 6 heures Expérience 1 . Centimètres cubes 6,4 » PAR RASE A PETILE » » 7,2 » 2 QUES ASE TL TETE ES EN » » 19 » 4 A £ » » 8,0 » 5 » » 1,1 C. Introduction de la même quantité d'albumine (8 cent. cub.) avec 150 gr. d’eau de pluie. Expérience 1 . Centimètres cubes 0,2 » PE OPERA DIE » » 0,0 » IS Care D de Le » » 0,6 » 4 » » 0,8 » 5 » » 0,1 D. Introduction simultanée de 5 cent. cub. d’albumine et d’une certaine quantité de viande cuite, hâchée et macérée dans l’eau pendant 11 à 15 jours, jusqu’à extraction com- plète des parties solubles dans l’eau. Deux expériences: Dans la première expérience, la viande ne se montre pas digérée, quoique l'acide du suc gastrique en ait opéré le gonflement et la dissolution partielle. Albumine dissoute après 6 heures: cent. cub. 0,1. Dans la deuxième expérience, l’albumine n'a pas été me- VINGT-CINQUIÈMEH LEÇON. 195 surée après 6 heures, parce que évidemment elle n'avait pas diminué et qu’elle montrait encore ses angles aigus, bien que transparents. E. Cette série comprend des expériences dans lesquelles une quantité toujours croissante de dextrine est introduite simultanément avec l’albumine, et fait digérer des quan- tités de plus en plus grandes de cette dernière. On com- mence avec 2 gr. de dextrine, le troisième jour on en donne 6 et ainsi de suite jusqu'à 100. Les progrès de la digestion de l’albumine ne se montrent pas exactement proportionnels à l'augmentation de la dextrine, et ces expériences doivent être répétées. Il est néanmoins certain qu’en règle générale le chien digère plus d’albumine, quand il a absorbé plus de dextrine. Messieurs, n'êtes-vous pas frappés de la différence des ré- sultats que vient de nous offrir la digestion de l’albumine, selon qu'à chacun de nos trois chiens on donnait, après l'achèvement. du repas préparatoire et lorsque l’estomac s'était bien vidé, soit de l’albumine seulement, soit de l’albu- mine avec quelque autre aliment ; et ne sommes-nous pas en droit de formuler la conclusion suivante : Après l'achèvement d'une digestion copieuse, le pouvoir digestif de l'estomac vide, par rapport à l'albumine, est à peu-près nul; mais il augmente en proportion très-notable, lorsque, avec l’albumine, on introduit dans l'estomac une quantité modérée de certains autres aliments. Qu'on ne se figure pas que le volume de l’albumine, in- troduite dans l’estomac vide, ait été trop petit pour ex- citer la sécrétion des parois stomacales, et que l’adjonction d'une nouvelle portion d'aliments n'ait agi, dans tous ces cas, que comme une espèce d’excitant supplémentaire. De nombreuses expériences faites d'après la première et la se- conde méthode et sur lesquelles je reviendrai encore, ainsi 196 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. que deux des expériences qui précèdent (IL. D), rendent inadmissible cette supposition. Ainsi l’infusion de l'estomac vide d’une série d'animaux , tués à la fin d'une digestion copieuse, digérait à peine en 6 heures 1 à 9,5 gr. d’albumine. En revanche l’infusion sto- macale d’autres animaux qui, en même temps que l’albu- mine, avaient digéré une quantité modérée d’autres aliments, liquéfiait et transformait en 6 heures 36 à 60 grammes de blanc d'œuf coagulé. J'aurai l'occasion de citer d’autres exemples qui montreront que le fait seul de la réyfétion de l’estomac ne change rien à ces résultats. De tout ce qui précède il ressort qu’à la fin d’une digestion copieuse, les parois de l'estomac vide sont dépourvues de pepsine, que si elles en contiennent des traces, ces traces apparaissent à peine dans la sécrétion naturelle, mais que la pepsine se reforme rapidement, dès que certains aliments ont été liquéfiés et absorbés par l’estomac. Or de quelle manière la dextrine, le bouillon etc. peuvent- ils donner lieu si promptement, par le fait de leur absorption dans l'estomac, à la sécrétion de nouvelles quantités de pepsine? L'observation nous enseigne que le suc gastrique retiré de l'estomac vide, après la fin de la digestion d’un repas copieux, n’est qu'un liquide acide, dépourvu de pou- voir transformateur, mais qu'il devient peptique dès que cette absorption a eu lieu. Il faut donc qu’il change de com- position et que les aliments en question, en passant par le sang , fournissent au suc gastrique les matériaux de ce changement. Tous les aliments ne jouissent pas au même degré de la propriété dont il s’agit. C’est ce que montrent les exemples suivants : I. Chien à fistule. Repas préparatoire. On introduit dans l'estomac quelques centimètres cubes d’albumine solide, avec de la purée de pommes en assez grande quantité. Albumine dissoute après 6 heures: 0. VINGT-CINQUIÈME LEÇON. 197 Albumine et #arc de café, complètement extrait. — Al- bumine dissoute après 6 heures: 0,4. Albumine et 0,7 gr. de peptone d’albumine, préparée avec un estomac de cochon d'Inde. — Albumine dissoute après 6 heures : 1,4. II. Chat, traité d’après la deuxième méthode. Après un repas préparatoire on injecte dans l'estomac, par une fistule œsophagienne, 2,5 gr. de peptone de viande préparée avec un estomac de chien, neutralisée et dissoute dans 32 gr. d’eau. Au bout de 4 1/, heures, l'estomac est vide ; l'animal est tué. L'infusion stomacale digère 25 gr. d’albumine. Nous voyons ainsi que des masses assez volumineuses de certaines substances peu nutritives (comme le marc de café) introduites dans l'estomac en même temps que l’albumine, se montrent inactives, tandis qu'un petit volume de subs- tances contenant un aliment très-concentré, produisent ra- pidement de la pepsine. La propriété de fournir de la pep- sine, paraît donc dépendre surtout de la proportion de #w- triment soluble, que contient une quantité donnée d’aliment. Or, pour que les parties solubles des aliments puissent modifier la sécrétion g'astrique et déterminer une production de pepsine, il faut nécessairement qu'elles soient absorbées. L'acte de l'absorption en lui-même mettrait-il les parois stomacales dans cet état particulier qui les rend aptes à extraire la pepsine du sang? Cette supposition semble, à première vue, en harmonie avec un fait qui s’est plus d’une fois présenté à mon observation : c’est que dans tous les cas où, par une cause quelconque, l'absorption stomacale est ralentie ou suspendue, le pouvoir digestif de l’infusion stomacale, vis-à-vis de l’albumine, est amoindri au même degré. Mais les expériences suivantes prouveront à l'évidence qu'on ne saurait chercher dans le fait seul de l'absorption le facteur essentiel présidant à la sécrétion du principe digestif. On introduit tour à tour dans l’estomac du chien N° I, 198 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. à fistule (après un repas préparatoire copieux), une quan-- tité mesurée d’albumine, avec les substances suivantes, dont l'absorption est facile : Ab, diss. en 6 heures. cent. cub. lo Grande quantité d’eau, disparue au bout de6 heures 0. 2° 30 grammes de sucre, disparus au bout de 6 heures 0. 3° 60 grammes de sucre . . . REINE er S EAN 4° 3 grammes de sel de cuisine, soie dans 80 gr. d’eau. Au bout de 6 heures, l'estomac est vide et le mucus de ses parois bleuit le papier rouge de tournesol. — Alb. dissoute 0,5. Ce premier groupe d'expériences, j'ai hâte de l’ajouter, ne nous donne cependant pas la certitude absolue que les subs- tances introduites simultanément avec l’albumine, aient été réellement absorbées par l'estomac, car, le pylore restant perméable, elles auraient pu passer dans l'intestin. J'ai évité cette objection dans une seconde série d’expé- riences faites d’après la méthode d’infusion. Lorsque les animaux avaient accompli une digestion copieuse, je les éthérisais, je leur ouvrais les parois abdominales , j’appli- quais une ligature d'attente autour du pylore, je faisais une ouverture au dessus de la ligature et je lavais l’inté- rieur de l'estomac par un jet d’eau. Ensuite je liais l’æso- phage et j'introduisais dans l’estomac, par l'ouverture faite déjà préalablement, soit de l’empois d’amidon, soit du sirop de sucre de raisin. Maintenant seulement je serrais la liga- ture du pylore (1). Comparant ensuite, à la mort de l’animal, (1) Pour éviter l'accumulation des gaz dans l’estomac, résultat possible de cette double ligature, j'ai employé, dans des expériences plus récentes, le procédé suivant: J'ai pratiqué une ouverture dans la portion cervicale de l’æsophage, par celte ouverture j'ai introduit une bobine de bois, perforée dans son axe, et c’est autour de la bobine qu’ensuite j'ai lié l’œsophage. Le canal central de la bobine n'avait pas plus d’un demi-millimètre de diamètre. Celte ouverture, très-étroite, permettait la sorlie des gaz, mais s’opposait, en cas de vomiturilions, au passage des matières stomacales dont la partie moins liquide, en oblurant le canal, servait en quelque sorte de valvule. En effet je n'ai jamais observé dans ces cas, la moindre perte du contenu stomacal par les efforts du vomissement, VINGT-CINQUIÈME LEÇON. 199 le résidu sec du contenu stomacal, au résidu sec fourni par un poids égal de la substance introduite, j'obtenais la mesure de l'absorption. Eh bien! quoique les quan- tités absorbées fussent quelquefois considérables , l’infusion stomacale ne digérait pas plus d’albumine que celle d’un ‘ estomac laissé vide après l’accomplissement de la digestion préparatoire. On pourrait encore objecter à ces expériences que comme le sucre et l’amidon sont surtout absorbés par les veines, tandis que les autres substances, employées dans la série précédente, le sont par les vaisseaux lymphatiques, les ré- sultats obtenus dans les deux séries ne sont pas exactement comparables entre eux. Mais j'ai répété ces expériences avec quelques substances qui sont absorbées presque exclu- sivement par les lymphatiques, et les résultats n’ont pas varié. A trois petits chiens j'ai lié le pylore et l'œsophage, et injecté dans l'estomac vide, épuisé par une digestion pré- paratoire copieuse, de l'huile d'olives émulsionnée avec de la gomme arabique. Au bout de 6 heures, l'émulsion était en partie absorbée, et néanmoins l’infusion stomacale de ces animaux ne digéra qu'une quantité minime d’al- bumine. Dans un autre cas, chez un chien un peu plus grand et traité comme les derniers, j'ai provoqué l’absorption de 5,8 cent. cub. d’huile, également émulsionnée avec de la gomme arabique. L’infusion stomacale, préparée au bout de 5 heures, digéra 7,5 gr. d'albumine, quantité presque nulle ou du moins insignifiante pour un chien adulte, de taille moyenne. Le suc gastrique artificiel d’un autre chien de même taille qui, quelques heures avant d’être sacrifié, avait mangé un petit morceau de viande grasse, digéra 36 grammes d’albumine. Ces faits, observés un grand nombre de fois et reconnus constants, m'ont suggéré la supposition suivante, la seule 200 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. qui s’accorde avec l’ensemble des résultats obtenus et qui les relie les uns aux autres : Beaucoup de substances alimentaires , absorbées par l'es- tomac, abandonnent au sang certains principes qui modifient la composition de ce fluide de manière à le rendre apte à fournir de la pepsine aux glandules stomacales. Si cette théorie est vraie, un estomac épuisé par une di- gestion copieuse, ne sécrètera, peu de temps après l'ing'estion de nouveaux aliments, qu'un suc acide, dépourvu de pepsine, suc dont le pouvoir digestif augmentera proportionnellement à l'absorption stomacale et à l'accumulation, dans le sang, d'éléments peptogènes. C'est, en effet, ce que j'ai eu occasion de constater dans plusieursexpériences sur des chiens chez lesquels je retirais, par une fistule stomacale, 20 grammes de suc gastrique de demi-heure en demi-heure, après avoir fait faire aux animaux un repas deviande: le pouvoir digestif, vis-à-vis de l’albumine, des portions de suc gastrique ainsi obtenues, allait en crois- sant au fur et à mesure que la digestion faisait des progrès. Je ne vous cite pas de chiffres, car les expériences, bien que répondant généralement à ce résultat, montrèrent quelques exceptions que je mets sur le compte de l’imperfection du procédé mis en usage. En effet, le liquide qui s’écoulait par la fistule, n’était rien moins que du suc gastrique pur, il contenait, en premier lieu, de la salive, du mucus buccal et œsophagien, et plus tard les produits de la digestion en voie d’accomplissement. Il n’en est que plus remarquable que les dernières portions de suc gastrique aient presque régulièrement digéré plus d'albumine que les portions pré- cédentes. On a déjà dit autrefois que les aliments , après leur ar- rivée dans l'estomac, y séjournent presque inaltérés pendant quelque temps. Cette opinion, généralement rejetée de nos jours, trouve dans notre manière de voir une confirmation en ce sens que les peptones ne peuvent commencer à se | ha + ER, Lo 2% YINGT-CINQUIÈME LEÇON 201 produire qu'après que les parois stomacales ont eu le temps de se charger de pepsine. Je vous citerai quelques faits qui justifient entièrement cette supposition. Douze heures après avoir fait faire à un chien un repas préparatoire copieux , on introduit dans son estomac une portion modérée de viande, et l’on examine le contenu sto- macal de 10 en 10 minutes, pour saisir le moment où ap- paraissent les premiers produits de la vraie digestion pep- tique. On utilise, à cet effet, la propriété qu'a la parapeptone de masquer la réduction du sulfate de cuivre par la glycose dans les solutions alcalines. Avant d'ajouter l’alcali, on chauffe à l’ébullition et l'on filtre le liquide à examiner. Il résulte de ces expériences que, si l’on a donné de la viande cuite, la parapeptone n'apparaît qu'au bout de 50 minutes et que si l’on a donné de la viande crue, elle apparaît encore plus tard. Dans trois expériences de ce genre, où je donnai à boire aux animaux après qu’ils eurent mangé la viande cuite, la digestion commença un peu plus tôt. Après l’accomplissement d’une digestion préparatoire, un chat reçoit une quantité modérée de viande, et une heure 10 minutes plus tard, une dose de tartre stibié. Il vomit des matières qui ne contiennent pas de parapeptone. — Une autre fois, les matières vomies 1 heure 30 minutes après le repas, en contiennent une trace. Si vous considérez qu'un suc gastrique peptique fournit de la peptone de viande déjà après 15 minutes, vous n’hésiterez pas à admettre, avec moi, qu'au moment de l'ingestion des aliments, l'estomac du chat ne contenait pas de suc peptique. Messieurs, il est temps de nous demander quelles sont les substances qui, en passant de l'estomac dans le sang, sont aptes à jouer le rôle de peptogènes. L'estomac renferme toujours une certaine quantité d’eau qui se renouvelle continuellement. D'autre part, l’arrivée des aliments détermine une abondante sécrétion de suc acide. 202 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Les aliments solubles dans l’un ou l’autre de ces deux li- quides, peuvent être absorbés immédiatement; il faut donc chercher les peptogènes parmi les substances solubles dans l'eau, ou parmi celles qui se dissolvent dans l’eau acidulée, si toutefois ils ne sont pas contenus dans les deux groupes. L'expérience décide en faveur des substances so/ubles dans l’eau et exclut celles qui ne se dissolvent que dans l’acide. Exp. IL. On introduit dans l'estomac d’un chien, après une digestion préparatoire, une quantité mesurée d’albumine cuite. On permet à l'animal de boire ou l’on injecte de Z’eaw par la fistule. Au bout de 6 heures l’albumine est inattaquée. On replace le sac de tulle avec la portion d’albumine, et en même temps on injecte par la fistule de l'extrait aqueux de viande crue ou cuite, de pain ou de petits pois, extrait préparé à froid par le massage rapide dans l’eau. Au bout de 5 heures, l’albumine a diminué considérable- ment et proportionnellement à la quantité d'extrait injectée. Ces expériences donnaient un résultat analogue si, au lieu de remettre la même portion d’albumine cuite après les premières 6 heures, on la remplaçait par de l’albumine fraîche. Exp. II. Cinq chiens âgés de 6 semaines (Méthode d’in- fusion). Chez le premier, on établit, 14 heures après un repas préparatoire, une fistule œsophagienne, afin d’empécher l'afflux de la salive dans l'estomac. Six heures plus tard l'estomac est vide et acide : infusé dans l’eau, il digère 2,5 gr. d'albumine. Le deuxième et le troisième chien sont traités de la même manière, mais reçoivent, par l’œsophage, de l'extrait agueux de viande de chien. Six heures plus tard, leurs estomacs sont vides et digèrent 20 et 22,5 gr. d’albumine. Le quatrième et le cinquième chien reçoivent, avec une portion d'extrait de viande, 100 grs. d'extrail agueux de pain. L’infusion des estomacs vides digère 24,8 gr. et 27 gr. d’albumine. Ainsi, le simple extrait aqueux de divers aliments (viande, VINGT-CINQUIÈME LEÇON. 203 pain, petits pois, etc.) peut jouer le rôle de peptogène. Lors- qu’au contraire, on n’introduit dans l’estomac que le résidu de l'extraction complète par l'eau de ces mêmes aliments , il ne se forme pas de pepsine. (Voy. plus haut exp. II, D). Ce résidu (celui de viande, par ex.) peut d’ailleurs se dis- soudre complètement dans l’acide gastrique (1). J'ai fait des expériences analogues d’après le procédé par infusion, avec du pain, de la farine de lentilles et plusieurs autres substances, et j'ai obtenu les mêmes résultats. Après ce qui précède, on comprendra aussi comment des aliments simples, qui ont une valeur nutritive très-grande, tels que Zl’albumine coagulée, mais qui ne donnent pas d'extrait aqueux, ne sont pas digérés et ne nourrissent pas, s'ils se trouvent sey/s dans l'estomac dépourvu de pepsine. Je le répète, nos recherches établissent que le produit de l'absorption de certaines substances doit se mêler à la masse du sang, pour que l’estomac puisse former et sécréter de la pepsine. La présence de ces substances dans le sang étant re- connue indispensable à la production de la pepsine, reste à (1) J'ai aussi employé, pour cette expérience, du hachis de viande lavé jusqu'à extrac- tion complète dans un sac de loile que je suspendais au goulot d’une fontaine, de ma- nière à le faire traverser par un courant d’eau continu. De temps en temps je massais le contenu du sac. Il fallait ordinairement plusieurs jours de ce lavage pour que la viande cessât de communiquer des substances à l’eau. — Quelquefois, au lieu d'at- tendre la fin de l'extraction, je plongeais le hachis pendant plusieurs heures dans de l'eau acidulée, tiède, puis je replaçais le sac sous la fontaine. J’obtenais ainsi une pulpe d’un gris rougeâlre que les chiens mangeaient avec plaisir. Celle. pulpe se dissolvait et disparaissait lentement dans le suc acide de l'estomac; mais l'albumine introduite simul- tanément (dans un sac de tulle) restait inallérée pendant 6 heures. Pour m'assurer que la pulpe de viande se dissolvait réellement dans l'estomac et ne passait pas, à l'état désagrégé, dans l'intestin, j'ai répélé l'expérience en introduisant deux sacs de tulle, contenant l’un 3 cent. cub. d’albumine , l’autre 250 gr. de pulpe. Le second sac se vidait en quelques heures, le premier contenait toujours 3 cent. cub. d’albumine, Lorsque la viande n’est pas lavée jusqu'à extraction complète, elle peut faire digérer une {rès-petite quantité d’albumine, quantité réellement insignifiante , en regard du vo- lume de la viande dissoule et absorbée par l'estomac. 204 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. savoir si l'absorption doit se faire dans l'estomac et si les peptogènes, absorbés par d’autres points de l'organisme, perdent ou non leur influence sur la digestion stomacale. L'examen de cette question nous occupera dans la prochaine leçon. VINGT-SIXIÈME LEÇON. Sommaire: Des substances peptogenes (dextrine, pain, gélatine d’os, bouillon de viande, peptones, etc.). — L'utilité des peptogènes dans l'acte de la digestion est indépendante de leur valeur nutritive intrinsèque. — L'action des peptogènes sur la sécrétion du ferment peptique reste la même si, au lieu d'être absorbés par l'estomac, ils le sont par le gros intestin, par le tissu cellulaire souscutané, par les cavités séreuses, ou s'ils sont directe- ment injectes dans le sang. — Expériences comparatives sur des chiens, des lapins, des chats, d'après les deux méthodes, Messieurs, Nous nous sommes demandé, à la fin de la dernière leçon: est-il nécessaire, pour que l'estomac sécrète la pepsine, que les substances « peptogènes » soient absorbées par l'estomac lui-même? Si elles sont absorbées par d’autres points de l'organisme ou directement injectées dans le sang, leur action spécifique reste-t-elle la même ? — A première vue, il semble que les effets doivent être identiques dans toutes’ les conditions supposées, puisque l'absorption, aussi bien que la sécrétion stomacale, a lieu par l'intermédiaire du sang . Avant de passer aux expériences directes qui se rappor- tent à ce sujet, nous avons à revenir, avec un peu plus de détails, sur la détermination des substances « peptogènes » elles-mêmes. Quelles sont, en particulier, celles qui, absorbées par l’estomac, rendent le suc gastrique actif, c’est-à-dire peptique? 206 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Nous avons vu que ces substances se trouvent parmi celles qui sont solubles dans l’eau pure (non acidulée). Examinons donc encore une fois les extraits aqueux de dif- férents aliments, pour reconnaître ceux qui sont actifs et ceux qui ne le sont pas. J'ai été conduit à expérimenter en premier lieu sur la dextrine, parce que des expériences antérieures, faites en partie en commun avec Lucien Corvisart, nous avaient révélé le fait singulier que la dextrine, par son absorption, fournit au sang une matière apte à développer dans le pancréas le ferment particulier qui digère les corps albumi- noïdes; tandis que la g/ycose qui provient de la transforma- tion de la dextrine et qui est la même substance isomérique modifiée à un degré supérieur, n’a aucune influence sur la sécrétion pancréatique. L’amidon soluble (empois) que l’on peut considérer comme le point de départ ou du moins comme un degré inférieur du même corps isomérique, n’a pas non plus d’action sur la production du ferment pancréa- tique. Ce n’est donc que dans un état très-déterminé que les matières féculentes ont la propriété de saturer ou de « charger » le pancréas, et, par analogie, je me suis de- mandé si la même particularité n'existait pas aussi pour l'estomac. | L'expérience n’a pas démenti mes prévisions, comme il ressort des faits nombreux que je vous ai cités dans la leçon précédente. Pour mes recherches relatives à l'action de la glycose, je me suis servi ordinairement du sucre de raisin impur du commerce, dont je déterminais préala- blement le pour cent de glycose pure, après la désiccation à 100 degrés, déduction faite de la quantité de chaux que contenait le sucre brut. — Dans trois expériences, j'ai opéré sur de la glycose pure, de consistance sirupeuse, qui m'avait été fournie par M. Boudault. Enfin pour être sûr, dans quelques expériences comparatives, d’avoir exactement la même substance dans les deux états, de dextrine et de VINGT-SIXIÈME LEÇON. 207 glycose, j'ai transformé directement une certaine quantité de dextrine en glycose; la dextrine non transformée me servait pour les animaux de la première série, et le reste, transformé en glycose, pour les animaux de la seconde. Dans toutes ces expériences , lors même que l'estomac (lié au pylore) absorbait des quantités assez considérables de glycose, il ne se formait pas de pepsine, tandis que l'absorption de très-petites quantités de dextrine «chargeait » très-manifestement l'estomac. L'absorption de la glycose était quelquefois incomplète, mais toujours mesurable; je m'en suis assuré en évaporant à sec un poids connu de la solution primitive de glycose, poids d’après lequel je dé- terminais le résidu sec de la quantité injectée dans l’estomac, et en répétant cette opération sur le contenu stomacal après la mort de l’animal. Toutes les fois que l’on fait absorber du sucre, de l'amidon soluble, de la gomme, des acides, etc., il est in- dispensable de procéder ainsi, car, lorsque, pour évaluer les quantités absorbées, on se borne à comparer le vo/ume du liquide retrouvé dans l'estomac à celui de la quantité primitivement injectée, on peut être induit en erreur par une augmentation apparente de ce volume. Cette augmen- tation est dûe à la transsudation plus active de liquide, à l’exosmose coïncidant avec l'endosmose de la substance injectée. L’absorption de l’amidon soluble, préparé d’après la mé- thode de M. Payen, n’est pas plus apte à charger l'estomac de pepsine que ne l’est l'absorption du sucre. Dans deux expériences de digestion artificielle (procédé par infusion), j'ai trouvé que le pain fournit beaucoup plus de pepsine aux parois stomacales, lorsque l’on intercepte la salive que lorsque ce liquide afflue librement dans l'estomac. C’est que la salive transforme en sucre une grande partie de la dextrine contenue dans le pain, avant qu’elle ait pu être absorbée. 208 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Os et gélatine. J'ai souvent remarqué que lorsque, chez des chiens à fistule, l'estomac contenait des restes d’os, au moment où j'introduisais l’albumine , celle-ci, au bout de quelques heures, diminuait un peu de volume. Il en était de même, lorsque je mettais à dessein, dans l’estomac com- plètement vide, quelques fragments d'os déjà bouillis. L’al- bumine diminuait, dans ces cas, de 1,6 gr. à 1,9 gr. Comme, chez le chien, des fragments d'os séjournent quel- quefois pendant plusieurs jours dans l'estomac, il arrivait assez souvent que, tant qu'ils ÿ restaient, l'estomac ne cessait pas de contenir de petites quantités de pepsine — bien entendu, sans qu'aucun autre peptogène ait été in- troduit dans le corps en dehors des repas préparatoires, absolument indispensables dans toutes ces expériences. Ainsi la présence de fragments d'os rend l’estomac des carnivores, qui autrement ne digère que périodiquement , en quelque sorte semblable à celui des herbivores, qui digère conti- nuellement. L’os n’agit, dans ces cas, que par son extrait aqueux, par son cartilage qui contient de la gélatine soluble. Un os dont on a extrait les parties inorganiques, en le faisant macérer dans de l'acide chlorhydrique, et que l’on introduit dans l’estomac, après avoir lavé l'acide, agit comme un os entier. Au contraire, un os calciné, privé de ses parties organiques, ne fait pas sécréter de pepsine. Le bouillon d'os qui contient l'extrait aqueux sous une forme qui est faci- lement absorbée, agit encore mieux que l'os lui-même. J'ai fait bouillir dans l’eau quelques os pendant une heure et quart, j'ai acidifié et filtré le bouillon pour le débarrasser des substances albuminoïdes coagulables, et j'ai injecté le liquide neutralisé par la fistule d'un chien; en même tempsj'ai introduit dans l'estomac 2,3 cent. cub. d’albumine, renfermés dans un sac de tulle. Au bout de 6 heures, il ne restait que 0,5 d’al- bumine, mais le sac s'était engagé dans le pylore. Son contenu était encore acide et probablement, s’il était resté VINGT-SIXIÈME LEÇON. 209 dans l'estomac, toute l'albumine aurait disparu. Ainsi il y avait eu production de pepsine, bien que, dans la solution injectée , il n’y eût que très-peu ou point de corps albu- minoïdes. Quelle que soit d’ailleurs la valeur nutritive de la géla- tine, il est certain, d’après ces expériences, qu'elle fournit de la pepsine et qu’elle sert ainsi à accélérer la digestion des autres aliments. Du moment que les parois stomacales sécrètent un suc plus riche en pepsine, ce suc peut, avec moins de substance, produire plus de peptone; par consé- quent la gélatine d'os est utile lors même qu'il serait vrai qu’à elle seule elle ne nourrit pas. Viande. Toutes les matières albuminoïdes sont converties, par la digestion, en corps solubles dans l'eau, lesquels, absorbés par l'estomac, chargent celui-ci de ferment. Cette loi ne s'applique pas seulement, comme nous le verrons dans la suite, à l'estomac, mais aussi au pancréas. On admet généralement que la digestion stomacale complète de la viande fournit un corps pouvant être directement assimilé par le sang sans reparaître dans aucune sécrétion; mais j'ai trouvé que les peptones de viande, d’albumine et de fibrine, préparées artificiellement et injectées en petite quantité dans un estomac lié au pylore, produisent beaucoup plus de ferment peptique et pancréatique que nele fait l'al- bumine liquide ou l'extrait aqueux de viande crue ou cuite. Le bouillon pur, débarrassé autant que possible des sub- stances albuminoïdes coagulables, sature fortement l'es- tomac. Comme on le sait, le bouillon contient, après une coction très-prolongée, un corps albuminoïde qui n’est coa- gulable ni par la chaleur ni par les acides, une véritable pep- tone, l'aZbuminose de cuisson de L. Corvisart (trioxyprotéine de Mulder). Or, comme dans ces expériences, il s'agissait précisément de savoir si le bouillon devait sa propriété de péptogène à des matières albuminoïdes ou non, j'ai cherché à empêcher la formation du corps en question. Je crois TOME DEUXIÈME 14 210 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. avoir, quoique incomplètement, atteint ce but en ne faisant bouillir la viande que pendant très-peu de temps, puisque il est généralement admis que l’albuminose de cuisson n'apparaît en quantités plus grandes qu'après une coction très-prolongée. Les expériences sont faites sur des chiens très-jeunes, âgés à-peu-près de 6 semaines. Repas abondant suivi de 12 heures d’abstinence. Le pylore étant lié, on injecte dans l'estomac 60 gr. de décoction de chair de chien, préparée en faisant bouillir la chair pendant 20 minutes, et en filtrant la décoction acidulée et refroidie. L’estomac de l'animal, tué après 6 heures, ne contient qu’un liquide muqueux. L’infusion digère 21 gr. d’albumine, quantité suffisamment grande pour l’âge de l'animal. J'obtins un résultat analogue sur deux autres chiens, en préparant le bouillon encore plus rapidement. Il s'ensuit que le bouillon filtré ou passé à l’'écumoire ne perd pas sa propriété de peptogène et est encore utile à la digestion, contrairement à ce que quelques théori- ciens ont prétendu. Il pourrait même, dans cet état, servir de remède dans certaines maladies dyspeptiques de l'estomac, au lieu de la dextrine. Il faudrait alors le donner une heure ou une demi-heure avant les repas. — Je reviendrai plus tard sur l’application thérapeutique des peptogènes. Les résultats que m'a fournis l'examen de quelques autres substances, complèteront cette énumération des corps peptogènes. La gomme arabique, émulsionnée avec de l'huile d'olive et absorbée par l'estomac, n’est pas un peptogène. La partie absorbée paraît du reste étre très-petite, à en juger d’après le volume du liquide qui se retrouve dans l'estomac. La très-faible diminution de ce liquide, à la fin de l’expérience, ne constitue cependant pas une mesure absolue pour l’ab- sorption qui a eu lieu, car le contenu stomacal ne conserve pas les propriétés physiques de la gomme, et il est possible que, dans ces conditions, j'aie eu sous les yeux un autre corps. VINGT-SIXIÈME LEÇON. 211 Il faut toujours tenir compte de cette possibilité quand on a à faire à des substances dont l'équivalent endosmotique est aussi élevé que celui de la gomme. L’infusion de café donne un peu de pepsine; le fromage en donne davantage (Voy. Lecon précédente). L'action du sang et du lait sera examinée plus tard. Connaissant maintenant quelques corps peptogènes, nous sommes en état d'aborder la question formulée au commen- cement de cette leçon, question vitale pour notre théorie du mode de sécrétion du suc gastrique: Les peptogènes reconnaissent-ils pour condition de leur action sur l'estomac un contact immédiat avec les parois de cet organe, une absorption par les vaisseaux gastriques, ou bien leur présence dans le sang sufit-elle pour faire sécréter le principe peptique, même si l'estomac reste vide ou s'il ne contient que des corps inertes ? Nous avons deux voies pour décider cette question. La première consiste à faire absorber les peptogènes par une surface autre que la muqueuse stomacale ; la seconde à les injecter directement dans le sang. Je passe directement aux expériences. Injections par le rectum et le tissu cellulaire souscutané. I. Le premier chien, à fistule, ayant fait un grand repas préparatoire, on introduit, dans son estomac vide, une quantité mesurée d’albumine et on lui donne en lavement les quantités suivantes de dextrine en solution : Dextrine injeclée. Alb, diss. en 6 heures, Expérience l: grammes 5 Centimètres cubes 0,9 » PE » 6 » » 0,9 » 3: » 8,5 » » M7 » 4: » 16 » D 8,9 Le résultat est évident. II. Expériences par la méthode d'infusion. À différents animaux on fait, à la fin d'une digestion préparatoire, des injections de dextrine, de peptone, d'extrait 212 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. de viande dans le tissu cellulaire souscutané du dos, du thorax et des cuisses. Leurs estomacs vides se chargent de pepsine (1). Le café qui agit faiblement par l'estomac, se montre à- peu-près inactif en lavements. En thèse générale, les substances inactives par l'estomac, le sont aussi en lavements. Les injections par le rectum ayant donné des résultats si incontestables, je pouvais expérimenter en lavements des substances dont l’action, par l'estomac, aurait été douteuse ou à double sens. Les lavements de Zait donnèrent peu de pepsine; ceux de petit-lait encore moins. Le blanc de deux œufs frais, injecté dans le rectum d’un chien à fistule, ne fit dissoudre à son estomac vide que 0,8 cent. cub. d’albumine solide, en 6 heures. Je n’ai que peu d'observations sur le sang. J'injectai dans le rectum d’un chien à fistule 200 gr. de sang pris de la carotide d’un cheval récemment abattu. L'estomac ne fut pas chargé. (Il faut remarquer qu'une grande partie du sang ne tarda pas à être rejetée sous forme de caillots, et que 10 heures après, l'animal rendait encore des selles sanguinolentes. Il n’est cependant pas improbable que pendant ce temps une certaine quantité de sérum ait été absorbée). Le lendemain le même chien reçoit un lavement de 200 grammes de sérum sanguin du même cheval et séparé du sang extrait la veille. L’estomac vide digère 1,0 cent. cub. d’albumine. Le surlendemain de même. Le sérum abandonné à lui-même pendant 8 jours (l’ex- périence était faite en hiver) resta congelé pendant les deux (1) Les détails de ces expériences seront exposés dans une aulre parlie de ce cours, à l’article pancréas, … VINGT-SIXIÈME LEÇON. 213 premiers jours. J’en injectai une autre portion, lorsqu'il commença à dégager une légère odeur de putréfaction. Le chien eut, au bout de 10 minutes, des vomituritions qui se calmèrent bientôt (effet constant des injections putrides). L’albumine introduite dans l’estomac avant le lavement, ne diminua pas de volume en 6 heures. Le pus, absorbé par le tissu cellulaire, est un peptogène. L'irritation prolongée des nerfs sensibles d’un membre a souvent pour conséquence une dilatation réflexe durable de ses vaisseaux et de l'œdème. Les vaisseaux restant perméa- bles, la sérosité épanchée est résorbée et se reproduit conti- nuellement. Dans ces cas, j'ai toujours trouvé l'estomac des animaux, morts après 18 à 24 heures de jeûne, beaucoup plus saturé de pepsine qu'il ne l’est chez des animaux nor- maux dans les mêmes conditions. Injections dans le sang. Etant obligé de faire les premières expériences de cette série sur des lapins, j'ai dû, avant tout, déterminer le pou- voir digestif normal de l'estomac de ces animaux. On sait que même après une abstinence de 8 jours, l’estomac des lapins contient encore des résidus d'aliments non digérés dont les parties solubles ne sont pas complètement extraites, ce qui détermine une saturation légère, mais continue de l'estomac. L'infusion de l'estomac du lapin doit être faite au moins dans 100 grammes d’eau;une quantité moindre d’eau ne donne que des résultats très-imparfaits. Si l’infusion est faite, par ex., dans 60 grammes d’eau, on obtient des chiffres douze fois trop petits pour l'albumine dissoute, et cela en partie parce que le liquide est trop concentré. Des déterminations nombreuses (mais faites la plupart sur des lapins de petite taille) me donnèrent les chiffres suivants pour des infusions laissées une heure à l’étuve et placées ensuite une ou deux heures à la température ambiante. (Les animaux étaient d'abord bien nourris, puis 214 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. laissés à jeun pendant 20 à 30 heures, sans ligature du pylore). Quantité d’albumine dissoute par l'infusion stomacale : 6 à 14 grammes, selon la taille de l’animal. Si l'on injecte dans la veine jugulaire d’un lapin, 4 à 6 heures avant de le tuer, 1 gramme de dextrine, dissous dans 20 grammes d’eau, l’on trouve les résidus alimentaires plus mous et plus liquides que d'ordinaire. En répétant plusieurs jours de suite l'injection chez le même animal, on peut arriver à faire disparaître tout le contenu de l'estomac, ou au moins à le réduire à une petite quantité de liquide, ou de bouillie verdâtre. L’estomac est alors contracté au point de ressembler à une portion de l'intestin. La liqué- faction et la disparition plus rapides des restes alimentaires démontrent encore une fois, dans ces cas, le surcroît consi- dérable de force digestive qui résulte pour l’estomac, de la présence de la dextrine dans le sang. Sans doute la diges- tion stomacale ne liquéfie que les parties albuminoïdes des végétaux, mais en liquéfiant celles-ci, elle en désagrége la trame insoluble et la transforme en un chyme semi-liquide qui passe rapidement dans l'intestin. Lorsque les injections souvent répétées de dextrine suff- sent exactement pour faire digérer doutes les parties albu- minoïdes des aliments contenus dans l’estomac, sans laisser de pepsine en provision dans les paroïs de l’org'ane, l'estomac des lapins devient en quelque sorte semblable à celui des carnivores, après l’accomplissement d’une digestion co- pieuse. J'ai été conduit à cette dernière observation par un hasard. Voulant faire, parallèlement aux expériences sur la dextrine, des recherches sur le sucre, il se trouva que la glycose dont je me servais contenait environ 10 pour 100 de dex- trine, et que l’injection dans le sang de 1,5 gr. de cette glycose impure suffisait pour faire disparaître en peu de temps les résidus alimentaires de l’estomac d’un lapin, à VINGT-SIXIÈME LEÇON. 215 jeun depuis 24 heures, sans laisser de saturation notable des parois stomacales. L'estomac d’un animal tué 4 heures après l'injection, digéra 2,7 gr. d'albumine. Avec ce même sucre impur, j'ai réussi à faire la double expérience suivante qui est surtout instructive par la diffé- rence énorme qu’elle montre dans le pouvoir digestif de l'estomac, selon qu'il est chargé de pepsine où n0n. Deux lapins du même âge, à moitié adultes, nourris de la même manière depuis 6 semaines, sont soumis à un jeûne de 20 heures. Au bout de ce temps (à 10 heures du matin) on injecte dans la veine jugulaire externe du pre- mier lapin 1 gr. de dextrine, dissous dans 10 gr. d'eau. A 10 heures 1/4 on injecte, dans la jugulaire externe gauche du second lapin, 1,5 gr. de glycose impure, dissous dans 15 gr. d’eau. Quatre heures plus tard l’urine du premier animal réduit fortement le sulfate de cuivre, qu’elle précipite en jaune clair; celle du deuxième précipite également, mais en rouge. Le second lapin est tué à 3 heures, le premier à 3 heures 1/2. L'estomac du premier est affaissé, mou; il contient un liquide clair, acide, avec quelques petits restes de matière verte; la partie supérieure de l'intestin grêle contient la même matière, mêlée de bile; le cæœcum est plein. La mu- queuse stomacale est pâle. L'infusion de l'estomac digère en 5 heures: AZbumine 60 grammes. L'estomac du deuxième lapin est contracté, vide; quelques flocons verts adhèrent à la muqueuse qui est pâle et cou- verte de mucus blanchâtre, acide. L’intestin est vide, le cœcum plein. L'infusion stomacale digère en 5 heures: A/- bumine 0,1 gramme. Ainsi, de ces deux infusions faites exactement de la même manière , celle qui correspond à l'injection de dextrine, possède une force digestive 600 fois supérieure à celle de l’autre. Et ce résultat n’est pas un hasard, car dans deux autres 216 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. expériences semblables, où je ne réussis pas à obtenir la déplétion complète de l'estomac du lapin auquel j'avais injecté la dextrine, cet estomac digéra néanmoins 50 gr. d'albumine; tandis que celui du second lapin, avec injection de glycose impure, n’en digéra que 0,15 gr. A l’aide des injections de dextrine dans le sang, on parvient à saturer l'estomac du lapin, jusqu'à lui faire digérer 75 gr. d'albumine dans l'espace de 6 heures. Cette quantité est supérieure à celle que peut dissoudre l'estomac d'un chien dont la taille est de 4 à 5 fois supérieure à celle du lapin et dont l'estomac, en pleine digestion de pain et de bouillon, est infusé de la même manière. Elle est au moins 7 fois supérieure à la quantité d’albumine que liquéfie l'estomac d’un lapin normal en digestion. Et il se trouve encore, à l'heure qu'il est, des physiolog'istes qui mient au suc gastrique artificiel ou naturel du lapin la propriété de dissoudre les matières albuminoïdes! Les résultats qui ont été obtenus par les injections de glycose dans le sang, nous amènent donc à cette conclu- sion : les corps qui, absorbés par l'estomac, le rectum et le tissu cellulaire souscutané ne chargent pas l'estomac, ne le font pas non plus quand ils sont injectés directement dans le sang. Je dois, à ce propos, revenir sur les résultats de quelques injections rectales, faites chez des lapins, résultats qui n'au- raient pas été appréciés à leur juste valeur avant l'étude que nous venons de consacrer aux particularités de la di- gestion de ce rongeur. I. Trois lapins très-jeunes. Estomacs infusés dans 80 grs. d’eau. (La petite quantité d’eau, employée pour l'infusion, est cause, ainsi que je l’ai expliqué plus haut, de la faiblesse de la digestion obtenue dans les 3 cas). Les lapins, après avoir vécu exactement dans les mêmes conditions pendant plusieurs semaines, ont été traités ainsi qu'il suit: Le premier recoit en lavements, pendant 4 jours de suite, VINGT-SIXIÈME LEÇON. 217 1 gr. de dextrine en solution (dose quotidienne). Vers le milieu du quatrième jour, je le trouve mort, presque rigide, les muscles ne répondent plus qu'à l'irritation mécanique directe. (Cause de la mort inconnue). Je tue immédiatement les deux autres lapins qui n’ont pas reçu de lavements. L'estomac du premier contient encore de la bouillie verte; ceux des deux autres également, mais en quantité presque double. — La muqueuse stomacale du premier est rouge, ramollie (autodigestion commençante). L’intestin renferme des matières liquides, vertes. Pas de sucre dans le foie. L'urine réduit fortement la solution cupropotassique. Les infusions stomacales des 3 lapins digèrent: Celle du premier . . . . . grammes 6,20 d’albumine » deuxièmes "a ES 0,30 » » TTOISI0ME. M Te D) 0,28 » IT. A deux lapins, je donne des lavements de dextrine; à l’un pendant 3 jours, à l’autre pendant 9 jours. Tous deux sont tués au bout de ce temps. Leurs estomacs ne sont pas entièrement vides. L’infusion faite avec 80 grs. d’eau, digère : chez le premier . . . . . grammes 3,5 d’albumine » second. . = : .:. » 3,4 » Trois estomacs de lapins normaux, de même taille que les précédents et sans lavements préalables, sont infusés en même temps dans 80 gr. d’eau et digèrent: le premier . . . . , grammes 0,20 d’albumine le seconde 70 » 0,24 » le troisième. . . . . » 0,18 » IT. A un lapin plus grand on administre, pendant 12 jours, 2 fois par jour, un lavement de 1 gr. de dextrine, en lui retirant toute nourriture. Il mange souventses excréments. Le 12+jour 218 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION il meurt de péritonite traumatique. L’estomac est réduit à la moitié de son volume ordinaire et contient un liquide acide avec des flocons verts. La muqueuse est pâle, couverte de mucus blanc; l'intestin grêle ne contient pas de résidus; en revanche le gros intestin est rempli de bouillie. L'infusion stomacale, faite avec 80 grs. d'eau, et placée pen- dant 1 heure 1/2 à l’étuve, puis abandonnée à la tempéra- ture ambiante pendant 3 heures, liquéfie en grande partie l’estomac lui-même, et de plus 5,1 gr. d'albumine. IV. Je fis deux autres expériences de ce genre sur 4 la- pins, âgés de 3 semaines. Deux d’entre eux reçurent, pen- dant 4 et 5 jours, avec leur nourriture ordinaire, des la- vements de dextrine répétés deux fois par jour. Ils furent tués en même temps que les deux autres, auxquels j'avais fait prendre, 6 heures avant la mort, 2 gr. de dextrine par la bouche. L'infusion stomacale (avec 80 gr. d'eau) digéra: Albumine Chez le lapin avec lavements pendant 5 jours . . .gr. 2,55 » » » 4 jours . . . » 2,25 Chez l’un des lapins sans lavements . . . . . . » 0,10 » l'autre lapin » se CE 0 CU RIRES Si nous mettons en regard les résultats fournis par les infusions stomacales de la dernière série (toujours dans 80 gr. d’eau), nous obtenons la liste suivante: Albuinine digérée (grammes). Sans lavements. Avec Jlavements. 0,30 6,2 0,28 3,5 0,20 3,4 0,24 5,1 0,18 2,55 0,10 2,25 0,08 La différence des deux séries est évidente. Me. | VINGT-SIXIÈME LEÇON. 219 Voici encore quelques résultats obtenus avec des infusions stomacales, faites dans 100 grammes d’eau: Albumine dissoute par l’infusion stomacale 1. Petit lapin, nourri jusqu'à sa mort de foin et de pommes de terre . . . . . . … 6,2 grammes 2. Petit lapin, avec lavements ". héstide pendant SHOUrSk:: A, . UT AU Pan A A RE RS 2 OT. 3. Petit lapin; pere ordinaire. Depuis 18 heures, œdème d’une extrémité inférieure . . . 13,7% » 4. Petit lapin, atteint, depuis plusieurs jours, de collections purulentes entre les muscles abdomi- naux, sans plaie à la peau (résorption purulente) 24,0 » 5. Petit lapin, avec injection de 4,5 gr. de dex- trine dans la cavité péritonéale . . . . ui 27,5 » 6. Lapin plus grand, qui a mangé, 4 pee avant sa mort, beaucoup de pain blanc, dont le pouvoir peptogénique a été essayé sur un chien . 36,0 » Ces faits, que je pourrais augmenter à loisir, suffiront pour nous fixer sur les points suivants: De petites doses de dextrine, injectées en lavements, communiquent à l'estomac, du moins passagèrement, un pouvoir digestif très-prononcé, plus prononcé que ne le font les mêmes doses de dextrine, prises par la bouche. Les lavements répétés n’ont pas d'action cumulative (comme il résulte de l'avant-dernière série), mais peuvent maintenir l'estomac continuellement dans une activité rehaussée, de manière à rendre la digestion plus rapide et plus complète. — L’appétit des animaux ne paraît pas aug- menter dans ces cas. Avant de quitter ce sujet, permettez-moi de citer encore, à l'appui des premiers faits relatifs aux injections des pep- togènes dans le sang, quelques observations confirmatives sur des chats. L'infusion de l’estomac d’un chat, tué 14 à 16 heures après un repas préparatoire abondant, ne digère pas plus de 20 à 27 gr. d'albumine. 220 PHYSIOLOGIE DR LA DIGESTION. Mais si l'on injecte de la dextrine dans l’une des veines jugulaires d’un chat éthérisé dont l'estomac est épuisé par une digestion préparatoire copieuse, l’infusion stomacale digère environ 80 gr. d’albumine. Dans d’autres expériences parallèles j'ai fait faire à plusieurs chats un repas abondant de leur met favori (par ex. de cœurs de poulets) et j'ai injecté dans les veines d’au- tres chats, à jeun, une solution très-concentrée de dextrine. Les uns et les autres ont été sacrifiés 6 à 7 heures après le repas ou après l'injection. Je m'attendais à trouver l’es- tomac des chats avec injection, plus saturé de pepsine que celui des autres; mais, malgré la concentration de la solu- tion injectée, les estomacs surpris en pleine digestion d’un repas de viande, se sont montrés tout aussi actifs que les premiers. La quantité d'albumine dissoute était à-peu-près la même dans les deux cas. On pourrait déduire, de tous ces faits, des données pra- tiques d'une certaine importance pour tout ce qui touche à l'alimentation des animaux utiles à l’homme: mais ce n’est pas ici le lieu de nous occuper de cette question. VINGT-SEPTIÈME LEÇON. Sommaire: Absorption des peptogènes par l'intestin grêle. — Cette absorption est sans influence sur la sécrélion peptique. — Preuves expérimentales, — Recherche des causes qui peuvent faire perdre leurs propriétés aux peptogènes dans l'intestin grêle. — Influence de la bile et du suc pancréatique, — Influence du suc intestinal. — Ces liquides ne modifient pas les peplogènes. — Les peptogènes injectés dans les veines mésentériques chargent l'estomac. — Influence du système lymphatique. — Les peptogènes perdent leurs propriétés dans les glandes mésentériques ou dans le trajet compris entre ces glandes et le conduit thoracique. — Développements relatifs à la théorie du mode de la sécrétion peptique. — Défaut de pepsine dans l'estomac vivant, épuisé par une digestion copieuse, — Ce défaut n’est que relatif, — Description des effets du repas préparatoire. —+Indigestion par excès de nourriture. — Effets du repas insuffisant. — Production de pepsine dans l’inanition. Messieurs , Nous avons vu que les substances peptogènes, injectées directement dans le sang ou absorbées par l'un des points suivants de l'organisme: estomac, rectum, cavités séreuses, tissu cellulaire souscutané, ont la propriété de provoquer, à l’intérieur de la muqueuse gastrique, la production du ferment digestif. Je récapitule à dessein les régions dans lesquelles l'absorption des peptogènes s’est montrée efficace dans nos expériences, car rien ne nous prouve que cette absorption, par quelque point de l'organisme qu’elle se fasse, ait toujours et nécessairement pour effet de charger l’es- tomac. Si tel était le cas, la faculté digestive de l'estomac serait en quelque sorte illimitée, et il serait impossible d'expliquer l’indigestion par excès de nourriture. En effet, 222 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. les produits de toute digestion stomacale étant eux-mêmes des peptogènes, non seulement ils chargeraient l'estomac pendant toute la durée de leur séjour dans cet organe, mais ils continueraient à le charger même après sa complète dé- plétion, pendant le passage du chyme à travers l'intestin. La pepsine, formée dans l'estomac vide, y resterait emma- gasinée indéfiniment , et la digestion la plus copieuse, le repas préparatoire le plus abondant n’épuiseraient jamais la provision de pepsine, accumulée dans les glandules gas- triques. Au contraire, plus on ingèrerait d'aliments, plus aussi on prolongerait la possibilité de l'absorption des pepto- gènes, et plus on augmenterait la faculté digestive de l’es- tomac. De cette manière, un excès de nourriture ne serait jamais nuisible et il serait incompréhensible pourquoi préci- sément après l'achèvement d’une digestion stomacale plus copieuse qu’à l'ordinaire, les parois g'astriques ne renferment plus de pepsine. 6 En étendant nos recherches relatives aux effets de l'absor- ption des peptogènes, à d’autres districts du tube digestif, nous n'avons pas tardé à découvrir la cause de cette. contra- diction apparente, et nous pouvons formuler la remarquable loi que voici: L'absorption normale des substances peptogènes, dans toute la longueur de l'intestin grêle, n'a pas pour effet de charger les parois gastriques de pepsine. J'ajoute cependant que si l’on fait absorber à l'intestin gréle une quantité de peptogènes excessive et de beaucoup supérieure à celle que peut fournir la digestion normale, on observe quelquefois la réapparition d'une trace de pep- sine dans l’estomac qui n’en contenait pas auparavant. Les expériences qui m'ont amené à ce résultat, ont été faites d’après les deux méthodes que vous connaissez; c’est-à- dire d’une part sur des animaux vivants, à fistule; d'autre part sur des estomacs d'animaux tués quelque temps après une injection de substances peptogènes dans l'intestin grêle. Éd YINGT-SEPTIÈME LECON. 223 Première méthode (CAiens à fistule). Comme, dans les expériences faites sur des animaux vi- vants, il s'agissait d'opérer à la fois sur l'estomac et sur l'intestin grêle, j'ai essayé, afin de simplifier autant que possible le procédé opératoire, de réaliser cette double con- dition à l’aide d’une fistule stomacale, pratiquée dans la ré- gion pylorique et permettant d’injecter directement des substances liquides dans le duodénum. Je ne me dissimulais pas les graves difficultés qui font le plus souvent échouer ces sortes d'opérations, pratiquées dans le voisinage du py- lore et auxquelles bien peu d'animaux résistent; néanmoins, désireux de connaître les effets de l'absorption des pepto- gènes dans l'intestin grêle, sans avoir à léser ce dernier en aucun point, je persistai dans mon plan et, après bien des insuccès, je réussis à établir, chez plusieurs chiens, une fistule stomacale telle que la demandait l'expérience. La plupart des chiens — et le nombre n’en est pas petit — auxquels j'essayai de pratiquer une fistule dans le voisinage immédiat du pylore, succombèrent dès les premiers jours. Plusieurs résistèrent, et chez ceux-ci, je pouvais facilement par la fistule atteindre le pylore avec le doigt. Chez deux chiens qui me servirent également pour ces expériences, la fistule était située plus à gauche, vers le milieu de l’estomac, et trop distante du pylore pour permettre de toucher cet ori- fice avec le doigt. Chez ceux-ci, il me fallut imaginer un pro- cédé spécial pour faire arriver des liquides dans le duodénum, sans risquer de laisser s’en perdre une partie dans l'estomac, ce qui naturellement aurait faussé les résultats. Voici l’ins- trument qui m'a servi pour ce but. Il se compose d’un tube de gomme élastique, portant à ses deux extrémités un bouchon de liége perforé au milieu et terminé par un rebord sensiblement plus large que le tube. Deux fortes fi- celles traversent le tube et les bouchons, remontent à l’ex- 224 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. térieur du tube et sont nouées à son orifice supérieur, où les quatre bouts forment une anse longue de 4 à 5 centi- mètres. Le tube lui-même a une longueur de 12 centimètres, son diamètre est d'environ 2? centimètres. Le bouchon cor- respondant à l'extrémité inférieure (intestinale) du tube porte un renflement plus gros que le bouchon de l’extré- mité supérieure (ou stomacale). On introduit ce tube par la fistule dans l'estomac vide, en en dirigeant l’extré- mité plus grosse vers le pylore; les quatre bouts des fils sont fixés, par leur anse, au crochet que porte à l’intérieur le bouchon de la canule. — L’instrument ainsi mis en place, on ferme la fistule et l'on attend 4 à 5 heures. Lorsque, au bout de ce temps, on débouche la canule, l'extrémité supérieure du tube suit le bouchon auquel elle est fixée, mais si l’on essaie de retirer l'instrument tout-à-fait, il ar- rive un point où l'on sent une forte résistance. Cette ré- sistance résulte de ce que le tube a été en partie chassé dans le duodénum par les contractions stomacales et de ce que le renflement du bouchon inférieur se trouve arrêté au niveau du sphincter pylorique. On peut maintenant in- jecter un liquide par le tube et être sûr que toute l'in- jection arrivera dans le duodénum, sans toucher aucun point des parois gastriques. Après l'injection , on retire le tube avec force, au moyen des fils qui doivent empêcher le bouchon inférieur de rester en arrière. L'irritation méca- nique, exercée de cette manière sur le sphincter pylorique, provoque de nouvelles contractions de cet orifice et pré- vient efficacement le reflux du liquide dans l’estomac. Grâce à ce procédé, j'ai obtenu chez tous les chiens, opérés selon le mode indiqué, des résultats parfaitement décisifs. , | Par des expériences préliminaires on s’est assuré d’abord que, chez ces animaux, l'estomac vide et épuisé par une di- gestion préparatoire, digérait tout au plus 0,3 cent. cub, d’albumine en 6 heures. Eh bien! si, dans les mêmes con- VINGT-SEPTIÈME LEÇON. 223 ditions, on injectait dans le duodénum des quantités même. assez considérables de bouillon, de solution de dextrine ou de peptone, il n'y avait pas, au bout de 6 heures, de di- minution plus marquée de l’albumine introduite dans l’es- tomac. Si, en revanche, chez les mêmes animaux, une pe- tite quantité de ces substances était injectée dans le rectum ou dans l'estomac, la digestion de l’albumine faisait presque aussitôt des progrès très-notables et proportionnés à la quantité de peptogène absorbée. Si l’on ne tient pas expressément‘ à conserver intacte, dans toute son étendue, la muqueuse de l'intestin grêle, on peut arriver à des résultats identiques aux précédents en établissant sur des animaux, déjà porteurs de fistule stomacale, une seconde fistule, soit du duodénum, soit de l'intestin grêle, en un point quelconque de sa longueur. Cette opération dont j'aurai à vous parler encore dans une autre partie de ce cours, ne présente pas, à beaucoup près, les dangers de la méthode que je viens de vous décrire, et est en général très-bien supportée par le chien, contrairement à ce qu'en ont dit et écrit la plupart des expérimentateurs. C'est le procédé que je recommanderais à tous ceux qui voudront répéter les expériences dont il a été question en dernier lieu. Deuxième méthode (Znfusions stomacales). : À d’autres animaux, préalablement éthérisés, je liais le pylore et j'injectais les peptogènes par une ouverture pra- tiquée dans le duodénum. Après l'injection, je refermais l'ouverture de l'intestin, à l’aide d’une ligature embrassant exactement les bords de la solution de continuité. Voici quelques-uns des chiffres, obtenus avec l'infusion stomacale des animaux, sacrifiés quelque temps après l'injection. Deux petits chiens, de la même portée, sont mis en ex- bérience 17 heures après un repas préparatoire abondant. TOME DEUXIÈME 15 LA 226 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. Au premier on injecte, sous la peau du dos, 4 grs. de pep- tone neutralisée. On éthérise le second et l'on injecte dans : son duodénum , par le procédé que je viens d'indiquer, 9 grs. de la même peptone. Pas d’hémorragie chez ce dernier; mais, après quelque temps, un peu de diarrhée. — Les deux chiens sont tués après 6 heures et demie. Chez le premier, le tissu cellulaire du dos est encore gonflé de liquide, preuve que la peptone injectée n’a pas été absorbée en totalité. Malgré cela, l'infusion stomacale digère gr. 17,5 d'albumine. En revanche, l’infusion stoma- cale du second ne digère que gr. 1,5 d'albumine. J'ai ré- pété cette expérience sur des chiens adultes de grande taille, auxquels j'ai injecté dans le duodénum jusqu’à 39 gr. de dextrine. Jamais je n’ai obtenu, avec l'estomac de ces animaux, si auparavant ils avaient digéré un repas copieux, une digestion supérieure à celle que peut opérer l'estomac d'un chien, tué à jeun. Je n'ai observé d'augmentation Zégère du pouvoir digestif de l'estomac que chez quelques lapins auxquels j'avais in- jecté dans le duodénum des quantités très-considérables de peptone. Je reviendrai à ces cas plus tard. Les résultats des deux séries qui précèdent, n'ont pas besoin de commentaire. Les peptogènes, absorbés par le duodénum, ne chargent pas l'estomac. Comment expliquer cette singulière exception? Pourquoi les substances qui, absorbées par l'estomac ou par le gros intestin, jouissent à un si haut degré de la propriété d'être des peptogènes, perdent-elles cette propriété dans les portions supérieures de l'intestin grêle? — Nos études préliminaires sur la physiologie générale de la digestion et surtout les effets si remarquables du repas « préparatoire » faisaient plus ou moins prévoir l’existence d’un obstacle, placé quel- que part dans les voies digestives et destiné à limiter la VINGT-SEPTIÈME LEÇON. | 227 sécrétion du suc gastrique actif; mais si, au point de vue téléologique, nous n'éprouvons pas de difficulté à nous rendre compte du phénomène, il n’en est pas de même si nous essayons d'en préciser la cause physiologique. Il y a, soit dans l'intestin grêle lui-même, soit quelque part dans les voies de l'absorption entre l'intestin grêle et le sang, un obstacle quelconque, s’opposant aux effets ordinaires des peptogènes. Nous pouvons nous représenter cet obstacle comme une modification chimique des peptogènes, ayant lieu avant leur mélange avec la masse sanguine, car nous savons déjà qu'une fois entrés dans le sang, ils produisent nécessairement l'élimination du principe peptique dans l'es- tomac. Mais en quel point a lieu cette modification et en quoi consiste-t-elle? Nous verrons que les expériences ré- pondent en partie à la première de ces questions, mais ne nous fournissent, jusqu'ici, aucune donnée sur la seconde. Prouvons d'abord que les peptogènes ne sont pas mis hors d'action dans l'intestin grêle lui-même, par leur contact avec les différents sucs qui sont sécrétés dans cette partie du tube digestif. 1° Le suc pancréatique et la bile n’abolissent pas les effets des substances peptogènes. À de jeunes chiens, 12 à 18 heures après un repas co- pieux, j'ai lié le duodénum à son extrémité inférieure. Ou- vrant ensuite l'intestin au dessous de la ligature, j'ai injecté des matières peptogènes dans le jéjunum qui, à ce moment, ne contenait certainement pas de bile ni de suc pancréa- tique. L’estomac ne sécréta pas de pepsine pendant les 6 heures qui suivirent. l J'ai répété cette expérience avec le même succès sur un chien à fistule stomacale, chez lequel, pour plus de sûreté, la bile et le suc pancréatique étaient déviés au dehors de l'intestin depuis 24 heures. Une solution de dextrine, in- jectée dans la partie inférieure du duodénum, n’augmenta pas le pouvoir digestif de l'estomac. De l'albumine intro- 228 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. duite par la fistule stomacale, en fut retirée inaltérée au bout de plusieurs heures. Pour examiner si la double opé- ration sur la vésicule du fiel et le conduit de Wirsung avait peut-être rendu l'animal malade et produit une dys- pepsie pathologique, augmentée encore par l'écoulement continuel de la bile et du suc pancréatique le long des parois abdominales, j'injectai, dans l'estomac vide du même chien, de la dextrine en solution. L’estomac digéra, en 6 heures, 5 cent. cub. d’albumine. © 2e Cen'est pas non plus par leur contact avec la #wqueuse intestinale que les peptogènes perdent la propriété de Charger l'estomac. J'ai macéré, pendant 10 heures, l'intestin grêle d'un chien fraîchement tué dans une infusion stomacale contenant déjà une certaine quantité de peptone. Les peptones de ce liquide, injectées à l'état acide ou neutre soit dans l'estomac soit dans le rectum d’autres animaux, continuèrent à agir sur l'estomac comme de vrais peptogènes. En outre, le contenu de l'intestin grêle d'un lapin, injecté dans l'estomac d'un chat resté à jeun après l'achè- vement d’une digestion préparatoire, satura l'estomac de celui-ci, comme l'aurait fait une solution de peptone artifi- cielle. | Ainsi les matières peptogènes ne paraissent pas perdre leurs propriétés dans l'intestin grêle lui-même, puisqu'elles ne sont modifiées d'une manière appréciable par aucun des liquides sécrétés à sa surface ou contenus dans ses parois. Il faut donc chercher la cause du phénomène ailleurs, en dehors de l'intestin, dans les voies de l'absorption. 3 Est-ce dans les veines qu'a lieu l’altération dont nous voulons déterminer le siége? Cette supposition n’est pas tout-à-fait dénuée de fondement, puisque l’on a prétendu que différentes substances alimentaires, après avoir passé par la veine-porte, changent de propriétés et d'action sur l'orga- nisme. Il est vrai que le contenu s/omacal liquide, après avoir VINGT-SEPTIÈME LEÇON. 223 été absorbé, passe aussi en partie par la veine-porte, sans que pour cela les peptones, etc., cessent d'être des pepto- gènes, et déjà pour cette raison la conjecture dont il est question est rendue assez invraisemblable. J'ai néanmoins tenu à m'en assurer par l'expérience directe. J'ai injecté des peptones et de la dextrine dans une des veines mésentériques du jéjunum; et, peu de temps après, j'ai trouvé l'estomac chargé de pepsine. Mais, dira-t-on, il est à-peu-près généralement admis par les physiologistes que les substances que nous avons reconnues pour être des peptogènes passent par les lym- phatiques. Dans ce cas, cette expérience n'aurait pas de si- gnification. 4 Voyons par conséquent si les Zymyghatiques de l'intestin grêle nous donneront la clef du problème. Si c’est dans le système lymphatique que les peptogènes subissent une mo- dification, on est tout d'abord conduit à penser aux glandes mésentériques de l'intestin grêle. Les particularités anato- miques qui distinguent ces glandes de celles de l'estomac et du gros intestin, ne sont pas encore connues. dans tous leurs détails. On sait seulement que les premières sont plus volumineuses, plus denses, que leur tissu est plus aréolaire et. qu'elles sont, plus que les autres, réunies en masses ag- glomérées. — Il était intéressant d'étudier les effets de l'extirpation de ces glandes, les seules parties du système Jymphatique, plus ou moins directement accessibles à l'ex- périmentation. Voici comment je procédai : A Par une incision des téguments, faite à côté de la colonne vertébrale, j'ai mis à nu, sur des chiens et des lapins éthé- risés, le groupe des glandes qui entourent les artères mésentériques. Afin d'épargner les vaisseaux autant que possible et pour éviter une hémorragie trop considérable, j'ai détaché et enlevé les glandes avec mes ongles, sans employer d'instrument tranchant. Après cette opération les peptogènes absorbés par les lymphatiques de l'intestin ‘230 PHYSIOLOGIE DÉ LA DIGESTION. grêle, se répandaient dans la cavité péritonéale par la plaie béante des chylifères et étaient absorbés une seconde fois par les vaisseaux de la séreuse péritonéale. Expériences. — À un chien de taille moyenne on injecte dans le duodénum une solution de dextrine et immédiate- ment après on extirpe les glandes mésentériques. L'animal est tué 5 heures plus tard, avant qu'il ait montré de symptômes fébriles. L'infusion stomacale digère 37,5 gr. d'albumine. A trois lapins très-jeunes, de même taille, on injecte dans le jéjunum 1,5 gr. de dextrine. Les deux premiers subissent l'extirpation des glandes mésentériques. Chez le troisième, on fait toute l'opération préparatoire, sans détruire les glandes. Quatre heures et demie plus tard, les trois animaux sont tués. La cavité péritonéale contient, chez tous trois, un peu d'épanchement séreux. Les infusions stomacales faites dans 80 gr. d'eau, digèrent : Premier lapin . . . . . . 8,0 gr. d'albumine Second: lapim, 4 2H HE S29S » Troisième lapin . . . . . . 0,9 » » Quatre lapins, presque adultes, sont traités de la manière qui suit: Le premier est tué au commencement de l'expérience. Son estomac digère : albumine 6,2 gr. Au deuxième on injecte dans l'intestin grêle 1 gr. de dextrine, dissous dans 30 gr. d'eau. Les glandes mésenté- riques sont mises à nu, mais non extirpées. L'infusion stomacale digère : albumine 5,5 gr. Le troisième est opéré comme le second, mais avec extir- pation des glandes mésentériques. L'infusion stomacale dicère : albumine 17,7 gr. Au quatrième on injecte dans l'intestin grêle 1,5 gr. de dextrine. — Destruction d'une moitié de chaque glande mésentérique. L'infusion stomacale digère : albumine 16,5 gr. VINGT-SEPTIÈME LEÇON. … ‘231 (Les estomacs des trois derniers lapins ont été infusés dans 100 gr. d’eau. Les animaux avaient été tués 6 heures après l'opération dont ils paraissaient bien remis. Pas d'épanche- ment de sang dans le péritoine). De tous ces faits il ne ressort pas encore nécessairement que les peptogènes absorbés par l'intestin grêle perdent leurs propriétés dans les glandes du mésentère, et non pas dans les chylifères qui y conduisent la lymphe, car, dans la plupart des expériences qui précèdent, on trouva, à l'au- topsie, un épanchement séreux, plus ou moins sangui- nolent. Or pendant l'intervalle de 6 heures qui s’écoulait ordinairement entre l'opération et la mort, le sérum et le sang épanchés avaient pu être absorbés parle péritoine et charger l’estomac, à la manière des peptogènes. Il fallait encore examiner cette objection. J'ai fait, à ce sujet, une longue série d'expériences qui me permettent d'affirmer que l’avulsion des glandes mésen- tériques , et la résorption de l'épanchement péritonéal qui en est la suite, ne produisent dans l'estomac, par elles seules, qu'une quantité insignifiante de pepsine, tandis que la même opération, faite après une injection de peptogènes dans l'intestin grêle, permet à ces substances de déployer leur action ordinaire sur l'estomac. Eu définitive, tout semble indiquer que les peptogènes, absorbés par les lymphatiques de l'intestin grêle, cessent d'agir soit dans les glandes mésentériques, soit, ce qui est encore possible, dans le trajet compris entre ces glandes et le conduit thoracique. Il est, en tout cas, établi par nos expériences que si l'on interrompt les communications entre les lÿmphatiques et les glandes mésentériques, les pepto- - gènes contenus dans les chylifères ou déversés dans le pé- -ritoine parles chylifères coupés en avant des glandes, n’ont pas encore perdu leur influence caractéristique sur la sé- .crétion gastrique. - 232 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. N'importe de quelle manière on voudra expliquer le phé- nomène que nous venons de discuter, nous enregistrons le “fait que dans l'animal normal les substances peptogènes ou productrices de pepsine cessent de l'être à leur sortie de l'estomac et ne reprennent cette propriété, comme nous le verrons encore, que dans le commencement du gros in- testin, — à supposer qu'elles ne soient pas entièrement ab- sorbées jusque là, comme il arrive en effet dans l’ordre physiologique chez beaucoup d'animaux. Ce fait peut servir à nous faire comprendre une foule de particularités physio- logiques et pathologiques de la digestion en général. Nous avons à revenir, en premier lieu, sur le manque de pepsine que présente toujours l’estomac vivant, après s'être débarrassé, par la voie normale, des derniers restes d'une digestion copieuse. Je vous ai dit que si, 12 à 14 heures après avoir fait faire à un chien un repas de viande abon- dant, on introduit dans son estomac une quantité mesurée d’albumine, il nes’en dissout pas une trace appréciable, lors même que le liquide stomacal continue à présenter la réac- tion acide. La présence d’autres aliments dans l'estomac ‘ne change rien à ce résultat, .si ces aliments ne donnent pas d'extrait aqueux. Cependant d’autres expériences faites, non pas sur l'animal vivant, mais d'après la deuxième méthode (par infusion), ont montré que dans les conditions que nous venons de considérer, les parois gastriques ne sont pas absolument dépourvues de . pepsine, mais qu’elles en retiennent, dans leur intérieur, une petite quantité capable de dissoudre, au maximum, un sixième de l’albumine que dissout un estomac en:pleine di- gestion. Entendons-nous bien, ce résidu de pepsine ne peut être reconnu qu’au moyen de l'extraction artificielle des pa- rois gastriques par l'eau acidulée, et n’entre pas en ligne de compte du moment qu'on opère sur l'estomac vivant. -Des aliments non peptogènes, comme l’albumine solide, tout en stimulant un peu la sécrétion acide de l’estomac, ne VINGT-SEPTIÈME LEÇON. # 23 sont pas encore aptes à provoquer l’excrétion de la petite provision de pepsine qui nous occupe. Il faut pour cela que l'absorption d'un peptogène quelconque ait produit dans les -glandes un léger excès de matière peptique, venant s'ajouter à celle. qui y est déjà contenue et seulement alors l'excré- tion a lieu. C'est surtout et peut-être uniquement ce nou- veau surcroît de la sécrétion qui intervient activement dans l'ordre physiologique. Après ces considérations, nous n'avons plus à nous de- mander pourquoi en général le suc gastrique artificiel est plus actif que le suc gastrique naturel. Il n'en peut être autrement, puisque le suc gastrique artificiel n'est jamais délayé dans la salive, et puisque l'estomac coupé en lanières et infusé, cède toute sa pepsine au liquide acidulé. Une autre règle qui ressort de là et qui se rattache à ce que nous savons déjà sur la fonction de l'acide dans la digestion, c'est que, pour extraire bien complètement la pepsine d'un estomac, il faut donner à l'infusion une acidité modérée. Partant de ces données, j'ai voulu voir si l’on ne pouvait pas forcer l'estomac vivant à abandonner le petit résidu de pepsine qu'il contient même à jeun et dont l’existence est démontrée par nos procédés artificiels. J'ai essayé, en faisant absorber à l'estomac un sel avide d’eau, de provo- quer l'exosmose de ce résidu peptique, trop faible pour être naturellement excrété. Voici cette expérience qui a parfaite- ment réussi: : Seize heures après avoir fait manger une grande quantité de viande à un chat, j'introduis dans son estomac 3 gr. d’albumine solide. Retirée au bout de 5 heures, l’albumine n'a pas diminué. Le sac d'albumine est remis en place, mais en même temps j'introduis dans l'estomac du chat 2 12 cent. cub. de phosphate acide de chaux. Quatre heures plus tard, l’albumine est complètement digérée. Il ne viendra à l'idée de personne que, dans ce cas; le 234 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. phosphate acide ait agi à la manière d’un peptogène et que la pepsine excrétée sous l'influence du sel, ait été nou- vellement formée. Nous apprendrons, dans la suite, à Con- naître d'autres substances qui ont la propriété d'augmenter à un haut degré, par leur diffusion dans l'estomac, la transsudation des liquides à la surface de la muqueuse. Ainsi, lorsque nous disons que l'estomac est inactif par défaut de pepsine, ce défaut de pepsine n’est jamais que “relatif, et ce qui manque à l'estomac, c'est une quantité de pepsine, suffisante pour être naturellement excrétée. Or, comment se produit l'arrêt de la sécrétion peptique? Pour nous en rendre compte, examinons, dans toutes leurs particularités, les effets du repas préparatoire. Quand un chien a mangé une grande quantité d'aliments, la muqueuse de son estomac se colore plus vivement en rouge et se tuméfie légèrement. Elle déverse bientôt une grande quantité de liquide-acide qui ne contient que peu ou point de pepsine, et qui sert à extraire les parties solubles des aliments. Le produit de cette extraction aqueuse est ab- sorbé en majeure partie par l'estomac qui, à cette période de la digestion, se contracte faiblement et ne chasse que très-ra- rement un peu de liquide dans l'intestin. Les liquides absorbés ne tardent pas à être éliminés de rechef par le sang qui les dépose, sous forme de pepsine, dans les glandules gastriques. La muqueuse, de plus en plus rouge, ne cesse pas de sé- créter du suc acide; ce suc, formé en plus grande abondance, dissout, au passage, la pepsine déposée dans l’intérieur de la muqueuse. C'est alors seulement que le suc gastrique devient peptique et que la vraie digestion commence. Les produits de la digestion peptique ne passent eux- mêmes que très-lentement dans l'intestin, et sont absorbés en grande partie par l'estomac, sur lequel ils agissent en- core à la manière des peptogènes. Les parois gastriques, par l'effet même de la digestion, se chargent donc de quan- tités toujours renouvelées de matière peptique. Cet échange YINGT-SEPTIÈME LEÇON. °235 wa toujours en croissant, et dure, dans un chien adulte, environ 4 heures ; il dure plus longtemps chez les chiens jeunes et chez les chats. Un estomac de chat, pris au maximum de saturation peptique, et infusé d'après notre méthode ex- péditive, digère jusqu'à 60 gr. d'albumine. A partir de la quatrième heure environ, les mouvements de l’estomac (chez le chien) deviennent plus fréquents et plus énergiques; l'orifice pylorique s'ouvre plus souvent et reste par moments largement dilaté, lorsque la digestion stomacale est sur le point d’être achevée. Les contractions stomacales continuant avec toute leur énergr'ie, elles finissent par pousser tout le contenu liquide du viscère dans l'intestin, pendant que le contenu solide est refoulé vers la région de la grande courbure. L'estomac absorbe plus lentement que l'intestin; cette absorption diminue naturellement au fur et à mesure que l'estomac contient moins de liquide et moins de matières à dissoudre. Les peptones, une fois engagées dans le duodénum, cessent d'amener à l’estomac de nouvelies quantités de pepsine ; la production de pepsine, déjà très- ralentie par la diminution progressive du matériel qui l’ali- ‘mente, et par l'évacuation de plus en plus complète de l’es- tomac, est enfin réduite à un minimum et cesse, dès que les derniers restes de suc gastrique déjà sécrété ont passé dans le duodénum avec les matières solides qui en étaient imprégnées et qui continuaient à fournir des peptogènes (1). Ces phénomènes ontété contrôlés directement sur des chiens à larges fistules stomacales. La preuve que vers la fin d’une digestion copieuse de viande, l'estomac ne renferme plus de pepsine ex provision, mais en reçoit seulement au fur et à (1) Il ne faudrait pas s'attendre à voir la sécrétion peptique reprendre durant le pas- sage des restes alimentaires dans le gros intestin [région favorable à l’absorplion eff- eace des peplogènes); car comme il a été dit déjà plus haut, le résidu de la digestion, même après le repas le plus copieux, ne renferme plus, chez les animaux non herbivores, en, ar- rivant dans le cœcum, une quanlité bien appréciable de malières peptogènes absorbables. Nous verrons plus tard que chez îes herbivores non ruminants‘il n’en esl-pas ainsi. 238 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. mesure que se digèrent les derniers restes de viande, cette preuve peut être très-facilement fournie par l'expérience suivante : On retire tout ce qui reste dans l'estomac, vers la fin de la digestion, et l'on y introduit de l'albumiñe so- lide, contenue dans un sac de tulle: Après 6 heures, cetto albumine ne montre pas encore d'altération. Si, au contraire, on laisse séjourner dans l'estomac les dernières portions de son contenu non chymifié, l'albumine se dissout, et cela en quantité proportionnée à celle des résidus alimentaires. Voici quelques chiffres : Quantités d’albumine dissoutes dans onze observations, pendant lesquelles l'estomac, vers la fin de la digestion, contenait des restes de viande qu'on y laissait séjourner. (Premier chien à fistule): Centim. eub.: 0,3; — 0,7; — 0,8; — 0,8; — 0,8; — 0,9; — 1,1; — 1,1; — 1,8; — 292, — 2,4. Des résultats analogues s'obtiennent quand l'estomac renferme des restes de pain ou de pommes de terre. Il a été question, au commencement de cette leçon, de l'indigestion par excès de nourriture, maladie qui serait inexplicable si l'absorption de l'extrait aqueux des aliments agissait dans l'intestin grêle avec la même efficacité que dans l'estomac. Néanmoins il arrive assez fréquemment qu'a-. près un repas excessif la pepsine fasse défaut à une période très-avancée de la digestion, période dans laquelle l'estomac contient encore des aliments solides, non transformés, mais dont l'extrait aqueux peptogène est épuisé. Dans ces cas, la digestion dérangée reprend rapidement si l'on fait ava- ler à l'animal ou si on lui administre en lavement soit du bouillon soit de la dextrine. Jamais je n'ai vu résister, chez le chien, les indigestions causées par la réplétion forcée de l'estomac, à une dose suffisante de dextrine. La dextrine ‘agit mieux en lavement que prise par la bouche, car dans le gros intestin, elle est absorbée sans autre changement, tandis que dans l'estomac elle est en partie transformée VINGT-SEPTIÈME LEÇON. 237 en glycose par la salive déglutie. On voit par là que si, après un repas excessif, la digestion laisse dans l'estomac un résidu de matières alimentaires qui ne sont plus atta- quées par le suc gastrique, c’est très-probablement parce que tout le contenu liquide peptogène de l'estomac a été intempestivement poussé dans l'intestin et parce que, de cette manière, la source de la pepsine a tari. Si, chez un chien à fistule, on vide complètement l'esto- mac, une heure après avoir donné à manger du pain à l'a- nimal, les parois stomacales se trouvent saturées de pepsine grâce à l'absorption de l'extrait aqueux du pain; mais comme dès ce moment, il n’y a plus, dans l'estomac, d’excitant apte à provoquer l'excrétion de la pepsine, celle-ci reste ac- cumulée dans les glandules gastriques. Il en est de même, si l'on donne à manger à un animal une peñite quantité d'aliments fournissant beaucoup d'extrait aqueux et donnant lieu, par conséquent, à la formation d’un excédant de pepsine qui n’est pas épuisé par la digestion elle-même. Dans ce cas l’estomac, après avoir fini de digérer et s'être entière- ment vidé, reste légèrement saturé de pepsine, et peut fournir du suc gastrique acéif, dès qu'une excitation mécanique (comme celle qui est causée par l’arrivée de nouveaux ali- ments,même insolubles dans l’eau) vient’ frapper ses parois. Voilà pourquoi j'ai recommandé avec tant d’insistance, pour toutes les expériences du genre de celles qui précèdent : l° de faire faire aux animaux un repas très-copieux de leur aliment favori, et 2 d'attendre la fin complète de la digestion stomacale, avant de passer à l'expérience propre- ment dite. Nous verrons, à une autre occasion, à quelles erreurs On est exposé, si l’on ne remplit pas très-scrupu- leusement cette double condition. La grande loi qui ressort de tout ce qui vient d'être exposé, c'est que la production du suc gastrique à qualités peptiques réclame, comme condition préliminaire indispen- sable, l'absorption, et, dans l'acte digestif naturel, surtout 238 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. l'absorption stomacale. Ces deux activités si distinctes de l'estomac: sécrétion peptique et absorption, seraient-elles en rapport, au point de vue anatomique, avec le fait qu'il existe, dans l'estomac de tous les vertébrés, deux portions de la muqueuse, souvent très-nettement délimitées, et présentant une structure et des propriétés chimiques essentiellement différentes ? Une de ces portions est-elle uniquement destinée à sécréter la pepsine, tandis que l'autre, considérée comme inutile par beaucoup d'auteurs, servirait plus spécialement à l'absorption? J'aurai à revenir, sous peu, sur l'examen de cette intéressante question; pour le moment, ne faisons que mentionner le fait que si l’on infuse à chaud, dans de l'eau acidulée, l'estomac d'un mammifère, afin d'en provoquer l'autodigestion, une partie de l'estomac est complètement liquéfiée ou désagrégée au bout d’une heure ou d'une heure et demie, tandis qu'une autre partie est très-longue à se dissoudre. La première portion se distingue anatomiquement de la seconde: c'est elle qui contient les amas de glandules peptiques, qui sont caractéristiques pour l'estomac et qui ne se retrouvent dans aucune autre portion de l'intestin. Ce n’estég'alement que cette portion peptique de l’estomac que l'on trouve liquéfiée dans l'autodigestion spontanée après la mort. _ Outre les substances plus ou moins hétérogènes au sang et venues du dehors, que nous avons vues jusqu’à présent jouer le rôle de peptogènes, les parties intégrantes du corps lui-même, si elles viennent à être ésorbées, peuvent donner lieu à des changements tout-à-fait analogues dans le con- tenu des glandules stomacales. C’est ce qui arrive, p.ex. dans l’éxanition prolongée, état dans lequel, à partir d'un certain moment, l'estomac se charge lentement de quantités croissantes de pepsine. Nos recherches ont montré que c'est de neuf à seize heures après une bonne digestion qué les parois gastriques contiennent leur minimum de pepsine. Chez les chiens à VINGT-SEPTIÈME LEÇON. 239 fistule qu’on laisse jeûner, on n'observe pas encore la ré- apparition d’une quantité appréciable de pepsine au bout de 24 heures, bien qu'à ce moment déjà l'infusion stomacale montre un commencement de pouvoir digestif. Après 48 heures, la. pepsine est reconnaissable même dans l'estomac vivant. (Nous avons vu qu'elle l’est bien avant ce moment si l'on en provoque artificiellement l’excrétion, à l’aide d’un agent apte à augmenter l'exosmose des liquides gastriques). Lucien Corvisart a trouvé que des chiens morts d'inanition sans boire d'eau, avaient l'estomac aussi chargé de pepsine que des chiens tués en pleine digestion. — Ces observations rappellent jusqu'à un certain point la sécrétion peptique que j'ai provoquée chez quelques animaux en les nourrissant de chair de leur propre espèce (1). {1} Comparez pour les faits exposés dans les trois dernières leçons: Bcricht über die Versuche, welche im Jahre 1860 in Prof. Schiff's phystologischem Laboratorium angestellt worden sind. fArchiv für Heilkunde, 1861), VINGT-HUITIÈME LEÇON. Sommaire: Différences quantitatives et qualitatives du ruc gastrique, aux diverses phases de l'activité stomacale. — Les agents mécaniques peuvent-ils forcer l'estomac vido à 6é- eréter de la pepsine ? — Diversité d'action des irrilants mécaniques et des aliments. — : Variations imprimées par ces agents à la sécrélion gastrique, au point de vue quaniitatif, — Hypothese de Blondiot (intuition chimique de l'estomac). — Hypothèse de Tiedemann et Gmelin, de W. Beaumont, de Frerichs (action purement mécanique des aliments), ré- futée par les expériences mêmes des auteurs. — Variations du suc gastrique au point de vue qualitatif. — Expériences de Luc. Corvisart et de l’auteur. — La sécrétion peptique démontrée pour être le résultat de l'absorption et non de l'irritation mécanique. — Non- continuité de la sécrétion du euc gastrique. — Ærreurs de Bidder et Schmidt. Messieurs, Blondlot, dans son remarquable Traité analytique de la digestion, dit, page 220: « Il ressort clairement des faits qui précèdent que les matières alimentaires sont le stimulant spécial sous l’in- fluence duquel l'estomac déverse son suc chymificateur et qu’elles ont seules le pouvoir d'amener sa tunique in- time au degré de surexcitation stable et uniforme qui constitue l’état turgide, tandis que les agents purement mécaniques ou chimiques se bornent à une excitation « partielle et momentanée dont le résultat est d’entraîner la formation d’un mucus plus abondant, à peine mélangé de suc gastrique. Il faut donc admettre que l’estomac est doué d’une sensibilité particulière, d'une véritable 2ntui- A À A Æ à A = A À A VINGT-HUITIÈME LEÇON. 241 « dion chimique qui, ainsi que nous l'avons dit, lui permet « d'apprécier la nature nutritive des substances mises en « contact avec ses parois ». Et, page 221: « La quantité du suc chymificateur que l'estomac sécrète « sous l'influence de différentes espèces d'aliments, paraît « dépendre à la fois de la nature et de la quantité de ces « dernières. En effet, tous les aliments ne réclament pas au « mêne degré l’action de ce fluide; il en est de plus atta- « quables les uns que les autres; or il paraît que la quantité, « peut-être mône la qualité plus ou moins active du suc « gastrique, se subordonnent aux exigences de chacun « d'eux. — Quant à la quantité, j'ai toujours remarqué qu’en « général plus je donnaiïs d'aliments à mes chiens, plus la « quantité de su: que je pouvais ovtenir ensuite, était « abondante ». Ail'eurs Blondlot dit qu'ayant essayé de provoquer la sécrétion du suc gastrique dans l’estomac à jeun, ea irritant la muqueuse à l'aide d’une sonde en gomme, il n'a jamais pu obtenir, chez des chiens de grande et de petite taille, que 8 à 12 grammes de liquide « et à ce liquide, ajoute-t-il, se trouvait constamment mélangée une forte proportion de matière muqueusc ». Quand il avait recueilli cette quantité de liquile, l'écoule- ment cessait de lui-même. « C'était vainement, remarque-t-il, « page 214, que je prolongeais l'expérience, que j'agitais la « soude dans tous les sens, en la frottant avec rudesse contre « les parois du viscère. Il n’en sortait plus alors, au lieu de « suc, qu'une certaine quantité de mucus épais et visqueux ». En revanche, quand l'estomac était rempli d'alimeuts, Blondiot obtenait, en une demi-heure, sous l'influence des mêmes irritations mécaniques et parfois sans le secours d’un corps étranger, jusqu'à 100 gr. de suc gastrique. » Rien, dans les faits rapportés par Blondlot, n'est en dé- saccord avec nos propres observations (si ce n'est que nous TOME DEUXIÈME 16 242 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. n'avons pas toujours trouvé des différences aussi prononcées dansles quantités du suc gastrique sécrétées par l'organe vide et par l'organe rempli d'aliments), et :l est assez singulier de voir ce physiologiste se livrer à l'hypothèse d’une xéuition particulière de l'estomac, faculté qui permettrait au viscère de choisir toujours le moment le plus opportun pour sécréter le suc réellement actif et chymificateur. On ne peut nier que l'estomac ne sécrète plus ou moins de suc, selon la nature des substances qui entrent en contact avec ses parois, mais ces différences ne proviennent pas, comme nous le savons main- tenant, de ce que l'estomac, averti par un sens spécial, retient dans son intérieur une plus grande quantité de liquide pep- tique si les matières introduites n'en réclament pas, mais de ce que le principe actif du suc gastrique n'existe dans les parois stomacales qu'en tant qu'il leur a été indirectement fourni par les matières solubles des aliments, absorbées par l'estomac, transformées dans le sang, et de rechef éliminées dans les glandes gastriques par le sang. La quantité du liquide aqueux sécrété par l'estomac et destiné à opérer, au passage , la dissolution de la pepsine, est subordonnée, en de certaines limites, à la quantité même de la pepsine sé- crétée simultanément avec ce suc aqueux. Il est vrai que ces limites ne sont pas très-strictes; mais toujours est-il que ces deux ordres de phénomènes sont parallèles et que quand le sang fournit plus de pepsine à l'estomac, la trans- sudation aqueuse est également augmentée. Et il doit en être ainsi, car la pepsine ne saurait passer du sang dans les glandules gastriques autrement qu'à l'état dissous. Ce- pendant hâtons-nous de le dire; la quantité d’eau qui afflue à l'estomac par le fait seul de sa saturation peptique, ne saurait être très-considérable, mais si à cette production de pepsine il se joint uneirritation mécanique de la muqueuse, cette irritation doit trouver les glandes dans d’autres con- ditions physiques plus favorables à la sécrétion, que quand” la même irritation frappe les glandes non chargées de l’es- VINGT-HUITIÈME LEÇON. 243 tomac vide. — Blondlot aurait pu formuler ses conclusions d’une manière encore plus décidée et plus significative, si, au lieu de comparer entre elles les guantités de liquide acide, fournies par l'estomac à jeun et par l'estomac en digestion, il en avait comparé les qualités digestives, comme L. Corvisart l'a fait plus tard. La théorie de Blondlot est essentiellement dirigée contre l’opinion qui tend à attribuer la plus grande vivacité de la sécrétion gastrique, non pas à l'influence spécifique que les aliments exercent sur l’état de la muqueuse stomacale, mais à une irritation #4anique plus énergique, plus éga- lement répartie sur tous les points de la tunique intime du viscère. L'irritation mécanique artificielle et temporaire, disent les auteurs que combat Blondlot, ne peut agir avec la même force que le contact uniforme et multiple des aliments avec presque tous les points de la cavité stomacale, étroitement contractée autour de son contenu. L'irritation avec une sonde, quelque énergique qu'elle soit, ne frappe qu’une très- petite étendue de la muqueuse, tandis que l'irritation moins forte des aliments s'étend en fait sur la presque totalité de l'estomac et dure pendant un temps beaucoup plus long. De là aussi, concluait-on, la différence des résultats obtenus dans les deux cas. Cette dernière manière de voir se trouve en apparence confirmée par des expériences de Tiedemann et Gmelin, expériences qui paraissent en désaccord avec notre théorie. Tiedemann et Gmelin ne se contentent pas d'irriter un seul point de la muqueuse gastrique, mais ils remplissent l'es- tomac de leurs animaux de sable ou d'autres substances inertes, imitant ainsi, autant que possible, l'irritation pro- duite par les masses alimentaires. Au bout de quelque temps ils tuent les animaux et retirent de leur estomac une quantité variable et, sclon eux, assez grande de 244 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. suc gastrique où du moins d'un liquide qu'ils envisagent comme tel. L'opposition qui semble exister entre les résultats obtenus par ces auteurs et les nôtres, serait réelle, si l'on s'en tenait à la conclusion générale que Tiedemann et Gmelin ont tirée de leurs expériences. En effet, ils disent (Zxpériences sur la digestion, Toin. TZ, pag. 335): « Lorsqu'aucune excitation « n'agit sur l'estomac vide, ses parois paraissent à peine « humectées; mais dès que la muqueuse vient à être stimulée « par des irritants mécaniques ou chimiques, le suc gas- « trique est sécrété copieusement, comme le prouvent nos « expériences faites sur des animaux à jeun ». Mais que l'on consulte ces expériences, et l'on verra que malgré tous les moyens artificiels mis en usage pour sti- muler la sécrétion gastrique, Tiedemann et Gmelin n’ont jamais retiré de l'estomac des animaux, mis en expérience à jeun et tués au bout de une à six heures, plus de cixg à dix grammes d'un liquide très-faiblement acide, et il n'est rien moins que prouvé que ce liquide fût du sue gastrique peptique. Du reste, les auteurs conviennent eux-mêmes qu’il était composé en grande partie de mucus. Blondlot a fait des expériences semblables, en introduisant dans l'estomac d'animaux à jeun soit une grande quantité de petits cailloux, de morceaux de bois, soit des substances irritantes, comme du sel de cuisine, du carbonate de po- tasse, du poivre concassé, à la dose de 2 à 3 gr., «sans « qu'il sortît de la fistule stomacale autre chose qu'une « quantité variable de matière muqueuse, à peine mélangée « d'un peu de suc gastrique qui lui communiquait une « réaction acide » (Op. cit., pag. 213). J'ai fait moi-même, il y a quelque temps, une série d'ex- périences analogues ; mais, pour empêcher que le contenu stomacal ne fût déversé en partie dans l'intestin, et pour recueillir toute la sécrétion stomacale non absorbée, je commençais par lier le pylore. A cet effet, les chiens YINGT-HUITIÈME LEÇON. 245 étaient éthérisés, 12 à 15 heures après avoir fait un repas abondant. Le repas préparatoire était indispensable, car il s'agissait d'opérer sur l'estomac réellement à jeun, et épuisé par une digestion copieuse , afin de n’extraire, par l'irrita- tion mécanique, que la pepsine formée, d’après l'hypothèse, sous l'influence de cette irritation même. La réaction acide du suc excrété dans ces conditions, étant, à elle seule, un signe de peu de valeur, c’est surtout et essentiellement son pouvoir digestif, vis-à-vis de l’albumine, qu’il importait de déterminer pour décider si j'avais à faire à du vrai suc gastrique ou non. Le pylore étant lié, j'introduisais par l'œsophage des chiens, soit du sable, soit de petites pierres calcaires en quantité suffisante pour distendre l'es- tomac plus ou moins complètement. Cette partie de l'opé- ration se faisait à l’aide d’un long tube qui, de la partie cervicale de l'œsophage, pouvait être glissé jusque dans Ja cavité stomacale, et par lequel on faisait passer, après avoir introduit le sable, un cylindre de bois qui servait de piston. L’œsophage était lié ensuite, pour empêcher la régurgitation. Six heures plus tard les animaux étaient tués. Quand la quantité des matières inertes introduites dans l'estomac n'était pas très-orande, mes expériences don- _maient à-peu-près les mêmes résultats que celles de Tiede- mann et de Blondlot. L’estomac contenait quelquefois jusqu’à 12 gr. de liquide acide et muqueux, mais il n'était pas possible de faire digérer, c'est-à-dire de faire transformer en peptone par ce liquide une quantité appréciable d’albu- mine. Uue seule fois j'ai observé un faible commencement de digestion de l’albumine, mise à l'étuve avec le suc retiré de l’estomac, mais j'ai hâte d'ajouter que, dans ce cas, le chien, arrivé la veille seulement au laboratoire, avait refusé de prendre le repas préparatoire: il y avait donc probable- ment un petit résidu de pepsine déjà présent dans son . estomac avant l'expérience, et il n'est pas étonnant que si la pepsine existait, même en faible quantité, l'irritation 246 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. mécanique en ait provoqué l’excrétion. Tout ce qu’il m'im- porte de démontrer, c’est que dans l'estomac vide les irri- tations mécaniques ne font pas sécréter de pepsine de nouvelle formation. Dans deux cas où du sable avait été introduit en grande quantité dans l'estomac et où le viscère se trouvait au maximum de distension, le liquide recueilli d’une part à la surface de la muqueuse et obtenu d'autre part par le lavage du sable, n'était pas acide mais très-faiblement alcalin. 11 se troublait un peu par la chaleur et plus encore par l'a- cide acétique. Acidifié avec un peu d'acide chlorhydrique et mis à l'étuve avec de l'albumine, il n’en digérait pas une trace. On voit, par ce qui précède, que nous ne nions pas d'une manière absolue la possibilité de faire sécréter du vrai suc gastrique même à l'estomac vide, à l'aide des irritants mé- caniques. Nous savons au contraire que si les parois gas- triques sont chargées de pepsine , la sécrétion acide pro- voquée par un irritant externe peut dissoudre et entraîner au dehors cette pepsine, et former avec elle une petite quantité de vrai suc gastrique qui, à l'occasion, sera même assez actif. Mais ce qne nous demandons comme condition première et indispensable de la sécrétion peptique, c'est que par une absorption préalable, le principe digestif ait été déposé dans le réservoir glandulaire de l'estomac. Il n’est pas même nécessaire que l'absorption des é'éments peptogènes et la sécrétion peptique qui en est la conséquence, précèdent immédiatement l'irritation, car l'expérience dé- montre que l'estomac vide peut rester chargé pendant un temps assez long (au moins 36 heures) et qu'il ne déverse sa provision de pepsine que lorsque, par une cause quelconque, l'excrétion vient à être provoquée. J'ai injecté de la dextrine dans le rectum de chiens à jeun; je les ai laissés sans nourriture pendant 24 à 35 heures : et avant de leur donner à manger, j'ai irrité leur estomac VINGT-HUITIÈME LEÇON. 247 avec une sonde ou, plus efficacement encore, avec des morceaux de papier mâché, imbibés d'huile de lin (préparés deux jours à l'avance et séchés avec soin). De cette manière j'ai pu obtenir, par la fistule de ces animaux, une petite quantité de suc gastrique aussi actif que celui qui est sé- crété après l'ingestion de matières alimentaires. Lorsque, après un jeûne très-prolongé, le sang s’alimente de la substance propre du corps et que les animaux entrent pour ainsi dire, en autodigestion d'eux-mêmes, les éléments résorbés des tissus agissent à la manière des vrais pep- togènes et chargent l'estomac de pepsinc. Les recherches de L. Corvisart ont mis ce fait hors de doute et j'ai eu occasion d'en observer moi-même les premières phases sur des chiens très-jeunes, laissés sans nourriture pendant 48 heures. Ces chiens dont le poids montrait déjà une no- table diminution, avaient l'estomac chargé de pepsine. La quantité de pepsine, il est vrai, n'était pas très-considérable, mais aussi l'inanition n'avait duré que pendant un temps re- lativement très-court. J'avais déjà, dans mes premières publications sur la diges- tion, invoqué ce fait de la production peptique dans l'inanition, comme un argument à l'appui de ma théorie de la sécrétion du suc gastrique; j'ai été d'autant plus étonné de voir dans un traité allemand de Chimie physiologique, dont la première livraison vient de me parvenir, que l’auteur m'attribue la singulière inconséquence de fonder ma doctrine sur le fait suivant, à savoir que « si on laisse mourir un animal de faim, son estomac ne donne plus, par l'infusion, d'extrait à qualités peptiques. » Je pouvais d'autant moins prendre pour poiut de départ une observation de ce genre que je n'ai jamais fait de semblables expériences. Si le fait était vrai, il parlerait hautement contre ma théorie. Ce qui indique . d'ailleurs que l’auteur n’a pas eu sous les yeux le texte de mes publications, c'est qu’à un autre passage de son livre il insinue que si dans certains cas je n'ai pas obtenu de 248 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. digestion avec les infusions stomacales, c'est parce que j'aurais négligé d'ajouter de l'acide. Vous vous souvenez, messieurs, combien j'ai insisté non seulement sur la nécessité d'acidifier l’infusion, comme l'ont fait tous mes prédécesseurs, mais encore de rendre le degré d'acidité proportionnel à la quantité de pepsine contenue dans le liquide, de commencer par n'ajouter que peu d'acide pour reproduire autant que possible la réaction naturelle du suc gastrique, d'augmenter l'acidité à mesure que la digestion devient plus lente, et de ne regarder celle-ci comme achevée, que lorsqu'une nouvelle adjonction d'acide ou d’eau demeure sans effet. — Mais revenons à notre sujet. Nous avons réfuté, par l’autorité de Blondlot et de Tiede- mann, l'assertion souvent dirigée contre notre doctrine, que l'estomac vide et non chargé peut encore fournir du suc gastrique. Les expériences mêmes de Tiedemann et Gmelin, que nos adversaires invoquent à l'appui de leur manière de voir, parlent essentiellement contre eux, comme je viens de le montrer, et je puis ajouter que les auteurs cités, bien loin de prouver leur thèse qui envisage l'irritation #écanique comme cause de la production du suc gastrique, la ren- versent en quelque sorte cux-mêmes par le passage suivant qui rappelle, à s'y méprendre, les idées de Blondlot: « La « quantité de suc gastrique sécrétée pendant la digestion se « trouve dans une relation intime avec la digestibilité ct « La solubilité de l'aliment, de telle sorte qu'après l'inges- « tion d'une substance de digestion difficile , il se sécrète « plus de suc gastrique qu'il ne s'en sécrète après l'ingestion « d'aliments peu irritants qui se dissolvent et se digèrent « facilement. » — Or examinons quelles sont, selon Tiede- mann et Gmelin, les substances de Zigestion dificile qui, ainsi qu'il est dit, provoquent la sécrétion de beaucoup de suc gastrique. Ce sont: les os, le cartilage, puis le fromage, l'albumine, le gluten, la viande, le pain et enfin la fbrine, l'aliment le plus digestible de toute la série des corps al- VINGT-HUITIÈME LEÇON. 249 buminoïdes! Et notez que ces corps sont à-peu-près les seuls sur lesquels l'estomac déploie son action spécifique, et qui, transformés, le chargent de pepsine. — Quant aux aliments de digestion facile, c'est-à-dire, ne ré- clamant que peu de suc gastrique, ce sont, suivant ces auteurs: la gélatine, la gomme, le sucre, l'amidon, la pectine et d'autres substances qui toutes, comme nous le savons aujourd'hui, ne subissent jamais de vraie modification, de digestion, en présence du suc gastrique. (Je dois dire ce- pendant, à propos de la première de ces substances, que si le suc gastrique n’exerce pas sur la gélatine son action caractéristique, du moins il en accélère très-efficacement la modification par l'eau acidulée). On nous a opposé encore quelques-unes des observations de W. Beaumont, dont il résulterait que même chez l'homme l'irritation mécanique de l'estomac agit comme la prétendue irritation par les aliments. Beaumont en effet, s’est souvent procuré du sue gastrique chez son sujet canadien, en irritant l'estomac à l’aide d’une sonde, mais pour peu que l’on veuille rechercher dans son ouvrage quelles sortes de digestions artificielles il a produites à l’étuve, avec le suc retiré de : l'estomac wide, on se convaincra que le #ucus stomacal et même le mucus nasal d'un homme en feraient autant. Beau- mont lui-même n’a pas méconnu la différence qui existe entre les effets de l’irritation mécanique, selon qu'elle est portée sur l'estomac vide ou sur l'estomac en digestion. ll dit, page 96 de son livre: « Lorsque l'agent dont on fait usage pour provoquer la « sortie du suc gastrique, est une matière non digestible, « comme un tube en gomme élastique, la tige d'un thermo- « mètre, — la sécrétion est beaucoup moins abondante que « quand elle est déterminée par des substances capables de « s'y dissoudre. » Et plus loin: « Dans les nombreux essais que j'ai tentés, « je u’ai jamais pu obtenir à la fois plus de 50 à 69 grammes .250 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. « de ce fluide, quand l'estomac était privé de substances « alimentaires, quelle que fût du reste la durée de l'absti- « nence à laquelle j'avais préalablement soumis le sujet. » W. Beaumont lui-même fait observer très-judicieusement combien cette quantité de 50 à 60 gr., constamment mé- langée de mucus (et probablement de salive) était petite en comparaison de ce que l'estomac sécrétait dans le même temps pendant la digestion. Est-ce là le passage sur lequel se fondent les partisans de l'opinion de Tiedemann, professée du reste aussi par Beaumont et par la plupart des physiologistes de notre temps, opinion d’après laquelle la pepsine se formerait d'une manière continue et s'accumulerait dans les parois gastriques pendant l’abstinence ? Frerichs, qui, comme presque tous ses contemporains, a voulu éviter l'hypothèse métaphysique de Blondlot, qui at- tribue à l'estomac une faculté spéciale d'intuition chimique, Frerichs penche aussi à regarder l'irritation directe des parois stomacales par les aliments, comme le véritable agent de la sécrétion gastrique. Toutefois il confesse, à l'exemple des autres auteurs que nous avons cités, que les moyens mécaniques qu'il a mis en usage pour irriter l'estomac ne lui ont jamais fourni une quantité notable de suc gastrique. C'est là ce qui le porte à supposer que l'irritation mécanique, telle qu'on l’applique dans les expériences, est trop localisée pour égaler, quant à l'intensité de ses effets, l'irritation plus uniforme, plus multiple que produisent les masses ali- mentaires qui touchent et stimulent la cavité stomacale dans toute son étendue. Nous avons déjà vu ce que cette manière de voir renferme d'erroné. Messieurs, j'ai à dessein cité le texte et les observations des auteurs qui se sont occupés des effets de l'irritation mécanique de l'estomac, afin de vous faire juges de la ma- nière dogmatique dont cette question est encore traitée dans la plupart des ouvrages de physiologie. Ces ouvrages VINGT-HUITIÈME LEÇON. 251 établissent comme un fait indiscutable et reconnu unani- mement par tous les expérimentateurs que la sécrétion du suc gastrique est sous la dépendance immédiate des irri- tations de la muqueuse stomacale. Aux termes de cette as- sertion si positive, les irritants mécaniques pourraient forcer l'estomac vide à sécréter la pepsine aussi bien ou à-peu- près aussi bien que le font les matières peptogènes elles- mêmes, et l'acte de l’absorption et de la digestion n'aurait rien à voir dans la sécrétion du suc chymificateur. Or ne voit-on pas que tous les physiologistes sans exception dont les travaux sur la sécrétion du suc gastrique ont fourni des arguments à nos adversaires, sont essentiellement d’ac- cord sur les faits, mais sur des faits contraires à la théorie de l'irritation mécanique et qu'il n'y a désaccord entre eux que quant à l'explication de ces faits? Cette explication, les uns la cherchent dans une hypothèse tout-à-fait arbi- traire et rendue superflue par nos expériences; les autres, pour éviter cette hypothèse qui leur paraît trop hasardée, en font une autre qui les met en contradiction avec cux- mêmes et qui les oblige à nier ce qu'ils ont eux-mêmes observé. Et remarquez que tous ces auteurs n’ont pris en considé- ration que le plus ou le moins de liquide gastrique, qu'ils ont recueilli dans l'estomac vide et dans l'estomac en digestion, sans se douter que leurs résultats eussent été incompara- b'ement plus décisifs s'ils avaient pris à tâche d'étudier les qualités, les propriélés digestives des sucs obtenus dans les deux conditions dont je viens de parler. C'est à Lucien Corvisart dont le nom fait autorité dans la Physiologie de la digestion, que revient le mérite d’avoir le premier nettement établi cette importante distinction. « Rien n’est plus propre, dit L. Corvisart, à entraver la « marche de la science que de donner indifféremment, à « l'exemple de la plupart des physiolog'istes, le nom de suc « gastrique aux liquides les plus variables qui se trouvent 252 PHYSIOLOGIE DE LA DIGESTION. « dans l'estomac. Evidemment ce nom devrait s'appliquer « d’une manière exclusive au fluide réellement capable d'o- « pérer la digestion des matières albuminoïdes, c’est-à-dire, « non seulement de les dissoudre, mais de les transformer