PURCHASED FORTHE University of Toronto Library BY Hruscan FOR THE SUPPORT OF Brazilian Studies o o do * q - a : - MS é .* dé . : e & é Ro = = { L À y . = i + = 5 Mc Per Pays des Amazones FEL-DORADO EESPERRES ACAOUTCHOUE PAR LE BARON DESANTA-ANNA [NERY AS Li + MEMBRE CORRESPONDANT ÉTRANGER DE L'ACADÉNIE ROYALE DES SCIENCES DE LISBONNE, MEMBRE CORRESPONDANT DE L'INSTITUT D'HISTOIRE, DE GÉOGRAPHIE sr D ETHNOGRAPHIE DU BRÉSIL}, MEMBRE HONORAIRE CORRESPONDANT DE LA SOCÉÉTÉ ROYALE DE GÉOGRAPHIE DE LONDRES, ETC. OFFICIER DE LA LÉGION D'HONNEUR, OFFICIER D ACADÉMIE " FE Orné de nombreuses illustrations et d'une carte explicative Nouvelle édition entierement refondue et mise a jour. Suberbo Tejo, nem padrão ao menos Ficará de tua gloria? Nem herdeiro De teu renome?... — Sim : recebe-o, guarda-o, Generoso Amazonas, o legado De honra, de fama e brio : não se acabe À lingua, o nome portuguez na terra. (Almeida Garrett : Camões, x, 21). PARIS LIBRAIRIE GUILLAUMIN ET C'° 14, RUE RICHELIEU, 14 1899 Tous droits réserves. Ni PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION On a beaucoup écrit sur 71 des. Îeuves du ronde et sur la reine des provinces du Brésil. “Unemourelle CT sur ces régions x rien, fépeldant, et nous al- lons essayer de montrer l'utilité dèce trail Fi pourrail paraitre superflue. Il D M. Renan prétend que, pour parler cofivenablement de la religion, il faut avoir cru et ne plus croire. Nous disons que, pour décrire comme il faut le pays enchanté des Amaçones, il est nécessaire de Pavoir beaucoup vu et de l'avoir quitté depuis quelque temps. Oui, ce n'est pas trop d'être l'enfant de ces sublimes solitudes, d'avoir nourri ses jeunes années de la sève de cette terre, d'avoir gravé dans son âme les splendeurs de cette nature pour posséder en soi assez d'images, assez de souvenirs el assez de couleur afin de reproduire avec amour et avec fidélité les merveilles du sol natal. Décrire ou chanter sa patrie, c'est puiser en soi-même, c'est descendre au fond de son être et creuser jusqu'à ses propres racines. Et, lorsque les hasards de la destinée nous ont jeté loin de notre berceau, avec quelle intensité d’éblouissement ne revoyons- a VI PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION nous pas, à travers le temps et l'espace, les lieux et les hommes qui ont enveloppé notre enfance ! avec quelle puissance d'émotion ne sentons-nous pas le besoin de rendre les scènes du passé, les grandes vision: d'autrefois ! Les voyageurs qui ne font que traverser une contrée n'ont pas "" ces avantages. Il demeurent froids ou incomplets. S'ils se passion-" nent, c'est par l'imagination plutôt que par le cœur. Ils faussent «… alors la réalité, soit en la diminuant, soit en la grandissant outre mesure. Certains côtés qui les ont frappés absorbent toutes leurs préférences. La plupart des auteurs qui ont composé des livres sur l’Amazonie se trouvent dans ce cas. Le savant n'enregistre que certaines parti- cularités de la flore ou de la faune ; le géographe ne relève que des données topographiqu-s ; le trafiquant n'est attentif qu'aux phénomènes de la production; l'homme de lettres se contente d'exploiter le pittoresque en vue de ses descriplions. Aucun d'eux méludie le pays dans son entier, dans son harmonieuse unité. Après avoir lu ces livres, dont quelques-uns sont signés par des maîlres 1llustres, nous nous sommes demandé s’il ne restait pas quelque chose à faire. C’est alors qu'il nous est venu à l'esprit de recueillir nos souvenirs et de mettre en quelques pages les documents les plus exacts fournis par les étrangers et par les plus compétents de nos compatriotes. Nous croyons que c'est un moyen de faire connaitre à l’Europe cette province des Amaçmes, que des gens de notre connaissance prennent encore pour une terre fantastique, et qu'ils confondent volontiers avec l'antique et mystérieuse contrée où des femmes guerrières chevauchaient sur des juments tartares aux bords du Tanais. Nous voulons que l’on sache un peu partout en Europe, où EM PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION VII nous demeurons, ce que nous sommes el à quoi nous employons notre intelligence et nos bras. Nous voulons apprendre à nos amis de France ce qui se passe aux frontières de leur Guyane, quels trésors sont ouverts à leur travail et à leur activité, s'ils “consentent à unir leurs forces à nos forces, leurs capitaux à nos capitaux pour exploiter le sol amazonien et partager avec nous le climat glorieux dont parle avec envie l'Anglais Bates. Après de La Condamine et de Humboldt, après Castelnau et Agassi, après Coutinho et Barbosa-Rodrigues, après Crevaux, Wiéner et tant d’autres, il reste à dire en un seul volume ce qu'ils ont mis en plusieurs ; il reste à susciter des énergies, à enflammer des cou- rages ; 1l reste à imprimer la résolution de voir et de coloniser le plus beau, le plus riche, le plus fertile pays du monde, le pays du caoutchouc, l’El-Dorado légendaire, les terres vierges qui altendent la semence de la civilisation. Voilà ce que nous voudrions réaliser. Ce livre est un appel, en même temps qu'il est un hommage de notre reconnaissance envers la province qui a daigné nous confier officiellement la mission de faire connaître à l'Europe ses admirables ressources. C'est à elle, c'est à son Assemblée législative, où nous comptons tant d'amis, que nous le dédions. F.-J. DE SANTA-ANNA NERY. Paris, le 5 septembre 1884. PRÉFACE DE LA PRÉSENTE ÉDITION Lorsque ce livre parut pour la première fois, pendant l'hiver de 1884-1885, deux membres de l'Institut de France daignê- rent le présenter au public : l'un, le comte de Hübner, membre associé étranger de l’Académie des Sciences Morales et Politi- ques, ancien ambassadeur de Sa Majesté Apostolique près "Empe- reur Napoléon III, n'est plus de ce monde; l’autre, M. Emile Levasseur, doyen de la même Académie, professeur au Collège de France, continue à lonorer la science par ses travaux, et porte un nom connu au Brésil. M. de Hübner nous écrivait de Pest, le 18 Novembre 1884: « Votre livre intitulé Le Pays des Amazones, dont, grâce à votre amabilité, j'ai eu la primeur, m'a vivement intéressé. » Enfant vous-même des régions privilégiés que vous décrivez si bien, vous avez accumulé dans votre ouvrage une masse d'infor- mations précieuses, vous les avez parfaitement coordonnées et expo- sées avec une grande lucidité. » Certes, on y trouve bien les prédileclions du patriote ; mais x PRÉFACE DE LA PRÉSENTE ÉDITION l'affection à votre sol natal ne trouble en aucune facon la liberté de votre jugement. » C'est un livre fort bien fait et qui a le mérite de loppor- tunité, puisqu'il paraît à une époque où le Brésil, en retour des ressources immenses qu'il ouvre à l'Europe, cherche les bras, l'esprit d'entreprise et les capitaux du vieux continent, et où l'Europe, de son côté, cherche, pour ceux de ses fils qui la quittent, de nouveaux champs d'activité. » En placant soús les yeux du public des deux hémisphères un tableau si bien tracé du magnifique bassin de " Amaçone, vous rendez service à tout le monde, et vous acquérez des titres spéciaux à la reconnaissance de vos compatriotes. » Mon court séjour au Brésil m'a laissé de longs et charmants souvenirs. Toutes les fois que je m'y reporte par la pensée, je suis frappé de l’immensilé des trésors qu'une nature prodigue y a réunis.... » A son tour, M. Emile Levasseur nous écrivait le 14 décem- bre 1894 : » J'ai lu avec un vif intérêt les épreuves de votre ouvrage sur le Pays des Amazones gue vous m'avez communiquées. » Le patriotisme vous a heureusement inspiré. » Vous avez voulu consacrer un monument à la province dont vous êles originaire, el le livre que vous venez de composer ne sera pas seulement agréable à vos compatriotes, il sera profitable à la fortune du pars dont vous faites connaître les ressources, el à celle des étrangers, Français ou autres, qui sauront tirer parti de vos enseignements. » Par la puissance de sa végétation et par l'immense étendue de ses voies navigables qui pénètrent, à travers tout le continent, PRÉFACE DE LA PRÉSENTE ÉDITION XI jusqu'au pied de la Cordillère, le bassin de l'Amazone est une des contrées du monde envers lesquelles la nature paraît avoir été le plus libérale. Le bassin du Congo est seul dans une situa- tion analogue, et, quelque autorisés que soient les efforts faits de ce côté, vous avez raison, Monsieur, de dire que, dans l'état actuel des choses, | Amazone promet au commerce des succès plus faciles et plus immédiats. » La voie est ouverte. Le gouvernement brésilien a fait un acte de sage politique commerciale lorsqu'il en a permis l'accès aux marines étrangères, et les provinces ont si bien compris l'intérêt qu’elles ont à donner par l'exploitation une valeur commerciale aux richesses naturelles de leur sol, quelles ont subventionné des compagnies élrangères, afin de s'assurer le bienfait de commu- nications rapides. » La vapeur, en changeant les conditions du transport par mer et par terre, a produit une des plus grandes et des plus fécondes révolutions économiques dont l’histoire garde le souvenir, et dont la seconde moitié du dix-neuvième siècle a déjà recueilli en partie les profits. C’est elle qui, en abrégeant les voyages, a rapproché les continents, et qui, en faisant pénétrer les paguebots jusqu'aux points extrêmes de la navigation fluviale, ou en poussant la cons- truction des voies ferrées dans l'intérieur des terres, a rendu accessibles à la colonisation, à la culture, à l'exploitation minière ou forestière, des régions que l’énormité des frais de transport ne permettait pas auparavant à l’homme d'utiliser, » Hors d'Europe, les Etats-Unis, le Canada, le Mexique, dans l'Amérique du Nord; les colontes australiennes, en Océanie ; l'Inde, en Asie; les deux extrémités de l'Afrique, celle que baigne la Méditérranée, et celle qui est voisine du cap de Bonne-Espé- rance; les Elats de la Plata et le Chili, dans le sud du Conti- XII PRÉFACE DE LA PRÉSENTE ÉDITION nent américain, ont compris que la vapeur est aujourd'hui néces- saire à la mise en valeur du sol. Ces pays ont construit à Penvi des chemins de fer, qui ont servi non seulement à l'écoulement de leurs produits, mais à l'immigration, plus utile encore, de colons gui ont fécondé leurs terres par le travail. » Le Brésil ne pouvait pas négliger cette condition du progrès économique dans notre siècle. » Îl sait quelles institutions, quelles habitudes de travail et d'épar- gue, quelles mœurs politiques et sociales sont favorables au déve- loppement pacifique d'une grande nation. » Il y a treize ans, il n'a pas craint de décréter, par un acle de libéralité spontanée, qui était en même temps un acte de prévoyance, la suppression graduelle de l'esclavage, qui n'a été oblenue ailleurs que par la volonté d'une métropole ou à la suite de luttes terri- bles, et il fait, depuis cette époque, de généreux efforts pour hâter le moment de la libération définitive. » Il a abattu, sur de vastes espaces, les forêts de ses serras voi- sines de la côte, pour y planter des caféiers. Malgré les crises agricoles et les difficultés de la concurrence commerciale qui ont parfois découragé son ardeur, il est parvenu, en un demi-siècle, à décupler le chiffre de ses récoltes et de son exportation de café. » Il n'ignore pas que, s'il a pris le premier rang dans le com- merce de celte denrée, il doit en grande partie ce résultat aux facilités que la navigalion perfectionnée lui a procurées pour porter ses produits jusque sur les marchés de l'Europe et des Etats- Unis ; l'élargissement des débouchés a stimulé la production, et l'abondance de la marchandise offerte a contribué. à son tour à étendre davantage le marché. » Il importe à la grandeur future, comme à la fortune présente hit PRÉFACE DE LA PRÉSENTE ÉDITION XII du Brésil, qu'il augmente encore ces facilités de communication auxquelles il doit déjà beaucoup. » Il est un des plus grands Etats du monde par l'étendue de son territoire: mais la partie septentrionale de ce territoire est la seule que la nalure ait dotée d'un réseau tout agencé de voies navigables. Ailleurs, il faut que les chemins de fer suppléent à Pin- suffisance des cours d'eau, gravissent les rampes des plateaux, con- duisent, par de là les rapides, dans les vallés des fleuves, vivi- fiant les grandes contrées agricoles ou minières de l’intérieur en les reliant aux marchés populeux de la zone côtière et aux ports de mer qui donnent pour débouché le monde entrer. » Le Brésil l'a compris et s'est mis énergiquement à l’œuvre ; il est juste de Pen féliciter et de l'encourager à poursuivre avec per- sévérance une entreprise qui n'est pour ainsi dire qua ses débuts, malgré les 5,500 kilomètres qui se trouvent aujourd'hui en exploi- tation, mais qu'il faut conduire avec prudence dans la mesure des capitaux dont on peut disposer ou qu'on peut rémunérer. En con- linuant ces lignes de penétration dans le grand massif brésilien, il fera pour ses provinces intérieures ce que les Etats-Unis ont fait pour le Far-West, ou la Nouvelle-Galles du Sud pour le bassin du Darling : il altirera la population, et il propagera sa civilisation dans des régions qui mattendent que la main dePhomme pour devenir riches en bétail et même en céréales, et où l'homme lui- même n'attend peut-être, pour mettre la main à la terre, que la certitude de trouver un marché où il vende ses produits, et de pouvoir vivre honorablement de son travail en pleine sécurité et sans renoncer à ses relations avec le reste du monde civilisé. » Entre la nation française et la nation brésilienne, il y a d'élroites et anciennes relations de commerce et des liens de sym- palhie. Il est bon de les entretenir et de les resserrer dans l'intérêt TV PRÉFACE DE LA PRÉSENTE ÉDITION de l’une et de l'autre. C'est pourquoi je me félicite que vous ayez écrit votre bel ouvrage en français, et j'ai éprouvé un plaisir d'autant plus grand à le lire que, dans les conseils que vous donnez, au nom de votre expérience, à vos concitoyens de l’ Amazone, sur le peuple- ment de la province et sur l'exploitation de ses voies navigables, j'ai trouvé la confirmation des idées que j'avais conçues sur les moyens de développer la richesse du Brésil. » A la même époque, des critiques éminents, — MM. Auguste Vacquerie, Jules Claretie, Emile Bergerat, — des savants, tels que les docteurs François Franck et Richet, ont bien voulu renchérir sur ces éloges immérités, et nous ont imposé, par là même, le devoir de persévérer dans notre propagande en faveur de ce coin de terre brésilienne. Plus de quatorze ans se sont écoulés depuis lors. La première édition de ce livre, promptement épuisée, demandait à être refaile presque entièrement, de nombreux événements ayant modifié de fond en comble la situation du pays que nous nous sommes proposé d'étudier. Tout d'abord, depuis le 15 novembre 1889, la République a rem- placé au Brésil l'empire qui y existait depuis soixante-sept ans sans réussir à prendre racine définitivement dans ce coin de l’Amé- rique. La nouvelle forme de gouvernement, en transformant les anciennes provinces de l'empire en États autonomes, leur a donné du même coup les moyens de s'administrer à leur gré, et, surtout, de disposer eux-mêmes de leurs revenus, au lieu de consumer le meilleur de leurs ressources à alimenter le pouvoir central siè- geant à Rio-de-Janeiro. Ensuite, grace à la fédération, l'État de l'Amazone a pu orga- niser sa vie à sa guise, en développant ses échanges avec l'étranger PRÉFACE DE LA PRÉSENTE ÉDITION XV d'une manière extraordinaire, et en conguérant ainsi, dans Pensem- ble des vingt États de l'Union brésilienne, une place de premier ordre. Enfin, l'évolution industrielle elle-même a contribué grandement à favoriser l'essor du Pays du Caoutchouc, en augmentant considé- rablement la consommation de la gomine élastique, dont les appli- cations se multiplient chaque jour. ù Il y a quinze ans, la province de l’ Amazone était un enfant qui s'essayait à marcher, malgré les entraves administralives ; une seule ligne de paquebots la mettait en communication avec l'Europe, une fois par mois, el d'aimables explorateurs parlaient pour cette terre lointaine comme s'ils allaient à sa découverte. Aujourd'hui, PÉtat de l'Amazone est un grand garcon émancipé, qui gère ses affaires intérieures sans lutelle, et qui a su employer sa fortune utilement : quatre lignes régulières de paquebots le relient directement à l'Europe et à l'Amérique du Nord, et il n'est plus qua une vinglaine de jours du Havre. Il a ces deux originalités : d'avoir une production de caoutchouc représentant 370 francs par tête d'habitant, et de m'avoir aucune dette d'aucune sorte. Ses progrès en tout genre sont réels, et, en lisant ce livre, com- posé sur des données officielles, rigoureusement contrôlées pen- dant les trois voyages que nous y avons faits depuis la publication de la première édition, — et dont le dernier date de quelques mois à peine, — on constatera que le temps n'a démenti aucune de nos prévisions. Château de Vouzay, près Bourges (Cher/, Avril 1899. SANTA-ANNA NERY. ï à AY A AU E] 1, — Panorama de Manaos INTRODUCTION Le Brésil est un présent du xvi* siècle, offert par le hasard à l'avenir. Tandis que le mouvement de la Renaissance portait les lettrés à la découverte de l'antiquité, un petit peuple, poussé par d’autres aspi-. rations, agrandissait dans l’espace le domaine de l’homme. Tandis que les vieilles Universités d'Italie, de France, d'Espagne et d'Alle- magne étendaient leur action par l’outillage perfectionné de l’impri- merie, et popularisaient les chefs-d'œuvre de la Grèce et de Rome, l’Académie Nautique de Sagres, en Portugal, sous l'impulsion de Pinfant Dom Henrique, appliquait ses instruments de précision à la recherche d'iles et de continents perdus par delà les mers : « Jacet extra sidera Tellus, extra anni solisque vias. » Avant la découverte de Gutenberg et de Faust, les savants usaient leur vie à passer péniblement d’un manuscrit à un autre. Avant l’em- ploi de la caravelle, de la boussole et de l’astrolabe, les matelots s'accrochaient aux côtes, allaient de cap en cap, redoutant les grands flots de la mer. Chacun marchait lentement. L'homme de Vesquif et l'homme du manuscrit mouraient avant d'avoir fait beaucoup de - chemin. Pour faire le tour du monde et le tour de l'histoire, pour XVIII INTRODUCTION naviguer sûrement et au large, il fallait d’autres ressources. On les trouva : l'imprimerie et la boussole conquirent Punivers. Les Portugais rêvaient depuis longtemps de se servir des décou- vertes récentes pour se diriger sur la mer ténébreuse et toucher aux Indes Orientales par une nouvelle route. Pendant qu'ils se prépa- raient à cette entreprise, que Louis de Camoëns devait immortaliser, ils apprirent le 6 mars 1493 qu'un pilote ligurien, dont ils n'avaient | pas voulu utiliser les services, les avait devancés et revenait du . Cathay (la Chine) et des îles de Zipangri (le Japon). # Christophe Colomb était persuadé, en effet, qu'il était allé jusqu'aux Indes ; quatre-vingts personnes de son équipage l’affirmaient, d'ail- leurs, sous serment. En réalité, il avait découvert l'Amérique sans le savoir. (ray Isabelle de Castiile et Ferdinand d'Aragon lui procurêrent les moyens d'exécuter un nouveau voyage, et, quand il repartit le 27 sep- tembre 1493, il était porteur de lettres pour le grand Khan de Tartarie. Tandis que Colomb se fourvoyait ainsi, en donnant un nouveau monde à la civilisation, le Portugais Vasco da Gama revenait des Indes véritables le 29 aoút 1499, aprês avoir doublé le cap des Tempêtes. Cinq mois ne s'étaient pas écoulés depuis le retour de Vasco da Gama, lorsque l’un des anciens compagnons de Christophe Colomb, un Espagnol, dont on a trop oublié le rôle brillant, Vicente Yañez Pinzon, commenca à reconnaître, dès le 26 janvier 1500, toute la côte septentrionale du Brésil, et découvrit l'embouchure de cette mer d’eau douce — Mar Dulce — qu’on appela plus tard le fleuve des Amazones. C'est seulement trois mois après le passage de Pinzon qu’un autre Portugais, Pedro Alvares Cabral, faisant voile vers les Indes Orien- tales, était poussé sur les côtes du Brésil (22 avril 1500). La nouvelle de cette heureuse découverte fut portée au roi D. Emma- TE "Te E sos INTRODUCTION XIX nuel de Portugal par deux lettres (1) : l’une,de Pero Vaaz de Camjnha ; l’autre, du bachelier maître Johan, physicien et chirurgien de son Altesse le roi de Portugal, écrites toutes deux de Porto-Seguro, dans « l’île de Vera Cruz », nom primitif du Brésil, le 1° mai 1500. Mais il suffit de lire la lettre de Pastronome de l'expédition pour s’assure. que le Brésil, qu’on croyait une île, se trouvait déjà noté sur une mappemonde connue alors (2) et relativement ancienne. Quoiqu'il en soit, c'est à Pedro Alvares Cabral et aux Portugais que revient l'honneur de la première prise de possession du nouveau pays. Cependant la fièvre des conquêtes aventureuses s'était emparée de tous les esprits en Europe. Comme on l’a ditavec originalité, « tous, jusqu'aux tailleurs, demandaient à aller découvrir de nouvelles terres.» La discorde menaçait de se mettre de la partie, chaque nation du vieux continent convoitant le gros lot. Selon les mœurs du temps, on en appela au Pape, et l’on convint de s’en remettre à son arbitrage. Alexandre VI, Rodrigo Borgia, essaya de concilier le Portugal et l'Espagne par la célèbre bulle Inter cœætera du 4 mai 1493. Il traça d'un pôle à Pautre une ligne de démarcation imaginaire passant à travers les Açores et les îles du Cap-Vert. Il fut convenu que tout ce qui serait à l’est de ce méridien appartiendrait aux Portugais, et que toutes les terres à l'ouest seraient réservées aux Espagnols. Si cette ligne eût été respectée, une très petite partie du Brésil seulement serait devenue possession portugaise. Plus tard, la ligne de démarcation fut portée à. trois cent soixante- (1) Alguns documentos do Archivo Nacional da Torre do Tombo acêrca da navegação e conquistas Portuguezas, Lisbôa, 1892, pag, 108 et 121. (2) « Quanto, señor, al sytyo desta tierra, mande Vosa Altesa traer un napamundj que tjene Pero Vaaz Bisagudo, e por ay podra ver Vosa Alteza el sytyo desta terra; en pero, aquel napamundj non certyfica esta tierra ser habytada, o no. Es napamund) anti- guo; e ally fallara Vosa Alteza escripta tanbyen la Mina. Ayer casy entendjmos por aseños que esta era ysla, e que eran quatro, e que de otra ysla vyenen aqui almadjas Fa pelejar con ellos, e los Ilevan catjvos. » Ibid. p. 122. XX INTRODUCTION dix lieues vers l'occident, par le traité de Tordesillas du 7 juin 1494, approuvé par la bulle de Jules Il en date du 24 janvier 1506. Une bonne partie du Brésil passa ainsi, pontificalement, aux mains des Portugais. Mais ceux-ci étaient trop occupés en Asie et en Afrique pour songer sérieusement à la nouvelle découverte de l’un de leurs amiraux. En effet, le mouvement des lointaines conquêtes ne se ralentissait pas. À cette époque, les Portugais étaient partout en Orient. Ils pos- sédaient cinq mille. lieues de côtes, et, comme l’a dit Voltaire, « tout ce que la nature produit d'utile, de rare, d’agréable, fut porté par les Portugais en Europe à bien moins de frais que Venise ne pouvait le donner. La route du Gange au Tage devenait fréquentée; Siam et le Portugal étaient alliés. » Le roi de Portugal se contenta donc de partager sa nouvelle pos- session d'outre-mer en douze capitaineries, dont il fit donation à des vassaux qu'il fallait récompenser (1532-35). L'Amazonie ne faisait pas partie de ces largesses. C'est seulement cent trente ans après que Dom Affonso en fit donation à un gentilhomme de sa maison, Anto- nio de Souza de Macedo, sous le nom de capitainerie de Pile de Joannes (1), que nous appelons aujourd’hui île de Marajó (Charte du 23 décembre 1665). Craignant, cependant, que le domaine sud-américain ne fit quelque tort aux riches colonies des Indes, les souverains portugais se hâtè- rent de prendre des mesures pour y mettre bon ordre. Jusqu'au milieu du xvne siècle, il était défendu de cultiver au Brésil (2) les épices produites par les possessions portugaises de l’Asie, qui ali- (1) Annaes da Bibliotheca do Pará, T. I, 1807 (2), Pará : excellente publication sous la direction de M. Bertino de Miranda Lima. (2) Décision du conseil d'outre-mer, en date du 20 avril 1642, permettant aux habi- tants du Brésil de cultiver seulement le gingembre et l’indigo dans les terres qui ne se prêteraient pas à la culture de la canne à sucre. (L. 4, de Prov., fol. 211. Torre do Tombo.) Re La se INTRODUCTION XXI mentaient alors le commerce de Lisbonne, vaste entrepôt où l'Europe entière allait s'approvisionner. Jusqu'à la fin du xvin® siècle, une charte royale y défendait l’élevage des mules et des mulets (1), et un édit interdisait l’établissement de toute espèce de fabriques et de manufactures, à l'exception de celles pour la confection de cotonnades grossières (2). Le Brésil n'avait pas le droit de procéder aux échanges commer- ciaux si ce n'est par l'intermédiaire des ports de la métropole et au moyen de navires portugais, qui partaient à des époques fixes de l'année, formant un convoi escorté par des bâtiments de guerre. Aucun étranger ne pouvait devenir propriétaire dans la colonie; bien plus, aucun étranger ne pouvait y établir sa résidence. La rigueur était tellement grande à cet égard que, lors du voyage d'Alexandre de Humboldt, un ministre, qui a pourtant laissé la réputation d'un homme supérieur, envoya des ordres pour qu'on arrêtât un « certain baron de Humboldt. » Aux barrières commerciales et industrielles, imposées par les mœurs du temps, s’ajoutaient les barrières intellectuelles. La métropole prit soin d'isoler la colonie de tout contact civilisa- teur. Çà et là on trouvait quelques écoles primaires. Les Jésuites, qui furent envoyés au Brésil dês 1549, avaient établi quelques classes de grammaire et de latin. Mais les maîtres de la colonie tenaient Vins- truction en suspicion. A la fin du xvur siècle, quelques lettrés s’avisèrent de fonder à Rio une «association philosophique ». Le comte de Rezende, devenu vice-roi en 1790, se hâta de mettre fin aux séances de cet aréopage anodin, en faisant arrêter et juger les principaux membres de la société naissante. Avant lui, l’un des gouverneurs portugais, Gomes Freire d'An- Charte royale du 19 juillet 1761. Pub. par "Acad. Roy. des Scienc. de Lisb. (2) Alvará du 5 janvier 1785, Ibid. b INTRODUCTION drada, avait autorisé la fondation d’une imprimerie dans la même ville (1707). Dès que la nouvelle en parvint à Lisbonne, les autorités supérieures donnèrent des ordres pour que l'imprimerie füt fermée, et l’on défendit expressément d’en ouvrir d’autres. Jamais aucun peuple n’a établi autour d'une colonie de pareilles murailles de Chine. L'Angleterre permettait à ses colonies d'Amé- rique d’avoir des imprimeries et des journaux ; l'Espagne elle-même laissait paraître des journaux à Buenos-Ayres et fondait des établisse- ments d'instruction supérieure à Lima, à Caracas, à Santiago, à Santa-Fé et à Mexico. Ce n'est qu’en 1808, quand le régent du royaume, Dom João, alla s'établir au Brésil, qu'on eut une imprimerie à Rio-de-Janeiro. Encore ne publiait-elle qu’un journal paraissant deux fois par semaine en petit format, et ce journal ne contenait-il que les actes officiels et quel- ques nouvelles de l’étranger, soumises au préalable à une censure sévère. En 1821, l’année qui précèda la proclamation de l'indépendance du Brésil, il n’y avait encore dans toute la colonie que trois petits journaux. Si bien gardé, cependant, que fút le Brésil, les étrangers y péné- trèrent. | La nationalité portugaise s'était effondrée sur le champ de bataille d'Alcazar-Quivir, où périt Dom Sébastien (1580). Les Espagnols devinrent maîtres du Portugal et de ses colonies. Le sombre Phi- lippe II régna sur cette nation chevaleresque. Les Hollandais, en guerre avec l'Espagne, se jetèrent sur ses colonies etallèrent au Brésil. Ils réussirent, non sans difficultés, à y établir leur domination depuis le rio Sam-Francisco jusqu’au Maragnan (1624-1654). Les Français les avaient devancés et devaient les suivre. La colo- nisation française s'implanta au nord et au sud du Brésil, à Maragnan et à Rio-de-Janeiro. Les matelots de Dieppe prétendent en avoir connu les côtes septentrionales dès l’année 1524, et il est certain INTRODUCTION XXIII qu'ils y trafiquaient avec les Indiens dês 1504, et que, dês 1550, une carte de Pierre Desceliers (1), découverte à Padoue en 1847 par M. de Challaye et appartenant au British Museum, note la « Baye Brasille » et le fleuve des Amazones. Toutefois, les Français ne cherchêrent à s'établir au Brésil que beaucoup plus tard. Jacques Riffault et Charles des Vaux, d'abord, puis Daniel de la Touche, seigneur de La Ravardière, l’amiral de Razilli et son frère, MM. de Harlay-de-Sancy, du Prat, Louis de Pezieux, d’autres encore fondèrent la ville de Saint-Louis-du-Mara- gnan, essayèrent de descendre jusqu’à l’Amazone, et y restèrent plu- sieurs années jusqu’à ce que le Portugal les en chassât par la force (1594-1615). - Quelques années auparavant, en 1553, le chevalier Nicolas Durand de Villegaignon, patronné par Henri II, alla à Rio-de-Janeiro, débarqua dans Pilot de Sery-Gipe (2) qui aujourd’hui porte son nom, y construisit la forteresse de Coligny et voulut fonder Henriville. Il Y régna en maitre pendant cinq ans. En 1710, sous Louis XIV, le capitaine de vaisseau François Du Clerc tenta de s'emparer de Rio, et Duguay-Trouin y réussit l’année suivante. Mais toutes ces conquêtes furent éphémères. Le Brésil resta tou- jours portugais, et le Portugal trouva constamment chez les naturels du pays des colons fidèles, disputant le sol à tous ceux qui n'étaient pas Portugais, fussent-ils Français, Hollandais ou Espagnols. Cette fidélité loyale des colons suffit à prouver que, si les Portugais - de cette époque gardaient jalousement le Brésil et le sevraient de toutes ces institutions que nos idées modernes considèrent comme la base et les instruments de la vie des peuples civilisés, du moins (1) Bibliotheca Lindesiana, Collations and Notes, nº IV. Facsimiles of Three Mapre- mondes, Londres, 1808: — Pierre Desceliers était natif d'Arques, bourg de la Seine- Inférieure, près de Dieppe. (2) Sery-Gipe — Sery hy, eau aux crabes, en langue tupi. XXIV INTRODUCTION avaient-ils su conquérir l’affection des naturels et intéresser leurs propres colons à l’existence du Brésil comme domaine de la couronne portugaise. Il faut dire aussi que peu à peu la métropole fut amenée à traiter avec plus de ménagement sa grande possession sud-américaine. Ses beaux jours de gloire étaient passés. Ses colonies s’en allaient une à une, arrachées par des rivaux puissants. Il fallait pourvoir au déficit que créait leur absence. En 1640, lorsque la révolution nationale réussit à chasser du sol portugais les Espagnols qui y dominaient depuis 1580, et à mettre sur le trône la dynastie de Bragance, les Portugais se départirent de leur rigueur envers la colonie."Progressivement, ils permirent que l’on y cultivât les épices et les plantes qui leur venaient, auparavant, exclusivement de leurs possessions asiatiques. Le coton, le sucre de canne, les bois de teinture commencèrent à être exportés du Brésil. La découverte des mines d’or, faite dès 1663, donna un nouveau prix à la colonie. Quand on y trouva des mines de diamants, en 1727, l'enthousiasme de la métropole ne connut plus de bornes, et l’on en vint à fêter cet évènement par des Te Deum et des processions d'ac- tions de grâces. Une nuée d'aventuriers s'abattit alors sur le Brésil, dont l’intérieur fut exploré par ces hardis bandeirantes, demeurés célèbres dans l’histoire du pays. D'autres causes encore contribuèrent à peupler la colonie portu- gaise de l’Amérique du Sud. Déjà l’élément portugais s'était répandu sur le littoral. L'élément indien, représenté par les indigènes, ne tarda pas à fournir son pré- cieux contingent. Tout d’abord, les Portugais n'avaient vu dans ces sauvages que des bêtes de somme pouvant être utilisées avec avantage pour travailler à leur profit. On les prenait et on les réduisait en esclavage. S'ils se révoltaient, on les faisait massacrer. Une charte royale, en date du 20 avril 1702, ordonnait, à la suite de quelques incursions faites par eux dans plusieurs villages, qu'on leur fit une INTRODUCTION XXV guerre sans merci : on devait tuer tous ceux qui résisteraient, et vendre comme esclaves ceux qui seraient pris, le produit de la vente étant destiné à couvrir les frais des expéditions, le surplus étant des- tiné à être distribué aux chefs, aux officiers et aux soldats (1). Paul III avait été obligé, dès 1537, de déclarer, dans deux bulles (2), que ces Indiens étaient des hommes faits à l’image de Dieu. Un siècle après (3), Urbain VIII devait encore écrire un Bref en faveur de leur liberté. Cependant, les colons portugais évitaient soigneusement toute union régulière avec les indiennes, et ce n'est qu’au milieu du xvure siècle, qu’un édit royal (4), écrit à Pinstigation du marquis de “Pombal, fit savoir que le mariage entre blancs et indiennes ne serait plus regardé comme chose infâme, et que les maris de nationalité portugaise, malgré cette mésalliance, garderaient leur rang et leur noblesse. L’Indien ne suffisant pas à la tâche et ne pouvant pas fournir des bras à toutes les exploitations et des rames à toutes les embarcations chargées d'explorer l’intérieur,on eut recours à l’Africain, importé du continent noir; c'est ce qui a valu au Brésil l'esclavage qui s'est per- pétué légalement jusqu’à 1888 et qui a tant retardé les progrès éco- nomiques de ce pays. Au commencement du xrxº siècle, les événements issus des guerres de Napoléon I° changèrent les destinées du Brésil. Le Portugal avait hésité entre l’alliance britannique et les sollicita- tions du puissant empereur. La vengeance ne se fit pas attendre. Le 27 octobre 1807, la France et l’Espagne signaient le Traité de Fontainebleau contre le Portugal, et Junot était envoyé tout de suite, (1) Publ. par l’Acad. Roy. des Sciences de Lisb. (2) La première bulle est du 23 mai 1537 : « Pastorale officium erga oves nobis cœli- tus creditas. » La seconde est du 2 juin de la même année : « Veritas ipsa, quæ nec falli... » (3) Bref du 20 avril 1630. (4) Alvarã du 3 avril 1755. XXVI - INTRODUCTION à la tête d'une division, pour occuper le petit Etat rétif. Le 25 novem- bre 1807, on apprenait à Lisbonne que le général français avait passé la nuit à Abrantes, à vingt-deux lieues de la capitale. Dom João, régent du royaume depuis le 10 février 1794, fut affolé. Cédant moins à la peur qu'aux conseils de lord Strangford, représentant de la Grande-Bretagne, il se décida à abandonner son poste de combat. Dona Maria I, frappée de folie depuis longtemps, le Prince-Régent et toute sa famille, la cour, les fidalgos, les hauts fonctionnaires, les bourgeois riches, environ quinze mille personnes, s'enfuyaient vers l'Amérique du Sud, escortés par quelques navires anglais, laissant l'héroïque nation à son malheureux sort. Les nobles émigrants débarquêrens solennellement à Rio-de-Janeiro le 8 mars 1808, au bruit des salves d'artillerie. Le Brésil donnait ainsi asile au souverain de la mère-patrie, et Rio-de-Janeiro devenait le siège du gouvernement fugitif. A vrai dire, le Portugal tombait au rang de colonie du Brésil. Cette situation nouvelle imposait l'établissement d'institutions poli- tiques élémentaires dans la capitale improvisée. On y pourvut sans retard. L'entretien de la cohue de parasites distingués que la Cour avait trainée derrière elle, et qui grossissait chaque jour par de fréquents arrivages, exigeait d’ailleurs une transformation complète dans le régime économique du pays. C'est alors que le Brésil entra sérieusement dans la phase agricole et industrielle qu'il a toujours poursuivie depuis, à son grand avantage. On accorda des primes à tous ceux qui se livreraient à la culture des épices. Les étrangers purent obtenir des concessions de terres et commencer des travaux de plantation. On ne tarda pas à s'apercevoir que la surface du sol est aussi fertile que ses entrailles sont riches. On ensemença la terre avec l’ardeur qu'on avait mise à la fouiller et à la dévaliser. En même temps, les ports de Rio-de-Janeiro, Bahia, Pernambuco, Maragnan et Pará s'ouvraient aux nations amies. Les droits de INTRODUCTION É XXVII douane étaient abaissés; onsupprimait en grand nombre les barrières qui arrêtaient les transactions. Des centres de production se créaient peu à peu. L'activité apparaissait là où n'avait régné jusqu'alors que Vinertie. On créa une banque de dépôt, d'escompte et de circulation dans la capitale. Le trafic prit un certain développement. En quel- ques années la colonie avait pris une autre physionomie. Cependant l'Angleterre envoyait ses troupes en Portugal pour en expulser les envahisseurs. Le général Wellesley, qui fut plus tard le duc de Wellington, battait Junot à Vimieiro, et forçait Kellermann à signer la convention de Cintra (23 aoút 1808). Quand le maréchal Soult revint peu aprês, il subit le sort de Junot et éprouva la valeur de Wellesley. En vain Masséna essaya-t-il, dans une troisième cam- pagne, de reprendre le Portugal avec l’aide de Drouet; il dut battre en retraite devant les forces anglaises. Les événements se précipitaient. L'étoile napoléonienne pâlissait de jour en jour et se retirait du côté des mers. Louis XVIII rempla- çait Bonaparte sur le trône de France. La chute du César en redingote grise fut fètée à Rio-de-Janeiro par des illuminations et par des actions de grâces solennelles. Mais le régent du royaume de Portugal fit mieux que de reconnaître Louis XVIII : il ouvrit tous les ports du Brésil au commerce du monde entier, même au commerce français (18 novembre 1814). Le Portugal fut admis au Congrès de Vienne parmi les grandes nations alliées (18 juin 1814), et, après le retour de l’île d'Elbe, il fournit son contingent aux armées belligérantes pour achever d’abattre Napo- léon Ter. Le Brésil bénéficia de ces services rendus à la cause de "Europe par le Portugal. Le 16 décembre 1815,il était élevé à l’état de royaume et reconnu par toutes les puissances. Cependant la cour portugaise s’attardait dans ses États d'outre-mer. La pauvre reine-mère exilée, Dona Maria I, mourut à Rio-de-Janeiro le 16 mars 1818. Le Prince-Régent lui succéda le 20 mars. La même XXVIII INTRODUCTION année il maria deux de ses filles : "une à Ferdinand VII d'Espagne ; l’autre à Dom Carlos, frère de ce dernier. L'année suivante, son fils aîné et son héritier présomptif, Dom Pedro de Alcantara (plus tard, Dom Pedro I du Brésil), épousa l’archiduchesse d'Autriche Marie-Léopoldine, fille de François IT (23 mai 1817). Le 6 février 1818 le Prince-Régent était couronné solennellement à Rio-de-Janeiro,sous le nom de Dom João VI, roi du Royame-Uni de Portugal, du Brésil et des Algarves. Aprês les guerres et le despotisme du premier Empire, l'esprit de liberté, le grand souffle de la Révolution française recommencèrent à parcourir le monde. : Le Portugal se souleva, et demanda une Constitution, un parle- ment, des droits plus étendus. Au Brésil même, Pernambuco prit les armes et proclama la Répu- blique (1817). Pará et Bahia se révoltèrent à leur tour. Il était temps d'aviser. Il fallait sévir ou se soumettre aux revendications popu- laires. Dom João VI prit le parti des âmes faibles : il s'abstint de prendre un parti. Le 26 avril 1821, il s'embarqua à Rio-de-Janeiro, aprês un séjour de treize années et, le 5 juillet, il rentrait dans sa vieille capitale portugaise, à Lisbonne. Son fils ainé, Dom Pedro de Alcantara, restait au Brésil en qualité de Régent. Les Cortês portugaises ne comprirent pas tout ce qui s'était accom- pli au Brésil depuis 1808. Elles conçurent le rêve insensé de replacer le royaume américain dans son ancien état de simple colonie dépen- dante de la métropole ; elles enjoignirent au Prince-régent de rentrer en Europe (10 décembre 1821), et espérèrent ainsi reconquérir la suprématie sur un peuple rajeuni, qui se trouvait de force à leur faire la loi. Dom Pedro se disposait à obéir, lorsque l'agitation, gagnant le pays tout entier, Pen empêcha. Tous les Brésiliens de naissance et d'adoption se liguêrent, et, avant d’en venir à la résis- tance ouverte, ils déclarèrent énergiquement aux Cortês, par l'entre- A ge INTRODUCTION XXIX mise du sénat de la Chambre de Rio-de-Janeiro, que leur pays « vou- lait être traité comme frère et non comme fils du Portugal, comme souverain et non comme sujet. » Devant cette fermeté et ces justes revendications du pays, le Prince-régent n'hésita plus à embrasser la cause du peuple au milieu duquel il avait grandi. Le 9 janvier 1822, en présence d'une multitude assemblée pour connaître sa résolution, il prononça ces mots, devenus célèbres : « Comme il s’agit du bien de tous et du bonheur général de la nation, je suis prêt, dites au peuple que je reste. » Il ne faillit pas à sa parole. Dom Pedro sacrifia à sa patrie d’adop- tion tous ses liens de famille. Si l'ambition entra pour quelque chose dans ses déterminations, il faut convenir qu'elle sauva son pays d'immenses désastres. Le 7 septembre 1822, Dom Pedro, en proclamant l'indépendance du Brésil, annonçait du même coup une ère de prospérité pour son peuple. En faisant entendre sur les rives de "Ypiranga — petit cours d’eau de la province de Sam-Paulo, — les paroles d’affranchisse- ment : Indépendance ou mort! il assurait pour longtemps la liberté et la vie à l’un des plus grands empires du monde. Depuis lors, le Brésil n’a fait que grandir. Son administration intérieure s’est développée; ses relations extérieures se sont étendues ; son instruction publique, son agriculture, son commerce, ses finan- ces, ses moyens de communication n'ont cessé de suivre une marche progressive. Qu'était, en effet, le Brésil en 1822? Qu'est-il aujourd’hui ? — Nous allons Pindiquer sommairement. Les premières années du règne de Dom Pedro I furent troublées. Proclamé empereur constitutionnel et défenseur perpétuel du Brésil, couronné comme tel le 1º décembre 1822, le nouveau souverain trouva le pays dans un moment d’enfantement douloureux. Des fac- tions nombreuses le divisaient. Les provinces de Pará, Maragnan, Ceará, Piauhy, Rio-Grande-du-Nord, Parahyba, Pernambuco, l'extrême prudence du nouvel élu, sans le de pa Er - ches » de notre indépendance, le Brésil tombait dans l'an plus complète et ses provinces s'éparpillaient en gouverneme base et sans avenir. parvint à imposer son autorité sur tous a points E son immense empire et à ramener les esprits à la tranquillité et au respect de la loi. l ET E L'année suivante, en 1825, après cette pacification, l'indépendance du Brésil fut reconnue par les grandes puissances, et acceptée par le Portugal lui-même, grâce à la médiation de l’Angleterre. Le jeune empire avait conquis sa place au soleil. Mais il dut payer de quelques sacrifices la faveur qu'on lui accordait. L' Angleterre, la première, lui imposa des conventions fort onéreuses par les traités du 18 octobre 1825, qui remettaient en vigueur les clauses de 1810 si | favorables au commerce britannique. La France se montra exigeante à son tour. Le 8 janvier 1826, elle profita des embarras du nouvel empire pour signer un traité de commerce ruineux pour le Brésil. Pendant ces négociations la guerre éclatait à la Plata. Le Brésil se vit contraint de batailler pour défendre sa province cisplatine. Malgré tous ses efforts, il ne put pas la conserver. Par la convention du 27 août 1828, la province cisplatine se constitua en un État indépen- dant, qui forme aujourd’hui la République orientale de "Uruguay. Dom Pedro I héritait d'une situation non moins déplorable en ce qui concerne les services administratifs de l'État. L’instruction publi- que, qui n'avait jamais été l’objet des préoccupations de la métropole, se trouvait dans un état rudimentaire. Au temps où la cour de Dom João VI campait à Rio-de-Janeiro, on introduisit quelques arts INTRODUCTION XXXI Un groupe d'artistes français fut chargé s Beaux-Arts (1816) dans un pays où l'on à rot 000 caisses de sucre de quinzes quintaux, et 150.000 balles _ de coton d'un nel et demi. Le Ro de la capitale avait vu entrer gation de Dre On comptait quelques maisons étrangêres dans Je pays, Depuis trois siècles, la population de ce vaste territoire s'était accrue d'une manière peu sensible. D'après un tableau publié en 1820, le nombre des habitants s'élevait au chiffre insignifiant de 3.797.900, répartis de la manière suivante : RANGS EM. Lt, ne = lotte dort MERE OA ROO O D lsdiens domestiques (Mansos) "TS 259.400 Hémmeside couleur affranchis . . RR 505.500 Esclaves de descendance africaine . . . . . . 1.728.000 Esclavestimetiss RS A A re + 262.000 De même que les moyens d'instruction manquaient aux esprits et É: que les bras faisaient à peu près défaut à l’agriculture et à l’indus- À trie, de même les finances gouvernementales étaient insuffisantes à 1 _ soutenir de grandes entreprises. E - Lorsque le roi Dom João VI abandonna le Brésil, la Banque fit 4 une faillite partielle et fut contrainte de réduire la valeur de ses bil- na lets. La dette de l’État s'élevait à une grosse somme, et non seulement 3 les fonctionnaires ne touchaient plus leurs appointements, mais les à 4 Es XXXII INTRODUCTION troupes elles-mêmes ne recevaient pas leur solde depuis plus de deux ans (1). Le budget annuel des dépenses se chiffrait par 14 millions de cruzades, et les recettes du Trésor n’en atteignaient pas 7 mil- lions. Le déficit était écrasant. L'isolement dans lequel vivaient les provinces, faute de lignes de navigation et de grandes routes, contri- buait encore à accroître les difficultés de la production et des échanges, rendant plus aiguë la crise économique. Tel était le Brésil au moment où il émergeait du servage colonial, à la fin de l’année 1822. Les choses ont bien changé depuis. Aujourd’hui, après soixante-seize ans d'indépendance et de vie autonome, l’ancienne possession des rois de Portugal est devenue la première nation de l'Amérique latine par la richesse, par la puis- sance politique, par le développement croissant de la population et par les progrès qu’elle réalise chaque jour dans le domaine des sciences et des lettres. Gouverné, d’abord, par un monarque, le fils de Dom Pedro I‘, qu'une révolution pacifique a détrôné le 15 no- vembre 1889; ayant adopté, ensuite, sans protestations sanglantes, la forme républicaine fédérative; jouissant d’une paix profonde, que des mouvements partiels, dûs à la crise de croissance naturelle de toutes les transformations politiques radicales, ont à peine troublée temporairement ; tranquille à l'intérieur; ne nourrissant aucun désir de conquête ni d'agrandissement; attentif à tous les perfectionne-. ments qui se produisent dans les deux mondes pour accroître le bien-être moral et matériel de sa population, — le Brésil recueille les fruits de sa sagesse, et, par l'abolition graduelle de l'esclavage, réalisée au milieu des acclamations universelles, d’une manière définitive, le 13 mai 1888, aussi bien que par la mise en valeur de ses richesses naturelles au moyen de bras libres, il se prépare un (1) Castro Carreira : Historia Financeira do Imperio do Brazil, Rio, 1880, p. 62 et 63. o INTRODUCTION XXXIII avenir de grandeur et de prospérité qui étonnera le monde dans quelques siècles. En moins de quatre-vingts ans, il a plus que quadruplé le nombre de ses habitants, qui s'élève présentement à environ 16 millions d'âmes. Les recettes de l’Union fédérale, pour l’année 1898, ont été esti- mées à 342.653 contos de réis. Les recettes provenant des douanes ont produit à l'importation, en 1897, la somme ronde de 244.000 tations n’ont cessé de suivre une marche progressive et régulière. En 1895, les deux seuls ports de Rio de-Janeiro et de Santos ont exporté 6.300.000 sacs de café — soit 378.000.000 kilogs. —, la valeur du café exporté de Santos étant de 294.295 contos. Dans le cours de ce travail, nous verrons les progrès réalisés par la production du caout- chouc, qui, depuis la publication de la première édition de ce livre, a augmenté considérablement. C'est surtout à l'établissement de moyens de communication rapides par terre et par eau qu'il faut attribuer le développement merveilleux des ressources du Brésil. Le premier chemin de fer qui ait été construit là-bas date de l’année 1854. Aujourd’hui, le réseau des voies ferrées s’étend sur un parcours de 9.000 kilomètres environ en exploitation. Le service télégraphique embrasse une étendue de 35.000 kilomè- tres de fils électriques. Il va de Belem, capitale de l'Etat de Parà, et aboutit à Jaguarão, dans l'Etat de Rio-Grande-do-Sul, se rami- fiant jusqu’à Matto-Grosso. Le Brésil est relié télégraphiquement, depuis 1874, à l'Europe, aux Etats-Unis, aux Républiques de la Plata et au Chili, sur la côte du Pacifique. Le télégraphe sous- marin relie également le reste du monde au Brésil par des câbles ayant des stations à Fernando-de-Noronha, dans l'Etat de Pernam- buco, et à Vizeu, dans l'Etat de Para, sans parler d'un câble sous fluvial entre Belem et Manaos. XXXIV INTRODUCTION La navigation à vapeur sillonne tout le littoral du pays et pénè- tre dans les principaux cours d'eau. Des steamers à destination du Brésil partent régulièrement des ports du Havre, de Pauillac, de La Pallice, de Marseille, de Gênes, de Naples, de Trieste, de Brême, de Hambourg, dé Liverpool, de Southampton, de New- York,etc.Des Compagnies, dont quelques-unes sont subventionnées, exploitent la navigation fluviale. La plus puissante de ces compa- gnies est celle de l’Amazone (Amazon Steam Navigation Company, Limited) qui dispose de 34 paquebots, parcourant 320.000 milles par an. La côte maritime du Brésil, dans un parcours de 6.000 kilomètres depuis l'Oyapock jusqu’à Ghuy, est éclairée par un grand nombre de phares et de fanaux. Le progrès de l'instruction publique marche de pair avec les améliorations matérielles. L'instruction primaire, à la charge des municipalités et des Etats autonomes, est partout gratuite, et, le plus souvent, obligatoire. D’après les dernières informations statis- tiques, le nombre des écoles publiques d'instruction élémentaire est de plus de 7.800, auxquelles il faut ajouter un millier d'écoles pri- maires privées. Ces écoles sont fréquentées par plus de 250.000 élèves. Des lycées et des collèges d'enseignement secondaire exis- tent dans toutes les capitales des divers Etats de "Union, et, à Rio- de-Janeiro, le Gymnase National est une véritable Faculté des Let- tres. Plusieurs établissements d'enseignement supérieur ou technique ont été organisés tant dans le District Fédéral que dans les Etats. A Rio-de-Janeiro, il y a une École polytechnique, comprenant des cours de sciences physiques et naturelles, de sciences physiques et ma- thématiques, d'ingénieurs géographes, d'ingénieurs civils, des mines et d'arts et manufactures, sans parler d’une Faculté de médecine, de deux Facultés libres de droit, et d’une École militaire ayant des cours supérieurs, comme l'École navale. À Bahia, il ya une Faculté de médecine ; à Recife et à Sam-Paulo, des Facultés de droit, et dans OU INTRODUCTION XXXV la première de ces villes une Ecole de génie; à Ouro-Preto, une _ École des mines et un cours de Pharmacie; à Parà, une École de pilotage, etc. Le lycée des arts et métiers de Rio et le lycée littéraire portugais de la même ville sont des établissements sans rivaux. Un institut d’agriculture, auquel est annexé un jardin botanique; un muséum national, possédant une vaste bibliothèque et des collections précieuses; une bibliothèque nationale, comptant environ 150.000 volumes, 7.900 manuscrits et plus de 20.000 estampes, — d’autres institutions, qu'il serait trop long d'énumérer, parmi lesquelles figure l'Institut d’histoire, de géographie et d'ethnographie, dont la Revue paraît régulièrement depuis 1839, complètent l'organisation scienti- fique et littéraire du pays. Administrativement, le Brésil est partagé en vingt États autono- mes, ayant, chacun, son président ou gouverneur élu par le suffrage universel, et, selon le cas, une ou deux assemblées législatives — sénat et chambre, ou chambre seulement, sous le nom de Congrès de PEtat — ses lois, sa milice, son budget. La ville de Rio-de-Ja- neiro et sa banlieue forment un territoire spécial, le District Fédé- ral, ne relevant d'aucun Etat. Le président de la République est élu pour quatre ans. Les deux Etats de Parà et de l’Amazone, dont nous nous occupe perons plus particulièrement, et qui, ensemble, sont souvent dési- gnés sous le nouveau nom d'Amazonie, se trouvent situés à l'extrême nord du Brésil, et occupent une superficie de 3.046.732 kilomètres carrés. Ils sont presque six fois plus grands que la France continen- tale entière, dont la superficie est de 520.076 kilomètres carrés. Ces généralités nous ont paru nécessaires pour introduire le lecteur européen dans les développements que nous donnerons dans la suite de ce travail. = Pour étudier dans tous ses détails le pays des Amazones, l'Amazo- nas, et mettre un ordre logique dans les nombreux documents que XXXVI INTRODUCTION nous possédons, nous avons adopté une méthode de classification qui embrasse toutes les informations recueillies par nous sur la nature du pays, sur l'habitant de la contrée et sur l’étranger dans ses rapports avec l’’habitant. é Nous diviserons donc notre travail en trois parties bien distinctes : 1º La nature du pays; 2º L'habitant; 3º L'étranger et ses rapports avec [habitant. Si, d’après "opinion d'un auteur ancien, les livres ont leur destinée, nous souhaitons à celui-ci, non pas de retourner aux lieux aimés qui Pont inspiré, mais de susciter, chez tous ceux qui le liront, le désir d’aller porter leur activité au pays des Amazones. Io “a PREMIÈRE PARTIE NS ERES MO LA NATURE DU PAYS : CHAPITRE PREMIER générales. — D'où vient le nom des Amazones. — Comment ce nom fut et se propagea. — Une page d'Héradote transposée. — Les Amazones existé réellement? — Une nouvelle explication de la légende. — ageurs du fleuve des Amazone Cousin, Orellana. Pinzon, Diego Aguirre, Quesada, Re EE Pedro ru etc. — dant pour aboutir à une œuvre commune de simple =. .e bonhomme, un Balzac quelconque des bords du é se E à découper Vair de long en large, à arpenter un champ eta é oquer, de ci de la, des murailles, des portes, .des pos EX ignons, des auvents, tout ce qu'il faut pour miser do See ur - t2 LE PAYS DES AMAZONES un château en Espagne et y loger une pure imagination de poète. Nous nous garderons bien de suivre cet exemple et d'édifier dans les brouillards. Nous avons tracé les grandes lignes de notre plan. Les matériaux sont amassés. Commencons par les fondations. Creu- sons le passé de ce pays. La première question qui se pose au début d'un travail de ce genre est celle des étymologies. — D'où vient le nom des Amazones? — Un helléniste de nos amis a bien voulu nous donner une con- sultation sur ce curieux sujet de linguistique: Les grammairiens, nous a-t-il dit, sont divisés sur l'origine de ce mot Auatév: grammatici certant. Les uns, se fondant sur ce que rapporte Diodore de Sicile au sujet des amazones asiatiques, qui, à l’âge de dix-huit ans, subissaient l’ablation de la mamelle droite pour n'être par gênées par leurs armes, font venir leur nom de « privatif et de uatos, mamelle. Cette opinion ne peut se sou- tenir, à moins que l’on ne prenne l'expression sans mamelle au figuré, comme désignant des femmes ayant sacrifié les fonctions naturelles de leur sexe. En effet, toutes les figures d'Amazones que nous possé- dons sur des vases antiques, ainsi que les bas-reliefs du sarcophage du musée du Capitole, nous représentent les guerrières sarmates au grand complet. Leur poitrine n’a rien à envier à celle des autres femmes; au contraire. Elle s'épanouit à l’aise sous la chlamyde, et la pelte a peine à la couvrir de ses deux oreillettes. Les reines Pen- thésilée, qui secourut les Troyens dans leur détresse; Antiope, mère d'Hippolyte, qui attaqua Thésée, roi d'Athènes; Thalestris, qui visita Alexandre; Thomyris, qui fit périr Cyrus, et tant d'au- tres, qui furent les plus belles et les plus vaillantes, n'étaient pas gênées par leur double fardeau. Elles maniaient Parc, l'épée, la lance, la hache à deux tranchants, aussi gaillardement que Jeanne la Pucelle LE PAYS DES AMAZONES PE ou Jeanne Hachette. Il faut donc rejeter cette version, et remonter à d’autres sources... Certains historiens prétendent que, bien avant les héroïnes de Cappadoce habitant les rives du Thermodon, — bien avant l'an 1600 avant Jésus-Christ, par conséquent, — florissaient en Afrique des femmes conquérantes, combattant deux à deux, liées ensemble par des ceintures et par des serments. Ces Amazones négresses subju- gu èrent les Numides, les Éthiopiens et les Atlantes africains, améri- cains ou océaniens. On les appelle Amaçones, c'est-à-dire liguées, réunies, de «uz, en semble, et twvx, ceinture. La qona qu'elles portaient était en outre la gardienne de leur vœu de virginité. C’est ce morceau d'étoffe qui a fait leur réputation dans l’histoire. Je préfère cette explication à l'autre, parce qu’elle a l'avantage de nous mieux révé- ler les mœurs primitives de ces femmes que les Scythes appelaien, oiorpala, tueuses d'hommes... Selon moi, votre Amazonie doit sa dénomination aux Amazones africaines qui "ont envahie et peuplée aux époques préhistoriques, à moins qu'elie ne lui vienne tout sim- plement de son grand fleuve, qui se déroule à la facon de la 5ona des Hellènes. Toute savante qu’elle füt, cette explication ne nous a pas satisfait, et nous avons cherché ailleurs. Voici ce qui nous semble absolument authentique. Au xvi° siècle, on était encore épris du merveilleux. Le surna- turel hantait toutes les imaginations. On rêvait dans toute la chré- lienté. La misère des temps forçait les âmes à se réfugier dans des Thébaïdes remplies de délices. La sorcellerie avait tout envahi. L'hallucination était générale et se mêlait au génie. C'est ce qui nous valut les admirables découvertes de la Renaissance. Comme l'al- chimie conduisit à la science de la matière, le rêve poussa les hommes, à travers une sorte de somnambulisme, à prendre pied sur des con- tinents vaguement entrevus depuis Platon. En ce temps-là, sous le chaume, on se raconlait de bien belles 4 LE PAYS DES AMAZONES histoires. Sans quitter le coin du feu, on entreprenait des voyages fantastiques. Le paysan aimait à se souvenir des folles équipées des croisades. Entre son bœuf et son âne, le monde lui apparais- sait dans un lointain de terre promise. Il y avait, par delà les mers, au pays d'Ethiopie, un royaume plein de soleil. Là vivait, sur des monceaux d'or et des flots de pour- pre, un ami de Dieu, un pontife aussi puissant que David, aussi environné de gloire que Salomon. Cet homme extraordinaire était le prêtre Jean, un baptisé, qui devait répandre le christianisme sur tout l’univers. Ce pape in partibus avait pour voisin un grand sou- verain catéchumène, qui brúlait d'embrasser la doctrine de PÉvan- gile. C'était le grand khan de Tartarie, fort comme Charlemagne. Ces récits étaient recus comme des articles de foi. Colomb, nous Vavons vu, s’en enthousiasma. La tête pleine de ces chimères qui lui tenaient lieu de géographie, il voulut voir ces « terres cachées » Son itinéraire était aussi rationnel qu'un argument scolastique. Il irait, par le pays de Veragua, aux États du mystérieux monarque. Puis, il reviendrait de Cuba par terre, en prenant la route d'Éthio- pie, de Jérusalem, et de Jaffa. Ce n'était pas plus difficile que cela. L'Amérique se trouva sur son chemin. L'Amérique fut découverte. On apprit bientôt que le prêtre Jean était un pauvre diable de roi sans importance. On se consola par d’autres légendes. Il existait quelque part un pays traversé par une « mer blanche », dont les flôts roulaient un sable d’or et des cailloux de diamants. Sa capitale, Manoa (dont, soit dit en passant, on doit remarquer l'identité avec le nom de la tribu indienne Manao ou Manoa, qui donne son nom à la capitale actuelle de l’État de l’Amazone) était une grande ville remplie de palais. Les uns étaient bâtis en pierres cimentées d'argent; les toitures des autres étaient faites en lames d’or. On foulait aux pieds les métaux les plus précieux. Manoa était le dépôt de toutes les richesses de la terre. Il y régnait un homme LE PAYS DES AMAZONES 5 que l’on avait appelé le Doré, El Dorado, en langue espagnole, car son corps était pailleté d'étincelles d’or, comme le firmament est semé d'étoiles. La folie du million s'emparait de l’Europe et remplaçait les hysté- ries mystiques. Ce courant nouveau entraîna bien des gens. Gonzalo Pizarro (1), le frère du conquérant du Pérou, Alonzo Pizarro,se laissa tenter.En 1539,il se mit à la tête d'une bande d'aven- turiers armés jusqu'aux dents, amplement approvisionnés, et il partit du Pérou à la conquête des boucliers et des cuirasses d’or que por- taient les guerriers de l'El-Dorado, d'après la tradition. En route, à une centaine de lieues de Quito (aujourd’hui la capitale de la Répu- blique de l’Équateur), il enrôla un soldat de fortune, dont il eut le malheur dê faire son lieutenant. Cet homme s'appelait Francisco de Orellana. On chemina jour et nuit, à travers les forêts et sur les grandes rivières. On se nourrissait comme l’on pouvait, de gibier, d'herbes et de fruits sauvages. La fatigue, les fièvres, les privations décimèrent les avides explorateurs. Après bien des mois de luttes et de souf- frances inouïes, Pizarro et ses compagnons n'étaient pas parvenus à découvrir la ville enchantée qui renfermait la toison d’or. Ils durent se contenter de ramasser quelques pépites de ce précieux métal le long de leur route (d’autres prétendent 100,000 livres d’or). Orellana est chargé du petit trésor. Il le dépose sur un brigantin, prend une cin- quantaine d'hommes avec lui et part. Il descend au hasard un cours d’eau, le Cóca (2), qui leconduit dans (1) Levini ApoLLonut : de Peruviæ, regionis inter Novi Orbis provincias celeberrimæ, inventione et rebus in eadem gestis libri v. — Antverpiæ, I. Bellerus, 1567. (2) « Le Napo, autrefois Naapo, qu'alimentent les neiges de l’Antisana et du Cotopaxi a deux grands affluents écuadoriens : au nord le Cóca,au sud le Curaray ; à en juger par l'orientation de la vallée maitresse, du nord-ouest au sud-est, le Cóca devrait être tenu pour le véritable fleuve, Mais le Napo a pris le nom jusqu'à l'Amazone, grâce au voisinage de Quito . » Elisée Reclus : Nouvelle Géographie Universelle,t. XVIII, p. 431. 6 LE PAYS DES AMAZONES un grand fleuve. Sans aucun doute, il naviguait sur la mer blanche aux flots argentés de l’El-Dorado. Son plan était fait. Notre caissier infidèle se considère dès lors comme le légitime propriétaire de sa cargaison d'or. Il ne songe plus qu’à gagner de Vitesse et à s'éloigner de son chef. Le fleuve était rapide : il s'abandonne sans scrupules à son courant. Deux de ses compagnons lui font observer que l’on va peut-être un peu vite et que jamais Pizarro ne pourra les suivre. Orellana se débarrasse de ces braves gens qui n'étaient pas faits pour le comprendre. Il les jette sur le premier rivage venu, sans armes, sans provisions, en pieine forèt vierge. L'un de ces infortunés était un dominicain, Gaspard de Carvajal; l'autre, un hidalgo de Badajoz, Hernando Sanchez de Vargas. Mais d’autres obstacles se présentent. Les tribus riveraines le har- cèlent sans cesse à coups de flèches. Orellana sort victorieux de ces mauvais pas. Enfin, le 26 août 1541, il quitte la Mer Douce, qu'il baptise de son nom, et qu'on a appelée depuis le fleuve des Ama- zones. Tandis que le trop confiant Pizarro, privé de son or, retournait bredouille à Quito, son associé, plus heureux, parvenait à rentrer ses trésors en Espagne. Il fit croire à ses compatriotes qu'il avait été attaqué par des femmes sauvages, espèces d'amazones blondes, qui l’avaient harcelé en route. Il raconta à leur sujet des histoires très mythologiques qui firent le tour de la péninsule. Le germe de la légende était jeté, et, semé sur un bon terrain, il allait donner des fruits. Orellana repartit d'Espagne, le 11 mai 1544, pour le Nouveau- Monde. Il fut moins heureux cette fois. Il y mourut. C'était justice. L'Angleterre de Jacques 1º” (1603-1625) crut à ces légendes, comme elle sait croire à toute chose qui ne dérange pas trop l'équilibre de ses intérêts bien entendus, et Raleigh l’affermit dans sa croyance. Ce fut pendant le règne d'Elisabeth (1558-1603) que sir Walter LE PAYS DES AMAZONES 7 Raleigh (1) commença à faire parler de lui. On connaît l'aventure qui lui attira les bonnes grâces de la souveraine et son rôle brilllant dans l'Amérique du Nord, où il fonda les premiers établissements de la Virginie, et d’où il rapporta en Angleterre, le premier, le tabac et les pommes de terre. Sous le règne de Jacques I‘, il trempa dans une conspiration avec lord Grey et lord Cobham, et leur conspiration est restée célèbre sous le nom de « The Main ». Ses deux compagnons furent mis à mort ; sir Walter Raleigh fut poursuivi et, malgré toute son éloquence et les traits dont il foudroya l’attorney général, sir Edwards Coke, déclaré coupable de trahison et condamné à mort également. On l’enferma dans la Tour de Londres, où il resta pendant treize ans, employant ses loisirs de prisonnier d'Etat à écrire son Histoire du monde. Le duc de Buckingham chercha à lui faire obtenir sa grace. En 1617, il obtint du roi l'élargissement de Raleigh : celui-ci s'engageait à équiper une expédition à ses frais et à aller découvrir les trésors de l’El-Dorado pour le compte du roi; mais il devait res- pecter les établissements espagnols, car on négociait alors le mariage de Charles, prince de Galles (fils de Jacques [* et de la princesse Anne, du Danemark) avec l'infante d'Espagne. Raleigh partit pour le Sud-Amérique. Il ne découvrit pas l'El-Dorado, mais, en revanche, il eut maille à partir avec les Espagnols et s'empara de la ville de Saint-Thomas, vit ses hommes se révolter et revint misérable en Angleterre. L'ambassadeur d’Espagne demanda son châtiment. Jacques Ir fit revivre l’ancien verdict qui le condamnait à la peine capitale, et, le 29 octobre 1618, il montait sur l'échafaud et y mourait en homme de cœur et d'esprit, lançant au bourreau des épi- grammes comme il en avait prodigué autrefois à l’attorney général. Mais, lui aussi, pour excuser sa déconvenue et sauver sa tête, avait parlé des escadrons d'Amazoncs faisant bonne garde autour de leurs trésors. (1) Descriptio Itinerum Francisci Draken, Thomæ Candisch, Gualtheri Ralegih. — Francofurti et Oppenheimii, De Bry et Merian, 1509-1625. 8 LE PAYS DES AMAZONES Tous ceux qui, depuis lors, eurent la fantaisie d'y aller voir, Jean de Léry (1) et Gandavo (2) en particulier, n'osèrent révoquer en doute Pexistence des terribles écuyères. Ces voyageurs devaient beaucoup mentir pour avoir l’air de venir de très loin. Ils ne se gènèrent nulle- ment pour greffer leurs fantaisies romanesques sur les simples don- nées fournies par leurs devanciers. Gandavo, qui avait quelques réminiscences de l’histoire ancienne, traduisit ainsi Diodore de Sicile : (Il y a, parmi les tribus indigènes, quelques Indiennes qui font vœu de rester chastes. Elles n'ontaucun commerce avecles hommes, et préfèrent mourir plutôtque de rompre leur célibat. Elles abandonnent tous les métiers féminins et se livrent à des occupations viriles. Elles portent les cheveux coupés comme les mâles ; elles vont à la guerre et la chasse avec Parc et les flèches. Chacune d'elles a une femme qui la sert, avec laguelle elle se dit mariée. Ces couples ont entre eux des rapports et des privautés comme il en existe entre mari et femme... » Ce sont bien les inséparables de ['Afrique, les créatures unies par une même ceinture qui n’a rien de chaste, les auxïwvx, en un mot. Comment résister à de pareils témoignages? Évidemment on n'in- vente pas des détails aussi précis. C’est par trop invraisemblable pour que ce ne soit pas vrai. Cependant, tous ces bruits fantastiques seraient peut-être tombés dans l'oubli, si un grave historien ne leur avait apporté l'autorité de son témoignage. Le Père Pedro Cristébal de Acuña, recteur de Cuenca (3), qui accompagna le capitaine Pedro Teixeira au retour de sa grande exploration de l’Amazone, dont nous parlerons plus loin, se fit le véritable colporteur de la légende. Sa bonne foi trompa les (1) Lern, Historia navigationis in Brasiliam, que et America dicitur. — Geneva, E. Vi- gnon, 1594. (2) Collecção de opusculos reimpressos relativos à historia das navegações dos Portu- guezes, publ. pela Academia das sciencias. — Tome I. 3 vol., Magalhães de Gandavo. — Lisboa, 1844-1858. (3) Acucna : Voyages into South America, up the Amazon to Quito, 1698. A PEN E E LE PAYS DES AMAZONES 9 plus incrédules ; sa naïveté parut exempte de toute arrière-pensée de supercherie. Or, s'étant livré à une enquête de veracitate facti, voici ce qu'il raconte le plus gravement du monde, dans son Nuero Descu- brimiento : « A trente-six lieues au-dessous du dernier village des Tupinam- bás (1) en descendant le fleuve de l’Amazone, on rencontre au Nord une rivière qui vient de la province des Amazones et qui est connue, parmi les gens du pays, sous le nom de Cunuriz (2). Cette rivière tire son nom des peuplades d'Indiens qui habitent le plus près de son embouchure. Au-dessus de ceux-ci sont les Apotos, qui parlent la langue générale (le tupy-guarany). Après eux se trouvent les Tagaris, puis les Guacaris, l’heureuse tribu qui jouit de la faveur des vaillantes Amazones. Les Guacaris ont construit leur village sur des montagnes d’une hauteur prodigieuse (les Cordillères de la Guyane). Parmi elles, il y a un mont, appelé Tacamiába, dont le sommet s'élève de beau- coup au-dessus des autres, et qui est stérile, parce qu'il est sans cesse battu par les vents. C’est le séjour des Amazones. « Ces femmes vivent seules entre elles et se protègent sans le secours des hommes. Seulement, à certaines époques déterminées, elles recoi- vent la visite de leurs voisins, les Guacaris. Lorsque ceux-ci arrivent, . elles courent aux armes, de peur d’être surprises. Mais, aussitôt qu’elles ont reconnu leurs amis, elles se précipitent toutes vers les barques des nouveaux arrivés. Chacune y prend un itamáca (hamac) et s'en va le suspendre chez elle, en attendant les hommes. Au bout de quelques jours, les hôtes des Amazones regagnent leurs demeures et ne manquent jamais de revenir à la saison suivante. Les filles qui (1) Tupinambás, Toupinambours, Tououpinambaultios, Toueoupinambahults. Leur nom vient, d'après Baptista Caetano, de T'upinambae, ceux qui sont fermes sur terre, les vaillants de la terre, dérivé de ambde, participe, signifiant celui qui est debout; d’où t-ibi-ri ambue — iubini-ambae — tupinambae. (2) Cunuriz — cundh-r-y, rivière aux femmes, en langue tupi. Le Cunuriz est le Jamundá actuel. 10 LE PAYS DES AMAZONES naissent de ces unions sont élevées par leurs mères. On leur apprend à travailler et à manier les armes. Quant aux garçons, on nesait pas au juste ce qu'ils deviennent. J'ai entendu dire par un Indien qui, dans sa jeunesse, était allé avec son père à l’un de ces rendez-vous, que les Amazones remettent au père, l’année suivante, l'enfant mâle dont elles ont accouché. Mais, en général, on croit qu’elles mettent à mort ces enfants mâles. Je ne saurais décider la question. « Quoi qu'il en soit, ces femmes possèdent des trésors capables d'enrichir le monde entier. La barre de la rivière sur les bords de laquelle habitent les Amazones se trouve par 2 degrés et demi de latitude méridionale (1). » * Le bon Père de Acuña écrivait l'histoire à sa façon, en y faisant entrer quelques-uns de ses souvenirs classiques. C'était assez la mode du temps. Il nous faut compulser Hérodote pour trouver la clef de ces belles imaginations. Voici ce qu'écrit l'historien d'Halicar- nasse (2), qui a baptisé, sans le savoir, le plus grand Etat du Brésil : « Vers l’heure de midi, les Amazones s'éloignaient du camp, seules ou deux à deux... Les Sycthes, s’en étant aperçus, firent la même chose. Un d’entre eux s'approcha d'une de ces Amazones isolées, et celle-ci, loin de le repousser, lui accorda ses faveurs... Le jeune Scythe, de retour au camp, y raconta son aventure, et le jour sui- vant, il revint avec un autre Scythe au même endroit, ou il trouva l’Amazone qui Vattendait avec une de ses compagnes. Les autres jeunes gens, instruits de cette aventure, apprivoisèrent ainsi le reste des Amazones, et ayant ensuite réuni les deux camps, ils demeurèrent ensemble, et chacun prit pour femme celle dont il avait eu d’abord les faveurs... De là vient que les femmes des Sauromates ont con- servé leurs anciennes coutumes : elles montent à cheval et vont à la chasse. tantôt seules et tantôt avec leurs maris.Elles les accompagnent aussi à la guerre et portent les mêmes habits qu'eux... » (1) Chanoine BERNADINO DE Souza: Para e Amazonas. \ (2) MeLronÈxe, Histoire d'Hérodote, livre IV, page 321. Edition Charpentier. nt « LE PAYS DES AMAZONES UI C'est donc la légende grecque qui a servi à Orellana, à Raleigh et au Père de Acuña pour édifier leur légende amazonienne. Ces fables s’étaient répandues jusque parmi les habitants le l’Ama- zonie, et De La Condamine (1) les propagea dans toute l'Europe au xvinº siècle. Il semble hors de doute aujourd'hui que les Amazones du Brésil n'ont jamais existé telles que les décrivent ces voyageurs anciens. Ce qui a pu donner lieu aux amplifications de Francisco de Orellana et de ceux qui l'ont suivi, c’est l'habitude qu'on conservée un grand nombre d'Indiennes d'accompagner les hommes à la guerre, de les exciter «u combat et même de prendre part aux attaques dirigées contre les peuplades rivales. Ces mœurs indiennes nous aident à mieux comprendre ce qu'étaient autrefois les femmes du Ther- modon. Dès 1774, Ribeiro de Sampaio faisait observer que les Muturicús, alors en hostilités ouvertes avec les centres de population fondés sur le Tocantins, emmenent leurs femmes à la guerre et que celles-ci, non seulement leur fournissent les flèches pendant le combat, mais essuient fort bien le feu mème des blancs. Les Otomacas en faisaient autant, avec cette différence que leurs femmes ramassaient les flèches ennemies, les empoisonnaient séance tenante, et les donnaient de nouveau à leurs maris pour qu'ils les lançassent contre l'ennemi. Il ajoutait finement que cette fable allait bien à l'esprit des Espagnols, si épris de merveilleux. Cependant, comme l'histoire cherche toujours à expliquer la légende, on soutient gravement, encore aujourd'hui, que les Ama- zones ont réellement existé, et on essaie d'en justifier l'existence ancienne au ‘moyen d'inscriptions lapidaires et du masque du Juru- pary. Le Jurupary, dont les Indiens actuels ont fait un mauvais génie, la (1) DE La Conpanise: Relation d'un Voyage dans l'intérieur de l'Amérique méridionale en descendant la rivière des Amazones. — Paris, 1743-1744. 12 LE PAYS DES AMAZONES personnification du diable, aurait été, dans les temps préhistoriques, un guerrier étranger venu; des Antilles sans doute, dans " Amazone. A l'embouchure de ce cours d’eau, il aurait commencé à se heurter à des bandes de femmes guerrières, qui lui auraient livré combat tout le long du fleuve. Les inscriptions que l’on voit encore aujourd’hui sur les pierres et les rochers, à l’époque de la baisse des eaux, notam- ment à l'embouchure de l'Oyapock ou rio de Vicente Pinzon (1), à Itacoatiara et dans le rio Negro, sont le récit, que nul n’a pu déchiffrer jusqu'ici, de ses victoires et de la défaite des Amazones. Dans sa course triomphante, le Jurupary parvint au haut rio Negro, après avoir entièrement détruit les Amazones. Les descendants de celles-ci adoptèrent comme symbole de leur terrible défaite la cuirasse du vainqueur qui, par une lente transformation, devint le masque sacré, que nulle femme indienne ne peut voir, sous peine de mort. C'est pourquoi, mème de nos jours, elles s'éloignent et gagnent les pro- fondeurs des forèts lorsque l’on exhibe l’ancien instrument de leur défaite (2). Voilà pour le nom. Venons à la chose. Quel fut Pheureux mortel qui, le premier, tenta sur un léger esquif de descendre ou de remonter le fleuve des Amazones? Quel est l'au- dacieux, emporté par le goût des aventures et par la soif de l'or, qui, se hasardant à pénétrer dans ce repaire de sauvages mangeurs d'hom- mes, comme on le croyait alors, découvrit le plus grand fleuve de la terre ? — Les annales de la géographie n’ont pas enregistré son nom. Bien avant Francisco de Orellana (1540), on connaissait, nous l’avons dit, d’une manière certaine, l’existence de la mer Douce ama- - zonienne. (1) Termo de vistoria que mandou fazer o capitão commandante Diogo Pinto da Gaia das pedras (esculpidas) do Monte d’Arjan (les montagnes d'Argent) que se acha na Bocca do rio de Vicente Pinzon, 1728 (man avec estamp. de la Bibl. Nat. de Rio). (2) F.-J. de Santa-Anna Nery : Folk-Lorrio Bresilien, Paris, 1880, librairie académi- que Didier, pag. 245 et suiv. LE PAYS DES AMAZONES 13 Les Français revendiquent pour eux la gloire de cette belle décou- verte (1). Cousin, disent-ils, partit de Dieppe au commencement de l’année 1488. Desceliers (2), qui fut pour lui ce que fut pour le Gênois Christophe Colomb le Florentin Paolo Toscanelli, lui avait recom- mandé, affirme-t-on, de ne pas serrer les côtes, comme avaient fait tous ses devanciers, et de se lancer hardiment au travers de l'Océan. Une fois parvenu dans l'Atlantique, Cousin aurait suivi ce conseil, et se serait trouvé bientôt entrainé par le courant équatorial, qui porte à l'Ouest, comme on sait. Après deux mois de navigation, il aurait abordé une terre inconnue, près de l'embouchure d'un fleuve immense. Les Mémoires de Dieppe n'hésitent pas à prononcer que cette terre inconnue était l'Amérique du Sud, et que ce fleuve immense était le fleuve des Amazones, auquel Cousin aurait donné le nom de Mara- gnon (3). Ce qu'il y a de certain, c'est que l'honneur de la première découverte authentique de ces régions revient à un Espagnol, Vicente Yañez Pinzon, l’un de ces trois frères qui aidèrent si puissamment Chris- tophe Colomb à organiser son premier voyage, et qui furent ses compagnons dans la grande entreprise. Vicente Yañez Pinzon eut le mérite inoubliable, non seulement de reconnaître, le premier, embouchure du grand fleuve et les côtes d'alentour, mais encore (1) Desmarquets : Mémoires chronologiques pour servir à l'histoire de Dieppe... Paris, 1785, 1 vol. in-12. —Estancelin : Recherches sur les voyages et découvertes des naviga- gateurs normands. Paris. 1832, 1 vol. in-8°. — Paul Gaffarel : Histoire du Brésil Fran- cais, Paris, 1878, 1 vol. in-8º, etc. (2) Les écrivains francais écrivent toujours Descaliers, et L. Vitet nous donne un résumé de la biographie de ce savant prêtre du xvi° siècle. Nous savons aujourd’hui, après la publication, en fac-simile, des mappemondes de Lord Crawford et du British Museum, qu'il s'appelait, en réalité, Pierre Desceliers. La deuxième mappemonde porte, en effet, cette inscription : « Faictes à Arques par Pierre Desceliers, presb. 1546. » ( « Bibliotheca Lindesiana, » Collations and Notes, nº IV. Fac-similes of Three Mappe- mondes, London, 1898). Nous avons déjà parlé des indications de deux de ces mappe- mondes. (3) L. Vitet : Histoire des anciennes villes de France, Première série : Haute-Norman- die, Dieppe, Paris, 1833, 2 vol. in-12, t. second, p. 56-57. 14 LE PAYS DES AMAZONES d'aborder au Brésil avant même que l’escadre portugaise, destinée aux Indes et placée sous lecommandement de Pedro Alvares Cabral, eût quitté le port de Lisbonne (g mars 1500). Vicente Pinzon, qui avait pris part à la découverte de l'Amérique, parcourut toute la côte septentrionale du Brésil, depuis le cap auquel il donna le nom de Santa-Maria-de-Consolacion, devenu aujourd’hui le cap de Santo- Agostinho (26 janvier 1500), jusqu’au cap qu'il désigna sous son pro- pre nom — Cap de San-Vicente — et que l'on eut la triste fantaisie de nommer cap d'Orange, sur la rive droite de l'Oyapock. Il recon- nut alors les bouches de l’'Amazone, qu'il baptisa du nom si bien trouvé de mer Douce (Mar Dulce), et longea le littoral sud-américain jusqu'au golfe de Pária, au Venezueia. Cet événement causa une telle sensation à l'époque que, peu après, la famille Pinzon obtenait des lettres de noblesse et des armes : trois caravelles cinglant l'Océan et un bras tendu vers une île inconnue — avec la fameuse devise, déjà prise par Colomb : A Castilla y a León Nuevo Mundo dio Pinzón. En la même année 1500, un autre Espagnol,Diego de Lepe,arrivait également au cap de Santo-Agostinho, visitait la côte brésilienne jus- qu’à la rivière San-Giano, qu'on suppose être le rio des Contas, et refaisait la route déjà parcourue par son compatriote Pinzon, en des- cendant vers le Nord, c'est-à-dire vers l’'Amazone. Peu après, Diego de Ordaz (1531), à qui Charles-Quint avait accordé le droit d'exploiter le pays légendaire du Dorado ; Lopez de Aguirre (1560), le meurtrier de Pedro de Ursua; Gonzalo Jiménez de Quesada (1569), gouverneur de Santa-Marta, en Colombie, qui donna à ces anciennes possessions espagnoles le nom de Nouvelle-Grenade, en souvenir de son pays d’origine ; Antonio de Berrio (1591), d’autres encore, parcoururent quelques-uns des affluents de l’Amazone, sans entrer dans le fleuve même. PET CNET LE PAYS DES AMAZONES ! | (On L'un de ces explorateurs mérite une mention spéciale : c'est un mineur portugais, qui, en 1567, découvrit à Huancavelica, dans le Pérou, un trésor inespéré, des gisements de mercure, dont onena extrait pour une somme de près d’un demi-milliard. La ville, appelée lors de sa fondation Villarica de Oropesa, est située à 3.798 mètres d'altitude « non loin des crêtes de la Cordillêre (1) qui sépare les deux versants : d'un côté le rio de Chincha, descendant au Pacifique, et de autre les torrents qui, par le Mantaro et l'Ucayali, vont à "Ama- zone. » Un siècle plus tard, Juan de Palacios descendit de Quito jusqu’au confluent du Napo. A cet endroit, il fut abandonné par une partie de . sa suite, et il navigua sur | Amazone, accompagné seulement de deux frères lais et d'une petite escorte. Parvenu au rio Negro, il fut mas- sacré par les naturels du pays. Ses compagnons sesauvèrent et furent assez heureux pour descendre jusqu'à l'embouchure de l’Amazone, à Belem. Le capitaine-général, Francisco Coelho de Carvalho, et le provedvr des finances royales, Jacome-Raymundo de Noronha, les accueillirent avec bonté. et résolurent d'organiser une expédition pour reconnaître tout le cours de " Amazone. Avant la fin de ce même siècle, Samuel Fritz et tant d’autres mis- sionnaires, jésuites, carmes et franciscains, ont visité toutes les tribus, suivi toutes les rivières, utilisé tous les portages, sans que le multiple réseau de ces itinéraires ait été conservé, leurs pas s'effacant comme s'efface le sillage des navires dans l'Océan, selon l'heureuse expres- sion de Reclus. L'échec de Juan de Palacios, dont, nous l'avons vu, les compagnons survivants étaient arrivés à Belem, eut du moins un avantage: il décida le fameux voyage du capitaine Pedro Teixeira, voyage qui constitue une date glorieuse dans les fastes des découvertes géographi- ques, et qui est dû aux efforts intelligents de Coelho de Carvalho et de Raymundo de Noronha. (1) Elisée Reclus : Nouvelle géographie universelle, tom. XVIII, p. 597. 10 LE PAYS DES AMAZONES Les deux fonctionnaires portugais ne négligèrent rien pour mener l’entreprise à bonne fin. Ils se multiplièrent avec l’activité qui carac- térisait alors ce peuple admirable. Lorsque tout fut prêt, Pedro Teixeira choisit ses collaborateurs. Il s'adjoignit Pedro Bayão de Abreu, Pedro da Costa Favella, Bento Rodrigues de Oliveira et Bento de Mattos Cotrim, tous hommes experts dans l’art de la navi- gation et d'un courage à toute épreuve. L'escorte se composait de 7o soldats et de 000 Indiens soumis. Le 8 octobre 1637, ces mille Argonautes partirent de Cametá, ville de la province de Pará. . Après des aventures épiques, qui font pâlir les récits les plus fan- taisistes de nos pseudo-voyageurs modernes, ilsatteignirent Payamina, d'où ils partirent par terre à destination de Quito. Ils y arrivèrent le 20 octobre 1638, après plus d'un an de voyage. Ils avaient traversé l'Amérique du Sud de l’Est à l'Ouest, de l'Atlantique au Pacifique. A cette époque, le Portugal était sous la domination espagnole. Aussi ces héroïques Portugais, sujets malgré eux du beau-père de Louis XIV, furent-ils accueillis à Quito avec les plus grandes mar- ques d'honneur. Le vice-roi de cette contrée, le comte de Chinchon, dont la femme eut la gloire d'attacher son nom au quinquina, les recut à bras ouverts comme de véritables compatriotes. Pedro Teixeira repartit bientôt pour Belem, emmenant avec lui deux savants religieux : le recteur de Cuenca, Christophe de Acuña, qui, comme nous venons de le voir, s’est fait l'historien de ce voyage, et André d'Artieda, professeur de théologie à Quito. Arrivé à Pem- bouchure du Napo, Teixeira fit dresser un monumenten bois en sou- venir de son passage. L'expédition était de retour à Belem le 12 décem- bre 1639. Elle avait duré 26 mois. Teixeira eut des émules. o Des aventuriers de tous les pays cherchèrent à pénétrer, après lui, dans les régions mystérieuses où [or sortait de terre comme par magie, d’après la tradition. LE PAYS DES AMAZONES 17 D'Espagne on vit arriver avec trois navires Pedro da Silva et Serpa. Tous deux périrent à l'embouchure de "Orénoque, avant de toucher à la terre promise. Leur insuccès ne découragea pas les chercheurs de l'El-Dorado, pas plus que les mésaventures de Raleigh n'arrêtê- rent les entreprises des avides Européens. Raleigh, après avoir, pendant de longues années, cherché en vain fortune dans l’Amazo- nie, laissa sa tête à la justice espagnole, qui l’avait demandée et obtenue de Jacques 1° d'Angleterre. Il avait auparavant perdu son fils à la peine. Au xvnº siècle, les Hollandais se présentèrent à leur tour. Dès 1625, ils avaient établi une ville forte, Marin-uassú, la grande ville, comme l’appelaient les Indiens, entre les rivières Pery et Acaixy, affluents du Xingú, qui lui-même se jette dans l'estuaire de l’Amazone. Cette situation permettait à ce peuple d'entreprendre des excursions sur l'Amazone. Le Père Roch Hunderpfundt y entra par le Xingú, au milieu du xvu° siècle. En 1741, Hortsmann partit de Paramaribo, - dans la Guyane néerlandaise, et arriva par le rio Branco jusqu’à Belem de Pará. Ces voyages partiels avaient au moins l'avantage de faire connaître quelques-uns des grands affluents de l’Amazone. Le Portugal se fit bientôt le gardien jaloux de son beau fleuve et de sa riche contrée. Il interdit la navigation de ce cours d’eau à tous les peuples. Ce n’est 1 qu'en 1867, que le Brésil, aprês une brillante campagne menée par M. Tavares Bastos, ouvrit "| Amazone à toutes les nations amies. Lors de la publication de notre première édition, nous terminions Ca: à cette rapide nomenclature des voyages d'exploration sur l’Amazone, en faisant allusion à l’excursion que fit sur le Xingú, en 1842-1843, le prince Adalbert de Prusse avec le comte Oriola et le comte de Bismarck. Ajoutant foi à l’opinion courante au Brésil, dont M. Se- veriano da Fonseca s’est fait l'écho dans son Voyage autour du 9 18 LE PAYS DES AMAZONES Brésil (1), nous avons dit que le jeune compagnon du prince prussien était le futur chancelier de fer en personne. Depuis, nous avons lu le voyage du prince Adalbert (2), traduit en anglais par sir Robert H. Schomburgk et John Edward Taylor, et nous pouvons affirmer que le voyageur de 1842-43 n'était pas le grand Bismarck, mais un | de ses parents. Nous trouvons inutile de rappeler ici les voyages et les travaux du comte de Pagan (1655), du Pere Manuel Rodriguez (1684), du Pêre Samuel Fritz(1717),de don Juan de Ulloa (1752), de Humboldt (1799), de Spix et Martius (1817-20), de L. Maw (1828), de E. Pceppig (1832), de W. Smyth et F. Lowe (1835), de W. H. Edwards (1846), de G. Osculati (1847-48), de A. R. Wallace (1848-49), de H. W. Bates | (1848-59), de Paul Marcoy (1848-60), du -comte de Castelnau (1850-1851), de R. Avé-Lallemant (1859), de Morrize-Barras (1864), de Louis Agassiz (1866-66), de W. Chandless (1865-70); de J. Orton (1867); de Keller-Leuzinger (1874), de Rafael Reyes (1876), de Charles Wiéner (1879-82), de Jules Crevaux (1878-80), du Père Illuminato Giuseppe Coppi (1885), de Henri Coudreau (1883-85), de E. Stradelli (1889) et de Son Altesse Royale la Princesse Thérêse de | Bavière, membre honoraire de l’Académie des Sciences de Munich, | dont le voyage, fait en 1888, constitue un récit scientifique du plus haut intérêt. Dans le cours de ce livre on en appréciera les résultats. Mais, dès ce moment, nous tenons à rappeler que, toujours et partout, ces voyageurs ont été précédés et éclairés par un grand nombre de Brésiliens et de Portugais, et, si tant d’étrangers ont été à l'honneur, il est bon de ne pas oublier que les nôtres avant eux avaient été à la peine. (1) Dr. João Severiano da Fonseca : Viagem ao redor do Brazil, Rio de Janeiro, 1880, 10 vol., pag. 83. (2) Travels of His Royal Highness Prince Adalbert of Prussia,in the South of Europa and in Brazil, with a voyage up the Amazon and the Xingú, translated by sir Robert H Schomburgk and John Edward Taylor, 2 vol. London, David Bogue, 1849. “XNBAp HOAIISIH np ney np ostd “sopuvIy op 2NA — "T CHAPITRE II Situation géographique. — Etendue, limites, configuration. — Avantages géné- raux de cette situation géographique. — Comment on accède à l'Etat de l’Amazone. — Voyage de Belem à Manãos. — Nouveaux cieux, nouvelles terres.— Parintins et Itäcoatiàra. — Le rio Negro. — Arrivée à Manãos. Depuis quelque temps on a coutume de donner le nom d'Amazonie à la région septentrionale et orientale du Brésil, baignée par le fleuve des Amazones, et composée des deux Etats de Pará, capitale Belem, et de l’Amazonas, capitale Manãos. L'Amazonie est bornée par l'Océan Atlantique, par les trois Guyanes — néerlandaise, britannique et française — par le Venezuela et la Colombie, par les Républiques de l’Equateur, du Pérou et de Bolivie. Ainsi entourée de cinq Etats indépendants et des trois Guyanes, l'Amazonie mesure 3,044,732 kilomètres carrés. Elle est près de six fois aussi vaste que la France (528,876 k. c.) et que l'empire d'Alle- magne (540,483 k. c.), et le petit royaume de Belgique (29,457 k. c.) tiendrait 183 fois dans son périmètre. Elle égale donc presque le tiers du continent européen, dont l'étendue est, comme l'on sait, de 10 millions de kilomètres carrés. L'Etat de l’Amazone (Estado do Amazonas) est le plus vaste des vingt Etats qui composent "Union brésilienne. Il s'étend, au nord, jusqu’à 5°10 de latitude, et, au sud, il atteint le 10° parallèle. Il part, à l'est, du 59º grand cercle, et aboutit, à l’ouest, au 75º. Il mesure donc 360 lieues du nord au sud, et 300 de l’est à l’ouest. Sa superficie totale est de 1,897,020 kilomètres carrés. Il est, par conséquent, trois 22 LE PAYS DES AMAZONES fois et demie plus grand que la France, et il constitue à lui seul plus du cinquième de la superficie totale du Brésil. Sa forme est celle d'un pentagone irrégulier. L'Etat de "Amazone est borné : au nord par la Guyane britan- nique, par le Venezuela et la Colombie ; au sud par la Bolivie et l'Etat brésilien de Matto-Grosso ; à l’est, par l'Etat brésilien de Parà et la Guyane néerlandaise; à l’ouest par les Républiques de l’Equateur et du Pérou. Cette situation privilégiée fait de l’État de l’'Amazone comme un centre naturel de communications, entre le reste du Brésil et la plupart des États néo-espagnols de l'Amérique du Sud. Par l'État brésilien de Matto-Grosso, l'Amazone se relie au grand bassin de la Plata, car, près de Villa-Bella, les sources du Guaporé, bras principal du Madeira, sont à peine éloignées de quelques cen- taines de mètres des petites rivières Aguapehy et Estiva, qui se jettent dans le Jaurú, bras considérable du Paraguay, de sorte que, au moyen d'un petit canal, que les Portuguais ont tenté d'établir au xvirre siècle, de légères embarcations à fond plat pourraient passer de l’un à l’autre, et effectueraient ainsi le plus étonnant des voyages, en allant de l'embouchure de la Plata à celle de l’Amazone par V'inté- rieur des terres (1). Par l’Equateur et le Pérou, il entre en contact avec l'Océan Pacifique. Par la Colombie, il se trouve en communication avec l’isthme de Panama. Par le Cassiquiare, il peut déboucher près de la mer des Antilles, après avoir parcouru l'Orénoque. Enfin, par le beau fleuve qui le traverse, il a une sortie du côté dé l'Océan Atlantique. Rappeler toutes ces choses, c'est rappeler du même coup l’avenir (1) Le Brésil en 1889, Paris, 1889, p. 25. à Fr œ | LE PAYS DES AMAZONES 2 de cette région exceptionnelle qui n’attend plus que le commerce et l'industrie du monde entier pour devenir ce que les anciens avaient ? rêvé : l’El-Dorado où coulent des flots d’or. 4 Quand on remonte du sud au nord les 6,600 kilometres du littoral maritime du Brésil, on rencontre, à l'extrémité de la courbe dessinée par ces côtes, presque sous l’équateur, une dépression profonde, une sorte de solution de continuité entre les rivages. C'est le grand estuaire de l’Amazone. « On a donné le nom de Rio Parà à cet énorme estuaire, qui s'étend depuis la baie de Marajó jusqu'à l'Océan Atlantique, sur un espace de 330 kllomètres, et qui est formé par le Tocantins, enrichi des eaux des rivières Moju et Guajará. » Pénétrons dans l’État de l'Amazone, en remontant le cours du beau fleuve qui lui a donné, avec son nom, l’inépuisable fertilité de son sol. Nous pouvons partir indifféremment de Liverpool, du Havre, de Gênes, de Marseille, de Barcelone ou de Lisbonne, car les lignes anglaises qui ont leur port d'attache à Liverpool font escale au Havre, à Lisbonne et à Madère, et la ligne italienne, qui part de Gênes, fait escale à Marseille, au Maroc, à Lisbonne et aux Acores. Sans quitter notre paquebot, nous pourrions aller jusqu'à Manàos. Mais nous cherchons à faire ample connaissance avec le pays; nous voulons jouir du pittoresque de ces merveilleuses régions, et arrivés à Belem, capitale de l’État de Parà, nous laissons notre steamer européen pour pouvoir faire escale dans tous les petits ports qui s'échelonnent sur > les rives amazoniennes. Après avoir pris place sur l’un des nombreux paquebots de l’Ama- zon Steam Navigation Company, Limited, nous nous installons à bord le plus confortablement possible. Comme la chaleur est intense, = chacun déserte les cabines, où l’on étoufferait sans rien voir, et fixe son hamac sur la dunette ou sur le pont, où tout est préparé pour les suspendre aisément. Nous sommes, si vous le voulez, au mois de 24 LE PAYS DES AMAZONES mars, en plein hiver des tropiques. Nous n'avons guère à subir que 28 degrés centigrades, tempérés, d’ailleurs, par de fraîches brises qui descendent des forêts ou qui viennent de la mer, rendant la tempé- rature tout à fait délicieuse pendant la nuit et pendant les pre- mières heures de la matinée. Le fleuve est dans toute sa splendeur; ses eaux grossies le font ressembler à un lac immense. Sans craindre l'importunité des moustiques, qui ne sévissent guère dans cette saison, nous pouvons nous abandonner, dans un farniente enchanteur, à la contemplation tranquille du spectacle merveilleux qui se déroule sous nos yeux. Le navire nous promène à travers des éblouissements dont PEu- ropéen n’a pas la moindre idée. Il semble que l’on pénètre dans les mystères de la nature, et que des terres nouvelles, aussi belles que les cieux, se révèlent à chaque instant. Malgré nous, nous répétons les paroles écrites par Amerigo Vespucci en 1504: « E se nel mondo é alcun paradiso terrestre, senza dubbio dee esser non molto lontano da questi luoghi. — Et, s’il y a un paradis terrestre en ce bas monde, sans aucun doute il doit être situé pas bien loin de ces sites (1) ». Des forêts profondes s'étendent au loin; des palmiers, tantôt isolés, tantôt massés en assez grand nombre, étoilent de leurs feuillages sombres l’ardente sérénité du ciel bleu. Les rives sont bordées d’une puissante végétation qui encadre de noir la masse grisâtre des eaux. Ca et là, dans une éclaircie de verdure, une construction rustique arrête le regard : c’est le sitio du sertão amazonien, la demeure perdue des hommes qui se livrent à la culture du cacaoyer et de la canne à sucre, ou bien qui s'adonnent à l’exploitation des essences forestières. Un grand nombre d’entre elles ne sont plus couvertes de chaume misérable comme autrefois: leurs toits de tuiles rouges brillent au soleil; il en est au faîtage de zinc. A quelques pas de ces maisons, des troupes d'enfants, tout nus ou à peine vêtus d’une (1) Le Brésil en 1889, page 107. LE PAYS DES AMAZONES 12 Ut | longue chemise d’indienne, jouent sur la plage au sable étincelant et fin. Quelques montarias et quelques igarités, les embarcations de ces parages, sont amarrées dans un repli du fleuve. Nous passons, sans nous y arrêter, en vue de quelques villages ; nous laissons Bôa-Vista et Curralinho à notre droite. Après treize heures d’une navigation ininterrompue, nous stoppons en face de l’île de Breves, à 150 mille de notre point de départ. Breves semble au- jourd'hui une pauvre bourgade en décadence. Autrefois, les naturels de la contrée se livraient à une industrie assez lucrative et fort curieuse : leurs poteries, d'une forme et d'une ornementation três originales, étaient estimées de tous les amateurs, et la civilisation n’a rien appris, en fait de céramique, à ces habiles ouvriers qui, au contraire, ne par- viennent plus à faire des vases aussi parfaits que ceux qu'ils fabri- quaient autrefois. Après quelque temps employé à faire du combustible, nous repre- nons notre route. Le bateau à vapeur voyage maintenant sur un bras étroit de l’'Amazone. Sur la gauche du fleuve et, par conséquent, à la droite du touriste qui le remonte, les îles se succèdent avec une admirable variété. On passe près des îles de l’Aturia, du Mucujubim, du Jabirú, du Boiossù, du Monsaràs, du Mutum-quara, du Limão, de l’Ituquära, du Juruty et du Pucuruhy. Au bout de douze heures de traversée, on arrive à Gurupá, l'ancien Mariocay, à 102 milles de Breves, sur la rive droite du grand fleuve. Nous entrons maintenant dans le véritable bras de l’Amazone, et nous nous trouvons au confluent du Xingu. Cette rivière, que le prince Adalbert de Prusse, accompagné des comtes Oriola et Bismarck, a explorée en partie, et que trois voyageurs allemands {1) ont étudiée avec soin toutrécemment, recoit sur sarive droite 14 affluents et 16 sur sarive gauche. « Le Xingu, dit Ferreira Penna, naïtà 1 5°delatitude sud. Son principal affluent ou confluent (car tous les récits le représentent (1) MM. Charles et Guillaume von den Steinen et Othon Clauss, dont les ouvrages ont paru, en 1886 et 1894, chez Brockhaus à Leipzig, et chez Hæœfer à Berlin. 26 LE PAYS DES AMAZONES comme égal au Xingü), c'est l'Iriri. Il coule du sud au nord ; il s'élar- git souvent dans son cours supérieur et dans son cours moyen, ressemblant à un lac peuplé d'innombrables îlots. Quand il reçoit l'Iriri, il change rapidement son cours. formant ainsi une grande courbe. Au commencement de cette ligne, le Xingu se replie pour ainsi dire sur lui-même en tournant vers le sud-est, et il y forme un lac si large que le prince Adalbert l'a comparé à la mer. Puis il change son cours vers le nord et l’ouest jusqu’au moment où il atteint à peu près sa longitude primitive, poursuivant sa route vers l'Amazone. » ‘ Nous n'entrons pas dans le Xingu pour voir Porto-de-Moz, situé sur sa rive droite, à 12 milles de l'embouchure de cette rivière ; mais nous faisons escale à Prainha — la petite plage — joli bourg sur la gauche de l’Amazone, à 123 milles de Gurupà. Le climat y est excel- lent et le site des plus agréables. Mais il est en décadence, les habitants préférant s'enfoncer dans les mattas à la recherche des produits forestiers. Après Prainha, le panorama se transforme. L'Amazone ne tarde pas à prendre un cours régulier. Il s'étend à perte de vue sous les yeux émerveillés du voyageur. Nous sommes en route depuis moins de trois jours et nous touchons à Monte-Alegre — le Mont-Joyeux — qui mérite vraiment son nom. Le bourg est élevé de 300 mètres au-des- sus du niveau du fleuve, et s'étage sur le versant d’une colline. Tout près se dresse la serra de PEreré et coulent le lac Macurú et la rivière Gurupatüba. Monte-Alegre est l’un des sites les plus sains et les plus pittoresques de cette région. Bientôt nous apercevons le Tapajoz, dont le nom est, dit-on, une corruption des mots tapayü-paranà des indigènes, ou des mots tapanhon-hù des Indiens Mundurucüs. Quelques naturels de ces parages l’appellent encore Paranà-pixüna, rivière noire, à cause de la couleur de ses eaux. En réalité, cette couleur n'est guère plus foncée qu'une infusion de thé, mais la profondeur des eaux les fait paraître LE PAYS DES AMAZONES 27 d e ea “autrement brunes. Rien n'est plus curieux que de voir la lutte de ses - eaux contre les flots de l'Amazone. Après avoir rencontré les ondes grisâtres du grand fleuve, sa longue traînée noire ne se mêle aux eaux de son suzerain et ne disparaît tout à fait qu’à plusieurs kilo- mètres de son embouchure. Le Tapajoz est formé par la réunion de Arinos et du Juruena et a ses sources dans les champs des Parecis, à Matto-Grosso. Son cours est de 1.300 kilomètres, mais il est encombré de nombreuses cata- | ractes. Bien que sa largeur soit de 16 à 20 kilomètres, au moment où fi “nous le voyons à Santarem, il n’a plus que deux kilomètres et demi de large. A 60 milles environ de Monte-Alegre, nous rencontrons, sur la rive droite du Tapajoz, Santarem, ancien village des Indiens Tapajoz. La ville date du commencement du xvi siècle. Elle apparaît élé- gante et jolie avec sa belle plage argentée qui lui donne, de loin, l'aspect d'une station balnéaire. Elle compte de 5,000 à 6,000 habi- “tants, quoique ces chiffres soient sujets à caution. Le climat y est bon “et les terres fertiles. Les forêts qui l'avoisinent fournissent en abon- dance la noix du Brésil (Bertholletia excelsa), l'huile de copahu, la vanille et d’autres produits forestiers précieux. Son commerce est assez étendu. Il consiste principalement en poisson, en bétail et en cacao. C'est la ville la plus considérable de l’État de Pará, après Belem, la capitale. Santarem se donne des airs de grande ville; la civilisation y est assez avancée : on y lit des journaux politiques. Quittons Santarem, en laissant deux îles, dont une considérable, à notre droite. Le fleuve se resserre. Nous poursuivons notre voyage en passant près de l'embouchure du grand lac de Villa-Franca, qui est considéré comme le plus profond de l’Amazone. Les hameaux deviennent moins rares; ils se succèdent à des intervalles plus rapprochés. On remarque un certain nombre de maisons rustiques construites sur pilotis, par précaution contre les grandes crues du fleuve. Ce sont les palafittes de ces régions. 28 LE PAYS DES AMAZONES Dix heures après notre départ de Santarem, nous arrivons à Obidos, à 1.400 kilomètres de Belem. La marée s'y fait encore sentir à cette distance de la mer. Obidos estun ancien village des Indiens Epauches ou Epauaches, que les Brésiliens appellent aujourd’hui Pauxis ou Pauchis (1). Il remonte au xvir siècle. C’est maintenant une petite ville sans animation, assise sur un promontoire escarpé de la rive gauche de l’Amazone. Sur la pointe de cet escarpement se dresse la citadelle, qui devrait être la clef du cours supérieur de l’Amazone, mais qui dans l’état actuel ne sert absolument à rien. La ville d'Obidos est la dernière de l'Etat de Para, que nous quittons pour entrer sur le territoire de l'Etat de l’Amazone. C'est en cet endroit que l'Amazone est le plus étroit — 1,892 mètres — quoique encore très profond — 75 mètres. Après avoir passé près de la rivière Jamundã ou Nhamundà — le Cunuriz ou rivière des femmes, de C. de Acuña, où Francisco de Orellana prétend avoir vu les Amazones, et qui aujourd’hui sert de limite aux deux grands États de l’'Amazonie, — nous laissons au loin la serra de Parintins et nous abordons à la ville de ce nom. Parintins est le premier centre de population appartenant à l'État de l’Amazone, que l’on rencontre en remontant le fleuve. Au temps de la domination portugaise, ce bourg (villa, comme on dit en por- tugais) s'appelait pompeusement Villa-Nova-da-Rainha. Après Pin- dépendance du Brésil, il prit le nom plus solennel encore de Villa- Bella-da-Imperatriz ; et enfin celui sous lequel nous le désignons actuellement. Parintins est un gros bourg gracieux, situé sur la rive droite de l’'Amazone et sur la rive gauche du Maués qui sort de la grande rivière Madeira. Vers la fin du xviu* siècle, en 1706, le capitaine (1) Le D' von Martius prétend, cependant, que ce nom n'est pas tupi, et qu’il n’y a pas eu de tribu de ce nom. L’appellation viendrait du nom d'un oiseau du pays (Crax tube- rosa!, du genre mutúm (hocco). LE PAYS DES AMAZONES 29 José Pedro Cordovil fonda en cet endroit un campement d'Indiens des tribus des Maués et des Sapopés. Quelques années après, un carme, le Père José das Chagas, y alla en mission et convertit les tribus soumises, auxquelles bientôt s'adjoignirent des colons blancs. 3. — Vue de Parintins. Par sa position géographique, Parintins est destiné à devenir un centre commercial d'une grande importance. En effet, ses communi- cations sont d'une extrême facilité, soit avec les autres villes et bourgs des rives de l’Amazone, soit avec le Madeira et avec le bourg de Maués (l’ancienne Lusea), situé dans l’île de Tupinambaräna. Les habitants de Parintins se livrent au commerce du cacao, du tabac, qui y est d’une qualité hors ligne, du guarana, du roucou, de l’huile de copahu, du poisson sec piraracú, sans parler du caoutchouc. Pendant l'exercice 1895-06, le bureau de perception de Parintins (Meça de Rendas) a enregistré une exportation de 504,228 k. de cacao, d’une 30 LE PAYS DES AMAZONES valeur officielle de 424 contos; de 169,782 k. de piraracü sec, d'une valeur officielle de 146 contos ; de 4,086 k. de guarana, d’une valeur de 40 contos et d’autres produits, le tout d'une valeur officielle de plus de 635 contos ou millions de réis (1). Toutes ces richesses se dé- cupleraient bien vite si des bras en assez grand nombre venaient les exploiter et si les capitaux se présentaient pour les faire fructifier. A quelques heures de Parintins, mais sur l’autre rive du fleuve, on trouve Urucurituba, petit village où les seringueiros, les extrac- teurs de caoutchouc, et les planteurs de cacao des environs vont faire leurs approvisionnements. Ce nom d’Urucuritüba (urucuri, le pal- mier Attaleae species ; tuba, endroit abondant : le site de "Urucuri), était celui d'une grande île qui exista en ces parages, au milieu du fleuve, et qui fut submergée vers 1840; en 1850, elle n'existait déjà plus. C’est un phénomène qui se reproduit fréquemment dans ces” régions : des iles surgissent et disparaissent comme par enchantement. | Le fleuve, comme le personnage de la fable, dévore ses enfants. A mesure que l'on s'enfonce dans le haut Amazone, l'intérêt s'accroît, la nature s’élève en grandiose. Les cypéracées aux longs rhizomes se multiplient et enchevêtrent leurs racines comme des en- roulements de serpents, tandis que des loranthes et des cuscutes des- cendent des hautes branches des arbres commeune chevelure flottante. Les canarânas etles murys envahissent le fleuve, se répandent comme des coulées de verdure jusqu’au milieu de ses eaux, et, sur ces minces îles flottantes, se développent des pépinières d'arbustes dont le vent a semé les graines. Des arbres géants, des bignoniacées, des mimosées, des guttifères, des myrtacées, des aristoloches, des apocynées, se penchent sur le fleuve ou laissent pendre entre les fourches de leurs” branches des nids de japys ou chechéos {Oriolus) ressemblant à des bourses qui auraient près d'un mètre de long. Une infinité d'oiseaux (1) La valeur du papier-monnaie brésilien est déterminée par le change, qui varie constamment. Au pair, le milréis vaut 27 pence ou deniers anglais, et 1 franc vaut : 350 réis. Par conséquent, au change pair, le conto ou million de réis vaut un peu plus de 2.857 trancs. LE PAYS DES AMAZONES 31 “au plus éclatant plumage — des aras, des perroquets etdes perruches - de toute espèce, des cujubys (Penelope cumanensis), des inambüs (Crypturus), des aracuans (Ortalida motmot), des mutuns (Crax), des toucans (Rhamphastos discolorus), — déposent leurs vives cou- leurs sur le sombre feuillage des bois, tandis que sur les plages le n agoary ‘Ardea maguari), le socó (Ardea brasiliensis), "ema (Rhea americana), l'ibis rose (Ibis rubra) regardent étonnés, et quele cararà — (Colymbus ludovicianus) et le patury (Anas brasiliensis) font le plon- geon à côté de l’aguapéaçôca (Parra Jaçana) qui court sur les nym- - phéacées en compagnie de la saracüra (Gallinula plumbea). Les - ciganas (Opistocomus) jettent leurs crisstridents dans les profondeurs de ces solitudes, et l’unicorne (Palamedea cornuta) vole par bandes à l'horizon lointain. ….tage Borba, ancienne bourgade du Trocano, placée sur le bord oriental du Madeira aux eaux grisátres etqui fut longtemps le centre d'un commerce suivi avec Matto-Grosso. Nous allons jeter l’ancre à Itàcoa- tiära, sur la rive gauche de l'Amazone, à 130 milles de Parintins, fondé au milieu du xvin* siècle, en 1759. La bourgade, composée des restes du village des Indiens Abacaxis, venus du bord oriental du bitants primitifs de ces contrées, peut-être aux guerriers du Jura- WE dont nous avons parlé. Plus tard, le nom indigène d’Itàcoatiàra “de distance du confluent du rio Negro avec l’'Amazone. Le +, 32 LE PAYS DES AMAZONES jour où le chemin de fer « Madeira-Mamoré », rêvé depuis si long- temps, sera construit, Itâcoatiara sera l’escale obligée de tous les navires venant du point de départ de cette voie ferrée. En 1895-06, ltacoatiàra a exporté des produits pour une valeur off- cielle de près de 371 contos de réis, soit : 137,234 k. de cacao, d'une valeur de 109 contos; 91,846 k. de piraracú sec, d'une valeur de So contos; 12,733 k. de caoutchouc, d'une valeur de 77 contos, et d’autres produits (huile de copahu, fèves Tonka, guarana, toucas, peaux de cerf, salsepareille, etc.) pour une valeur de 105 contos ou millions de réis. Uu peu au-dessus de cette localité, en remontant le fleuve, un Amé- ricain du Nord, M. Stone, s’est établi depuis une vingtaine d'années comme pour montrer ce que l'énergie et l’activité d'un homme peuvent faire dans ces régions trop peu connues qui n'attendent que la culture. La maison bâtie par ce rude pionnier est entourée de beaux ombrages; le bétail pait dans les prairies, et des plantations variées fournissent au propriétaire une belle source de revenus. Tout ce pays-ci, d’ailleurs, est d'une fécondité sans pareille et se prête admirablement à la culture du coton, du café, de Pindigo, du manioc. du cacao, et à [extraction des essences et des résines et baumes qui se trouvent à l’état sauvage dans les forêts voisines. A dix heures d'Itacoatiára, se présente l'embouchure du rio Negro, dont les flots sont encore plus noirs que ceux du Tapajoz. A partir de cet endroit, l'Amazone perd son nom et prend celui de Solimões, emprunté à une ancienne tribu d'Indiens — les Sorimôes — qui habitaient jadis sur ses rives, et dont quelques survivants languissaient encore à Alvellos en 1774, lors du voyage de l’ouvidor Francisco- Xavier Ribeiro de Sampaio. Rien n’est plus curieux que d'assister à la lutte des flots noirs du rio Negro avec les eaux grisâtres de Amazone. Tout de suite après, nous débarquons à Manãos, capitale de l'État de "Amazone. Notre traversée de Belem à Manãos a duré six jours | | * les transatlantiques venus d'Europe n'en mettent guère que quatre), et nous avons fait près de mille milles — exactement 927 — sur le us grand et le plus beau fleuve du monde. ne - sa _ Maintenant que le lecteur est introduit dans la vallée de | Amazone, * ous allons lui en décrire les particularités géographiques, géolo- jiques et climatériques. ÿ UV CHAPITRE: II Le bassin de l’'Amazone. — Son développement, masse de ses eaux. —Ses sour- ces. Ses affluents. — La navigabilité de l'Amazone. — Ses principaux affluents : le Madeira et sa vallée ; le rio Negro. — Le haut Amazone ou Solimões, — Le Purús et ses affluents; le Juruá; je Jutahy et le Javary. — Les Portugais sur le rio Negro et au Cassiquiare ; la rio Branco; l’Icà. — L'Amazone et les Andes. La vallée de |" Amazone renferme le plus vaste bassin fluvial du monde entier. Sa superficie était évaluée, sur des données assez peu précises, à 4 millions de kilomètres carrés. Maury en avait estimé l'étendue à 2.048.480 milles carrés, et M. E. Reclus à 5.594.000 kil. carrés. Le Docteur Alois Bludau, frappé de la différence des chiffres présentés jusqu'ici, a entrepris naguère de nouveaux calculs. D'après lui, le bassin de l'Amazone avec le Tocantins — mais à l'exclusion du Cuyuni, de PEssequibo, du Corentyne, du Maroni et de "Oyapock, formant une aire de 190.500 milles carrés — a une superficie de 2.722.000 milles carrés. , . Ces chiffres parleront davantage si nous les comparons à ceux que fournissent les plus importants bassins de l’Amérique, d’après le docteur A. Bludau : Le bassin de l'Amazone avec le Tocantins seulement a... 2.722.000 m,. c, — du Mississipi, avec l'Ohio, le Saint-Louis, le Missouri, l'Arkansas, etc. . 1.253.000 — dela Plata avec l'Uruguay. 1.198.000 —V de lOTÉNOQUE a e SD pa ENCRES 364.500 Le bassin de l’'Amazone est donc, à lui seul, sensiblement égal à celui du Mississipi, de la Plata et de l’Orénoque réunis. La masse de ses eaux est extraordinairement considérable. Martius a estimé que l’eau qui s'en écoule est de 499.584 pieds cubes par seconde, et qu’à son embouchure — d'une largeur de 158 milles — il verse dans l'Atlantique, en une heure, 250 millions de mètres cubes d’eau, avec une vitesse de 3 milles. Le Mississipi, dit E. Reclus, roule de quatre à cinq fois moins d’eau et de boue ; et,d’après le même géographe, nul fleuve n'apporte autant d’alluvions dans l'Océan, l'énorme quantité de débris qu'il y charrie pouvant être évaluée au moins à un solide d'une superficie de 110 kilomètres carrés sur une épaisseur de ro mètres. Quelque considérable que soit la masse de ses eaux, les crues annuelles la portent à une quantité beaucoup plus élevée. On peut donc à bon droit considérer l’Amazone comme un véritable Océan d’eau douce (le Rio-Mar, Fleuve-Mer des Brésiliens, la Mar Dulce, Mer Douce de Pinzon), parsemé d'ilots flottants et d'îles immenses, comme celle de Marajó, à l'embouchure même du fleuve, qui a 5.328 kilomètres carrés de superficie et est incomparablement plus grande que les Açores, Madère, Héligoland et Malte réunis, — l'île de Tupinambarána, qui a 2.453 kilomètres carrés d'étendue et est presque aussi vaste que le grand-duché du Luxembourg (2.587 kilo- mètres carrés). Nous allons voir où naît ce géant. Nous sommes dans les hautes régions du Pérou, de ce décevant Birú des légendes d’or, entre les Andes et la Cordillère. Les Andes — naguère encore Elisée Reclus l’expliquait (1) — cons- tituent la saillie orientale du grand plateau, entre le noud de Pasto, au sud de la Colombie, et celui de Cochabamba, dans la Bolivie méridionale. La saillie occidentale constitue plus spécialement la Cor- dillère, la chaîne, que les Espagnols, venant de la mer, désignèrent (1) Elisée Reclus : Nouvelle géographie Universelle, tom. XVII, 36 LE PAYS DES AMAZONES par cette expression comme le « cordonnet » qui borde le continent du nord au sud. Là se dresse un cirque. Au fond de ce cirque, que dominent, comme des spectateurs immobiles, des escarpements schisteux, s'épand un lac de quelques 5 kilomètres de largeur. C'est l'ancien lac Yauri-Cocha, devenu aujourd’hui le Lauri-Cocha. C'est là que prend naissance le prodigieux Amazone. Il n'y porte pas encore ce nom sonore. Il y est connu sous le vocable espagnol de haut Marañon (Maranhão, en langue portugaise). Jadis, on l’y appelait Tunguragua. D'abord ruisseau modeste, il descend humblement les pentes mon- tagneuses, disparaissant çà et là pour reparaitre plus loin, déjà ren- forcé par des ruisselets innommés qui sortent, à leur tour, de toutes les gorges latérales. Peu à peu, dans cette course, il reçoit, à droite et à gauche, des cours d’eau, plus ou moins abondants, et, grossi par eux, il traverse des « pongos » ou « portes », dont le plus célèbre est le Pongo de Manseriche. De ces cours d’eau, un seul mérite une mention, car il paraît destiné à devenir le principal chemin entre la baie de Guayaquil et les bords de "Amazone, dans un avenir plus rap- proché peut-être qu’on ne le suppose. C’est le Paute, Santiago ou Canusa-Yaco. « Qu'un chemin de fer franchisse les montagnes de | Ecuador méri- dional, de la côte du Pacifique à la tête de la navigation sur le Paute ou le Zamora, et l’on pourra en une semaine traverser le continent de art en part à la descente de l’Amazone. » P P Le fleuve, sortant des Andes péruviennes, traverse l'Amérique méridionale de l'Ouest à l'Est, sur une étendue de près de 6.000 kilo- mètres, dont 4.000 environ sur territoire brésilien, arrosant les Etats de l’Amazone et de Pará. Grossi tout le long de son parcours par de très nombreux affluents, qui à leur tour ont des affluents et des sous- LE PAYS DES AMAZONES 37 affluents, divisé en furos, en paraná-mirins, en igarapés, ilse réunit, enfin, au Tocantins, lequel, selon Orton, coule « sur un lit de dia- mants, de rubis, de saphirs, de topazes, d'opales et de pétrole », et, près de la ville de Belem, au-dessous de l'équateur, il se jette enfin dans l’Atlantique. Ses eaux grisâtres, pénétrant dans l'Océan avec violence, y forment une large mer d’eau douce qui mesure plus de 200 kilomètres. La profondeur et la largeur de son cours varient beaucoup, suivant les lieux et les circonstances du sol. La profondeur va de 75 à 100 mètres, et arrive à plus de 500 mètres en certains endroits. Quant à la largeur, elle atteint des proportions fabuleuses dans la partie infé- rieure du fleuve. Il y a tel endroit, semé d'iles, où 100 kilomètres au moins séparent les deux rives. À Jaen de Bracamoros, où le fleuve s'appelle encore Tunguragua, il n’a que 400 mètres; après avoir recu le Huallaga, il a déjà 6oo mètres; dans son cours inférieur, la plus petite largeur est de 1.892 mètres, à Obidos. La navigation est facile pour les plus grands steamers sur presque tout son parcours; ils peuvent en parcourir sans danger 5.200 kilo- mètres. Les embarcations d'un faible tirant d’eau peuvent le remonter jusqu’à environ 250 kilomètres au-delà de Huallaga. Les seuls obsta- cles qu'on y rencontre, et qui peuvent être surmontés aisément, sont les rapides de Guzman et de l’Achial, de 3 kilomètres environ ; puis la porte du fleuve, ce fameux pongo de Manseriche, défilé ouvert dans la Cordillère andine, par lequel le fleuve, resserré et très pro- fond, descend précipitamment dans un canal de 8 à q kilomètres de longueur, bordé d’escarpements. Tout le système fluvial de l’Amazone, y compris ses affluents et sous-affluents, se prête à une navigation libre en tout temps, surun parcours que l’on estime à plus de 50.000 kilomètres. Pendant les crues périodiques, ce chiffre peut être doublé. C’est par des milliers de kilomètres, en effet, que l’on compte le développement de la navi- oO | 38 LE PAYS DES AMAZONES gation sur le Purús, le rio Negro, le Madeira, le Japurá, l’Acre, le Juruá, le Javary, le Jutahy, le rio Branco et sur les différents bras qui s'y rattachent. Le régime des eaux est tel qu’au moment même où les affluents de l’une des rives de l’Amazone se gonflent, les tributaires de l’autre rive baissent graduellement, de sorte que l’on peut remonter jusqu'aux plus hauts parages de l’intérieur presque en toute saison. Il serait fastidieux d’énumérer ici toute la longue lignée des tribu- taires de | Amazone. Nous nous contenterons de citer ceux des affluents ou sous-affluents qui offrent quelque intérèt, soit au point de vue his- torique, soit au point de vue des transactions commerciales. Dans son cours inférieur, avant le confluent du rio Negro, où il prend le nom de Solimões, "Amazone reçoit : sur la rive gauche, le Jamundá (1), Yamundá ou Nhamundá, le Cunuriz,la rivière des fem- mes de C. de Acuña; le Uatumá, dans lequel jettent leurs eaux, entre autres, le Capucapú et le Jatapú (2); l’Aniba; l'Urubw (3j et le Matary; — sur la rive droite : le Tupinambarána (4), "Andirá, le Macary, les deux Maués, le Maués-Merim et le Maués-Assú, l'Apau- quiribó, le Ramos, l’Abacaxis (5); le Canumá, dont le Sucundary et le Mamiá enrichissent le cours; le Madeira et VAutaz. Le rio Urubú était jadis le centre d'un grand nombre de tribus indiennes. C'est là qu’en 1664 le farouche Pedro da Costa Favella » (1) J. Barbosa Rodrigues : Exploração do rio Yamunda ,Rio, 1875. (2) J. Barbosa Rodrigues : Exploração dos rios Urubu e Jatapú, Rio, 1875. (3) Theodozio Constantino de Chermont e Ignacio de Moraes Bitancourt : Diario da Navegação do rio Urubu, 1787: Manuscrit de la Bibl. Nat. de Rio. ([.e sous-lieutenant Bitancourt, directeur du village de Silves, fit le voyage, et l'ingénieur de Chermont le rédigea, par ordre du capitaine -général João Pereira Caldas, commissaire portugais.) (4) J. Miguel Ribeiro Lisbôa : Exploracao do furo de Tupinambaranas, do Ramos, e rios Saracá e Atrennan, Rio, 1870 (Relat. do Ministr. da Agric.). (5) João Rodrigues de Medeiros : Relatorio sobre a exploração dorio Abacaxis, Pará, 1853 (Falla do cons. H. F. Penna, pres. do Amaz). — W. Chandless : Exploração dos rios Juruá, Maueassi e Abacaxis, Rio, 1870, (Relat. do Minist da Agric.) LE PAYS DES AMAZONES 39 brúla 300 aldées, tua 700 Indiens et fit 400 prisonniers, pour punir une révolte contre les dominateurs portugais. 4. — Vue de Santo-Antonio (rio Madeira). Le Madeira (:), dont le nom primitif était Cayary, la rivière blanche, (1) Noticia abreviada {mas vardadeira) que se dá do rio Madeira, etc. : Man. de l’Inst. Hist. et Géog. de Rio, sans date et sans nom d'auteur. — Descripção dos rios Madeira e Tapajoz : Man. de la fin du xvine sièc.: Inst. Hist. et Géogr. de Rio. — José Goncalves da Fonseca: Navegação do rio Madeira, principiada em 25 de Setembro de 1749 : Man. de PInst. Hist. et Géogr. de Rio. — Alex. Rodrigues Ferreira : Memoria para em seu lugar se inserir quando se ordenar o Tit. da antiguidades do rio Madeira : Man. de 1786, collec. de D. Ant. R. de Carvalho. — Francisco José de Lacerda e Almeida e Antonio Pires da Silva Pontes : Informações sobre as latitudes geographicas da fo; do rio Madeira, 1789: Man. de la Bibl. Nat. de Rio. — Charles Wilkes : Exploring Expedition during the Years 1838-1842 : Madeira-Brazil..., New-York, 1858. — J. M. da Silva Coutinho: O rio Madeira, Manaós, 1861. — Quintino Quevedo : O rio Madeira e suas cabeceiras, Rio, 1861. — J. M. da Silva Coutinho: Relatorio da Exploração do rio Madeira, Rio 1865 [Relat. do Minist. da Agric.) — J.e F. Keller: Relatorio da Exploração do rio Ma- deira, Rio, 1864. (Relat. do Minist. da Agric.) — L’abbé Durand : Le Madeira et son bassin, Paris, 1875, Bull. de la Soc. de Géogr. 6me s., X. 40 LE PAYS DES AMAZONES dont on a fait, à tort, Ucayali, doit son appellation portugaise de Madeira, la rivière aux bois, à l'énorme quantité de troncs d'arbres et d'arbres déracinés qu'il entraîne dans son courant. Lorsque les eaux sont basses, ces arbres s’arrêtent parfois sur des bancs de sable, s’y accumulent en grandes masses et forment souvent de véritables îlots forestiers, assez consistants pour lutter contre la violence des flots. Cette rivière, entièrement brésilienne, est formée par la réunion du Beni (1) avec le Mamoré. Les nombreuses chutes d’eau qui obstruent une partie de son cours supérieur en rendent la navigation très diffi- cile sur un trajet de 400 kïlomètres environ, encombrés de cataractes aussi pittoresques que dangereuses. Pour parer à cet inconvénient, on a tenté, à plusieurs reprises, de construire une voie ferrée, dont nous aurons occasion de parler plus loin. La vallée du Madeira, le plus beau peut-être des affluents de l'Amazone, est l’une des plus étendues du globe; elle commence dans les escarpements des Andes et va se confondre avec celle de l’Amazone ; sur son cours de 5,000 kilomètres environ, plus de 1,000 peuvent porter des navires d'un assez fort tonnage. Le Madeira était déjà connu des Portugais à l’é- poque de l'exploration de Pedro Teixeira (1637-39). En 1716, le capi- taine João de Barros Guerra y fit une expédition contre les [Indiens Toràs, et le sargento-mor Francisco de Mello Palheta Pétudia en- tièrement en 1725. De La Condamine (2) en vit l'embouchure au mois d'aoút 1743. De nos jours, cette rivière a été explorée par un grand nombre de Brésiliens et par quelques étrangers, tels que le colonel Earl Church, Pinkas et Keller-Leuzinger. Le Madeira recoit, sur ses deux rives, un grand nombre d’affluents, parmi lesquels nous citerons : le Carapanatuba (site abondant en moustics), le Capaná, le Baêtas, | Aripuaná, | Aráras (la rivière aux aras), le Manicoré, le Mar- (1) Alex. Rodrigues Ferreira : Descripção de varios rios (Beny, Mamoré, etc.) : Man. de la coll. de D. Ant. R. de Carvalho. (2) De la Condamine: Relation abrégée d'un voyage dans l'intérieur de l'Amérique méridionale... Paris, 1745, p. 132. LE PAYS DES AMAZONES AT | mellos, le Machado ou Gyparana (la rivière de la hache), le Jacaré (la rivière aux caimans), le Tucunaré (la rivière au poisson tucunaré, À - Erythrini sp. major), le Jamary (la rivière aux grandes calebasses), le Mutum (la rivière aux hoccos), etc. L'un de ses affluents, le rio Abuná (la rivière aux hommes noirs). a pris depuis peu une grande “importance, grâce à ses terres à caoutchouc. Le Beni et le Mamoré — ce dernier recevant le Guaporé (1) — forment le Madeira, ainsi — que nous Pavons vu. Mais, après s'être joint au Mamoré, le Guaporé perd son nom, et c'est le Mamoré qui, uni au Beni, devient la puis- sante Rivière aux Bois. Après avoir recu le rio Negro près de la ville de Manaos, Amazone change de nomet devient le Solimões ou haut Amazone (2). Un canal, l'Uüquiry, sortant du grand fleuve un peu au dessus de l’endroit où il recoit la Rivière Noire, débouche de nouveau dans le Madeira, tandis qu'un autre canal, le Guariba (Singe hurleur). met en communication également le Solimões avec le rio Negro. Sous son nom de Solimões. le haut Amazone a de nombreux affluents. A gauche, lorsqu'on le remonte en partant de Manáãos, on trouve : le Manacapurú (la rivière aux habitants les plus beaux), le Jurupary-Pindá (la rivière du hameçon du diable indien), le Codajaz, le Japurá, le Copeä, le Tonantins, l’Itaquy, le Maniatúba, le Taba- tinga, etc. ; à droite : le Purús, le Mamiá, le Coary, l'Urucüparanä (là rivière au roucou), le Taruá, le Giticaparaná, le Caiamé, le Teffé, le Juruá, le Jutahy, le Jundiatúba, le Comatiá, le Jurupary-Tapéra, le Capacete, le Javary, le Curuçá, le Xiquirána, gonflé par le rio Preto, et beaucoup d'autres. 2, Le Japurá, Yapurá, Yapuru ou Hyupurá (3), sert de limite aux (x) Alex. Rodrigues Ferreira: Rio Guaporé : Man. de 1786, collec. de D. A. R. de Carvalho. : (2) Keller-Leuzinger : Voyage d'Exploration sur l'Amazone, Paris, 1874, « Tour du Monde ». — L'abbé Durand : Le Solimoes ou haut Amazone, Paris, 1873, Bull. de la Soc. de Géog., 6: s., v. (3) Henrique João Wilkens : Diario da Viagem que fez... ao antecipado exame do Rio Japurá, partindo da villa da Ega no dia 23 de Fevereiro de 1781 : Man. de PInst. 42 LE PAYS DES AMAZONES Etats-Unis du Brésil avec la Colombie : "Igarapé (1) d'Avatiparanä ou Auatiparana (la rivière au Maïs), qui unit cette rivière à l’Ama- zone, marque la ligne de partage politique, laquelle se continue par une ligne idéale, allant du Japurá au rio Negro. Un de ses bras, qui va au Guaviare ou Guaibero, le met en communication avec "Oréno- que. C'est par ce p assage naturel que Felipe d'Utre gagna l'Orénoque, en 1541, à la recherche du décevant El-Dorado. Une grande partie du cours du Japurá, dont la longueur est de 2,800 kilomètres, est obstruée par des rapides, ce qui n'empêche pas qu'il soit possible de le remonter en bateau à vapeur sur une étendue de 1,500 kilomètres au moins. Il compte un grand nombre d'affuents : on en cite plus de 30. Le Purús (2), appelé aussi Pacajá ou Pacayä par les Indiens Cana- merys. et Beni, Inim ou Wayni par les Indiens Pamarys, a un cours de 5,650 kilomètres ; son embouchure mesure 2,000 mètres de large. Exploré principalement par un Brésilien. le colonel Labre, il a pris un essor considérable, dú à ses richesses en caoutchouc. à ses nom- breux affluents et à la facilité de sa navigabilité en tout temps, puis- que, même à l’époque des basses caux, on peut le remonter sur un parcours de 1,500 kilomètres. Canutama et Labrea, dont on ne con- naissait même pas les noms il y a un quart de siècle à peine, sont de- venus des centres de commerce importants. Parmi les affluents de cette rivière, on peut mentionner : sur la rive gauche, le Macahau, Hist. et Géogr. de Rio. — Raymundo Mauricio: Participação em fórma de itinerario... acerca da diligencia que fizéra para descobrir communicação pelor rios Capory e Piquid para o Jagurá..., 1787 : Man. de la Bibl. Nat. de Rio. — J. M. da Silva Coutinho : Exploração do rio Hyupurä, Rio, 1865 (Relat. do Minist. da Agric.) - (1) Igára, petit bateau, canot; pé, chemin : chemin de petites embarcation ; Igarapé amazonien est le bayou des Américains du Nord. (2) Serafim da Silva Salgado : Relatorio sobre a exploração do rio Purüs, Manãos, 1853 'Falla do Cons. H. F. Penna, presid. do Amaz.) — J. M. da Silva Coutinho: Relatorio da exploração do Rio Purús, Rio 1862. (Relat. do Minist. da Agric.)— W. Chandless : Notes on the river Purús, London, 1866, Journ. of the R. G. S., XXXVI. — A. R. P. Labre: Rio Purís, Maranhão, 1872. — Lopo Gonçalves Bastos Netto: Rio Purüs. Rio, 1897. (Relat. do Minist. das Relac. Ext.) LE PAYS DES AMAZONES 43 grossi du Tapanha, qui lui-même reçoit le Cainaha ; les deux Mamo- Tia, merim et assú (petit et grand), dont l’un a un cours de 870 et l’autre de 745 milles; le Pauhiny, d'une longueur de 978 milles ; 5. — Rue et Imprimerie à Labrea (rio Purús). PInauhiny, dont le cours est de 1,073 milles; sur la rive droite, le Jacaré, 360 milles ; le Mucuim, 590 milles ; le Mary, 653 milles; le Passiä ; l’Ituxy, 692 milles, grossi de PAputary; le Sepatiny, 762 milles ; l’Ariaman ; le Turuhã: PAquiry (1) ou Acre, le Searihan; et dans le haut Purús, le Hyacú ou laco, le Macapá, le Paysandú et le Bom-Jardim. Le Juruá, dont la longueur est de 2,000 kilomètres, était connu dès le milieu du xviº siècle : c'est par là que descendit Pedro de Ursua, (1) W. Chandless: Apontamentos sobre o rio Aquiry, Rio, 1866. (Relat. do Minist. da Agric.) 44 LE PAYS DES AMAZONES en 1560, sur l’ordre du marquis de Castañete, vice-roi du Pérou, et c'est là qu'il perdit la vie, assassiné par deux de ses officiers, épris au- tant de son butin que de sa femme, la belle et malheureuse Iñez. On avait un peu délaissé cette rivière jusqu'il y a une trentaine d'années ; depuis, elle est devenue l’une des plus prospères, et nous verrons ; lv loin qu'elle est desservie par des lignes régulières de bateaux à va- peur, sur un parcours de 1,500 kilomètres. Ses affluents — PAndirá, le Tarauca, le Gregorio, le Môa ou Mú — sont très fréquentés. Le Jutahy,autre affluent du Solimões, dont le cours a une longueur de 650 kilomètres, a pris, lui aussi, un développement remarquable. Il est également sillonné par des vapeurs qui y font un service régu- lier, sur un trajet de 500 kilomètres. Parmi ses affluents, on cite le Maçarahy, le rio Preto, le Maruhas et beaucoup d’autres. Le Javary, Yavary ou Hiauary, dont la longueur est de 945 kilo- mètres, sert de limite au Brésil avec le Pérou, qui est maître de l'une de ses rives : cette rivière est l’un des grands centres de production de caoutchouc. Le rio Negro (1), la Rivière Noire, qui baigne Manãos — appelé aussi Quiary, Gurigua-Curú, Urüna et Guarana-Guasama, dans son cours inférieur, tandis que son cours supérieur, au-dessus des rapides, portait le nom de Uéneyá ou Uéneassù — est l’un des principaux tri- butaires du Fleuve-Océan, de même qu'il est l’une des plus larges rivières de ce bassin si abondant en larges cours d’eau. Sa longueur n'est pas inférieure à 1,700 kilomètres. Il se réunit à l’Amazone, à peu de distance de Manäos, par quatre (1) Ignacio Semartoni : Sequentes noticias do Rio Negro, Man. de la fin du xvue siècle, Bibl. Nat. de Rio. — Synopse de algumas noticias geographicas..., Barcellos, 1764 : Man. de la Bibl. Nat. de Rio. — Segunda Parte da Historia dos rios..., Man. de la fin du xvine siècle, Bibl. Nat. de Rio. — Antonio Pires da Silva Pontes e Francisco José de Lacerdae Almeida: Catalogo de algumas das observacoens astronomicas feitas nos lugares do Rio Negro, 1780, Man. de la Bibl. Nat. de Rio. — Alfred R. Wallace: On the Rio Negro, 1853, Journ. of the R. G. S., XXIII. — L'abbé Durand : Le Rio Negro et son bassin, Paris, 1872, Buil. de la Soc. de Géogr., 6º sér., III. VU 17 LE PAYS DES AMAZONES 45 barres, dont la principale n'a pas moins de 2 kilomètres. Ses eaux, prises en masse, semblent noires comme de l'encre ; recueillies dans un verre, elles ne sont pas plus foncées qu'une forte infusion de thé. Le premier navigateur du rio Negro semble avoir été Pedro da Costa Faveila, en 1668-69. Il y alla en compagnie du père Theodosio, de Pordre de la Merci ou de la Rédemption, se mitencommunication avec les Indiens Tarumás, au moyen des Aruaquys,et avec leur aide fonda la première bourgade de cette rivière. Pedro Teixeira, dans son voyage de 1637-39, avait reconnu la barre du rio Negro. Le général de l'Etat de Para, Antonio de Albuquerque Coelho, y fit bâtir la forteresse de la Barre par Francisco da Motta Falcäo, et le premier commandant en fut Angelico de Barros. L'un des sergents de la garnison de la forte- resse, Guilherme Valente, eut le courage de remonter la rivière et d'y entrer en rapports amicaux avec de nombreuses tribus indiennes, Cabu- ricenas, Carayais et Manãos, après avoir épousé la fille d'un tucháua ou cacique des Manáos. Les Carmes, plus tard, établirent des missions parmi ces indigènes. De 1725 à 1743, des expéditions portugaises (tropas de resgate) parcourent le rio Negro et ses affluents, allant jusqu'au Yauitá, « qui se lance au dessus des hautes sources du rio Negro, à vingt jours de voyage (en canot) au delà de l'embouchure du Cassiquiare », jusqu'aux rivières Yauitá et Iniridá. En 1744, Fran- cisco Xavier de Moraes, à la tête d’une troupe de Portugais, entra dans le Cassiquiare et découvrit le Paraud. Près de "Orénoque, il fit la rencontre d’un jésuite espagnol, le Père Manuel Roman, supérieur des missions castillanes de l’Orénoque ; F. X. de Moraes ramena le jésuite au rio Negro, que les Espagnols ignoraient (1), et ce fut ce missionnaire qui leur révéla l'existence du Cassiquiare, canal naturel qui met en communication le rio Negro avec l'Orénoque, etdont le jé- suite espagnol Gumilla avait nié l'existence (2) en ces termes superbes: «Niyoni Misionero alguno de los que continuamente navegan costeando (1) F. X. Ribeiro de Sampaio : Diario da Viagem... Lisbonne, 1825, p. 88-95. (2) Gamilla : Orinoco Ilustrado, Ir part., chap. 2, p. 17. 40 LE PAYS DES AMAZONES el Orinocohemos visto entrar ni salir al tal rio Negro. » Il n'est donc pas possible de dire sans une grave injustice ce qu'a dit M.E.Reclus :(r) « Les missionnaires espagnols connaissaient déjà le Cassiquiare, et des barques de San-Carlos, sur le versant amazonien, avaient sou- vent pénétré dans l’Orénoque par la fourche des deux courants. » En effet, comme nous venons de le voir, les Espagnols n’ont connu le Cassiquiare que par les Portugais, en 1744, et ils ne s'établirent à San-Carlos, sur territoire lusitano-brésilien, qu'après 1759, à l’époque où Dom José de Iturriága, commissaire de sa Majesté Catholique pour la délimitation de l'Amérique entre le Portugal et l'Espagne, envoya au rio Negro, sous prétexte d'y préparer la démarcation, le sous-lieu- tenant Domingo Simón López et le sergent Francisco Fernando Bo- badilla (2). Lorsque donc,au commencement de ce siècle, Alexandre de Hum- boldt annonça la découverte du Cassiquiare et recueillit pour ce fait les applaudissements du monde savant, il ne faisait que prêter la no- toriété de son grand nom à la divulgation d’une découverte portu- gaise, déjà vieille d’un siècle. On compte, au nombre des principaux affluents du rio Negro: sur la rive gauche, le Cuieiras, "Anna Vilhena, le Canamaï, le Cureué, le Mapauás, le Uarihü, le Jauapery (3), le rio Branco, l'Amajahà, le Buibui, le Paratary, le Uaracä, le Uereré, dans le quel se jette le Xu- riuiny et que rejoint "Atauhy, le Padauari, qui reçoit le Mariry, le Hihiaá, le Cababory, le Uriú. l’Ineuhy et plusieurs autres ; sur la rive droite, le Timbira ou Tombira, le Jahù, le Uniny,le Cabory, le Uatamary, le Barury, le Quiiny, le Uarirá, le Xibaru, le Uanauéne ou Anauéne, le Uenenexy, le Xiuára, le Mariá, le Uaupés, qui lui- (1) Elisée Reclus : Nouvelle Géogr. univ., t. XVII, p. 125. (2) Lettre officielle du gouverneur et capitaine-général de l'État de Pará, Manoel Ber- nardo de Mello de Castro, en date du 26 août 1763, à Dom José de Iturriága, reproduite par F. X. Ribeiro de Sampaio, dans l’ouv. cit. (3) Pedro Affonso Gato: Discrição. Noticia secular que dou dos Rios Jauapari, e Cu- rerú, E do Rio Aranacuá..., 1787 : Man. de la Bibl. Nat. de Rio. A - a LE PAYS DES AMAZONES 47 même est alimenté par d’autres cours d’eau, parmi lesquels le Ti- quié, etc., etc. Le Jauapery ou Yaupiry, qui passe près du bourg de Moura, est habité encore aujourd’hui par les Indiens Jauaperys au Crichanás, demeurés intraitables, quoique M. Barbosa Rodrigues ait annoncé, il y a plus de quinze ans (1), leur entrée dans la vie normale. De cette catéchèse laïque, il ne reste même plus les croix en bois blanc plantées par le distingué naturaliste pour marquer l'emplacement des futures villes, qu’il avait baptisées d'avance de noms aux consonnances grec- ques, tels que Theodoretopolis. Des affluents du rio Negro, le plus remarquable sans contredit est le rio Branco (2), la Rivière Blanche, appelé également Queceuéne, Paraviäna ou Paravilhána, du nom d’une tribu d'Indiens qui habite sur ses bords. Dans son cours assez étendu, malheureusement inter- cepté en partie par des rapides, et desservi aujourd’hui par une ligne régulière de navigation à vapeur, il est alimenté par un grand nombre de cours d’eau, dont les principaux sont : sur la rive gauche, l’Agua- Bôa, le Curiacü, le Uricura, le Cuitamaú, le Unaúauú et le Tacutú, qui recoit, entre autres, le Maho, alimenté lui-même par le Pirára; sur la rive droite : le Quareny, le Cairimany, le Mocajahy, le Cauamé, le Urariquára ou Uraricuêra, dans lequel se jette le Párime ou Parimé, grossi d'une demi-douzaine d’autres cours d’eau. Le rio Urariquára aux prairies magnifiques était exploré par les Portugais dès la première moitié du xvrn° siècle. C’est sur les bords du Párime que s'élevait la ville féérique, la si recherchée et introuvable Manoa del Dorado, dont les somptuosités chimériques attirèrent Espagnols, Anglais, Francais, Hollandais et Belges, jusqu’à la fin du xvinº siècle. En 1773, Ribeiro (1) J. Barbosa Rodrigues : Rio Jauapery. Pacificacao dos Crichanas, Rio, 1885. (2) Francisco Xavier Ribeiro de Saopaio : Relacäo Geographico-Historica do Rio Branco..., 1775, Rev. Trim. do Inst. Hist. e Geogr., 2° S., vol. VI, Rio, 1850. — An- tonio Pires da Silva Pontes e Francisco de Almeida Serra : Breve Diario ou Memoria do Rio Branco..., 178:, Rev. Trim. do Inst. Hist e Geogr. vol. VI, Rio, 1844. — Manoel da Gama Lobo de Almada : Descripcão relativa ao Rio Branco e seu territorio, . 1787, Rev. Trim. do Inst. Hist. e Geogr., vol. XXIV, Rio, 1861. 48 LE PAYS DES AMAZONES de Sampaio, ouvidor de la capitainerie de notre rio Negro, trouva encore à Cametá, ville de l’État de Pará, un Hollandais, Nicolas Horst- man, qui, en 1741, avait couru l’Essequibo et le rio Branco à la re- cherche du pays du Doré; et, en mars 1775,il rencontra à Barcellos, alors chef-lieu de sa capitainerie, un pauvre Liégois, Gervais Leclerc, qui avait déserté de la Guyane hollandaise, où il tenait garnison, dans le même but sans doute. Le Hihiaá ou Hiyaá,qui coule au-dessous de Santa Isabel, fut le sé- jour préféré du fameux Tucháua des Indiens Manãos, Ajuricäba,dontle nom est demeuré célèbre à cause de son courage et de sa mort héroïque. La rivière Içá,le Putumayo des Républiques voisines (1),a de nom- breux affluents — on en cite une trentaine, — et deux canaux naturels la mettent en communication avec le Japurá. Sa longueur est de 1,645 ki- lomètres. dont 1,500 parcourus régulièrement par des vapeurs.Elle est le chemin naturel entre l'Amazone et la République de l’Équateur. Enfin, le rio Acre est devenu, à une époque relativement récente, l’un des centres les plus actifs de la production de cet or végétal qui s'appelle le caoutchouc. Il faut se borner. Nous venons de citer à peu près 130 affluents et sous-affluents de l’Amazone, qui, comme un hidalgo espagnol, porte trois noms dans son immense parcours : Maranhão, Solimões et Amazonas. Nous sommes bien loin d’en avoir épuisé la liste, qui de- viendrait fastidieuse à la longue. Réunissons à ces rivières une infinité d’autres de moindre impor- tance, qui, en Europe, passeraient encore pour des cours d’eau res- pectables, et nous n'aurons encore qu’une faible idée de ce réseau phénoménal, dont l’immensité trouble "imagination. L'Amazone est fils des Andes. Or, on l’a fait observer avant nous, ces hautes montagnes et ce roi des fleuves de la terre ont à peu prês la même étendue. (1) Francisco Xavier Rodrigues de Souza : Do Pará à Colombia ou Apontamentos sobre o rio Icá ou Putumayo, Maranhão, 1880. CHAPITRE TV Notions Générales. — La grande plaine de l’Amazone, — Son aspect. — Sa structure géologique. — L'été perpétuel de l’Amazone. — Système orogra- phique.— Conditions climatériques. — Opinions des voyageurs étrangers sur le climat de l’Amazone. — Les observations météorologiques. — Données démographiques. — Pourquoi ce climat est salubre. La grande plaine de | Amazone, une des quatre grandes plaines du plateau brésilien, à couches horizontales ou presque horizontales —les trois autres étant celles des bassins du Parana, du S. Francisco et du Parnahyba (1) — ne renferme pas seulement une partie de l'Etat de l’'Amazone : elle embrasse la plus grande partie des Etats de Matto- Grosso, de Goyaz, de Parä et même de Maranhäo. Le Tocantins- Araguaya, le Xingu, le Tapajoz et le bas Madeira, avecson affluent le Guaporé, descendent tous de ce plateau, par une série de rapides, à 100 ou 200 milles de l'Amazone. Son bord méridional est un escarpe- ment de 800 à 1,000 mètres au-dessus du niveau de la mer, en face de la dépression du Paraguay et du Guaporé. Cet escarpement, où se trouve le divortium aguarum dont nous venons de parler, a pris le nom de serra dos Parecis. La grande plaine du Parnahyba, qui occupe tout PEtat de Piauhy, une partie du sud de l'Etat de Maranhão et une partie de l’ouest de l'Etat de Ceará, forme peut-être un tout ininterrompu avec la grande plaine amazonienne, le long de la ligne de partage des eaux, entre le Tocantins et le Parnahyba. (1) Le Brésil en 1889, ou se trouvent résumées les études de M. Orville Derby sur tous ces points. 4 50 LE PAYS DES AMAZONES D'un autre côté, quoique l’on ne connaisse encore que d'une manière assez imparfaite la partie brésilienne du plateau des Guyanes, on sait cependant que, le long de la ligne de partage des eaux entre les fleuves qui coulent vers la mer des Antilles et vers l'Amazone, il y a des montagnes, dont les points culminants s'élèvent à 2,000 mètres et même davantage, et que ces hauteurs se rapprochent assez près du fleuve, sur plus d’un point, entre l'embouchure du rio Negro et l'Océan Atlantique. Cette région est baignée par le rio Negro, qui passe à Manãos, par son tributaire le rio Branco, et par un grand nombre d'autres cours d'eau, parmi lesquels le Jamundá, qui sert de limite aux deux Etats de |'Amazone et de Para. La grande dépression de | Amazone est relativement étroite dans la partie inférieure du fleuve, au-dessous de l'embouchure du rio Negro, dans ce que nous appelons le bas Amazone : dans cette partie, la largeur moyenne est de 100 à 200 milles. Dans la partie supérieure, au contraire, entre le rio Negro, le Madeira et les contreforts des Andes, elle s'élargit considérablement, affectant la forme d'un flacon florentin. En général, le fleuve est bordé par de basses plaines d’alluvions, arfois assez larges, sujettes à des inondations lors des crues périodi- P 8 ques des eaux — igapós (1), — et l’on y trouve un grand nombre de lacs profonds et de canaux latéraux (igarapés, furos (2), etc.). Les terrains les plus élevés sont de deux sortes: les uns sont des plaines n'ayant pas plus de goo mètres d'élévation, formées par des dépôts particuliers à la dépression ; les autres sont les contreforts ou les sommets arrondis et dénudés des bords des grands plateaux orien- taux sur les deux côtés ou du plateau andin au commencement du bassin. La plus grande partie du pays est, d'ailleurs, recouverte de forêts (1) Endroit inondé : Ig-apó en nheengatú ou tupi amazonien. (2) Canal latéral ; littéralement : percée, titine dé TP D. LE PAYS DES AMAZONES 51 gigantesques (1). Sur la rive droite, ces forêts pénètrent plus au centre, F, tes à 120 lieues, interrompues à peine par quelques plaines de peu d'éten- due. Après la forêt, vient la région des campos. Sur la rive gauche, la zone des forèts qui borde le fleuve n'est pas aussi large, et la région des campos se trouve plus rapprochée. De plus, aussi bien sur -, VAmazone que sur ses affluents, on rencontre un grand nombre de - lacs qui communiquent entre eux. La crue des eaux pendant la sai- son des pluies en hiver est extraordinaire, même pendant les années «+ normales. Elles montent de 11 m. à 17 m. Les bords des différents cours d’eau, à commencer par ceux de l’Amazone, se trouvent alors … noyés. La saison des pluies commence en décembre à peu près, quand let. Pendant cette saison, les orages sont fréquents, parfois très forts, - et le fluide électrique descend presque toujours jusqu’à terre. Au point de vue de la structure géologique, la plaine amazonique — du plateau brésilien se compose, la plupart du temps, selon M. Orville Derby, de grès et de schistes argileux adossés à des roches métamor- phiques qui apparaissent dans la vallée du fleuve et des rivières. On ne connaît pas l'âge géologique de ces strates, car on n’a pas encore rencontré des fossiles dans cette région. Alcide d’Orbigny a rapporté à l’âge carbonifère les couches adjacentes à la barre du Guaporé, 4 apparemment parce qu'elles ressemblent aux couches carbonifères de —…. la Bolivie orientale où l’on a rencontré des fossiles. Aussi bien la formation dévonienne que la formation carbonifère se _ trouvent représentées le long des bords amazoniques du plateau. Il est à três probable que ces couches s'étendent à travers le plateau et cons- tituent en partie la plaine dont nous nous occupons. La ressemblance apparente des plaines de l’Amazone et du Paraná favorise cette anière de voir. D'un autre côté, on peut supposer que les strates de l’âge secondaire des bassins du Parnahyba et du S. Francisco * , (1) Silva Coutinho : As Epidemias no Valle do Amazonas, Manaos, 1861. le soleil est dans le tropique du Sud, et s'étend jusqu’au mois de juil= O mg sal 52 LE PAYS DES AMAZONES s'étendent à travers la ligne de partage des eaux du Tocantins et for- ment une partie de la zone amazonique. Le peu que l’on sait sur la partie brésilienne du plateau de la Guyane fait penser que, quant à la structure géologique, il ne diffère pas beaucoup, probablement, du plateau brésilien proprement dit. Les roches fondamentales sont laurentiennes et huroniennes, et les montagnes les plus élevées sont couvertes d’un grand drap de grès, d'âge inconnu. Le long du bord méridional du plateau les couches de la dépression amazonique s'étendent sur les roches cristallines ; mais on ne sait pas encore jusqu'où elles s'étendent dans les terres plus élevées du plateau. Dans la dépression amazonique, les formations silurienne supé- rieure, dévonienne et carbonifère — chacune avec ses fossiles caracté- ristiques, très abondants et variés dans les deux dernières — se retrouvent dans la partie étroite de la vallée qui demeure au-dessous de la barre du rio Negro. Elles se composent de grès et de schistes argileux, auxquels s'ajoute le calcaire dela formation carbonifère. Une partie du schiste argileux est aluminifère. Les digues de diorite sont nombreuses et considérables. Les couches de ces trois formations sont un peu troublées, et présentent en général une inclinaison suave de chaque côté vers la ligne centrale de la vallée. Couvrant ces formations plus anciennes, on trouve des couches horizontales de grès mou et d’argile brillante, diversement colorés, formant des mornes aplatis de 300 mètres d'élévation à peu près, qui semblent appartenir à l’époque tertiaire. Les plaines basses adjacentes à l'embouchure sont probablement des formations plus modernes de la même époque. Dans la région du haut Amazone (1), on voit apparaître la for- mation crétacée, avec des reptiles fossiles caractéristiques dans le Purús; et des dépôts tertiaires, avec des lignites et beaucoup de (1) C. Barrington Brown : Tertiary Deposit of the Solimões and Javary Rivers, in Brazil....,« Quarterly Journ. of the Geolog. Soc. », Febr., 1879. LE PAYS DES AMAZONES 53 mollusques fossiles du type des mollusques d’eau salée, occupent une aire considérable le long de l'Amazone, des deux côtés de la frontière péruvienne. Enfin, les vastes aires des terres basses de la dépression amazonique sont formées par des dépôts de l’époque quaternaire et peut-être des dernières époques tertiaires ; elles s'élèvent à peine à quelques mètres au-dessus du niveau du fleuve et sont sujettes en grande partie à des inondations périodiques. Un éminent astronome de l'Observatoire de Paris, qui s’est livré à de longues études au Brésil (1), va nous dire maintenant quel doit être le climat d’une région pareille : « La quantité de rayons solaires, qui atteignent à un instant donné une même étendue de la surface terrestre, est très différente suivant que les points que l’on considère sont au centre de l’hémisphère éclairé ou sur les bords de ce même hémisphère... Or, malgré la rotation de la terre, les régions polaires ne peuvent jamais atteindre ce centre ; elles sont toujours près des bords, de telle sorte que, pen- dant la moitié de l’année où le soleil les éclaire, ce dernier ne les échauffe que très faiblement..... Les contrées situées près de l’équa- teur, au contraire, passent chaque jour au centre de l’hémisphère éclairé ou dans son voisinage, et elles y reçoivent les rayons du soleil sous une incidence voisine de la perpendiculaire. Dans ces pays, on jouit d'un été perpétuel, sous l'influence duquel, dans les deux régions organiques, les forces vitales déploient leur summum d'action. Le mot d'été perpétuel que je viens d'employer ne signifie pas toutefois que les saisons ne soient pas marquées dans la zone intertropicale. Loin de là, elles sont en général très distinctes et très prononcées ; mais, comme dans la totalité de l’année et même dans la période qui répond à l'hiver, la température reste haute, on peut dire que toutes les saisons sont estivales. .... (1) Emmanuel Liais, astronome de l'Observatoire de Paris: L'Espace Céleste et la Nature tropicale...., Paris (sans date), p. 85 et suiv. 54 LE PAYS DES AMAZONES » L’intensité maximum de la chaleur dans la zone intertropicale dépend aussi beaucoup de la nature du sol. C'est dans les déserts arides comme ceux de l’Afrique que la température atteint sa plus grande valeur pendant le jour. Sur l'Océan, elle s'élève moins, mais elle est plus constante. Le sol américain, couvert de végétation, tient le milieu entre les deux extrêmes. L'évaporation y est abondante, et les vapeurs enlèvent l'excès de la chaleur sous la forme de calorique latent... Il y a loin de l'aspect de ces splendides paysages tropicaux, au moment de la plus grande action solaire, du spectacle de la vie qui, sous mille formes diverses, les anime, à l’idée des anciens au sujet des régions équatoriales, regardées par eux comme brú- lées par les feux du soleil. De cette idée bizarre est venu le nom de torride donné à la zone terrestre comprise entre les tropiques. Mais partout où il y a humidité dans "atmosphere, les rayons du soleil, loin d'être destructeurs, sont générateurs de phénomènes vitaux... » Disons, pour donner une idée nette des saisons sous les tropiques, que la température de l’hiver y est celle de l’étéen France, débarrassé seulement de quelques journées étouffantes qu'il présente accidentel- lement. La température de l’été s’en distingue par la présence de ces grandes chaleurs, lesquelles sont alors beaucoup plus soutenues que chez nous. C'est la saison des orages qui modèrent toutefois de temps à autre cette température élevée. » La science considère comme très probable [existence d'une mer intérieure dans le centre de l'Amérique du Sud. Par un de ces cataclysmes fréquents aux époques antérieures à la nôtre, cette mer aurait été déplacée par le soulèvement des hauts reliefs du sol améri- cain. Il est probable que le Madeira fut une des voies par où cette Méditerranée vint se déverser dans l'océan Atlantique, en creusant ces excavations profondes qui servent de lit actuellement aux affluents de l'Amazone. Ces lits auraient continué à être alimentés par les eaux pluviales dont nous venons de parler. Il reste donc à peu près Aire: LE PAYS DES AMAZONES 55 établi que la vallée amazonienne fut, à une certaine époque, un fond de mer, un immense golfe de l’Atlantique. Sur ce point, De La Con- damine, Humboldt, Agassiz, Silva Coutinho, Fred. Hartt, Orville Derby, sont à peu près d'accord. Les révélations de la nature elle- même confirment chaque jour leurs assertions. La présence d'innom- brables foraminifères, spécialement de nummulites et d’autres fai- seurs de mondes, dans les roches sédimentaires assignent à cette mer intérieure une époque qui ne semble pas devoir être portée au-delà de la période crétacée secondaire. Il est à supposer que plus d'une commotion tellurique s'est fait ressentir, depuis, dans cette région. En dernier lieu, la formation de la chaine des Andes semble avoir déterminé [aspect actuel de ce continent. Elle coincide avec certaines dépressions produites par la décomposition du gneiss, et que MM. Agassiz et Coutinho ont observees. Agassiz ayant, en outre, remarqué que les flancs des serras de Pa- caraima et de Tumucumaque, qui regardent le bassin amazonien, sont arides et chauves, tandis que les versants du Nord et de l'Ouest sont couverts d’une belle végétation, en a conclu que la vallée de PAmazone fut, non pas un bras de mer, non pas un golfe, comme celui du Mexique, mais simplement un lac formé par les eaux du dé- gel d'un hiver cosmique, au temps où l’Amazonie s'étendait jusqu’au milieu de l'Atlantique, et ou les rivières qui se jettent aujourd’hui sur la côte, depuis le Parnahyba, allaient se précipiter dans le courant de l'Amazone. Cette opinion personnelle à l’illustre savant, et qui fait partie de son système de la formation glaciêré des continents, ne saurait être acceptée sans de graves restrictions. L'absence presque complète de blocs erratiques dans la vallée de "Amazone semble la condamner. Quant à la rareté de vestiges d’origine marine sur les pentes du Tumu- cumaque, elle peut s'expliquer par l'existence d'eaux saumâtres qui ont dù croupir aux lieux où furent les eaux salées du golfe amazo- nien, et par le ravage terrible des torrents et des pluies. La seconde 56 LE PAYS DES AMAZONES partie de l’hypothèse d'A gassiz est parfaitement soutenable. Il se peut, en effet, que l’Amazonie s’étendit à l'Est et à l'Ouest, et formãt cette fameuse Atlantide des anciens qui est demeurée encerclée dans un mystère éternel. Tout récemment (1), le colonel George Earl Church, dont le nom demeure lié à la première tentative sérieuse pour la construction de la voie ferrée Madeira-Mamoré, a soutenu, avec une abondance extraor- dinaire d'observations et de faits, une thèse nouvelle. Il prétend que, dans une période géologique pas trop lointaine, le bassin de la Plata occupait une superficie beaucoup plus considérable que de nos jours, et que, presque toutes les rivières qui aujourd’hui s'unissent pour former le Madeira, coulaient alors vers une mer pampéenne et arro- saient les terres où se trouve située présentement la République Argentine. Mais ceci importe peu à notre sujet. Étudions plutôt dans ses détails le système orographique de cette région, que nous venons de décrire dans ses grandes lignes et dans ses contours généraux. La vallée de " Amazone est, nous l'avons dit, fort peu accidentée. Les queiques montagnes qu’elle renferme se dressent entre le rio Ne- gro et l'Océan. Sur toute la vaste zone située à l'Ouest de cette rivière, les cartographes n’enregistrent aucun accident de terrain remar- quable. Cependant, sur les rives de "Amazone s'étendent les ravis- santes collines de Sam-Paulo-d'Olivenca ; à l'embouchure du Japurá courent les chaînes du Cupaty ; sur les limites de l’ancienne Nou- velle-Grenade se détache un chainon de la cordillère Aracuara. nommé Apaporis, et ne dépassant pas 270 mètres d'élévation. Parmi les hauteurs qui se trouvent entre le rio Negro et l'Atlantique, la prin- (1) Presidential Address to the geographical Section of the British Association, Bris- tol, September, 1808, in the Geographical Journal, vol. XII, nº 4, Oct. 1898, p. 386 et suiv. cipale est celle de Parintins, qui se prolonge à droite du Jamunda, sur les confins des Etats de l’Amazone et de Para. Viennent, en se- cond ordre, |'Acarahy, simple contrefort du Tumucumaque, entre la Guyane et Para ; puis, les chaines et les petites éminences qui se trou- vent à l'Est du rio Branco. o. — Collines de Pariniins. Cependant la vallée de l’Amazone proprement dite peut être consi- dérée comme un véritable horizon géognostique de premier ordre, dont le facies caractéristique se trouve dans les terrains crétacés en exposition sur les falaises des rivières. Des roches plus ou moins fria- bles et sujettes à la décomposition, des argiles multiples, des pud- dings, des brèches, des granulations, des schistes argileux et talqueux marquent l’âge géologique de cette région. Les fonds peu prononcés des vallées sont coupés par les sédiments et les matières clysmiennes du 58 LE PAYS DES AMAZONES drift, sorte de diluvium rouge qui résulte de la trituration des roches cristallines et des roches de transport. On peut affirmer que la base du terrain amazonien est le terrain secondaire, et que l’argile et le drift (1) riche d'humus sont les principales parties constitutives du sol. Ces terres grasses, mélangées de détritus végétaux et de désagré- gats minéraux, sont aptes à toutes les cultures, et engendrent cette puissante végétation qui caractérise la région amazonienne. Les conditions climatériques de l’État de PAmazone résultent de ce qui précède. La situation géographique de cette contrée qui s’étend sous des latitudes tropicales, l'orientation des vallées, l'abondance des eaux, le régime orographique, l'étendue des forêts, ce sont là autant de coefficients qui agissent sur le climat de cet immense ter- ritoire. L'humidité des basses terres, les ferments putrides dús à une végétation rapide et luxuriante, et la rareté des bras employés à as- sainir le sol par la culture pourraient faire croire, au premier abord, que la région amazonienne ne jouit pas d'une salubrité três grande. Et, cependant, le contraire est vrai, à part quelques exceptions qu'il est facile de signaler. Les fièvres intermittentes ne sont endémiques que dans Vestuaire nord du grand delta du fleuve. Elles sévissent également quelquefois, vers la fin de l'été, qui est la saison sèche, sur quelques-uns des af- fluents de l’Amazone. Mais on peut vanter la bonté de ce climat, qui est parfaitement salubre et d'une température beaucoup plus mo- dérée qu'on ne le suppose généralement, comme Pa dit Agassiz. Ce qui a le plus contribué à cette sorte d'abandon où l'élément européen qui émigre a laissé " Amazonie, c'est le préjugé générale- ment répandu de ce côté-ci de l'Océan, qui fait considérer ces belles contrées comme inhabitables ou du moins comme fort dangereuses 1) Argile rougeâtre, homogène, baptisée sous ce nom par Agassiz, qui Vattribue aux dépôts des glaciers descendus des Andes. LE PAYS DES AMAZONES 59 … pour les étrangers. L'ignorance s’est plu à leur attribuer une tempé- rature insupportable et une atmosphère chargée de miasmes palu- déens. | Ilest certain que plusieurs bas-fonds marécageux du bassin de PA- mazone, que quelques coins de forêts impénétrables au soleil, ne sont guère plus attrayants que certains endroits de la campagne romaine. Ce qui a donné lieu à toutes ces erreurs, c’est que l’on s’est accou- tumé à ne faire entrer dans l'évaluation de la température de ces régions qu’un seul coefficient : la position géographique dans le voi- sinage de l'équateur. On a négligé d’autres facteurs três appréciables qui dérangent les calculs de ceux qui ne comptent qu'avec la latitude et les zones mathématiques. Sur les rives de l’Amazone courent continuellement des brises de mer charriées par les courants aériens. Elles apportent une espèce d'allégement au poids du climat. M. Th. Lavallée a fait remarquer (1) que l’Europe, exposée aux froids du pole, serait à peine habitable si les vents soufflant d'Afrique ne déversaient sur le continent euro- péen, par-dessus la Méditerranée, la chaleur accumulée dans ce grand réservoir qu'on appelle le Sahara. Un phénomène contraire se pro- duit dans les régions amazoniennes, et Maury a déjà expliqué de quelle manière, grâce à ces courants atmosphériques, « le climat de PAmazonie est l’un des plus remarquables du monde. » Nul n'étant prophète quand il parle de son pays, surtout lorsque ce pays est très loin, nous cédons la parole à deux hommes qui ne peuvent pas être soupçonnés de partialité intéressée. Le lieutenant Herndon (2), en parlant du climat de cette région, s’est exprimé en ces termes : « J'ai toujours été très réservé au sujet de la salubrité de ce pays ; malgré cela, je crains qu’un grand nombre de personnes ne trouvent exagérés les quelques éloges que j'en ai faits. Ces personnes doivent voir ce que rapporte un naturaliste an- Ee : . — (1) Harmonie des continents et des mers. (2) Exploration of the Valley of the Amazon, Washington, 1854. 60 LE PAYS DES AMAZONES glais, M. Wallace, qui se trouvait dans ce pays en même temps que moi: « Le climat, a-t-il écrit, tel que nous l'éprouvons encore, est « délicieux. Le thermomètre ne s’est jamais élevé au-dessus de 87° « Fahrenheit (30º56' C.) dans l'après-midi. Il descend jusqu’à 74° Fah- « renheit(23º63'C.) pendant la nuit. Les matinées et les soirées étaient « très agréablement fraîches, et, généralement, nous avions une averse « et une brise légère, dans l’après-midi, qui rafraichissaient beaucoup « et purifiaient l'air. » Ailleurs, il parle de la « merveilleuse fraîcheur et de la transparence de l'atmosphère, de la douceur balsamique des soirées, » en ajoutant « qu'elles n’ont d'égales dans aucun des pays qu'il a visités, et qu'on y peut travailler comme dans les mois les plus chauds en Angleterre. » D’après les observations météorologiques fournies au bureau de de statistique par la Commission d'assainissement de Manaos (1), la température moyenne de Manäos est de 27° 37 centigrades. Le mois le plus tempéré est celui de décembre, avec une moyenne de 26º 7o et le plus chaud, celui d’août, avec une moyenne de 27° 98. La tempéra- ture la plus haute n’a jamais dépassé 31° 75, et a été observée au mois d'aoút également ; la plus basse a été de 22° 25 et se rapporte au mois de septembre. Les observations ont été prises à 7 heures du matin, à 2 heures de l'après-midi et à q heures du soir. ) « On rend trop volontiers, dit un voyageur français (2), tous les pays chauds solidaires d’une insalubrité que l’on croit générale... Nous voyons une terre voisine, la Guyane française, où les entre- prises imbéciles de la plus routinière, la plus formaliste, la plus inca- pable et la plus suffisante de toutes les administrations, coûtèrent la vie à plusieurs milliers de colons européens. Mais, en Amazonie, il n’en est pas ainsi. Ni [administration portugaise, ni Padminis- tration brésilienne ne se sont rendues coupables de ces criminelles inepties. L'initiative individuelle y a été aussi habile et heureuse (1) Relatorios das Repartições de Estatistica e Archivo Publico do Amazonas, 1898. (2) Henri A. Courdeau : La France Equinoxiale t. I p. 355-56, Paris, 1886. >’ bed o. LE PAYS DES AMAZONES O1 qu'elle a été maladroite et malheureuse dans la petitecolonie d’à côté. Tous les colons blancs qu’on a introduits à Cayenne y sont morts ; tous ceux qu'on a introduits en Amazonie s’y sont acclimatés, y ont prospéré et y ont fait souche. Cayenne est une petite terre souillée, sinistre et maudite, qu'on fuit. L'Amazonie, climat et milieu identiques d’ailleurs, est un vaste monde qui ne respire que la richesse et le bonheur, et qui sera d’ici peu un des centres d'attraction des émi- grants d'Europe ». Après des témoignages aussi affirmatifs, aucun doute ne peut plus subsister sur la bonté du climat amazonien, et nous pensons qu'il n'aurait jamais été incriminés'il n'avait pas été aussi fréquemment confondu avec celui des Guyanes. La statistique de la mortalité vient, du reste, à l’appui de notre thèse. A Paris, le nombre des décès annuels dépassait 30 pour 1.000 habitants, sous le règne de Louis-Philippe. Plus tard, durant la période écoulée de 1855 à 1865, lors des grands travaux entrepris sous l’Empire, pour faire circuler dans Paris Pair, l’eau ct la lumière, le nombre des décès annuels tomba à 27 pour 1.000 habi- tants. Depuis 1882, d’après l'Annuaire stalistique de la ville de Paris, il y a dans la grande capitale à peine 26.2 décès pour 1.000 habi- tants. L'anné 1897 fut une année d'une mortalité exceptionnelle pour Manäos, car la ville fut frappée à la fois par une épidémie de variole, importée par un paquebot, et par un développement de la malaria, dû principalement à des mouvements de terre rendus nécessaires par les grands travaux publics entrepris. Malgré cela, le rapport pré- senté par le directeur de l’hygiène, le D' Gouveia (1), est encore rassurant. Le nombre des décès pendant l’année s’est élevé à 1.323, sur une population qui n'est pas inférieure à 45.000 âmes. La pro- (1) Relatorios déjà cités. 62 LE PAYS DES AMAZONES portion des décès est de 29.40 pour 1.000 habitants. Mais, sur ce nombre, on compte 232 décês dús à la petite vérole. Si on les défal- que, on n'a plus qu'une proportion de 24 25 pour 1.000 habitants, proportion qui représente assez exactement la mortalité moyenne annuelle de ja capitale. La moyenne des décès par mois fut, en 1897, de 110.25. Les mois de moindre mortalité furent janvier et mai (87 décès chacun) ; ceux de plus grande mortalité furent septembre (158) et août (162). A l’hôpital portugais, il y eut, pendant la même année, 576 malades en traitement, et seulement 39 décès, soit moins de 6,6 o/o. Parmi ces mralades, on comptait, cependant, des indi- vidus de toute nationalité, peu acclimatés encore: Portugais, Français, Italiens, Espagnols, Péruviens, Vénézuéliens, Arabes, etc. — Mais l'intérieur des terres ? dira-t-on. Ici encore laissons, tout d’abord, la parole aux faits. En janvier 1883, M. José Paranaguá, qui administrait alors l’Ama- zone avec autant de zèle que d'intelligence, envoya le D" Aprigio de Menezes au Purús, où l’on signalait une situation menacante. Ce médecin adressa au président de la province un rapport dont voici quelques extraits : « Pendant la dernière période de la préparation du caoutchouc, le rio Purús etses affluents n’ont eu à souffrir d'aucune épidémie, contrairement à ce que l’on a dit. L'affection qui y a sévi était la fièvre intermittente paludéenne bénigne, maladie endémique dans cette région. « A ma connaissance, aucun cas pernicieux de cette fièvre ne s’est déclaré : ce n'est qu’à l’imprévoyance, au manque de soins, à l’exces- sive ambition des habitants que l’on doit attribuer les cas mortels que. l'on a signalés, au nombre de plus de cinq cents, dans les rios Acre, Inauhiny, Pauhiny et Tapanhá, affluents du Purús. Cette dernière rivière n’a pas été atteinte. Ailleurs, les seringueiros, manquant de conseils médicaux en rapport avec leur état, ont, cependant, continué à extraire le caoutchouc, au lieu de combattre, dès l’origine, le mal a Di a pé LE PAYS DES AMAZONES ; e Q Us 1 dont ils souffraient. De là la répétition des accès ; delà la gravité des affections du foie et des hydropisies dontils sont morts. » , Malgré ces constatations, le président de la province affirmait, dans un rapport présenté par lui le 25 mars 1883 à l'assemblée législative provinciale, que, pendant l’année 1882, le nombre des décès, sur une population de 50,000 âmes habitant le Purús et ses affluents, n'avait pas atteint la proportion de 2 o/o. Bien plus, sur la rivière Pauhiny, pendant les deux années précédentes, il est mort à peine 21 personnes, et cependant plus de 1,000 individus y sont employés en tout temps à l'extraction et à la préparation du caoutchouc. - Il faut attribuer ces heureux résultats à la conformation du terrain. L'absence presque complète de montagnes rend la ventilation très . facile, continuelle et bienfaisante dans presque tous les embranche- “ments du fleuve de l’Amazone. Les courants constants des vents, “qui circulent dans ces larges bassins découverts, emportent et “dispersent toutes les émanations nuisibles en suspension dans l’at- …mosphère. De plus, la profusion des grands cours d'eau qui lavent le pays, dissolvent et entraînent au loin les détritus végétaux, neutrali- sent ces laboratoires de peste et annulent ces causes d’infection. D'un autre côté, les forêts immenses et profondes compensent le mal qu'elles font en empêchant la libre circulation des courants aériens, « par une large dépense d'oxygène et par une destruction complète de 2. Vacide carbonique qui charge l'atmosphère. Le savant Maury nous fournit sur cette matière d'excellentes infor- -mations, et confirme les notions que nous venons de rapporter d'après le D' J. Severiano da Fonseca: « Dans toutes les régions intertropicalês, écrit-il, dans l’Inde, dans l’Afrique occidentale, dans la Nouvelle-Hollande, en Polynésie, il règne deux saisons. Pendant la saison sèche, peu ou point de pluies : les fontaines et les sources sépuisent, le bétail meurt et les cadavres contaminent Pair. C’est alors — que l'on voit éclater sur ces plages le terrible mal de la peste. 7/ n'en est pas de même dans la vallée amazonienne. Dans cette vallée, les O4 LE PAYS DES AMAZONES pluies, quoique abondantes, ne tombent pas seulement pendant un petit nombre de mois; elles ne sont. pas accompagnées non plus de ces terribles ouragans et tourbillons de vent qui s'élèvent dans l'Inde à chaque changement de saison. En Amérique, des pluies douces et vivifiantes tombent pendant tous les mois de l’année, et les vents rarement sont furieux. Un grand nombre de personnes croient que cette région étant située sous les tropiques doit avoir un climat ana- logue à celui des autres pays tropicaux, comme l'Inde, par exemple ; mais, pour les raisons ci-dessus exposées, il n'existe pas plus de ressemblance entre le climat des Indes et celui de " Amazone qu'entre ceux de Rome et de Boston ; celui qui croirait que le climat est iden- tique à Rome et à Boston, parce que ces deux villes se trouvent sous les même latitudes, ne tomberait pas dans une erreur moins gros- sière que celui qui confondrait les deux climats de l'Inde et de "Ama- zonie, sous le prétexte que touslesdeux sont tropicaux. Quelle doit être la condition d'un pays interiropical dont le sol est arrosé par de fré- quentes pluies et où l'on ne souffre pas la moindre sécheresse em- brasée pendant une éternité d'été perpétuel ? Évidemment, ce pays doit être fertile et salubre, car, dans un pareil climat, tout naît et croit rapidement et promptement. La production intense et la décom- position constante des matières végétales, pendant l’espace de milliers d'années, doivent avoir enrichi la superficie du pays de couches pro- fondes de terre végétale. Aussi bien la végétation y est-elle en activité perpétuelle ; il n’y a pas d'intervalle de repos végétal, car, dès qu’une feuille tombe etcommence à pourrir,d'autres naissent qui en absorbent les gaz. Toutes ces conditions font que le climat de la vallée de l’Ama- zone est l’un des plus salubres et l’un des plus délicieux du monde. » Ajoutons que, lorsque le mouvement d'émigration qui se dirige sur l'Amérique du Nord se détournera pour inonder la vallée ama- zonienne, quand la population y deviendra plus dense, elle sera sans conteste la vallée de Tempé de l'Amérique méridionale. Loci, homines; et homines locos faciunt sanos. é si 2 CHAPITRE V Règne animal. — Rôle du naturaliste dans la vallée e l’'Amazone. — Différence entre la faune amazonienne et celle des différentes parties du globe. — Les mammifères. — Les oiseaux. — Légendes sur l’urubù. — Les reptiles. — Les poissons. — Le piraruci. On lit dans les légendes des saints qu’un vénérable solitaire, qui n’était pas grand clerc devant le Seigneur, avait coutume de se repré- senter la terre comme une grande table servie par le bon Dieu. Les animaux de tout genre, les plantes de toute espèce qui produisent des fruits savoureux, et les trésors disséminés en ce bas monde, étaient les mets et les ornements de cette table. L'homme en était le convive. Il est impossible de ne pas se ressouvenir de cette naïve cosmo- gonie lorsque l’on a à décrire ce plantureux banquet de la vallée de Amazone, où les trois règnes de la nature sont offerts profusément à tous les appétits des mortels. Nous avons essayé de donner une idée de la « table » immense, qui mesure 360 lieues du Nordau Sud et 300 lieues de Est à l'Ouest, tout d’une pièce, sans rallonges. Nous avons constaté que l'élément liquide ne manque pas sur cette nappe vraiment royale. Il est temps de faire connaître ie menu du festin. Nous parlerons après des invités. La vallée amazonienne est, en effet, une table merveilleuse qui se garnit et se renouvelle d'elle-même. Elle fournit en abondance aux moindres besoins du roi de la création. Sa faune est infinie; sa flore, inépuisable ; ses richesses minérales, mystérieuses. Les recherches des savants s'épuiseront à les dévoiler. L'Amazonie est le désespoir des naturalistes. Bien des années s’écouleront encore avant qu’on ait inventorié les richesses qu’elle renferme. Ce travail ne pourra être à 66 LE PAYS DES AMAZONES accompli que par une légion de pionniers. Il est à craindre que le recensement ne se fasse qu'après le pillage. Civilisation est parfois “synonyme de destruction. L'homme ne dompte la nature qu'en la mutilant. Il extermine pour régner. Au lieu de soumettre les animaux pour son service, il les tue pêle-mêle sans penser à les approprier à ses usages domestiques ; au lieu de tirer des forêts, par d'intelligents procédés, ce qui est nécessaire à ses besoins d'alimentation, de logement, d'ameublement, de navigation, de médication, il abat au hasard, en prodigue imprévoyant, et il anéantit, pour l'avenir, des sources précieuses de bien-être. Il serait désirable que le savant passãt avant le colon dans les terres vierges, afin de fixer les ressources du pays et de veiller à leur conservation. L'œuvre du naturaliste à notre époque doit être, avant tout, une œuvre économique. Il doit instruire ceux qui exploitent le sol des propriétés diverses des productions natu- relles, et leur faire bien comprendre qu’il y va de leurs plus chers intérêts de les ménager. L'explorateur n'est pas l'homme qui appelle à la curée, mais celui qui invite à prendre une simple part de ce qu'il a découvert, afin de la faire fructifier. Il se sert volontiers des recom- mandations du poète : Insere Daphni pyros, carpent tua poma nepotes. C'est dans ces sentiments que nous nous plaçons en divulgant, après tant d’autres, les trésors de l'El-Dorado amazonien. Loin de nous la pensée d’allécher les aventuriers de la finance et leurs émigrants mercenaires par l’appât d'une proie facile et de.choix. Ce que nous voulons, c’est attirer le travailleur sérieux, déterminé, intelligent, résolu à faire souche et à édifier sa fortune, non pas sur la ruine ou le gaspillage de cette belle contrée, mais sur sa mise en valeur agricole et industrielle. C’est pourquoi, tout en lui révélant les avantages nombreux qui s'offrent à son activité, nous ne lui dissimu- lerons aucun des obstaclés que la nature inculte lui opposera. Nous commencons par Pavertir qu'il ne trouvera pas, dans les forêts LE PAYS DES AMAZONES 67 . inextricables qui bordent tous les cours d’eau de l’Amazonie, les ani- maux gigantesques, utiles ou féroces, que l'on rencontre dans cer- taines parties de l’Europe, dans les steppes et les jungles de l'Asie, - dans les déserts de l’Afrique, au sein des îles océaniennes. Il n’y Lu verra pas des troupes d'éléphants porteurs d'ivoire, des caravanes de f chameaux porteurs d'hommes. Il ne devra pas s'attendre aux charges folles du rhinocéros dans les hautes herbes, aux clapotis de l’hippo- potame dans les roseaux des fleuves. Ni le lion ni le tigre royal ne “lui fourniront des occasions de chasses épiques. Le buffle ne lui traînera pas ses chariots, d'un pas tranquille et lent. Le zèbre et la 68 LE PAYS DES AMAZONES de l’âge tertiaire. Les paresseux, les tatous, les tapirs, les vaches fluviatiles le feront rêver aux mégathériums, aux smilodons, aux mégalonyx, aux paléothériums et aux dinothériums engloutis dans les déluges. Dans chacune des classes des mammifères, des oiseaux, des pois- sons, des batraciens et des reptiles, il fera des connaissances nouvelles et nombreuses. C'est pour lui faciliter ces relations que nous donnons ici la nomen- clature abrégée, par classification zoologique, des principaux hôtes de la vallé des Amazones. : A tout seigneur, tout honneur. Commençons par le singe, qui est, à coup sûr, l’autochtone de la forêt vierge. Dans la classe des mammifères, l’ordre des quadrumanes nous offre quelques espèces fort intéressantes (1). Ce sont, en première ligne, les Guaribas, gouaribas ou ouarines (Simia Mycetes), singes hurleurs, appartenant au genre Alouate ou Stentor, de la famille des sapajous, c’est-à-dire des singes à queue préhensile. Les guaribas sont les plusgrands et les plus remarquables quadrumanes des forêts brésiliennes. Ils se rencontrent également dans les Guyanes et au Paraguay. Les naturalistes, et Spix princi- palement, en ont décrit un grand nombre d'espèces, sans tomber d'accord sur leurs caractères distinctifs, empruntés à la couleur de leur peau, variable suivant l’âge et le sexe. Les alouates guaribas se distinguent des autres sapajous par leur tête pyramidale et leur visage oblique, dûs à l'énorme développement de l’os hyoïde. Ces singes ont une hauteur moyenne de deux pieds. Leurs membres sont pourvus de cinq doigts bien développés. Leur queue, très longue, leur sert de main. La partie prenante en est nue et caleuse (1) J. von Spix : Simiarum et Vespertilionum brasiliensium species novae.. Monachii, 1823. — Alex. Rodrigues Ferreira : Relação dos animaes quadrupedes, silvestres, que habitam nas matas de todo o continente do Estado do Gram-Pará...., 1786, Manuscr. de la Bibl. Nat. de Rio. ! | | à } ( 1 LE PAYS DES AMAZONES 69 en dessous et velue en dessus. Le guariba porte une sorte de collier de barbe épaisse, à la façon des Yankees. Il est doué d’une loquacité surprenante. Son organe pourrait en faire un chantre d'église. La puissance de sa voix est telle qu'elle se fait entendre dans un rayon de plusieurs kilomètres. Lorsque, pendant la saison des pluies, ils hurlent en chœur, tous les échos des bois sont en révolution. Il est rare que les guaribas marchent en bande; le plus souvent ils vont par couples. Ils se nourrissent de fruits. La femelle porte ses petits sur le dos, à la facon des femmes indiennes, et souvent elle se dévoue pour eux. Leur chair est comparable, dit-on, à celle du lièvre. Les guaribas perchent au sommet des arbres. Pour les abattre, il faut les tuer raide d’une balle. S'ils ne sont que blessés, ils restent sus- pendus par le croc de leur queue. Les Platyrrhiniens du nouveau continent comptent encore,dans la famille des sapajous, quelques espèces et variétés des genres atèles, lagothriches et cebus. Les coatás ou coaïtas de " Amazone appartiennent au genre atèle,et les deux principales espèces sont l’A/eles marginatus et VA. paniscus. Ces singes ont la tête volumineuse, et un angle facial de Go degrés. Ils sont doux, mélancoliques, craintifs, faciles à apprivoiser, paresseux et lents. Leur pelage est long et soyeux; leurs membres, grêles et démesurés, sont terminés par des mains à quatre doigts, avec un pouce rudimentaire et tuberculeux. Les Barrigudos font partie du genre Lagothrix. Ces animaux, décou- verts et décrits par Humboldt, sont laineux, ventrus et pourvus de cinq doigts. Ils ont la tête ronde et volumineuse, les membres bien proportionnés et la station bipède. Les Sais, singes capucins ou pleureurs, relèvent du genre Cebus ou Sapajou. Leur pelage varie du brun au gris olivâtre. Une calotte ou capuce de poils noirs orne leur occiput. Leurscris plaintifs etpleurards partent d’un naturel doux et timide. Tous ces singes représentent les membres sérieux de la famille 70 LE PAYS DES AMAZONES A côté d’eux, nous possédons le genre amusant, les enfants terribles et dégingandés, personnifiés dans les ouistitis et les sagouins du genre Jacchus, du genre Midas, du genre Callithrix et du genre Pithecia. Nous mentionnerons dans ces divers genres le Sagouin au dos gris argenté (J. humeralifer) ; le sagouin velu (M. hursulus), dont le corps est couvert de poils noirs à ondulations de couleur rousse sur le dos ; le sagouin rouge (C. moloch), et le joli singe noir Para-uassú (P. hirsuta). L'ordre des carnassiers n’est pas moins riche en représentants que l'ordre des quadrumanes. Le genre Felis compte beaucoup d'individus auxquels les Brésiliens donnent le nom générique d'Onca, et les Indiens, celui de Jaguára. On appelle l’once, parfois, tigre d'Amérique ou jaguar. L'Once commune (Felis onça) est un animal presque aussi gros et aussi féroce que le tigre royal d'Asie. Son pelage est d'un fauve vif en dessus, marqué le long des flancs de quatre rangées de taches noires ocellées, c’est-à-dire de la forme d'un anneau plus ou moins fermé, avec un point noir au milieu. Il est blanc en dessous, avec de grandes taches irrégulières, pleines et noires. Il mesure jusqu’à 1 m. 95 de longueur, sans compter la queue, qui atteint 6o centi- mètres. L'Once notre (F. onça nigra), appelée jaguereté ou Jaguära-pixuna par les Indiens, présente un double aspect: la femelle est toute noire; le mâle est roux avec des taches noires. L'Once au poil roux (F. concolor) est la susuarana des Indiens, et le Couguar ou Puma desnaturalistes. On la nomme aussi vulgairement lion d'Amérique et tigrerouge.Sa taille atteint 1 m. 30 delongueur, non compris la queue, qui mesure quelquefois 70 centimètres. Son poil est d’un fauve uniforme, sans aucune tache ; l'extrémité de sa queue est noire, ainsi que ses oreilles. L'Once au poil gris et blanc (F. pardalis), dénommée Pacova- sororoca par les indigènes, est de petite taille. RE éd LE PAYS DES AMAZONES 72 la précédente. Elle a le poil nuancé de noir, de blanc et de gris. Le Jaguar proprement dit ou le Felis onça, dont nous avons parlé, est plus fort et plus redoutable que les quatre autres espèces d'onces. Il attaque les plus gros animaux et bien souvent l’homme lui-même. Passons à l’ordre des rongeurs, le sixième ordre de la classe des mammifères, caractérisé, comme l’on sait, par "absence de canines, par de longues incisives et quatre paires de molaires uniformes à chaque mâchoire. La région amazonienne possède le plus grand des rongeurs connus: la Capivära (Hydrochoerus capibara), dont le nom est dérivé, selon Martius, de deux mots tupis : caapi et uara, qui signifient maître des graminées, allusion aux graminées dont elle se nourrit dans les cours d’eau et les lacs. Les Français l’appellent capivard ou capiverd, et les Galibis cabiai. La capivära est de la grosseur d’un sanglier. Son poil, peu fourni, est d'une couleur grisâtre, sa viande sert de nourriture à quelques naturels du pays qui estiment surtout le lard qu'elle fournit. Après elle, il faut citer la Páca. Deux espèces sont particulièrement connues : la Coelegenys fulvaet le C. subnigra. La päca appartient à l’une des sept familles de rongeurs décrites par G. Saint-Hilaire. Ses dents ressemblent à celles des agoutis, mais elle possède un doigt de plus qu'eux, ce qui lui en fait cinq bien comptés. Un autre caractère différentiel se tire de la peau de ses joues, qui se replie sous les ar- cades zygomatiques très saillantes, et qui forme une poche ouverte par en bas et en dehors. Les pácas ont la taille d'un cochon de lait, 56 centimètres environ: le ventre est gros et mustélin, les pattes cour- tes, le museau allongé et arrondi par le bout, les oreilles petites ; elles n'ont pas de queue; par contre, elles portent de longues moustaches. Leur peau est blanchâtre ou rousse, avec des bandes longitudinales for- mées de taches noires ou blanches disposées en séries. Elles ont le gro- L'Once maracajá (F. tigrina) est encore inférieure en dimension à Cr ort 72 LE PAYS DES AMAZONES gnement du petit cochon. Les fruits et les racines composent leur ordi- naire. Ce sont de petits animaux proprets, doux et aptes à la domes- tication. Leur chair est d’une délicatesse exquise et fait le régal des plus gourmets. x L'Agouti constitue un genre à part dans l’ordre des rongeurs. Il E tte ts ns porte quatre doigts devant et trois derrière. Ses jambes postérieures sont beaucoup plus longues que celles de devant, comme celles des lièvres. Le poil est rude, facile à arracher ; il est tantôt brun, tantôt roux. Il ressemble un peu au lapin d'Europe, mais il a les oreilles ron- des et le nez plus pointu. Sa queue est rudimentaire. L'agouti, — que les Brésiliens appellent Cotia, et que les naturalistes nomment Dasyprocia Agouti, — se plaît sur les collines boisées et élit domi- cile dans les creux d'arbres ou de rochers. C’est un noctambule émé- PER nt. rite : il a le don de voir clair la nuit. Il est facile à élever. Comme il est omnivore et peu difficile sur le choix de sa nourriture, il peut fournir quelques centaines de francs de rentes à celui qui se livrerait à son élevage. Sa chair n'est pas à dédaigner, et sa peau, corroyée, est 1 recherchée par les cordonniers. !/agouti fournit encore quelques lé- gendes aux imaginations avides de chasser au merveilleux. En voici une que nous empruntons à M. Sylvio Roméro pour agrémenter un peu nos descriptions arides : Le singe en belle humeur s’en alla danser chez l’agouti, son voisin. Celui-ci, né malin, pria son bon ami de tenir les violons, et se | | | mit à danser à sa place. En tournant, il alla donner du ventre contre le mur et se cassa la queue. Ce que voyant.les animaux à queue eurent peur de danser à leur tour. Alors le Preá (1) leur dit : — Quoi donc ! Vous avez peur de danser, vous autres ; faites aller la musique, et vous allez voir comme on danse. Le singe se douta de quelque chose. Il monta sur un banc, et se mit à jouer du violon pour faire danser le preá. Celui-ci fit quelques (1) Petit quadrupède sans queue, semblable à un gros rat; il a le poil grisätre. Les naturalistes donnent à ce rongeur le nom de Cavia Aperea. LE PAYS DES AMAZONES 73 tours, puis il vint prier le singe à danser. Le singe ne put s’y refuser. Il entra dans la danse avec tous ses amis, mais il ne pouvait pas faire un pas sans qu'on lui marchât sur sa queue, qui trainait. Il s'arrêta et dit : — Je ne danse plus! Ceux qui n’ont pas de queue ne devraient pas marcher sur la queue des autres. Nos amis le pred et le crapaud ne doivent pas marcher sur la queue d'autrui, parce qu'ils n’en ont pas pour que l’on puisse leur rendre la pareille. A ces mots, il sauta sur la fenêtre, et il se remit à jouer du vio- É Jon sans plus être importuné. Quant à nous, reprenons notre excursion à travers la faune ama- zonienne. L'ordre des pachydermes nous présente le Tapir ou Anta ( Tapirus americanus). C’est certainement le plus grand des mammifères de la contrée, et l’on peut dire le meilleur gibier, l’une des plus grandes ressources comestibles de ces déserts d’eau et de forêts. Les Indiens Pappellent Icury ou Tapiyereté. Le tapir américain est à peu près semblable au cochon, mais il le dépasse en taille, car il mesure 2 mètres de long et 1 mètre de haut au jarret. Le nez prolongé en une petite trompe mobile ; la queue très courte ; les quatre doigts à sabots des pieds antérieurs; les trois doigts des membres postérieurs ; une peau brune, épaisse et revétue de poils soyeux assez rares ; des oreilles rondes et velues, tels sont les prin- cipaux signalements du tapir, répandu depuis l’Orénoque jusqu’à la Plata, et principalement localisé dans la vallée de l’Amazone. Les petits de ce pachyderme sont tachetés de blanc, comme les faons du cerf. Il est brutal, mais non féroce, et occasionne des dégats comme le sanglier. Caché le jour dans des fourrés, il sort la nuit pour man- “ger des fruits et des racines. Il nage et traverse les rivières avec une grande aisance. Il aime à se vautrer et à se tenir au frais dans “les marécages. Nul ne sait mieux que lui se faire place dans les grands bois. Il fonce tête baissée entre les arbres, son boutoir proboscidi- 74 LE PAYS DES AMAZONES forme en avant. Sa voix est grêle et sans proportion avec la grosseur de son corps ; elle consiste en un sifflement court. « Parmi les pachy- dermes, écrit A. Saint-Hilaire, il en est un dont la domestication me semble devoir être immédiatement tentée, c'est le tapir, et spéciale- ment l'espèce américaine, qu'il serait aisé de se procurer par la Guyane et le Brésil. L'utilité du tapir serait double pour l’homme. Sa chair, améliorée par un régime convenable, fournirait un aliment à la fois sain et agréable, ainsi qu'un cuir excellent. En même temps, il pour- rait rendre d'importants services comme bête de somme. » Nous li- vrons ces réflexions aux colons de l'avenir, ajoutant seulement que certains tapirs, pris Jeunes, ont déjà été apprivoisés. Tout le monde peut les toucher et les gratter, ce qu’ils aiment beaucoup. Ils se pro- mènent librement dans les maisons et mangent tout ce qu'ils trouvent, jusqu'à la chair crue. Le Pécari ou Caétêtir est un autre genre de pachyderme, inférieur au précédent. Les espèces les plus connues sont le Dicotyles labiatus et le D. torquatus, qui est le Tajassú des Indiens. C'est le sanglier ou te cochon amazonien. Les pécaris marchent en bandes et fournissent un excellent gibier. La manière dont les indigènes les chassent est originale. Le chasseur s’installe sur un arbre, dans le voisinage d’un bouquet de palmiers dont les fruits sont très goûtés des pécaris. Quand il aperçoit un troupeau de ces animaux, il tire un coup de fusil et imite les aboiements d’un chien. Les caétêtüs entrent en fu- D reur, et se ruent sur l'arbre, qu’ils mordent et qu'ils essaient de ren- verser. Le chasseur se laisse alors glisser, et, se retenant à une bran- che d'une main, il abat, de l’autre, à grands coups de bâton sur le groin, tous les assaillants qui se présentent. Il en tue, parfois, de la TU sorte une assez grande quantité. L'ordre des ruminants compte diverses espèces de cerfs ou veados. M Citons seulement le Cervus campestris, palustris, le C. nemorivagus et le C. rufus. Ces cerfs sont nombreux dans les forêts; leur chair LE PAYS DES AMAZONES 79 est exquise, et leurs peaux commencent à être recherchées pour l'ex- portation. Dans l’ordre des édentés, il faut nommer les Tatous, formant diver- ses espèces du genre Dasypus ; les Fourmiliers, Tamanduás ou Tamanoirs, appartenant au genre Myrmecophaga, et les paresseux, du genre Bradypus. 8. — Tamanoir. Le Tatü-assû (Dasypus gigas) a presque la taille d'un cochon de lait. Ses jambes sont courtes et recouvertes d'écailles; son groin, très “allongé, est également défendu par une sorte de morion. Son test écail- Eux est composé de compartiments en mosaïque, constitués par des poils agglutinés ensemble. Cette armure est composée de trois par- “ies. Les pièces du harnois du cou et de la croupe sont fixes ; entre elles, plusieurs bandes parallèles et mobiles donnent au milieu du corps la facilité de se ployer. La queue est ronde et recouverte irré- 76 LE PAYS DES AMAZONES gulièrement d'écailles tuberculeuses. Le ventre est rougeâtre et verru= queux ; les mamelles sont pectorales. Les pieds ont tous cinq doigts | munis d'ongles très grands et très robustes. Sa voix est une sorte de grognement. Il est craintif, nocturne, très vite à la course et cherche toujours à se cacher. Il vit de cadavres, de fruits et de vers de terre ; il se retire dans des terriers. Quand on l'attaque, il rentre sous sa . carapace, où il se sent inexpugnable. Quand ce guerrier bardé de cottes de mailles a le malheur de tomber sur le dos, il a toutes les peines du monde à se remettre sur pied. Les tatous s’apprivoisent facilement. On leur attribue des mœurs singulières. Il paraît qu'ils vivent plusieurs casernés dans le même trou, tandis que l’un d’eux s’en va à la corvée et rapporte à la petite communauté les provisions de tucuman (Astrocaryum tucuman) et de mucaja (Acrocomia sclero- carpa) dont ils se régalent en famille. On prétend, cependant, qu'une fois arrivé sous les palmiers, le tatou quêteur commence la charité par lui-même et s'administre une copieuse ration préalable. L'ordre des cétacés est représenté dans le bassin de "Amazone par deux types étranges, qui nous reportent aux légendes mythologiques et aux époques primitives. Le premier est la Vache fluviatile (1),le Poisson-Bouf des Brésiliens, le Goarába des Indiens, connu des naturalistes sous le nom latin de Manatus americanus ou australis. C'est le Manate, le Lamantin ou Dugong. Le second estle Bôto, le Poisson-chien ou Pira-Jaguára des Indiens, le Dauphin de " Amazone, le Phocena brasiliensis. Le Lamantin de "Amazone n'est autre que la Sirène voce canorá des anciens. Il a, en effet, le corps pisciforme, terminé par une na- geoire simple, ovale et horizontale. Les nageoires d’avant, quoique aplaties et membraneuses, se composent de cinq doigts, que l’on peut (1) Alex. Rodrigues Ferreira: Memoria sobre o peixe boy..., 1786, Manusc. de la Bib. Nat. de Rio. LE PAYS DES AMAZONES 77 endre, sous la peau, pour de véritables mains. C’est de cette parti- ularité, sans doute, que leur vient le nom de manates. Ils atteignent ouvent près de six mètres de longueur. Les femelles ont une poitrine féminine très opulente. La chair de ce poisson-femme est très délicate. On en fait des conserves appelées mixira. La graisse donne une huile d'éclairage excellente. Le lamantin passe pour posséder une ouïe très fine, ce qui en rend la pèchedifficile,excepté pour les gens du pays, qui - connaissent toutes ses ruses. Agassiz semble le considérer comme le représentant actuel du dinothérium. Si le Peixe-boi est la sirène antique, le bóto paraît être l’un de ces dauphins de la fable Per maria humida nantes. L'Amazonie, d’ailleurs, a hérité de quelques-unes des légendes de “la Grèce au sujet du dauphin (delphinus rostratus). Tout le monde y est persuadé que le bôto est l’ami de l’homme ; que si un navigateur fait naufrage, ce sauveteur dévoué l’aide à échapper aux flots et à ses dangers, en "embarquant sur son dos. On trouve, en effet, le dauphin “dans les rivières, soufflant près des barques. Son grand corps, qui dépasse souvent 2 mètres de long, se joue dans tous les cours d’eau sans crainte de l’homme. Après la classe des mammifères, voici celle des oiseaux, les hôtes étincelants des grandes forêts sombres. Alfred R. Wallace en a col- lectionné plus de 500 espèces. Ici nous sommes dans un monde de féerie, dans un éblouissement ornithologique (1). “ Dans l'ordre des rapaces, le groupe des diurnes nous offre PUrubi f sinistre, dont le nom est emprunté à la mystérieuse langue tupi. Uri signifie oiseau, et bit, vú, uw manger : c'est l'oiseau vorace. Il a le bec plus gros que le corbeau d'Europe ;sa tête chauve ressemble à (1) Frei. J.-M. da Conceição Velloso : Aviario brasilico...., Lisbôa, 1800. — J.-B. von Spix : Avium species nove..., Monachii, 1824. 78 LE PAYS DES AMAZONES celle d'une poule. On en connaît plusieurs espèces : le Cathartes fœtens, le C. aura, le C. jota. L'urubú-tinga ou blanc est l’espèce la plus rare. Les indigènes le. considèrent comme le roi des urubüs. Ils disent que les urubús com- muns ou noirs ne mangent que lorsque l’urubü-tinga est rassasié: Ils racontent qu'il plane au-dessus des nuages, que la flèche ornée de Í ses plumes ne manque jamais sont but, que la prière écrite avec elles est écoutée, ainsi de suite. L'urubú blanc est la bonté. l’urubü noir le mal. Les Indiens ont chargé ce dernier d’une infinité de légendes, où se mêlent le naturalisme primordial et les idées chrétiennes d'im-. portation. Ecoutons quelques-uns de ces récits, que reconnaîtront les amateurs de contes populaires pour les avoir entendus au pays bru- meux des minnesingers, où les grand'mêres au chefbranlant les redi-" sent encore aux Gretchen attendries des bords du Rhin. Un jour(dit une de ces légendes), il y avait fête au ciel en l’honneur de la bonne Vierge. Tous les animaux de la création y avaient été invités. La tortue de terre (jaboty), qui ne va qu’à petites journées, ne voyait aucun moyen d'arriver si haut. Elle demanda à l’urubü de l'emmener avec lui. Le vautour y consentit et la prit sur son dos: Arrivé à une certaine hauteur, le méchant urubü fit tomber exprès la pauvre petite tortue, qui se brisa sur un rocher en mille morceaux. La bonne Vierge alors descendit du ciel. Elle ramassa les morceaux de la tortue, lui rendit la vie, la combla de bénédictions, et maudit à jamais le noir urubú. C'est depuis ce temps-là que le jaboty est couvert d’une carapace en mosaïque, faite de plusieurs morceaux, et que Purubú porte malheur à toui ce qu'il touche. L'arbre sur lequel il perche perd” toutes ses feuilles : le fusil qui le vise éclate dans la main; son corps; après sa mort, reste abandonné ; les fourmis même n’en veulent pas. Un autre jour, l’urubü fut invité avec le crapaud (sapo) à une se- conde fête au ciel. Pour se moquer, l’urubü alla trouver le crapaud et lui dit: LE PAYS DES AMAZONES — Eh bien ! compère crapaud, je sais que vous allez au ciel; si nous y montions de compagnie ? — Je suis prêt à vous suivre, mon ami, mais allez chercher votre petite guitare. — Et vous, prenez votre tambour de basque... Au jour dit, l'urubuü se présenta chez le crapaud, qui le recut três bien et le fit entrer pour voir sa commère et ses filleuls. Tandis que le vautour causait avec la femme et les enfants, le crapaud lui cria du seuil de la porte : — Vous savez, je marche très doucement. Permettez-moi de partir avant vous. Et il se faufila dans la guitare et s'y blottit três tranquillement. Bientôt après l’urubü prit congé de la dame et des enfants, passa sa > E ) “ouitare, et se mit en route pour le ciel. En arrivant, il fut questionné, On lui demanda des nouvelles du crapaud. — — Quelle plaisanterie ! répondit-il, est-ce que vous croyez que ce jeune homme peut se permettre d’aussi longues promenades ? Il peut à — peine se trainer sur la terre, comment voulez-vous qu'il s'aventure à « travers les airs ? A ces mots il déposa sa guitare et s’en alla manger. Lorsque tout le monde fut à table à boire et à manger, le crapaud sauta hors de la guitare sans être vu, et s'écria : — Me voici ! Etonnement de l'assemblée. On se mit à danser et à s'amuser. Le bal fini, tout le monde se retira. Le crapaud, voyantle vautour distrait, se glissa de nouveau dans la guitare. L'urubú se mit en route. A un certain endroit, le crapaud remua. Le vautour, sans bruit, retourna sa si ire guitare et la vida. Le crapaud tomba des nues. …— Retirez-vous, pierres et rochers, criait-il en approchant de terre, — Pas de danger, répliquait l’urubü gouailleur, vous savez trop 1% je vous écrase ! bien voler. A € So LE PAYS DES AMAZONES Ce qui n'empêcha pas le crapaud de s'aplatir et de s'endommager considérablement. Voilà pourquoi il a le dos tout bossué et la peau | couverte de plaies. | Si Purubú prête aux poétiques légendes, le Jacurutú (Strix nacu- M rutu) à tête de chat, oiseau de la famille des Nocturnes, jette la terreur et les craintes superstitieuses dans l’âme de l’Indien, qui redoute son | croassement lugubre. Mais le Caraxoé ou Sabiá et le Japiym ou Chechéo (Oriolusicterus | gam.) Penchantent de leurs mélodies et le plongent dans les vagues. rêveries qui sont pour lui les seules jouissances de l’esprit. Ces deux espèces d'oiseaux sont du genre Turdus, de l’ordre des passereaux. Le sabiá a le chant suave et mélancolique du rossignol de "Europe, mais moins étendu et moins varié. Le japiym, jaune et noir, imite la voix de tous les autres oiseaux. C'est l'oiseau-orchestre des forêts brésiliennes. Il pourrait aussi en être le tapissier. Ses nids, en grand nombre, sont suspendus à la plupart des arbres, semblables à de | longues bourses flottantes. Les japiyms, amis des gais ramages, vont” par bandes. L'ordre des Grimpeurs nous présente diverses espèces de /oucans (Rhamphastos discolorus), dont le cri est l'harmonie imitative du nom qu'on leur a donné. Ces oiseaux portent un bec énorme, blanc et jaune, souvent plus long que leur corps. Ce bec a la forme d'une faux. Ilest léger et celluleux à l’intérieur, dentelé parfois sur les bords et recourbé vers le bout. La tête petite, l’œil rond, la langue longue et étroite barbelée comme une plume ; la face est nue, la queue d’une longueur moyenne, le pied court et l’aile peu étendue. Les toucans ont la taille des corbeaux d'Europe. Le plumage est très haut en couleur. Le dos est azuré, la queue et les ailes bleuâtres, la poitrine est d'un jaune splendide avec des reflets métalliques. Ils vivent dans les bois par . petites troupes de six à dix. Leur naturel est défiant. Sans cesse en mouvement, ils ne posent presque jamais à terre ; ils se nourrisent de fruits et d'insectes. A l’époque de la ponte, il dévorent les œufs et a ms pe À Le UE LE PAYS DES AMAZONES 81 q les petits oiseaux, qu'il avalent sans les mâcher, après les avoir fait | sauter en l'air jusqu'à ce qu'ils se présentent bien pour être engloutis. Leurs cris sont rauques et percants. Ils nichent dans les trous d’arbres et ne pondent que deux œufs. Dans ce même ordre des Grimpeurs, on compte une grande variété de perroquets, de perruches et d'aras, parmi lesquels on distingue le maracaná (Conurus), joli perroquet jaune. Les gens du pays préten- dent que. pour rendre jaune le plumage d'un perroquet, il suffit de nourrir cet oiseau de la graisse du pirarära ou poisson-ara (phractoce- phalus hemiliopterus). …_…_ Dans l’ordre des Gallinacés, les plus remarquables sujets sont : les « Jacüs (Penelope), les Mutúns (crax), VAgamy ou Jacamy (psophia 2 : : = À . crepitans), PUnicorne (Palamedea), le Nhambú (crypturus), la Cigana - colombes et de tourterelles. On a fait remarquer avant nous que, — «à l'exception de quelques gallinacés rappelant la perdrix, tous les “ représentants de cet ordre au Brésil, et spécialement dans la vallée | de l’Amazone, appartiennent à des types qui n'existent pas dans les _ autres parties du globe. » Les variétés de mutüns ou hoccos sont assez nombreuses. Le plus petit est le mutúm-pinima (Crax discors). Il y a encore le mutúm- miri (C. tuberosa), le grand mutúm (C. globulosa) et le beau mutúm, le poranga (C. rubrirostris). Ce sont de grands gallinacés dont le dos est d'un noir de jais, avec des ailes et le ventre bien souvent de couleur blanche. Ils portent sur la tête une belle huppe frisée comme celle des paons. Ils chantent la nuit, et les indigènes affirment qu'ils se font entendre exactement de deux heures en deux heures. Le nhambú est de plusieurs espèces. Le nhambú-quiá ou pixúna ] , Crypturus cinereus) a le plumage couleur cendré foncé ; ses œufs Sont rouges. Le nhambú-toró ou toré (C. serratus) passe pour chanter d'heure en heure, et, avec le mutúm, il sert d'horloge aux Indiens. Son chant consiste en un simple cri aigu, strident, que les ? 6 82 LE PAYS DES. AMAZONES sauvages imitent dans la perfection, quand, au fond des forêts, ils veulent s'appeler entre eux sans donner l'éveil aux habitants civilisés. Il pond des œufs bleus. Il faut citer encore la sururina, qui res- semble au précédent, quoique plus petit. Dans le genre Columba, nous possédons également un grand nombre d'espèces, parmi lesquelles le juruty, qui est la Columba cabocolo de Spix. C'est une tourterelle au plumage cendré, à la poitrine grisâtreet à la tête presque déplumée. Dans l’ordre des échassiers, aussi nombreux que varié, notons : la Peaçoca ou mieux Aguapéacéca (Parra Jacana), de couleur marron, dont les longs doigts, plus longs que son mince corps, lui permettent de courir sur la végétation flottante des cours d’eau comme sur la terre ferme ; le Jaburú-Moleque ou Marabout (Mycieria americana), le plus grand des échassiers riverains de l’Amazone ; le Magoary (Ciconia Maguari), inférieur en taille au Marabout, et le Nandú ou Ema (Rhea americana), appelé souvent autruche d'Amérique, — Tous ces oiseaux au long bec emmanché d'un long cou vivent en bandes sur les bords des lacs et des affluents du grand fleuve. La famille des Longirostres est représentée par un oiseau vraiment splendide, "Ibis ou Guará aux plumes roses (/bis rubra), dont l’extré- mité des ramiges est noire. Les Indiens, admirables observateurs de la nature qui les entoure, l’avaient bien nommé ; guá et guira, oiseau aux couleurs changeantes, car, tout jeune, il est blanc ; adulte, il devient noirâtre, et, plus tard, tout rose. Nous ne parlerons pas des Plongeurs, pour ne pas étendre outre mesure ce chapitre déjà long. Nous laisserons également de côté les trochilidés, oiseaux-mouches et colibris aux ailes étincelantes, ainsi que les papillons aux nuancss éblouissantes (1). La plupart des volatiles cités plus haut donnent une nourriture déli- cieuse. Quelques espèces se prêteraient facilement à la vie des basses- (1) J. Théodore Descourtilz : Oiseaux brillants du Brésil, Paris, 1832.— E. J. da Silva Maia: Memoria sobre os beija-flores, Rio, 1851, «Trab. da Soc. Vellos. » 1d LE PAYS DES AMAZONES 83 cours et fourniraient une alimentation de premier ordre.L'industrie et le commerce ont déjà tiré parti de la beauté et de la légèreté extraor- dinaires du plumage de quelques-uns de ces oiseaux des tropiques. 9. — Tortue de l'Amazone. Examinons rapidement la classe des Reptiles, et trois de ses ordres : celui des Chéloniens, celui des Sauriens et celui des Ophidiens. Dans l’ordre des Chéloniens (1), nous trouvons toutes les tortues (1) Alex. Rodrigues Ferreira: Memoria sobre as Tastarugas..., 1786, Man. de la Bibl. Nat. de Rio. — J. B. von Spix: Animalia Nova sive species novae testudinum et ranarum..., Monachii, 1824. 84 LE PAYS DES AMAZONES aquatiques et terrestres : la Tartarúga ou tortue d'eau douce (Emys dumeriliana), le Matämata (Testudo Chelys fimbriata), le Cabeçudo, le Capitary, tenu pour le mâle de la tortue, l’Aiassä, l'Aperema (Testudo plana sapida), le Uayanury, le Tracajá, le Jaboty ( Testudo terrestris) et plusieurs autres. Toutes ces espèces offrent de précieuses ressources alimentaires. La chair de la tortue constitue une nourri- ture saine et savoureuse ; l’écaille, qui n’a pas la valeur de celle de la tortue de mer, est employée, cependant, pour des ouvrages grossiers à l'usage du peuple ; avec les œufs, que l’on mange aussi, soit frais, soit défumés, on fait une sorte de graisse (manteiga, beurre), qui est employée dans l’intérieur pour l'éclairage et qui commence à être exportée. C'est cette graisse que M. Jules Verne a prise pour du beurre bon à être mangé sur du pain; mais ce beurre de tortue n’a jamais servi qu'aux tartines littéraires du fantaisiste écrivain de la Jangada. Les Sauriens nous offrent les espèces si multiples de caïmans ou alligators, crocodiles de l’Amazone, appelés jacarés au Brésil (1). — Le caiman commun (Alligator cynocephalus) mesure souvent plus de 3 mètres de longueur. L'Alligator palpebrosus est plus petit, mais non moins féroce. Le Crocodilus sclerops ou caiman à lunettes est un animal vraiment terrible: ses yeux, d'une couleur rougeâtre, forment une protubérance três saillante sur son museau assez allongé. — L'alligator ou caïman est propre à l'Amérique. Le nom de caiman vient du galibi (cayman), et le nom d'alligator du portugais lagarto, dérivé du latin lacerta, lézard. Les naturalistes donnent à quelques caimans le nom de monitores. Les Américains du Nord Pont emprunté pour en baptiser leur premier vaisseau cuirassé à tourelles à fleur d’eau. — Le caiman à lunettes, qui atteint une longueur de 4 à 5 mètres, pond ses œufs dans le sable des plages, les recouvre de paille ou de feuillage et veille constamment sur eux, toujours prêt à (1) Alex. Rodrigues Ferreira : Memoria sobre os jacarés..., 1786, Man. de la Bibl. Nat. de Rio. LE PAYS DES AMAZONES 85 les défendre. Il est rare qu'il attaque l’homme. Rien n'empêcherait de parquer et d'élever Valligator amazonien, comme on le fait déjà aux Etat-Unis de l'Amérique du Nord, où leurs peaux sont apprêtées dans leur couleur naturelle ou après une application de couleur d’ani- line, pour la confection de sachets, de carnets, etc. Ce même ordre de Sauriens comprend aussi diverses espèces de lézards et de caméléons (1, le Senemby des Indiens. Parmi ces derniers, on connaît surtout l’Agama picta et l'A. catenata. Comme tous les Edens, l’'Amazone cache des serpents sous ses ombrages (2). L'ordre des Ophidiens, au lieu d'y jouer le rôle de tentateur, écarterait bien plutôt du paradis amazonien ceux qui | seraient tentés de s’y aventurer, s’ils ne savaient pas, d’abord, que ces serpents n’ont pas l'habitude de fréquenter les sites habités, et, ; ensuite, que des injections de permanganate de potasse, conseillées par le D' Lacerda, guérissent de leurs blessures. Nous ne dissimulons pas, cependant, que les forêts et les cours d’eau de ce beau pays sont | infestés en maint endroit de ces horribles bêtes, dont quelques-unes sont venimeuses. Il y a le Sucurijú, Sucurujú ou Sucuriú (Boa Scytale), le plus grand serpent aquatique de ces parages, qui atteint parfois jusqu’à 20 mètres de long (3) ; lajararáca (Trigonocephalus J. , Po et Cophias atrux), qui atteint jusqu'à 2 mètres et dont la morsure est excessivement dangereuse {4) ; la Jaquiram-boya ou petit serpent à ailes (Fulgora lanternaria), dont la piqûre est terrible ; le serpent E à corail ou élaps ; il y a les différentes variétés de boas ou giboyas (Boa Cenchria). Mais que le lecteur européen se rassure. Au milieu de ces forêts hérissées de dards, empoisonnées de venin, l’Indien va (1) J. B. von Spix : Animalia Nova sive species nove lacertarum. .., Monachii, 1825. (2) J. Wagler etJ. B. von Spix: Serpentum brasiliensium Species Nôvæ..., Monachii 1824. (SYF. L. C. Burlamaque : O Minhocão, o Sucuruhyú, a. Giboia..., Rio, Trab. da Soc. Vellos. (4) J. Bap. de Lacerda: Investigaçoes experimentaes sobre a acção do veneno da Bothrops jararaca, Rio, 1877, Arch. du Mus. Nac., II. 86 LE PAYS DES AMAZONES nu-pieds, comme le lazzarone sur les plages dorées de Capri, et rare- ment ilest atteint de la blessure du vaillant Achille. Nous ne nous arrêterons pas à la classe des Batraciens qui n’ont d'intérêt que pour le savant. La classe des Poissons (1) est aussi innombrable que la légion des éroiles. Il est impossible de donner une idée approximative de la richesse des eaux de ce pays. Agassiz, qui est allé au Brésil en 1865 dans le but de se livrer à des études d'ichtyologie, écrivait ces paroles après six mois d'exploration dans le bassin de l’Amazone : « L'Amazone nourrit à peu près deux fois plus d’espèces que la Méditerranée, et un nombre plus considérable que l'océan Atlan- tique d’un pôle à l’autre... Tous les fleuves de l'Europe réunis, depuis le Tage jusqu’au Volga, ne nourrissent pas cent cinquante espèces de poissons d'eau douce : et, cependant, dans un petit lac des environs de Manäos, nommé Lago Hyanuary, qui a à peine 400 ou 500 mètres de surface, nous avons découvert plus de douze cents espèces distinctes, dont la plupart n'ont pas encore été observées ailleurs. » Ces quelques lignes d’un savant adonné à ces études spéciales suffisent pour démontrer l'impossibilité de donner ici un aperçu, aussi sommaire fút-il, des richesses ichtyologiques vraiment fabuleuses de cette rég'on. Toutefois nous devons dire quelques mots du Pirarucú, le Sudis gigas,car ilest le poisson le plus importantdu fleuve, celui qui comme aliment remplace le bétail pour les populations riveraines, au dire du même savant. Son nom vient de deux mots tupis : pira, poisson, eturuch, roucou ou rouge, à cause de sa couleur. On le trouve à peu près dans tous les cours d'eau et dans tous les lacs de l’Amazone. La chair en est savoureuse et bien supérieure à la morue. Les indigènes (1) Spix, Agassiz et Martius: Selecta genera et species piscium..., Monachii, 1879. — L. Agassiz: Lettres relatives à la faune ichtyologique de l’Amazone, «Ann. des Se: Nat. », IV, V, 5e série. LE PAYS DES AMAZONES 87 le salent et le dessèchent, et, sous cette forme, il sert à alimenter les populations de l’intérieur. Depuis quelque temps, il commence à être exporté pour les autres Etats du Brésil, surtout pour Pará. De sa langue rugueuse, desséchée, on fait une ràpe très utile. Le pirarucú a souvent plus de 2 mètres de long (1). Pendant l’exercice financier 1895-96, la perception de Manäos a enregistré une exportation. par grand cabotage, de 553.118 kilogr. de pirarucü sec, d’une valeur officielle de 468 contos ou millions de réis ; pendant ce même exercice, l’exportations de Parintins en a été de 169.782 kilogr., d'une valeur officielle de 146 contos; celle d’Itacoa- tiara, de 91.846 kilogr., d'une valeur de 80 contos, et celle de Mauès, de 52.252 kilog., d’une valeur officielle de 44 contos de réis. Il nous resterait à parler des Mollusques, des Crustacés et de la classe des insectes, si bien étudiée par Bates (2). Nous y renoncons. Ce petit monde demanderait de longs développements, qui seraient déplacés dans un travail auquel nous voulons conserver, avant tout, un caractère pratique. D'ailleurs, comme l'a dit un voyageur célèbre après avoir visité ces contrées : « Quelques heures passées à contempler ce monde merveil- leux des tropiques, pour peu qu’on ouvre seulementles yeux sur les trésors de la vie végétale et animale, en apprennent plus sur la distri- bution de la vie, qu'un mois d’études de cabinet. » Il faut le voir pour le croire. (1) Alex. Rodrigues Ferreira : Memoria sobre o peixe piraurucu…, 1787, Man. de la Bib. Nat. de Rio. (2) Henry Walter Bates: Contributions to an Insect Fauna of the Amazon Valley..., London, 1862, « Trans. of Linn. Soc. », XXIII. CHAPITRE VI Règne végétal. — Bois de construction civile et navale. — Bois de menuiserie et d’ébénisterie.— Plantes alimentaires.— Epices et aromates. — Fibres textiles: — Matières tinctoriales et tannantes d’origine végétale. — Matières oléagi- neuses. — Substances médicinales. — Gommes, gommes-résines. oléo-résines, baumes et essences. — Ivoire végétal. — Caoutchouc. La flore amazonienne ? Cela ne ressemble-t-il pas à une redondance de mots ? Toutes les merveilles de la végétation ne se sont-elles pas comme épuisées dans cette immense serre de la vallée de l’Amazone ? Est-ce qu'aucune contrée de la terre peut rivaliser avec cette région brésilienne pour la richesse, pour la grandeur, pour l'éclat et pour l'utilité des productions végétales ? Dans cette vallée, il ny a pas une plaine de l'intérieur, pas une colline, pas une rive de fleuve, de rivière, de lac ou d'igarapé, où ne s'étalent la splendeur et la surabondance d'une végétation extraordi- naire. Partout y croissent les essences les plus variées. Les bois les plus estimés pour la construction civile et navale s'y rencontrent avec les plus beaux et les plus précieux spécimens employés dans la menui- serie et l’ébénisterie. Les plantes médicinales y disputent la palme aux bois de teinture, et ceux-ci rivalisent avec les essences forestières et les plantes aromatiques. Des arbres aux fruits savoureux poussent à côté d’autres arbres dont le suc se transforme en caoutchouc ou dont les graines deviennent Pivoire végétal. Partout c'est une profu- sion de branchages, de verdure, de fleurs, de graines, de fruits, de sève. Ces forêts de milliers de lieues ne sauraient être décrites avec une entière rigueur scientifique. Les travaux de Spix et Martius, d'Edouard VEPAYV A St TEE PRE à sr fi dt nice on ét pénales cd a ci ob be dé à à à ee “ke! LE PAYS DES AMAZONES 89 Poeppig, de Barbosa Rodrigues, de Monteiro Baena, des frères Rebouças, de Trail et de Fusée Aublet ne donnent qu'une idée incomplête de la multiplicité des plantes qu'eiles renferment. La flore amazonienne n'est pas encore entièrement dévoilée ; tant s'en faut. Un très-grand nombre d'espèces n’ont été ni classées ni décrites taxonomiquement. Pendant de longues années encore, Pinvestigation botanique pourra se donner libre cours dans ce champ presque sans limites. Il y alà matière à des trouvailles fort curieuses. Ici nous ne faisons pas œuvre de savant, mais de vulgarisateur. Aussi avons-nous cru devoir suivre une méthode qui soit utile surtout à l'Européen désireux d'exploiter ces ressources nombreuses des forêts de l’Amazone. Nous traiterons donc, aussi brièvement que possible : 1º Des bois de construction employés soit dans la bâtisse commune, soit dans la grande construction navale et civile; 2º Des bois de menuiserie. d'ébénisterie et de tabletterie ; 3º Des plantes alimentaires ; 4º Des épices et aromates ; 5º Des fibres textiles ; 6º Des matières tinctoriales et tannantes d'origine végétale ; 7° Des matières oléagineuses ; 8° Des substances médicinales : 9° Des gommes, gommes-résines, résines, oléo-résines, baumes et essences ; 10° De Vivoire végétal et des sucs épaissis. D'après cette simple nomenclature, il est aisé de voir que les forêts amazoniennes renferment des richesses qui devraient tenter les colons, et qui peuvent leur assurer comme un premier fonds d'établissement agricole. Dans "Amazone, les hommes ont vécu jusqu'ici de la nature, des produits qu'elle offre spontanément. Le temps de la grande culture 90 LE PAYS DES AMAZONES semble proche. Les bois défrichés devront servir à faire centupler ces richesses par une exploitation normale. Parmi les bois les plus employés et les plus estimés pour la cons- truction navale et civile, nous citerons les suivants, qui ont déjà été livrés au commerce ou qui méritent de l’être : Le Parcouri ou Bacury (Platonia insignis), de la famille des Gut- tifères. C'est un bois grisâtre au tissu résistant, aux pores très visibles. Sa hauteur est de 20 à 25 metres; son tronc mesure, en diamètre, de 1 m. 50 à 2 m. 50, selon l’âge et les localités. Il fournit de la gomme élastique. Le Sucopira-assit (Bowdichia Virgilioides), famille des Légumi- neuses. Il est également gris et très beau de veinures. On l’emploie tout particulièrement pour la construction des quilles de navires Il atteint 20 ou 25 mètres de hauteur, et le diamètre de son tronc varie entre 1 m. 50 et 2 m. 50. LºIpé ou bois d’arc (Tecoma chrysantha) appartient à la famille des Bignoniacées. Sa couleur est foncée ; ses pores sont assez dessinés. Cet arbre, de hauteur moyenne, abonde dans toute la vallée de l’'Amazone. Ses variétés nombreuses s'emploient pour tous les genres de construction. Il ne mesure guère que 12 mètres d'élévation, sur 55 centimètres de diamètre. Le Peguiá ou Piqui (Caryocar brasiliensis) est un bois résistant de la famille des Rhizobolées, d'une belle couleur jaune. Cet arbre trapu mesure de 1 m. 50 à 2 mètres de diamètre sur 11 ou 12 mètres de hauteur. Le fruit est sphérique, gros, avec une ou plusieurs cavités contenant des noyaux et une matière grasse ou oléagineuse en grande quantité ; les Indiens s’en servent comme d'aliment ou condiment. Le Massaranduba (Mimusops balata),Sapotacée,d’une nuance rouge foncé avec de rares veinures. Son grain est très fin, son tissu serré et compact. Il peut être débité .pour traverses de voies ferrées et che- villes de navires. Il n’a pas moins de 20 à 25 mètres de hauteur et LE PAYS DES AMAZONES 91 de 1 m. 30 à 3 mêtres de diamêtre au tronc. Le massaranduba peut être considéré comme un des produits forestiers les plus précieux de cette vallée. Il distille une espèce de gutta-percha; son lait, doux et sucré, peut remplacer, dit-on, celui de la vache. De son écorce, très fine, on extrait le tanin et certaine matière tinctoriale. Le Páo-ferro ou bois de fer (Swastria tomentosa) est trop connu dans les colonies françaises sous lenom de Hucuya, Wanebala, Pana- coco ou Anacoco, pour qu'il soit besoin de le décrire: Le Cèdre blanc (Cedrela odorata) est aussi appelé acajou amer et acajou femelle dans les colonies françaises. Sa contexture est assez semblable à celle du précédent. Il est d’un aspect rose plus clair. Le Cedre patate (Cedrela sp.) est cet arbre immense, de 20 à 25 mètres d'élévation et de 2 à 3 mètres de diamètre, que l’on rencontre flottant Sur le grand fleuve, arraché par la force des eaux. Ces deux espèces de cèdre sont de qualité inférieure et ne sont guère employées que pour des travaux de second ordre. Les Lauriers sont aussi en grande abondance dans les marécages amazoniens. Ils atteignent des dimensions inconnues ailleurs. On dis- tingue le laurier noir (Cordia sp.), le laurier commun, le jaune, l'odo- rant, le blanc, le rouge. Il existe un certain bois nommé Itaúba (Acrodiclidium itauba) qui a la propriété vraiment merveilleuse d’être imputrescible, bien qu'exposé à toutes les intempéries. C'est le fameux bois de pierre, particulier à ces contrées. Sa hauteur est de 20 mètres, son diamètre de 2 m. 20 à 3 mètres. Le Sapucaia (Lecythis ollaria), le camari-macaque des colonies françaises, offre des avantages non moins précieux pour la construc- tion civile et navale. Haut de 20 à 25 mètres, épais de 2 mètres à 2 m. 50, il est très compact et d’une couleur rougeâtre qui s'atténue en vieillissant. On en tire de l'étoupe pour le calfeutrage, une encre bleue pour teindre les tissus de coton, des amandes huileuses comes- 92 LE PAYS DES AMAZONES tibles et médicinales Il existe plusieurs autres espèces de sapucaias qu'il serait fastidieux d'énumérer. Le Guarabú ou Páo-roxo (Peltogyne macrolobium), de la famille des Légumineuses, est un bois de première qualité, d'une couleur violette très distinguée et d'un tissu très dense. Le diamètre du tronc est de 1 mètre à 1 m. 20 et la hauteur de 20 à 22 mètres. Dans la famille des Sapotacées, nous remarquons l’Abiurana (Lucuma lasiocarpa), qui est très estimé pour son emploi dans les constructions de toute nature et pour ses fruits agréables. Sa taille n’est pas très élevée : à peine ro à 15 mètres, et 60 à go centimètres de diamètre. L’Acap (Andira Aubletii) est un bois gris de premier ordre et de grande valeur. C'est le même que PÉpi de blé ou le Dacomaballi de la Guyane; hauteur 22 à 25 mètres; diamètre du tronc de r mètre à 1 M. 50. Le Guariúba (Galipea sp.), de la famille des Rutacées, peut résis- ter, comme le bois de pierre, à l’action de l’air et de l'humidité. C’est un arbre au bois jaunâtre, de 8 à ro mètres de haut avec un tronc de 20 à 30 centimètres. Enfin "Umiry ou Niéri des colonies (Humirium floribundum), outre les services qu'il peut rendre dans la construction, fournit encore un baume jaune, limpide et parfumé, qui est employé comme le baume du Pérou. Il ne dépasse guère 15 mètres en hauteur et 1 m. 60 en diamètre. L’énumération complète de toutes les essences propres à construire serait longue ; il nous faudrait faire le long recensement des forêts de l’Amazone, qui couvrent, ainsi que nous l'avons dit, plusieurs millions d'hectares. Il est plus simple de renvoyer le lecteur aux planches d'Aublet et aux travaux récents des naturalistes des deux mondes : Segnius irritant animos demissa per aurem, Quam qua sunt oculis subjecta fidelibus... LE PAYS DES AMAZONES 03 a O : Les bois de menuiserie, d'ébénisterie, de tabletterie, ne sont pas moins nombreux et moins aptes à l'exploitation que ceux dont nous venons de parler. Les plus remarquables et les plus généralement employés, ceux qui offriraient à l'industrie européenne les meilleures matières à mettre en œuvre sont: L'Andira-uixi (Andira sp.), assez semblable au palissandre, et qui offre au débit des billes de8 à 10 mètres de hauteur, sur 15 ou 20 cen- timètres de diamètre. Le Cajaseiro (Spondia dulcis), quiest le bois blanc de nos pays. Il produit un fruit excellent, auquel on donne le joli nom de pomme de Cythère. Le Genipapo (Genipa brasiliensis) l'emporte sur les précédents par ses proportions, qui dépassent 14 mètres de haut et 14 centimètres de diamètre, et par sa qualité intrinsèque. Le bois cendré gris-perle du — genipapo est des plus estimés pour Pébénisterie de haut luxe et la sculpture sur bois. On trouve dans son fruit un aliment savoureux et un remède efficace. ES E L'Ingá-rana (Inga sp.) est rouge et très clair. Il a 100u 12 mètres de haut, 50 ou 60 centimètres de diamètre. Le Jacarandá cabiúna (Dalbergia nigra), espèce de palissandre (palo santo) chocolat presque noir, présente des veinures foncées brunes et des pores longitudinaux remplis d'une masse rose. Il mesure de 12 à 15 mètres de haut sur 1 m. 20 ou 1 m. 60 d'épaisseur. Les racines, d'un beau dessin, sont très appréciées. Certaines espèces de Jacarandá se trouvent dans le centre du Brésil, mais sont inconnues dans … PAmazonie. mètres de hauteur et de 1 mètre de diamètre, a le fond jaune tigré de raies noires. Le Muiracotiára (Centralobium sp.), bois superbe, de 10 à 12 Le Muirapinima (Centrolabium Paraênse) ou Bois-tortue est appelé aussi bois de lettres, à cause de ses taches noires sur champ marron, imitant les squamosités de la tortue. Cet arbre, mesurant de 3 à 10 94 LE PAYS DES AMAZONES mètres de stature et de 5 à 10 centimètres de diamètre, est excessive- ment précieux. Le Muirapiranga ou Boromé des Guyanes est plus élancé. Il atteint 20 ou 25 mètres de hauteur,et son tronc varie entre 2 m. 50 et 2 m.8o de diamètre. Sa couleur d’un rouge violet et son tissu serré rappellent le palissandre. Son lait fournit une sorte de gutta-percha. Le fameux Bois de rose ou páo-de-rosa (Dicypellium sp.), qui répand un parfum de rose, est un bel arbre de 8 à 11 mètres jusqu’à la cime, et de 50 à 6o centimètres au grand diamètre. Le Bois mulátre, páo-mulato (Pentaclethra filamentosa), a 10 à 13 mètres d'élévation, 80 centimètres à 1 mètre de diamètre. Le Bois précieux, pao-precioso (Mespilodaphne preciosa), sert encore dans la pharmacie et dans la parfumerie par l’emploi de son écorce et de ses semences odorantes. Son bois est três résistant, d'une cohésion parfaite, et ses veines sont d'une grande beauté. Le Bois violet, páo-roxo-do-Amazonas (Peltogyne venosa), est d'un violet tirant sur le jaune. Le tronc, presque toujours creux, a de 50 à 6o centimètres de diamètre et l'arbre de 15 à 20 mètres de haut. Le Bois satin, páo-setim (Aspidosperma sp.), d'un jaune clair, éclatant, luisant, ambré, aux pores presque invisibles, ne va guêre au delà de 10 mètres de hauteur avec un diamètre de 50 à 60 centi- mètres. Citons encore le Tapiguarána, liane de grandes dimensions dont on fait des cannes peu communes, "Umary (Geffroya superba), l'Iuxy, et des milliers et des milliers d’autres. Le musée des colonies de Paris expose quelques échantillons des bois de la Guyane qui se retrouvent presque tous dans l'Etat de PAmazone. En attendant que le Brésil, pour faire suite à ses expositions de café, fasse connaître à l'Europe ses incomparables richesses fores- tières, nous engageons les personnes qui désireraient se renseigner à bit. mt LE PAYS DES AMAZONES 92 | de 3 Co + A US bonne source, à visiter ces beaux produits de la flore des tropiques. Aujourd’hui, le bois commence à manquer dans la vieille Europe, dépouillée de ses ombrages préhistoriques ; le temps n'est pas loin où Pon sera forcé de demander au Nouveau-Monde d'entamer sa réserve forestière. L'Amazonie conserve en dépôt, pour des siècles, un stock de bois capable d’alimenter toutes les industries locales et étrangères. 4 Il y a là des milliards qui dorment et qui attendent le passage de | hardis pionniers. Ils ne se feront pas longtemps attendre, nous en avons la certitude. L'homme va toujours où il y a de l’argent à gagner et de la force à dépenser. Les matières alimentaires sont une des plus grandes sources de revenus à exploiter dans les solitudes amazoniennes. Il faut placer à part et au premier rang le café, le cacao, la coca, succédané du thé, le sucre et le guarana, sans parler du tabac. Viennent ensuite les féculents et les fruits communs. Le Caféier arabique se trouve à l’état presque sauvage dans l’Ama- zonie. Il y pousse admirablement, mais on en néglige la culture de plus en plus; et aujourd’hui tout le café consommé dans cet Etat est importé du sud du Brésil, qui donne à lui seul les trois quarts de la production totale du monde entier. Le Cacaoyer (Theobroma) est beaucoup moins négligé. Cet arbre, dont la graine est le cacao, est originaire de l'Amérique. Il a le port des cerisiers d'Europe et pousse jusqu'à 12 mètres de hauteur. Son « fruit, appelé cabosse, est ovoide, jaune ou rouge à l’état frais; brun noirâtre lorsqu'il est desséché, de forme pentagonale irrégulière ; piriforme à sa base et muni d’une pointe obtuse à son extrémité libre : il mesure de 14 à 18 centimètres de longueur sur 9 ou ro centimètres d'épaisseur. L'intérieur est divisé en cinq loges contenant ensemble de 26 à 40 graines. Un placenta central retient et alimente ces graines, disposées à plat les unes sur les autres au milieu d’une pulpe aigrelette. Le péricarpe, ligneux et indéhiscent, est sillonné, à l’intérieur, de 90 LE PAYS DES AMAZONES côtes longitudinales plus ou moins rugueuses. Trois espèces de cacao croissent dans la vallée de "Amazone : le Theobroma speciosa, le Theobroma bicolor et le Theobroma sylrestris. La première de ces espèces est cultivée dans l’Etat de Pará, c'est-à-dire dans le bas Amazone ; la seconde abonde sur les versants du rio Negro, où d’ailleurs elle n’est pas utilisée; la troisième, enfin, se plaît de préférence sur la rive droite de l’Amazone, à partir du Madeira, et sur la rive gauche, dans les terres comprises entre la rivière Içá et le Japurá. Le cacao est tellement abondant sur les bords de ce dernier cours d’eau, qu'il est facile d'en faire la cueillette sans sortir des barques. Il suffit de lever le bras et de le détacher des branches qui pendent sur les bords, selon le témoignage de M. Coutinho. Si le Sud du Brésil possède un des plus importants succédanés du thé, le Thé-maté, le Nord, eten particulier l’'Amazonie, peut présenter "Ipadi (Erythroxylon coca), la coca, dont les Indiens mâchent les feuilles,comme les matelots se bourrent les joues de tabac en carotte. L'expérience a prouvé à ces indigènes que cette opération masticatoire trompe l’appétit et réduit l’estomacàl'inertie. Les Européensemploient quelquefois la coca en infusion en guise de thé, mais le plus souvent comme un spécifique stimulant et tonique. La canne à sucre, dont on extrait le sucre cristallisable, vient en grande quantité dans cette région, mais, pour des raisons que nous exposerons ailleurs, elle n’a pas été cultivée comme elle devrait l’être. Au mois de juin 1883, une loi provinciale accorda une garantie de 7 o/o d'intérêts, sur un capital maximum de 7,500,000 francs, pour l'établissement de trois usines centrales de sucre dans la province. — Par une autre Joi du 30 mai 1884, portant le nº 642, le président de la province fut autorisé à signer avec MM. Domingos-Olympio Braga- Cavalcanti, B. Caimary et A. Leamont un contrat pour l’établissement de 3 groupes coloniaux avec usines centrales de sucre, moyennant une garantie d'intérêts de 8 o/o, pendant 30 ans, sur un capital de mets À LE PAYS DES AMAZONES 97 250 contos pour chaque groupe colonial et de 750 contos pour - chaque usine centrale, le change étant calculé au pair, c’est-à-dire à 27 pence par 1,000 réis. Malgré ces faveurs, les concessionnaires n'ont rien fait. 10, — Plantation de cannes à sucre. Le Guarana (Paullinia sorbilis), pour être moins vulgarisé que les produits précédents, n’en est pas moins utile. C’est un arbrisseau grimpant de la famille des Sapindacées. Avec ses graines, on com- pose une boisson stimulante, dont l'efficacité contre la dysenterie sembleaujourd’hui incontestée. On le prépare en torréfiant légèrement ses graines après les avoir séchées au soleil, et en les réduisant, par addition d'une petite quantité d’eau, en une pâte dans laquelle on introduit des semences, entières ou concassées ad libitum. La pâte de . guarana est exportée sous forme de saucissons très durs, d'un brun 7 a vo A q 98 LE PAYS DES AMAZONES rouge foncé extérieurement. MM. Chastellux et Bertemond ont découvert dans le guarana un alcaloïde identique à la caféine, et augmentant, comme le thé et le café, l'énergie des fonctions intellec- tuelles (1). Les gens du pays le préparent en le râpant avec la langue desséchée du pirarucú. Dans sa monographie de Matto-Grosso, parue en 1869, M. Joaquim Moutinho raconte que dans cet Etat l'usage du guarana remplace absolument celui du café ou du maté, et il calcule qu’en portant là-bas 50 arrobes de bon guarana on était sûr de réa- liser un bénéfice de 8 à 10 contos. Parmi les féculents que l'on tire des fruits, des semences ou des parties souterraines d'un grand nombre d'espèces végétales, il faut distinguer les céréales et les légumineuses. L'Amazone ne vit que de pain dont la farine est importée de l'étranger. Elle ne récolte ni le blé, ni Porge, ni le seigle, ni l’avoine, ni le sarrazin. Les cultures d'Europe lui sont étrangères, et sans doute inutiles pendant longtemps encore. Le maïs y peut remplacer quelques-unes de ces céréales. Il y donne des résultats surprenants. — Quand on pense que la quantité de mais cultivé aux États-Unis de l'Amérique du Nord (360.680.878 dollars en 1869 et 646.106.770 dollars en 1887) suffit pour nour- rir-toute la population des Etats-Unis, et permit une exporta- tion de près de 12 millions de dollars en 1886-87 ; que plus de 2 mil- lions de fermiers s'y emploient, et qu'ils réalisent plusieurs centaines de millions de francs par année ; — quand on pense que le riz de la Caroline a une production de 25 millions de francs par an (chiffre de 1886-87); et que les Italiens s’en disputent la paille pour la fabrication de chapeaux luttant, par leur finesse et leur prix, avec les plus beaux panamas, on se prend à entrevoir un avenir de richesse et de prospérité pour cette région amazonienne, où riz et maïs poussent presque sans culture, sur la terre à peine remuée. (1) J. M. da Silva Coutinho: Noticia sobro o uaraná..., Rio, 1866. LE PAYS DES AMAZONES 99 Les graines légumineuses sont aussi abondantes et seraient d'un rendement aussi avantageux. Des haricots ou feijões et des fèves de plusieurs espèces se propa- gent également sans le secours d'aucune main-d'œuvre compliquée ; et cependant l’incurie des habitants est telle qu'ils sont obligés de s'approvisionner ailleurs de ces féculents. Des bananes ou fruits des Musa sapientum, paradisiaca, etc., pen- 4 dent en grappes énormes à des milliers de plantes herbacées de grande s taille. On en cueille les régimes pour les besoins journaliers à peine, Cependant Sagot et Raoul rappellent qu’un hectare planté avec cer- taines variétés de bananiers produit 200.000 kilogr. de bananes. tandis que sur la même superficie on ne peut récolter que 5.000 kilog. de pommes de terres et 1.500 kilog. de blé. Des arbres à pain (Artocarpus incisa), jacquier à feuilles incisées, se rencontrent en grand nombre. Ces arbres, de 10 à 13 mètres de haut, portent annuellement de 60 à 80 fruits, gros comme la tête d'un homme, rendant jusqu’à 17 o/o de fécule. D’autres plantes cèdent leurs tubercules à l'alimentation. Ce sont: E” le manioc amer {Manthot utilissima) ; le manioc doux (Manihot aypi) E ou macaxêra ; larrow-root; la patate douce, très variée (Convol- vulus batatas, Spomæa batatas, Batatas edulis; ; les diverses espèces d'igmanes ou cards (Dioscorea). Le Manioc (mbai-ybai, arbre du ciel) est une plante de la famille des Euphorbiacées. Sa racine fournit cette farine jaune ou blanche, fine ou granulée, dont se nourrissent, en guise de pain, la plupart des habitants de ces contréees. La fécule de cette plante, peut-être la plus riche en fécule amylacée, fait la base de l'alimentation du plus grand nombre, non seulement dans l’Amazonie, mais dans presque tout le Brésil. On a même calculé que le nombre des individus qui se nourrisent presque exclusi vement de farine de manioc, sous forme de. produits divers, dépasse, sur notre globe, celui des hommes qui font 100 LE PAYS DES AMAZONES usage du froment. Elle entre, en outre, dans la confection de bouillies et de potages à l’européenne. M. Payen a fait l'analyse des tubercules de manioc et est arrivé aux résultats suivants : Faure Sete DEA [ 21,10 de fécule; 6,25 de fécule trans- formée en glucose: 7,75 de substances Matières séches..,.. 36,79 « dissoutes dans l’eau; 1,69 de cellulose, d'acide pectique, silice, matière oléagi- \ neuse. = 100,00 Les avantages de extraction de la fécule, de sa transformation en glucose et en alcool, "application importante des produits dérivés du manioc démontrent, dit M. de Villafranca dans sa « Note sur les plantes utiles du Brésil », l'immense utilité que l’on peut tirer de cette précieuse plante, en augmentant sa culture et en procédant à l'extraction de la fécule au moyen d'appareils perfectionnés. Le comte de Posos Dulces, dans son intéressant ouvrage « Ecrits sur l’agriculture de l’île de Cuba», rassemblant dans un tableau les applications de l’amidon, de la dextrine et de la glucose, a mis au grand jour, et d’une manière incontestable, l’avenir qui est réservé à cette précieuse plante, dont les produits semblent appelés à figurer avec distinction dans l'évolution industrielle du monde. Selon Payen et Martius, la farine de manioc, mélangée en parties égales avec celle de blé, produit un pain très acceptable, bien que la valeur nutritive en soit inférieure à celle du pain fait uniquement de farine de blé. Cent brasses carrées ou 4 ares 84 centiares, plantées de manioc, rapportent, en farine eten tapioca, autant et plus qu'un champ de. cannes à sucre d'égale étendue peut rapporter en vendant le sucre fabriqué avec les appareils généralement employés dans le pays. LE PAYS DES AMAZONES 101 D'après P. Sagot et E. Raoul (1), le manioc des féculeries rend plus de 200 tonnes à l’hectare. Dans les anaiyses auxquelles a procédé M. Peckolt, il a trouvé dans le marioc la septicoltyne, la manihotine, l'acide manihotique, l'acide hydrocyanique, en outre de la fécule, de la dextrine et de la glucose qui dérivent des tubercules de cet intéressant végétal. M. le docteur Carneiro da Silva, dans ses « Études agricoles », a résumé tout ce qui a été écrit sur le manioc. Les préparations de la racine épaisse et charnue du manioc sont de deux sortes. La première, appelée moussache, est une poussière fine, d'un blanc sale, obtenue par simple lavage et par dessiccation à Pair …—_ libre; la seconde, le tapioca, est obtenue dans son état de granulation À par une sorte de coction sur des plaques chaudes. La racine du manioc doux peut être mangée comme la pomme de terre ; elle n’est pas vénéneuse, au contraire ; celle du manioc amer renferme, indé- pendamment de la fécule, un suc laiteux qui est un des plus violents poisons végétaux que l’on connaisse. Son principe actif est l’acide cyanhydrique. Mais comme ce suc est volatil, il est facile d'en débar- rasser la fécule par pression et évaporation. Il devient alors le tucupy, avec lequel on prépare les excellentes sauces amazoniennes pour le poisson. C'est aussi avec le manioc que les Indiens composent leur breuvage enivrant, le cáuim. Le manioc, si indispensable à l’Indien, a fourni sa légende ; voici comment, d’après les traditions, les naturels apprirent à en faire usage (1) : Un jour, il y a bien longtemps de cela, la fille d’un chef indien M Qui habitait dans les régions où s'élève aujourd’hui la ville de San- tarem, se trouva enceinte. Le père jura de se venger sur l’homme qui “avait apporté le déshonneur dans sa cabane. Il questionna sa fille. | Priêres, menaces, châtiments, rien ne réussit. Elle soutenait que (1) Manuel Pratique des cultures tropicales, Paris, 1893, p. 27. (2) Revisa Anthropologica, Rio-de-Janeiro, 1882, article de M. Couto de Magalhães. 102 LE PAYS DES AMAZONES jamais aucun homme n'avait approché d'elle. Le père était tout décidé à la tuer. Un homme blanc se présenta. Il dit à l’Indien qu'il ne devait pas tuer sa fille, parce qu’elle était innocente, et que jamais aucun homme n'avait approché d'elle. Le père le crut et attendit. Au bout de neuf mois, la jeune indienne mit au monde une petite fille, belle comme les amours et blanche comme les fleurs d’eau. Toutes les tribus voisines restèrent frappées d'étonnement. De loin, on venait voir la petite blanche, doux rejeton d'une race nouvelle et inconnue. On lui donna le nom de Mani. Elle marchait et parlait dès le premier jour. Elle souriait à tous tristement. Au bout d'un an, elle mourut sans maladie, sans souffrances. On l’enterra dans le jardin de la maison. Selon la coutume des aïeux, chaque jour on découvrait la sépulture et on l’arrosait. Un jour, on trouva la fosse entr'ouverte et dans la fosse une petite plante que nul ne connaissait et que nul n'osa arracher. La plante grandit, porta des fleurs et des fruits. Les oiseaux de la forêt qui en mangeaient étaient ivres. Puis, la terre se fendit et une belle racine apparut au fond de la terre. La racine ressemblait au beau petit corps de Mani la Blanche. On l’appela mani-oc. Laissons la poésie et revenons aux comestibles. L'arrow-root (Maranta Arundinacea) qui vient des mots indigènes aru-aru, farine de farine, dont les Portugais ont fait araruta et les Anglais l’affreux ronronnement que l’on sait, l’arrow-root est produit au Brésil par les racines du maranta à feuilles de balisier, plante herbacée de la famille des cannacées ; on en arrache les rhizomes au bout d’un an. Les Patates douces sont dues à de nombreuses variétés herbacées et vivaces à racines tuberculeuses et diversement coloriées de rouge, de jaune, de rose ou de violet. Elles abondent dans l’'Amazonie. Enfin l’Zgname ou cara vient de plantes grimpantes et volubiles de la famille des Dioscorées. Son tubercule allongé et farineux est une excellente nourriture pour l'homme, et ses feuilles peuvent servir de pâture aux bestiaux. “e 103 Citons,parmiles fruits comestibles: la Popunha (Guilielma speciosa), qui fait un excellent dessert et dont on soutire une huile onctueuse. Les spatules des feuilles et, en général, tout le tissu fibreux fournis- sent d'excellente matière textile. Les voyageurs de ces parages considèrent, paraît-il, la vue de ce palmier comme un indice de la présence d'habitations, parce que dans les sitios et dans les fermes on ne néglige jamais de planter des popunheiros. Citons encore : le Cupú-assú, servant à faire des confitures, du chocolat et une liqueur ; le délicieux Ananas, dont quelques espèces sont sauvages et croissent sans culture; la Mangaba (Hancornia spe- ciosa) ; la Sorra (Collophora utilis), au fruit savourenx et fin, au suc laiteux employé comme vernis; le Cubio jaune et lisse; VIngá Unga dulcis) ; le Cajou (Anacardium occidentale), que l’on mange au naturel, et dont on fait un bon vin couleur de groseille ; et tant d'autres qui dépassent en saveur les fruits les plus succulents de l'Europe. L'Amazone peut passer pour la terre classique de l’épicerie ; l’Inde seule peut luifaire concurrence. On a donné le nom d'Epices et d'Aro- mates à certaines denrées à saveur chaude et piquante ou à odeur suave et pénétrante utilisées dans Part culinaire, la pharmacie et la parfumerie. On a dit des épices qu’elles sont des poisons domestiques. Ces denrées, qui font la fortune de la fraction la plus intelligente du genre humain, consistent en fruits, graines, écorces, rhizomes de toute espèce. Les principales épices de l’Amazonie sont: la Girofle (Licaria guyanensis), si répandue dans les forêts ; la Malaguette (Amo- mum granum paradisi), dont la saveur est âcre et brülante ; le Piment de Cayenne (Capsicum frutescens) ; la Vanille (Vanilla sativa), que l’on découvre partout à son odeur ; la Muscade (Myristica tomentosa) ; la Cannelle(Genre cinamomum); le Gingembre, qui est le rhizome charnu ou tige souterraine de "amomum zinziber, usité comme condiment, employé en thérapeutique et dont on fait une confiture excellente et 104 LE PAYS DES AMAZONES une boisson délicieuse connue sousle nom de « bière de gingembre » ; et le Cumarw (Dipterix odorata), dont les semences, extrêmement aromatiques, connues sous le nom de Fêyes Tonka, contiennent, entre l'écorce et l’amande. la Coumarine à l’état de cristallisation, et servent à parfumer le tabac; on en extrait aussi une huile fort appréciée pour la toilette et estimée pour ses usages médicaux. rr. — Cumarú, arbre qui produit les fèves Tonka. Les Fibres textiles offrent non moins d'intérêt que les épices et les aromates. La fibre textile du règne végétal qui prime toutes les autres est sans contredit la bourre légère qui emmaillote les semences du cotonnier® Le cotonnier croît très bien dans l’Amazonie. Il fut même un temps, avant la fièvre du caoutchouc, où la production du coton dépassait les besoins de la population locale. Les Indiens, qui l'appellent amamna, s'en sont servis de tout temps pour fabriquer leurs filets, leurs hamacs: tes É LE PAYS DES AMAZONES 105 et d'autres objets. Outre le cotonnier ordinaire, il y a un petit coton- nier amazonien (Algodoim) qui donne de la cotonnade jaune. Il serait facile de le remettre en faveur. Un grand nombre de lianes ou cipós sont utilisées comme cordes, et d'autres employées à la confection de différents articles, tels que chapeaux, paniers, nattes, etc. De l’un de ces cipós, appelé Timbú-assú, on détache certaines fibres, qui, tissées, donnent un drap de belle qualité. Le palmier Tucuma (Astrocarym tucuma) sert également a la corderie et à la fabrication de hamacs et de filets. Il est devenu un article d'exportation, quoique sur une três petite échelle. La Piassaba ou Piassava (Altalea funifera), un autre palmier, est connue sur les marchés de l’Europe, où on Pachête pour en faire des cordages et des balayeuses. En 1895-90, Manäos en a exporté - 291.131 kilog., d'une valeur de 78 contos. Il en est de même du Mirity (Mauritia flexuosa), de PUaissima (Urena lobata), du Tururi (Sterculia Ivira), de "Embira (Xylopia funifera), de l'Ana- nas (Bromelia ananas) et d'une quantité d’autres qui abondent dans l'Amazone, et dont le D' von Martius, Alfred Wallace et Barbosa Rodrigues, entre autres, ont donné des monographies détaillées (1). Citons cependant, pour terminer, le Curauá (Bromelia Sagenaria), broméliacée semblable à l’ananas, qui peut être tissu comme le lin et dont on a déjà fait de la toile, de la dentelle et jusqu’à des cordes de violon. Un certain nombre d'arbres que nous avons déjà cités ont des usages multiples. Il en est parmi eux qui, tout en étant aptes à (1) Martius: Genera et species palmarum quas in itinere per Brasiliam... collegit, des- cripsit et iconibus illustravit..., Monachii, 1823. — Wallace: Palm trees of the Amazon and their uses. London, 1853. — Barbosa Rodrigus : Enumeratio palmarum novarum quas valle fluminis Amazonum inventas et ad sertum palmarum collectas descripsit et iconibus illustravit..., Sebastianopolis, 1875. D’autres ouvrages sur le même sujet ont été publiés - postérieurement par le même auteur. 106 LE PAYS DES AMAZONES d’autres applications, sont plus particulièrement distingués par les matières colorantes qu’ils livrent à l'industrie. De ce nombre est le Rocouyer (Bixa orellana), arbuste de 4 à 5 mètres, qui abonde dans l’Amazone et qui est utilisé en Europe. Il a une pulpe résinoïde d'un rouge vermillon qui recouvre complète- mentses graines múres, contenues, au nombre d'une vingtaine, dans une capsule d'un rouge pourpre, hérissée de gros poils mous. Cette couleur résiste au savon et aux acides. L'Acari-cuára, de la famille des légumineuses, donne une encre vert d'olive : c'est un arbre de quinze mètres de haut. Les graines du Cicaité fournissent de même une encre à écrire qui ne peut être effacée ni par l'acide nitrique ni par l’alun. Les fruits verts du Macacú (Macubea guyanensis) sécrètent une couleur sanguine très appréciée, qui noircit si on l’expose àla vapeur de l'urine. Le Tatajuba-de-tinta (Maclura tinctoria), le fustic des Français, de 15 à 20 mètres de haut, donne une couleur jaune fort recherchée. Enfin le Manglier rouge, mangue vermelho (Rhizophora mangle), dont l'écorce sert au tannage des cuirs ; le Barbatimão( Pithecolobium avaremotemo\, dont l'écorce astringente est très usitée en teinturerie ; le Bois de Campèche (Haematoxy lon campechianum), produit par un grand arbre épineux de la famille des légumineuses ; /a Massaranduba (Mimusops balata), que nous avons décrite précédemment, et qui contient une grande quantité de tanin; le Jaraúba (Leopoldinia pulchra), à la couleur jaune; et le Bois du Brésil (Cæsalpinia echi- nata), grand arbre de 10 à 15 mètres, qui fournit une matière très recherchée. Passons aux matiêres oléagineuses. Le nombre des végétaux dont les graines et les parties charnues des fruits sont huileuses est considérable dans cette région. LE PAYS DES AMAZONES [07 Les drupes du Tucum (Astrocaryum vulgare) rendent une huile onctueuse d'une belle couleur cerise. L'huile de palme du Caiaué (Elæis melanococca), congénère du 12. — Grappe de fruits du palmier bacaba. Dendê, est'comestible, et "amande de de ce palmier en fournit une grande quantité. Le Bacäba (OEnocarpus Bacaba), ainsi que son congénère, le _ (OEnocarpus Bataua), donne une huile qui peut servir aux préparations culinaires, tandis que son fruit mucilagineux est comes- tible et sert à préparer une boisson indigène. Il en est de même du | 108 LE PAYS DES AMAZONES jauary (Astrocarium Jauary); du coco de Jussára (Euterpe Olera- cea); du Mirity, dont nous avons déjà parlé ; du Murumurú (Astroca- ryum murumuru) ; de PUmirv (Humirium floribundum): du Piqui, déjà cité; et du Guanandi ou Lantim (Calophyllum brasiliense), dont le tronc fournit, par extraction, une huile fine de couleur vert foncé. Le Papayer (Carica Papaya) ou mamoeiro, est un bel arbre, dont M. Emile Vinson a dit que le fruit possède au plus haut degré, lorsqu'il n'est pas encore arrivé à maturité, des propriétés vermifuges qui le rendent le plus puissant anthelmintique, le plus fidèle et le plus efficace de tous les vermicides connus jusqu’à ce jour. Le fruit du papayer possède une forme spéciale, qui tient à la fois du melon et du concombre. Quand il est vert, son extérieur est d’une couleur glauque ; quand il est mûr, il est d'un beau jaune cire. Son odeur rappelle assez le parfum de l’abricot; il en est de même du goût. De la Seringueira (Siphonia elastica), l'arbre à caoutchouc, on extrait, outre le caoutchouc, l'huile de «seringa » pour les savons et l'encre d'imprimerie. Plusieurs Muscadiers, entre autres le Bicuhiba (Myristica bicuiba), donnent des beurres pour la médecine et l’éclai- rage. Des noix du Chátaignier vulgaire, appelées en France toucas (Ber- | tholletia excelsa), on retire une huile douce comestible. Le rende- ment en huile des graines de cette myrtacée est de 67 o/o. Les myrtacées du genre Lecythis sont aussi riches en matières oléagi- | neuses. Le Cacaoyer (Theobroma cacao) donne le ‘beurre de cacao” employé en médecine et dans la parfumerie. Le Cajuiero (Anacar- dium occidentale) produit la noix d'acajou, dont le principe renferme 30 o/o d’une huile caustique vésicante, et l’amande 40 o/o d'une huile douce, de saveur agréable. Nous devons, en outre, faire une. mention spéciale de la noix et de l’huile de Carapa ou andiroba (Ca- rapa guyanensis). Cette huile est jaunâtre, très amère, mais par- LE PAYS DES AMAZONES OO faite pour l'éclairage et les savons. La noix du carapa livre environ ‘35 o/o d'huile. Nous n'avons pas encore épuisé toutes les richesses végétales de ce merveilleux pays. S'il nous fallait maintenant énumérer toutes les MELL ONE SLR ARDE leds y 15. — Palmier Jauary, substances médicinales qu'il renterme, nous serions réduits à com- poser un véritable formulaire pharmaceutique. Nous n'avons pas la prétention de supplanter l’Officine de Dorvault. Nous nous contenterons de rappeler quelques noms. C'est d’abord l’{pecacuanha ou Poaya (Cephaêlis ipecacuanha,) qui ITIO LE PAYS DES AMAZONES fournit cet émétique expectorant et diaphorétique, si connu de nos Purgons de tous les temps; le Ratanluä (krameria argentea), astrin- gent sérieux ; la Salsepareille (Smilax Salseparilla) et ses diverses espèces, qui seront une grande source de rapport pour le pays. On connaît suffisamment l'usage des racines ténues de cette petite plante sarmenteuse ct grimpante. Puis, nous trouvons le Geneuna (Cassia brasiliana); le Cresson du Para (Spilanthes oleracea) antiscorbutique énergique, efficace également contre les maux de dents et les fièvres intermittentes ; le Strychnos toxifera ou urary, dont les Indiens font sortir un poison, le curare, dans lequel ils trempent leurs flèches; la. Spigélie (Spigelia anthelmintica), vénéneuse quand elle est fraîche, et vermifuge quand elle est desséchée. L'écorce de la Bignonia copaia est considérée comme émétique et purgative ; son fruit est antisyphilitique. La racine et les feuilles du Goyavier (Psidium pomiferum) sont astringentes et utilisées contre la dysenterie. Le Bois à Dartres (Vateria guyanensis) a des graines qui, râpées et mêlées à du vinaigre, sont employées pour la De guérison des dartres. La pulpeacidulée et sucrée du Tamarinier(Tama- rindus indica) est laxative. Le Jeratacaca (Brunfelsia Hopeana) est employé contre la morsure des serpents. L'écorce du Carapa est un tonique amer et fébrifuge, de même que celle du Credrela guyanensis. L'écorce du Buranhem (Chryso- phyllum glycyphloeum) est douceâtre et jouit de propriétés médicinales assez nombreuses. La racine de la canella sassafras (Mespilodaphne sassafras) est très aromatique et on l'utilise en thérapeutique. On connaît les vertus de Phuile de copahu (Copaifera guyanensis) : cet arbre, qui mesure de 18 à 20 mètres de haut, est assez commun dans les forêts de l’Amazone. Il en est de même du Cumarú (Dip- terix odorata), dont les graines, très odoriférantes, sont connues en pharmacie et en parfumerie, sous le nom de fèves Tonka. Les semences odoriférantes du Cumary (7 ydendron cuyumary), celles de PEmbyra (Xilopia sp.), huileuses et purgatives, sont aussi LE PAYS DES AMAZONES [If d'un fréquent emploi en médecine. La Gamelleira (Ficus doliaria) distille un sucre âcre, conseillé comme vermifuge. Le Genipapo (Genipa brasiliensis) a des fruits médicinaux. La racine piripirióca est d'un parfum exquis et passe pour aphrodisiaque. 14. — Andiroba ou Carava, L'écorce de l’Ipé blanc (Teconia sp.)est purgative ; celle du Teconia instgnis jouit des mêmes avantages ou inconvénients. De plus, cette variété donne une poussière jaune qui fait éternuer, ce qui lui a fait donner le nom de ipé-tabac. La Murta (Eugenia lucida) a Pécorce astringente. Le mururé donne un sève rouge avec des propriétés dépuratives ES im im mat = — —— Nas” ———y ——— TT LE PAYS DES AMAZONES et antisyphilitiques. Les graines du Pajurá (Pleraginea sp.), râpées, sont administrées comme astringent. L'écorce de la Sucupira-perola (Bowdichia virgilioides) est également recommandée dans certains cas pathologiques. Enfin le tabac, qui n'aurait jamais dá sortir de son rôle purement médicinal, pousse admirablement dans ce pays. Voyons maintenant les gommes et les produits de cette catégorie. Nous avons la gomme d’Acajou produite par le Cajou (Anacardium occidentale), la gomme du Manguter, celle du Cocotier, la gomme de "Amapa, grand arbre de 8 à 10 mètres de haut, et celle du Sucuúba (Myristica), qui est vermifuge. Parmi les végétaux qui donnent ces sucs opaques à odeur forte et à saveur âcre que l'on nomme Gommes-résines, nous ne rappellerons que le Pao-de-lacre ou Bois de sang ( Vismia guyanensis), qui sécrète une gomme-résine rouge ayant l'aspect de la cire à cacheter. Les résines, on le sait, sont tenues en dissolution dans le végétal par les essences. Ce sont des corps solides et friables, à cassure vitreuse | la plupart du temps. Elles sont inflammables et brûlent en répandant beaucoup de fumée. Les résines les plus remarquables de la vallée de l'Amazone sont: la résine de l’/cicariba (Icica icicariba), nommée résine élémi par les Français, bien qu’elle soit à proprement parler un oléo-résine, très blanche et très parfumée. L'icicariba, de la famille des Térébinthacées, a de 8 à 12 mètres d'élévation. Les produits résineux connus sous le nom de copal ou de résine mani sont dus à plusieurs arbres du genre hymenoea dont un, le Jatobá (Hymenoea courbaril), fournit les copals tendres que les indigènes travaillaient pour s’en faire des ornements semblables à l’'ambre. Le Jatobá atteint jusqu’à 35 mètres de haut. L'Ounany (Siphonia globulifera), de la famille des Clusiacées, donne naissanceà Ja résine mani. LE PAYS DES AMAZONES 113 La résine T'acamaque animé est produite surtout par le Paó-de-breu (Icica glabra), de la famille des Térébinthacées, et par la Sorveira (Collophora utilis), dont le suc laiteux est employé comme vernis par les indigènes. 15. — Calebassier, Parmi les baumes, nous pouvons citer : le Benjoin (Bensoin offici- nale), qui découle naturellement ou par incision d'un grand arbre de la famille des Styracinées : le Beribá (Rollinia sp.), dont la sève est employée comme baume; le Jacaré-uba (Calophyilum brasiliense), arbre de 25 à 28 mètres de hauteur, dont le tronc, épais de 3 mètres, distille un baume jaunâtre, aromatique, d'une saveur âcre et amère; le Tamaquaré, de la famille des Laurinées, dont le baume est utilisé contre les maladies de peau ; et, enfin, "Umiry (Humirium floribun- 8 114 LE PAYS DES AMAZONES dum), arbre de 12 à 15 mètres qui laisse dégoutter un baume jaune, limpide et parfumé, remplaçant le baume du Pérou. Les essences sont des produits immédiats mélangés aux résines et aux baumes, ou qui se trouvent à l’état de pureté dans certains organes spéciaux. à Les huiles essentielles les plus connues dans l’Amazonie sont : l'Essence de sassafras (Mespilodaphne sassafras), obtenue par la distillation de la racine de cette lauracée; l’Essence de fleur d'oranger, etc. Sans nous arrêter aux cires végétales, qui sont assez nombreuses, nous signalerons un produit éburné qui remplace fréquemment de nos jours l'ivoire animal. Cet ivoire est tiré des graines d'un petit palmier (Elephantusa macrocarpa), assez propagé dans l’Amazonie. Les noix de l’ivoire végétal sont irrégulières comme certains marrons. Elles se trouvent enfermées, au nombre de quatre, dans un gros fruit hérissé, et se composent : d'un tégument externe blanc jaunâtre, dur et cassant ; d'un tégument interne brun et d'un albumen, d’abord laiteux et comestible, qui s'organise ensuite en cellules, dont les parois devien- nent tellement épaisses, que le tissu prend la consistance, aspect et le poli de l’ivoire. Comme Pivoire animal, celui-ci sert à fabriquer de menus objets de tabletterie, des têtes de cannes, des boutons, etc. Il se colore en nuances diverses et se travaille assez facilement. Sans atteindre à ce degré de solidité, ilexiste certains sucs épaissis qui rendent des services aussi appréciables à l'industrie moderne. D'un grand nombre d'arbres s'écoule par incision certaine liqueur laiteuse qui se durcit par des procédés de préparation. C'est le caoutchouc ou gomme élastique. L'importance qu'a prise ce produit depuis quelques années, les richesses qu il a mises en circulation dans la vallée de l’Amazone, le nombre de bras qu'il occupe, le rôle qu'il joue dans l’industrie moderne, font que toutes les autres cultures forestières et agricoles LE PAYS DES AMAZONES 115 nt presque abandonnées en sa faveur, et que la population de cet A! o de plus en plus disséminée, déserte à son profit les véritables Re FRS et Légale exploitation du sol, qui résident CHAPITRE VII Règne mineral. — La véritable richesse de "Amazone. — Comment on doit procéder à l’exploitation du règne minéral. — Transformation que le fer et la houille devront opérer dans l’'Amazone. — Manière de préparer cette transfor- mation. — Gisements d’or traditionnels. — Agate, diorite, trapp, syénite, jade, feldspath, schiste. — Argile. — Chaux. — Houille. — Porphyre. — Cristal de roche. — Sel. — Pierre ponce. — L'avenir de ces richesses. Presque toutes les richesses de l’'Amazone sont au soleil. Elles consistent, comme nous l’avons dit, en ces productions variées et innombrables d’un sol fertile et presque vierge. La vallée de " Amazone est appelée à devenir un centre agricole de premier ordre. Qu'un fort courant d'émigration se dirige de ce côté; que des concessionnaires intelligents et riches y amènent un grand nombre de travailleurs énergiques ; que des familles de laboureurs aisés aillent s’y établir dans le but arrêté de convertir leur médiocrité en fortune, — et l’on verra bientôt les immenses forêts abattues en partie, les rives des grands cours d’eau assainies, les plaines de l’inté- rieur transformées en champs cultivés, toute cette immensité, aujour- d'hui presque déserte, cédant la place au travail reproductif. Ce sont donc principalement les deux règnes, que nous avons pré- cédemment étudiés, qui doivent pour le moment appeler l'attention des émigrants. L'âge des chercheurs d’or dans ces parages est passé ; il est trop tard ou trop tôt pour le ressusciter : Huc omnis turba ad ripas effusa ruebat, Tendebantque manus, ripæ ulterioris amore. Ce qui doit solliciter aujourd’hui les convoitises légitimes de tous ceux qui aspirent à l'indépendance par la fortune, ce n’est pas l’appât o sad, e - LE PAYS DES AMAZONES 117 d'un El-Dorado fantastique, la prévision de placers inépuisables, mais la seule espérance de faire de Por avec les simples productions de la terre. Le trésor que les émigrants iront découvrir sur les rives de l'Amazone, ils le trouveront à coup sûr dans les fruits de leur travail. Nous leur conseillons donc de s’en tenir à la fable si sensée du bon La Fontaine. et de se défaire, avant de se mettre en route, de tout esprit d'aventure. Les millions, là-bas, se montrent sous la forme de sucs épaissis, d'essences forestières, de belles plantations. Il n'est pas nécessaire de fouiller le sous-sol pour les déterrer ; il suffit de labourer à peine le sol ou de s'adresser aux arbres que celui-ci porte sans fatigue et sans culture. Nous ne prétendons pas dire, cependant, que l'Etat de l’Amazone soit absolument dénué de toute richesse minérale. Nous insinuons seulement qu'il serait imprudent de trop compter sur cette inconnue, qui n’a pas encore été dégagée jusqu'ici. Il peut arriver que le hasard mette certains pionniers sur la voie directe qui conduit à la fortune, en leur indiquant d'une manière inespérée l'entrée des cavernes mys- térieuses où la Nature cache ses richesses. Mais ce sera le plus sou- vent le coup de pioche ou le soc de la charrue qui révéleront les cachettes du vrai trésor. Quoi qu'il en soit, on y arrivera toujours plus sûrement par le che- min de traverse de [effort continu et des échanges réguliers. Il serait téméraire d'affirmer dès à présent que le sous-sol amazonien renferme des gisements précieux; il serait plus téméraire encore d'engager des capitaux sur ces découvertes hypothétiques. Tout ce que nous pouvons souhaiter, c'est que le gouvernement de ce pays se préoccupe bientôt de cette source de revenus probables. Il est de son intérêt de faciliter toutes les études qui auront pour but de préciser les particularités géologiques et minéralogiques des terrains qui cons- tituent la masse du territoire. Un corps d’ingénieurs qui exploreraient méthodiquement et scienti- fiquement les principaux points de cette contrée; qui, par des excur- = » na 118 LE PAYS DES AMAZONES sions, des fouilles, des sondages, fixeraient la constitution géologique du sol; qui relèveraient ensuite, sur des cartes topographiques, les affleurements, les couches superficielles et profondes, les localisations minières, — un pareil corps de spécialistes rendrait au pays les plus éminents services. : Avant de se risquer dans le labyrinthe, il faut un fil conducteur, et ce guide ne peut être fourni que par les ingénieurs des mines. Qu'ils se lancent donc au plus tôt à la découverte de ces îlots d’or, d'argent et de houille, perdus dans les entrailles de la terre. Nouveaux Cabires qu'ils plongent dans les retraites du fer, dans les abimes obscurs où gisent tous les métaux ; qu'ils en rapportent ces perles telluriques beaucoup plus précieuses que celles qui s'engendrent au fond des mers. Le jour où nous pourrons dire: En tel endroit s'étendent des bancs de calcaire et d'argile pour nos constructions ; des agglomérations carbonifères et métalliques pour nos industries ; des amas salins, des soufres, des schistes, — ce jour-là nous aurons retrouvé le véritable El-Dorado, et tous les diamants, toutes les pépites du monde entier ne vaudront pas ce que nous posséderons alors. Pour qu’un développement économique normal et régulier s'opère dans l'Etat de l’Amazone, il faut que les matières premières, si riches et si abondantes, qui seront livrées par l’agriculture, trouvent sur place des instruments perfectionnés qui les transforment à peu de frais. A côté du sitio, du seringal et de la fazenda, il faut que l’usine s'élève. Quand nous aurons le fer et la houille chez nous, nous pour- rons entrevoir le jour où nous deviendrons les premiers producteurs du monde. Cet avenir n’est peut-être pas très éloigné. Il serait facile de le préparer en se mettant à l’œuvre sans retard, en utilisant ce que nous possédons déjà, en nous servant, pour faire de nouvelles conquêtes, de certaines données et de quelques informations qui nous sont acquises. pen a x On connaît déjà à peu près l'emplacement de ce fameux El-Dorado LE PAYS DES AMAZONES [19 qui fit tourner plus de têtes au xvi*, au xvi° et au xvIn° siècles, que la belle Hélène ne fit battre de cœurs et ne souleva de poitrines de guer- riers aux âges enfantins de la Grèce. C'est aux sources du Paitili, afluent du rio Branco; c'est entre les serras Parime et Pacaraïma, sur les confins de |'Amazone, que se trouvait ce séjour fortuné. C'est par le Jutahy que le célêbre Ursua descendit du Pérou à la recherche de la toison d’or. On sait aussi que les anciens récoltèrent quelques pépites du séduisant métal dans le rio Madeira. On n'ignore pas non plus que des bandes de chercheurs d'or se portaient de pré- préférence, autrefois, sur les bords du rio Machado ou Gy-paraná (Rivière de la Hache). — En 1749, on trouva dans le rio Tiquié, affluent du rio Uaupés, dans la région du rio Negro, des pierres que “Pon reconnut contenir beaucoup d’argent, si l’on en croit Monteiro de Noronha. En 1757 — c'est le naturaliste Alex. Rodrigues Ferreira qui le raconte — João Fortes Aragão {d’autres écrivent Arzäo) trouva près de la cataracte du Ribeirão Preto, dans le Madeira, de l'or et - des « pierres cristallines ». La nouvelle en fut transmise à la métro- pole, et le gouvernement portugais eut le bon sens d'ordonner qu'on ne poursuivit pas les recherches, craignant que la découverte des mines ne ruinât le pays. Lorsque la fièvre du caoutchouc sera passée, on pourra commen- - cer les travaux d'exploration minéralogique par ces endroits jadis . exploités ou signalés. Si, des indications fournies par l'histoire et par la tradition, nous passons aux observations plus récentes, nous pouvons également nous assurer que le règne minéral n'est pas absolument exclu de cette » partie de la vallée de " Amazone. — On a découvert, en effet, dans les fouilles pratiquées cà et là sur “le territoire de l'Etat, de nombreuses pointes de flèches en agate écla- | tée; des haches de diorite poli, de trapp, de syénite, de jade; des ornements verts en feldspath lamelleux et quantité de pierres à repas- 2% I20 LE PAYS DES AMAZONES ser en schiste, ainsi que des tembetás ou ornements de la lèvre en néphrite, béryl, quartz hyalin, orthose verte, etc. Plusieurs de ces objets sont, comme on le voit, d'une matière qui caractérise essentiellement les terrains de cristallisation, et qui appar- tient aux roches composées d’origine ignée ou plutonienne. Le diorite est un composé d'amphibolite et de feldspath; le trapp noir est assez semblable aux formations prismatiques du basalte et révèle ordinai- rement le voisinage de terrains houillers ; la syénite est une sorte de granit fait de feldspath, de quartz et d'amphibole; la jade verte n’est que de la silice, de l’alumine, de la magnésie et de l’oxyde de fer : les schistes sont des feuillets terreux durcis par l’action du feu, et qui confinent aux houilles. Quand au feldspath, il est l'élément fondamental des roches composées des terrains de cristallisation. Ces silicates alumineux ne se rencontrent jamais dans les couches de sédiment. Il est donc permis d'inférer, d’après les caractères de ces différents échantillons géologiques, que le sous-sol amazonien, que les quelques: chaînons des montagnes amazonicennes sont de formation ignée, et doivent, par conséquent, renfermer les principaux minéraux qui accompagnent ordinairement les roches de cét:e nature. On ne peut pas objecter que les Indiens de l’Amazone se pour- voyaient d'instruments chez leurs voisins plus favorisés des Cordil- lères andines, où abondent les terrains de cristallisation. Les nom- breuses variétés de tabatinga (1) qui se rencontrent dans la vallée brésilienne de "Amazone semblent prouver suffisamment que cette vallée possède des composés plutoniens. En effet, la tabatinga paraît n'être due qu’à la décomposition de l’orthose et de l’albite, matières feldspathiques, c’est-à-dire de "empâtement de la silice, de l’alumine, de la chaux et de la soude dans des limons de fleuves (2). L’argile plastique commune y est encore plus répandue. Les entre- (1) De deux mots indiens: tauà, argile, et tinga, blanche. (2) Agassiz et Coutinho : Sur la Géologie de l’'Amazone, Paris, 1867. LE PAYS DES AMAZONES I21 De: : , … preneurs de nos villes futures sont donc assurés de trouver sur place - ne manquent pas davantage de mortier et de chaux. Le sable est par- tout sous les pieds. La chaux se trouvera dans la cuisson des amas de coquillages, ds dépôts artificiels de sambaguys ou sernambys (1), … presque aussi fréquents dans l’Amazone que les Kyoekkoenmodings - au Danemark. cá |: Mais le charbon de terre, le nerf de l’industrie, le diamant noir, existe-t-il dans cette belle contrée ? le soleil des tropiques n'est-il pas D trop riche de ses propres feux pour avoir enfoui sous terre, comme “un avare, une partie de ses trésors ? Les forêts, qui grandissent - actuellement sur les terres vierges, vivent-elles, comme nous autres, sur les cendres de leurs ancêtres ? Y a-t-il, au pied des grands arbres, des cadavres d’autres arbres, momifiés par les siècles ? La flore amazonienne a-t-elle quelque part sa noire nécropole? Pourquoi pas? Est-ce que le feu, qui a brûlé les pierres. qui a fait “les schistes, cette houille terreuse, aurait respecté les végétaux gigan- … tesques ? Cela est d'autant moins probable que l’on a signalé des dépôts “carboniféres le long du Guaporé et du Mamoré. = Bien plus: en 1860, on a présenté à |'Exposition universelle de — Londres un échantillon de charbon de terre venu du haut Amazone. _ Dansun rapport, écrit à cette époque et pour cette circonstance, le avant M. John Miers, membre de la Société Royale, a annoncé en … ces termes la grande découverte qui révolutionnera quelque jour le monde amazonien : - « Le fait intéressant, dit-il, de l'apparition d’un morceau de charbon de terre venant du rio Solimões ne pouvait passer ina- perçu. S'il était possible de constater l'existence de gisements étendus de houille de bonne qualité dans la province de l’Amazone, dans le voisinage immédiat de la navigation fluviale, et susceptible de (1) De deux mots indiens: serye, reflux de la marée, et nembyr, restes. 122 LE PAYS DES AMAZONES pire, l'importance d'une pareille découverte serait incalculable pour l'avenir... » Ces quelques paroles font rêver à de bien grandes choses pour notre pays. Le charbon de terre au Brésil et dans l’'Amazone! Ce serait la force mise au service dela fertilité; ce serait l'élément noir remplaçant le bras noir d'un passétout récent; ce serait l’affranchissementdu Brésil du colportage anglais. Ce n’est pas seulement l’exploitation des lignes fluviales de paquebots et des tramways urbains qui bénéficieraient de ce grand moteur, mais tous les centres de production industrielle et agricole : des usines à sucre s’élèveraient, des filatures se construi- raient, des machines sans nombre fonctionneraient d’un bout à l’autre de ce vaste territoire, et nous assureraient la prospérité des Etats-Unis de l'Amérique du Nord et des nations européennes les mieux outillées. Quoique l’on n'ait plus entendu parler de la décou- verte faite dans le rio Solimões, depuis 1862, il est permis d’espérer que nos arrières-neveux verront l'avènement de cette révolution mécanique. En effet, un géologue de l'Amérique du Nord, devenu directeur de la section de minéralogie au Muséum national de Rio, puis chargé de travaux de sa spécialité à S. Paulo, M. Orville Derby, nous a entr'ou- vert, à son tour, les splendides horizons de l’ère de la houille dans cette partie du Brésil. Il a étudié principalement les fossiles du ter- rain carbonifère du bas Amazone, c’est-à-dire de l'Etat de Para (1). Dans son travail, il décrit plus de cent espèces appartenant à ce terrain. Après avoir comparé avec le plus grand soin les collections brésiliennes à celles du Muséum national de Washington, il a réussi à établir l'identité presque complète de la faune carbonifère de Pará et de celle qui caractérise les dépôts de la vallée du Mississipi, dont on connaît les gisements houillers. (1) Orville A. Derby: The artificial mounds of the Island of Marajo..., 1879. «Ame- ric. Natural. ».— Contribuição para a geologia do Baixo Amazonas, Rio, 1878, « Arch. do Mus. », II. “ LE PAYS DES AMAZONES 123 Il est vraisemblable que les conclusions de M. Orville Derby pour- ront s'appliquer également aux régions du haut Amazone, c'est-à- dire à l'Etat dont nous nous occupons, puisque, d’après Agassiz, la structure géologique de ces deux parties de la vallée est la même, et que la grande île de Marajó, d'où M. O. Derby a extrait ses fossiles, était probablement, à l'origine, soudée à la vallée principale. Pour continuer et compléter ces travaux, le gouvernement local ferait bien de suivre l'exemple de " Argleterre, et de faire confection- ner, après étude préalable, des cartes exactes relatant les limites pré- cises des différentes formations et les points de croisement de toutes les couches connues de charbon de terre. Cela fait, il serait possible de vendre à un assez haut prix ces terrains incontestablement miniers. Les capitaux se présenteraient promptement, de puissantes compagnies ne tarderaient pas à se grouper, des puits s'ouvriraient et des milliers de travailleurs en feraient sortir des tonnes de richesses. En vertu de cet adage « que toute matière exploitable trouve exploiteur », il ne s’agit que de garantir [existence de la matière exploitable. C'est à quoi doivent tendre tous les efforts de ceux qui ont souci de nos affaires publiques. Les particuliers, agissant seuls, courraient le risque de gaspiller des forces qui seraient mieux employées ailleurs, s'ils se lancaient les premiers dans cette gigantesque entreprise. L'Etat doit leur ouvrir toutes les voies ; libre à eux ensuite de profiter de ce qu'on leur offre si libéralement. Le produit de l'impôt ne saurait mieux être employé qu’à assurer ainsi de nouvelles sources de bien-être et de travail rémunérateur. Des nombreux affluents de l'Amazone, deux, surtout, ont été étudiés au point de vue géologique et minéralogique. Ce sont le Madeira et le rio Negro. Voici ce que dit le D" J. Severiano da * Fonseca des cataractes du Madeira, qui se trouvent en assez grand nombre dans la partie haute de ce cours d’eau : « Les roches de ces cataractes sont de formation plutonienne, et 124 LE PAYS DES AMAZONES révèlent, à première vue, leur origine volcanique, modifiée peut-être par le métamorphisme. Quelques-unes d’entre elles m'ont paru diff- ciles à classer, à cause de l'incertitude des signes qu'elles présentent; d’autres, au contraire, offrent un facies minéralogique qui enlève toute hésitation. Les grandes tables de pierre trachytiques, presque lisses, d'une couleur de fer ou d’un noir luisant de goudron, sont formées, en plusieurs endroits, de couches superposée> plus ou moins ondulées, avec des rebords curvilignes; on dirait qu'elles proviennent d’une matière en fusion, épaisse, répandue à grand jets, formant des nappes, qui se seraient refroidies avant que les dernières tables fussent arrivées à la place occupée par les première. Çà et là surgissent de grands rochers, les uns prismatiques, les autres arrondis, tantôt sous forme de dykes (1). de diorite et d'elvan, tantôt comme des blocs dé- tachés. Quelques-uns sont déchirés au milieu par une seule fente, qui, parfois, mesure plus d'une brasse de largeur. Ailleurs, on ren- contre de grandes excavations (chaudiêres), trous parfaitement ronds, creusés dans le rocher par le frottement de silex roulés. » D'après ce même voyageur, ces rochers sont des porphyres amphi- boliques, des obsidiennes, des syénites, des petro-silex, c'est-à-dire des roches feldspathiques produites par les feux souterrains d’érup= tions volcaniques relativement récentes. Les obsidiennes du Madeira, à contexture vitreuse et opaque, ressemblent à celles du Pérou, con=" nues sous le nom de miroirs des Incas. Les Indiens en font encore des couteaux. Les petro-silex observés dans cette même vallée sont des agrégats de feldspath et de matières étrangères. Quelques-uns renferment du talc et de l’amphibole. D'après Beudant, les petro-silex ne se trouveraient que dans les terrains inférieurs à l’étage houiller. Le D' Severiano da Fonseca a rapporté de ses courses un morceau (1) Filons d’origine ignée, dégagés par les agents atmosphériques de l'enveloppe rocheuse qui les contenait. LE PAYS DES AMAZONES 125 de charbon végétal, lamelleux, ayant des feuilles parallèles nettement accentuées. Il était complètement pétrifié et révélait ainsi une très grande antiquité. Cet échantillon se trouve dans la collection du musée de l’Institut archéologique de la ville de Maceió, chef-lieu de . l'Etat d'Alagõas. Les porphyres, assez variés de nuance, qui forment une grande partie de ces rochers du Madeira, sont composés d’albite empâtant “des cristaux d'amphibole. Leur emploi serait d’un bel effet en archi- tecture, s’il était possible de les transporter à bon marché jusqu'à Manäos ; ils pourraient peut-être rivaliser avec les plus beaux spé- cimens de porphyre vert que les anciens tiraient du mont Taygète et qu'ils réservaient à la confection de leurs vases et de leurs socles de statues. Quant au cristal de roche, M. W. Lewis Herndon, envoyé en explo- ration -dans Amazonie par-le département de la marine des Etats- Unis, raconte qu’il en a vu à Mandos, chef-lieu de la province, « de beaux spécimens apportés des hautes terres qui séparent le rio Branco de l’Essequibo. » Terminons ce rapide aperçu en signalant deux faits assez curieux : Dans le rio Negro, la rivière qui baigne Manäos, on extrait le sel en assez grande quantité de certaines plantes qui poussent sur les rochers, au milieu des plus forts courants d’eau douce. C'est Vinci- nération de ces végétaux du genre Lacis qui donne le sel dont nous parlons. La présence de ce sel peut être attribuée à l'absorption par la plante des principes salés des eaux d'infiltration ayant rencontré dans leur course des bancs de sel gemme. — Sur les bancs du rio Solimões ou haut Amazone, on trouve des dépôts de pierre ponce, apportés là, sans doute, par les courants du fleuve qui descendent des volcans de la chaine des Andes. Tels sontles principaux faits observés, qui nous permettent d'encou- rager les géologues dans leurs travaux, et qui nous invitent à détourner les émigrants de lâcher la proie pour l'ombre. 126 LE PAYS DES AMAZONES Ces richesses minérales, encore mal connues, c'est à l’avenir de les mettre au jour et de les exploiter. En 1851,le lieutenant W. Lewis Herndon, que nous citions tout à l'heure, après avoir exploré cette région, s’écriait : « Je n’hésite pas à dire ce que je crois: dans cinquante années, Rio-de-Janeiro, sans rien perdre de sa richesse et de sa-grandeur, ne sera qu’un village auprès de Pará; Pará sera devenu ce que serait devenue la Nouvelle-Orléans depuis longtemps, sans l’activité de . New-York et sans son fatal climat, c’est-à-dire la plus grande“ cité du Nouveau-Monde; Santarem sera Saint-Louis et Manäos sera Cincinnati ». Et il ajoutait comme conclusion de son volumineux rapport, trans- mis au congrès par le pouvoir exécutif : « Dans quelques années, nous pourrons, sans grande hyperbole et sans faire beaucoup de violence à l'imagination, appliquer à ce fleuve les beaux vers de Byron: « The casteled crag of Drachenfels e Frowns o'er the wide and winding Rhine, j Whose breast of waters broadly swells Between the banks that bear the vine ; And hills all rich with blossomed trees, And fields that promise corn and wine, With scattered cities crowning these, Whose far white walls along them shine. » DEUXIÈME PARTIE LºHABITANT CHAPITRE PREMIER Organisation de l'Union Fédérale et des 20 Etats au Brésil. — Organisation politique de PEtat de "Amazone. — La Constitution du 17 Août 1895. — Le Pouvoir Législatif. — Le Pouvoir Exécutif. — Le Pouvoir Judiciaire. — Les - Municipes. — Division administrative et judiciaire. - La Police. — L'Eglise séparée de l'Etat. Bien que nous ne soyons pas un partisan outré de la théorie des “— milieux, et que nous n'accordions à leur influence qu’une part secon- daire dans la formation, le développement et la nature morale des êtres intelligents et libres, nous avons dû cependant commencer ce travail sur l’'Amazone par la description des lieux habités par la popu- lation que nous voulons faire connaître. Le cadre ainsi dessiné, il nous a paru plus aisé d'y adapter l’homme, Phabitant, avec son histoire politique, avec son organisation admi- nistrative, avec sa vie domestique et sociale, ses moyens de subsis- tance, le commerce et l’industrie auxquels il se livre, les moyens de 128 LE PAYS DES AMAZONES communication dont il dispose, avec ses connaissances intellec- tuelles. Nous sommes loin de prétendre que le sol amazonien, avec sa cons- titution géologique, avec ses conditions climatériques, avec sa faune étrange, sa flore exubérante, doive a priori nous révéler les particu- larités biologiques et sociologiques des populations de cette contrée. Nous laissons ces sortes de tours ingénieux aux savants abstracteurs de quintessence. Nous préférons, quant à nous, nous en tenir aux vieilles méthodes descriptives, qui ont au moins l’avantage de répu- dier l'hypothèse et de s’en tenir à la stricte réalité dûment constatée. Ce sont, avant tout, des données certaines, précises, actuelles, que nous ambitionnons de présenter au lecteur européen. En Europe on connaît peu l'Etat de l’Amazone ; on le connaît peut- être moins qu'au xviº siècle. Il ne manque pas de gens, même éclairés, qui confondent volontiers cette contrée, portant un nom mythologique, avec certains territoires sauvages où l’on mange encore des missionnaires. Il en est qui en ont fait un repaire d'Indiens tout nus, gourmands de chair humaine et passant leurs journées de douze heures à manier l’arc et la flèche dans des forêts impénétrables. Ceux qui n'ignorent pas absolument le Brésil croient que, derrière Rio-. de-Janeiro et quelques autres marchés dont ils ont entendu parler, il n'y a rien que des cases d'esclaves, des cabanes d’Indiens et des quinconces de caféiers, et que les régions immenses confinant aux Guyanes ne renferment que des poivriers de Cayenne et sont consi- dérées par le gouvernement du Brésil comme des espèces de Sibérie torride où l’on envoieles politiciens en disgrâce. Cependant, ce pays, encore plus méconnu qu'inconnu, est en 'Pos- session de tous les organes, de toutes les institutions politiques, admi- nistratives et sociales que l’on est convenu de regarder comme les | plus grands bienfaits de la civilisation moderne. Oui, quoique cela puisse surprendre certains Européens, il faut bien le leur dire : nous possédons là-bas des pouvoirs constitués, des [+ es, LAN LE PAYS DES AMAZONES 129 magistrats, une police, des forces militaires, des fonctionnaires de toute grandeur. Sous le rapport bureaucratique, hélas ! nous n’avons rien à envier aux Etats les mieux disciplinés de la vieille Europe. Nous formons, au Brésil, une République Fédérative de 20 États, créée par la Constitution du 24 Février 1891. Celle-ci fut votée par le Congrès constituant que le gouvernement provisoire, institué par le maréchal Manoel Deodoro da Fonseca, avait convoqué après la chute de Dom Pedro II, le 15 novembre 1889, et qui fut élu par le suffrage universel le 15 novembre 1890. La Constitution institua trois Pouvoirs : Exécutif, Législatif et Judiciaire. Le chef du Pouvoir Exécutif est le président de la République. II est élu pour 4 ans, par voie de suffrage universel. Le Pouvoir Légis- latif est représenté par le Congrès National, qui se compose d’un Sénat et d’une Chambre. Le Sénat se compose à son tour de 63 mem- bres (3 par Etat et3 pour le District Fédéral), élus pour une période de g années et renouvelables par tiers ; le vice-président de la Répu- blique, élu en même temps et de la même forme que le président, est le président de droit du Sénat. La Chambre des députés se compose de 205 membres (1 pour 70,000 habitants), élus pour 3 ans, aucun Etat ne pouvaut avoir moins de 4 représentants. Le Pouvoir Judi- ciaire est exercé par le Suprême Tribunal Fédéral et par des juges fédéraux. L’Etatautonome est le microcosme de l’Union fédérale, et le Mu- nicipe, le résumé de l'Etat ; il est une cellule vivante concourant à la formation de tout l'organisme, et douée d’une action harmonique, quoique indépendante. L'Etat de "Amazone se régit aujourd'hui par la Constitution que ses représentants ont votée et promulguée le 17 août 1805, sous la présidence de M. Joaquim A. Serejo, ayant comme secrétaires MM. Silverio J. Nery et J.-B. Borges Machado. D'après cette Constitution, l’Etat de l’Amazone, comme partie inté- 9 La se EL TRA 130 LE PAYS DES AMAZONES grante de l’Union Fédérale brésilienne, est l'association politique des habitants du territoire de ia ci-devant province de l’Amazone, et il se trouve organisé sous le régime républicain dans le libre exercice de son autonomie, selon les termes de la Constitution Fédérale. « Tous les actes et mesures relatifs à ses intérêts particuliers de toute espèce sont de sa compétence exclusive, l'intervention du Gou- vernement de "Union étant admise uniquement dans les cas spécifiés par l’article 6 de la Constitution Fédérale. — Est de sa compétence également tout ce qui n'est pas réservé explicitement aux Pouvoirs de l'Union d’après les termes de l’art. 65 de la Constitution Fédérale. » (Art. 4). « Les dépenses de son gouvernement et de son administra- tion seront portées à ses propres frais avec les produits des revenus, taxes et autres contributions décrétés par le Pouvoir compétent, sauf le cas de calamité publique dans lequel l'aide du gouvernement de "Union pourra être réclamée, conformément aux dispositions de l’art. 5 de la Constitution Fédérale. » (Art. 6). « Le gouvernement de l'Etat a pour organes les Pouvoirs Législa- tif, Exécutif et Judiciaire, qui fonctionneront indépendamment les uns des autres et harmoñiquement dans la sphère de leur compétence respective, établie dans cette Constitution. -— Il est défendu à chacun d'eux de déléguer à l’autre l’exercice de ses fonctions » (Art. 7). « La base de l’organisation de l'Etat est le Municipe, et, pour les effets de l'administration de la Justice, il se divise en comarques et celles-ci en termes. » (Art. 5). 1. — « Le Pouvoir Législatif est délégué à un Congrès, dé- nommé Congrès des Représentants de l'Etat de l’Amagone, qui l’exercera avec la sanction du gouverneur. » (Art. 8). « Ce Congrès se compose de 24 membres, élus par le suffrage universel direct dans tout l'Etat, la représentation des minorités étant garantie. » (Art. 9). « Le Congrès se réunit tous les ans, dans la capitale de l'Etat, indé- pendamment de toute convocation, le 1º mars, et fonctionne pendant trois mois comptés de la date de son ouverture ; il peut être convoqué LE PAYS DES AMAZONES 131 en session extraordinaire. » (Art. 10). « Sur délibération du propre Congrès, et pour garantir la liberté et l'indépendance de ses travaux, il pourra se réunir hors de la Capitale, après avoir fait connaître son intention, pourvu qu'il se réunisse en un endroit public et accessible au peuple et qu'il en donne connaissance au Pouvoir Exécutif. » (Art. 11). « Le Congrès ne peut être dissous en aucun cas. » (Art. 13). « Le mandat des Représentants dure trois ans. » (Art. 14). « Peuvent être élus Représentants les citoyens brésiliens de naissance ou natu- ralisés, pourvu qu'ils aient plus de 21 ans, qu'ils sachent lire et écrire et soient en état d’être inscrits comme électeurs, qu'ils aient au moins cinq ans de droits civiques s'ils sont naturalisés, et qu’ils aient au moins un an de résidence dans l'Etat. » (Art. 15). « Sauf le cas de flagrant délit dans des crimes n’admettant pas de caution, les Représentants ne peuvent être ni arrêtés ni poursuivis au criminel sans autorisation préalable du Congrès, et, en ce cas, le procès ayant été instruit jusqu'à la mise en accusation exclusivement, l'autorité poursuivante enverra les dossiers au Congrès pour que celui-ci se m…_ prononce sur le bien-fondé de l'inculpation, à moins que l'inculpé n'opte pour le jugement immédiat. — Si le Congrès se prononce con- tre le bien-fondé de l’inculpation, celle-ci ne pourra être renouvelée —._ en aucun temps. » (Art. 19). « Les membres du Congrès sont invio- lables pour les paroles, les opinions et les votes qu'ils émettent dans l'exercice de leur mandat. » (Art. 25). « Le Congrès vérifie et recon- * naît les pouvoirs de ses membres, compose son bureau et ses com- missions, organise son Règlement intérieur, dispose sur la manière dont il entre en rapports avec le gouverneur de l'Etat, sur la solennité de son ouverture et de la clôture de ses sessions. Ces acles sont de sa compétence exclusive et ne dépendent pas de sanction. » (Art. 26). « Il appartient au Congrès, outre les attributions qui lui sont con- férées par la présente Constitution : de faire les lois, les altérer, les mer la recette de l'Etat, sur le vu des informations ou propositions du suspendre et les abroger ; de fixer tous les ans la dépense et d'esti-. 132 LE PAYS DES AMAZONES Gouverneur ou en leur absence; de déclarer sans effet les actes et résolutions des Municipes, quand ils seront contraires à la Constitu- tion et aux lois de l’Union, de l'Etat et à l'économie du Municipe ; d'autoriser le gouverneur à contracter des emprunts et à faire d’autres opérations de crédit, en fixant le maximum des engagements annuels qui auront à peser sur les caisses de l'Etat; de concéder des crédits pour les services créés et d’autoriser la création de nouveaux services quand ceux-ci doivent entraîner augmentation de dépenses ; d'auto- riser des arrangement et des traités avec d'autres Etats, et d'approu- ver ceux faits par le gouverneur quand il les trouvera bons; de procéder contre le gouverneur, le vice-gouverneur ou leur remplaçant en exer- cice et de prendre part à leur jugement, comme le détermine l’art. 49, dans les crimes de responsabilité, ou de donner son autorisation pour leur procès quand il s'agira de crimes de droit commun; de créer des taxes de papier timbré pour les documents sans caractère fédéral et se rapportant à l’économie de l'Etat, ainsi que des taxes postales et télégraphiques quand ces services auront été établis ; d'augmenter ou de supprimer des contributions, des taxes et des impôts, ou d'en créer sans offense des restrictions imposées par la Constitution Fédérale et par la Constitution de l’Etat.... » (Art. 20). « Il appartient exclusivement au Congrès de frapper d'impôts le transfert des propriétés, les héritages et legs, les titres de nomination et les appointements des fonctionnaires de l'Etat, l'exportation, les immeubles ruraux, les industries et professions. » (Art. 30).« Le Con- grès pourra mettre des impôts sur l’’mportation des marchandises étrangères destinées à la consommation sur le territoire de l'Etat, le produit de ces impôts devant être versé au Trésor Fédéral, toutes les fois que cette imposition aura pour effet de placer dans des condi- tions d'égalité, relativement aux charges fiscales, les produits de Pin- dustrie amazonienne et les produits similaires étrangers. » (Art. 31). « Il appartient au Congrès de légiférer sur : les incompatibilités électorales ; la procédure à suivre dans l'élection des fonctionnaires L a pe À + LE PAYS DES AMAZONES 133 éligibles de l'Etat et du Municipe, en consacrant toujours le principe de la représentation des minorités et le vote à découvert; l'utilité des services publics ; la dette publique; le recouvrement, le contrôle et la distribution des revenus de l'Etat: la division judiciaire et civile de l'Etat ; la forme de procédure de la compétence de l'Etat; la caisse de retraite, sans caractère obligatoire, au bénéfice des familles des fonc- tionnaires de l'Etat; l’expropriation pour utilité publique ; les terres publiques de l'Etat, les mines et l’industrie extractive ; les moyens de rendre effective la responsabilité des fonctionnaires qui auront à leur charge le recouvrement, le contrôle et [application des revenus publics de l'Etat et du Municipe, et de ceux qui auront commis des délits et des crimes prévus dans la présente Constitution ; les travaux publics, routes, chemins de fer, télégraphes, postes et navigation inté- rieure ; l'hygiène et l'assistance publique: l’incorporation du terri- toire d'un autre Etat à celui de l’Amazone, et sur la divi- sion ou le démembrement de celui-ci conformément aux termes de l’art. 4 de la Constitution Fédérale ; les moyens de développer l'instruction gratuite et laïque, l'immigration, l’agriculture, le com- merce, les arts, la colonisation, le catéchèse et la civilisation des Indiens ; la nomination, la suspension et la démission des employés publics, ayant toujours en vue le concours pour l'accès aux fonctions et l’inamovibilité après cinq années de bons services; la retraite pour invalidité prouvée au service de l’Etat, les retraités ne pouvant plus occuper aucun autre emploi rémunéré par l'Etat; Valiénation, l'acquisition et l’affermage des biens de l'Etat, d'accord avec les pres- criptions de la présente Constitution; le régime pénitentiaire, correc- tionnel et de détention, les maisons de secours public, les établisse- ments scientifiques, artistiques et industriels ; le code forestier, rural et des pêcheries; l’institution du Crédit Foncier etagricole,etla mobi- lisation du sol; les secours à prêter aux Municipes en cas de cala- mité publique ; le service de la statistique et le cadastre des terres. » (Art. 32). 134 LE PAYS DES AMAZONES 2. — « La direction suprême gouvernementale et administrative de l’Etat est confiée à un citoyen portant le titre de Gouverneur de l'Etat de l’ Amazone, qui l’exercera librement, conformément au bien public interprété d’accord avec les lois. » (Art. 34). Le gouverneur prendra la responsabilité de tous les actes qu'il accomplira dans l’exer- cice de ses fonctions, auxquels il donnera la plus grande publicité pour que le public puisse les apprécier complètement. » (Art. 35). « Il exercera sa charge pendant quatre années, et ne pourra être élu ni gouverneur ni vice-gouverneur pour la période suivante. » (Art. 36). « Pendant ses absences et empêchements, il est remplacé succes- sivement : par le vice-gouverneur, élu en même temps et de la même forme que lui; en cas d'empêchement ou d'absence de celui-ci, par le président du Congrès, puis par le vice-président de cette assemblée, puis par le président du Tribunal supérieur de Justice, et, enfin, par. le Surintendant de la capitale ou maire. » (Art. 37). « Si le vice-gou- verneur prend le gouvernement pour quelque temps pendant la der- nière année de la période gouvernementale, il ne pourra ni être réélu ni être élu gouverneur. » (Art. 38). « Si le vice-gouverneur occupe le gouvernement en vertu de la renonciation, du décès, de la perte de sa charge ou de l'incapacité physique du gouverneur, il exercera ses fonctions jusqu’à la fin de la période gouvernementale (1), pourvu que la vacance se produise après les deux premières années de la période gouvernementale ; dans le cas contraire, il sera procédé à l'élection d'un nouveau gouverneur del’Etat. » (Art. 309). : « Pour les charges de gouverneur et de vice-gouverneur, il est exigé des candidats, en outre des conditions générales d'éligibilité, (1) C’est le cas qui vient de se produire. M. Fileto Pires Ferreira a pris possession de la charge de gouverneur le 23 juillet 1896, et les deux premières années de sa période gouvernementale ont pris fin le 24 juillet 1898. Le 1º" août 1808, le Congrès de VEtata pris acte de sa renonciation, envoyée de Paris en date du 27 juin. Le vice-gou- verneur, le colonel José Cardoso Ramalho junior, l’a remplacé légalement, et exercera le pouvoir jusqu’au 23 juillet 1900, sans qu'il ait été nécessaire de procéder à une nouvelle élection de gouverneur. LE PAYS DES AMAZONES 135 LA a. qu’ils soient Brésiliens de naissance, qu'ils soient dans la jouissance de leurs droits politiques, qu'ils soient âgés de trente ans au moins et qu'ils aient leur résidence dans l'Etat depuis trois années au moins. » 16. — Le colonel José Cardoso Ramalho junior. vice-gouverneur, en exercice, de l’Etat de l'Amazone. (Art. 40). « Le gouverneur aura sa résidence dans la capitale de l'Etat et ne pourra pas s’en éloigner sans permission du Congrès, sous eine de perdre sa charge.... Cette disposition ne s’applique pas aux F 8 P ppuq absences de moins de 30 jours déterminées par maladie. » (Art. 44). 136 LE PAYS DES AMAZONES « Le gouverneur et le vice-gouverneur seront choisis par suffrage universel direct et vote à découvert dans tout l’Etat en même temps. L'élection se fera 120 jours avant la fin de la période gouvernementale. L'apurement des voix sera fait par le Congrès qui se réunira à cette fin, extraordinairement, 14 jours avant la fin de la période gouverne- mentale et fonctionnera quel que soit le nombre des membres pré- sents.... » (Art. 46). « Sont inéligibles aux charges de gouverneur et vice-gouverneur les parents consanguins et alliés, jusqu'au second degré inclusivement, du gouverneur et du vice-gouverneur qui se trouvera en exercice à l'époque de l'élection ou qui aura quitté le pou- voir trois mois auparavant. » (Art. 47). « Au gouverneur de l’État, en sa qualité de chef suprême du gou- vernement et de "administration, il appartient exclusivement sous sa pleine responsabilité : de diriger, contrôler, provoquer et défendre tous les intérêts de l'Etat, d'accord avec les lois ; de sanctionner et de promulguer les lois,conformément aux règles établies par cette Cons- titution; d'organiser, réformer ou supprimer les services dans les Administrations en se renfermant dans les limites des crédits budgé- taires ; d'expédier des décrets, des règlements et des instructions pour l'exécution convenable et fidèle des lois ; de convoquer extraordinaire- ment le Congrès lorsque le bien public l’exigera, en expliquant tou- jours les raisons de la convocation ; d'exposer annuellement au Con- grès la situation des affaires de l'Etat, en lui suggérant les mesures qui en dépendront, dans un Message minutieux ; de préparer toutes les données budgétaires de la recette et de la dépense de l'Etat, pour qu’elles soient présentées au Congrès au commencement de sa ses- sion; de contracter des emprunts et de réaliser des opérations de cré- dit d'accord avec les autorisations expresses du Congrès données dans des lois spéciales ou dans la loi budgétaire, en distinguant dans l'application les dépenses qui figureraient sans détails dans le budget; d'autoriser, d'accord avec la loi, les expropriations pour nécessité et utilité publiques; d'organiser la force publique de l'Etat dans les tu à mt pe Am TE Dá eg 2m, = ha Cla dó , TT AE Gi id co la Es de LE PAYS DES AMAZONES 137 limites des crédits votés à cet effet, ayant en vue le volontariat ou Vengagement; de distribuer ou mobiliser la force publique de l'Etat, qui lui est immédiatement subordonnée, et d’en disposer selon les exigences du maintien de l’ordre, de la sécurité et de l'intégrité du territoire; de mobiliser et d’utiliser, dans des cas exceptionnels, la garde de police des Municipes; de pourvoir de titulaires les charges civiles et militaires dans les limites du bugdet, en nommant, suspen- dant ou révoquant les titulaires, dans la forme de la Constitution et des lois; de fournir par écrit toutes les informations, données et éclair- cissements que le Congrès lui demandera ; d'établir la division judi- ciaire et civile, d'accord avec la loi ; de maintenir des rapports avec les autres Etats de l’Union; de célébrer avec eux des arrangements, des conventions et des traités sans caractère politique, en en rendant compte au Congrès ; de suspendre, en l’absence du Congrès auquel il en rendra un compte détaillé à sa première réunion, l'exécution des résolutions ou des actes des autorités municipales, lorsqu'ils violeront les lois fédérales ou celles de l’Etat et l’économie du propre Muni- cipe ; de résoudre les conflits de juridiction et d’attribution qui pour- raient s'élever entre les autorités administratives; de prendre des mesures relatives à "administration des biens de l’Etat et d'en décréter Paliénation dans la forme des lois; d'organiser, d'accord avec les lois, et de diriger le servicerelatif aux terres de l’Etat, à la viabilité, à la navi- gation intérieure et à l’enseignement public laïque ; de concéder des congés, des retraites et des réformes, d'accord avec les lois ; de par- donner ou de commuer les peines imposées aux condamnés de droit commun et de responsabilité sujets à la juridiction de l'Etat, après avoir pris l’avis du Tribunal supérieur de Justice ; de faireprocéder au recouvrement des impôts et revenus de l'Etat, et de les appliquer d’accord avec les lois budgétaires ; de nommer les membres du Tri- bunal supérieur de Justice et les autres fonctionnaires de la Justice ; de lever des forces dans l'Etat en cas d'invasion de la part de l’étran- ger ou d'un autre Etat, en cas de commotion intérieure ou de danger 138 LE PAYS DES AMAZONES imminent, en rendant un compte détaillé au Congrès ; de requérir l'intervention du Gouvernement fédéral dans les cas prévus par les art. 5 et 6 de la Constitution de l’Union, en exposant au Congrès les motifs de cette réquisition ; de faire procéder aux élections de la Fédération, de l'Etat et des Municipes, et de prendre les mesures nécessaires pour qu'elles s'effectuent selon les lois ; d'envoyer au Congrès National et au président de l’Union tous les actes législatifs ; d'envoyer à l'autorité judiciaire tous les documents qu'il aura pour l'instruction des procès contre les fonctionnaires ; de développer, avec les moyens votés par le Congrès, le service de la civilisation des Indiens, de l'immigration et de la colonisation ; de représenter l’Etat dans ses relations officielles avec le gouvernement de "Union et celui des autres Etats; enfin d’appliquer au service de l'Etat les crédits votés par le Congrès sans qu'il puisse tirer du Trésor aucune somme dont application n'ait pas été déterminée par une loi. » (Art. 48). « Pour les crimes de responsabilité que le gouverneur ou son substitut en exercice aura commis, il sera poursuivi par le Congrès, et, dès que celui-ci aura reconnu, par les deux tiers des voix des mem- bres présents, le bien-fondé de l’accusation, il sera jugé par un tribunal spécial, composé de 7 membres du Tribunal supérieur de Justice et de 7 membres du Congrès, choisis par celui-ci au scrutin nominal. — Tous les votes de ce tribunal auront lieu à découvert, et le Ministère public y sera représenté par le Procureur général de l'Etat. » (Art. 49). « Pour les crimes de droit commun, le gouverneur de l’Etat sera poursuivi et jugé par le Tribunal supérieur de Justice, après que le Congrès des Représentants aura reconnu le bien-fondé de l’accusa- tion. » (Art. 51). « Le gouverneur sera criminellement rendu responsable pour tra- hison, corruption, subornation ou concussion, pour avoir attenté con- tre la Constitution et les lois dûment promulguées, contre l’exercice régulier des libertés politiques, contre le fonctionnement légal du Congrès, de la Magistrature et du gouvernement municipal, contre les LE PAYS DES AMAZONES 139 lois budgétaires votées par le Congrès et l’application scrupuleuse des crédits qui y seront consignés, et pour avoir attenté contre la tran- quillité et la sécurité de PEtat. » (Art. 52). « Dès que le bien-fondé de l’accusation aura été reconnu, le gouverneur demeurera suspendu de ses fonctions. » (Art. 53). 3. « Le Pouvoir Judiciaire a pour organes : un tribunal appelé Tribunal supérieur de Justice, siégeant dans la Capitale et ayant juridiction dans tout l'Etat ; des « Juges de droit », des Juges munici- paux et des jurés dans les comarques. — Le Tribunal supérieur de » Justice se composera de 7 membres, ayant le titre de Conseillers (dezembargadores), nommés par le gouverneur de PEtat. » (Art. 72). « En aucun cas la Magistrature ne sera élective. » (Art. 83). « Afin de défendre les interêts de l'Etat et de la Justice publique par devant les juges et les tribunaux, il est constitué un Ministère public. Celui-ci sera composé d'un procureur général de l’Etat.... et de promoteurs publics, un par comarque, la Capitale pouvant en avoir un plus grand nombre... » (Art. 89). 4. « L'Etat continuera à être divisé en circonscriptions territoriales, sous la dénomination de Municipes, ayant leur administration, leurs droits et leurs intérêts propres. — Le territoire du Municipe sera divisé en districts. » (Art. 92). « Le Municipe sera autonome dans la gestion de ses affaires ; ses délibérations sont indépendantes de n'im- porte quel pouvoir de l'Etat, sauf les restrictions posées par la pré- sente Constitution ». (Art. 93). « L'impôt immobilier dans les villes “est de la compétence exclusive du Municipe; il pourra, en outre, créer d’autres sources de revenus qui n'auront pas été prohibées implicite- ment ou explicitement par la présente Constitution. » (Art. 94). « Dans le siège de chaque Municipe, le gouvernement municipal est exercé par une corporation ayant autorité simplement délibérante, et par un surintendant, qui sera le président de cette corporation et Pexécuteur de toutes ses résolutions. — Cette corporation délibérante, appelée Intendance Municipale, se composera de 8 membres dans la 140 LE PAYS DES AMAZONES Capitale, de 6 dans les villes et de 4 dans les bourgs, élus par le suf- frage universel direct et le vote à découvert, de 3 en 3 ans. Le surin- tendant sera du libre choix du Pouvoir Exécutif... » (Art. 95). « L'Intendance ne peut pas être réélue, et le Surintendant ne peut pas être nommé de nouveau cu continuer à fonctionner pendant la période de 3 années subséquente à son mandat. » (Art. 119). Ainsi donc, administrativement, l'Etat de |'Amazone se divise, nous venons de le voir, en Municipes — divisés eux-mêmes en districts — ayant à leur tête un surintendant nommé par le gouverneur, et des intendances municipales élues pour une période de trois années et non 4 rééligibles. Les principaux Municipes sont ceux de Manãos, Canutama, Barcel- los, Manicoré, Fonte-Bôa, Sam-Paulo-d'Olivença, Sam-Gabriel, Sam- Felippe, Humaythá, Labrea, Manacapurú, Codajaz, Coary, Teffé, Borba, Itacoatiara, Urucará, Bôa-Vista, Mauès, Urucuritúba, Silves, Moura, Parintins, Barreirinha et Floriano-Peixoto. Au point de vue judiciaire, l’'Amazone est composé de comarques et de «termes », ayant à leur tête, avec juridiction dans tout l'Etat, un Tribunal supérieur de Justice. Il y a 16 comarques : Manãos, avec le « terme » de la capitale, qui lui-même comprend 2 districts, et celui de Manacapurú ; Itácoatiára, avec les termes de Itâcoatiara, Urucara et Silves, sur l’Amazone; Parintins, avec les termes de Parintins et de Barreirinha, sur l'Ama- zone: Mauèës, avec le terme du même nom, sur le rio Mauês; Moura, avec les termes de Barcellos et de Sam-Gabriel, sur le rio Negro ; Rio Branco, avec le terme de Bôa-Vista, sur la rivière du même nom; Coary, avec le terme de Codajaz, sur le Solimões ; Teffé, avec le terme de Fonte-Bôa, sur le Solimões ; Sam-Paulo-d'Olivença, avec le terme du même nom, sur le Solimões; Sam-Felippe, avecle terme du même nom, sur le Juruá; Labrea, avec le terme du mêmenom, sur le Purús ; Canutáma, avec le terme du même nom, sur le Purús; Antimary, avec le terme de Floriano-Peixoto, sur le rio Acre; et, LE PAYS DES AMAZONES I41 enfin, Humaythä, avec le terme du même nom, sur le Madeira. Il y en a donc 4 sur le Solimões ou haut Amazone; 3 dans le Madeira ; 2 dans le bas Amazone, le rio Negro etle Purús; et 1 dans les rios Branco, Juruá, Acre et Maués. L'une d'elles, celle de Manãos, est partie sur le rio Negro et partie sur le Solimões. — Chaque comarque a à sa tête un « juge de droit », et chaque « terme », un juge muni- cipal. La Police comprend un chef de la sûreté publique, des Préfets et * des Sous-Préfets (commissaires et sous-commissaires de police). Il y a 62 préfectures dans tout l'Etat, et un très grand nombre de sous- préfectures. Quant à l'autorité ecclésiastique, elle est confiée à un évêque, qui réside à Manãos, le Saint-Siège ayant créé ce nouveaudiocèse depuis la proclamation de la République. On sait, d’ailleurs, que la Constitu- tion Fédérale du 24 février 1891 a proclamé la séparation de l'Eglise et de l'Etat au Brésil, et que les évèques y sont nommés présentement sans l'intervention du pouvoir civil. Ni l'Eglise ni l'Etat ne s’en por- tent pas plus mal. L'évêque catholique actuel est Mgr. José Lourenço da Costa-Aguiar. Tout cet ensemble d'organisation a été l'œuvre du temps, des évé- nements et des hommes. L'histoire de cette formation successive n'est pas sans intérêt. Aussi en donnerons-nous ici une rapide esquise, afin de mieux faire apprécier le caractère des populations amazoniennes et la persévérance de leurs efforts pour conquérir les droits dont elles jouissent présentement. Li Pra] La CHAPITRE II Histoire politique de l’Amazone. — L'Amazone jusqu’en 1889. — Ce qu'était ce territoire en 1852. — Description de Manáos en 1774 et en 1852.— Ce qu'est devenu Manáos. — La population de l'Etat. — Eléments qui la composent. — Brésiliens, Indiens et étrangers. — Une tentative des Pères de là Congrégation du Saint-Esprit. Tant que l'immense Brésil ne fut qu’une colonie portugaise, de 1500 à 1822, partageant toutes les vicissitudes de la mère-patrie, le terri- toire qui compose aujourd'hui l'Etat de l’Amazone resta sous la dépendance immédiate du gouvernement de Pará. Le 3 mars 1755, une charte royale (1), contresignée par le marquis de Pombal, créa la capitainerie de Sam José do Rio Negro, qu’elle subordonna à celle de Pará. Joaquim de Mello das Póvoas fut nommé gouverneur de cette nouvelle circonscription, par un décret royal du 18 juillet 176 7e Le siège de "administration était à Barcellos, petit bourg situé sur le cours du Rio Negro. Le représentant du Portugal avait sous son autorité quelques villages épars ca et là,que les missionnaires avaient fondés depuis le milieu du siècle précédent. Les principaux en était : Saracá ou Silves, créé en 1660; Jahú, en 1666; Barra (Manáos) en 1669... Póvoas resta à la tête de sa lointaine capitainerie jusqu'en 1771. A cette époque il fut remplacé par Joaquim Tinoco Valente, qui en garda l’administration pendant dix-sept années. (1) Charta régia de 3 de março de 1755, dirigida a Francisco Xavier de Mendonca Furtado, governador e capitão-general do Grão Pará e Maranhão, creando a capitania de S. José do Rio Negro, com govêrno politico e civil. — Manusc., copie, de la Biblioth, nat. de Rio. + a e > LE PAYS DES AMAZONES 143 + Es — Le troisième gouverneur, le colonel Manoel da Gama-Lobo de Almada, entré en fonctions en|1788, transféra en :1791 le siège du — gouvernement de Barcellos à Barra do Rio Negro ou Manäos. Mais, — au mois d'aoút 1798, le gouvernement de Lisbonne le fit reporter à ] - Barcellos. E “Le successeur du colonel da Gama-Lobo, le chef d'escadre José “Joaquim Victorio da Costa, attacha son nom à la créalion d'un vaste —…. jardin botanique près de la cataracte de Taruman : plus de cinq cents | Indiens furent occupés pendant plusieurs années à ces travaux d'em- … bellissement et d'utilité publique incontestable. Nous avons le regret —… de dire que les barbares successeurs de ce gouverneur laissèrent les herbes et les ronces envahir le jardin. Le dernier gouverneur fut, de 1818 à 1821, le major Manoel Joaquim do Paco. Sous la direction de ces préfets étrangers, le territoire de la capi- tainerie fit quelques progrès matériels, dont tout le mérite revient au gouvernement du Portugal et à ses agents. Nous devons aux Portu- …_ gais les quatre magnifiques explorations qui s’effectuèrent au xvu et … au xvin° siècles, et qui, par leurs résultats aussi bien que par les | OS qu'elles fournirent sur le pays, laissent bien loin — derrière elles toutes les excursions pour rire de la plupart des voya- geurs modernes. Le voyage de Pedro Teixeira (1637-1639), dont nous avons déjà parlé ; celui de José Monteiro de Noronha (1770) ; celui “de Francisco Xavier Ribeiro de Sampaio (1774-1775), et enfin celui E; du naturaliste Alexandre Rodrigues Ferreira (1786) constituent des — services inoubliables, rendus autant à la science qu'à notre natio- - nalité. Disons-le, d'ailleurs, tout de suite: les trente premiêres années 4 qui s'écoulèrent après la proclamation de l'indépendance du Brésil et après son organisation comme nation autonome, furent une décep- - tion cruelle pour cette région lointaine, que la vapeur n’a reliée directement à Rio-de-Janeiro qu’en 1883. LE PAYS DES AMAZONES 144 Quand le souffle patriotique de l'indépendance passa sur le Brésil entier, à la fin de l’année 1822, les Amazoniens espérèrent à bon droit avoir leur part des libertés nouvelles. Ils furent maintenus, en violation flagrante de la Constitution octroyée, sous la tutelle de la province de Para. Ils protestèrent énergiquement et installèrent un gouvernement provisoire. Pendant dix années consécutives (1), ils luttèrent pied à pied pour revendiquer leurs droits méconnus, pour prendre place au soleil et pour s'administrer eux-mêmes comme les provinces voisines. Ils ne purent pas réussir dans leur légitime tentative. La force eut raison de leur résistance, et, en 1832, ils étaient replacés sous la domination de Pará : leterritoire de | Amazone était réduit, de par l'omnipotence impériale, à "humble état de comarque. Ce n'est que plus tard qu'on leur rendit justice, par la loi du 5 septembre 1850. Toutefois la comarque du Rio-Negro — tel était alors son nom — ne devint réellement une province indépendante et ne fonctionna effectivement à ce titre qu’à partir du 1º janvier 1852 La position centrale de Manäos, bâti sur les bords du Rio Negro, près du confluent de cette rivière avec l'immense Amazone, presque à égale distance de deux des plus importants affluents du Fleuve-. Mer, le Madeira et le Purüs ; son climat d’une salubrité parfaite, quoique chaud; les richesses extraordinaires du sol qui l’entoure, désignaient cette ville à l’honneur de posséder le gouvernement nouvellement établi. Manáos, en effet, s'était transformé depuis la fin du xvin siècle. En 1774, lorsque l’intendant général Ribeiro de Sampaio visita la capitainerie de Saint-Joseph du Rio-Negro, cette ville n’était encore, qu’une pauvre bourgade. Il y arriva le 1°" décembre, et la décrit ainsi : " 4 y (1) Representação dirigida a S. M. o Imperador por Joaquim Antonio de Macedo por si, e na qualidade de procurador de alguns cidadãos da provincia do Rio Neg Pará, 1828. - LE PAYS DES AMAZONES 145 «A 9 heures du matin de ce jour, nous arrivâmes à la forteresse de la Barre de notre rio Negro, où je m'arrêtai toute cette journée-là pour donner un peu de repos à mes Indiens (ceux qui ramaient sa barque). Près de cette forteresse, il y a une assez vaste bourgade d'Indiens ; plusieurs blancs y habitent également. La bourgade est située sur le bord oriental de la rivière, dans un site sec et élevé, quoique inégal cà et là. Les tribus d'Indiens qui l’habitent sont celles des Banibas, des Barés et des Passés; celle-ci y est descendue dernièrement, venant du Japurä. Les Indiens Muras en infestent le voisinage ; aussi le passage vers la rive opposée est-il dangereux, de sorte que, grâce à ces sauvages, les terres les plus fertiles demeurent sans culture. » Le premier président de la province de l’Amazone fut M. João Baptista de Figueiredo Tenreiro-Aranha, et le chef-lieu de la nouvelle province fut définitivement installé à Barra-do-Rio-Negro, qui prit dès lors le nom de Manäos. Une relation (1), écrite à cette époque par deux officiers de la marine des Etats-Unis. les lieutenants Wm. Lewis Herdon et Ladner Gibbon, nous fait connaître assez exactement ce qu'était ce pauvre bourg, que l’on investissait ainsi des prérogatives d’une capitale. Ecoutons leur témoignage sur la Lutèce amazonienne à son berceau : « Le président, M. J.-B. de Figueiredo Tenreiro-Aranha, écrivent- ils à la date du 6 janvier 1852, est arrivé à Barra le premier de ce mois sur un paquebot du gouvernement qui se trouve au mouillage devant la ville. Il a emmené avec lui plusieurs des fonctionnaires du nou- veau gouvernement, et il a apporté la somme de deux cents contos de réis (environ 500,000 francs), prise dans les caisses de la douane de Pará, pour payer les frais d'établissement du nouvel ordre de choses, jusqu’à ce que la douane locale commence à produire. Ce territoire, tant qu'il est demeuré une simple comarque, a toujours été un far- (1) Exploration of the valley of the Amazon, 2 vol. Washington, 1854, t. 1. p. 263. 10 146 LE PAYS DES AMAZONES deau pour le Trésor public, et, probablement, il en sera de même pen- dant quelque temps encore, « La ville de Barra, continuent-ils, est bâtie sur un terrain élevé et accidenté, sur la rive gauche de la rivière, à 7 milles environ de son embouchure. Son élévation au-dessus du niveau de la mer est, d'après mes calculs, de mille quatre cent soixante-quinze pieds. Elle est coupée par deux ou trois ravins, contenant plus ou moins d’eau, selon la crue plus ou moins grande de la rivière ; des ponts en bois, assez supportables, relient les deux rives de ces ravins. Les maisons sont généralement basses. On en compte cependant trois ou quatre à deux étages. Elles sont faites de bois et de torchis, avec des couver- tures en tuiles. Elles sont carrelées, et leurs murs sont crépis avec une terre colorée qui abonde sur les rives de l’Amazone. « Les relevés officiels pour l’année 1848 accusent, dans la ville, une population de trois mille six cent quarante personnes libres et deux cent trente-quatre esclaves. Le chiffre des mariages était, à la même époque, de cent cinquante; celui des décès, de vingt-cinq, et celui des naissances de deux cent cinquante ; le nombre des maisons habitées était de quatre cent soixante-dix, et celui des étrangers de trente-deux. » M. Tenreiro-Aranha complète ce tableau en disant que les recettes de la comarque s'élevaient à peine à 7,500 francs par an ! Certes, la description des uns et des autres n’est pas flatteuse. Elle n’en fait que mieux ressortir les immenses progrès accomplis depuis moins d'un-demi siècle. Manãos, il est vrai, n’a pas marché à pas de géant comme certaines grandes villes des États-Unis, qui courent toutes seules en venant au monde; il n’a pas vu sa population accrue. tout à coup par un afflux considérable d'émigrants étrangers; sa richesse n'a pas monté en une nuit comme les eaux des grandes rivières qui l'entourent ; mais sa prospérité a toujours suivi une marche ascendante et sûre, depuis qu’il est devenu le centre des transactions de la plus grande partie de la vallée de l’Amazone, l’in- 7. — L'ingéreur militaire EnuarDO RiBEIRO, ancien gouverneur de PAmazone, et son œuvre. his LE PAYS DES AMAZONES 149 tense foyer de la vie provinciale, d’abord, et de l’activité d’un grand Etat autonome, ensuite, et le siège d’un gouverment local qui n’est plus obligé d'attendre les miettes du pouvoir central. Aujourd’hui Manãos, grâce surtout à M. le D' Eduardo Gonçalves Ribeiro, qui a été à la tête de l'Etat pendant près de six ans, est devenue une jolie ville de quarante-cinq mille habitants environ, qui ne demande qu’à croître et à embellir. L'éclairage au pétrole a été remplacé, sans transition, par Pillumi- nation électrique, dont Paris est encore privé en grande partie. Près de 600 postes portent des lampes dont la force est de 2.000 bougies, et qui fonctionnent pendant 11 heures; la consommation de bougies est de 687 par nuit, et la dépense par heure de 700 réis, soit, au change de 8 d par 1.000 réis, environ 58 centimes. Le service téléphonique y est installé également, en vertu d’une concession en date du 3 avril 1897, par une Compagnie au capital de 200 contos entièrement versés. Elle a 300 abonnés et a installé 335 appareils chez des particuliers, ou dans les administrations publiques. Une ligne de tramways à vapeur, que l’on remplace à cette heure par la traction électrique, fonctionne dans la ville et les environs. En 1897, 16 kilomètres étaient en exploitation et 2 en construction: La voie a 61 centimètres d'écartement, la déclivité maxima est de 3º/, et le rayon minimum des courbes, de 38 millimètres. Trois locomo- tives, 10 Voitures pour passagers et 25 voitures pour transport de marchandises et colis circulaient sur la ligne, qui avait 2 stations et 24 arrêts. Elle a fait, dans l’année, 15.132 voyages, réalisant un par- cours de 67.512 kilomètres et a transporté 171.783 passagers, soit un peu plus de 476 par jour. Le prix des passages a produit presque 43 contos. De grandes avenues, larges et plantées d’arbres, qui deviendront avec le temps des boulevards splendides, sillonnent le quartier cen- tral, et des fontaines commencent à rafraîchir la ville. Deux beaux 150 LE PAYS DES AMAZONES jardins embellissent ces quartiers. Le pavage des rues se complète peu à peu, et il serait facile d'y essayer, sinon le pavage en bois qui, dans les pays chauds, demande trop d'entretien, au moins le pavage À 3 P en liège (cork parement) qui certainement ne coúterait pas plus cher 18. — Les Halles centrales, a Manaos. que les pavés en pierre actuellement en usage et aurait l'avantage, tout en supprimant le bruit, de ne pas devenir brûlant comme les fameux parallélipipèdes employés en ce moment. De beaux ponts, dont quelques-uns en fer, ont succédé aux pauvres passerelles primitives dont parlaient Herndon et Gibbon. La canalisation de l’eau a été faite et est en train d’être complétée sur une plus grande échelle. Telle qu’elle est, elle assure une distri- bution de 2.700.000 litres en 24 heures, ce qui représente 6o litres par jour et par habitant, pour une population de 45.000 habitants, chiffre évidemment insuffisant. LE PAYS DES AMAZONES 151 On a inauguré, depuis quelques années, un marché en fer, situé près du port; des abattoirs, installés sur la rive droite de "igarapé de la grande cascade ; et une pépinière. — Trois églises, dont une assez spacieuse, placée sur une éminence et entourée d'un Jardin pitto- resque, sont ouvertes au culte catholique. La plupart de ces embellissements récents sont dús à l’administra- tion du D' Eduardo Goncalves Ribeiro, qui a pu dire avec un légitime orgueil : « J'ai trouvé un gros bourg; j'en ai fait une ville moderne.» La ville possède encore un théâtre somptueux, que le peintre ita- lien De Angelis a décoré magnifiquement. En 1897, trois compagnies y ont donné des représentations fort suivies : une troupe d'opéra, une d'opérette et une de drame. L'État ne s’est pas contenté de prêter son théâtre à ces troupes de passage ; il leur a donné le voyage gratis, la lumière électrique et une grosse subvention, ce qui est vraiment excessif, car ces prodigalités ont coûté au Trésor presque 344 contos pendant la saison 1897-98. Un bureau d'hygiène, ayant à sa tête le D' M. C. de Gouveia fils; un hospice ; un lazaret installé sur la rive gauche du rio Negro, dans un site appelé Umirizal; un hospice d'aliénés, dépendant de la Santa- Casa-de-Misericordia assurent la protection de la santé publique et des secours aux indigents en cas de maladie, sans parler d’un hôpital portugais, ouvert aux nationaux et aux étrangers. On va construire un four d'incinération pour les ordures et détritus des balayages. Il y a encore dans la capitale un établissement d'instruction profes- sionnelle (Instituto de artes e officios), un asile pour les orphelins ; un lycée, sous le nom de Gymnase amazonien; un petit séminaire; 10 collèges et pensionnats privés avec 644 élèves ; 26 écoles primaires publiques, dont 6 installées dans des édifices scolaires spéciaux, comptant 1.400 élèves inscrits; et une bibliothèque de l’État, fondée le 25 mars 1883 et réorganisée le 1º janvier 1898, richede 3.165 volu- mes et de 131 cartes. L'instruction publique aà sa tête M. Francisco Antonio Monteiro, aussi intelligent que zélé. 152 LE PAYS DES AMAZONES Citons encore : une caisse d'épargne, installée le 23 février 1893, et qui, en 1896, avait en caisse des dépôts pour une somme de plus M de 738 contos; deux banques; une compagnie d'assurances entière- 4 ment amazonienne; un muséum, où l’on peut voir les collections Tal- o & berg et Payer, acquises par l'Etat. ” 19. — Le grand théâtre, à Manaos. Il existe déjà un magasin de dépôts avec le matériel nécessaire pour "embarquement et le débarquement des marchandises; d'autres vont être construits. Quelques tronçons de quais ont amélioré le | port, que l’on se prépare à munir de tous les perfectionnements modernes. L'Union Fédérale y entretien une flottille de guerre et une petite garnison militaire. L'État, à son tour, entretien un corps de police et LE PAYS DES AMAZONES 153 un autre de pompiers. Le corps de police, qui a dú sa forte organisa- ai! E PE tion au colonel Affonso de Carvalho, se compose de deux bataillons d'infanterie et d'un escadron de cavalerie. Le 1º bataillon comptait, au 31 décembre 1897, 225 hommes, sous le commandement d'un 20. — Magasin de dépot et Pont de débarquement de Marchandises, à Manaos. lieutenant-colonel. Le 2° bataillon, commandé par un officier du même grade, comptait à la même date 255 hommes. L'escadron de cavalerie ne comptait alors que 60 chevaux. Cette force de policea une page glorieuse dans les annales natio- nales. En 1897, un fanatique établi dans l’intérieur, presque inacces- sible, de l'État de Bahia, un certain Antonio Maciel, natif de Cearà et plus connu sous le nom de Antonio Conselheiro, parvint à y réunir des centaines de pauvres gens ignorants autour de lui, et à constituer un groupement assez semblable aux fameuses Réductions des Jésuites du Paraguay. Le gouvernement fédéral envoya plusieurs 154 LE PAYS DES AMAZONES expéditions contre lui, et toutes durent battre en retraite ou recon- naître leur impuissance. Un grand effort fut tenté vers le milieu de l’année 1897: des troupes nombreuses marchèrent contre cette for- teresse de forcenés mystiques, sous le commandement en chef du général Arthur Oscar. Les Etats de Sam-Paulo, Bahia, Parà et Amazonas voulurent aider le gouvernement fédéral dans cet acte de répression. La force de police de |'Amazone partit, sous le com- mandement du lieutenant-colonel en commission Candido Mariano. Elle y fit des prodiges de valeur, et son commandant, ainsi que l'un de ses officiers, le vaillant Raphaël Machado, fut mis à l’ordre du jour par le général en chef. Le corps des pompiers compte 134 hommes, admirablement dis- ciplinés. Nous ne parlons que pour mémoire de la garde nationale, qui n'existe guère que sur le papier, mais qui, à l’occasion. pourra rendre des services, comme elle l’a fait pendant la campagne du Paraguay. Enfin, 16 compagnies de navigation à vapeur ont à Manãos leur siège ou des agences: 2 nations (l'Allemagne et le Vénézuela) y ont des consuls; 4 y ont des vices-consuls (la France, la Grande- Bretagne, le Portugal et l'Uruguay); 2 y ont des simples agents con- sulaires (les Etats-Unis et l'Italie). Tels sont les résultats acquis par l’activité et l'intelligence des habi- tants de cette ville pleine d'avenir, secondés par les autorités de l'Etat. Si de la capitale nous passons à l'Etat tout entier pour l’embrasser d'un coup d'œil rapide, nous y constatons les mêmes éléments de prospérité ou de réveil. Sans doute la population des villes n’aug- mente pas d'une manière assez rapide, excepté celle de la capitale, pour des causes que nous étudierons plus tard: mais l’intérieur se peuple de hardis extracteurs de caoutchouc, et l'on calcule que d’un seul Etat brésilien, de l'Etat de Ceará, l'Amazone a reçu une centaine de | mille immigrants pendant ces dernières années. LE PAYS DES AMAZONES 1" | Il est impossible, toutefois, de calculer avec exactitude le nombre des habitants qui vivent sur cet immense territoire. Les chiffres que Von produit d'ordinaire ne reposent que sur des données incomplètes. 2 1. — Le capitaine Raphael Machado er le lieutenant-colonel Candido Mariano, du bataillon de police de l'Amazone. Dans l'excellent Rapport qu'il présenta à l’assemblée législative provinciale le 25 mars 1883, M. José Paranaguä put dire avec rai- son: « Les renseignements que nous possédons sont três imparfaits à tel point que l’on peut avancer que tous les calculs au sujet de la 156 LE PAYS DES AMAZONES ” population totale de l’'Amazone ne reposent que sur de vagues induc- tions et ne sont que de pures fantaisies. » Cependant, des informations qu'il avait pu recueillir il résultait sur certaines régions des indications qui nous paraissent très plausibles. Ainsi, dans le rio Solimões ou haut Amazone, depuis Codajaz jus- qu’à S. Paulo-d'Olivença, il y avait alors 3.908 habitants, dont 2.021 du sexe masculin et 1.917 du sexe féminin. Sur ce nombre, 3.664 étaient nationaux et 294 étrangers. La population du rio Branco à la même époque semblait n’être que de 384 habitants. Elle a aug- menté sensiblement depuis que cette rivière est desservie par une. ligne régulière de bateaux à vapeur. On évaluait alors la population du rio Purús à 50.000 âmes. En 1852, on calculait qu'il y avait dans la province qui venait d'être organisée 30,000 habitants à peine, y compris les Indiens soumis. En 1872, le recensement officiel opéré dans tout le Brésil montrait déjà, tout incomplet qu'il fût, que le nombre des habitants de la province s'élevait presque au double, car il était de 57.611 âmes. Le recensement officiel opéré dans tout le pays le 31 décembre 1890 a donné à l'Etat de l’Amazone seulement 147.115 habitants, repré- sentant une densité de population qui ne va guère au delà de 0,08 habitant par kilomètre carré. Même en admettant le bien fondé des chiffres officiels de 1872 et de 1890, la population de Amazone aurait subi en dix-huit années une augmentation de plus de 156 o/o, soit 8,66 par an. Ces chiffres nous semblent au dessous de la vérité. Mais, même en les prenant comme base, même en admettant que l’augmentation annuelle, fournie par l'excédent des naissances sur les décès et par l'immigration, ne soit que de 8,66 o/o, ilen résulterait un accroisse- ment de 12.811 habitants par an. Par conséquent, à la fin de l’année 1898, la population de l’Amazone ne peut pas être inférieure à 250.406 habitants (147.915 + 12.811,43><8). La population civilisée de l'Etat de "Amazone se compose de LE PAYS DES AMAZONES 157 trois éléments principaux : Brésiliens de toute descendance, Indiens catéchisés, et étrangers de toute provenance. Nous ne faisons pas état des Indiens vivant encore à l’état sauvage. Dans le cours de ce travail, nous étudions chacun de ces trois - groupes. Nous ne donnons ici que des notions générales qui servi- ront à mieux faire saisir ce que nous dirons, par la suite, de l’habi- tant du pays. Le noyau principal de la population est formé naturellement par les Brésiliens: blancs purs ou à peu près: hybrides de nègre et de blanc, mulâtres, quarterons, etc; hybrides de nègre et d’Indien, cafuzos (1); hybrides de blanc et d'indien, curibocas (2); hybrides de blanc et de curiboca, mamelucos (3); descendants d’Indiens, caboclos, tapuyos(4), etc. Que faut-il entendre par la dénomination de Brésilien? — Nous pensons avec M. Sylvio Roméro que le Brésilien n'est ni le descen- dant de pure race portugaise, ni le descendant sans mélange des Indiens autochtones, ni le produit non croisé de l’Africain importé. Le vrai Brésilien ne peut être revendiqué ni par la race blanche exclu- sivement, ni par la race cuivrée seulement, ni par la race noire. Le Brésilien est un métis, dans le sens étymologique du mot, c’est-à-dire qu'il est le produit de l'union de ces trois races, la résultante de leur croisement intime et perpétué. Chacune de ces trois races a contribué plus ou moins à la fixation du type actuel; toutefois, dans l’'Amazone, il est certain que le sang africain n’a apporté qu’un très faible con- tingent. (1) Cafuzo, cafuz, carafuzo: Moraes fait dériver ce mot de deux mots portugais: cara, visage, fusco, foncé. (2) M. José Verissimo dit que ce mot vient du tupi: cariua, blanc, oca, maison, extraire, tirer : celui qui est issu des blancs. (3) M. Baptista Caetano dit que ce mot vient de tupi-guarani: Membyruca, fils d'In- dienne. (4) Caboclo, en tupi-guarani, signifie chauve: on a appliqué ce mot aux Indiens en général, parce qu’ils ont peu de barbe. — Tapuyo, Tapuya est un mot appliqué aujour- d'hui, comme terme de mépris, aux descendants d’Indiens : c’est le caboclo encore rude et mi-sauvage. LE PAYS DES AMAZONES 158 Le mélange de ces trois éléments a donné naissance à des combi- naisons multiples. Les trois principales sont : le métis entre le blanc et le noir, celui entre le blanc et l’Indien, et celui entre l’Indien et le noir. « L'hybride entre le nègre et le blanc, appelé mulâtre, dit Agassiz, est trop connu pour que j'aie besoin de le décrire; il a les traits élégants et un teint clair ; il est plein de confiance en lui-même, maisil est indolent. L'hybride entre l’Indien et le nègre. qu’on appelle cafuzo (ou mieux carafuz), est très différent ; ses traits n’ont rien de la délicatesse de ceux du mulátre; son teint est foncé: ses cheveux sont longs, fins et bouclés, et son caractère présente une heureuse combi- naison de l'humeur enjouée du noir et de l’énergique rusticité de l'Indien. L'hybride entre ie blanc et l'Indien, appelé mammaluco (ou mieux mameluco) au Brésil, est pâle et efféminé, faible, paresseux, tant soi peu obstiné. Il semble que l'influence de l’Indien ait eu juste assez de force pour anéantir les attributs élevés du blanc, sans rien communiquer de sa propre énergie au produit. » Les Indiens sont fort nombreux encore dans les forêts de l’Ama=" zone, où ils vivent par petites tribus. Quelques-unes d’entre elles ont été domestiquées par les négociants de l’intérieur, par les extracteurs de caoutchouc et par les colporteurs qui parcourent les rivières, avec lesquels ces nomades sont en relations. Parmi ces Indiens, les Mun- durucús se distinguent par leur amour du travail et par leurs goûts agricoles. Quant aux étrangers établis dans l’Amazone, ils y vivent de la même vie que les naturels du pays, sans que des préjugés surannés cher- chent à se faire jour contre eux. | Ces éclaircissements généraux nous permettront d'entreprendre maintenant l’étude de l'habitant du pays d'une manière plus détaillée: CHAPITRE TII Vie domestique et sociale. — Préjugés européens. -- Maisons. — Hospitalité amazonienne. — Meubles. — Vêtements. — Aliments. — Excitants. — Mœurs et coutumes. — Assistance publique. Le caractère et le tempérament d’un peuple quelconque ne se tra- duisent pas seulement dans ses institutions civiles et politiques, dans son organisation administrative, dans sa législation particulière ; ils apparaissent surtout dans un ensemble de faits extérieurs qui lui donnent sa véritable physionomie. La littérature et les arts font connaître le degré de culture d’une nation; sa vie domestique révèle, par un côté plus intime, ses traditions, ses mœurs et ses tendances. En attendant que nous étudiions la vie intellectuelle de la popula- tion amazonienne, c'est sous cet aspect nouveau que nous allons l’envisager. Des trois groupes quila composent, nous ne nous occuperons que des deux premiers, c’est-à-dire des Brésiliens proprement dits et des Indiens à demi civilisés. Nous réservons le troisième, qui comprend les étrangers de tous les pays établis dans cet État, pour en faire le sujet spécial d’un chapitre de notre dernière partie. Dans les écoles d'Europe, et jusque dans les académies les plus en renom, on connaît mieux les Grecs et les Romains d'il y a deux mille ans que les habitants actuels des régions un peu éloignées de Paris, de Londres ou de Berlin. Malgré les sociétés de géographie qui se multiplient; malgré des relations nombreuses de voyageurs explorant le monde; malgré tous les progrès réalisés par une certaine littérature, fort instructive, d'ail- leurs, qui prend à tâche de vulgariser, par tous les moyens, les mer- 160 LE PAYS DES AMAZONES veilles et les curiosités sans nombre que renferme notre globe ; malgré les collections ethnologiques propagées partout grâce aux procédés de la photographie; malgré les expositions fréquentes où figurent des échantillons variés et pittoresques des principales races d'hommes, il. reste encore beaucoup à faire pour arriver en Europe à une connais- sance vraie et à des notions précises touchant les différentes peuplades qui vivent dans les quatre parties du monde. Dans le principe, cette étude a été fort mal commencée. Il est diffi- cile aujourd'hui de la reprendre par la base. Ceux qui ont les premiers découvert les mystérieuses solitudes du Nouveau-Monde ont, par ignorance ou enthousiasme, faussé la vérité. Leurs observations sont incomplètes, et ne portent, pour la plupart, que sur des particularités ou des bizarreries d'un médiocre intérêt. Ces récits puérils, où le merveilleux tient une large place et qui manquent de la plus élémen- taire critique, ne sauraient nous satisfaire. Les rapports faits par les conquérants et par les gouverneurs ne visent d'ordinaire que les questions d'exploitation et de colonisation. Les actes émanés des missionnaires sont parfois entachés d'idées préconçues, quelque bonne foi qu'aient leurs auteurs (1). Les fantai- sies philosophiques de Voltaire ne sont pas plus admissibles. Quant au genre pittoresque, inauguré par "imagination exotique de Chateau- | briand, et s'épanouissant en sève luxuriante dans les romans de Feni- more Cooper, de Gustave Aymard, de Jacolliot et de tant d’autres écrivains connus, il semble avoir fait son temps. Les résultats de ces tentatives, qui ont peut-être eu leur raison d’être, a été de transmettre des idées fausses sur tous les points soi- | disant élucidés et acquis à la science. (1) Nous avonstrouvé dans la Bibliothèque publique de Lisbonne deux lettres inédites du Père A. Christovam de Lisbôa, qui fut custode des Franciscains à Maranhão, et était frère du célèbre antiquaire Manoel Severim de Faria. Dans l’une d'elles écrite de Mara- nhäo en 1627, il dit à son frère : « Cependant, je dois vous donner un avis : c'est que dans les sujets qui ne sont pas de chez nous, vous soyez sur vos gardes, ne vous fiant pas facilement aux relations, car la plupart sont fausses, surtout celles des Pères de la Compagnie. » En bon capucin, il n’aimait pas les Jésuites évidemment. rar LE PAYS DES AMAZONES 161 D’après la déplorable habitude que nous avons de tout généraliser, de tout ramener à une synthèse abstraite, nous nous formons une opinion arrêtée et presque uniforme sur tous les peuples arriérés, quels qu'ils soient. Il suffit qu'on les dise primitifs, naturels, indi- gènes, autochtones, pour que, sans autre information, on leur accorde aussitôt, à tous indistinctement, les mêmes mœurs répondant à peu près aux qualificatifs par lesquels on les désigne. Ainsi, il est entendu que tous les Indiens doivent se passer de tail- leurs, et qu’ils ne peuvent pas vivre autrement que selon la nature— un motque les stoïciens eux-mêmes, avec tout l’arsenal de leur logique compliquée, n'ont pas pu comprendre et définir. Il serait cependant bien simple, semble-t-il, d'appliquer à ces études les procédés analytiques dont on se sert dans les autres sciences. Sans doute, il n’est pas d’une pratique facile de soumettre à une investigation rigoureuse et suivie des tribus qui ne sont pas d’un abord très engageant. Il est plus aisé de jeter la drague et de des- cendre le scaphandre au fond des mers, pour en extraire les êtres vivants, que de faire campagne à la suite de bandes de Peaux-Rouges ou de Peaux-Cuivrées. Cependant, depuis quelques années, on a vu dans les principales capitales quelques familles appartenant aux peuplades d'Asie, d'Afrique, d'Amérique et d'Océanie. Ces spécimens de la famille humaine ont été livrés à l'examen des savants; et il est certain qu'ils ont plus fait, pour l’avancement de certaines solutions scientifiques, que les ossuaires des muséums ou que les appréciations fantaisistes des voyageurs en chambre. Pour l’Amazone, il n’est pas nécessaire de recourir à ces importa- tions d’un nouveau genre. Les indigènes de ces contrées ont été étudiés chez eux par des spécialistes de premier ordre ; mais, avouons- le, ils n’en sont guère plus connus. pur a Combien de fois ne nous a-t-on pas demandé, pendant notre long séjour en Europe, dans les collèges et les universités que nous avons II 162 LE PAYS DES AMAZONES fréquentés, si nous couchions toujours à la belle étoile, si nous pui- sions l’eau des sources dans le crâne des morts, et si nous confection- nions nos habits avec des plumes d'oiseaux bleus ! Hélas! il nous a fallu répondre à ces questions naives que nous nous sommes laissés 22. — Une villa à Mandos (Chácara Eduardo Ribeiro). entamer par la prosaïque civilisation européenne; que nous avons échangé l’arc séculaire contre la carabine Minier ; que nous avons installé le confortable dans nos sauvageries, et que les villes, les bourgs, les simples villages de notre Amazonie ont remplacé avanta- geusement les huttes de feuillage ou de terre sèche qu'ils aiment à se représenter dans leurs rêves de Robinsons suisses. Nos centres de population, quoique très clairsemés et épars seule- ment le long des cours d’eau, n’en font pas moins belle figure sur la lisière des forêts vierges, entre l’azur incendié du ciel et les nappes LE PAYS DES AMAZONES 163 d’or des rivières, au milieu d'îles fortunées éclatantes de verdure et de lumière et redondantes de fécondité. Les petites cités amazoniennes sont comme des nids sous les grands arbres, des nids spacieux où l’on tient à l’aise. Là-bas, en ce beau pays, les maisons sont vastes. Elles peuvent contenir de nombreux enfants qui les emplissent de leurs ébats. Les maisons sont vastes, parce que la terre est grande et que l'hospitalité est large. Les maisons sont vastes, parce que l’Amazonien aime à se mouvoir en liberté. Il ne comprend pas ces ruches humaines de Paris où nous bourdonnons notre existance, emmurés, empilés les uns sur les autres comme dans un caveau de famille. Il ne saurait borner ses vœux à quelques pieds carrés — angulus ridet. Sa demeure est relativement spacieuse ; quelques pièces seulement la composent, mais dans ces pièces on taillerait des appartements parisiens. Pour la construire, on a fait une large brèche dans un coin de forêt ; et avec les troncs équarris des arbres géants on a élevé des murs presque aussi solides, quoique beaucoup moins élé- gants, que les maçonneries de pierre et de mortier auxquelles on est habitué généralement en Europe. Une enveloppe de chaux les recouvre et fait rebondir les traits du soleil. Des vérandas ornent la plupart des habitations, d’ailleurs basses ou à un seul étage ordinairement. Il est rare qu'il n’y ait pas un jardin, si petit soit-il. Le jardin intérieur, le quintal, et la véranda sont les deux oasis où l’on se repose aux heures chaudes du jour, où l’on cause au bercement des hamacs sus- pendu ou des chaises à bascule. Et puis, bien que ces demeures de l’intérieur (car a Manãos on ren- contre déjà des habitations bien bâties, des chalets pittoresques et des immeubles à plusieurs étages) ne puissent rivaliser en aucune manière avec les constructions modernes des premières capitales du vieux monde, elles offrent d’autres avantages : quoique modestes et simples d'apparence, elles sont toujours ouvertes (nous ne parlons 164 LE PAYS DES AMAZONES pas au figuré), comme la maison du Sage, et tout homme qui porte une lettre de recommandation, de la part d'un ami ou d'une simple connaissance, y est accueilli à bras ouverts. L'hospitalité écossaise est un mythe à côté de l'hospitalité brésilienne en général. (Quand un étranger passe le seuil d'une maison, il entre chez lui. Ces mœurs patriarcales sont principalement en honneur dans ces para- ges, où l’on ne trouve, surtout dans les petites villes et dans les bourgs, aucune hôtellerie passable pour des voyageurs habitués au confort européen. Même dans les intérieurs riches, on ne trouve aucun luxe de mobi- lier, aucune somptuosité apparente, aucun étalage de ces bibelots qui font les délices des civilisations raffinées. L'étranger est frappé de la simplicité des meubles. Ce sont quel- ques berceuses légères, d'équilibre instable, sièges à mouvement perpétuel qui trompent le besoin d'activité du corps par une indo- lence rythmique ; puis des chaises et des canapés garnis de paille, et l’infaillibie hamac, tantôt simple, tantôt orné de franges de prix, caché dans un coin de l’alcôve. ; Pour le vêtement, l'habitant de l’Amazone se croit obligé de sacri- fier aux coupes d’habit européennes. Le drap noir est de mise, de même que le chapeau de soie, usages absurdes sous un climat pareil. Les dames se montrent plus pratiques en s’habillant généralement d'étoffes légères, tout en leur conservant un certaint cachet parisien. Les costumes de drap léger, les toilettes de madras, de surah, de foulard, de mousseline sont en honneur parmi les personnes de la société. Si les habitants du haut Amazone obéissaient moins aux préjugés de la mode, et suivaient un peu plus les simples indications de. l'hygiène, ils ne se vêtiraient que de flanelle ou d'étoffes de soie, et. se coifferaient du casque que portent les Anglais aux Indes. « Dis-moi ce que tu manges; jete dirai quitu es. » Cet axiome, qui peut servir de devise à tous lescuisiniers bourgeois, est lecritérium LE PAYS DES AMAZONES 165 presque infaillible du caractère moral des peuples. Sans vouloir tran- cher ici le débat entre les végétariens et les carnivores, on peut regretter que l'alimentation végétale ne soit pas plus en honneur dans un pays chaud. Les classes riches de l’Amazonie peuvent lutter en harnois de bouche avec tout autre peuple. Leur table est aussi plantureuse que leur sol. Agassiz nous a laissé la description d'un banquet auquel il a été invité à Manaos, à environ 1,600 kilomètres de l’embouchure du grand fleuve. « Il n’y avait, à la vérité, dit-il, ni glace, chose assez peu facile à obtenir sous ce climat, ni vin de Champagne ; mais ces deux exceptions étaient plus que compensées par un assemblage de fruits des tropiques que partout ailleurs on n'aurait pu se procurer à aucun prix : les ananas énormes, les abacates verts et rouges, les pitangas couleur pourpre, le attas ou fructas do conde, les abios, les sapotilles, les bananes des espèces les plus recherchées, ainsi qu’une grande variété de maracujás — le fruit de la passiflore. » S'il pou- vait ressusciter, il serait surpris de voir deux fabriques de glace à rafraîchir installées à Manáos, et le champagne des meilleures mar- ques servi à tous les banquets. Les Romains eussent payé d'une province les desserts excentri- ques dont parle le grand naturaliste. En Amazonie, il suffit de secouer les arbres pour se les procurer. L'ordinaire des classes moyennes est moins compliqué. Leur alimen- tation, cependant, est saine et abondante. Les pièces de résistance se composent de la viande savoureuse des tortues et de poissons variés. Le pain est souventremplacé par la farine de manioc. Cet aliment est très substantiel et convient bien au climat, où la mastication est une fatigue. Ces provisions se trouvent en abondance sous la main, quoique la vie soit assez chère à Manäos. Nous avons déjà dit que la vallée de l’Amazone est un immense garde-manger bourré de vivres et dans lequel il n’y a qu’à prendre. La viande de boucherie est plus rare, mais coûte relativement moins 166 LE PAYS DES AMAZONES cher qu’à Paris — environ 1.$ 000 réis le kilogramme. Ce ne sont pourtant pas les matières premières qui manquent. L'ile de Marajó, à l'embouchure de l’Amazone, est le paradis terrestre des bœufs.Dans d'autres parties de l’État, des troupeaux de ces ruminants se multi- plient en liberté. L'Union fédérale et les particuliers possèdent en outre, dans les plaines arrosées du rio Branco et deses affluents, 59 fazendas qui ne comptent pas moins de 56.775 têtes de bétail. Malgré cela, la viande n'est pas abondante à Manãos, car les moyens de transport sont encore insuffisants. Ceux qui vivent dans l’intérieur sont plus favorisés. Ils ont la ressource de la chasse, et un bon coup du fusil donné à propos fournit de quoi remplir les pots à salaison. Le fils de Noé n'ayant pas jugé convenable d'émigrer en Amazonie, il s’ensuit que le pays est privé de la divine liqueur dans laquelle le brave patriarche noya ses chagrins après le déluge. Pas de vigne ; partant pas de phylloxéra, ce qui n'empêche pas de jouir des présents de Bacchus. Dans les grandes occasions, on sert quelques précieux flacons de France, de Portugal ou d'Italie, et l’on se verse à flots le nectar de la civilisation européenne. Ceux qui soutirent le caoutchouc au fond des forêts échangent volontiers le suc laiteux qu'il récoltent contre le pétillant breuvage qui a fait l'esprit du bon Champenois La Fontaine. Le peuple et une bonne partie de ce que l’on peut appeler la petite bourgeoisie entretiennent la fraîcheur de leur teint par de copieuses rasades d’eau fraîche. Ils se trouvent fort bien de ce régime aquatique, pur de toute falsification malfaisante. Pour combattre les miasmes, on les traite par d'énergiques fumiga- tions à la nicotine. Le tabac est presque passé à l’état d'objet de pre- mière nécessité dans ces contrées, et celui de Borba jouit d'une grande réputation. Le café y est également d’un constant usage. Nous conseillons aux Européens fraîchement débarqués à Manãos. de ne pas rompre trop brusquement avec leur ancienne manière de LE PAYS DES AMAZONES 167 vivre. Ils devront n'adopter que peu à peu et par transitions insen- sibles la nourriture du pays. Qu'ils se gardent aussi de l'attrait séduc- teur de certains fruits. La population amazonienne d’origine blanche, le Brésilien propre- ment dit, a gardé quelques restes des usages anciens, soit qu'ils lui aient été transmis par les premiers colons, soit qu'ils lui viennent de certaines traditions locales, modifiées par l'influence chrétienne. Mais toutes ces coutumes du bon vieux temps tendent à disparaître, noyées dans des pratiques nouvelles d'importation étrangère. Dans notre enfance, on célébrait encore la fète des parents et des amis d’une manière fort originale. La veille du jour où un Brésilien devait fêter son saint patron, on s'attachait à ses pas et l’on s'ingéniait à lui nouer un ruban au bras. Ces faveurs obligeaient. Celui qui était l’objet de cette attention attachante était redevable d'un bon dîner ou tout au moins d'un petit cadeau à celui qui l'avait enru- banné, Quelques fêtes locales donnent lieu à des réjouissances assez sem- blables à celles de certaines fêtes du même genre dans quelques régions de la France. Il y a des neuvaines le soir dans l’église paroissiale ; et sur les places, les petites baraques foraines font rage. Le sacré se mêle au profane avec une naiveté charmante. Le Brésilien de ces parages ne croit pas que Dieu doive être exclu de ses divertissements. Les fêtes de Saint-Antoine, le 13 juin, de Saint-Jean, le 24 juin, de Saint-Pierre, le 29 juin, donnent lieu encore à des feux de joie et à des récréations nocturnes. [ci l’origine latine, la descendance aryaque, se révèlent. Le culte d’Agni, le feu créateur, est associé à celui des saints vénérés au mois du solstice d’été. Mais, nous le répétons, la civilisation égalitaire nivelle tous ces usages ; et bientôt, de toutes ces traditions des ancêtres, il ne restera nulle trace. Si Pon veut trouver encore du pittoresque et de l’imprévu sur la 168 LE PAYS DES AMAZONES terreamazonienne, c'est parmi le peuple, parmi la race qui descend des Indiens, qu'il faut les aller chercher. Cette classe d’habitants est restée plus attachée aux souvenirs de son berceau, et elle a conservé une physionomie à part qui la dis- tingue des purs Brésiliens dont nous venons de parler. Ses aliments, ses excitants, ses mœurs et ses coutumes gardent quelque empreinte de la race primitive. Le peuple a encore sa pogueca, son xibé, son beij# et son moguem comme nourriture. Il est resté fidèle au tucupy, au caxiry, à la cachaça, à son vin de caji et de fruits fermentés. C'est là, dans ce milieu plus naif et plus esclave des traditions, que Pon célêbre les fêtes chrétiennes sous des dehors de fétichisme, et que l’on croit encore aux belles légendes héritées des aieux. Rappelons donc rapidement quelques traits de la vie de ces gens du peuple de l'Amazonie, confondus parmi les descendants «deces colons sortis du Portugal, lesquels, en s'unissant par les liens conjugaux aux naturels du pays, ont fait surgir cette race nouvelle qui est blanche et connue sous le nom de mamelucos, qui se distingue des hordes sau- vages par la couleur et par son goût pour l’agriculture et les arts mécaniques ». ( Tenreiro-Aranha.) Nous suivrons dans ce court aperçu la même division que précé-. demment. p Parmi les aliments chers aux mamelucos, la pogueca tient la pre- mière place. Ce mot tupi signifie enveloppe. La poqueca se prépare avec toutes les recherches que l’on met d'ordinaire dans la confection d’un plat national. Les Anglais ne sont pas plus empressés autour de leur pudding du Christmas. On prend une large feuille bien épaisse, “bien luisante, et l’on y dépose du poisson ou de la venaison avec des condiments. On ficelle le tout et on le place sous la braise jusqu'à ce qu'il soit cuit à point. C'est, paraît-il, à s’en lécher les doigts, qui, dans cette classe, servent encore de fourchettes. On mange la poqueca avec toutes les préparations du manioc, avec .. LE PAYS DES AMAZONES 169 le xtbé ou farine trempée dans de l’eau fraîche, avec le beijit, espèce de gâteau pétri avec de l’eau. On l’accompagne de quelques verres de cachaca ou tafia de canne à sucre, et de fortes lampées de caxiry. La boisson nommée caxiry se fait avec les beijús. Quand ces gâteaux de manioc sont cuits, ils sont gardés pendant quelques jours dans des feuilles vertes, puis déposés dans un vase rempli d’eau. On les dissout en agitant et on laisse fermenter. Un mets plus utile que la poqueca est le moguém, sorte de viande boucanée par des procédés simples et expéditifs. La sauce, que l’on met un peu partout, se nomme tucupy. C'est un liquide tiré du manioc, …. râpé et comprimé dans le tipity, tube élastique fait avec les tiges de la jacitára (desmonchus) ou du guarumä (maranta arouma, d' Aubler). Ce suc laiteux est un violent poison végétal, dont le principe actif est l’acide cyanhydrique. Mais ce suc est volatil, et, aprês ébullition, ilforme une excellente sauce pour le poisson et les autres mets. Pour compléter ces quelques notions sommaires sur l'alimentation de la classe vraiment indigène, nous citerons encore le pira-cuhy ou * | farine de poisson, et le pirarucú. poisson que nous avons décrit précé- demment. Le pira-cuhy est un aliment fort utile dans ces parages. Il est fait de poisson grillé, dont on a ôté les arêtes et que l’on a écrasé dans un mortier ; après quoi on le dessèche sur des plateaux en terre, et on en obtient ainsi une «farine de poisson », excellente et agréable au goût. — Quantau pirarucé, dont la longueur atteint jusqu’à 2" 20, après la pêche on le transporte aux baraquements; là, on enlève les écailles du x poisson, on le coupe en deux, on le sale et on empile les morceaux découpés les uns sur les autres. Ils y restent pendant quelques heures, au bout desquelles on les expose au soleil, bien étalés, pour les faire sécher. Passons rapidement aux mœurs des Indiens à demi civilisés. Un culte ne meurt pas, il se transforme toujours, a-t-on dit. La Tn 170 LE PAYS DES AMAZONES : vérité de ces paroles éclate d'une manière saisissante dans les coutumes et dans les traditions singulières que les descendants des Indiens ont conservées de leur première origine. Certes, on sent bien que la grande pensée du christianisme s’est adaptée à ces âmes neuves, que des conceptions plus avancées sont greffées sur les croyances primitives ; mais on peut dire que le sau- vageon qui les porte est encore en pleine sève. De même que l’Européen garde dans les profondeurs de son être un vieux levain de naturalisme antique, de même les populations. inférieures de l’Amazonie restent inconscieminent attachées au féti- chisme indien. L'hérédité a accumulé dans les couches profondes de cette race | d'hommes tous les instincts, toutes les superstitions qui caractéri- saient les anciens possesseurs du sol. Les fêtes, les cérémonies chré- tiennes sont des corruptions ou plutôt des perfectionnements des antiques usages paiens. Nous décrivons ailleurs la fête du saïré, qui résume dans ses allé- gories et dans son symbolisme profond, quoique grossier, les prin-= | cipaux points du dogme catholique. Les merveilleuses légendes du Curupira et de la mai-d'agua charment leur besoin de rêverie et leur versent de poétiques émo- | tions. Elles sont comme les voix des deux grands génies qui se cachent dans les choses amazoniennes : le génie des forêts et le génie | des eaux. Elles traduisent l'impression que l'immense nature dépose au fond de ces âmes mélancoliques. Le Curupira est un génie sylvain qui hante les solitudes boisées: Quand les femmes s'égarent dans la forêt, il sort des arbres sous la figure d'un Indien. Quand les hommes se perdent dans la forêt sans fin, il se montre sous la forme d’une belle Indienne. Il ne faut pas suivre le Curupira. Ceux qui connaissent la malice de Curupira l’'amusent en chemin. Ils se reposent à l'ombre, et se mettent à tresser de petits paniers de lianes ou de tiges de guarumá. Le Curu- A E — —— — — > LE PAYS DES AMAZONES 170 pira vient. Il prend les petits paniers, les examine, et, pour apprendre à en faire d'aussi beaux, il commence par les mettre en pièces, comme ferait un gentil ouistiti d’une parure de dentelles. Pendant ce temps- là, on s'échappe, et l’on retrouve les sentiers. La légende de la mái-d'agua est plus candide encore. La fée enchanteresse fréquente les rivières et les igarapés sombres. Elle guette les jeunes fiancés et les met dans le malheur. Par les nuits sereines et tièdes, elle fait entendre ses chants magiques. Malheur à lIndien épris, malheur à l’Indienne énamourée qui se laisserait attirer ! Le fiancé qui a voulu voir la « mère des eaux » est frappé de délire. L'image de cette beauté à peine entrevue s'empare de tous ses sens et le jette dans les transports d’une joie qui éclate en rires éperdus ; cette vision le tourmente et le sollicite à retourner aux lieux où elle lui est apparue pour la première fois; s’il se laisse entraîner, s’il la recherche aux bords des rivières, la fée entr'ouvre ses beaux bras au milieu des herbes, l'enlace et le fait mourir d'amour dans le _Jit des fleuves. Morale : l’eau est fascinatrice comme la femme ; moins enivrante peut-être. ll existe en Amazonie une autre fée, qui est une bonne fée, celle-là. Elle est toujours prête à ouvrir son sein et à y recevoir les malheureux. Nous voulons parler de l'assistance publique, qui a son siège à Manäos et qui porte le doux nom de Santa-Casa da misericordia. Le bien qu'elle fait est considérable. Elle a à sa charge un hôpital, un hospice d’aliénés et un lazaret pour les varioleux depuis le mois d'octobre 1897. Un comité d'hommes dévoués centralise les cotisa- tions des membres de cette association charitable, distribue les crédits alloués par PÉtat et veille à l'administration des secours. Pendant Pannée 1897, la Santa-Casa comptait 475 membres. Ses recettes se sont élevées à environ 255 coutos, et les dépenses se sont montées à la même somme à peu près. Son hôpital, son hospice et son lazaret sont tenus par les sœurs de Sainte-Anne, congrégation religieuse italienne. Son modeste patrimoine se compose à peine de trois titres 172 LE PAYS DES AMAZONES de rente de l’Etat et de deux immeubles. Malgré cela, grâce à l’aide de l'Etat, son hôpital a recu en traitement 1,836 malades en 1897, dont 1,117 sont sortis guéris et 270 sont morts; 113 ont continué en traitement. Elle fournit également des médicaments et procure des 23. — Infirmerie des hommes à la Santa Casa da Misericordia. consultations gratuites aux malades pauvres. Les mœurs du pays interdisent à tout habitant de " Amazonie de mourir de faim et de misère. Il est, cependant, nous le disons à regret, un service que l'Etat a négligé pendant trop longtemps, et dont le vice-gouverncur en exercice actuellement, le colonel José Cardoso Ramalho junior, un enfant du pays, s'occupe avec raison, et vient de réorganiser. Nous voulons parler de la protection des Indiens encore sauvages. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet capital. Pour le moment, bornons-nous à cons- nomes LE PAYS DES AMAZONES [73 rater que les crédits employés dans ce but jusqu’à une époque récente étaient absolument dérisoires et que l’on n’a rien tenté dans ce sens “avec méthode. Les Franciscains, sous la direction du P. Gesualdo Macchetti, avaient établi trois missions dans ce vaste Etat: l’une sur le rio … Uaupés, avec 400 Indiens ; l'autre, la plus ancienne et la plus pros- père, à Sam-Francisco ; la dernière à Sam-José de Maracajú. A la fin de l’année 1897, les pères de la congrégation du Saint- Esprit, sous la direction du Père J.-B. Parissier, ont fondé un institut agricole d'arts et métiers sur le rio Teffé, au point de la jonction de * cette rivière avec le Solimões. Quoique tout récent. l'établissement est en pleine prospérité, et il faut espérer que le concoure del’Etatne lui fera pas défaut, car l’œuvre est de celles qui se recommandent d'elles-mêmes. Au lieu de tenter d'appeler à la civilisation les Indiens adultes, tâche qui leur semble encore plus éphémère dans ses résultats que difficile dans son application, les Pères du Saint-Esprit paraissent “décidés à entreprendre une œuvre plus rationnelle: ils créent des écoles d'enseignement pratique moderne pour y former le cœur et l'esprit des jeunes indigènes, qui, plus tard, deviendront autant de propagateurs des saines méthodes dans leur milieu. Le projet est hardi et bien digne de l'intelligence du grand prélat qui l’a inspiré, Mgr Roy, supérieur général de la congrégation du Saint-Esprit, avec résidence à Paris. | Quoiqu'il en soit, il résulte de tous les rapports des autorités que, s'il existe des Indiens intraitables et rebelles à tout commerce avec les civilisés, comme les Parintintins, il en est d’autres, de mœurs plus douces, qui paraissent se prêter très bien à la vie sédentaire et sur lesquels l’action moralisatrice de l'Evangile peut s'exercer effica- cement, au plus grand profit de l'Etat et de l'humanité. Ces Indiens pourraient former des noyaux agricoles autour desquels la colonisation européenne viendrait se grouper. — + A « tp CHAPITRE IV Moyens de subsistance. — Richesses ichtyologiques. — Un emplacement excep- tionnel. — Lois accordant des avantages aux Compagnies de pêchêrie. — La pêche à la tortue. — La pêche sur les plages ; loi à ce sujet. — Le beurre de tortue; son exportation. — Le poisson-bœuf; son exportation sous forme de conserves. — Le pirarucü; quantités exportées. — Les pêches destructives. — Le cacao. — Le bétail. — Lois en faveur de l’agriculture. — La colonisation « cearense » Les moyens de subsistance d’un peuple sont dûs en général à la pêche, à la chasse et à l’agriculture. Ces trois moyens seront étudiés rapidement dans ce chapitre, les développements que nous avons donnés ailleurs nous permettant désormais d’être très bref sur ces matières. Lorsque l’on jette les yeux sur une carte de l’Etat de l’Amazone,« en voyant l'immense et inextricable réseau de forêts et de rivières, de lacs, d’igarapés, de paranäs, de furos qui couvre la plus grande partie de cette région, on est porté tout de suite à se dire: Il ya là une population qui doit trouver des ressources inépuisables dans la chasse et la pêche, ces deux arts précurseurs de l’agriculture. Ceux qui ont lu le chapitre que nous avons consacré au règne animal doivent partager [opinion des premiers. Ils doivent encore se rappeler ces phrases d'Agassiz, dans une lettre écrite à l’empereur dom Pedro Il: « Tous les fleuves de l'Europe réunis(r), depuis le Tage jusqu’au Volga, ne nourrissent pas cent cinquante espèces de poissons d’eau. douce; et, cependant, dans un petit lac des environs de Manãos, nommé lago Hyanuary, qui a à peine quatre ou cinq cents mètres (1) Voyage au Brésil, édit. franc. Paris, 1869, pag. 380. | us, e no Tu . 2 da LE PAYS DES AMAZONES 175 carrés de surface, nous avons découvert plus de deux cents espèces distinctes, dont la plupart n’ont pas encore été observées ailleurs! » (Lettre du 23 février 1866.) En lisant les rapports des diverss présidents de la province dans les parties qui parfois traitent des richesses ichtyologiques de ce pays et de l’abondance de gibier; en songeant aux faveurs que le gouver- nement a décidé d'accorder aux compagnies de pêcheries, on se trouve confirmé dans sa première opinion. Dès 1850, en effet, le premier président qu'ait eu cette province, M. Tenreiro-Aranha, décrivait en ces termes un emplacement situé à quelques kilomètres de Manãos: « Sur la rive septentrionale de l’Amazone, disait-il, à l'entrée du rio Negro, vis-à-vis l'embouchure du Solimões, sur des terres hautes et montagneuses, on trouve un emplacement central nommé das Lages (des Roches); ce nom lui vient de certaines murailles natu- relles qui se dressent sur les plages au sable le plus fin. Sur ces hautes terres, si propres à la culture du café, du coton, du manioc et de tous les autres produits spéciaux à cette province, il y a d'épaisses forêts, pourvues d'excellents bois pour la bâtisse ordinaire et pour la construction navale; certains endroits y disposent de pâturages naturels, auxquels on pourrait adjoindre des champs artificiels pour Pélève du bétail; sur le sommet de quelques-unes de ces hautes collines, on trouve de grands réservoirs naturels et permanents, d’où les eaux se jettent en tout temps avec tant de force qu’on pourrait les utiliser aisément comme force motrice. Un peu plus haut, il y a un petit cours d’eau, dont les rives abondent en bois, qu'il serait facile d'abattre et de transporter ; et, un peu plus bas, à une demi-lieue de distance, on trouve le beau lac Aleixo, très abondant en poisson. Si, dans cet endroit, on trouve des terres hautes, des carrières de pierres et de vastes plages sablonneuses, vis-à-vis, sur la rive opposée de "Amazone, à l'entrée du Solimões et sur Visthme situé entre ce fleuve et le rio Negro, on a des terres basses, propres à la culture du 4 176 LE PAYS DES AMAZONES cacao et de la vanille, qui s'y trouvent déjà en abondance et à l’état sauvage. Ces terres, fertilisées tous les ans par la crue périodique des eaux, se prêtent admirablement à la culture de la canne à sucre; on y trouve également des pâturages et des plaines naturelles couvertes de riz sauvage qui ne sert d'aliment qu'aux oiseaux et aux poissons. Et, sur ces mêmes rives, depuis le rio Madeira, des deux côtés, à l'entrée du Solimões, on rencontre les lacs immenses et fameux appe-… lés Autaz, du Rei (Roi), Manaquiry et Manacapurú, où, pendant l’année entière, mais surtout pendant les six mois que durent les basses eaux, on peut prendre des millions de tortues, de poissons= bœufs, de pirarucús, de tambaquis et beaucoup d’autres poissons en telle quantité qu'ils peuvent donner de plus gros profits que E toutes les pêcheries de Terre-Neuve. » : De son côté, le gouvernement central, par la loi nº 876, du 10 sep- tembre 1856, avait accordé une garantie de 5 o/o d'intérêts, pendant cinq ans, sur le capital effectivement employé par les trois premières compagnies de pêcheries qui se fonderaient au Brésil; et un décret portant le nº 8,338, du 17 décembre 1881, a approuvé le règlement relatif à cette loi. Eh bien! malgré tous ces avantages, pas une seule compagnie de pêcheries n’a été organisée dans cet Etat, et, nous le disons à regret, | le marché de Manäos se trouve parfois bien mal approvisionné de | > poisson. Cet état de choses est d'autant plus déplorable que l’on sait les. bénéfices fabuleux que la plupart des pays de l’Europe retirent de la pêcherie, soit maritime, soit fluviale. Il y a peu de temps encore, (mai 1873), il y a eu à Londres une magnifique exposition interna tionale de pêcherie, où l’on a pu constater les richesses produites par cette branche de l’industrie. En 1881, la France employait à la pêche 80,876 hommes, montés sur 22,125 barques, jaugeant ensemble 150,000 tonnes, outre 56,000 personnes qui parcourent à LE PAYS DES AMAZONES 177 pied les plages en pêchant. Aussi, pendant cette même année, cette industrie a-t-elle rapporté 87 millions de francs à la France. Dans l'État de l’Amazone, il n’en est pas de même. Tous les bras sont employés dans les forêts, et se consacrent à l’extraction 24. — À la recherche d'œufs de tortues du caoutchouc et des autres produits forestiers. La pêche et la chasse ne forment pas encore une industrie lucrative et exploitée en règle. Cependant les gens du pays aiment la pêche, et s’y livrent assez activement, mais la plupart du temps pour leur compte. La . pêche aux tortues, au peixe-boi et au pirarucú occupe quelques mil- liers de bras, pendant certaines saisons. La pêche aux tortues se fait de deux manières (1). (1) Voir les curieuses notes de M. F. Gomes do Amorim, l’illustre écrivain portugais dans ses beaux drames — spécialement dans le Cedro Vermelho — sur ces mœurs > amazoniennes. 12 178 LE PAYS DES AMAZONES Sur les rivières, on les prend avec des flèches, qui ont quelquefois un noyau de tucuman près de la pointe. Ces flèches partent de Parc avec la vélocité d’une balle; la flèche, en fendant l'air, tire du noyau percé de ce fruit un sifflement semblable à celui d’un oiseau: aussi la tortue qui flotte sur l’eau n’en est-elle pas effrayée; la pointe de la flèche, lancée avec une adresse merveilleuse, pénètre dans la carapace de la tortue, et, en s’y fixant, se sépare de la flèche, mais reste attachée par un fil très long enroulé dans le roseau. La tortue se sentant blessée, plonge rapidement, et le fil se déroule de la flèche, qui tournoie au-dessus de l’eau et permet à la barque du pêcheur de s'approcher. Quand le mouvement de la flèche cesse, le pêcheur comprend que la tortue est fatiguée. Il tire alors à lui tout doucement le fil, et à peine apercoit-il la vaste carapace de la tortue, qu'il la harponne, et la voilà prise. La pêche sur les plages est appelée là-bas d'un nom caractéris- tique : on la nomme v1rac4o, c'est-à-dire retournement ou renverse- ment des tortues sur le dos. On la pratique sur les immenses plages sablonneuses du Solimões. du Madeira, du Purús et du rio Branco, à l'époque de la ponte, lorsque les tortues vont enterrer leurs œufs. C'est une véritable chasse. Les gens du pays ne se faisaient pas scru- pule de dénicher ces œufs, pour en fabriquer le fameux « beurre », si cher à M. Jules Verne, et de prendre par la même occasion les tor- tues minuscules qui sortaient à peine des coquilles. Une loi (1er juin 1882) défend cette chasse barbare. Elle ordonne aux muni- cipalités de faire occuper les plages, pendant les quatre. mois des basses eaux, par un petit détachement de police, et elle édicte des peines sévères pour les contraventions constatées. La saison pour la fabrication de l'huile de tortue (marteiga) prend fin le plus souvent au commencement de novembre. Voici le procédé employé pendant l'enfance de l’auteur de ces lignes : Les œufs dénichés étaient jetés dans une barque et massés avec les LE PAYS DES AMAZONES 179 pieds comme on écrase le raisin, jusqu'à ce qu'ils formassent une pâte gélatineuse. On enlevait alors les pellicules assez épaisses qui servent de coquilles à ces œufs ; on versait de l’eau sur le tout, et le résidu restait exposé au soleil pendant plusieurs jours. L'huile montait à la surface; on l’enlevait, et on la faisait bouillir dans un chaudron en 25. — La pêche au harpon, dans l'Amazone. cuivre. Ensuite, elle était placée dans de grands pots en terre, pou- vant contenir environ 45 litres. On a calculé qu'une tortue pond en moyenne 8o œufs, et que, pour faire un pot de cette graisse, il faut se servir des œufs de 40 tortues. La production du beurre de tortueest stationnaire. En 1882-83, on avait acquitté à la recette provinciale de l’Amazone des droits d’ex- portation sur 6.028 kilogrammes de ce beurre, fabriqué principale- ment dans le Solimões. En 1894-05, l'exportation par grand cabotage 180 LE PAYS DES AMAZONES s’est élevée à 14.450 kilogrammes, valant 2 contos 890 $ 000 réis. Mais l'exportation est descendue, en 1895-06, à 7.781 kilogr., d'une valeur de 1 conto 216 $ 000 réis à peine. La pêche du « poisson-buf », de la vache fluviatile dont nous avons parlé précédemment, est beaucoup plus difficile, car il a l’ouie exces- sivement fine. Ordinairement on le harponne. Cette pèche diminue de plus en plus, et l'exportation des conserves de peixe-boi, nommées mixira, supérieures à la plupart des conserves de poissons faites en Europe, tend à disparaître du tableau de la perception de l’État. — Pendant l'exercice financier 1881-82, l’exportation de mixira avait été de 1.311 kilogr., répartis de la manière suivante : 260 kilogr. du Purús, 247 du Juruá, 714 du Solimões, plus 00 kilogr. de peixe-boi frais de rio Purús. Or, en 1894-95, l'exportation par grand cabotage n’a plus été que de 691 kilogr., d'une valeur de 9 contos 430 $000 réis, et en 1895-96 ce chiffre a encore baissé, l'exportation n'étant plus que de 361 kilogr., valant 4 contos 771 $ 000 réis. L'exportation des salaisons de piraracú, qui se faisait sur une plus grande échelle et commencait à donner des résultats appréciables, n’a pas fait des progrès non plus depuis quinze ans. — Pendant l’an- née fiscale 1881-82, on en avait exporté 796.169 kilogrammes, dont 146.869 du Purús, 4.845 du Madeira, 122.625 du Juruá, 460.483 du Solimões, 13.396 du rio Negro et 47.951 partis du port d'Itacoatiára, En 1894-05, l'exportation par grand cabotage n’en a plus été que de 564.954 kilogr., d'une valeur officielle de prês de 411 contos, et, en 1895-96, de 555.118 kilogr., d'une valeur officielle de presque 468 contos. Il est vrai, que dans ces chiffres ne se trouve pas comprise l'exportation faite par Parintins, Itácoatiára et Maués, dont le mon- tant, en 1805-06, a été de 313.880 k., valant 270 contos. Sur les affluents de l’Amazone, la pêche garde encore un cachet caractéristique, qui disparaîtra évidemment dès qu’elle deviendra une véritable industrie, au lieu d'être un passe-temps pour la classe aisée et un pis aller pour les pauvres. On n’y verra plus alors ces barques p P LE PAYS DES AMAZONES 181 si originales de la région amazonienne, ces igáras pittoresques : l’ubd, embarcation rude, creusée dans un tronc d'arbre, tout d’une pièce, avec des traverses mal équarries servant de siège; la montaria gros- sière, petit canot sans abri; l'igarité, embarcation d’une seule cou- verture, faite le plus souvent-en feuilles de palmiers; l’igära-asst, barque à deux couvertures; le hóte, le grand canot, et le batelão, espèce de chaland. On n'y verra plus le caboclo armé de son jacumá, rame courte qui lui sert en même temps de gouvernail. L’attirail nécessaire à la chasse et à la pêche, et dont se servent encore les tapuyos de l’intérieur, se modifiera aussi, et leurs flèches, aujourd’hui si variées seront emportées par la civilisation, Les flèches, en effet, sont toutes différentes de formes; il y a: le uacuú pour le petit poisson ; l'apepéna pour le gros poisson; la sararáca, que nous avons décrite, pour la pêche aux tortues ; ['uacuruá pour les oiseaux; et, finalement, la taguára pour le gros gibier. Mais si l’on perd tout cela, en revanche on n’aura plus à déplorer la destruction du poisson qui se fait encore dans certains endroits au moyen de poisons végétaux, tels quele Timbó, le Tinguy, le Turary, le Cruapé rouge, etc. Le timbó (Serjana cuspidata) fournit par distillation une huile essentielle d'odeur musquée et un principe narcotique puissant ; il … suffit d'en respirer l'odeur pour ressentir un commencement d'em- . poisonnement. Le tinguy (Phaeocarpus) agit également comme un — pinnala) servent aux mêmes usages et ont les mêmes propriétés. Nous avons assisté plus d’une fois, dans notre enfance, à cette pêche “barbare, qui se faisait de la manière suivante : on écrasait le timbó, 182 LE PAYS DES AMAZONES peine de le cueillir dans la barque. On ne se souciait même pas du menu fretin. Quant à la chasse, nous n’en parlons que pour mémoire ; elle ny 26. — La pêche à: la flèche, dans l'Amazone. est guère qu’un passe-temps, et c'est à peine si l’on tire assez de venaison pour sa consommation personnelle. Elle y offre. cependant, un champ illimité, et nous avons déjà vu ailleurs les richesses de ce genre dont abonde l’Amazone. La seule chasse dont on s'occupe un peu est celle du cerf, pour en vendre la peau. — En 1894-05, on a exporte de Manäos 7,930 peaux de cerf, d’une valeur d’un peu plus de LE PAYS DES AMAZONES 183 14 contos; et, en 18655-90, on en a exporté 9,629, valant presque 15 contos et demi, sans parler de 2,733 k., exportés d’autres points de l'Etat. L'agriculture proprement dite est l’objet de la même indifférence de la part des habitants, à cause des bénéfices fabuleux et immédiats qu'ils trouvent dans l'extraction des produits forestiers. On peut même affirmer qu’elle est moins avancée aujourd’hui qu'il y a un siècle, car le café, le riz, indigo, le coton, le tabac n'y sont plus guère cultivés. Et cependant un écrivain de la fin du xvur siècle, le naturaliste Rodrigues Ferreira, disait que dans l’Amazone Vindigo sauvage poussait partout sans aucune culture, y atteignant de 5 à 6 pieds de haut, et il ajoutait : « L'indigo y est aussi commun que la mauve en Portugal. » Près de S. Gabriel, on avait même installé une usine pour la préparation de Vindigo. Ce naturaliste était parti de Barcellos, alors chef-lieu de la capi- tainerie devenue l'Etat de l’Amazone, en mission officielle, et nous possédons le récit de son intéressante excursion. Il parcourut toute la région du rio Negro. Partout sur son chemin domine la culture du caféier, que l'habitant est obligé d'importer aujourd’hui.Le cacaoyer ne réussit guère. Rodrigues Ferreira répète constamment que la princi- pale culture du pays est le café, même avant le manioc. A Moreira, il signale 3 planteurs qui récoltent 88 arrobes de café (environ 1,293 kilogr.). Ils ont l’habitude d’abriter leurs caféiers à Pombre des ingazeiros (Inga dulcis). Le riz rouge était indigène et poussait spontanément. Le riz blanc avait été importé de la métropole. Le marquis de Pombal, qui daignait descendre à ces détails, recommandait la culture du riz indigène. Malgré son avis, cette culture cessait dès 1763, le riz blanc ayant été introduit deux ans auparavant et ayant donné tout de suite de meil- leurs résultats. La production en était tellement grande que dès 1784 on avait installé à Para 8 moulins pour décortiquer le riz blanc de cette région. 184 LE PAYS DES AMAZONES En même temps, à la demande du naturaliste portugais, Antonio Villela do Amaral (r) écrivait en 1787, à Barcellos, un Traité sur "Agriculture particulière du rio Negro, et l'abbé João Daniel (2) don- nait une nouvelle méthode pour le travail agricole. Les différents gouvernements ont essayé tous d'arrêter cette déca- L dence. Aucun n’y a réussi : les uns n’ont pas vécu assez longtemps pour présider aux réformes qu’ils avaient provoquées; les autres ont eu recours à des procédés empiriques, destinés fatalement à avorter ; tous se sont heurtés à l'irrésistible courant économique qui porte ces populations vers les industries qui, tout en n’exigeant aucune prépa- ration longue ni aucune aptitude spéciale, sont, cependant, beaucoup plus lucratives et d’un rapport plus immédiat, comme le sont les industries extractives forestières. é Aussi, tandis que l'exportation du caoutchouc et celle de certains autres produits forestiers augmentent dans des proportions vraiment extraordinaires, celle des produits réellement agricoles diminue-t-elle d’une manière attristante, comme il est facile de le constater d’après les tableaux suivants : CAFE 1820718302 mine mon: de Rene nn eee 6.200 arrobes (3) RUA ere eee cer FH TOITS NS CE à 270 — TO60=1870 = se secret ee. fa CRC 34 — opere Naapa coan decr bis é onardd Da roc dom bu néant — COTON 1807-1808 2er A AUDIO SO SRA ado ele 103 arrobes 1871-1872 etre rene reset EC 109 kilogr. 1805-1800 meer DE coca de sd de RSA nona Ce néant —. TABAC e ee Es Gi nus otoa oo cdoabandanõo! 100000 dobro 5.620 arrobes ONE pop ad oh snes cos aBndsas sus o DA TC sá 2.270 — 1800218700 cia SERA SO, ARR ues Gr — TOSLSLOB2- Peeters 60 kilogr. 1895-1896 (d'Itácoatiára, Santo-Antonio et Mauès).. 2.906 — (1) Man. de la Bibl. Nat. de Rio. (2) Quinta Parte do Thesouro descoberto no Rio Maximo Amazonas, Rio, 1820. (3) L'arrobe vaut 14 kgr. 690. LE PAYS DES AMAZONES É 185 Il n’y a guère que le cacao qui continue d’être un peu cu:tivé sur une échelle assez limitée, mais suffisante pour que ce produit figure - encore à un rang passable dans le tableau de l'exportation de l'Etat. . Cette culture, qui semblait menacée, il y a quinze ans, de suivre la destinée de tant d’autres, s'est même relevée pendant les dernières années. Le tableau de l’exportation va nous le démontrer : CACAO Quantité Valeur ARSO- EGO fa er tee Lhbogoes TO 50.397 kilogr. — RES LEO 2er eee meer SS SRE FASE nei 23.558 — — LÉO croco nee une 168.711 — 158 contos RES SEO O Eee reecc--e see 174.548 — 149 — A cette exportation, il faut ajouter celle de Parintins, d'Itácoatiára et de Mauês qui, en 1895-06, s'est répartie de la manière suivante : CACAO 1895-06 Quantité Valeur De Parintins........ OR Rs ate SECR Sa 504.228 k. 423 contos TITRE TTL SOME NOR ORE Es EN EEE Jal SE 106 — LE SECTOR ICSI E 87.488 k. Si — L'exportation de cacao de tout l’Etat s’est donc élevée, cette année- là, à 797,639 k., d'une valeur officielle de 759 contos. LE L'élève du bétail, qui donne les plus beaux résultats, surtout dans … la zone baignée par le rio Branco, a été fort négligée, et c'est mainte- tenant seulement qu’une Compagnie ayant son siège à Pará cherche » à acquérir des pâturages pour l'élevage en gros. L'Union Fédérale possède, nous l’avons dit précédemment, un certain nombre de fermes dans cet Etat; elle n'en tire aucun profit et cependant refuse de les 186 LE PAYS DES AMAZONES nombre de 134, dont 10 dans le rio Branco même, et les autres dans ses affluents, ainsi répartis : 1 dans le Mocajahy, 3 dans l’Agua-Bôa- Grande, 1 dans le Cuitanahü, 1 dans le Sam-Laurenço, 14 dans le Cauamé, 1 dans l’Agua-Boazinha, 43 dans le rio Uraricuéra, 1 dans le Truarú, 2 dans le Parimé, 1 dans l'Arumine, 1 dans le Majary, [ESSE SMS 27. — Ferme à bétail, sur le rio Purus. 16 dans le mont Majáry, 1 dans l’Igarapé Caurani, 5 dans le rio Santa-Rosa, 2 dans le Maracä, 4 dans [Igarapé Grande, 25 dans le Tacutü, et 4 dans les affluents de cette dernière rivière. Ensemble elles possèdent 56,775 têtes de bétail. En dehors de celui des fermes du rio Branco et de ses affluents et sous-affluents, on trouve encore quelque bétail dans les prairies ou campos baignés par le Madeira et par le bas Amazone, ainsi que dans le rio Autaz, à Purupurú, Codajaz, Coary, Teffé, Fonte-Bôa, Sam- Paulo-d'Olivença, etc. LE PAYS DES AMAZONES De nombreuses lois ont été votées et promulguées pour encourager l'agriculture dans " Amazone. Une loi du 16 mai 1872 accordait des primes aux agriculteurs qui, dans l’année, présenteraient sur le marché de Manäos 100 algueires (1) de farine de manioc (cassave) fabriquée par eux, et 50 alqueires de riz ou de haricots, ou bien encore 500 maguias(2) de maïs. Une autre loi du 20 mai de la même année exemptait de tout impôt local, pen- dant dix années, les produits suivants, s'ils étaient cultivés dans le pays : coton, tabac, riz, café, haricots, maïs, farine de manioc, sucre, mélasse et eau-de-vie de canne à sucre. L'année suivante (29 mai 1875), une loi autorisait le président de la province à signer avec Nash, Ferreira et Cis un contrat pour l'éta- blissement d'une ou de plusieurs fermes destinées à la culture de la canne à sucre, de diverses céréales, à la fabrication du sucre et de Peau-de-vie de canne. Les dépenses autorisées dans ce but s'élevaient à 50,000 francs. Au bout de deux ans (25 mai 1875), le président était encore autorisé à contracter un emprunt provincial de 500,000 francs, des- tiné exclusivement à être mis à la disposition des agriculteurs. Une seconde loi portant la même date permettait de prêter à un habitant de la province, M. Labre, la somme de 22,000 francs, et à un autre, M. Amorim, la somme de 12,500 francs, pour leur permettre de monter un établissement destiné à l'élève du bétail et des chevaux. En 1879, une loi, portant la date du 26 mai, autorisait une dépense de 75,000 francs, pour être distribués comme secours à la petite agriculture de la province. Deux ans après (14 mai 1881), on votaitla même somme en faveur des agriculteurs et des éleveurs de bétail; et une loi du 1á juin de cette même année (1881) autorisait le versement d'une prime de 5,000 francs à l’agriculteur nord-américain Jasson W. Stone, pour ses plantations de tabac. (1)'L'alqueire vaut près de 40 livres. (2) La maquia vaut 2 livres 273. 188 LE PAYS DES AMAZONES Une loi du 8 juin 1883 autorisait le président de la province à concéder une garantie de 7 o/o d'intérêts, sur un capital de 5,650,000 francs pour l'établissement de trois usines centrales de sucre dans la province. D’autres lois provinciales, votées par l’Assemblée législative pen- dant sa session de 1884, accordaient des primes et des encourage- ments en espèces pour la culture de l’arbre à caoutchouc et la pro- duction de certains produits agricoles. L'une d'elles garantissait une subvention de 30 contos (environ 75,000 francs au change de l’époque) au fondateur d'une ferme-modèle. Enfin, une loi décrétait l’établis- sement de l’enseignemeut agricole au Muséum. La République n’a pas été moins prodigue d'encouragements à l’agriculture que ne l'avaient été les administrations impériales, et, disposant de ressources budgétaires incomparablement plus considé- rables, elle a pu se montrer encore plus généreuse. Sous le gouverne- ment de M. Eduardo Ribeiro, dont le colonel José Ramalho continue les traditions, on n’a pas cessé les libéralités destinées à organiser un commencement de production agricole sédentaire. La loi n° 25 du 25 octobre 1892, en particulier, a autorisé le gou- vernement de l'Etat à faire des prêts à l’agriculture moyennant cer- taines conditions. On en a consenti un de 20 contos à M. Carlos Augusto da Fonseca, et huit de 5 contos chacun aux personnes suivantes : José Pereira Vidal, Augusto Berger, Joaquim d'Oliveira Martins, Joaô Antonio Rabello, Joaquim Damasio de Freitas, Caro- lino A. Soares et D. Antonia Cavalcante, José Martins de Barros et D. Umbelina Fernandes Martins. On avait également signé un contrat pour Pintroduction d'immi- grants japonais. Les immigrants ne sont pas venus et le contrat est devenu caduc. Une tentative plus sérieuse est faite en ce moment au moyen d'immigrants de l'Etat de Ceará, pour lesquels le gouvernement de LE PAYS DES AMAZONES 18) … l'Amazone a créé des colonies agricoles qui se régissent d’après les a instructions suivantes en date du 25 juin 1898: La préférence est donnée aux immigrants qui se sont déjà livrés à Pindustrie agricole et à l'élevage, et parmi ceux-ci on préfèrera ceux …_ constituant une famille. Le nombre des immigrants non-mariés ne doit pas excéder 25 o/o du total de chaque convoi. Avant de s'em- …barquer, les émigrants signent un engagement par lequel ils demeu- rent obligés de se placer dans la colonie et de travailler le lot de terres “qui leur est concédé. Aux immigrants qui ne voudront pas se placer dans les colonies _ agricoles de l’État et qui s’y rendront simplement pour s'employer dans l'extraction des produits fruitiers, le gouvernement n'accorde “que le passage gratuit jusqu’à Manäos. Aux autres, ceux qui voudront se livrer aux travaux agricoles dans les colonies, dont une seule est installée, aux portes mêmes de la capitale, l’État accorde des faveurs spéciales : ils ontie voyage gratuit jusqu’à Manãos, y compris l’embarquement à Fortaleza, capitale de “Etatde Ceará, et ledébarquement à Manäos ; ils ont le transport gra- “tuit jusqu’à la colonie ; l'État les nourrit etles habille au moins pendant trois mois, et ne cesse de le faire que s’ils abandonnent le travail dans «a colonie ou sur leur lot de terres : il leur donne un lot de terres mesu- Tant au moins 20 hectares, avec une maisonnette pouvant les loger, x et leur famille ; sur ce terrain, démarqué et délimité, au moins hectares sont préparés d'avance pour la culture; il leur fournit «gratis les graines et semences et les outils et instruments agricoles, “dont ils ont besoin pour leur travail ; il les emploie de préférence pour les travaux d'aménagement nécessaires à la colonie. A peine installé, mmigrant reçoit un titre provisoire de propriété des terres (au 190 LE PAYS DES AMAZONES cette tutelle, et tous les colons dont les terres se trouveront cultivées effectivement reçoivent alors un titre définitif de propriété. Au con- traire, les lots qui n'auront pas été mis en exploitation normale seront vendus aux enchères. Si, cependant, avant que le délai des trois | années se soit écoulé, le chef de la famille venait à mourir, le gou- vernement livrera le titre de propriété définitive aux héritiers, sur leur demande, pourvu qu'ils aient exploité régulièrement le lot de terres réclamé. Bien plus :si la colonie prend un essor tel qu'il exige des appa- reils industriels plus compliqués — fours, alambics, usines, machi- nes, etc. — PEtat les leur accorde aux conditions les plus raison- nables. Cette tentative est excellente, et pour qu’elle fût parfaite, il suffirait d'y remplacer le mot « Cearense » par le mot « Brésilien », en éten- tandant ces faveurs aux enfants de tous les autres Etats de l'Union Fédérale. Le gouvernement local, on le voit, ne néglige rien pour encourager l'agriculture sédentaire. Si l’on peut lui adresser un reproche, ce n'est | certes pas d’avoir méconnu l'importance de l’agriculture dans un pays comme celui-là; ce serait plutôt de n'avoir pas pris des mesures plus | radicales encore pour enrayer le mal. Ce qui est difficile en semblable matière, ce n'est pas de voter des fonds, mais d’en régler l'emploi dans les conditions les plus profitables. Run. CHAPITRE V MOYENS DE SUBSISTANCE : Industrie. — Comment elle se trouve en décadence. — Encouragemients que lui donne le gouvernement local. — Les produits fores- tiers. — La fibre tucum. — Le Piassaya. — Le cumariú ou fève Tonka. — Le Puxury, la girofle, le guarana, la salsepareille, le quinquina, l'huile de copahu, les noix du Brésil, le cèdre. — Une citation de Wallace, “Nous venons de voir comment l’agriculture est délaissée dans cet État. Malgré la richesse du sol et le peu de main-d'œuvre qu'exige- rait son exploitation régulière, le territoire amazonien attend encore des pionniers qui le mettent en valeur et lui fassent rendre les tré- sors qu'il récèle. L'industrie proprement dite n'est pas moins délaissée que l’agri- culture dans cette contrée où la nature a tout prodigué et où les besoins de la vie peuvent être satisfaits presque sans effort. Il y a plusieurs causes à ce double phénomène, que nous voulons croire passager. C’est d’abord le petit nombre d'habitants, car, d'après les données officielles du recensement du 31 décembre 1890, la densité de la population, par kilomètre carré, est à peine de 0.08, tandis que dans le pays le moins peuplé de l’Europe relativement, en Norvège, la densité est de 6 habitants par kilomètre carré. C’est aussi la facilité qu'ont les habitants de se procurer, soit autour d’eux, soit à l'étranger, avec le produit de la vente du caoutchouc, les objets de consommation de première nécessité. Il leur suffit de puiser dans leurs cours d’eau et dans leurs forêts, ou de faire venir d'Eu- rope et de l’Amérique du Nord, grâce aux bénéfices du caoutchouc, tout ce qu'ils désirent. Leur incomparable réseau de navigation fluviale et leurs vastes seringaes, au lieu de stimuler l’essor industriel, - Ea dpi - - = 8 À É 192 LE PAYS DES AMAZONES le retardent plutôt, en leur offrant trop de facilités et de ressources pour s'approvisionner ailleurs. Mais ce qui détourne surtout de l'agriculturesédentaire et de l’indus- trie perfectionnée, c'est cette soif naturelle de l'or qui s'estemparée | de la plus grande partie de la population et qui la pousse dans la pro- fondeur des forêts et vers les cours d’eau les plus lointains, à la décou- | verte de l’arbre merveilleux d’où coule la sève du caoutchouc. . Le gouvernement local, voulant lutter contre ces fatalités économi- ques, a essayé à plusieurs reprises de ramener à des occupations plus sédentaires cette vaillante phalange d'ouvriers errants. Toutes les mesures qu'il a prises pour encourager l’industrie du pays sont. demeurées à peu près stériles. C'est ainsi que, pour ne pas remonter plus haut, en 1869, un pré- sident. dont l'administration laissa des traces durables, M. João Wilkens de Mattos, constatait, dans un de ses rapports, que la pro- vince venait de dépenser plus de 50.000 francs en prêts à une usine de briques et carreaux, à une scierie à vapeur et à quelques autres entreprises de moindre importance. Depuis cette époque, nous trouvons dans la collection des lois votées par l’Assemblée législative provinciale et par le Congrès de l'État, et sanctionnées par les divers présidents et gouverneurs, une série de subventions ou de prêts consentis dans le même but. La loi budgétaire du 20 mai 1871 a autorisé le payement des machines commandées pour l'usine des briques et de carreaux de M. F.-A. Monteiro-Tapajoz. Celle du 30 avril 1872 a accordé, sans intérêts, la somme de | 5,000 francs à M. M. Gonçalves do Nascimento pour une fabrique de briques, carreaux et tuiles, sise à Silves. Au 20 mai 1875, une somme de 15,000 francs était portée au budget des dépenses pour couvrir l'achat de machines fait par MM. J. Alves da Silva et Frères, au bénéfice de leur tuilerie. Le 15 mai 1879, un emprunt de 15,000 francs était consenti, sans LE PAYS DES AMAZONES 193 intérêts, au nom de MM. Soares Bello, pour [installation d'une scierie à vapeur. Par une loi du 16 juin 1883, un établissement de machines et de _ constructions navales, à Manãos, a été reconnu d'utilité publique, pou- vant jouir, pendant 20 ans, d'une garantie de 7 o/o d'intérêts, sur un capital de 375,000 francs. Enfin, depuis lors, d'autres lois ont été votées dans un but analogue. Malgré toutes ces largesses, et, l’on peut dire, malgré toutes ces avances à fonds perdu, l’industrie demeure réfractaire. Pour quel’Amazone entre dans la véritable voie économique et s'assure un lendemain industriel, il faut, ce nous semble, que l’impul- sion et la direction lui viennent d’une sorte de génie supérieur. Le | jour où un homme, que nous nous permettrons d'appeler providen- | tiel, en possession de capitaux suffisants et d’un noyau d'ouvriers doués d’une ténacité à toute épreuve, viendra s'établir au milieu des indigènes et des exploiteurs de caoutchouc, fermement résolu à se livrer exclusivement à ces deux branches de la production civilisa- trice : l’agriculture d’abord, et l’industrie ensuite, ce jour-là, la révo- lution économique tant désirée sera initiée dans cet État; ce jour-là, cette proche voisine des États-Unis de l'Amérique du Nord, cet El-Dorado légendaire étonnera le monde par ses gigantesques enfan- tements. Mais, en attendant que ce grand colon soit né ou se soit révélé, - passons en revue les principaux produits qui donnent lieu aujourd’hui aux transactions les plus importantes de la région amazonienne. Nous nous souvenons d’avoir lu dans de gros livres, alors que nous étions enfant, cet axiome historique : « L'humanité a passé . par trois grandes phases: la vie sauvage, la vie pastorale et la vie agricole. » Les habitants de l’Amazone ont introduit un quatrième élément parmi ces trois facteurs cotés de la civilisation : c’est la vie forestière. Ils sont, en effet, des forestiers, les premiers forestiers peut-être du 2 12 194 LE PAYS DES AMAZONES Nouveau Monde. Si cela ne constitue pas leur plus beau titre de gloire, cela fait, du moins, leurs plus clairs titres de rente. C'est de la forêt qu’ils tirent leurs revenus, et la forêt est loin de leur avoir livré toutes ses ressources. C'est d'elle qu’ils tirent le tucum, le piassava, l’étoupe, le cumarú, le puxury, la girofle, le guarana, la salsepareille, le quinquina, etc., sans parler du caoutchouc. Le Tucum est la fibre d'un grand palmier (Astrocaryum Vulgare). Cet arbre, fort répandu dans le pays, est d’une utilité exceptionnelle. Son bois peut être employé dans la bâtisse commune ; son fruit, assez agréable au goût, fournit une excellente huile pour l’éclairage et pour certains usages industriels. Quant à la fibre, elle est employée dans la confection d’un grand nombre d’articles de ménage, tels que paniers, boîtes, nattes, chapeaux, filets, etc. Elle a été, pendant quel- ques années, l’objet d’un certain commerce. Pendant l’année fiscale 1881-1882, on avait exporté 438 kilogr. de ces filaments. Depuis lors, la production a diminué considérablement, et en 1895-96 l’exporta- tion n’en a plus été que de 222 kilogr. à peine. Le Piassava, tiré de l'écorce d’un palmier que nous avons déjà décrit, avait fourni à l'exportation, en 1894-05, plus de 312,000 kilogr., d'une valeur de 136 contos; en 1895-06, cette exportation n'a plus été que de 292,131 kilogr., d'une valeur de 78 contos. C'est avec le piassava que Ion fait les brosses des balayeuses employées à Paris pour le nettoyage des rues. — L’espèce Leopoldina piassava fournit également des filaments ayant les mêmes propriétés, et les fruits de ces deux espèces contiennent en grande quantité une substance hui- leuse. On l’exporte aussi sous forme d'étoupe : 2,131 kilogr. en 1895-06. Le Cumarú, fruit de la Dipterix odorata, ou Coumarouna odo- rata, donne par extrait une huile usitée en parfumerie et en phar- macie. Le port de Manãos a exporté, en 1895-96, un millier de kilogr. de fèves de cumarú, et Parintins, Itácoatiára et Mauès en ont exporté, ensemble, près de 9,000 kilogr. LE PAYS DES AMAZONES 195 Le Puxury également employé en médecine (Nectandra Puchury) donne lieu également à une exportation restreinte. Le clou de girofle (Carophyllos aromaticus), qui est, comme on sait, la fleur non développée ou atrophiée du giroflier, est de plus en plus abandonné. Le bas prix de cet aromate culinaire l’a fait dispa- paraître, depuis une vingtaine d'années, de notre tableau d'expor- tation. Le Guarana est extrait des graines d’un arbrisseau grimpant de la famille des Sapindacées, dont nous avons parlé précédemment. On le trouve dans nos forêts à l’état sauvage, mais les indigènes de Maueês le cultivent, et il y produit des graines au bout de 3 à 4 ans. Le fruit en est récolté principalement en novembre. Il a une enveloppe extérieure contenant la pulpe et les graines, qui à leur tour sont enfermées dans une enveloppe. Un homme peut préparer, pendant la saison, de 150 à 500 livres de guarana, selon son habileté. — Le D’ Stenhouse qui a analysé le guarana à une époque récente y a trouvé une quantité de théine plus considérable que celle contenue dans le thé, le café et le maté, et ila résumé les résultats auxquel il est parvenu dans Vintéres- sant tableau que voici et qui renverse les idées recues : Calejbrules se. ie Re de RO CE 1.00 º/o de théine. Mate. 27.0 ASAE EN Le Dino IST O Re PA 1,20 — - Reunllesidercafeler-.». cds em OU O EEE 1.26 — — ARE PN CASA Sette SER SECR RO o PA PTE 2.13 — — GHATANAEREE etre BOOASO LUC CASO LEpADDO je 5.07 — — L'exportation de Manäos est insignifiante pour ce produit : 87 kilogr. à peine en 1895-96; mais celle de Parintins et celle de Mauês ont été, pendant le même exercice, de 23,510 kilogr., d'une valeur de 197 contos ou millions de réis. La Salsepareille appartient à la famille des végétaux endogènes, connus des savants sous le nom de Smilacées. Elle entre dans le genre Smilax, lequel se dénombre par centaines d’espèces. La Salse- pareille du Brésil (Smilax Syphilitica) partage les propriétés diuré- =“. LE PAYS DES*AMAZONES - 196 tiques et sudorifiques de ses congénères du Pérou, du Mexique et de la Jamaique. Bien qu'en général elle ne soit pas aussi estimée que celle du Honduras, elle est cependant beaucoup employée dans la pharmacie. Le commerce s'est emparé depuis longtemps des racines adventices de cette plante vivace, sarmenteuse et grimpante, vermi- formes et de la grosseur d'une plume d'oie. La production de PAma- zone a beaucoup diminué pour cet article : de 45,000 kilogr., chiffre de l'exportation en 1880-81, elle est tombée à 1,736 kilogr. en en 1894-95, et à 2,403 kilogr. en 1895-06, à cause des bas prix qu'atteint ce produit. Depuis M. de Jussieu, nous sommes obligés de voir dans le Quin- quina un cousin du café. Tous deux, en effet, font partie de la famille des Rubiacées, malgré les recherches de paternité auxquelles Lindley s’est livré contradictoirement. L'écorce du Cinchona est, on ne l’ignore pas, un agent fébrifuge de premier ordre. Le Pérou, la Bolivie et PAmazone, entre autres, ont la spécialité de ce tonique antipério- dique. Les remijias du Brésil sont gris, jaunes et rouges. Les gris sont recouverts de leur épiderme, et, le plus souvent, roulés ; ils pro- viennent des jeunes branches. Les jaunes sont en écorces plates ou roulées. Les rouges sont dús au tronc de l’arbre et aux grosses bran- ches. Pendant l’année fiscale 1878-70, " Amazone n’avait exporté que 75 kilos de quinquina. En 1881-82, on en avait exporté 4,544 kilos. Pendant l’année 1883, un seul paquebot, parti de Manäos fin no- vembre, y prit un chargement de quinquina d’une valeur supérieure àun demi million de francs. Toutefois, nous avons des motifs de croire que la plus grande partie de ce quinquina passait en transit seulement et était de provenance péruvienne. L'Etat de "Amazone peut être considéré comme la pharmacie centrale du monde entier. Aucune autre région du globe ne produit peut-être en aussi grande quantité des remèdes à tous les maux. Outre les produits que nous venons de signaler et qu’il retire de sf TRI + LE PAYS DES AMAZONES 197 ses forêts sans culture, il exporte encore l’huile de copahu. Ce baume médical est de la famille bourgeoise des Légumineuses, ennoblie du beau titre de Cisalpinées. La Copaifera Nitida est un arbre de belle 28. — Châtaignier du Brésil (Amazone). allure, qui a de 17 m. 6o à 22 m. de hauteur; son tronc mesure de 1 M. 10 à 1 m. 54 de circonférence. De 1876-77 à 1882-83, son expor- tation s’est élevée à 146,874 kilos, représentant une exportation annuelle et moyenne de 24,479 kilos. Elle a diminué depuis lors. En 1894-95, l'exportation a été de 9,488 kilos seulement, valant 198 LE PAYS DES AMAZONES 11 contos; en 1895-06, elle a été de 14,906 kilos, dont 2,902 kilos de Parintins et d'Itácoatiára, valant 30 contos. Mais le produit forestier dont "exportation est la plus considérable après le caoutchouc, bien entendu, c’est la noix du Brésil. Le chà- taignier du Brésil, Myrtacée du genre Bertholletia Excelsa, se fait véritablement tout à tous. C’est un arbre superbe, de plus de 22 m. de haut, et dont le tronc a un diamètre de 2 à 2 m. 50, poussant sur la terre ferme, dans les terrains riches et bas. Les noix, au nombre de 16 ou 18 ensemble, sont enfermées dans une enveloppe ronde, noire et dure, semblable à la noix de coco, mais plus rugueuse. Quand les châtaignes sont múres, ces grosses enveloppes tombent d’elles-mêmes, et la récolte se fait en janvier et février. Le bois du châtaignier, dur et grisâtre, est excellent pour la bâtisse commune aussi bien que pour la construction navale; l'écorce rugueuse de l'arbre produit de l’étoupe; les noix, outre qu’elles sont comestibles, donnent une huile douce et agréable au goût. Le rendement de ces noix ou toucas est de 67 0/0. — En 1894-05, l'exportation en a été de 55,712 kilogr., d'une valeur de 887 contos; en 1895-96, elle a monté à 84,198 kilos valant 1.414 contos. Quoique l'exportation des bois si variés de cette vallée soit fort peu considérable, nous devons citer celle du Cèdre, qui s’est élevée à 18,464 kilos en 1894-95, et à 19,872 kilos en 1895-06. Tous ces produits forestiers constituent une industrie naturelle, qui ne demande presque aucune préparation, et qui, cependant, donne d’assez séduisants résultats, comme on a pu le voir. Que serait-ce donc si l'Etat était, nous ne disons pas tout entier, mais seulement dans la plus petite de ses parties, soumis à une culture rationnelle? Quels prodiges cette terre bénie, que Dieu semble avoir façonnée et ensemencée, ne ferait-elle pas éclore! Il faudrait pour cela vaincre à la fois le préjugé européen, qui fait de cette région une sorte de sauvagerie impénétrable, et l’aberration indigène, qui concentre toutes les forces vives des habitants sur un seul produit, le caoutchouc. De. ré. taie Le k = Y sda : ; E: ade ' LE PAYS DES AMAZONES 199 E 3 O Es pe Que ceux qui craignent les ardeurs d'un climat tropical méditent * pré: ces paroles de M. Wallace (1), qui fut le compagnon du regretté Henry Bates et qui, ensuite, explora tout seul le rio Negro et le rio |. Uaupés: _ « C’est une erreur vulgaire, dit le naturaliste anglais, de croire que, dans les pays tropicaux, la végétation luxuriante anéantit les efforts de l’homme. C'est le contraire qui est la vérité. La nature et le climat ne sont nulle part aussi favorables au laboureur. » Et il ajoute avec sa grande autorité: « J'affirme, sans crainte d'être démenti, qu'ici la forêt vierge peut être convertie en riches pâturages et en prairies, en champs bien cul- tivés, en Jardins, en vergers, contenant toutes les variétés de produits, et cela avec moins de travail, et, ce qui est encore plus important, en moitié moins de temps qu'il ne faudrait chez nous, où, cependant, “Ja terre est défrichée depuis longtemps. Tous les arbres qu'on y plan- terait atteindraient de grandes dimensions en cinq ou six ans, et - beaucoup d’entre eux porteraient des fruits au bout de deux ou trois années. Le café et le cacao y donnent des récoltes abondantes avec | le moindre soin; les orangers et les autres arbres n’ont même pas besoin de ces soins. On y plante des ananas, des melons d’eau, et | aussitôt que le fruit est mûr, on le cueille, sans autre procédé inter- médiaire. On peuttraiter le blé de Turquie et le riz à peu près de la même manière. Des oignons, des fèves et beaucoup d’autres légumes - y poussent d'une façon surprenante. On n’y a jamais besoin ni de … labourer la terre ni de l’enrichir par des engrais, mais, si on le faisait, “il est probable que les résultats seraient encore plus grands. Vaffirme sans hésitation que deux ou trois familles, composées d’une demi- _ douzaine d'hommes et d'enfants travailleurs, qui apporteraient en - marchandises un capital de 5o livres sterling (1,250 francs), seraient - en possession de tous ces avantages au bout de trois ans. En suppo- sant qu'ils s’habituent à la farine de manioc ou de maïs, ils n'au- E i (1) A. R. Wallace: Travels on the Amazon and Rio Negro (1848-49), London, 1853. - LEA 200 LE PAYS DES AMAZONES raient, à l'exception des vêtements, rien à acheter, ni comme objets de première nécessité, ni comme objets de luxe. Ils seraient abondam- ment pourvus de porcs, de bœufs, de moutons, volailles, œufs, beurre, lait, fromage, café, cacao, mélasse, sucre, de fruits délicieux, de tortues et d'ceufs de tortue, et une immense variété de gibier don- nerait à leur table une grande variété de mets. Les légumes non plus ne leur manqueraient pas. Ils trouveraient des fruits, cultivés ou sauvages, d'une abondance au delà de leurs désirs, et d'une qua- lité telle que seuls les riches peuvent se les procurer dans nos pays. Une fois les besoins matériels satisfaits, que de beaux jardins et de belles allées ombragées ne pourraient-ils pas dessiner ! Comme il leur serait facile de construire des serres naturelles sous les arbres des forêts, et de collectionner les plus belles espèces d’orchidées dans le voisinage ! Que de jolies et élégantes avenues de palmiers ne pour- raient-ils pas aligner ! Que de splendides plantes grimpantes n’y trou- veraient-ils pas pour tapisser les murs de leurs maisons et garnir les berceaux de leurs jardins! » Ce tableau, tout poétique qu'il paraisse, n'a rien de forcé. Il est la peinture fidèle du genre de bonheur qui attend le colon de Vavenir. CHAPITRE VI MOYENS DE SUBSISTANCE : Industrie (suite). — L'arbre de vie et de mort. — Diverses espèces de caoutchouc. — La découverte du caoutchouc. — Ce qu'ilest. — k Comment on l'extrait. — La transformation sur place. — Le caoutchouc au point de vue scientifique. — Supériorité des espèces amazoniennes. — Les applications du caoutchouc. — La consommation. — Prix sur place et à l'étranger. — Les colonies européennes et le caoutchouc. — L'exploitation dans le pays. — Développement de la production. — Droits de sortie. — 1 Districts producteurs. — [L'exportation de l’Amazone, en caoutchouc, et | exportation de tous les produits des pays limitrophes. — [a production est due entièrement à des bras nationaux. — Exportation directe pour l'étranger. — Valeur officielle de cette exportation. — Exportation totale de Manúos. — Conséquences du développement de l'exportation. . Indépendamment des moyens de subsistance et des sources de revenus, d'ailleurs relativement peu considérables, que la population amazonienne tire des produits forestiers et agricoles, il existe dans cet Etat une industrie maitresse qui a tué pour ainsi dire toutes les autres et qui, presque seule, fournit largement aux besoins naturels et factices des habitants. Nous voulons parler de l’industrie extractive du caoutchouc. Cette industrie a tout absorbé en elle. Nous craignons que cet exclusivisme économique, s’il se prolonge sous sa forme actuelle, ne x devienne à la longue une cause de rétrogradation morale pour la contrée et une source de mécomptes pour ceux qui s'y livrent. Le caoutchouc est l'arbre de vie et de mort planté par la nature — dans l’'Eden amazonien. Loin de nous la sotte prétention de vouloir - détourner nos compatriotes de ce mode légitime et rémunérateur de production nationale. Nous voudrions seulement, pour obéir aux saines idées économiques basées sur l'expérience des autres peuples, que la répartition des forces productives de notre pays se fit d'une 202 LE PAYS DES AMAZONES manière plus large et plus éclectique. Nous voudrions également ne “ rien écrire qui puisse encourager les émigrants européens, qui demandent en foule à prendre le chemin de l’Amazone, à aller exploi- ter cette richesse naturelle, source de tant d'obstacles à la véritable richesse produite par l’exploitation régulière du sol. 29. — Baraquement d'un propriétaire de Seringal. Ce chapitre n’a donc pour but que de compléter le tableau du pays que nous nous sommes proposé de dépeindre. } La matière malléable connue dans le commerce international sous le nom de caoutchouc est extraite de plusieurs familles de végétaux, dont le nombre grandit à mesure que s'étend l’emploi de ce suc + laiteux. À Les Morées de l’Inde fournissent le Ficus elastica; celles de Java = comptent d’autres variétés de Ficus: Ficus radula, F. elliptica, etc., Li: ii er mis | LE PAYS DES AMAZONES 203 outre l’Lrostigma elasticum de l'Assam, le F. Vogeli, de Konakry, etle F. Rubiginosa d'Australie ; les Morées de l’Amérique du Sud ontle Ficus primoides. L'Amérique Centrale etcertaines régions de l'Amérique Méridionale produisent une sorte de caoutchouc, tiré du Castilloa elastica ou Ulé, du C. Markhamiana, de l’Artocarpus inte- grifolia et du Cecropia peltata, de la famille des Artocarpées. La famille des Asclépiades donne le Periploca greca, de la Réunion. Au Pérou,on exploite, entre autres, le Syphocampylus, qui se retrouve également dans le haut Amazone, mais qu'on ya presque entièrement négligé jusqu'ici. La famille des Apocynées est l’une des plus riches en arbres à caoutchouc; c'est à elle qu'appartiennent le Vahea gum- mifera, le V. Madagascariensis, de Madagascar, de Diégo-Suarez et de la Réunion; le Landolphia Kirkii, le L. owariensis et le L. Klainei, du Gabon, de Zanzibar,de la Casamance et de Fernan-Vaz ; PUrceola elastica et le Willughbeia edulis, des Indes Orientales; le Collophora utilis (Sorva des Brésiliens), "Hancornia speciosa (man- gabeira) et le Cameraria latifolia, de l'Amérique dn Sud. On connait aussi le caoutchouc de Fort-Dauphin, Euphorbia sp.; celui de Fafetone, Calotropis Procera; celui de Lagos, Kickxia afri- cana, et celui de Tolima, Sapium Biglandulosum. Dans quelques régions du Brésil, dans l’Etat de Cearà principalement, on ex- ploite en ce moment avec succès une Euphorbiacée, la Manicoba ou eManihot glaziovii, manioc en arbre à racine féculente et renflée, que les Français appellent Ceara, du nom de PEtat qui le produit en quantité plus grande. Cependant on peutaffirmer que ce sont surtout les Hévés qui ont le privilège de fournir présentement les plus belles qualités et les plus grandes quantités de gomme élastique mise en circulation dans les deux mondes. Au nombre de ces Hévés on signale plus spécialement les suivants : /levea apiculata, H. benthamiana, H. brasiliensis, H. discolor, H. guianensis, H. lutea, H. mem- branacea, H. pauciflora, H. rigidiflora, H. spruceana, etc. Le caoutchouc ou gomme élastique a été appelé au Bresil seringa 204 ! LE PAYS DES AMAZONES ou borracha. Le Père Manoel da Esperança, qui, bien avant de La Condamine, l’avait trouvé en usage chez les Indiens Cambebas, le baptisa, dit-on, du nom singulier de seringa. Ayant remarqué que ces intelligents sauvages s'en servaient pour en confectionner des bouteilles et des boules en forme de seringue, le bon Père fit appel à 30. — Carbet d'un ouvrier seringueiro. ses figures de rhétorique et désigna sous lenom de seringa la subs- tance qui servait à la fabrication de ces menus objets domestiques. De là vient la dénomination de « seringuiers » ou seringueiros que gardent encore aujourd’hui dans l’Amazone les extracteurs de ce suc laiteux, et celle de seringaes donnée aux exploitations forestières où ils recueillent par incision cet or végétal. Quant au nom de caoutchouc, sous lequel ce produit est connu en» France, il y a été apporté par l’astronome de La Condamine. Dans LE PAYS DES AMAZONES , 205 un mémoire présenté à l’Académie des sciences de Paris, en 1745, à son retour de l'Amérique du Sud, où il avait été envoyé afin d'y mesurer un degré du méridien, il apprit à la docte Compagnie que les Indiens Omaguas du fleuve des Amazones, au sud-est de Quito, donnaient le nom de « cahuchu » à une résinetirée de Parbre Hyévé ; d’où l’on a fait la Hevea guianensis. De La Condamine doit donc être considéré comme le parrain et l’introducteur du caoutchouc en France. L'India rubber des Anglais est postérieur. Le caoutchouc est contenu dans le suc laiteux des arbres que nous avons cités plus haut et de plusieurs autres, que l’on trouve dans les forêts amazoniennes où ils poussent sans culture. Il s’y trouve sous forme globulaire.Ces gouttelettesen suspension ressemblent, lorsqu'on les retire, aux globules graisseux du lait etsont composées d'albumine végétale. Pour faire couler la gomme, autrefois l’on ceignait l’arbre d’une liane, attachée obliquement à 5 ou 6 pieds du sol, et l’on faisait de petites incisions sur l'écorce au-dessus de l’endroit attaché. En cou- lant, la sève trouvait un obstacle dans la liane etse dirigeait toute vers le même point, en bas, où on la recueillait dans un vase en argile. Ce système primitif et barbare, qu'on appelait arrôcho dans le pays, est abandonné depuis de très longues années. Il a été remplacé dans l'Amazonie par un autre système, celui des tigelinhas ou des petits gobelets. Voici en quoi il consiste : l’ouvrier, le seringueiro, part de son baraquement le matin, chargé de tout son attirail professionnel. Auparavant il a eu soin d'étudier le terrain, de reconnaître les arbres à caoutchouc qui se trouvent disséminés sur Pexploitation où il travaille, pêle-mêle avec d'autres essences fores- tières. Sur ce terrain sont tracés des chemins, des estradas, souvent en zigzag, peuplés à droite et à gauche de l'arbre précieux. Arrivé sur son estrada, il pratique, au moyen d’une hachette ou « macha- dinha », sur chaque tronc d’arbre à caoutchouc, dans toute l'épaisseur de l'écorce, des incisions ne dépassant pas un pouce, généralement. TMS Ny LA dé. Malte 206 LE PAYS DES AMAZONES Sur le bord inférieur de chacune de ces blessures, il adapte preste- ment, presque toujours au moyen d’une argile à demi-plastique, de petits gobelets en fer blanc. Cette besogne se fait le plus souvent le matin, jusqu’à 11 heures. A midi, à peu près, les gobelets sont presque pleins du suc visqueux. L’ouvrier les retire, déverse leur contenu liquide dans un seau, qu'il transporte sur la terrasse du barracão ou carbet. L'extraction est terminée; la coagulation va commencer par l’en- fumage. Sur la terrasse, on lui a déjà apprêté un fumeiro ou fumoir, espèce de four à reverbère, muni à son extrémité supérieure d’un tuyau de cheminée par où doit s'échapper la fumée abondante produite en brûlant les fruits de certaines essences. Dans le rio Purús, on se sert pour cette opération des fruits de l’urucury (Attalea excelsa); dans le rio Autaz, de ceux du palmier yuduassk (Manicaria saxifera) ; à Manacapurú, dans le rio Jahú et en d’autres endroits où ces deux palmiers sont plusrares, on se sert de brandilles du bois de certains arbres spéciaux, tels que le carapanáúba et le paracúúba. Le feu allumé, l’ouvrier prend une palette ou spatule en bois,sem- blable à une grande férule ; il la trempe à plusieurs reprises dans le seau, où le suc, qui deviendra bientôt le caoutchouc du commerce, apparaît comme une crême épaisse, et il laisse son moule exposé à l’action de la colonne de fumée pendant quelques instants. La partie liquide s'évapore immédiatement, et il se forme sur le moule une mince couche de gomme élastique. L'ouvrier répète la même opéra- tion, et obtient ainsi des couches successives, des stratifications élas- tiques et régulières d’une certaine épaisseur et sans la moindre impu- reté. Dès qu'il en a la quantité voulue et déterminée par l’usage, il coupe la boule de caoutchouc, au sommet, avec un couteau dont la lame est mouillée, donne deux coups sur les côtés du moule, en retire ainsi la plaque épaisse de caoutchouc qu'il vient de coaguler, et l’expose au à LE PAYS DES AMAZONES 207 soleil, où elle prend la teinte noirâtre qu’elle garde en venant sur les marchés. Si Pouvrier a exécuté son travail consciencieusement, le caoutchouc 31. — Panoplie d’un ouvrier seringueiro. qu'il vient de produire ne contient aucune matière étrangère et forme la qualité fine. S'il n’est pas tout à fait pur, il forme le moyen fin. Les déchets deviennent le sernamby. Certaines espèces ne peuvent pas être travaillées de cette manière, car Parbre, après l’incision, serait attaqué par des vers et mourrait. Il faut donc les abattre et en recueillir le suc dans un canal de liane es 208 LE PAYS DES AMAZONES où il secoagule et devient le caucho, qualité inférieure et qui n'est exploitée dans l’Amazone qu'incidemment et comme appoint. L'Amazone tient à ne produire que des qualités supérieures. Tous ces procédés, on le voit, sont assez simples. Il est plus facile d'obtenir du caoutchouc que de fabriquer du beurre et des fromages. Un enfant peut se livrer à cette industrie rudimentaire. Dans ces derniers temps, on a pensé à mettre à profit, non plus seulement le suc laiteux de la siphonia, mais ses feuilles, dont on extrairait une matière malléable ayant des propriétés analogues. Une Compagnie anglaise, qui exploite déjà la gutta-percha par ce procédé de la manipulation des feuilles, se livre à des essais qui, s’ils venaient à réussir, transformeraient de fond en comble cette industrie. Quoiqu'il en soit, nous ne doutons pas que bientôton ne parvienne à dessécher convenablement et à épurer le produit sur place. Pour- quoi même des usines ne se fonderaient-elles pas dans le voisinage de cette matière première, pour la manufacturer ? N'exploiterait-elle que les marchés brésiliens, que son champ d'activité serait encore assez vaste. Le caoutchouc de l’Amazone paie à la sortie des droits qui sont, en moyenne, de près de 20 o/o. Il faut compter les frais d'embarquement, d'assurance, de transport et de débarquement au port d’arrivée en Europe. Dans quelques pays il doit acquitter des droits d’entrée. Puis, il y a le bénéfice des intermédiaires. Une fois manufacturé, il doit payer de nouveaux droits, le port et l'assurance jusqu’au Brésil, qui, après avoir produit la matière première, la rachète, transformée, avec une surcharge de plus de 1000/0. La marge est assez large pour tenter les capitaux européens qui vou- draient implanter des usines sur place. Il y a près de quarante ans, un M. Strauss prit un brevet pour un système de coagulation au moyen d’une dissolution de pierre ponce (sulfate double de potasse et d'alumine). Le gouvernement brésilien acheta le brevet et le mit dans le domaine public. Le caoutchouc ainsi obtenu prenait une teinte rouge jaunâtre. En 1883, M. Macedo LE PAYS DES AMAZONES 209 Bentes de Parä, présenta des échantillons de caoutchouc préparés d’après un procédé pour lequel il obtint un brevet. Nous avons eu l'occasion de voir ces échantillons, qui semblaient avoir résolu ce triple problème : expulsion de l'humidité, qui augmente inutilement le poids de la gomme élastique; absence de matières étrangères, qui aiminuent la valeur marchande du produit; facilité de transport, car ce caoutchouc était préparé sous forme de feuilles de o m.06 d'épais- seur.Nous-même, nous avons obtenu un diplôme d'honneur à l’expo- sition universelle d'Anvers, en 1885, comme introducteur de ce système. Depuis, on l’a presque entièrement abandonné, les fabri- cants craignant que ce mode de préparation n'enlève au caoutchouc ainsi obtenu une partie de son élasticité. Le caoutchouc est, comme l’on sait, un corps mou, flexible et élas- tique à une température de 10 degrés. Au dessous de zéro, il perd son élasticité et devient dur sans être cassant ou pulvérulent. On le dit alors gelé. Il a l’immense avantage d’être inperméable à l’eau et pres- que inaltérable à Pair. Lorsqu'il n'est pas desséché par la fumée dont on se sert pour le préparer, comme nous l’avons vu, il se présente sous une forme blanche et translucide. En pressant l’une contre l’autre deux surfaces de caoutchouc fraichement coupé, elles se ressoudent assez facile- ment. Il brûle avec une flamme éclairante et fuligineuse, d'une odeur assez désagréable. Les Indiens s’en servaient jadis pour s’éclairer. Si on le soumet à une température de 235 degrés, il fond, et, distillé en vase clos, il fournit de 88 à 92 o/o d’une huile renfermant divers car- bures d'hydrogène. La gomme élastique se ramollit et se gonfle dans l’eau bouillante, mais est insoluble dans ce liquide. de même que dans l’alcool. Cepen- dant elle se dissout dans l'essence de térébenthine, dans la benzine, le pétrole purifié, le chloroforme, et, surtout, dans le sulfure de car- bone. Une addition d'alcool dans la solution éthérée détermine, lors- qu'on traite le caoutchouc, un précipité laiteux, analogue au súc 14 210 LE PAYS DES AMAZONES naturel.On peut également conserver le suc laiteux pendant longtemps dans une solution de térébenthine. Jusqu’à présent, on n’a guère pu réussir à le teindre qu’avec l'or- canète et certains dérivés de l’aniline. 32. — Ouvrier seringueiro à la recherche de fruits de palmier pour enfumer le caoutchouc. La constitution chimique du suc laiteux qui le fournit et le tient en suspension est assez complexe, et se rapproche de celle des résines et des essences. Il offre, d’après Faraday, la composition sui- vante : Caoutchouc Ar 31.70 Albumine végétale. . . 1.90 LE PAYS DES AMAZONES 211 GES ET. Traces Matière azotée amère, so- luble dans l’eau et in- soluble dans Palcool. 7-13 Matière soluble dans l’eau etinsoluble dans l'alcool 2.90 Eau acidulée 56.37 Lotal M roa.00 Quant au caoutchouc lui-même, il semble constitué par des car- bures d'hydrogène qui sont ses principes immédiats. Il renferme 7.2 de carbure e1 12.8 d'hydrogène. Sa densité est égale à 0.925. Il s’agit là du caoutchouc en général. Le caoutchouc de l’Amazonie en particuiier doit sa supériorité, non seulement à son mode de pré- paration, mais encore à ce fait qu'il est supérieur aux caoutchoucs de toute provenance par son élasticité plus grande, par la moindre pro- portion d’eau et de substances diverses qu'il contient, et par la moindre perte qu'il subit dans la préparation, son poids spécifique étant le plus petit de tous. Sa plus grande élasticité est connue de tous les fabricants. La proportion d’eau et de substances diverses qu'il renferme n'est que de 68.30 o/o, tandis que celle du Ficus elastica, par exemple, est de 90.43, de sorte que le suc laiteux de la siphonia amazonienne contient 31.70 de caoutchouc proprement dit, celui du Ficus n'en renfermant que 9.57. Enfin, dans la préparation de la matière première brute, le caout- chouc amazonien perd à peine 12 o/o, tandis que la perte de toutes les autres sortes oscille entre 17 o/o, pour les belles qualités de Loanda, et 35 o/o pour le Bornéo. Même les déchets des caoutchoucs de l’Amazone, le sernamby, ne perdent que 25 o/o, alors que le caoutchouc de Madagascar perd 28 o/o et celui du Gabon 35 0/0. Le caoutchouc conduit mal le calorique et pas du tout l'électricité. L'hydrogêne le traverse à la longue. Les acides azotique et sulfurique Pattaquent. Ces propriétés physico-chimiques du caoutchouc ont été 212 LE PAYS DES AMAZONES découvertes peu à peu et ont beaucoup contribué à élargir le champ de ses applications. Les premiers emplois du caoutchouc se bornaient, en effet, à des usages élémentaires : on s’en servait pour effacer par frottement les 33. — Ouvrier seringueiro en costume de travail. traits du crayon et nettoyer le papier. Ce n’est que progressivement que l’on a eu l’idée d'utiliser ses deux grandes qualités: Pélasticité et l’imperméabilité, sans parler de sa qualité négative de mauvais con- ducteur. Dès 1785, Charles, le physicien français qui, le premier, appliqua l'hydrogène aux aérostats, enduisit son aérostat d’une couche de caout- LE PAYS DES AMAZONES 213 chouc dissous dans l’essence de térébenthine. Dès 1790,0n commença à l’étendre sur des tissus et à en fabriquer des ressorts. En 1820, Nadler mêla des filaments minces de caoutchouc dans la trame même des tissus. Ensuite, Mackintosh fabriqua les fameux manteaux qui portent son nom, en collant ensemble deux pièces de mérinos par l'intermédiaire d'une couche de gomme élastique. Le champ était ouvert. Depuis lors, l'emploi de cette matière s’est considérablement étendu et vulgarisé. Aujourd’hui, on fabrique avec le suc amazonien des tubes à gaz pour les laboratoires, des tuyaux d'arrosage, des cordes, des fils, des plaques, des sondes employées en chirurgie, des ballons pour enfants, des vernis pour estampes et cartes de géographie, des éponges, des tissus élastiques — bretelles, jarre- tières, ceintures abdominales, bas à varices, etc., — des tissus imper- méables, des appareils de sauvetage et quantité d’autres objets. Le caoutchouc fournit également quelques huiles. Les peintures sur toile sont rendues inaltérables et nacrées par un mélange de cette substance qui donne, en outre, une colle adhésive, connue sous le nom de glu marine ou colle navale. L'un des plus grands progrès qui ait été réalisé dans cette branche de l’industrie date de 1842. Deux Anglais, Broding et Hancock, découvrirent alors que le caoutchouc, combiné avec une petite quan- tité de soufre, acquiert la propriété de conserver son élasticité d’une manière égale et proportionnelle aux diverses températures atmos- phériques. Cette préparation a été appelée volcanisation ou vulcanisa- tion. Grâce à des perfectionnuments ultérieurs, introduits par Luders- doff, par Gérard, Parkes et bien d’autres, on obtient de nos jours des vases imperméables à l’eau, à l’étuve, etc., des rouleaux d'imprimerie, des tubes et des tuyaux de conduite, des tampons de chemins de fer, des bandes de billards, des porte-cigares, des brosses à dents, des jouets d’enfants, des blagues à tabac, des chaussures, des coussins, des dentiers, des courroies, des genouillères, des rondelles de sou- 214 LE PAYS DES AMAZONES pape, du cuir factice et des meubles divers, sans parler des tapis faits de caoutchouc vulcanisé, de bourre de coton et de liège, ainsi que de la parchemine. L'usage des roues de voitures caoutchoutées et la vul- garisation de la byciclette dans tous les pays ont développé la con- sommation du caoutchouc d’une manière extraordinaire pendant ces dernières années. En 1807, le Royaume-Uni seul importa de toutes les provenances — Amérique, Afrique, Asie et Polynésie — 15,000 tonnes de caout- chouc, d’une valeur de 5,000,000 de livres sterling ou 125,000,000 de francs, Manchester étant le principal centre consommateur. Pendant la même année, les industries allemandes absorbèrent 9.000 tonnes de caoutchouc. Ces deux chiffres donnent une idée du développement de la consommation, qui est de 50,000 tonnes environ par an. Poursuivons notre historique de l’utilisation de ce suc laiteux. En 1848, un Américain du Nord, Charles Goodyear, reconnut que, si l’on force la proportion de soufre, on enlève au caoutchouc son élasticité : le caoutchouc durci était inventé, sous le nom de vulca- nite ou d'ébonite. Le caoutchouc réduit en pâte, à une température de 150 degrés, et mélangé avec un cinquième de son poids de soufre, acquiert, en effet, la dureté de l’ébène et le poli de l’écaille. Sous cette forme, on l’emploie pour les meubles, les moulures, les boutons de porte, les crosses de fusil et de revolver, pour les manches de cou- teaux, les cadres, etc. En mélangeant à cette pâte des couleurs minérales en poudre, non susceptibles de se sulfurer au contact du soufre, on arrive à produire des imitations on ne peut plus variées de marbres, d'agates et de pierres précieuses. Telle est la marche industrielle suivie par cette matière, qui verse des millions, non seulementdans toutela vallée de l'Amazone, mais encore dans les coffres-forts des fabricants étrangers, en Angleterre,aux Etats- Unis de l'Amérique du Nord, en France, en Allemagne, en Belgique et et ailleurs,car elle est exportée du Brésil à l’état brut : c'estune matière ds Dar o A LE PAYS DES AMAZONES 215 première que l’étranger transforme et qu'il nous vend après Pavoir manufacturée. De 1825 à 1840, le caoutchouc de l’Amazone était préparé pour l'exportation sous forme de souliers ‘grossiers. Les acheteurs étran- 34. — Ouvrier seringueiro marchant à travers le seringal. gers s’en plaignirent, et cette forme bizarre finit par disparaître vers 1855. Aujourd’hui, le caoutchouc est expédié soit en feuilles, soit en grosses boules plutôt ovoïdes, et il est classé, dans les pays de pro- duction, en quatre catégories principales : le fin (fina), le moyen fin (entre-fina), le sernamby et le caucho. Ces quatre sortes atteignent des prix divers, qui ont augmenté, 216 LE PAYS DES AMAZONES depuis moins de trois quarts de siècle, depuis 1825, dans la propor- tion de 300 à 3,100, les prix du caoutchouc amazonien obtenant tou- jours une cote beaucoup plus élevée que celle du caoutchouc des autres provenances. Cette supériorité du caoutchouc de l’Amazonie sur celui des autres pays de l'Amérique, de même que sur ceux des Indes, de l’Afrique et de l'Océanie est due aux causes que nous avons exposées plus haut. Sur le marché de Manäos, comme les droits de sortie doivent être perçus ad valorem, selon la valeur três variable du produit, une com- mission est chargée d'établir la cote chaque semaine, et pour le faire elle se guide d’après des renseignements puisés auprès des grandes maisons d'exportation, c’est-à-dire d’après les informations des intéressés. Cette cote hebdomadaire établit le prix de chacune des 4 sortes, les différences entre chacune de ces 4 qualités variant énor- mément. En juin 1805, par exemple, entre le caoutchouc fin ou de ire qualité et le sernamby ou caoutchouc de 3° qualité, la différence était de 28 à 29 0/0, et la différence entre le fin et le caucho ou caout- chouc de la dernière qualité allait jusqu’à 41 ou 42 o/o. En mars 1896, la différence entre les prix de la 1'° qualité et ceux de la 3º et 4º sortes était respectivement de 32 1/4 o/o et de plus de 52 1/2 o/o. Au contraire, l’écart entre le prix du caoutchouc fin et le moyen fin (entre- fina) est toujours petit, et oscille entre 5 et 8 o/o. ; Les prix du caoutchouc fin ont été à Manãos : en mars 1896, de 6,200 réis par kilo; en mars 1897, de 7,000 réis; en mars 1898, de 9,350 réis; eten janvier 1899, de 10,000 réis. Voici, d'ailleurs, la cote à Manäos le 11 janvier 1899, par kilo : Fin. se SERA SDS é 10.000 réis MOYEN AN os tati ata vio cs 9.000 — SJ TIE Po gone rosas DO capo 7.700 — Gaúcho. e srs a ee 6.500 — Sur les marchés anglais, la première qualité, dénommée fine Para Rubber, était cotée, au commencement de l'année 1898, 3s 7d par LE PAYS DES AMAZONES 217 livre. Les prix montèrent graduellement, de sorte qu’en juillet ils étaient de 4s 5 d par livre. A la fin de l’année, ils n'étaient plus que de 4s 1d. Mais, du 1” au ro février 1899, la cote était la suivante sur les marchés anglais, par livre : Bar tinen ee berne 4s 2dà4s2d 1/2 Negrohead (sernamby)...... 3s 7dàa3s8d 1/2 Colombian..... SO SG ETE OU 3s qda3sgd Bicuador A eira o seis ali = 3s oda3ssd Central American........... rsioda3sgd Sur la place de Pará voici les cotes moyennes et les cotes extrêmes pendant les cinq dernières années : COTES MOYENNES pu CAOUTCHOUC sur La PLACE pe PARA De 1893 à 1898, en reis papier. ANNÉES CAOUTCHOUC FIN Sernamby ou Negrohead LSQIEOA a onto creo to é De 4.951 à 5.142 réis... De 2.911 à 3.254 réis MAO DD een ee O sys [ENIO Rebe Mo En » 3.271 » 3.649 » 1895-06. -:2. > » 50595. 642800) 2. » 3.062 » 3.372 » 1896-07 ....... En RA O a 070 LE » 3.811 » 4.331 » ESO= 08 nes ae DO AONDRTO 1220 » 5.502 » 6.030 » COTES EXTRÈMES ou CAOUTCHOUC sur La PLACE pe PARA De 1893 à 1898, en reis papier. ANNÉES CAOUTCHOUC FIN SERNAMBY OU NEGROHEAD 1803-04, Plus haut 5.755 réis Plus bas 4.125 réis Plus hat 3.069 réis Plus bas 1.976 réis 1894-95. — 6.468 » — 4.506 » — 4.193 » — 2.312 » 1895-96. — 7.925 » — 4.975 » — 4.134 » — 2.577 » 1896-97. — 8.812 » — 6.150. » — 5.925 » — 3.056 » 1897-98. — 12.970 » — 8.150 » — 8.270 » — 4.043 » En Europe, les trois principaux marchés du caoutchouc sont pré- sentement Londres, Anvers et Hambourg. Gênes deviendra sans doute un entrepôt destiné à desservir l'Italie, l'Autriche et la Suisse, si la « Ligure Brasiliana » trouve auprès des gouvernements de Pará- et de l’Amazone l'appui dont elle est digne. Le commerce français se “a, 218 LE PAYS DES AMAZONES préoccupe également à juste titre d'avoir un marché national au Havre, bien qu'il le veuille alimenté principalement par les caout- choucs de provenance française. Dans ce but le gouvernement fran- cais songe à frapper d'un droit différentiel les caoutchoucs dirigés sur les marchés étrangers, à la sortie de chaque colonie. En même temps, les diverses métropoles européennes font des efforts pour acclimater dans leurs colonies chaudes diverses espèces de caoutchouc brésilien. Le Journal Officiel de l'Afrique Occidentale du 16 février 1809 donne les nouvelles suivantes sur les essais tentés dans le cercle de Dakar-Thiès avec le Ceara ou Manihot Glaziovii: « Le ceara se multiplie par semis et boutures. Dans le jardin de la Mission se trouvent plusieurs plants vigoureux venus de boutures: Dans celui de la Résidence il y a 260 jeunes cearas provenant de semis faits en juillet et en août derniers. A Toul, il en existe une trentaine de toute beauté. Une vingtaine d’autres sont à l’essai près de l’école. » M. Eugène Poisson, chargé de mission du gou- | vernement, a annoncé (1) qu'il avait expédié en France 150.000 graines d'Hevea de l’Amazone, pour être retournées à l’état de jeunes plants aux colonies. L'exploitation du caoutchouc n'est pas faite de la même manière dans toute la vallée de l’Amazone; les usages varient un peu d’une rivière à une autre. Dans le Purüs, par exemple, qui compte parmi les rivières qui produisent le plus de caoutchouc, le propriétaire des terres les fait démarquer et délimiter à ses frais, installe les baraque- ments et maisons d'habitation, transporte les ouvriers à ses frais jus- qu'au Seringal, et ceux-ci exploitent les arbres et recueillent la sève en gardant 50 o/o du produit du caoutchouc recueilli. Il est vrai que le propriétaire se rattrappe en fournissant à ses ouvriers tout ce dont ils ont besoin: vêtements, chaussures, aliments, boissons, etc. Seul il leur vend ces marchandises sur place; il attend, pour en être payé, (1) La Nature, nº du 25 février et du 4 mars, Paris, 1899. LE PAYS DES AMAZONES 219 le produit de la récolte de caoutchouc, en les débitant sur ses livres. Sur ces marchandises, il touche de 10 à 15 o/o; quelques-uns touchent davantage, de sorte que, sur la récolte totale, le propriétaire, ayant fait toutes ces avances, n'arrive à toucher net que 60 à 75 o/o. 35. — Ouvrier seringueiro saignant l'arbre à caoutchouc Sur la place de Manäos, toutes les affaires se traitent au comptant. Le propriétaire arrive avec sa cargaison; on la classe, selon les 4 caté- gories admises — fine, moyenne fine, sernamby, caucho ; — on la pèse et on la paie comptant. C'est alors seulement que le proprié- taire fait ses comptes avec les ouvriers de son exploitation et rentre dans les avances qu'il leur a faites dans l’intervalle de deux récoltes. 220 LE PAYS DES AMAZONES Ce système, tout étrange qu'il puisse paraître, ne doit pas être des plus mauvais, puisqu'il a permis à la production de s'élever cons- tamment. De 1858 à 1862, pendant une période de cinq ans, "Amazone a exporté 67,881 1/2 arrobes de caoutchouc, soit 997,380 kilos. De 1863 à 1868, pendant une nouvelle période de cinq ans, l’expor- tation s’est accrue sensiblement, puisqu'elle a été de 229.125 arrobes, soit 3.365.848 kilos. De 1876-77 à 80-81, pendant une troisième période de cinq ans, la quantité exportée s’est élevée à 12.280.532 kilos. Mais, c'est surtout pendant ces neuf dernières années que l’expor- tation de cette matière première précieuse a pris un développement surprenant, et, bien que la production ait augmenté extraordinaire- ment, les prix n’ont pas cessé de monter. Le tableau suivant va nous en donner une idée: EXPORTATION DE CAOUTCHOUC DE L’AMAZONE Par périodes de 3 ans (PorT DE MANAOS SEULEMENT) Valeur officielle Période de 3 ans Quantités en kilogs. Augmentation en contos. Augmentation De 1887 à 1889....... 011-094 ass ere 43:13 000 a — 1890 à 1892......- 11.272.054. 1.760.060. 56.835. 13.699. — 1893-04 à 1805-06. 27.671.456. 16.398.502. 146.523. 89.688. En neuf ans, la quantité exportée a triplé et la valeur officielle en a plus que doublé. Ces chiffres ont besoin d'être étudiés de plus prês. En effet, le caoutchouc exporté par le port de Manãos se décom- pose ainsi : 1º Caoutchouc exporté à destination d'autres ports brésiliens et principalement à destination de Pará, soumis à 2: o/o de droits ad valorem (1): (1) Loinº 222 du 16 avril 1898, sur la Recette et la Dépense de l'Etat, Manãos, Im= prensa official, 1808. LE PAYS DES AMAZONES 221 2° Caoutchouc exporté directement de l’Amazone pour l'étranger, sans passer par l’entrepôt de Pará, et acquittant seulement 18,5 o/o ad valorem, la prime de 2,5 o/o étant destinée à favoriser l'exporta- tion directe de l’Amazone pour les ports d'outre-mer, sans l’inter- médiaire de Parà ; 3° Caoutchouc exporté directement pour l'étranger et provenant du rio Abuná et de ses affluents, 10 o/o de moins que le caoutchouc des autres provenances ; 4º Caoutchouc provenant de la rive brésilienne du Javary, qui, jusqu’à l’année 1897, payait à peine 8 o/o ad valorem, afin de décou- rager la contrebande qui se pratique d’une rive à l’autre, car, comme on sait, la rive droite de ce cours d’eau appartient au Pérou ; 5° Enfin, caoutchouc provenant des Républiques limitrophes (Bo- livie, Pérou, Venezuela, etc.) et passant par les ports de l’Amazone sans être assujetti à aucun droit de transit. Cette dernière catégorie n'apporte aucune contribution aux recettes de l'Etat, quoique l’on y ait la certitude qu’une partie de ce caoutchouc est dénationalisée pour échapper aux impôts de sortie. Pendant l’année 1803, sur laquelle nous possédons des chiffres officiels détaillés, voici quelle fut la répartition de ces diverses catégo- ries : Quant. en kilogr. 1º Exportation directe de Manãos pour l'étranger. 4.049.317 2° Exportation par Pentrepôt de Pará........... 5.496.668 Ainsi, pendant cette année là, il est sorti du principal port de PAmazone, en tout, 9.545.985 kilogr., d'une valeur officielle de 46.563 contos ou millions de réis. Dans ces chiffres ne figure pas Pexportation des Républiques limitrophes. Bien plus : tandis que la production augmente à vue d’œil sur toutes les rivières, la contrebande opère le miracle de la diminution à jet continu sur la rive brésilienne du Javary. C’est ainsi que, pendant le premier semestre de 1806, la production de cette pro- 222 LE PAYS DES AMAZONES venance avait été de 422.332 kilogr. d’une valeur officielle de 2,392 contos. Or, pendant la période correspondante de 1897, elle ma plus été que de 112.649 kilogr..d'une valeur officielle de 825 contos, Il est urgent de mettre un terme à ces fraudes éhontées, qui dureront tant que le gouvernement fédéral n'aura pas signé de nouveaux | traités de commerce avec les Républiques voisines. En 1882, lorsque nous donnions pour les deux provinces = aujourd’hui Etats — de l'Amazone et de Pará, conjointement, une | exportation de 13,800.000 kilogr., le savant M. Emile Levasseur sembla mettre en doute ce chiffre, qui ne lui paraisait pas en rapport avec la population ciair-semée des deux provinces. Il peut constater maintenant que l’Amazone, à lui seul, est en train d'exporter près de. 10 millions de kilogr. par an. Voici en effet, pour l’année 1892, la provenannce des 9.371.111. kilogr. de caoutchouc entrés dans le port de Manäos pour en être | exportés, ces chiffres ne comprenant pas les provenances des Répu- bliques limitrophes, passées en transit, mais uniquement le caout- chouc amazonien-brésilien : D EO PR EUDES ep PE TE Else 3.459.455 Su ==> SJUGUA me LAON De e E = 3er 2.087.817 2 — ‘ Madeira...... Se CES => Rs at 55 1.570270 4. ,— Javary (rive brésilienne). — ...... 1.032.849 5 = E SolixaGes ES En. SEDE RIC 949.511 [o EEN CETO: «ca saldo q Te TR Se 221.930 7 —eMIUtARV ee Re Tee jeto aa USE 56.083 SNA AMAZONAS saga ete cr — ca 3.895 KES 9.371.111 Ce chiffre, qui tend d’ailleurs à augmenter rapidement d'année en année, donne, pour une population de 147.915 âmes, une pro= duction de 63 kil. 35 par tête d'habitant. Cette exportation avait, sun change s’étant maintenu, pendant cette année-là, à une moyenne de t2 © | LE PAYS DES AMAZONES 2 12 d. par 1 # 000 réis papier, cette exportation représentait, en tout, liv. st. 2.176.450 ou, au change de 25 fr. 10 par livre sterling, 54.628.905 francs, donnant une moyenne de près de 370 francs par tête d'habitant ! 36. — Ouvriers seringueiros recueillant le lalex de l'arbre à caoutchouc. Cette moyenne de production par tête d’habitant ressortira encore mieux si nous la comparons à celle des pays indépendants et des colo- nies qui avoisinent l'Etat de l’Amazone, en faisant remarquer que, pour cet Etat, nous ne tenons compte que de l’exportation d’un seul produit — le caoutchouc,—tandis que pour tous les autres nous englo- w 224 LÉ PAYS DES AMAZONES bons l’exportation entière de tous les produits et de toutes les mar- chandises : Noms des Pays Population Montant de l'Ex- portation en francs Valeur de l'Exporta- tion par tête d'ha- bitant en francs aison avec l'Etat de l’Amazone. Compar Venezuela) da ee 2.323.527 hab.|86.420.615 fr. -| 1.189.800 3.320.530 147-915 .298.400 » .817.730 » 028.905 » «597.520 » un SORO 1.202.200 Guyane Britannique (7)| 278.328 Gouvt. de Surinam (8).| 66.037 59.000 2 02.100 » | 113 VI LO LI Qt E 7 74 Ces données révèlent sous un jour tout à fait favorable la vitalité productive du pays des Amazones. Ce phénomène économique surprendra bien plus encore si l’on considère qu'il ne dépend aucunement de l’élément étranger, repré- senté dans l'Etat par un petit nombre d'hommes qui se livrent sur- tout au commerce. Ce sont des Brésiliens seuls — indigènes de l'Etat ou immigrants d’autres régions du Brésil, surtout de Ceará — qui ont concouru à ces étonnants résultats. Le travail esclave n'est jamais entré pour rien dans cette production. A l’époque où l’insti- tution maudite existait encore, " Amazone comptait à peine un millier ) En bolivars, le bolivar à 1 fr. ) En bolivianos, le boliviano à 3 fr. 12. ) En pesos, le peso à 5 fr. ) En réis, le mille réis à 12 pence, change moyen de l’année 1892. (5) En soles, le sol à 3 fr. 12. (6) En sucres, le sucre à 5 fr. (7) En livres sterling, la livre sterling à 25 fr. 10. (8) Données insuffisantes. En 1892, la Guyane néerlandaise accusa un déficit 435.132 florins de Hollande. LE PAYS DES AMAZONES Ho 5 d'esclaves, affranchis, d’ailleurs, depuis le 10 juillet 1884, quatre ans avant que l'abolition totale fût décrétée au Brésil, et tous les districts producteurs de caoutchouc réunis ne possédaient pas même 500 esclaves, employés presque tous, du reste, dans le service domes- tique et aussi dans l’extraction des produits forestiers. Dans tous les municipes du rio Solimôes, qui comptait alors parmi ceux qui produi- saient le plus de caoutchouc et qui fournissait incontestablement le plus de cacao et de poisson sec, il n’y avait, avant l'abolition, que 51 esclaves. Les chiffres que nous avons cités plus haut méritent qu'on s’y q À arrête un instant, et qu'on écoute attentivement leur éloquence. Nous avons donc vu, en dix ans, de 1858 à 1868, la production du caoutchouc se développer dans une proportion extraordinaire, sans l’aide de l'immigration étrangère, l'exportation, durant cette période, ayant atteint 4.363.228 kilogr. Quelque exceptionnelle qu'ait été cette progression décennale, elle n’était pour ainsi dire que le signal e d’une production plus exceptionnelle encore. En effet, l'exportation d’une seule année fiscale, celle de 1881-82, l’a presque égalée comme quantité, et, grâce à la hausse des prix, elle l’a dépassée de plus du | double comme valeur. Mais laissons de côté la production d'il y a trente ans. Considérons les années les plus rapprochées de nous. Les mêmes phénomènes sont plus caractéristiques encore, s’il est possible. Ainsi, la valeur officielle du caoutchouc exporté pendant les deux années fiscales 1877-78 et 1878-70, années des plus prospères, fut de 6.610 contos. Or, la valeur officielle du même produit exporté pendant un seul semestre de l’année 1882-83 dépassa le total de la valeur de ces deux années réunies, d’une somme de près de 360 contos. Ce n'était, malgré tout, qu'un brillant commencement. 226 LE PAYS DES AMAZONES Les trois tableaux ci-après feront mieux constater la progres- sion des dernières années. | | | 37. — Ouvrier seringueiro revenant de son travail dans la forêt. Le premier de ces tableaux nous présente l'exportation faite direc- tement de Manäos pour l'étranger, sans passer par le port de Pará. Le deuxième tableau donne la valeur officielle de cette exportation directe. Le troisième, enfin, montre l’exportation totale opérée par le port. de Manäos et comprend toutes les destinations. LE PAYS DES AMAZONES 227 E xportation de caoutchouc du port de Manäos envoyé directement à l'étranger. (en tonnes). ETATS CO SES ee PEUT ee ie 374. tonnes. HE RCI oe careta É SD CE a RA A 307 » RTS ES PARA Tao RSS ion Nao ate aura ais feet Rue à à 430 » à NELE ot Beer eo AU ve no e 665 » EV tr ee en LA ES co eo DAE ERR TERRE 1.013 » à PEA RE q E AE Re 1.462 DA BD ed aro astra ENS e SRA 1.574 » De TT AUD SLR ME TEE NT EEE 1.688 RTE OO Me nc IES E Delon de 2.141 » \ DAS SO en rer ce 070 oito ed es é ado 3.255 0 7 MES A ET ER EN E 3.693 DATE OT he cree eee de ea ee 3.991 » PRESO er Dr ro SIERRA e Tee E 3.812 » LO SE EC TER OL ESSOR TERME 4.745 NS RON CEE ARE EEE DÉCRET 3.753 ) D NÉ De o EIA O EMO O RS GRE DO NE 5.433 » 4 eo ea p a SR BRA eine a ete ee 6.827 » » 1897 (18 semestre seulement) 4.285 » Il suffit de regarder ce tableau pour voir à quel point le port de Manäos a développé son commerce direct avec l’Europe et les Etats- Unis, en s'affranchissant de plus en plus de Pintermédiaire du port de Pará. Si, au lieu de considérer l’année civile, nous examinons les chiffres de l’année fiscale, nous trouvons que le port de Manáos a exporté directement pour l'étranger : 3.647.795 kilog. de caoutchouc en 189-495 contre 4.347.606 pour Pará 4.745.686 » » 1895-06 = 3.996.560 » » De sorte que, depuis 1895-06, son exportation directe est devenue supérieure à celle faite par grand cabotage. Le tableau suivant fera mieux ressortir, d’ailleurs, la progres- 228 LE PAYS DES AMAZONES sion de l'exportation directe du port de Manäos à destination de l'étranger : Il Valeur officielle de l'exportation du caoutchouc de l'Etat de l Amazone - expédié directement de Manãos A DESTINATION DE L'ÉTRANGER, € contos ou millions de réis. 4 Années Valeur officielle Moyenne annuelle Augmentation 1869-70 - 0,8 1872-73 28 * 1873-74 95 7947 F2 1874-75 155 a 1876-77 75 nã ee - > E 1877-78 25,4 k 1878-79 4159 1879-80 942 870,4 1880-81 1.174 1881-82 1.563 799,7 1882-83 2.290 1883-84 2.517 1884-85 2.637 3.170,6 : 1885-86 32272 E 1886-87 5.134 2.300,2 o 1888 3.390 1889 4.958 1890 7.304 7-039,8 ; 1891 6.872 - 1892 12.675 3.869,2 Période de trois années seulement Hot of: 1893 19.731,2 1895 23.803 * 25.882,06 se 1896 33,112 22.012,06 HI Exportation totale par Manäos. 1892. 1. Exportation totale du caoutchouc de l'État de l’'Amazone 7.928.382 k. Dont : AMPaRerandcabotane ===. , oleo 4.645.732 k. | BéPparilons cours. 05. Re 3.284.640 » 2. Valeur officielle du caoutchouc exporté, en millions de 3 ECIS INS re E DOS SEE core Vos Ene ane one 30.594 contos: _ 3. Montant des impôts perçus par l’État sur cette expor- Ron ee EE a de cado ços neo RCE MERE -5.338 » 1893 1. Exportation totale du caoutchouc de l'État de PAmazone 9.590.985 k. _ Différence entre l’exportation de 1893 et la précédente + 1.662.613 » A. Exportation par grand cabotage........ 5.496.668 k. Différence sur l’année précédente... "-.....:..."...... + 852.936 » B. Exportation au long cours............ 4.049.317 k. Différence sur l’année précédente............ ORNE + 809.677 k. “2, Valeur officielle du caoutchouc exporté, en millions de po: “ RES ascosspsernDe -..-.. Lee Core EE ent oe 46.563 contos. Différence sur l’année précédente............. Het UE | RED 000 3. Montant des impôts perçus par l’État sur cette expor- Raton amado ut ee SA DR ne ae ete 7.280 » Différence sur l’année précédente..................... + 1.942 », 1894 D é: 4 ” . 1. Exportation totale de caoutchouc de l’État de "Amazone 8.639.519 k. = E Différence entre Vexportation de 1894 et la précédente — 951.466 » _ A. — Exportation par grand cabotage. 5.117.952 k. EE 'z _ Différence sur l’année précédente. ................... — 378.716 k. MAR. — Exportation au long cours....... 3.521.567 k. D Difiérence sur l'année précédente, .....-...-...-...... — 572.750 k. … 2. Valeur officielle du caoutchouc exporté, en millions de “Sm 5 L 42.547 contos. A rar A OGIA: 230 LE PAYS DES AMAZONES 3. Montant des impôts perçus par l’État sur cette expor- tation rentree TOC ITS TODAS o ENA abas 7.603 contos Différence sur l’année précédente (1) ......... TODO + 323 » 1895 1. Exportation totale de caoutchouc de l'État del'Amazone 9.170.975 k. Différence entre l’exportation de 1895 et la précédente “+ 531.456 k. A. — Exportation par grand cabotage... 4.684.435 k. Différence sur l’année précédente. .........4..1 0. — 434.517 k. B. — Exportation au long cours......... 4.437.540 k. Difference surilanneeiprecedentei ee e ea + 965.973 k. 2. Valeur offficielle du caoutchouc exporté, en millions de SE Sado SSIS DA PRO Me PESOS orou Sera DOG EROE 50.298 contos. Différence sure l'année precedente. msi repara +7.751 » 3. Montant des impôts perçus par l'État sur cette expor- tatin ere CRE ST Se LÉ SS cn SE 8.843 » Différence enrilannee precedente a Lee tete: + 1.240 » 1896 1. Exportation totale de caoutchouc de l’État de l'Amazone 9.113.515 k. Différence entre l’exportation de 1896 et la précédente — 57.420 k. A. — Exportation par grand cabotage... 3.567.766 k. Différence sur l’année précédente..... Leo sense — 1.115.669 k. B. — Exportation au long cours........ 5.545.751 k. Différence sur l’année précédente.... ................ + 1.058.211 k. 2. Valeur officielle du caoutchouc exporté, en millions de TONS ger 0800 qnto SIE DR EPE A PRO SN 62.502 contos. Différence sur l’année précédente........ RPA A a mere + 12.204 » 3. Montant des impôts perçus par l'État sur cette expor- LEUOD SRE Re EE na ado God nato Afofeto pele a fote TH. 32/7/0800 Différence sur l’année precedente........sn sena dean + 2.484 » Toute cette exportation est faite principalement par 16 maisons de commission établies à Manãos, dont voici les noms, avec les quan- tités de caoutchouc qu'elles ont expédiées en Europe et aux États- Unis, du 1º juillet 1896 au 30 juin 1897, c'est-à-dire pendant l’année fiscale 1896-1897 : (1) Bien que l'exportation en 1894 ait été inférieure de près d'un million de kilos à celle de 1893, toutefois le montant des impôts recouvrés par l'État a été supérieur de 323 millions ou contos de réis à celui de l’année précédente, parce que l'impôt est percu ad valorem et que le prix du caoutchouc était en hausse. Pour une moindre quantité de caoutchouc, on a donc perçu une plus forte proportion d'impôts. LE PAYS DES AMAZONES 231 1. Prusse, Pussinelli et Cie......... 1.847.541 K. De Wit et Clos AE eee re 1.240.957 » Do dA Seoona ca eso tone ee 526.368 » AR Adelbert:H#AIden Ss. qo. = ms 501.533 » 55 Brocklehurstict Gio as o 465.928 » Ore Maris ENLEVER. ido 412.966 » MEN RCE a ER Sa o 334.663 » 8. J. H. Andresen, successeurs..... 290.707 » 0 BA -Antunes et Ge rer 323.515 » ro na jennesse et OO ee ner 151.229 » Tre Kahn Polacks ersCi En 185.288 » LOPES Cars CL GS Se Rr ne Se Ne ele 135.720 » SAT AS Rreitas Eee air ce 120.613 » 14 ATranjo Rozas er Cisco seio 68.454 : 4 ES MAN Berneaudiet GE eee 70.570 » 16. Louis Schill et Neyeux..........- 48.129 » Si aux 6.624.163 kil., envoyés à Vétranger en 1896-97 par ces 16 maisons, nous ajoutons 736.405 kil., expédiés par plusieurs autres moins importantes à ce point de vue, nous aurons, pour cette année- 3 là, une exportation au long cours de 7.360.568 kil., supérieure de | 2.873.028 kil. à celle de l'année 1895. On ne peut s'empêcher de sentir quelque orgueil en citant ces chif- fres, lorsqu'on se rappelle l’histoire du caoutchouc. Le monde civilisé en entendit parler pour la première fois le 28 avril 1745, dans cette fameuse séance de rentrée de l’Académie des sciences, où M. De La Condamine, de la même Académie, lut sa « Relation abrégée d’un voyage fait dans l'intérieur de l’Amérique méridionale, depuis la EA Ê Côte de la mer du Sud, jusques aux Côtes du Brésil et de la Guiane, en descendant la rivière des Amazones. » Il y disait (1) : « La résine appelée cahuchu (2), dans les pays de la Province de » (1) De La Condamine : Relation eic., Paris, 1745, p. 78 à 80, se rapportant au récit de son voyage en juillet 1743. (2) Prononcez cahout-chou, dit une note de De la Condamine. — Carl Friedrich Phil. v. Martius : Worstersammlung Brasilianischer Sprachen, Leipzig, 1867, p. 3gr, dit: « Caú-uchú (Amazonas), siphoniae sp. gummi elasticum fundentes qui primi LE ad conficiendos tubulos usi sunt. ». . 232 LE PAYS DES AMAZONES Quito voisins de la mer, est aussi fort commune sur les bords du Maraiion... Quand elle est fraîche, on lui donne avec des moules la forme qu'on veut; elle est impénétrable à la pluie, mais ce qui la rend plus remarquable, c'est sa grande élasticité. On en fait des bou- teilles qui ne sont pas fragiles, des bottes, des boules creuses qui 38. — Ouvriers seringueiros livrant le caoutchouc au patron. s’aplatissent quand on les presse, et qui, dès qu'elles ne sont plus gênées, reprennent leur première figure. Les portugais du Para ont appris (2) des Omaguas à faire avec la même matière des pompes ou seringues qui n'ont pas besoin de piston : elles ont la forme de poires creuses, percées d'un petit trou à-leur extrémité, où ils adaptent une canule. On les remplit d’eau, et, en les pressant lorsqu'elles sont pleines, elles font l’effet d’une seringue ordinaire. Ce meuble est fort en usage chez les Omaguas. Quand ils s’assemblent entr'eux pour (1) De là évidemment le nom portugais-brésilien de seringa donné au caoutchouc, 2. - LE PAYS DES AMAZONES 233 quelque fête, le maître de la maison ne manque pas d'en présenter une par politesse à chacun des conviés, et son usage précède toujours parmi eux le repas de cérémonie. » La bizarre description du savant français nous aide à mieux com- prendre le chemin qu'ont fait depuis un siècle et demi les boules creuses dont il parle. Elles ont largement contribué à assurer à l'État de l'Amazone l’une des premières places parmi les autres États de l'Union brésilienne, et lui ont fait encaisser pendant l'exercice 1897-98 une somme supérieure (3) à la recette des 37 années pendant les- quelles, sous "Empire, il vécut attendant humblement les faveurs du pouvoir central. En effet, selon le Rapport présenté par le vice-gou- verneur en exercice, le colonel José Ramalho, au Congrès des Repré- sentants, le 10 juillet 1898, cette recette a été de 21.426 millions ou contos de réis, alors que la recette encaissée de 1852 — date de la création de la province — à 1880, date de la proclamation de la République Fédérative, n’a été que de 21.325 contos. (3) Mensagem, Imprensa official, Manãos, 1898, pag. 20. se É; ) E io apr CHAPITRE VII Commerce et navigation. — La navigation de l’Amazone avant 1853. — La « Compagnie de navigation et commerce de l’Amazone » — The Amazon steam navigation Cº, Limited. — Bénéfices des deux Compagnies. — Manäos et Pará. — Lois protectrices adoptées par l’Amazone. — Commerce d'impor- tation. — Commerce d'exportation. — Navigation directe. — La « Red Cross Line ». — Commerce de l’Amazone avec les Républiques limitrophes. — — Lignes de navigation pour l’Europe, l'Amérique du Nord, l'Amérique du Sud, les ports brésiliens et l’intérieur de l'Etat. — Distances de Manäos aux derniers ports des rios Amazonas, Solimões, Maranhão, Negro, Juruá, Purús et Madeira. Nous avons vu ce qu'est l’industrie dans l’État de | Amazone, nous avons signalé les principales sources auxquelles elle s'alimente, ses progrès qui vont chaque jour en s'accentuant, et Vavenir certain qui lui est réservé. Nous avons essayé, en traçant un tableau exact de la production amazonienne et en décrivant d'autres branches de revenu non exploitées, d'encourager à de nouveaux efforts et de déterminer les capitaux européens à prendre le chemin de cette riche contrée. Il est temps maintenant de nous occuper des transactions com- merciales, d'indiquer par quels moyens de transport on procède aux échanges des matières premières et des objets de fabrication, et de faire connaître l’état actuel du commerce d’importation et d’exporta- tion dans le plus vaste des États de l’Union brésilienne. Nous join-. drons à ce chapitre l’énumération complète des lignes de navigation qui desservent le pays que nous étudions. Nous traiterons donc suc- cessivement des relations commerciales de l’État de l’Amazone avec son voisin, l'État de Pará, dont le port de Belem fut, jusqu'il y a peu d'années, son principal entrepôt; des échanges avec l’Europe; du transit des Républiques limitrophes, et des diverses lignes de naviga- tion. Ici les chiffres parleront seuls. PS OT Lis a: LE PAYS DES AMAZONES 235 L'État de l'Amazone, nous l’avons déjà dit, est resté isolé du reste du Brésil pendant de longues années, même après la proclamation de l'indépendance de ce pays, qui eut lieu, comme l’on sait, en 1822. Jusqu'en 1853, alors que l’Europe était déjà en relations régulières avec Rio-de-Janeiro et les principaux ports du littoral brésilien, l’État de l'Amazone n'avait pas encore ressenti les heureux effets de la navigation à vapeur. Les communications, peu nombreuses, s'ef- fectuaient à grand'peine au moyen de bateaux à voile (batelões), qui remontaient de Belem, capitale de Pará, jusqu’à Barra-do-rio-Negro, appelée depuis Manáos, et qui alors se trouvait sous la dépendancede la province voisine, dont elle n’était qu'une circonscription adminis- trative, sous le nom de comarque. En 1851, lorsque cette comarque forma un territoire indépendant de Para, sous la désignation de province de l'Amazone, les choses étaient dans le même état. En vain quelques hommes entreprenants” avaient-ils eu l’idée de remonter le fleuve en bateau à vapeur : des préjugés surannés, des lois sans fondement s'opposaient à tout esprit d'initiative et se dressaient à l'embouchure de l’Amazone comme les dragons de la Fable, pour défendre l'entrée de ce nouveau jardin des Hespérides. En 1826, un bâtiment à vapeur des États-Unis de l'Amérique du Nord avait essayé de porter un chargement de marchandises au Pérou par la grande voie fluviale de [Amazone. Il n'avait pas réussi. Cette même année-là, puis en 1837, 1838, 1839, 1840 et 1848, d'au- tres tentatives avaient été réitérées par des nationaux, sans plus de succès. Tous ces efforts, cependant, ne demeurèrent point stériles. [ls déci- dèrent le gouvernement central à céder de sa rigueur, et, en 1853; M. Irineu Evangelista de Souza, plus connu sousson titrede vicomte de Mauá, obtenait le monopole de la navigation à vapeur du premier fleuve du monde: Cet heureux privilégié, dont l’iniative mérite encore aujourd’hui la reconnaissance des enfants de l'Amazonie, bénéficiait 236 LE PAYS DES AMAZONES en outre de subventions élevées et de faveurs exceptionnelles, qui avaient leur justification à cette époque, mais qui, présentement, au. bout de presque un demi siècle d'exploitation, ne semblent plus avoir de raison d’être. Dès 1865, Agassiz était d'avis que l’on mit un terme à ces faveurs. disent Et Gui a e A à en D and. : 39. — Embarcation de regatão (colporteur). N'importe, l'obstacle était renversé, le premier pas était fait. C’est à partir de cette année 1853 que les échanges avec Pará com- x mencèrent réellement à prendre une certaine importance, bien que le début en fût des plus modestes. La « Companhia de Navegação e Commercio do Amazonas» s'éta- blit à Rio, au capital de 4.000 contos ou millions de réis, et le décret n° 1.055 du 20 octobre 1852 en approuva les statuts. Au bout d'une vingtaine d’années, elle opéra une amalgation avec « The Amazon LE PAYS DES AMAZONES 237 “Steam Navigation Company, Limited, » fondée à Londres et dont “les statuts furent approuvés par le gouvernement brésilien en 1874. Son capital nominal était de 625.000 livres sterling (15.625.000 fr.), divisé en 50.000 shares ou actions de 12 livres et ro schillings (312 fr. 50) chacune; mais on n'en émit que 40.419. pour une valeur de 505.237 liv. st. ou 12.930.925 fr. Dès la première année, cette compagnie incorpora à sa puissante organisation deux autres com- pagnies, également subventionnées par le gouvernement: la « Com- …._ panhia fluvial Paraense » et la « Companhia fluvial do Alto Ama- > zonas ». Pendant la première période de 5 ans, de 1853 à 1857, la Com- pagnie de l’Amazone réalisa une recette de plus de 449 contos, tant pour le fret des marchandises que pour le transport des passagers. La progression ne s'arrêta plus. La deuxième période quinquennale, de 1858 à 1862, accusait berne ci Dei db un chiffre de recettes montant à plus de 800 contos. La troisième période, de 1863 à 1867, donna plus de 2.000 contos. De 1887 à 1891, en cinq ans, elle encaissa plus de 15.417 contos de réis. Aujourd’hui elle est admirablement outillée. Elle possède 34 ba- teaux à vapeur ayant à leur bord un personnel de 1.126 employés, et dessert 8 lignes de navigation régulière dans l'Etat de l’Amazone. Par ce mouvement fluvial d’une seule Compagnie il est aisé de juger de la quantité et de la valeur des marchandises et des produits mis Mr “en circulation. Grâce à la navigation à vapeur, le commerce de l’Amazone ne tarda pas à prendre un développement important. En effet, l’Amazone exporta pour le port de Parä: En 1879-80 des produits pour une valeur officielle de 6.440 contos — 1882-83 » » » » 10.773 — — 1885-86 » » » » 13.500 — La prospérité croissante du port de Manáos le mit bientôt en con- 238 LE PAYS DES AMAZONES currence avec le port de Para. Pour se rendre compte de cet antago- nisme, qui devait fatalement éclater tôt ou tard entre ces deux cen- tres commerciaux, il suffit d'ouvrir une carte et de considérer la posi- tion géographique de chacun d’eux. Pará ou Belem se trouve favorisé de la nature. Il est à l’embou- chure de l’Amazone, comme Saint-Nazaire est à l'embouchure de la Loire, et le Havre à l'embouchure de la Seine. De même que Nantes et Rouen voient leur commerce dépérir tandis que celui de Saint-Nazaire et du Havre augmente, Manãos aurait inévitablement subi le même sort, si le fleuve de l’Amazone avait une barre, si les marées ne se faisaient pas sentir jusqu’à 600 milles de Belem, si enfin l'embouchure immense du fleuve ne constituait pas comme un prolongement de l'Océan et ne formait pas un véritable bras de mer. Pendant de longues années, Manäos avait réalisé toutes ses tran- sactions par l’entrepôt de Pará. C'est là qu'il envoyait tous ses pro- duits forestiers; c'est là qu'il achetait tous ses objets de consom- mation. Peu à peu une louable ambition lui :vint. Il voulut s'affran- chir d’un intermédiaire qui avait été utile et qui devenait onéreux. Depuis longtemps déjà tous les efforts des négociants de Manáos tendaient vers ce but, lorsque la loi n° 385 du 14 octobre 1878 vint leur donner un commencement de satisfaction, en établissant une différence de 3 o/o entre les droits perçus sur le caoutchouc amazo- nien exporté par l'intermédiaire de Pará et celui envoyé directement des ports de l’Amazone à destination de l'étranger. Pour préparer cet affranchissement de la tutelle de PEtat voisin, PAmazone avait déjà pris, dês 1874, un excellent moyen pratique: il a créé, à cette date, une ligne subventionnée le mettant en relations directes avec les principaux marchés européens. En 1882, il a établi une autre ligne, également subventionnée à ses debuts, le reliant directement aux Etats-Unis de l'Amérique du Nord. Puis, en 1884, il a réussi à se mettre en communication directe et immédiate avec Rio-de-Janeiro etles ports intermédiaires, en subventionnant pour sidi bé, Ada LE PAYS DES AMAZONES 239 sa part la ligne nationale de bateaux à vapeur qui, auparavant, avait Belem comme point terminus. Enfin, après avoir aidé par des subven- tions à la création d’autres lignes de navigation pour ses divers cours d’eau, il a accordé une subvention à la ligne italienne, partant de Gênes, dont les magnifiques steamers vont à Manäos depuis 1897. Pará, malgré les apparences contraires, n’a pas à s'inquiéter outre mesure de ces tendances naturelles d'émancipation qui ne vont nulle- ment à l’appauvrir, car toutes ces lignes étrangères y font escale et contribuent, par conséquent, à développer également ses transac- tions avec l’étranger. Pará possède, d’ailleurs, des éléments de vie et de prospérité qui rendent cette concurrence moins redoutable. Il peut se suffire amplement à lui-même et se passer, sans des pertes sensibles, de l’appoint commercial de Manäos. . Le réseau de transports maritimes et fluviaux se trouvait ainsi au grand complet. Manáos pouvait sans entraves négocier de ses mo- destes docks avec l’Europe, avec l'Amérique du Nord, avec une partie de l’Afrique, avec les Républiques limitrophes et avec le Brésil entier, d'autant mieux que, depuis 1896, un câble sous-fluvial le relie à Belem et de là au reste du monde. Il restait à attirer le commerce direct des ports de l'Etat vers les marchés étrangers, sans que les produits exportés eussent à passer par l’entrepôt de Pará. On y réussit par une série de mesures éco- nomiques qui produisirent les meilleurs résultats et dont nous venons de signaler quelques-unes. Le gouvernement local décréta: que les produits exportés directe- ment pour les marchés étrangers paieraient des droits inférieurs de 3 o/o à ceux que paient ces mêmes produits lorsqu'ils sont exportés par l’entrepôt de Pará; que la maison Brocklehurst, de Liverpool, qui a entrepris la navigation directe de Liverpool à Manáos, et qui possêde une maison de commerce en gros dans cette derniêre ville, jouirait d'avantages spéciaux lui permettant de lutter contre toute concurrence. 240 LE PAYS DES AMAZONES Pará lui-même facilita par son attitude la réalisation des plans de son rival. Il ne sut pas prendre à temps des dispositions libérales pour conserver le monopole du commerce amazonien. Les produits exportés de l’Amazone étaient assujettis à Pará: à 1/2 o/o de taxe sur leur valeur officielle ; à 5 o/o et à 8 réis par kilogr. pour vérifi- cation du poids.Or,ces produits sortaient du marché producteur sur- chargés déiã de taxes assez lourdes. Le caoutchouc, par exemple, payait à l’'Amazone go/o de droits; le guarana et le cacao étaient taxés à 5 0/0; le poisson sec et salé, à 3 o/o. Tous les autres pro- duits étaient plus lourdement atteints encore. Ils payaient jusqu’à 8 o/o de leur valeur, sans compter les 3 o/o de droits additionnels perçus en faveur de la Compagnie anglaise de navigation de l’Amazone. Aujourd’hui, de par la loi n° 122 du ro avril 1898, les droits d'expor- tation établis par l'Etat se répartissent ainsi: o Caoutchouc exporté à destination des autres Etats de l’Union bré- silienne, 21 o/0; caoutchouc exporté directement à destination de l'étranger, 18,5 0/0 ; caoutchouc provenant du rio Abuná et de ses affluents directement pour l'étranger, 10 o/o de moins que la taxe payée par le caoutchouc d’autres provenances; Châtaigne du Brésil (toucas) exportée directement pour l'étranger 10 0/0; le même article exporté à destination des autres Etats du Brésil, 12 o/o; Cacao et guarana exportés directement pour l'étranger, 8 o/o; les mêmes articles exportés à destination des autres Etats du Brésil, 12 0/0; Pirarucü et autres poissons, secs ou salés, pour toute destina- tion, 10 0/0; Autres produits quelconques, pour toute destination, 10 o/o. Les taxes de sortie ont donc été augmentées considérablement, l'augmentation de celle de caoutchouc étant de plus de cent pour cent. Le régime financier de l'Etat de l’Amazone n'aura qu’à gagner au dégrèvement successif et rationnel de la plupart des produits que 1 LE PAYS DES AMAZONES 24 nous venons d'énumérer, principalement de ceux qui sont four- nis par la culture sédentaire, comme le cacao. Malgré toutes ces charges, les importations et les exportations de l'Etat n’ont pas cessé de s'accroitre dans des proportions remarqua- bles. Il est à croire que pour certains produits les résultats seraient bien supérieurs encore, si les transactions n'étaient pas entravées par les exigences du fisc, Le tableau suivant donnera une idée exacte du mouvement commer- cial de l'Etat de l’Amazone : Importation de la province de l’ Amazone par cabotage et long-cours Années fiscales Grand cabotage Long-cours Total (en contos) (encontos) (en contos) Ir État accent 1.641 190 1.831 RARES OEM PE e EE 1.009 673 2.582 DER OR REPARER Se 2139 746 3.879 TERRE ESS EEE 5.220 1.099 6.319 IST UE SERRE TES ee 4.595 1.405 6.090 nb OS AR RES ERREE o 3.780 1.061 4.841 1885-86..... Soc cpscoborissEne 5.230 1.040 6.276 1886-87..... a SR o de : 5.095 1.27 6.369 Depuis que le nouveau régime républicain a assuré aux Etats leur autonomie, il devient très difficile d’avoir des données récentes sur les — importations, dont les droits sont imposés par l'Union fédérale et touchés par ses douanes à son profit, les droits d'exportation étant seuls du ressort de chaque Etat. Cependant nous avons un indice certain du progrès des importa- tions de l’Etat de l’Amazone : c'est l’accroissement constant de la recette de ses douanes, recettes qui, comme nous venons de le dire, vont, toutes, au Trésor de l'Union Fédérale. Pendant les 4 années du gouvernement de M. Prudente de Moraes (1894-08), les douanes brésiliennes ont vu leurs recettes décroitre 16 242 LE PAYS DES AMAZONES d'une manière alarmante. D'après un document officiel, les recettes du premier trimestre de l’année 1897 ont été inférieures de plus de 19,559 contos aux recettes de la période correspondante de 1896, et de près de 17,000 contos à celles de la période analogue de 1895. La diminution a presque atteint 100 o/o pour certaines douanes, comme celles de Parnahyba et de Victoria. Celle de Rio-de-Janeiro a subi une décroissance de près de 32 o/o sur la période correspondante de 1896. Huit douanes à peine ont eu une augmentation de recettes, et, parmi ces 8 privilégiées, la douane de Manáos figure avec une augmentation de près de 3 o/o (exactement 2,76 o/o). Voici, d’ailleurs, les recettes des douanes brésiliennes en 1898, et l’on verra quelle place y occupent celles de la douane de Mandos : +. District Fédéral (Rio-de-Janeiro)............. ora 86.774 contos 2 NO ARTOS Saco jets e Se o e Sa Ria a o addtdassoutonc 30.866 » EIS EV TE cree Lee et rene e cesse 23.006 » A RECITC restes SA DOGS UG ASS ODE TSE SDe 22.916 » 5 »Belemi(Paré) efeito cr ect tone pao aja [0a te aa 22 2.0 100 ER 6: RiojGrandeçgdo SuN EEE ao apo fo e reta fofo nato 15/5970 7. Manãos..... ae conti Soa ane Ee ES 6.698 » S-HFortalezal|Geara).e--- Les recettes de la douane de Manáos ont donc été supérieures aux recettes réunies des huit douanes de Florianopolis, Parabyba, LE PAYS DES AMAZONES 243 Th. Parnahyba, Uruguayana, Victoria, Natal, Penedo et Macahé. Ainsi, non seulement les revenus afférents au gouvernement loca] croissent constamment, mais encore la quote-part de l’Amazone des- tinée à l'Union Fédérale va toujours en augmentant. Cependant, par un de ces aveuglements dont sont seuls capables les gouvernements qui ne sont pas en communion d'idées avec le peuple qu’ils adminis- trent, la douane de Manäos est toujours installée dans la même baraque délabrée où elle fonctionnait alors qu’elle n’était pas appelée à contrôler un mouvement de marchandises se chiffrant par des millions. Pendant la même période, les exportations ont pris un développe- ment encore plus considérable, comme il est aisé de le constater en examinant le tableau suivant : Exportation de la province de l’Amazone (Valeur officielle) Années fiscales Valeur en contos Différence en contos 1876-77....... SEIS a een = 2.600 — LOBOS De ea ot seia es ee eco 7.343 + 4.743 NC mo E SI AO Re 10.342 + 2.099 LOS 2-0 98 e So e area Ê à 13.064 + 2.722 RD mer mes eee secte 12.877 — 187 DOC D eee ea o o/a Paga é 13.058 - 181 LOST be SENSO EAÇÕEr 16.576 + 3.518 RUB 09. o ole cisto me sente a(o ice 14.635 — 1.941 Mais c'est principalement depuis que l’Amazone a acquis son auto- nomie que ses ressources sont devenues à la fois plus grandes et plus régulières. Voici, en effet, le chiffre de son exportation, en valeur officielle, depuis 1892 : Exportation de l'Etat de l'Amazone {Valeur officielle) Années Valeur en contos Difference en contos Der mme o » AECECIDULS ELIANE 31.232 — 244 LE PAYS DES AMAZONES Années Valeur en contos Différence en contos EN SÉRIE on Bone SG CA Jos none 48.489 + 17.257 1894 ct RER lr es 44.836 — 3.653 ES tee er ele Carpet 51.995 + 7.159 PREUSS ELSE GS ES ARE 64.608 + 12.613 1897-08 (résultats provisoires).... 90.000 + 25.392 En six ans, la valeur de l'exportation a triplé. Même en calculant ces valeurs au change excessivement bas de 7 d 1/2 par 1,000 réis, la valeur officielle de l'exportation sur place serait encore, en 1897-08, de 70,593,759 francs. On peut voir qu’en 1876-77, la valeur officielle de l'exportation de l'Amazone n'était que de 2,600 contos, qu'en 1836-87 elle attei- gnait déjà 14,635 contos, et que dix ans après elle s'élevait à près de 90,000 contos. Il ne faut pas se lasser d'insister sur ces progressions du commerce amazonien : elles prouvent que certains pays de l’Amérique du Sud, trop peu connus de l’Europe, offrent des exemples de prospérité que l'on se plaît à reconnaître seulement aux Etats-Unis de l'Amérique du Nord, et elles sont bien faites pour solliciter les entreprises commer- ciales de l’ancien monde. Le commerce direct de l’Amazone avec l'étranger est de date trop récente pour qu'il ait déjà produit tous ses fruits. Il ne date, en effet, que de 1874, et déjà il dépasse toutes les espérances. Jusque-là, les transactions de la place de Manãos avec l'étranger ne se faisaient que par l’intermédiaire du port de Pará. C'est au Danemark que revient l’honneur d’avoir ouvert les pre- miers rapports avec ce marché. Le 25 mars 1874, un bâtiment à voiles, portant le pavillon danois et jaugeant à peine 263 tonneaux, faisait son entrée dans le port de la capitale, venant d'Hambourg. L'impulsion était donnée, et, le 30 avril suivant, un petit bateau à vapeur de 595 tonneaux, sous pavillon anglais, arrivait de Liverpool et inaugurait la navigation subventionnée, dont le promoteur fut M. de Brito Amorim, un Portugais. intao éd. r * M y a LE PAYS DES AMAZONES 245 Depuis lors, les relations de Manáos avec Liverpool, le Havre et Lisbonne ont suivi une marche normale, grâce au service de navi- gation régulière établi depuis 1877 par la Red Cross Line, de MM. Singlehurst, Brocklehurst et Cie. Pendant les six premières années, voici les produits que les steamers de cette ligne chargèrent à Manãos à destination de l’Europe, ce tableau ne se rapportant qu'au caoutchouc transporté : Caoutchouc exporté directement de Mandos sur les steamers de la « Red Cross Line » Années Pour Liverpool Pour le Havre Total RU STORE 14.781 kg. » 14.781 kg. OZ ae e=f= ota efa 238.303 » 15.415 kg. 253.718 » VOTA Ens RES a 266.101.» 18.470 » 284.571 » Sete monte 370.899 » 10.413 » 387.312 » LEG Las e sos. 266.466 » 32.906 » 209.372 » DEDE see CS PBRR 389.915 » 38.672 » 428.587 » Ainsi, pendant les six premiéres années, cette ligne n'avait trans- porté de Manáos en Europe que 1,668,341 kg. Or, pendant le pre- mier semestre de 1897 seulement, elle en a apporté en Europe autant que pendant toutes ces années-là réunies. En effet, elle a transporté 1,529.024 kgr. de caoutchouc, sans parler de 8,305 hectol. de châtai- gnes du Brésil, 44,545 kgr. de piassava, 12,408 kgr. d'huile de copahu, 2,601 kgr. de cacao, etc. - Quant au commerce de l'Etat de l’Amazone avec les Républiques limitrophes, le tableau suivant en donnera une idée suffisante : Exportations des Républiques limitrophes en transit par l'Etat de Amazone Nomsdes Quantité Valeur Années Républiques de caoutchouc en contos RR o... PÉFOU-.---- rase 196.517 k. — = Bolivie 2. 53.698 » — — Vénézuela........ 4.345 » — 246 LE PAYS DES AMAZONES Noms des Quantité Valeur Années Républiques de caoutchouc en contos 1809-00: eee ete Benoit EEE 1.896.248 » 8.465 — Bolivie ever 729.040 » 4.323 — Venezuela no 49.494 » 310 1896-97 (un semestre seul). Pérou........... 479.756 » 2.298 — Boliyie 5. str 355.736 » 2.606 — Vénézuela....... 9.147 » 47 Il est facile de voir que le commerce de transit accuse, lui aussi, une ascension continue et rapide. Complétons ces renseignements en donnant la liste des lignes de navigation de l’Amazone : pour l’Europe, pour " Amérique du Nord, pour "Amérique du Sud, pour les divers ports du Brésil, et enfin pour les différents points de l’intérieur de l’Etat. LIGNES DE NAVIGATION A VAPEUR 1. — Pour l'Europe et l'Afrique : A. — Deux compagnies anglaises, de Liverpool — la Red Cross Line, ayant à sa tête MM. R. Singlehurst et Cº, et la Booth steam ship C°, Limited, dont les « managers» sont MM. Alfred Booth et C°,— ont organisé un service conjoint pour l’'Amazonie Les deux Compa- gnies possèdent, ensemble, 22 steamers, jaugeant de 3.498 tonneaux (Augustine) à 1.611 tonneaux (Origen). Ces derniers sont presque exclusivement destinés aux marchandises; ce sont des cargo-boats, des chargeurs. De ro en 10 jours, 3 fois par mois par conséquent, l’un de ces steamers quitte Liverpool à destination de Manãos, faisant escale alternativement à Hambourg, Lisbonne, Madère, Pará et au Havre, Oporto, Lisbonne, Madère et Pará. Le service à bord est excellent. Ces Compagnies ne reçoivent, pour ce service, aucune subvention de l’Etat, B. — La Ligure Brasiliana, qui a à sa tête le député italien Gus- tavo Gavotti, fait un voyage mensuel de Gênes à Manäos, avec esca- un Lui ita Ltée, à = 1, LE PAYS DES AMAZONES 247 les à Marseille, Barcelone, Tanger (Maroc), Lisbonne, Madère, Pará, Santarem et Obidos. Cette ligne, inaugurée en Octobre 1897, recoit de l’Etat de l’Amazone une subvention de 200 contos de réis, pour la mettre en communication directe avec le bassin de la Méditer- ranée. II. — Pour P Amérique du Nord et les Antilles : Les deux Compagnies anglaises de Liverpool, la Red Cross Line et la Booth steam Ship Cº, Limited, font un service combiné entre New-York et Manäos avec un départ de 20 en 20 jours, et avec escales à la Barbade (Petites Antilles) et à Para. HI. — Pour les Républiques de l'Amérique du Sud : A. Pour la République du Pérou. 1. — Les deux Compagnies anglaises de Liverpool, la Red Cross Line et la Booth Steam Ship C°, Limited, ont un service combiné assurant, une fois par mois, la navigation entre Manáos et Iquitos, au Pérou. 2. — La Compagnie anglaise de l’Amazone a un service mensuel, subventionné, allant également de Manäos à Iquitos, avec escales à Manacapurú, Codajaz, Coary, Teffé, Fonte-Bôa, Tonantins, S. Paulo- d'Olivença, et Tabatinga, au Brésil, puis Loreto, Caballo-Cocha, Pebas et Iquitos, au Pérou. La distance entre Manäos et Iquitos est de 1.152 milles. 3. — La Compagnie « Industria Pastoril » est en train d'établir une ligne régulière de navigation à vapeur, allant de Belem à Buenos-Ayres et touchant à Manäos B. — Pour les Républiques de la Colombie, de la Bolivie, etc. : Comme nous allons le voir, diverses lignes de navigation à vapeur font le service sur territoire brésilien, assurant des communications, plus ou moins régulières, avec les Républiques limitrophes : avec la Bolivie, par la ligne du rio Madeira, qui monte jusqu’à Santo- Antonio ; avec la Colombie, par la rivière Içá, etc. IV. — Pour les divers ports des Etats-Unis du Brésil : 248 LE PAYS DES AMAZONES A. — Pour Rio de Janeiro, capit ale fédérale des Etats-Unis du Brésil, la navigation directe a été inaugurée au commencement de l’année 1884, grâce aux efforts de M. Joaquim Rocha dos Santos, présentement représentant au Congrès de l’Amazone. Le Lloyd Brazileiro, qui dessert cette ligne, dispose, pour ce service, de o paquebots, jaugeant chacun 2.000 tonneaux. Il y a 3 départs par mois, 1 de 10 en 10 jours, de Rio-de-Janeiro pour Manãos, avec escales à Victoria (Espirito-Santo), Bahia, Maceió (Alagõas), Recife (Pernambuco), Parahyba, Rio-Grande-do-Norte, Fortaleza (Ceará), Amarração (Piauhy), Maranhão, Pará et Obidos. Le voyage total, malgré ces nombreuses escales. est de 15 à 17 jours. > 7 B. — Pour Parahyba, la maison J. A. Guedes et C° dispose de 3 vapeurs faisant un service régulier entre Manäos et Parahyba, avec escales à Itácoatiára, Para, Camocim et Fortaleza. C. — Pour Fortaleza, capitale de l’Etat de Ceará, il y a une ligne régulière de navigation à vapeur, recevant de l'Etat de PAmazoneune subvention annuelle de 120 contos de réis. D. — Pour Belem, capitale de l’Etat de Pará, les départs de Manãos sont pour ainsi dire quotidiens. En effet, toutes les lignes qui se diri- gent vers le Sud, vers l’Europe ou vers l'Amérique du Nord, en partant de Manäos, font escale à Belem. Malgré cela, la Compagnie anglaise de l’Amazone a diverses lignes qui font un service régulier entre Belem et Manäos comme point terminus ou comme escale, et qui, au moins 8 fois par mois, mettent en communication les deux capitales voisines. V. — Lignes de pénétration pour les divers ports de l'Etat de l'Amazone : A. — De Manãos à Santo-Antonio, dans le rio Madeira. — La Compagnie anglaise de l’Amazone a une ligne régulière qui monte jusqu’à Santo-Antonio, sur territoire brésilien, d'où l’on se rend en barque sur territoire bolivien et dans l'Etat brésilien de Matto-Grosso. En quittant Manáos, les vapeurs font escale à Canuman, Borba, LE PAYS DES AMAZONES 249 Sapucáia, Tabocal, Santa Rosa, Manicoré, Baêtas, Júmas, Tres Casas, Missão de S. Pedro, Humaythä, Missão de S. Francisco, Cavalcante et Jamary, pour s'arrêter à Santo-Antonio, à 711 milles de Manáãos. B. — De Manãos à S. Gabriel, dans le rio Negro. — La Compa- 40. — Village de S. Luiz de Cassianan. gnie anglaise de l’Amazone a un service régulier remontant jusqu’à S. Gabriel, à 500 milles de Manäos. En partant de Manäos, les vapeurs font escale à Tauápessassú, Ayräo, Moura, Carvoeiro, Bar- cellos, Thomar et Santa Isabel, pour arriver à S. Gabriel. C. — De Manãos au rio Juruá. — La Compagnie anglaise de PAmazone a une ligne régulière, avec escale, à partir de Manáos, à Manacapurú. Anamá, Codajaz, Coary, Fonte-Bôa, Juruápucá, Gavião, 250 LE PAYS DES AMAZONES D. — De Manaos au rio Purüs. — Cette ligne est desservie réguliè- rement par la Compagnie anglaise de l’Amazone, dont les vapeurs font escale à Manacapurú, Anamä, Berury, Pacatuba, Bôa Vista, Pi- ranhas, Itátúba, Jatuarana, Arumã, Tauaria, Jaturú, Canutama, Sal- vação, Porto Alegre, Bôa Esperança, Bella Vista, Santo Antonio, Vista Alegre, Labrea, Providencia, Sepatiny, Hyutanahã, Cachoeira, Searihan, Aboniry,Pacoval, Purgatorio, Bôa União,Memoriá, Quicihã, Ajuricaba, Capitary, Matarupia, Sirinihym, S. Sebastião, Casaduá, Canto da Fortuna, Guajaräba, Lafayette, Tenha Modo, Içá, embou- chure du Pauhiny. Le trajet parcouru est de 1.437 milles à partir de Manaos. E. — De Manäos au rio Acre. — En voici les escales à partir de Manáos: Fortaleza, Tambaqui, Bôa Esperança, Volta do Acre, Santo Antonio, Apuhy, Madeirinha, Atinary, S. Paulo, Lua Nova, Andirá, Mundo Novo, Bôa Vista, Caqueta, Gloria, Humaytha, Bôa União, Apiahy, Baixa Verde, Catuaba, Panorama, Empreza, Bocca do Riozinho, Anajaz, Bem Posto, Juà, Flores, Cajueiro, Floresta, Europa, Santa Anna, Miritysal, Tamandaré, Cametá, Itapéro, Porto Novo, Maracajú, Manaleão, Bom Lugar, S. José, Trombetas, Ara- pixy, Rio Branco, Pacatuba, S. João, Valha-me Deus, bouche du Yaco. F. — De Manäos au rio Yaco. — Un service régulier est fait par la Compagnie anglaise de l’Amazone, avec escales, à partir de Manãos, à Caiêté, Desengano, S. Caetano, bouche du Macahuan, Maracaná, S. José, Mercês, Bôa Esperança, Santa Clara, S. Sebas- tião, Santa Maria, S. Francisco, Silencio, Capivára, S. Jorge, Pie- dade, Santa Thereza, Macapa, Barcelona, Novo Desterro, Itátinga, Atalante, Santa Cruz, Aracajú, Chandless, Juruázinho, Andrade, S. Vicente, Pinto, S. José et Santa Barbara. G. — De Manäos au rio Pauhiny. — Ce service régulier est fait éga- lement par la Compagnie anglaise de l’Amazone, dont les vapeurs ont les escales suivantes : Monte Verde, Monte Escuro, Serra Leda, LE PAYS DES AMAZONES 251 Saccado, Santa Carolina, Ipuranga, Monte Bello, Sudarahy, Matto Grosso, Monte Mór, Salva vidas, Barroso, Saccadinho, Cacoalinho, Cachoeira, Céu Aberto, Santa Helena, Espirito Santo, Santa Maria, S. João, bouche du Moaco, Sumauma, Santa Felicia, S. Joaquim, Nazareth do Xingú, Cantagallo, Monte Alegre, Peniry, Pouso Alegre, bouche du Tiuhiny, Maripurá, Restauração, Occo do Mundo, Bôa Fé, Santa Cruz, S. Leopoldo, S. Lourenço, S. Miguel, Suory, Bôa Hora, S. Elvas, Victoria, Sinimbú, bouche du Inahiny, S. Paulo, Desterro, Bom Lugar, Seruhiny, Canto Escuro, Inferno, Bouche du rio Acre. H. — De Manäos au rio Autaz. — Cette ligne reçoit de VEtat une subvention de 55 contos. I. — De Manãos au rio Jutahy.— Cette ligne reçoit une subven- tion de 144 contos. J. — De Manäos au rio Maués. — Cette ligne reçoit une subven- tion de 96 contos. K. — De Manãos au rio Japurá. — Cette ligne recoit une sub- vention de 48 contos. L. — De Manãos au rio Branco. — Cette ligne reçoit une subven- tion de 100 contos. M. — De Manäos au /ac Janauacá. — Cette ligne reçoit une sub- vention de 35 contos. N. — De Manäos aux rios Amazonas, Madeira, Javary, Purús et ses affluents. — La maison Marques Braga possède 5 vapeurs qui naviguent sur les cours d’eau que nous venons d'énuniérer. O. — De Manäos aux rios Japurá et Badajoz. — La maison Elias Thomé de Souza et Cie possède un vapeur et une chaloupe à vapeur naviguant sur ces deux cours d’eau. P. — De Manãos aux rios Juruá, Jutahy, Japurá, Madeira, Maués, et Purüs. — La maison A. Berneaud et Cie dispose de 9 vapeurs desservant ces divers cours d’eau. Q. — De Manäos au rio Juruá. — MM. Mello et Cie ont 6 vapeurs 252 LE PAYS DES AMAZONES qui naviguent sur cette rivière et qui ont leur point d'attache à Belem. R. — De Manäos aux rios Solimões et Purús. — La maison S. F- de Mello et Cie possède 2 vapeurs desservant ces deux cours d’eau. S. — De Manaos au rio Juruá. — MM. Araujo Rozas et Cie ont un vapeur qui fait la navigation sur cette rivière. T. — De Manäos aux rios Badajoz, Copeá, Japurá et Manaca- purú. — MM. Baptista et Araujo ont2 vapeurs qui desservent ces quatre cours d'eau. U. — De Manáos aux derniers points navigables du rio Badajoz. — Un voyage mensuel est fait sur cette rivière par des chaloupes à vapeur, en vertu d'un contrat signé par l'Etat avec MM. Affonso Silva et Cie. Les escales sont, en partant de Manäos: Manacapurú, Anaman, Anory, Codajaz, Belem, Badajoz (village), embouchure du lac Badajoz, embouchure du Pioriny, Porto-Alegre do Codajaz- merim, aflluent du Copea. ©. — De Manäos au rio Coary et affluents. — En vertu d'un contrat passé avec l'Etat par MM. Affonso Silva et Cie des chaloupes | à vapeur font un service normal subventionné sur ce cours d'eau et ses affluents, en partant de la capitale et touchant aux points sui- vants: Manacapurú, Codajaz, Bourg de Coary, Freguezia Velha, em- bouchure du rio Uranas, Urucä, Itanhoan et Paranápara. X. — De Manäos au dernier point navigable du rio Aripuaná. — Des chaloupes à vapeur, appartenant à MM. F.-J. de Oliveira et Cie, font un service mensuel subventionné sur cette rivière. En somme, nous avons 16 compagnies de navigation à vapeur ou armateurs, possédant 114 bateaux à vapeur ou chaloupes à vapeur de première classe, jaugeant ensemble plus de 84.000 tonneaux et ayant à leur bord un équipage de près de 4.000 hommes, sans parler de la batellerie commune: canôas, igarités, batelões, etc. M. Charles Wiéner, qui pourtant est un ami sincère et un admi- rateur de |'Amazonie, écrivit, en un jour de belle humeur (1), en (1) Charles Wiéner: Amazone et Cordillêres. « Tour du Monde », Paris, 1883. parlant de nos centres de population : « Lorsque trois huttes se trou- vent ensemble l’une près de l’autre, on dit que c’est un port. Devant les chaumières, le chercheur de caoutchouc et sa compagne au teint olivâtre fument leur cigarette ou leur pipe, en se grattant d'un air méditatif. » 41. — Village de Bôa- Vista. Le Professeur Vincenzo Grossi, un autre ami de l’Amazonie, a trouvé ce mot charmant, et l’a cité avec admiration (1). L'un et l’autre ont prouvé tout simplement qu'il est plus facile de faire de l’esprit que d’avoir le sens économique, l'intuition du réel. Ce chercheur de caoutchouc qui fume sa pipe ou sa cigarette à côté de sa femme au teint olivâtre, tout en se grattant d'un air méditatif près de sa hutte, contribue tout bêtement à la production de 10 mil- (1) Vincenzo Grossi: Nel Paese delle Amazzoni, Roma, 1897, p. 40. 254 LE PAYS DES AMAZONES lions de kilos de caoutchouc par an et fournit du fret à 114 bateaux à vapeur, et ces trois pauvres chaumes, qui forment un port, sont certainement plus utiles au progrès de l'Humanité que des Uni- versités ou des Chancelleries de notre connaissance. Le tableau suivant donne les distances parcourues et les escales de quelques-unes des lignes de navigation que nous avons men- tionnées : TABLEAU des distances de EMandos, capitale de l'Etat de l'Amazone, aux principaux ports d'escale des lignes fluviales (en milles). L Rio Amazone. 1. De Belem, capitale de l’État de Parä, à Breves....... a e seed dn . 146 milles. Santa Maria........ So ao 226 » Gurupá o. dec SoGosoDa SE ++ 26700 Porto de Moz...... rene 315 0% Prainha: =. = mos e sussa a 411 » Monte Aleore 2-57 * CASA TE SARTALEM ee EE BB ES RES Obidos: mea eme ‘19810 Parintins (État de l'Amazone) 676 » Fortaleza, "#7." ec. 002 Itácotiára 1220 NE RS AN ManGos:. TE RENE 924 » IT Solimões (haut-Amazone) et EMaragnon. 1. De Manáos, capitale de l’État de l’Amazone, à : Godajaz., à ic aaa 155 milles. . GOAET ATEN ES ee te 239 » Baliero +=. 7. a neto RSS “e E « 4 1. De Mandos, capitale de l’État de BR, (CEGA cagapp anos do dano PAU AT CASA ce rs eee ORAN EE riem en BODE S. Paulo d'Olivença..... .: Galdeirãos Car eo Ala batin gatas e or To Loreto (Républ. du Pérou). Gaballo Gocha. =... cce Etes nce be Er ES HI Rio Negro. . . De Mandos, capitale de l’État de "Amazone, à Tauuäpessassü ............ Carvoeiro e. docs Barcelo ee NE EC MOTIFS Een cer IV Rio Jurua. PAmazone, à PATO RIVA ee cie 255 347 milles. 362 407 470 486 626 721 782 826 65 milles. 135 174 201 268 314 358 423 55 milles. 106 122 166 234 328 256 LE PAYS DES AMAZONES 1. De Manaos, capitale de l’Etat de l’Amazone, à Coapirânga Ferre ee FUTAAPUCALEE So Masc ENE Gavião. ... 42. — Usine d'eau-de-vie de canne à sucre, à Sepatiny. Chus =+ andre 1.057 » Mararag Case 1.003 » v Rio Purús. 1. De Mandos, capitale de l’État de PAmazone, à # Mandquiry... is eee .42 milles. Boa Vista.,. - som HT EE 7 Manacapurü......... oo 57 -» 435% 568 » 594 » 838 » 894 » PATATATYER es. ec efe ato INTE. sos dado DORSO HodaTioe nine Das aodadde datas ans Persegera nar EEE EE BarnicatibaRi eae cantante note oa GCaMPIRAS Me ee GUAÏATATUDA NE EEE BOAVIS AR EE Ce NAM ELSA A ER enr eee ec Piranhas..... Jd o REA “ Andarahyerer ec PCL eee RELA ss ga Ce CCE Secutiry IGT O OO DEE Bom PrincipiOL. eai tot TÉLÉ CARE pe e CIE BaCUTYA PAL eee save SASEDASHAO. acao Sims PortofAlesre ere. - Concelcaol Ee tera paro . SAIVACAD Eee nee MAQiDar Use RU sen erccere REPOUSO ot oa Lee -Ce RCE Atalaias ee os afeto aro istaçãa (CGanutama-k Sai cce Stan a Alliança = RTE E Bôa Esperança..... SEO EH BellaVistass eita Calasans DOR dre E SboDOR sol Santo Antonio......... ASS Jardim das Damas..... SES 93 milles, 117 133 135 178 198 233 703 707 720 729 17 o gp o me: | L : ra # ” é 258 LE PAYS DES AMAZONES De Manãos, capitale de l'Etat de l'Amazone, à Urucuryrestretsceere reais 736 milles. Vista PA Ler od CE 742 » SE JAP pocsb pao so va 775 20000 So EVA ia aeb ago anaa Ter 760 » Garmo serre ee ds aghapo GAR Assahiy cuba Rene 772 000 Santa Eugenia,....... Dee 778 » Pass ii iscas ÉCART t Tree Sor » areubinyd PERRET 810 » Eabrea PRET DO 818 » PA MR Son Sos dna paus 826 » S'NLUIZ Er ECO Er SAT Mabederyee rerc-er-etreee 8710 PrOovIden CA er EE PEL 913 » Memoriäzinho.............. 918 » Sepatin Ye teta eo efe 945 » 'SantaWElelenal. jeito 52» Hyutanaha se. cmo soe 1.027502 Espinito Santo 1.049 » Searlhan-s apa 1.067 » Memoriás =, ie dep Ep Tr LUTO DES AS galo seo amigo caso pros 1.199000 Pouso Alegre... 0... cj 3 TE 2a Paubinyi ips ED 15250 Do Quicihade NT ET ONE E CCE CFEE 12394 005 Sinimbue "0e "-- verse 1.370 02 LAND eus us CU OPEL Dto 1.437 » VI Rio Madeira. 1. De Mandos, capitale de l'État de l’Amazone, à Canuman "ere So milles Borbas et fa ELO RETIRO: jota RR tar TAS Sapucayal cj 1630» Vista Alepres Motor re es Marajó asi eee 191. à Fabocal® es e 194 » Bôa/ Vista”. em 204 » Ile des Aräras (aras). 214 » LE PAYS DES AMAZONES 259 1. De Manaos, capitale de l'Etat de l’Amazone, à Santa Rosa..... ..... 222 milles Cachoeirinha......... 247 » Manicoré. =. emacs 293 » Gapanñ terre 324 » ONCAS TEE EEE 354, à Marmello, 361 » NEO ee o At . 309 » Uruapiara........ RE SLI dr Baetas 5... DOC EC LES Bom Futuro......... 400 » Meditação........... 407 » Porto) Alegre. a... 429 » Castanhal ;.........- 436 » apte. ere. 438 » Jurar de ME re 439 » Carapanatúba........ 466 » Sitio Raphael........ 471 » BR arityss e sines me 476 » MÜRAS Sara bee ee 487 » res Casas, Re 496 » Pirahy baia rc ye) AT Mission de S. Pedro. 524 » Popunhas 3.02 540 » (ratos. e cross 544 » Humaythá........... 551 1» Paraiso) eee 560 » Mission de S. Fran- CISCON EC 594 » Papagaio = sete cias 619 » APEIHAS PE Pre cree 631 » BOa Horta .nce ao cs=o 643 » Cavalcante ........... 6530 MuútUns SS ses sato 693 » Santo Antonio ........ GUN Les moyens de communication ne manquent pas, on le voit. La plupart des grands affluents de l’Amazone sont sillonnés par la navi- gation à vapeur ; presque tous les grands centres maritimes d'Europe et des deux Amériques sont reliés à Manáos par de grandes lignes qui permettent aux voyageurs et aux marchandises de traverser les mers. Dans quelques années, notre grand État sera aussi connu de e % “encore, et de génération en génération le progrès s'agrandira, et 260 LE PAYS DES AMAZONES l'Europe, grâce à ses nombreux moyens de transport, que l'est New- York ou Rio-de-Janeiro; et nous ne doutons pas qu'un courant régulier d'émigration ne profite bientôt des facilités et des ressources qui sont si libéralement offertes par le gouvernement éclairé de l'Amazone. Nous serions heureux et fier de contribuer pour notre faible part à la grandeur future de notre patrie. Nous dépenserons toutes nos forces à cette œuvre immense. D’autres après viendront qui feront plus l’'Amazone jouira enfin de tous lesfruits de la civilisation et du travail. CHAPITRE VIII Arts, sciences, folk-lore. — La situation des indigènes à l’époque de la décou- verte. — Leur civilisatiou primitive. — Leur langue. — L'abaneenga et le neengatú. — Poésie de leur langue. — Un chant indien inédit. — Une fable inédite. — Danses indiennes. Reculons de quatre cents ans en arrière, remontons jusqu’à l’aurore du xvi* siècle. L'Europe renaît; le moyen-âge a pris fin. L'imprimerie propage l’idée, multiplie le verbe humain et appelle toutes les classes, nobles, bourgeois et manants, à la sainte communion des lettres. Dans les châteaux de la féodalité. on installe des cabinets d'étude; les armes cèdent le pas à la toge. Nous touchons au siècle de Léon X ; nous voyons surgir l’Arioste, Machiavel, Léonard de Vinci, Michel-Ange, Raphaël, Erasme, Copernic, Marot, Rabelais. Déjà la grande voix de Luther appelle les peuples à la réformation, en attendant que la puissante voix de Mirabeau lui réponde. presque au bout de trois siècles, demandant la réforme. C'est alors que les Européens arrivent au Brésil. Qu'y trouvèrent-ils en débarquant? — Ils trouvèrent devant eux d’immenses solitudes, des forêts, des marécages, une sorte de vieille Gaule druidique, habitée par des hommes étranges. Ces terres vierges servaient d’asile à une race de sauvages qu’on dédaignait de prendre pour des hommes. Ici, en apparence, rien de la civilisation poétique des Incas du Pérou, rien des mœurs grandioses des Aztèques du Mexique ; mais des peuplades libres, livrées la plupart du temps à des instincts féroces, menant la vie de nature au milieu des bois, passant le temps 262 LE PAYS DES AMAZONES à courir partout, à manger, à assaillir, à s’entre-tuer. Dédaignant l'or et les pierres précieuses que recèle leur sol, ces sauvages préféraient poursuivre le tapir et les pacas (1), et se livrer aux âpres délices d'une chasse sans fin. Leurs corps nus pénétraient dans les broussailles et se tenaient - immobiles, des heures entières, à l’affût des oiseaux et des fauves. Ils dévoraient le gibier tout saignant. Repus, ils s'endormaient sous la sombre végétation des forêts, au bord des fleuves. Ils n'avaient guère qu’un seul compagnon, leur arc, pesant comme du fer. Ils ne s'associaient que par intervalles, pour se défendre contre un danger commun. Leurs sens seuls étaient développés. Ils voyaient admira- blement à travers l’immensité. Ils recueillaient les moindres bruits de la forêt. Leur odorat avait une acuité canine. Ils tiraient avec adresse et manquaient raremement leur coup. Le cerveau, n'ayant qu'une idée fixe, se repaître, manquait d'éten- due et de ressort. Leur agilité d'esprit se traduisait en ruse. La force de leurs muscles leur tenait lieu de vigueur intellectuelle. Cette force était vraiment prodigieuse. Jean de Léry raconte qu'aucun de ses compagnons ne put bander Parc qu'un enfant indien de dix ans maniait sans beaucoup d'effort. Ces hercules avaient en général une horreur profonde pour tout travail agricole, et, la plupart du temps, leur besogne se bornait à recueillir les fruits sauvages qui pendaient aux arbres. Il y en avait, cependant, qui témoignaient plus de goût pour certaines occupations industrielles. Quand les Portugais débarquèrent au Brésil,ils crurent reconnaître un commencement de civilisation dans certains essais assez avancés, observés parmi un petit nombre de tribus du littoral. Dans les loisirs que leur laissaient la chasse, la pêche, la guerre et les longues courses à travers les forêts, les Indiens de cette région broyaient le manioc, extrayaient du cajú (Anacardium occidentale) un vin excellent, fabri- (1) Le tapir est le tapirus americanus, et la paca est la coelogenys Paca des zoologues. LE PAYS DES AMAZONES 263 quaient des huiles de palmier pour leur usage. D'autres s'employaient à conserver des provisions de viande, de gibier ou de poisson en les boucanant au moyen d'un procédé spécial (le moquém), ou bien ils passaient la longue saison des pluies à enluminer leurs igassáuas ou urnes funéraires, leurs vases et leurs calebasses d'ornements fantasti- ques, en les coloriant de la façon la plus pittoresque avec le suc et le 43. — Pagaies indiennes. vernis des plantes, comme par exemple avec le cumati (Asclepidea follicularis). Quelques tribus amazoniennes poussaient três loin Part de la céra- mique, et fabriquaient des poteries fort curieuses : il faut voir dans les Archivos do Museu Nacional de Rio les reproductions en cou- leurs de ces trouvailles, généralement trop peu connues en Europe. Cc n'est pas du premier coup assurément que nos ancêtres des 264 LE PAYS DES AMAZONES divers continents sont parvenus à extraire la ligne droite et la ligne courbe des formes variées que revêtent les différents objets de la nature. Il a fallu probablement des siècles et peut-être de longues générations d'artistes inconnus pour en arriver à ce progrès dans le dessin décoratif et ornemental. Il est d’autres faits encore qui nous permettent de rapprocher les Indiens de certaines parties du Brésil de diverses peuplades préhisto- riques de l'Europe. Ceux de l’Amazonie, par exemple, filaient le coton et quelques fibres textiles, connaissaient l’art de tisser et de fabriquer des pièces grossières d'étoffe. Mais ces rudes artisans réservaient naturellement tout leur talent pour la confection de leurs armes et pour la fabrication de leurs ustensiles. [ls avaient avec eux. pour principale richesse, un assorti- ment d’arcs polis, de flèches sculptées, de rames travaillées, de bâtons de guerre, de vases d'argile ou de calebasses (cúias), arrondis comme des fruits, luisants comme des feuilles. Leur vêtement était simple comme leurs mœurs. Cependant, par un luxe qui pourrait servir de lecon à nos élégants les plus smart, ceux de certaines tribus avaient des gants et des masques, faits de plumes, d’écorce d'arbres et du poil de différents singes, et dont ils se servaient dans les grands jours. La langue était plus compliquée. Sur la côte on parlait généralement une seule langue, n'ayant subi entre les tribus tupis (1) que des altérations accidentelles, créées par le climat et les circonstances, et telles que nous en constatons parmi les langues polies de l’Europe. Dans l’intérieur du pays, les tapuyas (2), au contraire, parlaient des langues diverses. L'une et l’autre, aussi (1) Tupi, tupy, topi, togpi : l’intérieur de la maison, qui est de la maison. Peut-être aussi de tubi, tubib : chef des parents, cacique. (2) Tapyi, les prisonniers : de tapi, part. de tar, prendre, acheter, et ui, multitude, troupe de captifs. Peut-être aussi de tapoy, nomades. Les Tapuyas semblent avoir été les habitants primitifs, que les tupis refoulèrent loin du littoral et qui allèrent vivre dans le sertao. ag. LE PAYS DES AMAZONES 265 bien la langue du littoral que la langue du sertäo, avaient de nom- breux dialectes. La nécessité de se faire comprendre des naturels du pays conquis imposa de bonne heure aux traitants portugais et aux missionnaires l’idée de rendre aussi uniforme que possible la langue parlée par les Indiens de la côte. Grâce à ces efforts naturels, grâce au frottement des Indiens soit entre eux soit avec les conquérants, grâce surtout aux travaux de systématisation des grammairiens de la Compagnie de Jésus, (1) la langue de la côte devint réellement la « langue générale » — lingua geral, — que l’on a désignée plus tard sous le nom, que les Indiens eux-mêmes lui donnaient, d’abañeenga, langue de l’Indien, de l'homme, abá, pour la distinguer du caraiñeenga, de la langue du blanc, du savant, carai. On l’a aussi appelée tupi-guarani, du nom des deux grandes familles indiennes qui la parlaient : les Tupis. au Nord, au Brésil; les Guaranis, au sud, au Paraguay. Le tupi de l’A- mazone s'appelle proprement ncengatú, « le bon parier ». M. Baptista Caetano (2). dont les écrits font autorité en cette matière et mériteraient d’être mieux connus des américanistes de l’Europe, pense que tous les dialectes parlés dans l'Amérique Méridionale peu- vent se réduire en définitive à cinq et peut-être même à deux seule- ment : le Chilidugu, l'Aymaräaro, le Kechuacallu, le Kiriri et l'Abañeenga. Le Chilidugu lui-même se filierait au Kechuacallu et à PAbanecenga; le Kechuacallu à l’'Aymaräaro, et le Kiriri à l’Aba- ñeenga. L’Abañeenga ou tupi-guarani ou langue générale est parlé encore aujourd’hui par les Indiens de l'Amérique du Sud, depuis les Guyanes (1) Les trois premiers grammairiens de cette langue furent trois Jésuites : Joseph de Anchieta, dont la grammaire parut à Coimbre en 1595 ; Antonio Ruiz de Montoya, qui publia la sienne à Madrid en 1640, et Luis Figueira, dont la grammaire fut imprimée à Lisbonne en 1687. (2) Apontamentos sobre o abañeenga, Rio, 1876. — O Dialogo de Léry, Rio, 1876. — Estudo sobre a lingua Kiriri, Rio, 1877. — Etymologias brazilicas, Rio, 1877. — Esbóco grammatical do abäñeé, Rio, 1809. — Aba Reta, trad. en port., Rio, 1879. — Vocabu- lario das palavras guaranis, Rio, 1886, etc., etc. 266 LE PAYS DES AMAZONES jusqu'aux pampas de la Patagonie. Un Amazonien (1), qui parlait le neengatú de son pays, et qui s'est trouvé, de 1865 à 1867, pendant la guerre de la Triple-Alliance contre le Paraguay, dans cette Répu- blique, dans l’Uruguay et "Argentine, a constaté qu'on y parlait par- tout la « langue générale » plus ou moins altérée. Il ajoute que, non seulement les gens du peuple et les soldats y parlaient cet idiome, mais encore que des familles de la bonne société ne dédaignaient pas de s’en servir habituellement. Aussi, arrivé de Vextrémité septen- trionale du Brésil, était-il tout étonné d’être compris sans difficulté de tous les naturels de ces parages, en leur parlant le tupi des indigènes de sa terre natale. L'abbé M. J. de Seixas (2), Silva Guimarães (3), Gonçalves Dias (4), le colonel Faria (5), Ferreira França (6), Latham (7), le D' Carl. Friedr- Phil. von Martius (8), le professeur Hartt (9), le général Couto de Magalhães (10) et bien d'autres ont publié des travaux d'une valeur inégale sur cette langue. Seuls von Martius et Baptista Caetano sem- blent en avoir pénétré les secrets, bien que les recherches de tous les autres aient certainement contribué à en dévoiler les mystères. L'étude de la langue tupi-guarani prouve que les Indiêns du littoral brésilien et en particulier ceux de l’Amazone n'en étaient plus au simple monosyllabisme. L’agglutination prenait des proportions ) Pedro Luiz Sympson : Grammatica da lingua brazilica geral, Manäos, 1877. ) Pe. Manoel Justiniano de Seixas : Vocabulario da lingua indigena geral...., Para, 1853. ; | (3) Joao Joaquim da Silva Guimarães : Diccionario da lingua geral dos indios do Brazil..... , Bahia, 1854. (4) Antonio Goncalves Dias : Diccionario da lingua tupy..... , Lipsia, 1858. (5) Francisco Raymundo Corrêa de Faria : Compendio da lingua brazilica...., Para, | 1858. (6) D‘ Ernesto Ferreira França : Chrestomatia da lingua brazilica...., Leipzig, 1850. (7) R. G. Latham : Elements of Comparative Philology, London, 1862. (8) D° Carl Friedrich Phil. von Martius : Wôrstersammlung Brasilianischer Spra- chen...., Leipzig, 1867. (9) Chas. Fred. Hartt: Notes on the lingoa geral or modern tupi of the Amazonas....; New-York, 1872, « Transac. of the Amer. Philol. Assoc. » (10) Couto de Magalhães: O selvagem : Curso de lingua geral...., Rio, 1876. LE PAYS DES AMAZONES 267 savantes et s'éloignait, par des combinaisons parfois bizarres, des syntaxes usitées même parmi certains naturels des autres parties du nouveau continent. Ce serait une vaine et puérile tentative que de vouloir résumer en quelques lignes la morphologie de cette langue ; les curieux pourront Pétudier à l'aise en s'adressant aux sources que nous venons de citer. Mais nous tenons à en signaler quelques singularités. M. Escobary, qui a publié des études sur la langue aymará, pré- tend, et il appuie son dire de nombreux exemples, que les noms de la Bible et ceux del’Aymara sont identiques. Dans "Amazone, Noronha a fait remarquer, dès 1768, que les Uerequênas ou Arequênas, Indiens du rio Icana, avant d’avoir aucun contact avec les civilisés, portaient des noms bibliques : Joab, Jacob, David, etc. D’après lui, les Indiens du rio Ica et de ses affluents pratiquaient la circoncision sur les enfants qui venaient de naître. la mère étant chargée de cette opéra- tion. C'est seulement après la circoncision que l'on imposait un nom au nouveau-né, au milieu de danses et fêtes célébrées devant le mas- que du Jurupary. Certains américanistes de nos jours prétendent que les Indiens comptaient jusqu’à 10 en tupi-guarani, et formaient ensuite les autres nombres avec cesdixunités, endisant, pouronze, dix et un ; pour douze, dix et deux; pour vingt, deux dix, et ainsi de suite. Il est certain que les sauvages en contact avec les civilisés ont dû chercher à s’en faire comprendre, et que, de nos jours, ils composent tous les nombres. Mais il n'est pas moins certain que, lors de la découverte, ils ne comptaient vraiment que jusqu’à 3. Ils disaient : 1, oyepé (qui est par soi-même); 2, mokuen (qui fait la paire); 3, mosapeire (qui met le comble, qui forme le couronnement). Pour dire 4, ils étaient déjà obligés de répéter 2 et 2, mokuen-mokuen. Pour exprimer 5, ils disaient chepó, ma main, les doigts de ma main. Pour signifier 10, ils disaient mes 2 mains; et pour signifier 20, mes mains et mes pieds. Malgré la pauvreté relative de son vocabulaire, leur langue était 268 LE PAYS DES AMAZONES toute parfumée de poésie expressive et originale. — « L'étoile du matin, a écrit Fréd. Hartt, ils l’appelèrent le pilote du matin, pira- panem. (1) Parmi les constellations, il y avait ouegnomoin, le crabe ; yassatin (2), un oiseau ; tuyaué, le vieillard (3); coromy manipoêre- ouaré, le garçon qui mange du manioc (4) ; andoutin (5), Pautruche blanche, qui mange des œufs d'oiseau (ougraoupia), représentés par deux étoiles du voisinage; Tapity (6), le lièvre; Gnupouêon (7), le four à manioc, etc. Ce qu'il y a de plus intéressant encore, c'est qu’ils ont donné, comme on l’affirme, le nom de Jaouáre (8), le chien, ou, mieux, le jaguar, à une grande étoile qui vient tout de suite après la lune, et qui, selon la croyance des Indiens, court après elle pour la dévorer... « Le Dr Silva Coutinho m’a raconté (9) que, non seulement les Indiens de l’Amazone donnent des dénominations à un grand nombre de corps célestes, mais encore qu'ils racontent des histoires à leur sujet. Ils disent que les deux étoiles formant l’épaule d'Orion sont un vieil- lard et un jeune garçon qui chassent une vache fluviatile (peixe boi) dans un canot. Sous le nom de manate, ils désignent une tache noire du ciel, située près de cette même constellation. Tout d’abord, ajou- tent-ils, le vieillard (la grande étoile) était à la proue du canot, tandis que le jeune homme (la petite étoile) se trouvait à la poupe, tenant le gouvernail. Lorsque le vieillard aperçut la vache fluviatile, il se trouva trop émotionné pour pouvoir la harponner; il changea donc de place avec le jeune homme. (1) Pira panê ne veut pas dire pilote du matin, mais « privé de poisson ». Ce nom, dit Bap. Caetano, était donné à Mercure, à l’influence duquel les Indiens attribuaient le manque de poissons en certaines saisons. (2) C'est probablement une mauvaise orthographe pour yacutinga (Penelope pipile). (3) En tupi moderne, nous disons tijuaê, et, en guarani, tuyábae. (4) En tupi moderne : corumi manipuéra oúbae. (5) Nhandú (Rhea americana), celle qui court. (6) Tapiiti, lapin, en guarani. (7) En tupi moderne : iapuna. (8) En tupi : jagudra ou Yaguára (Felis onza). (a) Cf. sur tous ces sujets Folk-Lore brésilien, par F.-J. de Santa-Anna Nery, Librairie Académique Didier, Paris, 1888. LE PAYS DES AMAZONES 269 « Il y a une constellation à laquelle ils donnent le nom depalmier; tout près, on voit une rangée d'étoiles. Ce sont, disent-ils, les sin- ges qui vont manger les fruits du palmier. « Le D: Coutinho a trouvé un autre mythe dans le rio Branco: la lune, représentée par une jeune fille, s'éprend de l’un de ses frères, elle lui rend de fréquentes visites nocturnes. Finalement, son secret est trahi. En effet, lors de l’une de ses visites, son amant lui passa la main sur le visage, et, comme sa main était couverte d'une substance noire, la tache y restaimprimée. » Noronha raconte qu’en 1768 il fréquenta des Indiens Passés du rio Japurá, dont il résume ainsi les idées: le soleil est insensible; la terre seule se meut pour pouvoir présenter à la chaleur chacune de ses parties. Il n’y a que deux vrais astres: le soleil et la lune, celui-là pour éclairer le jour, et celle-ci, la nuit. L'espace supérieur, au delà du soleil et de la lune, en est séparé par une voûte bleue, formant une espèce de treillis ou de jalousie. Cet espace supérieur est tout brillant de lumières, car il est le séjour du Créateur, dont on ignore la nature. Quelques rayons des lumières qui éclairent ce séjour bien- heureux coulent par les interstices de la voûte bleue, et c'est là les étoiles. Les rivières et cours d’eau sont les artères et les veines du corps de la terre, et les courants de ces rivières et fleuves sont dús au mouvement de la terre. Les Chománas (Xománas) de la même rivièreappelaientle soleil Pas- tre chaud (syma); la lune, l’astre froid (uaniu); les étoiles, astres lui- sants (vueté) ; la foudre, le bruit éclatant, yuni);le tonnerre, précurseur des pluies (guiriuá); l'éclair, épouvante (pelu): l'aurore, commence- ment du jour (samataca). Pour désigner toute chose, le tupi-guarani ou mieux le neengatü amazonien a des expressions pittoresques, parlantes. En voici quel- ques exemples: On connaît ces terribles petits insectes aux pattes nombreuses, vul- gairement appelés mille-pieds (sco/opendra). Les Indiens leur don- D 270 LE PAYS DES AMAZONES nent un nom beaucoup mieux approprié à leur forme : jurupary- kybaba, peigne du diable. Les capucins paraissent parmi eux pour leur prêcher l'Evangile; aussitôt ils leur appliquent un nom qui les dépeint physiquement avec la plus grande fidélité, à cause de la forme de leur capuchon: pay-tucura, moine-sauterelle. Les Français arrivent, et tout de suite les Indiens les désignent sous le nom de sauvages blancs, tapaytinga (1). Chaque appellation parmi eux est un qualificatif: Qu'est-cequ'un scorpion ? — Un excrément de serpent: mboi repoti. Et un crabe? — Une bête ayant des yeux dans les jambes: uça. Et un varioleux? Un visage troué: tabaguaré. Et les aras? — Des fils du jour: ará-ará. Et le tamanoir ? — Un chasseur de fourmis : tamanduá. La langue française compte, d’ailleurs, des centaines de mots pure- ment indiens ou ayant subi à peine de légères modifications, tels que ceux-ci : agami, agouti, aï, ananas, ara, boa, cacao, caïman, caout- chouc, capivard, carapa, cassave, coaita, coca, copahu, courbaril, curare, genipa, guarana, hocco, igname, iguane, ipécacuana, jabo- randi, mani (résine), manioc, papayer, piassava, piaye, rocou, sa- gouin, sarigue, tamanoir, tapir, tapioca, tatou, toucan et tant d’autres. Il y a en France des gens qui parlent le neengatù de l’Amazone sans le savoir. Si, à l'exemple de quelques écrivains ingénieux, nous avions envie de soutenir un paradoxe séduisant, il nous serait facile de signaler une apparente analogie entre le grec et la langue tupi-guarani. Tupan dieu, serait theo; tatá, feu, viendrait de dadeô, brüler ; oca, maison, serait oikia; cuná, femme, trouverait très facilement sa racine dans le mot grec gunè; myra, peuple, abondance de gens, serait un dérivé de myrias; cariua, blanc, maître, seigneur, serait kyrios; catú, bon (1) C'est là le sens admis par tout le monde ; fapaytinga, tapuya tinga, ou tapuyo blanc. Nous croyons que le vrai sens est assaillant d'aldées. de taba, aldée, réunion de chaumes, et itig, investir, assaillir; d’où tabeitig, tapaytinga. Aa a EE LE ad QD um Ema Ma “Ia LE PAYS DES AMAZONES 271 arriverait à se filier à agathos, et ainsi de suite. Mais Voltaire a eu raison de dire: « L'étymologie est une science où les voyelles ne signifient rien et les consonnes pas grand chose. » Ces jeux d'esprit n'ont plus de raison d'être aujourd'hui: la science exige d'autres preu- ves que des ressemblances accidentelles pour affirmer la parenté entre les langues. Il n’en est pas moins vrai que la langue des naturels du Brésil demande encore à présent de sérieuses études et qu'elle pourra fournir peut-être la clef de bien des énigmes (1). Malgré tous ces éléments de civilisation rudimentaire, l’Indien, avec sa solide charpente trapue, avec sa peau olivâtre et tannée par le soleil, avec ses cheveux longs, noirs et durs ; avec ses larges épaules, ses mains microscopiques, sa barbe peu fournie, son regard plein de rêves et de langueur, l’Indien parut aux Européens comme un être infé- rieur à peine sorti du chaos. La chasse à l’homme commença, terrible. L'extermination se poursuivit sans pitié. Les pauvres gens luttèrent avec désespoir contre les armes à feu des civilisés. Ce ne fut qu’en semant la discorde parmi eux que les Européens parvinrent à s'em- parer de leurs terres, à les refouler dans l’intérieur ou à les réduire en esclavage. Pour arrêter le carnage, il fallut des arrêtés royaux, il fallut des bulles papales. En plein xvi° siècle, disons-le à la honte de l’Europe, un Pontife dut déclarer solennellement que les Indiens sont des hommes faits à l'image de Dieu et possédant une âme immortelle, — atiendentes Indos ipsos, ut potè veros homines.. (2). Et, maintenant, ces misérables débris des anciens maîtres du sol sont décimés par la variole et abrutis par l’abus des liqueurs fortes. Dans ses conquêtes du Nouveau Monde, on dirait que l'Européen a cherché à empoisonner tout ce qu'il n’a pas réussi à tuer. (x) Voir: The Brasilian Language and its agglutination, by Amaro Cavalcanti, Rio- de-Janeiro, 1883, série dédiée par son auteur «to His Imperial Majesty don Pedro segundo, the constant Protector of the intellectual development and the general ins- truction of the country ». (2) Paul III, le quatrième jour des nones de juin de l’an 1537. = — o = = == 272 LE PAYS DES AMAZONES On a écrit de gros volumes pour démontrer que, chez tous les peuples, la littérature a dû commencer par la poésie, et par la poésie . lyrique. Il est vraiment dommage qu'aucune strophe de ces temps reculés ne nous ait été conservée; elle eût fait bien mieux notre affaire que tous les in-folio des bibliothèques. Peu nous importe, du reste, ce qu'a pu être aux époques préhistoriques le mouvement littéraire de l'humanité. Nous soupconnons qu'il devait se réduire à un fort petit nombre d'improvisations poétiques, et que, les loisirs manquant, on devait se passer de ce luxe social. En ce temps-là, sans aucun doute, on vivait de bon gibier et non de beau langage. Quant aux Indiens qui nous occupent, ils n’ont laissé aucun monu- ment écrit de leur poésie d'antan. Le bardisme n'avait pas cours parmi eux. Il est à croire que l’on chantait ensemble certaines mélopées fort simples, en s'enivrant de sauts simiens et de liqueurs capiteuses. Presque tout ceque nous savons de leurs traditions, nous le savons depuis peu, et nous avons le regret d'apprendre aux amateurs de poésie archaique que la plupart des compositions indiennes étudiées jusqu'ici se ressentent plus ou moins du commerce des Européens. Telle qu’elle est, cependant, cette poésie a conservé une étrange saveur. Sous la greffe, on sent encore le sauvageon. C'est un assem- blage de phrases courtes, rythmées sans art, bondissant sous le jet de l'inspiration, projetant des images fulgurantes. Sans revenir sur des poésies et des chants indiens, que nous avons fait paraitre il y a dix ans dans le Folk-Lore brésilien et qui ont mérité d'arrêter Vattention d’un critique éminent (1), nous préférons donner ici une autre poésie et un autre chant inédit, recueillis dans le rio Autaz chez des Indiens déjà en contact avec les civilisés, et que (1) J. Weber, du journal parisien Le Temps, cité par M. Eduardo Prado, dans Part. | L'Art, du livre Le Brésil en 1889, de F. J. de Santa-Anna Nery, Paris 1889. 4 LE PAYS DES AMAZONES 273 les caboclos de ces parages, lorsqu'ils sont en train de fabriquer la farine de manioc, chantent en guise de scie: Se manicu Julião, Se putia pura Se manú açara (1) E. a — se... = Mestre ere een fesses Es = = = Cette esquisse resterait par trop incomplète si nous n’essayions pas - de donner une idée des fables indiennes, qui présentent toujours un certain intérêt pour les folk-loristes, quoiqu'elles soient dues à des Indiens mi-civilisés. | En voici une, que nous croyons absolument inédite : Un propriétaire campagnard avait eu le malheur de se lier d'amitié avec le jaguar mâle. Celui-ci lui rendait de fréquentes visites et avait l'habitude de se faire accompagner de quelque animal du voisinage. E ; | — Arrivé chez son hôte, le jaguar ne manquait jamais de lui croquer une chèvre ou un mouton, pendant que tout le monde dormait dans - la maison. Après avoir tranquillement dégusté la victime choisie, le jaguar en recueillait le sang dans une calebasse et en aspergeait trai- treusement l'animal qu’il avait emmené en sa compagnie. Le jour “venu, le campagnard s’apercevait du carnage accompli dans son Ê étable pendant la nuit. Le jaguar en rejetait la faute sur son com- … pagnon de voyage, le désignant comme le vrai coupable, puisqu'il 5 était encore couvert du sang de la victime. Devant cette preuve, le bonhomme tapait ferme sur l’innocent, tandis que le jaguar, repu, _ … riait sous cape. La plupart des animaux en avaient passé par là, lorsque le jaguar eut la malencontreuse idée d'inviter le singe à son excursion habituelle. — | C'est entendu, répondit le singe, qui se défia de tant d'amabilité. Il cs (1) Traduction : Mons Emmanuel Julien, la cuvette bout, et il oublie le manioc. 18 274 LE PAYS DES AMAZONES prit sa viole et son couvert, et se mit en route avec le jaguar. Le chemin était long. En route, l’on s'arrête pour respirer un peu. C'était sur une plantation de cannes à sucre, appartenant précisément au bonhomme qu'on allait voir. — N'y touchez pas, ami singe : cette plantation est à mon ami ; vous pouvez brouter l'herbe, tandis que je vais faire un tour. Cent fois il avait employé le même stratagème avec les autres ani- maux, et se croyait sûr du succès. — Il dit et s’en va de l’autre côté, pour sucer des cannes à sucre. Le singe, toujours sur ses gardes, le suit à distance, Vaperçoit croquant à belles dents des cannes à sucre, et commence à en faire autant. Le jaguar, en revenant, le retrouve encore tout occupé à cetie besogne, et lui reproche son manque de savoir vivre. On arrive de mauvaise humeur chez le campagnard, qui, toujours généreux, a préparé un plantureux repas, composé spécialement de cinq gros filets de bœuf. — Allez chercher un couvert, ami singe, dit le jaguar. (C'était le système employé avec les autres animaux, qui, en revenant, ne trouvaient plus rien dans le plat). — Merci, je l'ai apporté, répond le singe, en tirant fièrement son couvert de sa poche. On se met à manger. L'homme prend un morceau, le jaguar un autre, le singe un troisième. Mais celui-ci a à peine entamé le filet avec ses petites dents que déjà le jaguar a terminé son morceau et se jette sur un second. Voyant cela, le singe se hâte de jeter aux chiens son morceau commencé et prend la dernière tranche. Nouvelle colère du jaguar, qui cependant ne dit rien. On est fatigué du voyage. On va se coucher. Le singe par précau- tion demande à suspendre son hamac très haut. Il n’a pas sommeil, d’ailleurs, et se met à jouer de sa viole. Le jaguar veut le faire taire, mais le propriétaire trouve cette musique ravissante et le prie de continuer. Enfin. il se fait tard, la musique cesse, l’homme s'endort, | le jaguar fait mine de dormir et le singe l’imite. LE PAYS DES AMAZONES 275 Au bout de quelque temps, le jaguar se lève, court à l’étable, croque une chèvre, remplit de sang sa calebasse et revient pour en arroser le singe. Mais celui-ci veille ; il est à moitié assis dans son hamac, ayant air de dormir, les jambes pendantes. Lorsque le jaguar s'approche pour l’asperger, il donne un grand coup de pied dans la calebasse et en renverse le contenu sur le jaguar. Le jour paraît. Le propriétaire constate qu’on lui a mangé une chèvre. Il s’en indigne et veut connaître le coupable. — Ce doit être l’ami singe, s'écrie le jaguar, du coin où il s’est caché après s’être nettoyé tant bien que mal. — Regardez plutôt ce bon compère jaguar, fait le singe; il est encore tout couvert du sang mal essuyé de votre pauvre bête. L'homme s'assure que le singe dit vrai. Il se souvient de tous les dommages qu'il a subis, de l’ingratitude du jaguar. Il prend sa cara- bine, le tue raide, lui enlève la peau et donne la chair à ses chiens. Le singe (1), avant de prendre congé de son hôte, se paie un filet du jaguar et Pemporte. Il a son idée. Il l'envoie à la femelle du jaguar mâle en lui disant : « c'est un filet de bœuf, excellent à manger, un cadeau de votre mari qui ne s’est jamais mieux porté. » En même temps, pour faire pièce à la femelle de son ennemi, il va raconter aux petits de la maison que c’est un morceau de chair de leur père, mort et enterré : — Savez-vous ce que vous mangez, mère ? demandent les petits. C’est de la viande de papa, que le singe a fait tuer. La femelle du jaguar jure de se venger. Elle se terre dans un grand trou de la plaine entièrement cachée, la gueule ouverte, espérant que le singe, curieux de sa nature et vagabond, viendra à y passer et qu’elle pourra le mettre en pièces. Le singe est en train de se prome- ner, en effet, dans les environs. Il entend les autres animaux s'écrier: — « La terre a des dents ! », car on n'aperçoit que les crocs du jaguar. Le singe se doute que c'est un stratagème de son ennemie. Il s'arme (1) La crudité de ce passage est telle que nous sommes obligé de l’atténuer dans tout le récit qui va suivre. 276 LE PAYS DES AMAZONES d'une grosse pierre, s'approche avec précaution, jette la pierre dans Fr) 9 la gueule de l’once et s'enfuit à toutes jambes. La veuve inconsolée, voyant son truc éventé, sort de sa tannière. Elle trouvera autre chose. La sécheresse est venue. Il n'y a qu’une seule source dans la contrée. Elle la garde. Tous les animaux peuvent y aller boire librement, à l'exception du singe qui doit crever de soif. Le singe, pressé par la soif, oint tout son corps de jataicica (1), le recouvre de feuilles vertes collées sur son poil et s’avance. Tous l’admirent. On n’a jamais vu semblable animal. La femelle du jaguar elle-même, trompée, le laisse venir à la source. Le singe s’y désaltère tout à son aise ets'en va en se traînant. Parvenu à une distance respectable, il enlève les feuilles qui lui servent de déguisement et se met à se gausser de la veuve, en se faisant connaître. La femelle du jaguar, furieuse, décide qu’elle ne laissera plus venir à la source aucun animal de n’importe quelle espèce. Le singe met à profit le mécontentement général pour préparer un nouveau tour de sa façon. Il prépare une procession à laquelle prendront part tous les animaux de la forêt. Au jour dit, il se place courageusement à la tête de la procession et part avec tous les animaux, entonnant des chants tristes. Ils passent près de la source.— « Qu'est-ce que c'est queça? de- mande la veuve ; que signifientces chants religieux ? » « — C'est l'office de la Sainte-Vierge, lui est-il répondu ; nous invoquons son secours. Ne connaissez-vous pasla nouvelle? Il va souffler un orage épouvan- table qui nous balaiera tous. C’est à peine siles plus gros arbres de la forêt pourront tenir debout. » — « De grâce, reprend la femme du jaguar, attachez-moi au gros ârbre que je vois là-bas, pour que je ne sois pas enlevée, moi aussi. » — « Vous nous avez fait bien du mal, reprennent en chœur les animaux. N'importe, devant le danger com- mun, nous vous pardonnons ; nous allons vous attacher. » (1) Résine de jatahy : Hymeneae sp. LE PAYS DES AMAZONES 277 Le singe se charge de la besogne. Il prend une corde de curauá (1) et commence l'opération. L'once est déjà plus qu’à moitié liée étroi- tement à l'arbre, quand elle dit : — « Attachez mon derrière plus soli- dement encore. » — « Impossible, reprend le singe gouailleur; et la place pour le fouet, donc ? » En effet, à peine le jaguar est-il bien attaché qu'il lui administre avec délices une bonne volée de bois vert et s’en va riant de la bonne farce. A Paricatuba, sur le rio Mamiä, Ribeiro de Sampaio (2) assista, en 1774, à la fête queles Indiens célébraient à l’occasion de la puberté de leurs enfants. Pendant cette cérémonie, qui dure huit jours, ils se fouettent réciproquement au moyen de lanières en cuir de cerf, de tapir ou de poisson-bœuf, ayant une pierre au bout. Un Indien se place au milieu de la pièce, les bras ouvers en croix, tandis qu'unautre le fouette, puis prend la place de celui-ci et se soumet à la même fustigation. Pendant ce temps, les vieilles femmes de la tribu ont pré- paré le payauarú, vin fait de fruits et de cassave, et le paricá (Mimosa acacioides, que De La Condamine appelle curupa, comme les Cum- bebas), tabac qu'ils prennent de la plus singulière façon : chacun d'eux a à la main son tuyau rempli de la poudre de parica ; il applique l’une des extrémités de ce tuyau au nez de son voisin et souffle dans le tuyau de toutes ses forces. L'autre lui rend le même service. Cet exercice agréable dure la journée entière et la nuit est consacrée à la boisson et aux danses. Parmi ces danses, l’une des plus bizarres est celle que les Uaupés exécutent en l’honneur du Jurupary, au son d’une douzaine de torês sacrés, qu'ils gardent avec soin loin du regard des femmes et dont elles ne doivent même pas entendre les sons. C'est ainsi que chez les peuples dans l’enfance les cris et la danse viennent en aide à la pauvreté de l’idiome, et lui prêtent leurs (1) Palmier (Attalea spectabilis). (2) Ribeiro de Sampaio; ouvr. cité, p. 22. 278 LE PAYS DES AMAZONES ressources d'expression. A mesure que les nations vieillissent et entrent dans le calme de l'expérience, les muscles tendent au repos, les corps deviennent plus sobres de démonstrations violentes, le discours gagne en ressources, les sensations se transforment en sentiments et ceux-ci en pensées raffinées. La civilisation excessive rend les cœurs impassibles, les têtes froides et les membres rigides. Ce phénomène d'apaisement est très sensible chez les Indiens qui sont entrés en contact avec la civilisation des blancs. Pour la danse, comme pour la religion, ainsi que nous le verrons bientôt, il s’est produit une simple adaptation des mœurs étrangères. Les danses d'autrefois sont restées; leur pétulance seule a été modifiée. Voici la description que donne Agassiz (1) de la chorégraphie moderne des Indiens de " Amazone ; elle est d'accord avec nos observat:ons person- nelles : « La danse commença. Elle était d'un caractère tout parti- culier, et si languissante qu'à peine mérite-t-elle ce nom. Le corps ne fait presque aucun mouvement; les bras, levés et fléchis, sont raides et immob les doigts claquent comme des castagnettes en accom- pagnant la musique, et l'on dirait des statues glissant de place en place plutôt que des danseurs Les femmes surtout produisent cette impression, car elles se meuvent encore moins que les hommes. » Quand aux habitants actuels des villes de Amazone, ils ont intro- duit chez eux la musique et les danses de l’Europe. Rien ne les dis- tingue des civilisés du vieux monde. (1). M.et Mo: L. Agassiz: Voyage au Brésil. Paris, 1876. CHAPITRE IX Enseignement moderne. — Organisation générale de Vinstruction publique au Brésil. — Ce qu'était l'instruction publique dans "Amazone il y a un demi- siècle. — Ce qu’elle est devenue. — Crédits consacrés à l’instruction publique par le budget de l'Etat. — Ecoles primaires publiques. — Enseignement secon- daire. — Ecole normale. — Enseignement professionnel, — Muséum. Le meilleur des régimes scolaires est évidemment celui qui répond le mieux au tempérament national, aux besoins du moment et aux institutions générales d’un peuple. Au Brésil, l’organisation de l’enseignement repose sur ces trois bases. Elle est en rapport, jusqu’à un certain point, avec nos mœurs, nos aptitudes et notre système politique, et ne ressemble à rien de ce qui fonctionne en France. La France est une République fortement centralisée. Le Brésil est une République également, mais une République fédérative, composée d'Etats autonomes. Aussi, tandis qu’en France l’enseignement à tous les degrés est concentré et se trouve au pouvoir de l'Etat, — au Brésil, tout au contraire, il est comme calqué sur l'autonomie absolue de chaque Etat. Au Brésil, l’enseignement de toutordre est du ressort de chaque Etat, et, en principe, des Municipes également. L'enseignement supérieur lui-même ne constitue pas un monopole de Union Fédérale: les vingt Etats, les municipes, des corporations même peuvent créer des Universités et des Facultés, et ces établis- sements sont entièrement libres dans le choix du personnel, dans la fixation des programmes et dans l'adoption des méthodes. L'Union Fédérale ne peut leur imposer aucun joug, aucune contrainte admi- 280 LE PAYS DES AMAZONES + — nistrative, aucun droit d'inspection. Les examens qu'elle fait subir aux ù candidats de toute provenance qui veulent prendre des inscriptions dans les établissements d’enseignement supérieur qu’elle entretient encore, sont le seul moyen dont elle dispose pour peser indirecte- ment sur le programme de l'instruction primaire et secondaire. En France, l’enseignement primaire n’est gratuit que depuis l’ap- plication des réformes provoquées par M. Jules Ferry. Au Brésil, la gratuité existe partout, et, avant même l’avénement de la Républi-. que, existait déjà en vertu d’un article de la Constitution impériale du 25 mars 1824. Cette gratuité n'entraine pas forcément l'obligation; elle n’est qu'une facilité offerte aux pères de famille sur toute l’éten- due du territoire de la République. Certains Etats brésiliens ont décrété l’enseignement obligatoire ; il en est d’autres où cet enseigne- | ment demeure facultatif, quoique toujours et partout gratuit. Dans l'Etat de " Amazone, il n'est pas obligatoire. Dans une région aussi vaste, où les centres de population sont irrégulièrement distri- bués, où les intérêts sont très divers, il était peut-être un peu difficile d'astreindre tous les enfants à fréquenter l’école ; mais cette lacune n’en est pas moins regrettable. En revanche, la laïcité de l’enseignement existe dans l'Amazone, et semble un corollaire naturel de la séparation de l'Eglise et de l’État, décrétée par le Gouvernement Provisoire et confirmée par la Constitution républicaine du 24 février 1891. Cependant, Pinstruc- tion religieuse est donnée dans presque tous les établissements scolaires privés, et, le plus souvent, par des laïques, sans qu'il en soit résulté de graves inconvénients. L'enseignement public au Brésil est donc suffisamment en harmo- nie avec notre organisation gouvernementale et avec nos MŒurs. —. Il est gratuit, comme il convient à une démocratie. Il est obligatoire ou facultatif, selon les circonstances, comme il doit être dans un vaste et libre pays à forme républicaine fédérative. Enfin, s’il n'est pas reli- gieux, il n'est pas non plus anti-confessionnel, parce que chez nous il LE PAYS DES AMAZONES 281 yaun mélange à parties égales de religion et de libre philosophie pratique. Le principe de ia gratuité se justifie de lui-même. Celui de la décentralisation en matière d'instruction publique était réclamé par l’organisation politique du pays, ainsi que nous l'avons déjà attesté, et par les conditions particulières de sa population. Le territoire brésilien est immense. Il n’est inférieur que d’un cinquième à la superficie totale de l’Europe. De plus, il se trouve três inégale- ment peuplé. Il eût été difficile d'organiser l’enseignement dans l'Etat de l’'Amazone, par exemple — où l’on compte à peine 0.08 habitant par kilomètre carré — sur le mème pied que dans la capitale de l'Union, où la densité de la population s'élève à 197 habitants par kilomètre carré. Il eût été impossible d'imposer un régime uniforme à des contrées aussi dissemblables au point de vue de la population, du climat, des éléments ethnologiques et des habitudes locales. Il était plus sage de laisser aux Etats le soin de conformer leur enseignement à leurs besoins respectifs. Les Etats d’ailleurs, se sont montrés dignes de la tâche qui leur a été confiée. Ils ont rivalisé de zèle entre eux pour assurer au plus grand nombre possible de leurs administrés la meilleure et la plus fructueuse éducation. De cette noble et féconde émulation entre leS vingt Etats, sont sortis des progrès vraiment remarquables. L'un des anciens ministres de l'instruction publique du royaume d'Italie, M. Coppino, avait l’habitude de répéter : « Les écoles pri- maires et les instituteurs ne font défaut que là où les communes ne montrent pas assez d'affectueux empressement pour les bien doter. » Le gouvernement central, en effet, ne saurait suffire et pourvoir à tout. Sous ce rapport, les Etats du Brésil n’ont rien à se reprocher et rien à envier, car, presque tous, ils consacrent la plus belle part de leur budget à l'instruction publique. L'Etat de l’Amazone occupe une place honorable à côté de ses dix-neuf frères, au point de vue de l'instruction publique, et les pro- 282 LE PAYS DES AMAZONES grès qu'il a réalisés dans cet ordre d'idées méritent tous les encou- ragements possibles. La première école primaire publique, dont il soit fait mention dans les annales législatives de l’ancienne province, a été créée par la loi n° 6 du 8 mai 1838, alors que cet Etat était une simple comarque sous 44. — Edifice scolaire, à Manaos. » la dépendance de la province de Pará. Elle fut établie dans le quartier Saint-Vincent de la ville de Barra-do-rio-Negro (aujourd’hui Manäos), où, dix ans après, la loi n° 151 du 25 novembre 1849 établit aussi une école primaire pour le sexe féminin. Ainsi donc, il y a 61 ans, à l’époque où cette comarque devint une province, l’Amazone possédait tout juste deux écoles primaires publiques ! En 1852, lorque ce territoire eut une organisation séparée et cons- + Rp = LR SR a RS, a à se “+ LE PAYS DES AMAZONES 283 titua la province de l’Amazone, quatre écoles publiques primaires furent créées à Silves, à Itacoatiara, à Moura et à Thomar. En 1853, neuf écoles nouvelles se fondèrent, pour les garcons seu- lement, à Villa-Bella, aujourd’hui Parintins, à Canuma, à Maués, à Borba, à Teffé. à Sam-Paulo-d'Olivença, à Sam-Gabriel, à Barcellos et à Coary. L'année suivante, la loi nº 27 du 9 septembre 1854 pourvoyait enfin à l'éducation des filleset instituait pour elles une seconde école primaire à Teffé. Nous ne possédions donc, il y a 45 ans, que seize écoles primaires sur toute l'étendue de notre grande province ; et vingt-sept ans après, en 1881, nous ne disposions encore que de 40 écoles primaires, dont un certain nombre même manquaient de titulaires. La province dépensait alors environ 53 contos pour son instruction publique et n'obtenait que d’assez maigres résultats, puisque la fréquentation se traînait entre 1,000 et 1,500 élèves. Depuis cette dernière date, 1881, une ère nouvelle a commencé pour notre enseignement public. Une direction énergique lui est im- primée, un essor considérable se dessine. On a compris enfin l’impor- tance capitale de créer des citoyens instruits et capables d'élever le niveau intellectuel des populations amazoniennes. Le gouvernement local n’a pas voulu que les progrès matériels, que les développements futurs de l’agriculture et de l’industrie, aillent seuls et ne reposent que sur des bases incertaines. Il s’est appliqué à vaincre l'ignorance, comme il a pris à cœur de combattre l'esclavage et d'assurer les bien- faits d'une prompte et sérieuse immigration. Il a compris qu’une nation, pour prospérer, doit en même temps avoir souci de ses inté- rêts moraux, intellectuels, religieux et purement matériels, et qu'il est toujours dangereux d'isoler ces quatre facteurs de toute véritable civilisation. C’est pourquoi l’on a eu raison d'écrire: « Il existait, il y a environ deux mille ans, au sud de l’Europe, un tout petit peuple, de deux 284 LE PAYS DES AMAZONES ou trois millions d'hommes, si pauvre, qu'il payait ses ambassadeurs 9 , 7 fr. 5o par jour, dont les flottes se composaient de barques de cabo- tage, et dont les armées auraient à peine formé deux ou trois régi- ments: il s'appelait la Grèce. Il y avait aussi, de l’autre côté de l’Egée, un empire immense, riche à milliards, qui possédait toute VAsie, de la mer des Indes au Pont-Euxin, qui avait des flottes, des mil- liers de vaisseaux et des armées de millions d'hommes, la Perse. Et aux yeux de l’histoire et de la postérité, la grande nation, c'est le petit peuple, la Grèce: et la nation barbare, c’est l'immense empire, la Perse (1). » Eh bien, nous n'avons pas voulu que l'immense patrie amazo- nienne soit un jour taxeé de nation barbare: nous n'avons pas voulu être accusés de construire sur le sable et de faire de la propagande pour la barbarie. Nos compatriotes, s'inspirant du bel exemple donné par la plupart des nations qui sont à l'avant-garde des peuples, n’ont pas hésité à mettre la plus belle part de notre budget au service de l'instruction et de l’éducation des masses. Ils n’ont rien ménagé | pour arriver à une prompte transformation de notre enseignement primaire et pour le mettre à la hauteur des aspirations nationales. Les crédits consacrés à l’instruction publique, sous toutes ses for- | mes et à tous ses degrés, font le plus grand honneur aux législateurs locaux. Les résultats qui ont déjà été obtenus font bien augurer de l’avenir de l’enseignement et de la marche évolutive des esprits. En effet, pendant l'exercice 1898, les crédits alloués se sont élevés à 1.737 contos ou millions de réis, sans compter les sommes allouées au théâtre que nous nous refusons à considérer, étant donnée son organisation actuelle, comme un moyen d'instruction et de morali- sation, et les crédits destinés à l’imprimerie de l’Etat (plus de 51 con- tos pour celle-ci et environ 232 contos pour celui-là.) Le (1) Voir: Les découvertes de la science sans Dieu, par Eugène Loudun. LE PAYS DES AMAZONES 285 Les recettes étant estimées pour cet exercice à la somme de 17.958 contos, il est facile de constater que " Amazone consacre aujourd’hui à son enseignement près du dixième de sa recette. Il y a des Etats en Europe qui n'atteignent pas à ce degré de libéralité bien calculée. Les ressources de ce budget servent à pourvoir aux dépenses et à l'entretien de: 45. — Institut Benjamin Constant, à Mandos, 138 écoles primaires publiques, dont 30 pour le sexe masculin, 20 pour le sexe féminin et 79 mixtes, ce service d'instruction pri- maire absorbant un peu plus de 983 contos; 21 boursiers qui font leurs études aux frais de PEtat (23 contos 400 mille réis); La Bibliothèque, les Archives et la Statistique (100 contos 920 mille réis); LE PAYS DES AMAZONES 286 Le Museum (115 contos 920 mille réis); L'Institut des Arts et Métiers (281 contos 900 mille réis); L'Institut Benjamin Constant (171 contos Goo mille réis); Et les gratifications à certaines écoles privées (10 contos). Le nombre des inscriptions a suivi le développement des moyens d'instruction. Les écoles primaires ont enregistré: EN IS7O ER re O ent Sado dos ago Re UE 1.029 élèves E (o apos OTTO AE SEVEN ENO AT AS GOD AO oe 2.478 — = topa do Door JATOBA SITIO DO DA Bda Bon ce 3.109 — = Ney an o dba 00 vo Dada no Do panos oo bobo ano ao 3.242 — Plusidansglesiecolesgprnlvee ss RE EE q 644 — L'Etat ne possède que 16 édifices scolaires, dont 6 dans la capitale et 10 sur divers points de l’intérieur. Le mobilier scolaire, de prove- nance américaine du Nord, tend à être remplacé par le matériel sco- laire français. L'enseignement secondaire, qu: est en quelque sorte un enseigne- ment de luxe dans un pays neuf, n’a pas été négligé non plus. Il est distribué régulièrement et d’une façon satisfaisante dans un établis- sement qui comprend à la fois l'Ecole normale primaire et le Gym- nase amazonien, un lycée d'externes ayantdes cours nombreux, trop | nombreux peut-être. On y enseigne non seulement les langues clas- siques, telles que le latin et le grec, mais l'allemand, l’anglais etle L français; puis tout le cours secondaire des lycées de l'Europe et même la biologie et la sociologie. En 1897, l'Ecole normale, qui recoit des élèves des deux sexes, a enregistré 69 inscriptions et le | gymnase, 36. — L'enseignement secondaire est donné également 4 dans un petitséminaire diocésain et dans quelques collèges particuliers. L'enseignement professionnel, que nous considérons comme de première et urgente nécessité pour notre pays privé d’artisans, était donné depuis fort longtemps dans un établissement que l’on avait maladroitement supprimé, mais qui fut rétabli en 1882 et que l’on a réorganisé récemment. Le programme de cet enseignement spécial Bis LE PAYS DES AMAZONES 287 comprend l'instruction élémentaire et des cours professionnels pra- tiques. Des ateliers de tailleur, de cordonnier, de forgeron, de serru- rier, demenuisier, de relieur et quelques autres métiers y sont installés. Les élèves sont soumis au régime de l’internat dans ce lycée d’arts et métiers. Le Muséum amazonien, réorganisé par un décret en date du 21 août 1897, comprend deux sections — de botanique et de zoologie — etaun naturaliste voyageur. La première section est consacrée à la zoologie générale et appliquée, à l'anatomie comparée, à la paléon- thologie générale, à la géologie et à la minéralogie. La seconde section est destinée à la botanique générale et appliquée, à la paléonthologie végétale, à l'éthnographie, à l'archéologie et à l'anthropologie. Il pos- sede quelques collections excellentes: l’une qui aappartenu à M. Paul Taubert, adjoint au Museum de Berlin, comprenant sa bibliothèque et ses collections botaniques; l’autre achetée à M. Richard Payer, col- lection éthnographique réunie principalement dans le rio Negro et ses affluents. Sa bibliothèque et sa collection d'instruments s’enrichis- sent tous les jours. Tel est, dans ses grandes lignes, l’état de l’enseignement public dans l’'Amazone. Certes, bien des lacunes sont encore à combler. Il reste beaucoup à faire pour atteindre à une sorte de perfection. Les institutions et les maîtres sont insuffisants sur plus d'un point. Le nombre manque et les capacités font parfois défaut. Les méthodes nouvelles ne sont pas encore établies partout. On a dá courir au plus pressé; mais peu à peu les fautes seront corrigées. L'expérience sera bonne maîtresse dans un pays de bonne volonté. Un Etat qui consacre à l'instruction publique des sommes repré- sentant le dixième de ses recettes totales mérite qu'on l’admire, qu'on l’encourage et bien souvent qu'on Vimite. CHAPITRE X Cultes et rites religieux. — Le sentiment religieux chez les Indiens. — Com- ment leurs croyances religieuses ont dû se produire. Superstitions indiennes. — Uneidole amazonienne. — Une trouvaille de M. de Castelnau. — Influence des Jésuites et des autres missionnaires sur les croyances primitives des abo- rigènes. — Le sairé. — Le catholicisme actuel. Chez un peuple livré à lui-même, l’évolution religieuse suit pres- que toujours les lentes transformations du langage. Une langue peu riche en expressions abstraites suppose un culte grossier, à peine dégagédes sensations purement organiques. Sir John Lubbock et quel- ques historiens de son école prétendent que les premiers phénomènes religieux coïncident avec les premières tentations de l’âme humaine. Ils supposent que le rêve a été l’origine des manifestations religieuses qu'ils expliquent ainsi: Le sauvage a vu dans son sommeil l’image désincarnée du grand chef de sa tribu; à son réveil, il affirme que le grand chef vit encore, qu'il flotte autour de sa cabane, qu'il veille, invisible, sur ses anciens guerriers; il l’a vu, il s'est entretenu avec lui. Et voilà la voie ouverte à toutes les superstitions, à toutes les déifications successives. Ce système, quelque ingénieux qu'il soit, ne saurait donner l’expli- cation de tous les faits religieux chez tous les peuples. Il nous semble même qu'il ne remonte pas assez avant dans l'analyse psycholo- gique et dans la genèse du surnaturel dans l’âme des premiers hommes. Il ne saurait, dans tous les cas, s'appliquer au fétichisme primordial des aborigènes brésiliens. : Cette religion, comme nous allons l’exposer sommairement, paraît reposer sur une confuse abstraction de certains phénomènes naturels, LE PAYS DES AMAZONES 289 et aurait abouti à un panthéisme universel plutôt qu’à un polythéisme - humain. Sans doute, l’hallucination eut la plus grande part dans la première notion inconsciente du divin qui s'éveilla dans les étroits _ cerveaux de ces hommes des bois; mais elle ne s’exerça pas vraisem- blablement, comme chez les Peaux-Rouges de l'Amérique du Nord par exemple, sur des individualités humaines. Elle n'engendra pas le grand Panthéon du Totem. L'enthousiasme fut, parmi les indi- gènes du Brésil, plus rationnel, nous osons dire plus scientifique, puisqu'il ne se produisit que sous l'inspiration des merveilles de la nature. Il évita même en général toute manifestation extérieure et se passa de culte externe. Cette religion sans culte, sans sorciers sacrés (car le pagé n’en était pas un véritablement, comme on l’a prétendu plus tard), dénuée de jongleurs, de prêtres, privée de temples et de cérémonies pompeuses ou d'initiations secrètes, était une simple manière de concevoir les lois de l’univers. On pourrait en fournir des preuves nombreuses. Les premiers voyageurs qui étudièrent les Indiens du groupe Tupi- Guarani, dans le cours des siècles qui suivirent la découverte, y furent trompés. Ceux qui les suivirent répétèrent les mêmes récits sans les contrôler ou sans les soumettre à une critique sévère. Ces voyageurs affirmèrent, dans leurs Relations, que l’absence de toute idée religieuse était la caractéristique de ces tribus dégénérées et déchues depuis le péché d'Adam. Plus tard, ils attribuèrent aux Indiens une théogonie que ceux-ci avaient reçue de ceux-là mêmes qui leur en faisaient honneur. L'un de ces anciens chroniqueurs, le Père Vasconcellos, si nous ne nous trompons, s’est même écrié, dans un accès pathétique : « Leur langue n’a ni f, ni /, ni r, comme si la Providence avait voulu mon- trer qu’ils n’ont ni foi, ni loi, ni roi. » Voilà comment, à cette époque, on entendait les études comparées de linguistique et de mythologie. Le bon Père s’est trompé, d’ailleurs. 290 LE PAYS DES AMAZONES La langue tupi-guarani n’a ni f ni /; mais elle a la lettre r ; seule- ment celle-ci se prononce toujours très douce, soit au commencement, soit au milieu des mots. Ainsi les Indiens des Amazones disent, avec la lettre r très liquide : marica, ventre; räna, dent; pira, poisson; muira, bois, etc. Il est vrai que, si les premiers chroniqueurs traitaient ainsi les ques- tions d’origine, aujourd’hui on les traite avec un parti pris aussi aveugle dans ses conséquences. Est-ce que nous y voyons plus clair depuis que M. Max Müller a essayé de changer tout cela ? Ce qu’il y a de vrai, c'est que les questions d’origine sont pres- que partout insolubles dans l’état actuel de nos connaissances. Trop de ténèbres les couvrent. Les traits de génie ne suffisent pas à les percer. Tandis que les Aryâs de l’Inde s'élevaient à la notion de cause par voie d'analogie, en adaptant à Punivers le rythme ternaire de Vexis- tence humaine : naître, croître et mourir, Brahma, Vichnou, Siva, les Indiens tupis-guaranis procédaient plus simplement. Ils parlaient du phénomène unigue de la génération par la mater- nité. Leur esprit remontait à la source de | Être, avant de spéculer sur ses trois phases à la façon hindoue. Ces hommes incultes, tirant sur la bête, étaient surtout frappés de deux grandes choses autour d’eux : l’enfantement de l'homme, la pro- duction de la lumière. Assis à l’ombre des mattas virgens, ils assistaient en silence, dans un recueillement superstitieux, à la naissance de leurs enfants. Ce mystère de la parturition les troublait. [ls n’y voyaient qu’une cause : la mère, la mère féconde. Et, quand ils se retrouvaient devant cette nature éblouissante, péné- trée de clarté; quand ils plongeaient leurs regards, fatigués des ténèbres de la forêt, dans cet océan de lumière qui inondait le ciel, ils se pre- naient encore à songer : LE PAYS DES AMAZONES 291 Qui est-ce qui a fait le jour ? C’est sa mère, ci. — Quelle est la mère du jour? C'est le soleil, uaraci. Le soleil devient la mère de l’univers, une divinité femelle qui éclaire tout homme venant en ce monde. Mais, sous la zone torride, il est difficile d'attribuer au soleil le rôle bienfaisant de fécondateur universel, ou plutôt de procréatrice univer- selle (ci). Uaraci ne touche aux plantes que pour les consumer de ses feux meurtriers. * Qui donc engendre sur la terre cette verdure rafraîchissante ? C’est la mère des plantes. — Quelle est donc la mère des plantes ? C’est la douce lune, qui verse, pendant les belles nuits des tropiques, sa rosée sur les forêts. Et la lune fut appelée yaci, la mère des végétaux. Les Indiens n’imaginèrent pas le croisement d’une divinité mâle avec une divinité femelle. Leur génération n'avait qu’un facteur effi- cace : la mère, ci. A côté de cette religion de contentement muet, ils eurent la religion de l’effarement. Le besoin de connaître, qui est le grand mobile de tout progrès humain, le germe qui engendre la science du bien et du mal, fut arrêté chez eux par un vague sentiment de terreur. Abandonnés à eux-mêmes au sein de solitudes immenses, envi- ronnés de forces mystérieuses qui agissent brutalement de tous côtés, ils ne comprennent pas ce qu’il ya de caché derrière ces phénomènes qui ont l’apparence de l’énergie vitale et volontaire. Ces arbres qui flottent au gré des vents (1), qui brament dans Potage, qui s'agitent avec démence, répandent sur la terre des ombres gigantesques, terribles comme celle du caápóra, ou bien petites et difformes comme celle du curupira (2). (1) Le vent est fàâché (Thooru jack-jemm), disent les Botocudos. * (2) Curupira, teigneux, de curub, teigne, et pir, peau. Encore aujourd’hui le peuple; là-bas, donne parfois au diable le nom de teigneux, tinhoso. 292 LE PAYS DES AMAZONES Ses nuits sont tourmentées de visions. Ses fatigues et ses craintes perpétuelles, ses digestions lourdes, retentissent pendant son som- meil. Le cauchemar l’étreint, et le cauchemar devient un génie mal- faisant qui le saisit à la gorge. C'est le Jurupary. A son réveil, pendant ces longues nuits, un oiseau chante et jette dans sa solitude un cri déchirant et monotone. C'est le petit nain boiteux Maty-Tapéré, effrayant encore aujourd’hui les enfants de PAmazonie. Quand l’Indien met le feu aux forêts pour y établir sa maloca (1), des spirales de flammes courent devant lui ; les serpents couchés dans l'herbe drue se tordent, brûlés, et cherchent à fuir. Il y voit le Mboitatä, le serpent de feu, qui protège la forêt (2). S'il s'approche des rivières,pendant les nuits claires comme le jour, il entend le murmure des flots qui rongent les rives : ce sont les yáras enchanteresses, qui Vattirent pour le tuer. Ce grand enfant de la nature s'épouvante de rien. Et, pourtant, il est brave contre son semblable. La mort, qu'il donne si vaillamment, il ne craint pas de la recevoir. Mais il y a quelque chose qu'il redoute plus que la mort : c'est l'inconnu, l’esprit des choses qu'on ne voit pas, la conjuration mystérieuse des fantômes dont [imagination peuple les lieux solitaires; c'est ce je ne sais quoi d'indéfini que Pon a dans l'âme, et qui vous tourmente dès le berceau. C'est ainsi peut-être que le sentiment religieux s'est développé parmi ces sauvages. Il flottait encore dans le vague d'une théodicée inconsciente. La période de l'expression pieuse n'était pas encore arrivée pour ces esprits indépendants et attardés. La vie nomade, d’ailleurs, ne favorise guère l'établissement de temples et d’autels. Jusqu'à ces derniers temps, les américanistes avaient été frappés de l'absence de toute manifestation extérieure de la religion des abo- (1) Une agglomération de chaumes indiens. (2) Voir: Revista Brazileira, de Rio-de-Janeiro : 4 Religião dos Tupys-Guaranys, par M. le D' José Verissimos de Mattos, américaniste distingué de Pará, En: LE PAYS DES AMAZONES 293 rigênes du Brésil. Pas une ruine, pas un débris de sanctuaire à relever, sur un territoire qui n'avait jamais subi le ravage d'aucune invasion iconoclaste connue. Pas la moindre inscription à déchiffrer, pas le moindre fragment de divinité lapidaire à interpréter, là où l’on s'attendait à trouver debout les restes d’un passé qui pouvait conduire jusqu’à l’origine d’une race entière. La déception fut grande. Cependant, quelques inscriptions (leitreiros) ont été trouvées depuis, çà et là. Certains savants, dans un congrès récent, émirent sur le sujet qui nous occupe des hypothèses fort amusantes. A les entendre, nos Indiens adoraient les arbres des forêts, et choisissaient pour idoles les plus beaux produits de la végétation tropicale, ce qui leur écono- misait le luxe d'images taillées. Ou bien encore, ils étaient de simples schismatiques, qui s'étaient séparés du culte idolâtrique de leurs voisins pour vivre affranchis des icônes, dans une sorte d'idéalité pure. Ces théories ne supportent pas l'examen, quel quesoit le manteau scientifique dont elles se couvrent, quelle que soit la technologie barbare qu’on emploie pour les émettre avec aplomb. Le mieux serait peut-être de s’en tenir à "opinion qu'exposait cer- tain jour M. Frank, dans son cours du Collège de France : « Les Indiens de l'Amérique du Sud, disait-il, sont des hommes comme les autres, pourvus des mêmes droits, mais condamnés, par on ne sait quel vice d’origine et par un écrasement fatal des milieux, à rester inférieurs aux autres hommes. Nous sommes obligés de reconnaître que ces crânes soudés, que ces cerveaux coagulés étaient dans l’im- puissance de parcourir par eux-mêmes toutes les phases du progrès religieux et scientifique de l'humanité. » S'ils se sont arrêtés au moment où le culte positif se dégage des aspirations confuses d’un mysticisme rêveur et naturaliste, c'est que, chez eux, le degré du conscient était fixé par une loi fatale de leur être. Peut-être aussi ces habitants des forêts n'ont-ils jamais eu la 294 LE PAYS DES AMAZONES bonne fortune de tomber sur une de ces circonstances révélatrices qui entr'ouvrent aux nations les perspectives d’un avenir plus glorieux. Une étincelle aurait peut-être suffi à les éclairer et à les pousser en avant. Ils n’ont eu queles duretés de l’existence et la nuit de leurs bois profonds pour les étreindre. Ils se sont assoupis dans ces ténèbres. Vouloir pénétrer le mystère de leur état d’abattement vaudrait autant que de demander ce qui a manqué aux grands vertébrés pour en faire des hommes. Depuis quelques années, on a découvert des idoles et des restes de temples indiens dans certaines parties du Brésil ; on a trouvé et étudié des armes, des instruments de pierre, de nombreux échantillons d'art céramique, des mounds, des sambaquis, des inscriptions, une série complète d'antiquités, que des découvertes récentes enrichissent chaque jour. M. J. Barbosa-Rodrigues a consacré un livre aux « Antiquités de l'Amazone ». M. Ladislau Netto, le regretté directeur du Muséum National, dans une excursion qu'il entreprit, en 188r, jusqu'à Para pour préparer l'Exposition d'anthropologie brésilienne effectuée à Rio- de-Janeiro l’année suivante, trouva des fragments de statues dans l’île de Pacoval, et émit l'opinion que cette île, située à l'embouchure du fleuve des Amazones, a été bâtie artificiellement par les Indiens, qui lui auraient donné la forme d’une tortue, en la destinant à servir de sépulture à leurs morts. Plus récemment encore, M. José-Verissimo de Mattos a découvert une idole qui confirme les données qu’on avait recueillies après l'examen de l’idole rapportée de l’Amazonie, en 1875, par M. Barbosa-Rodrigues. Remarquons, toutefois, que ces découvertes se rapportent exclusi- vement aux contrées amazoniennes. Elles ne détruisent donc pas les conclusions générales que nous avons cru pouvoir formuler plus. haut. Tout en maintenant pour le reste du pays et pour la plus grande partie des tribus indigènes l’existence d'un fétichisme pri-. De a sol East Hitmténte tré LE PAYS DES AMAZONES 295 mordial, il est permis d'admettre que certains groupes d'Indiens se sontélevés à un système religieux moins rudimentaire. Ici deux suppositions se présentent à la pensée: ou ces naturels privilégiés ont atteint d'eux-mêmes, par des causes internes et externes non encore déterminées, ce degré de religion effective qui se traduit par des œuvres d’art et par un ensemble de rites publics; ou bien ils ont emprunté ces progrès à des étrangers. Tout semble recommander la dernière hypothèse. Il est possible que des migrations mexicaines soient venues se fixer, à des dates reculées, dans les îles de Marajó et de Pacoval; il est pos- sible aussi que les contacts fréquents et probables des indigènes du haut Amazone avec ceux du Pérou aient introduit chez ceux-là cer- taines formes religieuses plus avancées. On sait aujourd’hui, en effet (1), que "Ucayale, l’une des branches de l’'Amazone, a ses rives peuplées de niches, de grottes artificielle- ment agrandies, de mausolées tenus par des piliers couronnés d’un linteau,et de sépultures. C'est aussi sur les bords de l’Apurimac, une autre branche de l’Amazone, que se dressait la forteresse de Choc- cequirao, résidence des héritiers de la couronne des Incas, Ce fut là Pasile des derniers survivants de la race Manco-Capac. Mais, nous le répétons, une excessive prudence est de rigueur toutes les fois qu'il s’agit des monuments de la civilisation indienne au Brésil. Voici un exemple qui doit nous instruire suffisamment: Il y a au Louvre, dans une des salles fermées au public et où nous n'avons pu pénétrer que sur une permission spéciale de M. de Ron- chaud, une statue de singe très curieuse à étudier (2). Elle rappelle, par sa facture assez poussée, quelques-uns des beaux échantillons de Part mexicain. Cela peut être un dieu sauvage, rêvant sous les cocotiers à des amours lubriques, car un phallus exagéré est entaillé … (1) Voir, à ce sujet, Popinion de M. le marquis de Nadaillac, dans son bel ouvrage : l'Amérique préhistorique. « (2) Cette statue se trouve aujourd’hui dans une des salles du Musée du Trocadéro. 296 - LE PAYS DES AMAZONES sur les parties abdominales. M. de Castelnau s'y est parfaitement mépris. Comme il passait, vers 1846, par la ville de Barra-do-Rio- Negro (aujourd’hui Manäos, chef-lieu de la province des Amazones), il trouva cette statue, qui servait de siège à la porte d'une maison. Il crut avoir trouvé le Pérou. Il se chargea de sa relique et Vemporta en France. Une légende se fit aussitôt autour de cette fausse idole. M. Paul Marcoy assura que ce petit dieu simien avait été recueilli par des Carmes à la source de la rivière Uaupès, que les bons religieux l'avaient transporté à l’une de leurs missions, d’où un marchand l'avait expédié ensuite à Mandos. C'est dans cette ville que M. de Castelnau trouva l’idole qui jouit maintenant des honneurs de Paris. Or, ce singe de pierre, qui, d’après nos deux voyageurs, descendait en droite ligne du Panthéon indien ; ce singe, qui fut le héros d’une odyssée étrange, est tout bonnement, on l’a prouvé depuis, l’œuvre “d'un maçon portugais, qui le fabriqua en l’an de grâce 1784; etl’œuvre du Senhor Antonio-Jacintho de Almeida a eu, du moins, lemérite d’ins- pirer la verve de notre regretté poète Porto-Alegre, qui en raconta les aventures dans une comédie désopilante. Toute cette grosse affaire archéologique finit par des couplets. Quant à l’idole amazonienne de M. Barbosa-Rodrigues, elle est plus . authentique et de meilleur aloi. Elle remonterait, d’après lui, à plus de trois siècles. Elle fut trouvée enfouie dans le jardin d’une maison de la ville d'Obidos, dans la province de Pará, sur la rive gauche de l’'Amazone. C'est, dit-on, une idole de pêche, et le savant brésilien rappelle que, même de nos jours, quelques Indiens de l’Amazonie attachent sur leurs barques informes (montarias) des feuilles de tajá, pour charmer le poisson et rendre leur pêche miraculeuse. Malgré ces quelques perfectionnements, que nous considérons comme étant d'importation mexicaine et péruvienne, contrairement à l'opinion de M. Barbosa-Rodrigues, qui a émis à ce sujet des hypo- thèses hardies et fort séduisantes, il est douteux que la religion primi- tive des [Indiens du Brésil ait jamais réalisé sa synthèse monothéiste. DMC PRES "T7 ÇA LE PAYS DES AMAZONES 297 Il a fallu à la Grèce et à Rome trois cents ans de philosophie, greffée sur plusieurs siècles de polythéisme, pour produire la notion d’un dieu suprême dans certains cerveaux privilégiés de platoniciens et de stoïciens; et encore n'est-il pas certain scientifiquement qu'elle n’ait pas été importée, c’est-à-dire révélée. Il est impossible de calculer le temps qu'il aurait fallu à des fétichistes inconscients pour arriver au dernier terme de l’abstraction religieuse et métaphysique. La prédication catholique des missionnaires a réalisé à peu près ce miracle en quelques années. Nous touchons ici à un point délicat de critique religieuse. Nous dirons seulement en quelques mots que l’admirable doctrine du Christ s'est rendue accessible à toutes les âmes et à toutes les races d'hommes, tant elle est profondément humaine, pour ne pas dire divinement inspirée. Mais cette sublime et universelle quintessence du conscient a pris différentes qualités, suivant qu’elle a été versée dans des vases plus ou moins précieux, comme dit l'Évangile. Parmi les fiers stoïciens de Rome, la croyance christnéenne a pro- duit la religion des martyrs et des Pères de l'Eglise; parmi les Bar- bares germains, elle a donné la foi obtuse du moyen âge ; dans les solitudes du Nouveau Monde, elle a abouti à une sorte de fétichisme chrétien. Nous allons nous expliquer. Après le sang versé par le conquérant cupide, la parole de vie a été semée par des hommes de cœur et de dévouement. Le prêtre a voulu rattacher à sa patrie terrestre aussi bien qu’à la patrie éternelle des âmes que l’on voulait tout simplement exploiter. Il a passé à travers nos forêts avec son crucifix et son livre de prières. Il a pansé les plaies et relevé les courages. Le missionnaire a su présenter à ces grands enfants, frappés par le malheur, des consolations ineffables. Il leur a dit que le vainqueur était soumis à un maître juste, qui récompense les bons et punit les méchants; à un Être qui a tout créé et qui gouverne tout. Il leur a montré que ce serait un allège- 298 LE PAYS DES AMAZONES ment à leur infortune que de se confier à ce grand bienfaiteur du monde. Mais aussi il ne leur a pas caché que ce Dieu devient quel- quefois un Dieu terrible, promptà châtier. Les missionnaires ont ainsi rendu accessibles à ces intelligences attardées les principaux dogmes du catholicisme. Ils ne se piquèrent pas de rigueur théologique. Ils étaient sûrs que leur orthodoxie serait bien vite défigurée. Ils n'avaient qu’un but : rendre douces et bonnes de malheureuses créature humaines se ruant sans remords à toutes les impétuosités des passions violentes, vouées à tous les hystérismes de la chair et du sang. Ils parvinrent de la sorte à enlever aux Indiens une partie de leur férocité et à défigurer insensiblement leurs croyances pri- mitives. Le Dieu des chrétiens devint pour ces sauvages imaginatifs le Tupan (1) redoutable. Satan fut incarné dans la personne du terrible Anangá (2). Les génies dont nous avons parlé plus haut firent place au culte des saints. Puis on leur prêta une trinité, calquée sur la Trinité catholique, et composée du Soleil (Uaraci), de la Lune (Yaci) et d'un dieu d'amour, Rudá ou Perula. | Les prédicateurs portugais furent non moins heureux auprès de leurs catéchumènes, en ce qui regarde le culte extérieur et les céré- monies sacrées. Il réussirent à leur faire accepter des fêtes et des simulacres de dévotion. Nous avons assisté, dans notre enfance, à des processions où les croyances fétichistes se mêlaient à des rites chrétiens. M. Barbosa- Rodrigues nous a décrit la fête du saïré (3), dont nous gardons encore un souvenir très précis. Cela ressemblait plutôt aux théories antiques qu'aux sévères solennités catholiques. Le sairé est un demi-cercle en bois, de 1". 40 de diamètre. Dans (1) Tupan, l'âme du père ou des parents, du protecteur, du créateur. (2) Anangá, l'âme du mal. (3) Voir: Revista brazileira. LE PAYS DES AMAZONES 299 ce demi-cercle, deux autres demi-cercles, plus petits, sont inscrits tangents l’un à l’autre, et reposant leurs extrémités sur le grand diamètre. Cette bannière solide ressemble à une fenêtre romane géminée. Du point de tangence des deux demi-cercles s'élève, per- pendiculairement au diamètre du grand demi-cercle, un rayon qui dépasse la circonférence et qui se termine par une croix. Les deux petits demi-cercles ont aussi leurs rayons perpendiculaires au dia- mètre et ornés également d’une croix. Ces arcs sont entourés d’un bourrelet de coton frappé et enveloppés de rubans. Une quantité de petites glaces, de gâteaux, de fruits, sont suspendus à cet instrument. Un grand ruban en oriflamme part de la croix du milieu. Tout le récit biblique du déluge est contenu dans cette représenta- tion symbolique. Le grand cintre représente l’arche de Noé; les petites glaces signi- fient la lumière du jour; les gâteaux et les fruits, l’abondance qui régnait dans l’arche ; le coton et le tambourin, l’écume blanchätre et. le bruit des flots du déluge ; le mouvement qu'on imprime au sairé rappelle le balancement de l'arche sur les eaux. Les trois cercles pris ensemble sont la figure des trois personnes de la Trinité, distinctes quoique se pénétrant. Les trois croix sont l’image du Calvaire, du Christ crucifié entre deux larrons, et ainsi de suite. Le prêtre ingénieux qui inventa cet instrument a plus fait, certaine- ment, que tous les prédicateurs réunis, pour perpétuer parmi les Indiens ur semblant de culte catholique. Quand les Indiens fêtent quelque saint, ils dressent dans leur chaume un autel où ils placent l’image du saint, et, à ses pieds, le saïré. Sur le devant dela maison, ils élèvent un grand toit de chaume. Des tables sont dressées, et tout est disposé pour la danse et les fes- tins. Il ne s’agit ici évidemment que des Indiens catéchisés. Le jour de la fête arrivé, on transporte le saïré de la maison à l’église. L'ordre de la marche est ainsi réglé : en avant, un Indien grave porte une bannière, sur laquelle se détache l’image du saint 300 LE PAYS DES AMAZONES que l’on vénêre. Vient ensuite le sacro-saint sairé. Trois vieilles | Indiennes, revêtues de leurs plus beaux atours, le tiennent en Pair . par le diamètre. Une jeune fille balance le grand cordon du sairé, tandis qu'à ses côtés l’une de ses compagnes agite le tambourin sacré, pomponné de rubans aux vives couleurs. Le cortège des femmes s'avance par derrière, et les hommes ferment la procession. Pendant le trajet, par intervalles réglés, les vieilles Indiennes porteuses pen- chent le saïré tantôt en avant, tantôt en arrière, et lui impriment un mouvement de roulis et de tangage des plus expressifs. Pendant ce temps, la jeune fille au tambourin joue de son instrument en dansant, obéissant au rythme de la voix et des chants. La mélodie est triste et monotone. C’est une longue plainte d'âmes souffrantes. Les paroles sont naïves et respirent l’espérance de la vie future (r). Elles disent : — Dans des fonts baptismaux en pierre, l'enfant Jésus a été baptisé. Le chœur répond : — Et Jésus et sainte Marie. — Sainte Marie est une femme belle; son fils est comme elle; il est dans les hauts cieux, sur une grande croix, pour garder nos âmes (1). Le chœur répète : — Et Jésus et sainte Marie. L'idée chrétienne continue de hanter même les esprits de ceux des Indiens qui n’ont jamais recu aucune instruction religieuse: leurs ancêtres leur ont transmis ces préoccupations. C’est ainsi que sur la montagne de Parintins, en face de l'embouchure du Jamundä, sur la rive droite de " Amazone, il y eut autrefois une mission de jésuites. Les sauvages qu'ils avaient catéchisés se révoltèrent un beau jour, (1) Le refrain est en portugais; l’antienne, en langue tupi. En voici le texte : Itá camuti pupé neiassúcaua pitanguê puränga ité. (1) Santa Maria cunân puránga, imembóira iauérá iuaté pupé, oicou curussã uassu pupé, ianga turama rerassú. ore, la tradition affirme que, parfois, dans le silence de la nuit, on entend gémir, comme pour reprocher à ces sauvages leur ingrati- . NL s nr + > ua TROISIÈME PARTIE L'ÉTRANGER ET SES RAPPORTS AVEC L'HABITANT CHAPITRE PREMIER Voyages d'exploration: Pourquoi l’Europe doit s'intéresser aux choses de VAmazone. — De la Condamine. — Alex. de Humboldt. — Von Spix et von Martius. — Ed. Poeppig. — Alc. d'Orbigny et le comte de Castelnau. — - Osculati, Mawe, Smyth et Lowe. —- Wallace et Bates. — Autres voyageurs anglais. — W. Chandless. — Les Etats-Unis et leurs explorations dans PAma- zone. — Français, Italiens et Allemands. — Une princesse royale dans Amazone. — La vallée du Madeira. — Louis Agassiz. Il y a bien peu d’années encore, il était de mode en Europe de faire étalage d'indifférence au sujet des nations de l'Amérique Latine. On feignait de croire que ces pays lointains n'avaient guère à leur actif que leurs révolutions incessantes, leurs tremblements de terre pério- diques, leurs généraux d'opérette et leurs rastaquouères pour l’expor- tation. On commence à revenir un peu de ce dédain mêlé de beaucoup . d'ignorance et de pas mal de suffisance. On s'intéresse à leurs pro- grès, à leur industrie naissante, à leur commerce florissant, et même à leur littérature et à leurs arts. 304 LE PAYS DES AMAZONES Parmi ces pays, le Brésil, apaisé après une période d'agitation inattendue, reprend la grande place qui lui revient de droit. Les Anglais se sont rappelé qu’ils ont engagé là-bas d'immenses capi: taux avec un profit réel. Les Allemands et les Italiens se sont dit qu'ils: y ont des milliers et des milliers de compatriotes qui prospèrent Les Francais, enfin, se sont souvenus de la gloire, éphémère sans doute, mais éclatante, conquise par leurs ancêtres dans cette partie du monde, dès le xvrº siècle. Ce sont des Français, en effet, qui, à cette époque, ont les premiers raconté à l'Europe étonnée les mer- veilles de la « France antarctique ». Jean de Léry (1) s'écriait, au souvenir du beau pays du Brésil: « Toutes les fois que l’image de ce nouveau Monde, que Dieu m'a fait voir, se présente devant mes yeux, incontinent cette exclamation du prophète me vient en mémoire : « O Seigneur Dieu, que tes œuvres divers « Sont merveilleux en ce monde univers! » Son contemporain, le Père Claude d'Abbeville (2), disait, avec non moins d'enthousiasme, dans son vieux parler poétique : « La saincte Escriture fait grand estat de la beauté du paradis terrestre, particu=" lièrement à raison d’un fleuve qui sourdoit d'icelui, arrosant ce lieu de volupté. Je me contenterai de remarquer ici que ce pays du Brésil | est merveilleusement embelly de plusieurs grands fleuves. Ces belles rivières tempèrent tellement l’air, et attrempent si bien toute la terre du Brésil, qu’elle est continuellement et en tout temps toute verde | et florissante... Oh! qu'il fait bon voir aussi toutes les campagnes. diaprées d’une infinité de belles et diverses couleurs! et d'herbes et de fleurs vous n’y en pouvez trouver aucunes de semblables aux | nôtres. » De nos jours, le savant conservateur de la bibliothèque Sainte- Geneviève, M. Ferdinand Denis (1), a dit avec raison : « Si les (1) Histoire d'vn voyage faict en la terre dv Bresil..., 3eme édit., Genève, 1585. (2) Les singularitez de la France Antarctique .., Paris, 1558. LE PAYS DES AMAZONES 305 Anglais ont été les premiers à développer chez les Brésiliens le goût des améliorations industrielles, si ce sont eux qui on! imprimé sur- tout au pays cette activité commerciale, que nous avons secondée plus tard et dont nous avons recueilli en partie les résultats, — c'est à nous surtout qu'il appartient de réclamer cette antériorité d'initiation dans les arts et dans les sciences, qu’un peuple doit toujours à un -autre peuple, et qui fait à jamais époque dans l’histoire de son déve- loppement social. Si, en tenant compte du temps où ils ont pu se livrer sérieusement à des travaux intellectuels, on examine les pro- ductions des Brésiliens, et si on les compare, sous le rapport de l’art, aux autres peuples de l'Amérique, n’en doutons pas, c'est à eux, dès à présent, que doit appartenir la prééminence, et c'est eux sans doute qui la conserveront dans l'avenir. Aux Etats du Nord, les grandes combinaisons politiques, le développement de l’industrie; aux Etats de l'Amérique du Sud, et surtout au Brésil, le feu intelligent des arts, £ TL “ - « À 2 « … les innovations dans la science et même la compréhension des grands — mouvements sociaux qui doivent guider le monde. (1) » LES: aà Le Brésil a donc été de tout temps, pour les voyageurs qui Pont parcouru, un vaste sujet d'admiration. Chaque peuple européen y retrouve la trace de l’un de ses enfants, et " Amazonie est pleine de la mémoire de cent savants du vieux continent. Les agréables souve- nirs du passé, les relations de voyages plus récents doivent engager CRIE ES 0 les Européens à resserrer plus étroitement encore les liens d'amitié “ qui ont toujours existé entre les Brésiliens et eux; il faut que les “ rapports de commerce et de colonisation s'établissent plus que jamais entre leur pays et le nôtre. Afin que l’on ne nous accuse pas de nous ériger en juge de notre terre natale avec l’indulgence du patriotisme, nous consacrerons ce chapitre à relever les témoignages des explorateurs de toute nationalité qui ont parcouru l’Amazone. a Ces hommes de haute valeur, qui n'ont pas craint de s'enfoncer Brésil, Paris, 1837. 20 306 LE PAYS DES AMAZONES jusque dans les profondeurs les plus écartées de notre pays, se sont parfaitement rendu compte de ses ressources et de son avenir. Ils ne se sont pas contentés de louer la profusion des enchantements qu'offre la nature, les beautés des sites et la majesté de l'immense vallée ; ils se sont encore appliqués à noter tous les détails capables d'apporter une nouvelle contribution à la science. - Mais, nous l’avons déjà dit : la plupart des travaux et des relations que ces voyageurs ont laissés s’adressent bien plutôt au monde savant désintéressé qu'aux négociants et aux industriels, qui seuls ont la volonté et les moyens de tirer un excellent parti de leurs décou- vertes. | On peut dire que c'est De La Condamine (1), l’astronome français, | qui, le premier, à la fin du siècle dernier, ouvrit à la science euro- péenne la région de |'Amazone. Mais c'est Alex. de Humboldt (2), le naturaliste allemand, l’Aristote moderne, qui, il y a juste un siècle, promena son observation systématique dans ce vaste champ d'expé- riences, dans cet herbier gigantesque. Il écrivait à son retour : « Depuis que j'ai quitté les rives de l'Orénoque et de PAmazone, une êre nouvelle a commencé pour le développement social des Etats de l'Occident. A la furie des dissensions intestines ont succédé les bénédictions de la paix et le développement plus libéral des arts et de l'industrie. Les bifurcations de "Orénoque (le Cassiquiare), Pisthme de Tuamini, si facile à percer par un canal artificiel, fixeront avant peu Vattention du commerce européen. — Le Cassiquiare, aussi large que le Rhinet dont le cours est de 108 milles, cessera d’être un inutile canal, Il sera navigable sur une longueur de 180 milles (290 kilomètres) entre deux bassins dont la superficie mesure 190,000 lieues carrées ; Les grains de la Nouvelle-Grenade seront transportés sur les rives du (1) Ouvr. cité. A. (2) Alex. de Humboldt, accompagné d'Aimé Bompland, quitta La Corogne le 5 jui r 1799 : il avait alors trente ans. Ce fut pendant ce premier voyage qu'il visita une partie de l’'Amazonie. Il revint de son second voyage en 1804. LE PAYS DES AMAZONES 307 rio Negro ; des bateaux, partis des sources du Napo ou de "Ucayale, des Andes de Quito ou du haut Pérou, viendront s'arrêter aux bou- ches de l’Orénoque, après avoir franchi une distance égale à celle qui sépare Marseille de Tombouctou. « Ce pays, neuf ou dix fois plus grand que l’Espagne, enrichi des productions les plus diverses, est navigable dans toutes les directions au moyen du canal naturel du Cassiquaire et de la bifurcation des rivières. Ce phénomène, qui deviendra un jour d’une importance capi- tale pour les rapports politiques entre les nations, mérite sans aucun doute d’être envisagé sérieusement. » Sans doute, ces brillantes prédictions, inspirées à l’illustre voyageur par la vue et l'étude de notre incomparable réseau fluvial, ne se sont pas encore réalisées. Le Cassiquiare n’a pas encore accompli sa mis- sion naturelle, qui consiste à unir l'Orénoque à l’Amazone par le rio Negro ;l’isthme de Tuamini n’a pas encore trouvé son de Lesseps. Mais la navigation à vapeur a fait en partie l'œuvre rêvée par le grand savant, et l’on peut affirmer que les bassins des deux fleuves parallèles sont reliés par des communications constantes. Lorsque l'isthme de Panama sera percé, l’Amazonie pourra, par la Colombie, profiter des deux mers. Mais ces temps sont encore loin. L'initiative hardie de Humboldt et d'Aimé Bompland, son compa- gnon trop oublié, eut un heureux résultat. Elle provoqua un nouveau voyage : celui de deux Allemands, dont les travaux sont demeurés célèbres, Arrivés à Rio-de-Janeiro le 14 Juillet 1817, les docteurs Joh. Bapt. von Spix et Carl. Friedr. Phil. von Martius ne quittèrent le Brésil que le 14 Juin 1820, après avoir fait une fructueuse expédition dans la vallée de l’Amazone, emportant des collections admirables, Leurs études s'étendirent aussi bien sur la flore et sur la faune que sur l'ethnologie et la linguistique, et, de retour dans leur pays, ils ne cessèrent pas un seul jour d'augmenter le vaste trésor d'informations 308 LE PAYS DES AMAZONES acquises pendant ce voyage de trois années. D’autres ont pu, après eux, conquérir une notoriété plus bruyante ; aucun ne les a surpassés ni en variété de connaissances ni en honnêteté scientifique. — Après leur Reise in Brasilien(r), publié en commun à Munich, von Martius | entreprit la publication de sa Flora Brasiliensis, continuée par Aug. Guillaume Eichler, monument de la plus incontestable valeur ; et les deux voyageurs de 1817-20 ne quittèrent la plume qu’à leur mort. Un de leurs compatriotes, qui vint peu après, Poeppig (1827-32) n'atteignit pas à leur hauteur, mais son mérite est encore considé- q rable. Il s'occupa également de la flore amazonienne (2). Les publications d’autres voyageurs allemands, tels que Robert | Avé Lallemant (3) et Franz Keller {4), sont beaucoup plus récentes. Ce fut seulement vingt-ans après von Spix et von Martius, qu'un. Français, le comte Francis de Castelnau (5), entouré d’un groupe de collaborateurs distingués, visita à son tour l’'Amazone, par ordre du gouvernement français. Ses travaux sont trop connus pour que nous les présentions ici. Bien qu'ils aient un peu vieilli en certaines parties, ils offrent cependant un grand intérêt, pour les Francais en particulier, qui y trouveront des indications suffisantes sur [aspect du pays et sur ses productions variées. L'ouvrage du comte de Castelnau avait été précédé des beaux tra- vaux d'Alcide d'Orbigny (6), dont quelques thèses ont déterminé un (1) Dr. Joh. Bapt. von Spix und dr. Carl. Fredr. Phil. von Martius: Reise in Brasi- lien..., 1817-20, Munchen, 1823-31. (2) Eduard Poeppig: Reise in Chile, Peru und auf dem Amazonenstrome, 1827-32, Leipzig, 1835-36. — Nov. Gen. ac spec. plantarum quas in regno Chilensi, peruviano et in terra Amazonica, annis 1827-32, legit.., Lipsiae, 1855-45. (3) Robert C. B. Avé Lallemant : Tabatinga am Amazonenstrom..., Hamburg» 1863. ] (4) Franz Keller: The Amazon and Madeira Rivers .., London 1874. (5) Francis de Castelnau : Expédition dans les parties centrales de l'Amérique du Sud, de Rio-de-Janeiro à Lima, et de Limaau Pará..., pendant les années 1843-47, Paris, | 1850. j , (6; Alcide d'Orbigny : Fragment d'un voyage au centre de l'Amérique Meridionale, | contenant des considérations sur la navigation de l’'Amazone, 1826-33, Paris, 1845. T LE PAYS DES AMAZONES 309 vif mouvement de curiosité parmi les américanistes, sans cependant contribuer à la propagande pratique de " Amazonie. Il fut suivi des publications, moins scientifiques, de Paul Marcoy (1) et d'Emile Carrey (2). Presque en même temps, un Italien, M. Osculati, (3 ) étudiait tout particulièrement cette région et s'arrêtait à Mandãos, que certai- nement aujourd’hui, dans sa verte vieillesse, il ne reconnaitrait plus. Après l’Allemagne, la France et l’Italie, l'Angleterre et les Etats- Unis de l’Amérique du Nord firent connaissance à leur tour avec l'antique El-Dorado. L'Angleterre surtout se distingua dans ces explo- rations scientifiques. Ses premiers explorateurs, par ordre chronologique, sont, d'un côté, le lieutenant H.-L. Maw (4), de l’autre, MM. Smyth et Lowe (5). Le lieutenant Maw quitta le Callao pour descendre l’Amazone, après avoir traversé les Andes, le 30 novembre 1827. Il était à Taba- tinga, sur le territoire brésilien, le 3r janvier 1828, etarriva à Belem le 19 avril, ayant visité Barra-do-rio-Negro (Manäos) pendant quel- ques jours. Il comprit tout l’avenir de cette contrée, non seulement riche d’une infinité de produits, mais encore ayant à sa disposition tous les moyens de transport pour ces produits dans toutes les direc- tions au moyen de ces immenses cours d’eau, dont quelques-uns, — écrivait-il avec raison en 1828 — sont presque aussi inconnus que les rivières planétaires. Il prévit aussi la révolution qu'y opèrerait la navigation à vapeur. « Dix ans après qu’elle aura commencé, ajoutait- il, on ne reconnaîtra plus le pays que je me suis efforcé de décrire ». (Pag. 44 et 45). Parmi les voyageurs anglais,il en est deux qu'il faut (1) Paul Marcoy : Voyages à travers l'Amérique du Sud, de l'Océan Pacifique à l'Océan Atlantique..., Paris, 1869. (2) Emile Carrey : L'Amazone..., Paris, 1856. (3) Gaetano Osculati: Esplorazione delle ragioni equatoriali lungo il Napo ed il fiume delle Amazzoni, 1846-48, Milano, 1854. (4) Henry Lister Maw: Journal of a passage from the Pacific to the Atlantic crossing the Andes and descending the river Marañon or Amazon, London, 1829. (5) W. Smyth and F. Lowe: Narrative of a journey from Limato Para accross the Andes and down the Amazon, 1834, London, 1836. 310 LE PAYS DES AMAZONES placer hors de pair, car leurs recherches servirent puissamment à Darwin pour étayer ses théories sur l’évolutionet parce que leurs ouvrages ont une rare valeur d'observation. Nous voulons parler de MM. Alfred Wallace (1) et Henry Bates (2). Celui-ci rapporta de l’Amazone 14.712 espèces, dont 8.000 complê-. tement neuves. Bien loin derrière viennent leurs compatriotes, MM. Edwards (3), James Orton (4), qu'on aime toujours à lire, W. Chandless, Wickham (5) et Mathews (6). Parmi eux, M. W. Chandless mérite une mention spéciale. Il occupe. en effet, une place à part dans cette galerie de voyageurs, grâce à ses excellents travaux d'exploration sur le Purús, PAquiry, le Maués-assú, l’Abacaxis et le Juruá (7), qui tous ont une valeur. Sur le Madeira, nous avions déjà un travail sagace d'un Américain du Nord, Charles Wilkes (8), rendant compte d’une exploration accomplie il y a plus de 60 ans. Son compatriote, Maury, lieutenant de la marine fédérale des Etats- Unis de l'Amérique du Nord, qui le suivit, apporta d’autres préoc- cupations sur nos terres vierges. Abandonnant les études spécula- tives de ses devanciers d’autres nationalités, doué du sens pratique qui fait la force de ses compatriotes, il se proposa de trouver les ) 1853. — Tropical Nature and other Essays, London, 1878. (2) Henry Walter Bates: The Naturalist on the River Amazons, London, 1864, 2º édit. (3) William H. Edwards: À voyage up the River Amazon, London, 1855. (4) James Orton: The Andes and the Amazon..., London, 1870. (5) Henry Alexander Wickham : Rough notes of a journey through the Wilderners.... by way of the great cataracts of the Orinoco, Atapabro and Rio Negro, London, 1872: (6) Edward D. Mathews: Up the Amazon and Madeira Rivers..., London, 1879. (7) William Chandless: Ascent of the river Purús, London, 1866, « Journ. of the R. G. S. » t. XXXVI. — Notes on the river Aquiry, ibid. — Notes of a journey up the river Juruá, London, 1869, « Journ. of the R. G. S. » t. XXXIX. — Notes on the rivers | Maué-assú, Abacaxis, etc., London, 1870, t. XL. (8) Charles Wilkes: Exploring Expedition during the Years 1838-42, Madeira, Brazil. New-York, 1858. ts LE PAYS DES AMAZONES 311 moyens d'ouvrir l’'Amazone aux pavillons étrangers, et de recueillir sur place des arguments solides en faveur de ses desseins. C'était, en effet, le beau temps où l'Angleterre et les Etats-Unis, convoitant ces contrées de rapport sûr et immédiat, voulaient exiger que le Brésil octroyät la libre navigation du fleuve au commerce de tous les peuples, c’est-à-dire, avant tout, à leur propre commerce. L'agitation dans ce sens commença dès l’année 1851 (1). Une pro- position fut présentée au représentant diplomatique du Brésil à Washington, qui n’eut pas de peine à démontrer que son gouverne- ment était le seul juge de l'opportunité de cette mesure. Le gouvernement britannique ne tarda pas à joindre ses efforts à ceux du gouvernement fédéral des Etats-Unis de l'Amérique du Nord. Lord Clarendon s'adressa, le 27 octobre 1854, au ministre du Brésil à Londres, et réclama l'ouverture de l’Amazone. On lui répondit par un argument ad hominem des mieux trouvés dans la cir- constance : | « Tout le monde sait, dit le ministre du Brésil à Londres, dans la note qu'il adressa en réponse aux réclamations du secrétaire d'Etat de la reine, tout le monde sait que la Grande-Bretagne a toujours refusé, même aux riverains, la navigation de la partie des cours d’eau dont elle possède les deux rives ; et que, sur les cours d’eau dont elle pos-. sede une rive seulement, elle n'accorde la navigation qu’à l'Etat pos- sesseur de la rive opposée. Pour montrer quelles sont les doctrines soutenues à ce sujet par le gouvernement britannique, il suffira de citer les faits suivants : la navigation du Saint-Laurent n’est com- mune à l'Angleterre et aux Etats-Unis que sur la partie où chacune des rives appartient à l’une des deux puissances, tandis que seuls les navires portant le pavillon anglais voyagent sur la partie dont les deux rives, jusqu’à l'embouchure, sont à l'Angleterre ; les“arrangements conclus en 1842 avec les Etats-Unis, relativement à la navigation de (1) Lire, dans les Annales du Parlement brésilien, session de 1857, le discours de M. le conseiller Sergio Teixeira de Macedo, prononcé dans la séance du 16 juin. 312 ; LE PAYS DES AMAZONES la rivière Saint-Jean, et, en 1845, relativement à celle de Colombia, | témoignent de la même préoccupation. » Cet argument utrinque feriens était fort bien asséné sur la tête des | deux prétendants. L'Angleterre se le tint pour dit. ce qui n’a pas empêché un sujet de Sa Majesté britannique d'essayer de soulever un conflit entre le | Brésil et son pays, afin, disait-il naivement, de hâter la solution du problème. Les Américains du Nord, plus tenaces dans leurs projets et Moins respectueux des formes diplomatiques, s’y prirent d’une autre manière. Ils supposèrent la question presque résolue et ils envoyèrent une mission dans l’'Amazone afin d'étudier les ressources que leur com- merce pourrait y trouver, et de fournir de nouvelles raisons pour forcer l'ouverture du grand fleuve convoité. Le 15 février 1851, le département de la marine chargea les lieute- nants W. Lewis Herndon et Lardner Gibbon de cette importante et délicate mission. Les rapports des deux commissaires furent présentés au Congrès des représentants, siégeant à Washington, au mois de février 1853. Ces documents débordent d'enthousiasme et de lyrisme mercan- tiles : « C'est ici, disent-ils, le pays du riz, de la salsepareille, du caout- chouc, du baume de copahu, de la gomme copal, de la cire végétale et animale ; du cacao, de la muscade, des fèves Tonka, du gingembre, du poivre, de l’arrowroot, du tapioca, de l’indigo, des noix du Brésil; le pays des teintures aux couleurs éclatantes, des drogues d’une vertu rare, des bois d'ébêne du plus beau grain et susceptibles du plus mer- veilleux poli. Les forêts sont peuplées de gibier, et les cours d'eau | abondent en tortues et en poissons. Ici vivent l’anfa ou vache sau- vage, le peixe-boi ou bœuf marin, le paresseux, le fourmilier, le superbe tigre noir, le mystérieux poisson électrique, le boa constrictor, le dangereux serpent corail, l’alligator vorace, les singes de toute Ea LE PAYS DES AMAZONES 313 espèce, les oiseaux au brillant plumage, les insectes aux formes les plus étranges et aux couleurs les plus riantes. « Le climat de ce pays est salubre et la température agréable. » On le voit, la nomenclature est assez complète et suffisamment allé- chante. Les auteurs du rapport ajoutaient, entrevoyant de plus grands hori- zons pour cette partie du Brésil: « En contemplant toutes ces choses, l'esprit reste confondu devant les visions qu'il découvre. Nous avons ici un continent partagé en plusieurs îles — car plusieurs des grands cours d'eau entourent de larges lambeaux de terre — dont les rives produisent ou peuvent pro- duire tout ce que la terre engendre pour l'entretien d'une population supérieure à celle qu’elle porte présentement. Nous avons ici une navigation fluviale pour de grands bateaux, par l’Amazone et par ses vastes tributaires, pouvant s'étendre en chiffres ronds à 6,000 milles - environ, sans compter les bras innombrables du fleuve, qui peuvent porter cette navigation à 10,000 milles ; sans compter non plus ni la Plata avec ses tributaires, d'un côté, ni l'Orénoque avec ses affluents, de l’autre. L'Orénoque est en communication avec la vallée de "Ama- zone par le Cassiquiare ; la Plata, pour communiquer avec le bassin amazonien, n’a besoin que du percement d'un canal de six lieues de longueur, à travers un terrain facile. « Maintenant, supposons les bords de ces cours d’eau habités par une population active et industrieuse, désireuse d'échanger les riches produits de ses terres contre les objets de luxe et de confort des pays étrangers. Supposons l'introduction, dans ces parages, des chemins de fer, des bateaux à vapeur, de la charrue, de la hache, de la houe. Sup- posons la terre partagée en grands domaines, cultivée par le travail esclave (1), qui la fasse produire tout ce qu’elle est capable de donner. En nous rappelant toutes les considérations émises sur ces régions, (1) On reconnaît à ce trait l'Américain du Nord esclavagiste Heureusement, comme le lecteur le verra plus loin, Vesclavage a cessé d’exister dans cet État, avant même qu'il eût été entièrement aboli au Brésil. 314 LE PAYS DES AMAZONES nous arriverons facilement à conclure que nul pays au monde n'est plus favorablement situé, et que, du jour où le commerce réussira à. s'implanter ici, la puissance, la richesse et la grandeur de l’ancienne” Babylone et du Londres moderne seront éclipsées par l’entrepôt de | ce commerce, lequel s'étendra de l'embouchure de POrénoque à ces de " Amazone, et de celle-ci à la Plata. » Ces explorateurs ont vu juste en voyant grand. L'Amazonie est appelée, en effet, aux plus hautes destinées. Lorsque son sol sera livré aux bras libres des colons, elle laissera bien loin derrière elle la vieille Europe. Elle deviendra un jour le centre de la production agricole du monde entier. Les centres de production et de civilisation se déplacent comme les pôles, lentement mais sûrement. N'anticipons pas sur les siècles. Poursuivons notre revue rétro=. spective des explorations amazoniennes. A vingt ans de distance, un autre citoyen des Etats-Unis de l’Amé- E rique du Nord, M. H. Smith (1), s’est plu au contraire à visiter notre pays en ami clairvoyant et bienveillant. | Depuis, des voyageurs de toute nationalité, savants ou simples tou- . ristes, curieux ou studieux, ont repris le chemin de l’Amazone. Les Français connaissent les récits de voyage de MM. Jules Cre= vaux (3), Charles Wiéner (4), C. Wallut (5), H. Coudreau (6), Girard (7), M. Monnier (8), O. Ordinaire (9), et même les fantaisies | de MM. Jules Verne (10) et Boussenard. (1) Herbert H. Smith: Brazil. — The Amazons and the Coast..., New-York, 1879. (2) Jules Crevaux: Voyage dans la Guyane et le bassin de l'Amazone, Paris, 1880. — | Fleuves de l'Amérique du Sud, Paris, 1883. | (3) Charles Wiéner: Amazone et Cordillêre, Paris, 1883-84, « Tour du Monde ». (4) C. Wallut: Sur les rives de l'Amazone..., Paris 1882. É (5) H. Coudreau : Le Territoire contesté entre la France et le Brésil, Lille, 1886.—" Voyage au Rio-Branco, aux Montagnes de la Lune, au Haut Trombetia, Rouen, | 1886. — La France Equinoxiale, Paris, 1887, — Les Francais en Amazonie, Paris, É 1887. (6) C. Girard: Les Andes, les Cordillères et l’Amazonie, Paris, 1889. (7) M. Monnier: Des Andes au Pará : Equateur, Pérou, Amazone, Paris, 1889. À (8) O. Ordinaire : Du Pacifique à l'Atlantique par les Andes péruviennes et l'Ama;ONESS Paris, 1892. (a) Jules Verne: La Jangada. — Huit cent lieues sur l'A mazone, Paris, 1802. E (10) Boussenard: De Paris au Brésil par terre, Lagny, 1885. +58 + a e is Es do iga ti - — = ——- — LE PAYS DES AMAZONES STE Les Italiens ont eu pendant ces derniers temps les impressions de M. Stradelli (1), du Père Coppi (2), et du Professeur Vincenzo Grossi (3). L'Allemagne, aprês les beaux travaux que nous avons cités, a pu lire naguère Pétude, aussi érudite que consciencieuse, qu’une prin- cesse, éprise de haute curiosité scientifique, a consacrée tout spéciale- ment à " Amazone : le voyage de S. A. R. la Princesse Thérèse de Bavière sort, en effet, de la banalité courante et est supérieur, au point de vue documentaire, à ceux de la plupart des voyageurs masculins “de ces vingt dernières années (4). Depuis que des paquebots sillonnent "Amazone et ses principaux affluents, le nombre des voyageurs s’est accru considérablement; il faut avouer, cependant, que leurs travaux sont loin de surpasser ou même d'égaler, en valeur scientifique, ceux des explorateurs de la fin du xvrn* et de la première moitié du xix° siècle. Nous ne faisons exception que pour ceux d’Agassiz. En 1863. Gustave Walles, en étudiant la flore du haut rio Branco constata [existence d’un arbre gigantesque, dont les proportions dé- passent celles du fameux Baobab de Sénégambie et des non moins fameux Wellingtonias de la Sierra Nevada et de la Californie. L'arbre du rio Branco est le véritable géant de la flore tropicale. A lui seul, il peut constituer une petite forêt. [la 46 mètres de haut, depuis la racine jusqu'aux premières branches: c'est un véritable monument de verdure. Sa circonférence, à la coupole, est de 251 mètres; elle projette sur le-sol une ombre qui dépasse 5.000 mètres carrés de (1) E. Stradelli : Rio Branco, Roma, 1539, « Boll. della Soc. Geogr. Ital. » Marzo- Aprile. = LºUaupes et gli Uaupés, Roma, 1890, Ibid., Maggio. (2) G. A. Collini: La provincia delle Amazzoni, secondo la relazione del P. Illu- minato Giu seppe Coppi..., Roma, 1885, « Boll. della Soc. Geogr. Ital., « Febraio- Marzo. (3) Vincenzo Grossi: Nel Paese delle Amazzoni, Roma, 1897. (4) Therese Prinzessin von Bayern : Meine Reise in den Brasilianischen Tropen..., Berlin, 1897. 316 LE PAYS DES AMAZONES superficie. Sous cet immense abri de feuillage, plus de 12.000 hom- mes pourraient camper à l’aise. Les anciens auraient divinisé cette formidable explosion des forces telluriques. Il nous démontre, à nous, la puissance de fécondité et de germination qui réside dans le sol amazonien, et il nous est un garant que la sueur des immigrants d'Europe ne tombera pas. un jour, sur une terre ingrate. = A A côté de l'arbre du rio Branco, que sont les plus audacieux sapins. du Nord, dont on pave les rues de Paris? que sont les vieux chênes: qui virent les druides? Le célèbre châtaignier de l'Etna lui-même, à. côté de ce colosse chevelu, n’est qu’un vulgaire pygmée: cet arbre plongeant dans les entrailles d’un volcan, réchauffé par les laves sou- terraines, n’a jamais pu atteindre, depuis 4.000 ans qu'il voit le soleil de Sicile, que 1o pieds de circonférence. Les ingénieurs J. et F. Keller, de Stuttgart, ont été chargés, en 1867, par M. le sénateur Dantas, alors ministre de l’agriculture, d’une exploration dans le rio Madeira. Les instructions qu'ils reçurent portent la date du 5 octobre 1867: elles étaient conçues dans les | termes suivants: ; « Le gouvernement, convaincu des avantages qui doivent résulter de la facilité des communications avec la province de Matto-Grosso,. par la rivière Madeira, a résolu de vous charger, Messieurs, des études et travaux pouvant amener ce résultat. Pour l’accomplissement de la. mission confiée à votre zèle, il a déterminé que vous agiriez confor- mément aux instructions suivantes: « 1º L'existence de chutes offrant des obstacles insurmontables à la navigation ayant été reconnue dans le bas et le haut Madeira, vous devrez, Messieurs, lever le plan et dresser les devis des dépenses qu'occasionnerait la construction d’un chemin qui, contournant ces obstacles, procurerait une facilité de transport aux passagers et aux produits susceptibles de voyager sur cette rivière. Ces travaux, que vous considérerez comme l’objet principal de votre mission, seront + LE PAYS DES AMAZONES SONT accompagnés de toutes les explications et éclaircissements nécessaires. « 2º A l’occasion de ces examens, il convient que vous vérifiiez le moyen le plus prompt, le plus facile et le plus sûr, pour naviguer sur le bas et sur le haut Madeira, soit par bateaux à vapeur, soit par des trains fluviaux remorqués par vapeur, en indiquant dans l’un ou Pautre cas les conditions les plus convenables en vue du climat et du régime des eaux et en ajoutant toutes les explications concernant les conditions du territoire qui pourraient produire des retards à l’une et à l’autre extrémité, et également une relation minutieuse sur les accidents géologiques et sur les produits des règnes végétal, animal et minéral. « 3º Vous devrez, Messieurs, outre cela, prendre une connaissance exacte des endroits qui, sur les rives ou à proximité de la rivière Madeira, seraient les plus appropriés àl’établissementde populations, de colonies militaires ou agricoles et de fortifications,en indiquant d'une manière précise leur position géographique, reliée à un point astronomique, et en prêtant une attention spéciale aux conditions de salubrité, de commodité et de prospérité des habitants, de l’embar- quement et de la livraison des produitsde leur industrie aux marchés et aux centres de consommation. « 4° Vous devrez également vous informer minutieusement des tribus indigènes qui demeurent dans ces régions, pour donner un - rapport détaillé et exact sur tout ce qui se rapportera à leurs mœurs, à leur manière de vivre et à leurs aptitudes pour la vie civilisée, ainsi que sur les moyens les plus efficaces pour les arracher à la barbarie. « 5º Vous pourrez requérir, Messieurs, toute [assistance complè- mentaire nécessaire à l’accomplissement de votre mission, du prési- dent des provinces de l’Amazone et de Pará, aussi bien que du président de la province du Matto-Grosso, lorsque vous entrerezsur le territoire de cette province. « 6° Vous aurez à vous entendre préalablement avec les autorités LE PAYS DES AMAZONES 318 : locales du territoire bolivien, dans le cas où les études auxquelles vous allez procéder nécessiteraient d’aller jusque-là. Les mesures sont déjà prises à cette fin. s « Cequi vous est le plus recommandé, Messieurs, est de considérer comme principal objet de la mission dont vous êtes chargés par le. gouvernement impérial les études et travaux mentionnés dans paragraphe premier, auxquels tous les autres restent subordonnés. Ces deux ingénieurs publièrent à Stuttgart, en 1873, un ouvr: très remarquable sur leur exploration, où, à côté de l'étude de plus sieurs des affluents de l’Amazone au point de vue de leur navigabi= lité, on trouve de précieux renseignements sur les climats, les produc- tions et la nature des terres baignées par ces cours d’eau. Louis Agassiz visita une partie de la province de l'Amazone em 1865-66. Les récits qu'il nous a laissés sont d’une exacte vérité d'ob- servation et témoignent en même temps de l'impression profond laissée par notre pays dans l’âme du grand naturaliste. En quittant le Brésil, le 2 Juillet 1866, Agassiz écrivait : « Nous partimes pour les États-Unis, en rapportant sous le ciel terne de. notre patrie, en souvenirs chaleureux et en impressions vivaces, de. quoi jeter le plus chaud coloris sur le reste de notre vie. » A ces paroles, pleines de regret et d'admiration, le savant A méri- cain ajoutait l'appréciation suivante : « L'importance du bassin de l’Amazone au point de vue industrie ne peut être exagérée. Ses bois seuls constituent une richesse inesti- mable. Nulle part, au monde, il n’y a de plus admirables essences, soit pour la construction,soit pour Pébénisterie de luxe. Cependant, à peine s’en sert-on dans les constructions locales et l'exportation em est nulle. Il est étrange que le développement de cette branche d'i dustrie n’ait pas déjà commencé, car les rivières qui coulent dans forêts magnifiques semblent avoir été tracées exprès pour servir, d’abord, de forces motrices aux scieries qu’on établirait sur leurs LE PAYS DES AMAZONES 319 — insister davantage sur les bois, que dirai-je des fruits, des résines, … des huiles, des matières colorantes, des fibres textiles qu'on y peut facilement récolter ? Quand je m'arrêtai à Pará, lors de mon retour aux États-Unis, on venait d'ouvrir une exposition des produits de Amazone, comme préparation à la grande Exposition universelle de aris. Malgré tout ce que j'avais admiré déjà, pendant mon voyage, e la richesse et de la variété des produits du sol, je fus stupéfait “quand je les vis ainsi réunis les uns à côté des autres. Je remarquai entre autres une collection de cent dix-sept espèces différentes de bois - précieux, coupées sur une superficie de moins d'un demi-mille carré (soixante-quinze hectares); parmi ces échantillons, il y en avait un É grand nombre de couleur foncée, aux riches veinures, três suscep- Cam d'un beau poli, aussi remarquables que les bois de rose ou > d’ébène. Il y avait une grande variété d'huiles végétales, notables toutes par leur limpidité et leur pureté, quantité d'objets fabriqués avec les E fibres du palmier et une infinie variété de fruits. Un empire pourrait a se dire riche, s’il possédait seulement une seule des sources d'indus- | trie qui abondent dans cette vallée. » L'industrie et le commerce des bois que signale Agassiz doivent, en effet, devenir une des premières préoccupations du gouvernement … de l'Etat. L'industrie forestière, nous ne cesserons de le répéter, doit, dans ces déserts boisés, précéder l’agriculture. [ci le défrichage ne doit pas être improductif, comme aux États-Unis; il doit, au contraire, “Sil est bien entendu, fournir d'abondants capitaux à la mise en rap- port du sol. | Le pionnier doit d’abord s'attaquer à l'arbre, le débiter et le vendre. Les débouchés ne manqueront pas en Europe où le bois se … fait rare. Il s’agit seulement de commencer et d'accoutumer les ouvriers européens au travail de ces essences nouvelles pour eux. En se contentant d'un bénéfice minime, qui s'accroitrait par la grande quantité de marchandise vendue, on pourrait débarquer à Liverpool, au Havre, à Hambourg, ailleurs encore, des bois d'ébénisterie et de , “a ns 320 LE PAYS DES AMAZONES pareille source de richesses. : Ce serait prendre le temps au lecteur, bien inutilement, que de lui citer des voyages du genre de celui de MM. E Barrington Brown e William Lidston. Ces deux Anglais se sont “contentés d'amonceler des fadaises sans style dans un gros volume (1). (1) Fifteen Thousand Miles on the Amazon and its Tributaries, London, 1878. GUN — ss e 3 Ed CHAPITRE II Voyages d'exploration (suite). — Les Portugais et les Brésiliens dans l’Amazone. — Christovam de Lisbôa et Laureano de la Cruz. — Les Pères Antonio Vieira E: Jean-Philippe Bettendorff. — Gonçalves da Fonseca, le pilote Nunes de Souza et l’évêque Miguel de Bulhões. — Noronha. Ribeiro de Sampaio, Braun et Lacerda-e-Almeida. — Les Indiens à queue d'aprês Noronha. — Le naturaliste Rodrigues Ferreira. — Autres voyageurs nationaux. — Voyageurs _ Le seul reproche que nous nous permettrons d'adresser à nos “courageux compatriotes, c'est de demeurer trop modestes et de ne Le moindre voyageur étranger qui s’est reposé quelques instants dans En hotel de Manäos, sans même connaître la langue du pays qu'il a visité superficiellement, revient dans son' pays avec un livre tout prêt l dans sa valise ; et nous ne faisons presque rien, nous, les enfants de la grande Amazonie, pour faire connaître et apprécier notre belle patrie. Il existe à Londres, à Paris, à Rome et dans toutes les grandes villes d'Europe des sociétés savantes qui accueilleraient avec empres- … sement les communications documentées qu'on leur enverrait de si Ea o Join. _ Il ne faut pas se lasser de le répéter : les Portugais, maîtres du Brésil pendant plus de trois siècles, et les Brésiliens, dont on connaît trop peu les travaux de ce côté-ci de l'Atlantique, ont la part la plus | De navigatione Pinjoni, et de rebvs per evm repertis. a & î 1647 à 1097, Manuscr. de la Bibl. nat. de Rio. 322 LE PAYS DES AMAZONES partout les plus hardis explorateurs venus de l'étranger. Le xvi® siècle, le siècle de ia découverte, s'écoula sans nous lais Yañez Pinzon (1). Mais, dès le xvn° siècle, les études deviennent assez nombreuses. En. 1627, nous avons les lettres du Père A. Christovam de Lisbôa, écrites du Maranhão à son frère, le savant antiquaire Manocl Severim de Faria, et rendant compte des travaux religieux des Franciscains dans l’Amazone (2). Dix ans après, un Mémoire, paru à Lisbonne (3),« rend compte de l’état de ces régions. En 1651, le Père Laureano de. la Cruz annonce la découverte du grand fleuve et revendique pour les Franciscains la gloire de cette entreprise (4), bien que le jésuite Christophe de Acuña eût descendu l’Amazone, en compagnie du capi: taine Pedro Teixeira, douze ans auparavant (5). Ce furent encore deux Jésuites, dont l'un compte parmi les plus: grands écrivains du Portugal, les Pères Antonio Vieira (6) et João Ph. Bettendorff (7), qui dépeignirent ce pays et plaidèrent la cause des (1) Novs orbis regionvm ac insylar»m veteribys incognitarvn, Basileae, Anno 1532: (2) Cartas a seu Irmão, Manoel Severim de Faria, dando-lhe noticia dos seus tr 16410 , “de religioso. — Manusc. de la Biblioth. publ. de Lisbonne. (3) Memorial sobre as terras e gente do Maranhão e Grão Pará e rio das Amazonas, Lisbôa, 1637. (4) Laureano de la Cruz : Descubrimiento del rio de Maranon llamado de las Ama= zonas, 1651, publié par le P. Marcelino de Civezza, Prato, 1878. (5) Christoval de Acuna : Nvevo Descvbrimiento del gran rio de las Amazonas..... Madrid, 1641. (6) Antonio Vieira : Carta a elrey n. Senhor sobre as missões do Seara. do Maranham, do Para e do grande Rio das Amazonas, Lisbôa, 1660. — Informação do modo com foram tomados e sentenciados per captivos, no anno de 1665, 702 Indios; Manuscr. de la Bibl. Publ. de Lisbonne. — Colleccão de todas as Cartas do P. Antonio Vieira.., de (7) João Felippe Bettendoreff (sic): Chronica da Missão da Companhia de Tesus em 0 Estado do Maranhão, 1661-09, Manuscr. de la Bibl. Publ. de Lisbonne. LE PAYS DES AMAZONES 323 ns, enattendant qu’un autre Jésuite, le Père Manoel Rodriguez (1), a À vit sur l'Amazone. Dès 1662, Mauricio de Hiriarte en avait donné | E e description, que le vicomte de Porto-Seguro fit connaitre en À 1874 (2). á … Le xvme siècle fut pour ces régions le grand siècle des explorations. e récit des excursions avantureuses de Walter Raleigh venait d'être LA publié (3); Espagnols, Anglais, Francais, Hollandais s’efforçaient tous, à qui mieux mieux, de prendre pied dans un pays dont on leur . disait tant de merveilles, et les Portugais-Brésiliens durent redoubler a d'activité pour affirmer leurs droits (4), tandis que la question de — l'assujettissement des Indiens suscitait de perpétuels conflits entre les Co colonisateurs et les missionnaires (5). - La relation de Goncalves da Fonseca (6) et le routier du pilote - Nunes de Souza (7) nous apprennent que dès le milieu du siècle on * allait aux mines de Matto-Grosso par le rio Madeira; peu après, non- seulement l'évêque du diocèse (8) lançait une lettre pastorale en faveur | de la liberté des Indiens, mais encore l’un d'eux parcourait son vaste - (1) Manvel Rodriguez : El Marañon y Amazonas...., Madrid, 1684. “ (2) Mauricio de Hiriarte : Descripcão do Estado do Maranhão, Pará, Corupá e rio das Amazonas, 1662, Vienna, 1874. RS (3) Voyages de Francois Coreal aux Indes Occidentales.... Traduits de l'espagnol a avec une relation de la Guiane de Walter Raleigh...., Amsterdam, 1722. DAS | (4) Parecer sobre pertencer a Portugal o rio Amazonas e necessidade de o fortificar, ne n sans date ni nom d'auteur, mais du commencement du xvmf siècle, Manuscr. de la Bibl. Publ. de Lisbonne. (5) Representação a D. João V sobre a liberdade ou captiveiro dos indios do Pará e E um Maranhão, 1735. — Reflexões que com esta representação se offereceram a S. M.osr. d. 27 …J0i0 V, Manuscr. de la Bibl. Publ. de Lisbonne. (6) José Goncalves da Fonseca: Navegação feita da cidade do Gram Parã até a bocca do rio da Madeira pela escolta que por este rio subio às minas do Mato-Grosso...., 1749, Lisbôa, 1826, « Collecc. Ultram. »,t JV, n°1. (7) Antonio Nunes de Souza : Derrota desta cidade de Santa Maria de Belem do Grão Pará para as Minas de Matto-Grosso .... que póde servir para outra qualquer monção indo passar as cachoeiras...., 1749, Manuscr. de VInst. Hist., Géogr. et Ethnogr. “de Rio. — (8) Dom Fr. Miguel de Bulhões: Charta pastoral... dada em favor da liberdade dos — Indios da sua diocese, 1750, Manusc. de la Bibl. Nat. de Rio. a 324 LE PAYS DES AMAZONES domaine religieux en le décrivant (1), comme Pont fait ses succes- seurs jusqu’à nos jours. En 1768, nous avons le voyage si connu du vicaire général No- ronha (2), suivi de ceux de Sampais (3), de Braun (4) et de Lacerda-e- Almeida (5). C'est Noronha qui nous a conservé la fable étrange des Indiens à queue, comme les singes, et son récit extravagant mérite | d’être cité: | « Un peu plus de vingt lieues au-dessus du Parauari débouche, É sur la rive méridionale de l’'Amazone, le rio Yuruá, appelé commu-. nément Juruá par les blancs, à 2° 30° de lat. australe, en descendant | du royaume du Pérou vers le nord, dans la direction sud... Les Indiens des tribus Cauána et Ugina restent bien au-dessus de la cataracte de | la rivière et loin de sa barre. De ceux de la tribu Cauana les autres Indiens disent ce que rapportent quelques géographes au sujet des. Groenlandais et des Lapons, c’est-à-dire qu'ils sont de petite taille et n’ont guère que 5 palmes de haut (1 m. 10). Ce qu’ils disent des Indiens de la tribu Ugina ou Coatátapyiia est encore plus remar=< quable : ils affirment en effet que, tous, ils ont des queues ct naissent d'Indiennes fécondées par les singes appelés Coitas. Quelle qu'en soit la raison, je suis porté à croire que leur récit au sujet des Indiens à. queue est véridique, et cela pour trois motifs: le premier c'est qu'il n'y a aucune raison physique qui rende difficile le port de la queue; le deuxième, parce que, ayant interrogé plusieurs Indiens, descendus | e (1) Dom Fr. João de S. José: Viagem e visita do sertão em o bispado do Gram-Para | em 1762 e 1763, Rio, 1847, « Revista Trimensal do Instituto » 2º série, II. (2) José Monteiro de Noronha : Roteiro da viagem da cidade do Para até ás ultimas colonias do sertão da provincia, 1708, Pará, 1802. (3) Francisco Xavier Ribeiro de Sampaio : Diario da viagem que em visita e correição 4 das povoações da capitania de S. Joze do Rio Negro fe; o ouvidor e intendente geral, da mesma.. ., no anno de 1774 € 177), Lisbôa, 1825. (4) João Vasco Manoel de Braun: Roteiro Chorographico (Inedito) da viagem. ..., | 1781, Pará, 1857. — Roteiro Chorographico da viagem que.. determinou fazer ao rio das | Amazonas, 1784, Rio, 1849, « Rey. Trim. do Inst. », 2° série, V. : (5) Francisco José de Lacerda e Almeida; Diario da viagem... pelas cazitanias do Pará, Rio Negro... nos annos de 1780 a 1790, S. Paulo, 184r. LE PAYS DES AMAZONES 325 _ et abordé les Uginas, je les ai toujours trouvés constants dans leurs E récits. ‘avec cette seule différence que les uns leur attribuaient une … queue d'un palme et demi (33 centimètres) et que les autres la représentaient comme ayant 2 palmes (44 centimètres) et même davantage; le troisième motif, enfin, c'est que le Révérend Père José de S. Thereza Ribeiro, religieux carme et curé actuel de la paroisse de Castro de Avelães, m'a affirmé avoir vu un Indien descendu du rio Iupurà et qui avait une queue. Je lui demandai de me raconter —._ cette histoire sous la foi du serment; il le fit; j'ai le document en ma possession; il est de la teneur suivante: “« Je, soussigné, Frère José de S. Thereza Ribeiro, de l’ordre de | N.-D. du Mont-Carmel de l'antique observance, etc., certifie et jure “ inrerbo sacerdotis et sur les saints Évangiles, qu'étant missionnaire dans l’ancienne aldée de Parauari, qui fut transférée ensuite à Ven- …… droit où est situé aujourd’hui Nogueira, un homme, nommé Manoel … da Silva, natif de Pernambuco ou de Bahia, y arriva en l’année 1751 “ou 1752, venant du rio Iupurá, avec quelques Indiens à son service. Parmi ces Indiens, il en emmenait un, sauvage infidèle (non baptisé) …_ ayant une trentaine d'années, que le dit Manoel da Silva m'a affirmé _ être armé d'une queue; et, comme je n'ajoutais pas foi à cette nou- je vis, sans que cela puisse souffrir le moindre doute, que le susdit Indien avait une queue de la grosseur d'un pouce et d’une longueur dun demi-palme (11 centimètres), couverte de cuir lisse sans poils. “Ce même Manoel da Silva m'affirma tenir de l'Indien lui-même qu'il — cet Indien ni l'endroit exact où il habitait, pas plus que si les autres pas plus q 326 LE PAYS DES AMAZONES quatre ans, j'ai appris que dans le rio Juruá il y a une tribu d'Indiens à queue. Et parce que tout cela est la vérité, j'ai dressé ce procês- verbal, écrit et parafé par moi. — Site de Castro de Avelães, le 15 octobre 1768. — (Signé) F. José de Santa-Thereza Ribeiro. » (1) Le Juruá, où l'imagination de ces prêtres voyait des fils de Coitas, . est aujourd’hui sillonné par des bateaux à vapeur, et les actifs serin- | gueiros qui en exploitent les terres à caoutchouc n’ont jamais trouvé les fameux hommes à queue du Révérend Père Ribeiro. ( Le « Diario da Viagem » de Sampaio est plus intéressant, et il dis- cute avec sagacité plusieurs des récits de De La Condamine. Presque en même temps, toutes ces contrées furent visitées par. Wilkens (2), Pontes (3), Mauricio (4), Bitancourt (5), et surtout par le. diligent naturaliste Alexandre Rodrigues Ferreira (6). « Le voyage | philosophique » de ce dernier est remarquable à tous les points de à vue. Le capitaine général João Pereira Caldas le chargea, en 1785, d'étudier, non seulement le rio Negro, mais le rio Branco et ses. affluents, l’Aracä, le Padauary, le Cababori, l'Uaupés, l’Icäna et l'Ixié: Rodrigues Ferreira entreprit son excursion aussitôt, et, dès le 17 jan= vier 1786, il adressait son premier rapport. D’autres suivirent, pleins d'indications des plus précieuses. En 1790, Almeida Serra (7) refit à peu près le même chemin que (1) Ouvr. cité, pag. 49-51. ) (2) Henrique João Wilkens: Diario de viagam que fez.. ao antecipado exame do rio | Japurá..., 1781, Manuscr. de la Bibl. Nat. de Rio. (3) Silva Pontes : Diario da viagam que fez ao tirar a configuração do rio Guaporé, 1783, Manuscr. de la bibl. Nat. de Rio. (4) Raymundo Mauricio: Participação em forma de itinerario que apresentou. . acerca da diligencia que fizera para descobrir communicação pelos rios Cabory e Piquie para o Japurá. .., 1787, Manuscr. de la Bibl. Nat. de Rio. (5) Theodozio Constantino de Chermont et Ignacio de Moraes Bitancourt: Diario da navegação do Rio Urubi..., 1787, Manuscr. de la Bib. Nat. de Rio. — Bitancourt fit le voyage, dont l'ingénieur de Chermont fit la rédaction. “14 (6) Alexandre Rodrigues Ferreira: Diario da viagem philosophica pela Capitania de Säo-José do Rio Negro..., 1786, Rio, 1885, « Rev. Trim. do Inst. Hist. Geogr. e Ethnogr. do Brazil » t. xxvin, Part. 18. (7) Ricardo Franco de Almeida Serra: Novo Diario da viagem dos Rios da Madeira, Mamoré, e Guaporé até Villa Bella, capital do governo de Mato Grosso..., 1790; Manuscr. de la Bibl. Nat. de Rio. LE PAYS DES AMAZONES 327 - — — * Goncalves da Fonseca et Nunes de Souza avaient suivi, quarante annés auparavant, pour se rendre aux mines de Matto-Grosso par le Madeira. Au xixe siècle, cette noble émulation des Brésiliens ne se laissa pas endormir. Dès 1821, on publiait en français les informations de Ayres do Cazal (i) sur l’Amazone. En 1848, la Revue de l’Institut d'Histoire et de Géographie du Brésil, dont on ne sauraittrop vanter les services rendus à la science, imprimait les notes géographiques de Fernandes de Souza (2) sur « la capitainerie du rio Negro », devenue l'Etat de lAmazone. Quatre ans après, Lourenço Amazonas (3) faisait paraître son dictionnaire topographique, historique ct descriptif de la comar- que du haut Amazone, et Ferreira Penna (4) commençait à publier ses beaux travaux tout de suite après. Pendant ce temps-là, Hilario Gurjão (5), officier de génie qui devai mourir glorieusement au Paraguay, remontait jusqu'à Cucuy, et Gabriel Ribeiro (6) étudiait un tracé pour relier Manä3s au rio Branco par une route. En 1861,le premier des écrivains sud-américains en matière de géographie historique, Caetano da Silva (7), dans un livre qui fait » autorité, revendiquait les droits du Brésil sur les territoires contestés de la Guyane; et bientôt après Tavares Bastos (8) commençait (1) Manuel Ayres du Cazal : Notice sur les capitaineries de Para et de Solimoens au Brési, Paris, 1821, « Nouv. Ann. des Voyag. », 1x. (2) André Fernandes de Souza : Noticias Geographicas da Capitania do Rio Negro, Rio, 1848, « Rev. do Inst. », 2º série, 111. (3) Lourenco da Silva Araujo e Amazonas : Diccionario topographico, historico, des- criptivo da Comarca do Alto Amazonas, Recife, 1852. (4) Ferreira Penna a enrichi les « Archives du Muséum », de Rio, de nombreuses études d’une haute valeur. (5) Hilario-Maximiano-Antunes Gurjão : Descripcäo da viagem feita desde a cidade da Barra do Rio Negro, pelo rio do mesmo nome, até à serra do Cucuí.., Rio Negro, 1855. (6) Gabriel-Antonio-Ribeiro Guimarães : Reconhecimento de uma estrada dos campos do Rio Branco para a capital, Manãos, 1855. (>) Joaquim Caetano da Silva : L'Oy-apoc et " Amazone, 2 vol., Paris, 1861. (8) A.C. Tavares Bastos : O valle do Amayzonas..., Rio, 1866. 328 LE PAYS DES AMAZONES cette campagne admirable qui devait aboutir à l’ouverture de "Ama- zone aux nations amies, Nous ne parlons que pour mémoire des deux petits livres de Bernardino de Souza (1), qui fut l'éthnographe de la commission du Madeira, et nous ne répétons pas ce que nous avons dit précédemment au sujet de l'exploration des cours d’eau de la région amazonienne. par des nationaux. É Lorsque le rapport de W. Chandless sur le rio Abacaxis parut en 1870, celui de Rodrigues de Medeiros l'avait précédé de dix-sept ans. Quand les deux ingénieurs wurtembergeois, J. et F. Keller, firent connaître leurs études sur le Madeira, en 1869, nous avions sur cette rivière une bibliothèque complète : depuis plus d'un siècle (1749), la description de Gonçalves da Fonseca et les observations du. naturaliste Rodrigues Ferreira (1786) ; depuis quatre-vingts ans, les informations de Lacerda-e-Almeida et de Silva-Pontes; depuis huit. ans, les travaux de Quintino Quevedo et surtout ceux de Silva Cou tinho (1861). Sur le Purús, dont les notes de Chandless firent con-“ naître l’intéressante vallée en 1866, nous avions, dès 1853, le rapport. de Silva Salgado, et, dès 1862, celui de Silva Coutinho, sans parler des publications du colonel Labre, qui fit plus que vulgariser cette région, puisqu'il la fit fructifier au profit de tous. Dans le rio Negro, Von Spix, von Martius, Wallace et Bates ont pu trouver la trace d'une | série de travaux, qui ont commencé dès le xvriº siècle. Nous avons dit ailleurs que la bifurcation de POrénoque était archiconnue des Portugais-Brésiliens dès la première moitié du xvnº siècle, quoique l'Europe en attribuât la gloire à Alex. de Humboldt. | 4 Si nous avons rappelé avec une certaine complaisance tous ces tra- vaux, ce n'est pas pour faire étalage d'une vaine érudition bibliogra-. phique, mais pour revendiquer pour les nôtres la part à laquelle ils ont droit. (1) Francisco Bernardino de Souza ; Lembranças e Curiosidades do Valle do Ama- zonas, Pará, 1873. — Commissão do Madeira : Pará e Amazonas, Rio de Janeiro, 1874. LE PAYS DES AMAZONES 229 Revenons aux voyageurs étrangers. Un missionnaire français, l'abbé Durand, après avoir étudié le Solimões ou haut Amazone, le rio Madeira et d’autres cours d'eau . amazoniens, envoya à la Société de géographie de Paris une commu- nication fort précieuse qui fut lue dans la séance du 5 août 1874. Il y disait : « Les territoires qui bordent les eaux profondes de la Madeira sont fertiles et propres à toutes les cultures, riches en gise- ments d’or dont les fragments roulent dans les eaux de tous ses affluents (7). Vienne donc le jour où les peuples se transporteront sur les rives de ces routes fluviales, la culture, le commerce, l’industrie, Pexploitation des mines d’or réunis leur promettent une prospérité incalculable. » Et, parlant du climat de l’'Amazonce tant discrédité, tant calomnié par ceux qui ne l’ont jamais enduré, il ajoute : « On a fait à ces provinces une réputation d'insalubrité. Le climat de l’Amazone est plus sain que celui de beaucoup de régions de l'Europe. Les fièvres qui désolent chaque année certaines popula- tions y sont causées plutôt par l'oubli des premières lois de l'hygiène que par ['insalubrité du climat. Le climat de l’Amazone n'est donc pas contraire à la colonisation. » Il nous paraît oiseux d'énumérer les autres voyages entrepris dans ces contrées. Ces citations écourtées et nécessairement restreintes à des généralités n'apprendraient rien de bien précis au lecteur. Nous croyons plus utile de le mettre en garde contre l’idée qu'il se fait généralement des voyages d'exploration dans le haut Amazone ou dans les vallées collatérales de ce fleuve. Lorsqu'un Européen apprend qu’un voyageur s’est enfoncé dans les solitudes de " Amazonie, il croit volontiers que c’est là un exploit exceptionnel, et que le mortel heureux qui en revient a foulé des terres où jamais auparavant aucun pied d'homme civilisé ne s'était posé. Il faut convenir que les romans d'aventures que l’on sert main- tenant sous couleur de récits de voyage sont bien faits pour propager QT EPA Agi 5 PR + PS 1 1 .- Fe ima 5 e a o 330 LE PAYS DES amazoves | PE E ces grossières erreurs. Hátons-nous de rassurer ces imaginations trop éprises de pittoresque et de merveilleux. La plupart des sava que nous venons de citer n'ont fait que parcourir des lieux ho par des Brésiliens ou par des étrangers établis au Brésil, et où rési- dent des fonctionnaires, des commerçants, des soldats et des êtres humains fort sociables. Quant aux fameux Indiens dont on se fait des. chimères, ils restent presque toujours invisibles, quand ils ne vous servent pas par les connaissances particulières qu'ils possèdent des localités. Dans tous les cas, ils sont la plupart du temps moins à | craindre que les brigands calabrais ou les sauvages des grandes villes européennes. Que le lecteur prenne notre carte de l’Amazone, il verra que par. tout, à peu près, le seringueiro, plus osé que le savant, a déjà pénétré: que le commerce et la navigation à vapeur se sont aventurés en des | endroits où le géographe et l'homme de science n'ont pas encore porté leurs investigations. Il ne faut donc pas confondre l'Amazonie avec l’Afrique centrale. Lise Pre CHAPITRE TI Systèmes de peuplement. — Les premières tentatives. — Pourquoi elles devaient échouer. — Préjugés sur la possibilité du peuplement par des blancs, -- Mise à profit des bras indigènes. — L'Indien comme médiateur plastique. — Rôle des Indiens dans le passé. — Le marquis de Pombal et les Indiens. — Le peuplement de la zone chaude. Le Brésil a dépensé jusqu’à présent des sommes considérables pour attirer chez lui ies bras européens. De 1846 à 1882 seulement, il avait déboursé pour ce service public la somme relativement élevée de 46,000 contos ou millions de réis, et, cependant, de 1855 à 1882, il n'avait guère recu qu'un demi-million d'immigrants, à peu près le chiffre que les Etats-Unis de l’Amérique du Nord en recevaient dans une seule année. C’est seulement depuis 1888 qu'il s'est établi un courant sérieux d'émigration européenne pour le Brésil méridional : le Nord de ce pays n'en a reçu qu’un nombre insignifiant. Ces maigres résultats tenaient à plusieurs causes- Nous sommes de ceux qui pensent qu'un Etat neuf ne saurait trop dépenser pour ce service. Nous voudrions que la première préoccu- pation des hommes qui gouvernent et administrent le Brésil portãt sur ce point capital : la nécessité urgente de faire fructifier le pays par des bras européens. Tout l'avenir du Brésil est là. Le reste viendra par surcroît. La situation actuelle du Brésil est déja meilleure que celle des Etats-Unis en 1830. En ce temps-là, la République américaine ne recevait par an qu’une moyenne de 15,182 immigrants. Le Brésil en reçoit présentement une moyenne de 80,000. Il ne faut donc pas désespérer de le voir suivre le même chemin que la grande république, malgré les quelques préjugés qui pèsent encore 332 LE PAYS DES AMAZONES sur sa colonisation. Tout dépendra des efforts des gouvernement des Etats brésiliens et de leurs agents à l'étranger. La plupart des sommes dépensées par le Brésil en faveur de Pimmi- gration ont été appliquées, presque exclusivement, à la colonisation. des provinces méridionales; le Nord, et spécialement l'Amazonie, n’en ont reçu que quelques miettes. = Cependant, vers 1855, on fit une tentative de colonisation dans la province de l’Amazone, par l'entremise de la « Compagnie de navi- gation à vapeur de l’Amazone », qui avait alors à sa tête le vicomte de Maua. Cette compagnie était intéressée évidemment à ne pas la faire aboutir. Elle recevait de grosses subventions du gouvernement central et des deux provinces de Pará et de l’'Amazone. Hâtons-nous de dire. z que ces faveurs avaient alors leur justification dans la nécessité d'encourager une entreprise à son début, et qui, d’ailleurs, a rendu à. son heure de très réels services. Elle installa, en vertu de son contrat, deux centres coloniaux dans la province de "Amazone. L'un de ces centres, appelé « Mauá », fut établi près du chef-lieu de la province, à l'embouchure du rio Negro; l’autre, nommé « Serpa », s'organisa sur l’une des rives de " Amazone, au-dessus de la petite ville qui porte aujourd’hui le nom d’Itäcoatiara. La première de ces colonies devait être un centre agricole et la seconde un centre industriel. C'était peut-être trop vouloir à la fois et ne pas assez consulter le goût des premiers intéressés qui sont toujours les colons. On ne décrète pas ainsi la colonisation. On organisa ces colonies avec beaucoup d'apparat (1), mais sans aucun sens pratique. Toutes deux périclitèrent au bout de quelques mois, et furent dissoutes après avoir causé de sérieux préjudices à la Compagnie. Celle-ci, cependant, se consola, car elle recevait du gou- vernement central 720 contos de réis, quelque chose comme 1,800,000 francs par an, au change de l’époque, pour faire 526 lieues. (1) Voir : O Amazonas — seit Commercio e Navegação. — Manäos, 1877. 1 É T E - = — E LE PAYS DES AMAZONES 299 de parcours sur l’'Amazone, 139 lieues sur le rio Negro et 56 sur le Tocantins. Ces tentatives devaient fatalement échouer pour beaucoup de rai- sons. Tout d'abord, les colons engagés pour la colonie agricole n'étaient pas ceux qu'il aurait fallu y appeler, et quant à la colonie industrielle, on y avait installé, à côté d'une machine à fabriquer des briques et carreaux pouvant en fournir 120,000 par jour, un seul four qui ne pouvait en cuire que 8 ou 10,000, de sorte que le four fonctionnait pendant tout un mois, tandis que la machine se reposait. En second lieu, la Compagnie avait tout intérêt à développer l'extraction primitive des produits forestiers, qui chargeaient ses paquebots sûrement et d'un seul coup, tandis que l’agriculture, au contraire, n'aurait donné des résultats qu’au bout de quelques années et progressivement. L'échec de cette colonisation découragea de toute tentative ultérieure. D'ailleurs,un préjugé s'estenraciné dans l'esprit d'un grand nombre d'habitants du Brésil et d’ailleurs, d’après lequel l'Européen ne peut pas coloniser des terres situées sous les tropiques. En vain leur objecterait-on l'exemple de Sumatra et de Bornéo, ils ne veulent rien entendre. Il est certain que l'Européen ne pourrait guère être employé du premier coup comme extracteur dans les forêts, bien que nombre d'Italiens s'y emploient déjà. Son éducation, ses mœurs, sa constitu- tion physique paraissent s'y opposer. Mais il est non moins certain qu'il peut être excellent cultivateur, excellent industrielsous cette zone. L'avenir de ce pays ne peut pas rester emprisonné dans les forêts ; l'industrie forestière elle-même, avec le temps, se transformera. Déjà les seringueiros sont contraints d'aller chercher les arbres à caout- chouc chaque fois dansdes forêts pluslointaines. Le jour viendra — il est plus proche qu'on ne le croit — où les seringueiros avisés plante- teront le caoutchouc au lieu de l’aller chercher si loin. - 334 LE PAYS DES AMAZONES = Ce sera une économie de temps, de bras et un gain véritable pour « Fan la civilisation. Qui empèchera les nouveaux venus, par exemple, dé laisser debout, dans les concessions qui leur seront accordées, teurs. M. l'ingénieur J.-M. da Silva-Coutinho affirmé, avec son autorité considérable (1), que l'arbre à coutchouc commence à produire au sorte que les deux cultures peuvent marcher de pair. Il serait, en outre, indispensable, sur un grand domaine, de ne pas s'adonner à la culture spéciale, mais d'imiter ce qui se fait en Europe et de multiplier le plus possible les variétés de production agricole, selon que le terrain s’y prête. C'est une expérience à faire qui ne peu rnanquer de réussir. Le préjugé contre l'aptitude de l'Européen à coloniser ce pays tombe donc de lui-même. Nous sommes convaincu, au contraire, qu celui-ci apportera dans nos contrées son intelligence, son travail obs dans l’ancien monde. (1) Voir: Annexos au « Relatorio sobre a exposição universal de 1867 ». as EU" LE PAYS DES AMAZONES Us agriculture remplacera peu à peu l'industrie forestière actuelle ne fait que disperser nos forces vives. C'est elle qui transformera u q | UX. Cette transformation du travail et de la production, que nous vou- inculte. Mais "opinion de cette catégorie de raisonneurs est à dédai- ner. Ces hommes inertes qui s'opposent à tout progrès ne doivent pas être admis dans les conseils d’un pays qui veut aller de l'avant. Volontiers, ils diraient comme ce Président du Mexique à qui l’on parlait d'établir un chemin de fer entre Vera-Cruz et Pérote : « Mais, qu: deviendraient nos mules et nos muletiers ? » “En attendant que le flux d'immigrants que nous souhaitons arrive à destination ; en attendant qu'ils engagent, à leur tour, même des coolies chinois pour leurs grands travaux, il est urgent d'encourager ous les projets qui ont pour but d'utiliser les bras indigènes. L'Indien n'est certainement pas le seul ouvrier possible sous ce climat; maisil est présentement l’ouvrier le plus facile à se procurer. Il faut donc l'appeler à la civilisation três promptement, le défendre contre les spéculateurs, le protéger avec amour et avec intelligence, gagner sa confiance en Vintéressant à nos travaux, en le faisant entrer dans nos combinaisons économiques. Le peuple de l’Amazone a écrit une belle page dans les annales de humanité, lorsque, le 10 juillet 1884, il a rendu à la liberté le der- nier des esclaves que l'Europe avait implantés sur son libre sol. Il écrira une autre plus glorieuse le jour où il mettra fin à l’oppres- FAR PEL] —— me gs DD 336 LE PAYS DES AMAZONES sion et à la misère qui dégradent l’aborigène, exploité honteusement par le blanc et par le métis civilisés. Quand on lit les rapports officiels des présidents qui se sont succédé dans [administration de cette province; lorsque l’on parcourt les récits des voyageurs qui ont vécu dans les sertões de l'Amazone, on se sent pénétré d'amour et de pitié envers le pauvre Indien bafoué, . maltraité, exploité par de prétendus civilisés qui ne le valent pas. L'indien est bon. C'est un grand enfant qu'il faut savoir prendre.Ses mœæurs errantes et ses goûts excessifs pour l'indépendance lui sont imposés par la nécessité de fuir l'oppression, bien plutôt que par la nature. Nous ne croyons pas qu'il soit difficile d'élever nos pauvres Indiens. à l’état de propriétaires. Il suffirait peut-être de leur distribuer des. terres convenables, quelques outils, quelques capitaux et de les | initier à l’agriculture. L'Indien est le médiateur plastique entre les habitants d'hier et. ceux d'aujourd'hui, dans ce coin de notre globe. Son sang forme la | base la plus importante de la population dans presque toute "Amé- rique latine, et celle-ci, plus humaine que sa sœur anglo-saxonne, selon l’heureuse expression de M. E. Reclus, sembla comprendre, à une. certaine époque, le devoir d'appeler les indigènes à prendre part à son“ développement progressif. On ne peut étudier l’Indien sans être frappé de la grandeur de son rôle philologique et ethnique, aussi bien que de l’importance de son | rôle social et économique dans l'Amérique ibérique. On a dit que l’Indien est un être grossier, au cerveau étroit, à peine émergé de l'enfance. — Et l’Indien possède une langue comme l’aba- ñeenga ou tupi-guarani, riche, sonore, expressive, parlée depuis les hautes sources du Marañon jusqu'aux confins de la Plata (1), une. - (1) « Aucune langue primitive du monde, pas même le sanscrit, n'a occupé une auss grande étendue géographique que le tupi et ses dialectes ». Couto de Magalhães: o Selvagem, Introduction, p. xxxv. Rio-de-Janeiro, 1876. * de persécutions impitoyables ou de vexations mesquines ; après quatre LE PAYS DES AMAZONES 33 [SNJ “langue embrassant dans son domaine plus de mille tribus éteintes ou “encore représentées de nos jours. On a prétendu que, la plupart du temps, l’Indien est un nomade, que son existence au jour le jour est éphémère et inconsistante, qu'il na pas de présent, qu'il a encore moins d’avenir et que son passé ne présente guère qu'un intérêt de curiosité. — Or, après quatre siècles cents ans d'oppression ouverte ou d'esclavage déguisé; malgré la tyrannie des conquérants, venus de l’autre côté de l'Océan — pará amboipir igua: malgré l'indifférence des philanthropes, tout occupés à protéger l’Africain, — l’Indien n’a pas disparu. Il subsiste en dépit de tout. Tantôt, il vit retiré dans ses forêts, dont il lui est bien per- — mis de défendre l'accès. Tantôt, il sort de sa retraite, de gré ou de “force; il pénètre au milieu de ses « maîtres », dont il renouvelle le sang appauvri. Dans maints pays, au Brésil, dans l'Uruguay, au Paraguay, en Bolivie, au Pérou, dans l’Équateur, au Vénézuela, en Colombie, dans l'Amérique centrale, au Mexique, ailleurs encore, les métis de cette race prennent leur place au soleil, et, dans les lettres, dans les sciences, dans les arts, dans la guerre, dans la vie politique, ils riva- lisent avec les blancs purs. Si des centaines de tribus ont incontestablement disparu depuis Pépoque de la découverte, d’autres n’ont fait que se déplacer, et leurs migrations peu connues ont fait croire qu’elles étaient éteintes. Quoi qu'il en soit, dès les premiers jours de la conquête, l'Indien prouva qu'il est apte aux grandes choses, et que, dans l’œuvre de civi- lisation que l'Europe entreprenait dans le Nouveau Monde avec tous ses préjugés, il peut être un élément toujours utile et parfois indis- _ pensable. Au Brésil, dès le xviº siècle, c'est-à-dire dès le premier siècle de la découverte, nous trouvons une Tupinambá, Catherine Alvares Para- 22 * tugais à évincer les Français de la baie de Rio-de-Janeiro (1565), et, * Ce métis de Blanc et d'Indienne, après avoir gouverné le Rio-Grande- 338 LE PAYS DES AMAZONES x guassu (1531-1583), contribuant à consolider la domination de métropole à Bahia, et y laissant une illustre descendance. E Une autre Indienne pure, la fille du grand chef Tebyriçá, épousait Jean Ramalho, le fondateur de tant de centres de population dans | région de S. Paulo (1532-1553). “Aa boia, chef des Tupiminós, aidait puissamment les colonisateurs por comblé d'honneurs par le roi Dom Sébastien, avant que celui-ci allãt s'égarer au Maroc, à la bataille d'Alcazar-Quivir (4 août 1578), d’où Au xvir siècle, deux noms se détachent, entourés d'une auréole méritée. q C’est, d'abord, celui de Jérôme d'Albuquerque-Maranhão. Il était le fils naturel du Portugais Jérôme d'Albuquerque, — lui-même appa-: renté au terrible Albuquerque, l'un des héros chantés dans les Lusiades, — et d'une Indienne, fille d'un chefnommé «l’Arc-Vert » (1548-1618) do-Norte, qu'il avait conquis, devint, en juin 1614, « capitaine dela conquête et de la découverte des terres du Maranhão », d’où il réus= sit à expulser les Français (1). C'est après cette victoire, qu'il ajouta (1) Vers 1605, Charles des Vaux, un Tourangeau qui avait vécu une huitaine d'années | parmi les Indiens du Brésil, persuada Henri IV que les gens de ce pays étaient préts à) se donner aux Francais. Justement, Daniel de La Touche, seigneur de La Ravardière, arriveit, en compagnie de Jean Moquet, d'une expédition dans la Guyane, d'où il avait ramené le cacique Zapoco. Le roi le chargea d'aller au Maranhão, avec des Vaux, pour étudier l’affaire. A leur retour, Henri IV n’était plus de ce monde, et ce fut Marie des Médicis qui confia Vexpédition (1612) à un groupe de gentilshommes, ayant à leur têtes François de Razilli, seigneur des Aumels, Claude de Razilli, seigneur de Launay, La] Ravardière, de Chabannes, cousin de ce dernier, Nicolas de Harlay-de-Sancy, baron “de, La Motte et de Gros-Bois, de Pézieux, cousin de Marguerite de Montmorency, princesse de Condé, du Prat, de Saint-Gilles, de Rochefort, d'Ambreville, de Saint-Vincent, de Logeville, de La Roche du Puy, etc. Le 19 novembre 1614, après plus de deux ans de séjour dans le pays, les Français souffrirent un échec qui les obligea à signer un armis tice. La trève fut dénoncée par Jérôme d'Albuquerque à la fin de l’année suivante. Des Lis E LE PAYS DES AMAZONES 339 - aunom de son père (d'Albuquerque), le nom du pays qu'il venait 1 4 de reconquérir (Maranhão). Il fut nommé gentilhomme de la maison royale, et mourut en Portugal, chargé d honneurs, en laissant trois fils, anoblis à leur tour par le souverain de la métropole (1). C'est, ensuite, Clara Camarão, issue de pauvres tapuyas de Cearà ou de Rio-Grande-do-Norte, et mariée à un Indien comme elle, Poty. Ce mot signifie crevette; de là leur nom de Camarão, qui, en langue portugaise, a la même signification que le mot tupi-guarani. Claire et Antoine-Philippe Camaräo forment un couple héroïque. L'un et l’autre se distinguèrent dans la guerre contre les Hollan- | dais (1637), et ils furent anoblis par Philippe IV (2). Au xvin siècle, nous trouvons encore au moins trois Indiens purs, qui ont pris rang parmi les plus grands des maîtres étrangers. Ce sont Dom José de Souza-e-Castro et son fils, Dom Philippe, l'un et l’autre chevaliers de Saint-Jacques, et le maître de camp Jean Doy. Les deux premiers étaient des Tupis de la montagne d'Ibyapába, dans le Ceará; le dernier appartenait à la tribu des Potiguares. Nous pourrions faire une nomenclature beaucoup plus longue des renforts lui étaient arrivés, tandis que les Francais se voyaient abandonnés de la mére- - patrie. La Ravardière dut capituler. De cette magnifique tentative pour établir la « France équinoxiale », il ne reste que la ville de Saint-Louis-de-Maranhäo, capitale de l'État du même nom. En y arrivant, le 6 août 1612, La Ravardiére et ses compagnons, nommés «lieutenants généraux du roi aux Indes occidentales et terres du Brésil », y avaient bâti le village de Saint-Louis, qui seul perpétue leur malheureuse aventure. (1) Une lettre de La Ravardière à Jérôme d'Albuquerque-Maranhão, datée du 23 no- vembre 1614 et citée par le baron de Rio-Branco (Le Brésil en 1899, Paris, 1889), donne une idée de l'esprit chevaleresque de d'Albuquerque: « La clémence du grand capitaine d’Albuquerque, qui fut vice-roi de Sa Majesté Dom Emmanuel aux Indes orientales, se montre en vous par la courtoisie que vous témoignez à mes soldats français et par le soin que vous avez eu de donner une sépulture aux morts, parmi lesquels il en est un (sans doute son cousin, M. de Chabannes) que j'aimais comme un frère, car il était brave et de bonne maison. » À son tour, un jeune chirurgien parisien, de Lastre, qui donna ses soins aux blessés des deux camps, écrivait; « Jamais je n’ai vu de si honnêtes gens, » (2) Philippe IV d’Espagne, Philippe III de Portugal. On sait que le Portugal demeura sous la domination espagnole depuis 1580 jusqu’à 1640. Les Espagnols essayérent encore, après 1640, de se maintenir dans le pays, et la première bataille de Vindépen- dance portugaise (Montijo, 26 mai 1644) fut encore gagnée sur les Espagnols par Mathias d’Albuquerque, Brésilien, récompensé par l'octroi du titre de comte d'Alegrette, 340 LE PAYS DES AMAZONES Indiens qui forcèrent l’admiration de la métropole, et y conquirent par leur vaillance, soit des lettres de nobiesse, soit de hautes” dignités. A mesure que nous nous rapprochons des temps modernes, l’époque héroïque étant passée, le rôle de l’Indien se modifie. Les conquérants avaient voulu, d’abord, le refouler. Ils n’y ont pas réussi. Décontenancé un instant, l'Indien s’est ressaisi et s’est défendu, soit seul, soit appuyé sur des alliés, en s'unissant tantôt à celui-ci, tantôt à celui-là, selon l'intérêt du moment. Mais, qu'il fasse la guerre ou qu'il négocie des alliances, il fait montre constamment de deux qualités maîtresses : la bravoure et la diplomatie. Sa bravoure, le mot rapporté par Michel de Montaigne (1533-1592) la définit. Au Havre-de-Grâce, l'auteur des Essais se trouve en pré- sence d’un chef indien emmené en Europe, et il lui demande quels sont les privilèges dont jouissent les chefs dans sa tribu. — « Ils n’en ont qu’un, lui répond le sauvage : c'est de marcher les premiers à la guerre! » Sa diplomatie, le récit de Hans Stade nous en donne un exemple. — Les marins français n'avaient jamais cessé de faire le commerce avec les Indiens de la côte du Brésil, malgré la jalousie des Portu- gais qui, par leurs vexations, s'étaient aliéné bon nombre de tribus du littoral. L'une de ces tribus, celle des Tamoyos, dans les environs de Rio-de-Janeiro, était alliée aux Francais. Elle avait pour chef Cunhambebe, « le grand et puissant roi Quoniambeck. », dont nous parle André Thevet (1), qui nous a laissé son portrait dans deux de ses ouvrages. — Hans Stade, un Hessois, tombe prisonnier des Tamoyos, qui s'apprêtent à le dévorer selon la formule. Le pauvre homme se désole, invoque le ciel, récite des psaumes, chante des hymnes religieuses. Rien n'y fait : le feu du sacrifice flambe, et il va - (1) Histome DE THever, de deux voyages par lui faits aux Indes australes et occiden- tales (Manuscrit de la Bibliothèque nationale de Paris, fonds français, 15454, cité par le baron de Rio-Branco dans Le Brésil en 1889, de F. de Santa-Anna Nery). LE PAYS DES AMAZONES 341 mourir. Dans sa détresse, il se souvient que ces sauvages sont les fidèles alliés des Français: — « Je suis Français », déclare-t-il au chef tamoyo. Mais le grand et puissant roi Quoniambeck est habitué, paraît-il, à de semblables stratagèmes, car il répond au prisonnier : — «Depuis quelque temps, on ne peut plus manger un blanc. Tous ceux qui tombent entre nos mains se disent Français. » Hans Stade, ne perd pas la tête : — « Voyez, dit-il, mes cheveux roux, ma barbe rousse, ma peau blanche ; les Portugais ne sont pas ainsi faits. » Cunhambebe hésite, mais il ne veut pas se tromper et manger la chair d'un ami. Il relâche l’Allemand, qui nous a conté lui-même son aventure. Ne pouvant pas refouler l’Indien, on Vexploite. On l’exploite même si durement que le Saint-Siège et les Jésuites interviennent en sa faveur. Dans deux instruments pontificaux, Paul III (1534-1549) avait déjà proclamé (1) que les Indiens d'Amérique sont des hommes libres et doués de raison. Deux siècles après, le 20 décembre 1741, un autre pape, Benoit XIV (1740 1758), dans un bref adressé à l’épiscopat du Brésil proteste de nouveau contre l'esclavage des Indiens et contre les violences dont ils sont l’objet, en menaçant les oppresseurs des foudres de l'Église. Mais déjà les Indiens ont trouvé un éloquent et courageux défen- seur dans la personne d'un homme vraiment exceptionnel. Je veux parler du Père Antonio Vieira (1608-1697). Grand orateur, le pre- mier de notre langue portugaise; grand écrivain, ses ouvrages sont classiques chez nous; diplomate, missionnaire, colonisateur, ce Jésuite fut extraordinaire en toute chose. Missionnaire au Maranhão et au Pará, il harcèle la Cour de plaintes contre les gouverneurs, dont il dénonce les tyrannies envers les (1) Bref Pastorale officium ergà oves nobis cælitus creditas, donné à Rome le 23 mai 1537, et adressé au cardinal D. Jean de Tavera, archevêque de Tolède. — Bulle ue quæ nec falli, donnée à Rome le 2 juin 1537. 342 LE PAYS DES AMAZONES Indiens. Voici l'un de ces plaidoyers (1), adressé au roi Dom Jean IV. de Portugal (1640-1656) : — « Sire, je n'ai jamais rien compris aux raisons politiques, et aujourd’hui, je les entends moins que jamais. Mais, pour vous obéir, je dirai naïvement ce que je pense. — Je crois qu'il vaut mieux subir un voleur que d'en subir deux, et qu'il est" plus difficile de trouver deux hommes de bien que d'en trouver un seul.» Le roi venait de diviser l’État de Maranhão-Pará en deux capitai- . neries, avec deux gouverneurs. A Il continue : — « On proposa, un jour, à Caton, deux citoyens romains pour occuper deux places vacantes ; il répondit que ni lun ni l’autre ne lui agréait : l’un, parce qu'il n'avait rien; l’autre, parce que rien ne lui suffisait. Il en est de même des deux capitaines géné- 4 raux entre lesquels on a réparti le gouvernement du Pará: Balthazar de Souza n’a rien; rien ne suffit à Ignace do Rego. Or, je ne sais quelle est la plus grande tentation, si c'est celle du besoin ou celle” de l’avidité. — Tout ce qui existe dans la capitainerie du Pará, si l'or en excepte les terres, ne vaut pas dix mille cruzades, comme tout Jem monde le sait. Cependant, Ignace do Rego veut en tirer plus de cent | mille en trois ans... Tout cela doit sortir de la sueur et du sang des tristes Indiens, qu'il traite comme ses esclaves, sans qu'aucun d'eux | ait la faculté de se soustraire à son service ou de servir autrui, ce : qui, outre l'injustice commise contre les Indiens eux-mêmes, fait que. les Portugais n’ont personne pour les servir, tandis que les pauvres. _ Indiens périssent... » C'est après toutes ces protestations, appuyées, à Rio-de-Janeiro par. l’évêque Lourenço de Mendonça (1632), à S.-Paulo par les Jésuites, qu'intervinrent, d'abord, l’alvara royal du 1° avril 1680, puis celui du 6 juin 1755 et, enfin, les Instructions du 17 octobre 1758, au sujet | du gouvernement des Indiens (2). se (1) Cartas selectas do P. Antonio Vieira, Paris, 1862. : (2) Archivo do districto federal, sous la direction de M. le Dr Mello-Moraes fils, Rio- de-Janeiro, 1896. LE PAYS DES AMAZONES 343 » Ces Instructions, três minutieusement et très prétentieusement | rédigées, sont fort curieuses à étudier. En effet, elles nous donnent la note juste : d'un côté, sur la situation des Indiens du Brésil dans la seconde moitié du siècle dernier ; de l’autre, sur l'état d'esprit du o jarquis de Pombal (1699-1782) et de ses collaborateurs. Le « grand marquis » était alors en pleine lutte avec les Jésuites. En attendant qu'ils les chassât du Portugal (3 septembre 1750), il venait de leur a _ Les Instructions se plaignent, tout d'abord, de ce que les Jésuites, endre le ministère de la chaire (mai 1758). o ieu d'enseigner aux vaincus — les Indiens — la langue des vain- urs — les Portugais, — aient, au contraire, généralisé les deux incipaux dialectes des Indiens, en uniformisant le tupi-guarani, à | point qu’ils composent en cette langue, dénommée par eux langue nérale, leurs catéchismes et des Mystères interprétés par les néo- ytes. — Naturellement, l'enseignement de la langue portugaise devait se faire aux frais des Indiens, qui, sous aucun prétexte, ne vaient se servir de leurs dialectes. - Nous dirons, en passant, que, de nos jours, on a adopté, au grand “détriment des études américanistes, le système du marquis de Pom- bal. Pendant notre enfance, le séminaire de Para avait une chaire de @langue générale ». Depuis une vingtaine d'années, elle a été malheu- Re . » ! Rent supprimée. es Instructions ordonnent qu'on n'offense les Indiens d'aucune manière. Il sera défendu de les appeler nègres : — « Au nombre isent-elles, des tristes principes et des abus pernicieux qui ont amené l’avilissement des Indiens, se trouve l'injuste et scandaleuse habitude de les appeler Nègres. On voulait sans doute, par Vinfamie bla bassesse de ce nom, leur persuader que la Nature les avait tinés à être les esclaves des blancs, comme on le suppose avec rai- quand il s'agit des noirs de la côte d'Afrique. » N F q — Ils devront, en outre, s'habiller d'une manière décente et avoir des Ata 344 LE PAYS DES AMAZONES noms de famille et non plus des prénoms simplement, en prenant comme noms de famille les mêmes en usage en Portugal. La plupart des autres indications contenues dans ce curieux docu- ment officiel sont des plus utiles, quoique présentées sous la forme sentimentale et un peu sotte qui régnait alors. Ces mesures, édictées avec un grand luxe de rhétorique, ne produi- à sirent aucun bien. Il manquait, pour les exécuter, des hommes rompus au dur métier de civilisateurs. On peut même dire que l'oppression des Indiens revêtit un caractère plus cynique. C'est alors que le direc- teur de la royale bourgade d'Arronches (1) retira de l’école.et vendit 3 comme esclaves quarante-un petits Indiens des deux sexes. C’est alors que les Indiens de la bourgade de Vianna, dans le Ceara, sont exploités à tel point que l’on sépare les époux et que l’on viole les | jeunes filles... Depuis lors, la « catéchèse » des Indiens n’a guère fait de progrès. Sans doute, dans la plupart des régions où existaient encore des tri- bus entièrement sauvages ou domestiquées, on a établi des « direc- teurs des Indiens », chargés de veiller à leur bien-être. Mais ces essais, faits sans plan et sans méthode, n’on pas abouti. Aujourd'hui le problème devient plus urgent, car tout le monde se préocupe du peuplement de l'Amérique chaude. D'aucuns croient que si l’individu de race blanche peut s’y accli- mater sans trop de difficulté, la race elle-même ne saurait s’y repro- | duire ou que, tout au moins, elle y perdrait une grande partie de ses qualités. . Si l’onen croit les partisans de cette opinion fort répandue dans les milieux européens, ces régions, — les plus étendues, les plus riches et les plus fécondes assurément de l'Amérique latine, — ne pourront . être mises en valeur, sur une large échelle, que par le trop-plein des (1) Notas para a Historia do Ceará, pelo D' Guilherme Studart, Lisbôa, 1892, p. 183 et suivantes. £ LE PAYS DES AMAZONES 345 E régions tempérées, qui s’y déversera dans un avenir plus ou moins - Jointain. a | Le gouvernants de ces pays semblent eux-mêmes partager prati- “ quement cette opinion, car, tout en soutenant théoriquement que même la plaine équatoriale de " Amazone peut être habitée et colonisée par des blancs, — et c’est là notre opinion personnelle bien raison- née, — ils appellent à la rescousse les jaunes d'Asie, après avoir tout fait pour y attirer les blancs d'Europe. Le peuplement de l'Amérique chaude est un grave problème. Il se trouve compliqué par l'intervention des géographes, des économistes et des hommes politiques d'Europe. Les géographes et les économistes qui n’ont Jamais pris la peine d’aller étudier sur place cette question complexe, de même que les voyageurs ayant traversé ces régions à la hâte sans en connaître ni la langue, ni les mœurs, ni les conditions de travail, déclarent carré- ment, fidèles à la tradition, que le blanc ne peut pas s’acclimater sous cette latitude. | “Les hommes politiques, au lieu de dire, ce qui serait compréhen- sible : — « Vous voulez emmener nos hommes valides, alors que nous avons besoin d'eux pour nos armées permanentes ou pour garder, par l’abondance des bras, une main d'œuvre bon marché », — disent hypocritement : « Vos pays chauds sont empestés et inhabitables ; nous ne permettons pas que nos compatriotes y aillent mourir. » Or, aux premiers nous répondons : — « Des millions et des millions de blancs vivent, prospèrent et font souche dans les régions chaudes de l'Amérique. Tous ceux qui y ont habité, tous ceux qui ont étudié sur place ces régions, depuis Humboldt jusqu'à Agassiz, depuis Wallace et Bates jusqu'à Wiéner, croient à la possibilité de l’accli- matation de la race blanche sous cette zone. Vos belles théories ne valent rien devant la brutalité des faits. » - Aux seconds nous disons : « Théoriquement, la liberté d'émigrer fait partie de la liberté de locomotion : vous n'avez pas le droit d'em- 346 LE PAYS DES AMAZONES pêcher qui que ce soit des'expatrier. Pratiquement, vous êtes incapables de rendre effectives vos prohibitions : tous les ans, il y a en Europe un surcroit d'un million d'hommes qui doit forcément s’en aller, et qui s'en va en réalité, malgré toutes vos mesures restrictives. » C'est ainsi que le Brésil seul a recu, depuis dix ans, plus d'un million d'émigrants d'Europe. Il trouve que cela n'est pas suffisant pour ses besoins, et il cherche à introduire dans le pays des tra- vailleurs chinois et japonais. Le Trésor brésilien fait d'énormes sacrifices pour l'introduction des immigrants. Ordinairement, on leur donne le passage gratuit, le logement, la nourriture et Passistance médicale pendant les pre- iniers jours de leur arrivée; on leur cède des terres à crédit(ou, pour mieux dire, gratis, car, bien que leur acquisition à titre onéreux soit stipulée, la plupart du temps on ne leur en réclame jamais le remboursement) ; dans certains cas, on leur fait même des avances, sous forme de graines, de semences et d'instruments agricoles, etc. Certes, aucun de nous au Brésil ne se plaint de ce concours de travailleurs étrangers ; au contraire. Mais il est certain que le peuple- ment rationnel du pays aurait tout à gagner en appelant les Indiens à contribuer à cet accroissement de bras civilisés. D'après un document officiel (1), neuf provinces du Brésil — nous disons aujourd’hui États — ont encore des Indiens. Ce sont les sui- vantes: Amazonas, Para, Maranhão, Espirito-Santo, Paraná, Rio- Grande-do-Sul, Minas-Geraes, Matto-Grosso et Goyaz. Ces neufs Etats ont, ensemble, 6.711 144 kilomètres carrés Brésil, qui est de 8.337.218 kilomètres carrés. Une partie des Etats de Goyaz et de Matto-Grosso, une peti E de Para et de Maranhão sont situées sous la zone tropicale. La partie orientale de l'État de Minas-Geraes et l’État d'Espirito (1) Relatorio do Ministro da Agricultura, Rio, 1880. FRA LS SN LE PAYS DES AMAZONES 347 Santo tout entier sont situés sous la zone sous-tropicale ou chaude. Enfin. les deux États de Paraná et de Rio-Grande-do-Sul sont situés sous la zone tempérée douce, où la moyenne de la température se maintient toujours au-dessous de 20°. — Tout le monde est d’ac- cord pour considérer ces deux États, qui ont, ensemble, une super- ficie de 457.872 kilomètres carrés, comme se prêtant admirablement à la colonisation européenne. Les opinions ne diffèrent que lorsqu'il s'agit des régions du nord du Brésil, et, en particulier, de la plaine équatoriale de l’'Amazone. C'est là précisément que le rôle de l’Indien peut devenir précieux. L'Indien offre un moyen de hâter le peuplement utile de ces splen- dides régions, en fusionnant son sang avec le sang des blancs, et en créant, peu à peu, une nouvelle race, qui aura toutes les qualités de la race blanche, avec l'adaptation au milieu en plus. Dans tous les cas, il serait étrange qu'à la fin de ce dix-neuvième siècle, qui a assisté à l'émancipation politique des seize républiques dont l'Europe latine était maitresse dans le Nouveau Monde, on con- templât avec indifférence la lente disparition de tant de peuplades. Les philantropes, qui ont tant fait pour la libération des « esclaves noirs », ont le devoir de plaider la cause du relèvement des « esclaves rouges », Les savants n’ont que le temps de mettre à profit l'existence des dernières tribus d'Indiens pour compléter leurs études à tous les points de vue. Et les économistes peuvent se faire beaucoup par- donner en persuadant aux gouvernements de l'Amérique latine — trop enclins à dépenser le meilleur de leurs ressources budgétaires au profit exclusif des « fatigués de l'Europe » — qu'ils ont une œuvre plus pressante et plus humanitaire à accomplir: celle de consacrer “une partie de leurs subsides à la «catéchèse » des anciens maîtres du sol, pour en faire la base du peuplement rationnel de leurs pays respectifs. CHAPITRE IV Systèmes de peuplement (suite). — Mesures en faveur des immigrants. — L'émi- grant prolétaire. — Le petit propriétaire et le petit industriel. — L'émigration des capitaux. — Négociants étrangers. — Garanties accordées aux étrangers par les lois du pays. Un certain nombre d'années s'écouleront encore avant que l’on puisse catéchiser, d'une manière utile pour la civilisation, les Indiens . disséminés dans les forêts qui bordent les rives de quelques-uns des cours d'eau de l’Amazone. En outre, depuis 1884, l'esclavage a heu- reusement cessé d’exister dans cette contrée, et, depuis 1888, dans tout le Brésil. Il est donc plus urgent que jamais de songer à Pintro- duction de bras nombreux pour mettre en valeur une terre qui ne demande qu’à produire. Le moment ne saurait être plus favorable, .car, tandis que le nombre des pays d'émigration augmente, celui des pays d'immigration se rétrécit. Parmi les premiers, on compte aujour- d'hui plus spécialement le Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, l'Italie, "empire d'Allemagne, les pays Scandinaves, la Russie, l'Espagne et le Portugal, fournissant ensemble, avec le reste de l’Europe, plus d'un million d'émigrants par an. Or, au nombre des pays de grande immigration, on ne compte plus que les Etats-Unis de l'Amérique du Nord, l’Australasie, le Brésil, la République Argentine et le Canada. Aux États-Unis de "Amérique du Nord, les meilleures places sont prises, et ce pays adopte des mesures pour empêcher les nouveaux arrivés de faire concurrence aux ouvriers déjà établis. L'Australie, malgré les apparences, commence à être saturée, et la preuve en est que le nombre des sorties y est presque aussi consi- dérable que le nombre des arrivages. LE PAYS DES AMAZONES 3 4) La République Argentine, depuis 1889, a vu diminuer considéra- blement le nombre de ceux qui la recherchaient, à cause de la crise qu'elle traverse : pendant un certain temps, le nombre des réémi- grés y a dépassé celui des immigrants. Le Canada, bien qu'il cherche toujours à attirer des immigrants, a commencé à figurer au nombre des pays à émigration. Il ne reste guère que le Brésil, et, au Brésil, | Amazonie, qui soient un terrain neuf pour l'immigration. Celle-ci n'y est pas encore organisée d'une manière normale. Cependant, de nombreuses lois générales en ont préparé le terrain. Cest ainsi, par exemple, que l'acquisition des terres est facile et bon marché. On peut, pour quelques centaines de francs, se rendre possesseur d'un domaine assez considérable, quoique les opérations d'arpentage restent à la charge de l'acquéreur. D’après le règlement en vigueur pour l’achat des terres vacantes appartenant à l'Etat, tous les terrains libres ont été divisés en deux catégories : la première comprend les terrains situés sur les bords des routes et sur les rives des cours d’eau navigables; la seconde embrasse les terrains de l’intérieur et ceux qui ne se trouvent pas situés sur les bords des rivières exploitées par la navigation. Le règlement fait encore une distinction entre les terrains destinés aux exploitations agricoles et à l'élevage et ceux acquis pour l'exploitation des indus- tries extractives. Les catégories et les prix ont été établis ainsi qu'il suit : I. — Terrains situés sur les bords des routes et des cours d'eau desservis par la navigation. w Terrains destinés à l'exploitation agricole. — De 1,500 à 2,000 mètres de façade sur 2,000 à 3,000 mètres de fond : 0,08 real le mètre. — De 2,000 à 3,000 mètres de facade sur 3,000 à 4,000 mètres de fond : o,12 real le mètre. 2° Terrains destinés à l'élevage. — De 2,000 à 4,000 m. de façade d le mètre. — De 4,000 à 5,000 m. de de sur É 000 à 6. 000 “m. de fond: 0,06 real mètre. 3° Terrains destinés à l'industrie extractive. — De 2,000 à. ; m. de façade sur 3,000 à 4,000 m. de fond: o,1 real le mê De 3,000 à 4,000 m. de façade sur 4,000 à 5,000 m. de fond o le mêtre. IT. — Autres terrains. 41° Terrains destinés à l'exploitation agricole. — De 2,000 à 4,000 de façade sur 3,000 à 4,000 m. de fond : 0,05 r. le mètre. — 4,000 à 5,000 m. de façade sur 4,000 à 5,000 m. de fond : 6,0 mètre. 2° Terrains destinés à l'élevage. — De 4,000 à 5,000 m. de fe sur 6,000 à 8,000 m. de fond : 0,03 r. le mètre. — De 8,000 à 12 m. de facade sur 10,000 à 12,000 de fond : 0.05 r. le mètre. 3º Terrains destinés à l'industrie extractive. — De 6,000 à 8,000 E de facade sur 6,000 à 8,000 m. de fond : 0,08 r. le mètre — De 8, à 10,000 m. de façade sur 8,000 à 10,000 m. de fond: 0,15 r. mètre. Non seulement on peut acquérir les terres du domaine de l'Etat q un prix excessivement bas, comme aussi le gouvernement se préoccupe déja du logement des futurs immigrants. Un emplacement a été 4 choisi pour bâtir une hôtellerie d’immigrants, où ceux-ci seront logés, nourris et assistés pendant les premiers jours de leur arrivée, jusqu’à leur placement définitif. D'autres mesures seront prises prochainement par le Congrès, d'accord avec le vice-gouverneur en exercice, pour déterminer les « fatigués de l’Europe » à prendre le chemin de l’Amazone. E « Quand je me rappelle, écrit Agassiz (1), combien de gens misé-. rables j'ai vus en Suisse, courbés sur une boîte de montre ou sur un | d y (1) Voyez : Voyage au Brésil, par M. et Mme Louis Agassiz, Paris, 1869. “ua E Cap + #2) Ur RS oe LE PAYS DES AMAZONES Es RD Te | métier à tetes osant à peine Le les yeux de dessus leur ouvrage, et cela du lever du soleil jusqu'avant dans la nuit, sans par- à É “venir, même à ce prix, à gagner de quoi suffire à leurs besoins; et quand je songe combien facilement tout pousse ici, sur une terre ; qu'on aurait pour rien, je me demande par quelle fatalité étrange b une moitié du monde regorge tellement d'habitants qu'il n'y a pas de E tous, tandis que dans l’autre la population est si rare que s bras ne peuvent suffire à la moisson! L'émigration ne devrait-elle affluer à larges flots en cette région si favorisée de la nature et si vide d'hommes ? » Grâce aux mesures libérales que nous venons de mentionner, l'émi- - gration ne tardera pas à s'emparer de l'Amazone et à y faire fleurir “toutes les merveilles de l’Europe. 4 L'émigrantse tromperait pourtant étrangement s’il s'imaginait que à dans un tel pays on peut conquérir la fortune ou seulement le bien- 24 être sans travail. — L'Amazone a besoin de bras; mais là, moins que partout ailleurs, — ilny a place ni pour Voisif, ni pour le vagabond. Certains spécula- teurs doivent également en être écartés. Nous ne voulons que des hommes industrieux, laborieux, que le sort n'a pas favorisés dans la mère patrie, des hommes ayant la volonté bien arrêtée de s'adonner à un métier sérieux, à l'industrie ou à l’agriculture, pour leur profit personnel et pour le bénéfice du pays qui les accueille. Ceux qui traverseront les mers dans ce noble but sont sûrs de trouver dans l’'Amazone l'emploi utile et largement rémunérateur de leurs bras, de leur intelligence et de leur argent. On peut ciasser en trois grandes catégories les personnes qui cherchent à émigrer : la première comprend les prolétaires ; la seconde embrasse les petits propriétaires, fermiers ou industriels ; dans la troisième on trouve les capitalistes, ceux qui veulent faire fructifier leur avoir d'une manière plus rapide. Le prolétaire ne possède rien que sa personne et sa.puissancé de + 352 LE PAYS DES AMAZONES travail — omnia mea mecum porto. Pour des pays comme l'Ama- zone, ce rien, qui est une force et l'origine de tout, n'est pas à dédai- gner. On suppose toutefois que le prolétaire est courageux, honnête. et animé du désir de bien faire. Nous disons que ce semblant de rien n'est pas à dédaigner. Il sup: pose, en eflet, un capital personnel comprenant : l'instruction du | travailleur, le métier qu'il a appris, l'adresse particulière et le génie inventif qu'il peut posséder. J. B. Say n’a pas hésité à dire qu'un x Culloch a soutenu que tout individu arrivé à maturité peut être Edward Young, chef du bureau de statistique à Washington, pense que la somme de 1.000 dollars ou 5.000 francs peut être estimée. comme représentant la valeur moyenne de chaque personne ajoutée d'une maniêre permanente à la population d'un autre pays que le sien. Et c'est pour cela que si l’État de l’Amazone introduisait, par — exemple, 50.000 immigrants d'Europe en cinq ans, en dépensant . pour chacun d'eux 250 francs en frais de recrutement, de transport, de réception, d'assistance et de placement, il aurait fait une excellente affaire, touten hâtant son peuplement, — puisqu'il aurait dépensé | 12.500.000 francs, et aurait recu un capital-bras représentant. 250.000.000 de francs, soit vingt fois la somme déboursée. E Le prolétaire possêde de la force accumulée. C'est à lui de la rendre productive, au lieu de l’alimenter au détriment de la communauté en vivant dans la paresse. En ce cas il serait un fléau. Le capitaliste oisif a du moins ses capitaux qui produisent à sa place. a Le prolétaire n’est donc un immigrant précieux qu'autant qu'il | sait un métier quelconque et qu'il a Pintention de s'en servir. Rem- plissant ces conditions, il trouvera facilement une occupation dans un pays qui a entrepris de grands travaux publics, et qui en entre- | prendra d’autres. LE PAYS DES AMAZONES 353 . Les ouvriers qui ont le plus de chance de trouver une occupation immédiate dans l’'Amazone sont : les maçons, les briquetiers, les Eilieors de pierres, les charpentiers, les commis, les charretiers, les _ manœuvres, les journaliers, les calfats, les teinturiers, les scieurs de long, les emballeurs, les garçons épiciers, les cordiers, les mécani- É ciens, les voituriers à bœufs, les dessinateurs,les ramasseurs de fruits, les balayeurs, les couvreurs, les ferblantiers, les tourneurs, les bûche- rons, les vernisseurs, les aides-forgerons, les badigeonneurs, les por- tefaix, les filateurs, les tisserands, les couteliers et repasseurs, les … Cette classe sera fort peu nombreuse en France, où l’on vit attaché à ES mauvaises aflaires : ceux, en un mot, des habitants des campagnes qui émigrent sur Paris. La situation de ces derniers, pourvus d’un petit capital, sera plus … belle que celle du simple prolétaire, à condition toutefois qu’ils pren- “— nent la peine de travailler d’abord pour le compte d'autrui sans en- gager leur argent du premier coup dans un pays où tout sera nouveau …. pour eux. Ils arrivent, en effet, dans une contrée étrangère, dont ils ne connaissent généralement ni la langue, ni les mœurs, niles besoins, ni les divers genres de culture et d'industrie. Ils ont donc besoin, “ pour ne pas faire fausse route, de direction et de conseils. Ils devront — faire l'apprentissage du pays. Il faut qu'ils se soumettent à cette - situation provisoire, s'ils ne veulent pas aventurer ce qu'ils possè- - dent; il faut qu'ils préparent leur acclimatation et que, tout en “ augmentant leur capital par le travail salarié, ils aprennent à connaî- tre le pays avec ses besoins agricoles, commerciaux et industriels. C'est après ce noviciat que le colon s'éablira sans crainte. Une fois 23 354 LE PAYS DES AMAZONES installé, ilsera en état, à son tour, de fournir du travail à ses com- patriotes récemment arrivés, car la fertilité du sol est telle que les. produits plantés et semés par quatre bras en exigent huit, l'année” suivante, pour les cueillir. C’est ainsi seulement que la petite et la. moyenne propriété se créeront dans ces parages. Il nous reste à parler de la troisième catégorie d'émigrants, des capitalistes. Ceux-là aussi ont chance de réussir au delà de leurs espé- | où l'argent trouve toujours un emploi constant et facile, des intérêts | de premier ordre, et ne parvient pas à suffire à toutes les nécessités du progrès rapide du commerce. Les grandes banques, les compagnies d'assurances, les entreprises | commerciales et industrielles par société restent encore à fonder. Les grandes exploitations agricoles et forestières attendent des mises de | fonds pour produire des millions. Heureux les capitalistes qui arrive-. ront bons premiers ! 4 Une considération, d'ailleurs, doit encourager ou du moins rassurer | les Européens qui désireront se fixer dans l'Etat de l’'Amazone: c'est | qu’il y trouveront déjà un certain nombre de leurs compatriotes | auxquels la fortune a souri et qui occupent une excellente situation commerciale, soit dans la capitale, soit à l’intérieur. - A Manäos, on compte bon nombre de magasins et d'établissements de commerce appartenant à des étrangers ; ils sont même en général supérieurs en nombre et en importance aux maisons appartenant à des Brésiliens. ; | Les étrangers qui dominent sont les Portugais. Ils occupent une place à part au Brésil. Ils ont, en effet, de commun avec nous Vori 1 gine, la langue, la religion, les mœurs, une partie de leur histoire et des intérêts engagés depuis de longues années. Leur situation excep=« tionnelle s'explique donc naturellement. Le Portugais n'est ni un étranger complètement, ni tout à fait un Brésilien. C'est une sorte | d'ancêtre historique, comme l’Anglais pour le Yankee. Pet “EAN VA SA FE PETER * 4 da po UE » 4% oo ace arr LE PAYS DES AMAZONES 355 A côté des Portugais, d’autres étrangers figurent honorablement. A Manäos, on compte, rien que parmi les maisons de gros et de com- mission : des Américains du Nord, des Anglais, des Francais, des Allemands, des Italiens. Tous les étrangers sont accueillis au Brésil avec la plus grande cor- dialité. Il n’y a pas une seule nation au monde qui fasse plus de cas de l’immigrant, et qui s'empresse de le lui prouver dans toutes les occasions. Ses droits sont respectés et ses relations civiles sont pro- tégées par des lois très libérales. C'est Agassiz, citoyen de la grande République des Etats-Unis, né en Suisse, dans une autre République, qui a écrit ces lignes: « On ne saurait rien imaginer de plus libéral que la législation brésilienne. » Elle devance, sur ce point, la plupart des États de l'Europe, si fiers de leur organisation politique. Comme les Brésiliens, les étrangers peuvent recevoir gratis, dans les écoles primaires publiques, l'instruction élémentaire; et, comme eux, ils peuvent s'inscrire dans les lycées et dans les autres établisse- ments. Ils voyagent partout avec la liberté qui est accordée aux natu- rels du pays, et, comme ceux-ci, ils peuvent invoquer la garantie de Phabeas corpus. A la condition qu'ils se soumettent aux prescriptions légales, qui ne sont rien moins que tracassiéres, ils peuvent exercer tous les commerces, toutes les industries qui ne sont pas contraires aux bonnes mœurs, à la salubrité et à la sécurité publiques. Ils peuvent disposer de leurs biens, et jouissent intégralement des droits de pro- priété accordés aux citoyens brésiliens. La plus complète liberté de conscience leur est laissée. Il n’y a pas de religion d'Etat. Les droits des enfants d'étrangers nés au Brésil ont attiré plus spé- cialement l'attention du législateur. Il a été décrété que le statut civil des étrangers adultes résidant au Brésil, et qui n'y sont pas pour le service de leur propre pays, est également applicable au statut civil de leurs enfants, mais seulement pendant la minorité de ceux-ci. A leur majorité, ils entrent dans la jouissance des droits attribués aux citoyens brésiliens eux-mêmes. 356 LE PAYS DES AMAZONES La Brésilienne qui se marie à un étranger suit la condition de son mari ; il en est de même de l'étrangère qui épouse un Brésilien : elle + devient Brésilienne ipso facto. — La loi ne reconnaît que le mariage civil. M La succession des étrangers décédés au Brésil est réglée, en général, par la même procédure et par les mêmes autorités qui interviennent” dans la succession des nationaux, à moins qu'il n'y ait des conven-h tions consulaires spéciales avec le pays du décédé : dans ce cas, c'estlan convention consulaire qui fait autorité. — Pour certains pays, après 4 un simple arrangement conclu par un échange de notes établissant la + réciprocité, le Brésil reconnaît l'autorité des consuls suivant des règles déterminées. / Le Brésil a conclu des traités pour l’extradition des criminels avec la plupart des pays civilisés. Les lettres de naturalisation sont accordées avec la plus grande faci= lité et sans frais. — Les étrangers naturalisés jouissent des mêmes droits et des mêmes prérogatives que les Brésiliens de naissance, avec de minces restrictions politiques n'atteignant, d'ailleurs, qu’un nombre fort limité de naturalisés, car, heureusement pour notre esprit national, bien peu d’entre eux ont des aspirations politiques. Les lois de l'Union Fédérale sur la naturalisation et les droits dem propriété, de même que les lois et règlements de l'Etat, favorisent donc par tous les moyens l'étranger immigrant. Les sources certaines de richesse que la nature lui présente, les | salaires relativement élevés qui lui sont offerts, concourent également à Vattirer en une région bénie où les misères de la vieille Europe | seront longtemps encore inconnues, où l'existence est assurée à tout homme de bonne volonté, et où l’on peut enfin édifier des entreprises | durables. | L'espace est bien mesuré sur l'antique terre d'Europe, et ce n'est 4 pas encore demain que l’expropriation collectiviste assurera à tous les citoyens la propriété indivise et impersonnelle du sol. Les faiseurs | LE PAYS DES AMAZONES ARA 357 d utopies, qui trouvent qu'il n'y a plus place pour tout le monde sur l’ancien continent, feraient bien de tourner leurs regards vers l’Ama- E zone et d'encourager les deshérités à aller devenir propriétaires en CHAPITRE V Systèmes de peuplement (suite). — L'Indien servant d’appoint à la colonisation 4 européenne. — Tentatives faites en ce sens. — La classification des Indiens d’après le Dr Von Martius. — Nouvelle classification des Indiens de l'État de l'Amazone. — Liste de 373 tribus. L'Européen qui a découvert l'Amérique du Sud n'a jamais bien compris, nous l'avons dit, son rôle civilisateur auprès des popula- tions indigènes. Pendant les premiers temps de la conquête, civiliser signifiait pour lui appeler les Indiens à recevoir le baptême chrétien et procéder à des trocs lucratifs avec les sauvages, les « gentils ». Plus tard, lorsque l’homme de la métropole se fut rendu compte des richesses du sol et du sous-sol de ces nouveaux pays, il effectua, sous le nom de rachats (resgates), d'immenses razzias pour chercher parmi les Indiens des esclaves tout acclimatés et durs à la besogne. C'est l'époque des grandes hécatombes. Dans ses annales, Berredo (1) parle de l'une de ces expéditions qui eut lieu le 7 janvier 1665, et « pendant laquelle 300 malocas ou hameaux du rio Urubü furent livrées aux flammes, 700 cadavres d'Indiens jonchèrent le sol sur lequel ils étaient nés, et 400 prisonniers furent emmenés aux établis- sements des conquérants. » Les Jésuites élevèrent la voix en faveur de la race opprimée. Le marquis de Pombal ne tarda pas à les supprimer. Nous sommes assez indépendant pour dire sans ambages que la suppression des Jésuites au Brésil fut un pas en arrière et frappa de mort l’œuvre de la civi- lisation des Indiens. Cette œuvre, on essaie de la reprendre de nos jours, et le vice-gou- (1) Bernardo Pereira de Berredo: Annaes Historicos do Estado do Maranhão..., Lis- boa, 1749. LE PAYS DES AMAZONES 359 … Indiens, avec des directeurs partiels pour chaque région. A la tête “ de ce nouveau service se trouve le Baron de Manaos, enfant du “pays, et la direction des Indiens du rio Branco a été confiée à M. Ten- reiro-Aranha, fils du premier président de la province de l’Amazone, … après qu'elle fut détachée de celle de Pará, en 1852. | C'est pour aider à cette œuvre, excellente entre toutes, que nous avons procédé au cataloguement des tribus anciennes et contempo- raines de tout l’État de l'Amazone. En 1867, le D' von Martius, l’infatigable savant bavarois qui con- sacra plus d’un demi siècle de sa vie à l'étude des choses brési- liennes, procéda à la classification des tribus indiennes du Nouveau Monde dans un livre connu (1). Il étudia non seulement les tribus anciennes et actuelles du Brésil tout entier. mais encore celles de l'Amérique du Sud, des Guyanes, des Antilles et quelques-unes de l'Amérique du Nord. Son catalogue comprend environ 500 tribus. Reprenant le travail de l'illustre ethnographe, nous avons procédé à une œuvre plus modeste, qui n'embrasse que les tribus de l'État de l’Amazone, depuis le milieu du xvnº siècle jusqu’à nos jours. Nous avons négligé, intentionnellement, même les tribus du grand fleuve qui ne se trouvent pas sur le territoire de cet État. Malgré cette délimitation, nous avons pu énumérer près de 400 tribus différentes - dans l'État de " Amazone seulement, et notre liste renferme des indi- cations sur 250 tribus environ, dont le D' von Martius ne fait pas mention. Les seules sources auxquelles nous ayons puisé sont les Voyages de Noronha et de Ribeiro de Sampaio, déjà cités dans le cours de ce livre, la chronique imprimée de Simon de Vasconcellos {2), la chro- (1) Dr Carl. Friedrich Phil. v. Martius: Zur Ethnographie Amerika's zjumal Brasi- liens, Leipzig, 1867. (2) Padre Simão de Vasconcellos: Chronica da Companhia de Jesv do Estado do Brasil. Lisboa, 1663. Ê 360 LE PAYS DES AMAZONES 22 nique inédite de Jean-Philippe Bettendorff (1), r étude de E de Souza (2) et les rapports des présidents et des gouver l'Amazone. Ce sont ces derniers surtout, ignorés du D' von M: qui nous ont permis d’être beaucoup plus complet que lui. Voici cette liste, intéressante dans son aridité: em o Estado do Maranhão, Man. de la Bibliothèque Publique de Lisbonne, 1699. (2) Conego Francisco Bernardino de Souza; Commissão do Madeira, 1* Parte, Rio, aaa eine ee 238 — RU TOO TA nn Ad MER nue SAT eee 299 — DIE TO LE TOO MAROC terei 416 — DO TEA a E E O RR + 355 — RN A DRE o neue ADS Sox nie de RS 443 — DOS ea o E oleo o cms aii PS ia o Sia 563 — ED TRT ras RR IR E IPEN ss 508 — Die US ai SEA CDE ES MI Ec 418 — ado D o (AS ee moe RD E a UT 518 — Li USP De co RR O PER EEE - 555 — 1 LT. WS PCs aii LP IO PEN eg 553 — Die VESTE CEDAR 0e 63: — “DE ISSO app RR E ERR E dt 840 — Dee SRE RP RE Re 806 — Dio OPEL MORE RE SD 1.017 — | 322 SOS pgs =. RER Ru 1.229 — RS RC ne Rd A 1.816 — ; ERREI op o de SE o ER 1.187 — RREO SO E E nose desc nee eme ete 1.599 — Lee SERA ER RE RTE 2.280 — ee dat Sole mon ad 1.650 — Coy DOSES AS EE LE A 1.814 — En tenant compte des fractions, que nous avons négligées dans le | tableau, les recettes de ces 38 années forment une somme de 21.315 contos ou millions de réis. Voyons ce qu'ont été les recettes depuis l’établissement de la Répu- blique, c'est-à-dire depuis que l'Etat de l’Amazone est devenu auto- nome : D RECETTE.ANNUELLE DE L’'AMAZONE en contos ou millions de réis depuis l'établissement de la République en novembre 1889 Années Recette encaissee De TOR: LRO re 2.345 contos emo se canas ccrecarena rosas 44747 = 25 MS Li; à à dei dia a it Lo [0,9] o nor 386 LE PAYS DES AMAZONES Annees Recette encaissce EE Ee OR Ro CEO IA ca SR e ae NOS 6.807 Se ASILO O NRC ER ne RE pI 8.492 — D AIO Free ner eee 9.623 — GTS oe AE RE ART ER 10.272 — FEV ELOO O Merda o ota jo ee PS AT 13.109 — SETE oa nas aus água 21.426 — Ainsi, les recettes des 38 années pendant lesquelles la province dépen-. dait du gouvernement central ont été, ensemble, de 21.315 contos, + et la recette d'une seule année de vie autonome a dépassé ce chiffre, et s’est élevée à 21.426 contos. Le dernier président de la province de l’'Amazone, M. Oliveira Machado, dans le Rapport qu'il présenta le 2 juin 1889 à l'assemblée provinciale (1), disait tristement : « J'ai trouvé, Messieurs, la province sans loi budgétaire, sans loi de police, sans loi sur les chambres municipales, sans argent, et, pour- quoi ne pas le dire ? sans crédit. » Le gouverneur actuel de l'Etat de l’Amazone, le colonel José Ramalho, dans le Message qu'il présenta le 10 juillet 1898 au Congrès des Représentants (2), disait avec un juste orgueil : « Selon un tableau qui m'a été adressé à la dernière heure, la recette de l'Etat, depuis le 1°" juillet 1897 jusqu’au 30 juin 1898, avec le solde de l'exercice antérieur, monte à 21,426 contos et 294,807 réis ; dans cette somme ne se trouvent comprises ni les recettes des perceptions de l’intérieur relatives aux derniers mois de l'exercice ni une partie de la Perception Générale relative au mois de juin ». Voilà la différence qu'il y a entre la centralisation et la fédération, bien accentuée par des chiffres. (1) Relatorio com que... installou a sessão extraordinaria da assembleia legislativa provincial, Manãos, 1889; p. 3. , 2) Mensagem... em ro de Julho de 1898, Manãos, 1898, p. 20. LE PAYS DES AMAZONES 387 La recette de l'exercice 1897-98 a été fournie par les sources de revenus suivantes : EXpPORaton ee ee e me pce 18.474 contos Intérie na va AE RE Pata orago af! Cr ee 759 — Revenu extraordinaire......….......... 515 — Revenu avec application spéciale ..... 215 — Ces chiffres, avec les fractions négligées, ajoutés au solde de l’exer- cice précédent se montant à 1,449 contos, parfont les 21,426 millions de réis de la recette totale. Ce sont surtout, on le voit, les taxes sur l'exportation qui alimen- tent le budget de | Etat, et, parmi ces taxes, principalement les droits qu'acquitte le caoutchouc à sa sortie de l'Etat. Les taxes de l’intérieur sont perçues sur le transfert des propriétés, sur le papier timbré appliqué aux documents ressortissant exclusi- vement du gouvernement local, sur le magasin de dépôts de marchan- dises, sur la consommation de l’eau, sur les émoluments des fonc- tionnaires nommés, sur l’aliénation des terres appartenant à l'Etat, etc. Le revenu extraordinaire provient des amendes, des transferts et prorogations de contrats avec l'Etat, des biens de l'Etat, etc. Le revenu avec application spéciale se compose : d’un droit de 30 réis par kilogr. de caoutchouc exporté, dont le produit est destiné aux frais du service de l'immigration ; d’un droit de 20 réis par kilogr. de tous autres produits exportés, dont le produit est destiné à la cons- truction d'une Bourse de Commerce ; d’un droit supplémentaire de à o/o sur la valeur de tous les produits exportés, quelle que soit leur destination. Il s’agit là de la recette perçue par et pour l'Etat. A côté de cette recette de l'Etat autonome, qui, de par la Consti- tution Fédérale du 24 février 1891, ne peut pas imposer des droits sur les produits et marchandises importés de l'étranger, il y a la recette générale, dont le produit, perçu par les douanes, revient, non 388 LE PAYS DES AMAZONES plus à l'Etat, mais à "Union Fédérale. L'Etat de l’Amazone a la faculté constitutionnelle de percevoir des droits sur les importations venant des autres Etats de "Union Fédérale. Jusqu'ici, il n’en a pas usé, et il est peut-être le seul des vingt Etats du Brésil qui laisse entrer en franchiseles produits et marchandises venant d’autres Etats brésiliens, Autant dire qu'il n’a pas d'octrois. Mais, avant de parler des revenus des douanes qui sont encaissés par et pour "Union Fédérale, disons un mot des recettes municipales, puisque aussi bien le Municipe est, lui aussi, dans notre système constitutionnel, un organe autonome. Un certain nombre de Muni- cipes, qui végétaient péniblement au temps de la centralisation, sont devenus fort prospères, et ont de beaux revenus. Celui de Labrea, dans le Purús, par exemple, a encaissé, pendant l'exercice 1896-97, près de 508 contos ou millions de réis de recette, beaucoup plus que la province de l'Amazone entière n'encaissait en 1875, alors que les revenus provinciaux ne dépassaient pas 418 contos. Celui de S. Felippe a encaissé, pendant le même exercice, près de 280 contos ; celui de Humaythá, 177 contos; celui de S. Paulo-d’Olivenca, 119 contos ; celui de Manicoré, 112 contos. La recette fédérale, destinée au Trésor national et résultant des perceptions de la douane, nous offre un tableau non moins flatteur. La douane de Manäos n'a été installée que depuis l'exercice financier 1868-69. Les chiffres qu’elle nous fournit démontrent que ses recettes ont toujours été en augmentant. Pendant les cinq premières années, la douane de Mandos a rap- porté moins de 200 contos. Aujourd’hui, elle rapporte plus de 6,000 contos. Comme effets et causes à la fois du développement des échanges de VEtat de l’Amazone, les moyens de tranport se sont considérable- ment multipliés. En 1872-73, le port de Manaos voyait entrer dans ses eaux 51 navi- res, et il en sortait 45, le mouvement fluvial se chiffrant par test LE PAYS DES AMAZONES 389 96 vapeurs. En 1881-82, le mouvement fluvial de grand cabotage accusait à l’entrée 186 bateaux à vapeur, et à la sortie, 138 ;en tout, 324 vapeurs. C'était donc, en dix ans, une augmentation de plus du triple pour le trafic général. Or, en 1897.il est entré à Manãos 911 navires, dont 91 étrangers, et il en est sorti 892, dont 91 étran- gers. Le mouvement du port, tant à l'entrée qu'à la sortie s’est donc chiffré par un nombre de navires presque six fois plus élevé que celui de 1882, et, pour démontrer l’activité de ce port il suffit de rappeler que, pendant cette même année 1897, le nombre des voyageurs entrés et sortis a largement dépassé 61.000 (exactement, 61.353). Cette prospérité financière continue n’a pas été improductive. Le gouvernement local a su l’utiliser en des réformes importantes, qui elles-mêmes porteront leurs fruits. L'enseignement a été développé. A côté des écoles primaires, du Gymnase amazonien, de l'Institut des arts et métiers, du magnifique Institut Benjamin Constant, de la Bibliothèque, on a réorganisé le Muséum, on a doté l’enseignement élémentaire d'un certain nombre d'excellents édifices scolaires, on a créé un Bureau de Statistique et des Archives publiques. Le Muséum comprend deux sections. La première est consacrée à la zoologie générale et appliquée, à l'anatomie comparée, à la paléon- tologie générale et animale, à la géologie et à la minéralogie. De la seconde section font partie : la botanique générale et appliquée, la paléontologie végétale, l’ethnographie, l’archéologie et l’anthropolo- gie. Le directeur de la section de zoologie a à sa charge le jardin bota- que. Il a acquis les collections et la bibliothèque du botaniste Paul Taubert, adjoint au Muséum de Berlin, et les collections ethnogra- phiques de M. Richard Payer, outre des livres et des instruments spéciaux d'une grande valeur. { Des édifices scolaires ont été bâtis, bien qu'en petit nombre relati- vement, et le Bureau de Statistique a commencé à travailler active- ment. Il prépare des publications, qui pour servir utilement à la 390 LE PAYS DES AMAZONES Ee propagande amazonienne devront être écris en français et classés mé- thodiquement. Tel qu'il est, son premier travail, un gros volume où les matières sont jetées pêle-mêle, rend cependant des services à ceux qui savent le portugais, et ils sont en bien petit nombre dans les contrées où l’on s'intéresse aux choses du Brésil. L'hygiêne, surtout, a appelé l’attention du gouvernement local, et doit continuer à être le principal objet de ses préoccupations à cause des préjugés régnants en Europe. On a percé des avenues, construit des boulevards, bâti des places et des squares, établi des jardins et des fontaines, élargi les vieilles rues, jeté des ponts sur les igarapés, fait un nouveau réservoir d’eau, établi un pont de décharge, ouvert un magasin de dépôts pour les marchandises, aligné des quais qui servent d'amorce à des quais plus confortables, édifié des palais, des théâtres, des édifices publics, enlevé à la ville son cachet de gros bourg parvenu, pour en faire une cité moderne, qui déjà étend ses ramifications vers des faubourgs peu- plés. Cette œuvre d'assainissement et d'embellissement est dûe surtout aux efforts de M. Edouard Goncalves Ribeiro, qui pendant son admi- nistration de près de six ans a eu le rare mérite de comprendre les futures destinées de Manäos. Il reste encore beaucoup à faire sans doute; il reste, avant tout, à doter la ville d'un système d'égoúts parfaits et de vidanges bien entendues. C’est la tâche de ses successeurs, à commencer par le vice- gouverneur actuel, le colonel José Ramalho, dont on attend beaucoup, car il est né dans le pays et en connaît toutes les nécessités. L'Etat n’a aucune dette, ni intérieure, ni extérieure, ni consolidée, ni flottante. Ses revenus augmentent d’année en année, et il peut y trouver les moyens de mener à bien l’acquisition progressive de son outillage de peuple civilisé. A la rigueur, s’il ne voulait pas surchager la génération présente, il pourrait contracter un emprunt — sa der- nière loi budgétaire l’y autorise; — il pourrait trouver des ressources LE PAYS DES AMAZONES 91 à l'étranger destinées uniquement à ces deux œuvres immédiatement reproductives : le peuplement de son sol, et l’amélioration de son hygiène par l'établissement d'égoúts. Si l’on compare la situation de l'Etat de l’Amazone, au point de vue de ses engagements financiers, avec celle des Etats indépendants qui l'avoisinent, on constate combien sa situation est privilégiée : Dette des Elats limitrophes de l Amazone comparée à celle de l'Etat deP Amaçone s (1892). DE LA TOTALE NOMS DES PAYS OBSERVATIONS MONTANT DE MONTANT L'EXPORTATION EN FRANC DETTE Venezuela 86.420.615 fr.|154.7S88S.00o f.|Exiérieure, en 1895 : 72.425.415 fr. Colombie 59.817.730 » |146.687.147 »|Extérieure, en 1889: 71.955.075 » Equateur 36.759.000 85.661.650 »|Fxtérieure, en 4892 : 64.127.505 » Bolivie 57.298.400 25:734.347 Extérieure, en 1891 : 11.741.410 » Etat de l’Amazone. |54.628.905 Néant Néant. Perou 38.597.520 Engagements multiples A amorti 800 millions de franes de dette extérteure en Iransférant aux . créanciers presque tous Les biens de l'Etat, Si cette situation financière enviable est de nature à appeler les capi- taux étrangers dans l’Amazone, les conditions climatériques du pays doivent en même temps rassurer les immigrants européens. Pour combattre le peuplement de la zone chaude par la race blanche on a invoqué jusqu'ici trois arguments principaux. On a dit, sous différentes formes : l'Européen ne peut pas travailler dans les tropiques ; lors même que l'indiridu de race blanche réussit à y vivre, la race ne s'y acclimate pas et dégénère au bout de trois ou quatre 392 LE PAYS DES AMAZONES générations ; enfin, la malaria qui sévit dans ces pays est un obstacle constant à l’acclimatation. Aucune de ces objections ne tient debout devant les faits, et le D' L. W. Sambon l’a prouvé naguère dans une lecture faite à la Société Royale de Géographie de Londres (1). Ecoutons-le. 51. — Avenue Eduardo Ribeiro, à Manaos. Tout d’abord, la croyance que le blanc ne peut pas travailler sous les tropiques est dûe originairement aux affirmations des anciens partisans du travail des hommes de couleur dans ces régions. L'expé- rience condamne leur assertion. Le blanc travaille de nos jours sur | les plantations de café dans l'Amérique Centrale et dans l’Amérique du Sud, dans l'Australie tropicale, dans l'Afrique du Sud, aux Antilles et aux Indes, sans éprouver des conséquences plus fâcheuses (1) Communication faite le 27 avril 1808. k < LE PAYS DES AMAZONES 393 que s’il travaillait dans les régions tempérées. Les sites où règne la malaria sous les tropiques ne sont pas plus dangereux que les sites analogues de la zone tempérée. En Angleterre et en Allemagne, la malaria a presque entièrement disparu. Mais, en Italie, elle est encore mortelle et décime tous les ans les laboureurs de la campagne romaine et des rizières de la Lombardie. En France même, bien que dès 1599 un édit de Henri IV ait concédé à un Hollandais, Humfroy Bradley, l'entreprise générale du dessèchement de tous les marais que leurs propriétaires ne consentiraient pas à dessécher eux-mêmes, les marais couvrent encore, d’après un relevé effectué par l'administration des contributions directes, 185.000 hectares de terres, dont 58.000 environ appartenant aux communes (1). Dans l’Amazone, le blanc peut être tué par le béribéri ou enlevé par la fièvre bilieuse ; en Europe, il peut être emporté par la pneumonie ou ankylosé par le rhumatisme. Ilest certain que remuer le sol vierge dans certaines localités n’est pas toujours une entreprise exempte de périls là-bas. Mais, l’on a remarqué maintes fois, même dans les grandes villes européennes, que des mouvements considérables de terres pour ouvrir des canaux ou construire des voies ferrées peuvent occasionner des épidémies en dérangeant le drainage du sol. Ensuite on a soutenu que le blanc ne peut pas subsister sous les tropiques pendant plus de trois ou quatre générations. On n’a pas encore amassé un assez grand nombre de faits pour détruire radicalement cette assertion, qui est jetée sans preuves dans le débat. D'un côté, la plupart des pays de la zone chaude ont négligé ces données démographiques ; de l’autre, il y a eu des mélanges de sang indigène ou de sang nouvellement venu d'Europe, et ces cir- constances ne permettent pas d'exhiber un tableau parfait. Toutefois Sir Clements R. Markham, l’éminent président de la Société Royale (1) Répertoire Général Alphabétique du Droit Français, publié sous la direclion de MM. George Frèrejouan du Saint et A. Charpentier, « Article Marais », Paris, 1898. 394 LE PAYS DES AMAZONES de Géographie de Londres, dans un rapport remarquable présenté au septième Congrès International d'Hygiène et de Démographie, a recueilli toutes les informations qu’il a pu trouver afin de démon- trer que des familles de sang européen sont restées établies dans les tropiques pendant plusieurs générations, et que, dans chaque cas, les représentants vivants de ces familles étaient égaux à leurs ancêtres au point de vue du développement physique et moral. H n'y a pas bien longtemps encore on croyait généralement que chaque espèce d'animal ou de plante avait été créée, au commence- ment du monde, sur le même emplacement où nous la trouvons aujourd'hui. Les principes de l’évolution ont balayé ces vieilles théories. Aujourd'hui, l’on admet que la surface de notre planète a subi des changements continuels. Le sol s’est enfoncé sous l'Océan; d’autres terres se sont dressées du fond des mers; des montagnes se sont élevées, se sont modifiées, sont tombées en poussière; les condi- tions physiques de chaque région ont subi de constantes altérations. La vie organique a donc été soumise à des déplacements et à des modifications sans nombre. Indépendamment même des changements topographiques, nous savons que certaines plantes et certains ani- maux ont dá changer plus d'une fois leur aire de distribution dans le struggle for life perpétuel. Il est difficile de se rendre compte des changements qui se sont opérés dans la végétation de | Europe depuis l'aurore de la civilisation; ils ont dú être considérables, mais nous n'en possédons pas l'histoire complète. Il en est autrement pour quelques-unes des contrées situées sous les tropiques. | Prenons la nouvelle Zélande, par exemple. Sa flore fut étudiée avant d’avoir été trop bouleversée par l'immigration étrangère. Or, les chan- gements qui s’y sont produits pendant la courte période de l’occu= pation européenne sont presque incroyables. Plus de 500 espèces de plantes exotiques y ont été acclimatées, et plusieurs d’entre elles sont devenues tellement abondantes dans certains districts qu'elles ont | remplacé les plantes indigènes. ; LE PAYS DES AMAZONES 395 Au Brésil, lé caféier ne fut introduit à Pará qu'après 1727 et à Rio qu’en 1773; et, moins d’un siècle après, le Brésil à lui seul produi- sait plus de café que tous les autres pays réunis. Certaines plantes, lorsqu'elles sont introduites pour la première fois dans un autre pays, semblent incapables d'y prospérer. Il ne faut pas se kâter d’en conclure que le climat ne leur convient pas. Le trèfle rouge n’a pu pousser en Nouvelle Zélande qu’à partir du moment où certaines espèces d’abeilles ont été introduites pour en fertiliser les fleurs. Présentement, il remplace la graminée indigène. Dans l’Ama- zone, en dix ans, le riz blanc importé avait remplacé le riz rouge indigène. Ce qui est vrai pour les plantes l’est également pour les animaux. Sur 22 animaux domestiques de l'Europe, 5 seulement sont indi- gènes; 12 y ont été importés d'Asie, 3 d'Amérique et 2 de l'Afrique. En revanche, l’Europe a successivement acclimaté en Amérique et en Australie des animaux qu'elle avait empruntés elle-même à l’Asie et à l’Afrique. Il n’y avait pas de mouton en Amérique pas plus qu’en Australie: à présent, leur nombre y est incalculable. Les che- vaux et les bœufs ont admirablement prospéré dans l'Amérique du Sud. Dans la Nouvelle-Galles-du-Sud, les’ chevaux sont redevenus sauvages et se sont multipliés avec une rapidité alarmante. Le lapin, introduit en Australie et dans la Nouvelle-Zélande, et le moineau, introduit en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis de l'Amérique du Nord, y sont devenus des fléaux effrayants. Mille exemples de ce genre pourraient être invoqués; le dernier est peut-être celui de l'invasion du rat brun de l’est de l'Asie Centrale, qui a pratiquement chassé le rat noir de l’Europe, absolument comme celui-ci avait chassé de l'Amérique du Sud des rongeurs plus faibles. Nous voyons donc que, non seulement des plantes et des animaux peuvent se naturaliser sous d'autres climats, mais encore que souvent ils prospèrent dans un nouveau milieu beaucoup mieux que dans leur habitat primitif, démentant ainsi la vieille théorie d’après laquelle 396 | LE PAYS DES AMAZONES chaque espéce occupe son district distinct et y trouve des condi- tions mieux adaptées à sa vie. Revenons à l’homme, et appliquons-lui ces principes. Les anthropologistes ont divisé l'espèce humaine en plusieurs races dont le nombre varie selon les auteurs, et va de trois (Cuvier) jus- qu'à quinze (Bory de Saint-Vincent). Autrefois on considérait ces races comme formant des groupes ethniques tout à fait distincts, et l’on croyait qu’elles avaient été créées indépendamment les unes des autres. De nos jours, l’unité de l'espèce humaine est devenue un fait accepté par tout le monde. Nous pensons de nouveau, comme Hippocrate le faisait il y a deux mille ans environ, que les « races sont sœurs des climats ». Or, anatomiquement et physiologiquement, l’homme est un mam- mifère, soumis aux mêmes lois qui régissent les autres formes de vie. Par conséquent, il doit avoir eu une aire primitive restreinte. Supposer qu'au commencement il apparut en même temps partout où nous le voyons de nos jours, ce serait en faire gratuitement l’unique exception connue, et, en l'absence d’une preuve directe, nous ne pouvons pas admettre cette hypothèse. Au contraire, s’ilest un fait historique indéniable — fait que les recherches des ethnographes con- firment constamment — c’est que des migrations et des acclimatations, qui en furent la conséquence, se produisirent de tout temps. L’his- toire de l’humanité se compose d’une série d’invasions et de dépla- cements, de mouvements incessants d'individus et de masses de peuples. Les essaims de colonies fondées par la Phénicie et l’ancienne Grèce, les flots de Slaves et de Teutons qui inondèrent l'empire ro- | main au vt et au vis siècle de notre ère, et, dans des temps plus récents, les déplacements des nombreuses hordes mongoliennes, en sont des exemples connus de tous. Ces migrations, tout en prenant diverses directions, se sont répandues le long des vallées des fleuves et à travers les défilés des montagnes les moins élevées; très rare- ment, elles ont pris le chemin du Nord,et elles ne l’ont fait que sous LE PAYS DES AMAZONES 507 la poussée irrésistible de voisins plus forts. Le plus souvent elles s'ache- minèrent vers le midi à la recherche de régions plus chaudes et plus fertiles. Habituellement, les émigrés s'établirent sous des climats pas trop différents de ceux auxquels ils étaient accoutumés. Il y eut cependant d:s exceptions : c'est ainsi que les Vandales allèrent vivre dans l'Afrique du Nord. En suivant l’évolution de quelques-uns de ces essaims d'hommes qui, ily a des siècles, allèrent s'établir loin de leurs anciens habitats, nous constatons qu'ils s’y trouvèrent assujettis aux mêmes lois qui régissent la dispersion de tous les êtres organiques. Ainsi, selon les circonstances plus ou moins favorables, tandis que les uns disparais- saient totalement, d’autres continuaient d’exister. Parmi ceux-ci, les uns se trouvèrent considérablement transformés par leur nouvelle condition de vie et par leur mélange et leur croisement avec les naturels du pays ; les autres subirent des changements à peine percep- tibles et réussirent si bien dans leur nouveau milieu qu'ils s’assimi- lèrent entièrement, remplacèrent ou poussèrent dehors les occupants primitifs. — Aux Indes, si les Rohillas, les Rajpouts et les Parsis de race aryenne sont demeurés inchangés depuis des siècles, par contre les Portugais de Bombay et de Gôa éprouvèrent des modifications considérables, et, à présent, ils sont aussi foncés de couleur que les Kôles ou les Bhils. De même en Amérique : tandis que les Anglo- Saxons de l'Amérique du Nord sont demeurés semblables aux types de la mère patrie, les Espagnols et les Portugais se sont prêtés à des mélanges de sang évidents dans presque toutes leurs anciennes colonies. Or, si les Aryens émigrés jadisont pu, non seulement prospérer, mais encore absorber les habitants sémites des Indes et les peaux cuivrées de l'Amérique chaude, pourquoi les Aryens de nos jours seraient-ils incapables d’en faire autant ? Les Indiens de l'Amérique habitent aussi bien les plaines glacées de la baie de Hudson que les plus chaudes régions du Sud-Amérique. 398 LE PAYS DES AMAZONES Dans la République de l’Equateur, ils vivent sur des hauteurs qui atteignent 2.225 mètres d'altitude aussi bien que dans les terres basses situées au pied des Andes. Si ces sauvages peuvent s'accom- moder de ces températures, pourquoi le blanc, qui a d’autres facilités de confort, ne pourrait-il pas le faire ? Tes juifs ont réussi admirablement sous des climats tout à fait différents de celui de leur pays d’origine: ils vivent tantsous les glaces de la Pologne que sous le soleil de l'Afrique du Sud. Les Portugais et les Espagnols, et, tout récemment, les Italiens se sontnaturalisés faci- lement dans quelques-unes des régions les plus chaudes de l'Amérique. Le taux de la mortalité des Espagnols à Cuba a toujours été inférieur au taux des décès en Espagne. Les Hollandais ont prospéré dans l'Afrique du Sud et dans les Moluques. Au Cap, où ils se sont établis et où ils sont restés à peu près isolés pendant 200 ans environ, ils ont à peine changé; ils sont restés comme en Hollande grands et robustes, et l'Afrique du Sud n’a pas de plus beaux hommes que les Boers. On répète souvent que les émigrants appartenant au midi de l’Europe ont plus de chance de s'acclimater dans les pays tropicaux. que les émigrants des pays du Nord. Nous venons de voir, par l'exemple des Hollandais en Afrique, que cela n'est vrai qu’en partie. Mais il est certain que des régions chaudes, comme l’Amazone, n'ayant jamais fait un essai de peuplement méthodique au moyen d'immigrants européens, doivent donner la préférence à des Euro- péens du Midi, Portugais, Espagnols, Italiens, avec un appoint de Savoyards, de Basques, de Suisses du Tessin et de Tyroliens. Dans un Mémoire que nous avons présenté au 1* Congrès de Géographie tenu à Gênes, et que la Société de Géographie de Rome a bien voulu faire imprimer (1), nous avons calculé que, sur 1.095.955 émigrants européens qui forment la moyenne annuelle de l'émigration (1) F. de Santa-Anna Nery: L'Emigration et l'immigration pendant les dernières années. Genova, 1804. LE PAYS DES AMAZONES 399 totale, près de 365.000 sont fournis tous les ans par l'Italie, l'Espagne et le Portugal. L'Etat de l'Amazone n’en recevrait-il que la dixième “partie que ce serait encore un merveilleux appoint pour son peuple- ment. Quoiqu'il en soit, il nous semble avoir réussi à prouver, grâce aux arguments du D' Sambon, qu'en eux-mêmes les agents météorolo- giques ont bien peu de valeur lorsqu'il s’agit d'acclimatation. Sans doute, là comme ailleurs, la chaleur et l'humidité ont leur influence nuisible. Mais, pour combattre ces agents météorologiques, il y a deux armes infaillibles : l’une consiste dans ce mystérieux pro- cédé d'adaptation organique qui peut changer en poils la laine des moutons européens importés aux Indes Occidentales, et à la côte occidentale d'Afrique; l'autre, c'est le progrès de la civilisation, qui nous affranchit, chaque jour d'avantage, des sujétions de la nature ambiante. A une époque assez récente, entre 1830 et 1850, les Français les plus optimistes avaient fini par croire qu'ils ne pourraient jamais pros- pérer en Algérie, dont ils considéraient le climat comme mortel pour “es Européens. Un général français allait jusqu’à dire : « Les cime- tières sont les seules colonies toujours croissantes en Algérie.» Aujour- d'hui, les médecins français envoient leurs convalescents en Algérie, et plusieurs villes de ce pays sont considérées comme un excellent sanatorium. Il en sera de même pour l’'Amazone, dans quelques années. Ce ne sont donc pas les agents météorologiques qui font obstacle au peuplement des régions chaudes, mais les microbes, les infiniment petits, et, à ce propos, le D' Patrick Monson cite des faits décisifs. Autrefois, expose-t-il, sous l'influence des notions rudimentaires généralement recues, il était franchement pessimiste, et admettait les opinions courantes au sujet de l'impossibilité du peuplement des zones tropicales par la race blanche. Plus tard, ses idées subirent une révolution complète. Cette révolution commença lorsque l’origine 400 LE PAYS DES AMAZONES parasitaire d'un grand nombre de maladies fut prouvée. Elle s'accen- tua lorsqu'il fut démontré que les maladies des hommes, aussi bien que celles des animaux et des plantes, sont dues à des organismes vivants. Cette révolution devint complète lorsque ses propres expé- riences lui prouvèrent que l’immortelle découverte de Laveran au sujet du germe protozoaire de la malaria est un fait indéniable. Aujourd’hui, il croit fermement à la possibilité du peuplement de, la zone chaude par la race blanche. | Les adversaires du peuplement de la zone tropicale par la race blanche faisaient une dernière objection à la colonisation du Brésil par des Européens, en alléguant l'esclavage qui régnait dans ce pays. L'homme libre, si misérable soit-il, n'aime pas à se trouver en con- tact avec l’esclave. Il répugne à ses instincts de mêler ses efforts à ceux de cette chose sans nom. Son travail libre semble flétri par le voisinage du travail forcé. Il n'est pl:s aussi fier de soutenir sa vie à la sueur de son front. On lui a dégradé son gagne-pain. Il craint d'être confondu avec la race tenue dans l’abjection, et il préfère pro- mener son indépendance de salarié, sa misère prolétarienne dans les pays où il est citoyen comme le patron. Là, du moins, si le capital l’opprime, il a le droit de le saisir à son tour et de s’en faire une force émancipatrice. Dans l'Etat de l'Amazone, les travailleurs étrangers peuvent venir, car, depuis 1884, il ne compte plus un seul esclave. Ils n'y trouveront plus des hommes dont on achète le corps, mais des ouvriers comme eux, dont on rétribue les services. Qu'ils viennent donc en masse à la conquête de l'indépendance et de la fortune par le travail honoré. Qu'ils s'associent entre eux, qu’ils apportent leur travail individuel ou qu'ils se groupent autour d'un riche colon, peu importe. Ils peuvent être assurés qu’ils rencontreront au milieu de nous des citoyens libres, des amis, des frères. CHAPITRE VII conclusion. — Peuplement rationnel de l’'Amazone. — Un grand Etat de “avenir. — Un nouveau marché. — Pourquoi l'Europe doit regarder du côté - de l'Amazone. — Propagande pour préparer l’avenir de l’'Amazone. — Le _ Pays des Amazones en Europe. — Un musée permanent en Europe. — “Comment il devrait être organisé. _ L'Etat de l'Amazone, si l’on s’en tient aux données officielles du recensement du 31 décembre 1890, ne présente qu’une densité de 0.08 habitant par kilomètre carré. C'est la plus faible densité de population constatée dans l’Amérique du Sud. On s’en fera une idée plus précise en la comparant à celle de quelques Etats de l’Europe. La densité de la population est en France de 73 habitants par kilo- mètre carré ; elle est de 95 en Allemagne, de 126 dans le Royaume- . Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, et de 216en Belgique Dans … l'Etat de " Amazone, nous venons de le voir, elle n’atteint même pas _ une unité. f Cette disproportion entre le petit nombre des habitants et l'immense étendue du territoire ne saurait être attribuée à la supériorité des _ décès sur les naissances, autrement dit à l'inclémence du milieu, qui se poserait en obstacle à la multiplication de l’espèce. Les statistiques officielles et ce que nous avons dit du climat ainsi que du pays en général prouvent amplement le contraire, d'autant plus que leschiffres mêmes du recensement constatent que la population a augmenté de presque 156 o/o en dix-huit ans, soit de 1872 à 1890, dates des deux recensements. De simples causes administratives et économiques expliquent pour- Br x . uoi, depuis l'indépendance du Brésil, la population n'a pas grandi Pd 26 402 LE PAYS DES AMAZONES dans la proportion des terres disponibles et des ressources certaines du pays. D'un côté, jusqu’en 1852, cette région était une simple dépendance de Pará, oubliée par le pouvoir central, qui n’a ouvert le fleuve des . Amazones aux pavillons étrangers qu’en 1867, et qui n’a été en rela- tions directes avec Manäos, au moyen de bateaux à vapeur venant de M Rio-de-Janeiro, qu’en 1883. D'un autre côté, le genre même de productions de l’Amazone, l'industrie forestière, nécessite cette dispersion de population : l'homme de l’Amazone est condamné à s'éparpiller sur toutes les rivières à la recherche des produits forestiers, et il ne vient dans les villes et les bourgs qu'accidentellement. RE Sans nous appesantir sur ces considérations, disons seulement que les centres actuellement habités démontrent la possibilité d'en créer d’autres aussi prospères dans le voisinage et de proche en proche, car il faut se garder de trop disperser les forces colonisatrices. On doit | s'avancer à la conquête de la forêt vierge par bandes serrées et non d’après l’ordre mince et dispersé. Il faut y procéder du connu à l'inconnu, éviter l'éparpillement des nouveaux venus et relier avant | toute chose les villes et les bourgades déjà existantes à celles que l'on" veut y créer, par des concessions de terrain intermédiaires. Il n'est M pas moins nécessaire de ne pas distribuer au hasard les parts de pro- priété ; ayons grand soin, au contraire, de propager l'exploitation du M pays par degrés, par étapes successives, et de fortifier, par une longue ligne continue ou par des cercles concentriques de colons nationaux et étrangers, "importance de la capitale, si admirablement située. ce corps expéditionnaire des pionniers de "'Amazone s'appuie suivant cette marche sûre, on arrivera sans doute, en un temps rela tivement court, à donner quelque cohésion et quelque densité > nul idee it LE PAYS DES AMAZONES 403 veaux colons dès qu'ils y arriveront en nombre, et que les habitudes sociales du pays devront se transformer assez rapidement. Nul ne doit s'effrayer de ces conséquences probables d’un peuplement par voie rationnelle, où l’Indien arraché à sa sauvagerie, le Brésilien des autres Etats de "Union, et principalement le Brésilien des Etats du Nord, et "Européen du Midi auront leur place et leur emploi. L'Amazone est assez vaste pour tout accueillir et tout supporter, puisqu'il est plus grand que n’importe laquelle des Républiques qui Pavoisinent (1). Quand ce pays sera peuplé dans la même proportion que la Bel- gique, par exemple — ce qui, d’ailleurs, n'est pas à souhaiter, — il contiendra, au lieu des 147,915 habitants que donne le recensement de 1890, plus de 409 millions d'âmes, beaucoup plus que toute l'Europe. S'il était peuplé seulement comme l’Etat européen qui l’est le moins relativement — la Norvège, où la densité, par kilomètre carré, est de 6 habitants à peine, — il aurait encore 11,382,120 habitants. Il y aura place alors, dans cette agglomération d'hommes, pour toute espèce d'organisation du travail. Il nous suffit, quant à présent, d'entrevoir la réalisation de nos plus chères espérances et de pressen- tir le mouvement qui semble orienter les émigrans de la vieille Europe vers les régions fortunées de l’Amazone : Incerti quo fata ferant, ubi sistere detur. Oui, nous en sommes convaincu, cette terre merveilleuse deviendra, dans un avenir qui paraît rapproché, l'objectif du commerce et de Pémigration du monde ancien. (1) Superficie de l'Etat de l'Amazone......,.. . 1.897.020 kil. carrés. = deslaiColombieM sesta o vala 1.203.100 = — al a iv re cernes 1.189.800 — = GUIDO o EAN 1.137.000 — == SUN GRATOS Re 1.043.900 — = Gio dear sonham er 299.600 — 404 LE PAYS DES AMAZONES Les peuples européens traversent une crise, dûe pour les uns à la pléthore de population et pour les autres à la surproduction. Il y a trop d'hommes sur cette antique motte de terre qui est "Europe. On éprouve le besoin de se desserrer un peu et de se remettre à la con- quête pacifique du globe. L'Asie a été épuisée par les civilisations primitives. L'Europe a été pressurée par deux mille ans d'exploitation intensive. L'Amérique du Nord est en pleine activité, et prend déjà des mesures pour écarter les nouveaux venus (1). Il ne reste donc plus à faire produire que l'Afrique — une morte que l’on veut ressusciter — et l'Amérique du Sud. Les nations sont en éveil, et croyant n'obéir qu’à leurs intérêts matériels et donner satisfaction à leurs besoins commerciaux, elles se disposent à achever le grand œuvre providen- tiel qui est la raison d’être mystérieuse de l’humanité. Partout elles se répandent et cherchent à vivre plus à l’aise. Partout elles s’effor- cent de placer la surabondance de leurs produits manufacturés, stéri- lisés entre leurs mains. Les débouchés s'ouvrent peu à peu, et avec les ballots de marchandises la civilisation se propage sur tous les points de la terre. Le temps n’est plus où l'expansion au dehors était regardée comme un fléau qui appauvrissait les pays d'émigration. Cela était vrai jusqu'à un certain point lorsque les peuples étaient plus particuliè- rement adonnés à l’agriculture, et que les bras ne suffisaient pas à la culture des terres. Mais, aujourd’hui, la transformation de l'outil et la prédominance de l’industrie condamnent les hommes à se déplacer et à- faire voyager leurs produits fabriqués. Etendre la mère patrie le plus loin possible est, pour le présent, une cause de prospé- (1) C'est une des formes que le protectionnisme revêt dans ce pays. M. John Haws Nobb (Political Science Quarterly, t. vir, 1'º part.. p. 133-38, Mars-Juin, 1892, New- York) fut le premier à proposer que l’on exigeât des immigrants italiens un minimum d'instruction. M. James Bryce député anglais, a approuvé publiquement les Etats-Unis qe se montrer présentement « plus rétifs devant les masses ignorantes et demi-civilisées que l’Europe centrale rejette sur leurs plages. » LE PAYS DES AMAZONES 405 rité, et, pour l'avenir, per l'effet du croisement des races, une prépon- dérance assurée au génie de celle qui aura semé le plus de ses enfants à l'étranger. ) Le Royaume-Uni de la Grande-Bretagne envoie ses enfants au loin — environ 348.000 par an, — et jamais sa richesse n'a été plus grande. L'Allemagne — 104.000 par an — voit les siens fuir par centaines de mille, et sa puissance s'affirme chaque jour davantage. L'Italie est la seule nation latine qui entretienne la propagation du sang latin dans l’univers et empêche l’humanité de demain d’être une résultante trop exclusive des autres races rivales; bien que ses popu- lations émigrent en masse — 255.000 par an, — elle présente l’un des plus remarquables exemples de relèvement à notre époque. La Russie pousse ses sujets vers l'Asie, et sa population — malgré une sortie de 120.000 âmes, par an, depuis 1891 — ne cesse d'augmenter. L'Espagne et le Portugal auraient disparu déjà de la carte des nations si elles n'avaient pas fondé les jeunes démocraties de l'Amérique Latine. Ces phénomènes sont d’une explication fort simple. Sans parler des relations commerciales qui s'établissent presque toujours entre la métropole et les émigrants, au grand profit de tous, il est évident que le trop-plein qui s’en va laisse plus de place à ceux qui restent et leur permet de combler les vides par des générations abondantes. Les nations qui émigrent ne sont pas forcément les nations les plus pauvres; mais elles pourraient le devenir si elles n'émigraient pas, car, comme l’asi bien dit Duval, comme les eaux stagnantes, les nations stagnantes se corrompent. Il est certain que le régime de la grande propriété et du droit * d’ainesse sont, pour l’Allemagne et la Grande-Bretagne, une des prin- cipales causes d'émigration, comme les bas salaires le sont pour l’Italie, l'Espagne et le Portugal. En France, où la propriété est mieux répartie, plus de citoyens peuvent s’attacher à la terre et y vivre du sol. L’émigration doit donc y être naturellement moins abon- 406 LE PAYS DES AMAZONES dante. Cependant, elle ne fournit pas ce qu’elle devrait fournir norma- lement — la moyenne annuelle est de 20.000 à peine — si les maria- ges avaient toute leur fécondité. Aussi entend-on des hommes comme M. Paul Leroy-Beaulieu lui crier que la colonisation est pour elle une question de vie ou de mort, et que, sans la colonisation, elle retombera au rang de la Roumanie ou de la Grèce. Nous ne sommes, nous autres Amazoniens, qu’à deux semai- nes des meilleurs ports de l’Europe. Nous offrons au commerce et à l’industrie du monde les matières premières les plus utiles et les plus précieuses, les gommes, les résines, les baumes, les essences, les sucs épaissis, à commencer par le caoutchouc, les aromates, les fibres textiles, les matières tinctoriales et tannantes, les huiles végé- tales, les substances médicinales, les bois de construction et d’ébé- nisterie, les pelleteries, les plumes, l’ivoire végétal, le cacao... Pendant de longues années encore, nous pouvons recevoir en échange le blé, les conserves alimentaires, le vin, la bière, le cognac, les liqueurs, le beurre, les fromages, le sel, les pâtes, les draperies, le linge, les armes, les instruments agricoles, les meubles, les machines, les objets de luxe, tous les articles manufacturés de l’Europe qui ne trouvent plus ailleurs des débouchés suffisants. L'Amazone mérite donc que l’on s'occupe un peu d’elle de ce côté-ci de l'Océan, où l’on n’est guère habitué à avoir des clients appartenant à un Etat qui produit 370 francs par tête d'habitant et qui n’a pas de dettes. Le voyage qui se fait aujourd’hui en 20 jours, du Havre à Mandos, pourra s'affectuer en une dizaine de jours, lorsque de vastes steamers, effectuant des escales moins prolongées, auront remplacé les bateaux à vapeur qui accomplissent présentement la tra- versée. Déjà de grands progrès ont été réalisés dans ce sens. L'auteur de ces lignes se souvient qu’en 1862, lorsqu'il fit pour la première fois le voyage de "Amazone en Europe, il n’y avait pas de paquebots, et que LE PAYS DES AMAZONES 407 le navire à voiles sur lequel il prit passage mit 47 jours de mer, sans escale, pour faire le voyage de Pará à St-Nazaire. Il ya quelques mois, il effectuait le même voyage sur un excellent steamer de la Red Cross Line en 17 jours, malgré les escales de Madère et de Lisbonne. Bientôt on pourra aller de Liverpool, d'Anvers, de Hambourg, du Havre, de Gênes, à Parintins, à Itacoatiára et à Manaos avec autant de facilité et de confort et en aussi peu de temps que l’on va à Phila- delphie et à New-York. Nous nous rapprochons peu à peu de l’Europe; que l’Europe fasse le dernier pas. Les nations de l’ancien continent qui savent à quel point les États- Unis de l'Amérique du Nord, à force de droits protecteurs et quasi- prohibitifs, se sont transformés en pays industriel pour leur faire une concurrence redoutable, comprendront bientôt que c'est vers le Brésil, vers / Amazone, qu'ils doivent faire affluer le courant d'émi- gration qui sort de leur sein et qui tous les ans emporte hors de chez elles plus d’un million de créatures humaines. Leur intérêt parlera plus haut que leurs vieux préjugés. L'Europe constitue [Association Internationale Africaine, pour laquelle elle fait d'énormes sacrifices en hommes et en argent, et qui Poblige à créer de toutes pièces des Etats perdus au fond du conti- nent noir, Semper sole rubens et torrida semper ab igne. Belges, Français, Portugais, Allemands, Italiens, Anglais, s'achar- nent sur ces terres, parce qu’ils espèrent y trouver de futurs clients pour leurs manufactures, et parce qu’ils comptent bien leur dérober les produits qui manquent sur leur sol. Les Francais font des frais considérables d'hommes et d'argent pour s'implanter, d'un côté, dans l’Indo-Chine, unissant à la Cochinchine PAnnam, le Tonkin,le Cambodge et le Laos,de l’autre, à Madagascar ; ils aspirent à reconstituer leurs anciennes possessions maritimes. et à 408 LE PAYS DES AMAZONES étendre leur influence sur des continents lointains ou sur des îles perdues dans l'Océan. Les Allemands se querellent avec la Grande-Bretagne pour une bande de terre africaine, et poursuivent la louable ambition d’annexer des colonies en Afrique et dans l'Océan Pacifique à leur formidable empire, qui fait trembler l'Europe. L'Italie, après avoir pris pied sur la côte orientale d'Afrique, en Abyssinie et sur la côte de l'Océan Indien, dispute à la France la. Tripolitaine. L'Espagne, toute mutilée qu’elle est, et la France convoitent le Maroc. L’Angleterre industrielle s’est déjà à peu près emparée pratique- ment de la dépouille des Pharaons, et vient d'arborer son drapeau sur toute l'étendue du Soudan. Toute Europe traverse une crise de croissance et fait des efforts pour s'étendre. | Et, pour l'Etat de l’'Amazone, qui à lui seul est plus vaste que le. Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, l'Italie, la Belgique et le Portugal pris ensemble (1); pour l’Amazone qui demande des immi- grants dont les échanges profiteront tout de suite à leurs pays d’ori- gine; pour l’Amazone, où l'on trouve déjà le terrain tout préparé, une civilisation qui s'affirme, un marché en possession d'éléments de vie et des avantages sans nombre offerts aux nouveaux venus; pour l’Amazone, situé relativement à peu de distance de l’ancien con- (1) Superficie du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande. 314.052 kil. car — dela France ee in etes sus ao sep 528.401 — — defliEmpire d'Allemapne er re 539.737 — — de MALE arcar e INST PR UN CU Ce 276.322 — — de: Ja Belgique 2. rh ess na join e eee 29.457 — — du royaume de Portugal avec les Iles............ 02-9702 Formant'un total Hesse den Moro faço eee el 1.781.444 — Superficie de l’État de l’AmMazOne...............s........... 1.867.020 —> Différence en fayeur de l'AmazOne ce tis eia anos a RR RE 115 57 — LE PAYS DES AMAZONES 409 tinent et qui peut devenir l’entrepôt de la plus grande partie du com- merce des cinq Républiques limitrophes et des Guyanes; pour l'Amazone, on ne tente rien, on ne fait aucun grand projet d'ex- ploiation ! Il est vrai qu’il n’y a pas un seul coup de fusil à tirer, qu'il ne s’agit que d'exproprier là-bas des forêts et des bêtes fauves et que l’on n'a même pas à y redouter l'opposition des tribus d'Indiens, chez qui, au contraire, on trouvera ur élément précieux de main-d'œuvre. L'Europe a peut-être une excuse à son indifférence : c'est qu'elle ignore en grande partie les ressource de cette région privilégiée. Les beaux travaux qui ont eu pour objet cette incomparable vallée sont dús pour la plupart à des spécialistes, et n’ont pu, par conséquent, pénétrer la masse du public, d'ordinaire étranger à l’attrait des écrits scientifiques. Quelques-uns de ces ouvrages, les meilleurs peut-être, comme ceux de Alex. de Humboldt, de Spix et Martius, du comte de Castelnau et de L. Agassiz, ont paru à une époque où [attention n'était pas encore tournée vers les pays lointains. L'Amazone n’a pas encore été vulgarisé. La presse quotidienne, la seule qui ait prise sur les masses, ne lui a pas encore fait une publicité digne d’elle. Comme les honnêtes personnes, elle ne fait pas assez parler de ses mérites. Depuis 1883, cependant, l’Amazone fait des efforts pour se faire connaître et apprécier. Nous avons pris sur nous cette tâche aifficile autant qu'honorable. Nous nous sommes mis à l’œuvre dans la mesure de nos forces, soutenu par un grand amour pour la patrie, nourrissant les longs espoirs sinon les vastes pensées. Dans les journaux, dans les revues périodiques, dans les brochures, dans les publications de tout genre, par la plume et par la parole, nous avons cherché à répandre de notre mieux des notions exactes sur cette région brésilienne, dont nous avons exhibé les produits, sans aucune aide officielle, aux Expositions d'Anvers, de Beauvais, de Bourges, de Paris et du Musée Commercial de Paris. Cette propagande n'a pas tardé à porter ses fruits, quelque modeste 410 LE PAYS DES AMAZONE qu’elle fût. On commence à s'occuper de |'Amazone et à s'apercevoir de son existence. En Europe, c’est le commencement de la popularité. Déjà, des milliers de demandes de renseignements nous ont été adressées de tous côtés; quelques émigrants sont partis après nous avoir lus ; d’autres se consultent et s’efforcent d'entraîner des compa- gnons de route, craignant avec raison l’isolement des premiers temps. Il y a l’ébranlement qui précède toute mise en marche. Ces symptômes nous encouragent à tenter de nouveaux efforts. Mais nous avons besoin d’être secondés dans notre mission. Une seule voix est bien faible, et nous ne sommes plus au temps où elle suffi- sait à entraîner des peuples à de saintes aventures. L'enthousiasme n’habite plus guère que la poitrine des poètes qui ne sacrifient pas à la muse naturaliste ou le cœur des apôtres. La majorité des hommes n'est sensible qu’aux sollicitations de ses intérêts immédiats. C'estdonc à cet endroit que nous devons frapper. E Les lecons de choses sont assez de mode. Elles introduisent la con- viction par les yeux toujours prêts à se laisser séduire. Pourquoi ne tenterions-nous pas ce moyen facile, qui Ro aux préoccupations du jour? Pourquoi ne ferions-nous pas venir PAma- . zone en Europe? Pourquoi ne ferions-nous pas toucher du doigt à cette grande incrédule tout ce que notre terre porte dans ses flancs, en lui disant : Vide latus! Une simple exposition permanente de nos produits et de nos indus- | : tries suffirait à réaliser ce miracle. S Un Musée Amazonien en Europe, ce serait, pour les amateurs de nouveautés, une attraction sans précédent ; pour les savants, un inté- ressant et facile sujet d’études ; pour les lettrés et les artistes, un régal de pittoresque; pour les industriels et les négociants, une émulation et un document; pour les économistes, un point de comparaison et de repère; pour tous, un stimulant à Pémigration féconde. º Ce Musée comprendrait deux sections principales. Dans la première, figureraient, méthodiquement classées, avec leur prix de revient et le M CUS 2 LE PAYS DES AMAZONES AIT chiffre de leur production, toutes les matières premières déjà exploi- tées, et toutes celles qui sont susceptibles de l'être avec avantage. Dans la seconde, on classerait, avec les prix payés là-bas, des échan- tillons de tous les articles de provenance étrangère demandés par le consommateur de " Amazone. Des prospectus et des tableaux feraient connaître les terres dispo- nibles, leur prix, leur situation, le genre de culture qui leur convient, les avantages accordés aux immigrants et les renseignements pratiques pour leur départ et leur arrivée. Il serait facile d'y joindre une liste pour les demandes et offres d'emplois, les prix courants des matières premières sur place, le mouvement maritime, etc. Des conférences et des lectures fréquentes, faites par les membres les plus autorisés de la colonie brésilienne, par des voyageurs et des négociants connaissant le pays, des réunions périodiques auxquelles la presse et les sociétés savantes seraient conviées, des cours gratuits de langue portugaise, complèteraient l’ensemble de cette organisation. Cette exposition permanente ne serait pas très coûteuse. Les libé- ralités des citoyens, soucieux de la grandeur de leur pays, y pourvoi- raient en partie, et, avec l’aide du gouvernement local, permettraient de constituer une dotation annuelle raisonnable. Cette exposition serait d’ailleurs organisée à l'instar du Musée des Arts Décoratifs de Londres, et pourrait être facilement transportée aux Expositions uni- verselles sans provoquer des frais trop considérables. L'œuvre est grandiose et originale. Elle est digne de l'Etat qui marche si résolument dans la voie du progrès. Elle ferait en deux années plus que dix ans de propagande par la plume et la parole. Elle ferait plus que tous les appels adressés par la presse aux futurs colons de | Amazone, plus que toutes les lois et que toutes les subven- tions ayant pour but de provoquer à l'immigration étrangère. Les divers peuples de l'Europe — car cette exposition ne doit pas demeurer cantonnée dans une seule capitale — apprendraient ainsi à connaître de visu ce pays des Amazones, où l'élément indigène peut 412 LE PAYS DES AMAZONES r fournir un appoint sérieux aux bras importés de l’étranger, — cet El-. Dorado légendaire, où Por végétal enrichit plus sûrement que les mines d'Australie ou d'Afrique, — ces splendides terres à caoutchouc 4 dont l’industrie contemporaine utilise de plus en plus les produits. . , Ils recevraient directement la grande révélation de la nature tropi- cale, et aspireraient à entrer en rapports plus intimes avec ces contrées. . Pour notre part, nous serions heureux de préparer ainsi ce resplen- ? dissant avenir et de dépenser ce qui nous reste de vie pour ce grand œuvre patriotique. Alors seulement on verrait réalisé le vœu patrio- tique prêté par Garrett à Camoëns mourant (1) : Superbe Tage, est-ce qu'au moins un échantillon Ne restera de ta gloire, un héritier De ton renom? — Oui, reçois-le, garde-le, O généreux Amazone, cet héritage D'honneur, de réputation et de chevalerie : ne laisse pas périr La langue et le nom portugais en ce bas monde. (1) Almeida-Garrett: Camões, X, 21. a r 7 E AR ANS ENS sh ‘ sê Jo Caert o en = À UMAU IS SIROASE = Cax Paricua. x ISMAGUS | a ad BSTrancsch KRA Syrran”Solan/> E EL PS Carlos fe LETATo:LANAZONE | par M À M PS ARarmunco A.NERY Ras : OVille © Bourg OParoisse @ Village lieues Carrées 66.300 RO 2 g [| 15 COERUNAS po ; pu ua OMC py Tapera | Equador Sou — Juhá, e quant s cu eur os + oser Herald re / ) \ neto dos Mi TABLE DES MATIÈRES PAGES PREFAGE de la Première Edition.............. REDE ERA co nc ce OO SC Eee Y PRÉFACE de la Présente Édition............................... SERIE SO eee SDS IX INTRODUCTION....... SR PURE D ASS me are se te D PR ea 4) PREMIÈRE PARTIE LA NATURE DI ANS CHAPITRE PREMIER Notions générales. — D'où vient le nom des Amazones. — Comment ce nom fut inventé et se propagea. — Une page d'Hérodote transposée. — Les Amazones ont-elles existé réellement: — Une nouvelle explication de la légende. — Pre- miers voyageurs du fleuve des Amazones : Cousin, Orellana, Pinzon, Diego de Lepe, Ordaz, Aguirre, Quesada, Berrio, Palacios, Pedro Teixeira, etc. — Voya- geurs modernes et contemporains. — Un Bismarck en Amazonie........... Ao 1 CHAPITRE II Situation géographique. — Etendue, limites, configuration. — Avantages généraux de cette situation géographique. — Comment on accède à l'Etat de l’Amazone. — Voyage de Belem à Manäos. — Nouveaux cieux, nouvelles terres. — Parintins et Itácoatiára. — Le rio Negro. — Arrivée à Manäos................... re 21 Cmarrrre III Le bassin de " Amazone. — Son développement, masse de ses eaux. — Ses sources, ses affluents. — La navigabilité de l’Amazone. — Ses principaux affluents : le Madeira et sa vallée ; le rio Negro. — Le haut Amazone ou Solimões. — Le Purús et ses affluents; le Juruá; le Jutahy et le Javary. — Les Portugais sur le rio Negro et le Cassiquiare; le rio Branco; l'Icä. — L'Amazone et les Andes.... . 34 414 TABLE DES MATIÈRES - 3 CHhaPriTRE IV PAGES Notions générales. — La grande plaine de VAmazone. — Son aspect. — Sa situation géologique. — L'été perpétuel de VAmazone. — Syslème orogra- phique. — Conditions climatériques. — Opinions des voyageurs étrangers sur le climat de l'Amazone. — Les observations météorologiques. — Données démographiques. — Pourquoi ce climat est salubre.............. ............. 49 CHAPITRE V Règne animal. — Rôle du naturaliste dans la vallée de l'Amazone. — Différence entre la faune amazonienne et celle des différentes parties du globe. — Les mammifères. — Les oiseaux. — Légendes sur "Urubú. — Les reptiles. — Les poissons. — Le pirarucü ......... ee TOPO = Rigo ; PRESAS E o 65 0 Cuaprrre VI Règne végétal. — Bois de construction civile et navale. — Bois de menuiserie et | d'ébénisterie. — Plantes alimentaires. — Epices et aromates. — Fibres textiles. — Matières tinctoriales et tannantes d’origine végétale. — Matières oléa — gincuses. — Substances médicinales. — Gommes, gommes-résines, oléo-résines, baumes et essences. — Ivoire végétal. — Caoutchouc............... RE rie -— 88 , CHariTRE VII TESES Regne minéral. — La véritable richesse de PAmazone. — Comment on doit pro- e céder à Vexploitation du règne minéral. — Transformation que le fer et la houille | Re devront opérer dans l'Amazone. — Manière de préparer cette Mr - e — Gisements d'or traditionnels. — Agaté, diorite, trapp, syénite, jade, feldsp: schiste. — Argile. — Chaux. — Houille. — Porphyre. — Cristal de roc e. — Sel. — Pierre ponce. — Lºavenir de ces richesses............................. 116 “x nee +. 24 DEUXIÈME PARTIE ro À (EPA PS ts ERR E e Tics tique de l’Etat de l’Amazone. — La Constitution du 17 août 1893. Législatif. — Le Pouvoir Exécutif. — Le Pouvoir Judiciaire — Division administrative et judiciaire. — La Police. — l'Etat . A BRL bec eut re CIE + x TABLE DES MATIÈRES 415 CHariTRe Il PAGES Histoire politique de "Amazone. — L'Amazone jusqu’en 1889. — Ce qu'était ce territoire en 1852. — Description de Manäos en 1774 et en 1852. — Ce qu'est devenu Manãos. — La population de l'Etat, — Eléments qui la composent. — Brésiliens, Indiens et étrangers. — Une tentative des Pères de la Congrégation NSP SDTI te SR 7 RISE pass Cmapirre TI Vie domestique et sociale. — Préjugés européens. — Maisons. — Hospitalité ama- zonienne. — Meubles. — Vêtements. — Aliments. — Excitants — Mœurs et coutumes. — Assistance publique.......... AO SONT 0 ps Rufo ela 6 ai 0150 Cuarirre IV Moyens de subsistance. — Richesses ichtyologiques. — Un emplacement excep- tionnel. — Lois accordant des avantages aux compagnies de pécherie, — La pêche à la tortue. — La pêche sur les plages; loi à ce sujet, — Le beurre de tortue ; son exportation. — Le poisson-bœuf; son exportation sous forme de conserves. — Le pirarucü; quantités exportées. — Les pêches destructives. — Le cacao. — Le bétail. — Lois en faveur de l’agriculture. — La colonisation UNIRENTTSE MRC PET STE FO HO EVER EL CRS pa é a BR pe ERR ale anta TA! CHAPITRE V Moyens de subsistance : INpusrriE. — Comment elle se trouve en décadence. — Encouragements que lui donne le gouvernement local. — Les produits fores- tiers. — La fibre tucum. — Le piassava. — Le cumariú ou fève Tonka. — Le puxury, la girofle, la guarana, la salsepareille, le quinquina, Phuile de copahu, les noix du Brésil, le cèdre. — Une citation de Wallace......... d'a bee TO CHariTRe VI Moyens de subsistance : INDUSTRIE (suite). — L'arbre de vie et de mort. — Diverses espèces de caoutchouc. — La découverte du caoutchouc. — Ce qu'il est. — Comment on l'extrait. — La transformation sur place. — Le caoutchouc au point de vue scientitique. — Supériorité des espèces amazoniennes. — Les applications du caoutchouc. — La consommation. — Prix sur place et à Vétran- ger.— Les colonies européennes et 1e caoutchouc.— L'exploitation dans le pays. — Développement de la production. — Droits de sortie. — Districts produc- teurs. — L'exportation de l’Amazone, en caoutchouc, et l'exportation de tous les produits des pays limitrophes. — La production est dûe entièrement à des bras nationaux. — Exportation directe pour l'étranger. — Valeur officielle de cette exportation.— Exportation totale de Manáos. — Conséquences du dévelop- pement de l'exportation ............... concorre cor co cnsarcn nascar onerar os ssa ço LOL 416 TABLE DES MATIÈRES ” 2 CHAPITRE VII PAGES Commerce et navigation.— La navigation de l'Amazone avant 1853.— La “ Com- pagnie de navigation et commerce de l’Amazone ”. — The Amazon Steam Navigation Cº, Limited. — Bénéfices des deux compagnies. — Manãos et Pará. Lois protectrices adoptées par l'Amazone. — Commerce d'importation. — Com- merce d’exportation. — Navigation directe. — La ‘‘ Red Cross Line ”. — Com- merce de l'Amazone avec les Républiques limitrophes. — Lignes de navigation pour l’Europe, l’Amérique du Nord, l'Amérique du Sud, les ports brésiliens et l'intérieur de l'Etat. - Distances de Manäos aux derniere ports des rios Ama- zonas, Solimões, Maranhão, Negro, Juruá, Purús et Madeira................... 254 Cmarrrre VIII Arts, sciences, folk-lore.— La situation des indigènes à l’époque de la découverte. — Leur civilisation primitive. — Leur langue. — L'abaieenga et le Neengatt. — Poésie de leur langue. — Un chant indien inédit. — Une fable inédite. — Danses indiennes .......... DRE CCC cas apso CRE RS 261 Cmapirre IX Enseignement moderne. — Organisation générale de l'instruction publique au Brésil. — Ce qu'était l'instruction publique dans l’'Amazone il y a un demi- … siècle. — Ce qu’elle est devenue. — Crédits consacrés à l'instruction publique par le budget de l'Etat. — Ecoles primaires publiques. — Enseignement secon- daire. — Ecole normale. — Enseignement professionnel. — Muséum...... val 270 CHariTRE X “ Cultes et rites religieux. — Le sentiment religieux chez les Indiens.— Comment leurs croyances religieuses ont dû se produire. — Superstitions indiennes. — Une idole amazonienne. — Une trouvaille de M. de Castelnau. — Influence des Jésuites et des autres missionnaires sur les croyances RARES des abori- gènes. — Le Sairé. — Le catholicisme actuel....:..........°....#..... semese 288 TROISIÈME PARTIE L'ÉTRANGER ET SES RAPPORTS AVEC L'HABITANT > CHAPITRE PREMIFR Voyages d'exploration. — Pourquoi l’Europe doit s'intéresser aux choses de | PAmazone. — De la Condamine. — Alex. de Humboldt. — Von Spix et von Martius. — Ed. Peppig. — Alc. d'Orbigny et le comte de Castelnau.— Osculati, TABLE DES MATIÈRES 41 7 a Mawe, Smyth et Lowe. — Wallace et Bates. — Autres voyageurs anglais. — W. Chandless. — Les Etats-Unis et leurs explorations dans l’Amazone. — Français, Italiens et Allemands. — Une princesse royale dans l’Amazone. — La vallée du Madeira. — Louis Agassiz........... Re CHariTRE II Voyages d'exploration (suite). — Les Portugais et les Brésiliens dans "Amazone. — Christovam de Lisbôa et Laureano de la Cruz. — Les Pères Antonio Viciraet Jean-Philippe Bettendorf. — Goncalves da Fonseca, le pilote Nunes de Souza et l'évêque Miguel de Bulhões. — Noronha, Ribeiro de Sampaio, Braun et Lacerda- e-Almeida. — Les indiens à queue d'après Noronha. — Le naturaliste Rodrigues Ferreira. — Autres voyageurs nationaux. — Voyageurs étrangers contempo- rains. — L'abbé Durand. — L'Amazonie n'est-pas l'Afrique centrale Cmarrrre III Systèmes de peuplement. — Les premières tentatives. — Pourquoi elles devaient échouer. — Préjugés sur la possibilité du peuplement par des blancs. — Mise à profit des bras indigènes. — L'Indien comme médiateur plastiqu:. — Rôle des Indiens dans le passé. — Le Marquis de Pombal et les Indiens. — Le peuple- ment de la zone chaude.......... oc gro Tab iG Cmapirre IV Systèmes de peuplement (suite). — Mesures en faveur des immigrants. — L'émi- grant prolétaire. — Le petit propriétaire et le petit industriel. — L'émigration des capitaux. — Négociants étrangers. — Garanties accordées aux étrangers par 5 5 Sers p les lois du pays............. roi lc os or Hebdo CHAPITRE V Systèmes de peuplement (suite). — L'Indien servant d'appoint à la colonisation Y: peup ! PP européenne. — Tentatives faites en ce sens. — La classification des Indiens d’après le D' Von Martius. — Nouvelle classification des Indiens de l’Etat de o VAmazone. — Liste de 373 tribus....... Ê CHAPITRE VI La prospérité de l'Etat de l'Amazone. — En quoi elle consiste. — Tableau de ses recettes depuis 1852 jusqu’à 1898. — Mouvement du port de Manäos. — L'Etat de l'Amazone n’a aucune dette d'aucune sorte. — Sa situation financière comparée à celle des pays limitrophes. — Le milieu amazonien et l'immigration PAGES 348 tos C2 1 E a "+ à s Conclusion. — Peuplement rationnel de 1” gra nd Etat de PAvenir. — Un nouveau marché. — Pourquoi PF r u- côté de "Ama- zone. — Propagande pour préparer l'avenir de e. — Le Pays des Ama- zones en Europe. — Un Musée permanent en Europe. — Comment il devrait ÉTTÉ OrBANISÉ ee cena REDDIT tiennent E RTS nee SAS ere é FiN DE LA TABLE DES MATIÈRES 3" RE E: CERA « EA “sm : Er Eu LE = e 7. + Q TABLE DES ILLUSTRATIONS CONTENUES DANS CE VOLUME 1. — Panorama de Manaos, d'après une photographie de M. Fidanza ..... a 2. — Vue de Manãos, prise du haut du réservoir d'eaux, d'après une eae phie de MAFidanza 2e SI ee ES LPS Um een TDR Se 3. — Vue de Parintins, d'après une photographie de M. Fidanza.......... DDR 4. — Vue de Santo-Antonio (rio Madeira), d'après une photographie de M. A. ÉHGIAM Een ENDURO Go poda 0 Enr one Og Mao none á 5. — Rue et RR E a ain ea (rio Purús), d'après une photographie originale. 6. — Collines de Parintins, d'après une photographie originale....,............ 7. — Tatou, d'après une photographie originale....... Sos eee Snenee DESSE: 8. — Tamanoir, d’après une photographie originale..........,.................. 9. — Tortue de l’Amazone, d'après une photographie originale............ Jo S6 0 10. — Plantation de cannes à sucre, d’après une photographie originale.......... 11. — Cumarú, arbre qui produit les fèves Tonka, d'après une photographie ori- EEN soyo sho EEE been ados Food 20 PO O Vad CHOCO UE 12. — Grappe de fr DE du palmier bacäba, d'après une photographie RES 13. — Palmier Jauary, d'après une photographie originale................ Sec 14. — Andiroba ou Carapa, d'après une photographie originale................ a 15. — Calebassier, d'après une photographie originale............... SERIE 16. — Le colonel José Cardoso Ramalho junior, vice-gouverneur, en exercice, de l'Etat de l'Amazone, d’après une photographie originale................ 17. — L'ingénieur militaire Eduardo Ribeiro, ancien gouverneur de l'Amazone, et son œuvre, d'après une photographie de M. A. Rayol...... AOEIDODE do 18. — Les Halles centrales a Manäos, d’après une photographie originale........ 19. — Le Grand Théatre, a Manãos, d’après une photographie de M. Candido EM eat Dea nSSÃoo scardon Son Dança DSP sr 00006 0e oO co HO DB 20. — Magasin Ce dépot et Pont de bee de marchandises, à Manáãos, d'aprés uneiphotographie arigimale. ni. tes ete berne 21. — Le capitaine Raphael Machado et le lieutenant-colonel Candido Mariano, du bataillon de police de "Amazone, d'après une photographie originale. 22. — Une villa à Mandos (Chácara Eduardo es d’après une photographie de M. Fidanza.......... opcos canot D Dec o 25. — Infirmerie des hommes à la Santa Casa de Der icordia, d’après une pho- tographie originale........ TS occatoe doénécoar ee Ana tone SDS eos 24. — À la recherche d'œufs de tortues, d'après une photographie originale... 25. — La pêche au harpon, dans "Amazone, d'après une photographie originale. 26. — La péche à la flèche, dans l'Amazcne, d’après une photographie originale.. 27. — Ferme à bétail, sur le rio Purús, d'après une photographie originale..... 28. — Châtaignier du Brésil (Amazone), d’après une photºgraphie originale..... 29. — FRS ou d'un propriétaire de Seringal, d'après une photographie ori- Es Entente ROpd ADO SSoDuOga COUPE EL D = DP ACER ES ND tdo CAE . PAGES SB Vs [El VII] SJ vo o) SD « SJ 9 mma 28 tt O de — TABLE DES ILLUSTRATIONS - LA à » PAGES Carbet d'un ouvrier seringuziro, d'après une photographie originale. ....... 204 Panoplie d'un ouvrier seringueiro, d'après une photographie originale... 207 Ouvrier seringueiro à la recherche de fruits de palmier pour enfumer le caoutchouc, d'après une photographie originale.............. ......... 210 Ouvrier seringueiro en costume de travail, d'après une photographie origi- MALES je v ee Poe on en ne TUE. doses 280020 Sousse etes PRIE Ouvrier seringueiro marchant à travers le seringal, d’après une photogra- phie original. Soo nero E Dorsa de nie nro Mo dE aja BSS: 215 Ouvrier seringueiro saignant l'arbre à caoutchouc, d'après une photogra- phJesoriginalespo »- ere er FRE nn ae TS Ses soice docs SP UE Ouvriers seringneiros®recueillant le latex de l'arbre à caoutchouc, d’après une ee CIPA ES re are IO BE reed nee Re Ouvrier seringueiro revenant Je son travail dans la forêt, d'après une pho-, E A tographie originale....... TEARS JOANA ue RATE EO EEE rd RC ds LT Ouvriers seringueiros livrant le caoutchouc au patron, d'après une photo- BLAPHESONIS Indies er US Res ca O TR ORDRES. EN Embarcation de regatäo (colporteur), d'après une photographie originale. 236 Village de S. Luiz de Cassianan, d'après une photographie originale... 249 Village de B6a- Vista, d'après une photographie originale................. 253 Usine d'eau-de-vie de canne à sucre, à Sepatiny, d'après une photographie QUIBIRALE A 2:07 26 So era afim en ES AS CRI O A E oo 21 256 Pagaies indiennes, d'après une photographie originale.............. Maes Do, Edifice scolaire, à Manãos, d'après une photographie originale............ 282 Institut Benjamin Constant, à Manãos, d’après une photographie de la EFA Eee See ee TETO nets 56400208 dues «ses 26 Chef des Indiens Catauixis, d’après une photographie originale.......... 1050 Jeune Indien Caxarary, d’après une photographie originale..... PER CO o. CTT Chef des Indiens Jamamadys, d'après une photographie originale......... 371 Indien Macuchi, d'aprês une photographie de M. Fidanza......... re 37 Groupe d'enfants de la tribu des Pamarys, d’après une photographie origi- nale.sGtis ES Das ec per ue Bo que a soda ESC SI queda va SORA Avenue Eduardo Ribeiro, à Manäos, d'aprês une photographie de M. Fidanza. 3a CARTE Carte de l'Etat de l'Amazone FIN DE LA TABLE DES ILLUSTRATIONS Imprimerie de l'Institut de Bibliographie. — Juillet 99. — (Ancienne Maison Monnoyer). ra le = ETAGE LIBRA PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY F Santa-Anna Nery, Frederico 2546 José de 521 Le pays des Amazones et de