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LES

ÉCRITURES MANICHÉENNES

LES

KmTiEs hmichi^^^'is

\ U E G É N É R A L V.

PAR

PROSPER ALFARIG

Docteur es lettres

n^UBLICATION KSCOUR^r.KP, PAH I,A SoCIRTl'î A?I\TIQUBl

PARIS

^MILE iNOURRY, ÉDITEUR 62, rup: des écoles, 62

191, S

1H£ INSTITUTE OF MF.D!AEVAL STUt^itS

10 ELF/:3LEY FLACE

TORONTO 5, CÀNAPA,

DEC 101931

A LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE

QUI A DONNK A CiriTK IM'JJIJCATIOX

l'aide la plus précieuse

A MONSIEUR CAMILLE JULLIAN

MEMBRE DR l' INSTITUT PROFESSEUR AU COLLÈGL DE FRANCE

A MONSIEUR AbFRED LOIS^^

PROFESSEUR AU COLLLGE DE FRANCE

Homïuagc recon n a issa n t

PRÉFACE

Le Mcinichéisine se présente comme une énig-me i\u regard de riiistoire. (ui milieu du ni^ siècle dans la Babylonie, c'esl-à-dire sur les confins du Christianisme et du pur Paga- nisme, il s'est réclanu'î et inspiré de l'un et de l'autre. 11 s'est très vite répandu chez l'un comme chez l'autre, jus(|u'(Mi Espagne et dans l'Afrique romaine, jusqu'au fond de la Chine et de la Mongoli(\ Chez l'un comme chez l'autre il a été vive- ment condjattu et, après un millénaire d'existence, il a si bien disparu qu'on a peine aujourd'hui h retrouver sa trace et à d('finirsa vraie nature. Tl reste un « signe de contradiction )).

Aussi les théories les plus opposées ont été émises à soin sujet. Au xvii^ siècle, dans une Histoire critique de Mani- ckée et (In Maniehéisinc, le luthérien Beausobre le présentait comme une sorte de Protestantisme anticipé mais encore in- conscient, où le vrai Christianisme tendait à s'émanciper des superstitions catholiques sans bien y réussir. Plus récemment, dans un travail de même genre resté inachevé, l'orientaliste Kessler a vu en lui une survivance du Paganisme babylonien, plus ou moins dissimulé sous le couvert de l'Evangile. Beau- sobre s'appuyait sur les affirmations de polémistes chrétiens, qui ont souvent combattu le Manichéisme comme une hérésie par ticulièrement perfide et redoutable. Kessler invoquait plutôt le témoignage d'historiens Arabes qui ont été surtout frappés par la mythologie extravagante de la nouvelle secte, mais Chrétiens et xVrabes n'ont vu le Manichéisme que du dehors. Et ils ne l'ont étudié que pour le critiquer. Leur témoignage se trouve ainsi doublement suspect.

3

.A3 V., I

II LES ECRITURES MANICIIEENAES

Seuls les Manichéens peuvent nous renseigner exactement au sujet (le leur foi. Kn fait ils ont beaucoup écrit. Mani lui- nièine a composé de nombreux et importants ouvrages. Or les livres du Maître et ceux de ses principaux disciples ont joui dans la secte d'une très grande autorité. Ils ont été regardés comme l'expression parfaite de l'enseignement orthodoxe, comme la Uible des vrais croyants. Ils ofîrent donc pour l'historien un très vif intérêt. D'autres écrits, de provenance gnostique, qui les ont plus ou moins inspirés et qui leur sont restés fréquemment associés, ont joué aussi un rôle important dans la vie du Manichéisme. Ils constituaient comme une JUbbî de second ordre qui complétait heureusement la première et qui aidait à la comprendre, ("est dire qu'ils ne peuvent en être détachés et (pi'ils demandent à être aussi étudiés de très près.

Cette littérature sacrée n'existe plus. Mais des auteurs anciens de diverses époques et de divers pays (mi ont cité ou résumé les [)rincipales œuvres. Tout réc(»mment, au cours de fouiHes méthodiques exécutées dans l'Asie centrale, plusieurs archéologues en ont exhumé des débris importants. Les écri- tures manichéennes nous sont ainsi connues par des textes nombreux. Malheureusement ceux-ci se trouvent dispersés à travers des ouvrages très rares ou des recueils scientifiques eiu'ore moins accessibles. Ils sont rédigés en un grand nombre de langu(^.s dont ccMMaines restent fort peu connues. Et ils ne s'olTrent à nous qu'à travers des traductions trop exclusivement verbales, la philologie se montre trop étrangère à la théo- logie. Ils demandent à être groupés et expliqués.

Pour être complète et définitive, une telle œuvre demande- rait la connaissance la plus approfondie et la plus minutieuse de tontes les littératures et de toutes les langues. Elle n'(Mi mérite pas moins d'être tentée. Si imparfaite qu'en soit la réalisation, celle-ci olTrira toujours un double avantage. D'abord elle fixera un certain n()mbr(^ de résultats acquis et par elle inaugurera un chapitr<^ nouveau et important de l'histoire des religions. Ensuite elle guidera les recherches futures ; elle atti- rera rattenlion di's éi'udits sur des t(\\tes ignorés et suggérera aux philologues une interprétation meilleure de certains docu- ments.

Tel (^st l'objet, tel est aussi le but de la présente étude. L'auteur a mis à contribution un grand nombre de savants

PRÉFACE l!l

français et étrangers. Il souhaite qu'en retour eux-mêmes puis- sent tirer quelque profit de son travail. Parmi ceux auxquels il est particulièrement redevable il se plait à citer MM. Loisy, Meillet, Chavannes et Pelliot, professeurs au Collège de France, M. Serruys, professeur à l'Ecole des Hautes Etudes Religieuses et M. Blochet, traducteur à la Bibliothèque Natio- nale. Il les prie d'agréer l'expression de sa gratitude.

PREMIÈRE SECTION

CONSTITUTION DES ÉCRITURES MANICHÉENNES

CHAPITRE PREMIER Origine des Ecritures Manichéennes

Certaines Ecritures manichéennes ont circulé longtemps, avant l'apparition de Mani. D'autres ont été rédigées par lui-même. Un grand nombre enfin ont pris naissance au sein de son Eglise. L'histoire de ce recueil est donc assez complexe. Elle se divise en trois grandes périodes.

I

Les premiers livres saints qui ont eu cours chez les Mani- chéens leur venaient des Gnostiques. D'une manière générale ceux-ci professaient un Dualisme étroit. Ils croyaient à deux Forces opposées, dont l'une représentait le Bien, l'autre le Mal, etqui se trouvaient mélangéesdans le mondeet dans rhomme(l). Ils se considéraient comme formés d'une âme divine par nature, emprisonnée par une puissance malfaisante en un corps radicalement vicieux et ils estimaient que le salut con- sistait avant tout dans la vraie « science » c'est-à-dire dans la connaissance de ces deux essences rivales, des causes qui avaient fait triompher l'une au détriment de l'autre et des moyens qui permettraient de revenir un jour à Tordre pri-

(i) W. Bousset, Hauptprobleme der Gnosis. Gôttingen, 1907, in-8®, ch. 3 : Der Dualismus der Gnosis, p. gi-iSg.

Z LES ECRITURES MANICHEExNNES

mitif (1). Or ils croyaient que cette « gnose » libératrice avait été révélée à diverses époques et en divers pays par un Média- teur divin venu en aide à la faiblesse humaine (2). Et ils met- taient en avant divers écrits qui avaient pour but de faire connaître les multiples aspects de son enseignement (3).

De ces Gnostiques les plus anciens sont anonymes et se pré- sentent à nous sous des noms mythiques ou légendaires (4). Ils forment de vastes collectivités, des sortes d'Eglises aux contours assez vagues, que régissent de vieilles traditions. Et ils se récla- ment de certains livres saints qui passent pour remonter très haut et qui sont attribués aux personnages les plus fameux, au Bouddha ou à Zoroastre, à Platon ou à Hermès, à Abraham ou à Noé, voire même à Adam.

Les mieux connus, ceux dont on suit le plus longtemps la trace, sont les Sabéens, ainsi appelés d'un nom araméen, qui veut dire « Baptiseurs » ou « Baptistes » (5).

Ils sont présentés sous la forme assez reconnaissable de Sebouaioi, comme une secte samaritaine antérieure au Chris- tianisme, par Epiphane, qui d'ailleurs paraît assez mal ren- seigné à leur sujet (6).» Ils s'identifienj, sans doute avec les Hemerobaptistes ou (( Baptiseurs quotidiens » que divers autres auteurs de langue grecque font aussi apparaître avant le Christ dans les régions voisines du Jourdain (7) et que la tra- dition talmudique mentionne également en les qualifiant aussi de « Baptiseurs matinaux )) (8). Us doivent de même se con-

(i) W . Boussct, op. cit., cil. h- Der L rinciisch, p, iGo-223 et cli. 7: Die Mysterien, p. 276-319.

Cf. Aug. de Faye, op. cit., p. 43i-435.

{■?.) W. Bovisset, op. cit., cli. 6: Die Gesialt des Erlosers. p. 208-276. Cf. Licclilonhaii, Die Offenbarung im Gnostieismus. Côttingen, 1901, 8°.

(3) V. llaniack, (jescli der olichrist. Liter., t. I: Die Uberlieferung, p. i4i-23i.

('1) J'adopte avec Bousset (op. cit., ch. 8, Die Geuesls der gnosticJien Système, p. 3i9-35o) et en me basant uniquement sur l'étude des textes, un ordre inverse de celui qui a été adopté par de Faye {op. cit.. p. /j/17-461, L'Evolution du Gnosiicisme).

(5) 1). CInvolson, Die Ss(jbier. Sainl-rdersbourg, 1806, 2 vol. in-8°.

(6) Epiphane, Haer., XI.

(7) llegesippe chez ?]usèbo, Ilist. Eccl., IV, 22, 5: Const. .Apost., VI, 6; Pseudo-llieronynuis, Indic. ilaeres. ; Epiphane. ïhicv.. WII. init., et \î\, 5, jiii. Cf. Justin, Di(d<Hj.. 80.

(8) Bcnichoth . :>:> a: Tosephta laiiaini, 11.

ORIGINE DES ECRITURES MANICHEENNES

fondre avec les Masbothéens, qui sont signalés parfois avec les précédents et dont le nom hébreu, dérivé de Isaba, veut dire encore a Baptiseurs » (1). Ce sont toujours eux qu'il faut voir dans les a Moughtasilas », qui d'après un historien étaient installés vers Tan 200 en Mésopotamie et dont l'appellation arabe offre le même sens (2). Ces derniers, nous dit-on, se donnaient comme les disciples d'un certain Elchasaï (3). Ils appartenaient donc au groupe des Elchasaïtes. dontdéjcà Hippo- lyte expose les doctrines en les rattachant à un certain Sobiaï personnage sans doute légendaire, ancêtre éponyme des Sabéens (4). Et ils étaient étroitement apparentés avec les Ebionites gnostiqnes, les Nazaréens, les Osséens et les Samp- séens, qui se réclamaient du même Elchasaï et qui étaient installés dans les mômes régions (5). Les vSabéens sont encore mentionnés dans le Coran, entre les Juifs et les Chrétiens, parmi les « hommes du Livre » qui ont une foi authentiquée par des Ecritures et qui, à ce titre, ne doivent pas être inquié- tés (6). Leur nom est donné plus tard par des auteurs arabes à une communauté, d'origine certainement gnostique, établie en Mésopotamie, dans le pays de Marran (7), et surtout à un autre groupe, installé sur le cours inférieur du Tigre et de l'Euphrate, et présenté par quelques textes comme le plus ancien (8). Des survivants attardés de cette dernière secte ont été découverts au xvk» siècle et plusieurs fois étudiés depuis

l^i) Ilégésippc cliez Eusèbe, Hist. EccL, IV, 22, 5; Constii. AposL, VI, 6; Pseudo-IIieroii., Indic. haercs. (Marbonei !) ; Ephrem, Evangelii concordantis expositio. Venise, 1876, p. 287 (Mazbuthazi) .

Cf. ^^ . Brandt, ManddiscJie Religion, Leipzig, 1889, in-8", p. 180 el W. Boiisset, op. cit., p. 288.

(2) An Nadim chez D. Cliwolson, Die Ssabicr, lonie 11, p. 543 el chez Fiiigel, Mani, p. 83 et i32-i35.

(3) An Nadim chez Fiiigel, Mani, p. i33-i34. Cf. D. Clnvolson, Die Ssahier, p. ii4 et suiv.

{^) Philosoph., IX, 4. 13-17; X, 29. Cf. Origène, Hom in Psalm., LXXXII, chez Eusèbe, Hist. eccL, VI, 38; Méthode, Conviv., VIII, 10; Epiphano, Haer, XIX, i-5.

(5) Epiphane, Huer., XXX, i-3 (Ebionites); XVIII, 1-2 (Nazaréens); XIX, 1-2 (Osséens) ; LUI, i (Sampséens).

(ï)) Coran, II, bg ; V, 78; XX^II, 17. Cf. D. Chwolson : Die Ssabier, t. I, p. 11-12 ; ioi-io3.

(7) D. Chwolson, Die Ssabier, t. I, p. 189 et suiv.

(8) 1). (^-huolson, Die Ssabier, t. I, p. ioo-i38.

LES ECRITURES MAMCIIEEN.NES

lors dans les régions voisines du CliatelArab, leurs voisins les appellent Coubi ou Sabéens et ils se qualifient eux mênnes de « Mandéens » ou « Mandaïtes » d'après l'araméen « manda » qui veut dire la « gnose » (1). Le premier explora- teur qui les a observés a vu en eux des « Disciples de saint Jean Baptiste » (2). Et un auteur syriaque du VIII® siècle, qui les a aussi directement connus, dit que dans la Mésène on les désigne sous le nom de Mandéens, mais que dans l'Irak on les appelle plutôt Nazaréens, et partisans de Dostaï, c'est-à-dire de Dosithée, un des grands noms du Gnosticisme samaritain (3i. A l'exception des Mandéens, qui, au cours de leur longue existence ont beaucoup évolué, et des Sabéens du Harran, qui forment un groupe très distinct, tous ces gens affirmaient, malgré certaines divergences, des traditions et des tendances à-peu près identiques. Tous se réclamaient du Judaïsme et maintenaient la Loi Mosaïque, qu'ils interprétaient d'ailleurs d'une façon plus ou moins fantaisiste (4). Tous présentaient le Mal comme venu du Bien par suite d'une fâcheuse déchéance (5). Tous insistaient sur le dualisme du feu et de l'eau et ils s'accordaient à dire que les croyants devaient commencer par passer à travers ce dernier élément pour se dégager de l'étreinte du mal et revenir à Dieu (6).

(i) Voir W. Biandt, Die Maiidàlsche Religion, ihrc EntwickeJung iind geschichtliclie Bedeiitung. Leipzig, 1889, 8°.

Cf. Babelon, Les Mandaïtes, dans les Annales de Philosophie chrétienne, 1881, p. 19. vl siiiv.,

Kessler, art. Mandder, dans la Beal Encyclopadic de Ilaiick, 3^ édit., Lcip/ig, 1900. I. Xlï, p. t55-i83.

CI. Huait, .\o1ice sur les Mandéens. dans la Mission scientifique en Perse de J. de Morgan. Paris, igoA, t. V, p. ix-xi.

(2) Ignace de Jésns. Narralio originis, ritiunn ci crrorum Cliristianoruni sanctl Johannis. Rome, 1662, in-i6, 192 pp.

Cf. L. C. Burckhardt, Les Nazaréens ou Mandai lahja (disciples de Jean), Strasbourg, i84o, 8°, ii3 pp.

(3) Théodore» har-khôiii chez Pognon. Inscriptions mandaïtes, p. 224-225. (7i) Epipliane, Hocr., XI (Sebuéens), XIII (Dosilhéens^ : XIX. 5 init.

(Osséens); XXIX, 7 (Nazaréens): XXjX, 18 (Ebionites) ; LUI. i cire. mcd. (Sampséens) ; Hippolyte, Philosoph, IX, ifi init. (Elchasaïtcs).

(5) « Ils admellent deux Etres issus de Dieu, l'un le Christ, l'autre le Diable », dit à propos des Ebionites l'auteur du Panarion (XXIX, 16), qui identifie ailleurs leur doctrine avec celle des Nazaréens, des Osséens et des Elchasaites (XIX, 5).

(0) Irénée. Haer., I, 25 (Ménandre, disciple de Simon le Magicien); Aboul Falh, infra, p. 5, not. 2, (Dosithée); Epipliane. Haer, X^XIX, 3 fin. ;(^sséens);

ORIGINE DES ECRITURES MANICHEENNES

Or déjà les adeptes les plus anciennement connus de cette première Gnose possédaient certaines Ecritures qui en conte- naient l'expression officielle. Dosithée avait, dit-on, laissé à ses disciples un Octateuque soi-disant mosaïque, ainsi que d'autres livres d'un caractère plus personnel (1). Et il avait ordonné qu'on ne lût point ces textes sacrés sans s'être préala- blement purifié à une source voisine (2). Les deux disciples que la tradition lui attribuait, Simon le Magicien et Cléobius passaient pour avoir composé des œuvres analogues portant « le nom du Christ et de ses disciples » (3). Du premier notam- ment on connaissait une Grande Révélation, qui traitait tour à tour de l'Etre divin, de la formation du monde et de celle de l'homme, de la chute des âmes et de leur relèvement final (4j. Ses partisans s'étaient fait, dit-on, un Evangile, partagé en 4 parties et appelé le livre des quatre coins du monde ou des quatre points cardinaux (5). Sous le nom également vénéré d'Elchasaï circulait aussi un écrit important qui se donnait comme révélé par un Ange et qui jouissait d'un grand crédit chez tous ses adeptes, chez les Ebionites, les Nazaréens, les Osséens ou Sampséens (6). Ces derniers possédaient en outre un livre attribué à son frère L'xa/t (7) Les Ebionites lisaient encore un Evangile des douze (8) et un recueil spécial des Actes des Apôtres (9), des Elévations de Jacques, d'un caractère

XXX, i4, lO init., 17 fin. (Ebionites); LUI, i cire. fin. (Siimpsécns) ; Hippolyte, Philosopli., IX, i3, i5-i6 (Elchasaïtes) ; Augustin, Cont. Cresc, I, 3i (Nazaréens). Cf. W. Bousset, Haiipiprobhîne der Gnosis, p. 38:2-384 : Saniaritanische Tuiifsekteu.

{j) PJiotius, BibUotk., Cod. 280, vers. fin.

{2) Aboul Fath, Atinales Samaritaines, chez James Alan Montgomery The Samaritans. Philadelphie, 1907, p. 256-267.

(3) Const. ApostoL, VI, 16.

(4) Hippolyte, PInlosoph., VI, 9-19. Cf. ibid., IV, 5i et X, 12. Voir aussi Moïse bar Cepha, De Parodiso, chez Grabe, Spicileg., Oxoniae, 1698, t. I, p. 3o8-3ii.

(5) Préface arabe du Concile de ^icée, chez Labbe, Conc. Coll., t. II, e. 386.

(6) Hippolyte, Philosoph., IX, i3-i6; Epiphane : Haer., XVIII ; XIX: XXIX, XXX, 3 et 17; XXXIII, i.

(7) Epiphane, Haer., LUI, i.

(8) Epiphane, Haer., XXX, i3-i4.

(9) Epipliane. Haer., XXX, 16 cire. med. '

6 LES ÉCRITURES MANICHEENNES

antipaulinien (Ij et des romans théologiques, intitulés Voyages de Pierre et faussement attribués à Clément (2), dont nous possédons un remaniement orthodoxe dans les Homélies et les Récognitions clémentines ('.]). Les Sabéens qu'ont connus les Arabes avaient de même une littérature abondante. C'est à eux, selon toute apparence, que Mahomet, qui passait d'abord pour un de leurs adeptes, aura emprunté les nombreuses légendes d'allure gnotisque qu'on lit dans le Coran au sujet d'Adam, de Noé, d'Abraham et autres personnages bibliques (4). Encore au Moyen Age leurs homonymes du Harraii avaient entre les mains divers écrits attribués à Seth ou Agathodemon, à Henoch ou Hermès, à son fils Tath et à Asclepius, à Boudha- saf, à Zaradoust, à Orphée (5). Enfin lesMandéens ont conservé jusqu'à ce jour plusieurs recueils très vénérés chez eux, savoir le Livre de Jean {Sidra di lahya) (0), le Trésor ou Ginza, appelé aussi le Livre d'Adam ou le Grand livre (Sidra rabba) (7), un recueil d'hymnes et de prières, intitulé le Qolasta (8) et une Description du ciel et de la terre accompagnée d'illustrations nombreuses et connue sons le nom de l}i}rd}} ou de a Livre » (9).

(i) Epijiliane, Haer, XX\, iC rire, iiied.

(•>) Kpi])liaiio, Hacr., XXX', i5 inil.

iX) P. C. ![. r)7-/|()8 <!l I, 1207-145^1.

i!i) Voii' sur Adam, I, 2(S-36 ; VII. lo-a'); V, .33-3;"), etc.; sur Xoi'. X, 72-75; XXIIJ, 23-3o, etc.; sur Marie, III. 30-09: XJX. i-35, de.

;5) Voir |). ('ll^^olson. Die Ssnl)ier. I. 1. 780-802: /)/<• (ingcbliclwti ReViglonssIi jlcr iiiid l^rophclen <ler Ssahicr.

M)) Tcxlc iiK'dil. \()ir Bihliolli. \(iti<>n., Cahil. des Mail. Oriciil. /'V)/J//s' syriaque, par ZotcnborjLr, p. 22G-228, 11°^ 8. 9, 10. 11.

Traduclion partiollc en allemand dans le reeueil de C. F. Staeudliii. Beitràge zar Pliilosopliie iind. Gescliichie der RcUgion-und Sith'nJeJire, Lûbcck, 1793-1797, l. 1, p. I : t. III. p. 18-20: t. V, p. i-Vj.

! 7) Iv.lité 1! traduit eu laliu d'uue faeou très dt'feeliieuse par M;'it. Psorberg^. Codex Nasaroeus, liber Adami (ipfiellaUis. Londini Gothorum, 1817, 5 vol. 8^.

Edité a\ee pins de (•i"iti(pu> par II. Pelermauu. Tliesaiints srit Liber iiKiginis. vulgo Liber Addini dppclhdns, Berlin. i8()7. 2 ^ol. in-'i".

Traduit |)arl icilcincnt (un (piait <'u\iron) en allemand par ^\ . I>randl. Mniid(iis<-lie Sclirificn ans der grossen SttniniUnig heiliger nUcher gnxmnt (iciizà oder Sidrd Hnbbn. (1()Uin<ien. 1890, 8". Xl\-232 pp.

(8) ladite par ,1. Kutiu^-. (Jo}<isla. oder Gesange und Lehren vofi der Taufe und der Ausg<ing der Seele. Slulffrart, 1867, fol.

Traduit, eu (]uel(|Ues passa<fes par Kesslcr. Moni, j). •>'i9-25t> et par \V . Brandi. Mandaisclie Religion, p. 221, sui\ . et aussi 23o-23i.

;9) Edité |)ar .1. Ilutiu^', Mnndiiiselie niiran. Strasbourir. 1904. in-4°- Cf. Revue Criticjue, 1904, p. 180.

ORTGr^E DES ECRITURES MANICHEEN» ES /

A côté des Baptistes, établis des rives du Jourdain à celles de l'Euphrate, d'autres Gnostiques ont formé dans les mêmes régions des groupes analogues. Tels sont les Opliites, ou ado- rateurs du Serpent, qui ont été longuement décrits par Hippolyte et par Origène, plus .anciennement encore par Celse et par Irénée (1), Leur nom rappelle celui des Naasséniens qui a en syriaque la même signification et qui est donné à une secte tout au moins analogue par l'auteur des Philosophoumena (2). D'autre part, leur doctrine se montre étroitement apparentée à celle des Pérates, qui sont décrits à côté des })récédents au cours du même ouvrage (3). Elle ressemJDle plus encore à celle des Séthites ou disciples de Seth, qu'Hippolyle associe aux Pérates et aux Naasséniens et qu'Irénée confond avec les Ophites, tandis qu'Epiphane les place immédiatement après eux (4). A côté des Séthites l'auteur du Paiiarion mentionne les Caïnites, qui. selon sa propre remarque, professent dans l'ensemble la même théorie du salut, tout en vénérant particu- lièrement Caïn au lieu de Seth, et qui d'ailleurs sont plus anciennement associés aux Ophites par Clément d'Alexandrie et Hippolyte (5). A la même famille se rattachent par l'ensemble de leurs doctrines, deux autres sectes très archaïques, celle des Archontites, décrite par Epiphane, à laquelle les écrits pau- liniens semblent faire allusion (6), et celle des Nicolaïtes, que V Apocalypse johannique mentionne expressément et dont le fondateur aurait été, d'après la tradition chrétienne, un des sept premiers diacres (7). Enfin, tous ces groupes rappellent celui des Gnostiques proprement dits, souvent désignés sous le nom de Barbelo-Gnostiques à cause du rôle important qu'ils attribuaient à la déesse-mère Barbelo (8),

(i) Hippolyte, Pliilosoph., VIII, -j.o et Syiiiagma résumé par Philastre, Haer. i et Ephipliane, //aer. XXXVII; Origène et Celse, Cont. Cels. VI. ■j.li-ôH, cf. ibid. III, la et VII, 4o ; Irénée, Cont. Hacr., l, 3o, i-i5.

(2) Pkilosopli., V, 2, 6-i4.

(3) Pliilosoph., V, 14-17.

(4) Philo.sopli., \. 19-21. Cf. Irénée. Haer., I, 3o, i ; Epipliane. Haer., XXXIX, 1-5.

(5) Epiphane, Haer., X>'/XVIII, i. Cf. Cleni. d'Alex., Strom. VII, 17; Hippolyte, Philosoph. VIII, 7; Origène, Cont. Cets. III, i3.

(6) Epiphane, Haer., XL, 1-7. Cf. / Cor. II, 7; Eph. I, 21; Col. I, iG.

(7) Apoc. II, G; Irénée, Haer., I, 26, 3; Epiphane, Haer., XXiy, i. Cf. Act. Apost. VI, 5.

(8) Epiphane, Haer., XXVI, i-i3.

8 I.KS ÉCHITIHF.S MWICHEEINNES

Ophites et Naasséniens, Pérates, Séthites et Caïnites, Archon- tites, Nicolaïtes et Barbelo-Gnostiques comprenaient parfois assez difTérennment l'origine du monde, la chute de l'homme et son relèvement. Mais ils s'accordaient sur plusieurs points importants. Ils faisaient moins de cas du Judaïsme que les Baptistes et certains semblent même l'avoir tout-à-fait répudié (1). En revanche ils subissaient profondément l'influence des Religions de Mystères, celle surtout des cultes populaires de la Babylonie et de la Perse. Avec ces derniers ils faisaien jouer un très grand rôle aux sept planètes et s'en servaient pour expliquer la chute de lame et son relèvement. Pour eux la substance divine s était mat(''rialisée progressivement en descendant à travers les mondes planétaires et elle ne pouvait recouvrer sa pureté première qu'en s'élevant de l'un à l'autre jusqu'aux lieux habités par le Très-Haut et les Anges fidèles. (2) Pour eux aussi, comme pour les adeptes des Religions de Mystères, le salut s'obtenait moins par des ablutions baptis- males que par une association ou une communion mystique établie entre l'âme déchue et le Sauveur divin (3).

Ces idées étaient exposées en de nombreux écrits. Cclse et Origène les ont vues figurées sur un « Diagramme » apparte- nant aux Ophites (4). Les Naasséniens avaient un recueil d'Hymnes et de Psaumes dont quelques fragments nous ont été conservés (5). Ils lisaient en outre une Apocalypse d' Elle (6), un Eimngile de la Perfection (7), un autre dit des Egyptiens ((S), un troisième selon Thomas (9), ainsi qu'un récit relatant

(i) Voir IrfMK'c, Ihicr.. I, oo, ti (^Opliilcs et Sélhions) ; Epiphane. Hticr.. XL, :>. rire, fin., 5 luit. (Archontites) et XXVI, i5 init. (Barbelo-Gnostiques) contredit seulement en apparence par XXVI, 6 init.

(•?) W. Anz, Zar Frage nach deiii Ursprung des Gnostizismus. Leipzi-r, 1897, cS" (en entier). Cf. Bousset, Hnuptprobleme der Gnosia, p. oiQ-Son. Cf. ibid. eh. i : Die Sieben und die Millier.

Ç\) hruée, Hacr., T, 3o, !•?. (OpliitesV, Ilippolyte. pliilos., V, 7 (Naassé- niens); V, 17 fin (Pérates); V, 19, fin, (Séthites); Kpiphane, Haer., XXVI, 2-5, 8-9 (Gnostiques) ; XXV, 2-3 (Nicolaïtes).

(/j) Cont. Ceh, VI, 2/|-38.

(5) Hippolyte, Philosoph.. V, 6 et 10.

(()) rhilosoph., v. 7.

(7) Philosoph., v, C). Cf. Philastre, Haer., 23 (Nicolaites) et Kpiphane, Haer. XXVI, 2 (Gnostiques).

(8) Philosoph., V, 7.

(9) Philosoph., V, 7.

ORIGINE DES ÉCRITURES MANICHEENNES 9

des entretiens de Jacques et de Marie (1), et, semble-t il, la Grande Révélation de Simon (2). Les Pérates possédaient un écrit consacré aux Archontes et diverses autres œuvres du même genre (3), Les Caïnites invoquaient un Evangile de Judas (4), une Ascension de Paul (5), ainsi que d'autres Ecritures dont le titre ne nous est pas connu mais dont de courts passages nous ont été conservés (6). Les Séthites avaient entre les mains une « Paraphrase de Seth )) (7), plus précisément sept livres du même Patriarche et sept autres de ses enfants, appelés chez eux les « Etrangers » (8), ainsi qu'une Apocalypse d'Abraham (9) et d'autres écrits portant les noms de personnages célèbres notamment de Moïse, dont ils connaissaient peut-être l'Assomption (10). Les Archontites admettaient les mêmes livres de Seth et des Etrangers, comme aussi une Ascension d'Isaïe (H) et une œuvre similaire racon- tant comment les prophètes Martiades et Marsianos étaient montés au ciel et revenus sur terre après trois jours (12). Mais ils utilisaient surtout un grand ouvrage intitulé La Symphonie dont ils avaient aussi un abrégé (13). A leur tour, les Nicolaïtes mettaient en avant diverses prophéties, notamment celle de Barcabbas (14), un Evangile de la Perfection (lo) et des Visions ou Apocalypses dont le détail ne nous est point connu (16). Les Gnostiques proprement dits lisaient aussi la Prophétie de Barcabbas et d'autres textes analogues (17). Ils y joignaient

(i) Philosoph., V, 7.

(2) Philosoph., Y, g. Cf. ibid., VI, 9.

(3) Philosoph., V, i4, i5.

(4) Irénée, Adv. Haer., I, 3i, i.

(5) Epiphane, Haer., XXXVIII, 2.

(6) Epiphane, Haer., XXXVIII, 2 et Irénée Adv. Haer., I, 3i, 2.

(7) Philosoph., V, 19.

(8) Epiphane, Haer., XXXIX, 5.

(9) Epiphane, Haer., XXXIX, 5.

(10) Epiphane, Haer., XXXIX, 5:

(11) Epiphane, Haer., XL, 2.

(12) Epiphane, Haer., XL, 7. ^ (i3) Epiphane, Haer., XL, 2.

(i4) Philastre, Haer., 33. Cf. infra, p. 11, 7 (Gnostiques).

(i5) Philastre, Haer., 33. Cf. supra, p. 8. 6 (Naasséniens).

(16) PhiJastre, Haer., 33 fin.

(17) Epiphane, Haer., XXVI, 2.

10

LES ECRITURES MANICHEEN.NES

des livres de laldabaoth, le Démiurge, attribués à Seth (1) et d'autres qui portaient le nom de Noria, l'épouse de Noë (2), une Apocalypse d'Adam (3) et un Evangile d'Eve (4), des Révéla- tions dlUiG qui était montré revenant sur la terre après son Ascension (5), les Grandes et les Petites Interrogations de Marie (6), un récit de sa Nativité (1), un Evangile de Phi- lippe (8), d'autres textes évangéliques attribués aux Disciples de Jésus (9) et même, semble-t-il, une Apocalypse qui passait pour venir du Christ lui-même (10). A un groupe du même genre ont appartenir plusieurs recueils gnostiques retrou- vés sur deux manuscrits coptes, la Pistis Sopkia, les Livres de leû et une œuvre au titre inconnu qui leur faisait suite (11 ). Le premier de ces recueils se réfère lui-même à des livres d'Henoch (12), à des Odes de Salomon (13), à des Evangiles de Philippe, de Thomas, de Matthieu (ou Mathias?) (14). Le der- nier rappelle un écrit de Phosilampe concernant le « Mono- gène ^) (15) et fait allusion aux Prophètes Marsanos et Nico- thée (16).

A côté de cette littérature pseudépigraphe, appartenant à des sectes anonymes, ont paru de bonne heure des œuvres d'un

(i) Epiplianc, Hacr. XXVI, 8.

(2) Epipluiiio, Haer. XXVI, i. Cf. Boussct Hauptprobleme der Gnosis p. 73, To3.

(3) Epiphane, Haer., XXVI, 8.

(/i) Epiphane, Haer, XXVI, y., 3, 5, UEvangilc d'Eve semble aussi avoir été In paj- les Pérales {'I^liilosoph ., V, iG) et par rautcur de la Pistis Sophia (éd. Sehniidt, p. 206 suiv. el i>3i).

(5) Epiphane, Haer. XXVI, i3.

(6) Epiphane, Haer. XXVI, 8.

(7) Epiphane, Haer. XXVI, 12. (S) Epiphane, Haer. XXVI, i3.

(9) Epiphane, Haer. XXVI, 8.

(10) Epiphane, Haer. XXVI, 8.

(11) Une très bonne traduction allemande en a été donnée par V>. Schmidt, Kopstisch-gnostiche Schriften, t. I, Leipzig-, igob, 8°, dans Dir (iricsrJiisclieii SchrifsleUer der ersien drei lahrhunderte. t. XIII.

Une tradiiclioti françaist(^ plus sujette à caution a été publiée par M. Améliiieau, .\olice sur le papyrus de Bruce. Paris, iSqi. et Pistis Sophia, Paris, i885, 8^ "

(12) Pistis Sophia c. 99 et i34, cd. Schmidt, p. i58 et 228. [i3)Ibid. c. 58, 59, G5, 69, 71, éd. Schmidt. p. 73-75, 85, 97, loi. (i/i) Hyid. c. /j2, 43 et /il, éd. Schmidt. p. 44, 45, 47-

(i5) U]il)eJ{anutes gnostiches Werk, c. 6, éd. Schmidt, p. 34i. (iG) Ibid. c. 7, p. 34 1 et 342.

ORIGLNE DES ÉCRITURES MANICHÉENNES 11

•caractère plus personnel. Dans le cours du second siècle, en eiïet, des penseurs éminent sont surgi au sein du Gnosticisme et en ont exposé les doctrines en des écrits qui portaient leur nom et qui témoignaient d'une originalité parfois très remar- quable. Quatre surtout méritent d'être cités. Ce sont Basilide, Valentiii, Marcion et Bardesane.

Basilide qui vivait sous les empereurs Adrien et Antonin, et qui, s'étant formé à Antioche, alla ensuite évangéliser divers nomes de la Basse-Egypte (1), put y rencontrer Valen- tin qui professa ses idées d'abord à Alexandrie et les apporta ensuite jusqu'à Rome (2). L'un et l'autre se rattachent étroite- ment aux Gnostiques antérieurs, en particulier aux adeptes de Simon le Magicien (3). Mais ils subissent plus que tous leurs devanciers Tinfluence de la philosophie g-recque, celle surtout du Platonisme (4l Et ils élaborent de vastes systèmes, moitié théologiques, moitié métaphysiques, qui expliquent l'originale du mal par une série compliquée d'émanations le Bien va en s'alîaiblissant jusqu'à n'être plus qu'une pure apparence.

Plus radical que l'auteur de la Grcmde Révélation, Basilide rejettait nettement tout l'Ancien Testament (5). Par contre il admettait plusieurs Prophéties, celles de Cfiam (6), de Barca- bbas (7), de Barkoph (ou Parchor ?) (8). Il mettait en avant un Evangile particulier (9), sans doute celui de Matthias (10). Et il

■i) Epipliaiic, Hdcr., XXIV, i. Cf. Irénée, Huer., I, 2^, i; Clcm. Alex., Strom VJJ, 17, loG.

(2) Inhiéc, Huer., III, 3, 3; Eiisèbc, Hist. ceci., IV, 11, i; Clem. Alex., Stroni. VII, 17, io(). Voir aussi Teiiullien, Ade. Valent. /|.

(3) Iiénéc, liiter., X\IV, i, (Basilide); llippolytc. Philos., IV, 5i ; VI, 20 (Valentin).

I V) Voir sur Basilide: Iréuée, Hcier., l, a/j. 7; Epipljaue, Haer.. X'XIV, 7 et llippolyte, PItllos. VII, i et i4-

sur Valentin : Irénée, Haer., 11, i/|, i-G ; Hippolyte, Philos. VI, 3 et 21 et sui\ .

(5) Iiéuée, Haer.. 1. 24, 5.

(G) Gleni. Alex. Sironi., VI, G, 53. Cf. Eusèbe, Hist. eeci . , ÎV, 7, 7.

(7) Eusèbe, Hist. ceci., IV, 7, 7.

(S) Eusèbe, Hist. eccL, IV, 7, 7.

'()) Origène. H011}. in Lue. P. Cf. Jlieron., Comment, in Malt., Proo'm. et Ambroise, Comment, in Luc. Proœm. On admet assez généralement que cet « Evangile de Basilide » était son œuvre propre. Mais c'est sans doute pour l'expliquer qu'il composa ses Commentaires évangélicjues. Et on ne conçoit guère qu'il se soit commenté lui-même.

(10) llippolyte, Philosopli., VII, 20 init. Cf. Clem. Alex.. Stroni. VII, i-. 108.

12

LES ECRITUHJIS MAMCHEEN.XES

en lil lexégèse en un grîind recueil de Com)iicnlai}('s érangr- liqucs, qui ne comprenait pas moins de 24 livres d). Ses dis- ciples tenaient également de lui des Odes (2), des Prières et des Ineantalioiis (3). Ils conservaient en outre de son lils un recueil de Morales iï), un traité De Yame adventiee (5i et des Commentaires du Prophète Parehor ((h.

Dans la secte plus éclectique de ^'alentin on lisait soit l'Ancien Testament, soit le Nouveau, mais en y prati(juant de très larges coupures (7). On mettait surtout en avant un Evangile spécial, VErangile de la vérité, qui n'avait à peu {irés rien de commun avec ceux de l'Eglise orthodoxe (N). On utili- sait aussi des écrits d'un certain Théodote d)», peut-être iden- tique avec un Theodas dont se réclamait le fondateur du groupe (10). De Valentin lui-même on possinlait un recueil d'Homélies (11). un certîiin nombre d(^ Lettres (12) et des Hymnes ou Psaumes liturgiques (13), ainsi qu un traité Des Trois }iatures (J4), peut-être aussi des Visions et des Uévéla-

(i) (llcin. Alex., Stroni. IV, 17. Le i3*^ de ces livres est cité par les Acln Arcliclai {v. 55) et le aS^ par Clément crAlexandrio {Stroin. IV. i-j. Si).

(•?.) Oriirène, In Job. XXI. 11 et siiiv. dans Pitra. Anal, suer., II, o()S. Cf. Muiatori frugni. fin.

(;V) Irénée, Huer . I, y.^, 5.

( 'i) Clém Alex., Sironi. III. i. i. Kpipliane. (Haer.. XXXII, 3) attribue ;uissi à Isidore des Parcncscs (|ui peinent être identiques avec les \Ior(il''}< nienlionnécs i)ar Clément.

(5) Clém. Alex., Slrom. II, 20, iio.

(G) Clem. Alex., Sirom. VI, 0, 53.

(7) Pseudo-Tertullien. r.ppendice au De Praescr., c. /iq.

(8) P.--endo-Tertn!!ien. ihid.. e. /|(). à compléter par Ireii.e. Ilacr.. Ili. II. 9.

(()) Des extraits importants en ont été conservés à la suite des StroniaU's P. (i.. I\, (ioo et suiv.). Un Théodote est mentionné comme hérétique à côté de Cléobulc (Cléobius ?) par le Pseudo Ignace, Ad. Trall., 11.

(10) Clem. Alex., Stronï. VIT, 17, loG. Un Théodas est mentionné ]Knini les premiers hérétiques (Mitre Dosithée et Judas, par Vigile de Tapse, Allcrc. Aflnni.. <-nnlra Ar. et Sn}>ell.. T. ■'<•>. Cf. \tl. 1/)m.s/., V. 3'i-.3o .'t .T<i-èple'. AnI. .///(/.. XX, o, I.

Il) Clem. Alex., Siroui. IV, iS, 89. suiv. et VI, G. 5 >.

(i:>) Chn:. Alca-., Strcun. !I, S, 30; II, 20, ii/i: III, 7,. 5ii.

(i3) Tertnilicn, De Cnrnc Cliristi 17. 20; Origène. In .loi). XXL 11 sui\. dans Pitra, .l/ia/. suer.. Il, 3G8 : Mnratori. fnirim. lin. Un de ces Psaumes est cité par Ilippolyte. Pliilos., VI, 37.

1 1 V) Clem. d'Alex., fragment d'ini traité De Prorideiilin. publié par Meicali. Hentfie. del li. InslU. Lomh. .^er. II, V, 3i, p. io3/j.

ORIGINE DES ÉCRITURES MANICHÉENNES 13

lions (i). On conservait en outre divers travaux de ses prin- cipaux disciples, notamment des écrits importants de Ptolémée, dont un exposait la vraie Gnose à la chrétienne Flora (2), tandis qu'un autre expliquait le Prologue du /T^ Evangile (3), un commentaire d'Héracléon sur ce môme Evangile (4), des Syllogismes dogmatiques d'Alexandre (5), une élude des Figures Légales de Théotime (6), enfin des textes surtout ritualistes de Marcus (7).

Marcion, qui vivait à Rome vers le milieu du ii^ siècle, a y connaître toute cette littérature et se rencontrer avec le groupe valentinien qui s'y trouvait alors. Mais c'est sous d'autres influences qu'il a conçu et organisé son système. à Sinope, dans la région du Pont et formé à l'école du syrien Cerdon, il représente une tradition plus nettement orientale (8). Par il se rapproche de Bardesane, qui naquit à Edesse en 154 et y passa la plus grande partie de sa vie (9). Tous deux professaient un Gnosticisme moins philosophique mais mieux adapté à l'àme populaire que celui de Basilide et de Valentin. Tous deux enseignaient nettement que le Bien et le Mal, ou, plus précisément, la Lumière et les Ténèbres, ont existé de toute éternité, que ces Principes contraires se sont mêlés un jour dans le monde et dans l'homme et qu'ils doivent se séparer progressivement pour revenir à leur premier état. Ils ne différaient que jdans la façon dont ils concevaient les divers détails de ce drame grandiose (10).

Comme Basilide, Marcion rejetait absolument tout l'Ancien

(i) llippolyto, Philos., VI, /ja. Cependant ces Visions pourraient dési- giicr k'S écrits précédents.

(2) Epiphane, Haer., XXXIII, 0-7.

(3) Irénéc, Haer., I, 8, 5.

(4) Origènc Je cite souvent dans son propre commentaire du même livre. V. Brooke, The fragm. of Herakleon, Cambridge, 1891, 8*^.

(5) TertuUien, De carne CJirisii, 16, 17.

(6) TertuUien, Adv. Valent., 4-

(7) Irénée, Haer., I, i3, 2 et suiv.

(8) TertuUien, Advcrs. Marc., 1, i. Cf. Harnack, Dogmengeschichie, 3^ édit., t. I, p. 25/1-271.

(9) Voir F. Nau, Vne biograpliie inédite de Bardesane. Paris, 1897, 8*^. Cf. du même, art. Bardesane dans le Plct. de Théol. Cath. (1909).

(10) Voir surtout C. W. Mitchell, S. Ephraim's Prose. Réfutations of Mani, Marcion and Bardaisan, Londres, 191 2, 8°, qui suffit à réfuter péremptoi- rement les thèses contraires de Harnack et de Nau.

3

14 LES ÉCRITURES MANICHÉENNES

Testament [i). Il admettait l'Evangile et VApôlrc mais par il entendait seulement le récit évangélique de Luc et quelques Ëpitres pauliniennes, d'où il avait soin d'exclure tout ce qui pouvait avoir une saveur judaïque (2). Lui-même exposait les principes et les règles de son exégèse dans un traité important, les Antithèses, il faisait ressortir le contraste existant entre la tradition chrétienne et celle de Moïse (3). Il expliquait par ailleurs divers aspects de sa propre doctrine dans un recueil de Lettres (4), sans doute aussi dans plusieurs autres ouvrages dont le titre ne nous est point connu (5). Ses disciples sub- stituaient aux Adc.s c?e,s .Ipd^rcs un livre similaire, tout pénétré de son enseignement, il était qualifié de « Prince des Apôtres » et il prenait la place de Simon Pierre (6). Chez eux se conservait en outre un recueil de Psaumes qui se récitaient ou se chantaient dans les assemblées religieuses et qui ressem- blaient fort peu à ceux de David (7). Un d'entre eux, Apelle, qui fut de tous le plus célèbre, écrivit les Révélations d'une prophé- tesse du nom de Philomène (8), ainsi qu'un traité antijuif, les Syllogismes (9). Un autre, l'Assyrien Prépon, est présenté comme l'auteur de /)i.scoM?\s' sur l hérésie dirigés contre Barde- sane (10).

Quant à Bardesane, il semble avoir adopté en matière biblique la méthode, plus éclectique de Valentin, à qui il est souvent rattaché (11). Lui-même écrivit beaucoup. Tour à tour nous lui voyons attribuer des Dialogues contre Marcion et

(i) Terlullicn, Adv. Marc. 1, 19; II, :>8-y9 ; IV, i M siiiv.

(2) Iiénée, Haer., I, •.'-;. :>. ; ill ii, 7 cl 9: i :? 12; i4. /i. Cf. F.piphane. Haer, XLII, 9, 11 -12.

(3) Tertullioii. Adv. M(tir I. m) : IV, i, 9, 'M): .h'ionic, Adr. ^ihr. iîu'.. I, 5. Cf. A. Ilahn, Antithèses Mnrcionis Gnostici, Rrgiom, i8i>3, .

(4) Tertullien, Adv. Marc, 1. i; IV, ; Dr cirn. Clirisl.. 2.

(5) Epiphane, Haer., XLII, 9.

(G) Préface arabe du Concile de Mcée, chez Mansi, Coll. Conc. H. 1017. Cf. Eutychhis, Ann.. P. G., CXI, looO.

(7) Idem, ibid. et Muralori. fragm. 81.

(8) Toiinllicn. De Pracscr.. :k). Cf. Eusèhc, llisl. eccl. V. i3; llippo- lyte, Philosoph., X, 12; Thcodoret, Haer. fab., I, 25.

(9) Tertullien, De Praescr., 5i ; Origèiu;. //; Gen. Uom.. II. 2; Ambroisc\ De paradiso, V, 28 (citation).

(10) Hippohlc, Philos.. VII, 3i.

(11) Ilippolyto, Pliilos., VI, 35; Epipliane, Haer.. LVI, 2, etc.

ORIGINE DES ECRITURES MANICHEENNES :<>

autres hérétiques (1), un livre Du Destin, dédié à « Antonin )), c'est-à-dire vraisemblablement à Caracalla ou Héliogabale (2j, des Apologies du Christianisme provoquéespar la persécution (3), une Histoire de V Arménie rédigée en partie d'après des docu- ments anciens et en partie d'après ses souvenirs (4), une étude de VInde, faite sur les rapports d'ambassadeurs hindous en- voyés près d'Héliogabale (,T), un recueil de 150 Psaumes, de- venu très vite populaire à Edesse (6), plusieurs autres traités intitulés La Lumière et tes Ténèbres, L'Être immatériel de la Venté Le Mouvement et la Stabilité il), enfin des travaux astrolo- giques dont le titre ne nous est point connu (8). Une partie au moins de ses œuvres étaient rédigées en syriaque. Ses dis- ciples les traduisirent en grec (9). Et ils y ajoutèrent d'autres écrits qui s'inspiraient de son enseignement (10), par exemple des Cantiques de son fils Harmonius (11) et un Dialogue des lois du pays d'un certain Philippe (12). D'après Ephrem qui les

[i) Eusèbe, Hist. eccL, IV, 3o, 2.

(2) Eusèbe, Hist. ceci., IV, 00, 2. Eusèbe parle d'un « Dialogue ». Moïse de Ghoren mentionne le même ouvrage mais il le présente plutôt comme une (( Lettre » (Hist. Arm., II, C3).

(3) Eusèbe, Hsl. eccL, IV, 3o.

(Ji) Cette Histoire est citée par Moïse de Choren {Hist. Arm., II, 59-60) et par deux autres écrivains arméniens, Zenob de Glag et Ouktanèsd 'Edesse, qui attribuent aussi à Bardesane un (( dialogue entre Tiridate et Hratché », V. Langois, Fragmenta historicorum graecorum, Paris-, 1870, t. V b, p. 63-67.

(5) Plusieurs fragments en ont été conservés par Porphyre et reproduits par Langlois, op. cit., p. 68-72,

(6) Ephrem, Opéra, Rome, 17A0, t. II, p. 554-558. {Hymne 53); t. III, p. LI (Act. s. Ephr.).

(7) An Nadim chez Fiiigel, Mani, p. 162,

(8) Ephrem, Opéra, t. II, p. A98, 55o. Eusèbe regarde Bardesane comme le prince des Astrologues (Prep. Evang., VI, 9).

(9) Eusèbe, Hist. eccL, IV, 3o.

(10) An Nadim, chez Flûgel, Mani, p. 162.

(11) Sozomène, Hist. eccl., III, iG. Sozomène affirme faussement qu'Har- monius fut le premier à écrire des Poésies syriaques et qu'il le fit à l'imi- tation des Maîtres grecs.

(12) Ce dernier livre a été découvert en i845 par Cureton dans un manus- crit syriaque du British Muséum et édité par lui dans le Spicilegium syria- cum, Londres, i855, in-8°. Il a été traduit en français par Langlois, op. cit., p. 74-95 et par F. Nau, Bardesane V Astrologue, Le Livre des Lois du Pays, Paris, 1899, in-8°, et en allemand par Merx, Bardesanes von Edessa, Halle, i863, in-8®. II est déjà cité par Eusèbe, qui l'attribue faussement à Bardesane lui-même {Prep. Evang., VI, 10).

K) LES KCHITl HJ:S MAMCIŒEMVES

a vus de près , « ils observaient les mouvements des corps et supputaient les temps ; l'un étudiait un livre du Tonnerre, un autre un livre des Mystères ; ils comparaient la décroissance de la lune aux signes du zodiaque, et en place des études ecclé- siastiques pendant que la brebis (fidèle) parcourait les livres des saints, ils s'appliquaient à des écrits de perdition ».

comme ailleurs les épigones modifiaient parfois assez sensiblement l'œuvre du Maître. Peu à peu les systèmes les plus personnels perdaient leur originalité première et ten- daient à se confondre avec ceux qui avaient cours dans les cercles voisins. Ce syncrétisme s'observait surtout entre les sectes anonymes. Celles ci, n'ayant pas une originalité bien accusée, se rapprochaient et se fusionnaient aisément, d'après le hasard des rencontres. D'une manière générale, les groupes gnostiques, voyant le Bien partout mêlé au Mal, pratiquaient atout point de vue le plus large éclectisme, lisse copiaient les uns les autres avec d'autant plus de facilité qu'ils se trouvaient déjà très ressemblants. Aussi avaient-ils souvent les mêmes idées et les mêmes livres, la môme organisation et le même pro- gramme. Ils se liaient et s'anastomosaient jusqu'à s'identifier.

C'est dans ce milieu très composiie que le Manichéisme est né. C'est de lui qu'il procède.

II

Mani lui-même racontait, dans un de ses livres, qu'il était en « Tannée 527 de l'ère des astronomes babyloniens ou du comput d'Alexandre, la 5'- du règne d'Adharban » (21 o), et qu'il avait reçu une première révélation de la vérité divine dans sa 13® année, « la 3^ du règne d'Ardascbir, le Roi des Rois » (228) (2). Il ajoutait que cette révélation lui avait été renouvelée dans sa 25'' année (240) et qu'il avait reçu alors la mission de prêcher la vraie religion (3). D'après l'historien arabe An-Nadim, qui se réfère aux « récits des Manichéens », il entra en scène le jour de l'avènement et du couronnement de

(i) Eplircni, Opcra, t. 11, p. ^09.

(2) Birouni, ClironoJoçiie, Irad. Sacliau, p. 121 v[ 190.

(3) An Nadim chez Fliigel, Muni. p. S/| et chez Kessier, Matii. p. 384-

ORIGINE DES ECRITURES MANICHEENNES

17

Sapor, fils d'Ardaschir (240-i241), « cent ans environ après Marcion et soixante-dix après Bardesane ))(!). A cette époque les écrits de ces deux chefs d'école étaient fort connus. Et ils recrutaient un peu partout de nombreux adeptes. La littéra- ture gnostique, en général, se trouvait alors en pleine efïlores- cence (2).

D'après An Nadim, le père deMani, Fouttak Babak ben Abî Barzâm, de la famille des Haskanides, était originaire de la ville persane de Hamadan, d'où il s'était rendu en Babylonie pour résider habituellement à Al-Madaïn, dans la partie de la ville appelée Gtésiphon (3). Selon le propre témoignage de Mani, lui-même était en Babylonie, dans un village du nom de Mardinou, situé dans le district de Nahar-Koulha (4). Toute la contrée située entre le Tigre et l'Euphrate offrait un terrain propice à la propagande gnostique. Tour à tour possédée par les Ghaldéens et les Assyriens, les Perses et les Grecs, peuplée de Juifs et de Ghrétiens, elle pratiquait le syncrétisme le plus large et ne pouvait que s'intéresser vivement à la doctrine éclectique de Basilide, de Valentin, de Marcion, de Bardesane et de leurs innombrables disciples ou émules. Les Sabéens se trouvaient établis à demeure dans la région de Dastou Meisân ou Dast Meisân, située entre Wâsit, Basra et Ahwâz (5). Les Ophites et les Pérates étaient sans doute nés dans la même contrée. Origène et Hippolyte les font venir d'un certain Euphrate le Pérate (6), qui tirait probablement son nom de la ville de Forât Meisân, voisine de Basra (7). Des Gnostiques « Babyloniens o sont mentionnés par Didyme d'Alexandrie à côté des Gaïnites, des Nicolaïtes, des Marcionites, des Valenti- niens et des Séthiens (8). Ils apparaissent déjà chez Hippolyte, un certain nombre d'années avant la prédication manichéenne,

(i) Fliigcl, Mani, p. 84-85 et Kessler, Mani, p. 385.

(2) C'est ce que montre le témoignage d'Epiphane, qui, écrivant un siècle plus tard, la trouve encore répan ue dans les mêmes régions.

(3) Fliigel, Mani, p. 83 ; Kessler, Mani, p. 384.

(4) Birouni, Chronologie, tiad. Sachau, p. 121 et 190.

(5) Fliigel, Mani, p. 83 et i3i, not. 22.

(6) Cont. Cels, VI, 28 (Ophites); Philosoph., V, i3 et X, 10 (Pérates),

(7) Brandt, Mandàische Religion, Leipzig, 1893, p. 192.

(8) In epist. Jad., 7 chez Cranmer, Calenae graecorum Painun in Noiyiin Tentamenlam. Oxford, t. VIII (184/4), p. i57.

18 LES ÉCRITURES MANICHÉENNES

comme les adeptes d'une fausse sagesse qui ont été amenés par l'alternance du jour et de la nuit à diviniser non seulement la lumière mais les ténèbres et dont les doctrines pernicieuses sont entachées d'astrologie et de magie (i).

D'après une tradition manichéenne rapportée par An Nadim, Fouttak, ayant été invité par un ange à s'abstenir de viande et de vin ainsi que de tout commerce sexuel, s'agrégea aux (( Moughtasilas » ou Sabéens, établis dans la région de Dastou Meisân, qui s'inspiraient des mêmes principes, puis il fit venir son fîls auprès de lui et il l'éleva dans leur reli- gion (2). Mani connut certainement alors le livre d'Elchasa't, qui était le grand oracle de ses coreligionnaires. Et il ne put manquer d'en subir profondément l'influence.

Cet écrit se donnait comme révélé par un Ange qui avait apparu entre deux montagnes {',h. l\ montrait le Dieu « Très Haut » dominant tous les êtres (4) et au-dessous le Christ et le Diable issus également de lui et préposés par lui, sur leur propre demande, l'un aux temps futurs, l'autre au « siècle pré- sent )) (5). A côté du Christ, conçu comme le premier des Archanges, il faisait apparaître TEsprit qu'il présentait comme sa sœur (6), Il décrivait Tun sous l;i forme d'un homme qui égalait en hauteur la montagne voisine, l'autre sous celle d'une femme de môme taille (7). Il prétendait trouver la même opposition des sexes à travers tous les êtres, par exemple entre les légumes qui naissent de la terre et le gui qui pousse sur les arbres (cS). Mais il la signalait surtout entre l'eau et le feu. Pour lui, le premier de ces éléments représentait la droite et

{i) l'Iiilosoph., IV, /|3. Cf. /■/)[(/., 1, lo cl \, 5.

(•>.) Flij^n'l, Mdiii, |). S3-8^; Kessler, Mani, p. 08/4.

(,S) llippolylc, i^liihisoph., 1\. i3; Kpipluinc, Hticr., ,\l\. i: X\.\. i-.

C'i) nippoKic. Philosopli., 1\, j5.

(5) Kpi|)liaiH\ H(ier., \X\. i(i. Kpipliaiic parle ici des Fbionitcs. Mais la suite (le son exposé monJie qu'en cet enilroil il a uniquement en vue cvn\ qui se irckuuent d'Etcliasaï (V. //)/(/., \/\\. 17V

((■)) MlppoKlc, Pliilosoph.. I\, K^ ; Kpipliaiic, llacr.. \l\. '\.

(7) llippolyle, Pliilosoph., I\. i^ \ Kpiplianc. Haer.. MX el X\>^, 17.

(<S) An ^adim, chv.y. Flii^el, Mani, p. il^fi. D'après les Sabéens. dit Birouni, les légumes ont poussé à l'origine sur un crâne humain; de vient qu'ils appesanlissenl c\ corrompent resj^ril (ChronoJogic. Ir. Sacliau, p. :>()r> lin H Kcss1<m-, Mani, p. 3ii). iJne idée analogu<' est attribuée à u Zaïa- tas le Clialdéen )> (Zoroastre), le maître de Pytliagore, à propos de la fève, ])ar llippolyle (Philasoph., 1. 9).

ORIGINE DES ECRITURES MANICHÉENNES 19

le second la gauche. L'un était Tinstrunient de notre salut, l'autre celui de notre perdition (1). L'eau du baptême permet- tait d'échapper au feu de l'enfer. Elle efïaçait les souillures de l'âme les plus hideuses, celles même qui résultaient de la pédérastie, de la sodomie, de la bestialité et de l'inceste (2). Elle guérissait aussi les maux physiques les plus graves, la possession diabolique, la phtisie, la morsure des serpents, celle des chiens enragés (3). Pour en recueillir les effets salutaires, il fallait invoquer les sept Eléments, le Sel, l'Eau, la Terre, le- Pain (ou l'Huile), le Ciel, l'Ether (ou les Anges de la prière) et le Vent (4). Il était également prescrit de mener une vie sainte, de ne prendre ni nourriture animale ni boisson fer- mentée, de vivre loin des femmes (5). Mais il importait surtout de croire au Christ. Lui seul possédait à fond la science du salut. Or, après s'être incarné en Adam (6) et en divers autres personnages (7), il était plus récemment descendu en Jésus pendant que celui-ci était baptisé au Jourdain par Jean Bap- tiste (8). La doctrine rédemptrice avait été déjà consignée dans la Loi et lEvangile. Mais de bonne heure elle avait été faussée

{i) E[)ip}iaiic', Huer., XIX, 3 fin (citation d'Elchasaï) ; LUI, i.

(2) Hippolyte, Philosopli., IX, i3. C'est sans doute ce qui a fait dire à l^piplianc qu'Elcliasaï « haïssait la virginité, condamnait la continence et poussait au mariage » {Huer., XIX, i). Une telle attitude serait étrange chez un Gnostiquc. En fait, l'histoire de Fouttak entrant chez les Monghtasilas parce qu'ils suivent la règle qui lui a été imposée par un Ange de se tenir (( loin des femmes » montre que, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, l'auteur du Paiiarlon doit être dans l'erreur.

(3) Hippolyte, Pliilosoph., IX, i4 ; Epiphane, Hacr., X^XX, 17.

(4) Epiphane, Huer., XIX, i.

(5) D'après An Xadim (v. supra, p. 18, not. 2). Cf. Epiphane, Hacr., XXX, 15.

(6) Epiphane, Haer., XXX, 3 et X^XIII, i. Les Mandéens ont encore aujourd'hui un Livre rVAdain qui se rattache au même ordre d'idées. V. supra, p. <). not. 7.

(-;) Hippolyte, Pliilosoph., IX, i4. D'après Epiphane, les disciples d'El- t^hasaï achuci talent que le Christ aAait apparu sous une forme humaine à Abraham, Isaac et Jacob (Haer., XXX, 3). Peut-être le faisaient-ils appa- raître (>n outre à Moyse, Aaron et Josué, car ils leur témoignaient le même respect qu'à ces trois Patriarches (ibld., XXX, 18).

(8) Epiphane, Haer., XXX, i3. Les Mandéens, descendant des anciens Sabéens, ont été appelés a Chrétiens de saint Jean Baptiste », à cause du culte qu'ils professaient pour celui-ci . Ils ont un Livre de Jean qui ren- ferme, avec diverses règles liturgiques, la vie miraculeuse du Précurseur, V. supra, p. G, not. 6.

20 LES ÉCRITURES MANICHÉEN.NES

par les Prophètes et les Apôtres (1). Elle apparaissait entière et sans mélange dans le livre d'Elchasaï que lui-même avait apporté du ciel sous la forme d'un Ange (2). Pour être sauvé, il suffisait donc de garder avec soin cet écrit et d'en mettre les leçons en pratique (3). Il fallait seulement bien se garder d'en livrer le secret aux profanes, incapables de le comprendre et d'en tirer profit (4). Et plutôt que de le laisser tomber entre leurs mains, il ne fallait pas craindre, en temps de persécution, d'en renier la doctrine à condition de le faire seulement de bouche et non de cœur (5).

Mani professa quelque temps les mêmes idées. Mais bientôt lui aussi prétendit avoir reçu la visite d'un ange, appelé en babylonien Eltawam, le « compagnon », qui lui avait prescrit, dès sa treizième année, au nom du « Roi du Paradis de la Lumière» ou du « Très Haut », d'abandonner la secte des Mou- ghtasilas pour « pratiquer la continence et réprimer la concu- piscence » et qui lui ordonnait, douze ans plus tard, de se faire le héraut de sa a propre doctrine » (6). Il présenta donc un nouveau dualisme étroitement apparenté à celui des Sabéens disciples d'Elchasaï, mais plus rigoureux et plus systématique. Au lieu de soutenir que le Diable lui-même vient de Dieu, il regardait le mal comme existant de toute éternité. Au lieu d'opposer l'eau et le feu, il trouvait en chacun de ces éléments une nature bonne et une autre mauvaise. Il dédoublait de la même façon l'air, la terre et le feu et ne voyait d'opposition irréductible qu'entre la Lumière et les Ténèbres. Tout en gar- dant les ablutions rituelles de ses premiers Maîtres, il attachait une importance bien plus grande à la possession de la vraie Gnose. Il insistait encore davantage sur la nécessité de confor-

(i) D'après Oiigcnc, cilr par Knsèbc illisl. ceci., ^I, 38). la secte des Elchasaïtes « rejette certaines parties du ' Canon scripturaire et elle en admet d'autres, soit dans l'Ancien Testament, soit dans l'Evangile, d'où elle exclut entièrement rAp(Mr(> Paul ». Epipliane s'exprime dans le nn'me sens. D'après lui, les modernes Ebioniles, partisans d'Elchasaï, mutilent le IN'utateuque, rejettent David, Salomon et. les Prophètes et n'admettent dans le Nouveau Testament que l'Evangile (Huer., XXX, i8).

(:0 llippolyle, Philosopli.. IX, i3 : Epiphane, Haer., XIX. /i : XXXllI. i.

(3) Eusèbe, /7(.s(. ceci., \l, 38 fin.

(4) llippolyle, 7^/ti/osop/i., IX. 17.

(5) Epiphane, Haer., XIX. i fin.

(6) An Xadim chez Fliigcl. Mani. p. S\ et clie/ Kessler, Muni. p. 38^-385.

ORIGINE DES ECRITURES MANICHÉENNES 24

mer sa vie à la saine doctrine, de pratiquer une continence et une abstinence sévères. Il rejettait la Loi aussi bien que les Prophètes. Par contre, il admettait avec l'Evangile, les Epîtres de Paul. Il réprouvait donc l'enseignement d'Elchasaï comme entaché de Judaïsme. Et il se présentait comme le « Paraclet )) promis par le Sauveur, comme le dernier « Apôtre du Christ», celui qui devait faire succéder à la science partielle et confuse d'autrefois la pleine et sereine vision des vérités divines (1). D'autres influences que celle de l'ange Eltawam avaient présidé à la formation de la nouvelle foi. Celle-ci ressemblait trop à celle des Gnostiques antérieurs pour n'en pas prove- nir (2). Selon la juste remarque de divers auteurs grecs, elle se rattachait étroitement à celle des Ophites (3). Elle avait encore plus de rapports avec la doctrine de Basilide et celle de Valen-. tin (4). Elle se rapprochait surtout des théories de Marcion et de Bardesane. Mani est souvent associé par Ephrem à ces deux derniers représentants de la Gnose (5). D'après Sharastâni, il dépend même du second sur tous les points sauf sur celui du (( Médiateur » (6). Mas' oudî voit en lui l'élève de Cerdôn (7), que d'autres documents présentent comme le maître de Mar- cion (8). Lui-même confirme ces données. D'après les extraits ou abrégés qui nous ont été conservés de son œuvre, il citait volontiers les Ecritures qui avaient cours dans les cercles gnos-

(i) Sur l'ensemble de cet enseignement voir le cliapitre suivant. (?.) Contre Kessler. Voir supra, Préface, p. i.

(3) Cyrille de Jérusalem, Catech., VI. 20; Augustin, De Gen. conf. M<in.. II, 39- ^

(4) Act. Arcli., 38, 55 (texte complet seulement dans l'édition Beeson fin.) : Cyrille de Jérusalem, Catecli., VI, 20; Serapion de Tmuis, Adv. Man., 2, etc. Cf. Bousset, Hauptprohl. der Gnos., 3/i3-3/i6.

(5) Sancti Epiu-aeni Opéra, Rome, 17/16, t. II, 439 et surtout C. W. Mif- chell, .S. Ephralnis Prose (Réfutations of Mani, Marcion and Bardaisan), Londres, 191 2, S^, passiw.

(()) Cité par Flïio-el, Mani, p. i65.

(7) Les Prairies d'Or, Irad. Barbier du Meynard, t. II, p. 1C7. Certans manuscrits portent Kârdorni, d'autres Màrdoûn, d'auties Fàrdoûn, mais ces derniers noms résultent sans doute d'une mauvaise lecture du premier (V. Flligel, Mani, p. i4i). Birouni fait de Mani l'élève de Fârâdoûn [Chrojiol., trad. Sachau, p. 189). Mais ce doit être par suite d'une confusion du même genre, comme le fait observer Kessler {Mani, p. 75 et p. 3i6, not. 4).

(8) Ilippolyte, PhilosopJt., X, 11, 19; Tertullien, Advers. Marc, I, 2; Eusèbe, Hist. eccL, IV, 10.

22 LES ÉCRITURES MANTCIIEEN.NES

tiques (1). A propos de la formation de riiomine, il faisait observer que beaucoup d'entre elles avaient lonc^uement étudié ce sujet (2). Et il discutait les théories de Marcionet deBardesane en homme qui les avait longuement étudiées (3). En somme il fut un grand liseur. Et ses lectures portèrent de bonne heure sur les travaux récents des grands représentants de la Gnose dont tout le monde parlait autour de lui. Il y trouva une doc- trine plus vaste et plus compréhensive que celle qu'il avait apprise chez les Moughtasilas. C'est ainsi qu'il fut amené à quitter ces derniers pour élaborer un système nouveau qui donnait à leur enseignement une forme plus large et plus sys- tématique.

A l'exemple de ses Maîtres, Mani ne se contenta pas de prê- cher sa doctrine. Il la consigna dans de nombreux écrits qu'il présenta comme inspirés par Dieu et seuls capables de libérer les âmes, a Voici, disait-il dans l'un d'entre eux, des paroles salutaires qui coulent de la source éternelle et vivante. Qui- conque les entend et commence par y croire puis en retient les suggestions échappera pour toujours à la mort et jouira de la vie éternelle et glorieuse (4) ».

Un de ces livres, le premier en date, fut rédigé en persan, parce qu'il était dédié au roi Sapor (5). Mais les autres furent plutôt écrits en syriaque (6). C'est de cette langue que les auteurs chrétiens de la région se servaient d'ordinaire. Marcion et Bar- desane n'en employaient point d'autre. Sur ce point encore le nouveau Maître ne faisait que marcher sur leurs traces.

Mani poussa plus loin de l'imitation. D'après une tradi- tion consignée par An Nadim, il inventa, pour transcrire ses

(i) Suc les i8 cliapil rcs de son Haic des Myslèrcs. dont les titres sont donnés par An Nadim (^Flïi<i;t'l. Mani, p. io-j-ioo), G ^isoIlt dircctomont quelqu'nnc de ces Efritnros.

( :0 \n^usliii. Conf. Episl. Maii. chkiiii roctini l'^iiiithnii.. ifi iitil. (^cilalion de Mani).

(S) D'après Mas<^ contlî (Le livre de l'arcrl. cl de la rrris.. Irad. Carra de Vaux. ]). i88), nii cliapitic dn Trésor de Mani élait consaeié aux Marcio- niles. D'après An Nadini (Fliifjel. Mani, p. uy\). trois chapitres de son livre des Mystères attaquaient noniniénient les diseiples de Bardesane. l'n extrait de ces dernières eiiliqnes (>sl donné par Bironni (Indi<i. trad. Saehau, p. 05).

('i) '\n<^iistin. (Uml. Ki>isl. Un//., i •> 'mil.: CahiI. J'rl.. I. i.

(5) Bironni. ChroïKil., Irad. Saelian, p. 189-190.

(()) \n \adini cIkv. l-'lii^'el. Mani. p. io>.

ORTGTÎVE DES ECRITURES MANICHEENNES

23

œuvres, une écriture spéciale, dérivée du syriaque et du per- san et plus riche en caractères que l'arabe. Mais, selon une variante du même récit, qui s'accorde bien avec les renseigne- ments fournis sur sa doctrine, il adopta plutôt celle dont se servaient les Marcionites. Il en changea seulement quelques lettres (1).

Des dessins variés accompagnaient souvent le texte des manuscrits gnostiques, dont ils devaient faciliter l'intelligence. Certains se sont conservés chez les Mandéens, dont nous pos- sédons une sorte de schéma du Paradis et de l'Enfer connu sous le nom de Ditrân (2). Beaucoup ont été retrouvés sur des papyrus égyptiens découverts au cours du dernier siècle (3). Un diagramme est signalé chez les Ophites (4). Des peintures sont aussi mentionnées dans plusieurs autres sectes, chez les Simoniens (5) et les Carpocratiens (6). Mani suivit ces exemples. Selon une tradition autorisée dontEphrem s'est fait le rapporteur, il enlumina ses livres et y figura les Vertus lumi- neuses et les Puissances des Ténèbres sous les traits les plus propres à faire aimer les unes et détester les autres, afin, expliquait-il, de compléter ainsi l'enseignement écrit pour les gens instruits et de le suppléer pour les autres (7j.

La plupart de ces œuvres ont être composées hors de la Perse. En effet leur auteur fut de bonne heure exilé par Sapor. D'après des rapports d'historiens arabes qui ont être empruntés à quelque source manichéenne, le monarque se serait d'abord rallié à la nouvelle foi et il l'aurait même pro- fessée pendant dix ans, puis il l'aurait abanbonnée pour reve- nir à celle des Mages (8). Si ces faits sont exacts, et on peut

(i) Fliigcl, Mani, p. 85 et 166-168.

{:>) Le Diwân a élé apporté en i652 de Mossoul à Rome par le Père Igiiaee de Jésus et mis par lui à profit dans sa Narraiio origlnis, rltuuni et erroram Chrlstianorum Soncti lohannis, supra, p. 4, not. a.

('3) Voir les Livres de Jeou eliez C. Schmidt, Koptisch-Gtiostiche Schriften, t. I, p. 257-329.

(/i) Origène, Cont. CeJs., VI, 24-38.

(5) Irénée, Adv. Huer.. I, 23, 4- Cf. Epiphane, Hacr., XXI, 3.

(6) Irénée, Adv. Huer., I, 25, 5. Cf. Epiphane, Haer., XXVII, 6.

(7) C. W. Mitehell. N. Eplxraim's Prose, Refiit(fiions 0/ Mani, Marcion and Bardaisan, Londres, 191 2, 8**, p. XCIII.

r8) Ya*- ([oubi, cité par kessier, Mani, p. 33o ; Mas*^ coudi. eilé par Mîrcliond (Kessler, Mani, p. 379) et par Flûgel, Mani, p. i45.

24 LES ÉCRITURES MANICHÉENNES

en douter, il n'en mit ensuite que plus de zèle à combattre rhérésie. Conformément à la Loi portée par Zoroastre contre les faux prophètes, nous dit-on, il ordonna au novateur de quitter ses Etats (1).

Selon divers auteurs, Mani se retira d'abord dans l'Inde (2), à Kaschmir (3). De il passa dans le Turkestan et en Chine (4). Il parcourut le Khorassan (5) ainsi que le Thibet (6). Pendant (( quarante années environ », il alla à travers « les pays », prêchant partout le nouvel Evangile. Sans doute entretenait-il des rapports epistolaires avec ses prosélytes, à l'exemple de Paul, son Maître préféré. Un historien arabe mentionne, sur une liste d'écrits manichéens, plusieurs lettres a à l'Inde », « à Kashkar » et à diverses autres villes ou régions, qui ont être rédigées pendant cette période de son apostolat ('*). Un autre parle d'un ouvrage important qu'il écrivit chez les Brahmanes, <( quand il eut été banni de l'Iran (8) ». Un auteur persan raconte comment il composa une autre de ses œuvres, ornée de peintures merveilleuses, dans une grotte rencontrée « en Orient » au cours de ses voyages (9). Un controversiste catho- lique du iv*^ siècle le montre allant prêcher sa doctrine à Kash- kar, « un bâton vigoureux de bois d'ébène à la main droite et un livre babylonien sous le bras gauche » (10). Sans doute veut-il désigner par le recueil des Ecritures manichéennes dont il décrit plus loin la formation (11).

Après la mort de Sapor (272) et celle de son fils Hormuz (273) à qui venait de succéder Bahrâm I, un prince jeune et ami des

(i) Biroiini, CJironology, Irad. Sachau, p. Sgi (d'après le rapport d'un corlan Ispàhbadli Alarzoïibàn, fils de Rouslam).

(2) V. supra, p. 1^3 , iiot. 8.

(3) Mas'- 30udî d'ares Mircliond (Kessler, p. 079).

(4) Mas^ coudi d'après Mirchond (loc. cit.).

(5) An Nadim. c1i(>z Fliigel. Mntù, p. 85.

(()) liiioimi. ('.lir<tiK>h)<iy. Irad. Sacliau. p. n)i.

(7) Au Nadini chez Flii<^('l. Mani. p. io3-io5. Le Kashkar dont il s'airit ici iloil (Mr-e sans doute la \ille persane de ee nom qui sele^ait jadis sur reuiplaeeuieni de W'asit, dans la réijion tlu ïiprre inférieur [Y. Fliiijel, Mani, p. ■?.o-:>b. Cf. Joiirn. Aslat. Roy. Soc. I9i3, p. 434 et suiv ., 69G et sui\ . et 191/1, p. 4-M-4a7.

(8) Birouni, India, trad. Saeliau, p. 54.

(9) Mîrehônd, //(.s7. unir., chez Kessler, Mani, p. 38o-38i.

(10) Ad. Arc h.. i:>..

(11) Ad. Ardi. . r)3-5'|.

ORIGINE DES ECRITURES MANICHEENNES ^O

plaisirs, Mani s'enhardit à rentrer en Perse, l'appelaient ses partisans (1 ). Arrêté an bout de deux ans et confronté avec des prêtres persans qui n'eurent pas de peine à le convaincre du crime d'hérésie (2), il fut écorché vif, décapité et enfin empaillé (3) dans le courant de mars 275 (4). Après quoi son corps fut exposé sur un gibet en deux endroits de la ville de Dschoundîsâpour, l'exécution avait eu lieu (5).

Mais il laissait après lui de nombreux disciples qui allaient fêter chaque année sa Passion comme le prélude d'une Pâque nouvelle (6). Pour eux il n'était mort qu'afin de monter au ciel, dans ce (( Paradis de la Lumière » qu'il avait constamment présenté comme la seule patrie des âmes justes. 11 était un nouveau Christ et son œuvre méritait de prendre place à côté et au-dessus des Evangiles et des Lettres de Paul.

' lïl

A l'exemple des Gnostiques antérieurs, Mani avait groupé ses partisans en une société hiérarchique, dont il était le chef incontesté et qui comprenait, outre 12 Apôtres ou « Maîtres », 72 Disciples ou Evêques, des Prêtres, des Diacres, des moines ou a Elus )), enfin les simples fidèles ou « Auditeurs » (7).

(i) Ya*^ qoùbi chez Kcsslcr, Mani, p. 33o--33i.

{2) Hamza Isfahâni chez Flûgel, Mani, p. 33o. Cf. Muxhônd chez S. de Sacy, Méni. sur div. antiq. de la Perse, p. 290 et chez Kessler, p. 38o-38i ; Al Tha*^ alibi, Histoire des rois de Perse, tiad. Zotenberg. Paris, 1900, fol. p. 5oi-5o3.

(3) Hamza Isfahâni, Eutychius, Al Makin et Mîrchônd, chez Fliigel, Mani, p. 33o-332. Cf. Act. Arch., 55.

(A) Le mois est donné par Augustin, qui note que les Manichéens fêtent en mars l'anniversaire de la mort du fondateur de leur religion (Cont. Faust., XVIII, 5; cf. Cont. Epist. Man., 8). L'année se déduit approximativement d'un texte de Hamza Isfahâni (Fliigel, Mani, p. 33o), qui note que Mani se cacha pendant deux ans avant d'être arrêté et supplicié par Bahram I.

(5) Hamza Isfahâni, Eutychius, Al Makin, Mîrchônd, Abou'l-Faradj chez Fliigel, Mani, p. 33o-332. Cf. Act. Arch., 55. Dschpundîsâpour était la nou- velle capitale des rois de Perse. Elle avait été fondée par Sapor I. Déjà l'em- pereur Valérien y avait trouvé une mort analogue à celle de Mani.

(6) Cont. Faust., XVIII, 5; Cont. Epist. Man., 8.

(7) Augustin, Haer., XLVI, et Formule grecque d'abjuration, P. G., I, i468. Cf. An Nadim, chez Fliigel, Mani, p. 95 et 293-299 ; Ghavannes et Pelliot, Journ. Asiat., 1911, p. 73-74 note; I9i3, p. 196-197.

20 LES ÉCRITURES MAMCHEExWES

Avant sa mort, il avait lui-même désigné son successeur, un certain Sis ou Sisinnius, dont les pouvoirs devaient ensuite se continuer à travers une série ininterrompue d'autres chefs religieux ou a Imams » ( 1 ). Maîtres, Evoques, Prêtres et Diacres, Elus et Auditeurs se recrutèrent de même et formèrent pendant des siècles une Eglise nombreuse et très vivante. Or tous ces gens professaient pour leurs Ecritures un véritable culte. Ils pratiquaient la religion du livre.

Les Auditeurs se réunissaient tous les dimanches pour réci- ter leurs prières officielles, pour chanter leurs hymnes litur- giques, mais surtout pour entendre la lecture des textes sacrés qui leur avaient été légués (2). Rentrés chez eux, ils lisaient eux- mêmes à haute voix ces écrits vénérés, avec la conviction d'ac- complir ainsi une œuvre pie éminemment utile à leur salut. Sur un feuillet récemment retrouvé d'un manuscrit manichéen, deux d'entre eux ont écrit les colophons suivants : « Moi, Yapgoun, Auditeur, croyant fermement aux deux Palais lumi- neux, j'ai, à mon retour de la Chine récité par deux fois res- pectueusement ce texte salutaire. Que celui qui le récitera après moi ait soin de me nommer. Moi, Arslan Màngù, croyant fermement aux deux Palais lumineux, j'ai récité pieu- sement ce livre saint des Deux Racines. Que ceux qui auront le bonheur de le lire après moi ne m'oublient pas dans leurs œu- vres salutaires (3) )).

Les Elus témoignaient encore plus de vénération pour ces mêmes écrits. Ils en faisaient la règle de leur vie (ii. Un frag- ment de code monastique, exhumé depuis peu, nous montre dans les bâtiments d'une de leurs communautés une « salle des livres et des images )), à coté de quatre autres consacrées au « jeûne », à la « confession », à « l'enseignement » et aux « ma- lades » (5). Et il parle tout au long de plusieurs œuvres que doivent d'abord étudier les novices (G). Un autre manuscrit,

(i) An Nadini chez Flii<Tol. M<mi. p. 07 tM io8. Cf. Act. Arch., 5i ; For- mule grecque (Vabjuration, V. G., I, 1/4G8; Pliotius, Cont. A/an., I, i/j mit. ; Pierre de Sicile, Hist. Man., iG init.

(a) Augustin, Cont. Episl. Mon.. G (/((/.. v.S cire. fin.

(3) Von Le Coq. Tiirkisclie ManicJuiica, I, oq-So.

(4) De mor. Man.. 7/» cire. mcd.

(5) Chiivannes <'t Pelliol. Journ. Ai>iat.. iQiS, p. 109.

(6) Cliavanncs el Pelliot, ibid., p. ii4-ii6.

ORIGINE DES ECRITURES MANICHEENNES Ai

Spécialement rédigé pour eux, dit qu'ils « se plaisent constam- ment à lire et à réciter )) leurs livres saints, qu'ils ne se permet- tent d'y ajouter « ni une phrase ni un mot )), qu'ils en donnent des explications « entièrement vraies )), qu'ils ne les citent jamais « à tort » (1).

Enfin les membres du clergé manichéen faisaient un usage incessant de leurs diverses Ecritures. Us les lisaient régulière- ment aux fidèles dont ils avaient la charge (2), et ils avaient soin de leur en expliquer les passages obscurs (3). Ils s'en servaient aussi pour discuter avec les incroyants, et tel d'entre eux à qui on venait de les dérober, se trouvait aussitôt désarmé devant son adversaire (4). Un auteur chrétien du iv^ siècle nous montre les premiers disciples de Mani allant prêcher sa doctrine « avec le contenu de ses livres » (5). C'est avec le même attirail que les Apôtres de la nouvelle foi continuaient plus tard leur propagande.

A cause du crédit dont elles jouissaient, les Ecritures mani- chéennes étaient très souvent reproduites. Tel auteur déclare en avoir vu de « nombreux » exemplaires (G). Tel autre raconte que des « masses considérables » en ont été saisies (7). Un évêque chrétien du iv® siècle, qui a été élevé chez les dis- ciples de Mani, se souvient d'avoir transcrit chez eux à peu près tous leurs livres (8). Environ 800 ans plus tard, un lettré constate que ces mêmes ouvrages abondent encore autour de lui et qu'on essaie par tous les moyens de les multiplier (9),

Les scribes manichéens apportaient un soin extrême à la transcription de leurs textes sacrés (10). Un d'entre eux, dis-

{i) Chavaiincs et Pelliot, Jouvn. Aslat., 1911, p. 577-579.

(2) Auguslin, Coni. Episl. Mon., G Inlt.

(3) Augustin, Conf. V, 10, mit.

(4) Augustin, Cont. Fel., I, i cire. init. et fin.; II, i, cire. init.

(5) Act. Arch., 53.

{()) Augustin, Cont. Faust., XIII, 6.

(7) Prospcr d 'Aquitaine. Chronieon, P. L., II, 600 et Monum. Germ. aant. : Chron. Min., cd. Mommsen, t. I, p. ^79.

(8) Augustin, Conf., V, 21.

(9) Chavannes et Pelliot, Joiirn. Asiat., iQio, p. 34o.

(10) Une enluminure manichéenne reproduite par Von Le Coq {Ein christ- liclics and ein manicJidisches Manuskript fragment dans les Sitzungshericlite de l'Acad. des se. de Berlin, 1909, p. I2i5, taf. xiii) montre plusieurs rangées de scribes en plein travail. Détail curieux, plusieurs de ces scribes tiennent une plume à chaque main.

28 LES ÉCRITURKS MAMGHÉENA'ES

ciple immédiat de Mani, se fit remarquer jusqu'à un à^^^e très avancé par son talent de calligraphe, et il recruta à son tour de nombreux adeptes qui ne pouvaient manquer d'imiter son exemple ()). Augustin a vu entre les mains des Elus de nom- breux manuscrits dont il a admiré la grandeur et le luxe et qui étaient écrits avec des encres très pures de diverses couleurs sur de riches membranes reliées avec de belles peaux d'agneaux (2). Quatre siècles plus tard, dans un milieu très difTérent, un autre auteur note que « les Manichéens s'imposent pour l'ornemen- tation de leurs Ecritures les mômes dépenses que les Chrétiens pour leurs Eglises )). Et il rapporte le propos suivant qui lui a été tenu par un de ses amis : « Je regrette que ces gens s'obs- tinent à gaspiller un argent précieux pour se procurer du beau papier blanc et une encre noire brillante, qu'ils attachent tant de prix à la calligraphie et qu'ils stimulent tellement les copis- tes, car, en vérité, je n'ai encore vu aucun papier comparable à celui de leurs livres ni aucune Ecriture aussi belle (3). » Divers débris de manuscrits manichéens récemment exhumés confirment ces données. Ils constituent de vrais chefs d'œuvrc de calligraphie. Ils sont écrits sur un papier de luxe avec des encres variées d'une excellente qualité, dont l'heureuse alter- nance fait ressortir les titres ainsi que les passages particuliè- rement importants. Et ils portent de riches enluminures d'un goût très délicat (4).

Ces ouvrages n'ont pu se répandre en divers pays et sub- sister pendant de longs siècles qu'à la condition d'être sou- vent traduits. Des versions en furent faites de bonne heure et en beaucoup de langues notamment en grec (5) et en latin (6),

(i) Epipliano, Haer., LXVII, i (Hicrakas).

(a) Cont. Faust., XIII, iS.

(3) Al (îaliiz, chez Kcssior, Mani, p. 36G.

(/i) V. W. K. Mûllor, Handschr. Ueslc, p. 3, 5, etc. ot les publications de Von le Coq avec lenrs fac-similés.

(5) Sans donlc dès la lin du in'^ siècle (V, Alexandre de Lycopolis. De. Plac. Man., ■?., 2/1) et peut-être par Ilierax, Iléraclide et Aphtonius, les « trois cxcgètes )) des traités de Mani cités plus bas.

(6) Sans doute dès la fin du lu*^ siècle, d'après l'édil adressé à leur sujet par Dioclétien au Proconsul d'Afrique (Cod. Grcyor.. 1. XIV. lit. ivV

ORIGINE DES ÉCRITURES MANICHEENNES 29

en chinois (1), en turc (2) et en arabe (3). Des fragments de plusieurs nous sont parvenus. A peu près tous témoignent d'un littéralisme assez étroit. Visiblement les traducteurs étaient liés par le respect religieux que ces textes sacrés leur inspi- raient.

Les Manichéens ne se contentaient pas de reproduire les livres de leur Maître. Certains en firent des commentaires, analogues à ceux que les Catholiques consacraient à la Bible. Plusieurs textes chrétiens signalent parmi les premiers dis- ciples de l'hérésiarque trois « exégètes de ses traités » : Hiérax, Héraclide et Aphtonius (4j. L'historien arabe An Nadim mentionne aussi dans une liste d'écrits manichéens deux travaux concernant des œuvres du Maître, l'un (( d'Abdial sur le livre des Mijslères » l'autre, « de lanou sur l'écrit du Trésor » (5j.

De bonne heure parurent également divers essais d'un caractère plus personnel. Certains passaient pour venir des disciples immédiats de Mani, à qui plusieurs traités sont attri- bués par des auteurs chrétiens (6). D'autres étaient l'œuvre des Imams postérieurs dont de nombreuses encycliques sont énumérées par An Nadim (7). Beaucoup enfin étaient dûs à des prédicateurs particulièrement zélés (8), ou même à de simples fidèles (9). Et leur nombre ne pouvait que croître avec le temps.

(i) Vers la fin du vu'' siècle el sans doiile par le Fovi-lo-laii qui de la Perse porta alors le Manichéisme à la cour des empereurs de Chine (Gha-

\:)nnrs et Peltiol. Joiirn. Asiat., iqiS, p. i5o-i5i).

(:->) i);:î;s la Si'conde partie tiu mît -iècle cl sans doute pac iv> religieux ?oi'.ei-si et SCS acolytes ((ihaAaiuirs .1 l'eliioî. Joiirn. \si':l.. :ui,'), p. m)o- 192V

(.>) Veis !a lin du \ni" siècle, par le céièlu'c polvii'raphe '-rVi)daHali ii)n al-MoqalTa'- (MasWnitli, L<>s Vrniri,'s d'Ov. Iiad. Bail.i.M' du Meynard, I. Vil!, p. i>()3).

(/l) l'orniii':' <4rccc[uc <rahju!;!lion , \\ (i., I, i 'WiN ; IMiolin-. C.tntl. Mul., I. I '1 ('/((/.; Pierre de Sicile, Hisi. M(tn., i(), //(//.

(5) Fliiir<'!, Molli, p. io'|.

((")) Fcnudlf (ircrijue d\'//>/f//'.//;M;(. j*. (1., I, i/|()8; Plioliiis. Conl. Mai:., I, 1.^: Pie'rr;> de Si'-i!". ///.s/. M'in., i(k (llcpiiilixjuc (TX^rapius et Thro^ophi'' (l'Ai-istocrite.)

(7) Fîtifi-ci. Mnni, j). i().'-)-i()5.

(S) Par exemple les « f.rllres )> de !-'aiislc de Milève, crili(iuées par \i!,iiiis- liii dans !<« Conini l'\iushitn.

19) Par ( xcinplc une Ij'lirc de rAudilcnr Scciuulin de Rome à Au<2"ustiii, critiquée par ce dernier dans le Conira Secundinum.

30 LES ÉCRITURES MANICHÉENNES

Ces écrits de Manichéens plus ou moins inconnus ont été parfois aussi lus et aussi vénérés que ceux du Maître. Tel ou tel d'entre eux est signalé par des auteurs ecclésiastiques entre deux ouvrages de 1 hérésiarque (1). An Nadim énumère les (( EpUrcs de Mani et celles des Imams qui lui ont succédé )> sans établir entre les unes et les autres aucune distinction. Or il ne fait sans doute que reproduire une liste officielle (2).

Comme l'Eglise catholique, celle des Dualistes dissidents avait un Catalogue de livres saints imposé aux croyants : Divers témoins constatent en effet que les Manichéens admettent tel ou tel écrit et rejettent tel ou tel autre. Augus- tin, par exemple, leur reproche d'avoir exclu certaines œuvres de leur « Canon » (3). Et un de leurs docteurs adresse une cri- tique semblable au commun des Chrétiens (4). Sur ce point encore Mani lui-même avait donné l'exemple. Conformément au principe général de sa doctrine il avait expliqué que cer- tains écrits venaient de Dieu tandis que d'autres étaient lœuvre du Diable (5). Parlait avait amené ses disciples à distinguer avec soin les premiers des seconds.

Le nouveau Canon n'était pas immuable. Plusieurs cata- logues qui doivent s'en inspirer nous ont été donnés par divers auteurs chrétiens ou Musulmans (G). Or ils se montrent d'autant plus développés qu'ils appartiennent à des époques plus tar- dives. D'autre part ils varient avec les pays d'où ils proviennent. Chaque région a eu ses Maîtres préférés. Ainsi l'historien arabe An Nadim, vivant dans les régions de l'Irak, met les ency- cliques des papes babyloniens à côté des écrits de Mani (7). Au contraire, des textes byzantins de la même période les passent

(i) I^tr cxcnjplc \H('[)l(ii(i<jU(' d' {(/(tpitis apir^ le lixir dc^ MysSriu's cl aviMii (('lui (les Pricrcs cl celui des Priitciix's clf/ 'l'iiuollir-c de (':)ns|;in- ti3)op!(-. De rccrpt. Ihut.. W (i.. lAXXVI, •>!.

(a) Fli"jji('i. Mani, p. roo-iof». (If. Kcsslcr. Maiii. p. 177-iSo.

(3) Aii«rus!iii, Coiil. Atl'u)!., Wll, :> : /)(- niil. rmL. 7: Kjnsl. (:(:Vl\\^ll •A ; De Huer, /|().

(/i) Cou t. Fdiisi.. \\\, /,.

(5) Ad. Arcli., 10, 11. i.'v '10: Aii^nistiu, De Uner., '|(i ; \n Xadiiii clic/ Fliifrcl. Mani, p. joo; cf. p. io:< (livre dc^^ Mystères, cli. 171.

((i) Hc^emoiiiiis, Art. Arch., 5i-5:> ; BIrouiii. Kinive. chez Kc^slcr. Mani. p. î7S-i7() cl Chnmo}.. trad. Sacliau, p. i<)(>, clc.

(7) Fliiijcl, M(()ii, p. M)[\ : h Tihes (.les Hiiilres rédigées jxir Mani et tes Iniums ses successeurs ».

ORIGINE DES ÉCRITURES MANICHEENNES o!

SOUS silence; en revanche, ils mentionnent d'autres œuvres (lAgapius, d'Aristocrite, d'Hiérax, d'Héraclide et d'Aphtonius, qui ne semblent pas avoir été connus de l'historien arabe d). Ces œuvres ont circuler en Orient dès le iv^ siècle. Or, au début d'un traité rédige peu avant 400, un docteur africain affirme qu'après xMani le seul auteur dont l'étude s'impose est son disciple Adimante (2). Loin du centre de la croyance l'orthodoxie était volontiers archaïque.

Çà et là, d'ailleurs, des schismes se sont produits à diverses époques. Déjà au temps d'xAugustin se présentaient plusieurs sectes rivales qui divergaient sur divers point de dogme ou de morale (3). Leur nombre n'a fait que croître dans la suite (4). Or elles ne pouvaient professer des doctrines con- traires sans se trouver aussi en désaccord au sujet des Ecri- tures qui s'en portaient garantes. Ainsi l'une d'elles mettait en avant les œuvres d'un Imam dissident du nom de lazdan- bacht (5). Mais la grande Église les considérait plutôt comme hérétiques. Et un des livres saints énumérés par An Nadim en combat la doctrine (6).

Dans les communautés dualistes dont chacune entendait à sa façon la pensée du Maître, le Canon a constamment varié. On ne peut donc ^en [donner une formule unique. Un examen attentif permet pourtant d'y découvrir plusieurs caractères durables qui en font l'unité.

(i) Première formule grecque d^abjuration, P. G., t. G, col. i32i ; Deuxième Formule, P. G., I, i465-i468 ; Timothée de Constantinople, De recept. haer., P. G., LXXXVI, 21, etc.

(2) Augustin, Cont. Faust., I, 2.

(3) Augustin, De Haer., 46.

(4) An Nadim, chez Fliige], Mani, p. 07-100 et io5-io6 ; Birouni, ChronoL, trad. Sachau, p. 191, etc.

(5) An Nadim chez Flugel, Mani, p. 99 et loS. Cf. Ibn al-Mourtadâ chez Kessier, Mani, p. 354-355.

(6) An Nadim cliez Fh"igel, Mani, p. io4 (titre 59^).

CHAPITRE DEUXIÈME

Caractère généraux des Ecritures Manichéennes

Des plus anciennes aux plus récentes, les Ecritures mani- chéennes présentaient certains traits communs qui témoi- gnaient d'une parenté très étroite. Toutes exposaient des idées foncièrement identiques. Et elles leur donnaijent une forme à peu près invariable. A ce double point de vue elles offraient un mélange de qualités et de défauts qui devaient leur attirer des partisans enthousiastes et des adversaires très déclarés.

I

Les livres de Mani et ceux qui ont eu cours dans son Eglise se distinguaient avant tout par la nature de leur enseignement. Les uns et les autres professaient une doctrine nettement défi- nie, à la fois très simple et multiforme (1).

Dans l'ensemble ils affichaient le dualisme le plus rigide et le plus conséquent qui eût jamais paru dans les cercles gnostiques. Tous les êtres de l'univers, disaient-ils, se ramènent à deux Principes contraires qui en sont comme les « souches » ou les (( racines «. Les uns sont bons, les autres mauvais. Les uns viennent du Bien, les autres du Mal (2). Et ces deux natures s'opposent d'une façon trop absolue pour qu'aucune ait pu donner naissance à sa rivale. Elles sont donc également éter- nelles (3). L'une s identifie avec la Lumière, l'autre avec les

(i) Le nu'illour expose' dr cotlc docirino a été donné par Harnack (l)<><lt}ii'ii<i('S(liicUic. 'M éd.. iSq'i. t. 1. p: 7<'^<)-7<)'i). Mais il csl très soin- niaiic cL il lais?o dans l'onibic dt^s détails importants.

(•.)) V. Autriislin. ('.ont. Kpisl. Mon., iG l'fcxto de Mani): Sévère d'An- liorlic. HouK'lii' (iWIII, clic/, Fi'. (aunoid, IîccIu'icIk's sur Ir Mdtiirlu'isDic. Iîi'u\i'I!c<, n)!'.)'. î^ <)<.)-i<v). Jcxle de Aînni).

(3) Au,i;u--liii. loi-. (•//., itiil.; SéAcrc (rAnliochc. /oc. cil., p. 99. cf. p. 01.

CARACTÈRES GENERAUX 33

Ténèbres (1). Chacune constitue un Royaume distinct dont le Monarque se présente comme le Père de ses sujets et exerce sur eux un pouvoir absolu. L'une estréii^ie par Dieu, l'autre par le Diable (2). Et toutes les deux s'étend mt à l'Infini (3). Seule- ment la première va vers le nord, vers Test et vers l'ouest, la seconde simplement vers le sud (4). De plus, celle-ci est toute en profondeur, tandis que celle-là est infiniment haute en même temps qu'elle est infiniment profonde (5).

A cette ontologie se rattachait toute une cosmogonie. D'où vient ce mélange de biens et de maux que nous observons constamment ici-bas? Il ne peut résulter que d'une entreprise funeste du Démon. Un jour, au cours d'une de ces luttes intes- tines qui agitaient continuellement le Royaume des Ténèbres, le Prince de cet Etat maudit arriva sur les confins des régions lumineuses et, enviant leur possession, il résolut d'en faire la conquête (G). Le Père de la Grandeur, qui se tenait au centre de ses terres, avec sa Lumière, sa Force et sa Sagesse, avait auprès de lui cinq Eons supérieurs, ITntelligence, la Raison, la Pensée, la Réflexion, la Volonté. Mais il ne pouvait leur confier sa défense parce qu'il les avait engendrés seulement pour la paix et que cette brusque invasion les avait effrayés (7). Alors il créa par sa parole la Mère de Vie qui à son tour donna nais- sance au Premier Homme (S). Celui-ci, établi gardien du Para- dis, s'avança au-devant du Démon, mais fut terrassé et dévoré

(i) Augustin, loc. cit., i6 cl 22; Sévère (rAiilioclic, loc. cil., p. o^-O^-

(2) Augustin, loc. cit., iG cl 3i : Coni. Faust., XXI, i.

(3) An Nudim., chez Fhigcl. Muni. [). 86 (Vésiimc de Mani). ('f. Sharaslàiii, ]{cUgionsparteic}i, tiad. Tlaarhiiickcr. I, :).()(). Voir aussi Augnsliii, Coût. Epîsi. Mim.. 22-23 cl Cont. Faust., XXV, i.

(4) Sévère d'Antioelie chez Fi-. CumonI, licclt., p. ()f> (texte de Mani). Voir aussi Cyrille de Jérusalem, Coiech., 'VI, i3 ; Titus de Bostra, Cont Mail., \. 7: Simplieius, /// Fitchir., éd. Selnvcigli., p. 269, etc.

(5) Sévère d'Antioelie, loc. cit., p. 99-102. io3-ioo, m et iG5 à expli- quer d'après Augustin, Cont. Epist. Mon., 23, 2/4, 25.

(6) Sévère d'Antioelie. loc. cit., p. i23-i2/i. Cf. Alexandre de LycopoWs, De plac. Man.. 3 iuit. : Titus de Bostra, Cont. Man.. I, iG et 3/i cire, fin.; Augustin, De mor. Man., 17; An Nadim chez Flûgcl, Mani, p. 87; Sharas- tàni, trad. Haarbriicker, I, 288, etc.

(7) Théodore bar-Khôni <licz Pognon. Inscr. Maud.. p. i85 ; Sévère d'Antioehe chez Fr. Ciirnont. Rcch.. p. 127-128; An Nadim, chez Fliigel, Mani, p. 87. Cf. Augustin, Cont. Faust., V, 4.

(8) Théodore bar-Khôni chez Pognon, Inscr. Maitd.. p. iS5-i8G com- menta par Fr. Cumont, Rech., p. i/i-i6. Cf. An Nadim chez Flûgel, p. 87-88.

34 LES ÉCRTTl'RES MANICHEENNES

par lui. Une confusion inexprinnable se produisit soudain. Par- tout le Bien se trouva mêlé au Mal. Mais désormais, à cause de ce mélange même, l'élan de l'envahisseur était brisé (1). A l'appel du Premier Homme, qui, ayant d'abord perdu la rai- son, la recouvra bientôt et fit monter sept prières vers Dieu, une seconde création se produisit. Le Père de la Grandeur évoqua l'Ami des Lumières, celui-ci le grand Ban. ce dernier l'Esprit vivant (2). A son tour cette nouvelle Puissance appela le Premier Homme captif au milieu des Démons et répondit aux questions posées par lui. L'Appelant et le Répon- dant ainsi engendrés, furent revêtus par elle et par la Mère de Vie. Ils descendirent vers la Terre des Ténèbres comme deux bras tendus vers le divin Prisonnier et réussirent à le déga- ger (3). Puis les deux divinités au service desquelles ils se tenaient, s'appliquèrent à mettre de l'ordre dans ce chaos, pour achever de délivrer la substance divine (4). C'est ainsi que le monde fut fait.

Une alchimie complaisante disait de quels matériaux était composé le Cosmos. Le Démon avait entraîné dans sa lutte cinq substances mauvaises qui formaient cinq zones concentriques de son immense empire, savoir, en allant du dedans au dehors, la fumée, le feu dévorant, le vent violent, leau fangeuse, l'obscu- rité (;>). Le Premier Homme lui en avait opposé cinq autres qu'il avait lui-même engendrées pour la lutte, l'air pur, le feu vivant, le vent rafraîchissant, l'eau limpide et la lumière (6). A l'issue du combat chacune de ces natures se trouva mêlée à sa rivale (7). Ainsi apparurent les substances composites, à la

(i) riK'ocloïc bai-Kliôiii ilicz Pognoii, p. iSf» cl clic/ Ki . C.iiinonl. r(>-i<). Cf. An Niulim chez Fliigcl, p. 88-89.

(:>) Thcodorc bar-Khôni chez Po^nion, p. 1S7, cl chez Fr. Ciiiiionl. p. >o- 21, à compléter par C. W. .Mitchcll. S. Ep/irafm'.s- Prose, p. \IAII.

(3) 'l'hcodorc har-Khôiii cliez Po^nion. p. 188, cl chez Fr. Ciimoiil. p. -i^ et -.îf). à coniplcler par (]havaniies et PelHot, Journ. Asiat., 1911, p. 5:^0- 5i>i et a.So (trailc manichéen).

('1) \cl. \rcli., 7; 'J'héodorc har-Khoiii chez Po^^iioii. j>. 188; An Nadim chez Fh'ifi-cl, M((ru, p. 88; (lliaxatiiies et PcHiol. Joiirn. Asidt., 191 1, p. 5io- 5i4 (ti'aité manichéen).

(5) Anfiiisliiî, Conl. Ep'isL Mau., 19. r>8 : De Ihwr., /j(> ; Théodore bar- Khoni chez Po<Tnoii, p. 18/1-186; An Nadini ch(>z hMiiii'cl. Mnni. p. 87. 94-95.

(0) An ]\adim, loc. cil., p. 87 (résnmé de Alani). ('f. Ancnslin. Cont. E[)ist. M an.. .H-', (texic de \hini).

(7) An Nadirn, loc. cil., p. 88: Chavamies cl Pclliol, .Journ. Asidl.. 1911, p. 5i'i (Itaité inanichécii).

CARACTÈRES GENERAUX 35

fois bonnes et mauvaises, qui s'observent maintenant ici- bas (1).

Les Ecritures manichéennes ne s'en tenaient pas à ces ana- lyses sommaires. Elles exposaient une cosmologie très vaste qui prétendait expliquer jusqu'en ses moindres détails le sys- tème du monde. Elles présentaient le cosmos comme une immense et ingénieuse machine destinée à libérer les éléments divins tombés au pouvoir du Démon et à les faire remonter des régions ténébreuses dans celles de la Lumière (2). Aussi mon- traient-elles l'Esprit vivant, le Démiurge accordant aux êtres façonnés par lui une place d'autant plus élevée que chacun d'eux contenait une plus grande proportion de bons éléments et se trouvait plus digne d'approcher du Royaume de Dieu (3». Elles allaient des deux grands Luminaires, formés du feu le plus pur et de l'eau la plus limpide, placés en conséquence dans les régions supérieures de l'air (4), jusqu'aux abîmes téné- breux cachés dans les profondeurs du sol et formés de la matière la plus épaisse (5). Or dans cette revue de l'univers elles distinguaient d'abord dix cieux et ensuite huit terres (6).

L'étude des astres passait ici au premier plan, à cause du rôle salutaire qui était attribué à chacun d'eux. D'après Mani, un « Troisième Messager », venant après le Premier Homme et l'Esprit vivant, travaillait des hauteurs du ciel à libérer les fragments de substance divine restés encore au pouvoir des démons (7). Les parcelles lumineuses qui réussissaient à s'éva- der du monde des Ténèbres étaient recueillies par a cinq Anges ï) représentant sans doute les cinq planètes infé-

(i) An Nadim, loc. cit., p. 88-89 (résumé de Mani).

(2) Chavannes et Pelliot, Joiirn. Asiat., 191 1, p. 5i5. Cf. Act. Arclt., 7; Augustin, De Huer., 46, etc.

(3) Augustin, Cont. Faust., VI, 8. Cf. Alexandre de Lycopolis, De placi- lis Manichaeorum. 19.

('i) Augustin, De Huer., 46. Cf. F. W. K. Miiller, Handschriften-Reste, Berlin, 1904, p. 38-09 (fragment manichéen),

(5) Théodore bar-Khôni chez Pognon, p. i88 et chez Cumont, p. 27 avec la note 2.

(C)) D'* Stein, Tiirkish Khiiastiianift (III, 42-44) dans le Journal of the ihiyal A.sidtic Society, 191 1, p. 285 (texte manichéen); Chavannes et Pel- liot, .Jouni. Asiat.. 191 1, p. 5i4-5i5 traité manichéen). Cf. Augustin, Cont. Faust., XXTl, 19.

(7) Augustin, De natura. boni 44 (texie de Alani) ; Théodore bar-Khôni i\w7. Pognon, p. 189 (>t cIkz Cumont, p. 33-34 (citation de Mani).

36

LES ECRITURES MANICHEENNES

rieures {{). De elles passaient dans la barque lunaire d'où elles arrivaient ensuite dans celle du soleil pour rentrer enfin dans leur premier séjour (2). Les deux js^rands Luminaires apparaissaient comme de véritables divinités, éminemment secourables aux hommes (3). Par contre les étoiles fixes étaient regardées comme des démons enchaînés dans les airs, qui déte- naient encore des étincelles injustement ravies (4). Et elles passaient pour exercer ici-bas une influence néfaste. Cette astronomie n'était, au fond, que de l'astrologie (5).

Elle s'accompagnait d'un comput minutieux. Les Mani- chéens admettaient la semaine planétaire (6). Et ils distin- guaient les cinq jours consacrés aux planètes inférieures du dimanche et du lundi voués au soleil et à la lune et regardés pour ce motif comme sacrés (7). Ils accordaient une grande importance aux phases lunaires, qu'ils expliquaient par les transbordements des âmes, chargées pendant quatorze jours dans le petit Luminaire et déversées pendant les deux semaines suivantes dans le grand (8). Aussi ils célébraient la pleine lune,' mais surtout la nouvelle et ils jeûnaient chaque mois pendant sept jours consécutifs qui devaient être ceux du dernier quar- tier (9). Ils donnaient encore plus d'attention aux deux équi- noxes, aux quatre saisons et aux douze signes du zodiaque qui

(i) F. W. K. Muller, Handschrlfen-Resie, p. SS-Scj (fraf^ment manichéen); I)'" SIciii, Tarklsk KluKtshKiii'ijl, XJ, vt-j.fi (Icxlo iiiaiîiclK'cn). CJ. Aimnslin, De natura boni, 4/i (texte de Mani) ; An Nadim chez Fliigel, Mani, p. loo (résumé de Mani).

(2) Alexandic de Lycopolis, De jilac. Mon.. !\ inil. ; Aii<,nistiii. Episf., LV, G ; Ephrem chez Kessier, Mani, p. 285-289.

(o) l)'" SIciii, l'urskish hliudslintnifl , 11, i5 (texte manichéen): (If. Au- gustin, Conl. Fannium, XX, j (texte de Faustc), ihid., XIV. 11 et Serm.. XII, 11; L, 7, etc.; S. Léon, Serw.. XXII, /|.

(4) Alexandre de Lycopolis, De plar. Mon., 7; Epiphane, Haer., LXVI. /|S ; Siniplicins, Conmicnl. du Mdiiiirl <rEifirli'l(\ éd. Sch>\('ii;hausen. p. •.>7:^

(5) Augustin, De nat. bon., Ixk (texte de Mani); De mer. Man., 60, etc.

(()) Augiisliii. C.oiii. h\msl., XVIIf, 5: Prcjacc arahc du Coiu-ilc (/<• Mcée dans Mansi, t. II. c. 1057-1008. MAI. (']ia\anii('s cl Pclliol oui nioiiln- (pic ce sont eux, selon loulc apparence, (pii l'ont inlioduile en Chine vers le conunencenient du \ni'' siècle (Jotirit. \si<d.. \^)^'^, p. 158-177).

(']) Aiiguslin (U)iil. Foust., A]///, 5; S. Léon. Serin. \l,ll. 5; Vn Aadim chez Fliigel, Mani, p. 97 (exposé des préceptes de Mani).

(8) Voii- les le\les eilés pins liaiil (noie •>).

(9) An Nadim chez Fhigel. Mani, 'p. 97 irésumé des préceptes de Mani).

CARACTÈKES GÉNÉRAUX 37

réglaient les mouvements solaires {\). Ils fêtaient particuliè- rement la nouvelle lune quand le soleil venait d'entrer dans la constellation du Sagittaire (22 novembre), dans celle du Capri- corne (21 décembre) ou dans celle du Verseau (20 janvier). Ils jeûnaient dans les deux premiers cas pendant 2 jours, dans le troisième pendant 30 jours consécutifs qui précédaient la fête du Bêma et qui marquaient la fin de leur année (2).

Une arithmétique savante présidait à ces calculs des temps, Les Ecritures manichéennes attribuaient un rôle important à certains nombres. Après l'Un originel et le second Principe qui se posait en face de lui comme un rival, elles faisaient intervenir dans le monde trois Messagers divins (3). Elles con- naissaient quatre attributs du Père de la Lumière (4), cinq auxiliaires du Premier Homme (5), plus les deux Veilleurs, l'Appelant et le Répondant, qui leur étaient intimement asso- ciés (6) et qui formaient avec eux les sept « Mahraspands » (7). Elles attachaient aux huit terres et aux dix cieux un nombre égal de divinités préposées à leur garde (8). Elles plaçaient autour du Monarque suprême douze Eons principaux, répartis en quatre séries ternaires (9), qu'imitaient douze Vertus pla- cées autour du Troisième Messager (10). Et elles faisaient sou-

(i) Augustin, Conf., V, A, (i, 9; Préfnci' nrube du Coticile de ?\\vée, dans Mansi, t. II, c. io57-io58.

(2) An Nadjm clu'z Fhigcl, Muni, p. 97 (résumé des préceptes de Mani) ; D"^ Slein, Turkish Klmastuanift XIV, 272-274 (texte manichéen). Cf. Au- gustin, Coïit. Epist. Mail., 9.

(3) L'Homme Primitif, L'esprit Vivant, le Troisième Messager. V. Théo- dore har-Kliôni cliez Pognon, p. i85, 187, 189 et chez Cumont. p. i4, 20, 33.

ci) Dieu le Père, sa Lumière, sa Force, su Sagesse ou sa Honlé. V. F. W . K. Millier, Hdndscliriften-Reste, p. 74 et D'' Steih, Turkish KhiKisluaiiiff, X, 208-210 (textes mianichéens). Cf. An Nadim chez Fliigel, Mani, p. 95 (exposé des préceptes de Mani).

(5) V. supra, p. 34, not. 6.

(6) V. supra, p. 34, not. 3.

(7) Chavannes (>t PelHoi, Jourii. Asiaf., iQH, p- 48 (ti-ailé inanicliéen) et la note.

(8) V, supra, p. 35-36.

(9) Cont. Faust. , XV, 5 fin. (allusion à un texte de Mani); C<mt. Epist. Mon., 16 (texte de Mani). Cf. An Nadim ch(>z Fliigel, M<ini, p. 9^, ihid., p. 87.

(10) Théodore har-Kliôni chez Pognon, p. 189 et chez Cumont. p. 35 (citation de Mani) ; F. W. K. Millier, Handschriften-Reste, p. 44 et Cha- vannes et Pelliot. Jouru. Asint., 191 1, p. 568-569 (textes manichéens).

38 LES ÉCRITLRKS MANICHÉENNES

vent reparaître ces mêmes nombres à propos des parties inférieures du monde (1 ).

Les Manichéens possédaient une sorte de Géologie qui se reliait intimement à leur astronomie. D'après Mani, certains Archontes ténébreux avaient été tués et écorchés par le Démiurge. Tandis que leurs peaux habilement tendues avaient formé le firmament, leurs chairs constituaient la terre et leurs os les montagnes (2). De leur chevelure étaient nés les légumes (3) et de leur fiel était sorti le vin (4). D'autre part le Démiurge s'était donné cinq fils qui lui servaient d'auxiliaires et dont chacun veillait avec lui sur la terre. Le premier, l'Ornement de Splendeur, pourvu de six visages et étincelant de lumière, était établi dans la région de l'étoile polaire, au sommet de la machine ronde et il la maintenait d'une main vigoureuse. Le second, le Grand Hoi d'Honneur, trônait au milieu des airs, près des deux Luminaires, veillant sur eux et diri- geant leurs rayons ici bas, jusque dans les plus vils cloaques, pour éclairer les âmes. Un troisième, le lumineux Adamas, tenant en sa main droite un glaive, en sa gauche un bouclier, luttait sur le continent et à travers les mers contre la survi- vance des démons. Un quatrième, le Roi de gloire, installé dans les entrailles de la terre, entre la partie haute et les régions inférieures, mettait en mouvement les trois roues des feux, des vents et des eaux. Enfin, le cinquième, Atlas, age- nouillé vers le sud. au bas de cette lourde masse, la retenait avec ses bras sur ses robustes épaules (.")). Partout le Mal se trouvait ordonné par le Bien.

Les Manichéens possédaient môme une géographie spéciale. Pour eux la terre se présentait comme un grand disque plat, qui s'étendait entre le royaume de la Lumière et celui de l'Obs-

(i) Voir par exemple le rappoil établi enfie le^; 12 Vertu? précédentes et les i-j. heures elu^z Cliavanues et Pelli<^l. /'>('• cit.. p. 565. 5t>6.

(2) Eplirem dans Kessler, Matii, p. 279 : l'IiécHlore bar-Kliôni chez Pognon, p. iSN. clie/ (aimont, p. aS-aO.

(■>) Shikdiul giniuianig Vidsliar riiez C. Saleinaini. Fin Bruclistiik inani- cliciischen Sclij-ifhnus. p. 18.

(i) Augustin, De Huer., /|6 et De nior. Man.. /i^|.

(5) Théodore har-Khùni che/. Pognon, Iiiacr. imiml.. p. i8t>-i8S ef chez Vr. (auiioiit. Ilcch. p. •'()-:>.v ('f. Augustin. Cont. Fousf.. \V. t) "t \\, (). 10: (',ha\;imic< cl Pclliot. IH IniHc indniclu'en dans le Jourri. .Iswu., i()i i . p. 5'j9-55(>.

CARACTÈRES GENERAUX 39

curité et qui était encerclé par le Zodiaque (1). Plus précisé- ment elle avait la forme d'un plan incliné, qui s'élevait vers les contrées lumineuses pour s'abaisser vers celles des Ténè- bres (2). Elle se divisait en quatre grands quartiers, dont trois, le Nord, l'Est et l'Ouest, confinaient aux domaines de Dieu, et le quatrième, le Sud, touchait à ceux du Démon (3). Au Nord, dans la direction de l'étoile polaire, elle s'adossait à une haute montagne, autour de laquelle tournaient les sphères célestes et derrière laquelle s'étendaient les régions bienheureuses du Paradis, visitées la nuit par le soleil (4). Au Sud, elle se ter- minait par quatre enceintes qui la protégeaient contre l'incur- sion des Ténèbres et entre lesquelles s'ouvraient trois fosses, trois goufïres béants, destinés à recevoir la matière au fur et à mesure que la substance divine s'en détachait (5) ; sur ses côtés enfin se dressait la Colonne de gloire, la Voie lactée, par laquelle les âmes montaient jusqu'aux navires célestes chargés de les recueillir (6). Entre ces limites se succédaient collines

( Il Sur la naliiic plane de Ja terre voir Ya^ qoiibî eité par Kessier, M'iiii, p. i()i rt 829. Le texte vise directemenl le firmament mais s'applique par eorrespondance à la terre. Cf. W. Brandt, Mand. Rel., p. SS-Sg.

Sur le zodiaque manichéen, voir Act. Arch,, 8 et Epiphane, Haer., LXVI, 9-

(i>) On peut le conclure du texte de Ya*- qoubî cité dans la note précédente, de la situation que la terre occupe entre le Royaume de la Lumière et ;'elui moins élevé, des Ténèbres, de la place accordée à l'Ornement de «splendeur qui la soutient et à Atlas qui la porte. Une conception analogue <'xislait chez les Mandéens (\V. Brandt, Mand. Rel., p. 89).

(3) An Nadim chez Fliigel, Mani, p. 101-102. Cf. Sévère d'Antioche chez Fr. Cumonl, Becli., p. 100 et io3 ; Jean Damascène, ,Joti. Ortli. Dlspiit. cum \}iin., P. G., XCVJ, i32i. Les quatre a angles du monde » jouaient aussi un grand rôle dans les sectes gnostiques plus anciennes. Voir Préface arabe du Conc. de Nicée dans Mansi, Coll. Conc, II, io57-io58.

il) Ya*^ qoubî cité par Kessler, Man., p. 191 et 829. Cf. C'havannes et Pelh'ot, Joiirii. Asiat., 191 1, p. 5i8. A compléter par Augustin, De Haer., 46 et Hegemonius, Act. Arch., 9: Dicit esse alios praeler hune quem vido- mus mundos, quibus liuius mundi Luminaria cum hic occiderint oboriimtur. Cf. W. Brandt, Mand. Rel, p. 38.

('5) F. W. K. Mûller, Handschr. Rest., p. /ii ; Chavannes et Pelliot, Journ. Asii(d.. 1911, p. 617 et la note 2; An Nadim chez Fliïgel, Mani, p. 102.

(6) An Nadim chez Fliigel, Mani. p. 90 et 100: Sharastûni, Religions-

parleien Irad. Haarbriicker, I, 289 et Kessler, Mani, p. 34i-3/i2. Cf. Acta

\rcli.. 8: F[)ipliane. Haer.. LWI, 9: Photius, Bibl., Cod. 179; Augustin,

De nal. ht mi. [\\.

40

LES ECRITURES MAMCIIEENiNES

et montagnes, fieuves et océans (Ij. Et le centre en était à Babylone, la cité sainte, la résidence des Imams (2).

La physique manichéenne n'était pas moins mythologique. Elle rattachait les tremblements de terre aux changements de position du géant Atlas, qui fléchissait parfois sous son fardeau ou le faisait passer d'une épaule sur l'autre (3). Elle associait la chaleur, la pluie et les courants aériens aux mouvements des trois roues du feu, de l'eau et du vent, qu'un génie bien- veillant faisait tourner du centre de la terre (4). Elle présen- tait le flux et îe reflux comme les efl'ets de la respiration puis- sante d'un monstre marin dompté par Adamas, le grand lut- teur (5). Elle voyait dans les rayons lumineux des émissions de la divinité qui présidait à la marche du soleil (6), dans la rosée les pleurs de celle qui tenait le sommet de la voûte céleste il). Et elle expliquait d'une façon analogue les autres phénomènes cosmiques. Pour elle, les éclairs venaient de l'ap- parition subite d'une divinité androgyne, qui se montrait sans voile aux démons aériens pour tenter leur concupiscence et se dérobait ensuite à leur étreinte (8). Le tonnerre était la voix puissante des Archontes furieux de voir cette figure idéale leur échapper au moment ils se précipitaient pour la saisir (9). Enfin l'averse, éclatant peu après, résultait d'uu relâchement S(Kidain survenu dans leurs organes génitaux (10). Elle prenait,

(i) (lh;nanii<'s cl PcllidI, .Inurii. A.si<it., 191 1, p. oiS-Ôiq cl o-A]-^).>.-.

(:->) An Nadini clicz Fh'i<^cK Maiii, ]). 07. A lappioclici- du « noiiil)ril )) de la fcrr'c lumineuse dans le(piel habile le Père de la (iiamleni' (Slia- rastàni. licli^iiotisixirlcicn, tiad. Jlaar'l)riieker, 1, 291).

a^) Art Arch., 7.

(/i) F. \\ . K. Millier', liandchr. licslc, |). 17, 19. In), 'j:;. CJ. l'héodore bar-khoni elie/ l'o<4n()n. Jiiscr. DioinL, p. 1S9 el clie/ Fi'. (^urnonl. liccli., p. 3i-33 ; Au<ifuslin, Cont. Faust., XV, G et XX, 9-10.

(5) liironni, liidui. Iiad. Sacliau. Il, p. 10,").^

f(i) Augustin, ('.oui. FddsI., \\, 10 (sirn])le allusion).

(7) Coiil. Faust., \V, f) ; W. 9, 10 (simple allusion).

(<S) Au^iisliri. De iidlura hoiii, fifi el E\0(!e, Dr fidr rouhui Manirliaroa, i5 (eilalion dini le\le de Mani"). ('f. Théodoie bai-Kliôni cbe/. Pognon, p. 190 el elle/ (liiiiioni, p. 3S, 'y-^ ; Sitikaïul (jounxm'uj \ idsliar eliez Sale- man, lor. rit., p. 19.

(\)) An^uslin. ('.nul. Faust.. \\l. \ •> fin.: j-'.phrem elie/, Kesslcr. Matii, }). 3oo.

(10) ('i)iillc de .h'iiisjdem, C.alrrli.. \l. ."v'j (iéf(''renee aux (( li\res nnuii- elK-eiis ))). ("('. \il(L \rrli('lai, (S cl Sliil^and i^fi)uuitn\i(j \ Idsitar ebt'Z Salc- nian, lor. cit., p. i().

CARACTÈRES CÉNKRAIX M

en tombant, diverses formes, parce qu'elle venait tantôt da démons ignés, tantôt d'une race plus froide par nature (1). Du reste, tous les éléments ainsi arrachés au démon ne suivaient pas la même voie. Les plus purs s'élevaient vers le ciel, tandis que les autres descendaient sur la terre. Tous les corps, en efîet tendaient à regagner leur première patrie (2).

L'étude de la vie faisait suite à celle de la nature. D'après la biologie manichéenne, les éléments impurs dégagés des démons aériens et tombés ici-bas avaient donné naissance à cinq espèces d'arbres (3). Ceux-ci, dont les prototypes existaient déjà dans les cinq régions du Royaume des Ténèbres (4), étaient donc mauvais par nature. Mais ils avaient de bonne heure absorbé une grande quantité de bons éléments. Les débris de la substance divine dispersés dans la terre mon- taient par leurs racines, à travers leur tronc jusqu'à l'extrémité de leurs branches, ils s'épanouissaient dans leurs fleurs et dans leurs fruits pour reprendre bientôt leur liberté première. Et ils y abondaient d'autant plus que ces fleurs se montraient plus brillantes et ces fruits plus pulpeux (5). Quant aux plantes chétives qui poussaient sur la terre, elles étaient un pur pro- duit du sol et elles participaient à sa nature composite (6).

La zoologie manichéenne expliquait également que les animaux les moins développés venaient d'une génération spontanée (7). Elle classait les autres en bipèdes, quadrupèdes, oiseaux, poissons et reptiles (8). Et à ces cinq espèces ani- males elle attribuait la même origine qu'à celles du monde végétaL Lorsque les sphères célestes se mirent à tourner, les

(i) Augustin, De natiira boni, 44^; Evodc, De fuie vont. Maniclt., iG (citation de Mani). Cf. An Nadim chez Fliigel, Mani, p. 89-90 et Sharastani, UeUrjlonsparleien. trad. llaarbriickcr. I, 289.

{'2) Augustin, !h' ^<:(ln(l !-<)iti li'i: l-lxodc. De fiile conl. Mniiich. (cilaliou de ^lani).

{?>) rhéodoïc l)ar-l\!iôiii clir/ Pognon, p. 191 (4 clic/, Vi. CJimionl, p. /|:). Cf. .\ugusliii, Co/i/. FdUsL. WIV. ■>. : Shikand ycumaniçj \itisli(ir •;-h;'ic Salcman, lov. cil., p. 19 cl surîou! (Uku -.uîir/s ci Pciliol, .loiini. A^:;iil., 191 1, p. 5:>8-5'j..9 .ri59-5(i3 et \ ou Le Coq, l'urkisli Khiitistnanijl . i!i. i'n

(Ji) Augustin. De iiior. Manieh., 4*) /'/(• .' C^cni. Fdiisi., \\l. i>.

iô) Augustin, De niar. Mnnieli., .Hli.

(()) Augustin, De i)\or. Mon., ('u\ eiCloiii. h'diisi.. VI, S.

'7) Augustin. De mor. Manicli., (io. Cf. Cotil. FdusL, Yl, S.

i8)" Augustin, Con{. Fpisl. Mon., oy. (texte cli> Mani): cf. De Huer., 40, Hegemonius, Avl. Areh., 10: Von Le Coq, Turkisli KhuasiiKtnifl.

42 LES ÉCRITURES MAMCHEENISES

Filles des Ténèbres qui y étaient attachées, se trouvant enceintes accouchèrent avant terme et donnèrent le jour à des Avortons. Ceux-ci tombèrent ici-bas, y grandirent et s'y accou- plèrent pour s'y perpétuer (1). Nés de la concupiscence, ils étaient plus mauvais que tous les végétaux. Mais ils se nour- rirent de ces derniers et ils s'en assimilèrent ainsi quelques bons éléments (2). C'est ce que font encore aujourd'hui leurs nombreux descendants sous le regard propice des démons aériens qui se reconnaissent en eux et qui exercent de terribles représailles sur les gens assez osés pour leur faire la chasse (3).

L'anthropologie de Mani faisait venir l'humanité des espèces animales engendrées par les Archontes ténébreux. D'après ses enseignements, le Premier Homme était de Dieu avant que le monde ne fût (4). Terrassé par le Diable et délivré par l'Esprit vivant, il avait été placé ensuite dans les grands Luminaires, d'où il voyait le triste sort fait ici-bas à ses fils captifs de la matière, et parfois, ne pouvant soutenir ce spectacle doulou- reux, il se mettait un voile devant la face, provoquant ainsi les éclipses (5). Or les Avortons furent séduits par sa radieuse figure et ils projetèrent d'en faire une copie. Après avoir engen- dré leurs premiers nés, en qui était passé le meilleur d'eux mêmes, ils les donnèrent à leur premier chef , nommé SaclasiG). Celui-ci s'en nourrit et s'en appropria la substance, ensuite il s'unit par deux fois à sa compagne Nebroel, qui lui donna d'abord un fils, puis une fille. Ainsi naquirent Adam et Eve (7).

Un rudiment d'embryologie perce déjà à travers ce récit : (( En Nebroel, y lisons nous, s'ébauchaient et s'organisaient les images de toutes les Vertus célestes et terrestres, afin que l'être

(i) Tliroclorc bar-Kliôni chez Pognon, p. i()i v[ chez ('-unioul, p. /|0-4i- Cf. Au^mstin, f)e mor. Munich., (ii ; Cont. Faust.. VI. 8: XXI, 12.

(a) Théodore l)ar-Khôni (loc. cil.)'. Aiigiislin, />(' mor. itumiclt.. t8.

('")) AiiffnsHii, De nior. Manicli., Oo. Cf. Fr. C-mnont. Uoch. sur Je Maii.. p. 3G, not. ?..

(4) Augustin, Conl. Fausl.. \1. 3. Le (( PitMuier lloininc )> es;! un Eon divin, qu'il faut bien se garder de confondre avec Adam, le (( fil? du l)ial)!e )>.

(5) Augustin, Coiii. Faust., XVIII, 7; XXII, 12; Conf. V. 6 fin.: 9 Jin.: Cf. Simplicius, Commentaire du Manuel d'Epictète, éd. Schweighausen, p. 271-272.

(G) Augustin, De natura boni, 40 (texte de Mani).

(7) Augustin, loc. cit. (texte (h> Mani) : Théodore bar-Khôni chez Po- gnon, p. 191 et chez Cumont, p. /i2-43.

i

CARACTÈRES GÉNÉRAUX 43

qu'elle formait arrivât à reproduire tout l'univers (1). Les Manichéens attachaient à ce sujet heaucoup d importance. Selon le témoig-nage d'un auteur très versé dans la connais- sance de leurs Ecritures, ils ont longuement discuté sur « la manière dont le foetus se forme dans le sein de la mère, son ^origine, sa substance, la façon doni il se transforme d'une goutte de sperme en grumeau de sang, puis en masse de chair, jusqu'à ce qu'il arrive à son entier développement » (2).

L'anatomie humaine tenait aussi dans leurs œuvres une grande place. Elle tendait à établir que notre corps est une sorte de microcosme fait à l'image du macrocosme. (3) Tour à tour elle y voyait en petit, selon un texte manichéen récem- ment découvert, «la roue des révolutions, les constellations, les trois fossés et les quatre enceintes, les grandes mers et les fleuves, les deux terres du sec et de l'humide, les plantes et les animaux, les montagnes et les cours d'eaux, ainsi que les buttes de terre et les tertres, le printemps, lété, l'automne, et l'hiver, les années, les mois, les heures et les jours et même le limité et l'illimité » (4). Dans la dualité des sexes elle aper- cevait une image lointaine de celle des grands Luminaires <5). Partout elle retrouvait le mélange de confusion et d'harmonie qui s'était déjà montré dans le cosmos.

Sur ces études anatomiques se greffaient une pathologie et une thérapeutique d'un nouveau genre la magie jouait le plus grand rôle. Pour Mani, les maladies étaient l'œuvre de Démons envieux, qui se vengeaient sur les hommes de leurs multiples déboires. La peste, par exemple, venait d'un Archonte aérien qui coupait les sources de la vie (6). Toute guérison résultait de l'assistance céleste et non de l'art humain. Elle s'obtenait au moyen de formules appropriées, qu'il suf- fisait de prononcer pour chasser les esprits malfaisants (7). Le

(i) Augustin, loc. cit. (texte de Mani) ; Chavanncs et Pelliot, Joiiru. Asiat., 191 1. p. 523-027 (ti'îiit^' manichéen). Cf. Ilegemoniu?, Act. Arch., 8 et Shikauil gouinaiiig ] idshar chez Sal(>man, loc. cit., p. 19.

'(2*) Mas"^ oudî, Les Prairies d'Or, trad. Barbiel- de Mevnard, t. III p. 43)3- 436.

(3) V. supra, not. t.

(4) Chavannes et Pelliot, Journ. Asiat., 191 1, p. 026-527.

(5) Chavannes et Pelliot, ihid., p. 533.

(6) Acta Archelai, 10.

(7) Chavannes et Pelliot, Journ. Asiat., igiS, p. 355, texte (résumé du livre des Deux Principes) et note i.

41 LES ÉCRITURES MANICHEENNES

Chef de la nouvelle religion s'était révélé comme un ..Ldecin idéal. Il avait guéri toutes sortes d'infirmes par la seule vertu de sa parole (\). Ainsi continuaient de faire ses Apôtres authentiques, ceux qui possédaient le secret de la vraie Gnose(2).

La littérature manichéenne s'attachait surtout à létude de (( l'homme intérieur )). Elle distinguait en chacun de nous 'deux âmes contraires, l'une bonne, l'autre mauvaise (3). Au dedans des os, des nerfs, des veines, de la chair et de la peau, sont emprisonnés l'air pur, le vent léger, la lumière, l'eau limpide et le feu bienfaisant, elle montrait d'une part la pensée obscure, le sentiment obscur, la réflexion obscure,' l'intellect obscur et le raisonnement obscur, d'où naissent la haine, l'irritation, la luxure, la colère et la sottise. Elle leur opposait la pensée lumi- neuse, le sentiment lumineux, la réflexion lumineuse, Tintellect lumineux et le raisonnement lumineux qui engendrent la pitié, la bonne foi, le contentement, la patience et la sagesse (4). Elle décrivait longuement la lutte de ces forces rivales dont l'une constituait « le vieil homme », l'autre « l'homme nou- veau » (5). Elle insistait surtout sur « Tessence de l'amour » pour en dénoncer les multiples dangers, pour mettre les esprits en garde contre l'entraînement de la concupiscence (6).

Cette psychologie dualiste aboutissait à une morale inspirée par le plus rigoureux ascétisme. Aux Elus, qui aspiraient à une vie parfaite, les écrits de Mani et ceux de ses disciples recommandaient instamment de ne prendre ni nourriture ani- male ni boisson fermentée (7), de n'attenter à la vie d'aucun

(i) Voir Acbi Arch.. 55. Mani est qiialiiié ilc (( grand médecin » dans le liaité manichéen de Touen lionang (Jourii. Asial.. ]!)ii. p. 58rO et dans lin énil l;i(>ïini(' (ih'uL. ini.î. ]>. i.'^ii. (.(". \\ . K. MCillcr. ll'ni<lsflir. licslc

{'.>.) Voir (Mi;i\iiiiii.'^ ci Pi'liiol. .Iniirii. As'kiL, i<)i.'î. |). .'v55. iiol. i ////.

'S") Yr^ (fciili! 'liez Kcs'^ltM'. Maiii. \). :'<)/| (résumé de Miuiit. Cf. Augusliii. De (luiihiis (ini iiiiii)iis. 'mil.: De ver. ri'lu].. i (> : ('.oui.. \l!!. ■:>■>: /)<' îliwr., /4(>. /;/!., e(.'.

I 'l) Cliiuaiiiics cl l'clliol. .loitrn. l.s/'//.. i<(ii. |». r>,'i7-5.>^. ."i'|i-r)V' ilia'lt' manichéen).

'5) ('lia\aiiiic- cl l'clliol. iltid., p. 5'|('>-55i diailé' inaiii/liécn ) : Cf. \ii- guslin, Coiil. FausL. X\1V, i .texte de I-'aiisteV

,(;) Miis^ oiidf. I.rs Prairies d'Or, Irad. Hiwicr lU- \h;Miai<l. I. NI. p. .iSâ.

.7) Aiigii-lin. Ih' lldcr.. '|(1 ; C.onl. Fciisl.. W. i : /)(• Dn^r. Mmi.. '^^^> sni\ : \(ii Le (1():|. 'riir.'<kisli KluKistiKiiûfl , III. 5."v()o : ('li;i\ aiincs ;•! Felliol. .lourii. j()i.'^. p. III. .'v»(). ,S(ii ; \n Nadijn clic/ V'Iiigei. Maiti, p. ()5. elc.

CARACTÈRES GÉNÉRAUX 45

homme, d'aucune bête, même sauvage, d'aucune plante, si nui- sible fût-elle (l), enfm de vivre loin des femmes (2). Aux Auditeurs, qui ne pouvaient s'astreindre à une discipline si sévère, ils se contentaient d'imposer un nouveau décalogue interdisant l'idolâtrie, le mensonge, 1 avarice, Thomicide, l'adultère, le vol, l'hétérodoxie, le doute en matière religieuse, la paresse, l'oubli des prières liturgiques (3). Mais ils avaient bien soin de faire remarquer que cette tolérance était simple- ment provisoire (4).

Une histoire toute tissue de légendes racontait comment la science du salut avait été révélée à diverses époques par le Christ, le Fils du Premier Homme (5), qui avait pris les appa- rences de la chair pour nous en dénoncer la malice (6). Elle montrait l'humanité divisée dès l'origine en deux partis rivaux, dont l'un, marchant sur les traces d'Adam et sur celles de Seth, se conformait aux prescriptions divines, tandis que l'autre, suivant les pernicieux exemples donnés par Eve et par Caïn, se laissait conduire par le Diable (7). Elle expliquait comment ce dernier avait tour à tour imaginé trois fausses religions, celle des Païens, celle des Juifs et celle des Chrétiens vulgaires ou Catholiques, qui s'accordaient à n'admettre qu'un seul Principe, à confondre Dieu avec l'auteur du Mal (8). Et elle enseignait comment la foi dualiste, la seule véritable, prêchée dans l'Inde par le Bouddha, en Perse par Zoroastre, en Pales- tine par le Christ, avatt été exposée enfin dans toute sa pureté

u'; Aiigusiin, De mor. Monicli., 54-55, 62; Cliavaiinos cl Pclliol, Jouni. Asial.. 1910, p. 36i ; Von Le Coq. TurkisJi Khansiiianift, V, (h, 79-941 elc.

(■.->.) Augustin, De nwr. Man., G5 ; Cont. Fausi.. XIX, 3, aO, 29; De ronliii.. 20 fin.; De Haer., /[G; An Nadim cliez Fliigc], Mani, p. 95; Cha- \anues et Pelliot, Journ. .Asial., I9i3, p. 354; Von Le Coq. Tiirkisc}ic Mimicfiaca, I, p. i5.

(3) An Nadim chez Fliigel, Mani, p. 95; Sharaslâni, lîeligionspartcien, trad. Ilaarbriïeker, t. I, p. 290.

(4) Augustin, De Haer., 46; Cont. Faust., V, 10, etc.

(5) Augustin, Cont. Faust., II, 4-

(C)) Augustin, De Gen. cont. Man., IL 39: Cont. Faust., I, fin.; XXII, 49; De Haer., 4G ; Titus de Bostia, TII init. (citation d'une Ecriture mani- chéenne) ; Théodore bar-Khôni cliez Pognon, p. 191 -193 <>t chez Cumont, p. 4G-49 ; An Nadim eiicz FUigel, Mani, p. 91.

(7) Augustin, Cont. Faust., XX, 4 fin., (exposé manichéen de Fauste).

(S) Augustin, Cont. Faust., XX, 4 fin.

46 LES ÉCRITURES MANICHEENxVES

en Babylonie et de dans l'univers entier par Mani, ses douze Apôtres et leurs nombreux disciples (1).

Des livres prophétiques et apocalyptiques annonçaient quel sort serait fait aux Elus qui suivaient fidèlement les pré- ceptes divins, aux Auditeurs qui ne les observaient qu'à moitié, aux Pécheurs qui ne cessaient de les violer (2). Ils prédisaient que les premiers, une fois débarrassés de leurs liens charnels, prendraient le chemin du ciel pour rentrer dans leur bienheu- reuse patrie, que les seconds resteraient sur la terre pour y passer en d'autres corps, enfin que les troisièmes, esclaves de la matière, la suivraient dans l'enfer (3j. Du jour, ajoutaient- ils, tous les esprits qui doivent être libérés auront regagné leur premier séjour, le monde sera abandonné à lui-même par l'Ornement de splendeur qui le soutient au nord et par Atlas qui au sud le porte sur les épaules (4). Alors les étoiles tombe- ront, les montagnes s'effondreront, tous les éléments matériels iront se rejoindre dans les abîmes ténébreux de l'enfer ils s'embraseront comme en une immense chaudière (5). Et ils seront aussitôt recouverts par une pierre aussi grande que la terre à laquelle se trouveront attachées les âmes péche- resses (6). Désormais le Bien et |le |Mal, revenus à leur premier état demeureront séparés par une barrière infranchissable et pour toujours (7).

Ainsi les Ecritures manichéennes répondaient à toutes les

(i) Birouni, Chronology, trad. Sachaii, p. 190 (début du Sliâpourakân de Mani). Cf. Kessler, Mani, p. 017.

(2) An Nadim chez Fîii^-cl, M<tiii. p. lo.'l ilahlc (l;'s nialirrcs du Shàimu- rakûn dv Mani). CL Ihid., p. loi.

(.S) Pour les délails (!•> ccl cnsci^iitinciil . noIi' W Mfaric. l/craiiilioii intellectuelle de Saint Auijustin. i'"*" Parfic, i'"'' scct., ch. 3'\

i \) An Nadim cluv. h'Iiiji-.'l, Mani, p. 90 cl Shaïaslàni. lieliiiionsparleien, Irad. liaarbjik'kcr, I, :>89-:>()o. Cf. Augustin. Conl. Faust.. \l. 5; Mpiplianc, Ilaer., LXVI, :U, 58 oA Act. Arch., 11.

(5) An Nadim cliez Fliigel, Mani. p. 90 cl Sharasiàni. Irad. llaarLuiickcr, 1, 289-290. (if. Augustin, De nat. bon., /ja (loxie de Mani) et De Haer., 46 fin.; Alexandre de Lycopoiis, De plac. Man.. 12. ?(» : Act. Arcli.. 11 (discours de Turbo) et Kpipliane, Ilaer., LWI. 3'. 58; F. \\ . K. Millier, Handschr. Reste, p. 17-19.

((">) An Nadim chez Flii<,'-cl, Mani. p. 90; An^nslin. De H<ier., '|() ///).; De nat. t)on., ^2 ; Titus de Bostra, Cont. Man., I. 01 init.

(7) Anguslin, Cont. Fortun., 33. o5. Cï. llegcmoniu.«, Act. Arch., 11; Epiphanc, Ilaer., 3i, 58.

CARACTERES GENERAUX 47

questions soulevées par la curiosité humaine. Elles se présen- taient comme la réalisation de l'oracle du Christ daprès lequel le Paraclet devait enseigner (( toutes choses » {Joan. XIV (26) (1). Par elles plaisaient aux esprits inquiets que tour- mentait le besoin de savoir. D'autre part, leur ascétisme rigou- reux était de nature à séduire les âmes éprises d'idéal, qui estimaient qu'on ne pouvait payer trop cher le bonheur de mener un jour l'existence des dieux (2). Mais les gens plus positifs devaient trouver cette morale trop peu humaine (3*. Et ceux qui avaient quelque culture scientifique relevaient de mul- tiples erreurs dans les enseignements de la nouvelle Bible (4),

II

Les écrits de Mani et en général tous ceux qui avaient cours dans son Eglise offraient une forme littéraire bien appropriée à leur contenu.

Comme ils traitaient de la doctrine du salut, qui devait.se montrer éminemment « humaine )), ils ne s'adressaient pas seulement à une élite de gens instruits mais encore à la foule ignorante à laquelle on les lisait dans les assemblées reli- gieuses (5). Aussi étaient-ils écrits en un style très simple qui visait surtout à la clarté. Et ils le faisaient volontiers remar- quer. Avant eux, disaient-ils, la vérité se montrait « dans un miroir et en image », eux au contraire permettaient de la voir en quelque sorte « face à face ». (I Cor. XIII, 9-10 et 12) (6),

D'autre part, comme ils voulaient faire œuvre de science, ils ne se contentaient pas de simples affirmations, ils préten-

(i) Augustin, Cont. Faust., XXXII, 6 (paroles de Fauste) ; Cont. Felic, il, 0 (paroles de Félix) et ibid., I, 2; Cont. Epist. Man., 7, 9; De Haer., 46. Cf. Hegemonius, Act. Arch., i3 et 87; Epiphane, Haer., LXVI, 12 fin. et 61: Titus de Bostra, Cont. Man., III, Prol. Voir aussi An Nadim chez Flûgel, Mani, p. 85; Birouni, Chronology, trad. Sachau, p. 190 et Kessler, Mani,^ p. 3i8.

(2) Augustin, De mor. Eccl. cath., 2 init.

(3) Plebs ad se confugit, a me refugit, avoue Fauste de Milève au Catho- lique {Cont. Faust., XXI, 10). Cf. Jérôme {?), Epist., P. L., XXX, i85.

(4) Augustin, Conf., V, 4-i2. Cf. ibid., III, 21.

(6) Cont. Epist. Man., 6 init., 7, 28; De nat. bon., 44. (6) Cont. Epist. Man., 25; Cont. Faust., M, 6.

4S

LES ECRITL RES MAMCHEEN.NES

daient donner des preuves. Ils reprochaient avec beaucoup de verve aux Catholiques de croire sans comprendre. Et ils demandaient que Tintellig-ence passât toujours avant la foi: (( Si je ne vois pas, je ne croirai pas », tel était le mot d'ordre donné à leurs lecteurs (Joan. XX, 25i d).

Ces écrits, affectant une grande logique, se donnaient comme la conclusion suprême du long travail accompli par les Penseurs Hellènes. Ils louaient volontiers Pythagore et Platon (2). Ils s'appliquaient surtout à f)arler leur langage, identifiant le Bien avec l'Esprit, le Mal avec la Matière et le Héraut divin terrassé par le Diable avec lame humaine empri- sonnée en un corps mortel (3). Aussi séduisaient-ils parfois des esprits cultivés, partisans du Néoplatonisme (4).

Cependant certains critiques leur reprochaient avec raison de ne garder de la philosophie qu'une vaine apparence. Un d'entre eux disait en pariant de quelques prosélytes qui portaient avec eux ces ouvrages, et qui en prêchaient la doctrine : « Leurs théories ne s'établissent point par des argu- ments rigoureux qui supportent l'examen. Leurs démons- trations n'ont pas de principes dont on puisse voir les consé- quences. C'est vraiment par un heureux hasard qu'il y a de la philosophie dans leurs discours naïfs. Ils invoquent des Ecritures nouvelles et anciennes, qu'ils considèrent comme inspirées, et ils en déduisent leurs opinions. Ils ne se montrent accessibles à la discussion et à la critique qu'autant qu'ils peuvent être convaincus de s'en être écartés dans leurs paroles ou dans leurs actes. Ce que sont pour les gens qui philo- sophent à la manière des Hellènes les prémisses d'où partent

(i) Coitl. h^uist., \\i, 9 ip<ii()l('< (ic F;iu.~t*0. Cf. Dr util rml.. ■>..

('.>) Vf>i)- An^apiu!^ ("liez Pholius. liihl., CaxI. i~[) : rault'ur il;- ia Thcosopli'h- clu'z Hun-sch, Klaros, Leipzig, 1889, (Oracles des dieiij' helléniques^ }\"^ {u^ (' ()o). Cf. \cl. \ri-h., 5i. cire. ///!. et FIii^tI, V'ui/. p. I79-l^(t. 191. ".UO.

(3) Voir ^111- ridciililiralion du VAvn ci de l'Kspril : AiijLfustin, Coni. ÎII, i:>; VU, 1; De Gen. cont. Mon., I, :>.•;, 28; Cont. Kpist. Mon., r>3 fin. llcgoinouiiis. Act. Arch., ifi, olo. : sur (l'Ilc du Mal et de la Matière : Au- iiuslin, Cont. Faust.. X\I, i. el XX. 3: Tilus de lk)stra. Cont. Man.. I. 5. 10; i^liolius, Bibtiotli., Cad, 180 (A<^apius). et;-.; >ur eelie du Héraut divin cl de l'Anu' liumaiu(^ : Alexandre de Lycopolis, /)<' Plac. Man.. 3: Mpiplianc, llaer.. lAVJ. -jJji et /j/j ; Auoiistin. De ver. rel.. lO ; Cont. Fortun.. ■2-2 (parol{>s de Fortuuat), etc.

(4) Alexandre de Lycopolis, De Plac. Man., 5, cire. n}ed.

CARACTÈRES GENERAUX 49

leurs raisonnements, la parole ou l'oracle des Prophètes 1 est pour eux vl) ».

Mani s'appuyait de préférence sur les écrits du Nouveau Testament, du moins sur eux d'entre v mx qu'il admettait dans son Canon. D'après un polémiste du iv^ siècle, après avoir vainement essayé de répandre sa doctrine parmi les orthodoxes, il se serait procuré les « livres des Chrétiens » ,les aurait étudiés avec soin et en aurait inséré de nombreux fragments à travers son œuvre pour mieux la faire accepter parmi les Catho- liques (2). Si discutable que soit ce récit, il montre tout au moins que les publications de l'hérésiarque abondaient en citations bibliques. Le nouvel Evangile était composé avec des débris de l'ancien. Aussi ses partisans ne se lassaient pas d'alléguer certains passages de Matthieu et de Jean (3). Ils invoquaient plus fréquemment encore le témoignage de Paul, dont ils prétendaient être les fidèles disciples (4).

Souvent encore les Manichéens faisaient appel aux tradi- tions païennes : '< Par leurs fables, dit Alexandre de Lycopolis, ils laissent loin derrière eux les mythologues qui ont parlé des membres génitaux d'Ouranos, qui ont imaginé une conspi- ration ourdie contre Saturne par son fils désireux d'obtenir le pouvoir souverain, qui ont montré ce même Saturne décidé à manger ses enfants et trompé dans l'exécution de son dessein par un simulacre de pierre qui lui était présenté. Ne sou- tiennent-ils pas des idées analogues ? Ils parlent ouvertement d'une guerre engagée contre Dieu par la Matière, Et ils n'entendent point cela dans un sens spirituel et figuré, ainsi

qu'Homère dans Vllùtde Dès que les preuves et les raisons

leur font défaut, ils accumulent en tout sens des témoignages de poètes et ils cherchent à abriter leurs opinions sous le couvert de ces autorités (5). » Un autre Egyptien, Sérapion de Tmuis, passant en revue les doctrines professées par eux, rap[)elle

II) Alexandre de Lycopolis, De Plac. Man., 5.

(2) Hegemoniiis, Act. Arch., 5i-52.

(3) Ils citaient surtout Malt, VII, i8 (^Hegemonius, Act. Arch.. i3 : Epi- phane, Haer., LXVI, 62, (>3 ; Titus de Bostra, Cont. Man., I, 33; Augustin, Cont. Adim., XXVI: Cont. Fortiim, 22: Cont. Faust., XII, i; Cont. Fel., II, 2 init.) et .Joan., XX, 26 (v. snpra, p. /jS, not. i).

(4) Ils citaient surtout I Cor. XIII, 9. 10, 12 (v. supra, p. ^17, not. 6).

(5) De Plac. Man., 10.

50 LES ÉCRITURES MANICHEENNES

aussi (( leurs armures, les combats, les g-igantomachies et autres fictions du même genre » qu'ils ont empruntées à la cosmo- gonie antique (1). Ces textes doivent viser surtout les écrits de Mani. Ici encore le Maître avait frayé les voies. Il avait com- posé un traité Des Géants il racontait tout au long les exploits de Sam, de Nariman et d'autres personnages égale- ment mythiques (^). Et à travers toute son œuvre il s'était appliqué à mettre en valeur les vieilles traditions, dans les- quelles il voyait comme une survivance plus ou moins affaiblie de la révélation primitive apportée par le Christ (3). Les Ecritures manichéennes se présentaient ainsi comme un tissu de légendes habilement tressé sur un fond dualiste. Selon un rapport ironique d'un auteur chrétien du iv^ siècle, Mani n'avait fait qu'insi-rer quelques « contes de vieille femme », narrés en un style diffus, avec une « grande abon- dance de mots inutiles )), dans les livres d'un de ses devanciers en tête desquels il avait ensuite mis son nom. A cette époque il était un vieillard. Dans sa jeunesse, d'ailleurs, il avait été élevé par une veuve d'un âge avancé, qui s'était atta- chée à lui et l'avait fait son héritier (4). D'après une réflexion analogue d'un certain nombre de polémistes grecs, il méritait parfaitement d'être appelé Manès, c'est-à-dire le «fou» (5i. (( Dans ses livres, ajoute un historien arabe, il n'y a aucune des matières contenues dans les autres, aucun récit captivant, aucun art littéraire, aucune >agesse qui s'impose, aucune philosophie, aucun art spéculatif, aucune préparation à une industrie, à l'exercice d'un métier, aucun enseignement agricole, aucune instruction militaire. Il y est seulement question de la Lumière et des Ténèbres, de 1 accouplement de Satan (?), du mélange des Démons, du Tout Puissant (?). Le lecteur y est effrayé par la «Colonne de l'Aurore », par les histoires de Sakloun, Hoummàmat et Ouadrouâï (?>. 11 n'y a que bavardage, chimère et mensonge, sans aucune belle

(i) Chez Tilus de lîostra, Cont. Mon., î, 06 fin.

(a) Al-(Jliadaiifar de l'ibùz dans un siipj^lrincnl à nnc lettre de Hironni, cité par Kesslor, Mai^i, p. 199.

(3) V. M//)ro. p. /|5. not. 5 el 0.

(4) Ad. /l/r/(., r>>-58.

(5) Cyrille de Jérusalem, Calcclt., VI, 00; Serapion de Tmuis, A<lv. M<in., 2; Sévère irAntioche chez Fr. Cnniont, Rech.. p. 99 (voir note i).

CARACTERES GENERAUX

51

exhortation, sans indications pour la conduite de la vie, sans direction pour la grande nnasse, sans enseignement pour l'élite (1). Un auteur chinois confirme ces remarques : « J'ai obtenu, dit-il, les livres saints de la Religion de la Lumière et j'y ai jeté les yeux. Ce sont des divagations il n'y a rien à prendre (2) ».

Parmi ces légendes naïves, qu'il regardait comme des vestiges d'une antique révélation et ses adversaires ne voyaient qu'un amas de niaiseries, Mani semble avoir particu- lièrement goûté les plus scabreuses. Par une anomalie étrange, dont la littérature ascétique ofïre d'autres exemples, il traitait d'autant plus volontiers des « œuvres de la chair » qu'il en réprouvait la pratique. Ce sujet l'obsédait. Et il en parlait avec une liberté qui contractait avec l'austérité de ses principes et qui, parfois, confinait presque à la licence (3).

Cependant, à travers toute son œuvre, il gardait cons- tamment le ton du moraliste. Il visait à transformer ses lecteurs, à les rendre meilleurs, bien plus encore qu'à les ins- truire. Aussi multipliait-il les conseils et les exhortations (4). Tour à tour sévère et consolant, il faisait alterner les terribles menaces de l'enfer réservé aux pécheurs et l'attrayante pers- pective du paradis ouvert à tous les justes (5). Il discourait avec onction sur Dieu et les choses divines. Ce mythologue si réaliste était doublé d'un mystique et maintes pages de ses écrits rappelaient l'Evangile (6).

Enfin, il parlait une langue imagée et vivante qui s'adaptait sans effort aux sujets de ses livres et qui changeait plus ou moins avec eux. Epique quand il décrivait la situa- tion primitive des deux Royaumes opposés (7), ou quand il

(i) Al Gahiz chez Kessler, Mani, p. 367-368. Cf. sur Saklan ou Sakloun, Théodore bar-Khôni chez Pognon, Inscr. mand., p. 191 et chez Fr. Cu- mont, Rech. p. ào-^h et 73-7/i ; sur Hoummâmah, An NacUm chez Flûgel, Mani, p. 90; sur Ouadrouaï (l'Esprit Puissant?), Augustin, Cont. Faust., XX, 9.

(2) Chavannes et Pelliot, Jour/i. Asiat., i9i3, p. 34a.

(3) V. Augustin, De nat. bon., !\2, 44 (citations de Mani); Cyrille de Jérusalem, Catech., VI, 34 (d'après la lecture des ouvrages de Mani).

Cl) Voir le traité manichéen de Touen houang édité par Chavannes et Pel- liot, dans le Journal Asiatique, 191 1, p. 569-585. Je montrerai plus tard que ce traité est fait sans doute avec divers fragments d'ouvrages de Mani.

(5) Augustin, Cont. Epist. Man., i2-i3 et Evode, De Fid. cont. Man., 5.

(6) Birouni. India., trad. Sachau, t. I, p. 48, 54-55.

(7) Augustin. Cont. Epist. Man., 16, 19, 37.

52 LES ÉCRITURES MANICHEENNES

racontait la guerre eng-agée entre Dieu et le Diable ( 1 ), lyrique quand il invoquait le Père de la Grandeur ou les Anges pré- posés à la garde du monde (2), simple et familier quand il exposait l'histoire d'Adam et de ses descendants (3i, terrible ou souriant selon qu'il décrivait le sort final des justes ou celui des pécheurs (4), il prenait successivement les tons les plus variés. Son œuvre était comme un drame aux cent actes divers. Et chacun des acteurs y venait expliquer sa conduite et son rôle en des formules stéréotypées perçait le mystère. Car comme en tout système gnostique le verbe jouait un très grand rôle. Il possédait une valeur magique et décidait la destinée des dieux et des démons aussi bien que celle des humains (5).

Malheureusement le discours abondait en redites stériles. 11 tournait souvent au bavardage. Chacune de ses phrases était encombrée d'épithètes, surchargée d'incidentes (6). Aussi, malgré le relief des images et l'attrait du sujet, rebutait-il fréquemment le lecteur (7). Ces défauts ne pouvaient que s'aggraver dans une traduction. Ils y devenaient d'autant plus sensibles et choquants que l'original y était ordinairement reproduit d'une façon servile et maladroite (8).

Par ailleurs, les illustrations qui accompagnaient d'ordi- naire le texte sacré contribuaient à le faire mieux accepter. Selon l'heureuse formule de Mani, elles complétaient l'enseignement

(i) Théodore bar-Khôni chez Pognon, Inscr. Maiid., p. 184-192.

(2) Augustin, Cont. Faust., XV, 5, cire. nied. ; 6, cire. med. et fin.

(3) Augustin, Cojit. Epist. Man., i/j et De nat. bon., 46 ; Théodore bar-Khôni, op. cit., p. 191-192.

(4) Evode, De fid. çont. Man., 5.

(5) Théodore bar-Khôni, Inscr. Mand., p. i85, 186, 188 et k^s commen- taires de Fr. Cumont, Rech., p. i4, not. 4 et p. 24, not. 2.

(6) Voir quelques spécimens de verbiage chez Augustin, De nat. bon., 44; Evode, De }id. cont. Man., 5; Sévère d'Antioche, Ilom. CX|XI11 chez Fr. Cumont, Rech., p. 100-102, 117 et suiv.

(7) Act. Arch., 55 fin.; Titus de Bostra : Cont. Man.. I, i4; Epiphane, Haer., LXVI, i4 init., etc.

(8) Quelques spécimens de ces versions ont été conservés en lai in (voir Augustin, Cont. Epist. Man., i2-i5, 3i ; De nat. bon., 44-46 et Evode, De fid. cont. Man., 5, 11, i4-i6, 19), en grec (Act. Arch., 7-11 ?; Titus de J3oslra, Cont. Man., I, 5, cire, init., 12 cire, init., III, cire, init.): en turc ouïgour (A. Von Le Coq, Turskisclie Manichaica ef autres publications ana- logues), en chinois (Chavannes et Pelliot, .Journ. Asiat., 191 1, p. 5ÔS-589).

CARACTERES GENERAUX

53

de Mani pour les gens instruits et pour les autres elles le suppléaient (1). Elles plaisaient au peuple, parce qu'elles parlaient aux yeux sans fatiguer l'esprit, et elles avaient un égal succès près des lettrés, parce qu'elles se montraient tou- jours pleines de sens et chargées de symboles. Seulement elles ne supportaient pas la médiocrité. Or toutes ne pouvaient être des chefs-d'œuvre. Mani s'était acquis la réputation d'un peintre éminent (2). Et certains de ses disciples l'imitaient sur ce point (3). Mais d'autres maniaient mieux la plume que le pinceau. Et les figures dont ils ornaient leurs livres étaient parfois grotesques et inintelligibles (4).

Par leur forme comme par la nature de leur contenu, les Ecritures manichéennes étaient donc un « signe de contra- diction ». La simplicité, la naïveté, la grossièreté même de leurs récits et de leurs figures plaisaient à la foule, mais cho- quaient vivement les esprits délicats. D'autre part, l'usage fréquent qu'elles faisaient de divers livres saints leur permettait de se faire accepter par les adeptes des religions anciennes. Seulement les gardiens de l'orthodoxie n'en mettaient que plus d'ardeur à les combattre. Aussi devaient- elles obtenir quelque temps une très large diffusion et disparaître ensuite devant les critiques dont elles étaient l'objet.

(i) C. W. MitchoU, S. Epliraini's Prose, Réfutations of Mani... p. xciii. V. supra, p. 23.

(2) Voir la note précédente. Cf. Aboiil'l-Ma^ àlî, Firdousi et Mîrchond, chez Kessler, Mani. p. 371, 375, 379.

(3) Voir un beau spécimen d'illustrations manichéennes chez A. Von Le Coq, Ein christliches und manichaïsches Manuskriptfragment, dans les Sitzunsberichte de l'Académie des sciences de Berlin, 1909, planche XIII, après la page I2i5, et Chotscho, planche VI (en couleur).

(4) Voir un autre échantillon chez 'A. Von Le Coq, Dr. Stein^s Turkish Khuastuanift from Tun-huang, dans le Journal of the Royal Asiatic Society, 191 1, appendice, planche II, fin du rouleau.

\

DEUXIEME SECTION

HISTOIRE DES ÉCRITURES MANICHÉENNES

CHAPITRE PREMIER

Propagation des Ecritures Manichéennes

Presque aussitôt après leur rédaction les écrits de Mani et ceux de ses premiers disciples ont fait leur apparition dans les pays chrétiens de TOrient et ceux de l'Occident. Très vite également ils se sont répandus hors de la Chrétienté, depuis la Perse ils ont pris naissance jusqu'aux confins de l'empire chinois. Ainsi, par un rayonnement progressif et rapide, ils sont allés à travers tous les pays connus.

I

D'après les Ada Archelai, œuvre de polémique antimani- chéenne qui se donne comme écrite par un certain Hégémo- nius et qui a être-rédigée en grec dans la première partie du iv^ siècle (1), Mani aurait fait apporter ses écrits en Egypte par Thomas et en Scythie par Addas, tandis que lui-même les répandait avec Hermas dans les « parties hautes de sa province » (2). Puis, au retour de ses messagers, qui se plai- gnaient de l'opposition suscitée contre eux par son enseigne- ment, il leur aurait donné une édition nouvelle de ses œuvres il cherchait à se mettre à couvert derrière les « livres des

(i) Voir plus loin le début du dernier chapitre. (2) Act. Arch., 53.

S() LES ÉCRITURES MANICHÉENNES

Chrétiens ». Et il les aurait envoyés de nouveau en mission (1). Addas serait alors passé en Orient, Thomas erf Syrie et Hermas en Egypte (2). Comme des personnages de même nom apparaissent fréquemment dans la tradition chré- tienne, où ils jouent un rcMe analogue, tout ce récit est sans doute légendaire. Mais il montre qu'au moment il fut rédigé les écrits de la nouvelle secte s'étaient propagés à travers les régions dont il parle.

Les Ecritures manichéennes se sont, naturellement, répan- dues d'abord dans leur pays d'origine, en Mésopotamie. C'est que les Actes (VArchelam montrent Mani allant discuter avec révêque de Kashkar « un livre babylonien sous le bras gauche » (3). Les œuvres de l'hérésiarque devaient y être d'autant mieux accueillies qu'elles se rattachaient étroitement à celles de Marcion et de l^ardesane, déjà très populaires, et que, d'ailleurs, leur langage s'y parlait couramment. Aphraate qui vivait dans la première moitié du iv^ siècle et, semble-t-il, dans la région de Mossoul, les a certainement rencontrées au cours de son apostolat. Dans une de ses Homélies, il y fait nette- ment allusion, car, à, propos des jeûnes, il rappelle la doctrine de (( l'insensé Mani o, qu'il assimile à celle de Marcion et à celle de Valentin, ou, en remontant plus haut encore, à celle de Zoroastre (4). Peu après lui, Ephrem, qui a vécu d'abord à Nisibe et ensuite à Edesse, s'exprime en termes plus formels sur le même sujet. Il parle fréquemment des Ecritures mani- chéennes et en homme qui les connaît à fond. Il les met sur le même plan que celles de Marcion et de Bardesane, qu'il combat avec une grande àpreté. Il ne se lasse pas de les prendre à partie et d'en signaler le danger (5). C'est évidemment parce qu'il a constaté qu'autour de lui beaucoup de gens les lisent et les propagent, Dans la première moitié du v^ siècle, lévêque d'Edesse Rabboulas les trouve encore très répandues, car il leur fait une guerFe acharnée. Son panégyriste le loue d'avoir

(i) .4c/. Arc)i., 54 cire. med. {•}.) AcA. Ardi., ii fin.

(3) Act. Arch., i3 cire. init.

(4) HomiL, III, 9, dans la Pairologia Syriaca do Mgr Graffin. Paris, iSq/i, t. I, p. ii5. Cf. Kessler, Mani, p. 3o3-3o/i.

(5) Voir Kessler, Mani, p. 262-302 et surtout C. W. Mitchell, 5. Epraim's Prose (Ucfufafions o/ Mani. Marcion nud Bardaisan). Londres, 1912, 8".

PROPAGATION DES ÉCRITURES MANICHÉENNES 57

ramené à la vraie foi les a insensés Manichéens ^) en même temps que les Marcionites (l).

Des régions voisines de l'Euphrate les nouvelles Ecritures se sont propagées de bonne heure à travers la Syrie, la l'ales- tine et le nord de l'Arabie. D'après un récit sûrement légen- daire des Actes d'Archéiam, Scythien, leur premier rédacteur, appartenant à la race des « Sarrasins », serait allé finir ses jours en Judée (3). C'est sans doute parce que les livres saints qui lui sont gratuitement attribués étaient très répandus dans les contrées limitrophes du Jourdain. Ils ont y être appor- tés, dès la quatrième année du règne d'Aurélien, en 274, par (( un vétéran », un certain Akouas, descendu de la Mésopotamie à Eleuthéropolis, les Manichéens, très nombreux encore du vivant d'Epiphane, portaient communément son nom (3) et sans doute identique avec un des douze Apôtres de Mani, un Zakouas ou Zarouas, qui se trouve mentionné dans quelques textes plus tardifs (4). Vers le milieu du iv^' siècle, dans une de ses Catéchèses, Cyrille de Jérusalem déclare les avoir lus pour s'assurer que les renseignements qu'on lui a donnés sur eux sont bien exacts (5). Son voisin Eusèbe d'Emèse en fait aussi une critique détaillée (6). Un peu plus tard Titus de Bos- tra leur consacre un traité volumineux qui témoigne de leur vogue inquiétante (7). Peu après lui, vers 375, Epiphane, évêque de Salamine, qui a pu en rencontrer des exemplaires et des lecteurs nombreux, leur consacre un chapitre très long de son traité Des Hérésies, il atteste leur grande diffusion par le soin même qu'il met aies combattre (8). Au milieu du siècle suivant, un polémiste du nord de la Syrie, Théodoret de Cyr, leur accorde encore une assez grande place dans son Abrégé

(i) Ovcrbock, 8. Eplirucini Syri, Babulae episcopl Edesscni Balaei alio- riunqiie operd selecta, Oronii, i865, 8°, p. 193.

(2) Act. Arch., 52, Inil. et cire. med.

(3) Epiphane, Hacr., LXVl, i.

(^4) P. G.. G, i32i {Première fonnide grecque d'abjuration) ; I, i/jGS (Deuxième formule grecque d'abjuration); CU, /ji (Photiiis, Cont. Man.) ; 'CIV, 12G5 (Pierre de Sicile, Hist. Man.).

(5) Catedi., VI, 3/;.

(G) Mentionné par Théooret, Haeret. jubuJ. camp., I, 26, fin.

(7) P. G., XVIII, 1069-1264.

(8) Haer., LXVI, 1-87.

58 LES ÉCRITURES MANICHÉENNES

des fables hérétiques {[). Tour à tour, à 1:^0 ans environ d'in- tervalle, Jean Chrysostome et Sévère en signalent de même le danger à Antioche (2). En 404 une femme de cette ville, nommée Julie, propage dans Gaza les dogmes de Mani (3). Vers la même époque un certain Philon les prêche dans son Eglise située sur les confins de l'Arabie (4). Dans la solitude du Sinaï, le moine Nil, à qui nous devons ce dernier rensei- gnement, mentionne « les Mystères et les Trésors de Mani », pour en souligner « l'ineptie et l'impiété » (5). Beaucoup plus tard, dans la première moitié du vu® siècle, un religieux de la même région, Théodore de Raïthou, combat encore les erreurs christologiques de l'hérésiarque, qu'il assimile à celles d'Apollinaire et d'Eutychès (6). Jusque vers l'an 800, Anas- tate le Sinaïte continue d'en faire la critique. Il fait plusieurs fois allusion aux « livres des Manichéens )) et rappelle même des détails précis de leur enseignement, dont il croit que les grands représentants du Monophysisme se sont fréquemment inspi- rés (7).

C'est par le Sud de l'Arabie que les écrits de Mani ont pénétrer en Egypte, comme Scythien, leur auteur présumé que les Ar/a Archelai font descendre du pays des « Sarrasins » dans la Thébaïde (8). Profitant de la vogue dont le Gnosti- cisme jouissait depuis longtemps sur les rives du Nil, ils y obtinrent très vite un vif succès. Un de leurs « commenta- teurs », Aphtonius, se rendit si célèbre à Alexandrie, au temps d'Aetius, que ce dernier alla d'Antioche engager avec lui

(i) Haer. jahiil. vomp.. I, 2C.

(2) Jean Chrysoslonic. //( Ocncs. Scrw., VII, /|. Cf. In Epist.. I""^ ad Cor. Hom., XxVlll, :> ; //( Kpist., II«»^ ad Cor. Hom.. VIII, 2 et XXI, /j ; In Malt. Hom., LVIIl, ;> cl JAXWII, 2; De Prophet. obscur., II, 7.

Sévère {rAiitioche, Hof)i., CXXIII, version syriaque et traduction fran- çaise chez Fr. Cumont, Rech. sur le Manich., fasc. 2®, p. 88-172.

(3) Marc le Diacre, Vie de Porphyre, évêqiie de Gaza, 86-91, trad. lat. dans P. G., LXV, 1 248-1 2^9, texte grec dans cdit. de Bonn. Leipzig, 1895, p. 69 et suiv.

(4) Nil, Epist., II, 321.

(5) Id. Epist., I, 117.

(6) P. G., XCI, a85.

(7) P. G., LXXXIX, 102, loG, 120, 192, 218, 253, 290.

(8) Ad. Arch., 62, inll. ^

PROPAGATION DES ÉCRITURES :MANICHÉENNES 59

une conférence contradictoire sur les questions de foi (1). Un autre, Hiérakas, de Léontopolis, recruta, vers la même époque, de très nombreux disciples (2), dont certains se livraient, après sa mort, à une propagande assez active dans la région d'Arsinoë (3), Il écrivait en copte aussi bien qu'en grec (4). Et il transcrivit de nombreux manuscrits parmi lesquels ceux du Maître devaient venir au premier rang (5). Un autre personnage, qui apparaît à côté des précédents parmi les (( Apôtres » de Mani, Paapis ou Pa Apis, porte un nom bien égyptien (6). Sans doute travailla-t-il aussi activement à propager les nouveaux livres saints et à les commenter. Dès la fin du in^ siècle dans un traité sur les Dogmes de Manichée, un philosophe alexandrin, Alexandre de Lycopolis, fait une critique vigoureuse des doctrines dualistes qui viennent d'être apportées par certains disciples du novateur persan, « Papus, Thomas, et plusieurs autres » (7>. 11 commence par en donner un aperçu général qui semble bien emprunté à quelque œuvre de Mani (8). Il attribue d'ailleurs à celui-ci une étude de la Passion du Christ dont il parait avoir une connaissance directe et qu'il n'a pu jconnaitre que par une version (9). Enfin il constate que les gens qu'il combat appuient leurs doctrines sur des « Ecritures nouvelles et anciennes )) (10). Par il vise sans doute les livres saints qui appartiennent en propre à la secte et ceux qui lui viennent des Gnostiques antérieurs. Environ un demi siècle plus tard, dans un traité Contre les }faïucliéens, qui nous est arrivé en très mauvais état, Sérapion de Tmuis revient sur le même sujet. Il reproche aux nouveaux hérétiques de rejeter la Loi et les Prophètes,

(i) Philoslorgc, Hist. Eccl, III, i5. Cf. i^ foim. gr. d'abjur. P. G., C, i32i); 2^ form. gr. {ibid., I, i468), Photiiis, Cont. Man., I, i4 {ibid., Cil, Ai); Pierre de Sicile, Hist. Man., i6 {ibid., CIV, i265).

(2) Epiplianc, Haer., LXVII, i.

(3) Vie de Saint Macaire dans P: G., XXXIV, 209-212. {!i) Epipliane, Haer., LXVII, 3 cire. med.

(5) Op. cit., 3 fin.

(6) P. G., I, i4G8.

(7) De Placit. Man., 2.

(8) Op. cit., 2-5.

(9) Op. cit., 2I1 cire. fin. (io3 Op. cit., b, cire. med.

60 LES ÉCRITURES MANICHÉENNES

de circoncire les Evangiles véritables, d'admettre ua autre « corps d'Ecritures )) (11. Et il montre clairement qu'il a lu ces dernières par l'aisance avec laquelle il en expose les doc- trines (2). Un travail analogue de Didyme d'Alexandrie, (•{-395) dont nous n'avons aussi qu'un| texte mutilé, témoigne également de leur difïusion inquiétante (3).

En Egypte et sans doute en bien d'autres régions, les moines ont été les principaux agents de cette propagande des livres dualistes. Beaucoup étaient déjà manichéens à l'époque d'Antoine (4). Encore au temps d'Epiphane un grand nombre professaient les idées d'Hiérakas (3). A Alexandrie, sous le patriarchat de Timothée (380-385), on distinguait parmi eux les Saddikini, qui ne prenaient aucune nourriture animale, et les SammaJmii, qui croyaient pouvoir se permettre l'usage du poisson. Les uns et les autres étaient partisans de Mani, seule- ment les premiers suivaient toutes les prescriptions du Maître, les seconds n'en observaient qu'une partie (6). Or tous ces gens menaient une propagande très active en faveur de leurs doctrines et par conséquent de leurs livres. Tel d'entre eux groupait autour de lui, par sa prédication, une foule nom- breuse (7). Tel autre exerçait une action individuelle et discrète (8). Leur iniluence se faisait sentir jusqu'en Asie Mineure, Eustathe de Sébaste, élevé chez les ascètes égyptiens, organisa des communautés assez semblables à celles de Mani (9). Elle dut se faire sentir de même en Occident.

Peut-être est-ce des rives du Delta que la littérature manichéenne fut importée en Afrique. En tout cas, dès la fin du iii^ siècle elle avait pénétré à Carthage et dans les environs.

(j) Fiii.ijiiuMil v'^iWi' dans !;> trailr ilo 'Jilus de l>oslra. P. G., XVJIL I2i3.

(a) Voir 1111 antre fia,u:n!ciil dans le mènii^ trailt- tic Titns i\c Bostra, I, 3i, cire. mcd. et suiv.

(3) Voii- P. G.. \\\!\. loNô-TTOo. Le texte C^t re})rc)diiit dans les Dix syllogismes canin' les McnidtCi'iis. P. G., XLV], 5/|î et sni-\ .

(/,) AthanaM'. Mi. A), Ion., GS. Cf. Entyehins, Ann.. P. G.. CXI, ioi5, 101^3.

(5) Epipliane. Ihicr., lAN'JI. i cire. î}}cil.

(f)) Eiitychiiis. ,t////., P. G., C\I. loio.

(7") !(idin. ///.s7. I/o/), (d'après le réeil (\[\ solilaii'e Coprès) dans P. L.. X\l. 426-/137.

(S) Vit. Pnir.. lib. VI, CMIL 11 dans P. P. LXXIII. ()',5.

(9) Mansi, Co//. Coït.. 11, lo^B-iioo cl suiv.

PROPAGATIO?^ DES ÉCUITURES MANICHEENNES Gl

Vers le début de Tan 296, dans un rapport adressé à Dioclétien, le proconsul de cette province dénonçait « les Magiciens et les Manichéens », ainsi que les « Ecritures » dont ces gens se servaient pour séduire le peuple (1). Sans doute visait-il surtout les livres de Mani. Ceux-ci avaient donc été traduits de bonne heure en latin. Vers le milieu du iv® siècle, l'Africain Victorin mentionnait Tun d'entre eux, le Trésor, avec un ouvrage gnostique, les Actes d'André, qui leur est fréquem- ment associé (2). Et il les jugeait assez connus pour leur consacrer un traité spécial adressé à un certain « Justin le Manichéen » (3). De fait ces écrits ont été particulièrem.ent répandus dans lAfrique proconsulaire et dans la Numidie. Augustin en a vu entre les mains des Elus de Carthage des exemplaires nombreux et luxueux qui étaient lus publique- ment dans les assemblées religieuses et expliqués ensuite aux Auditeurs curieux (4). A Hippone il a rencontré tour à tour cinq grandes a Ecritures de Manichée » qui comprenaient notamment VEpître du fondement et le Trésor (5), des traités fort répandus d'un disciple de l'hérésiarque nommé Adimante, qu'il identifie avec Addas (6), et divers livres apocryphes, notamment les Actes des Apôtres de Leucius, souvent associés aux précédents (7). Ces divers ouvrages n'ont été connus dans le monde africain que par des versions très imparfaites d'un style lourd et incorrect (8). Cependant, de l'aveu d'Augustin, certains « volumes de la secte » étaient écrits a en latin, dans un style élégant » (9). Une œuvre de ce genre, due à la plume d'un docteur éminent, Fauste de Milève, a vu le jour dans les dernières années du iv^ siècle et elle a tout de suite obtenu

(i) Cad. Gregor., I. XIV, tit. IV (éd. Gust. Haencl, Leipzig, iS/ja, 4«).

(2) P. L., VIII, 999.

(3) P. L., VIII, 999-IOIO..

(4) Cont. Faust., XIII, i8 ; Cont. Epist. Man., b.

(5) Cont. Fel., I, i4.

(6) Cont. Adv. Leg. et Proph., II, I12.

(7) Cont. Fel, II, 6; De fid. cont. Man. (Evode) 5 et 38.

(8) Quelques échantillons en ont été donnés par Augustin, Cont. Epist. Man., 12 init., i3 init., i/i init., i5 init., iG init., 19 fin., 3i cire. init. ; De nat bon., 44, 46.

(9) Conf., V, 10 propos de Fauste: suac seelae si qua volumina latine atque composite conscripta erant).

5

62 LES ÉCRITURES MANICHEEXNES

une assez grande vogue pour que Augustin ait cru devoir en faire une critique détaillée (1 ). La littérature manichéenne a donc été bien représentée en Afrique, et pendant des siècles elle y a trouvé des lecteurs. Ceux-ci étaient nombreux sous le règne de Genséric et de son fils Hunnéric (2) et jusqu'à la fin du vi® siècle sous le pontificat de Grégoire le Grand (3). Sans doute même en restait-il encore quelques uns pendant les premiers temps de la domination arabe, car sous le califat de Mansour (754-775) un Imam de la secte, Abou iïilâl ad-Dei- hourî, venait de ces régions (4).

Entre la côte de l'Afrique et celle de l'Espagne les commu- nications ont de tout temps été fréquentes. Les livres de Mani ont pu aisément passer de l'une à l'autre. Priscillien, évêque d'Avila, les a certainement connus, avec divers ouvrages apocryphes de la même famille, et il semble avoir été profon- dément influencé par eux, bien qu'après le concile de Sara- gosse (380) il se soit défendu de professer leurs doctrines, comme Hydace d'Emerita et Ithace d'Ossonaba l'en avaient accusé (5). A la fin du iv*^ siècle, beaucoup de ses compatriotes réglaient leur foi sur ces mêmes écrits. D'après un auteur du temps, les Manichéens étaient nombreux « en Espagne et dans les cinq provinces » (6), c'est-à-dire dans la Tarraconaise, la Carthaginoise, la Lusitanie, la Gallécie et la Bétique (7). Quel- ques années plus tard Jérôme savait qu'au delà des Tyrénées et surtout en Lusitanie beaucoup de femmes lisaient le « Trésor de Manichée )), avec des œuvres de Basilide et d'autres produits du Gnosticisme, dont Marc de Memphis s'était fait l'apôtre en ces pays lointains (8) En 445 l'évêque

(i) Conlra Faustuui on 33 livres i^lcxtc de Faiisle et critique d'Aiiguslin). P. L., XLIÎ, L'.o7-r)i8.

(p.) Victor de Vil., ilisl. persc.r. randaJ., II, i dans P. L.. LVIIf, 201.

(3) Cregor., Episi., 11, 37.

(A) An Nadim, chez Fliigel, Mani, p. 98.

(5) Babnf, Priscillicti, Paris, 1909, 8°, p. i/|3-i'i6 <'t suivantes.

(G) Philastrius, De Haer., 61 fin.

(7) Sext. Ruf. , Breviar., c. 7.

(8) Adv. Vigilant., G. Cf. In Isaiain, LXIV, /j. Justement Ithace reprochait à Priscillien de s'être mis à l'école du même Marc de Memphis et il regardait ce dernier comme (( un magicien et un Manichéen » (Isidore de Séville, De Viris ill. i5).

PROPAGATION DES ÉCRITURES MANICHEENNES (j'A

Turibius, rentrant, après un long voyage, dans son diocèse d'Astorga, en Gallécie, se plaint d'y trouver de nombreux hérétiques qui professent de vieilles erreurs, tantôt inchangées, tantôt plus ou moins modifiées, et qui empruntent leurs doctrines à des Actes des Apôtres de provenance manichéenne, peut-être aussi à d'autres livres mystérieux dont le secret ne serait révélé qu'aux (( Parfaits )) (1). Il vise sans nul doute les disciples de Priscillien. Mais il pense certainement aussi à ceux de Mani. En fait d'après un chroniqueur contemporain, il a découvert dans sa ville épiscopale, au cours de la même année, plusieurs de ces derniers, qui s'y cachaient depuis quelque temps, et notamment un certain Pasccntius, venu de Uome, qui s'est ensuite enfui dans la Lusitanie, sans doute dans l'espoir d'y trouver des coreligionnaires hospitaliers (2). Le Priscillianisme est très vite passé du nord de l'Espagne dans le sud de la Gaule. Le Manichéisme, avec qui on le confondait souvent, a suivre le même chemin. Déjà Hilaire de Poitiers l'a peut-trouvé en Aquitaine, car dans un de ses écrits, rédigé avant son exil, en 355, il signale Mani avec Marcion comme un détracteur de la Loi (3). Vers la fin du iv^ siècle, Augustin a entendu dire que les Gaulois pratiquaient à la lettre certaines théories de l'hésiarque exposées dans le livre du Trésor (4). Vers 430, Cassien dénonçait, après « l'opi- nion des Marcionites », « l'erreur de Manichée », plus grave^ expliquait-il, que celle des Ebionites (5) et il mettait en garde ses moines de Marseille contre les a blasphèmes )) de la nou- velle secte (6). Peu après Vincens de Lerins signalait le danger de ces mêmes doctrines (7) et, dans la seconde moitié du v^ siècle, le Marseillais Gennade (8) et Pomérius d'Arles (9) s'en

(i) Episl. ad Hyd. et Cepon., 2, 4, fin., 5. P. L., LIV, ôgS.

(2) Chron. d'Hydace dans Monum. Germ. ani., Chron. Min., éd. Momm- scn, t. II, p. 24-25.

(3) Ad Consiantium , II, 9.

(4) De nai. bon., kl-

(5) De Incarn., V, 6 et 10.

(6) Coll. VIII, 6 et 24.

(7) Commonit., I, i4 (P. L., L, 667).

(8) De eccl. dogm., 4, 62, 67.

(9) De vit. coni., II, 242, (P. L., LIX, 470).

iVi LES KC:\ITLIU:S mamciiéennks

occupaient aussi. Encor*^ en 526, un certain Prosper les abjurait dans un long formulaire. A cette occasion, il ana- thématisait les partisans de Mani et d'Adimante, qui croyaient que l'un et l'autre avaient reçu le Paraclet, et il réprouvait aussi (( toutes leurs Ecritures étrangères au Canon de l'Eglise et exclues par la vraie foi » (1 ).

La nouvelle Bible a pénétré en Italie plus vite encore qu'en Espagne et en Gaule. D'après le Liber Ponlificalis, les Mani- chéens existaient déjà à Ronne au temps du pape iMiltiade (2). Environ soixante ans plus tard, en 372, ils s'y trouvaient assez nonnbrcux pour que Valentinien adressât à leur sujet un édit important au Préfet de Ville (3). Vers 382, un d'entre eux du nom de Constance, réunissait dans sa maison les Elus de la région, qu'il avait décidés à observer en commun la règle de Mani, et il leur faisait lire une Epilre du Maître qui devait servir de programme au nouveau Monastère (4). Presque aussitôt après, Augustin, arrivant à Rome, y vivait au milieu des représentants de la secte, et il logeait chez l'un d'entre eux avec qui il discutait souvent sur la mythologie des « livres de Manichée )) (5). A Milan, oii leur recommandation le faisait bientôt nommer rhéteur par le Préfet Symmaque (6), il les trouvait encore assez nombreux pour inquiéter Ambroise qui les prenait souvent à partie (7). L'Ambrosiaster, vivant sans doute dans le même milieu, sait que les Manichéens ont « des œuvres aux titres prétentieux et au contenu frivole et extra- vagant » (8), dont des femmes accueillent et colportent étour- diment la doctrine (9). Un autre contemporain d'Augustin, Philastrius de Brescia, note également que leurs erreurs sédui- sent (( beaucoup d'âmes )) (10). Vers 405, un Auditeur de Rome,

(i) l\ L., l.XV, :^3 unaih. lo, :>.o cl -m. Cf. Maiisi, Vlll, 701-70.^1.

{•).) LU). PouL, vd. DiH"lu>sn(>, I. I, p. i(u). noi. 3.

(3) Cad. Thcod., XVI, 5, o.

(Il) De nwr. Mcni., 7/,. Cf. Conl. Faust., V, 5.

(5) Conf., V, 19.

(()) Conf., V, 23, (■/)/■/.

(7) Voir par exemple Epist., XXIII, 11 cl \1>II, I2i3.

(8) In Epist. ad Tim. 2^''\ \\, à- (.9) In Epist. ad Tim. 2^'", III, 6. (10) Hacr., 33.

PROPAGATION DES ÉCRITURES MANICHEENNES 65

nommé Secundin, écrit à l'évêque d'Hippone, pour essayer de le ramener à Torthodoxie dualis'e et il invoque le .témoi- gnage de Mani avec celui de Paul (1). En 443, saint Léon constate que la secte garde dans sa Ville de nombreux adhé- rents, qui y ont été amenés en partie par les « bouleversements survenus dans les autres régions» (2). Il fait rechercher leurs manuscrits et il en saisit des a masses considérables » (3). Assez longtemps plus tard, les papes Gélase (492-496), Sym- maque (498-514) et Hormisdas (514-523) retrouvent devant eux les mêmes hérétiques avec les mêmes livres (4). Encore à la fin. du vi^ siècle, Grégoire le Grand en débusque certains dans ses possessions de Sicile (5) et dans un diocèse du fond de la Calabre (G), Selon sa remarque, ces hérétiques sont venus de l'Afrique. Beaucoup de ceux qu'a connus saint Léon étaient originaires de même région, d'où ils avaient été chassés par les Vandales (7). Déjà au temps d'Augustin les Manichéens de Rome entretenaient des relations étroites avec ceux de Car- thage ((S). Sans doute leurs devanciers étaient-ils venus du rivage africain plutôt que du continent oriental.

Le Manichéisme parait avoir été moins répandu dans les contrées situées à Test de l'Adriatique qu'à travers les autres parties du littoral méditerranéen. Cependant, encore il a réussi de bonne heure à se faire connaître. Près de Salone, en Dalmatie, a été trouvée récemment une inscription grecque mutilée, qui a être rédigée soit à la fin du iiF siècle, soit au commencement du iv®, et il est fait mention d'une « Bassa, Vierge Lydienne Manichéenne», c'est-à-dire d'une Elue, origi- naire de Lydie, venue peut être en mission sur la côte dalmate (9). Dans la première partie du vi'^ siècle, au cours d'un commen-

(i) Eplsl. ad AugusL, i /(/). P. L. , XLII, 578.

(2) Senh., XVI, 5.

(3) Prospcr, Chronicon, P. J^., LI, Ooo et Monum. Gcnn. nnl.. Citron. Min., éd. Mommsen, t. I, p. 479-

(4) Lih. Pontif., éd. Duchesnc, t. 1, p. 255, 261, 270-271.

(5) Epist., VI, 8.

(6) Epist., II, 37.

(7) V. supra, p. 62, nol. 7.

. (8) Couf., V, 3, i4.

(9) Fr. Cumont, Recherches sur le Manichéisme, p. 175-177, L'inscription de Salone.

66 LES ÉCRITURES MAINICHÉEX.XES

tairo du Manuel d'Epictète, un des derniers représentants de récole d'xVthènes, le philosophe Simplicius, résume en termes très précis les idées professées par les disciples de Mani et notamment par a un de leurs auteurs », puis il les critique longuement, sans doute parce qu'il sait que les œuvres dont il parle jouissent autour de lui d'une assez grande vogue ( 1 ).

Mais c'est surtout en Asie ^Mineure que les Ecritures mani- chéennes ont trouvé des lecteurs. Elles ont pu y pénétrer aisé- ment par la Mésopotamie et la Syrie et elles y ont été d'autant mieux accueillies que la littérature gnostique y comptait depuis longtemps de nombreux partisans. Basile de Césarée (2) et Gré- goire de Nysse (3) ont cru devoir consacrer à leur enseignement une étude spéciale, peut-être motivée par la propagande d'Eustathe de Sébaste (4). Peu après eux, Diodore de Tarse a écrit sur le même sujet jusqu'à 25 livres, discussion des textes tenait une très grande place (5). A la fin du i\' siècle, en dépit de toutes ces attaques, la nouvelle hérésie était connue non seulement en Lydie mais en Paphbigonie (6).

Plus de cent ans après nous voyons le Manichéisme recruter de nombreux adhérents parmi les hautes classes de la société byzantine (7). Tour à tour"Anastase ï (8) et Justinien (9) s'ef- fraient de ses progrès. Sous le premier de ces empereurs, Héraclien <le Chalcédoine consacre vingt livres à l'examen de V Evangile, des Géants ei du Trésor de Mani (10). Sous le règne suivant, Paul le Perse, dans une Controverse avec le Mani- chéen PhotiiKW), et Zacharie le Rhéteur, dans sept libelles (12).

(i) Simplicii, Commenl. in Epict. Encitir., éd. Sclnveighaouscr. Leipzig, i8oo, in-8°, p. î!6.4-3oC.

h) Augustin lui iittiibuo une réfutation du "Sfan ichéismo (Co/îf. Julian., h i6).

(3) P. G., XLVl, 542. Cf. ibid., XLV, 29 et 208.

(4) V. supra, p. 60.

(5) Photius, Biblioth., Cod. 85.

(6) Augustin, De nat. boni, /17.

(7) V. Nau. Analyse de parties inédites de la chronique de Jean de TeUmaré. 'Paris, 1898, in-80, p. 69.

(8) Cod. Justin., I, 5, 11.

(9) Cod. Justin., I. 5, 12. Cf. Malalas, Chronogr., p. Aao et Jean de TeUmaré, chez Nau, op. cit., p. 59.

(10) Photius, Bibliolli., Cod., 85.

(11) P. G., LXXXVIII, 528-55i.

(12) V. infra, p. G7, nol. 2.

PROPAGATION DES ÉCRITURES MANICHÉENNES 67

discutent longuement les théories exposées au cours de ces ouvrages. L'un et l'autre croient devoir soumettre aune critique minutieuse un manifeste consacré à la démonstration de la doctrine des deux Principes (1) que des Manichéens ont jeté furtivement dans la boutique d'un libraire (2). Ce dernier incident montre que les écrits continuent de jouer un grand rôle dans la propagande hérétique.

Dans le traité Des Sectes, composé dans la moitié du vi^ siècle, Léonce de Byzance constate que les partisans de Mani rejettent certains écrits de l'Ancien Testament et qu'en revanche ils en admettent d'autres qui n'appartiennent pas au canon orthodoxe, par exemple VEvangile de Thomas et celui de Philippe (3), D'après un livre De la récep- tion des hérétiques, rédigé un peu plus tard par Timothée de Constantinople, « les Manichéens haïs de Dieu introduisent des livres démoniaques, qui sont 1) l'EvaJigile vivant, 2) le Trésor de vie 3) le recueil des Lettres 4) celui des Mystères, 5) l^Heptalogue d'Agapius, 6) le livre des Prières, 7) celui des Principes (Kephalaia) , 8) celui des Géants, 9) r Evangile de Thomas, 10) l'Evangile de Philippe, 11) les Actes de l'Apô- tre André, 12) la i^^^*^ lettre aux Laodiciens. 13) les préten- dues Enfances du Seigneur, qu'ils ont composées pour avoir l'air d'affirmer son Incarnation, ce qui n'est point vrai )) (4). A la même époque et au même milieu se rattache sans doute une formule grecque d'abjuration un Manichéen converti dit anathème « à Manès ou à Manichée, à ses idées 'et à tout ce qu'il a enseigné et écrit, à tout ce qu'il rappelle et a mis en avant, savoir à l'Evangile qu'il appelle vivant et qui |donne la mort, à son Trésor de vie qui est un Trésor mortel, au livre des Epitres, a celui des Mystères qui a été composé dans le but de détruire la Loi et les Prophètes, au traité des Géants, à l'Hep- /a/o(^U6 d'Agapius et à Agapius lui-même, à tout livre de ces gens et à toutes leurs prétendues Prières, qui ne sont que des superstitions,... à Zaradcs, à Bouddas et à Sc3-tl]icn, ancêtres

(i) P. C;., LXXXV, ii43-ir44 et Pitra, Anal. sacr. cl class. Paris, 1888, pars i'^, p. C7-70.

(2) Introduction à l'œuvre de Zacharie, rédigée par un contemporain et pnlilléc par Mercati, Per la vita e gli scrltti di Paolo il Persiano, p. 8.

(3) P. G., LXXXVI, i2i3.

(4) P. G., LXXXVI, 21.

68 LES ÉCRITURES MANICHÉENNES

des Manichéens,... à Sisinnius, successeur de Manès, à Addas et Adimante, que ce dernier envoya en diverses contrées du monde,... à Hierax, Héraclide et Aphtonius, exégètes et com- mentateurs de cet homme profane et impie, à Thomas, Zaro- uas et Gahriahius,... à Marcion, Valentin, Basilide et quiconque ose blasphémer l'Ancien et le Nouveau Testament, à quiconque rejette Moïse, les Prophètes et leurs écrits (1) )). ' Toute cette littérature a joué un rôle assez important dans les controverses théologiques qui ont longtemps agité le monde byzantin. Orthodoxes et hérétiques se reprochaient tour à tour d'en subir l'influence. Déjà vers 425, dans une critique dun livre d'Augustin, Julien d'Eclane dit avoir reçu de Constanti- nople une Epttre de Manichée à la Vierge Ménoch qui expose une théorie de la concupiscence étroitement apparentée à celle de Tévêque d'Hippone (2). Un siècle plus tard, dans un traité Des deux Natures adressé à Timothée le scolastique, Eustathe le moine cite un passage d'une a Leltre à Addas » et d'une autre « à Seythien », le même hérésiarque professe déjà la thèse monophysite (3). Vers la fin du vi^ siècle, dans une œuvre analogue, Euloge d'Alexandrie allègue encore ces deux textes en attribuant le premier, sans doute par erreur, au Gnos- tique Valentin (4). Un recueil anonyme de témoignages ecclésiastiques intitulé Doctrine des Pères sur l'Incarnation du Verbe, qui a être rédigé entre 662 et 679 invoque à son tour un passage d'une Epitre de Maires le maudit à Kondaros le Sarrasin et deux autres d'une Epitre de Mânes le Persan à Zebenas (5). Environ 150 ans après, dans ses traités Contre Eusèbe (6), Contre Epiphanide (7), Contre le grand Concile Icono- claste (8), Nicéphore de Constantinople exploite aussi ces

(i) J. Cîoar, Euchologion. Paii>, lO/t;, iii-fol., p. SSô-SSC) et P. Ci., C. i,'vji-i3a5.

(a) Cottl. JuJiiin. op. unperi., III, lOO, 172 et suiv.

(3) A. Muï, Script, vet. uov. coll., t. Vil, p. •.>77.

(/() Phofiiis. BibL, Cad., :>.3o. '

(5) A. Maï, Script, vri. iior. coll., t. VII, p. 17 cl (h)-7o : Fr. Diekamp, Doctrind Patrum de Inciirfuitionc \\'rbi. Miinslcr, 1907, S^, p. 58, 176, 3o6.

(G) Pili'a, Spicilcij. SoIcsdi., I. I. p. /|()5-/|()() cl 433-/|3/j.

(7) Pili-a, Spicileg. Solesm., I. IVj p. 3Go et 378.

(8) Aîamiscrit incdil de la lîihliolluNpic Nalionalc. l'onds Cdislin. ()3. fol. -.iib.

PROPAGATION DES P:CRITURES MANICHEENNES

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derniers documents et celui de la Lettre à Addas. Sans doute en utilisait-il un certain nombre d'autres dans un traité depuis longtemps perdu, Contre les Juifs, les Cataphryges et les Mani- chéens, qu'il a composer vers 845 (I).

Un demi siècle plus tard, les écrits de Mani et ceux de ses disciples étaient encore assez lus pour que les théologiens de Byzance y vissent un danger pour leur foi. Entre 867 et 87i un compilateur anonyme faisait un recueil des principales réfu- tations qui en avaient été données par les apologistes antérieurs et il le dédiait en vers pompeux à l'empereur Basile, qui menait alors une guerre acharnée contre les partisans de la foi dua- liste (2). Vers le même temps a paraître une Histoire des Manichéens qui accorde une grande attention aux livres de la secte et dont nous possédons quatre éditions légèrement dif- férentes attribuées à Photius ( J), à Pierre de Sicile (4), à Georges le Moine (5) et à Pierre Hégoumène (6V Les deux premiers auteurs l'ont fait suivre d'une longue critique des doctrines expo- sées dans les nouvelles Ecritures (7). Enfin une nouvelle formule d'abjuration, qui semble calquée sur l'œuvre de Photius et qui peut venir du célèbre Patriarche, passe en revue les principaux textes sacrés dont font usage les hérétiques. Elle anathématiso (( tous les enseignements et écrits de Manès, son livre des EpUres et tous les autres livres des Manichéens, leur Evangile mortel, qu'ils appellent vivant, leur Trésor de mort, qu'ils intitulent le Trésor de vie, leur livre dit des Mystères, ils s'efforcent de détruire la Loi et les Prophètes, celui des Choses cachées (Apokrupha), celui des Mémoires, les écrits d'Addas et Adimante contre Moïse et les autres Prophètes, l' Heptalogue d'Agapius et le livre d'Aristocrite intitulé Théosophie... ». Après avoir formulé un nouvel anathème contre « le père de Manès, Patekios... et sa mère Karossa )), elle réprouve aussi

(i) .Mrephori vita, aG. P. G., G, 69 vi note 2.

(2) A. Brinkmann, Alexandri Lycopol. conL Mauich. opin. disput. Lcip zig, 1895, p. xvi-xxv.

(3) P. G.. GII, 16-8/1.

i) P. (;., civ, ii.''io-i.'^o/i.

T)) P. (;., ex, 553-557 (>t S8/1-892.

(6) Publié par Gieselcr en appcnclicc^ à VHlsioire des Mniilchéens de Pieii e de Sicile, Gottingen, i846, /j°.

(7) P. G., GIT, 85-204 et GIV, i3o5-i3/i9.

70 LES ÉCRITURES MAMCHÉENNES

<( Hiérakas, Héraclide et Aphtonius, commentateurs et exégètes de ses œuvres, Sisinnius, le régent de sa folie et Thomas, l'auteur de l'Evangile du même nom » ainsi que « tous ses autres disciples... Boudas, Hermas, Zarouas (Zakouas?), Gabriabius,... Hilaire, Olympius,... Zalmaius, lannée, Paapis, Baraias », sous les noms desquels d'autres œuvres ont sans doute circulé (1).

Ces derniers documents de l'orthodoxie byzantine visent directement une secte particulière, celle des Pauliciens, qui est née et qui s'est développée surtout en Arménie. Les livres saints du Manichéisme ont pénétrer de bonne heure dans la même région, Bardesane leur avait déjà frayé la voie (2). Peut-être y ont-ils été lus du vivant de Mani ou de ses premiers disciples, car une des Epitrcs dualistes énumérées par An Nadim était adressée (( aux Arméniens » (3k En tout cas, ils y étaient connus dès le V siècle. Un auteur de ce temps, Esnig de Golp, évêque de Pakrévant, parle, dans son traité Des Sectes, de la doctrine des « deux Racines », exposée par les « Zandiques » disciples de l'hérésiarque persan, et il la rapproche de celle des « Mages ». qui font venir de Zervan les deux Prin- cipes contraires Ormuzd et Ahriman (4). Vers 590, des mission- naires travaillèrent activement à la propagation des mêmes Ecritures: (( A cette époque vinrent en Arménie, dit l'historien Samuel d'Ani, des Syriens à la parole de miel, qui voulaient y semer les doctrines de Nestorius. Ils furent anathénritisés et chassés, Mais certaines gens les accueillirent et traduisirent leurs livres mensongers, savoir le Kaiirdosag, le Kurmkosag, la Vision de Paul, la Pénitence dWdam, la Diathéké, YEnfance du Seigneur, le Sébios, la Grappe de bénédiction, le Livre ouvert, V E.rplication de l' Evangile de Vani (5) ». C'est à la fin du vu* siècle que parut l'hérésie paulieiennc. Fondée par Paul fils de Callinice et par son frère Jean, tour à tour représentée par Constantin et Siméon, par un autre Paul, ses deux fils Gégné- sius et Théodore et son petit-fils Zacharie, par un certain Joseph

(0 P. (;., I, l'iCf)-! '|{is.

(•>,) V. supni, p. i"). iiol . ''i. [^) Fliij>('l, Mani, p. loH.

(/i) V. I.aiifjlois, CollecL des hislor. (Uic. cl niod. de V \nn. Paiis, iSCx). iIl-/|^ 1. 11. |). .'^7().

(5) Jouni. Asinl., 1853, I. 11. ]>. /iSo cl P. G.. \1\. (i8ô-(;S(>.

PROrAGAJION DES ECRITURES MANICHÉENNES 71

et son disciple Baanes, enfin par Sergius et Thëodote, elle recruta de très nombreux adeptes, qui eurent beaucoup de peine à s'accorder entre eux, mais qui s'entendirent toujours à merveille contre les Catholiques (11. Or ces gens avaient aussi leurs livres sacrés. Ennemis déclarés de l'ancien Testa- ment, ils admettaient, moyennant certaines retouches, les quatre Evangiles et les Epilrcs de Paul dont ils faisaient le plus grand cas (2). Ils lisaient aussi des textes plus récents, par exemple plusieurs lettres de Sergius citées par Photius (3). Et ces derniers écrits reproduisaient la substance du dogme de Mani ,tout en s'appliquant à lui donner une forme orthodoxe, pour mieux le faire accepter dans les milieux chrétiens (4).

Dans le courant du ix*^ siècle, beaucoup de Pauliciens passèrent de l'Arménie chrétienne, ils étaient pourchassés par le pouvoir civil, dans la province musulmane de Mélitine, dont réniir leur fit bon accueil (5). Déjà plusieurs siècles aupa- ravant, un grand nombre de leurs devanciers, fuyant la persé- cution de Justinien, s'étaient réfugiés dans les Etats du roi de Perse Chosroès (6). C'est que par delà les limites de la Chrétienté la religion de Mani restait toujours extrêmement vivace. Ses livres saints devaient y circuler jusqu'à une époque très tardive depuis les rives du Tigre et de l'Euphrate jusqu'à celles de rindus et du Fleuve Jaune.

II

Nulle part, sans doute, la littérature manichéenne n'a été plus lue que dans le pays de l'Irak^ elle a pris naissance, et dans les contrées voisines, elle s'est d'abord répandue. De bonne heure, elle y a inspiré plusieurs sectes dans lesquelles la foi dualiste survivait sous des formes nouvelles.

D'après un auteur chrétien du viii^' siècle (7), sous le règne du roi sassanide Firouz (458-484), un certain Battaï, élevé dans

(i) Photius, Cont. Mon., i, 2-/|, iG-27.

(2) Pholius, op. cil., ], 3, iG.

[S) Photiii>', op. cit., 1. 22.

(/i) Photius, op. cit., 1, /i-io.

(5) Photius, op. cit., ], 2^.

((')) Chabot, Synodicon Orieninte, Paris, 1904, /|°< p. 5S5.

(7) Throclorr bai'-Khôui chez II. Pognon. Inscr. niaiid., p. 221-22/j.

72 LES ÉCRITURES MANICHÉENISES

le groupe gnoslique des Kantéens (1), par son maître Papa, de la famille des Klilayès, natif de Gaoukaï (2) », passa chez les disciples de Ma nés, il « recueillit et mit en ordre quelques- uns de leurs discours et quelques bribes de leurs mystères magiques ». IHiis il enseigna une nouvelle religion, dans laquelle il expliquait, à son tour, comment les Puissances des Ténèbres, soulevées contre le Royaume lumineux et contre son réprésentant, « le Seigneur Dieu », avaient formé le monde, ainsi. que le premier- homme, et comment le '< Fils de la Lumière » s'était ap[)]i(jué à dégager lésâmes emprisonnées par eux au sein de la matière (3). De même, un (( mendiant » de l'Adiabène, nommé Ado, sétant établi dans la Mésène. près du fleuve Karoun, y prêcha unc^ doctrine empruntée aux Mani- chéens comme aux Kantéens et aux Marcionites et conservée dans la même ('ontré(* j)ar les Mandéens et dans l'Irak par des (( Nazaréens partisans de Dostaï » (4). Si ces renseignements ont quelque valeur, les initiateurs de celle double réforme avaient cert;iinement lu les livres de Mani. VA ils ont en composer eux-mêmes plusieurs autres, car. le résumé qui nous est donné de leur enseignement paraît emprunté à des textes officiels

Sous le règne de Kobad (488-531) et de Khosrau Anôchè- Rèwàn ou Chosroes 1 (;J31-;)70), un autre novateur, nommé Mazdak, exposa à la cour et au peuple de Perse, dans ses pré- dications et dans un nouvel ouvrage^ dont le titre ne nous est point connu (o), un dualisme étroitement apparent('' à celui du Trésor ou du traité des Prùiripcs ((>). Lui aussi dut faire un grand us.ige de la littt'rature manichéenne. Or il laissa

(i) ('.es Kaiilrcris pivlciulaicnl Iriiir leurs doctrines d'Abel (Poijnoii. op. cit., p. :v.w). Sans doute se rattachaient-ils aux Séthitcs qui vouaient un culte spécial à ce niènu' I^aliiarclie.

{•j.) Ce nom désiu^nait ancienncuHMd la région compris(> entre \c Tigie ef, la frontière persane, an snd de Klianikin et à l'est de Ctésiplion (^ . Pognon. op. cit., p. 9, not. 9.).

(3) Pf ij-r'.on, op^ cit., p., :^iu-2:>/|.

(4) Pognon, o/). cit., p. r>:>/|-^^7-

(5) Le (( livre dv Ma/dak » i st utentionné par An Madinj, dans le FihrisI, à proj)os de ^\l)(lal!ali ihn al-.Moqalïa'^. Voir Sacy, ,\o//('c.v et cxtrciHs, l. X, (i8i8), p. 9M.

(()) V. Sharaslàni, licliyiiinspdrlcirit mut PhiUisophciiscImlcn . I:ad. II;^ir- l)i-iickcr. Halle. i85(>. t. 1. p. :).()i.

I

PROPAGATION DES ÉCRITURES MANICHEENNES 73

après sa mort de très nombreux disciples qui portèrent son nom et ne purent manquer de suivre son exemple (1).

Après la conquête musuhnane, sous le califat de Walid fils d'Abd:ilmalik (705-715), ou celui de son père Hischam (724-743) (2), un l^lu, nommé Zadhourmouz, fonda à Madaïn, en compagnie d'un secrétaire de l'ancien émir de l'Irak Haddschàsch ben Yousouf, une nouvelle secte qui se piquait d'observer la règle de Mani plus strictement que l'Eglise offi- cielle (3). Le groupe lui survécut et fut successivement dirigé après lui par iMiklas, |)ar Bouzourmihr, par lazdanbacht, par Abou- Alî Saïd, par le secrétaire de ce dernier Nasr ben Hourmouz, de Samarkand et par Abou1-Hasan de Damas (4). Dans ce milieu très traditionnaliste, la littérature manichéenne était sans doute lue plus encore qu'ailleurs. A leur tour les nouveaux tiissidents durent beaucoup écrire, car plusieurs des œuvres dualistes énumérées par An Nadim semblent consa- crées à leur réfutation (5). D'après un historien arabe, (( lazdanbacht affirme dans son livre que le premier des Pro- phètes a été Adiim, puis Seth, ensuite Noë ; il ajoute que Bouddha a été envoyé dans l'Inde, Zaradouscht en Perse, Jésus en Occident et qu'enfin est venu Mani., le Paraclet, comme le sceau des Prophètes et le guide des Justes (6) ;). Ce texte ne montre pas seulement que l'Imam schismatique a exposé par écrit les doctrines de sa secte, mais encore qu'il suivait de piès le Sliâpourakdn , la même idée était exposée en termes analogues ; peut-être aussi qu'il a connu lui-même des Oracles d'Adam, de Seth, de Noë, de Bouddha et de Zoroastre, avec ] es Evangiles chrétiens.

Malgré les vides faits dans ses rangs, le Manichéisme officiel restait toujours très florissant. Les Imams orthodoxes de Baby- lone jouissaient d'une telle autorité qu'entre 724 et 738 l'un d'entre eux, nommé Mihr, reçut les distinctions les plus flat- teuses de l'émir de l'Irak Chàlid ben Abdallah al-Kasrî. C'est

(i) Ibidem, p. 293, . (2) Flligel, Mani, p. 97-98 et p. 819-322.

(3) Flligel, Mani, p. 99 et 328.

(4) Flûgel, Mani, p. 98-99 et 327-329.

(5) V. supra, p. 3o, 2 et p. 3 1, 5 et 6.

(G) Ibn al-Mourtadâ, chez Kessler, Mani, p. 354-355.

/•* LES ÎXRITI HES MAMCHEEN.XES

même spécialement pour ce motif que les « Miklasites » se séparèrent fl ). Les « Mihrites )) eurent ensuite d'autres chefs éminents, par exemple Abou HiUil ad-Deihourî, (jui sous le califat de Mansour (754-775), s'appliqua à réparer h' schisme de Miklas, et Abou-Sa ïd Raha, qui combattit un ])eu plus tard celui de Bouzourmihr (2). Or plusieurs de ces papes manichéens prirent la plume contre les dissidents et leurs œuvres entrèrent dans le canon officiel de l'Eo^lise. La liste des Ecritures dualistes donnée par An-Nadim mentionne un certain nombre d'encycliques d'Imams, qui doivent dater de cette époque, notamment une (( Lettre dur Atiditeiirs sur l'Ex- plication des songes de lazdanbaeht », dont le titre indique approximativement la date (3). Chez les Orthodoxes aussi bien que chez les Schismatiques, les textes sacrés jouaient donc un grand rôle.

A la l)ase de cette littérature se trouvaient d'anciens tra- vaux guostiques. Un évoque melchite de Harran, Théodore abou Karra, ou évoque de Carrhes, qui écrivait dans la seconde moitié du \u\^ siècle, fait dire aux « Zandi(|ues » : a Le véri- table Evangile, est celui que nous possédons, celui que les

douze Apôtres ont rédigé et personne n'en comprend le

sens en dehors de Mani, notre Mîiitre (4) )). Or une œuvre du même genre avait déjà cours parmi les disciples d'Elchasaï, chez qui l'hérésiarque s'était d'abord formé (5). Dans ses Dialogues,' Jean Damacène donne aussi à entendre que les Manichéens de Damas et des régions voisines font usage de la Bible chrétienne (G).

Cependant, au sein de rislamisme comme à travers la Chrétienté, c'étaient surtout les écrits de Mani qui réglaient la foi de ses fidèles. On continuait, dans certains milieux, de les lire en leur texte original. Un certain Théodore^ qui rédi- geait en 791 un « Livre de scholies », a les connaître en syriaque, car il écrit en cette môme langue et il en donne

(i) An Nadim. chez Fliiiicl, Mani, [>. 99. (:0 An Nîuliiii, chez Flu^^cl, Mani, p. 98-99. (o) Fliigel, Mani, p. io/i (n*^ 59).

(/i) Triklat iihçr dcn Scl}(")pfe.r und die irltare lirliiiioi} lr;ul. Gooi«i-. (irai', Miinst;'!-. 1918, 8°, p. 27.

(5) Y. supra, p. 5, not. 8.

(6) Dinl. ronl. Man., 70 inil. P. G.. XCiV, loGS-

PROPAGATrON DES ECRITURES MANICHEENNES / »>

d'assez nombreux extrnils au cours de son ouvra^'-e ( 1 ). Or il appartenait au « pays de Kashkar » (2), c'est-à-dire à un district de l'empire islamique situé sur les bords du Tigre, autour de la ville de W'âsit, sur l'emplacement de laquelle s'élevait jadis la cité persane de Kashkar (3). Ce Théodore était chré- tien. Il s'identifie sans doute avec un personnage du même nom, surnommé bar Khôni, dont d'autres textes font un évêque de Mésopotamie (4).

Les Musulmans parlaient plutôt l'arabe. Les livres de Mani devaient donc être traduits dans cette langue pour pouvoir librement se répandre chez eux. Sous le califat des Ommyades, une telle traduction n'était guère possible. Les livres étran- gers .à l'Islam étaient alors rigoureusement prohibés. Mais, sous la domination moins strictement nationaliste des Abbassides, un certain nombre parvinrent à s'imposer. Leur pénétration s'opéra surtout au temps de Mehdi (775-785) : « Sous son règne, dit Mas'oudî en parlant de ce souverain, les hérésies religieuses parurent et s'affirmèrent après la publicalion des ouvrages de Mani, de Bardesane et de Marcion, traduits du parsi et du pehlvi en arabe par Abdallah Ibn al Moqafïa, et par d'autres savants. A la même époque parurent les livres de Ihn Abi'l-Ardjà, de Hammad Adjied, de Yahya ben Ziad et de Monti ben Yiâs, continuateurs des sectes manichéennes, deïsanites et marcionites. L'athéisme fît son apparition et se propagea rapidement (5) )).

An Nadim connaît aussi une abondante floraison d'ouvrages dualistes qui ont paru vers la même période. Parlant du temps des x\bbassides, il écrit en effet : « Parmi les chefs Mani- chéens, adonnés à la Scolastique, qui se convertirent extérieu- rement à rislam, mais adhérèrentintérieurement à l'incroyance,

(i) Ces extraits se lisent dans une « cnumération des sectes » insérée dans cet ouvrage et traduite pat Pognon, Inscr. mand., Paris, 1898, p. io4 et suiv., Ils ont été spécialement étudiés par Franz Cumont, Recherches sur le Manichéisme, I La Cosmogonie manichéenne d'après Théodore bar Khôni, Bruxelles, 1908, 8°.

(2) Pognon, op. cit., p. 106.

(3) FRigcl, Mani, p. 20-25.

Cl) V. Lcwin, Die Scholien des Theodor bar-KIiôni zur Patriarchen-Ges- chichte, Hcidclberg, 1896, p. XV-XVIÏ. Cf. Duval, Litt. syr. édition, p. 3Gg, et Fr. Cumont, BecJi. sur le Man., p. i, n. 2.

(5) Les Prairies d'Or, trad. Barbier du Meynard, t. VIIL p. 298.

76

LES ECRITURES MANICHEENNES

les principaux sont : Ihn Tàloul, Ahou-Schàkir, Ibn Achî Abî ScliAkir, Ibn al A'dâ al Harizj, Nou'mân Ibn Abi'l-Ardjâ, Calih Ibn Abou' l-Q;id(lous. Tous ces gens écrivirent des livres pour la défense des deux Principes. Parmi les poètes on nomme les suivants : Baschschâr ben Bourd, Ishak ben Chalaf, Ibn Sinâna, Salim al-Cbàsir, Ali ben al-Chalîl, Ali ben Tâbit, qui connurent aussi Abou Isa al-Warràk, Abou'l-Abbas an Nàscbi, al-Dscboubhânî, Mohamiu(Ml ben Abmad (1) )). Le nombre de ces auteurs Manicbéens dont certains s'acquirent un assez grand renom montre assez (juclle influence exercèrent les versions arabes des ouvrages du Maître.

Le traducteur Abdalhib Ibn al-Moqaiïa était dans la ville d'Houz, capitale de la pi'ovince d(^ Fars. Il possédait à fond le persan et l'ariibe et il traduisit de la première langue dans la seconde divers autres ouvrages, notamment le « livre de Mazdak », celui de Kalila et Dimna, celui de La Couronne, qui racontait la vie de Cliosroès, le Khodai-narnch, recueil de bio- grapbies des rois de Perse, deux traités de belles-lettres et un autre ouvrage intitulé La ])erle non pareille. Ces versions étaient renommées pour leur élégance ('Il Mais elles glosaient assez librement les textes. Celle du livre de Kalila et Dimna conte- nait même tout un cliapitre additionnel, destiné à répandre la foi manichéenne (,T). D'après le témoignage d'historiens arabes, Ibn al MoqafTa avait abjuré sa première foi et professé l'is- lamisme entre les mains d'Isa ben 'Ali, oncle paternel des deux premiers califes abbassides, dont il était le secrétaire. Mais il était aussi attaché de cœur à la « doctrine des Zan- diques» et accusé comme eux d'athéisme. Mehdi disait de lui : (( Je n'ai point trouvé de livre athée dont l'origine en remonte à Ibn al-Moqaiïa » (4). Une légende rapportée par Tabari nous le montre préoccupé d'opposer au Coran des Ecritures nou- velles et plus parfaites: « On rapporte, dit le célèbre historien, que les chefs de la secte des Zandiques s'étant réunis dirent

(i) Flïigcl, Mani, p. 107.

(2) An Nadim, cité par Silvostro de Sncy dans \o(ici's et extraits des ma- nuscrits de la Bibliothèque du Roi. t. X (1818), p. aOG. Voir les autres au- teurs cités sur le même sujet dans la suite du texte.

(3) Biroimi, India, trad. Saeliau, I, 169.

(/|) Ibn Khilcan et Nikki ben Masoud, cités par Silvestre de Sacy, Notices et extraits... IX, i55, 160.

PROPAGATION DES ECRITURES MANICHEENNES //

entre eux : « De toutes les institutions musulmanes établies par Mahomet il n'y en a point de plus solide ni de plus importante que le Coran. Les Musulmans vantent le beau langage, la parfaite disposition et les nombreuses sentences de ce livre et prétendent que ni avant ni après la révélation aucun orateur, poète, traditionniste, aucun des célèbres au- teurs arabes n'a pu produire une sourate aussi belle que celles du Coran... Il faudrait faire un livre pareil et montrer au monde que nous avons été aussi habiles en beau langage que Mahomet. » Kn conséquence quatre personnages, à savoir Abdallah fils de Moqafîa, Calih, fils d' Abou' 1-Qaddous, Abdallah fils d'Obeïdallali et Abdallah fils de Dâoud fils d Alî fils d'Abbas, se concertèrent pour composer un livre comme le Coran. Tous les quatre savaient parfaitement manier la langue arabe. Mais le plus distingué d'entre eux était le fils de MoqafTa qui, de fâveu unanime des auteurs de son temps surpassait tous les autres par l'élégance de sa prose. Aussi fut-il choisi par les trois autres pour s'occuper de la rédaction et du style du livre qu'ils voulaient composer ». D'après la suite du texte de Tabari, toutes sortes de facilités lui furent données pour mener son entreprise à bonne fin. Il s'enferma chez lui et se mit résolument à l'œuvre. Or, au bout de six mois il n'avait pas réussi à mettre sur pied une seule sourate qui pût être comparée à la moins parfaite de celles du Coran {i ). Quoique légendaire, ce récit doit renfermer une certaine part de vérité. Il a sans doute été inspiré par le travail de traducteur auquel Abdallah s'était livré sur les livres saints du Dualisme qu'il voulait opposer à l'Islamisme.

Dans leur version arabe, les écrits de Mani ont été très lus. Plusieurs écrivains musulmans en parlent avec connaissance de cause. Dès la première moitié du ix^ siècle, le savant Mota- zélite Al Gahiz montre qu'il les a parcourus et il atteste que les Zandiques en font des copies nombreuses et soignées (2). Environ cent ans plus tard l'historien Mas'oudî, de Bagdad, en mentionne plusieurs, savoir le traité des Géants, le Shâ- pourakân, le Jmor etle FJvre des livres {sajr cl sa far), sans doute

(i) Tubari, Clwonique, trad. Zotcnberg, Paris, 1807-187/1, 8°, t. IV, p. 45o-453.

(2) Kessler, Mani, p. 365-369.

6

78 LES ÉCRITURES MANICHEENINES

identique avec celui des Mystères. Il signale môme deux cha- pitres des deux derniers ouvrages (1 1. Vers la même époque, son compatriote An Nadim donne les « noms des livres composés par Mani ». Il en compte sept, « un en persan et six en syriaque » qui sont 1) les Mystères, 2) les Géants, 3) les Préceptes pour les Auditeiu^s avec un chapitre de Préceptes pour les Elus, 4) le Shâpourakûn, 5) le livre de La Vwifkatiov, 6) le Farakmâtijâ (Pragmateia ?).!.)) Chemin faisant il reproduit la table de ma- tières du premier et du quatrième. Il annonce aussi celle de tous les autres, mais sans la donner réellement, au moins dans les exemplaires de son œuvre qui nous sont parvenus. Il signale ensuite 52 « titres des Epitrès composées par Mani et par les Imams qui lui ont succédé » et il y ajoute ceux de 24 « autres Epitres encore mentionnées » (2). Sans doute a-t-il trouvé tous ces écrits, sauf peut-être les derniers, connus par de simples « mentions », dans la riche bibliothèque de Bagdad, fondée par El-Mamoun.

Un autre écrivain du x^ siècle, Mahboud ( Agapius), évêque de Menbidj, semble avoir lu les œuvres de Mani, car il en résume la doctrine avec une précision remarquable et il en cite même quelques phrases (3). On peut en dire autant de Michel le Syrien, qui, de 1166 à 119y, gouverna l'Eglise jaco- bited'Antioche (4), et d'Abou'l-Faradj Bar-Hebraeus, qui admi- nistra cent ans plus tard celle de Mossoul(5). Sous la domina- tion des Seldjoucides, comme sous celle des Abbassides, la littérature manichéenne fleurissait donc au centre môme de l'empire islamique.

Sa fortune fut aussi durable et plus brillante encore au-delà de la Mésopotamie, depuis les rives du Tigre jusqu'à celles de rOxus ou Balch et de Tlndus. Déjà à la mort de Mani, beau- coup d'adeptes du novateur, pourchassés par Bahram, s'étaient

(i) Alas'oudî, ]a: Livre de Vavertissemenl et de la révision, trad. B. Carra <lo Vaux, Paris, 1897, 8°, p. 188.

{■2) Flii^ol, Mani, p. io2-io5 ot Kcssler, Mani, p. 179-239.

(3) Pairol. orient., t. V (1909), p. 534-535.

(1) J. h. Chabot, Ctironique de Michel le Syrien, Paris, 1900, !i°, p. 199-

201.

(5) Grep^. Bar-Hebraei, Chronicon ecctesiasticuni, éd. et Irad. J. B. Abbe- loos et Th. Jos. Lamy, Louvain, 1872, 8°, t. I, p. 59-62; Historia compen- diosa dynastiarum, éd. et trad. Pococke, Oxford, i663, 4°, p. 82-88.

1*.

I

PROPAGATION DES ÉCRITURES MANICHEENNES 79

réfugiés vers la frontière orientale du royaume persan (l).Ils s'élaient établis en grand nombre dans les contrées relative- ment paisibles du Khorassan et ils y avaient formé un groupe très actif. Ces émigrés, qui avaient tout quitté pour conserver leur foi, tenaient à la garder en sa forme et sa vigueur pre- mières. Bientôt ils reprochèrent à leurs coreligionnaires qui étaient restés sous la domination hostile des Sassanides et qui avaient recourir à certains compromis de ne plus pratiquer la vraie doctrine du Maître. Ils refusèrent de reconnaître rimam de Babylone et ils constituèrent une secte nouvelle, <îelle des « Dênâvârs )), qui eut son propre chef (2). C'est d'une ville du Khorassan, de Nischâbour, que vint Mazdak (3), dont la doctrine nétait guère qu'une interprétation particulière- ment étroite et rigoureuse de quelques théories esquissées par Mani (4). C'est de aussi que semble être parti le mouve- ment de renaissance dualiste qui se produisit dans le monde islamique au temps des premiers Abbassides (5). Les Mani- chéens établis sur les bords de l'Oxus reprenaient volontiers le chemin de la mère-patrie. A mesure que le pouvoir des Sassanides s'était affaibli, beaucoup avaient regagné les régions de l'Irak. Ils y étaient revenus en nombre croissant au temps des Ommyades, surtout sous le gouvernement de l'émir Al-Kasrî,qui leur avait fait le meilleur accueil, en leur deman- dant seulement de reconnaître l'Imam de Babylone (6). A l'avènement des Abbassides, qui n'avaient détrôné leurs devan- ciers que grâce à l'appui des Persans orientaux, certains d'entre eux furent appelés à jouer un grand rôle. Ainsi, les fils de Barmak, ou Barmékides, originaires de Balkh, qui passaient pour professer la religion des Zandiques, restèrent longtemps les hommes de confiance des nouveaux califes (7). Sans doute favo- risèrent-ils de tout leur pouvoir la difîusiondes livres de Mani.

(i) An Nadim, chez Fliigel, Mani, p. io5.

(2) An Nadim, chez Fliigel, Mani, p. 97-98 et io5.

(3) Tabari, Chronique, trad. Zotenberg, t. II, p. iliS.

(4) Sharastâni, Religionsparteien und Philosophenschulen, trad. Haar- brûcker, t. I, p. 293.

(5) Mas'oudî, Les Prairies d'Or, trad. Barbier de Meynard, t. VIII, p. 293. Cf. supra, p. 75.

(6) An Nadim, chez Fliigel, Mani, p. io5.

(7) An Nadim, chez Fliigel, Mani, p. 107.

80 LES ÉCRITURES MANICHEENNES

C'est du pehlvi et par un Persan que ces écrits furent tra- duits en arabe. Ils étaient donc très répandus à travers les contrées de l'Iran. Aussi voyons-nous leur doctrine vivement critiquée dans un traité mazdéen de la deuxième moitié du ix"" siècle, le Shikond goumanig Vidshar, dont l'auteur, un certain Martan-faroukh, répond aux doutes qui lui ont été sou- mis par un habitant d'Ispahan, en prenant successivement à partie les fausses religions d). Ces mêmes livres étaient parti- culièrement lus dans la région du Khorassan. Dans une his- toire universelle écrite vers <S72, le chiite Yaqoûbi, élevé en ce dernier pays, les signale en termes très précis. Il raconte que Mani a rédigé, outre de nombreuses KpUres, le Trésor de la vivificalion, le Schapourakdn, le Livre de h direction et de la conduite avec « les 12 (22) Evangiles », le livre des Mystères et celui des Géants et il résume en quelques mots chacun de ces ouvrages (2).

Sous le califat de Mouktadir (908-932), les Manichéens, pourchassés de l'Irak, affluèrent plus que jamais sur les fron- tières orientales de l'empire islamique. Ils s'établirent surtout à Samarkand, dans la région du Sogd et à Noukat, au pays d'Ilak (3). Le siège de l'Imam orthodoxe, trop menacé à Haby- lone, fut même transporté dnns la première de ces villes (4). Un peu plus tard 500 habitants y furent arrêtés sous l'inculpa- tion de Manichéisme (5). Vers l'an I.OOO la masse de la popu- lation y professait encore les dogmes dualistes (6). Les écrits de Mani devaient donc y être gardés avec un soin jaloux. Vers la même date, l'historien Birouni les trouvait à Khwarizim ou Khiva, sa ville natale. Dans une lettre adressée à un de ses amis, il raconte comment, en cherchant l'un d'entre eux, le (( livre des livres », dont le médecin Hhazi faisait un vif éloge, il a mis la main sur une collection contenant outre cet écrit^ le Farakmalijâ (Pragmateia t), le livre des Géants, le Trésor de

(i ) L'oin i;'>i;«' a vie édile el traduit par J^. \\ . \\ est dans le t. \\V des sacrcd Boohs ot ihc. Easf, Oxford, i885, 8°. Il on sera parlé avec plus de détails dans le dernier ehapilre.

(■>.) Kessier. Mani, p. 328-3'->().

ÇV) An ^adinl, eliez Fliigel, Mani, p. io5-io(i. Cf. Ibid., p. Sgg-^oo.

(/|) An Nadini, chez Fliï^el, Mani, p.

(;")) An \adini. cliez Klii^'el, Mani, p. io8.

(0) lUronni, (Utrunolocjiv, Irad. Sachau, p. 191.

PROPAGATION DES ÉClUTUllES MANICHÉENNES 81

la vivification, la Lumière de la Cerlitude et du Fondement, l'Evangile et le Sluipourakdn, de même qu'un certain nombre û'EpUres de Mani. Puis il ajoute qu'il a traduit en arabe l'ou- vrage désiré, dont il lisait sans doute une version persane (1). Près de cent ans plus tard, dans un Exposé des lieligions, rédigé à Gliazna, le Persan Abou' 1-Ma àlî donne à entendre que le fameux Ertenk de Mani se trouve dans cette ville (2). Encore dans la seconde moitié du xii* siècle, un autre écrivain de la même région, Abou' 1 Fath Mohammed ech Sharastani, à Sharistan, petite ville du Khorassan, cite plusieurs écrits de Mani, notamment le livre des Gcants et le SJiâpouraluui {',]), ainsi qu'un texte de l'Imam Abou-Sa ïd (4) et un exposé des doetrines de la secte fait par Abou Isa al-Warrâk, de son vrai nom Mohamme'l Ibn Haroun (5), un des « scolasliques » mahométans secrètement attachés à la foi dualiste (6). Il con- naît sans doute aussi le livre de Mazdak, car il donne un résumé très substantiel des doctrines de l'hérésiarque (7). Il ajoute que les Mazdakites se sont établis, sous le nom de Koudsakidjas, dans les régions d'Ahwàz (ancienne Susiane) puis plus à l'est dans celles de Fars et de Schahrozoûr, et, sous le nom de Abou-Moslimidjas, de Mahanidjas et d'Asbid- dschâmikidjas, dans le Sogd de Samarkand, le Schâsch (Tachkent) et rilâq, c'est-à-dire dans les régions de la Transoxiane (8). En ces divers pays les Ecritures dualistes ont été lues jusqu'à une date très tardive.

Dès le temps des Sassanides, les Turcs occidentaux s'étaient établis dans ces mêmes contrées. Entre 5G3 et 567, d'accord avec Khosrou Anoûschirwàn, ils avaient pris sur les Huns

(i) Chronologie vd. Sacliaii, Leipzig:, 1878, 111-8°, Inlrod. p. XXXVIII. Ce toxte a été tiaduit en partie par Kessier, Mani, p. 178-179.

(3) Kessier, Mani, p. 871.

(->) Beligionsparteien, trad. Ilaarbrûcker, t. I, p. 1^90.

(V) Ihid., p. LH)o-:^9i.

(5) Ibid., p. 285.

(0) An Nadim, cliez Flii^el, Mani, p. 107.

(7) RcAigionsparteien, t. I, p. 9.91-293.

(8) fhid.^ p. 290. On trouvera dans laGcographii' d'Ahoulfecta, trad. Rei- riand, Paris, 18/18-187.3, in-8°, d(>s renseignements préeis sur l'Ahwàz on Klioûzistàn {(. Il, partie, p. 83), sur le Fârs (p. 91), snr Sehalirozonr

p. 162), siii' \v Soo;lid de Samarkand (p. 210), sur le Sehâseh (p. 221), et •sur rilàq (p. 222).

82

LES ECRITURES MANICHEENNES

Hephtalites les fertiles régions du Schasch, du Fergahnah, de Samarkand, de Bokhara, de Kesch et de Nasaf, qui s'étendaient au-delà de TOxus (1). A la fin du vi® siècle, se retournant contre les rois de Perse, ils établirent leur suprématie au sud et à Touest de C(* fleuve sur le ïokharestan, Balkh, Badhaghir. Hérat et Talekan (2). Sans doute y adoptèrent-ils d'assez bonne heure la foi deMani.Un de leurs chefs Ti-cho ou Tes le Borgne devait dans la suite travailler à la propager jusque chez les Chinois (3).

Ceux-ci avaient été appelés vers l'Occident par les derniers monarques Sassanides, qui pensaient se servir d'eux pour repousser leurs nouveanx ennemis. De 657 à 059 et encore vingt ans plus tard, en 670, ils pénétrèrent dans les pays situés à l'est de la Perse et y firent reconnaître leur autorité (4). Turcs et Persans devinrent leurs vassaux. Grâce aux relations nouvelles qui s'en suivirent, les Ecritures manichéennes furent bientôt introduites dans l'Empire du Milieu.

Selon le témoignage d'un compilateur chinois du xiii® siècle, c'est en 694 que le premier ouvrage de Mani apparut en Chine. Cette année-là, nous est-il dit, « un homme du royaume de Posseu (Perse), nommé Fou-to-tan (c'était un homme du pays de Tats'in delà mer occidentale), vint rendre hommage à la cour en apportant la fausse religion du livre des Deux Priït- cipes )) (o). D'après son titre, que le chroniqueur a pris à tort pour un nom propre, ce Fou-to-tan était un haut dignitaire de la hiérarchie manichéenne (6). Sans doute apportait-il avec lui tous les livres saints de sa secte et non pas seulement celui des Deux Principes. Si l'auteur médiéval n'a mentionné que ce dernier ce doit être simplement parce qu'il n'en con- naissait point d'autre ou parce qu'il le regardait comme le principal.

Vingt-cinq ans plus tard, en 719, un autre Manichéen de

(i) K. Cliavainics. Docunieiils sur les Tou-hiue iTurrs) occidenlaux, SaiIll-P('tc^sboul•^^ nyy'S, /i°, p. :i:v.y.-iv2g.

(y) E. CluivaniU's, op. cit., p. 24C)-ii5i?-

(3) Chavanncs cl P(>lliol, Jouni. Asiat., ioi3, p. i5:vi55.

(V) E. Cliavanncs, op. cit., p. :<57-a58. v[

(5) K. CliavaiHKS cl P. Polliot, Jouni. Asiat., ioi3, j). i5o-i5i.

(()) E. Clia\aniies cl P. Pelliol. Joiiru. Asiat., iQiS, p. i5i.

PROPAGATION DES ÉCRITURES MAIMCHÉENNES 83

marque, un grand « mou-cliô ». était député auprès du souve- rain de la Chine par le vice-roi du Tokharestan Ti-cho ou Tes le Borgne (1) : « Cet homme est d'une sagesse profonde, disait le monarque tokharien. Il n'est aucune question à lacjuelle il ne sache répondre. J'espère humblement que l'Empereur, dans sa bonté, fera appeler auprès de lui le mou-chô et l'interrogera en personne sur l'état des choses chez votre sujet ainsi que sur nos doctrines religieuses. L'empereur reconnaîtra que cet homme a bien de telles capacités. Je souhaite et je demande que, par ordre de l'Empereur, il soit subvenu à son entretien et en même temps qu'on établisse une église pour qu'il s'y acquitte du culte prescrit par sa religion (2) )). Assurément ce nouveau missionnaire n'allait pns en Chine les mains vides. Comme son devancier, il devait emporter avec lui le recueil de ses Ecritures. Et il en possédait d'autant mieux le texte inté- gral qu'il était d'une « sagesse très profonde » et qu'il se rendait à la Cour pour y instruire l'Empereur de ses « doc- trines religieuses ».

A cette époque les questions astronomiques soulevaient en Chine d'ardentes controverses. Divers systèmes se trou- vaient en présence et se combattaient violemment sans qu'au- cun d'eux parvint h s'imposer. Or c'est dans le courant du viir siècle, vraisemblablement déjà un peu avant 727, que celui de la semaine planétaire fit son apparition. Et il semble avoir été introduit sous des noms sogdiens par des Manichéens dans les Ecritures desquels il tenait une très grande place. On peut donc conjecturer avec beaucoup de vraisemblance que c'estle (( grand mou-chô » qui le fit connaître (3). En tout cas, treize ans après la venue du délégué de Ti-chô, en 732, un édit impérial autorisait la pratique du Manichéisme, tout en réprouvant ses doctrines (4). Les livres saints de la nouvelle religion, qui déjà sans doute avaient été traduits en chinois, purenl dès lors circuler librement. Trente ans plus tard ils

(i) Sur ce roi voir Marqnart, Historlsche Glossen zu dai aliurkisclien Inscliriften, dans le W. Z. K. M. t. XII, p. 172.

(3) Chavanncs et Pelliot, Journ. Asiat., 1910, p. i52-i53.

{'^) Chavannos et Pelliof, Journ. Aslat., 1910, p. 182-201.

{l\) Chavannes et Pelliot, Journ. Asiat., I9i3, p. 178-179.

84 LES ÉCRITURES MANICHÉENNES

étaient lus à Lo-yang, ou Ho-nan-fou, capitale orientale des T'angd).

De ces écrits furent apportés jusque chez les Turcs sep- tentrionaux. Certains de ces derniers, les Ouïgours, venaient de fonder en Mongolie un grand empire qui s'étendait de Tlli au Fleuve Jaune et des rives de l'Orkhon aux montagnes du Thibet. Le 20 novembre 7G2, leur souverain, ou qaghan, mettant à profit des intrigues de palais auxquelles venait de donner lieu la brusque disparition de l'empereur Hiuan-tsong et de son fils Sou-tsong, traversa le Hoang-ho, s'empara de Lo-yang et s'y installa durant plusieurs mois. Or il rencontra dans cette ville des missionnaires manichéens qui l'initièrent à leur foi et qui lui firent connaître leurs livres saints. C'est ce que raconte une inscription rédigée sous le règne d'un de ses successeurs et récemment découverte en Mongolie, à Karabal- gasoun. D après ce document, « (le qaqJiaii) emmena quatre religieux, dont louei-si, et les introduisit dans son royaume. Ils développaient et exaltaient les Deifj Sacrifices (Principes?) et pénétraient profondément les Trois Moments. D'ailleurs le Maître de la Loi était merveilleusement instruit dans la doc- trine de la Lumière et comprenait parfaitement les sept ouvrages. Ses capacités étaient plus hautes que le pic mari- time ; son éloquence était comme une cascade. C'est pourquoi il put initier les Ouïgours à la vraie religion (2i ». Ce « Maître de la Loi », qui désigne sans doute louei-si, devait être, comme le grand « mou-chô », un haut dignitaire du Mani- chéisme. Et les « sept ouvrages » dont il avait l'intelligence comptaient apparemment parmi les livres saints de sa secte(3). Quant aux religieux qui raccompagnaient, ils avaient sûre- ment entre les mains deux de ces Ecritures. Cest qu ils avaient appris la doctriiu^. des Deux Principes et celle des Trois Moments (4).

La prédication des missionnaires manichéens obtint un grand succès auprès des Ouïgours. D'après le même document, (( un édit (du souverain) publia la proclamation suivante :

(i) ('ha\;uin(^s cl Pclliol. .lottrn. As'uil.. i()io. p. i()(> siij\ . (>| •ù^ç). not. n.

{"i) Chavanncs et l\'lliol. Jinirn. Asiat., lOi'^- P- i9<'-i()>.

) (Uiaxaniu's v[ Vv\\\o\. .loiirn. \si<il., 191.'^, p. 191, iiol. 3.

Cl) (Chavanncs cl. l'clliol. Jouni. Asint,, i9i3. p. 190 not. •> et 191 no[. 1.

PROPAGATION DES ÉCRITURES MANICHEENNES 83

(( Cette relig-ion est suljtile et merveilleuse. Il est difficile de la recevoir et de lobserver. Par deux fois et par trois fois avec sincérité (je l'ai étudiée. Autrefois j'étais ignorant et j'appelais Bouddha des démons; maintenant j'ai compris le vrai et je ne

peux plus servir (ces faux dieux) Que toutes les images du

démon sculptées ou peintes soient entièrement détruites par le

feu..... et qu'on reçoive la religion de la Lumière ». A

cette nouvelle le « Roi de la religion », c'est-à-dire le chef suprême du Manichéisme, établi à Babylone ou peut-être déjà à Samarkand (1), loua la conduite du monarque. Un haut digni- taire, un (( mou-cho », se rendit chez les Ouïgours avec un certain nombre de moines et de moniales. Et ses disciples parcoururent le pays en tout sens, prêchant partout la foi nouvelle (2).

Les livres de Mani durent jouer un très grand rôle dans cette propagande. Ils commencèrent sans doute par circuler en chinois et en persan. L'inscription de Karabalgasoun est écrite dans la première de ces langues et dans un dialecte iranien appelé le soghdien en même temps qu'en turc (3). Des débris d'un recueil pehlvi d'hymnes manichéennes, commencé en 762 (( sur l'ordre dès chefs spirituels » et achevé longtemps plus tard à la cour du monarque qui fît ériger cette même stèle, ont été récemment retrouvés (4). Mais ces textes sacrés ne purent manquer d'être traduits de très borîne heure dans l'idiome du pays. Des fragments de versions ouïgoures qui remontent peut-être à cette époque ont été exhumés depuis peu (5).

(i) V. su[)ra, p. f\n, nol. n cl 80, not. 4-

(2) Chavannes et Pelliot, Journ. Aslat., iQiS, p. igS-igC. Cf. Gustave Scliogel, /)(■(' Chinesissche Inschrift aiif dem IJigurhclieii Denkmal in Kara Bajgassmn, dans les Mémoires de I(i société finno-ongrienne, Holsing-fors, 1896, ia-8°.

(3) Le \exiv chinois, le sini] qni soil assez bien conserve, a été traduit intégralement par Gustave Schlegel (op. cit.), puis, dans la partie qui con- cerne le Manichéisme, par MM. Chavannes et Pelliot (op. cit.). Le texte sogli- dien, fort détérioié, a été étud'é par F . W. K. Millier, Ein iranisches Sprach denkimd mis der nôrdlichen Mongolei, dans les Sitziingsberichte de l'Aca- démie des sciences de B(U"lin, 1909, p. 726-730.

(/j) Ils ont été édités et traduits par F. AA . K. Millier, Ein DoppelbUiit aus i'inem Mnnichaisclien HymnenbucJi (Mahrnàmag) dans les Abhandlungeii de l'Académie des sciences de Berlin, 191 3, ào pp.

(5) ]ls on; été surtout éciités et traduits par MM. Badloff et Von Le Coq. Voir plus loin la lin du dernier chapitre.

86 LES ÉCRITURES MANICHÉEN.XES

Le royaume manichéen de l'Orkhon n'eut qu'une durée éphémère. En 840, les Kir^hiz en détruisirent la capitale et ils en prirent le qaglian. Les tribus turques qui le constituaient se dispersèrent les unes au sud-est, vers le Clian-si et le Kan-sou, d'autres au sud et au sud-ouest, vers Tourfan etQarashar, d'autre à l'ouest vers Koutch'ar (1 ). Mais en plusieurs endroits, à Kan-tcheou dans le Kan-sou, à Kao-tchang (Khotcho ou Idiqout-Chahri) à l'est de Tourfan et jusqu'à Khotan dans le nord du Thibet, elles fondèrent des Etats indépendants dont plusieurs devaient avoir une assez longue durée (2). Or un peu partout, elles gardèrent leurs anciennes croyances. Vers la fin du x^ siècle, selon le témoignage de Birouni, « la plupart des Turcs orientaux )) restaient attachés à la foi dualiste (3). En 951, ceux de Kan-tcheou envoyaient en ambassade auprès du gou- vernement chinois un groupe d'Elus chargés de divers présents (4). Dix ans plus tard, ils faisaient également parvenir à l'empereur tout un stock d'objets précieux dont plusieurs avaient été offerts par des « Maîtres manichéens » (5). Vers le même temps, ceux de Kao-tchang, les Toqouz-Oghouz ou Toghouzgouz, qui étaient de tous les plus puissants et les mieux organisés, gardaient, dans l'ensemble la doctrine de Mani (G). Un peu auparavant, sous le califat de Mouktadir (908-932), leur qaghcni avait sommé le chef du Khorassan d'en autoriser chez lui la libre profession (7). Entre 98i et 984. un envoyé chinois, visitant leur royaume, y signalait la pré- sence de « temples manichéens » (8). Plus tard encore, un voyageur arabe faisait observer que les disciples de Mani y subsistaient toujours et que dans la capitale ils formaient même la majorité (9). Dans un pareil milieu les Ecritures

(1) Cliavamu's cl l'cHiol, Journ. Asiui., i()i3, p. i>85 ci sui\ . (■>.) Cliavaniics (.'I l'cllioL Jouru. Asiat., igiS, p. ooo vl suiv., ooti cf suiv.. 3i(> <'l suiv.

( ;V) ChronoUxjic. Iiad. Sacliau, p. 191,, cité par Krsslrr .I/o/)/, p. 322-323. ( 'i ) (iha\ aunes cl l'cliiof. Jdiirn. Asitil., i()i3, p. 3o3-3o(i.

(5) ('liaNaiincs cl l'ciliol. .lourii. Asial., i()i3, p. 3ii-3i2.

(6) Les Prairies d'Or, had. barbier- du Mc^vnard. t. I, j). •.>88. Cf. ibidem. p. 299-3oi.

(7) An Nadirn, eh'-/. Flii<;cl, Muni, p. i(\"i-i()(). ('f. ihid., p. 395-3()().

(8) (ïha\anncs cl Pclliol. Journ. Asiat., it)i3, p. 3o8-3(hi.

(9) Tcmiii cite pai' ^a({()\d)î. clic/ C.haxanni's cl Pclliol. Joitrii. Asiat.. 1913, p. 3o8, iiot. 5.

PROPAGATION DES ÉCRITURES MANICHEENNES 87

•manichéennes étaient évidemment très lues. Gardîzi le cons- tate en propres termes an snjet des Toghouzghouz de Kao- tchang : « Chaque jour, dit-il, trois ou quatre cents des Dènâvûrs se rassemblent dans la maison du Préfet et ils récitent à haute voix les livres de Mani. Puis ils passent devant le Préfet, le saluent et s'en retournent chez eux (1) »,

De nombreux fragments de manuscrits manichéens ont été découverts dans diverses ruines de la même région près de Tourfan (2). Ils confirment les renseignements fournis par les auteurs arabes ou chinois. Ils sont rédigés tantôt en quelqu'un des dialectes iraniens (pehlvi ou soghdien) que parlaient les anciens habitants du pays, tantôt en celui des nouveaux maîtres, c'est-à-dire en turc ouïgoui'. Mîiis quelle que soit leur langue ou leur provenance, tous sont confectionnés avec le plus grand soin. Ils témoignent du culle que les croyants de cette contrée professaient pour l'œuvre de leur Maître (3).

En 190i), des rouleaux manichéens heaucoup mieux conservés ont été découverts au Kan-sou, dans une grotte sacrée des environs de Touen-houang, ils avaient être cachés dès la première moitié du xi^ siècle (4). L'un d'entre eux, écrit en turc, contient un manuel de confession publique fait pour des Auditeurs (5). Un autre, rédigé en chinois, mais très incomplet, nous donne un fragment important d'une sorte de code destiné aux Elus (6). Or tous deux font allusion au livre

(i) Cité p;ir F. \^ . K. Miillor, tlundsclir. Resl., p. 109 et, par Cliavanncs et Pelliot, Journal Asiatique 191 1, p. 55/f, not. i. Lo « Préfet » m^Mitionné ici doit être un liant dignitaire ecclésiastique. Le même nom était donné, dans la secte manichéenne des Mazdakiles, au premier des sept fonction- naires religieux qui formaient leur Eglise. V. Sharastâiii, lieUgionsparleicii trad. Ilaarbrûcker, t. I, p. 292.

(2) Voir A. Von Le Coq, Exploration arcJiéologiquc de Tourfan, dans le Journal Asiatique, 1909, p. 3i6-334.

(o) Voir quelques spécimens chez F. ^^ . K. ^lullei'. Ein Doppelblaif ans e.ineni Manichâisclien Hymnenbueli , appendice dans les Abtiandlungen de l'Académie des sciences de Berlin de igiS et dans les facsimilés des publi- cations manichéennes.

(4) Voir phis loin la deinièi'c section du dernier chapitre.

(5) V. W. Radioff, Chuastaanit, das Bussgebet der Manichaer, Saint- Pétersbourg, 1909, in-8°, et surtout A. Von Le Coq, D^ Stein's Turkish Kkuastnanift from Tun-liuong, dans le Journal 0/ the Boyal Asiatic Society^ 1911, p. 277-3i/i.

(6) V. Chavannes et Pelliot, Journ. Asiat., 1918, p. io5-ii6.

88

LES ECRITURES MANICHEENNES

des Deux Principes et k celui des Trois Moments, dont ils recommandent la lecture aux simples fidèles ou aux futurs religieux (1). Un troisième manuscrit, de même langue, repro- duit le texte à peu près complet d'un long traité dogmatique et moral (2), qui a être traduit, au moins en partie, du persan (4), dès le vu'' siècle (4). Et il fait remarquer que les moines Dênàvârs aiment ta lire et à réciter leurs « livres saints » (5). Dans la région de Touen houang, comme dans celle de Tourfan, les Ecritures manichéennes ont donc obtenu un grand succès. Elles ont réglé la pensée et la vie de lecteurs nombreux et fervents.

Vers le temps plusieurs d'entre elles entraient dans la grotte sacrée d'où on les a récemment exhumées, des a livres saints de Mani, l'envoyé de la Lumière », tout au moins celui des Deux Principes et celui des Trois Moments, étaient introduits dans un Canon taoïste très syncrétiste, entrepris sur l'ordre de l'empereur Tchen-tsong et achevé en 1019 par Tchang Kiun-fang, qui a raconté lui-môme dans un de ses ouvrages Fhistoire de cette collection depuis longtemps perdue (()). Ils avaient été recueillis dans la province du Fou-Kien, d'ailleurs, un chroniqueur chinois, Siu Hiuan, les montre circulant en cachette dès le x^' siècle (7). Et ils furent déposés, avec la collection dont ils faisaient partie, dans le grand temple de Lou-yi, patrie présumée de Lao-tseu, dans le Ho-nan (8). Mais le nouveau Canon n'eut qu'une existence éphémère. Il fut rejeté par la plupart des Taoïstes, comme par les Bouddhistes (9)-

(1) V. (llia\aini('s (,•( l'clliot, Journ. Asutt.. i()io. f).ii'i-iH' <-'l A. Voii Le Coq, ly Stein's Turkish Khaastuanift, VIII. i5()-i7('>, dans le Journ. o/ tJic Ruyal Àsiat. Soc, 191 1, p. 1^90-291.

(:>.) V. Chavatinos et Pclliot, Un traité înanichcrn refrourc en Chine, dans ](i Journ. Asinl., 1911, p. /i99-<>i7- Cf. //;/</. i9i3, p. 99-104 d 378-.SS1.

(3) Cliavamuv< cl Pclliot. Journ. Asiat., 1911, p. 27. 4^. /17 oie. (noies de M. Caiillnol). Cf. V. Pclliol. Les Influences ininientws en Asie Cenlrnle, dans la Rev. d'hist el de litt. rel., 1912, p. iio.

('1) Cliavannes cl Pclliot. Journ. Asi(d.. 1911.P. 5(m : 1910. p. i'.>5-i35. ol

38o-38i.

(;")) Chavanncs et Pclliol, Journ. Asinl., 191 1. p. 578.

(()) Cliavannes cl Pclliot, Journ. Asi(d.. I9i3. p. .■v>r)-3:>8. Cf. ihid.,

p. 335-33().

(7) Chavannes et l'elliot. Joiirn. Asi<d., I9t3, p. 3'.).V3:>r).

(8) Chavannes et Pclliot. Journ. Asi(tf.. i9i3. p. 335-33(>. (()) Chavannes et Pclliot. Journ. Asial.. 1913, p. 3-.>7-33o.

1

PROPAGATIO>^ DES ÉCRITURES MANICHÉENNES 89

Les livres de Mani n'en continuèrent pas moins de se répandre. Un lettré du xir^' siècle, Hong Mai, en fait mention à propos d'hérétiques établis particulièrement sur les « Trois Montagnes », c'est-à-dire, sans doute, à Fou-Tch.eou, dans le Fou-Kién (1). D'après ses propres termes, ces gens « s'inti- tulent/l.v.voda/îo/? ^ie la religion de la Lumière o. Ils présentent leur Maître Mo-mo-ni (Mar Mani) comme « le cinquième Bouddha )). Et ils tiennent de lui deux livres saints révélés par lui-même, celui des Deux Principes et celui des Trois Moments, qu'un certain Lin Che-tch'ang réussit à prix d'argent à faire insérer dans le Canon taoique (2). Un autre lettré de la même époque, Lou Yeou, mentionne ces mêmes hérétiques du Fou- Kien. Et il donn<* au sujet de leurs Ecritures quelques détails nouveaux : « 11 y a aussi, dit un de ses ouvrages, des livres saints de la religion de la Lumière en très grand nombre. (Les partisans de cette religion) en ont gravé les planches et les impriment. Mensongèrement ils ont pris dans le Canon taoïque les noms et les titres des fonctionnaires qui en ont fixé et révisé le texte et ils les ont ajoutés à la fin (3) ». Ces détails sont précis. Lou Veou a eu entre les mains les livres dont il parle. Il les a parcourus :<( J'ai obtenu, lisons-nous un peu plus loin, ce qu'ils appellent les livres saints de la religion de la Lumière et j'y ai jeté les yeux. Ce sont des divagations 011 il n'y a rien à prendre. Tous sont très vulgaires et n'ont pu être faits que par des adeptes de pratiques de magiciens et d'imposteurs (4) ». Dans un Mémoire adressé à l'empereur, sans doute en 1166, au sujet des réformes qui s'imposent, le même écrivain insiste sur ce dernier point. Il dénonce les (( gens dévoyés, adonnés aux doctrines de latsorcellerie, qui, en temps de paix, abusent le bon peuple » Et il ajoute : a Des gens de cette sorte il y en a en tout lieu : dans la région au sud de la rivière Houai, on les appelle les seconds Kouei » (ou (( les deux arbres » ?) ; dans la région des deux Tchô, on les appelle (sectateurs de) la « Religion de Meou-ni » ; à Test du

(i) Cliavannes et Pelliot, Journ. Asiat., igiS, p. 33i, not. 3.

(-î) Chavanncs et Pelliot, Journ. Asiat., igiS, p. 33o-339. Cf. ibid., p 362-363.

(3) Chavanncs et Pelliot, Journ. Asiat., i9i3, p. 34o.

(4) Cliavannes et Pelliot, Joarn. Asiat., igi3>, p. 342.

DO

LES ECRITURES MANICHEENNES

Kiang-, on les appelle (adeptes de la doctrine) des a Quatre fruits )) ; à l'ouest du Kiang, on les appelle (adeptes du (( dhyàna de diamant » ; dans le Fou-Kien, on les appelle de noms tels que (sectateurs de) la a religion de la Lumière » ou adeptes du « jeûne qui manifeste la vérité ». Quoique ces dénominations soient nombreuses c'est la Religion de la Lumière qui l'emporte ; il y a même des bacheliers, des magistrats et des soldats qui s'y aiïilient. Le nom de la divinité (de cette religion) est l'Envoyé de la Lumière ; on y trouve aussi les noms de Bouddha de chair, Bouddha d'os. Bouddha de sang, etc. (Les sectateurs de cette religion) ont des vête- ments blancs et des bonnet noirs. Dans toutes les villes et bourgades ils résident, ils ont leurs livres apocryphes et leurs idoles de sorciers. Ils vont même jusqu'à graver des planches pour répandre (ces ouvrages). Ils ont faussement emprunté les noms du magistrat provincial Tch'eng Jo-ts'ing et d'autres fonctionnaires de la période tcheng-houo (illO-L117) comme ceux de réviseurs (de leurs textes) et celui du préfet de Fou-tcheou (de la môme période), Houang Chang, comme ayant surveillé la gravure (des planches) (1) ».

Un juriste de la première pa rtie du xrii" siècle, le bonze Tsong-Kien, de Leang-tchou, donne sur ces mêmes Ecritures certains renseignements qui supposent qu'elles lui ont été communiquées, par conséquent qu'elles circulent encore autour de lui. Il fait remarquer que la dynastie régnante a porté des lois contre les gens a qui trompent le peuple par la transmis- sion du livre saint des Deux Principes et du texte des livres saints sans fondement que les Canons ne contiennent pas (2) )). Et, pour que personne ne se méprenne au sujet de ces ouvrages, il donne une analyse sommaire du premier et une liste rapide des suivants (3).

Ainsi les Ecritures manichéennes ont été lues pendant une dizaine de siècles. Elles se sont répandues depuis les provinces les plus reculées de l'Espagne jusqu'au fond de la Chine. Partout elles ont exercé une inlluence profonde sur les masses.

(i) Chavanncs et Pelliol, Journ. Asiat., ioi3, p. 3o6-3io et les notes. (i) Chavannes et Pelliot, Journ. Asiat., i9i3, p. 353-354. (3) Chavanncs et Pelliot, Journ. Asiat., I9i3, p. 354-357.

DISPARITION DES ÉCHITLRES MAMCHEENAES 91

Elles semblaient devoir durer aussi longtemps que l'humanité serait en marche vers le Royaume de la Lumière. Et cepen- dant elles ont disparu.

A première vue, le fait semble étrange. A la réflexion, il s'explique fort bien. Si une lecture superflcielle des textes manichéens pouvait en favoriser la diflusion, une étude appro- fondie de leur contenu devait soulever contre eux une opposi- tion grandissante. Et la réaction allait être d'autant plus plus rapide et plus vive que le succès s'était affirmé plus prompt et plus durable.

92

LES ECRITURES MANICHEENNES

CHAPITRE DEUXIEME Disparition des Ecritures manichéennes

Les livres de Mani et de ses disciples, qui ont apparu très vite dans les pays chrétiens, s'en sont aussi retirés de bonne heure. Venus plus tard au sein du paganisme, ils s'y sont main- tenus plus longtemps. Mais ici et ils ont rencontré les mêmes dilïicultés et ce sont des motifs à peu près identiques qui expli- quent leur perte.

I

En un temps les fonctionnaires de l'Empire romain faisaient lâchasse à TEvangile, ils ne pouvaient manquer de s'attaquer à la nouvelle Bible qui s'en inspirait constamment. Ils devaient d'autant plus la combattre qu'ils y voyaient formuler, au sujet du mariage, delà guerre, de l'agriculture, des services publics, maintes théories subversives dont l'acceptation inté- grale eût amené la ruine de tout l'ordre social. Aussi, dès Tan 287, le proconsul d'Afrique, Julien, en dénonçait le dan- ger à Dioclétien (1 ). Justement celui-ci s'appliquait, depuis le début de son règne, à maintenir la religion nationale contre le flot montant des cultes étrangers. De plus il guerroyait alors, comme ses devanciers, contre la Perse. Dans la nouvelle foi venue du pays des a Magiciens », il vit un artifice pernicieux imaginé par l'ennemi héréditaire pour désorganiser l'Empire (2). Il répondit à Julien par une loi promulguée « au sujet des auteurs de maléfices et des Manichéens », il por- tait contre les seconds les mômes peines que contre les

(i) Cad Gn'ijor., vd. (ùisl llaciiol, Leipzi<>;-, i8/|ii, /i° J. \1V. lit. IV, n. k et o. s, »/ »\i

(2) Loc. cit., n. à.

DISPARITION DES ÉCRITURES MANICHEENNES 93

premiers et il s'attaquait non seulement à leurs personnes mais à leurs livres : « Au sujet des Manichéens dont Vôtre Sagacité a parlé à Nôtre Sérénité, expliquait-il. Nous avons appris que la nation persane, nôtre rivale, les a envoyés ou fait germer tout récemment en ce pays, comme des monstres nouveaux et inattendus, et qu'ils commettent chez nous de nombreux méfaits. Ils troublent les populations paisibles. Ils causent de grands dommages aux cités. Et on peut craindre que, selon leur habitude, ils ne travaillent dans la suite, avec leurs coutumes exécrables et les lois sauvages de la Perse, à infecter en quelque sorte de leur poison pernicieux le peuple romain, modeste et tranquille, l'ensemble de notre pays. Comme vous établissez tous les genres de maléfices flagrants exposés par V^otre Prudence dans le rapport que Vous Nous avez présenté sur leur religion, leurs fictions laborieuses et vaines, Nous portons contre eux les peines et sanctions qui leur sont dues. Nous ordonnons queleursorganisateursetleurs chefs soient soumis aux dernières rigueurs et condamnés au feu avec leurs abominables Ecritures. Nous prescrivons que leurs adeptes opi- niâtres jusqu'au bout soient décapités. Et Nous décrétons que les biens de ces gens seront revendiqués par le fisc. Si des Honorables et d'autres dignitaires, même plus haut placés, sont passés à cette secte,... vous ferez également saisir leur patri- moinepar le fisc et vous les enverrez eux-mêmes aux mines (1) ». En même temps que les pouvoirs publics s'efforçaient de conjurer le péril social de la nouvelle foi, les écoles philoso- phiques s'appliquaient à en dénoncer les erreurs doctrinales. Suivant les traces de Plotin, qui avait écrit tout un traité contre les Gnostiques (2), et dePorphyre qui avait aussi rédigé 15 livres contre les Chrétiens (3), un philosophe égyptien de la même école, Alexandre de Lycopolis, publiait dès la fin du IIP siècle un opuscule très dense et très mordant Sur les opinions des Manichéens (4). Il s'y attachait à montrer que les Ecritures de la nouvelle secte exposaient une foi purement

(i) Loc. cit., k-l-

(2) Ennéades, II, 9.

(3) Fragments réunis par Combefis, dans la Bibliotheca Patrum de Gal- land, t. III, p. 8o3 et suiv.

(4) P. G., XVIII, 409-448.

7

04 LES ÉCRITURES MANICHÉENNES

arbitraire et allaient contre les principes les plus élémentaire!^ de la raison. Quelques siècles plus tard, un autre philosophe néoplatonicien, Simplicius, commentant VEnchiridion d'Epic- tète, allait reprendre la même thèse et faire une critique pénétrante des dogmes dualistes (1).

Mais dès le début ce furent surtout les Catholiques qui s'attaquèrent à la doctrine de Mani. A peine Teurent-ils connue qu'ils se hâtèrent de la dénoncer comme l'œuvre du diable. Au cours du lY^ siècle l'auteur des Actes d'Archélaus et Cyrille de Jérusalem, Serapion de Tmuis et Didyme d'Alexandrie, Titus de Bostra et Epiphane, Aphraate et Ephrem, Basile de Césarée, Georges de Laodicée, l'Africain Victorin, Philastre de Brescia, Augustin et bien d'autres encore en firent tour à tour la critique (2). Selon un jeu de mots qui fit fortune, ils s'appliquèrent à montrer que Mani était un « maniaque » et que son enseignement offrait les caractères d'une véritable folie. Mais, tout en s'efîorçant de le combattre au nom de la raison, ils invoquèrent surtout contre lui des textes scrip- turaires. Ils montrèrent que les deux Testaments s'accordaient à lui donner tort. Pour mieux discréditer ses livres, ils leur reprochèrent de ruiner la morale, d'autoriser, de recommander même certaines pratiques tout-à-fait monstrueuses uli. Géné- ralement, d'ailleurs, ils eurent soin de ne pas les désigner d'une façon précise, pour ik^ pas inspirer à des esprits Irop curieux le désir de les lire (4).

Comme, en dépit d(^ ces précautions et de ces critiques, la littérature manichéenne continuait toujours à se répandre, ses adversaires prirent contre (*lle des mesures plus énergiques. Revenant aux traditions de Dioctétien, ils mobilisèrent peu à peu au service de l'orthodoxie les fonctionnaires im[)ériaux. Déjà Constantin s'était personnellement occupé de la religion de Mani et il avait demandé à un certain Musonien, dont on lui

(i) Sliunlicii coDinicnl . in l-!j)it:i('H l'^ncliirid., î'i\. Sclnvcigluu'uscr. Leip/.ii.'-. i8()(), 8°, j). •.>.']fi-M)C).

{:i) \o\v pins loin le (l(''t)nl dn iicrnier chapitre.

(3) Voii- par exemple Cyrilc de .leinsdeni. (jdccit., YI, 33-34; Auirnstin. De mit. bon.^ fiC)-h~, De Haer., 4^, ete.

(/i) Voir par exemple Titus de liostra. Conl. Man., 5, i?., i3, 1.4, etc. : Sévère d'Anlioelie, Hom., CWItl*^ éd. et liad. ])ar Fr. Ciimont, Ucch. sur le Man., fasc. 2, p. 99.

DISPARTTrON DES ÉCBrTUKES MANICIlÉEiNNES 9.'>

uvaii vanté laeompéleiice, de lui présenter un rapport sur cette nouvelle « superstition » et sur celles qui pouvaient syratta- cher ( 1 1. Toutes avaient |)our lui le tort très grave de s'écarter du symbole de Nicée. Parla elles tombaient sous une loi portée en 326 qui ordonnait que tous les hérétiques fussent privés des bénéfices dont jouissaient les Catholiques et soumis d'autre part à des charges spéciales (2). Sous le règne de Constance, les Manichéens étaient si maltraités par le pouvoir civil que heau- coup faisaient semblant de se convertir au christianisme offi- ciel, afin d'échapper aux vexations dont ils étaient l'objet (3), et que tel d'entre eux, exploitant les tendances ariennes de l'empereur, terrorisait les Catholiques d'Alexandrie « pour les empêcher de poursuivre les évéques de sa propre secte » (4). Un peu plus tard, en 372, Valentinien I leur refusa tout droit de réunion. Il ordonna de frapper d'une lourde amende les Docteurs qui présideraient leurs assemblées, d'en bannir tous les assistants et de confisquer le local (5). Cratien, pourtant, plus tolérant que ses prédécesseurs, ordonna que les disciples de Mani, comme ceux d Eunomius et de Photin, fussent chassés de toutes les Eglises ({>). Plusieurs lois de Théodose aggra- vèrent encore leur situation. L'une, de 381, leur enlevait le droit de tester ou de recevoir un héritage (7). Une autre, de 382, spécialement consacrée à ceux de leurs Elus qui vivaient en commun, prononçait contre eux la peine capitale (8). D'autres, de 383, ordonnaient le bannissement général des membres de la secte (9). Trois ans plus tard, en application de ces mesures, les Manichéens d'Afrique étaient traduits devant le proconsul MBssianns (10). Leur chef, Fauste de Milève faillit être mis à

(() Ammicii M;ir<'cllin. Hisl., XV, i3, 2.

li) Cod. Theodos., XVI, 5, i.

(3) Cyrille de Jérusalem, Catech., VI, 36.

('\) Athanase, Histoj'ia Arianoruin ad Monachos, Sg.

(5) Cod. Theod., XV, 5, 3.

(0) Socrate, Hist. eccL, V, 2; Sozomène, Hist. eccl., VIII, i. Cf. Cod. Theod., XVI, 5, 4-5-6. (7) Cod Theod., XVI, 5, 7. (S) Cod. Theod., XVI, 5, 9.

(9) Cod. Theod., XVI, 5, 11-12.

(10) Augustin, Cont. lill. Peiil., III, 25.

96 LES ÉCRITURES MANICHEENNES

mort et n'échappa au dernier supplice que grâce à l'interven- tion (les Catholiques qui demandèrent qu'on se contentât de le reléguer dans une île (i ). A Rome, Auditeurs et Elus étaient contraints de se cacher (2). En 389, un édit impérial décréta qu'ils en seraient chassés, comme de tout l'empire, et que, comme ailleurs, leurs biens passeraient entre les mains du fisc (3). En 40,"), Honorius ratifia toutes ces ordonnances (4). Et deux ans plus tard il porta de fortes amendes contre les fonctionnaires qui ne les feraient pas strictement observer (O). Aussi voyons-nous à quelque temps de le tribun Ursus, Préfet de la maison impériale, arrêter à Cartilage un certain nombre de Manichéens et les soumettre à une enquête sévère (G).

Sous un tel régime les livres de la secte ne pouvaient circuler qu'en cachette. Aussitôt découverts ils étaient mis au feu et leurs propriétaires se trouvaient convaincus du crime d'hérésie. A Hippone, en 405, le prêtre Félix, chez qui on avait saisi cinq grands écrits de Mani, écrivait au « curateur » de la ville qu'il acceptait d'être brûlé avec eux si on pouvait y relever un seul détail choquant (7). Mais bientôt après son assurance diminuait et il se montrait fort inquiet du sort qui l'attendait (S). Sans doute l'aventure eût-elle mal fini, s'il n'avait eu la sagesse d'anathématiser, comme on le lui demandait, le dogme des deux Principes (9) Quelques années auparavant, son prédécesseur Fortunat n'avait échappé que par la fuite à un danger semblable (10).

C'était généralement l'autorité ecclésiastique qui provoquait ces sortes de poursuites. Bientôt, dans les pays latins, elle en prit elle même la direction. D'après la Chronique de Prosper, en 443, « (le pape) Léon apprit, en son zèle attentif, que de

(i) Augustin, Conl. Faust., V, 8.

(3) Augustin, Conf. V, 19.

'{'^) Cod. Theod., XVI, 5, 18.

(/i) Cod. Theod., XVI, 5, 38.

(5) Cod. Theod., XVI, 5, 4o.

(fi) Augustin, De Haeresihiis. /|(), <(/r. med.

(7) Cont. Felic, I, 12 fin.

(8) Cont. Fel., I, 12 init.

(9) Cont. FeL, II, 22.

(10) Possidius, V/7. Au(}.. r>. Cf. Aug. Relr., I. ifi, i et Epst., LXXIX.

DISPARITION DES ECRITURES MANICHÉENNES 97

nombreux Manichéens se cachaient dans la ville (de Rome) ; il les arracha de leurs retraites, les montra aux regards de la cité entière et leur fît condamner et révéler les turpitudes de leur doctrine ; il brûla aussi leurs manuscrits dont de grandes masses avaient été saisies )>. Les hérétiques arrêtés firent connaître les noms de leurs docteurs, de leurs évêques et de leurs prêtres, ainsi que la province et la ville chacun résidait. Le pape en profita pour donner des instructions précises aux représentants de la foi orthodoxe (1). La lettre qu'il écrivit alors à ses sufTragants italiens nous a été conservée. Or il s'y exprime en termes très vifs sur les Ecritures de la secte, auxquelles il reproche de contenir « des choses profanes ou honteuses » (2). La critique était sans doute inspirée par la lecture des œuvres antimanichéennes d'Augus- tin plutôt que par celle des livres de Mani. Mais elle contribua à rendre ces derniers encore plus odieux aux Catholiques.

De nombreux évêques suivirent l'exemple du pape (3). En Espagne, notamment, les disciples de Mani subsistaient à côté de ceux de Priscillien et étaient confondus plus ou moins avec eux, Turibius d'Astorga organisa contre les uns et les autres, en 445, une campagne très vive qui semble avoir pleinement réussi (4). Vers la même époque, dans le sud de la Gaule et le nord de TAfrique, les champions de l'orthodoxie menaient contre l'hérésie dualiste une lutte également active (5).

A quelque temps de là, plusieurs autres papes donnèrent à nouveau le signal de la persécution. Le Liber Pontificalis le constate en quelques courtes phrases, dont les redites témoignent à leur façon de la continuité avec laquelle les successeurs de Léon continuaient son œuvre : « Gélase (492-49()),au temps de qui des Manichéens furent découverts dans la ville de Rome, les fit transporter en exil et brûla leurs manuscrits devant les portes de la basilique de Sainte-Marie... Dans la suite, le bienheureux Symmaque (498-514) découvrit des Manichéens dans la ville de Rome ; il brûla leurs images

(i) V. supni, p. r)5, noi. 3 .

i'i) Episi., VII, 2

(3) Prosper d 'Aquitaine, supra, p. 65, noI. 3.

(/i) V. supra, p, 63, nof. 2.

(5) V. supra, p. 63, not. 6, 7, 8, 9.

m

LES ECRITURES MAMCHEENNES

et leurs livres devant les portes de la basilique Constantinienne et il les envoya eux mêmes en exil... A son tour, Hormisdas (514-523) découvrit des Manichéens, qu'il... envoya en exil et il brûla leurs manuscrits devant les portes de la basilique Constantinienne (1) ».

Quelques années plus tard, en 52G, un certain Prosper anathématisait les disciples de Mani et d'Adimante, qui regardaient l'un et l'autre comme des organes du Parackt et il condamnait aussi u toutes leurs Ecritures étrangères au Canon de l'Eglise et exclues par la vraie foi » (2). Il ne faisait que se conformer à la règle courante. Un a monitoire », pseudo-augustinien expliquant (( de quelle façon on doit agir avec les iManichéens convertis » demandait qu'on leur fît formuler les mêmes anatlièmes (3). L'Épilre du fondement et le Trésor, ainsi que les (( opuscules » de Fauste de Milève et un certain nombre d'autres ouvrages très répandus parmi les adeptes de la foi dualiste étaient portés sur une « liste des livres apocryphes à rejeter », faussement attribuée au pape Gélase et rédigée sans doute vers le début du vi« siècle (4). Partout, en Occident, ces écrits étaient aussi strictement prohibés que les doctrines qu'ils professaient.

Dans de pareilles conditions ils ne pouvaient y subsister bien longtemps. Leur trace s'y perd dès le sixième siècle. Du reste les Manichéens eux-mêmes semblcMit avoir disparu vers le même temps des pays latins. Sous le pontificat de Grégoire le Grand, un certain nombre se montraient encore dans le sud de l'Italie. Mais le pape, écrivant h son intendant de Sicile, lui demandait avec insistance d'arrêter ceux d'entre eux qui pourraient se cacher dans ses domaines et de les ramener à la foi catholique (5). Et, comme il savait que certains subsistaient encore en Afrique, il recommandait à l'évêque de Scyllaeum de ne pas ordonner à la légère les gens de ce pays (GK La même recommandation fut renouvelée au vmi° siècle par Grégoire II i7i

(I) /.;/)('/• /'()/! ///'(ca/f.s, 0(1. Diiclu'siio, I. •?.'^o-9.-i.

{■>.) Maiisi, Coll. ConciL, VIII, 701-704; Mii.nu«. P. L.. L\V

(:\) V. L., XIJI. ii53-n5C.

('1) 1». L., \A\, T(i:>.

(.■)) Epi s t., V, S.

(()) E[>isL, II, S7. .

(7) P. L., LXXXIX, 002.

20.

DISPARITION DES ÉCRITURES MANICHÉENNES 99

€t jusqu'au x^ et au xp siècles par divers chefs d'Eglises (1). Mais elle n'était plus alors qu'une formule traditionnelle désor- mais inutile. Peut-être, au fond de quelque province perdue quelques Manichéens s'obstinaient ils encore à maintenir intacts les dogmes dualistes. En ce cas ils passaient complètement inaperçus. A propos de la querelle adoptianiste ))lusieurs con- troversistes de l'époque carolingienne anathématisent Mani- chée (2). Mais leur polémique, qui s'inspire de Léon 1 et sur- tout d'Augustin, est purement rétrospective. L'un d'entre eux, Paschase Radbert, donne clairement à entendre qu'il ne sait si l'ancien hérésiarque garde encore des partisans (3).

Dans l'Orient chrétien, la littérature manichéenne mit plus de temps à disparaître. Les empereurs lui tirent pourtant une guerre acharnée. En 510, Anastase I avait condamné au dernier supplice les gens qui persistaient à en professer les doctrines (4). Dix ans plus tard, Justinien prononça la môme peine contre tous ceux d'entre eux qui s'étant convertis au Christianisme ne dénonceraient pas leurs anciens coreligionnaires, et contre les fonctionnaires qui n'agiraient pas de même à l'égard de leurs collègues hérétiques (5). Ils'attaqua particulièrement aux écrits de la secte et condamna encore à mort quiconque avait le malheur d'en posséder ou même d'en détenir quelque exem- plaire.' (( Nous décrétons en outre, expliquait-il, que si quel- qu'un ayant des livres qui professent l'erreur absolument impie des manichéens ne les montre pas pour les faire brûler et disparaître entièrement, ou si quelqu'un, sous quelque prétexte que ce soit, se trouve garder chez lui ces sortes de livres, il subira un semblable châtiment (6) ». L'anecdote déjà citée des inconnus qui jetèrent furtivement dans la boutique d'un libraire un libelle consacré à la démonstration de la doctrine des deux Principes, pour déguerpir ensuite à toutes jambes, montre combien cette mesure était prise au sérieux (7).

(r) Voir (iicselcr, Lelirb. (1er Dogniengesch., 2 Band, 2 Abth, Bonn. i83i, p. 354 ot note.

{•i) Voir P. L., CI, i33o; CXX, 37 sq., 364, ^92, 535, etc.

(3) P. L., CXX, 770: (( Andiant, si forte adhuc ulli sunt, Manicliacorum roinplices ».

< V) Cod. Justin., I, 5, 11.

(â) Cod. Justin., I, 5, i6.

(6) Cod. Justin., 1, 5, i6.

(7 V. supra, p. 67, not. 2.

100

LES ECRITURES MANICHEENNES

En même temps que les empereurs pourchassaient les Ecritures manichéennes, les théologiens travaillaient avec persévérance à en combattre Tenseig-nement. Déjà sous le règne d'Anastase I, Héraclien de Chalcédoine s'attaquait directement aux principaux ouvrages de Mani (\). Deux contemporains de Justinicn, Zacharie le Uhéteur et Paul le Perse soumirent aussi le libelle des Deux Principes à une critique très minutieuse (2i. Avant de sévir contre les Dualistes impénitents, l'empereur lui-même, qui se piquait de théologie, (( disputa avec eux, les instruisit et leur démontra par l'Ecriture qu'ils adhéraient à une doctrine païenne » (3).

Dès cette époque, en recevant les convertis, l'Eglise avait soin de leur faire anathématiser nommément les principaux livres saints de la secte (4). Et les dénicheurs d'hérésies s'em- ployaient aussi à dénoncer aux croyants ces « œuvres démo- niaques » (5). Au cours des controverses monophysites. les Catholiques reprochaient constamment aux disciples d'Eutychès d'emprunter leur doctrine aux écrits de Mani, surtout à ses lettres dont ils citaient des passages curieux. Et pour se disculper, le parti adverse ne mettait que plus de soin à polé- miquer contre ces mêmes textes (6).

Encore au ix^ siècle la lutte persistait. Nicéphore de Cons- tantinople, Photius, Pierre de Sicile, Pierre Hégoumène et Georges le Moine consacraient des traités entiers à la critique des dogmes dualistes (7). Et une nouvelle formule d'abjuration imposée aux Manichéens convertis leur faisait anathémiser une longue série d'ouvrages de leur secte (8).

Ces diverses mesures fipirent par obtenir un plein succès. Malgré l'énorme diffusion dont ils avaient joui, les livres condamnés disparurent peu à peu. Les Dualistes les plus

(i) y. supra, p. nn, noi. lo,

(•?) V. su.pj'd, p. ('){). nol. Il cl i;).

(3) V. Nau, Analyse des parties itiédites de la Chronique de Jean de

Tellriiaré, Paris, 1898, p. 59.

(/|) V. supra, p. (ty, nol. /j cl ]>. 68, not. i.

(5) V. supra, p. (')-;, nol. ,> cl /|.

(6) V. supra, p. ()8, nol. .>, 'i. 5. C), ~ cl 8.

(7) V. supra, j). (h). nol. 'A, /|, 5 cl G.

(8) P. G., I, i.'iG

) I - J /J 7

'.-■>.

DISPARITION DES ECRITURES MANICHEENNES 10 1

endurcis n'osèrent plus s'en réclamer. En Arménie, les Pauli- ciens, pourtant très attachés au dogme des deux Principes en vinrent même à anathématiser Mani (1). Et, pour donner le change aux Catholiques, ils aiïectèrent de ne citer que les Lettres de Paul (2). A partir de cette époque, dans tout l'Orient chrétien, les œuvres du novateur persan ne furent plus citées que pour mémoire.

II

Hors de la Chrétienté les Ecritures manichéennes soule- vèrent une opposition encore plus puissante.

Dans leur pays d'origine elles se lieurtèrent aux traditions nationales des Perses que les Sassanides venaient de restaurer. Sapor I avait dispersé les Gnostiques Sabéens (1^). Puis il avait fait expulser Mani qui s'inspirait de leur enseignement (4). Son petit-fils Bahrâm 1 fit supplicier le novateur. Et il exposa sa dépouille sanglante aux regards de ses disciples terrifiés (5). Par un raffmement de cruauté, il fit même périr 200 d'entre eux la tête enfouie dans le sol et les pieds cloués à des potea.ux : (( Voilà, disait-il avec une ironie féroce, le jardin qu'a planté le roi Bahram » (6). A ce seul trait on peut juger avec quelle sévérité il dut poursuivre les livres de la secte.

Deux siècles plus tard, Mazdak, qui avait en partie repro- duit la doctrine de ces Ecritures réprouvées, fut aussi arrêté et mis à mort avec un grand nombre de ses partisans, 80.000, dit-on, par le roi sassanide Khosrau Anouschirvan ou Chosroes I (7). Celui-ci « rétablit dans son royaume le culte du feu et proscrivit les dissensions, les controverses et les querelles religieuses » (8). Sous son règne la littérature mani- chéenne fut donc à nouveau sévèrement proscrite.

(i) Pliofius, Conl. Mail., I, iG ///)., cf. U)i({., 4 cire, med., cl 8 cire. init.

(•?) Photius, Cont. Man., I. /|, 5, 8, i/j fin, i6, 17, inii., etc.

(3) Cl. Huait, Le //r/'c de la création, p. iGi.

{J\) V. supra, p. a/i, nol. i.

(5) V. supra, p. 25, not. 2, 3, /| cl 5.

(C)) Flïigcl, Mani, p. 33i. Cf. Kulychius. Annales, P. G., CXI, 99/1.

(7) V. supra, p. 72.

(8) Mas'oudî, Les Prairies d'Or, tracl. Baibicr du Mcvnard, t. VIII,.

102 LES ÉCRITURES MANICHÉENNES

Dans les dél)uts de la domination arabe elles durent donner lieu à des poursuites encore plus sévères. Les premiers califes tenaient trop passionnément à l'Islam pour permettre à une religion rivale de s'alTicher en public. Sous leur gouver- nement les livres de Mani ne pouvaient guère circuler qu'en cacbctte et dans des groupes très fermés.

ris ne parurent en public que sous les Abbassides (1). Et ceux-ci prirent aussitôt des mesures contre eux : « A l'insti- gation de Melidi, fait remarquer à ce propos Mas'oudi, les savants controversistes de l'école théologique commencèrent à

réfuter dans leurs ouvrages les sectes hétérodoxes Ils

opposèrent une argumentation rigoureuse au système de leurs adversaires, renversèrent les vaines hypothèses des impies et lirent briller la vérité aux yeux de ceux (|uî doutaient » (2). Le calife employa pour combattre les dissidents des moyens plus radicaux, car il fit mettre à mort son propre secrétaire Mohammed ben Obeïdallah, qui avîiit pris ouvertement i)arti pour l'hérésie (3).

Son fils Haroun al-Iiaschid (765-809) adopta la même ligne de conduite. C/'est ainsi qu'il exerça des poursuites sévères contre la fanûUe persane des Barmacides, dont tous les membres, à l'exceplion d'un seul, étaient des u incroyants » ou des (( Zandi(|ues )), c'est-à-dire des Manichéens (4).

Mansour, iils d'Haroun, (813-834), fut sans doute de tous les califes celui dont les disciï)les de Mîini eurent le moins à souiïrir. Il passa même aux yeux de Musulmans zélés, |)our partager leur foi (o). Il n'en continua pas moins de sévir très durement contre eux. Mas'oudi nous le montre hnsant arrêter certains d'entre eux et leur demandant, sous peine de mort, d'abjurer leur foi et de cracher sur une image de leur maître (G). . Sous le règne de Mouktadir (908-1)32), beaucoup furent obligés d'émigrer pour sauver leur vie (^t un grand nombre se réfugièrent dans la région du Khorassaii, qui avait jadis

( 1 ) V. supra, p. 75.

(•>.) Mas^niidî, Les l^niirics d'Or. trad. liaibirr du McNiiard. t. 1. j). kjj.

p. -My.^.

(.V) Kliif^n-l. Manl, p. 107.

{\) Vlugvl, Maiii . p. 107 ti /|<)7.

(â) FlCifri-'l, Muni. p. 107.

(()} Les Prairies d'or, liad. lîaihici' du Mcyiiaril, l. \\\. p. i:^-iG.

DISPARITION DES ÉCRITURES MANICHEENNES i03

abrité leurs ancêtres contre les poursuites des Sassanides (J). Mais encore ils furent en butte à de nouvelles vexations. Le gouverneur de cette province voulait les mettre à mort. 11 n'osa pas mettre ce projet à exécution, parce que le chef des Toghouzgouz le menaça d'user de représailles envers les Musulmans de ses propres Etats, qui étaient trois fois plus nombreux. Il se contenta de lever un tribut sur les dissidents. Ceux-ci n'en restaient pas moins, par ce seul fait, dans une situation fort précaire (2).

Ce n'étaient pas seulement les représentants de l'Islam qui cherchaient noise aux disciples de Mani. Jusque sur les confins du vaste empire des Abbassides, les Chrétiens menaient aussi contre eux une campagne parfois très vive. Birouni en cite un, Cibrâ'îl ibn Nouh, qui répondit à une critique de sa foi, faite par lazdanbacht (3). Plus tard, Michel le Syrien, Abou'l Faradj (Har Haebraeus), d'autres encore devaient sur divers points s'attaquer à la même hérésie (4).

Les partisans de Zoroastre luttaient aussi de toutes leurs forces contre ces dualistes dissidents, qu'ils regardaient comme des transfuges de leur foi. Un traité pehlvi d'apologé- tique mazdéenne, qui date du ix^ siècle, expose brièvement la doctrine de Mani, puis il en fait une critique très minu- tieuse (5). Une sorte de a somme théologique » du Mazdéisme, le Dtnkard, qui appartient à la même période, s'élève à plusieurs reprises et en termes très vifs, contre la dogmatique €t la morale de l'hérésiarque (Gj. D'autres écrits similaires ont reprendre la même polémique.

Devant ces attaques multiples, les Manichéens perdirent très vite du terrain. Vers la fin du x*^ siècle, An Nadim disait à leur sujet : « Dans les pays de l'Islam ils sont peu nombreux. Dans la ville du salut (Bagdad), sous le gouvernement de de Mu'izz-ad-daula, j'en ai connu environ 300. Actuellement on en trouverait dans l'endroit à peine plus de cinq. Ces

(i) V. supra, p. 79.

(9.) Fiiigel, Mani, p. io6.

{'h Clivôuology, liad. Sachaii, p. 191 v[ Kcsslcr, Mani, p. 3:22.

(^1) V. psura, p. 78, iiol. 4 et 5.

(")) V. supra, p. 80, not. i.

(()) Pcshotiin Sunjana, The Diiikard. Bombay, 1. IV (i883), ui-S°. p. .211-

•212.

104 LES ÉCRITURES MANICHEENNES

Manichéens s'appellent les « Adschârî ». Ils vivent dans les bourgs de Samarkand, de Sogd et surtout à Nounkat (1) ». Un peu plus tard, Birouni écrivait de même à propos de Mani : (( Il ne reste que quelques petits débris de ses partisans qui se réclament de lui. Ils sont dispersés en divers endroits. On ne trouve pas un seul lieu dans le pays de l'Islam ils forment l'ensemble de la population, en dehors de la communauté de Samarkand ils sont connus comme Sabéens » (2),

A mesure que les Manichéens devenaient moins nombreux* leurs livres saints ne pouvaient que se faire plus rares. Birouni en a eu plusieurs entre les mains (3). Mais lui-même déclare qu'il en a longtemps cherché un, celui des Mystères, pourtant très important, et qu'il ne l'a trouvé qu'au bout de 14 ans, dans une grande bibliothèque, à Khwârizm on Khîwa (4). Cette dernière ville, dans laquelle il est et il a passé la plus grande partie de sa vie, était située dans la région de lOxus, depuis longtemps chère aux Manichéens. comme ailleurs les écrits de la secte étaient donc peu connus.

Dans le courant du xi^ siècle, Abou'1-Ma' àlî mentionne un livre appelé YErtenk, écrit et enluminé par Mani lui-même, qui se trouve, dit-il, dans les archives princières de Ghazna(5). Mais il n'en parle sans doute que par ouï dire. Il ne Ta certainement pas lu, car il se montre fort mal renseigné sur le dualisme manichéen, qu'il identifie avec celui de Zoroastre(G) Il semble présenter l'exemplaire qu'il a en vue comme une rareté. Et il ne parait pas connaître d'autres ouvrages du même auteur. A l'est comme au nord du Khorassan, ces écrits avaient donc perdu, de son temps, beaucoup de leur ancien prestige.

Sharastâniest en 1086 dans la même province, à Sahris- tan. 11 montre dans son œuvre une très grande érudition. Et il s'étend longuement sur le Manicliéisme. Or il ne parait pas en

(0 Flii,iïi'l, Mani, p. loO.

[■i] Clironoloiiic, Irad. Sacliau, p. j()i cl Kcsslt-r, Maui, p. 3:n>.

(3) Clirouoloi^ic. }). i()o cl Kcsslcr, Mani, p. 019.

('1) Voir K(l S:;cli;;u, Zur GcschicJdc inu} ClironoUxiic roii Klnrùriztn.

dans les SiîzungshcricJ}(e ôv l'Acadcniic de Vienne (^philol.-liisloi-. klasse), t. LXXIII, (1870), p. .190 cl suiv.

(5) Kosslci", Mani, p. ^71.

(0) KcssU'i", Mani, p. 372.

I

I

DISPARIXrO.N DES ÉCHITUUES MANICHÉEN\ES 105

avoir lu les textes officiels, Dès le début de son exposé, il se réfère à un auteur plus ancien, Mohammed ibn Hâroun, plus connu sous le nom de Ahou-lsà al Warràk (1), qui est pré- senté par An Nadim comme un « poète scolastique )) secrètement attaché à l'hérésie (2). lit il invoque aussi en terminant le témoif^nai^e deTinuim numichéen Ahou Sa'ïd (3). Il mentionne même en passant deux écrits de Mani (4). Mais il ne doit les connaître que par quelqu'un de ces intermédiaires, car ce n'est point la doctrine du maître ({u'il présente, mais celle de ses modernes partisans.

xAssez ion^i^temps a[)rès Sharastàni, un écrivain chiite du Yémen, Ibn al-Mourtadâ, fait alhision à deux livres mani- chéens (5). Mais il n'en connaît pas d'autres (G). Et il emprunte les renseignements qu'il fournit sur ceux-là à un « savant )) auteur, dont il ne dit pas le nom et qui peut être bien plus ancien (7).

En somme, depuis le xi« siècle, à travers tout le monde islamique, ces Ecritures dualistes qui y ont eu autre fois tant de vogue n'y sont guère citées que pour mémoire. Les multiples attaques dirigées contre elles ont fini par triompher de leur vitalité.

En Chine la campagne antimanichéenne a commencé plus tard. Mais elle ne s'est montrée ni moins violente, n moins tenace. Déjà l'édit impérial de 732 qui autorisait la religion de Mani avait soin de la présenter comme « une croyance foncièrement perverse, >) qui prenait faussement le nom du Bouddhisme. Il n'en permettait le libre exercice que par égard pour les (( maîtres des Hou d'Occident )) qui la prati- quaient officiellement (8). Une pareille tolérace s'imposait plus encore quand le puissant royaume des Ouïgours se fut rallié officiellement à la foi dualiste (9). Mais quand ce royaume se

(i) Religions par leï en, trad. Haarbrûcker, I, 285.

(2) Flugel, Mani, p. 107.

(3) Religionsparteien, trad. Haarbrûcker, I, 290. {^) îbid., p. 290.

(5) Kesslcr, Mani, p. 354.

(6) Kcssler, Mani, p. 35o.

(7) Kesslcr, Mani, p. 354-

(8) Chavannes et Pelliot, Joiirn. Asiat., igiS, p. i54-i55.

(9) V. supra, p. 84-85.

i06 LES KCRITLRES MANICHEENNES

fut eiïondrë, les autorités chinoises, qui l'avaient longtemps redouté ne se crurent plus tenues aux mêmes ménagements et adoptèrent une attitude résolument hostile. Les Manichéens furent aussitôt en hutte aux pires vexations. Dès 842, leurs temples du Yang-tseu furent fermés et leurs religieux ramenés vers le Nord ( I). L'année suivante, un nouvel édit applicahle à tout l'empire proscrivit leur religion et ordonna la confiscation de leurs hiens et la fermeture de tous leurs sanctuaires (2). D'après l'ordonnance impériale dont un texte plus tardif nous donne le résumé, le§ « fonctionnaires que cela concernait devaient recueillir les livres et les images des Manichéens et les brûler sur la place publique » (3).

Condamnés parla loi, les disciples de Mani ne purent plus subsister qu'en se dissimulant. Mais le mystère même dont ils s'enveloppaient se retourna contre eux. On leur reprocha de s'adonner en secret à toutes sortes de maléfices et de désordres. A propos d'une révolte qui se produisit.en 020, dans le Ho-nan, et dans laquelle ils furent impliqués, un texte les accuse de se rassembler la nuit u pour se livrer à des débauches obscènes » (4). Un autre les montre vers le milieu du x^ siècle, dans le Fou-Jvien, se vouant à des pratiques ténébreuses et allant, de nuit, avec* « leurs livres saints », exorciser un possédé qui meurt dîins Tannée (5). Au regard des profanes, les Ecritures manichéennes passaient pour des recueils de formules magiques et malfaisantes.

Ce n'est (jue [)ar surprise qu'au début de xi® siècle elles parvinrent à entrer dans le Canon taoïque entrepris par l'ordre de Tshen-tsong (Oi. Kt elles ne jouirent pas . longtemps de cette faveur inattendue. Taoïstes orthodoxes et Houddhistes continuèrent de les regarder comme hérétiques (7).

Des lettrés en firent la critique. Au xn'' siècle, Hong Mai présenta « l'Association de la Religion de la Lumière » comme une sectes perverse qui se réclamait faussement de

(i) (ilia\imiu's cl JN'IlioL Journ. Asiaf., kjio, 289-295.

(■i) ('Jia\atuH's cl l'cllloi, ibid., p. 295-3oi.

(.'V) (:iia\aiiiics cl Pclliol, ibid., p. 290. '•'

(l) (lliavanucs cl Pclliol. ihid. p. iv^d-o-d, cf. 02l-.'v>'|.

(.") ('Jiaxaiiiics cl Pclliol. ihid., p. rt2/|-325.

(0) V. supro. |). SS.

(7) C.lunaiitics cl l'(<Miol, Jouni. Asial., 1910, p. 328-33o.

DISPARITION DES ECRITURES AIANICHEENNES 107

Lao-tseu et du Bouddha et qui cherchait à légitimer les écrits de Mo-Moni à l'aide de textes fautifs ou apocryphes d). Lou Yeou se montra encore plus violent. Dans un de ses ouvrages il présenta les Manichéens comme des « démoniaques » , hahiles à tromper la masse, et leurs livres sacrés comme des tissus de « divagations » qui n'avaient pu être conçus que par des (( magiciens )) et des « imposteurs )) (2). Dans la supplique qu'il adressa en 1166 à l'empereur sur les réformes néces- saires, il insista pour qu'on prît à leur sujet des mesures rigoureuses : a Je désire demander au gouvernement impérial, expliquait-il, d'ordonner sévèrement aux intendants et aux autorités locales de rechercher ces hérétiques avec un zèle incessant. S'il y en a qui désohéissent aux magistrats, qu'on leur applique exactement les châtiments prescrits par les lois. Il ne faut pas qu'avec des gens qui s'initient aux textes d'une religion dont les livres saints sont sans fondements les règle- ments soient appliqués avec indulgence. De plus, qu'on fasse savoir partout, par des proclamations (l'ordre suivant) : Ceux qui propagent et pratiquent actuellement (cette religion) ont un délai d'un mois pour apporter d'eux-mêmes aux magistrats leurs livres saints et leurs images, leurs vêtements et leurs coifïures. On leur accordera alors le pardon de leur crime. Mais, après ce délai, on accordera des récompenses importantes pour ceux qui dénonceront ou arrêteront ces gens. Quant aux textes de leurs livres saints et aux planches qui servent à les imprimer, les préfets et les sous-préfets auront l'ordre de les rechercher à fond et de les brûler immédiatement. En outre, qu'on établisse cette loi : A toute personne qui aura pour le compte d'autrui peint des images démoniaques ou qui aura soit copié un manuscrit, soit gravé pour l'impression les textes des livres malfaisants et trompeurs de la Religion de la Lumière ou d'autres (hérésies) on appliquera, dans tous ces cas, la peine du bannissement pour un an. On pourra ainsi supprimer silen- cieusement le fléau des rébellions qui éclateraient sans cela dans l'avenir )) (3).

La supplique de Lou Yeou paraît avoir obtenu son eiïet et

(r) Cliavanncs ot Pelliot, Journ. Asiat., 1910, p. SSo-SSg.

(2) Chavaniics et Pelliot, Journ. Asiat. igiS, p. 339-343.

(3) Chavaiines et Pelliot, Journ. Asiat., I9i3, p. 35o-35i.

LES ECKTTUHES MAMCIIEENNES

avoir abouti à une inquisition assez semblable à celle qui s'organisait vers la même époque en Occident contre les Albigeois néomanicbcens. Dans la première partie du xiii'' siècle, le bonze Tsong Kien dit en eiïet: « Selon les lois de la dynastie actuelle, ceux qui trompent le peuple par la transmission et la pratique du livre saint des Deux Racines et du texte de livres saints sans fondement que les Canons ne contiennent pas, seront condamnés au chef de doctrines hétérodoxes » (1). Encore en 1370, un document administratif, sanclionné par un édit impérial, réprouve la (( Religion du Vénérable de la Lumière », en môme temps que « l'Association du Lotus blanc )), la a secte du Nuage blanc » et les u pratiques magiques par lesquelles des sorciers et des sorcières sou- tiennent le phénix, adjurent les saints, écrivent des charmes et font des incantations sur l'eau )> (2).

Un article du Code des Ming, qui date de 1374, ou tout au moins de 1397, ajoute en se référant à ce texte : « Tout maître, ou sorcier qui fait faussement descendre des divinités hérétiques, écrit des charmes, prononce des incantations sur l'eau, soutient le phénix, évoque les saints et se donne les titres de « seigneur de la doctrine », de « grand protecteur )) ou de (( mère instructrice », ainsi que les sociétés qui s'inti- tulent mensongèrement « Culte du Rouddha Maitreya, Associa- tion du Lotus blanc, Religion du Vénérable de la Lumière, Secte du Nuage blanc » etc., qui toutes s'adonnent à des pratiques de doctrines hétérodoxes troublant d'ordre) correct, lorsqu'elles conservent secrètement des images (de leurs dieux), leur brûlent de l'encens et tiennent des réunions on s'assemble la nuit et l'on se disperse à l'aube, feignent de pratiquer des œuvres bonnes et trompent le peuple, pour les chefs, c'est la strangulation, pour ceux qui les suivent, à chacun, cent coups avec le bâton lourd et la déportation à vie à 3.000 /i » (3).

Dans ces derniers documents, qui visent clairement la religion de iMani, ses Ecritures ne sont pas mentionnées. C'est sans doute parce qu'elles ne jouent plus le môme rôle

(i) Chavannes et Pclliot, Journ. Asiat., I9i3, p. 353-354- (i) Chavannes et Pelliot, Journ. Asiat., igiS, p. 36G. (3) Chavannes et Pclliot, Journ. Asiat., igiS, p. 3G7-368.

DISPARITION DES ÉCRITURES MANICHÉENNES 109

qu'autrefois. Depuis le bonze Tsong Kien, aucun auteur connu ne paraît soupçonner leur existence. Elles ont disparaître peu à peu au cours du Moyen Age. Il ne pouvait en être autrement après les mesures sévères édictées contre leurs lecteurs et leurs propagateurs.

Dans l'Asie Centrale les textes sacrés du Manichéisme n'ont pas rencontré auprès des pouvoirs civils la même défaveur. Mais ils ont eu à se défendre contre l'influence du Bouddhisme. Cette dernière religion était établie beaucoup plus anciennement dans le pays et elle y avait jeté des racines profondes (1). Les Manichéens n'avaient pu s'installer et se maintenir qu'en présentant leur Maître comme un nouveau Bouddha (2). Un de leurs traités, récemment découvert à Touen houang, se présente même sous la forme d'un soutira bouddhique (3). Pareil syncrétisme était très dangereux. Il risquait de faire perdre peu à peu à la littérature manichéenue toute originalité et toute raison d'être. Peut-être eût-il suffi à en provoquer la disparition.

D'autres causes d'ailleurs durent concourir activement au même résultat. Les principautés turques de l'Asie centrale furent souvent envahies au Nord ou au Midi, à l'Est ou à l'Ouest, par de puissants voisins, dont elles gênaient l'expan- s ion et dont la religion officielle cherchait toujours à s'imposer. L e Manichéisme eut sans doute beaucoup à souffrir de ces divers bouleversements. Déjà très ébranlé par la chute de l'empire ouïgour de l'Orkhon, il subit les vicissitudes des petits Etats qui en rcueillirent les débris (4).

Au cours de l'invasion mongole notamment, il dut éprouver des pertes importantes. Il semble avoir résisté pourtant à la tourmente et s'être maintenu jusqu'à la cour des nouveaux

(I) « Aulrofois j'étais ignoraiiL cl j'appelais Bouddha des démons », dit le roi Ouigoui- conveili au Manie liéisiîi(> dans rinseiiption de Karabal- gasoun (Chavannes et Pelliot, Journ. Asial., igiS, p. kjS). Si la phrase ne montre pas qu'il professait auparavant le Bouddhisme, on peut du moins en conclure que sa foi antérieure en subissait profondénient l'influence.

('>.) Le texte d<' la note précédcnic monlre c|ue pour le roi Manichéen Bouddha demeure synonyme d'être divin.

(3) V. Chavannes et Pelliot, Journ. Aslat., igii, p. 5oo, 5o3, 5o8, etc.

(!\) V. supra, p. 86.

8

ilO

LES ECRITURES MANICHEENNES

conquérants puis, après leur disparition, en certaines régions que leur isolement naturel défendait mieux contre les dangers extérieurs. Mais aucune mention n'est plus faite de sa littérature religieuse en ces pays pendant plusieurs siècles ses livres saints avaient été tant lus.

CHAPITRE TROISIÈME Survivances des Ecritures manichéennes

Si les livres sacrés du Manichéisme ont disparu depuis longtemps, il nous en reste pourtant divers débris et des signalements encore plus nombreux. Les premiers renseigne- ments que nous possédions sur eux nous sont fournis par les auteurs chrétiens ou apparentés au christianisme. D'autres plus tardifs nous viennent d'historiens étrangers à la foi chrétienne aussi bien qu'à celle de Mani. Les plus récents enfin nous ont été livrés par les manuscrits manichéens découverts à Tourfan ou à Touen houang.

I

///e siècle. Déjà à la fin du iri*^' siècle, dans son traité Des dogmes des Manichéens d), Alexandre de Lycopolis nous donne quelques indications sur les « Ecritures anciennes et nouvelles » dont font usage ses adversaires (2), On la pris longtemps pour un catholique, même pour un évêque (3). Il se rattache plutôt au Paganisme lettré de Plotin et de Porphyre, qui avant lui ont lutté déjà contre le Gnosticisme (4). Mais il parle sans animosité du Christianisme qu'il distingue nettement de l'hérésie dualiste (5). Et il connaît celle-ci d'une façon directe et même assez précise (6).

(i) P. G., XVIII, liOQ-liliS (éd. Fr. Combcfis, 1672) et Collection Tciibner, Leipzig, 1895, éd. A. Brinkmann.

(•i) Op. cit., 5 cire. med.

(3) P. G., XVIII, /jo9-4i2.

/j ) A. Brinkmann, op. cit., praef, XII-XIII.

(5) Op. cit., I.

(6) Op. cit., 2-5.

112 LES ÉCRITURES MANICHEENNES

/F* siècle. De tous les auteurs Chrétiens, Hégémonius ou l'auteur, quel qu'il soit, des Actes d' Archelaus est le premier connu qui parle des écrits de Mani (I). Son œuvre constitue une sorte de drame théologique en ({uatre actes. D'ahord un certain Turho, disciple de Mani, est envoyé par lui à Kashkar en Mésopotamie, auprès de Marcellus, un chrétien influent qu'il a mission de convertir et il lui expose la foi nouvelle (2). Sur la demande de Marcellus, l'hérésiarque lui-même va hientôt le rejoindre et il engage une discussion puhlique avec Archelaus, l'évêque du lieu, par qui il est très vite confondu (3). Il s'enfuit alors jusque dans le bourg de Diodore, où, sur la demande d'un prêtre du même nom qui l'entend exposer ses erreurs, Archelaus vient ouvrir avec lui un nouveau tournoi, le réfute une seconde fois et l'oblige à retourner en Perse (4). Enfin, l'évêque d9 Kashkar raconte la vie de Mani et à cette occasion il fait l'histoire de ses écrits (5). L'ouvrage n'est parvenu jus- qu'à nous qu'en une traduction latine qui a être faite vers 400 (6). Mais il a être écrit en grec, et sans doute en Syrie, dans le premier quart du iv® siècle (7).

Les œuvres d'Ephrem ont été rédigées peu après à Edesse (8). Et elles contiennent maint détail suggestif sur la littérature manichéenne, que l'auteur syrien a lue en sa langue originale. Particulièrement importants sont, à ce point de vue, cinq Sennons contre Mani, Marcion et Bardesane, récemment édités d'après un palimps?ste (9).

Un contemporain d'Ephrem, Cyrille de Jérusalem, a lu aussi, vers le milieu du iv* siècle, certains des livres saints de

{i') V. G., X, i4o5-ir):^8 (rd. Zacag:ni. 1698) et C. S. E. de Bt>rliii, éd. lîceson. {■>.) Op cit., i-ii. (iV) Op. cit., 13-38 inil. (/i) Op. cit., 28 fil}., fii iuH.

(5) Op. cit., f)! cire. inil. 55 avec le coniplémenf édile par Ijceson. (G) Rooson, Op. cit., Pracf., XVI-XIX.

(7) Becson, ibid., XIII-XVI.

(8) .1. et E. Assomani, Snncti Ephrcni opcni otnnin quae exstant graece^ syriacc, latine, Rome. 1733-1746, G vol. A compléter par Th. .T. Laniy. S. Ephrucni Hymnii et ScnnoncSy JVlalinos. 1882-1903.

(9) C. W. Milchell, S. Ephraini\s Prose {Réfutations of Mani, Marcio)\ and Banidisan), Londres, 191a, 8°.

I

SURVIVANCES DES ECRITURES MANICHEENNES

113

la nouvelle secte (1 ). Il les prend vivement à partie dans sa VI® Catéchèse, il passe en revue les grande hérésies (2). Et, à cette occasion, il nous fournit sur eux quelques indications qui se rattachent aux Actes d'Archélaus, mais qui les complètent sur plus d'un point.

Vers le même temps, Sérapion de Tmuis, dans la hasse Egypte, a écrit contre les Manichéens un traité important, dont une partie seulement avait été conservée (3), et dont le reste a été récemment découvert presque en entier dans une œuvre analogue d'un autre polémiste (4). Il y étudie la dog- matique et l'exégèse biblique des Manichéens et, à ce double point de vue, il nous fournit des détails nouveaux sur le con- tenu de leurs livres.

Quelques années après sa mort, un autre évoque, Titus de

Bostra, dans le Hauran, a publié une nouvelle critique du

Manichéisme, celle précisément dans laquelle l'ouvrage de

Sérapion s'est fondu en partie. Son texte, conservé seulement

à moitié et avec beaucoup d'altérations dans l'original

grec (5), nous est arrivé en entier et en très bon état dans une

version syriaque (6). Il comprend quatre livres dont les deux

premiers sont plutôt dialectiques et les deux derniers exégé-

tiques (7). Les uns et les autres complètent avantageusement

l'œuvre de Sérapion, avec laquelle ils ont des rapports très

étroits.

Peu après la mort de Titus de Bostra, Epiphane, écrivant

son Panarion ou traité Contre les Hér^ésies a longuement

exposé dans la LXVP section de cet ouvrage la vie et la

doctrine de Mani (8). Mais il n'a guère fait que reproduire

{i) Calech., VI, 34.

(a) P. G., VI, 20-35.

(3) P. G., XL, 900-924.

('\) Titus (le Bostra, I, 3i, rire, med., et TTI. 1-20. Voir sur ce sujet A. Brinkmann, Sérapion von Tniuis dans les Siizungsberlclite de l'Aca- démie des vScienccs de Berlin, 1894, p. 479-491.

(5) Edition Galland, Paris, 1779, reproduite par Migne P. G., XVIII, 1069-126/i, très défectueuse.

Ed. Paul Ant. de Lagarde, Titi Bostreni quae ex opère contra ManicJiaeos edito in codice Hanibiirrgensi se.rvata sunt graece, Leipzig, 1869, 8°, seule acceptable.

(6) Paul Ant. de Lagarde, Till Bostreni contra Manichaeos llbrl quatuor syriace, Leipzig, 1869, 8°.

(7) Voir le sommaire dans P. G., XVIIÎ, 1267.

(8) Haer., LXVI, chez Migne, P. G., XLII, 29-172.

114 LES ÉCRITURES MANICHEENNES

assez servilement les indications de l'éveque du Hauran et surtout celles des Actesd'Archelaus, qu'il n'a, d'ailleurs, toujours pas bien comprises (1). Hien ne montre qu'il ait eu une connais- sance directe, ou, tout au moins, un peu précise, des livres qu'il critiquait.

On peut en dire autant de la plupart des auteurs latins de la même période. Hilaire {2}, Ambroise (3), Jérôme (4), Pliilastrius (5) parlent assez fréquemment du Manichéisme. Mais ils le font toujours incidemment et en termes très vagues, qui ne supposent pas une connaissance personnelle des livres de la secte. Victorin semble faire exception. 11 a écrit tout un traité Co)itre les deux Principes des Manichéens (6). 11 y mentionn(? môme cn^ commençant les Actes d'André et le Trésor (7). Seulement il ne cite pas \v moindre texte et il ne rapporte aucun détail un peu i)récis de la doctrine qu'il combat.

Seul Augustin montre une connaissance directe et appro- fondie des Kcritures manichéennes. De la 19^ à sa 28^ année, en sa qualiti' d'Auditeur, il les a entendu lire assidinnent dans les assemblées religieuses, il h^s a étudiées avec le plus grand soi il et s'est eiil retenu à leur sujet avec les représentants les plus autorisés de la secte (8) ; il en a défendu la doctrine en mainte conversation, en mainte conférence, jusque dans un trait»' De 1(1 beaiUé et de lu finalité, (pii malheureusement s'est perdu de bonne heure, et il leur a recruté des partisans zélés (9). Plus tard, une fois converti au (Catholicisme, il les a relues avec une jittention d'autan! plus grande qu il voulait

(I) Ijii-iiHMiic in(li(jii(' SCS sources. Ihwr. LWl. M cf surtout ;)5.

{■>.) De Trin, II, /( : Vi, lo ; /1(/. Confiant, 11, 9: In Psalin, LWIII. i/|.

(.?) Hcxiicn)., 111. o:). : -Ipo/. Dnv. ait., 27; In PsaJni. GXVIII, serm., 1. 8 et Wll. ,H,S ; De fid.. I, 07 : H, /|4. 1 19 : III, /|2 ; Y, io/|-io5. i8:> ; De Incarn. 8: l':i>isl., Witl' ]i cl \l,ll, i2-i3.

( '1 1 /// r.sd'Ktnt , Il . .■>.

( .") 1 De Ihirr.. (>i. cf. 8S. 100 cl i:>9 diiiis P. ),.. Ml. 1175. 1199, 121/1 et .j'K)'; (c(l. (lalcarclus, Bicscia, I7;^i)- r*'\l<' niciilciii' dans le C. S. K. J.. t. WWIII. (c.l. Marc. Vienne. 1898).

iC») I*. 1... VIII. 999-1010. (7) r. L. MU. 999.

(Si \()ir (liiiis mon Krol. inirll. dr S. \n,g.. le chapilit> ilnal de la i*"^ par- tie inliliilé. \(iliin' du Maiiichcisnic d' [iKiiistin . i'"^ section. (91 ^oi^ ihidi'in.. .V' section.

I

SURVIVANCES DES ÉCRITURES MANICHÉENNES H5

en faire une critique serrée et décisive, et qu'à plusieurs reprises les fidèles eux-mêmes ou les pouvoirs publics lui en remettaient des exemplaires pour qu'il les réfutât. Nombreux sont les travaux qu'il leur a consacrés. Simple moine à Thagaste, entre 388 et 391, il les prenait déjà à parti dans un traité Sur les Mœurs des Manichéens (1), dans un second Sur la Genèse contre les Manichéens (2), dans un troisième De la vraie religion (3). Prêtre à Hippone de 391 à 395, il les attaquait encore dans un livre sur l'Utilité de croire, adressé à un certain Honorât qu'il avait lui-même converti autrefois à la foi de Mani (4j, dans un autre sur les deux âmes contre les Mani- chéens (5), dans une conférence contradictoire Contre le Mani- chéen Fortunat , dont il a revu et conservé les actes officiels (6), dans une œuvre Contre Adimante disciple de Manichée, qui est restée inachevée (7). Evêque d'Hippone, il en poursuivait encore la critique en 390 dans un livre également interrompu Contre If^^pUre de Manichée dite du Fondement (8), vers 400 dans de nombreux Chapitres des Confessions (9) et dans 33 livres Contre Fauste (10), en 404 dans une nouvelle conférence Contre Félix, dont il a publié aussi le texte authentique (il) et dans un traité important Sur la nature du Bien contre les Manichéens (12), en 405 dans une réplique docirinale Contre le Manichéen Secundin (13) enfin dans quelques lettres ("14) et de nombreux sermons (15). A travers ces écrits il cite fréquem- ment et parfois même copieusement les livres qu'ils combat

(I) P. L., XXXII, i3/i5-i378. {-i) P. L., X'XXIV, 173-220. (3) P. L., XXiXIV, 121-172.

t^i) P. L., XLII, 63-92 et C. S. E. L.,XXV, 1-48.

(5) P. L., XLII, 93-112 et C. S. E. L., XXV, 49-80.

(6> P. L., XLII, ii-i3o et C S. E. L., XXV 81-112.

(7) P. L., XLII, 129-172 et C. S. E. L., XXV, 113-190.

(8) P. L., WAï. !7;;-o„r, h c. s. e. l., xxv, 191-2^,8.

(9) III, 10-18 ; n , I, 3-1, 2^1 ; \, 3-13, 20, 24-39, etc.

(10) P. L., XLII, 207-518 et C. S. E. L., XXV, 249-797.

(II) P. L., XLII, 519-552 et C. S. E. L., XXV, 799-852.

(12) P. L., XLII, 551-572 et C. S. E. L., XXV, 853-889.

(i3) P. L., XLII, 571-602 et C. S. E. L., XXXV, 891-947.

(i4) Epist., CLXV, i; CLXVI, 7 et CCXXXVI, i-3.

Ii5) Serm. I, II, XII, CLIII, CL^'XXII, CCXXXVII et Enarr. in Psalm. CXL.

116 LES ÉCRITURES MANICHEENNEà

et il nous renseigne sur eux mieux qu'aucun des autres polé- mistes chrétiens.

siècle. Au début du siècle, son compatriote et ami Evode, évoque d'Uzzale, a aussi écrit un ouvrage important Contre les Manichéens, il cite à plusieurs reprises VEpitre du Fondement et le Trésor {{). Mais il ne fait guère que reproduire les critiques et même les citations augustiniennes, celles notamment du traité De la nature du bien. Il ne fournit aucun détail nouveau sur la littérature de la secte.

Un peu plus tard, le pape Saint Léon a repris la même critique dans de nombreux sermons plusieurs fois il parle en connaisseur des Ecritures manichéennes. Comme il a fait la chasse à ces dernières et comme il s'en est vu livrer de nombreux exemplaires (2), on pourrait croire qu'il les a lues avant de les brûler. Mais une étude attentive de son œuvre montre qu'il emprunte tous ses renseignements soit à l'évêque d'Hippone soit aux autres polémistes latins.

Peut-être est-ce vers le même temps qu'a paru la Formule latine d'abjuration imposée aux Manichéens convertis (3). Elle aussi mentionne les écrits de Mani et ceux d'Addas ou d'Adimanle (,\). xMais on aurait tort d'y chercher une analyse, même sommaire, de ces œuvres. Son auteur ne les a sans doute jamais lues ni jamais eues entre les mains. Comme Evode et le pape Léon, il emprunte tous ses renseignements à Augustin, si bien qu'il a été longtemps confondu avec lui (5).

Mieux renseigné est l'historien grec Théodoret évêque de Cyr. Dans son Résumé des fables hérétiques, écrit entre 451 et 458, il expose les principes de la croyance des Manichéens en termes trop précis et trop personnels pour ne pas utiliser une

(i) P. L., XLII, ii39-ii53 ot G. S. E. L., XXV, o^g-QT^.

(3) V. siipru, j). 05, iiol. 3.

(3) Texte abrégé dans P. L., XLll, ii53-ii56 (lo articles), plus complet dans P. 1. , TAV, !>3-3o (;n arlicl(«s). Lo i*^'" a été édité aussi dans le C. S. E. L., XXV, 979-981^.

(/i) Ar(. 10, i5, iS-.Ti dans la grande formule.

(5) Le dernier éditeur de Coiivmonitorium te montre encore assez dis- posé à le regarder comme une œuvre augustinienne (C. S. E. L., t. XXV, préf. p. LxxxvuT-iAxx). J'ai cru devoir, après les Bénédictins (P. L.. XLIT, II 53-11 54) adopter une opinion opposée.

SURVIVANCES DES ECRITURES MANICHEENNES

117

W

œuvre de la secte (1). Mais il n'en cite et n'en mentionne expressément aucune.

VI^ siè^le. Au début du siècle suivant, Sévère d'Antioche revient sur le même sujet. Dans une Homélie dont le texte grec a été perdu, mais qui nous a été conservée à travers une traduction syriaque, il donne un exposé des principes de la foi manichéenne très ressemblant à celui de Théodoret (2). Et il cite en propres termes et à plusieurs reprises un écrit de Mani dont, par ailleurs, il se refuse à donner le titre.

Par une contradiction qui ne manque pas de piquant, dans un traité Des deux natures écrit vers 530, le moine Eustathe reproche à Sévère d'Antioche de s'inspirer des écrits de Mani. Et à cette occasion il cite plusieurs passages qui seraient empruntés à ces derniers {',]). Mais rien ne montre qu'il ait lu un recueil authentique d'ouvrages dualistes. Ses citations semblent plutôt empruntées à une de ces nombreuses Chaînes les controversistes grecs accumulaient des témoignages pour ou contre les dogmes discutés

Un peu plus tard, le théologien Léonce de Byzance consacre un chapitre important de son traité Des sectes h Ihérésie manichéenne (4). Il en expose sommairement les points essentiels. Et à cette occasion il en mentionne aussi quelques Ecritures particulièrement connues et répandues.

Dans la seconde partie du VP siècle, au cours du livre De la réception des hérétiques, le prêtre Timothée de Constantinople étudie à nouveau la religion de Mani. Il en décrit les doctrines d'une façon très brève mais assez personnelle. Et il en énumère les a Ecritures démoniaques », ou, du moins les principales, sans donner pourtant sur elles aucun détail précis (5).

De cette œuvre essentiellement pratique on peut rapprocher la première Formule Grecque d^abjuration imposée aux Manichéens convertis, qui a être composée vers la même

(i) P. G., LXXXIII, 377-381.

(a) Edité, traduit et commenté par Fr. Cumont, Recherches sur h' Mdui- chéïsme, fasc. 2, Bruxelles, 191 2, 8°.

(3) A. Maï, Script, vet. tiov. coll., Romae, i833, 4°, t. VII, p. 277.

(4) P. G., LXXXVI, i2i3.

(5) P. G., LXXXVI, 20-24.

118 LES ÉCRITURES MANICHEEN.NES

époque J ). Les grands écrits de la secte proscrite sy trouvent indiqués. Plusieurs même y sont brièvement caractérisés. ¥A les dogmes fondamentaux du Manichéisme y sont aussi rappelés avec des détails précis et suggestifs, qui semblent puisés à bonne source, malgré les altérations que leur ont fait subir des copistes distraits et ignorants.

1//^ siècle. L'auteur anonyme de la Doctrine des Pères sur l'Iiicmiintion du Verbe, qui écrit entre 662 et 679, combat le Monopliysisme en le présentant comme un succédané des vieilles hérésies. Et à cette occasion, il cite plusieurs passages (VEpitres de Mani (2). Mais, à l'exemple du moine Eustathe, il paraît h^s emprunter à quelques Chctiries pins anciennes dont rien ne garantit l'authenticité. Les textes allégués doivent donc être étudiés en eux-mêmes et une critique minutieuse s'impose à leur sujet.

A la fin du vii^ siècle, Anastase le Sinaïte, critiquant les doctrines monophysites, afïîrme également qu'elles ont été empruntées aux « livres manichéens )). Il se trouve ainsi amené à parler de ces derniers qu'il paraît bien connaître. Et il en rapporte certains détails qui présentent des rapports assez étroits avec les dogmes qu'il combat (3).

VIII- siècle. Dans la première partie du siècle suivant, Jean Damascène écrit tout un Dicdogue contre les Manichéens (4) et une Discussion de Jean l'Orthodoxe avec un Manichéen (5). Sa critique est essentiellement doctrinale et vise des livres hérétiques. Seulement il n'en cite aucun. Il se contente de rappeler leurs principales thèses pour mieux les critiquer. Aussi n'ajoute-t-il aucun renseignement nouveau à ceux de ses devanciers.

Bien plus précis (ît instructif est un contemporain Théodore bar Khôni. a docteur du pnys Kashkar ^) (6). Dans le

iii W (i., i3:>!j-ior!5. d'après J. Goar. EucUologion . Paris. i647; ^ol-

88r)-8S(l.

i'v. hickaiiij). Doclriiia Pdlrum (le IiïCdriïalione \crhi. Wiin^icv. 1907, 8". |). 17. ôS. ()9-7o. 175, 3o6.

\'^) V. (i.. IA\\I\, i()>. !()(). i>o, 192, 218, 253. 290. etc.

'i. V. C, \(:iV, iôo3-i58/i.

:)i F. (',.. \c\\. i3M.)-i33r..

0) Sur crl\v \illc. (jiii doit rtrc située eu Mésopotamie voir plus liant, p. 2/1, uot. 7.

SURVIA \NCES DES ÉCRITURES MANICHEENNES 119

livre des Scholies, rédigé vers 791, il consacre mu) section emportante à l'étude des sectes chrétiennes et il s'étend assez longuement sur le Manichéisme (1). Après avoir exposé la vie de Mani, il veut donner un « écliantillon des ojiinions blasphé- matoires )) soutenues par cet impie a pour la plus grande honte » de ses disciples. Et, pour les ridiculiser, au lieu d'en donner un exposé continu, il ajoute, bout à bout, des phrases bizarres empruntées aux Ecritures manichéennes. Par il nous renseigne plus sûrement en quelques pages que d'autres en de longs traités.

/.Y^ siècle. Au début du ix*^ siècle, Nicéphore, patriarche de Constcintinople, le grand défenseur des images, revient sou- vent sur le même sujet. A défaut de son traité Contre les Juifs, les Cataphryqes et les Manichéens, depuis longtemps perdu, nous possédons de lui plusieurs autres écrits Contre Eusèbe, Contre Ej/iphaiiide, Contre les Icoiioclastes, dans lesquels, à l'exemple du moine Eustathe et de l'auteur anonyme de la Doctrine des Pères sur l'Incarnation du Verbe, il reproche aux hérétiques de son temps d'avoir puisé leur insj)iration dans la litt«''rature dualiste et il cite à cette occasion plusieurs passages des Lettres de Mani [1). Mais, comme ses devanciers, il em- prunte ses citations à un recueil de témoignages ecclésias- tiques dont rien ne garantit l'authenticité. 11 invoque u les livres )) que les « prêtres )) manichéens ont entre leurs mains. Mais il montre qu'il ne les a point lus, car il alïirme gravement que les Images s'y trouvent condamnées iW) î

Pierre de Sicile et IMiotius, dans leur Histoire des Mani- chéens (4) et dans les Discours antimanichéens dont ils ont fait

(I) H. Pognon, Inscriptions Mandaïles des coupes di' Kliou(d)ir, Paris, 1899, 8^, en appendice, p. 181-193 et Franz Cnmoiil. Ilecherche.s sur le Manichéisme, fasc. i (Bnixelles, 1908, in-S*^).

(•il Contre Eusèbe, c. 21, /|i et 'ja, chez Piira. Spicil. Solesni.. l, /io5- /406, 433 et 444.

Contre Epiphdnide, c. 21 et 29, chez Pitra, op. cit., IV, p. 359-060, 37G et 378.

Conti-e les Iconoclastes, Bibl. Nat. Mss. grecs, Fonds Coslin, 93, foJ. 2i5,

j'

i3i AntirrlK, HT, Àdv. Const. Copr., 44, P. G., c. 464-

(4l Pierre i\c Sicile, P. G., CIV, i2io-i234,

Photins P. G., Cil, i6-84.

Les mêmes récits ont encore paru sous les noms de, Pierre Hégoumènc

120 LES ÉCRITIRES MANICHEEINNES

suivre celte histoire (li, se montrent mieux informés et plus documentés. Ils ont surtout en vue la propagande paulicienne. Mais ils la rattachent aux écrits de Mani, ainsi qu'à ceux de ses premiers disciples. Et ils fournissent sur les uns et sur les autres des détails assez précis dont plusieurs n'apparaissent point ailleurs.

A ces divers écrits, notamment à ceux de Photius, se lie étroitement une nouvelle Formule grecque d'abjuration, plus longue et plus détaillée que la première (2). Elle énumère tout au long les Ecritures manichéennes, ou du moins, les princi- pales, celles qui étaient surtout entrées dans l'usage courant. Etclle en expose la doctrine générale en ipielques traits sohres, mais suggestifs, qui en supposent une connaissance directe et même une étude suivie.

Siècles suivants. La suite de la littérature chrétienne ne fournit guère sur le Manichéisme que des ouvrages de seconde main dont les renseignements sont empruntés à quelqu'un des écrits déjà énumérés. Ainsi, au x'" siècle Agapius, évêque de Menhidj, dans son Histoire universelle (3», au xi^ 1 archevêque bulgare Theoph^^lacte dans ses travaux éxégétiques (4), au xiT' Michel le Syrien, patriarche jacohite d'Antioche, dans sa Chronique (5). au xin" Grégoire Abou'l Faradj. plus connu sous nom de Bar Jtebraeus, dans sa Clironique ecclésiastique (6i

(('•(1. (iicsclcr, Gôttingon, iS^Q, 4") <'t <lc Georges le Moine (éd. et comm. par J. R. l^'i-iedriclî, Der urspinujUcJie bci Gcorgios Monachos niir ieilweise. erlialtene Bericht uber die Paiilikianer, dans les Sitzutigsbenclile de l'Aoa- démic de Miinicli d<' 189O, p. 67-1 11).

Sur les problèmes littéraiies que sonlèvent ces diverses attributions, voii" Karapet Tei'-Mkrllschiau. Die PauVikianer ini Byzaiitinischeti Kaiser- reich... Leipzig, 189.S, 8"; Bonn\('tscli, art. Paulikianer dun^ la Real. EncycL, 3** éd. et Car. Rud. Moellei', De I^hofii Petri(iue sictiJi libris conlra Moni- cliaeos sci'iptis, Rome. 1910, 8°.

m IMerre de Sieile, P. (J., CIV, i3o5-i3/i9,

Photius, P. G., Cil, 86, 2/i4.

(Ml P. C, J, i/,r)i-i/i7a.

l3i Pair. Orienl., \. Vil, p. 53 1-535 féd. et trad. Alex. Vasilief).

(.^il P. G., CXXlll; 177 (In Matt lïT, i5). 3o8 {ibid., W, i3-i4), loGc^- 107?. (In Luc, XXII, ai-37), 1157 (7/1 loJi., I, i4), 1209 (ibid., III, i4-i5), 10.80 (ibid., y. 39-42), 11^85 {ibid., VI, 5-9); GXXIV, 68 (ibid., X, OS) etc.

i5i Fa\. et trad. Chabot, Paris, 1900, 4°, L VI, ch. 9, p. 198-301.

161 Ed. et trad. lai. de .1. B. Abbeloos et Th. Jos. Lamy, Louvain, 1872, 8«, t. 1, p. 59-62.

J 1

SURVIVANCES DES ÉCRITURES MANICHEENNES 121

et dans son Histoire abrégée des dynasties {{), parlent assez longuement des livres et des doctrines de xMani. Mais ils ne font guère que reproduire les données des Actes d'Archelaus et celles d'Epiphane ou d'autres hérésiologues. Leurs continua- teurs puisent aux mêmes sources. Tousse contentent de gloser des textes plus anciens.

Appréciation générale. l^n revanche, ces écrits antérieurs fournissent, dans leur ensemble, un tableau assez net de la littérature manichéenne. D'une manière générale ils présentent celle-ci comme une production hérétique, qui se réclame de la Bible chrétienne, mais qui se rattache plutôt aux œuvres gnostiques, particulièrement à celles de Basilide et de Valentin, de Marcion et de Bardesane, les seules dont ils montrent une connaissance précise. L'idée qu'ils en donnent est, quoi qu'on en ait dit, très concordante et cadre parfaitement avec les renseignements que nous possédons par ailleurs, soit sur le Manichéisme, soit sur le Gnosticisme.

Malheureusement ils se contentent le plus souvent d'indica- tions trop générales. Pour ne pas favoriser la lecture des livres critiqués, ils évitent d'en indiquer le titre exact et d'en faire un rapport trop fidèle. Ils ne les citent et ne les analysent que pour les critiquer. Aussi doivent-ils être soumis eux mêmes à une critique minutieuse et demandent-ils toujours à être complétés.

II

Divers auteurs étrangers à l'Eglise comme au Manichéisme fournissent des détails nouveaux, qui permettent de contrôler et de préciser ceux des polémistes Chrétiens.

IX^ siècle. Le plus ancien est le motazélite Al-Gahiz, mort en 859. Ce savant, peu connu mais très instruit, a constaté la grande vogue dont les livres manichéens jouissaient de son temps dans le monde islamique et il a tenu à se faire d'eux une idée personnelle. Dans un ouvrage encore en partie inédit, le (( Livre des animaux )), il nous fournit sur eux, sur leur grande diffusion et sur leur contenu essentiel des indications intéressantes mais malheureusement très brèves et parfois énigmatiques (2).

(i) Ed. et Uad. lut. de Pococke, Oxford, iG63, in-4°, p- 82-88. (2) Texte et trad. dans Kessler, Mani, p. 365-370.

122 LE8 ÉCRITURES MANICHÉENNES

Après lui s'oiîre h nous le célèbre écrivain chiite Ihn VVàdih al-Ya'qoûbi, qui, appartenant à la famille des califes Abbassides, a décrit leurs hauts faits dans une sorte d'histoire universelle allant des premiers temps connus jusqu'à l'an 872. Dans la section de cette œuvre importante consacrée aux « Rois de Perse », il s'étend assez longuement, à propos de Sapor I, sur l'apparition du Manichéisme. 11 énumère les principaux ou- vrages de Mani, fournit sur chacun d'eux quelques détails précis qui montrent qu'il les a lus et donne un résumé très substantiel de leur enseignement d).

A la môme époque, c'est-à-dire vers la fin du ix*' siècle, a paru en pehlvi une œuvre dogmatique, le Shikimd (jOumcniiQ Vidsliar, (f Explication dissipant le doute », dont Fauteur, un Persan très attaché à la religion mazdéenne, défend celle-ci contre les Juifs, les chrétiens, les Manichéens et les Mahométans. La partie consacrée à la critique des Manichéens s'ouvre par un exposé assez court, mais très dense, desdoctrines de Mani. Elle ne mentionne aucun livre, mais elle doit en vi;3er un, plus connu ou plus important que les autres, et elle semble en faire l'analyse. Par elle mérite une étude spéciale (2).

P nècle. Vers le même temps, ou un peu plus tard, dans les premières années du x*^ siècle, un autre écrivain, originaire de la Perse, mais faisant profession d'islamisme, l'historien Tabari, a raconté dans sa Chronique ou « Histoire des prophètes et des rois » divers incidents de la vie de Mani ou de ses prin- cipaux disciples. Et à ce propos il nous fournit sur ces héréti- ques quelques détails nouveaux (3). Mais il ne semble pas avoir de leurs Ecritures une coimaissance directe ou du moins bien précise.

Plus détaillé et mieux renseigné est le conteur arabe Mas'oudî, mort en 956, qui, ayant voyagé à travers tout l'Orient, a eu mainte occasion de connaître les Manichéens et de feuil- leter leurs recueils seripturaires. Dans le IJvrv de Taverlisse-

(i) rcxlc cl Irad. (Iaii< Kc^slcr. Mani, p. or>o-;>oi.

{:>■) Ed. cl. Irad. aiiii-1. par ¥.. \\ . AVcsl, dans Tltc sacred books of (lie Easl vol. \\V (^Oxford, i885, 8"). p. 243-25i.

Tiad. alloni. et. coiiinienf. par (-. Salcman dans les Mémoires de rAcadémie des sciences de St. PcliMshourii- de i()o/|. Eut Bruchstiik Manichaeisclien Schrifthniis..., appendice, p. iG et suiv.

;>) 'Ymh\. Zotenl)ei\t;\ Paris. i8(i7-i87'i, 8^ I. IV. ]). V1:-'|53.

I

SURVIVANCES DES ECRITURES MANICHEENNES 123

ment et de la révision il mentionne 4 ouvrages de Mani et même des chapitres de deux d'entre eux. Et il renvoie à un travail plus ancien, malheureusement perdu, il en citait dilTérents textes (1). Dans son recueil anecJotique des Prairies d'or, il fait aussi plusieurs fois allusion à certains points de la doc- trine professée par ces écrits ou d'autres analogues (2).

Bien plus instructif encore est Abou'l Faradj Mohammed ben Ishaq, plus connu sous le nom d'An Nadim et surnommé « le libraire de Bagdad », qui, dans son Fihrist al-aloiini, c( Catalogue des sciences », rédigé en 988, nous donne une sorte d'histoire de la littérature, exposant la vie des principaux auteurs et le contenu essentiel de leurs œuvres (3). Dans la 1'^ section du IX'' livre, immédiatement après avoir parlé des Sabéens (4), il étudie les « Croyances des Manichéens ». Il donne d'abord quelques détails biographiques sur le fondateur de la nouvelle religion (5). Puis il présente un long a rapport sur ce que Mani enseignait, sur sa doctrine concernant la nature de l'Eternel, la création du monde et la lutte de la Lumière et des Ténèbres » (6). Après quoi il expose tour à tour le « Commencement de la reproduction continue d'après la doctrine de Mani » (7), la « Description de la Terre lumineuse etdeFAir lumineux qui sont sans commencement comme le Dieu lumineux » (8), la « Description de la Terre ténébreuse et son effervescence » (9), la « Manière dont l'homme doit, entrer en religion » (10), la (( Loi que Mani donna et les Commande- ments quMl formula » (1 1 ), les a Opinions différentes émises par

(I) Trad. Carra de Vaux, Paris, 1898, 8«, p. 187-188.

i'i) Ed. et trad. C. Barbier de Meynard, Paris, i863, 8°, t. I, p. 199, 288, 299; II, 167-168, 195; III, 43^; Vl, 385; VII, 12-16; VIII, 293.

(3) Ed., trad. allem. et comm. par Gustav. Flûgcl, Mani, seine Lehre utnl seine Schriften, Leipzig; 1862, 8°. A compléter par Kessler, Mani, p. 33i-338; 382-/io2.

(4) Ed. trad. et comm. par D. Chwolsoii, Die Sabàer, t. II, p. i-52 et 53-365.

(5) Flûgcl, Mani, p. 83-85. G) Op. cit., p. 86-90.

.7 Op. cit., p. 90-93. Op. cit., p. 93-9/i. (9 Op. cit., p. 9/1. (10) Op. cit., p. gk-gb

(II) Op. cit., p. 95-97.

124 LES ÉCRITURES MANICHÉENNES

les Manichéens sur les fonctions d'Imam après lu 1:1 .rt de JViani » (1), la « Scission des Manichéens en deux sectes, celle des Mihrites et celle des Miklasites » (2), la « Doctrine des Manichéens sur la vie future » (3), la (( Constitution du monde futur après la disparition de cette t^rre et Description du Paradis et de l'Enfer » (4), les « Noms des livres composés par Mani » et les a Titres des Epitres (ou Traités) de Mani et des Imams venus après lui » (5), un « Fragment de l'histoire des Manichéens, leurs migrations en divers pays et des nou- velles sur les Imams » (6), les « Noms et succession des Imams manichéens sous la domination des Ahbassides et avant le temps présent » (7i, a Quelques-uns des Imams Manichéens adonnés à la Scolastique, qui se convertirent intérieurement à rislam, mais étaient intérieurement attachés à l'incro- yance » (8), la « Mention des Princes et Secrétaires d'Etat qui furent accusés d'incroyance » (9), « Quelques-uns des Imams Manichéens sous la domination des Ahbassides » (10), « Quelques-uns de leurs Imams dans le temps présent » (H). Les titres de ces sections montrent assez l'intérêt qui s'attache à chacune. La méthode adoptée par l'auteur augmente encore la valeur de son œuvre. Le plus souvent il résume ou il cite librement les textes officiels de la religion qu'il décrit. Et, pour qu'aucune confusion n'existe à ce sujet, il fait précéder ses résumés de la formule « Mohammed ben Ishaq dit » et ses citations de cette autre formule « Mani enseigne » ou a les Manichéens rapportent » (12). Malheureusement il n'indique point ses sources. Il a eu sans nul doute entre les mains deux livres de Mani, les Mystères et le Shûpoiirâkan , dont il donne

(I) Op. cit., p. 97-9S. ('i) Op. cit., p. 98-100. (3) Op. cit., p. loo-ioi. (/i) Op. cit., p. 101-102.

(.")) Op. cit., }). loj-ioo cl io3-io5.

(()) Op. cit., p. loo-ioG.

(7) Op. cit., p. 10G-107.

(8) Op. cit., p. 107. (y) Op. cit., p. J07. (10) Op. cit., p. 108.

(II) Op. cit., p. 108.

( I î) Op. cit., p. 83 init., avec le commentaire de Fliigel, p. 3o.

SURVIVANCES DES ECRITURES MANICHÉENNES 125

la table de matières, ainsi qu'un troisième, celui des « Préceptes pour Auditeurs » auquel il note que se trouve adjoint un (( Chapitre de Préceptes pour les Elus )) d). Mais on peut se demander s'il a eu des autres une connaissance directe, car il annonce l'indication de leurs chapitres sans la donner eiïecti- vement au moins dans les manuscrits que nous avons de lui. Il se borne à une simple transcription de titres dont le sens et même la forme exacte nous échappent souvent (3). Son travail, si précieux pour l'histoire des dogmes manichéens, demeure donc assez vague et confus pour celle des écrits qui les ont exposés.

XI^ siècle. Un autre historien, le persan Birouni, de Khwârizm (Khi va), dans sa Chronologie des peuples Orientaux ou « Monuments subsistants des siècles écoulés », qu'il a rédiger vers l'an 1.000, parle assez longuement de Mani, dont il décrit la vie et la doctrine {'.]). Il énumère ses ouvrages, déclare expressément en avoir lu plusieurs et fournit des détails intéressants sur deux d'entre eux, sur V Evangile et le Shâpourakân, qu'il cite en propres termes, ainsi que sur divers traités de ses disciples (4), Dans une lettre adressée à un ami, il raconte comment l'étude du médecin Hhazès, qui citait avec éloge les livres de Mani, et notamment celui des Mystères, l'a amené à chercher ce dernier, puis l'ayant trouvé, à en faire une traduction, Ce dernier travail est perdu (5), Mais dans son Histoire de l'Inde, rédigée vers 1030 (6), il en cite plusieurs passages (7); il rapporte aussi un extrait du Trésor de la vivification et il mentionne en passant divers auteurs manichéens (8).

(t) Op. cit., p. i02-io3.

(■2) Op. cit., p. io3 : « Livres » de Mani, VI; « Epitres » de Mani, i5, 34, etc.

(3) Edit. allem. par G. Ed. Sacliau, Leipzig, 1878, 8°; Trad.angL par le même, London, 1879, gr. 8°.

(4) Chronology, p. 27, 121, 190-191, 329.

(5) G. Ed. Sachau, Introduction à l'édition allemande de la Chronologie, p. XXXVIIL

(6) Trad. angl. par G. Ed. Sachau, Alberuni^s India, London, 1888, 2 vol. 8°.

(7) Op. cit., I, 48, 54.

(8) OjR, cit., I, 39.

12()

LES ECRITURES MANfi^TlEENNES

A côté de lui peut être mentionné un autre Persan, Abou'1-Ma' àlî, pour son Exposé des Religions, achevé à Ghazna, en 1092. Il y décrit brièvement la doctrine de Mani et il dit que l'auteur l'avait présentée dans un livre célèbre appelé VErjenk et conservé au trésor royal de (jhazna (1). Mais on aurait tort de prendre son récit trop à la lettre. Rien ne prouve qu'il ait lu le livre dont il parle. Et chez lui l'histoire confine visiblement avec la légende.

XW siècle. Beaucoup plus sûr et plus précis est son compatriote Sharastâni, de Sharistan. qui vivait dans la 1"^*" moitié du xii^ siècle. Dans son grand ouvrage : Sectes reli- gieuses et Ecoles philosophiques, après avoir étudié les religions qui ont une Ecriture révélée, c'est-à-dire l'Islamisme, le Judaïsme et le Christianisme, il considère celles qui ont un semblant d'Ecriture, savoir le Mazdéisme et le Manichéisme. Il expose donc la doctrine de Mani, dont il s'applique surtout à dégager les grandes thèses dualistes (2). Et à cette occasion il mentionne les Géants et le Shapourakiui , dont il cite même quelques phrases curieuses (3). Puis il rappelle une opinion particulière de l'Iman Abou-Sa'ïd (4) et surtout la doctrine de Mazdak, qu'il rattache au Manichéisme (^.ii.

Vers la fin du xii^ siècle, dans un copieux recueil de (( Miscellanées », le Yi Kien che, œuvre considérable en 420 chapitres, dont il nous reste des fragments importants ainsi qu'un abrégé en 80 chapitres, le lettré chinois Hong Mai (1123-1202), parlant de la « Religion de la Lumière ;) que professent les (( adeptes de Mo-mo-ni )), fournit aussi quelques détails sur les livres saints qui y sont acceptés. Il mentionne et il caractérise brièvement deux écrits de Mani, celui des Deux Principes et celui des Trois Moments. Et il signale aussi des textes bouddhiques ou taoïstes qui leur sont communément adjoints (6).

Son contemporain Lou Yeou (1125-1209) traite le môme

(i) Kessler, Mani, p. 370-872.

(2) ReUgionsporteicn und Philosophenschiilen , trad. Tli. Haarbriicker, Halle, i85o, 8«, t. I, p. i>85-29o.

(3) Op. cil., 1, 290.

('») Op. cit., I, a9o-2()i.

(5) Op. cit., I, 291-293.

(0) Ghavanncs el Pclliot, Journ. Asiat., igiS, p. 33o-33g.

SURVIVANCES DES ÉCRITURES MANICHÉENNES 127

sujet dans son Lang Mo ngan pi ki, collection de notes historiques et littéraires et dans une pièce d'un recueil similaire, le Wei nan tvei tsi il répond à un questionnaire de l'empereur. Il y parle en connaisseur des « livres saints de la Religion de la Lumière )), sur lesquels il a « jeté les yeux », de leurs images et des impressions nombreuses qu'on en fait. Mais il n'en cite aucun et il ne donne aucun détail un peu précis sur leur enseignement (1).

A7//« siècle. Un peu après lui, le bonze Tsong Kien, de Seang Tcheou, dans un ouvrage de Droit, le Che men Tcheng Tong, commencé par Wou K'o-Ki en 1208-1224 et con- tinué par lui en 1237-1240, traite également et en termes plus précis des Ecritures manichéennes, à propos d'un texte récent qui les condamne. Il nomme d'abord le « livre saint des Deux Principes et en analyse brièvement le contenu, puis il parle des (( livres saints sans fondement », qui sont associés au précédent et en énumère jusqu'à six. Malheureusement il se borne à indiquer leurs titres et ceux-ci, donnés sans commen- taire, sont peu intelligibles (2).

Un dernier auteur chinois, le moine bouddhiste Tche-p'an revient à plusieurs reprises sur le même sujet dans le Fo tsou Vong Ki, vaste compilation commencée en 1258 et terminée en 1269. Il y cite divers textes qui parlent des Manichéens et par- fois de leurs livres saints. Ces documents sont de valeur très inégale. Mais plusieurs présentent un réel intérêt (3).

Vers le môme temps, un auteur mahométan d'origine per- sane, Djowéïnî ou Gouwaïnî, qui, en 1257, avait accompagné son père à la cour des rois Mongols, écrivait le TanTc/i Djihan Kushai, (( Histoire du conquérant du monde » et y racontait les principaux événements du règne de Gengis Khan et de ses successeurs immédiats. L'ouvrage nous a été conservé. Il parle, à plusieurs reprises, des Ouïgours passés sous la domination mongole. Il rapporte certaines de leurs légendes et il utilise visiblement des écrits d'un caractère religieux qui se rattachent au cycle de Mani (4).

(i) Chavann(>s et Pelliol, loc. cit., p. 339-352.

(3) Gliavannes et Pclliot, loc. cit., p. 352-363.

(3) Cliavanncs et Pelliot, loc. cit., p. 320-32i, 33i-339, 353.

(4) Voir E. Brctschneider, Mediaeval Researches from easiern Asiatic,

128 LES ÉCRITURES MANICHÉENNES

XI V^ siècle. Plus lard encore, peut-être au cours du XIV® siècle, le savant chiite Ihn al-Mourtadâ, du Yémen, auteur d'une histoire volumineuse connue depuis peu, la « Pleine Mer )), commence par donner, dans une très longue introduc- tion, un (( livre des sectes religieuses et des écoles philosophi- ques » et parle d'abord, en termes assez précis, des Manichéens. Il analyse en détail leurs doctrines et mentionne à ce sujet deux écrits de Mani, VEvangile et le Shâpourakân (Il II ne les connait sans doute pas directement, car il les cite une fois d'après le témoignage d'un « savant » auteur dont il ne donne pas le nom et qui peut être Sharastâni (2i. Mais les ren- seignements qu'il fournit sur eux n'en sont pas moins intéres- sants.

XV^ siècle. Enfin, dans son Histoire universelle, le « Jardin de la Pureté » qui va de la création du monde jusqu'au sultan Hussein Baïqara, successeur deTamerlan, le Persan Mîrchond, mort à Herat en 1498, parle longuement de Mani, « le peintre» ou « le Zandik ». Il mentionne son Evangile et donne des détails curieux sur l'origine de cette œuvre (3). Mais ces indica- tions sont à peu près complètement dépourvues de valeur historique. Sur la littérature manichéenne les témoignages directs font désormais défaut hors de la Chrétienté comme au sein de l'Eglise.

Appréciatioti générale. Dans l'ensemble, les auteurs Persans, Arabes ou Chinois complètent heureusement leurs devanciers Latins, Grecs ou Syriaques. Ils parlentd'ordinaireen termes plus directs des ouvrages cités, parce qu'ils en redoutent moins la diffusion. Et, étant moins passionnés dans leur polé- mique, ils se montrent aussi plus objectifs. Certains d'entre eux, par exemple An Nadim et Kirouni, ont d'ailleurs plus de sens historique qu'Hégémonius, Epiphane ou même Augustin.

Mais ils connaissent mal le Christianisme et ils ne s'inté- ressent qu'assez peu aux doctrines qui en dépendent. Aussi

London, i888, 8°, p. 195 cl suiv. Cf. Jos. Marquarl, Gmvaim's Bericht ûber die Bekelirung dcr Viguren, dans les SitzungsbericJitc de l'Académie de Ber- lin, 1912, p. 485-498. (i) Kessler. Mani, p. 343-355.

{■>.) Op. rit., ]). 35'|. Cf. Sliarastàni, Ucligionspartelcn, Ir.ad. Haarbriickcr, t. I p. 290.

(3) Kessler, Mani, p. 377-381.

SURVIVANCES DES ÉCRITURES MANICHEENNES 129

négligent ils volontiers dans le Manichéisme les détails spécifi- quement chrétiens qni se rattachent à la Bihle et mettent ils au contraire en relief les vieux souvenirs de la mythologie païenne, qui les intéressent hien davantage. Par ils nous donnent de la littérature manichéenne une idée assez fausse, qui, dans ces derniers temps, a trop souvent égaré les recherches des savants. S'ils apportent d'utile compléments aux écrivains ecclésiasti- ques, ils ont besoin d'être à leur tour complétés et rectifiés par eux. Les uns et les autres demeurent également tendancieux et exclusifs.

III

Seuls les manuscrits manichéens peuvent nous fournir des renseignements tout à fait sûrs. D'autre part un peu de réflexion suffit à montrer qu ils n'ont pas pu disparaître com- plètement et pour toujours. Ils ont joui d'une trop large diffusion, ils ont circulé à travers trop de pays, ils se sont transmis pendant trop de siècles pour ne pas laisser au moins quelques débris. En Orient surtout, dans ces régions de l'Asie Centrale qui, à cause de leur isolement, gardent plus longue- ment l'empreinte du passé et ces écrits ont circulé très tard, il devait être relativement aisé d'en retrouver des traces. Plusieurs villes du Turkestan chinois, le Manichéisme a été jadis très florissant, ont été englouties par des vagues de sable du Désert de Gobi. Il suflisait de soulever un coin de la nappé qui les recouvre pour en exhumer de nombreux manuscrits ( 1 ). Manuscrits de Tourfan, A la fin du siècle dernier, des voyageurs instruits, passant dans la région de Tourfan, avaient été frappés par l'abondance des vieux papiers qui y sortaient de terre et dont certains servaient de vitres aux fenêtres (2). On savait qu'au nord de la localité, dans l'oasis d'Idiqout schari, s'élevait jadis la ville de Kao-tchang, Khotscho, ou Kouchan,

(i) Voir ïlcnri Gordier, Les foiiiUes en Asie Centrale dans le JouDial des savants, 1910, p. 210-224 et 24i-252;

(2) Voir le Bulletin de VAssociation internationale pour Vexploration his- torique, archéologique, linguistique et etlmographique de l'Asie Centrale et de VExtrême Orient, n. 2, Saint-Petersboiirg, oct. 1908, p. 10 et 11 (Rapport de A. Grûnwedel).

130 LES ÉCRITURES MANICHÉENNES

capitale d'un royaume ouïgour (lu On résolut d'y faire des fouilles méthodiques.

Des travaux importants furent faits en ce sens, de 1893 à 1895, au nom de la Société de Géographie de Saint-Pétersbourg, par une mission russe que dirigeaient les savants Hoborovski et Kozlovet ils fournirent déjà un premier lot de feuillets fort anciens (2). Ils étaient continués, en 1898, par une délégation de l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, que condui- sait le D'' Klementz et qui exhuma de nouveaux textes (3). A la suite de la fondation d'une Association internationale, établie en 1902 à Saint-Pétersbourg (4), ils ont été repris avec une ardeur nouvelle et une méthode plus rigoureuse par plusieurs autres savants de la même nationalité, notamment par André Roudnef, G. Y. Ramstedt, le professeur Barthold, Kochanowski, Krotkov, Oldenbourg, et ils ont valu une ample récolte de nouveaux manuscrits (5).

Entre temps, les Allemands se mettaient en campagne. Une première expédition, très fructueuse, fut faite de i902 à 1903, au nom de l'Académie des sciences de Miinich, par A. Grûnwedel (6). Une seconde, également heureuse, s'effectua, de 1904 à 1905, sous la direction de A. Von Le Coq, au nom de l'Académie des sciences de Berlin. Une troisième eut lieu enfin, avec un égal succès, de 1905 à 1907, sous la conduite de Grïinwedel avec la collaboration de Von Le Coq (7).

(i| Voir cil particulier (i. Flii^cl. Mani, p. 3S7-390.

(:i) Compte r(>n(lii de P»()l)orovski dans Is Iziu'slijd lui!), nusskdijo. (Jco- graficcskafro obscestva. I. WMV. (^1898), ]). i-5o. Cf. K. lircfschcidcr. His- lory 0/ Europcan Botaiiical Discoreries in Cliiiia. I. 11, Londres. 1898, p. 1002- 1007.

('^) ISachrlditen ûbcr die... im lalirc 1898 nusgerûsteie Expédition nacli Tarfan, St-Petcrsbiir<r, 1899. ^f^^'' i^ni'foiil p. 55-83: AJiuigurischt' Sprach- probe.n ans Turfati, par W . Uadloff.

(\) V. siifn'd, p. IM), noi. •'.

(.")) V. 11. Cordicr. nrl. cit., p. -Mi).

(()) A. (Jriimvcdcl, Berichl iihcr Archacologische Arbeih'n in IdiqutscJiari dans les Al)liandlungcn de r.\(adénii(> des sciences de Miinicli. t. XXIV. vol. 1, 196 pages (Voir surloni p. 181-190: Uigurische Scfiriflstiickc in Text und Vberselziing, par ^^ . liadlolï, ('!'. dw nièine aiileiir. Altbudhisiische Kulls- UUfen in Chinesi.sch TUrkcstan, Ber-liii. 191 >. ]'^.

(7) A. Von L(> (lo(|, Exploration urcliéologiquc 0 7'oi/r/(;/i. dans le Jour- nid. Asiatique de. 1909, p. 3:?o-33/j, et surtout Chosisc}}o, Berlin. 1911Î, in- folio, (volume de luxe, magnifiquement illustré).

SÙRViVANCÈS DES écRITURËS MANICHEENNES 431

De nouvelles fouilles ont été faites, dans la même région, par des savants de diverses nationalités. En 1908, notamment, une mission du japonais Zuicho Tachibana en rapportait un certain nombre de rouleaux, dont un, d'origine ouïgoure, ne mesure pas moins de 10 mètres de long (1). Mais ces textes ne sont pas encore entrés dans le domaine public. Au contraire ceux des missions russes et allemandes ont été déjà publiés en partie.

Parmi les manuscrits de Tourfan qui ont déjà vu le jour, beaucoup sont de provenance manichéenne. Ils sont surtout écrits en pehlvi ou en vieux turc (2). Les textes pehlvis ont été particulièrement étudiés en Russie par C. Salemann, en Allemagne par F. W. K. Mûller. Les textes turcs ont été sur- tout déchiffrés en Allemagne par Von Le Coq, en Russie par W. Radlofï.

Publications de C. Salemann. Au cours d'un rapport publié en 1904 dans les Mémoires de l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg et intitulé a Un morceau d'Ecriture mani- chéenne », C. Salemann a présenté et traduit un feuillet apporté de Tourfan en 1895 par la mission Roborowski et écrit d'un côté en syriaque, de l'autre en chinois avec des carac- tères (( qui peuvent dater du ix^ siècle » (3). Tandis que le texte chinois n'a aucune importance, le fragment syriaque énumère un certain nombre d'œuvres dont plusieurs sont nettement manichéennes. Malheureusement il est très incom- plet et peu intelligible.

Dans quatre séries d'études, intitulées : Manichaica et publiées en 1907 et 1912 dans le Bulletin de l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg (4), le même auteur étudie un certain nombre d'autres textes manichéens écrits en diverses langues mais surtout en pehlvi et recueillis par des missions russes de diverses époques. Il en traduit plusieurs. Mais il

(i) V. H. Cordier, art. cit., p. 2^5.

(a) V. Foy, Die Sprache der turkîschen Turfanfragmente in manicJiàis- chen Schrift dans les Sitzungsberichte de l'Académie des sciences de Berlin, 1904, p. 1889 suiv.

(3) Ein Briichstûk Manichaeischen Schrifttums im Asiatischen Muséum (mit einem Fascimlle). St-Potersbourg, 190/1, 4*^, i5 pp. dans les Zapiski Imper. Akad. Nauk, 8^ série, t. VI, n. G.

(4) 1907, p. 175-184 et 53i-558; 1912, p. i-3i et 32-5o.

13â

LES ECRITURES MANICHEENNES

s'applique plutôt à en fixer le vocabulaire encore très incertain. A cette même tâche sont consacrées aussi des (( Etudes Mani- chéennes )) publiées en 1908 dans les Mémoires de lAcadémie des sciences de Saint-Pétersbourg (1).

Publications de F. W. K. Mûller. Plus étendus et plus achevés sont les travaux de F. W. K. Mùller concernant le Manichéisme. Ils comprennent d'abord et surtout un rapport présenté dans les Compte-rendus de l'Académie des sciences de Berlin sur des textes de la mission Griinwedel (2), et une édition ravec traduction et commentaire de ces textes parue dans les Mémoires de la môme Société et intitulée comme le rapport : « Restes de manuscrits en écriture estrangelo de Tourfan » (3). Les documents étudiés sont rédigés, pour la plupart, en pehlvi. ils renferment dos fragments nombreux d'œuvres manichéennes, notamment d'hymnes et de prières et même d'écrits de Mani, en particulier de son Evangile et du Shùpourakûn. Ils offrent donc le plus grand intérêt..

Le même savant a encore édité, traduit et commenté en 1912 dans un volume des Mémoires de l'Académie des sciences de Berlin, sous la rubrique : Un double feuillet d'un hymnaire manichéen de Tourfan, d'autres textes pehlvis dont une partie donne les titres d'environ 200 hymnes liturgiques, Tautre explique l'origine du recueil (i). Cette préface fait remonter le livre à l'an 546 après la naissance de l'Envoyé de la Lumière. Et la table des matières donne des titres très suggestifs malgré leur brièveté.

Publications de Vou Le Coq. Egalement importantes sont les publications de V'on Le Coq. Ce dernier savant a publié en 1908, dans les Compte-rendus, de l'Académie des sciences de Berlin, un « Fragment manichéen ouïgour d'Idiqout- shari )) rédigé en vieux turc et écrit sans doute, d'après lui, , dans la période des Tang, entre 600 et 900, qui décrit un

(i) Zapiskl Inipcral. Akad. Aau/v., 1908, 10, 172 pp.

{'a) SltzungsbcrlcJLie, igo/j, p. 348-352 : Handscliriften PiCstc in Estrangelo Schrift aus Turf an, Chinesisch-Turkistan.

(3) AbJmndlungen, 190/1, idem, 117 p. et 2 pi.

(/i) Abhandliingen, i9i3: Ein Doppelblafi aus cinciu nimncJHiisclien Ilyni- ncnbuch {Mahrnamag), l\o pp. et 2 pi.

SURVIVANCES DES ÉCRITURES MANICHÉENNES 133

épisode de la prédication du « bourkhan Zrousc » (1). En 1908 il a donné dans le même recueil des fragments écrits en « Vieux turc de Tourfan », qui ont été trouvés à côté de textes chinois datant du début du ix® siècle et qui contiennent des débris d'hymnes et d'autres Ecritures manichéennes (2). Il y a joint, au cours de la même année, deux nouveaux textes, « Un fragment chrétien et un autre manicJiéen en langue turque de Tourfan », qu'il juge anciens sans pouvoir les dater et dont l'un contient quelques versets d'un Evangile apocryphe vrai- semblablement adopté par les disciples de Mani, l'autre raconte les célèbres rencontres du Bouddha et fait partie d'un livre dépareillé, qui a être, rédigé pour les mêmes milieux (3).

Depuis lors, le même savant a entrepris de publier des (( Textes turcs manichéens de Chotscho ». Un premier fascicule paru sous ce titre en 1912, dans les Mémoires de l'Académie des sciences de Berlin, contient des fragments d'une Vie du Bouddha, des débris de traités, d'hymnes et de prières, un long récit se rapportant à l'apostolat de Mar Amou, disciple de Mani, enfin plusieurs colophons, dont l'un se donne comme écrit en l'an 522 après la mort de Mani, c'est-à-dire, selon toute apparence, en 795 (4). Le contenu et l'antiquité de ces manus- crits en montrent l'importance et il est à souhaiter que la publication si brillamment commencée ait une continuation rapide.

Publications de W. Radio ff. Des travaux de Von Le Cci on peut rapprocher ceux du savant russe A. Radloiï. Ce dernier s'est depuis longtemps spécialisé dans l'étude des vieux dia-

(i) Sitznngsberichte, 1908, p. SgS-Zii/i : Ein maniclidisch-uigiirisclies Frag- ment aus Idiqut-Schahri.

(2) SitzLingsbericlite, 1908, p. 398-4i4 : Ein manichaiscli-uiguriscJies Frag- compléter par W. Thomsen ; Ein Blatt in tûrkischen Runenschrift aus Tur- fan, ibid., p. 296-806.

(3) Sitznngsberichte, 1909, p. 1202-1218: Ein christUches und ein mani- chàisches Manuskript fragment in tiirkischer Sprache aus Tiirfan, avec plu- sieurs fac-similés.

(4) Abhandlungen, 1912 : Tiirkische Manichaica aus Chotsclio, I, 61 p. avec des fac-similés.

A. Von Le Coq a aussi publié en 191 2, dans la Festschrift fur Wil- helm Thomsen, Leipzig, 1912, 8°, p. i44-i45, un article intitulé: Ein ma- nichàisches Buch Fragment aus Chotsclio. Mais le texte qu'il étudie, d'un caractère purement historique et politique, n'appartient pas aux Ecritures Manichéennes.

134 LES ÉCRITURES MANICHÉENNES

lectes turcs de TAsie centrale. II a été le premier à déchiffrer les textes de Tourfan écrits dans cette langue qui ont été apportés par la mission Klernentz (!) et même ceux qui ont été ensuite exhumés par Grùnwedel (2). Malheureusement ses premières traductions ne portent sur aucun texte proprement scripturaire et n'intéressent donc que d'une façon indirecte l'histoire des Ecritures Manichéennes.

Il a dans la suite édité, traduit et commenté un document beaucoup plus important, le Khoiiasîouanift, qui avait un caractère nettement religieux ou même rituel et dont une partie notable a été aussi retrouvée à Tourfan {',]). Mais cette œuvre nous est surtout connue par un manuscrit bien plus étendu et presque complet qui a été découvert, parmi un lot impor- tant de vieux textes, sur la frontière du ïurkestan chinois et du Kan sou, dans la région de Touen houang.

Bibliothèque de Touen houang. A 20 kilomètres environ au sud-est de cette dernière ville, se trouve un groupe consi- dérable de grottes, appelées en turc miiig-uï, « mille maisons », à cause de leur multitude, et en chinois IsHen-fo-tong, a grottes des 1000 Bouddhas », à cause des nombreux Bouddhas peints ou sculptés qui en ornent les murs. En 1900, un moine taoïste s'aperçut en déblayant une d'elles, d'après ce qu'il a lui-même raconté, qu'en un endroit la paroi sonnait creux. 11 la perça avec précaution et se trouva devant une niche carrée, ayant environ trois mètres de coté, qui contenait un monceau de manuscrits, une vraie bibliothèque. Comme le moine était illettré, 11 se contenta de manier un peu toutes les liasses qu'il venait de mettre à jour, pour voir si un trésor n'y était point caché, puis, déçu, il se désintéressa de sa trouvaille. Plusieurs des manuscrits furent emportés par des visiteurs ou ofTerts à des mandarins du Kan sou. Leur étude montra qu'ils étaient très anciens. La cachette datait de loin, de 1035, pré- cisa-t-on ensuite. Elle avait être faite pour mettre ces textes à l'abri d'une invasion prochaine. Et le propriétaire

(1) V. supra, p. i3o, iiol. 3.

(2) V. supra, p. i3o, not. (3.

(3) Chuastuanit, dus Bussgcbel der Monichaer, St.-Petersbourg, 1909, 8", VI-5i pages, et ISachtràge zum Chuastuanit dans les Comptes rendus de l'Académio des science? de St.-Petersbourg, 191 1, p. 867-89C.

SURVIVANCES DES ÉCRITURES MANICHEENNES 135

était mort ensuite l)rusquement, emportant avec lui son secret ( I ).

En 1907, un explorateur An^^-lais, M. Aurel Stein, ayant eu vent de la découverte, se rendit à Touen liouang et acheta environ 5.000 manuscrits qu'il emporta à Londres pour les déposer au Bristish Muséum (2). L'année suivante, M. Paul Pelliot, alors charg-é par le gouvernement français d'une mis- sion scientifique en Asie Centrale, alla visiter à son tour le tsing-fo-tong, il trouva la précieuse niche encore hien garnie et il se fît céder un nomhre à peu près égal de rouleaux, choisis rapidement par lui, qu'il déposa h la Bihliothèque nationale de Paris (3). Sur son propre conseil et à la demande d'érudits chinois, navrés de voir ces richesses littéraires leur échapper, les textes qui restaient encore dans la grotte furent tirés de leur cachette et transportés h Pékin, une nouvelle Bibliothèque nationale fut fondée à leur occasion (4).

Khouastouanift de Stein Parmi les manuscrits de Touen houang déposés au British Muséum se trouve un rou- leau fort bien écrit, dont le commencement a été seul endom- magé et qui, dans son ensemble, se présente comme un formulaire de confession manichéenne rédigé en vieux turc. C'est un fragment 'assez notable de cette œuvre, découvert à

(i) Paul Pelliot, Une Bibliothèque médiévale retrouvée au Kan-sou, dans le Bulletin de l'Ecole Française. d'Extrême-Orient, t. VIII, 1908, p. 5oi-52() (premières pagres) ;

Trois ans dans la Haute Asie, dans le Bulletin du Comité de VAsie Fran- çaise,' \d.nyicT 1910, p. i-iG (voir p. 8 et i3) ;

En Asie Centrale, dans ]o Bulletin de la société normande de Géographie, 1910. (Voir p. 26-20 ;

Rapport de M. Paul Pelliot sur sa Mission au Turkestan Chinois (1906- 1909) dans les Comptes Rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 1910, p. 58-68 (avec deux photographies).

(•.i) Sur les explorations de M. Aurel Stein on peut lire:

Report on n Journey 0/ archeological and topographical Exploration in Chinese Turkestan, London, 1901, 4^; *

Saiid hiiried Ruins 0/ Ktiotan, London, 1908, k^ \

Ancient Khoian, Oxford, 1907, 4*', 2 vol.

ivSi Paud Pelliot, Une bibliothèque médiévale..., p. 607-629;

Trois ans dans la Haute Asie, p. i3-i4 (voir une photographie suggestive à la page i5) ;

Trois ans dans la Haute-Asie, p. i3 et i\;

En Asie centrale, p. 26 ;

Rapport à l'Académie des Inscriptions, p. 64-65.

(4) Paul Pelliot, Rapport... p. 66-67.

136 LES ÉCRITLllES MANICHEENNES

Toiirfan par une mission russe, que \V. RadlolT a étudié en 11)09. Un autre inorc(îau i)lns court, mais important, compre- nant la partie initiale du texte, avait été trouvé dans la même région par A. \'on Le Coq, qui en a donné une édition avec une traduction et un commentaire, dans un Mémoire de l'Aca- démie des sciences de Berlin (1). Ce dernier savant a fait le même travail pour le rouleau de Sir Aurel Stein. 11 en a édité, traduit et commenté le texte dans un article d'une Revue anglaise, qui a. été tiré à part et en tête duquel il a reproduit en partie l'étude précédente en faisant précéder le tout d'une préface substantielle (2). L'ouvrage ainsi publié à peu près en entier porte le nom turc de Khoiias.tonanift. Il est un échantillon curieux de la littérature manichéenne et, quoiqu'il ne mentionne aucun écrit plus ancien, il nous fournit certains détails qui nous permettent de mieux en connaître plusieurs.

Fragmevi Pellioî. Parmi les manuscrits de Touen houang déposés à la Bibliothèque nationale de Paris se trouve un feuillet isolé et incomplet, écrit en chinois et contenant diverses règles destinées à un monastère manichéen. MM. Chavannes et Pelliot en ont publié un fac-similé, une édition, une tra- duction et un commentaire pénétrant dans un article du' Journal Asiatique ils étudiaient aussi d'autres textes chinois concernant le Manichéisme (3i. Ici encore aucune Ecriture ancienne n'est citée. Le fragment n'en contient pas moins certains détails qui rappellent ceux du Khouastouanift et qui aident à comprendre deux des principaux livres de Mani.

Traités ehiiiois de Pékin. Enfin, parmi les manuscrits de Touen houang laissés par les visiteurs, européens dans la grotte du Tsien-fo-tong, d'où ils ont pris le chemin de Pékin,

(i\ KlninsliKiniil. Kine Sùn(l('n1)ekenntnis dcr Manicliaisclien AudiUires gefunden in Turfnn dans les AbluindJungen de 1910, A3 pages.

(2) Dr. Sl('in\ Tiirkish Kliudstuaiiifi froni Tun Iniang being a Con/<'.ssj"on Praycr 0/ tlie Manichaean Audiiorcs dans '0 Journal of the Royal Asiatic So- cietY. 191 1, P- 277-3i/j. avec fac-similé on > planches. (Je cite le Khouas- touanift. l 'après les lii*-nes numérotées de cette édition).

A compléter par les Vac/i/raye zuni Cluiastuanit Radioff discute certains passages de cette traduction, (voir .Sfipn», p. i34, not. 3) et pa^' un A^a- cliwori Herrn \\ HadlolT ^aclltrage zuni Chuastuanit, Von Le Coq répond à ces critiques, à la fin des Turkischc Manichaica, 1. p. 57-61

(3) Journ. Asiat., igiS. p. io5-iiC.

SURVIVANCES DES ÉCRITURES MANICHÉENNES / 137

se trouve un rouleau volumineux et à peu près complet, qui se présentait au premier abord comme une soutra bouddhique et qui, reproduit en 191 1 , dans une publication chinoise par un savant archéologue, Lo Tchen yu, sous le titre très vague de fÂvre saint d'une religion de la Perse, a été ensuite reconnu comme un traité ma lichéen. MM. Ghavannes et Pelliot, à qui on doit cette constatation. Font aussi édité, traduit et savam- ment commenté dans un autre article du Journal Asiatique (I). L'ouvrage, très important par lui-même, fournit par ailleurs d'utiles renseignements sur des écrits plus anciens qu'il a utilisés et il en invoque même deux dont il reproduit plu- sieurs phrases (2).

Appréciation générale. Dans Icnsemble, ces divers documents présentent le plus grand intérêt. Ils permettent de contrôler d'une façon précise les alïirmations des polémistes chrétiens et celles des historiens arabes ou chinois. Ils les confirment et les complètent.

Mais ils ne les rendent pas inutiles et ne sauraient en être séparés. En eiïet la plupart sont très incomplets et consistent en feuillets épars, plus ou moins déchirés et à peine lisibles. Ils se trouvent écrits enlanguespeu connues que-les philologues ont peine à déchiffrer et ils sont d'une intelligence d'autant plus ditïicile qu'ils se présentent comme de simples versions très littérales et peu adaptées à l'esprit de la langue, faites d'ailleurs, en certains cas, sur d'autres versions également défectueuses (3). Aussi leurs récents éditeurs ont-ils soin de faire remarquer que la traduction qu'ils en donnent est, sur bien des points, hypothétique et provisoire. D'ailleurs les textes les plus clairs et les mieux conservés demeurent encore sujets à caution. Leur origine est peu connue et on peut se demander avec quelque inquiétude si tous sont authentiques. Quand bien même tous le seraient, on ne pourrait les utiliser

>ii J(nir!i. Asidf., kjii, p. ^QQ-tiai (^Coiiipto-iciidu par Léojiaid . Aiuous- seau dans le BuUetui de l'Ecole Française d'ExIrème Orient, t. XII, 1912, p. 53-63). A compléter par les publications plus récentes des mêmes auteurs : Joarn. Asint., igio, p. 99-10^ et p. 378-383 {j\otes additionnelles).

(2) Loc. cit.. p. 555-550.

(3) F. W. K. Millier, Handschrijten Reste... p. 10, not 4 : Hier Avie im folgenden habe icli die Ubersef-^ung nur als ersten Versucli anseben zm woll«'n ».

138

LES ECKITl HES MANICHEENNES

qu'avec une grande réserve. Car le plus grand nombre ne portent aucune date. La plupart n ont môme pas de titre. On ne connaît ni leur pays d'origine ni môme leur auteur. On ne sait à quel point du passé on doit les rattacher.

Peut-être quelque jour une heureuse découverte viendra combler ces lacunes. Peut-être un chercheur plus heureux que tous ses devanciers trouvera dans les ruines d'un temple ou dans les recoins d'une bibliothèque ignorée le texte complet des principales Ecritures qui ont eu cours dans le Manichéisme. Môme en ce cas il sera bon de compléter l'étude de ces textes par celle des témoignages étrangers qui les ont fait connaître. A plus forte raison convient-il de procéder ainsi dans l'état actuel des documents. Seule une étude comparée des manus- crits manichéens qui nous sont parvenus et des renseignements fournis sur eux par les auteurs anciens d'Orient ou d'Occident nous permettra de nous faire à leur sujet une idée un peu nette. En revanche, une telle étude, utilisant et rapprochant tous les textes connus, nous permettra de reconstituer assez bien les principaux éléments de la littérature manichéenne et les grandes lignes de son évolution.

ERRATA

P. 1, l. 2,

P. I, 1. H

P. 10, n. H

P. 11, 1. 2

P. 11, 1. 10

P. 22. n. 3 et siiiv

P, 31, l 3

P. 47, n 3

P. 57, n. 1

P. 68, 1. 18

P. 74, n. 4

P. 75, 1. 4

P. 76, 1. 29

P. 102. 1. 1

P. 103. n. 3

P. 109, 1. 27

P. 113. n. 5

au lieu de Uabyloni,

soin,

Kopstisch,

érninents sont

l'originale,

Mas'coudî,

connus,

ad se,

operd,

Seythien,

ichare,

Wàsit,

en,

elles durent,

psura,

rcueillirent,

Hamhurrgensi,

lire Babylonie.

son.

Koptisc/i.

éminents ont.

l'origine

Mas'oudi.

connues.

ad te.

opéra. i

Seythien.

wahre.

Wâsit.

ne.

elle dut.

supra.

recueillirent

Ilamburgensi.

OUVRAGES A CONSULTER

(en dehors des sources déjà citées dans le dernier chapitre)

Isaac de Beausobre, Histoire critique de Manichée et du Manichéismey Amsterdam, 178^ et 1789, 2 vol. in-4°, Lxxvi-594 et xxxiv-806 pp.

Chr. Baur, Das Manichaische Religionssystem, Tnbingiie. i83i, 8°, xi- 5oo p.

F. Trk^.hset, Ueber Kanon, Krifik und Exégèse de MtûiichniJ . Bern, 1882, gr. (introuvable).

Gustav. Flïjgel, Mani, seine Lehre und seine Schrijteîi, Lei])zig, 1862, 8«, ao pp.

K. Kessler, Mani, Forschungen ûber die manichaeische Religion, t. I, Voruntersuchungen und Quellen (le seul paru), Berlin, 1889, 8*^, xxvii-407 pp.

E. RocH.\T, Essai sur Mani et sa doctrine, Genève, 1897, 8°, 198 pp.

DuFOURCQ, De Manichaeismo apud Latinos, Paris, 1900, 8^, 112 pp.

Le Néornanichéisme et la légende chrétienne, Etude sur les Gesta MARTYRUM romains , t. IV, Paris, 1910, 8°, xn-/io9 pp.

W. BoussET, Hauptprobleme der Gnosis, Gôttingen, 1907, 8°, 898 pp.

Fr. CuMONT, Recherches sur le Manichéisme, Bruxelles, 1908 et 1912, 2 fasc. p. 1-80 et 81-177.

A. Emmanuel de Stoop, Essai sur la diffusion du Manichéisme dans l'Empire romain, Gand, 1909, 8°, VIII, i52 pp.

F. Legge, Forerunners and Rivais of Christianity, Cambridge, 1915, S°, t. II, p. 277-357.

INDEX

Abbassides. 75, 76-78, 79-80,

T01-102, Abdallah ibn al Moqaffa. 76,

76-

Abdallalî ibn Dâoud

Abdallah ibn Obeïdallah

Abdial

Abou Ali Sa'ïd

Abou Hilâl ad-Deihourî. 62, Abou Isa al-Warrâk. 76, 81, Aboul-Abbâs an-Nâschî .... Abou'l-Faradj. 78, io3, 120-

Abon'l-Hasan

Abon'l-Ma'âlî 81, io4,

Abou-Mosliniidijas

Abou-Sa'ïd Rahâ. 7^, 81, io5,

Abraham 2,

Abstinence 18, 4^1,

Acta Archelai. . .)5, 56-58, g^, Actes des Apôtres ébionites..

manichéens (v. Leucius).

marcioniles

Adam.

2, 6, 19, 42, 45, 52,

Adam (livre d') 6,

Adamas 38,

Addas 55, 56, 61, 67

A(Jharban

Adimante . .3i, 61, 64, 67, 98,

Ado

Adschari

Afrique 60-62, 95-

Agapins (Man.) 3i,

124

77

77 77 28

73 74

io5 76

121

73 126

81

126

6

60

112

5

i4 73 70 4o

70 16

ii4

72

io4

97

67

Agapiii-s (év. de Mendjib). 78, 120

Agathoclemon 6

Ahriman 70

Ahwaz 17, 81

Akouas 57

Alchimie manichéenne 34

Al-Dschoiibhknî 76

Alexaiidrc (Valent.) i3

Alexandre de LycopoHs.49, ^9,

93, III

Alexandrie 1 1 , 60

Al Gahiz 5o, 5i, 77, 121

Ali ben al-Chalîl \ . . 76

Ali ben Tâbit 76

Ambioise 64, 114

Ambrosiasteir 64

Ames (deux) 44, 1 15

Ame adventice (livre de 1').. 12

Ami des Lumières 34

Anastase 1 66, 99

Anastase le Sinaïte 58, 118

Anatoniie manichéenne .... 43

Anges 20, 52

An-Nadîm... iG, 75, io3, 123- 125

Antioche 1 1 , 58, 78

Antoine 60

Apelle (Marcion.) i4

Aphraate 56, 94

Aphtonius ..29, 3i, 58, 67, 70

Apocalypses 9, 10, 46

d'Abraham .... 9

d'Adam 10

d'Elie 8

Apôtres du Christ 20

142

LES ECRITURES MAIVICHEENNES

Apôlres do Mani. 25, k^, /i6.

Appelant 34,

Arabie C, 57-58, 118.

Arbres (man.) 26,

Archelaiis (V. Acla Arch.elai).

Archontes 88, ^o,

Archontites 7,

Ardaschîr

Aristocrite 3 1 ,

Arithmétique manichéenne.

37.

Arménie i5, 70-71 ,

Arsinoé

Asbiddschâmikifljas

Ascension de l'Ame. 4, 8, 35-

36, 39,

Ascension d'Isaïe

de Paul

Asclepius

Asie Minenre 60.

Assomj)tion de Moïse

Astronomie manichéenne. 35,

36,

Atlas 38, 4o,

AnditeiiTS. a5. 26, 45-46, 64,

87, An^nistin. 61, 63, 64, 94, 114- Avortons

B

Babyloiie f\o, 78, 79-80

Babylonie 8, 17. /16

Babyloniens (Gnostiques) . . . . 17

Bafjdad 77- 78

Bouddha, :i, 6, 45, 78, 85, 90.

io5-io9, i33

Bahràm I 24. 25, 78, loi

Baptême 19

Baptisles 2, 6

Baraïas 70

Barbelo-Clnostiques ....7, 9, 10

Bardesane. 13-lfi, 21, 22, 56,

75, 112 121 Bar Hebraens (voir Abou'l Faradj.

Barkabbas 9, 11

Barkoph 11

Barlhold i3o

BaschschAr ])en Bourd 76

58

37

128

41

42

9 16 69

38 10;

59

8t

46

9

9 6

66 9

83 46

ii4 116

42

Basile de Césarée 66, 94

Basilide... .11, 12. 21, 61, 68, 121

Basra 17

Bassa 65

Ballaï 71

Beausobre 1

Biologfie 4i

Bironni 80,86, io3-io4, 125

Bouddas 67, 70

Houzourmihr 78, 74

Byzance 66, 99

7' 9'

7'

Caïriiles

Caïn

Calabre

(JaJih Il)n Aboul Qaddous.76, Canon manichéen ....3o, 81, Cantiques i5,

taoïsle 88,

Gat pocratiens

Gartha^e 60, 61, 65,

Gassien

Gelse 7,

Gerdon i3,

Ghâlid ben Abdallah al-Kasri.

Ghani (Prophétie de)

Ghat-el-Arab

Gha vannes i36,

(^hiiie. 24. 82-8i, 105-109, 129-

i3i, i34, Choses cachées {Livre des)..

Gbosroès T (Anouchirvan). 71,

72, 76, 81,

(]ht étions 45.

Ghrist 18, 19, 45,

Gienx (dix)

Gilémont d'Alexandrie

(Uoobius

Golonne de orloire

Comîtientaires de l'Evangile (Rasilidion)

du prophète Parchor. . . .

Gomput manichéen 36,

Gonlinenco 18, 44-

Gonstance I (empereur)

Cx>nstanco (Manichéen) .... Gonstanlin

17 45 65

77

^9

182

106

23

96

63

8

21

73 II

4 187

i35 69

lOI

56 5o 35

7 5

39

12 12

37 45

95 64 94

INDEX

143

Coran 3, 6, 76- 77

Cosniolo^''ic 35

Çoiibi 4

Ctosiphon 17

112 113 Cyrille de Jérusalem. 57, 9;^,

D

Dalmatie ' 65

Dasloii Moisan 17

Démiurjj^e 10, 35, 38

Démon (Voir Diable).

Dênavârs 79, 88

Dessins 23, ik. 28, 52- 53

Destin (livre du) i5

Dhyana de diamant 90

Diable.. 18, 20, 3o, 33, ^2,

/Î5, 52

Diacres manichéens 25

Dialogues de Marcion i4

Dialogue des Lois du pays... i5

Dialhéké 70

Didyme d'Alexandrie .17, Go, 94

Dinkard io3

Dioclétien 61, 92

Diodore de Tarse 66

Dir.eefion et Conduite (livre

de) 80

Discours sur lliérésie (de Pré-

pon) i4

.Djowéïnî 127

Diwân 6, 23

Doctrine des Pères 68, 118

Dosithée 4-5, 72

Dostaï (voir Dosithée).

Dschoiindîsâpour 25

Dualisme . . . . t. 8, 18, 20, 32- 47

E

Eau 4, 18, 20, 34

Ebionites 3, 5-6, 63

Eclair 4o

Eclipses 42

Ecriture des Manichéens ....

Edesse i3, i5, 56,

Efjlise 2, 25-

Ef?yi)te 55, 56, 58-6o, 95-

EJchasaï (livre d') 5, 18-

23

112 26 56 20

l'^lchasaïtes 3, 74

Elévations de Jacques 5

l'^lie (Apocalypse d') 8

(Hévélalions d') 10

Ellavvam 20

Elus (manichéens). 20, 26, ii-

ifi, 6r, 63, 64, 65, 87, 95

Embryologie manichéenne. 42, 43

linfa.nees du Christ (livre des).

67, 70

Ephrem 16, 21, 56, 94, 112

Epiphane ..7, 57. 60, 94, 113- 114

Epître du Fondement. 61, 98, ii5 E pitres de Mani. 24, 64, 67-70,

78, 81, ii4, 124

de Marcion i4

de Yalentin 12

Erjenk ou Ertenk . . . .81 , io4, 126

Esnig de Golp 70

Espagne 62, 63, 97

Esprit 18

Esprit vivant 35, 42

Etoiles 36, 38, 39

Etrangers (livres des) 9

Etre immatériel de la Vérité

(livre de) i5

Euloge d'Alexandrie 68

Euphrate 3, 17, 58, 71

Kuphrate le Pératique 17

Eusèbe d'Emèse 57

Eustathe le Moine 68, 117

Eustathe de Sébaste 60, 66

Eutychès 58, 100

Evangile des 12 Apôtres... 5, 74

Evangile de Basilide 11

Evangiles canoniques. i3, i4,

21, 49, 60, 71

Evangile des disciples 10

Evangile des Egyptiens 8

Evangile d'Eue 10

l'évangile de Judas 9

Evangile de Mani. 66, 67, 70,

74, 80-81, 125, 128, l32

l'AHmgile de Mathias (ou Ma- thieu) 10, II

!-:v(utgile de la Perfection. .8, 9

Evangile de Philippe 10, 67

Evangile de Simon 5

Evangile de Thomas. 8, 10, 67, 70

Evangile de la ]"érité 12

14 i

LES ECRITURES iMANICIIEE.NNES

Eve lO, 42, 45

EvTxlo ii6

Griinwedel i3o, i34

(Juoiisoiis 43,

i4

Fn va km â l ijâ (V . Pra f^niateia) . Fausio (le Milève. 61, 62, gS-

Félix (Manichéen) 96,

Fou 4, 18, 20,

Fîroii/

Flora

Fhi^^el ((î.) 123, not.

Flux et Tciliix

Formules frrecqiies d 'abjura- lion .67. 117-118,

Formules latines (l'abjura- tion 98,

Foiliinal 96,

Fou-Kien 8S, 90,

Fou-tcheou 89,

Fou-lo-tan

Foiitlak

G

G';)l)iiial)ius

(îardîzî

(laule 63, C^i,

Gaza

Gcanis (livre des). 50, 66, 67,

Géiase 65, 97,

Geniiade

G('o^Ma[)lii(> manichéenne, 38,

Géolo^ne manich('''enne

Georfifes de Laodic('e

Geor^^es ](^ Moine 69,

Ghazna 81, io4,

GibrA' il ibii Nouh

Cinzd

Gnose 2,

Gnosti(|ues i-

(iou^^aïni (voir Djowéïnî).

Grande Hcvélalloii 5,

Grappe de bénédielion

G ration

(îré^'oire H

Gré«;oiïe le Grand.... 62, 65,

Gréfjoire de Nysse

Grotte de Mani

ii4

ii5

34

71

i3

3

4o

120

116

Tl5

T06

9"

82

17

97

58

126

9^ 63

39 38

9'.

ino 126

io3

()

20

iC.

70

95

98

98 66

24

H

Haddschâscli ben \oùsoui'...

Hamadan

Hammad Adjied

Harmonins

Harouri al-Raschid

Harran 3,

Hef^emonius 55,

Hemeroba])listes

Henoeb 6,

Hephdogne t d '\j:a])ius) . . . 67,

H('''Tacléon

Héraelide 2Î3, 3i, 67,

Héraelier) de (]lialcédoine. 66, Ilermas (M;iriieb(Vn). 55, 56.

Hermè's 2,

Hieiakas ou Hieiax. 29, 3r, 59, 60, 67,

Hilaire (saint) 63.

lliiaire (Aîanieb('>en)

Hi[)])olyle 7,

Hiseham •.

IloinéHes pseiidoeléinenlines.

valentiniennes

Homme (vi(>il et nouvel) ....

Houfjf Mai 89, 106.

Ho-uan

Hoiiorius

Hormisdas (pape) 6;"),

Hormuz

Hoummâmab . . 5() et 5i. not.

Hurniérie

Hydace d 'Kmérita

Hymnes mandaïh^s

naaséniennes

manich(''ennes . .Sî\,

val(>nliniennes

I

Taldabaoth

lann('e

lanou

lazdanbacht

Ibn Abi l-Ardjà 76

73

17

75

i5

T02

6

1 12

2

10

^9 i3

70 100

70 6

70 m4

70

T7

73

6

1 2

'.4

126

T06 96 98

■2\

I

62

62

6 8

]32 T2

3i, 73,

10 70 29

io3

INDEX

145

Ibn Achî Abî Schakir -76

Ibn al Ada al-Harîzi 76

Ibn al-Moiirtadâ io5, 128

Ibn Sinâna 7C

Ibn Tàlout 75

Idiqout-schari 129- 182

Icoa (livre de) 10

lexaï (livre de) 5

Ignace de Jésus 4

Imams. 26, 29, 3o, 73-74, 79,

80, 85, 124

Incantations 12

Inde i5, 2^, 45, 78

Interrogations de Marie 10

Irak 4, 3o, 71, 73, 80

Irénée 7

Ishak ben Glialaf 76

Isidore , 12

Italie 64, 96- 97

Ithace d'Ossonaba 62

.1

Jacques (Entretiens de) 9

Jean (livre de) 6

Jean Baptiste 19

Jean de Gallinice 70

Jean Chrysostome 58

Jean Damascène 74, 118

Jérôme 62, ii4

Jésus 19, 45, 73

Jeûnes 37

Joiieï-si 84

Judaïsme. 4, 8, 21, 45, 59, 67,

68, 94

Judas 9

Julie 58

Julien d'Eclane 68

Justinien 66, 71, 99

K

Kalila et Dimma 76

Kan-son, Kau-tcheou. 86, 87, i34

Kantéens 71, 72

Kao-tchang (ou Khoteho). 86,

87, 129, i33

Kara balgasoun 84, 85

Karossa 69

Kashkar 24, 56, 75, 112, 118

Kashmir ^4

Kaurdosay 70

Kcssler i

hhodaï-nameh 76

Khorassan. 24, 78-81, 86, 102- io3

Khotan 86

Khouastoiianift i34-, 135- 136

Khuarizim 80, io4

Klemcntz i3o, i34

Kobad 72

Kondaros 68

Kochanowski i3o

ivoud&akidjas 81

Kozlov i3o

Krotkof i3o

Kariah'osag 70'

Laodiciens

Lao-tseu 88,

Léon (saint) 65, 96-97,

Léonce de Byzance 67,

Lettres (V. Epîtres).

Leucius 61,

Liber Pontificalis 64,

Lin Clie-tch'ang

Lotus blanc (Association duj.

Lou Yeou 89, 120-

Lumière (Religion de la). 89,

90, 106,

Limiière et Ténèbres. i5, 32,

72,

Lumière de la Certitude et du

Fondement

Lune 16, 36,

Lusitanie 62,

Lydie 65,

M

67 iO'7 116 117

67

97

89

108

127

108

123

8r

37 63 66

Maladies 43.

Mahboud. évêque

Mahomet 6 ,

Mandéens 4, 6, 23,

Mani 16-25, 46, 5o, 55,

Mansour 62, 73,

Manuscrits manichéens. 27, 28. 87-88. 129-

iM\

LES ECRITURES MANICHÉENNES

Marc de \Icm])his i3,

Marcel lus

Marcioii. i3. ^^, 21, 22, 56, 03. 67, 70, 112,

Marcionilcs.. . i4, 17, 23, 57, Marie (Interrogations de)....

Nativité de

Marsiancs. Martiades 9,

Masbolhéciis

Mas'oiidî. 21, 75, 77, 102, 122-

Matthiou

Mazdak. 72, 76, 79,\ 8t, toi,

Mehdi 7"), 76,

Mélitine

Ménioire.'î (livre des)

Ménoch (Vierfre)

Mère de Vie

Mésène i, ^1-,

Mésopolami'e. 3, 56-57, 66, 75,

Michel le Syrien 78, io3,

Mihr 7^, T'i-

MiklAs 7^^' 7^'

Milan

Milliade (P'4^^')

Mîrchônd

Mohammed ben Ahmad

Mohammed ben Obeïdallah. .

Moïse 9> l'i'

Mo-mo-ni 89, 107,

Monophy sites 58,

Monti ben Yias

Morales (d 'Isidore)

Mou-chô ^3,

Mon^ditasilas 3, 18,

Monktadir 80, 86, 102-

Miiller (F. W. K.) t3i

Miisonins

Mystères de Bardesane i6,

de Mani. 58, 67, 69,

62 112

121

72 10 10 10 3 123

^9 126

102

71

G9

68 33

7^ 1 12

120

124

124

64

64

128

76

TOT

68 126 100

1^^ 12 85 22 io3 132 94 •■^9

78, 80, To4, 124. 125

N

Naaséniens 1, 8, 9

Nariman

Nasr ben Hominouzd 73

Nazaréens 3, 4, 5, 72

Nébroël 42

Néoplatonisme 48

Nicé])hoie de Conslanlinople. r)8. 69, 100,

Nicolas, Nicolaïles 7, 9.

Nicothée

Nil

Noë 2. 6, To,

Noria

Nonkat 80,

Non'man Ibn Abi'l-Ardja. . . . Nouveau Testament. 12, ^9, Nuance blanc (Associai ion dn).

O

"9

'7 10 58 73 10

io4 76 68

T08

OcfdleiHjue de Dosilhée 5

Odes de Basil ide 12

de Salomon lo

Oldenbourg'' i3o

Olyinpius (Manichéen) 70

Ommyades 75, 102

Ophites 7, 8, 17, 21, 23

Orifrène 7, 8, 17

Orkhon 84, 85, 109

OrnemenI de splendeur. 38,

4o, 46

Ormuzd 70

Orphée 6

Osséens 3, 5

Onigoms ....Si. 88. to5-to9, 127

Oxns 78

Paapis 59, 70

Palestin(> 45, 57- 58

Pa])a 71

l''.aphla<:onie 66

Paraclet 21, 64, 73, 98

Parehor (l^ropln'ties de) .... 11

Pascentius 63

Passion de Mani 25

Patekios 69

Paul (Ascen.'>ion de) 9, 70

(E pitres de), i',, 21, 49 «

Paul de Oallinice

Paul 1(> Perse 66,

Pauliciens 70. 7T,

Pelliol i35-

Pérates 7, 9,

lOI

70 100

ÏOI

i37 17

LM)i:X

447

Père de la grandeur .32, 87

P.ciie non pareille (livre de

la) 76

Perse 8, 16, 28, 45, 78, 82

Peste 43

Plîilastre de Brescia. 64, 94, 11 i

Philomène (Révélations de) i4

Philon 58

Philosophoumena 7

Phosilampe 10

Photiiis 69, 100, 119-120

Physique (manich.) /io, lu

Pierre Hégoumène 69, 100

Pierre de Sicile. 69, 100, 119- 120

Pisfis Sophia. 10

Planètes 8, 35- 36

Platon 2, 48

Platonisme 11

Plotin 93, III

Pomérius d'Arles 68

Pragmateia 78, 80

Porphyre 98 , m

Préceptes (livre des) 78, 124

Premier Homme. 38-87, -^2, 45, 48

Prépon i4

Prêtres manichéens 25

Prières Basilidiennes 12

Manichéennes 67

Princip.es (livre des. 67, 72,

82, 84, 88-90, 99-100, 126, 127

Priscillien 62, 68

Prophètes juifs 20, 59, 68

Prophéties 9, 46, 49, 78

Prosper d'Aquitaine 64, 96

Prosper (Manichéen) 98

Psaumes bardesanites i5

marcionites i4

naasséniens 8

vialentiniens 12

Ptolémée 18

Pythagore 48

Q

Qolasta (mandéen) 6

R

Rabboulas

Racines (deux) 82,

56 70

Racines (livre des deux)

Radlorf(W.) US, VVt

Ramstedt

Razi 80

Récognitions clémentines ..

Religions 8, 45

Répondant 84

Révélations maTcionites . . . valentiniennes .

Roborovski i3o

Roi de gloire ^^

Koi d 'honneur

Rome II, i3, 64-65, 96

Roudnet'

S

Sabéens 2-6, 17, 20, loi,

Saclas 42,

Saddikini

Salenian i3i,

Salonion

Sam

Samarkand 78, 80,

Sanimakini

Sampséens 3,

Samuel d 'Ani

Sapor I 17, 22, 23-24,

Sarragosse

Sarrasins 07,

Sassanides 71, 79, 81,

Satmne

Scythie

Sebios

Sebouaioi

Secundin 65,

Seldjoucides ,. . . .

Serapion de Tmuis. 49, 59, 94,

Sergius (Paulicien)

Seth .6, 10, 45,

Seth {Paraphrase de)

Séthites 7^95

Sévère d'Antioche 58,

Sexes 18,

Shâpouraskan, 22,not. 5, 78, 77, 78, 80-81, 124, 125, 126,

128,

Sharastani. 21, 81, io4-io5,

126,

26 186 180

125

6 46

37 i4

12 i3i

4o 8S

98 180

io4 5o 60

182 10 5o

io4

60

5

70

lOI

62 58

lOI

49 55

70

2

ii5

78 113

71

73

9

17 117

43

182

128

148

LES ECRITURES MANICHEENNES

Shikand (jounmniif Vidshar.

80, io3. 122

Sicile 65

Simon le Magicien ....5, 11, 28

Siniplicius 66, 94

Sinaï 58

Sinopp i3

Sis ou Sisiniiis 26, 67, 70

Sobiai 3

Sogd 80, 81 . io4

Soleil 36. 46

Stein (Aiirel) i35

Syllogismes d'Apelle i4

Symmaqiie 64, 65, 97

Symphonie {La) 9

Syrie 56, 57-58. 66. 112

ï

Tabari 7^» 77- 122

Taoïstes 88. 106. i34

Tatb 6

Tchang Kiim-fang 88

Tche-p'an 127

Tchen-tsong 88, 106

Terre de la Lumière 32

des Ténèbres 32

Terres (les huit) 35

Tes (voir Ti-chô).

Thébaïde 58

Théodas 12

Théodore aboii-Kourra . . . ... 74

Théodore bar-Khôni. 74, 75.

118- 119

Théodore de Raïlhou 58

Théodoret de Cyr ... .57, 116- 117

Théodo&e 95

Théodote (Valentinien) 12

Théophylacte 120

Théosophie d'Aristocrite .... 69

Théotime i3

Thibet 24

Thomas (Manichéen). 55, 56,

59, 68, 70

Ti-chô 83

Tigre 3, 17, 71

Timothée (pat. d'Aexandrie). 60

Timothée de Constantinople.

67. 117

Titus de Bostra 57. 94, 113

ToLrhouztrou/, i^Toqouz-Oghouz)

86,

Tonnerre

Tokharestan 82,

Touen houang. 87. 88, 109,

13i-

Tourfan 86, 87. 129-

Transoxiane 81 ,

Tremblement de terre

Trésor mandéen (voir Ginza.

manichéen, 29, 58, 61,

62. 63, 66. 67. 69, 72, 77. 80;

98. ii4,

Trois Moments (livre des). 84.

88-89. Trois \atures (traité des)....

Troisième Messager 35,

Tsong-Kien 90. 108,

Turbo

Turcs

Turibius 63,

Tnrkostian

U

U-rsus

Valentin. 11-13, 21. .56, 67, 68,

Valentiniens 12, i3,

Vandales

Visions des Xicolaïtes

Victorin 61, 94,

Vincent de Lérins

des Valentiniens

\ irification (livre de la); voir

Trésor

Von Le Coq i3o, 132-

Voyages de Pierre

W

^^'alid

w àsit 17,

87 16 83

137 131

io4

4o

6

125

I 26

12

127

1 12

81

97 24

9'^

121

17 62

9 114

63

12

70

133

6

72 75

Yahya i>en Ziad 76

Yaqoùbi 8o,122

Yapgoun 26

z

Zacharie Je Rhéteur 66,

Zadhourmouz

Zakpuas

Zandiques. . . 70, 74, 76, 102,

Zarades, Zaradoust, voir Zé- ro astre.

INDEX 14g

Zarouas 5^

100 ^^^'^^^^ (Epître à) 68

Zervan ^^

5 Zodiaque 16, 36-37, 89

j,g Zoologie 4i, 42

Zoroastre. 3, 6, 24, 45, 56, 67,

68, 70, 73, io3, io4, i33

Zuicho Tachibana i3i

a

TABLE DES MATIERES

PREFACE Mil

PREMIEfiE SECTION Constitution des Ecritures manichéennes

CHAPITRE PREMIER

Origine des Ecritures manichéennes

/

I. Activité littéraire des Gnostiques :

a) des Gnostiques anonymes :

Sabéens, Ophites, Naasséniens, Pérates, 1-10

Séthites, Archontites, Nicolaïtes

h) des Grands Gnostiques :

Basilide et Valentin, Marcion et Bardesane. . . - 10-16

IL Activité littéraire de Mani:

a) Son origine :

Date et lieu de naissance, Premiers maîtres et premières lectures 16-22

b) Ses manifestations :

avant l'exil de Mani, à la suite de son exil 22-24

c) Sa fin :

Retour de l'exil, Arrestation et exécution 24-25

152 TABLE DES MATIERES

TH. Activité littéraire des Manichéens :

a) Utilisation des écrits de Mani :

Lectures, Transcriptions, Traductions 25-20

b) Imitation des écrits de Mani :

Commentaires, et travaux personnels 29-30

r) Fixation des Ecritures :

Le Canon manichéen. Ses variantes 30-31

CHAPITRE DEUXIEME

Caractères généraux des Ecritures manichéennes

I. Leur enseignement:

Ontologie, Cosmogonie, Alchimie, Cosmologie, Astronomie, Comput, Arithmétique, Géologie, Géographie, Physique, Botanique, Zoologie, Anthropologie, Embryologie, Anatomie, Mé- decine, Psychologie, Morale, Histoire, Apoca- lypse f

IL Leur Forme littéraire :

Simplicité du style, Dialectique, Traditiona- lisme, Parénétisme, Variété, Prolixité, Illustrations

32-47

47-53

DEUXIEME SECTION Histoire des Ecritures manichéennes

CHAPITRE PREMIER

Propagation des Ecritures manichéennes

Dans la Chrétienté

Mésopotamie, Syrie et Arabie, Egypte et Afrique romaine, Espagne, Gaule, Italie, Dalmatie, Empire byzantin et Arménie. . .

55-71

TABLE DES MATIERES 153

II. Hors de la Chrétienté:

Chez les Sassanides, Chez les Abbassides, Khorassan et Tokharestan, Mongolie et Turkestan, Chine 71-91

CHAPITRE DEUXIÈME

Disparition des Ecritures manichéennes

I. Dans la Chrétienté:

Dioclétien, Les philosoplies païens, Les Apologistes chrétiens, Constantin et ses successeurs, Saint Léon et ses successeurs, Anastase l et Juslinien, Les théologiens de Byzance 92-101

IL Hors de la Chrétienté :

Les Sassanides, Les Abbassides, Dans le

Khorassan, En Asie Centrale, En Chine. . 101-110

r.HAPrnU': troisième Survivances des Ecritures manichéennes

L Dans la Chrétienté :

IlL' siècle : Alexandre de Lycopolis lii

1V« siècle : Hegemonius, Ephrem, Cyrille de Jérusalem, Serapion de Tmuis, Titus de Bostra, Epiphane, Hilaire, Ambroise, Jérôme, Philastrius, Victo-

rin, Augustin 112-116

siècle : Evode, Saint Léon, Formule

latine d'abjuration, Théodoret de Cyr. 116-117 VI« siècle : Sévère d'Antioche, Eustathe le Moine, Léonce de Byzance, Timothée de Constantinople, l'^'^ Formule greccfue

d'abjuration 1 17-118

Vll*^ siècle : Doctrine des Prres, Anastase le

Sinaïtc 118

VIII» siècle : Jean Damascène, Théodore bar

Khôni, 118-119

154

TABLE DES MATIERES

IX® siècle : Nicéphore de Constantinople, Pierre Hégoumène, Georges le Moine, Pierre de Sicile, Photius, 2*^ Formule

grecque d'abjuration 119-120

Siècles suivants : Agapius, ïhéophy-

lacte, Michel le Syrien, Bar Hebraeus. 120-121

Appréciation générale 121

II. Hors de la Chrrlienté :

IX^ siècle: Al Gahiz, Ya'qoùbi, Skikand

goiimanig mdshar 121-122

X^ siècle : Tabari, Masoudi, An Nadim. . . 122-125

XI®, siècle : Birouni, Aboulma'âlî 125-126

XII« siècle : Sharastani, Hong Mai. Lou

Yeou 126-J27

Xlll^^siècle : Tsong Kien, Tche-pan, Djou-

veni 127

XIV» siècle : Al Mourtada 128

XV^ siècle : Mirchond 128

Appréciation générale 128-129

III. Manuscrits manichéens :

a) Fouilles de Tourfan :

Publications de G. Salemann 129-132

de F. W. K. Millier 132

de A. Von Le Coq 132-133

de W. Radlofï 133-134

b) Bibliothèque de Touen houang:

Khouastouanift de Stein 134-136

Fragment Pelliot 136

Traité de Pékin 136-137

Appréciation générale; 137-138

Errata 139

Ouvrages à consulter. 140

Index alphabétique. . 141-149

'Table de Matières 151-154

NIORT

IMP NOUVELLE G. CLOUZOT.

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