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OMISSIONS
I. — KEEPSAKES ET AUTRES RECUEILS SIMILAIRES DE PROSE ET DE VERS
i8/|/i. Les I Anges de la Terre \ personnifiés \ par leurs vertus et leurs belles actions, \ publiés et illus- tres I avec le concours de plusieurs yens de lettres et artistes distingués, \par A. E. de .Saintes (i). | Vi- gnette I Paris, Désiré Eymerj, i5, quai Voltaire 1
Faux titre, frontispice, titre imprimé ci-dessus, pp v à XVI pour 1 Introduction sig. Marquis de Fondras et datée de Pans, if, août i8/,3, et les Apparitions des Anncs de la terre, sig. Juha Michel. — 261 pp. chifT.
Ce recueil contient 2(j pièces (.lolices biographiques et autres morceaux de prose) qui sont de :
* ^';^\t,^avignac (M-), 2. _ Berton (J.-M.). _ Jjer- ton (P.-M.). _ Delattre (CI..). _ Des Essarts (Alfred), 2. - Des Essarts (Anna). - Desportes (Aug.), 2. _ Duro- zoir(UK) 2, — Fondras (marquis de), 2. - Fouinet (Ernest), /,. Lehassu d'IIelf (M-), 2. - Marcel (M-
Ennhe) M.chel (Julia), 2, y compris VAppariiion. -
M.dj (M-). _ Samtes (A. E. de), 2 dont ine sig. M- la vicomtesse Eugénie de Talabot.
(i) Le libraire Désiré Eymery.
Vffl/JL . L-ilA^^-i^y^^^ • >s'-^'
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University of Ottawa
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LES
ANGES DE LA TERRE.
OiiviMifteM nouveaux.
•LKS ANOtS m. I.A IKRRK 11 IISO.N MHKS PM\ I.KUIIS VKRIUS KT l.KUKS UKl.LES ACTIONS, Ull bcail Vol. grainl
iii-8-. sur j.'siis voliii, oiiio .lo i\ matîiiili.nu-s lillmgrai.liios à .li-iix l.-iiiU-s «l de 60 superbes Rriviiie» sur bois dans le lexle, <|iii esl oiilioreinenl (;laii> et saline, el est dû aux presses de M'"» V» Uondey-Uuiné. Prix,
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« Ainsi que dans un miroir qui rcHèle tous les Irails du visagts les enfants verront dans notre livre se relléler leurs bonnes Cl mauvaises <iualltés : chacun d'eux pourra y puiser des leçons el des exemples ipii l'aideront à devenir aimable el bon, et le prépareront aux vertus qui seules ■ assurent le bonheur. » Prix du volume grand in-8", Jésus, ligures coloriées, demi-reliure chagrin ou vi au, doré sur tran- ches, dans un étui • • ; 3'.i li .
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aeiic Dondpy-Diipre. rut- Saini Louis. 46. an Ma
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LitJi.Becquet.
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LITH. BECgi'ET
'elle idée de faire aimer aux hommes la vertu en leur peignant les nobles et pieuses existences do ceux qui les ont précédés dans la vie, n-esl pas [nouvelle; mais comme elle est toujours féconde dans son utilité on doit louer et encourager chaque nouvelle tentative^ ^qu'elle inspire. Ajoutons que jamais il ne fut plus nécessaire de produire de bons ouvrages, puisque jamais société ne sentit aussi impérieusement que la nôtre le besoin de instruction, ou, à défaut de celle-ci, tout ce qui s'en rapproche lé plus. Les hommes de bien savent aujourd'hui, comme les ecri- , 0 vains dont les intentions, sont coupables, que dans ce temps-çi
tout le monde lit ou veut lire , et ils ont compris que s'ils ne contribuaient pas à la satisfaction de ce désir, ils le laisseraient exploiter par ceux qm croient qu'il est plus nécessaire d'amuser l'espèce huinaine que de la moraliser; ils se sont dit qu'en ne préparant pas une nourriture saine à l'intelligence des peuples, ils favoriseraient ses goûts dépravés, et qu'ils se feraient ainsi es complices de ces vendeurs de poisons- dont toute la science consiste a tlatter ces passions mauvaises qui vivent ou germent au fond de tous les cœurs. Le là le merveilleux essor qu'a pris depuis quelques années la littérature morale et religieuse, essor qiii a produit tant d'œuvres utiles, et que n'a pu découra- ger la longue indifférence d'un public perverti par le dévergondage des écrits qui ont paru pendant les temps de désordre qui ont suivi les événements de 1830. Honneur à ceiix qui ont osé rentrer les premiers dans cette noble voie ! honneur aussi à ceux qui ont eu le courage de les y suivre lorsque Je succès et surtout le profit semblaient être pour leurs adversaires si longtemps triomphants!
Parmi les hommes dont le zèle a été fructueux et persévérant, nous citerons léditeur des Juges de la terre, et nous croirons accomplir un acte.de justice; en appelant la bienveillance des chefs de famille sur cette nouvelle publication d'un nonie et courageux vieillard , dont U longue carrière a été toute consa-
ri»'«'.i la |iro|)a>i.ili<iii tics r<iiis(tlaiilcs vcriU-s religieuses cl des saiiies»l(M h nus li liera ir(>s. Nous ne rappellerons pas ici Ions s<>s lilres ;i la reconnaissance du
• pnhiic, parc»' qu'ils sonl snl'lisaninieni connus; mais nous denianderoiis de I enconrafrer assoz i^xtur «iM'il puisse persext-rer i ncore dans la voie niilr ipiil a suivie jusqnà ce Jour.
Les, /»//<•.>• de la tt-rre ne sont pas seulement un d(! ces ouvraj,'es réc(Uids en hons.resullaLs par les exemiiles (ju'ils ronrormenl et les leçons (pi'ils donnent ; mais on |teut les considi'rer encore comnu' un inonunienl ('levé aux ;;loir^s de la France , et par coiiseipient, comme un hommage oUerl à la pairie. Sur près de Irenle ltiogra|ilnes (pie ce premier volume renferme, plus de vingt apparlieniienl à noire liisloire de tous les temps, et racontent des vertus dont notre pays a le droit de s'enorgueillir. La jeune et la vieille nionarciiie , la cour et les camps, Teglise et la magistrature, le cloître et le monde, les deu.x se.xes et tous les rangs : la vertu ipii se dévoue, la science <pii ('claire, hi charité (jni (Mnsole, la gloire (jui inspire, les nobles ambitions, rien na été omis dans (vs jiages, où chaque classe, cluKiue état, diàque position peut trouver des lumières et des en(xiuragemenls. Les rois y liront la vie de Charleniagne et de saint Louis; les mères, celle de Blanche de Castille et de madame de Siévi- • gné; les prêtres, saint Vincent de Pau| et Fénélon: les magistrats. THospital et Malesherbes; les guerriers. Câlinai et la Tour d'Auvergne ; les philanthropes, labbé de PEpée, Montyon et la Rocheloucault-Lfancourt ; les enfants, Jean- Baptiste de la Salh', qui. enfant encore, voulut.se consacrera la vie religieuse, et devint plus tard le fondati'ur des frères des écoles chrétiennes.
Kl tout cela. est raconte avec simplicité, avec vérité, avec clarté. A chaque biographie on a joint des gravures qui représentent le personnage' qu'elle fait
'connaître et quelques-unes des actions de la vie qu'elle ofl're en exemple : heureu.se combinai.son qui commence par attirer les regards, et qui finit par remuer les cœurs en attendant quelle les dispo.sé à limitation.
Nous souhaitons vivement, et nous espérons que cette opinion sera parta- gée par les lecteurs des ylnge^ de fa terre, que laccueil qui sera fait à ce premier volume encourage l'éditeur -à en publier un second. Certes, il sera loin encore de suffire à toutes les pieuses ou belles renommées qui peuvent prétendre à y trouver une place ; mais il permettra du moins de réparer de-s émissions dont quelques-unes sont d'autant plus marquantes, qu'elles frap- pent sur des contemporains. Quand des exemples de vertus sont récents, il .semble qu'il soit plus facile de les imiter, et quand un nom vit encore, dans tous les cœurs, la faveur qui l'environne est un encouragement de plus à en mériter une semblable. L'abbé Legris-Duval , monseigneur de Cheverus, ar- chevêque de Bordeaux, le duc Matthieu de Montmorency, le vicomte de la Ferronays, nous paraissent dans des conditions qui les rendent dignes d'une place dans le livre des Anges de la (erre. Nous pensons aussi que la noble impartialité qui a présidé jusqu'à ce moment aux choix qu'on a faits , s'ho- norerait encore en rappelant le nom d'une jeune prince.sse qui, morte à vingt-cinq ans, a cependant assez vécu pour doter la France d'un chef-d'œuvre. ' En attendant que notre v(ïu se r(?alise, nous croyons en interpréter un au- tre en invoquant ici une mémoire qui deviendra pour le livre dont nous parlons un de ces patronages qui sont déjà une assurance de succès ; mémoire respectée et chérie que l'oubli n'atteindra jamais, parce que le souvenir en est gardé dans les cœurs les plus purs et dans les esprits les plus élevés de notre temps et de notre pays.
— VIJ —
Au mois (k'(icceiiil)r(j(Ji'rriit'r, l;i uiorta enicvx', a un ûge peu avauct; en- core, un des lioninit's )es [tlus ix-niarquables du loyaurno parscs vertus et ses lalrnts. Los Journaux de cette époque, à quelque nuaneô d'opinion (pi'ils ap- partiennent, ont payé un Juste tribut d^-loges et de regrets à cet homme, qui avail pour amjs, après les avoir eus pour élèves, les personnages les plus distingués de France par leurs lumières,' leur piiîté et leur position sociale. Pendant vingt ans il a dirigé une de ces maisons d'éducation dont Pexistence est la sécurité des pères de famille, et quand il en quitta la conduite pour se consacrer aux devoii-s du sacerdoce en acceptant Tadministration d'une pa- roisse , il devint la consolation des pauvres , comme il avait été le guide (;l l'espoir des riches. De 1805 à 1824, i)lus de quatre mille jeunes-gens, apparte- nant aux classes les plus marquantes et les plus utiles de la société, durent les bienfaits d'une é^lucation à la fois libérale et chrétienne aux lumières .et au zèle de cet homme, chez lequel tous les talents se joignaient à toutes les vertus, .laniais existence ne fut entourée de plus d'affection et déplus de respect; jamais mort nexcita plus de regrets sincères et légitimes; jamais souvenir ne sera plus fidèlement et 'plus pieusement gardé. Tous nos lecteurs ont déjà nommé M. l'abbé Liautard.
Les bornes de cette introduction ne nous permettent pas de nous étendre autant que nous le voudrions sur toutes les circonstances de cette vie si noble- ment utile; nous nous bornerons donc à en esquisser quelques traits, con- vaincus que la reconnaissance en a gravé l'ensemble dans tous les cœurs.
L'abbé Liautard est né à Paris en 1774 , et passa ses premières années au château de Versailles. De là il fut envqyé au collège de Lisieux, et plus tard dans la célèbre maison de Sainte-Barbe, où il acheva son éducation. Elle était à peine terminée , que la révolution de 1789 éclata , et que le jeune Liautard . enveloppé dans la gigantesque réquisition de 93. fut incorporé dans un régi- ment de dragons qui avait pour colonel le jeune duc de Chartres, aujourd'hui roi des Français. Il y resta peu de .temps , ayant été admis sur sa demande à faire partie du -noyau de jeunes gens qui commença la fondation de l'école Polytechnique. Il en fut un des élèves les plus distingués, et il n"en sortit que lorsqu'on voulut exiger de lui un serment qui répugnait à sa conscience. L'ordre se rétablissait en France, et M. Liautard, qui n'a vait Jamais abandonné k' projet formé dans sa jeunesse de se consacrera l'éducation, entra au sé- minaire de Saint-Sulpice, où il eut pour condisciples et pour amis MM. de Quélen et Feutrier. Désigné avec eox pour organiser dans la paroisse ces ca- téchismes célèbres qui sont devenus les modèles de l'enseignement religieux, ce fut lui qui en fit les règlements encore en vigueur aujourd'hui , se prépa- rant ainsi à la tâche qu'il devait accomplir plus tard avec tant de persévérance et d'éclat. En 1804 , n'ayant encore que trente ans , il fonda la' célèbre maison d'éducation de la rue Notre-Dame des Cham[)s,' devenue plus tard le collège Stanislas.
C'est là que .M. Liautard passa vingt années, entouré d'enfants qui le ché- rissaient, comblé des bénédictions des familles qui lui avaient confié leur avenir, respecté de ceux mèmeqiu n'avaient aucun rapport avec lui, et heu- reux par les témoignages de sa conscience. Plus d'une tVjis l'Université l'irr- quiéta; mais sa fermeté, sa douceur, ses mesures habiles, le firent triompher des petites persécutions qu'on <lirigea contre lui. L empereur Napoléon , qui comprenait futilitt' (le semblables hommes, le défendit souvent contre ceux de ses conseillers (pii voulaient le forcera fermer sa maison, et après la Res-
I',sl-il encore iiii lils iiiiKHie tldiil ils aieiil (letoiiriie le ghiive lin nèi'e |>rèl ;i IV.ipper ?
Savez-voiis un pasienr ijui, rciiconlraMl l'un (r<'U\ dans la \ allée, ail lullé avec lui du soir jnscpi au malin eorniiK.' Jacoh?
hieu n'a-l-il donc point relire au ciel cell<> éclielle éelalnnle «pie ses léiïions danses dcsecMidaionl et roinonlaienl dans les songes d'Israël? Mais aujourd lini (pi Israël n'esl plus l'Iiérilier do ses promesses, aujourd luii (|u'il erre, éternel vagabond, por- tant au Iront le signe réprobateur, aujourd'bui (pi'il n'entend plus d'autre voix que eelle(iui poursuivit (laïn, disant: « Qu'as-tu l'ait de ton i'rère:^ (pias-tu lait dé ton Christ?» aujourd'hui, si les anges passent encore dans le monde, quel est-il donc celui qu'ils visitent dans la veille el dans les songes, qu'ils sauvent et qu'ils éprouvent? où est-il le jeune Tobie dont ils se font le guide? où sont les jeunes hommes qu'ils gardent dans la fournaise, la salle de Balthazar où leur main écrit encore la sentence des rois et des empires?
Oui, les anges vont toujours parmi les hommes, et l'hôte qu'ils cherchent, le voyageur qu'ils combattent, le juste (ju'ils sauvent, le dormeur dont ils visitent les rêves, ce n'est plus Israël, le pas- teur de Laban, le fiancé de Rachel ; ce peuple d'Israël déposi- taire jaloux des lois du Dieu jaloux, ce n'est plus à lui seulement que vont les anges envoyés, c'est à l'humanité toute entière. Voilà le fds unique et bien aimé que le Père éternel leur donne à guider dans le pèlerinage. Les cœurs purs, voilà ceux qu'ils gar- dent dans la fournaise ardente ; le monde, voilà la salle immense dont ils couvrent les parois de caractères mystérieux; et chaque époque a son Daniel qui vient en commenter le sens à la face des rois et des peuples mêmes qu'ils menacent.
Mais ces anges où sont-ils? qui les a vus? Quels yeux ont été éblouis de leurs auréoles d'or? qui les vit rouvrir leurs grandes ailes trempées des nuances de l'aube? qui a respiré les parfums de leur présence, retenu le son divin de leurs paroles? Personne, car en vérité les anges envoyés parmi nous n'ont plus d'au- réole, plus d'ailes d'opale ; les vertus el le génie seuls trahissent
leur iialurc divine, el non ces lueurs, ces piirl'uuis qui lessij^'ua- laient aux fils de l'ancienne loi. (les an^cs sont des hommes parmi des hommes, de ceux (jue l'hisloire appelle; s(;s f/za/u/.v hommes, d(; ceux que Dieu envoie; libéralement à chaque heure de péril afin d'en délivrer le inonde.
Et ceci depuis un soir où les bergers de Bethléhem, fluides par une troupe nombreuse de l'armée céleste, allèrent et trou- vèrent Marie avec Joseph et renl'ant couché dans la crèche.
Et les anges s'étaient retirés dans le ciel et désormais ils m; devaient plus reparaître ainsi dans le monde.
Désormais venus au nom de ce Dieu enfant couché dans retable, du Dieu fait homme, ils devaient comme lui revêtir un corps mortel ; ils devaient dépouiller leur beauté subtile et splendide, comme lui sa divinité ; comme il avait souflert, ils devaient souffrir ; ils devaient comme lui prendre sur eux tous les maux, toutes les misères d'une époque, expier pour elle, la racheter toute entière, la jeter dans une voie nouvelle. Rien ne manquerait à leur passion, ni la croix, ni l'insulte, ni le sceptre de roseau, ni le diadème d'épines, ni la résurrection glorieuse; plus d'un aurait son cénacle où, lui disparu, il enverrait son esprit. Hommes de génie, savants ou simples, rois, moines, mendiants, poètes, voyageurs, artistes, toujours envoyés d'en haut, ils porteraient leur message tout une vie; ils seraient sur la grande route de l'humanité dominée par la grande croix du Christ, autant de pierres milliaires qui, sans les égarer jamais, conduiraient les hommes au but suprême, à l'avènement nouveau du fds de l'homme, à l'ère d'amour promise à la fin des temps. Tour à tour anges de paix ou de guerre, ils entreraient dans la vie avec la force et le génie de l'homme , puis avec le dévoue- ment et la faiblesse de la femme. Une fois ils changeraient la face du monde par la parole ou par l'épée ; ils creuseraient si pro- fondément leurs pas dans la voie des siècles, que rien n'en effa- cerait plus la trace; une autre fois, apparitions fugitives, ils édi- fieraient comme les fées, ils sculpteraient de leurs mains, ils animeraient de leurs souffles les magiques cathédrales du
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iiiovcii i^iic; |>iiis, I (l'iiM'f ;i(((MM|tlir. ils (lis|)ar<iîlr<ii('iil sans laisser leur iioiii à ces |»iriT('s viNaiilcs. ((iiiniu' la ilciii' sCfTacc sur le IVnil au cunlacl du solt'il. nmiinr.lc grain se délaciic de la jt'um' piaille (|n il a |)()rltM' dans son sriii dès qu'elle s'est élan- cer du sol. Porleiirs d'im art nouveau, d'un»! parole nouvelle, d'une liberté disj^ariie, dini ardeiil amour, d'une loi vivifiante, ils se lèveraient tour à tour à ra|)pel des Ages, trouvant sous l(MM- main le sceptre ou le hàton, le ciseau ou la boussole, la plume ou bepée, le voiltMJes vierges ou le bandeau des reines, l'armure des preux ou le l'rac des pèlerins, et i» plus d'un comme au Christ il serait donné de dire au monde en le quittant : « Oui de vous m'accusera de péchés? »
Or, ce passage des anges dans le inonde, le rôle actif qu'ils ont joué sur la scène humaine depuis la rédemption univer- selle du Christ, voilà ce dont ce livre s'est préoccupé, voilà le sentiment dont il s'est rendu compte en offrant sous le nom des Anges de la terrr l'histoire des bienfaiteurs de l'humanité.
A quelques pas du berceau de l'Église, il s'est ouvert comme un libre carrefour, où par tous les chemins, à mesure que l'heure sonnait pour eux dans l'histoire, ces anges lui sont ar- rivés avec le signe de leur mission, la gloire et les maux de leur vie, tout, jusqu'à l'imperfection légère qu'ils ont contractée sous l'enveloppe humaine; ils y sont arrivés, mais non pas tous. Ouel livre eût pu les rassembler, ces manifestations vi- vantes des bontés quotidiennes du Père universel ? ne se produi- sent-elles pas à la fois sous tous les aspects, dans tous les rangs, par tous les lieux, au nom des missions les plus humbles, les plus cachées souvent, et toujours avec une profusion si magni- fique? Y prétendre seulement, c'eut été creuser un trou dans le sable afin d'y faire entrer la mer, comme le voulait cet enfant dont parle saint Augustin. Ce livre a mieux compris la possibi- lité de sa tâche. Il se doit de l'expliquer à ceux que pourrait étonner l'absence de quelque grande figure historique. Ne pouvant enserrer dans son cadre toutes les nobles et saintes vies qu'il entrevoit et laisse entrevoir, sous ce nom des Anges
de la terri' il a voulu du moins (jii'un de ces auges y viril liguicr pour plusieurs, pour toute uue classe, une hiérarchie de scui- hlables, &(f\\\. il l'iU la plus grande et en même temps la plus fidèle expression.
A-t-il réussi? interrogez tous ceux qu'il appelle et groupe à mesure sous vos yeux, voyez si tous ne vous répondent pas au nom de plusieurs.
C'est d'abord une jeune fille, une reine, toujours un ange moins les ailes. Ses yeux, ses mains, sont levés vers le ciel. Voilà toute sa mission. Elle a été une prière, mais cette prière a fait de la Gaule idolâtre une France chrétienne; ces mains levées au ciel comme celles de Moïse ont appelé la victoire aux rangs des siens, la foi chrétienne au cœur de son époux. C'est Clotilde, et Clotilde vous dit : (( .le suis venue la première; mais il est venu après moi bien des pieuses reines, bien des prières couronnées, d'autres Marie qui, se choisissant la bonne part aux pieds du Sauveur, ont combattu par la prière, quand les rois combattaient par l'épée. Que mon nom vous rappelle les leurs afin de les bénir. »
A côté de Clotilde, ce géant qui s'avance sous sa lourde ar- mure, un globe d'or à la main, que dit-il : (( S'il est des anges de prière, il est aussi des anges d'action, des anges armés du glaive; quand il se rencontre une œuvre impossible dans le monde, ils viennent l'accomplir ; comme le génie du conte arabe, ils peuvent édifier en une nuit des empires ; en un jour, ils changent la face du monde. Mon nom vous dira si je l'ai fait, mon nom est Charlemagne; mes pareils se comptent dans l'his- toire ; Dieu ne prodigue pas les Charlemagne. »
A cela que répondra cette reine imposante? « Oui, Dieu ne les prodigue pas ; Dieu les donne seulement aux grandes phases de l'humanité ; mais il est des anges, de vrais anges gardiens, qu'il envoie au berceau de chaque homme, et chacun de ces anges peut en faire un ange à son image, c'est la mère; moi, Blanche de Castille, je l'ai dit et le prouve : voilà saint Louis. >^
Et cette jeune Elisabeth de Hongrie, elle vous montre les
roses (lu iniiMcIr «iii flic porlc toujours plus IVaiclics dans iiii |>iui (le >a limicpH'. « J'ai moins de roses dans ma robe, (iil-elle, (|ue la tiiariléna dans ses annales des (wurs tout «t elle. Plus d'une lois les pains se sont ('hanu;és en roses pour sauver un bienl'ail du l)l;\me ou de l'éloge. Si le roi Louis ne m'eût pas vue dans la cour du palais, sans doute une autre que moi vous eiU rappelé (pie la cliarile a des anges el des miracles. »
Et ce piUe voyageur, dont le doigl prophéti(|ue Fnonlre inva- riabletnent un point dans l'espace, lui (fui semble n'avoir gardé (pi'uu mot sur les l(>vres: « El ils naviguèrent à Touest, (jui était leur (benun, » au nom de (jui vous parle-t-il? Au nom do tous ceux (]ui ont enrichi l'indigence du monde, et n'ont eu pour sa- laire (ju'ingratitude, mépris et douleurs: à tous ceux qui dans la science ont découvert par les lumières de la foi, comme lui Colomb, quelque monde nouveau qui n'a pas même porté leur nom.
l/apôtre du Pérou, Las Casas, vient après Colomb, mais c'est pour vous nommer François Xavier, le père Charlevoix, et toute cette ;n*mée de missionnaires sublimes, qui, dans le vieil Orient, comme dans la jeune Améri(iue, ont affronté toutes les morts, tous les martyres, afin de léguer à ces peuples inconnus le pain et la parole de vie.
Un archer suit l'apôtre. Deux flèches manquent à son car- quois, son nom vous dira ce qu'il en fit ; il vous dira aussi qu'aux patries en péril Dieu l'envoya plus d'une fois. A cha- que tyrannie, à chaque liberté menacée, il a donné, pour perdre l'un, pour sauver l'autre, un Guillaume Tell.
Aux époques de fanatisme il a donné aussi quelques hommes dont la ferme tolérance sut calmer les passions et ramener la foi dans les bornes effacées. Ce chancelier de l'Hôpital, avec sa grande figure calme et sévère, vous le verrez passer partout où les guerres religieuses auront leur ligue et leur Saint-Barthélémy .
Mais le verrez-vous souvent, ce moine furtif qui se dérobe emportant dans ses bras deux enfants exposés par leur mère? Ce nom, c'est le soulagement de tous, et non la mémoire de
plusieurs, qui se personnifie en lui. L iiistoire peul avoir plu- sieurs Charlemugne; la rh;»rilé n'a pas eu deux \ineenl de Paul.
Et ce Jean-Baptiste de la Salle encore enfant, fils de magis- tral, destiné comme son père à juger les hommes, qui se dé- voua à la continuation de l'œuvre de Vincent de Paul en insti- tuant les écoles chrétiennes.
Ce vieux guerrier qui ne rêve plus à ses campagnes sous son chêne favori, mais seulement au bien qu'il peut faire, à celui qu'il n'a pas fait, s'entoure au contraire d'ombres saintes et vé- nérées qui furent ses modèles, et qu'il imite le dernier, Catinat. C'est aussi Godefroi de Bouillon, c'est Bayard, c'est Turenne, ce sont tous ces héros qui sont restés des saints, des anges au sein même des batailles, dans le tumulte des camps.
Et ce nouveau Bayard sans peur et sans reproche, ce la Tour d'Auvergne, qui, après avoir commandé aux autres, et refusé les grades élevés de l'armée, part comme simple soldat, pour remplacer un fils qu'il rend à son père qui n'a d'autre soutien que lui .
Des anges, il en fut aussi à qui il appartenait d'être exem- plaires jusque dans leurs fautes, tant ils savaient les réparer ; Fénélon vous parle pour tous.
Il en fut aussi qui se mêlèrent au monde, et qui, sous son masque aimable et frivole, parlèrent et firent aimer les vertus les plus solides; la présence de madame de Sévigné témoigne pour eux.
D'autres se mêlèrent aux sociétés les plus corrompues, les plus impies ; leurs mains levées au ciel en détournèrent les châtiments : Marie Leczinska, le grand Dauphin; ils ont eu des pareils partout où une cour de Louis XV n'a pas été frappée dans ses folies.
L'abbé de l'Épée a fait parler les muets ; mais il nous rap- pelle tous ceux à qui il fut donné de rendre la vue aux aveugles, de dire aux paralytiques : « Levez-vous ; » à ceux qu'on croyait morts : « Bevenez à la vie. >'
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M. (lo l^lalcslicrlu's vous dit : < J'ai console, j'ai dôlcndu lo roi niartvr ; mais pas un juste, pas un coupahlon a niancpié à sa dornii'ro licurc d'un dôCensour, d'un consolateur conunr moi. Les martyrs de TK^liso n'ont pas étô les seuls (pii aient passé leur (l(>rnière veille en compagnie des anges. >«
>ladanie Kiisahetli avec sa candeur louchante ajoute : « I) au- tres (jue moi lurent heureuses d'expier par la mort des crimes qui n'étaient pas les leurs; pourquoi m'appeliez-vous, et non la reine ma sonir? »
Mais M. de Montyon, qui pouvait nneu\ porter dans sa uié- moire le souvenir de ces anges qui s'attachent aux dernières misères de nos sociétés, de ces dévouements qui s'ignorent eux- mêmes, se produisent dans nos rangs les plus obscurs, sinon lui, qui, les signalant à l'admiration, à l'émulation du monde, les récompense encore par delà le tombeau ?
Enfln, au dernier plan de cette assemblée angélique, ces trois Persans, venusen Europe pour racheter leur patrie de l'esclavage; ces bons frères du mont Carmel, rebâtissant pour les voya- geurs leur couvent ruiné, ne vous disent-ils pas, les premiers, que Dieu envoie ses anges à tous les lieux ; les seconds, qu'il les donne à tous les temps?
En fermant ce livre, ne désespérez donc plus des nôtres. Rappelons-nous la veille des bergers dans le champ de Beth- léhem. Nos temps semblent bien destitués de prodiges. Il semble que les anges n'apparaissent plus parmi nous. Mais qui sait si Dieu ne les envoie pas à cette heure même à ceux qui désespé- raient le plus? Qui sait si bientôt, si demain, si aujourd'hui même, il ne sera pas dit au monde attristé : « Réjouissez-vous, voici qu'un Sauveur vous est né ! »
' JuLiA Michel.
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Lia. Paul Petit et C'f 3, Place du Doyenné, Paris
mm CLOTILIIE.
À l'est des Gaules, entre j/*^' le Rhône et les 41pes, exis-
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tait encore, vers le milieu
du cinquième siècle, le royaume des Bourgui- gnons ou Burgondes. Cette ^ nation, venue du centre de la Germanie, ainsi que les Vandales et les Francs, n'avait pas déserté sa pa- Jhl trie pour répandre , de même que les autres peu- plades barbares, la dévas- tation sur son passage; ^É elle avait jadis descendu pacifiquement les rives du Rhin, et l'empereur Yalentinien, considérant les Burgondes comme des auxiliaires plutôt que
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(•(miinr des ((tiKiiinitiils. sCliiil cmitrc^st' «le Inir .iccordcr «les Icrrcs (liiiis lii (icrmiiiiic siiprrifiirc. De l;i ils ('Iciulin'iil leurs possessioirs )iis(|ir;ui sein des (iaiilcs.
(îoiulioi'lic. l'un lies dcrniin-s rois de ('('tic populaliou j»n'S(|Uf' sauvage, a\ail laissé eu uiouraut son royaume à ses lils, (ion- dt'haud, (ioiidcsile, ('.liilpérie cl (londcinar. Les (juatre frères ne lardèreiil pas îi se disputer l'Iiérilage paternel ; niéeonnais- sant h» voix de la n;iture, ils eonil)attirent donc deux contre deux avec autant (racliarneinent qu<' s'ils eussent toujours été ennemis, (lliilpéric et (londemar triomphaient enfin, lorsque (iondebiiud. les attaquant de nouveau, remporta sur eux une complote victoire. Gondemar, réfugié dans une tour incendiée, périt au milieu des flammes, les armes à la main; Chilpéric et ses fds furent massacrés; sa femme trouva la mort au fond du Rhône. Mais le meurtrier , hésitant à commettre un crime nuitile, épargna les filles de son malheureux frère et les fit^ même élever à sa cour ; car il ne craignait ni Chrona ni Clo- tilde : pourtant ces douces créatures, si timides, si inoffensives en apparence, étaient redoutables, parce qu'elles tenaient leur force du vrai Dieu.
Il serait difficile d'expliquer comment les intéressantes or- phelines étaient devenues chrétiennes au sein d'une cour ido- lâtre. Elles devaient leur conversion à un de ces miracles que Dieu n'opère jamais sans dessein. Chrona ne tarda pas à pren- dre le voile; Clotilde, la mère des affligés, la bienfaitrice des ma- lades de corps et d'esprit, se disposait à suivre l'exemple de sa vertueuse sœur, quand un événement inattendu ébranla sou- dain sa résolution et • lui laissa entrevoir un but moins rap- proché, mais plus sublime encore '.
<( Un dimanche après la messe, Clotilde, s'avançant, suivant l'usage, sur le porche de l'église, était occupée. de distribuer ses aumônes aux pauvres assemblés. Là se pressaient les Ro-
' Nous empruntons le passage suivant à M. de Salvandy. H serait diflicile de ra- conter mieux que cet écrivain éloquent et consciencieux le trait le plus poétique de riiistoire de sainte Clotilde.
mains dépouillés malgré la loi (lonihelU', ceux (jiii élai(;iil ruinés par les exacleurs, œux (jui arrivaient lugilils des pays dévastés par les Francs, femmes, vieillards, enfants, (juc la réputation lointaine de la bienfaisance de Clotilde appelait d(! toutes les contrées aux lieux où elle ép«uich;ut ses dons. Ce jour-là, un jeune llomain, qui conservait un air d'opulence sous ses habits indigents, l'avait frappée par la blancheur de ses mains, par le parfum de sa chevelure, et plus encore par le soin qu'il avait mis à écarter le voile dont elle était enveloppée pour la contem- pler fixement, pendant qu'agenouillé devant elle il tendait la main à son as d'argent. Surprise, elle le fit appeler, lui de- manda les motifs de son déguisement et de sa hardiesse.
)i Illustrissime Clotilde, avait-il répondu, je suis Aurélien, fils du sénateur Aurélien, d'une .famille consulaire. Le roi Clovis a eu en grâce ma famille et moi. Il nous a pris pour les inter- prètes de sa clémence auprès des Romains de ma province ; depuis, il m'a honoré du titre de son convive, m'a élevé au rang de ses antrustions, et dans ce moment j'accomplis une mission qui est le plus haut et le plus magnifique témoignage de sa confiance- subUme. Aurélien, fils d' Aurélien, sénateur clarissime, m'a-t-il dit, j'ai résolu de faire asseoir sur mon char à mes côtés une princesse de la même religion que ton peuple, qu'on dit belle entre toutes les filles des Gaules. On m'assure que nulle beauté aussi éclatante ne brilla jamais dans le rang suprême. Va, parviens à la voir, à l'insu de son oncle Gonde- baud; et si on ne m'a pas trompé, si tu la trouves digne des louanges qu'en faille monde, voilà mon anneau : qu'elle soit à moi.. . 0 princesse ! ajouta Aurélien, mon attente est dépassée ! »
Et comme il disait ces mots, il s'était emparé de la main de Clotilde et avait passé à son doigt l'anneau royal ; puis, se le- vant, il voulut aller prendre la besace de mendiant où il tenait cachés les présents nuptiaux de son maître; il ne la trouva point d'abord, elle avait disparu. Clotilde la fit rechercher, la lui fit rendre, et lui dit de garder ses dons : un idolâtre ne pouvait être son époiix; et comme elle ne réussit point à lui faire re-
— k -
prciKlrc 1 imiKMii dr Icr, ciiilKiri'iissn' de cr (Irpùl (Hraiige, elle alla le [lorlcr dans le trésor de (ioiidcbaiid.
(r|veiidaiil les ainliassadenrs de r.lovis panireiil devant (iundehaiid. Viirelieii était du nombre; les autres étaient des Franes illustres, ehels |)t)ur la plupai-t célèbres dans les expé- ditions de r.lodion et de (".bilperie.
Ils déclarèreni ipie le roi des iTanes, Clovis Merwing, lils du dieu Teutalès. grand, puissant, illustrissime, envoyait cbercber son épous(^ Clotilde, cpii avait reeu sa foi et lui avait engagé la sienne, selon l'usage des barbares, en acceptant son anneau ; si lui, roi des- Bourguignons, mettait obstacle à ce qu'elle se rendit auprès de son époux et de son seigneur, la colère du vainqueur de Soissons et de ses Francs* tomberait sur sa tête comme la bang terrible et la briserait.
Qui dira la surprise et. la colère de Gondebaud? Il pensa que Clovis cherchait un prétexte pour porter ses armes sur le ter- ritoire des Bourguignons. Aussi résolut-il de mettre au grand jour le mensonge des Sicambres, et de prouver à sa nation qu'il n'imposait pas à Clotilde ses volontés, qu'elle était maîtresse de disposer d'elle-même, dans l'espérance d'entraîner ainsi plus sûrement tout son peuple à repousser avec enthousiasme la guerre par la guerre. En conséquence, il convoque les grands qui formaient le conseil national, les réunit dans le Champ-de- Mars sous l'œil de tout le peuple, fait appeler Clotilde, et là, interpellant les ambassadeurs, il raconte ce qui s'est passé entre eux et lui, et leur commande de redire, s'ils l'osent, en pré- sence de Clotilde comme du peuple, leurs assertions, leurs menaces et leurs injonctions.
Aurélien s'avance aussitôt ; il s'incline devant Gondebaud, en croisant les bras sur sa poitrine; il plie le genou devant Clotilde, puis, élevant la voix, il répète son message sans hésiter. Bour- guignons et- Romains étaient émerveillés ; ils restaient en sus- pens. Saint Avit en habits pontificaux tenait les bras élevés, comme Moïse sur la montagne, appelant la bénédiction de Dieu sur Clotilde et sur les Gaules. Il contemplait Clotilde avec ten-
(lress«\ avec anxiété, à la l'ois (3ii évùtiue vX en su|)|)liaiiL l.e • peuple coan)reMait tout ce ([ui se passait entre son vvj^avd in- spiré et les yeux baissés de Clotilde. On regardait au ciel si r Esprit-Saint, si la langue de feu descendrait sur le fronf de la fille des Gaules. L'assemblée entière senablait attendre, semblait écouter le miracle.
interrogée par Gondebaud, Clotilde se lève. Elle promène un regard doux et tranquille autour (F elle, l'élève vers le ciel, et l'arrêtant avec fierté sur Gondebaud :
(( Je suis la femme du roi Clovis, dit-elle. J«; suis sa servante; je suis la reine des Francs ; et demain, puisque mon seigneur et maître m'appelle, au soleil levant je dirai adieu à ma sœur, à mes proches, à vous tous, mes'frères en Dieu; et j'irai où il a plu au Dieu du ciel demarrfuer ma place sur la terre.))
Les bénédictions, la joie du peuple, éclatent en larmes, en acclamations, en transports. Gondebaud frémissant crie au
mensonge.
(( 0 roi ! reprend Clotilde, il y a un an, jour pour jour, que
je n'ai pu pénétrer dans votre trésor, puisque j'ai quitté Lyon
depuis ce temps. Je déclare que j'y ai déposé l'anneau du roi
mon époux ; vous l'y trouverez entre l'épée de mon père et un
morceau de la vraie croix. 0 Sicambres, et vous tous, à demain ! ))
Elle dit, rentre dans le monastère, et va au pied de l'autel
verser toutes les larmes amassées sur son cœur brisé. Saint Avit
paraît , elle tombe à ses genoux ; toute sa force l'a abandonnée.
i< 0 mon père ! s'écrie-t-elle, ayez pitié de moi.»
Ces mots sont les seuls qui puissent se frayer passage. Sa
voix expire dans les sanglots.
(( Pitié de vous, ma fille? reprend le saint évêque. Oh ! oui, si vous aviez trahi la volonté de Dieu, méconnu vos devoirs, rendu stériles vos moyens de faire le bien aux hommes, et im- molé autrui à vous-même ! Mais quand c'est vous que vous sa- crifiez, quand vous acceptez la tâche de rendre meilleur un cœur généreux et fier, qui n'a besoin peut-être que d'être averti pour s'attacher à la vertu et aspirer à une gloire immortelle.
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je ne (hmix pleurer avec voiisel sur vous. On csl trop payi" dans ce monde quand on rend un do ses senil)lal»l(»s heureux. Kl vous, éeoutez là dehors! vous en l'aih^s des milliers. »
On entendait en ellel les aeclanialions du peu|)le, (pii in- se lassait de bénir la main par.lacpielle il sentait la foi cathorupie protéi2;ée désormais dans tonte l'étendue des Gaules, et les Francs désarmés, sinon encore dans leur idolâtrie, au moins dans leur cruauté. Clotilde baisa le crucifix, alla voir sa sonir, prier avec elle sur le tonibe;ni de son père, partager entre ses compagnes tout ce qu'elle pouvait donner. Et le lendemain, au moment où le soleil, par un ciel pur et brillant, se levait au-dessus du lac resplendissant de ses feux, les portes du mo- nastère royal s'ouvrirent. Clotilde parut ; elle se mit à genoux au milieu de tout le peuple, qui l'imita en silence. Puis elle se relève, s'incline devant Gondebaud, et montant sur sa basterne dorée, elle fait signe aux Francs qui se pressaient autour d'elle, en leur montrant le nord. A ce signe, les bœufs s'acheminent ; on pourrait entendre le bruit de leurs pas. Un silence profond régnait au milieu de la foule immense : car tous pleuraient.
Pendant six semaines, elle marcha au milieu des populations qui accouraient pour la bénir. Elle apprit bientôt ou devina que Gondebaud, se ravisant par les conseils de son ministre Arédius, qui n'était pas auprès de lui dans le premier moment, faisait courir après elle pour l'arrêter. Elle se jeta dans des chemins inconnus pour éviter sa poursuite, et enfin, après deux mois de hasards, un matin, son cœur tressaillit, ses yeux se troublèrent : à l'horizon s'apercevaient les tours de Soissons, d'autres disent de Troyes. Mais plus près une muraille pro- fonde de chariots annonçait une de ces villes mouvantes des barbares ; c'était le camp des Francs. Un gros de cavaliers ac- courait. Il y en avait un qui devançait tous les autres, sa hache à la main. Aurélien se jeta à terre, et se mettant à genoux, il arrêta précipitamment le char de Clotilde en lui criant : « Mon maître Clovis! »
Les époux, entourés des bénédictions du peuple, continuèrent
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leur roule jiis([u'ii Soissons. Saint Komy. l'illustn' pW'Iat (fuo l'K2;liso a canonisé, vint à la t(He du clergé leur rendre hommage et oflrir ses vu'ux ii la princesse, qui ne put se dél'endre d'une secrète émotion quand elle aperçut le futur compagnon de ses pieux efforts. L'avenir se révélait à l'esprit de Clotilde; (juelque chose lui disait qu'il s'établirait entre elle et cet homme une communauté de projets et d'idées. Elle devinait enfin que saint Kemy lui était envoyé par Dieu comme un auguste appui , comme un sublime messager.
Des fêtes somptueuses suivirent le mariage de la première reine chrétienne. Le luxe des Romains y présida ; mais à travers les coutumes raffinées de la nation romaine perçaient les cou- tumes barbares des conquérants : tant il est vrai que l'habitude exerce sur les hommes un empire irrésistible.
Tandis que les Francs profitaient du mariage de leur chef pour se distraire selon leur penchant, Clotilde priait et deman- dait à Dieu la prompte conversion de Glovis.
II
Depuis quatre années Clotilde était reine des Francs, et le rang qu'elle occupait, loin de l'éblouir, ne satisfaisait son cœur que parce qu'il lui procurait lemoyen de veiller plus active- ment sur l'infortune, d'augmenter plus vite le nombre des bre- bis du Seigneur; car les moins fervents la vénéraient d'abord comme reine, et finissaient par la considérer comme un être surnaturel dont ils subissaient malgré eux la divine influence. Le roi lui-même commençait à reconnaître, sans oser l'avouer, les vérités du christianisme ; l'admiration que Clotilde lui in- spirait se manifestait à chaque instant : aussi la princesse, guidée par les sages conseils de l'évêque de Reims, ne se las- sait-elle pas de cultiver cette âme héroïque où se trouvait le germe des grandes erreurs et des grandes vertus. Souvent Clo-
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tilde ciilrrlrniiil (lovis des Menl'aits de hi loi clirclicmic, sttii- vciil IV'vr(|ii(' KtMiiv lui lisait les îjaints évangiles, la >i(' de Jésus t'I celles des aj)otres, et le vaillant guerriei; s'écriait alors d'un ton plein de colère : ^ Misérables Juifs, que n'étais-jc là avec mes Franes pour déiéndre Jésus de Aazarelli! »
Cependant ClotiMe avait eu déjà bien des épreuves à sup- porter. Parfois l'heure du triomphe lui paraissait proche . et ce triomphe si vivement désiré, une cause imprévue, un arrêt émané du ciel le rétardait soudain. I.e petit Ingomer, ce premicM- enfant de la reine. Ingomer, (jui* l'on avait baptisé avec Tauln- risation de Clovis, était tond)é malade peu de jours après la cérémonie, et ne s'était échappé de son lit de douleur que pour monter au ciel. Un tel malheur irrita Clovis; sa foi naissante en reçut une cruelle atteinte : son àme était plus accoutumée à se révolter qu'à se soumettre. Le roi des Francs devint inquiet et soupçonneux.; il traitait durement la pauvre Clotilde, que rien ne décourageait. Une lutte pénible s'éleva entre eux, lutte oii l;i modération, la constance religieuse de l'opprimée l'emportaient constamment sur la tyrannie de l'oppresseur. Clotilde y puisait une énergie propice, Clovis y perdait graduellement ses fausses convictions.
La naissance d'un second fils, d'un héritier, remplit le roi d'orgueil et de joie. Il n'osa pas résister aux sollicitations de. Clotilde, et Clodomir fut baptisé ainsi que l'avait été Ingomer.
Dans une salle dont les colonnes de diverses couleurs sup- portaient une splendide voûte , une jeune femme était assise auprès d'un berceau où sommeillait un enfant âgé de quelques mois ; du bout du pied elle imprimait- un léger mouvement au berceau, et son regard s'abaissait vers un timide adolescent qui, debout devant elle, se tenait dans l'attitude de l'attention.
— Continuons, Thierry, dit la reine Clotilde, qu'une plainte de l'enfant avait un moment inquiétée; j'avais attendu, pour te raconter l'histoire de ma famille, que tu fusses en état de com- prendre la douleur. Maintenant ton àme s'ouvre à l'expérience, non à cette expérience qui résulte d'une longue suite d'années.
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Miais ;i celle ((iiOn nomme inliiilion, el i\\u\ les inlelli^c^nees d'élite acqiiièrenl, avant l'heure des déceptions, (lonnne toi, j'avais une tendre mère; elle a été inhumainement arraché(î de mes hras ; je nai renconliM' depuis personne (|ui IVil digne de la remplacer. I ne mère donne à l'enlant l'idée de la suprême bonté, de la miséricorde infinie de Dieu, et quand elle nous quitte en ce monde, l'existence se transforme presque (^ un vaste désert; car notre ange gardien n'est plus là pour nous soutenir à toute minute, pour se précipiter au devant de nos pas afin de nous retenir au bord de l'abîme.
— Aussi, vous qui êtes si bonne, si indulgente, répondit tristement Thierry, vous ne me grondez pas lors(|ue je vous confie les regrets que m'inspire la mort de ma mère. Cependant vous auriez le droit de vous fâcher, car si elle existait encore, vous ne seriez pas la femme du roi Clovis.
— Ou'importe, mon ami? je suis certainement glorieuse de partager le sort d'un héros ; mais cet honneur, je ne l'eusse pas acheté au prix de la vie de ta mère. Le roi, mon maître, l'avait choisie pour compagne, et moi je songeais à choisir un céleste époux ; si la reine des Francs etitvécu, je me fusse dévouée, ainsi que ma sœur Chrona, au service du Seigneur.
— Et les Francs n'auraient pas été chrétiens ! Non, la volonté du Dieu que vous m'avez appris à servir secrètement, vous des- tinait au roi Clovis; ma pauvre mère devait, hélas! vous céder un fitre qui ne lui était pas si précieux qu'à vous, puisque, née idolâtre, elle n'avait pas de mission à remplir ici-bas. Assurez- moi seulement que Dieu lui a pardonné de l'avoir méconnu ; assurez-moi qu'elle s'est convertie au ciel, ne l'ayant pas fait sur la terre, et mes regrets seront moins douloureux.
— Oui, Thierry, s'éeria Clotilde d'une voix émue, oui, l'âme de ta mère est chrétienne ! implorons Dieu pour qu'il la compte au nombre des âmes élues.
Clotilde et Thierry se mirent à genoux. Leur prière fut élo- quente; cette femme parée de toutes les grâces chastes des vierges, ce jeune homme plein de naïveté cachant son front pur
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(liiiis SCS iii.iiiis Ircmhlaiilcs (|ii une rpaissc clit-vcliirc Noil.iil .1 (Iciui, olIVaiciil un riisi'iiiMc l)iltli(|iit". \y s<iii des Inimpcllcs it'Iciilil soudain. ('.'(Mail le sii;iial du dt'parl (\r Clovis pour la chasse au saiiiïlicr. \r prince, cpii rcdoulail le courroux de son père, sorlil précipilanmicnl. I,a n-ine des Francs ne resta pas longlenips seule: .\anlilde. s(eur du roi. cuira dans la salle cl vini se placer à cole de Clolilde; l'une cl laulre se niircnl à lil(>r. Klles Iravaillaienl aclivemenl depuis une lieure, (piand un iréinisseiuent de C.lodouïir les attira vers le berceau. I/enlanl. déjà un peu malade, ne s'était réveillé <ju<' pour lutlfr contre une crise violente; ses traits bouleversés accusaient une vive soulïrance, ses mains se crispaient convulsivement. A cet aspect, Xantilde remplit les airs de lamentations, et s'élança hors de la salle en appelant du secours. Clotilde saisit Clodomir entre ses bras, elle le l)alança doucement, lui |)rodigua mille caresses; rien n'apaisait l'agitation du petit prince.
De nombreux serviteurs étaient accourus à la voix de Xan- lilde. Le médecin du palais fut mandé; il examina longtemps l'enfant, el chacun lut un arrêt de mort dans ses yeux. Clodo- mir est chrétien, il est prés d'être martyr. Les anges se dispo- sent à fêter au ciel l'arrivée d'un de leurs frères. Les serviteurs éplorés se pressent autour de la couc'.ie funèbre. Le roi Clovis entre brusquement; il considère d'un air sombre Clotilde, qui, |)enchée sur Clodomir, restait immol)ile comme une statue de inarl)re, et il s'écrie :
.l'ai cédé follement à vos instances, et voilà le résultat de
ma complaisance. Si mon fils eût été sous la protection de mes Dieux, il eût vécu ; il lui en coûtera la vie pour avoir été baptisé au nom du votre.
0 mon Dieu! dit Clolilde, te laisseras-tu oftenser ainsi sans
prouver l'étendue de ta puissance'?
La sainte invocation de la reine a touché le Seigneur : un mi- racle s'opère en faveur de la chrétienne; l'enfant se calme, se ranime, ses joues se colorent lentement, il sourit, regarde sa mère ; le péril a disparu.
— Il -
La joie illiimiin' les visages des assislarils; les clirétiens ren- dent grâces à Dieu ; les païens se relusenl en vain à suivre cel (îxemple; leur Cd^ur admet ce que leur houclie récuse, et (.lolilde dit à son époux :
— Telle est la vengeance de mon Dieu! vous l'accusiez, il sauve votre enfant. Douterez-vous mainicuani de sa magnani- mité, de sa miséricorde?
Le fier Sicambre garda le silence, mais son IVoiit se couvrit de rougeur ; l'orgueil retint sur ses lèvres un aveu favorable à la religion de Clotilde; il lui fallait une dernière preuve de la bonté de l'Éternel.
Ce fut au milieu des plaines de Tolbiac, en 490, que cette preuve lui fut donnée. Là, se rencontrèrent l'armée de Gibulde, roi des Germains, et celle de Clovis, qui s'était uni à son pa- rent Sigebert, roi de Cologne, pour repousser les barbares. Lik^ pluie de ilècbes obscurcit bientôt les airs; les dogues (jue les Francs avaient dressés s'élançaient en burlant au-devant de l'ennemi ; mais les chariots des Germains traversaient impétueu- sement la mêlée, et les taureaux furieux qui les traînaient, répandaient partout la confusion et la mort.
Le roi de Cologne, grièvement l)lessé, chancelle et tombe. Ses soldats découragés n'opposent plus qu'une faible résistance ; la crainte s'empare aussi des Francs, et Clovis, qui suit du haut d'une colline les moindres incidents de la bataille, s'aperçoit avec rage de la déroute de ses légions. Vainement on essaie de les rallier, elles méconnaissent les ordres de leur chef et s'ima- ginent que leurs dieux les abandonnent. Dès lors elles se croient perdues; cette persuasion les anéantit et jette déjà le trouble dans l'âme de Clovis.
— Eh bien, seigneur, dit Âurélien au roi des Francs, puisque vos dieux vous trahissent, invoquez le Dieu des chrétiens, il vous exaucera, car il est tout-puissant.
Clovis lève les yeux au ciel et s'écrie :
— Dieu de Clotilde, s'il est vrai que lu sois le maître du monde, s'il est en ton pouvoir de secourir ceux (jui s'adressent
— I) —
a toi. je I iiii|il(in' en ce iiKimriil Idiihlc. .1 ai apiiclc iwcs diciix. ils sont sourds à ma in'irrc; si lu m accctrdcs la \ icloirc, je lais Vd'ii (le N i\ rc sous la l(»i.
Le scriiH'ul de Clovis csl cnliMidu par l'arun'C. I/ôvcVjuc de Charlrcs s'avance cl donne la hcncdicliun au niunanjuc; des applaudissements parlent de tous cotés; les soldats recom- mencenl l'atlaipie avec une nouvelle ardeiu', et les <lermains, surpris dans l'ivresse du succès, ont peine à se rassendjler pour soutenir le choc : c'est à leur tour de trembler, de fuir. Des es- prits invisibles semblent pousser les l^rancs au condjat, diriger habilement leurs flèches, détourner à temps les coups de l'en- nemi. Ils sont devenus invincibles.; une lumière surnaturelle éclaire leur front ; on dirait moins une nombreuse phalange de guerriers qu'une troupe de néophytes. Les Germains atterrés reculent comme les démons sous le regard des séraphins ; ils tombent à genoux, demandent merci, et se constituent prison- niers à la seule condition qu'on épargnera leur vie.
Un messager, dépéché par Clovis, partit pour Soissons ; il trouva Clotilde occupée à filer une chlamyde à son époux. L évéque de Reims lui faisait une lecture pieuse, et le petit Clodomir jouait à leurs pieds.
La reine écouta silencieusement le messager ; son regard re- connaissant remercia le ciel; ses mains se joignirent, et ces paroles ferventes s'échappèrent de son cœur oppressé :
— Mon Dieu, ce n'est pas le triomphe de nos armes (jui me ravit, c'est. le triomphe de vos sublimes lois. Le christianisme peut donc enfin ouvrir librement ses ailes!
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lue foule immense circulait aux alentours de l'église de Reims ; on attendait impatiemment le roi Clovis et les milliers de catéchumènes qui devaient être initiés comme lui aux divins
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mystères de la loi <-hrélienii('. Des cnraiils repaïKlairnl sur le sol k'S lleiirs de leurs rorheilles; de jcuin's filles couvertes de longs voiles se dirigeaient en iile vers le lieu d(.' la cérémonie el chantaient des hymnes à la louange de Dieu. Ici des leudes ri- chement costumés pressaient à l'envi la course de leurs chars ; là des religieux expliquaient des prophéties que le |)euple re- cueillait avec ardeur; |)lus loin, des falistes ' raconlaienl de poétiques légendes, et le nom du Christ se posait enlin sur les lèvres qui ne répétaient jadis que les noms profanes des idoles.
Une i"umeur soudaine annonça l'approche du royal cortège : Cbvis parut. A ses côtés marchait la radieuse Clotilde ; derrière lui s'avançaient la princesse >'antilde, la reine Alboflède,que le miracle de Tolbiac avait convertie, le jeune Thierry, le brave Aurélien, et des flots de guerriers et de peuple, que Clotilde était heureuse d'amener au céleste bercail !
Les diacres reçurent Clovis sur le seuil de l'église ; des nuages de myrrhe s'échappaient des encensoirs et montaient en vapeurs jusqu'à la voûte ; des roses effeuillées jonchaient le parvis el parfumaient l'enceinte.
Il était juste que Clovis se- désaltérât le premier aux sources régénératrices du baptême. L'évéque de Reims conduisit l'il- lustre catéchumène à l'entrée du baptistère, et, tel que le Christ lorsqu'il guérissait les aveugles et les sourds, saint Remy, effleu- rant de ses doigts humectés de salive les oreilles du monarque, prononça le mot Hephla, qui signifie ouvrez-vom.
Clovis, après avoir récité le symbole des Apôtres, pénétra avec l'évéque dans le Jourdain. On appelait ainsi un sanctuaire de forme circulaire au centre duquel s'arrondissait un large bassin de porphyre remph d'eau sacrée. Regardant l'orient , image de la lumière, puis l'occident, image des ténèbres, saint Remy se disposait à verser sur le front de Clovis l'eau qu'il avait puisée dans le bassin, lorsqu'une colombe descendue du ciel et
' On immmail .linsi k'S ixicU's ii cfilc (■prxiiir.
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porlaiil h son \nr uni' pt'lilr liolc, ciiIim dans le haplislcri' par une (les l'cnrli't's oiivcrics '.
L't'V(\|U(', accoinpiissaiil les ordres socrols du Scifiçiieur, saisit la pclilc \u)U\ répand sur la lèlc de Clovis (juclqucs iïoultos de la li(|U('ur ('»'l('sl(M|u'c'lh' n'iirt'rinail.cl s'écrie : u iîaisselc IVonl. lier Sieainhre; hn'lle ce (jur lu as adoré, adore ce que lu as hrùle.» •
Un inuriuure d'enlliousiasme parcourt l'assemblée ; Clovis sort du haptisière, nnèlu de la robe des néophvies ; il s'approelie des prisonniers de Tolbiac et delacbe leurs cliaines. (!'esl |)ar un acte de clémence que le roi des Francs commence sa riouvell(.' existence : du christianisme nail toujours la liberté.
« 0 Clovis ! chantèrent en chœur les bardes, nulle puissance terrestre n'égale ta puissance ; car l'auréole du chrétien rayonne sur ton front ; car lune de les mains tient un glaive, et ton autre main s'appuie sur la croix. »
Le cinquième siècle avait marché ; cinquante-six ans après le baptême de Clovis, mourait sainte Clotilde, veuve de roi, mère de rois. La vie de la {première reine chrétienne n'avait pas cessé d'être agitée ; Clotilde avait vu successivement périr autour d'elle son fUs aîné Clodomir, sa fille Théodechilde, et ses petits- fils Thibaud et Gonthier ; mais la souffrance est aussi une espèce de baptême qui purifie les cœurs : qui n'a pas pleuré ne sait pas sécher les larmes de l'infortune.
M"'^ Anna des Essarts.
' Cette colombe, disent les iiislorieiis, apiiorta la Sainle-Aiiipoule, qui servit depuis au sacre des rois de Fianee.
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Ange! Ce mot signifie messager y envoyé de Dieu . Les anges sont les exé- cuteurs (les ordres et (les volontés du Tout- Puissant. Il en est qu'il charge d'œuvres de paix, de douceur et de grâce ; il en est auxquels il con- tie la haute mission de Jj) régénérer le monde , de '^^^^^ rétablir l'ordre ici-bas, ^ d'y répandre la clarté, d'y donner à tout force et grandeur. Charlema- gne fut par excellence un de ces anges. Les hommes de son temps, éblouis par la splendeur de sa vie, perdirent de vue le lieu précis de sa naissance et les faits de ses premières années; est-ce à Aix, à Ingelheim, à Saltzbourg qu'il ouvrit les yeux? Les historiens sont indécis, et il est probable que chacune de ces villes a revendiqué le berceau de Charlemagne , de m(''me que plusieurs villes de la (rrèce ont
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Ange! Ce mot signifie messayerj envoyé de Dieu . Les anges sont les exé- cuteurs (les ordres et (les volontés du Tout- Puissant. Il en est qu'il charge d'œuvres de paix, de douceur et de grâce ; il en est auxquels il con- fie la haute mission de régénérer le monde , de [^^"/M rétablir l'ordre ici-bas , ^ d'y répandre la clarté, d'y donner à tout force et grandeur. Charlema- gne fut par excellence un de ces anges. Les hommes de son temps, éblouis par la splendeur de sa vie, perdirent de vue le lieu précis de sa naissance et les faits de ses premières années; est-ce à Âix, à Ingelheim, à Saltzbourg qu'il ouvrit les yeux? Les historiens sont indécis, et il est probable que chacune de ces villes a revendiqué le berceau de Charlemagne. de même que plusieurs villes de la Grèce ont
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|-rN('ll(li(|ll<' crllli il lloliurc. Il p.ilMil i'r|)rliil,ilil rolislillc (|U il iiMiil le jour en 7 'ri, au cliàlciiii df Sallzhoiirii dans la llaulc- llavirrc, cl lut clcvc près (iliiiirlliriiii. lieu voisin de .Mayi'Mcc.
Ainsi (lue nous venons de le dire, (lliarlcs le (irand a rclipsô Charles enl'anl. el l'on ne Ironve dans l'hisloire ([u'un seul l'ail relalil' an jeune lils de Pe|»in le lîrel". C.'esl le voyage Cju'àgé do douze ans, en Tô:^, il lil an nom de s(»n père, an devant i\[i pape Klienne. I.e ehel' de IK^lise. le fulur eliel" do IVnipii'e, se renconlrèrenl à Saint-M;mriee en ^alais, et Tenlant s'élanl, sui- vant l'usa^îo, prosterne devant le pape, Ktienno le salua du titre de i>atrico de Konie, titre souvorain, prôsago do sa future gran- deiu'.
La première éducation de Charles fut toute militaire, et ce ne rut(jue bien plus lard, on le verra, qu'il sut acquérir les bien- laits d'une autre éducation. 11 était bien jeune encore lorsqu'il commanda une armée en Aquitaine ; il défit Waifer, puis Hunaud. qui poussait les Aquitains à la révolte. Cette guerre d'Aquitaine faillit être l'occasion d'une déplorable lutte des deux frères Charles et Carloman, entre lesquels, en 768, à la mort de Pépin le Bref, le vaste royaume de France se trouva partagé. Charles ayant invité Carloman à venir l'assister contre les Aqui- tains, une violente jalousie du commandement fut sur le point de mettre les frères les armes à la main l'un contre l'autre, et Carloman, par une sage retraite, sauva peut-être Charles d'une action qui aurait terni sa gloire.
Dès la mort de Carloman, arrivée en 771 , son frère prit pos- session de tout le royaume des Francs. Carloman laissait deux fils bien jeunes, et leur paère, Gerberge, fille de Didier roi des Lombards, aurait dû être appelée à la régence du royaume d'Auslrasie et conserver ainsi aux enfants de Carloman le trône de leur père; mais afin d'appuyer cette légitime, prétention qu'elle élevait au nom de ses fils, Gerberge se rendit avec eux à la cour de Didier, que, dès ce moment, Charles résolut de combattre, et à la voix du pape Etienne, il se prépara à fran- chir les Alpes.
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"^lais avnnt cHW oxpi'dilion, Charles. (Hant à Worms à lenir le ('hnmp de /l/ai, a|)|)ril (jue les Saxons, sorlis de leurs limites, étaient venus avec la rage d'idolâtres fanatiques, brûler I église deDeventer. L'armée des Francs était là, et les Saxons portèrent donc aussitôt le châtiment de leurs violences; puis non moins rapidement, Charles se précipita du haut des Alpes sur la Lombardie.
En 773, les murs de Pavie, qui bien des fois et à diverses époques entendirent le bruit de nos armes, étaient étroitement serrés par les guerriers de Charlemagne. Ce siège, traînant en longueur, le roi des Francs, non moins pieux que brave, con- çoit le projet d'aller à Rome célébrer les fêtes de Pâques, et ce projet, il le réalise tout aussitôt, car il ne laissa jamais une pensée sans exécution. Il part donc. Dès que le pape, Adrien P^ est averti de sa venue, il envoie au devant de lui, à trente milles de distance, des troupes pour lui faire honneur ; puis Charle- magne arrivé à un mille de la ville éternelle, voit venir à sa rencontre une immense foule ; les enfants des écoles de diverses nations, qui s'avançaient, portant à la main des palmes, des branches d'olivier et chantant ses louanges. C'est au milieu de ce pompeux et riant cortège qu'il entre dans Rome, vêtu à la romaine, en sa qualité de patrice ; et ce titre qu'enfant il avait reçu-du pape Etienne, déjà grand homme il se l'entend donner de nouveau par Adrien, au moment où il l'abordait, après avoir monté au Vatican en baisant chacune des marches qu'il fran- chissait.
Les Romains admirèrent la piété profonde qu'il témoigna, et que relevait encore son air imposant, sa taille majestueuse et l'ensemble de sa personne. Tout le proclamait digne d'exercer sur les hommes un puissant empire, non-seulement parla force de sa volonté et l'étendue de son intelligence, mais aussi par la générosité, l'affabilité et la grandeur d'âme. Enfin Vérone et Pavie ouvrirent leurs portes à Charles de retour de Rome, et dès ce moment il fut roi des Lombards : mais les soins de ses conquêtes commençaient à ne plus l'occuper exclusivement; il
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soimciiil .1 rcali^ci" |Hiiii- Iiii-iiu'Iih' cl |H>iir Ic^ nmsIcs coiilrccs de Sii (loiiiiiiiilioii, (les ii((|uisiti(ms hini plus |iivci('US('s : IV'ducii- lioii, I iiislruclioii. l'ordre. I(> savoir (|ui civiliscul. l)<''jii. <'ii 772 environ, deux uioini's l'cossiiis. (ilciucid cl Jean, élaicnl venus à la cour de (liarlcs pour négocier un traité au nom du roi d'Kcossc. L'empereur, (jui d(?puis loniilempsé|)rouvait lasoil'du savoir. cngagtM ces savanis à rester près de lui, et dès cette même année 772, au milieu de la guerre de Saxe, il se mit à éludTer avec ardeur, sous Clément, un d(* ces moines. Quant à l'autre, nommé Jean, aussitôt que Charles fut maître de Pavie, il le mit à la tète de l'école^ de cette ville, école qui fut la pre- mière fondation d'une des plus célèbres universités de l'Italie.
L'aspect de cette foule d'écoliers qui était venue à sa rencontre aux portes de Rome, avait redoublé en lui le désir de faire de son palais, de sa capitale, un vaste foyer de lumière, et ce désir le suivit partout au milieu de ses guerres incessantes, soit que les Saxons nouvellement révoltés le rappelassent de l'autre côté du Rhin, soit que, pour porter secours aux chré- tiens persécutés par les Maures d'Espagne, il franchit les Py- rénées, soit qu'il passât les Alpes pour aller faire couronner, par Adrien F', ses fils Pépin et Charles ; le premier, roi d'Italie, le second, roi de Germanie, tandis que le troisième fils de sa sainte épouse Hildegarde était placé sur le trône d'Aquitaine. Plus s'étendaient les limites de son empire, plus il acqu.érait d'activité pour parcourir avec une rapidité incroya- ble ses vastes domaines; et lorsqu'il rentrait dans ses palais, ce n'était point pour y chercher le repos ; mais alors à ses études de latin, sous Pierre de Pise, de dialectique et de grec, sous Alcuin, il faisait succéder de grandes chasses dans les vastes forêts qui couvraient la Germanie et la Gaule.
Portant toujours le costume le plus simple, ce n'était que dans les plus grandes solennités qu'il se revêtait du manteau royal, entièrement blanc, et s'appuyait sur le sceptre ou bâton royal, qui était une verge d'or de la hauteur de sa haute taille. 11 était charitable, généreux, fastueux au besoin ; mais il n'a-
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vait iioquis le moyen d'exeroor cette j^énérosité, eelte clmrilé, €<• faste, qu'à l'aide de la plus sévère économie. Une de ses lois, nonunées Capilulaires, ordonne la vente des o'uis des basses- cours de ses domaines et des herbes de ses jardins, car le grand homme ne croyait pas indignes de lui les plus petits soins d'ordre et d'économie domestique. C'est par cette constante vigilance qu'd lit prospérer son enq)ireet sa famille.
Cette libéralité, il l'exerça principalement envers les savants elles hommes instruits qui affluaient à sa cour. En 782, il y créait une véritable Académie; en 787, il amenait de Home des maîtres de grammaire et de mathématiques; et enfin, en 790, la première année de son règne dans le cours de laquelle d n'eût pas à prendre les armes, les écoles de Paris, les écoles de palais, scholœ palatinœ, furent ouvertes en sa présence, par Alcuin et Pierre de Pise, avec la pompe qu'il voulait donner à l'inauguration d'un établissement destiné à être son premier et son moins périssable titre de gloire.
Le palais oîi ces écoles s ouvrirent était celui que l'on nomme aujourd'hui le Palais de justice, lieu que nos rois ha- bitaient alors ; <^Qu'U soit à juste titre appelé école, dit Charle- magne, ce palais dont le haut séjour devient de plus en plus famdier tant aux sciences de l'école qu'à celles du champ de bataille. » Cette phrase d'une des ordonnances de l'illustre fon- dateur est l'histoire complète des conquêtes morales qui ac- compagnaient les belliqueuses conquêtes de Charles le Grand. Ce ne fut point seulement les lettres qu'il encouragea et cul- tiva ; les arts aussi furent l'objet de tous ses soins. A sa voix, un pont magnifique s'étendait sur le Rhin, à Mayence ; un palais s'élevait à Francfort ; un autre à Seltz, en Alsace; Rome en- voyait à Paris des maîtres de chant, et le pape donnait à Charles des colonnes de marbre et des statues de Ravenne et de l'an.- tique capitale du Latium, pour orner le somptueux palais qu'il construisait sur les coteaux de son lieu favori d'Ingelheim.
Ces soins pour les arts ne l'empêchaient point toutefois de songer à prendre les armes dès qu'il sentait la terre frémir
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sous (iiU'l(iU(' iioiivcau soMlî'vcincut de Saxons. Alors, il s'élan- çait au iNord coiuMic la l'oïKirc, Iraitpail, puis, volant vers le midi, châtiait Us Sarrasins de leur invasion n\ A(jnilainc, les tbreait à se repentir de leur embuscade d(! KonceviUix. lors de sa pnMuière j^uerre en Espajine, et après avoir lait trembler la (■rande-Hretagne, il volait au fond de l'Italie pour |)unir son vassal le prince de Benevent.
C'est à peu près vers cette époque (jue Charlemagne prenant une li^Te pesant d'argent, et la faisant tailler en vingt morceaux qu'il nonnna sols [soUili], établit la manière de compter qui a régné en France pendant mille ans, et que le système moné- taire actuel n'a fait que modifier. Les mesures lui durent aussi leur origine, et eurent pour type la longueur de son pied, le pied de roi. Pour détruire cette mesure, prise sur le pied de Charles le Grand, il ne fallait pas moins que celle que les sa- vants ont calculée d'après le diamètre du globe.
La gloire de Charlemagne commençait à resplendir au milieu d'une atmosphère plus calme, et en 797, il recevait en ambas- sadeurs les Slaves, les Huns qu'il avait domptés, les Espagnols; et le célèbre calife Haroun-al-Rachid, qui était en Asie ce que Charlemagne était en Europe, lui envoyait des présents, entre autres une horloge qui excita l'étonnement et l'admiration de tout le royaume.
Charles le Grand, qui jusqu'alors n'avait pas eu de résidence fixe, semblait s'attacher de plus en plus à la Germanie, lieu de son berceau. Il embellissait, il ornait Aix-la-Chapelle de ponts, de bains fameux, de somptueux édifices, lorsqu'en 799, une grande clameur s'élève de deux points opposés dé l'Europe. Charles dresse la tète ; les Saxons poussaient encore une fois leurs sauvages cris de guerre, et les Romains menaçaient le pape Léon m sur le trône pontifical qu'il occupait depuis 795. Char- lemagne part, terrasse les Saxons, puis il vole au secours du pape, en l'année 800, et dompte ses ennemis. Aussi le jour de Noël, le monarque vainqueur étant agenouillé dans l'église du Vatican, on vit Léon III descendre de l'autel, aller vers le puis-
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sant défenseur de l'Église, le revêtir de \i\ pourjuv iiii|>(''rial lui poser sur la UHe une couronne d'or, et alors séleva dans l'église, en chœur, un long cri d'allégresse : « Vie cl victoire à Charles Auguste, couronné de Dieu, grand et victorieux empereur I »
C'était l'acclamation des Romains réunis en .foule dans le temple. Charleniagne, des ce jour empereur d'Occident, prend le titre de César, adopte l'aigle romaine, et tous les peuples, saisis de respect devant tant de grandeur, cessent de s'agiter sous la puissante main impériale. Elle est venue l'époque des tra- vaux pacifiques, des travaux qui éclairent et civilisent. Alors les lois, ces capitulaires si sages que Louis XIV en renouvela quelques dispositions, les lois se multiplient à la voix de l'em- pereur, et lui, y imprimant son sceau avec le pommeau de son épée : (c Voilà mon ordre, dit-il, et voici, ajoute-t-il en mon- trant la lame nue, voici ce qui le fera respecter. »
Toute sa vie passée prouve que ce n'étaient point là de vaines paroles : aussi en 803, Nicéphore, empereur d'Orient, serésigna- t-il à lui envoyer des ambassadeurs, et c'est au palais de Seltz, en Alsace, qu'il les reçut avec un appareil tout asiatique et une splendeur destinée à donner la plus haute idée de sa puissance à ces hommes qui n'en jugeaient que par la pompe extérieure. Après avoir traversé de vastes péristyles, les ambassadeurs grecs furent introduits dans une salle magnifiquement ornée et où un grand nombre d'officiers de l'empereur se tenaient dans l'attitude la plus respectueuse, autour d'un trône sur lequel était assis le connétable. A la vue de cette cour splendide, et de l'éblouissant costume de ce grand officier, ils allaient se prosterner devant lui. On les arrête en leur montrant la salle qui est devant eux.
Ils avancent respectueusement entre une double haie d'offi-
• ciers vêtus avec la plus grande richesse, et parvenus au milieu de
la seconde salle, devant un trône où siège le comte du palais,
ils vont s'agenouiller. Les introducteurs les retiennent en leur
désignant les portières qui s'écartent à leur approche.
L'or, les armes précieuses étincelleni d.uis une troisième
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salle, ("o tronc doit rire celui de rcmpcrcur. liiclinMiit le Iroiil. les anibassiulciirs s'avimccril vers le inaîlrr «le la lahicdii roi ; mais d'un siij;ii(\ il l(Mir dit que l'einpenMir est plus loin ciu'orc, cl, se rc^sirdaiil d Un o'il slupiMail, les ambassadeurs do poursuivre. à travers la loule de courtisans ipii se pressaient dans la qualricinc salle autour d'un trône qu'occupait le grand cliambelhui. Ils avaient déjà lléchi le genou, lorsque deux offi- ciers viennent au devant d'eux, et de splendides portières s'étant (S'artées, r(Mnp(Teur tout resplendissant de pierreries, depuis sa couronne jusqu'au fourreau de son épée, leur appa- raît enfin au milieu des rois ses enfants, des princesses ses fdles, et d'une éclatante réunion de ducs et de prélats; mais ce qui était plus beau que toute cette pompe, c'étaient les douze p;mvres que (^liarlemagne voulait partout avoir à sa suite, en l'honneur des douze apôtres, ils représentaient sa charité auprès de sa grandeur, que représentaient si majestueusement ses douze pairs.
En la même année 803, à cette solennité de la politique, succédèrent les plus splendides solennités de l'Eglise. Charle- magne avait prie Léon III de venir consacrer la chapelle impé- riale d'Aix-la-Chapelle, et le pape accuedlit avec empressement sa prière. Un jour donc, Charles et Léon III sortirent en grande pompe, pour faire le tour de la basilique qu'il s'agissait de consacrer. Devant, derrière, autour d'eux, marchaient en pro- cession des princes, des ducs, des courtisans, des cardinaux; et trois cent soixante-cinq évêques, convoqués par le pape pour assister à cette auguste cérémonie, figuraient dans cet imposant cortège.
Bientôt Charlemagne reçut du ciel des avertissements sérieux, des maux qui ne faisaient que croître avec son âge. La dévo- rante activité de son àme infatigable avait afïaibli son corps, et de violents chagrins étaient venus aggraver ses souffrances. Il avait perdu presque à la fois deux de ses fils. Charles, son aîné, qui se montrait digne en tout d'être son successeur, n'a- vait précède que de peu de temps son frère Pépin dans la
— 2i) — l(tnil)('. (icrull;! une prolondc nlIliclioM pour ( Ji.irlcm.ij^iic, cir il aimait avec; la plus vive tendresse tous ses enl'anls, (|ui d'ail- leurs s'en l'endaieril hieii dif^ru's, et furent, eornnie dit Mon- tesquieu, ses premieis sujets, et les modèles de l'obéissance. Puis, s'il venait à apereevoir sur \v Rliin ou la Seine les navires des Normands qui eommeneaient le cours d(; leurs formidables irruptions, ces yeux tout à l'heure éclatants de joie et d'espé- rance se remplissaient de larmes. Des larmes dans les yeux de Charlemagne, quel sinistre présage pour l'avenir !
«Hélas! disait-il en soupirant à l'aspect de ces hommes du Nord, si ces barbares viennent, de mon vivant, menacer les côtes de mon empire, que sera-ce après ma mort? »
La France n'avait pas de marine ; pour combattre ces bar- bares, Charlemagne en sut créer une avec l'ardeur de ses pre- mières années ; il fit construire des vaisseaux, ouvrit des ports, et se préparait à repousser par l'attaque ou la défensive les formidables Normands, lorsqu'il sentit venir la mort.
Il convoqua donc les grandes assemblées du royaume à Aix-. la-Chapelle, et là, s'appuyant sur son fils, le seul qui lui restât, Louis le Débonnaire, il le présenta aux évèques, abbés, comtes et sénateurs des Francs, en leur demandant de le proclamer roi et empereur. Une voix unanime lui répondit : (( Vive l'empereur Louis! » crièrent à la fois les grands et le peuple. « Mon fils, lui dit alors Charlemagne, reçois ma couronne, et avec elle les marques de ma puissance. »
Cette couronne était d'or. D'après l'ordre de Charlemagne, Louis alla la prendre sur l'autel, et de sa propre main la posa sur son front; puis, quelques mois après, son père expira. Sur sa tombe, protégée par les voûtes bénies de la cathédrale d'Aix-la-Chapelle, furent inscrits ces deux mots seuls ; Carolo Magno (à Charles le Grand); le monde connaissait assez ses œuvres, et pour complet éloge de ce grand homme qui fît la gloire de son pays et de son père, on mit cette épitaphe sur le sépulcre de Pépin le Bref : Pépin, père de CharlemaCtNe.
Ernest Fouinet.
wmm \n: umm,
KEINK DE FRANCE.
Dans los plaines do la vieille Castille,à 1 ouesl. (lu côté des montagnes de l'E^tramadure , après une chaude journée, le ciel gardait encore les teintes colorées que le soleil avait laissées der- ^ rière lui, comme un im- mense manteau de pour- pre , et la nuit arrivait fraîche , azurée et toute embaumée de senteurs aromatiques, comme le sont la plupart des nuits en Espagne. —■"' Rencontrez-vous un
verger sur votre chemin, écoutez-y les harmonieux cantiques des rossignols du sud. C'est le concert des flûtes angéliques. et l'on dirait que les nénuphars , les iris , les saules échevelés qui bordent le ruisseau voisin, tremblent de joie aux mélodies de ces chantres des bois.
Or, ce fut à travers ces frais ombrages, dans le mois de mai
t.
-- VLWh^ V.
litR.Becq^uet.
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derann(''(> l'iOO, (Hic cluMiiinail Hlanclic au iinli.'u .Ir Ymu- l>MSsad<Miui la .•.mduisail à son roval .'poux, l.ouis, lilsai.ir dr
Philippc-AuguslL'.
Elle était àgéo seulement de quatorze ans. <■! allail ciicl.aiii.T
le sort de- sa vie à un enfant du même âge.
Entourée d'un brillant cortège, la riche litière qui renfermait l'illustre fiancée s'avançait lentement traînée par des mules blanches dont les tètes étaient ornées de panaches et de <lo-
chettes d'argent.
Blanche, néeen 1185, était petite-fille d'Eléonore deGuyenne, femme de Henri II, roi d'Angleterre, et fille d'Alphonse VIII, ro, de Castille. On la citait pour sa grande beauté, 1 éclat de srui teint qui lui avait fait donner le nom de Blanche, et encore plus pour ses vertus. L'union de ces illustres enfants amenait la paix entre la France et l'Angleterre.
Les Français, fatigués de guerre, accueillirent partout sur son passage" hi fiancée de Louis, avec de grandes démonstra- tions de joie. ,., , ^ ♦ Tant que Philippe-Auguste vécut, Louis et Blanche menèrent une vie paisible et douce, n'ayant aucune part au gouverne- ment. Mais déjà la princesse inspirait au peuple le sentiment d'une tendre vénération.
Son union avec Louis YIII la rendit mère de onze enfants, dont neuf garçons et deux filles. Saint Louis, l'aine de ses fils et depuis Louis IX, devint particulièrement l'objet de ses allec- lions maternelles. Elle se -plaisait à développer en lui les heu- reuses dispositions dont la nature l'avait si bien pourvu, cher- chant à lui faire comprendre, dès l'enfance, de quelle impor- tance étaient les obligations que l'Eternel impose aux rois.
Ce fut à Reims, le 8 août 1223, (lue Louis VIII fut sacre, et Blanche sa femme, couronnée par l'archevêque Gudlaume de Joinville. La cérémonie du sacre, la plus belle que l'on eût vue jusqu'alors en France, avait pour témoins le roi de Jérusalem, les princes, les évèques, les grands du royaume, et une foule immense de peuple. ^
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La modi'slir de hlaiicln' t'I ^a |»iclr lirillnviil fii crllr occa- sum. coiiiiiic une auréole célcsle. plus euroi-e(|ue sa heaule si reniai(|ual)le.
Kieii iTeiiala les réjouissances (jui suivirciil le (-(Mironneuieiil (le i.ouis Mil. l*aris siirlout signala dans (elle circousliinee son amour pour ses princes. Ce n'élail parloul (|ue cris d'all('»- gresse. i\uv tables merveilleusement servies, (jue fontaines de vin (jui coulaient à la grande salislaclion de l'indigenl. Toute la ville de Paris, à leur retour de Keinis. sortit au-devant du roi et de la reine. Le peuple. reviHu d'iiabits superbes (ju'il avait empruntés pour leur faire honneur, les suivait . la plupart sur de beaux chevaux, caparaçonnés et blasonnés avec élégance. Les poètes marchaient dans le cortège, trainés sur des chars par de jeunes garçons, chantant des odes louan- geuses. Un corps nombreux de musiciens faisait retentir lair du son des vielles, des sistres, du tambour, du psaltérion et de la harpe. Chacun courait joncher de fleurs les chemins par où les deux époux devaient passer. Les riches se distinguèrent particulièrement par des présents somptueux. C'étaient de magnifuiues tapis, des habits de pourpre brodés de pierres pré- cieuses et quantité de vases d'or richement ciselés.
Un livre d'heures sur parchemin, peint avec une admirable pureté et orné de vignettes légères, relié en cuir d'Orient, avec des fermoirs incrustés de rubis, fut oftert. dit-on, par l'abbé de Saint-Denis à la reine.
Un jeune clerc, dont le nom n'est pas venu jusqu'à nous, avait tracé les caractères d'écriture et les vignettes de ce bel ouvrage.
Les fêtes et les tournois se succédèrent pendant un mois.
Henri H, roi d'Angleterre, qui aurait dû se trouver au sacre de Louis VIIl, ainsi que le prescrivait sa qualité de vassal, lui envoya, au contraire, aussitôt après la cérémonie, un héraut pour lui demander la restitution de la iNormandie, comme s'il eût voulu le braver. Le roi. que son courage avait fait surnom- mer le Lion, confia le soin de sa capitale à Blanche, et partit
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aussitôt pour aller châtier les Anglais et les chasser du royaume.
Louis, vicloneux, ayant oblij^t'' ses ennemis à (luitler la iM-ance, se laissa entraîner dans une autre guerre.
Depuis longtemps les provinces ni/Tidionales s'étaient isolées de celles du nord, et le comte de Toulouse, seigneur de ces contrées, était à la fois l'un des princes les plus puissants et les plus riches de l'Europe; mais ces richesses, et la civilisation prématurée qui en fut la suite, avaient enfanté des hérésies. Les Albigeois répandus dans tout le Languedoc refusaient de re- connaître l'autorité spirituelle du pape. Celui-ci fit prêcher une croisade contre eux, et une guerre terrible vint désoler ces belles provinces. Innocent III fut l'ànie de cette guerre, saint Dominique l'apôtre, le comte de Toulouse la victime, et Simon, comte de Montfort, le chef '.
La guerre du Languedoc et des Albigeois entraîna donc le roi plus loin qu'il ne voulait d'abord.
Enfin, après bien des massacres et une perte de temps pré- cieux, Avignon ouvrit ses portes aux Français, par suite d'un traité; une partie de l'armée avait été décimée par les maladies et la famine. Aussi Louis VIII ne put-il signaler la campagne par aucun fait d'armes utiles à ses intérêts, et il mourut en re- prenant la route de France, à Montpensier, en Auvergne, dans
l'année 1226.
Ouelque peu brillante et quelque funeste qu'ait été cette expé- dition, la prudence de Blanche et ses sages négociations permi- rent encore à son fils (saint Louis) d'en recueillir des fruits.
Louis IX n'avait pas encore douze ans accomphs quand il parvint au trône, au milieu de ces événements douloureux. Blanche, chargée seule de son éducation, avait semé dans son àme douce et affectueuse ces principes solides de religion, cette vertu austère, ce mâle courage et cette résignation qui en firent depuis un si grand et si saint monarque. Souvent on en- tendit la reine prononcer ces mots : qu'elle aimerait mieux von- son fils mort que souillé d'un péché mortel.
• l,e ProsidciK llcnaiill.
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Louis >'lll. t'U iiHiuiMiit, iiv.iil iioiiimi' llliinrlif de r.iislillc iciZciiltMlti roviUimc. I,;i lulrllr d'im ciilaiil dr douze ans, cl le gouvcrncmcnl duii j^raiid ('tal livivà laïuhilioii cl aux laclions des partis. claicMirun lourd lardcau pour une laihlc Icniinc. Mais niaucho se nionlra à la iiauleur de sa nol)le làclie : coura- p;euse el ronlianto dans l'appui de Dieu, elle eoniiuenea par-s'en- lourer des personnages les plus intègres et les plus considéra- bles de France. Elle sut se concilier la bienveillance du pape, si utile dans ces temps d'une foi vive, en «leinandant à son légat, alors près d'elle, le secours de son aulorilî' et de ses conseils. Puis, ayant rassemblé toutes les troupes qu'elle put réunir, elle conduisit son fils à Reims, afin d'y être sacré, en présence d'une foule considérable de seigneurs, de chevaliers et d'évèques, à la tète desquels on remarquait le cardinal de Saint-Ange, légat du- pape. Cette auguste cérémonie s'accomplit suivant l'usage, avec toute la pompe usitée dans ces grandes solennités. La présence de Blanche et de son fils fixèrent tous les regards et causèrent une vive émotion. C'était une mère qui présentait au Roi des rois et aux hommes un fils bien-aimé. un roi enfant, dévoué à la religion et à son peuple.
Au moment où le fils de Blanche prononçait le serment d'être fidèle à Dieu et à la patrie, deux jeunes colombes s'introduisi- rent dans l'Église, et s'élevèrent au-dessus du maître-autel en battant des ailes, comme si l'Éternel, dans ce symbole d'inno- cence et de paix, eût voulu sanctionner de sa présence même la cérémonie auguste qui faisait de Louis, par sa grâce, un roi de France et un saint.
Toutefois les grands vassaux rebelles, à la tête desquels on voyait Philippe, comte de Boulogne, oncle du roi, Thibaut, comte de Champagne, et beaucoup d'autres, voulaient profiter de la minorité du royal enfant pour relever leur puissance et placer sur le trône une nouvelle dynastie.
Mais la régente , uniquement occupée d'apaiser les partis, n'oubliait rien pour gagner des serviteurs -au roi son fils. Les grands, le clergé, le peuple, eurent part h ses bienfaits. Sa piété
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sincère, une vertu soutenue par d»' nobles actions^ sa (lou(;eur, une patience ang(''li(iue, son obligeance sans bornes et un dis- cernement peu connnun, la faisaient cliérir par tous ceux qui l'approchaient. L'oncle du roi était celui de qui elle devait at- tendre le plus d'opposition dans ses vues du bien public; elle mit tout en œuvre pour se l'attacher.
Comment ne pas chercher à plaire à une princesse aussi ac- complie ?
La ligue contre le roi et sa mère était redoutable, car elle semblait toujours renaître. On ne pouvait pardonner à Blanche sa naissance illustre, qui la rendait odieuse aux ambitieux. Sa prudence et son courage lui firent tout surmonter. Elle avait en Thibaut, comte de Champagne, depuis roi de Navarre, un ennemi puissant. Sa persévérance et sa présence d'esprit le vainquirent. Par un hiver des plus rigoureux, le jeune roi et sa mère marchaient au devant du comte à la tête d'une armée nombreuse. Ils étaient accompagnés du cardinal légat Romain de Saint- Ange, du comte de Boulogne, et d'un grand nombre de chevaliers, dont Blanche avait su gagner l'affection et les respects. Le comte de Champagne, surpris, étonné d'une si grande dihgence, au milieu d'une saison si rude, vint se jeter aux pieds du roi et de la reine pour implorer son pardon de leur clémence. Louis, autant par bonté naturelle que par le conseil de sa mère, qui savait apprécier toute l'importance d'un changement si peu attendu, fit au comte un accueil bienveillant et le reçut en grâce avec la dignité affable qui le distinguait.
« A donc, rapporte la grande Chronique de France, le comte regardant la reine, qui tant était belle et sage, s'écria tout ébahi de sa grande beauté : Par ma foi, madame ^ mon cœur et toute ma terre sont à vous. »
Il faut bien le dire aussi : la conversation de Blanche était pleine de charmes, ses manières attrayantes et nobles, sa bonté parfaite; et ses motifs se montraient si solides, si pieux, ses bienfaits se répandaient si libéralement, qu'on ne pouvait lui résister.
— 28 — Louis VIIL en mourant, avait nommé Blanc! !.■ Castille régente du royaume. La tutelle d'un enfant de doi ^ ans, et le gouvernement d'un grand état livré à l'ambition e v\\ factions des partis, étaient'un lourd fardeau pour une j ble femme. Mais Blanche se montra à la hauteur de sa noble -In' : coura- geuse et confiante dans l'appui de Dieu, elle comm u ipar-sen- tourer des personnages les plus intègres et les pi considéra- bles de France. Elle sut se concilier la bienveillan( du pape, si utile dans ces temps d'une foi vive, en demandanà son légat, alors près d'elle, le secours de son autorité et d.^es conseils. Puis, ayant rassemblé toutes les troupes qu'elle p r.'unir. elle conduisit son fds à Reims, afin d'y être sacré, en p smce dune foule considérable de seigneurs, de chevaliers et d véques, à la tète desquels on remarquait le cardinal de Saint- ig»-, légat du- pape. Cette auguste cérémonie s'accomplit suivant 'usag^ avec toute la pompe usitée dans ces grandes solennités La présence de Blanche et de son fils fixi'rent tous les regard et rausérenl une vive émotion. C'était une mère (\m présent, au Koi des rois et aux hommes un fils bien-aimé, un rfù ml U. dévoué à la religion et à son peuple.
Au moment où le fils de Blanche prononçait Ir nnent d être fidèle à Dieu et à la patrie, deux jeunes ('(.NmiiIm s uitroduisi- rent dans l'Lglise, et s'élevèrent au-dessus du n Mre-aulel en battant des ailes, comme si ILternel. dans ce syiLM>le d'inno- cence et de paix, eût voulu sanctionner de sa pM-nce même la cérémonie auguste (pii taisait de Louis, par safran-, un nu de France et un saint.
Toutefois les grands vassaux rel)elles. il la léi m >.iaels on voyait Philippe, C(unte de Boulogne, oncle duoi. Tlnbaut, comte de Champagne, et beaucoup d'autres, vou lent profiler de la minorité du royal eiilant pour rele\er leu puissance el placer sur le Iroiie une nouvelle dynastie.
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Dans rinlimilc, sa douceur ani;ôli(|ii(* avec s<'s serviteurs la taisait adorer, et il u en elail pas un (jui n Vùl sacrilii' sa vie [tour lui plaire. IVlle était la l'orée de son empire à l'eirard de ceux (jui l'entouraient . ({u'un n<' pouvait la voir sans l'aimer.
L'horreur de toutes les inisères humaines disparaissait dans tous les lieux où eHe étendait sa puissance. A s;i voix les |)orles des prisons s'ouvraient el les l'ers se brisaient. Les victimes d'une haine inunorale el les innocents recouvraient la liberté, tandis que sa présence modérait les angoisses et les tortures des coupables.
La reine passait la plus grande partie de ses journées, lors- (pi'elle n'était pas occupée des affaires de l'état, avec ses enfants, dont elle soignait la santé et surveillait l'éducation; aussi le jeune roi, nourri du lait maternel, avait-il conçu, dès l'âge le plus tendre, un profond amour pour sa mère. Souvent Blan- che demeurait des heures entières dans son oratoire à prier avec lui, ce qui ne les empêchaient pas l'un et l'autre de veiller au bien-être de leurs sujets, dont ils demandaient sans cesse à l'Eternel le bonheur.
La régente avait besoin d'une activité soutenue et constante pour apaiser les troubles de la France et vaincre les partis.
Le duc de Bretagne, déjà reçu à merci par la reine, venait de se révolter de nouveau. Ligué avec le roi d'Angleterre, ils ne parlaient de rien moins, lun et l'autre, que de détrôner le roi.
Par un froid extrême, la régente et son fils se mirent en cam- pagne 1226 et allèrent camper devant Bcllesme, que le duc dé- fendait ; cette place passait alors pour imprenable par l'épais- seur de ses murs et la forte tour du château.
Hommes et chevaux périssaient frappés par la rigueur de la saison; cependant la régente ne se rebuta point, elle voulut être en persoime au siège avec son fils. Elle encourageait les soldats par sa présence, faisant panser les blessés, souvent les pansant elle-même, et veillant à tous leurs besoins, comme une mère tendre et vigilante à l'égard de ses enfants, ce qui faisait de ces hommes, pour la plupart rudes et insouciants, autant de héros.
Jous les clicv.ilicrs hi'i^ii.iiciil riioiinciir de remplir les onlros (le la roino, H leur enllioiisi.istiie éclalail siirloiil l(»rs(|u'on la voyait à cheval à coté de son fils, adolescent (jui, portant une légère armure, la léte couverte d'un casque d'acier brillant, criait de sa jeune voix : '( Saint Denis! Montjoie! » en se préci- pitant au plus fort de la mêlée, (^es cris de guerre, en ces lemps- là, étaient toujours le présage de la victoire.
Pendant ce siège, pour préserver l'armée et la mettre à l'abri du froid, la reine ordonna d'abattre un grand nombre d'arbres et en fit faire dans le camp de grands feux pour chauffer les soldats qui commençaient à murmurer de leur intolérable situation.
« Ce n'est pas seulement par tant de vigilance, dit Guillaume de Nangis, que Blanche de Casùlle paraissait être une personne de (jrande conduite ; car, en toutes les actions, c'était la plus habile comme lapins adroite femme de son royaume. »
Après plusieurs assauts meurtriers, Bellesme se rendit enfin, et ce fut encore l'occasion pour la régente de manifester sa grandeur d'àme. Elle eût voulu que par sa clémence les mal- heurs que les circonstances amenaient en quelque sorte malgré elle ne revinssent plus affliger son peuple.
Louis approchait alors de sa dix-neuvième année ; la reine songea à le marier et lui choisit pour épouse une princesse belle et vertueuse, Marguerite, fille aînée du comte de Provence, à laquelle Louis IX unit son sort en 1234. Deuvans après, Blanche se démit du pouvoir; son fils avait atteint vingt-et-un ans et sa majorité ; mais elle conserva toute son autorité. Le roi, pénétré de respect, de tendresse et de reconnaissance pour sa mère, ne voulut jamais agir que par ses conseils et lui montrait toujours la même déférence.
Blanche , peu de temps après , fut obligée d'aller faire le siège d'irècems, à six lieues de Nantes. Le roi d'Angleterre se trouvait dans cette dernière ville; il en délogea à la hâte. « ai- mant mieux, dit-il, manquer de foi à son allié, le duc de Bre- tagne, que de courir la chance d'augmenter les trophées d'une femme à laquelle rien ne pouvait résister. »
- li'î —
l'('n(l;ti\l ce sh'iic le ^Uw de lîrcliiiiiu' lui ((HKlimiiit' à moi'l piii' un arrèl sdlciiiit'l pour crinic de IV'Ioiiic cl i\v Irsc-in.ijcslc. Le rebelle, jtris iiuiiicdiiilcuicMl, iilhiil èli'c uiis ;i niorl, lorsiiiic l.i réveille se laissa llécliir par la rainille du duc, cpii vint loul eplorec se jeter à ses |)ieds. La rein(> l'ut la première à la ras- surer, à la consoler; elle rendit au prince tous ses biens, ne prenant contre lui que les simples précautions (pii importaieni à la tranipiillité du roviunne.
Kniin vint le momeni où l'aulorih' du roi fut parloul res- pectée.
La sagesse des plans de la régente, sa proni[)titude à les l'aire (exécuter et son adresse pour diviser ses ennemis, dissipèrent ainsi (ui peu de temps les orages qui paraissaient devoir en- traîner sa ruine ; trompant tous les calculs et les prévoyances, comprimant les passions, elle rendit le calme à la France et la sécurité à son gouvernement. Le repos que Blanche de Castille avait acheté par tant de sacrifices et de travaux ne devait pour- tant pas durer.
Le roi étant parti pour la Terre-Sainte, où il allait entre- prendre la cinquième croisade, sa mère, restée régente du royaume, obligée de s'entourer d'amis, sut trouver dans les prisons un allié non moins puissant et non moins utile que ceux que déjà sa constance et sa vertu avaient remis sous la bannière du roi son fds. L'infortuné Ferrand, comte de Flandre, était toujours captif dans la tour du Louvre ; la comtesse sa femme, refusant de payer sa rançon, le laissait sans pitié dans les fers. Décidée à rompre ses liens, elle avait formé le dessein d'épouser le comte de Bretagne, Pierre, dit Mauclère, l'un des plus ardents ennemis de la reine ; Blanche déconcerta ses pro- jets en rendant la liberté à Ferrand, qui paya sa générosité par un dévouement constant et sans bornes.
Il ne restait plus à Blanche d'autres adversaires à combattre que les Anglais : Savary, leur chef, fut défait et forcé de se re- tirer en Gascogne.
Blanche, que nous avons vu si zélée pour les droits de la re-
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ligion aillant que pour ceux du trône, savait alîier la lernieté à Ici prudence, et, |')ar son ex(Mnple, corrij^er ce que les nueurs de ce siècle avaient d'inhumain el d(^ barbare. Elle aj)prend que des malheureux serfs dépendants du chapitre de Paris et habi- tant le village de Châtenaii, ont été jetés dans les fers pour n'a- voir pu payer la tadle aux chanoines, tant leur misère est grande. La reine demanchUeur grâce, et n'ayant pu l'obtenir, indignée, elle sort précipitamment de son palais avec sa garde, se rend à Châtenay, fiiit enfoncer les portes des prisons, délivre les captifs et fait saisir les biens du chapitre. Blanche ne s'en tient pas là : moyennant une somme d'argent qu'elle donne, les infortunés serfs sont afTranchis et vont peupler de nouvelles cabanes en bénissant son nom.
Dieu, pour éprouver ses élus, leur envoie parfois de cuisants chagrins ; Blanche devait en ressentir un bien amer pour son cœur maternel. Quelques rumeurs sourdes sur l'armée des croisés se répandent dans Paris. Deux chevaliers, arrivés d'É- gyple, sont introduits près de la reine et lui apprennent que le roi, ses frères et grand, nombre de chevaliers sont prisonniers des Sarrazins.
La reine, à cette fatale nouvelle qui brisait son ànie, éleva ses yeux vers le ciel avec une sainte résignation : « 0 mon Dieu ! dit- elle, que votre nom soit sanctifié, et que votre volonté soit faite ! » Puis, après avoir lu les lettres du rOi, qu'elle baise et arrose de larmes, reprenant son énergie el son courage, elle ordonne qu'une nouvelle armée soit rassemblée ; et voulant que la rançon de son fds bien-aimé et de ses frères l'accompagne. Blanche se dépouille la première de ses joyaux les plus précieux, pour les convertir en or et servir au rachat des illustres captifs.
A la nouvelle des désastres de l'armée des croisés et de la cap- tivité du roi et de ses frères, des villageois grossiers et farouches, appelés Pastoureaux, soiis le prétexte d'aller délivrer les prison- niers, se rassemblèrent au nombre de plus de cent mille, se por- tant à tous les excès et commettant en France d'affreux dés- ordres. Tl fallut, armer contre eux, les vaincre, les disperser,
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U'ur pardoniUT, cl rcpiiicr par des cdils iU' clciiiciicc l()u<; les maux {|ii'ils aVaiciil caiisc's. Anirs Ions ces iTialliciii's il l'alfail |)oiirlan( envoyer «les troupes au secours de saint Louis.
La régeiile l'ail des levées, organise une nouvelle armée; mais celle armée se ré|>and encore [)ar bandes dans le royaume, au lieu de s'einharquer pour la TerrcvSainte, et devient un nou- veau tléau pour la France.
Ce dernier coup du sort accable la reine; une fièvre violente s'empare d'elle et la fait succomber le premicT décembre 1252, à l'âge de soixante-six ans. Cinq à six jours avant de mourir,' Hiancbe prit l'babit monastique de l'abbaye de Maubuisson, qu'elle avait fondée près de Pontoise. C'est dans cette même ab- baye qu'on l'inhuma; son corps y fut porté sur les épaules des principaux seigneurs de la cour. On la voyait assise sur un trône d'or, et revêtue de ses ornements royaux par dessus son habit de religieuse.
Voici le portrait qu'un (le nos académiciens les plus dis- tingués, M. le comte de Ségur père, a fait de cette femme illustre.
« Blanche était non moins, célèbre par ses qualités person- nelles que par celles de son fils. On la trouvait belle, spirituelle, active, majestueuse sans orgueil, attrayante sans faiblesse. Sa fierté intimidait l'audace, sa douceur attirait l'affection. Habile à pénétrer les desseins de ses ennemis, elle savait également les combattre, les diviser et les gagner. Froide dans le danger, elle était fertile en expédients pour en sortir. Son zèle ardent pour la religion et le bien public la rendit vénérable au peuple et chère au clergé. >)
En la perdant, la France perdit une grande reine et un ange
de la terre.
Vicomtesse Eugénie de Talabot.
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litK.Becquet.
SAINTE ÏLISABETII DE HONGRIE,
Les jours d'enfance.
Vers 1 207 naquirent deux' enfants que leurs parents destinèrent à être unis : Eli- sabeth, fille d'André II, roi de Hongrie, et de Gertrude de Carinthie ; Louis , fils d'Hermann , landgrave de Hesse et de Thuringe. A peine Elisabeth avait -elle quatre ans, qu'on l'envoya à la cour du landgrave , oii elle fut confiée aux soins éclairés d'une dame extrêmement I pieuse. Cinq ans après, Louis devenait orphelin, et, bien jeune encore , posait une cou- ronne sur son front^ Cet évé- nement ne changea rien aux projets d'alliance formés entre le roi de Hongrie et feu le landgrave de Thuringe.
Il était dans la destinée d'Elisabeth d'offrir, dès le bas- âge, les exemples de ferveur réfléchie 'qu'on pourrait à peine de-
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maiHlcr à la raison de là^r mur. {'a'[[v n\\\u\{ avait apporté en (jiu'IqiK* sorte dans la vie imc précocité do sagesse, une éléva- lionde p(M\sres ipii cliamtcnl cl ('lomiciil à la lois; elle aiiiiail à rester prosternée devant les autels, adorant ou plutôt devinant •Dieu avec l'instinct du coMir. Si elle jouait en coni])a^Miie d'au- tres enfants, non loin d'une cliapelle, sans être reniarcpiée elle se rajiprocliait doucement des murs et des portes pour y déposer des baisers "de cluétienne. Aux heures de prière elle appli(iuail fréqu(Mnnient ses lèvres sur les dalles de mar])i-c du sanctuaire, siiiiK^ précurseur de cette modestie qui devait lui .l'aire tant d'admirateurs et tant d'ennemis. Et non-seulement la princesse mettait un zèle de tous les instants à accomplir ses devoirs reli- gieux, mais elle avait imaginé un ingénieux apostolat-, ainsi elle réunissait des enfants pauvres et leur distribuait ses épargnes quan(l ils avaient dévotement récité l'Oraison dominicale et la Salutation angélique. Chaque jour elle disait un certain nombre de prières, et son exactitude à accomplir ce devoir qu'elle s'était volontairement imposé était telle, que, pour n'y jamais manquer, elle retranchait au besoin une heure ou deux de son sommeil.
II
Le mariage.
La sœur du landgrave, Agnès, avait un caractère bien op- posé à celui d'Elisabeth. Les plaisirs mondains charmaient son esprit, le luxe et la parure fascinaient ses yeux. Elle était en- couragée dans ces goûts futiles par Sophie, sa mère, qui ne pouvait comprendre l'humilité de la princesse de Hongrie; aussi la douairière se décida-t-elle enfin à écrire à son fils, depuis longtemps absent de ses états, afin de l'engager à rompre les projets de mariage qu'Hçrmann avait formés pour lui.
Louis, en recevant la lettre de sa mère, se trouva péniblement
|»nrl,iiïô onire le rrspc^ct filial cl la tiTHlrcssc ou |)lul(M I aniilir (l'cni'aiici' (juil l'proiivait pour Klisaix'lli. Il manda auprès de lui le prôtro Conrad, célrbro prédicateur, qui jouissait de toute sa confiance. — Conseillez-moi, dit-il; les griefs de ma mère vous semblent-ils fondés? Trouvez-vous que l'humilité soit mal- séante chez lu fiancée du landgrave de Thuringe?
— .le crois, monseigneur, dit Conrad, qu'un semblable sujet demande de sérieuses méditations. Retournez à Marpurg, et là étudiez le caractère d'Elisabeth. On ne juge jamais bien de loin.
Le prince suivit l'avis de Conrad. Sans en prévenir per- sonne, il partit et surprit ses courtisans, qui, à l'instigation d'Agnès et de Sophie, avaient formé une ligue contre Elisabeth. Chacun s'empressa d'insinuer quelque propos envenimé qui devait faire baisser le crédit de la fiancée royale dans l'esprit du jeune souverain. Seule, Elisabeth n'avait pas encore paru devant Louis; celui-ci, d'un ton de sm-prise et de chagrin, de- manda où était la fille d'André de Hongrie.
— Il est probable, répondit Agnès, qu'elle n'ignore point votre arrivée ; mais en ce moment elle accomplit ses devoirs re- ligieux dans la chapelle, et pour elle toutes les affections se taisent devant la prière.
— Elle est dans la chapelle? répéta le prince d'une voix émue ; eh bien, je veux l'y aller trouver. . .
Il s'éloigna sans faire attention au mécontentement empreint sur les traits des courtisans ; ce fut d'un pas léger qu'il traversa l'enceinte. Aux marches d'un autel consacré à l'apôtre saint Jean, était agenouillée Elisabeth.
A l'immobilité de sa pose, on eût cru voir hors de son piédestal une de ces statues de saintes, frêles effigies qui jadis décoraient le portail des basiliques. Louis n'eut pas le courage de troubler une méditation si touchante ; mais se plaçant à quelques pas de la princesse et de manière à la contempler, il unit ses vœux, ses pensées aux pensées et aux vœux qui s'échappaient du cœur d'Elisabeth. La jeune fille finit par se transfigurer pour lui ; un cercle de rayons vint baigner de lumière sa tête blonde et vir-
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i^iii;! le. Louis compril (|ii(' le ciel .ivail (l(''sijj;ri('' h piiiiccsscccminic iincdc SCS saillies. S(irl;uil ciiliu de sa incdilalioii. Élisahclli leva It'syoux; ollo apcrriil son liaiicc cl i-oujiil «'xlrèincnuMil. Le landi;rav(' lui adressa i^ravcnicnl un salul cl lui pn'sciila !a uiaiu pour la ramener au palais. •Eiisabelli paraissait un peu ciMiiilivc.
— Quavez-vous donc, ma clière sœur? demanda Louis quand ils furent hors de l'église.
— J'ijinorais. monseigneur. (]uc vous fussiez arrivé ; j'aurais dA me réunir à la cour, à votre famille pour aller vous recevoir.
— Vous étiez, reprit-il en souriant, occupée d'un acte- plus méritoire, plus agréable à Dieu. Avez-vous prié en faveur de vos ennemis ?
— Des ennemis, à moi!... et quel mal ai-je fait?... nul n'a sujet de me haïr... je serais bien affliger si je pensais avoir of- fensé quelqu'un.
— Non, ma sœur, vous' n'avez offensé personne; mais votre vertu austère est incommode pour les esprits qu'éblouissent surtout le goût du luxe et l'attrait des plaisirs.
— Mon Dieu ! ce n'est pas ma faute si ces plaisirs et ces pa- rures ne peuvent me plaire.
— Je ne vous en blâmerai point, dit le prince en élevant la voix de manière à être entendu des courtisans qui l'entouraient; vous êtes telle que je vous rêvais, telle que le vertueux Conrad vous avait dépeinte. Soyez assurée, chère sœur, que ma protec- tion ne vous manquera jamais.
Quelques jours s'étaient à peine écoulés lorsque des fanfares retentissantes, mêlées aux sons des cloches, annoncèrent aux populations de la Thuringe qu'un grand événement allait s'ac- complir. Bien des actions de grâces furent adressées au ciel ; Louis de Thuringe et Elisabeth de Hongrie venaient d'échanger leurs serments devant l'autel.
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La «oi'vanlc dcM imiivrca».
Les deux jeunes époux continuèrent dans l'intimité du ma- . riage l'existence pure qu'ils avaient menée jusqu'alors, lîlisabetli avait pour son mari une vive tendresse jointe à une complète soumission. Loin de mettre des entraves au zèle religieux de sa femme, Louis partageait souvent ses exercices de piété, rtiais il était obligé de s'opposer à ses austérités trop rigoureuses
Elisabeth cherchait à se soustraire aux lois de l'étiquette, elle était surtout heureuse quand elle pouvait quitter ses riches atours et prendre les vêtements d'une femme d'humble con- dition.
Tous les indigents, tous les souffreteux composaient sa vaste famille ; il n'y avait pas de soin qu'elle ne s'empressât de leur .prodiguer.
Les ennemis d'Elisabeth, persévérant dans leur haine, repré- sentèrent au landgrave que les aumônes de sa femme appau- vrissaient le trésor. Instruite de ces suggestions perfides, la princesse craignit que l'esprit de son époux n'en reçût une fâ- cheuse impression, il lui arriva parfois de cacher ses bonnes œuvres. Un jour, elle traversait rapidement une des cours du château, portant dans un pan de sa robe des gâteaux et des fruits pour ses pauvres, lorsque tout à coup elle aperçut le landgrave devant elle. Celui-ci, étonné de l'air de trouble que trahissait toute Ta physionomie d'Elisabeth, lui demanda : <( Où allez-vous et que portez-vous là? » Loin de pouvoir répondre, Elisabeth baissa les yeux en balbutiant ; Louis étonné écarta le pan de robe et aperçut seulement une abondante touffe de roses... Dieu avait voulu par ce miracle épargner une épreuve à la sainte, et glorifier sa charité. Le landgrave comprit, et s'écria en joignant les mains : « Elisabetli, il ne rnappartienl
_ V(> —
pas (le hlàmcr vos dons, car ils altin.'iil Mir nous la hcnédk-lioi»
l'éU'sle! » •
Co nclail point ici-bas quo (tUc hcMiôdirlion dcvail m-(|ni- pensor les vortus des deux époux. Mais avanl de raconter leurs malheurs, rappelons un des mille traits de charilé qui signalcreni
la vie dKlisabeth. Nous avons enq)runté à la poésie son lan- gage pour retracer cet épisode d'une existence si chrétiennement poétitpie :
Le soleil colorait les champs de la contrée Où vécut autrefois une reine adorée , Queleciel recueillil an nonil)rcdesélus. Comme une chaste étoile, une perle de plus. Se dérobant au joug d'une pompe importune Et cheminant à pied, pour trouver l'infortune . Elisabeth suivait , en côtoyant les blés . De modestes sentiers bien rarement foulés. Son regard , fatigué de l'or et de la soie , Savourait les trésors que la terre déploie. Prisme doux et charmant où les bluets d'azur OfïVent le frais bandeau qui couronne un front pur La reine poursuivait ses saintes rêveries: Et , descendant du haut de leurs branches ileuries , Les oiseaux voltigeaient sur le bord du chemin . Prêts à venir, joyeux, à l'appel de sa main. . Elle semblait porter, comme la Providence, A la nature entière un gage d'abondance. Deux dames escortaient, priant avec ferveur. Celle en qui revivait la mère du Sauveur.
« Voyez ! à l'horizon déjà le jour décline,
Et l'ombre , ainsi qu'un voile, entoure la colline :
On ne distingue plus que la cime des bois ;
Les pâtres . les chasseurs ont regagné leurs toits ;
lit pas un malheureux n'a salué la reine.
Et comme ce matin mon escarcelle est pleine. . .
Mon- Dieu! défendez-vous que je sèche des pleurs?
Voulez-vous vers une autre envoyer les douleurs .
Vous qui m'avez donné le rang et la puissance
Pour nourrir la vieillesse et protéger l'enfance.'
— Oh! ne vous plaignez pas, madame: vos -bienfaits N'attendent pas les vœux . préviennent les souhaits ;
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LitJi.B.
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1.C riche en son manoir, le piftivrc sons le (liauiiK- , Sont lit'is de vous iiomiucr palroiinr du royaiiiiic . Kt votre charité pnMid des soins siipcrilus A chercher dos souiïranls quand il n'en resicî plus
— Kcoulcz ces sanglots, ces accents de détresse... C'est un entant que Dieu dans sa bonté m'adr('sse; lù'outez ! »
Sur un l)anc agenouillé , i»leurait IJn pâle jouvenceau (jui ton! bas niurnuirai( :
« Jésus! je suis donc seul, déjà seul à mon âge! Pourtant, lu le sais bien , j'ai toujours été sage , Et je priais , le soir, auprès de mon aïeul ; Il dort sous ce long drap qu'on appelle un linceul... « Au revoir, » m'a-t-il dit. Mais j'ai la souvenance . Que mes parents aussi m'en donnaient l'assurance Quand ce pesant sommeil descendit sur leur front; Jamais, hélas! jamais ils ne s'éveilleront. Pitié, pitié d'Arnold , dont la peine est extrême ! Jésus, tu fus enfant, et tu souffris toi-même... Laisse tomber du ciel quelques miettes de pain. Pitié ! car j'ai grand' peur : pitié ! car j'ai grand' faim!
— Arnold! » dit une vois qu'un ange eût admirée.
L'enfant se retourna , la tigure empourprée . Plein de honte et de joie , et croyant qu'il rêvait Et que la vision pour le fuir se mouvait , N'osant pas la toucher d'unemain téméraire. Se disant que peut-être il revoyait sa mère : Car c'était la candeur de ses traits bien aimés Et l'azur de ses yeux dans le tombeau fermés.
« Arnold! viens, mon enfant... rassure-toi. je t'aime.
— O madame , merci !
— C'est le aître suprême Qu'il faut remercier ; mais moi , je ne suis rien. J'exécute ses lois , et lui seul fait le bien.
— Comme je suis content! je pleurais tout à l'heure. C'est presque avec plaisir que maintenant je pleure. Jamais on n'eut pour moi de regards aussi doux.
— Prends ce gâteau . ces fruits . dit la reine , et suis-nous.
G
- Vl — - Miiis. miirmm;! l'ciif.'ftil . "ii \a l-nn me cuiuliiirc '
— Dieu . i|iii «If Ion iiiiilliciii ;i liifii \oiilii iii'iiiMiuiif l'iiili'tîc l'oriilicliii fl lit" itiMiiicmait pas
Que vns lin |)ivti|Mrf on diii^icàt ses pas. Non moins (|ut' Ir pt'clit' le iloiilc csl mic oll'cnsc : lii n'as'pour bouclier (pii' la scnli- innocence , Crois donc au rroleclcur ([ui l'a remis à moi : La roice'des enlaiils ; c'est leur naïve (oi. ConUMuple. mon ami , ces Con-ls, ces vallées. Ces nids, où voni ilonnir les lamilles ailées; N iiis la ville dresser ses clochers et ses tours , riia(ine être a son abri : Dieu veille sur nos jours. Kt (juand pour t'arracber à la douleur amère . Il daigne m'envoyer, uesuis-je jkis la mère?
— Si vos autres enlants allaient être jaloux ?
— .Aies enlants sont nombreux . ils le chériront tous. >
Arnold plaçant sa main dans la main de la reine , Us marchèrent ainsi ; la ville était prochaine ; Le peuple à leur entrée accourut ; mille voix, Comme un hyînne d'amour, crièrent à la fois : '< Vive . vive à jamais Elisabeth la bonne , Qui semble recevoir ce que son cœur nous donne ! Quand déjà son palais d'intortunés est plein , Elle y conduit encore un nouvel orphelin. » Et la- reine disait : » Vous m'avez entendue , Ma journée, ô Seigneur !ji'a pas été perdue. "
IV
Épreuves.
Frédéric Burberousse s'était croisé pour aller arracher la Terre-Sainte au joug des Infidèles; toute rAllemagne avait suivi cet exemple. Louis de Thuringe ne pouvait rester sourd à l'appel de l'empereur; sa bravoure et sa piété l'entraînèrent vers cette lointaine et périlleuse expédition qui, commencée si brillamment, devait se terminer par de tristes échecs.
A peine le landgrave fut-il parti, qu'Elisabeth, renonçant plus
(|ii(' j.irii;»is iiu\ pn'roiî.itivcs de son ranj;. se voua avor un rc (loul)leiiieiil d'arduur ù la pratiiiue des a'uvn's de (.liarité ; clic su[)priiiia autour de sa personne tout luxe extérieur. Mais un malheur imprévu allait éprguver sa constance.
Arrivé à Otrante, Louis fut atteint d'une fièvre maligne; en peu de jours le mal fit les plus rapides pro^rres. Seul le l.vid- grave ne partageait point la douleur générale; c'était lui, vic- time d'un mal terrible, qui consolait ses amis ; il vit avec une admirable sérénité approcher le moment suprême. La vertu d'Elisabeth lui répondait du bonheur de leurs entants.
La princesse se trouvait dans son appartement et donnait ses soins aux trois orphelins, qui ignoraient encore, ainsi (|ue leur mère, l'immense perte qu'ils avaient faite, lorsque la douairière Sophie entra d'un pas rapide ; elle était suivie d'un messager vêtu de deuil.
— J'ai à vous apprendre, dit-elle, une nouvelle affreuse ; mon fils, votre époux nous a été enlevé. . . il n'est plus !
Elisabeth, sans pouvoir proférer une parole, tomba évanouie. En recouvrant l'usage de ses sens , elle versa d'abondantes larmes; son affliction ressemblait à de la folie : toutes ses femmes, accourues auprès d'elle, pleuraient et remplissaient l'air de cris plaintifs.
Dès le lendemain, une ligue puissante se forma dans la cour contre la Veuve du landgrave ; son malheur n'avait pu désarmer les esprits jaloux et haineux que tant de vertus ofi'usquaient. La supériorité, de quelque nature qu'elle soit, excite toujours plus d'animosité que d'admiration ; voilà pourquoi les grandes âmes n'ont pas leur place marquée sur la terre.
Henri, le frère du" landgrave, demanda une entrevue à Eli- sabeth ; celle-ci se rendit aussitôt dans une salle où presque toutes les personnes de la cour étaient déjà réunies.
— J'ai voulu, madame, dit Henri, vous annoncer moi-même le changement de votre sort et le résultat d'une importante dé- libéfa.tion qui a eu lieu ici. Vous avez abusé de l'autorité que liiifortunt^ Louis vous avait confiée : au lieu d'adnlinistrer sa-.
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iicmt'iil les rt'vriuis pnltlics, voii> 1rs ave/, dissipés sous le spé- cieux prrirxtc dr repiuidrc des .uimùiirs. I.c In'sor appauvri ne suHil |)liis aux drpt'uscs; il faudra, pour ré(al)lir ré(pii1il)r(\ une adnuuislralioii vigoureuse, uiw main leritie. Le conseil de \i\ noblesse a donc décidé (jue la régence nie serait conliee.
La princesse tourna vers Sopliie et Agnès un regard (pii eùl désarmé l(>s ccrurs les plus inllexrbles. — Je remercié Dieu, dit- <'ll(\ de m'avoir jugée digne de souHrir; cependant, je l'avoue, cette épreuve est venue bien vite... On eût du au moins respec- ter pendant quehpie temps l'aflliclion d'une veuve.
— >ïadame, reprit Flem-i d'un ton décolère concentrée, au lieu d'accuser les grands de IKtat, remerciez-les plutôt de leur indulgence; votre sort pouvait être pire encore.
— Merci, mon Dieu ! murmura Elisabeth.
• — Qu'est-ce à dire ! s'écria durement la douairière; cette étrangère prétendrait-elle jouer le rôle de martyre? Henri, n'ou- bliez pas vos engagements : l'indigne épouse de Louis ne doit plus habiter ee palais.
— Je comprends, madame, dit Elisabeth, épargnant ainsi au prince l'embarras de répondre; dans quelques instants je serai hors d'ici. Je ne vous demande que la permission d'embrasser encore une fois mes chers enfants et d'emmener avec moi ma fidèle Hentrude.
. — Qu'il soit fait comme vous le désirez, dit brusquement Henri. Et il s'éloigna, suivi de tous les courtisans. Une heure après, Elisabeth descendait les sinueux sentiers de la montagne oii s'élevait le château de Marpurg, et allait de- mander aide et protection aux habitants de la ville qui s'appuie contre la base de cet immense rocher. Déjà la nouvelle des malheurs de la princesse s'était répandue au loin; craignant pour leur propre salut s'ils s'exposaient au ressentiment de la cour, les bourgeois s'enfermèrent prudemment chez eux. Elisa- beth trouva toutes les portes closes ; en vain, épuisée de fatigue, appelait-elle d'une voix suppliante des hommes que ses bien- •faits étaient si souvent venus chercher; ils avaient -oublié les
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bienfaits d'Elisal)eth pour ne songer (ju'à son abuissenienl. Ainsi dans toute une ville pas un toit sous lequel la veuve <lu land- i^rave de Tliuringe put abriter sa tristesse. Seul, le maître d'une auberge consentit à la reccn^oir, et encore ne lui accorda-t-il qu'un coin de son étable.
Vers minuit la princesse se rendit à l'église- des Franciscains, où l'on récitait les matines : « Veuillez, mes frères, dit-elle, chanter un Te Deum en action de grâces ; car Dieu a daigné en- voyer de rudes épreuves à son humble servante. >)
S'étant de nouveau mise à la recherche d'un asile, le len- demain, elle subit les mêmes refus de la part de cette population que la peur rendait ingrate et barbare. Dans une rue fangeuse et n'offrant qu'un étroit passage où l'on pût marcher à pied sec, Elisabeth rencontra une vieille femme qu'elle avait souvent ho- norée de ses dons; cette vieille, loin de consentir à céder le pas, heurta si rudement la princesse qu'elle la précipita dans la boue. Elisabeth répondit par un sourire à cet acte d'insolence, et elle retourna s'agenouiller dans l'église, le seul lieu, dont l'entrée ne lui fût pas interdite. , .
Le soir, la fidèle Hentrude lui amena ses enfants. L'usurpa- teur n'avait pu porter plus longtemps le masque de la modé^ ration; il faisait partager au jeune Hermann, légitime héritier de la couronne, le sort d'Elisabeth, sa mère. Celle-ci reçut avec joie les trois orphelins rendus à son amour ; et cependant des larmes mouillèrent ses paupières quand elle entendit ces inno- centes créatures se réjouir de la revoir. « Pauvres oiselets, mur- mura-t-elle, on vous a sans pitié enlevé votre nid... Hélas! qu'allez-vous devenir? Vous êtes maintenant plus misérables que le. dernier mendiant de Thuringe. » Mais les caresses, des enfants lui rendirent un peu de force.
Un prêtre s'approcha d'elle et lui dit : « Madame, permettez à un humble serviteur de vous offrir sa maison ; je sais à quelle persécution vous êtes en butte ; mais les efforts des méchants ne sauraient m'intimider, et à mes yeux vous êtes toujours ma souveraine! »
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A [x'iiie Klisabc'lh s olail-cllc iiistalk'L' lIk'z ce ^eiii'ieux inrUc, que les émissaires do Henri vinrent menacer l'hùte de la prin- cesse, (jui lui obligée de retourner à l'anljerge oii on l'avait reçue d'abord. La sérénité d'Elisabeth remplissait tous les cœurs d'étonn(Mneiit ; on ne |)ouvait comprendre la force que cette admirable femme trouvait dans la paix de sa conscience : quand chacun la plaignait sans oser la secourir, elle seule ne se plai- gnait pas. Son unique regret était de ne pouvoir plus distribuer d'aumônes. Au sein de sa misère elle ne se préoccupait que de la misère d autrui.
— Mailame, dit' un jour la bonne Hentrude en entrant préci- pitaminent dans retable, voici un message de votre noble tante l'abbesse de Kitzingen. Elle a appris les persécutions dont vous êtes l'objet, et elle vous offre un asile inviolable dans son mo- nastère.
— Tu vois, Hentrude,. dit la princesse sans paraître émue de cette. bonne nouvelle, que le ciel n'abandonne jamais ceux qui le prient avec ferveur.
L'abbesse de Kitzingen, après avoir fait le meilleur accueil à Ehsabeth, lui conseilla de se placer sous la protection de son oncle, l'évéque de Bamberg. Ce prélat mit un palais à la dispo- sition de sa nièce, et il la reçut avec la considération que méw- taient les malheurs et les vertus d'Elisabeth.
Cependant la Providence allait terminer les épreuves delà princesse et confondre ses persécuteurs.
La ■•éparatioii
lin cortège funèbre traverse toute l'Allemagne ; il est parti de la ville d'Otrante. Les principaux officiers du corps d'armée, en- voyés par la Thuringe pour seconder l'expédition de Frédéric Bar- berousse, escortent un char mortuaire couvert de longues drape-
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lies noires. L'iillliclioii hi plus pioloiid»' iillnc 1rs Irails niAles (ir CCS guerriers ; ils laissent traîner leurs lances cl portentVIes lial)ils (le deuil. Sur le passafj;e de ce convoi les populations se pressent et s'agenouillent ; les yeux sont pleins de larmes, toutes les voix s'écrient : (' Du liaul du ciel, votre nouvelle patrie, l.ouis le pieux, priez pour nous ! »
C'est le landgrave de Thuringe qu'on ramène au pays de ses pères, le landgrave, mort à la fleur de l'âge, comme si la terre eût été indigne de posséder un héros aussi accompli ! Les princes dont le territoire est traversé par ce cortège vont au- devant de la triste dépouille de Louis et se confondent parmi les fidèles serviteurs qui accompagnent leur maître. Chaque nuit le corps est déposé dans un monastère.
Quand le cortège arriva près de Bamberg, l' évoque alla le recevoir processionnellement avec tout son clergé. Elisabeth en- tra dans l'église où les restes mortels du landgrave venaient d'être placés; elle s'approcha du cercueil, et, comprimant sa douleur, elle voulut contempler ce qui avait été Louis de Thu- ringe. À cet affreux spectacle, la force l'abandonna, ses pleurs coulèrent en abondance.
Après la cérémonie, Elisabeth réunit autour d'elle les barons qui avaient accompagné le corps du landgrave. Elle tenait ses enfants entré ses bras; on eut dit la Charité abritant de petits orphelins. Prenant alors la parole avec une éloquence qu'elle puisait dans ses sentiments maternels, elle exposa sa situation ; mais, tout en traçant le tableau, des persécutions dont elle avait été victime, elle atténua les torts de Henri. L'indignation des barons répondit à cette confidence ; d'une voix unanime Us jurèrent de rendre la couronne au fils d'Elisabeth..
Quelques jours après, le cortège funèbre arrivait au pied du château de Marpurg. Tant que dura la dernière cérémonie, les barons gardèrent le silence; mais lorsque enfin le corps du land- grave eut été de nouveau confié à la terre, les nobles abor- dèrent l'usurpateur Henri, la tête haute et le regard animé .d'un généreux courroux. L'un d'eux l'interpella ainsi : — Monsei-
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gneur. noire prince avail en piiiliinl Lusse un héritier. Molve prinee n Vsl plus, el nous eherclionsen Viiin S(»n lierilier.
Henri halburm une réponse ambiguë.
— Je VOUS coniprends. re|>ril le lier haron, vous croyez éclia|)- per à nos (jueslions coiniue à voire conscience. . . ne l'espérez pas. Nous, compagnons d armes de Louis le pieu.x, nous ne souilri- rons point qu'on lasâe tort à sa l'emme et à ses enfants.
— Messeigneurs, dit Henri, la conduite d'Elisabeth...
— Est admirable, interrompit un autre chevalier; l'Eglise s'honorera peut-être un jour de compter au nombre de ses saintes cette princesse accomplie. On vous a exprimé notre pensée : tant que nous porterons une épée, nous combattrons pour soutenir la cause d'Hermann; et encore, si la vengeance des honunes ne punissait votre usurpation, tremblez que la vengeance de Dieu ne vous écrase au sein de vos prospérités!
Tout pâle d'effroi, Henri fit entendre quelques excuses et. ajouta : — Le ciel m'a éclairé, je reconnais à présent l'étendue de mes torts, et je suis prêt à les réparer. Que la princesse re- vienne à la cour ; son palais , son pouvoir, ses richesses, je lui rendrai tout.
Hermann fut rappelé; Elisabeth, remise en possession de ses biens, ne les accepta que pour en distribuer les revenus aux in- digents, et elle laissa la régence aux soins de Henri.
Ouatre années s'écoulèrent. Le 19 octobre 1231, la fdle du roi de Hongrie, l'épouse du landgrave de Thuringe, expirait sur un lit de planches, dans une humble cellule, terminant par cette mort prématurée une existence moins riche en jours qu'en belles actions. Son corps fut enterré dans une chapelle, près d'un hô- pital qu'elle avait fondé. La sainte princesse était destinée à ne jamais quitter les pauvres et les malades, sa grande famille d'adoption.
Alfred df.s Ess.\rts.
'^:' il
- Atl t-itîî»*'i'"T>A" 5^
Lirti. Paul Peti^ et C'' 5, Place du Doyenné. Paru
SAINT LOyiS.
Dans une humble maison de Pontoise gi- sait sur une couche de serge un malade illustre: ce malade était le roi Louis IX. Au chevet du lit se tenait une femme encore belle dont le re- gard désespéré ne se détournait pas une mi- nute du visage de Louis ; une autre femme à peine sortie de ladolescence essayait en vain d'étouf- fer de pénibles sanglots; et des serviteurs éper- dus , groupés derrière Blanche deCastille et Marguerite de Provence, transmettaient à chaque instant aux assistants qui se pressaient à l'entrée de la
.."S.A
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(liamluc, (1rs [loiivcllcs ainigcimlcs sur la saille de leur mo- naniuc adore.
Apri'^s avoir lonj^'lemps luUé conlro des crises violentes, le roi (''lait tombé depuis (]uel(pios jours d;uis un état lélliar^'i(jue bien alarniaiil. Louis élail irnuiobile. ses trails livid<»s ollVaieiil l'imaj^e (^flrayanle de la mort, le souffle semblait manquer à ses lèvres. La reine Blanche, persuadée enfin (]u il n'existait plus, se disposait lentement à couvrir du drap funèbre le front de son iils, lorsque la reine Marj^uerite. qui lenlait de réchauiïer entre ses mains délicates la main glacée de son épou.v, retint le bras de sa belle-mère en s'écriant : « De grâce, madame, ne nous dérobez pas encore un spectacle si triste, mais si cher. Un aver- tissement secret m'annonce que mon seigneur Louis recouvrera la vie. Dieu daignera peut-être opérer un miracle en faveur du meilleur des fils, des époux et des rois.
— 0 mon Dieu 1 murmura la reine Blanche, qu'une telle pré- diction s'accomplisse vite, ou mon cœur sera brisé avant l'heure de la résurrection.»
Le ciel écoula la prière des deux nobles reines. Vers le soir, Louis IX ouvrit les yeux, et prononça distinctement ces pa- roles : f( La lumière de l'Orient s'est répandue du haut du ciel sur moi'.
— Mon fils, dit Blanche de Castille, effrayée dé l'étrangeté de ce discours, revenez entièrement à vous, adressez-nous un mot, un seul mot pour nous rassurer.
— 0 ma mère! ô ma douce Marguerite! répondit le roi, n'ayez nulle crainte maintenant, je vous suis rendu ; la protec- fion divine va s'étendre sur moi comme un bouclier. Dieu m'a chargé d'une glorieuse mission.
— ; Expliquez-vous, mon fils.
— Envoyez chercher l'évêque de Paris; j'ai à lui faire devant vous le récit d'un rêve que j'ai eu durant mon sommeil.))
L'évêque de Paris, informé du désir du roi, s'empressa d'ac- courir.
Dès que Louis IX aperçut l'évêque, il se dressa sur son séant;
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ses traits s'animrrent soudaiii, cl d une voix inspirer il raconta son rêve, et termina sa narration en disant :
i( Ce rôve m'a éclairé ; les cris des pieux guerriers expirants sous les coups des infidèles ont retenti jusqu'à moi. Ils implo- rent une prompte réparation; et n'avons-nous pas en eflct à racheter le sang d'une foule de martyrs? Quelle est la famille qui n'a pas laissé les dépouilles de quelque ancêtre sur cette rive profanée? La religion, l'honneur nous prescrivent de suivre les traces de nos aïeux ; et moi surtout je le dois, car une voix céleste a murmuré à mon oreille : Roi de France, venge ses pertes !
— Sire, répondit l'évêque de Paris, votre résolution est su- blime, il est vrai, mais je crains que vous ne vous exposiez inu- tilement.
— Oui, mon fds, ajouta la reine Blanche, les armées des rois, vos prédécesseurs, ont été chercher au loin la mort. et l'escla- vage; quitterez-vous aussi le royaume, qui réclame vos soins, pour vous occuper d'une entreprise chanceuse? Si vous êtes in- sensible à mes chagrins, pouvez-vous oublier vos enfants? avez- vous pris irrévocablement le parti de les abandonner au ber- ceau? Pourquoi vouloir faire éclater si loin votre vaillance et votre piété? Dieu vous donne assez d'occasions, sans vous éloi- gner du trône, pour montrer votre dévouement à la religion et pour faire briller vos vertus royales. Le Seigneur, dites-vous, exige qu'on délivre son tombeau ; eh bien, prodiguez vos trésors, envoyez en Orient de nombreuses troupes. Dieu bénira vos ar- mes; mais, ainsi qu'il n'a point voulu qu'Abraham achevât de consommer son cruel sacrifice, croyez qu'il ne vous permet point d'accomplir celui que vous êtes décidé à lui faire d'une vie à laquelle sont attachés le sort de votre famille et le salut de votre royaume. »
Louis chérissait sa mère ; mais son imagination frappée lui rappelait sans cesse la voix céleste : il fut inébranlable et partit avec Marguerite, sa femme, ses trois frères et une foule de sei- gneurs, après avoir déclaré la reine Blanche régente du royaume.
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cl s t'iiil»aniua à AiiiUcs-MorU'S pour la Irnc-Saiiilt', fiiiiiiciiaiil aM'c lui ir),0()() luMninos de cavalerie ri 200. (><M) laiilassins.
Louis j»assa l'hiver en Chypre; où reiinail Henri de Lusiij;iiaii. Là il allendil de nouveaux rentorls, el le i juin 12il) il se mon- tra devant Daniiette. Les armées du sultan s'y trouvaient déjà, l'une dereiidaul l'enihouchure du Nil, l'autre le rivage. Cet ap- pareil formidable ne découragea pas le roi, qui résolut de com- miMieer ratta(]ne. Lui et ses chevaliers descendirent alors sur les bateaux plats que l'on avait construits. exprès pour l'expédition, afin d'éviter le danger tles bas fonds, et au même instant l'en- nemi l'ut assailli dune pluie de flèches et de dards. Les Sar- rasins irrités répondirent vivemcint; bientôt les guerriers chré- tiens n'avancèrent plus (pi'à travers une nuée de traits; mais rien n'atlaiblissait l'énergie du roi : à mesure que le péril aug- mentait, son intrépidité redoublait encore. Impatient d'at- teindre la plage, il s'élança du bâtiment qui le portait dans la mer: et fière de l'imiter, son armée se rangea en bataille au mi- lieu des Ilots. Quel spectacle imposant offrait ce jeune héros, guidant comme Moïse de saintes phalanges, et allant, lui aussi, à la conquête de la terre promise! ïl marchait ayant de l'eau jusqu'aux épaules, le bouclier suspendu au côté, le casque en tête, el brandissant au-dessus des flots son épéè, qui servait de signe de ralliement.
, ■ Louis atteignit enfin le rivage, précédé sur cette plage étran- gère par l'oriflamme que l'on portait devant son auguste per- sonne; et les cris de Mont-Joie, saint Denis! r-ésonnèrent dans l'espace. Les Sarrasins, épouvantés de tant de valeur, ne tar- dèrent pas à reculer. Ces guerriers, qui semblaient sortir du sein des vagues, leur apparurent tels que des demi-dieux ; le désordre se répandit parmi leurs bataillons; ils s'enfuirent, abandonnant les morts et les blessés, sans songer à rompre le pont de bateaux qui facilitait l'entrée des Français à Damiette ; et les habitants de cette ville eux-mêmes se sauvèrent avec ce qu'ils avaient de plus précieux.
En apprenant que Louis IX; au lieu d'étaler le luxe d'un
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triompluitciir, s'(Mait préseiiU' aux regards de ceux (jiic la cii- riosiU' raiiiL'iiail à hamiclte, vêtu de simples liabils, manliaiil humblement à pied, ainsi (pie ses frères "et ses compagnons d'armes, et tenant sa femme par la main, les habitants rassurés revinrent se mettre à la merci du bon roi. Sa clémence les tou- cha, et l'admiration qu'il leur inspirait par ses vertus les fil tomber aux genoux de Louis IX. Ce n'étaient plus des ennemis., c'étaient déjà des sujets. .
Depuis la descente des Français en Egypte, le premier anta- goniste de saint Louis, le sultan Mecksala était mort; et le vail- lant Fakreddin, devenu chef des troupes sarrasines, avait pro- fité de cet intervalle de paix pour enseigner l'art de la guerre aux soldats qui se pressaient sous l'étendard de Mahomet. Les plus grandes cités, les plus petits villages envoyaient leur tribut d'hommes au combat. L'Egypte se levait en niasse contre les chrétiens.
Les croisés se fiaient à leur courage, à la justice de leur cause ; les infidèles ne eraignaient pas d'avoir recours à la ruse, à la trahison : peu leur importaient les moyens, ils ne s'occu- paient ([ue du résultat; et ce fut avec de telles idées* qu'ils ne rougirent pas d'adopter un odieux système de défense et d'at- taque, dont ils possédaient seuls le secret. Cette lâche invention, digne de l'enfer, c'était le feu grégeois.
Louis IX avait établi son camp au bord du Nil; remparts, galeries couvertes et beffrois, rien n'y manquait; on eut dit une ville fortifiée. Malheureusement le feu grégeois , traversant comme une flèche l'espace qui séparait l'armée française de l'ar- mée sarrasine, s'élançait en tourbillons sur- le camp des chré- tiens, dévorait tout, et, la nuit, surprenait souvent les guerriers au milieu du sommeil. A l'approche de cette espèce de météore, l'effroi s'emparait des cœurs les mieux trempés ; la prière était l'unique ressource que l'on employât pour détourner le malé- fice ; et les Sarrasins considéraient de loin, d'un œil satanique, l'abattement de leurs vicfimes.
L'armée chréfienne allait périr sous les cruelles atteintes du
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l'eu grogeois. (|ii.iii(l un Irausl'ugt' sariMsiii iii(li<|iiM à prix (roi- un guf (|iii |)t'iriiil à l.i cavalerie el à riiilaiilerie de traverser le Thanis.
lue lerrihle l)alaille lui livrée : la halaille de .Massoure, où Hoberl. comte d'Artois «^t frère de suint Louis, périt victime de son imprudente valeur.
Il serait difficile de compter les nombreux exploits de Louis; la sagesse s'alliait en lui à l'impétuosilé. Six Turcs ayant voulu r(Mumener prisonnier, il les étendit morts à ses pieds, rétablit l'ordre dans les troupes, raffermit le courage de ses soldats, qui l'entouraient le soir d'un air consterné; et bien que sa pensée s'envolât vers le comte d'Artois, dont il ignorait encore la fin dé- plorable, il leur dit en s'eiTorcant de retenir ses larmes : « Il faut louer Dieu de tout et adorer ses profonds jugements. »
Le lendemain, les Sarrasins promenaient au son des trom- pettes la tête du prince Robert. Les chrétiens étaient déjà prêts à combattre ; mais la plupart d'entre eux, étant blessés, n'a- vaient pu lacer leur cuirasse ni supporter le poids du casque. Ils marchèrent au devant de l'ennemi, la tète nue, le corps cou- vert de légers vêtements ; les chefs seuls montaient les chevaux que l'on avait ramenés .de l'affaire désastreuse de la veille. Les Sarrasins, sourds à la voix de la pitié, recourent à leur affreux moyen de défense, et un torrent de flammes inonde en une minute les bataillons français. Ces flammes se communiquent aux vêtements des chevaliers ; les malheureux ne peuvent se soustraire à l'ardeur qui les dévore ; ils se 'roulent sur le sol, ils se précipitent tout embrasés dans les flots du Thanis, et les flots, au lieu d'éteindre le feu, l'activent, l'alimentent encore.
Louis IX , défiant les flammes et les flèches qui paraissent se disputer l'espace, sauve son frère, le comte d'Anjou, rallie ses soldats, et regagne le camp avec ceux qui ont échappé au massacre. Jamais il n'a montré plus de résignation. C'est en effet le moment d'en avoir : mille douleurs l'assaillent à la fois; la peste, la famine envahissent le camp des croisés, qui se traî- nent comme des fantômes et expirent chaque jour sans secours.
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Louis les (^xhortc, les soigne; il ne <iainl pas de; se dépoiiillor do ses hal)its, i\v son manloau royal pour les couvrir, de louelier à leurs plaies dr'goùlanles, de se priver en leur laveur des ali- ments qu'on lui sert : sa parole consolatrice leur ouvre les portes du ciel. Knfin il s'humilie pour eux et propose une trêve au sultan Almondin, qui ne veut y consentir qu'au prix de la li- bert<'» du roi. Louis accepte; mais ses chevaliers refusent; il l'audra donc combattre. Les croisés, mourant de faim et con- sumés par la fièvre, puisent dans leur foi la force de parcourir à pied l'étendue de vingt lieues ; cependant la route est semée de leurs cadavres. Dès le commencement de la bataille le roi, à peine guéri du terrible mal de la peste, s'évanouit entre les bras de ses écuyers.
« Je n'abandonnerai pas, avait-il .dit, tant de braves gens qui se sont exposés pour le service de Dieu et pour le mien ; je les ramènerai avec moi, ou je mourrai prisonnier avec eux. »
On emporta Louis à Sarmossac, petite ville du voisinage; et bientôt l'armée, s'imaginant que telle était la volonté du mo- narque, se rendait aux infidèles, qui égorgèrent les uns et em- prisonnèrent les autres : souvent on leur ordonnait de renier Jésus-Christ, et comme ils montraient une sublime persistance, on leur tranchait la tête.
Les frères du roi et le roi lui-même furent obligés de se con- stituer prisonniers. Louis, jeté d'abord au fond d'un étroit ca- chot, soulève ses mains chargées de chaînes et s'écrie : » Sei- gneur, il n'y a que vous qu'on bénisse dans les fers. » Puis de- mandant son bréviaire, il se mit à le réciter avec trancjuillité.
Ce noble prince n'avait plus auprès de lui qu'un fidèle domes- tique appelé Isambert, qui lui préparait à manger, le levait et le couchait, car il était d'une faiblesse extrême. Soji chapelain et les chevaliers de sa suite lui ayant offert de le servir, il refusa leurs soins, par respect pour la religion, par délicatesse pour la di- gnité de la chevalerie. Cette conduite admirable remplit d'en- thousiasme le Soudan Almondin. Il s'étudia dès lors à rendre la captivité du roi de France moins rigoureuse; et Louis fut un
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joui' Irrs-surpris de rccrvoii-, de h) pari (rAliiioiidin, de m;»- i^iiili(liM"s liahils dlioiiiitMir. \r inodeslc l.ouis rj'iivoya ces \)vd- soiils inuldos; et plus tard le ('lief imisiilinan lui ayant fait pro- poser de le d('>livn'r. lui ot ses chevaliers, inoyenuaiil la red- dition de la ville de Daiuielle et la soimue de cent mille marcs d'argent : « Vu roi de France ne se rachète pas à prix d'argent, répondit l'illustre prisonnier; mais je consens à ahandonner Damielle |)()ur ma personne et les cent mille marcs pour mes sujets. »
Cetrte juste lierté charma le soudan. Désireux d'égaler, au moins en quelque chose, un ennemi si magnanime, il réduisit de moitié la rançon du roi de France. Un traité de paix devait être réglé .à Pharescour, maison de plaisance d'Almondin, quand une révolte de Mamelouks éclata. Ce ne fut point le roi d(^ France (jui franchit d'un pas tranquille le seuil du palais de IMiarescour, ce fut une troupe sanguinaire qui vint avec des pro- jets de vengeance tremper ses mains dans le sang du malheureux Almondin.
H Oue me donneras-tu, à moi, qui ai tué ton ennemi? dit un des meurtriers du soudan à Louis IX. Fais-moi chevalier, ou meurs.
— Fais-tôi chrétien, ou fuis, » réplique le roi, que le poignard du misérable n'effraye pas.
Le pillage, le massacre régnent partout; les chevaliers chré- tiens échappèrent miraculeusement à la mort; et la reine Mar- guerite, réfugiée à Damiette, se jetait aux genoux d'un vieux che- valier qui la gardait, pour le supplier de lui couper la tête, si les Sarrasins immolaient son époux'. Mais chaque fois que l'exis- tence de Louis était exposée, la vertu du monarque désarmait le bras des assassins.
Le saint roi était un jour plongé dans l'extase de la prière, lorsqu'un bruit inattendu frappa son oreille. Il se prit à écouter, et le nom dé Louis arriva jusqu'à lui ; un bruit de pas retentit sur le sol, la porte de son triste réduit s'ouvrit, et les chefs de
' Joinville.
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l'armée; snrrasinc y ix'MK'lrrrcrit ; une foule ronsidérahic cnvaliis- sait la prison. Le chel' 1(3 plus àg('' porta la parole en ces termes : « Illustre souverain des Français, ton courage, la patience captivent nos cœurs, et nous venons te donner une preuve écla- tante de notre estime. Le traître Almondin a reçu le châtiment de ses fautes. Il nous manque un soudan; daigneras-tu arrepler ce titre que nous désirons te conférer ?
— Je ne vous comprends pas, répondit Louis : liier encore vous me réserviez" le sort d'Almondin, et vous m'offrez aujour- d'hui la puissance. Non, je ne saurais accepter un titre que ma religion me défend de portei".
— Qu'importe ta religion? c'est la vertu qui nous gouverne- rait, et ce ne seraient pas les lois de ton Dieu.
-- Vous vous trompez ; Dieu est le juge suprême à qui je remets la direction de ma conduite. Tl me dicte ses volontés, et je me contente de lui obéir.
— Oui, s'écrièrent les autres chefs, il nous contraindrait à devenir chrétiens. C'est assez, nous avons offensé Mahomet en cherchant un soudan parnai les infidèles.
— Le prophète exige une réparation, ajoutèrent les séditieux.
— Laquelle? demandèrent les chefs.
— Le sans; du roi français.
— Ou il meure donc! »
Mille poignards se lèvent à ces mots sur le fils de Blanche de Castille. Louis ne pâlit point, il attend la mort sans trembler, ses regards se tournent vers le ciel... À cet aspect, les meurtriers se déconcertent, ils laissent échapper leurs poignards, et tom- bent à genoux. C'est Daniel dans la fosse aux lions.
((Je suis votre captif, dit Louis d'une voix inspirée; vous pouvez à votre gré disposer de mon corps ; mon àme appartient à Dieu.^)
Ce discours achève de confondre les Sarrasins, qui s'écrient :
'( Nous te regardions comme notre captif et notre esclave, et tu nous traites, étant aux fers, comme si nous étions tes pri- sonniers ! ^)
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( ne IrrM- de (li\ .iii> liil ciiliii coiicliic. L()iii> l\ a(-(|uillii l;i ranroii îles clicNalit rs chrrlit'iis cl rciidil Daiiiicllc. (Juaiid il s \Miil)ar(|iia jxtur la l'alrsliiic avec sa raïuillc cl ses coriipa- jiiioiis d armes, un |)eii|tl«' eiilicr couvrait les rivages du .Nil el ne se lassait pas de lorMier des vœux en laveur du héros (jui seloigiiail.
Cinq années s'écoulèrent avant (jue Louis revît les côtes de la France. Os ciiu] années passées en Palestine furent consacrées à la réediiication des principales villes, et au rachat de [)lus de douze mille esclaves chrétiens. La mort de la reine Blanche rappela enlin le pieux souverain dans son royaume; déposant alors les armes, il s'occupa du bonheur de son peuple, de l'ad- ministralion de ses états, jus(]u'à l'époque où fut prèchée une nouvelle croisade. Pendant cet intervalle de temps, Louis ne cessa de gouverner son royaume avec zèle. A la fois occupé des intérêts de l'Église et de ceux de ses sujets, il fit rebâtir la ba- silique de Saint-Denis, éleva la Sainte-Chapelle auprès du palais de Justice, qu'il habitait, fonda l'hôpital des Ouinze- Vingts, et le collège de la Sorbonue. Souvent il descendait dans son jardin à Paris, et vêtu d'un habit de camelot, d'un justaucorps de tiretaine, et d'un par-dessus de sandal, il donnait audience publique au peuple ; souvent aussi c'était à Vincennes qu'il tenait ses plaids, assis dans le bois, sous l'ombrage touffu d'un chêne. Il écoutait tour à tour les parties adverses, et décidait sagement de quel côté était le bon droit.
Un jour, un prince fut appelé devant le tribunal de Louis pour avoir dépouillé de son bien un gentilhomme de ses vas- saux ; ce prince c'était le duc d'Anjou, le frère du roi, ce qui ne l'empêcha pas d'être condamné à restituer aii gentilhomme le château qu'il lui avait enlevé. La sagesse de Louis ÏX était si connue, que le roi d'Angleterre lui-même le pria de juger un différend qui advint entre lui et les barons anglais.
Mais l'heure de la croisade avait sonné; Louis, confiant la régence du royaume à des hommes éclairés, et laissant la reine Marguerite à Vincennes, s'embarqua pour Tunis avec ses fils et
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une ai'iiicc de suixaiilc mille; hoiimics. Falal (l(''|>ail, (|iii dcvail être suivi d'une séparation plus cruelle encore!
A peiné le siège de Tunis avait-il été entrepris, (|U(' la peste se déclara dans l'armée chrétienne. Déjà le roi avait vu périr un de ses lils, le jeune comte de Nevers, dont la naissance, ar- rivée à Damiette pendant la première croisade, avait ét('' aussi triste que la fin. Déjà Philippe, l'héritier de la couronne, se dé- battait en proie à d'horribles douleurs, lorsque Louis, en s(ji- gnant Philippe, se sentit attaqué du même mal, et comprit bientôt que la mort avait changé de proie.
Dès qu'il acquiert la certitude qu'il va quitter ce monde, il remercie le ciel, s'étend sur une couche de cendre, mande au- tour de lui ceux qui lui sont chërs, et leur-adresse des adieux pleins de tendresse, de ferveur. Puis il appelle son fils aine, lui donne de sublimes conseils, lève les yeux au ciel, sourit et ex- pire en murmurant ce passage du Psalmiste : «Seigneur, j'en- trerai dans ta maison pour y célébrer tes louanges.»
Ainsi mourut, à cinquante-six ans, le meilleur des rois.
Au siècle dernier, on montrait encore sur la roule de Paris à Saint-Denis des croix de pierre marquant les stations qu'avait faites Philippe k Hardi quand il porta pieusement jusqu'à la basiliquele cercueil qui contenait les cendres de son père.
Alfred des Essards.
m\mm culow.
Par une brûlante jour- née d'été, un homme d'un âge mur et un jeune garçon s'acheminaient vers le couvent de la Ra- bida, situé sur une col- line, à une demi-lieue de Palos, eu Andalousie. Leur marche était celle de gens accablés de fa- tigue; l'enfant surtout, pâle et défait, se traînait i^ avec effort. « Encore un •^ peu de courage, mon pauvre Diego , disait cet homme à l'enfant, tu
vas te reposer tout à l'heure. — Et toi, père, n'es-tu pas bien
las? — Oui, je le suis : un peu d'ombre et de repos me seront
doux. » Et l'homme et l'enfant retombèrent dans le silence qu'ils
avaient rompu par les paroles qu'on vient de lire.
litK. Paul Pebt et C" 3, ?lace du Doyenne, Pans-
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Le plus Agé (les voyageurs piiraissail avoir (piararile cl (jud- ques années. Son front large et élevé indi(iuait une vaslc intel- ligence; sa physionomie était grave et réfléchie; son regard prenait tour à tour l'expression de la médilation et de l'en- thousiasme, et en de certains moments des éclairs d'inspiration faisaient soudainement rayonner ce pâle et nohle visage.
Les deux voyageurs venaient d'arriver à la porte du couvent; le père. de l'enfant sonna ; un moine parut sur le seuil de la porte.
« Mon frère, dit le voyageur, au nom de Dieu, donnez, je vous prie, à mon fds un verre d'eau et un peu de pain.
— Entrez dans la cour, et asseyez-vous sur ce banc, dit le frère portier ; je vais chercher ce que vous me demandez. »
Tranquillisé sur son enfant, l'étranger reprit le cours de ses rêveries. Il songeait au passé, interrogeait l'avenir, et une so- lennelle tristesse se répandait sur ses traits.
Le moine revint, apportant de l'eau fraîche, du pain et quel- ques fruits secs. Lorsque l'enfant fut rassasié, et tandis que son père, debout devant la grille du jardin, jetait des regards dis- traits sur la campagne, le bon moine adressa quelques questions à Diego.
(( Vous avez beaucoup marché, à ce qu'il me semble? dit-il.
— C'est bien sur, répondit l'enfant; nous étions ce matin au bord de l'Odiel. — Où allez-vous maintenant? — A Huétra, de- mander un asile au frère de ma mère. »
L'entretien se prolongea quelques instants, puis l'étranger se rapprochant de son fds, dont le repas était fini, remercia le moine et dit à Diego qu'ils allaient se remettre en route.
Mais quand l'enfant voulut se lever, ses pieds se trouvèrent enflés de telle sorte qu'il retomba sur le banc. Il fallut se dé- cider à une plus longue halte.
Le moine était rentré dans le couvent; l'enfant venait de s'en- dormir, et son père, assis à côté de lui, le regardait d'un air tendre et impatient.
Le prieur du couvent, Juan Ferez de Marchenna, revenait de
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la villo; il vil 1 clriiii^t'r cl s(»ii lils. Jugi'aiil à leurs vtMeim'iils usés, à leurs souliers couverts de poussière, (|ue celaient des gens qui parcouraient la campagne en mendiant, il s'en ap- procha un maravedis h la main. — «Je ne demande pas l'an- mone, > dit l'étranger en se leviuit avec dignité.
Le prieur resta frappé de l'expression lîère et intelligente de cette noble télé. Il fil ses excuses à l'inconnu et lui adressa en termes polis et obligeants quelques questions sur le but de son voyage; celui-ci répondit (]n'il était (mi marche pour se n^ndre dans une ville prochaine, quand la chaleur du jour et la lassi- tude de son fils l'avaient forcé de s'arrêter pour demandei- quelques secours. « J'attends maintenant son réveil pour con- tinuer mon voyage, dit en finissant l'étranger.
— Êtes-vous si pressé d'arriver que vous ne puissiez rester ici le temps nécessaire pour rendre des forces à cet enfant? »
Ces paroles et l'accent de bonté qui les accompagnait déci- dèrent le voyageur. « Eh bien, mon père, dit-il, j'accepte votre offre; je suis peu habitué au bon accueil des hommes, et le vôtre me fait du bien. Je suis Christophe Colomb; peut-être mon nom ne vous est-il pas absolument étranger ?
— Vous êtes Christophe Colomb ! dit le prieur en tendant sa main au grand homme ; je remercie la Providence de vous avoir conduit ici. Je serai heureux de m'entretenir avec vous du glo- rieux projet que vous poursuivez et dont la connaissance est ve- nue jusqu'à moi. »
Guidé par le prieur, Colomb conduisit dans l'intérieur du couvent Diego à demi éveillé ; et, après l'avoir déposé sur un lit, il se rendit auprès de Juan Ferez, auquel il fil connaître sa vie passée et les espérances qu'il nourrissait en lui . »
II
Christophe Colomb, selon certains auteurs, était issu d'une race noble mais pauvre ; l'opinion la plus générale lui donne
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})(>iir prn' un «irlisiui de (iriics, vilk' on iia<jiiil Coloinl). Il (il ses éluilos à risc, (!l coiniiu'iKja à liv^v. de qualorzc ans W, < ours de ses voyages. Ce fui après plusieurs iiavigalions dans la mer du Nord, à la suite de savantes recherches, de longues observations, et aidé de l'expérience qu'il avait acquise, qu'il cul la perception de la sphéricité do la terre et d'un autre ('onliiienl l'aisant contre- poids au contnient connu. Que de lois, au milieu des solitudes de l'océan, quand le soleil fuyait vers les points occidentaux, l'il- lustre navigateur, suivant des yeux l'astre enflammé, s'écria avec l'accent de l'inspiration : <( Non ! ce n'est pas seulement sur l'abîme des eaux ([ue le soleil va maintenant promener sa lu- mière; il quitte nos régions pour aller porter le jour dans d'au- tres contrées où se lève l'aurore quand nos yeux voient les dernières clartés du couchant !
Avant de communiquer aux hommes les révélations de son génie, Colomb voulut laisser s'amortir en lui les élans de l'en- thousiasme, les joies ravissantes de l'âme, afin de présenter une conviction basée sur la prudence , l'expérience et le raisonne- ment, sans mélange des impressions qui séduisent et abusent. Il se posséda avec une force suprême, et couva longtemps dans son sein la grande pensée qui ne devait éclore que passée à l'état de certitude.
• Ce moment venu, Colomb fit hommage de sa découverte à Gênes, sa patrie, et lui demanda les moyens d'aller la vérifier. Le croirait-on? cet homme aux puissantes facultés, au génie pro- phétique, fut méconnu, repoussé comme un visionnaire; et le ridicule, le mépris essayèrent leurs traits contre ce cœur hé- roïque.
Rebuté par ses compatriotes, Colomb alla porter ses plans à Venise, où il reçut le même accueil. Sans se décourager, car les hommes providentiels ont une constance proportionnée à la grandeur de leurs desseins, Colomb se présenta successivement au p.ape, au roi de Portugal, aux ministres d'Espagne; partout il rencontra le doute, l'ironie, les refus insuUanls.
« Je lasserai le sort, » dit le grand homme.
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l',l il ccrivil .1 (.liiulcs \lll, (|iii rognail en Krancc, implorant son appui |>our rexéculion dt* son entreprise. Charles, occupé de ses guerres en Italie, ne put l'aire ce (pi'il aurait voulu pour Colomb; celui-ci, pressé par la nécessité, s'emhanpia de nou- veau, emmenant avec lui son lils Diego, et laissant son autre fils auprès de dona Félipa, sa mère.
Il commandait un navire dans la guerre de Venise contre la Trance. Des grenades lancées contre les vaisseaux français tom- bèrent sur le navire de Colomb et l'incendièrent; pour échapper à la mort, Colomb se jeta à la mer, tenant Diego dans ses bras. Aidé du vent et des vagues, il atteignit les cotes d'Espagne. Il avait traversé une partie de ce pays, s'arrétant dans les villes pour dessiner des cartes de géographie, dont la vente le faisait subsister ainsi que son enfant; il arriva ainsi au couvent de la Habida, d'où il devait se rendre chez son beau-frère.
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Les moments que Colomb passa avec le prieur des Francis- cains lui furent doux et précieux. Juan Ferez était un homme instruit, avide de connaissances nouvelles ; il écouta avec admi- ration les plans de Colomb, s'associa à ses espérances, et pai* tagea le brûlant désir du navigateur de nouer la chaîne brisée de l'humanité en allant porter chez des peuples inconnus la civi- lisation et les lumières de l'Évangile. Après un long et solennel entretien où deux nobles âmes avaient fraternisé, Colomb quitta le prieur avec les vœux de ce dernier pour le succès de sa vaste entreprise, et porteur d'une lettre dans laquelle Juan Ferez par- lait avec enthousiasme de Colomb et le recommandait avec in- stance au confesseur de la reine Isabelle, don Fernando de Ta- lavera.
Muni de cette lettre, et d'après le conseil de son nouvel ami, au lieu de sediriger sur Huerta, Colomb se rendit à Cordoue, où la cour était alors. Il apprit dans cette ville que son beau-frère.
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dont il n'avait point eu de nouvelles depuis douze ans, avait cessé d'exister ; cette circonstance lui lit bénir davantage la ren- contre qu'il avait faite du prieur des Franciscains.
Don Fernando, disposé en faveur de Colomb par la lettre de Juan Ferez, le reçut avec des égards qui touchèrent vivement cet homme malheureux et qui accrurent ses espérances.
Cependant la guerre contre les Maures, qui cherchaient encore à se soutenir eu Espagne, absorbait l'attention d'Isabelle et de Ferdinand, son époux. Malgré la bonne volonté de Fernando, les instances de Colomb ne furent pas écoutées, ses sollicitations n'eurent aucun résultat.
Après avoir attendu durant plusieurs années avec une in- vincible patience, Colomb jugea qu'un plus long séjour en Es- pagne n'amènerait rien de mieux pour lui. 11 venait-de recevoir du roi de France une lettre favorable à ses projets ; il se décida à partir pour Paris. Instruit de cette détermination, .Tuan Ferez accourut auprès de Colomb, le conjura d'attendre encore quel- ques jolirs ; puis, ayant obtenu une audience d'Isabelle, dont il avait été autrefois le confesseur, il plaida la cause de Colomb avec tant de chaleur et d'éloquence, il fit. si bien valoir les avan- tages que retirerait l'Espagne de la réalisation des desseins du ^and navigateur, que la reine consentit enfin à le recevoir.
Colomb parla à sa royale protectrice et à Ferdinand, son époux, avec une assurance modeste, une inébranlable convic- tion. Il fut écouté avec intérêt, et l'on convint de mettre à sa disposition trois navires.
Four mettre à fm une si grande entreprise, Colomb devait être investi d'une autorité sans limite ; on stipula que la dignité d'amiral lui serait accordée et celle de vice-roi des pays qu'il découvrirait. Le cœur pénétré de reconnaissance pour Juan Ferez, Colomb fit activement les préparatifs de son départ, et le 3 août 1491 il mit à la voile dans le port de Falos.
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IV
In MMil Irais [^K)iissail rapidcinciil trois léj^ers vaisseaux (jui s'oiivraieiil une roule dans les vac;iies d'azur où se rélléeliissail un eiel éclalanl. Les rayons du soleil en s<' brisant sur les flots les revêtaient de lames d'or, (jui s'enchâssaient les unes dans les autres et olTraient aux yeux éblouis une oscillation radieuse dont les extrémilés se terminaient en traînées brillantes.
Debout sur le pont de la Scnita-Maria, Colomb attachait un œil attentif et interrogateur sur l'espace sans limites qui s'éten- dait devant lui.
La Santa-Maria était suivie de la Pinta et de la Nina, Quatre- vingt-dix hommes composaient l'équipage de la petite escadre. Depuris deux mois l'amiral était en mer, et rien encore* n'in- diquait la terre qu'il avait annoncée; à l'enthousiasme des pre- miers jours, alors que tous ces hommes croyaient marcher à la conquête sure et prochaine des biens rêvés par une imagination exaltée, succédaient le découragement et la crainte. Perdus dans cet océan inconnu, où nul navigateur avant eux n'avait osé se hasarder,' ils regrettaient de s'être abandonnés aux promesses d'un homme qu'ils jugeaient s'être trompé. *
Les provisions diminuaient sensiblement, et à l'appréhension d'un mal réel se joignaient les fantômes qu'enfante la terreur. Quelques-uns de ces hommes, se rappelant les* discours de la sottise et de l'ignorance, s'imaginaient que Colomb était un sor- cier, qu'il avait commerce avec les démons, et que Satan seul lui avait soufflé la pensée d'un autre monde pour lui donner une occasion de livrer à l'enfer des hommes sans secours ; d'autres, moins stupides,- attribuaient à l'orgueil de Colomb la conception de ce monde inconnu. L'amiral, pensaient ceux-ci, avait forgé cette fable pour se rendre célèbre, et il cherchait maintenant, pour lui et les hommes qui l'accompagnaient, un tombeau dans l'océan par l'espoir d'envelopper son nom d'un mystère immor- tel ! Ces pensées longtemps comprimées se firent jour; l'équipage
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se révolta et demanda iiiipérieusemenl à Culuinl» d èliv laïueué
en Espagne.
(( 3Ies amis, répondit Colomb, votre maiire et le mien m'a ordonné d'aller à la recherche d'un nouveau monde; tant que je vivrai, et avec l'aide de Dieu, je persévérerai dans mon entre- prise. »
Ces mots courageux, l'attitude majestueuse de l'amiral, la grandeur que l'espérance imprimait à son front, l'ascendant de son génie, soumirent ces caractères rebelles. Tous gardèrent le silence, à l'exception de Pedro, qui allait répliquer; Colomb ne lui en laissa pas le temps, et s'adressant de nouveau à l'équipage, mais cette fois en termes affectueux et doux, il ranima pour quelques instants les cœurs abattus. Chacun obéit aux ordres de l'amiral et retourna aux fonctions qui lui étaient assignées.
Huit jours se passèrent sans apporter aucun changement dans la situation des choses. L'irritation feiS^entait au fond des âmes; la révolte avait changé d'allure, elle se formait dans l'ombre et
en silence.
Après être resté plus d'uner heure en observation à la proue 'du vaisseau, sans se rendre absolument compte de ce qu'il entre- voyait à l'horizon, l'amiral donna l'ordre à Martin Pinzon, com- mandant de la Pinta, d'aller à la découverte vers un point qu'il lui indiquait.
L'équipage devina l'espérance de Colomb; les cœurs se dila- tèrent, les visages s'éclaircirent ; on attendait avec anxiété ! Trois coups de canon se firent entendre sur la Pinta : c'était le signal convenu pour annoncer la vue de la terre.
Des exclamations de bonheur, une joie délirante accueillent cette heureuse nouvelle.
« Nous sommes sauvés! » s'écrient tous ces hommes en s' em- brassant. Et les manœ.uvres redoublent pour atteindre à cette nouvelle 'terre promise.
Mais la Pinta a reviré de bord ; au lieu de poursuivre sa route, elle vient rejoindre les deux autres bâtiments, et dès qu'Âlonzo est à*portée de la voix , il apprend à Colomb qu'il s'est trompé, et
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([lie ce (|n il aNiiil |)ris d alionl |i(iiii- une île n'rl.iil i|ii'iiii(> illii- siini (lu luiraitc
Colle (Icccplioii, qni (l'aillciirs iiclail pas la prcniièrc, porta la coiislcriialioii cl le (h'scspoir parmi les marins : l'irrilalioii coiilrc leur clict' se raniiiia |)liis memiranlo.
« C'est Uni, disaiciil-ils, nous ne reverrons plus noire pays ni noire famille; on veut nous laire mareher jus([u'à récu(;il (pji nous enij;loulira tous! n VA des larmes de eolère coulaient sur ijuehpies-uns de ces mornes visafj;es,
(( Vous pleurez ! hommes sans volonlé, dit Pedro avec une amère ironie ; vous continuez d'obéir à cet homme qui vous sa- crilîe à son orgueil opiniâtre, et vous avez là cependant (il mon- trait la mer) le silence, la tombe et la mort!
— C'est vrai, dirent quelques v.oix ; c'est notre lâcheté qui nous perd. »
Plusieurs matelots fire|| un mouvement pour aller chercher Colomb dans sa chambre et le précipiter dans les eaux. D'autres les retinrent et furent d'avis de lui laisser la vie en l'attachant à fond de cale jusqu'au retour en Espagne. Cette dernière pro- position fut rejetée; elle faisait courir des risques à l'équipage, qui pouvait se voir condamné comme coupable de révolte envers l'amiral.
On s'arrêta à la première pensée. Il fui convenu qu'on atten- drait la nuit pour exécuter la sentence qui venait d'être pro- noncée contre Colomb ; cette troupe mutinée craignait encore la puissante énergie de l'amiral et l'effet de sa parole souveraine.
Un officier de Colomb, qui n'avait point osé s'opposer ouver- tement aux desseins de l'équipage, mais qui gardait à son maître une inviolable fidélité, trouva le moyen de lui faire connaître ce qui se tramait contre lui .
Colomb remonta sur le pont ; l'immuable tranquiHité de son front n'avait point été troublée.
« Mes amis, dit-il d'une voix ferme et calme, je sais vos pro- jets sur moi ; vous avez décidé ma mort pour celle nuit ! » Ouel- ques-uns restèrent interdits; les plus hardis répliquèrenh —
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CHn.i»ikÀ-fciifii ...tjùtit^ïw-ij
Lith. de Bec^uet
— fiO —
(( Oui, vous mourrez, à moins que vous ne cliungiez à riiislaiil la direction du vaisseau pour nous ramener en Espafin(!. — La mort m'est plus facile que ce que vous exigez de moi. » Des cla- meurs bruyantes suivirent ces paroles. « Il faut en finir tout de suite, » prononcèrent un grand nombre de voix. Pedro s'avan- çait vers Colomb d'un air menaçant.
« Retirez-vous ! » lui dit l'amiral en fîiisant un geste plein d<; grandeur et d'autorité.
Puis, se tournant du côté de la foule murmurante, d dit :
K Des chrétiens ne peuvent refuser quelques heures de grâce à l'homme qui va mourir ! Je vous démande cette nuit pour mettre en ordre les notes que j'ai prises depuis que nous sommes en mer.
— C'est pour gagner du temps; fit observer un matelot.
— Ce -désir suffirait peut-être à motiver ma demande, » répli- qua Colomb avec un sourire noble et doux. Il ajouta .♦< Mais vous, qui connaissez ma pensée et mon but, vous savez bien que ce n'est que comme moyen que j'apprécie ma vie, et que je sou- haite la prolonger de qilelques instants. »
Après ces paroles, et sans attendre de réponse, l'amiral rentra dans sa chambre et se mit à. ranger ses papiers.
Les marins immobiles se regardaient les uns les autres ; l'in- trépidité généreuse de Colomb les avait encore une fois subju- gués sans ôter de leur cœur le ressentiment qu'ils nourrissaient contre lui.
« Pourquoi aucun de vous ne s'est-d joint à moi? dit Pedro, nous serions libres maintenant!...
— Pourquoi? pourquoi? répondit un matelot, parce que cet homme damné a quelque chose dans le regard qui vous lie les bras et les jambes. »
Pedro haussa les épaules et regarda le matelot avec mépris.
Cependant ces hommes cruels et superstitieux, 'qui se prépa- raient' à un meurtre abominable, furent presque tous d'avis qu'ils devaient accorder à leur amiral les moment^ nécessaires pT)ur se disposer à la morl. Mais ils décidèreni en même temps
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qu'on u'alleudrail pas If jour pour se délaire «le Colomb : la nuil se prtHe au crinu'l
Dans celte veille suprrnie l'amiral se monlra ^rand comme sa destinée. Sans haiue pour ses hourreaux. il dé|)os;» dans son dernier écrit les vo'ux cpiil formait p(»ur ipi un autre i'iU plus heureux que lui dans la sublime reeberche qui allait lui couler la vie, et donnait des indications précises pour faciliter le retour de ses mi^urtriers.
Pourtant de mortelles angoisses déchiraient cette âme magna- nime. Mourir! quand l'immense route qu'il avait parcourue lui présageait le terme prochain de son voyage ! Mourir! avant d'a- voir assuré à sa fomille sans appui la récompense de ses travaux ! Quitter, avant de l'avoir vue couronnée, cette unique pensée de sa vie, qui s'était identifiée à toutes ses impressions, en impri- mant son sillon dans toutes ses peines, en rayonnant SMr toutes ses espérances !
« Terre promise à mes inspirations! disait-d dans l'amertume . de sa douleur, mes yeux ne verrofit donc pas tes ombrages? mes pieds ne fouleroi'it point ton sol? Peut-être es-tu assez près de moi pour que mon cadavre aille flotter sur tes rives ! Mais nul ne saura ce privilège de la mort, cette entrée sans bonheur et sans gloire dans ma triste conquête ! Mon Dieu ! tant de décep- tions, tant de vaines supplications, tant de démarches difficiles, tant de dégoûts, d'affronts, de rebuts, d'outrages pour arriver où je suis, et ne pouvoir recueillir le fruit de toutes ces épreuves ! Serait-ce un tort de vouloir faire du bien aux hommes, puisque leur volonté s'acharn€ ainsi contre moi ?
Dans cette profonde détresse du cœur, Colomb tourna son esprit vers la céleste image que lui présentait le passé. Il se transporta à cette nuit sainte et mystérieuse du jardin des Oli- viers ! il vit le Christ accablé sous le poids de l'ingratitude des hommes et des souffrances humaines!
« Sauveur du monde ! s'écria-t-il en levant la tête vers le ciel oii resplendissaient des myriades- d'étoiles, n'êtes-vous entré dans cette voie des tourments que pour y appeler ceux quf,
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comme VOUS, aiment rimmanilé et ((«'"sirent le récrie do l'Kvan- '^ile? Votre œuvre s'est aeconn)lie après votre mort; la mienne, ^oute-humblc qu'elle est auprès de la rédemption, aura peut- être le même sort; un autre suivra ma trade, et le lien que je voulais établir entre les deux hémisphères se formera par les mains d'un autre, et ma mort n'empecliera pas que la terre entière ne vous bénisse et vous adore. «
Après cet acte d'une pieuse résignation, Colomb resta de- bout et pensif devant l'immensité des eaux, où régnait un calme profond et solennel.
Une brise embaumée vint à lui et le fit tressaillir. Ces par- fums de l'air indiquaient certainement l'approche des terres ; et c'est en vain qu'il irait communiquer son espoir à ces hommes obstinés dans leur découragement, et-d'ailleurs éprouvés par plus d'une erreur de ce genre.
Tout à coup, un grand bruit se fait entendre sur les vais- seaux, les voix se croisent et s'animent. Un officier se précipite dans la chambre de l'amiral. Il tient à la main une branche chargée de fruits et fraîchement coupée de l'arbre.
Colomb contient sa joie, il va sur le pont et demeure l'œil fixé du côté d'où lui est venue la brise révélatrice. Il aperçoit bientôt une lumière qui changeait de place et disparaissait par- fois à l'horizon. • Les cœurs sonf ranimés. On obéit à l'amiral avec prompti- tude et soumission. Il commande de carguer les voiles et pres- crit une grande vigilance sur le gaillard d'avant.
Deux heures s'écoulent dans l'anxiété et l'observation la plus attentive. Tous appelaient par de brûlants désirs le lever du soleil. Il parut, et montra aux yeux enchantés une terre ver- doyante couverte d'arbres vigoureux, chargés de fleurs et de fruits. Ivres de joie, les Espagnols s'embrassent, se félicitent, entourent l'amiral en lui demandant pardon ! D'une voix émue, Colomb leur dit :
« Remercions celui qui nous a protégés de son ombre, et conduits comme par la main à travers une mer sans orages et
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sans (MiM'ils, |»(Hir ii(>ii> l'aire arriver sur eelh; lerre (jiii seiiihie iu»us promellre laiil de hieiis. »
Il s'agenouilla, cl tout l'équipage avec lui. Après avoir prié aveeeirusionet reeoniiaissanro, les matelols entonnèrent l'hymne à la ^ ierge. à l'éloile du malin !
Les trois vaisseaux voguitient rapidement vers ces rivages ileurisqui captivaient Utus les regards, lorsc^u'on vit sortir des bois et accourir vers la mer des hommes nus , à la peau cou- leur de enivre. Us paraissaient frappés de curiosité et d'admi- ration à la vue des vaisseaiuv qui avançaient vers eux.
Arrivé près du bord, l'amiral fit jeter l'ancre et descendit dans une chaloupe suivie de deux autres où se pressaient les Espagnols. En mettant le pied sur cette terre, Colomb et ceux qui l'accompagnaient se prosternèrent et en baisèrent le sol sauveur. Ayant pénétré plus avant, Colomb, tenant en main le pavillon royal, prit solennellement possession de cette île au nom des souverains d'Espagne, et l'appela ferre de San Sal- vador.
A.rapparilion des Espagnols, les habitants étaient retournés dans les bois, et ils épiaient avec crainte les mouvements des étrangers. Quand ils virent que ceux-ci ne se mettaient pas à leur poursuite, ils se rassurèrent et avancèrent timidement jusqu'à eux. Après les avoir considérés un moment, ils se mirent à genoux devant les Espagnols, et leurs gestes firent comprendre qu'ils les prenaient pour des dieux et les ado- raient.
Lorsqu'ils furent suffisamment enhardis, Colomb soufTrit avec patience les marques naïves de leur admiration, et sa bonté dissipa toutes leurs craintes.
Ensuite on voulut savoir si celte île renfermait de l'or. C'était maintenant l'unique pensée des compagnons de Colomb. L'ex- ploration qu'on en fit montra partout une végétation féconde et brillante, mais nulle trace des métaux recherchés si avide- ment.
Alors Colomb s'embarqua de nouveau , et atteignit les îles
Liicayos. Il l(^s visihi. cl n'y Irouv;». comme à Snn S.ilv.ulor, (l'aiilres richesses /juc celle de la végéta lion.
Le 6 (l(^cembre, il entra dans l'île d'Haïti, (jni reçut alors le nom d'Hispaniola. Quelques jours après, l'amiral, dans une so- lennité religieuse, élevait sur une éminence dominant la rade le signe sacré du christianisme.
Le cacique Guacanagari, chef des Indiens de cette ile, reçut Colomb avec bienveillance, et lui fît des présents en signe d'a- mitié. Parmi ces présents se voyait un baudrier ingénieuse- ment travaillé et orné de figures dont les yeux, le nez et la lan- gue étaient d'or.
Colomb n'avait pas encore rencontré ce qu'il désirait; pour-- tant il était impatient d'aller en Espagne rendre compte de sa mission. Remettant donc à un second voyage la poursuite de ses recherches, d fit les apprêts du retour. Une garnison fut laissée dans l'île, et le vaisseau de l'amiral cingla vers l'Es- pagne.
<»>
V
Lîn immense concours de peuple se pressait dans les rues de Barcelone, les cloches retentissaient, dans les airs, la joie rayonnait sur tous les visages , des acclamations sortaient de toutes les bouches, un enthousiasme délirant accueillait le re- tour de Colomb.
Monté sur un cheval andalou, revêtu du costume d'amiral, entouré d'officiers, l'illustre navigateur recevait avec un bon- heur modeste les témoignages flatteurs de l'admiration géné- rale. tnt Les populations contemplaient avec un intérêt mêlé d'éton- nement, les oiseaux inconnus, les plantes nouvelles, les lin- gots d'or, le merveilleux baudrier qui figuraient dans le cor- tège. Mais les insulaires amenés par Colomb fixaient surtout l'attention. Une vingtaine d'Indiens, choisis dans la jeunesse
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(les Iles, cl venus voloiiliiirmicnl, iiuiicliiiiciil de cIukum' cùlv (lu cliar (jui coiilruiiil les oltjrls r(nuii:;('rs. La couleur de leur peau, les dessins coloriés de leurs visages leur donnaieni un aspect singulier (jui n'élail pas sans agrément.
Celle marche Irioniphale conduisit (iolonil) au palais de ses souverains. Ferdinand et Isa])elle l'attendaient assis sur leur Irône, sous un dais de brocart d'or. Toute la noblesse de Cas- lille, de Valence et d'Aragon assistait à cette imposante céré- monie.
Lorsque Colomb parut, le roi et la reine se levèrent.
Il s'avança et* mit un genou en terre pour baiser leurs mains.
Les souverains le relevèrent de la manière la plus gracieuse, et le firent asseoir en leur présence ; rare honneur réservé aux plus grands Espagnols. A la demande d'Isabelle, Colomb ra- conta les principaux événements de son voyage. Ce récit excita de vives émotions. Lorsqu'il fut fini, Ferdinand et Isabelle tombèrent à genoux, l'assemblée les imita, et les remercîments de la reconnaissance s'élevèrent vers Dieu.
Durant le séjour de Colomb à Barcelone, Ferdinand et Isa- belle l'accablèrent de marques d'estinie et de considération. Le roi parut souvent en public ayant le prince Juan à sa droite, l'amiral à sa gauche. Il fut permis à Colomb de joindre les armes royales aux siennes, représentées par un groupe d'îles.
Les courtisans, qui l'écrasaient naguère de leurs mépris, le recherchaient avec empressement, lui prodiguaient de basses flatteries. Les savants, qui l'avaient accusé d'impiété, de folie, le fatiguaient de leurs hypocrites louanges. Et Colomb, au milieu de cet enivrant concert, gardant la modération dans son cœur, la simplicité dans sa vie, reportait à Dieu cet encens qu'd re- gardait comme égaré sur lui.
Mais ce dont il était le plus touché, c'était de quelques ami- tiés fidèles, en tète desquelles il plaçait celle du prieur des Franciscains. C'était de l'idolâtrie que le peuple faisait éclater à sa vue.
Après avoir savouré quel([ue temps ces jouissances suprêmes,
craignanlqn un lo\ ('clal (h; renomnicc nCxcilàl l'envie, ne pro- voquât les haines, Colomb se disposa à l'aire^ un second voyage.
Cette fois, loiil ce <|u'il demanda lui fui acc'ird»'.
L'enthousiasme conduisit sur ses vaisseaux plus de (juinze cents personnes, ([ui voulurent aller chercher sous le pavillon de l'illustre amiral les périls, la fortune et le succrs.
Colomb découvrit successivement les îles Dominique, Marie- Galande, la Guadeloupe, Antigoa, Saint-Christophe.
Arrivé à Hispaniola, il ne retrouva aucun des Espagnols qu'il y iivait laissés. Ceux-ci, après avoir commis les plus grands excès, avaient été mis à mort par les ordres d'un caci(iue fixé au nord de lile.
Pour empêcher le renouvellement d'un pareil désastre, l'a- miral fit tracer l'enceinte d'une'ville, et en deux ans de temps s'élevèrent une église, un palais pour Colomb, de grands ma- gasins, et un nombre considérable de maisons. Cette ville reçut le nom d'Isabella. Dans les expéditions qui suivirent les deux premières, Colomb découvrit encore plusieurs îles et le conti- nent américain.
Ce qu'avait craint et prévu la prudence de l'amiral arriva. Une gloire si éclatante, une vertu si haute, importunaient l'or- gueil de tous ceux qu'éclipsait la réputation de Colomb. On se demanda quand viendraient ces richesses annoncées et pro- mises, quels avantages procurait à l'Espagne la découverte de quelques rochers stériles dans un climat lointain et dévorant. Parmi les hommes qui avaient suivi Colomb, il se trouvait des aventuriers, que les excès d'une vie désordonnée, des crimes mêmes avaient forcés de quitter leur pays. Ces hommes portèrent à Isabella leurs habitudes de débauches et de vio- lences. L'amiral se vit obligé d'user d'une justice sévère. Ses actes furent qualifiés, à la cour de Ferdinand, d'abus de pou- voir, d'odieuse tyrannie, et chaque jour apportait sur le vice- roi d'Hispaniola- des rapports calomniateurs.
Un jour, sans que Colomb en eût été prévenu d'aucune ma- nière, Bobadilla, envoyé de la cour d'Espagne, arriva dans l'île.
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ri iiioiiliMiil iiii (U'cn-i signé de Fordinaiid rt d'Isabelle, il s'em- para des i)i('iis du vice-roi, Ir lit charger de cliaiiies et l'envoya r\\ l>|>ai:ii('.
VI
Celte luis encore, les populations se portèrent au devant de Colondr, mais quel changement dans l'aspect et l'entourage du héros! Les fatigues et les chagrins lavaient rendu méconnais- sable. Son corps courbé, ses cheveux blanchis avant l'âge, l'au- guste expression du malheur empreinte sur ses traits, sa con- tenance brisée, faisaient sur les cœurs une impression profonde; mais quand on aperçut les chaînes dont ou avait osé lier les mains ([ui avaient offert le présent d'un monde, une colère gé- néreuse se manifesta de toutes parts. L'expression en fut portée jusqu'au pied du trône. Ferdinand et Isabelle rougirent d'avoir, par des mesures trop sévères, provoqué un si indigne traitement. De nouveaux ordres furent expédiés. Les chaînes de Colomb tombèrent, et pendant le reste du voyage on lui rendit les honneurs qui lui étaient dus.
Arrivé à Grenade, Colomb se présenta devant ses souverains, il leur exposa les motifs de sa conduite, et retraça tout ce qu'il avait souffert du côté des choses et du côté des hommes. En l'écoutant parler, en voyant l'altération de cette noble tète, Isabelle ne put retenir ses larmes. Ces témoignages d'une haute sympathie, succédant aux outrages de Bobaddla, attendrirent Colomb. Il tomba aux pieds de la reine, et y demeura un mo- ment sans voix. Isabelle le releva avec bonté, et désavoua, ainsi que Ferdinand, les actes de Bobadilla. Tous deux promirent que cet agent serait puni, et que Colomb obtiendrait une en- tière justice. Promesses mensongères qui ne devaient jamais s'accomplir.
Colomb attendit longtemps le jour des réparations, ce jour ne se leva pas sur sa vie.
La mort d'Isabelle lui ôta son plus ferme appui. Alors une
de ces grandes tristesses qui suivent d'araères déceptions, s'em- para de l'àme dé l'illustre vieillard.
11 cessa de paraître à la cour, où la froideur du monarque lui disait trop bien que sa présence et ses réclamations élaienl importunes. Elles rappelaient un immense service mal récom- pensé..
Accablé d'intirmités dues aux souffrances de son orageuse existence, le cœur ulcéré de l'ingratitude des hommes, il se re- tira à Valladolid. Un jour, après, avoir béni sa famille qui l'en- tourait, il leva vers la voûte céleste Un ïegard sublime de dou- leur et d'espérance, et dit :
« Mon Dieu ! faites que le bonheur des deux me dédom- mage de la gloire de la terre ! »
Deux heures après, ses paupières étaient fermées ; l'homme du quinzième siècle n'existait plus.
>!""" Lebassd d'Helf.
-s-'.'^«*»!t*Svi,;
LAS CASAS.
Le nouveau monde était découvert ! Mais en place du lien civilisateur et religieux qui devait, selon le rêve sublime de Colomb, unir les peu- ples des deux continents, il n'existait d'autres rap- ports entre les Espagnols et les Indiens ' que ceux de bourreaux à victimes. L'arrivée des premiers commença pour l'Amé- rique une ère de car- nage, de désolation, d'é- pouvante ! Ce fut en vain que ses habitants, la plupart hospitaliers, pacifiques, se cour-
' On a conservé dans ce récit le nom d'Indiens, donné d'aboi d aux Américains.
28.®
^s.riTw
•»«e«Wwi®£;B»»«,ife,
LitJi-deBecij^uet
— 7Î) —
licrcMil ;ivt!c respect, cl soumission sous les exigences (ie leurs vainqueurs, (;t cherchèrent avec un louchant enipressemonl à satisfaire une insatiable avidité. Enhardis [)ar la crainUv(î dou- ceur des Indiens, les Espagnols s'acharnèrent sur eux, les dépouillèrent de leurs biens, leur ravirent la liberté, s'en ser- virent connue de bêles de somme, et les firent descendre dans les entrailles de la terre pour y chercher, au prix de leurs sueurs et de leurs larmes, l'or, qui aiguisait dans leurs maî- tres des passions brutales et féroces.
Ce n'était point assez de cette vie de terreur et de tourments infligée aux malheureux Indiens : quand leur zèle et leur obéis- sance se furent plies à toutes les volontés de leurs tyrans, ces derniers s'imaginèrent qu'il existait des trésors cachés dont on leur dérobait la connaissance. Les infortunés Indiens protes- tèrent inutilement de la sincérité de leurs déclarations ; on dressa des potences, les bûchers s'allumèrent, et un nombre infini de victimes expirèrent en d'effroyables tortures. En comp- tant celles qui périrent dans les mmes, on en porte le nombre à quinze millions, durant l'espace de dix années.
Cependant parmi ces hommes sanguinaires il s'en trouvait de justes et d'humains qui ne se bornaient pas à gémir sur le sort du peuple asservi, mais qui réclamaient hautement en sa laveur, et s'employaient avec activité à- rendre son sort moins rigoureux. A la tête de ces hommes, et le plus grand de tous, était Barthélemi Las Casas. La famille de Las Casas, d'origine française, était venue s'établir en Espagne sous Ferdinand, et avait constamment offert l'exemple des vertus. Barthélemi, sous une telle influence, élevé par des parents pleins d'honneur et de piété, devait ajouter un nouvel éclat à sa maison. A l'âge de dix-neuf ans, il suivit son père, qui accompagnait Colomb dans son second voyage ; il fut témoin des cruautés que nous venons de retracer, et en ressentit une douleur profonde. Il essaya par tout ce que la chaleur du cœur, les ressources de l'esprit peu- vent donner d'ascendant, d'adoucir la férocité de ses compa- triotes. On méprisa sa jeunesse et ses prières, et les actes les
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plus ivvoUaiits continueront (r;irtli«,M'r ses yeux cl de r.i in» saigner son cœur.
Sans se ili'H'our;»ii;{'r de celle inipuissiuice, il clienha |)ar <|uels moyens il pourrait parvenir à pn)té}j:;(M-ernca(enienl les vielinies de? Espagnols. Après avoir longtemps médité devant Dieu, une joie sainte rayonna sur ce noble Iront; le dévouement venait de ^Êk
lui montrer la voie où devait se signaler sa tendre humanité!- * ^*
De retour en Espagne, il annonça à ses parents que sa voca- tion l'appelait à aller prêcher l'Évangile dans le nouveau monde, à foire briller aux yeux des Indiens la lumière de la vérité, à réprimer, si cela était possible, l'injustice de leurs oppresseurs.
Les parents de Barthélemi ne s'opposèrent aucunement à cette grande mission ; ils approuvèrent et bénirent le jeune apôtre. . ^
Las Casas entra dans les ordres sacrés; puis il retourna à Saint-Domingue, où il reçut l'ordination.
Revêtu d'un caractère auguste, avec l'autorité que lui don- nait son ministère, il fit entendre une voix éloquente et coura- geuse qui revendiquait pour les Indiens les droits communs et imprescriptibles de l'humanité et de la liberté. Cette voix impor- tunait les oppresseurs, excitait leur colère, mais ne changeait rien à leur conduite. Quand les réclamations de Las Casas ces- saient de se faire entendre, c'est qu'alors il parcourait les cam- pagnes, s'arrètant auprès des indigènes attelés à une charrue et labourant la terre. D'autres fois. Las Casas se rendait sur les lieux où les Indiens étaient occupés à transporter d'un endroit à l'autre de pesants fardeaux pour les constructions ordonnées par les Espagnols. Le saint apôtre leur adressait des paroles en- courageantes, les aidait dans leur travail; et ces malheureux éprouvaient un soulagement momentané. C'était surtout dans les mines que la présence de l'homme de Dieu semblait douce : privés des radieuses clartés du soleil, arrachés à leurs campa- gnes fleuries, à leur innocente liberté, les Indiens, enfoncés dans les profondeurs de la terre, respirant un air méphitique, cour- bés vers le sol, devaient en extraire sans relâche le métal objet
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(l(\s voMix (l(! leurs cruels tnaîlres. l'Usi |);(riois le iii.iiKjue de force leur Taisait lover sur le cliel' espagnol un regaid doux el sup- pliant, qui implorait un moment de re|)os, le l'ouet du barbare refoulait dans le cœur des victimes la j)rière ex|)rimée dans leurs yeux, et elles reprenaient en Ireniblant la rude fàclie (pii leur était imposée.
Ce n'était (jue quand Las Casas descendait dans ces abîmes que les travailleurs obtenaient une interruption de quelques in- stants. Alors le prêtre leur parlait du Dieu des chrétiens, des. lois de l'Évangile; il leur disait comment le Christ avait voulu habiter sur la terre pour instruire, sauver les hommes ; com- ment il avait voulu soufl'rir la misère, rinjustice, loutrage, la persécution, afin que ceux qui souflViraient après lui et comme lui, partageassent avec lui le bonheur des cieux.
Las Casas disait encore à ces hommes attentifs à sa parole que la puissance de Dieu étant pleine de mansuétude et de miséri- corde, l'autorité des hommes les uns sur les autres devait être douce et indulgente, s'ils voulaient éviter les supplices éternels réservés aux méchants.
A l'annonce de ces vérités si consolantes pour eux, si mena- çantes pour leurs- maîtres, les Indiens regardaient furtivement les Espagnols, et ceux-ci tournaient vers le missionnaire des yeux sombres et menaçants.
Plusieurs années s'écoulèrent en efforts impuissants de la part de Las Casas pour les Indiens. La volonté d'un homme, quelque forte qu'elle fût, ne pouvait l'emporter sur les instincts violents et sanguinaires de tant d'hommes attirés dans le nouveau monde dans le seul but de s'enrichir, n'importe par-quels moyens. Le missionnaire résolut d'aller porter au pied du trône sa généreuse plainte, et il partit pour l'Espagne.
II
Charles-Ouint occupait le trône quand Las Casas revint dans
sa patrie. Une noble et sainte renommée le précédait; il fut
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— S:> — adilllN siUl> peine ;i preseiller s;l re(|llèle ;m fol Ini-lllèllie.
Ko inonar(|ue approuva les seiilimeiiK de Las (asas, iSï'an- inoins. roiniiK* il so Iroiivait joint à la (pieslioii (riminaiiitt' iiiie <|n(^slion de llM'oioiiie, Cliarles-Oiiiiil enil devoir inelire en pre- s(Miee du missionnaire nn adversaii'e (pii eùl. connue Las Casas, ranloril('' dn saciv'earaclèn'. Deux syslèniesenlièrcmonl op]H)S(''s se Irouvaienl persoiniiliés dans Las Casas (i l'év(^(juc dcDarien.
Dans une conréronce, lonno m présence^ du roi, l'apôtre des Indes développa ses idées. Elles eonsislaient à essayer d(^ civi- liser les habitants du nouveau monde, et à leur apprendre les arts mécaniques 'pour mettre à profit les productions du pays. Il demandait encore l'autorisation et les moyens«le fonder une colonie administrée d'après son système.
En répliquant à Las Casas, l'évèque de Darien établit entre les peuples d'Amérique et les peuples de Chanaan une similitude de position, qui avait pour effet de décider la servitude des pre- miers et leur anéantissement en cas de résistance.
Las Casas s'éleva avec force contre de pareilles conséquences, et s'adressant au cœur de Charles-Quint, il y fit passer la pitié ([u'il sentait en lui, et retraça avec une énergique indignation tous les maux déversés sur ces peuples lointains.
Le roi, sans se prononcer contre l'évèque de Darien, accorda à Las Casas les pouvoirs nécessaires pour ^'exécution de son entreprise.
Heureux de ce succès, Barthélemi réunit autour de lui trois cents Castillans, pris dans les classes d'artisans et de laboureurs, hommes probes, laborieux et pleins de respect pour ses avis.
Pour éviter que ses colons ne fussent confondus avec les au- tres Espagnols, il leur donna un vêtement particulier où figurait une croix blanche ; et s'étant muni de tout ce qu'il jugeait né- cessaire à son installation, il s'eml)arqua avec sa suite et fit voile pourCumana. '
En arrivant dans ce pays, il le trouva livré à une violente guerre entre les Espagnols et les Indiens. Voici quelle en était la cause.
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Kcspccmicrs l'>s|)ii^ii(»ls(jui (Ichaniiicrciil m r.miiaiia claiculdcs pirates, vernis dans rinteiilioii de siirpreiidrr la cuiiliaiice dos in- digènes, el de leur enlever loul ee (|ii ils |)(»uiraienl , d'iiomincs el (le biens, l.a su|)(3rioritc que donnait aux Espagnols un<' tactique réglée, la puissance de leurs canons, et aussi l'iïrn.'ur (|ui les avait fait prendre dans plusieurs contrées pour des demi- dieux, disposaient les peuples de Cumana au respect pour ces hommes nouveaux qui s'introduisaient de force dans. leur pays. Us allaient au devant d'eux, et les reçurent avec une joie respec- tueuse. Les Caciques ou chefs apportèrent en présents des plu- mes d'oiseaux rares, des colliers, des bracelets, des figures d'a- nimaux en or massif. En voyant la s.atisfaction des Espagnols, ils pensèrent s'être acquis des amis en eux, et voulurent com- pléter leur gracieux accueil en donnant une fête aux nobles étranger^.
La nuit mit fin aux divertissements ; les Espagnols charmés regagnèrent leurs vaisseaux, les Indiens rentrèrent dans leurs maisons.
Ces derniers se livraient au repos depuis quelques heures, lorsqu'ils en furent soudainement arrachés par le bruit d'une détonation semblable au tonnerre.
C'étaient les pirates qui lançaient des bombes sur la ville oii ils avaient été traités comme des hôtes chéris !
La terreur se répand chez les Indiens ; ils sortent de leurs habitations et trouvent dans les rues, sur les chemins, des Espa- gnols armés de fusils, qui les forcent de marcher vers les vais- seaux ; ceux qui résistent sont fusdlés à bout portant : en quel- ques moments la terre est couverte de cadavres. Les femmes (îouraient après leurs maris et partageaient leur sort. A la vue d'un tel carnage, le courage abandonna les cœurs, et un trou- peau d'habitants faibles et consternés fut conduit sur les vais- seaux.
Quinze mois après cet événement, des marchands espagnols accompagnés de deux missionnaires el d(^ plusieurs Indiens convertis vinreni s'établira Cumana.
— Hï ~
\.v souvenir de la |t(M-li(li(' ili's j^iralcs sivail dans le cd'iir des habitants; après avoir observé les Espajj;nols av(M- une traiiilc soupçonneuse, ils se persuadèrenl (pi'ils ne pouvaient être ve- nus qu'avec de mauvais desseins, et se décidèrent à les mas- sacrer ; pas un Espagnol ne fut épargné. \in apprenant cet évé- nement, le gouverneur de Saint-Domingue donna l'ordre à Diego Ocampo d'idler avec trois cents hommes venger la mort de leurs compatriotes en ravageant le pays et en s'empiuant des hal)i- tants pour les vendre. Ocampo ne remplit (jue lro() lidèlement sa mission (k châtiment : les plus grands excès lurent commis dans cette malheureuse contrée.
Ce fut dans ces circonstances que Las Casas arriva .à Cumana. 11 choisit un lieu auquel il donna le nom de Tolède, et l'ayant l'ait entourer de palissades, il y établit ses colons.
Le dévouement du missionnaire aux Indiens avait irrité contre lui tous les Espagnols. Le signe distihctif qui séparait les Castil- lans de leurs compatriotes blessa l'orgueil d'Ocampo; il refusa de reconnaître l'autorité de Las Casas,- et le traversa dans toutes ses entreprises. Cet état de choses obligea le saint prêtre d'aller porter sa plainte et demander des secours à Saint-Domingue.
Un autel s'élevait au centre du camp des colons ; avant de partir, Las Casas y célébra solennellement la messe, et recom- manda d'user en son absence d'une grande prudence et d'une extrême douceur envers les Indiens, exaspérés par leurs mal- heurs récents.
III
Le gouverneur de Saint-Domingue, malgré ses dispositions peu bienveillantes pour le missionnaire, n'osa pas lui refuser la justice qu'il lui demandait. Il ajouta de nouveaux pouvoirs à ceux que Charles-Quint avait concédés à Las Casas; et celui-ci, plein d'espérance, reprit le chemin de sa colonie. Ocampo n'é- tait plus à Cumana ; il venait d'être envoyé à la découverte vers la côte orientale de l'Amérique du Sud. Arrivé à Tolède, Las
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Casas s'étonne du silence i\n\\ y trouve; il avance et voit les pa- lissades du camp renversées, le camp désert! In douloureux pressentiment l'agite; il pénètre dans les habitations des colons, et n'y rencontre personne. Mais des traces de sang lui révèlent cequi s'esl passé dans ces lieux après son départ.
Le désespoir dans le cœur, les yeux remplis de larmes, il marche vers l'endroit oii s'élevait l'autel du vrai Dieu. Des pierres dispersées en occupent la place, et près de ces pierres les ■ cadavres de plusieurs Castillans attestent la défense dont l'autel
a été l'objet.
(( Tous morts ! tous massacrés! » s'écrie Las Casas en se pro- sternant la face contre terre.
Il resta un long moment dans cette attitude, abimé de douleur.
Puis, levant vers le ciel son visage couvert de poussière et de larmes, il dit, en joignant ses mains tremblantes : « Saints mar- • tyrs de l'humanité! vous qui étiez venus à ma voix, qui comp- tiez m'aider dans mes travaux, pardonnez-moi votre mort, et priez Dieu que votre sang ne retombe pas sur des hommes éga- rés qui, en vous frappant, ont cru immoler des hommes sem- blables à leurs persécuteurs.
Après avoir répandu son âme devant Dieu, Las Casas songeait douloureusement aux moyens de donner la sépulture aux ca- davres exposés à ses regards, quand il vit des Indiens s'avançanl vers lui, les yeux baissés, la contenance triste. Ceux-là avaient été instruits et convertis au christianisme par les deux mission- naires dont nous avons parlé.
En voyant les larmes (jue répandait Las Casas, ils se mirent à pleurer; et l'un d'eux prenant la parole dit ;
(( Ce n'est pas nous qui avons tué tes frères, car nous adorons
le Christ.
—Je vous crois, -répondit Las Casas d'un ton clément; mais qu'ont fait vos compagnons! Les malheureux, ils se sont ôté leur seul appui. C'étaient des amis, des bienfaiteurs que j'avais ame- nés pour les défendre. ^^
Les Indiens restaient consternés autour du missionnaire.
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.( Mens dans nos cabinics. rcpnl lini (IVux ; nons cconlrronN la parole, nous l'obcirons. l'.l 1rs jours seront m sùict»', car on sail (juc lu aimes les pauvres Indiens.
— Non, mes amis; je dois (luiller ce pays où mon es|)oir es.l, si cruellement déçu; mais je ne cesserai pas de lu'occuper de voire sort. Aidez-moi seulemenl à rendre les derniers devoirs à ces victimes. »
I.es Indiens se mirent à creuser une grande fosse où les corps des Castillans lurent déposés. I.as Casas récita sur celte fosse les prières des morts, et les Indiens agenouillés s'unissaient au sen- timent du missionnaire.
Celte pieuse cérémonie achevée, Las Casas fit ses adieux aux Indiens, (pii le regardèrent tristement s'éloigner.
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Les ennemis de Las Casas triomphaient du revers deCumana; mais ils savaient que ce caractère intrépide et généreux n'aban- donnerait pas pour cela la noble tâche qu'il s'était imposée, et ([ue par ses réclamations continuelles au roi d'Espagne, il les tiendrait toujours dans le trouble et dans l'appréhension. Habi- tués, comme l'étaient ces hommes, à la violence et à la haine, ils ne pouvaient s'effrayer d'un nouveau crime ; la mort de Las Casas fut résolue. ^lais cette grande vertu ne devait pas en- core cesser d'édifier le monde. Le missionnaire échappa aux pièges semés sous ses pas, au feu dirigé contre lui, et alla cher- cher un refuge dans le monastère des Dominicains de Saint-Do- mingue.
Cette sainte retraite, placée dans un site délicieux, habitée par des hommes d'une piété éclairée, promettait à Las Casas une vie de paix et de méditation, qui lui eût été douce, s'il avait pu oublier les maux des peuples conquis. Le souvenir qu'il en gar- dait se mêlait à toutes ses impressions et y répandait de l'a- mertume.
Ses plus heureux moments élaienl ceux qu'il enq^loyait à in-
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slniirc les nnliircls de l'Ile, l()rsqii(\ assis à lOruhrc des bnna- iiicrs, crilouré (rcnraiils dociles el de leurs parents alteiilirs, il répandait dans leur âme la divine parole, et y semait le grain (pii devait produire des fruits pour l'éternité!
Las Casas venait de terminer sa relation de la conquête des Tndes, ouvrage dans lequel est retracé tout ce que les peuples d'Amérique avaient à souffrir soiis la domination des conqué- rants. Ce livre, écrit avec la chaleur d'un zèle infatigable, se répandit en Espagne et souleva l'indignation de tous les hon- nêtes gens contre les tyrans de l'Amérique.
Des lois protectrices furent promulguées; et Las Casas, nom- mé protecteur des Indiens et évèque de Chiapa, se transporta dans les lieux où l'appelait sa nouvelle mission.
Il vit les affreux ravages du Mexique : l'influence que lui don- nait son double titre lui permit d'effectuer et de maintenir, du- rant quelques années , les améliorations qu'il avait projet(' d'opérer.
A son arrivée dans le Mexique, refusant les honneurs qu'on voulait lui rendre, il avait choisi une habitation modeste qui s'ouvrait, jour et nuit, à tous ceux qui réclamaient un appui et des secours. Quoique avancé en âge, il ne reculait devant au- cune fatigue pour aller porter en tous lieux la lumière et les consolations.
Aussi les sentiments des Indiens pour leur protecteur étaient- ils une sorte d'idolâtrie. Et comment ces hommes simples et bons ne fussent-ils pas tombés dans cette erreur de la reconnais- sance, lorsqu'ils voyaient Las Casas veillant à tous leurs besoins, défendant leurs intérêts, partageant leurs peines, pleurant sur leurs maux, éclairant leur esprit, calmant leurs ressentiments, et leur promettant pour la patience de leur vie des joies eni- vrantes et éternelles ! Cependant Las Casas réprimait avec sévé- rité cette tendance des Indiens a le prendre pour un dieu, et ce n'était pas sans efforts qu'il parvenait à leur ôter cette idée.
Le saint évêque avait chez lui plusieurs indigènes qui lui avaient été cédés comme esclaves, et auxquels il s'était empressé
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(le rciidrt' la liltcrlc : parmi eux se Iroiivai! une iciiiic Icmino avec son (Mil'anl; rôvùijuc» la prolégcail avec, une Ixmh' parLicu- lim\ La tribu, doiil \v piiv de celle jeune femuH' était caciiiue. avait été attacpiée par les Kspaj^Miols ; après s'être déleiidue iivee couraiie. voyant (pi'elle ne jiouvait être victorieuse, ell(^ avait (piitté la fertile» vallée qu'elle habitait, et s'était réfugiée sur le plateau d'une haute montagne, au(piel on n'an'ivaii (pie pai- dos ehomins dilliciles et tortueux. Les Espagnols n'osèrent pour- suivre les Indiens dans cet asile ; mais en repassant dans la vallée, ils ennnenèrenl de Ibrce les iennnes et les vieillards (jue les infirmités ou la maladie y avait retenus. La jeune femme dont nous venons de parler gardait le berceau de son enfant malade; elle fut entraînée malgré ses larmes et ses prières, ca- chant sur son sein tari l'enfant qui souffrait encore.
Le seul bien qui restait à l'Indienne lui fut conservé, son en- fant Vécut.
Après être restée au service d'un Espagnol durant quelques mois, elle eut le bonheur d'être offerte à Las Casas, et mise au nombre de ses serviteurs. Elle lui dit son malheur ; il la plaignit, la consola, et la jeune femme l'aima bientôt comme un père.
Elle devint chrétienne, et reçut le baptême le même jour que son enfant. La tendre vénération qu'elle éprouvait pour Las Casas lui fit désirer de porter le même nom que lui ; on l'ap- pela par abréviation Thélémi.
Quelque adoucissement qu'eût apporté à son sort son chan- gement de maître et sa foi nouvelle, toujours sa pensée la repor- tait auprès de son époux et de sa famille. Chaque matin et cha- que soir, sa dernière prière était pour eux, son dernier regard pour les montagnes qu'ils habitaient, et dont le sommet se per- dait à l'horizon.
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Thélémi se précipita un jour dans l'oratoire où Las Casas
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priait, et s'écria toute en pleurs : « Viens, nion père! ali! viens sauver mon époux! il est ici, je l'ai vu ! Des soldats espagnols le conduisaient cliez le gouverneur. Ils vOnt le faire mourir! »
La pauvre femme était pâle, tremblante; le désespoir écliit.iil dans ses traits.
(( Ne vous ètes-vous pas trompée? dit I>as (lasas tléjà prêt à se. mettre en marche.
— Non! non! c'est bien Guanaro ; j'ai voulu uw jeter dans ses bras, les soldats m'ont repoussée.
— Je vais chez le gouverneur, » dit Las Casas.
Thélémi le suivit, mais on lui interdit l'entrée du palais. Ce ne fut pas sans quelque peine que l'évêque fut admis : sa pré- sence était un obstacle aux mauvais desseins.
Après que Guanaro eut répondu aux questions qui lui étaient faites. Las- Casas témoigna le désir de posséder cet esclave, pour le réunir à sa femme ïhélémi.
En entendant le.missionnaire exprimer ce vœu, l'Indien tomba à ses pieds.
« C'est chez toi que demeure ma femme? dit-il ; eh bien, em- mène-moi, je te servirai, j'adorerai ton Dieu. »
Le gouverneur imposa silence à l'Indien, et dit à Las Casas ({ue cet homme était coupable de rébellion, en refusant de con- duire les Espagnols dans la retraite où ses compagnons vivaient sans utilité pour les vainqueurs, et qtie s'il persistait dans ses refus, il mériterait la mort. ,
L'évêque attacha sur le gouverneur un regard profond et dou- loureux ; puis-, après. un silence significatif, il répliqua :
« Vous avez entendu cet homme dire (ju'il embrasserait le christiinisme; si vous disposez de ses jours d'ici-bas, vous ne pouvez lui ravir les moyens de gagner la vie éternelle. Il ajouta d'un ton plus doux : C'est une -grâce dont je vous aurai une obligation particulière. >- . ■
Une pensée qui conciliait son désir et celui de l'évêque venait de s'offrir à l'esprit du gouverneur. 11 se garda de la commu- nicjuer, et parut ne céderqu'aux sollicitations du vénérablepréire.
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riiciciiii, I aiiL^oissc .111 cuMir. allciuliiil ciicdrc ;i hi |Mir(c. I(>rs(|u Clic \ il l,as Casas cl (iiiaiiaro sorlaiil ciisfiiihlc du |talais; clK'jcIa iiii cri de hoiilinir. coiinil à eux. cl Idinha dans les bras de son cpoiix.
La joie (ic celui-ci ji'clait pas moins vive Les témoins de celte scène i'ci;ardaicnt d un (cil allcndii les Iraiisporls de ces jeunes el intéressants Indiens. I)eu\ sentiments se partageaient l'àme des époux, le bonheur de se retrouver, et la reconnais- sance pour leur bienfaiteur. En arrivant à la maison, Tliélémi courut chercher son enfant; elle le mit dans les bras de Gua- naro, (pii. ainsi (jue sa' femme, s'agenouilla devant l'évèque, el Ions deu\ le remercièrent de nouveau pour tous les biens (pi ils lui devaient.
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»
L'àme de (iuanaro s'était ouverte aux vérités de la religion, le baptême .avait imprimé à son front le sceau régénérateur. 11 vivait en paix sous l'ombre protectrice du toit saint, auprès de sa compagne chérie. Néanmoins il trouvait au fond de son cœur un vœu secret, pour ses montagnes et pour sa vie irrégulière et libre. Thélémi s'associait au désir de son époux; mais la recon- naissance les enchaînait fous deux. Ce qu'ils n'osaient avouera Las Casas fut compris. L'évèque leur permit de retourner dans leurs tribus. Le gouverneur paraissait avoir oublié Guanaro, rien donc ne s'opposait à leur départ.
Une nuit, après avoir reçu la bénédiction 4e l'homme de Dieu, les deux époux et leur enfant .prirent le chemin de la montagne. Leur doux protecteur, en les regardant s'éloigner, disait dans son cœur ces paroles du Psalmiste : « Seigneur, ') donnez à leurs- pieds la légèreté du cerf; mettez-les en sûreté » dans des lieux impénétrables-. » Bien peu de temps après ce départ furtif, des ruisseaux de sang coulaient de la montagne dans le val des Cacaoyers! Les épou\ tivaient été suivis par des
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Kspnt;ii()ls, (|iii l'cviiircnt npportnni nn gouvfM'iiciir la carie des lieux habiles |)ar la Iribii iiulépeiidniik;.
Los Indiens furent de nouveau aUaciués ; hommes et femmes coururent aux armes, tous préférèrent la mort à la servitude ehez les Espagnols.
Ceux-ci s'emparèrent des richesses peu nombreuses de la tribu, et amenèrent à Cbiapa les enfants orphelins. Le fils de Thélémi se trouvait parmi eux. Las Casas le réclama et l'adopta.
Puis, voyant ses pathétiques discours, ses écrits, ses prières, ses larmes, et les règlements même de l'autorité royale mécon- nus, incapables de toucher les cœurs endurcis des conquérants, et d'arrêter leurs coupables excès, l'évêque jugea qu'il ne lui restait plus qu'à s'éloigner de cette terre de désolation; il ré- signa son évêché, et retourna en Espagne, où il se retira dans un couvent.
Dans la retraite, i'I continua de travailler pour les Indiens. Ses écrits. et ses réclamations ne cessèrent qu'avec sa vie.
Quelques moments avant sa mort, il répétait avec une sainte espérance pour ses chers Indiens :
(( Le Tout-Puissant étendra ses ailes sur les délaissés de ce monde, et il viendra un jour où il les emportera dans les hautes demeures, comme l'aigle emporte ses aiglons dans son aire. »
M"'« Lebassu d'Helf.
ti|i|LLAi;i!E TELL,
met à 1
Depuis l'épotjue où le flambeau de l'histoire' commence à dissiper la nuit obscure qui nous voile le secret de la for- mation des sociétés pri- mitives jusqu'à notre dix- neuvième siècle , nous voyons l'Orient et l'Occi- dent obéir à l'action de deux forces diamétrale- ment opposées'. L'Orient, fidèle au'x traditions pa- triarcales , considère les nations comme de gran- des fcunilles; il les sou- autorité d'un seul qu'il proclame foi, père et législa-
' Aururio pensée politique na" présidé à ce travail, l'auteur n'a voulu signaler qu'un
L:th deEecQuçt
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leur; lOccidcnt, auconlrnirc, (l.ins Ions les ngos cl ii l(ml<s les époques l'ail les plus grands ellorls pour diviser la puissance lé- gislative et la remettre aux mains de plusieurs. En Orient se succèdent les grandes monarchies, les empires de Baclrianc, d'Assyrie, de Médie, de Perse, etc. ; en Occident Itt Grèce, l'Ita- lie, la Gaule, la Germanie partagent le pouvoir législatif entre divers ordres de citoyens. En vain le con<juérant macédonien veut étendre sur l'occident le sceptre qu'il a ravi aux descen- dants de Djemschid ; séduit par les dogmes religieux et politiques de Zoroastre, il conçoit* le projet d'une monarchie universelle; sa. pensée le dévore, il succombe; son empire s'écroule, et Rome reçoit la mission d'en briser les derniers débris.-
En vain le peuple roi, pour mettre de l'unité dans le gigan- tesque empire qu'il a conquis, abdique son autorité et la confie à ses Césars. Des mystérieuses profondeurs de la. forêt hercy- nienne, ce grand chemin des nations, comme dit énergiquemenl un de nos illustres historiens, s'élancent les barbares ; ces hordes ignorées, jusque-là sans nom. renversent l'unité monarchique, dont l'établisseipent avait coûté tant de sang à tous les peuples du monde romain, et elles remettent en question l'avenir des nations occidentales.
Bientôt on voit s'' élever un nouveau promoteur des idées orien- tales, Karl le Grand, génie puissamment organisateur ; il relève le principe de l'unité monarchique ; il semble l'avoir fait triom- pher en Europe : néanmoins ses faibles fils ne pourront conti- nuer le colossal ouvrage qu'il leur lègue, et ils disparaîtront devant la féodalité.
La féodalité, qui nous parait au point de vue du dix-neuvième siècle une époq'ue de despotisme et d'oppression, n'était que le premier fait de la division du pouvoir. Avec la féodalité le prin- cipe monarchique subsistait encore; mais l'autorité devenait le partage des r-ois et des nobles, c'est-à-dire de toute une classe
l'ait historique,, remarquable . celui de l'antagonisme qui sépare profondément les principes fondamentaux du gouvernement chez les Orientaux et chez les peuples xle l'Occident.
(W.
()ui avait contiuis s(»ii iiKicpciKlancc. La l'cddalilt' rlail donc un i-clour vers les anlicjurs principes i^^invcrncincnlanx de l'Occi- dent, le partage de la puissanee législative. Aussi on vitsiieces- sivenient s'orL^Miiiser les réjtuhliques italiennes, les villes impé- riales, les villes lianséaticpies de rAllenia}j;ne, les eoinnuines de Franee et d'Angleterre, les Waldsteltes de l'Helvétie, et surtout nos états généraux d'où devait sortir le gouvernement repré- sentatif de la France.
One fut pas cependant sans luîtes, sans combats, sans mar- tyrs, que la liberté traversa le moyen âge. Les républi([ues ita- liennes, vassales nominales de l'empire germanique, durent re- pousser, les armes à la main, les.prétentions des empereurs leurs suzerains. Afliiiblies par leur résistance, elles s'éteignirent au sein de leurs discordes intestines. Leur rcMe avait été d'enseigner aux grandes cités du nord à (juel degré de puissance pouvaient s'élever les classes bourgeoises, le tiers-état, comme on s'expri- mait en France. Tombées sous l'autorité de princes souverains, ces républiques jadis si puissantes, cette Florence, cette Pise, si riches et si magnifiques, cette superbe et orgueilleuse Gênes, ne pouvaient plus rien pour la liberté. Un petit peuple obscur, confiné dans les vallées et sur les pentes abruptes des Alpes et du Jura, releva aussitôt l'étendard de l'indépendance et de la puissance populaire, les Helvétiens ; la Providence leur avait assigné cette mission. C'est d'un de leurs héros, d'un des fon- dateurs de la liberté helvétique et en même temps d'un des pré- curseurs de la liberté moderne, que nous allons, non pas re- tracer la vie, mais rappeler la courte et brillante histoire. C'est à tort qu'on a voulu révoquer en doute l'existence de Guillaume Tell ; Muller, auteur de l'histoire des Suisses, a recueilli sur ce personnage, à la fois glorieux et obscur, des renseignements de la plus incontestable authenticité. Sans nous arrêter à discuter ce que chaque phase de la romanesque histoire de Tell peut avoir de plus ou moins probable, nous la conserverons intacte, pour ne pas affaiblir ce qu'elle a de dramatique et de touchant. Au treizième et au quatorzième siècle, l'Helvétie, province.
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dclaclicc (le l'aïKicii royaiiiiic d'Arles, laisail partie de. ICiiipin' germanique. Divisée en deiixceiilsliers, eoinlés ou l)aroni<'s, (|ui relevaient immédiatement du l'empereur, on voyait sur son ter- ritoire quatre villes impériales et les trois Waldslettes, oucantons libres d'Uri, de Schwitz. et d'Unlerwalden, considérés comme prinripautés suzeraines de l'empire, mais n'obéissant à aucun vassal inq)érial. Albert l" d'Autriclie, fils de Uodolplie de Jiaj>s- bourg, après' avoir tué. de sa propre main, à la bataille de Gœl- heîm, son compétiteur Adolphe de Nassau, reçut la couronne des Césars, en 1298. Parmi les titres de la famille de Haps- bourg, le plus précieux était celui d'avoué ou de défendeur des Waldstettes, titre qui avait élevé les descendants de Gontran le Kidie au-dessus des autres possesseurs de fiefs de l'Helvélie, et avait conduit Rodolphe IV, de Hapsbourg, au trône impérial. Albert, oubliant l'origine de la fortune de sa maison, résolut de convertir en souveraineté le patronage qu'il exerçait sur les Waldstettes. Les Helvétiens, jaloux de leur noble privilège d'in- dépendance, refusèrent de reconnaître d'aussi injustes préten- tions. Mais le fier et ambitieux Albert profita de la puissance ([ue lui donnait le titre , de chef de l'empire pour faire occuper les trois cantons par les soldats impériaux, et les livrer au ca- price despotique d'un gouverneur impitoyable, le landvogt Gess- 1er. Cet homme n'obéit que trop- ponctuellement aux ordres de l'empereur; il accabla de vexations les' habitants des Waldstettes. Dans l'année 1307, trois des principaux citoyens des trois can- tons, StaufTacher d'Uri, Walter Furst de Schwitz, et Melchlhal d'Unterwalden, se réunirent secrètement sur le sommet du Griitli, et là jurèrent à la face du ciel de rétablir la liberté et de chasser les troupes de l'usurpateur. Chacun d'eux travailla avec ardeur à préparer ses concitoyens à la grande lutte qu'il fallait soutenir. Malgré tout le mystère dont ils s'entouraient, le landvogt eut quelques indices de la conspiration ; furieux, mais ne sachant sur qui sévir, il fit élever un mat sur lequel on arbora, par dé- rision, un bonnet, symbole de la liberté dont les Helvétiens avaient été dépouillés, et il ordonna .que ceux des cantons qui
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|>iiss('r;iii'iil (IcNiiiil ce iiioimiiiciil d Opprolirc llcrliisscnl le iH'- iiou. Willu'lin ou (iuilliuiiiic l'i'll. du Nillai:»' de nurgclii dans le canloM d'I ri , i;êiidn' de W aller l'iirsl cl un des diels du ('Oin|d(>l, refusa d'obéir au landNoiil e( de s'Iuitnilier dcvanl le sii^ne de l'asservisseiuenl de sa pairie. Les salrlliles iU'rèlenl (iuillaunie el le li-aîuenl devanl le lyran. — « Pourquoi, dit ("iess- 1er, eni'reins-lu niesorilres? ne suis-je pas le représenlanl d'Al- herl Ion souverain? — Les hoinnies des Waldslellessonl libres\ ils n'onl de souverain que Dieu seul. — Ouoi! tu oses nier (fVie lu sois le sujet de l'empereur? — Je suis d'I'ri ; Lri relève de l'empire; mais dans nos vallées on ne connail ni seigneur ni sujet. — Vassal, tais-toi, ou je te forcerai d'avouer que je suis le maître de ta vie. — Comme le lammer-geyer ' est le maître-de la vie d'un agneau sans défense. — Misérable! tu mourras.... Mais non. Tu es, dit-on, le plus habile chasseur des montagnes, lu peux racheter ta vie. Ton fils sera conduit devant la porte du Burg, et si tu es assez adroit pour frapper une pomme placée sur sa tète, tu retourneras à Burgeln. — Fais-moi donc conduire au supplice.^ Non, de par le ciel! je l'ai dit, tu obéiras., si- non ton fils sera torturé sous tes yeux, e),après sa mort, qui sera lente... je te livrerai au bourreau.»
L'ordre du landvogL reçut son exécution; ni larmes, ni prières ne purent le fléchir; l'enfont est amené au milieu de sa famille éplorée et d'un immense- concours des pasteurs des Waldstettes ; il est lié devant la demeure de Gessler; on lui bande les yeux, et bientôt Tell parait chargé de chaînes, entouré de gardes... Le cruel landvogt insulte à sa victime. « Tell, ta main n'a jamais tremblé, ton coup est sur : sauve ta vie el celle de ton fils. Déliez le prisonnier. » 3Iais Guillaume a .pris son parti : il ne montrera aucune faiblesse devant r.iulrichien ; il compte d'ailleurs sur Dieu qui protège l'innocence et le bon droit. » Qu'on m'apporte des flèches, » sécrie-t-il. Un soldat lui (Ml donne plusieurs; Tell les examine attentivement; il en
' Le grilToii des Alpes, la plus grande espèce daigle.
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clioisil (l(Mix, (iK'l ruiic dans son s(mii ri la second*' sur son ar- halrlc. La ponnn(3 latalo csl placée,- l'are lendu; un silence so- lennel règne autour de l'intrépide chasseur des montagnes; le Irait sil'lle, le Init est alteini, cl reniant se jette d.ins les bras de son père. La landvogt |)àlit, sa victime va lui écliapper. « lell. tu es libre, dit-il en lui jetant un sombre regard. — l^t toi, tu es sauvé! A'ois cette ilèche ; si le sang de mon tils eut coulé, elle serait maintenant dans ton cœur. » Le tyran frémit du danger ({u'il a couru ; un archer aussi adroit est le plus dangereux des ennemis; si jamais ils se trouvaient en présence ?... Mais non, il ne s'y exposera pas. Gessler fait un signe, les soldats impé- riaux se jettent sur Guillaume, l'entourent et l'entrainent dans la forteresse où réside le tyran. La foule, épouvantée de ce nou- vel acte de farouche despotisme, s'écoule, non sans penser à l'heure de la vengeance. Guillaume doit consumer ses jours dans les horreurs d'un cachot : c'est l'ordre du landvogt; et comme il craint -que les habitants des Waldstettes ne prennent les armes pour lui arracher sa victime, il la conduira lui-même sur les terres impériales.
La nuit est venue, nuit à jamais célèbre dans les fa:stes de l'Helvétie; une barque est appareillée sur la rive du lac de Lu- cerne ; Gessler s'y embarque avec Guillaume chargé de chaînes et plusieurs archers. Soudain le vent s'élève, les flots bondis- sent, la tempête mugit et se déchaîne, les éclairs déchirent les sombres nues, la foudre gronde, elle éclate avec fracas. Bientôt la barque devient le jouet des vents et des vagues; nul bras n'est assez ferme pour tenir le gouvernail au milieu de ce conflit du ciel et des eaux ; nul. ... un seul peut-être ? et c'est le prisonnier. Le danger devient de plus en plus menaçant, on va périr. . . mais le coupable Gessler ne peut sans frémir envisager la mort. <( Tell, s'écrie-t-il éperdu, la liberté pour toi si tu sauves ma vie! » On s'empresse de briser les chahies du captif; il se jette au gouvernail ; la barque obéit à son bras puissant, elle fend les flots, elle touche un rocher sur la rive ; Guillaume s'élance, du pied repousse la barque au loin et disparaît. Cependant les im-
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pcriiuix |>r(>l('i,M's. j);ir l;i proximilc du rivMi:;»', piirvicimciil à di- v\*^vv rtMiiharciilioii. ol ils prcmu'iil Icnc à Kiisiiacli au inonuMil oïl (luillauiin' y arrivai! ; il rcioniuiîl ses ciiiiciuis, il va reloni- bvï vn k'ur |>()iiv()ir; déjà (icssicr le dcsiiiuc à ses salcllilcs. In seul moyon de salul reste à (iiiillaiime; eu s'é('lia|)|)aid de la Itaripie il s'est emparé d'une arbalèle; il se relournc, s'arrête un instant, et le landvojijt a ecssé de vivre. Profitant de la stupeur (pii i'raj>|)e les soldats, T(>ll |)rend \i\ fuite et trouve un refuge eliez SlaulVaeher. Les eonjures saisissent l'oceasion, ils s'arment; les trois cantons jurent pour dix ans une alliance défensive que les événements changèrent bientôt eu un pacte fédératif per- pétuel.
L'empereur Albert convoqua les vassaux de l'empire pour marcher contre ceux que, lui parjure, ne rougit pas d"ai)[)eler rebelles; il ne vit pas même briller leurs piques redoutables. Son neveu, Jean de Souabe, qu'il avait dépouillé de ses do- maines, l'assassina au passage de la Reuss. Tous les efïbrts des princes de la maison d'Autriche échouèrent contre les intrépides pasteurs des W'aldstettes. L'armée autrichienne trouva son tom- beau dans les défdés de Morgaten, en 1315 ; et malgré la recon- naissance de la ligue helvétique par l'empereur Louis de Ba- vière, la lutte se prolongea jusqu'en 138G; il fallut que le dé- vouement héroïque d'Arnold de Winkelried, assurât la victoire de Sempach sur Léopold d'Autriche, pour mettre la liberté hel- vétique hors de toute atteinte. Bientôt la ligue fédérale s'étendit : déjà en 1332 Lucerne, en 1351 Zurich et Glaris, en 1352 Zug et Berne étaient entrées dans la hgue; Saint-Gall en 1405, Fri- bourg en 1478, Bàle, Schaffliouse et Appenzell en 1501 y accé- dèrent, ('/est du nom du canton de Schwitz que nous avons fait le mot Suisse par lequel nous désignons l'antique et héroïque Helvétie.
Guillaume Tell, après avoir combattu glorieusement pour l'indépendance de sa patrie, mourut, en 1354, dans une inon- dation qui renversa le village de Burgeln.
Deux monuments simples et religieux conservèrent la mé-
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moiro do co Ik'tos i\o la liborlo : un<,' clinix'llo sur rcniplacomfnl, (le sa maison, cl imc aulrc sur le rocher où il pril l(!rrc«'n échap- pant à la vengeance du landvogt.
.lean-Marlin Tell. d'Allinghausen, mort en 1084, a Hé le der- nier descendant de Guillaume.
Ch. Delattrk.
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IIICIIEL lli; i;il(IFIÎAL.
Si une vie labo- rieuse, austère, vouée à l'exercice des vertus clu'étiennes et au bon- heur des hommes, mé- rite de servir de mo- dèle à tous les cœurs bien nés, c'est surtout par le courage qu'elh- exige dans ces luttes politiques où les par- tis s'arment des inté- rêts du ciel pour as- souvir leur ambition ^ --l:^=^^- pt leur vengeance.
Telle fut la vie de Michel de IHôpital ; ce grand homme nacjuit en 1505, à Aigues-Perses, où son père Jean de l'Hôpital exerçait la profession de médecin." Aigue-Perses est situé au centre de la Limagne, ce magnifique verger de la France, en- cadré par les montagnes où dorment les volcans éteints de
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l'Auvergne ol du l-'orc/. Les sites les plus l'innls, une terre l'er- lile, (le belles eaux, les riches moissons prodiguées par le eiel à l'activité du laboureur, tel est le spectacle qui fortifia dans l'àme du jeune Michel le sentiment religieux. En suivant les excursions botaniques de son père, il apprit à remonter direc- tement vers Dieu, pour le bénir dans l'harmonie de la création, comme dans le détail de ses œuvres, sans s'égarer à la suite des interprètes divers dont l'orgueilleuse raison allait servir de prétexte pour ensanglanter la terre.
La langue d'Homère et de Platon était sortie depuis moins d'un siècle des ruines du bas-empire : le latin seul leur avait survécu ; latin barbare, hérissé d'expressions d'origine germaine ou celtique, il était devenu en cet état l'idiome naturel du clergé et des professions libérales. .Michel de l'Hôpital, doué d'un sens droit et d'une intelligence précoce, s'attacha avec amour, sous la direction de son père, à l'étude de la langue de Virgile et de Cicéron. Un exercice trop dédaigné aujourd'hui, la composition des vers latins , éveilla dès l'enfance son génie poétique , aux mêmes sites que devait immortaliser un jour la muse française de Delille.
Sous le charme de ces inspirations il traversa l'Auvergne, en 1522, pour aller suivre ses cours de droit à l'université de Tou- louse. François I" régnait depuis huit ans ; le connétable, Charles de Bourbon, venait de quitter la France dans le but criminel de combattre sa patrie. Jean de l'Hôpital, médecin de ce prince, égaré par la reconnaissance, passa la frontière avec lui ; il fut poursuivi comme son complice; l'état s'empara de ses biens. Michel de l'Hôpital se vit arrêté au même titre, et jeté dans la prison publique de Toulouse. Là, s'isolant des malfaiteurs, ilre- trouvait une compagnie d'élite: à côté de Virgile, d'Horace et des saintes Ecritures, confidentes de ses joies et de ses chagrins , les fondateurs de la jurisprudence romaine révélaient à ses médita- tions les trésors de leur sagesse.
François I", informé de ces poursuites, rendit la liberté au jeune l'Hôpital, déchargé de toute prévention de complicité, et
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lui |)('i-mil diillcr rejoindre son piMV à Milan. Vvn de Icnips a|)r('s, rarnir(> IVanraiso, ronlréeon llalic nul le siège devant cctle ville, KiMilornio dans la place où son devoir le retenait au elievet des malades et des Messes. Jean deriiopilal exigea (jue son (ils eessài de partager avec lui ee pieux oi'liee, et le i'orea de s'échapper, dé- guisé en nudetier.
Michel se rendit à Padoue. dont l'université était alors la plus florissante de l'Italie; il y resta six ans, partageant ses travaux entre la lés;islalion et les bonnes lettres : il y étudia spécialement les œuvres du Dante, de Pétrarque, de l'Ariosle et du Tasse.
Nous le retrouvons plus tard à Rome, investi des fonctions judiciaires en qualité d'auditeur de rote.
Le traité de paix de 1534 lui a rouvert la France ; il y court, préférant au brillant avenir qui l'attend à Rome la perspective même de l'indigence au sein de sa patrie. Il arrive à Paris, dé- nué de toute ressource, sans espoir de se faire rendre les biens confisqués sur son père, mais riche de son courage, de son in- struction et de sa probité; il se fait inscrire avocat au parlement. Il a grand'peine à trouver ce premier client, ce premier procès, (jui, dans s^ profession, fixe l'avenir d'un jeune homme; il le plaide enfin, sans autre honoraire que la conscience d'avoir fait triompher la cause de l'équité : ce succès en amène d'autres. Dé- gagées de ce fatras hérissé de citations grecques et latines, bibli- ques ou profanes, qu'on nommait alors l'éloquence, ses plai- doiries, sans l'enrichir, commandaient l'estime des magistrats, et sa conduite exemplaire au barreau gagnait leur confiance. Son désintéressement, son aversion pour tout ce qui ressemblait à de l'intrigue, captivèrent surtout le lieutenant criminel, Jean Morin, qui lui donna sa fille en mariage. Cette union lui permit d'entrer conseiller au parlemen.t de Paris.
Le droit de juger était alors une propriété aliénable à prix d'ar- gent, et les magistrats avaient droit à un supplément de salaire, connu sous le nom d'épices. Nul ne les gagnait mieux que lui ; à l'audience, il donnait aux -jeunes conseillers l'exemple de l'as- siduité, de l'application ; rentré chez lui, il s'occupait sans re-
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lard ni rclnclic (k's iioiiibrcuscs aU'aircs doiil l«' rappoii lui /'lail coiilié, (3l achcvail (l(( nii'irir son opinion sur les (jucslions à ré- soudre, dans l'inlcrvalh^ onirc les plaidoiries et I arrèl.
Les vacances n'apporlaii^nl aucune trôve h ses (Hudes; lobjel seul en élail dillërent : il lisait et annotait les ii;rands (''cri- vains de ranti({uité, les mémoires liistori([ues des. loinville, des Froissart, des C-onuiiines, et retrempait son àme aux sources des saintes Ecritures.
Il n'avait pas dissimulé à ses collègues son o|)inion contre la vénalité des charges judiciaires; il sentait d'ailleurs (jue l'in- lluence de ses exemples serait prescjue nulle sur la discipline intérieure du parlement, tant ({u'il ne la fortifierait pas par l'au- torilé d'une position supérieure. Or, les préventions de Fran- rois 1" poursuivaient jusque sur le fils la fidélité du père au connétable de Bourbon ; d'ailleurs Michel de l'Hôpital se préoc- cupait tristement de la cruelle mission qui allait être confiée à la magistrature du royaume, à la lueur de l'incendie que le prési- dent d'Oppède venait d'allumer, au nom du parlement d'Aix, à (labrière, à Merindol et dans vingt autres villages qui tenaient à prier Dieu à la manière 4es Vaudois.
Après la mort de François I", en 1547, le chancelier Olivier le présenta à Henri H, comme son ami, fit valoir ses anciennes relations avec la cour de Rome, et le lit nommer ambassadeur au grand concile que le pape venait de transférer de Trente à Boulogne. Cette translation, qui avait pour objet de dérober le concile à l'influence de Charles-Quint, n'eut point ce résultat. L'Hôpital revint à Paris au bout de deux ans, après avoir utilisé ses loisirs par la composition d'un grand ouvrage de droit ; mais il y rentra, apprécié par le cardinal de Lorraine, qui le désigna à Henri H comme le plus digne de la surintendance de la cham- bre des comptes.
Dans sa nouvelle charge, l'Hôpital se montre l'ennemi intrai- table des malversations et fait revivre les anciennes lois qui ga- rantissent la fidèle gestion des deniers de l'état.
Cependant Henri U parvenait à grand'peine à contenir 1 un
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|»ar laiilif les tlids aiiil)ilirii\ (|iii allairiil se (lis|)iJlrr le rovaiimc sous les haiiiucrt's lioslilcs du |)a|)r cl de C.alvm. Il iiKMirl. cl k'S sccla leurs (le la rciunnc se soulrvcul dans iircscjuc tdulcs les proviiKTS. A leur liMc se luonlrciit liiuidcniciil encore le roi de .Na\ai're, Aiiloiiic de llourhoii, plus liardiuicul sou Ircrc. le |>riu(c de Coudé, cl les deux CluUillons ^d'AudcIol cl Coliiiuv ; les princes de Lorraine le cardinal cl les (îuiscs prcn ncnl la direchon du parti calholique. Ils oui donné [)our épouse à l'riuiçois 11 leur nièce Marie si Iragiiiueuient célèbre quel- (jucs années après sous la couronne des Sluarl, el ils conij)lenl dominer à l'abri de son inviolabililé. l/JIopilal est nommé cliancelier de France, pour lenir leur ambilioii en échec. Ce choix, qui aunonçail un changement lieureux dans le système du gouvernement, fut l'œuvre de Catherine de Médicis : <( Elle » avak cru voir en lui un honune qui, pour |>ri\ d'une élévation » inespérée, se vouerait tout entier aux intérêts de sa puissance, ). dit M. de Lacretelle Des Guerres de relùjion, t. 2*=); Michel » de l'Hôjiital, ajoute l'éloquent historien, ne chercha point s'il » devait plus aux Cuises qu'à la reine mère; mais il se souvint » de ce qu'il devait à l'humanité, aux lois et à*sa patrie. »
La conspiration d'Amboise, ourdie par les protestants, venait d'être châtiée avec une inflexible sévérité. La guerre civile était flagrante; le cardinal de Lorraine voulut suspendre sur toutes les tètes le glaive de l'inquisition espagnole; l'Hôpital, au con- traire, mit tout son zèle à détourner ce fléau, et s'il consentit à rendre un premier édit sévère à l'excès, il en confia l'exécution au clergé régulier, qu'il voulait ramener à une discipline plus rigide. Il ne dissimula pas au parlement de Paris sa répugnance contre toutes les mesures violentes, el iï annonça l'intention de convoquer les états généraux (les anciennes assemblées repré- sentatives du royaume) et un concile national.
Les états furent convoqués à Orléans, pour le 5 décembre 1560. Dans l'intervalle, l'Hôpital fît suspendre la condamnation pro- noncée contre le prince de Condé, à la mort de François H; il fit déférer la régence à la reine mère, le titre de lieutenant gé-
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tirral de la coiirinwic à Aiiloinr de Pxmrlxm ; cl sous ces hriirnix auspices, il ouvrii les clals dOrlcans par un discours doiil cpicl- ques lignes suffisent pour faire connaître son beau caractèro .-
« Ces assemblées ont été sagement établies afin que le roi en- » tende par lui-même les plaintes et connaisse la vraie situation )) des affaires de ses peuples; connaissance qu'il ne peut ^nière » avoir lorsqu'il n'entend que le rapport, souvent peu fidèle, de ••) ceux qui l'approchent. Les souverains s'y instruisent de leurs » devoirs; on les engage à diminuer les anciennes impositions. » à n'en pas faire de nouvelles, à retrancher les dépenses su-. » perflues qui ruinent l'état, à ne plus vendre les charges, les » emplois et les offices, à n'élever aux dignités de l'Église que » les sujets capables de les remplir. »
Puis, faisant allusion aux luîtes religieuses : « Nous avons fait » maintenant, dit-il, comme les généraux malhabiles qui, pour » mener tous leurs soldats au combat, dégarnissent les places et » les laissent sans défense. Nous devons, au contraire, nous mu- ■» ;iir d'abord de vertus, de bonnes œuvres, de la parole de Dieu » et de la prière. Ne prouvons pas que nous haïssons les hommes » 'plus que les vices et les erreurs ; il faut incessamment priei- » pour eux, afin qu'ils reviennent de la voie de l'erreur au » chemin de la vérité ; et l'on doit cependant retrancher ces » noms odieux, que l'ennemi du genre humain a forgés, de lu- » thériens, huguenots, papistes ; il ne faut retenir que le beau » nom de chrétien. »
Ces salutaires maximes brillent également dans son discours d'ouverture des conférences de Poissy. Ce simulacre de concile entre les docteurs de la foi protestante etdela foi catholique aigrit les esprits, loin de les calmer; une nouvelle guerre civile devient imminente. L'Hôpital se montre encore l'éloquent défenseur d(^ l'humanité; et devant les états, réunis à Saint-Germain, il pro- pose et fait accepter l'ordonnance de janvier 1562, connue sous le nom à'édit de tolérance. Cet édit suspend jusqu'à la détermi- nation d'un concile national les peines prononcées par les édits précédents contre les assemblées des religiohnairés, leur permet
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ltiir> itirclirs cl Iciii^ cxcicicrN l'cliLMriix dans 1rs laultoiiri^s des villt's. leur (IdriKlaiil de s y rciidn' armes, à la réserve des geri- lilshoniuies. (iiii poiivaieiil y |)<Mler, coiniiie parhuil ailleurs, la dague el l'épée.
Cet edit, rejeté par plusieurs parleiueiils. ne lui accepte par celui de l'.iris (piaprès trois injouclions.
Opendaiit le l'anaiisnie niulli|)liail les massacres des proles- tants à Sens, à Cahors, à Toulouse, à Tours, à Amiens, à Vassy ; et les sanglantes revanches des prolestants, dai)s le .Midi, étaient suivies des vengeances impitoyables des Monlluc et des Ta- vannes.
Un seul homme à la cour se souvenait de l'édil de tolérance, c'était l'Hô])ilal.
Sa pensée était de former un grand jiarli national, ayant pour chef unique le roi de France, pour lois un code étendant son empire sur tout le royaume, substitué aux coutumes qui va- riaient d'une province el souvent d'un canton à l'autre. Il y tra- vailla pendant six années; aussi, chose remarquable, les plus sages ordonnances sont contemporaines d'une époque de guerres civiles, et datées du règne de Charles IX.
Cependant ce prince touche à sa majorité • l'Hôpital l'invite à parcourir le royaume, précédé. d'un édit de pacification. La reine-mère, affranchie par le poignard de Poltfot de la domina- tion de François de Guise, accepte ce projet de voyage; mais Catherine a eu à Bayonne une conférence secrète avec le duc d'Albe, et, s'il faut en croire quelques historiens, l'infernal pro- jet de rallier les réformés, pour les égorger plus tard, sans dé- fense, à un signe convenu, a germé dans son imagination ita- lienne.
Dès ce jour l'Hôpital a perdu tout crédit sur elle ; ses avis ne sont plus écoutés, il est même exclu -des conseils ; il s'en aper- çoit, et se retire dans sa terre de Vignay, près d'Élampes, pour ne reprendre ses fondions qu'après la rentrée du roi à Paris. Le roi, soit artifice, soit versatilité, paraissait l'écouler, avec res- pect ; aussi toute la cour semblait conspirer la perte de ce grand
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hoiiuiu'. Il fui rcpn^scnlé coMime le plus perfide d le jtliis diui- ger(Hix des pi'oleslanls. a Dieu nous ijarde de la messe du clian- lelierl » disaient les hommes qui com|)loluient eonire les lujguo iiols de nouvelles vêpres siciliennes. Knfin, on voulait être à l'aise pour le erirne, et l'ifopital l'ut renvoyé, ou plutôt on lui permit de donner sa démission ; (H il retourna dans sa maison de campagne, où il devait finir ses jours. Dans (-efUî modeste retraite l'étude, la prière, la culture des champs, l'éducation de ses petits-lîls, la société d'une femme digne de lui partageaient ses journées.
îl y vivait depuis quatre ans, lorsque le tocsin de la Saint- Bartliélemi résonna jusqu'à son vallon solitaire. A la nouvelle du massacre des protestants, les paysans du voisinage s'ameu- tèrent contre leur bienfaiteur. La reine envoya pour le protéger un détachement de cavalerie. A la vue de cette troupe armée, les gens de sa maison courent à lui, tout effrayés, et se disposant à la résistance, lui demandent s'il ne faudrait pas fermer les portes. « Non, non, dit-il; si la petite n'est bastante (suffisante) pour les faire entrer, que l'on ouvre la grande. » Ainsi il ne son- ^ geait pas même à disputer. aux bourreaux de son pays une vie" (ju'il avait consacrée à sa prospérité.
Peu de jours après la Sainl-Barthélemi, il avait goûté un in- stant de bonheur : sa fille unique, qui résidait à Paris, auprès de son époux, M. de Beslebat, lui était rendue : elle avait été sauvée par la duchesse de Guise, et venait se jeter dans les bras de son père, qu'elle ne devait plus quitter. • »
L'Hôpital se vit si cruellement déçu dans l'espérance qu'il concevait, même dans la retraite, de voir les Français former enfin un peuple de frères, que le plus sombre désespoir succéda à ses illusions chéries, (c Excidat illa dies! (périsse le jour fatal)! » s'écriait-il toutes les fois qu'on parlait devant lui de la Saint- Barthélemi. 11 mourut de chagrin, à Yignay, le 15 mai 1573, et fut modestement inhumé dans l'église deChampmoteux, sa pa- roisse.
La succession du chancelier de l'Hôpital ne fut opulente que
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|>ar I lu'rilaj,M' des ^t■|•|^l^ (ju il laissa à sa digiu; rpouse et à su lillc hitMi-alFiuV. (Juaiil aux hicus (!<• la Inrr, elle consistait en son domaine de \ip;nav ; d l'avaK reen en iori mauvais état de Henri 11 . (U)mme échange des hieiis confis(|n(''s sur son père. Il avait su l'améliorer sans raij;randir ; il avait donne les (erres à défricher et à cultiver aux paysans du voisinage, moyennant une très-faible redevance, ne se réservant qu'un vaste jardin où le principal asîrémeniconsislail dans l'ulililé. C'étaient. commedans les jardins dAlcinous, décrits par Homère, de b(!lles lignes d'ar- bres fruitiers et de vignes, qu'il taillait et échenillait lui-même; et à côté 'des meilleurs légumes de la saison, des plantes médici- nales, dont les soins et le salutaire emploi lui rappelaient avec attendrissement son enfance et son père. Sa maison était com- modément distribuée en dedans; au dehors d'une riante sim- plicité, sans colonnes ni bas-reliefs, bien que son protégé, Jean Goujon, eût mis à sa disposition gratuitement le savant ciseau qui sculptait alors les ftiçades intérieures du Louvre.
L'Hôpital ne s'était nullement occupé de sa fortune dans tout le cours d'une vie d'ailleurs si bien remplie. Après neuf ans passés au parlement, et six ans dans l'administration des fi- nances, vers l'époque où il entra au conseil privé, il est réduit à -demander des aliments pour lui (ce sont ses termes) *et une dot pour sa fille. Cette dot fut une charge de maître des requêtes, qui fut donnée au sieur de Beslebat lorsqu'il devint son gendre.
Ses mœiîrs étaient austères, ses goûts simples, sa sobriété ex- trême. JBrantôme raconte qu'étant allé visiter .avec le maréchal Strozzi le chancelier de l'Hôpital, ce dernier le fit diner dans sa chambre avec ce qu'on nomme strictement la fortune du pot : un plat de bouilli. Tout le luxe de sa vaisselle consistait en une salière d'argent qui servait à la ville et à la campagne.
Il regardait le luxe comme la plaie la plus funeste des états ; et à ce sujet il adressa au président de Thou une satire en vers latins, admirable de style et de pensées. Il en a laissé une se- conde, aussi éloquemment énergique, contre les vices des grands. 11 existe également de lui deux poèmes latins sur l'art de gou-
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verner, où l'on retrouve tous les grands principes constitution- nels qui (levaient prévaloir au bout fie deux cent trente années.
L'Hôpital ne voyait de remède aux maux du royaume que dans la réforme des mœurs; il voulait que la loi, expression du vœu national, fût toujours supérieure à la volonté du monarque. Son projet était de diviser les ordres religieux en quatre classes, et de les employer toutes à des travaux d'intérêt public."
Chez lui le poëte et l'homme d'état ne font qu'un avec l'homme deJbien; aussi, écrivant dans une langue jadis magnifique et qu'il régénère, son âme et son style s'élèvent-ils avec le sujet qu'il traite.
Telle est en peu de mots l'ébauche incomplète d'un homme à qui l'antiquité païenne eût dressé des statues, dont le fanatisme d'un siècle à demi barbare abreuva Ja vieillesse d'amertume, et dont la mémoire restera en vénération tant qu'il y aura.de l'écho en France pour ces mots : religion, liberté, patrie.
J. M. Berton.
■>"m
SAIJiT VINCENT DE PAUL.
. Tous les iiiallieureux étaient son poids et sa douleuk. {Paroles de Vincent de Paul, tirées de su vie écrite par un de ses contemporains, Abelly , éréf/ue de Rodez.)
. cortège Vers
Admirable résumé d'une vie toute de sainte ten- r dresse, de dévouement, de charité, que ces quelques mots soient notre digne épi- graphe. Essayons de pein- dre l'iange que Dieu fit des- cendre sur la France pour réveiller dans une société endurcie par de longues années de désordre, les sen- timents d'humanité, de gé- nérosité et de vif amour du prochain qu'avaient anéan- tis l'égoïsme. et la haine,
hideux des discordes civiles.
'année 1586, un pauvre enfant, âgé de dix ans à peine.
les bestiaux de son père dans un pré bien chélif du
^"\i""Dt ?MU
Iith.Becquet.
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pays (les Landes, -près de la pêlile ville del)a\. Au lieu de passer son temps, comme la plupart des jeunes patres, à jouer, ou à tourmenter les animaux confiés à sa surveillance, il lisait un livre pieux que lui avait domié le curé de Pouy, son village natal, et en commençant, en terminant ses saintes lectures, il allait s'agenouiller devant l'oratoire de Notre-Dame de Buglose, vierge divine qu'il avait appris à aimer en aimant sa mère.
Un matin, il venait de faire sa première oraison devant cette rustique chapelle, lorsque, se retournant, il entend une voix suppliante, il aperçoit une main maigre, ridée, qui s'étemlait vers lui en tremblant, et tout tremblant aussi était le corps du pauvre vieillard qui lui demandait l'aumône. A cet aspect, le Jeune pâtre se sent ému, tire de sa poche à la hâte une pièce de trente sous, toute sa fortune, tout ce qu'il avait amassé depuis que son père encourageait ses services par quelque monnaie donnée çà et là, et, cet argent, il le remet avec bonheur au men- diant. Il avait jusqu'alors conservé très-pieusement ses épargnes, sans doute afin de faire à sa mère un cadeau lors de la fête prochaine ; mais, à la vue du malheureux qui l'implorait, il fut averti par un mouvement divin que nul cadeau ne pouvait être plus doux pour une mère que .le premier acte de charité de son enfant.
Ainsi se manifesta dans le petit Vincent de Paul l'homme angélique, le véritable saint, que nous sommes sûrs de faire aimer en rappelant simplement ses œuvres. En 1588, son père, qui exploitait de bien étroits domaines par ses mains et celles de ses six enfants, comprit que Vincent, son troisième fils, était appelé à vivre, non pour une. petite bourgade,' mais pour la France, pour le monde, pour tous les malheureux. S'imposant donc un grand sacrifice, pauvre comme il l'était, il mit Vincent en pension chez les Cordeliers de Dax, moyennant soixante livres par an, somme qui nous semble bien modique, mais qui avait alors trois fois au moins la valeur qu'elle aurait aujour- d'hui. Cesser d'être à la charge de son père, c'était sa constante pensée et son plus puissant aiguillon dans le «cours de ses
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I,., il rlil ccpelld.Ull .1 Mlbu- UUc niile epreUVC.
il s.i cbaïubre, d.iiis le faubourg Saint-
|ii-r du pays des Landes. îuomeiilaneineut à
I Imtume. ayant a piiver qii.'hpie enqilclle.
• inicile passager pour \ dierclier i\r 1 .irgenl.
.pu coinmeiicul déjà si lou-juc carrière de
I uis s(.n lit, cl sun.ul <1 iiii re-ani \oile par
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pirmicrcs rlU(lr> ; ;uissisrs jtntiiirs riirnil ils-r.i|ii(lrs, cl (|ii;«ln' ans ne s'cliiiciil |>iis (M iuiN's, lorsiiuim aNucal dr la ville piil le itrcudrc pour |>r('(('|ttt'iii' do ses cidanls. Il iivail seize» ans alors, cl, CM iiisiniisaiil ses elcvcs. ronliiuiail de s'inslniirc sans plus lien couler à sa l'aniille.
I,e père des enfants que ee jeune prol'csseur lorniail à son iinai^e, reconnaissant des services (piil lin avait rendus eu |)rc- parant ses fils à une vie bonne et pure, voulut se charger des frais nécessaires à sa réception dans les ordri^s, et Vincent de Paul y entra en 1590. Puis, alin de lui donner les moyens de suivre les cours de la fticulté de théologie de Toulouse, son père vendit une paire de bœufs, les compagnons, les instru- ments de son travail, précieuse portion de sa chétive richesse ; mais sa richesse véritable, c'était son fils Vincent.
11 était à Toulouse lorsque ce bon père mourut, ordonnant par son testament que, sur les biens qu'il. laissait, chacun de ses héritiers abandonnerait une part pour subvenir aux dé- penses des hautes études de Vincent. Le testateur avait eu, sans nul doute, une noble et équitable pensée, c'est que toute la fa- mille devait concourir à élever celui de ses membres appelé à répandre sur elle un éclat pur et.saint; mais Vincent ne voulant pas profiter de cette disposition au détriment de sa mère, de ses frères, de ses sœurs, créa, pour s'assurer des ressources, un petit collège qui prospéra sous l'influence de la généreuse réso- lution de son fondateur. C'est alors qu'instituteur habile, Vin- cent cachait humblement son savoir, en était presque honteux, et se quabfiait de pauvre écolier de quatrième. S'il s'enorgueillis- sait aussi peu des lumières de ce monde, c'est qu'en effet elles étaient échpsées en lui par la lumière du ciel, les divines inspi- rations dont il sentait le foyer dans son cœur, et l'auréole qui s'allumait déjà autour de son front.
C'est en 1605 que revenant par mer de Marseille, où il avait été recueillir un legs pieux, il devint le captif d'un corsaire turc qui le conduisit à Tunis, et là, quoique blessé d'une flèche, il fut exposé en vente, vêtu se\i\m\Qni d' un caleçon, d\in hoqueton
lie lui cl roiljr d'un homiel. Les ni.ii'cliaiids se iciidaiciil à ro iiiai'clu' {l'Iiomincs pour aclKîlcr des esclaves «'Oiiimc ils au- raioiil aclielé des bèlcs de somirie, (>l Viiicenl, de l'aul lui vendu à un pécheur qui bientôt se débarrassa de lui, Iroiivanl (pi d ii\^tait bon à rien. Saint Vincent de Paul ainsi jiv^v par un bar- bare 1 Il passa ensuite au pouvoir d'un vieux médecin du pays, (pii mourut bientôt, et son héritier le vendit à un renéi^Ml. l/honnue de la foi vive et profonde devenu l'esclave; d'un honnne déshonoré par ce qu'il y a de plus honteux, le manepie à la foi et à la conscience! Vincent de Paul était trop ardem- tnent convaincu pour se taire. Bientôt d'esclave il d<'vinl maître, car il était parvenu à ramener ce renégat à la religion de ses pères, et cela bien moins encore par ses exhortations que par sa conduite, qui était une continuelle prédication de tout ce qu'il y a de bien et de beau.
Le spectacle des souffrances que les chrétiens enduraient à Alger et à Tunis, souffrances que notre pays aura la gloire éter- nelle d'avoir foit cesser en portant la civilisation du christia- nisme sur les plages de l'Afrique, ce spectacle déchirant a fait sentir doublement à Vincent de Paid la sainte vocation ijue lui a donnée Dieu. Rentré en France, en 1G07, avec sa précieuse conquête, la famille du renégat qu'il a rappelé à sa religion première par l'exemple des vertus chrétiennes, il ne songe plus ([u'à la réalisation des œuvres dont le ciel fait descendre en lui la pensée dans un incessant rayon de charité et d'amour, et cet ange que le siècle appelait monsieur Vincent de Paul, est déjà proclamé saint par les pauvres, les malades, les infortunés de toutes sortes.
Vers cette époque, il eut cependant à subir une rude épreuve. En 1509, il partageait sa chambre, dans le ûmbourg Saint- Germain, avec un juge du pays des Landes, momentanément à Paris. Un jour cet homme, ayant à payer quelque emplette, rentre dans son domicile passager pour y chercher de l'argent. Vincent de Paul, qui commençait déjà sa longue carrière de souffrance, était dans son lit, el suivait d'un regard voilé par
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la licMi', son ((iiiipalfiolc (((iirlic siii" sa mallr oiiNcrlc. I(>is(|ii(' (•t'liii-( i se rcldiiriit' l»rus(|ii('in('iil. Il lance à \ iiicnil un mciia- caiil coiin (I d'il, cl de l'acccMil du mépris, de la colère, laccu- sant de lui avoir V(dé (|iialre cents é( iis, il lui déclare ([u'il va le livrer à la justice. A celle liorriltle ac( usalion. ViiU'Oiil, un nuuneni atterre, car il ne coinprenail pas c(tinn>ent ce crime avait pu être conunis, se dresse sur son séant, et s'élevanl à Dieu : — (Jue lerai-je, dil-il, (jue l'erai-je, o mon Dieu.\.. Vous savez la vérité. — ^ oici ([uelle lui sa réponse à celle odieuse aecusalion d'avoir pris le bien d'autrui, lui ([ui doiuiail à son prochain tout ce (pi il possédait, et, tranquille, il attendit ([ue la vérité apparùl. Elle ne tarda pas à éclater: les aveux d'un voleur retenu au 'Chàtelel pour d'autres méfaits apprirent au juge que son argent lui avait été enlevé pendant un court as- soupissement de Vincent de Paul. Toute, la honte fut pour l'homme qui avait pu soupçonner le saint, dont l'auréole sortit plus radieuse encore de ce nuage de calomnie et de persécutions. Ouoi que pussent faire sa modestie et son humilité, saint Vincent de Paul devenait de plus en plus considérable par ses bienfoits. De toutes les circonstances où il se trouvait placé, jail- lissait une chose utile pour les hommes. Curé de Clichy, il tou- chait tous les cœurs, à l'aide d'une simple et suave éloquence; précepteur des trois enfants d'Emmanuel de Gondy, général des galères, il sollicitait comme le don le plus précieux les fonc- tions d'aumonier des forçats, et -dès que quelques jours de va- cance lui permettaient de suspendre les soins de l'éducation des jeunes de Gondy, il courait à Marseille. Là il trouvait un charme céleste à exhorter, à consoler les galériens, à les presser dans ses bras, à baiser leurs chaînes. Il se rappelait qu'il avait, ainsi qu'eux, subi la captivité, moins l'infamie qui fait le véri- table poids des fers, et ne quittait jamais le bagne sans implo- rer la conipassion des rudes comités pour les prisonniers dont il était le vertueux soutien. Qui ne se souvient avec attendrisse- ment qu'il voulut prendre la place d'un forçat 'dont la femme et les enfants étaient dans la détresse? Une enflure douloureuse
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i\\\ \] (Mil au pii'd jiisiiu ;( In fin de sa vie lui le L'ioiiciix soii- vcnir des l'ers (lu'il avait porics par charité.
L Opulcnic lanulle de (ioudy [>assait sos êtes à la (•ani|»aL.Mi(\ et saint Vino(Mit de Paul ayant reniMnpn' coinhien étaictil peu instruits les fidèles et inènH' les prédicateurs, commença d«^s lors les exhortations et les conférences de morale, |»remier pas de ces missions étrangères qui ont porté et [)ortent encore partout sur tous les points du glohe, a travers les périls rie toutes sortes, la calme et pure parole de l'Evangile. C'est a la suite d'une de ces prédications que saint Vincent établit l'ad- mirable confrérie de charité pour les pauvres malades. \ rhàtillon lès Dombes, village de la Bresse, il venait de prêcher pour une famille tout entière malade dans une ferme et dénuée de res- sources. Sa parole fut, comme à l'ordinaire, d'une si éloquente persuasion, qu'au sortir de l'église, il ne fut personne qui n'allât à la ferme porter son pieux tribut : « Voilà une grande charité, — dit-il en apprenant l'effet de ses exhortations, et il lui eût été permis d'en ressentir un saint orgueil , — voilà une grande charité, mais elle n'est pas bien réglée. Ces pauvres malades auront aujourd'hui, demain, trop de provisions à la fois, puis ils retomberont dans leurs premières nécessités. »
Cette remarque, sortant dune bouche aussi imposante, fil sentir aux personnes charitables combien serait utile et belle une association qui répandrait avec ordre et mesure, de façon à ce que la source n'en tarît jamais, les secours que les riches doivent aux malheureux, et tout aussitôt s'organisa l'association de la charité des servantes des pauvres. Alors, et aussi rapidement que se répand la lumière quand le soleil parait sur rhorizoi^ se propagea l'institution des dames de charité, des filles de la cha- rité, qui n'ont, suivant les belles expressions de leur fondateur, d'autre monastère que les maisons des malades, d'autre cloître que les rues de la ville, d'autre voile que la sainte modestie.
Tandis qu'il assurait ainsi le sort des pauvres <'t des malades, il organisait activement la congrégation des missions, dont le centre fut établi dans la vaste maison de Saint-Lazare. A di-
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\('r.scs ('|Mi(|iit'> (If l.i \if tlii s.iiiil luiulaU'iir, ce coiivciit lui une Ncnliiltlc |tro\i(lt'iic(' |MUir la \ illc de Paris. Dans les jours de (lisi'llc. les all'jnm's y Irouvaiciit loujoin^ du pain ; 1rs villa|j;{'s cniîloulis par une (^IVroyablc iuoiidalioii de la Seine recevaienl par lialeaux leurs provisions, de la coinmunaulô dv Sainl- Lazare. el les religieux de colle maison do retraite rondaicMil >ouvenlau\ taniillos le précieux service de retirer leurs enfants de la mauvaise voie pai' d'orficaces exhortations. La pompeuse enlise (pii s'élovo dans le clos Saint-Lazare, sur ce sol (|Uo saint N'incenl de Paul a l'oulé de ses pas, est sous l'invocation de tous ces pieux souvenirs.
Et de combien d'autres encore ! Xous voulions dans celle courte exquissc parler de tous les bienfaits du saint, en suivant l'ordre des temps, mais conunent le pourrions-nous? Autour dv lui, par lui, les belles actions, les fondations durables se pressent et se confondent : admirable dévouement des filles do la charité, el de leur supérieure, mademoiselle Legras, cet ange sœur de saint Vincent de Paul ; leur intrépide vertu au milieu des luttes de la guerre civile ; le sublime acharnement avec le- cpiol saint Vincent mendie, près des riches, des secours pour les habitants de la Lorraine et de la Champagne, ruinés el afïVi- més à la suite de la guerre ; le bonheur avec lequel il leur pro- digue les sommes immenses obtenues par lui, ange sauveur qui verse le baume sur les plaies qu'a faites l'ange exterminateur : l'association des fdks de la Croix destinée à former des maî- tresses d'école de village; et enfin, le touchant asile ouvert aux enfants trouvés, toutes ces œuvres naissent à la fois, se jetant un«4mutuelle splendeur. C'est une sublime contagion de charité dont le foyer est saint Vincent de Paul ; c'est une magnifique effusion d'amour chrétien.
Arrêtons avec bonheur quelques regards sur ce refuge ouvert aux enfants dont Dieu a dit que si leurs mères viennent à les oublier, lui-même en prendra soin. Avant l'établissement de l'hospice de Saint-Vincent de Paul, ils étaient recueillis dans une maison appelée In Couche. |>ar une femme veuve aidée do doux
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sorvMnh's, dcuv iiiràmcstnerwiiaircs, (|ui, pour l(»s cmprclicr de i'v'ww leur cloniiaicMil souvoiil, au liou d'un laii pur, «les dro- gues iiarcoU(|ues; ol le somnioil faclico (juo produisaient ces substances funestes était presque toujours, pour ces pauvres ètns, l'avant-coureur du sommeil ét(>rriel. Ou racontait, siu' le sort de ces créatures innocentes, des choses si horribles, que saint Vincent de Paul, ému jusqu'au fond du cœur, commiuii- queson émotion a ses dames de charité, vertueuse cour du saini homme, cour bien plus belle que celle des rois les phis puis- sants, et en 1638, douze enfants trouvés sont confiés aux soins de l'angélique mademoiselle Legras.
Malheureux orphelins arrachés à la mort ou à un plus terri- ble naufrage peut-être, une vie de désordre et de vice, le nom- bre en augmenta bien vite, et dans une telle proportion, qu'en 1648, au milieu des fléaux dont le royaume était accablé ou menacé, les dames de la charité ne savaient si elles pourraient continuer leur œuvre envers les pauvres enfants. Vincent de Paul, saisi jusqu'au cœur par la pensée d'un tel délaissement, convoque alors ses dames en assemblée générale. Alors là, d'une voix pénétrante comme celle d'une âme profondément émue : (^Or sus, mesdames, s'écria-t-U en joignant les mains, la compassion et la charité vous ont fait adopter ces petites créatures pour vos enfants. Vous avez été leurs mères selon la grâce, depuis que leurs mères selon la nature les ont abandon- nés. Voyez à présents! vous voulez les abandonner aussi. Cessez d'être leurs mères pour être à présent leurs juges. Je m'en vais prendre les voix et les suffrages : il est temps de prononcer leur arrêt.»
La puissante et vertueuse éloquence du saint orateur sauva les enfants trouvés, leur assura plus de ressources que jamais, et cette fondation impérissable, dont il avait dit comme de ses innombrables O'uvrcs de miséricorde, que les fruits ne s enver- raient parfaitenie7it que dans le ciel, est le plus resplendissant des rayons de charité qui composent son immortelle auréole.
Ernest Fouineï.
IVrsonno plus que Câ- linai ne joiji:nil à un génie guerrier une àme conipa- tissanle et l'espril d'un sage. 11 est devenu aux yeux de la poslérilé le lype du militaire philoso- phe, et le surnom de Père la Pensée que lui avail donné les soldais fut l'ex- pression de la vérité.
Câlinât (Nicolas de} na- ([uil à Paris, h' !"■ septem- bre 1637. d'une famille ancienne dans la robe. Destiné au barreau comme ses ancêtres, il fut reçu avocat, et ne plaida quune seule cause. Il la perdit, et renonça désormais à cette carrière des procès où la jurisprudence et l'équilé sont trop rarement d'accord. Quittant donc la loge pour l'épée, il fil ses premières armes comme lieu- tenant de cavalerie au siège de Lille oii il eut le bonheur d'être remarqué par Louis XH , (pii le plaça dans le régiment de ses
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iï.irdcs, ce (iiii cliil aloi's pour un oi'licKîr suhalUîiiic, ;i |m'|ih' t;('iililh(niHH(', une laveur signah'e; car le régiinenl des f^'anlcs élail composé de ce que la noîjlesse avait de plus distingué, lu plus lard, quand le même monarque songea à l'aire fialinal major dans c(; môme corps, le duc de la Feuillade, qui en était colonel, dit au roi : ((Sire, vous pouvez l'aire de lui un chan- )) celier, un ministre, un ambassadeur, un général d'armée, » mais non pas un major de gardes.»
Servant sous Condé, Catinat fut blessé à la sanglante» journée de Senef (H août 1674). Le prince, (lui prodiguait peu de pareilles marques d'intérêt, écrivit à Catinat pour lui témoi- gner toute la part qu'il prenait à ses soufïrances. « Il y a si peu » de gens faits comme vous, lui disait-il, qu'on perd trop » quand on les perd.»
Tour à tour major général dans une campagne, comman- dant de cavalerie dans une autre, négociateur à Pignerol, où il s'agissait défaire accepter au duc de Mantoue l'alliance impé- rieuse de Louis XIV^ et une garnison française dans ses états, gouverneur à Casai dans leMontferrat, où il rétablit la discipline parmi les troupes françaises; ailleurs, dirigeant les fortifications et les sièges avec Vauban, il mit le comble à sa gloire dans cette campagne de 1690, où, cbargé d'envahir le Piémont, il triompha à Staffarde de l'habileté du prince Eugène. La prise de Saluées, celle de Suze, ces deux clefs des Alpes, furent le fruit de cette victoire; mais Catinat ne prit point Turin, et Louvois l'accusa détenteur et de timidité.
Ici commence la lutte qu'eut désormais à soutenir ce sage général contre les erreurs et les préventions de ce ministre, ha- bile sans doute, mais encore plus présomptueux. De son cabi- net de Versailles, ne voyant que des triomphes faciles, Louvoi intimait ses ordres absolus aux généraux, qui, placés dans le centre des difficultés, étaient souvent obligés, pour obéir, de tenter ce qu'ils savaient impossible. Ce fut après la campagne de StalTarde et la prise de Suze et de Saluées qu'il écrivit à Ca- tinat : '< Huoique vous ayez fort mal servi le roi dans celle cam-
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Porlaul dans le inrlicr des armes la raison d iiii pliilosoplir cl les scnliniciils d'iiii ciloycii, Câlinai ne voyait dans la liucnc (ju'une calamité pu])li(iuo : il ii (iail pas moins rconomc du sang doses soldais (pie des trésors de l'I^tal; il ne jiarlai^rail pas le mépris orgueilleux el inhumain de Louvois pour les en- nemis de la Kranee, et mettait lout son art à rendre la guerre moins mallaisante. Tant de modération à l'égard des vaincus n'entrait pas dans leé vues du ministre, etCatinat lut souvent obligé d'éluder, sous ce rapport, l'entière exécution des ordres (pi' il recevait.
Cette conduite eut pour résultat de le l'aire aimer des peu- ples conquis, et rien ne lui fait plus d'honneur, peut-être, que cet article du gazetier hollandais : « Cette province a eu » le bonheur que les troupes françaises fussent commandées » par M. de Catinat; si c'eut été tout autre, le pays entier aurait » été brûlé.» Dans plus d'une occasion les habitants des villes lui offrirent des présents considérables, en reconnaissance des maux qu'il leur avait épargnés ; mais on pense bien que Catinat ne voulut jamais rien accepter. Toujours semblable à lui-même, il ne donnait rien à la vaine gloire, il eût regardé comme crimi- nelle une victoire inutile. Nul capitaine ne fut plus jaloux de réduire toutes ses opérations en calculs, nul ne laissait moins à la fortune.
Cette justesse de vues, cette maturité de réflexions justifiaient son surnom de Père la Pensée, aussi bien sans doute que ce calme heureux, cette sérénité d'àme qui ne l'abandonnait ja- mais dans la faveur comme dans la disgrâce, après une victoire comme après une défaite.
Catinat n'avait pu détourner Louvois de la prise de Turin, qu'en lui proposant la conquête du comté de Nice, dont il em- porta la capitale après cinq jours de tranchée. Louvois tourna de nouv(nui ses regards sur Turin. En vain Catinat lui repris- seule le danger de laisser derrière soi sans les prendre Yeillane,
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Carmagnole elConi. Tout fut iimlilu : il mrul l'ordrii (1(; mar- cher sur Vvréc et s>ir Turin. Toute l'armée est dans l'élonne- mentet l'inquiétude. «Messieurs, dit tranquillement Câlinât .1 » ses officiers, je sais ce que c'est qu'un ordre; marchons.- Cette fois cependant il devait en être quitte pour cet acte d'o- béissance : la réÛexion ramena Louvois, cl l'ordre fut révo- qué.
Libre enfin de suivre une marche régulière, Catinat prend Veillane et Carmagnole. Il ne reste plus qu'à assiéger Coni ; une fausse opération de Feuquières, qui servait dans son armée, et bientôt l'approche du prince Eugène, amènent la levée du siège. L'armée française se retire avec précipitation et se voit la route de Turin ferm'ée. Bien que Feuquières fût l'ennemi de Catinat, le vertueux guerrier ne se permit pas même la plain.te. On le pres- sait de déférer le coupable au ministre, (f Je ne veux point me » rendre dénonciateur,» répondit-il. Il lui était cependant facile de prévoir que la calomnie profiterait de son silence pour rejeter sur lui la faute qu'il dédaignait de faire punir. Le seul soin qui l'occupait, alors, c'était de réparer le mal qu'il n'avait pu empêcher. Le prince Eugène et le duc de Savoie s'avan- çaient avec des forces très-supérieures et menaçaient à la fois Pignerol et Suze. Par ses habiles dispositions Catinat disperse les troupes ennemies, les force à la retraite et s'empare de Montmélian, dont la prise rend aux Français la supériorité d'une campagne qui semblait perdue.
• L'époque la plus brillante de sa vie, c'est lorsqu'il vint à Versailles concerter le plan de campagne de 1693, que la victoire de Marsaille devait rendre si glorieuse. Louis XIV l'honora de l'accued le plus flatteur, adopta tous ses avis ; puis à peine revenu dans son camp, Catinat reçut le bâton de maréchal. Il apprit qu'en lisant la liste sur laquelle était porté son nom, le roi s'était écrié : (( C'est bien la vertu couronnée. >> Alors, pour la première fois, l'àme de Catinat sortit de son calme ordinaire , et il en convient naïvement : (( Je suis » agité, disait-il. d'une joie que je ne connaissais pas encore. »
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Il (loiuia itu roiiri'icr (|iii lui apportait k' hàtuu un billet de mille écus à toùclier sur Paris. .Mais ce eounier si bien n'coiiijjeiisé n'avait l'ait (|ue leniplaeer un livnlilhonnne tombé malade en ebeinin, et (|ui prétendit ipie la i:;ralili('ation lui appartenait de droit. Le nouveau maiécbal, instruit de cette discussion par son lionnue daU'aires, répondit : h (juon donne deux mille écus à '< chacun des deux. » El pourtanl il n était pas riche.
Cepemlant les ennemis tenaient Casai bloqué et.assiégeaîent Piirnerol. H fallait surmonter nulle obstacles avant d'aller vaincre à .Marsaille ^V octobre 1()03).
Après les dispositions savantes qui assurèrent le succès de celte journée, rien ne lit plus d'honneur à Catinat que le récit de cette bataille, qui nous a été conservé tel qu*il l'écrivait au roi. La valeur des troupes, la conduite des olficiers, sendjlent avoir tout l'ait, et lui rien, et, comme après Stalt'arde, on pou- vait demander de bonne foi en entendant la lecture de sa dé- pêche : « M. de Catinat y était-il ? » Son armée ne lui en rendit qu'une plus éclatante justice; après la victoire, la gendarmerie Irançaise pendant son sommeil entoura sa tente de trente dra- peaux pris à l'ennemi, et ses regards à son réveil ne rencon- trèrent que des trophées.
A son retour de Piémont, Louis XIV, après l'avoir lojig- lemps entretenu d'opérations militaires, lui dit : (( C'est assez )) parler de nosatïaires, comment vont les vôtres? — Fort bien, » repondit le maréchal; grâce aux bontés de Votre Majesté, j'ai » tout ce qu'il me faut. — Voilà, dit le roi en se tournant* » vers les courtisans, le seul homme de mon royaume qui me » tienne ce langage. »
Dans les loisirs que lui laissait la paix, Catinat s'occupa des moyens de détruire les abus qu'il avait observés dans la guerre. Une réforme dans toutes les parties de l'administration mili- taire, dont il voulait écarter la fraude et les gains illicites des fournisseurs, lui paraissait surtout nécessaire. Tel était le genre de grâces que ses mémoires sollicitaient auprès du gouverne- ment. La conformité des vues et l'aniour de la patrie l'avaient
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étroileiiHiil lir avoc un iiiilrc iiucrriri- doiil le nom ii Csl p.is moins populaire, lemarérlial de Naiihan.
Onaïul le dauphin alla laiic ses premières armes devant Phi - lisl)()urg, ce i'ut à Vauban que Louis XIY associa Câlinât pour la conduite du siège. Dans^la dernière campagne qu'il fit du- rant la guerre de la succession, sous le maréchal de Villeroi, il fui blessé au passage de l'Oglio en couvrant la retraite de l'armée ; et les soldats dans leur sollicitude ne cessaient de demander : « Comment se porte notre Père la Pensée ? » Cette» campagne, funeste pour la France, ajouta cependant à la gloire de Catinatpar la manière 'dont il supporta l'injuste arrêt du roi, qui l'avait subordonné à son égal en grade. Le motif.de cette préférence en faveur de Villeroi, assidu à l'église et au petit lever, mais très-mauvais général, était l'irréligion dont on accusait le vainqueur de Marsaille. « M. de Catinat sait son ')) métier, disait M'"*^ de Maintenon, mais il ne connaît point » Dieu. » Cette accusation sans preuve avait suffi, Catinat pouvait demander sa retraite; mais, s'élevant par sa longani- mité au-dessus de la disgrâce, il mit tout son zèle à seconder le chef qui le remplaçait, sans que cet effort parût rien coûter à son âme aussi grande que simple : « Les méchants seraient outrés, j) disait-if, s'ils savaient jusqu'où va mon intérieur sur ce sujet, jj
Les revers éprouvés par Villeroi avaient fait revenir la cour au plan de défense qui avait causé la disgrâce de Catinat; et Villeroi lui-même exprimait les mêmes plaintes que ses pré- décesseurs sur les difficultés de cette guerre. Catinat de retour à Versailles eut avec le roi une longue entrevue ; c'était une occasion de récriminer contre l'inhabile général qu'on lui avait préféré. Mais il répondit au roi, qui le pressait de s'expliquer à cet égard : « Ceux qui ont cherché à me nuire pourront être » fort utiles à Votre Majesté ; j'étais pour eux un objet d'envie ; » quand' je n'y serai plus, ils serviront mieux. »
Pendant la belle saison il habitait une maison de plaisance à Saint-Gratien, dans la vallée de Montmorency. Occupé de stu- dieuses et paisibles méditations, il se promenait souvent seul,
cl SCS aniis s iiliNlcM.iiciit dr Iroiil.lci' ses pensées solilaires. Les liahilanls de la carnitai^iie adniiraieiil la siin|dieilé de son exté- rieur. Il se plaisail à les enlieleiiir, pourvoyait à leurs l)(>soiiis, les eneouraiïeail aux exercices du corps, et leur distribuait lui- même de^ pi'ix. V Paris il avail cliuisi sou lo^cmenl d.iiis un de> (piarliers les plus solilaires. l/encdos des r.liarlreux. (pii n était pas eloiirne de sa demeure, était s;i j)romenade l'avorite. On l'y vil iiuelquelois jouer aveu des eiilaiils. il visitait souvent les Invalides. Un. entant (le iils de son homme d'affaires) vint un jour avec l'empressement naïf de son âge le prier de l'y mener. Il prend l'enfanl par la main' et le conduit à ce séjour dés braves. A la vue du maréchal, la garde prend les armes, le tambour hat aux champs, les cours se remplissent, on s'écrie de tous côtés : Voilà le Père la Pensée! Ce mouvement cause à l'enfant quelque frayeur. Catiriat le rassure: a Ce sont, dit-il, ■' des marques de l'amitié qu'ont po'ur moi ces braves gens. » * Il le mène partout, et lui fait tout voir. L'heure du dîner vsonne, il «uitre dans la salle, puis avec cette franchise guerrière qui rapproche toujours le soldat de ses chefs, il boit à la santé de ses anciens camarades et fait boire l'enfant avec lui.
Les désastres de la guerre ayant ruiné les finances, Catinat cessa de recevoir ses pensions. Il résolut d'abandonner entière- ment la capitale, et de se fixer à Saint-Gratien. Il voulut même renvoyer ses principaux domestiques; mais ceux-ci se jetèrent à ses pieds, le conjurant de permettre qu'ils lui restassent atta- chés sans autre récompense que l'honneur de le servir. Il ne put résister à des prières aussi honorables pour lui que pour eux. Vers la fin de sa vie le roi songea. à le décorer du cordon bleu. Catinat, qui avait accepté avec tant de joie le grade de maréchal de France comme la récompense de ses services, ne pouvait regarder cette nouvelle distinction que comme une. faveur : il refusa. Sa famille lui représenta le tort qu'il allait lui faire, qu'on pourrait croire que ce refus n'était fondé que sur la né- cessite de faire ses preuves. « Si je vous fais tort, dit-il, rayez- » moi de votre généalogie. »
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Dans SCS (IcriiiÎTcs aimées il cessa de parailrc a la cour, vivant à Saint-Gratien entre un petit nombre d'amis et des livres. Plutarque et la Bible étaient ceux qu'il lisait le plus sou- vent. Après une maladie, qui était plutôt un affaiblissement progressif (pi'une suite de soufTrances, il mourut après avoir demandé les secours de la religion. Ses dernières paroles lurent : Mon Dieu, j'ai confiance en vous. Aucun de ses domestiques ne fut oublié dans son testament, ({ui commençait par des legs pieux aux églises et aux hôpitaux.
Il n'avait augmenté ni diminué sa fortune ; il n'avait jamais été marié, et n'en fut que plus fidèle toute sa vie au culte de l'amitié. Et dire que parmi ses amis les plus chers il comptait Fénélon, c'est assez faire son éloge.
Charles du'Rozoir
Nommor Fénôlon , c'est nommor aux onfaiils lo Télémaque, c'est nommer aux mères le Trailé sur J'éducahon des fdles, un livre fait pour une mère et^levenu depuis la règle de toutes les mères ; c'est nommer à l'Eglise le Traité stir l'existence de Dieu, le Ministère des Pasteurs, les Lettres spiri- tuelles, et nombre de livres encore qui lui ramenè- rent nombre d'àmes éga- rées; c'est rappeler aux amis de la morale les Dialogues des morts, la Direction pour la conscience d\m roi : mais, à meilleur droit, il est un livre qui devrait se nommer dans nos esprits en même temps que ce doux évêque si justement appelé le Cygne de Cambrai : ce livre, il ne l'a pas écrit, il a fait mieux encore, il a, si l'on peut parler de la sorte, agi ce livre, traduit de parole en action, de précepte en exemple dans sa vie, ce livre, le plus beau des livres après la
— 128 — l»lm que llieu H la ^:ien.:e era D.eu el pour D..u ., . ,, !'•".• rHn.te ,1 »e fortifie dans sa vrx:alion. se pen •. -.lieux • '-T. d.. I .^prit fW;,„,.|i.i.i... et rinq ans après il e . lonné |»relre. b, nous rapinlanl Fénelon cornrn.- un df^ r . ter r»^n-% qui oril travers*- le monde M,-lon le Christ t / .r,nt k htm. r .M moins la U-aulé de s«-s érrils que celle ( ^ „ âme qui doit allin-r nf,s n-ards. Sous ce point de vu ) v,e de I >n s'ouvrif H M* jwrlage en Irois e|KK|ues , j^^
j.Mir. I>i*n difïï-renU. rohvurilé, la prospérité et 1 x rsité il
' ' M'IMnil toujours .•paiement d.-voue. .aime, n ,,1,1,.. h
lit plus jrrand qu'il s humilie davant^ifre. A |.nmiere .•|H»que r.-|Mmd Mm séjour aui .Vouv.IIps Catholiq i^ ,, )., se- rofide le iem|»s qu d prisse a la cour auprès du d , .|. Hour- k'oL'iie. a U IroiMeme enfin sa disgrâce el son exili ( iriibrai
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Bible et l'Kvaiiiiiilc.cc livre (|ue i'Ail(.'iiHij;ne dispute h la France au nom de Thomas V-Kempis, la France à l'Allemagne au nom de Jean. Gerson, et dont Hossuet dfsait: Ce n'est pas A-Kemins, et ce II est pas Jean Gerson, c'est le Saint-Esprit (jul a fait l'Imitation de Jésus-Christ. La vie de Fénélon, c'est un cin- quième livre de l'imilalion. Douceur, humilité, résignation, patience, immolation de lui-même en tout temps, en toutes choses, charité sans bornes, soujnission absolue, tels sont les traits divins qui marquent à chacune de ses pages cette vivante imitation du Christ.
L'enfance de Fénélon s'écoula tout entière au château de ses pères en Périgord. Il y était né, le O.aoïit 1651, d'une famille ancienne et illustre. Ses progrès avaient été si rapides, qu'il sor- tait à peine de l'enfance , quand son oncle , le marquis de Fénélon, -l'appela à Paris pour y suivre un cours de théologie nécessaire à sa vocation naissante. La première fois qu'il s'y montre, c'est un soir, dans l'un des plus nobles salons de la capitale ; une société nombreuse et choisie se presse autour de lui pour l'entendre ; il a quinze ans à peine, il en paraît moins encore ; et il prononce un discours qu'il a composé lui-même. En l'écoutant parler avec tant de force, de profondeur et d'onc- tion, les uns oublient sa jeunesse, d'autres se refusent de com- prendre une telle précocité ; d'autres enfin rappellent comment il y a vingt-cinq ans le grand Bossuet débutait pareillement à l'hôtel de Rambouillet ; et de ce rapprochement ils augurent un avenir splendide pour le jeune orateur, qu'ils félicitent à l'envi. Pourtant au milieu de cet auditoire émerveillé se dé- tache une figure muette, grave et songeuse ; c'est l'oncle de Fénélon ; il est plus effrayé qu'heureux de cet éclat préînaturé. Il se demande déjà comment il pourra soustraire son jeune apôtre aux séductions de la gloire et du monde ; dès lors il se résout à précipiter son entrée dans la vie religieuse. En effet, quelques jours s'écoulent à peine, et Fénélon est au séminaire de Saint-Sulpice. Le monde parle encore de lui, qu'il a déjà oublié le (nonde; tous l'y cherchent encore, qu'il ne cherche
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|>lu> (]ii(' hicii (i l.'i scit'iicc en Dn'ii cl poiir iMcii. h.iii> «('lit' pieuse relrailc il se loitilic diins sa vocalioii. se pendre mieux encore de Tcspril evant^'clicpie, el »in(| ans a|)rcs il csl ordoinic prèlre. Kn nous rappelant Kénélon connue un des anj^^es ter- restres (pii ont traversé le monde selon l(^ (Ihrist eu faisant le h'u'H, c'est moins la beauté de ses écrits que celle de son Ame (pu doit attin^r nos regards. Sous ce pt^inl de \ue, la vie de Kénélon s'ouvre et se partage en trois époques, oii, sous des jours bien différents, l'obscurité, la prospérité et l'adversité, il nous apparaît toujours également dévoué, calme, humble, et d'autant plus grand (ju'il s'humilie davantage. A la première époque répond son séjour ;mx Nouvelles Catholiques, à la se- conde le temps qu'il passe à la cour auprès du duc de Bour- gogne, à la troisième enfin sa disgrâce et son exil à Cambrai.
Les Nouvelles Catholiques.
« Quittez-vous vous-même, et vous me trouverez et vous vous retrouverez vous-même avec moi. >> Voilà les paroles que Jésus- Christ adresse à l'àme dans l'Imitation, voilà les paroles qui semblent avoir dirigé Fénélon dans la conduite de sa vie entière. A peine est-il sorti du séminaire, qu'il se quitte lui-même, et de trois routes qui s'offrent à lui, il choisit celle que son incli- nation cherche le moins. On envoie alors des missionnaires au Canada, et cette terre inconnue, ces forêts vierges, ces peu- plades errantes à gagner à l'Evangile, les chances du martyre qui s'attache à cet apostolat lointain, tout sourit à Fénélon ; maissatiière dit un mot sur la faiblesse de tempérament qu'elle lui connaît, et il y renonce. Cependant une autre mission est . dirigée au Levant, l'imagination de Fénélon s'enflamme- de nouveau; la Grèce est là, la Grèce, où se rencontrent, comme en son propre génie, le profane et le sacré, Socrate et saint Paul, le Parthénon et l'Église de Corinthe. ^lais en même temps on lui propose la direction des Nouvelles Catholiques, associa-
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lion (les lillcs pieuses et bien nées, vouées il ICducalion des jeunes protestantes converties. Aussitôt Fénélon accepte avec joie ces hwtnbles fonctions, heureux de résigner son penchant en vue de Dieu, comme il l'avait fait d'abord en vue de sa mère. Pendant (b\ ans il ejisevelit son ^'énie dans les soins, dans les devoirs que lui imposent la supériorité de cet établissement; sa sollicitude descend aux moindres détails; il semble (pi'il ait. pour comprendre les besoins de ces jeunes enfants, pour forjiier ces pieuses filles à l'enseignement maternel de la religion , il semblé qu'il ail le cœur et l'instinct d'une mère joints à la sagesse éclairée d'un père tendre. Pas un« de ses journées n'est dérobée à son jeune, troupeau ; mais le soir nous le retrouvons au coin du feu des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, nobles amitiés qui surent le découvrir dans l'bbscurité dont il s'enve- loppait et le suivirent jusqu'à la fin, plus fidèles encore à ses revers" qu'à sa fortune. Ces dix ans, perdus au vain jugement du monde, ne devaient l'être pourtant ni. pour l'avenir ni pour la gloire de Fénélon ; ils devaient se retrouver tout entiers dans un livre qxii, comme tous les livres de Fénélon, est une bonne action. Ce livre est le Traité sur l'Éducation des filles, où Fénélon résume toute l'expérience qu'il avait acquise, tous les avis qu'il» avait donnés aux Nouvelles Catholiques.
.4 ce livre il en fait succéder un autre sur le' ministère des pasteurs, et celui-ci lui est inspiré par l'exemple et l'amitié du grand Bossuet, qui le distingue et l'attire alors auprès de lui. La France était encore émue au sujet de la réforme. Les mas- sacres au non; du Dieu de paix avaient cessé depuis l'édit de Nantes; mais à défaut des épées la parole s'armait toujours contre la parole. Bossuet était l'un des agresseurs les plus redoutables aux -réformés. Fénélon croit devoir s'élever en. fa- veur de la tolérance dans son Ministère des Pasteurs. Ce livre attire le suffrage de Bossuet, l'attention de Louis XIV. L'au- teur est appelé à agir comme il écrit; on lui confie le succès d'une mission envoyée aux réformés du Poitou, et ce succès est complet. L'attention s'arrête désormais sm;lui* et non-seule-
l.iO —
iiiciil I alIciilKUi, iiiiiis ciintrc le cIioI.n (\v l,(»uis \h , (jui I ap- pelle comiiic pivcepU'ur auprès de son pelil-iils, le jtniiK' due (le IVuiriiogiie. Dès Uns Kénolon échappe à l'obscuiilé, el c'esl à la ('(tur (pi'il nous l'aul suivre sa loiluiie el a|»preii(lre de lui coiinneiil le Mai clirelien ne doit j)as plus s'arnMcr aux l)i<'ns (le ce monde, (pie le voya^iiHir ne s'arrèle au pied de cliîKiue ailuc dont laNcnue le mène à la cilc dc'sirèe.
La Cour.
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S'il est vrai de dire que. le plus beau livre de Fénèlon soil celui qu'il n'a pas écrit, sa propre vie, il ne l'est pas moins d'a- jouter que son œuvre la plus méritoire, celle (jui lui demanda le plus d'art et lui valut le plus d'admiration, fut le jeune duc de Bourgogne. Quand il fut remis entre les mains de Fénélon, il avait été déjà gâté par la servilité de ceux qui l'entouraient ; il savait ce qu'il était, ce qu'il devait être, et se croyant tout per- mis, il était volontaire, enq^orlé, capricieux, d'une mopgue insup- portable autant que ridicule. Fénélon sut non-seulement faire •disparaître ces défauts, mais encore les transformeren qualités aimables, et cela sans efforts apparents, sans réprimande. Une fois il guérit son élève de la colère en lui mettant sous les yeux les emportements aveugles d'un menuisier dont le jeune prince avait simplement touché les outils : une autre fois il abat sa petite vanité princière; le duc de Bourgogne lui a dit : « Je ne me laisse pas commander, je sais qui vous êtes et qui je suis. »■ Fénélon ne répond rien sur l'heure, mais le lendemain il le prend à part : « Vous m'avez dit hier que vous saviez qui je suis et qui vous êtes; vous n'en savez absolunuent rien, et il est de mon devoir de vous l'apprendre. Des valets. vous ont dit sans doute que vous étiez plus que moi, et vous me forcez à vous dire que je suis plus que vous. 11 ne s'agit pas de votre naissance, elle n'ajoute rien à votre mérite personnel;- je suis au-dessus de vous par les lumières et les connaissances. Vous
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n'en sauri<'Z doulor, vous no snvez quo vAi que j(! vous ai appris, ,4 cela comparé àCe qui me resterait à vous apprendre' n'est rien. Ouantfi l'autorité, vous n'en avez aucune sur moi. et je l'ai moi-même pleine et entière sur vous. »
Puis, à l'appui de cette remontrance d'une fermeté si sage <'t si digne., Fénél on lui raconte une fable ; il lui montre le jeune Hacclius jouant de la tlùtesous un arbre entre Silène couché à ses pieds, Silène qui admire toujours, et un jeune faune qui, caché derrière lui, rit et reprend tout haut les fautes qui échap- pent au jeune dieu. Bacchus impatienté se retourne et lui dit : « Comment osez-vous reprendre un fils de Jupiter 1 » Mais h- faune réplique : <c Et comment un fils de Jupiter ose-tril bien faire des fautes! >) Et Fénélon explique au jeune prince com- ment les fils de rois sont ainsi placés entre. un Silène, la cour, qui, prosternée devant eux, les admire quand même, etle peuple, fAune railleur aux aguets derrière eux, le peuple, dont la voix sincère se rit de leurs fautes et les transmet fidèlement à l'his- toire. Le maître conclut alors en engageant son élève à veiller sur ses actions de manière à faire de la voix du peuple l'écho des voix de la cour. Enfin ce n'est plus une fable, c'est tout un livre où le jeune prince peut suivre le développement de ses qualités, comme on suit dans un miroir fidèle ses propres mou- vements, c'est le Télémaque, écrit' tout entier pour lui, d'après lui et rien que pour lui. Cependant cinq ans se sont écoulés, et Fénélon s'est tellement abaorbé dans l'éducation du royal enfant, qu'il est à la cour comme n'y étant pas. Il n'a encore demandé ni obtenu aucune faveur, sa noble et douce simplicité a seulement gagné les cœurs en même temps que son élocution finement éloquente enchaînait les esprits. Jamais, le seul peut- être de son siècle, il n'a pu se décidera flatter Louis XTV ; aussi ce prince est-il seul à sentir peu de goût pour lui. Néanmoins, après cinq ans, il répare son oubli et accorde enfin à Fénélon l'évêché de Cambrai. Dès ce moment la fortune de Fénélon s'ar- rête, et ce n'est plus de succès en succès, mais de disgrâcîe en disgrâce qu'il nous faut suivre sa destinée.
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A'.iktHhvAl.
Im^'iiôIoii coimiiil mit' limlc dans sa vie; le i-'w] le jx-rmil ainsi aliii (le luuis apprendre par sou exemple eommeiU ^jous de- vons revenir sur nos torts et les reconnaiire avec humilil/^ Fé- iiéloii, ({ui s'élait si bien tenu eu i^arde vis-à-vis du pres(if!;e dos i^'randeurs, ne sut pas rester dans la mèine niesiire vis-à-vis d'un prestige l)ien autrement puissant sur lui, les droits du mal- heur et de l'amitié. Bossuet le persécutait pour l'amener à eon- dauHier lui-même les principes d'une madame Guyon <pj'il sa- vait èti'e son amie, et qui venait d'être arrêté(\ jugée; comme hérétique, b'énélou s'en défendit d'abord par délicatesse, puis, blessé par la soupçonneuse insistance de Bossuet, il y. répondit par un Hvre, et ce livre atténuait, défendait même les principes de son amie, et dans ce livre, pour la première fois, sans doute à son insu, Fénélon, le pasteur fidèle, s'écartait du sentiment de l'Eglise à propos de la grâce et du pur amour. C'est alors qu'on vit Bossuet traverser impétueusement la cour.assemblée autour de Louis XIV, et déposant le livre entre les mains du roi, ac- cuser hautement à la face de la France et du monde, M. de Cambrai coupable d'hérésie. A cette accusation, la cour s'étonne, s'émeut, se récrie ; le roi prononce contre Fénélon une sorte de. bannissement, il l'exile dans son.évjêché de Cambrai ; madame de Maintenon, la plus fidèle amie du disgracié, s'éloigne de lui avec froideur, et de toutes ces mains qui cherchaient autrefois la sienne, Fénélon ne trouve plus à presser que la main loyale du duc de Beauvilliers. A ce moment-là même, on vient lui annoncer que son palais épiscopal, à Cambrai, a été dévoré par l'incendie, ses livres, ses manuscrits, ses papiers, tout est perdu ; et Fénélon ne répond à cette nouvelle désastreuse que par ces touchantes paroles r (^ Il vaut mieux cent fois que mon palais ait été brûlé que si c'était la chaumière d'un pauvre homme.» Vainement Bossuet lui propose une conférence oii ils
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(lisciilcnml leurs principes; Fénékm refuse des en remellre mu jugenienl humain; c'est à la cour de Rome, c'est au vicaire de Jésus-Christ (ju'il soumettra son livre et sa cause. Et je voudrais n'avoir pas à le dire, mes jeunes amis, mais Dieu permet par- fois l'injustice' à un homme, afin d'en éprouver un autre, et c'est ])Ourquoi sans doute Louis \IV et Bossuet avec lui, msis- •tèrent si longtemps, si ardemment auprès de la cour de Rome pour en obtenir la condamnation de Fénélon. Enfin, le doux évêque apprend que ses principes ont été réprouvés par le Samt- Siége, et c'est alors qu'il s'élève par son humilité, je ne dirai- pas au-dessus de Louis XIY, de Bossuet, mais au-dessus de ■ lui-môme. La ville entière convoquée par son appel se presse dans la cathédrale de Cambrai ; il monte en chaire, et lui-même apprend à ses fidèles sa propre condamnation ; il s'accuse de sa faute avec humilité, repentir et douleur, il en demande pardon à Dieu, à l'Église, aux âmes qu'il peut avoir détournées; il re- nonce solennellement à ses principes, et conjure .tous ceux qui les auraient suivis d'en faire l'abandon comme lui-même. Puis, ce qu'il a.fait envers son (Jiocèse il le fait vis-à-vis de la France, par un mandement si simple, si respectueusement soumis, si touchant, qu'il arrache des larmes à tous. A cette époque, et malgré Fénélon, par l'infidélité d'un domestique, le Telémaque fut publié ; la malignité'ne manque pas d'insinuer à Louis XB que ce livre renferme une critique de son règne, et que l'im- prudent Idoménée n'est autre que lui-même ; aussi ordonne-t-il que l'ouvrage soit saisi ; mais cette précaution accélère, exalte même le succès du livre ; les presses étrangères le reproduisent aussitôt, il est dévoré d'un bout de l'Europe à l'autre, et chacun s'empresse d'y reconnaître, d'y chercher et d'y applaudir la critique de Louis XTV, tandis que Fénélon n'a songé, en l'écri- vant, qu'aux vertus du duc de Bourgogne. Quoique vivement pénétré par l'injustice qu'on fait à son caractère, Fénélon la souffre sans se plaindre ; sa muette réponse au ressentiment du roi n'est- pas moins éloquente que ne l'a été sa soumission en- vers l'Église. Louis XÏV touche alors à cette époque de son
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n'iiiic (tii les anm'cs ne s(»nl plus coiMpIcrs (pic p,ir les rcNcrs. L.i vicloirr maïupic à ses drapeaux, la discllc surviciil, cl le p.iiii inanquçà sonarinôc. Alors IÏ'ik'Ioij. de ses |»r(>prcs deniers, une aiuico cnlicrc nourrit liu-iiuk' de Louis \l\. Il.(>sl, à vrai dire, sur cette fronlicn» où le bon ange de la France l'a |)lacc. il est à lui seul la incillcui-c armée cpiail Louis \l\ . Ou dii-ail (pj'il se multiplie; connue ces preux généreux qui s'élancent dans les comhals au devant du chef, il semble que Fénélon veuille opposer sa poitrine à tous les coups qui cliercbeut la France, et par le respect qu'il commande aux ennemis, par la vénération aflectueuse qu'il inspire au prince Eugène, leur général, il dé- l'end mieux le pays que nos soldats découragés.
Cependant le père de son élève vient de mourir ; le duc de Bourgogne jouit d'une sorte d'avant-règne, et du fond de son exil, Fénélon le prépare, par ses lettres, à sesdevoirsderoi, au bonheur de la France. Et tandis qu'il veille de si haut sur les intérêts du royaume, les moindres besoins de ceux qui l'entou- rent appellent encore son attention et ses secours. Tl établit des écoles, fonde un séminaire, visite les malades, panse les blessés, donne lui-même aux plus humbles enfants de l'Église le pain de là parole ;.il semble qu'il ait l'instinct de la douleur, partout 011 l'on pleure, il apparaît aussitôt pour essuyer les larmes. In soir, c'est au fond d'un village écarté, dans'une chaumière. Une vache, la vache unique, le trésor, l'amie, la nourricière des pauvres gens, a été perdue. La famille désolée s'écrie : (( Qui nous la rendra? » On frappe à la porte, on ouvre, Fénélon entre. <' Monseigneur! c'est Monseigneur! » Et la vache est oubliée; mais les larmes ont mis Fénélon sur la voie d'un chaerin ; il faut tout lui dire, il promet une vache, il en promet deux. K Hélas! ce ne sera point notre Brunau qui nous aimait, que nous aimions. » Il le sent bien ; il s'en va tout troublé par la douleur de ces bonnes gens ; mais voici qu'au milieu du bois qu'il tra- verse, une vache vient à lui; il l'examine, l'appelle, c'est la Brunau perdue, il n'en faut plus douter; il la saisit par "la corde qui pend à son cou. et la tirant après lui une demi-lieue, malgré
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riu'urr av.iricn', lOltscurilc, la vosrv (|iii loiiihc, il r.imciic la vaclic bien aimée à la pauvre l'amille. Il f'aul iriiaginer les ra- vissements, les rires mêlés de pleurs, les baisers, les bénédic- tions, (oui le village qui s'éveille, qui dresse un brancard de feuillage, allume des flambeaux, et malgré son prélat bien aimé le rapporte en triomphe à son palais de Cambrai ; il faul imaginer, non décrire tout cela !
Le sort gardait encore deux coups cruellement sensibles au cœur de Fénélon. Le premier fut la mort du duc de Bour- gogne ; hélas ! c'était son œuvre la plus chère ; puis dans cette mort ï\ entrevit plus d'une mort pour la France; il comprit les désastres que lui préparaient de loin la régence du duc d'Or- léans; il cherchait à les prévenir par des lettres où il essayait de ranimer la foi éteinte dans le cœur de ce prince, quand la mort de son plus cher ami, le duc de Beauvilliers, acheva de briser ce cœur trop aimant. « J'ai vécu pour l'amitié, je mour- rai par elle, » s'écria-t-il ; et il mourut en effet peu de mois après; mais il eût pu dire aussi bien ; « J'ai vécu pour Dieu en mourant chaque jour à moi-même ; il est temps que j'achève de mourir pour aller revivre et me glorifier éternellement en Dieu ! »
J( LIA Michel.
IIAIIAIIE M SËVIliNÉ.
Nous avons peint l'ange de la force et de la gran- deur, Charlemagne; l'ange de la miséricorde et de l'inépuisablecharité, saint Vincent de Paul. Voici au- jourd'hui l'ange de l'a- mour maternel.
Marie de Rabulin, im- mortelle sous le nom de madame de Sévigné , na- quit le 5 février 1627, de Marie de Coulanges et du baron de Chantai, beau nom entouré d'une auréole d'angéliques souvenirs : madame de Chantai, que l'Église a élevée dans le chœur des saintes, et
MME 3E SEVIGNE .
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\AP<i?-" THOMAS
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saint François de Sales, le vertueux ami de cette vertueuse l'eniUKi : aussi les religieuses de la Visitation, couvent fondé par madame d(^ ('.hantai, aïeule de Marie de Uabulin , a[)pelaient- elles cette charmante petite-fdle de leiu' fondatrice une relupw rivante.
Ce surnom plein de grâce et de piété la suivit tout naturelle- ment dans les pieuses solitudes et sous les religieux ombrages de la foret qui entourait l'abbaye de Livry, dont était supérieur son oncle l'abbé de Coulanges, devenu son tuteur après la mori de son père, de sa mère , de son aïeul. Ainsi, dès l'âge de neuf ans, elle était doublement orpheline. Si jeune encore, on ne comprend point l'étendue de telles pertes; mais plus on avance dans la vie, plus on sent combien nous manquent ces guides affectueux, un père, une mère. Marie dut sentir moins que toute autre orpheline l'absence de tant d'amour. Les deux mots par lesquels elle désigna depuis son enfance jusqu'au dernier de ses jours son oncle, son tuteur, l'abbé de Coulanges, le bien bon, ces deux mots prouvent combien de soins il prit pour lui faire oublier qu'elle n'avait point de père à saluer chaque matin, point de mère à embrasser, point de mère qui répondît à ses caresses.
Soyons convaincus que ce fut le sentiment de cet irréparable malheur qui, se développant dans le cœur aimant de Marie à mesure qu'elle grandissait, mit en elle le germe de son amour pour ses enfants. Années si ravissantes et souvent si cruelles de la maternité, elle en était loin encore et préludait à son entrée dans le monde par une éducation accomplie que lui donnait le bien bon. Italien, espagnol, latin, elle apprit ces langues avec la promptitude et la vivacité de son intelligence, et bien des fois, sans doute, on la rencontra un livre à la main, dans les alen- tours de l'abbaye de son oncle, cette fraîche forêt de Bondy, si formidable aux temps passés, et que protégeait cependant la miraculeuse chapelle de Notre-Dame des Anges.
Aussi modeste qu'instruite, et, comme dit Saint-Simon, sa- chant toutes sortes de choses sans jamais vouloir paraître savoir
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rien, ollf attira dv honiic heure l'attention , non point tant par la beauté de son visaj^e (jue |)ar l'expression de bonté et d'es- prit qui s'y laissiiit voir, et en Kiii. le 1*'^ aoiM, elle devint l'épouse de l'éléiiant nianpiis de Sévigné. Klle ne tarda point, hélas ! à élre convaincue (jue ce rnari n'était aucunement difine d'elle. Emporté par des désordres de toutes sortes, Henri de Sévigué la délaissa bientôt presque tout à fait, dissipa une partie de la fortune commune, et enfin reçut une mort digne de sa mauvaise conduite; il périt dans un duel, et un duel qui avait eu un motif honteux.
La nouvelle de cette catastrophe alla saisir madame de Sé- vigné dans la solitude des Rochers, où l'avait reléguée son mari, afin de se livrer avec plus de liberté à ses déportements. La con- duite qu'il avait tenue envers elle eût été faite pour lui rendre moins amère l'annonce de sa mort; mais dans Henri de Sévi- gné, elle aimait le père de ses enfants, ses enfants à présent son seul bonheur ici-bas, et elle revêtit en pleurant les vêtements de veuve.
L'éducation de Charles et de Marguerite fut dès lors son soin de chaque jour, de chaque instant ; ce soin assidu eut, comme tout ce que l'on fait avec plaisir, un résultat parfait, et lorsque l'heureuse mère présenta ses enfants dans les brillantes sociétés dont elle était le diamant, elle eut la joie d'entendre de tous côtés des paroles d'éloges pour le gai et aimable Charles, pour la belle , la spirituelle Marguerite, et surtout pour l'institu- trice.
Parmi les louanges que sa fdle inspirait, les plus vives sor- taient de la bouche de M. de Grignan, qui bientôt la demanda en mariage et reçut sa main devant l'autel le 29 janvier 1669. Cette journée de divertissement et de joie, que l'on nomme une noce, est au fond un jour triste pour une mère, et sous ses sourires il y a bien des larmes, car c'est l'heure d'une sépara- tion. Madame de Sévigné, pleine d'amour comme elle l'était pour sa fdle, dut avoir le cœur bien gros au milieu de toutes ces fêtes.
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(Jii'nurail-CP doiK" été si l'avenir, l'avenir t\\n' la l'iovidence nous cach(3 avec un soin loul iiialernel, s'élail tout à eoui) dé- voilé? La pauvre mère aurait éclaté en sanglots et en pleurs à la vue de sa fille s'éloignant d'elle pour aller vivre à une des extrémités les plus lointaines de la France. M. de Grignan était à peine marié, (|u'il fut en effet nommé gouverneur de Pro- vence. Ainsi donc était trompé l'espoir qu'avait eu madame de Sévigné de ne jamais être séparée de sa fille lorsqu'elle la don- nait pour épouse à un seigneur attaché à la cour.
Il faut cependant se résigner. 31. de Grignan obéit, il part; mais, cédant aux supplications de sa belle-mère, il lui laisse sa fille, sa fille qui va bientôt commencer à connaitre aussi par expérience, et en recevant du ciel Blanche, sa première née, quelle passion c'est que l'amour maternel, et combien elle doit de reconnaissance à sa mère. Madame de Sévigné ne perdra donc pas sa fille encore ! Mais comme elle compte les mois, les journées, les instants ! Enfin, M. de Grignan, depuis longtemps séparé de sa femme, la redemande, la rappelle, et le jour du départ est fixé : ce sera le 6 février 1671 . Ce jour devient alors le fantôme qui poursuit madame de Sévigné : ce fantôme, elle le voit, elle l'entend partout, sans cesse, dans la voix des horloges, dans chaijue baiser du matin et du soir. Le moment fatal approche, les apprêts sont commencés, et madame de Sé- vigné a le courage d'y prendre part jusqu'au moment où un sourd murmure se fait entendre. C'est le bruit du carrosse; sou- dain la pauvre mère pâlit, chancelle, tombe sur le sein de sa fille. Il semble que ces deux corps et ces deux âmes soient in- séparables. Il faut se séparer pourtant! madame de Grignan s'arrache aux embrassements de sa mère, court au berceau de sa petite Blanche, la couvre de baisers sans pouvoir dire un mot, la place entre les bras de madame de Sévigné, descend l'escalier précipitamment, et s'élance dans la voiture, qui dispa- raît.
Madame de Sévigné est à présent seule, désolée, sans. en- fants; son fils est à l'armée, au milieu de mille périls qu'évoque
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son àiiif IcikIic; sii lillc, ciiloiircv de mille |)(''rils jiiissi, luit <laiis un carrosse ra|ii(le : (|iie deviendra la pauvre inere? oii ira-l-elie'.' Jl n'y a (|ne les lieux siuicliliés el oii l'on adore Iheu (|ui soioid un asile contre de lelles douleurs. Klle couri au couvent de Sainle-.Marie do la \ isilalion. l'ondé par sa i^rand nière suinte (-hanlal. La relique vivante^ cruelleinent éprouvée, reviient dans ces clollres bénis, I(MM" demander l'oi-ce el c(Misolation, el après cinq heures d'une sil(»ncieuse prière,j'lle écrit sa ])rernière let- tre à sa lille. Klle (^t, comme elle le dit, dam lea }>oul]ees de r élo- quence que donne l'émotion de la douleur, el tlès ce moment com- mence l'œuvre admirable que madame de Sévigné a composée jour par jour pour sa fille, pour sa bien-aimée iille, et non pour le public, car bien des fois dans ses plus naïfs épanche- menls elle a dit à madame de Grignan : J'espère que vous ne ferez pas imprimer mes lettres.
Appréhension bien digne d'une femme modeste, et (|ui re- garde la publicité, surtout la pmblicité des sentiments intimes, comme un manque à la pudeur. Alors, l)ien sure que ce voile ne lui sera pas enlevé, elle se livre à tout le génie que lui donne l'amour maternel, elle écrit avec naturel, simplicité, à course de plume ; sa plume va comme une étourdie ; sa pensée, sa plume, son encre, tout court, tout vole.
Et l'on devine bien vers quel lieu vole cette pensée ; c'est vers le château de Grignan, où sa fille est presque reine. Oue madame de Sévigné soit à Paris, à Livry, aux Rochers, elle n'est réellement qu'en Provence, et par ses lettres si vivantes, si animées, si pittoresques, elle fait vivre sa fille dans tous les lieux où elle vit. Lui raconte-t-elle une splendide soirée passée à la cour de Saint-Germain et de Versailles, de longues promenades au fond des silencieux jardins de Livry, dans lesquels il n'y a point d'endroit qui ne la lui rappelle, ou bien les lectures tan- tôt plaisantes, tantôt sérieuses, que lui fait Charles de Sévigné pendant un hiver passé en Bretagne, i\ est impossible qu'en li- sant ses lettres, madame de Grignan ne soit pas en Bretagne, à Saint-Germain, à Livry ou à Versailles, à côté de sa mère, qui lui
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pcinl loul avec une vérité (lue la leiidresse anime el colore.
C'eut le triomphe du mois de mai . les rossvinols, les coucous, les faurcttes ourreni le printemps dans la forêt, disail-elUî dans une de ses lettres avec l'accent naturel el vrai de son hien-aimé la Fontaine; et ces riantes expressions que lui inspirait l'aspect de la nature étaient n^liausst'es encore par la joie (ju'elle avait dans le cœur. Tout était plus beau autour d'elliî, car, de re- tour des Rochers, elle allait se diriger vers la Provence et se retrouver dans les bras de sar fille. Le bien bon devait être du voyage; ce projet était donc ravissant, et die se promettait de ne faire que traverser Paris pour voir madame de la Trousse, sa tante, et lui faire ses adieux.
Adieux bien solennels, en effet : madame de la Trousse est mourante. Madame de Sévigné, parente aussi dévouée qu'elle est bonne mère, quittera-t-elle sa tante dans cet état doulou- reux? Oh! non! elle a un trop vrai sentiment du devoir, pour que le pîaisir, et le plaisir le plus vif, le plus ardemment désiré, ne cède pas en son âme devant une obligation sainte. Elle res- tera, et pourtant sa fille, ses amis la pressent de partir; n'im- porte, elle demeure inébranlable, assise au chevet de sa tante. Celle-ci même l'engage à ne pas résister plus longtemps aux prières de sa fille; mais c'est d'une voix si éteinte, si épuisée, si défaillante, que, pour une àme tendre, c'est comme un ordre solennel de rester là jusqu'à la fin.
La fin ne tarda pas, et madame de Sévigné, triste de cette nouvelle perte de ftimille, partit du moins le cœur content d'avoir fait ce ([u'eile devait, et bientôt elle fut dans les bras de madame de Grignan. Cinq fois la mère et la fille parcoururent la distance qui sépare la Bretagne, Paris el Grignan, pour se trou- ver quelques mois l'une près de l'autre ; et toujours les pre- miers moments de ces réunions causaient à la mère, bien plus qu'à la fille, ces insatiables élans de joie dont ses lettres abon- dent ; toujours elle s'écriait, du même accent de douleur et de désespoir, lorsque venait la dernière journée : Quel jour, ma fille, que celui qui ouvre l'absence!
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Bien heureuse alors madame tie Sévigiié si. de retour à .ses pauvres Rochers, eomuie elle les iioiumail avec uue alleclueuse tendresse, elle n y liouvail pas un douloureux lérnoigiiage de la (lévoraul(> iucouduile de sou lils : une haute hilaie ahaltue par ses ordres pour lournir de l'argent à sa soif d<' dépense, (les arbres que Dieu avait lait j^randir avec une si lente majesté, ils étaient tombés en ipielques jours sous la main prodigue de Charles de Sévigné, et sa mère répandait bien des larmes sur cette dévastation impie, et bien plus encore sur les désordres qui y avaient conduit son lils bien-aimé.
Combien devaient alors être tristes ses méditations lorsqu'elle errait dans les allées de son parc, se relirait à la brune dans la religieuse obscurité de sa chapelle, ou contemplait d'un œil pensif ce cadran solaire sur lequel elle avait tait graver ces deux mois latins : Uiiam timel (tu n'as qu'une heure à craindre).
C'est qu'elle redoutait de mourir avant d'avoir remis l'ordre dans les allaires de sa famille dérangées par le désordre de son mari, de son fils et le faste de son gendre ; elle treinblail à l'idée qu'elle pouvait mourir avant d'avoir revu sa fille, et alors elle écrivait : J aurais bien mieux aimé à mourir dans les bras de ma nourrice. Lorsqu'elle exprimait de si lugubres pensées, elle, ordinairement gaie et toujours riante, c'est qu'elle avait dans le cœur quelque chagrin causé par ses enfants ou par les ma- ladies de sa fille, qui la touchaient bien plus vivement que les siennes propres. Qui pourrait en douter lorsqu'elle lui écri- vait : La bise de Grupian me fait mal à votre poitrine ; char- mante expression du cœur, véritable parole de la mère qui ne .vit que pour et par son enfant.
Elle était pourtant malade elle-même, et, ainsi qu'elle l'écri- vait, elle avait depuis longtemps commencée à perdre la jolie chimère de se croire immortelle; alors son style devenait grave, imposant, solennel. Elle dépeignait la mort de Turenne ou celle de Louvois, en traits dignes de Corneille et de Bossuet. Et qui n'eût été ému lorsqu'elle montrait son oncle Saint-Àubin expi- rant dans ses bras, bd tenant la main, lui disant des choses saintes
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el tendres, ayant un regard continuel à Dieu ? Toutefois , dès (qu'elle savait madame de Grignan mieux portante ou plus heureuse, elle était heureuse, elle se portait bien aussi, et ses lettres reprenaient tout leur esprit, tout leur enjouement, toute leur gracieuse raison.
Il en fut ainsi surtout au commencement du printemps de 1694. Un message de Grignan est venu lui rendre toute la joie de sa jeunesse : son petit-fds et sa petite-fille, Adhémar, Pauline se marient; elle va bénir leur union; et en mai elle arrive à Grignan, où tout le monde, le père, la mère, les enfants, vient au devant d'elle. Les tambours, les fifres, font un bruit de fête de Provence. Tout est en joie au château ; les deux mères sont si heureuses ! Mais quel changement soudain ! madame de Gri- gnan tombe sérieusement malade ; sa mère est bien plus ma- lade qu'elle encore, et tandis que sa fille revient à la santé, madame de Sévigné reste profondément frappée d'un coup mortel.
C'est la petite vérole qui la tue, une petite vérole contagieuse comme la peste. On ne peut approcher de la malade qu'avec de grands dangers : madame de Sévigné le sait, et alors elle est sublime. Elle avait passé toute sa vie à désirer sa fille, à l'ap- peler, à courir au-devant d'elle, à l'attendre, à la regretter ; elle avait espéré comme un bonheur suprême que sa fille lui fer- merait les yeux : « Qu'elle ne s'approche pas de moi ! s'écrie- t-elle, à présent. — Qu'elle ne vienne pas dans mes bras cher- cher la mort ! — Je ne veux pas qu'elle s'approche de moi I » Et c'est en prononçant ces mots qu'expira cette femme illus- tre, cette femme bonne et tendre, cet ange d'amour maternel qui eût été si digne d'avoir à ses côtés un ange d'amour filial.
ErXEST FOL'INET.
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Le jour oii les jeunes pensionnaires de Saint- Cyr représentaient VEs- ther de Racine aux yeux de Louis XIV et de la cour , on applaudissait moins à la belle œuvre du poêle qu'aux allu- sions flatteuses qui ra- menaient le nom et la pensée de madame de vjDi^'^ Maintenon sous le per- ^3_ sonnage d'Estlier. Le pa- rallèle, néanmoins, était un peu forcé, et si nos souvenirs nous rappellent une Esther conduite au trône de France par le choix inattendu d'un roi ou plutôt par celui de
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Dieu, (• L'sl moins iiiadaiiic de Muinlcnoii (pi une aimal)l(' prin- cesse, douce, louchante et pieuse, et jeune comme Ksther, exilée comme elle loin de la patrie, comme elle fille des rois et protégée par le conseil vénérable d'un autn; Mardocliéc, d'un illustre proscrit, son père; — c'est, en un mot, Marie Leczinska, lille de Stanislas de Pologne et reine de l'ranee par le vœu de Louis XV.
De ce rang de princesse oii Dieu voulu l élever sa fortune, Marie ne connut d'abord que les malheurs. FJle était enfant quand son père fut élu roi de Pologne. Six'semaines après son élection, des revers subits obligeaient Stanislas à une hiite pré- cipitée. La jeune Marie fut confiée aux soins de sa nourrice, et cette femme, égarée par la frayeur, la |)erdit ou l'abandonna dans la route.
Stanislas, le premier, s'aperçut de la disparition de son en- fant , et ce fut à la fois sublime et déchirant de le voir , oubliant qu'il était poursuivi, pour se rappeler seulement qu'il était père, affronter tous les périls pour chercher sa fille. Où la retrouva-t-il cette jeune Marie qu'attendait la couronne de France, et mieux encore, sans doute, la couronne des saints? Il la retrouva dans une écurie, couchée dans une crèche, en- dormie au milieu d'un sourire. Les anges avaient veillé sur elle. Stanislas la saisit aveC transport ; et en la serrant sur sa poitrine, son regard éloquent levé vers le ciel semblait offrir au ciel ce qu'il venait de lui rendre. Des larmes mouillèrent alors ses pau- pières; il se rappelait le dernier des fils de David, saint Joseph, l'étable de Bethléhem, l'enfant miraculeux couché dans la crèche; et je ne. sais quelle voix intérieure, sur le front de son enfant retrouvée dans cette crèche nouvelle, avait dit : — (f Espère. » Et il espérait.
Ce ne fut pas une vaine espérance. Les armes de Charles XII, encore une fois victorieuses de celles d'Auguste, compétiteur de Stanislas au trône de Pologne, ramenèrent en effet le père de Marie à Varsovie. Il y fut sacré, ainsi que sa femme Charlotte Opalinska, le 4 octobre 1705, et des jours heureux suivirent;
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iii.iis ce II cl.ul (|U iitic liiiltc |)|-os|trr(' (l.ilis l.i (Icsiilicc dv <('llc loviilr r.uuillc. (loiil l;i \i('(l(>v;iil si' incstircr |t;ii' les revers. La Corlinie de Charles Ml s'élail enliii lassiV ; le héros suédois ve- nait (h' siiccoinher à l'ullawa, et, réfugié en Turcjuie, il laissait Stanislas sans appui, sans parti, sans ressouree. Celui-ci s'était jeté dans h» Poniéranie suédoise, et généreux autant (jue Charles l'avait été à son égard, il oubliait ses propres périls, laissait ses états ouverts aux tentatives de l'ennemi pour détendre ceux de son proteetiMU- absent. Contre les forées réunies des Busses, des Danois, des Saxons, (jue pouvait Stanislas dans un pays où l'absence du maître laissait ' régner la confusion? Dans 1 uiipossibilité de se sacrifier pour Charles XII les armes à la main, Stanislas résolut de tenter pour lui, par la paix, ce (juil ne pouvait par la guerre. Pour gage de cette paix qui ramènerait le roi de Suède dans ses étals, Stanislas se ré- solut à olTrir son abdication; mais il fallait disposer l'esprit de Charles XII à se plier à un accommodement ; la tache était difficile, et Stanislas se la réserva toute entière. C'est ainsi que ce prince, si grand par son désintéressement, partit une nuit, seul, sous un déguisement et un nom supposé, stimulé plutôt qu'ar- rêté par la pensée des périls qui le séparaient du roi de Suède ; mais il fut reconnu et pris comme il allait le joindre. Charles" venait aussi d'être fait prisonnier, et leur captivité semblait sans espoir de délivrance, quand le Grand Seigneur consentit enfin à les mettre en liberté. Les biens de Stanislas avaient été confis- (jués en Pologne ; Charles XII lui assigna les revenus du duché des Deux-Ponts; c'est là qu'il fit sa résidence. Pourtant ce dernier asile que lui jalousaient ses ennemis, Stanislas devait le perdre en perdant Charles XII. La mort de ce prince, qui avait été son protecteur, sa ressource, et mieux encore, son ami, l'obli- gea à se réfugier en France. Il s'arrêta à Weissembourg en Alsace ; mais là encore les partisans d'Auguste persistèrent à le |)0ursuivre; leurs plaintes arrivèrent au régent, et le régent y répondit noblement et comme il convenait de le faire au nom du pays. « La France, leur dit-il, a toujours été l'asile des rois
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iiiallicurcux ; c est loule ma rc|)()us(' au i oi voire iiiailrc. n Kl la France, en effet, fiitd(''s lors pour Stanislas une seconde patrie où rien ne vint le Irouhler, sinon les souvenirs du passé.
Raconter ce passé du roi d<' Pologne, c'est commencer la vie de M(}ric Leczinska. Dans toutes ces p(''réfïrinations douloureu- ses, dans chacune des épreuves qui frappèrent ce prince, la jeune figure de sa fille se détache auprès de lui candide et rési- gnée, consolante à l'œil comme un ange d'espérance, une Anti- gone chrétienne guidant au chemin de l'exil un OEdipe sans remords. Il semhle que sa première jeunesse ait été cachée sous le manteau d'exil du royal hanni ; et quand enfin ce manteau s'écarte et tombe sur le sol hospitalier de la France, Marie nous apparaît naïve et charmante ; les fatigues ont développé sa taille gracieuse, en même temps que l'adversité, l'amour filial, développaient dans son cœur lesplus précieuses vertus; la beauté de son âme a passé toute entière sur son visage. Ses premières années aventureuses, loin de lui donner de l'assu- rance, ont augmenté sa timidité; mais cette timidité est un charme de plus, car elle tient à sa candeur, à son ignorance d'elle-même. Les événements extraordinaires qu'elle a vus, en la plaçant sans cesse, elle et les siens, vis-à-vis d'un seul espoir, d'une seule protection, celle de Dieu, l'ont mise en défiance de l'espoir humain; sa foi s'est recueillie en Dieu; mais sa piété douce et tolérante n'a de rigueur que pour elle-même; elle s'oublie pour ne^ songer qu'à son père, et quand l'avenir de la jeune fille est la seule inquiétude qui persiste au cœur de Stanislas, le passé douloureux, l'espoir fugitif de voir rappeler son père au trône de Pologne, voilà toute la pensée de Marie.
Mais Dieu se rappelle ceux qui s'oublient; d'ailleurs il est des vertus si parfi^tes, qu'il semble qu'il ait voulu les récompenser dès ce monde. Au nombre de ces vertus accomplies fut celle de Marie, et la récompense ne se fit pas attendre.
Un jour, la jeune princesse, dont les habitudes étaient réglées et modestes, travaillait auprès de sa mère, et, tout en travaillant, elle lui chantail l'un de ces airs polonais dont on avait bercé
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^(lll t'iiliiiicc im\ jours |)r(>s|M'rcs ; iiiiiis les iiolcs ri les paroles (lu clianl nalioual. plus liuicliaiilcs ciicon' dans la (louée voix de .Marie, axaieni trop viveuieul rappelé la pairie absente au cuîur de CliarloUe Opaliuska. Klle londil eu lai mes, el sa lille se pré- eij)ilanl aussil(')l dans ses lu-as, séehaul ses pleurs par ses bai- sers, joimianl ses mains dans les siennes :
(( Kspéroz donc, chère mère! s'écriii-l-elle; (piand je vous dis » (r(^spérer! j'ai lanl prié Dieu, qu'il nous la rendra noin? » chère Pologne. Kspérez, Kl ne ])leurez pas!
„ — \h! ton! ce (pie je veux espérer de Dieu, c'est du bon- •> heur pour loi. uia lille! »
Et Charlolle aeluivail à peine ces paroles dans les sanglots, (piand la porte s'ouvrit avec violence; Stanislas parut; son front rayonnait dune joie inaccoutumée, inconnue même aux plus heureux jours de sa vie passée. Il tenait une lettre ouverte à la main, et sans voir les pleurs de sa femme, le trouble de son en- fant, il se précipita vers elles, et les serrant tour à tour sur sa poitrine, mêlant ses larmes de joie à celles que la douleur avait laissées sur leur visage : « A genoux, à genoux ! s'écria-t-il, et rendons grâce à Dieu ! Dieu est grand, Dieu est bon, il n'aban- donne pas les siens !
„ — Mon père, mon père L vous êtes rappelé au trône de Po- logne. Dieu m'a donc entendue? s'écria Marie.
;, _ Dieu, ma fille, a entendu votre père; il nous est bien plus favorable, il vous fait reine de France !»
Reine de France! Marie, la fille du proscrit, Marie la déshé- ritée! Comment y croire? quel miracle est-ce là! Cette Marie qu'un duc de Bourbon déjà vieux se laissait prier pour de- mander en mariage, cette Marie si pauvre, si oubliée, qui n'é- tait belle, à ses yeux du moins, que de sa jeunesse, cette Marie, reine de France !
Plus que tout autre elle se refusait à y croire, car elle'ne con- naissait d'elle-même que les perfections qui lui" manquaient ; elle lisait et relisait vainement les dépêches qui la demandaient à son père au nom de Louis XV; et quand on lui disait l'esprit.
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les cliarmos iiaturols, les (jualitôs du jounr roi : «Ah! vous re- doublez mes alarmes, » s'écriail-elle. Erilin cette incertitude (jui la tourmentait, plus en vue de son père que d'elle-même, tomba loul à i'ail. [.e duc d'Ântin, le marquis de Beauveau, vinrent solennellement réclamer la main de Marie; le duc d'Orléans l'épousa au nom de Louis XV; la cérémonie eut lieu à Strasbourg ; le mariage fut célébré de nouveau à Fontaine- bleau par le cardinal de Rohan; et ce n'était pas un songe, la fille de Stanislas l'exilé, Marie était bien reine de France.
On chercha longtemps le mot de cette union incroyable. On crut l'avoir trouvé en le rapportant à un conseil dt; la marquise de Prie au duc de Bourbon, premier ministre depuis la mort du régent. C'était elle, disait-on, qui lui avait inspiré d'appuyer le crédit dont il jouissait alors sur la reconnaissance d'une prin- cesse qui lui devrait son mariage avec Louis XV; elle lui avait désigné Marie, et Marie était devenue reine de France.
Marie sentit que la main du Très-Haut seule l'avait con- duite à cette haute fortune; elle comprit le rôle auquel l'Éter- nel l'appelait, et l'accepta sans restriction. Les grandeurs la trouvèrent telle que l'infortune l'avait laissée, bonne, douce, modeste et pieuse. Les pauvres seuls connurent à ses dons qu'elle était reine. Ses devoirs de chrétienne, d'épouse et de mère, se partagèrent tellement sa vie, qu'il n'en restait pas une heure au plaisir; et longtemps elle fut heureuse. Elle avait la tendresse du roi toute entière et le ciel bénissait leur union. Marie avait donné naissance à deux princes, à huit prin- cesses; et peut-être, dans le secret de son cœur, s'effrayait-elle d'une prospérité si longue vis-à-vis de celui qui afflige ceux qu'il aime, quand Dieu, qui l'aimait toujours, voulut l'affliger de nouveau. Le roi changea pour elle. Jusqu'alors, il avait trompé l'espoir des courtisans assez corrompus pour essayer de le perdre afin d'assurer leur crédit sur ses égarements. Dieu permit qu'il cédât enfin à leurs sollicitations perverses; il se laissa entraîner à des excès indignes de son rang. Marie redou- bla pour lui de tendresse; elle l'implora, l'adjura de revenir
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moins à elle (|irà t;i Ncrlu, ([u';! la I'imiicc. (pi il Ir.tliissail |);ir une coiuliiilc si peu (lij:;ii(' dVIlo cl de lui. ('. Clail moins sa Icn- (liTSsc qui' son àiiic (juc iMarie sCllVayail de voir compromise. Vaincs Icnlalivcs! Louis n'ccoula rien. Alors Marie, encore une lois, ccuirha son iront résigne sous la main cpii rra|)pc. Elle se réfugia dans l'amour divin ; elle s'efïorça de vivre au milieu ^les désordres qui rcnlouraient, comme n'y vivani pas. Sa chaste prière s'éleva plus ardente du sein de cette cour où l'on ne priait pas, comme si elle eût voulu prier pour tous; elle ollrit sa douleur en expiation des plaisirs que Dieu n y sanc- tionnait pas; elle alla jusqu'à demander au ciel de nouvelles douleurs, pourvu qu'elles fussent comptées au jour du saint tribunal à l'époux (|ui l'oubliait. Et Dieu l'exauça encore une fois. Son père, rappelé de nouveau en Pologne, avait dû renon- cer une fois encore aux prérogatives de roi. On lui avait seule- meut concédé les duchés de Bar et de Lorraine, qui devaient re- tourner à la couronne de France après sa mort ; et cette mort arriva comme un dernier brisement de cœur au moment où Marie venait de perdre le dauphin, père de Louis XVL Ces deux morts la frappaient à la fois dans le passé et dans l'avenir. Le cœur de son père avait été son refuge dans .ses douleurs; son fils en avait été la consolation vivante : quand tous deux vinrent à lui manquer, Marie sentit que c'en était fait' d'elle pour ce monde ; une maladie de langueur la conduisit en peu de mois au tombeau ; son médecin cherchait vainement à la rassurer sur elle-même. « Ah ! disait-elle, rendez-moi mon père et mon fils, et je vivrai ! » Elle mourut, et les rejoignit le 5 juin 1758 : elle alla changer une couronne périssable, dont elle n'avait senti que les épines, contre cette couronne promise à ceux qui pleu- rent, à ceux qui souffrent, à ceux simples de cœur et d'esprit. Les regrets et le titre de sainte s'attachèrent à sa mémoire. La cour s'arrêta dans ses plaisirs pour la pleurer. On se rappela alors sa douceur, sa dignité, sa tolérance, cet esprit si distingué, si fin, dont elle se défendait comme d'une tentation, et qui, loin d'être une arme, n'était jamais ({u'un baume sur ses lèvres.
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C'était son mot au cardinal de Floury se plaignant que la mul- tiplicité des afTaircs lui faisait perdre la tète. 'Miardez-vous-en bien, lui avait-elle dit; ce serait une mauvaise afïaire pour nous; où trouver la pareille?» C'était encore sa réponse à l'une des dames de sa cour ([u'elle s'était (empressée d'aller voir la sa- chant malade; pour arriver à cette dame, il lui avait fallu monter un escalier difficile, fort étroit, et connue la malade s'en excusait et l'en remerciait d'autant plus : «Eh quoi! lui avait répondu la reine, oubliez- vous que le chemin le plus dif- ficile nous devient le plus doux quand il mène à ceux que nous aimons? » Enfin, comme il n'était pas une misère à laquelle Marie n'eut laissé le denier de l'aumône, il n'était pas une àme dans laquelle elle»n'eùt laissé tomber l'une de ces bonnes pa- roles, véritable aumône du cœur, qui encouragent à vivre et qu'on n'oublie jamais.
Aussi, quand, revenant sur les désordres qui signalèrent ces temps et préparèrent de loin la catastrophe qui devait fermer le dix-huitième siècle, on se demande pourquoi le châtiment frappa les innocents et non les coupables, Louis XVI et non Louis XV, on ne s'étonne plus en rencontrant sur le trône Marie, cet ange en prière dont les mains, levées au ciel comme celles de Moïse sur la montagne, détournaient les fléaux suspen- dus sur celte société folle et impie ; mais au jour où la mort fit tomber ces mains pures et les croisa dans le sépulcre, la main du Seigneur, elle aussi, s'abaissa sur la France, et le sang du fils paya pour les fautes de l'aïeul, et Louis XVI expia pour Louis XV.
.IuLiA Michel.
f. ,-_.^ir a^^" -S.V
LE {\m\) umm.
FUS UMOl K DK LOIIS XV
Nommer le Daupliin fils de Louis XV et père (les rois Louis XYI , Lou is XVIII et Charles X , c'est rappeler l'idée de la vertu, des lumières et dr la piété.
Sa naissance (4 sep- tembre 1729 ) répandit par toute la France une joie sans mélange, et qui fut partagée par les cours étrangères. Doué des plus heureuses dispositions, le jeune prince mérita dès sa plus tendre enfance l'afifeclion de ceux qui l'entouraient. Il parcourait un jour la table chronologique des rois ses ancê- tres. Son précepteur lui demanda auquel il aimait mieux res- sembler : (^A saint Louis, répondit le Dauphin.» Ce vœu n'était
DKAa'D IiAUPHIN
LiLh ijei-t^uet
SAP^^THOMA.--
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pas un vain mol dans la Ix^uclic d un ciilanl t|iii laisail i-|ia<|ij(3 jour de nouveaux progrès dans la vertu el dans la piolé. La ver- tueuse reine Marie Leckzinska, sa mère, disait de lui en versant des larmes de joie : « .le n'ai (|ii'un fils, mais le ciel, (|ui me l'a » donné, a pris plaisir à le former sage, vertueux et hienraisaul. » et tel que j'aurais à peine esc l'espérer. »
Lorsque le Dauphin fit sa première entrée dans Paris, il y fut reçu avec enthousiasme. Le jeune prince attendri dil au roi son père .- ((Ce qui m'a fait le plus de plaisir dans Paris, » c'est de voir que j'y étais le bienvenu.» Pendant la (campagne de 1745, qui se termina si glorieusement par la bataille de Fon- tenoy, Louis XV donna aux Français un spectacle qu'ils n'a- vaient pas vu depuis le roi Jean : c'était celui d'im monarque paraissant à l'armée avec son fils. Leur présence excita des transports d'enthousiasme, et contribua puissamment aux glo- rieux succès des armes françaises. La taille avantageuse du Dau- phin, la vivacité de ses regards, la beauté de sa physionomie, la simplicité de ses manières, son extrême jeunesse (il n'avait que seize ans), tout, dans sa personne, intéressait, prévenait.
A la journée de Fontenoy, il partagea tous les dangers du roi. Quand la victoire parut douteuse, le Dauphin conjura son père de le laisser charger à la tête de sa maison. Louis XV ne voulut pas que son fils unique s'exposât à d'aussi grands périls. Emporté- par son courage, le prince oublie les ordres paternels; il met l'épée à la main, s'échappe du milieu de ceux qui l'en- vironnent : (( Marchons, Français! s'écrie-t-il. Où donc est l'hon- » neur de la nation? » Déjà il est à la tète des grenadiers à che- val, tout prêt à charger. Il fallut un ordre positif du roi, et presque la violence, pour qu'il ne joignît pas l'ennemi ; et, dit un témoin oculaire, (( il s'en tint toujours trop à portée. Il n encourageait ceux qui allaient au combat ; il consolait les » blessés qui passaient sans cesse sous ses yeux. Sa bonté pa- » ternelle s'étendait au dernier soldat.»
L'amour du bien public, l'horreur du vice et de la mollesse, enfin, un vif désir d'imiter saint Louis, avaient donné à la jeu-
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n('ss<> (lu hiiiipliin uiii' iinlilc a('li\ lit- : iiiiiis. coihI.iiiiik- |).ii' 1,1 |)(>lili<|ii(' (le l.i roiii';! NJvrc cloi^Mic des rdiiscils du roi, il s ;il>- sliiil (le se mrirr (raiiciiiu' all'air»' piil)li(|U('.
Kclirc dans ses apparloincnls ;iv«'cla daiipliiiic, .Marie .losrplu* de Saxe, modèle coiimie lui de verlu el d aiiKtur coiijiijfal, il paiiageail son temps eiilre les d^'voirs de la relijiioii el des études dont il déguisail rim|)orlan('e aux yeux des courtisans, el reprit, comme il \o disait lui-mùrne, son éducation en sous- OHivre.ll relisait les auleursanciens, etparlieulièrement Horace, qui lui devint si l'aniilier, «lue, (juel(|ue passage de ce pcëte (piOii lui citât, il retrouvait aussitôt dans sa mémoire les vers siiivants. On a vu, depuis, l'un de ses fils, Louis XVIII, par- tager le même goût pour ce grand poète. La Dauphine se plai- sait aussi à traduire en français l<^s plus beaux morceaux des écrivains anglais.
Malgré les précautions qu'il prenait pour cacher son savoir, il était difficile (pie son mérite ne se trahit pas (|uelquefois. Un jour il s'entretenait avec le chancelier d'Aguesseau sur l'art ora- toire. Après avoir émis son opinion sur l(^s principes de l'iMo- quence, le prince, passant aux modèles, cita plusieurs passages de Cicéron ; puis ajoutant : « Je vais encore vous en donner un »> exemple,» il récita sans hésiter l'exorde d'un des plus beaux discours que d'Aguesseau lui-même avait prononcés dans le parlement.
A l'étude de l'éloquence succéda, pour le Dauphin, celle de la philosophie. Ces hautes spéculations, loin d'ébranler sa foi, l'avaient affermie. Il avait sans peine distingué la philosophie véritable de cette fausse sagesse qui cherchait alors à renverser toutes les croyances établies.
Le Dauphin s'appliqua de prédilection à Ihistoire, « qui, di- » sait-il, est la ressource des peuples contre les erreurs des » princes. Elle donne aux enfants des rois des leçons qu'on » n'oserait faire à leur père, »
Les maximes en matière d'imp(3ts et de finances d'après les- (luelles il se proposait de régner étaient : (( Toute impcjsition sur
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» le jM'uple est injuste lorsque If bien i^eiieiiil de la sofiélé ne » l'exige pas. I.e monarque n'est (|ue l'ecDMotiie des revctiiis de » l'Étal. " Toutes ses paroles annonçaieni d'une manière non é((uivo<[ue que, s'il régnait un jour, ses aelions seraient tou- jours subordonnées au bonheur du peiqile.
Un jour il chassait avec le roi dans les environs de (lornpie- gne. Son cocher voulut lui faire traverser un champ dont la récolte était encore sur pied. Le prince lui cria de rentrer dans le chemin. «Mais, monseigneur, répondit le cocher, vous n'ar- » riverez pas à temps au rendez-vous. — Oue m'importe ! » s'écria le Dauphin ; j'aime mieux manquer dix rendez-vous » de chasse que d'occasionner pour cinq sous de dommage à » un pauvre paysan.» Les gens de la campagne, touchés de cette attention paternelle, ne parlaient du Dauphin qu'avec re- connaissance. «Vive notre bon Dauphin ! disaient-ils; il n'est » pas comme tant de seigneurs plus petits que lui, qui se sou- » cient peu de fouler nos récoltes.» Le prince, à qui l'on rap- porta ce propos, dit : < N'admirez-vous pas ces bonnes gens? Ils » nous savent gré du mal que nous ne leur faisons pas ; et des )* courtisans rassasiés de nos bienftiits n'ont pour nous que de » l'indifférence.»
Lorsque l'attentat de Damiens fut sur le point d'enlever Louis XV à la France, le Dauphin, à qui l'autorité avait passé pendant la maladie de son père, montra toute l'étendue de son jugement et toute la noblesse de son àme, en s'abstenant de soupçons calomnieux contre les jansénistes, qu'il n'aimait pas. Loin de saisir avec empressement l'occasion de perdre le par- lement, qui tenait pour cette faction, il appela ceux des mem- bres de ce corps qui n'avaient pas donné leur démission, et leur confia l'instruction solennelle du procès contre le régicide. Par cette conduite, le Dauphin fit voir combien il était étranger à l'esprit de secte, comme à tout sentiment de vengeance person- nelle.
Louis XV lui avait donné toute sa confiance; il lui ténKH- gnait la plus vive tendresse. « Je souffrirais bien davantage, di-
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» sail-il à son lils, si iMccidciil nous cliiil arriva. - l^ii craiiilc «l'oulre-passcr les iiilciilioiis de son père, cl de lui déplaire par un zèle précipite, cuuaiïca re lils prudent à n'user (pi'avec la plus ji;ra[ule reserve du pouvoir dont il ('lail revélu. Sur toute aulre alVaire (pie celle de Dannens, il relusail de doiuior sa dé- cision, el presci'ivail d'allendre (pie le roi voulût hien exprimer sa volonté.
Après la ijjuériscm de Louis W, le Dauphin lui de nouvc^au condamné à la retraite et à l'inaction. Témoin des fautes (jui amenèrent la guerre de sept ans, et qui en marquèrent tout le cours, il eu gémissait dans le secret de l'intimité, puisqu'il ne pouvait l'aire arriver jusqu'au roi, son père, ses désolantes ré- llexions sur la politique funeste que suivait le ministère. Le second traité de Versailles (1758) jeta surtout le Dauphin dans une consternation profonde. Ce fut en ces termes qu'il exhala sa douleur : « Lorsque la France fait la guerre à son profit, elle » en retire au moins quelques avantages qui compensent ses » pertes; mais la France, cette fois asservie au duc de Choi- )) seul , ne fait la guerre (jue pour relever la maison d'Au- » triche, sa rivale. Et comment voudrait-on que je fusse in- » sensible à l'oubli de tous nos intérêts et au mépris des » principes de notre agrandissement et de notre considéra - » tion'.'' »
Lorsqu'il apprit la honteuse journée de Crevelt (1756), ce prince fit encore éclater des sentiments bien français. Sans per- dre un instant, il écrivit au roi pour le conjurer, dans les termes les plus pressants, de lui permettre d'aller se montrer à l'armée. (< Non, disait le Dauphin en finissant sa lettre, je )) suis sûr qu'il n'y a point de Français (jui ne devienne invin- )) cible à la vue de votre fils unique qui le mènera au combat. »
La mort du duc de Bourgogne, son fils aîné (22 mars 1761), l'expulsion des jésuites (1762), causèrent au Dauphin une pro- fonde douleur, qui devait trop tôt l'enlever à la France.
Il avait pour maxime qu'un prince qui n'a jamais versé de larmes n'a pu être un bon prince. Mais la bonté de son cœur
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ne se iit jamais mieux voir (\uv lors de raccident qui lui arriva dans l(ï mois d'aoùl 1755. 11 r(?venait de la eiiassf,', lorscjue, voulant décharger son fusil, il blessa morUillemenl Chambors, l'un de ses écuyers. Ce malheureux expira au bout de sept jours de souffrances, pendant lesquels le Dauphin lui prodigua les soins les plus tendres et les plus emj)ressés. vSa mort porta au prince un coup terrible. « Hélas ! s'écria-t-il, esl-il donc vrai ([ue » j'ai tué un homme? 0 Dieu ! (jnel malheur ! » Cette affligeante pensée ne le quittait ni le jour ni la nuit. Les consolations des ministres de la religion, les représentations de ses amis, rien n'était capable de le distraire de sa douleur. On avait beau lui répéter qu'il ne devait pas s'imputer un malheur dont il n'était que la cause innocente : » Vous direz tout ce que vous voudrez, » répondait-il, mais ce pauvre homme est toujours mort, et » mort d'un coup qui est parti de ma main. Non, je ne me le » pardonnerai jamais.» Et dans une autre occasion ; » Oui, di- » sait-il, je vois encore l'endroit où s'est passée cette scène af- » freuse : j'entends encore les cris de ce malheureux ; il me » semble le voir à chaque instant qui me tend ses bras ensan- » glantés, et me dit : Quel mal vous ai-je fait pour m'ôter la » vie? Ces pensées importunes me suivent partout, et l'usage de » ma réflexion ne sert qu'à me convaincre de plus en plus que » ce ne sont point des chimères. >-
On conçoit aisément qu'un jeune prince ;^il avait alors vingt- six ans), désespéré par un accident si funeste, ait pu, dans les premiers moments, avoir et témoigner de pareils sentiments; mais ce qui caractérise le cœur du Dauphin, c'est que jamais ce souvenir ne s'effaça de sa mémoire ; et comme s'il eût été cou- pable, il se punit en s'interdisant l'exercice de la chasse pour le reste de sa vie. Il se reprochait encore ce coup involontaire à sa dernière heure, et en mourant il pria le roi de tenir lieu de père au fds du malheureux Chambors.
Le Dauphin, à l'âge de trente-quatre ans, charmait les regards par la fraîcheur de son teint et par cet embonpoint qui n'ex- clut ni l'agilité ni la grâce. Tout à coup on vit cette brillante
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saille l'aire place à nue pâleur s(>iiil)ie. à une iiiai^reiir lioi- ribk'. IVutlaiil tleu\ ans larl des iiiédeciiis s'épuisa vaiiieiiieiil p(Uir rendre au Daupliiu des forces (ju'il perdail cliaipie jour. Il voulut, uialure sa laui!;ueur, se rendre au camp de IMaisaiice tju'on avait établi à C.ompièj^iie. 11 parut se ranimer au milieu d(»s exercices militaires et des preuves d'enllioiisiasme el d'a- mour (pie lui donnèrent les soldats. Un jour, a[»rès avoir l'ait faire l'exercice à son réi^iment, il leur dit avec une modesti»' touchante : « Mes enfants, je suis d'autant plus content de vous, )) (]ue vous avez très-bien fait, et que vous avez été fort mal » commandés. »
In autre jour, la Dauphine étant venue le visiter dans sa tente, il la conduisit devant b^s lignes, et dit aux troupes : u Mes » enfants, voilà ma femme.» On ne saurait exprimer quels transports excita cette action à la fois si simple et si toucbante dans l'béritiqr du troue.
Mais cet enthousiasme, cet amour que le Dauphin inspirait à l'armée, qui depuis dix-huit ans ne l'avait plus revu dans ses rangs, n'étaient que comme les guirlandes qui couronnent la victime. Revenant un soir du camp, il prit un rhume qui se tourna en fluxion de poitrine ; et après avoir langui quelques semaines, il fut attaqué du mal dont il mourut à Fontainebleau, où. malgré sa faiblesse, il avait voulu suivre le roi. Sa mort fut édifiante comme l'avait été sa vie.
Ce fut le vendredi 20 décembre 1765, à six heures du matin. Le Dauphin était âgé de trente-six ans trois mois et seize jours. Le duc de la Vauguyon vint présenter au roi le duc de Berri, son élève, qui devait régner huit ans après sous le nom de Louis XVL Suivant l'usage, on annonça M. le Dauphin. Louis XV se troubla, embrassa son petit-fils avec tendresse, le considéra quelque temps en silence, et dit en soupirant : «Pau- » vre France 1 un roi de cinquante-cinq ans et un Dauphin de » onze! )> De noirs pressentiments s'offraient alors à sa pensée. Trop éclairé pour ne pas s'apercevoir du sourd ébranlement que recevait la monarchie, il sentait (juel funeste héritage il
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liiissrrail h son pclil lils. Il rôp/'l.i rucorc plusieurs lois crllc (îxclauialion : « l'auvrc France! >>
Lo peuple n^fjçard a aussi la mori du haiipliiii coniiiic une ca- lamité pour la pairie. On espérail (pic le rcjj.nc; de ce prince réiablirail l'ordre, l'économie, les bonnes nuciirs, cl prévicu- drait une iijrande catastrophe. Trompés dans leur espoir, les Français se livrèrent à la |)lus auière douleur. On vit à l'aris les citoyens se rassembler autour de la statue de Henri IV [)our dé- plorer la perte du Dauphin ; et depuis ce temps, les Parisiens ne manquèrent plus à venir confier leurs peines et leurs dou- leurs à l'image de c(0)on roi. Chose remarquable, les écrivains philosophes, aussi bien que ceux qui étaient demeurés fidèles aux doctrines religieuses, se réunirent pour faire son éloge, et pour regretter qu'il ne dût pas régner.
Cet excellent prince n'avait rien négligé pour assurer à ses fils le bienfait d'une bonne éducation. On a retenu plusieurs des sages leçons qu'il leur donnait. Le jour où, suivant l'usage ob- servé pour les princes du sang royal, on suppléa les cérémo- nies du baptême au duc de Berri (depuis Louis XYI), et au comte de Provence (depuis Louis XVIJI), le Dauphin se fit ap- porter le registre de la paroisse, et leur montra que le nom qui précédait les leurs était celui du fils d'un artisan. (fVous le » voyez, mes enfants, leur dit-il, dans l'ordre de la religion les )) distinctions disparaissent. Il n'y a de véritable grandeur que » celle que donne la vertu. Vous serez un jour plus grands que )) cet enfant aux yeux des hommes, mais il sera lui-même plus » grand que vous aux yeux de Dieu, s'il est plus vertueux.»
Ce bon père disait souvent au duc de la Vauguyon, leur gouverneur : « Conduisez mes enfants dans la chaumière du >i paysan ; qu'ils voient de leurs yeux le pain dont se nourrit le n pauvre ; qu'ils touchent de leurs mains la paille qui lui sert de ') lit. Je veux qu'ils apprennent à pleurer. Un prince qui n'a )i jamais versé de larmes ne peut être l)on . ))
Charlis Durozoir.
L'AIÎIIE HE L'EI'EK.
L'abbé de l'Epée fut un de ces bienfaiteurs de l'hu- manité qui se présentent à la reconnaissance des peuples le front couronné de la double auréole des vertus et du génie. Il fal- lait unir, en efl'et, aux plus saintes inspirations d'un noble cœur , à la ! plus ardente charité de I l'apôtre chrétien, toute la persévérante sagacité, loulesles ressources d'une haute et grande intelli- '---ïï^---i^---"^-^-:ilj-''i:^;- gence , pour accomplir l'œuvre merveilleuse qu'il a faite. L'abbé de l'Epée a réussi à compléter un être qu'une erreur de la nature avait laissé imparfait. Avant lui, le sourd-muet était pour la multitude
litli.ieBeciuPt
— Kil —
un (»!)]('( (le m(''[)ris cl de dé^oi'il ;ml;uil (|ii(' tir |Mli»'; on le «'onroiidail avec les brutes; sa l'atiiillc cllr-inèinc le dérobail aux yeux étrangers commo une plaie honteuse, et dans certaines provinces on le croyait frappé des malédictions du ciel. Il a été donné à un homme de réhabiliter cet infortuné, de lui ouvrir un monde d'où il était proscrit, de le faire participer à la vie morale et intellectuelle de tous; et l'abbé de l'Epée fui cet homme, ce second créateur que les sourds-muets, dans leur re- connaissance, appellent leur père spirituel. Oui donc mérite plus que lui une place dans ce livre, qui a pour titre lea Amies rie In terre?
Charles-Michel de l'Epée naquit à Versailles le 15 novembre 1712. Son père, architecte du roi, jouissait d'une honnête ai- sance. C'était un homme simple, de mœurs irréprochables, d'une probité sévère, instruit et plein de piété. Le jeune Charles trouva donc, dès son entrée dans la vie et au sein de la fîunille. des exemples de vertus qui, plus tard, devaient jeter tant d'éclat en lui. Son père le destinait à la carrière des sciences, et ce fut d'abord de ce côté qu'il tourna ses études. Ses progrès y» furent rapides; mais, parvenu à l'âge de dix-sept ans, il se sentit appelé au ministère des autels. Après avoir obtenu , non sans peine, le consentement de son père, il se livra avec ardeur à l'étude de la théologie. Toutefois le but vers lequel il tendait de tous ses vœux ne put alors être atteint. Des contrariétés l'arrê- tèrent dès les premiers pas. Le jeune de l'Epée unissait à beau- coup de douceur une remarquable fermeté de caractère et une grande indépendance de principes, et au moment où il allait recevoir l'initiation au sacerdoce, il refusa de signer un formu- laire qui blessait ses convictions religieuses. La carrière de l'église paraissant dès lors fermée à ses vœux, il s'appliqua à l'étude du droit, subit avec une grande distinction les épreuv.es exigées, et fut reçu avocat au Parlement de Paris. Il ne resta pas longtemps au barreau. Invinciblement entraîné vers le sacer- doce, il n'attendait qu'une occasion d'y rentrer. Cette occasion ne tarda pas à s'offrir. L'évêque de Troyes, neveu de Bossuet,
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cl (lijiiic dim M uimikI nom, <lii moins par ses vcilus, ac» iicillil If jcnnc (le ri{|M'r. lui (dnlV'ra les or(lr(S sacres, cl lui donna nn modcsic canonical dans son dioccsc. Dans l'exercice du saini niinislcre, M, de rKpce sul allier aux |)lus austères principes les plus douces verlus, cl sa vie pastorale lut celle d'un Féii(^- lon. iolcr.inl comme lui, il répétait souveni ces belles pai'oles de l'imniorlel évèque de Cuinbrai : Soitlfrons toutes les reïi- (juins, puiscjne Ihcu 1rs soulJrc. Modeste et sans ambition, il hî- l'usa, à l'àgc de vingt-six ans, un évèché que le cardinal de Fleury lui fil ofl'rir en reconnaissance d'un service personnel (pie lt> père du jeune abbé avait rendu au prélat.
Son généreux prolecteur. M. de Bossuel, mourut. La vive reconnaissance qui altacbait l'abbé de l'Kpée au vertueux évê- (jue l'avait jusqu alors retenu dans le canonical qu il tenait de ses bontés. Au reste, son ardente charité n'y était pas restée oisive : l'abbé de l'Epée J'aisail le bien partout et toujours; mais Dieu, l'appelant sur un théâtre plus élevé, voulut qu'il coure timàt toutes ses bonnes œuvres par une œuvre plus grande .et plus ieconde. Labbé de l'Ëpée vint donc à Paris. Il s'y lia, tout d'abord, d'amitié avec le vertueux de Soanen, évéque de Senez, alors en butte à des persécutions. Ces persécutions attei- gnirent bientôt l'abbé de l'Epée lui-même, et cette communauté d'infortunes resserra encore les liens de l'amitié sainte qui les unissait.
Mais il est temps de passer à un autre ordre de choses. Jus- qu'ici nous avons vu dans l'abbé de l'Epée l'homme modeste, le prêtre pieux et tolérant : maintenant montrons l'homme qui a fait une des plus belles conquêtes du génie. Le hasard, qui a tant de part à la plupart des découvertes, n'en eut point dans celle-ci ; il fil seulement naître une occasion. Un jour l'abbé de l'Epée entra dans une maison où se trouvaient deux jeunes filles occupées à un travail d'aiguille. Sa venue n'ayant pas été re- marquée par elles, il leur adresse la parole ; elles ne répondent point. Il les interroge encore; même silence. Son étonnement était extrême. C'étaient deux sœurs jumelles, sourdes-muettes.
Leur irière arrive, cl loiil s'(;\|»li(Hi('. Kllc raconlc, les larmes aux yeux, sou uiallieur. Elle le ressentait d'autant plus vivement, qu'un respectable ecclésiastique, le l\ Vanin, (|ui avait com- mencé l'éducation de ces deux enfants, venait de mourir. ((Croyant donc, c'est l'abbé de l'Epée (jui parle, (pie ces deux enfants vivraient et mourraient dans ri},qi()ranc(; d(! leur reli- gion, si je n'essayais pas de la leur appnîndre, je fus louché de compassion pour elles, et je dis qu'on pourrait me les amener et que j'y ferais mon possible.» Ainsi commença l'abbé de l'Épée, qui, emporté par son zèle et sa charité, entrait dans une carrière dont il n'avait pas mesuré l'étendue, ignorant même (juels essais avaient été tentés avant lui en faveur des sourds- muets. Ces essais, au surplus, avaient eu un résultat bien borné. On apprenait au sourd-muet à prononcer quelques phrases mal articulées et mal senties. Il continuait à rester en quelque* sorte sans moyen d'échange d'idées. C'était donc là une œuvre à peu près infructueuse de patience. Il était réservé à l'abbé de l'Épée de trouver la langue des sourds-muets, les signes. Grâces à lui, les signes méthodiques remplacèrent pour les sourds-muets ce mensonge connu sous le nom de Méthode de la parole. Le signe ou le geste est en effet le seul langage du sourd- muet. C'est môme le type de toutes les langues. C'est celle de l'enfant jusqu'à ce qu'il ait appris des mots, et de l'homme jus- qu'à ce qu'il soit passé de l'état sauvage à l'état de civilisation. Cette langue est admirable chez tous les individus, et particu- lièrement chez les infortunés qui n'ont jamais eu ou qui ont perdu l'usage de l'ouïe et de la parole. Elle est énergique, vive, pittoresque, et aucune autre n'atteint la rapidité de son expres- sion. Elle met en jeu toute la face humaine, qui révèle comme un miroir nos sentiments les plus intimes; si bien qu'on ne peut guère comprendre l'existence d'un hypocrite parmi les sourds- muets, à moins de supposer qu'il se condamne à l'immobilité. Ainsi l'abbé de l'Épée avait pris tout d'abord pour guide, en établissant son système d'enseignement, l'observation de la nature. Aussi marcha-t-il à grands pas dans la carrière; ses
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élèves, (lu'il a\ail iiuiliplics aul.iiil (juc le lui pcrmcllail sa Ibr- diiM'. nUraicril, coiuliiils par lui, dans cv inonde nouveau de lintelli^ence. et ils se (ronvaienl cluuiue jour plus heureux d'ac(]uérir des moyens d'exprimer plus eompléleuienl à leur mallre loul ce ipi'il y avait pour lui, au fond de leur cœur, damitur el de reconnaissance. Oh 1 c'était un beau, un touchant spectacle ijue de voir ce maître au milieu de ses élèves, ou, pour mieux parler, ce père au milieu de ses enfants. Tout ce qui se développait en eux de sentiments el de facultés remontait vers lui. Ko ajtprenant la religion, ils apprenaient à bénir, à vénérer en lui un de ses [)lus dignes ministres. En apprenant quels devoirs les liaient à la famille, à la société, ils sentaient que les preiuiers, les plus doux de ces devoirs étaient l'amour pour un si bon père, la reconnaissance pour un tel bienfaiteur, et enfin, à mesure qu'ils avançaient dans les sciences humaines, ils trou- vaient toujours plus étendu, plus attachant et plus varié le sa- voir de leur instituteur, \insi, il était l'objet dont ils se préoc- cupaient sans cesse; il était pour eux cette pensée secrète, caressée au fond du cœur, et à laquelle on rapporte tout; il était enfin ce que ces enfants, déshérités par la nature, voyaient de plus beau et de meilleur dans ce monde où, grâce à lui, ils allaient avoir une place. Ces sentiments se manifestaient dans toutes les occasions et de toutes les manières. Observez-les dans cette salle que l'abbé de l'Épée a consacrée à leurs études: ce n'est pas l'heure des leçons et des devoirs; cependant ils travail- lent. Un élève, dans un coin, dessine et trouve toujours sous son crayon les traits vénérables du maître adoré; à ses côtés, un autre élève, inhabile graveur encore, armé d'un burin, essaye de reproduire la même image sur le métal ; et un peu plus loin, un troisième, pétrissant l'argile, essaye aussi un buste de l'abbé de TÉpée. Enfin, sur un autre point, un groupe d'élè- ves engage une conversation animée ; il y a de l'émotion sur ces jeunes visages; tenez pour certain qu'on s'entretient de l'abbé de l'Épée ; on raconte ce qu'il a fait, ce qu'il a dit, ce qu'il pro- met, ce qu'il espère. Le geste est pressé, vif, rapide; J)ientôt
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toutes les mains s'agitent, on les [lorte du cœur aux lèvres, ou les ramène sur le eœur; les yeux sont humides, les poitrines haletantes, et de temps en temps des sons inarticulés et d'un sauvage accent percent ce silence d'enfants qui parlent. Ce qu'il y a en ce moment de chaleur, de passion, de pittoresque expres- sion dans ce langage muet ne peut se traduire dans nos paro- les, et je ne connais pas de situation qui reçoive une application plus juste de ces vers d'Horace :
Segnius irritant animos demissa per aurem Quam quee sunt oculis subjecta fidolihus •...
Comme on voit, la tendresse et la reconnaissance des jeunes sourds muets pour l'abbé de l'Épée allaient jusqu'à l'adoration. Les sentiments qu'il avait pour eux méritaient bien un tel retour. Il était sublime dans son dévouement et dans ses sacrifices ; citons deux exemples.
Un jeune sourd-muet, trouvé errant, saas asile et mourant de faim dans les rues de Paris, est amené à l'abbé de l'Épée, qui le reçoit comme s'il lui était envoyé par le ciel même. Il le nomme Théodore. 11 ne tarde pas à remarquer dans cet enfant des ma- nières, des habitudes et des mœurs qui contrastent avec ses haillons et trahissent une origine élevée. Cet enfant est peut-être un orphelin victime de la cupidité, l'héritier d'une grande for- tune, le rejeton d'une illustre famille ; grâce à son mutisme, les spoliateurs se sont promis l'impunité; ces soupçons prennent de jour en jour plus de consistance dans l'esprit de l'abbé de ' l'Épée, et enfin ils se changent en certitude quand, plus tard, Théodore,* instruit dans l'art de rendre ses pensées, retrace les souvenirs de son enfance. Mais quoi! Théodore ne conn^ait ni le nom de son père, ni celui du lieu de sa naissance, et le mystère qui couvre l'un et l'autre semble ne pouvoir jamais être péné- tré. I/abbé de l'Épée baissait la tête devant cette impossibilité;
' Nous SMinmcs bien plus IoucIk-s .i.'s .licses qui se i.assent smis nos yeux que de iTlles qui n'arrivent à notre esprit que par les oreilles.
I(i(i —
(oui à (OUI) il prend une tic ces résolutions (|ii On noniul pro- duites en nous piir une inspiration d Vn li.iul. l/abhé de IMpùe, à l'âge de soixante-seize ans, entreprt'ud avec son élève tin long voyage; il va à la recherche de celte patrie que l'enlanl ne peut nonuner, mais (juil est bien sur de reconnaître. D'ailleurs l'as- pect (l(î tant de lieux divers réveillera chez lui des souvenirs plus vifs; il jugera p.ir analogie et pourra retracer de la ville qui la vu naître une image plus fidèle. Les esprits légers et moqueurs appellent ces sortes d'entreprises témérain^s el insensées. Ouand le succès les juslilie. ils en l'ont honneur au hasard; les vrais sages voient dans ces heureux événements les grands desseins de la Providence. IVos voyageurs, après avoir longtemps erré çà et là. arrivent à Toulouse. Théodore en parcourant la ville s'é- tonne, se récrie à chaque pas; tout à coup il s'arrête, des pleurs coulent sur ses joues; il pousse des cris, il tend les bras : il a reconnu la maison paternelle ; on était devant l'hôtel du comte de Solar. L'abbé de l'Epée s'informe; il apprend que ce comte n'a laissé qu'un fds, sourd-muet, qu'on dit mort à Paris. Cet enfant qu'on croyait mort, l'abbé de l'Epée le présente ; la fa- mille de Solar crie à l'imposture. La cause est portée au Chàte- let, à Paris, et après une longue instruction de l'affaire, Théo- dore est mis en possession des titres et de la fortune de son père. Cette touchante aventure, transportée au théâtre, par MM. Mon- vel et Bouilly, dans leur drame de l'Abbé de FÊpée, y a souvent fait verser des larmes.
L'abbé de l'Epée avait recueilli de la succession de son père environ quatorze mille francs de rentes; il ne s'en réservait que deux mille pour ses besoins personnels ; il regardait le reste comme le patrimoine sacré de ses chers enfants. Pendant l'hiver si rigoureux de 1788, il manquait de feu; ses élèves, les larmes aux yeux , vinrent le supplier de reprendre , pour acheter du bois, quelque chose sur la somme qu'il leur consacrait. Après bien des refus, il se rendit à leurs prières, mais il se reprocha toujours cette condescendance, et souvent il leur disait : « Mes amis, je vous ai fait tort de cent écus. »
— Km —
PciulanI son séjour ;i INiris, rcmixTcur .losrpli II iissisla sou- vent aux leçons (le i'aj)l)é de l'Kpée. Frappé d'adiniralion, il lui offrit de faire au roi la demande d'une riche abbaye et de lui en donner une lui-môme dans ses états. « Je suis vieux, répondit )> l'abbé de VKpée. Si votre majesté veut du bien aux sourds- « muets, je la supplie de placer ses bienfaits sur l'institution » elle-même et non sur ma tête, qui penche vers la tombe. " Jose])h H était fait pour comprendre une si généreuse pensée : il lui envoya l'abbé Storck, qui, après avoir recueilli des leçons du fondateur de l'institution des sourds-muets, retourna à Vienne pour y établir une institution pareille. L'abbé de l'Épée a formé un grand nombre d'habiles maîtres qui ont propagé sa méthode en France et à l'étranger, notamment l'abbé Sicard, (jui lui avait succédé '.
Cet homme excellent mourut, à Paris, le 23 décembre 1789, à l'âge de soixante-dix-sept ans ; son oraison funèbre fut pro- noncée par l'abbé Fauchet, prédicateur du roi, en présence d'une députation de l'Assemblée constituante, du maire de Paris, et des représentants de la commune. La loi des 21 et 29 juillet 1791 consacra les vœux de ce père des sourds-muets en fondant l'institution de Paris.
Tel fut cet homme qui sut allier de grandes vertus à un heureux génie, et qui créa l'œuvre la plus utile peut-être de tou- tes celles qu'a inspirées la passion du bien. — Sa mémoire, éternellement chère à tous les amis de l'humanité, sera surtout et d'âge en âge bénie par ces infortunés sourds-muets dont il a, pour ainsi dire, complété la vie. et c'est sans doute en songeant à leur bienfaiteur que l'un d'eux, Massieu, a trouvé cette heu- reuse définition de la reconnaissance, la mémoire du cœur.
AuG. Desporte.
' Puis M. Paumier, héritier des traditions de ces deux hommes célèbres, auxquels il a survécu.
MAIiSIIEItlieS.
Dieu éprouve sur la l('rr(> les vertus liuma'wies
•
pour les rendre dignes, des célesl(^s récompenses* (|unnd c'est au creuset des révolutions, la croix qu'il leur impose est sanglante et élevée ; alors, suivant 1 expression d'un poë^, l'échafaud des anges de la terre n est qu'un degré vers le ciel. Chrétien-Guillaume La- moignon de Malesherbes naquit à Paris, le 6 décembre 1721 ; son père était le fils du célèbre Lamoignon , premier président du Parlement de Paris , à qui Mazarin écrivait en lui annonçant sa nomination : '.( J'ai )' considéré tout le monde depuis que la place est vacante, et » si j'avais cru trouver un plus homme de bien que vous pour » la remplir, je l'aurais choisi pour le proposer au roi. »
C'étaient là de beaux titres de noblesse, transmis de père en fils à Chrétien-Guillaume Lamoignon, à travers les scandales de la
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Kôgonro, auxquels resta (Mnuiiîère uik; ianiillc ('"levée dans la digue et élégante simplicité des vieilles mœurs parlementaires. Élevé chez les jésuites, il eut pour professeur le vieux père Porée, qui, vingt-sept ans auparavant, avait couronné les étu- des classiques de Voltaire. Ses facultés intellectuelles se dé- veloppaient lentement; mais s'il ne brillait point par un feu d'imagination qui trop souvent se dissipe en fumée, ses pro- fesseurs pressentaient en lui une nolylesse et une chaleur d'àme qui les disposaient à la bienveillance. Après avoir suivi avec distinction ses cours ordinaires du droit, il s'attacha spéciale- ment à l'étude du droit public, sous la savante direction de l'abbé Pucelle. A vingt-un ans, il était substitut du procureur- général au parlement de Paris ; à vingt-quatre, il y remplissait les fonctions de conseiller. Sourd à la voix des passions, le jeune magistrat n'en connaissait qu'une, celle du travail ; ses délassements même étaient une étude, mais la plus attrayante, celle de la nature. Sous le pseudonyme de M. Guillaume, il sui- vait, au jardin des Plantes, les leçons publiques du premier des Jussieu , et l'accompagnait dans ses excursions , mêlé à la foule des étudiants. M. de Jussieu, voyant en lui un aspirant pharmacien d'une belle espérance, l'avait pris en amitié. Un jour le célèbre professeur arrive avec une députation de la fa- culté de médecine à une assemblée des chambres du parlement, pour y présenter une pétition, et reconnaît parmi cette impo- sante fde de robes rouges son intéressant botaniste. Dès ce mo- ment la cérémonieuse déférence du professeur força l'élève à renoncer à ses cours.
En 1750, M. de Lamoignon ayant été nommé cbancelier de France, son fils lui succéda dans la présidence de la cour des aides. Il fut en même temps chargé de la direction de la librai- rie : fonctions délicates à une époque où la liberté de la presse n'existait point, où rien ne se publiait sans le visa des cen- seurs royaux,
Sa tolérance n'exceptait que les œuvres irreligieuses, immo- rales, et les libelles. Il eut souhaité pouvoir protéger l'Emile de
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Régence, auxque resta étrangère une famille élevée dans la digne et élégante niplicité des vieilles mœurs parlementaires. Elevé chez !• s suites, il eut pour professeur le vieux père Porée, qui, vinjl ept ans auparavant, avait couronné les élu- des classiques d Voltaire. Ses facultés intellectuelles se dé- veloppaient lenlcent: mais s'il ne brillait point par un feu d'imagination qi trop souvent se dissipe en fumée, ses pro- fesseurs pressent.- nt en lui une noblesse et une chaleur d'àme qui les di- à la hiiMiveillance. Après avoir suivi avec
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ment à l'étude d droit public, sous la savante direction de l'abbé Pucelle. A ingt-un ans. il était substitut du procureur- général au pnrlt^i -nt de Paris ; à vingt-quairo. il y remplissait les fondions de )nseiller. Sourd à la voix des passions, le jeune magistnit i «n connaissait qu'une, celle du travail; ses délassements nièi' étaient une étude, mais la plus attravante. wlle de la naturcSous le pseudonyme de M. Guillaiimc, il sui- vait, au jardin <]( Plantes, les leçons puldiijues du picinier des Jussieu. iipa^nait dans ses excursions, mêlé à la
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irréligieuses, iiniiio £éger l'Emile de
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.1. J. Iloiisscaii (onli'c les iioiirMiilcs du |).ii'l('iiirtil : il ml du moins la IVaiicliiNC di' lui avouer coiiuiic un lorl sou iuipuis- sancr à lui ôparizucr rallcriialivc cnlro la Haslillc ou l'exil. De sa relraite de WooUon, .f(>aii-.lae(|ues lui écrivail, eu 17()(). ees lij^nes préeieuses : (^Oui, monsieur, avouer un lorl, le déehu'er, » est un efîorl de justice assez rare; mais s'accuser au mallieu- » reux (ju'on a |>(rdu (|uoique innocemment, et iw l'en aimer » (|ue davanlai^e, esl un acte de force qui n'appartenait (ju'à » vous; voire ànie honore l'humanité et h» rélahlit dans mon » estime; je savais ({u il y avait encore de 1 amitié parmi les n hommes, mais sans vous j'ie;norerais qu'il y eût de la vertu.»
Premier président de la cour des aides, Malesherbes déroba plusieurs victimes aux j)Oursui tes exercées par le fermier-géné- ral et les traitants. Une latale méprise avait jeté dans les pri- sons un nommé Monnerat, accusé de malversations. Monnerat, honnête père de famille, n'avait rien de" commun avec le cou- pable, et il gémissait depuis longues années dans les cachots de Bicélre. Cette effroyable erreur est dénoncée à Malesherbes, et dès ce moment il n'a plus un instant de repos qu'il n'ait obtenu pour cet infortuné justice et réparation. Dans un de ses mé- moires en faveur de cette victime on lit cette triste révélation : (( Personne n'est assez grand pour être à l'abri de la haine d'un » ministre, ni assez petit pour n'être pas digne de celle d'un » commis des fermes.»
Malesherbes ne se montra jamais plus grand que pendant les vingt dernières années du règne de Louis XV, marquées par la disgrâce du duc de Choiseul, l'exil du parlement, et la ban- queroute faite aux rentiers par le trésor royal.
En 1770, il s'oppose à l'établissement de nouveaux im- pôts. « On a donc persuadé à votre majesté, dit-il dans une » de ses remontrances, que c'est par la terreur qu'il faut régner » sur les ministres de la justice? Quand on veut faire servir la » puissance à satisfaire des passions particulières, on menace » de l'autorité ceux qui gémissent déjà sous l'injustice, et on les » réduit à l'alternative de faire des actes qui puissent être im-
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» puU's à lu (iésobéissiU)c<\ «m dit soiill'rir ;i hi l'ois lOulni^e cl » l'oppression.))
En 1771, il proteste contre Id suppression des anciens parlr- nients, et déclare qu'il ne reconnaît point les nouveaux.
Une conduite si courageuse attira sur lui la haine du nouveau ministère. Malesherbes fut exilé dans sa terre ; j)eu de temps après, la cour des aides fut supprimée, et ses magistrats bannis de la capitale. Ils trouvèrent un accueil fraternel auprès ^le leur digne président; quant à lui, telle fut la rigueur de son exil, qu'on ne lui permit pas de rester à Paris plus de trois jours quand il courut y recueillir la bénédiction de son père expirant.
Louis XVI ayant à son avènement au trône rétabli les an- ciens parlements, Malhesherbes reprit la présidence de la cour des aides, et il y reparut entouré d'une immense et juste popu- larité.
En 1774, le roi composa un ministère qui eût peut-être pré- venu une révolution, s'il avait eu le courage de le maintenir contre les intrigues qui avaient renversé le duc de Choiseul. Turgot était la tête du nouveau cabinet, et Malesherbes le cœur. Ce dernier avait succédé, en 1775, au duc de la Vrillière, qui avait eu sous Louis XV le département des détentions arbi- traires au moyen de lettres de cachet. Le nouveau ministre du roi n'hésita pas à proposer leur suppression. En attendant, il créa un tribunal de famille chargé d'apprécier les cas où elles seraient nécessaires. Lui-même il courut à la Bastille pour ren- dre la liberté aux infortunés qu'une haine aveugle, de lâches vengeances, ou les caprices du pouvoir, y avaient plongés : spectres vivants chargés de haillons, aveuglés, abrutis ou livrés à une lente agonie dans les sombres cachots où ils gémissaient oubliés.
Dans ses audiences, qu'il ne refusait jamais aux gens de let- tres voués à d'utiles travaux, il lui arriva souvent de promettre des encouragements au nom du roi, et de tenir parole aux dé- pens de sa bourse personnelle. A l'une de ces entrevues il était question d'une statue à ériger à Louis XVI. « Tous les lieux pu-
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» blii's (le la capitale soiil ciKdinhn's de ces nioimmcnls. Oiiclic » place rcslera-l-il pour la noire? d'il iiii des iiilcrlociilciirs. La » place ? reprit vivement le ininisirc; je la connais bien, et vous » ne me trahirez pas, c'est la IJasIille.))
dépendant Louis s'éloignait peu à jtcu de son ministre. Le vieux favori Maurepas, chef du cabinel, ne j)ermellail j»as au jeune roi de s'éclairer librement auprès d'un homme passionné pour la'gloire de son maître. Plus d'audiences particidièns, tou- jours le tapis vert du conseil, et les objections ou le persiflage des hommes d'état, entre les plans réformateurs de Turgot, les vœux philanthropiques de Malesherbes, et le cœur du mo- narque. C'est à cette époque que le petit-fils du grand l^amoi- gnon composa deux Mémoires, l'un sur les maux de la France, l'autre sur la nécessité de diminuer les dépenses publiques. En lui adressant son travail, l'auteur recommande le secret à sa > majesté. « S'il peut produire quelques fruits, dit-il, il faut qu'on » les attribue au roi seul ; si l'on ne peut convaincre sa majesté » des vérités qu'il contient, le public doit ignorer qu'elles lui » ont été présentées.»
Telle était, au reste, la communauté de sentiment qui lia et Turgot et Malesherbes, malgré la diversité de leurs caractères, de leurs opinions sur le parlement de Paris, que ce dernier, ju- geant imminente la retraite de son ami, crut devoir offrir sa démission, et y persister malgré la résistance du roi. Avant d'ar- river au pouvoir, il avait renoncé aux fonctions de premier pré- sident de la cour des aides ; il rentra dans la vie privée avec le titre de membre de trois académies, celles des Sciences, des Inscriptions et Belles-Lettres, et l'académie Française, où il avait été nommé par acclamation en 1775.
En 1776 il prit en main la cause des protestants et des juifs, jetés hors de la loi commune par l'intolérance de notre législa- tion. Il réclama hautement que les protestants fussent rétablis dans le plein exercice des droits civils, et que la légitimité des mariages et des naissances fut officiellement constatée par leurs ministres. Ses réclamations en faveur des juifs étaient une
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(•.ons6([U(3nce du principe de la lil)(;rté de conscience, au succès duquel il s'était voué. Deux mots de la Harpe peignent admi- rablement ces Mémoires, et en général les œuvres politiques de l'illustre écrivain : ModèlGS de bon (joûl dans un siècle de phrases, et de nérité dans un siècle de corruption.
Dans sa riante retraite, sous les tourelles gothiques de son vieux castel, dont il avait respecté l'ameublementà la LouisXIV par vénération pour le grand Lamoignon, on reconnaissait le ¥ieil élève de Bernard de Jussieu ; dans une partie réservée de son parc il avait acclimaté les arbres exotiques les plus pré- cieux. Il professait un respect si religieux pour les classiques préjugés de son père, qu'il fit masquer d'une charmille la par- tie indo-américaine de ses plantations ; le secret en fut si bien gardé vis-à-vis de M. le premier président, que ce vénérable magistrat, forcé par son obésité à borner ses promenades sous une magnifique allée de tilleuls dont il faisait ses délices, ou le long des ifs de son parterre, ignora jusqu'à sa mort que son fils eût commis la folie dont il l'avait dissuadé dès le premier jour. Quoi de plus touchant que les scrupules, si ce n'est cette discrétion?
En 1777, le désir d'observer de plus près la nature et* les hommes, et d'amasser des trésors d'expériences qu'il ne déses- pérait pas de rendre utiles à son pays, le décidèrent à un de ces grands voyages que seul peut-être il pouvait exécuter. Chemi- nant à pied, un bâton à la main, dans le costume le plus simple, sous le modeste nom de M. Guillaume, il passa deux ou trois ans à visiter nos provinces, l'Italie, la Suisse, l'Allemagne, la Hollande, herborisant dans les montagnes, sans quitter le mar- teau du mineur; causant agriculture avec les fermiers, religion et bienfaisance avec le pasteur du village, hygiène, commerce, législation avec le médecin, le négociant ou l'avocat; laissant tous ceux qu'il daignait associer à ses causeries satisfaits de lui, enchantés d'eux-mêmes; semant les bienfaits sur la route, et fai- sant naître l'occasion de les multiplier par sa sagacité à discer- ner l'homme de bien, et par cette simplicité dont le charme
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était pour lui la (•Icfdt' Ions les cœurs souH'rauls. Dans Icsniori- tairncs de la Suisse, il rencontre le pasteur Weitlenhacli ; après (iwel«|ues |»olilesses e(lianf:;ées : u Je suis niinislre. dit ce dernier. » — El moi ex-nlinislre, répond M. Guillaume; nous pouvons » parler le vieux langage. » Et il le parla si bien, que l'autre lui dit : « Aous êtes un excellent homme; il y a dans mon canton » une place de pasteur vacante, je veux en disposer pour vous.» Aux Pyrénées, dans les gorges du Moiil-Perdu, il dispute à un capitaine de dragon, intrépide amateur de minéralogie, un l'rag» ment de roche basaltique ; la conversation s'engage, et de sujets en sujets, elle touche sur la politique, Versailles, la cour.,... ((Ne m'en parlez pas, dit le capitaine; il n'y avait là qu'un bon » ministre, et on l'a dégoûté du service. — Lequel? — Males- ,» herbes. — Que voulez-vous? il était déplacé à la cour, il n'avait » pas les formes pour lui. — Et qu'importaient les formes, quand » le fond était excellent? D'ailleurs, quelle renommée I — Elleeùt » pu se démentir. — Vous ne l'aimez' pas, monsieur le natura- » liste; cela m'étonne, car vous êtes un bon homme.» En ce mo- ment son domestique accourt, en l'appelant par son vrai nom, lui annoncer que le diner l'attend à l'auberge. « Monsieur, » dit le capitaine, tout s'explique ; vous êtes le seul homme » de l'Europe à qui il pouvait être permis de dire du mal de » Malesherbes. »
De retour à Paris, où son nom était une puissance, il se dé- roba le plus possible à l'enivrante atmosphère de l'ambition ; il rentra dans son vieux château pour y mûrir de nouveaux plans de félicité publique. Un de ces jeunes publicistes que le barreau parisien comptait en assez grand nombre, M. Lacretelle aine eut à cette époque le bonheur d'être admis dans son intime confiance. Les liens qui attachent l'auteur de cette notice à la famille de cet honorable écrivain, l'un des derniers et des plus purs représentants de la saine philosophie du dix-huitième siè- cle, lui ont transmis, comme par une chaîne magnétique, le sou- venir de ces soirées au château de Malesherbes où les deux amis, oubliant les heures autour d'une table à thé, devisaient du
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Lith.deBecquet
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projrl (le paix pcrijéUM'lIc atl,ril)U('! à Henri IV, des in(>y(^ns de la renouveler, dv la rôlbiioe des id)us, d(; la régénéralion de la France, et du salutaire accord des libertés publiques loyale- ment fi;ardéos et de l'autorité royale toute-puissante pour le bien, impuissante pour le mal.
L'ordre qui, en 1787, rappelait Malesberbes sans attribu- tions dans les conseils du monar(|ue arriva trop tard pour réa- liser des vœux si chers. Dès le 10 août, il prévit qu'on réservait au roi le sort de Charles l" d'Angleterre, et ne pensa plus qu'à préparer la défense du monarque.
« J'ignore, écrivit-il au président de l'assemblée, qui devait, » dans cette grande cause, être accusateur et juge, j'ignore si » la Convention donnera à Louis XVI un conseil pour le défen- » dre, ou si elle lui en laissera le choix; dans ce cas-là, je dé- » sire que Louis XVI sache que, s'il me choisit pour cette fonc- » tion, je suis prêt à me dévouer.
» Je ne vous demande pas de faire part à l'Assemblée natio- » nale de mes offres, car je suis bien éloigné de. me croire » un personnage assez important pour qu'elle s'occupe de moi. » Mais j'ai été appelé deux fois au conseil de celui qui fut mon » maître, dans le temps que cette fonction était ambitionnée par » tout le monde; je lui dois le môme service lorsque c'est une » fonction que bien des gens trouvent dangereuse.»
Cet honneur lui fut accordé, en concours avec MM. Desèze et Tronchet.
(( Dès que j'eus la permission d'entrer dans la prison du roi, » dit Malesherbes dans un ouvrage posthume qu'on lui attri- » bue, j'y courus. A peine m'eùt-il aperçu, qu'il me serra dans ses )) bras; ses yeux devinrent humides, les miens se remplirent de » larmes, et il me dit : Votre sacrifke est d'autant plus généreux, » que vous avez exposé votre vie, et que vous ne sauverez pas la » mienne. Je lui représentai qu'il ne pouvait y avoir de danger » pour moi, et qu'il serait facile de le défendre victorieusement » lui-même. Non, non, reprit-il, ils me feront périr, j'en suis » sûr, etc., etc. »
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A plus lit* soixanU'-(li\ ;ms, làmcdc MalcsIuTlics ii avail rien pordii de son (Micrijjic : Ions les malins il allait à la prison du TtMnplc. y rt^slait une |)aiii(' d<' la journrc; il employait le reste à l'aire lui-même les commissions du roi, et revenait eucore le soi-r réji;ler sa défense. Il lui annonea le ])remier le décret de sa mort; Louis était dans lObscurité, le dos tourné à une lampe placée sur la cheminée, assis dans l'attitude de la méditation. .\u bruit <pu' lit le vénérable vieillard, le roi se leva, prolesta de nouveau qu'il avait constamment voulu le bonheur du peuj)le, et ne s'occupa que de consoler son ami.
Le lendemain, le vénérable défenseur revint à la barre de la (convention demander l'appel au peuple ; ses larmes et ses san- glots ne lui permirent pas d'achever son discours.
Après la mort de Louis XVI, Malesherbes, résistant aux prières de ses amis qui voulaient le retenir à Paris et l'y faire oublier, se crut mieux gardé dans sa terre par l'affection de ses voisins. Il y retrouvait sa fdle aînée, mariée au président de Rosambo ; son gendre, leurs trois filles, dont une venait d'épouser un frère de notre Chateaubriand. Il y passa dix mois, occupé d'agricul- ture et de bienfaisance. Le 27 décembre 1793, les agents d'un comité révolutionnaire étranger à son district viennent enlever M. et M™* de Rosambo. Le lendemain, de nouveaux sbires se présentent et l'emmènent avec le reste de sa famille, malgré les protestations énergiques des habitants du bourg, qui, par l'.or- ganede leurs quatre officiers municipaux, se portent garants de ses vertus civiques et de son innocence. Tout ce qu'il put obte- nir du comité de sûreté générale, c'est que son gendre, sa fille et ses petits-fils seraient dans la même prison que lui. Port- Royal fut la dernière demeure de tout ce qui restait de la mai- son de Malesherbes. Lorsqu'il y entra, tous les prisonniers se levèrent pour lui donner une place d'honneur. «Non, dit-il; •)) je vois un vieillard qui m'efface en âge ; c'est à lui que la » place appartient.» Rientôt M. de Rosambo, dont il avait ré- digé la défense, lui fut enlevé pour passer du tribunal révolu- fionnaire à l'échafaud.
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IV'U (i(3 jours aprrs, Muluslierhcs, sa lillc, Iccoiiih; cl la vom- tesse do Clialeaubriand ses pclils-lils, devaient subir le même sort. Au moment où l'on vint les conduire à la (ioncicr^cric, la présidente de Rosambo dit à mademoiselle de Sombreuil : (f Vous » avez eu la gloire de sauver votre père, j'ai du moins la eonso- ') lation de mourir avec le mien. » A la (lonciergerie, Males- lierbes retrouve un ami, et l'abordant avec la sérénité au front, le sourire sur les lèvres -. « Vous le voyez, dit-il, je me suis avisé n sur mes vieux jours d'être un mauvais sujet, et l'on m'a mis en >) prison. »
Amené devant le tribunal révolutionnaire, on lui demande s'il avait un défenseur; il répond par le sourire du mépris. On l'accuse d'être auteur ou complice des complots qui ont existé depuis 1789 contre la liberté et la souveraineté du peuple, et cela de concert avec trente personnes dont plusieurs ne s'étaient jamais vues : un chevalier du Saint-Empire, madame la du- chesse de Grammont, une princesse Lubormiska, âgée de vingt- trois ans, trois constituants d'opinions opposées. « Au moins, » si tout cela avait le sens commun ! » C'est le seul mot qui tra- hisse l'impatience du moderne Phocion.
Il marcha à la mort avec le calme d'un sage qui, au soir d'un beau jour, quitte ses amis pour les retrouver le lende- main. En sortant de la cour du Palais, les mains liées derrière le dos, son pied heurte une pierre : «Voilà, dit-d, qui est d'un » fâcheux augure; à ma place, un Romain serait rentré.» Sur la même charrette étaient sa fdle et ses petits-enfants, qui le pré- cédèrent sur l'échafaud. En restant le dernier, il couronnait par un dernier sacrifice une vie de dévouement et d'honneur.
P. M. Bkrton.
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IIIIIAIII! ELISABETH.
-5pO^ 'ïmii los beaux caraclè- ^^ ros dont le dix-lmitièmo ^ siècle peul se glorifier, les j^^'^jf^ beaux noms inscrits en ^^ lettres d'or dans l'bistoire ,^ d'une révolution qui a ) enfanté tant de vertus et de crimes, celui de ma- dame Elisabeth brille en- roj'e d'un éclat plus pur (jue tous les autres. Sa . mort si cruelle, si injuste, vient ajouter à la sym- pathie que cette jeune et intéressante princesse nous inspire. Il nous semble voir cet ange d'abnégation et de dévouement, une auréole au front, une palme à la main, montrer le ciel aux victimes qui l'accompa- gnaient dans son céleste martyre, le ciel ({u'elle va conquérir par sa foi et sa résignation!
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Lith Bero[aPL
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>,i (Icm.mdf. MiKiernoiselle <le Oiusau devint (<» le Rai-
^yc.our, cl rcsUi auprès de madame Elisabeth en () il dç dame d(; eompaj^Miie. Tous les ans, au T' janvier, o tiiundait la l»ririeess(' s'éerier au milieu des dames qui vant ^ni les riches préseMls qu'elles nvaienl reeus : « Moi. j'ai le lii> beau. des di.im.uils ((ue I on puisse trouver dans le monde l'ai une amie .luprès de moi. »
M;iis (•'('•l.iil surtout dans sa jolie maison de M ilieuil quelle pouvait (îxereer celte bieni'aisijnce (jui formait 1 «ence de son caractère. Là <'lle était la véritable mère des pai res. elle con- naiss.iit cl soula^'cail toutes les misères, telle lu rigoureux hiver de H<> lurent terribles, et la charité de ma une Elisabeth lui iri(''pnisid»le. Ou.iiid s.i hourse était vide, eb allait soigner les Mi;ilades el leur p(»i'lei'des consolations.
lin luarchand lui ayant oiïert un jour un or rnenl de che- minée d'un nouveau ^'oùl'cpii c()rit<iit quiitre ce ts francs, ma- d.ime IJisabelli le relus.! : « Avec «puilre cents nuis, dit-elle, je puis Miouler deux pelils ménages. »
Au milieu des lieureux dont elle <''laileulour< ^" trouvait un jeune Viicliri- (luClle iiviiil f.ul Nchirdi'l.i Suiss( it (jui. malgré tout le bien doni ellr liiv.ul comble, conservai me expression de mélancolie (pii rcNe^iiil une pc'ine secrète; ourl.uil il était plem de rccomiaissance pour sa protectrice, et r<>él.iit toujours : Vil' (piellr lionne princesse! Non, l.i Suissi 'iilière ne con- lieiil rien d aussi parfait. >'
Madame hilisabeth, frappée d<' l air de lnsl(>t île ce lidi-l»' scrvileur, s'informa de la cause de s(tn cliai:ri < l apprit bien- loi (pie .lacques avait laissé dans sa patrie une une lianc«'e ipn deurail son absence et craignait d être sépare «Ir lui pour ja- is I.lle accusail .lacques d inconslancf d ambition, vi
■ndani .l.icque> loin d'elle languissait et soilVail. A'pei '•elienl»' princesse ful-«'lle inslrile de »
*! tTi'' ipTelle depécba un courrier à EjMF* «'U
me Mlle. \\\\r I in\itait a \eu ,Miudr<' son ami d enfanii
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accourut bitn v . Devenue la femme de Jacques et laitière du chàteai 'ni chargée de distribuer le lait à tous les
pauvres piL,. . lelins dont madame Elisabeth était la mère.
C'est à cett' ( sion que madame de Travannel composa la chanson si if r[ si touchante de Pitun'c .litaincs, quiiml
[étais prh de t< >.
Jusqu'à! rtus de madame Elisabeth n avaient été que
des vertus [Hi • sa vie s'était écoulée dans la solitude. L'ai- mable srein- 1 ' lis \VI jouissait de cette douce ielicité que l'on éprouv w de l'amitié et de la nature. Mais ce l'ut à
l'heure de l'advei té, au milieu des terribles calamités (jui at- tligèrent sa fam 1 qu'elle se montra grande et forte, et (pu- son caractère s ••! a encore pcuir liillrr fourageusemeiil coulic la fatalité d istances.
Dt'jà l'oi lait sourdement. ICspi-il de revollf, la divi-
sion, les _ itrstincs régnaient dans ce beau pays de
Franr»'. <|ui*pr*n' ail un aspect si ri. ml |n'ii d années .tiq>ara- vanl.
Lr»r> di* ia iiftiS.nc<' dn premier danpinn, la \ille de Paris avait donné un l>a.)ù le idi cl la renie a^Mslalenl. l ne foule ilinond»rabIi I f urn^sc pressait autour de Louis \\l en rriant : \ w
" ^lai^ ^! \\i / (pi il \i\('. dil en iiaiil ce bon prince.
ne r«'louMe/ (i
Et «-elle .N.nl nii 21 ).ui\ie|- ' '
Mainlcn.iii' i i i !•• du umnarque csi inena(ce. lidnle est ilescendue de ^' ileslal. et cliaipie jour lui inle\e (jiielques-
unsdr sc»s pri\ < <• descoiidaFit de sainl bonis de\,iil passei-
succ«'ssivenu'ni ii niles les uuseres (le la deslinec iinniainc.
.Madame I i (|ui avait \ecu dans la iclraile, loin des
plaisirs de la ( nu; . in des fêles, ne quilla |»lus sa lamille des qu'rlle la mI ri' " 'iisc. Son In re la supplia en vain daban donner la I lai mlcr ses tantes et le conile d Vilois.
Il Ir 21 jjii
1 'illl> \\| lui (MlKlnll' .1 l.l Idli'lll illl |>i'll|ll<
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KlisaIx'lli-l'Ililippmc .Maric-llclciic (le l'i-iincc, iicc a \rrsailics le '.) mai 17(>V, ('lail pclilc-lilli! de Louis W . Sou pci'r, le jrraiid (lau|tliiii. cl sa iiicrc, M.aric-.losophc de Saxe, iiiounii-ciil jcuiics. Madame Ëlisabelli iiViil pas le l)oidieur de les eormaUre. elle (|ui élait si di^ne de les apprécier! Sou ('(Fucaliou lui coufiée à madame la comtesse de Marsau, j^ouvcruaule des eulauls de France. Celte dame, avantagée d'uiie haute raison, s'appliqua à développer les heureuses qualités de son élève et à combattre les défauts qu'elle pouvait avoir. Elisabeth, dou(''(^ d'une ame grande et généreuse, avait uue légère tendance à l'orgueil et à lirritabilité ; mais, grâce à la sagesse de son institutrice et à son heureux naturel, elle parvint à dominer ses inclinations, et de- vint nu modèle de douceur et d'amabilité.
Louis \VÏ donna un témoignage éclatant de la l)onne opi- nion qu'il avait de sa sœur en la laissaid, à quatorze ans, entiè- rement maitresse de ses actions, et en lui formant une maison qu'elle dirigea avec toute l'intelligence que l'expérience seule développe chez les autres femmes. Depuis cette époque, Elisa- beth s'entoura des personnes les plus recommandables par leurs mœurs, leur science et leur piété. Cherchant sans cesse une in- fortune à soulager, elle dotait de jeunes fdles pauvres et soute- nait de ses revenus les orphelines deSaint-Cyr.
Un matin elle entra chez la reine, et avec une physionomie plus gracieuse encore qu'à l'ordinaire elle lui dit :
■ « J'ai une grâce à demander au roi ; vous, qui êtes la bonté même, daignez m'appuyer auprès de lui. Oh! ne me refusez pas. »
Oue vient-elle solliciter avec tant d'instances? Est-ce une {la- rure? Sont-ce des diamants? Non, elle vient réclamer la permis- sion de s'en priver.
« J'ai promis, ajouta-t-elle, cent cinquante mille francs de dot. à mon amie madame de Causan ; le roi a la bonté de me donner trente mille francs de diamants par an ; obtenez de lui (pi'il m'avance cinq ans de mes étrennes. » Le roi, touché de la générosité de sa sœur, qu'il affectionnait beaucoup, lui accorda
— ISO — .
>.i (Iriiiaiulf. Madrinoiscllc de ('..msim dcMiil comlcssc de l^ai- iiccDiir, cl rt'sia au|»ii'> de inadainc Klisalicdi en tuialilc d»' dame de comna.miic. Tous 1rs ans. au 1" janvier, on cnlcndail la prinrcssr sV'( rirr an milieu des dames <|ui vanlaienl les riches prt'scnls (lu'ellcs avaicnl reçus : « Moi. j'ai le plus beau des diamants (juc Idn puisse Iroiixcr dans le monde, j'ai une amie auprès de moi. »
Maisc'ôtail snrloul tians sa jolie maison de Monlreuil (pi elle pouvait exercer celle bienlaisance ipii l'oi-inail l'essenco de son earaclùre. Là elle étail la verilal)le mère des pauvres, elle con- naissait el soulageait toutes les misères, (".elles du rigoureux hiver de 89 lurent terribles, et la charité de madame Elisabeth l'ut inépuisable. Ouand sa bourse était vide, elle allait soigner les malades et leur porter des consolations.
Un marchand lui ayant offert un jour un ornement de che- minée d'un nouveau goùfqui coûtait quatre cents francs, tna- dame Elisabeth le refusa : «Avec quatre cents francs, dit-elle, je puis monter deux petits ménages. »
Au milieu des heureux dont elle était entourée se trouvait un jeune vacher qu'elle avait fait venir de la Suisse, et qui, malgré tout le bien dont elle l'avait comblé, conservait une expression de mélancolie qui révérait une peine secrète; pourtant il était plein de reconnaissance pour sa protectrice, et répétait toujours : « Ah ! quelle bonne princesse ! Non, la Suisse entière ne con- tient rien d'aussi parfait. »
Madame Elisabeth, frappée de l'air de tristesse tle ce fidèle serviteur, s'informa de la cause de son chagrin, et apprit bien- tôt que .Tacques avait laissé dans sa patrie une jeune fiancée qui pleurait son absence et craignait d'être séparée de lui pour ja- mais Elle accusait Jacques d'inconstance et d'ambition, et
cependant Jacques loin d'elle languissait el souflrait.
A- peine l'excellente princesse fut-elle instruite de cette tou- chante idylle, qu'elle dépêcha un courrier à Fribourg, oii de- meurait la jeune fille. Elle l'invitait à venir au château de Monlreuil rejoindre son ami d'enfance; el la jeune Suissesse
_ ISI
,j,,o„nil bi.'M vitr. Dov.'iuu" 1.-. iruuur Ar .laciM.'S ri lailirrr (lu diàlraii, cil.' n.l clHir^.V <lc dislril....-.- 1." l.nl a lu..s l.'s pauvres petits orphelins dont ina.laïu.' I':iisal.."ll. rlail la n.r.v. T'est à celte oceasion (pie madame (1(> Travamicl c.mposa la chanson si populaire et s. louchante de Pmuix Jarques, quand
fétim prh de toi. \ , .
Jusqu'alors les vertus de madame Elisahelh n avaient ete que des vertus privées; sa vie s'était é(H)ulée dans la solitude, i/ai- mables(pur de Louis \Vl jouissait de cette douce ielicite que l'on éprouve au sein de l'amitié et de la nature. Mais ce fut à l'heure de l'adversité, au milieu des terribles calamités qui al- tligèrent sa famille, qu'elle se montra grande et forte, et que- son caractère s'éleva encore pour lutter courageusement contre la fatalité des circonstances.
Déjà l'orage grondait sourdement, l'esprit de révolte, la divi- sion, les guerres intestines régnaient dans ce beau pays de France, qui présentait un aspect si riant peu d'aïuiées aupara- vant. " . Lors de la naissance du premier dauphin, la ville de Pans avait donné un bal où le roi et la reine assistaient. Une Ibule innombrable de Français se pressait autour de Louis \VI en criant : Vive le roi !
(( Mais si vous voulez qu'il vive, dit en riant ce l)on prince, ne l'étouftez donc pas ! ... »
Et cette scène se passait un 21 janvier ' ! Maintenant la liberté du monarque est menacée, l'idole esl descendue de son piédestal, et chaque jour lui enlève quelques- uns de ses privilèges. Ce descendant de saint Louis devait passer successivement par toutes les misères delà destinée humaine.
Madame Elisabeth, qui avait vécu dans la retraite, loin des plaisirs delà cour, loin des fêtes, ne quitta plus sa ftunille dès (qu'elle la vit malheureuse. Son frère la supplia en vain d'aban- donner la France, d'imiter ses tantes et le comte d'Artois.
• (> tnl le 21 janvier I7'.»3 (pie Louis XVl lui iMiinoi»' ;i la fureur du [U'upli--
\H1
•
«}\i\ \)\;u{' rsl ici, dil-cllr .incc ciirriiir; l<i iiioil sriilc me s(''- parera de vous. »
l,(' lOaoùl \l\)'l, iiiir |Hi|>iila(r m délire a\ail, ('ii\alii le clià- leaii des Tuileries el demandai! la reine à i^'raiids cris; une leninie lii illanle de iiiàce el de niajesle s'avance au dcNiiid des l'urieuv... c Ce n'esl |)as la reine, mais madame IJisahedi, sV'- i-ria M. de Sainl-Pardoux. ('cuycr de celle princesse.
— Taisez-vous, monsieur; (pie diles-vous là? répojid avec calme riiéroicpie sœur du roi; laissez-les dans Terreur, je vcnis en supplie, sauvez la reine! I:lpargnez-letn- un crime. Ali! plùl au ciel qu'ils se» l'ussenl liompés! »
Madame Klisahelh suivil au Temple i>ouis\\Iet Marie-An- toinelle ; "elle adoucit leur caplivilé par son dévouement el sa résignation. Les nobles captifs avaient (l(>scendu les marches du trône pour languir dans une prison, mais ils pouvaieid encore supporter leurs malheurs, ils étaient ensemble!... Souvent les prisonnières se réunissaient dans la chambre du roi, (pii conti- nuait l'éducation de ses enfants. Tandis qu'il leur donnait des leçons de morale et de philosophie, les princesses s'occupaient de travaux à l'aiguille.
Un jour que madame Ehsabeth cassait son fil avec ses dents parce qu'on lui avait ôté ses ciseaux, le roi s'en aperçut et lui dit : « Que n'étes-vous encore dans votre maison de 3[ontreuil ! il ne vous manquait rien alors.
— Mon frère, répondit la bonne Elisabeth avec sa voix douce et persuasive, il ne me manque rien quand je suis auprès de vous, mais votre bonheur nous mancjue. »
Quelquefois le roi s'endormait après diner; sa famille, le contemplant avec vénération, s'agenouillait alors et priait Dieu
de protéger une. tête si chère Mais ces prières ne furent pas
exaucées. Bientôt le roi fut arraché des bras de sa femme et de
ses enfants. Longtemps ils ignorèrent son sort On relégua
le petit dauphin dans une autre partie du bâtiment. Puis Alarie- Antoinelle fut conduite aussi à la Conciergerie. Madame Klisa- beth et Madame Kovale demandèrent inutilement à la suivre.
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('.('Ile s('|tiiriili(»ti lui ('Icnirllr. l'Jlcs ne dcviiiciil plus la revoir ! . . .
Kcsh'c seule Jivee sa nièce après la iiiori de la l'eiiie, iiiadatiie Klisabetli ii'eiil plus |)()iir chambre (juiiiie cuisine d ('lai )!•('(' au troisième étage de la piison. Tii vieux lit de saiiiile à moitié rompu el (piehpies mauvaises chaises dépaillées en compo- saient tout rameubleinenl. Mais son courage ne l'abandonna pas dans ce misérable asile, parce cpi'elle le puisa dans la reli- ii;ion. Klle devint une seconde inere jiour sa nièce lors((ne h; tribunal révolutioiniaire lui eut enlev('' ses parents. Nous la voyons, oul)liant la moii (pi'on lui prépare, veiller sur une tête si chère, el. confianh' en Dieu, lui laisser le soin de sa destinée.
Le malin, appuyée sur sa misérable couche, et levant les veux vers le ciel, elle s'écriait avec résignation : «Qno m'arrivera-t-il aujourd'hui, o mon Dieu? je n'en sais rien ; tout ce que je sais, c'est qu'il ne m'arrivera rien que vous n'ayez prévu, réglé, voulu et ordonné de toute éternité. Cela me suffit. J'adore vos desseins éternels et impénétrables ; je m'y soumets de tout mon cœur pour l'amour de vous ; je veux tout, j'accepte tout, je vous fais un sacrifice de tout, et j'unis ce sacrifice à celui de mon divin Sauveur. Je vous demande en son nom, et par ses mérites infinis, la patience dans mes peines, et la parfaite soumission qui vous est due pour tout ce que vous voulez ou permettez.»
Madame Élisabetb supportait toutes les bumiliations, disant comme Jésus-Christ sur la croix . « Pardonnez-leur , ô mon Dieu, car ils ne savent ce qu'ils font.» Sa patience et sa dou- ceur ne désarmèrent pas ses juges : les méchants ne compren- nent pas la grandeur d'âme.
Le 9 mai 1794. madame Elisabeth venait de se coucher, quand elle entendit Duvrir les verroux. Elle se hâte de passer su robe. L'air sinistre et le ton brusqiu^ de ceux qu'elle voit entrer lui annoncent quelque nouvel acte de tyrannie :
Citoyenne, descends tout de suite, on a besoin de toi.
— Ma nièce reste-t-elle ici ?
C'est la première pensée qui la frap[)e, et non le sort (pii l'at- tend.
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— (rhi nr te rciiiinlc ims : lui s'rii (uoipvvtt.
Madame Klisaltclli |>rrsst' sa iiialluMircwsc iiircc ('(nilrc son nrur, (*t pour calmer sou cllVoi, clic dil : .S'oz/rr IraïKiiiillr : je rais reniuiitcr
— Non, In ni' rcnumlti-ds jxis, r(''|»oii(i avec un rire cruel uu des assislaiils ; |u-(M1(1s lou hounel de nuit, l'.llc ohcil, relevé la jeune prinoossc, (|ui tombe dans sosl)ras, lui dil d'espérer lou- jours en Dieu, d èlre soumise à sa volonté, el la quille pour ne plus la revoir.
PendanI (ju'on rédiije le procès-verbal de décharge du geô- lier, on l'accable d'injures, d'insultantes ironies. Klle monte en liacre avec l'huissier du tribunal révolutionnaire, el, conduite à la Conciergerie, elle est le lendemain jugée et condamnée '.
Ouelques heures après, et au milieu d'une foule égoïste et cruelle, avide de spectacles et d'émotions, madame Elisabeth paraît, assise dans une ignoble charreUe et entourée de vingt- quatre victimes , parmi lesquelles on compte Léoménie de Brienne, ex-ministre de la guerre; la veuve de M. de Montmorin, Mégrel de Sérilly et son épouse. Sa marche funéraire ressemble à une marche Uiomphale; jamais elle n'avait été plus belle ; sa figure est empreinte d'une légère pâleur qui n'accuse ni fai- blesse ni désespoir ; quelques boucles de cheveux d'un noir de jais s'échappent de son bonnet, et rehaussent l'éclat de son beau front; ses grands yeux à demi voilés par de longs cils s'é- lèvent quelquefois au ciel, où elle semble chercher sa place. Auprès d'elle, une dame âgée écoute en silence les douces et éloquentes paroles qui s'échappent de la bouche de cette vierge sainte. Dans cet instant solennel elle trouve des mots qui con- solent et persuadent. L'espérance d'une vie future la soutient,
car elle croit à limmortalité de Tàme Madame Elisabeth
contemple avec calme cette raasse compacte qui l'environne ; et son regard s'arrête sur des bouquets de fleurs que beaucoup de personnes portent à la main. In parfum de roses embaume
' Éloge liistorique. par M. Antoine Ferrand.
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r.iir iuilour d'elle, un piH'Inm de jnireh' seiidde éiiinner de ses lèvres... Des roses au milieu de ce lugubre drame, h colé de la morl ! étrange contraste, amère dérision! I.à voiture est arri- vée l'instrument est prêt Tous ces martyrs demandent
à l'auguste princesse la permission de l'embrasser avant de mourir. File voit rouler vingt-qualre tètes à ses pieds, le sang jaillit jusque sur elle... puis rexéculeur des hautes œuvres la saisit, il écarte son fichu par un mouvement brusque.
« Monsieur , s'écrie-t-elle avec une expression d'indicible pudeur, au nom de votre mère, couvrez-moi. » T/exécuteur éprouve un sentiment de respect involontaire : tant est fort l'ascendant de la vertu. Une minute après, le monde comptait une victime de moins et une sainte de plus. Elle n'avait que tr€nte ans.
M" Émilik Marckl.
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LE DUC l)K LA ROCIIEFOI'MyLT-LUNfiOllRT.
A
Sur la lin (l'une ma- gnifique soirée du mois d'août 1821, deux hom- mes parcouraient lente- ment les allées sinueuses ^^ d'un vaste et riant parc, dessiné dans quelques- unes de ses parties d'après .1 l'ancienne méthode fran- çaise , et embelli dans quelques autres par des créations plus récentes dans le genre anglais. Ces deux hommes étaient évi- demment de conditions fe= bien différentes, et cepen- ^^ (tant une douce intimité semblait les avoir rapprochés et les montrait unis. Celui des deux qui attirait d'abord les regards était un vieillard de haute taille, à la figure douce et bienveillante, à l'attitude pleine à la fois de
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ÎIÎCON&IAIÎSAN.^-
DELA ROCHF.FOUCAUI.D LIANCOURT .
Litîi.Becquet .
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noblesse et de huiihomie. Sans son grand air d cùl rappelé Franklin, dont la Franee gardait encore le souvenir; sans son expression de bonté, il eût donné l'idée du vertueux mais au- stère Montausier. Son costume était modeste; aucune marque distinctive ne parait sa boutonnière ; rien sur lui n'indicpjait un rang élevé, et cependant il suffisait de le voir pour deviner, dans sa simplicité même, la double illustration de la naissance et de la vertu. Son compagnon, plus jeune que lui de quelques années, avait une de ces physionomies rudes et franches qui peignent la probité et laissent entrevoir le besoin du dévoue- ment. Ses vêtements, qui étaient ceux des artisans les jours de repos, annonçaient un homme du peuple momentanément en- levé à ses habitudes quotidiennes. Tous deux causaient en mar- chant, avec une familiarité qui d'un côté était digne, et qui de l'autre paraissait respectueuse. On* découvrait donc qu'url lien quelconque les unissait, et en appréciant l'inégalité de leurs conditions, on devinaitque celien devait être la reconnaissance.
Le site qui les entourait était ravissant ! Une -végétation admi- rable, des eaux limpides, des bois remplis de silence, des fa- briques bruyantes d'activité, des prairies animées par des trou- peaux de génisses des plus belles espèces, des ouvriers labo- rieux ou des passants affairés, du calme et du mouvement ; pour luxe de mystérieux ombrages, pour utilité des champs fertiles, tout était réuni pour attirer les regards et remuer pro- fondément les cœurs. Le noble vieillard semblait faire les hon- neurs de ce beau séjour à. son rustique compagnon, et tous les deux, toujours marchant et causant, arrivèrent bientôt au pied du perron d'un château, et se placèrent devant une table sur laquelle un domestique en riche livrée venait de mettre deux couverts.
Ce parc, ce château, c'est Liancourt; ce noble et simple vieil- lard, c'est François-Frédéric-Alexandre duc de la Rochefou- cault; ce bon artisan, c'est le pêcheur Vadentun.
Il n'entre pas plus dans nos idées personnelles que dans le plan de cet ouvrage de faire l'histoire de la vie politique du duc
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(le la Uochcroiicaiill ; loiilrlois, |i()iir ('\|ili(iii<'r rc (|ui itrrrcdc, iKuis soniiiics ohliiiis (l'ciili'cr dans (|ii('l(Hi('S (Idails ctraiii^crs à noire siijcl; mais nous le Icroiis aussi hrièveiiuMil (|U(' possihlr, cl nous nous liAlcrons d'arrivor au récit dcMM'Ilc; cxisIcTU'c loulr consacrée à I iunelioialion morale et au l)i(Mi-èlre matériel de riiunianilc.
Iji 1792, lors lie la lerrihle cl lunesle journée du Hhioùt, le duc de. la Rochcl'oucault connuandail, pour le roi Louis XVI, la provinee de Normandie. A|)rès avoir longtemps maintenu la lidélilé douteuse des lrou[>es de ligne, et paralysé les mauvaises dispositions de la garde nationale de Kouen, il dut céder à l'em- pire des circonstances eu abandonnant un poste qui n'était plus tenable, et qui avait d'ailleurs cessé d'être utile par suite de l'emprisoimement du roi. La conduite du duc de la Rochefou- cault avait été si ferme , son autorité s'était si bien lait sentir tant qu'il lui était resté une ombre de possibilité delà faire res- pecter, que lorsqu'il fut forcé de l'abdiquer, il passa presque sans transition de la position élevée de gouverneur de province et de général d'armée, à l'humble et périlleuse condition de proscrit. Il dut dès lors chercher à sauver sa vie, et comme ses adversaires n'étaient plus que des bourreaux, il ne crut pas qu'il y eût du déshonneur à lui à chercher son salut dans la fuite.
Il gagna à travers mille périls les bords de l'Océan, dans l'es- pérance de pouvoir passer en Angleterre. Errant, poursuivi, obligé de changer chaque jour de gite et de déguisement, il allait tomber entre les mains des assassins qui avaient découvert ses traces, lorsque le zèle d'un ami lui fil trouver une barque sur laquelle il put quitter le rivage inhospitalier de cette France qu'il aimait toujours et qui proscrivait l'homme qui devait lui être si utile plus tard. Cette barque appartenait à un brave pê- cheur nommé Vadentun, et à cette époque où tous les rangs de la société comptaient des traîtres, Vadentun sachant qu'il sau- vait un proscrit, et qu'ainsi il se dévouait lui-même à la mort, accomplit sa noble tâche avec un zèle dont l'heureux résultat fut sa première et sa plus douce récompense.
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■ Nous ne suivrons pas 1(3 duc de lu Uoclicloucaull dans son oxil, dont le tenipss'écoula en Angleterre! d'aljord, et ensuite aux l'jats-Unis; mais nous le retrouverons en France, où le premier besoin de son cœur fut de rechercher l'homme qui l'avait sous- trait au glaive inexorable des lois révolutionnaires. 11 découvrit Vadentun, lui donna des marques de sa munificence, et. avec cette délicatesse des âmes élevées, il comprit qu'il resterait en- core ingrat erivers son sauveur s'il n'ajoutait pas le don de son amitié à l'offre de ses bienfaits.
Voilà donc Vadentun, le pauvre pécheur, devenu l'ami du noble exilé rentré dans sa patrie. Chaque année, à l'anniver- saire du jour où il avait sauvé le duc, il venait à Liancourl, et M. de la Rochefoucault lui faisait, comme à un hôte aimé, les honneurs de cette élégante demeure. Un monument élevé dans le parc était destiné à perpétuer le souvenir du dévouement de l'un et de la reconnaissance de l'autre, lorsque tous deux au- raient cessé d'exister; et voilà comment nous avons été amenés à montrer à nos lecteurs, pour première page de cette utile et noble vie, une circonstance qui suffirait à elle seule pour, faire chérir cette mémoire si féconde en généreux exemples.
■ Pendant son séjour en Angleterre M. de la Rochefoucault s'établit à Bury Saint-Edmonds? dans le comté de Suffolk, et i\ y retrouva Arthur Young, qu'il avait autrefois connu et accueilli en France. Ce fut une bonne fortune pour lui, qui voulait mettre à profit les jours de son exil, que de pouvoir puiser dans les entretiens du célèbre agriculteur des connaissances dont il pourrait plus tard enrichir sa patrie. Tandis qu'il vivait à Bury dans une situation plus que médiocre, une vieille demoiselle du pays qui l'avait pris en amitié lui laissa sa fortune par tes- tament. M. de la Rochefoucault n'avait rien emporté de France, il ne savait pas s'il y rentrerait jamais ; cette vieille demoiselle n'avait que des parents éloignés et dans l'aisance ; néanmoins l'exilé rechercha les héritiers auxquels on l'avait préféré, et il leur restitua tout ce qu'on lui avait légué, à l'exception d'un seul schelling qu'il conserva en souvenir de la testatrice.
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Puis il parlil pour 1 VMitMi(|U(', oii il tlcnicura jusqu iiu uu»- Miciil où les lois conlir les i m ni^ri's cessèrent d'ùlrc appliiiuées avec aulaiil de sévérité. La. connue en Angleterre, il étudia avec soin les mœurs du pays, les divers systèmes d'adtniinslralion, les découvertes et les perieclionnenients de l'industrie, et sur- tout les améliorations dans le régime des prisons. Ces diiVé- rentes observations lurent consignées dans des écrits (pi il pu- blia en 170i), aussitôt son retour en France.
Ce fut d'abord à Paris (pi'il s'établit et qu'il lut encore obligé de se caclier pendant quekiue temps. Mais il n'attendit pas son entière liberté pour répandre sut sa patrie les lumières qu'il avail recueillies dans ses voyages. Du fond de sa retraite, sous le coup d'une condanniation (|ui pouvait toujours le frapper, il révéla les mystérieux bienfaits de la vaccine, cette grande dé- couverte du dix-builième siècle que le philosophisme attribuait au hasard pour se dispenser d'en remercier la Providence. M. de la Rocliefoucault, dont les biens étaient vendus ou encore con- fisqués, contracta un emprunt dont il consacra le produit aux expériences qui devaient convaincre le peuple de la possibilité de se préserver désormais d'un fléau qui faisait tant de victimes. On sait combien de préjugés furent vaincus et quels résultats immenses sont dus à cette première tentative ; mais se souvient- on encore de l'homme de bien auquel on la doit? Voilà ce que nous cherchons à croire, sans y parvenir assez pour nous dis- penser de le rappeler.
Avant son départ pour l'émigration et pendant qu'il remplis- sait à la cour sa charge de grand maître de la garde-robe, le duc de laRochefoucault avait employé ses heures de loisirs à des études , à des recherches qui révélaient la direction future de sa vie. Les hôpitaux, les prisons, les dépôts de mendicité, l'avaient vu tour à tour s'occuper de leurs intérêts avec une-sollicitude et une intelligence qui devaient plus tard produire d'immenses ré- sultats. A ces trésors des méditations de sa jeunesse étaient venus se joindre les fruits de l'expérience de ses voyages , et libre enlin de l'emploi de son temps, il pul commencer cette longue
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sci'ir (l';i('li()iis ii<»l)l('s cl iililcs (jui lui Viiliircnl rcltc iniiiôrissablc popularité qui environne la mémoire des hommes de bien. U(;mis en possession de sa terre daLiancourt, qui n'avait pas été vendue, il y fit l'essai d'une foule d'établissements qui furent ensuite imités dans tout le royaume. L'agriculture, l'industrie, l'administration, recueillirentle bienfait des liimièresde cette intellii!;enee toujr)nrs inspirée par l'amour de l'humanité. De 1799 jusfiu en 1S27, il ne se fit pas en France une seule fondation utile que le duc de la Rochefoucault n'en fut l'auteur, le protecteur et quelquefois le soutien. Nous avons parlé de la vaccine, qui arracha des mil- lions d'individus à la mort; parlons maintenant des caisses d'é- pargne, qui sauvent les trois quarts de la France de la misère et qui moralisent le peuple en lui enseignant l'économie : c'est en- core au duc de la Rochefoucault qu'on en doit l'établissement, et c'est à Liancourt que l'épreuve en fut faite. Avant lui, les prisons renfermaient pêle-mêle les détenus de tous les âges; le duc de la Rochefoucault fit un mémoire pour démontrer la nécessité de séparer les jeunes criminels des autres, afin de les ramener plus façdement à la vertu, et son projet fut exécuté. On lui doit aussi la création des dispensaires où les malades indigents reçoivent gratuitement tous les secours qu'exige leur état, et l'adoption de la méthode de Lancastre, qui met l'instruction élémentaire à la portée de toutes les fortunes, et de toutes les intelligences. Ce fut aussi à Liancourt qu'on fit l'essai de l'enseignement musical d'a- près le système de Choron, sous la direction de Choron lui-même, et partout et toujours le noble fondateur vivifiait par sa présence et soutenait par ses conseils ce que son esprit avait conçu et ce quesa.charité avait exécuté. Il ne se bornait pas à jeter la semence d'une institution, mais il voulait encore en suivre le développe- ment et en apprécier les résultats. Aussi infatigable dans son acti- vité qu'ingénieux dans ses inspirations pour le bien, il avait l'in- stinct de l'utilité et la patience de l'exécution. Il faudrait écrire des volumes pour faire connaître toutes les infortunes privées qu'il a secourues, toutes les larmes qu'il a essuyées, toutes les en- treprises qu'il a encouragées. Descendant quelquefois des hautes
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splièn's (le riiiimiinitf, il ;ill.-iil MUilciiir le jt.iiiMC arlislc décou- ragé, ou (loimail au lillcralcui' uuiuuui cucorc les moyens dv sortir de l'obscurile. Kl toujours siuiplc, aiiuanl le l)ien pour l'unique plaisir de le l'aire, il arriva plus d'une l'ois (pu* ceux (pu recurcnl srshienl'ails ne virent pas la main (jui les avait répandus sur eux.
A tant de vertus publiques, le duc de la Rochefoucault joignait toutes les qualités privées (jui font l'agrément de la société et \o bonheur d('la lamille. Un esprit eliarmant, une gnice parfaite, une politesse naturelle, une douceur inaltérable, le faisaient ado- rer et respecter de tous ceux qui l'approchaient. Jamais chef de maison ne comprit mieux tous ses devoirs et ne les remplit avec plus d'exactitude. Toutes les vertus lui étaient faciles, parce ([u'i1 en avait la longue habitude; tous les dévouements lui semblaient des obligations, parce ([ue la charité n'avait pas laissé dans son cœur de place à l'égoïsme. Quand il était généreux il croyait n'être que juste, et quand il rendait un service il se regardait comme obligea la reconnaissance ; enfin il avait, comme dit .Mon- taigne, une de ces âmes (jui se collent à tous les malheurs pour en prendre leur part, et ime de ces vertus singulières qui n'ont pas de côté infirme.
C'est en 1827 que le duc de la Rochefoucault termina la longue et honorable carrière dont nous venons de donner une si imparfaite analyse. Sa fm fut douce, calme et honnête comme sa vie, et ceux qui assistèrent à ses derniers moments durent puiser beaucoup de consolation et d'espérance dans le souvenir de toutes les belles actions qui lui avaient frayé les voies du ciel.
Maroi'is dk Poudras. .
~f- ■• .i>N L/ A\;yt^^:. i
Litji-Lecquet.,
LA TOm D'AllVEIl(ii\E.
La Tour d'Auvergne (Théo- phile Malo Corret de}, né à Carhaix, en basse Bretagne, le 23 octobre 1743, descendait d'une branche non légitimée de la maison de Bouillon.
Jl porta le même nom que Turenne, et lui ressemblait à beaucoup d'égards ; même physionomie , même pru- dence, même bravoure; mais Turenne fut battu, changea de parti, la Tour d'Auvergne,
toujours vainqueur, demeura fidèle à la patrie, vécut et mourut
sous les banières nationales.
Voué, dès sa jeunesse, à IV-tal militaire, il était sous-lieute-
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— \\)ï —
imul (liiMs les inousquclaircs, lorscju'il jKissii ;m service (l'I'spa- liiie. Devenu iiide de nxmy du duc de (Tillon, qui ((tniiuaiidiiil l'nrniée Ci»llioli(iue, il se trouva au sié^^c de .Malion, oii il lit des prodiges de valeur.
hejà il moiilrail ce counige, ce sanj^'-IVoid doiil il donna de- puis lanl de preuves éclatantes. On le reinanjuail toujours au- premier ranp; dans les assauts, <'t le dernier dans les retraites.
On le vil, un jour, dans une etlroyable mêlée, relever un blessé, le charger sur ses épaules, le porter loin du champ de hataille, le panser, le placer hors de ralteinle du feu eiuiemi. revenir prendre son poste, combattre et décider la victoire.
Pour récompenser ses services, une somme assez considérable lui fut envoyée [)ar le roi d'Espagne, avec la décoration del'un de ses ordres. 11 refusa l'argent, en observant qu'un soldat qui fait son devoir doit se contenter de sa paye. Quant à la décoration, il la garda, en témoignage de son respect pour celui qui l'en honorait.
il était, comme Bayard, modeste et vaillant; et il avait, de plus que le héros qui arma François V chevalier, le savoir et la science.
Fait capitaine en 1779, au régiment d'Angoumois, il alla en 1782 servir en Amérique, en qualité de volontaire, à côté des la Fayette, Ségur, Alexandre de Lamette, et autres Français.
A l'âge d'environ cinquante ans, il s'était retiré en Bretagne, avec une modique pension qui suffisait à ses besoins. Méditateur. penseur profond, sans ambition, garçon, et vivant seul, il faisait ses délices de l'étude, lorsque la première révolution française éclata. 11 en adopta les principes et en détesta les horreurs.
En 1793, il était employé à l'armée des Pyrénées Occiden- tales, lorsque l'auteur de cet article, qui l'a connu, y servait lui-même '. La Tour d'Auvergne, placé à l'avant-garde, en deçà
' Dans les chasseurs cantabres, compagnie Moncey. L'illustre Moncey est mort de- puis maréchal de France et gouverneur des Invalides. l/autei:r a quitté le service à la lin de nui. avec le grade de capitaine quartier-maître au 12'' de hussards.
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(VAnihiilt', vers la Uidnssoa, ('(tminiuidail un corits dr liuil cents i;n'ria(liers ' (|ii()n a|tp('lail à jusl(! lilrc la colonne infernale.
Il l'allail le voir, dès le grand malin, visilanl seul les poslos cl ses grenadiers, dans les caixines (ju'ils s'élaieut coiislruiles avec de la terre, d/3 la paille et quelque peu de bois; une clièvre au poil fauve l'accompagnait. Elle était devenue sa favorite, et en quelque sorte sa nourrice. Hardie, intrépide comme son maître, elle le suivait souvent au milieu du feu, à travers les balh^s et les obus. L'intérieur de la tente du capitaine la Tour d'Auvergne offrait un mélange à la fois singulier et curieux. Là se voyait Brimelle ', broutant l'herbe, attachée à un piquet. Ici une grande jV/f/e, un pain de munition ; car son ordinaire se com- posait de l'ordinaire du soldat; puis, sur une petite table basse, quelques livres, une carte géographique déployée, du papier, des plumes et une écritoire de bois avec une grosse pipe d'écume de mer; une couverture de laine étendue sur quelques bottes de paihe, qui formaient son lit ; à côté, un bidon de fer-blanc plein d'eau, son unique boisson. Au pilier de la tente, un manteau bleu suspendu, deux pistolets, deux- sabres, une lunette d'approche ; et dans un angle, inaperçu par les profanes et couvert d'un morceau de serge verte, un crucifix fixé aux parois du logement nomade, attestait sa piété. Voilà le ménage, le palais de celui qui avait refusé les faveurs du pou- voir et les jouissances du luxe.
La Tour d'Auvergne était chargé de faire toutes les reconnais- sances militaires. Sentinelle avancée, il semblait être l'œil de l'armée, en même temps qu'il en était l'exemple et la gloire. Quand il partait pour une de ses promenades, il prenait avec lui cent à cent cinquante de ses intrépides grenadiers. On le voyait marcher avec ardeur en disant à sa troupe d'une voix mâle et inspirée : c Camarades t il fera chaud aujourd'hui ; mais aussi, à nous la victoire ! «
Souvent, dans ses excursions matinales, il approchait de très-
' Et non do huit mille, commo l'on! ('frit qnelciucs biographes. - C Via il sa rlièvro.
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pW'S les poslos ospap^nols, (i Iciirculcv.i île l.i sorte le cunp qu'iln avaionl (U^ VawU'v colc dr la rivière.
Dans toutes ses atlaipies, il se mollirait eiief prudent el avare (lu sang dos sions. Il ne Méfj;]i gelait au( im des uioyons qui assu- rent le succès sans coinproinellre le soldat.
Après avoir établi une halle derrière un rocher, près d'une grotte ou d'un niassild'arbres, el disposé ses senlinelles perdues, il se postait de manière à veiller ï^ur tous; alors posant son épée près de lui, il appelait linmeltc, (pii a<courail; puis, il promenait une main caressante sur le dos de la bonne béte, il lirait de sa poche une lasse de cuir bouilli et se mettait en devoir di^ traire le ])aisible animal, el buvait ([uelques gorgées de son lait.
C'est de la Tour d'Auvergne (lue notre infanterie apprit à se servir avec succès de la baïonnette. A tout instant il exposait sa vie, que la mitraille et le plomb meurtrier respectaient tou- jours. Son chapeau, son manteau, ses habits, furent souvent criblés de balles, ce qui faisait dire à ses soldats qu il axait le (Ion (le les charmer.
(Commandé avec sa colonne pour le passage de la Bidassoa, dans une affaire générale, il fit preuve d'un courage, d'un calme extraordinaire, surtout à la prise des batteries dites de Louis XIV, el à l'assaut donné à la ville de Saint-Sébastien, où il monta le premier, en s'écriant : « A moi ! grenadiers ! baïon- nettes en avant ! ... «
Un délégué de la Convention près l'armée, ayant tous les pouvoirs de l'autorité suprême, lui offrit un jour sa protection (f.le l'accepte, répondit la Tour d'Auvergne. — Voulez-vous être général? — Non. — Prenez au moins le commandement d'une demi-brigade ; je vais vous le faire donner. — Merci ; je désire rester avec mes grenadiers ; mais puisque vous voulez bien prendre quelque intérêt à ce qui me concerne, veuillez leur faire donner des soi^liers, dont ils manquent absolument; j'en prendrai volontiers aussi une paire pour moi, j'en ai be- soin ; mais si vous aviez des bottes, cela serait encore mieux.»
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Le représenlanl du |H'L.pl.' '. (Honno, prrsqucMonliis d'avoir à n'accorder qu'une demande aussi nnninu>, se k\la d'y sous-
crire
Il serait Iroo long de rappeh^r tous les traits de courage, d'héroïsme, de désintéressement qui ont signalé ce guerrier sans |)eur et sans reproches.
\ latlViire à'Andaye, il s'avança seul vers une église isolée, dans la campagne, depuis longtemps abandonnée des fidèles, et où un grand nombre d'ennemis s'étaient réfugiés. Tl .les somma de se rendre; sur leur refus, lui-même brisa les portes - à coups de hache. Épouvantés, en le reconnaissant, les ennemis
mirent bas les armes.
Quoiqu'il ne fût que simple capitaine, l'esUme qu on lui por- tait, le cas que l'on faisait de ses talents militaires et de son ex- périence, le faisaient appeler à tous les conseils. Les généraux Léonard Muller, Moncey, FrégeviUe, Castelvert, Alex. Dumas?. del'Espinasse, Jumel, tous les autres chefs, officiers et soldats de l'armée, avaient pour lui fe plus haute estime et la plus tendre affection.
Après la paix, ayant voulu se retirer dans ses foyers, il s'embarqua pour la Bretagne; mais les Anglais, qui couvraient l'Océan de leurs corsaires et allaient souvent s'emparer de nos bâtiments marchands jusque dans nos ports, prirent le vais- seau qu'il montait, et le conduisirent en Angleterre, oii il souf- frit beaucoup dans sa captivité et ne fut échangé que quinze
mois après.
La Tour d'Auvergne, à sa sortie des pontons delà Grande-Kre- tagne, vintà Paris, dans l'espoir d'y jouir d'un repos acquis par tant de fatigues, en cultivant les lettres, qu'il aimait autant que la gloire. Il alla se fixer à Passy, dans un très-petit logement. Religieux et savant, il avait déjà publié ses Origines gmhnse^, lorsqu'il entreprit un glossaire en quarante-sept langues, et un (1 ictionnaire francrm-ceUigue .
I C'était (iaicau, de Sainic-Foy. •^ Père (le notre litK'raleur aclucl.
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Il liMv.iilliiil a\('c ij;(>nl cl coiisliiiicc im milieu de ses livres, supporliuil l.i |);iiivrele ;ivec conra^r,'. Dans les eamits. il avail élô S()l)re comme un Sparliale; à Passy, il vivail de privalioiis; car il parlaiitviil ce (lu'il appelait son superflu avec d'anciens camarades moins heureux (|ue lui.
Il avail refuse'' les dons du prince de Houilion, comme il avait rerusé ceux du roi d'Kspa^nc. A son rclour d'Afiglclerre. d'où il arriva dénué de (oui, il alla voir le ministre, qui voulait lui (aire compter 1,200 francs. Il prit seulement 120 francs en disant que s'il avait de nouveaux bemins, il reviendrail.
La paix avait été de courte durée; la guerre écla(a de nou- veau, et vint dans la retraite de la Tour d'Auvergne lui ap- jirendre qu(> l'uniciue (Mifant de son ami le Brigand, vieillard octogénaire, venait de lui être enlevé par la conscription, quoi- que ce jeune homme fût sa seule consohdion, et par son tra- vail son unique ressource.
La Tour d'Auvergne, le cœur palpitant d'émotion et de sou- venirs glorieux, court au Direet'oire ' pour demander la faveur de remplacer, sous les drapeaux, le fils de son ami, qu'il sup- plie de rendre à son père. L'âge et les fatigues avaient hlancbi la tète du héros; mais le voyant plein du feu de sa première jeunesse, il fut accepté et dirigé sur le quartier général de l'armée d'Helvétie (1799), que commandait alors Masséna. Il s'v rendit par journées d'étapes, avec une feuille de route, le sac au dos, un bâton blanc à la main. Dans cet équipage, il était impossible de contempler ce noble vieillard, armé et vêtu comme le dernier* des fantassins, cheminant pédestrement vers un poste d'honneur, animé par le seul héroïsme de la vertu. Sans éprouver un profond attendrissement.
Pendant son séjour à l'armée, il fut nommé, après le 18 bru- maire, membre du Corps Législatif; il en reçut la nouvelle offi- cielle en même temps que l'invitation d'aller giéger avec nos
' Alors le pouvoir exécutif se composait de cinq membres nomtrtés par la C.onven- liim nationale, ('."est ce pouvoir souverain, appelé Directoire, siégeant au Petit-I.uxem- liour^. (pii gouvernail la France. La Uéveillère-Lepaux en était le président.
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irprésL-nlanls. Mais il rclusa aancplcr rr ii.)UV(>au poslc. .'ii (lisanl qui/ savait défmà'e lea lois, mais non les faire. •
Passé, en IHOO, à l'ariurc du lUiiii, l(^ général Boniiparlo. qui était devenu premier consul, lui olVrit en vain un grade su- périeur. 11 vécut à l'armée du l\hin comme il avait vécu à l'ar- mée des Pyréijées Occidentales , en camarade affectueux et serviable. Les soldatsd'appelaient leur père, il les nommait ses enfants, et les traitait comme tels. Sur les champs de bataille, c'était en effet un père qui les conseillait, veillait sur eux. les défendait; et sa bourse leur était toujours ouverte, aussi bien
que son cœur.
Le premier consul, voulant honorer une si belle vie, prit un arrêté qui le nomma premier grenadier de France, et lui fit remettre solennellement un sabre d'honneur pour récompenser
sa bravoure ' . . , , . ,
La Tour d'Auvergne, en acceptant ces dons, que l'austerite et la simplicité de ses mœurs repoussaient, refusa la . pension affectée à ces faveurs si légitimement.acquises.
Le héros prit son rang dans la quarante-sixième demi-bri- gade, dont il partagea dès lors les fatigues et les lauriers. Sa gloire ne rayonna pas longtemps dans ce corps si distingué par
sa bravoure.
Le 27 juin 1800, à la bataille de Neubourg, combattant au premier rang, animant tout par son exemple et son courage, un hulan. autrichien le perça au cœur avec sa lance. Il tomba dans les bras des soldats, en prononçant ces derniers mots : (( Grenadiers ! vengez-moi ! ... »
Les grenadiers un moment surpris par la douleur, se réveil-
i Ce fut sur le rapport de Carnot, alors ministre de la guerre, que cet arrêté fui pris Le ministre v retrace les belles actions de la Tour d'Auvergne. « C'est lui, dit-il „ au premier consul, qui compte le plus d'actions d'éclat : car tous les braves l'ont ,, nommé le plus brave: modeste autant qu'intrépide, il ne s'est montré qu'avide de ., gloire et a refusé tous les grades. .. Aux Pyrénées Occidentales, le général rassem- bla toutes les compagnies de grenadiers, et pendant toute la campagne ne leur nomma point de chef. Le plus ancien capitaine les commandait c'était la Tour d'Auvergne; et bientôt ce corps fut nommi' par l'ennemi /« colonne infernale.
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lèiviil l'oiniiK' cil siirsaul, scmMabk's à iiiic lioiim' à (|iii on vioiil (rcnlcvtT si's pclils, cl iirciil un carn.i^c allVciix dv Icii- iicmi, dont Icscorpsmoils, cillasses aulour ilu prciiiicr^rcnadicr (.le France, loniicrcnl à celui-ci une liécalonibe sanglante '. • La inorl de la Tour d Auvergne causa un deuil général.
Ses obsèques lurent dignes de sa réputation. Des branches de chêne et de laurier niarcpicrcnt la j»lacc.où ses restes inorlcls étaient déposes. Tous les grenadiers de larinée vinrent lui ren- dre les honneurs militaires et un dernier hommage. Leur atti- tude silencieuse et trislc, leur visible émotion, les larmes qui roulaient dans les yeux et sur les joues bronzées de ces mâles visages, attestaient la perle (jue l'armée avait faite.
L'un des grenadiers, en le déposant dans sa demeure éter- nelle, prononça ces simples paroles, interrompues plusieurs fois par les sanglots de ses camarades :
« Pendant sa vie, il n'a jamais tourné -le dos aux assaillans; plaçons-le comme il a vécu, le visage en face de l'ennemi. »
Ce qui fut exécuté aux cris de : « Gloire à d'Auvergne 1 » Sa fosse retentit ensuite des détonations des armes à feu de tous- les soldats, (jui défdèrent devant lui en le saluant pour la dernière fois.
On lui éleva un modeste tombeau, sur lequel on lisait : « A la mémoire de la Tour d'Auvergne, premier grenadier de France, tué le 27 juin 1800.»
Le général DessoUe, commandant en chef l'armée, .fit mettre à l'ordre du jour que l'on coijserverait son nom sur les con- trôles, exemple unique dans les annales militaires et qui vaut à lui seul tous les éloges; et, chaque fois qu'on faisait l'appel, à ce nom glorieux de la Tour d Auvergne, le plusancien de la compagnie, répondait : « Mort au champ dlionneur! »
Son cœur embaumé était porté dans une boîte d'argent, par le premier sergent, comme une relique, à la tète de la compa- gnie.
' Les anciens sacrifiaient en hécatombe aux dieux cent bœufs et plusieurs animaux de différentes espèces.
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l'aiiiii les pcrsoiiii.iiics du dix-liuilirnif sircic. ijui ont ^xir- couru avec le plus d ('(Hal la carrière des armes et se sont fait remarquer dans la vie civile, il n'en est point quLofTrent, comme la Tout d'Auverp;ne, un assemblable plus |)arfail de loulcs les vertus.
11 élail aussi simple dans ses goûls que dans ses mœurs. Son désintéressement allait jusqu'à l'abnégation. Douéil'une sensi- bilité égalera sa bravoure, on le trouvait toujours prêta com- patir aux peines d'aufrui et à le^ soulager. Son àme était fière ; pourtant, son caractère doux et humain tempérait ce qui'pa- raissait en lui, au premier abord, delà rudesse ou de l'austé- rité. *I1 ne'voulut ni honneurs, ni grades, ni richesses. Il sut toute sa vie rester pauvre et indépendant, et refusa le don d'une terre que sa famille lui offrait; savant et modeste, il vécut" en. héros et mourut simple soldat. Il était brun, d'une stature ordinaire, mais vigoureuse; il avait les traits fortement maT- qués; son œil vif et doux exprimait tour à tour la bonté, le courage et le génie. Il savait vingt-sept langues, et ne faisait point parade de son savoir.
La ville de Carhaix fut son berceau. Et ses concitoyens lui ont élevé une statue.
A. E. DE Saintes.
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M. DE JIONTVON,
\a\ charité, toujours la charité, c'est la vertu que nous retrouvons partout, sous tous les traits, dans tous les âges , lorsque nous allons à la recherche de ces êtres élus qui fu- rent les protecteurs et les amis du genre humain. La charité ardente, inces- '^ santé, dévouée, tel est le plus beau caractère dont 5^^ brillent au fond les anges ^^ de ce monde, telle fut S^ par excellence la vocation sainte de M. de Mont von.
Son amour pour la justice et la protection due à tous lès hommes devant la loi, se manifesta dès son entrée dans la ma-
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DE MOKTYOX.
^isLraluiT. Il n'avait (juc vin^l-d(;u\ ans loisquL', lmi 1750, il lui nommé avoral du roi au C)iàl(;lt!t, après les é.ludcs los plus brillantes, .les plus solides, et montra dans l'exercice! de ses* (onctions une telle probité, tant de désintéressement, tant d'in- llexible attacbement à ses principes, (ju'on le sufnonnna b; (jrenadier de la robe. Expression beuLeuse.comm(3 toutes ccîlles (jue trouve la voix po})ulaire, ce glorieux surnom le proclamait, en quelques mots, l'intrépide défenseur des droits,- b; gardien non moins intrépide cpii veillait à l'exécution des devoirs, la senlin(#le de la justice, le soldat toujours prêt à montera l'as- saut pour obtenir ce qui était juste.
C'est ce qu'il prouva d'une manière éclatante lorsque, appelé- avant l'âge et au moyen d'une honorable dispense, dans une des plus importantes sections du conseil d'État, il s'agit de faire de ce Qpnseil une commission illégale app,elée à juger au crimi- nel un magistrat en (|ui le gouvernement d'alors voyait un ennemi. Tous les conseillers-courtisans s'étaient ' levés pour voter cette mesure que sollicitait le pouvoir; mais un autre pouvoir sollicitait plus impérieusement que tout autre M. de Montyon, c'était le pouvoir de la conscience et du sentiment du* devoir, le pouvoir de la justice. Le jeune maître des requêtes y obéit, et s'opposa seul à l'infraction de la loi.
Que lui importait la disgrâce qu'il subit quelques années après? Ne trôuvait-il pas en lui les plus pures consolations en se rappelant combien de malheureux il avait arrachés .à la' mort, à la mort la plus cruelle, à la mort par la faim, lorsqu'il était intendant de la province d'Auvergne?. Une famine s'étant tout à coup déclarée dans cette contrée, les hommes, exténués par le besoin, n'avaient plus la force de travailler aux champs, et ainsi se préparait une nouvelle année de disette ; les femmes éplorées voyaient avec désespoir leurs enfants étendre leurs bras vers elles en leur demandant, par leurs cris, par leurs gestes, du lait, du pain; elles n'avaient pas un morceau de pain dans la huche, pas une goutte" de lait dans leurs mamelles taries. Tout allait périr de niisère, de détresse; mais M. de Montyon était
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l;i, il rliiil riche, loul If iiioiidt' (levait avoir du |hiiit de uic^nii' (jne lui; c'est ce cpiil s'elail dit dans sa justice, sceur de sa clwirite; aussitôt des travaux |)ul)lics ordonnés à ses Irais el qui enibellirenl la villo d'Aurillac . donnèrenl do (juoi vivre à une population" nombreuse; des approvisionnements eurent lieu à la voix de lintencLuit; la province fut sauvée, et bénissant d'une voix unanime M. de Montyon, elle couvrit par un concert d'actions de irràces les paroles de blâme que faisait entendre contre lui un ministre irrité.
Aussi un monument fut-il élevé à M. de Montyon par^ habi- tants de l'Auvergne. Les sympathies des populations reconnais- •santes ne permirent pas que cet homme vertueux restât long- temps ef complètement disgracié, l'ne place de conseiller d'Etat lui fut départie, el bientôt il fut nommé chancelier de la maison de l'un des princes de la famille royale ; voici à quelle occasion : l'n jour, il attendait une audience du roi, et, près de lui, atten- daient également de jeunes seigneurs de la cour. Ceux-ci, ne rêvant qu'élégance et mode nouvelle, ne manquèrent pas de remarquer le costume antique, la large perruque de M. de Mon- •tyon, et de la remarque au sourire il n'y eut qu'un pas; puis voici qu'un prince aussi jeune et aussi étourdi qu'eux, venanti» passer, encouragea l'expression de leur gaieté en y prenant part. Le roi le sut, et adressa au prince de sévères reproches sur sa conduite envers un magistrat distingué tant par les qualités de l'esprit que par celles de l'àme Le prince réfléchit. Il vint le lendemain trouver le roi : « Sire, j'ai pensé, lui dit-il, à réparer » mon tort envers M. de Montyon. La place de chancelier de naa" « maison est encore vacante ; je viens demander pour lui cet » emploi. » M. de Montyon fut appelé sur-le-champ aux fonc- tions de chancelier du comte d'Artois.
Ses hauts talents allaient peut-être lui valoir la simarre de garde des sceaux au moment où éclata la révolution de 1789. et l'un des plus cruels fléaux de cette grande convulsion fut sans doute l'exil que M. de Montyon dut s'imposer loin de ses compatriotes, qui. auraient eu tant J^esoin de ses secours et de
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son ii[)|)ni imimMlial. Il croyail du moins laisser derlMerc lui des londalions inattaquables, créées pai- lui, sons le voile de l'ano- nyme, dès l'année 1782, un prix ailnuel de 1200 francs pour ré- compenser l'ouvrage le plus utile aux mœurs, et un autre prix de la même somme, destiné à l'auteur de l'action la plus vertueuse. L'Académie IVancaise était chargée de décerner l'une et l'autre couronne , à la vertu en préceptes, à la vertu en action ; mais le gou- vernement révolutionnaire supprima tout à la fois et les fonda- tions pieuses et l'Académie à laquelle le soin en avait été départi. Toutefois, dans le cours de quelques années qui s'écoulèrenl depuis son retour de l'émigration, de 1815 au 26 décembre 1820, terme-de sa belle vie, M. de Montyon réalisa tous .les actes de charité qu'il aurait pu accomplir pendant sa longue absence. Les- méditer, telle avait sans doute été la consolation des jours, passés loin de la patrie, et à son dernier moment il ordonna que ses bienfaits fussent éternels. Une riche dotation fuf consa- crée par sa volonté' suprême à compléter admirablement l'œu- vre de charité qui prend 'soin des malades pauvres dans l.es hôpitaux dont Paris a un luxe si magnifique. Naguère encore, il ne se passait pas de jour sans que l'on rencontrât des hommes, des femmes, pâles, épuisés, chancelants, appuyés aux murs, assis sur les bornes des rues, mendiant d'une voix éteinte, d'une main amaigrie, et racontant aux passants qui les interro- geaient comment ils sortaient de l'hôpital, mais à peine guéris, sans force encore pour travailler, sans pain, sans ressource. Ils avaient échappé à une. maladie entourée de soins ; ils allaient succomber à une convalescence dénuée de tout soutien, de tout bien-être, à une convalescence accablée de misère. Il n'en est plus ainsi à présent. Grâce à M. de Montyon, les pauvres mala- des n'ont plus à redouter le moment où ils se porteront mieux et devront céder leurs lits à d'autres; s'ils reçoivent des secours au rnoyen desquels ils peuvent se procurer un asile, se rétablir et retrouver des forces qui leur permettent de- se livrer au tra- vail, c'est M. de Montyon qu'ils doivent bénir : l'ange des convalescents pauvres est M. de Montyon,
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C'est ce (lu'il lui loule sa vie, aii^c. ariii;(^ invisible de cliarilé. l'iw lainillo tombée (le l'aisance dans l;i détresse souHrail-elle, au fond d'un j:;aletas, tous les liiaux d'une indii^enee d'autant plus allVeuse (lu'elle succédait à l'abondance, d'autant plus complète et désespérée (pi'elle se repliait sur elle-même el se dérobait pudi([uemenl à tous les regards: oh! il était un an<j;e dont les yeux voyaiiMit les douleurs les plus secrètes, les j)lus recueillies, un ani^e cpii ne vivait ici-bas (pie pour les épier, les découvrir, et la malheureuse rainille s'en apercevait bientôt en recevant de mystérieux seeours. Au milieu des misères de la révolution, souvent les habitants de ce pays d'Auvergne dont M. de .Mon- tyon fut le bienfaiteur, virent descendre sur eux de nouveaux bienfaits (jue le rayon voilé d'un ange leur avait apporté d'un .lointain exil. Ces Français expatriés à Londres apprirent ctussi qu'ils avaient cet ange près d'eux, mais ils ne l'apprirent que par sesTDonnes- œuvres.
M. de Montyon porta donc de lui-même le jugement le |dus fondé, et se rendit toute justice lorsque dans un mémoire adressé au roi proscrit, en 1796, il écrivait ces lignes : « Si je » puis me féliciter de quelques actions louables, j'ai pris plus » de soin pour les cacher -que .d'autres n'en ont pris pour en » cacher de répréhensibles. »■ En effet, que de fois les acadé- mies ayant exprimé le regret de n'avoir qu'un prix à décerner lorsque plusieurs concurrents le méritaient, reçurent d'un ano- nyme les fonds destinés à récompenser ces diverses œuvres d'une valeur égale? Ne nous a-t-onpas raconté la lutte qui s'éta- blit entre un jeune écrivain pauvre et un bienfaiteur anonyme qui voulait venir à son secours? « Je n'accepte le bienfait que » sous la condition que je connaîtrai mon bienfaiteur, » disait avec délicatesse l'homme de lettres. « Je ne montrerai jamais la » main qui répand le bienfait , " répondait l'anonyme avec la modestie de la charité ; mais la clwirité est ingénieuse, et soyons bien sûrs que celle de l'anonyme, qui n'était autre que M. de Montyon, trouva le moyen de venir en aide au pauvre et noble auteur sans révolter la fierté de sa misère.
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i'r lui 1,1 niorl seule (|ui souleva le voile de M. de .Moiilyoïi (M, lit eoiiriailre h l.i l'^raiice (|uelle était cette luaiii eacliée (jui avawépandu tant de bien. M. de Montyon léguait son irnm'cnse fortune en plus gnmde parti»; aux l)ureaux de bienfaisance et aux liopitaux; aussi, chose touchante, vit-on de toutes parts accourir par centaines, à ses funérailles, des pauvres qui pleu- raient, comme s'ils eussent perdu un père.
Et pourtant, à son dernier soupir, il s'était reproché (h^na- voir pas fait aux hommes tout le bien quil aurait pu et par consé- quent dû leur faire, scrupule admirable d'une àme tendre <[ui n'est jamais satisfaite d'elle-même, parce que la charité, passion sainte, est avide, fervent;?, insatiable. La charité de M. de Mon- tyon a cependant élevé au milieu de notre société d'immortels monuments. Tant (]ue.dura sa longue vie, constamment préoc- cupé du sort des classes pauvres et du soin de l'améliorer, au physique connue* au moral, il a appelé à la continuation de ce soin pieiix les hommes éclairés de toutes les époques h venir. Le talent et le génie sont ses éternels exécuteurs testamentaires. Grâce à ses riches fondations , des concours annuels sont ou- verts pour rechercher les moyens de rendre moins malsaines certaines professions , et des prix sont destinés à récompenser les remèdes les plus utiles au corps. C'est l'Institut qui décerne ces prix.
Le premier soin de M. de Montyon en rentrant dans sa patrie avait été de rétablir les fondations que 1793 avait anéanties, et les actions vertueuses, les ouvrages utiles purent encore espérer d'autre récompense que celle d'une conscience satisfaite. L'Aca- démie française reprit avec joie les fonctions que lui confiait un bienfaiteur caché.
Ce fut certainement une belle et féconde pensée (\ue celle d'encourager la publication d'ouvrages uliks aux mœ'ws et la composition de livres tels que l'artisan, le jeune homme, les ouvrant avec empressement pour se reposer de leurs tra- ; vaux par les plaisirs de l'imagination et de l'intelligence', y trouveraient de salutaires préceptes de morale et de conduite,
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soil flivcis le imoikIc, soiI envers le ciel. I.'aveijir, mieux eiicoi'e (|ue iioli'c cpociue . a|»|U-('ci(M*a le stTvict' rendu à la socic'^pai M. (le Monlvon, it)rs(|u'il a ouvert une carrière honiirle c^ure aux écrivains, don! noire siècle a du reste une (lé|>loral)le abon- dance, lïouvrage le plus utile aux mœurs sérail peul-èlre celui doiil le Inil lendrail à melire en i^arde les jeunes gens (jui p'im- Hcnl pour (ji'nic une anlrur de rimer, conire celte croyance funesie dans une prétendue vocation, et serait assez eflicacc pour les détourner de ces illusions fatales. Ouel succès utile et proiilahle n'obtiendrait pas cet ouvrag»' (jui les déciderait às'en tenir au métier ou à l'iridustrie de leurs pères, et à préférer au périlleux métier d'auteur la charrue ou le compas, qui les feraient vivre honorablement! Il est des jours oii, plus que jatïKiis, les écri- vains doivent être des instituteurs public^s; nous sommes essen- tiellement dans ces jours; voilà pourquoi M', de Montyon a senti qu'il rendrait un service éminent à son pays *en faisant un ap- pel à tous ceux qui se sentent capables d'écrire des œuvres utiles, et d'obéir à sa voix en donnant aux hommes des livres bons et salutaires.
Un livre bon et salutaire entre tous, c'est un recued (jue publie annuellement l'Académie française, c'est le récit des belles actions auxquelles M. de Montyon a voulu que ce corps illustre décernât aussi les prix attribués par lui aux actions ver- tueuses. Livre magnifique dont M. de Montyon estbien réellement l'auteur, puisque sans lui il n'existerait pas; il nous montre les plus humbles et les plus admirables vertus dans les galetas les plus dénués, dans les plus humbles chaumières; c'est un su- perbe trophée de tous les dévouements qui se résument par le beau mot de -charité. Ici, c'est une femme qui ne vit que pour veiller auprès dés malades, une jeune fille dont toute la jeu- nesse's' est pieusement passée à soutenir son père, sa mère in- firme, et qui partage encoi*e son morceau de pain sec avec des orphelins ; là. c'est un homme qui ne p'eut voir un incendie sans s'v précipiter pour disputer des malheureux aux flammes; un autre que les vagues les plus formidables n'effrayent pas quand
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il s'iigil (le sauver (1rs iiaiilVatif's ; là des scrvilcurs, bien rares (le nos jours, (fui se sont allaeliés à leurs niaîlres loinlx's dans la détresse , (|ui out IravailN' luiil et joui- et men(li('' pour eux! Am(^s sublimes, saintes manifestations de la (liviiiil('', tous ces anges de charité et de dévouement s'enveloppaient dans leurs ailes. M. de Montyon a voulu qu'ils eussent un touchant triom- phe public. Chacjue ann(3e, ils sortent, un jour, de leur pieux mystère; de pâthétiqiies narrations apprennent, ce jour-là, à la réunion de tout ce que Paris a de plus brillant et de plus élevé, les actes sublimes d'abnégation qui ont mérité les prix de vertu à d'humbles et modestes créatures. Ici l'exemple vient d'en bas resplendir aux yeux d'un auditoire ému qui salue des mêmes applaudissements le nom de ces pauvres vertueux, du vertueux riche M. de Montyon ; et ces noms, prononcés ensemble avec un égal respect, rendent un éclatant témoignage de l'égalité qu'établit la vertu entre les hommes.
Ernest Focinkt.
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saintes manifestations de la divinité, tous ces et de dévouement s'enveloppaient dans leurs ityon a voulu qu'ils eussent un touchant Iriom- ique année, ils sortent, un jour, de leur pieux hétiques narrations apprennent, ce jour-là. à la ce que Paris a de plus brillant et de plus élevé. es d'abnégation qui ont mérité les prix de vertu iitdestes créatures. Ici l'exemple vient d'en bas yeux d'un auditoire ému qui salue des mêmes ts le nom de ces pauvres vertueux, du vertueux ntyon ; et ces noms, ]Trononcés ensend)Ie avec , rendant un éclatant ItMuoignage de l'égalité tu outre les hommes.
Ernkst Fouinkt.
."•'THOMAS
■■"jii^i^-
Les Vosges sont une longue clinîne de mon- Uignes (jui se divise en plusieurs branches. .L<» première suit à l'esl le cours du Rhin ; la se- conde se joint aux Cé- vennes, autres monta- gnes du Languedoc , enfin, la troisième vient au nord se perdre dans y'\\)â^ le département des Ar- % dennes. C'est dans l'un' des cantons les plus âpres et les plus sauvages de cette dernière branche des Vosges que" vivait, il y a environ un demi-siècle, une population aussi inculte que ses champs, aussi rude que les pierres qui rendaient impraticables les chemins d'un village à raulre. La religion n'était, parmi ces hommes à demi barbares, que le retour, de certaines pratiques supersti-
LOL'IiE 5CHEPLER.
Litk Becquet.
N<>? THOlîAS .
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lieuses; à nriiuMoniiaissaieiil-ils I Kvanji;ilt' de nom. ^Mi.uil a des lois, à de la morale, ils ne savaient ce (jue (fêlait, cl chez eux comme chez les sauvages, la force décidait seule de ce qui était juste ou injuste. Aussi ignorants que méchants, ces mal- heureux étaient encore plus pauvres faute d'industrie; ils ne tiraient qu un médiocre parti de leurs terres, et dans les mau- vaises années étaient exposés à mourir de laim.
Un pasteur, instruit de cette misère, entreprit de civiliser cette population dont personne ne s'occup^jit, perdue qu'elle était dans ses montagnes.
M. Frédéric Oberlin aurait pu focilemént vivre à laise dans un pays riche-, parmi des hommes éclairés, bons chrétiens, ca- pables d'apprécier ses talents et ses vertus ; mais il savait que le devoir d'un apôtre de l'Evangile est d'acquérir, à tous prix, des âmes à Dieu ; ainsi il quitta les plaines fertiles de l'Alsace pour venir s'établir chez les sajivages du Banc de la Roche.
Le premier bien cfue M. Oberlin partagea avec ses ouailles fut celui de son instruction agricole, afin de les disposer à l'amour de Dieu par la reconnaissance : il leur enseigna comment ils devaient s'y prendre pour tirer un bon parti de leurs terres en friche. La récolte du blé manquait souvent, et de là d'affreuses famines ; le pasteur planta des pommes de terre pour y sup- pléer. Les fruits sauvages sont presque tous amers et malsains : M. Oberlin montra comment, au moyen de la greffe, la pomme la plus revèche, la cerise la plus acide, deviennent des fruits délicieux. Les racines sauvages furent de même remplacées par de bons légumes. Cet accroissement de richesses changea tout à coup les mœurs des habitants du Banc de la Roche. Quand ils ne devaient un bien-être-précaire qu'à la chasse ou à la rapine, peu leur importait d'avoir des maisons plus semblables aux huttes des nègres qu'aux demeures des peuples civilisés. De- venus cultivateurs, ils sentirent le besoin de se construire des granges pour serrer leurs récoltes, des greniers où leurs grains se conserveraient d'une année à d'autre, des^ écuries, des éta- bles; et un grand nombre d'entre eux devinrent maçons, char-
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pciilitTs, l'ouNrcms; c Clainit aiilaiil d liomiiics arraclirs à la vil' oisive (.'( va^'ahoiidc Os iioiivcaiix besoins aiiiciirrciil aussi (les relations avee les villes voisines, et les cjinaux une Ibis-ou- verls, la civilisalion coula à plein bord cIk'z nos sauva!i;es.
M. Oberlin s'élail l'ail maître d'école en nièuK; temps (pi'ajrri- lulleur; il apprenait aux erd'ants à lire l'Kvangile; ceux-ci rap- porlaieiU dans leurs familles les nouvelles idées qu'ils puisaicîut dans les livres saints, et ces idées d'ordre, d(; |)rol)ité, de sou- mission, de miséricorde, trouvaient crédit auprès des gens qui avaient (|uelque chose à perdre, et commençaient à trouver la viç assez douce pqur apprécier les lois divines et humaines qui les protègent. Le bon pasteur enseignait aussi aux mères com- ment elles devaient s'y prendre pour préserver la vie de leurs enfonts au maillot de mille accidents auxquelles sont exposées ces frêles existences. Avant l'arrivée de M. Oberlin au Banc de ta Roche, plus des deux tiers des enfants mouraient dans le premier âge. Ces pauvres petits, mieux nourris, mieux soignés d'après ses conseils, s'élevèrent presque- tous.
L'aisance dans les ménages, les mœurs plus douces, et les |)ratiques hygiéniques, amenèrent une telle augmentation dans la population, que M. Oberlin dut fonder plusieurs manufac- tures pour employer les bras que l'agriculture laissait oisifs. En même temps qu'il fondait ces établissements, il eut soin de les mettre en relation avec des maisons de commerce des villes voisines ;.de sorte que les produits s'écoulaient avec facilité. Ces contrées jadis si pauvres devenaient de plus en plus riches.
Tant de bienfaits de la part du })asteur étaient payés par la plus vive reconnaissance et la plus entière confiance. M. Ober- lin se servit de ces sentiments pour éclairer de plus en plus ceux qu'à si juste titre il regardait comme ses enfants; il leur apprit ce dernier enseignement et le plus précieux de^ tous, à rapporter à Dieu la gratitude des biens qui leur arrivaient dans le monde, à supporter avec constance les revers inséparables de la nature humaine, à espéreV une autre vie, éternelle et bien- heureuse, prix de lobéissance à notre Père qui êtes aux deux, et
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(l(3ramoiir du prochain. (Icltc morale, pénétrant dans dcsrtnurs déjà [jréparés à la soumission, y porta de bons IVuils. Les dé- lits et les querelles devinrent de plus en plus rares* au Banc de la Koelie. Une bienveillance mutuelle' anima les nouveaux convertis, et ces montagnes, signalées naguère comme un re- paire de [)rigands, devinrent l'asile des vertus.
•Les succès de >l. Oberlin, tout en remplissant son cœur de joie, agrandissaient tellement sa tache, qu'il |)ressentait le mo- ment où il ne pourrait plus y suffire, lorsque le ciel lui elivoya un aide, dans la personne de Louise Sciieppler, l'héroïne de notre conte véritable. Celte jeune paysanne, à peine âgée de quinze ans, jouissait dans sa famille de l'une de ses laborieuses aisances dues aux enseignements du pasteur. Ses parents comp- taient la garder chez eux jusqu'à son mariage ; mais elle, poussée par une sainte vocation, préféra entrer au service de M. Oberlin, afin de prendre part aux œuvres de sa charité.
De cet instant, le pasteur vit ses forces physiques doubler; il eut à ses ordres des jambes jeunes et infatigables, des mains alertes et adroites, et mieux que tout cela, un cœur dévoué, un esprit intelligent qu'aucun obstacle n'arrêtait. Louise, de- venue l'aide, le messager, souvent le guide de son maître, allait de cabane en cabane porter des secours et des consolations ; toujours active et bonne, elle -exécutait les intentions du pas- teur, de façon à en augmenter encore le prix. Mais là ne se borna pas son mérite : non contente de prouver par son zèle combien elle était digne de lui être associée, elle l'étonna en- core en le devançant par son génie bienfaisant. Ce fut elle qui, la première, remarqua l'embarras que les enfants en bas âge causent dans les ménages d'artisans ou de laboureurs, et trouva le moyen d'y remédier.
Si dans une pauvre famille la mère consacre son temps à soigner les enfants, elle n'apporte point sa part de salaire dans la JDOurse commune, et chez les ouvriers il faut de nos jour« ([u'aucun de ceux qui ont la force de travailler restent oisifs ; dé la sorte, ce sont des êtres débiles de corps ou faibles d'esprit.
l\k -
(les SiViM's ;i peine sorlics de rciilaïK'c, des .iirulcs loiilrs piVics ;i V iciilrcr, (|iiisoiil, ;ui loijiis, chargées de la surveillanoe.de la. l'ainille. De là (anl d'ellVoyables accideiils : le l'eu mis aux mai sons par des jeux iiuprudenls, les cliules el les coups qui eslro- pienlou deligurenl les eiilanls, les alURjucs des juiiiuaux ni;d - laisanls; les einpoisoimemenls, suite de la déteslable.liahilude des enl'aïUs de porter à leur houclie tout ce (|u'i|s tiennent dans leurs mains, el d(> leur insaliid)le gourmandise, qui les fait mor- dre à tout ce (pii ressemble à un fruit ou à une friandis(\ Knfin. tpiand par miracle ces pauvres abandonnés évitent ces acc[- deids, rien ne peut les sauver des dangers de la paresse, de l'indépendance, du vagabondage, dont ils prennent la funest(^ habitude.
Louise Scheppler, ayant vu ces choses de près au Banc de la Roche, eut l'idée de rassembler autour d'elle les enfants de deux à sept ans, et de les garder pendant que leurs parents étaient occupés de leurs travaux. Ayant promptement reconnu le bon effet de cette mesure, elle fit construire,- à ses frais, une salle spacieuse pouvant contenir de cent à cent cinquante en- ftmts. Là elle les occupait d'exercices à la portée de leur âge, leur enseignait à prier Dieu, à vivre entre eux sans querelle, à obéir au moindre signe, et à se tenir propres . la saleté étant aussi malsaine pour les enfants que désagréable à voir.
Ainsi, ces salles d'asile pour l'enfance, dont la France et l'Angleterre sont fières à juste titre, incontestable progrès de la civilisation, ont été improvisées dans les Vosges par la ser- vante d'un.pasteur, homme de bien, mais pauvre, comparé aux riches de la terre; ignoré, perdu dans un coin du globe, n'ayant d'autre pouvoir que l'ascendant de la vertu.
Louise Scheppler vécut ainsi plusieurs années, toujours au service de M. Oberlin, qu'elle continuait à seconder dans ses bonnes œuvres en même temps qu'elle consacrait aux pauvres son patrimoine, dont la mort de ses parents l'avait mise en pos- session. Le pasteur et sa servante, ayant voué ainsi leur vie au service de l'humanité, durent connaître tout le bonheur dont on
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pciil jouir CM ce inonde; mais la vieillesse viiil pour eux comme polir les e^^oisles ou les méchants; les lois de la Providence sonl immuables à ce! égard ; les hommes peuvent suivre des roules ditrérenles dans la vie, mais tous marchent du même pas du berceau à la tombe. Les jours les mieux employés n'ont (pie douze heures ; les bonnes œuvres préparent la vie éternelle dans le ciel, lAais ne peuv(>nt rien |tour prolonger celle de la terre.
Le pasteur, de beaucoup plus âgé tjue sa servante, fut h' premier atteint par les intirmités de la vieillesse. Alors la cou- rageuse Louise suffi! à tout; heureusement les hommes et les femmes dans la force de.l'àge n'avaient besoin d'aucun secours; grâce à M. Oberlin, le travail ne pouvait pas leur manquer, et la voix de leur bienfaiteur, toute affaiblie qu'elle était, suffisait pour les maintenir dans la ligne des devoirs religieux. Mais les infirmes, les vieillards, l*e$ enfants, ne pouvaient se passer de soins et de consolations. Louise avait pourvu au bien-être des derniers par l'établissement de la salle d'asde; aux autres Louise porte des bouillons, des médicaments. Elle trouve le moyen de prodiguer à tous des soins et des consolations ; rien ne l'arrête; ni les distances, ni les mauvais chemins, le froid, la pluie, les orages si terribles dans les montagnes, ne suspendent point sa marche. Quand le jour lui manque, elle marche la nuit, et trouve, comme par miracle, de l'argent, du temps, des forces pour suffire à tout. 11 est vrai qu'elle ne compte pour rien ni les fatigues ni les dangers, qu'elle n'accorde pas un 'instant à la paresse ni aux plus innx)centes distractions, et sa- crifie son bien, sans réserver une obole pour elle-même.
M. Oberlin, sentant sa fin approcher, et présageant que Louise serait dans le besoin sur ses vieux jours, la légua, par son tes- tament, à ses enfants. MM. et M"*"^ Oberlin, pleins de vénéra- tion pour cette vertueuse fille, voulurent lui donner une part égale à la leur dans le modeste héritage de leur père. Mais Louise Scheppler, toujours dévouée et s'oubliant elle-même, dut refuser un présent <jui diminuait leur aisance; mais elle de-
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niaïuia rotnnu' r('M'omp<Mis(' (le ses lioiKHMltlcs services lu per- mission de joindre le nom de son maître au sien.
Plus lard, rVeadénneFraneaise, instruite des belles aelions de Louise Oherlin Sclieupler, lésa récornpensiVs en faisan l parti- ciper celle véritable liéronie de la charili^ au prix do dix mille francs que M. de Monlyon a londô pour èlre donné annuolle- menl à la vertu.
M"" Alida dk Savh;\ac.
ILS TROIS PLKSASS.
N».^ TilOaAS
LES TROIS PERSAXS.
y.e petit village de KhosroV, appartenant anciennement à la Per- se, maintenant à la Rus- sie, devait payer un impôt extraordinaire équivalent à cinq mille francs environ de notre monnaie. C'était plus que tout le village ne valait peut-être. Ses ha- bitants sont misérables, \ peu industrieux, mais honnêtes, et connais- sent le. devoir qui les unitau souverain. Tou- tefois il ne leur vint point à l'esprit de s'adresser à lui ; il était si loin, d'ailleurs., de leur pauvre pays. Ils se mirent a- déplorer leur triste sort, sans chercher d'abord a 1 adoucir.
- ils —
l.c (l('SfS|Miir clail ,111 lund de Ions les cd mis, il cl.iil |)rml s(n toulos ces ligures naguère si heureuses, car la Perse, vous le savez, est le |»ays des plus doux rêves, celui où l'on vil le plus par riiuagiualion ; le pays (jui donna naissance aux ravissanl(N Péris. Mais, hélas! (iuan<l la l'aiin, la misère, son! là, (pii vonl NOUS eircindre. |»ressanles, inexorables, el (jiie l'hoiizon esl couvert d'un crêpe de deuil, il n'y a plus de (huix |)ays, de doux rêves, de heau soleil.
Pouf éviter les maux i[u ils prévoyaient, les hahiliuils de Khosrow durent prendre un parti extrême; ils empruntèrent les cinq mille l'rancs dont ils iïvai(Mit besoin, aux musulmans, en acceptant ]a proposition que leur firent ceux-ci de leur donner connue garantie leurs champs, leurs maisons, et eux-mêmes, c'est-à-dire, que les Persans devaient rester les esclaves des ma- . hométans et travailler pour eux jusqu'à parfait payement de* la somme versée pour l'impôt qu'ils devaient.
Ce fut une rude et -cruelle journée que celle où s'accomplit cette résolution ; il ne s'agit plus de payer le tribut maintenant, mars de s'actiuitter pour être libres.
«-Xhl disait l'un des plus anciens du conseil assemblé ce jour-là, ah! si le bon Français que j'ai connu et qui est.venu dans ce pays il y a trente ans, y était encore, s'il était près de nous pour nous^conseiller, nous aider, il nous sauverait, lui, j'en Suis certain!
— Mais, dit un autre, s'il, ne vient pas à nous, est-ce qu'on né pourrait pas aller à lui? Je m'en chargerais, moi. — : Et moi aussi. — Et moi aussi, )) répétèrent après celui-là deux autres Persans.
('eux qui s'offraient ainsi pour libérer leurs frères, étaient David, fds de Gabriel ; Kiril, fds de .loussouf, et Joussouf, fds de Jouanna.
(( Mais je ne sais pas le nom de ce Français, reprit le vieillard qui avait parlé le premier, j'ignore aussi quelle ville il habite.
— Qu'importe, répondirent les trois Persans, le ciel nous guidera; et puis d'ai-lleurs, une fois en France nous lUrom nos
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malheurs; loiil ce (|iii .iium \m ('(riir nous aidera ; Ions ceux ([ui auront un père, une nic're, uno Ibmme, des onl'anls, se seiTtironI pris de |>ili('' pour nos Irnuncs, nos inèros, ol nos en- fants esclaves.»
Sans secours, sans ari^ent, et souleiuis seuleinetil ]»ar leur croyan'ce en la bonté divine, ceux qui se dévouaient ainsi par- tirent accompagnés de toutes les bénédictions de leurs compa- triotes, suivis (le leurs pensées et de leurs vœux.
Ils francb'irent les extrémités de la Perse, et pénétrèrent dans la Turquie d'Asie par la Nalolie. Puis ils traversèrent la chaîne du Caucase, car ils espéraient des secours en parcourant des cités chrétiennes, et cela leur fil préférer la plus longue route.
Mais dans ces villes somptueuses, à Stavropol, à Kizliar, où tant de riches logent dans des palais, la charité du pauvre fut la seule qui ne faillit pas à nos voyageurs.
il en fut ainsi partout sur la route qu'ils continuèrent de par- courir : le pain de la chaumière, l'hospitidité sur la paille, for- mèrent leurs bons jours; il y en eut où les pauvres gens se couchèrent le soir, après une marche écrasante, au bord d'un grand chemin, la tète appuyée sur une pierre en guise d'oreiller, étroitement serrés l'un contre l'autre, afin de se garantir des atteintes d'un froid rigoureux, et n'ayant d'autte couverture qu'une neige épaisse. Mais qu'ils eussent dormi sur là terre durcie, ou bien qu'un lit plus doux leur 'eût été offert par l'iiospitalité, jamais ces hommes généreux n'accordaient au repos une heure de plus que ce qui'était strictement nécessaire; ils eussent éprouvé comme un remords d'agir autrement; car l'image désolée de leurs familles qui comptaient les minutes de leur absence, se trouvait toujours présente à leur esprit, et tous trois n'avaient plus qu'un seul et même cœur pour comprendre la sainteté de leur mission.
Ils venaient de quitter Minsk, leur chemin eut été de se di- riger vers Dantzick et de payer là leur passage poui- un port de France, car plus ils avançaient, plus ils se fortifiaient dans cette pensée que le Français qui avait séjourné dans leur pays, et
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(ioiil ils iit> sasaiciil m Iciioiii. ni la (Iciiiciirc, ni la iirofcssioif, t'iait |)()iniaiil le seul (]iii |)ùl k's.si'coiiiir et les aider dans l'dMi- vrc sacrée (jii'ils avaieiil enlrcj^riso.
Aller à Daiil/iek, ce ii'elail pas le plus diriicile, niais<-(tiiiineiil s'y (Mnbaniucr sans ari2;enl?
« Allons à Sairit-PéUu'sboui'g, se dirent encore les voyilgeurs; là, tout le monde a de la fortune; de nombreuses aumônes nous permettront de pousser juscpi'à \>'ilna ; et de Wilna, nous irons gagner la Tranee. »
Ils se dirigèrent donc vers Saint-Pétersbourg ; mais Tunique fruil (ju'ils retirèrent de ce voyage fut celui d'un passe-port visé pour Wilna.
A Wilna, une nouvelle déception, un cliagrin nouveau les attendait. En parcourant les rues de cette populeuse cité, les malheureux Persans perdirent une attestation signée de leur évêque, laquelle affirmait qu'ils étaient chrétiens, et s'en al- laient au nom de leurs frères, esclaves des musulmans, poiu- re- cueillir \a somme nécessaire à leur liberté.
Privés de cette pièce importante, la seule qui jusque-là les eut préservés des formalités exigées par l'au-torité des différents pays où ils avaient passé, les voyageurs se virent près d'être emprisonnés comme espions; heureusement que dès le premier jour de leur arrivée à Wilna ils s'étaient présentés chez le prieur des franciscains, où l'attestation suivante leur avait été délivrée sur leur prière ; ■ • , "
((■Je soussigné, et porte à la connaissance de tous ceux qui ces présentes verront, que les catholiques persans (porteurs des présentes) avaient un certificat de leur évéque, annonçant que les enfants desdits catholiques persans étaient retenus en escla- vage par suite de l'impossibilité où étaient leurs parents d'ac- quitter les impositions exigées. J'affirme avoir vu le certificat en question dans notre couvent de ^Yilna le 11 du courant ; les catholiques persans l'ayant perdu en traversant le cimetière de notre couvent et la rue Trocka, il est de mon devoir de déclarer qu'ils avaient réçllement le certificat de leur évéque. En foi de
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(|Uoij(' Icui'jn (liMivrc les pirscnles, sij^nùcs ih' ma iiuiiri cl sr(îl. léos du sccaudcnuliv couiiimiiauU'', le 15 juin IS.'iS. Timolliée Isseiorwigl, prieur des fraiioiscains de Wilna. Contresij^iK' jioui rauthenlicilé delà signature ci-dessus, Cynriski, évèque, i)r(''lai doyen de la cathédrale de Wilna.»
Ils quittèrent Wilria peu de jours ;iprès y être arrivés, traver- sant toujours à pied la Prusse, le Hanovre, la Westplialie d les Pays-Bas; puis, continuant leur pénible marche, les pauvres Persans atteignirent un jour un [)oint élevé d'où leurs yeux aperçurent des dômes, des clochers, des tours, des monu- ments de toute espèce. Paris enfin se montrait à leurs yeux éblouis. On était alors en novembre : brisés par la latigue, en- '^ourdis par le froid, presque mourant de faim, les malheureux trouvèrent jiéanmoins au fond de leur cœur de ferventes ac- . tiens de grâces pour le Dieu tout-puissant qui les avait guidés, bien qu'à travers mille périls, au but où tendaient leurs vœux, car ils n'en doutaient plus, c'était bien là Paris, c'était de là que, selon eux, s'élèverait pour leurs frères le salut et la liberté. Plus légers, pleins d'espoir, les larmes dans les yeux, les mains unies, nos Persans entrèrent dans la capitale, regardant chacun de ceux qu'ils voyaient passer, avec une interrogation et un sourire sur les lèvres, comme s'ils croyaient trouver en lui le Français qu'ils venaient chercher, et comme s'ils eussent espéré reconnaître en le rencontrant cet homme mystérieux qu'ils n'avaient jamais vU, et sur la bonté duquel pourtant ils fondaient toutes leurs espérances.
A l'aide de quelque peu d'argent dont ils étaient possesseurs encore et (juils n'avaient conservé qu'à force de privations, les voyageurs trouvèrent un gîte dans le plus triste et le plus modeste hôtel du faubourg Saint-Marceau.
Une fois établis dans la chambre enfumée qu'ils devaient ha- biter tous trois, n'allez pas croire que ces hommes de l'Orient se mirent à considérer avec tristesse le logement misérable que le hasard leur avait-procuré. Non certainement, et si à cette heure les rêves de leur jeunesse étaient loin d'eux ^ si la poésie
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j)rillaMl(> ('( |>;irruiiu>c Ai' rihiciil ii a\ail |)ii ciilrcr là de |)riir (le s'y souiller, la loi, douce cl clmslc coiiipaj^iic de la cliarilc (|(ii Icsavail S(Ui(cims, consoles, la loi, (\\\\ ne dédaiiinc ni le lit d'Iio- pilal Jii la conclie du piisonniciK les suivit dans cet asile de la pjuivrelé, el ses rayoïuienients en lirent un palais |)()ur l<^s Per- sans dévoués, (|ui se dirent uprès leur prièfe en se couclianl sur un urahal (|ui leurscnd)la doux : " Dieu nous a conduils vei's la France, il achèvera son (cuvre, en i:;ui(lanl près de nous ce bon Français (|ue nous cherclions ; lions-nous donc à lui, el repo- sons en paix. i) Ce fut pour eux une nuit heureuse et tranquille que celle qu'ils jiassèrent dans la ville ou leur bienfaiteur idéal devait être; mais le lendemain vinl apporter ses soucis; nos voyaiïeurs se levèrent dès le malin pour faire connaissance avec l'innnense labyrintbe qu'on ap})elle Paris, et dans [equel ils ne pouvaient même se faire comprendre; la misère'«[iour eux allait ■ revenir peut-èlre plus poia;nanle que jamais ; les jours s'écou- laient, malgré leurs recherches, sans apporter aucune lumière sur ce qu'ils souhaitaient si ardemment; en sorte que ces nou- veaux frères de la rédemption ne priaient plus Dieu pour eux- . mêmes, mais le suppliaient d'accorder à leurs frères esclaves le courage et la pati^^nce nécessaires pour attendre leur retour incertain el raccomj)lissement de leur sainte entreprise.
Leur prière fut entendue ,*leurs vœux exaucés ; celui qu'ils venaient chercher vint à eux, poussé par cette main divine dont ils n'avaient jamais dénié la puissance. Un jour, jour heureux, on ouvrit leur porte, et M. Jouannin, le célèbre orientaliste, se présenta; c'était lui, c'était le Français qui avait passé à KhosroAV, dont le nom leur avait été inconnu jusque-là, nom qu'ils apprirent de sa bouche même pour ne plus l'oublier jamais, ni leurs frères de Khosrow, ni leurs enfants, ni leurs petits-enfants.
Envoyé près des étrangers comme le seul qui put se faire comprendre d'eux, pour savoir le but de leur voyage et de leur séjour à Paris, M. Jouannin écouta -avec attendrissement l'histoire si touchante et si simple des voyageurs persans, et •
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celui lui (jiii, (Ic'sccinoiiionl, les lïilid.i dnns les (lérnjMTlics qu'ils vojilaicnt Hiin'.pour arriver au l)ul (juils sélaicril proposé.
Ému (le pilié à la vuo de leur rni-sère, saisi (radriiiralioii à l'aspect de leur vertu, M. le euré de Sainl-IHienne du ^lont les recommanda à son prone, eu apprenant aux fidèles (piel avail été le charitable motif de leur voyage.
Dès lors, de toutes parts la bienfaisance ofl'rit des secours en argent, des vêtements, un gîte coin euaMe: deux familles aisées, étrangères au quartier qu'ils habitaient, voulurent les dé-- frayer de toutes leurs dépenses, et par les soins du curé de Saint-Étienne du Mont, une souscription fut ouverte en leur faveur. Le roi donna cinq cents francs, la reine, le duc d'Or- léans, de charitable mémoire ; sa femme, la princesse Hélène ; enfin madame Adélaïde, envoyèrent chacun cent francs.
Quatre mille francs ayant été réunis furent expédiés aux mis- sionnaires de Saint-Lazare à Constantinople, après quoi les .trois Persans partirent de Paris. Leur voyage était payé jusqu'iY Lyon ; là, on ouvrit pour eux une nouvelle souscription qui pro- duisit six cents francs; Marseille leur en fournit autant.
Cependant, arrivés à Ronie, où l'on devait leur faire passer ce trésor de la charité qu'ils avaient amassé à force de courage, la somme ne se trouva pas encore complète. Instruit de cette circonstance, un homme de cœur et de talent, M. Curmer leva cette difficulté. Placé par ses rapports de tous les jours au mi- lieu de personnes dans l'àme desquelles le cri du malheur ne reste jamais sans écho. M". Curmer implora l'assistance des arts pour compléter l'œuvre cte la charité chrétienne. Une loterie fut ouverte à son domicile, et le produit en fut envoyé aux Per- sans, qui espéraient recevoir à Rome ce complément nécessaire à l'accomplissement de leur œuvre. Leur attente ne fut point trompée. Ils purent retourner dans leur pays. Ils le firent avec facilité; et l'àme remplie d'allégresse, ils purent enfin délivrer leurs frères.
Il n'est pas besoin de dire comment la trinité^ des trois Per- sans fut accueillie par le village de Khosrow. Leur dévouement
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iiviiil s;m\(' (Tiil liuiiillcs. Lciiis coinp.ilriolcs cm les rcvoyaril pIcnraitMil de joie cl de hoiiliciir. Ils les molliraient à leurs pères, à leurs l'eiiunes, à leurs lils. à leurs eufanls, eoninie les envoyés de Dieu ; les larmes se eoulondent avec les emhrasse- menls ; ils appellent sur leur tcHe les faveurs du ciel ; tandis (jue David, lils de (iabriel ; kiril, tils de Joussoui'; et .loussoul'. lils de .louanna, respectueux et soumis, sont aux pieds des vieillards (pii leur ont donné le jour, et reçoivent liund)lement leur bénédiction, aux acclamations de tous ceux dont ils ont brisé les l'ers. Telle est la récom[)ense du courage, tel est le fruit de la vertu. Nouveaux Vincent de Paule, les trois Persans, sans le savoir, avaient rempli le vo'u du saint fondateur de la rédemption des captifs.
M'- Tu. MioY.
llLll. iJcCUU-
KOK XHOIIAS .
.v'-t5ai(?^«*«:»-«V5rr.!!^''^'''^"^'"'''"--''^-' "''''*®*^ ^'^'^
,.,:,^<:iifl!C£>o.-^^,-Vb5-^ ..^«6-rvi?SAf^ _
JBAX-BAI'TISTE IIB LA SALLK
FONDATEUR DF.S FCOI.KS CIIRF.TIENNES.
Quand les lecteurs (pii doivent parcourir le livre des Anges de la terre ar- riveront à ce nom de Jean- Baptiste de la Salle, ils poseront un instant le vo- lume, et ils chercheront dans les replis de leur mé- moire ce nom qui ne se sera pas présenté d'abord à leur esprit. Puis, ne trou- vant aucun souvenir qui le leur rappelle, ils pas- J^^J^Çlr: seront peut-être avec ra- â^S^^ pidité et indifférence ces
pages qui portent, à leur commencement, un nom célèbre,
oublié dans les débris du passé; à leur fin, un nom obscur,
perdu dans le bruit du présent.
Et cependant la vie qu'elles racontent fut bien pure, bien
belle, bien utile! Cet homme, dont le nom est inconnu, qui au-
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mil (lu avoir do slalucs, cl doiil il ne rcsir <in imc iiiciiioirr iri- cciiaiiu' cl une loinhc itiiiorc»', lui le coiiliniialciir de l'aMiyrc admirable de saint ^ iueeiil d(^ Paul. Il i'iil |diis eiieore, car il la eoinpléla en (jueliiue sorte, en donnant la iiourrilure de l'Ame et de rintelli^enee à Ions ces eidaiils arrachés aux horreurs de l';d)aniLon. A Dieu ne plaise (pie nous cherchions à diminuer les mérites du saint apoire du dix-septième sièelc^mais nous ose- rons nous étonner que loi'scpie son souvenir est dans tous les coeurs, celui de Jean-Baplisle soit banni de tous les esprits, et nous nous affligerons que la postérité, qui laisse ordinairement l'ingratitude aux contemporains, ne se soitjpas môme réservé en cette circonstance le droit si doux de la justice et de la répa- ration.
En 1663 vivait, en Champagne, une de ces familles de ma- gistrature dont l'existence austère et édifiante était l'exemple des cités qu'elles habitaient et l'honneur des vieux temps de la monarchie française. Louis de la Salle, conseiller au présidial de Reims, était le chef de cette famille, et réunissait à l'illus- tration d'une noblesse ancienne et sans tache toutes les vertus héréditaires ([ui depuis des siècles avaient fait chérir et respecter son nom. C'était un homme jeune encore, d'un caractère grave, d'un extérieur imposant, mais d'une charité douce et d'une bonté parfaite. Il était marié, depuis quinze ans environ, à Nicole Moët de Brouillet, femme bonne et pieuse comme il était pieux et bon, et cinq enfants avaient été les fruits de cette union, que nulle faute, nul chagrin n'avaient troublée dans son bonheur ni altérée dans sa sainteté. A l'époque dont nous par- lons, l'ainé de ces enfants, qui était un garçon, pouvait avoir douze ans, et dans la pensée de son père il était destiné à lui succéder un jour dans sa charge, et à devenir alors le guide et le protecteur de ses frères et sœurs. Les traditions de la famille le voulaient ainsi, et M. de la Salle se sentait d'autant plus dis- posé à s'y conformer, que son fils annonçait dans sa maturité précoce toutes les qualités qui font le bon magistrat. On venait de décider que le jeune Jean-Baptiste, aussitôt après sa pre-
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mièro corniiuimon, parlinul pour P.>ris, ..ii il ..rlicvcniil ses (Hucles sous la direction d'un vieil ami de sa laïuillc \nvsi\n une circonstance imprévue changea suhilcnieiil la irsolulioii prise et retarda de plusieurs années le départ projeté.
r/était le lendemain d(Ma pieuse cérémonie qui avait donne au jeune de la Salle la robe viriles du clnislianisme; son père et sa mère étaient réunis dans une espèce de petit vestibule qui servait, pendant la belle saison, de parloir à la sainte tribu, et ils causaient de l'absence prochaine et de l'avenir de leur en- fant. Le digne magistrat cherchait à puiser des consolations dans la pensée que son fils continuerait après lui sa vie si no- blement utile, et, sur des jeunes vertus de Jean-Baptiste, il ne demandait à Dieu que de veiller sur des jours aussi précieux. Nicole Moët, les yeux baignés de larmes, mais le sourire de la résignation sur les lèvres, l'écoutait, lorsque la porte s'ouvrit lentement, et donna passage au cher objet de tant de sollicitude
et d'amour.
(c Nous parlions de toi, mon fils, dit la tendre et pieuse mère en attirant doucement l enfant sur son cœur : hélas! ce sera bientôt notre seule joie dans ce monde.
— Vous parliez de moi, répondit Jean-Baptiste ; eh bien, moi, je viens aussi pour vous en parler, si vous le trouvez bon.
— Voyons, qu'as-tu à nous dire? reprit à son tour M. de la Salle en promenant ses doigts dans la belle chevelure blonde et bouclée du futur conseiller, car c'était ainsi qu'on l'appe- lait depuis qu'il avait été question de l'envoyer à Paris.
— J'ai à vous dire, repartit l'enfant avec douceur et fermeté, que je ne veux pas être magistrat. »
Le visage de M. de la Salle devint sombre, celui de sa femme
pâlit.
« Tu ne veux pas être magistrat 1 dit le père en cherchant a maîtriser l'émotion que lui causaient ces mots qui renversaient ses plus chères espérances : quels sont tes projets?
Je vous ai souvent entendu dire, à vous, ma mère, et à vous aussi, mon pèr(\ ipie vous désiriez qu'un de vos enfants
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lui piTtrc, et je viens V(His (IciiijiikIci', vous supplier île |)ei- inellrcque eel enlaul soi! uioi.»
Le visage de M. de la Salle s'éclaircil ; niadiime de la Salle pressa une seconde lois l'enlant sur son cœur.
(( Mon ami, lui dit le premier, lu es bien jeune pour |»ren- dre une semblable résolution ; en as-tu examiné toute la gravité? Sais-tu bien à (juoi lu t'engages?
— Je n'ai rien examiné, reprit l'enlant, dont le Iront rayon- nait d'inspiration,, mais j'ai entendu une voix (^ui m'apjxîlail, et avant de la suivre, j'ai voulu savoir si vous y consentiez.
— Songe, mon fils, que tu es l'ainé de ma famille, et que tu dois me remplacer un jour à venir près de tes frères et sœurs.
— N'est-ce pas une raison de plus pour me consacrer à Dieu? et si je lui appartiens, ne deviendrai-je pas un meilleur protec- teur pour les miens? Vous me reconnaissez un droit d'aînesse, laissez-moi prendre celui-là.»
M. et madame de la Salle s'interrogèrent du regard, et, comme les gens qui ont l'habitude de s'entendre, ils se compri- rent aussitôt.
(( Écoule, Jean, lui dit son père après avoir réfléchi quelques instants, un parti pris d'une manière aussi subite demande à être examiné avec calme dans les causes qui l'ont inspiré; nous en parlerons, ta mère et moi; en attendant, demande à Dieu, dans l'innocence de tes prières, de nous éclairer tous les trois.»
A six mois de là, le jeune de la Salle était au séminaire ; cinq ans plus tard il avait un canonicat dans la métropole de Reims; quelque temps après il entrait dans la maison de Saint-Sul- pice, à Paris, ce qui était la première de ses pieuses ambitions réalisées.
Il y poursuivait ses études avec une ardeur toujours crois- sante; sa douceur angélique, sa piété sincère, le faisaient aimer et respecter de tous, lorsqu'il eut la douleur de perdre sa mère, et presque immédiatement son père. Il supporta ces deux mal- heurs avec un courage et une résignation inouïe dans un cœur aussi tendre, et puisant un surcroit de force et de nouvelles
— 11'.) — viTlus dans le; suiilimcnl d.; ses nouveaux (l(;vuirs, il courut a Uclnis pour régler l'avenir de la jeune famille (pie Dieu lui œn- liait comme pour l'inilier à la \i(! (lui lui élail réservée.
Il y demeura di\-liuil années sans se permellre une semanie d'absence; il y recul le sous-diaconat, le diaconat, la prêtrise ; l'ut curé de la paroisse de Saint-Pierre, directeur de la maison des sœurs de l'Eniant-Jésus, dont il régénéra l'institution; et enfin il y jeta, sous l'abri tutélaire de la vieille basilique de Saint-Remi, les premiers fondements de rétablissement le plus utile qui ait jamais existé ; nous voulons parler c/cs fràï^s àa écoles chrétiennes.
Tout ce qu'il eut à vaincre d'obstacles, à surmonter de dé- goûts, à ramener d'oppositions, à désarmer d'envies, est incal- culable. Il trouva des protecteurs, mais ces protecteurs l'aban- donnèrent ; il rassembla des disciples, mais quand il voulut les soumettre à une règle sévère, ces disciples le trahirent après l'avoir quitté. Les gens de bien qui l'avaient d'abord encou- ragé vinrent lui conseiller de laisser tomber son entreprise, rien ne put rebuter sa persévérance ni même ralentir son zèle. Plusieurs fois la maison qu'il avait fondée le vit, seul et sans ressources, continuer son œuvre et lui recruter de nouveaux ap- puis; sa sérénité, sa confiance eu Dieu, ne se démentirent pas. La calomnie attaqua sa vie, il y répondit par la sainteté évi- . dente de sa conduite; la famine désola le royaume et ferma les ^sourcesde la charité, il pria, et Dieu lui envoya des secours 'inespérés; ses supérieurs diocésains voulurent détruire son in- stitution naissante, il sut leur résister sans manquer au respect qu'il leur devait et sans sorfir de son humilité ; on l'accusa d'ambition, il employa toute son influence à faire nommer un directeur à sa place ; on l'obligea à reprendre la chaîne de ses fonctions, il s'y résigna tout en protestant de son indignité; il fut frappé, injurié, couvert de boue par ce peuple dont il in- struisait les enfants, il chercha les moyens de les mieux in- struire encore. Enfin un moment de trêve arriva au miheu de tant d'épreuves, et pour première consolation à toutes ses souf-
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(Vil pnHre, vi je viens vous deniynder, vouï- ju iiwltrc que eet enfant soit moi."
Le visage de M. de la Salle s'éclaircit ; li . pressa une seconde fois l'enfant sur son c«*u
" Mon arni. lui dit le premier, tu es Li«i dre une semblable résolution; en as-tu exam Sais-tu bien à quoi tu t'engages?
— Je n'ai rien examina*, reprit 1 ♦nidiii. 1 nait d'inspiration,. mais j'ai entendu une \ et avant d«' la suivre, j'ai voulu savoir si > i
— Songr, mon fils, cjue tu es l'alné de m <iois me remplacer un jour à venir prèsd'
— N'est-ce pus une raison de plus pour i et si je lui appartiens, ne deviendrai-j* teur pour U's mirns? V(ius uw reconn.u-- laissez-m(ji prendre celui-là.-
M. et madame de lu Sidle s'interrof.» comme l(*s gens (pii ont l'Iialiiludi' de s'cni rent aussitôt.
" Écoute. Je^m. lui tlit î>on père après ii\ instants, un parti pris d'une manière an- t'irr rx.iniiné avec calme dans les cau^ - " en p.irlrrons. tii mère et moi; en atl' dans l'innocence de li's prières, de nous «
.\ six mois de là, li* jeune de la Salle éi ans plus tard il avait un canonicat dans la quclipir temps apn*N il entrait dans la n |>ire. à Paris, cr «jui riait la |»r»'mi' •• -l- réalisées.
Il y poursuivait sc^ études avec une anl» r Hanlo; îwi «louceur angélique. sa piété sin«' et nspecler d«' tous, lorsqu'il eut la doul< et pns^pie imnïé<liatement son père. Il mm lieurs a\e( nii roura^»' rt uiir rési^'iialicMi
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Il y demeiir li\-huit années sans se perniellre une semaine d'iibsenee : il ^ ecul le sous-diacoual, le diaconat, la prélrisc; l'ut curé de la iroisse de Saint-Pierre, directeur de la uiai>i»n des sœurs «l.- infant-Jésus, dont il régénéra l'institution; et enfin il y j. a >ous l'idjri tutélaire de la vieille basilique de Saint-H< !!i !( {>reiuiers fondements de l'établissement le plus utile (pi ais existé; nous voulons parler des frèrn éa
croies chrelunn
Tout ce qu'i 'Ut à vaincre d'obstacles, à surmonter de li' goùls. à raiiiej r d'oppositiuns. à désarmer d'envies, esl mcâlf culable. Il lioi a des protcctj'urs. mais ces protecteurs !''-"» dunnèreul ; il ^sembla des disciples, maisipiand il vui. soumellre à u ' règle sévère, ces disciples le Iraliirenl <;•'** l'avoir quille, -es gens de bien qui l'avaient d abord ragé vinreul li conseiller de laisser tomber sdd enlr rirn ne put n*| tiT vi pers<'*vérinire ni même ralentir v»n ê* IMu>ieJir* fois ) maison (pi'il avait fomlee Ir vil. m-uI H n'ssources, cu^inuer son œuvre r't lui recruter de fuiui puis; sa$érén|, sa confiance en Dieu, ne se denieiiû Li ealoninic uiiipia s<i vie, il y répondil par lu sainklf dtrile de Sii co|uite; la famine désola le royaume H frrw ,s<iun!«*sdf la «arité. il pria, et Dieu lui envova â'^ - ifH'Np«'rés; s(»siipérieurs dio(('»sains voulurent del slitulion naissf le. il sul leur résister sjuis rii.iii<ii>. ipi il leur de^t et sans sorfir de son buii...!.- d ambition, il iiploya toute son influenco^r dinTleu! H (■ ; on l'obligea à repre»
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oiir add-
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mériter. Ce
le me sens In', dont j'ai 1 des relations
— 230 —
fraïu'es. il piil lomlcr à (juise, à Kcllicl, à Laon, à Cliàlt'uu- Sainl-Ponicii, des rlahlissiMiicnls scmhlaMcs à celui (ju'il avail f'uiulé à Heiins.
Tant de perstWéraïu'e suivie de si J)eaux résultais le firent bien- tôt appeler à Paris, où sa maison principale fut établie prés de Saint-Sulpice d'abord, et ensuite à Vaugirard. Là les difficultés (|u'il avail nMiconlrées à lleirns se présentèrent de nouveau, et il dut reconunencer la lutte, si longtemps soutenue, contre des obstacles bien plus sérieux et des ennemis bien autrement puissants. Après de nombreuses alternatives de succès et de revers, il vil les principales villes du royaume réclamer les bienfaits de son institution tout en continuant à mécoimaître les touchantes vertus du fondateur. 3Iais que lui importait à lui, pauvre instrument, d'être délaissé, pourvu que son œuvre fût triomphante, et qu'elle eût jeté d'assez profondes racines dans le présent pour pouvoir étendre ses rameaux jusque sur l'a- venir ! Brisé de fatigue, accablé d'infirmités, le vénérable père de la Salle, comme on l'appelait alors, se réfugia dans une petite retraite près de Grenoble, d'où son zèle le fit bientôt sortir quand il apprit que son absence était funeste aux. intérêts de son institution, qui de la France était passée en Italie. Il revint donc au milieu de ses frères, et lorsque tant de sollici- tudes et de travaux auraient dû lui mériter du moins la ré- compense du repos, de nouvelles persécutions, et des embarras de toute espèce l'obligèrent à transférer sa maison de Paris à Rouen, puis de Rouen à Paris, d'où il dut la ramener encore dans la capitale de la Normandie. Ce fut là que, sentant ses forces diminuer, il songea à se donner un successeur digne de l'œuvre de sa vie entière, et qu'il eut le bonheur de le trouver dans le frère Barthélemi, l'un de ses plus saints disciples. Alors il ne s'occupa plus que de sa fin, et après avoir obtenu de ses frères la promesse qu'ils n'abandonneraient jamais la pieuse tâche qu'il leur léguait, il rendit doucement son àme à Dieu, le vendredi saint, 7 avril 1719, n'étant encore âgé que de soixante-huit ans.
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Nous lie croyons |>;is pouvoir mieux Icrmincr cvWv mpide analyse; «ju'en cilanl deux extraits, l'un tir/' des an;liives du sé- minaire de Saint-Sulpirc, à la dale de 1G8() ; l'autre pris sur les registres de la paroisse de Saint-Sever de Rouen, en 17.*i4.
Voici comment s'exprimait M. Leschassier, supérieur de Saint-Sulpice, dans une note que eliacun peut vérifier :
f( M. de la Salie lut toujours lidèle observateur de la règle, » et très-exact aux exercices de la communauté ; sa conversation » fut toujours honnête et douce ; il ne m'a jamais paru avoir )) mécontenté personne, ni s'être attiré aucun reproche. Quand » il est revenu à Paris pour prendre les ordres, j'ai reconrm en « lui de merveilleux progrès dans toutes les vertus. Tous ceux » qui l'ont connu en ont vu des preuves dans sa conduite, sur- « tout dans la patience avec laquelle il a soufTert les mépris » qu'on faisait de sa personne. »
Voici maintenant comment M. le curé de Saint-Sever, qui avait été autrefois un des adversaires du vénéral)le de la Salle, terminait le discours qu'il prononça en remettant aux frères les restes mortels de leur fondateur.
« Ce serait ici le lieu, suivant le cérémonial ordinaire,
» de dire quelque chose de la noblesse de son extraction ; mais )) le généreux mépris qu'il fit des espérances que lui pouvait » donner une naissance distinguée m'apprend à me taire. Je » ne relèverai point non plus les qualités éminentes de son » esprit et de son cœur, et l'avantage de son extérieur, qui ren- » dait sa piété vénérable à tous ceux qui le voyaient ; mais je ne » saurais m'empêcher de préconiser ici sa charité, son zèle et » son humilité, sources fécondes de toutes les vertus chrétien- » nés et apostoliques, qui, l'élevant au dessus de toutes les » choses visibles et périssables, ne le firent vivre que pour ado- » rer son Dieu, ne le firent penser que pour le prier, parler que » pour le louer, et travailler et souffrir que pour le mériter. Ce » sont là, mes chers frères, les témoignages que je me sens )> obligé de rendre à la mémoire d'un si saint prêtre, dont j'ai » reçu les derniers moments, et avec qui j'ai eu des relations
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» assez clroilcs pondaul 1rs dnix dmiirrcs lumrcs de sa vie. » Fasse le ciel (iii(> ee précieux dépôt (jue je remets dans cette » église soit un i^at;(> enlre votre communauté et moi de l'union » que je souhaite entretenir, et (pi'c^lle passe à mes succes-
» seurs! ^'
Nous avons à peine esquissé celte vie si pleine qui demande- rait la majestueuse ampleur de l'histoire, et (pi'il nous a fallu réduire aux étroites proportions de la l)io^ra|)hie. Nous lâche- rons de suppléer ;\ tout ce qui manciue ;i notre analyse en met- tant en peu de mots sous les yeux de nos lecteurs les résultats de l'œuvre du vénérable de la Salle.
Cette œuvre existe maintenant dans toute l'EuropcN et elle envoie ses frères dans toutes les parties du monde ([ui les ré- clament. Les colonies françaises en ont depuis longtemps, les Amériques du Sud viennent d'en demander. En France l'in- stitution compte dix-huit cents frères ou novices qui instruisent gratuitement plus de cent cinquante mille enfants pauvres. Elle a aussi quelques pensionnats excellents où les élèves n'ont à payer exactement que leur nourriture, l'insiruction ne pouvant dans aucun cas être rétribuée. Quelques-uns de ces frères sont peintres, sculpteurs, musiciens, et se font un bonheur d'ensei- gner les arts comme ils initient dans les sciences. Leur méthode est parfaite, leur douceur et leur patience inaltérables, comme si chacun d'eux cherchait à imiter les vertus de leur saint fon- dateur.
Maintenant nous demanderons aux hommes de bonne foi si nous avons exagéré lorsque nous avons avancé que la mémoire de Jean-Baptiste delà Salle devait briller même auprès de celle de saint Vincent de Paul?
Marquis de Foudras.
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Lith-Becquet.
LE PETIT Wmi
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Le vent soufflait avec violence; le ciel, chargé (le nuages, ne montrait pas une seule étoile pour guider le navigateur; la iner houleuse allait se brisant contre les récifs, de la côte , comme si elle eût espéré déplacer ces éternels obstacles de ses éternelles violences. Malgré ces symptô- ^ mes menaçants, le pa- tron Romilly comman- (hi que l'on mit à la f. mer son beau bateau de ^r^ pèche le Napoléon, u Les ^^^^^WW tempêtes ont été si fré- quentes dans les derni'ers mois de 1842, que si on n'avait pris le parti de les braver, le poisson aurait manqué au marché, et
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— 2:i\ —
le |);iiii dans la liiiclic du pn-liciir. » (l't'laii ce <|iir Ir palrori rt'poiidail à sa riMiiinc, (|iii, les larmes aux yeux, h; si]|)|»liail dr lie [uiiiil s'(ixp()S('r ainsi. « Mon Dieu, disail la Irisic Marie, c'est braver, lasser la l'rovideiice , (|ue d'aller clierelier des dangers cerlains. Knlends-(u sonlller le vt-nl et gronder la mer* Tn su('('ond)eras ; et moi. cjue deviendrài-je, ainsi (jue mes' pauvres enfants ? — .le le l'ai déjà dit, il faut du poisson au- jourd'hui. «D'ailleurs, je n'ai pas nonnué mon bateau Ir Na- poléon pour (|n il reste sur la grève au moindre orage. Son étoile ne l'a pas encore abandonné, et j'espère bien qu'il ne trouvera pas son Waterloo sur l(^s éeueils de la cote. — Laisse au moins au logis notre fils aine. — François? Quand je le vou- drais, il n'y consentirait pas. C'est le meilleur mousse de tout Courseilles. Vois-tu, femme, lu ne sais pas quel brave enfant est notre fils. — Et tu as le cœur de le conduire à la mort? — Chacun son métier,» répondit le patron en s'éloignant pour échapper aux sollicitations de sa femme.
Deux matelots devaient monter le Napoléon avec Romilly et son fds. La fdle de l'un et la sœur de l'autre s'en vinrent pleurer sur la grève pour les empêcher de partir : ces pauvres créatures furent dédaignées, on les renvoya à leurs fuseaux, et toutes deux sagenoudlèrent à côté de la femme du patron, qui priait ^ ^ devant l'image de la ÎVotre-Dame des Consolations pour le retour de son mari et de son fils.
Jamais devant une table splendide, entouré de toutes les re- cherches du luxe et de la bonne chère, égayé par des vins gé- néreux et de joyeux propos, on ne reporte sa pensée sur ce que ces monstres marins qu'on étale avec tant d'orgueil devant les convives ont coûté de périls-et d'angoisses aux aventureux ha- bitants des côtes de l'Océan.
Le bateau mis à flot, quatre hommes le- montèrent : Romilly, ses deux matelots et son fds âgé de douze ans. La nuit était si froide, que, quelque habitués que fussent ces gens aux intem- péries des saisons, ils sentaient leurs membres engourdis. Long- temps il fut impossible de songer à la pèche, la mer étant trop
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mauviiisc; H \v juilroM -ouvmiail loujoui^ Nns L- 1ai-r, aliii d'iWiliT les écueils doiil la <'ole est lu''riss('M,'. <( llciiiruscmcnl, disait-il, le vent souffle d(; l'ouest, et si la mer est grosse, le Na- poléon est solide. » Ouand il se crut assez éloigné pour ne plus craindre d'être jeté à la cote, il dit à ses compagnons : .c liele- vons les fdets.» Les trois hommes se mirent à l'ouvrage. «Eli bien . père ! cria François, qui serrait les voiles afm de maintenir le bateau au large. - Les fdets sont lourds, mon enfant, la pêche est bonne, nous ne nous repentirons pas d'être sortis.»
En cet instant le vent sauta brusquement au sud-ouest et redoubla de violence; les fdets sont abandonnés pour courir au secours du bâtiment. Le père RomiUy se précipite à la barre, les matelots ferment les panneaux ; François grimpe au màt, prêt à exécuter les ordres qu'il prévoit. Tous s'apprêtent à tenu- tête à cette terrible bourrasque. Efforts impuissants, un coup de mer jette le bâtiment sur le côté, et la lame furieuse , ba- layant le pont, emporte le patron et les deux matelots.
François reste seul accroché à la mâture. Le navire est in- cliné, s"es agrès touchent les vagues ; la nuit est tellement ob- scure, que l'on ne distingue rien à quatre pas. Cependant le brave mousse ne perd pas courage : son père, ses amis sont à la mer, d songe à les sauver. Il saisit deux cordes, qu'd attache solidement aux manœuvres; d passe le bout de l'une dans sa ceinture, et tenant l'autre dans sa main droite, prêt à la donner à celui des naufragés qu'il pourra joindre, il crie : " Père, où êtes-vous?car due pouvait le voir. — Courage, enfant, tiens- • toi bien; ne quitte pas le màt,» répond le père, qui se débat au mdieu des vagues en furie. Mais ce n'est point sa vie, a lui, que François cherche à conserver, c'est celle de son père d'a- bord, et des autres naufragés ensuite. Malgré la nuit qui ne lui permet de rien distinguer, il s'élance à la mer; guidé par la voix du patron, il parvient à le joindre, lui fait prendre la corde qu'il tient à la main droite, et tous deux s'aident mu- tuellement, s'efforcant à remonter sur le pont de leur navire a moitié couché dans les flots ; deux fois la vague les en éloigne ;
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niiu> ciiliii.lc ciel prolciic leurs cllorls, ils soni sur le |miiiI : le palfoii rcud i^ràcos à Dieu. Kraurois u'unil pas sa voix à ccllt' de son pÎTc; sa làvUe, à lui, n'cUiil pas cnlionMiicnl accomplie: (les deux lualclols, l'uu avait disparu, l'autre naiijeait le long du bord, appelant du secours; il ialhiit une oreille hien allenliveel bien exercée pour dislinliucr une voix luiniaino à travers les nigissernents «le la tempête «|ui va toujours grandissant. Fran- çois entend les cris de détresse de son compagnon ; il va se jeter de nouveau à la nier pour le secourir, lors(pie la Providence, touchée de son généreux dévouement , |>ermet qu'un second coup de mer relève le bâtiment, et la vague porte sur le pont le matelot miraculeusement sauvé.
Tous trois réunis, les braves marins s'embrassent en rendant grâce à Dieu de leur délivrance. Ils donnèrent aussi des regrets à leur compagnon submergé. » Il était vieux, dit le matelot, il n'aura pu lutter contre la lame. — La vigueur ne suffit pas toujours pour se tirer de .là; je n'en manque pas, Dieu merci, et sans mon garçon, je ne sais trop ce qui allait m'arriver.» François, plus heureux de ce mot de son père qu'il ne l'eût été du don d'une couronne, saute au coude Romilly et l'embrasse avec transport.
Cette joie devait être de peu de durée; un péril plus terrible que celui auquel il vient d'échapper menace le Napoléon. Une chandelle allumée, laissée imprudemment dans la chambre du navire, a été renversée par la bourrasque ; elle a mis le feu aux paillasses de l'équipage, et -déjà les flammes gagnent les écou- tilles. D'un côté l'incendie, de l'autre la mer toujours en furie. Le matelot et le patron restent atterrés, ils désespèrent de leur salut ; l'enfant conserve seul sa présence d'esprit. « À la barre, père ! gouvernez sur la lame.» Le patron obéit machinalement, il ne sait ce que son fils va faire ; pour lui, il n'a ni idée ni vo- lonté. Le brave François songe à combattre ses ennemis l'un par l'autre. Il va aux panneaux, qu'il ouvre bien vite ; une vague énorme se précipite sur le pont du navire, et s'engoufïrant dans la chambre v éteint l'incendie. François referme aussitôt les
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panneaux; un U'I auxiliaire aurait pu devenir dangeieux (;l submerger le l'rèle bàtinieiil(|u'il venait de sauver.
Lo lendemain de cette nuit d'orale, le bateau p(V-lieur en- trait au port de Cherbourg ; un peu plus tard, le bonhomme liomilly présentait son fds sur le port, et le proclamait avec orgueil son sauveur. Le peuj)Ie et les matelots se pressaient au- tour d'eux pour mieux entendre le récit. Tous voulaient voir le brave enfant dont le courage et le sang-froid au milieu des périls leur semblaient surnaturels. Les officiers de la marine royale venaient aussi serrer la main de François; ils lui prédi- saient qu'il serait un jour des leurs, et placerait son nom à côté des noms glorieux de Jean Bart, et de Duguay-Trouin.
LE SOLDAT BIENFAISANT',
L'amour du prochain, ce noble sentiment qui distingue l'homme de la brute, nous a été donné à tous, mais beaucoup d'entre nous le laissent obscurcir par l'égoïsme; la fortune, qui nous permet de ne songer qu'à nos plaisirs, la pauvreté, qui nous force à nous occuper sans cesse de nos besoins, aident également à détourner notre attention des peines et des souf- frances de nos frères. Il y a cependant des hommes ([ui restent
' Le réfjinuint de ce soldat (Mail en j,'arnis()ii a Met/.
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bons et génér<'ux dans toutes les «irconslanccs ilc la vie. cl ceux-là doivent t'^lre aimés et vénérés de tous, car ils sont hénis (!(» Dieu.
Lu soldat (1 inraiileric nouinié Ainljroise possédait im plus haut degré celte ardente charité que rien ne détourne de son but. Hors d'étal de soulager les pauvres de sa bourse, car il ne possédait que sa niodi(]ue paye , cinq sous par jour, sur les- (juels la Caisse du régiment l'ait des retenues pour |)lus de moi- tié, Ambroise va s'otlVant à tous ses camarades pour remplir leurs corvées, et le léger salaire (pi'il en reçoit est tout entier consacré à des aumônes : souvent une pitjce de vingt sous ainsi amassée avec labeur lui avait été d'un grand secours pour venir en aide à une pauvre femme malade, ou donner du pain à un vieillard infirme (jue ses proches délaissaient. Ambroise était bon soldat, mais il n'aimait pas sa profession ; il avait au vil- lage une mère et une sœur chéries; quoique sans étal, il pou- vait, en se louant pour travailler à la terre, gagner plus qu'il ne gagnait au régiment, et alors donner davantage aux pauvres, car Ambroise ne connaissait pas d'autre usage à faire de son argent. Un jour qu'il marchait dans les rues de Metz, calculant qu'il ne lui restait plus que trois mois à rester sous les dra- peaiix, il est abordé par un petit garçon de sept à huit ans qui lui demande la charité. (^Pauvre petit, est-ce pour la mère que tu mendies? — Non, mon bon monsieur; je suis seul. — Orphe- lin ?— Je ne sais pas, j'ai été nourri à la campagne ; j'y étais bien; mais voilà trois jours que maman Babel m'a amené à la ville et m'y a perdu. Le premier jour, j'ai pleuré en cherchant à trouver mon chemin pour m'en retourner, et je n'ai rien mangé du tout. La nuit, j'ai dormi au frais sur les marches de l'église. Hier, j'ai demandé à manger à un grand monsieur qui m'a donné un morceau de p^in en me disant de n'y plus reve- nir. Voilà pourquoi je vous demande, à vous, aujourd'hui, mon bon monsieur, car j'ai bien faim ; mais si cela vous fâche aussi de me donner, j'irai à un autre demain.» Le bon soldat sentit ses yeux se mouiller de larmes; une simple aumône ne pouvait
surfin', il liillail s.iincrrcl «miI'.iiiI (i<'s (l.iiiLrciN de I .ih.iihlon ci (le \i{ misrrc. assurer son avenir, lui rendre une r.iinille. .Mais connneul s'y |)ren(lr('? soldai, anjourdiMii, demain pauvre jour- nalier, Ambroise n'a à parlauer (ju'un morceau de pain ^Mj;né à la sueur de son front. Beaucoup à sa place auraient vu dans cette pauvreté une raison suffisante pour passer son chemin en disant : « Le sort de cet enfant m'intéresse, je suis bien fâché de ne pouvoir rien faire pour lui. *) Mais tel n'était pas le généreux Ambroise. Un niidlieureux placé sur son chemin portait avec lui l'ordre de la Providence pour le secourir, et cet ordre, Am- broise l'exécutait comme une consigne militaire sans délibérer si la chose était possible ou non.
Ambroise prit donc l'enfanl par la main et le conduisit à la caserne. < Là, disait-il, il aura toujours un abri ; quant à la nour- riture, je lui donnerai la moitié de mes rations. » Quoique bien habitués aux actes de charité du brave soldat, ses camarades ne purent s'empêcher de se récrier quand ils lui virent amener avec lui un petit garçon de sept ans qu'il prétendait adopter. Les officiers ne permirent pas que cette nouvelle recrue habitât la caserne; il n'y aurait plus eu de raison pour que chaque fan- tassin n'amenât pas avec lui ses propres enfants, et l'ordre de- venait impossible; sans compter que les céhbataires auraient supporté fort impatiemment toute cette marmaille, et que des querelles s'en seraient suivies. Ambroise ne pouvant garder le petit Jacques, auquel ses camarades avaient donné tout de suite le surnom de Trouvaille, offrit à la cantinière de le prendre chez elle, -f Qui payera la pension? demanda cette femme, ha- bituée à faire commerce de tout. — Je vous donnerai ma paye et tout ce que je pourrai de mes rations, répondit Ambroise. — Ce n'est pas de quoi rouler carrosse, répliqua la cantinière; ajoute à cela, mon garçon, que dans trois mois ton temps finit, et que si le régiment quitte Metz, je ne compte pas le suivre; lu vois donc que l'affaire est impossible. ^
La seconde cantinière se serait bien chargée de Trouvaille ; mais cette fenime, bonne au fond, n'avait aucun principe de
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montlc ni de rcli^Mon O lui le sold.il t|iii ;i sou t(Mir refusa de lui conlicr rcnl'iuil.
Auihroise no voulail pas sculcuicul donner à sou lils adoplil' la vie du corps, il voulait aussi lui assurer celle de làuie. Voyant coinl)ien son cher Trouraille serait ex|)osé à croupir dans l'ignorance et le désordre à la suite d'un ré'jfiment, il se décida à lui chercher une meilleure protection (|ue celle qu'il pouvait lui accorder. Il conduisit d'abord l'enfant chez les frères de Saint-Vincent de Paul. Ceux-ci se sentirent émus en écoutant le récit du soldat; ils promirent de donnera l'enfant des soins, une bonne instruction religieuse. Mais au bout de quelques jours, ils s'aperçurent avec chagrin que l'enfant, mal élevé, ne pouvait sans danger pour les autres élèves rester parmi eux ; il fallut bien rendre Jacques au soldat. Ce dernier, affligé, mais non découragé, se rendit à l'école comnmnale. Là il essuya un dur refus. Il n'y avait pas moyen de se charger d'in» enfant pour autre chose que la journée seulement. Ouelqu'un dit au pauvre soldat de conduire le petit à l'hospice des enfants abandonnés. La philanthropie la plus éclairée avait présidé à la fondation de cet établissement, et Trouvaille devait y rencontrer tout ce que son ami rêvait pour lui. Ambroise court à l'hospice; nouveau refus : la maison ne s'ouvre pas à des orphelins aussi âgés. Jacques a été trouvé en état de vagabondage, il faut le conduire, chez le juge, qui le renverra au tribunal, lequel le condamnera à être enfermé dans une maison de correction jus- qu'au temps où il sera en âge de gagner sa vie.
Ambroise sait que les prisons sont des écoles de vices, et em- mène bien vite son protégé. « Non, non, dit-il; puisque Dieu t'a mis sur mon chemin, je' saurai te défendre de la corruption ainsi que je t'ai sauvé de la faim. Quant au moyen d'y parvenir, je finirai bien par le trouver. »
En effet, Ambroise, en réfléchissant à ce qui lui restait à faire, se convainquit de deux choses ; la première, qu'il ne devait compter que sur lui-même pour assurer le sort de l'enfant aban- donné; la seconde, que sa paye et ses rations n'étaient pas suf-
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fisanlrs pour siil)VPnir "il rcntrclicii du pdit i:.initii. Il liilliiil donc se procurer de I argent; un seul moyen s OllVail à lin, son temps de service allait expirer, c'était de se vendre comme remplaçant. Ambroise n'avait, nous l'avons déjà dit, aucun goût pour l'élat militaire; il se faisait une grande joie de revoir son village et sa famille : n'importe, il n'iiésile pas. Iri lionime de sa ville qui s'est l'ait une industrie de fournir des rempla- çants pour le service militaire, lui trouve de suite un acquéreur. Ambroise touche le prix convenu, retourne chez les frères. " Si je vous donnais mille francs, dit-il, consentiriez-vous à vous charger du petit et à l'élever pendant dix ans?» Les bons frères ne pouvaient pas absolument admettre un enfant dans leur communauté; mais ce trait de charité les toucha telle- ment, qu'ils se chargèrent de trouver une brave femme qui pour cette somme consentit à prendre Jacques et à le soigner durant tout le temps qu'il ne passerait pas à l'école. De la sorte, Ambroise fut rassuré sur le sort à venir de son fils adoptif. Il recevrait une solide instruction religieuse, et contracterait en la compagnie des bons frères des habitudes de régularité et de travail qui seraient des garanties de sa bonne conduite à venir. A la vérité, lui Ambroise, resterait encore huit ans soldat ; mais il était presque réconcilié avec sa condition depuis qu'elle lui avait permis d'accomplir cette bonne œuvre.
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LES .FIIEIIKS JE,W-BAPTISTE ET CHARLES,
DU MONT-r.ARMKL
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Le Moiil-Carmel est une des montaj^nes. un des hauts lieux de la Terre -Sainte. Comme l'Horeb, comme le Si- naï, il a été consacré par les pas du Sei- gneur. Ses versants fleuris, ses riches pâ- turages, se^ vignes fer- tiles, ses bois de chê- nes, en font une oasis délicieuse au sein de la Palestine. 11 est situé entre Tyr et Césarée, en face de Saint- Jean-d'Acre, dont il n'est séparé que par le golfe de Ptolémaïs. Il baigne sa base dans les eaux du Cison, et il s'avance dans la mer de manière à former un petit promontoire nommé Cap Carmel. <( Cette pointe, dit M. Alexandre Dumas, se présente de loin au voyageur qui vient d'Europe comme le point le plus
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LES FRERES DU MON-T CARMEL
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av<irU(Vsiir lequel il puisse loinher à i^ciioiix. " Kl en ejlel, le |)i'l(>ri!i , en iihonl.inl de ce côlé la lerre travadlén par dn nu- rades, touche à un lieu que beaucoup de miracles ont consa- cré. C'est dans une des grottes du Carme! ({u'Klie se eaclia pour échapper aux persécutions de Jézahel. C'est au sonnnel du mont que les quatre cent cinquante prophètes du culte de Jîaal et les quatre cents prophètes d'Israël se réunirent afin (piuii miracle décidât lequel de Ikial ou de Jéhovah était le vrai Dieu. C'est du haut du Carme] ({u'HIie parlait en souverain aux élé- ments : il ouvrait, il lermait à son gré les écluses du ciel. Mais écoutons Racine rappelant ces prodiges accomplis près du nionl . sacré : •
Des prophètes menteurs la troupe confondue,
Et la flamme du ciel sur l'autel descendue;
Élie aux éléments parlant en souverain , . _
Les cieux par lui fermés et devenus d'airain,
Et la terre trois ans sans pluie et sans rosée;
Les morts se ranimant à la voix d'Elisée, etc.
Depuis ces temps miraculeux, le Carmel est resté en Fti pcrs- session des Fidèles. Après Élie, Elisée; après Elisée, lesfds des prophètes jusqu^à saint Jean. Après la mort du Christ, de pieux solitaires y fixèrent. leur demeure; mais il faut aller jusqu'au douzième siècle pour trouver quelque trace d'établissement ré- gulier. C'est un Calabrais qui, le premier, réunit sous son auto- rité dix cénobites qui reconnaissaient le rite romain. Deux siè- cles plus tard, l'ordre des Carmes y prit naissance. Saint Alberl en fut-le fondateur. Albert était non-seulement un saint person- nage, mais un homme d'une fiante capacité, estimé des souve- • rains de son temps pour sa prudence, pour sa droiture et pour son habdeté dans les affaires. Le pape Clément III et Frédéric Barberousse le choisirent .pour arbitre de leurs différends, et Célestin III et Innocent III l'employèrent souvent dans des né- gociations difficiles. En 1206, Albert fut nommé patriarche latin dé Jérusalem. Ce législateur des carmes établit dès lors pour l'ordre naissant une constitution qui, bien qu'adouci(^
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(lucliiucs iUHiées plus lard par le pape liiiiocotit IV, ii eii a pas moins conservé un grand caraclèn' d'auslérilé. Le couvent l'ut hàli à l'ciidroit nicinc ou VÀw avait dressé son aut<'l (^t con- Ibudu les faux proi)lièles de Uaal ; e(, depuis, ce couvent s'est loujours (tuvert gratuitement à tous ceu\ (|ui souffraient, (|ui avaii'iit l'ai Ml el soi!'.
Toulel'ois ce lieu de prière et d hospitalité n'a pas traversé tant de siècles sans vicissitudes et sans outrages. Les .soldats de Titus, et, douze cents ans plus Um\, les soldats des soudans dé- vastent le saint monastère ; mais coiniue ini oiseau qui refait son .nid après l'orage, la sainte famille,' après chaque désastre, ras" send)lait de nouveau ses enfants, dispersés, et reprenait son œuvre de religion et de charité. D'ailleurs, même après l'abandon de la Terre-Sainte par les Français, le nom de saint Louis y pro- . tégeaii les chrétiens. Plus tard, leur sécurité devait être plus grande encore; car, à partir de François P^ les établissements catholiques de tout le Levant, et particulièrement le Saint-Sépul- (;re et le Mont-Carmel, furent placés, par les traités, sous le pa- tronage de la France.
Cependant- les derniers temps du saint hospice semblaient être venus. En 1799, Bonaparte, en se retirani sur Jafîa après le siège infructueux de Saint-Jean-d'Acre, laissa dans le couvent des Carmes ses malades et ses blessés. Peu après, les Turcs se rendent maîtres du monastère, et, malgré la résistance des com- missaires britanniques et les représentations constantes de sir Sydney Smith, les janissaires de Djezzar massacrent sans pitié les blessés français, dispersent les moines, et laissent inhabitable • la maison de Dieu.
Vingt ans plus tard, ce monastère en ruines semblait encore trop menaçant au pacha d'Acre, Abdallah, qui nourrissait une haine profonde contre les chrétiens-. Les Grecs venaient de se révolter. Abdallah écrit au Grand-Seigneur que ces murs encore debout pourraient bien un jour servir de forteresse à ses en- nemis. Il lui demande l'autorisation de les détruire. Cette auto- risation est accordée sans peine. Dans le même temps,, le gé-
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lierai de l onlrr dus (^rmes, à Home, cAwiyynii au (laniirl un frère (le frère .leaM-Haplistc (^asini), architecte liahilc. (juil cliar- gcait d'examiner si le couvent pourrait être rcc^onstruit. Le frère part, et à peine arrivé à Kaifia, il entend l'i'xplosioti des mines et voit sauter en l'air les débris du monastère.
Le frère Jean-Baptiste pleura suj- ces débris comme autrefois Jérémie avait pleuré sur Sion détruite. Sans doute il s'écriait avec le grand prophète : « Comment cette contrée naguère si peuplée s'est-elle changée enune vaste solitude? Les routes qui conduisent à ses murs sont en deuil... 0 vous qui traversez ces lieux solitaires, voyez, et jugez s'jl est une douleur comparable à la mienne... Couvre-toi du cilice, répands la cendre sur ta tête ; pleure comme une mère qui a perdu son fils unique, fais retentir l'air de tes douloureux gémissements, car l'impjloyable dévastateur, est venu.^) Mais après avoir pleuré, le saint frère entendit sans doute cette voix d'un autre grand prophète : « Le Seigneur dit : Parle à ces ossements et dis-leur : Ossements ari- des, écoutez la parole du Seigneur. Le Seigneur dit : Je vais, vous animer de mon souffle, et vous vivrez... Qyie ton souffle parte des quatre points du monde, qu'il anime ces morts, et qu'ils vivent.-. J'ouvrirai vos tombeaux, je vous appellerai du fond de vos sépulcres; car vous êtes mon peuple, et je vous ra- mènerai sur la terre d'Israël ; et quand j'aurai ouvert vos sépul- cres, quand je vous aurai fait sortir de vos tombeaux, vous saurez que je suis le Dieu tout-puissant; j'ai dit, et ce que j'ai dit a été fait. ')
Or, voyez maintenant comme ces paroles s'appliquent mer- veilleusement au Carmel. De .son temple, de son couvent et de son hospice il n'y avait plus rien que des ruines en 1821, et voici qu'aujourd'hui, en 1843, s'élèvent sur ces ruines saintes un temple, un hospice, un couvent, plus grands et plus beaux que les premiers. Nous sommes sur la terre des miracles. Ra- contons comment celui-ci s'est fait.
. En 182(5, le frère Jean-Baptiste, qui était à Rome, se rend à Constantinople. Grâce au crédit de l'ambassadeur français.
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M. (le LMioiir-MaulxMiri!;. il ohlicnl dti stilt.ui Maliinoud un lirinaii (lui autorise la rccoiisli-uclioii du uioiiaslrrc. Il eu es- (juisse rapideinciil le plan, rcvienl à Uoinc, et bieniol apnV. s'einl)ar<iue jM)ur kaifliu Ouand il y arriva, le dernier IVerede la coinniunauté, (fiii s'était relire dans celle ville, venait d'y mou- rir. Frère .leau-Uaptiste gravit, seul et triste, la nfiontagne. Il se recueille un înoinent dans la prière, puis, s'asseyant sous un sycomore, il achève le plan du monument. Il en fit. ensuite le devis, (]ui s'élevait h 350,000 francs. Frère Jean-Baptiste ne possédait rien, ni lui ni les siens, mais il ne s'en inquiétait pas: l'aumône devait pourvoir à tout. Il avait reconnu que l'ancien couvent n'avait (ju'un terrain fort restreint : il veut doter le nouveau de dépendances plus considérables ; il parcourt les environs. A cinq lieues du Carmel il remarijuc deux moulins à eau qui ne fonctionnent plus, et, à deux lieues plus loin, il trouve la source qui les alimentait autrefois, et dont les eaux ont été détournées sans profit pour l'agriculture. C'était pour le futur couvent un trésor que cette source et ces deux moulins. Il veut les acheter. D'argent, point encore; mais que ne fera point cet homme qui a déjà tant fait ! Vous verrez qu'il aura les deux moulins. Ils étaient la propriété d'un de ces Drusesqui se disent descendus des Israélites qui adoraient le ve'aud'or. C'eût été, au sentiment de ces idolâtres, une impiété que de vendre un ter- rain légué par leurs ancêtres, et ils s'y refusèrent obstinément. u Ce terrain que vous ne voulez pas me vendre, dit alors frère Jean-Baptiste, louez-le-moi.» Le Druse y consent. Le frère de- vait payer sa location au moyen dés bénéfices que donneraient ses usines; mais pour mettre les usines en mouvement il fallait d'abord les réparer, et les réparations semblaient devoir être coûteuses; de plus, il fallait y amener les eaux par une canali- sation tout entière à faire Or, l'argent manquait pour ceci comme pour le reste. Frère Jean Baptiste alla trouver un Turc qu'il avait connu dans son premier voyage, et lui demanda 9,000 francs à emprunter. Il proposa de le rembourser sur les produits des moulins. Cette garantie peut sembler illusoire;
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iii.iis lien' .lr,iii-l)a|>lis(<' csl ('liKjiit'iil : il latrie (lu j>r(i|)li(,'U' l'^lic, (loiil le nom csl en grande vénération parmi les Turcs. De plus, je IVcrc (loniuiil sa parole, et chez un peuple oii l'on ccijl peu de contrats, la parole d'un lionnne est restée quehjue chose. Notre Turc prêta donc les 9,000 francs, cl bicnlol les travaux de répai'alion et de canalisation commencèrent. En même temps commencèrent aussi les pèlerinages lointains de frère Jean- Baptiste. Il parcourt d'abord les côtes de l'Asiô-Mineure, les Iles de l'Archipel, les environs <ie Constantinople, demandant par- tout des secours. 11 recueillit (h celte excursion 20,000 francs, et, revenu sur sa montagne, en 1828, il posa la picmière pierre du nouveau temple, le jour de la Féle-Dieu, jour pour jour, heure pour heure, sept ans après la destruction de l'ancien. Les 20,000 francs épuisés, frère Jean-Baptiste se remet en route. En sept ans, quatorze fois il quitta le Carmel, et quatorze fois il y revint. Jl a visité Jérusalem, Damas, Beyruth, Sydon, Tyr, Jaffa, Alexandrie, le Caire, Malte, Tripoli de Syrie, le mont Liban, Smyrne, Athènes, Lépante, Corfou, Constantinople, Tunis, Tripoli d'Afrique, Syracuse, Girgente, Païenne. Il a fiiit mille lieues sur la côte redoutée d'Afrique ; il est allé à Gibral- tar ;il est entré en Espagne, en invoquant le nom de sainte Thé- rèse ; en Angleterre, en invoquant celui de saint Simon Stock, né dans le comté de Kent ; puis enfin il est venu en France, la terre de saint Louis, où les cœurs et les bourses s'ouvrent si faci- lement pour toutes les infortunes, et qui a concouru pour une -large part au trésor pieux destiné à la réédification du tenq3le. Enfin ce temple s'est- élevé. En l'absence du frère Jean-Baptiste, frère Matthieu de Sainl-Paùl a dirigé l'exécufion des travaux. C'est encore un digne et habile frère que celui-ci. Les Arabes, émerveillés de sa facilité à parler presque toutes les langues de l'Orient et de sa prodigieuse activité qui suffit à tout, l'appel- lent le frère Cinq-Cents, c'est-à-dire valant cinq cents personnes. (Lo chiamano, me disait le frère Charles, Fra Cinquecento, vo- lendo dire che Fra Matteo è buono per cinquecento persone.) Donc le temple s'est élevé; mais, celle fois comme toujours, le
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(l«»vis des dépcrïsos a (Mo de heaucoup dépassé, lia réédilicalion a déjà coulé 500.000 ïra lies, et il resie encore à l'aire une i^raiide el utile conslruclioii, celle d'un mur d'enceinte, pour proléger contre les alta(]ues des tigres et des chakals qui s'embusquent sur les lianes de la m<»nlagiie les habitants du monastère et les voyageurs qui viennent y chercher abri et secours. Ce mur d"(în- ceinte est indispensable, mais les tonds son épuisés au (larmçl : une nouvelle ciuéle est nécessaire. Frère Jean-Baplisle allait partir pour cette quête, et c'est en France (ju'il venait la faire : déjà il avait repris son bâton de voyageur; mais ses forces tra- hissent son courage. Frère Jean-Baptiste a soixante-six ans! 11 a (l('>jà parcouru tant de mers ! visité tant de cités! 11 comprend que Dieu réserve à d'autres mains la gloire de cette dernière moisson. Il s'est alors adressé à l'un de ses plus inteUigents compagnons, le frère Charles d'Ognissanti, et le frère Charles est parti pour la France. C'est lui que nous voyons depuis quel- que temps à Paris. Si vous Tavez, pïir hasard, rencontré dans les rues, vous vous êtes sûrement arrêté pour admirer ce beau costume levantin, et plus encore la noble tête de celui qui le porte , un type romain à la fois énergique et doux ; et si vous avez reçu chez vous le frère Charles, si vous l'avez vu chez lui, ou dans le monde, vous aurez été frappé de la mobile expres- sion de cette figure qui fait paraître tant d'intelligence et de cœur. Sa conversation vous donne tout ce que promet sa figure; mais, à vrai dire, pour jouir bien complètement de cela, il faut savoir un peu d'italien, et le laisser parler sa belle langue. Il vous dira alors ses voyages. On ne saurait croire combien ses récits sont attachants. Que de traverses ! que de périls ! que de fatigues et de privations ! Mais je veux, en courant, vous en raconter quelque chose. En 1835, le frère Charles était venu en Italie. Il parcourait le royaume de Naples. Le choléra y éclate tout à coup. Les populations éperdues fuient en vain de- vant le fléau : la mort est partout de l'uiie à l'autre mer. Sous ce ciel éclatant, dans cet air si pur et si doux, chargé de vie et de bonheur, il n'y a de fléau redouté que l'Etna. Mais l'Etna
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iJiciiact' iivaiil (Ir rnippcr : il ohNcurcil 1rs riciix d )'|>.iinS(*s Iii- mées, il éhniiilc la Icrrc, il rii;^il, il loiinc. L(;s Napolitains vi- vent IraïKiuilles et confiants, à ses pieds; ils complciil sur ((^s avertissements. Mais le choléra n'envoie pas aux peuples des [)récurseurs de ses colères : il trappe à l'itnproviste, dans le silence, et il vous atteint partout. 11 est comme cet ani^e dont parle l'Ecriture, ange de mort, aux invisibles coups, que le Sei- gneur envoya dans le camp de Sennachérib, et ({ui, dans une nuit, tua cent (piatre-vingt mille de ses soldats en les touclianl de son haleine. Le mystère (fui enveloppait dans sa marche le fléau destructeur fit naître les plus absurdes soupçons : là, comme en Russie, comme à Londres, comme à Paris même, on crut à des empoisonnements, et il y eut des victimes des fu- reurs populaires. Les villes avaient fermé leurs portes ; les bourgs, les villages, les moindres bameaux interdirent égale- ment leur entrée. Malheur à l'étranger errant dans les campa- gnes ! il était exposé à être massacré ou à mourir de faim. Frère Charles quêtait alors à une assez grande distance de Naples. Son habit religieux avait jusque-là protégé sa vie, mais n'avail pu* faire lever l'interdiction d'entrée dans les villes. 11 élait sans asile et sans pain ; nulle habitation ne voulait le recevoir. Chose étrange! on laissait mourir de faim l'un des plus laborieux ouvriers de cette maison du Carmel qui s'ouvre pour tous ceux qui ont faim!
Il put enfin rentrer à Naples. H obtint une audience du roi. Au moment oii il commençait à lui raconter son histoire, le roi, l'interrompant, lui dit avec bonté : « Je sais tout : vous avez bien souffert ; mais vous trouverez désormais dans mon royaume plus d'hospitalité. » Et, en effet, le roi Ferdinand donna im- médiatement des ordres pour que le frère Charles rencontrai partout secours et protection. Frère Charles retourna ensuite au Carmel, et nous avons vu pourquoi il en est reparti, et pour- (pioi il est au mdieu de nous. C'est toujours, pour me servir de l'expression de M. Poujoulat, llmmhle et infatigable ambassadeur (hi }f()iil-Sa€ré auprès de la (hanté earopéeîine. 11 vient quêter
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pour le mur dencoinlc. noiinons au noble quêteur. Ne sout- irons pas que l'œuvre du Carme! reste inachevée. Songeons qu'il y a là. outre la question de religion, une cpiestion de civi- lisation. Partout où l'on fonde un monastère, on fonde une civi- lisation. A coté des murs du temple viennent bientôt se placer les murs de la ville : les maisons de Dieu appellent autour d'elles les maisons des honmies. Donnons au noble quêteur. Après tout, nous ne faisons qu'acquitter une dette de recon- naissance. Combien de pèlerins et de voyageurs français n'ont- ils pas trouvé au Carmel une généreuse et touchante hospitalité ! Et puis, savez-vous? Après la destruction du couvent en 1799, les cadavres de nos soldats, ces malades et ces blessés massacrés par les janissaires de Djezzar, étaient restés sans sépulture. Leurs ossements blanchis se montraient çà et là dispersés sur les flancs de la montagne. Les frères Jean-Baptiste et Charles ont pieuse- ment recuedli ces os des vainqueurs des Pyramides, et ils leur ont donné, après trente ans, l'abri protecteur et inespéré d'une tombe. Une pyramide la surmonte. C'est un monument placé dans le jardin du cloître. Et puis, savez-vous encore? Dans la récente expédition anglaise de Syrie, des chrétiens de tous pays, des protégés de la France, des Arabes, des Égyptiens, s' échap- pant de Kaïffa que bombarde le canon anglais, de Beyruth que menace le même sort, se réfugient sur le Carmel, à la suite du vice-consul français. Ils étaient au nombre de cinq mille. Un officier anglais s'inquiétait du mouvement de cette population : on lui dit qu'elle est là sous la protection du pavillon de la France, et l'officier anglais se retire. Jugez donc si notre nom doit être béni en Palestine ! Ce nom y a conservé un prestige glorieux qui n'appartient à aucun autre peuple de l'Occident. C'est là que, au commencement de ce siècle, et à Jérusalem même, si j'en crois un souvenir de lecture dont je ne puis en ce moment vérifier l'exactitude; c'est là que M. de Chateaubriand vit des enfants, jouant dans la rue, faire l'exercice à la fran- çaise. Ils commandaient en français le : Portez... armes! Les sol- dats des Pyramides avaient laissé en Syrie ces souvenirs de leur
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rapide passage. Alil (|ii(' res souvenirs de noire gloire inilit.iir»- s'effacent, si l'on veut, d(; la mémoire des peuples : celle gloire coûte trop de larmes. Mais du moins ne laissons pas perdre notre renommée d'humanité. (Conservons saintement ce refuge du r.armel qui, sur'une terre lointaine et désolée, s'ouvre pour tous ceux qui soullVent, qui ont soif et qui ont faim, cA qui sera un foyer sacré de lumières qui de jour en jour, et de proche en proche, gagnera à notre religion, à nos mœurs, à nos sciences, à nos arts, des populations que l'ignorance et le despotisme ont flétries. La foi et la lumière nous sont venues de l'Orient : que, grâce à nous, la foi et la lumière y renaissent. L'Occident s'af- faisse, inquiet, malade, épuisé... Que sait-on? Peut-être qu'un jour ce vieux monde ira ravivier sa vieillesse là où la jeunesse du monde a commencé.
Auguste Despoktes.
FIN.
TAULE DES AHTK.I.Et^
CONTENUS DANS CE VOr.UME.
liilroiliictinn . .
Porsoniiilicalioii des Auycs ili' la lene
Sainte Clolildc.
Cliarlemagne . .
La rnino Blanche
Sainte Klisahctli
Saint Louis
Clirislopli • Colonil)
Las C.isa^
Guillaume Tell
Le cliancelier do l'Hôpital
Saint Vincent de Paul
Câlinai
Fénclon
M"" de Sévign?
Marie Lec7.inska
Le grand Dauphin
L'abhé de l'Épée '.
Maleslierhes
M"» Elisabeth
Le duc de La Rochefoiicaull-Lianeoiirl. . . La Tour d'Auvergne.
Louise Scheppler. . ^ OT^V/yS^-y^J. . . .
Les trois. Persans J
Jean-Baptiste de la Salle
I.e petit Mousse et le Soldat bienfaisant. . Les Frères du Mont- Cmiiel
Marquis de Foudras v
Jitlia Mich l IX
Vi"" Anna des Ëssaris I
^Ernest Fouinet. l !i
M"" la vicoinlcssc Eurjénie de Talabot. 'H
A Ifred des Essarts '.(5
.4 Ifred des Essarts 49
M Lebassu d'Iîclf tiu
M»" Lebassu d'Helf 78
Ch. Delattre 9'i
J. V. Berton 100
Ernest Fouinet 110
Ch. Durozoir 1 18
Julia Michel 1-6
Ernest Fouinet. 130
M"° Julia Micliel 144
Ch. Duro^nir 15'2
■iug. Desportes 160
P. M Berton.... 168
M"* Emilie Marcel 178
Marquis de Foudras 186
.1. E. de Saintes . • 193
JErnestJFouinet 202
'^\'°' Alida de Savignac 210
M"« Midy.... 217
ManiuisWe Fourfros ■ 225
W"' Alida de Savi<jnac 233
Uesporles 24 .'
-^ S aM-l^oi A^iJjj,
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