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BIBLIOTHÈQUE DE L'ÉCOLE

DES HAUTES ÉTUDES

SOIEiSrOES I^THLIGIEUSES

VINGTIEME YOLU-ME

LES CULTES PAÏENS

DANS L'EMPIRE ROMAIN

Première partie : LES PROVINCES LATINES

T03IE I.

IMP. R. MARCnESSOU. PEYRILLER, ROUCIIOX ET GAMON, SUCCESSEURS.

LES Cl'LÏES PAÏEXS

DANS L'EMPIRE ROMAIN

PREMIÈRE PARTIE

LES PROVINCES LATINES

TOME I

LES CXJLTES OFFICIELS; XiES CULTES ROM:i^i:NrS ET GR.ÉC0-ri0M^4>-l>CS

PAK

J. TOUTAIN

:>1AITRE DE CONFERENCES A L ECOLE PRATIQUE DES HALTES KTCDES DOCTELR ES LETTRES

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PARIS ERXEST LEROUX, ÉDITEUR

28, KUE BONAPARTE, Yl*" 1907

i

PREFACE

La science des religions s'est constituée snrtout pendant le xix^ siècle. Elle diffère de l'histoire des religions, elle s'y oppose même nettement, à la fois par le caractère des faits qu'elle étudie et par la méthode qu'elle emploie.

Elle considère les phénomènes religieux en soi, indé- pendamment des conditions de temps et de lieu. Elle veut en éliminer toutes les circonstances particulières qui distinguent par exemple un mythe grec d'un mythe égyptien ou d'un mythe germanique, un rite latin d'un rite hébraïque ou d'une cérémonie mexicaine. Elle s'efforce d'atteindre la notion générale et abstraite du mythe, du sacrifice. Elle construit des théories, elle raisonne, elle disserte. D'autre part, elle s'efforce de remonter aux origines mêmes de la religion. Les mythes et les cultes, dans l'état et à l'époque les uns et les autres peuvent être observés directement, ne lui fournissent pas une matière qui satisfasse ses ambitions. Elle veut porter la lumière jusque dans les âges loin- tains où ils se sont lentement élaborés. Elle veut expli- quer comment les mythes se sont créés ; elle a entrepris de décrire comment est le sentiment religieux dans le cœur de l'homme, comment il s'y est développé,

Il PREFACE

quelles formes il y a prises; elle vent déterminer l'ori- erine et l'évolution des rites essentiels : de les vastes systèmes d'exégèse, édifiés par Max Muller. Mannhardt, Tylor, Lang, Robertson Smith, Frazer, Jevons.

Il était inévitable que la science des religions, pour construire ces théories et pour édifier ces systèmes, suivît une autre méthode que la méthode historique. L'observation des faits concrets, l'étude analytique des documents, l'induction ne lui ont pas suffi. Elle a fait un usage parfois ingénieux, souvent téméraire, de la comparaison; elle a rapproché les traditions austra- liennes ou malaises des mythes de l'antiquité classique; elle a confronté les coutumes polynésiennes, sibériennes, américaines avec les rites de l'Egypte, de la Grèce ou de Rome; de ces rapprochements, de ces confrontations, elle a tiré des conclusions qu'elle présente comme cer- taines. Elle s'est aidée de la philologie comparée, de l'anthropologie, de l'ethnologie, de la sociologie. Elle a affirmé son droit à « user de la déduction et de la logique ' » .

Il serait injuste et puéril soit de nier les résultats vraiment acquis par la science des religions, soit de contester l'importance des problèmes qu'elle a posés. Mais peut-être est-il permis de penser que ces résultats sont bien minces et que les etforts faits pour résoudre ces problèmes sont prématurés. Que reste-t-il aujour- d'hui des affirmations de Max Muller et de ses disciples? La "méthode anthropologique a-t-elle fourni jusqu'à présent autre chose que des M'pothèses, séduisantes sans doute, mais indécises et flottantes? Les vues synthé- tiques, les théories explicatives, les systèmes généraux

1. s. Reinach, Cultes. Mythes et Religions, t. I, p. 84.

PREFACE III

ne reposent sur des fondements solides que si l'étude analytique des faits particuliers a été au préalable sinon terminée (elle ne l'est jamais), du moins très avancée et très féconde. La base indispensable de la science des religions est l'histoire des religions. Or cette histoire est aujourd'hui même très loin d'être faite. Sans doute, depuis un siècle environ, la philologie, l'archéologie, l'épigraphie, la numismatique, la papyrologie, le folk- lore ont éclairé d'une vive lumière les religions et les mythologies des peuples de l'Inde védique, de l'Iran, de l'Asie antérieure, de l'Egypte, de la Grèce, de l'Italie, de la Gaule et de la Germanie ; sans doute aussi la lec- ture attentive et le dépouillement de nombreux récits de voyages en Amérique, en Afrique, en Océanie ont permis d'ajouter aux documents de l'antiquité une masse considérable de renseignements d'une nature différente et d'un intérêt au moins égal. Mais de ces matériaux, il en est beaucoup qui sont encore à l'état brut, et qui n'ont été soumis à aucune critique métho- dique; d'autres ont été trop souvent utilisés dans l'in- tention exclusive d'y trouver des arguments à l'appui de telle ou telle théorie préconçue; d'autres enfin ont également servi à étayer des systèmes contradictoires. Il n'y a pas un quart de siècle que l'on a découvert le totémisme; l'opinion des savants compétents est loin d'être unanime ou même fixée sur cette forme parti- culière de religion; pourtant Ton veut déjà en tirer une théorie générale des origines de la religion. Une telle hâte à systématiser des faits imparfaitement connus et insuffisamment approfondis nous paraît tout à fait préjudiciable aux progrès de la science des religions. Loin d'en accélérer le développement, elle le retarderait plutôt.

IV PREFACE

A notre avis, la méthode, qui à l'heure actuelle est appelée à rendre les plus grands services, c'est la méthode historique. Il convient et il conviendra peut- être pendant longtemps d'étudier chaque religion dans son cadre géographique, dans son milieu social, telle que nous la font connaître les documents que nous pos- sédons sur elle. Il nous parait sage et prudent d'étudier, par exemple, les cultes et les mythes helléniques dans la Grèce de l'époque historique, et non tels qu'ils pou- vaient être alors que les ancêtres des Hellènes n'avaient pas encore atteint les rivages de la mer Egée et de la mer Ionienne; d'observer la religion totémique chez les tribus de l'Australie et chez les Indiens de l'i^mérique du nord, sans vouloir à toute force retrouver des survi- vances de la même conception chez les Hébreux, les Egyptiens, les Grecs, les Romains, les Gaulois ou les Bretons de l'antiquité classique; de ne point comparer, en raison d'analogies souvent très superficielles, des rites en usage dans les cités de la Grèce, de l' Asie- Mineure ou de l'Italie, avec des coutumes religieuses pratiquées par des populations aussi sauvages que les tribus australiennes ou les insulaires polynésiens.

Telles sont les raisons pour lesquelles, malgré la faveur qui s'attache depuis quelques années aux géné- ralisations hardies des Lang, des Tylor, des Frazer, des JevoDS, des Reinach, nous avons pris la résolution de ne présenter ici qu'un Essai purement historique. Nous nous sommes enfermé de propos délibéré dans les limites géographiques et chronologiques du sujet que nous avons choisi. Nous n'avons pas tenté d'élargir ce sujet par des comparaisons ambitieuses ou piquantes; nous n'avons pas recherché les origines préhistoriques ou extra-historiques des cultes que nous avons étudiés.

PREFACE V

On ne trouvera ici rien de plus qu'une tentative aussi consciencieuse que possible pour écrire un chapitre de l'histoire des religions du monde antique. Nous avons tenu à mettre pleinement en lumière cette physionomie de notre Essai.

Paris, octobre 1905.

J. T.

INTRODUCTION

1. L'histoire religieuse de l'Empire romain; son caractère; son intérêt. 2. Divisions géographiques du sujet. 3. Les divers cultes des provinces latines; leur nombre; leur diversité : essai de classification. 4. Les sources; la méthode. ^.Actualité du sujet traité.

Chez tous les peuples et à toutes les époques de l'anti- quité, la religion a tenu dans l'histoire une place considé- rable, a joué dans la vie pubhque comme dans la vie privée un rôle capital. Lorsqu'une guerre éclatait entre deux villes ou deux peuples, les dieux des adversaires étaient censés y prendre part. Si la lutte se terminait par un traité, on les invoquait les uns et les autres comme témoins de la foi jurée, comme garants des conditions de la paix. Si le vaincu pas- sait sous les lois du vainqueur, ses dieux étaient compris dans le butin '. Si deux ou plusieurs cités se fondaient en un seul et même État, leurs divinités respectives contrac- taient alliance, recevaient les mêmes hommages, étaient adorées les unes auprès des autres, dans des sanctuaires également honorés. Le culte d'une divinité étrangère ne

1. Cf. la formule de la declitio dans Liv. I, 37 : .. divina Jutmanaqîie omnia.

2 INTRODUCTION

pouvait être célébré publiquement dans une ville que s'il y avait été admis par une décision officielle des pouvoirs publics. Ainsi, quelle que fût la nature des relations qui existaient entre les villes, les États, les peuples, la religion s'y trouvait directement intéressée, en subissait les con- séquences.

La constitution de Tempire romain ne pouvait pas man- quer d'exercer une grande influence sur l'histoire des reli- gions antiques Dans les pays que Rome réduisit en pro- vinces, elle trouva des cultes très anciens, très populaires, profondément enracinés dans l'âme des habitants, ceux-ci plus raffinés, plus complexes, plus civilisés, comme en Grèce et en Orient, ceux-là plus grossiers et plus naïfs, comme en Espagne, en Gaule, en Thrace. Les Romains avaient aussi leur religion, dans laquelle s'étaient mêlés, sans pourtant se confondre entièrement, les vieux rites ita- liques et les brillantes légendes du polythéisme grec ; sur- tout ils rendaient un culte officiel à certaines divinités considérées et invoquées comme protectrices de l'État.

Quel fût le rôle, quelle fut la destinée de ces éléments si nombreux et si divers, lorsque l'empire romain fut définiti- vement organisé? Rome, victorieuse et maîtresse du monde, ne pouvait pas admettre que ses divinités officielles fussent méconnues ou méprisées par les peuples soumis à ses lois. L'adhésion, spontanée ou non, des provinciaux aux cultes officiels de l'État romain était une nécessité politique. Mais Rome pouvait-elle exiger davantage? Eiit-il été sage, eût-il été prudent d'imposer ou même de demander à tous ces peuples l'oubU de leurs antiques traditions religieuses, l'abandon de leurs rites séculaires, la trahison à l'égard de leurs divinités nationales? L'histoire reUgieuse de l'empire romain présente donc, dès l'abord, un double aspect, comporte une double série de problèmes :

Comment la religion romaine, comment en particulier les cultes officiels de l'État romain se sont-ils répandus dans les diverses provinces de l'Empire? Quelle a été

INTRODUCTION 6

à l'égard de ces cultes et de cette religion l'attitude des populations provinciales?

Que sont devenues, sous la domination romaine, les religions des peuples assujettis par Rome? Comment le Gou- vernement impérial les a-t-il traitées? Quelle a été sa poli- tique à l'égard des cultes nationaux et locaux du monde méditerranéen?

Si importantes que soient ces deux questions, elles n'épuisent pourtant pas le sujet. Les diverses provinces dont l'empire se composait ne restèrent pas étrangères les unes aux autres. Ce ne fut pas seulement avec Rome et l'Italie qu'elles eurent des rapports, ce fut aussi entre elles. Le recrutement des légions et des corps auxiliaires, le com- merce des esclaves, les relations économi<iues firent naître maints courants de l'Orient vers l'Occident, du Sud vers le Nord. Les soldats, les esclaves, les négociants transpor- taient avec eux les cultes de leurs paj's. De ce nouvel ordre de faits découle pour l'historien un troisième problème :

Ces cultes ainsi transplantés de leurs pays d'origine dans les autres provinces y ont-ils pris racine? Quel a été leur caractère? Quel a été leur rôle dans la vie religieuse de l'empire?

liln résumé, diffusion dans l'empire de la religion romaine et spécialement des cultes officiels de l'État romain; survivance dans les provinces des religions nationales et locales ; relations religieuses entre les diverses parties du monde romain : tels sont, à nos yeux, les problèmes essentiels que pose l'histoire religieuse de l'empire. Pour résoudre ces problèmes, nous aurons à étudier les cultes qui se célébraient dans les limites de Vorbis y^o^nanus ; cette étude sera la partie proprement religieuse de notre Essai. Nous nous efforcerons en même temps de déterminer quelle a été en cette matière la politique du Gouvernement impé- rial et quels sentiments paraissent avoir inspiré la vie reli- gieuse des provinciaux; par nous tenterons de rattacher notre Essai à l'histoire générale du monde antique.

INTRODUCTION

Au point de vue qui nous occupe, est-il possible d'em- brasser d'un seul coup d'ceil l'empire romain tout entier? Nous ne le pensons pas. L'évolution historique des cultes, dans les conditions et à l'époque nous voulons l'obser- ver, a été profondément diflférente selon les régions; elle n'a pas du tout le même caractère en Italie et en Afrique, en Espagne et en Egypte, en Gaule et en Grèce. Il nous paraît nécessaire de distinguer dans le monde romain trois parties principales : l'Italie, la Grèce et l'Orient, les pro- vinces latines.

L'Italie a été la première conquête de Rome; elle est demeurée le centre et le noyau de son empire. Après la Guerre Sociale, toute la partie péninsulaire du pays fut assimilée à Rome; à l'époque d'Atiguste, la grande plaine du nord jusqu'au pied des Alpes avait acquis le même pri- vilège. Sous le liatit empire, l'Italie ne fut pas classée parmi les provinces ; elle fut considérée et traitée comme la banlieue même de la capitale. Les principales populations, dont la défaite avait assuré progressivement l'iiégémonie de Rome en Italie, étaient des Italiotes, des Etrusques, des Grecs, des Gaulois et des Ligiu'es. Les cultes et les rites en honneur chez les Italiotes se distinguaient peu des plus anciens cultes de la communauté romaine primitive ; il n'y eut pas, il ne pouvait guère y avoir de conflits religieux entre les vainqueurs et les vaincus. La rehgion des Etrusques et celle des Grecs de l'Italie méridionale différaient beau- coup des vieux cultes itahotes, l'une par son caractère som- bre et son rituel compliqué, l'autre par le nombre et la phy- sionomie de ses dieux. A leurs voisins du nord, les Romains empruntèrent la plupart de leurs procédés de divination, plusieurs cérémonies du cidte et petit-ètre quelques divi- nités, comme la Triade Capitohne. Dans les colonies grecques de l'Italie méridionale, ils allèrent s'initier aux

INTRODUCTION Ô

premiers cultes grecs qu'ils paraissent avoir connus, à ceux par exemple d'Apollon, de Déméter, de Perséphone, de Dionysos. Avant même d'entrer en contact direct avec la Grèce propre, Rome avait commencé à helléniser ses dieux. Quant aux peuples de l'Italie septentrionale, Gaulois, Ligures, montagnards alpestres d'origine mal déterminée, les uns furent systématiquement détruits, comme les Gaulois Sénons qui occupaient le rivage de l'Adriatique au sud des embouchures du ; d'autres, comme les Ligures, furent transportés dans l'Italie centrale ou méridionale; d'autres encore furent vendus comme esclaves et dispersés, tels les Salasses du val d'Aoste. De très nombreuses colonies furent fondées dans toute la région. Il en résulta que peu à peu la majeure partie des anciens habitants disparut ou perdit tout caractère original. Peut-on voir autre chose qu'une annexe de Rome dans le pays naquirent avant l'ère chrétienne Virgile et Tite-Live? Assu- rément dans maintes vallées des Alpes subsistèrent des tribus que n'atteignit pas la civilisation gréco-romaine; mais ces tribus ne jouèrent aucun rôle actif dans l'histoire rehgieuse de l'Italie septentrionale ; elles ne modifièrent en rien le caractère général de cette histoire. En Itahe, la victoire définitive de Rome eut pour principale consé- quence, dans le domaine rehgieux, la fusion de trois éléments distincts à l'origine : les cultes itaUotes, la reli- gion étrusque et le polythéisme grec. La religion ainsi formée fut pratiquée des Alpes au détroit de Messine et de la mer Tyrrhénienne à la mer Adriatique; c'est elle que l'on peut appeler la religion romaine proprement dite.

Le spectacle que présentent la Grèce et l'Orient est bien différent. La victoire des armes romaines n'y fut, à aucun degré, la victoire des dieux romains.

Le vers souvent cité du poète

Graecia capta fenim viclorem cepit. . . ne trouve pas moins son application dans l'histoire reli-

6 INTRODUCTION

gicuse que dans rhistoire des idées et des mœurs. On citerait difficilement un tulie. un rite italique qui se soit introduit en Grèce, en Asie ou en Egypte. Bien loin d'imposer ou d'apporter avec elle le moindre élément reli- gieux, c'est Rome qui a tout reçu de la Grèce et de l'Orient. Déjà par l'intermédiaire des Etrusques elle avait entTevu la civilisation hellénique. Ses relations, d'abord commer- ciales, puis politiques avec les colonies grecques de l'Italie méridionale et de la Sicile lui avaient inspiré le désir d'adopter plusieurs divinités de l'Olympe. A mesure qu'elle connut mieux la Grèce, elle fut plus impatiente de lui em- prunter sa brillante mythologie, d'en remplir les cadres restés presque vides de sa propre religion. La plupart des divinités italiques furent assimilées aux dieux et aux déesses du panthéon grec ; on prêta à Jupiter les aventures de Zeus, à Jtmo le mv'the d'Hera ; on identifia Nepttmus à Poséidon, Diana à Artémis, Mercurius à Hermès, Liber Pater à Dionysos. Mars à Ares, Vénus à Aphrodite, Saturnus à Kronos, etc. ; on donna à chaque dieu, à chaque déesse de la religion romaine le caractère et les attribtits du dieu ou de la déesse hellénique dont on les avait rap- prochés. Xeptunus devint, comme Poséidon, le dieu de la mer, ftit escorté de Tritons et de Néréides ; Mercurius fut élevé, comme Hermès, au rang de messager des dieux et de conductetir des âmes. Comme Poséidon, Neptunus tint dès lors le trident, et Mercurius le caducée, comme Hermès. H n'est pas jusqu'aux types divins que Rome n'ait reçus de la Grèce. Les types créés par les artistes grecs servirent à représenter les divinités romaines. L'antique rehgion du Latium, toute pénétrée de mytho- logie grecque, revêtit bientôt une forme purement hel- lénique.

L'influence religieuse de l'Orient fut assurément moins générale et rencontra d'abord plus d'obstacles. Elle fut cependant réelle et profonde. Les cultes phrygiens, égj'p- tiens, syriens furent peu à peu admis dans Rome ; plus

INTRODUCTION 7

tard, au if siècle de Tère chrétienne, le culte iranien de Mithra se répandit dans beaucoup de provinces et y ren- contra une rare faveur.

La Grèce et l'Orient enseignèrent même à Rome et aux peuples de l'Occident les cultes qui paraissent, au premier regard, avoir été les plus caractéristiques de l'empire romain, ceux de Rome, d'Auguste, des empereurs vivants ou morts, de la famille impériale.

Lorsque l'on étudie l'histoire religieuse de la Grèce et de rOrient sous la domination romaine, on distingue avant tout deux faits essentiels : dans les paj^s conquis, la perma- nence des anciens cultes sans altérations sensibles dues à l'influence romaine ou italique; dans la cité victorieuse, un véritable enthousiasme pour les religions de ses sujets.

Il en fut tout autrement dans les provinces de l'ouest et du nord, que nous appellerons les provinces latines, par opposition avec la Grèce proprement dite et l'Orient hellénisé. L'Afrique, TEspagne, la Gaule n'étaient point, lorsque Rome les réduisit en provinces, habitées par des peuples barbares. Ces peuples pratiquaient des religions qui, moins brillantes que la mythologie hellénique, n'étaient pourtant ni moins anciennes, ni moins complètes, ni moins développées. C'étaient les cultes puniques dans l'ancien territoire de Carthage; les cultes ibères au sud et au nord des Pyrénées; les cultes gaulois et gallo-germaniques de la Garonne au Rhin et jusqu'en Bretagne. Nous connaissons avec moins de détail l'histoire des tribus qui occupaient les pays situés au nord des Alpes et des Balkans le long du Danube ; le peu que nous en savons suffit néanmoins pour nous permettre de croire que beaucoup d'entre elles, les Daces et les Mésiens par exemple, avaient atteint un certain degré de civilisation. Les sentiments qu'éprouvèrent les Romains à l'égard de ces peuples et de ces tribus, de leur civihsation, de leurs mœurs, de leurs religions et de leurs cultes ne ressemblèrent en rien, même de très loin, à l'impression qu'avaient produite sur eux la Grèce et

8 INTRODUCTION

l'Orient. Envers Carthage et tout ce qui se rattachait à la patrie d'Hannibal, le sentiment dominant fut d'abord la haine et la rancune ; envers les autres nations. Ibères, Gaulois, Bretons, Germains. Pannoniens. Daces et Mésiens, ce fut. semble-t-il, l'incUfférence, le dédain. Ici, les sujets subirent l'influence de Rome. La civilisation gréco-latine se répandit en Afrique, dans l'Europe occidentale, sur les bords du Rhin et du Danube. L'action qu'elle exerça fut, suivant les régions et selon les circonstances, plus ou moins efficace, plus ou moins durable; mais elle fut partout sensible. Les cultes officiels de l'Etat romain, les dieux et les déesses du panthéon gréco-romain, les religions de l'Orient pénétrèrent dans les pays conquis; ils y furent vraiment apportés du dehors, à la différence de ce qui se passa sur les bords de la Méditerranée orientale. C'est donc dans les provinces latines que se posèrent avec le plus de netteté les problèmes d'histoire religieuse que nous avons formulés plus haut. C'est qu'il nous sera surtout possible de saisir :

Quels furent les sentiments des jy/'ovinciaux à l'égard de la religion t^omaine ;

Quelle fut la destinée des anciens cultes nationaux et locaux, et quelle fut à leur égard V attitude du gouverne- ment romain;

Quelle fut la nature et la portée de l'influence exercée en matière religieuse ixir l'Orient sur l'Occident.

C'est pourquoi nous étudierons d'abord dans les pro- vinces latines l'histoire des cultes pa'iens de l'empire

romain.

Ces cultes sont, pour ainsi dire, innombrables. Les docu- ments qui les concernent, principalement les documents épigraphiques et archéologiques, se chiffrent par milliers.

INTRODUCTION »

Lorsque l'on étudie les Indices des tomes II, III, A'II, YIII, XII du Corpits Inscriptionum latinarum, des recueils de Brambach [Corpus Inscripdoniwi Rhenanarum) et de Mommsen {Inscrqjt loues Helvetiae), des volumes déjà parus de YEphemeris Epigraphica, de V Année Epigra- phique de R. Gagnât, on est frappé de la quantité considé- rable de noms divins ou d'épithètes divines que ces listes renferment. Si d'autre part l'on visite les musées et collec- tions archéologiques de l'Afrique du nord, de l'Espagne, de la France, de la Grande-Bretagne, des pays rhénans et danubiens, on constate qu'aux inscriptions s'ajoute une masse énorme de documents plastiques. Les ruines de temples et de sanctuaires sont de même très abondantes dans la plupart des contrées qui formaient jadis les pro- vinces latines de l'empire. De ces documents ce n'est pas seulement le nombre, c'est l'extrême variété qui étonne. Cette variété s'accentue encore, si l'on observe la diversité des épithètes données parfois à un seul et même dieu, tel que Mercure ou Mars en Gaule, Saturne en Afrique, les Maires ou Matronae en Bretagne, en Gaule et dans les pays rhénans.

Comment grouper tous ces cultes? Quel ordre suivre, quelle classification adopter pour les étudier? L'ordre géo- graphique nous permettrait sans doute de tenter pour chaque province ou plutôt pour chaque groupe de pro- vinces voisines comme l'Afrique, l'Espagne, la Gaule, une monographie de son histoire religieuse, mais il nous obli- gerait à revenir, dans chacune de ces monographies, sur un grand nombre de cultes, sur ceux qui ont été célébrés dans toutes les parties du monde romain '. Il nous semble

I. Nous avons suivi cet ordre dans les cours que nous avons faits sur ce sujet à l'École des Hautes-Études pendant les années 1898-1903; il con- venait en effet aux. recherches analytiques nécessaires. Ici au contraire nous voulons présenter les résultats de ces recherches, en dégager les conclusions synthétiques. A une intention différente doit correspondre un ordre différent.

lO INTRODUCTIO>î

préférable de grouper ces cultes par catégories fondées presque toujours sur leur origine. Ainsi nous pourrons dis- tinguer quatre classes principales :

I. Les cultes officiels de l'État romain : cultes de Rome, des divinités impt-riales, des divinités capitolines et cultes annexes ;

II. Les cultes de la religion romaine ou plus exactement de la religion gréco-romaine, telle ({u'elle était constituée vers l'époque de César et d'Auguste ;

III. Les cultes d'origine orientale ;

IV. Les cultes d'origine locale ou régionale, qui exis- taient dans les provinces avant la conquête romaine.

On ne saurait, croyons-nous, reprocher à cette classifica- tion d'être artificielle; les différences que nous établissons ainsi entre les divers cultes pa'iens de l'empire correspon- dent à des différences réelles, historiques. Toutefois, pour être vraiment distincts, ces quatre groupes de cultes n'étaient pas absolument séparés. Célébrés à la même époque, dans les mêmes pays, par les mêmes hommes ou par des hommes qui vivaient côte à côte, appartenaient à la même société, au même État, les divers cultes païens de l'empire furent rapprochés les uns des autres. Souvent la divinité impériale fut invoquée en même temps que les dieux locatix ; souvent Jupiter CapitoHn fut assimilé à un dieu de l'Orient ou à un dieu local ; de multiples relations s'établirent entre les cultes gréco-romains et les cultes orientaux; maintes divinités locales ou régionales reçurent des noms empruntés au panthéon gréco-romain, furent représentées sous des formes empruntées à l'imagerie religieuse gréco-romaine : on peut même citer quehjues cas dans lesquels une divinité locale fut assimilée à une divi- nité orientale. 11 en fut des rites et des traditions comme des divinités. L'existence de ces rapprochements, de ces assimilations, de ces emprunts est un fait capital dans l'histoire religieuse du monde romain : nous serait-il pos- sible de les constater, d'en mesurer l'importance, d'en

INTRODUCTION 1 1

reconnaître le caractère, si nous n'avions d'abord distingué ]es quatre groupes principaux que forment ces cultes ?

En outre, ces groupes de cultes ne se sont pas également répandus, n'ont pas joui de la même faveur dans les diverses provinces latines de l'empire. En les distinguant les uns des autres, nous discernerons plus aisément et plus nette- ment comment ils se sont répartis, et peut-être nous aper- cevrons mieux les causes historiques de cette répartition.

Le plan que nous adoptons nous permettra enfin d'em- brasser notre sujet d'un seul coup d'œil au lieu de le mor- celer par provinces ; d'apprécier dans son ensemble la poli- tique religieuse de Rome à l'égard de ses sujets des pro- vinces latines ; de déterminer quelle influence ont exercée sur les religions et la vie religieuse de l'Occident et de l'Europe centrale les cultes importés, grâce à la conquête et à la colonisation romaine, de la Grèce et de l'Orient.

A quelles sources puiserons-nous les renseignements nécessaires pour reconstituer cette histoire, pour étudier cette politique, pour constater cette influence? Parmi les écrivains des premiers siècles de l'ère chrétienne, dont nous possédons les œuvres, il n'en est aucun qui de propos déli- béré ait décrit la vie religieuse du monde romain. Maints détails précieux peuvent cependant être glanés soit chez quelques historiens ou géographes, César, Strabon, Pline l'Ancien, Tacite, Suétone, Plutarque, Dion Cassius, les Scriptores Histoïùae Augustae, soit chez plusieurs pères de l'Église ou apologistes chrétiens, Tertullien, par exemple, Arnobe, Saint- Augustin, Sulpice Sévère, Grégoire de Tours.

Mais les deux mines de documents de beaucoup les plus abondantes pour notre sujet sont l'épigraphie et l'archéo- logie. Que saurions-nous aujourd'hui, sans les inscriptions, de la rehgion officielle de l'empire, des cultes de Rome,

2

12 INTRODUCTION

d'Auguste, de la divinité impériale, ou de la diffusion dans les provinces des cultes capitolins ? Pourrions-nous seule- ment soupçonner, en l'absence des documents épigra- phiques et archéologiques, 1 importance que la plupart des cultes orientaux prirent en Occident, sur les bords du Rhin et du Danube? Quelles traces auraient subsisté des divi- nités locales et régionales, aussi caractéristiques que nom- breuses, si les dédicaces et les ex-voto, qui leur furent adressés, avaient disparu à jamais? Inscriptions, stèles votives, bas-reliefs, autels plus ou moins intacts, débris assez rares du mobiher rehgieux, temples encore debout ou écroulés, vestiges de sanctuaires modestes : tels sont, avec quelques représentations numismatiques, les témoins les plus nombreux et les plus précis que nous ayons conservés de la vie religieuse dans l'empire romain.

Parmi ces documents, il en est qui constituent des séries du plus haut intérêt. Ces séries ont toute la valeur d'un ouvrage d'ensemble sur le culte ou la divinité qu'ils con- cernent. Nous citerons dans cet ordre d'idées : les docu- ments relatifs au Saturne africain, en particulier ceux qui proviennent des deux sanctuaires d'Aïn-Tounga et du Bou- Kourneïn ; les inscriptions de Tarragone en l'honneur des flamines de l'Espagne citérieure; les inscriptions décou- vertes sur l'emplacement que le sanctuaire de Rome et d'Auguste, commun aux trois provinces gauloises, occupait près du confluent de la Saône et du Rhône ; les autels dits des Quatre Dieux, dont il importe de ne point séparer les colonnes dites de Jupiter et le groupe du Cavalier et de l'An- guipède ; les ex-voto consacrés aux Maires ou Matronae gallo-germaniques ; les sanctuaires mithriaques de la région du limes Germanlcus, du limes Raeticus et du moyen Danube. D'autres inscriptions sont par elles-mêmes et iso- lément, très importantes : tels sont les deux textes trouvés àNarbonne, qui contiennent des renseignements si précieux sur l'organisation du culte provincial de la Narbonnaise et du culte d'Auguste dans la capitale de la province; telle

INTRODUCTION 13

encore la lex arae Jovis Optirni Maxlmi de Salone en Dalmatie.

L'étude détaillée de ces nombreux documents permet d'observer dans leur variété presque infinie les cultes païens qui se célébraient, aux premiers siècles de l'ère chrétienne, dans les provinces latines de l'empire. Elle fournit à l'histo- rien une masse considérable de faits précis et concrets, dont on sait qu'ils se sont passés en tel ou tel lieu, parfois à telle ou telle date. Ce récolementdes faits est indispensable, mais il ne constitue pas toute l'œuvre historique. Il ne suffit pas, pour faire revivre le passé, d'accumuler les détails particuliers en spécifiant les circonstances de temps et de lieu qui en déterminent le sens et le caractère respectifs. Il faut passer du particulier au général; il faut essayer en tout sujet de dégager les traits généraux qui donnent à une époque, à un peuple, à une politique leur physionomie ori- ginale ou leur valeur propre.

C'est toujours une tâche délicate ; elle est spéciale- ment difficile, quand il s'agit de l'histoire ancienne. Dans l'empire romain, comme en Grèce, il n'est pas possible de conclure d'une région à toutes les régions, d'une province à toutes les provinces. Pour affirmer qu'un fait, qu'une idée a eu dans l'empire une portée générale, il faut en constater l'existence certaine non pas seulement dans une province, mais dans plusieurs provinces, sinon dans toutes. Même en ce qui concerne les cultes officiels de l'État, il faut se gar- der de poser en principe que ces cultes ont avoir le même aspect dans toutes les provinces latines. Nous aurons précisément l'occasion de démontrer que ces cultes ont varié d'une province à l'autre, qu'ils ne se sont pas adressés partout exactement aux mômes divinités, que leurs prêtres n'ont pas porté partout le même titre. A plus forte raison, toute généralisation a priori nous est-elle interdite pour les cultes non officiels. Ici plus que partout ailleurs le seul pro- cédé vraiment scientifique est l'induction. La logique, le raisonnement, la déduction sont à écarter. Nous nous effor-

14 INTRODUCTION

cerons de suivre scrupuleusement la méthode que nous exposons ici : tout ce que nous présenterons comme con- clusion générale devra s'appuyer sur un nombre plus ou moins grand de faits particuliers recueillis dans les diverses provinces latines de l'empire.

Nous devrons aussi nous garder d'une autre tendance non moins dangereuse, celle qui consiste à passer trop facilement du fait au droit. Lorsque l'on a mis en lumière le caractère général d'un fait, lorsque l'on a constaté qu'il s'est passé partout ou à peu près partout, on est tenté de croire qu'il a se passer, qu'une loi voulait qu'il se passât. Ici encore l'exemple des cultes officiels est très significatif; nous essaierons de montrer que même à propos de ces cultes il faut éviter de formuler des obligations et se con- tenter de signaler des faits généraux. Dans le domaine de l'histoire religieuse, l'existence d'une loi officiellement pro- mulguée ne doit s'affirmer que si elle nous est révélée par un document formel et explicite. Ce domaine est en efi'et celui les habitudes et les traditions sont le plus puis- santes ; ce serait dénaturer le caractère et méconnaître le sens de cette histoire, que de travestir ces habitudes et ces traditions en règles imposées par des lois.

Tel est le sujet que nous essayons de traiter dans ce livre ; tel est le plan suivant lequel nous le traiterons ; tels sont nos documents et notre méthode. Le résultat de nos recherches, ce sera tout d'abord la réponse aux questions que nous avons formulées plus haut. ]^Iais nous est-il inter- dit de penser que des questions analogues se posent de nos jours et se poseront encore demain? Si nous faisons abs- traction des circonstances de temps et de lieu, ne peut-on pas voir dans le sujet que nous avons choisi un cas parti- culier du problème général suivant : Comment un 'peuple

INTRODUCTION 15

vainqueur ou colonisateur, ayant sa religion à lui, doit-il tymiter d'autres peuples qui ont également leurs y^eligions, lorsqu'il les a vaincus, soumis, annexés à son empire ou colonisés? Quelle doit être d'autre part l'attitude de ces peuples à ï égard de la religion du vainqueur 1 Parmi les provinces latines de l'empire romain, il en est qui ont été pour Rome de véritables colonies au sens moderne du mot. La politique religieuse appliquée à ces provinces par le gou- vernement impérial peut donc fournir d'utiles indications aux peuples colonisateurs de notre temps. Rome a su vivre en paix avec les nombreux cultes païens qui se célébraient dans les limites de son empire ; seul le christianisme a été combattu et poursuivi par elle pour des raisons que nous n'avons pas à examiner ici. Jusqu'au moment les chré- tiens sont devenus une portion notable de la population du monde romain, lapaixrehgieuse a régné dans les provinces comme en Italie. On jugera sans doute qu'il n'est pas indif- férent de savoir comment cette paix religieuse a été main- tenue. Peut-être y a-t-il un exemple à étudier et à méditer.

LIVRE PREMIER

LES CULTES OFFICIELS

Parmi les cultes très nombreux que célébraient les popu- lations de l'empire romain, il en est quelques-uns qui méri- tent d'être distingués et désignés par le titre de : cultes officiels. A vrai dire, ce titre n'est peut-être pas d'une exac- titude absolue; mais nous n'en avons pas trouvé d'autre pour les caractériser. Honorer les divinités auxquelles ces cultes étaient rendus, leur offrir des sacrifices, assister et prendre part aux jeux et aux fêtes qui accompagnaient ces sacrifices : c'était faire preuve de loyalisme envers l'État romain et ses chefs. Mépriser ces divinités ou simplement refuser de les considérer comme telles : c'était commettre un sacrilège, un crime de lèse-majesté. Maintes fois des chrétiens furent condamnés à mort pour ce seul motif. De tels cultes tenaient donc dans l'empire une place à part, étaient liés à l'État plus étroitement que les autres.

A vrai dire, ils n'étaient que les formes variées d'un seul et même culte, le culte de la puissance romaine. Ils s'adres- saient :

à Rome divinisée, Urbs, Urbs Roma, Urbs Roma Aeterna ;

à l'empereur et à certains membres de sa famille vivants ou morts, à sa maison tout entière ;

18 LIVRE PREMIER LES CULTES OFFICIELS

aux Génies de l'empereur et de ses proches, à cer- taines divinités qui avaient avec l'empereur des rapports particuliers, telles que la Fortune de l'empereur ou des empereurs ; la Victoire de l'empereur ou des empereurs ; le Salut, la Concorde, l'Honneur, etc., de l'empereur ou des empereurs ;

A la Triade Capitoline, Jupiter Optimus Maximus, Jmio Reglna, Minerva Augusta, et spécialement au chef de cette triade, à Jupiter Optimus Maximus.

CHAPITRE PREMIER

L'ORIGINE DES CULTES OFFICIELS

1. Le culte de Rome et de ses représentants en Grèce et en Orient sous la République. 2. Le culte de César vivant et mort, le culte d'Auguste à Rome jusqu'en l'année 14 ap. J.-C. 3. La diffusion des cultes officiels en Occident au début de l'Empire. 4. Le culte de la Triade Capifoline et de Jupiter Oplimus Maœimus sous la République ; son caractère.

Tous les savants qui ont étudié l'histoire des cultes de Rome et des divinités impériales ont montré que l'origine de ces cultes devait être cherchée en Grèce et en Orient '. Il ne sera cependant pas inutile de renouveler cette démons- tration, en ajoutant aux preuves déjà fournies quelques documents nouveaux.

Ce fut dès les premières années du ii' siècle avant J.-C. que Rome fut mise au rang des divinités par plusieurs cités

1. p. Guiraud, Les Assemblées provinciales dans l'Empire romain, p. 29-30; 0. Hirschfeld, Zur Geschichte des roemischen Kaisercnltus (Sitzungsberichte der Akad. der Wissenschaften zu Berlin, 1888); E. Beur- lier, Essai sur le culte rendu aux empereurs romains, p. 1-4; cf. id., Z)« divinis honoribus quos acceperunt Alexander et successores ejus.

20 CHAPITRE PREMIER

grecques d'Asie. Smyrne se vantait encore, sous l'Empire, d'avoir la première élevé un temple en l'honneur de Rome, en 195 av. J.-C. '. En 171, son exemple fut suivi par Ala- banda de Carie, qui institua en outre des jeux annuels en l'honneur de la nouvelle déesse ^ En 163, les Rhodiens décidèrent de placer dans le sanctuaire de leur divinité poliade, Athèna, une image colossale du peuple romain haute de trente coudées ^ En 105, il y avait déjà un autel consacré à Rome dans l'un des principaux temples de Tîle d'Astypalée '*. Quelques années plus tard, des prêtres de Rome figurent sur une liste de prêtres et de magistrats athéniens; l'un d'eux était Pytliilaos, du dème de Sunium ^ En 09 av. J.-C, le culte de Rome existait à Égine ^ Du premier siècle également paraît dater l'inscription, qui nous apprend qu'une association d'armateurs et de négociants originaires de Béryte éleva à Délos une statue de la déesse Rome, pour remercier le peuple romain de ses bienfaits '.

Fréquentes aussi sont pour la même période les mentions de jeux consacrés spécialement à la déesse Rome, 'Pwfjiâ'.a. Outre les jeux annuels fondés en 171 par Alabanda, les documents épigraphiques nous font connaître des 'P(o[j.â'.a à Égine ^ à Chalcis ", à Thespies ^^ à Athènes ", à Mégare, à Opunte, à Mantinée *^ à Oropos et à Corcyre '^

En même temps l'image de Rome, accompagnée de l'ins-

1. Tacit., Annal., IV, 56.

2. Liv., XLIII, 6.

3. Polyb., XXXI, fgt. 16, 4.

4. C. I. Graec.,2485.

5. C. I. Attic, II, 985, D 9, E 51, E II 51.

6. C. Inscr. Argolid., 2, v. 32-33.

7. S. Reinach, Bull, de corr. hellén., VII (1883), p. 465 et sq.

8. C. Inscr. Argolid., 2, v. 32-a3.

9. C. Inscr. Baeot. et Megar., 48.

10. C. Inscr. Attic, II, 490.

11. Id., ibid., 953.

12. C. Inscr. Argolid., 1136. Cette dernière inscription n'est pas datée: mais rien n'y indique l'époque impériale.

13. Dittenb., Sylloge-, 676.

l'origine des cultes officiels 21

cription 'Pwp, ou Bsà 'Ptôarj, fut employée comme effigie monétaire par de nombreuses villes grecques d'Asie. Plu- sieurs de ces monnaies peuvent être datées avec exactitude, celles, par exemple, qui furent frappées sous le gouverne- ment de C. Papirius Carbon (60-59 av. J.-C.),par Nicomédie, Nicée, Bithynium, Pruse, Amastris \ et celles d'Amisos contemporaines de C. Caecilius Cornutus, gouverneur du Pont en 56 av. J.-C. ^ Sur d'autres monnaies, que Barclay Head attribue à l'époque impériale, mais qui ne portent aucune effigie d'empereur, on voit l'image de la déesse Rome, avec l'inscription Bsà 'Pwjjivi : telles sont les mon- naies d'Alabanda ', d'Hiérapolis de Phrygie '', de Perpé- rénè % de Pitanè ^ d'Elaea \ de.Tripolis de Lydie ^ de Julia Gordus ^ de Mosténè '", de Nacrasa ", d'Ancyre *% de Laodicée du Lycus '^ de Synaûs *\ de Sjamada '^ de Stra- tonicée '^ de Pergame '', de Smyrne ^*.

L'exemple d'Alabanda et de Smyrne prouve que, même si ces monnaies datent de l'Empire, il n'est pas interdit

1. Catal. of Greek coins in British Muséum : Pontus, Paphlagonia, etc., p. 117, 152, 179; Babelon, Znvent. somm. de la coll. Waddington, n"* 145, 384, 455, 496.

2. Catal. of Greek coins ..., Pontus, Paphlagonia, etc. : p. 21; Babelon, op. cit., n. 37.

3. Babelon, op. cit., 2104.

4. Id , ibid., 6115.

5. Id., ibid., 974.

6. Id., ibid., 989.

7. Id., ibid., 1328.

8. Id., ibid., 2666.

9. Id., ibid., 4971.

10. Id., ibid., 5103, 5104.

11. Id., ibid., 5111.

12. Id., ibid., 5630.

13. Id., ibid., 6239.

14. Id., ibid., 6509.

15. Id., ibid., 65.30.

16. Id., ibid., 2523.

17. Id., ibid., 954.

18. Id., ibid., 1950. Cf. V. Barclay Head, Hist. numm., et Calai, of Greek coins ..., Lydia, Ionia.

22 CHAPITRE PREMIER

d'admettre que le culte de la déesse Rome, dont elles témoignent, fut institué et organisé pendant le ii' et le I" siècle avant l'ère chrétienne.

D'autres monnaies, également fort nombreuses, portent l'inscription Bsôv ou ©sàv ÏjvzAr.Tov ; le Sénat romain divi- nisé y est représenté par un buste féminin ou masculin * ; on peut ajouter à cette série une seconde série, plus nom- breuse encore, de monnaies frappées par les villes d'Asie avec l'inscription 'hpà S'jvxay,to;, ornées de même d'un buste féminin du Sénat -. Comme les précédentes, toutes ces monnaies sont indistinctement attribuées par Y. Barclaj' Head à l'époque impériale, bien qu'on n'y relève aucune effigie d'empereur ^ Il en est quelques-unes que l'on peut dater avec précision; elles datent, en effet, de l'Empire \ La plupart de ces documents ne renferment en eux-mêmes aucun indice chronologique. Il serait donc téméraire d'en vouloir tirer un argument décisif. Est-il toutefois vraisem- blable que les Grecs d'Asie aient attendu l'Empire pour divi- niser le Sénat romain ? Le culte du Sénat sous les empereurs n'est-il pas plutôt une survivance des temps républicains qu'une création nouvelle?

S'il est impossible, pour le Sénat, d'aller plus loin qu'une hypothèse vraisemblable, au contraire, les affirmations les plus nettes sont justifiées par les documents, en ce qui con- cerne les généraux et les proconsuls romains. A l'époque Smyrne élevait le premier temple de la déesse "Rome, les habitants de Chalcis en Eubée instituaient officiellement chez eux le culte de Titus Quinctius Flamininus, vainqueur de Philippe à la bataille de Cynoscéphales, et libérateur de

1. Babelon. op. cit., 1950, 4866, 4877, 4973, 5110, 5111, 5351, 5S48, 5628, 6127, 6420.

2. \d..,ihid., passiai : cf. Table des épithètes, etc., au mot 'hpi Sôvx)vt,to;, p. 532.

3. V. Barclay Head, Hist. numm., et Gâtai, of Greeh Coins .... Lydia,

lONIA.

4. Par exemple, Babelon, op. cit., no 4886 (Bagis); 5592, 5593 (Alia); 1469 (Clazomènes) : 1291-1293 (Cymè), etc.

l'origine des cultes officiels 23

la Grèce en 196 av. J.-C. Le texte de Plutarque est à citer tout entier '. T. Quinctius Flamininus avait sauvé les Chal- cidiens de la colère du consul Manius Acilius Glabrio et du châtiment dont ils étaient menacés pour avoir pris contre Rome le parti du roi de Syrie, Antiochus : o'j-ziù oî-ao-toBév-s.; ol XaÀxf.O£l!^ Ta y.ôikki^T'zoL xal p-syio-Ta twv Tiap' auToIç àvaSr, [xaTtov Tw T'Itco xaB'Jpwo-av, Jiv six'.vpa'^à; s^tî. xoiÔlu-zolç a-j^p'. VJV opâv * '0 or^aoç T'Itw xal 'HpaxÀel to Y'juvaT'.ov. 'ETsptoQt. §£ 7:àA',v '0 orifjLOs Tbto xal 'AttôIawv. Asâ'^'Iv-ov. "Et". os xal xaO' T,|J.â; Isosu; ys'.poTOVYiTÔ; à—sOcîxv'JTO T'Ito'j xal Oûo-avTS^ auTw tcov ttcov- ôwv Y£VO[Ji.£vwv aoo'jo-t, ria'.âva 7:î7ro'//^tJicVOv O'J TaA^a Ô!.à ^ir^y-oq r^it.z~.ç -aoivTs; àvîYpà'i/ajjisv à a'jôtxsvo!. tÂiÇ coôf,^ )Jyo'ja"- "

ri'la-T'.v 'P(i)p.ala)V o-sêo [jlsv Tàv u-syaleuxTOTàTav ooxo^ co'j)xà(jiT£t.v

>[$).-£':£, xoûpa',, Z7,va tjt.£yav 'Pw^uiav ts TItov G'aaa

'Pufxaiwv Tzio-Tiv

'Irîi£ Ilaûv, (o T'Its o'WTsp !

Ainsi la dévotion des Chalcidiens envers Flamininus prend plusieurs formes différentes : ils l'associent à leurs divi- nités nationales, Héraclès, Apollon, Zeus; ils fondent en son honneur un culte véritable, avec sacrifices, libations, péan et sacerdoce ; en outre, dans le fragment d'hymne cité par Plutarque, le nom de Rome est joint à celui de Titus. Nous verrons plus loin ^ que le culte de la divinité impériale a pris cette triple forme.

Comme les Grecs d'Europe, ceux d'Asie rendirent de bonne heure un culte aux personnages qui venaient repré- senter parmi eux la puissance romaine. Nous connaissons l'existence de jeux solennels en l'honneur de Q. Mucius Scaevola '', qui fut proconsul d'Asie en 121, et de L. Licinius Lucullus, le rival de Mithridate : les Lucullia se célé-

1. Plutarch., Flaminin, 16.

2. Chap. ni et viii.

3. Cicer., In Verrem, Bejurisd. Siciliens., 21.

24 CHAPITRE PREMIER

braient en particulier dans la ville de Cyzique, que Lucullus avait délivrée des attaques du roi de Pont *.

Une inscription attique, dont la date est fixée par Koehler entre les années 52 et 42 avant J.-C, atteste l'existence à Athènes d'un culte de Sylla. Les cérémonies de ce culte, Ta l'jÀXsïa, y sont mentionnées dans les mêmes termes que les cérémonies du culte d'Athéna Polias, d'Athéna Kouro- trophos et Pandrosos -.

Il n'est pas jusqu'aux Grecs d'Occident qui n'aient rendu des honneurs divins aux généraux de Rome. Des Mar- cellea, jeux en l'honneur de Marcellus, se célébraient à Syracuse ^ Ces faits de détail ne sont d'ailleurs que des exemples particuliers de l'habitude générale signalée par Suétone dans la phrase souvent citée : Quamvis sciret (Au- gustus) cfiarn ]J>^oco)isidibus decerni solere tem'pla... \

Ainsi, depuis les premières années du second siècle avant Tère chrétienne, les Grecs d'Europe et d'Asie rendirent un véritable culte, offrirent des sacrifices, dédièrent des temples et des jeux à la déesse Rome, peut-être au dieu Sénat, certainement aux magistrats et généraux qui per- sonnifièrent à leurs yeux la puissance romaine. Comme M. l'abbé Beurlier l'a excellemment montré, ils ne faisaient, en agissant ainsi, que traiter Rome et ses chefs, comme ils avaient traité Alexandre et la plupart de ses succes- seurs, les Ptolémées d'Egypte, les Séleucides de Syrie, les Attalides de Pergame, etc. \ Cette adoration de la cité victorieuse et de ses représentants fut toute spontanée; l'attitude des habitants de Smyrne. d'Alabanda, de Chalcis, de Rhodes suffit à le prouver.

1. Appien, De bello Mithrid., 76; Plutarque, LuciUL, 23.

2. C. Inscr. Attic, II, 481, v. 58 et sq.

.3. Cicer.. In Yerrem, De jurisdict. Siciliensi, 21.

4. Suétone, August., 52.

5. E. Beurlier, De divinis honoribus qitos acceperunt Alexander et SKCcessores ejn.s, Paris, 1890.

l'origine] des culte^s opp^iciels 25

Ce fut sous la dictature de César que les Romains com- mencèrent à suivre l'exemple des Grecs, en divinisant chez eux non pas encore leur cité, mais leur maître, le vainqueur des Gaules et de Pompée, de son vivant.

Avant César, Scipion l'Africain avait été autorisé à placer sa statue au Capitole dans la cella de Jupiter Capito- lin ^; Q. Caecilius Metellus Plus, à son retour de l'Espagne ultérieure, avait reçu des honneurs divins, dont Salluste se scandalisa : ... venleuti titre quasi deo suppUcaba- tur ^; de nombreux Romains, en prenant leurs repas, avaient dédié à Marins, pour avoir triomphé de Jugur- tha, des Teutons et des Cimbres, les prémices des mets et des libations ^ Toutefois ni le vainqueur de Zama, ni Metellus, ni Marius n'avaient été salués du titre de dieu; un véritable culte ne leur avait jamais été rendu. César fut appelé dieu, et honoré comme tel. Aussitôt après Pharsale, dès l'année 48, un sénatus-consulte stipula que le char de César serait placé, comme jadis la statue du premier Africain, au Capitole, près de Jupiter; mais ce ne fut que le premier et le moindre des honneurs divins qui lui furent décernés. Sur le piédestal d'une statue, qui lui fut élevée à Rome avant même son retour d'Orient, on grava qu'il était demi-dieu \ Plus tard, en 45, sur la base d'une autre statue, on inscrivit les mots : « Au dieu invincible » 0£(ô àvur^Tw '\ En son honneur, la construction d'un temple fut votée par le Sénat, des jeux furent institués ; le nouveau dieu eut son collège de prêtres, les Luperci Juin, son

1. Liv., XXXVIII, 56; Val. Max., VIII, 15, 1.

2. Macrob., Saturn., III, 13, 8.

3. Plutarch., Marius, 27; Senec, De ira, III, 18.

4. Dio Cass., XLllI, 14.

5. Id., XLIII, 45.

26 CHAPITRE PREMIER

flamine; un mois de rannôe prit son nom '. Suétone énumère les éléments essentiels et caractéristiques du culte, lors- qu'il rappelle qu'on avait décerné à César, entre autres hon- neurs, temj)la,araii, sinmlacra juxta dcos, imlvinar, ffami- nem, lupercos -. César reçut ainsi des Romains eux-mêmes tout ce que les Chalcidiens avaient accordé à T. Quinctius Flamininus, et les Athéniens à Sylla.

César mort, sa divinité ne disparut pas. Bien plus, son culte prit un nouvel essor. Le lendemain même des Ides de mars, le Sénat décréta que César serait désormais traité comme un dieu •'. Le peuple no le céda pas en adu- lation à l'assemblée ; après les funérailles du dictateur, un autel fut élevé à César sur l'emplacement même de son bûcher, et la foule s'empressa d'y venir faire ses dévo- tions '. Le sceau fut mis à la déification de César par la loi, dite de Rufrenus, que les comices et le Sénat votèrent en l'année 44. D'après cette loi, le nom de divus fut attribué au dictateur défunt '". César fut dès lors classé définitivement au rang des divinités, sous le nom de divus Julius. Une colonne en marbre numidique, haute de vingt pieds, fut érigée en son honneur sur le forum ; le peuple venait y sacrifier ^ Un nouveau sanctuaire lui fut consacré à l'extrémité orientale du Forum ; la dédicace en fut faite par Auguste le 18 août de l'année 29 '. Cette apothéose de César se fit, semble-t-il, à l'imitation de ce qui s'était passé pendant longtemps en Egypte pour les Ptolémées, en Syrie pour les Séleucides, en Asie-Mineure pour la plupart

1. Dio Cass., XLIV, 6; App. De hell. civil., Il, lOil.

2. Sueton., Caes., 76.

3. Sueton., Caes., 84; Plutarch., Caes., 67.

4. Dio Cass., XLIV, 51.

5. C.I.,Lat., I, 626; VI, 872.

6. Suétone, Caes., 85. Celte colonne fut jetée bas quelques mois plus tard, au milieu des g'uerres civiles.

7. App., De bell. civil., II, 148; Dio Cass., XLVII, 18; LI, 22; C. I. Lat., P, p. 325; cf. Beurlier, Essai sur le culte rendu aux empereurs romains, p. 332-333; Thèdenat, le Forum romain ^, p. 154.

l'origine des cultes officiels 27

des dynastes locaux K Quelle que soit d'ailleurs l'origine de ce culte rendu à César après sa mort, il nous apparaît comme le prototype d'un des éléments essentiels qui cons- tituèrent plus tard la religion impériale.

La divinité d'Octave passa par les mêmes vicissitudes que celle de César. A première vue, Octave semble avoir opposé plus de résistance que César au culte qu'on voulait lui rendre de son vivant ; il ne consentit jamais à être appelé dieu dans Rome même, à ce qu'un temple y fût construit en son honneur. 11 ne faut pas oublier toutefois qu'il n'a pas été étranger à trois événements fort caractéristiques pour le sujet qui nous concerne : la substitution du nom à'Au- gustus à celui d'Octavianus, l'organisation de la fête des Augustalia, l'institution du culte du Genius Augusti. S'il n'en a point eu l'initiative, il a du moins laissé faire.

Ce fut en 27 avant J.-C, quatre ans après la bataille d'Actium, que le nom à'Augustus fut, sur la proposition de L. Munatius Plancus, décerné à Octave par le Sénat et le peuple ^ Le moi An. g ustn.s avait dans la langue romaine un sens très précis et très fort; on ne l'avait jusqu'alors appli- qué qu'aux dieux, à ce qui les entourait ou leur apparte- nait ^ En acceptant et en portant désormais ce nom à l'ex- clusion de tout autre, Octave revêtait un caractère sacré, devenait un être divin, comme un dieu présent et visible *.

Quelques années plus tard, en 19, lorsqu' Auguste revint d'un long voyage en Sicile, en Grèce et en Orient, une fête fut créée en l'honneur de la Fortuna redux, de la Foriuna qui avait favorisé le retour de l'empereur. En l'an 11, à cette fête on ajouta des jeux appelés Atigiistalia, qui furent offi- ciellement institués et consacrés par un sénatus-consulte ".

1. Beurlier, De divinis honoribtis, etc.

2. Censorinus, De die natali, 21, 8; CI. Lat., 12, p. 307; Res Gestae divi Aug. (éd. Mommsen2j, p. 149.

3. Sueton., Aug., 1.

4. Yeget., II, 5.

5. Dio Cass., LIV, 10, 34. Res Gestae, p. 46.

28 CHAPITRE PREMIER

Ces Augustalia correspondent aux ludi quinquennales con- sacrés à César en 45 ; ils rappellent les jeux fondés dans certaines villes grecques en Thonneur de proconsuls comme Q. Mucius Scaevola et L. Licinius Lucullus.

En 8 avant J.-C, la divinité d'Auguste fit de nouveaux progrès. Cette année-là, le Sénat décréta que le nom d'Au- guste serait donné au mois appelé jusqu'alors Sextilis, comme le nom de Julius avait été donné au mois de Quin- tilis \ En outre le culte duGeniiis Augusli fut fondé en môme temps que celui des Lares compitales était réorganisé; mais ce ne fut pas seulement dans les carrefours que le Génie d'Auguste fut adoré et qu'on lui offrit des sacrifices ; un sénatus-consulte ordonna que dans toute maison on lui fît des libations en même temps qu'aux Lares domestiques ^

Si donc il est vrai de dire qu'Auguste refusa toujours d'être appelé dieu par les Romains, il ne faut pas oublier qu'en réalité il fut honoré comme tel de son vivant à Rome même. D'ailleurs, la preuve en est donnée par l'insertion de son nom dans les Chants des Salions •^ et Dion Cassius met en lumière le sens de cette innovation lorsqu'il affirme que par Auguste fut égalé aux dieux \ C'était bien d'ailleurs le sentiment des contemporains : en 2 avant J.-C, l'un des généraux d'Auguste, L. Domitius Ahenobarbus, pendant une campagne contre les Germains qui mena les légions jusque sur les bords de l'Elbe, consacra près du fleuve un autel à l'empereur ^ Cette fois, le dernier pas était franchi par les Romains : ce n'était pas au Génie d'Auguste, c'était à Auguste lui-même que s'adressait cet hommage rituel.

Traité comme un dieu de son vivant, Auguste fut solen- nellement et officiellement élevé au rang de divinité après sa mort. Comme à César, le Sénat lui décerna sans tarder

l.DioCass.,LV, 6,

2. Id.,LI, 19.

3. Res Gestae, p. 44.

4. Dio Cass., LI, 20 : è'<: te to-ji; 'jjjlvo'jç ajTÔv è'E, ïaou toTî Ôeotc èffypdtcpecjTat.

5. Id., LV, 10.

l'origine des cultes officiels 29

les honneurs divins et le titre de dicus '. Son fils adoptif et successeur Tibère eut pour lui les égards que lui-même avait eus pour César. Il ordonna et fit commencer la cons- truction d'un temple, institua un collège de prêtres, les Sodales Augustales, et créa un flamine de divus Augustus, le Flamen Augusialis '.

Rome s'était donc mise à l'école de la Grèce et de l'Orient. César et Auguste reçurent de leurs concitoyens les mêmes hommages que les Ptolémées ou les Séleucides recevaient de leurs sujets. L'adoration du maître de l'État, de son vivant et après sa mort, devint l'une des formes, on peut même dire la forme principale du culte officiel. Ainsi dès le début de l'empire se trouvent organisés, avec l'ap- probation et la collaboration active des pouvoirs publics, les trois éléments essentiels de ce que l'on peut appeler la religion d'empire : le culte de la déesse Rome, le culte de l'empereur vivant, le culte de l'empereur, puis des empe- reurs morts.

Tandis que les cultes de César, puis d'Auguste s'établis- saient à Rome même, la religion d'empire faisait en Orient de nouveaux progrès et gagnaitles provinces occidentales.

Nous ne rappelons ici que pour mémoire la recrudes- cence d'adulation qui se manifesta en Grèce et en Asie pendant le principat d'Auguste ^ Il nous importe davantage de montrer qu'à la même époque les provinces occidentales ne se montrèrent pas moins empressées à adopter les nou- veaux cultes ^

1. C. I. Lat. 12, p. 329.

2. Beurlier, Essai, p. 30, 77 et suiv.

3. Beurlier, op. cit., p. 17-18, 23-25.

4. La dissertation que M. Krascheninnikof a publiée dans le Philologus (1894, p. 147 et suiv.) sous le titre Ueber die Einfûhrung des provinzialen

30 CHAPITRE PREMIER

L'Afrique nous fournit un document curieux. Le culte dont nous constatons l'existence, est celui de la Juno de Livie, c'est-à-dire du génie féminin de l'impératrice. L'être divin invoqué sous le nom de Juno Lhiae est tout à fait analogue au Genius Augusti. Une inscription trouvée au centre de la Tunisie, entre les vallées supérieures de l'O. Tessaa et de l'O. Massoudje, atteste en l'an 3 après J.-C. le culte de la Juno Liviae :

Junoni Liviae Augusti saa^um. L. Passieno Rufo impe- rat07^e Africam ohtinente, Cn. Cotmelius Cn. f. Cor. Rufus et Maria C. f. Galla Cn. (uxor?) conservati vota l. m. solvunt *.

Le culte de la Juno Liviae est un culte impérial.

Pour l'Espagne, plus exactement pour l'Espagne cité- rieure, nous savons qu'en l'année 25 av. J.-C, un autel fut consacré à Auguste par les habitants de Tarragone ■. Il nous paraît impossible d'admettre que dans la circonstance les habitants de cette ville aient agi au nom de la province dont Tarragone était la capitale. M. l'abbé Beurlier pense que cet autel était l'autel du culte provincial et rappelle, à l'appui de son opinion, qu'un autel de forme carrée figure sur plusieurs monnaies de Tarragone ^ Rien ne prouve que l'autel représenté sur les monnaies de Tarragone soit l'autel provincial; et d'autre part le culte provincial ne semble avoir été institué en Tarraconaise qu'après la mort d'Auguste '\ C'est du moins le sens que nous attribuons à la phrase de Tacite : templum ut in colonia Tay^ra- conensi str^ueretur Auguste, petentibus Hispanis per-

Kaisercidtu im RÔmischen Westen, ne doit être consultée qu'avec une extrême prudence.

1. C. I. Lat., VIII, 16456.

2. Eckhel, Doctr. numm., I, p. 57-58.

3. Beurlier, op. cit., p. 18. M. l'abbé Beurlier ajoute que cet autel res- semble à l'autel provincial des trois Gaules ; à notre avis cette prétendue ressemblance ne ressort nullement de la comparaison des monnaies l'un et l'autre sont représentés.

4. Tacit., Ann., I, 78.

l'origine des cultes 0PFICIEL8 31

missum datumque in omnes provincias exemplum. Ce sont les HisPANi et non les Tarraconenses qui obtiennent l'autorisation de construire ce temple. Il en résulte que le culte institué dès 25 av. J.-C. en l'honneur d'Auguste vivant par les habitants de Tarragone doit être considéré comme le culte municipal de cette colonie. Quoi qu'il en soit, le culte impérial fut établi en Espagne du vivant d'Auguste '.

Les documents, qui concernent les Gaules, sont plus nombreux et peuvent presque tous être datés avec certi- tude. Pour la Narbonnaise, ce sont la plaque de bronze de Narbonne, l'inscription de VAra Narbonensis, la dédicace à L. Aponius de Baeterrae.

Il est admis que la lex concilii Narbonensis, dont la pla- que de bronze trouvée à Narbonne renferme un fragment important, fut promulguée sous Auguste ^; elle organisait le culte provincial de l'empereur dans cette partie de la Gaule.

L'autel consacré par la Plebs Nay^bonensis au numen Augusti fut inauguré en l'année 11 ap. J.-C, trois ans avant la mort d'Auguste ^ Enfin nous savons que le pre- mier prêtre municipal d'Auguste à Baeterrae exerça ce sacerdoce du vivant même de l'empereur; une inscription donne son cursus honorum : L. Aponius fut praefectus equitum, tynbunus militiim leg. Vil et leg. XXII, praefec- tus castrorum, flaynen Aug. py^imus urbi Jul. Baeterris, praefectus pro II viy^o C. Caesaris Augusti f. *. Caius Caesar mourut en 4 ap. J.-C; d'autre part Auguste est appelé ici Augustus et non divus Augustus ; l'inscription

1. Signalons en outre plusieurs monnaies de Carthago nova, contempo- raines d'Auguste, au revers desquelles est figuré un temple tétrastyle, por- tant la dédicace AVGVSTO (A. Heiss, Description des monnaies antiques de l'Espagne, p. 270-271, n»^ 20 et suiv., pi. xsxvi).

2. E. Beurlier, op. cit., p. 21-23; E. Carrette, Les assemblées provin- ciales de la Gaule romaine, p. 44-45.

.3. G. I. Lat., XII, 4333. i. Id., ibid., 4230.

32 CHAPITRE PREMIER

a donc été rédigée de son vivant '. Auprès d'Auguste, les membres de la famille impériale furent à la même époque l'objet d'un véritable culte. La célèbre Maison Carrée de Nîmes est un temple dédié à Caius et Lucius César, les fils adoptifs d'Auguste, très probablement de leur vivant, en Tan 1 ou au début de l'an 2 ap. J.-C. ^

Le culte provincial commun aux trois Gaules (Aquitaine, Lugdunaise, Belgique) fut inauguré dans le sanctuaire voi- sin du confluent de la Saône et du Rhône, le l"" août de l'an 10 av. J. C. ^

En 9 ap. J.-C, d'après le témoignage formel de Tacite, le prince Chérusque Segimundus était prêtre du culte impé- rial dans la capitale des Ubiens \ On ne sait à quelle date avait été consacrée Vara Ubiorum, mentionnée par l'histo- rien; nous ignorons sur quel document Mommsen s'est fondé pour affirmer que ce culte existait dès l'an 9 av. J.-C. ^ Du moins l'existence en est attestée pour l'année la Germanie se souleva contre la domination romaine, cinq ans avant la mort d'Auguste ®.

Ainsi, du vivant même d'Auguste, la nouvelle religion officielle de l'État romain, originaire de la Grèce et de l'Orient, introduite à Rome pendant la dictature de César, définitivement adoptée et organisée entre les années 29 av. J.-C. et 14 ap. J.-C, s'était répandue dans la plupart des provinces de l'Occident; nous en avons saisi des traces indubitables en Afrique, à Tarragone, dans laNarbonnaise, dans les trois Gaules et jusque sur les bords du Rhin.

1. E. Beaudouin, Le culte des empereurs dmis les cités de la Gaule Nar- bonnaise, p. 54-56.

2. E. Beaudouin, ibid., p. 65-69.

3. J. Toutain, L'Institution du culte impérial dans les trois Gaules, dans les Mémoires publiés pour le Centenaire de la Société des Antiquaires de France, p. 455-459.

4. Tacit., Ann., I, 57.

5. Mommsen, Hist. romaine (tr. R. Gagnât et J. Toutain), IX, p. 43.

6. Tacit., loc. cit. : anno quo Germaniae descivere.

l'origine des cultes officiels 33

Ce culte nouveau vint s'ajouter, mais non se substituer à l'ancien culte officiel de la République, celui de Jupiter Capitolin. Il n'entre pas dans notre sujet d'exposer ici en détail l'histoire de ce culte, dont l'origine était légendaire; nous nous bornerons à en rappeler le caractère et l'impor- tance dans la vie nationale des Romains.

Il y avait dans Rome des sanctuaires peut-être plus vénérés que le temple du Capitole; des dieux plus popu- laires, adorés avec une foi plus naïve que Jupite?^ Optimus Maximus. Mais aucun culte n'égalait en solennité le culte que l'on rendait au chef de la Triade capitoline; Rome, sous la République, ne connut pas de fêtes plus brillantes, plus luxueuses que celles qui se célébraient en son hon- neur. Au culte capitolin se rattachaient, entre autres, les Liidi Romani et les Ludi Magni, dont le nom seul indique le sens national et le rang qu'ils occupaient parmi les céré- monies analogues *.

Les Romains croyaient que la prospérité, l'existence même de Rome étaient liées étroitement au culte capitohn. Cette superstition se répandit jusque dans les provinces, puisque des Druides, en C9 ap. J.-C, voulurent soulever les Gaulois en leur déclarant que l'incendie du Capitole annonçait la chute prochaine de l'empire romain ^ Jupiter Optimus Maximus passait pour être le souverain idéal de l'État. Les attributs qui ornaient son image, au fond de sa cella, étaient précisément les emblèmes de la puissance publique à Rome : le sceptre orné de l'aigle, la couronne d'or, la tunica 2Mlmata, la toga picta et la chaise curule. Le quadrige du dieu passait spécialement pour être un

1. Preller, RlJm. Mythol.^, p. 181 ; p. 205 et suiv. Wissowa, Relig . und KitUus lier Rômer, p. 110 et suiv.

2. Tacit., Histor., IV, 54.

34 CHAPITRE PREMIER

des gages de la grandeur romaine. Aussi conservait-on dans le Capitole, avec une piété superstitieuse, un vieux quadrige en argile, d'origine étrusque, que Tarquin, d'après la tradition, avait fait venir de A^éies '.

Le sanctuaire capitolin était considéré comme le centre, comme le point vital de la République. C'était à Jupiter Optimus Maximus, au Capitole, que les consuls, lorsqu'ils entraient en charge, offraient leur premier sacrifice ; c'était à lui que s'adressaient les vœux solennels des généraux qui partaient pour la guerre ; c'était entre les mains du dieu que ces mêmes généraux, lorsque le triomphe leur avait été décerné par le Sénat, venaient déposer le laurier, sym- bole de leur victoire. Les décrets et les pubhcations oftl- cielles étaient atiichés au Capitole sur des colonnes d'airain ou sur les murs du temple. C'était dans la paroi de droite du temple de Jupiter qu'on enfonça, pendant longtemps, chaque année le clou traditionnel. Les exemplaires origi- naux des traités conclus avec les peuples, les cités, les États étrangers étaient déposés au Capitole dans le temple de Jupiter. Ce caractère national du culte capitolin n'avait pas échappé aux étrangers. Lorsqu'un souverain, une ville voulaient faire acte de docilité ou témoigner de leur grati- tude envers la RépubUque, ils adressaient de riches présents à la Triade capitoline.

L'institution du culte de César, d'Auguste, puis des empereurs ne détrôna pas de leur rang suprême les divini- tés du Capitole. Jupiter Optimus Maximus ne cessa pas d'être le dieu protecteur de l'État, le représentant par excellence du nom et de l'empire romain. César considéra comme un honneur insigne d'avoir son char et sa statue au Capitole, en face de Jupiter. Auguste, restaurateur du culte national, reconstitua le trésor du dieu, qui avait été pillé et dissipé pendant les guerres civiles : il fit déposer dans le temple 16,000 livres d'or, des perles et des pierres pré-

1. Pieller, op. cit., p. 221-222.

l'origine des cultes officiels 35

cieuses pour une valeur égale. Les successeurs d'Auguste, même ceux qui furent le plus convaincus, le plus infatués de leur propre divinité, respectèrent ces antiques traditions. Aucun d'eux ne s'éloigna de Rome sans être monté au Capitule, sans avoir adressé à Jupiter les vœux solennels accoutumés ; aucun n'y rentra sans se rendre d'abord au Capitole, avant même de rentrer au palais impérial. Cali- gula, dans sa folie, n'osa pas faire plus que de déclarer Jupiter son frère. Néron se contenta du titre de nouvel Apollon. Domitien voulut qu'on vît en lui un flls de Minerve. Commode se fit appeler Hercule '. Il semble que la divinité de Jupiter Optimus Maximus ait paru intangible à ceux même qui voulaient élever le plus haut leur propre divinité. En revanche Trajan n'admettait pas d'autre serment que celui qui était prêté par le numen Jovis. Le caractère suprême, national et officiel du culte capitolin survécut, au milieu des vicissitudes de l'empire, jusqu'à la lin du iii^ siècle, jusque sous Aurélien et Dioclétien.

Il nous a paru conforme à la vérité historique de ne point séparer ce culte de la rehgion impériale proprement dite et d'y voir, à côté des cultes de Rome et des empereurs, l'une des formes typiques de la religion officielle du monde romain sous l'empire.

1. Beurlier, Essai sur le culte..., p. 37-38.

CHAPITRE II

LE CULTE DE LA DÉESSE ROME; SA DIFFUSION DANS L'EMPIRE; SON CARACTÈRE

Le culte de la déesse Rome, qui avait pris naissance et s'était répandu dans les pays grecs et orientaux, ne paraît pas avoir eu le même succès dans les provinces latines de l'empire. Sans doute le nom de Rome est joint souvent au nom de l'empereur ou au mot Augustus dans les dédicaces et dans les titres des prêtres de la religion impériale '; mais les traces d'un culte particulier de la déesse Rome sont plutôt rares.

Ce culte a existé dans plusieurs cités africaines. Une dédicace à la déesse Rome a été retrouvée à Teboursouk; elle est ainsi conçue :

Urbi Romae Aeternae Aug[ustaé) Respublica municipi Severlani Antoniniani Liberi Thibursicensium Bure °.

L'inscription est postérieure au règne de Caracalla, puisque le municipe porte les deux surnoms Severianwn Antoniniamiiii] elle est certainement antérieure à Gallien; car Thibursicum ou Thubursicum avait sous cet empereur

1. Voir plus loin, chap. m.

2. G.I. ia^, VIII, U27.

38

CHAPITRE II

le titre de colonie ' ; peut-être même doit-on la considérer comme antérieure au règne d'Alexandre Sévère, si l'on tient compte du surnom à' AlexcDidriaaum donné au muni- cipe sur une autre inscription -. En tout cas, le culte de Rome était célébré dans cette ville au m' siècle.

Les autres documents de provenance africaine nous font connaître trois prêtres de Rome, sacet^dotes Urbis, sacer- dotes Urbis Romae Aeternae. Ce sont :

Q. Appaeus Félix Flavianus c. v., sac{erdos) U{rbis) Ro[mae) A[eternae), fl. pp. ^;

M. Plotius Faustus, eq[ues) r{omanus), praef{ectus) coh{ortis) III Itijraeorum, trib{unus) coh{ortis) I Fl{aviae) Canathenormn, praef{ectus) alae I Fl[aviae) Gallormn Taiirianae, fl. pp., sacerdos Urbis, à Thamugadi *;

M. Roccius Félix, M. fil., Quir., eq{uo) publ(ico), iriiim- vir, sac{erdos) U7-b{is), fl{amen) divi M. Antonini, à Cirta ^

Dans la Gaule Narbonnaise, le culte de Rome était célé- bré par la colonie d'Apta ; une inscription de cette ville nous a conservé le nom d'un des prêtres de la déesse.

L. Volus[ius) L. f. Vol. Severianus, quatuorvir col[oniae) J{uliae) Apt[ae) bis et flamen, duumvi?^ in col[onia) Jiulia) Had[riana) Avenn[ione) et pontif{ex), sacerdos Urb[is) Rom[a)e Aetern[ae) ^

En Bretagne, Rome fut invoquée en même temps que la FortunaRedux par deux officiers du poste d'Uxellodunum ^

1. c. I. L,., VIII, 1430, 1437; cf. Fallu de Lessert, Fastes des provinces africaines, I, p. 291.

2. 7d., ibid., 1426 = 15259.

3. Bicll. arch. du Comité des travaux histor., 1893, p. 189. Ce texte a été trouvé près du lieu dit Mograne, à quelques kilomètres de Zaghouan. On ne sait dans quelle ville ce Q. Appaeus Félix Flavianus a été flamine perpé- tuel et prêtre de Rome.

4. C. I. Lat., VIII, 2394, 2395, 2399.

5. Zd., ibid., 6948; une autre inscription de Cirta mentionne l'existence dans cette ville d'une statue de Roma Aeterna; id., ibid., 6965.

6. Id., XII, 1120.

7. Id., VII, 370, 392.

LE CULTE DE LA DÉESSE ROME 39

L'un de ces officiers, G. Cornélius Peregrinus, tribun de coiiorte, était originaire de la Maurétanie Césarienne.

Dans les provinces danubiennes, des traces du culte de Rome ont subsisté en Rétie à Solva, en Pannonie à Aquin- cum, en Dacie à Sarmizegethusa, dans la Mésie Inférieure à Nicopolis.

A Solva, L. Camp(anius?) Celer sacerdos Urbis Romae Aeternae et sa femme Julia Honorata adressent leurs prières à Jupiter Optimus Maximus Arubianus '.

A Aquincum, capitale de la Pannonie inférieure, le légat propréteur, consul désigné, L. Cassius Marcellinus témoigna sa dévotion à Rome en lui élevant probablement une statue dont le piédestal a été retrouvé ^ La déesse avait d'ailleurs ses prêtres dans cette ville ; nous connaissons l'un d'eux, T. Ael(ius) Verinus, dec[urio) col[oniae) Aq{uinci), flamen et dumnvircdis ^.

A Sarmizegethusa, capitale de la Dacie, l'unique vestige aujourd'hui retrouvé du culte de Rome est une dédicace d'un procurateur impérial, Q. Axius Aelianus, à la For- tuna Eedux, au Lar Vialis, et à Roma Aeterna \

Quant à la Mésie inférieure, un texte grec mutilé nous apprend qu'un certain K. 'Iou[)vt.oç] fut à Nicopohs ^o\A{t\j- TYiç?), c'est-à-dire décurion, xal ispeùç 'P(I)[[j.riç] ^

A ces documents, dont le sens n'est pas douteux, il con- vient peut-être d'ajouter l'épitaphe d'un certain Silvius Aes- tivus de Doclea en Dalmatie, qui est dit avoir été sodalis Rom.

D. M. s. Silvio Aestivo sodali Rom. P. FI... aced..nus et FI. C[hres]imiis coUeg{a)e b[ene) m[erenti) pos[nerunt) *.

Dégageons de ces documents les conclusions qu'ils nous

L C. I. Lat., III, 5443.

2. Id., ibid., 10470.

3. Id., ibid., 3368.

4. Id., ibid., 1422.

5. Inscr. Graec. ad res roman, pertin., I, n. 589.

6. C. I. Lat., III, 12704; Ann. Epigraph., 1904, n" 89,

40 CHAPITRE II

paraissent appeler. Les villes, le culte de Rome était célébré publiquement et pourvu d'un sacerdoce, sont :

en Afrique, Thubursicum Bure, municipe; Tlia-

mugadi et Cirta, colonies;

en Narbonnaise, Apta, colonie ;

en Rétie. Solva?

en Pannonie, Aquincum, colonie ;

en Dacie, Sarmizegethusa, colonie;

en Mésie inférieure. Xicopolis, fondée parTrajan en sou- venir de sa victoire sur les Daces.

C'est donc à peu près exclusivement dans des villes de constitution romaine ou d'origine officielle que la déesse Rome fut adorée.

En Bretagne, c'est moins la ville même d'où sont sortis les documents précités que les fonctions du dédie ant qu'il convient de noter : cet officier, originaire de la Maurétanie Césarienne, est un étranger au pays. Remarquons égale- mont, que les signataires des dédicaces trouvées à Aquincum et à Sarmizegethusa sont deux fonctionnaires impériaux : l'un est le propre gouverneur de la province, le représen- tant officiel de l'État romain en Pannonie ; l'autre est le procurateur impérial, l'homme de confiance des maîtres de l'empire en Dacie.

Parmi les prêtres de Rome, nous distinguons un person- nage de rang sénatorial, Q. Appaeus Félix Flavianus; deux membres de l'ordre équestre, M. Plotius Faustus de Thamugadi, M. Roccius Félix de Cirta. L. Yolusius Seve- rianus d'Apta, T. AeHus Verinus d'Aquincum, K. 'Io'j)v',oç... de Nicopolis, s'ils n'appartiennent pas à la noblesse d'em- pire, sortent du moins de l'aristocratie municipale ; ils ont exercé dans leur patrie les plus hautes magistratures, ils siègent dans le sénat de leur cité. Seul L. Camp(anius) Celer de Solva ne porte aucun titre que celui de sacerdos Urhis Romae Aeternae; il paraît même invoquer, sous le nom de Jupiter Optimus Maximus Arubianus, une divinité plus locale que vraiment romaine ; néanmoins il porte les

LE CULTE DE LA DÉESSE ROME 41

t?Ha nomina romains. Quant à Silvius Aestivus de Doclea, l'interprétation des deux mots Sodalis Rom.^ qui figurent sur son épitaphe, reste obscure. Si Rom. doit se compléter Roiniae)^ il en résulte quil y avait à Doclea une sodalité chargée de célébrer le culte de la déesse Rome; cette sodalité était composée de petites gens et d'esclaves, puisque Silvius Aestivus y avait pour collègue un P. FI, ...aced..nus, et un FI. Chresimus.

Notons enfin que Q. Appaeus Félix Flavianus, M. Plotius Faustus, L. Volusius Severianus, T. Aelius Verinus ont été, en même temps que prêtres de Rome, flamines du culte impérial, et que M. Roccius Félix a été flamine d'un empe- reur divus, probablement de Caracalla, flamen divi M{agni) Antonini \

Plusieurs des textes que nous venons d'étudier peuvent être datés approximativement. Nous avons vu que la dédi- cace Urbi Romae Aeternae Augustae trouvée à Thubur- sicum Bure était certainement postérieure à CaracaUa et antérieure à Gallien. M. Roccius Félix de Cirta, étant flamine du divus Caracalla, a vécu pendant le troisième siècle. Sur le texte qui nomme L. Volusius Severianus, Avennio est appelée colonia J{idia) Had[riana) ; cette inscription date donc au plus tôt du deuxième tiers du second siècle. Les documents qui proviennent de Sarmize- getbusa et de Nicopolis de Mésie ne peuvent être antérieurs à la conquête de la Dacie, par conséquent aux premières années du second siècle.

Le culte de la déesse Rome a donc survécu en divers points du monde romain pendant presque tout le haut empire. Séparé du culte impérial, il ne semble pas avoir été très répandu dans les provinces latines. Les traces que nous en avons conservées ont été reconnues principale- ment dans des colonies (Thamugadi, Cirta, Apta, Aquincum,

1. Pour la restitution flamen divi M[agni) Antonini, cf. les inscriptions africaines C. I. Lat., VIII, 7963, 12060, 14447, 19122.

42

CHAPITRE II

Scarmizegetliusa) ; les prêtres de la déesse appartiennent en majorité à la noblesse d'empire ou à raristocratie muni- cipale ; les fidèles qui l'invoquent sont des officiers ou des fonctionnaires. Malgré le petit nombre des documents, ces constatations suffisent pour nous permettre d'affirmer que ce culte ne fut pas populaire, qu'il ne pénétra pas dans les couches profondes de la population provinciale. Associée à la divinité impériale, Rome reçut plus d'hommages ; mais il est vraisemblable que ces hommages s'adressaient plu- tôt à l'empereur qu'à la cité divinisée.

CHAPITRE III

LE CULTE DE LA DIVINITÉ IMPÉRIALE; SES DIVERSES FORMES

1. Le culte de V empereur vivant. 2. Le culte des divi. 3. Le culte commun de Rome et de la divinité impériale. 4. Le culte des membres de la famille impériale et de la domus Augusta. 5. Les cultes connexes. 6. Diffusion, réjMrtition géographique^ caractère de ces divers cultes.

1

La divinité de l'empereur fut adorée sous diverses formes. Les habitants de l'empire rendirent un culte à l'empereur vivant, à la plupart des empereurs défunts, à plusieurs membres de la famille impériale, à la domus Augusta; ils adorèrent et invoquèrent le Génie de l'empereur, la Fortune impériale, la Victoire ou les Victoires impériales, les Lares impériaux. Malgré leurs différences apparentes, tous ces cultes dérivaient d'uiie même idée, étaient inspirés par un seul et même sentiment, le dévouement religieux au maître du monde romain.

Il n'est point douteux que les empereurs aient été de leur vivant l'objet d'un véritable culte '. Les témoignages des

1. Beurlier, Essai sur le culte ..., en partie, p. 27 et suiv., p. 41 et suiv.

44 CHAPITRE III

auteurs anciens sont formels, en ce qui concerne Auguste. Nous avons vu que le culte d'Auguste fut institué avant l'an 14 ap. J.-C. à Tarragone, en Narbonnaise, dans les trois Gaules, chez les Ubiens, qu'un autel fut dédié à l'empereur par un général romain sur les bords de l'Elbe *. Après Auguste, les traces d'un tel culte dans les provinces latines seraient plutôt rares, si l'on s'en tenait aux documents l'empereur est désigné par son nom individuel. On trouve cependant Tibère associé à la déesse Rome sur une inscrip- tion de Mograwa, près de Mactar -, Claude associé à diviis Augustm sur une inscription de Thugga, en Tunisie ■^ A Volubilis, dans la Tingitane, les cuUores donnes Augustae construisirent un temple orné de portiques en l'honneur d'Antonin le Pieux, de son vivant \ En Numidie, dans la région située au pied du versant septentrional de l'Aurès, deux autels furent consacrés à la divinité de deux empe- reiu's vivants; l'un de ces autels fut dédié par un cer- tain P. Fundanius à Marc-Aurèle en Tannée 169 ap. J.-C. °; le second, par des colonî, à trois empereurs régnant en- semble, c'est-à-dire à Septime Sévère, Caracalla et Geta ^ Plus tard encore, Probus est appelé deiis Probus, dans une inscription de la même province ^ Hors de l'Afrique, nous n'avons trouvé que deux documents analogues : une dédicace Deo Aureliano, qui provient de Sagonte * et un ex-voto, trouvé aux environs de Metz, sur lequel se lisent, auprès du nom d'un dieu local. Hercules Saxanus, les noms

1. p. 30 et suiv.

2. Romae et Imp. Ti. Caesari Augusto sacrum : C. I. Lai., VIII, 11912.

3. Divo Aug. sacr. et Ti. Claudio Caesari Aug..., Ann. Epigr., 1899, n. 121; cf. Bull, archéol. du Comité, 1899, p. clxxxtii.

4. Imji. Caes. T. Ael. Hadriano Antonino Aug. Pio ... : C. I. Lat., VIII, 21825; cf. Bull, archéol. du Comité, 189-3, p. 163.

5. Imp. Caes. M. Aurelio Antonino Aug..., C. I. Lat., VIII, 4305.

6. Ann. Epigr., 1894, n. 140; cf. Mélanges de l'Écol. de Rome, 1894, p. 36, n. 95.

7. Ann. Epigr., 1903, n. 243; cf. Bull, archéol. du Comité, 1903, p. ccxi.

8. C. I. Lat., II, 3832.

LE CULTE DE LA DIVINITÉ IMPÉRIALE 45

de Vespasien, Titus et Domitien *. Signalons enfin l'existence à Pax Julia, en Lusitanie, d'un prêtre de Tibère vivant, fla- men Ti. Caesaris Aug . ".

Pour prouver la réalité du culte des empereurs vivants dans les provinces latines, nous ne devons pas nous en tenir à ces seuls documents. Deux autres séries de textes, d'une abondance qui ne laisse rien à désirer, concourent à la même démonstration. Ce sont d'une part les dédicaces à un dieu appelé simplement Augustus et les mentions si nom- breuses de prêtres d'Auguste, sacerdotes ou /ïamines Au- gusti ou Augustorum \ d'autre part les dédicaces, égale- ment très nombreuses, au nume7i d'un empereur ou aux niunina de deux empereurs régnant ensemble. Mais ici, comme le sens et la valeur que nous donnons à ces textes ont été contestés, nous devons essayer d'établir, pour cha- cune des deux séries, qu'elle se rapporte bien au culte des empereurs vivants .

En Tarraconaise, en Dalmatie et surtout en Gaule, maintes dédicaces commencent ainsi : Angusto sacrum \ Souvent une ou plusieurs autres divinités sont invoquées en même temps; en Espagne, Pax pe^^petua et Concordia Augusia *; en Gaule, de nombreuses divinités locales, Adido % Rosmerta ^ Albius et Darnona ', Dea Sequana ^ Dea CliUoïda \ Mars Boluinnus '", Epona 'S Dea Icau- nis *^ etc.

1. C. l.Lat., XIII, 4624.

2. Id., II, 49.

3. Id., ibid., a349;XII, 5894; XIII, passim; III. 1769;.4n«. Eingraph., 1901, nos 37, 38, 200; 1904, n. 141.

4. 7rf., ibid., 3349.

5. Jd., XIII, 1575.

6. Ibid., 2831.

7. Ibid., 2840.

8. Ibid., 2862.

9. Ibid., 2895.

10. Ibid., 2899, 2900.

11. Ibid., 2902, 2903.

12. Ibid., 2921.

46 CHAPITRE III

On sait, d'autre part, que très fréquemment le sacerdoce du culte officiel est désigné par des formules telles que Jla- 7nen Aug{usti), ffamen Aug. perpetuits, sacerdos Aug., sacerdos Rom. et Aug., sacerdos arae Aug., sacerdos ad aram Aug., sacerdos ad temjjlum Romae et Aug.

Ainsi, soit dans des textes de dédicaces ou d'ex-voto, soit dans les noms donnés aux temples et aux autels, soit dans les titres des prêtres, le mot Augustus, généralement abrégé en Aug., figure très souvent. Que signifle-t-il? Qu'est-ce que ce dieu appelé simplement Augustusl

Tout d'abord il est évident que dans les documents de cette série qui datent du règne d'Auguste, ce mot ne peut désigner que le fondateur de l'Empire. C'est le cas, par exemple, pour la formule flanien Aug. dans la lex conclUi Narbonensis et dans le cursus honorimi de L. Aponius de Baeterrae \ Le problème ne se pose vraiment que pour les documents postérieurs à la mort d'Auguste; ces documents forment la presque totalité de ceux que nous étudions ici. Dans ces documents, Augustus ne peut plus désigner Auguste; à partir de l'an 14 ap. J.-C, Auguste est dlvus Augustus, et ce fut sous ce nom qu'il fut désormais invo- qué -. D'après Ed. Beaudouin, l'expression ffamen Augusti, flamen Aug. serait purement et simplement synonyme de flamen Romae et Augusti : « Sûrement ce mot doit s'en- tendre du prêtre de Rome et d'Auguste, et non d'un prêtre attaché au culte de quelque empereur adoré personnefie- ment de son vivant \ » Cette opinion ne résout pas le pro- blème; car on peut encore se demander quel est Y Augustus associé à la déesse Rome sur les documents postérieurs à

1. Voir plus haut, p. 31.

2. Voir plus bas, p. 54 et suiv.

3. Ed. Beaudouin, op. cit., p. 53-54; p. 77 et suiv. Dans ces dernières pa- ges, l'auteur pose en principe que « le seul culte qui soit rendu par la province et en son nom est le culte de Rome et d'Auguste, ... que le fla- mine provincial est nécessairement un flamine de Rome et d'Auguste ». Cette affirmation est tout à lait inexacte, comme nous le prouverons plus loin.

LE CULTE DE LA DIVINITÉ IMPÉRIALE 47

la mort d'Auguste. D'autres savants voient dans cet Aiigiis- tus une personnification de l'autorité impériale, indépen- dante de la personne même des empereurs : « Auguste, écrit M. Fallu de Lessert à propos du culte de Rome et d'Auguste, c'est l'autorité impériale personnifiée. Ce n'est

pas Auguste le fondateur de l'Empire ; ce n'est pas

Tibère, ni Caligula, ni Trajan, ni Hadrien que l'on adora, c'est l'Empereur ^ » M. l'abbé Beurlier paraît croire éga- lement à l'existence d'un culte impersonnel de l'Empereur, d'une notion de l'Auguste en général; les seules traces d'un culte personnel rendu aux empereurs vivants sont pour lui les documents dans lesquels chaque empereur est désigné par son nom individuel ".

On pourrait d'abord se demander si cette conception d'un dieu impersonnel, d'une abstraction divinisée, n'est pas incompatible avec tout ce que l'on sait jusqu'à présent des religions antiques. Mais ce serait là, croyons-nous, une discussion fort oiseuse^ les arguments seraient moins des faits précis fournis par les documents antiques que des opinions subjectives élaborées dans des cerveaux modernes. En outre, la question ne nous paraît même pas devoir être posée ; car un nombre fort respectable de textes très nets prouve à notre avis que le mot Augustus désignait non pas une abstraction divinisée, mais un dieu concret et réel, non pas l'Auguste ou l'Empereur en général, mais l'Auguste, l'Empereur actuel et vivant.

Voici, par exemple, une dédicace à Titus qui émane de la province, ou plus exactement de l'assemblée provinciale de Lusitanie . Elle débute ainsi :

T. Caesari Auo. f. Vespasiano, pontif., imp. Xll^ trib. pot. VII, cos VI, etc.

Elle est datée de l'an 77 après J.-C. ; elle est donc anté- rieure de deux ans à la mort de Vespasien. Titus y est dit

1 . Fallu de Lessert, Les Assemblées provinciales et le culte provincial dans l'Afrique romaine, p. 16.

2. Beurlier, Essai sur le culte, p. 169-170.

48 CHAPITRE III

AurT(usTi) fHius. Il ne saurait y avoir aucune contestation sur le sens du mot Aug[ustï). Il désigne et ne peut désigner que Vespasien, c'est-à-dire l'empereur, l'Auguste vivant. Si dans ce texte officiel, contresigné par le gouverneur même de la province, C. Arruntius Catellius Celer leg. Aug . pro pr., le mot Aiigitstus a un tel sens, pourquoi veut-on que dans les autres documents ce même mot est employé isolé sans aucune détermination, il ait une signification, une valeur différente? Nous pensons donc que les dédicaces, se lit la formule Augiisto sacrum, sont adressées à l'Auguste vivant, témoignent de la faveur qu'a rencontrée dans certaines parties du monde romain le culte personnel de l'empereur vivant.

Quant aux formules telles que flamen ou sacerdos Aug., sacerdos ad templum Roniae et Aiigusti, sacerdos ad aram ou arae Aug., les documents nous permettent d'arriver à une démonstration plus précise encore.

Dans la lex concilil Narbonensis, le prêtre du culte impérial est appelé ff amen Aug ustl; la lex ayant été rédigée du vivant d'Auguste, il n'y a aucune difficulté. Parmi les autres prêtres provinciaux de la Narbonnaise que nous connaissons, presque tous portent simplement le titre de flamen provinciac Narbonensis. Un seul indique de quelle divinité il est le flamine : c'est C. Batonius Primus. II s'inti- tule, sous le règne commun de Septime Sévère et de Cara- calla, flamen Aug[ustorwn) :

Imperio D[eum) M[atris) tauropoUum, provinciae Narbo- nensis per C. Batonium Primum flamineîn Augg. pro sainte dominorwn Imjjp. L. Septimi Severi PU Pertinacis Aug. Arabici Adiabenici Parthici Maximi et M. Aureli Antonini Aug *.

Si le nom du prêtre devient, quand deux empereurs par- tagent le pouvoir suprême, flamen Augustorum au lieu de flamen Augusti, il est de toute évidence que le culte

\. c. I. Lat., XII, 4323.

LE CULTE DE LA DIVINITÉ IMPÉRIALE 49

s'adresse à l'Auguste vivant et non à un Auguste imper- sonnel ou abstrait.

Ce même argument est fourni par les titres que portent les prêtres provinciaux des Trois Gaules. On sait, par de nombreux documents, que le sanctuaire provincial des trois Gaules était consacré à la double divinité de Rome et d'Auguste. Les prêtres du culte se nomment en général sacerdotes Romae et Augusfi *; le sanctuaire est appelé templum Rom[ae) et Aug[nsti) '; l'autel, ara Aug. ^ Or sur plusieurs documents, la formule habituelle est modifiée ; par exemple, G. Servilius Martianus, Arverne, est dit sacerdos ad templum Romae ^^ Augustorum ^; ce même pluriel se lit sur trois autres textes "\ Plus significative encore nous paraît l'inscription qui mentionne le prêtre provincial G. GatuUius Deciminus, Tricassin : on lit qu'il fut sac[erdos] ad templ{mn) Rom[ae et] Auggg trium prov{inciarum G[al- l{iarum)] ^ Le troisième G du mot Auggg. est nettement martelé. G. Gatullius Deciminus a donc été le prêtre de Rome et de trois Augustes, Septime Sévère, Garacalla, Geta; plus tard, le troisième G qui représentait le dieu Grcta a été martelé, pour que le souvenir de la divinité du malheureux prince fût lui-même effacé. Ici encore le mot Aitgustus désigne, non pas une abstraction divinisée, mais un dieu personnel et vivant ; lorsque deux ou trois princes exercent ensemble la puissance impériale, les textes mentionnent deux ou trois dieux.

En Pannonie et en Dacie, le vrai sens du moi A iigiistiis nous paraît être déterminé d'une autre façon. G. Tit. Anto- nius Peculiaris, prêtre provincial de la Pannonie inférieure,

1. C. I. Lat., XIII, 1036, 1042-1015, 1675, 4321 ; Bull, des Antiq., 1896, p. 298-300.

2. Ibid., 1714.

3. Ibid., 1541.

4. Ibid., 1706.

5. Ibid., 1710, 1718; Bevtie Epigraph., 1902, t. lY, p. 278, n. 1514.

6. Ibid., 1691.

50

CHAPITRE III

est appelé sacerdos arae Aug(usti) N(ostri) p{rovinciae) P[annoniae) Infer{ioriii) '. En Dacie, le prêtre provincial est appelé tantôt sacerdos arae Aug. -, tantôt sacerdos arae AuG. N, comme clans la Pannonie inférieure '. L'adjectif noster donne au mot Avgustus un sens précis : c'est l'Au- guste actuel, celui que le monde romain possède au moment l'inscription est gravée •.

Les inscriptions relatives aux prêtres municipaux du culte impérial fournissent quelques exemples analogues : à Sitifis, en Maurétanie, P. Octavius Laetus fut fl[araen) AuGGG p{erpetitus); àRusucurru, également en Maurétanie, C. Julius Félix fut de même flamen Auggg; ces deux textes donnent lieu à la même observation que l'inscription de C. Catullius Deciminus, prêtre provincial des trois Gaules ^ A Barcino, sous Marc-Aurèle et Lucius Verus, L. Caecilius Optatus porte le titre de flamen Romae. dtvorwn et Augus- TORUM ^ Les Augusti, dont le culte s'ajoute à celui de la déesse Rome et des dii-i, sont ici certainement les deux empereurs vivants.

De tous les exemples que nous venons de citer, il résulte clairement pour nous que dans les expressions flamen Augusti, sacerdos Augusti, sacerdos ou flamen Romae et Augusti, Augustus désigne l'empereur vivant. C'est de l'empereur vivant qu'est prêtre le flamen ou sacerdos Augusti; c'est le culte de l'empereur vivant qui est associé au culte de Rome. 11 n'est d'ailleurs pas surprenant que l'empereur soit uniquement désigné par le titre à' Augustus;

1. c. I. Lat., m, 10496.

2. Ihid., 1209, 1513.

3. J6id., 1433.

4. La valeur que nous attribuons ici au mot noster est confirmée par l'emploi du même mot dans les formules épigrapliiques : Jovi Optimo Maximo cons'ervatori) Aug{ustornin) n{osirorum], Marti Aug. conserva- tori doniin. nostr., Victoriae Aiigg. nn., etc., etc. [C. I. Lat., Vlll,2618, 17835; 111,4364, etc.. etc.).

5. C. I. Lat., VI II, 8496, 8995.

6. 7r?., II. 1511.

LE CULTE DE LA DIVINITÉ IMPÉRIALE 51

de tous les noms qu'il porte, celui-là seul exprime son caractère divin.

La seconde série de documents, qui prouvent la diffusion du culte des empereurs vivants, est constituée par les dédi- caces nombreuses au numen d'un empereur et aux nuinina de deux ou plusieurs empereurs. Ed. Beaudouin refuse de les considérer comme des preuves concluantes de ce culte : « On peut se demander, écrit-il, si une expression comme numen n'implique pas, pour la personne qualifiée ainsi, un caractère de divinité et si lorsqu'on rend un culte au numen d'un empereur vivant, plus particulièrement encore lorsqu'on élève un autel à ce nimien, lorsqu'on lui fait des sacrifices et qu'on lui immole des victimes, cela ne veut pas dire qu'on adore cet empereur comme un dieu véritable. Je ne crois pas pourtant qu'on doive se laisser aller à cette impression. Sans aucun doute le mot numen implique une idée de divinité, et surtout lorsque nous voyons dresser des autels et faire des sacrifices à ce numen il n'est pas possible de douter qu'il ne soit effectivement traité comme un dieu. Mais il en est, je crois, de ce numen, comme du genius. Le geniiis, lui aussi, est une sorte de dieu et lui aussi reçoit assez souvent des autels et des sacrifices ; cependant cela ne veut pas dire que la personne dont le genius est ainsi traité comme un dieu soit elle- même une divinité. J'en dirai autant du numen. On adore le numen de l'empereur, sans que l'empereur soit lui-même considéré comme un dieu. Il y a dans les deux cas la même opération de l'esprit, le même phénomène d'abstraction \ »

Et, pour prouver la distinction du numen et de l'empe- reur, M. Beaudouin invoque certains exemples, qui nous paraissent plutôt contraires à sa propre théorie. Il cite des expressions telles que numeti Aescidajoii, numen MUh?Yie, numen For timae : mais Esculape, Mithra, la Fortune étaient

1. Ed. Beaudouin, Le culte des empereurs dans les cités de la Gaule Nar- botiîiaise, p. 19-20.

!S9

CHAPITRE III

des divinités. Il ajoute : « L'ctendard de la légion est appelé par Tacite et par d'autres textes un numen ; à coup sûr pourtant il n'a jamais passé pour un dieu ' ». Erreur; il est aujourd'hui démontré que les ^igtia militaires étaient de véritables divinités aux yeux des soldats, qu'on leur rendait un culte ". M. Beaudouin signale encore le numen aquac Alexandrianae de Lambèse, le numen Capuae, un numen synliodi à Nemausus '. La divinisation d'une source et d'une ville n'a rien qui puisse nous surprendre : quant à l'asso- ciation, dont le numen est invoqué sur une inscription de Nemausus, nous remarquerons qu'elle porte dans ce même texte le nom de sacra si/7ihodos, qu'elle est vraisemblable- ment d'origine grecque, que le mot nimien a pu être employé par elle dans un sens inexact, et qu'en tout cas ce serait le seul exemple vraiment probant dans lequel numen serait synonyme de genius.

Quant à l'identité générale que M. Beaudouin veut établir entre les deux termes numen et genius, elle nous parait inadmissible. Les Genii étaient pour les Romains des êtres divins réels, au même titre que les Lares, les Pénates, les Mânes. Il n'y a jamais eu une catégorie spéciale de divinités appelées numina. Les individus, les familles, les groupe- ments divers d'êtres humains, associations, villages, cités, centuries, cohortes, légions, etc., avaient chacun leur Génie protecteur; il n'est nulle part question, sauf le cas unique de la sacra synhodos de Nemausus, d'un numen de person- nage ou de groupement humain. Le mot numen s'applique toujours soit à des divinités, soit à des choses ou à des êtres divinisés. S'il fut si fréquemment, si couramment appHqué aux empereurs vivants^ c'est que ces empereurs étaient considérés comme des dieux et recevaient un véritable culte. M. Beaudouin pense que « le numen de l'empereur

1. Beaudouin, op. cit., p. 21 et not. 3.

2. Voir surtout C.Renel, Cultes militaires de Borne

3. Beaudouin, op. cit., p. 22.

les Enseignes, p. 23.

LE CULTE DE LA DIVINITÉ IMPÉRIALE 53

est la puissance, la grandeur, la volonté souveraine de l'empereur, opposées à l'empereur, personne réelle et vi- vante » ; il reconnaît que cette idée est subtile pour nous, mais il affirme que cette distinction du mimen et de la per- sonne impériale était au contraire pour les anciens une con- ception toute naturelle et comme instinctive '. Or le numen Augusti, les numina Augustoriim ont été invoqués en Gaule par des provinciaux de condition modeste, en Bre- tagne par des légionnaires ou des auxiliaires originaires de la Gaule et de la Germanie; en vérité, nous ne pensons pas que de tels fidèles aient pu se livrer à cette analyse subtile, à ce travail d'abstraction presque philosophique, d'où serait sortie, d'après M. Beaudouin, la distinction du numen de l'empereur et de la personne impériale. Nous ne saurions partager l'opinion de M. Beaudouin, en cette matière. Pour nous le culte du numen impérial équivaut pleinement au culte de l'empereur vivant.

Dans les dédicaces au numen ou aux numina des empe- reurs, le nom de l'empereur ou des empereurs figure rare- ment tout au long; on peut cependant en citer quelques exemples : Numini Ti. Caesaris Augusti ^; Deabus Matri- bus Tramarinis et N{mnini) Imp. Alexandri Aug... ^; Numinibus A[ugg.] Severi et Antonini et Getae Caes. et deae Dianae *.

Le plus souvent le mot Augusti ou Augustorum est seul employé : Numini Augusti, Numinibus Augustoruin sont les formes usuelles de ces dédicaces.

Si nous ne nous sommes pas trompé en considérant comme des preuves du culte des empereurs vivants les deux séries de documents épigraphiques dont nous venons de parler, il en résulte que cette forme du culte impérial a été générale dans les provinces latines. L'Afrique, l'Es-

1. Ed. Beaudouin, op. cit., p. 20-2L

2. A Ipagrum, en Bétique : C. I. Lat., II, 1516.

3. Dans le nord de la Bretagne : C. 1. Lat., Vil, 319.

4. A Apulum, enDacie : G. I. Lat. ,111, 1127.

54 CHAPITRE III

pagne, les Gaules, la Bretagne, les provinces rhénanes et danubiennes ont toutes fourni, en plus ou moins grand nombre, soit des dédicaces à un empereur vivant désigné par tous ses noms, soit des dédicaces Augusto, soit des mentions de flamines ou sacerdotes Augiisti, ad iemplimi Romae et AugiisU, arae ou ad aram Aiigusli, soit enfin des dédicaces Numini Augusti ou Numinibus Augustorum.

Au moment il mourait, l'empereur cessait d'être le dieu vivant qui représentait la puissance romaine. Il fallait, pour qu'il restât dieu et continuât à recevoir un culte, qu'il fût officiellement déclaré diviis par le Sénat, que la consé- cration ou apothéose lui fût décernée par l'assemblée \ Tous les empereurs ne furent pas dlvi. Cet honneur pos- thume fut refusé à Tibère, à Caligula, à Néron, à Galba, à Othon, à Vitelhus, à Domitien.

Dans les provinces latines, le culte des divi se présente à nous sous deux formes différentes. Ici le culte est rendu à tous les dlvi en bloc ; les hommages s'adressent Numini divormn Augustorum -; les prêtres s'appellent ff aminés divorum, flamAnes divorum Augustorum ^ chaque divus a son autel ou son temple, son culte, ses prêtres ; depuis César, Divus Julius, jusqu'à Carus, Divus Carus, les docu- ments attestent qu'un culte de ce genre a été rendu dans les provinces latines à Auguste, Claude, Yespasien, Titus, Nerva, Trajan, Hadrien, Antonin le Pieux, Marc-Aurêle, Lucius Verus, Commode, Pertinax, Septime Sévère, Cara- calla. Gordien, Aurélien.

Le culte commun de tous les divi semble avoir été loca-

1. E. Beurlier, Essai sur le culte. ..^ p. 55 et suiv.

2. C. I. Lat., 11,2009; VIII, 5177.

3. Par exemple, C. I. Lat., II, 34, 53, 2103, 3710 ; XII, 1577.

LE CULTE DE LA DIVINITE IMPERIALE OO

lise dans les provinces espagnoles, Lusitanie, Bétique, Espagne citérieure ou Tarraconaise. C'est qu'on ren- contre presque tous les flammes divorum Augiislorum, flammes Romae et divorum^ flamines divorum^ mentionnés par les inscriptions '. Hors de l'Espagne, il n'a été trouvé jusqu'à présent qu'une dédicace Numini divormn Augus- toram^ à Zattara, en Afrique ^ et une mention de flamen divorum à Dea Vocontiorum dans la Gaule Narbonnaise ^ Il n'est pas possible d'indiquer avec certitude la raison pour laquelle le culte commun des divi a eu ce succès en Espagne et seulement en Espagne. Toutefois rhj^pothèse suivante ne nous paraît pas invraisemblable. Ce sont en majorité les prêtres provinciaux de la Bétique et de la Tar raconaise qui portent le titre de flamines divorum Augus- torum ou flamines divorum; il en résulte que le culte rendu par ces deux provinces à la divinité impériale s'adres- sait aux divi, soit à eux seuls comme en Bétique, soit à eux en même temps qu'à la déesse Rome et à l'empereur ou aux empereurs vivants, comme en Tarraconaise. Or un texte de Tacite, que nous avons déjà cité, nous apprend que le culte provincial de la Tarraconaise ne fut institué qu'au lende- main de la mort d'Auguste *; il s'adressa donc dès son origine divo Augusto; les autres divi s'ajoutèrent successi- vement au divus Augustus, ainsi que la déesse Rome et l'empereur vivant. D'autre part, Tacite ajoute que l'initiative de la Tarraconaise fut donnée en exemple à toutes les pro- vinces : datumque in omnes provincias exemphmi. Comme l'a nettement montré M. l'abbé Beurlier, on ne peut entendre par ces mots in omnes pt^ovincias toutes les provinces de l'empire : « Tacite n'ignorait certainement pas l'existence de Vara Lugdunensis et de Y ara Ubiorum;... il n'ignorait

\. C. I. Lut.. 11,34, 51, 53, 1475, 2009,2103, 2221,2224,2344,3395, 3709,3710, 4191, 4199, 4205, 4217,4222, 4228, 4235, 4239, 4243, 4247, 4249, 4250.

2. Id., VIII, 5177.

3. Ici, XII, 1577.

4. Annal., I, 78. ,

56 CHAPITRE III

pas davantage rexistence du temple de Pergame, qui avait certainement une existence officielle... Puisque par o//i;?es provincias on ne saurait entendre toutes les provinces de l'empire, pourquoi ne s'agirait-il pas simplement de toutes les provinces d'Espagne? ' »

La Bétique et la Lusitanie n'auraient donc fait que suivre l'exemple de la Tarraconaise. Cette conclusion trouve peut- être sa confirmation dans deux textes épigraphiques, pro- venant l'un d'Emerita, en Lusitanie, l'autre, en double exemplaire, de Salpensa et de Malaca en Bétique. L'un des prêtres provinciaux de Lusitanie est dit ffamcn clivi Aug. prov. Lusitaniae\ il s'appelle Albinus Albini f. -. Il est pro- bable que cette inscription est de très peu postérieure à la mort d'Auguste ; elle prouve en tout cas qu'en Lusitanie le culte provincial s'est adressé dito Aiigusto; elle corrobore et l'afïîrmation de Tacite et l'interprétation qu'en donne M. l'abbé Beurlier. A Salpensa et à Malaca la formule du serment que doivent prêter les magistrats est : Per Jovem et dii'ura Aiigustum et dii'wn Claudium et divum Vespasia- nmn Aug. et divum Titurii Aug. et Genium imperatoris Caesaris Domltiani Aug . deosque Pénates ^ Tous les empe- reurs déclarés difi avant Domitien sont invoqués comme garants du serment; quant à l'empereur vivant, ce n'est pas lui-même, c'est son Genius qui est invoqué. N'y aurait-il pas une preuve nouvelle de la prédominance du culte des divi dans la religion officielle de la Bétique? En Gaule au contraire, à Narbonne comme à Lyon, le culte provin- cial a été institué en l'honneur d'Auguste vivant ; les prêtres de ce culte sont toujours restés même au m' siècle les prêtres de l'Auguste ou des Augustes vivants '\ Si donc le culte des divi a joui en Espagne d'une faveur particulière,

1. E. Beurlier, op. cit., p. 22.

2. C. I. Lat., II, 473.

3. Id., ibid., 1963, XXV, XXVI ; 1964, LIX.

4. V. plus haut, p. 48-49.

LE CULTE DE LA DIVINITE IMPERIALE

57

c'est qu'à l'origine le culte de la divinité impériale, sous sa forme provinciale, s'est adressé à un divus.

Les cultes particuliers de chaque divus ont laissé plus de traces et semblent avoir été plus répandus. Une inscription mentionne un flamen divi Juli à Rusicade, en Numidie '. Le culte de difus Augustus fut le plus populaire de tous : on l'a rencontré en Afrique, à Cartilage ^ à Leptis minor ^ Thubursicum Bure '% Thugga ^ Sicca Veneria ® ; en Es- pagne, à Emerita ', Olisipo % Ulia ^ Clunia *", Tarraco *S Saetabis '^; dans la Narbonnaise, à Vienna *^ Nemausus ^\ Dea Vocontiorum '% Apta '\ Vasio '", Baeterrae *^; dans les trois Gaules, chez les Santones '" et les Segusiavi "^" ; en Dal- matie, à Narona -*, à yEquum -^ et dans Vinsula Pagus ^^ Quelques-unes de ces inscriptions peuvent être datées : les plus intéressantes sont celles qui attestent la persistance du culte de divus Augustus au ii'' siècle de l'empire; par

1. C. I. Lat., VIII, 7986. Sur la date incertaine do ce texte, v. Fallu de Lessert, ies Assemblées provinciales et le culte provincial dans l'Afrique romaine, pp. 62-6-1 ; Nouvelles observations . .., pp. 28-29.

2. C. I. Lat., VIII, 1494.

3. Id., ibid., 11114.

4. Id., ibid., 15260.

5. Ann. Epigr., 1899, n. 124; 1904, n. 79.

6. Ann. Epigr., 1898, n. 94.

7. C. I. Lat., II, 47.3.

8. Id., ibid., 182, 260.

9. Id., ibid., 1534.

10. Id., ibid., 2782. ., ibid., 4094, 4279. ., ibid., 3620. ., XII, 1872, 26(:fâ. ., ibid., 3180, .3207. ., ibid., 1585. ., ibid., 1121. ., ibid., 1373. ., ibid., 4233. ., XIII, 10.35. ., ibid., 1642; ., III, 1770. ., ibid., 9769. ., ibid., 3113.

11. Id.

12. Id.

13. Id.

14. Id.

15. Id.

16. Id.,

17. Id.,

18. Id.

19. Id.,

20. Id.

21. Id.

22. Id.,

23. Id.

58 CHAPITRE m

exemple sous Marc Aurèle à Cartilage * et sous Commode à Thugga -. Après Auguste, les autres divi ont été l'objet d'un culte : divus Claudius à Tarraco ', à Camalodunum en Bretagne *, àSalonae en Dalmatie °; divus Ycspasianus à Carthage ^ et à Tarraco ' ; divus Titus à Carthage, d'après une inscription trouvée à Uccula *, et à Tarraco ^ ; divus Nerva à Numlulis et à Calama " en Afrique; divus Traja- 711CS, dans le j^o-Qi-'s Tliunigabensis, en Afrique ^'^, et à Tar- raco *^; divus Hadrianus à Mursa, en Pannonie *''; divus Antoninus Pius, dans la haute vallée de TO. Miliane en Tu- nisie *% dans le 23cigits Thunigabensis '^ à Diana '' et à Vere- cunda **; divus M{arcus) Antoninus (Marc- Aurèle) à Uzap- pa ", Ammaedara -°, entre Chnllu et Mileu -\ dans la région de Berrouaghia, en Afrique '■-, à Tarraco '% aux environs de Stuhhveissembourg en Pannonie -'*\ divus Comniodu.s, clans plusieurs cités africaines, Sicca Veneria "% Civitas Xatta-

1. C. I. Lat., VIII, 14W: cf. 1471.

2. Ann. Epigr., 1904, n. 79.

3. C. I. Lat., II, 4217.

4. Tacit., .4?m., XIV, 31; Seuec, Ludu.s de morte Claud., VIII.

5. C. 1. Lat., III, 1947.

6. Carton et Denis, Doiigga, p. 21.

7. C. I. Lat., II, 6095.

8. Id., VIII, 14364.

9. Id., II, 4212.

10. Bail. arch. du Com., 1892, p. 154-155.

11. G. I. Lat., VIII, 5323.

12. Id., ibid., 14447.

13. 7(7., II, 4274.

14. M., III, 3279.

15. Bull. arch. du Com., 1897, p. 370, n. 25.

16. C. I. Lat., VIII, 14447.

17. Id., ibid., 4588.

18. Id., ibid., 4205.

19. Id., ibid., 11926.

20. Id., ibid., .305.

21. Id., ibid., 19919.

22. Id., ibid., 9234.

23. Id., Il, 6081.

24. Id., III, 3345.

25. Id., VIII, 15855.

LE CULTE DE LA DIVINITE IMPÉRIÉIÉc 59

butiim s Verecunda -, Diana ^ Tubunae \ Uirta ■'; puis à Gacles en Bétique ^ et clans la Civitas lasorum en Panno- nie "; divus Pertinax à Simitthu *, Mustis ^ et Cirta *°, en Afrique; divus Severiis (Septime Sévère), à Saia Major ", Assuras *^ Gillium '^ et Theveste ^\ en Afrique; divus Magnus Antoninus (Caracalla), à Muzuc *% Gillium '^ dans le pagus Thunigabensis '", à Sigus *^ et à Rusicade *^ en Afrique; divus Gordianus (Gordien 1), à Thubursicum Xu- midarum en Afrique ^''; divus Aiirelianus, au nord du Mont Aurès ^*; enfin divus Carus à Lambèse -'\

Cette liste donne lieu à plusieurs remarques. Nous avons déjà indiqué que, de tous les divi, c'est Auguste qui a reçu le plus d'honneurs; divus Augustus a été surtout adoré dans des pays qui avaient été réduits en provinces dès l'époque républicaine, la civilisation romaine avait pu déjà pénétrer, mais que le fondateur de l'empire pacifia ou réorganisa. La distribution des traces du culte de divus Augustus est à ce point de vue très significative, en Afrique

1. C. I. Lat., Vlll, 4826.

2. Id., ibid., 4212,4213.

3. Id., ibid., 4596,4597. i. Id., ibid., 4482.

5. Id., ibid., 6994.

6. Id., II, 1725.

7. Id., III, 4000.

8. 7d., VIII, 10593.

9. Id., ibid., 1576.

10. Id., ibid., 6995.

11. Ann. Epigr., 1903, n. 108.

12. C. I. Lat., VIII, 1798.

13. Ann. Epigr., 1899, n. 57.

14. C. I. Lat., VIII, 1855.

15. Id., ibid., 12060.

16. Ann. Epigr., 1899, n. 58.

17. C. I. Lat., VIII, 14447.

18. Id., 19122.

19. Id., ibid., 7963.

20. Bull. arch. du Com., 1905, p. 222.

21. Id., 1894, p. 342.

22. Ann. epigr., 1898, n. 12.

60 CHAPITRE III

et en Gaule. En Afrique, ces traces n'ont été retrouvées que dans la région qui correspond aujourd'hui à la Tunisie septentrionale; en Gaule, c'est surtout dans la Narbonaise que nous les avons relevées; hors de cette province, deux textes seuls se rapportent à ce culte ; l'un vient du pays des Segusiavi, la civitas gauloise sur le territoire de laquelle fut construite la colonie de Lugdunum et installé le sanc- tuaire provincial des trois Gaules; l'autre, dont on ne sait pas avec certitude si c'est une inscription ou une légende numismatique \ est attribué au pays des Santones (Saintes).

Il est à noter que ce fut surtout en Afrique et en Espagne que les autres divi furent invoqués. Sauf Claude et Hadrien, tous ceux des empereurs auxquels le Sénat décerna le titre de divus eurent un culte en Afrique; c'est môme unique- ment en Afrique que l'on peut aujourd'hui signaler le culte des difl Pertinax, Septimius Severus, Magnus Antoninus, Gordianus, Aurelianus, Carus. Quant à l'Espagne, plus exac- tement la Tarraconaise, elle honora d'un culte après Auguste, les divi Claudius, Vespasianus, Titus, Trajanus, Marcus Antoninus ; Gades en Bétique a laissé une dédicace divo Commodo. Cette prédilection des Africains et des Espagnols pour le culte des divi peut, croyons-nous, s'expliquer; mais l'explication n'est pas la même pour les deux cas.

Pour les provinces espagnoles, il est vraisemblable que la forme originelle du culte provincial, institué en l'hon- neur de divus Augustus, n'a pas été sans influence sur la diffusion en Espagne du culte des divi "". Quant aux Afri- cains, on sait que les anciens habitants du pays avaient l'habitude d'honorer comme des dieux leurs rois défunts ^ Il parut donc tout naturel aux Numides et aux Maures de

1. C. I. Lat., XIII, 1035.

2. Voir plus haut, p. 55-57.

3. Fallu do Lessert, Nouvelles observations sur les Assemblées provin- ciales, p. 8. Cf. Mommson, Hist. rom. ; trad. fr., t. XI, p. 253; Saint Cy- prien, Quod idola dii 7iou sinl. II: Tortullicn, Apolotjel., XXIV; C. I. Lat., VIII, 8834, 17159.

LE CULTE DE LA DIVINITÉ IMPERIALE 61

rendre un culte à divus Augustus^ puis aux autres empe- reurs déclarés divi. C'est ainsi que les indigènes de Mas- culula s'unirent aux colons romains installés dans le pays pour adorer d'wus Augustus : Divo Augusto conrentus clvlum Roinanorwn et Numidarum qui Mascululae habi- tant '. Outre cette raison générale, il est possi)3le quelque- fois de discerner la cause particulière pour laquelle les habitants de l'Afrique romaine ont honoré d'un culte tel empereur ou telle dynastie. Vespasien ayant été proconsul d'Afrique avant de s'élever à l'empire, il n'est pas étonnant que le culte de divus VesjMsianus ait été institué à Car- thage, et y ait duré au moins jusque sous Antonin le Pieux K Le culte de Septime Sévère et de Caracalla après leur mort s'explique par l'origine africaine de Septime Sévère, par les faveurs dont cet empereur combla l'Afrique et par l'orgueil qu'éprouvèrent les Africains à voir un de leurs compatriotes monter sur le trône impérial. Septime Sévère réhabilita Pertinax et Commode, qu'il fît déclarer divi; le culte de divus Commodus en Afrique se rattache donc étroitement au culte dont furent l'objet Septime Sévère et Caracalla ; en ce qui concerne Pertinax, il faut se rappeler en outre que, comme Vespasien^ il avait été pro- consul d'Afrique avant de succéder à Commode.

Le culte de divus Claudius à Camalodunum en Bretagne, celui de divus Marcus (Marc-Aurèle) en Pannonie se justi- fient par le rôle que Claude joua dans la conquête de la Bretagne et Marc-Aurèle dans la défense contre les Bar- bares de la frontière danubienne.

En Pannonie, les habitants de Mursa adressent leurs hommages divo Hady^iano conditori suo.

L'inégale diffusion dans les provinces latines du culte des divi en général ou de tel et tel divus en particulier est donc due, semble-t-il, à des circonstances régionales ou locales.

1. G. 1. Lat., YIII, 15775.

2. Carton et Denis, Bougga, p. 21.

CHAPITRE m

Le culte de la déesse Rome, le culte de l'Auguste vivant, le culte des divi : telles étaient les trois formes les plus significatives du culte impérial. Dans quelques provinces, un culte commun fut rendu soit à Rome et à l'Auguste vivant, soit à Rome et à un diviis ou aux divi, soit enfin à Rome, à l'Auguste ou aux Augustes vivants, et aux divi. Cette fusion s'opéra surtout dans trois provinces : la Tar- raconaise, la Narbonaise et les Trois Gaules. Hors de ces pays, nous ne connaissons qu'une seule trace certaine d'un culte commun rendu à la déesse Rome et à un empereur vivant : c'est la dédicace, trouvée à Mograwa, près de Mactaris, dans la Tunisie centrale : Romae et Imp. Ti. Caesari Augusto sacrum \

Le culte qui se célébrait à Tarraco au nom de toute la province s'adressait à la fois à Rome, à l'Auguste ou aux Augustes vivants, aux dixi. Les prêtres de ce culte portent souvent le titre de Jiami)ies Romae, divor{imi) et August{i) ou August[oriim) \ Cette formule ne s'est retrouvée en aucun autre point du monde romain.

Plus fréquentes sont les mentions d'un culte commun rendu à la déesse Rome et à l'empereur ou aux empereurs vivants. Des sacerdotes ou flamines Romae et Aug. exis-

1. C. I. Lai., VIII, II9I2. L'inscription C. I. Lat., VIII, 1G172 ne men- tionne nullement, à notre avis, un prêtre provincial de Rome et d'Au- guste ; il est beaucoup plus vraisemblable de restituer à la ligne 7

AFRIC [ae, p] RO [c] AVG BIS.

Quant au fragment publié par Ch. Tissot, comme provenant de Tingis (Mémoires présentés par divers savants à l'Académie des Inscriptions, 1878 : Recherches sur la Géographie comparée de la Maiirètanie Tin- gitane, p. 185), la restitution [Romae] et Aug{usto) au début du texte est assez plausible; mais le document est très mutilé et ne présente pas la même certitude que l'inscription trouvée à Mog-rawa.

2. C. I. Lat., II, 42Û5, 4222, 4228, 4235, 4243, 4247, 4249, 4250.

LE CULTE DE LA DIVINITÉ IMPÉRIALE 63

taient en Tarraconaise, dans le Convenfus Asturum \ le Conventus Bracaraugustanus -, et plusieurs cités ^ ; en Narbonaise, à Arausio, Arelate, Vienna *.

Les prêtres de l'autel élevé à Lugdunum en l'honneur d'Auguste par les soixante cités des trois Gaules s'appe- laient : sacerdotes Romae et Aiigusil (ou Augustorum) ^, sacey^dotes ad templum Romae et Augiisti (ou Augusto- rum) % sacerdotes ad aram Romae et Augusti (ou Augus- torum) '. Les prêtres du culte officiel chez les Elusates et aux Aquae Neri (Aquitaine) portaient le titre de fkmiines Rom. et Aiig. *.

Ailleurs c'était le culte de divus Augustus qui se célébrait conjointement avec le culte de la déesse Rome : tel était le cas à Clunia, en Tarraconaise % à Nemausus, à Baeterrae, à Apta, en Narbonaise *°.

Lorsque la province d'Asie avait demandé à Auguste, en l'an 29 avant J.-C, l'autorisation de construire un temple en son honneur, l'empereur n'avait accordé la permission sollicitée qu'à la condition que le nom de Rome fût associé au sien dans la dédicace du sanctuaire. Il imposa la même obligation à la Bithj^nie. Il avait de même exigé que les temples consacrés à divus JuUus en Asie et en Bithynie fussent dédiés également à la déesse Rome ". Ce fut peut-

1. C. /. Lat., 11,4223, 6094.

2. Id., ibid., 2416, 2426.

3. A Lucus Aug. G. I. Lat., II, 2638; à Complutum, ibid., .3033; à Vale- ria, ibid., .3179; à Castulo, ibid., 3276; à Pollentia, ibid., 3696 ; à Barcino, ibid., 4516, 4520 (?).

4. Arausio : C. I. Lat., XII, 1236; Arelate : ibid., 647, 983; Vienna (ou plus exactement Genava), ibid., 2600.

5. C. I. Lat., XIII, 1036, 1042-1045, 1675, 4324 ; Bull, des Aniiq., 1896, p. 298, 300.

6. Id., ibid., 1706, 1714, 1716.

7. Id., ibid., I7I8.

8. Id., ibid., 548, 1376-1.377.

9. Id., 11, 2782.

10. Id.. XII, 3180, 3207 (Nemausus); 4233 (Baeterrae); 1121 (Apta).

11. Die Cass., LI, 20; Res Gestae diviAug., II, 21 et p. 44 (Ed. Mommsen).

64 CHAPITRE III

être par déférence pour ce désir d'Auguste que le nom de Rome fut gravé auprès du sien sur l'autel de Lyon, que le culte de la déesse fut célébré en même temps que le culte de divus Augustus dans quelques cités de la Narbonaise et de la Tarraconaise, en même temps que le culte provincial des empereurs vivants et des divi à Tarraco. Il est d'autre part remarquable que cette association du culte de Rome au culte impérial apparaisse seulement dans des provinces nous savons que ce culte fut institué soit du vivant d'Au- guste soit au lendemain de sa mort. Plus tard, la divinité impériale reçut seule les hommages : en Bretagne, ce fut à divus Claudivs seul que fut consacré le temple de Cama- lodunum mentionné par Senôque et Tacite; en Dacie, l'autel provincial s'appelait simplement ara Aug[usti).

L'adulation publique ne s'arrêta pas aux cultes de Rome divinisée, de l'empereur vivant ou des empereurs défunts. Elle y joignit dès le début de l'empire ceux de divers mem- bres de la famille impériale.

L'épouse d'Auguste, Livie, ne semble pas avoir été hono- rée comme une véritable déesse du vivant même de son mari. Une seule dédicace lui donne le nom de Livia, qu'elle porta jusqu'à la mort d'Auguste^ et l'associe au fondateur de l'empire ; elle provient du territoire des Bituriges Cubi, en Aquitaine ; elle est ainsi rédigée : Caesari Augusto, Lwiae Av.gustae Afespafus Crixi fil. v. s. l. m. ^ Auguste mort, Livie prit le nom de Jidia Augusta. Dès lors, plusieurs cités des provinces latines instituèrent en son honneur un véritable culte : Olisipo en Lusitanie ", Baeterrae " et Yasio *

1. C. I. Lat., XIII, 1366.

2. Id., II, 194.

3. Id., XII, 4249.

4. Id., ibid., 1363.

LE CULTE DE LA DIVINITE IMPÉRIALE 65

en Narbonaise, Salonae * en Dalmatie. A Olisipo et Salo- nae, ce culte était célébré par des prêtres, qui portaient le titre de flamincs Jicliae Augustae ; à Baeterrae et àVasio, il l'était par des prêtresses, flaminicae JuUae Augustae. D'autres traces du même culte se reconnaissent peut-être dans une dédicace qui provient de la ville d'Anticaria en Bétique -. Livie mourut en 29 ap. J.-C. Tibère ne voulut pas demander au Sénat sa consécration. Ce fut plus tard seu- lement, sous le règne de Claude, en 41, que Livie fut solen- nellement déclarée diva. Elle fut dès lors diva Aicgusta. Sous ce titre, un culte lui fut rendue à Cirta ^ en Afrique; à Nertobriga * et Ipsca " en Bétique; à Vasio \ à Vienna ^ à Nemausus ^ en Narbonaise; à Narona " en Dalmatie. Ce culte, à la différence du culte de Julia Augusta^i était dans toutes ces villes célébré par des prêtresses ; le titre de ces prêtresses était soit ffaminica, à Cirta, Vasio, Nemausus, soit saccrdos à Nertobriga, Ipsca, Narona.

Après Livie, la seule impératrice qui semble avoir reçu de son vivant le titre de déesse dans les provinces latines, est Julia Domna, Tépouse de Septime Sévère; elle est appe- lée en effet 'loûX'-a Aôava Gsà sur plusieurs inscriptions de Nicopolis en Mésie, datées les unes de 198, les autres de 212 ap. J.-C. '". Julia Doinna ne mourut qu'en 217.

Plusieurs impératrices, élevées à Rome au rang des divae, reçurent en diverses cités les hommages des pro- vinciaux. En Bétique, parallèlement au culte commun des

1. Ann. Epigraph., 1002, n. 60.

2. C. I. Lat., II, 2038.

3. Ici, VIII, 6987, 19-102.

4. Aim. Epigraph., 1891, n. 9.

5. C. I. Lat., II, 1571.

6. Id., XII, 1361.

7. Le temple dit d'Auguste et de Livie était consacré divac Augustae en même temps que divo Augusto. Cf. AUmer et. de Terrebasse, Inscr. de Vienne, t. I, p. 11-25.

8. CI. Lat., XII, .3.302.

9. Id., III, 1796, 6361.

10. Inscr. graec. ad res roman, pcrtin., I, n. 575-578.

66 CHAPITRE III

divi, un culte commun des divae fut institué : il y avait des prêtresses de ce culte à Ocurri ', Astigi ^ etSaepo '\ Leur titre était sacerdos divarum Augustarum ; toutefois à Saepo, Pomponia M. f. Rosciana est nommée sacerdos per- pétua divorum divarum. Ce culte commun des divae ne s'est pas encore rencontré ailleurs qu'en Bétique. En outre, comme nous l'avons vu pour les c//r/, chaque diva pouvait recevoir un culte personnel : diva Drusilla fut invoquée, en même temps que Minerve, par un sevi?^ augustalis d'Ava- ricum '* . Diva Plotina, l'épouse de Trajan, eut des prê- tresses dans une petite cité voisine de Carthage, à Carpis '\ Deux dédicaces divae Faiistinae, dw[ae] Faus[tinae] Ait- gu[stae] ont été relevées à Tarraco ^ et à Salonae "; deux dédicaces divae Sahinae Augustae ont été retrouvées à Thamugadi * et à Saldae % en Maurétanie Césarienne. La cité de Gighthis, au sud de l'Afrique Proconsulaire, invoqua diva Marciana '". JuliaDomna, l'épouse de Septime Sévère, trouva des fidèles, après sa mort, dans la petite ville de Gillium, en Afrique *'.

Dans la famille impériale, d'autres membres que l'impé- ratrice furent l'objet d'un culte, soit de leur vivant, soit après leur mort.

Sous Auguste, la ville de Nemausus construisit un temple, demeuré célèbre sous le nom de Maison Carrée, en l'honneur des deux jeunes fils adoptifs de l'empereur, Caïus Caesar et Lucius Caesar. Dans une discussion savante et

1. C. I. Lai., II, 1338.

2. Id., ibid., 1471.

3. Id., ibid., 1341.

4. Id., XIII, 1194.

5. Id., VIII, 993.

6. Id., II, 4096.

7. Bullett. di Archaeol. e. Stor. Dalmat., XX (1897), p. 4., n. 2321.

8. C. I. Lat., YIII, 17847.

9. Id., ibid., 8929.

10. Id., ibid., 25.

11. Ann. Epigraph., 1899, n. 56.

LE CULTE DE LA DIVINITÉ IMPÉRIALE 67

serrée, M. Ed. Beaudouin a montré « qu'il faut voir dans la Maison Carrée un temple élevé à C. et L. César encore vivants » ' ; il le daterait volontiers de l'an 1 ou du com- mencement de l'an 2 ap. J.-C. C'est peut-être du culte des mêmes princes qu'étaient chargés, d'après M. C. Jiillian, les prêtres appelés flcnnines Juventutis et qui semblent avoir été particuliers à la colonie de Yienna -. On sait que Caïus et Lucius César portèrent le titre de ptHncipes Juven- tutis; il n'est pas impossible qu'il y ait en effet relation entre ce titre et le nom exceptionnel des ffmnines Jiicen- tutis de la cité gauloise.

Après la mort d'Auguste, on trouve organisé dans quelques cités d'Espagne et de Narbonaise un culte de Germanicus, neveu et fils adoptif de Tibère; des flamines Germ{anici) Caesaris sont mentionnés par les inscriptions à Olisipo ^ à Nemausus \ à Vienna ^ Une dédicace Ger- manico Caesari a été retrouvée à Anticaria, en Bétique ^ A Nemausus, au culte de Germanicus était associé celui de Drusus, le fils de Tibère ^; Sex. Julius Maximus fut dans cette ville fiamen Br[usi] et Germanicl Caes. Le nom de Drusus peut être aussi restitué avec vraisemblance sur trois textes mutilés, une inscription d'Anticaria en Bétique * et deux inscriptions de Nemausus '. Le culte, ainsi rendu à Germanicus et à Drusus Césars, leur fut-il rendu de leur vivant ou après leur mort? Nos documents ne nous per- mettent pas de répondre à cette question avec certitude . Comme pourtant Tacite rapporte, qu'après la mort de Ger-

1. Ed. Beaudouin, Le culle des Empereurs dans les cités de la Gaule Narbonaise, p. 69.

2. C. 1. Lat., XII, 1783, 1869, 1870, 1902, 2238, 2245.

3. Id.,U, 191.

4. Id., XII, 3180, 3207.

5. Id., ibid., 1872.

6. Id., II, 2039.

7. Id., XII, 3180. Cf. Ed. Beaudouin, Le culte des Empereurs, p. 60-64.

8. Id., II, 2040.

9. Jrf., XII, 3158, 3207.

l

08 CHAPITRE III

maniciis on lui clova beaucoup de statues et d'autels ', il est vraisemblable que le culte de ce prince fut organise seu- lement alors ■■; la même conclusion est fort probable en ce qui concerne le culte de Drusus.

Il faut descendre jusqu'à la lin du ii° siècle pour trouver trace, dans les provinces latines, d'un culte rendu de son vivant à un prince de la famille impériale . Sur une inscrip- tion d'Apulum, la divinité du César Géta est invoquée en même temps que celles des deux Augustes Septime Sévère et Caracalla '\

Quelques fils d'empereurs furent déclarés dirl. Tel le fils de Marc Aurèle, dont le nom se lit sur une dédicace de la petite ville de Lares, dans l'Afrique proconsulaire '*; tel encore P. Cornélius Licinius Yalerianus, flls de Gallien, qui fut honoré après sa mort, avec le titre de cUvus Caesar, par la ville africaine de Sitifis %

Outre ces textes qui désignent nommément le prince divinisé et qui ne laissent place à aucun doute, quelques inscriptions renferment le mot Caesar au singulier ou au pluriel ; par exemple, en Espagne, deux prêtres d'Antica- ria portent le titre de jiontifex Caesarum ^ ; dans le sanc- tuaire de Fiome et d'Auguste voisin de Lugdunum est plu- sieurs fois cité un autel de César ou des Césars, ar« Cac- s{aris) n{ostri), ara Caes{armn) n[ostrorum) ' ; dans le pays des Bituriges Cubi, en Aquitaine, une inscription malheu- reusement incomplète signale une Hara (sic) Caesar is ^; à Doclea, en Dalmatie, un personnage dont le nom a disparu s'intitule sac[e\y^d[os) at ar[a]m Caesar[ï\s ^ Bien que les mots

1. Tacit., Aimai., II, 83.

2. Ed. Beaudouin, Le culte des Empereurs , p. 59.

3. C. I. Lat., 111,1127.

4. 7(7., yil 1,1779; cf. 16321.

5. Id., ibid., 8473.

6. Id., II, 20.38, 20.39, 2040.

7. Id., XIII, 1684, 1702, 1112; Revue épigraph., 1902, t. IV, p. 278, n. 1514.

8. Id., XIII, 1362.

9. Année épigraph., 1897, n. U.

LE CULTE DE LA DIVINITÉ IMPÉRIALE 69

Caesar, Caesares, aient été employés souvent pour distin- guer de l'empereur ou des empereurs régnants auxquels était réservé le titre Augustus, Angu.sti les autres princes de la famille impériale, nous ne pensons pas que tel en fût le sens dans les exemples précités . Le titre de ponti- fex Caesarum porté à Anticaria par M. Cornélius Proculus et Cornélius Bassus doit être rapproché de titres analogues portés dans d'autres villes de la même province par des prêtres du culte officiel, tels que ijontifex domus Augustae à Urgavo *, pontifex xierpetuu.s domus Augustae, à Tucci -. Par le mot Caesares, il faut entendre dans ce cas particulier l'ensemble des membres divinisés de la famille impériale. VAra Caesaris ou Caesarum, nommée sur quelques ins- criptions relatives au culte provincial des trois Gaules, ne doit pas être distinguée de VAra Au.g. ^ de VAra Romae et Augustorum \ de V Ara inter confluentes Araris et Rho- dani % nommées sur d'autres inscriptions de la même série. Cette opinion nous parait confirmée par la rédaction même de l'un des textes se lit le mot Caesares ^ Le début de l'inscription a disparu; mais les dernières lignes se lisent sans aucun doute : [sa]cerdotL apud ar[aiii] Cae[sar]um [a\d templuni Rom[ae e]t Augustoru[m. Très] Provi?îc{iae) G[alliae]. Le pluriel Augustorimi prouve que le personnage en question a exercé son sacerdoce sous deux empereurs régnant ensemble ; or, tandis que dans d'autres documents on lit ara Caes[aris) n{ostrl), ici le pluriel Caesares est employé; il y a correspondance entre les deux mots Cae- sarum et Augustoymm ; Caesares désigne les empereurs régnants. Telle est aussi la conclusion qui nous paraît devoir être adoptée pour les textes analogues qui men-

1. CI. Lat., 11,2105.

2. Id., ibid., 1663.

3. Id., XIII, 1541.

4. Id., ibid., 1718.

5. Id., ibid., 2940.

6. Revue épigraph., 1902, t. IV, p. 278, n. 1514.

70 CHAPITRE III

tionnent une Ara Caesaris chez les Bituriges Cubi et à Doclea.

Comme chacun de ses principaux membres, la famille impériale, domus Augusta, passa bientôt pour être d'es- sence divine et fut très souvent appelée domus divina. La formule In honorem domus diuinae est très fréquente sur les inscriptions. En outre un véritable culte lui fut rendu dans quelques villes. A Volubilis, dans la Maurétanie Tin- gitane, s'était formée une association de Cultores do^nus Augustae '. A Tucci et à Abdera, deux cités de la Bétique, la domus Aug. avait des prêtresses, flaminica domus Au- gustae ", sacerdos perpétua domus Aug ^ Elle parait aussi avoir reçu un culte dans la petite ville voisine d'Ipsca \

Sauf quelques exceptions, les cultes de Julia Augusta, de dira Augusta et des autres dlvae, des princes de la famille impériale et de la domus Augusta n'ont laissé de traces qu'en Afrique, Espagne, Gaule et Dalmatie. Dans chacun de ces pays, ces traces se retrouvent de préfé- rence dans les régions ou les cités le plus romanisées : en Afrique, par exemple , à Cirta, Thamugadi, Saldae, autour de Carthage ; en Espagne, à Ohsipo, dans quelques cités de la Bétique, à Tarraco; dans la Gaule, à Nemausus, Vienna, Baeterrae , Yasio ; en Dalmatie , à Salonae et Narona.

Tous les documents que nous avons étudiés jusqu'ici attestent , croyons-nous , l'existence dans les provinces latines de l'empire de cultes qui s'adressaient direc- tement et nommément à la déesse Rome, à l'Auguste ou

1. G. I. Lat., VIII, 21825.

2. Id.,U, 1678.

3. Zrf., ibid., 1978.

4. Id., iijid., 1570.

LE CULTE DE LA DIVINITE IMPERIALE 71

aux Augustes vivants, aux divi, à certains membres de la famille impériale vivants ou morts, à la domus Augusta. A ces documents il nous semble naturel d'ajouter ici un cer- tain nombre de textes relatifs à d'autres divinités ; ces divi- nités étaient sans doute distinctes de la déesse Rome et des divinités impériales proprement dites, mais elles leur furent souvent associées; souvent aussi elles furent invoquées comme protectrices des empereurs.

En Italie, dit Preller, chaque dieu avait son génie ; l'Au- guste vivant eut le sien. Ce culte du génie de l'empereur passa dans les provinces latines. L'empereur, dont on invo- quait le génie, était parfois désigné par son nom personnel : Genio Aiigusti Divi f.^k Murcia en Espagne; ./. 0. M. et Genio Ti. Augusti sacrum, chez les Petrucorii, en Aqui- taine ■-; Genio Imp. Caes. Antonini Hadriani Aicg., à Au- buzza dans l'Afrique proconsulaire ^ ou Genio Imp. Caes. T. Ael. Hadr. Antonini, à Aquincum *; Genio Imp. M. A n- reli Antonini Aug., à Volubilis dans la Maurétanie Tingi- tane " ; Genio Imp. Gordiani PiiFelicis Aug., à Apulum *; Genio iiuperil D{ominorum) n[ostrorum) Imp. Caes. M. Jidll Phillppi PU Felicis Aug . . . . et M. [Ju]t. Phitippl [no- bilissimi] Caes{aris)....., à Abbir Cella. dans l'Afrique pro- consulaire'; Genio Imp). P. Lie. Gallieni Invicti Aug. ^ à Aquincum. La formule pouvait être moins précise : Genio Aug., à Ucubi, dans l'Afrique Proconsulaire '; Genio Augg. nn., àVirunum, dans le Norique ^"; Genio B[o7nini) n{ostri), à Bremenium en Bretagne ". Au Genius de l'empereur cor-

1. C. I. Lat., II, 3524.

2. Id., XIII, 911.

3. Id., VIII, 16368.

4. Id., III, 3487.

5. Id., VIII, 21826.

6. Id., III, 1017, 1159.

7. Id., VIII, 814= 12344; cf. VII, 315 (Plumptonwall, en Bretagne).

8. Id., III, 3424.

9. Id., VIII, 15661.

10. Id., III, 11541.

11. Id., VII, 1030.

72 CHAPITRE III

respond la Ju.no de l'impératrice. La Juno Liriae fut invo- quée dès l'an 3 après J.-C. en Afrique ' ; une inscription trouvée sur le territoire des Nitiobriges, en Aquitaine, men- tionne l'érection en l'honneur des Junones Augustcdes d'un porticus et d'une ynacer la -. ACirta, un certain Telesphorus, sans doute esclave ou affranchi, dédia un petit autel [arula) BM Genius domus Au.g . ^

Ce rôle protecteur, attribution essentielle des Gcn'd dans la religion romaine, fut dévolu à d'autres dieux, qui reçu- rent les surnoms significatifs de conservcdor ou protector de tel ou tel empereur : à Jupiter Optimus Maxiraus % Mars ', Hercule ^ Neptune '. Des prières ou des actions de grâces furent adressées à la Fortune de tel ou tel empereur, spé- cialement à la Fortuna Redux ^ Fréquemment on ajouta au nom de la déesse Victoria soit des épithètes telles que ParlJdca \ Arnieniaca *°, Medica '', Brittanica '-, Germa- nica '% soit le nom de l'empereur ou des empereurs ré- gnants '*. On invoqua de même la Concordia Au-

1. CI. Lot.. VIII. 1G456.

2. Id., XIII, 914.

3. Id., VIII, 6945.

4. J(7., ibid., 2618, 2619, 2620 (Lambaesis); 1628 (Sicca Veneria): 2.347 (Thamugadi); 4196 (Verecunda); 4511 (Zaraï), etc.; Ephem. Epigr., IV, n. 691 (près d'Edimbourg).

5. C. I. Lut., VIII, 2345, 12425, 17835, 19124 (Thamugadi, Sigus).

6. Id., VIII, 2.346 (Thamugadi).

7. Avn. Epigraph., 1901, n. 11 (Kostolac. en Serbie).

8. C. I. Lat., VIII, 15846 (Sicca Veneria); 6-303 (Phua, près de Cirta); 4436 (Lamasba, en Numidie); XIII, 1672, 1673 (Lugdunum): Ann. Epigr., 1901. n. 191 (Thamugadi).

9. C. I. Lat., VIII, 11135 (Monastir, en Tunisie); 965 (Siagu, id.); 4583 (Diana) ; 20149 (Cuicul).

10. C. I. Lat., VIII, 965 (Siagu;.

11. Id., ibid.

12. Id., ibid., 11Ù18 (Gighthis).

13. /«/., ibid.. 4202 (Verecunda).

14. C. I. Lat., VIII, 11318 (Sufetula); 15258, 15259 (Thubursicum Bure); 15516 (Thugga); 4765 (Macomades, Numidie); 8455 (Sitifis) ; 4201 (Vere- cunda); 4582 (Diana); Ann. Epigraph., 1901, n. 75 (H"" Pv,' mada, en Numi- die); etc. C. I. Lat., III, 4364 (Arrabona, en Pannonie); Ann. Epigraph.,

LE CULTE DE LA DIVINITÉ IMPERIALE 73

gusti S la ConcorcUaAugustorum -, la Salus Atigustorum ^ la Vlrtus d'un empereur '\

Le même sentiment inspira les hommages adressés dans les provinces latines aux Lares Augustes. On sait que le culte des Lares, spécialement celui des Lare& compitales, fut restauré et réorganisé par Auguste en 8 avant J.-C. ; il fut alors étroitement associé au culte du génie de l'empe- reur. Plusieurs inscriptions d'Afrique, d'Espagne et de Gaule nous apprennent que le culte des Lares garda ce carac- tère hors de Rome et de l'Italie. A Tipasa, en Numidie, et à Poetovio en Pannonie, existaient des associations vouées au culte commun des Lares et des images de l'empereur '\ A Italica, enBétique, C. Marcius Apilus fut magister Larum Auguslorum et Genil Caesaris Augustl ®; à Tarraco, plusieurs 7nagistri Laruyn étaient en même iem])s, Augus- tales ''; à Carthagène (Carthago Nova), les Lares reçurent l'épithète Angiistales ^ Dans la Narbonaise, le culte des Lm^es Augiisti a laissé des traces à Nemausus " et à Narbo '". Deux inscriptions, trouvées à Melun, associent Mercure txux Lares Aitgusti et a,\ix Lares Tib. Claudi ^'.

Dans le même ordre d'idées, nous signalerons, pour être complet, deux dédicaces au Genius Senaiiis de provenance

1892, n. 89 (Colchestcr, en Bretagne); G. I. Lrt<., VII, .39G, 51.3; III, 1072, 5914.

1. C. I. Lat, II, 4fi5 (Emerita).

2. Id., VIII, 8300 (Cuicul); 17829 (Thamugadi).

3. Id., ibicl., 12247 (Tepelte, dans l'Afrique proconsulaire).

4. Id., ibid., 1626 (Sicca Voneria) ; Korrespondenzblatt der Westdeiit- schen Zeitschrift, 1894, n. 117, p. 187 (Friedberg, sur le Limes Germanicus).

5. C. I. Lat., VIII, 17113 : Cives romani cultorcs Larum et Imayiniim Aug. (Tipasa); III, 4038 : CoUe{<jium) Magnum Larum et Imaginum Domini N{ostri) Caes. (Poetovio).

6. G. I. Lat., II, 113.3.

7. Id., ibid., 4293, 4297, 4.304, 4307.

8. Id., ibid., 5929.

9. Id., XII,.3074-.3077.

10. Id., ibid., 4319,4320.

11. Id., XIII, 3013, 3014.

74 CHAPITRE m

africaine *; une dédicace au G{enius) P{opidi) R{omanï) trouvée près de Graetz, probablement sur le territoire de l'antique cité de Solva en Norique ; une dédicace à la Vir- tus Romana, à Apulum '.

Comme nous l'avons indiqué au début de ce paragraphe, ce ne sont pas des cultes qui s'adressent directement aux divinités impériales ; mais ils témoignent, sous une forme moins olRcielle, de la dévotion à ces divinités. Invoquer la Victoria Armeniaca Parthica Medica deMarc-Aurèle et de Lucius Verus, c'était honorer moins la déesse Victoria que les deux empereurs victorieux; élever un monument en l'honneur de la Fortuna Rediix de Sévère Alexandre et de Juha Mammaea, c'était adresser son hommage moins à la déesse Fortuna qu'à l'empereur et à sa mère.

6

Le culte de la puissance romaine, sous les diverses formes qu'il revêtit, fut général dans les provinces latines. Si la déesse Rome y eut moins d'adorateurs qu'elle n'en avait eus en Grèce et en Asie pendant les deux derniers siècles de la République, la divinité impériale du moins y reçut des hommages innombrables. Outre l'Auguste lui- même, vivant ou mort, on honora d'un véritable culte ses proches, sa maison, ses qualités, ses exploits. La piété des fidèles s'adressa toujours de préférence à l'Auguste vivant, à celui qui personnifiait l'État romain, qui en était le maître réel. Cette piété n'était qu'un mode religieux de loyahsme politique.

La variété de formes, qui caractérise cette religion, est des plus significatives. Les cultes, dont elle se compose,

1. C. 1. Lat., YIII, 11017 (Gightis); 15847 (Sicca Veneria).

2. Jd., III, 3650.

3. 7(7., ibid., 1159.

LE CULTE DE LA DIVINITÉ IMPÉRIALE 75

peuvent varier dans une même province de cité à cité. Il est des régions Ton rencontre côte à côte le culte de Rome, le culte de l'Auguste vivant, le culte de tel ou tel divus : c'est le cas. par exemple, à Thubursicum Bure dans l'Afrique proconsulaire; à Tarraco, en Espagne; dans la Narbonaise; en Pannonie. La répartition géographique des inscriptions, qui nous font connaître les diverses formes du culte rendu à la puissance romaine, n'est point le fait du hasard. Il est bien certain que le culte des divi a été surtout populaire dans les provinces africaines et espa- gnoles, et qu'il s'est beaucoup moins répandu en Bretagne, dans les deux Germanies, en Norique, en Rétie, le long du Danube. Il est également certain que le culte de Rome a été associé à celui de l'empereur en Tarraconaise et dans les trois Gaules, mais non point en Pannonie, en Dacie, en Mésie, en Bretagne. Dans les trois Gaules et en Bretagne, on aima beaucoup s'adresser au numen impérial ; cette forme de culte fut plutôt rare, au contraire, en Afrique et en Espagne.

Une telle variété dans l'aspect au moins extérieur de cette rehgion, en atteste déjà, par elle-même, le caractère spontané. Si le culte de la puissance romaine, en particulier de la divinité impériale, avait été imposé aux provinces, il est vraisemblable qu'il aurait été partout identique. Organisé à Rome même, il présenterait la même unifor- mité que l'administration provinciale, dans laquelle pro- vinces sénatoriales et provinces impériales se ressem- blaient d'un bout de l'empire à l'autre, ou que l'organisation militaire, dans laquelle légions ou corps auxihaires étaient recrutés, composés, commandés de la même façon sur les différentes frontières du monde romain. Aussi bien cette spontanéité du culte rendu dans les provinces à la puissance romaine est encore démontrée par quelques faits de détail. Nous savons que le culte d'Auguste vivant fut institué de leur propre mouvement par les habitants de Tarraco et par la plehs de Narbo *; il en fut de même, nous

76 CHAPITRE III

croyons l'avoir établi, pour le culte commun que les cités des Trois Gaules rendirent à Rome et à Auguste dans le sanctuaire voisin de Lyon -; après la mort d'Auguste, ce furent les Espagnols qui demandèrent à Tibère l'autorisa- tion d'élever à Tarraco un temple à d'ivus Augustus au nom de toute la province ^ L'empressement avec lequel le culte de la puissance romaine fut célébré partout, et la variété des formes qu'il prit nous permettent de croire que partout ce culte fut institué spontanément. Nous avons vu d'ailleurs que la présence dans telle ou telle province ou cité de l'une ou l'autre de ces formes paraît s'expliquer par des raisons régionales ou locales ; c'est dans la province ou la cité, et non à Rome, qu'il faut cliercher l'origine de tels cultes.

Cette initiative des provinciaux n'a rien qui doive nous étonner. Les Grecs d'Europe et d'Asie n'avaient point reçu les ordres ni l'inspiration de Rome, lorsqu'ils commen- cèrent à adorer la ©sa 'P(ôp.-ri, puis le Sénat et les procon- suls ou les généraux romains. On ne peut accuser ni César ni Octave d'avoir exigé des Romains l'organisation du culte qui leur fut rendu. Sur les rives de la mer Egée comme au pied du Capitole, ce fut l'excès de flatterie et l'abaissement de l'esprit public qui transformèrent en adoration religieuse l'obéissance, l'admiration et la gratitude. Les habitants des provinces latines, en dédiant des autels, en élevant des temples, en offrant des sacrifices à la divinité impériale, ne firent que suivre les exemples qui leur étaient donnés depuis près de deux siècles par la Grèce, depuis plusieurs années par les Romains eux-mêmes.

1. V. plus haut, p. 30-31.

2. J. Toutain, L'institution du culte impérial dans les Trois Gaules (Mémoires publiés à l'occasion du centenaire de la Société des Antiquaires, p. 455 et suiv.)

3. Tacite, Ann., I, 78.

CHAPITRE IV

L'ORGANISATION DES CULTES DE ROME ET DE L'EMPEREUR

1. Les provinces. 2. Quelques groupes de cités. 3. Les villes. 4. Les associations, corporations, collectivités diverses; les Augustales . 5. Les individus.

Les cultes de Rome et de la divinité impériale, en se répandant dans les provinces latines du monde romain, s'adaptèrent aux cadres administratifs et aux catégories sociales qui s'y trouvaient institués. Provinces, villes grou- pées ou isolées, corporations professionnelles, corps mili- taires, associations de petites gens et d'affranchis, indi- vidus témoignèrent plus ou moins somptueusement leur dévotion à la puissance romaine divinisée.

1

Après les savants travaux de MM. P. Guiraud et l'abbé Beurlier, il ne nous paraît pas utile d'exposer en détail l'or- ganisation du culte provincial. Nous nous contenterons de résumer sur ce point les résultats acquis. En règle géné- rale, chaque province possédait un sanctuaire consacré à ce culte. Ce sanctuaire était situé dans la capitale de la pro-

78 CHAPITRE IV

vince, à Carthage pour l'Afrique proconsulaire, à Caesarea pour la Maurëtanie Césarienne, à Tarraco pour l'Espagne citérieure ou Tarraconaise, à Narbo pour la Narbonaise, à Aquincum pour la Pannonie inférieure. La surveillance et l'entretien du sanctuaire, la célébration du culte et des fêtes qui l'accompagnaient, la gestion du budget nécessaire incombaient à une assemblée composée de délégués des villes de la province ; cette assemblée élisait son président, qui était en même temps le prêtre du culte provincial.

Par exception, les trois Gaules, la Lugdunaise, l'Aqui- taine, la Belgique, possédaient un sanctuaire commun et une assemblée provinciale commune; ce sanctuaire fut construit sur un territoire fédéral, au confluent de la Saône et du Rhône, près de Lugdunum.

Pendant les trois premiers siècles de l'empire, certaines provinces, d'abord uniques, furent divisées. La Numidie fut détachée au siècle de l'Afrique proconsulaire; la Pan- nonie forma les deux provinces de Pannonie supérieure et Pannonie inférieure; la Dacie fut subdivisée en trois cir- conscriptions. En pareil cas, aucune règle fixe ne déter- mina quelle serait l'organisation du culte provincial. D'une part, en effet, il y eut en Numidie un prêtre provincial dis- tinct du prêtre provincial de la Proconsulaire, et chacune des deux Pannonies eut son assemblée, son culte, son prêtre spécial. D'autre part, les trois Dacies restèrent groupées pour la célébration du culte officiel, comme les trois Gaules l'avaient été dès le début de l'empire.

L'existence du culte provincial est attestée pour les diverses provinces latines de l'empire par des documents plus ou moins nombreux et variés. Les uns mentionnent nommément l'assemblée provinciale {concilium)\ d'autres nous font connaître une décision prise par la province, ce qui ne peut s'entendre que d'une résolution de l'assemblée provinciale. De nombreuses inscriptions portent les noms de prêtres provinciaux. Quelques textes littéraires ont révélé certains détails du culte provincial, processions,

l'organisation des cultes de ROME 79

fêtes, jeux, etc. Une revue rapide de ces divers documents précisera plusieurs points de l'histoire du culte provincial. L'assemblée provinciale de l'Afrique proconsulaire, con- cilium j:)rovinciae Africae, est nommée sur une inscription de Thamugadi '. Deux autres inscriptions mentionnent, l'une un decretum Afrorum ^; l'autre un d[ecretum) P{ro- vinciaé) A{f7ncae) \ Apulée nous apprend que le culte pro- vincial se célébrait à Carthage '*. 11 s'enorgueillit d'en avoir été le prêtre; Saint Augustin, son compatriote, confirme le fait et ajoute qu'à ce titre il offrit des jeux, en particulier une venatio \ Des réjouissances populaires s'ajoutaient aux cérémonies religieuses et aux jeux officiels ^ Les noms de plusieurs prêtres provinciaux de l'Afrique proconsulaire ont été conservés par des inscriptions \ Deux de ces textes ont soulevé un problème intéressant, dont la solution com- munément admise nous paraît peu vraisemblable. C. Oti- dius P. f. Quir. Jovinus, de Simitthu, fut sace?^dos pro- vinc{iae) Afric[ae) anni XXXVIIII * ; P. Mummius L. f. Papir. Saturninus fut sac{e7^dos) p{?^ovmciae) A[fricae) a{nni) CXIII ^ Quelle est l'ère indiquée par ces deux textes? D'après M. R. Gagnât, le nom de P. Mummius Satur- ninus se lit sur une autre inscription, fort mutilée, qu'il est possible d'attribuer à l'une des trois années 183, 184 ou 185. Dans les deux textes figure ce nom de P. Mummius Saturninus, il est également question d'un temple de Mer- cure; c'est donc du même personnage qu'il s'agit ici et là, et les deux textes doivent être à peu près contemporains. Il en résulte que l'année 113 indiquée pour le sacerdoce pro-

1. CI. Lat.,\Ul, 17899.

2. Id., ibid., 14364.

3. Id., ibid., 11017.

4. ApuL, Florid., XYI.

5. Apul., loc. cit.; Augustin., E'p. CXXXVIII.

6. Tertull., Apolog., 35 ; Audollent, Carthage romaine, \). 416.

7. C. I. Lat., VIII, 2343; 4252; 11546, 12039, 14611; 14731; 16472.

8. Id., ibid., 14611.

9. Id., ibid., 12039.

80 CHAPITRE IV

vincial de P. Mummius Saturninus correspond approximati- vement aux années 183-185, et que Tère initiale équivaut aux années 70-73 de l'ère chrétienne. Tous les savants qui se sont occupés de cette question paraissent croire que rère ainsi déterminée s'applique spécialement au culte pro- vincial, et par conséquent que ce culte fut institué seule- ment alors ou du moins réorganisé *. Ce serait là, dans les provinces latines, le seul exemple aujourd'hui connu d'une ère de cette espèce. 11 est bien plus vraisemblable que l'ère en question est une ère provinciale, analogue à l'ère de Maurétanie. L'année 70 marque précisément une date assez importante dans l'histoire politique et administrative de l'Afrique. En 68, 69, 70, sous Clodius Macer et L. Cal- purnius Piso, l'Afrique avait été assez violemment troublée. Vespasien put croire qu'elle était sur le point de lui échap- per, et Rome craignit de ne point voir arriver les convois de blé qui lui étaient nécessaires. Lorsque la tranquillité y fut rétablie dans le courant de l'année 70, l'Afrique fut con- sidérée comme recouvrée - : d'où l'ère nouvelle, révélée par les deux inscriptions de P. Mummius Saturninus. Mais il ne s'ensuit pas du tout, à notre avis, que le culte provincial n'ait été institué qu'à cette date, ni même qu'il ait été alors réorganisé.

En Numidie, l'existence du culte provincial est attestée, pour le iv^ siècle, par plusieurs inscriptions ^ De la période antérieure, nous possédons un texte qui a donné lieu à maintes discussions. C'est l'épitaphe d'une jeune fille de Rusicade, ainsi rédigée :

Dis Manib[us) Caeciliae Nigellinae Caecili Galli fia- min[is) provinciae filiae \

1. R. Gagnât, youv. Explor. en Tunisie, p. 17; Hirschfeld, Zi(7- Geschichte des roemisch. Kaisercult., p. 841: Fallu de Lessert, Kouv. ohserv. sur les Assemblées provinc, p. 9-11, 51-52: AudoUent, Carthage romaine, p. 414.

2. R. Gagnât, L'armée romaine d'Afrique, p. 30 et suiv. ; AudoUent, Carthage romaine, p. 51-53.

3. G.I. Lat., VIII, 2403, 7014, 7034, 8348; cf. An7i. Épigraph., 1902, n. 166.

4. Id., ibid., 7987.

l'organisation des cultes de ROME 81

Le père de Caecilia Nigellina, C. Caecilius Gallus, est connu par un autre texte de Rusicade, qui renferme son cursus honorum '. Ce texte est antérieur à l'épitaphe de Caecilia Nigellina, puisque la jeune fllle y est nommée parmi les enfants vivants de C. Caecilius Gallus. Sur ce texte, C. Caecilius Gallus n'est point dit flamen jwovin- ciae; mais il y porte le titre de flamen diui JuU; d'autre part, on lit à la seconde ligne... aed[iUs), hab[ens) juy\is) dic[Uonem) q[uaestoris) 2^^''o praetiprë), etc. A quelle époque vivait C. Caecilius Gallus? D'après Mommsen ^ la mention du sacerdoce de divus JuUus nous obligerait à dater ce texte du premier siècle de l'ère chrétienne, parce que le culte de ce divus se serait fondu assez vite dans le culte commun des diri. Cette dernière atïirmation est une simple hypothèse. Des documents formels nous apprennent que précisément en Afrique, le culte de chaque divus dura fort longtemps : il y avait un flamen de divus Augustus à Carthage sous Marc-Aurèle ^ et à Thugga sous Commode ^; il y avait un flamen de divus Vespasianus à Carthage sous Antonin le Pieux ^ ; sous Sévère Alexandre, un même per- sonnage semble avoir été, dans le Pagus Thunigabensis, flamen de divus Trajanus et flamen de divus Magnus Antoninus (Caracalla), d'où il suit qu'un culte de divus Trajanus était encore organisé après l'année 222 dans une petite communauté africaine ®. En présence de tels faits, pourquoi ne pas admettre qu'un culte ait pu être rendu à divus JuUus pendant le iii^ siècle dans la cité de Rusicade? M. Fallu de Lessert a fort justement fait observer qu'un tel culte, dans une des villes de la confédération des

1. c. I. Lat., VIII, 7986.

2. Hermès. I, 60; cf. Hirschfeld, Zur Gcschichte des rœmisch. Kaiser- cuit., p. 841.

3. C. I. Lat., YIII, 1494.

4. Ann. épigraph., 1904, n. 79.

5. Carton et Denis, Dougga, p. 21.

6. G. I. Lat., VIII, 14447.

82 CHAPITRE IV

Qicattuor coloniae Cwtenses, devait être des plus naturels, « quand on songe aux origines de cette confédération et à sa fondation par Sittius *. » Nous ne croyons pas que la mention du sacerdoce de dinis Julius nous oblige à dater du premier siècle de l'empire Tinscription qui contient le cursus honorwn de C. Caecilius Gallus.

Mais ce cursus honorwn renferme une autre indication également embarrassante. Si par les mots : fîcwien2Jrovi)i- ciae, qui se lisent dans l'épitaphe de Caecilia Nigellina, il faut entendre que Caecilius Gallus était, au moment sa fille motu'ut, prêtre provincial de Numidie, nous devons en conclure que la Numidie était alors complètement détachée de l'Afrique Proconsulaire. Pourtant ce même personnage est dit avoir eu jurisdictionem q[uaestoris) j^jro praetore : or, il n'y avait de questeurs pro praetore que dans les pro- vinces sénatoriales, et la Numidie fut dès sa constitution une province impériale, puisqu'elle eut toujours à sa tête un légat de l'empereur. M. Pallu de Lessert nous paraît avoir trouvé la solution de cette difficulté, en supposant que la Numidie fut érigée en province distincte dans l'inter- valle de temps qui sépare l'inscription de C. Caecilius Gal- lus de l'épitaphe de sa fille "^ Cette hypothèse est d'autant plus vraisemblable que l'exercice par C. Caecilius Gallus de la juridiction questorienne se place au début de la carrière du personnage, immédiatement après son édilité ; qu'entre le moment il exerça cette juridiction et l'époque il fut flanien proi-'niciae, il fut ^\JiCCQs^\\e,m.e\\i praefectus pro triumviris Quattuor coloniarum., praefectus fabrum con- sularis deux fois, praefectus fabrum praetoriiis deux fois, quinquennalis et praefectus juri dicundo à Rusicade. A cette série de fonctions un certain nombre d'années fut nécessaire, et la Numidie peut fort bien être devenue ime province séparée précisément pendant ce laps de temps.

1. Fallu de Lessert, Nouvelles ohsettations..., p. 29.

2. Pallu de Lessert, Les Assemblées provinciales . .., p. 64.

l'organisation des cultes de ROME 83

Reste une dernière objection. C. Caecilius Gallus est appelé flamen provinciae, tandis que les prêtres provin- ciaux de la Numidie au iv' siècle sont appelés sacerdotales. N'y a-t-il pas une contradiction"? Non, si l'on tient compte de la différence des époques. Au iv^ siècle, tous les anciens prêtres provinciaux sont appelés, sans distinction de pro- vince, sacerdotales; dans le Code Théodosien, le terme employé couramment pour désigner le sacerdoce provincial est sacerdotium, non flamonium. Les mots sacerdotales^ sacerdothan^ sacerdotes sont appliqués aussi bien à la Narbonaise, aux Maurétanies, les prêtres provinciaux portaient sous le haut Empire le titre de flamen, qu'à la Proconsulaire ou aux Trois Gaules, ils se nommaient sacerdotes.

Rien ne s'oppose donc, d'après nous, à ce que C. Caeci- lius Gallus soit considéré comme un prêtre provincial de la Numidie ; il fut, suivant toute apparence, l'un des premiers en date. Nous ne savons point se réunissait le conciliiim de la province ; il est possible que ce fût à Cirta.

Les documents sont plus abondants et plus explicites pour la Maurétanie Césarienne. Le concilium provinciae Mauretaniae Caesariensis est mentionné par une inscrip- tion découverte récemment à Caesarea *, et par les Actes du martyre de Saint Fabius le vexilUfer de Caesarea ^ Ces Actes nous apprennent en outre que le culte provincial se célébrait à Caesarea, la veille des kalendes d'août.

Des prêtres provinciaux de la Maurétanie Césarienne, un seul jusqu'à présent est connu, c'est Sex. Valerius L. filius Qtiiriiiia tribu) Mt(ni[cepsl] de Caesarea \

L'existence du culte provincial dans la Maurétanie Tin- gitane est attestée uniquement par Tépitaphe mutilée d'une

1. Ann. épigraph., 1902, n. 15, 1. 5-6 : decrelo concili prov[inciae\ Mau- retaniae Caesar[iensis] .

2. Analecta Bollandianu, t. IX (1890), p. 127 : ...et totius provinciae tmi- versale concilium. Cf. Fallu de Lessert, Nouvelles observations.., p. 6-7.

3. C. I. Lat., VIII, 9409.

84 CHAPITRE TV

fiaminica de la province ...a Ocratina Ocrati f. flaminica provinciae Tingit[anae] '.

La péninsule ibérique avait été divisée en trois pro- vinces : à l'ouest la Lusitanie, au sud la Bétique, au nord et à l'est, la Tarraconaise ou Espagne citérieure. Le culte pro- vincial a laissé dans chacune de ces provinces des traces certaines et nombreuses.

En Lusitanie, une statue fut érigée en l'an 77 après J.-C. à Titus, du vivant de son père Vespasien, par la Pronincia Lusitania; sur la dédicace se lisent les noms du légat pro- vincial, C. Arruntius Catellius Celer, et du prêtre L. Junius Latro -. L'inscription, qui donne ces détails, a été trou- vée à Emerita ; il est vraisemblable que cette ville était le siège de l'assemblée provinciale. Outre L. Junius Latro, plusieurs autres prêtres provinciaux et quelques prêtresses provinciales sont connus par des inscriptions •\

Le concilium de la Bétique est nommément désigné sur deux inscriptions '*\ c'est encore de lui qu'il s'agit sur un troisième texte, figure le mot concilium et se lit la formule : provinciae Baeticae consensii flaminis mim.us est consecutiis '. Les documents épigraphiques nous font connaître, pour cette province comme pour la Lusitanie, quelques prêtres et prêtresses ^ L'assemblée se réunis- sait et le culte se célébrait, suivant toute apparence, à Cor- duba.

Pour la Tarraconaise, les documents sont beaucoup plus nombreux. Le concilium est mentionné trois fois '' . Mais surtout l'on connaît aujourd'hui près de 80 prêtres provin- ciaux, grâce à la découverte de l'emplacement s'éle-

1. CI. ia<., VIII, 21842.

2. Id., II, 5264.

3. M., ibid., 32, 35, 122 = 5189, 114, 160, 195, 396, 473, 895, 5184.

4. Id., ibid., 1475, 2221.

5. M., ibid., 2344.

6. Id., ibid., 983, 1475, 1614, 2220, 2221, 2224, 2344, 3395, 5523.

7. Id., ibid., 4230, 4246, 4248; cf. 4233.

l'organisation des cultes de ROME 85

vaient à Tarraco les statues de ces prêtres *. Les noms de plusieurs prêtresses provinciales sont aussi parvenus jus- qu'à nous ^. Tarraco se trouve, par tous ces documents, formellement désignée comme le siège de l'assemblée et du culte.

En Narbonaise, un document unique, malheureusement incomplet, nous fournit des renseignements précieux sur l'institution et l'organisation du culte provincial. C'est la fameuse plaque de bronze trouvée à Narbonne même ^ Le concilium provi?tciae, concïlium provinciae Narbonensis y est mentionné à plusieurs reprises *. La ville de Narbo y est indiquée comme le siège du culte et de l'assemblée ^ Les honneurs et privilèges du prêtre provincial, pendant et après son sacerdoce, y sont énumérés, ainsi que les hon- neurs accordés à sa femme. Outre ce texte, une inscription, qui provient des environs de Toulon et qui, elle aussi, est mutilée, semble faire allusion à l'assemblée provinciale ^ Plusieurs prêtres provinciaux de la Narbonaise sont d'autre part connus ^ ainsi qu'une prêtresse *.

En ce qui concerne les provinces alpestres, l'existence du culte provincial est attestée pour les^Zpes Maritimae et pour la Provincia Cottiana par la mention épigraphique de prêtres de ces deux provinces ^

Le culte provincial commun aux trois Gaules est peut- être, de tous les cultes analogues, celui sur lequel nous pos- sédons aujourd'hui le plus de données. Il se célébrait dans

1. C. I. Lat., 11,4188-4260; 6092-6101; Arm. Epigraph., 1897,>. 100. Cf. C. I. Lat., II, 2638, a329, 3585, 3711, 6150.

2. C. I. Lat., II, 2427, 3329, 4198, 4233, 4236, 4241, 4242, 4246, 4252.

3. Id.,XU, 6038.

4. Lig. 14,22, 23, 24.

5. Lig. 19, 22-24.

6. C. I. Lat., XII, 392; cf. 4323.

7. là., VI, 29688; XII, 3183, 3184, 3212, 3213, 3275, 4323; C. I. Attic, III, 623, 624.

8. Id., XII, 2516.

9. Alpes Maritimae : C. I. Lat., V, 7907, 7917; XII, 81. —Provincia Cot- tiana, Id., V, 7259.

86 CHAPITRE IV

un sanctuaire fédéral situé près de Lugdunum, à l'extré- mité de la presqu'île que forment à leur confluent le Rhône et la Saône. 11 fut inauguré le 1" août de l'an 10 avant J.-C. *. Des renseignements circonstanciés sur l'assemblée provinciale, sa composition, son rôle nous sont fournis surtout par la célèbre inscription de Vieux, connue sous le nom de Marbre de Thorigny ^ Nous connaissons une tren- taine de prêtres provinciaux \ Nous savons qu'une admi- nistration spéciale s'occupait de tout ce qui concernait le budget du culte et des fêtes; à la tête de cette administra- tion se trouvaient trois fonctionnaires importants, Vinquisi- tor Galliarum \ le judex arcae GalUarum ^ ïallectus ou allector arcae Galliarum ^ Parmi les jeux qui accompa- gnaient la célébration du culte, il y avait des concours d'éloquence grecque et latine, institués par Caligula '.

Si pour les provinces africaines, espagnoles et gauloises, les documents relatifs au culte provincial sont en général abondants et explicites, il n'en est pas de même pour les autres provinces latines .

Tacite et Sénèque signalent l'existence dans la province de Bretagne d'un temple et d'un culte de divus Claudius ^ Mommsen pense que cette double indication constitue une preuve suffisante de l'existence du culte provincial en Bre- tagne. A nos yeux cette preuve reste douteuse et fragile. La phrase de Sénèque est très vague : iiarum est, dit-il, quod ienrplwn in Britannia habet, quod hune barbari colunt et ut deum orant. Le texte de Tacite est plus précis;

1. J. Toutain, L'institution du cuUe impérial dans les trois Gaules (Mé- moires publiés à l'occasion du centenaire de la Société des Antiquaires, p. 455 et suiv.)

2. C. I. Lat., XIII, 316-2; cf. 128.

3. Surtout d'après C. I. Lat., XIII, 1684 et suiv.

4. G.I. Lat.,XlU, 1690, 1695, 1703.

5. Id., ibid., 1686, 1707, 1708.

6. Id., ibid., 1688, 1709.

7.Sueton., Calig., 20; cf. Juvenal, Sat., I, 44.

8. Senec, Ludus de morte Claudii, VIII; Tacit., Annal., XI"V, 31.

l'organisation des cultes de ROME 87

mais il semble se rapporter beaucoup moins à la province tout entière qu'à la colonie de Camalodunum. Après avoir rappelé que les vétérans envoyés comme colons à Camalo- dunum avaient commis sur les habitants du pays des vexa- tions sans nombre, l'historien ajoute : ... templum divo Claudio constitutum quasi arx aeternae do^ninationis aspi- ciebatur, delectiqiie sacerdotes specie religionis omnes fortunas effiindebant. Le passage entier paraît se rappor- ter seulement à la colonie de Camalodunum. Il faut d'ail- leurs ajouter qu'aucune trace d'assemblée provinciale ni de prêtre provincial n'a été encore retrouvée dans cette province.

Nous sommes un peu mieux renseignés pour la province de Germanie inférieure. Nous savons qu'en l'an 9 après J.-C. existaient chez les Ubiens un culte et un autel, dont le ca- ractère officiel et loyaliste sont incontestables, puisque le prêtre de cet autel et de ce culte, Ségimundus, fils de Ségeste, prince des Chérusques, fait acte de rébellion en déposant les insignes de son sacerdoce '. Après le désastre de Varus et les expéditions de Germanicus au-delà du Rhin, les projets d'Auguste sur la Germanie proprement dite furent abandonnés, et la frontière de l'empire fut rame- née dans cette région au cours du fleuve. Le nom de la Ger- manie ne fut pourtant pas rayé de la liste des provinces, et on laissa le nom de Germanie inférieure à une bande de territoire plus ou moins large située à l'ouest du Rhin. Le culte provincial, qui se célébrait dans la civitas Ubioïnim, survécut-il? Marquardt répond à cette question par la néga- tive -. P. Guiraud pense que VAra Ubiorum subsista comme centre du culte officiel pour la Germanie inférieure et peut-être aussi pour la Germanie supérieure ^ Momm- sen croit aussi que cet autel fut maintenu, « comme un

1. Tacit., Annal., I, 57; cf. ibid., ô9.

2. Ephem. Epigraph., I, p. 20G.

3. Les Assemblées provinciales, p, 54, n. 4.

88 CHAPITRE IV

dernier reste de la province de Germanie qu'on avait pro- jeté de créer. » '. Nous verrons plus loin s'il faut rattacher, au point de vue du culte provincial, la Germanie supérieure à Y Ara Ubiorum; mais ce qui paraît certain, c'est que, contrairement à l'opinion de Marquardt, le culte provincial continua d'être célébré dans la ville des Ubiens devenue Colonia Agrippina; une inscription, publiée dans le recueil de Brambach, mentionne un sacerclotalis ^ Ce titre a sur- tout été employé pour désigner un ancien prêtre pro- vincial.

Dans la province de Germanie supérieure, aucun docu- ment ne se rapporte directement au culte provincial. P. Gui- raud n'est pas éloigné de croire que cette province était restée rattachée à VAra Ubiorum ^ Une autre hj'pothèse peut être présentée à ce sujet. Parmi les prêtres provin- ciaux du sanctuaire de Rome et d'Auguste, voisin de Lyon, nous relevons un Séquane *; or la ch'itas Sequanoriir/i était comprise dans la Germanie supérieure. On peut donc se demander si une partie au moins de cette province ne res- sortissait pas, en ce qui concerne le culte impérial, à l'autel de Lyon. Outre les Séquanes, c'était peut-être le cas, par exemple, pour les Helvetii, les Rauraci, les Yangiones et les Nemetes, qui habitaient la rive gauche du Rhin et se trouvaient compris par conséquent dans les Kmites de l'an- cienne Gaule. D'autre part, nous savons par Ptolémée ^ et par la Table de Peutinger "^ qu'il y avait, au second siècle de l'ère chrétienne, dans les Champs Décumates, une loca- hté connue sous le nom d'^ra^ Flaviae. Les Arae Flaviae étaient situées près du haut Neckar, dans le Wurtemberg, non loin du village moderne de Rottenbourg. Ce nom

1. Hist. rom., trad. franc, t. IX, p. 124.

2. Brambach, 313.

3. P. Guiraud, Les Assemblées provinciales, p. 54, n. 4.

4. C. I. Lat., XIII, 1674-1675.

5. Ptolem., II, 11, § 15.

6. Tab. de Peutinger, éd. Desjardins. Segm. III, Al.

l'organisation des cultes de ROME 89

d'A7Xie Flaviae est significatif. Il indique la présence en ce point d'un culte rendu à un empereur ou aux empereurs de la gens Flavia. Ce fut précisément le dernier prince de cette dynastie, Domitien, qui annexa à l'empire la vallée du Neckar, et qui entreprit la construction du U7nes Germa- nicus. Il n'est pas impossible que les Arae Flaviae aient été, depuis la fin du i" siècle après J.-C, soit pour toute la pro- vince de Germanie supérieure, soit pour les Champs Décu- mates, le siège d'un culte provincial. Une inscription décou- verte aux environs de Rottenbourg nous apprend l'existence en ce point d'un collège d\4.ugustales en 225 après J.-C. \ Assurément, les Augustales n'étaient point chargés de célé- brer le culte provincial ; mais leur présence ici nous prouve que le culte de la divinité impériale y fut organisé. Ce fait nous paraît corroborer la conclusion qu'on peut tirer du nom même des Arae Flaviae.

L'existence du culte provincial dans la Rétie est attestée par deux inscriptions qui mentionnent un ancien prêtre provincial et une ancienne prêtresse provinciale, sous le titre identique de sacerdotalis ^ Les deux textes ayant été trouvés à Augusta Vindelicum, il est vraisemblable que le culte provincial se célébrait dans cette colonie.

Dans la Norique, aucun vestige de culte provincial n'a encore été relevé.

En Dalmatie, les traces du culte rendu à la divinité impé- riale par toute la province sont sinon certaines, du moins tout à fait probables. Une inscription mutilée de Doclea nous fait connaître un personnage qui porte le titre de sacey^dos ad aram Caesaris ^ Des expressions analogues ont été employées pour désigner le prêtre provincial en Gaule, en Pannonie, en Dacie \ Il est très vraisemblable

1. Bramb., 1628.

2. C. I. Lut., 111,5826, 5827.

3. Ann. Epigraph., 1897, n. 11.

4. En Gaule : C. I. Lat., XIII, 1541, 1684, 1702, 1712, 1718; en Pan- nonie inférieure : Id., III, 10496; en Dacie. Id., ibid., 1209, 1433, 1513.

90 CHAPITRE IV

que ce sacerdos ad aram Caesaris fut un prêtre provincial de Dalmatie. Le mot saccrdotalis se lit sur un fragment épigraphiqne trouvé à Taschlydje (Bosnie), dans les limites de l'antique province de Dalmatie '. A Salonae, une inscrip- tion donne à un personnage, dont le nom a disparu, le titre de sacer[dos] designat{m) ^ Or dans la même ville les prêtres du culte municipal portent le titre de flamen ^ ou ffamen Augicstalis *. Ce sacerdos designatus, dont le titre peut être rapproché de celui de ffamen designatus py^ovinciae Bae- ticae ^ nous paraît être un prêtre provincial. Tel fut peut- être aussi Cn. Otarius Vettidianus Secundus, sacerdos Aug{usti), de Tarsatica \ Dans cet ensemble de documents, on ne saurait prétendre qu'il y ait une preuve formelle; mais, à défaut de certitude, il nous semble que de très grandes probabilités militent en faveur de notre interpréta- tion. Salonae fut peut-être ici le siège de l'assemblée pro- vinciale et du culte. Aucun texte toutefois ne vient confir- mer cette hypothèse.

Après avoir formé une seule province, la Pannonie fut divisée en deux : la Pannonie supérieure à l'ouest, la Pan- nonie inférieure à l'est. Pour l'une et l'autre, si nous ne possédons aucune mention directe du concîHimi proinn- ciae, du moins nous connaissons plusieurs prêtres ou anciens prêtres provinciaux : [saceyYÎos ar]ae Augg. pro- vinciae Pann[oniae) Super ior{is) \ sacey^dos py^oviiiciae P[annoniae) S[uperioris) \ sacerdotalis p[rovinciae) P. S. '; sacerdos araeAug. n. p{rovi7iciae) P{annoniae) Infer. *",

1. G.I. Lat., III, 6344.

2. Id., ibid., 8796; cf. 2055.

3. Id., ibid., 2028,8787.

4. Id., ibid., 8733.

5. Id., II, 2220.

6. Id., III, 3028.

7. Id., ibid., 4170.

8. Id., ibid., 4108, 3936= 10820.

9. Id., ibid., 4183; cf. 4033 et Arch. Epigr. Mittheil. aus Oesterreich, 1893, p. 29.

10. C. I. Lut.. III, 10496.

l'organisation des cultes de ROME 91

sacerdos ['provinciae Pann. Inf.] *, sacerdotalis ^ Le centre du culte provincial clans la Pannonie supérieure fut soit Savaria soit Poetovio, mais plus probablement Savaria; dans la Pannonie inférieure, il n'est guère douteux que ce fût Aquincum.

La Mésie supérieure n'a jusqu'à présent fourni aucun document relatif au culte provincial.

En Dacie, contrairement à ce qui se passa pour la Pan- nonie, la division de la province d'abord unique en trois provinces ne rompit pas l'unité du culte provincial. Les Trois Dacies n'eurent qu'un seul concilium, concilimn "pro- mnciarmn Daciarum III, comme le prouvent deux inscrip- tions de Sarmizegethusa, dont l'une date du règne de Sévère Alexandre ^ et l'autre du règne de Gordien III '*. Sur un autre texte, trouvé à Aquae non loin de Sarmizegethusa, on lit la formule devofa provincia ^ qui suppose une décision de l'assemblée provinciale. Le singulier employé dans ce document indique qu'il est plus ancien que les deux précé- dents, et qu'il appartient à l'époque la Dacie ne formait encore qu'une province unique.

Les noms de plusieurs prêtres provinciaux sont venus jusqu'à nous, sacerdotes arae Aug . iV., sacerdotes arae Aug.^ sacerdotales provinciae ouDaciae ^ Le siège de l'as- semblée et celui du culte étaient, sans aucun doute, à Sarmizegethusa.

Dans la Mésie inférieure, l'assemblée provinciale n'a point laissé de traces ; mais les inscriptions contiennent les noms de quelques prêtres provinciaux. Ici toutefois il con- vient de ne considérer comme tels que les personnages décorés du titre de sacerdos provinciae ou sacerdotalis. Il

1. CI. Lat., III, 10305.

2. Id., ibid., 3626; Jahreshefte, 1899 (Beiblatt, p. 51, n. 1).

3. Atin. Epigraph., 1903, n. 69.

4. C. I. Lat., 111,1454.

5. Id., ibid., 1412.

6. /(/., ibid., 1209, 14.83, 1513, 7688, 7962; Ann. Epigraph., 1903, n. 69.

7

92 CHAPITRE IV

serait imprudent d'attribuer le même sens aux mots grecs àpy '.soîû;, àpy (.spaTLxô; ; car ils sont employés souvent pour désigner des prêtres ou d'anciens prêtres municipaux '. Sous le bénéfice de cette observation, les inscriptions de Mésie nous font connaître seulement deux sacer dotes pro- vinclae ^ et un sacerdotalis ^ C'était peut-être à Troesmis que le culte se célébrait; de cette ville proviennent les deux textes qui mentionnent les sacer dotes provinciae.

Le culte provincial des divinités officielles a été organisé certainement dans la plupart des provinces latines de l'em- pire : les documents ne laissent place à aucun doute pour l'Afrique, l'Espagne, la Gaule, la Germanie inférieure, les Pannonies, la Dacie, la Mésie inférieure. Pour la Germanie supérieure et la Dalmatie, il y a, sinon certitude, du moins grande probabilité. En Bretagne, il n'est pas démontré que le temple de diviis Claudius à Camalodunum ait été un sanctuaire provincial. En Norique et en Mésie supérieure tout vestige de culte provincial a disparu. Tel est, si l'on peut s'exprimer ainsi, le bilan de nos connaissances actuelles sur ce sujet.

L'organisation de ce culte provincial donne lieu à quelques remarques intéressantes. Parmi les savants qui l'ont étudié, les uns ont affirmé qu'en principe « le culte officiel rendu par la province, en tant que corps, avait pour objet Rome et l'empereur '*. » D'autres, comme Hirschfeld et Pallu de Lessert, ont montré que cette affirmation n'était pas exacte ; mais le premier ramène à deux types seule- ment les formes du culte provincial : le type espagnol, l'on unit l'empereur mort à l'empereur vivant, et celui des

1. Peut-être convient-il de faire une exception pour un personnage de Dionysopolis, qui est dit îs'Jvxpixoç i^yizozù^... xal t^oz's&zûczlc, irapi 9£[ôv] AvTwvsÏTov si:; TTiv paffiXîoa 'Poj|x[ti]v... [Archaeol. Epigr. Mitthel. aus Oesterr., 1894, p. 210, n. 102; Tnscr. Graec. ad res Roman, perttn., I, 664.)

2. C. I. Lat., III, 773 = 6170, 7506.

3. Id., ibid., 12428.

4. Beurlier, Essai sur le culte. ..^ p. 99; cf. Guiraud, Les Assemblées pro- vinciales, p. 34.

l'organisation des cultes de ROME 93

autres provinces il n'est question que de ce dernier ' ; quant à M. Fallu de Lessert, il ne s'occupe que des pro- vinces africaines, et il croit que dans la Proconsulaire, la Numidie et les Maurétanies, le culte provincial s'adressait aux divi ^

Que nous apprennent sur ce point précis les documents? Les renseignements qu'ils nous donnent ne sont pas égale- ment formels pour toutes les provinces. Ainsi, nous ne savons pas à quelles divinités le culte s'adressait en Pro- consulaire, en Numidie, dans la Maure tanie Tingitane, dans la Germanie inférieure, en Rétie et dans la Mésie inférieure. Dans la Maurétanie Césarienne, le refus du vexillifer chré- tien Saint Fabius de porter lui-même ou d'honorer les ima- gines mortuorum prouve que le culte de cette province s'adressait aux divi ^ En Lusitanie, le culte provincial s'adressa, au moins pendant quelque temps, à divus Augus- tus *; il n'est pas invraisemblable que plus tard les autres divi aient été joints à celui-là. En Bétique, les prêtres pro- vinciaux portent le titre de flamines divorum Aug[ustorum) provinciae Baeticae "\ En Tarraconaise, le culte provin- cial s'adresse à la fois à Rome, aux divi et aux empereurs vivants ; le titre le plus complet des prêtres de ce culte est : flamen Romae, divorum et August. ^ Dans la Narbonaise, la divinité n'est autre que l'Auguste ou les Augustes vivants; dans la lex concilii, le prêtre n'est appelé que flamen Aug.; comme nous l'avons montré plus haut, sous Septime Sévère et Caracalla, ce prêtre s'intitule flamen Aug{icstorum) ; le sacerdoce qu'il exerce est donc bien celui de l'empereur vivant \ Dans le sanctuaire des trois

1. Hirschfeld, Zur Geschichte des roemischen Kaisercultus, dans les Berichte de rAcadémie de Berlin, 1888, p. 849.

2. Fallu de Lessert, Nouvelles observations, p. 6-8.

3. Analecta Bollandiana, t. IX (1890), p. 127. Fallu de Lessert, loc. cit.

4. C. I.Lat., 11,473.

5. Id., ibid., 1475, 2221, 2224, 2.344, 3395.

6. Id., ibid., 4205, 4217, 4222, 4228, 4235, 4243, 4247, etc.

7. Voir pi. haut, p. 48 et suiv.

94 CHAPITRE IV

Gaules, les hommages des provinciaux associent la déesse Rome aux empereurs vivants ; le temple s'appelle templum Romae et Augusti ou Augustorum, le prêtre sacerdos Romae et Augusti, sacerdos ad aram Romae et Augusti ou Augustorum *. C'est également l'empereur vivant qu'adorent les deux provinces alpestres, les Alpes Mariti- mae et la Provincia Cottiana ^ Si le temple de Camalodu- num, dont parlent Sénèque et Tacite, appartient au culte provincial, c'est un divus que nous y voyons adoré et invo- qué; si les Arae Flaviae des Champs Décumates sont, au II' siècle de l'empire, des autels provinciaux, ici encore le cuite s'adressait probablement aux divi de la gens Flavia, c'est-à-dire à dicus Vespasianus et dli'us Titus. En Dalma- tie, Yara Caesa^ns, mentionnée par une inscription de Doclea, prouve par son nom même qu'elle servait au culte de l'empereur vivant. Il en était de même dans les deux Pannonies et en Dacie, les prêtres provinciaux s'ap- pellent saœrdotes arae Aug. Résumons : deux provinces seulement adoraient Rome en même temps que la divinité ou les divinités impériales; c'étaient la Tarraconaise et le groupe des Trois Gaules; la Lusitanie et la Bétique n'ado- raient que les divi; la Maurétanie Césarienne les adorait aussi, sans qu'on puisse affirmer que le culte provincial s'adressât exclusivement à eux; c'était peut-être aussi à des divi que s'adressaient les hommages des provinces de Bretagne et de Germanie supérieure. La Narbonaise, les provinces alpestres, la Dalmatie, les deux Pannonies, la Dacie honoraient exclusivement l'empereur ou les empe- reurs vivants. En présence de ces constatations, il nous paraît tout à fait impossible de dire soit que le culte provin- cial s'est partout adressé en principe à Rome et à l'empe- reur, soit que ses diverses formes se ramènent à deux types. Ce qui caractérise, dans les provinces latines, l'orga-

1. Voir pi. haut, p. 49.

2. C. I. Lat., XII, 81; V, 7259.

L ORGANISATION DES CULTES DE ROME 95

nisation du culte provincial, c'est, en ce qui concerne les divinités adorées, une très grande variété. Il est même fort imprudent de conclure, comme l'a fait M. Fallu de Lessert, d'une province à une province voisine : le culte provincial ne s'adressait pas aux mêmes divinités en Bétique et en Tarraconaise, dans la Narbonaise et dans les Trois Gaules.

Le culte provincial ne fut pas institué à la même époque dans toutes les provinces. Il est évident qu'il n'a été organisé dans la Numidie, les Maurétanies, les Champs Décumates, la Dacie qu'après la constitution de ces provinces. Mais ce qui est plus curieux et en même temps plus significatif, c'est que, au début même de l'empire, l'époque de son institution ne fut pas la même dans plusieurs provinces qui existaient depuis longtemps. En Narbonaise et dans les Trois Gaules, ce culte fut établi sous Auguste. En Tarraconaise, il le fut seulement après la mort d'Auguste; la Bétique et la Lusita- nie, suivirent probablement l'exemple de la Tarraconaise *.

Le culte provincial n'était pas célébré dans les diverses provinces à la même époque de l'année. A Carthage, les fêtes qui accompagnaient la réunion de l'assemblée pro- vinciale de la Proconsulaire avaient lieu dans la seconde moitié d'octobre ^ Le document, qui nous permet de fixer cette date, est sans doute une constitution du code Théodo- sien de l'année 415; mais il n'y a aucune raison de croire que la date de ces fêtes fût à cette époque différente de ce qu'elle était aux premiers siècles de l'empire ^ Dans la Maurétanie Césarienne, le culte se célébrait la veille des kalendes d'août \ Dans le sanctuaire commun des Trois Gaules, près de Lugdunum, les cérémonies du culte et les fêtes se célébraient le jour des kalendes d'août ^

1. Voir pi. haut, p. 55-57.

2. Cod. Theodos.,l[v. XVI, tit. 10, I. 20.

3. Fallu de Lessert, Les assemblées provinciales..., p. 90; Audollent, Carthage romaine, p. 417.

4. Analecta Bollanâiana, t. IX (1890), p. 123.

5. Sueton., Claud., 2.

96 CHAPITRE IV

Enfin le nom môme des prêtres variait d'une province à l'autre : les prêtres provinciaux s'appelaient sacerdotes, sacerdotales dans l'Afrique proconsulaire, dans les Trois Gaules, en Dalmatie, en Rétie, dans les Pannonies, en Dacie, dans laMésie inférieure; ils s'appelaient /lamines en Numidie, dans les Maurétanies, en Lusitanie, Bétique et Tarraconaise, en Narbonaise et dans les provinces alpes- tres.

A nos yeux, une telle variété exclut l'hypothèse d'une organisation uniforme, édictée du centre de l'empire, appli- quée ou imposée aux provinces par le gouvernement impé- rial. Elle ne peut s'expliquer que si le culte provincial a été institué et organisé dans chaque province sur l'initiative des provinciaux eux-mêmes. Cette conclusion n'est d'ailleurs contredite, ni par le caractère officiel de la lex concilii de la Narbonaise *, ni par le rôle que les gouverneurs des provinces jouent quelquefois dans les cérémonies du culte provincial ". La lex concilii de la Narbonaise a fort bien pu être promulguée par l'autorité impériale sur la demande de la province elle-même; en tout cas, elle ne vaut que pour la Narbonaise, puisque dans beaucoup d'autres pro- vinces le prêtre du culte provincial ne porte pas le même titre que celui de la Narbonaise. Quant au rôle des gou- verneurs, on sait, sans qu'il soit besoin d'insister sur ce point, que leurs rapports avec les assemblées provinciales n'étaient nullement des rapports de chefs à subordonnés ^

Si tel est bien le caractère de ce culte provincial, faut-il croire que dans les provinces latines comme dans les pays grecs, ce culte se soit purement et simplement substitué à

1. Beurlier, Essai sur le culte, p. 19-20 : Carette, Les assemblées provin- ciales de la Gaule romaine, p. 51 et suiv.

2. A Caesarea, le gouverneur (praeses) prend part à la procession solen- nelle des statues des divi, avec ses faisceaux et ses licteurs : Analecta Bollandiana, t. IX (1890), p. 126-127; à Eraerita en Lusitanie, le nom du légat G. Arruntius Celer est inscrit sur le piédestal d'une statue que la province fait ériger en l'honneur de Titus.

3. P. OmvdMd, Les Assemblées provinciales,^. 153-216.

l'organisation des cultes de ROME 97

quelque organisation religieuse de l'époque précédente? En fait, la question n a été posée et discutée que pour les Trois Gaules. On a rappelé que les Gaulois avaient l'habi- tude de tenir des assemblées annuelles, soit au temps de leur indépendance dans le pays des Carnutes \ soit en divers lieux pendant la guerre des Gaules ^ soit enfin sur l'emplacement de la future colonie de Lugdunum, le V aoiit ^ De ces diverses réunions, la dernière seule paraît avoir eu un caractère religieux; MM. d'Arbois de Jubain- ville et P. Monceaux croient qu'elle se tenait pour célébrer le culte du dieu Lug \ Il est possible que cette coutume n'ait pas été sans influence sur le choix du lieu et de la date avaient heu, sous l'empire, les cérémonies du culte de Rome et d'Auguste. Mais cette concession faite, nous croyons qu'il n'y a aucun rapport de cause à effet à éta- bhr entre le culte de Lug et le culte officiel. Les sentiments qui inspirent les deux cultes n'ont rien de commun entre eux. Celui-ci se rattache aux anciennes traditions natio- nales ; celui-là caractérise la subordination de la Gaule à Rome.

Les provinces romaines étaient en général divisées en cités [civiiates, micnicipia, coloniaë). Parfois, dans les limites d'une province, plusieurs cités étaient groupées, soit pour former une circonscription juridique : tels étaient les conrentus d'Espagne et de Dalmatie ; soit parce que des circonstances particuhères les avaient amenées à consti- tuer une sorte de confédération : à cette catégorie appar-

1. Caes., De hello Gallico, VI, 13.

2. Id., ibid., I, 30; VI, 3; VII, 1.

3. Dio Cass., LIV, 32.

4. Le cycle mythologique irlandais, p. 5, 138 et suiv., 301 et ?,u\\ .; Revue Historique, 1888, 1, p. 27-28.

98 CHAPITRE IV

tenaient les Coloniae Cirtenses et les villes de l'Hexapole Politique.

Le culte impérial fut célébré par ces groupes de cités, petites provinces dans les grandes. En Afrique, les quatre cités de Cirta, Rusicade, Chullu et Mileu formèrent la Res- puhlica Qiiaiiw)^ coloniarum. Plus tard, la ville de Cuicul se joignit aux quatre premières, et la confédération porta le nom de Quinque coloniae on Respicblica Quinque colonla- rmn. Cette fédération s'administrait elle-même à la ma- nière d'une cité : elle avait ses décurions, ses magistrats municipaux K Elle rendait à la divinité impériale un culte collectif, distinct de celui que lui rendait chacune des cités dont elle se composait. Le prêtre de ce culte était le flamen perpetuus Quatuor coloniarum Clrtensium^ plus tard, flamen perpetuus Quatuor coloniarum Cirtensium et Cui- culis ^ Nous connaissons certainement un de ces prêtres, C. Julius Crescens Didius Crescentianus, contemporain de Marc Aurèle. C'est peut-être aussi de cette même confédé- ration que fut flamine L. Maecilius P. f. Q(uirina tribu) Nepos, bien que le texte, se lit son nom, ne le mentionne pas expressément ^ Ce culte fédéral avait ses prêtresses, qui portaient le titre de flaminiques : flaminicae Quatuor coloniarum Cirtensium. Les noms de deux de ces flami- niques ont été conservés par des inscriptions : Veratia Frontonilla * et Clodia Vitosa Tertulliana ^

Dans les provinces espagnoles, les traces de cultes ana- logues sont plus nombreuses. En Bétique, les colonies, qui avaient reçu le privilège de l'immunité, se groupèrent pour rendre à la divinité impériale un culte collectif, puisque

1. Marquardt et Mommsen, Manuel des antiquités romaines, trad. fr., t. VIII, 2, p. 473.

2. C. I. Lat., Vtll, 8318, 8319.

3. Id., ibid., 7112 : L. Maecilius P. f., Q., Nepos, fl. pp., eq(uo) p(ublico) exornatus, omnibus honoribus in iiii col(oniis) functus.

4. Id., ibid., 7080.

5. Id., ibid., 18912.

L ORGANISATION DES CULTES DE ROME 99

nous trouvons sur une inscription de Tucci, la mention d'un flamen col[oniarum) immunium provinc{iae) Baeiicae ^ Ces colonies étaient au nombre de quatre, Tucci, Itucci, Attubi, Urso, groupées dans la même région, au sud-est de Corduba, et appartenant au conventus Astigitanus -.

En Tarraconaise, chacun des conventus qui divisaient la province en autant de circonscriptions juridiques célébrait un culte en l'honneur des divinités officielles de l'empire. Nous possédons des témoignages formels de ce culte pour trois conventus, le conventus Bracaraugustanus '\ le con- ventus Asturmn *, le conventus Carthaginiensis ^ Dans les deux premiers conventus, le culte s'adressait à la déesse Rome et à l'empereur vivant ; le prêtre de ce culte se nom- mait sacerdos Romae et Augustl conventus Bracaraugus- tani, sacerdos Romae et Augusli conventus Asturimi. Dans le conventus Carthaginiensis, le prêtre fédéral portait le titre de flamen, sans que les divinités dont il exerçait le sacerdoce, fussent nommément désignées. Chacun de ces conventus agissait, en ce qui concerne le culte impérial, comme une province. Il élevait des statues aux prêtres de ce culte ^; il décidait l'érection d'une statue de l'empereur vivant et confiait aux prêtres le soin d'exécuter cette déci- sion \ Or de telles résolutions ne pouvaient être prises, au nom du conventus, que par une assemblée composée des délégués des villes du conventus. Cette assemblée se réu- nissait et le culte se célébrait pour le conventus Bracarau-

1. CI. Lat., II, 1663.

2. Plin., Nat. hist., III, 3.

3. G. I. Lat., II, 2416, 2426, 4215; cf. 6093.

4. Id., ibid., 4223, 6094.

5. Id., ibid., 3412, 3418.

6. Id., ibid., 2426, 3418.

7. Id., ibid., 3412. On remarquera l'analogie, presque l'identité de cette rédaction : Imp. Caesari T. Aelio Hadriano Antonino Aug. Piop.p. cos. IIII pont. max. trib. potest... conventus Garthag. curante Postumio G la- rano flamine avec le texte de l'inscription d'Emerita : G. I. Lat., II, 5264.

100 CHAPITRE IV

gustanus à Bracara Aîtgîista, pour le conrentm Cartliagi- nlensis à Cartliago nova. Les textes ne fournissent sur ce point aucune donnée pour leconventus Asturum.

Comme la Tarraconaise, la Dalmatie était divisée en con- ventus jurkUci^ au nombre de trois \ L'un de ces conven- tus, celui dont la capitale était Scardonae, s'appelait la Liburnie. La Liburnie rendait un culte à la divinité impé- riale. Une inscription de Scardonae nomme un prêtre de ce culte : T. Turranius T. f. Ser[gia tribu) Sedatus, sacerdos ad aram Aug. Lib{urniae) ^ Nous savons, par un autre texte, que les villes de la Liburnie agissaient collective- ment : les civitates Liburniae élevèrent une statue à Néron ^ Vara Aug. Liburniae se trouvait, suivant toute apparence, à Scardonae même.

Dans la région qui fut réduite en province romaine par Auguste sous le nom de Mésie, plusieurs villes grecques, situées sur la côte du Pont-Euxin, entre autres Tomes, Cal- latis, Odessos, formaient sous le nom de IIôvto; ou nsvTa-oÀ'.ç une confédération, xoivôv, xo'.vhv twv 'EaXtjvwv. Cette confé- dération subsista sous l'empire; elle s'augmenta même d'une cité, ce qui transforma la Pentapole en Hexapole. Il est vraisemblable que cette extension se produisit au début dn 11^ siècle et que la sixième ville futMarcianopolis, fondée par Trajan \ Le président de ce xowôv portait le titre de IIov- TàpyTiÇ. Nous avons montré ailleurs que les Pontarques de la Mésie inférieure étaient bien des prêtres du culte impé- rial^ mais qu'il ne fallait pas les confondre avec les prêtres provinciaux de la Mésie inférieure *\ C'était seulement au nom de la confédération qu'ils présidaient, du IIôvtoç, qu'ils

1. Marquardt et Mommsen, Manuel des antiquités romaines, trad. fr., t. VIII, 2, p. 178 et suiv.

2. C. I. Lat., III, 2810.

3. Id., ibid.,2808.

4. Sur la Pentapole-Hexapole du Pont, cf. J. Toutain, Les Pontarques de la Mésie inférieure, dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de France, t. LXII, p. 123-U4.

5. J. Toutain, ibid.

l'organisation des cultes de ROME 101

célébraient les cérémonies de ce culte ; leur rôle dans la Mésie inférieure était analogue à celui des flamines de la confédération des Quatuor coloniae Cirtenses en Afrique, à celui des prêtres des conventus en Tarraconaise, à celui des sacerdotes ad aram Aug. Liburniae en Dalmatie.

Dans quelques-unes des provinces latines de l'empire, le culte impérial avait ainsi revêtu une forme intermédiaire entre la forme provinciale et la forme municipale propre- ment dite. Les groupes de cités, au nom desquels ce culte collectif se célébrait, n'avaient pas tous la même origine. Les conventus d'Espagne et de Dalmatie étaient des cadres administratifs de création officielle. La confédération des coloniae Cirtenses ne semble pas antérieure à l'époque César mit fin à l'indépendance de la Numidie ; elle se com- posa probablement, lors de ses débuts, des établissements fondés par P. Sittius. La Pentapole Pontique, dont Tomes était la capitale, existait avant l'arrivée des Romains dans le pays. Quant au groupe formé par les coloniae immunes provinciae Baeticae, on ne possède aucun indice sur les circonstances dans lesquelles il se constitua, ni sur son véritable caractère.

La même variété se retrouve dans l'organisation du culte. Le conventus Bracaraugustanus et le conventus Asturum honoraient la déesse Rome et l'empereur vivant; l'autel fédéral de Liburnie n'était consacré qu'à l'empereur vivant. Dans la Respublica Quatuor colo)iiarum Cirtensium, le prêtre du culte impérial portait le titre de fiamen perpetuus; il s'appelait flamen dans le groupe des coloniae immunes de la Bétique et dans le conventus Carthaginiensis; il s'appe- lait au contraire sacerdos dans le conventus Bracaraugus- tanus, le conventus Asturum et en Liburnie. Dans l'Hexa- pole Pontique, son titre habituel était, conformément aux coutumes des pays grecs, TOvràpy^ç.

Nous aboutissons donc à la même conclusion que pour le culte provincial : une telle diversité ne se comprend et ne s'explique qu'en écartant l'hypothèse d'un culte ins-

102 CHAPITRE IV

titué et organisé par le i^oiivernement impérial. Ici encore, ce qui ressort pour nous avec évidence de tous les docu- ments connus jusqu'à ce jour, c'est l'initiative et la liberté des provinciaux.

Dans l'empire romain, la véritable unité administrative, le cadre le plus vivant et le plus concret de la vie publique a été la cité ou commune. Les villes, comme les provinces, comme certaines fédérations, ont rendu aux divinités impé- riales un culte officiel .

Ce culte municipal nous est connu par de très nombreux documents épigraphiques et archéologiques. De ces docu- ments, les uns attestent l'existence dans quelques villes d'au- tels ou de temples consacrés à telle ou telle divinité impé- riale ; d'autres mentionnent des monuments ou des statues dédiés par les pouvoirs publics d'une cité à la divinité d'un empereur mort ou vivant; d'autres enfin, et ce sont de beau- coup les plus abondants, nomment des prêtres municipaux du culte impérial.

Ces documents ne sont pas également répartis dans les provinces latines de l'empire. En Afrique (Proconsulaire, Numidie, les deux Maurétanies), ils se chiffrent par cen- taines, et proviennent de plus de cent villes différentes. Encore nombreux dans la péninsule ibérique et en Narbo- naise, ils deviennent plus rares dans les provinces alpestres, dans les Trois Gaules, dans la Germanie supérieure ; ils dis- paraissent totalement en Bretagne et dans la Germanie inférieure, La Rétie et le Norique n'en ont jusqu'à présent fourni qu'un seul. Sans en être bien richement pourvues, la Dalmatieetles provinces danubiennes sont cependant moins pauvres.

Cette même inégalité dans la répartition des documents peut être constatée si l'on étudie cette répartition à fin-

l'organisation des cultes de ROME 103

térieur de quelques provinces, en Afrique et en Espagne par exemple. En ce qui concerne les provinces africaines, la presque totalité des documents a été trouvée dans les limites de l'Afrique proconsulaire; une dizaine provient de la Maurétanie Césarienne, un seul jusqu'à présent de la Tin- gitane. Dans l'Afrique Proconsulaire elle-même, la partie occidentale de la province, qui forma au iir siècle la Numi- die, a fourni environ cinq fois moins de documents que la Proconsulaire proprement dite. En Espagne, c'est dans la Bétique et la Tarraconaise orientale qu'a été récoltée la plus ample moisson de textes épigraphiques; en Lusitanie et dans la partie nord-ouest de la péninsule, les décou- vertes ont été plus rares.

Il ne faut pas attribuer au seul hasard des trouvailles ces différences entre les provinces. On connaît aujourd'hui plus de mille inscriptions latines pour la province de Bretagne : s'il n'y en a aucune qui se rapporte au culte municipal des empereurs, c'est que vraiment cette forme du culte y était peu développée. Le tome XII du Corpus Inscriptionum latinarum contient pour les provinces alpestres et la Nar- bonaise un peu plus de 6,000 textes; le tome XIII en ren- ferme près de 5,000 pour les Trois Gaules. Or le tome XII nous a fourni près de 90 documents sur le culte municipal dans la Narbonaise, tandis que nous en avons relevé à peine plus de vingt dans le tome XIII : la conclusion qui découle forcément de ces chiffres, c'est que cette forme du culte n'a pas eu la même fortune dans la Narbonaise et dans les Trois Gaules. Nous pensons que l'inégale réparti- tion des documents reflète avec une exactitude suffisante l'inégale diffusion du culte municipal dans l'antiquité.

Cette inégale diffusion s'explique d'ailleurs fort bien. La forme municipale de ce culte n'a pu s'épanouir que dans les régions de l'empire les villes étaient denses et prospères, la vie municipale était active, brillante, heureuse. Cette condition se trouva précisément le mieux réaUsée en Afrique, en Espagne, en Narbonaise. Dans les provinces

104 CHAPITRE IV

africaines, elle le fut surtout en Proconsulaire ; dans les provinces espagnoles, en Bétique et dans la Tarraconaise orientale ; elle le fut beaucoup plus en Narbonaise que dans les Trois Gaules. En Dalmatie, les villes importantes se trouvaient échelonnées le long du littoral : c'est dans cette partie de la province, à Narona et Salonae surtout, qu'ont été relevées presque toutes les traces du culte muni- cipal qu'a fournies cette région de l'empire. En Dacie, les empereurs créèrent des colonies et des municipes, ils firent affluer des colons venus de diverses contrées : ces villes parmi lesquelles Sarmizegetliusa et Apulum tiennent le premier rang, semblent avoir joui pendant un siècle envi- ron, d'une réelle prospérité : c'est d'elles que proviennent pour la Dacie la plupart des documents relatifs au culte municipal des empereurs. En Bretagne et dans la Germanie inférieure, au contraire, la vie municipale fut aussi peu développée que possible. Les anciens habitants de ces pays, Bretons et Gallo-Germains, ne vivaient point dans des villes; quant aux éléments immigrés, c'étaient presque uniquement des soldats, légionnaires ou auxiliaires, soit groupés dans de vastes camps permanents, tels que Deva en Bretagne, Castra Vetera sur le Rhin, soit répartis dans des postes moins considérables, le long du vallmn Hadriani au nord de la Bretagne, le long du Rhin dans la Germanie infé- rieure. Il n'est pas étonnant que la vie municipale y ait été peu développée et que la forme du culte impérial, qui s'adaptait et correspondait spécialement à ce mode de vie publique, n'y ait point laissé de traces sensibles.

Les documents ne mentionnent qu'un très petit nombre de temples ou d'autels consacrés aux divinités impériales. A Thubursicum Bure, dans l'Afrique proconsulaire, un frag- ment d'inscription mentionne une ara divi Augusti K ACas-

1. G. I, Lat.^ VIII, 15260. Un templum Victoriae Augustoriim est signalé par une inscription récemment découverte à Henchir R'mada, en Algérie : Ann. èpigraph., 1904, n. 75.

l'organisation des cultes de ROME 105

tulo, en Tarraconaise, il y avait un temple de Rome et de la divinité impériale '.

En Narbonaise, deux monuments célèbres, la Maison Carrée de Nîmes, le Temple d'Auguste et Livie à Vienne étaient des sanctuaires du culte impérial. Le premier était consacré à la divinité de Lucius et de Caïus César, les fils adoptifs d'Auguste ; le second à divus Augustus et à diva Augusta, c'est-à-dire à Auguste et Livie divinisés après leur mort. Quant à Tautel dédié à la divinité d'Auguste le 22 sep- tembre de l'an 12 après J.-C. par la Plebs Narbonensis % nous ne pensons pas qu'on puisse y voir un autel munici- pal. L'expression Plebs Narbotiensis ne saurait avoir le même sens que l'expression : Colonia Julia Paterna Narbo MayHius. Le texte établit à plusieurs reprises une distinction très nette entre la Plebs Narbonensis et les Coloni Inco- laeque coloniae Juliae Paternae Narbonis Martii. La Plebs Narbonensis ne représente évidemment qu'une partie de la population qui habitait Narbo Martius.

Dans la Pannonie supérieure, une inscription trouvée à Stuhlweissenbourg mentionne l'existence d'un Templum divi Marci sous le consulat de Gentianus etBassus, c'est-à- dire en 211 après J.-C. ^

Les simples dédicaces sont moins rares que les mentions précises de temples. La plupart de ces dédicaces étaient gravées sur des piédestaux de statues ; mais leur sens reli- gieux ressort de leur rédaction même, puisqu'on y lit des mots tels que divus ou divi, numen ou niC7nina, sacrum. C'est d'Afrique que proviennent les plus nombreuses dédi- caces de cette catégorie ; dédicace Nwnini divorum

\. C. I. Lat., II, 3279 : . . . sacerdos annua aream ante templurn Ro[niae et Aiigusti cuni stajtuis de sua pecunia dédit... La restitution est certaine pour le mot Romae\ elle reste conjecturale pour la divinité impériale; il pouvait tout aussi bien y avoir sur la pierre et div. Aug., ou encore et Augg .

2. CI. Laf.,XU, 4333.

3. Id., III, 3345.

106 CHAPITRE IV

Augustorum et Imp. Caes. divi Trajani Parthic. f., divi Ner{vaé) nep., Trajani Hadrlan{i) * Aug. . . à Zattara; dédi- cace d'un arc de triomphe à divus Septimius Severus, à Caracalla et à Julia Domna, à Assuras ^ ; dédicaces à plu- sieurs divi, Nerva à Calama ^; Antonin le Pieux, dans la haute vallée de l'O. Miliane *; Marc Aurèle à Uzappa ^ et à Collo ou Mileu "; Commode à Verecunda '' et dans la Civitas Nattabutum ® ; Pertinax à Simitthu ^ ; Caracalla à Muzuc ^" et peut-être à Verecunda *^ ; dédicaces à des divae, Sabina à Thamugadi *' et à Saldae '^; Marciana à Gighthis '*; dédi- caces à deux Césars défunts et proclamés divi, Antoninus, fils de Marc- Aurèle, à Lares *'^; P. Cornélius Licinius Vale- rianus, fils de Galhen, à Sitifls ^^ ; dédicace au Génie de l'Empire et des deux empereurs Philippe le Père et Phi- lippe le fils, à Abbir Cella *'' ; dédicace à la Salus Augusto- rum, à Tepelte *^; dédicaces à la Victoria d'un empereur ou aux Victoriae de plusieurs empereurs à Siagu ^^ Thubur- sicum Bure '\ Thugga 'S Sufetula -^ Gighthis ", Maco-

1. G.I. Lat.,yiU, 5177.

2. Id., ibid., 1798.

3. Id., ibid., 5323.

4. Bull, archéol. du Corn. 1897, p. 370, n. 25.

5. G. I.Lat., VIII, 11926.

6. Id., ibid., 19919.

7. Id., ibid., 4213.

8. Id., ibid., 4826.

9. Id., ibid., 10593.

10. Id., ibid., 12060.

11. Id., ibid., 4205.

12. Id., ibid., 17847.

13. Id., ibid., 8929.

14. Id., ibid., 25.

15. Id., ibid., 1779.

16. Id., ibid., 8473.

17. Id., ibid., 814 = 12344.

18. Id., ibid., 12247.

19. Id., ibid., 965.

20. Id., ibid., 15258.

21. Id., ibid., 15516.

22. Id., ibid., 11318.

23. Id., ibid., 11018.

l'organisation des cultes de ROME 107

mades de Numidie \ Lambaesis '\ Cuicul ^; dédicace au Genius Senatus, à Gighthis \ etc., etc. En Espagne, quel- ques rares dédicaces aux divi Auguste ° et Commode ^ à diva Faustina ', à deus Aurelicmus * sont peut-être des témoignages de culte municipal à Gades, Tarraco et Sa- gunte. La Narbonaise n'a fourni qu'une dédicace des Coloni Reienses ApoUbiares Numinibus Augustorum ^\ et une dédicace à un fils de Tibère, sans doute Drusus, trouvée à Nîmes ^". Dans les Aljjes Graiae, les habitants d'Axima ou Forum Claudii ont adressé leurs hommages collectifs à la divinité impériale ". Dans les trois Gaules, les Bitu- riges Vivisci ont invoqué l'empereur vivant en même temps que le Genius protecteur de leur cité *-. Un édile de la Civitas Nitiobrigwn a dédié une statue au numen impérial avec l'assentiment de Vordo municipal '*. Enfin, en Pan- nonie, la ville de Mursa a honoré divus Hadrianus , son fondateur '^ et la Respublica Risorum divus Commodus *\ Les sacerdoces des divers cultes impériaux ont laissé plus de traces dans les documents épigraphiques que les monuments ou les statues dédiés aux divinités . Les prêtres de ces cultes portaient les titres soit de Jiamen, soit de sacerdos, soit beaucoup plus rarement de pontifex. Le titre de ffamen était souvent employé isolément, sans que mention fût faite de la divinité : on en trouve des exemples

1. C. 1. Lat., yill, 4765.

2. Id., ibid., 18240.

3. Id., ibid., 20149.

4. Id., ibid., 11017.

5. Id., II, 4093, 4094.

6. Id., ibid., 1725.

7. Id., ibid., 4096.

8. Id., ibid., 3832.

9. Id., XII, 360.

10. Id., ibid., 3158.

11. Id., ibid., 102.

12. Id., XIII, 566.

13. Id., ibid., 916.

14. /d., III, 3279.

15. Id., ibid., 4000.

lOS CHAPITRE IV

en Afrique ', en Espagne -, en Gaule ^ en Dalmatie \ en Pannonie % en Dacie ^ A cet emploi de Jhimea pour les prêtres, correspond celui du féminin fiaminica pour les prêtresses \ Mais très souvent, les mots fiamen, flaniinica, sacerdos, pontifex sont suivis du nom de la divinité ou des divinités impériales auxquelles le culte s'adressait dans les diverses villes de l'empire : flamen Aiig. ^ flamen Augg . ou Anggg. ^ sacerdos Atig. *°, pontifex Aiigg. ", pour le culte exclusif de l'empereur ou des empereurs vivants; flamen TL Caesaris Aiig., exemple unique jusqu'à pré- sent '^ ; flamen divoïnmi ou divorum Augg., pour le culte commun des difi '^; flamen d'ivi Juli *\ flamen divi Augiisti '% flamen divi Claudi ^\ etc., etc., pour le culte

1. C. I. Lat., VIII, 15588, 15592.

2. Id., II, 5141 (Lusitanie) -, 1074, 2126, 2129 (Bétique); 3008, 3010, 3174, 3662, 3697, 3789, 3860, 3861, 3865, 4264, 4267, 4521, 4524, 4622, 5848, 6150, 6151 (Tarraconaise).

3. C. I. Lat., XII, 17, 151 (provinces alpestres); 175, 179, 692, 695, 696, 701, 1114, 1116, 1120, 2675, 4426 (Narbonaise) ; XIII, 412, 1577 (Aquitaine).

4. C. I. Lat., III, 2028, 8787.

5. Id., ibid., 3362, .3368, 10496; Ann. Epigraph., 1901, n. 248.

6. Id., ibid., 1182, 1198, 1398, 1486, 1503, 1596, 6269, 6270, 7997.

7. Id., II, 114, 397, 5218 (Lusitanie); 2122, 3278 (Bétique); 4276 (Tarra- conaise); XII, 140, 150 (provinces alpestres); 185, 1362, 1378, 1904, 2241, 2244, 3260, 4241, 4411 (Narbonaise); XIII, 602 (Trois Gaules).

8. C. I. Lat., VIII, 5276, 5280, 8816, 9404, 9G63, 14731, 15212 (Afrique); II, 2132, 2159 (Bétique); 3379, 4525 (Tarraconaise); XII, 527, 1368, 1372, 1529, 2349, 2608, 2676, 4230, 4252 (Narbonaise); XIII, 2585, 2940; Mommsen, Inscript. Helvetic, 118, 142, 119 (Trois Gaules).

9. C. I. Lat., VIII, 8496, 8995 (Afrique).

10. Id., XIII, 1642, 2870 (Trois Gaules); Mommsen, Iiiscr. Helvet., 179, 193.

11. Id., II, 2342 (Bétique).

12. Id., ibid., 49 (Fax Julia, en Lusitanie).

13. Id., ibid., 34, 51, 53 (Lusitanie); 2103 (Bétique) .3710 (Mago, Tarraco- naise); C. I. Lat., XII, 1577 (Dea Aug. Vocontiorum, en Narbonaise).

14. C. I. Lat., VIII, 7986 (Rusicade, en Afrique).

15. A7in. épigraph., 1899, n. 124; 1904 n. 79 (Thugga, en Afrique); C. I. Lat., VllI, 58 = 11114 (Leptis minor, en Afrique) C. I. Lat., II, 260 (Olisipo, en Lusitanie); 1534 (Ulia, en Bétique); 3620, 4279 (Saetabis, Tarraco, en Tarraconaise); XII, 1373, 1585, 1872, 2605 (Vasio, Dea Aug. Vocontiorum, Vienna en Narbonaise); 111, 9769 (Aequum, en Dalmatie).

16. C. I. Lat., IL 4217 (Tarraconaise).

l'organisation des cultes de ROME 109

particulier de chaque divus *; ffamen Romae et Aiigusti -, pour le culte commun de la déesse Rome et de l'empereur vivant; fUimen Romae et cllvi Augusti, pour le culte commun de la déesse Rome et de divus Augustus ^; flamen divorum et Aug . \ pour le culte commun des divi et de l'empereur régnant; flamen Romae, divorum et Augustorwn ^ pour le culte commun de la déesse Rome, des divi et des empereurs régnants, en l'espèce Marc Aurèle et Lucius Verus; flamen Jidiae Aiigiistae ^ flayninica Jidiae Augustae ', pour le culte de Livie vivante; flaminica divae Augustae *, sacerdos divae Augustae % pour le culte de Livie divinisée après sa mort ; flaminica Aug{ustae) '^ pour le culte de l'impératrice régnante; flaminica divae Plotinae ", pour le culte d'une impératrice diva, autre que Livie ; sacerdos divarum, sacerdos diva-

1. Flamen divi Vespasiani : Carton et Denis, Dougga, p. 21 (Carthage) ; C. /. Lat., II, 6095 (Tarraconaise). Flamen divi Titi : C. I. Lat., VIII, 14364 (Uccula, en Afrique); II, 4212 (Tarraconaise). Flamen divi Nervae : Bull. arch. du Comité, 1892, p. 154-155 (Numlulis, en Afrique). Flamen divi Trajani : C. I. Lat., VIII, 14147 (Pagus Thunigabensïs ?, en Afrique); II, 4274 (Tarraco). Flamen divi Severi : VIII, 19121 (Sigus, en Numldie). Flamen divi M{agni) Antonini (Caracalla) : VIII, 6948, 7963, 14447, 19122 (Afrique et Numidie).

2. C. T. Lat., II, 3033, 3179, 3276, 3623, 3696, 4224, 4516, 4520 (Tarraco- naise); XII, 647, 983, 1236, 2600 (Narbonaise) ; XIII, 548, 1376, 1377, 1927 (Trois Gaules). La formule sacerdos Romae et Aug. a été employée pour désigner un prêtre municipal en Tarraconaise : C. 1. Lat., II, 2638.

3. C. I. Lat., II, 2782 (Clunia, en Tarraconaise); XII, 1121, 3180, 3207, 4233 (Apta, Nemausus, Baeterrae en Narbonaise).

4. Id., II, 3709 (Mago, en Tarraconaise). Cf. 3362 (Aurgi, en Tarraconaise).

5. Id., ibid., 4514 (Barcino, en Tarraconaise).

6. Id., ibid., 194 (Olisipo, en Lusitanie); Ann. Êpigraph., 1902, n. 60 (Salonae, en Dalmatie).

7. C. I. Lat., XII, 1363, 4249 (Vasio, Baeterrae, en Narbonaise),

8. Id., ibid., 1361, 3302 (Vasio, Nemausus, en Narbonaise).

9. Id., II, 1571; Ann. Épigr., 1894, n. 9 (Bétique); C. I. Lat., III, 1796, 6361 (Narona, en Dalmatie).

10. C. I. Lat., II, 2074 (Iliberris, en Bétique); XII, 519, 3242, 3269 (Aquae Sextiae, Cabellio, Nemausus, en Narbonaise); Mommsen, Inscript. Helvet., 143 (Aventicum, en Germanie supérieure).

11. c. I. Lat., VIII, 993 (Carpis, en Afrique) .

110 CHAPITim IV

rum Augustarum ' pour le culie commun des divae; pojitifex Caesarum -, pour le culte des Césars en général ; flamen Germanicl Caesaris % flmnen Drusi et Germa- nici Caes. \ pour le culte de Germanicus et pour le culte commun de Drusus et Germanicus ; flamen Juventutis ^, pour le culte de C. et L. César, fils adoptifs d'Auguste et jjrincipes JuverituUs ; enfin ffaminica domus Augustae % sacerdos domus Augustae ^ 'pontifex domus Augustae *, pour le culte de la domus Augusta. Outre ces formules précises, nous avons rencontré trois fois l'expression plus vague : flamen Augustalis ^; il est difficile de dire s'il s'agit ici d'un prêtre de divus Augustus ou d'un prêtre de l'em- pereur régnant. Signalons enfin à Tarraco une flaminica perpétua Concord[iae) Aug[ustae) ou Aug[usti) ^".

Il est impossible de ne pas être frappé de la grande diver- sité de ces sacerdoces et des cultes pour lesquels ils avaient été institues. Les uns et les autres ne variaient pas seule- ment de province à province ; ils variaient de ville à ville, et parfois on en rencontre plusieurs dans la même cité. En Afrique, le culte municipal s'adressait tantôt à l'empereur vivant, tantôt à tel ou tel diriis; parfois les deux formes du culte se trouvaient réunies dans la même ville : ainsi à Leptis minor, on rencontre deux flamines divi Aug. *' et un flamen Aug . ''. C'est dans les provinces espagnoles et gau-

1. c. I. Lat., II, 1338, 1341, 1471 (Bétique).

2. Id., ibid., 2038-2040 (Anticaria, en Bétique).

3. Id., ibid., 194 (Olisipo, en Lusitanie); XII, 1872 (Vienna, en Narbo- naise).

4. Id., XII, 3180 (Nemausus, en Narbonaise).

5. Id., ibid., 1783, 1869, 1870, 1902,2238,2245 (Vienna).

6. Id., II, 1663, 1678 (Tucci, en Bétique).

7. Id., ibid., 1978 (Abdera, en Bétique).

8. Id., ibid., 1663, 2105 (Tucci, Urgavo en Bétique).

9. Id., XIII, 1684 (Trois Gaules); lU, 1822, 8733(Narona, Salonae, en Dal- matie).

10. Id., II, 4270.

11. Id., VIII, 11114.

12. Id., ibid., 11115.

l'organisation des cultes de ROME 111

loises que celte variété fut de beaucoup le plus marquée. Dans Jes cités de Lusitanie et de Bétique, on ne trouve point trace du culte de la déesse Rome ; mais on y ren- contre le culte de l'empereur vivant *, le culte commun des divi ", le culte de clivus Augustiis ^ le culte de Julia Augusta \ le culte de difa Aiigitsta \ le culte de l'impéra- trice vivante ^ le culte commun des divae \mème un culte commun des divi et des divae ^ le culte des Césars ', le culte de Germanicus César *", enfin le culte de la domus Augusta ". En Tarraconaise, le culte de la déesse Rome fut associé par les villes comme par la province tout entière ou par les conventus dont elle se composait au culte des divinités impériales : au culte de l'empereur vivant '^ au culte de divus Augustiis '^ au culte des divi et de l'empe- reur vivant **. Dans diverses villes de la même' province, furent célébrés les cultes de l'empereur vivant '% de l'empe- reur vivant et des divi *^ de divus Augusfus ^\ de diviis Claudius *^ de divus Vespasianus '^ de divus Titus ^°, de divus Trajanus ^*; on y trouve aussi le culte commun des

1. C. I. Lat., II, 49, 2132, 2159, 2342.

2. Id., ibid., 34, 51, 53, 1341, 2103.

3. Id., ibid., 260, 1534.

4. Id., ibid., 194.

5. Id., ibid., 1571; Afin. Epigraph., 1894, n. 9.

6. Id., ibid., 2074.

7. Id., ibid., 1338, 1471.

8. Id., ibid., 1341.

9. Id., ibid., 2038, 2039, 2040.

10. Id., ibid., 194.

11. Id., ibid., 166.3, 1678, 1978, 2105.

12. Id., ibid., 2638, 3033, 3179, 3276, 3623, 3696,4224, 4516, 4520.

13. Id., ibid., 2782.

14. Id., ibid., 4514.

15. 2d., ibid., 3379, 4525.

16. Id., ibid., 3362, 3709.

17. Id., ibid., 3620, 4279.

18. Id., ibid., 4217.

19. Id., ibid., 4216 = 6095.

20. Id., ibid., 4212.

21. Id., ibid., 4274.

112 CHAPITRE IV

dwi ' et le culte de l'impératrice ". A Barciiio, les inscrip- tions font connaître trois formes de culte impérial : le culte de l'empereur vivant, le culte de la déesse Rome et de l'empereur vivant, le culte de Rome, des divi et des empe- reurs régnants ^

Les cultes de la divinité impériale ne présentent pas moins de diversité en Narbonaise : ils s'adressaient, suivant les cités, à l'empereur vivant \ aux divi ^ à divus Angus- tus \ à Rome et à l'empereur vivant ^ à Rome et à divus Augiistus \ à Julia Augusta % à diva Aiigusta *°, à l'impé- ratrice vivante 'S aux priiicipes Juventutis '^, à Germa- nicus César *^ à Drusus et à Germanicus Césars '\ à Caïus et Lucius César '*, à divus Atigushcs et diva Augusta '^

Il arrivait que plusieurs de ces cultes fussent célébrés dans la même ville : ainsi, à Vienna, outre le culte de divus Augustus et diva Augusta^ il y avait un culte des Principes Juventutis. ANemausus, on rencontre à la fois des flamines Romae et divi Augusti, des flamines Drusi et Germanici Caesarum, des flaminicae Aug., et une flaminica divae Aug. Les textes trouvés à Yasio mentionnent des flamines Augusti, des flamines divi Augusti, une flaminica Juliae

\. C. I. Lat., II, 3710.

2. Id., ibid., 3231, 3278, 4241, 4276, 4462.

3. Plamen Aug., C. I. Lat., II, 4525; Flanien Rom. et Aug., 4520; Fla- men Romae, divorum et Augustorum, 4514.

4. C. I. Lat., XII, 527, 1368, 1372, 1529, 2319, 2608,2676, 4230, 4252.

5. Id., ibid., 1577.

6. Id., ibid., 1373, 1585, 1872, 2605.

7. Id., ibid., 647, 983, 1236, 2600.

8. Id., ibid., 1121, 3180, 3207, 4233.

9. Id., ibid., 1363, 4249. )0. Id., ibid., 1.361, 3302.

11. Id., ibid., 519, 2317, 2823, 3175, 3194, 3211, 3216, 3225, 3242, 3268, 3269, 3279.

12. Id., ibid., 1783, 1869, 1870, 1902,2238, 2245.

13. Id., ibid., 1872.

14. Id., ibid., 3180; cf. 3207.

15. Id., ibid., 3156.

16. Id., ibid., 1845; Allmer et de Terrebasse, 7n5cnj3<. de Fienwe, I, p. 11-25.

l'organisation des cultes de ROME 113

Augustae, une fiaminica divae Augustae, et une flayninica sans autre désignation. Dans les Trois Gaules, la variété est moins grande : deux formes du culte impérial y coexis- taient, le culte de l'empereur vivant S le culte de Rome et de l'empereur vivant '.

Des autres provinces latines, seule la Dalmatie offre un spectacle analogue, mais bien moins accentué ^

Il n'est pas jusqu'à l'emploi indifférent des mots ffamen, fiaminica, sacerdos, pour désigner les prêtres et les prê- tresses de ces divers cultes, qui n'en fasse encore ressortir la variété *.

Le culte municipal de la puissance romaine, personnifiée par la déesse Rome ou par la divinité impériale, n'a donc pas été plus uniforme que le culte provincial. Ces deux cultes ont été institués, ont grandi, se sont développés libre- ment. On ne reconnaît ni dans leur histoire ni dans leur organisation une action impérative quelconque du 'gou- vernement romain.

Dans l'intérieur des cités ou en dehors d'elles, l'époque impériale connut'des groupements de nature diverse, sub- divisions administratives, corporations professionnelles, associations religieuses, unités militaires. Parmi ces grou- pements, il en est un certain nombre qui célébrèrent le culte de la divinité impériale. Nous allons passer en revue les témoignages de ce culte, en distinguant :

a) les groupes administratifs ou sociaux intérieurs ou extérieurs à l'organisation municipale ;

^) les corporations professionnelles, et les associations

1. C. I. Lut., XIII, 1642, 2585, 2870, 2940; cf. 566, 916.

2. Id., ibid., 548? 1376, 1377.

3. Id., III, 1796, 1822, 6361, 8787, 8733, 9769 ; Ann. Epigraph., 1902, n. 60.

4. Voir plus loin, chap. v.

114 CHAPITRE IV

religieuses qui ue se consacraient pas spécialement au culte impérial proprement dit ou à des cultes connexes;

v) Les associations religieuses qui se constituèrent exclu- sivement pour célébrer le culte impérial proprement dit ou des cultes connexes;

8) Les unités militaires.

A. Groupes administratifs et sociaux rattachés à l'orga- nisation municipale ou indépendants de cette organisation.

En Afrique, le conventus civium Rornanorum et Numi- danon qui Mascululae habitant honora d'un autel ou d'une statue divus Augustus ' ; sur le territoire de Sicca Veneria, dans les environs du pagus Aubuzza qui dépendait de cette colonie, était cantonnée une gens indigène, dont le nom nous échappe, et qui devait rendre un culte à la divinité impériale, puisqu'un personnage appelé L. Annaeus Hermès s'intitule flamen de cette tribu ^ Dans la Narbonaise, le vicus At^cevoturva, voisin et peut-être dépendant de la cité de Nemausus, invoqua la divinité de l'empereur '; le même hommage fut rendu, dans le pays des Bigerriones en Aquitaine, au nom des Vicani Aquenses, par un certain Secundus Sembedonis fil. ^ ; dans la même province, par les Vicani Neriomagienses, qui habitaient près des Aquae Neri '' ; par les Andecamidenses, de la civitas Lemovicum ^ ; et par les Venetonimagenses vicani, de la civitas Ambar- rorum \ Le conventus, la gens, les vici précités formaient des cadres administratifs permanents et revêtus d'un carac- tère officiel. Voici maintenant quelques groupes d'une autre nature, mais qu'il nous a paru juste de classer dans la

1. C. I. Lat., VIII, 15775.

2. Id., ibid., 16368.

3. H., XII, 5894.

4. Id., XIII, 389.

5. Id., ibid., 1374.

6. Id., ibid., 1449.

7. Id., ibid., 2541.

l'organisation des cultes de ROME 115

même catégorie. En Afrique, le numen domus Aug. fut honoré par les 'possessores du viens Verecimdensis, voisin de Lambaesis et de Thamugadi ' ; les coloni de Lemellef, au sud de Sititis, invoquèrent la divinité de deux empereurs régnants -; les coloni 5...., qui habitaient au pied du ver- sant septentrional de l'Aurès, consacrèrent un autel aux trois empereurs Septime Sévère, Caracalla et Geta ^; en Germanie Supérieure, non loin de Mogontiacum, les Has- tiferi sive j^^stores consistentes kastello Mattiacorimi ren- dirent hommage à la divinité impériale \

B. Corporations professionnelles et associations reli- gieuses non 'consacrées spécialement au culte impérial oit à des cultes connexes.

Ici les documents sont peu nombreux. A Carthago nova, en Tarraconaise, les piscatores et projjolae offrent en l'honneur d'un personnage appelé C. Laetilius, sans doute leur patron, Lares Au.gustales et Mercurium "; en Gaule, chez les Petrucorii, les laniones invoquent, en même temps que Jupiter Optimus Maximus, le Genius Ti. Au- gusti ^; les fabri tignuarii de Forum Segusiavorum ren- dent hommage au Numen Aug. en même temps qu'à Silvain '; les aerarii d'Intaranum unissent à l'empereur vivant les dieux locaux Borvo et Candidus \

A l'extrémité septentrionale de la province de Bretagne, en Calédonie, une statue du Numen Aug. fut dédiée en même temps qu'une image de Mercure, par des cultores de ce dieu ^; à Lugdunum "^ et chez les Helvètes, à

1. c. I. Lat., yill, 4199.

2. Id., ibid., 8808.

3. Ann. épigraph., 1894, n. 140.

4. Bonner lahrb., LXXXIII (1887), p. 251.

5. C. I. Lat., II, 5929.

6. Id., XIII, 941.

7. Id., ibid., 1&40.

8. Id., ibid., 2901.

9. Id.,YU, 1070.

10. Id., XIII, 1751.

110 CHAPITRE IV

Aventicura *, des Dendrophori, adorateurs de la Mater Magna, paraissent avoir été en même temps Augustales ^

C. Associations religieuses constituées pour célébrer le culte impérial proprement dit ou des cultes connexes.

On sait que les plus nombreux et les plus importants des collèges qui dans diverses régions de l'empire célébrèrent le culte impérial furent les collèges d'Augustales. Avant d'en parler, nous citerons d'autres associations moins fré- quentes et qui semblent avoir été moins générales dans le monde romain.

Des collèges se créèrent pour honorer les multiples divi- nités qui composaient ce que l'on pourrait appeler le cycle impérial : c'est ainsi qu'on rencontre un coUcgium dii'i Augmti, à Lucus Augusti en Tarraconaise ^, des cidtores domusAug. à Volubilis, dans la Maurétanie Tingitane \ des •j;j.vûoot. cp'AoTcêaTToi à Nicopolis dans la Mésie inférieure % des cultores Victoriae Augustorum en 197 dans la Mauré- tanie Césarienne ^

Les collèges qui se formèrent dans plusieurs cités pour le culte des Lares se consacrèrent en même temps au culte de la divinité impériale : tels furent, entre autres, les cultores Larum et Imagiîium August{i) à Tipasa de Numidie ', les cultores Larum Augustorum et Genii Caesaris August{i) à Italica en Bétique *, le Collegium Magnum Larum et Ima- ginum domini n{ostri) Caes{aris) à Poetovio en Pannonie '.

Mais c'est dans les collèges d'Augustales que nous trou-

1. Aiizeiger firr Schiceizerische AUerthi'.mskimde, 1876-1879, p. 805.

2. Beurlier, Essai sur le cuUe, p. 258. .3. Id., II, 257.3.

4. Id., VIII, 21825.

5. Arch. epigraph. MiUheil. ans Oesterreich., XV (1891), p. 219-220.

6. Ann. epigr., 1904, n. 75.

7. C. 1. Lat., VIII, 1714.3.

S. Id., Il, lia3; cf. Id., ibid., 174, 2013, 2181: A7in. epigraph., 1900, n. 118: C. I. Lat., II, 4293, 4297, 4304. 9. C. I. Lat., 111,4038.

l'organisation des cultes de ROME 117

verons la forme la plus populaire de ce culte collectif. Dans certaines provinces latines, le culte rendu à la divinité impériale par ces collèges n'eut pas moins d'éclat que le culte municipal proprement dit. Il ne nous appartient pas de traiter ici les problèmes multiples qui se posent à propos des Augustales et de l'Augustalité ^ Des études qui ont été consacrées à ce sujet, nous retiendrons seulement les con- clusions suivantes, formulées par M. Mourlot dans son Essai : L'Augustalité n'est point une institution posté- rieure à la mort d'Auguste ; plusieurs textes établissent le contraire. Il y a une trop grande diversité dans la constitution primitive des Augustales, pour qu'on veuille les rattacher à un type urbain quelconque. La naissance et le développement en ont été spontanés. On ne peut pas songer non plus à une intervention directe du gouver- nement impérial. Les nombreuses différences d'organisation impliquent une certaine liberté d'initiative ". Le culte rendu à la divinité impériale par les Augustales a donc certains caractères communs avec le culte provincial et le culte municipal : il a été institué au début de l'empire ; il com- porte une certaine variété suivant les régions ; il n'a pas été créé sur le modèle d'un culte de Rome ni sur l'ordre de l'empereur.

L'Augustalité n'a pas été également répandue dans toutes les provinces latines : elle n'a laissé en Afrique que de rares traces, à Utique % à Ammaedara \ à Theveste ■', à Thamugadi \ entre Cirta et Rusicade ^ à Volubilis \

Les provinces espagnoles et gauloises furent au con-

1. Voir sur cette question, F. Mourlot, Essai sur l'histoire de l'Augustalité dans l'empire romain, Paris, 1895.

2. F. Mourlot, op. cit., p. 16-17, cf. p. 36.

3. Ann. épigraph., 1903, n. 106.

4. C. I. Lat., VIII, 305.

5. Id., ibid., 1882, 1888, 1889, 16556, 16558-16560, 1973, 2123.

6. Id., ibid., 2350; Année épigraph., 1901, n. 113-, 1902, n. 144, 145.

7. Id., ibid., 19675.

8. Id., ibid-, 21822.

118 CHAPITRE IV

traire pour cette forme du culte impérial une terre d'élec- tion : si la Lusitanie, les provinces alpestres et la plus grande partie des Trois Gaules sont pauvres en documents relatifs à l'Augustalité, aucune province dans l'empire n'en est aussi riche que la Bétique, la Tarraconaise, la Nar- bonaise, la ville de Lugdunum et ses environs. La Germanie supérieure, la Dalmatie, les Pannonies, la Dacie ont fourni un certain nombre d'inscriptions, dont plusieurs sont fort intéressantes. En revanche la Bretagne, la Germanie infé- rieure, la Rétie, le Xorique et la Mésie inférieure en sont ou totalement ou presque totalement dépourvues *.

Les raisons de cette inégale diffusion ne s'aperçoivent pas tout d'abord aussi nettement que celles de l'inégale répartition du culte municipal. Sans doute il existait des relations étroites entre l'Augustalité et la vie municipale : on ne trouve en effet des Augustales ou des seviri Angus- talcs que dans des cités ; souvent même le nom de la ville suit le titre à'AîigustaUs ou de serir, par exemple : sevb^ Aug. in col{onia) Pairic[ia, item] in muaicipio Singil{ia Barba) '; sevir^ Augustalis in mimiciino Suelitano ^; sévir Aug. col. Jîd. Paterna A^^elate \ sévir Aug. col. Julia Aug. Aquis Sextiis \ sévir Aug. Lugud{uno) *, Aiig{ustalis) col. Sept[imia) Sisc{ia) ', Augustalis municipiio) Brig{etiom) *, sévir col[onia) Aqu{inco) ^ Aug[ustalis) mun'Jcipio) Ael{io) Vim{înacio) *". Mais d'autre part, les provinces africaines, et spécialement la Proconsulaire, la vie municipale fut si dense et si brillante^, semblent avoir très peu connu l'Au-

1. Cf. la liste dressée par F. Mourlot, op. cit., p. 53 et suiv.

2. C. I. Lat., II, 2026.

3. Id., ibid., 1944.

4. Id., XII, 594, 702, 704,705, 1005.

5. Id., ibid., 705, 982.

6. Id., XIII, 17.35, 1935, 1937, 1940, 1944, etc.

7. Id., III, 3973, 3974.

8. Id., ibid., 4322, 4323, 4330, 11045.

9. Id., ibid., 104.34.

10. Id., ibid.; 1655; Jahresheft., 1900, Beiblatf, p. 120, n. 12.

l'organisation des cultes de ROME 119

gustalité. C'est donc moins à la vie municipale elle-même qu'à certains caractères de cette vie que se rattachait cette forme du culte impérial. Nous verrons plus loin ^ que parmi les Augustales et les sei-iri aujourd'hui connus, un très grand nombre sont des affranchis et portent des noms d'origine grecque. De tels noms en Espagne, en Gaule, dans les pays rhénans et Danubiens, indiquent dans ces contrées un afflux d'étrangers. On sait que, parmi les provinces latines de l'empire, la Bétique, la Tarraconaise, la Narbo- naise, la Dalmatie furent cehes Timmigration fut le plus abondante : or c'est précisément que l'Augustalité a été le plus populaire. La même raison explique pourquoi cette forme du culte impérial a laissé plus de traces en Pannonie et en Dacie qu'en Afrique; pourquoi dans les Trois Gaules. on rencontre beaucoup de sévir i Augustales à Lugdunum et dans les civitafes voisines {Ambarri, Aedui, Helveti), tandis que dans tout le reste du pays un seul jusqu'à pré- sent a été retrouvé àAvaricum; pourquoi enfin, parmi toutes les cités africaines, les seules Ton connaisse des Augus- tales, sont Utica, dont les relations avec Tltahe étaient fré- quentes, Ammaedara, Theveste, Thamugadi, Cirta, soit des colons soit des soldats et des vétérans formèrent, au moins au début, la majeure partie de la population. L'Augus- talité n'a pris tout son essor que dans les villes la popu- lation renfermait une notable proportion soit d'étrangers soit d'affranchis.

Bien que la question ne soit pas absolument éclaircie, il est à peu près admis aujourd'hui que l'Augustalité n'a pas été organisée partout de la même façon. En Afrique, les textes ne mentionnent que des Augustales, sauf à Volubilis ; dans les provinces espagnoles, l'emploi du mot Augustalis seul est très rare, tandis qu'au contraire les termes sevb% sevb^atus, sévir Augustalis sont très fréquents. Dans les provinces gauloises et les deux Germanies, on ne rencontre

L Chap. V.

120 CHAPITRE IV

sur les documents que le titre sevb^ Auguslalis ; en Dalma- tie les deux appellations sont usitées, mais elles ne dési- gnent certainement pas la même chose, puisqu'une inscrip- tion d'Épidaurus enumère : ...decurmiibus, Augustalibus et sévir is... *; dans plusieurs villes de la Pannonie, on trouve à la fois des Augustales et des seviri ^; en Dacie, les inscriptions ne nomment que àe?> Augustales . Certains textes, d'une rédaction plus précise que d'habitude, nous permettent de constater quelques analogies entre \e^ Augus- tales et les sevhû. Ainsi nous savons que les Augustales formaient un collegium ^ ou un corpus * ; or ce même mot corpus est employé ailleurs pour désigner le groupe que formaient les seviri ^ ; les Augustales avaient une arca, une caisse, à Thamugadi ^ les seviri en avaient une à Narbo Martius '. Les expressions ob Augustalitatem, ob honorem Aug[ustatitatis) * sont, dans deux inscriptions de Dalmatie et de Pannonie, exactement synonymes des formules ob seviratu7n, ob honoy^em seviratus, fréquentes sur les textes épigraphiques d'Espagne et de Gaule. Malgré ces analogies, il est cependant impossible de considérer les deux mots Augustales et seviri comme synonymes, puisqu'à Épidau- rus en Dalmatie, les Augustales et les seviri sont cités en même temps sur la même inscription '. D'après M. M our- let, les seviri seraient les prêtres annuels de la divinité impériale et les Augustales seraient tous les anciens prêtres sortis de charge '". S'il en était vraiment ainsi, pourquoi les

1. C. I. Lut., III, 1745 ; cf. 3836 Emona, en Pannonie).

2. A. Emona, G.I. Lat., III, 3850, 3851; à Savaria, Ici., ibid., 4153,4194; à Aquincum, Jrf., ibid., 3487, 3533, 3579, 10434.

3. A Aquincum, C. /. Lat., III, 3487.

4. A. Senia, en Dalmatie, Id., ibid., 3016.

5. A. Glanum, en Narbonaise, G. I. Lat., XII, 1005; à Lugdunum, /<?., XIII, 1961, 1966, 1974.

6. Ann. épigraph., 1902, n. 144.

7. G. I. Lat., XII, 4397.

8. Biillet. di archeol. e stor. Dalmat., 1884, p. 51; G. I. Lat., III, 3579.

9. G. I. Lat., III, 1745.

10. F. Mourlot, Essai sur VAtigustalité, p. 69-71.

l'organisation des cultes de ROME 121

textes épigraphiques de la Narbonaise, si riches en noms de sevitH, sont-ils complètement muets sur les Augustales? C'est précisément dans les provinces l'on rencontre beaucoup de seviri qu'on devrait trouver le plus à! Augus- tales. Quelle que soit la solution que l'on donne à ce pro- blême, il demeure certain que le culte rendu à la divinité impériale ici par les Augustales., par les seviri ou sevb^i Augustales, était un culte collégial, et le plus répandu dans les provinces latines de l'empire des cultes de cette espèce. Ce culte s'adressait en général à Augustus. Dans les cités il fut institué du vivant d'Auguste, il est évident qu'il s'adressa d'abord au fondateur de l'empire. Plus tard, après l'an 14, les documents ne sont pas très explicites. Une inscription de Tarraco donne à un sévir le titre de sévir Augustorum ', ce qui implique le culte de l'empereur ou des empereurs vivants. A Aquincum, le Colleglwn AugustaUum honore le Numen Augusti et le Genius d'An- tonin le Pieux : si subtile que soit cette distinction entre le numen et le genius du prince, ce n'en est pas moins à l'empereur vivant que s'adressent les hommages de ce col- lège des Augustales ^ D'autre part à Ammaedara, en Afrique, les Augustales élèvent une statue à divus M. Antoninus (Marc-Aurèle) '; à Narona, les semri rendent un culte à divus Augustus *; au ir siècle, un sévir de la même cité s'intitule sévir Augustalis Flavialis Titialis Ner- vialis, ce qui nous indique qu'il célébrait le culte des divi '■'. La dévotion personnelle des Augustales ou des seviri n'était pas plus uniforme : à l'empereur vivant vont les hommages de C. Annius Prasius, d'Ipolcobulcola, en Bétique "; de Q. Vibius Fehcio, sévir en Tarraconaise '^; de

L c. I. Lat., II, 4300.

2. Id., III, 3487.

3. Id., VIII, 305.

4. Id., III, 1770.

5. Id., ibid., 1835 ; cf. 1768.

6. Id., II, 1643.

7. 7d., ibid., 3349.

122 CHAPITRE IV

M. Ulp. Caecil. Bassianus, Augustalls à Napoca, en Dacie *; de C. Julius Martialis, sévir à Narona ^ Par contre, C. Arrius Optatus et C. Julius Eutichus, Augustales à Oli- sipo en Lusitanie, invoquent divus Augiistus ^; à Salonae, P. Anteius Herma, serir et Augustalis, dédie un portique à Jupiter Optimus Maximus et à divus Claudius *; à Avari- cum, C. Agileius Primus, sévir Augiiistalis) consacre une chapelle ou une statue à Minerve et à diva Drusilla ^ Il semble démontré, par ces divers documents, que le culte rendu par les Augustcdes et les seviri, soit en corps, soit individuellement, à la divinité impériale, s'adressait tantôt à l'empereur vivant, tantôt aux divi^ tantôt à Tun ou l'autre des divi nommément désigné.

Ainsi, le culte collégial des Augustales et des seviri com- porta la même variété, fut organisé avec la même sou- plesse que le culte municipal et le culte provincial. Cette variété et cette souplesse excluent tout à fait, conformé- ment à l'opinion d'Hirschfeld et de M. Mourlot, l'hypothèse d'une intervention directe du gouvernement impérial dans l'institution de ce culte ^ D'ailleurs, l'inscription fameuse de r^ra Narbonensis nous montre comment dès le règne d'Auguste se fondait et s'organisait un culte de ce genre ^ La Plehs de la cité, qu'il ne faut pas confondre avec la Res'piihlica, qui ne représente qu'une partie de la popula- tion de Narbo Martius, et que notre texte lui-même dis- tingue des coloni incolaeque de la ville, érige sur le forum

1. G. I. Lat., m, 862.

2. Id., ibid., 1769.

3. Id., II, 182.

4. Id., III, 1947.

5. Id., XIII, 1194.

6. F. Mourlot, Essai sur VAugustalitè, p. 13-14, 16-17.

7. Parmi les savants, qui se sont occupés le plus récemment de ce texte, M. l'abbé Beurlier et M. F. Mourlot admettent que le culte du Numen Augiisti, dont cette inscription nous révèle l'institution, n'est autre que le culte collégial des seviri Augustales, dont l'épigraphie narbonaise a con- servé tant de traces.

l'organisation des cultes de ROME 123

et dédie un autel au Numen Augiisti, sans qu'il y ait aucune intervention du gouvernement impérial * . Sans doute le règlement, imposé à tous ceux qui sacrifieront sur cet autel ou qui voudront plus tard, soit le réparer, soit le décorer, soit le restaurer, n'est autre que la lex arae Dla- nae in Aventino ; mais cet emprunt à la législation reli- gieuse de Rome a été fait spontanément ; en outre^ l'orga- nisation même du culte, dont le soin est confié à six personnages, très equiies romani a plehe et très liber- tini, ne paraît point d'origine romaine. Autant qu'il est permis d'en juger d'après ce document, le culte collégial de la divinité impériale est une création spontanée, due à l'initiative d'une partie de la population des cités de l'empire.

D. Les unités militaires. Dans les camps ou dans les postes échelonnés le long des frontières de l'empire, le culte de la divinité impériale n'était pas négligé. « C'est par la vénération qu'elles avaient à l'égard des statues de l'em- pereur régnant, que les légions romaines et les troupes auxiliaires manifestaient surtout leur zèle. Ces statues étaient placées dans les camps, auprès du prétoire, et les soldats leur rendaient des hommages semblables à ceux qu'ils rendaient aux dieux » ^ Outre ces hommages rendus aux statues impériales, nous pouvons citer un véritable culte adressé à la divinité de l'empereur ou des empereurs régnants par divers corps auxiliaires cantonnés en Bre- tagne : une cohors GaUo[rimi...] associe dans une dédicace le génie des deux empereurs Philippe le Père et son fils à Jupiter Optimus Maximus ^; à Uxellodunum, la cohors I Hispanorum. invoque le Numen Aug. '^; à Borcovicium, la

1. C./. L«<.,XII, 43a3.

2. Beurlier, Essai sur le culte..., p. 260-261; cf. Wilmanns, Étude sur le camp et la ville de Lamhèse (trad. Henri Thédenat, p. 15).

3. C. /. Lat., VII, 315.

4. /d., ibid., 372.

9

124 CHAPITRE IV

cohors I Tuiigi'orum '; à Amboglaiina. la cohors I Aclia Dacoruiû -; à Petrianae, \b. cohors II Tungrorurn Gordiana miUiaria cqv.Uaià ^; à Habitancium. la cohors IIII GaUo' ru/ii cquitata \ adressent leurs hommages au Xumcn Augusti ou aux Nv.nùna Augustoruni.

Comme on le voit, c'est toujours à l'empereur ou aux empereurs régnants que ces cohortes rendaient un culte.

Outre les provinces, les cités groupées ou isolées, les collèges, associations et collectivités de diverses espèces, les individus témoignèrent souvent leiu" dévotion à la divi- nité impériale, sous les formes multiples qu'elle revêtit : divinité de Tempereur ou des empereurs vivants, dii'L génie de l'empereur ou Juno de l'impératrice. Victoria, Fortuna redux de tel ou tel empereur.

La divinité de Tempereur vivant fut surtout adorée indi- viduellement dans les trois Gaules : elle y fut invoquée en même temps que beaucoup de dieux et de déesses du pan- théon celtique, par exemple. McrcuriusDumias. au sommet du Puy-de-Dôme "\ Epona ^ Mars Mogetius ', Apollo Ate- ■pomarus ^ Rosmcrta % Dca Scqi'.ana '", Borvo '\ etc. Au grand Saint-Bernard, une inscription trouvée dans le sanc-

1. C. 1

. Lot.

VII. ta^-6i0

2. Id.,

ibid..

821.

3. Id.,

ibid..

882.

4. Id..

ibid,

1001.

5. Id.,

XIII.

152.3.

6. Id.,

ibid.,

2902, 2903.

7. Id.,

ibid..

1193.

8. Id..

ibid.,

1318.

9. Id.,

ibid.,

2831.

10. Id

, ibid

. 2862.

11. Id.

, ibid

, 2901.

l'organisation des cultes de ROME 125

tuaire de Jupiter Poeninus^ débute ainsi : Nicminibus Aug{ustorum), Jovi Poenino.. '.

Hors des pays gaulois, des officiers et des soldats can- tonnés en Bretagne " et de rares individus en Espagne ^ Dalmatie *, Germanie supérieure ^ Pannonie ^ Dacie '' et Mésie inférieure *, rendirent un culte à la divinité de l'em- pereur ou des empereurs vivants.

Les divi furent adorés par les particuliers en Afrique ®, plus rarement dans les autres provinces; on trouve pour- tant quelques traces de cette forme du culte en Espagne '**, en Gaule ^' et en Dalmatie *^

Des hommages au Genius de tel ou tel empereur furent adressés par divers personnages, en Afrique *S Norique '\ Pannonie '% Dacie '®. Il convient d'y join- dre une dédicace à la Juno de Livie, de provenance afri- caine *\

Enfin c'est encore, sous une forme indirecte, la dévotion à la divinité impériale qui s'exprime dans maintes dédicaces individuelles à la Victoria ou aux Victoriae, à la Fortuna Redux de tel ou tel empereur : des dédicaces de ce genre

1. Mommsen, Inscript. Helvet., n. 43.

2. C. I. Lat., VII, 42, 83, 318, .381, 440, 503, 506, 996, 1030, etc.

3. Id., II, 1516, 1570.

4. Id., III, 1769, .3021.

5. Brainbacli, CoriJ. inscr. Rhénan., 1401, 1402; Momrnsen, Inscr. Helvet., n. 164.

6. C. I. Lat., III, .3907.

7. Id., ibid., 862, 1127.

8. Id., ibid., 74.34, 7435.

9. Id., YIII, 1576, 4212, 4482, 4588, 4596, 4597, 6994, 6995, 8319, 9234, 19492.

10. Id., II, 20(39, 4091, 4096, 6081.

11. Id., XIII, 1642.

12. Id., III, 1947, 3113.

13. Id., VIII, 15661; BuU. arch. du Corn., 1893, p. 163, n. 45.

14. Id., III, 11541.

15. Id., ibid., 3424.

16. Id., ibid., 1017.

17. Id., VIII, 16456.

1 26 CHAPITRE IV

sont connues aujonrcrhiii| en Afrique \ en Gaule ^ en Bre- tagne \ en Germanie \ en Dacie ^

Le culte rendu à la divinité impériale par les provinces, par certains groupes de villes, par les cités, par les associa- tions de tout genre, par les unités militaires, par les indi- vidus, était essentiellement varié. La divinité impériale fut adorée sous diverses formes par ses fidèles, que ces fidèles fussent groupés ou qu'ils agissent individuellement. Telle forme ne fut pas, comme on l'a cru, la forme particulière du culte provincial et telle autre celle du culte municipal ; on ne peut pas dire davantage que telle forme fut spéciale- ment africaine, ou espagnole ou gauloise ou pannonienne ; dans presque toutes les provinces les diverses formes de la divinité impériale furent plus ou moins révérées. Rien, à nos yeux, ne saurait mieux démontrer que cette variété même, la spontanéité et la liberté d'initiative dont les habi- tants des provinces latines ont fait preuve dans l'institu- tion et l'organisation du culte impérial. Quelques faits pré- cis, que nous avons étudiés au cours de ce chapitre, con- firment en outre cette démonstration générale.

1. C. I. Lat., VIII, 2354, 2677, 42Û2, 4436, 4582, 4583, 8455, 0195, 9754, etc.

2. Id., XIII, 1673.

3. Id., VII, 513; A}u\. rpigraph., 1892, n. 89.

4. Wesldeidsch. Zeitsclir, Korr.-Blatt., 1894, n. 117, p. 187.

5. C. I. Lat., III, IU72.

CHAPITRE V

LES PRÊTRES ET LES FIDÈLES DU CULTE IMPÉRL\L

1. Les membres de l'assemblée provi/iciale et les pvêlres provin- ciaux; les prêtresses provinciales. 2. Les prêtres et prêtresses des conventus et autres groupements analogues. 3. Les prêtres municipaux et les prêtresses municipales. 4. Membres et prêtres des associations, corporations et groupements divers ; les Augustales et les seviri. 5. Les particuliers.

Puisque la divinité impériale recevait les hommages des provinces, des cités, de maintes associations et corpora- tions, il en résulte qu'elle était adorée dans tout l'empire. Toutefois, parmi les habitants des provinces latines, il en était qui solHcitaient avec une ardeur particulière et qui exerçaient plus fréquemment le sacerdoce de cette divinité; d'autres s'affiliaient de préférence aux collèges d' Augustales ou briguaient l'honneur du sévirat; d'autres enfin tenaient à témoigner, par une dédicace ou une œuvre personnelle, leur dévotion. Quels étaient ces prêtres et ces fidèles ? A quelle classe sociale appartenaient-ils? Comment les uns étaient-ils désignés? Quels motifs particuliers pouvaient inspirer les autres? Telles sont les questions qu'il convient maintenant d'étudier.

128 CHAPITRE V

1

Les membres des assemblées provinciales ont laissé peu de traces dans les documents. Les seuls renseignements précis que nous possédions sont relatifs aux trois Gaules. L'inscription connue sous le nom de Marbre de Thorigny contient une phrase, dont malheureusement la précision laisse à désirer, sur le mode de désignation des membres du conciUum GalUarum. 11 est dit dans cette phrase, à propos de T. Sennius Solemnis, quod patria cjus. cum inter ce[teros] LEGATUiL EU.M CREASSET... * Que faut-il entendre par 'patria ejus? T. Sennius Solemnis a-t-il été désigné par le ];)opulus ou par Yordo? Les deux hypothèses peuvent également s'admettre. Ce qui paraît certain du moins, c'est que le gouverneur de la province, le représentant du pouvoir central, n'avait aucune part à cette désignation. En second lieu, quel sens convient-il d'attribuer aux deux mots inter ce[teros\1 Est-ce parmi les autres candidats que T. Sennius Solemnis a été élu? Est-ce en même temps que d'autres legati? Doit-on croire que chaque cité n'envoyait au conclUum qu'un seul legatus? Ou faut-il admettre qu'elle désignait plusieurs représentants? MM. Guiraud et Beurher sont disposés à adopter cette dernière solution -. A l'appui de leur opinion, ils rappellent que dans l'amphithéâtre du sanctuaire fédéral voisin de Lyon, chacune des civitates gauloises disposait de plusieurs places : on lit en effet, sur un fragment, six fois le nom des Bitiurigc.'i^ ^[^(bi), sur un autre fragment deux fois le nom des Tri[cassiiii) ^ Mais est-il certain que les places, réservées à chaque civitas, fussent destinées exclusivement aux legatl de l'année cou-

1. C. I. L., XIII, 31G2.

2. P. Guiraud, Les assemblées provinciales, p. 64: Beurlier, Essai sur le culte..., p. 108.

3. C. I. Lat., XIII, 1667,

LES PRÊTRES ET LES FIDÈLES DU CULTE IMPERIAL 129

rante? A notre avis, dans l'état actuel des documents, la question ne peut pas être résolue avec certitude.

Les prêtres provinciaux nous sont beaucoup mieux con- nus. Il est aujourd'hui démontré, sans qu'il soit nécessaire d'insister longuement sur ces divers points, qu'il n'y avait qu'un seul prêtre dans chaque province ou dans chaque groupe de provinces unies pour la célébration du culte impérial [Très Galliae, Très Daclae) ; que ce prêtre était élu par l'assemblée provinciale ; que son sacerdoce était temporaire ; que, sortis de charge, les prêtres provinciaux prenaient un titre qui rappelait l'honneur dont ils avaient été revêtus, flain'males ou sacerdotales suivant les pro- vinces; qu'ils jouissaient, soit dans leur ville soit dans leur province, de grands privilèges. De plus il est très vraisem- blable que le sacerdoce provincial était annuel ; le fait est prouvé pour l'Afrique et la Narbonaise *. Ce qui a peut- être été moins approfondi que ces indications générales, ce sont les renseignements fournis par la statistique même des prêtres provinciaux sur leur origine et leur condition sociale.

Pour les provinces latines, nous connaissons environ 160 prêtres provinciaux; les provinces espagnoles et gau- loises en comptent sur ce total plus de cent. Tous ces prêtres, sans exception, étaient citoyens d'une ville pro- vinciale. Il n'est indiqué pour aucun d'eux qu'il soit origi- naire de Rome ou de l'Italie. Le titre qu'ils portaient variait suivant les provinces : sace7xlos en Proconsulaire, dans les Trois Gaules, dans la Germanie inférieure, en Dalmatie, dans les deux Pannonies, en Dacie et dans la Mésie supé- rieure; flamen en Numidie, en Maurétanie Césarienne, en Maurétanie Tingitane, en Lusitanie, en Bétique, en Tarra- conaise, en Narbonaise, dans les provinces alpestres. Il est curieux de constater que le prêtre provincial portait

1. Cf. pour toutes ces questions, P. Guiraud, Les assemblées provinciales, liv. I, chaio. Ti, p. 82 et suiv.; Beurlier, Essai sttr le culte, part, chap. II, p. 120 et suiv.

130 CHAPITRE V

en Numidic et en Maurétanie le titre de ffcunca, tandis que dans la Proconsulaire, il s'appelait sacerdo.s; la même différence existait entre la Narbonaise et les Tre.<< GalUae le culte impérial fut organisé à peu près à la même époque, sous Auguste. Ce qui n'est pas moins frappant, c'est que dans certaines provinces, telles que la Tarraco- naise et les Trois Gaules, les nombreux prêtres provinciaux, dont les noms ont survécu, ne portent pas tous exactement le même titre, On trouve en effet pour la Tarraconaise, les formules suivantes : ficunen Romae et dironcm Augiist. \ ffamc/i divor. et Augustoriim -, flamen Romae, divor. et August\i) \ fiariien Romae, divorum et Atigustorum \ flamen Augustalis^, fiamen Romae et Aug ^, flamen divor. Aiig. \ /famé a Aiigustorum % et même sacerdos Romae et Aug. ^ Les formules sont également variées dans les Trois Gaules : sacerdos *", sacerdos ad aram Caes. n. apud tem- plwn Romae et Augusti inter confluentes Araris et Rho- da)ii*\ sacerdos ad templum Romae et Augusti ad confluen- tes Araris et Rhodani '-, sacerdos arae Aug. inter confluentes A raris et Rhodani '% sacerdos Romae et A ugusti ad aram ad confluentes Araris et Rhodani '\ sacerdos Romae et Aug. ad confluentem ^~% sacerdos ad teiwplum: Romae et Aug. III j^yorinc. Galliarum ^^, sacerdos ad tem-

1. C. I. Lat., II, 4191.

2. M., ibid., 4199.

3. Id., ibid., 4205, 4222. 4243, 4247, 4249.

4. Id., ibid., 4235.

5. Id., ibid., 4223.

6. Id., ibid., 4225.

7. Id., ibid., 4239.

8. Id., ibid., 3329.

9. Id., ibid., 4248.

10. Id., XIII, 1704.

11. Id., ibid., 1702, 1712.

12. Id., ibid., 1714.

13. Id., ibid., 1^1, 2940.

14. Id., ibid., 1674.

15. Id., ibid., 1042-1045.

16. Id., ibid., 1691.

LES PRÊTRES ET LES FIDELES DU CULTE LMPÉRL\L 131

'plum Romae et Augustorum \ sacerdos ad aram Romae et Augiistorwn ^ sacerdos ad aram Caes. n. ^ sacerdos arensls *, sacerdos Rom. et Aug. ■'. Ces titres différents fu- rent gravés, à Tarraco et à Lugdunum, sur les piédestaux des statues que les deux assemblées provinciales de l'Es- pagne citérieure et des Trois Gaules décernèrent aux prêtres provinciaux sortis de charge. Ces inscriptions avaient un caractère officiel. Une telle variété n'est compatible avec ce caractère, que si le titre des prêtres provinciaux n'était pas fixé par une loi. On ne la retrouve pas. du moins au même degré, dans les titres des fonctionnaires d'empire ou des magistrats municipaux. Elle nous paraît une fois de plus mettre en lumière l'initiative et en même temps la liberté très grande des provinciaux, en ce qui concerne l'institution et l'organisation du culte provincial.

Élus par l'assemblée provinciale, les prêtres provinciaux étaient choisis aussi bien parmi les représentants des cités les plus modestes de la province que parmi ceux de la capitale ou des grandes villes : aucun des prêtres provin- ciaux de la Proconsulaire, que nous connaissons, n'est originaire de Carthage; le plus célèbre, Apulée, semble avoir été envoyé à l'assemblée provinciale par la ville d'Oea, dont il était devenu citoyen après son mariage avec la riche veuve Pudentilla ^ ; les autres étaient citoyens de Thysdrus ', d'Ammaedara % de Furni ^ de Simitthu '", d'Althiburus 'S de Diana '^ En Tarraconaise, sur une soixan-

1. C. I. Lat., XIII, 1706.

2. Id., ibid., 1718.

3. M., ibid., 1684.

4. 7d., ibid., 9.39.

5. Bull, des Antiq., 1896, p. 298-300 ; C. I. Lai., XIII, 4.321.

6. Apulée, Florid., XVI; Augustin., EpistoL, CXXXVIII.

7. C. I. Lut., VIII, 2.343, 4252.

8. Id., ibid., 11546.

9. M., ibid., 12039.

10. Id., ibid., 14611.

11. M., ibid., 16472.

12. Id.. ibid., 4600.

132 CHAPITRE V

taille de prêtres provinciaux connus, onze seulement paraissent être citoyens de la capitale Tarraco ; les autres venaient de plus de 35 autres villes, telles que Segobriga ', Palma ^ et Mago ^ dans les îles Baléares, Castulo S Saeta- bis % Saguntum ^ Barcino ^ Gerunda \ Carthago Nova \ Pompaelo '", Bracara Augusta '*, Calagurris '\ Dianium '^ Asturica '\ etc. La même constatation se fait dans les Trois Gaules. Mais ici, la patrie des prêtres provinciaux n'est pas indiquée par le nom d'une cité ; elle Test par le nom de la cicitas gauloise, à laquelle le prêtre appar- tient : Aeduus '% Scqiianus *^ Arre)'?u(s '', Xerrius '% Tricassinus ^^ etc. Il n'était donc pas nécessaire que le prêtre provincial fût citoyen d'une ville de constitution romaine, d'une colonia ou d'un miinicipium. M. l'abbé Beurlier a fort justement remarqué que toutes les cités de chaque province envoyaient des délégués à l'assemblée pro- vinciale -". Le choix de l'assemblée, quand il s'agissait de désigner le prêtre provincial, pouvait se porter indistincte- ment sur l'un ou l'autre de ses membres. En général, il se portait sur un haut personnage de la province. Les prêtres

1. C. I. Lat., II. 4191, 4220.

2. Id., ibid., 4197, 4205, 4218.

3. Id., ibid., 3711.

4. Id., ibid., 4209.

5. Id., ibid., 4213.

6. Id., ibid., 4214.

7. Id., ibid., 4219; cf. 4515.

8. Id., ibid., 4229.

9. Id., ibid., 42.30.

10. Id., ibid., 4234.

11. Id., ibid.. 4257.

12. Id., ibid., 4245.

13. Id., ibid., 4250.

14. Id., ibid., 26.38.

15. Id., XIII, 1714; Liv. Epit. CXXXVII.

16. C. I. Lat., XIII, 1674, 1675.

17. Id., ibid., 1706.

18. Id., ibid., 1702.

19. Id., ibid., 1691.

20. Beurlier, Essai sur le culte, p. 107.

LES PRÊTRES ET LES FIDELES DU CULTE IMP1ÉRL\L 133

provinciaux appartenaient quelquefois à l'ordre équestre : pour 23 d'entre eux, les inscriptions renferment l'une ou l'autre des formules suivantes eques romanus ', equum puhlicum habens "^ equo publico % equo publico donatus (ou exornatus) \ adlectus in équités ^ En fait la majorité de ceux que nous connaissons dans les provinces latines étaient citoyens romains; souvent la tribu, dans laquelle ils étaient inscrits, est indiquée sur les inscriptions qui les mentionnent; dans d'autres cas, la qualité de citoyen ro- main du prêtre provincial est prouvée parce qu'il a été otiî- cier de légion, procurateur impérial, magistrat dans une colonie ou dans un municipe. Doit-on croire que les prêtres provinciaux étaient tous citoyens romains? Est-il exact d'affirmer qu'ils devaient l'être? Sur les 163 prêtres anjour- d'hui connus, il y en a 102 pour lesquels il est prouvé qu'ils étaient citoyens romains. Parmi les 61 autres, il est fort probable qu'im certain nombre l'étaient aussi : mais peut- on considérer comme tel Albinus Albini f., fiamcii dii'i Aug. 2)}'or. Lusitaniae ®? N'est-il point remarquable que. parmi les prêtres provinciaux des Trois Gaules, la mention de la tribu soit exceptionnelle, tandis qu'au contraire elle est générale pour la Tarraconaise et la Narbonaise? Faut- il voir a iwiori des citoyens romains dans Q. Adgimiius Urbici fil. Martinus le Séquane ', C. Servilius Martianus l'Arverne ^ Q. Licinius Ultor Licini Taurici fil. le Lemo- vix ^ C. Catullius Decuminus Tiiti Catidlini fil. le Tricas- sin '", M. Lucterius Lucterii Senciani f. Léo le Cadur-

\. c. I. Lat., VIIT, 11546; III, .3936 = 1(3820; III, 14.33, 1513.

2. Id., YIII, 7986, 7987; XII, 3183, -3212, .3213,3275.

.3. Id., ibid., 16472; II, 4211; XII, 3184; III, 1209; Ann. Epigr., imS, n. 69.

4. Jd., II, 4212, 4213, 4216, 4254, 6œ5.

5. Id., ibid., 4251.

6. Id., ibid., 473.

7. Id., XIII, 1674.

8. Id., ibid., 1706.

9. Id., ibid., 1699, 1700.

10. Id., ibid., 1691.

134 CHAPITRE V

que? * Le jeune Chérusque Segbnwidiis, fils de Ségeste, prêtre de Y Ara Ubiorum en 9 apr. J.-C, était-il citoyen romain ?

La lex concilii Xarbonensis prévoit, il est vrai, le cas : si flamen in civitate esse desierit. Suivant l'opinion généra- lement adoptée aujourd'hui, ces mots s'appliquent à la perte du droit de cité -. Le flamine de la Narbonaise, qui a perdu le droit de cité romaine, est par môme déchu du sacer- doce provincial. Il faut donc en conclure que la qualité de citoyen romain était exigée de lui. Mais, s'il est impossible de contester cette conclusion pour la Narbonaise, il serait très dangereux de l'étendre à toutes les provinces. Nous avons déjà observé les différences qui existent entre les provinces même voisines dans l'organisation du culte impé- rial. Telle condition exigée du Jiamen Augusti de la Nar- bonaise ne l'était pas forcément du sacerdos Roniae et Augusti des Trois Gaules.

De ce qui précède, il résulte que les prêtres provinciaux étaient en majorité des citoyens romains; mais il n'est pas prouvé qu'ils le fussent tous, ni surtout que cette qualité fut exigée d'eux dans toutes les provinces. La lex concilii ISarbonensis ne vaut, jusqu'à nouvel ordre, que pour la Narbonaise.

Un problème du même genre et qui nous paraît devoir être résolu dans le même esprit, se pose à propos de la carrière municipale des prêtres provinciaux. Beaucotip de ces prêtres, avant d'atteindre le sacerdoce provincial, avaient exercé, dans la ville dont ils étaient citoyens, les fonctions municipales. C'était l'exercice même de ces fonc- tions qui les avait mis en rehef dans leur propre cité ; grâce à la notoriété ainsi acquise, ils avaient été délégués à l'assemblée provinciale, puis élus prêtres de la province. Voilà le fait, non pas constant, mais fréquent que les docu-

1. C. I. Lut., XIII, 1541.

2. Beurlier, Essai sur le culte.., p. 118.

LES PRETRES ET LES FIDÈLES DU CULTE IMPERIAL 135

ments nous révèlent. Parmi les savants, les uns l'ont géné- ralisé outre mesure ' ; d'autres sont allés plus loin et ont prétendu qu'il fallait avoir exercé toutes les fonctions municipales pour pouvoir être élu prêtre de sa province -. A l'appui de cette dernière opinion, on cite d'habitude un texte de Censorinus "* et trois constitutions du CodeThéodo- sien datées des années 371, 372 et 395 \ Mais aucun de ces témoignages ne mentionne une obligation quelconque. On pourrait même soutenir que l'une des lois citées du Code Théodosien prouve exactement le contraire de ce qu'on veut lui faire prouver : il y est dit en effet que le privilège de l'immunité doit être conféré à ceux qui ad sacercloiium p7^ovmciae . . . , gradatim et per ordinem, non gratia emen- dicatisque suffragiis, p(?rî/"é';2€^'//i^ '. 11 y avait donc, encore à la fin du iv' siècle, des prêtres provinciaux qui pouvaient être revêtus de ce sacerdoce autrement que gradatim et per otrtinem. Ajoutons que cette constitution date d'une époque les empereurs imposaient avec insistance à la classe des Curiales l'obligation de remplir les charges municipales. Nous en conclurons que même alors l'exercice de ces fonctions n'était pas une condition légalement néces- saire pour être élu prêtre provincial.

Les prêtres provinciaux, qui avaient parcouru dans leur cité le cursus honormn municipal, étaient dits omnibus honoribus in repiiblica sua functi; cette formule générale est parfois remplacée par l'énumération des magistratures, édilité, questure, duumvirat. Or sur les 163 prêtres connus des provinces latines, 86 seulement se trouvent dans ce cas : c'est, à quelques unités près, la moitié du nombre total. Pour ceux-là seuls la preuve est formelle. Quant aux

1. Beurlier, Essai sur le culte.., p. 139.

2. A. Bernard, Le Temple d'Auguste, p. 52; cf. P. Guiraud, Les Assem- blées provinciales, p. 85.

.3. Liber de Die Natali, XV.

4. Liv. XII, tit. I, 1.75, 77, 148.

5. Liv. XII, t. 1,1. 75.

13G CHAPITRE V

autres, on prétendra peut-être que l'argument ex ailcntio ne vaut pas : nous ne pouvons accepter cette objection. Étudions, par exemple, les documents qui nous font con- naître les prêtres provinciaux de laBétique : de ces prêtres, deux ont été duumvirs, c'est-à-dire ont parcouru tout le cursus honorum municipal à Corduba * ; un autre, Sex. AliusMamercus, a été pontifex 'perpetmis col{oniae) Astigi- tanac ^ ; un autre encore, M. Cornélius A. f. Novatus Bae- bius Balbus d'Igabrum a été prciefectus fabrum et trib. mil. Icg. Vl Victrlcis Piae Felicis ^; enfin pour quatre autres de ces prêtres, aucune fonction municipale, aucun grade militaire ne sont mentionnés. Ce sont C. Sempronius Speratus % P. Octavius Flavus % C. Varinius ^ C. Cosanus C. f. Gai. Rusticus \ 11 faut prendre les documents tels qu'ils sont et ne point ergoter. les fonctions municipales ne sont pas mentionnées, il faut, en bonne méthode, admettre, à moins de preuve contraire, qu'elles n'ont pas été exercées. Les inscriptions relatives aux prêtres provin- ciaux des Trois Gaules nous fournissent une démonstration analogue : trente et un de ces textes sont assez complets pour que nous y trouvions ou non la mention des honneurs revêtus ou des charges exercées par le prêtre provincial : or la formule omnibus honoribus apud suos fimctus, ou l'indication détaillée des magistratures municipales, en par- ticulier du duumvirat, ne se trouvent que sur seize inscrip- tions. Il n'est pas possible de ne pas établir une différence entre les deux textes suivants : M. Liicter. Liicterii Senciani f. Leoni omnibus honori-

1. c. I. Lat., II, 2224 : L. Julius M. f. Q. nep. Gai. Gallus Mummianus trib. militicm coh. maritimae, Ilvir c[oloniae) C{ordi(bae) Piatriciae), fla- men divor. Aiuj. pr ovine. Baeticae; cf. Id., ibid., 5523.

2. C. I. Lat., II, 1475.

3. Id., ibid., 1614.

4. Id., ibid., 2314.

5. Id., ibid., 3395.

6. Id., ibid., 983.

7. Id., ibid., 2220.

LES PRÊTRES ET LES FIDELES DU CULTE IMPERIAL 137

hus in patria functo sacerd. arae Aug. inter confluent.

Arar. et Rhodani Civitas Cad{urcorum) ob mérita ejus

publ. posicit '.

et

C. Servilio Martiano Aï^verno C. Servilii Domiti filio

sacerdotl ad templwn Romae et Augustorum Très provin-

c'iae GalUae '\

Le prêtre provincial Q. Licinius Ultor est nommé dans deux inscriptions trouvées sur l'emplacement du sanctuaire fédéral des Trois Gaules. Ces deux inscriptions sont mutilées et incomplètes ; mais une restitution très vraisemblable éta- blit que ce personnage, originaire de la civitas Lemovicum, fut honoré du sacerdoce provincial à l'âge de 22 ans ^ Pou- vait-il à cet âge-là avoir exercé toutes les magistratures de " sa cité ?

Les faits, sur lesquels on peut aujourd'hui faire fonds, ne justifient donc nullement à nos yeux la théorie d'après laquelle il fallait avoir parcouru le cursus honorum muni- cipal pour pouvoir aspirer au sacerdoce de sa province. Ce que les documents nous apprennent, ce n'est même pas qu'il en fût ainsi en général, c'est seulement que le cas était assez fréquent.

Il arriva aussi, mais moins souvent, que l'assemblée pro- vinciale désigna, pour la présider et pour célébrer les céré- monies du culte impérial, soit un ancien officier de légion ou de troupes auxihaires, soit un ancien procurateur impérial. Par exemple, parmi les prêtres provinciaux de l'Espagne citérieure, C. Aemilius C. f. Gai. Fraternus fut tribun mihtaire de la legio V Alaudar., et deux fois ^ra^- fectus fabrum *; L. Aemilius L. f... Pa^^Z^^s d'Attacca fut tribun militaire de la legio III Cyrenaica, et préfet d'une

1. c. I. Lat., XIII, 1511.

2. Jd., ibid., 1706.

3. Id., ibid., 1699, 1700.

4. Id., II, 4188.

138 CHAPITRE V

coliors I dont le nom nous échappe '; M. Caîpumius Lupus d'Ercavica fut préfet de la cohors I Bilurlguni ^; C. Sewpronhis M. f. Gai. Fidus de Calagurris fut tribun militaire dans quatre légions, la IIII Scythica, la VI Fer- rata, la IIIGaUica et la XX Valeria Victrix '. D'autre part^ parmi ces mêmes prêtres, nous rencontrons un procio^atoy-' monetae, C. Cl{a)udius Rectif. A)i[iensi tribu) Reclus \ un proc. Aiig., Q. Licmius M. f. Gai. SUvamis Granianus de Tarraco % un p)'^^o(^- August. ah alimentis., M. Porcins M. fil. Aiiiens[i) Aper *. Sur les 163 prêtres des provinces latines maintenant connus, nous en avons relevé 34 qui étaient ainsi d'anciens officiers ou d'anciens procurateurs. Ils avaient certainement exercé ces fonctions avant d'être élus prêtres provinciaux, puisque ces fonctions sont énu- mérées sur les piédestaux des statues qui leur furent éle- vées par l'assemblée de leur province après leur année de sacerdoce.

Quant à ceux des prêtres provinciaux qui paraissent n'avoir été revêtus ni d'un grade militaire, ni d'une procu- ratèle, ni de fonctions municipales, et pour lesquels en outre aucune des tribus romaines n'est indiquée, ils portent en général les tria nomina romains : tels sont, par exemple, L. Junius Latro de Conimbrica ' et C. Julius Ve- getus d'Ammaia ^ en Lusitanie ; C. Sempronius Spera- tus de INIellaria "^ et P. Octavius Flavus ^^ en Bétique ; C. Julius Vercondaridubius. l'Eduen ", C. Servilius Martia-

1. CI. Lat., II, 4189.

2. i(7., ibid., 4203.

3. Id., ibid., 4245.

4. Id., ibid., 4206.

5. Id., ibid., 4226.

6. Id., ibid., 4^38.

7. Id., ibid., 5264.

8. Id., ibid., 160.

9. Id., ibid., 2344.

10. Id., ibid., 3395.

11. Liv. Epit. CXXXVII.

LES PRÊTRES ET LES FIDELES DU CULTE IMPERIAL 139

nus rArverne ', L. Campanius Priscus et son fils Virilis, de la cù'itas Redonum -, dans les Trois Gaules. Très rares sont les exceptions : nous ne connaissons que : Albinus Alhinl /"., prêtre provincial de Lusitanie \ Florius Vege- tiis, prêtre provincial de l'Espagne citérieure \ Segi- miuidus, Segestls flUus, le Chérusque *qui fut prêtre du culte impérial à Xara Ubiorwn ^

De tous les faits que nous avons cités ou discutés dans les pages précédentes, que conclurons-nous? Nulle part, on ne saisit dans la désignation des prêtres provinciaux Fac- tion administrative du gouvernement impérial. Les assem- blées provinciales semblent bien avoir été libres de choisir à leur gré leur président, qui exerçait le sacerdoce du culte officiel ; nous ne croyons pas que les candidats à cet hon- neur fussent légalement tenus de remplir certaines condi- tions. Dans la seule province de NarbOnaise, ils étaient obligés d'être citoyens romains. Les gouverneurs, procon- suls ou légats propréteurs, n'avaient pas le droit d'exercer une intervention officielle ; il est vraisemblable que dans certains cas leur influence officieuse pouvait déterminer le vote de l'assemblée ; mais aucun document, aucun fait ne nous permet de croire que ce fût en vertu d'une attribution nettement définie. D'autre part, il est certain que les prêtres provinciaux appartenaient à peu près tous à cette aristo- cratie municipale, à laquelle les provinces de l'empire ont leur prospérité. L'honneur de présider pendant une année l'assemblée provinciale, de célébrer au nom de toute la province les cérémonies du culte impérial, de porter ensuite un titre et de posséder des privilèges qui rappe- laient cette haute fonction, était convoité par les riches familles des diverses cités de l'empire : un texte du juris-

1. C. I. Lat., XIII, 1706.

2. Bull, des Antiq., 189(5, p. 298-300.

3. C. I. Lat., II, 473.

4. Id., ibid., 4210.

5. Tacit., Ann., I, 57.

10

140 CHAPITRE V

consulte Paul nous apprend même qu'elles apportaient par- fois à le briguer une vive âpreté et qu'elles s'efforçaient d'exercer sur l'assemblée provinciale une pression dont la loi dut se préoccuper '. Aussi ne faut-il pas s'étonner si parfois le sacerdoce provincial fut dévolu à plusieurs per- sonnages de la même famille, par exemple à un père, à un fils, à un petit fils : tel est le cas pour L. Campanius Priscus et L. Campanius Virilis, le père et le fils, de la civl- fas Redoniim, qui portent tous deux en même temps le titre de sacerdos Homae et Aug. "■; tel est aussi le cas pour C. Pompeius Sanctus, M. Pompeius Libo, et C Pompeius Sanctus, père, fils et petit-fils, de la ciritas Petrucoino- rum ^ ; les deux premiers sont appelés sacerdotes arenses '* ; une statue du troisième fut érigée dans le sanctuaire fédé- ral voisin de Lugdunum '.

Ces conclusions s'appliquent également aux inquisitores GalUarinn, ji/dices arcae Galliariim, cdJectores arcae Gal- liarum, qui jouaient un rôle important dans l'administration du culte provincial. Comme les prêtres de culte, ils étaient originaires d'une ciritas gauloise ; la plupart d'entre eux sont dits omnibus honorihus apiid skos fimcti; l'un d'eux fut tribun militaire de la legio Y Macedonica ; deux autres furent ciit^atores civitatis \

Sans doute, dès la fin du ii^ siècle et pendant le jii% le sacerdoce provincial passa par les mêmes vicissitudes que les magistratures municipales. C'était un honneur coûteux que d'être le prêtre du culte officiel dans sa province; chaque prêtre mettait son amour propre à entourer du plus vif éclat les cérémonies religieuses et les fêtes de toute nature qu'il devait célébrer. Lorsque les provinces subirent,

1. Paul., Sentent., Y, 30, 1; cf. Beurlier, Essai sur le culte.., p. 137.

2. Bull, des Antiq., 1896, p. 298-300.

3. C. 1. Lat., XIII, 939, 1704.

4. Id., ibid., 939.

5. Id., ibid., 1704.

6. Id., ibid., 1686, 1688, 1690, 1695, 1697, 1703, 1707, 1708, 3528.

LES PRÊTRES ET LES FIDÈLES DU CULTE LMPÉRIAL 141

les unes plus tôt, les autres plus tard, la décadence écono- mique qui précéda le déclin et la chute de l'empire, il y eut moins de candidats à ce sacerdoce dispendieux; des prêtres élus refusèrent même l'honneur qu'on leur décer- nait. Il fallut prendre des mesures pour éviter que le culte provincial cessât d'être célébré faute de prêtres '. ^lais les raisons de ces al)stentions ne furent jamais d'ordre reli- gieux. C'était spontanément qu'avait été institué le culte provincial; c'était librement qu'agissaient les assemblées provinciales; les membres de l'aristocratie municipale convoitèrent pendant deux siècles l'honneur d'être élus prêtres de leur province. Ceux-là même, qui restèrent assez riches au m' et au iv^ siècles pour assumer les dépenses du sacerdoce provincial, continuèrent à le bri- guer, puisque la Constitution du Code Théodosien Liv. XII, tit. 1, loi. 75 mentionne, à propos du sacerdotium proi'in- ciae, des siiffragia emendicata.

A côté des prêtres provinciaux, il y avait des prêtresses provinciales. Nous en connaissons dix-huit pour les pro- vinces latines, soit une en Mam^étanie Tingitane ^ cinq en Lusitanie ^ neuf en Tarraconaise '% une en Narbonaise % une en Rétie ^ une en Pannonie supérieure ''.

Dans les provinces le prêtre porte le titre de flamen^ c'est-à-dire en Lusitanie, en Tarraconaise, en Narbonaise, les prêtresses provinciales sont appelées flmninicae; dans les provinces le prêtre porte le titre de sacerdos, elles sont appelées sacerdoies ; c'est le cas pour la Rétie et la Pannonie supérieure.

En Maurétanie Tingitane, nous ne connaissons encore

1. Beurlier, Essai sur le culte.., p. 142-143.

2. C. I. Lat., YIII, 21842.

.3. Id., II, 32, 114, 122 = 5189, 195, 895.

4. 7^., ibid., 4190, 4198, 4233, 423G. 4241, 4242, 4246, 4252, 2427.

5.. /cf., XII, 2516.

6. M., III, 5827.

7. Id., ibid., .3936 = 10820.

142 CHAPITRE V

aucun prêtre i3rovincial, la prêtresse s'appelait flaminlca : il est permis de conclure par analogie que le prêtre de cette province portait le titre de flamen, comme dans la Mauré- tanie Césarienne.

Les femmes, qui portaient les titres de flamhiica ou de sacerdos étaient-elles chargées d'un véritable sacerdoce ? Nous verrons plus loin que les documents nous permettent de répondre avec certitude à cette question par l'affirmative en ce qui concerne les prêtresses municipales. 11 n'en est pas de même pour les prêtresses provinciales. La seule mention qui suive le titre de ffaminica ou de sacerdos dans les textes est le nom de la province : Jlaminica jjrovin- ciae Tingit. \ ffaminica provinciae Liisltaniae -, flayninica p{rovi)iciae) H{ispa)iiae) C[iterioris) ^ Aussi plusieurs savants pensent-ils que les femmes, honorées du titre de fiaminica ou de sacerdos, « n'étaient ainsi appelées que parce qu'elles étaient associées au sacerdoce de leur mari » *. La conséquence forcée d'une telle opinion, c'est que toute femme de prêtre provincial portait le titre de fla- minica, et inversement que toutes les flaminicae connues étaient des épouses de prêtres provinciaux. Examinons si les documents justifient cette théorie. M. l'abbé Beurlier prétend que sa conclusion « résulte tout particulièrement des deux inscriptions 396 et 397 du tome II du Corpus InscripUonum Latinarum. Julia Modesta est dite dans l'une (396), femme deSex. AponiusScaevus Flaccus, flamine de la province de Lusitanie, et dans l'autre (397) fiami- nica \ » L'exemple invoqué par M. l'abbé Beurher nous paraît non seulement ne pas prouver l'exactitude de son opinion, mais même pouvoir être retourné contre elle. En effet, les cinq flaminicae certaines de la province de Lusi-

1. C. I. Lat., VIII, 21842.

2. Ici, II, 32, lU, 122 = 5189, 195, 895.

3. Id., ibid., 4190, 4198, 4241, 2427.

4. Beurlier, Essai sm- le culte.., p. 152.

5. Beurlier, loc. cit.

LES PRETRES ET LES FIDELES DU CULTE IMPÉRIAL 143

tanie, dont les textes épigraphiques nous ont conservé les noms, portent toutes le titre de flamînica iwovinciae Lusi- ianiae ; JuMci Modesta est appelée seulement /faminica, et comme, dans la phrase elle porte ce titre, son nom est précédé immédiatement des deux mots : spleadidissimae cirttati, c'est /farjii/iica ciritatis et non paminica "provin- ciae qu'il faut comprendre. De plus, si Julia Modesta avait éié fiaminica de la province précisément parce que son mari Sex. Aponius ScaevusFlaccus avait exercé le sacerdoce de cette même province, il serait étrange que son titre de fia- minica fut précisément omis dans l'inscription son mari est appelé flamen profinciae Lusitaniae . Les documents, M. Beurlier a cru trouver la preuve de sa théorie, nous montrent au contraire un couple, dont le mari est flamine de sa province et dont la femme ne porte pas le titre de ffaniinica pro rinciac.

Parmi les flaminiques provinciales connues, il en est qui étaient femmes de personnages revêtus du titre de fiamen provinciae. Dans l'Espagne citérieure, par exemple, Au- rélia Marcellina était la femme du prêtre provincial Licinius Sparsus \ Pomponia Maximina était la femme du prêtre provincial M. Ulpius Reburrus ', Postumia Nepotiana était la femme du flamine provincial T. Porcins Yerrinus % Ya- leria Fida était la femme du prêtre provincial L. Caecilius Porcianus ". Sur les inscriptions relatives à ces quatre fla- miniques, le titre de flamea ou fiamen profinciae est for- mellement donné à leurs maris. Pour deux autres flami- niques, un problème assez délicat se pose : Paetinia Paterna est dite femme de L. Antonius Modestus Inter- cafiensis ex génie Vaccaeorum ^; Porcia Materna est dite femme de L. Numisius Montanus ^ Ni L. Antonius Mo-

1.

G. 1. Lat.

, II, 4198

2.

M., ibid.,

42.36.

3.

M., ibid.,

424.3.

4.

M., ibid.

, 4252.

5.

Id., ibid.,

42a3.

6.

Id., ibid.,

, 4241.

144

CHAPITRE V

destus ni L. Niimisius Montaïuis ne sont appelés sur ces deux textes flamines de la province. Ils le furent pour- tant, comme nous l'apprennent deux autres inscriptions '. Mais on peut se demander s'ils l'étaient lorsque furent gravées les inscriptions leurs femmes sont nommées. Rien ne prouve que Paetinia Paterna ait été fkiminica en même temps que L. Antonius Modestus était flamoi pro- vincïae, ni que Porcia Materna Tait été en même temps que L. Numisius Montanus. Une inscription de Pannonie donne peut-être quelque crédit à cette hypothèse. On y lit : J\p}:i O'yptiino) M[axuno NuncUnario, pro sainte D. N. ïmp. Gordiani Aug., G. D. Q[ulruia) Victot^inus, dec[urio) col. Sisc{iae), IIviral{is), eq{ues) rom{cmus), sac(erdos) P{ro- rinciae) Piciiiaoniaé) Sup[er loris) et C .D. Vlctormus fil. dec. col. Slsc{iae), eq. r[ow^...] et... lia Liicil{la) conjux sacerdo- t{alis) Pio et Pî^ocido [cos) \ Si vraiment il faut restituer avec les éditeurs du Corpus, sacerdos pour le titre du mari et SACERDOTALis pour cclui de sa femme, il en résulte que Lucilla a été prêtresse provinciale avant que son mari Vic- torinus obtint le même honneur. Ce serait précisément le cas de Paetinia Paterna et de Porcia Materna en Tarra- conaise.

En ce qui concerne les autres fiaminicae provinciales que les inscriptions nous font connaître, nous ne savons point si ehes étaient ou non épouses de flamines provin- ciaux. En revanche nous pouvons citer quelques prêtres provinciaux dont les femmes ne portent point le titre de fla- minica ou sacerdos provinciae. Cominia Patercula, femme de M.Helvius Melior Placinus Sabinianus Samunianus, prêtre provincial de l'Afrique Proconsulaire, n'est point appelée sacerdos ou sacerdotalis prorinciae sur la dédicace de la statue que lui élevèrent les cariâtes curiarum X d'Alihi- burus ^ En Lusitanie, la femme du flamine provincial C.

1. c. I. Lat., II, 42.31, G09.3.

2. Id., III, 3936= 10S20.

3. 7'/., VIII, 16172.

LES PRÊTRES ET LES F'IDÈLES DU CULTE IMPERIAL 145

Julius Vegetus est nommée tout simplement Propinia Stafra, sans adjonction d'aucun titre '. Flavia Cassia, femme de L. Allius Verinus, flamine de la province des Alpes nmrl- timae, n'est point dite flamlnica provlnciae ^ C'est le cas également, bien que le texte soit un peu mutilé, pour la femme de T. Cassius Sextinus, flamen Aug. provlnciae Cottianae ^; c'est encore le cas pour Flavia Marcarita, femme de L. Petronius Sentius sacerdotalis de la Mésie Inférieure \ et pour Juvennia Prisca, femme de M. Albinius Félix, sacerdotalis de Rétie \

Il n'est pas exact, dans l'état actuel des documents, d'affirmer que le titre de fkiminica soit purement et simple- ment sjaionyme de flaminis uxor ; car nous connaissons plusieurs femmes de flamines qui ne portent pas ce titre. A notre avis, la flaminica ou sacerdos provinciale était bien chargée de célébrer un culte, mais nous ne savons pas de quelle divinité elle était prêtresse ; il est d'ailleurs vraisem- blable que cette divinité variait suivant les provinces, comme la divinité même dont le culte était célébré par le prêtre provincial .

Dans le commentaire qu'il a donné de la Lex concilli Narbonensis, M. Mispoulet a soutenu une opinion diffé- rente. Pour lui, le terme flaminica comporte bien l'idée d'un véritable sacerdoce, et désigne une vraie prêtresse; mais il ajoute que toute uxor fla?ninis est en droit flaminica, que toute femme d'un prêtre provincial est par même prêtresse provinciale \ Comme nous venons de le voir, les documents démentent cette opinion. M. Mispoulet y a d'ailleurs été amené par une méthode que nous jugeons fort dangereuse : d'une part il a accepté pour la ligne 7 du

1. C. I. Lat., II, IGO.

2. IcL, XII, SI.

3. LL, V, 7259.

4. /(/., III, 12428.

5. Ici., ibid., 582(5.

6. Xoiiv. Rev. histor. de droit, 1888, p. 357.

146 CHAPITRE V

texte épigraphique la restitution du mot flaniinica que rien lie justifie, qui n'est qu'un complément tout à fait hypothé- tique des mots conservés; d'autre part il a usé d'un pro- cédé de généraUsation qui nous semble bien téméraire. A la fin du paragraphe de la lex relatif aux honneurs et aux privilèges du flamine provincial en exercice, trois lignes du document sont consacrées aux privilèges et aux devoirs d'une femme dont le titre ne s'est pas conservé. Voici ce qui reste de ces trois lignes

.. minh reste alba aut i^urpurea vestita /".....

neve invita jurato neve corpus hominis mor

Ji hominis erit, eique spectaculis publicis ejus

On a voulu restituer à la fin de la première ligne f[laniinica ...]. Épigraphiquement, la restitution nous semble vraiment trop audacieuse. En outre, si la lex date, suivant l'opinion communément admise, du principat même d'Auguste, il ne pouvait pas y avoir à cette époque de flaminica. Enfin, s'il était vraiment question dans ces trois lignes d'une //«//? //?/(Y^ d'ime prêtresse chargée de célébrer un culte, on ne comprendrait pas pourquoi il n'est fait aucune mention d'elle dans le paragraphe consacré aux honneurs et privilèges du flamine sorti de charge. Les ins- criptions nous apprennent que les prêtresses provinciales gardaient, après l'exercice de leiu^ sacerdoce, le titre de ftaminica, flaminica perpétua, sacerdotalis. Par exemple, Porcia Materna est dite ftaminica provinciae Hispaniae citerioris et j^ostea Osicerdae, Caesaraugiistae, Tarracone perpétua '; Aemilia Paterna porte le titre de flaminica perpétua provinciae Hispaniae citerioris -; en Rétie, Sil- viaMaternina a le titre de sacerdotalis ^ A ce titre étaient attachés sans doute certains privilèges honorifiques. S'il n'est point question de ces privilèges dans la lex concilii,

1. C.I.Lat., Il, 4241.

2. Id., ibid.. 4100.

3. Id., III, 5827.

LES PRÊTRES ET LES FIDÈLES DU CULTE IMPÉRL\L 147

c'est que la femme mentionnée à la tin du l*"" paragraphe consacré aux lionneurs et privilèges du flamine en exercice n'est pas une prêtresse, une fktminica. Nous pensons qu'il s'agit ici seulement de l'épouse du flamine. Comme restitu- tion, nous préférons restituer au début du fragment que nous étudions

uxor fla\mims...

L'épouse du flamine jouit de certains privilèges; elle peut revêtir un vêtement de couleur blanche ou pourpre; elle ne peut pas être obligée de prêter un serment ; il lui est interdit de toucher un cadavre et peut-être d'assister à des obsèques, à moins que ce ne soient les obsèques d'un de ses parents; enfin il lai est permis d'assister aux jeux et spec- tacles publics qui accompagnent la célébration du culte provincial. La liberté de ne pas prêter serment e-t l'inter- diction de toucher un cadavre figurent parmi les privilèges et les devoirs du flamine de Jupiter et de la prêtresse de Vesta à Rome. Aussitôt l'on en a conclu que la femme, qui possédait ce même privilège et était astreinte à ce même devoir, était forcément une prêtresse. En réalité, le seul fait d'être l'épouse du prêtre provincial confé- rait un caractère sacré, qui avait pour corollaires natu- rels certains privilèges et certaines obligations. Nous ne croyons donc pas devoir admettre la théorie de M. Mis- poulet plus que celle de M. l'abbé Beurlier et nous pré- férons nous en tenir aux faits précis et particuliers, qui ressortent de la statistique des documents aujourd'hui connus.

Ces documents nous apprennent que l'épouse d'un prêtre provincial n'était pas forcément une prêtresse pro- vinciale ; mais qu'il en fut parfois ainsi . Quatre et peut-être six flaminiques provinciales de la Tarraconaise étaient épouses de flamines provinciaux. Les femmes, à qui ce sacerdoce était dévolu, portent en général des noms romains^ groupés suivant les règles de l'onomastique romaine :

148 CHAPITRE V

Flaria L. f. Rufina '^ Laberia L. f. Galla -, Domllla L. f. Proculina ^ en Liisitanie; Aemilîa L. f. Paterna \ Poy^cia M. f. Materna % en Tarraconaise ; SiUia T. fil. Mater- nina ® en Rétie. Lorsque nous connaissons leur famille, nous constatons qu'elles appartiennent, comme les fla- mines provinciaux, à l'aristocratie provinciale et munici- pale : c'est le cas pour les six flaminiques de la Tarraco- naise, dont les maris furent flamines provinciaux; c'est le cas pour Lucilla de Siscia, épouse et mère de décurions et de chevaliers romains.

Nous ne savons pas comment ni par qui les prêtresses provinciales étaient désignées. Si le raisonnement par analogie peut être appliqué ici, elles le furent par l'assem- blée provinciale.

2

Pour les prêtres et les prêtresses des groupes de cités tels que les Coloniae Cirtenscs, les conventus d'Espagne ou l'Hexapole Pontique, l'étude des documents nous conduit exactement aux mêmes conclusions que pour les prêtres provinciaux et les prêtresses provinciales.

Ces prêtres ne portent pas partout le même nom : ce sont des fiamines dans les Coloniae Cirtenses \ dans le groupe formé par les coloniae immnnes de la province de Bétique ^ dans le Conventus Carthaginiensis ^; ce sont des sacer- dotes dans le conventus Bracaraugustanus '^ dans le Con-

1. C. I. Lot., II, 3-2.

2. m.. ibicL, 114.

3. 7rf., ibid., 895.

4. M., ibid., 4190.

5. m., ibid., 4241.

6. m., III, 5827.

7. Id., VIII, 7112, 8318, 8319.

8. m., II, 1663.

9. m., ibid., .3412, 3418.

10. 7d., ibid., 2416, 2426, 4215, 6(m3.

LES PRÊTRES ET LES FIDELES DU CULTE IMPERIAL 149

veritiis Asturum S eu Liburnie -; quant aux prêtres de l'hexapole Pontique, leur véritable titre est, conformément à la coutume grecque, novTàpyr,; ^ Remarquons que le nom de ces prêtres varie non seulement de province à pro- vince, mais même de coni-cntus à conventus dans une même province : le conventm Carthaglmensis, dont le prêtre s'appelait fïamcri, appartient en effet à la Tarraco- naise comme le conventus Asturum et le conventus Braca- raugiistanus, dont les prêtres s'appelaient sacerdotes.

Les divinités dont ces prêtres célébraient le culte ne sont désignées avec précision que pour trois groupes : les prêtres du conventus B7Yicaraugiistanus et du conventus Asturum sont appelés dans les inscriptions sacerdotes Romae et Augustl '*; le prêtre de la Liburnie est dit sacer- dos ad aram Augustl '\ Nous ne savons point à quelle divinité s'adressaient spécialement les hommages des /famines des Coloniae Cirtenses, du groupe des colon iae iminunes de la Bétique, du conventus Cartîiaginiensis, ni ceux des Pontarques de Mésie Inférieure. Malgré ces lacunes, nous constatons qu'ici comme pour les provinces, la loi est la variété. Cette variété ne s'explique que si cha- cun de ces groupes a organisé spontanément et librement le culte qu'il voulait rendre à la divinité impériale.

L'existence d'une assemblée est attestée pour les Colo- niae Cirtenses ®, le conventus CartJmginiensis \ la Libur- nie ^ l'Hexapole Pontique \ Il est vraisemblable que des

L C. I. Lat., II, 4223, 6094.

2. Id., 111,2810.

3. J. Toutain, Les Pontarques de la Mésie Inférieure, dans les Mémoires des Antiquaires, t. LXII, p. 126 et suiv., n°^ 1-10.

4. G. I. Lat., II, 2416, 6093; 1223, 6094.

5. Id., III, 2810.

6. Marquardt et Moinmsen, Manuel des Antiquités romaines, trad. fr., t. VIII, 2, p. 473.

7. C. I. Lat., II, 3412,-3418.

8. Id., III, 2808.

9. J. Toutain, Les Pontarques.. ., p. 126, 1 (xoiv6v tûv 'EWâ.v"'^)-

150 CHAPITRE V

assemblées analogues existaient dans les autres groupes, et que dans chaque groupe le prêtre du culte impérial était désigné par l'assemblée. Ce n'est là, sans doute, qu'une hypothèse, piiisqu'aucun document explicite ne nous ren- seigne sur le mode de désignation de ces prêtres ; mais cette hypothèse se justifie par les analogies que dans l'ensemble le sacerdoce de ces groupes présente avec le sacerdoce provincial.

Nous connaissons à peu près une vingtaine de ces prêtres et trois prêtresses. Quatre prêtres, deux flamines des coloniac Cirtenses ' et deux sacerdotes Romae et Augnsti du conventus Asturum - ont appartenu à l'ordre équestre ; mais il est possible qu'ils n'aient été equo imblico donatl qu'après avoir exercé ce sacerdoce. Pour trois d'entre eux, la rédaction même de leur cursus honorimi confirme cette opinion. Cinq autres prêtres de groupes étaient certainement citoyens romains : quatre, parce que la tribu, dans laquelle ils étaient inscrits, est mentionnée ^ ; le cinquième, L. Lucretius Fulvianus, parce qu'il était tla- mine des coloniae immuncs de la Bétique. On ne conçoit pas que le représentant religieux de colonies ne fut pas citoyen romain. Ne paraissent pas avoir possédé la cité ro- maine, d'une part l'un des prêtres du conventus Bracarau- gustanus, [Ca]inalus^ Melg[aeci) f. *; d'autre part les Pon- tarques Ilps-la-y-w^ 'Aw.avô;, Aùpr,)vW; flpsio-x'.o; 'Is-'l^topo;;, T, ^Xaoûw; noa-£',3tl)V'.oç, (T, <I>Àaoj',o^?) $a~.opo;, T, Koa-lvio^ KXaj- S'.xvô-; 'Ep|ji.à'^'.Ao;, A'.ovjTOOcopo;, OjaAÉpt.o;, A'.ovjt'.o;. Quant à Postumius Claranus, flamine du conrenius Carthaginien- sis •\ nous n'avons aucun indice qui nous permette de décider s'il était ou non citoyen romain.

La plupart de ces prêtres avaient exercé dans leur ville

1. C. I. Lat., VIII, 8318, 8319.

2. Id., II, 4223,6094.

3. Id., ibid., 4215, 6093, 3418; III, 2810.

4. Id., II, 2426.

5. Id., ibid., 3412.

LES PRÊTRES ET LES FIDELES DU CULTE IMPERLIL 151

toutes les magistratures municipales : les uns sont dits omnibus honorlbus funcii *; les autres, avoir atteint la plus haute des charges municipales, ap;-/^ ty,v -pcôr/'.v h.oy-r,'f -. Mais nous ne pouvons pas plus admettre, pour ces prêtres que nous ne l'avons admis pour les prêtres provin- ciaux, que l'exercice de toutes ces magistratures fût une obligation : les documents sont muets, en ce qui concerne le cursus honorum municipal, pour L. Lucretius Fulvianus, flamine des coloniae immunes de la Bétique. pour Ca malus, Melg. f., sacerdos du conventus Bracaraugustanus, pour M. Valerius Vindicianus et Postumius Claranus, flamines du concentus Carthaginiensis ; pour les pontarques T. <I>Aaoj'.o; IIoTî'.owv'.o;, T. Koulww; KAajo-.avoç Ep|j.à'jiAo;, Aw- v'jtÔowoo;, O'jaAÉp'.o;, A'.ovÛtlo;.

En résumé, les prêtres de ces groupes de cités appar- tenaient comme les prêtres provinciaux à l'aristocratie municipale. 11 ne semble pas qu'aucune condition restric- tive limitât le choix des assemblées qui les désignaient. Ici encore l'adhésion des provinciaux à cette forme du culte impérial paraît avoir été spontanée. Nulle part, on ne saisit la moindre trace d'une action officielle.

Les trois prêtresses aujourd'hui connues sont : Veratia Frontonilla, Clodia Vitosa Tertullina, qui furent toutes deux flaminiques des coloniae Cirfenses ^ et Lucretia Fida, sacerdos 2:)erpetiia Romae et Angusti conventus Bracaraii- gustani \ Le titre de Lucretia Fida prouve qu'elle était chargée d'un véritable sacerdoce ; son titre est identique à celui des prêtres du conventus. D'autre part, si restreint que soit le nombre des prêtresses de ces groupes aujour- d'hui connues, nous y trouvons néanmoins la preuve que ces prêtresses n'étaient nullement des femmes de prêtres.

1. C. I. Lai., Yin, 7112, 8318, 8319; II, 42^3, 6094.

2. J. Toutain, Les Poyitarques , p. 126 et suiv., 1, 2; cf. C. I. Lat.,

III, 2810.

3. C. 7. Lat., y 111, 7080, 18912.

4. Jrf., II, 2416.

152 CHAPITUK V

D'une part, en effel, Veratia Frontonilla, flaminique des Colonlae Cirtenses, est la femme d'un centurion libéré du service, qui n'est point dit avoir été flamine de ces colo- niae ' ; d'autre part Paetinia Paterna, femme de L. Anto- nius Modestus, qui fut prêtre du conventus Bracaraugus- tanus, ne fut point prêtresse de ce même conventus ^] ce fut probablement aussi le cas de Julia Sex. f . Maxiraa, qui semble bien être la femme de T. Turranius Sedatus, sacer- dos ad arani Aug. Liburnlae ^,

Dans chaque ville, le culte de la divinité impériale était, comme dans chaque province, officiellement célébré. Les savants ont coutume de donner aux prêtres spécialement chargés de cette forme du culte le nom de prêtres muni- cipaux. Cette épithète est en effet nécessaire et suffisante pour les distinguer des prêtres provinciaux.

L'institution, le caractère, les attributions et les obliga- tions des prêtres municipaux du culte impérial ont été étudiés avec le plus grand soin par MM. l'abbé Beurlier '" et C. Jullian ^ Nous n'y insisterons pas. Nous voulons seule- ment mettre en lumière certains faits que les documents épigraphiques ont révélés et discuter certaines affirmations à notre avis exagérées ou inexactes.

1. c. I. Lat., yill, 7080.

2. Id., II, 4233.

3. Id., III, 2810. Nous laissons délibérément de côté les inscriptions grecques de Tomes et d'Odessos sont dites àp/iepeîat plusieurs fem- mes de Pontarques (J. Toutain, Les Pontarques.., Mémoires des Antiq., LXII, p. 126 et suiv., n«' 1, 2, 6, 10). Los mots àp/i3p£'j;, ào/ispsïa peuvent en effet désigner aussi bien le sacerdoce municipal qu'un sacerdoce fédéral ou provincial.

4. Beurlier, Essai sur le culte..., p. 168 et suiv.

5. Art. Flamen, dans le Dictionnaire des Antiquités de MM. Daremberg, Saglio et Pottier.

LES PRÊTRES ET LES FIDELES DU CULTE IMPÉRIAL 153

Les prêtres municipaux ne portaient pas le même titre dans toutes les villes de l'empire. Dans les provinces afri- caines, en Lusitanie, en Narbonaise et dans les provinces danubiennes, le seul nom qui leur soit donné sur les inscrip- tions est celui de fiameu] en Bétique, en Tarraconaise, dans les Trois Gaules, dans la Germanie supérieure et en Dalmatie, ces prêtres sont désignés tantôt par le nom de flamen, tantôt par celui de sacerdos. L'équivalence de ces deux mots est démontrée par un texte trouvé en Espagne et qui est ainsi conçu :

Valeria C. f. Paetina, Tuccitana, sacerdos coloniae Pa- triciae Cordubensis, /îaminica coloniae Aiig. Gemellae Tuccitanae, flaminica sive sacerdos municipii Castulo- nensis \

En Bétique et en Tarraconaise, le mot pontifex fut par- fois employé pour désigner des prêtres municipaux du culte impérial : on connaît par exemple, en Bétique un pontif{ex) Augg. ^ un ijontifex domus Augustae à Urgavo ^ deux po;i- tufices (sic) Caesarum à Anticaria '*; en Tarraconaise, un flamien) 'pontifex loey^petuns dlror{um) et Aiig., à Aurgi '■'.

Le titre des prêtres municipaux variait non seulement de province à province, mais encore de ville à ville, et quel- quefois dans une même ville. En Bétique, le titre de 2^o?î- tifex fut employé à Anticaria ^ Urgavo ', Tucci ^ Obulco ^; le titre de /kmien à Canama '^ Acinippo ", Epora '-, Ulia '^

1. c. I. Lat., II, 3278.

2. Id., ibid., 2342.

3. Id., ibid., 2105.

4. Id., ibid., 20.38-2040.

5. Id., ibid., 3.362.

6. Id., ibid., 2038-2010.

7. Id., ibid., 2105.

8. Id., ibid., 1663.

9. Id., ibid., 2132.

10. Id., ibid., 1074.

11. Id., ibid., p. 701, ad. n. 1347.

12. Id., ibid., 2159. 1.3. Id., ibid., 15.34.

154 CHAPITRE V

Barbaesula ', Corduba -, etc. ; les deux titres se retrouvent concurremment usités à Urgavo ^ à Tucci \ à Obulco "\ Dans les trois Gaules, les prêtres municipaux s'appelaient ffami- nes chez les Aedui ^ les Senones ', les Tarbelli \ les Yel- lavi ^ à Burdigala '°; ils se nommaient sacerdofes chez les Segusiavi " et aux F^ontes Sequanae '"-. Chez les Helvètes, on trouve les deux mots également emploj'és à Aventicum '^ Il en était de même à Narona '* et à Salonae ^' en Dalmatie.

Les mots fiamen, sacerdos, %)ontifex, étaient rarement employés seuls. Souvent ils étaient suivis du nom de la divi- nité impériale, fiamea Aug[usti), sacerdos Aiig[ustï)^ fia- men dlvi Augusti, ffamen divi Nervae, flamen dirorimi Aug[v.siorurii), x>ont'ifex domus Augustae, pontifex Caesa- rum, sacerdos Romae et Aiig{usti), etc. Nous avons déjà indiqué pkis haut "^ combien étaient variées les formes prises par le culte municipal ; il n'est pas étonnant que cette variété se retrouve dans les titres mêmes des prêtres de ce culte. Quelquefois c'était le nom de la ville qui précisait le titre du prêtre, par exemple lorsque ce prêtre avait exercé le sacerdoce dans plusieurs villes : c'est ainsi qu'on lit sur les inscriptions des formules comme celle-ci :

1. C. I. Lat., II, 1941.

2. Id., ibid., 5523.

3. Id., ibid., 2ia3, 2105.

4. Id., ibid., 1663, 1678.

5. Id., ibid., 2126, 2132.

6. Id., XIII, 2585.

7. Id., ibid., 2940.

8. Id., ibid., 412.

9. Id., ibid., 1577.

10. Id., ibid., 602.

11. Id., ibid., 1642.

12. Id., ibid., 2870.

13. Mommsen, Inscr. Hehet., 142, 143, 179, 189, 19.3, 194; iScIaceh. Anzeir/., 1870, p. 156-157.

14. C. I. Lat., III, 1796, 1822, 6361; Bu.U. di archaeol. e stor. Daim., 1895, p. 52.

15. C. I. Lat., III, 2028, 2055, 8733, 8787, 8796.

16. Chap. IV, 3, p. 102 et suiv.

LES PRÊTRES ET LES FIDELES DU CULTE IMPERIAL 155

flanien perpetuus in siolendidisshnis civitatibus duabus col. Thamug[adi) et municip. Laynbaesitani ' ; sacerdos in colon. Narona et Eimlauro ^; flam. col. Drob{eti), flam. munie. Dier{il) ^ ; etc.

Parfois enfin les mots flamen, sacerdos, pontifex étaient accompagnés d'épithètes, perpetuus., annuus, designatus. C'est dans les provinces africaines que l'expression fiamen perpetuus se rencontre le plus fréquemment; on la retrouve aussi, plus rarement il est vrai, dans les provinces espa- gnoles '^ et à Aventicum ^; la même épithète se lit après les mots pontifex ^ et sacerdos " en Bétique et en Tarraconaise. Malgré les observations de M. C. Jullian, nous pensons avec Mommsen que de telles expressions désignent la per- manence du titre plutôt que celle de la fonction sacerdotale elle-même; elles ont le même sens que le mot sacerdotalis, qui a été employé au moins une fois pour désigner un prêtre municipal ^ et que le terme flaminalis vir, lu sur une ins- cription de Caesarea en Maurétanie. Les flaîn lues jjerpe lui étaient dans chaque ville les prêtres honoraires du culte impérial.

11 est infiniment probable que le sacerdoce municipal était annuel; pour quelques villes, au moins, le fait est cer- tain ; puisque des inscriptions nous apprennent qu'il y exis- tait des flamines annni ^ ou que le flamonium y était annuel '°. Rien ne paraît s'être opposé à ce que le même

1. C.J.Lai., VIII, 2407.

2. BuU. di archaeol. e stor. Daim., 1895, p. 52.

3. C. I. Lat., III, 14468.

4. En Lusitanie, C. I. Lat., II, 32, 115, 194, 494, 895; en Bétique, Id., ibid., 1663, 1941, 5523; en Tarraconaise, Id., ibid., 4211, 4241,4270, 5617.

5. Mommsen, Inscr. Helvet., 194.

6. C. I. Lat., II, 1663, a362.

7. Id., ibid., 1046, 1341, 1572, 1958, 1978, 5443, 5488.

8. Vaillant, Epigr. de la Morinie, p. 117, n. 22 : sacerdotalis in civitate sua; cf. C. I. L., XII, 18.

9. A Thubursicum Numidarum : C. I. Lat., VIII, 17167; à Leptis magna, Ann. Epigraph., 1904, 16; à Castulo : C. I. Lat., II, 3279.

10. A Theveste, C. l.Lat., VIII, 1888; à Sicca Veneria, Ann. Epigraph., 1898, n. 96.

156 CHAPITRE V

personnage exerçât deux ou plusieurs fois le sacerdoce municipal : à Sagunte, en Tarraconaise, Q. Varvius Q. f. Gai. Cerealis est dit ffamen bis ' ; un autre personnage fut peut-être, dans une cité de la Tarraconaise dont le nom est encore inconnu, quatre fois flaminc " ; on connaît à Aquae Sextiae une flaminica Augustae iterum \

Il n'y a point contradiction entre la durée annuelle de la fonction et l'attribution permanente du titre : bien mieux, cette différence peut seule permettre d'expliquer certains documents l'épithète perpetuus s'applique à des prê- tres ou à des prêtresses qui ont été revêtus du sacerdoce municipal dans plusieurs cités *. De ces exemples, le plus caractéristique est assurément celui de Porcia Materna, originaire de la ville d'Osicerda en Tarraconaise, qui fut ffaminica perpétua à Osicerda, Caesaraugusta, Tarraco. Si l'on tient compte de la distance qui séparait Caesaraugusta de Tarraco, on comprendra que Porcia Materna n'ait pas pu exercer en même temps les fonctions sacerdotales dans ces deux villes. Elle portait le titre de flarainica 'perpétua des trois villes, mais il est tout à fait vraisemblable qu'elle y avait été prêtresse en exercice à des époques différentes et pour une durée limitée.

L'épithète designaius se rencontre, à notre connaissance, sur trois inscriptions, l'une de Numlulis dans l'Afrique Pro- consulaire % la seconde de Dea Augusta Yocontiorum, en Narbonaise ^ la troisième de Salonae en Dalraatie '. L'em- ploi de cette épithète prouve qu'un certain laps de temps s'écoulait entre le moment les prêtres municipaux du culte impérial étaient désignés et la date à laquelle ils

1. C. I. Lat., II, 3864; cf. 3865.

2. 7(f., ibid.,3571.

3. Jd., XII, 519.

4. Id., VIII, 2407; II, 32, 1572, 4241.

5. Flamen divi Nervae design{atus) : Bull. arch. du Corn., 1892, p. 151-155.

6. Flamin[ica) designata, C. I. Lat., XII, 690.

7. Sacer[dos] designat{ns), C. I. Lat., III, 8796.

LES PRÊTRES ET LES FIDELES DU CULTE IMPERIAL 157

entraient en fonction. Cette circonstance établit déjà une analogie marquée entre le sacerdoce municipal et diverses fonctions publiques.

Cette analogie apparaît mieux encore dans le mode de désignation des prêtres municipaux. Une inscription de Chusira, petite cité de l'Afrique proconsulaire, nous apprend que Saturninus M... isachonis f[iUus) fut créé flamen ex conse{n)su universae civitatis Chusirensimn *. Le docu- ment date du règne de Vespasien. Il n'y a aucune raison de croire que l'expression universel civitas Chusirensium soit synonyme de : ordo civitatis. Nous pensons que la désigna- tion fut faite dans ce cas par l'assemblée des citoyens de la ville. Les leges de Salpensa et de Malaca ont prouvé que les co?nitia se tenaient encore dans les villes provinciales, à l'époque des Flaviens, pour la désignation des magistrats municipaux. Le texte de Chusira démontre qu'à la même époque le même mode de désignation s'appliquait aux prêtres municipaux. Plus tard, dans d'autres cités afri- caines, le sacerdoce municipal fut au contraire décerné par Y ordo : tel fut le cas à Furni entre 183 et 185 ^ à Vere- cunda vers l'année 212 ^ A Casae, en Numidie, un vétéran honeste miss{us) est dit electus fi. pp. in civitatem sua (sic) \ Nous nous garderons bien d'étayer sur un nombre si res- treint de documents une conclusion générale ; il est possible que le mode de désignation des prêtres municipaux ait varié suivant les époques, suivant les provinces ^ ou même de ville à ville; ce qui nous paraît devoir être retenu, c'est que cette désignation, dans l'un et l'autre cas, est faite par les

1. C.I.Lat.,YUl, 698.

2. Id., ibid., 12039.

3. Id., ibid., 4187, 4196, 4197, 4243.

4. Id., ibid., 4333.

5. Par exemple, à Vienne, en Narbonaise, G. Passerius P. f. Vol. Afer est dit flam{en) divi Aiigust{ï) d{ecreto) d[ecurionum) et en même temps flam{en) Germ[anici) Caes[aris), ce qui prouve qu'il vivait au début du règne de Tibère. Le sigle d. d. indique qu'il fut élevé au sacerdoce de divus Augustus par Vordo, et non par le populus de Vienne. {G.I. Lat., XII, 1872).

158 CHAPITRE V

pouvoirs locaux, comices ou sénat de la cité, et que l'au- torité impériale n'y intervient pas plus que dans la désigna- tion des prêtres provinciaux.

Les personnages qui, dans les villes provinciales, bri- guaient le sacerdoce municipal, devaient-ils remplir cer- taines conditions? Beaucoup de savants pensent que ce sacerdoce formait le degré suprême du cursus honorum municipal. M. l'abbé Beurlier écrit : « Le Flaminat est en général le couronnement de la carrière des honneurs muni- cipaux * ». M. C. Jallian partage et ratifie cette opinion : « Le flaminat municipal, afflrme-t-il, était comme insépa- rable de la gestion des magistratures supérieures - ». Sans doute ni l'un ni l'autre de ces deux savants n'ignorent les exceptions à la règle qu'ils posent ; mais il nous semble qu'ils ne les ont pas assez mises en lumière. Ces exceptions sont en effet nombreuses ; elles prouvent que si, en fait, les prêtres municipaux étaient souvent les plus hauts person- nages de leur ville, il n'y avait aucune obligation légale, aucune condition exclusive. Nous ne voulons nous servir, pour démontrer notre assertion, que des textes vraiment probants, c'est-à-dire de ceux qui nous apprennent à quel moment de sa vie ou de sa carrière tel ou tel personnage a été prêtre municipal ; grâce à leur précision, de tels docu- ments, croyons-nous, échappent à toute discussion. Les voici :

A. Afrique Proconsulaire :

Mustis. L. Fabius L. f. Cor. Forfunatus, dec[urio) rn[umciim) M[ustitanï), p.am[en), aecUl[is), q{uaestor) ^

Sex Se^npronius Saturninus dec[iirio), fl[amen), ae- di[lis) *

1. Essai sur le cuUe p. 178.

2. Art. Flamen, dans le Dictiotmaire des Antiquités de M.M. Daremberg-, Saglio et Pottier, t. II, p. 1186.

.S. C. I.Lat., VIII, 15588. 4. Jd., ibid., 15592.

LES PRÊTRES ET LES FIDELES DU CULTE IMPERIAL 159

(H"" Bedd). TL Aprarius Félix Q. fil. Papiria Paratus aedllicius, Jl{amen) 2jer2')[etims) *.

Hippo Diarrhytus. M. Porcins... fil. Quir. Dexi[a]nus aedilicius, f{lamen) p[erpetuus) -.

Maxula. us Mascanis f. Adju[tor] flam[en) per-

p{etmis), aedil[is), decurio [in col{onia) Ma]xuli[fa?ia]... '\

Giufls. P. Iddibalius Felicis flaminis quaestorici fil[iiis). .. \

ThubursicLim Numidarum. Q. Velidius Juvenalis men- tionne son (lamonium l'année mêrae il fut édile \

B. Numidie.

Lambaesis. Faustiniis fl{amen) 2^{^'>^)p{^i'^^s), ae- d{ilis) \

C. Bétique.

Obulco. C. Cornélius C. f. C. n. Gai. Caeso aed{ilis), fla7nen, duumrir '.

Quintius Q. f. Q. n. Q. pron. Q. abn. Gai. Hispanus... aedil{is), fiamen, duumvir '.

D. Tarraconaise.

Tarraco. P. Licinius L. f. Gai. Laevbius, aed{ilis), q{iiaestor), fiamen Romae et Aiig{usti), duwnvir '.

M. Voconius M. fil. Vaccida aedil{is), fi[amen) divi Aiig., qiiaest{or)... '°.

E. Narbonaise.

Antipolis. T. Val. T. fil. Volt. Paternus duumvir, fl{amen), decurio '*.

1. c. I. Lat., VIII, 14372.

2. Id., ibid., 14.3.34.

3. Id., ibid., 12253.

4. Id., ibid., 12376.

5. Anti. Èpigraph., 1904, 82.

6. C. I. Lat., VIII, 3300.

7. Id., II, 2126.

8. Id., ibid., 2129.

9. Id., ibid., 4224.

10. Id., ibid., 4279.

11. Id., XII, 179.

160 CHAPITRE V

F. Dacie.

? M. Aiir. Decoratus dec{urio) col{oniae) Aeq., ffa- [inen), aedilis *.

Ainsi la preuve existe que maints personnages, dans les diverses provinces latines de l'empire, ont pu être prêtres municipaux du culte impérial sans avoir atteint le duumvi- rat. Et nous ne voulons point faire état des inscriptions les titres de Jiamen, flamen 'per petuus, sacerdos figurent seuls. Nous conclurons que l'exercice des magis- tratures supérieures ne paraît avoir été nulle part une condition officiellement et légalement nécessaire pour obtenir le sacerdoce municipal; en fait il en fut ainsi très souvent, mais cette habitude n'acquit jamais, semble-t-il, la force d'une tradition.

Les inscriptions nous ont fait connaître plusieurs cen- taines de prêtres municipaux dans les provinces latines de l'empire, surtout en Afrique, en Espagne, en Narbonaise. La statistique qu'il a été possible de dresser à l'aide de ces docimients met en évidence l'origine sociale de ces prêtres. La plupart appartiennent à cette bourgeoisie municipale, d'où sortaient également, nous l'avons vu, les prêtres pro- vinciaux. En grande majorité, ils étaient nés et avaient toujours vécu dans la ville ils exercèrent le sacerdoce du culte impérial, et ce sacerdoce fut pour eux l'honneur suprême, comme le couronnement de leur carrière publique. Quelques-uns d'entre eux s'élevèrent plus haut dans la hiérarchie sociale du monde romain : M. Coculnius Sex. fil. Quir. Quintilianus de Cirta en Afrique, après avoir exercé dans sa patrie toutes les charges municipales et y avoir été flamine, fut admis par la faveur de Septime Sévère dans l'ordre sénatorial et désigné pour la questure -. Un certain nombre de prêtres mimicipaux sont dits, dans les documents qui les nomment, être membres de l'ordre

1. C. I. Lat., III, 1596.

2. Id., VIII, 7041.

LES PRÊTRES ET LES FIDÈLES DU CULTE IMPÉRIAL 161

équestre : ceux-ci portent simplement le titre cVeques ro7nani(s; ceux-\k furent equo pub lico ornati, exor?iatl ^a,T tel ou tel empereur. D'autres encore furent m quinque decurias allecti ou ex quinque decuriis. Faut-il croire, avec M. l'abbé Beurlier *, que pour tous ces personnages l'exercice du sacerdoce municipal ait précédé leur admis- sion dans Tordre équestre? Il est certain que ce fut le cas pour quelques-uns : par exemple, le cursus honorum de C. Egnatuleius Seneca de Tarraco est ainsi rédigé : aedilis, quaesto)% duumvir, flaynen divi Titi, equo publ{ico) dona- tus, praefeciiis cohortis IV Thracum equitatae, flamen provinciae Hispaniae citerioyns ^ Ce personnage fut admis dans l'ordre équestre après avoir exercé dans la cité de Tarraco le sacerdoce de divu.s Titus. Tel semble avoir été le cas pour Q. Sittius Faustus de Tiddis ^ C. Julius Cres- cens Didius Crescentianus de Cuicul \ L. Annius Fabianus de Caesarea ^ L. Domitius Dentonianus de Consaburo en Tarraconaise ^ L. Fonteius Maternus Novatianus de la même province ', M. Julius Serenianus de Lucus Augusti *. Mais la même certitude est loin d'exister pour tous ceux des prêtres municipaux qui furent équités romani, equum publicum habentes, equo publico ornati, ou encore in quinque decurias allecti. Voici, entre autres, le cursus honorum de C. Caecilius Gallus, Africain de Rusicade : C. Caecilius Q. f. Gai. Gallus^ habens equum publicum, aedilis habens jurisdictionem quaestofHs pro praetore, praefectuspro triumvir is quciter, praefectus fabrum con- sularis bis et py^aetorius bis, habens ornamenta quinquen-

1. Essai sur le culte , p. 178-179.

2. CI. Lat., Il, 4212.

3. Id., VIII, 6711.

4. Id., ibid., 8318, 8319.

5. Id., ibid., 9374.

6. Id., II, 4211.

7. Id., ibid., 6095.

8. Ann. Épigr., 1897, n. 100.

162 CHAPITRE V

nalicia decreto decurionum, ex qumquc decuriis, decurio ter?, qidnqueiinalis, praefectiis jurl dicundo Riisicadi, flamen divi Juli '. A quel moment de sa carrière C. Caeci- lius Gallus reçut-il de l'empereur Vequus publicus ? Était-il déjà chevalier quand il revêtit le sacerdoce de dlviis Jidius? On ne le fut-il qu'après avoir exercé ce sacerdoce ? On ne le sait pas; il est impossible de le dire. A Thamugadi, l'on a trouvé plusieurs inscriptions relatives à un personnage qui semble avoir tenu une grande place dans la cité, M. Plo- tius Faustus. Ces documents nous apprennent que M. Plo- tius Faustus était eq[ues) r[omaniis), et que sa carrière comprenait les dignités suivantes, énumérées dans cet ordre :

praefectus cohortis III Ityraeorum, ty^ibunus cohortis I Flaviae Canathenormn, praefectus alae I Flaviae Gallorum Taurianae, flamen perpetuus, sacerdos Urbis ^

Nous savons d'autre part que la femme de M. Plotius Faustus, Cornelia Valentina Tucciana, fut flaminica perpé- tua à Thamugadi \

M. Plotius Faustus fut-il prêtre du culte impérial à Tha- mugadi avant d'exercer ou après avoir exercé les charges militaires énumérées dans son cursusl En résumé, la ques- tion qui se pose pour M. Plotius Faustus de Thamugadi, comme pour C. Caecilius Gallus de Rusicade, comme pour tous les prêtres municipaux dont le cursus honorum ne nous renseigne pas expUcitement, est la suivante : ces personnages étaient-ils des chevahers romains de nais- sance et se trouvaient-ils par là-mème désignés pour le sacerdoce municipal? Ou bien furent-ils admis dans l'ordre

1. c. I. Lat., VIII, 7986.

2. Id., VIII, 2394, 2395, 2397, 2399, 17004, 17905.

3. Id., ibid., 2396, 2398.

LES PRÊTRES ET LES FIDELES DU CULTE IMPERIAL 163

équestre après avoir été dans leur cité prêtres du culte impérial? Dans le premier cas, il est possible qu'ils aient d'abord rempli les milices équestres ; dans le second cas, il est évident que ces mêmes milices sont postérieures au sacerdoce municipal.

Les équités 7^omani, les personnages equmn publicum hahentes, equo publico ornati, in qidnque decurms allecti, étaient relativement peu nombreux parmi les prêtres muni- cipaux. La grande majorité de ces prêtres appartenait à Taristocratie municipale, à cette classe qui fut pendant longtemps riche, ambitieuse d'honneurs et de titres, qui fournit aux villes de l'empire leurs magistrats municipaux, les décora de monuments souvent grandioses et leur donna des fêtes aussi fréquentes que brillantes. Les prêtres muni- cipaux étaient d'ailleurs obligés ou s'obligeaient eux-mêmes vis-à-vis de leurs concitoyens aux mêmes largesses que les magistrats civils : ils payaient, comme eux, au moins en Afrique, une summa honoraria qui atteignait et dépassait même 10,000 sesterces (environ 2,500 francs de notre mon- naie) *; ils donnaient des fêtes, construisaient des édifices fournissaient du blé en cas de disette, prenaient parfois à leur charge les impôts de la ville, léguaient à leur patrie des sommes considérables, etc *.

Une autre catégorie de prêtres municipaux est fort inté- ressante à étudier de près : ce sont les vétérans, anciens soldats et sous-ofïiciers qui, leur service fini, revenaient dans leur patrie ou s'établissaient dans une ville de pro- vince ; ils y étaient de suite des personnages éminents ; ils y devenaient magistrats et prêtres municipaux. Plusieurs prêtres municipaux africains étaient d'anciens centurions ^ ou des vétérans honesta missione missi *. L'exemple le plus caractéristique est celui de L. Caecilius Optatus. L'ins-

1. Beurlier, Essai sur le culte...., p. 189.

2. Beurlier, ibid., p. 189-191.

3. C. I. Lat., VIII, 12297, 12370.

4. Id., ibid., 4594, 4679; cf. 4333.

164 CHAPITRE V

cription qui nous fait connaître ce personnage et sa car- rière est fort explicite :

L. Caecilius L. f. Pap. Optatus, centurio legionis septi- mae Geminae Felicis et centurio legionis quintae decimae AjJoUinaris, missus honesta missione ab imperatorihus M. Aurelio Antonino et Aurelio Vero Augustis, atlectiis a Barcinojiensibus inter immunes, consecu.tus in honores aedilicios, duumvir ter, flarnen Romae, divorum et Augustorum

Il est facile de reconstituer la biographie de L. Caecilius Optatus : après avoir été centurion dans la legio XV Ap>ol- linaris^ qui résidait au if siècle en Asie-Mineure S il passa, avec le même grade, dans l^Iegio VII Gemina Félix, qui campait chez les Astures dans la partie nord-ouest de la Tarraconaise ■-. Retraité, il alla s'établir à Barcino;il yreçut des privilèges, y fut trois fois duumvir et y devint prêtre du culte impérial. Il n'était pas originaire de cette ville ; en effet, il était inscrit dans la tribu Papiria, tandis que les citoyens de la colonia Barcino l'étaient dans la tribu Galeria ^

La très grande majorité des prêtres municipaux aujour- d'hui connus étaient citoyens romains : nous le savons, soit parce que la tribu dans laquelle ils étaient inscrits est nommée sur les documents qui les concernent, soit parce que ces personnages étaient prêtres dans un municipe ou une colonie. Les exceptions semblent avoir été rares : en Afrique, on peut citer, par exemple, C. Memmius Félix et C. Memmius Fortunatus, flamines perpétuels à Thignica alors que cette ville était encore une cité pérégrine ^; Saturninus M .... isachonisf., flamine perpétuel delà civitas Chusirensiwn sous Yespasien ^ ; dans les trois Gaules, Ti.

l.R. Cagnat, art. Legio dans le Bictionnaire des Antiquités de MM. Da- remberg, Saglio et Pottier, p. 1087.

2. Id., ihid., p. 1083-1081.

3. C. I. Lat., II, 45U.

4. Id., VIII. 15212.

5. Jd., ibid., 698.

LES PRÊTRES ET LES FIDÈLES DU CULTE IMPERIAL 165

Claudius Arucae fll. Capito le Ségusiave ', C. Sulpicius M. fil. Gallus l'Eduen ^ Ti. Claudius Honoralianus de la civi- tas Morinorum ^ Ces exceptions nous prouvent du moins que la qualité de citoyen romain n'était pas nécessaire pour être nommé prêtre municipal.

Ceux-là même, parmi les prêtres municipaux, qui parais- sent n'avoir pas été citoyens romains, portent néanmoins presque tous les tria nomina romains. Les traces de nomenclature ou d'onomastique indigène sont infiniment rares dans les noms de ces prêtres : en Afrique, outre le

prêtre de Chusira, Saturninus M isachonis f., on ne

peut guère citer que T. Hamipsiia de Thuburnica '" .

De toutes les observations précédentes, il résulte nette- ment, à notre avis, que les prêtres municipaux furent tou- jours choisis de préférence dans cette classe de la population provinciale, qui subit le plus l'influence de la civilisation romaine. Presque tous citoyens romains, les uns passèrent toute leur vie dans leur cité ou dans leur province; d'autres, comme soldats ousous-ofiiciers, avaient parcouru l'empire avant de se fixer dans une ville et d'y remplir les magistratures municipales; d'autres, plus ambi- tieux, furent admis parmi les chevaliers et entrèrent dans la carrière équestre. Ils sont tous provinciaux de naissance; ils sont désignés par leurs concitoyens ou par l'assemblée municipale de leur cité ; mais ils sont citoyens romains, ils portent des noms romains ; tout en eux prouve qu'ils ont répudié leur origine lointaine ; ils sont bien dans les dispo- sitions d'esprit et de cœur nécessaires pour célébrer avec sincérité, loyalisme et ferveur le culte de la puissance impériale.

Outre les prêtres municipaux, il y avait des prêtresses municipales. Les titres qu'elles portent prouvent qu'elles

1. G.I. Lat., XIII, 1642.

2. Id., ibid., 2585.

3. Vaillant, Epigr. de la Morinie, p. UT, n. 22.

4. C. I. Lat., VIII, 14692,

166 CHAPITRE V

exerçaient vraiment un sacerdoce. Si en effet la plupart d'entre elles sont nommées simplement flaminica, flami- nica 2)(^'y'P<^fi('^(, il en est plusieurs pour lesquelles nous savons de quelle divinité elles célébraient le culte : à Car- pis, dans la Proconsulaire, Cassia Maximula était flaminica divae Plotinae *; en maintes villes de la Bétique, les titres des prêtresses municipales étaient flaminica Aiig{iistaé) % flmninica domus Augustae ^ flaminica jjerjjetiia domus Augustae \ sacerdos divae Augustae ~% sacerdos dirarum Avg[ustarum) ®, sacerdos 'perpétua divorum divariwi \ sacerdos 2^erpetua domus Aug[ustae) ^ On connaît à Tar- raco une flaminica perpétua Concord[iae) Aug[ustae) ^ En Narbonaise, les prêtresses municipales s'appelaient fla- minicae Aug[ustae) à Aquae Sextiae '°, à Ugernum '*, à Nemausus *^ à Cabellio '^ à Apta '* ; il y avait, d'autre part, des flaminicae Juliae Augustae à Baeterrae '% à Vasio '^ des flaminicae divae Augustae à Yasio ^'' et à Nemausus ''. Des titres analogues étaient portés par ies prêtresses muni- cipales à Aventicum '^ à Narona ■\ 11 n'est donc pas possible d'admettre que les flaminiques fussent purement et simple-

1. C. I. Lat., YIII, 993.

2. Ici., II, 2074.

3. Id., ibid., 1678.

4. Id., ibid., 1663.

5. Id., ibid., 1571; Atui. Epigraph., 1891, n. 9.

6. Id., ibid., 1338, 1171.

7. Id., ibid., 1341.

8. Id., ibid., 1978.

9. Id., ibid., 4270.

10. Id., XII, 519.

11. Id., ibid., 2823.

12. Id., ibid., 3175, 3194, 3211, .3216, 3225, 3268, 3269, 3279.

13. Id., ibid., 3242.

14. Id., ibid., 1118.

15. Id., ibid., 4249.

16. Id., ibid., 1.363.

17. Id., ibid., 1361.

18. Id., ibid., 3.302.

19. JMommsen, Inscr. Helv., 143.

20. C. I. Lat., III, 1796, 6361.

LES PRÊTRES ET LES FIDELES DU CULTE IMPERIAL 167

ment des épouses de flamines. Elles étaient vraiment des prêtresses, chargées de célébrer un culte.

Est-il exact d'autre part que les prêtresses municipales fussent toujours épouses de prêtres municipaux? MM. Hirs- chfeld et Beaudouin ont démontré, le premier pour les pro- vinces africaines, le second pour la Narbonaise, qu'une telle assertion est contraire aux faits révélés par les docu- ments \

11 est aisé d'étendre cette démonstration à d'autres pro- vinces : à Olisipo, enLusitanie, Caelia Végéta, flamhiica de la cité, est l'épouse de M. Gellius Rutilianus, qui ne porte point le titre de flamen -; dans plusieurs villes de la Tarra- conaise, des flamines ont pour épouses des femmes qui ne sont point appelées flaminicae ^ A Narona, en Dalmatie, Aninia, épouse du flamen Augustalis A. Annaeus Flaccus, n'est point dite flaminica ni sacerdos *; il en est de même pour Ulpia Antonilla, femme de T. Aelius Yerinus, decurio el flamen coloniae Aqiunci, en Pannonie ''. Il est certain, d'autre part, que parfois des prêtresses municipales ont été mariées à des prêtres municipaux. Mais ce fait, qui paraît s'être produit assez souvent, n'a pas été général ; surtout on commettrait une grave erreur en croyant que toute flami- nica était forcément femme d'un flamen, ou réciproquement que toute femme d'un prêtre municipal était par même prêtresse municipale.

Ni obligation, ni uniformité, au contraire liberté parfaite et variété, tels sont les caractères que les documents nous révèlent sans aucun doute possible, en ce qui concerne

1. Hirschfeld, Sctcerâoii miinicipali neW Africa (Annali del Institut., ann. 1886, p. 49); Beaudouin, Le culte des empereurs dans les cités de la Gaule Narbonaise, p. 81-93.

2. C. I. Lat., II, 5218.

.3. Id., ibid., 3010, 5848 (Ilerda); 3276 (Castuio; ; 3571; 4267 (Tarraco); 4622 (Gerunda).

4. C. I. Lat., III, 1822.

5. Id., ibid., 3368.

168 CHAPITRE V

l'organisation du sacerdoce féminin des divinités impériales dans les diverses cités du monde romain.

Ce qui est vrai, c'est que les prêtresses municipales appartenaient à la même classe sociale que les prêtres municipaux. Leur nomenclature et leur onomastique sont, sauf de très rares exceptions, conformes aux règles de la nomenclature et de l'onomastique romaine. Elles s'appellent, par exemple, YettiaQ. f. Quinta à Vallis, dans l'Afrique Pro- consulaire ' ; Annia M. fil. Cara à Thamugadi ^ ; Postumia C. f. Honorata à Occurri, en Bétique ^; Valeria C. f. Paetina, à Castulo '% Popilia M. f. Secunda à Tarraco ^ en Tarraco- naise; OrbiaTiti f. Maximilla, à Apta "; Valeria Q. f. Sextina à Ugernum', Aemilia L. f. Titia à Nemausus ^ Tullia Q. f. Avia à Baetarrae ^ en Narbonaise ; Julia C. Juli Camilli filia Festilla chez les Helveti *°; Papia L. f. Brocchina à Narona en Dalmatie ". Celles mêmes, pour lesquelles la filiation n'est pas indiquée, portent en général les deux noms habi- tuels, un gentihce et un cognomen, le plus souvent d'origine latine : telles sont Junia Saturnina de Numlulis en Procon- sulaire ^'\ Veturia Saturnina de Lamasba en Numidie '^ Caelia Végéta d'Olisipo en Lusitanie '\ Aponia Montana d'Astigi en Bétique '% Aemilia Paterna d'Aeso en Tarraco- naise '", etc., etc. Lorsque nous avons des renseignements

1. CI. Lat., VIII, 1280; cf. 211; Bull, du Com., 1895, p. 71, n. 5.

2. C. 1. Lat., VIII, 17831 ; cf. 6987, 7119, 7120.

3. Id., II, 1338; cf. 1341, 1571, 1572, 1958, 5488.

4. Id., ibid., 3278.

5. Id., ibid., 4276; cf. 4270.

6. Id., XII, 1118.

7. Id., ibid., 2823.

8. Id., ibid., 3194; cf. 3225, 3268, 3279.

9. Id., ibid., 4249.

10. Mommsen, Inscr. Ilelvet., 143.

11. C. I. Lat., III, 6361.

12. Bull. arch. du Com., 1892, p. 154-155.

13. C. I. Lat., Vin,4437.

14. Id., II, 5218.

15. Id., ibid., 1471.

16. Id., ibid., 4462.

LES PRÊTRES ET LES FIDELES DU CULTE IMPÉRIAL 169

sur la famille de l'une ou l'autre de ces prêtresses, nous apprenons parfois que le mari ou les enfants sont citoyens, sinon même chevaliers romains : à Thelepte, en Proconsu- laire, Aemilia Sex, fll. Pacata ffaminica perpétua est la femme de T. Flavius T. f. Pap. Secundus ' ; à Thamugadi, Cornelia Valentina Tucciana ft. pp. est la femme de M. Plo- tius Faustus eqiies ro7nanus^-\ à Lamasba, Veturia Saturnina fl. p. est dite mater chiorwn equitum roinanorum ^; à Saci- lium enBétique, Cornelia Lepidina, prêtresse municipale, est l'épouse du duumvir L. Acilius L. f. Gai. Terentianus '% etc. Ce n'est cependant pas toujours le cas, et l'on ne saurait affirmer qu'il y ait eu une règle générale. 11 est rare toute- fois que ces prêtresses n'appartiennent pas à quelque famille considérable de la cité elles ont exercé leur sacerdoce.

Des associations, corporations et groupements divers qui, dans les provinces latines, ont laissé des traces de leur dévotion à la divinité impériale, les collèges d'Augustales sont les seuls dont les prêtres soient connus. On peut croire qu'il n'existait point, chez les fabri tignuarii des Ségu- siaves ■' ou chez les laniones des Petrucorii ® de prêtre chargé spécialement de célébrer le culte des empereurs. Nous n'avons aucun renseignement sur les prêtres des collèges tels que les Cidtores do^nus Augustae de Volubilis en Maurétanie Tingitane \ les Cultores Victoriae Augus- torwn de Numidie *, les uptjjSol çtAoTsêag-TO', de Nicopolis en

L C.I. Lat., VIII, 211. 2. Id., ibid., 2394-2399. S. Id., ibid., 4437.

4. Id., 11,2188.

5. Id., XIII, 1640.

6. Id., ibid., 941.

7. Bull. arch. du Corn., 1893, p. 163 n. 46.

8. Ann. Epigraph., 1904, n. 75.

170 CHAPITRE V

Mésie inférieure '. Quant aux magislri Larwn, magistri Larum AugustoriD/i, magistri Larum et imaginmn Aug . , magistri Larum Augustorum et Genii Caesaris Aug. % c'étaient moins des prêtres du culte impérial proprement dit que des prêtres du culte des Lares.

luQS Augustales^ au contraire, se consacraient spéciale- ment au culte impérial, et les documents que nous possédons sur eux sont assez nombreux pour permettre une étude approfondie de leur condition sociale et de la situation très particulière qu'ils occupaient parmi les habitants des pro- vinces latines de l'empire. Nous n'avons pas à exposer ni à discuter ici les diverses interprétations qui ont été données des termes Augustalis, sévir, sévir Aiigusialis, sévir et Augustalis ^

Ce qui est du moins fort probable, c'est que les person- nages, cités dans les textes épigraphiques comme seviri ou comme Augustales, avaient été ou étaient des prêtres de la divinité impériale \

Depuis longtemps déjà on a remarqué que ces prêtres se recrutaient surtout parmi les affranchis, qui avaient acquis dans l'industrie et le commerce des fortunes souvent consi- dérables '. A cette première remarque, nous en ajouterons une autre. Dans la nomenclature des seviri ou des Augus- tales aujourd'hui connus, la proportion de cognomina d'origine grecque est tout à fait élevée : Hermès * ou Herma \ Euchir ^ Phœbus \ Daphnus '", Syneros ",

1. Arch. epigr. MiWieil., 1891 (XV), p. 219-220.

2. C. 7. Lat., Il, 11.33, 201.3, 2181, 6106.

3. Cf. Mourlot, Essai sur l'histoire de VAngiistalitè.., p. 64 et suiv.

4. Mourlot, op. cit., p. 69 et suiv.

5. Mourlot, op. cit., p. 120.

6. C. I. Lat., II, 1061, 1733, 4527, cf. XII, 2237, 2415, 3188, 3277, 3294; XIII, 1950; III, 1808, etc.

7. Id., II, 1195; XII, .3202; III, 1770, 1917.

8. Id., II, 1086.

9. Id., ibid., 2156, 3002; XII, 3202.

10. /rf., II, 5489: XII, 3208. 3209, 4422; III, 1775.

11. Id., 11,3249.

LES PRÊTRES ET LES FIDELES DU CULTE IMPERIAL 171

Heliodorus \ Onyxs ^ Euphemus % Ahascantus \ One- simus % Hecataeiis \ Paeson ^ Eutyches ^ Masaeus \ Myrismus '°, Eros ", Chrysogonus ^\ Nicephorus '% Phae- dimus '\ Melissus '^ Euphron *^ Hedlstus ^\ Adamas '% Andron ^\ Euxinus ^\ Hermeros ^\ E7icolpius ^-, Hyacin- thus '", Epaphroditus ", Nymphicus -% Zosimus -^ Eumor- phus ^\ Eleutherus ^\ Eupoynis ^\ Agatho ^\ Zmaragdus ^\ Diadumenus ^^ Theodorus ", Eidropiis ^'% Chreslmiis ^%

1. C. 7. Lat., II, 3136; XIII, 1916.

2. Jd., II, 3563.

3. Id., ibid., 3743; XII, 409.

4. Id., II, 3744.

5. Jd., II, 4056; XII, .3254; III, 1425, 1426.

6. Id., II, 4287.

7. Id., ibid., 4288.

8. Id., ibid., 182, 4289; XII, 702, 1879, 3197; III, 1826, 2103, 142I5is

9. Id., II, 4291, 4298.

10. Id., 1

bid.,

4294.

II. Id.,

bid.,

4295.

12. Id.,

bid.,

4297, 4541.

13. Id.,

bid..

4300.

14. Id.,

bid.

4454.

15. Id.,

bid.

4497.

16. /<^.,

ibid.

4550.

17. 7rf.,

bid.

4551.

18. Id.,

ibid.

II65.

19. Jrf.,

XII,

181.

20. Id.,

ibid.

269.

21. 7d.,

ibid.

271,524.

22. /cf..

ibid.

272.

23. Id.,

ibid.

358.

24. 7d.,

ibid.

, 371.

25. Id.,

ibid.

, 40O.

26. 7ti.,

ibid.

594, 3250.

27. 7(f.,

ibid.

, 612.

28. Id.,

ibid.

, 704.

29. 7cZ.,

ibid.

982.

30. Id.,

ibid.

, 1005.

31. 7d.,

ibid.

, 1363.

32. 7(?.,

ibid.

, 1364, 2674, 4412, 4413

33. Id.,

ibid.

, 1581.

34. 7d.,

ibid.

, 1804; III, 1831.

35. Id.,

XII,

1828.

12

172

CHAPITRE V

Rhodochus *, My^^on ^ Cosmus '\ Epictetus \ Philo- genes, Anchialus, Amphio ^ Carpophorus \ Sty^ato \ Anicetus *, Asyncritus ', Evhelpistus '°, Parthen'ius ", Soteric/ms '% Hesyclius '^ Pyrrhus, Marsyas *'*, Ejjityn- chanus '% Philologus '% Evhodus '\ Diomedes '*, P/«'- Z^^zw '% Philumenus ^", Trophimiis ^', Isocrysus ^'^, Hypnus ", Narcissus ^\ Pldlomusus ^\ Eugenius ^^ A^a- thodorus ", Nedymus -\ Zoïliis ^\ Eudes '^\ Zethus ^', Polythnus ^'\ Aphy^odisius ^\ ^2/ /«s ^% Meleager ^% AscZ^-

1. c. 7

2. 7d.,

3. Jd.,

4. Jrf.,

5. Jd.,

6. 7rf.,

7. 7d.,

8. 7ti,

9. 7d.,

10. Id.

11. 7d'.

12. Id.

13. 7d.

14. 7d.

15. Id.

16. 7£Z.

17. Id.

18. 7d.

19. 7(f.

20. Id.

21. 7d.

22. Id.

23. 7d.

24. 7d.

25. Id. 2G. 7d.

27. Id.

28. 7rf.

29. 7d.

30. Id.

31. 7d.

32. Id.

33. 7d.

34. 7d.

35. Id.

. Lat., XII, 1880.

II, 4G13;X1I, 1898.

XII, 1900.

II, 6155; XII, 2248.

XII, 2617.

ibid., 2612.

ibid., 3189.

ibid., 3191 ; III, 1440.

XII, 3192.

XII, 3201; VIII, 19675.

XII, 3203.

ibid., 3226, 3243.

ibid., 3231, 3241.

ibid., 3237.

ibid., 3249.

XII, 3251; III, 2096.

XII, 3256.

ibid., 3262.

ibid., 3278.

ibid., 3284.

XII, .3287, 3290, 4068, 4069; III, 1800.

XII, 4168. bid., 4191. bid., 4246. bid., 4376. bid., 4381. bid., 4408. bid., 4421. bid., 4425. bid., 5900. bid., 5900-^.

XIII, 1936. ibid., 1968. ibid., 1970. ibid., 1974.

LES PRÊTRES ET LES FIDELES DU CULTE IMPERIAL 173

piodotus \ Euph7^ates % Corinthus, Amaranthiis, Chry- seros, Synegdemus ^, Agathopus \ Sjjorus % Anthus ®, Cy^onius \ Diogenes ', Philonomus \ Callistio '°, Calli- morphus *', Filoqidrius '^ Asclepiades '^ Threptus, Hip- ponicos '*, Adrastus '% Nothus '^ Herophilus ^', Eucha- ?^istus '^ Chrysanthus '% Antenor ^°, Telesphorus ^', Alchnus '\ Symphorus ", d'autres surnoms encore de même caractère étaient portés par les sévir i et les Aii- gustales. La conclusion qui se dégage forcément d'une telle statistique, c'est que l'élément grec et oriental tenait une place considérable dans les collèges à! Augustales . Cette conclusion est corroborée par d'autres cognomina, beaucoup moins nombreux assurément, mais non moins significatifs, tels que : Asiaticus ^\ Sytnis ^"% BithyniUs ^^ Lemnaeus ". 11 semble que les affranchis et les plébéiens

1. CI. Lat., XIII, 2602.

2. M., III, 5824.

3. Id., 1770; cf. 11,4614.

4. Id., III, 3017, 1825.

5. Id., 1775.

6. Id., XII, 4408; III, 9765, 2092.

7. Id., III, 8675.

8. Bidlett. di arch. e stor. Daim., XIX, p. 89.

9. G. I.Lat., III, 2680.

10. Id., III, 4330.

11. Id., III, 3291 = 10267.

12. Id., III, 3402.

13. Id., ibid., 1471.

U. Id., ibid., 1425, 1426.

15. Id., ibid., 7985.

16. Id., II, 2022, 2023.

17. Id., ibid., 1363.

18. Id., XII, 3276.

19. Id., ibid., 4388.

20. Id., ibid., p. 814 ad n. 523.

21. Id., III, 1655.

22. Id., ibid., 8141.

23. Id., ibid., 1385.

24. Id., II, 4293; III, 1800.

25. Id., II, 4542; III, 1800.

26. Id., II, 2327.

27. Id., ibid., 3597.

174

CHAPITRE V

d'origine grecque ou orientale aient été surtout nombreux en Tarraconaise, dans la Gaule Narbonaise, en Dalmatie et en Dacie. Or ce sont précisément les provinces qui ont fourni les traces les plus abondantes de l'Augustalité. La plèbe indigène n'est pour ainsi dire pas représentée dans nos listes de sefiri ou d'Augustales. Dans les provinces espagnoles, nous n'avons relevé aucun cognomea d'origine hispanique; dans les provinces gauloises, on pourrait citer Sextilius Galles ', Q. Fullonius Tolosanus ^ Carafhounus ^; en Germanie supérieure, en Dalmatie, dans les provinces danubiennes, nul vestige d'onomastique ou de nomenclature locale n'a attiré notre attention, à moins qu'on ne veuille considérer comme tel le cognomen Danuvius porté par un Augiistalis d'Aquincum \

Il ne suffit donc pas de dire, pour mettre nettement en lumière la physionomie originale de l'Augustalité, qu'elle fut dans les cités des provinces la forme plébéienne du culte impérial; il faut ajouter que les seviri et les Augustales se recrutèrent bien moins dans les rangs des anciennes populations que parmi cette foule bigarrée, le plus souvent originaire de Grèce, d'Asie-Mineure et de SjTie, que la diaspora servile répandit dans plusieurs provinces latines de l'empire. Si les prêtres provinciaux et municipaux du culte impérial sortaient à peu près tous de l'aristocratie municipale, les seviri et les Augustales appartenaient à cette classe d'industriels et de négociants, esclaves ou affranchis de la veille, enrichis par le commerce, et devenus presque cosmopolites. Dans chaque ville, les membres de l'aristocratie municipale étaient en général des indigènes, élevés à la dignité de citoyens romains et désireux de montrer qu'ils méritaient ce titre par leur genre de vie, leurs mœurs, leurs opinions ; au contraire

1. CI. Lat., XII, 2247.

2. Id., ibid., 4395.

3. Robert et Gagnât, Epigr. de la Moselle, II, p. 16.

4. C.I.Lat., III,. 3581.

LES PRÊTRES ET LES FIDÈLES DU CULTE LMPÉRLVL 175

les sévir l et les Augustales paraissent avoii^été rarement des indigènes, mais bien plutôt des immigrés ou des fils d'immiorrés.

Dans les paragraphes précédents, nous nous sommes occupé surtout des prêtres du culte impérial, prêtres pro- vinciaux, prêtres municipaux, prêtres des collèges ^Au- gustales. Outre les prêtres eux-mêmes, les documents nous font connaître un certain nombre de simples fidèles, dont les uns agissaient en groupe et les autres individuellement. Nous avons énuméré plus haut ^ les corporations profes- sionnelles, les associations religieuses, les groupes divers dont la dévotion à la divinité impériale a laissé des traces. Ce sont en général, semble-t-il, des réunions de petites gens, des vicani, des coloni, à la campagne, et dans les vihes des ouvriers. 11 faut accorder une attention spéciale aux unités mihtaires qui, en Bretagne, ont souvent rendu hommage à la divinité de l'empereur. On sait qu'en Bretagne il n'est resté aucun vestige certain du culte municipal, qu'on n'y a trouvé jusqu'à présent aucune mention de seviri ni à' Au- gustales, et qu'à notre avis le caractère provincial du Temple de Claude à Camalodunum n'est rien moins que démontré. Le culte impérial semble n'avoir eu comme fidèles dans cette province que les soldats des camps permanents et des postes échelonnés le long de la frontière. Ces sol- dats n'étaient ni des citoyens romains, puisqu'ils apparte- naient à des troupes auxiliaires, à des cohortes ; ni des enfants du pays même, puisque les cohortes, qui ont en Bretagne invoqué le numen de l'empereur, portent les noms de coliors Gallorwm ^ cohors quarta Gallorura

1. Chap. IV, p. 113 et suiv.

2. C. J. L., VII, 315.

176

CHAPITRE V

equitata ', cohors prima Tungroy^um % cohors secunda Timgrorum ^ cohors 2J>'irtia Hispanorum *, cohors prima Aelia Dacorum \ Germani cives Tidhanti ciinei Frisio- rum ^ Gaulois, Germains, Espagnols, Daces, tels étaient en Bretagne les fidèles du culte impérial. Incorporés dans les troupes auxiliaires, ils affirmaient par leur dévotion même leur loyalisme militaire.

Les fidèles, qui agirent individuellement, ne furent pas également nombreux et n'appartenaient pas aux mêmes classes sociales dans les diverses provinces latines de l'Empire. En Afrique, c'étaient surtout des membres de l'aristocratie municipale, des magistrats municipaux ' ; on y rencontre en outre un légat impérial ^ un préfet de légion ^ un procurateur '". En Espagne, ils sont très peu nombreux et semblent appartenir presque tous à la classe des affranchis; plusieurs d'entre eux portent des cogno- mina d'origine grecque, Nymphodotus, Philetus, Menophi- lus ''. Tel paraît être aussi le cas pour la Narbonaise, le nombre des dédicaces individuelles est encore plus restreint qu'en Espagne *^

Dans les Trois Gaules, au contraire, un fait des plus inté- ressants frappe dès le premier regard jeté sur les docu- ments. Tandis que le culte municipal y a laissé peu de traces et que l'institution des Augustales paraît y avoir été fort rare, les preuves de dévotion individuelle sont relati- vement abondantes. On connaît aujourd'hui plus de soixante-

1. C. I. Lat., VU, 1001.

2. Id., ibid., 638-640.

3. irî.,ibid., 882.

4. Id., ibid., 372.

5. 7d.,ibid., 821.

6. Eph. Eingr.,YU, 1040-1041.

7. C. I. LaL, Vlll, 2677, 4482, 4583, 4588, 4596, 4597, 8319, 9024, etc.

8. Id., ibid., 4212.

9. Id., ibid., 1855.

10. Id., ibid., 21826.

11. /d., II, 1516, 2009, 3524, 4094, 5761, 6081.

12. Id., XII, 1731, 2981, 4332; Mommsen, hiscr. Helv., 74.

LES PRÊTRES ET LES FIDÈLES DU CULTE IMPÉRIAL 177

dix inscriptions, provenant de régions fort diverses, et dédiées soit Aiigusto, soit numini Aug[iisti) ow nwninihus Augustoruiu. Mais ce qui donne à ces documents une valeur tout à fait originale, c'est que la divinité impériale y est rarement invoquée seule ; la dédicace s'adresse en même temps à un autre dieu, à Jujjiter OjMmus Maximus ', à un dieu oriental ^ le plus souvent à un dieu indigène, tel que Mercurius Diimias % Ejjona \ Mars Mogetius % Nerius Deus % Rosmerta \ Dea Sequana ^ Dea Icaunis ^ etc., etc. D'autre part, il ne se trouve parmi les fidèles ni un fonction- naire, ni un vétéran, ni un magistrat municipal ; ce sont tous des personnages très modestes, sans aucun titre, qui ne sont pas citoyens romains, qui portent parfois les tria nomina, mais dont souvent la nomenclature et l'onomas- tique révèlent l'origine fort humble et la nationalité indi- gène : tels sont, par exemple, Connonius Icotasgi fil. d'Inta- ranum *^ Julius Atrectus Craxanti fil. et Julius G^iatus Atrecti fil. de la civîtas Bifurigmn ", Atespatus Crixi f. de la même civitas *^ G. Julius Carassounus l'Arverne *', Celsus Ambiorigis f. le Sénon '*, Mediusacer Medianni f. '% Ser. Eswnagius Sacrovir de Genabum '^ Agedovirus Mo- roci f. de la civitas Namnetum ^\ etc. Le culte individuel

1. C. I. Lat., XIII, 1743, 1744, 2904, 3651, 3652, 4132.

2. Id., ibid., 1496, 947.

3. Id., ibid., 1523.

4. 2d., ibid., 2902, 2903.

5. Id., ibid., 1193.

6. Id., ibid., 1376, 1377.

7. Id., ibid., 2831.

8. Id., ibid., 2862.

9. Id., 2921.

10. Id., XIII, 2902.

11. Id., ibid., 1318.

12. Id., ibid., 1366.

13. Id., ibid., 1496.

14. Id., ibid., 2891.

15. Id., ibid., 2895.

16. Id., ibid., 3071.

17. Id., ibid., 3101.

178

CHAPITRE V

de la divinité impériale, unie à un autre dieu le plus sou- vent gaulois, était donc populaire dans les diverses cités des trois Gaules.

Ce même culte avait en Bretagne un tout autre caractère. Les fidèles, qui en sont aujourd'hui connus, étaient des offi- ciers, des sous-officiers ou des soldats du corps d'occupa- tion : un légat de légion \ des tribuns militaires ^ plusieurs centurions % deux bcneflciarii \ un simple soldat ^ On ne trouve parmi eux ni un magistrat municipal ni un parti- culier à nom indigène.

Le long du Rhin et du Danube, ainsi qu'en Dalmatie, les fidèles de la divinité impériale étaient soit des officiers supé- rieurs gouverneurs des provinces impériales ^ légats ou préfets de légions ' ; soit des offlciers et de simples sol- dats *; soit encore des aff'ranchis ou même des esclaves employés dans une administration financière \

Une fois de plus, par conséquent, le trait caractéristique qui se dégage des documents, c'est la variété. Il y a des diff'érences marquées entre les provinces. Les dédicaces les plus abondantes proviennent des provinces africaines, des trois Gaules, de la Bretagne; les premières sont signées en majorité par des magistrats municipaux; les secondes par des Gaulois de rang modeste, à peine ou même nulle- ment romanisés; les dernières par des officiers, sous- officiers et soldats. Ailleurs les fidèles de ce culte sont des aff'ranchis. Toutefois, une remarque générale s'impose : les Trois Gaules paraissent constituer une exception; ces

1. C. I. Lat., VII, 1030.

2. Id., ibid., 370, 381,410.

3. Id., ibid., 45, 503, 506, 755.

4. Id., ibid., 83, 9%.

5. Eph. Epigr., Vil, 1000.

6. G. I. Lat., III, 1127, 1017, 3424.

7. Id., ibid., 1017, 1072, 3424.

8. Westdeuts. Zeitschr., Korr. hlatl., 1894, n. 117, p. 187; C. I. Lat., III, 3021, 3907, 11541.

9. Mommsen, Inscr. Helv., 164 ; C. I. Lat., III, 751, 752, 862, 1769, 1947.

LES PRÊTRES ET LES FIDÈLES DU CULTE IMPERIAL 179

provinces sont les seules l'on constate que le culte impérial ait pénétré dans la population indigène. Partout ailleurs, ce culte recruta ses prêtres et ses adeptes, soit dans les éléments immigrés , fonctionnaires d'empire , officiers, sous-officiers, soldats, affranchis en majorité d'origine grecque, soit dans la classe de la population indi- gène la plus fervente des mœurs et de l'assimilation romaine, c'est-à-dire dans la bourgeoisie municipale avide d'honneurs.

CHAPITRE VI

LES CULTES CAPITOLINS

1. Les cajntoles provinciaux. 2. Le culte des divinités capitolines.

Les divinités adorées sur le Capitule, Jiqnter Optimus Maximus, Juno Regina, Minerva Aw^i^s^a, passaient pour être les divinités protectrices de l'État. Leur temple com- mun, Ccqntolium, templum Capitoli, éisài considéré comme le centre du monde romain. On vit toujours dans les incen- dies qui le détruisirent des symptômes funestes à la gran- deur de Rome, des présages de malheurs épouvantables. Les cultes capitolins tenaient donc dans la religion publique une place toute spéciale. Leur physionomie, leur carac- tère, leur importance les mettaient presque sur le même rang que le culte de la divinité impériale. Ils se répandirent, comme Jui, hors de Rome. Les documents, grâce auxquels nous pouvons en étudier l'histoire dans les provinces la- tines de l'empire, se divisent en deux catégories : les mentions expHcites de temples ou de Capitoles proprement dits ; les simples inscriptions votives en l'honneur de la Triade Capitohne ou au moins des deux principales divi- nités du groupe, Jupiter et Junon.

182 CHAPITRE VI

1

Les Capitoles provinciaux du monde romain ont été étudiés par plusieurs savants modernes, entre autres parBraun *, Kulilfedt ^ et Castan ^ Depuis la publication du travail de Castan, plusieurs découvertes épigraphiques ont augmenté le nombre des capitoles provinciaux connus et permis de donner une solution moins incertaine aux problèmes que comporte le sujet \

A quoi peut-on reconnaître l'existence d'un capitole dans une cité provinciale de l'empire romain? Tout d'abord, et sans aucun doute possible, à la mention d'un Capitolium ou templum CapitoU dans un document soit contempo- rain, soit très voisin de l'époque romaine. La mention d'un sanctuaire consacré en commun à Jupiter, Junon et Minerve aura la même valeur; de même la mention d'un temple de Jupiter Opthnus Maximus et de Juno Regina, ou encore d'un temple de Jupiter Optimus Maxinius Capito- linus. Les épithètes Optimus Maximtf.s, Regina, Capitolinus sont en effet caractéristiques des divinités capitolines.

Sera-t-il prudent d'attribuer le même sens et une portée égale à de simples inscriptions votives? Kuhlfeldt déclare sans réserve qu'il ne les considère pas comme probantes. Il est évident que la découverte d'un ex-voto isolé n'im- plique nullement l'existence d'un temple ; mais quand plu- sieurs documents de ce genre ont été trouvés en un seul et même point, il y a de fortes présomptions pour qu'ils proviennent d'un sanctuaire des divinités capitolines, d'un Capitole.

1. Braun, Z)/e Kapitole, Bonn, 1849.

2. Kuhlfedt, De CapitoUis Imperii Romani, Berlin, 1883.

3. Castan, ies Capitoles provinciaux du monde romain, Besançon, 1886.

4. Nous résumons ici notre Étude sur les Capitoles provinciaux de VEmpire romain, publiée dans VAnnuaire de la Section des Sciences religieuses de l'Ecole Pratique des Hautes- Etudes {Siïinée 1899), p. 1-29.

LES CULTES CAPITOLINS 183

Aux documents antiques, Braun, Kulilfeldt et Castan ont cru pouvoir joindre des renseignements puisés à d'autres sources. Les Acta Sanctotnim et les Acta Martijrum signalent parfois des temples païens qu'ils nomment Capi- tolla. Braun s'était fondé sur ces textes pour admettre l'existence de capitoles proprement dits à Rlioda (Tarraco- naise), Illiheris (Narbonaise), Mediolanum Santonum et Augustonemetum Ari-crnorum (Aquitaine), Durocortorum Remoï^um et Aitgusta Trevirorum (Gaule Belgique), Au- gusta Vindelicoi'um (Rétie). Kuhlfeldt et Castan ont montré combien cette méthode était dangereuse et ils n'acceptent aucune des conclusions présentées sur ce point par Braun.

Mais à leur tour, ils se sont laissé entraîner, croyons- nous, par une méthode également contestable. Ils se sont servis de documents postérieurs de plusieurs siècles à l'époque romaine, Ils ont tenu compte de ce que dans quelques régions, jadis provinces de l'empire, plusieurs noms de lieux ou d'églises sont manifestement dérivés du mot latin capitolium. Par exemple, dans le département des Bouches-du-Rhône, entre Berre et Saint-Chamas, un village porte le nom de Capdeuilh. M. Castan étabht l'équation Capdeidlh = CapdoUum = Capitolium, et conclut qu'un Capitole a exister jadis en ce point. Il applique la même argumentation au nom de l'église de Saint-Étienne-de-Cap- deuil à Nîmes : ce nom prouverait l'existence d'un capitole à l'époque romaine dans la ville de Nemausus. Pour des raisons analogues , Castan et Kuhlfeldt ont affirmé que Caralis en Sardaigne , Colonia Agrippina dans la Ger- manie inférieure possédaient autrefois des Capitoles. Enfin Castan s'est efforcé de prouver l'existence et de retrouver l'emplacement exact du Capitole de Vesuntio. Ce qui nous empêche d'accepter les opinions de Castan et de Kuhlfeldt en ce qui concerne ces cinq Capitoles, c'est qu'aucun texte antique, qu'aucun document contemporain n'est invoqué par eux. Les noms, dont ils tirent argument, n'apparaissent pas avant le x^ ou le xi^ siècle de notre ère. Or, il convient

184

CHAPITRE VI

de se rappeler que pendant les premiers siècles du moj'en âge le mot capitolium servit à désigner non plus seulement les sanctuaires consacrés à la Triade capitoline. mais indis- tinctement tous les temples païens. Cette objection, que Kulilfeldt et Castan ont faite à la méthode de Braun, nous parait valoir contre leurs propres arguments.

Nous pensons qu'il est plus prudent de s'en tenir unique- ment aux Capitoles dont l'existence est attestée par des documents contemporains de l'empire. Ces Capitoles sont ceux de Carthage *, Pupput ^ Segermes ^ Biracsaccara ou Bisica % Abthugnis % Thugga ^ Xumlulis ', Sustris ^ Saïa major ^ Althiburus '" dans l'Afrique Proconsulaire; de Theveste ". Tinfadi '^ Thamugadi '^ Lambaesis '\ Cirta '^ en Numidie ; d"Hispalis '^ et d'Urso [colonia Julia Genetiva) *' en Bétique; de Narbo Martius '* et Tolosa *^ en Narbonaise;

1. C. I. Lat., VIII. 1013 = 12164; AudoUent, Carthage rom., p. 288 et suiv.; R. Gagnât et P. Gauckler, Les monuments historiques de la Tuni- sie.., 1''^ part., p. 1.

2. Bull. arch. du Corn., 1894. p. 252, n. 46. R. Gagnât et P. Gauckler, op. cit., p. 10.

3. CI. Lat., VIII, 906 = 11167; R. Gagnât et P. Gauckler, oji. cit., -p. 4.

4. Id., ibid., 12286; R. Gagnât et P. Gauckler, op. cit., p. 12.

5. Id., ibid., 11205; R. Gagnât et P. Gauckler, op. cit., p. 4 et suiv.

6. Id., ibid., 1471 15513. R. Gagnât et P. Gauckler, op. cit., p. 1 et suiv.

7. Bull. arch. du Com., 1892, p. 154-155; R. Gagnât et P. Gauckler, op. cit., p. 6 et suiv.

8. Carton, Découvertes épigraph., p. 317, n. 557; R. Gagnât et P. Gauckler, op. cit., p. 11.

9. Ann. Epigr., 1903, n. 138.

10. G. I. Lat., VIII, 1826, 1831 = 16470; Bull. arch. du Com., 1897, p. 420-421, n. 169; R. Gagnât et P. Gauckler, op. cit., p. 8 et suiv.

11. C. I. Lat., VIII, 1858.

12. Id., ibid., 2194.

13. Id., ibid., 2388; Boeswilwald, Gagnât et Ballu, Timgad, p. 153 et suiv.

14. Id., ibid., 2611, 2612, 2649 = 18225, 18226.

15. Id., ibid., 6981, 6983 ; cf. 6339.

16. Id., II, 1194.

17. Id., ibid., 5439, II, v. 8 et 21.

18. Ausone, XVIII, v. 120 et suiv.; Sidon. ApoUin., Carra. XXIII, v. 37 et suiv.

19. Sidon. Apollin., Epist., IX, 16; Venant. Fortunatus, Carmina, 11, 7, v. 17 et suiv.; Greg. Turon., Hist. Franc, I, 30; In glor. martyr., 47.

LES CULTES CAPITOLINS 185

d'Augiistoclimum ' en Lugdunaise; cFArrabona^ et Carnun- tum ^ en Pannonie ; d'Apulum ^ en Dacie ; de Nicopolis ^ et Troesmis ° en Mésie inférieure.

Parmi ces Capitules, il en est plusieurs dont nous con- naissons uniquement l'existence, sans en rien savoir de plus, ni l'emplacement, ni l'aspect, ni la décoration. Tels senties Capitoles de Segermes, Bisica ou Biracsaccara, Tinfadi, en Afrique ; d'Hispalis et d'Urso en Bétique; d'Arrabona et de Carnuntum en Pannonie; d'Apulum en Dacie; de Nicopolis et de Troesmis dans la Mésie inférieure. En ce qui concerne les autres, les documents révèlent certains détails inté- ressants. Les Capitoles, dont l'emplacement a pu être déter- miné avec plus ou moins de précision, étaient situés soit sur une hauteur qui dominait la ville \ soit au milieu de la cité, près du forum par exemple ^ A Thamugadi, sans do- miner la ville de très haut et sans être voisin du forum, le Capitole n'en est pas moins l'un des monuments les plus imposants que l'on puisse admirer dans les ruines de la Pompei africaine; par l'ampleur de ses proportions, par la puissance élégante de ses colonnades, par la beauté de sa décoration, il est un des édifices les plus remar- quables de l'Afrique romaine \ Le Capitole de Narbo Mar- tius était construit en marbre de Paros ; celui d'Augusto-

1. Eumen., Orat. pro restaur. scholis.

2. C. I. Lat., III, 4363= 11079.

3. Id., ibid., 4410, 11127, 11295.

4. Id., ibid., 1071, 1074 1076 ; 1077, 1078, 1079, 7764, 7836.

5. Arch. Epigr. Mittheil, X (1886), p. 242, n. 9.

6. C. I. Lat., III, 6167.

7. Par exemple, à Garthage, à Abthugnis, â Thugga, à Numlulis, à Lambaesis : R. Cagnat et P. Gauckler, Les ynonuments historiques de la Tunisie, !■•« part., p. 1 et suiv.; Audollent, Carthage romaine, p. 288 et suiv.; R. Cagnat. Lambèse, p, 52. 56 et suiv.

8. A. Pupput, à Althiburus : Bull. arch. du Comité, 1894, p. 252, n.46; R. Cagnat et P. Gauclvler, op. cit., p. 8 et suiv.

9. Boeswilwald, Cagnatet Ballu, Tlmgad, p. 158.; Gs,e\\,Les monuments antiques de l'Algérie, p. 137 et suiv.

10. Auson., XVIII, V. 120; Kuhlfeldt, De CapitoUis, p. 60 et suiv.

186 CHAPITRE VI

dunum a été appelé par le rhéteur Eumène un des yeux de la cité '.

Plusieurs Capitules provinciaux renfermaient de véri- tables trésors, soit en objets d'art, soit en vaisselle plate, soit même en monnaie : par exemple, dans le Capitole de Cirta, il y avait une statue de Jupiter Victor en argent, dont la couronne se composait de trente feuilles de chêne en argent au miUou desquelles étaient disséminés quinze glands en argent; le dieu portait dans sa main droite un globe en argent et une Victoire qui tenait une palme de vingt feuilles (?) et une couronne de quarante feuilles - ; dans ce même Capitole se trouvait, en argent monnayé, la somme de 312,000 sesterces, soit environ 78,000 francs de notre monnaie ^ A Theveste, un préfet de légion, C. Cor- nélius Egrilianus, légua au Capitole divers objets en argent, entre autres des plats {lances), dont l'ensemble formait un poids de 170 livres romaines d'argent, environ 55 kilos d'argent; ce même personnage légua de même au Capitole de Theveste deux scyj^hi, trois jjhialae et d'autres objets en or, d'un poids total de 14 Hvres, soit 4 kilos et demi d'or \ Le Capitole de Carthage renfermait aussi des objets pré- cieux, dont le détail nous échappe \ Si inaigres que soient ces renseignements, ils nous montrent cependant que dans chacune de ces cités le Capitole tenait à tous les points de vue une place considérable. Nous en conclurons à bon droit que le culte des divinités capitohnes y était célébré avec éclat.

Ce que l'on peut connaître du plan et de la disposition intérieure des Capitoles provinciaux témoigne d'un désir évident de rappeler plus ou moins exactement le Capitole

1. Eumen., Oratio pro restaiirandis scholis, : ..Quasi inter ipsos

oculos civitatis, inter ApoUinis templuoi atque Capitolium.

2. C. I. i«<., YIII,6981.

3. Id., ibid., 6983.

4. 7rî., ibid., 1858.

5. 7rf., ibid., 1013 = 12464.

LES CULTES CAPITOLINS 187

romain. A Thugga, par exemple, « le fond de la cella est décoré de trois niches ; la plus haute, au miUeu. est demi- circulaire ; et les deux autres à droite et à gauche, sont rec- tangulaires en plan et en élévation' ». Il y avait plusieurs cellae dans le Capitole d'Abthugnis -. « Ce qui caractérise le Capitule de Lambaesis, écrit M. R. Gagnât, c'est qu'il était double : au lieu d'une cella, il y en a deux juxtaposées et communiquant ensemble. A la partie postérieure de cha- cune d'elles existait, dans une petite chapelle en retrait, un grand piédestal supportant une statue. Une troisième logette était ménagée au milieu du temple ^ ». A Thamu- gadi, la cella du Capitole était nettement tripartite, comme à Thugga, et renfermait les statues des trois divinités capi- tolines, disposées sans doute comme elles l'étaient dans le Capitole de Rome ^ Ausone compare en termes dithyram- biques le Capitole de Narbo Martius à celui de Rome. Il n'est pas jusqu'aux trésors déposés dans les Capitoles de Cirta, Theveste et Carthage qui ne rappellent, de loin sans doute, les richesses acciimulées dans le capitole romain °.

De tout ce qui précède, il résulte bien, semble-t-il, que la construction d'un Capitole ou d'un temple dédié à la Triade Capitoline dans une cité provinciale était à la fois un hom- mage rendu à la puissance romaine et l'expression la plus haute du désir qu'éprouvait cette cité d'imiter la Ville par excellence, Rome. Mais la construction d'un tel édifice n'était-elle possible et permise, comme l'a prétendu Castau, que dans les colonies, c'est-à-dire dans les villes provin- ciales qui avaient reçu en fait une colonie ou qui avaient été dotées du titre de colonie par la faveur impériale? Déjà Kuhlfeldt avait montré qu'une telle opinion était contredite

1. R. Gagnât et P. Gauckler, Les montcments historiques de la Tunisie, l" part., p. 4; cf. Saleidin, Rapport, II, p. 112 et suiv.

2. C.I.Lat.,YlU, 11205.

3. R. Gagnât, Lambèse, p. 56.

4. Boeswihvald, Gagnât et Ballu, Timgad, p. 178, fig. 79.

5. Rodocanaclii, Le Capitole roinain, p. .34-35.

13

188 CHAPITRE VI

parles documents; nous croyons avoir prouvé nous-mêmes, dans notre Etude sur les CcqiUoles prorinciaux de V Empire Romain \ que les Capitoles aujourd'hui connus s'élevaient aussi bien dans les cités pérégrines et dans les municipes que dans les colonies. Etaient colonies Carthage, Pupput, Thamugadi, Cirta, Hispalis, Urso [colonia Julla GenetiTCi), Narbo Martius, Tolosa, Augustodunum, Apulum. Etaient municipes : Althiburus et Lambaesis. Etaient cités péré- grines : Bisica ou Biracsaccara, Thugga, Numlulis. Troes- mis, à l'époque quelques citoyens romains y cons- truisirent un sanctuaire de la Triade Capitoiine, n'était encore qu'un ricus administré par des magistri. Quant à Segermes, Abthugnis, Sustris, Saia Major, Theveste, Tinfadi, Arrabona, Carnuntum et Nicopolis, nous ne savons pas exactement quelle était leur constitution municipale à l'époque les documents nous apprennent l'existence d'un Capitole dans leurs murs. Malgré cette réserve, il est cer- tain qu'aucune loi ni politique ni religieuse ne restreignait aux seules colonies le droit d'élever un temple à la Triade capitoiine et d'organiser un culte officiel en son honneur.

Plusieurs inscriptions nous apprennent par qui et pourquoi quelques-uns de ces Capitoles furent soit cons- truits, soit réparés ou restaurés. A Althiburus, à Tinfadi, à Lambaesis, l'œuvre fut exécutée par la cité elle-même ; à Troesmis, elle le fut par le groupe des cives 7^omam, qui formaient un ricus auprès du camp de la legio V Mace- donica^] à Thamugadi, les quatre portiques du Capitole furent restaurés et décorés par le gouverneur même de la province, Publilius Ceionius Caecina Albinus, vir claris- simus, coiisularis '\ A Pupput, la restauration du forum

1. Annuaire de la Section des Sciences religieuses de VEcole pratique des Hautes-Etudes, ann. 1899, p. 20 et suiv.

2. C. I. Lat., VIII, 1826, 1831 = 16470; —2194; 2611, 18226.

3. J. Toutain, Etude sur les capitoles, p. 23-24.

4. C. I. Lat., VIII, 2388 ; Fallu de Lessert, Fastes des provinces afri- caines, II, p. 327 et suiv.

LES CULTES CAPlTOLINS l89

CU771 aedibus et [Capi\toUo et ciiy^ia fut exécutée par C. AeliusSeverus, vir patricius, consularis, cuy^atoy^ relpv- blicae et p)Citronus coloniae * . A Bisica ou Biracsaccara, le temple de Jupiter, Junon et Minerve fut élevé aux trais {2)ecunia publica) et en vertu d'un vceu de la cité, par deux particuliers '\ A Saia major, Thugga et Numlulis, la cons- truction du Capitole fut entreprise et menée à bonne fin par des personnages notables de la ville ■^; à Nicopolis, les statues des trois divinités capitolines furent érigées au nom de la ville, mais à ses propres frais, par un magistrat municipal^; à Theveste, de véritables joyaux furent légués au Capitole par un officier supérieur de légion, C. Cornélius Egrilianus, praefectus legionis XIII Geminae "' ; à Arra- bona, en Pannonie, le temple de la Triade capitoline fut relevé par un cormcularUis du légat commandant la legio I Adjutrix et par sa femme ^ A Apulum, le temple consacré à Jupiter Opthnus Maximus et à Jmio Regina. fut semble-t-il, élevé en 193 par un simple soldat de la legio XIII Getnina ', et restauré plus tard par un Augus- talis, T. Cl. Anicetus \

Ainsi, outre les cités elles-mêmes, parmi les personnages qui édifièrent, restaurèrent ou enrichirent les Capitoles provinciaux, nous trouvons des fonctionnaires impériaux, des magistrats municipaux, un officier, un sous-officier, un simple soldat, un groupe de citoyens romains, des provin- ciaux non encore pourvus de la cité romaine, enffii un Augustalis à cognomen grec {Ayiicetus) . Il est impossible de ne pas être frappé par cette variété. Elle prouve que dans

1. Bull. arch. du Corn., 1894, p. 252, n" 46.

2. C. I. Lat., VIII, 12286.

3. Id., ibid., 1471 = 15513; Bull. arch. du Corn., 1892, p. 154-155; A7in. Epigr., 1903, n. 138.

4. Arch. Epigr. Mittheil., X (1886), p. 242, n. 9.

5. C. I. Lot., VIII, 1858.

6. Id., 111,4363= 11079.

7. Id., ibid., 1070.

8. Id., ibid., 1069.

190 CHAPITRE VI

toutes les classes de la société provinciale les personnages notables étaient disposés à consentir de grands sacrifices pour témoigner de leur dévotion à la Triade capitoline, protectrice de l'Etat romain.

Les liens étroits, qui unissaient cette dévotion au culte de la divinité impériale et au loyalisme envers la personne même de l'empereur, apparaissent dans une formule fré- quente. C'est pour le salut de l'empereur ou des empereurs régnants que maints Capitoles provinciaux furent construits ou restaurés : tel fut le cas à Segermes \ Bisica ou Birac- saccara -, Thugga ^ Xumlulis \ Saïa major % Sustris % Thamugadi \ Apulum ^ Troesmis \

Outre les mentions certaines et explicites de sanctuaires capitolins, le culte des divinités capitolines a laissé des traces nombreuses dans maintes inscriptions votives ou dédicatoires. De ces inscriptions, les unes nomment les trois divinités; d'autres nomment seulement Jupiter Opti- mus Maximus et Juno Regina; d'autres sont uniquement consacrées à Jh7îo Regina ou k Jupiter OpAimus Maximus. La dévotion à Jupiter Capitolin fut extrêmement répandue dans les provinces latines de l'empire : aussi en ferons-nous une étude spéciale. Nous n'examinerons ici que les textes il est fait mention soit de la Triade complète, soit de ses deux principaux membres, soit de Juno Regina seule.

1. C. I. Lat., VIII, 906 = 11167.

2. Id., ibid., 12286.

3. M., ibid., 1471 = 1551,3.

4. Bull, arch.du Com., 1892, p. 154-155.

5. Anti. Epigr., 1903, n. 138.

6. Carton, Découvertes, p. 317, n. 557.

7. C. I. Lat., VIII, 2388.

8. Id., m, 1070.

0. Id., ibid., 6167.

LES CULTES CAPITOLINS 191

La répartition de ces textes par provinces est assez signi- ficative, surtout si on la compare avec l'inégale diffusion des documents relatifs au culte impérial. Nous avons vu que ces derniers documents sont très abondants dans les provinces africaines, espagnoles et gauloises; qu'ils le sont moins le long du Danube et qu'ils font presque complète- ment défaut dans les deux Germanies. Au contraire, les ex-voto et les dédicaces aux divinités capitolines clairse- mées en Afrique, tout à fait rares en Espagne et en Gaulé, sont nombreuses le long du Rhin, dans les Pannonies et en Dacie. La différence est trop accentuée pour qu'on puisse l'attribuer au seul hasard.

Les deux séries de documents ne diffèrent pas moins l'une de l'autre, si l'on étudie la situation sociale et l'origine des fidèles de la Triade Capitoline. Tandis que les prêtres provinciaux et les prêtres municipaux de la divinité impé- riale se recrutaient surtout dans la bourgeoisie provinciale, tandis que les collèges cVAugustales se composaient en grande majorité d'affranchis, les divinités capitolines ont été principalement invoquées soit par des fonctionnaires impériaux, soit par des officiers, sous-offîciers, soldats ou vétérans. Ce sont, à Diana, en Numidie, M. Aurelius Deci- mus, ?'(i)r ^{erfectisshnus) , 'p[raeses) ^{rovinciae) N{umi- diae) *; à Saldae, en Maurétanie, Aurelius Litua, v[ir) p{erfectissimus), p{raeses) p{rovinciae) M{auretaniae) Caes[ariensis) -; à Tarraco, dans l'Espagne citérieure, T. Fla[vius) Tltianus, leg{atus) Aug[ustorum) pr[o) pr{ae- tore) ^; au camp de la legio VIT Gemina, dans la même province, C. Julius Cerealis, leg[atus) Aug[usU) pr{o) 2-)r{ae- toré) *; à Ampelum, en Dacie, Aelius Sostratus, prociii- rator) ^; à Sarmizegethusa, dans la même province, Q.

1. c. I. Lat., VIII, 4578; Fallu de Lessert, Fastes, I, p. 454 et suiv.

2. C. I. Lat., VIII, 8924; Fallu de Lessert, op. cit., II, p. 341 et suiv.

3. Id., II, 4076.

4. Id., ibid., 2661.

5. Id., III, 7836.

102 CHAPITRE VI

Axius Aelianus, v{ir) e{gregiics), proc{urator) Aug[uslorum) et sa femme Aelia Romaiia *. Parmi les officiers, nous signalerons, sur le limes Raeticus, T. Fl(avius) Félix, p>'ae- fectus coh{orfis) III Brit[onum) ^; à Apulum, en Dacie, deux légats de la Icgio XIII Gemina, L. Annius Italiens Honoratus et C. Caerellius Sabinus ^\ à Drobetum, dans la même province, un préfet de cohorte, Jul(ius) Yal(erianus?) Emeri(tensis?) \ Fort nombreux sont les sous-offlciers, cen- turions % options ^ décurions ', beneficiarii, ^ stratores ', simples soldats ou vétérans '". Outre les fonctionnaires et les officiers, sous-ofïîciers, soldats et vétérans, les adora- teurs des divinités capitolines furent ici (\es Augustales ", des cives r^omani groupés en un viens '-, encore, mais plus rarement, des magistrats municipaux *^; enfin des négociants, vraisemblablement des voyageurs de com- merce '*.

Dans la Germanie supérieure et le long du Unies Germa- nicus, certaines dédicaces aux divinités capitolines sont si- gnées de noms, que n'accompagnent aucun titre, aucune mention : par exemple : Antelus Eburo et Firmia Lucia *% Reginius Potens '°, Yeccinius Similis et Superinia Decu-

1. c. I. Lut., III, 1423.

2. Id., ibid., 5935.

3. Id., ibid., 1071, 1074-1076.

4. Id., ibid., 142162.

5. G.I. Lat., III, 1077: Brambaoh, 12; Aiin. Epigr., 1903, n. 144.

6. CI. Lat., III, 11295.

7. Brambach, 676.

8. C. I. Lat., III, 893, 3617, 8237. 10429; Brambach, 1060, 1606.

9. Id., III, 10426, 13718.

10. Id., VIII, 2465, 18225; III, 1070, 1078, 4268, 10994. 10996, 10427. 10428, 12394; Brambach, 650, 1098.

11. C. I. Lat., III, 1079; Mommsen, Inscr. Heltet., 149; Brambach, 1316.

12. Id., 111, 6167, 75.33, 1421426.

13. Id., ibid., 858, 1555, 12465; Arch. Epigr. MitlheiL, X (1886),p. 242, n. 9.

14. Id., III, 1068, 10430.

15. Brambach, 905.

16. Id., 1789.

LES CULTES CAPITOLINS 193

milla *, Cassii Victorinus et Urbicus -, Lucanius Victurus ^ etc. Ce sont de petites gens, peut-être des indigènes super- ficiellement romanisés; ils forment un groupe tout à fait à part; mais, en étudiant l'histoire et la diffusion du culte de Jupiter Optimus Maximus, nous essaierons de montrer que le culte rendu précisément dans la région du Rhin moyen à des divinités appelées Jupiter et Junon s'adressait moins au Jupiter et à la Junon du paganisme gréco-romain qu'à une ou plusieurs divinités d'origine germanique, déguisées sous des noms romains \

Quoi qu'il en soit de ce point particulier, ce qui résulte, pour nous, des documents que nous avons cités, c'est que le culte de la Triade capitoline recruta peu d'adeptes dans la société provinciale proprement dite : les fidèles de ces divinités étaient peut-être nés dans telle ou telle province, mais leur carrière officielle ou leur vie militaire les en avait éloignés; dans les provinces, nous trouvons des traces de leur dévotion, ils étaient presque toujours des étrangers, des immigrés.

1. Brambach, 1802.

2. Id., 1811.

3. Id., 1899.

4. Voir plus loin, p. 213 et suiv.

CHAPITRE VII

LE CULTE DE JUPITER OPTIMUS MAXIMUS

1 . Le caractère du culte ; les épithètes du dieu. 2. La diffusion géographique du culte. 3. Les fidèles; leur rang social. 4. Le culte de Jupiter Optimus Maximus dans les régions gallo- germaniques.

Des trois divinités capitolines^ celle dont le culte ren- contra la plus grande faveur dans les provinces latines de l'empire fut assurément Jupiter Optimus Maximus. Le culte de ce dieu fut la forme de beaucoup la plus répandue de la dévotion à la Triade capitoline.

1

Pour étudier ce culte, nous aurons recours exclusivement aux textes épigraphiques le nom de Jupiter est accom- pagné des deux épithètes Optimus Maximus. En l'absence de ces deux épithètes, il n'est pas sûr que le dieu appelé Jupiter par des provinciaux soit le dieu romain. Jupiter Optimus Maximus., au contraire, est certainement le Jupi- ter qui protège Rome ; ceux qui l'invoquent, qui lui adressent leurs vœux, leurs prières et leurs hommages, font acte de loyalisme envers la puissance romaine. Ce caractère offi-

196 CHAPITRE VII

ciel et romain du dieu et de son culte se trouve particuliè- rement mis en lumière par quelques documents précis. Dans le serment de fidélité prêté par la petite ville d'Aritium Vêtus à Caligula, en 37 av. J.-C, Jupiter Optimus Maximus est pris à témoin en même temps que Diviis Augiistus; il est nommément désigné tandis que les autres dieux sont con- fondus dans la formule ceterique omnes dl immor laies '. En 137 ap. J.-C, C. Domitius Valons^ duumvir de Salonae en Dalmatie, procédant à la dédicace d'un autel en l'honneur de Jupiter Optimus Maximus, promulgua une lex arae direc- tement inspirée de la lex arae Dianae in Aventuio monte ^ comme l'avait été sous Auguste la lex de l'autel consacré par la |;/('Z>.s- Narhonensis au numen Augusti ^

Plusieurs épithètes données au dieu corroborent les con- clusions que l'on peut déjà tirer de ces deux textes. Aux deux superlatifs ojjtimiis et maxhnus s'ajoutent parfois sur les inscriptions les mots : CapitoUnus \ Stator •% Conser- rator im]}[eratoris) ou imp{e}^atorum) % Conser'cato}^ \ Victor *, Cmtos \ Befensor '"; ce sont des épithètes qui furent données au dieu dans Rome même ".

D'autres quaUtîcatifs, d'un sens plus général et d'une origine moins précise, prouvent néanmoins que le Jupiter Optimus Maximus invoqué dans les provinces était bien le même que le dieu du Capitole romain. Il est, en effet, appelé

1. c. I. Lat., II, 172.

2. Id., III, 1933.

3. Id., XII, 4333; cf. pi. h., p. 122-123.

4. Id., II, 4079; III, 1677, 1678; VIII, 8431, 16369; Ei^h. Epigr., III, 93.

5. C. I. Lat., III, 895, 1087, 5937; YIII, 5142.

6. Id., VIII, 1628, 12209; Eph. Ep., IV, 691.

7. C. I. Lat., II, 1164; III, 1020, 1032, 1084, 1085, 3461, 5185, 5788, 6129 b, 8672, 10960; XII, 994, 995; Bramb., 146, 4SI, 1126.

8. C. I. Lat., II, 1358.

9. Id., III, 10425.

10. Id., ibid., 1590; Ann. èpigr., 1904, n. 188.

11. G. Wissowa, Religion und Kultus der liôiner, p. 100 et suiv.

LE CULTE DE JT^PITER OPTIMUS MAXIMUS 197

Caelestis *, Culminalis ou Cuhninaris -, Aiictor bonarwn tempestatium \ Tonitrator *, Fulguraior ou Fulminator^; il est le dieu éternel, Aeteynus ^ ; il est celui qui protège, Patronus ' ; il est le dieu de la maison, Domesticus *, le dieu de la cohorte, Coliortalis \ le dieu qui repousse les ennemis, Dcpulsor ^°.

Mais, si Jupiter Optimus Maximus était sans aucun doute possible le dieu du Capitole, et s'il est incontestable que son culte fut apporté dans maintes régions par l'effet de la conquête et de la colonisation romaine, il est non moins certain qu'il prit ici et une plij'sionomie particulière, que nous révèlent des épithètes proprement dites ou des noms accolés tels que : Saturnus, en Afrique "; Andero et Can- dleclo, dans le nord-ouest de la Tarraconaise *^; Beisirissa, chez les Tarbelli de l'Aquitaine '^; Sucaelus et Saranicus (peut-être pour Taranicus) dans la région de Mogontia- cum **; Aruhianus et Uxellimus en Norique '^ ; Parthi/ius, sur les frontières de la Dalmatie et de la Mésie supérieure "^ ; Biissumariiis, Erusenus, Tavia?ius, en Dacie '\ De tels noms soit ajoutés à celui du dieu, soit employés comme épithètes indiquent que dans plusieurs provinces de l'Empire

1. C. I. Lat., III, 1948, 2824, 2825; Bull, di archaeol. e stor. Daim., 1891, p. 177, n. 95.

2. C. I. Lat., III, 3328, 4032, 4108, 4115, 5186, 11673.

3. Id., XIII, 6.

4. Id., III, 2766 a = 8374; 10418.

5. Id., ibid., 821, 1680, 3953, 6342, 8304.

6. Id., ibid., 1082, 1083, 1301, 178-3, 3158 b, 5788,'7912-7911.

7. Id., ibid., 1948.

8. Bramb., 115.

9. C. I. Lat., III, 1782, 8.370.

10. Id., ibid., 895, 1679, 4033, 4034, 4111, 5460, 5494; XIII, 1745.

11. Id., VIII, 1652.3, 16696.

12. Id., II, 2598, 2599.

13. Jd., XIII, 370.

14. Bon7i. Jahrb.,X. LXXIV (1882\ p. 189; Braaib., 972.

15. C. I. Lat., III, 5145, 5185, 5443, 5575, 5580.

16. Id., ibid., 8.353; Jahreshefte, 1901, Beibl, p. 158 et suiv.

17. C. I. Lat., III, 859, 860, 1088, 14215i\

108 CHAPITRE VII

(les assimilations se firent entre le dieu romain et une divi- nité locale. On sait par exemple que le Saturnus africain était un Baal romanisé ' ; on sait également que Sucaelus ou Siicellus était un dieu gaulois ^ L'épithète Parthinus paraît être ethnographique; Phne l'Ancien cite les Par^/i^m parmi les gentes qui habitaient à l'intérieur de l'Illyricum, dans la région la province de Dalmatie touchait à la Macédoine et à laMésie supérieure ^ L'épithète Uxellhnus peut être rapprochée des noms de lieux bretons ou gaulois Uxella, Uxellum, Uxellodunwn .

Ainsi le dieu principal de la Triade Capitoline nous appa- raît dans les provinces latines sous un double aspect. Il garde son caractère romain de dieu très bon et très grand, protecteur et patron de l'Empire ; il reste la divinité suprême de l'État; mais en même temps, il contracte alliance, pour ainsi dire, au moins dans quelques endroits, avec telle ou telle divinité des anciennes populations; il se combine avec cette divinité, dont le nom lui est donné comme épithète ; ailleurs, il reçoit un qualificatif soit ethnographique, soit géographique qui étabht un lien étroit entre lui et le peuple, le pays, la ville dont ce qualificatif rappeUe le nom.

Le culte de Jupiter Optimus Maximus, sous cette double forme, ne s'est pas également répandu dans les diverses provinces de l'empire. La répartition des textes votifs ou des dédicaces qui s'y rapportent ne concorde pas avec cehe des Capitoles. En Afrique, par exemple, nous avons constaté l'existence certaine de quinze temples consacrés à la Triade capitohne, il n'a été jusqu'à présent trouvé qu'une trentaine d'inscriptions en l'honneur de Jupiter

1. J. Toutain, De Saturni dei in Africa romana ciiltu, p. 59-60.

2. Plin., Nat.mst.,Ul, 22.

LE CULTE DE JUPITER OPTIMUS MAXIMUS 199

Optimus Maximus ; en Bretagne, nulle trace de Capitole n'a été encore relevée, les ex-votos et les dédicaces adres- sés au dieu atteignent presque le chiffre de 80. Dans les trois provinces de Germanie supérieure, de Rétie, de Norique, nous n'avons pu citer aucun temple des divinités capitolines ; le nom de Jupiter Optimus Maximus y a été gravé sur plus de cent cinquante pierres aujourd'hui connues.

Le même désaccord éclate, lorsqu'on veut comparer la diffusion du culte de Jupiter Optimus Maximus avec la diffu- sion du culte des divinités impériales. Nous avons déjà constaté cette différence à propos du culte de la Triade capitoHne ou de ses deux principaux membres \ Elle est bien plus frappante ici. Sur plus de neuf cents documents relatifs au culte de Jupiter Optimus Maximus, les provinces africaines, espagnoles et gauloises n'en ont actuehement fourni que 180 environ, c'est-à-dire à peine le cinquième; en revanche la Bretagne, les provinces rhénanes et danu- biennes (Germanie inférieure, Germanie supérieure, Rétie, Norique, Pannonie, Mésie, Dacie) figurent dans le total pour près de 700 textes, soit plus des trois quarts. De cette constatation se dégage pour nous une première impression : le culte de Jupiter Optimus Maximus ne paraît pas avoir été très populaire dans les provinces la vie municipale était active et brillante ; son véritable terrain lui a certainement été fourni par les provinces qui s'échelonnaient le long du Rhin, du limes Germamcus, du Urnes Raeticiis, du Danube, et dont l'importance était surtout militaire.

Si d'autre part nous voulons nous rendre compte de la diffusion de ce culte dans les limites de chaque province ou groupe de provinces, notre enquête confirme cette première impression. En Afrique par exemple, sur trente dédicaces ou ex-votos, sept seulement proviennent de la Proconsu- laire, tandis que plus de vingt ont été trouvés en Numidie

\. Voir plus haut, p. 19L

200 CHAPITRE VII

et en Maurétanie. Et dans quelles villes ces documents ont- ils été découverts? Principalement dans les villes de garni- son ou dans les centres militaires, à Theveste ', à Lam- baesis ^ à Mascula ^, à Vazaivi \ à Zaraï % à Cirta®, à Sitifis ', à Manliana ^ dans les deux castella dont les ves- tiges ont été retrouvés à Bir Haddada ^ et à Berrouaghia '°.

Dans les provinces espagnoles, la répartition des docu- ments est exactement analogue. Peu nombreux sont les textes trouvés en Lusitanie, en Bétique et dans la Tarraco- naise orientale : au total, nous en avons compté 21. Au con- traire, dans le nord-ouest de la Tarraconaise, les villes étalons rares, mais tenait garnison la legio Vil Gemina, 38 dédicaces ou ex-votos ont été retrouvés.

En Bretagne, sur près de quatre-vingt textes, il n'en est aucun qui ne provienne d'une ville de garnison, d'un camp de légion ou d'un des nombreux castella situés le long ou au-delà du vallum Hadriani.

Dans la Germanie inférieure, les inscriptions les plus abondantes ont été trouvées autour des emplacements qu'occupaient sur le Rhin inférieur Noviomagus et Castra Votera, plus au sud Colonia Agrippina et Bonna. Dans la Germanie supérieure, la moisson de textes a été surtout féconde autour de Mogontiacum, dans les Champs Décu- mates et le long du li7nes Germaniciis. Dans les deux Pan- nonies, dans les deux Mésies, la répartition des documents présente exactement le même caractère : presque tous pro- viennent des camps ou des postes mihtaires échelonnés le

1. C. /. Lat., VIII, 16523, 16524, 16696.

2. Id., ibid., 2615— 2617; 18219.

3. Ann. Epigr., 1904, n. 128.

4. G. I. Lat., VIII, 17621, 17626.

5. Id., ibid., 4510.

6. Id., ibid., 6953, 6954.

7. Id., ibid., 8434.

8. Id., ibid., 9608.

9. Id., ibid., 8710.

10. Id., ibid., 9233, 20848.

LE CULTE DE JUPITER OPTIMUS MAXLMUS 201

long du Danube ou situés sur les grandes voies stratégiques de rillyricura et de la Dacie : Poetovio, Carnuntum, Bri- getio, Aquincum, Siscia, Sirmium, Singidunum, Naïssus, Apulum, Potaïssa, Sarmizegethusa, tiennent ici le premier rang.

Dans le Norique, les inscriptions nous révèlent une situa- tion différente, mais analogue. Ce n'est pas autour des points militairement occupés que les traces du culte de Jupiter Optimus Maximus se sont retrouvées en grand nombre; c'est autour de deux villes, Virunum et Celeia, siégeait une administration procuratorienne fort impor- tante, chargée d'exploiter les mines de fer de la région [ferrariae Noricae) et d'administrer les douanes de Pan- nonie {porforiwn Pannoniae) \

Ainsi la seule répartition géographique des ex-voto et dédicaces nous avertit déjà que le culte de Jupiter Optimus Maximus a surtout été populaire dans les régions de l'empire occupées par de nombreuses garnisons ou par un personnel administratif assez abondant. Ces premières indications se trouvent complétées et précisées par l'étude des titres que portaient et des fonctions que remplissaient les fidèles du dieu.

Des 930 documents épigraphiques qui se rapportent au culte de Jupiter Optimus Maximus, il en est près de 500, exactement 497, qui contiennent des renseignements sur les fonctions, le rang et la situation des dédicants.

Très restreint est le nombre des dédicaces qui émanent des cités : Sicca Veneria ^ Lambaesis ^ Sila \ en Afrique ;

1. C. I. Lut., III, 5161 et suiv. ; Cf. ibid., 4788, 5120, 5184.

2. Ici., VIII, 1628.

3. Id., ibid., 2617.

4. Id., ibid., 19198.

2U2

CHAPITRE VII

Begastriim dans la Tarraconaise méridionale * ; la clvitas Trancnsb, voisine de Bracara Augusta -, dans la même province ; enfin Ampelum en Dacie ^ sont, dans les pro- vinces latines, les seules villes dont le nom se trouve offi- ciellement gravé sur une dédicace au dieu Capitolin. Il est permis d'ajouter à cette liste le nom de Salonae en Dalma- tie : la lex arae, découverte dans cette ville, est un docu- ment officiel '".

Plus nombreuses que les noms de cités sont les mentions de rici ou de vlcani. Les Vicani Camalog[enses?)^ près d'Ammaia en Lusitanie ^; les Vicani Atucausc[nses)^ dans le convcntus Bracaraugustanus ® ; le viens Voclan- ni{orum), dans les environs d'Augusta Trevirorum "; le vicies Trullensis en Mésie inférieure * ont signé des dédi- caces; dans d'autres vici, des particuliers ont dédié, au nom des vicani ou à leur intention, soit un autel, soit une statue, soit même un temple à Jupiter Optimus Maximus. Tel est le cas pour un viens de la Colonia Heli-etionmi voisin de Minnodunum ^ pour les Vicani Vindonissenses, également chez les Helvètes '°. pour le Viens Noviis Melo- nioruni près de Mogontiacum ", pour le ficus Gallorum-pres de Carnuntum ^\ pour un Viens anom'me près de Brigetio ^'\ Ailleurs, c'est une partie seulement des habitants, ce sont des groupes distincts qui affirment leur dévotion : à Nevio- dunum, en Pannonie, les Aelii Garni cives Romani invo-

1. C. I. Lat., II, 5948.

2. Id., ibid.,2399.

3. Id., III, 1293.

4. Id., ibid., 1933.

5. Id, II, 170.

6. Id., ibid., 6287.

7. Bramb., 794: cf. 795, 796

8. Ann.Epigr., 1902, n. 124; cf. C. I. Lat., III, 14412'5.

9. Mommsen, Inscr. Helv., 150.

10. Schiceiz. An:ei(/., 1872, p. 367.

11. Bramb., 1321.

12. C. I. Lat., III, 44U7.

13. Id., ibid., 10984.

Tl lU I I I JL,

CULTE DE JUPITER OPTIMUS MAXIMUS

203

quent Jupiter Optimus Maximiis pour le salut d'Hadrien * ; à Napoca, en Dacie, ce sont des Galatae consistentes municipio ^; dans la Mésie inférieure, ce sont près d'Aegissus, des C{ives) c{onsistentes) vico I Urb... % des Veterani et C{ives) R[omani) vico. .. *; entre Noviodunum et Istrum, des Ogives) R{ommii) vete[rani) Vico novo... ^ ; à Durostorum des C{ives R{omani) et consistent{es) in canahis Aeli{i)s leg XI Cl{audiae) \

Remarquons que la plupart des vici mentionnés par ces documents étaient d'origine militaire : les uns s'étaient créés dans le voisinage de camps légionnaires comme Mogontiacum, Vindonissa, Carnuntum, Durostorum, ou de garnisons moins importantes comme Brigetio, Aegissus; les autres étaient peuplés, au moins en partie, de vétérans.

Signalons enfin, dans cette classe de dédicaces collec- tives, celle du K[astelliim) B. (aujourd'hui Bir Haddada, au sud de Sétif) pour le salut de l'empereur Gordien ' ; celle des Arronidaeci et Collacini, peuplades ibériques du groupe des Astwes Transmontani ^; celle des Cultores Jovis Optimi Maximi d'un p«^i<s voisin de Thala en Afrique, pour le salut de l'empereur régnant \

La dévotion individuelle a laissé des traces infiniment plus nombreuses. Or, à l'inverse de ce que nous avons constaté pour le culte des divinités impériales, les adora- teurs du dieu capitolin se recrutaient en très grande majo- rité parmi les fonctionnaires d'empire, dans le personnel administratif qui les entourait, et surtout dans l'armée. Dans la liste des fidèles aujourd'hui connue de Jupiter

II

1. C. I.Lat., ibid., 3915.

2. Id., ibid., 860.

3. Id., ibid., 14441.

4. Id.> ibid., 14442.

5. Id., ibid., 14448.

6. Id., ibid., 7474.

7. Id., VIII, 8710.

8. 7d., II, 2697.

9. Ann. épigr., 1905, n. 119.

14

202 CHAPITRE VII

Begastrum dans la Tarraconaise méridionale ' ; la civitas Traiicnsls, voisine de Bracara Augusta -, dans la même province ; enfin Ampelum en Dacie ^ sont, dans les pro- vinces latines, les seules villes dont le nom se trouve offi- ciellement gravé sur une dédicace au dieu Capitolin. 11 est permis d'ajouter à cette liste le nom de Salonae en Dalma- tie : la lex arae, découverte dans cette ville, est un docu- ment officiel \

Plus nombreuses que les noms de cités sont les mentions de vici ou de vicani. Les Vlcani Camalog[eiises?)^ près d'Ammaïa en Lusitanie ^; les Vicani Atucause{nses)^ dans le conrentus Bracarauguslamis ^ ; le viens Voclan- ni{orum)^ dans les environs d' Augusta Trevirorum '; le vicus Trullensis en Mésie inférieure ^ ont signé des dédi- caces; dans d'autres vici, des particuliers ont dédié, au nom des vicani ou à leur intention, soit un autel, soit une statue, soit même un temple à Jupiter Optimus Maximus. Tel est le cas pour un vicus de la Colonia HeUetioruni voisin de Minnodunum ^ pour les Vicani Vindonissenses, également chez les Helvètes '°, pour le Vicus Novus Melo- nioinmi près de Mogontiacum '', pour le vicus Gallorunii^vès de Carnuntum ^\ pour un Vicu.s anonyme près de Brigetio ''\ Ailleurs, c'est une partie seulement des habitants, ce sont des groupes distincts qui affirment leur dévotion : à Nevio- dunum, en Pannonie, les Aelii Garni cives Romani invo-

1. C. I. Lat., II, 5948.

2. Id., ibid., 2399.

3. Id., III, 1293. i. Id., ibid., 1933. 5. Id, II, 170.

G. Id., ibid., 62S7.

7. Bramb., 791: cf. 795, 796

8. Ann. Eplgr., 1902, n. 124; cf. C. I. Lot., III, 144123.

9. Mommsen, Inscr. Helv., 150.

10. Schiceiz. Anzeig., 1872, p. 367.

11. Bramb., 1321.

12. C. I. Lat., III, 4407. 1.3. Id., ibid., 10984.

LE CULTE DE JUPITER ÔPTIMUS MAXIMUS 203

quent Jupiter Optimus Maximus pour le salut d'Hadrien * ; à Napoca, en Dacie, ce sont des Galatae consistentes municipio ^; dans la Mésie inférieure, ce sont près d'Aegissus, des C{wes) c{onsistentes) vico I Urb... ^ des Veterani et C[ives) R{o7nanï) vico. ..'"^ entre Noviodunum et Istrum, des C{wes) R[omani) vete[ranï) Vico novo... ^ ; à Durostorum des C{wes R{omani) et consistent{es) in candbis Aeli{ï)s leg XI Cl{cmdiae) \

Remarquons que la plupart des vici mentionnés par ces documents étaient d'origine militaire : les uns s'étaient créés dans le voisinage de camps légionnaires comme Mogontiacum, Vindonissa, Carnuntum, Durostorum, ou de garnisons moins importantes comme Brigetio, Aegissus; les autres étaient peuplés, au moins en partie, de vétérans.

Signalons enfin, dans cette classe de dédicaces collec- tives, celle du K[astellum) B. (aujourd'hui Bir Haddada, au sud de Sétif) pour le salut de l'empereur Gordien ''; celle des Arronidaeci et Collacini, peuplades ibériques du groupe des Astures Traîismonfani *; celle des Cultores Jovis Optimi Maximi à'xmpagus voisin de Thala en Afrique, pour le salut de l'empereur régnant ^

La dévotion individuelle a laissé des traces infiniment plus nombreuses. Or, à l'inverse de ce que nous avons constaté pour le culte des divinités impériales, les adora- teurs du dieu capitolin se recrutaient en très grande majo- rité parmi les fonctionnaires d'empire, dans le personnel administratif qui les entourait, et surtout dans l'armée. Dans la liste des fidèles aujourd'hui connue de Jupiter

1. CI. Lat., ibid., 3915.

2. Id., ibid., 860.

3. Id., ibid., 14441.

4. Id., ibid., 14442.

5. Id., ibid., 14448.

6. Id., ibid., 7474.

7. Id., VIII, 8710.

8. 7d., II, 2697.

9. Ann. épigr., 1905, n. 119.

14

204 CHAPITRE VII

Optimus Maximus, les gouverneurs provinciaux sont repré- sentés par les noms d'Aurelius Litua, gouverneur de la Maurétanie Césarienne'; de C. Macrinius Decianus, gou- verneur de la Numidie '-; de Q. Mamilius Capitolinus, légat impérial en Asturie et Gallaecie ^ ; d'Aco Catullinus, gouver- neur de la Gallaecie *; de L. Aemilius Carus, légat impérial

dans la Germanie inférieure '; de us Antianus, de Q. Cae-

cilius RufînusCrepereianus, de T. Clementius Silvinus, char- gés, sous des titres divers, du gouvernement de la Pan- nonie inférieure ^; de M. Statius Priscus, légat impérial en Dacie "; de M. Servilius Fabianus et Q. Decius, gou- verneurs de la Mésie Inférieure ^ Parmi les officiers géné- raux, nous citerons trois légats de ^a legio XIII Gemina ', un clux pcr Africam *", un dux P^annoniae) S{ecunclaé) S{aviae) 'S et un pracfectus cîassis Gcrmanicae '-. Plus nombreuses encore sont les dédicaces signées soit par des procurateurs, soit par des membres subalternes de l'administration procuratorienne ; ces documents provien- nent tous, sauf un, des provinces danubiennes : Norique, Pannonies, Dacie. Ils ont été trouvés surtout à Celeia pour le Norique '^ ; à Poetovio, Aquincum et Siscia pour les Pannonies ''; à Ampelum, Apulum et Xapoca pour la Da- cie *^ Parmi les procurateurs nommés dans ces textes,

1. c. 1. Lat., yill, 9324.

2. Id., ibid., 2615.

3. M., II, 2634.

4. Id., ibid., 2635.

5. Bramb.,334.

6. C. I. Lat., III, 3637, 10415. 10424.

7. Id., ibid., 1299.

8. Id., ibid., 12.385, 13724.

9. Id., ibid., 1020, 1032, 1062.

10. Id., VIII, 18219.

11. Id., III, I09S1.

12. Bramb., 355.

13. C. I. Lat., III, 5161 et suiv.

14. Id., III, 4020, 4023, 4024, 4031, 4032; 3141 et suiv.; 3947, 3953, 10842.

15. Id.. ibid., 856, 857, 1088, 1295, 1297, 1298.

LE CULTE DE JUPITER OPTIMUS MAXIMUS 205

figurent un 'procurator portorii Pannoniae \ un procii- 7Yitor 2orovmciae Pannoniae siiperioris ^ \m py^ocurator Augusti praejjositus sijlendidissimo vectigall ferrararium de Pannonie ^ plusieurs procurateurs impériaux de la Dacie ^; à la même administration se rattachent M. Trebius Alflus, conductor ferrariarum Noricarwn ^ C. Calcinius Tertianus, conductor portorii Pannoniae ^; outre les chefs de l'administration, les employés subalternes, beneficiarii des procurateurs \ affranchis et esclaves impériaux por- tant les titres de fabidarias *, adjidor ou custos tahularii ^ arcarius stationis '", dispensator '', dispensatoris vika- rius '^ vilicus '^ ou vilicus stationis *\ co7itrascriptor sta- tionis *% ont été des fidèles de Jupiter Optimus Maximus.

Mais bien plus encore que les hauts fonctionnaires, les officiers généraux et le personnel de l'administration pro- curatorienne, c'est l'armée qui dans la plupart des pro- vinces latines a répandu et célébré le culte de la grande divinité Capitolinc. Des 497 dédicaces ou ex-voto, dont le texte fournit des renseignements précis sur la fonction ou le rang social des fidèles, 314, c'est-à-dire plus de la moitié émanent de corps militaires, d'officiers, de sous-officiers, de soldats ou de vétérans. Les témoignages de dévotion collective ont été recueilhs principalement en Tarraco- naise, dans le nord de la Bretagne et en Dacie. En Tarra-

L G. I. Lat., ibid., 5120.

2. Id., ibid., 403L

3. Id., ibid., 3953.

4. Id., ibid., 856, 857, 1298.

5. Id., ibid., 4788.

6. Id., ibid., 5184.

7. Id., ibid., 5161 et suiv.; 3441 et suiv; 10417, 10842.

8. Id., ibid., 1297.

9. Id., ibid., 4020, 4023, 4032.

10. Id., ibid., 3953.

11. Id., ibid., 1085.

12. Id., ibid., 3269.

13. Id., ibid., 8185.

14. Id., ibid., 1351.

15. Id., ibid., 12399,

2Ô6 CHAPITRE VII

conaise, Jupiter Optimus Maximus fut invoqué par les sol- dats en activité de service [milites) *, par les vétérans % par plusieurs détachements [vexillatlones) ^ de la legio VII Gcmina. En Bretagne, les corps qui l'invoquèrent appar- tenaient aux troupes auxiliaires; c'étaient, avec VAla Aiigusta \ la cohors I Hispanorimi ^ la cohoy\s I Baeta- siorum^^ la cohors, I Dalmatarum \ une cohors Vardullo- rum *, la cohors I Aelia Dacorum, \ la cohors IIII Gallo- rum *°, la cohors II Tungrorum '\ la cohors I Nervana Germanorum '^ la coliors V Gallorum '^ et une vexillatio G[ermanorum) ou G{aesatorwn) R{aetonim) '*.

En Dacie, plusieurs dédicaces et textes votifs sont signés soit de la legio XIII Gemina^^, soit de vétérans de cette légion '% soit de divers corps auxiliaires, ailes et cohortes : ala Canvpagonum ^^ ala I Bosporana '% cohors I Vin- delicorum '^ cohors II Flavia Commagenorum ^\ co- hors I Alpinorum ^', cohors IV Rispanoru7n equi- taia ^\

1. C. I.Lat.

, II, 2389.

2. Id.,

ibid.,

3327.

3. Id.,

ibid.,

2552-2555 ; 6183.

4. Id.,

VII,;

340 et suiv.

5. Id.,

ibid.,

374 et suiv.

6. Id.,

ibid..

386.

7. Id.,

ibid.,

387.

8. Id.,

ibid.,

435.

9. Id.,

ibid..

806 et suiv.

10. Id.

, ibid.

, 878.

11. Id.

, ibid.

, 879, 880.

12. Id.

, ibid.

, 937, 1066.

13. Id.

, ibid.

, 1083.

14. Id.

, ibid.

, 987; Ephem. Ei

15. C. I. Lat

., III, 1061.

16. Id.,

, ibid.

, 7754.

17. Id.,

, ibid.

, 1343.

18. Id..

, ibid.

, 1344.

19. Id..

, ibid.,

, 1343.

20. Id.,

, ibid.,

, 1.343, 7848, 7849.

21. Id.,

ibid.,

, 1343.

22. Id.,

, ibid.

, 6257.

VII, 1092.

LE CULTE DE JUPITER OPTIMUS MAXIMUS 207

Les témoignages très nombreux de dévotion individuelle prouvent que les fidèles du dieu Capitolin se recrutaient également parmi les officiers, les sous-officiers, les simples soldats en activité de service, les vétérans. Les grades et affectations spéciales, dont la mention se lit sur les docu- ments, sont très variés : Jupiter Optimus Maximus a exaucé les vœux, reçu les hommages et les actions de grâces de préfets de camp, de tribuns légionnaires, de préfets ou tribuns de cohortes, de centurions, de décurions de cava- lerie, d'options, de beneflciaril, signiferi, custodes armo- rum, sjoecidatores, tesserarii, 7nesores, cornicularii, stra- tores^ etc. Il serait fastidieux d'énumérer les textes épigra- phiques, dont le nombre seul suffit à attester la diff'usion et l'importance de ce culte dans l'armée; nous nous bor- nerons à signaler quelques séries particulièrement signifi- catives, telles que les inscriptions du nord de la Bretagne, qui toutes proviennent de garnisons situées le long ou dans le voisinage du vallum Hadriani * ; les documents trouvés sur l'emplacement des grands camps de la Pannonie, Car- nuntum ^ Brigetio \ Aquincum \ Siscia ^; les séries origi- naires des principales garnisons de la Dacie, Apulum ^ Potaïssa \ Micia ^ 11 est indéniable que l'élément militaire a tenu la première place et joué le rôle de beaucoup le plus important dans le culte que les provinces latines de l'em- pire ont rendu à Jupiter Optimus Maximus.

Cette action prépondérante des fonctionnaires, des offi- ciers et des soldats de tout ordre est encore mise en lumière par la rareté des ex-voto et dédicaces signés de magistrats municipaux, de prêtres provinciaux ou munici-

\. C 7. Za(.,VII, 340et suiv.

2. Id., III, 4405 et suiv.

3. Id., ibid., 4290 et suiv.; 10977 et suiv.

4. Id., 34.30 et suiv.; I041I et suiv.

5. Id., ibid., .3945 et suiv,; 10840 et suiv.

6. Id., ibid., 1020 et suiv. ; 7754-7758.

7. Id., ibid., 883 et suiv.

8. Id., ibid., 1343 et suiv.; 7848 et suiv.

208 CHAPITRE VII

paux du culte impérial. La liste de ces ex-voto et dédicaces se réduit à moins de quarante documents en ce qui concerne les personnages qui ont été dans leurs villes duumvirs, édiles, questeurs ou décurions; à moins de dix, pour les prêtres provinciaux et municipaux du culte impérial. La répartition géographique de ces documents est d'autre part fort caractéristique. Parmi ceux qui émanent de magistrats municipaux, il n'en est pas un seul qui ait été trouvé en Afrique, en Espagne ou en Narbonaise; un seul est d'ori- gine gauloise '; trois mentionnent des magistrats munici- paux de la civitas Tawieiisium, près de Mogontiacum ^; quatre proviennent de laDalmatie ^ deux de Celeia ^; tous les autres, c'est-à-dire trente, soit les trois quarts, ont été trouvés en Pannonie, dans la Mesie supérieure, en Dacie, et les villes, dont ils nomment des magistrats municipaux, sont précisément celles qui se sont créées et développées près des camps légionnaires ou des garnisons, Poetovio ^ Brigetio ^ Aquincum \ Mursa ^ Siscia \ Sirmium '", Bas- siana *', Scupi '-, Apulum '^ Potaïssa ^\ Sarmizegetlmsa *'. Parmi les fldèles de Jupiter Capitolin, nous n'avons ren- contré qu'un prêtre des trois Gaules, Q. Adginnius Urbici fil. le Séquane '^ deux prêtres de la Pannonie supérieure.

1. CI. Lat., XIII, 1674.

2. Westd. Zeitschr., Korresp. hlatt., 1898, n. 99; 1885, n. 3; Bramb., 1310.

3. G. I. Lat., III, 1942, 8301, 8304, 8366.

4. Id., ibid., 5145, 5183.

5. Id., ibid., 4022, 4028, 4108, 4111.

6. 7d., ibid., 4294.

7. 7(7., ibid., 3436, 3456; Jahreshefte, 1899, Beibl., p. 53, n. 3.

8. Jahreshefte, 1900, Beibl., p. 97.

9. C. I. Lat., III, 10820.

10. Id., ibid., 32.30.

11. Id., ibid., 10197, 10203,

12. Id., ibid., 8189.

13. Id., ibid., 983; cf. 1282, 1283, 1407.

14. Id., ibid., 888?, 7678.

15. Id., ibid., 1051, 1060.

16. Id., XIll, 1674.

LE CULTE DE JUPITER OPTLMUS MAXIMUS 209

M. Aurelius Maximinus de Poetovio ', G. D. Victorinus de Siscia % un ancien prêtre de la même province, Aur. Ceio- nius de Poetovio ^ et deux prêtresses provinciales, Flavia Ruflna de Lusitanie ^ Lucilla de Pannonie supérieure ^ Un seul prêtre municipal a inscrit son nom sur une dédicace à Jupiter Optimus Maximus : c'est Tib. Cl. Rufus, flamine à Apulum ^ 11 convient de citer auprès de lui L. Camp(anius) Celer, prêtre de la déesse Rome en Norique \ Les Augus- tales et les seviri ne sont pas moins rares : un certain Cor- nélius à Narbo Martius ^ L. Valerius Troflmas à Margum,

dans la Mésie supérieure ', T. FI. Flavianus, L. Ant. Se- cun(dinus), C. Atilius Eutyches, à Apulum '", Q. Atius Anthim(ius) à Sarmizegethusa " sont les seuls qu'on puisse citer avec certitude pour toutes les provinces latines de l'empire.

Cette rareté extrême des prêtres provinciaux, des prêtres municipaux, des Augustales sur les ex-voto et les dédi- caces au dieu du Capitole confirment pleinement les con- clusions que nous avait déjà inspirées la répartition géo- graphique de ces documents. Le culte de Jupiter Optimus Maximus nous apparaît nettement comme une autre forme religieuse du loyalisme, celle qu'ont préférée les fonction- naires, les officiers et les soldats. La bourgeoisie provinciale au contraire a mieux aimé adresser ses hommages à la divinité impériale. Il n'est peut-être pas difficile d'aperce- voir les causes de cette différence. Fonctionnaires, officiers

L G.I. Lat., III, 4108.

2. Id., ibid., 10820.

3. Id., ibid., 40.33.

4. Id., II, 32.

5. Id., III, 10820.

6. Id., ibid., 1064.

7. Id., ibid., 5443.

8. Id., XII, 4318.

9. Id., III, 8141.

10. Id., ibid., 1082, 1084, 14215»^

11. Id., ibid., 7913.

210 CHAPITRE VII

et soldats personniflaient dans les provinces la puissance romaine; ils y étaient les représentants officiels de Rome. Or, à Rome même, il ne semble pas que le culte des empe- reurs ait été jamais populaire. L'empereur, au moins pen- dant les premiers siècles de l'Empire, était trop proche pour qu'on le traitât comme un dieu. Les dévotions et les hom- mages vraiment religieux s'adressaient de préférence au maître du Capitole, au chef de la Triade dont le sanctuaire dominait d'un côté le Forum et le Palatin, de l'autre le Champ de Mars. Les provinciaux, dont la vie se passait souvent tout entière dans leurs cités lointaines d'Afrique, d'Espagne, de Gaule, n'éprouvaient pas le même sentiment. Pour eux, l'empereur était vraiment le maître du monde, un maître si haut placé, qu'il leur paraissait tout à fait naturel de lui rendre un culte divin.

Outre les personnages qui exerçaient des fonctions ou qui occupaient des situations offlcielles dans l'Empire, il importe de signaler, parmi les adorateurs de Jupiter Capi- toUn, quelques groupes d'un tout autre caractère. Ces groupes de fidèles se sont principalement rencontrés dans les provinces gauloises et germaniques.

Dans la Narbonaise, on a relevé jusqu'à présent environ quarante ex-voto ou dédicaces à Jupiter Optimus Maximus. Parmi les dédicants, figurent à Forum Julii, un miles legio- nis VIIII \ à Narbo Martius un sévir Augustalis ^ Tous les autres sont de simples particuliers, qui ne portent aucun titre, qui ne paraissent même pas être citoyens romains ; car aucun d'eux, si Ton fait abstraction d'un texte douteux connu seulement par une copie de Peiresc ^ n'indique

1. G.I. Lat., XII, 249.

2. Id., ibid., 4-318.

3. Id., ibid., 5412.

LE CULTE DE JUPITER OPTIMUS MAXIMUS 211

qu'il soit inscrit dans une tribu romaine. Leurs noms sont, par exemple, à Apta, C. Attius Sequens et L. Vinicius Veri- nus '; à Vasio, M. Domitius Festus ^; à Vienna, L. Ruflus Rufinus ^ Mais, parmi ces Mêles de situation modeste, il y a des affranchis, ce sont, à Aquae Sextiae, Sex. Julius Seren[i) Ub. Bacchyus * ; à Yasio, Gaviatia Q. l. Attica ^\ à Dea Augusta, C. Venaes(ius) C. Coell Ilermagorae et Venaesiiae) AUicillae Ub. Epaphroditus ^ ; à Genava, T. Vipius {sic, peut-être Ulpius) Celsi Ub. Verecundus \ Or, comme nous l'avons déjà indiqué à propos des Augnsiales, des affranchis qui s'appellent Bacchyus, Eijaphroditus ou AUica sont, suivant toute vraisemblance, originaires de la Grèce ou de l'Orient; en tout cas, ce ne sont pas des indi- gènes, des provinciaux du pays. 11 nous paraît, d'autre part, malaisé de ne pas reconnaître le même caractère à Philipa, Hotarzaradis fîlia, qui, à Massilia, invoque le dieu Capi- tolin ^ ou encore à ce personnage dont le nom est écrit C. P. Polybius sur un ex-voto trouvé entre Narbonne et Toulouse ^ 11 y a donc lieu de croire qu'en Narbonaise, une partie au moins des adorateurs de Jupiter Capitolin étaient des étrangers au pays.

Un second groupe, d'un caractère également particulier, nous est révélé par les inscriptions de l'Aquitaine méridio- nale; on pourrait le désigner par le nom de groupe pyré- néen parce que la plupart de ces inscriptions ont été trouvées au pied du massif. Aucune mention de fonction officielle ni de magistrature municipale n'est faite sur ces documents. Parmi les dédicants, aucun n'indique qu'il soit inscrit dans

L c. I. Lat., XII, 1070, 1073. 2. M., ibid., 1289. .3. Id., ibid., 1819.

4. Id., ibid., 499.

5. M., ibid., 1290.

6. Id., ibid., 1563.

7. Id., ibid., 2590.

8. Id., ibid., 404.

9. Id., ibid., 5376,

212 CHAPITRE VII

une tribu romaine; quelques-uns, plutôt rares, portent les trois noms : C. Fab. Lascius (sic) ', Cn. Pompeius Mart(i)us ^ L. Pompeius Masclinus \ T. Minicius Harbelex '\ M. Val. Potens ^; un plus grand nombre n'en ont que deux : Val. Justus ^ Antonius Vindemialis \ Senius Conditus % ou même qu'un : Fortunatus \ Sabinianus '", Germanus ", Nigrinus Apti f. '^ Felicissimus Siragi (fllius) *^ Annius Pompeiani f. '\ Que sont ces personnages? Quelle est leur condition sociale et pourquoi se trouvent-ils dans ce pays? Nous le savons pour trois d'entre eux : Fortunatus est Yactor d'une certaine Petronia Magna, pour la santé et le retour de laquelle il consacre un autel et immole une victime à Jupiter Optimus Maximus ''; Sabinianus est de même Vacto?^ d'un personnage nommé Paulinianus '^; Felicissimus Siragi (filius), qui fait et accomplit un vœu à Jupiter Optimus Maximus jj>'o sainte clomhiorum siiorum, est vraisembla- blement aussi un gérant ou un intendant ^\ N'est-il pas légi- time de croire à l'existence dans cette région de quelques vastes domaines privés, dont l'exploitation et l'administra- tion étaient confiées à des esclaves? Ici encore, si cette hypothèse est exacte, nous nous trouvons en présence

1. c. I. Lat., XIII, 131.

2. LJ., ibid., 236.

3. Id., ibid., 237.

4. Id., ibid., 316.

5. Id., ibid., 370.

6. Id., ibid., 6.

7. Id., ibid., 308.

8. Id., ibid., 311.

9. Id., ibid., 37.

10. Id., ibid., 66.

11. Id., ibid., 163.

12. Id., ibid., 235.

13. Id., ibid., 310.

14. Id., ibid., 315.

15. Id., ibid., 37 : J{ovi) 0\ptimo) M[aximo). Pro sainte et reditu Petro- niae Magnae Fortunatus act{or) aram cum hostia fecit....

16. C. I. Lat., XIII, 66: Sabinianus ser{vus) actor Pauliniani.

17. Id., ibid., 310.

LE CULTE DE JUPITER OPTIMUS MAXLMUS 213

d'éléments probablement étrangers. Mais l'un des textes de ce groupe pyrénéen nous apprend que cette solution n'est point la seule qui convienne. En effet, sur un ex-voto découvert près du village de Cadiac dans les Hautes-Pyré- nées, le dieu est appelé J[iipiter) O(ptiinu.s) M[axlmus) Beisirissa *. 11 y a eu, par conséquent, assimilation du dieu Capitolin à une divinité locale. Ainsi deux parts peuvent être faites dans ce groupe : ici le dieu est invoqué par des esclaves, cbargés d'exploiter et de gérer des propriétés privées; là, au contraire, il semble se confondre avec une ancienne divinité ibérique, et les hommages qui s'adressent à lui lui viennent de provinciaux assez romanisés pour vou- loir prier le dieu du Capitole, mais en même temps fidèles à leurs vieilles traditions.

Plus importants et plus curieux sont les documents qui proviennent des contrées situées à l'est et à l'ouest du cours moyen du Rhin, contrées qui s'appeUent aujourd'hui le Palatinat, l'Alsace, le grand duché de Bade, le Wurtem- berg, et qui jadis constituaient la plus grande partie de la Germanie supérieure. Ces documents sont, en très grande majorité, des ex-voto; on y Ht presque toujours l'une ou l'autres des deux formules : ex voto idosuit libens laetus ?nerito % votum solvit libens laetus metnto ^ Ils ont, en outre, un caractère individuel et privé nettement accusé par des formules comme : pro se et suis *, de suo in suo •", m suo \ Sur tous ces textes votifs se Ht au début le nom du grand dieu capitolin ; mais Jupiter Optimus Maximus n'est pas toujours invoqué seul; assez souvent, en même temps qu'à lui les fidèles ont acquitté leiu' vœu à Juno Regina '. Il

1. C. I. Lat., XIII, 370.

2. Bramb., 1.313, 1314: cf. 1788; Westd. Zeitschr., Korresp. bl, 1889, 118

3. Bramb., 1685, 1810, 1906, 1918, etc., etc.

4. Westd. Zeitschr., Limes. M. , 189-3, n. 47; cf. Bramb., 1788,2018.

5. Bramb., 866.

6. Bramb., 1310 et suiv.; Westd. Zeitschr., Korresp. bl., 1885, n. 3.

7. Par ex.. Bramb., 1.313 et suiv.; 1811; 1899; Westd. Zeitschr., Korresp bl., 1885, n. 3, etc.

214 CHAPITRE VII

est plutôt rare que ces textes renferment une mention de grade militaire, de magistrature municipale ou de titre quelconque : on ne peut citer, dans cet ordre d'idées qu'un decurio cirilatis Malliacorum S un sévir Auguslalis de Mogontiacum probablement '^, un miles numeri Caddaren- sium % un veteranus legionis XXII \ un specidaior ^ deux deciiriones civitatis Taunensiiim \ un duimiviî^ de la même civitas ^ un 7niles leg. VIII Aiig. ^ un centurion de la legio XXII \ un cavalier de la même légion '^ un préfet de cohorte ", un beneftciarius ^\ un vétéran '^ soit quatorze personnages sur plus de soixante dont les noms se lisent sur ces ex-voto. Remarquons en outre que quatre au moins d'entre eux, le duwnvi?' de la civitas Taimensium, les deux décurions de la môme cité, et le décurion de la civitas Mattiacorum ne semblent pas être citoyens romains : aucun d'eux n'est inscrit dans une tribu ; trois d'entre eux ne portent pas de prénom; ils s'appellent Aquilinius Paternus, C. Sedatius Stephanus, Dativius Victor, Licinius Gnatius. Il est peu vraisemblable que ce soient des colons venus d'Italie ou des vétérans; il est probable que ce sont des indi- gènes à demi-romanisés. Parmi les soldats, il en est deux qui indiquent que l'ex-voto a été placé iii suo, c'est-à-dire sur un terrain qui leur appartient, suivant toute apparence dans leur propre habitation '^ Ainsi des quatorze personnages,

1. Brambach., 1313.

2. Id., 1316.

3. Id., 1317.

4. Id., 1319.

5. Id., 1098.

6. Wesld. Zeitschr.,Korresp. hh, 1885, n. 3; 1898, n.99.

7. Bramb., 1310.

8. Westd. Zeitschr., Korresp. M., 1890, n. 58.

9. Bramb., 1753, 1751.

10. Westd. Zeitschr., Korresp. bl., 18S9, n. 118.

11. Bramb., 897.

12. Id., 2018.

13. Id., 1315.

14. Bramb,, 1317; Westd. Zeilschr., Korresp. bl. 1889, n. 118.

LE CULTE DE JUPITER OPTIMUS MAXIMUS 215

qui ont exercé une fonction militaire ou civile, six, soit presque la moitié, étaient attachés au pays par des liens étroits. Quant aux autres dédicants, ce sont de simples par- ticuliers, qui portent parfois les tria no?nina, G. Junius Se- cundi[nus] *, C. Lucullus Lepidinus ^ T. Pomponius Noctur- nus \ L. Septumius Florentinus \ Q. Vindillius Pervincus '% etc. ; mais qui plus souvent ne sont désignés que par un gen- tilice et un cognomen, Serotinius Cupitus ^ Cassii Victorinus et Urbicus ', Lucanius Victurus ^ Claudi(i) Mascellio et Cle- mens ^ Julius Modestus '", Quintius Ursus **, etc., ou même par le seul cognomen, Caranthus et Jucundus *^ Addo ^\ Pistillus et Quintus et Maianus Bellici f. '% lassus ^'■''.

Ici, pour la première fois, nous nous trouvons en pré- sence d'un culte rendu à la grande divinité romaine par des fidèles qui paraissent être des gens du pays. Ce ne sont ni des fonctionnaires impériaux, ni des officiers; nous avons rencontré parmi eux très peu de soldats ou de vété- rans, encore moins de magistrats municipaux; ce ne sont pas non plus des affranchis, et leurs noms n'ont pas cet aspect grec ou oriental qui, à défaut d'autre indice, permet souvent de reconnaître les anciens esclaves devenus li- bres. Nous croyons que presque tous sont des indigènes de condition modeste. En tout cas, ils constituent parmi

1. Brainb., 1505.

2. Id., 1906.

3. Id., 1918.

4. Id., 1786.

5. Id., 900.

6. Id., 1318.

7. Id., 1811.

8. Id., 1899.

9. Id., 1801.

10. Id., 1818.

11. Id., 1714.

12. Id., 1321.

13. Id., 1788.

14. Id., 901.

15. Id., 2074.

216 CHAPITRE VII

les adorateurs de Jupiter Capitolin un groupe vraiment distinct.

L'aspect et le caractère de leurs ex-voto ne sont pas moins originaux. Nous pouvons nous représenter en quoi ils consistaient, grâce à plusieurs documents de nature dif- férente qui se complètent et se confirment les uns les autres. Plusieurs inscriptions nous apprennent que ces ex-voto étaient des autels, aj^ae *, et qu'outre l'autel quelques-uns d'entre eux comportaient une colonne, aram et cohnnnam ^ Les pierres sur lesquelles ces textes et un certain nombre d'autres ont été gravés sont, les unes des autels le plus souvent carrés et ornés de bas-reliefs qui représentent trois ou quatre divinités % parfois octogonaux avec les images des divinités qui avaient donné leurs noms aux sept jours de la semaine ''; les autres, des colonnes ou fragments de colonnes ^ Sur la face latérale d'un de ces ex-voto, le dédi- cant a fait représenter en bas-relief un monument composé de trois parties superposées : en bas, un socle carré; sur le socle, une colonne terminée par un chapiteau; sur le cha- piteau, un foudre \ N'est-ce pas le type de ces ex-voto, composés d'une ara et d'une colunnia et dédiés à Jupiter, le le dieu dont l'arme favorite est le tonnerre?

Cette représentation paraît n'être d'ailleurs qu'une image peut-être simphflée, en tout cas exacte dans ses éléments essentiels, des monuments si curieux de Heddernheim, de Merten et de Schierstein, récemment découverts ou du moins reconstitués. Ces monuments se composaient de bas eu haut :

1. Bramb., 866, 1918.

2. G.I. Lat., III, 11900; cf. Westd. Zeitsch., 1885, p. 371, n. 3 (F. Hettner, Jiippitersaïden); ibid., p. 369; Id., Korresp. hl., 1890, n. 58.

8. Bramb., 1317, 1318, 1321, 1899, 1505, 1310, 1685, 1810, 1705, etc.

4. Bramb., 132.3, 1811.

5. Westd. Zeiischr., 1885, p. 371 n. 5; p. 372, n. 8 et 9; Bramb., 1681, 1906, etc.

6. Bramb.. 1753, 1754; Westd. Zeitsch., Korresp. bl, 1887, n. 159.

LE CULTE DE JUPITER OPTIMUS MAXIMUS 217

a) d'un socle ou autel carré, orné en général de quatre images de divinités;

b) d'un socle octogonal orné des images des sept divinités de la semaine, ou plus souvent d'un socle sans ornementa- tion servant de base à la colonne ;

c) d'une colonne ornée soit de reliefs, soit de motifs sim- plement décoratifs ;

d) d'un chapiteau, parfois compliqué;

e) enfin au-dessus du chapiteau, d'un groupe de sculpture qui représente un cavalier foulant aux pieds de son cheval un géant anguipède ^

Ce n'est point ici le lieu d'étudier ces monuments ^ Nous remarquerons seulement que tous les textes épigraphiques qui ont été relevés sur telle ou telle des parties dont ils se composaient sont ou des inscriptions votives ou plus rare- ment des dédicaces soit à Jupiter Opiimus Maximus seul soit à Jupiter Optimus Maximus et à Juno Regiim. De cette constatation et des autres faits ci-dessus mentionnés, il résulte que le culte de Jupiter Optimus Maximus prit sur les bords du Rhin moyen et dans les régions voisines du fleuve une forme tout à fait spéciale. Les fidèles ni les monuments de ce culte n'étaient romains d'origine; ils étaient sans doute à demi romanisés ; ceux-ci portaient des noms latins ou latinisés ; ceux-là étaient revêtus de motifs plastiques ou décoratifs empruntés à l'art gréco-romain; mais ces noms et ces motifs dissimulaient imparfaitement un culte beaucoup moins romain que gallo-germanique.

LA. Pi'ost, Le monument de Merteyi, Revue Archéologique, 1879, 1, p. 1 et suiv. et pi. I; ^ lahrhuch. des Vereîns fur Nassauische Alter- thumskunde, t. XVII (1890), p. 119; Westd. Zeitschr., Korresp.-bl, 1885, n. 3; Haug, Die Viergottersieitie, in Westd. Zeitschr., 1891, n. 61-62; J. Toutain, Observations sur quelques formes religieuses de loyalisme particulières à la Gaule et à la Germanie romaine, in Beitriige zur Alten Geschichte, 1902, p. 201-201.

2. Ces monuments seront étudiés dans le livre IV, consacré aux cultes indigènes.

CHAPITRE VIII

HISTOIRE ET ROLE DES CULTES OFFICIELS DANS L'EMPIRE

1. Les caractères généraux des cultes officiels. 2. Les rajworts des cultes officiels avec les autres cultes jMÏens. 3. Les cultes officiels et les chrétiens.

1

A les considérer non plus isolément, mais ensemble, les cultes officiels ont été célébrés dans toutes les provinces latines de l'empire sans exception. En Dacie comme en Gaule et en Espagne, dans les vallées que domine l'Atlas africain comme sur les bords du Rhin et le long des retran- chements élevés en face des Pietés et des Scots, les divinités impériales et les divinités capitolines ont reçu les hom- mages empressés de nombreux fidèles. Assurément ces cultes n'ont pas laissé dans toutes les provinces latines des traces également abondantes ; dédicaces, ex-voto, men- tions de prêtres sont, malgré tout, plus clairsemés dans la Bretagne, la Belgique, la Germanie inférieure, la Rétie, que dans les provinces africaines, la Bétique, la Tarraconaise, laNarbonaise ou les Pannonies. Les statistiques, que les documents aujourd'hui connus permettent de dresser, sont

220 CHAPITRE VIII

trop incomplètes pour qu'il soit permis d'établir un rapport précis entre le nombre de ces dédicaces, ex-voto, mentions de prêtres d'une part, et d'autre part la densité, même approximative, de la population provinciale : il semble tou- tefois légitime d'admettre que les traces des cultes officiels sont en proportion avec l'intensité de la vie municipale ou l'importance de l'occupation militaire.

Mais, si ces cultes ont pénétré partout, l'aspect qu'ils présentent dans les diverses provinces latines n'est rien moins qu'uniforme. Ici ils s'adressent à la Triade Capitoline ou à Jupiter Optimus Maximus ; là, au contraire, c'est la divinité impériale qui est le plus souvent invoquée. Nous avons vu que les cultes capitolins avaient rencontré pré- cisément le plus de faveur dans les régions le culte impérial semble avoir eu le moins d'éclat. Ce n'est pas à dire que ces deux formes de la religion officielle s'excluent. Il est des provinces elles ont vécu côte à côte, dans le nord de la Bretagne, par exemple. Maints capitoles ont été élevés, en Afrique, dans des cités se célébrait publiquement le culte de l'Auguste vivant, quelquefois le culte d'un divus ; c'était le cas à Carthage, à Thugga, à Numlulis, à Thamu- gadi, à Cirta. Il en était de même à Narbo, et sans doute aussi à Apulum, en Dacie.

Le culte impérial et le culte des divinités capitolines n'avaient pas non plus revêtu une forme unique ou immuable. Nous avons montré, à l'aide de documents aussi nombreux qu'explicites, que le culte rendu par les habitants des provinces latines de l'empire à la divinité impériale s'était adressé tantôt à l'empereur vivant, tantôt à l'en- semble des divi, tantôt à tel ou tel divus ; ici à Rome et à l'empereur vivant, aux divi et à l'empereur vivant. Les formules, employées par les fidèles pour invoquer la divi- nité de l'empereur vivant, étaient elles-mêmes variées. Telles dédicaces ne portent que le mot Augustus : Augusto sacrum; telles autres donnent au dieu ses noms et prénoms : Im'p. Ti. Caesari Augusto sacrum, ou encore M. Aurelio

HISTOIRE ET RÔLE DES CULTES OFFICIELS 221

Antonino Aug{iislo); telles autres s'adressent au 7iumen de l'empereur. Auprès de l'empereur, divers membres de la famille impériale, la famille impériale elle-même, partici- paient de son caractère divin et recevaient un culte. Ce qui augmente encore cette variété, ce qui en fait un des carac- tères essentiels de ces cultes, c'est que ces diverses formes ne sont point particulières l'une au culte provincial, une autre au culte municipal, celle-ci au culte collégial, celle-là au culte individuel ; elles ne le sont point davantage aux diverses provinces; s'il est vrai de dire que certaines formes se sont rencontrées de préférence dans telle ou telle pro- vince, par exemple le culte des divi en Espagne, il est tout aussi vrai d'affirmer que ce même culte a été célébré en Afrique, en Gaule, en Bretagne, en Pannonie. Dans les limites de chaque province, les diverses formes du culte impérial, culte de l'empereur vivant, culte des cUH, culte de Rome et d'Auguste, culte des divers membres de la dornus Augusta, ont laissé des traces plus ou moins abondantes. 11 n'y a pas plus d'uniformité dans les titres que portaient les prêtres du culte : ceux-ci sont des sacerdofcs, ceux-là des flamlnes; l'un et l'autre de ces titres désignent soit des prêtres provinciaux, soit des prêtres municipaux ; le titre varie de province à province, de ville à ville. Nulle part on ne distingue la moindre trace d'une loi d'empire réglant le culte provincial; d'une lex 2')T'^ovinciae organisant le culte municipal .

Les cultes capitolins ne sont pas plus uniformes que le culte impérial. Ici les trois membres de la Triade capitoline sont invoqués ou révérés ensemble ; Jupiter Optimus Maximus et Juno Regina reçoivent seuls les hommages des fidèles, à l'exclusion de Minerva Augusta; encore les prières et les actions de grâce sont réservées au seul Jupi- ter. Tandis que le culte des divinités impériales a été célé- bré par les provinces et par les cités, aucune trace n'a encore été relevée d'un culte provincial de la Triade Capi- toline ou de Jupiter Capitolin, et l'intervention officielle des

222 CHAPITRE VIII

cités ne compte pour ainsi dire pas en regard des docu- ments innombrables qui attestent la dévotion à Jupiter Opti- mus Maximus des corps militaires ou des individus.

Si des divinités elles-mêmes et de l'organisation des cultes, nos regards se tournent vers les prêtres et les fidèles, ils rencontrent la même diversité. L'aristocratie provinciale et la bourgeoisie municipale se consacrent de préférence au culte de la divinité impériale ; elles lui fournissent ses prêtres provinciaux et municipaux. Les collèges d'Augus- tales se recrutent principalement dans la jjlcbs, parmi les habitants des villes qui ne peuvent aspirer aux honneurs municipaux ; on y voit figurer beaucoup d'affranchis d'ori- gine grecque. Jupiter Optimus Maximus est surtout invoqué par des officiers, des soldats, des fonctionnaires de l'admi- nistration provinciale ou procuratorienne. Bien qu'il n'y ait rien d'absolu à cet égard, les diverses formes qu'a revêtues la religion officielle de l'empire paraissent correspondre aux divers éléments qui constituaient la population des pro- vinces. De ces éléments toutefois il en est un dont le rôle est ici le plus effacé : c'est dans chaque pays la masse des anciens habitants, la foule de ceux qui n'appartiennent pas à la bourgeoisie municipale, qui ne sont pas entrés dans les légions ou les corps auxiliaires, qui sont demeurés pauvres et obscurs sur le sol natal. Ce n'est pas à dire que leur absence soit complète parmi les fidèles des divinités impé- riales et capitohnes : en Gaule par exemple et sur les bords du Rhin, ils ont laissé des traces de leur dévotion soit à l'empereur soit à Jupiter Optimus Maximus; mais il est rare, même là, que leurs invocations ou leurs remercie- ments s'adressent à l'empereur ou à Jupiter seul ; tantôt ils invoquent en même temps une autre divinité, le plus sou- vent une de leurs divinités nationales ou locales; tantôt ils donnent au monument qu'ils érigent une forme ou une décoration particulière, dont le caractère n'est point ro- main, et dont l'origine doit être cherchée dans les coutumes religieuses des anciennes populations. Quel que soit d'ail-

HISTOIRE ET ROLE DES CULTES OFFICIELS 223

leurs le rôle joué par cet élément de la population provin- ciale dans riiistoire des cultes officiels, ce qui doit être ici mis en lumière, c'est que les documents aujourd'hui connus ne laissent apercevoir à aucun degré la moindre trace d'une opposition faite à ces cultes par des païens. C'est sans doute une preuve toute négative; mais elle acquiert une valeur singulière lorsque Ton étudie les rapports des cultes officiels avec les autres cultes païens de l'empire.

Que les divinités officielles de l'empire aient été invoquées à diverses reprises en même temps que les dieux et les déesses du panthéon gréco-romain, il n'y a rien qui doive surprendre, si l'on se rappelle quelles étaient à Rome et en Grèce les rapports de la religion et de l'État. La question ne se pose vraiment que pour les cultes orientaux et pour les cultes rendus dans les provinces latines de l'empire aux anciennes divinités nationales ou locales. De nombreux documents épigraphiques et archéologiques nous per- mettent d'indiquer avec précision quelle a été la nature des relations qui ont existé dans l'empire entre les cultes offi- ciels d'une part et d'autre part les cultes orientaux ou les cultes nationaux et locaux des populations provinciales.

Nous rappelons d'abord pour mémoire les deux formules Pro soluté Imperatoj^is ou Imper atorum..., etc., Li hono- rera domus divinae, si fréquentes au début de nombreuses dédicaces et de maints ex-voto adressés à des divinités orientales ou locales ; nous n'insistons pas sur ces docu- ments, parce que, à vrai dire, les empereurs ni même leur maison, malgré l'épithète divina, n'y sont traités comme des divinités. Nous ne pensons pas non plus qu'on puisse tirer un argument bien solide de l'attribution aux divinités orien- tales ou locales de l'épithète Augustus. L'emploi de cette épithète ne prouve pas l'assimilation d'une divinité au dieu

224 CHAPITRE VIII

impérial. Le mot augusius avait une valeur religieuse avant qu'Octave le prît ; il le prit d'ailleurs en raison même de cette valeur. Ce qui nous paraît plus significatif, c'est fasso- ciation dans une seule et môme dédicace ou dans un seul et même monument votif d'uno divinité officielle et d'une divi- nité orientale ou locale ; c'est aussi la dévotion à une divi- nité orientale ou locale de prêtres ou de fidèles des cultes officiels.

Les divinités orientales ont été associées, dans les pro- vinces latines de l'empire^, à la divinité de l'empereur, à la Triade Capitoline, surtout à Jupiter Optimus Maximus. La déesse phrygienne. Mater Magna, Mater Deum, a été invo- quée en même temps que le numen de l'empereur ou les nwnhia dos empereurs vivants dans plusieurs cités gau- loises, à Arausio \ chez les Petrucorii -, chez les Senones ^ chez les Centrones de la Tarentaise ^ ; il en a été ainsi pour Mithra à Intaranum, dans les pays des Senones % et dans un poste du limes Germanicus * ; pour Jupiter Sabazius chez les Arverni ' ; pour le dieu syrien de Doliche, dans un poste militaire du Vallum Hadriani au nord de la Bretagne ^ A Diana, en Numidie, le gouverneur de la province unit dans une même dédicace la Triade Capitoline et Sol Mithra ^ Les rapprochements de ce genre furent particulièrement popu- laires entre les divinités orientales et Jupiter (Jptimus Maxi- mus : ils se présentent sous deux formes distinctes. Tantôt le dieu oriental et le dieu capitoHn sont fondus en une seule divinité, telle que Jupiter Optimus Maximus Dolichenus '",

1. C. I. Lat., XII, 1222.

2. Jrf., XII, 916.

3. Id., ibid., 2S96.

4. Ann. epigr., 1904, n. 140.

5. G. I. Lat., XIII, 2906.

6. Bramb., 1401, 1402.

7. C. I.Lat.,XUl, 1496.

8. Id., YII, 506.

9. Id., VIII, 4578.

10. Id., Indices.

HISTOIRE ET ROLE DES CULTES OFFICIELS 225

Jupiter Optimus Maxiraus Heliopolitanus S Jupiter Optiraus Maximus Commagenorura Aeternus ^ Jupiter Optimus Maxi- mus Hamraon ^ peut-être Jupiter Optimus Maximus Sarapis * et Jupiter Optimus Maximus Iiivictus Miilira ^; tantôt le dieu oriental et le dieu capitolin reçoivent ensemble les hommages des fidèles qui associent Jupiter Opiimus Maxi- mus à Serapis \ aux dii Samariae ", à Sol Invictus ^ à la Mater Deum Magna Idaea \

L'association des divinités ofïicielles aux dieux nationaux ou locaux des provinces latines s'est produite sous des formes plus variées. Dans les dédicaces ou les ex-voto sur lesquels se lisent à la fois les noms de la divinité impériale et d'un dieu local, la divinité impériale est soit invoquée avec tous ses noms humains, soit appelée simplement Au- gustus, soit désignée par la formule numen Augusti ou niimina Augustorum. La première rédaction est très rare ; elle ne se rencontre que sur deux ex-voto gaulois qui pro- viennent l'un d'Avaricum et l'autre du pays des Medioma- trici. Le premier associe Caligula et le dieu Etnosus ; le second porte, en même temps que le nom d'Hercules Saxa- nus, divinité spécialement adorée dans les régions de Bonn, de Coblentz et de la Moselle, les noms de Vespasien, de Titus et de Domitien ". La seconde série est plus nom- breuse; elle est constituée par les dédicaces et ex-voto de la Gaule, dont nous avons déjà parlé, et dont le type habi- tuel est, par exemple :

1. C. I. Lat., Indices.

2. Id., III, 7834.

3. Id., ibid., 3463, 11128.

4. Id., ibid., 4560, 4561, 6164.

5. Id., VII, 646; cf. III, 3020, 3158 b.

6. C. 1. Lat., III, .36.37; Bramb., 1541; Ann. Ejngr., 1900, n. 207.

7. C. I. Lat., III, 12403.

8. Id., II, 2634; Cumont, Textes et monuinents figurés relatifs ai(-x mys- tères de Mithra, tl°^ 386, 387; Bramb., 55.

9. C. I. Lat., VIII, 6955.

10. Id., XIII, 1189.

11. Id., ibid., 4624.

2?()

CHAPITRE VIII

Aug. sacr{iw7). Deo Mercurlo Victorl Maeniaco Velauno ^;

Ang. sacr. Dco Albio et Damonae -;

A^ig . sacr. Deae Rosmerlae ^;

Aîig. sacr. Deae Ej^onae *, etc., etc.

On peut rattacher à ce groupe rinscription de Donna, qui mentionne la dédicace par le légat impérial C. Fulvius Maxi- mus d'un autel commun Sosjjiti Concordiae, Granno^ Ca- ■menis, Martis et Pacis Larl, quln et deorimi siirpe genito Caesari ~\ Grannus ou Apolio Graimus et César ont reçu sur cet autel un culte commun.

La troisième série, plus abondante encore que la seconde, provient à peu près uniquement de la Gaule et de la Bre- tagne. Sur les monuments dont elle se compose sont gra- vées des formules comme

Nu7ninibus Aug g. Jovi Poenino ^ ;

Niini. Aug. et Marti Mogetio '';

Num. Aug. De[ae] Slrona[e] * ;

Deo Antenocitico et numinibus Augustor{uiii) " ;

Deae Suli Min{ervae) et Num. Augg . '°.

Deo Bergantl et N{u7nhii) Aug. " ; etc. , etc.

Signalons enfin, comme se rattachant à la fois au culte impérial et aux cultes locaux, deux dédicaces africaines, Tune de Simitthu en Proconsulaire qui ornait un autel con- sacré Larlbus Aug. et loco sancto *^; l'autre de Rapidi, dans la Maurétanie césarienne, sont nommés, en même temps

1. c. I. Lat., XII, 2373.

2. Bull, des Antiq., 1896, p. 290.

3. C. I. Lat., XIII, 2831.

4. 7d., ibid., 2903.

5. Bramb., 484.

6. Mommsen, Inscr. Helv., 43.

7. C. I. Lat., XIII, 1193.

8. Id., ibid., 31 13.

9. Id., VII, 503.

10. Id., VII, 42.

11. Eph.Epigr., VII, 920.

12. C. 1. Lat., VIII, 14552.

HISTOIRE ET ROLE DES CULTES OFFICIELS 227

que d'autres divinités, Victoria Caes{arion trium) et dit MautH '.

La môme variété se retrouve dans les cultes qui furent rendus en commun aux divinités capitolines et aux divinités nationales ou locales. La Triade Capitoline fut associée au Genius Lmnhaesis ^ à divers Genii locaux en Numidie et dans la Germanie inférieure ^ ; à Flémalle en Belgique, le Nunien ffuminis Mosa{e) fut adjoint aux trois divinités capitolines *. L'accord se fit surtout entre les cultes natio- naux ou locaux et le culte de Jupiter Optimus Maximus. Comme nous l'avons déjà vu, le dieu capitolin reçut dans la plupart des provinces latines de Tempire des épithètes, qui l'assimilaient à une divinité locale " : Saturnus en Afrique, Andero et Candiedo en Espagne, Beisirissa en Gaule, Aru- bianus et Uxellimus en Norique, Tanarus en Bretagne ^ Sucaelus et Saranicus en Germanie, Parthinus en Dalmatie, Paternus dans les Mésies ^ Bussumarius, Erusenus, Tavia- nus en Dacie, Hero ou Héros dans la Mésie inférieure *. A ces textes épigraphiques doivent être jointes deux séries de documents archéologiques, qui témoignent d'une assimila- tion analogue. En divers points de la Gaule, à Nemausus ^ à Diablintum '°, chez les Viromandui ", le nom de Jupiter Optimus Maximus a été attribué au dieu gaulois connu sur- tout par son principal attribut^, la roue à six rais. Dans la vallée moyenne du Rhin et dans les pays situés à l'est et à

1. C. I. Lat, VIII, 9195.

2. Id., ibid., 26II, 2G12.

3. Bull. arch. du Com., 1903, p. ccx; Bramb., 12, 53, cf. 650; Ann. épigr., 1905, 223.

4. Bonn. Jahrb., 1867, p. 108.

5. Plus haut, p. 197.

6. C. I. Lat., VII, 168.

7. Id., III, 6225, 6303, 10199, 10200, 10201; Jahreshef te, 1900, Beibl., p. 130, n. 30; 1901, Beibl., p. 158, n. 81.

8. C. I. Lat., III, 7534.

9. Id., XII, 4179.

10. Id., XIII, 3184.

11. Jd., ibid., .8527; cf. Gaidoz, Études de mythologie gauloise, p. 4,

228 CHAPITRE Vin

l'ouest du fleuve, ont été consacrés au dieu capitolin soit seul soit accompagné de Juno Regina, ces monuments d'un caractère particulier, bien moins romains que gallo- germaniques, auxquels nous avons déjà fait allusion pré- cédemment '. Cette coutume ne s'explique que si Jupiter Optimus Maximus et la déesse qui lui est associée avaient été assimilées à des divinités nationales ou locales, dont les noms nous échappent.

En d'autres circonstances Jupiter Capitolin fut associé aux divinités nationales et locales. Souvent les fidèles du dieu invoquaient en même temps que lui la divinité du lieu ils se trouvaient sous le nom de Genius loci. Des dédi- caces ou des ex-voto Jovi Optimo Maxlmo et Genio loci ont été trouvés en Gaule, dans les provinces rhénanes et danubiennes ^ Ailleurs la divinité locale était désignée par un nom plus précis, tels que Remis, le dieu du Rhin ^ Banuvius, le dieu du Danube *, Dacia ou Terra Bacia, la déesse protectrice de la Dacie \ les dii deaeque praesides Hacmi rnontis dans les Balkans \ le dieu Bedaius, protec- teur de la ville de Bedaium '', Celeia, la déesse protectrice de la ville du même nom en Norique ^ Norcia, la déesse du Norique ^ ; d'autres divinités, dont il est difficile d'affir- mer que le caractère soit strictement local, ont été de même associées à Jupiter Capitolin : par exemple, le dieu Mars Caturix ^°.

Parmi les fidèles qui associaient ainsi, en un seul et même acte de dévotion, les divinités officielles de l'empire, soit aux divinités orientales, soit aux divinités locales, les

1. Plus haut, p. 216 et suiv.

2. C. I. Lat., XIII, 1745; III, 893, 3231, 6321, 8336, 10Û60; Branib., passim.

3. Bramb., 647; Ann. Epigr., 1905, n. 61 et 226.

4. Id., III, 5863.

5. Id., ibid., 1063, 1351.

6. Id., ibid., 13724; cf. 12399.

7. Id., ibid., 5575, 5580.

8. Id., ibid.. 5185, 5187, 5188, 5192.

9. Id., ibid., 5188.

10. Bramb., 1588.

HISTOIRE ET ROLE DES CULTES OFFICIELS 229

uns étaient des provinciaux, en général de condition mo- deste; les autres, au contraire, étaient des fonctionnaires de rang plus ou moins élevé, des officiers, sous-officiers ou sol- dats. Le culte commun de la divinité impériale et des ancien- nes divinités celtiques a été célébré dans la Gaule romaine par des provinciaux dont l'origine se reconnaît à leurs noms mêmes : Gracchus Ategnatis f. *, Mediusacer Medianni f. ^ Marcellus Maturi f. ^ Agedovirus Moroci f. *, etc. En Bre- tagne, le long du Rhin et du Danube, les dédicaces et les ex-voto analogues ont été signés en grande majorité par des officiers de légions ou de corps auxiliaires, par des soldats en activité de service, par des vétérans. Les uns, demeurés dans leur pays natal, y ont accueilli avec em- pressement les cultes officiels que leur apportait la domi- nation romaine et les ont associés à leurs anciennes reli- gions; les autres, représentants à divers degrés de la puissance impériale, n'ont pas hésité à adresser leurs hommages aux divinités protectrices des régions ou des lieux dans lesquels ils étaient envoyés. Ici et là, le même fait s'est produit : deux éléments religieux, fort différents l'un de l'autre, non seulement ne sont pas entrés en conflit, mais même se sont rapprochés jusqu'à se fondre parfois en un seul culte. Il est des cas, la même dédicace porte les noms d'une divinité officielle, d'une divinité orientale et d'une divinité locale invoquées en même temps : à Colonia Agrippina, L. Caesius Florentinus beneficiarius consulcnns s'acquitte ^jro se et suis d'un vœu envers /?^p/- tet^ Optimus Maximus, Se7-apis et le Genius loci *. Chez les Centrones, une seule et même inscription votive réunit les Numina Aiig[ustorum), la Mater Deum et les Matronae Salvennae ou Salvenniae ^

1. C. I. Lat., XIII, 1193.

2. Id., ibid., 2895.

3. LL, ibid., 2903.

4. Id., ibid., 3I0I.

5. Ann. ejjigr., 1900, n. 207.

6. Id., 1904, n. 140.

230 CHAPITRE VIII

Ce ne furent pas uiiicjueniont les simples fidèles qui agirent ainsi. Les prêtres des cultes officiels ne se mon- trèrent pas moins empressés à favoriser cet accord de la religion, dont ils étaient les ministres, avec les religions orientales ou locales. Flammes j^crpetui d'Afrique, sacer- dotes Romae et Aiigusti d'Espagne citérieure et des Trois Gaules, ffamhies municipaux de Dacie, seriri ou Aiigustales des diverses provinces, ont dédié des temples, des autels, des monuments votifs soit aux dieux et aux déesses de rOrient, soit aux divinités nationales ou locales des diverses provinces. En voici quelques exemples : à Volubilis, dans la Maurétanie Tingitane, Isis fut remerciée par Taffranchi Caecilius Félix [ob h]onorem sevtratus * ; à Bracara Au- gusta, en Tarraconaise, la même déesse fut invoquée par Lucretia Fida, sacerdos perpétua Romae et Augusfi du Conventus de Bracara ■; à Tragurium en Dalmatie, L. Stal- lius Secundus, scr/r augustalis, construisit un temple en l'honneur de la Mater Magna ^ ; à Carnuntum, en Pannonie, une dédicace à Jupiter Optimus Maximus Heliopolitanus est signée du nom de M. Titius Heliodorus. Augustalis col{p- niae ^) ; à Tibiscum en Dacie le même hommage fut rendu à Jupiter Optimus Maximus Dolichenus par un flamine du municipe, Julius Valentinus \ De même, Mithra fut honoré à Carnuntum, àBrigetio, à Sarmizegethusapardes seviri ou des Augustales ^ Les divinités nationales ou locales ne furent pas traitées avec moins de respect : à Thala, dans l'Afrique proeonsulaire, un autel fut dédié à Saturnus par P. Postumius Proculus jlamAnatu suo ' ; dans la même ville, en l'honneur de la déesse Caelestis, P. Geminius Martialis

1. CI. Lat., VIII, -21822.

2. Id., II, 2416.

3. Id., III, 2676.

4. Id., ibid., 111.39.

5. Id., ibid., 7997.

6. Cumont, Textes et monuments figurés..., n»' 267, 270, 364,379, 381.

7. Bull, des Antiq., 1898, p. 114 et suiv.

HISTOIRE ET ROLE DES CULTES OFFICIELS 231

construisit, aiuio jtam[omi) sui, un portique orné de colonnes *. A Carpis, non loin de Carthage, Cassia Maxi- mula, ffaminica divae Plotinae, avait fait vœu de dédier un temple à la Dea Caelestis; ce furent son mari, Sextilius Martialis, et son fils, lui-même fiamen po^j^etims, qui veil- lèrent à la construction de Tédiflce ^ Dans les Trois Gaules, plusieurs prêtres provinciaux de Rome et d'Auguste invo- quèrent des divinités celtiques. Mars Mullo ^ Mars Vicin- nus *, Mars Segomo % Apollo Cobledulitanus ®; divers seciri auguslales de la Narbonaise, des Trois Gaules, des deux Germanies, témoignèrent leur dévotion à des divinités locales, telles que Mars Vintius ", Dea Andarta ^ Dea Bibracte \ Dea Aventia '", Dea Nehalennia '\ etc. 11 arriva même que des prêtres ou des prêtresses du culte impérial furent prêtres ou prêtresses de divinités locales. A Mascu- lula, dans l'Afrique proconsulaire, C. Pomponius Victor fut fiamen perpetuus et sacerdos Caelestis *'^; à Sitifis, en

Maurétanie, un personnage nommé C. Tal Crescens

s'intitule sacerdos domini Saturni et /lam[en..] '^ Sur une inscription incomplète d' Antipolis, on lit : ... C. f. Carina [flajminica, saccr[do]s AethucoUs '\ A Lugdunum et à Aventicum, deux personnages furent à la fois dendrophori et auguslales '^

Enfin, il n'est pas sans intérêt de rappeler le taurobole

1. Bull, des Antiq., 1898, \). 116-117.

2. C. I. Lat. ,Y[n, 993.

3. Id., XIII, 3148, 3149.

4. Id., ibid., 3150.

5. Id., ibid., 1675.

6. Id., ibid., 939.

7. Id., XI I, 3.

8. Id., ibid., 1556.

9. Id., Xlll, 2652.

10. Mommsen, Inscr. Helvet., 156.

11. Bramb., 442.

12. Bull. arch. dit Coin., 1898, p. 206, n. 7. 1.3. C. I. Lut., YIII, 8461.

14. Id., XII, 5724.

15. C. I.Lat., XIII, 1751; Schicei:;. Anzeiy., 187(5-1879, p. 805.

232 CHAPITRE VIII

bien connu de la province de Narl)onaise, dont nous savons qu'il fut factiim p^r C. Batoniimi Prlmum fiaminem Aug{ustoriim) *. Un augiistaUs de Lugdunum, L. Acmi- lius Carpus, célébra de même un taurobole et accomplit divers rites du culte de la Mater Magna Deum '.

Ainsi, ce que les documents nous apprennent sans doute ni contestation possible, c'est que dans les diverses pro- vinces latines de l'empire l'accord lut parfait entre les cultes officiels et les cultes païens soit venus de l'Orient, soit par- ticuliers aux anciennes populations. Cetaccord se manifesta sous plusieurs formes : assimilation des divinités; associa- tion dans une seule et même formule de dédicace ou d'ex-voto d'une divinité officielle et d'une divinité orientale ou locale; dévotion aux divinités orientales ou locales des prêtres du culte officiel, etc. Cet accord paraît bien s'être fait de lui- même, sans aucune pression ni intervention du gouverne- ment impérial; les personnages dont les noms se lisent sur les documents que nous avons cités ont agi à titre privé. Il est en outre important de constater le rôle qu'ont joué dans ces relations pacifiques les prêtres des divers cultes : par leur exemple même, ils prouvaient que les divinités, dont ils étaient les ministres, ne réclamaient pas avec une into- lérance exclusive les prières, les hommages, les actions de grâce de leurs fidèles. Les cultes officiels de l'empire romain ne se sont heurtés dans les provinces latines à aucune opposition politique ni religieuse des populations païennes ; d'autre part ils ne se sont montrés hostiles ni aux religions venues de l'Orient, ni aux anciennes religions des sujets de Rome. Sur le terrain religieux, il est incon- testable qu'un accord, fait surtout de tolérance et de bonne volonté réciproques, s'est étabU entre la cité victorieuse et les peuples soumis par elle.

1. c. I. Lat., XII, 432.3.

2. Id., XIII, 1751.

HISTOIRE ET ROLE DES CULTES OFFICIELS 233

Mais, aux premiers siècles de renipire, il y avait, dans les limites du monde romain, d'autres cultes que les cultes païens proprement dits. La religion juive se répandit dans tous les pa^^s s'établirent les Juifs. Le christianisme ne cessa, malgré les persécutions, de faire des progrès et de conquérir des fidèles. Or, Jéhovah et le Christ exigeaient de leurs adorateurs une foi exclusive. Aux Juifs comme aux chrétiens, il était interdit de croire, de sacrifier, de rendre un culte à d'autres divinités que le Dieu des Juifs et le Dieu des Chrétiens. Ce monothéisme rigoureux imposa aux Juifs et aux Chrétiens, envers les divinités ofïïcielles de l'empire, une attitude tout à fait opposée à l'attitude des populations païennes. Il en résulta, d'autre part, que le gouvernement impérial prit, à l'égard de ces dissidents des cultes officiels, des mesures particulières.

Les communautés juives paraissent avoir été peu nom- breuses et, en général, peu importantes dans les provinces latines '. Les documents révèlent l'existence de groupe- ments juifs : en Afrique, à Carthage et dans les environs ^; à Cirta ^ à Sitifis *; en Espagne, à Abdera ^; dans les pays rhénans, à Colonia Agrippina ^ en Pannonie \ Pour les provinces gauloises, la première menlion, qui en est faite, n'est pas antérieure au iv^ siècle de l'ère chrétienne.

La plus considérable de ces colonies juives était, semble-

1. Th. Reinach, Art. Judaei, dans Daremberg, Saglio et Pottier, Dict. des antiq., t. III, p. 622.

2. C. I. Lut., VIII, p. 1375, n. 14097 et suiv; id., 12457; i?eu. archéoL, 1884, 1, p. 273 et suiv., pi. VII-XI ; Revue des études juives, XIII, p. 46 et suiv., p. 217 et suiv.; G. R. de VAcad. des Inscr., 1883, p. 15 et suiv.

3. G. I. Laf., VIII, 7155.

4. Id., ibid., 8423, 8499.

5. Id., II, 1982.

6. Cod. Theodos., XVI, 8, 3 (Ed. Godefroy).

7. C. I. Lat., III, 3688.

234 CHAPITRE Vlll

t-il, celle de Canhage; la nécropole du Dj. Kaoui, dont le caractère juif n'est pas contestable, en atteste Timpor- tance '.

Aucun conflit religieux ne fut provoqué par la présence des Juifs dans ces différentes villes. Ces relations pacifi- ques s'expliquent par la place très spéciale qui avait été accordée dans l'empire aux communautés juives, et par la tolérance dont le gouvernement impérial tit preuve envers le judaïsme. Chaque communauté juive formait, elle résidait, un organisme à peu près autonome. Les lois ro- maines protégeaient les synagogues, garantissaient le libre exercice du culte Israélite. Les Juifs étaient dispensés de prendre part aux cérémonies de la religion otRcielle; ils étaient légalement exemptés de toute obligation contraire aux prescriptions de leur culte. Pendant toute la durée de l'empire, même sous les successeurs de Constantin, le judaïsme demeura une religion autorisée {rellgio licita) "^ D'autre part, les Juifs ne manifestèrent aucune hostilité contre les cultes otRciels de l'empire. Leur abstention, en même temps qu'autorisée, se montra respectueuse. Ce res- pect était d'ailleurs l'indispensable condition de la tolérance privilégiée qui leiu' était accordée. 11 est probable que le gouvernement romain les considéra et les traita d'abord moins comme des sujets que comme des étrangers installés dans l'empire. Plus tard, après le fameux édit de Caracalla, les Juifs, quoique devenus citoyens romains, bénéficièrent de la situation acquise. Quoi qu'il en soit, ce qui doit être ici mis en lumière, c'est le caractère pacifique des rapports religieux entre l'État romain et le judaïsme. Le gouverne- ment impérial put être tolérant envers les Juifs, parce que ceux-ci n'attaquèrent ni ne raillèrent la religion nationale de Rome.

1. Revue archéoL, 1889, 1, p. 178 et suiv; cf. C. I. Lat., VIII, p. 1375.

2. Th. Reinach, Art. Judaei, dans DarcMiiborg, Sag-lio." et Pottier, Dict. des antiq.. t. III, p. 62,3 et suiv.

HISTOIRE ET ROLE DES CULTES OFFICIELS 235

Bien différentes furent les relations du christianisme et des cultes officiels de l'empire. Par le fait même des cir- constances historiques, les chrétiens ne pouvaient ni revendiquer, ni espérer les privilèges concédés aux Juifs. Ils n'appartenaient pas, comme eux, à un peuple d'origine ancienne et resté longtemps étranger à l'empire ; leur dieu n'était pas un dieu national. Les chrétiens étaient, soit des citoyens romains, soit des provinciaux soumis à Rome, soit des affranchis et des esclaves ; ils faisaient partie intégrante de la société romaine ; le gouvernement impérial ne pouvait pas voir en eux des étrangers. Ils étaient donc tenus, non seulement d'obéir aux lois civiles et politiques de l'empire ; mais d'en pratiquer eux-mêmes ou du moins d'en respecter les cultes officiels. C'était précisément ce que leur défen- dait la loi du Christ. Il était impossible à un chrétien de ne pas nier l'existence des dieux du paganisme, de s'associer, si peu que ce fût, aux cultes de la divinité impériale ou des divinités capitoiines, de ne pas poursuivre par un ardent prosélytisme le triomphe de sa foi monothéiste.

Dans leur lutte contre les dieux du paganisme, les chré- tiens ne distinguèrent jamais entre les cultes officiels de l'État romain et les autres cultes, italiques, gréco-romains ou orientaux. Ils refusèrent de sacrifier à la divinité impé- riale, de prêter serment par le Genius ou le Numen du prince, d'adorer la Triade Capitoline ou Jupiter Oplimus Maximus, avec la même énergie qu'ils refusaient de révérer Cybèlè,Mercurius ou les dieux de l'Olympe hellénique '. Leur attitude à l'égard des cultes officiels a même été considérée par maints historiens comme la cause principale des persé- cutions dirigées contre eux. « Les persécutions sanglantes exercées contre les chrétiens ne visaient pas le contenu positif de la religion chrétienne, elles provenaient seule- ment de ce que les chrétiens refusaient de rendre aux

1. Le Blant, Les persécuteurs et les niarlijrs, p. 55-57; Audollent, Car- thage romaine, p. 445-416; p. 452; cf. p. 288.

16

236 CHAPITRE Vin

empereurs le culte qui leur était dû. Dans tous les procès intentés pour cause de christianisme, c'est le point déci- sif. Celui qui sacrifie à l'empereur est renvoyé delà pour- suite. Au contraire, le refus de sacrifier constitue une offense contre la majesté et la puissance de l'État ' ». Cette théorie n'a pas été acceptée unanimement. Les documents, en particulier les Acfcsdes Martijm, prouvent que des chré- tiens ont été condamnés à la peine capitale uniquement pour avoir confessé leur foi, pour avoir revendiqué le nom de chrétiens, où. -ro ovoaa. Mais la foi chrétienne n'im- pliquait-elle pas le refus de reconnaître la divinité impé- riale, de célébrer les cultes officiels, de sacrifier à Jupiter Capitolin? « Tertullien indique nettement que les cognl- tiones contra Chrisdanos étaient juridiquement basées sur la loi de majesté. Il distingue soigneusement le crimen lacsae 7'omanae rellgionis et le délit contre la wajcsias imperatorum, double catégorie du délit de majesté, la plus légère étant le refus des honneurs qui sont dus aux Dieux, la plus grave l'offense à l'empereur. De ce dernier chef sur- tout, il y avait mépris des clei jwpidi ro^nani, par suite outrage à la nation dominante. Le sujet de l'empire, qui refusait aux dieux de l'État romain le sacrifice qui leur était dû, offensait l'État lui-même, il encourait la peine capitale, à moins qu'il ne justifiât, comme les Juifs, d'une exemption légale "■ ». Il est possible que le refus de sacrifier aux divinités officielles n'ait pas été la cause unique des persécutions; mais c'était une conséquence inéluctable de l'adhésion au christianisme. Ceux-là même, qui n'ac- ceptent pas les conclusions de Schiirer et de Mommsen, ne peuvent nier que, parmi les crimes imputés par les païens au christianisme, figurait le refus d'adorer les dieux de

1. Schûrer, Die Ultesten Ghristengemeinden im rôm. Reiche, Kiel, 1891; cf. L. Guéi'in, Etude sur le fondement juridique des persécutions diri- gées contre les chrétiens, clans la Xouvelle Revue historique de droit, 1895, p. 614 et suiv.

2. .Mominsen, citO luav L. GiiLTin, lor. cit., p. !U9-6t?0.

HISTOIRE ET ROLE DES CULTES OFFICIELS 237

l'empire et de sacrifier aux empereurs '. Etre chrétien signifiait attaquer la religion officielle '-. Au contraire, le chrétien qui abjurait sa foi devait honorer le Génie de l'empereur ou sacrifier à Jupiter CapitoHn '\

Cette attitude des chrétiens envers les divinités officielles de l'empire leur valut de passer pour des ennemis de l'État, pour des sujets rebelles. Ils ne cessèrent pourtant de repousser avec énergie cette accusation, d'affirmer leur loyalisme absolu, leur respect profond de l'autorité impé- riale, leur obéissance aux lois romaines. Aux deux premiers siècles de l'ère chrétienne, saint Paul '*, saint Pierre ^ saint Clément ^ saint Justin ", conseillèrent ou attestèrent ce loyalisme en des termes aussi formels que possible ^

La même preuve ressort avec non moins d'évidence de plusieurs actes de martyrs. Les chrétiens ne refusaient ja- mais de proclamer leur dévouement à l'empereur, chef du monde romain "; ce qui leur était impossible, c'était d'ho- norer comme un dieu l'empereur vivant, de prendre part aux processions et aux sacrifices en l'honneur des divi. Leur attitude était déterminée uniquement par des motifs reli- gieux. Le refus du service militaire était même désapprouvé par beaucoup d'évèques.

Le sentiment qui inspirait les chrétiens était incompré- hensible pour l'immense majorité des païens, qui n'avaient jamais séparé la religion de la cité, qui ne savaient pas dis- tinguer le domaine des croyances religieuses de celui de la

1. L. Guérin, loc. cit., p. 719.

2. Id., p. 720.

3. Le Blant, Les Persécuteurs et les Martyrs aux premiers siècles de notre ère, p. 147 et suiv.

4. Ad. Rom., XIII, 1-7.

5. l'^Peiri, II, 1.3-17. 6- Ad. Cor in th., 61.

7. l'^ApoL, 17.

8. P. A.\\a.rd, Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, Introd., p. sviii et suiv.

9. P. AUard, ibid.,p. xxiii-xxiv.

238

CHAPITRE YIII

vie publique. La lutte de l'empire et du christianisme est née de ce malentendu vraiment insoluble.

Le monothéisme des chrétiens, avec sa ri<iucur exclusive et son prosélytisme agressif, ne fut pas mieux compris. Il passa pour de l'athéisme; les chrétiens furent accusés d'im- piété (aTiêc'.a).

Ainsi, à des hommes qui ne manquaient jamais une occa- sion d'affirmer leur loyalisme et leur dévouement à l'Etat, dont le sentiment rehgieux était le plus intense et le plus élevé qui eut jamais existé, la société païenne et le gou- vernement impérial reprochèrent surtout d'être des rebelles, des athées, des impies. Ils virent en eux des ennemis du genre humain ' . Les sévérités de la loi et le fanatisme des passions populaires se trouvèrent d'accord pour jeter les chrétiens aux bêtes de Tamphithéàtre. Les familles et les cités furent profondément, irrémédiablement divisées.

Quelles que soient l'admiration et la sympathie que mérite l'attitude des chrétiens pendant les premiers siècles de l'em- pire, il n'est guère contestable que la religion du Christ ait été le ferment de dissolution du vieux monde gréco-romain. L'hostilité des chrétiens à la rehgion officielle, leur invin- cible répugnance pour les cultes de la divinité impériale et de la Triade Capitohne, non moins que les attaques répétées de leurs apologistes et de leurs écrivains contre toute croyance et toute cérémonie non chrétienne, provoquèrent les fureurs de la foule, les colères des prêtres païens et les rigueurs des magistrats impériaux. On peut juger par là, comme par la diffusion des divers (suites officiels que nous avons étudiés jusqu'à présent, de l'importance qu'on atta- chait et de la place qu'on attribuait à ces cultes dans l'em- pire romain.

1. Renan, L'Antéchrist, p. 30.

LIVRE II

LES CULTES ROMAL\S ET GRÉCO-ROMAINS

CHAPITRE PREMIER

LES CULTES NON OFFICIELS DE ROME

1. Diverses catégories de ces cultes : cultes proprement italiques et romains : cultes gréco-romains ; abstractions divinisées ; culte des Génies. 2. Difficulté qn il y a à déterminer dans certains cas à quelle catégorie un culte appartient. 3, Plan du livre II.

1

Les cultes officiels des divinités impériales et capitolines ne furent pas les seuls cultes que la conquête romaine intro- duisit dans les provinces latines de l'empire. Outre les reli- gions orientales, qui seront étudiées spécialement dans le livre III, d'autres cultes pénétrèrent, à la suite des soldats, des fonctionnaires et des colons romains, en Afrique, en Espagne, en Gaule, en Bretagne, dans les régions rhénanes et danubiennes. C'étaient les cultes qui se célébraient à Rome et en Italie vers la tin de l'époque républicaine et au

240 CHAPITRE PREMIER

début de l'ompire. Les divinités auxquelles ces cultes s'adressaient étaient nombreuses; elles n'avaient pas toutes le même caractère ni la même origine.

Les unes étaient des divinités proprement italiques, lati- nes ou romaines; elles formaient pour ainsi dire à Rome le plus ancien cycle religieux que l'histoire puisse attein- dre; elles n'avaient pas subi ou n'avaient subi que très peu l'influence de la mythologie hellénique. Tels étaient, par exemple, Janus, Saturnus, Vesta, Silvanus, Mars ; tels encore Quirinus, Romulus, La Louve. A cette ancienne religion se rattachaient les collèges et confréries des Arvales, des Luperques, des Saliens, des Vestales, des Augures, des Pontifes; elle survivait aussi dans certains rites particu- liers, comme celui du Fiilgur conditum.

D'autres dieux et d'autres déesses, quoique toujours invo- qués sous leurs noms latins, étaient moins italiques que grecs. On sait, sans qu'il soit nécessaire d'y insister ici, comment les divinités et les cultes de Rome avaient été transformés par la conquête de la Grèce. Aux derniers siècles de la république, les mythes grecs avaient pénétré la vieille rehgion des Italiotes et des Latins ; maintes com- paraisons, maintes équations, pourrait-on dire, avaient été alors établies entre les divinités romaines et les divinités helléniques. Jupiter avait été assimilé à Zeus, Juno à Hera, Mercurius à Hermès, Neptunus à Poséidon, etc., etc. Ces assimilations avaient parfois effacé, toujours atténué le caractère national et les traits originaux des divinités lati- nes. Neptunus et Mercurius n'étaient pas assurément des dieux aussi purement grecs que Poséidon et Hernies; mais ils n'étaient plus des dieux exclusivement romains. L'épi- thète gréco-romains nous paraît être la plus exacte pour désigner de tels dieux et les cultes qui leur étaient rendus. Ces divinités se distinguaient entre toutes par la précision anthropomorphique de leur physionomie, par l'abondance luxuriante de leurs mythes.

Bien différents par leur essence même et leur origine,

LES CULTES NON OFFICIELS DE ROME 241

étaient deux autres groupes de dieux et de déesses, d'une part les abstractions divinisées, d'autre part les Génies.

Parmi les abstractions divinisées auxquelles les Romains adressaient des prières, des sacriflces, des actions de grâce, les plus populaires étaient la Fortune, Fortuna, et la Vic- toire, Victoria. Ils invoquaient aussi la Concorde, Concor- dia\ la Paix, Pax ; la Piété, Pietas, etc. Sans doute les Grecs possédaient, dans leur panthéon, Tychè, Nikè, Homonoia, Eirènè; mais ces déesses n'avaient jamais tenu dans la mythologie ni dans le culte hellénique une place importante. Ce n'étaient point, à proprement parler, des personnes divines; aucun poète n'avait chanté leurs légendes; à Athènes, Nikè était moins une déesse indépen- dante qu'une des formes d'Athéna. On leur consacrait peu d'autels; on leur élevait encore moins de sanctuaires. Le goût si prononcé des Grecs pour l'anthropomorphisme les écartait nécessairement de telles déesses. Rome au con- traire leur voua un véritable culte. C'est de Rome qu'elles se répandirent dans les provinces latines, presque par- tout elles recueillirent de nombreux hommages.

Le culte des Génies était de même essentiellement romain. Il ne semble pas que les Grecs aient jamais invoqué les oa'!;jLovc;;. L'iuvocation des Génies faisait au contraire partie intégrante de la religion romaine. Chaque être humain avait son Genius, protecteur divin qui veillait sur lui depuis sa naissance jusqu'à sa mort. Les groupes d'in- dividus, les associations, les cités, les unités militaires, turmes, centuries, légions, ailes, cohortes, étaient placés sous la tutelle des Génies : il en était de même des mon- tagnes, des coteaux boisés; chaque lieu déterminé, comme chaque être vivant, avait son Genius. Ces Genii, pour les Romains, ne se confondaient pas avec les individus, les groupes, les lieux qu'ils protégeaient; ils existaient en dehors d'eux; mais ils manquaient de cette personnalité précise qui distinguait les vraies divinités grecques. Ils avaient gardé l'empreinte de la religion romaine primitive,

242 CHAPITRE PREMIER

qui souvent n'osa pas désigner les dieux par des noms pré- cis, qui parfois même hésita sur leur sexe. Les Romains sentaient le divin autour d'eux; ils ne l'enfermaient pas, comme les Grecs, dans un corps, doué sans doute de toutes les perfections, mais conçu à l'image du corps humain. Le culte des Gc/nL comme ceux de Fortuna, de Victoria, de Concordia, etc., se répandit dans les provinces latines de r empire.

Il n'est pas toujours facile de reconnaître, d'après les documents que nous possédons, dans quelle catégorie de divinités il convient de placer tel ou tel dieu, telle ou telle déesse.

La ligne de démarcation entre les divinités proprement italiques ou romaines et les divinités gréco-romaines n'est pas toujours très nette. Lorsque, par exemple, les habitants des provinces latines de l'empire invoquaient Ceres, Neptu- nus. Mars, ces noms latins désignaient-ils les divinités ado- rées jadis par les populations italiques primitives ou bien les divinités issues du rapprochement qui avait été fait entre Ceres et Demeter, Neptunus et Poséidon, Mars et Ares? Les Nymphae, dont le nom est purement grec, doivent-elles être classées parmi les divinités gréco-romaines, ou bien devons-nous les considérer comme les génies féminins des sources et des eaux vives?

A'oici une ditlicultë plus grave. 11 est prouvé aujourd'hui que des noms latins ont été donnés en Afrique, en Gaule, ailleurs encore, à d'anciennes divinités nationales. Le dieu, que les Africains de l'époque impériale appelaient Saturnus, n'avait que le nom de commun avec le Saturnus italique : en réalité c'était l'ancien Baal punique. En Gaule, les dieux, que sous l'empire les documents nomment Mercurius et Apollo, étaient de même d'anciennes divinités gauloises, à

LES CULTES NON OFFICIELS DE ROME 243

peine dissimulées ou modifiées par leurs noms latins. Main- tes épithètes qui leur sont données attestent leur origine et leur véritable caractère. Dans ces conditions, n'est-il pas téméraire de considérer comme cultes romains ou gréco- romains tous les cultes sans exception qui furent rendus, dans les provinces latines, à des divinités désignées par des noms latins? L'abondance inusitée des hommages rendus en Illyricum à Silvanus, Silvana et les Silvanae, dans les Pannonies et les Mésies à Liber pater et Libéra, en Dacie à Hercules, a attiré l'attention des historiens. Malgré l'absence de toute épithète caractéristique, de tout indice probant, on s'est demandé si ces noms latins ne désignaient pas d'anciennes divinités du pays plutôt que des dieux et des déesses empruntés à la reUgion romaine ou gréco- romaine? Le même problème peut se poser à propos de beaucoup d'autres divinités, Ceres, Pluto, Aesculapius, Mercurius, en Afrique : Hercules en Espagne ; Yulcanus, Silvanus, Minerva dans les pays celtiques, etc.

Il nous paraît donc nécessaire de déterminer ici briève- ment les règles que nous voulons suivre, pour répartir dans les catégories que nous avons déterminées les divinités italiques et gréco-romaines adorées par les habitants des provinces latines de l'empire .

Dans le chapitre consacré aux divinités proprement ita- liques ou romaines, nous étudierons exclusivement : les dieux et les déesses auxquelles l'Olympe grec ne fournit pour ainsi dire pas de divinité correspondante : Janus, Quirinus, Silvanus, par exemple ; les dieux et les déesses qui tout en ayant leur analogue dans le panthéon hellénique ont cependant joué un rôle tout à fait partie uher dans la religion et le culte de Rome, tels que Mars, Saturnus, Vesta; enfln l'organisation des collèges sacerdotaux et

244 CHAPITRE PREMIER

certains rites spéciaux, comme celui du fidgur conclitum .

Un second chapitre traitera de tons les cultes rendus aux divinités gréco-romaines. Nous en exclurons les divinités dont le caractère national ou local, c'est-à-dire non gréco- romain, est ou peut être démontré soit par tout un ensemble de preuves, comme c'est le cas pour le Saturnus africain, soit par des épithètes non latines, telles que celles qui accompagnent parfois les noms de Mercurius, Mars, Apollo, dans les régions gallo-germaniques. Mais nous retiendrons tous les documents les noms de ces dieux et de ces déesses ne sont accompagnés d'aucune épithète caracté- ristique.

Les cultes de Fortuna^ de Victoria et des autres abstrac- tions divinisées seront étudiés dans un chapitre spécial. Il en sera de même pour les génies, Genii, Junones. Les Nympliae en seront soigneusement distinguées ; il sera question d'elles dans le chapitre consacré aux divinités gréco-romaines.

Les conclusions, que cette étude des dociunents nous a suggérées, seront exposées dans un chapitre qui terminera le livre IL

CHAPITRE II

LES DIVINITÉS ET LES CULTES ITALIQUES ET ROMAINS

1. Divinités et cultes divers : Janus, Yesta, Bona Dea, les Lares, etc. 2. Le culte de Mars. 3. Le culte de Silvanus. 4. Collèges sacerdotaux, prêtres et rites.

1

Parmi les cultes des provinces latines de l'empire, aux- quels on peut attribuer, au moins en apparence ou partiel- lement, une origine proprement italique ou romaine, il en est plusieurs dont les traces sont tout à fait rares. Nous les étudierons d'abord.

D'après les documents que nous possédons aujourd'hui, Janus ne fut invoqué qu'en Afrique et en Dalmatie. Une dédicace recueillie aux environs de Klagenfurt peut être rattachée aux inscriptions trouvées en Dalmatie. Le Janus Yaeosus d'Apta ' est moins l'antique dieu du Latium qu'une divinité locale, Vaeosus, qui lui fut assimilée.

Le dieu est appelé le plus souvent Janus %)Cit£r ^ parfois

1. C. I. Lat., XII, 1065.

2. Id., YIII, 2608, 1G416; III, 2881, 3030, 10072; Ann. épigr., 1893, n. 8.

246 CHAPITRE II

Jamifi jmtcr Augiisfus ', dans un seul cas James Grnnmis % Los épiiliètes Pater et Gemiiin^i attestent l'origine romaine de la divinité. En Afrique, les dédicaces à Janus ont été trouvées dans les cités de Mustis, Mactaris, Lambaesis, Thamugadi et Diana. On sait que Mustis fut un municipe, que Lambaesis fut le centre militaire le plus important de la province, que Thamugadi fut une colonie, Diana un municipe. Trois de ces villes au moins, Lambaesis, Thamu- gadi, Diana, subirent assez profondément l'influence ro- maine. Trois dédicants africains nous sont connus. Deux d'entre eux, L. Bennius Primus de Lambaesis, L. AtriHus Félix de Diana, sont de simples particuliers, dont les noms ne sont suivis d'aucun titre et qui agissent à titre privé. Le troisième, C. Ortius L. f. Corn. Luciscus est un citoyen romain, qui a peut-être exercé dans sa ville des fonctions municipales, qui y a été prêtre d'^Esculapius et de Cae- lestis.

Les inscriptions trouvées en Dalmatie sont un peu plus explicites. Elles proviennent de Salonae, Corinium, Aenona, Flanona, Albona, villes situées dans la région côtière et, sauf Salonae, dans la partie de la province limitrophe de l'Italie. Parmi les dédicants, se trouvent im ancien soldat, citoyen romain, C. Julius C. f. Ser. Actor, qui a fait sous Auguste la rude campagne de Dalmatie, puis qui est devenu édile et duumvir à Salonae ^ ; un cavalier de la garde préto- rienne et un secrétaire du préfet du prétoire * ; enfin, un personnage qui semble appartenir à Yorclo de sa ville, puisqu'il répare et restaure la statue de Janus pro salute ordinis sui et civiiim suorum ^.

Si minimes que soient ces traces du culte de Janus, il est d'autant plus intéressant de les signaler qu'aucune dédicace

1. c. I. Lut., YIII, 4576, 11797, 15577; III, 3158; Ann. épigr., 1901, n. 191.

2. C. I. Lat., VIII, 5092».

3. Id., III, 3158.

4. Ann. épigr., 1893, n. 8.

5. C. I. Lat., m, 2969.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES ITALIQUES ET ROMAINS 247

au dieu n'a été relevée à Rome même ou en Italie '. Nous aui'ons d'autres occasions de montrer que d'anciennes tra- ditions religieuses de Rome se sont parfois mieux conser- vées dans les provinces qu'à Rome ou autour de Rome.

Vesta ou Vesta mater, sans former à proprement parler un couple divin avec Janus, avait avec lui des rapports très étroits. Son culte se répandit fort peu dans l'empire. Deux inscriptions d'Espagne, une de Gaule et deux de Germanie inférieure sont, dans les provinces latines, les seuls vestiges qui en aient été conservés. A Hispalis, M. Junius Quir. Hispanus de Segovia ordonne par son testament que l'on consacre un autel ou que l'on élève une statue à Yesta ' ; à Mentesa Bastitanorum, c'est un affranchi Ti. Claudius Félix qui rend le même hommage à la déesse ob lionorem sevi- rcUus \ A Agedincum, capitale des Senones, M. Magilius Honoratus, magistrat municipal, gendre d'un prêtre provin- cial des Trois Gaules, consacre un temple commun à Mars, Vulcanus et Vesta \ Des deux textes trouvés dans la Ger- manie inférieure, l'un qui provient de Yetera Castra ne con- tient que les deux mots Deae Vestae gravés sur une base de statue \ Il est probable que l'image de Vesta fut érigée dans le camp môme de la légion, et qu'elle y était révérée comme la déesse du foyer de l'Etat. L'autre texte, découvert en Gueldre et publié par Brambach \ paraît avoir un carac- tère différent : Vestae sacrum. Jul[ius) Victo{ri?ius)? ma- g[ister) fîg[idorum) j^ro se [et suis v. s. l. m.?]. C'est ici un potier qui invoque la déesse du feu ' .

Si l'on fait abstraction des provinces africaines, le dieu invoqué sous le nom de Saturnus n'est certainement pas le

1. G. Wissowa, Religion iind Kultiis der RUmer, p. 94.

2. C. I. Lut., II, 1166.

3. Id., ibid., 3378.

4. Id., XIII, 2940.

5. Ann. épiyr., 1902, n. 250.

6. Bramb., 105.

7. La lecture Vestae sur l'inscription de Mogontiaciiiu C. I. Lut., XIII, 6709. est plus que douteuse.

248 CHAPITRE II

Saturnus italique *, les dédicaces à ce dieu sont d'une extrême rareté dans le monde romain. En Narbonaise, une dédicace à Saturnus a été trouvée aux environs de Gre- noble ^ : le dédicant, D. Decmanius Caper, subpraef. cquit. alac Agrippian. ' avait sans doute quelque prédilection pour les anciens dieux italiques et romains, puisque son nom se lit sur une autre dédicace à Mars \ Sur une pierre qui pro- vient de Xarbonne, on a interprété les lettre S. A. F. = S[aturno) A{ugusto) F{rugifcro). Au dessus de l'inscription un personnage debout tient des épis de la main droite et de la main gauche une couronne, semble-t-il. L'interprétation et du texte et de l'image reste douteuse et obscure. A Na- rona (Dalmatie) une prêtresse de Livie divinisée, Claudia Aesernina, fit élever par testament un autel à Saturnus '^ ; à Ampelum iDacie}. un déeurion de cette colonie, M. Anto- nius Saturninus remercia le dieu d'avoir exaucé un vœu qu'il avait formé ^

Les divinités champêtres et rurales furent invoquées moins souvent encore que Janus, Testa ou Saturnus dans les pro- vinces latines de l'empire. A Thabraca, en Afrique, le nom de Faunus se lit sur un petit autel consacré par p]pityncha- nus. caissier d'un certain Philostorgus. affranchi ou esclave d'Auguste ' : Epitynchanus était probablement, lui aussi, un esclave ou un affranchi. A Serdica, dans la Mésie inférieure, un personnage, dont les noms trahissent l'origine thrace, Zipas Margulas, consacra par gratitude pour un vœu exaucé

1. Peut-être faudrait-il faire une exception pour une inscription de Lam- baesis, qui nous apprend la dédicace Saturno domino et Opi d'un temple, d'un autel et d'un portique. Ops est une vieille divinité italique, dont la présence ici modifie sensiblement le caractère africain de Saturnus [C. I. Lat., VIII, 2670).

2. CI. Lat., XII, 2225.

3. Id., ibid.. 2231.

4. Id., ibid., 2218.

5. Id., IIL 1796.

6. Id., ibid., 7838.

7. Bull. arch. du Coni.. 1894, p. 241, n. 24.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES ITALIQUES ET ROMAINS 249

un autel au cleus Vcrtumnus Dominus '. A Mogontiacum, G. Sextius Félix rendit un culte privé [in sito) à Flora ^ Bona Dca reçut un peu plus d'hommages. Des traces de son culte ont été relevées en Afrique, à Mactaris ', Zaraï \ Sila '' et Novar ^; en Narbonaise, à Arelate ' et Apta*; en Pannonie, à Aquincum ^ Le nom de Bona Dea dé- signa d'abord Fauna, la parèdre de Faunus ; puis il fut donné à une divinité importée de Grèce, Damia d'après les érudits romains ; en l'honneur de cette nouvelle Bona Dea se célé- braient la nuit des rites mystérieux, dont les hommes étaient exclus. Il arriva aussi que Bona Dea fut invoquée comme protectrice de la santé ; peut-être aussi ce nom fut tout sim- plement donné à des divinités locales '°. Il est donc fort difficile de savoir quel est le vrai caractère de la Bona Dea mentionnée sur les dédicaces provinciales aujourd'hui connues. Il est même possible que ce nom n'ait pas désigné partout une divinité identique. A Arelate, par exemple, au- dessous de l'inscription Bonae Deae Caiena Priscae lib. Atiice mmistra^ on voit, dans une couronne de chênes, deux oreilles ornées de pendants : suivant toute vraisem- blance, Bona Dea est ici la déesse qui guérit les maux d'oreilles ". D'autre part, on sait que les hommes n'avaient aucune part au culte de la Bona Dea grecque. Or, parmi les dédicaces à Bona Dea, il y en a trois qui émanent d'hommes : à Zaraï, Julius '^; à Novar, Donatus '^ ; à Aquincum, G. Julfius)

1. Ann. épigr., 1900, n. 17.

2. C. I.Lat., XIII, 6673.

3. Id., VIII, 11795.

4. Id., ibid., 4509.

5. Ann. éplgr., 1906, n. 92.

6. Bull. arch. du, Com., 1896, p. 213, n. 170, 171.

7. C. I. LaL, XII, 654.

8. Id , ibid., 5830.

9. 7rf., III, 10.394.

10. G. Wissowa, Religion iind Kultus der Bomer, p. 177-179.

11. G. Wissowa, op. cit., p. 178, n. II.

12. G. I. Lat., VIII, 4509.

13. Bull. arch. du Coin., 1896, p. 213, n. 170.

250 CHAPITRE II

Valens praef[ectus) leg. II Adj[ut)'tcU) '. Puisqu'il est malaisé de reconnaître si la divinité, qui fut désignée par le nom de Bona Dea dans les provinces latines de l'empire, est l'antique Fauna ou la Damia grecque ou encore une Hygia, nous avons seulement considéré le nom même de la déesse, nom purement latin, pour la classer parmi les divi- nités proprement romaines ou italiques. Le culte qui lui fut rendu en Afrique, en Narbonaise, à Aquincum fut d'ail- leurs purement privé et sans importance.

Deux inscriptions d'Espagne nomment l'une Fontanus et Fontana % l'autre Fontana seule ^ Les dédicants sont deux femmes.

Un dieu, dont le culte n'a point laissé de traces à Rome, mais que Plaute cite *, Nocturnus, fut invoqué en Dalmatie '\ A Carnuntum, dans le camp romain, ont été découverts deux ex-voto adressés aux Dit Nocturnl ^

Enfin c'est une origine romaine qu'il convient d'attribuer aux cultes de Tertiana (la fièvre tierce) et de Quartana (la fièvre quarte), cultes qui ont laissé chacun une trace unique, celui-ci en Bretagne ', celui-là à Nemausus '.

Le culte des Lares privés, qu'il faut distinguer de celui des Lares Augusti, a été beaucoup moins populaire dans les provinces qu'en Italie. En Espagne, les Lares et les Lares vialcs furent honorés en divers endroits ^ Hors de cette péninsule, un lararimn a été découvert à Breidweiler, dans le Luxembourg '"; à Mogontiacum, un autel fut dédié aux

1. C.I. Lat., III, ia394.

2. Id., II, 150.

3. Id., ibid., 6277.

4. Amphitr., v., 116.

5. CI. Lat., III, 1956,9753.

6. Id., ibid-, 13461, 13462.

7. Id., VII, 999.

8. Id., XII, 3129.

9. Id., II, 174, 404, 729, 801, 4082, 5135 (Lares); 2417, 2518, 2572, 2987, 5634, 5734 (Lares Viales); Atm. èpigr., 1902, n. 185 (Lares Viales],

10. Bonn. lahrb., t. 88, p. 236.

I

LES DIVINITÉS ET LES CULTES ITALIQUES ET ROMAINS 251

Lares par des Stratores de la Icgio XXII Pr. P. F., au moment ils prirent leur retraite ' ; deux autres dédi- caces proviennent de Salonae - et de Savaria \

Quant aux Pénates, leur nom figure dans les formules de serment que contiennent les lois municipales de Salpensa, de Malaca, d'Urso (Colonia Julia Genetiva) ^; mais dans la pratique on ne connaît actuellement que deux inscriptions dédiées à ces divinités; Tune provient de Mogontiacum ^; l'autre d'Apulum, en Dacie ". Les Di Pénates des serments précités et de la dédicace d'Apulum sont les Dieux Pénates de l'Etat romain. Il ne semble donc être resté aucune trace d'un culte des Pénates domestiques dans les provinces latines de l'empire.

Au mythe delà fondation de Rome se rattachent quelques dédicaces à la Louve, à Romulus, à Quirinus.

La Louve, Lupa, Liipa Rornana, Lupa Augusta, Lupa cum infantibus duobus, est nommée dans deux inscriptions africaines '^ et dans trois espagnoles ^ Trois de ces textes ne sont pas des dédicaces; ils mentionnent seulement l'érection d'une statue de la Louve avec les deux jumeaux ^ Les deux autres sont ainsi rédigés :

Liipae Romanae M. Valerlus Plioebas sevlr Aiig '"

Lupae Augustae L. ViselliusEvangcU Ub. Terthis Aug '^

L'absence du mot sacrum et d'une formule finale, telle que

feclt et decUcavit ou votiim soli'it libens mer'ito, semble

exclure toute idée d'un véritable culte. Peut-être cependant

1. C. I. Lat., XIII, G732; cf. 6709.

2. M., III, 867.3.

3. Id., ibid., 4160.

4. Id., II, 1963, I, 31 ; 1964, III, 17; 5439, II, 3, 19.

5. Id., XIII, 6709.

6. M., III, I08I.

7. LL, VIII, 958, 12220.

8. Id., II, 2156, 4603, 506:^.

9. Id., II, 5063; VIII, 958, 12220.

10. Id., II, 2156.

11. Id., ibid., 4603.

2o2 CHAPITRE II

c'oiiviont-il de ne pas contester l'existence d'une sorte de dévotion à la Louve chez ces deux afl'ranchis d'Epora et de Baetulo (Espagne).

Un bas-relief fut dédié au drus Bornulus à Durocor- novium en Bretagne par un certain Vettinus '. Au-dessous de la dédicace, le bas-relief représente un personnage vêtu du paludamentum, tenant de la main droite une lance, delà main gauche un boucher; à son côté gauche pend un sabre. Près de lui on voit un petit autel, orné d'une corne d'abon- dance. Le personnage ici représenté paraît être plutôt le dédicant que le dieu : ce dédicant était donc un soldat. Sa dévotion à Romuliis s'explique par les rapports étroits que la légende romaine établissait entre Romulus et Mars.

Les restes d'un sanctuaire consacré à Quirinus ont été retrouvés entre Vienne et Grenoble, près du village de Yil- lette (Isère). Plusieurs fragments de statue et deux dédi- caces à Quirinus y ont été découverts -. Il semble que l'on soit ici en présence d'une chapelle particulière et de quelque culte privé.

Bien qu'une assimilation- tardive ait été instituée entre Mars et Ares, Mars est toujours resté un dieu italique et romain. .Tamais d'ailleurs les Grecs n'ont honoré Ares comme les Romains ont révéré Mars. Le culte de Mars, très important à Rome, pénétra dans les provinces, il a laissé des traces nombreuses. Le dieu y fut invoqué sous les noms de Mars Augusius ^ Mars pater '% Mars dominus ■^

1. C. I. Lat., VII, 74.

2. /d., XII, 2201, 2202: cf. Allmer, Inscr. de Vienne, t. III, n. HP, pi. 269 10'.

3. Passim.

4. C. I. Lai., II, 2600.

5. Ici, ibid., .3618; XIII, 421.

Les divinités et les cultes italiques et romains 253

Mars Victor ', Mars invictus -, Mars conservalor •\ Mars 2Dro(ecto7^ mvperaioris *, Mars milillae potens % Mars militaris ^ Mars 2^>^(^((^stans ^ ^Slars Magnus Victor ^ Mars Pacifer ", Mars Equester '", Mars Campester ", Mars Armiger '-, Mars f,7/o>' ^% Mars GracUvus *'*, Gradiviis pater *'. Souvent son nom était associé à celui de la déesse Victoria **.

Le culte de Mars ne fut pas également populaire dans toutes les provinces. Les documents les plus abondants proviennent des provinces africaines et espagnoles, de la Narbonaise, de l'Aquitaine, de la Germanie supérieure ; relativement clairsemées dans les provinces danubiennes, les dédicaces sont tout à fait rares en Bretagne, dans la Germanie inférieure, en Dalmatie. Parmi ces témoignages de culte, on distingue vite deux groupes que l'on pourrait appeler le groupe militaire et le groupe civil. En Afrique, par exemple, près de la moitié des dédicaces proviennent de Lambaesis et de Vazaivi, points occupés par des garni- sons, et portent des noms de soldats ou d'officiers ''. Le

1. C. /. Lat., Vllî, 8139, 17623, 17624; Bramb., 773; C. I. Lot-, lll, 4112; 6273 ;■?).

2. C. 7. Laf., VIII, 14365; II, 2990; XIII, 392; III, 2803.

3. Id., YIII, 11454, 17835; III, 1099, 1600.

4. M., VIII, 12425, I9I24.

5. Id., ibid., 26.34.

6. Bramb., 407; C. I. Lnt , VII, 3W, 391.

7. Bramb., 691.

8. Ann. èpigr., 18S,HJ, n. 90.

9. C. I. Lat.,\U, 219.

10. Ann. épigr., 1903, n. 288.

11. C. I. Lat., II, 408.3.

12. Id., XIII, 67.38. 1.3. Id., III, 12467.

14. Id., ibid, 6279.

15. Id., YIII, 17625.

16. Nous laissons ici de côté les épithètes gauloises ou germaniques, qui seront étudiées plus loin dans le livre consacré aux cultes nationaux et locaux des provinces.

17. C. I. Lat., VIII, 26.34,2635, 26.36, 17621,1762.3-17625, 17628-176-32, 17957, 182.31.

254 CHAPITRE II

long du Rhin et du Danube, la plupart des documents ont été trouvés à Mogontiaeum S dans la région du Ume.s Ger- manicus et du Urnes Raeticus ^ à Carnuntum \ Aquincum *, Apiilum ■'. Il est toutefois remarquable que le culte du dieu de la guerre n'ait pas laissé plus de traces dans les grands camps permanents de cette frontière, par exemple à Yindo- bona, Brigetio, Viminacium. même à Carnuntum et à Aquin- cum. 11 est remarijuable également que Mars ait été si rare- ment invoqué en Bretagne et dans la Germanie inférieure. Faut-il en conclure avec Domaszewski que le culte de Mars resta fort efïacé dans l'armée jusqu'au milieu du troi- sième siècle ®? L'assertion nous semble excessive. Sans même citer le monument d'Adam Klissi consacré par Trajan à Mars Ultor en 109 ap. J.-C. ', d'autres documents prouvent que la dévotion à ^Nlars existait chez les soldats romains bien avant la date fixée par le savant allemand. En 108 ap. J.-C. la coliors Hlspanorum invoquait Mars V{ictor) pour le salut de Trajan ^: en 182. c\ Tarraco, un centurion de la legio Vil Geniina, T. AureUus Decimus, s'adressait à Mars campester pour le saku de l'empereur Commode "; en 211, à Reg'ina Castra un vétéran, Sullanius Albucius, restaurait un temple commun de Mars et de Victoria *" : Y expression tciuplirm restitult prouve que le temple existait avant l'année 211. peut-être même depuis de longues

1. C. I. Lut., XIII, 6735-6738, 6740, 6740, 6710b, 7249: Ann. épbjr., 1900, n. 72.

2. C. /. Lat., XIII, 6464, 6573, 6574, 6593; Bramb., 1112, 1701, 2064; Limes- blatt., 1897, n. 166; Bonn. Jahrb., t. 95, p. 193, n. 26; C. I. Lat., III, 5645, 5897, 5898.

3. Id., ibid., 44II, 4412; A7i)i. épigr., 1898, n. 31.

4. G. I. Lat., III, 3469, 3470, 6457, 10135, 10436.

5. Id., ibid., 1U98, 1099.

6. Domaszewski, Die Religion des Roiiiischeii Heeres (Westdev.tsche Zeitschrift., XIV), p. 34.

7. C. I. Lai., III, 12467.

8. Id., ibid., 6273.

9. Id., II, 4083.

10. Ann. épigr., 1900, n. 72.

LES DIVINITÉS ET LES CrLTES ITALIQT'ES ET ROMAINS 255

années. En 217, L. Domitins Constitutus, soldat de la legio X Ge?nma, accomplit un vœu à Mars et Victoria '. Les dédicaces, postérieures au milieu du uf siècle, sont moins nombreuses. Comme certaines, nous ne connaissons qu'une inscription de Lambaesis, mentionnant en 253 l'érection d'une statue de Mars mlUtiae potens -, et un texte de Bonna, nous apprenant qu'en 295, sous la tétrarchie, Aure- lius Sintus, irracfectus Icg. I Min., rebâtit de fond en comble un temple de Mars milltaris; mais à propos de ce document, il convient d'observer que le temple y est dit vetustate collapsurn, que par conséquent le culte du dieu était célébré à Bonna bien avant Tépoque indiquée, peut- être comme à Mogontiacum dès le second siècle '\ Il ne nous semble pas prouvé que le culte de Mars soit devenu plus important dans l'armée pendant la seconde moitié du iii^ siècle ap. J.-C.

La thèse de Domaszewski ne suffît pas à expliquer la pénurie de dédicaces à Mars que nous avons signalée le long de certaines frontières et dans plusieurs provinces occupées militairement. 11 est plus vraisemblable qu'ici et le Mars romain a été évincé soit par Jupiter Optimus Maximus, dont nous avons constaté la grande popularité en Bretagne, le long du Rhin et du Danube '•, soit par des divinités orientales ou locales '. Ce qui corrobore cette der- nière hypothèse, c'est qu'en Bretagne, par exemple, Mars fut invoqué sous les noms de Mars Rigisamus \ Mars Toutates \ Mars Alalor ^ Mars Braciaca ^ Mars Camii-

1. Ann. épigr., 1901, n. 2.34.

2. C. I. Lat.,\\U, 2681.

3. Bramb., 467.

4. Plus haut, p. 198 et suiv.

5. V. pi. loin, livres III o1 IV

6. C. I. Lat., VII, 61.

7. LJ., ibid., 84.

8. /'/., ibid., 85.

9. IiL, ibid., 176.

256 CHAPITRE n

l((s ', Mars Coudâtes -, Mars Tliingsus \ Mars Bela- tiicadrus \ Mars Cocidius % Mars Loucetias "; ces épi- thètes sont en général d'origine germanique et Mars doit être en de tels cas considéré moins comme l'antique dieu de Rome que comme la divinité nationale ou locale qui lui fut plus ou moins assimilée.

Outre les oflîciers et les soldats, d'autres habitants des provinces latines rendirent un culte à Mars. A Yienna et dans toute la région qui s'étend depuis cette ville jusqu'aux Alpes et au lac Léman, ce culte semble avoir été organisé otîiciellement et sur le modèle romain : les prêtres du dieu s'appelaient fiamines Martis '. Dans la capitale de la Rétie, Augusta Vindelicum, un sanctuaire de Mars et Victoria, qui tombait en ruines, fut restauré par la cité elle-même *. Dès l'année 7'.), sous le règne de Yespasien, les V'icanl Vin- donissenses élevèrent en l'honneur de Mars, en même temps que d'Apollo et de Minerva, un arc triomphal ^ Mars et Victoria furent honorés par les ricanl d'un r'iciis inconnu, sur les bords du Haut-Danube *V Ailleurs, ce furent des magistrats municipaux qui témoignèrent leur dévotion à Mars : tel fut le cas, entres autres cités, à Thuburnica '*, Thamugadi '- et Sitifls '\ en Afrique; à Isturgi '*, en Bétique; chez les Sequani, dans la Germanie supérieure *'.

1. C. I. Lat., VII, 11(33.

2. Eph. Epigr., VII, p. .313, n. 981 ; cf. C. I. Lat.. VII, \iO.

3. C. I. Lat., VII, 1010, 1011.

4. M., ibid., 318, 746, 957.

5. m., ibid., 286, 886, 911, 977.

6. Id., ibid., .36.

7. Id., XII, 1899, 22.36, 2158, 2536, 2613.

8. Id., III, 11889.

9. Id., XIII, 5195.

10. Id., III, 5898.

11. Bull. arch. du Corn., 1891. p. I.S3.

12. C. I. Lat.,\lU, 2.372.

13. Id., ibid., 84.39. 11. Id., II, 2121. 15. la., XIII, 531.3.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES ITALIQUES ET ROMAINS 257

Des seviri augustales figurent également parmi les fidèles du dieu : en Espagne, L. Catinius L. lih. Martialis de Na- brissa Veneria *, M. Valerius Herenn(ianus?) d'Ipagrum ^ Q. Lucretius Q. 1. Silvanus de Vivatia ^; en Narbonaise, C. Betudiis Hermès de A^ienna S C. Julius Italus de Nemau- sus ^ L'existence de confréries spécialement vouées au culte de Mars nous est révélée par deux inscriptions, l'une de la petite ville africaine d'Uccula dans la Proconsulaire, l'autre d'Augusta Vindelicum en Rétie. A Uccula les mem- bres de la confrérie se nommaient les Sodales Martenses ^ A Augusta Yindelicum, ils s'intitulaient Ifartis cultores, et leur groupe portait le nom significatif, semble-t-il, de Coii- tuberniion lfarfi[s) cuUorimi ' ; c'étaient peut-être des vétérans.

Les simples particuliers, agissant à titre privé, ne man- quaient pas parmi les fidèles de Mars. Ils paraissent avoir été surtout nombreux en Espagne, dans la Narbonaise et dans l'Aquitaine méridionale. Les groupes qu'ils formaient dans ces trois provinces méritent d'être étudiés d'un peu près. En Espagne et en Narbonaise, les adorateurs de Mars étaient fort dispersés : on en rencontre à Merobriga % Emerita ^ chez les Igaeditani '", à Astigi *', Barbaesula '-, Cartima '^ en Gallaecie '\ à Numantia '% Turiaso '^ Com-

1. c. I. Lat., II, I30I.

2. Jd., ibid., 15ir>.

3. Id., ibid., 3336.

I. Id., XII, 2U5.

5. Id., ibid., 1081.

6. Id., VIII, 14.365.

7. Id., III, 5970.

8. Id., II, 22.

9. Id., ibid., 468.

10. Id., ibid., 4.36.

II. Id., ibid., 1472.

12. Id., ibid., 19.38.

13. Id., ibid., 1949.

14. Id., ibid., 2559.

15. Id., ibid., 28.34.

16. Id., ibid., 2990.

25.^ CHAPITRE II

pliiuini '. Saetabis -. Dans la Narlionaise, les cités qui ont fourni le plus de dédicaces à Mars sont Apta ^ Carpento- racte % Arausio % Yasio ^ Yienna ', Nemausus ^ Bae- terrae '. En ce qui concerne rA(iuilaine, les documents ont été presque exclusivement recueillies dans les vallées pyrénéennes 'V

Parmi les signataires de ces dédicaces, il semble n'y avoir qu'un seul citoyen romain, L. Porcius Quir(ina tribu) Victor, de Cartima en Bétique. Si, dans les villes de la Nar- bonaise, quelques-uns de ces fidèles de Mars portent les tria nomina romains, M. Taminius Mansuetus d'Apta, ^\. Aquillius Avitus, Q. Sualeius Rufus, L. Calvisius Aulinus de Carpentoracte, T. Agileius Rufus et Sex. Agileius Pedo de Yasio, etc., en Espagne, en Aquitaine, même parfois en Narbonaise. les dédicants ne sont le plus souvent désignés que par deux noms ou un seul nom; par exemple. Cominius Man. f. chez les Igaeditani, Munerigio Arqui f. de Numantia, Statutus Arquio de Turiaso, Grattius Pyramus de Complu- tum, Yectirix Reppavi f. d'Apta, Marcus et Lucius Hermolai fil. de Nemausus, Montanus, Alpinus, Caelius. Taurinus, Bonxorius Faustini f. des vallées pyrénéennes. De tels per- sonnages ne sont ni des colons romains ou italiens, ni même des Espagnols et des Gaulois profondément influen- cés par la civilisation romaine ; ce sont en majorité, suivant toute apparence, des indigènes. D'autre part, à Carpento- racte et à Yasio, outre les dédicaces à Mars ont été trou- vées d'autres dédicaces le nom de Mars est suivi d'une

1. C. 1. Lat., II, 3027,3028.

2. Id., ibid.. 3618.

3. Id., XII, 1076, 1077.

4. Id., ibid., 1161-1167.

5. Id., ibid., 1221.

G. Id., ibid., 12'J5-I200.

7. Id., ibid., 1821, 1822, 1899, 2218, 2219, 2574, 2578, 2588-2589, 2592.

8. Id., ibid., 298j, 3081, 4170.

9. Id., ibid., 4220. 4221, 4222.

10. Id., XIII, 115-117, 209-213. 241, 242. 392.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES ITALIQUES ET ROMAINS 259

épithète locale '; à Nemausus, deux dédicaces sont ainsi rédigées :

Marti suo Valerilv. .s. /. m. ^;

Marti et G[eiiio) Flaviani n. Marais et Lucius Hermolai

Enfin une inscription de Baeterrae reproduit la formule Marti suo '*.

Ces indices ne sont-ils pas suffisants pour nous permettre de croire que le Mars invoqué par les Espagnols, les Gau- lois de la Narbonaise et les Aquitains des vallées pyré- néennes différait du Mars militayHs ou im'ictus, à qui s'adressaient les hommages des officiers et des soldats? Le nom de Mars parait ici avoir été donné à une divinité natio- nale des Gaulois ou des Ibères, divinité parfois conçue sous les traits d'un dieu protecteur des individus. Mais l'assimi- lation entre cette divinité et le Mars romain ne s'était pas bornée au nom ; elle avait porté aussi sur l'image. Sur le monument de Baeterrae, se lit la dédicace Marti suo P. Pomponius Putlens l. m., Mars est représenté sous les traits d'un guerrier debout, coiffé d'un casque, ceint d'une cuirasse^ tenant de la main droite une lance et la main gauche appuyée sur un bouclier. C'est bien le Mars romain. Il est encore figuré de la sorte sur un ex-voto modeste de Vasio ^ Malgré le nom de ]^Iars et malgré la physionomie toute romaine du dieu, la diffusion de ce culte en Narbo- naise, dans les vallées pyrénéennes et dans maintes cités espagnoles n'existait aucune garnison, s'expliquerait difficilement, si l'on refuse d'admettre que ce nom et cette physionomie aient été attribués à une divinité antérieure- ment honorée dans ces pays.

Ainsi le culte de Mars dans les provinces latines de l'em-

L C. I. Lat., XII, 1168 etsuiv.; 1300 et suiv.

2. Id., ibid., 2986.

3. Id., ibid., 3081.

4. Id., ibid., 4222.

5. /(/., ibid., 1297.

260 CHAPITRE II

pire a laissé surtout dos traces; T en divers points des frontières et dans les régions avoisinantes (Vazaivi, Lam- baesis, Thamugadi, Sitifls, en Afrique ; Mogontiacum et Urnes Gcrmanlcus; limes Raeticus et Augusta Yindelicuni ; Carnuntum et Aquincum en Pannonie ; Apulum et cités voi- sines euDacie); en ces points et dans ces régions les fidèles du dieu étaient en majorité des officiers et dos soldats; 2" dans une contrée assez nettement délimitée qui compre- nait la Narbonaise, les vallées pyrénéennes voisines de la Haute-Garonne et la majeure partie de l'Espagne; ^lars semble avoir été assimilé à une ancienne divinité gauloise ou ibère ; ses fidèles se recrutaient surtout dans les classes modestes de la population.

Que le nom de Silvanus ait été d'abord un simple adjectit destiné à mettre en lumière un des traits de Faunus, le Sil- vicola Fcmnus ', ou que Silvanus doive être considéré, sui- vant l'expression de Warde Fowler, comme « une émana- tion de Mars ^ », ce qui est certain, c'est que vers la fin de la République et au début de l'empire, Silvanus passait à Rome et en Italie pour être le dieu de la vie champêtre ; il régnait à la fois sur les forêts, les pâturages, les champs cultivés et les jardins. Il était représenté tantôt couronné d'aiguilles de pins et tenant une branche d'arbre à peine émondôe, tantôt portant des fruits dans un pan de son vête- ment ; parfois on lui donnait comme attribut soit le i^edum des bergers, soit la faucille des moissonneurs ou la serpette des jardiniers''. Les poètes le comparèrent à Pan, à Silène; mais on ne saurait accorder à ces comparaisons purement

1. G. "Wissowa, Religion und Kultus der Borner, p. 175.

2. Warde Fowler, Tlte Roman Festivals of the Period of the Republic, p. 55.

3. G. Wissowa, op. cit., p. 175-176.

I

LES DIVINITÉS ET LES CULTES ITALIQUES ET ROMAINS 261

littéraires la valeur d'une véritable assimilation mytholo- gique et religieuse. Silvanus fut, parmi les divinités de Rome, une de celles qui gardèrent le mieux le caractère italique et latin.

Le culte de Silvanus, comme celui de Mars, fut très ré- pandu dans plusieurs provinces latines de l'empire. L'Es- pagne, les trois Gaules, les provinces rhénanes semblent l'avoir peu connu ; en Afrique, en Narbonaise, en Bretagne, il ne fut sans doute pas très populaire, mais parmi les documents qui attestent sa présence dans ces régions, quelques-uns méritent une attention spéciale. La vraie terre d'élection du dieu fut, sous l'empire, la partie septentrionale de la péninsule des Balkans jusqu'au Danube et en Dacie : sur 240 inscriptions environ, qui portent le nom de Silva- nus, 170 au moins ont été recueillies dans les provinces de Dalmatie, Pannonie, Mésie et Dacie.

Le nom du dieu, en général Silvanus ou Silvanus Augus- tus, est parfois accompagné d'épithètes caractéristiques : les plus fréquentes de beaucoup sont, en Pannonie et en Dacie, domcsticus, sUresiris. Silvanus domesllcus est le Silvanus qui protège la domus, les jardins et les champs qui l'entourent. Silvanus sllvestrls est le Silvanus qui règne dans les forêts. Parfois Silvanus est appelé deas sanclus * ou Silvanus sanctus % ou encore Silvanus sanctisslmus ^ . Les épithètes învictiis, pcmtheus, crbarliis (sic) ont été ren- contrées une fois chacune *. Silvanus invictus est, sans aucun doute, dans le texte il est ainsi désigné, le dieu qui donne aux chasseurs la victoire sur les animaux sau- vages. L'épithète j^antheus se rapporte peut-être à certaines spéculations qui firent de Silvanus, comme du Pan grec, un dieu cosmogonique \ Silvanus erbarius était probablement

1. C. 1. Lat., VII, 830; III, 4133 ; Ann. épigr., 1889, n. 181?

2. C. I. Lat., III, 1153, 10999; Eph. Epigr., V, 556.

3. C. I. Lat., VIII, 2672, 2673, 18238.

4. 7J., VII, 451 [invictus]; 1038 {pantheus); III, 3498 [erbarius).

5. G. Wissowa, Religion und Kultus der Rômer, p. 177.

262 CHAPITRE II

conçu comme le dieu qui veillait spécialement sur les pâtu- rages. Le surnom de Pegasianus ', que porte Silvanus sur une inscription d'Afrique, doit s'expliquer par quelque cir- constance particulière qui nous échappe. Les dieux ou déesses avec lesquels Silvanus se trouve le plus souvent associé sont : Mercurius, Jupiter spécialement en Afrique?; -Diana ^ et surtout trois divinités féminines, appelées soit yyïiiphae, soit Silranae \ et dont la présence auprès de Silvanus a été remarquée principalement en Dalmatie, Pan- nonie et Dacie.

r Quels furent dans les provinces latines les fidèles du dieu? 11 est tout d'abord reinarquable que ce dieu de la vie cham- pêtre ait été souvent invoqué par les soldats, qu'il ait tenu une place assez importante dans la religion de l'armée. En Afrique, Silvanus avait un temple à Lambaesis, et la legio III Augusta lui rendait un culte tout spécial ■'; toutes les dédicaces trouvées en Bretagne proviennent de garni- sons ou de postes mihtaires et portent des noms d'officiers ou de soldats ^\ les rares documents recueillis le long du Rhin ont le même caractère '. Le long du Danube, les prin- cipaux centres du culte furent Carnuntum, Brigetio, Aquin- cum. Apulum. Le dieu avait un sanctuaire près du camp de Carnuninm ^; l'abondance des dédicaces trouvées à Brigetio et à Aquincum autorise à croire qu'il en était de même en ces deux points : d'ailleurs les officiers et les sol- dats forment en Pannonie et en Dacie une notable portion des adorateurs de Silvanus ou de ses compagnes les Sil-

1. C. I. Lat., VIII, 2579«.

2. Id., ibid., 87, 2646, 59.33. 19199.

3. /ci., III, 1154, 10394.

4. Id., ibid , 9754; Bull, dl arch. e stor. Daim., XIV (189I\ p. 162. n. 94; C. I. Lat., III, 10460, etc.

5. C. I. Lat., VllI, 2671-2674, 18239.

6. Id., VII, 359. 441. 450, 451, 5(X), 830, 1038, 1081, 1096. 1124-. .4}!/). épigr., 1898, n. 152.

7. G. I. Lat., XIII. 6618; Ann. épigr., 1901, n. 72: 1902. n. 38.

8. Der rômische Limes in Oesterreieh, IV, 19(33; p. 131-1.34.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES ITALIQUES ET ROMAINS 263

vanae. Cet ensemble de faits n'a point échappé à Domas- zewski, et dans son Etude su.r la religion de l'armée romaine, il a tenté de l'expliquer '. Nous doutons fort que son explication puisse être admise. Le dieu, invoqué dans l'armée romaine sous le nom de Silvanus, serait, d'après lui, originaire de rillyricum. Il aurait été introduit dans les camps et dans les légions par les équités singulares, qui se recrutaient en Dalmatie, en Mésie, en Tlirace non moins qu'en Germanie -. C'est encore la même idée qui inspire Domaszewski dans son commentaire de l'inscription de Lam- baesis, ainsi rédigée :

Sil[va/io] Aug. sa[cr.] Centuriones leg. III Aug., curante Memmio Donato decimo %)ilo '\

D'après Schmidt, ce texte daterait de la seconde moitié du m*" siècle ap. J.-C. Domaszewski en conclut qu'à cette époque, beaucoup d'empereurs furent originaires de l'Illyrie, les Illyriens devaient être en majorité dans le corps des officiers, et qu'ainsi le Silvanus adoré à Lambaesis était le dieu de l'Illyricum.

L'étude attentive des documents ne permet pas d'ac- cepter cette conclusion. Tout d'abord, il est certain que l'introduction du culte de Silvanus à Lambaesis est bien antérieure à la seconde moitié du m" siècle, c'est-à-dire à l'époque l'IlhTie put exercer une influence prépondé- rante dans l'empire. Sous Septime Sévère, le temple du dieu était déjà retustate collapsum et la legio III Aug. le faisait reconstruire '. Or à cette époque la légion d'Afrique

1. Die Religion des rouiischen Ileeres (Westdeutsche Zeilschrift, XIV), p. 52-53.

2. « Was Silvanus, Apollo und Diana im rômischen Heere soUen, wâre gcïnzlich unerfindlich, wenn niclit die Herkunft der équités singulares auch hier die Lôsung brachte. Die équités singulares rekrutieren sich nicht nur aus Germanen, sondern auch aus den Bewohnern der Balkanhalbinsel... Wir wissen aber dass Silvanus in lUyricuia die romisclie Bezeichnung lur den Landesgott ist. » Loc. cit., p. 53.

3. C. I. Lut., VIII, I823'J. L Id., VllI, 2671.

264 chaW-TRë II

se recrutait à peu près exclusivement parmi les Africains '. Si les conclusions de Domaszewski sont ainsi nettement infirmées en ce qui concerne TAfrique, elles ne sont guère plus solides dans leur teneur générale. Les inscriptions trouvées en Bretagne en fournissent la preuve : parmi les corps qui rendent un culte à Silvanus, on ne rencontre que la coho}\s II Lhigojiuni ' ei\-d cohors I FUI. Y ardul[oriim) c\ii'ium) Rîpmcuioram) eq{i(Ua(a) milUaria %' les chefs de corps sont C. Tetius Veturius Micianus, i^racf. cdac Sebo- sianae *; C. Arrius Domitianus, centurion de la leg. XX V{alcria) \\ictrlx) % Caristanius Justianus, i^raef. coll. I Hcvjniorum] ". rencontre-t-on ici la trace lapins légère d'influence illyrienne? Que cette influence explique la popu- larité si marquée de Silvanus en Dalmatie, en Pannonie, en Mésie et en Dacie, rien de plus vraisemblable, et nous le montrerons nous-mème plus loin. Mais il nous parait dan- gereux d'étendre à toutes les provinces indistinctement, sans preuves décisives, les conclusions qui peuvent être vraies de telle ou telle région limitée. La méthode est ici d'autant plus téméraire, que plusieurs documents nous fournissent ou du moins nous permettent d'entrevoir la solu- tion du problème. Ces documents sont d'abord deux inscrip- tions de Bretagne, une inscription de Germanie inférieure et une inscription de Germanie supérieure. Les deux textes de Bretagne sont ainsi rédigés :

A. Sih'ano invicto sac. C. Tetius Veturius Micianus 'praef. alae Sebosianae ol) aprum exiniiae formae captura queni multi antecessorcs ejus praedari non potuerunt v. s. l. m. ' .

1. R. Gagnât. L'Armée romaine d'Afrique, p. 364-365.

2. C. 1. Lat., VII,. 359.

3. Id., ibid., 1096.

4. Id., ibid., 451.

5. Id., ibid., 1081.

6. Ann. épigr., 1898, n. 152.

7. Id., VII, 451 (Env. de Lanchester).

LES DIVINITÉS ET LES CULtES ITALIQUES Et ROMAINS 205

B. Deo Sancto Slli'cuio Venatorcs Bunniescs.... *.

L'inscripiion de Germanie inférieure provient des envi- rons de Vetera Castra ; elle se lit :

G. Deo Silvano Ccssorin'ms Ammausius m^sarius leg . XXX U[lpiae) V{ictricis) S[efcrUmae) A{lexcmdrlcuiae) v. s. l. m. ^.

Au-dessus du texte, un bas-relief, aujourd'hui brisé, représentait un homme debout et k ses pieds un ours. On distingue encore la partie inférieure du corps de Thomme et l'ours.

L'inscription de Germanie supérieure a été trouvée près de Turicum (Zurich) ; elle est ainsi conçue :

D. Deae Diane et Silvano ursari{i) ^ iiosucrunt ex voto.

Il est incontestable que dans les quatre cas, rappelés par ces inscriptions, Silvanus a été invoqué ou remercié par des chasseurs, spécialement par des chasseurs d'animaux sau- vages, sangliers et ours. L'association de Silvanus et de Diana sur le texte de Turicum est à ce point de vue fort significative. Silvanus ne serait-il pas ici le dieu de la forêt, celui qu'il faut invoquer lorsqu'on entre dans les bois pour y chasser? Un texte découvert, au-delà du Rhin, à Treimfurt sur le Main, et qui, comme l'inscription de Turicum, associe le nom de Silvanus à celui de Diana, donne au dieu l'épithète de Conservator '* ; il nous semble que nous retrouvons ici, sous une forme un peu différente, l'expression de la même idée. Ce texte mentionne la consécration, en l'année 212, d'un autel commun et de statues à Jupiter Optimus Maxi- mus, Silvanus conservator et Diana Augusta par une vexil- latio de la legio XXII Primigenia i^ia fidelis.

A l'époque les Romains créèrent des postes militaires à Lambaesis, à Calceus HercuUs, dans l'ouest et le nord de la Bretagne, le long du Rhin, tous ces pays étaient boisés :

1. C. I. Lat., VII, 830 (Amboglanna, poste sur le Vallum Hadriani).

2. Bramb., 211; Ann. éphjr., 1901, n. 72.

3. CI. Lai., XIII, 5213.

4. LL, ibid., 6618.

266 CHAPITRE II

il était donc naturel que les officiers et les soldats envoyés dans ces garnisons rendissent un culte au dieu des forêts par excellence, à celui qui pouvait leur procurer des chasses heureuses et les défendre contre les attaques des bêtes fauves. En outre le Silvanus invoqué par les chas- seurs de Bretagne et par les lo'sa/'ii de Germanie répond exactement à l'étymologie de son nom; c'est le maître, le dieu de la silva. Il est probable que ce fut le caractère le plus ancien du dieu. Dans ce cas encore, les provinces auraient moins altéré que Rome même la physionomie pri- mitive de certaines divinités italiques.

Est-ce à dire que nous voulions présenter cette explica- tion comme valable pour toutes les provinces? Nullement. Nous la limitons au culte que rendaient à Silvanus les sol- dats d'Afrique, de Bretagne, des régions rhénanes. D'au- tres documents nous paraissent appeler une interprétation différente.

En Afrique, par exemple, diverses inscriptions unissent, jusqu'à les confondre, Silvanus et Mercurius. Dans le Sud Tunisien, à l'entrée de l'oasis de Tozeur, sur un rocher voi- sin de la piste qui relie cette oasis à Gafsa, on lit la dédicace :

Silvano Mercurio *.

A Lambaesis, une inscription mutilée mentionne un sigil- liim Mercuri Silcanl ^ A Mastar, dans les environs de Constantine, Silvanus est représenté sur un bas-relief au raiheu des attributs ordinaires de Mercurius : le scorpion, la tortue, le béher ^ Aucun indice précis ne nous permet d'expliquer ce rapprochement. Faut-il lui attribuer une origine romaine et croire que Silvanus, le dieu des champs, a été peu à peu confondu par les Africains avec Mercu- rius, le dieu protecteur du commerce des grains ? Ou bien

1. C. I. Lat., VllI, 11227; cf. Ducoudray-La Blanchère, Revue Archeol. 1888, 2, p. 148 et suiv. 2. C. I. Lat., VIII, 2646.

3. /(/., ibid., 6355.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES ITALIQUES ET ROMAINS 267

devons-nous croire que le dieu, adoré en Afrique sous le nom de Mei'curius, avait des attributions particulières voi- sines de celles qui distinguaient Silvanus '? Nous verrons que Mercurius fut populaire dans l'Afrique romaine et qu'on doit peut-être voir en lui moins le Mercurius-Hermès gréco-ro- main qu'une divinité du pays désignée par un nom romain.

Silvanus fut de même rapproché par les Africains de Jupiter. Deux dédicaces sont adressées en Afrique Jovl Sll- vano ^

Le culte de Silvanus a laissé quelques traces dans la Gaule Narbonaise; les documents qui le concernent sont en général de modestes dédicaces, signées de petites gens, peut-être parfois d'esclaves ou d'affranchis : tels Diadu- menus de la civitas Reiorum ^ Niceta d'Aquae Sextiae *, Paternus. Certuli films, d'Arausio ^ Servand(us) de Dea Augusta ®. Un texte, qui provient du village de Saint-Gilles, dans le Gard, et qui porte les mots Silvano rotum pro mémento \ prouve que Silvanus est bien ici le dieu protec- teur de la vie rurale. Un monument d'Arelate le représente sous les traits ordinaires du Silvanus romain : il est presque complètement nu; seule une peau de chèvre, dont les pattes sont nouées sur son épaule droite, forme devant lui une poche remplie de fruits. Il est couronné d'aiguilles et de pommes de pin; sa barbe est touffue et longue ; il est chaussé de brodequins : près de lui, à sa droite, un chien est accroupi ^ C'est bien aussi l'antique dieu du Latium que

1. Cette hypothèse est peut-être justifiée par l'attribution à Mercurius de répithète Silciiis. On a trouvé récemment à Thugga, dans le temple de Mercurius, une base portant la dédicace Mercurio Silvio (L. Poinssot, Inscriptions de Thugga, n. 27).

2. G. I. Lat., YIII, 5933, 19199. .3. Id., XII, .363.

4. M., ibid., 509.

5. Td., ibid., 1225.

6. 7d., ibid., 5850.

7. Id., ibid., 4162.

8. Id., ibid., 662.

18

268 CHAPITRE II

T. Pompoiiius Victor, 2^''oci(roior Aiigustorum à Axima, dans les Alpes Pennines, invoque en ces vers :

Silvane, sacra semicluse fraxino

Et hujus alli siimme cuslos horluli,

Tibi hasce (/raies dedicamus musicas,

Qiiod nos 2^6 r arvaper que montes Aljjicos

Tiiique liici suaveolentis hospites,

Dum Jus guberno remqîce fungor Caesarum,

Tuo favore prosperanti sosj^itas.

Tu me meosque reduces liomam sislilo

Daque Itaîa riira te colamus praeside ;

Ego jam dicabo initie magnas arbores.

T. Pomjioni Yictoris îoroc{uratoris) Augusto[rum) '.

Silvanus est ici le génie des bois, à demi enfermé dans les frênes qui lui sont consacrés, et le dieu des jardins. Hors de la Narbonaise, à Lugdunum, un geôlier de la prison publi- que, Tib. Cl(audius) Chrestus dédie au dieu armn et sigmmi mtei' duos arbores cum aecUcula ^ L'autel, placé entre deux arbres, est caractéristique du culte romain. Non loin de Lugdunum, les charpentiers du pays des Ségusiaves témoignent leur dévotion à Silvamis, probablement parce qu'il est le dieu des bois, se coupent les poutres, les madriers, les planches dont ils se servent '. Il ne semble donc pas douteux que dans beaucoup de cas le Silvanus adoré en Gaule fût le dieu romain. N'oublions pas cepen- dant que ce même nom fut donné à une divinité différente, le fameux dieu au maillet *; l'assimilation instituée entre ce dieu et le Silvanus romain n'a sans doute pas été sans exercer quelque influence sur la diffusion du culte de Silva- nus en Narbonaise.

Si dans les provinces africaines et gauloises, ce culte présente quelque intérêt, il prend une importance capitale dans les régions situées au nord de la péninsule des Bal-

1. G. I. Lut., XII, 103.

2. Id., XIII, 1780.

3. Id., ibid., 1640.

4. V. liv. IV.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES ITALIQUES ET ROMAINS 269

kans et que les Romains désignaient sous le nom général d'Illyricum. Ce sont les provinces de Dalmatie, Pannonie supérieure, Pannonie inférieure, Mésie supérieure et Dacie, qui ont fourni les documents de beaucoup les plus nom- breux sur le culte de Silvanus dans le monde romain.

Les trois noms sous lesquels le dieu est le plus souvent invoqué sont les noms de Silvanus Aug[ustus)^ Silvanus Domesticus et Silvanus Silvestris. Les deux épithètes do- mesticus et sllresiris rendent bien les deux aspects essen- tiels de la divinité. Silvanus Domesticus, c'est le dieu pro- tecteur des jardins et des champs cultivés, celui auquel le procurateur T. Pomponius Victor dédiait grates musicas; Silvanus Silvestris, c'est le dieu de la forêt, celui auquel s'adressaient les chasseurs de Bretagne, les ursmni de Vo- tera et de Turicum. Ce double caractère se traduit aussi dans les rares images du dieu qui ont été conservées. Ici en effet on lui donne comme attribut la faucille ou serpette et on le représente avec des fruits ou des épis '. son attri- but est au contraire le "pedum, le bâton recourbé des ber- gers, et il est assimilé à Pan, le dieu grec des montagnes boisées de l'Arcadie ^ Une fois au moins, quelques-uns de ses traits sont empruntés à Liber pater : il tient une grappe de raisin, vers laquelle se dresse un chevreau \ Il arrive que ses fidèles invoquent, en même temps que lui, des déesses, au nombre de trois, appelées soit Nymphae \ soit plus fréquemment Silvanae \ Ces déesses semblent appar- tenir au même cycle religieux que les Matres, Matrouae, Proxumae des populations celtiques ou gallo-germaniques. Des éléments nouveaux apparaissent donc ici dans la phy-

1. C. I. Lat., III, i960, 10912, 11162.

2. Id., ibid., 9751; Bull, di arch. e stor. daim., XIV (1891), p. 113, n. 63, p. 162, n. 94.

3. C. I. Lat., III, 1960.

4. Id., ibid., 9754; Bull, di arch. e stor. daim., XIV (1891), p. 162, n. 94.

5. G. I. Lat., III, 4441, 10077, 10460; Jahreshefte d. arch. Inst., 1900, Beiblatt, p. 7; cf. C. I. Lat., III, 3393, 10394; Ann. èpigr., 1900, n" 16 ; 1905, n. 156.

270 CHAPITRE II

sionomic du dieu. Il est tout à fait vraisemblable que le nom de Silvanus a été donné, dans cette partie du monde romain, à une divinité qui tenait à la fois du Silvanus romain, du Pan grec et d'un dieu illyrien '. La diffusion exceptionnelle du culte de Silvanus entre TAdriatique et le Danube s'expli- que, dans cette h3q^othèse, le plus aisément du monde. Cette diffusion n est pas seulement géographique, elle est aussi sociale. Silvanus fut en effet populaire à la fois parmi les habitants des cités paisibles de la Dalmatie, dans les camps et les postes militaires de Pannonie, de Mésie supé- rieure et de Dacie. Ses fidèles étaient également des offi- ciers, des soldats, des vétérans, des magistrats municipaux, de petites gens sans grades ni titres. Citons, par exemple, L. Aemilius Carus, légat propréteur des trois Dacies ^; M. Alcinius Rufinius Marianus, légat de la legio XIII Ge- mina ^; G. Julius Valens, préfet de la legio II Adjutrix ''; M. Appianius Ursulus, centurion ° ; plusieurs beneficiarii ^ cornicularii \ soldats * et vétérans ^; Tib. Julius Quinti- lianus, décurion, questeur, édile, duumvir à Scarbantia *°; Aur(elius) Neratius et (Aurelius) Nigrinus, décurions à Bas- siana "; Ace. Maximus, décurion, et L. Seranius S'erotinus, decurio adlectus, à Aquincum '^; Ael(ius) Marcellus, décu- rion et duumvir à Sirmium *^; Val(erius) Celsus, flamine municipal à Potaïssa '^; P. Ael(ius) Fabianus, augure, poii-

1. Arch. epigr. Mitthell. des Oesterr., IX (1885), p. 35 et suiv.

2. C. I.Lat., III, 1153.

3. Ici, ibid., II42.

4. Ici, ibid., 10394.

5. Id., ibid., 10940.

6. Id., ibid., I91I, 10456; A7in. épigr., 1903, n°s 385, 386.

7. C. I. Lat., III, 3496, III72.

8. Id., ibid., 3393, 4440, 7921, 10458, 11003; Ann. épigr., 1901, n^' 209-215.

9. C. I. Lat., III, 11002, 4441, 3393, 1155.

10. Id., ibid., 4243.

11. Id., ibid., 10204.

12. Id., ibid., 3492, 3497.

13. Id., ibid., 6438 = 10220.

14. Id., ibid., 903.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES ITALIQUES ET ROMAINS 271

tife, diiumvir quinquennal à Sarmizegelhusa, décurion et augure à Napoca, décurion à Apulum ' ; L. Caelius Decia- nus, ancien édile et décurion à Sarmizegethusa ^; C. Julius Valons, duumvir à Apulum ^; M. Lucilius Philoctemon, éga- lement duumvir à Apulum " ; des affranchis et des esclaves soit impériaux, soit privés, tels que Trophimus et Amandianus de Salonae ^ ; Xymphicus, l'affranchi du légat propréteur C. Vettius Sabinianus ^ ; Myro, l'affranchi ou l'esclave de Cl(audius) Ruflnus '; T. Fl(avius) Felicianus, alumnus domus de T. Flavius Crescens, praefectus numeri militum Hispanonim, à Apulum ^ ; Leonas, Augusti liber- tus, adjutor tabulari à Ampelum ^; P. Aelius Euphorus^ affranchi de P. Aelius Ismarus, conductor 2:)cisci({oru7n) et scdinarum en Dacie *"; des étrangers d'origine orientale ou grecque, comme ce Syrien, originaire de Dolichè, qui accomplit un vœu à Silvanus en 228 ap. J.-C. à Aquincum '^; ou encore comme Q. Cloelius Helius f Haw;) de Salonae '% P. Aelius Eutropes de Brigetio *^ Achilleus de Yiminacium '*, M. Chrestus d' Apulum *% M, Veracius Evodus de Micia ^^^ des femmes qui paraissent de condition fort modeste : Li- via *\ Saturnina '^ Yalentina '^ à Carnuntum; Aur(elia) Fe-

1. c. I. Lat.,l\l, lUl.

2. 7(1, ibid., 1441.

3. Id., ibid., 1150.

4. Id., ibid., 7773.

5. Jd., ibid., 8684.

6. Id., ibid., 4426.

7. Id., ibid., 7637.

8. Id., ibid., 1149.

9. /(/., ibid., 1305.

10. Id., ibid., 1363.

11. Id., ibid., 3490.

12. Bull, di arch. e stor. daim., XXIII (1900), p. 112, n. 2819.

13. C. I. Lat., III, 11100.

14. Ann. épigr., 1905, n. 156.

15. C. I. Lat., III, 1143.

16. Id., ibid., 7862.

17. Id., ibid., 11173.

18. Id., ibid., 11174.

19. Id., ibid., 11175.

272 CHAPITRE II

lica S Ulpia Candida - à Brigetio; Flavia Secundina ', Septi- mia Constautina * à Aquincum, Servilia ^ à Micia; beau- coup de simples particuliers, portant tantôt les tria nomina romains (C. Popilius Expetitus de Salonae % M. Julius Tigri- nus de Magnum ", P. Eppius Ruflnus de Neviodunum ^ G. Domitius Tertius de Carnuntum \ P. Aelius Capito d'Aquincum *", M. Opellius Secundus d'Apulum "), tantôt désignés seulement par un gentille e et un surnom (Aur(e- lius) Bassus de Brigetio '-. Aurelius Hilarius de Carnuntum *\ Aurelius Acutinus d'Aquincum *\ Julius Gaianus d'Apu- lum '% Aur. Secundus de Micia "); tantôt possesseurs d'un seul cognornen (Lupus Marciani de Salonae *', Andes de Raetinium '^ Florus de Carnuntum ^\ Mansuetus d'Aquin- cum ^", Philippus d'Apulum ^').

Tous les faits, que nous avons essayé de mettre en lumière, concourent à prouver que Silvanus fut l'un des dieux le plus usuellement invoqués et priés dans cette partie de l'empire. S'il en fut ainsi et non ailleurs, c'est que la région renfermait un terrain favorable. Le nom de Silvanus

1. c. I. Lat., III, 11001.

2. Id., ibid., 4304.

3. Id., ibid., 10460.

4. Id., ibid., 3498.

5. Id., ibid., 7860.

6. Id., ibid., 1960.

7. Id., ibid., 9793.

8. Id., ibid., 10801.

9. Id., ibid., 4435.

10. Id., ibid., 349<.1.

11. Id., ibid., 1151.

12. Id., ibid., 10795.

13. Id., ibid., 11168.

14. Id., ibid., 6458.

15. Id., ibid., 1152.

16. Id., ibid.. 7861.

17. Bull, di arch. e stor. daim., XXII (1899), p. 161, 2702.

18. C. I. Lat., III, 10035.

19. Id., ibid., 11171.

20. Id., ibid., 10455.

21. Id., ibid., 1144.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES ITALIQUES ET ROMAINS 273

et le culte du dieu qui portait ce nom s'y implantèrent, parce qu'il s'3^ trouvait déjà une divinité de même caratère. Dans les autres provinces de l'empire, Silvanus semble être resté plus étranger, tandis qu'en Dalmatie, en Pannonie, en Dacie, dans la Mésie supérieure, son culte se greffa pour ainsi dire sur un arbre du cru et n'en fut que plus profon- dément enraciné.

Ce n'est pas seulement dans la diffusion de plusieurs cultes que l'on peut reconnaître et mesurer l'influence exercée par l'ancienne religion romaine sur la vie religieuse des provinces latines de l'empire; c'est aussi dans l'orga- nisation de quelques sacerdoces et la pratique de divers rites.

Les deux collèges sacerdotaux les plus importants de Rome, ceux qui se rattachaient le plus étroitement à la reli- gion proprement romaine, étaient les deux collèges des Pontifes et des Augures. Or, de nombreux documents épi- graphiques attestent la présence dans maintes cités provin- ciales de pontifes et d'augures. Le plus exphcite de ces documents est la lex coioniae Juliae Genctirae, dont les §§ 66-G8 fournissent des détails précis sur l'institution, l'or- ganisation et le recrutement des pontifes et dos augures municipaux. Voici, d'après M. Bouché-Leclercq *, la traduc- tion de ces paragraphes : « § 66. Que ceux des habitants de la colonia Genetlva que Caïus Caesar ou celui qui conduira les colons par son ordre aura faits pontifes et augures soient les pontifes et les augures de la colonia Genetlva Julla, et que lesdits pontifes et augures soient dans le collège des pontifes et augures en cette colonie, aux meilleures condi- tions et avec le droit le plus étendu que puissent avoir pré-

1. Hist. de la divination, t. IV, p. 283.

274 CHAPITRE II

seiitement et à l'avenir les pontifes et augures, clans quelque colonie que ce soit. Que lesdits pontifes et augures, autant qu'il y en aura dans leurs collèges respectifs, eux et leurs enfants, soient exempts par privilège sacro-saint des char- ges publiques, dans la mesure l'est le pontife romain, et que toutes les campagnes militaires leur soient comptées comme faites. Au sujet des auspices et de tout ce qui touche à ces choses, que les augures aient la juridiction et soient juges. Que lesdits pontifes et augures aient le droit et le pouvoir de porter des toges prétextes aux jeux publics, lorsque les magistrats en donneront et lorsque lesdits pon- tifes et augures célébreront le culte public de la colonia Genetiva Jidia ; que les mêmes pontifes et augures aient le droit, le pouvoir de regarder les jeux et les gladiateurs en siégeant parmi les décurions.

§ 67. Tout pontife et tout augure de \8i colonia Genetiva Jidia qui, après la promulgation de cette loi, sera élu et coopté suivant cette loi dans le collège des pontifes et au- gures en remplacement d'un membre défunt ou condamné, que ce pontife et augure soit pontife et augure en son col- lège dans \-à colonia Julia. aux meilleures conditions accor- dées présentement et à l'avenir aux pontifes et augures dans quelque colonie que ce soit. Que personne ne prenne, n'éhse, ne coopte quelqu'un dans le collège des pontifes, si ce n'est lorsqu'il y aura moins de trois pontifes, de ceux qui sont de la colonia Genetiva. Que personne n'élise, ne coopte quelqu'un dans le collège des augures, si ce n'est lorsqu'il y aura moins de trois augures, de ceux qui sont de la colo- nia Genetiva.

§ 68. Que les duumvirs ou le préfet tiennent et remettent les comices pour les pontifes et augures qu'il faudra élire en vertu de la présente loi de la même manière que l'on devra agir en vertu de la présente loi pour élire, investir ou substituer un duuravir » **.

1. C.I.Lat.. II, 5439. p. 854.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES ITALIQUES ET ROMAINS 275

Deux faits surtout, au point de vue qui nous intéresse, sont à retenir. D'une part l'institution des pontifes et des augures, au moins dans les colonies, fut une institution officielle, créée, réglementée par les pouvoirs publics de l'Etat romain ; d'autre part, autant que l'on peut comparer les cités provinciales à Rome elle-même, pontifes et au- gures municipaux y possédaient des attributions et des privilèges analogues; ils se recrutaient, au moins à la fin de la République et au début de l'empire, suivant la même méthode, c'est-à-dire qu'ils étaient désignés par les comi- ces comme les magistrats municipaux. Plusieurs inscrip- tions nous apprennent que, plus tard et dans certaines villes, pontifes et augures furent désignés par le sénat municipal. Cette substitution du sénat municipal aux comices dans la désignation des pontifes et des augures n'a rien qui doive nous étonner; elle se produisit également pour la désignation des magistrats municipaux ; elle fut l'un des traits fréquents et caractéristiques de l'évolution que subirent aux premiers siècles de l'ère chrétienne les institutions municipales du monde romain K A Rome, les attributions des pontifes et des augures n'étaient pas exclusivement sacerdotales et religieuses ; elles se rattachaient aux institutions politiques et à la vie officielle de l'Etat. Il en fut de même, d'après la lex coloniae Genetivae Jidiae, dans les cités provinciales, dans celles du moins qui furent organisées en colonies. En ce qui concerne le pontificat et l'augurât, comme en beau- coup d'autres points, les colonies furent vraiment, suivant l'expression souvent citée d'Aulu-Gelle, quasi effigies loar- vae simulacraque Romae ^

Pontifes et augures furent-ils institués, organisés dans les municipes et les cités pérégrines comme dans les colonies? Les documents épigraphiques nous permettent de

1. Voir en particulier C. I. Lat., VIII, 20853, se lit la formule : jpon- tifex primus in colonia ex d{ecreto) d{ecurionumJ. L'inscription date de la période comprise entre le I"'' juillet 74 et le l^^ juillet 76.

2. Aul. Gell., Noct.Attic, XVI, 13, 9.

276 CHAPITRE II

répondre nettement : oui. dans les municipes; non, dans les cités pérégrines. On connaît aujourd'hui des augures dans quarante-deux villes des provinces latines ; de ces quarante- deux cités, vingt et une étaient certainement des colonies S onze, des municipes ^ En ce qui concerne les dix autres villes, ou bien les inscriptions sont soit mutilées, soit d'une interprétation douteuse : c'est le cas, par exemple, en ce qui concerne Saguntum \ Massilia \ Lissus ^; ou bien nous ne possédons aucun renseignement précis sur leur constitution municipale, comme il arrive pour Lares, Vere- cunda et Calama en Afrique, pour Asturica en Espagne, Epetium en Dalmatie. La statistique des documents révèle exactement les mêmes faits pour les pontifes. Sur soixante- douze villes, nous connaissons des pontifes, trente-huit étaient des colonies ^; vingt, des municipes \ Des quatorze autres villes, on peut dire ce que nous disions quelques lignes plus haut à propos des augures; le titre qu'elles por-

1. Carthage, Cirta, Cuicul, Mileu, Rusicade, Thamugadi, Tlieveste, Car- tenna en Afrique; Carthago Nova, Hispalis en Espagne; Apta, Yienna, Baeterrae, Narbo en Narbonaise ; Savaria, Poetovio, Aquincum en Pan- nonie ; Salonae, en Dalmatie; Scupi, en Mésie; Apulum et Sarmizegetlmsa en Dacie.

2. Badia, Diana, LambaesiS; Rusucurru en Afrique; Obulco, en Espagne; Cetium, en Norique; Scardona, en Dalmatie ; Scarbantia et Carnuntum en Pannonie; Porolissura en Dacie ; Troesmis, dans la Mésie-inférieure.

3. C. I. Lai., II, 4028.

4. Id., XII, 410.

5. Id., III, 1704.

6. Caesarea, Cartenna, Carthago, Cirta, Chullu, Cuicul, Leptis Magna, Rusicade, SiccaVeneria, Thamugadi, Theveste, Icosium en Afrique; Astigi, Corduba, Hispalis, Pax Julia, Tarraco, Tucci en Espagne ; Arelate, Aven- nio, Baeterrae, Narbo, Nemausus, Colonia Reiorum, Valentia, Vienna en Narbonaise; Ovilava et Virunum en Norique : Aequum, lader, Narona, Sa- lonae, Scodra en Dalmatie; Aquincum et Savarîa en Pannonie; Apulum, Napoca, Sarmizegethusa en Dacie.

7. Diana, Lambaesis, Macomades Numidiae en Afrique; Arva, Aurgi, Cartima, Cisimbrium, Ipsca, Isturgi, Mellaria, Obulco, Saguntum, Singilia 'Qsivhsi,mi(niclpiuinJuUum'V...., en Espagne; Antipolis, en Narbonaise; Doclea, en Dalmatie; Viminacium, dans la Mésie supérieure; Tibiscum et Porolissuni, en Dacie; Troesmis, dans la Mésie inférieure.

LES DIVINITÉS ET LES CL'LTES ITALIQUES ET ROMAINS 277

talent ne nous est pas connu avec certitude. Remarquons toutefois que clans presque toutes ces villes les personnages, auxquels fut conféré l'honneur du pontificat, avaient été auparavant ou furent ensuite édiles, duumvirs, quatuorvirs ou prêtres du culte impérial. Or il y a tout lieu de croire qu'une cité provinciale, dont les magistrats s'appelaient édiles, duumvirs, etc., avait reçu une constitution munici- pale romaine, était soit un municipe, soit une colonie. Tel est le cas pour Hippo Regius * en Afrique, Acinipo, Carmo, Iliturgicola, Ulia en Espagne -, Aenona et Nedinum en Dal- matie ^

Ce qui paraît résulter des faits attestés par les inscrip- tions, c'est que les pontifes et les augures furent institués dans les colonies et les municipes, mais que, sauf excep- tion très rare, ils ne furent institués que là, c'est-à-dire dans des villes dotées d'une constitution romaine. Les seules exceptions, mentionnées par des documents explicites, seraient Massilia et la civitas Vocontiorum; mais, en ce qui concerne Massilia, il n'est pas du tout certain que le per- sonnage nommé par ce texte ait été augure à Massilia même ^; quant à la civitas Vocontiorum, un des textes qui la concernent donne au personnage le titre de l'^ontifex Deae °; c'est donc à Dea Augusta que Q. Pompeius .... a été pontife. Or Dea Augusta porte dans une inscription d'Arelate le titre de colonie \ M. Bloch remarque fort judi- cieusement qu'il n'y a aucune raison d'infirmer ce témoi- gnage, comme le fait Hirschfeld '. 11 est possible que les autres pontifes, nommés sur des inscriptions de la ciritas Vocontiorum, se soient trouvés dans le même cas *. Ils

1. G. I. Lat., VIII, 5276.

2. Id., II, 1318, 1349; 1380; 1531; 1649.

3. Jd., III, 2869, 2870; 2977.

4. Id., XII, 410.

5. Id., ibid., 1371.

6. Id., ibid., 690.

7. G. Bloch, dans E. Lavisse, Hist. de France, t. I, part. p. 205, n. 3.

8. G. I. Lat., XII, 1368, 1373, 1589.

27S CHAPITRE II

auraient donc été pontifes non point de la civitas focderata, c'est-à-dire pérégrine, des Vocontii, mais de la colonia Dea Augusta, c'est-à-dire d'une ville dotée d'institutions muni- cipales romaines.

Il est d'ailleurs remarquable que pontifes et augures fassent complètement défaut dans les inscriptions des trois Gaules, de la Bretagne, des deux Germanies, de la Rétie. Ils sont au contraire fréquents en Afrique, en Espagne, en Narbonaise, en Dalmatie, c'est-à-dire dans les provinces la vie municipale a été le plus intense et elle s'est le plus modelée sur la vie municipale romaine. L'institu- tion du pontificat et de l'augurât est donc demeurée, dans la vie religieuse des provinces latines de l'empire, une con- séquence pour ainsi dire officielle et automatique de la constitution d'une cité provinciale en colonie ou en muni- cipe. Les villes restées de condition pérégrine ne l'ont pas empruntée à Rome.

Les haruspices tenaient dans l'État romain et dans la religion officielle de Rome une place bien moins considé- rable que les pontifes et les augures. On en trouve trace néanmoins dans les provinces. La lex coloniae Genetivae Juliae les cite parmi les apparitores des magistrats muni- cipaux, duumvirs, et édiles '. Des haruspices sont men- tionnés par les inscriptions à Nemausus % Lugdunum ^ dans la colonia Trevirorura \ à Mogontiacum ° ; à Aequum en Dalmatie ® ; à Yirunum en Norique ' ; à Apulum en Dacie *. Toutes ces villes étaient des colonies. Il est probable que l'institution des haruspices fut transplantée tout d'une pièce de Rome dans les colonies provinciales. Uneinscrip-

1. G. I. Lat., 11,5439, ^ 62.

2. Id., XII, 3254. 8. Id., XIII, 1821.

4. Id., ibid., 3694.

5. Id., ibid., 6765.

6. Id., III, 9764.

7. Id., ibid., 486S.

8. Id., ibid., I1I4, Ulô, 1116.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES ITALIQUES ET ROMAINS 279

tion de Lugdunum paraît en fournir la preuve. C'est l'épi- taphe d'un certain M. Oppius Placidus, qui est dit har.us- pex) 'prim{as) de scxaginta '. Or on sait qu'à Rome même, à partir de l'empereur Claude, les haruspices formèrent un collège composé de soixante membres ^ dont le président s'appelait parfois haruspexmaximus, parfois haruspcx'pvi- mus. On sait aussi que les haruspices, d'abord assez mépri- sés à Rome et considérés comme des devins de bas étage, y furent plus tard tenus en meilleure estime. Les documents provinciaux attestent, semble-t-il, la même évolution. Dans la lex coloniae Genetirae JuUae, les haruspices sont cités parmi les apparitores. A Yirunum au contraire une inscrip- tion nous fait connaître un haruspice- citoyen romain L. Tuccius L. f. Pol. Campanus ^ A Apulum, l'haruspice C, Julius Valons invoque Venus Victrix pro sainte Imperi et S[enatus) P{opuU)q\ue) R{omani) et ordinis col{oniae) Apu- l[ensis) *.

Parmi les attributions des Pontifes, se trouvait la célé- bration d'un rite spécial dont quelques traces ont été découvertes en Narbonaise, la cérémonie du fulgur condi- tum. Chez les Romains, les endroits touchés par la foudre passaient pour être désormais sacrés et inviolables, pour appartenir dès lors à la divinité. On y enterrait la foudre. Après avoir recueilli toutes les traces de son passage, tous les débris à demi-consumés que les Romains appelaient dispersi fulminis ignés, on les enfouissait, avec des chants funèbres, dans une sorte de tombeau maçonné. On s'ima- ginait avoir enfermé la foudre dans ce sépulcre et l'avoir ainsi rendue inoffensive. C'était ce qu'on nommait condey^e fulgur^ condere fidgur divum ^ Une inscription rappelait

1. c. I. Lat., XIII, 1821.

2. Marquarcit et Mommsen, Manuel des antiq. 7-om., tr. fr., t. XIII, p. 141- 142.

3. C. I. Laf., III, 4868.

4. Id., ibid., 1115.

5. G. Fougères, dans Daremberg, Saglio et Pottier, Dictionn. des Anliq., s. V. Fllmen, t. II, p. 1.355.

280 CHAPITRE n

souvent la cérémonie ; elle était ainsi conçue : fulgur condi- iimi, fidgur divum, fulgur divum conditum. Plusieurs tex- tes de ce genre ont été découverts en Narbonaise, à Nemau- sus ', dans les environs de cette ville % à Baeterrae ^ à Cabellio \ sur le territoire des Yolques Arécomiques, non loin du Rhône % près d'Ucetium ^

Deux autres documents analogues proviennent l'un des environs de Metz ', l'autre de l'un des postes du vallum Hadriani en Bretagne, Hunnum ^

Dans l'Afrique proconsulaire, à Apisa major, un monu- ment sur lequel un éclair est représenté et se lit ce début d'inscription : Dco loc'i ubi mispicium dignitatis talc ... ^ témoigne peut-être d'un rite un peu différent du précédent, de rol)servation d'un éclair par des augures *°.

Parmi les confréries sacerdotales romaines, on ne trouve trace dans les provinces latines que des Saliens, à Sagun- tum, deux inscriptions mentionnent des Salii, et deux autres des magistri Saliorurn ". Les quatre personnages cités sont tous citoyens romains et ont exercé à Saguntum quelques-unes des charges municipales ou le pontificat. Saguntum est, hors de l'Italie, la seule ville de l'empire romain l'existence des Sahi soit actuellement connue. Il est probable qu'à l'image des Salii de Rome, les Salii de Saguntum rendaient un culte à Mars '^

1. CI. I,fl<., XII, 3047-3049.

2. Id., ibid., 4100.

3. Id., ibid., 4219.

4. Id., ibid., 1047.

5. 7(7., ibid., 2769, 2S88.

6. Id., ibid., 2970.

7. Westd. Zeitschr., Kor. bl., 1896, n. 1.

8. CI. Lat., YII, 561.

9. Id., VIII, 774.

10. G. Wissowa, Religion und Kidtus der Rômer, p. 460 et n. 8.

11. C I. Lat., II, 3851, 3859, 3864, 3865.

12. Quelques inscriptions, trouvées en Dalrnatie [C I. Lat., III, 1868), en Afrique [Id., VIII, 9405, 11010, 21063) et en Gaule {Id., XII, 3183, 3184), contiennent le mot Lupercus ou la formule sacris Lupercalihus fiinctus.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES ITALIQUES ET ROMAINS 281

A Vienna et sur tout le territoire de la colonie, qui primi- tivement s'étendait jusqu'aux Alpes et jusqu'au lac Léman, les prêtres de Mars portaient, comme à Rome, le titre de flamen Martis '.

Ainsi, dans plusieurs provinces latines de l'empire, les documents aujourd'hui connus attestent la présence de prêtres et de rites empruntés à l'organisation sacerdotale et aux pratiques religieuses du culte proprement romain. Mais c'est presque exclusivement dans les cités de consti- tution romaine (colonies et municipes) et dans les régions s'établirent des colons venus de Rome ou d'Italie que ces prêtres et ces rites ont laissé des traces de leur exis- tence. Si d'autre part, nous nous rappelons que les pontifes et les augures exercent un sacerdoce officiel, nous pour- rons conclure que rites et prêtres d'origine romaine ont joué dans la vraie vie religieuse des provinces latines un rôle plutôt effacé.

G. Wissowa, après Henzen, croit (ju'il s'agit non pas de Luperques municipaux, mais de personnages originaires des provinces qui ont été Luperques à Rome [Relig . und Kultus der Rbmer, p. 485, n. G). 1. C. I. Lat., XII, 1899, 2236, 2458,2536, 2613.

CHAPITRE III

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON GRÉCO-ROMAIN.

I. Les divinités du ciel : Jupiter, Juno, les Venti; Minerva ; Mercu- rius ; Apollo, Diana et leur cycle. 2. Les divinités chthoniennes : Ceres, Proseipina, Pluto ; Liber pater et Liftera. 3. Les divi- nités des eaux : Neptunus; les Nymphae. 4. Cultes divers : Venus, Vulcanus, Nemesis, les Parcae. 5. Cultes des héros : Hercules; Castor et Pollux '.

1

Bien que dans l'empire romain, Juinter ait été principa- lement adoré soùs les traits de Jupiter capitolin et invoqué sous le nom de Jupiter Optimus Maximus, il n'est pas rare de rencontrer ici et les traces d'un culte moins officiel, rendu plutôt au dieu des espaces célestes, au maître de

1. L'ordre que nous avons suivi et le classement que nous avons adopté pour ce chapitre n'ont aucune prétention à la rigueur scientifique. Diana, par exemple, pourrait être rangée aussi bien que Liber pater ou Libéra parmi les divinités chthoniennes; elle est plus souvent la déesse des bois que la divinité lunaire. Mercurius, dans quelques provinces, semble avoir été un dieu de la fécondité agricole ; nous aurions donc pu le rapprocher également de Pluto et de Gères. La phj'sionomie de maintes divinités varie suivant les régions de l'empire. Nous avons cru préférable de suivi^e l'ordre en général adopté et de distribuer les dieux et les cultes gréco-romains dans les catégories usuelles.

19

284 CHAl'lTUE IH

l'Olympe et du monde. Nous voyons des témoignages de cette dévotion dans tous les documents ou le nomdeJupiter n'est pas suivi des épilhètes caractéristiques Optiinus Maxi- mus ou Capiiolijius.

Comme dieu du ciel et des phénomènes célestes, il est appelé Tonans ', Fulgur Fulmcn -, et il est souvent repré- senté brandissant ou tenant le foudre '\ De la même idée dérive sans doute l'épithète Frugife)\ qui lui fut donnée en Gaule par un de ses fldèles ^; à Nemausus d'ailleurs, il fut invoqué en même temps que Terra mater ^; en Afrique deux dédicaces sont adressées Jovl Sllvano \

La conception de Jupiter comme dieu tout-puissant s'ex- prima dans des surnoms tels que Dornlnus ', Panihens *, Aeternus '.

Mais la puissance du dieu passait pour être bienfaisante. Jupiter était le dieu bon. bonus '"; le dieu protecteur, con- servator " ; le dieu guérisseur, salutaris '-; le dieu qui écar- tait de ses adorateurs les dangers et les maux, depulsor, depulsorlus '^ Dans une région très limitée delà péninsule ibérique, autour de la ville de Norba, en Lusitanie, il fut appelé solutorlus '*; cet adjectif, ailleurs inconnu, paraît signifier qui solvit, qui libérât, le dieu qui délivre '■'.

1. G. I. Lat., XII, 501.

2. Id., ibid., 18Û7.

3. V. p. ex. G. I. Lat., XIII, 2583, 3445; cf. S. Reinach, Répertoire de la statuaire grecque et romaine, t. II, p. 1 et suiv., passim; t. III, p, 1 et suiv., passim.

4. G. I. Lat., XII, 336.

5. Id., ibid., 3071.

G. Id., VIII, 5933, 18199.

7. Id., II, 4442.

8. Id., ibid., 2008.

9. Id., III, 8667.

10. Id., Vlll, 17586.

11. Id., II, 4052.

12. Id., Xlll, 240.

13. Id., II, 2414; VIII, 2621, 6043; XII, 315. Wù, 1288.

14. Id., II, 661, 728, 744, 745, 5289, 5290.

15. Forcellini, Lexicon, s. v.

Les divinités et les cult'es du panthéon 28o

Enfin, deux fois au moins, Jupiter reçut des épithètes de sens spécialement militaire : il fut invoqué comme le dieu qui arrête les armées, stator '; comme le dieu qui préside au recrutement, dilectator -.

Sous cette forme, moins spécialement romaine, semble- t-il, en tout cas moins officielle, le culte de Jupiter ne fut pas très répandu dans les provinces latines de l'empire. Les vestiges qui en ont été recueiUis, assez abondants en Afrique, en Espagne, en Gaule, sont au contraire des plus rares en Bretagne, le long du Rhin et du Danube. Sur 100 documents environ, aujourd'hui connus, treize seule- ment proviennent de la Bretagne, des deux Germanies, des Pannonies, de la Uacie et des Mésies. La Dalmatie en a fourni dix. Le reste, soit près de quatre-vingt, se compose de dédicaces, d'ex-voto, de mentions de temples ou de prêtres d'origine africaine, espagnole, gauloise.

Cette répartition forme un contraste frappant avec celle des documents qui concernent le culte de Jupiter Capitolin, beaucoup moins abondants, comme nous l'avons vu. en Afrique, en Espagne, en Gaule que dans la Bretagne, les provinces rhénanes et danubiennes ^ Ne sommes-nous pas dès lors en droit de supposer que le culte du dieu capitolin a précisément fait tort, par son caractère officiel, au culte plus vraiment religieux peut-être du Zeus-Jupiter gréco- romain? Ce dernier culte n'a pris quelque développement que dans le pays Jupiter Optimus Maximus n'occupait pas une place éminente.

En grande majorité, les fidèles du dieu appartenaient aux classes modestes de la société provinciale. Huit dédicants seulement sont des fonctionnaires d'empire, des ofl[iciers ou des soldats : M. Valerius Maximianus, légat de la leglo m Aug., à Lambaesis *; C. Baburius Festus, tribun légion-

1. c. I. Lat., VIII, 4642.

2. M., VIII, 2(J9.

3. Voir plus haut, p. 198-199.

4. C. I. Lat.,\\{\, 2621.

286 CHAPITRE III

naire, préfet de Yala Sciibulorum, à Borbitomagus, dans la Germanie supérieure '; deux préfets de cohortes, Gallonius en Afrique ^ Caecilius Lucanus en Bretagne ^ ; deux centu- rions '* et un simple soldat ' ; enfin un procurateur impérial à Sicca Veneria *. On peut joindre à cette liste la femme d'un autre procurateur, en Dalmatie \

Une obscure cité, Urusis, en Afrique Proconsulaire ^ ; deux vici, le viens Tongobrigensis voisin de Norba, en Lusi- tanie ^ et le viens Dolucensis de la eifitas Moriiioriim dans la Gaule Belgique '", sont les seuls groupements adminis- tratifs dont les noms se lisent sur des dédicaces à Jupiter. Les magistrats municipaux ne sont pas plus nombreux; en y comprenant les magish^i pagoruni et les praefeeti gen- tiurn^ les documents n'en mentionnent que trois, tous afri- cains : un questeur de Cirta ", un magister ixigi de Sila '-, un ancien praefectus gentis Masat. devenu flamine perpé- tuel à Rapidi '\ Tous les autres fidèles du dieu sont de simples particuliers, parmi lesquels on distingue, semble- t-il, deux groupes assez différents : d'une part les individus nommément indiqués comme affranchis ou dont les cogno- 7J2/;i« grecs permettent de supposer l'origine servile; d'autre part les indigènes, principalement en Espagne et en Gaule. Au premier groupe appartiennent, par exemple, Chryseros Igaeditanorum Ubertus en Lusitanie '\ C. Flavius Cory-

1. c. I. Lat., XIII, 6212.

2. Id., VIII, 17586.

3. Id., VU, 209.

4. Id., II, 2692; VII, 371.

5. Id., VIII, 18.39.

6. Id., ibid., 1627.

7. Ann. épigr., 1902, n. 35.

8. G. I. Lat, III, 12014.

9. Id., II, 743.

10. Id., XIII, .3563.

11. Ann. épigr., 1905, n. 108.

12. CI. Lat., VIII, 18199.

13. Id., ibid., 9195.

14. Id., II, 435; cf. 752.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON 287

don cle Yivatia en Bétique *, Licinius Calidromus de Tar- raco ^ T. P'iavius Hermès exactor operis basilicae marmo- 7Yiri et lapidcu^i à Nemausus '\ Helius Marcus Apamenus de Singidunum sur le Danube \ Nous croyons reconnaître plutôt des indigènes dans Tureus Bouti f., Samalus Turei f. de Norba, fldèles de Jupiter Solutorius ^; dans Clamosa la Trévire, qui invoqua Jupiter fort loin de son pays, à Lugdunum Convenarum *; dans Escingus Bassi fil., de Burdigala \ Mapa Solli fil. de la civitas Remorwn ^; dans Primus Enigni (fil.?) des environs de Nauportus, en Pan- nonie ^ La présence parmi les adorateurs de Jupiter de provinciaux peu ou point romanisés nous permet de mieux comprendre pourquoi dans certaines provinces le dieu a été associé sur quelques monuments à des divinités non romaines : Saturnus, Caelestis, les dil Maiiri, Juba en Afrique '°, Nemausus en Narbonaise *S Esus et Tarvos Tri- garanus à Lutetia ^^; pourquoi ailleurs on lui rendait un culte dont le caractère local est attesté par les vestiges mêmes qui en ont survécu : telles ces hachettes votives en bronze trouvées l'une dans le ht de l'Aar, près de Soleure, l'autre à Amsoldingen, près du lac de Thoune *^ Ne peut-on pas encore voir une preuve du caractère populaire, que le culte du dieu avait revêtu ici et là, dans une incription mutilée trouvée aux EcheUes sur le Guiers, en Savoie? On y lit : Lex rivi Ul Siqids in eo 7nixserit, S23iircit[iam)

1. C. I. Lat., II, 3335.

2. Id., ibid., 4442; cf. 1965, 3779.

3. Id., XII, 3070.

4. Id., III, 1662.

5. Id., II, 744, 715.

6. Id., XIII, 233.

7. Id., ibid., 568; cf. 1031, 2581, 2583.

8. Id., ibid., .3415.

9. Id., III, .3784.

10. Id., VIII, 8246, 8247, 9195.

11. Id., XII, 3170.

12. Id.,XlU, .3026.

13. IL, ibid., 5158, 5172.

288 CHAPITRE III

fcccrit, in temp{lo) Jovis d.? d[cnarium) dalo '. Le temple local de Jupiter n'eût pas été désigné pour recueillir les amendes infligées en pareil cas, si le culte du dieu avait gardé dans le pays une physionomie étrangère. Enfin les textes épigraphiques mentionnent en plusieurs endroits des groupes constitués de fidèles : des cuUores Jovis entre Calama et Hippo Regius, dans TAfrique proconsulaire -, et en Dacie '^\ des jurencs a fano Jovis à Aginnum, en Aqui- taine ^.

Ce n'est donc pas seulement par la répartition géogra- phique différente des traces qui en ont subsisté que le culte du dieu appelé seulement Jupiter se distingue du culte de Jupiter Optimus Maximus ou capitolin. C'est aussi par sa physionomie plus populaire. Si le dieu eut plus d'adorateurs en Afrique, en Espagne, en Gaule que dans les autres pro- vinces, ce fut peut-être parce que il fut soit associé ou assimilé à d'anciennes divinités locales, soit rapproché d'elles.

Le culte de Juno, considéré comme distinct de celui de Juno Regina, présente des caractères analogues à celui de Jupiter. Une invocation on vers, adressée à la déesse par un Africain de Naragarra )?), met tout spécialement en relief sa physionomie céleste, atmosphérique :

Tu nimbos ventosque des : tibi, Juno, sono[)'os Pevfacir est agilare metus : nam fraire éadente Intimas rubigenam terris larglta nmdo[rem...

etc. etc. °. Sur une dédicace d'Aquincum, Juno est appelée bo7ia dea et associée à Fortuna Conscrratrix \ Elle porte sur un texte de Dalmatie l'épilhète bien connue de Lucina '.

1.

C. I. Lot., XII, 2i26.

2.

Id., YIII, 10811.

3.

Ici., III, 1602.

4.

Id., XIII, 913.

5.

Id., VIII, 4635.

6.

Id., III, loiœ.

7.

Ann. épigr., 1901, iv 12

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON 289

Une restitution fort vraisemblable d'une inscription espa- gnole lui donne le titre de [mater] Deum '.

Les habitants des provinces latines semblent avoir peu connu Juno. Son culte a laissé quelques traces en Afrique, en Espagne et en Dalmatie; mais les autres régions de l'empire en sont totalement ou presque totalement dépour- vues. Des documents qui nous renseignent sur ce culte, les plus explicites sont ceux qui proviennent d'Afrique et d'Espagne. La déesse avait des temples dans plusieurs villes africaines, à Mustis *, à Urusis % dans la petite cité dont les ruines se voient au lieu dit H'' Sidi Amara * et dont le nom antique n'est pas connu avec certitude ^ On connaît de plus quelques-unes de ses prêtresses ^ et le groupe que formaient encore en 339 après J.-C, au cœur de la Maurétanie, des Africains qui l'invoquaient en même temps que Silvanus et Sol'. EnTarraconaise, la citéd'Ilici, voisine de la mer entre Carthago Nova et Valentia, restaura à une date indéterminée un temple de la déesse ^

Les autres inscriptions, Juno est nommée, sont de simples dédicaces. Parmi les dédicants, les femmes sont aussi nombreuses que les hommes. Les seuls 'personnages, dont la fonction ou la situation sociale soient indiquées, sont à Uzappa, dans l'Afrique Proconsulaire, L. Vibius Latinianus Yalens, tribus légionnaire^; à lluro, en Espagne,

\. C. I. Lat., II, 2521.

2. Id., VIII, 1575.

3. Id., ibid., 12014; R. Cagnat et P. Gauckler, Les monuments antiques de la Tunisie, p. 52.

4. C. I. Lat., VIII, 12U3; R. Cagnat et P. Gauckler, op. cit., p. 51-52.

5. C'est peut-être la ville d'Aggar, indiquée par la Table de Peutinger sur la route qui traversait la Tunisie centrale d'ouest en est par Assuras, Zaïna Regia, Uzappa, Aquae Regiae et Tliysdrus (Cli. Tissot, Géographie comparée de la Province romaine d'Afrique, II, p. 567 et suiv.).

6. Cl. Lat., VIII, 2310, 7093, 7109.

7. Id., ibid., 21626.

8. Id., II, 3557.

9. Id., VIIL 11925.

290 CHAPITRE III

l'affranchi C. Quintius Myronus, sevlr auguslalis ' ; à Aequum, en Dalmatie, Aurel(ius) Nepos, père de deux duumvirs ".

Le culte de Juno a été peu populaire dans les provinces latines. L'Afrique est la seule région il paraît avoir été organisé publiquement dans plusieurs cités. 11 est vraisem- blable que cette faveur relative fut due à Fassimilation, établie dès l'antiquité, entre la grande déesse punique Tanit et la Juno gréco-romaine.

A ces cultes de Jupiter et de Juno. invoqués comme divinités du ciel, peuvent se rattacher trois invocations aux Vciili. A Lambaesis, en 128 ou 129, la légion d'Afrique témoigna son égale dévotion à Jupiter Optimus Maximus iempestatium dirinarum potens et aux Venti bonarum tem- pesiatium potcntes\ ce fut le légat lui-même, Q. Fabius Catullinus, qui dédia les deux stèles jumelles ^ A Nemausus, un curieux ex-voto, orné de reliefs, unit Volcanus et les Ycnil ^; ici les Venti représentent sans doute les courants d'air qui attisent le feu de la forge. Chez les Ausci, en Aqui- taine, un autre ex-voto est ainsi rédigé : lagemia Ventis T. S. l. m. "\ Il faut peut-être y voir l'accomplissement de quelque vœu fait en voyage.

Comme ses deux parèdres, la troisième divinité capitoline, Minerva, reçut aussi dans les provinces latines de l'empire un culte distinct. Le plus souvent invoquée sous le nom de Minei^va ou Minerva Aiigusta, elle fut, ici et là, surnommée

1. c. I. Laf., II, 4613.

2. Id., III, 9750.

3. Id., YIII, 2609, 2610. Sur la date, v. Fallu de Lessort, Fastes des pro- vinces africaines, 1, p. ^8 et suiv.

4. C. /. Zfl^,XII, 3135.

5. Id., XIII, 441.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON 291

sancta ' ou clea sancta '; regina ^; rictrix '\ Son nom grec, Pallas, fut une fois préféré au nom latin Minerva ^

Sans être très répandu, le culte de Minerva était célébré dans la plupart des provinces ; ce fut le long du Danube et en Illyricum qu'il semble avoir été le moins populaire. Les inscriptions, qui nous en font connaître la diffusion, sont au nombre de cent environ, ainsi réparties : Afrique, 14; Espagne, 11; Xarbonaise, 12; Trois Gaules, 29; Bretagne, 9; Germanies, 17; Dalmatie, 2; Pannonies, 6. En Afrique, en Bretagne, dans les Germanies et les Pannonies, le culte de la déesse a laissé les traces les plus nombreuses dans les camps permanents ou dans les villes formées autour des postes militaires, à Lambaesis ^ le long du Valhnn Hadriani et du Valliun Pli ", à Mogontiacum ^ et sur le Limes germa- niciis % à Brigetio '" et Aquincum '^ Une telle répartition nous fait déjà pressentir le rôle de l'armée dans la diffusion du culte de Minerva.

Ce rôle se trouve confirmé et précisé par l'étude des dédi- cants eux-mêmes. Ils forment plusieurs groupes, qu'il est facile de reconnaître. L\m d'eux est composé soit de col- lectivités soit d'individus appartenante l'armée. Les collec- tivités sont : à Lambaesis, les armorum custodes leg, III Aug. '^; en Calédonie, la cohors II Twigroncm mil-^ liaria equitata '^ ; dans la région des Champs Décumates, les librarii d'un corps ou d'un officier inconnu '% et les

1. C. I. Lat., III, 4299: XIII, 5970.

2. /(/., VII, 1031.

3. Id., III, 177.

4. Id., ibid., 10438.

5. Id., XIII, 6746.

6. Id., VIII, 2636, 2647, 18^31, 182.34; ^««. épigr., 1902, n" 11 et 147.

7. C. I.LaA., VII, 1033, ia34, 1035, 1071.

8. Id., XIII, 6745-6747.

9. Id., ibid., 6452, 6490, 650.3, 6541.

10. /'/., III, 4299, 10997.

11. Id., ibid., 104.35, 104.37, 104.38.

12. Ann. épigr., 1902, n»' 11 et 147.

13. C. I. Lat., VII, 1071. . .

14. Bramb., 1727.

292 CHAPITRE III

acneatores de la cohors I Seqiiianorum) et Raur[acorum) cquitata '; à Brigetio, la scola tuhicinum^; à Aquincum, ïo/ficiwn coDi'icularioruya ' et le colleghim armatura- rum \ Deux autres groupements sont nommés, à Lambaesi.s, sur des dédicaces à Minerva. L'un est la Curia Hadriana Félix rcteranoruin leg . III Aug., en l'honneur de laquelle une statue, un autel ou un temple est consacré à Minerva par un citoyen de Cirta, Q. Julius. Q. f. Quir. Martialis ^; quel que fût le caractère de cette Curia Hadriana Félix, elle se composait de vétérans de la légion campée à Lam- baesis; elle se rattachait donc par des liens étroits à l'armée d'occupation. L'autre est une de ces scholae de sous-ofRciers, sortes de collèges ou associations militaires, organisés pour assurer, semble-t-il, une sépulture à tous ceux qui en fai- saient partie : Vevokatiis Aur. Gaius consacre, pour la scola dont il est membre, un autel commun à Minerva et à Mars ^

D'autres ottlciers, sous-officiers et soldats agirent pour leur compte personnel. Parmi eux se remarquent deux tri- buns \ plusieurs centurions ^ deux options ^ un actavius '°.

Au même groupe peuvent être rattachés, d'une part un légat propréteur de Pannonie, C. Val(erius) Pudens ", et un commandant de la flotte de Ravenne, L. Aemilius Syllec- tinus, qui dédia un autel à Minerva pendant un passage ou

1. c. I. Lai., XIII, (5503.

2. Jd., III, 10997.

3. Id., ibid., 10137.

4. m., ibid., 10135.

5. Id., YIII, 18234.

6. Id., ibid., 263G. Sur les scholae en général, et spécialement sur les scholae de Lambaesis, voir R. Gagnât, L'armée romaine d'Afrique, p. 467 et suiv., p. 540-541; M. Besnier, Les Scholae de sous-ofliciers dans le camp romain de Lambèse, dans les Mélanges de l'École française de Home, 1899, p. 199 et suiv.

7. C. I. Lat.. YII, ia34, 1035.

8. Id., VIII, 2617, 18231: XIII, 6316, 6746; III, 4299; VII, 1114.

9. Id., XIII, 5970.

10. Ann. épigr., 1904, n. 10.

11. C. I. Lat., III, 10138.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON 293

un séjour à Lugdunum ' ; d'autre part deux affranchis, dont l'un fut tabularlus à Thevesie, Theseus ^ et dont l'autre suivit dans sa garnison des Champs Décumates son patron L. Lollius Certus, préfet de cohorte '\

Un autre groupe d'adorateurs de la déesse, moins nom- breux, mais également caractéristique, comprend deux collegia fabrorum ou fabriim et deux artisans. Les textes méritent ici d'être étudiés de près. A Barcino, un sevlr au- giisfalls, M. Aufustius Homuncio, offre au coUegium fabro- 7''um de la ville un autel ou une statue de la déesse '\ Sur la côte méridionale de la Bretagne, dans le port antique dont l'emplacement se trouvait à l'est du moderne Portsmouth, près de Chichester, le coUegium fabrorum élève un temple commun à Minerva et à Neptunus, avec l'approbation du légat impérial Ti. Claudius Cogidubnus, sur un terrain gracieusement donné par un personnage appelé Clemens Pudentinl fil \ Les deux artisans, qui honorent la déesse, sont l'un un marbrier {mannorarius), l'autre un peintre (pictor), qui s'intitule en même temps perfector . L'un comme l'autre, le marbrier et le peintre, témoignent leur dévotion en exécutant dans le temple de Minerva, celui-ci à Gades, celui-là à Tarraco, un travail de leur compétence. Le mar- brier, P. Rutilius Syntrophus, orne de plaques de jnarbre la Theostasis ou cella de la divinité ^; le peintre, Q. Attius Messor, restaure à ses frais une exèdre ainsi que la façade du temple, frons tempU '. 11 est vraisemblable de rattacher au même groupe l'affranchi C. Cornehus Magnio qui, dans le

1. c. I. Lat., XIH, 1770.

2. Id., VIII, 1G525.

3. Id., XIII, 6295; le personnage nommé sur cette inscription, Nym- plieros, était soit l'affranchi soit l'esclave de L. Lollius Certus. La fin du texte manque.

4. C. I.Lat., II, 4498.

5. Id., VII, 11.

6. Id., II, 1724. Sur le sens du mot Theostasis, v. Forcellini, Lexicon, s. v.

7. Id., ibid., 4085.

204 CHAPITRE III

Viens Ausetanus, voisin de Barcino, consacra à Minorva un autel et des bancs sans doute en marbre ou en pierre '.

Tout à fait différent par son caractère paraît être le troi- sième groupe des fidèles de Minerva. C'est un groupe géo- graphique, plus exactement ethnographique. Il se compose exclusivement de Gaulois ou d'habitants de la Gaule. Les documents qui nous le font connaître ont été recueiUis à la fois dans la Narbonaise, à Glanum '\ Apta ^ Vasio \ Nemausus •'; dans les Trois Gaules, chez les Convenae ^ les Ausci ', les Santones ^ les Bituriges Cubi \ les Aedui *", les Senones ", les Turones '^ les Andecavi '\ les Namnetes '\ les Morini '^; enfin dans la partie de la Germanie supérieure occupée par des tribus gauloises, chez les Lingones et les Helveti '^ De ces documents, les plus précieux sont assu- rément les bustes, médaillons, patères, coupes, vases, anses de vases, cuillers, feuilles votives et fibules en argent, qui ontététrouvésprèsde Brissac, au sud d'Angers, sur le terri- toire des Andecavi, et dont l'ensemble est connu sous le nom de Trésor de Notre-Dame d'Alençon '^ Le nom de

1. G. I. Laf., II, 4618.

2. J(J., XII, 998.

3. I(L, ibid., 1087-1089.

I. Id., ibid., 1.320-1.32.3.

5. Id., ibid., .3077, .3092.

6. Id., XIII, 149, 177.

7. Id., ibid., 4.35, 4.36.

8. Id., ibid., 1032.

9. Id., ibid., 1191.

10. Id., ibid., 28.32.

II. Id., ibid., 2892. 12. Id., ibid., 3075.

1.3. Id., ibid., 3100 (1-20).

14. Id., ibid., 3101. La restitution [Minerlt^ne est un peu hardie, mais vraisemblable.

15. Bull, des untiq., 1899, p. 384.

16. Id., ibid., 5611.

17. Id., ibid., 5041, 5055, 5195.

18. .\. de Longpérier, Notice des bronzes antiques du Musée du Louvre, 1'" partie, p. 120-1.33.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 295

Miiierva se lit, gravé au pointillé ou tracé à la pointe, sur seize des objets qui composent ce trésor.

Sauf deux exceptions ', les dédicants sont ici de petites gens, qui ne portent aucun titre, qui n'ont exercé aucune fonction municipale, dont les noms mêmes mettent souvent en lumière l'origine ethnographique et la condition sociale : par exemple, à Apta, Optatus Frontonis f., et Tullia Auca- lonis f . ^ ; à Vasio, Attia, Marins, Paterna Paterni f. ^; à Nemausus, T. Cassius T. 1. Felicio ^; chez les Convenae, Auctus Antesti 1. " ; chez les Santones, Secondus Florus Secondi ^; chez les Andecavi, GaudiUa et Prisia Crimilla ' ; chez les Lingones, Saxsamus Cintusmi f. ^; chez les Helveti, Togirix Metiae f. \

En dehors des trois groupes que nous venons d'étudier, c'est à peine si l'on relève dans toutes les provinces latines plus de dix ex-voto ou dédicaces à Minerva ^\

Il n'est pas trop malaisé d'exphquer cette diffusion parti- culière du culte delà déesse. On sait qu'à Rome Minerva fut la déesse par excellence, d'abord des artisans, puis de toutes les corporations; il est donc naturel qu'elle ait reçu les hom- mages de plusieurs collegia fabrorum, d'un marmorarius, d'un picto7% et, dans l'armée, des groupes divers que nous avons signalés, armorum custodes, aeneatores, Ubicines, armaturae, etc. En outre, sous l'influence de la déesse

1. Bull, des aniiq., 1899, p. 384 : T. Punicim Genialis diiumvir colon. Morinorum, sacerdos Romae et Augnsti; C. I. Lai., XIII, 5195 : Vicani Vindon issenses.

2. C. I. Lat., XII, 1088, 1089.

3. Id., ibid., 1320, 1322, 1323.

4. /(;., ibid., 3077.

5. M., XIII, 177.

6. Id., ibid., 10.32.

7. Id., ibid., 3100.

8. Id., ibid., 5641.

9. Id., ibid., 5055.

10. En Afrique : C. I. Lat., VIII, 1014, 1472, 1545, 14349, 16534 ; Ann. épigr., 1901, n. 82; en Espagne : C. I. Lat., II, 954, 1279, 1950, 4084, 4492 ; en Ger- manie supérieure : id., XIII, 6264; en Dalmatie, id., III, 2906.

•206 CHAPlTRH iiî

grecque Atlièna. elle devint aussi pour les Romains une déesse de larmée : la Alinerua Viclrix, à laquelle s'adresse le légat de Panuonie, C. Yalerius Pudens, rappelle VAiJir/ia Nikè des Athéniens. Sa présence parmi les diviniiés chères aux officiers et aux soldats n'a donc rien d'inattendu. Dans l'un et l'autre cas, c'est la Minerva romaine ou gréco-romaine qui a pénétré dans les provinces à la suite des légions et des artisans. Tout autre est la déesse invoquée en Gaule, des Pyrénées au Rhin et des Alpes à l'Océan. Le caractère même des fldèles prouve que nous sommes ici en présence d'un culte populaire. Il nous est impossible dès lors de ne pas nous rappeler que César désigne par le nom de Minerva l'une des principales divinités gauloises, et (pi'il attribue à cette divinité un caractère identique à celui de la Minerva proprement romaine : Minervam ojjerum atque art'ificlorum i lui la iradere '. La présence fréquente, au droit des mon- naies gauloises, d'une tète casquée évidemment copiée sur le type d'Athéna -, corrobore l'affirmation de l'historien. Dans ces conditions, nous ne devons pas nous étonner de la faveur qu'a rencontrée, dans les provinces gauloises de l'empire, le culte de Minerva. Sous ce nom. même dénué de toute épithète, les Gaulois de l'époque impériale ado- raient moins la déesse romaine ou gréco-romaine qu'une de leurs anciennes divinités nationales.

Ainsi, dans les provinces latines de l'empire, Minerva semble avoir été surtout la déesse du travail, de l'industrie, des corporations. Ici et seulement, elle se présente sous les traits d'une déesse guerrière. Et cependant presque toutes les images, artistiques ou grossières, que l'on a recueillies d'elle dans les mêmes provinces, sont inspirées par le type guerrier d'Athéna : la déesse est toujours casquée, souvent armée de la lance et du boucher, ou au moins de la

1. De hell. GaU.,\l, 17.

2. Mionnet, Descr. des Médailles, I, p. 6.3 et suiv., n°* 3-8; p. 80, 11°* 2(>4- 206; p. 83-84, n»^ 224-228, 232; Supplém., I, p. 129-130, 1-7.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 297

lance '. Ce tj-pe, emprunté à l'art grec, fut adopté et devint populaire, bien qu'il ne répondît pas exactement à la véri- table nature de la déesse. Nous aurons à constater dans d'autres circonstances le même désaccord entre les idées et l'imagerie religieuses de l'époque impériale.

Le culte de Mercurius semble avoir été plus répandu dans les provinces latines de l'empire que ceux de Minerva et de Jupiter. On connaît aujourd'hui plus de 350 textes, inscrip- tions votives ou dédicaces, qui portent le nom du dieu. Diverses épithètes latines lui sont attribuées. Les unes sont fort claires et répondent aux caractères les plus connus du dieu gréco-romain : par exemple Competalis ^ Veator pour Viator \ Negotiator '% Mercatm^ "\

D'autres s'expliquent peut-être moins aisément. Si l'on comprend sans peine que le dieu ait été surnommé parfois DomesUcus ^ Patinais ', Defensor ^ si répithète Sobrius " paraît se rapporter à la nature des libations qu'on lui offrait, si le surnom Fatalis '" fait sans doute allusion au rôle parti- culier d'Hermès Psychopompe, on s'étonne davantage de rencontrer les deux surnoms Cultor " eiRex '^ Sur un frag- ment d'inscription qui provient des environs de Trêves, se

1. s. Reinach, Répertoire de la statuaire grecque et romaine, II, p. 274 et suiv.

2. Ann.éingr.,Vyd?,, n. 233.

3. C. I. Lut., XII, 1084.

4. Ch. Robert, Epigr. gallo-rum. 'le la Mes., I, p. 51 et suiv., n. vu.

5. C. I. Lat., XIII, 6-2'Jl. G. Ici., ibid., 7276.

7. Id., VIII, 16112.

S. An7i. épigr., 1905, n. 60.

9. C. I. Lat., YIII, 12006, 14690, 19190.

10. Bull, du Corn., 1898, p. 17G, n. 5.

11. C. I.Lat., XIII, 6476.

12. Branib., 70.

298 CHAPITRE III

lii le nom grec Hermès Trismégistos '. Dans File d'Issa, eu Dalmatie, le dieu fut invoqué à la fois sous son nom latin de Mercurius et sous son nom grec d'Epar,; ^

La répartition géographique dos documents relatifs au culte de Mercurius est tout à fait significative. Plus des deux tiers (en chiffres ronds 250 sur 350) proviennent des régions habitées aux premiers siècles de l'ère chrétienne par des populations gauloises ou germaniques, Narbonaise, Aqui- taine, Lugdunaise, Belgique, Bretagne, Germanie inférieure, Germanie supérieure, Rétie, Xorique. Quant au reste, bien loin de se distribuer à peu près également entre les autres provinces, il est ainsi réparti : Afrique, plus de soixante; Espagne 16; Dalmatie, 6; Paimonies et Mésies, 5; Dacie, 9; au total 36. Ce fut donc d'une part en Afrique, d'autre part dans les provmces gauloises et germaniques que Mercurius reçut sous l'empire le plus d'hommages. En Espagne et dans rillyricum, il garda, sauf de très rares exceptions, la physio- nomie d'un étranger. Dans la péninsule ibérique, par exem- ple, ses adorateurs turent un ancien ofïicier '\ un procura- teur impérial \ un vétéran % trois Augustales ou seviri Augustales \ de simples particuliers à surnoms grecs, tels que Tib. Claudi(us) Prosodus ', Baebius Eunomus ^ Aponius Sosumus \ ACarthago Nova, les piscator es elles proj^olae, les pécheurs et les revendeurs, consacrent une statue de Mercurius, en même temps qu'une image des Lares Augus- tales '"; à Carmon ou Carmona, en Bétique, la tète du dieu, coiffé du pétase, ou son principal attribut, le caducée, figurent

1. Bo7tn. Jahrb., t. L-LI, p. 148.

2. C. /. Lat., III, 3076.

3. Id., II, 2103.

4. Id., ibid., 5678.

5. Ann. épigr., 1903, n. 235.

6. C. I. Lat., II, 181, 4051, 4614.

7. Id., ibid., 3099.

8. Id., ibid., 3825.

9. Id., ibid., 425.

10. Id., ibid., 5929.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 299

sur plusieurs monnaies '. Ces deux cilés se trouvaient dans la partie de l'Espagne s'exerça l'influence des Phéniciens et des Carthaginois; nous verrons plus loin que la diffusion du culte de Mercurius dans les provinces africaines a sans doute pour principale cause l'assimilation du Mercurius latin à un dieu punique; la même raison peut s'appliquer à l'Espagne méridionale. En Dalmatie, les dédicants dont nous connaissons la condition sociale ou les fonctions sont des sevirl aiigiistales, dont la plupart sont des alïranchis -, et un vexillarius de cohorte ^ En Pannonie et en Dacie, ce sont des officiers et des vétérans '\

Au contraire, dans les provinces africaines et gauloises, le dieu paraît être moins un immigré qu'un indigène. Une étude précise des deux principaux groupes de documents qui le concernent confirmera cette première impression. En Afrique, le culte de Mercurius fut célébré avec une égale faveur dans les diverses provinces. Si l'on en trouve des traces plus abondantes en Proconsulaire et en Numidie que dans la Tripolitaine et les Maurétanies, la cause en est, suivant toute apparence, l'inégale densité de la population. Ce qui est plus signiflcatif, c'est que le dieu reçut peut- être plus d'hommages dans les cités modestes situées au cœur du pays que dans les grandes villes de la côte ou dans les garnisons de la Numidie méridionale. Aucune dédicace, aucun ex-voto n'ont encore été recueillis dans la plupart des ports qui commuiii(iuaient fréquemment avec le reste de l'empire, tels que Leptis, Tacapae, Hadrumetum, Utica, Hippo Regius, Saldae, Cartenna, Portus Magnus, etc. Le sol

1. A. Heiss, Description des monnaies antiques de l'Espagne^ pi. LV, Caroio, n" 1, 2.

2. G. I. Lat., III, 1792, 1793.

3. Id., ibid., 2744.

4. En Pannonie, un vétéran devenu décurion et magistrat municipal, semble-t-il, à Brigetio; G. I. Lat., III, 429S; un centurion à Carnuntuni : id., ibid., 11442. En Dacie, un préfet de cohorte et mw princeps {legionis]) à Micia : id., ibid., 7855, 7856 ; un centurion à Sarmizegetliusa : id., ibid. , 1431; un vétéranà Apulum : id., ibid., 1103.

20

300 CHAPITRE III

de Carlhage n'a livré que trois inscriptions voiivos ', et nul document ne cite dans la ville un temple connu de Mercurius '. De Rnsicade provient un ex-voto signé de deux personnages qui sont probablement des étrangers, sans doute deux affran- chis d'origine grecque : Seius Thesmus et Seia Syntychè '. Dans les villes de garnisons et les postes militaires de la Numidie méridionale, le culte de Mercurius ne fut pas l'un des plus répandus : quelques ex-voto ont été trouvés à The- veste \ Vazaivi % Mascula ^ Lambaesis ", Calceus Hercu- lis *, Biscera ^ Diana '°, mais les dédicants sont rarement des fonctionnaires d'empire, des officiers ou des sous-offi- ciers "; sauf à Mascula, un texte mentionne un temple et un prêtre du dieu '", les inscriptions rappellent des actes de dévotion individuelle; enfin à plusieurs reprises, Mercurius est associé à des divinités non-romaines, telles que Cae- lestis '\ Torchobol '', Motmanius ''.

1. C. I. Lat., VIII, ICW, 12489 ^douteux), 12490.

2. M. AudoUent, dans son remarquable ouvrage sur Carthage romaine, écrit : « Mercure, si je vois juste, n'était pas le moins vénéré... Saint- Augustin, pour prouver la puissance éphémère des idoles, ne cite comme exemples que Caelestis, Saturne et Mercure. Il le nomme encore avec Jupiter et la même Caelestis au nombre des dieux qui écartent les fléaux. » Les textes, cités en note, de Saint-Augustin ne prouvent pas qu'il s'agisse d'un culte proprement carthaginois. Mercurius était populaire dans toute l'Afrique : cette faveur sufTit à expliquer que Saint-Augustin le jirenne nommément à parti (A. AudoUent, op. cit., p. 411}.

3. C. I. Lat., VIII, 7962.

4. Id., ibid., 1842, 10644, 16709.

5. Id., ibid., 17619, 17621, 17623, 17621.

6. Ann. épigr. 1902, n. 226.

7. C.I. Lat., VIII, 2343-2615, 2650, 10761, 18233.

8. Id., ibid., 2498, 18001, 18007.

9. Id., ibid., 2186.

10. Id., ibid., 4579.

11. A Lambaesis, un gouverneur de la Numidie [C. I. Lut., VIII, 2613); trois centurions, un décurion de cavalerie, un beneficiarius consulis (Id., ibid., 2486, 2498, 2650, 17619, 17623-4, 18007).

12. Ann. épigr., 1902, n. 226. 18. C. I. Lat., VIII, 17619.

14. Id., ibid., 17621.

15. Id., ibid., 2650.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 301

Il y a au contraire abondance de documents et de don- nées précises sur l'importance qu'avait le culte du dieu dans maintes villes de la Proconsulaire. A Thysdrus, Mercurius était le goiius, le praeses et conservator de la ville '; des sanctuaires, dont la consécration au dieu est prouvée par des textes épigraphiques, furent élevés en son honneur à Thignica ^ à Thugga ^ à Avilta Bibba \ à Gales % à Mu- zuc ^ à Yazis Sarra ', à Limisa Furnis *, à Thuburbo Ma-

jus ^ à Thuburnica '", dans Je kasiellu.m rcnsium, situé

à l'intérieur de la région montagneuse et boisée qui s'étend au sud-ouest de Thabraca '\ dans les antiques cités dont les ruines s'appellent aujourd'hui H"" Djelloula '-, H'' el Khima ou Sidi Amara (peut-être Aggar) '\ enlin à ^Nlas- cula ^^ et à Thamugadi. Quelques-uns de ces sanctuaires étaient de véritables monuments, dont les ruines attestent encore l'importance, parfois la beauté décorative, parfois aussi l'originalité toute locale ^'\ Les documents épigra- phiques ajoutent ici et de curietix renseignements à ceux qu'a fournis l'étude archéologique de ces ruines. A Thugga, Q. Pacuvius Saturus et Xahania Victoria consacrèrent au

1. C. I. Lut., VIII, 51; Ann. épigr., I90I, n. 68.

2. C. I. Lat., VIII, 1399, 14(10.

3. L. Poinssot, Les Inscriptions de Thugja, n"' 22 et siiiv.

4. C. I. Lat., VIII, 12272.

5. Comptes rendus de VAcadéinie des Inscriptions, lOOi, p. l'iT et suiv.

6. Id., ibid., 12094.

7. Id., ibid., 12001, 1200(3; Bitll. arch. du Comité, 1899, p. 220-221, n'>^ 94, 9), 97.

8. C. J. Lat., VIII, 12027, 12039.

9. Id., ibid. 12-366.

10. Id., ibid., 14(390.

11. Id., ibid-, 17327.

12. Id., ibid., 12111.

13. Id., ibid., 709; v. pi. liaut, p. 289, note 5.

14. Ann. èpigr., 1902, n. 226.

15. En particulier, les temples de Thugga, de Tljignica, de Vazis Sarra, de Thuburbo Majus : R. Gagnât et P. Gauckler, Les Monuments antiques de la Tunisie, p. 63-64, p. 66-69, p. 70-71; pi. XVII, XVIII, XIX, XX, XXI, XXll (1), XXllI (1, 2, 3); L. Poinssot, Les Inscriptions de Thugga, n"^ 22 et suiv.

302 CHAPITRE III

temple de Merciirius plus de cinquante mille sesterces '; à Vazis Sarra, le sanctuaire renfermait, outre une image du dieu, un masque en argent, des candélabres en bronze et des lampes ".

Mais ce ne sont pas les seules villes africaines le culte de Mercurius ait laissé des traces. On en a relevé également à Thubba ^ Membressa? \ Numlulis % Auno- baris ^ Giufis ', Naragarra ^ Madaura \ Thibilis '", Cirta *', Uzelis *^ Arsacal '% Novar '*, Sitifis '^ Rapidi '^ Volubi- lis *' et dans quelques autres cités dont les noms antiques ne sont pas connus '^

La plupart des villes que nous venons d'énumérer étaient d'une origine antérieure à la conquête romaine. Quelques- unes étaient encore sous l'empire administrées par des suffèLes ou des undcclmprimi *^; d'autres avaient conservé une sorte de dualité, que traduit dans plusieurs textes l'expression civitas et ixigus -". Il est déjà caractéristique

1. Atin. èpigr., 1904, n. 118.

2. G.I. La/., VIII, 12ÛU1.

3. M., ibid., 11294.

4. Bull. arch. du Comité, 1898, p. 176, n. 5.

5. C. I. Lat., VIII, 15379.

6. Carton, Découvertes..., n. 388.

7. C. I. Lat., VIII, 12.377; Rev. de Philol., 1891, p. 170-171 ; Bull. arch. du Comité, 1892, p. 209, n. 7.

8. C. I. Lat., VIII, 167(30.

9. Bull. arch. du Com., 1896, p. 253, n. 119.

10. C. I. Lat., VIII, 18893.

11. Bull. arch. du Com., 1900, p. 385-386.

12. C.LLat.,YlU, 19314.

13. Id., ibid., 604J.

14. Id., ibid., 10908.

15. Id., ibid., 8433.

16. Id., ibid., 9195.

17. Id., ibid., 21818.

18. Id., ibid., 9795, 14299, 16412.

19. Par exemple Gales et Avitta Bibba (sufftHes); Vazis Sarra {undecim- primi) ; cf. J. Toutain, Les Cités romaines de la Tunisie, Appendice I, p. 381 et suiv.

20. Par exemple, ïhignica, Thugga, Liinisa-Furnis, Numlulis : cf. J. Tou- tain, ibid., et p. 347-319.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 303

que Mercurius ait été particulièrement honoré dans ces villes. Quelques autres détails doivent également retenir notre attention. Mercurius est appelé cleus patrius sur une inscription trouvée au centre m«"mie de la Tunisie, dans la plaine de la Ghorfa, au sud de Thugga '; son nom se trouve associé à celui de la déesse Caelestis sur une inscrip- tion de Sitifis ^; à celui 'd'un génie local, Genius Sesase, dans la dédicace d'un temple à ïhuburnica ^; à celui des DU Mauri sur un texte de Rapidi en Maurétanie *. Enfin à Cirta, il y avait un temple consacré, non à Mercurius, mais aux Alerco.rii ; M. Gsell, qui a le premier publié la dédicace Merciois Aug. sac, pense que de ces deux Mercurii, l'un était sans doute le Mercurius gréco-romain, et l'autre une divinité punique à laquelle fut donné le nom latin de Mer- curius '. Enfin, l'on a déjà remarqué que le nom de Mer- curius figure plusieurs fois dans la nomenclature géogra- phique de l'Afrique du Nord, et que l'image du dieu y a été employée comme etïigie monétaire par diverses cités, telles que Sabratha, Leptis minor, Clypea ® : ces noms géogra- phiques et ces effigies monétaires sont en Afrique d'origine préromaine.

Parmi les adorateurs du dieu, si l'on excepte le gouver- neur de laNumidie, les rares officiers et sous-officiers dont les noms se hsent sur quelques inscriptions recueilHes à Vazaivi, Lambaesis, Calceus Herculis et Biscera, on ne ren- contre que des habitants du pays, magistrats municipaux ou simples particuhers. Au lieu dit aujourd'hui W Djolloula, une inscription mutilée porte à la 3""" ligne : L. Aemilius

1. C. I. Laf., VIII, I6U2.

2. Id., ibid., 8433.

3. Ici., ibid., 146'JO.

4. Id., ibid., 9193.

5. BhU. arch. du Corn., 1900, p. .386-387.

6. Gsell, Bull. arch. du Corn., loc. cit., p. 387, n. 3; cf. L. Muller, Numis)n. de l'Afrique ancienne, II, p. 27, n. 53: p. 49, n°^ 15-19; p. 155 et suiv., n°' 330 et suiv.

304 ciiAPiTiiE m

Donalus vct jj j H '. On a lu i'el[eramis\. Ce pourrait être

aussi bien ret[ustale dilapsam] cellam cum yradibus

Quand même la lecture vet[eranus] serait admise, il ne s'en- suivrait pas que L. Aemilius Donatus fut un rtranger. 11 serait bien plus vraisemblable de voir en lui un enfant du pays revenu dans sa ville natale à la fin de son service mili- taire. A Giufls, dans la vallée de TO. Miliane, une statue de Mercurius fut consacrée par Cimbrius Saturiis manceps et douze personnages dénommés socii ni(io)ies : il convient de voir en eux le fermier adjudicataire de quelque impôt, rede- vance ou exploitation et ses associés ou bailleurs de fonds. On ne sait point le sens du mot nitiones. Mais les noms de tous ces personnages ne renferment aucun indice de natio- nalité étrangère. Ce sont de petites gens d'origine provin- ciale : un seul a les tria nomina romains, C. Calpurnius Optatus ; cinq ont un gentilice et un cognomen, Cimbrius Saturus, Bargius Secundus, Fabius Honoratus, Sempronius Severianus, Cerius Félix; six n'ont qu'un seul cognomcn suivi du nom de leur père, tel que Ruflnus Coïni, Primus Curunni, etc. Il y a tout lieu de croire que ce sont des Africains.

Les autres textes, les fidèles de Mercurius sont nom- més, ne prêtent pas à discussion. Ils nomment soit des magistrats ou des prêtres municipaux ", soit de simples particuliers, dont les noms ou l'onomastique révèlent par- fois l'origine locale '\

1. c. I.Lat., Ylir, 12111.

2. Id., ibid-, ItiOl (Thubba); Ann. êpigr., 19)1, n. 118 (Thugga) ; C. I. Lat., VIII, I169J (Thuhurnica); Revue de Philolor/., 1891, p. 170-171 (Giufis); C.I.Lat.,\lU, 12039 (Limisa-Furnis); 12006 (Vazis Sarra); 1842 (Theveste); 17837 (Thamugadi;,; 4;)79 (Diana); 18896 (Tliibilis); 9195 (Raiiidi); 17327 (Ain Telia, au sud-ouest de Thabraca). De tous les documents de ce genre, le plus caractéristique est certainement la dédicace du temple que le dieu avait à Gales, au sud du Fahs. Les magistrats nommés sur ce texte sont des suffètes : Comptes-rendus de t Académie des Inscriptions, 1901, p. 157 et suiv.

3. A. Tliysdrus, Flavius... nus Faustini fil., Ann. êpiijr. 1904, n. 168; au sud de Membressa, dans la plaine aujourd'hui appelée Goubellat, Aius

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 305

Le collegium Mcrcuri Vestiariorum * de Yobubilis se composait sans doute aussi de gens du pays.

Quelle conclusion pouvons-nous tirer de toutes ces remar- ques? Il est très vraisemblable que le dieu, adoré dans les provinces africaines sous le nom de Mercurius, n'était pas uniquement le Mercurius romain ou gréco-romain. Certes il en avait quelques traits : le Mercurius i<Y;^rt//.^, dont le nom se lit sur un ex-voto trouvé au sud de Membressa ', n'est autre, suivant toute apparence, que THermes Psj'cbo- pompe. Si à Lambaesis, M. Aurelius Decimus, gouverneur de la Numidie ^; si, à Calceus Herculis et à Biscera, le même centurion, M. Annius Valens, placé h la tête du Numerus Palmyrenorum ^ témoignent leur gratitude au dieu, c'est probablement parce qu'il les a protégés et exaucés tout le long de la route que l'un et l'autre ont parcourir. Le Mercurius, auquel le manccps et les soci'i nitioncs de Giufis consacrent une statue^ est le dieu des affaires, de tous les négoces, du gain, lucri repertor \ Tel était aussi le carac- tère du dieu sous la protection duquel s'étaient placés les Vestiarii de Volubilis, dans la Maurétanie Tingitane.

Mais les caractères du Mercurius latin ou gréco-romain ne suffisent pas à expliquer la faveur particulière que le culte du dieu rencontra dans l'Afrique romaine, et particuliè- rement dans ces villes obscures et modestes de la Tunisie centrale, Giufis, Liniisa-Furnis, Yazis Sarra, Muzuc, Avitta Bibba, Aunobaris, Numlulis, etc. Comme M. Gsell en a exprimé l'hypothèse à propos des Mercuril de Girta, nous pensons que le nom de Mercurius a souvent désigné dans l'Afrique romaine une divinité non romaine. Les épithètes

Arinis Occonis {ftlii filius), Bull. arch. du Com., 1897, p. 398, n. 118; à Narag-arra, Saturninus Balitho7iis /"., C. I. Lit., VIII, 16T60; à Lambaesis, Q. Octavius Gi'tuUcus et Advenus Venerandi [filiui:], id., ïh\d., 2615, 10764.

1. C. /. Lat., VJII, 21848.

2. Bull, arcli. du Com., 1898, p. 176. n. 5.

3. C. I. Lat., VIII, 2613.

4. Id., ibid., 2486, 18007.

5. Wissowa, Religion uiul KuUus der Rijiner. p. 249.

306

CHAPITRE III

Patrius et S il dus données au dieu corroborent celte opi- nion. Ce Mercurius africain protégeait peut-éire encore plus l'agriculture que le commerce. Il nous semble en trouver la preuve dans quelques documents monétaires qui proviennent à la fois de Carthage, d'Hippo Diarrhytos, de la Xumidie et de la Maurétanie. Ou sait que le caducée gréco-romain est très fréquemment représenté sur les stèles puniques. Ce même motif se retrouve sur de nombreuses monnaies, et parfois il y acquiert un sens très précis. Par exemple, sur une monnaie d'Hippo Diarrliytos, le caducée est placé dans la main gauche d'une déesse, représentée debout, de face, drapée et peut-être coiffée du modius; il est orné de deux épis, qui semblent émerger à droite et à gauche de la tige même du caducée '. Deux monnaies de Ptolémée, roi de Maurétanie, sont également à retenir à ce sujet : sur l'une le caducée est représenté ailé entre deux épis; sur l'autre, il est accosté de deux cornes d'abondance ^

D'autre part sur plusieurs monnaies, principalement de Carthage, le caducée occupe la place qui est presque tou- jours dévolue au palmier '. Les revers carthaginois l'on voit un cheval passant ou galopant devant un palmier sont bien connus. Le palmier est un symbole de la richesse agri- cole du territoire de Carthage. Or parfois aux lieu et place du pahnier est figuré un caducée : ou cette sid3stitution n'a aucun sens, ou elle signifie que le caducée a une valeur symbolique sensiblement analogue à celle du palmier, c'est- à-dire fait allusion à la fertiUté du pays.

Lorsque dans l'Afrique romaine l'anthropomorphisme gréco-romain remplaça le symbolisme punique, l'antique caducée symbolique céda la place au dieu dont l'attribut principal était le caducée, et ce fut sans doute par l'eft'et de

1. L. Muller, Xinnisin.de l'Afr. anc, II, p. 167, n. 374; cf. III, p. 67, n. 80.

2. Id., III, p. 127 et suiv., no^ 150 et 152.

3. Id., II, p. 98, 223; p. 100, no^ 253-255: p. 103, n. 313. La même subs- titution se présente sur une monnaie du roi de Numidio, Micipsa; id., 111, p. 18, n. 20.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 307

cette attraction que le nom de Mercurius fut donné au dieu punique dont le caducée était le symbole. Puisque le cadu- cée-symbole était en rapports étroits avec la richesse fon- cière, le dieu au caducée, Mercurius, dut au moins en partie hériter ce caractère. L'assimilation fut peut-être faci- litée par le rôle considérable que le commerce du blé pas- sait pour avoir joué dans l'institution à Rome du culte de Mercurius *.

Quoi qu'il en soit, la diffusion du culte de Mercurius dans les provinces africaines, le caractère même de ce culte et certains détails que les documents nous ont révélés s'ex- pliqueraient difficilement, si l'on se refuse à admettre que le nom de Mercurius ait servi en Afrique à désigner sous l'empire tantôt le dieu gréco-romain, tantôt une divinité punique ou punico-libyque.

Les documents, beaucoup plus nombreux pour les pro- vinces gauloises et gallo-germaniques que pour les pro- vinces africaines, sont aussi plus caractéristiques. En Narbonaise et dans les trois Gaules, les cent trente ins- criptions, où se lit le nom de Mercurius, ne mentionnent ni un fonctionnaire impérial, ni un officier, soldat ou vétéran, ni même un magistrat municipal, à moins qu'on ne veuille considérer comme tel Aemilius, maglster vici Bodati '\ chez les Mediomatrici ; tous les dédicants sont de simples particuliers, et presque tous sont de très petites gens, parmi lesquels se trouvent quelques esclaves ou affranchis '\ Si dans la vallée du Rhône, ils portent assez souvent les tria nomina romains, hors de la Narbonaise les traces de no- menclature et d'onomastique indigène sont fréquentes \

1. AVissowa, Religion und Kultus der Rijmer, § 46, p. 242-243; § 47, p. 248.

2. G. I. Lut., XIII, 4310.

3. Id., XII, 1314 (Vasio); 2318 (Vienna?); 2771 (ager Volcarum); 3087 (Ne- mausus); 5362 (Xarbo). G. I. Lai., XIII, 244 (Lugdunum Convenarum); 574 (Burdigala); 1124 (Limonum Pictonum); 1192 (Avaricum) ; 1768 (Lugdunum) ; 3183'' (Trésor de Bertliouville).

4. G. I. Lat., XIII, 263G, 2-'91, 3183, 3419, 3452, .3607, 4123, 4126, 4576, 4578.

308 CHAPITRE III

Les précieux ex-voto, dont l'ensemble est communément appelé le Trésor de Bertliouville, attestent la faveur dont le culte de Mercurius jouissait en pleine Gaule chevelue. Ce ne sont ni des étrangers venus d'Italie ou de Grèce, ni même en majorité des Gaulois profondément transformés par l'in- fluence romaine qui ont offert au dieu ces vases et ces patères d'argent : si Q. Doinitius Tutus, Q. Lucanius Blae- sus, Q. Statilius Clarus ^ portent les trois noms habituels des Romains, sans toutefois qu'il soit indiqué s'ils sont ins- crits ou non dans une tribu romaine, auprès d'eux qui ne reconnaîtrait certainement des indigènes dans Ifnxinninu.s Carantinl filins, Creiicus Runatis [filins), Comharomarus Buohmii fiL, Camulognata Coigi filia, Genuanissa Viscari [fiUa) ^<?

Dans la province de Bretagne, les traces du culte de Mercurius sont peu nombreuses, mais elles ne manquent pas d'intérêt. Elles proviennent toutes de la partie septen- trionale de la province, des postes situés dans le voisinage ou le long du vallum Hadriani et du vallum Pii ^ ; parmi les dédicants, on remarque h Cataractonium deux sous- offlciers; le long du vallum Pii des cives Ifalici et Xorici qui servent dans la legio VI Victrix. Sur un de ces textes Mercurius est appelé deus qui vias et semitas cojnmoitus est * : il est le dieu Viator. Un autre détail curieux nous est révélé par les deux inscriptions trouvées entre le vallum Hadriani, et le vallum Pii : ces deux inscriptions, décou- vertes au même endroit, mentionnent l'existence de ciillo- res du dieu, et nous apprennent que l'image du dieu était ou bien placée sur une colonne en bois ou accompagnée d'une telle colonne '\ Sur une des patères d'argent du Tré-

1. C. I. Lnt., XIII, 3183.

2. M., ibid., 3183.

3. Id., VII, 271 (Cataractonium); 7u7 (Vindolana); lUG'.t, 1070 (Calodonia) ; 1095 (Vallum Pii).

4. Id., ibid., 271.

5. Id.. ibid., lOGO, 1070.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 309

sor de Beilhouville, Mercurius est représenté debout entre deux colonnes, qui portent l'une un coq et l'autre une tor- tue ^ Les columnac ligneae que les cuUores de Mercurius lui consacrent dans ce poste lointain de la Bretagne septen- trionale étaient peut-être destinées à supporter de même quelques-uns des attributs habituels du dieu.

La Germanie inférieure n'a pas fourni beaucoup plus de témoignages du culte de Mercurius que la Bretagne. Une dizaine d'ex-voto ou de dédicaces ont été recueillis sur la rive gauche du Rhin, près des emplacements qu'occupaient soit les camps de Noviomagus - et de Vetera \ soit les villes essentiellement militaires de Colonia Agrippina ^ et de Bonna ^ Parmi les dédicants, on remarque un vétéran et un centurion. L'inscription la plus curieuse est la dédicace à Mercurius d'un pont : C. Apronius Ajjer voto suscepto Mercurio pontera v. s. l. m. \ Ici, comme à Cataractonium, Mercurius est le dieu dont les voyageurs implorent la pro- tection.

La Germanie supérieure présente un spectacle bien diffé- rent ; l'importance et la diffusion du culte de Mercurius n'y furent pas moindres que dans les provinces gauloises. Plus de quatre-vingt-dix inscriptions l'attestent. Lorsque l'on étudie ces documents, on est d'abord frappé par l'absence complète des officiers : ni à Mogontiacum, ni le long du limes Germanicus n'a encore été trouvé soit une dédicace soit un ex-voto à Mercurius signé d'un légat, d'un préfet, d'un tribun, ou d'un centurion : trois custodes armorum \ trois heneflciarn cons[ulis) % un immwiis cons'.uUs) ", trois

1. c. I. Lut., XIII, 31832.

2. Bramb., 70, 91.

.3. I(!., 153, 158, 2U6; Ann. èpigr., 1005, n. 228.

4. Bramb., a35, 2040.

5. Id., 450; Ann. épigr., 1903, n. 279.

6. Ann. épigr., 1903, n. 279.

7. C. I. Lat., XIII, 6078, 6156.

8. Id., ibid., 6348, C648a, 6741.

9. /'?.. ibid.. 7277.

310 CHAPITRE III

vétérans * représentent seuls larmée parmi les fidèles de Mercurius dans ces régions pourtant camps permanents et postes détachés ne manquaient pas. Ce n'est donc pas l'armée qui a introduit et popularisé le culte de Mercurius dans la Germanie supérieure. Les adorateurs du dieu sont presque tous des indigènes ; leurs noms mêmes le démon- trent, par exemple : Togirix Metiae f., à Eburodunum chez les Helveti ^ Augustus Tocisse fll., à Argentoratum ^ Se- cundius Belatulus, Constans Bellatoricis (fdius), Severus Equoni, Pervinca Paterni, Julius Coventi, Exsuperator Ta- luppe, Mansuetus Artaci, Cambo Justi, Sex. Cottius Tas- gillus *, dans les pays qui forment aujourd'hui l'Alsace septentrionale et le Palatinat rhénan ; L. Indutius Victor, C. Julius Satto à Mogontiacum ^ etc., etc. C'est le tout petit nombre qui porte les tria nomina romains : bien plus fré- quents sont ceux qui se nomment Ocellio. Julius Matutinus, Paternianus Pacati, Fortunatus, Moderatus, Civilis, Campa- nius Materninus, Yictorius A' ictor ^ etc, etc. On cherche- rait vainement dans ce groupe assez compact un fonction- naire d'empire ou un magistrat municipal. De cinq dédi- cants seulement nous savons autre chose que les noms : Valer. Hispanus, qui consacra un ex-voto à Mercurius à Solodurum (auj. Soleure), était serir Âugusfalis à Lugdu- num ' ; à Augusta Rauracorum, l'un des fidèles du dieu L. Giltius Celtili f. Quir. Cossus était de même sévir Augiis- talis *; à Mogontiacum, Mercurius reçut les hommages d'un negotialor, L. Senilius Decmanus, et d'un esclave, Dona- tus, employé des publicains qui avaient affermé la percep-

1. c. I. Lat., XIII, 7214, 7217, 7218.

2. Id., ibid., 5055.

3. Id., ibid., 5969.

4. Id., ibid., 5993, 6019, 6028, 6033, 6031, 6084, 6091, 6194.

5. Id., ibid., 7243, 7276.

6. Id., ibid., 5003, 6029, 6032, 6045; Branib., 1782 1879, 1880,; C. /. Lat., XIII, 6267, 6268.

7. Id., ibid., 5174.

8. Id., ibid., 5260.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON 311

tion de la Vicesima libcrtal'is ' ; enfin, à Krenznacli a été trouvé un ex-voto du faber Masclius Satto, adressé à la fois à Mercurius et à Maia ^. Ces détails précis corroborent, bien loin de l'affaiblir, l'impression produite par fétude des noms inscrits sur les dédicaces et les ex-voto à Mercurius. Nous sommes ici en présence d'un culte populaire, dont les racines plongent dans le sol même du pays. L'association à Mercurius de la déesse Maia ^ ne doit pas nous induire en erreur. S'il est vrai que le nom de Maia désignait à Rome même une ancienne déesse latine \ il ne s'ensuit pas que la déesse, à qui ce nom fut donné dans quelques cantons de la Germanie supérieure, fût précisément l'an- tique divinité italique : il est beaucoup plus vraisemblable, suivant l'opinion de Wissowa, que le nom de Maia désigne ici la déesse parèdre de Mercurius en Gaule et appelée ail- leurs Rosmerta '\

Il nous paraît légitime de rattacher, en ce qui concerne le culte de Mercurius, la Rétie à la Germanie supérieure. Sur quinze dédicaces ou textes votifs qui proviennent de cette province, dix ont été recueillis le long ou même au nord du Danube, c'est-à-dire dans la région la plus voisine du limes Raetlcus; de ces dix, trois seulement portent des noms d'officiers ou de soldats ^ Les autres fidèles du dieu sont de simples particuliers, provinciaux d'origine suivant toute apparence : Cl(audius) Victor, Jul(ius) Gallicus, Cl(au- dius) Augustanus, D. Jul(ius) Priscinus, Aei^lius) Florenti- nus \

A ces documents, dont le caractère ne se distingue guère de l'ensemble des documents recueillis dans les

\. C. I. Lai., XIII, 7215, 7222.

2. Bramb., 721.

3. C. I. Lat., XIII, 6018, 6025, 6157; Bramb., 721, 1835.

4. Wissowa, Relig. îind KuU., p. 181-185.

5. Wissowa, op. cit., p. 248.

6. C. I. Lat., III, 5899, 5924, 5938.

7. Id., ibid., 5875, 5877, 5904, 5926, 5931.

312 CHAPITRE m

provinces gauloises et germani(|Lies, s'oppose un ex-voto (VAugusta Vindelicum, signé d'un des plus grands per- sonnages de l'empire, Appius Claudius Lateranus, XV vir sacr[is) fac{uindis.), cos. design., le gains Augustl pro praeloy^e leg. III Itcd[icae) K Mais Appius Claudius Latera- nus a pris soin d'indiquer que sa gratitude s'adressait à un INIercurius particulier, Mercurlo cujus sedes AIP sunl. Quelle est la ville, quel est le sanctuaire ou le lieu de culte dont le nom se cache dans ce groupe de lettres A'EP? On ne le sait. Mais ce qui est certain c'est que notre légat vou- lait témoigner sa dévotion à un dieu qui lui était particu- lièrement cher ; il 3^ a donc un cas tout à fait spécial.

De tous les faits que nous venons d'exposer, il résulte pour nous que le dieu invoqué sous le nom de Mercurius par les habitants des provinces gauloises et germaniques de l'empire avait un caractère essentiellement populaire. Ce ne furent ni les fonctionnaires impériaux, ni les officiers des légions ou des troupes auxiliaires, ni les simples sol- dats, ni les colons installés par le gouvernement romain ici et là, qui répandirent le culte de ce dieu. L'origine et la cause de la faveur dont il jouit doivent être cherchées dans le pays même. César et Tacite nous les indiquent. César donne précisément le nom de Mercurius au plus grand dieu des Gaulois :.. Jiu/ic omnium inventorem artiiim fcrunt, hune viarum atque itinerum ducem, hune ad quaestus pecuniae mercaturasque habere rim maxbnam ay^bilran- lur ^ Plus brièvement. Tacite se contente d'affirmer que Mercurius est le principal dieu des Germains ^ Ainsi, avant de subir la domination romaine, les Gaulois adoraient un dieu, qu'ils considéraient comme le créateur de l'industrie, le maître des routes, le protecteur du commerce. N'est-ce pas le triple caractère de notre Mercurius des provinces

1. C. I. Lat., III, 5703.

2. Le Bell. Gall., YI, 17.

3. Germaii., 9.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 31 3

gauloises? N'est-ce pas le dieu de rindustrie qu'invoquent le faber Masclius Satto, le vesllariKs'l Claudius Maxsimi- nus '? N'est-ce pas le maître des routes, qu'une inscription de Bretagne appelle deus qui vias et semUas comrncnlus est -, auquel entre Colonia Agrippina et Bonna C. Apro- nius Aper consacre un pont comme ex-voto % en l'honneur duquel enfin un Gaulois de la civitas Mediomalricorum fait placer des bornes milliaires le long d'une voie publique pendant douze lieues à partir du viens Sararus ^? N'est-ce pas au protecteur du commerce, du dieu qui procure les meilleurs gains, que s'adressent Evhangelus, esclave des socii qui ont afTermé la Qaadragesinia Gcdliarum ^ ; Ocea- nus, esclave impérial, dispensaior a frumento ^; L, Seni- lius Decmanus, ne goticdor h ^iogowïmcvim ''\ Donatus enfin, l'esclave des publicains qui ont affermé la Vicesima liber- tatis *? Ne serait-ce pas aussi comme créateur et dieu de l'industrie que Mercurius fut spécialement invoqué en Ger- manie supérieure par trois custodes armorum ^?

En Gaule et en Germanie^ comme en Afrique, Mercurius reçut beaucoup d'iiommages parce que ce nom purement latin servit à désigner moins une divinité romaine ou gréco- romaine immigrée qu'un dieu national et populaire, dont le culte était très répandu avant l'arrivée des Romains. Il n'en est que plus intéressant de constater l'emprunt absolu fait par l'imagerie provinciale du type gréco-romain, qui servait à représenter Mercurius-Hermes. Le sculpteur est plus ou moins habile; les statuettes sont grossières ou élé- gantes; mais le type est immuable. Mercurius en Gaule et en

1. Bramb., 721 ; C. I. Lat., XIII, 1561.

2. C. I. Lat., YII, 271.

3. Ai}n. cpigr., 1903, n. 27Û.

4. C. I. Lat., XIII, 1549.

5. Ici, XII, 5362.

6. Jd., XIII, 4323.

7. Id., ibid., 7222.

8. 2d., ibid., 7215.

9. Id., ibid., 6078, 6156.

314 CHAPITRE m

Germanie fut représenté, sous l'empire, coiffé du pétase ailé, ayant pour attributs essentiels la bourse et le caducée, entouré d'un coq, d'une tortue, d'un bélier. Il n'y a de pro- vincial que la maladresse technique dans les très nombreuses images de Mercurius qui sont sorties du sol en France ou sur les bords du Rhin.

Les divinités, que les Romains appelaient ApoUo et Diana, reçurent d'assez nombreux hommages dans les provinces latines. Elles furent invoquées parfois ensemble, plus sou- vent séparément, tantôt sous les noms plus rares de Sol, Luna, Hécate.

Il est resté peu de traces certaines d'un culte commun d'Apollo et Diana. Ces traces ont été recueillies en Afrique \ en Bétique -, en quelques rares points des frontières rhénane et danubienne ^ en Dacie et dans la Môsie inférieure *. L'existence d'un temple consacré à la fois aux deux divinités n'est assurée que pour Mactaris, en Afrique ^ et Arucci en Bétique ". Les dédicaces à Sol et Luna ne sont pas plus abondantes. Elles proviennent d'Afrique ', de Lusitanie ^ de Narbonaise ^ des trois Gaules '", de la Germanie inférieure ", de la Germanie supérieure **. Il est remarquable que la plu-

1 C. I. Lat., VIII, in06, 12413 ;?), 1G520-I6ry31.

2. Id., II, 9GI.

.3. Id., XIII, GG29; III, 3631-3632.

4. Id., III, 986, 7447, 12371, 12373.

5. R. Gagnât et P. Gauckler, Les monuments antiques de la Tunisie, p. 21-22.

6. C. I. Lat., II, 964.

7. Id., VIII, 14688-14689.

8. Id., II, 258, 259.

9. Id., XII, 1551.

10. Id., XIII, 4472-4477.

11. Bramb., 151.

12. C. I. Lat., XIII, 5026, 6058.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 315

part des personnages mentionnés par cette double série de documents sont des fonctionnaires, des officiers, des sol- dats, le pins souvent des étrangers au pays : parmi enx l'on distingue un consul ', un préfet du prétoire -, denx légats impériaux ^ deux procurateurs \ un tribun légionnaire % un centurion ", et deux corps de troupes ', etc.

Les seules provinces ce double culte ne fut peut-être pas purement et simplement importé sont l'Afrique et la Mésie inférieure. Dans l'Afrique, et principalement dans les parties de l'Afrique s'était exercée l'influence de Car- tilage, il est possible que le couple Apollo-Diana ou Sol- Luna ait été la traduction anthropomorphique du groupe symbolique constitué par le disque et le croissant. Dans la Mésie inférieure, les deux noms d'ApoUo et Diana semblent avoir été donnés à deux divinités d'origine thrace ^ Quoi qu'il en soit de cette double hypothèse, il ressort des docu- ments connus que le culte commun des deux divinités, Apollo-Diana ou Sol-Luna, ne fut rien moins que populaire dans les provinces latines.

Plus fréquentes sont les traces des cultes rendus sépa- rément à Apollo et à Diana.

Quel est le véritable caractère du dieu que les habitants des provinces latines adorèrent sous le nom d' Apollo? Les

1. Q. Aradius Rufînus, à Thuburnica : C. I. Lat., YIII, 14G88, 11689.

2. Julius Placidianus, cliez les Vocontii : 7(7., XII, 1551.

3. Cestius Acidius Perennis, Drusus Yaler. Coelianus, légats de Lusi- tanie : Id., II, 258, 259.

4. Sex. Julius Victor, T. Plaulius Félix: Ferruntianus, à Mactaris : Id., VIII, 619, 11796.

5. C. Cal. Faustinianus, trib. inil. leg. IIII Fl[aviae), à Aquincum : III, 3631, 3632.

6. Aelius Arternidorus, cent. leg. I Italicae), en Mésie-inférieure : Id., III, 12371.

7. Le N[umerus) Brit{oni()n) et Explorat[orum) Nema... sur le Limes germanicus : Id., XIII, 6629; les milites leg. XXX V. V. P. F., près de Vetera, Bramb., 151.

8. DomaszewsAi, Die Religion des rômischen Ileeres []]'estdeut. Zeit- schrift, 1895, p. 5.3).

21

31G CIIAPITRK TII

dpitliètes, rares d'ailleurs, qui lui lurent données, ne nous permettent pas de répondre avec certitude à cette question. Apollo fut invoqué une fois sous le nom d'Apollo Pijdiius ', une fois sous celui d'Apollo Lijcim ^ une fois également il fut appelé Inviclus ^ Les surnoms Pythius et Inrictus paraissent préciser le rôle du dieu vainqueur de Python et des monstres, de l'archer invincible. L'épithète Lycius est, à l'époque romaine, surtout géographique ; mais la physio- nomie de l'Apollo dit Lycien n'est pas très nette : sur les monnaies des villes lyciennes, on lui donne comme attributs tantôt l'arc et le carquois, tantôt la lyre, tantôt le trépied '■* ; sur mie monnaie de Themisonium, dans la Phrygie méridio- nale, il est représenté couronné de rayons ^ : il est donc à la fois le dieu solaire, l'archer, le Musagète, le devin. Lorsque l'image du dieu accompagne, sur les documents originaires des provinces latines, les dédicaces ou les inscriptions voti- ves, l'attribut habituel d'Apollo est la lyre \ D'autre part, il est plusieurs fois associé à Aesculapius ' ; les médecins l'in- voquent ^ et un culte lui est rendu dans les stations therma- les, par exemple aux Aquae Calidac du nord de la Tarraco- naise ^ Il semble que le caractère solaire soit le plus effacé; un texte de Vetera nomme en même temps Apollo et Sol, ce qui paraît indiquer que les deux noms ne désignaient pas exactement le même dieu '°. Il n'est pas impossible d'ail- leurs que le nom d'Apollo ait désigné suivant les provinces des divinités légèrement différentes.

1. C. /. Lfl^,XIII, GIGO.

2. Id., III, 2902. .3. Bramb., 463.

4. Babelon, Tnvent. somm. de la Coll. Waddington, p. IGG et suiv.

5. Id., ibid., p. 391, n. G561, pi. XVIII, flg. 19.

G. Cil. Robert, Epigr. gallo-romaine de la Moselle, I, p. 71 et suiv.; C. I. Lut., VII, 218; III, 933, 991.

7. C. I. Lat., 2004; XIII, GG-21.

8. Id., XIII, 5079, 6621.

9. Id., II, 4487-4190.

10. Bramb., 151.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 317

Le culte d'Apollo ne fut pas apporté dans les provinces par les armées. On n'en trouve aucune trace dans les grands camps légionnaires de Lambaesis en Afrique, du nord-ouest de la Tarraconaise en Espagne; les postes mili- taires de la Bretagne, du Rhin, du Limes germanicus, du Limes raeticus et du Danube en ont fourni si peu, qu'on ne saurait voir dans chacun de ces ex-voto autre chose que le témoignage d'une dévotion tout à fait individuelle. D'autres caractères confirment cette première remarque. En Afrique la plupart des documents ont été trouvés dans la Procon- sulaire : les dédicants sentions soit des magistrats munici- paux soit de simples particuliers K En Espagne, ex-voto et dédicaces proviennent exclusivement de la Bétique ou de la Tarraconaise orientale -. Les provinces de Bretagne, Ger- manie inférieure, Rétie, Norique, Pannonies et Mésies sont d'une extrême pauvreté ^ Dans la Germanie supérieure, le plus grand nombre des documents ont été recueillis sur le territoire des Helveti, des Sequani et des Lingones *; de Mogontiacum, du Limes et des Champ Décumates ne sont originaires que six inscriptions •\ Dans la Narbonaise et les Trois Gaules le culte d'Apollo semble avoir été plus répandu; si l'on rattache à ces provinces les ciuitates des Sequani, des Helveti et des Lingones, qui administrativement faisaient partie de la Germanie supérieure, on constate que les pays occupés par des populations gauloises ont fourni plus de la

1. C. I. Lut., VIII, 858 (Giufls) ; 12017 (Zaaia minor ?) ; I20Ô8 (MuzucJ ; 12487 (Cartilage); 14791 (H"" Debbik); Bull. arch. du Comité, 1898, p. 223 n. 85 (Simitthu); ^n». épigr., 1903, n. 201 (Gighthis); Comptes-rendus de l'Aca- démie des Inscriptions, ann. 1906, p. 218 (Bulla Regia).

2. C. 1. Lat., II, 1403 (Urso); I6I0(Igabrum); 2004 (Nescania); a358 (Aurgi); 4487-4490 (Aquae Calidae, près de Barcino) ; 5164 (Balsa).

3. En Bretagne, 5 : (7. 7. Lat., VII, 179, 218, 452, 632, 1061 ; en Germanie inférieure, 3 : Bramb., 143 a, 151, 463; Rétie, I : C. I.Lat., III, 8659; Panno- nies, 2 : Id., ibid., 4556, 11104 a; Mésies, 4; Id., ibid., 7463, 14210, 14437.

4. C. I. Lat., XIII, 5001, 5025, 5051, 5055, 5079, 5169, 5195 (Helveti); 5366, 5.366 a, 5.374, 5375 (Sequani); 5665, 5933 (Lingones).

5. Id., ibid., 6390 (Champ Décumates); 6169, 6321 (Limes germanicus) ; 6661-6663 (Mogontiacum-).

318

CHAPITRE III

moitié des dédicaces et des ex-voto à Apollo aiijourd'liui connus dans les provinces latines '. De l'Océan au Rhin, la physionomie du culte d'Apollo était populaire : les fidèles du dieu n'étaient ni des fonctionnaires d'empire ni même des magistrats municipaux; ils se recrutaient dans la même classe sociale que les adorateurs de Mercurius; quelques- uns avaient adopté l'usage des tria nomina romains : M. Licinius Maxsuminus, T. Cominius Gratus, M. A^eratius Mercator, Q. Asieius Norbanus, L. Cassius Nobilis; d'autres étaient restés plus fidèles aux noms et aux usages de leurs ancêtres : Yalerius Felicionis, Esciggorix Anumonis f., Te- pidus Comistri f., Cosmus Lucan-^i) fil., Setubogius Esuggi f., Imicius lassi, Scottius Cotilii fil., Togirix Metiae f., Nor- banus Sinisseri f., Julia Bellorix Abrextubogi, etc. Ici encore, César nous révèle la raison pour laquelle Apollo fut, sous l'empire, particulièrement adoré en Gaule ; il le cite, avec Mercurius et Minerva, parmi les dieux le plus révérés par les Gaulois au temps de leur indépendance; il nous apprend qu'il était surtout pour eux le dieu guérisseur : ApoUincm morbos dcpellere -. 11 est vraisemblable qu'il le resta sous la domination romaine. Mais ici, comme déjà nous l'avons constaté pour Minerva, il \\y eut pas concordance entre le caractère dominant du dieu et le type plastique qui fut emprunté à l'imagerie gréco-romaine pour le représenter. Sur le plus grand nombre des monuments figurés, l'attribut essentiel, constant de l'Apollo gallo-romain est la lyre. Outre ce groupe gaulois, qui forme, parmi les documents

1. En Xarbonaise : C. I. Lat., XII, 247 (Foiam Julii); 400 (Massilia); 511 (Aquae Sestiae); 6:« (Arelate); 991, 992 (Glanum), 1276 (Yasio); 5859 (inter Yalentiam et Viennam); 1809, 1810, 2318, 2312, 2374, 2514, 2569, 2585, 2586 (Vienna et ager Yiennensis, Gratianopolis, Genava) ; 2792, 2988 (Yolcae Arecomici); 3044 ^Xemausus). Dans les Très Galliae, C. I. Lat., XIII, 82 (Convenae); 433 (Ausci) : 543 (Elusates) ; 1460 (Augustonemotum Arverno- runi); 1726-1730 (Lugdunum); 2497, 2579 (Ambani); 2833 (Aedui) ; 2920 (Au- tessiodurum Senonumj : 3073-3074 (Turones) ; 3487 (Ambiani) ; 3568 (Morini); 3634, 4036, 4146 Treviri); 4257, 4288, 4289 (Mediomatrici} ; 4706 (Leuci).

2. Debell. GaU., YI. 17.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 310

relatifs au culte cVApollo, l'ensemble le plus nombreux et le plus caractéristique, il convient de signaler d'une part : trois dédicaces, signées par de liants fonctionnaires impé- riaux; d'autre part, quelques inscriptions trouvées en Dacie et dans la Mésic inférieure.

A Lambaesis, le légat P. Metilius Secundus, en Tan 123 ' ; à Bonna, le légat Cn. Cornélius Aquilius Niger, ancien pro- consul de la Gaule Narbonaise et sodalis Iladrlanalis %• à Sarmizegethuza, le légat impérial des trois Dacies, L. Aemi- lius Carus ^ témoignèrent leur dévotion à Apollo. N'est-il pas vraisemblable que l'Apollo ici invoqué est plus spécia- lement l'Apollo Palatimf.s, dont le culte, institué par Auguste, garda pendant tout l'empire une signification officielle?

Dans la Mésie inférieure et sans doute aussi en Dacie, l'Apollo auquel un culte fut rendu sous l'empire était peut- être, comme dans les provinces gauloises, un dieu du pays. On sait que les noms d'Apollo et Diana furent donnés à deux divinités thraces fort populaires ''. Or, le culte d'Apollo et, comme nous le verrons, celui de Diana ont laissé plus de traces en Dacie et en Mésie inférieure que dans tout le reste de l'Illyricum. Sans doute parmi les dédicants, on rencontre un vétéran, un spccidalo)' legionis, un pr/y«- ceps. L'on pourrait en conclure que les soldats ont joué un rôle important dans la difï'usion de ce culte. Mais, le vétéran s'appelle Solo Mucatrl {filius), et le prî;ic^j35, Antonius Zlnenis ^ Miœater, Zinea sont des noms d'origine thrace ®. On peut dès lors se demander si c'était comme Thraces ou comme soldats qu'ils invoquaient Apollo. A la vérité, les

L C. I. Lat., VIII, 2501.

2. Branib., 463.

3. C. I. Lat., III, I1I5.

4. Domaszewski, Die Religion des rôm. Heeres {Westdeulsche Zeitschrift, 1895), p. 53.

5. G. L Lat., III, 767, 14210.

6. Dumonl-Homolle, Mélanges d'archéologie, p. 553^ 555; cf. p. 542-546.

320 CHAPITRE III

documents ne sont pas assez nombreux ' pour nous per- mettre d'affirmer ici la persistance d'un ancien culte natio- nal; mais de fortes présomptions nous paraissent militer en faveur de cette hypothèse.

Un culte particulier fut rendu au dieu Sol ^ en Afrique, à Thugga, en Proconsulaire, à Thamugadi en Numidie, et en Maurétanie Césarienne dans la ville, appelée peut-être Regiae, dont l'emplacement se trouvait non loin du village moderne d'Arbal'; en Gaule, dans la ciritas A7nharrormn'\ Ni l'un ni l'autre de ces quatre textes n'appelle de remarque particulière. Ce sont des ex-voto ou des dédicaces de rédac- tion usuelle. La seule conclusion qu'on puisse en tirer, c'est que le culte du soleil, sous le nom de Sol, était aussi peu répandu que possible dans les provinces latines de l'empire.

Diana semble avoir été un peu plus populaire qu'Apollo dans le monde romain. Les traits essentiels de sa physiono- mie sont aussi plus distincts. 11 n'est pas douteux que la déesse invoquée sous le nom de Diana dans la plupart des provinces latines fut une déesse des bois et de la chasse. Elle est appelée en Afrique : nemo7''wn cornes, victrix fera- rwn * ; en Espagne, Vcnatrix ^; en Dalmatie, Ne7nore{7i]- sis '' et Sllfesl)is '; certaines épithètes, de sens moins pré- cis, se rapportent peut-être à ce même caractère de déesse chasseresse, victorieuse des fauves et protectrice des chas-

1. En Dacie, abstraction faite de la dédicace signée par le légat L. Aemi- lius Carus, 5 documents : C. I. Lat., III, 767, 933, 990, 991, 7821. En Mésie inférieure, 4 : Id., ibid., 7463, 14210, 14237.

2. 11 n'est pas question ici du Sol invictus, dont le culte sera étudié en même temps que le culte de Mithra.

3. C. I. Lat., VIll, 2350 (Tliamugadi); 21626 (Regiae ?) ; Ann. èpigr., 1905, n. 21 (Thugga).

4. C. l.Lat., XIII, 2541.

5. Id., VIII, 9831.

6. Id., II, 5638.

7. Id., III, 1773.

8. /(/., ibid., 1937.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON 321

seurs, Vlcirix ', Invlcta ^ Conservab'ix •\ L'image clas- sique de Diana chasseresse, armée d'un arc et accompa- gnée d'un chien, figure sur quelques monuments *; ici, la déesse est représentée tenant un épieu ^ ; on voit un cerl', une biche et son faon, un écureuil perché sur un arbre ^ Diana est plusieurs fois associée à Silvanus \ Quelques- unes des inscriptions qui la nomment sont gravées sur des rochers * ou ont été trouvées sur le sommet de montagnes boisées ^ D'autres renferment des détails qui ne laissent aucun doute sur le vrai caractère de la déesse : à Turicum, par exemple, elle fut invoquée, en iiKMne temps que Silva- nus, par un groupe cVursa/'i '" ; à Colonia Agrippina. le cen- turion A. Titius Severus consacra à Diana un autel ou une statue idemque vivarium saepsit ^'; par vivarium^ il. faut entendre un parc à gibier. Enfin, c'est bien à la déesse des bois et de la chasse que s'adressait Q. Tullius Maximus, le légat de la legio VII Gemina campée chez les Astures de la Tarraconaise occidentale.

Ut quirel vohicres ccqu'eas, ut fir/ere cervos, Saetigeros ut apros, ut equoruni silvicolenlum Progeniem...

c'est bien à une telle déesse qu'il offrait dénies aprorum, cervum altifrontum cornua *".

Si Diana fut le plus souvent et pour la plupart de ses adorateurs la dea nemorum couics, victrix ferarum, ce ne

1. C. I. Lut., VIII, 9790: XIII, 4515?

2. Ici., III, 7445, 7(370.

3. Id., ibid., 3074.

4. Id., ibid., 3156h, 8059; XIII, G1I2.

5. Id., XII, 402.

6. Id., XIII, 6659; cf. Brainb., 1406.

7. Id., III, 1154, 8483; cf. 10391; XIII, 382, 5243, 6618.

8. 7d., II, 3091-.3093; XIII, 4104.

9. 7d., III, 6320.

10. Id., XIII, 5243.

11. Bramb., 336.

12. C. I. Lat., II, 2660.

3-22 CHAPITRE m

fut pas pourtant sa physionomie unique et exclusive. Elle fut aussi, mais plus rarement, la déesse lunaire, la Dclia Virgo, l'Artemis Ephcsia ou iriformîs; elle paraît aussi avoir été dans certaines régions, sous le nom latin de Diana, moins une déesse gréco-romaine qu'une divinité nationale ou locale. Enfin, deux fidèles de la déesse ont tenu à indi- quer qu'ils adressaient spécialement leurs hommages, l'un à la Diana Tifatina, l'autre à une Artémis grecque, dont le nom a été transcrit en latin, au datif, sous la forme : Diane Celceitidi. 11 n'est pas inutile d'examiner avec quelque attention ces divers documents.

Le plus curieux est assurément la dédicace versifiée de Q. Tullius Maximus, dont nous venons déjà de citer quelques parties. Sans doute l'ensemble du poème démontre que le légat de la Icgio VII Gcrnina révérait surtout en Diana la déesse chasseresse; mais au-dessus des vers, il fit sculpter sur la pierre un croissant de lune entre deux astres; et il invoqua Diana en l'appelant Délia Virgo trifor- mis. Nous trouvons sur cette dédicace condensées, pour ainsi dire, en une seule divinité la déesse lunaire, l'Artemis Délienne, fllle de Leto, et THecatè triformis. Nous ne con- naissons pas dans les provinces latines d'autre monument dont le caractère soit synthétique au même degré. Diana est appelée Dca Virago Délia sur un ex-voto trouvé en Dalmatie '.

Le culte de Diana Ephesia, apporté parles colons grecs et massaliotes, était encore en grand honneur, au début de l'empire, dans certains ports de la Tarraconaise orientale, près d'Hemeroscopium. au sud de Sagonte, à Sagonte même, à Emporium, à Khodè -. Plusieiu's textes épigraphiques mentionnent à Sagonte l'existence d'un groupe de cidtores Dianae ^ Sur un de ces textes, Diana est appelée llaxinia.

1. C. I. Lai.. III, S298.

2. Strabo, III, 4 § 6, 8; cf. IV, 1

3. C. I. La t., IL, 3S20-3823.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 323

En Narbonaise, sur le territoire des Voconces, un person- nage appelé M. Iccius Mummius consacra un bas-relief Dianac Tifatinae : la déesse est représentée en chasse- resse, le pied gauche posé sur un cerf, le pied droit appuyé sur un rocher; de la main gauche elle tient son arc, et de la main droite elle tire une flèche de son carquois ; un chien est couché entre ses jambes '. Le surnom Tifatina atteste la dévotion particulière de M. Iccius ]^Iummius à la déesse adorée en Campanie : mais cette déesse ne se distingue par aucun trait essentiel de la Diana Venatrix habituelle.

Le Diana Celceitis invoquée en Dalmatie présente un caractère différent. L'inscription qui la nomme accompagne un bas-relief, la déesse est figurée trifomus; elle tient une torche dans chaque main, Tune droite, l'autre renversée"-. C'est ici Hecatè et non plus Diana Venatrix. L'épithète Celceitis est sans doute Téquivalent du grec KcAxa'.a ou KîA/.s'la, surnom d'Artemis à Athènes ^

Ici encore il faut voir dans l'emploi de cette épithète l'in- dice d'une piété ou d'une préférence toute personnelle.

L'assimilation de la Diana gréco-romaine à des déesses nationales ou locales est prouvée par divers documents archéologiques et épigraphiques. Cette assimilation paraît s'être faite principalement en Maurétanie, dans le nord-est de la Gaule, en Dacie et Mésie. A Sitifis, deux duumvirs dédient un autel ou une statue à Diana Au(j{nsta) Mauro- rum '\ Sur le territoire de la civiias Medioniatricoriim, on a découvert un fragment de relief qui représente le haut du corps d'une déesse tenant un sceptre ; ce sceptre se termine k sa partie supérieure par une sorte d'édicule sur lequel on lit : De[a] Diana ". Cet attribut est analogue à celui que

1. C. I. Lut., XII, nu5.

2. Id., III, 3156 a.

3. Ardu Epigr. Mitthcil., V (ISSl), p. 21 et suiv. cf. Anian., Aiiab., VII, 19. L'Artémis Celceia d'Athènes a été assimilée à l'Arténiis Brauronia : C. I. Graec, 1947.

4. G. I. Lat., VIII, 84.36.

5. 7rf., XIII, 4469.

324 CHAPITRE 111

porte sur un autre monument d'origine gauloise la déesse Nantosvelta '. On sait d'ailleurs que le nom de Diana fut donne à la déesse de la forêt des Ardennes, Ay^duinna -, et à la déesse de la Foret Noire, Abnoha ^ En Dacie et en Mcsie, le culte de Diana fut assez répandu, la déesse porte des surnoms inaccoutumés, qui lui donnent un caractère assez original : Aetenia\ SaiictaPotenlissljua\ suvioui Re g ma \ 11 est vraisemblable que la Diana ainsi surnommée est mie divinité plutôt thrace ou illyrienne que gréco-romaine \ Quant à Tcpithète MelUfica, qui lui est attribuée sur une inscription d'Apulum *, elle fut peut-être choisie pour rap- peler que Diana était la déesse des montagnes et des forêts vont butiner les abeilles. Cette hypothèse est d'autant plus vraisemblable que le nom du dédicant, Com(atius) Super(ianus) ou Super(stes) se retrouve sur un ex-voto Silvano Silvestri et Dianae, provenant de la même ville \

Ainsi, la physionomie de la déesse appelée Diana ne fut pas exactement la même dans toutes les provinces latines. Si le plus souvent Diana est avant tout la Venatrix, nemo- rum cornes, vicirix- fer arum, elle est aussi tantôt la déesse lunaire, tantôt la Délia vb^go, tantôt l'Hecatè Triformls] elle revêt même ici et là, sans changer de nom, sans recevoir d'épithète empruntée à un autre idiome que le grec ou le latin, un aspect local ou national.

Le culte de cette divinité complexe ne fut pas également répandu dans toutes les provinces. Il ne paraît pas avoir été populaire en Afrique, en Espagne, en Narbonaise, en Aqui-

1. s. Reinacli, Cultes, Mythes et religions, p. 217 et suiv.

2. C. 1. Lat., VI, 46.

3. 7d., XIII, 5334.

4. Ici., III, 6161.

5. 7d., ibid., 1418.

6. Id., ibid., 1003, 7423, 7197, 12371, 12.372, 12373.

7. Domaszewski, Die Religion des rom. Heer., [Westdentsche Zeitschrift, XIV, p. 53); R. Schneider, Arch. Epigr. Mittheil., IX (1885), p. 63 et suiv.

8. C. I. Lat., m, 1002.

9. Id., ibid., 1154.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON 325

taine, en Lugdunaise, en Bretagne; les traces qu'il a laissées dans la Gaule Belgique et dans les deux Germanies sont un peu plus abondantes; mais ce fut en Dalmatie, le long du Danube, surtout en Dacie et dans la Mésie inférieure qu'elle fut le plus souvent invoquée *.

Parmi les fidèles de la déesse, le groupe le plus important est formé de fonctionnaires impériaux, d'officiers, sous- officiers et soldats : nous citerons, dans ce nombre, quatre légats, Q. Tullius Maximus, légat de la legio VU Gemina en Tarraconaise '^; T. FI. Postumius Varus, légat probablement de la légion cantonnée à Isca, dans la Bretagne occidentale ^ ; M. Laelius Maximus, légat de la legio VII Claudia à Vimi- nacium, sur le Danube, dans la Mésie supérieure "; M. Sta- tius Priscus, gouverneur de Dacie "; plusieurs préfets de légion, de cohorte, ou d'aile ® ; un tribun militaire ' ; plusieurs centurions *; une vexillatio de la legio XXII et un groupe ài'Exploraloycs Tribocci et Boi[i?}, sur le Limes germani- eus '•'; deux praepositi limitiun en Maurétanie '°. En dehors de ce groupe, se signalent de rares magistrats municipaux, principalement en Afrique *^ et en Dacie '^; quelques au- gustales plus rares encore '^ trois esclaves ou aflfran-

1. Les documents épigraphiques aujourd'hui connus se répartissent ainsi, sauf lacunes ou erreurs de détail. Total : 132; Provinces africaines : 9; provinces espagnoles : 17; Narbonaise, 10; Aquitaine, 2; Lugdunaise, 2; Gaule Belgique, 6; Bretagne, 2; Germanie inférieure, 4; Germanie supé- rieure, 14; Rétie et Xorique, 1; Dalmatie, 16; Pannonies, 15; Mésie supé- rieure, .3 ; Dacie, 22 ; Mésie inférieure, 9. Soit : pour les régions rhénanes et voisines du Riiin, 24; pour la Dalmatie et les provinces danubiennes, 66.

2. C. I. Lat.,l\, 2660.

3. M., VII, 95.

4. Id., III, 8103.

5. Id., ibid., 940.

6. M., ibid., 915, 1773, 4.360-43G2, 4393, 10394; VIII, 9831.

7. Id., III, 3455.

o8. Id., ibid., 12.371, 142111»; XIII, C6.59; Bramb., 328, .332, 336.

9. C. I. Lat., XIII, 6418, 6618.

10. Jd., VIII, 9790, 9791.

11. Id., ibid., 2843, 8436.

12. Id., III, 1281, 1583.

13. Id., ibid., 1001, 3836; XII, 4008.

326 CHAPITRE III

chis ', Les autres fidèles sont des personnages sans titres d'aucune sorte, des provinciaux de condition modeste.

Deux éléments semblent donc avoir contribué à la diffu- sion du culte de Diana dans les provinces latines : d'une part l'armée, qui révérait surtout en elle la déesse de la chasse; d'autre part l'existence, dans les régions rhénanes et danubiennes, de déesses non romaines, auxquelles Ger- mains, lUyriens et Thraces attribuaient l'empire des monts et des bois.

Au culte de Diana se rattachent le culte de la déesse lunaire, invoquée sous le nom de Luna; le culte d'Hecata ou Hecatè; le culte des divinités, qui, au nombre de deux, trois ou quatre, passaient pour protéger spécialement les carrefours et portaient les noms de Biviae. Triviae, Quadri- viae, Quadruviae ou Quadrubiae.

Très rare, le culte de la déesse Luna a laissé pourtant quelques traces en Afrique-, en Espagne', en Xarbonaise ', en divers points des régions rhénanes ' et danubiennes ^

La seule épithète caractéristique qui accompagne le nom de la déesse esiLucifeiYt; le mot se comprend de lui-même. La dédicace trouvée à Sitifls en Maurétanie est gravée sur un bas-relief, qui représente, conformément au motif clas- sique et banal, la déesse debout sur un char traîné par des chevaux au galop '. Les dédicants, parmi lesquels se trou- vent un soldat % un mag[ister) vici ou pagi'^. ^ peut-être un aug{ur) "*, et un d{ecurio) c[wiuni) R[omanorum) Mog[oii-

1. C. I. Lat., III, 1288, 7903; II, S^n.

2. A Thysdrus, Ann. épigr., 1905, n. 9: à Sitifis, C. I. Lat., VIII, 8437.

3. A Aeso, en Tarraconaise, C. 1. Lat.. II, 4158: à Ma^o, dans les Baléa- res, irf., ibid., 371(5.

4. A Glanum, C. L. Lat., XII, 997; à Vasio, id., ibid., 1-29-2-1-294.

5. A Mogontiacum, C. I. Lnt., XIII, 6733.

G. A Virunum, en Norique, C. I. Lat., III. 4793; à Neviodunum, en Pan- nonie, id., ibid., 3920: à Apulum, en Dacie, id., ibid., 1097.

7. C. I. Lat., VIII, 8437.

8. Id., II, 3716.

9. Id., III, 1097.

10. Ann. épigr., 1905, n. 9.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 327

tiacï)'} ', ont tous agi en leur nom personnel. Aucun docu- ment ne mentionne un temple ni une chapelle de la déesse. La plupart des inscriptions sont certainement de simples ex-voto.

La divinité à la fois lunaire et infernale, que les Grecs appelaient 'Exàro, n'a été que très rarement invoquée sous le nom d'Hecata ou Hecalè dans les provinces latines. Nous ne connaissons que deux textes ce nom figure : l'un provient de la cicilas Trei-irorum \ l'autre d'Atrans, à la limite du Norique et de la Pannonie \

En outre la déesse trifoyinis est représentée sur un monument découvert à Salonae, en Dalinatie, on lit :

Quisq[uis) in eo vico stey^cus non jjositerit aut non caca- verit aut non rniaverif, Iiabeat illas irropiiias; si neglc- xerit, viderit ''.

L'emploi du pluriel iUas montre que l'imagination popu- laire voyait trois déesses dans l'Hecatè à la triple forme, et nous explique pourquoi T'Exàrr, -zp'.oo >.-[:; est devenue sous l'empire, dans plusieurs provinces latines, non point Trivia, mais les Triciae \ La formule, par laquelle l'inscription se termine, menace le délinquant de l'apparition des déesses; elle doit être sans doute rapprochée de l'expression visu monitus, qui se lit sur le texte trouvé près de Trêves.

Si les textes, qui donnent à la divinité le nom d'Hecata, sont extrêmement rares, les invocations aux Triviae le sont moins. Il est en outre impossible de séparer les Triviae des Biviae et des Quadriviaeou Quadrubiae avec lesquelles elles sont maintes fois réunies dans les documents. Nous consi- dérons les dédicaces aux Biviae, Triviae, Quadriviae, nom- mées ensemble ou séparément, comme les témoignages

1. C. I. Lat., XIII, 6733.

2. Id., ibid., 3613.

3. Id., III, 5119.

4. Ici., ibid., 1966.

5. P. Paris, art. Hecalè, in Daremberg, Saglio et Pottior, Dictionnaire des Antiquités, t. III, p. 51.

328 CHAPITRE III

d'un culie, dont la forme extérieure seule différait du culte rendu à la déesse appelée Hecata.

Les noms mêmes de ces divinités indiquent qu'elles pas- saient pour présider aux carrefours : mais leur physionomie manquait de précision; ceux qui les invoquaient ne savaient pas s'ils devaient les appeler des dieux ou des déesses; dans le doute, ou bien ils les appelaient à la fois dieux et déesses, par exemple :Deis Dcahus Btris Triris Qi'.adriris '; ou bien ils leur donnaient les uns le sexe masculin, les autres le sexe féminin : dans un poste du Limes germanicus^ ont été découverts deux ex-voto, l'unD/s Quadrubis, l'autre Deahus Quadrubis '.

Le culte de ces divinités a été surtout populaire dans les deux provinces de Germanie : sur 25 textes épigrapliiques qui s'y rapportent, 18 proviennent de ces régions; la plu- part ont été trouvés sur remplacement soit des camps légion- naires, Vetera ^ Mogontiacum ^ Argentoratum ~\ Yindo- nissa^ soit des postes du Limes germanicus ou des Champs Décumates '. Hors même de ces lieux de garnison, les ex- voto émanent parfois de soldats ou de vétérans, par exemple àColonia * et dans la civitas Lingonum ". A Confiuentes, les Quadriviae reçurent l'hommage d'un publicanus *\ Les documents aujourd'hui connus ne nous permettent pas d'apercevoir les raisons pour lesquelles ces divinités des routes ont été spécialement invoquées dans les provinces rhénanes, tandis qu'on ne trouve absolument aucun vestige de leur culte en Afrique, en Espagne, en Bretagne, et que

1. C. I.Lat.,Xni, 5621.

2. Id., ibid., 7130, 7431, cf. ibid., 6315 et 6343.

3. Ann. épigr., 19Cfâ, n. 229.

4. Id., 1904., n. 181; C. I. Lai., XIII, 6667.

5. C. I. Lat., XIII, 5971.

6. Id., ibid., 5198.

7. Id., ibid., 6315, 6343, fr429 a, 64-37, 7398, 74.30.

8. Ann. épigr., 1904, n. 101.

9. C. I. Lat., XIll, 5621.

10. Id., ibid., 7623.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 329

le long du Daiuibe, trois ex-voto seulement leur ont été con- sacrés, à Carnuntum par un vétéran *, à Apulum par une femme, Fl(avia) Pulchra -, en Mésie inférieure, on ne sait par qui ^

Il n'en est pas de même pour un autre groupe de docu- ments beaucoup moins nombreux sans doute, mais de caractère plus précis, le groupe dalmate. De la Dalmatie proviennent quatre ex-voto consacrés aux Triviae *. Remar- quons qu'ici il n'est question ni de Biviae ni de Quadriviae. Les habitants de la Dalmatie semblent ne connaître que les Triviae. D'autre part, en Dalmatie ont été trouvés deux images de la déesse triformls : elles ornent Tune la dédi- cace à Diana Celceitis, l'autre la « Défense de déposer des ordures, etc., sous peine d'apparition des déesses » \ Ce dernier document, le pluriel est employé pour désigner l'Hecatè triformis^ nous fournit, pour ainsi dire, la transition entre la déesse à la fois unique et triple d'une part, et d'autre part les trois déesses ou Triviae. Si, en outre, la Diana Celceitis a été justement rapprochée de r"Apx£u'.; K£).x£'la athénienne, on entrevoit l'origine plus grecque que romaine de ce culte en Dalmatie. Ce n'est pas l'unique indice des rapports de la Dalmatie et du monde hellénique dans le domaine religieux : nous avons déjà vu plus haut que le dieu appelé Silvanus sur les inscriptions latines de la Dalmatie fut presque toujours représenté sous la forme caractéris- tique du Pan Grec. En résumé, les Triviae de Dalmatie ne sont qu'une déformation de la dea tri for mis ^ et la dea tri- formis semble avoir été dans cette province une importa- tion grecque.

1. C. I. Lat., III, 4441.

2. Ici., ibid., 1140.

3. Fd., ibid., 12349.

4. Id., ibid., 3159, 8511, 9755, 9869.

5. Id., ibid., 1966, 3130 a.

330 CHAPITRE III

La parenté mythique établie entre Apollo et Aescula- pius, ainsi que leur caractère commun de dieux guéris- seurs, ont décidé les mythologues à rattacher au cycle d'Apollo Aesculapius et sa parèdre Hygia.

Ces deux divinités ont été honorées et invoquées dans les provinces latines tantôt ensemble, tantôt séparément. Le nom d'Aesculapius se rencontre fréquemment sous la forme grecque Asclepius ' ; une seule fois il a été remplacé par un nom différent, celui de Deus Salutifer -. Le nom d'Hj^- gia a été d'un emploi moins constant : la déesse associée à Aesculapius a été souvent appelée Sahis, Dca Salus ^; dans la divmité nommée Valetiido, Bona Valetudo \ on ne peut voir non plus qu'une variante d'IIygia. Quant au caractère même et aux attributions du dieu et de la déesse, il ne sau- rait y avoir le moindre doute : des confins du Sahara aux retranchements construits en Calédonie, des côtes de la Lusitanie aux bords de la mer Noire, ce sont les divinités à qui l'on s'adresse pour conserver ou pour rétablir sa santé ". De même le type plastique adopté par l'art gréco-romain pour représenter Aesculapius et H^'gia s'est répandu, sans subir aucun changement, d'un bout des provinces latines à l'autre, de Lambaesis en Numidie '^ à Potaïssa et Apulum en Dacie \

Les documents qui peuvent nous renseigner sur le culte

1. CI. Lat., II, 173, 3725, 3726, 3819; III, 3326, 3113, 7653, 7710, 11538, 11758; cf. 7740; XIII, 3636.

2. C.I. irt<., VIII, 20961.

3. Id., ibid., VII, 164; VIII, 2579i ; cf. II, 803, 1137; VII, 100; VIII, 15U8; Ann. épigr\, 1897, n. 75.

1. C. I. Lac, VIII, 9610; Ephem. Èpigr., V, 1299; Ann. épigr., 1905, n. 2.36.

5. V. en partie. C. I. Lut., III, 987, 1561.

6. R. Cag-nat, Musée de Lambèse, p. 42-43, pi. II.

7. C. I. Lnt., III, 979, 12515.

Lt:S DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 331

commun d'Aesciilapius et Hj'gia dans les provinces latines forment deux groupes assez nets : d'une part, une douzaine environ de dédicaces et d'ex-voto qui proviennent des régions les plus diverses, Afrique, Espagne, Bretagne, Norique, Dalmatie, Pannonie ; d'autre part, un ensemble compact de 27 inscriptions trouvées en Dacie, principale- ment à Apulum.

Dès l'abord, on remarque le caractère presque unique- ment militaire du premier groupe. Le culte commun des deux divinités a laissé des traces en Afrique, à Lainbaesis ' ; en Espagne, à Bracara Augusta -; en Bretagne, à Deva '^; en Germanie, à Bonna *; en Pannonie, à Aquincum et Matrica '*. Toutes ces villes servaient sous l'empire de gar- nisons soit à des légions, soit à des détachements. Les officiers ou leur entourage sont de beaucoup les plus nom- breux parmi les fidèles du dieu et de la déesse. A Lambae- sis, le temple commun d'Aesculapius et de Salus, temple dans lequel étaient aussi honorés Jupiter Valens et Silva- nus, fut construit en 162, au nom et sur l'ordre des deux empereurs Marc Aurèle et Lucius Verus, par la legio III Augusta \ Parmi les textes retrouvés dans le temple, figure une dédicace signée par M. Aur(ehus) Cominius Cassianus, légat impérial en Numidio et consul désigné (211-212) \ A Deva, les fidèles du couple qui guérit sont les affranchis et toute la maison du légat [T. Pompjonius Mamilianus Rufus Antistianus Funisulanus Vettonianus ^ A Bonna, Aescula- pius et Hygia sont honorés, en même temps que les For-

1. C. I. Lut., VIII, 2579«, 2580, 2590.

2. M., II, 24II.

3. Ici., VII, 161.

4. Bramb., 516.

5. C. I. Laf., III, 3388, 3112, 3413.

6. Id., VIII, 2579a; R. Gagnât, Lambèse, p. 52-56; Wilmanns, Étude sur le camp et la ville de Lambèse (trad. Thédenat), p. II et suiv.; S. Gsell, Les monuments antiques de V Algérie, I, p. 140.

7. C. I. Lut., VIII, 2589.

8. /'?., VII, IGl: Prosopoyr. i,)qi. Rom., I. p. 84.

332 CHAPITRE III

tunae Salutares, par le légat de la legio I Minervia, dont le camp se trouvait précisément dans cette ville '. En Pan- nonie, les dédicants sont, à Matrica, un préfet, \yyxiefecius alae 1 Thracum -; à Aquincum, un heneftclarius du légat de la legio II Adjutrix ^ et un médecin militaire *. 11 est donc certain que, dans la majeure partie des provinces lati- nes, le culte commun d'Aesculapius et d'Hygia a été célébré dans les camps ou auprès des camps et n'a guère été célé- bré que là. Il y a même eu, si l'on se rappelle les inscrip- tions de Lambaesis, Deva, Bonna, un caractère officiel nettement marqué.

En Dacie, ce même culte se présente sous un aspect fort différent. On ne rencontre parmi les fidèles des deux divi- nités ni un gouverneur de la province ni un commandant de légion. Les officiers, sous-officiers, soldats ou vétérans n'y représentent qu'une faible minorité, 5 sur 27 ^ Presque double est le nombre des magistrats, prêtres municipaux et augustales ^ Si nous y joignons un esclave et un affran- chi de la maison impériale, qui occupaient des postes dans l'administration procuratorienne ^ nous constaterons que l'élément militaire en Dacie n'a pris au culte commun d'Aes- culapius et d'Hygia qu'une part assez effacée. Nous est-il possible de découvrir pour quelles raisons ce culte a été ainsi populaire en Dacie? Il n'y a dans les documents aucun indice, même lointain, d'une influence locale. Les dédicants portent en général les tria nomina romains ^ ; lorsque leur

1. Bramb., 516.

2. C. I. Lat., III, 3388. 8. Id., ibld., 3412.

4. Id., ibid., 3413. L'union dans ce texte de Mar. Marcellus med{icns) et de Praesens Evok[atus) nous parait indiquer qu'il s'agit ici d'un médecin militaire.

5. C. I. Lat., III, 786, 981, 987, 1560, 7740^

6. Magistrats municipaux : C. I. Lat., III, 974, 975, 982, 985, 1279-1280; Ann. épigr., 1901, n. 27; prêtre municipal : C. I. Lat., III, 1417»; Augus- tales : id., ibid., 976, 986.

7. Id., ibid., 978, 980.

8. Tib. Cl(audius) Donatus : G. I. Lat., III, 951; P. Ael(ius) Rufînus :

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 333

cognomen n'est pas latin, il est grec, tel que Moschis \ Dius, Farnax, Irenicus ^ Hermias ^ Theimes \ L'une des dédicaces trouvées à Apulum est rédigée en grec ^ Sur un texte qui provient de Sarmizegetbusa, le dédicant, C. Spedius Hermias, s'adresse à l'Aesculapius de Pergame ^; on sait que le dieu avait dans cette ville d'Asie Mineure un temple particulièrement révéré ". Une inscription de Potaïssa n'est que la légende d'un bas-relief sont repré- sentés Aesculapius, Hygia et Telesphorus ^ Telesphorus est un personnage étroitement rattaché à l'Aesculapius de Pergame ^

La présence d'éléments helléniques et asiatiques est donc indéniable dans le culte qui fut rendu sous l'empire en Dacie à Aesculapius et Hygia. Elle ne surprendra point, si l'on se rappelle le rùle prépondérant joué dans l'histoire de la Dacie romaine par les colons immigrés d'origine grecque et orientale. Il n'est pas impossible qu'elle ait été une des causes de la popularité exceptionnelle que le cou- ple divin formé par Aesculapius et Hygia rencontra au pied des Carpathes. Mais nous n'oserions pas affirmer qu'elle en fût la cause unique. Le problème ne nous paraît pas complètement résolu. Les données dont nous dispo- sons sont insuffisantes.

Aesculapius et Hygia, outre le culte commun dont nous venons d'étudier les traces, reçurent séparément, dans les

id., ibid., 975; C. Pomp(eius) Fuscus : id., ibid., 982; L. Sep(timius) Nigri- nus : id., ibid., 984; M. Ulp(ius) Valens : id., ibid., 985; M. Antonius Satur- ninus : id., ibid., 1279-1280; etc., etc. 1. C. I. Lat., III, 977.

2.

Id.

, ibid.

986.

3.

Id.

, ibid.,

1417»

4.

Id.

, ibid..

7896.

5. 6.

Id.

Id.

, ibid. , ibid..

7740 1417".

7. Pausan., p. 295.

8. C. I. Lot

II, 26,

., ni,

§ 8, 9 12545.

: cf.

0

Gruppe,

Gr

iechische

Mythologie,

§ 128,

9.

0.

Grupp

3, op.

cit.

§

305,

P-

1455, n. 1

334 CHAPITRE m

provinces latines, des hommages, des prières et des vœux. Certains textes, le dieu et la déesse sont nommés seuls, doivent pourtant être rapportés au culte commun qui leur était rendu. Telles sont les dédicaces Aesculapio sancto \ Hijrjiae -, Hygiae Aug. % trouvées à Lambaesis dans les ruines mêmes du temple commun des deux divinités ; telles encore les inscriptions d'Apulum qui nomment des prêtres dAesculapius '*. Mais d'autres documents ne sauraient être interprétés dans ce sens et méritent une étude particu- lière.

En ce qui concerne Aesculapius, deux régions surtout doivent attirer notre attention, l'Afrique proconsulaire et la péninsule ibérique. C'est de que proviennent, en effet, les deux tiers des dédicaces ou ex-voto consacrés au dieu. Dans les autres provinces, le culte d'Aesculapius seul n'a laissé que de très rares vestiges ^

Parmi les textes africains, il en est trois qui doivent être mis à part : ce sont ceux qui ont été trouvés aux Aquae Persianae, sur la rive méridionale du golfe de Carthage, à Thamugadi et à Caesarea. Le premier de ces textes est ainsi rédigé :

Aesculapio. L. Julius Perseus cond\iictor IlII pv.hlico- rum) A'fricaé] ^

C'est suivant toute apparence, comme on l'a déjà remar- qué ', la dédicace au dieu de la santé d'un temple voisin

1. CI. Lat., VIII, 25.ST.

2. Id., ibid., -2588.

3. M., ibid., 18218.

4. Id., III, 972, 77-39.

5. En voici la répartition : Narbonaise, l : C. I. Lat., XII. 354: les ins- criptions du mèaie recueil n"^ 2215 et .3<>12 sont tenues pour suspectes Trois Gaules, 1 : id., XIII, 36.36; Bretagne, 1 : Eph. Epiyr., VII, p. 316, n. 998 Norique, 2 : C. I. Lat., III, 11538, 11758: Dalmatie, 2 : id., ibid., 1766. 1768 Pannonies, 3 : id., ibid., 3326, -38.34, lf:»971: Dacie, 1 : id.. ibid., 76^ cf. 7897.

6 C. I. Lat., VIII, 997.

7. Cf. Tissot. Géographie comparée de la proc. rom. d'Afrique, II, p. 125; cf. R. Gagnât et P. Gauckler, Les uionuments antiques de la Tunisie, p. 42.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES PU PANTHÉON 335

de l'établissement thermal des Aquac Pcrsicuiac, qu'Apu- lée cite à deux reprises dans ses Florides '. Il est probable que L. Julius Perseus fut ou le fondateur ou du moins le bienfaiteur de cet établissement ^ L'inscription de Tlia- mugadi atteste de même la place qu'Aosculapius tenait dans les thermes : un personnage nommé L. Acilius Gra- nianus otî're à son beau-père une image du dieu af cxo/'- natioiiciii baïinci ^ A Caesarea un autel est dédié au Dru>i Salutifer par Sex. Baïus Pudens '. qui tut procurateur de la Maurétanie Césarienne sous le règne de Marc-Aurèle et Lucius Verus \ Le dieu, que mentionnent ces trois docu- ments, est bien l'Aesculapius gréco-romain; d'autre part L. Julius Perseus, fermier des quatres contributions afri- caines, et Sex Baïus Pudens, procurateur impérial, ne sont- ils pas des étrangers à l'Afrique ? Le culte, que nous signa- lent ces textes, a tous les caractères d'un culte importé.

Les autres inscriptions africaines nous conduisent à des conclusions bien ditférentes. Il convient tout d'abord de remarquer leur répartition géographique : elles provien- nent toutes de Carthage ^ et de la région accidentée, qui borne au sud la vallée moyenne de la Medjerdah : les cités antiques, sur l'emplacement ou sur le territoire desquelles on les a découvertes, s'appelaient ïhibica ', ïhisiduo *, Thul)ursicum Bure ^ Thua'U'a '". A^-bia ". Uchi Maius '-.

I. Florid.. 1(3. •2. Ibid., 18.

3. C. I. Lat., yni, ■2M0.

4. /(?., ibiJ.. 20931.

5. Prillii do Lessoit, Postes des provinces africaines, I, p. 400 et suiv.

G. C. I. Lof., VI II, 15-205; Ann. épiijr., 1901, n. 4. Cf. R. Gagnât et P. Gauckler, op. cit., p. 41-42; Audollent, Carthar/e roniaine. p. 4IJ0-402.

7. C. 1. Lat., VIII, 765 = 12228.

8. Id., ibid.. 1267.

9. Carton, Découvertes archèol. et èpigr., p. IIS, n. 269.

10. L. Poinssot, Les inscriptions de Thugaa, 240 'XoitveUes Archives des Missions scientifiques, t. XIII, p. 337) ; cf. n"^ 127, 128.

II. Carton, op. cit., p. 201, n. 374. 12. C. I. Lat., YIII, 15146: cf. 15175.

336 CHAPITRE III

Thibaris ', Vazis Sarra -. Or de ces villes, deux seulement, Tliisiduo et Uclii Majus, furent munieipes, c'est-à-dire dotées d'une constitution romaine, dès le premier siècle de l'em- pire; toutes les autres gardèrent jusqu'à la fin du second et peut-être au début du troisième siècle leur caractère de communes pérégrines^ avec des institutions municipales non romaines \ En outre, des rapports assez étroits entre Aes- culapius et la déesse appelée Caelestis ont été constatés en deux points de cette région, à Thugga l'on a trouvé un torse d'Esculape dans les ruines du temple de Caelestis \ et dans la plaine de la Ghorfa, située entre Thugga et Mac- taris, d'où provient une inscription mentionnant un person- nage qui fut sacerdos publicus cleae Caelestis et Aesciilcqn '\ A Carthage même, il est admis que le dieu appelé Aescu- lapius sous l'empire romain et dont le temple couronnait la colline de Byrsa, était l'ancien dieu punique Eschmoun *. Dès lors n'est-il pas vraisemblable que l'Aesculapius adoré dans ces villes africaines, les traces des civilisations et des religions préromaines sont si abondantes, n'est lui aussi qu'une forme à peine latinisée de l'Eschmoun punique?

L'étude des documents espagnols relatifs au culte d'Aes- culapius suggère une autre solution, ou, si l'on veut, une hypothèse différente. Sur huit ex-voto ou dédicaces, quatre donnent au nom du dieu sa forme grecque, Asclepiiis '; un cinquième texte, ce nom se présente sous sa forme latine, Aesculapius, atteste la dévotion au dieu de deux

1. Ann. èpUjr., 1897, n. 107; cf. C. I. La t., YIII, 1G116.

2. Id., ibid., 11999.

3. J. Toutain, Les cités romaines de la Tunisie, Append. I, p. 381 et suiv. , sous les noms de ces diverses villes.

4. L. Poinssot, Les inscriptions de Thugija, n. 240.

5. C. I. Lat., VIII, 16416.

6. Audollent, Carthage romaine, p. 400-402. Il nous semble qu'il n'y a aucun compte à tenir des hypothèses à la fois fragiles et confuses qu'a inspirées à M. Ducoudray-La Blanchère un examen superficiel des stèles, couvertes de représentations figurées, connues sous les noms de stèles de la Manouba ou stèles de Ghorfa [Bull. arch. du Comité, 1905, p. 395 et suiv.).

7. C. I. Laf.. 11. 173, 3725, 3726, 3819.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON 337

augustales d'OIisipo, qui s'appellent M. At'raniiis Euporio et L. Fabius Daphiius ' : ces deux cognomina grecs trahissent l'origine des deux personnages. De raème à Yalentia, les fidèles d'Asclepius se nomment Q. Calpurnius Alypion, L. Cornélius Hyginus ^ C'est peut-être à la présence d'affran- chis ou de colons grecs dans quelques villes des provinces espagnoles, que le culte d'Aesculapius-Asclepius a de laisser plus de traces en Lusitanie et en Tarraconaise que dans les autres parties du monde romain. Cette hypothèse se trouve, à nos yeux, corroborée par l'emploi de la forme Asclepius sur la plupart des inscriptions consacrées au dieu ^ et par certains détails de rédaction d'un ex-voto originaire de la colonia Reiorum en Narbonaise. Voici le texte de cet ex-voto : Beo Aesciilapio Val. Si/înphorus et Protis signum so7nni aereum, torquem aureum ex dra- cunculis duobus p{ondo) semuncia sextida, enchirldiimi argent{eimi) p{ondo) uncias quinque et semimcia77i, ana- holium ob insignem circa se mtmuiis ejiis effectum s. v. l. m. '*. Les deux cognomina Symphorus et Protis et l'usage des termes grecs enchiridiwn et anabolium, au lieu des mois latins synonymes libellus etjjalUum, ne laissent aucun doute sur l'origine grecque ou orientale des dédicants.

Ainsi, en Afrique et principalement dans l'Afrique Pro- consulaire, l'Aesculapius adoré sous l'empire était moins le dieu gréco-romain que l'Eschmoun punique latinisé ; en Espagne, au contraire, et dans les autres provinces latines, les traces plus ou moins abondantes du culte rendu au dieu sont le plus souvent comme teintées d'hellénisme.

La déesse de la santé, parèdre du dieu Aesculapius, fut invoquée sous les noms de Hygia % Salus ^ Valetudo ou

1. G. I. Lut., II, 175.

2. Id., ibid., 3725, 3726.

3. Id., III, .3326, 76.35, 11938, 11758; XIII, .3636.

4. Id., XII, .354

5. Id., VIII, 1326 = 14874, 8985; Bramb., 1058; C. I. Lut., III, 1427.

6. Id., II, 806, 1.391, 1437, 4493, 5136, 51.38; VII, lÛO; VIII, 15148; Ann. épigr., 1897, n. 75.

338 CHAPITRE III

Bona Valetudo '. Peu nombreuses et très dispersées, les inscriptions relatives à cette divinité ne donnent lieu, semble-t-il. à aucune remarque particulière.

Au premier rang des divinités chthoniennes se placent la Terre divinisée, quel que soit le nom sous lequel on l'in- voque, et le dieu du monde souterrain, maître et dispensa- teur des forces fécondantes que renferme le sol.

Dans les provinces latines de l'empire, la Terre divinisée a reçu plusieurs noms. Terra Mater, Tellus, Ops, Niiirix, Ereeura, Ceres. Il serait téméraire d'afïîrmer que ces noms différents fussent absolument et exactement synonymes. Une dédicace africaine distingue formellement Tellus de Ce7^es : Telluri et Cereri Aug. sa[crum] "-. Une autre ins- cription, de même provenance, débute ainsi : Terrae Matri Aerecurae Matri cleum Magnae Icleae \ Faut-il admettre que l'invocation s'adresse à une seule déesse désignée par trois noms différents, ou bien à trois déesses distinctes? Ce sont là, il est vrai, des cas exceptionnels *. En général, les noms, que nous venons de citer, désignaient une même divi- nité, la Terre, le plus souvent conçue comme productrice et nourricière.

Le nom de Terra Mater se lit sur une quinzaine envi- ron d'inscriptions, trouvées en divers points fort éloignés des provinces latines \ A Nemausus, la déesse fut associée

1. C. I. Lat., III,rjll9; VIII. 9610: Ephem. Eiiiijr., Y, 1299: Avn. épigr., 1905, n. 2.36.

2. CI. Lat, VIII, 12.3.32.

3. Id., ibid., 5524.

4. Tellus et XiUrix sont aussi nommées séparément, par conséquent dis- tinguées l'une de l'autre, sur deux autres textes africains trouvés entre Mileu et Cuicul : id., ibid.. 8246, 8247.

5. C. I. Lat., II, 3527; III, 1152, 1284, 1285, 1.364, 1555, 1599, 6:313 = 8.3.33, 10374. 1(1169; VIII, 5524; XII. .359, 3071. 4140: Ann. épigr.. 1901, n. 105.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 339

à Jupiter et au dieu gaulois à la roue '. A Rudnik, au sud de Belgrade, un temple de Ten^a Mater existait sous l'em- pire romain à l'entrée de carrières ou de mines ^ : ce temple fut reconstruit, au nom de Septime Sévère, par les soins du procurateur Cassius Ligurinus. Près de Murcia, en ïarraconaise, la dédicace Mafri Terrae était surmontée d'une image de la déesse : la Terra Mater était représen- tée sous les traits d'une femme d'âge mur, assise, tenant de la main gauche une corne d'abondance, de la main droite une patère, et sur ses genoux divers fruits entassés dans un pli de sa robe. Si, en Dalmatie, la Terra Mater semble avoir été plutôt la déesse souterraine, ici la physio- nomie qui lui est donnée, souligne sans aucun doute, son caractère de déesse productrice, frugifera '\

Le culte de Telliis n'exista ou du moins ne fut organisé que dans les provinces africaines. Hors de l'Afrique, on ne connaît actuellement qu'un ex-voto découvert en Gallaecia, dans la vallée du Minius (auj. le Minho) : cet ex-voto ne nous fournit d'ailleurs aucun renseignement *. Les inscrip- tions africaines sont, pour la plupart, plus explicites. Sur l'une d'entre elles, Tellus est appelée Genltrix ° : Tellus Genltrix n'est qu'une variante de Terra Mater. Un autre texte donne à la déesse le surnom de Gili'a \ Il faut sans doute voir dans ce mot une épithète locale, et l'indice d'une assimilation à quelque divinité du pajs. Enfin une dédicace, qui provient du territoire occupé dans la Proconsulaire par la Gens Bacchuiana, distingue Tetlus de Ceres'. Nous con- naissons plusieurs sanctuaires consacrés à la déesse en Afrique : à Vaga, Vaedes Tellurls, qui fut restauré en

L C. I. Lat., XII, 3071, 4140.

2. Ici., III, 8333.

3. Id., II, 3527. S. Reinach, Répert., II, p. 258.

4. Id., II, 2526 : Telluri C. Sulp[icius) Flavus ex voto.

5. Id., VIIL 8309.

6. Id., ibid., 5305.

7. Id., ibid., 12332.

340 CHAPITRE III

l'année 2 av. J.-C, par M. Titurniiis M. f. Arn. Africanus ' ; sur le territoire de la Gens Bacchuiana, le temple ou l'édi- cule dont deux frères Aelnitius Saturninus et Aebulius Vic- tor offrirent et dédièrent la porte avec ses ornements, januam cum suis ormimeniis ^\ entre les cités de Zama au nord et Uzappa au sud, un templum deae Telluris, recons- truit sous Tun des successeurs de Marc Aurèle ■' ; à Cirta, le temple ou la chapelle, orné d'un tetrastijlon, que Julius Urbanus, chevalier romain, questeur, édile, quatuorvir de la colonie, consacra à la déesse oh lionorcm acdlUtatis *; enfin le temple élevé en Thonneur de Tellus Gcnllrix par la Respublica Ciiicidilanonon \ Il faut pout-ètre y joindre un temple à Seressis, dans la Proconsulaire \

L'existence d'un sacerdoce, par conséquent d'un culte organisé et public de la déesse Tellus, est en outre attestée par des inscriptions à Madaura \ à Thubursicnm Numida- rum * et peut-être à Calama \ A Madaura et Thubursicum Numidarum, le culte était célébré par des prêtresses; ces prêtresses devaient être en général fort âgées, puisque le titre de sacerdos Telluris se lit sur les épitaphes de femmes mortes à 80 et à 70 ans. A Calama, ce même titre de sacer- dos Tel[luris) est porté par un homme, C. Arrius Nepotis fil. Sabinius Papir[ia tribu) Datus.

On remarquera que les traces du culte de Tellus ont été rencontrées uniquement dans l'intérieur des provinces afri- caines et dans la partie de ces provinces dont la population

1. CI. Lot., VIII, 11392.

2. M., ibid., 12a32.

3. Id., ibid., 11986.

4. M., ibid., 19489.

5. Id., ibid., 8.309.

6. BaU. arch. du Com., 1897^ p. 369 n. 21. L'inscription, ainsi rédigée Telluri Aiig. sacr{um), était gravée, d'après M. P. Gauckler, sur une architrave : c'était donc la dédicace d'un édifice, temple ou chapelle.

7. S. Gsell, Recli. Archéol., p. 375 n. 567.

8. Id., ibid., p. 330 n . 440; Btdl. arch. du Com., 1896, p. 251 n. 111.

9. C. I. Lat., VIII, 5305.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON 341

était certainement sédentaire et agricole avant la conquête romaine : Vaga, la région de Zama et d'Uzappa, Cirtaet ses environs étaient prospères et fertiles au temps des rois de Numidie. D'autre part les personnages qui dédient ou res- taurent les temples, qui exercent le sacerdoce de la déesse, ne sont pas des étrangers : il n'y a parmi eux ni un fonction- naire impérial, ni un officier, soldat ou vétéran, ni un affranchi d'origine orientale : ce sont des magistrats muni- cipaux, comme à Calama et Cirta, ou de simples particuliers ; les prêtresses de Tellus ne portent même pas de gentilices : elles s'appellent, par exemple, Mcdrona Pulchrl fiKJa), Rufina Rufiiii Crassl filia. Ce culte avait évidemment des racines profondes dans le sol africain.

Tel paraît être aussi le caractère essentiel du culte de la déesse appelé Niitrix ou Dea Nutrix. Exception faite d'un texte, d'ailleurs mutilé, qui paraît être simplement un ex- voto, trouvé près de Marbourg en Autriche dans la région passait la limite des provinces de Norique de Pannonie ', les inscriptions et les monuments qui nous renseignent sur cette déesse sont de provenance africaine. Dans les ruines de Mustis, cité médiocre de la province Proconsulaire située sur la grande voie de Canhage à Theveste, a été récem- ment découvert un autel dont les deux faces les plus larges portent deux dédicaces. L'une d'elles est ainsi rédigée : Nutrici Frugifero A ug. sacrum ; l'autre nomme Janus jwter. Près de cet autel, on a recueilli une stèle votive anépigraphe, ornée de bas-reliefs qui représentent, entre autres objets, une pomme de pin et un gâteau '. Ce sont les offrandes habituelles figurées sur les ex-voto africains les plus popu- laires, en particulier sur ceux que l'on déposait dans les sanctuaires du Baal-Saturnus punico-romain ^ Le dieu, dont le nom se trouve ici associé à celui de Nutrix, Frugifer, peut être soit Pluto soit Saturnus : à l'un comme à l'autre

1. G. I. Lat., III, 5314.

2. Bull. arch. da Comité, 1897, p. 405-407, n»^ 135, 136, 137.

3. J. Toutain, De Saturni dei in Africa Ro7nana cnltu, p. 100.

342 CHAPITIIE III

répithète Fruglfcr convient, au moins dans l'Afrique romaine '.

A Lambaesis, on a trouvé séparément, mais on a l'habi- tude de rapprocher Tune de l'autre une base et une statue. Sur l'une des faces de la base hexagonale a été gravée l'inscription : Xatricl Dcae Aug. sacr. '-. La statue, qui a peu souffert. « représente une femme vêtue à la romaine d'une 2xilla et d'une tunique, la tète ornée de pampres et de grappes de raisins; dans la main droite, elle a un disque (pain ou gâteau) qu'elle appuie sur sa hanche; de la main gauche elle soutient un petit enfant qui essaie de lui prendre le sein à travers son vêtement » '\ Cette statue est considérée comme l'image de la Dea Nutrix. La présence et le geste de l'enfant justifient cette opinion. Nutrix apparaît ici comme une déesse à la fois féconde en raisins et en blé, et nourricière des hommes, comme une varianie de la Terra Mater, de la Tellus Genitrix.

M. S. Gsell a donné à la statue de Lambaesis une interpré- tation plus étroite, fondée sur une inscription découverte au lieu dit aujourd'liui Fedj Mzala, entre les emplacements des deux cités antiques de Mileu etCuicul. Au-dessous d'une image grossière « buste de femme^ autant qu'il seml)le », on lit :

Sut/ici Saturni Vicntia v. s. I. a (sic).

Le nom de la dédicante a été évidemment estropié par le lapicide. et M. Gsell le restitue avec raison Vi[n)c[e)iit(a. Mais il estime correcte la forme Saturni, et il y voit un gé- nitif dépendant de Nutrix. Puis, rapprochant ce texte ainsi compris de la statue de Lambaesis, il conclut : a d'après l'in- dication contenue dans notre inscription, l'enfant ne serait autre que le grand dieu africain. Saturne » '*. L'interprétation

1. En ce qui concerne Pluto, v. plus loin. Le culte de Saturnus en Afrique sera étudié dans le livre IV; v. J. Toutain, op. cit., p. .30.

2. C. I. Lat., VIII, 2661; R. Gagnât, Musée de Lambèse, p. 16.

3. R. Gagnât, Musée de Lambèse, p. 45-46, pi. III, 2.

4. BnU. arch. du Comité, 1896, p. 209 n. 161.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON o43

est ingénieuse, mais nous hésitons à nous laisser convain- cre. M. Gsell remarque que dans la région même de Fedj Mzala trois autres inscriptions attestent à la fois la présence du culte de XuJrixet ses rapports avec celui de Saturnus '. Ne serait-il pas dès lors plus vraisemblable de lire Nutrici Sa(mvi[o], par analogie avec l'inscription de Mustis. Nutrici Fruglfcro Aug. sacrum ? -.

D'ailleurs la dca NuArix, qu'on voie en elle la « nourrice » ou la parèdre du Saturnus africain, est certainement une divinité chthonienne, proche parente de Terra Mater et de Tellus, et dont le culte n'a laissé de traces sérieuses qu'en Afrique .

C'est également d'Afrique que proviennent les deux seules mentions aujourd'hui connues d'un culte d'Ops dans les provinces latines. Il faut toutefois observer qu'à la différence des cultes précédents, celui d'Ops parait avoir été importé du dehors en Afrique, puisque les deux villes, il fut célébré, Theveste et Lambaesis, servirent l'une après l'autre de gar- nisons à la legio III Augusta '\ Dans l'une et l'autre ville, Ops fut associée, comme Nutrix, à Saturnus ' Elle ne con- serva donc pas son caractère italique : il se fit, pour ainsi dire, un mariage entre la déesse venue de Rome et le grand dieu des Africains.

La déesse Ae7Yi Cura, Era Cura, ou Herecura. qu'un texte trouvé en Afrique nomme entre la Terra Mater et la Magna Mater Dcum Idaea "\ parait avoir été surtout invo- quée dans les Champs Décumates. Son nom se lit sur quatre

1. C. I. Lat., VIII, 8245, 8216, 8247.

2. La correction nous parait d'autant plus légitime que la forme Satunii se lit, au lieu de Satiirno, sur une stèle votive qui provient d'une l'égion voisine; Gsell, Bull. arch. du Comité, 1806, p. 205 n. 146.

3. C. I. Lat., VIII, 2670, 16527.

4. Sur le culte d'Ops et de Saturnus à Theveste, Gsell, Musée de Tébessa, p. 19. p. 39, p. 80 et suiv. L'association d'Ops et de Saturnus à Lambaesis est démontrée par la dédicace même du temple orné de por- tiques qui leur était consacré en commun : CI. Lat., YIII, 2670.

5. C. I. Lat., VIII. 5524.

344 CHAPITRE m

ex-voto qui proviennent de ce pays ' ; une cinquième ins- cription, découverte au nord-est de Lyon, a été attribuée à la cirilas Amhmi^orwn ^ L'origine de la déesse reste obscure : les uns veulent y voir une ancienne divinité ita- lique ^; les autres préfèrent reconnaître en elle une déesse grecque, une "Hpa Kjp'la, dont le nom aurait été déformé par l'usage populaire \ L'on est d'accord pour lui attribuer un caractère chthonien, mais en la rapprochant plutôt de Proserpina que de Ceres ^ Il n'est pas douteux que tel est bien son caractère sur la fresque souvent citée qui décore la tombe de Vibia dans la catacombe de Prétextât près de Rome : elle y est désignée par son nom, et elle trône auprès de Dis Pater dans le monde infernal '\ Mais, de même que Korè chez les Grecs, Herecura fut aussi conçue comme la déesse de la terre féconde : nous en trouvons la preuve dans le bas-relief qui accompagne un ex-voto découvert à Kannstadt, en Wurtemberg \ Herecura est représentée assise sur un trône; sur ses genoux est posée une cor- beille pleine de fruits. Une image identique orne une autre pierre, trouvée au même endroit, et dont l'inscription muti- lée laisse du moins distinguer les dernières lettres du nom de la déesse [Ilerec]ura ^ Les documents sur le culte d'Herecura sont trop peu nombreux pour qu'on puisse en tirer une conclusion générale : nous remarquerons seule- ment que la déesse a été surtout honorée par de petites gens, qui ne portent aucun titre, qui n'ont même pas les tria noniiaa : Sextilius Co(n)spectus ^ Cottus '".

1. C. I. Lai., XIII, 6359, 6138, 6139, 6631^.

2. Id., ibid., 2539.

3. C. Jullian, art. Bis Pater, dans Daremberg, Saglio, Pottier, Dict. des Atxtiquités, II, p. 280.

4. G. Wissowa, Religion und Kultus der Rônier, p. 258-259.

5. Id., ibid.

6. Daremberg, Saglio et Pottier, II, p. 280, iig. 2468.

7. C. I. Lnt., XIII, 6138.

8. Id., ibid., 6439.

9. Id., ibid., 2539.

10. Id., ibid., 6438.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 345

Quel que soit l'intérêt que présentent les dédicaces et Stèles votives sur lesquelles se lisent les noms de Terra Mater, Tellus, Natrlx, Ops, Herecura ou Aéra Cura, bien plus nombreux et plus importants sont les monuments con- sacrés soit à Ceres, soit aux deux déesses appelées Cere- res, soit à Pluto.

Ici encore, ce sont les provinces africaines qui occupent, et de loin, le premier rang.

Ceres seule, sans déesse ni dieu parèdre, y fut honorée d'un culte qui a laissé des traces depuis Carthage jusqu'à A'olubilis dans la Maurétanie Tingitane, depuis Capsa, voi- sine des chotts, jusqu'à Saldae etCaesarea, riveraines de la Méditerranée. Presque toutes les inscriptions, son nom a été gravé, mentionnent un sanctuaire ou un sacerdoce de la déesse et témoignent ainsi de l'importance de son culte \ Hors de l'Afrique, cette importance disparaît. C'est à peine si quelques monuments attirent l'attention. Dans la région des bouches du Rhin, près d'Utrecht, on a trouvé une meule à main, autour de laquelle est gravée cette inscription : Cereri Alum{nae) 0}')t{imae) Max{imae) s{acrum) ^ A Emona, en Pannonie, un frumentarius de la fe^/oXF témoigna par un ex-voto sa gratitude à la déesse ^ Dans la même province, à Siscia, plusieurs beneficlaru du procurateur honorèrent de même la déesse, et l'un des

1. Des sanctuaires de Ceres sont connus dans la région accidentée qui sépare le Fahs de la vallée de la Siliana : Ann. épigr., 1904, n. 58; à Thugga : L. Poinssot, Les inscriptions de Thugga, 14; dans une petite cité dont le nom est inconnu, au nord de Mustis : Carton, Découvertes archéolog. et épigraph., p. 216, n. 405; près d'Uclii Majus : id., ibid., p. 276, n<>517; à Lares : C. 1. Lat., VIII, 1781 = 16319; à Thamugadi : Ann. épigr., 1902, n. 144. Signalons en outre le sanctuaire commun de Tellus et Ceres, dont nous avons déjà parlé, sur le territoire de la Gens Bacchuiana : G. I. Lat., VIII, 12332; un autel avec degrés spécialement dédié à la Ceres Graeca, entre Membressa et Vaga, près de Toued Zarga : Id., ibid., 14.381. L'existence de sacerdotes Cereris est attestée pour Capsa : Id., ibid., 112; Carthage, Id., ibid., 1140; Sicca Veneria : Id., ibid., 1623; Tiddis, Id., ibid., 6708; Saldae : Id., ibid., 20686.

2. Bramb., 58.

3. CI. Lat., 111,3835.

'346 cHAprrRK lit

monuments qu'ils lui consacrèrent était orné d'un relief qui représentait un vase rempli d'épis ' ; à Aquincum existait un coUegium Ccrcrls \ Ici et ces hommages s'adres- saient sans aucun doute à la déesse, dont le rôle était si important dans ralimentation des troupes campées le long du Danube ou des principales voies romaines de la pro- vince. Mais nulle part le culte de la déesse ne semble avoir revêtu cette physionomie populaire, qui le caractérise en Afrique.

Cette impression s'accentue encore, si après le culte de Ceres on étudie le culte des deux déesses appelées les Cereres. Les Cereres n'ont été adorées qu'en Afrique. Tout au plus peut-on signaler, en Dacie, dans la ville d'Apulum, un fanum Doinuiarum '; il est vraisemblable que les Doml- nae, dont il est ici question, sont des déesses de môme nature que les Cereres africaines. Mais ce document unique échappe à l'attention retenue par les documents africains, dont le nombre aujourd'hui dépasse la trentaine.

Le culte des Cereres paraît avoir joué un rôle considé- rable dans la vie religieuse de Carthage. Le prêtre des deux déesses, dont le sacerdoce était annuel, jouissait dans toute la province d'un grand prestige. Nous connaissons quatre de ces prêtres ^; à deux d'entre eux des statues furent élevées dans deux cités de la Proconsulaire; un troi- sième fut choisi comme patron par la ville de Thugga. L'emplacement et plusieurs restes intéressants du temple des Cereres ont été retrouvés par le P. Delattre sur la col- line dite Bordj Djedid, située dans la partie septentrionale de Carthage, tout près de la mer '\ L'une des statues

1. C. I. Lat., III, 3942.

2. m., ibid., 10511.

3. Id., ibid., 1005.

4. Id., YIII, 805, 12318; Bulletin des Axtiguaires, 1898, p. 208; L. Poins- sot, Les Inscriptions de Thugga, n. 140.

5. Mémoires de la Société des Antiquaires, 1897 (LYIII), p. 1 et suiv.; cf. Comptes-Iîendus de l'Académie des Inscriptions, 1898, passiin.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 347

exhumées par le savant archéologue est l'image d'une des deux déesses : elle représente une femme debout, drapée, tenant appuyée sur elle une corbeille qui contient des fruits, raisins, figues, bananes, en même temps qu'une gerbe d'épis K Une tête, trouvée dans les mêmes ruines, provient sans doute d'une statue de l'autre déesse ; couron- née d'épis et voilée, elle est empreinte d'une réelle gra- vité \ encore, le P. Delattre a découvert une inscription mutilée, dont heureusement les dernières hgnes demeurées intactes mentionnent des Sacer dotes Cereal{es) ^ Il n'est donc pas douteux que le monument qui s'élevait en cet endroit et dont maints débris ont été mis au jour, tels que bases, chapiteaux, tronçons de colonnes cannelées, corniches, pilastres ^ fût consacré soit à Ceres soit aux Cereres. Ce qui permet de préférer la seconde hypothèse et ce qui donne en même temps à la découverte du P. De- lattre une importance considérable, c'est qu'au même endroit il a recueilli une inscription punique, dédicace d'un double sanctuaire à deux déesses appelées Astoreth ou Astarté et Tanit du Lebanon ^ M. GseU, dans sa Chronique archéologique africaijie de l'année 1900, déclare, il est vrai « qu'il n'y a aucun argument à tirer du lieu a été découverte l'inscription punique \ » Cette inscription a subir, ajoute-t-il, de nombreux déplacements. 11 est cer- tain que la découverte d'une pierre isolée a moins de valeur probante que la découverte d'une pierre encore en place ou au pied même du monument dont elle faisait partie. Mais d'autre part n'est-il pas permis de voir autre chose qu'une pure et fortuite coïncidence dans la présence de

1. Mémoires de la Société des Antiquaires, 1897 (LVIIP, p. 3-4, pi. III.

2. Id., ibid., p. 15, pi. V.

3. Id., ibid., p. 16; cf. p. 23.

4. Id., ibid., p. 3, pL I.

5. Glerniont-Ganneau, Comptes-Rendus de l'Académie des Inscriptions, 1898, p. 235-253; Ph. Berger, Revue d'assyriologie et d'archéologie orien- tale, V, 1899, p. 11-25, pi. I.

6. Mélanges de l'École de Rome, 1900, p. 95.

■îi

348 CHAPITRE lit

cette inscription à l'endroit même s'éleva sous l'empire romain un temple de la déesse ou des deux déesses de la fécondité chthonienne? On sait que sous le nom d'Astarté, les Phéniciens avaient divinisé la fécondité et la génération; la déesse que les Carthaginois appelaient Tanit était plutôt lunaire que chthonienne; mais la Tanit du Lebanon que l'inscription puniiiue nomme auprès d'Astarté ne se con- fondait peut- être pas complètement avec la Tanit Pené Baal. Quelles que soient d'ailleurs les relations que Ton veuille étabhr entre ces deux déesses puniques et les Ccrercs de l'époque romaine, il n'en demeure pas moins acquis que le culte de ces dernières était fort important à Carthage. Il fut aussi très répandu et très populaire dans le reste de l'Afrique. De nombreuses inscriptions nous ont appris que les deux déesses possédaient des temples ', recevaient des hommages ^ étaient honorées par des collèges de cultores ', avaient des prêtresses dans maintes cités africaines et jusque dans de simples villages \ par exemple à Cilhum, à Mactaris, à Utica, entre Membressa et Aradis, k Agbia, à BullaRegia, sur le territoire occupé par la Gens Bacchuiana, dans le Saltus Massipianus, à Tipasa de Xumidie, à Lam- baesis, à Mastar et à Mileu. Aux documents sur lesquels sont nommées avec précision des sacerdotes Cererum, il faut ajouter les textes qui mentionnent des sacerdotes magnae : la formule sacerdos magna était en effet em- ployée pour désigner les prêtresses ou au moins certai- nes prêtresses des Cereres \ Des sacerdotes magnae sont connues à Thala \ à Gales ', aux environs de Yaga \ entre

1. C. I. Lat., VIII, 15i8; Bull. arch. du Corn., 1892, p. 486, n. 2: 1901, p. 145, n. 76.

2. C.I. Lat., VIII, U138; Ann. épigr., 1903, n. 98 et 106.

3. Bull. arch. du Corn., 1896, p. 179, n. 61.

4. C. I. Lat., VIII, 3303, 6359, 11306, 11732, 11826, 12-335, 14172, 19993.

5. Id., ibid., 11306.

6. Id., ibid., 505.

7. Bull. arch. du Corn., 1905, p. CLX.

8. CI. Lat., VIII, 14437.

LES DIVINITÉS ET LES CtTLTES DU PANTHEON 349

Simitthu et Masciilula ', à Thagaste -, à Madaura^ Quelques monuments d'archéologie figurée viennent compléter les renseignements que fournissent les textes épigraphiques : de ces monuments, les deux plus intéressants sont les cippes funéraires d'Aemilia Amotmicar, sacerdos Cererum de la Gens Bacchuiana, et de Quarta Nyptanis f. sacerdos magna à Gales. Ces deux cippes méritent une étude particulière. Le cippe d'Aemilia Amotmicar n'a été qu'incomplètement décrit; en 1892, il était engagé dans un mur arabe fait de gros blocs ; il semble bien qu'il y soit encore. Toutefois l'un des côtés a été provisoirement dégagé. La face antérieure du cippe représente la prétresse, au moment elle laisse tomber sur les flammes de l'autel quelque libation ou des grains d'encens. Sur le côté, on distingue une femme, déesse ou prêtresse, qui de ses deux bras levés maintient sur sa tète une gerbe de blé *. Le cippe de Quarta Nj-ptanis f. a pu être mieux étudié. Sur la face principale, au-dessus de l'épitaphe bilingue, latine et néo-punique, il ne reste plus du relief qui ornait le monument que des débris trop mutilés pour qu'on puisse en reconnaître le sujet. Sur les deux faces latérales sont sculptés deux motifs analogues; celui de droite est assez bien conservé. Il représente une femme, « debout sur un socle, vue de face, les pieds tournés de profil à gauche. Elle porte une corbeille en équilibre sur la tète, tandis que de ses deux mains dressées et qui paraissent soutenir le récipient, elle présente deux épis... La corbeille renferme sans doute la nourriture des deux serpents sacrés, deux grands pythons, dont les tètes affrontées se rejoignent au-dessus du récipient, et dont les corps ondulés descendent à droite et à gauche ». Il semble que le même personnage soit figuré, mais sans les serpents ni les épis, sur l'autre

1. Bull. arch. du Coni., 1891, p. 232.

2. C. I. Lat., VIII, 5149.

3. Bull. arch. du Com., 1896, p. 257, n. 1-38.

4. Bull. arch. du Com., 1892, p. 129-130.

350 CHAPITRE III

face latérale '. La présence d'une gerbe de blé sur le cippe d'Aemilia Amotmicar, de deux épis sur celui de Quarta Nyptanis f., nous révèle le caractère essentiel des deux déesses qu elles servaient : c'étaient des divinités agricoles, spécialement protectrices de la culture des céréales. Les deux serpents ajoutent à cette indication générale une donnée plus précise. Qu'on voie dans le personnage repré- senté sur l'un des côtés du cippe de Quarta Nyptanis f. la prêtresse ou la divinité, les serpents ne sont point ici un ornement ni même un pur symbole ; ils semblent être mis en relation étroite avec le culte. A Carthage, en même temps que la tête de Ceres couronnée d'épis, le P. Delattre a découverl deux fragments de marbre, représentant des tronçons de serpents ^ Ne peut-on pas voir dans ce détail comme la marque d'origine du culte des Cereres ? On sait que, d'après la légende, Demeter, pour chercher sa fllle Persephone enlevée par Hadès, parcourut la terre sur un char traîné par deux serpents. Nulle part ce mythe ne fut plus populaire qu'en Sicile; le culte des deux déesses joua de même dans cette île un rôle considérable. Or, comme l'ont rappelé tous les savants qui ont étudié les textes et les monuments découverts par le P. Delattre au-dessus de la nécropole punique voisine de Bordj Djedid, Diodore de Sicile raconte qu'en l'an 396 av. J.-C, les Carthaginois, ayant éprouvé en Sicile de grands désastres et subi les hor- reurs de la peste, introduisirent dans leur ville le culte de Demeter et de Persephone, dont ils avaient pillé le sanctuaire à Syracuse; qu'ils élevèrent solennellement les statues de ces deux déesses, et qu'ils leur offrirent des sacrifices sui- vant les rites grecs ^ Sans examiner et résoudre ici la ques- tion de savoir si Demeter et Persephone doivent être com- plètement assimilées aux deux déesses nommées Astarté ou Astoreth et Tanit du Lebanon, il n'en est pas moins certain

1. Bull. arch. du Coni., 1905, p. CLXI.

2. Mémoh-es des Antiq., LVIII (1897), p. 15, pi. V.

3. XIV, 63, 70, 77.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON 351

que le culte de Demeter et de Persephone fut célébré dans la Carthage punique et qu'il y garda au moins partiellement la physionomie qui le distinguait dans le pays grec d'où il fut apporté, la Sicile. D'où nous croyons pouvoir conclure que les Cereres adorées par les Africains de l'époque romaine sont bien les deux déesses siciliennes^, que les Grecs appelaient Demeter et Persephone ou Korè, mais que ces deux déesses traversèrent, entre le moment elles quittè- rent la Sicile et les premiers siècles de l'ère chrétienne, une période punique. En un mot, le culte des Cereres n'a pas été introduit dans l'Afrique du Nord par la colonisation romaine ; il n'y est pas venu non plus directement de la Sicile ou de la Grèce après la conquête ; il y existait, sous une forme demeurée plus ou moins fidèle à son origine sicilienne, avant l'arrivée des Romains ; il y a été seulement latinisé. C'est ce que confirment d'une part la répartition géographique des traces qu'il a laissées; d'autre part la condition et l'onomastique de la plupart des personnages, prêtres, prêtresses, simples fidèles, nommés sur nos docu- ments.

De tous ces documents, un seul provient de Lambaesis. C'est une épitaphe ainsi conçue : D. M. s. L. Munatius [L\aetus v. a LV. Soror P. f. Clementilla sa[cerdos) Cererii{m).,. * En l'absence de toute indication précise, il est difficile de dire si L. Munatius Laetus était originaire de Lambaesis même, s'il y était venu comme soldat, s'il y était resté comme vétéran. Même dans cette dernière hypothèse, comme dès l'époque d'Hadrien, la legio III Augusta se recruta surtout en Afrique, nous pouvons admettre que les deux personnages ici nommés n'étaient pas des étrangers à l'Afrique. Tous les autres textes ont été trouvés dans la pro- vince Proconsulaire ou dans le nord de la Numidie; ils pro- viennent pour la plupart soit de villes qui existaient certaine- ment avant la conquête romaine, telles que Utica, Bulla

l. C. I. Lat., VIII, 3303.

352 CHAPITRE III

Regia, Vaga, Tliala, soit de cités de l'intérieur, qui ne reçu- rent point ou reçurent fort tard une constitution romaine : Bisica, Thugga, Avitta Bibba, Mactaris, Agbia, Tipasa de Numidie, etc. Sur ces inscriptions on ne lit le nom d'aucun fonctionnaire impérial, d'aucun officier, soldat ou vétéran ; si l'on excepte un Augustalis d'Utica ' et un affranchi des environs de Membressa qui porte un cognomen d'origine grecque, Q. Gargilius Q. lib. Agathemeros ^ tous les person- nages cités, dédicants, prêtres ou prêtresses, sont des pro- vinciaux : ceux-ci sont des magistrats municipaux, comme Sex. Pullaenus Florus Caecilianus qui fut sacerdos Cererum à Carthage % ou Cincius Victor qui restaura à Agbia le por- tique du temple des déesses ^ ; ceux-là sont de simples par- ticuliers, quelquefois citoyens romains °; parfois les prê- tresses portent encore des noms puniques ou libyques, tels que Aemilia Amotmicar ^ Quarta Xyptanis f. ', Julia Zaba '. Enfin l'épitaphe de l'une d'elles a été rédigée à la fois en punique et en latin ^

Le culte des Cereres était donc, en résumé, un culte d'o- rigine sicilienne, introduit dans l'Afrique du Nord au temps de l'indépendance et de la domination punique, célébré sous l'empire romain par les éléments provinciaux de la popula- tion. La colonisation romaine n'a exercé sur lui d'autre influence que de latiniser les noms des deux déesses, de la plupartde leurs prêtres, prêtresses et fidèles. Elle n'a effacé ni la physionomie grecque des divinités ni le caractère pro- vincial de leurs adorateurs.

1. Ann. épujr., 1903, n. 100.

2. Id., ibid., n. 98.

3. L. Poinssot, Les Inscr. de Thugga, n. 140.

4. C.I.Lat., VIII, 1548.

5. Id., ibid., 805, 12318; BiUl. arch. du Com., 1896, p. 179 n. 61; 1898, p. 268.

6. C. I. Lat., VIII, 12.331.

7. Bull. arch. du Corn., 1905, p. CLX.

8. Id., 1891, p. 2.32.

9. ici, 1900, p. 106 n. 46; 1905, p. CLX et suiv*

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 353

11 existe encore une autre preuve de la popularité que possédait, au moins dans plusieurs villes africaines, le culte soit de Ceres seule soit des Cereres. C'est l'existence des Céréales ou Cerealicii. Il est assez malaisé de reconnaître ce qae sont vraiment les Céréales : le mot se trouve en toutes lettres sur quatre textes qui proviennent, un de Bisica *, trois de Mustis ^; il est abrégé ou mutilé sur deux inscriptions de Cartilage ' et de Vaga '* ; enfin, sur un texte trouvé au lieu dit H' el Oust, se lit le terme un peu différent de Cerealicii '\ Faut-il établir une distinction de sens entre les deux mots Céréales et Cerealicii'^. Doit-on considérer les Cerealicii comme d'anciens Céréales'^ Dans ce cas les Céréales auraient été plus que de simples membres d'une confrérie religieuse; il faudrait qu'ils eussent exercé une fonction ou une prêtrise, pour que plus tard, au sortir de leur fonction ou prêtrise, le titre honoraire de Cerealicii leur eût été décerné. D'autre part, le texte si heureusement retrouvé à Carthage par le P. Delattre et qui porte : Sacerdotes Cereal. universi n'est pas d'une interprétation incontestable. Le P. Delattre croit qu'il s'agit ici de tous les prêtres chargés du culte de Ceres *^; M. H. de Yillefosse estime qu'il faut lire Sacerdotes Cereal{ium) universi, conformément à l'ex- pression sacerdos Cerealium, gravée en toutes lettres sur deux inscriptions de Mustis ', et il voit dans les Céréales « les membres d'un collège qui devait son origine à l'exer- cice d'un sacerdoce annuel, probablement celui de Ceres *. » Tel est aussi le sens donné à Céréales dans le Dizionario Epigrafico de M. de Ruggiero ^ Mais si, par Céréales^ on

L C. I. Lat., VIII, I23œ.

2. Ici., ibid., 15585, 15589, 15590 (ce dernier texte est douteux).

3. Mémoires des Antiquaires, LVIII. 1897), p. 16 et 23.

4. C. I.Lat., VIII, U394.

5. Id., ibid., 16417.

6. Mèm. des Antiquaires, LVIII !,1897), p. 16.

7. C. I. Lat., VIII, 15585, 15590.

3. Mémoires des Antiquaires, LVIII (1897), p. 24. 9. S. V. Céréales,

354 CHAPITRE III

doit entendre les anciens prêtres de Ceres, quel sens attri- buera-t-on au mot Cerealicii't La question, dans l'état actuel des documents, demeure obscure. Ce qui du moins est cer- tain, c'est que la présence de Céréales ou Cerealicii dans plusieurs cités africaines y atteste la popularité du culte de Ceres ou des Cereres, D'autre part, à Bisica les Céréales sont nommés auprès des décurions * ; sur l'inscription trouvée à Henchir el Oust, ils sont cités avec les curiae de la ville ^ Ils tenaient donc une place à part et sans doute éminente parmi les habitants des cités africaines; ils formaient un groupe, qui avait son ou ses prêtres, son ou ses patrons ^ Ce n'était pas seulement sous les traits d'une ou de deux déesses que les Africains adoraient la Terre, la force fécon- dante du sol; c'était aussi sous le nom d'un dieu, de Plufo. Le culte de Pluto, comme celui des Cereres, fut sous l'em- pire essentiellement africain. Hors de l'Afrique, il n'a laissé que deux traces, l'une en Aquitaine dans la civitas Leinovi- citm *, l'autre dans la Germanie supérieure °; encore ici le dieu porte-t-il son nom latin Dis pater. En Afrique, au con- traire, on connaît actuellement plus de vingt documents qui le concernent, dédicaces de temples, statues ou autels \ ex-voto \ mentions de prêtres ^ Ces documents provien- nent surtout de la province Proconsulaire ® et de la Numidie

1. CI. Lat., VIII, 12300 : Mernoriae M. Caecili Felicis e. v. flam. perp. fiU Decuriones et Caereales.

2. Id., ibid., 16417, in fine : epiiluni Curiis et Caerealicis exibuer{unt.. .]

3. Id. ibid., 15585, 15589, 15590.

4. Id., XIII, 1449.

5. lâ., ibid., 6071.

6. Id., YIII, 2120, 1I2I7, 12018, 12362, 12379, 12380, 12.381, 14553, 17512 ; BuU. des Antiquaires, 1898, p. 117 n. 8; Atm. épigr., 1901, n. 125; 1905, n. 35.

7. C. I. Lat., VIII, 2231, 18811-, A7in. épigr., 190-3, n. 318; L. Poinssot, Les inscriptions de Thugga, 41, 41 bis = 242.

8. C. I. Lat., VIII, 4680, 4683, 4687, 16405, 18682. Cf. id., ibid., 9609, à Man- liana : Cultores Plutonis. Bull. arch. du Com., 1893, p. 200 n. 2.

9. De la région de Kairouan, d'Hadrumetum, de Thuburbo majus, de Giu- fls, de Cartilage, de Siiiiittliu, de Thugga, de Zama, de Thala, des envi- rons de Mustis.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON 355

septentrionale K Cinq textes ont été recueillis dans la partie de la province le gouvernement impérial établit des pos- tes militaires \ mais aucun d'eux n'émane d'un officier, d'un soldat ou d'un vétéran. Pluto fut surnommé Frugifcy^ deiis ' à Thuburbo ; dominiis à Calama *. Le mot Variccala qui suit le nom du dieu sur une inscription de Thabraca n'est peut- être pas une épithète : si toutefois on veut le considérer comme un surnom et y voir une transcription latine d'un terme punique, le sens en est probablement : dispensateur de la prospérité, source de bénédictions ^ Il n'est pas indif- férent de remarquer qu'à Giufis, en Proconsulaire, trois statues de Pluto furent élevées par des édiles, c'est-à-dire parles magistrats auxquels, entre autres attributions, incom- bait le devoir de veiller à l'approvisionnement de la ville en grains ^ Il ne paraît pas douteux que Pluto ait été dans les provinces africaines le dieu de la fécondité agricole. Ses fidèles et ses prêtres y furent soit des magistrats munici- paux soit de simples particuliers, dont les noms conservent parfois, sous leur forme latine, une saveur punique : Mer- cator Arbaï Peregrini f. ', L. lacchirius Rogatus ^ Agbusar Suri Felicis fil. ^ L. Sempronius Balsille '". Le culte de Pluto n'a été introduit en Afrique ni par des fonctionnaires, ni par des soldats, ni par des colons romains ou italiques. Le dieu est d'ailleurs à peu près étranger, sous le nom de Pluto, à la religion proprement romaine ou même gréco- romaine. Il est vraisemblable qu'il est venu, en même temps

1. De Madaura, de Calaina, des Aquae Tliibilitanae.

2. Theveste, Mascula, environs de Lamasba et de Macomades; région de Ngaous .

3. C. I.Lat., VIII, 12362.

4. Ici., ibid., 17512.

5. Id., ibid. ; cf. Mélattges de l'École de Rome, 1891, p. 81 et suiv.

6. Id., ibid., 12.379-12.381; cf. à Madaura, un édile prêtre de Pluton, id., ibid., 4683.

7. Id., ibid., 12362.

8. Id., ibid., 12380.

9. Id., ibid., 17512.

10. Id., ibid., 4687.

356 CHAPITRE III

que Déméter et Persephone, de Sicile à Carthage ; que son culte s'est peu à peu répandu dans l'Afrique du Nord ' et qu'après la conquête romaine il y a revêtu la forme latine sous laquelle il apparaît dans les documents de l'époque impériale.

Si pour Pluto seul nous devons nous borner à une hypo- thèse, il nous est permis d'être plus affirma lif en ce qui concerne le culte rendu à la triade nommée tantôt Ce- reres, et Fluto ^ tantôt Cereres et Domains ^ tantôt Pluto, Cyrla et Ceres mater \ Nous avons montré plus haut qu'il fallait reconnaître dans les Cereres les deux divinités sici- liennes Demeter et Persephone, dont le culte avait été transporté de Syracuse à Carthage au début du iv' siècle av. J.-C; les Cereres et Pluto ou encore les Cereres et Dominus représentent la triade si fréquente dans le culte de Demeter et de Korè en Grèce. Le nom de Ci/ria, inter- calé sur deux inscriptions d'Auzia entre ceux de Pluto et de Ceres, a été, croyons-nous, inexactement interprété par M. G. Doublet, dans sa Note sur deux Monuments antiques de Tunisie ^ « Si on aimait à réunir Ceres et Proserpine dans une même dévotion qui semble inspirée des idées d'Eleusis et de la Sicile, on distinguait ailleurs encore la déesse syrienne. » Pour nous, Cyria n'est pas ici l'équivalent de Syria; c'est la transcription latine du mot grec Kupia, la maîtresse. A vrai dire, le nom même

1. C'est peut-être Pluto qu'il faut reconnaître au revers d'une monnaie d'Hadrumetum, antérieure de quelques années seulement à l'ère chré- tienne; L. Muller en décrit ainsi l'effigie : « Partie supérieure d'un dieu barbu, vêtu d'un ample manteau, à droite. La tête est couverte du capu- chon du manteau et d'une tiare élevée; la main gauche tient deux épis, la droite est levée. » {Numismatique de l'Afrique ancienne, t. II, p. 52, n. 29). Parmi les prêtres de Pluto connus en Afrique, il en est un d'Ha- drumetum, dont la femme était prêtresse de Caelestis {Bull. ardi. du Comité, 1893, p. 200, 2).

2. C. I. Lat., VIII, 16693.

3. Id., ibid., 1838.

4. Id., ibid., 9020, 9021.

5. Bull. arch. du Comité, 1892, p. 133.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 357

de K'jp'la ne paraît pas avoir été porté par Persephone en Sicile ; mais ne convient-il pas à la déesse qui fut appelée Aîa--o'lva en Arcadie ? D'autre part nous croyons qu'il n'est pas impossible de retrouver à Carthage môme quelque trace d'une triade, composée d'un dieu et de deux déesses, dont Tune était appelée la Mère. Dans son article, intitulé : La Tanit Pene-Baal et le couple Dèinéter-Pcrseplione à Carthage ', M. Clermont-Ganneau a cité deux textes puniques qui commencent ainsi :

A la Mère, à la Grande Tanit Pene-Baal et au seigneur Baal-Hamrnon ^.

Le savant épigraphiste pense que l'invocation s'adresse seulement à deux divinités, une déesse appelée à la fois la Mère et la Grande Tanit Pene-Baal et un dieu, Baal Ham- mon. Mais ne pourrait-on pas interpréter autrement ces deux inscriptions, et distinguer la déesse appelée Mère de la Grande Tanit Pene-Baal? Cette explication nous est sug- gérée par un autre texte, que M. Clermont-Ganneau a publié dans ce même article, et qui doit se lire : A la déesse Amma et à la déesse Baalat Ha-hedrat. Or, le mot Amnia signifie mère, et la traduction des premiers mots peut aussi bien être : .1 la déesse Mère. Il y eut donc dans la Carthage punique une déesse qui fut invoquée sous le nom de Mère. Dès lors pourquoi ne pas la reconnaître dans les deux textes en question? Nous aurions ainsi une triade, composée d'un dieu et de deux déesses, dont l'une serait spécialement la parèdre du dieu, Tanit Pene-Baal ou Baalat, et dont l'autre serait la Mère. N'est-ce pas précisément la triade Demeter, Persephone, Hades, ou encore Ceres, Proserpina, Pluto ? La religion phénicienne ne connut que le couple divin Baal et Baalat, Melek et Mel- kat. Le couple des deux déesses dont l'une est appelée la

1. Clermont-Ganneau, Études d'archéologie orientale, I, p. 149 et suiv.

2. Id., ibid., p. 151; C. I. Semit., I, nû^ 195 et 380.

358 CHAPITRE III

Mère, et la triade composée de cette même déesse et du couple Tanit Pêne Baal et Baal Hammoii ne sont donc pas à Carthage d'origine sidonienne du tyrienne. Il faut, croyons-nous, y voir deux groupes divins d'origine sici- lienne. Le couple de la déesse mère et de sa fille est devenu à l'époque romaine, le couple des Cey^eres; la triade est devenue soit le groupe des Ccrercs et Phdo ou Dominus soit le groupe Pluto, Cijria et Ccrcs mater. Comme les Cercres, les trois divinités furent plus ou moins assimilées à des divinités puniijues; puis, après la colonisation romaine, elles reprirent ou prirent des noms soit latins soit d'origine grecque; mais il n'est pas rare de retrouver dans les documents de l'époque impériale la preuve de leur adoption par les populations qui habitaient l'Afrique du Nord au temps de l'indépendance de Car- tilage.

Hors de l'Afrique, cette triade si caractéristique n'a été retrouvée dans les provinces latines qu'à Tomi (Mésie infé- rieure), Tomi était une colonie hellénique et les trois divi- nités y étaient adorées sous leur physionomie et leurs noms grecs de IIao'Jtwv, Ar,uLr,Tr,p et Koo-/, *.

Partout ailleurs, en Gaule, sur les bords du Rhin et du Danube, au lieu de la triade hellénique, c'est le couple latin, Pluto et Proserpina -, Dis pafer et Proserpina ^ Dis pater et Aerecura '% Dominus. et Domina ~% dont le culte a laissé ici et quel(iues traces. Ces traces sont d'ailleurs fort rares et de caractère tout à fait individuel.

Quant au culte, unique dans les provinces latines, qui fut rendu à Proserpina en une région nettement délimitée de la Lusitanie, il était moins gréco-romain que local. La déesse invoquée sons ce nom était une divinité du pays, la Dea Atae-

1. Archaeol. Ejiigr. MiUheil., 1884, p. 8, n. "21.

2. C. I. Lat., XIl, 1833 (Vienna); III, 579G (Augusta Yindoliciini^

3. 7d., m, 7656; Bramb., 404, 2025.

4. C. I. Lat., III, 4395; XIII, 6322.

5. 7d., III, 7671; Ann. épigr., 1902, n. 28.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 359

cina, qui fut assimilée à la Proserpina latine '. Quelques- uns de ses fidèles, colons ou indigènes, oublièrent ou délais- sèrent son ancien nom; leurs ex-voto ne portent que celui de Proserpina -.

Si de tous les faits que nous venons d'étudier nous essayons de dégager une conclusion générale, nous consta- tons que le culte des principales divinités chthoniennes a été surtout populaire dans les provinces africaines ; qu'il y dérive indirectement du culte que ces mêmes divinités recevaient en Sicile, mais qu'il fut apporté en Afrique deux siècles et demi avant la chute de Carthage, qu'il fut introduit dans la vie religieuse de la grande cité, et que sous l'empire romain, on reconnaît également son origine hellénique et les traces de son long passage dans la civiUsation punique. C'est un fait peut-être unique dans l'histoire religieuse des provinces latines ; il est d'un haut intérêt, parce qu'il nous montre par un exemple frappant avec quehe souplesse les idées et les conceptions religieuses savaient dans l'antiquité s'adapter aux milieux les circonstances les plaçaient, s'accom- moder des conditions politiques et sociales que les événe- ments leur imposaient.

Hors de l'Afrique, les traces qu'ont laissés les cultes de Terra Mater, d'Aera Cura, de Gères, de Pluto et Proserpina, de Dis pater sont très clairsemées. Si nous avons pu dis- tinguer la raison pour laquelle Proserpina a été spéciale- ment invoquée en Lusitanie, aucun document ne nous per- met de dire pourquoi Aéra Cura l'a été dans les Champs Décumates, pourquoi en Dacie le couple Dis Pater et Pro- serpina a pris parfois les noms de Dominus et Domina. Nos renseignements sont trop rares et nos textes trop peu expli- cites.

1. C. I. Lat., II, 462.

2. c. I. Lat., U, 143, 144, 145; Ann. épigr. 1896, n. 3 et 4.

360 ctiAl^itRË ni

Liber palor et Libéra étaient, comme Ceres et Pluto, des divinités essentiellement ehthoniennes; leur association à Ceres dans le temple voué par le dictateur A. Postumius en 496 et consacré trois ans plus tard parle consul Sp. Cassius suffit à le prouver '. Postérieurement une assimilation plus étroite fut établie entre le Liber pater italique et le Dionysos grec : Liber pater devint alors le dieu de la vigne - et reçut comme attributs la couronne de pampres ou de lierre et le thyrse.

Sous l'empire, Libéra avait disparu du culte à Rome; Liber était surtout devenu le dieu des mystères et des orgies ; l'antique couple Liber et Libéra était à peu près oublié ^

Dans les provinces latines, le culte de Liber pater, le culte de Libéra et le culte commun des deux divinités furent célébrés. Mais la diffusion de ces cultes fut très inégale. Il n'a encore été trouvé aucune trace du culte de Libéra ni du culte commun de Liber et Libéra dans les provinces espa- gnoles, gauloises, germaniques, non plus qu'en Bretagne, en Rétie et en Norique ; et c'est dans les mêmes régions que le culte de Liber pater a été le moins répandu '*. Au con- traire, l'Afrique d'une part, d'autre part l'IUyricum, c'est-à- dire la Dalmatie, les Pannonies, les Mésies et la Dacie, furent pour les cultes des deux divinités des terrains d'élec- tion .

1. G. Wissowa, Religion nnd Kultus der Rbmer, p. 242 et suiv.; cf. Daremberg, Saglio et Pottier, Bictionn. des Antiquités, s. v. Liber, III, p. 1189 et suiv.

2. G. "Wissowa, op. cit., p. 247; Daremberg, Saglio et Pottier, loc. cit., p. 1190.

3. G. Wissowa, op. cit., p. 248.

4. Sur 90 documents épigraphiques relatifs au culte de Liber pater dans les provinces latines, 7 seulement proviennent d'Espagne, 6 de la Narbo- naise, 2 de la Germanie supérieure, 1 du Norique; les trois Gaules, la Bretagne, la Germanie inférieure n'en ont point encore fourni.

LES DIVINITÉS Et LES CÙT.fES DU PANTHEON 361

En Afrique, une trentaine d'inscriptions attestent la popu- larité de Liber pater et l'importance qu'y possédait son culte; Libéra lui est associée dans deux villes; dans une autre cité, elle est invoquée seule. Les textes sur lesquels se lit le nom de Liber pater ont été recueillis dans un grand nombre de cités, Leptis minor ', Hadrumetura -, CarLhage \ Utica \ Chidibbia % Saia Major ^ Thugga ", Mustis *, Uzappa ^ Mactaris '", Thamugadi ", Lambaesis '", Ma- daura '■\ Thubursicum Numidarum '\ Calama '% Cirta '^ Sataf '', Mons ^' et Caesarea '".Ce n'est donc ni dans une région étroitement délimitée, ni seulement sur le littoral de l'Afrique romaine que le culte de Liber Pater a été célébré. 11 a laissé des traces à la fois dans des cités de la côte, Leptis Minor, Hadrumetum, Carthage, Utica, Caesarea et dans des villes situées au cœur même du paj's, Thugga, Uzappa, Mactaris, Madaura; dans des villes antérieures à la conquête romaine et dans des centres urbains fondés seulement sous l'Empire, Thamugadi et Lambaesis.

Liber Pater était en Afrique, partout nous pouvons saisir sa vraie physionomie, le dieu de la vigne et du vin. A

1. Bull. arch. du. Com., 1895, p. 09 n. 4.

2. C. I. Lat., VIII, 1I15I.

3. Comptes-Rendus de l'Académie des Inscriptions, 1906, p. 95 et suiv.

4. C. I. Lat., VIII, 1178.

5. Id., \h\d., 1.3.37.

6. A7in. épigr., 1903, n. 109.

7. L. Poinssot, Les Inscriptions de Thugga, 16, 19.

8. C. 2. Lat., VIII, 15578.

9. Bull. arch. du Com., 1897, p. 434 n. 205.

10. Id., 1893, p. 124-125; cf. 1898, p. 157 n. 6.

11. Id., 1898, p. CLVII.

12. Ann. épigr., 1904, n. 71.

13. C. I. Lat., VIII, 4681, 4682.

14. Id., ibid., 4883, 4887; Gsell, Recherches archéologiques en Algérie, p. 323 n. 414; p. 326 n. 424.

15. G. I. Lat., VIII, 5293.

16. Id., ibid., 10867, 19488.

17. 7d.,.ibid., 8391.

18. Bull. arch. du Comité, 1896, p. 214 n. 175.

19. C. I. Lat., VIII, 9325.

362 CHAPITRE III

Cartilage, il est invoqué par les oenopolae ou marchands de vin et les mcraril ou amateurs de vin pur '. A Madaura, un de ses prêtres s'intitule Lenaei patris cultor felixque sacerdos ^; or Lenaeus pater est par définition le dieu du pressoir. A Lambaesis, un primipile de la légion con- sacre un autel au dieu ob apothecam consummatam ^ : dans toute maison romaine, Yapotheca était la partie du grenier l'on mettait les amphores de vin '\ A Mac- taris, sur la colonne furent gravés les noms de tous les membres de la corporation des foulons qui contribuèrent à la construction du temple de Liber, le dieu fut représenté fundens vinwn '' ; « la sculpture est très endommagée, ayant été martelée à l'époque chrétienne . Elle représente un per- sonnage debout, nu, aux longs cheveux flottant sur les épaules. De la main gauche, il s'appuie sur un thyrse, dont la partie supérieure, terminée par une pomme de pin, sub- siste seule aujourd'hui, et il abaisse la main droite, qui tenait assurément un canthare, vers un quadrupède placé à son côté; cet animal est méconnaissable actuellement; mais ce devait être une panthère. La guirlande de pampres qui orne le pourtour de la niche achève de caractériser le per- sonnage : il faut y voir un Bacchus \ » A côté de ces docu- ments, paraissant assigner au Liber pater africain une ori- gine exclusivement gréco-romaine, il est d'autres monuments sur lesquels le dieu paraît se rattacher à d'anciens cuites du pays. Ces monuments sont les stèles, longtemps appelées Stèles delà Manouba, et pour lesquelles le nom le plus exact paraît être aujourd'hui Stèles de la Ghorfa \ La partie supé- rieure de ces stèles est en général occupée par plusieurs

1. Comptes-rendus de l'Académie des Inscriptions, 1906, p. 95 et suiv.

2. C. I.Lat., VIII, 4681.

3. Ann. épigr., 1904, n. 71.

4. Daremberg, Saglio, Pottier, Dictionn. des Antiq., s. v. Apotheca, I, p. 323.

5. Bull. arch. du Comité, 1893, p. 124-125.

6. Bull. arch. du Com., 1893, p. 124.

7. L. Poinssot, dans le Bull. arch. du Comité, 1905, p. 395 et suiv.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 363

personnages. syml)oles et attributs qui représentent vrai- semblablement la divinité : dis(iuc et croissant, tète radiée et tête surmontée d"un croissant, personnage tenant d'une main une grenade, de l'autre une grappe de raisin, etc., etc. Sur plusieurs stèles de ce groupe, l'angle inférieur gauche du premier registre est occupé par un personnage vêtu seu- lement d'une draperie qui lui couvre le corps de l'épaule gauche à la hanche droite, couronné de pampres ou de lierre, la main gauche appuyée sur un Ihyrse, la main droite tenant presque toujours un vase ou canthare '. L'angle inférieur droit est occupé symétriquement par un person- nage féminin nu, dont l'attribut le plus net est une couronne tressée qu'il tient dans sa main droite. La couronne de pam- pres ou de lierre, le thyrse et le canthare nous autorisent à voir dans le premier personnage une image inspirée par le type du Dionysos grec, du Liber pater ou Bacchus gréco- romain. Comme d'autre part les monuments, sur lesquels ce personnage est figuré, ont, de l'aveu unanime, un caractère punique fort net, nous devons en conclure qu'il y avait dans la religion de Carthage un être divin qui fut plus ou moins exactement assimilé au Liber pater gréco-romain ". Il est possible aussi que le personnage féminin, dont les attributs sont moins nets, ait formé couple avec ce dieu, et que par analogie on l'ait transformé à l'époque romaine en Libéra. Ce qui est caractéristique, ce sont les attributs dionysia- ques, thyrse, canthare, couronne de pampres ou de lierre, du personnage masculin.

La diffusion et la popularité du culte rendu à Liber pater par les Africains de l'époque impériale ont peut-être eu pour principale cause l'existence dans la religion antérieure

1. Du Coudraj'-La Blanchère et Gauckler, Catalogue du Musée Alaoui, pL XVIII, nos 741, 742, 743; pi. XIX, n»' 746, 747, 749, 752.

2. La tète de Liber pater couronné de lierre ou le thyrse sont fréquents sur des monnaies de Leptis Magna, se lisent des légendes puniques (L. Muller, Numismatique de l'Afrique ancienne, t. II, p. -3 et suiv., n"' 1-13, 14, 15, 16;.

24

*3C)4 CHAPITRE III

à la coïKiiiôto l'omaiiic cVuiic divinilû avec la(|iiello lo (li(3ii venu d'Italie avait des ressemblances niai'(iuées.

Quelle que soit la proportion des éléments étrani!,'ers et des éléments indigènes dans le nurneii du Liber pater afri- cain, tous ses fidèles aujourd'hui connus, tous ceux qui lui élevèrent des temples, des autels, des statues, qui lui rendi- rent hommage et lui témoignèrent leur gratitude, tous ceux aussi qui invoquèrent le couple Liber et Libéra, ou Libéra seule, furent des provinciaux. 11 n'y a parmi eux aucun fonc- tionnaire impérial; le seul officier qu'on y rencontre est le jjriiiiipUus Nuniisius Natulus ' ; nul soldat, nul vétéran ne figure au nombre des adorateurs ou des prêtres du dieu. Ceux-ci sont ou des magistrats municipaux - ou de simples particuhers ^; deux villes, Uzappa et Caesarea, ont élevé officiellement un temple à Liber \ 11 convient toutefois de remarquer que les fidèles de Liber pater, alors même qu'ils sont de simples particuliers et des gens de condition modeste, portent en général des noms romains. Voici par exemple la liste des FuUones de Mactaris, qui contribuèrent de leurs deniers à la construction d'un temple de Liber : C. Julius Saturninus, L. Lucilius Musicus, M. Pomponius Priraulius, C. JuUus Rogatus, L. Cominius Rogatus, M. Aqui- lius Victor, P. Julius Florus, L. Modius Rufus, C. Cominius Rogatus, C. Julius Datus, C. Aquilius Capito, Q. Rasinius Saturninus, Gabba Maximi Galbae f.,... us Baricis Musucis

f., crvius Gallus,... rdius Meridianus, Saturninus Sagga-

nis, P. Pomponius Saturninus^ L. Caecilius Martialis, L. Fabius Rogatus, L. Fabius Félix, C. Marins Rogatus. Sur vingt-deux membres du Corpus Fnllonum, trois seulement conservaient des noms et une onomastique contraire aux

1. Ann. épiyr., l'JOl, n. 71.

2. C. I. Lat., VIII, 860, KJSI, 10807: Bidl. arch. du Comité, 189G, p. 18G n. 82, p. 214 n. 175.

3. C. I. Lat., VIII, 4G82, 4887, 8391-, Bull. o)-ch. iU< Comilé, 1895, p. 69 n. 4; 1893, p. 124-125.

4. C. I. Lat., VIII, 9325; Bull. arch. du Comité, 1897, p. 134 n. 205.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 365

usages romains. Les prêtres du dieu sont parfois citoyens romains, par exemple à Madaura C. Julius L. f. Q[uiruia tribu Lactas \ à Thubursicum Numidarum Q. Julius Q. f. Pap[i7Ûa tribu) Saturni/ius -; l'un d'eux même est cheva- lier ^ Le culte de Liber pater ne fut donc pas dans les cités africaines un culte à vrai dire très populaire. 11 serait sans doute inexact de ne voir en lui qu'un culte importé du dehors et complètement étranger aux anciennes conceptions reli- gieuses des habitants da pays; mais il semble que sous sa forme gréco-romaine ce culte ait recruté la plupart de ses adeptes dans la bourgeoisie municipale, restée moins fidèle que la plèbe aux coutumes d'autrefois.

Numériquement plus important et réparti sur un terri- toire plus vaste, le groupe des documents recueillis depuis l'Adriatique jusqu'à la mer Noire dans tout le nord de l'il- lyricum et en Dacie forme un ensemble plus complexe. Tan- tôt Liber pater est seul nommé sur les textes ; tantôt Libéra est invoquée en même temps que lui; tantôt enfln il y a des raisons de croire que, malgré l'absence de son nom, Libéra formait ici et couple avec Liber. Ce dernier cas se présente, par exemple, dans la ville dalmate de Narona. Une inscription datée de 173 ap. J.-C. nous apprend que cette année-là la cohors I Belgarwn, par l'organe de FI. Victor, centurion de la legio I Adjutrix, releva un temple de Liber Pater et de Libéra ruiné par le temps et y ajouta des portiques \ Trois autres textes trouvés sur l'emplacement de la même ville mentionnent un temple de Liber Pater ^ ; le plus ancien de ces textes remonte proba- blement à l'époque républicaine ®. Devons-nous croire qu'il y avait dans cette petite cité dalmate deux temples et

1. c. I. Lat., VIII, 1682.

2. Id., ibid.,-4887.

3. Bidl. arch. du Corn., 1806, p. 18G n. 82.

4. C. 1. Lat., III, 1790.

5. Id., ibid., 1784, 1786, 1789 = 636-3.

6. Id., ibid., 1784.

366 CHAPITRE III

deux cuUes distincts, celui de Liijer Pater seul d'une part, et d'autre part celui du couple Liber pater et Libéra? La même question peut se poser à propos d'Apulum en Dacie : quatre textes nomment Liber pater seul ' ; sur deux autres Liber pater et Libéra sont unis ^ Ici encore faut-il con- clure à l'existence de deux cultes distincts? Un document de Sarmizegethusa nous indique peut-être que nous ferions fausse route en répondant par l'attirmative à cette question. Au-dessus d'une inscription ainsi conçue : Aurcl[ius) Annianus cleo Libero ex suo decUt, un bas-relief repré- sente Liber et Libéra, entourés de Pan, de Silène et d'une panthère ^ Ainsi la légende épigraphique nomme Liber seul, et l'image plastique nous montre que l'acte de dévotion s'adressait à Libéra en même temps qu'à Liber. Il est donc permis de croire que dans cette région de Tem- pire Liber pater et Libéra ont le plus souvent été adorés ensemble.

Aucune épithète caractéristiqua ne leur fut en général donnée. Il faut cependant signaler le surnom Trif{ormis) que porte Libéra dans une inscription d'Apulum * ; ce sur- nom conviendrait mieux, semble-t-il, à Diana ou à Hecatè. Mais c'est une exception unique et qui ne saurait modi- fier le caractère général de ce culte. A défaut d'épithète significative, divers monuments figurés nous renseignent sur le sens et, pour ainsi parler, le contenu du numen de Liber et Libéra.

Liber pater est représenté sur trois ex-voto : sur deux d'entre eux. Libéra lui fait pendant ^ Le dieu et la déesse ont pour attribut principal le thyrse, et sont accompagnés d'une panthère. C'est un motif banal, sans aucun trait distinctif. Analogue est le caractère du troisième docu-

1. Cl. Lat., III, 1065, 1091, 1092; Ann. épigr., 1903, n. 59.

2. G I.Lat., III, 1093, 1094.

3. Id., ibid., 7910.

4. Id., ibid., 1095.

5. /(/., ibid., 4297, 7916.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON 367

ment, décoré d'iiiie scène de genre; un paysan et sa femme procèdent à leurs vendanges; au-dessus d'eux on dis- tingue une image du dieu ^ Ailleurs, les textes épigra- phiques sont accompagnés simplement d'attributs ou de symboles : thyrse -, tambourin ^ chevreau dévorant une grappe de raisin \ vase d'où sortent des rameaux % grappe de raisin ^ Rien d'original n'apparaît non plus ici. D'autre part M. Domaszewski, dans son Etude sur la Religion de l'aymèe romaine, cite plusieurs bas-reliefs, d'après lui des détails particuliers ont été ajoutés à l'image habituelle du Dionysos grec '. Bien que ces bas-reliefs ne soient pas accompagnés d'inscriptions, on peut en effet admettre que le personnage, qui en occupe le centre, soit Liber Pater. D'autres personnages ou des animaux l'entourent; de ces personnages et de ces animaux, il en est qui sont ici d'un usage courant, tels le satyre sur lequel le dieu s'appuie et la panthère. D'autres sont d'une interprétation plus obscure : que signifie par exemple le serpent que le dieu tient au- dessus de sa tète sur un bas-relief trouvé à Thorda * ? Est- ce le serpent d'habitude enfermé dans la ciste bachique? Ou bien y a-t-il là, dans cette imagerie rehgieuse des pro- vinces danubiennes, un élément venu d'ailleurs que du monde gréco-romaia? La popularité exceptionnelle dont Liber pater et Libéra jouirent en Dalmatie, en Pannonie et en Dacie donne à cette hypothèse beaucoup de vraisem- blance. Sous ces noms latins furent peut-être invoquées deux anciennes divinités du pays, qui prirent peu à peu, en même temps que les noms, les traits les plus accentués de

1. C. I. Lut., IIL 3295.

2. id., ibid., 3046, 9752. .3. Id., ibid., 9752, 9931.

4. Id., ibid., 99.34.

5. Id., ibid., 3046.

6. Id., ibid., 7498, lU90l.

7. Westdeiitsche Zeitschrift, XIV (1895), p. 51.

8. Id., ibid., pi. III, fig. 4.

368 CHAPITRE III

la pliysionomie plastique du Dionysos grec, du Liljor palcr romain '.

Toutefois cette hypothèse aurait plus de force, si l'on rencontrait moins d'étrangers parmi les fidèles du dieu et de la déesse. Aucun d'eux, en effet, ne porte un nom qui ne soit pas romain ou d'origine grecque ; il n'y a pas, dans les soixante-dix inscriptions environ qui attestent la diffusion du culte de Liber et Libéra en Dalmatie, Pannonie et Dacie, la moindre trace de langue ou d'onomastique indigène. Dans la province de Dalmatie, presque tous nos documents proviennent de cités du littoral. Un groupe important a été recueilli à Narona ^; dans ce groupe figurent plusieurs aff'ranchis d'origine grecque, P. Annaeus Q. 1. Epicadus, M. Lusius Trofîmas lib., M. Sextius Epaphroditiis ^ ; un centu- rion, C. Pisenius Severinus, centurio legionis XI Cl[audiaé) \ et la cohors I Belg[armn) ^ Dans les autres villes, les fidèles du dieu ou de la déesse portent le plus souvent les tria nomina : àAequum, L. Aebutius L. f. Ser. Celer ^; à Scar- dona, T. Plotius Clemens ^ ; à Albona, L. VolumniusPudens ^ ; ailleurs encore, T. Aurelius Proculus, T. Aurelius Provin- cialis ^ Q. Ostilius... ranus '". Les femmes s'appellent Julia Maxima ", Julia Firmilla *^ Nous n'affirmons certes pas que tous ces personnages soient des colons venus d'Italie; il est possible, il est même probable qu'ils sont en majorité d'ori-

1. G. Wissowa, dans Roscher, Lexikon der yr. tnid rbm. MijflioJ., s. v, Liber; id., Beligion und Kultus der Rônier, p. 248.

2. C. I. Lat., III, 1781-1790, 6363, 8130.

3. Id., ibid., 1781, 1788, 8430.

4. Id., ibid., 1789 ^ 6363.

5. Id., ibid., 1790.

6. Id., ibid., 2730.

7. Id., ibid., 2815.

8. Id., ibid., .3046.

9. Id., ibid., 8.338, 8351.

10. Ann. épigr., 1905, n. 1C6.

11. Bull, di archeol. e stor. daim., 1899, p. 161 n. 2728. 1-2. C. I. Lat., III, 9931.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 369

gine provinciale; mais il u'}' a rien, dans leur aspect exté- rieur^ qui ne soit romain.

Si en Dalmatie les traces aujourd'hui connues du culte de Liber pater et de Libéra ont été relevées principalement sur la côte de l'Adriatique, dans les provinces de Pannonie et de Mésie, elles n'ont guère subsisté que le long de la grande voie militaire qui longeait la rive droite du Danube; on en a recueilli à Carnuntum ', Brigetio ^ Aquincum \ Campona \ A'otus Salina% Intercisa ^ Lugio \ Antiana ^ Sirmium^ Taurunum '°, 7 iminacium ", Novae?'-, Troesmis '^ Hors de ces camps et de ces postes, seuls la ville de Savaria et les environs du lac Balaton en Pannonie ont fourni deux documents '*.

Après avoir constaté cette répartition géographique des documents, il ne faudra pas être surpris de la place prépondérante qu'y tiennent les officiers, sous-offlciers, soldats ou vétérans. Douze inscriptions nous donnent des renseignements sur les fonctions qu'exerçaient les fidèles de Liber et de Libéra: sept^ soit plus de la moitié, apparte- naient ou avaient appartenu à farinée '^; trois étaient au service d'officiers, sous-offlciers, ou vétérans "'; un autre

1. A>i)i. épigr., VJOl, n. 215.

2. C. 1. Lat., III, 4297.

3. Id., ibid., 3465-31G6, I03I3, 10316, 10359, 10133.

4. Id., ibid., 10377.

5. Id., ibid., 10326, 10327.

6. Id., ibid., a329.

7. Id., ibid., 3298.

8. Id., ibid., 3294 = 1027.5, 3295.

9. Id., ibid., 3234.

10. Ann. épigr., 1901, n. 220, 221.

11. Id., 1905, n. 151.

12. C. I. Lai., III, 750. 1.3. Id., ibid., 7498.

14. Id., ibid., 10901, 1(3910.

15. Id., ibid., 750, 3329, 3164, .3465, 10327, 10343; Ann. épigr., I90I, n. 221

16. C. I. Lat., III, 3166, 4297; Ann. épigr., 1901, n. 246. Notons que deux de ces personnages portent des cogiW)iiina grecs : Aur. Demophilus, Dionysius.

370 CHAPITRE III

était peut-être un ancien procurateur ' ; un seul était magis- trat municipal ^ Quant aux textes qui contiennent simple- ment le nom ou les noms des dédicants, on y trouve des gentilices tels que Fl(avius) ^ Aelius \ Aurelius) '' ; des cognomina comme Paternus \ Antoninus ", Marccllus ^ Januarius \ distinguer le moinde trait étranger à la civi- lisation et aux coutumes romaines ?

Et c'est à la même conclusion exactement que nous con- duit l'étude des textes épigraphiques trouvés en Dacie. La plupart de ces textes proviennent des villes fondées oucolo- nisées par les Romains, Potaïssa et Apulum surtout'". Neuf inscriptions nous apprennent quelle était la condition sociale ou la fonction des fidèles de Liber et Libéra. Les deux tiers appartenaient ou avaient appartenu à l'armée " ; des trois autres, l'un était un affranchi ou un esclave impérial '^ ; un autre était sans doute l'afiFranchi d'un dileciator '^ Ici comme en Pannonie on ne trouve qu'un seul magistrat municipal '\ Quant à ceux dont nous ne connaissons que les noms, il y avait certainement dans le nombre des Grecs ou des orientaux '"; la plupart portent des gentilices et des cognomina latins ''^; tout au plus pourrait-on reconnaître

\. C. I. Lat.,\U, 3294 = 10275.

2. Id., ibid., 10377.

3. M., ibid., 3231.

4. Id., ibid., .3298.

5. Id., ibid., 10326.

6. Id., ibid., 3234.

7. Id., ibid., 10326.

8. Id., ibid., 10359.

9. Id., ibid., 10910.

10. Id., ibid., 896, 7682-7684 (Potaïssa); 1065, 1091-1095; An7ï. épigr., 1903, n. 59 (Apulum).

11. C. I. Lat., III, 1091-1094; 1.365; 7684.

12. Id., ibid., 1303. 1.3. Id., ibid., 1548.

14. Id., ibid., 1065.

15. Aur. Timotheus : id., ibid., 7683; Cl. Heraclides : A7in. épigr., 1903, n. 59; Aur(elia) Creste. Fl(aTia) Aelia Nice : C. I. Lat., III, 130-3, 1548.

16. C. I. Lof., III, 792, Mil, 7682, 7916.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON 371

quelques indices d'onomastique non romaine dans les noms d'Alrius Maximi ' et de Secundin(us) ^

Si dans le détail même des documents il est difficile de saisir une preuve përemptoire du caractère particulier de Liber pater et Libéra dans l'Illyricum septenirional, il n'en reste pas moins deux faits généraux incontestables : d'une part l'exceptionnelle difïusion du culte de Liber dans ces régions, d'autre part la présence ailleurs presque complè- tement inusitée d'un culte rendu à Liber et Libéra associés. Ces deux faits suffisent à rendre très vraisemblable l'hypo- thèse présentée par Domaszewski; cette hypothèse en effet parait seule capable de les expliquer, et plusieurs analogies la corroborent '\ Toutefois nous ne possédons pas, dans cette circonstance, les preuves archéologiques, épigraphi- ques ou littéraires que nous avons pu citer par exemple pour les cultes de Mercurius en Gaule, de Ceres et des Cereres en Afrique.

Outre les documents le dieu porte le nom italique de Liber pater, il faut citer un texte fort curieux, trouvé dans la province de Mésie inférieure aux environs de Nicopolis. Ce texte nous fait connaître l'existence en ce lieu et la com- position d'un Colle gium Bacchii vemaculorum \ Le mot Bacchium n'est que la transcription latine du terme grec Bà/.ys'.ov, qui servait à désigner tantôt un sanctuaire, tantôt un thiase du dieu. Le document, qui énumère les princi- paux dignitaires du collegiimi, 'pyinci'pes, sacerdos, archi- mysfae, ecdici, et qui contient une longue liste de noms, met en lumière un curieux mélange d'éléments et d'in- fluences : les noms sont en majorité latins, mais auprès d'eux on remarque des noms grecs, Hermès, Dlonysios, Dlopluuies et des noms daces ou thraces, tels que Deceba- lus, Brilo, Mucapor. Les termes emploj'és sont tantôt latins,

1. G.I. Lat., III, I-2GI.

2. Id., ibid., 12572.

3. V. pi. haut, p. 259, 272-273, 29(3, 312-313, 318.

4. C. I. Lat., 111, 6150 = 7137.

372 CHAPITRE III

tantôt grecs. Parmi los diji-niiairos, quelques-uns sont des 9jo-Az'j-y.'., peut-être de la ville voisine de Nicopolis; d'autres sont des vétérans. L'action de Rome, apportée par les légions, et l'action hellénique, due peut-être au rayonne- ment des colonies grecques de la côte du Pont-Euxin, se sont ici rejointes et exercées d'accord sur les populations tbraces.

Une inscription métrique de Tomi signale l'existence dans cette ville d'une thiase bachique '.

Enfin, pour être complet, nous mentionnerons deux dédi- caces d'autels à Priape : l'une à Thuburnica, dans l'Afrique proconsulaire ^; l'autre à Salonae en Dalmatie \ Il ne semble pas qu'il y ait autre chose que le témoignage de quelque dévotion particulière.

Les divinités des eaux ne furent pas moins invoquées dans les provinces latines de l'empire que les divinités célestes et chthoniennes.

Le principal dieu de l'élément liquide fut Neptunus. On se tromperait loutefois si l'on voyait exclusivement en lui le maître de la mer. Le culte de Neptunus se présente sous un double aspect. Ici et sans doute le dieu est bien le dieu marin, le Neptunus qu'ont célébré les poètes, en par- ticulier Virgile; mais beaucoup plus souvent, il est le dieu des eaux en général, il préside aux sources et aux fleuves.

Parmi les documents qui se rapportent à Neptunus, il convient donc de faire deux parts. Nous étudierons d'abord ceux qui lui attribuent sans aucun doute possible le carac- tère le plus général, celui de dieu de toutes les eaux;

1. ArchaeoL Epiyy. MittheiL, 1887, p -18, n. 60.

2. G.I. Lai., VIII, I469I.

3. Id., III, 8683.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 373

nous examinerons ensuite ceux qui sont plus conformes à la tradition courante et qui nous montrent en lui le Posei- don-Neptunus gréco-romain.

Les documents du premier groupe ont été surtout trou- vés d'une part dans les provinces africaines, d'autre part dans les régions rhénane et danubienne. Les provinces espagnoles et gauloises, la Bretagne, la Dalmatie n'en ont pour ainsi dire pas fourni. 11 n'est pas douteux que dans rAfri(|ue romaine Neptunus ait été essentiellement le dieu des sources. Sur 27 monuments qui attestent la pré- sence de son culte, 2 seulement sont originaires de villes du littoral ; tous les autres ont été trouvés dans Tintérieur du pays, parfois très loin de la côte, dans des villes ou des villages qui n'avaient aucune relation avec la mer, telles que Mactaris ', Thala ^ le kastellum ou le i^agus Titulita- nus, au sud de Sicca Yeneria '\ le Saltus Massipianus, aux environs d'Ammaedara \ Lamijaesis % les Aquae Thibili- tanae % Calama ', Sigus ^ La nature véritable du dieu est souvent précisée, tantôt par le texte des inscriptions, tan- tôt par les circonstances de la découverte. Nulle part, elle n'est mieux marquée qu'à Lambaesis. Le temple de Nep- tunus y fut construit, lorsque l'on eut recueilli les fontaines et les sources qui jaillissaient de toutes parts ^ il occu- pait un vaste emplacement dans le voisinage de la source d'Aïn Drinn, qui alimente aujourd'hui le village de Lam- bèse *", Une inscription du iv' siècle, trouvée au même

1. Bull. arch. du Comité, 1897, p. 425 n. 178: 1^99, j). CLxviii et suiv.

2. Bull, des Antiquaires, 1897, p. 302; Bull, cnrli. du Comité, 19'X), p. cxxxiv.

.3. Bull, des Antiquaires, 1897, p. 301.

4. C. I. Lat., VIII, 11736.

5. Id., ibid., 2652-2656.

6. Id., ibid., 18810.

7. Id., ibid., 5297, 5298.

8. Id., ibid., 10857.

9. Id., ibid., 2653.

10. AVillmanns, Étude sur le camp et la ville de Lambèse (trad. Tliédenat), p. 12-13; R. Gagnât, Lambèse, p. 60-62.

374 CHAPITRE III

endroit, appelle ce sanctuaire ïacdes fonlis '. La dédicace, découverte dans les ruines du pagus Titulitanus, à soixante kilomètres environ au sud du Kef, n'est pas moins expli- cite : Neptuno Angiuslo) sacr[um). Seniorcs et plcbs Tih(~ litan[oruiit) aère conlalo foiileni c[um ouini] opère a solo [fec\crun[t] et dedi[caveru]nt ~. C'est ici encore une fon- taine d'eau douce qui est consacrée à Neptunus. même les textes sont plus brefs et les formules moins précises, les rapports de Neptunus avec les sources sont mis en relief par d'autres circonstances : aux environs de Macta- ris, dans les ruines d'une fontaine qui captait la source aujourd'hui appelée Aïn Medoudja, a été recueillie une dédicace à Neptunus ^; à Thala, les travaux effectués pour restaurer la source romaine ont amené la découverte d'un bas-relief qui représente Neptunus *; dans le Saltus Mas- sipianus, qui s'étendait au nord d'Ammaedara, c'est de même à Neptunus que les coloni d'un fundus Ver ? con- sacrèrent la source qui les alimentait '". N'est-on pas en droit de donner la même interprétation à la présence aux Aquae Thibilitanae d'un temple et d'un culte organisé de Neptunus '^ ? Ici encore, suivant toute vraisemblance, le dieu présidait aux sources chaudes. Bien que des preuves décisives fassent défaut, il nous semble que ce fut aussi le caractère du dieu à Thubursicum Bure ", à Thugga *, à Zama ^ à Theveste '°, à Calceus Herculis *', près de

1. C. 7. iflf., YIII, 2656.

2. Bull, des Antiquaires, 18U7, p. 300 et suiv.

3. Bull. arch. du Comité, 1899, p. clxviii et suiv.

4. Bull, des Antiquaires, 1897, p. 302; cf. Bull. arch. du Comité, 1900, p. cxxxiv.

5. C. I. Lat., A'III, 11736; cf. Bull, des Antiquaires, loc. cit.

6. C. I. Lat., YllI, 18810.

7. Id., ibid., 1425.

8. Carton, Découvertes épigraph. et archéol., ]>. 159, n"^ 289, 290; L. Poinssot, Les inscTiptio7is de Thugga, n"* 38 et 39.

9. Bull. arch. du Comité, 1901, p. 126 n. 18.

10. C. I. Lat., VIII, 16526.

11. Id., ibid., 18008.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON 375

Madaura S à Calama % à Cirta % à Sigus *, à Mons \

Dans les régions voisines du Rhin, il faut mettre à part un document découvert à Plombières, dont les sources thermales étaient captées et fréquentées à l'époque romaine. Les eaux que débitaient ces sources s'écoulaient dans la rivière qui s'appelle aujourd'hui l'Augrogne. Or dans cette rivière a été recueillie une tablette en cuivre portant l'ins- cription : Deaeo Neplnn{o). Toutlssia Vestina i\ s. l. m. ^ Un témoin oculaire de la découverte, qui écrivait au XVI® siècle, affirme que d'autres tablettes analogues furent trouvées ^ mais celle-là est la seule qui ait été publiée. Elle suffit à prouver qu'au pied des Vosges, non moins qu'en Afrique, Neptunus passait pour être le dieu des sources.

Le long du Rhin et du Danube, dans les provinces de Ger- manie supérieure, Rétie, Norique, Pannonie, Mésie, Nep- tunus, tout en étantparfois associé aux divinités des sources, les Nymphae, semble être plus souvent le dieu des fleuves. L'autel mutilé, trouvé à Altrip, dans le Palatinat, sur les bords du Rhin ^ ne peut guère se rapporter qu'au culte d'un Neptunus fluvial. La dédicace, qu'un débordement delà petite rivière l'Alb a rendue au jour près d'Etthngen " et qui est signée d'un certain Cornélius AUquandus, a été faite au nom d'un contubernium nautarum. Dans la région le monument a été recueilli, des nautae sont certainement des bateliers, non des marins. A Heidelberg, c'est dans le lit même du Neckar qu'a été découverte l'inscription votive

1. BuU.arch. di( Comité, 1896, p. 27(3 n. 212.

2. C. I. Lat., VIII, 5297, 5298.

3. Ici., ibid., 6956.

4. Id., ibid., 10857.

5. Id., ibid., 8657.

6. Id., XIII, 4713. Cf. Babelon et Blancliet, Bronzes de la Bibliothèque nationale, p. 710 n. 2305.

7. C. I. Lat., XIII, 4713.

8. Westdeittsche Zeitschrift, Kon-.-Blatt, 1899, n. 64.

9. C. I. Lat.,XUl, 6321.

376 CIIAPITRK 111

(lui niuntioimo une slatuo et un sauctiiairo d(^ Neptunus '. Sur les bords du Mein, ont été trouvés, à Grosskrotzenburg, près de Hanau, un fragment de dédicace, se lit le mot Neptuno ^; un peu plus au sud, à Trennfurt, une statue du dieu ^

Dans les provinces danubiennes, les documents les plus significatifs sont ceux qui proviennent de Guntia (Rétie), de Yindobona et Crumerum (Pannonie), de Viminacium (Mésie supérieure). L'inscription de Guntia (auj. Gunzbourg, sur le Danube, entre Ulm et Donauwerth) est ainsi conçue : Nep(u{no) sacr[um). Molui{arii) \ Dans la basse latinité molina signifie: moulin. Les molinarii de Guntia étaient des meuniers, qui rendaient un culte au dieu du fleuve, parce que le fleuve faisait marcher leurs moulins. A Yindobona, Neptunus fut invoqué en même temps que d'autres divinités; le texte étant mutilé, les noms de plusieurs de ces divinités ont être complétés ou presque entièrement restitués; sont du moins certains les noms d'une antique déesse ita- lique, Salacki, des Nymphae, et d'Acanmis ouAcaumis, sans doute le dieu d'un cours d'eau de la région. Entre le nom dos Nymphae et celui d'Acannus ou Acaunus, les éditeurs du Corpus, après Wissowa, restituent Danurius ^ A Crumerum, poste militaire situé sur leDanul^e au nord d'Aquincum, un préfet de cohorte, Antonius Acilianus, s'adresse à la fois à Neptunus et aux Nymphae \ Un texte récemment découvert à Viminacium ' signale un temple de Neptunus, pour la

1. C. I. Lut., XIII, 6103.

2. Bramb., 1133.

8. Bonner Jahrh'ùcher, LXII [1S78:, p. 52. Sur le culte de Neptunus dans les régions rhénanes, voir Schaafhausen, Ein rômischer Fundin Bandorf bei Oberwinter, dans les Bonner JaJtrbïicher, LUI et LIV (187.3), p. 106 et suiv.; Christ, Romische AJterthnnier in Heidelbercj, LXll (,1878], p. 20 et suiv. Cf. DomaszeAYski, Xeptioius auf lateinischen Inschriften, dans Westdeutsche Zeitschrift, Korr.-blatt., XV (1896), p. 2.33-236.

4. C. I. Lut., 111, 5866.

5. /(/., ibid., 14359'2''; AVissowa. Ileliij . uud Kitltus der Borner, p. 253 n. 3.

6. C. I. Lat., 111, 3632.

7. A7i)i. éjiiijr., 1905, n. 153.

I

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 377

reconsiriictioii ou la restauration duquel une somme de 2,000 sesterces futdonnêe parC. YaL'eriusi Vibianiis, naiila- riim q{aui)q{iien)ialU). Ici comme dans les Champs Docu- mates les nautae sont évidemment des bateliers du fleuve. Sur une autre inscription de Viminacium le dieu est appelé Conservalor Aug[ustorum) et Cae[sm^is ? ou Cae[sarum?) '. Les autres textes trouvés en Pannonie et en Mésie sont moins explicites : nous pensons toutefois que le Neptunus, auquel on adressait des prières ou des actions de grâce à Aquincum, ù, Sirmium, à Bononia sur le Danube, et près du Tropaeum Trajani, était non pas le dieu de la mer, mais le dieu des eaux courantes, et ici spécialement le dieu du fleuve voisin ^ Quant aux documents qui proviennent de Celeia eu Norique, de Nauportus et d'Emona en Pannonie ^ nous préférons ne point en faire état. Rien ne nous renseigne avec exactitude sur le caractère du Neptunus adoré dans ces villes; Domaszewski croit qu'il s'agit ici du dieu marin, parce que Celeia, Emona, Nauportus se trouvaient placées surdes voies commerciales connues des navigateurs grecs ''. En tout cas, ces textes ne nous sont pas nécessaires pour prouver que le long du Rhin et du Danube Neptunus fut un dieu fluvial.

Ainsi dans plusieurs provinces latines il est incontestable que la conception du dieu appelé Neptunus ne répondait pas à celle du Poseidon-Neptunus gréco-romain. Nous sommes ainsi amenés à nous demander quelle était l'origine de cette conception particulière. Or les inscriptions trouvées à Lambaesis en Afrique nous apprennent que le temple de Neptunus, les édifices et les jardins qui constituaient et entouraient le sanctuaire du dieu furent bâtis et créés par la leglo m Augiista au nom des empereurs Antonin le Pieux, puis Marc-Aurèle. Ce sont des représentants otïiciels de la

1. Jahreshefle., 19iX), Beiblatt, p. 110 n. 5.

2. C. I. Lat., III, 3186, 10219, 10248, 11433. 8. Id., ibid., 3778, 3841, 5137, 5197, I07G5.

4. Wesldeiitsche Zeitschrift, Korr.-blatt, XV (1896), p. 233 et suiv.

378 CHAPITRE III

civilisation romaine qui ont ici attribué lo nom de Noptunus au dieu des scaiurigincs et des fo/i/r.-; '. D'autre part un texte de Yindobona, que nous avons déjà mentionné, associe entre autres divinités àXeptunus une déesse appelée Salacia. Or ce nom de Salacia se trouve joint à celui de Neptunns dans les très anciennes formules des Vibri saccrdotum 2)02mU romani ".

L'origine romaine du culte de Xeptunus à Lambaesis et à A'indobona ne semble pas douteuse. Or, ici le dieu préside aux sources; il est invoqué en même temps que les Xympliae et un, peut-être deux cours d'eati du pays. Ne re- trouverait-on pas. dans ces cultes provinciaux, le caractère le plus ancien du Neptunus italique? Ce caractère fut de bonne heure obscurci, sinon effacé dans la tradition littéraire par l'assimilation du Poséidon grec au Neptunus romain : aux derniers siècles de la République et sous l'empire, Neptunus n'était plus pour les poètes et les artistes que le dieu marin, répoux d'Amphitrite. Mais il est vraisemblable que le soti- venir du dieu plus ancien s'était conservé dans le culte; lorsque le culte se répandit dans les provinces, Neptunus y fut le dieu de toutes les eaux, des sources, des fleuves et des lacs comme des flots. Si notre hypothèse est juste, il y aurait ici, en matière religieuse, un fait analogue à celui qui a été constaté pour la langue elle-même : les éléments populaires et anciens de la civilisation romaine se retrouveraient mieux sous l'empire dans les provinces qu'à Rome même.

Ce n'est pas à dire, pourtant, que Neptunus n'ait jamais été dans les provinces latines le dieu de la mer. Les hom- mages adressés au dieu dans des villes maritimes, comme Chtillu et Saldae, en Afrique " ; Carteia. Suel et Tarraco en

1. C. I. Lat., VIII, 2652, 5(».3, 2(3ô5.

2. Gell., Att. Xoct., XIII, 23, 2: cf. Wissowa, Belig. und KuUv.s der Borner, p. 250 et suiv.

3. C. I. Lot., VIII, 8194 = 19916; 8925.

LES DIVmiTÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 379

Espagne ' ; Arelate en Xai'bonaise "; les dédicaces trouvées en Bretagne, soit sur la côte méridionale de l'île^ près de Chichester et de Lymne ^ soit à Newcastle ""^ dans la Ger- manie inférieure, près du village zélandais de Doomburg ^; en Dalmatie, sur l'emplacement des ports de Narona et d'Aenona '^ : tous ces documents attestent qu'en plusieurs endroits de l'empire, le dieu avait revêtu sa physionomie maritime accoutumée. A Tomi, en 142, on l'invoqua même sous le nom de Posidon, transcription pure et simple du mot grec IIots-Iocov '.

Il n'y a point lieu de faire des remarques particulières sur les fidèles de Xeptunus. Le dieu, qu'on vît en lui le pro- tecteur des sources, des fleuves ou des flots marins, fut honoré ou invoqué par des fonctionnaires impériaux ^ par des otïiciers, sous-oflîciers ou soldats ^ par des magis- trats municipaux ^**, par des groupes divers, cultores ou collegia *', par des affranchis '-, enfin par de simples parti- culiers.

Ce qui est plus intéressant et plus suggestif, c'est l'uni-

L C. I. Lat., n, 1911, 4087; A. Heiss, Description des monnaies antiques de l'Espagne, pi. XLIX.

2. CI. Lat., XII, 660.

3. Id., VII, 11, 18.

4. Ann. épigr., 1904, n'^ 1 et 2. Domaszewski pense que Neptunus est ici encore le dieu du fleuve, parce que la pierre, qui porte la dédicace, était encastrée dans le Pons Aelius, sur lequel on franchissait la Tyne à l'époque romaine; notons pourtant qu'il y avait à l'entrée du pont deux bases, consacrées par la legio VI Victrix : l'une à Neptunus, l'autre à Oceanus. Il nous semble plus logique de voir ici dans Neptunus un dieu marin.

5. Bramb., 26.

6. C. I. Lat., III, 1704, 2970.

7. M., ibid., 12495.

8. Id., ibid., 3186; VIII, 8925.

9. Id., III, .3632, 14433; VIII, 2652 et suiv. ; 18008; XII, ÔSIS; Jahreshef te, 1900, Beiblatt, p. 110 n. 5; Ann. épigr., 1901, n'^ 1 et 2; C. I. Lat., VII, 18.

10. C. I. Lat., VIII, 5297, 5298.

11. Id., III, 5197, 5866; VII, 11; VIII, 10S.57, 11736; 18810; Bull, des Anti- quaires, 1897, p. 301.

12. C. I. Lat., II, 1944, 4087; III, 7919.

25

38Ô CHAPITRE III

forinité à pou près complète des images à l'aide desquelles, dans les diverses provinces latines de l'empire, on repré- senta Neptunus. Qu'il fût le dieu des eaux douces ou le maître de la mer, il avait les mêmes traits, les mêmes attri- buts; partout et toujours, son arme favorite était le trident; son compagnon préféré, le dauphin. Tel il figurait au-des- sus de la source de Thala ^ tel dans le nympliaeum de Mac- taris ; tel encore dans les Champs Décumates \ et tel à Yindobona, sur les bords du Danube '\ Nous avons déjà eu Toccasion de remarquer, à propos de la déesse Minerva, que le type plastique adopté par les habitudes populaires ne correspondait pas toujours, dans les provinces latines, à la physionomie réelle de la divinité représentée.

Le rôle essentiel des êtres divins, qui portaient dans la langue latine le nom de Nymphae, était de présider aux sources ordinaires, à celles dont l'eau ne possédait aucune vertu spéciale, comme aux sources thermales ou médici- nales. Tel est bien le caractère que présente le culte des Nymphae dans la plupart des provinces latines. Dans l'ilc d'Arba, au nord de la Dalmatie, un affranchi, C. Raecius Léo, dédia aux Nymphae, en l'an 173, aqiiam, quam nidlus antiquorum in civitate fuisse meminerit^ intentam impen- dio et voluntate C. Raeci Rufi c. v. j^citroni \ Vaqua, dont il est ici question, paraît être destinée à l'alimentation et aux besoins courants de la petite ville. Les Nym-gliae Noi-ae d'Apulum, invoquées par Rufrius Sulpicia(nus), légat de la leg . XIII \ étaient peut-être de même les divi-

1. BtiU. des Antiquaires, 1807, p. 302.

2. C. I. Lat., XIII, 6324; cf. Bonner lahrbiicJier, LXII ,1878), p. 52.

3. G.I. Lat., 111,143592-.

4. 7rf., ibid., 3116.

5. Id., ibid., 1129.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 381

nités de sources nouvellement découvertes dans la cité. D'autre part, les Nymphae, dont le culte a laissé des traces aux Aqiiae Flavianae près de Mascula en Nuniidie ', aux Aquae Flaviae dans la Tarraconaise occidentale ^ au lieu dit les Furaades, près d'Alais, en Xarbonaise ^ k Ilixo, aujourd'hui Ludion, en Aquitaine '\ aux Balnea Romana voisins de Celeia dans le sud du Norique % aux environs de Poetovio en Pannonie \ furent surtout honorées en raison des propriétés particulières des sources qu'elles proté- geaient. Parfois même le caractère médical et, pour ainsi dire, thérapeutique de ces déesses est précisé soit par des épithètes, comme Mcdlcae ', Salutares ^, Salutiferae % soit par certains détails insérés dans le texte de l'inscrip- tion votive '".

Les Nj'mphae furent parfois associées aux divinités des forêts, à Diana par exemple chez les Tungri ", à Silvanus en Dalmatie ''. Sur divers monuments trouvées en Dalmatie et en certains points de la région danubienne, les Nymphae sont représentées au nombre de trois, avec la même physio- nomie que les Silvanae '*. Elles ont ici un caractère rural assez accentué. Parfois leur rôle spécial est rappelé par la coquille qu'elles tiennent et d'où l'eau semble couler.

La répartition du culte des Nymphae dans les provinces

1. C. I. Lat., VIII, 17722, 17723.

2. Id., II, 2474.

3. Id., XII, 2845-2850; cf. 2926.

4. Id., XIII, 350-360; cf. .390-.39I.

5. Id, III, 5146-5148, 11688.

6. Id., ibid., 4117-4119, 4121, 10892.

7. Id., ibid., 10595.

8. Id., ibid., 10891, 10893; Jahreshefle, 1900, Beibl., p. 127 n. 26.

9. C.I.Lat., III, 1.397.

10. Id., ibid., 1396; cf. 1562.

11. Id., XIII, 3605.

12. Id., III, 1958 (•?), 9751; Ballelt. di arch. e stor dahnat., XIV (1891), p. 162 n. 94.

13. C. I. Lat., III, 1795, 1971, 3489, 8520, 9754; BiiUett. di arch. e stor. dahnat., XIV (1891}, p. 162 n. 94.

382 CHAPITRE III

latines suggère dès l'abord une remarque. Sous le nom de N3'mphae,les divinités des sources sont à peu près complè- tement absentes des provinces africaines : on ne les a rencontrées qu'aux Aquae Flavianae près de Mascula '. L'importance des sources fut cependant toujours considé- rable dans ces régions; l'on sait avec quel soin et quelle science à l'époque romaine on utilisa toutes les eaux vives de ce pays. Mais ce ne fut pas à des déesses appelées Nymphae qu'on attribua le pouvoir de régner sur les sources; ce fut, comme nous l'avons montré, à un dieu, à Xeptunus. L'absence du culte des Nymphae en Afrique s'explique précisément par le caractère tout spécial que Neptunus y revêtit.

Hors de l'Afrique, dans les autres provinces latines, la diffusion du culte des Nymphae paraît avoir été en rapports avec la densité de la population et dans une certaine mesure avec l'intensité de la colonisation romaine. Les documents qui s'y rapportent sont plus nombreux en Espagne, en Nar- bonaise, en Aquitaine, en Dalmatie, dans les deuxPannonies, qu'en Bretagne ou dans la Germanie inférieure -.

Les fidèles des déesses forment deux groupes distincts : d'une part les fonctionnaires impériaux, les officiers, sous- officiers et soldats, les affranchis ou esclaves, les uns et les autres généralement étrangers au pays ils résidaient; d'autre part les habitants du pays, magistrats municipaux, simples particuhers. Le premier groupe se trouve surtout représenté en Bretagne ^ dans les régions rhénanes ^ et danubiennes \ en Dacie ^ il faut y ajouter un légat propré-

1. C. I. Lat., VIII, 17722, 17723.

2. Voici la statistique approxioiative; provinces espagnoles, 14; Narbo- naise, 23; Aquitaine, 16; Dalmatie, 18; Pannonie, 21. Bretagne, 5; Germanie inférieure, 3., etc.

3. C. I. Lat., VII, 171, 998, 1104.

4. Bonn. Jahrb., t. LXXX (1885), p. 234; C. I. Lot., XIII, 6606, 6:46, 7279.

5. C. I. Lat., III, 3489, 4013, 4117, 4118, 4423, 4556, 4563, 5146, 6478, 10595, 10893, 11077.

6. Id., ibid., 1129, 1399, 7858, 7882.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON 383

teur de l'Espagne citérieure ', deux centurions en Dalmatie % quelques affranchis privés ou impériaux en Espagne '\ un esclave impérial en Aquitaine ^

Les provinciaux, simples particuliers ou magistrats, forment au contraire la majorité des dédicants en Narbo- naise ^ en Aquiiaine ^ en Dalmatie \

Dans ces faits, que les documents nous indiquent, il n'y a rien de particulier. Sauf l'exception que nous avons men- tionnée pour les provinces africaines, le culte des sources, honorées sous le nom de Nymphae, a été général. Ce nom d'origine grecque, adopté parles latins, a été employé sans épithète locale dans les provinces soit par les étrangers que leurs fonctions ou leur condition sociale y amenaient, soit par les provinciaux qui avaient le plus subi l'influence romaine. s'étaient mieux conservées soit les coutu- mes nationales soit des superstitions locales, les sources gardèrent leurs anciens noms : on ne leur donna pas pour gardiennes et protectrices les Nymphae gréco-romaines.

Outre le culte des Nymphae, il faut signaler en quelques rares points un culte à peine différent rendu aux sources sous un autre nom : le culte du Numen aquae Alcxandrianae à Lambaesis *; le culte du Genius numinis caput Amsagae (sic), à Sila au sud de CirLa '; le culte des Fontes à Emerita, et chez les Convenae d'Aquitaine '"; le culte d'une source appelée Fous diviniis, à Nescania en Bétique "; le culte des Di et Numi7ia Aquarum, dans la station de Dacie connue

1. CI. Lat., II, 5GT9.

2. Id., III, 3096; Ballet, di arch. e stor. daim., XXII (1899), p. 90 n. 2732.

3. C. I. Lat., II, 89i, 2474, 3029, 3786.

4. Id., XIII, 438.

5. Id., XII, I090-I093, 1325-1328, 2845-2850, 2926, 3103-3109.

6. Id., XIII, 350-360, 390, 391.

7. Par exemple, C. I. Lat., III, 3047, 3II6, 8680-8682, etc.

8. C. I. Lat., VIII, 2662.

9. 7d., ibid., 5884.

10. Id., II, 466; XIII, 311; cf. VII, 171.

11. Id., II, 2005.

384 CHAPITRE III

SOUS le nom de Ad ^Nlediam ' ; enfin le culte des Foules Calidi, associés à Hercules et au Genius loci, au même endroit \ Les personnages, qui ont préféré de tels noms pour invoquer les divinités des sources, sont, comme les fldèles des Nymphae, soit des immigrés soit des provinciaux; il y a parmi eux un légat impérial, en Dacie; un magistrat local, à Sila en Xumidie; de simples particuliers, plus ou moins romanisés.

Le culte de Venus a été moins populaire dans les pro- vinces latines que le culte des divinités chthoniennes ou que celui des divinités des eaux. Il n'en est resté aucune trace dans les Trois Gaules, en Bretagne, dans les Germanies, en Rétie, en Norique, dans les Mésies. La Narbonaise, les Pannonies, la Dacie sont très pauvres en dédicaces ou en ex-voto. Seules les provinces africaines, l'Espagne et la Dalmatie ont fourni quelques documents intéressants.

La déesse fut invoquée soit sous le nom de Venus Augusta, soit sous le nom de Venus Victrix. L'épithète Pelagia ^ qui lui fut donnée dans file dalmate de Corcyra Nigra, révèle l'origine grecque de ce culte. Une inscription mutilée d'Aequum en Dalmatie nommait peut-être Venus Gcnetrix \

Le culte de Venus Victrix lut un culte particulier à l'Etat romain. La déesse paraît n'avoir été sous ce nom qu'une variante de la déesse Victoria "\ La formule Venus Victrix Partica, employée sur un texte de Riditae en Dalmatie, est exactement synonyme de l'expression plus

1. C. I. Lot., III, loC)?.

2. Id., ibid., 156'3.

3. 7^., ibid., 3066.

4. Id., ibid., 9756.

5. AVissowa, Religion und KuUv.s der R!Jmcr,\). 237-238.

LES DIVINITES ET LES CULTES DU PANTHEON 385

fréquente Victoria Partliica '. A peu près inconnue en Afrique et en Espagne, Venus Yictrix fut invoquée un peu davantage en Dalmatie, en Pannonie et en Dacie : toutefois on ne connaît actuellement que onze inscriptions qui nom- ment la déesse '; il faut en outre remarquer qu'il n'y a parmi les fidèles de Venus Victrix ni un otïïcier, ni un soldat, ni un fonctionnaire impérial. Ce fut donc, même dans ces régions^ un culte plutôt rare et dont les traces présen- tent un caractère nettement individuel.

Sans avoir été beaucoup plus répandu, le culte de Venus ou Venus Augusta paraît avoir tenu, au moins dans quelques provinces, une place plus considérable dans la vie religieuse de l'empire. En Afrique, la déesse était tout spécialement révérée à Sicca Veneria : nous en avons comme preuves, outre le nom même de la ville, plusieurs documents épigra- phiques, qui mentionnent un temple de Venus et une con- frérie de Venerii ^ un actor Veneris \ une scrva Veneris ^ A Mactaris, non loin de Sicca Veneria, le culte de la déesse était de même organisé : nous y connaissons deux pré- tresses ^ Entre Mileu et Cuicul, dans la Numidie septentrio- nale, Venus figure, auprès de Saturnus, de Nutrix, de Tell us, de Jupiter, de Mercurius, parmi les divinités aux- quelles les prêtres do Saturnus sacrifient : la victime qui lui est destinée est soit une jeune l)rebis, soit une jeune chèvre \ La colonie de Rusicade portait le surnom de Veneria ^ Il n'est douteux pour personne que le culte de Vénus à Sicca Veneria fût d'origine punique : Valère Maxime affirme que l'usage oriental de la prostitution

1. AVissowa, lîeliçjion und Kiiltus der RiJuier, p. 238 not. 2.

2. C. I. Lat., III, 864=3 76f33; I1I5, I7'J7, I%4, 1065, 2770, 2805, 3160, 4152, 4167, 1II40.

3. Id., YIII, I588I.

4. Id., ibid., I58U4.

5. Id., ibid., 15916.

6. Id., ibid., 680; BiM. a)-ch. du Comiié, 1900, p. CLiii.

7. C. I. Lat., VIII, 8246, 8247.

8. Id., ibid., p. 684 et suiv.

380 CHAPITRE III

sacrée y existait, au moins sous la domination carthagi- noise *. De plus, les Ve?ieru de l'époque impériale ne sont- ils pas les successeurs de ces fidèles d'Astarté, dont la con- frérie est nommée sur une inscription punique de Car- tilage ■? A Mactaris, tant de vestiges de la civilisation et de la religion puniques ont été trouvés ^ il nous parait cer- tain que le culte de la déesse avait le même caractère qu'à SiccaVeneria. Entre Mileu et Cuicul. l'association de Venus à Saturnus, à Nutrix, à Tellus. met également en relief le caractère populaire du culte qu'on lui rendait. Enfin Ton sait que Rusicade avait été fondée par des colons Phéniciens.

Ce n'est pas à dire que nous rapportions au culte punique d'Astarté toutes les traces aujourd'hui connues du culte de Tenus en Afrique. A Cirta, par exemple, ce culte semble avoir eu une physionomie toute gréco-romaine, puisque la statue de bronze de la déesse était entourée de CupicUnes *. Il n'en est pas moins vrai qu'à Sicca Veneria, à Mactaris et peut-être ailleurs, le culte de Venus sous l'empire était moins un culte importé qu'un culte antérieur à la conquête romaine et à peine transformé par elle.

En Espagne, l'origine du culte de Venus, autant qu'on peut en juger à l'aide de documents peu nombreux, tut différente. Les inscriptions qui attestent l'existence de ce culte, ont été trouvées soit en Bétique, à Cartima % Isturgi ^ aux environs de Corduba ', soit sur la C(3te orientale

1. Val. Maxim., II, 6 § 15.

2. C. I. Sem., pars I, t. 1, n. 233. Le titre punique est traduit par les éditeurs du Corpus : Congregatio homimun Aslartes.

3. Entre autres, la série des ex voto néo-puniques à Baal-Hanimon (Ph. Berger, Bull. arch. du Comité, 1S99, p. 99 et suiv. ; Ducoudray-La Blanchère et Gauckler, Catalogue du Musée Alaoui, p. 111, n»* 609-686), et la grande dédicace du temple d'un dieu appelé Hathor-Mislvar (Ph. Ber- ger, dans les Mémoires de l'Acadéinie des Itiscriptions; R. Gagnât et Gauckler, Les monuments a7itiques de la Tunisie, p. 129 et suiv.).

■1. C. I. Lat., YIII, 6965,

5. Id., II, 1951, 1952.

6. Id., ibid., 2123.

7. Id., ibid., 2326.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON 387

de la péninsule, par exemple à Dianium ' et à Barcino ", c'est-à-dire dans les parties du pays les plus ouvertes aux influences étrangères. L'élément grec joua peut-être ici un rôle. Il apparaît en particulier dans une inscription trouvée non loin de Cordubaet qui énumère les dons faits à la déesse par divers personnages, dont une femme nommée Aemilia Artemisia. Parmi ces dons figures une statue de la déesse cum parcrgo et une pliiala argcniea ^ L'emploi du mot imrerguiu, inconnu en latin, transcription pure et simple du grec -âp^pYov, ainsi que le choix du mot d'origine grecque pliiala au lieu du terme latin synonyme paiera^ nous indiquent que les dédicants étaient plus familiers avec la langue grecque qu'avec l'idiome latin. A Isturgi, sur le haut Baetis, l'un des fidèles de Vénus porte le cognomen Terpnus = Tip-voç \ A Dianium, le dédicant est un serir Augustalis \ Tous ces détails nous portent à croire que dans les provinces espagnoles le culte de Venus fut sur- tout célébré par des habitants d'origine grecque plus ou moins lointaine.

Pour la Dalraatie, les documents, sans être aussi expli- cites ni aussi clairs que pour l'Afrique, nous font entrevoir pourtant un culte organisé et d'apparence populaire. Ils nous apprennent qu'il y avait, probablement à Piluntiuin, un collieglum) Veneris, dont les jeunes gens pouvaient faire partie " ; et qu'à Salonae certaines femmes portaient le titre de mag[istrae) V{eneris), suivant l'interprétation des éditeurs du Corpus \ Les magistrae Veneris, citées sur l'inscription de Salonae, se nomment Prima Fulviniae, Urbana Curtiae, Oecumene Juliae : il est peu vraisemblable que le génitif marque ici la filiation, car il faudrait admettre

1. C. I. Lat., II, 3580.

2. Id., ibid., 4500.

3. Id., ibid., 2.326.

4. Id., ibid., 2125.

5. Id., ibid., 3580.

6. Bull, d iarch. e stor. daim. XXIII (I90Ù),p. 53, n. 2781.

7. C. I. Lat., III, 1963.

388 CHAPITRE III

que Prima, l'rbana, Oecumene, étaient toutes les trois des filles naturelles '. 11 est beaucoup plus probable qu'il faut sous-entendre serva '. Ce serait donc trois esclaves. D'où nous conclurons que le culte de Venus n'était ici ni officiel, ni pratique surtout par la bourgeoisie municipale ou la population libre^ mais qu'il recrutait plutôt ses adhérents et son personnel sacerdotal dans la classe servile et libertine. L'une des trois magistrae Vencris de Salonae porte un nom grec, Oecumene; d'autre part, nous avons cité plus haut le temple dédié à Venus Pelagia, dans l'île de Corcyra Nigra^ par une femme nommée Signia Ursa Signi Symphori (filia). L'épithète Pelagia, les noms Oecumene, Symphorus, trahissent une origine grecque. Les documents sont trop peu nombreux pour nous permettre d'affirmer que le culte de Venus vint en Dalmatie de Grèce plutôt que d'Italie. Nous devons nous borner à formuler une hypothèse. Remarquons toutefois que cette hypothèse est d'accord avec les traces indéniables d'hellénisme qui ont été observées en divers points de la Dalmatie, traces que n'effaça point complètement la colonisation romaine.

En résumé, le culte romain de Venus Victrix s'est peu répandu dans les provinces latines. Quant aux cultes orga- nisés de Venus, dont la présence a été constatée principa- lement en Afrique et en Dalmatie, ils semblent se rattacher bien moins à la religion romaine que celui-ci au culte de l'Astarté punique et celui-là au culte de l'Aphrodite grecque.

Le culte du dieu Vulcanus ou plus exactement Volkanus (Volcanus) paraît avoir été limité à celles des provinces latines qui étaient habitées par des populations de race gau-

1. R. Gagnât, Cours d'èpigraphie latine, 3^ éd., p. 59.

2. Id., ibid., p. 78-79.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 389

loise ou apparentées à cette race. On n'en a trouvé en effet aucune mention en Afrique, en Espagne, en Dalmatie, en Dacie ni en Mésie. Les rares documents se lit le nom de Volkanus proviennent en majorité de la Xarbonaise et des Trois Gaules, (^^uelques traces de culte ont été recueillies en Bretagne, dans la Germanie supérieure, la Rétie, le Norique, la Pannonie.

Quel était le véritable caractère du dieu? Wissowa affirme que toujours et en toute circonstance Volcanus fut à Rome le dieu du feu qui dévore, du feu des incendies; il ajoute : « rien dans le culte du dieu n'indique et d'ailleurs il n'est pas vraisemblable que Volkanus ait jamais été le dieu des forgerons \ » S'il fut à Ostie honoré d'un 'culte tout spécial, c'est parce qu'on le redoutait plus que partout dans ce port, à cause des docks et des magasins à céréales ^ Nous n'avons pas à discuter ici ces conclusions; mais nous croj'ons pouvoir démontrer qu'elles ne sauraient s'ap- pliquer exclusivement au culte que le dieu reçut dans les provinces latines. Pour cette démonstration, nous aurons recours à la fois à des documents épigraphiques et à des monuments d'archéologie figurée. Les monuments d'ar- chéologie figurée sont : un bas-relief sculpté sur un ex-voto de Nemausus \ et l'une des faces d'un des monuments célèbres sous le nom d'Autels de Paris *. Sur l'un et sur l'autre monument, Volkanus est représenté en forgeron, le buste à demi-nu ; ses attributs, ou plutôt ses instruments de travail sont le marteau et les tenailles. Volkanus paraît avoir été spécialement adoré, dans la Civitas Naninetum, par les Vicani Porteuses, c'est-à-dire par les habitants du port qui, dès cette époque, s'était créé sur l'emplacement existe aujourd'hui la ville de Nantes ". Si le dieu n'avait

1. Wissowa, Relig. tind Kiiltas der Rijmer, \i. 180.

2. Id., ihid., p. 185.

3. C. I. Lat., XII, 3135.

4. Id., XIll, 30261' 3.

5. Id., ibid., 3105-3107.

390 CHAPITRE III

été invoqué que par les Vicani Porteuses ou pour leur salut, on pourrait faire valoir les raisons qu'expose Wissowa pour expliquer l'importance du culte de Yolkanus à Ostie. Mais sa protection fut implorée également pour les Xan- tae Ligcvici, les bateliers de la Loire. Or, il est peu vrai- semblable que ces nav.tae aient jamais possédé ces docks et greniers pour lesquels, dans la théorie de Wis- sowa, on redoutait tant à Ostie la colère du dieu. A Car- nuntum, en Pannonie, l'unique dédicace à Volcanus trou- vée dans les ruines de ce grand camp permanent fut gravée par les soins de deux personnages M. ^Nlucius Frontinus et L. Yalerius Cyrillus, curator{es) thcrrnarum '. Le dieu, auquel s'adressent ces deux « gérants de bains », est-il uniquement le dieu qui peut déchaîner l'incendie? N'est-il pas aussi, n'est-il même pas plutôt le dieu du feu qui chauffe, qui permet d'obtenir dans les diverses parties des thermes les températures nécessaires?

Nous ne croyons pas qu'on puisse attribuer au Yolkanus des provinces latines de l'empire la physionomie et la signi- fication exclusive que AYissowa attribue au Yolkanus romain. Nous croyons qu'il faut voir en lui le dieu du feu en général, du feu utile comme du feu destructeur, du feu qui chauffe et qui permet de forger comme du feu qui brûle et qui consume. S'il n'en était pas ainsi, pourquoi lui aurait-on toujours donné comme attributs les instruments caractéristiques du forgeron, les tenailles ou pinces et le marteau ?

Parmi les dociinu'nts peu nombreux se lit le nom de Yolkanus, le seul groupe, qui mérite d'être signalé, est, comme nous l'avons dit, le groupe gaulois. Il se compose de dédicaces ou d'ex-voto, qui proviennent de DeaAugusta^, de Yasio et des environs de Yasio ^ de Nemausus % de

1. 0. 1. Lat., III, 1447.

2. 7rf., XII, 1572.

.3. Id., ibid., 1312; Ann. épiyroph., 1903, n. 27. 1. C. I. Lat., XII, 3135.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 391

Narbo \ dans la Narbonaise; de Portas Nainnetum -, de la Clvitas Vlducassiwn ^ de Lutetia \ de la Civllas Tuagro- rum ^ dans les provinces de Lugdunaise et de Belgique. On peut sans doute y joindre deux inscriptions de Bretagne ^ et un texte de Germanie supérieure '. En dehors de ce groupe, on n'a recueilli dans les autres provinces latines que huit documents. César ne cite pas A^'olkanus parmi les dieux gaulois; mais il nous apprend que les Germains l'adoraient, ou plus exactement adoraient une divinité qui correspon- dait au Volkanus latin ^ D'autre part Florns, dans un pas- sage souvent cité, rapporte que le chef des Gaulois Insubres de la Cisalpine, Yiridomar, avait en l'an 222, au moment de livrer bataille aux légions commandées par Marcellus, promis de consacrer les armes des Romains à un dieu que l'écrivain latin appelle Yolcanus '. 11 est donc certain qu'il y avait, dans la mythologie et dans le culte des populations gauloises et germaniques, une divinité analogue, tout au moins comparable au Yolcanus des Latins. L'existence de cette divinité nous explique pourquoi ce fut dans les pro- vinces occupées par ces populations que sous l'empire le culte de Yolcanus a laissé presque uniquement des traces. Dans ce cas, comme pour plusieurs cultes déjà étudiés, le nom latin désigne moins un dieu venu d'Italie et apporté dans les provinces par la conquête ou la colonisation

1. CI. Lat., XII, 4338.

2. Id., XIII, 3105-3107.

3. Id., ibid., 3161.

4. Id., ibid., 3026b 3.

5. Jet , ibid . , 3593 ; cf. J. P. Waltzing, dans Le Musée Belge, 1902, p. 94 et suiv.

6. C. I. Lat., VII, 80, 398.

7. Id., XIII, 6454.

8. Caes., De bell. GalL, VI, 21. Les termes, qu'emploie César, nous semblent infirmer la th'^se de Wissowa sur le caractère e.\;clusivement redoutable de Volkanus. « Deoriim numéro eos solos ducunt [Germani), quos cernant et quorum aperte opibus juvantur, Solem et Vulcanum et Lunani. » Si le dieu des Germains est un dieu cujus opibus juvantur, et que César l'appelle Vulcanus, c'est qu'à Rome même Vulcanus n'était pas exclusivement le dieu du feu destructeur, du feu des incendies.

9. Florus, I, 20, § 5.

392 CHAPITRE III

romaine qu'un ancien dieu du paj's transformé, au moins dans son aspect extérieur, par l'influence de la cité victorieuse.

En dehors des régions proprement gauloises et germa- niques, Volkanus fut invoqué à Augusta Vindelicum et à Castra Regina en Rétie *. A Celeia, dans le Norique, s'était organisé un groupe de ciiUorcs, dont un document épigra- phiquenous a conservé les noms - : c'étaient de petites gens, dont aucun \\ Vixsài ùq 'praenomen, dont beaucoup n'avaient pas degentilice. A Poetovio, sur la limite du Norique et de la Pannonie, c'est un vlcus tout entier qui lui consacre un autel ou une statue ^; près du camp d'Aquincum, et sans doute à l'époque il n'y avait qu'un vicus caiiaharum, le dieu reçoit les hommages des Vet[eranï) et c[ii-es)r[omani) co{}i)S[istentes) ad leg{io)ie)n II Ad{jutricein) '* ; à Cirpi enfin, station située sur la grande voie stratégique qui longeait le Danube entre Brigetio et Aquincum, les fidèles du dieu étaient les cavaliers de la coAors II Xlp., que commandait A. Plautius Bassianus, originaire de Rome \ Il est fort diflfîcile de reconnaître si le Volkanus nommé sur ces divers textes est le dieu romain ou le dieu gaulois et germanique. Il convient pourtant de remarquer que la région, tous ces documents ont été trouvés, a été dans l'antiquité traversée etoccupée pendant plusieurs siècles par des tribus gauloises.

A la diff'érence des divinités du panthéon gréco-romain, dont il a été précédemment question, la déesse Nemesis garda à Rome, en Italie et dans les provinces latines de

1. C. I. Lut., III, 5799; Westdeutsche Zeitschrift, Korr. BL, 1899, n. 107.

2. C. I. Lat., III, 11699.

3. Id., ibid., I0S75.

4. Id., ibid., 3505.

5. /(/., ibid., 3646.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 393

l'empire son nom grec; il n'y avait point dans la religion romaine de déesse qui put lui être assimilée : le fait avait frappé Pline l'Ancien lui-même '. Une statue de Nemesis avait été placée dans le Capitole ; Pline d'autre part nous apprend qu'on invoquait la déesse pour se défendre contre les enchantements "\ 11 ne semble pas qu'un culte public ait été rendu à Nemesis dans la capitale de l'empire ; on n'y connaît ni un temple ni un autel de la déesse ; quant aux rares inscriptions de Rome sur lesquelles se lit son nom, elles proviennent soit de soldats, deux prétoriens ^ et un campi doctor S soit d'un affranchi impérial ^; les deux pré- toriens étaient nés dans la Cù:itas Vlromancliiorum en Bel- gique ; l'affranchi impérial était d'origine grecque ou orientale. Le culte de Nemesis n'a de même laissé que fort peu de traces en Italie .

Au contraire, il a été répandu et, semble-t-il, fort populaire dans quelques provinces latines, surtout en Pannonie et en Dacie. Sur un peu plus de cinquante dédicaces ou textes votifs qui portent le nom de la déesse^ six seulement pro- viennent d'autres régions que les provinces danubiennes \ Deux temples de Nemesis ont été découverts et fouillés à Carnuntum ^ et à Aquincum * ; des documents épigraphiques et des monuments d'archéologie figurée fort importants ont été recueillis en outre sur les bords de la Haute-Drave. dans

1. Plin., Nat. Jiist., XI, 251 : ... Xeuiesios {qune Bea Latmum nonien ne in CapitoUo quidem mvenit)...; cf. ibid., XXVIII, 22. Une inscription bilingue trouvée à Rome même confirme pleinement cette assertion : dans le texte grec, la déesse est appelée M£yâ>.T, Nc'ijlîtiî t, paTi)i£0o'j7a toû ■Arh\j.{o'j) ; dans le texte latin, Magna tiltrix, recjina Urhis. Il n'y a pas à vrai dire de nom propre divin [Inscr.graec. ad res Roman, pertin., I, 94).

2. Nat. Just., XXVIII, 22.

3. C. I. Lat., VI, 2821.

4. Id., ibid., 533.

5. Id., ibid., 532; Inscr. graec. ad res Roman, pertin., I, 94.

6. Un de Maurétanie : C. I. Lat., VIII, 10949 =21721 ; trois des provinces espagnoles : id., II, 2195, 5191 i^l) ; Ann . èpigr., 1903, n. 237; un de la Gaule Belgique : C. I. Lat., XIII, 4052; un de la Bretagne : id., VII, 654.

7. Archaeol.Epigr. Mittheil. aus Oesterreich, XX (1897), p. 205 et suiv.

8. Kuszinsky, Ausgrabungen zii Aquincum, p. 25.

394 CHAPITRE III

lo sud (lu Noriquo *, à Andaiitonia, au centre de la Pan- iionie ", àViminacium dans la Mésie supérieure ^ enfin dans plusieurs cités ou stations militaires de la Dacie '*. 11 est impossible de ne pas remarquer (|ue la physionomie et les attributions précises de Nemesis ne sont pas exactement identiques sur tous ces documents. La déesse, dont les sanctuaires avaient été construits dansle voisinage immédiat des amphithéâtres d'Aquincum et do Carnuntum -'' ; à qui fu- rent données comme attributs plusieurs armes accoutumées des gladiateurs, telles que fépée, le trident, le fouet ''; à qui fut consacré un ex-voto orné d'un bas-relief représentant la lutte de trois personnages, chasseurs ou gladiateurs, contre un ours ''; qui fut enfin soit rapprochée de Diana, soit même assimilée à Diana ^ : une telle déesse parait bien avoir eu des relations toutes particulières avec les combats qui se livraient dans l'arène des amphithéâtres. Ce caractère de la déesse a été fort bien vu et mis en lumière par von Pre- merstein ^ et J. Zingerle '".

Mais d'autre part, Nemesis a été assimilée à Juno ® et à Fortuna ''. L'épithète Regina, qu'elle porte sur plusieurs inscriptions '', et dont les surnoms omnipotens ", exaudien-

1. C. I. Lat., III, 4738.

2. Id., ibid., 4008.

3. Ici., ibid., 8108.

4. En partie, id., ibid., 825-827, 1124-I12G, 1438, 1517, etc.

5. Cf. p. 393 not. 7 et 8.

6. Sur le bas-relief d'Aiulautonia, C. I. Lat., Ill, 4008; Archaeol. Epigraph. Mittheil., XX (1897), p. 229-230, flg. 35 a.

7. Dans la haute vallée de la Drave, C. I. Lat., 111,4738.

8. C. I. Lat., III, 4738, 10440 : Archaeol. Epigr. Mittheil, XX (1897), p. 231, p. 241.

9. Philologus, 1894, p. 400 et suiv. : « Nemesis und ihre Bedeutung fiïr die Agone «.

10. Archaeol. Epigr. Mittheil., XX (1897), p. 228 et suiv. : « GuUhild der Nemesis » .

11. C. I. Lat., III, 1125; 11121.

12. Id., ibid., 827, 1138, 4003, 7767, 13777-13780: Archaeol. Epigr. Mittheil., XX (1897), p. 241, 242.

13. G.I. Lat., III, lOUl.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 395

tissima * semblent être des variantes, a le même sens que la double expression du texte bilingue de Rome, regina Urbis, pao-tXs'jouo-a to'j y. 6 7 u. ou. Les attributions de Nemesis changent alors de nature et d'étendue. Nous retrouvons ici la déesse grecque, adorée surtout en Asie, dont le rôle était de veiller à ce que tout se passât sur terre conformément à la règle et à la mesure, qui châtiait les humains coupables de ne pas agir ainsi, et dont les attributs les plus caractéristiques à cet égard étaient une paire de balances et une tige de bois carrée mesurant exac- tement une coudée ^ Elle fut plus tard rapprochée de la Tyclié grecque, de la Fortuna romaine \ Sous le double nom d'Adrastia ou de Nemesis, elle devint après l'ère chré- tienne une divinité toute-puissante. Apulée déclare que Nemesis, la déesse de Rhamnunte, n'est qu'une forme par- ticulière d'Isis \ Ammien Marcellin la représente comme la divinité ultrix facinorum impiorum, honoriunque 2:)rae- 7niatriœ, y^eginacausarum, arbitrarerum ac disceptabHx : « urnam sortiwn tempérât, ajoute-t-il, accldentium vices alternans; ... nunc erectas mentium cer^vices opprimit et énervât, nunc bonos ab imo suscitans ad bene vivendum extollit. » C'est à cette conception de la déesse que répondent certains attributs : « Pumas aittem ideo illi fabu- losa vetustas aptavit, ut adesse velocitate volucri cunctis existimetiir : et praetendere gubernaculum dédit, eique subdidit 7^ota7n, ut universitatem regere 2^er elementa dis- currens omnia non ignoretur \ » Le griffon, qui lui est

1. C. I.Lo.t., III, II2G.

2. Pour la coudée, cf. Rossbach, Xemesis, dans Rosclier, Lexikon der gr. tind rôm. Mythologie, p. 143-U5; pour les balances, Id., ibid., p. 157- 158 (fig. 6); C. I. Lat., III, II26.

3. Rossbach, lac. cit., p. 113 et suiv.; A. Legrand, Nemesis, dans Darem- berg, Saglio et Pottier, Dictionnaire des antiquités gr. et rom., tome IV, p. 54.

4. Metam., XI, 5; cf. Be Mundo, in fine.

5. Amm. Marc, XIV, II.

26

396 ciiAi'iTiiK m

parfois donné pour compagnon, exprime sans doute une idée analoi^-uc, celle de vigilance.

Or, plusieurs des attributs que nous venons de mentionner figurent sur des monuments trouvés en Pannonie ' et en Dacie ". La présence de ces attributs corrobore l'interpré- tation que nous donnons ici de Tépithète Recjina et prouve que la véritable valeur de ce surnom ne doit pas être cher- chée dans le rapprochement de Nemesis avec la Diana Thrace ^

Ainsi la déesse, appelée Nemesis en Pannonie et en Dacie, revêtit dans ces régions une double ph.ysionomie. Elle fut conçue tantôt comme la divinité qui présidait spé- cialement aux combats de l'amphithéâtre, tantôt comme une déesse souveraine, maîtresse des destinées du monde, protectrice des bons et des justes, ennemie de tous ceux qui voulaient troubler l'ordre et violer les lois. Les deux conceptions ne furent pas toujours et partout nettement distinguées : à Carnuntum, Nemesis est surnommée Regina sur une inscription trouvée dans le sanctuaire qui lui fut élevé près de la porte occidentale de l'amphithéâtre ^ ; sur un autre texte, elle est appelée Juno Nemesis ". La statue de la déesse qui se dressait dans la cella de ce même sanc- tuaire a été retrouvée : la déesse y est vêtue en Artémis- Diana ; ses attributs sont d'une part, l'épée et le fouet, d'autre part la roue et le gouvernail ; à ses pieds, on voit un griffon ^ Le monument d'Andautonia présente le même mélange d'attributs : la déesse y est représentée court vêtue et accompagnée du griffon ; auprès d'elle on voit une roue ; d'autre part elle tient de la main droite un fouet et une épée, de la main gauche, un bouclier carré, un tri-

1. Archaeol. Epicjr. Mittheil, XX (1897), p. 228 et suiv.

2. C. I. Lat., III, 1126.

3. Archaeol. Epigr. Mittheil., XX (1897), p. 231.

4. Id., ibld.,Y>- 241-242.

5. G. I. Lat., III, 11121.

6. Archaeol. Epicjr. Mittheil., XX (1897), p. 228 et suiv.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 397

dent, une palme, une torche. L'épée, le fouet, le trident, le bouclier carré, la palme même font allusion aux combats de l'amphithéâtre ; la torche ajoute à l'aspect général de la déesse un trait qui la rapproche davantage de Diana ; le griffon et la roue rappellent au contraire la déesse reine du monde, assimilée à Tyché ou Fortuna ^

Ce mélange des deux conceptions nous semble poser un problème intéressant. Il est certain que Xemesis est une déesse d'origine grecque; et il est non moins certain qu'en Asie-Mineure et en Grèce elle n'eut jamais, avant l'établis- sement de la domination romaine, le moindre rapport avec les jeux du cirque ou les combats de lamphithéàtre. On sait en outre que la gladiature rencontra beaucoup moins de faveur dans l'Orient grec que dans les provinces occiden- tales. Xemesis figure comme etïigie sur les monnaies de plusieurs villes asiali([ues à l'époque impériale " : nulle part elle n'y a les attributs qui se rapportent à la gladiature. Comment donc est-il possible d'expliquer que cette déesse, essentiellement grecque, ait pris en Pannonie une physiono- mie spéciale, soit devenue la divinité protectrice de com- bats et de spectacles auxquels les Grecs se montrèrent toujours hostiles et les Orientaux beaucoup moins favorables que les populations de l'Occident?

Dans son étude intitulée Nemesis luid Uire Bedeutwig fur die Agone ^ von Premerstein a tenté de répondre à cette question. Il a cité divers textes et documents, qui prouvent qu'en Grèce et en Orient des rapports assez étroits existèrent entre Nemesis d'une part, les représenta- tions du théâtre et les jeux du stade d'autre part. Mais de ces textes et de ces documents, tous ceux, auxquels il a

1. C. I. Lat., III, 4008; cf. Archaeol. Epigr. Mltlhell., XX (1807), p. 229- 230, fig. .35 a.

2. Babelon, Inventaire sommaire de la coll. Waddincjlon, passira (V. l'Index, sub. v. Nemesis).

3. PhilolofjHs, 1894, p. 400 et suiv. : cf. Perdrizet, Bull, de corr. hellèn., 1898, p. 599-602.

398 CHAPITRE III

été possible tFassigner ime date plus ou moins précise, sont de l'époque impériale : tel est le cas pour les statues de Nemesis trouvées à l'entrée du Stade d'Olympie ', pour la dédicace à Nemesis découverte dans le théâtre de Diony- sos à Athènes ^ pour l'existence du culte de Nemesis dans le stade d'Antioche \ C'est même à l'aide de documents de l'époque byzantine que von Premerstein met en lumière les relations de la déesse avec les scènes de l'hippodrome *. Aucun des textes, aucun des monuments énumérés par l'auteur ne peut être rapporté avec certitude à l'époque hellénique proprement dite ni môme à la période alexan- drine. Dès lors ni les uns ni les autres ne fournissent une réponse bien nette à la question posée. Il demeure acquis que ce caractère particulier de Nemesis n'apparaît nulle part en Grèce ou en Asie-Mineure avant la conquête romaine. Nulle part non plus ne se révèle la raison pour laquehe sous l'empire romain la déesse a pris cette physio- nomie spéciale. A"on Premerstein pense que Nemesis fut peut-être, dans certains cas, considérée comme une déesse de la vengeance victorieuse, de la victoire "\ Il rappelle à ce sujet que le fameux sanctuaire de Nemesis à Rhamnunte fut construit par les Athéniens en souvenir de la bataille de Marathon ^ Il est certain, dans cette hypothèse, que Neme- sis pouvait être invoquée par des gladiateurs, comme par des athlètes, des coureurs, des acteurs de profession.

D'autre part, peut-on distinguer la cause pour laquelle le culte de la déesse, sous son double aspect, se répandit presque uniquement dans les régions danubiennes? Les fidèles de Nemesis, que nous font connaître les textes épi-

1. Cf. Ausgrab. von Olympia, III, p. 12, pi. Xyili* I; Rossbacli, dans Roscher, Lexikoti, s. v., p. 155 et suiv. ; A. Legrand, dans Daremberg, Saglio et Pottier, Dictionnaire des Antiquités, s. v., IV, p. 54.

2. C. I. Attic, III, 208.

3. Philologus, loc. cit.

4. Philologus, loc. cit.

5. Philologus, loc. cit.

6. Cf. Rossbach, dans Roscher, Lexikon, s. v. Nemesis, p. 124-128.

k

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON 399

graphiques forment trois groupes principaux : les uns étaient des officiers, des soldats ou des vétérans ' ; d'autres étaient des esclaves ou des affranchis d'origine grecque ^; d'autres enfin étaient magistrats municipaux dans les villes qui se développèrent sur l'une ou l'autre rive du Danube \ On peut attribuer à ce dernier groupe la même origine qu'au premier : dans des cités telles que Carnuntum, Aquincum, Apulum, l'aristocratie municipale se recruta surtout parmi les vétérans, les soldats et leurs descen- dants. Nous savons qu'en Dacie furent envoyés de nom- breux colons recrutés dans les provinces grecques et orien- tales de l'empire : la présence du culte de Xemesis, sous sa forme la plus générale, s'explique donc aisément. Au con- traire, on ne peut dire avec certitude pourquoi les deux légions campées à Carnuntum et à Aquincum, la XIIII Ge- mina et la II Acljutrix, honorèrent d'un culte si particulier la Xemesis de la gladiature, qui paraît n'avoir eu de temple ni à Lambaesis, ni près des camps légionnaires de la Tar- raconaise et de la Bretagne, ni à Yetera, ni à Mogontia- cum, ni à Troesmis. Jusqu'à présent, nulle explication n'a été fournie par l'histoire ou le recrutement de ces deux légions. Le fait en lui-même démontre du moins que les légions comme les cités, les soldats comme les simples particuliers, étaient libres d'adresser de préférence leurs hommages à telle ou telle divinité de leur choix, et que pour l'armée impériale comme pour les provinciaux, la plus grande tolérance religieuse était la règle, sous condition toutefois d'un parfait loyalisme.

1. C. 7. Lat., III, 825, 826, 827, 902, 1124, 1125, 3484, 3485, 4008, 11121, 11153; Archaeol. Epigr. MittheiL, XX (1897), p. 235, 241, 242, 243; An?!, épigr., 1901, n. 25.

2. C. I. Lnt., III, 4161, 4738; cf. 1517, 7857, 1U411, 10412.

3. Ici., ibid., 10439, 10440, 10911.

400 CHAriTRE III

Le culte des trois déesses, appelées eu latiu Parcae et assimilées aux Molpa-. grecques, a laissé quelques traces très rares en Narbonaise ', eu Bretagne ", le long du Rhin ^ et dans la Rétie '\ Il est tout à fait vraisemblable que les Parcae invoquées à Arelate, Apta, Nemausus sont les déesses grecques. Quant aux dédicaces et textes votifs recueillis à Lindum et le long du vallum Hadriani en Bre- tagne, à Borbitomagus (Worms), et à Augusta Yiudelicum, ces documents n'ont pas d'autre signification ni d'autre importance que d'attester la dévotion tout à fait indivi- duelle, sinon même circonstancielle, d'un très petit nombre de personnages étrangers au pays ^

De tous les héros de la mythologie grecque, celui qui fut le plus adoré dans les provinces latines, le seul même à qui fut rendu un véritable culte, fut Hercules. Près de deux cents documents épigraphiques, archéologiques, numisma- tiques, httéraires attestent la diffusion de ce culte et la faveur dont il jouissait. Il a laissé des traces plus ou moins abondantes dans toutes les régions du monde latin; si ces traces sont relativement éparses dans la Narbonaise, la Rétie, laMésie inférieure, elles sont plus denses en Afrique,

1. C. /. Lat., XII, 318, 659, 10%, .3111.

2. Id., VII, 928; Ephem. Epigr., VU, 916.

3. C. L Lat., XIII, 62->3.

4. Id., III, 5795.

5. L'un de ces personnages était cuvalor (?) à Lindum : Ephem. Epigr., VII, 916; un autre était un vétéran : C. I. Lat., XIII, 6223. Sur les Par- cae en Gaule, v. M. Ihm, lionn. lahrb., LXXXIII, p. 65 et suiv. ; p. 180 et suiv. ; Siebourg-, Wesid. Zcitschr., VII, p. 111 et suiv.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHÉON 401

dans certaines régions de l'Espagne et des Trois Gaules, en Germanie inférieure, dans les Pannonios et en Dacic *.

Diverses épithètes furent ajoutées au nom du dieu : la plus fréquenlc est I/irictus ^ ; il fut aussi invoque sous les noms de Victor ^ Conseri-ator \ Genius civitatis ^ Genius 2Kitriae ^ Deux inscriptions d'Espagne l'appellent Priniige- nius ' et Gaditanus *. Sous l'empire romain, comme dans la Grèce libre, Hercules personnifiait la force bienfaisante; il était toujours le héros vainqueur des monstres, celui dont on invoquait la protection au moment d'engager la lutte contre ses ennemis. Parfois la môme dédicace unissait au nom d'Hercules ceux de Mars et de Victoria '■•. A la fm du troisième siècle, Hercules fut associé à Jupiter; le dieu et le héros passèrent pour protéger tout spécialement Dioclé- tien et Maximien '°. Plus rarement son nom fut rapproché de ceux de Silvanus *^ et de Diana *■ ; peut-être lui deman- dait-on alors la victoire sur les bêtes fauves.

Une étude précise des nombreux documents relatifs au culte d'Hercules dans les provinces latines permet de les répartir en divers groupes. Parmi ces groupes, l'un des

1. Voici coiiUiiont, sauf erreurs ou lacunes, se répartissent les documents épigrapliiques : jjrovinces africaines, 29; provinces espognoles, 18; Xar- bonaise, 5; Trois Gaules, 14; Bretagne, 10; Germanie inférieure, 11 ; Ger- manie supérieure, 7; Rétie, I; Norique, 12; Dalmatie, 9; Pannonios et Mésie supérieure, 31 ; Dacie, 30; Mésie inférieure, 3.

2. C. I. Lat., II, 1568, 1660 ; 111, 87?, 878, 879, lO-'S, 1029, 1292, 1340, 1394, 1569, 4272, 4726, 7424, 7C81 ; VII, 924, 986 ; VIII, 14682; Bramb., 654; Ami. èpicjr., 1902, n. 70; 1904, n. 5.

3. Bramb., 462.

4. G. I. Lat., III, 1026, 1027; Vlll, I180S.

5. m., VIII, 14808.

6. Id., ibid., 11430.

7. M., II, 1436.

8. M., ibid., 3409.

9. Id., III, 5193, 11743; BuU. arch. du Corn. 1896, p. 284 n. 247.

10. C. I. Lat., III, 1969, 3075; VIII, 2346, 182.30; BuU. arch. du Com., 1896, p. 284 n. 247 ; Ann. épigr., 1902, n. .35; 1904, n. 5.

11. C. I. Lat., III, 12565; Ephem. Epûjr., VII, n. 968.

12. C. I. Lat., III, 5657.

402 CHAPITRE III

plus distincts et des mieux caractérisés est celui que forment les documents trouvés dans le Sud do l'Espagne, auxquels on peut joindre une partie de ceux qui ont été recueillis daus les provinces africaines.

En Bétique et dans quelques cités de la Tarraconaise, telles que Carthago Nova et Valentia, le culte d'Hercules semble avoir été très important. L'image du dieu fut employée fréquemment comme effigie monétaire '. A Tucci, un monument fut dédié à Hercules par l'empereur Tibère lui-môme -. A Carteia, le sacerdoce du dieu fut exercé par un personnage qui était ou qui allait devenir l'un des plus hauts fonctionnaires de l'empire ^ Quel était vraiment le dieu qui, sous le nom d'Hercules, jouissait pendant l'empire d'une telle faveur dans l'Espagne méridionale et occiden- tale? Une inscription de Carthago nova nous apprend que dans cette ville on invoquait spécialement l'Hercules Gadi- tanus \ Gades semble donc avoir été l'un des principaux centres du culte d'Hercules en Espagne, l'un des foyers d'où ce culte rayonna. Or nous possédons sur l'Hercules Gaditanus des renseignements forts précis, que nous devons surtout à Strabon ^ L'origine phénicienne de ce dieu, de son temple, de son culte est incontestable. L'Hercules Gaditanus n'était autre que le Melkart tyrien désigné par un nom romain. Or il est d'autant plus légitime de considérer comme tel non pas seulement l'Hercules Gaditanus, mais l'Hercules adoré dans toute la Bétique, que d'après Strabon, au début de l'empire, le fond de la population y était encore d'origine phénicienne ^ La même cause ne peut-elle pas être assignée à la diffusion du culte d'Hercules dans l'Afrique du Nord? Dans les provinces afri-

1. Mionnet, I, p. 5, et suiv. ; Siq)}^!., ], p. 11 et suiv.; cf. A. Heiss, Des- cription des monnaies antiques de l'Espaone.

2. G. I. Lat., II, 1660.

3. Id., ibid., 1929,

4. Id., ibid., 3409.

5. Strab., III, 5, § 3 et suiv.

6. Strab., III, 2 § 13; cf. g H.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 403

cailles, le dieu se présente à nous sous un double aspect : à Thamugadi ', à Lambaesis ^ ailleurs encore \ il est asso- cié à Jupiter et on l'invoque pour le salut de Maximien ou de Dioclétien et de Maximien; c'est une forme de culte étrangère à l'Afrique, comme nous le verrons plus loin. Mais la plupart des documents d'origine africaine revêtent un autre caractère : ils proviennent de cités modestes, tels que Sua *, Yazis Sarra % Thibilis *, Calama ", Sigus *, Lemellef ^ Cuicul *"; quelques-uns ont môme été trouvés dans de simples villages ou en pleine campagne ". L'un de ces derniers est bilingue : à la dédicace latine est jointe une inscription libyque '". En Afrique comme en Espagne, l'image du dieu fut employée comme effigie monétaire par diverses cités, Leptis Magna '^ Sabratha *", Carthage '^ Or on sait, sans qu'il soit besoin d'y insister, qu'en Afrique comme en Espagne, le Melkart phénicien fut assimilé à l'Heraklès-Hercules gréco-romain. Il est tout à fait vraisem- blable, bien que les documents soient pour l'Afrique moins explicites que pour l'Espagne méridionale, que dans la plu- part des cas le culte de l'Hercules gréco-romain succéda simplement à celui du dieu punique.

Il est plus malaisé de reconnaître le véritable caractère de la divinité adorée sous le nom d'Hercules dans les pays

1. C. I. Lat., YIII, 2346; Bull. arch. du Corn., 18%, p. 281 n. 247.

2. C. I. Lat., YIII, 182.30.

3. Ann. épigr., 1904, n. 5.

4. C. I. Lat., VIII, 14807, 14808.

5. Id., ibid., 12000.

6. Id., ibid., 5523, 18894.

7. Id., ibid., 5291, 5292, 5367.

8. Id., ibid., 5694.

9. Id., ibid., 8807.

10. Id., ibid., 20145.

11. Id., ibid., 14G82, 15476, 17234; Bull. arch. du Corn., 1899, p. cxLiii.

12. C. I. Lat., VIII, 17234.

13. L. Millier, Xumisrn. de l'Afrique ancienne, t. II, p. 3 et suiv. : n"» 1-13, 14, 15, 16.

U. Id., II, p. 26 et suiv. : n"* 48 et suiv. 15. Id., ibid., p. 74 et suiv., passiin.

404 CHAriTRE III

gallo-germaniqiios. La l'épartiiion géograpliiquo dos dédi- caces et des ex-voto qui lui sont adressés est des plus irrégu- lières : les uns proviennent du territoire des Convenae ' au pied des Pyrénées centrales; d'autres ont été trouvés dans la Gaule l-5elgique, principalement chez les Tungri - ; dans les deux provinces de Germanie, ce sont les régions de Colonia, Bonna, Mogontiacum qui ont fourni le plus d'ins- criptions \ Si le long du lUiin la plupart des adorateurs d'Hercules sont des officiers ou des soldats, au contraire chez les Tungri et en partie chez les Convenae le dieu semble appartenir plutôt à la religion locale. Sans doute un ex-voto trouvé aux environs de Tongres débute par l'invocation HercuU et Alcmenae \ dont il est difficile de contester la physionomie gréco-romaine; mais du même endroit sont sortis des textes sur lesquels les adorateurs du dieu se nomment Leuhasna Floren(i/i{i) filla ■', Vaduna Car[i?) filia ^ Probus Verecundl fil[ius) ' ; près de Metz a été recueilh un ex-voto d'un personnage appelé Taliouniis Oriclae f[iUus) ^; à Oberwinter, non loin de Coblenz, un autre ex-voto est ainsi rédigé : Deo IlrrcuU et Genio locl Bellanco Gimonis [fillus) v. s. l. m. \ Enfin le long du val- him Hadriani en Bretagne, le cohors I Tungroruni témoi- gnait sa dévotion à Hercules '". N'est-il pas vraisemblable dès lors qu'il y avait dans cette région de la Gaule Belgique et de la Germanie inférieure une divinité gauloise ou ger- manique qui fut sous l'empire romain assimilée à Hercules?

1. G.I. Lat., XIII, 150, 152, 226-230.

2. Id., ibid., 3600-3()03; 4293.

3. Bramb., 315, .390, 462, 641-614, 654, 666; C. I. Lot., XIII, 669-3, 6693», 7262; Bonn. Jahrb., t. LXVI, p. 127; t. LXXIII, p. 61.

4. CI. Lat., XIII, 3602.

5. Id., ibid., 3601.

6. Id., ibid.i 3603.

7. Id., ibid., 36(J0.

8. Id., ibid., 4293.

9. Bramb., 641.

10. C. I. Lat., YII, 635 ; cf. 921 et 936.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 405

Tacite donne le nom d'Hercules à l'un des principaux dieux adorés par les peuples germaniques ' Lucien attribue le même nom à la divinité qui paraît s'être appelée en Gaule Ogmios -. D'autre part dans la vallée inférieure du Rhin et dans les pays qui s'étendent entre le Rhin et la INIeuse, existaient à l'époque romaine les cultes d'Hercules Magusa- niis et d'Hercules Saxanus ^ qui attestent l'assimilation établie entre le dieu gréco-romain Hercules et une ou deux divinités gauloises ou germaniques.

Chez les Convenae, la plupart des ex-voto présentent le même caractère. Si l'un des fidèles du dieu est un esclave d'origine grecque \ les autres s'appellent Fesiivos PauUni f. % Andos ^ Biliotus \ Festu[s) *. Or nous savons qu'en Aquitaine des divinités ibères ou gauloises furent assimilées à Hercules ^ Ici encore, suivant toute apparence, la pré- sence d'un culte populaire d'Hercules sous l'empire romain paraît s'expliquer par l'existence d'un ou de plusieurs cultes indigènes.

En Dalmatie, Hercules était associé Jupiter '°. Des temples et des autels étaient dédiés en commun aux deux divinités. Les deux documents les plus explicites ont été trouvés l'un dans l'île d'Issa, l'autre dans l'intérieur de la province, toutprès des frontières de la Mésie supérieure, en un lieu appelé aujourd'hui Guberevci : ils paraissent dater du haut empire, à en juger par les formules épigraphiques et les noms des dédicants '\ A la fin du iif siècle, ce culte de

1. Tacit., German., 3, 9; cf. 34.

2. Lucian., HercuL, 1.

3. Voir notre liv. IV (t. II).

4. C. I.Lat., Xlll, 228.

5. Id., ibid., 150.

6. Id., ibid., 226.

7. Id., ibid., 230.

8. Id., ibid., 227.

9. Id., XII, 4.316; XIII, 4.34.

10. Id., III, .3075; Ann. épigr., 1902, n. 35. Cf. C. I. Lat., III, 1969.

11. C. I. Lat., III, .3075 : Sacerdos Q. Baronius Q. f. tem(j)lum) et ara{s) Joci Hercli de [s], p. f. c Ann. épigr., 1902, q. 35 : Jovi et Herculi

406 CHAPITRE III

Jupiter et Hercules acquit une importance considérable. Lorsque Dioclétien, dalmalo de naissance, après avoir associé à l'empire son compatriote Maximien, voulut con- férer à la puissance impériale un caractère divin, il s'attribua à lui-même le nom de Jupiter et donna à Maximien celui d'Hercules. Quelques historiens ont prêté à Dioclétien des préoccupations mystiques, demi-philosophiques et demi- religieuses. « Dioclétien, écrit Zeller, résolut de créer un second empereur égal et cependant subordonné à lui, comme, dans les systèmes panthéistes d'alors, un second dieu émanait d'un premier. Dioclétien resterait toujours rame, l'intelligence de l'Empire; il représenterait surtout la puissance morale, civile du gouvernement. Mais à côté de lui et émané en quelque sorte de sa personne, un autre empereur deviendrait le bras, la force de l'Empire romain et représenterait surtout la puissance physique, militaire de l'Etat. ... Dioclétien, la tête, le Jupiter de l'Empire, resterait en Orient ....; son collègue, l'Hercule de l'Etat, habiterait l'Occident... Les deux empereurs, les deux nouveaux dieux de l'Empire, l'àme et le corps, le pouvoir dirigeant et le pouvoir exécutif, Jupiter et Hercule, se prêtant un mutuel appui, suffiraient à porter le poids du gouvernement inté- rieur et de la guerre étrangère » '. Le développement est d'une belle tenue ; mais il nous semble faire surtout honneur à l'imagination et à la plume de l'historien. N'est-il pas plus conforme à la vérité historique et au caractère inème de Dioclétien de penser que si Dioclétien et Maximien, tous

templum fecit Vecilia Tyvanni Aiirj. Uh. proc. Lorus datus ab Appaeo Hermete et Fabi{i)s tribus.

1. J. Zeller, Les Empereurs romains, p. 405-406. Domaszewski pense que le nom d'Hercules fut attribué à Maximien, parce qu'Hercules était depuis longtemps l'un des principaux dieux de l'armée romaine; mais cet Hercules n'était point le dieu gréco-latin, c'était le Donar germanique. Et le savant allemand conclut en ces termes: « Dieganze Zukunft des West- reiches praegt sich darin nus, dass der Herrscher des Westens nach dem deutschen Gotteheisst ».0n nous permettra de ne pas perdrenotre temps à discuter cette assertion.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 407

deux Dalmates, ont pris les noms divins de Jupiter et d'Her- cules, c'est parce que ces dieux, ainsi associés, étaient particulièrement révérés en Dalmatie? La dévotion toute spéciale des deux empereurs dalmates au couple Jupiter et Hercules donna à ces dieux un caractère pour ainsi dire officiel et favorisa la diffusion dans l'empire du cuite qui leur était rendu. Des traces de ce culte ont été retrouvées en Afrique à Tliamugadi ', à Lambaesis -, à Thubursicum Numidarum \ Quant à Torigine et au véritable caractère de l'Hercules dalmate, les documents sont muets. La seule remarque qu'il soit permis de faire, c'est qu'une notable partie des dédicaces et des ex-voto adressés au dieu pro- viennent soit de Salonae '% soit des deux îles d'Issa ^ et de Brattia *. Ce furent peut-être des marchands ou des colons grecs qui au début apportèrent en Ualmatie le culte du héros. Il est encore une autre province latine le culte d'Her- cules semble avoir eu une importance et une physionomie particulières : c'est laDacie. Il y était célébré dans les villes de Potaïssa \ Napoca \ Apulum ^ Ampelum '°, Micia ", Ger- misara *^ dans la station appelée Ad Mediam ou Ad Mé- dias '^ M. L. Poinssot^ dans une étude sur quelques Inscrip- tions de Bulgarie^ a montré que le culte du dieu a été très florissant dans cette région, pendant la période romaine; il s'efforce de mettre en lumière ses caractères originaux; il voit en lui un dieu guérisseur, un dieu préposé aux sources,

1. C. I. Lat., YIII, 23-lt;; Bull, arch . du Corn., 1896, p. 281 n. 217.

2. C. I. Lat., VIII, 18230.

3. Ann. épigr., 1904, n. 5.

4. C. I. Lat., III, 1910, 19G9.

5. Id., ibid., 3075.

6. Id., ibid., 3092, 10107.

7. Id., ibid., 877-879; 7681.

8. Id., ibid., 6253.

9. Id., ibid., 1093-1029, 1152, 7751, 7752.

10. Id., ibid., 1292.

11. Id., ibid., 1.339, 1340, 12565.

12. Id., ibid., 1394.

13. Id., ibid., 1563-1569.

408 CHAPITRE m

un dieu parfois associé à des divinités non romaines, et il conclut en ces termes : « Tous ces indices permettent, malgré l'absence de textes précis, de placer Hercule parmi les dieux nationaux des Daces ». '. Nous croyons que les con- clusions de M. Poinssot sont très exagérées, sinon inexactes. S'il est vrai que sur un texte de Sarmizegethusa, Hercules est appeté saluUfe)^'^, c'est un cas unique : il est surnommé beaucoup plus souvent inricius ^; deux ibis l'épithète con- scrvator lai est donnée ^ Les relations si étroites, que M. Poinssot prétend avoir existé entre Hercules, Aesculapius et les Nympliae, ne sont pas mieux démontrées. Il ne suffit pas en eftct, pour justifier la thèse de M. Poinssot^ qu'Her- cules ait été invoqué dans les mêmes villes qu'AescuIapius ou que les Nymphae. La juxtaposition, la simultanéité de deux ou plusieurs cultes n'indique, à aucun degré, qu ils s'adressent à des divinités de même nature. Les dieux ou les déesses auxquels Hercules est associé sur les inscrip- tions de Dacie sont Jupiter Optimus Maximus et Liber pater à Potaïssa % Silvanus Domesticus et Terra Mater à Apulum ^ Silvanus à Micia ', Venus à Ad Mediam \ le Genius loci et les Fontes Calidi dans la même station ^ Ce dernier texte est le seul un rapprochement puisse être aperçu entre Hercules d'une part, Aesculapius et les Nymphae d'autre part. Les Fontes Calidi sont en effet des sources thermales; divinisées, elles participent à la fois du caractère des Nymphae et des attributions d' Aesculapius. L'argumen- tation de M. Poinssot nous semble très fragile : elle ne peut

1. Mémoires de la Société des Antiquaires, t. LX (1899), p. 355.

2. G. I. Lat., III, 1572.

3. Id., ibid., 877, 878, 1028, 1029, 1292, 1340, 1391, 1569, 7681.

4. Id., ibid., 1026, 1027 ; cf. 1561.

5. Id., ibid., 7681.

6. Id., ibid., 1152.

7. Id., ibid., 12565.

8. Id., ibid., 1567.

9. Id., ibid., 15G6.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 409

invoquer sans témérité que deux des trente documents, originaires de la Dacie^ qui conccrnenlle culte d'Hercules.

Quels sont en Dacie les adorateurs du dieu? En majorité, des étrangers au pays, des fonctionnaires ', des soldats ^ des vétérans % des agents de l'administration procurato- rienne \ de simples particuliers dont les noms, spéciale- ment les cognomina, révèlent parfois l'origine grecque ou orientale '\ L'un des prêtres du dieu mentionne qu'il a été investi de son sacerdoce par Pertinax, sacerdos i/istifulus al) Helifio) Pertinace co{nsularl). Nous savons que le futur empereur fut sous Commode légat en Dacie, après son premier consulat qu'il avait exerce en 175. L'intervention du gouverneur de la province donne au culte et au sacerdoce d'Hercules en Dacie un caractère ofïiciel, qui ne s'accorde guère avec celui que M. Poinssot voudrait lui attribuer \

En résumé, rien ne prouve à nos yeux que l'Hercules, adoré en Dacie au ii" et au m' siècle de l'ère chrétienne, fut un ancien dieu du pays plus ou moins assimilé à l'Héra- klès-Hercules gréco-romain. Les documents aujourd'hui connus ne nous paraissent renfermer aucun des indices caractéristiques, qui nous ont permis d'arriver à des con- clusions différentes pour l'Hercules d'Afrique et d'Espagne, pour celui des régions gallo-germaniques.

Dans les provinces danubiennes, comme en Dacie, le culte du dieu fut importé, et les agents les plus actifs de sa diifusion paraissent avoir été les fonctionnaires et les sol- dats. Hercules fut particulièrement adoré dans les grands camps de Carnuntum ' et d'Aquincum \ A Siscia, un magis-

1. C. I. Lat., lu, 832, 15G1, 1566.

2. Ici., ibicl., 878, 879, 1026, 7686, 12565.

3. Ici., ibid., 1106, 1569.

4. Ici., ibid., 1565, 1568.

5. Id., ibid., 1027, 1028, 1029; cf. 1391: col[legiinn) Galcitarwn. G. C. I. Lat., in, 7751.

7. Id., ibid., 4402; Ann. èpigr., 1905, n. 243; Domazewski, Bie Religion des rôm. Heeres [Westdeutsche Zeitschr., XIV, 1895), p. 19.

8. C. I. Lat., III, 3425-3427, 10105, 10406.

410 CHAPITRE III

trat miiiiicipal, G. Ingenuius Rufinianiis et sa femme Inge- imia Kuliiia dédient une statue, un autel ou une chapelle à Hercules le jour des ides du mois d'août ' ; or, c'est à un jour près la date des fêtes qui se célébraient à Rome en riionneur d'Hercules Invictus "-. Cette coïncidence n'est vraisemblablement pas due au hasard. De tous les docu- ments épigraphiques recueillis jusqu'à ce jour dans les Pannonies et les Mésies, il n'en est qu'un, à notre con- naissance, où se lisent des noms peut-être indigènes : c'est une inscription assez grossière, trouvée près de Prahovo en Serbie, et ainsi conçue : Posucrunt He[r)cull Bitus Biti, Sautes Pa..., Con{iis) Con[i), Tato Posl{uini)? ^ Tous les autres dédicants portent des noms latins ou grecs, tels que M. St. Eros *, Fl(avius) Diogenes % Aur(elius) Erodes ^

Si nous ne nous sommes pas trompé dans nos précé- dentes conclusions, il en résulte que le culte d'Hercules dans les provinces latines de l'empire est fort complexe. Ce n'était pas exactement au même dieu que s'adressaient les habitants de la Bélique, les Tnngride la Gaule Belgique, les insulaires d'Issa et de Braliia en Dalmatie, les légion- naires de Carnuntum, d'Aquincum, d'Apulum. Le nom d'Hercules servit sous l'empire à désigner des dieux, sans doute analogues et peu à peu confondus les uns avec les autres, mais d'origine tout à fait différente. Celui-ci déri- vait du Melkart de Tyr ; celui-là du Donar germanique ou d'un dieu gaulois, dont l'un des noms fut peut-être Ogniios; cet autre avait été apporté de Rome dans les provinces et s'y était répandu grâce aux légions. Mais, quelle que fût son origine, le dieu, comme il n'avait qu'un nom, n'avait aussi qu'une image plastique : c'est toujours et partout le

1. C. I. Lat., III. 1083t5.

2. W. Fowler, The Roman Festivals, p. 193 ot suiv. ; cf. p. 198, 201-202.

3. Ann. èpigr., 1901, n. 9.

4. CI. Lat., III, 4233.

5. A7in. épigr., 1901, n. 218.

6. Id., 1902, n. 70.

LES DIVINITÉS ET LES CULTES DU PANTHEON 411

type hellénistique du héros armé de la massue et vèiu de la peau de lion, que l'on rencontre. Parfois, quelques épi- sodes de son mythe sont représentés ; c'est ainsi qu'on voit sur divers ex-voto, le dieu combattant un monstre ' ; le dieu enfant étouffant un ou deux serpents '^\ Hercules vainqueur du dragon des Hespérides ^ ou du lion de Némée '\

Parmi les autres héros de la mythologie grecque, seuls les Dioscures, Castor et Pollux, reçurent un véritable culte dans les provinces latines de l'empire. Ils furent invo- qués ensemble ou séparément. Lorsqu'ils étaient invoqués ensemble, tantôt ils gardaient chacun leur nom particu- lier % tantôt ils étaient désignés par le pluriel Castores ®. Les dédicaces et les ex-voto, qui leur furent consacrés, sont peu nombreux, dix environ, dont six proviennent des pro- vinces gauloises '. Deux inscriptions de Bétique témoignent d'un culte particuHer rendu à PoUux dans les villes d'Os- sigi * et d'Isturgi ^ Castor reçut quelques hommages dans les régions alpestre et rhénane *". Ce sont des traces trop éparses pour que l'on puisse formuler à ce sujet une conclusion générale. Voici pourtant les deux remarques que nous suggèrent ces rares documents. Ce n'est point sans doute le fait du hasard que plus de la moitié de ces documents aient été trouvés dans des provinces gauloises ou germaniques ".La présence de Castor et de Pollux sur

1. C. I. Lat., XIII, 152.

2. /(/., ibid., 4293; VII, 308.

3. Id., VII, 308.

4. Id., XII, 1343.

5. Id., II, 6070; III, 2743; VIII, G910, G941 ; XII, 1904, 252(3; XIII, 302G, 4290.

6. Id., III, 1287; XII, 2821, 2999.

7. Id., XII, 1904, 2526, 2821, 2999; XIII, 3026, 4290.

8. Id., Il, 2100.

9. Id., ibid., 2122.

10. Id., XIII, 5409; Bramb., 381; Ann. épigr., 1901, n. 201.

11. Narbonaise : 5; Très Galliae : 2; Geroianie supérieure : 1; Germanie inférieure : 1; soit 9 sur un total de 16 documents épigraphiques aujour- d'hui connus.

27

412

CHAPITRE III

les fameux Autels de Paris permet de croire qu'il y avait dans la religion gauloise ou germanique deux divinités qui furent assimilées aux Dioscures gréco-romains : c'est d'ail- leurs ce qu'affirment, au moins pour certaines peuplades germaniques, Diodore de Sicile * et Tacite -. D'autre part, hors des régions gallo-germaniques, en Espagne par exemple et en Dalmatie, les dédicants portent des cogno- mina grecs, Anthus \ Gamice \ Pieris ^ ; l'un d'eux est un affranchi ^ qui rend hommage à Pollux ob Jionorcin sei'i- r[aius).

Si peu nombreux que soient les documents, ils semblent pourtant se diviser en deux catégories : ceux-ci parais- sent indiquer qu'en diverses régions le cidte des Dioscures ou de l'un d'eux fnt surtout célébré par des immigrés d'origine grecque ; ceux-là au contraire, que ce culte de forme gréco-romaine se greffa, en Gaule et près du Rhin, sur un culte gaulois ou germanique très ancien. Mais, en ce qui concerne la forme plastique qui fut donnée à ces dieux, il se passa exactement le même phénomène que pour Hercules, Xeptunus, Mercurius ou Minerva : le type gréco-romain fut exclusivement et uniformément reproduit. Castor et Pollux ont, sur les Autels de Paris, la même phy- sionomie et les mêmes attributs qu'à Rome ou en Italie. La seule différence réside dans la grossièreté plus ou moins barbare de l'exécution.

1. Diodor., IV, 56.

2. Tacit., Germ., 43.

3. CI. Lat., II, 6070.

4. Jrf., ibid., 2122.

5. Td., III, 2743.

6. Id., IL 2iœ.

CHAPITRE IV

LES ABSTRACTIONS DIVINISÉES; FORTUNA; VICTORIA.

1. Le culte des abstractions divinisées. 2. Fortima ; Fortuna Redux. 3. Victoria .

Dans son livre, dès aujourd'hui classique, sur \^ Religion et le culte des Romains, G. Wissowa a réparti en plusieurs catégories les divinités que nous groupons toutes ensemble dans ce chapitre. Il s'est fondé, pour opérer cette réparti- tion, sur l'origine distincte qu'il attribue à ces dieux et à ces déesses. Il classe parmi les Di Indigetes les déesses Fides ou Fides piiblica, Juventas ou Juventus, Libertas, Victoria, en qui il voit des émanations, pour ainsi dire, de Jupiter ' ; le couple Ilonos et Virtiis qu'il rattache à Mars -. Fortuna est, à ses yeux, une déesse d'origine italique; à son cycle appartiennent la déesse Félicitas et le dieu Bonus Eventus ^; Mens ou Mens Bonn a été introduite dans le culte romain sous l'influence des colonies grecques de l'Italie méridionale \ Enfin, dans le chapitre consacré aux abstractions personnifiées et divinisées, il est fait mention

1. Wissowa, lieliijlon iind Kultus der Romer, p. 123 et suiv.

2. Id., ihid., p. 135 et suiv.

3. Id., ibid., p. 20(3 et suiv.; p. 211-216.

4. Id., ihid., p. 259-260.

414 CIIAriTRE IV

des divinités appelées Concordia. Pielas, AcquUas, Fax, Providentia, Disciplina, etc. '. Il n'entre pas dans notre sujet ni dans notre pensée de discuter les arguments, par- fois bien subtils, à l'aide desquels Wisso\va a établi ces dis- tinctions. Mais il nous semble qu'à l'époque impériale et dans les provinces latines de l'empire, Victoria et Pax, Fortuna et Pietas, Mens et Aequitas étaient des divinités de même caractère; entre elles la seule différence qu'il nous paraît légitime d'indiquer dérive de la diffusion ou de la popularité plus ou moins grande de leur culte.

D'autre part, il n'est pas inutile de prouver que c'étaient bien des êtres divins, à qui Ton rendait un culie. La ques- tion ne se pose pas pour Fortuna, Victoria, Pax, dont on sait, sans qu'il convienne d"y insister, qu'elles possédaient des temples, des autels, des prêtres. Mais en était-il de même en ce qui concerne Honos, A^irtus, Aequitas, Pie- tas, etc.? Il ne sutïît pas, pour que l'on puisse faire à cette question une réponse affirmative^ que des statues d'Honos, de Virtus, de Pietas aient été élevées ; il ne suffit pas non plus que des images de ces mêmes entités aient servi sous l'empire d'efflgies monétaires. Il faut ou bien qu'elles soient nommément appelées soit dev.s, soit dca; ou bien que des temples et des autels leur aient été dédiés, que des ex-voto leur aient été consacrés ; ou bien encore que leurs noms se trouvent adjoints dans une seule et même formule à d'au- tres noms de dieux et de déesses. Or tel est bien le cas. Un autel fut dédié à la déesse Aequitas par un légat impérial de Pannonie -. Bonus Eventus est appelé Deus Sanctus ^ ; il est associé à Fortuna S à Mars Victor % au couple divin Domna Reiiina et Domnus ^ Concordia était honorée à

1. Wissowa, op. laitd., p. 271 et suiv.

2. A7m. épigy. 1903, n. 206.

3. CI. Lat., II, 2112.

4. Id., VII, 97.

5. Id.. ibid., 425.

6. A7in. épigr., 1902, n. 28.

LES ABSTRACTIONS DIVINISEES ; FOKTUNA ; VICTORIA 415

Thugga dans un temple ' ; à Tarraco, son culte était célébré par une prêtresse, qui portait le titre de fiaminica perpétua -. On connaît à Cirta deux prêtres du couple Honos et Virtus ■\ La ville africaine de Thugga renfermait un temple de Pietas \ A Yindobona, sur le Danube, un magistrat municipal s'acquitta d'un vœu qu'il avait fait à la déesse appelée Deorum Prosperifa.s \ A Theveste, une ins- cription votive commence par la formule : Invlcto niuninl Vh'tutis, et un autre texte mentionne la Dea Virtus auprès d'Aesculapius et de Caelestis ^ ; à Auzia, Virtus est appelée Dea Sancta ', etc., etc.

Il ne saurait donc y avoir de doute. Les noms tels que : Aequitas, Bonus Eventus, Concordia, Honos, Pietas, Vir- tus, etc., désignaient bien des divinités auxquelles un culte était rendu, des prières et des actions de grâces adressées. Ces divinités furent introduites dans les provinces latines par la conquête romaine. Presque toutes, elles étaient à Rome même, dès la fln de la République et au début de l'empire, l'objet d'un culte public.

1

Si nous exceptons les deux déesses Forluna et Vicloria, qui méritent, en raison de leur importance, une étude par- ticulière, les divinités abstraites dont nous avons relevé les noms sur des documents épigraphiques sont :

Aequitas, Bonus Eventus, Concordia, Copia, Disciplina, Fama [?), Félicitas, Fidespuhlica, Gloria, Honos, Juventus, Libertas, Mens ou Bona Mens, Fax, Pietas, Prosperitas

1. L. Poinssot, Les Inscriplions de Thugr/n, n"^ 16 et 17.

2. G. I. Lat , II, -i-riO.

3. Id., VIII, 6'.»51.

4. L. Poinssot, op. cit., n" 40.

5. C. I. Lat., III, 4557.

6. Id., VIII, 1843, 1887.

7. Id., ibid., 9026-9028.

416 CHAPITRE IV

Deorum, Provideiitia, Salus Gêner is Humani, Sanctitas, Virtus.

La plupart de ces divinités ne nous sont connues que par un très petit nombre de documents. A Carnuntum, le légat impérial T. Pomponius T. f. Protomacluis consacra un autel à la déesse Aequitas : comme il était sans doute d'ori- gine grecque ou orientale, il rédigea à la fois en grec et en latin la dédicace de cet autel; nous savons ainsi que Téqui- valentgrec du latin Aequitas était Ejoa-lr, ^Hvrxrr, \ Le nom d' Aequitas, associé à celui de Mercurius, se lit aussi sur une inscription trouvée à Thugga, en Afrique -.

Le culte de Copia ne nous est connu que par un ex-voto d'Arausio, en Narbonaise; le personnage qui remercie la déesse est un affranchi d'origine grecque '\

Comme il est naturel, Disciplina Militaris fut invoquée dans les camps ou les postes militaires; les traces de son culte aujourd'hui connues ont été relevées dans trois gar- nisons africaines * et dans deux stations du nord de la Bre- tagne ^

Une inscription de Bétique a été lue Famae Aug. sa- crum ^ ; mais peut-être convient-il de préférer la lecture Deanae.

Une seule dédicace à Félicitas est actuellement connue : elle a été trouvée à Siagu, cité modeste de l'Atnque procon- sulaire ^

Uniques également sont les témoignages des cultes ren-

1. Ann.épigr., 1903,n.206. Cet autel est le premier document épigraphique qui atteste la réalité du culte rendu à la déesse Aequitas, La découverte de ce document réduit à néant les doutes que Wissowa élevait encore en 19(32 sur l'existence de ce culte {Reliijion und Kultus der Romer, p. 275-276).

2. L. Poinssot, Les Inscriptions de 1/iugga, p. 147, n. 31.

3. C. I. Lat., XI 1, 1023.

4. Id., YIII, 9^32, 10657, 18058.

5. Id., VU, 896: Ann. épigr., 1897, n. 60.

6. C. I. Lat., Il, 1435.

7. Al. VIII, 964 = 12446.

LES ABSTRACTIONS DIVINISÉES; FORTUNA ; VICTORIA 417

dus à Fides publica ', à Gloria ^ à Libertas ^ à la divinité appelée Prosperitas Deorum \ à Providentia % à la déesse invoquée sous le nom de Salus Generis Humani \ à la Sanc- tissima Sanctitas ".

La déesse Juventus trouva deux adorateurs en Lusitanie et en Bétique ^

11 est évident que nous sommes ici en présence d'actes de dévotion ou de gratitude essentiellement personnels; la plupart des dédicants sont d'ailleurs soit des étrangers au pays les documents ont été trouvés, soldats '\ affranchis venus de l'Orient '", fonctionnaires d'État "; soit des pro- vinciaux romanisés, devenus citoyens romains '" ou ma- gistrats '^ ou prêtres municipaux '\ Le caractère artificiel et abstrait de ces divinités explique d'ailleurs fort bien que le culte en soit resté aussi limité et aussi peu populaire.

Plus répandus ont été les cultes des divinités appelées Bonus Eventus, Concordia, Honos, Pax, Pietas, Virtus.

S'il est vrai qu'à Rome môme le dieu Bonus Eventus tint une place moins grande que la déesse Félicitas *% dans les provinces latines au contraire, le culte du dieu a laissé des traces plus nombreuses et plus marquées que celui de la déesse; il y a pris aussi une physionomie différente de celle qu'il avait, au moins primitivement, dans la capitale. D'après Caton l'Ancien et Yarron, le dieu veillait surtout à la bonne

1. C. I. Lat., II, 4497.

2. Ici., YIII, 6949.

3. Ici., II, 20.35.

4. Id., III, 4557.

5. M., VI IL 841.

6. Id., XIII, 1589.

7. Id., III, 3292.

8. Id., II, 45, 19.35.

9. Ann. épigr., 1897, n. 60; C. I. irtf., VII, 896; VIII, 9832, 10657.

10. C. I. Lat., II, 4497; XII, 1023.

11. Ann. épigr., 1903, n. 206.

12. CI. Lat., Il, 2035.

13. Id., III, 4557.

14. Id., II, 1935.

15. G. Wissowa, Religion uiid Kidtus der Rijiner, p. 215-216.

418 CHAPITRE IV

issue des moissons '; on lui donnait comme attributs carac- téristiques soit des épis ^ soit un bouquet composé d'épis et de pavots ^ 11 ressemblait ainsi à l'un des oa-jj-ovcs ducj'cle éleusinien; on a pu le comparer à Triptoleraos '\ Dans les provinces latines, Bonus Eventus semble n'avoir aucun rapport avec la terre ou la vie rurale ; il préside à tous les succès. En Espagne, il fut honoré par une saccrdos divarum Augustarum ^ et par un scrir Augustalis ^ En Bretagne, le long du Rhin et du Danube, il fut invoqué dans les camps militaires, à Isca \ à Mogontiacum ^ à Naissus ^ comme le protecteur des armées, des légions, des détachements '".Sur un seul monument, son image fut gravée au-dessus de l'ins- cription qui le nommait : il y est représenté en jtwenis togatifs, i^\us semblable à un genius romain qu'au Triptole- mos d'Eleusis ".Il est d'ailleurs distinct de la déesse For- tuna, puisque sur ce même monument, qui provient d'Isca en Bretagne, Fortuna est nommée et représentée auprès de lui. Dans la même province, à Uxellodunum, le dieu est appelé Bonujïi Fatum et Fortuna rcdux est invoquée en même temps que lui '^ A Mogontiacum, un soldat de la legio XXII Pr[imlge nia) employa un autre synonyme et s'adressa aux Boni Casus de la légion '^

1. Cato, De rcriist., 141; Y nrvo, De re rust., I, 1, § 6.

2. G. Wissowa, op. cit., p. 216; Daremberg-, Saglio et Pottier, Dict. des antiq., s. V. Bonus Eventus, I, p. 737, flg. 870.

.3. Plin., Nat. Hist., XXXIV, 77.

4. G. Wissowa, loc. cit.

5. C. I. Lat., Il, 1471.

6. Id., ibid., 4612.

7. Id., VII, 97.

8. Id., XIII, 6669, 6670.

9. Ann. èpigr., 1902, n. 28.

10. C. I. Za^,XIII, 6670: Bono Eventiu mil[itum)'ecœrcitiis G^crmaniae) S[upcrioris) ; id., ibid., 6669 : Boriiim Eventum eq(nitum) leg{ionis) XXII Pr{imigeniae) ij{iae) f[idelis); id., 111,6223: Bono Eventid leg[ionis) I Ital{icae); id., XIII, 6668 : Bonis casiibus vex[iUationis) leg[ionis) XXII Pr{imigeniae] p){iae) f{idelis).

11. C. I. Lat., VII, 97.

12. Id., ibid., 370.

13. Ll., XIII, 6668.

LES ABSTRACTIONS DIVINISÉES; FORTUNA ; VICTORIA 419

Comme Bonus Eventus était le dieu du bon succès, la déesse appelée Concordia présidait aux bons accords. Son culte n'a guère laissé de traces qu'en Afrique et en Espagne. Des temples lui étaient dédiés à Thugga ' et dans la petite cité de Gales ^ en Proconsulaire. 11 n'est pas impossible, dans certains cas, de reconnaître pourquoi on lui éleva des statues. On voyait en elle, par exemple, la divinité capable de maintenir ou de rétablir le bon accord soit dansTintérieur des villes -, soit entre deux ou plusieurs villes voisines \ Sur les bords du Rhin, un sous-offlcier l'invoqua sous le nom particulier de Concordia vcir[larum) stai^ioinon) ^; il s'agit ici vraisemblablement des postes militaires, et la déesse est priée sans doute de veiller à ce que l'entente indispensable entre eux ne fasse point défaut. AVerecunda, près de Lam- baesis en Numidie, un vétéran consacra un autel ou une statue ob lionorem fiamoni perpetui à Juno Concordia, en 212 après J.-C. % c'est-à-dire l'année môme Caracalla tua de sa propre main son frère Geta : est-ce une simple coïncidence? Les documents aujourd'hui connus nous indi- quent que le culte de la déesse Concordia eut en Afrique et en Espagne un caractère surtout municipal : ce furent les villes elles-mêmes ', ou des magistrats municipaux ^ qui lui élevèrent des statues ou des temples ; à Tarraco, la prêtresse de Concordia portait, comme les prêtresses municipales des cultes officiels, le titre de ffaminica 2Jerpetua\

Honos et Virtus formaient à Rome un couple divin étroi- tement uni '". Cette union ne disparut pas complètement,

1. L. Poinssot, Les Inscriptions de Thugga, n°^ 16 et 17. •2. C. I. Lat.,\lU, 757.

3. Id., ibid., 2312; XIII, 4290; cf. Anii. êpigr., 1904, n"^ 116, 117.

4. C. T. Lat., VIII, G942, 15447.

5. Id., XIII, 6127.

6. Id., VIII, 4197.

7. Id., ibid., 757, 2312, 15447; Aim. épigr., 1904, n. 117.

8. C. I. Lat., Vlll, 6912, 14686.

9. Id., II, 4270.

10. Wissowa, Religion und KaUus der Ronier, p. 135-136.

420 CHAPITHR IV

lorsque le culte des deux divinités fut introduit dans les provinces latines de l'empire. Nous en trouvons la preuve dans quatre documenis, de provenance et de de physio- nomie assez différentes. D'un castellum de l'AiVique procon- sulaire, dépendant de Sicca Voneria et nommé Ucubi, pro- vient une inscription malheureusement mutilée qui débute ainsi : Deo SoU, Honorl et Yirtuli... '. Un texte trouvé à Cirta m.entionne deux personnages qui exercèrent l'un et l'autre le sacerdoce commun d'Honos et de Virtus '. A Narbo existait wwcollegiuni Honoris et Vi)iiitis^. Enfin àSopianae, dans la Pannonie inférieure, le légat propréteur L. Ulpius Marcellus s'acquitta d'un vœu qu'il avait fait Virtuii et Honori \ Ce dernier document est intéressant parce que les deux divinités }' sont représentées en bas-rehef : Honos, sous les traits d'un dieu armé d'une lance et couvrant de son bouclier un soldat renversé sur le sol ; Yirtus, ailée, debout sur un globe, tenant une patère et une couronne, c'est-à-dire assimilée à Victoria. Remarquons que Sicca Yeneria, Cirta et Narbo furent descolonies, au sens strict du mot. et qu'à Sopianae le couple Honos et Yirtus reçut les hommages du gouverneur de la province. Nous avons donc quelque droit de voir dans le ctdte d'Honos et Yirtus un culte immigré.

Outre ce culte commun, un culte séparé fut rendu à Honos et à Yirtus. Le culte d'tlonos semble avoir été peu répandu. Les documents en mentionnent l'existence à Ammaedara " et Cirta ^ en Afrique; à Mogontiacum sur le Rhin ' ; aux environs de Celeia, dans le Norique * ; à Aquincum

1. C. I. Lat., YIII, 156(55.

2. /(/., ibid., 6951.

3. Id., XII, 4.371.

4. Id., III, 10285.

5. Id., VIII, 302.

6. Id., ibid., 6950.

7. Jd., XIII, 6752.

8. Id., III, 5123.

LES ABSTRACTIONS DIVINISÉES; FORTUNA ; VICTORIA 421

en Pannonie '. Comme Cirta, Ammaedara était une colonie clans l'acception la plus précise du terme; le premier noyau de ses habitants avait été constitué par des soldats libérés du service, emeritl ^ A Mogontiacum, ce n'est pas Honos en g-énéral qu'invoque L. Domitius..., fils d'un primipile; c'est V Honos aqiiilac. le dieu qui veille àce qu'aucune tache ne ternisse l'aigle de la legio XXII Primigenia ^ Près de Celeia^ deux affranchis ou esclaves, Bellicus et Eutyches, contraso'iptorcs stationis A trantinae, c'est-à-dire employés dans le Ijureau de douanes installé à Atrans sur la fron- tière de l'Italie et de la province de Norique \ rendent grâces à V Honos stat[ionis) Atrani{inac), en même temps qu'à la déesse nationale du pays, Noreia. Dans le grand camp légionnaire d'Aquincum, un groupe de personnages, dont on ne sait ce qu'ils sont, s'acquittent d'un vœu qu'ils ont contracté envers leur propre Honos \

Comme Honos, Yirtus paraît avoir été surtout une divi- nité mihtaire. Elle est représentée le plus souvent armée d'une lance et casquée ^\ sur un monument de Bretagne, elle tient à la main un rexillum ' ; elle est parfois associée à Mars, à Victoria ^ aux Bi militares, aux Signa légion- naires \ En Afrique, le culte de Virtus paraît avoir été sur- tout célébré dans les villes qui reçurent des colonies de vétérans ou qui furent occupées par des garnisons, telles que Theveste *", Cirta ^S Sitifis '-, Auzia ^\ A peu près

1. C. I.Lat., III, 10528.

2. /(?., ibid., 308.

3. Id., XIII, 6752.

4. Id., ibid., 5123; cf. R. Gagnât, Étude historique sur les impôts indirects chez les Romains, p. 22-25.

5. C. I. Lat., III, 10528.

6. Id., VIII, 9026-9028; Bramb., 116.

7. C. I. Lat., VII, 1135.

8. M., ibid.,

9. Id., III, 7591.

10. Id., VIII, 1813, 1887, 16528.

11. Id., ibid., 6951.

12. Id., ibid., 8156.

13. Id., ibid., 9026-9028.

422 CHAPITRE IV

inconnu dans les provinces espagnoles et gauloises, il n'a laissé (le traces dans les provinces européennes qu'en IJre- tagne ', le long du Rhin -, du Limes [lo'ïiuuiiciis ^ et du Danube '*. En ces divers points, la déesse fut invoquée sur- tout par des fonctionnaires d'État, des soldats ou des affranchis d'origine grecque.

Le culte de la déesse Fax, malgré la renommée de V Ara Pach et du Tcmplum Paris de Rome même % ne semble pas avoir été très populaire dans les provinces latines de l'empire. Des statues de Fax furent érigées dans les cités africaines de Giufîs en Froconsulaire ^ de Cirta en Numi- die ' et de Sitifls en Maurétanie * ; le Genius Pacis fut honoré à Thamugadi \ Les dédicants étaient ici soit la cité elle-même '°, soit des édiles ". En Espagne, au con- traire, les fidèles de la déesse furent des seviri Aur/ustales, dont l'un au moins était un affranchi d'origine grecque '^; à Narbo et en Pannonie, deux textes isolés portent les noms de deux simples particuliers sans aucun titre ^^

La déesse Fietas parait avoir gardé dans plusieurs villes provinciales, elle reçut des hommages, le caractère pré- cis qu elle avait d'abord à Rome, elle présidait spéciale- ment aux rapports affectueux entre parents et enfants '\ Telle est bien, si nous ne nous trompons pas, la physionomie donnée à Fietas par cette inscription de Lusitanie :

1. C. I. Lai., VII, lô, 307, 1135.

2. Bramb., 116.

3. C. I. Lai., XIII, G385.

4. Ici., m, 7591.

5. Wissowa, Religion iind KuUks der liuincr, p. 277 et suiv.

6. C. I. La t., VIII, 1237S.

7. Id., ibid., 6957.

8. Id., ibid., 8411.

9. Id., ibid., 178.33.

10. Id., ibid., 8441.

11. Id., ibid., 6957, 12378.

12. Id., II, 1051, 3319.

13. Id., III, .3670; XII, 4.335.

14. Wissowa, op. cit., p. 274-275.

LES ABSTRACTIONS DIVINISEES; FORTUNA ; VICTORIA 423

Pielatl sacrum. Julia Modesfa ex pairimonio siio in honorem genth Scx. Aponi Scaevi Flaccl marili sui fiatni- nis pyorinc{iae) Li(.sit[cmiae) et in honoi'eni gentis Jidio- ram imrenturn suorum ^

A Castulo, c'est une mère qui promet d'élever une statue de Pietas in memoriam fili sui; après sa mort, son héritier exécute sa promesse -. La formule ex ieslamento, qui se lit sur d'autres dédicaces ^ ne donne-t-elle pas à ces docu- ments un caractère analogue? N'est-ce pas un acte de piété, au sens strict du mot VàWw pietas, que d'exécuter après leur mort les volontés de ses parents? Une seule inscription parait attribuer à la déesse un caractère différent : c'est la dédicace Piclati leg{ionis) XXII Pr[imigeniae] p[iae) f[ide- lis) et Honori A cjuilae d\m fils de centurion, L. Domitius.... ''. Wissowa observe toutefois que Pietas doit ici personnifier les qualités de dévouement et de fidélité à l'empereur, qui valurent à cette légion les deux épitliètes ^3i« et fidelis \ Les textes qui nomment la déesse Pietas proviennent en majo- rité de l'Espagne : les fidèles de la déesse appartiennent à l'aristocratie municipale ; on y remarque la fenune d'un prêtre provincial de Lusitanie ^ un /îamen coloniarum immunium p)yovinciae Baeticae et sa femme, elle-même flaminica perpétua domus Augustae '.

Ce qui ressort le plus clairement, à nos yeux, des docu- ments que nous venons d'étudier, c'est que les cultes de ces divinités abstraites n'ont joué qu'un rôle effacé dans la vie religieuse des provinces latines de l'empire. Très peu répandu, chacun de ces cultes a eu pour adeptes soit des fonctionnaires, des soldats, des affranchis le plus souvent

1. C. I. Lut., II, .39G.

2. Id., ibid., 3265.

3. Id., ibid., 1474, 1663; L. Poinssot, Les Inso-iptions de Thagga, n. 40.

4. Id., XIII, 6752.

5. Wissowa, Oj). ci7.,p. 275.

6. C. I. Lat., II, 396,

7. Id., ibid., 1663.

424 CHAPITRE IV

crorigino grecque ou orientale, en un mot dos immigrés; soit des magistrats municipaux on des membres de la bourgeoisie municipale, c'est-à-dire les provinciaux les plus romanisés. La masse de la population provinciale semble bien être restée indifférente à ces divinités d'ori- gine étrangère, de physionomie moins religieuse que phi- losophique, morale ou politique.

La divinité, que les anciens invoquaient sous le nom de Forlwui, n'avait point les traits accentués et précis, qui distinguaient la plupart des dieux et des déesses du pan- théon gréco-romain. Elle personnifiait le sort, le destin, la chance, cette puissance vague et indéterminée qui passait pour exercer sur toute chose, sur tout être, sur tout événe- ment, une action bonne ou mauvaise, bienfaisante ou mal- faisante, durable ou passagère. Les sanctuaires les plus renommés et probablement les plus anciens qu'elle possé- dât en Italie étaient ceux de Préneste et d'Antium; de ces deux villes latines, son culte fut de bonne heure introduit dans la cité romaine '. Plus tard, il se répandit dans les provinces; ce fut peut-être sous l'influence de la déesse latine qu'en Grèce et en Asie-Mineure le culte de la Tychè grecque prit un essor auparavant inconnu ■.

Dans les provinces latines, l'apparition de Fortuna fut une des conséquences de la conquête et de la colonisation romaine. La déesse y reçut partout des hommages, plus ou moins nombreux, il est vrai. Assez rares dans la Narbonaise, les Trois Gaules, la Rétie, le Norique, la Dalmatie, les fidèles de Fortuna formaient des groupes plus importants en

1. G. W'issowa, Religion luid Kultus der liomer, p. 2(36 et suiv.

2. J.-A. Hild, art. Fortuna dans Daremberg. Saglio et Pottier, Diclion- naire des Antiquités, t. II, p. 1272.

LES ABSTRACTIONS DIVINISÉES ; FORTUNA ; VICTORIA 425

Afrique, en Espagne, en Bretagne, sur les frontières du Rhin et du Danube, en Dacie '.

En raison même de son caractère général et indéterminé, la déesse reçut de nombreuses épithètes. De ces épitliètes, les unes expriment la puissance suprême qu'on lui attribue : telles sont Supera -, Regina ^ ; d'autres font allusion à sa nature mobile, par exemple, CasuaUs ^ ; d'autres au contraire indiquent qu'on s'adresse spécialement à sa bonté, à sa bienveillance, à sa constance; c'est le cas lorsqu'on la nomme Bo)ia% Respiciens \ Stabilis \ Foriissuna *; celles- ci lui prêtent la physionomie d'une divinité protectrice, Servatrix^, Conse?'vatrix *°, capable d'assurer la victoire à ceux qu'elle protège, Victrix^' ; celles-là reflètent les circons- tances particulières dans lesquelles ou pour lesquelles on l'invoque : Salataris '-, Balnearis '% Domestica '\ Redux *". Une fois enfin à Sarmizegollmsa un de ses fidèles stipula qu'il révérait la déesse de Préneste, Fortuna Praenestina^'^.

1. Voici la répartition approximative dans les divers groupes de provinces des documents épigrapliiques: Afrique, 18; Espagne, 16; Narbonaise, 5; Trois Gaules, 6; Bretagne, 26; Germanie inférieure, 6; Germanie supé- rieure, 37; Rétie, 4; Norique, 5; Dalmatie, 8; Pannonies, 21; Dacie, 20; Mésie supérieure, 3.

2. C. I. Lat., III, lOU; XIII, 6679.

3. Ici., III. 4399.

4. Id., ibid., 10265.

5. Id., ibid., 1009, 1355.

6. Id., XIII, 6172.

7. Id., III, 51 j6 a.

8. Id., ibid., 10992.

9. Id , VII, 296.

10. Id., III, 19.38, 4289, 4558, lOlOO; VII, 211, 9.>1, 1015; Eph. Epi.jr., VII, 1015; Westdeuts. Zeitschrift, ZiTorr. -6?., 1883, n. 195.

11. C. I. Lat., VIII, 5290.

12. Id., in, .3315; XIII, 6678; Ann. èprjir., 1902, n. 143. i3. C. I. Lut., Il, 2701, 2763; XIII, 6552.

14. Id., III, 1009, 19.39, 4.398; XIII, 5934.

15. Id., II, 2773; III, 789, 1011, 1422, 1906, 3158 a, 3421, 59.38, 101.36; VII, 164,370,984, 1061; VIII, 14447, 1821.5, 18216; XII, 163; XIII, 167.3, 5066, 5474-5476,6552, 6677; cf. III, 3129.

16. Id., 111, 1421.

420 CHAPITRE IV

Parmi ces surnoms do Fortiina^ plusieurs méritent que nous leur accordions une attention particulière, soit parce qu'ils sont les plus fréquents, soit en raison de leur sens tout spécial. L'épithète qui fut donnée le plus souvent à la déesse est Redux. Le culte particulier de Fortuna Redux « fut institué ofRciellement à Rome après le voj^age que l'em- pereur Auguste avait fait, en l'an 19 avant J.-C, en Sicile, en Grèce, en Asie-Mineure et en Syrie. Le 12 octobre, jour du retour à Rome, devint un jour de fête annuel, ainsi que le 15 décembre, date à laquelle fut consacré, près de la Porta Capena, l'autel élevé à Fortuna Redux. . . L'exemple d'Auguste eut durant deux siècles au moins de nombreux imitateurs ; l'invocation à Fortuna Redux fit pour ainsi dire partie du cérémonial officiel des voyages impériaux » '. Ce serait une erreur de croire que Fortuna Redux fut exclusivement invoquée, sous l'empire, à l'occasion des voyages impé- riaux. Sa protection fut sollicitée maintes fois pour des corps de troupes, pour des fonctionnaires, des officiers, des soldats, de simples particuliers. A Mogontiacum^ par exemple, un vétéran de la legio XXII Primigeniaveco\nmm\de dans son testament qu'on élève une statue Fortiuiaereduci leg. XXII Pr[iinigeniae) 2y\iae) f[klelis) ^ A De va en Bretagne, les U- herti et toute \a fanùlia du légat impérial [T. Pompjonius Mamilianus Rufus Antistianus Funisulanus Vettonianus dé- dient un autel Forlunae Rcduci, Acsculapio et Saluti cjus ^ En Calédonie, Fortuna Redux est invoquée par un affranchi, Celer, j^^^o sainte P. Cam'^niii) Italicl praef\ecti) co{1iortis II?) Tiui{grorHm) *. Lorsqu'à Uxellodunum, dans cette même province de Bretagne, le tribun de cohorte G. Corné- lius Peregrinus, originaire de la Maurétanie Césarienne, s'adresse à Fortuna Redux, en même temps qu'au Genius loci,k Roma aetenia et h Fatum bonwn, il est bien évident

1. J. A. Hild., loc. cit., p. 1276.

2. C. I. Lat., XIII, 6677.

3. Ici., VII, 161.

4. Ici., ibid., 1061.

LES ABSTRACTIONS DIVINISEES ; FORTUNA ; VICTORIA 427

qu'il songe à son propre retour soit dans sa patrie soit en Italie *. A Dibio (aujourd'hui Dijon), le voyage d'un person- nage influent nommé Tib. Flavius Vêtus provoqua la consé- cration à Jupiter Optimus Maximus et à Forluna Redux de trois autels pro sainte, Un et reditu du personnage : Tun de ces autels fut dédié par les Fabri ferraril Dibione consis- tentes, le second par les lapidarii 'pago Andomo cousis- tentes, dont Tib. Flavius Vêtus était le patron commun, le troisième par un de ses esclaves, Carantillus'. Dans certains cas il est vraisemblable que Fortuna Redux a été remerciée de sa protection à l'arrivée, plutôt qu'invoquée avant le départ. Voici par exemple deux textes votifs trouvés en Dalmatie. L'un porte le nom de G. Comargus, beiieficiarius considaris de la legio X Gemma ^\ l'autre de T. Fl{avius) Sab[inus], bénéficia rius considaris de la legio I Italica \ Or ni l'une ni l'autre des deux légions ici mentionnées ne tint garnison en Dalmatie. La legio XGemina, après avoir résidé en Espagne, puis dans la Germanie inférieure, fut trans- portée par Trajan en Pannonie, dans le camp de Vindobona, elle resta jusqu'à la fin de l'empire ^ La legio I Italica, créée par Néron, tint d'abord garnison à Lugdunum; elle prit part en 69 aux batailles de Bédriac et de Crémone; puis elle fut envoyée en Mésie elle demeura pendant toute l'époque impériale \ Il est probable que les deux sous- offlciers précités étaient originaires de Dalmatie, et qu'ils remercièrent la déesse de les avoir protégés pendant un voyage qu'ils avaient fait l'un et l'autre pour revenir dans leur patrie. Par conséquent, dans les provinces latines, Fortuna Redux ne fut pas seulement ce qu'elle était à Rome même, la déesse protectrice de l'empereur pendant ses

1. C. I. Lat., VII, 370.

2. Id., XIII, 5174-5470.

3. 7rf., III, 8158».

4. Id., ibid., 1906.

5. R. Gagnât, art. Legio, dans Daremberg, Saglio et Pottier, Bictionn. des antiq., t. III, p. 1085.

6. Id., ihid., p. 1076.

28

428 CHAPITRE IV

voyages; elle fui ruiio des divinités que Ton pouvait invo- quer et remercier à roccasion do ses propres voyages ou dos voyages accomplis par tel ou tel groupe ou tel ou tel individu auquel on s'intéressait.

C'était dans d'autres circonstances qu'on s'adressait à Fortuna Salutaris. Le sens précis qu'il convient d'attribuer à l'épitliète nous paraît déterminé par une inscription de Bonna, dont le début se lit : F ori unis Salut arihus, Aescu- lapio et Ilijfjiac '. Cette association de divinités nous montre que Fortuna Salutaris est la déesse qui protège la santé, qui la maintient ou la rétablit : dans ce sens, elle fut invo- quée à Mogontiacum par un tribun militaire -, à Lussonium sur le Danube par le préfet de la Cohors I Alp{inorun}) eq[uitata) ^ à Ampelum en Dacie ^ En outre Fortuna, sans épitliète, reçut, en même temps qu'Aesculapius et Hygia, les hommages d'un légat de Numidie * et d'un médecin de la cohors III AqUiilanoruin) eq[uitata) c[ivium) Rpmano- rum) qui tenait garnison dans un dos postes du Limes Ger- manicus ^

Si le véritable sens des surnoms Rcdux, Salutaris, ne paraît point contestable, il est moins facile de distinguer ce qu'était Fortuna Balnearis ou Balinearis ', de comprendre pourquoi Fortuna était spécialement intéressée à la cons- truction * ou à la restauration des halnea \ La question n'a été posée ni par AMsso^va '" ni par Domasze"\vski ";

1. Bramb., 516.

2. C. I.Lat., XIII, G678.

3. Id., III, 3315.

4. Ann. épigr., 1002, n. 143.

5. C. 1. Lat., VIII, 8782.

6. Ici., XIII, G62I.

7. PI. haut, p. 425, n. 13.

8. C. I. Lat., III, 1006; VII, 984.

9'. Id., III, 789; VII, 273; XIII, 6592.

10. Religion i(nd KuUks dcr Romer, p. 206 et suiv. AVissowa ne cite même pas l'épitliète Balnearis parmi les nombreux surnoms de Fortuna.

11. Bie Religion des rômischen Heeres [Westdeutsche Zeitschrlft, XIV), p. 40, 47, 102. Domaszewski ne fait pas davantage allusion à ce caractère de Fortuna.

LES ABSTRACTIONS DIVINISEES ; FORTQNA ; VICTORIA 420

J. A. Hikl, raiiteur do l'arlicle Forliina dans le Diclionnaire des Ajidquitès romaines de Daremberg, Saglio et Poltier, se contente de cette affirmation : « Les femmes de basse condition adressaient leurs hommages à Fortuna dans les bains publics, ce qui lui valut aussi le vocable de Balnea- ris * ». C'est une interprétation de quelques vers des Fastes d'Ovide :

Discile nunc, quare Foriunae iura Virili

Detis eo, calida qui locus humet aqua. Accipit ille locus x>osilo velamine ciinctas

Et vilium 7iudi corporis omne vklet. Ut tegat hoc celelque viros Fovtiuia Virilis

Praestaf, et hoc p)arvo ture rogata facit ^.

Mais cette interprétation se trouve contredite par les documents. Ce sont toujours des hommes qui, dans les pro- vinces latines, invoquent Fortuna, Balnearis ^ ou attestent leur dévotion à Fortuna après avoir présidé soit à la cons- truction, soit à la restauration d'un halneum '* . Bien loin d'être de basse condition, ces hommes sont parfois des personnages importants, comme Virius Lupus, légat impé- rial en Bretagne % Yalerius Valerianus tribun militaire ^ P. Aelius Gemellus rir clarissiuius ', Aehus Celer, praefec- tus eqidtum alae Frontonianae en Dacie *. Les soldats suivent l'exemple des officiers : tels Q. Valerius Tucco, sol- dat de la legio II Adjutrix \ tels encore les ExpUora-

tores) et Brit{tones) et deditic{ii) Alexandrianorurn ,

qui tenaient garnison dans un poste du Limes Germanieus '".

1. J. A. Ilild., loc. cit., p. 1274-1275.

2. Ovid., Fast., IV, 145etsuiv.

3. C. I. Lut., II, 2701, 2763; XIII, 6552.

4. Id., III, 789, 1006; VIL 273, 981; XIII, 6592.

5. Id., VII, 273.

6. i(?., XIII, 6552.

7. Id.> III, 1006.

8. Id., ibid., 789.

8. Id., II, 2763.

9. Id., XIII, 6592.

430 CHAPITRE IV

Il n'y a donc rien de commun entre Fortuna Balnearis et cette Fortuna Yirilis, en l'honneur de laquelle les femmes, qui fréquentaient les bains publics de Rome, brûlaient quelques grains d'encens.

Mais alors que signifie l'épithète Balnearis ? Et pourquoi s'adressait-on à Fortuna lorsque l'on avait soit édifié, soit reconstruit des halnea? Cet usage n'était point local ni par- ticulier à une province, puisque les textes qui le signalent proviennent de Bretagne, de Germanie supérieure, de Dacie. Aucun document ne permet d'en fournir une expli- cation certaine. Peut-être demandait-on à la déesse d'écar- ter de ses fidèles les dangers qui pouvaient les menacer dans les bains, dangers qui résultaient sans doute des excès commis le plus sotivent dans les thermes, mais qui n'en étaient pas moins réels '. Peut-être aussi Fortuna Bal- nearis était proche parente de Foriuna Salutaris.

Quant à Fortuna Domestica, c'était la déesse qui devait assurer la prospérité de la maison, de la famille : le vrai sens de l'épithète Domestica nous est donné par la formule plus développée qui se lit sur une inscription de Mésie : Fortunae aeternae domus Furianae, pro s[alute) C. Furi Octavlani c[larissimi) i'{irl)..., etc. -.

Si donc le mot Fortuna, employé seul, diffère des autres noms divins par son sens plus général et moins déterminé, les épithètes que la déesse reçut en maintes régions des provinces latines lui donnèrent une physionomie plus pré- cise. Aucun de ces siu'noms n'est d'origine provinciale ; tous furent attribués à Fortuna dans Rome même ou dans le Latium ^ Les images nombreuses de la déesse qui ont été retrouvées dans les provinces latines sont de même dénuées de tout caractère spécial; le type de Fortuna, assise

1. V. Saglio, art. Baliiemn., dans Dareuiberg, Saglio et PoUier, Die- tionn. des Antiq., t. I, p. 063.

2. C. I. Lat., III, 8169.

3. Wissowa, oji. cit., p. 206 et suiv.

LES ABSTRACTIONS DIVINISEES; FORTUNA ; VICTORIA 431

OU debout, la corne d'abondance, le gouvernail, ]a roue, la patère : tout est de provenance gréco-romaine ; Tunique différence réside dans l'habileté ou la maladresse du pra- ticien '.

Ce n'était pas, d'autre part, dans la société vraiment pro- vinciale que Fortuna recrutait ses adorateurs. Tout d'abord, il est remarquable que les vestiges les plus nombreux du culte de la déesse aient été relevés dans les provinces de Bretagne, de Germanie supérieure, de Pannonie supérieure et inférieure, de Dacie, tandis qu'ils sont des plus rares en Narbonaise et en Dalmatie. C'est également un fait digne d'attention qu'en Afrique les dédicaces et les ex-voto soient moins abondants dans la Proconsulaire qu'en Xumi- die ; qu'en Bretagne, presque tous les documents qui nomment Fortuna proviennent soit des camps légionnaires d'Isca et Deva soit des postes échelonnés au nord le long du rcdlum Hadriani, le long du vallum Antonini ou entre ces deux lignes de fortification; que dans la Germanie supé- rieure, presque tous les textes aujourd'hui connus aient été recueillis à Mogontiacum et sur le Limes GerrnanicKs; que dans les Pannonies, sur 21 documents, 17 soient originaires de Yindobona, Carnuntum, Brigetio et Aquincum. Ainsi le culte de Fortuna rencontra peu d'adeptes dans les cités si vivantes et prospères de l'Afrique proconsulaire, de la Nar- bonaise, delà Dalmatie; il fut au contraire pratiqué avec ferveur dans les pays occupés militairement.

La répartition sociale de nos documents n'est pas moins significative que leur distribution géographique. Les textes épigraphiques que nous avons relevés forment un total de 175. Une centaine environ de ces textes contiennent des renseignements sur la situation officielle ou le rang social des fidèles de Fortuna. Or, parmi ces fidèles, se trouvent dix légats impériaux, gouverneurs de province ou comman-

I. Cf. s. Reinach, Répertoire de la statuaire grecque et romaine, II, p. 261 et suiv.

432 CHAPITRE IV

liants de lé.i^ioii '; dans trois autres cas, les dédicants touchent de très près à des légats et vivent de leur vie -. L'administration procuratorienne est réprésentée par trois procurateurs ^ Plus nombreux encore sont les officiers, sous-otïîciers, soldats, vétérans et corps de troupes : nous en avons compté 59; rélément militaire fournit donc plus de la moitié des documents les plus explicites. Ainsi 75 de nos textes émanent de fonctionnaires ou de militaires. Une cité, deux uici, plusieurs magistrats et prêtres municipaux sont mentionnés sur 17 inscriptions : encore faut-il obser- ver que l'unique cité est ici Lambaesis, la grande ville mili- taire de la Numidie '*; que les deux vici sont le viens Tas- gaetlum, en Germanie supérieure % et le vicus Fortunae de la cité de Poetovio en Pannonie ^; enfin, qu'au nombre des magistrats municipaux on remarque un décurion de Bri- getio ', un duumvir et deux anciens édiles d'Aquincum % enfin, un vétéran de la lc(iio I Adjutrix, magisirans pri- mus in canabis, à Apulum ''. Il est très probable que les vicani Tasgaetienses, les habitants du ricus Fortunae de Poetovio, les magistrats municipaux de Brigetio et d'Aquin- cum étaient, soit, comme le magisfer canabaruin d'Apu- lum. des vétérans, soit des colons immigrés. Signalons encore, parmi les fidèles de Fortuna. des affranchis d'ori- gine grecque ou orientale, tels que Hcdonc Marinae li- berta '" et G. Tacitiiis Seurni lib. Moschias *' ; un person- nage de l'ordre sénatorial, P. Aelius Gemellus, cir clarissi-

1. C. I. Lat., III, lœ:, IJII, 1303, 3121, 3123, 10309; VII, 273; VIII, 8782: XIII, 1673.

2. Id., III, 1938; VII, 164, 233.

3. Id., III, 853, 1401, 1422.

4. Id., VIII, 2594.

5. 7(7., XIII, 5251.

6. 7c7., III, 10875.

7. Id., ibid., 4-355.

8. Id., ibid., ia398.

9. Id., ibid., 1008.

10. Id., XII, 1525.

11. Id., II, 2773.

LES ABSTRACTIONS DIVINISÉES; FORTUNA; VICTORIA 433

mus '; les amis ou les clients d'un autre personnag-e séna- torial, C. Furius Octavianus -. Remarquons enfln qu'il n'y a pas trace sensi1)le de nomenclature africaine, espagnole, gauloise, germanique ou dace dans les textes épigra- phiques relatits au culte de Fortuna. Comme les épithètes données à la déesse, comme le type plastique et les attri- buts à l'aide desquels elle fut représentée, les fidèles de Fortuna sont, en majorité, des étrangers, des immigrés dans les provinces latines. Ils y ont apporté du dehors le culte de la déesse, et ce culte ne paraît pas s'être enra- ciné dans le sol provincial.

Comme celui de Fortuna, le culte de Victoria a laissé des traces inégalement abondantes dans toutes les provinces latines de l'empire •'. Le nom de la déesse était par lui- même assez significatif, pour qu'il fût inutile d'y ajouter des épithètes : de fait, le seul adjectif caractéristique, qui accompagne, très rarement d'ailleurs, le nom de Victoria, est Victrix \ Il n'ajoute rien à l'idée exprimée par le mot Victoria; il ne limite pas non plus, en la précisant, cette idée générale. La divinité à laquelle Victoria fut le plus souvent associée dans les invocations, dédicaces et ex- votO;, est Mars, le dieu de la guerre et des armées ^; cette

1. c. I. Lat.,\U, lOOG.

2. Id., ibid., 8109.

3. En voici, sauf erreurs ou lacunes de détail, la répartition approxima- tive : Afrique, 30 ; Espagne, 12 ; Narbonaise, 9; Trois Gaules, 2; Bretagne, 10; Germanie inférieure, 2; Germanie supérieure, 15; Rétie, 5; Norique, 12; Dalmatie, 1; Pannonie, 4; Dacie, 7; Mésie inférieure, 1. Nous n'avons pas compris dans cette statistique les documents Victoria se trouve mise en relations étroites avec tel ou tel empereur: ces documents ont été étudiés plus haut, p. 72 et suiv.

4. C. I. Lat., Vil, 1114; YIII, 9017.

5. IiL, III, 1098, lOœ, 5193, 5790, 5897, 5898, 11889 ; VU, 220; XIII, 6115. 6593,6740a, 7249; Bramb., 1112; WcsUleutsche Zeitschr., Korr.-bl., 1899, n. 107; Ann. épigr , 1901, n. 234.

434 CHAPITRE IV

association, surlout fréquente dans les régions riiénancs et danubiennes, fut très rare et pour ainsi dire exceptionnelle en Afrique, en Espagne, en Gaule '.

Que A'ictoria ait eu à Rome une physionomie nettement militaire, qu'elle ait été la déesse que l'on invoquait pour obtenir et que l'on remerciait après avoir obtenu la victoire sur les champs de bataille, c'est un fait incontestable et qui a déjà souvent été mis en lumière ^ 11 en fut de même dans les provinces latines. Certains documents le prouvent explicitement. A Tipasa de Maurétanie, une statue ou un autel furent dédiés à Victoria, à la suite de succès rempor- tés sur plusieurs tribus du voisinage révoltées sans doute contre la domination romaine ^ A Bedaium, dans le Norique, un temple de la déesse fut construit par le dux Aurelius Senecio, pour commémorer la victoire, que Cons- tantin remporta le 27 juin 310 sur une coalition de peuples germaniques ^ D'autre part, le caractère militaire de Victo- ria est démontré par l'importance même du rôle que jouaient dans le culte de la déesse les éléments militaires, corps de troupes % otticiers ^ sous-offlciers ', soldats en activité de service ^ vétérans ^

Mais Victoria était-elle exclusivement une divinité mili- taire? « L'originalité de la Nikè des Grecs, écrit M. Baudril- lart, et sa grâce venaient de son double caractère de divi- nité guerrière et pacifique :... à Rome, comme on pouvait

1. Un soûl o\t?niple est fourni i)ar rinscription de Lambaesis, C. I. Lat., YIII, 18231.

2. A. Baudrillart, Les Ditinilès de la Victoire, p. 58 et suiv. ; Domas- zewski, JDie Religion des rômischen Heeres [Westdeiitsche Zeitschr., 1895), p. 37 et suiv. ; G. Wissowa, Religion iind Kultus der Rômer, p. 127-129.

.3. C. I. Lat., VIII, 20863.

4. Id., III, 5565; G. Goyau, Chronologie de l'empire romain, p. 380.

5. C. I. Lat., VII, 391, 395, 726; VIII, 2482.

6. Id., III, 4811; VII, 1092, 1111-1II4; Biamb., 464; .4/?». e^j/ô""- > 1W2, n. 4.

7. C. I. Lat., III, 4812, 13718; XIII, 6577; Bramb., 1412.

8. C. 7. Lat., III, 1098; XIII, 7399»; Ann. èpigr., 1896, n. 1; 1901, n. 2.34.

9. C. I. Lat., III, 1158; Westd. Zeitschr., Korr.-bl., 1899, n. 107.

LES ABSTRACTIONS DIVINISEES ; FORTUNA ; VICTORIA 435

s'y attendre, ce deuxième caractère s'efface ou plutôt ne se manifeste jamais... A Rome, la Victoire revêt un caractère austère et presque exclusivement militaire '... Le culte de la Victoire est surtout militaire ^ » M. Baudrillart, il est vrai, remarque plus loin que dans certains cas Victoria fut invoquée ou remerciée par des candidats aux magistra- tures municipales ; mais il ne voit qu'une exception \ Or, la statistique des documents recueillis dans les pro- vinces latines de l'empire tend à prouver que ce n'était point une exception, et que le culte de Victoria fut tout autant civil que militaire. Qu'y a-t-il de militaire, par exemple, dans la dévotion témoignée à la déesse par deux édiles de Giufîs, en Proconsulaire, qui la remercient honorem aedi- litatls intermissae et Ilviratus sut *; par le prêtre M... ius Donatus d'Ammaedara ^; par L. Julius C. f. Pap. Bra- dua, aedilis, 'pr{ciefectus) j{urî) dlcundo) à Thamugadi ^ ; par L. Aemilius Fortis, duumvir à Lambaesis, qui con- sacre à Victoria un autel ou une statue oh honorem duum- viratus ' ; par C. Julius Victor, aedllis et praefectus pro trhmiviris à Arsacal en Numidie, qui dédie une image de Victoria au nom de ses six enfants, cinq garçons et une fille ^? Nous pourrions multiplier les exemples de ce genre : ils ont été relevés surtout en Afrique ^ plus rarement dans les autres provinces '^ Victoria ne fut pas seulement hono- rée par des particuliers, mais aussi par des villes, par des groupes constitués, par des collèges. En Afrique, des sta- tues furent élevées à la déesse par deux villes, Avitta

1. A Baudrillart, Les divinités de la Victoire, p. 58.

2. Id., ibid., p. 67.

3. Id., ibid., p. 70.

4. C. I. Lat., VIII, 862, 863.

5. Id., ibid., 303.

6. Id., ibid., 178.38.

7. Id., ibid., 18211.

8. Id., ibid., 8016.

9. Id., ibid., 7963, 8310, 20148, 20478.

10. Id., II, 1967, 2106; III, 1813, 4814: XII, 3134; XIll, 6225.

436 CHAPITRE IV

Bibba ' et Calama ^ toutes deux situées dans la province Proconsulaire, assez loin de toute ^'arnison, de tout poste militaire, toutes deux encore administrées par dos suffètes au moment elles attestent ainsi leur dévotion à Victo- ria. A Baesucci, en Tarraconaise, six sévir i Augusiales signèrent ensemble une dédicace Victoriae Aug{ustae) ^ A Savaria, en Pannonie, les deux magistri et les deux scribae du Collegiwn Genii provlnciae Pannoniae Superioris éri- gèrent une image de la déesse '\ Dans cette catégorie de documents, l'un des plus curieux nous paraît être l'inscrip- tion suivante de Mogontiacum :

Li ]i{onorem) d{omus) d'Jvinaé) Marti, Genio, Victoriae, signiferi oh immunitatem omneni eis concessam a vicanis veteribus consistentibus Castello Mattiac[orum), etc. etc. '\

Les signiferi^ qui sont des sous-ofïîciers, remercient Victoria, en même temps que Mars et leur Genius^ parce qu'ils ont obtenu un avantage qui n'a aucun caractère mili- taire. On ne peut pas dire qu'il s'agisse ici d'une victoire remportée sur des ennemis; c'est un privilège purement civil qui leur est concédé parles anciens habitants du Castel- liim Mattiacorum.

Remarquons enfin que des deux groupes aujourd'hui connus de cuUores Victoriae, si l'un s'était constitué dans une ville qui fut peut-être occupée par une garnison ^ Tubunae en Numidie', les traces de l'autre ont été recueillis à Sigus, au sud de Cirta ^ en plein pays pacifié, à une grande distance de toute garnison.

De tous ces documents n'est-on pas en droit de conclure, contrairement à l'opinion exprimée par M. Baudrillart, que

1. C. I. Lat., VIII, 797.

2. Ici., ibid., 5306.

3. Id., Il, 3249.

4. Id., III, 4168.

5. Id., XIII, 6740^.

6. R. Cagnat, L'année romaine d'Afrique, p. 597-598.

7. C. I. Lat., VIII, 4483.

8. Id., ibid., 5695.

LES ABSTRACTIONS DIVINISÉES; FORTUNA ; VICTORIA 437

la physionomie de Victoria ne fui pas, dans les provinces latines de l'empire, exclusivement ni même « presque exclu- sivement » militaire ? Ne doit-on pas reconnaître que la déesse semble avoir présidé à tous les succès, au triomphe d'une candidature municipale, à la conquête d'un privilège, comme à une victoire sur le champ de bataille? La statis- tique des inscriptions nous apprend que les dédicaces ou les ex-voto signés par des magistrats municipaux ou des cités sont presque aussi nombreux que les documents analogues se lisent des noms de cohortes, de rexillationes, d'of- flcierSj, de sous-offlciers, de soldats ou de vétérans '.

Quel que fût d'ailleurs son caractère, le culte de la déesse était dans toutes les provinces d'origine étrangère. 11 y fut apporté par l'influence romaine. Les légions et les corps auxiUaires l'introduisirent dans la Numidie méridionale, en Maurétanie, en Bretagne, le long du Rhin et du Danube. Dans les villes, il fut surtout célébré soit au nom des cités elles-mêmes, soit par les magistrats ou les prêtres munici- paux, soit par les Aiigustales '. Parmi les fidèles, qui n'ap- partiennent à aucune des catégories sociales précitées, il en est peu dont les noms ne soient pas conformes aux règles de l'onomastique latine. Quelques-uns sont citoyens romains : tels M. Longeiu.s AI. fil. Pap. Sili-anus de Sitifls \ Q. Fabius L. f. Gai. Fahullus de Sabora en Bétique \ C. Corsius Quir. Bonuccius d'Ebrodunum en Narbonaise "\

Victoria, comme Fortuna et comme les autres divinités dont nous avons étudié les cultes dans ce chapitre, recruta le plus grand nombre de ses fidèles soit dans l'armée soit dans l'aristocratie municipale. La masse des populations provinciales parait y être demeurée indifférente.

1. Dédicaces ou ex-voto sig-ncs par des cités ou des magistrats munici- paux : 19; dédicaces ou ex-voto d'origine militaire, 23.

2. C. I. Lat, II, 2327, 3002, 3249.

3. Id., VIII, 8451.

4. Id., II, p. 701 ad n. 1425.

5. Id., XII, 76.

CHAPITRE V

LE CULTE DES GÉNIES

1. Les divinités appelées Genii, Junones, Tutelae; leur caractère et leur diffusion dans les provinces latines de l'empire. 2. Les Genii privés, individuels et domestiques. 3. Les Genii p)rovin- ciaux, municipaux. 4. Les Genii locaux. 5. Les Ge^iii mili- taires. — 6. Les Genii divers, de collèges, de corporations, d'édi- fices, etc.

1

Lorsque l'on étudie le culte des Gémi dans la religion romaine, on se plaît d'abord à déterminer le sens originel du mot Genius et le caractère primitif des divinités que ce mot désignait'. Mais ceux-là même qui insistent le plus sur l'étymologie du terme et qui s'efforcent de préciser le mieux la nature du genins^ reconnaissent qu'aux premiers siècles de l'ère chrétienne, la signification du mot s'était beaucoup élargie et que le numen de la divinité s'était considérable- ment étendu -. Sous l'empire, le genius ne peut plus être

1. Preller-Jordan, Rom. Mythol., I, 78 et suiv. ; J. A. Hild, Art. Genius dans Daicmberg, Saglio et Pottier, Dictionn. des Antiquités, t. II, p. 1488 et suiv.; Wissowa, Religion wid Kultus der Rômer, p. 154 et suiv.

2. Preller-Jordan, loc. cit.; J. A. Hild., toc. cit., p. 1491 et suiv.; Wis- sowa, op. cit., p. 156.

440 CHAPITRE V

défini : la force divine qui engendre *, die (jolllicJie Verkôr- perung de?^ ini Manne lowksamen und fur den Fortbes- tand der Famille sorgenden Zeiigungskraft ^. Servius, le commentateur de Virgile, nous paraît caractériser en termes aussi sobres que nets la vraie nature du genlns dans cette phrase souvent citée : genlum dicehanl antlqui nala- ralem deum uniuscu jusque locl relrelvel homlnls ^ « L'idée de genlus, reconnaît M. J. A. Hild, se résout dans celle de numen qui signifie l'action tutélaire de la divinité sur les hommes et les choses » ^

A l'époque impériale, dans les provinces latines, deux traits essentiels donnent aux Genll et aux divinités de leur cycle, Junones et Tutelae, une physionomie très distincte. Saut' de rares exceptions, peut-être plus apparentes que réehes, ces divinités sont toujours très étroitement liées à un être humain, à un groupe d'êtres humains, à un lieu, à une étendue plus ou moins vaste, à une cité, à un édifice, etc. Il n'y a pas un genius pour tous les individus, comme par exemple Mercurius protège tous les commerçants, Minerva tous les ouvriers, Ceres tous les laboureurs; chaque individu a son genius, qui n'est pas celui de son voisin, et dont l'existence est exclusivement attachée k sa propre vie. Si Mars ou Victoria sont des divinités auxquelles un culte est rendu dans toutes les légions et dans tous les corps de troupes auxiliaires, le genius d'une légion n'est pas celui d'une autre légion, le genius d'une centurie est le genius de telle centurie, précisée par le nom du centurion qui la commande, et non pas des autres centuries de la même légion. Les genll locaux sont parfois désignés par la formule : genius hujus locl; c'est de ce lieu-ci, et non d'un autre lieu, que le genius invoqué est le dieu. Par con- séquent, à la différence des autres divinités italiques ou

1. J. A. Ilild, lor. cit., p. U88.

2. Wissowa, op. cit., p. 151.

3. Ad. Virgil., Georg., I, 302.

4. Loc. cit., p. 1191 ; cf. WissOAva, o^j. cit., p. 156.

LE CULTE DES GENIES 441

gréco-romaines, les gcail sont des dieux dont Taction se trouve étroitement limitée k y\\\ individu, à un groupe d'indi- vidus, à un lieu, aune chose, nommément désignés.

Cette action est protectrice et bienfaisante : tel est le second trait essentiel des gen'ii. Plusieurs documents le mettent en pleine lumière. A A^azaivi, en Numidie, le Genius exercidis est cité parmi les D'il Conseri'aioy^es "; Mars Victor et Mercurius sont appelés Genll Vac-alvitano- rum fautores - ; près d'Auzia, dans la Maurétanie Césa- rienne, le Geniua montis Pasiorianensis est dit vim tempes- talum a pairla nostra arcens ^; à Yirunum, dans le Norique, une restitution vraisemblable donne à un genius loci l'épithète de Conservator *. Lorsqu'un genius ou plu- sieurs genii sont, dans une dédicace ou un ex-voto, asso- ciés à d'autres dieux, ces dieux sont toujours des dieux protecteurs ou bienfaisants, dii custodes à Yindolana en Bretagne ^ Jupiter Optimus Maximus consei'ralor dans un poste du Li/nes go'manicus \ Jupiter Optimus Maximus sakdaris à Aquincum ', dii Mauri conservatores à Satafis en Numidie ^ Fatum bonum à Uxellodunum en Bretagne \ Mars Victor et Bonus Eventus à Vinovia dans la même province '", Fortuna Conservatrîx à Brigetio ". Deux ins- criptions de la ville de Tliysdrus, dans l'Afrique proconsu-

L C. I. Lat., YIII, 1762L

2. Id., ibid., 17623, 17621.

3. Ici., ibid., 9180; cf. 9011, oii le dieu local Auzius est appelé genius et conservator col{oniae).

4. Ici., 111, 4780; cf. le cleus mngniis conservator hujus loci, à Salonae : £hU. di arch. e stor. daim., XIX, p. 82, n. 2193, p. 83, n. 2194.

5. C. 1. Lat., VII, 705. G. Id., XIII, 6638.

7. Id., III, 6156.

8. Id., VIII, 20251. L'inscription est ainsi conçue : Dis Maiiris [con]ser' vatoribus et Geniis Satafis, etc.; le mot Genii est peut-être ici employé comme épithète.

9. C. I. Lat., VII, 370.

10. Id., ibid., 425.

11. 7(7., III, 4289.

442 CHAPITRE V

laire, nous apprennent que le dieu protecteur de la cité était Mercurius : sur l'un des textes, le dieu est appelé : Mercii- 7^ii(s 2Jote/is Thysdritanae coliomac) pr^^'s^'s et conser- vator ' ; sur Tautre, il est dit san{c)tus Genius coloniae Thijsdritanonnn -.

Il ne parait pas douteux que les genii fussent essentiel- lement des d'à coRscrvatores. Dans les nombreuses traces du culte qui leur était rendu, nous n'avons pu découvrir aucun indice, qui permette de croire à une action malfai- sante de ces divinités. Personne ne semble redouter leur colère. On invoque leur protection, on les en remercie, mais ils n'inspirent pas de crainte. On les a parfois comparés aux anges gardiens du christianisme ; ils ont au moins de commun avec eux ce caractère exclusif de protection et de bonté.

Tel est aussi le caractère des Junones ou génies féminins, et des divinités appelées Tuteîae. En général, le mot Junones n'a été employé que pour désigner les divinités, de tout point analogues aux genii, qui protégeaient les femmes ^; il n'a pas été étendu, comme le terme genii, aux divinités protectrices des groupes constitués, des cités, des lieux, etc. Toutefois les deae Junones invoquées dans la cii'itas Leucorum j)ro sainte S. Rufi Agricoîae et Regcdis et Petturonis et Grannicae *, sont certainement les déesses protectrices de toute une famille, les hommes sont plus nombreux que les femmes. Les Junones Monfanae de Xemausus ^ ne sont-elles pas les génies féminins des mon- tagnes voisines?

La véritable nature des Tutelae se trouve indiquée par le sens même que leur nom avait dans la langue courante.

1. C. I. Lat., VIII, 51.

2. Ann. épigr., 1901, n. IGS.

3. J. A. Hild., Art. Junones, dans Daremberg, Saglio et Pottier, Diction- naire des Antiquilés, t. III, p. 690.

4. C. I. Lat., XIII, 4704.

5. Id., XII, 3067.

LE CULTE DES GÉNIES 443

Comme les genii, ces déesses protégeaient des individus ', des cités ^ des lieux ^ des édifices \ Le rôle, qui leur fut attribué, était moins limité que celui des Junones "\

Mais, quelles que soient les différences de détail que l'on puisse établir entre les Genil, les Jwiones, les Tictelae, ces divinités étaient de même nature, et répondaient aux mêmes besoins de protection surnaturelle qu'éprouvaient sous l'empire les individus isolés et les groupes constitués.

Le culte de ces divinités a été célébré dans toutes les pro- vinces latines de l'empire. Partout ont été recueillies des dédicaces ou des inscriptions votives adressées à des Genii; sous ce nom, la diffusion de ce culte a été générale. Au con- traire l'emploi des noms de Junones et de Tutelae se trouve très nettement localisé.

Quatorze inscriptions aujourd'hui connues sont adressées ^oiioAxn Junones en général, soit à des /2;»o;^^s individuelles. De ces quatorze documents, sept proviennent delà région de la Narbonaise comprise entre les bouches du Rhône et Narbonne ^ ; trois autres de Burdigala, de Lugdunum et de la cii'itas Leucorwn ' . Les quatres dernières sont d'origine africaine ^ Mais parmi celles-là il en est une qui doit attirer

L C. I. Lat., XIII, 328.

2. Id., II, 6077.

3. M., XIII, 440, 949, 956.

4. Id., II, 2991; Bramb., 392 (?).

5. L'identité de Tutela et de Genius se trouve encore à nos yeux démon- trée par des formules telles que : Deo Tutelae Genio locl {C. I. Lat., II, 3021), Tutelae hiijiis locl [Id., XIII, 440). Wissowa interprète l'expression Beo Tutelae comme si le nominatif était Beus Tutelae. Nous croyons plus rationnel de construire au nominatif DeiW Tutela. On sait que les Romains ont souvent hésité sur le sexe de leurs divinités; une inscription de Mau- rétanie nous en donne encore la preuve pour l'année 176 ap. J.-G. : Genio sunimo Thasuni et deo sive deae numiyii sancto, etc. (C /. Lat., VIII, 21567, B. 1. 8 et suiv.). Cette incertitude sur le véritable sexe de la divinité appelée Tutela explique en outre que le rôle des Tutelae n'ait pas été, comme celui des Junones, à pou près exclusivement limité à la protection des femmes.

6. C. I. Lat., XII, 3063, 3064, .3065, .3066, 3067, 4101, 4317.

7. Id., XIII, 567, 1735, 4701.

3. Id., YllI, 1140, 3695, 11293, 11105.

29

444 CHAPITRE V

spécialement notre attention : c'est l'épitaplie d'une femme nommée Pompoia Galla; cette épitaphe est un acrostiche construit sur le nom Galla au génitif, Gallae. Cette Pom- peia Galla ne serait-elle pas d'origine gauloise? Quoi qu'il en soit, le culte des Juno?ies fut surtout célébré en Gaule, plus spécialement à Nemausus et aux environs de cette ville. Or c'est également à Nemausus et dans la partie de la Nar- bonaise la plus voisine de cette cité que furent surtout adorées les déesses gauloises appelées Proxumae •.

Ces déesses, au nombre de trois comme les Maires ou Matronae, étaient certainement des divinités protectrices. Dès lors n'est-il pas vraisemblable que le culte des Junones a été à Nemausus la forme romaine ou romanisée du culte gaulois des Proxumae ?

Dans les Trois Gaules, spécialement en Gaule Belgique, ces déesses protectrices portaient un autre nom, celui de Suleviae] nous savons, par une inscription trouvée à Mar- quise, près de Boulogne-sur-Mer, que les./?//^o;zt's d'Italie leur furent assimilées ^ Les Junones, dont le nom se lit sur une inscription de la cir/itas Lcucorum, ne sont sans doute que les Suleviae gauloises revêtues d'un nom latin.

L'aire du culte de Tutela ou des Tuielae est voisine, mais pourtant distincte. Sur 31 inscriptions, qui attestent la difïusion de ce culte. 28 ont été trouvées soit dans la Tarra- conaise, soit dans la province d'Aquitaine; les trois autres proviennent de Colonia Agrippina ^ et de Mogontiacum *. 11 nous parait ditlicile de ne pas remarquer que le nom de Tutela Si été presque exclusivement employé dans les parties de la péninsule hispanique et de la Gaule les Ibères avaient le moins subi les influences venues du dehors. Tutela semble inconnue en Bétique et en Narbonaise ; son culte au contraire est populaire sur l'un ot l'autre versant des Pyré-

1. C. 1. Lat., XII, 3112-31-28; cf. 661, ia30-1332, 1737, 2S22, 2831.

2. Id., XIII, 3561; Sulevis Junonibiis sacr. L. Cas[sii(s) Xigri[nus...].

3. Bramb., 392 : Ami. épujr., 1903, n. 369.

4. C. I. Lat., XIII, 66G5.

LE CULTE DES GENIES 445

nées. Nous ne savons pas quelle fut la divinité nationale des Ibères qui fut assimilée à la Tiitela romaine; mais il nous semble nécessaire d'admettre cette assimilation, si nous voulons comprendre la correspondance curieuse que les documents nous révèlent entre l'aire du culte de Tutela et l'habitat des populations ibériques.

Genil, Junones, Tutelae, ces divinités, quel que fût le nom préféré par leurs fidèles, reçurent dans toutes les provinces latines un culte plus ou moins important. L'un des caractères de ce culte fut la variété. Les nombreux ge)ui invoqués peuvent, en effet, se répartir en diverses catégories, qu'il convient d'étudier séparément : genil privés, individuels ou domestiques; genii provinciaux ou municipaux; genil lo- caux; genil militaires; genil divers, de collèges, de corpo- rations, d'administrations, d'édifices.

La forme certainement la plus ancienne du culte rendu par les Romains aux genil est le culte du génie individuel, genliis pour les hommes, juno pour les femmes. Dans chaque famille, le culte, qui s'adressait au genlus daj^citer- famlllas, devint sans difficulté le culte du génie domestique, genius do?nus, genlus domestlcus '.

Le culte des genil individuels et des genli domestiques fut un culte essentiellement privé. C'est dans les provinces gauloises, principalement en Narbonaise, qu'on a jusqu'à présent recueiUi les traces les plus nombreuses du culte des genii individuels. Sur 44 dédicaces, invocations ou ex-voto à des genii, des junones ou des tutelae de personnes, 22 proviennent de la Xarbonaise, 6 des Trois Gaules; le

1. C. I. Lut., VIII, 2597, 18893, 21605; III, G156, 11542. Cf. Wissowa, Religion t(7id Kullus der Borner, p. 156.

446 CHAPITRE V

reste se disperse dans plusieurs autres provinces '. Lesdédi- cants sont en général des esclaves, des affranchis, des clients, des amis de la personne ou des personnes dont on veut honorer le genius ou la juno -. Dans un des postes du Limes gennanicus, un heneficiarius coasularls invoqua, en même temps que Jupiter Capitolin et tous les autres dieux, le genius du légat impérial, au service duquel il était attachée

Chez les Astures Transniontani, un aquilegus, c'est-à- dire un chercheur de sources, rendit hommage, en même temps qu'à une source peut-être découverte par lui, au genius du propriétaire pour lequel il avait exercé ses talents \ Il est plus rare que ce soit l'individu protégé qui invoque lui-même son genius : trois cas seulement sont aujourd'hui connus pour toutes les provinces latines ^

A Sufetula, un père honora la. juno de sa flile morte ^ ; aux environs de la môme ville africaine, un époux rendit le même hommage à la ju.no de sa femme Crepereia ' ; à Lam-

baesis, une femme, nommée Horatia Q. fd ria, invoqua

le genius de son mari en même temps que sa propre Jz^^io *.

Le culte du genius cloniesticus ou donius paraît s'être

1. Voici la statistique des documents : Afrique, 5 ;1 genius. 4. juiwnes); Espagne, 3 (uniquement en Tarraconaise) ; Bretagne, 2; Germanie supé- rieure, 2; Xoriqae, 1; Pannonies, 2; Mésie inférieure, 1.

2. Esclaves : C. I. Lat., III, 6124; XII, 619, 658, 3052, 3055; Affranchis: III, 4782: XII, 3050, 3051, 30^, 3056, 3063, 3031, 3035, 3036; Ann. épigr., 1904, n. 147; Clients : XII, 3051»; XIII, 4291; Amis : XII, 2914, 3053; XIII, 1735. Sur tous ces textes, se lisent les mots servKS, libertiis, cliens, amicus. On peut y ajouter, semble-t-il, l'inscription de Tarraco, C. I. Lat., Il, 4082, les dédicants s'appellent Telesp1ior{tis) et Plate; celle de Vasio, XII, 1234, signée de Valerius Hermès; celle de Nemausus, XII, 3081, le genius d'un personnage appelé Flavianus est invoqué par M arc us et Lucius Hennolai f. ; les deux textes enfin de Narbo, XII, 4314, 4315, les dédicaces se lisent Genio Piloxini patroxi et Genio patroxi.

3. C. I. Lat., XIII, 6638.

4. Id., II, 5726.

5. Id., Il, 2407 ; Vil, 10; VIII, 3695.

6. 7(7., VIII, 11405.

7. Id., ibid., 11293.

8. Id., ibid., 3695.

LE CULTE DES GÉNIES 447

répandu très peu dans les provinces latines. Nous n'en avons relevé que cinq exemples certains, trois dans les pro- vinces africaines '; un à Yirunum, dans le Norique ^; un dans la Pannonie inférieure à Aquincum \ A Lambaesis, un vétéran, ancien sirator, Sex. Pomponius Caecilianus, consacra un smiel genio domi suae; à Aquincum, L. Sere- nius Bassus, centurion de la legio II Adjulrix, remercia le gcnius de sa domus en même temps que Jupiter Optimus Maximus Sahilaris, d'avoir été guéri après une très grave maladie \ A Tliibilis, le genius domus d'un très grand per- sonnage, Q. Antistius Adventus, qui fut plusieurs fois légat impérial, fut honoré par un affranchi, Agathopus.

En résumé, que nous apprennent les documents aujour- d'hui connus sur le culte des génies individuels et des génies domestiques dans les provinces latines de l'empire? Sauf dans la Narbonaise, ce double culte fut très rare. En Narbonaise, principalement à Nemausus, il a laissé des traces nombreuses; mais même la condition sociale et l'origine de la plupart des dédicants lui donnent une plw- sionomie en apparence étrangère au pays. 11 faut cepen- dant essayer d'expliquer pourquoi le culte des génies indi- viduels, genil et jwiones, a joui précisément de cette faveur exceptionnelle. A nos yeux, la cause en est la pré- sence dans la même région de cultes tout à fait populaires d'origine gauloise, cultes de divinités protectrices des indi- vidus, Maires, Sideviae, Proxumae '" . N'oubhons pas que le culte de Mars semble avoir eu aussi ce même carac- tère tout spécial de dieu protecteur des individus ^ Yoici

L CI. Lut., YIII, 2597, 18893, 21605.

2. Id., III, 11512.

3. 7(1, ibid., 645'j.

4. La dédicace est ainsi rédigée : I. 0. JM. Saliitari et Genio donms ejus, etc. Il faudrait évidemment pour la correction du texte : domus suae. D'autre part, nous ne pensons pas qu'on puisse voir dans dovius ejus la demeure du dieu.

5. C. I. Lat., XII, 1302-1310; 1180, 1181, 2971; 3112-3128.

6. "V. plus haut p. 259.

448 CHAPITRE V

alors ce qui a pu se passer : les petites gens ont continué d'honorer leurs proxumae sous leur nom gaulois ; mais les esclaves, les affranchis, les clients, les amis des principaux personnages, magistrats municipaux, citoyens romains, etc., ont voulu donner à ce culte une forme plus latine.

Comme aux individus et aux familles, des divinités pro- tectrices furent attribuées, le plus souvent sous le même nom de geiiii, aux provinces, aux cités, aux subdivisions soit urbaines, soit rurales, des cités.

Ce fut pour les divinités protectrices des provinces que l'emploi du mot gcnius fut le moins usuel. Des expressions telles que : numen Mauretaniae *; Brilannia sancta S Bri- tcuDiia^; Terra Dacia ^ Très Daciae % di deacquc Dacia- rum % sont à peine moins fréquentes que les formules : Genius terrae Britannicae ', Genius Noricorwn *, Genius lUyrici '', Genius j^rovinciae de l'une et l'autre Pannonie '°, Genius Baeiarum ". Cette hésitation à désigner par le mot genius de telles divinités n'est pas étonnante, si l'on se rap- pelle que l'un des caractères essentiels de ioni genius était d'être lié très étroitement à un être, à un lieu, à un objet, d'être le dieu uniusoujuscpie loci vel rei rel horninis. Dans le monde romain, l'unité d'une famille, d'une cité, d'une

1. C. I. Lot., YIII, 8926.

2. Id., VII, '2^2.

3. Id., ibid., 1129.

4. Id., III, 7853.

5. Id., ibid., 995.

6. Id., ibid., 99i3.

7. Id., VII, 1113.

8. Id., III, 4781.

9. Ann. épigr., 1903, n. 286.

10. C. I. Lat., III, 3913, 4168, 10396.

11. Id., ibid., 998.

LE CULTE DES GENIES 449

légion, se concevait aisément: l'unité d'une province, vaste territoire purement administratif, restait une abstraction. Ces génies de provinces, sous quelque nom qu'on les ait invoqués, sont demeurés des divinités officielles et abs- traites. Treize inscriptions attestent qu'on leur rendait un culte ; onze de ces textes contiennent des renseignements précis sur la condition sociale ou les fonctions des dédi- cants. Nous y trouvons deux légats impériaux, C. Yalerius Pudens, gouverneur de la Pannonie inférieure \ et Olus Terentius Pudens Attedianus, commandant de la h^gio XIII Gcmina en Dacie "-; un tribun laticlave \ un préfet de cohorte % un centurion % un option ^ ; un fonctionnaire subalterne de l'administration procuratorienne ', un atfran- chi * et un esclave ^ de la maison impériale. A Savaria, dans la Pannonie supérieure, s'était créé un collegium Genil P[roi'inciac) P[annoniae) S{uperioris)^ que dirigeaient deux magistri et deux scrlbae '"; ces quatre personnages, dans le texte qui nous les fait connaître, portent les ti'ia nomina romains. Le culte des génies de provinces ne fut nulle part populaire ; la masse de la population provinciale semble ïij avoir pris aucune part.

Avant d'aborder l'étude des gcnii municipaux, citons pour mémoire trois dédicaces, trouvées à Tarragone, au Genius Convenius Asturicensis, au Genius conventKs Ca.e- saravgustani, au Genius d'un autre conventus dont le nom a disparu ". Ces trois dédicaces sont muettes sur les dédi-

L c. I. Lat., III, 10396.

2. Ici., ibid., 993.

3. Id., ibid., 995. .4. Id., VII, 1129.

5. Id., ibid., 1113.

6. M., III, 3913.

7. Ann. épigr., 1903, n. 286.

8. C. I. Lat., VU, 232.

9. M., III, 7853.

10. Id., ibid., 1168.

11. Id., Il, 1072, 4073, 4074.

450 CHAPITRE V

cants et sur les circonstances dans lesquelles elles ont été rédigées.

Bien différente est la physionomie, dans certaines pro- vinces du moins, du culte que Ton rendait aux rje?iii des villes. Le plus souvent ces gc/ui étaient invoqués sous le seul nom de grnius ciritaiis *, genius opp'idi '", genius mu.nicijni ^, genius coloniac '*, genius pairiae ^; parfois le nom de la ville était ajouté à cette formule, et le dieu était appelé Genius coloniae Juliae Hipponis Diarrhyti ®, Genius municipii C. J. Nertohrigae ', Genius oppidi Sabe- iani ', Genius civitatis Bit[urigum) Viv{iscorum) ' ; parfois aussi le dieu était considéré moins comme le génie de la cité elle-même que comme le génie des habitants, et le titre qu'on lui donnait répondait à cette conception : Genius popuU "\ Genius Mentesanorum) ", Genius Epetinoruni '"-. Dans quelques dédicaces le mot genius fut remplacé par les termes deus patrius '% Tutela *\ Dans d'autres cas enfin, le titre de genius coloniae, genius pairiae, deus patrius fut donné à une divinité particuhère, analogue aux divinités poliades de la Grèce : ce fut le cas, par exemple, pour Mer- curius à Thysdrus ^ ', pour Hercules à Sufes et à Sua *^ pour Apollû à Bulla regia '', dans l'Afrique proconsulaire.

1. c. I. Lat., III, 5159; VIII, UOôd, 14S08.

2. Id., II, 1346. 8408.

3. Ici, U, 401, 1362, 2126.

4. 1(1., XII, 1159.

5. Id., YIII, 4189 ot suiv.; Atin. èpigr., 1897, n. .30; 1902, n. 5.

6. C. I. Lat., VIII, 1206.

7. Eph. Epigr., YIII, p. 882 n. 82.

8. C. I. Lat., II, 2193.

9. Id., XIII, 566.

10. Id., VIII, 2600, 4193, 4575, 6947, 6948, 17834, 20144.

11. Id., II, 3377.

12. Id., III, 12815.

13. Id., VIII, 12IXK3; Comples-rendus de l'Académie des Inscriptions, 1906, p. 248.

14. C. I. Lat., II, 6077.

15. Id., VIII, 51 ; Ann. épigr., 1904, n. 168.

16. C. I. Lat., VIII, 262, 14808.

17. Comptes-rendus de l'Académie des Inscriptions, 19<J6, p. 218.

LE CULTE DES GÉNIES 451

Sous ces diverses formes, le culte des génies munici- paux semble avoir été très inégalement répandu dans les provinces latines de Tempire. Les deux tiers des dédicaces et des ex-voto qui se rapportent à ce culte proviennent des provinces africaines et espagnoles *. Il n'y a point lieu d'être surpris que la Bretagne, les Germanies, la Rétie, le Norique, les Pannonies, la Dacie et les Mésies en aient peu ou point fourni ^ : la vie municipale, condition nécessaire du culte de ces génies de villes, n'y fut pas très développée. Le phénomène est plus inattendu pour la Narbonaise et la Dalmatie : or en Narbonaise, une seule trace de ce culte a été recueillie, à Carpentoracte ^; quant la Dalmatie, il n'y a encore que trois villes, Novae \ Narona % Epetium \ aient été trouvés des documents du même genre. Cette répartition ne peut pas être considérée comme le fait du seul hasard. 11 nous paraît certain que le culte des génies municipaux a joui en Afrique et en Espagne d'une faveur particulière, qu'il n'a pas rencontrée dans d'autres pro- vinces de vie municipale intense, comme la Narbonaise et la Dalmatie. Ce qui confirme encore ce caractère, c'est que ce culte a eu surtout pour fidèles soit les cités elles-mêmes, soit des magistrats municipaux ou de simples particuliers, et que l'on ne trouve parmi les dédicants ni un fonction- naire d'empire, ni un membre de l'administration procura- torienne, ni un officier. Ce culte avait donc, en Afrique et en Espagne, des racines dans le sol provincial ; si le mot gcnius et l'idée précise que traduit ce mot sont d'origine itaUque, la conception même d'une divinité protectrice de

\. Sur 72 cités le culte du genitis municipal a laissé des traces, 32 sont africaines, 20 espagnoles.

2. Bretagne : 0; Germanie inférieure, 0; Germanie supérieure, 5; Rétie, 0; Norique, 2; Pannonies, 4 ; Dacie, 1, Mésie inférieure, L

.3. C. I. Lat.,XU, 1159.

4. LL, III, I90S, 1909, 1910.

5. 7(7., ibid., 1775.

6. l'L, ibid., 12815.

452 CHAPITRE V

chaque cité ne paraît pas avoir été apportée de Rome dans ces régions do l'empire.

Il est d'ailleurs remarquable que le culte du génie muni- cipal a laissé des traces dans les antiques cités puniques ou numides autant, sinon plus que dans les villes fondées par les Romains eux-mêmes en Proconsulaire, en Numidie, en Maurétanie. Cartilage, Hippo Diarrhytus, Rusicade, Rusu- curru, sur le littoral; Thugga, Bulla Regia, Sicca Veneria, Calama, Cirta, dans l'intérieur du pays, existaient certaine- ment avant la conquête romaine ; de plusieurs autres cités, plus modestes et plus obscures, dont l'histoire nous est moins bien connue, nous savons cependant qu'elles n'avaient pas été fondées par Rome, qu elles n'étaient pas des colonies de vétérans ou d'Italiens : tel était le cas pour Yazis Sarra. Uzappa, Muzuc, Tiiibaris en Proconsulaire ; Mileu, Cuicul, Sataf, Novar, en Numidie et Maurétanie. Le culte du geiiius municipal a été institué et célébré dans ces villes-là non moins qu'à Lambaesis, Thamugadi, Diana, Sitifis. Ne pouvons-nous pas en conclure que ce culte y fut seulement la forme romaine ou romanisée d'un culte ou d'une conception religieuse hérités du passé? Est-il témé- raire de rappeler à ce propos le caractère essentiellement municipal des divinités phéniciennes? « Chaque tribu, chaque ville adorait son Baal particulier, dieu national et protecteur... Baal ne désigne pas une divinité unique, ado- rée par toutes les tribus ; ce n'est qu'une dénomination unique, que chacune donne à son dieu principal... Chaque ville possédait un Baal, dieu suprême... Le pouvoir du Baal est primitivement restreint au territoire dont il est le sei- gneur * ». Puisque le culte des genii municipaux a été plus répandu dans les provinces africaines que dans toute autre région de l'empire, puisque ce culte y a eu surtout pour adeptes soit les cités elles-mêmes, soit leurs magistrats

1. Chantepie do la Saussaye, Manuel d'histoire des Religions, trad. Hubert et Lévy, p. 177-178.

LE CULTE DES GÉNIES 453

agissant à titre privé, n'est-ce point vers le passé même du pays qu'il faut se tourner pour découvrir la raison de ces faits?

Après l'Afrique, c'est l'Espagne qui nous a fourni lopins de documents sur ce culte des genii municipaux. Ici encore, la répartition géographique de ces documents nous paraît significative. La moitié au moins de nos inscriptions pro- vient de la Bétique *; dans la Tarraconaise, les cités le culte d'un genius municipal a laissé des traces sont Men- tesa S Laminium ^ Carthago Nova \ Tarraco '\ Mentesa et Laminium étaient situées dans le voisinage immédiat de la Bétique; Carthago Nova, Tarraco étaient des ports. N'est- il pas digne de remarque que dans la péninsule ibérique le culte des gcnii municipaux ait été presque uniquement célébré s'est excercée l'influence phénicienne? Cette constatation ne vient-elle pas corroborer la conclusion que nous avons cru devoir formuler en ce qui concerne l'Afrique.^

Si donc, de toutes les provinces latines, c'est en Afrique et en Espagne que la conception et le culte des genii mu- nicipaux ont été le plus répandus, le plus populaires, c'est, d'après nous, parce que cette forme en apparence romaine de la religion poliade s'est appliquée à un fond préexistant, le culte des Baalim de cités d'origine phénicienne.

Hors de l'Afrique et de l'Espagne, les rares documents qui concernent le culte de ces gcnii nous apprennent qu'il trouva moins d'adeptes dans les anciennes populations que parmi les éléments venus du dehors ; si dans le Norique, à

1. C. I. Lat., II, 1060 (Arva); 1280 (Salpensa); 1346 (Acinipo); 1362 (As- tigi?); 2006-2rX)7 (Nescania) ; 2034 (Anticaria); 2069 (Uiberris); 2126 (Obulco); 2186 (Sacili); 2193 (Corduba, Sabetunr?); Eph. Epigr., VIII, p. 382 n. 82 (Xertobriga).

2. C. I. Lat., II, 3377.

3. Id., ibid., 3228.

4. Id., ibid., 3408.

5. Id., ibid., 4071, 6077.

451 CHAPITRE V

Aguontum, il y avait un collège de Cultores gcnil munie i pi ' ; si à Celeia, clans la même province, c'est Vordo qui honore le genius ciritatis ^ à Aventicum, chez les Helveti, le fjenius coloniae fut invoqué par deux affranchis d'origine grecque, Q. Postumins Hyginus, Postumius Hermès '' ; à Novae, en Dalraatie, les ex-voto qui réunissent le genius municipii à Jupiter Optiraus Maximus sont signés de benefi- ciarii consulares *; à Narona, le genius plebis reçoit les hom- mages de plusieurs seviri, parmi lesquels on reconnaît des grecs ou des orientaux, Q. Juhus Daphnus, M. Curtius Spo- rus, Q. Lusius Acrabanus ^; à Neviodunum, L. Pompeius Ingenuus, beneficiarius eonsularis, remercie le genius municipii e\\ même temps que Jupiter Capitolin "; à Savaria, l'un des adorateurs du genius coloniae paraît être d'origine gauloise ' ; enfin à Sarmizegethusa en Dacie, les Augustales qui honorent le genius ordinis portent les cognomina Hermès, Threptus, Hipponicus, Onesimus ^

Il nous semble donc qu'il convient de faire une distinction très nette entre le culte rendu aux genii municipaux dans les provinces africaines et espagnoles d'une part, et d'autre part le culte tout à fait rare rendu aux mêmes divinités dans les autres provinces latines. En Afrique et en Espagne, ce culte a des racines dans le sol provincial; il est célébré le plus souvent par les cités elles-mêmes ou par les magistrats municipaux; dans les autres provinces, c'est le contraire qui paraît l'habitude. En Afrique et en Espagne, les genii municipaux sont, suivant toute apparence, d'anciennes divinités, d'origine phénicienne, revêtues d'une forme

1. C. I. Lat., III, 11485.

2. Id., ibid., 5159.

3. Id., ibid., 5079.

4. Id., ibid., 1909, 1910.

5. Id., ibid., 1775.

6. Id., ibid., 3919.

7. Id., ibid , 4153.

8. Id., ibid., 1425.

LE CULTE DES GÉNIES 455

romaine; ailleurs, ces mêmes genii sont directement et exclusivement de provenance latine.

Comme les cités elles-mêmes, les vici ', les pagl ^ les caslella ^ les salins \ les génies ^ eurent parfois leurs genii.

Les traces des cultes rendus à ces genii ne sont pas très abondantes dans les provinces latines; nous n'avons relevé qu'un peu plus de vingt inscriptions qui s'y rapportent. Elles proviennent presque toutes soit de l'Afrique, soit des pro- vinces gauloises ou gallo-germaniques. S'il est malaisé de dire pourquoi les genii vici furent surtout invoqués dans les provinces africaines, on aperçoit peut-être mieux la raison pour laquelle les genii imgi le furent en Gaule. On sait que le molj^agus, avantde désigner les subdivisions territoriales des cités gallo-romaines, avait désigné les fractions numé- riques des tribus gauloises; c'est bien dans ce sens que César l'emploie lorsqu'il nomme le ^5«^z<s Tigurimcs de la civitas Helveiia ^ Or, sous l'empire, le Genius j^agi Tigorini fut honoré à Aventicum par P. Granius Paternus et Scri- bonia Lucana, sa femme \ Il est vraisemblable que cegenius pagi a simplement remplacé l'ancienne divinité gauloise, protectrice des Tigorini. Ne peut-on pas appliquer la même hypothèse au Genius x^agi des TarbelU ^ au Genius pagi Dervei{i) des Leuci "? Et de même le Genius Arveîvius invoqué par l'Eduen Soxt, Orgius Suavis *", le Genius Leu- c{oru)n), honoré en même temps que la déesse Epona ^', le

1. C. I. Lat,. VIII, 2604, 2605, 4194, 6352; XIII, 59j7, 6433 ; cf. III, 1008. Bull. des. Antiq., 1895, p. 227.

2. C. I. Lat., II, 2194; III, 7817; XIII, 412, 4679, 4680, 5076. Cf. YIII, 20832 (■?).

3. Ann. épigr., 1900, n. 37; cf. 1903, n. 65.

4. BuU. arch. du Com., 1896, p. 228 n. 19; Aiui. épùjr., 1902, n. 223.

5. Ann. épigr., 1905, n. 11; cL C. I. Lat., XIII, 1462, 4630; Bramb., 637.

6. De Bell. Gallic, I, 12.

7. CI. Lat., XIII, 5076.

8. Id., ibid., 412.

9. Id., ibid., 4679.

10. Id., ibid., 1462.

11. Id., ibid., 4630.

456 CHAPITRE V

Genius Talliatlum, associé au dieu Mars ' dans la région d'Aix-la-Chapelle, n'ëtaieni-ils pas des dieux gaulois ou gallo-germaniques revêtus d'un nom romain?

Ici encore, par conséquent, ce qui explique que le culte des genupagi se rencontre davantage dans les Gaules et les paj'S rhénans, c'est que ce culte s'adaptait mieux qu'ail- leurs aux conditions historiques et sociales des popula- tions.

Des genil passaient pour protéger chaque lieu comme chaque cité ou chaque province. La croyance à des divinités ainsi localisées paraît avoir été générale. L'originalité des Romains consista à concevoir ces divinités sous la forme de gcnii. Le nom le plus usuel qui leur fut donné dans les pro- vinces latines fut celui de geniits loci, genius liiijus loci. Parfois, mais rarement, le lieu était indiqué avec plus de précision; en Afrique, par exemple, furent invoqués le Genius montis Rufinae ', le Genius moniis Pastorianensis % le Genius numinis capul Arïisagae '' ; en Espagne, on connaît le Genius Baeds ^ Au même groupe de divinités se ratta- chent évidemment les Junones Monlanae des environs de Nemausus ^ plusieurs Tutelac loci ', parmi lesquelles la Tutela Vesunnia des Petrucorii ^

Le culte rendu à ces genii locaux a laissé des traces plus ou moins abondantes dans toutes les provinces latines. La Bretagne, les deux Germanies et les deux Pannonies

1. Brainb., G37.

2. G. I. irt<.,VIII, 17763.

3. Id., ibid., 9180.

4. Id., ibid., 5884.

5. Id., II, 11G3.

6. Id., XII, 3067.

7. Id., II, 3021; XIII, 410, 919, 956; cf. III, 4445.

8. IL, XIII, 949, 956.

LE CULTE DES GENIES 457

tiennent ici le premier rang : elles ont fourni les deux tiers des documents aujourd'hui connus '. Au contraire, les pro- vinces espagnoles, la Narbonaise, la Rétie, le Norique, la Dacie, les Mésies semblent avoir peu connu ce culte '-. En Afrique, la répartition géographique des documents est significative : il n'en a été recueilli qu'un seul dans la Proconsulaire ^; tous les autres proviennent de la Numidie méridionale ou des Maurétanies, en particulier de Larabae- sis *, de Diana % de Sitifls ®, des postes échelonnés sur la frontière qui séparait à l'ouest de l'Afrique le territoire romain du désert '. Si l'on ajoute ces documents africains à ceux qui ont été recueillis en Bretagne, le long du Rhin et du Danube, on constate que sur cent-dix inscriptions environ qui se rapportent au culte des genil loci dans les provinces latines de l'empire, quatre-vingt proviennent des frontières ou des régions occupées militairement.

Cette conclusion est confirmée par l'étude des dédicants. Les genii loci furent invoqués à peu près exclusivement par des gouverneurs de provinces *, des commandants de légions ^ des officiers, sous-olTiciers, soldats et vétérans *°, des personnages de l'administration procuratorienne ", des affranchis impériaux ou privés '". Les inscriptions de Dal-

L Euvii'on sur 110.

2. Provinces espagnoles : 4: Narbonaise, 1; Rétie, 1 ; Norique, 2; Dacie, 4; Mésies, 2.

3. C. I. Lat., YIII, 774 : Deo loci itbi auspiciuin digaitatis laie lUidiicipes Api[senses..., à Apisa major.

4. /(/., ibid., 2621; cf. 4291.

5. 7(?., ibid., 4578.

6. Ici., ibid., 8135.

7. Je? , ibid., 9749, 21567, 21820.

8. Id., III, 3418, 5788 ?, 7529; Ylll, 1578.

9. Id., ibid., 1566; VIII, 2621.

10. Id., III, 892, 3021, 3472, .3903 et suiv., 8918,4289,4558, 8334, 9829, 10060, 10813, 12679,14221; YII, 167, 302, 370, 425; VIII, 21537, 21820; XIII, 1745, 5509, 5970, 6440 et suiv., 6474, 6556, 6570, 6628, 6632 et suiv., 6710 et suiv., 7731 et suiv., Bramb., 12, 101 et suiv., 166, 205; Eph. Epigr., 111, p. 134 n. Wi;Ann. épigr., 1891, n. 146; 1900, n°s 206, 207; 1903, n. 90, 369.

11. C. I. Lat., III, 11513, 12724.

12. Id., 11, 3525 ; 111, 4032, 4426,4445; VU, 2G5; XII, 956; XIII, 5622, 6730.

458 CHAPITRE V

matie forment à ce point de vue un groupe caractéristique : bien que la province n'ait pas été occupée militairement, ce furent presque uniquement des officiers, sous-officiers et soldats qui invoquèrent les génies locaux; un procurateur impérial complète ici la liste des dédicants '.

Ce culte se présente donc sous des traits originaux : il s'adresse à des divinités locales dans les provinces situées le plus loin de Rome et de Tltalie vers l'ouest et le nord; il est célébré non point par les anciens habitants de ces pro- vinces, accoutumés à vivre dans ces lieux, mais par des étrangers, par des personnes venues à titre d'officiers, de soldats, de fonctionnaires, et qui très probablement n'y demeurèrent pas toujours. La rédaction môme de certaines dédicaces jette une lumière très vive sur les sentiments qui inspirèrent ce culte des gcnii locaux. Très souvent le gcnius locl fut invoqué en même temps que la Triade Capi- toline, que Jupiter Optimus Maximus, que Fortuna ^ Il n'est pas rare de rencontrer dans les textes des formules telles que :J[ori) O['ptinio) M{aximo) Depulsori dus clcahus que omnibus et Gealo locl ^ ou encore J{ovl) 0{ptbno) M{aximo ceterlsque dis deabusq{ue) et G{enlo) locl \ Essayons donc de nous représenter ce qui passait dans l'esprit et dans le cœur d'un de ces officiers, envoyés en garnison au nord de la Bretagne, le long du Rhin inférieur ou du moyen Danube. Evidemment il se croyait relégué au bout du monde : lorsque par exemple, l'Africain G. Corné- lius Peregrinus, en Maurétanie Césarienne, fut chargé de commander une cohorte à Uxellodunum, en Bretagne, il éprouva le besoin de ne pas encourir la colère, d'invoquer même la protection de la divinité qui régnait sur ces heux

1. C. I. Lat., \\\, 3(J21, 9829, 10(360, 12679, 14221; id., ibid., 1272-1.

2. Ici., III, 1018, 3901 et suiv., 1289, 4558, 10060, 12724, 14221; VII, 302; VIII, 4291; XIII, 5066, 5609, 6142, 6628, 6632 et suiv., 6710 et suiv., 6747. Bramb., 12, 101 et suiv., 205.

3. C. I. Lat., XIII, 1745.

4. Id., III, 3903.

LE CULTE DES GENIES 459

lointains : il se recommanda au Genins locï, en même temps qu'à Forliina Redux, Roma Aelenia et Faluni bonum '. L'association de ces divinités ne laisse, semble-t-il, aucun doute sur l'état d'esprit dans lequel.se trouvait notre tribun. Et n'est-ce pas le même sentiment qui inspira à de nom- breux officiers, sous-officiers et soldats cantonnés le long du Rhin, le long du Limes germanicus et du Danube, leurs invocations communes aux divinités du Capitole et au Genius locll Evidemment ils tenaient à vivre dans les meil- leurs termes avec la divinité, inconnue d'eux, dont leur imagination religieuse leur affirmait l'existence à l'endroit même ils tenaient garnison. Ils ne savaient point son nom; ils la concevaient sous la forme romaine d'un genius, et ils lui faisaient toujours une place à part dans leurs invo- cations. Lors même qu'ils invoquaient tous les dieux en bloc, cU deaeque omnes., ils désignaient nommément et à part le Genius loci. Sans doute ils apportaient avec eux, dans ces postes lointains, le culte des divinités romaines ; mais ils ne pensaient pas que leur salut pût être uniquement assuré par elles ; ils croyaient nécessaire d'invoquer la divinité du lieu, de lui témoigner leur respect, de lui demander sa pro- tection. Que ce fût la crainte ou un sentiment plus élevé de tolérance qui inspirât leur conduite, cette conduite fut sans doute l'une des causes de la paix religieuse qui régna entre païens dans les provinces latines de l'empire.

Les genii militaires paraissent avoir tenu une place et joué un rôle tout à fait analogue dans la vie religieuse des provinces latines de l'empire. Les dédicaces et les ex-voto, aujourd'hui connus, qui furent adressées aux Genii legio- nis, Genii centuriae, Genii alae, Genii coho/iis, Genii

l. C. I. Lat., VII, 370.

460 CHAPITRE V

vexillationis, mnncr'i, alatioiih, Genii scholae, Gcnil cas- trorwn, Genii 2'>'>^n6lorll, etc., forment un groupe d'environ 90 documents fort explicites. Le plus souvent chacun de ces genil fut invoqué isolément : dans les cas plutôt rares, d'autres divinités étaient nommées avec lui, ces divinités sont : la Triade Capitolinc ', Jupiter Optimus Maximus ^ Mars '\

Le culte de ces genil militaires fut, comme il est naturel, célébré surtout dans les grands camps permanents et dans les garnisons : en Afrique, Lambaesis, la statio de A^azaivi et le 'praesidium de Tisavar '* ; en Espagne, le camp de la legio VII et Asturica ^; en Bretagne, Isca, Deva, Ebura- cum, et les postes du nord ^; en Germanie, Mogontiacum ', Argentoratum ^ et les garnisons du Limes ^; en Pannonie, Carnuntum, Brigetio, Aquincum '" ; en Mésie, Viminacium, Ulpiana, Carsum " ; en Dacie, les postes du nord de la pro- vince, Potaïssa, Napoca, Âpulum et Micia '" : telles sont les localités ont été principalement recueillis les documents relatifs au culte des genil militaires.

Si cette première constatation n'est point surprenante, il est peut-être plus curieux d'observer que seuls des person- nages appartenant à l'armée ont rendu hommage aux divers genil militaires. Des inscriptions qui nous ren-

1. C. I. Lat., II, 407o; III, 5935, 1344.3.

2. Id., II, 2634; III, 4357, 8173, 10306, IIUI ; YIII, 17621, 17626.

3. Id., YIII, 17623-17626.

4. Id., VIII, 2527, 2529, 2531, 2601 et suiv., 17621 et suiv. ; A7in. épigr., 1900, n. 127; cf. 1898, n. 12.

5. C. I. Lat., II, 2631, 5083.

6. Id., Vil, 103, 166, 432, 440, 510, 703, 704, 886? 1030, 1031, Eph. Epigr., VII, p. 280 n. 837 ; Inscr. graec. ad res lioman. pertin., I, n. 1.

7. C. I. Lat., XIII, 6680 et suiv.

8. Id., ibid., 5966.

9. Id., ibid., 7448 et suiv., 7494 et suiv., 7611, etc., etc.

10. Id., III, 4400, 11107 et suiv. ; Ann. épigr., 1905 n. 237, 242 (Carnun- tum); C. I. Lat., III, 4287, 10976, etc. (Brigetio); id., ibid., 3122, 4357, 10401 et suiv., (Aquincum).

11. LI., ibid., 1646, 749.3, 8173.

12. Id., ibid., 876, 995, 1019, 1338, 7626, 7631.

LE CULTE DES GENIES 461

seignent sur le culte de ces diviuités, près de soixante renferment des indications précises sur le rang social, la situation ou la fonction des dédicants; or ce sont tous des légats impériaux, des officiers, des sous-officiers, des sol- dats. 11 n'y a parmi les signataires de ces dédicaces et ex- voto ni un magistrat municipal, ni un prêtre des cultes offi- ciels, ni un AugustaUs. Que tel ait été le cas en Bretagne, le long du Limes germanicus ou dans la Mésie inférieure, on le comprend aisément, si l'on se rappelle combien la vie municipale y fut peu développée : mais à Lambaesis, à Mogontiacum, à Carnuntum, à Aquincum, à Apulum, une cité naquit et grandit auprès du camp légionnaire; l'impor- tance et la prospérité de ces villes restèrent toujours étroi- tement liées à la présence des troupes. Cependant le culte des genil militaires paraît y avoir été totalement inconnu. Il demeura le monopole de l'armée; il ne sortit point des camps, ni des garnisons. Ce fut sans doute en raison du caractère même des Genil. Le Genius d'une légion n'existait que pour cette légion, de même que le Genius d'une famille n'existait que pour les membres de cette famille. N'est-il point remarquable qu'aucun vétéran ne figure parmi les fidèles des Genii militaires? Ces fidèles sont tous des offi- ciers, des sous-officiers, des soldats en activité de service. L'un d'entre eux s'intitule optio dimissus * ; mais c'est au moment il prend sa retraite qu'il invoque le Genius de sa centurie ; il fait, pour ainsi dire, encore partie du corps militaire dont il veut honorer le genius. Un sous-officier de la legio III Augusta, envoyé en détachement à Vazaivi, s'adresse au genius de cette statio, lorsqu'il va la quitter et quitter en même temps la legio III Augusta pour la legio II Ualica ^ Sauf ces deux cas particuliers, tous les autres dédicants sont attachés, par des Hens très étroits, au moment ils témoignent leur dévotion, à la légion, à

\. C. I. Lat., VIII, 253L 2. Id., ibid., 17626.

462 CHAPITRE V

la centurie, à la cohorte, au détachement dont ils invoquent le gcnius.

Le culte des génies mihtaires demeura donc étranger à la vie religieuse des provinces latines ; il ne rayonna pas dans les ciiés qui naquirent autour des camps permanents; les vétérans ne remportèrent pas avec eux dans leur retraite ; à plus forte raison resta-t-il inconnu à la masse des populations provinciales.

6

Les gcnii individuels et domestiques, les genil pro- vinciaux et municipaux, les genil locaux, les gcnii militaires formaient, dans la religion de l'époque impériale, des groupes distincts. D'autres genii^ moins nombreux et qu'il est plus malaisé de classer, recevaient de même un culte. C'étaient d'abord des genii de corporations indus- trielles, par exemple un Genius collegi centonariorum \ divers Genii fabruni^ collegi fabrimi, corp[oris) faby^orum tignuarioruni ^ un Genius collegi focariorwn ^ un Genius naut[arum) \ deux Genii arenariorwn '; à la même caté- gorie peuvent être rattachés un Genius arenariorwn con- sislentiuui Col. A ng. Trevirorum ®, un Genius collegi scae- nicoruni', peut-être un genius Aerar{ioruni) Diarensiuni '.

1. C. I. Lat., XII, 1282 (Vasio).

2. Id., III, 1016 (Apulum), 8086 (Ratiaria); XIII, 1731 [Lugdununi) ; Ann. épigr., 1903, n. &i = C. I. Lat., III, 1124 (Sarmizegethusa).

3. Bramb., 2011 (Colonia).

4. CI. Lat., XIII, 6150.

5. /d., XII, 1815; XIII, 2839.

6. Ici., XIII, 3641.

7. Ici., III, 3423.

8. Id., XII, 2370. 11 nous semble que la lecture Genio Aerar[iorum) Dia- rensium est plus justifié par de nombreuses analogies que la lecture pro- posée au Corpus : Genio .4.era7-[ii) Diarensium. D'autre part est-il certain que l'entaille étroite, ménagée au pied de la statuette de bronze de ce genius, soit la fente d'une tirelire?

LE CULTE DES GÉNIES 463

D'autres groupements, qui portaient aussi le nom de col- Icgia, mais dont le caractère était différent, invoquaient également des genii : tels étaient les collegia Jiwentutis de Mogontiacum et des environs ', un coUegumi Peregr[ino- rwn] de la Germanie inférieure -, un collegium SalutarJ dans la Mésie supérieure % un collegium Aurelian{orimî?) à Lugdunum \ Signalons encore, comme genii de groupes plus ou moins officiellement constitués, un Genius Candi- datorum à Savaria % un Genius lib[e)^iorum) et servorum ■p[ubUcoruni) à Sarmizegethusa ^

Le commerce, VAnnone de Rome, le portoriuni iwbU- cum avaient leurs genii \

Enfin, pour terminer cette énumération, certains bâti- ments, même de simples places, passaient pour être proté- gés par un genius : on connaît des genii de curie ^ de greniers à blé \ de places publiques '", de marché ", de porte (?) '% de thermes *^ d'aire à battre le blé *\

La distribution géographique des documents, qui nous ont appris l'existence des cultes rendus à ces divers genii^ est sans caractère '\ Les provinces latines ont fourni presque toutes trois ou quatre dédicaces ou ex-voto ; mais

L CI. Lat., XIII, 6GSS, G-389, 7421; cf. III, 4179 (Virunum).

2. Braaib., II.

.3. Aim. épi<jr., 1904, n. 91.

4. Q. I. Lat., XIII, 1733.

5. Ici., III, 4152.

6. Ici., ibid., 7906.

7. Id., ibid., 3617, 4288, 7853; VIII, 7960; Ann. mgr., 1902, n. 122 = C. I. Lat., III, 7434.

8. C. I. Lat., YIII, 1548.

9. Id., II, 2991; Arm.épigr., 1901, n. 180.

10. C. I. Lat., XII, 1283 ; cf. XIII, 7261, 7335 et suiv.

11. Id., 11, 2413.

12. Id., YIII, 1629. Dans ce texte, la porte elle-même est divinisée. 1.3. Id., YIII, 8926.

14. Id., ibid.. 6.339.

15. Afrique, 6; Espagne, 2 ; Narbonaise, 4; Trois Gaules, 4 : Bretagne, 1 ; Germanie inférieure, 3; Germanie supérieure, 10; Xorique, I ; Pannonies, 4 ; Dacie, 4 ; Mésie, 3.

404 CHAPITRE V

aucune ne se détache nettement de l'ensemble à quelque point de vue que ce soit.

Quant aux dédicants, ils appartiennent en majorité aux classes les plus modestes de la société provinciale : esclaves impériaux, publics ou privés *, aflfranchis d'origine grecque ou orientale ^ simples soldats, sous-officiers ou vétérans \ On y rencontre peu de magistrats municipaux; les fonction- naires d'empire et les officiers sont tout à fait absents. Il est d'autre part facile de démontrer que dans maintes cités les fidèles de ces genil n'étaient pas originaires de la ville ils résidaient : à Lugdunum, le sévir L. Sext(ius) Eglectus \ le personnage appelé Claudius Myron ^ sont d'origine grecque ou orientale; il en est de même à Savaria, pour l'esclave nommé Daphnus \ à Apulum pour le sévir M. Au- relius Timon ', à Sarmizegethusa pour Publicius Anthus et Publicius Cletus ^ à Vienna pour Aurel(ius) Eutyches et Antfonius?) Pelagius ^ à Brigetio pour l'esclave Primitivus *", à Micia pour l'esclave impérial Félix '^ à Dimum, dans la Mésie inférieure, pour l'esclave Hermès '■.

Nous croyons être en droit de conclure que, sauf excep- tions ", le culte des gcnii divers, dont il est ici question, fut surtout célébré, dans les diverses provinces latines, par les éléments immigrés les pins modestes.

1. C. I. Lat., III, 4152, 4288, 7434, 7853, 7005; Ann. èpigr., 1901, n. 180.

2. C. I. Lat., II, 2991 (?); III, 1016; XII, 1283 f?), 1733, 1731, 1815.

3. Id., III, 3617 ; XIII, 7261, 7335.

4. Ici., XII, 1733.

5. Ici., ibid., 1734.

6. 7d., III, 4152.

7. Id., ibid., 1016.

8. Id., ibid., 7906.

9. Id., XII, 1815.

10. 7d., III, 4288.

11. Id., ibid., 7853.

12. Id., ibid., 7434.

13. Id., ibid., 1424, 8086; VIII, 1548; XIII, 28.39.

CHAPITRE VI

CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE LA DIFFUSION

DES CULTES ROMAINS ET GRÉCO-ROMAINS DANS LES

PROVINCES LATINES DE L'EMPIRE.

Dans les chapitres précédents, nous avons exposé, sous une forme analytique, les résultats de nos recherches sur les cultes romains et gréco-romains dans les provinces latines de l'empire. Il nous semble qu'en outre ces recherches ont mis en lumière plusieurs faits généraux, qu'il convient maintenant de signaler.

Les divers cultes, dont les traces ont été recueillies en plus ou moins grande abondance dans les provinces latines, n'y ont pas été partout également populaires. Il serait difficile d'en citer un, qui ait été célébré avec la même ferveur en Afrique, en Espagne, en Gaule, en Bretagne, sur les bords du Rhin et du Danube. Silvanus et le couple Liber-Libera furent surtout adorés dans l'Illyricum; les divinités chtho- niennes, appelées les Cereres, le furent à peu près unique- ment en Afrique ; les pays gaulois et gallo-germaniques furent la terre d'élection de Minerva, Mercurius, Apollo. Le culte des genii locaux fut principalement célébré en Bre- tagne, dans les Germanies et les Pannonies; celui des genii municipaux en Afrique et en Espagne. Nemesis, si fréquem- ment invoquée en Pannonie et en Dacie, fut à peu près inconnue dans les autres provinces. II est impossible d'ad- mettre que cette répartition^ dont l'inégalité est si nettement

46(3 CHAPITRE YI

maniuéo, soii puroinonl et simplement le fait du hasard. Les documents épigraphiques sont aujourd'hui trop nom- hreux pour que l'absence de tel ou tel culte dans telle ou telle province puisse s'expliquer par la pénurie de nos renseignements.

D'ailleurs, la diffusion sociale de ces divers cultes pré- sente exactement le même caractère. Des cultes rendus dans les provinces latines à des divinités romaines ou gréco-romaines, les uns recrutèrent leurs fidèles parmi les fonctionnaires, les olîiciers. les soldats, les agents divers de Tadministration impériale, ou encore parmi les esclaves etles affranchis venus de Grèce et d'Orient; d'autres furent célébrés de préférence par les magistrats et les prêtres des cités, par les membres les plus qualifiés de l'aristocratie municipale et provinciale; d'autres encore, au moins dans certaines provinces, revêtirent une physionomie plus popu- laire, et leurs adeptes furent surtout de petites gens, sans titres ni fonctions, dont les noms mêmes révèlent l'obsciu'e et modeste condition. Ici encore les différences sont trop accentuées, trop caractéristiques pour ne pas y voir l'ex- pression, au moins approximative, de la vérité historique. Cette inégalité dans la répartition géographique et dans la diffusion sociale des cultes constitue à nos yeux une preuve éclatante de l'abstention, de l'indifférence observées en pareille matière par le gouvernement impérial et par ses représentants dans les provinces. Cette abstention, cette indifférence étaient portées à un tel degré que l'exemple même, donné par les légats ou les procurateurs, n'était pas pas suivi autour d'eux. Telle divinité, invoquée par un haut fonctionnaire d'empire, ne recueille pas d'autres hommages que les siens dans la province qu'il administre, même dans la cité il réside. Et d'autre part, lorsqu'un culte est popu- laire dans une province, le gouverneiu' de la province ne flgiu'e pas parmi les fidèles : parmi les adoraletu's de Mercu- rius en Gaule, il n'a été encore rencontré ni un proconsul de Xarbonaise, ni un légal d'Aquitaine, de Lugdunaise, de

CARACTÈRES GENERAUX DE LA DIFFUSION DES CULTES 467

Belgi^iiie. De mémo, on clierchcrait vainement le nom d'un proconsul ou d'un procurateur impérial sur les inscriptions africaines qui se rapportent au culte de Ceres ou des Cereres. Dans les provinces, qu'occupaient des légions ou des corps auxiliaires, le culte des fjenil militaires ne s'est point répandu hors des camps. Ainsi, les divinités, auxquelles fonctionnaires et soldats adressaient leurs hommages, ne sont pas, en règle générale, devenues populaires dans les provinces qu'administraient ces fonctionnaires et ces soldats tenaient garnison. Les divinités, populaires dans certaines provinces, n'étaient point invoquées par les gou- verneurs de ces provinces, par les personnages qui repré- sentaient là même le gouvernement impérial. L'action offi- cielle parait donc n'avoir déterminé en rien la diffusion des cultes romains et gréco-romains dans les provinces latines de l'empire.

Cette diffusion, avec ses inégalités géographiques et sociales, s'explique par d'autres causes. Les fonctionnaires impériaux, l'armée surtout, ont joué un rôle prépondérant. Tels cultes, dont les traces les plus nomhreuses ont été relevées dans les provinces occupées mihtairement, dans les camps permanents, dans les postes échelonnés le long des frontières, ont leur succès dans ces provinces à la présence des troupes ; ils y ont été apportés parles officiers et par les soldats. Les procurateurs impériaux et leurs agents divers ont exercé ici et une action analogue. D'autre part, les affranchis et les esclaves, d'origine orien- tale et grecque, ont contribué à faire pénétrer dans quelques provinces, principalement en Espagne, en Narbonaise, en Dalmatie, en Dacie, plusieurs cultes gréco-romains. Ces éléments divers ont été, si l'on peut dire, les moteurs qui ont transporté du centre aux extrémités occidentales et septentrionales de Tcmpire maints cultes d'origine italique ou de caractère gréco-romain.

Mais leur action ne saurait expliquer tous les phénomènes que nous a révélés l'étude analytique des documents. Il y

468 CHAPITRE YI

a eu dans les provinces latines des cultes fort répandus, auxquels les fonctionnaires impériaux de tout ordre, les officiers, les soldats, les affranchis et les esclaves n'ont pris aucune part, sont demeurés indifférents. Pour la plupart de ces cultes, par exemple pour les cultes de Mars, de Minerva, de Mercurius, d'Apollo dans les provinces gauloises et ger- maniques; pour ceux d'Aesculapius, desCereres, d'Hercules, des gciiii municipaux en Afrique; pour celui des gcnii individuels et des Junones en Narbonaise; pour celui de Tutela au nord et au sud des Pj^rénées ; pour ceux de Sil- vanus, de Liber et Libéra en Dalmatie, Pannonie, Mésie et Dacie : nous avons indiqué, tantôt avec preuves à l'appui, tantôt à titre d'hypothèse vraisemblable et justifiée par de nombreuses présomptions, que la faveur, dont ils ont joui pendant l'empire romain, avait sa cause dans des circons- tances locales. Ces dieux et ces déesses, alors invoqués sous des noms latins, étaient en réalité d'anciennes divini- tés du pays. Malgré les vocables qui leur étaient donnés, malgré les images purement gréco-romaines sous lesquelles on les représentait, c'étaient bien moins des dieux et des déesses importés de l'Italie que des dieux et des déesses adorés dans la région mémo avant la conquête romaine. S'il nous est permis de nous exprimer ainsi, il se produisit, dans tous les cas de ce genre, un phénomène de greffe religieuse : le cidte, en apparence gréco-romain et italique, puisait par d'antiques racines toute sa vitalité dans le sol provincial. Ces deux séries de cultes, les cultes entièrement importés et les cultes simplement greffés, vécurent en parfait accord. Il n'existe, dans aucun document, la moindre trace d'une rivahté, d'une antipathie quelconque entre ces deux élé- ments distincts de la vie religieuse. Ici encore, comme en terminant l'étude que nous avons consacrée aux cultes officiels, ce qui nous frappe, ce qui, à nos yeux, caractérise l'histoire de cette seconde catégorie de cultes pa'iens, c'est la paix profonde qui régna au sein du paganisme, paix faite surtout de tolérance réciproque.

TABLE DES MATIÈRES

Pages.

Préface i

Introduction 1

L'histoire religieuse de l'empire romain ; son carac- tère, son intérêt I

Divisions géographiques du sujet i

Les divers cultes des provinces latines : leur

nombre, leur diversité ; essai de classification . . 8

Les sources, la méthode 11

Actualité du sujet traité U

LIVRE PREMIER Les cultes officiels 17

Chapitre premier. L'origine des cultes officiels .... 19

Le culte de Rome et de ses représentants en Grèce

et en Orient sous la République 19

Le culte de César vivant et mort, le culte d'Auguste

à Rome jusqu'en l'année 14 ap. J.-C 25

La diffusion des cultes officiels en Occident au début

de l'empire 29

Le culte de la Triade Capitoline et de Jupiter Opti-

mus Maximus sous la République ; son caractère. 33

Chapitre II. Le culte de la déesse Rome ; sa diffusion

dans l'empire; son caractère 37

470 TABLE DES MATIKRES

CiiAriTRE III. Le culte de la divinité impériale; ses

diverses formes 43

Le culte de l'empereur vivant 43

Le culte des divi 54

Le culte commun de Rome et de la divinité impériale. 62 Le culte des membres de la famille impériale et de

la domus Augusta 64

Les cultes connexes 70

Diffusion, répartition géographique, caractère de

ces divers cultes 74

Chapitre IV. L'organisation des cultes de Rome et de

l'empereur 77

Les provinces 77

Quehjues groupes de cités 07

Les villes 102

Les associations, corporations, collectivités diver- ses; les Augustales. 113

Les individus 124

Chapitre V. Les prêtres et les fidèles du culte impérial. 127

Les membres de l'assemblée provinciale et les prêtres provinciaux ; les prêtresses provinciales. 128

Les prêtres et prêtresses des conventus et autres groupements analogues 148

Les prêtres municipaux et les prêtresses munici- pales 152

Membres et prêtres des associations, corporations et groupements divers ; les Augustales et les Seviri 169

Les particuliers 175

Chapitre VI. Les Cultes Capitolins 181

Les Capitoles provinciaux 182

Le culte des divinités capitolines 190

Chapitre Vil. Le culte de .Jupiter Optimus .Alaximus... 195

Le caractère du culte ; les épitiiètes du tlieu 195

La diffusion géographique du culte 198

Les fidèles ; leur rang social 201

Le culte de Jupiter Optimus .Maximus dans les

régions gallo-germaniques 210

TABLE DES MATIERES 471

Chapitre VIII. Histoire et rôle des cultes officiels dans

l'empire 219

Les caractères généraux des cultes officiels 219

Les rapports des cultes officiels avec les autres

cultes païens 223

Les cultes officiels et les chrétiens 233

LIVRE II Les Cultes Romains et Gréco-Romains.

Chapitre I . Les cultes non officiels de Rome 239

Diverses catégories de ces cultes 239

Difficulté qu'il y a à déterminer dans certains cas

à quelle catégorie un culte appartient 242

Plan du livre II 243

Chapitre II. Les divinités et les cultes italiques et

romain s 245

Divinités et cultes divers, Janus, Vesta, etc 245

Le culte de Mars 252

Le culte de Silvanus 2G0

Collèges sacerdotaux, pi'êtres et rites 273

Chapitre III. Les divinités et les cultes du Panthéon

gréco-romain 283

Les divinités du ciel : Jupiter, Juno, les Venti,

Minerva, Mercurius, Apollo, Diana et leur cycle.. 283 Les divinités chthoniennes : Ceres, Proserpina,

Pluto, Liber pater et Libéra 338

Les divinités des eaux : Neptunus, les Nymphae. . . 372

Cultes divers : Venus, Vulcanus, Nemesis, etc 384

Cultes des héros : Hercules, Castor et PoUux 400

Chapitre IV. Les abstractions divinisées; Fortuna,

Victoria 413

Le culte des abstractions divinisées 415

Fortuna, Fortuna Redux 424

Victoria 433

Chapitre V. Le culte des Génies 439

472 TABLE DES MATIERES

Les divinités appelées Genii, Junones, Tutelae; leur caractère et leur diffusion dans les pro- vinces latines de l'empire 439

Les Genii privés, individuels et domestiques 445

Les Genii provinciaux, municipaux 448

Les Genii locaux 456

Les Genii militaires 459

lies Genii divers, de collèges, de corporations, d'édi- fices, etc 462

Chapitre VI. Caractères généraux de la diffusion des cultes romains et gréco-romains dans les provin- ces latines de l'empire 405

ADDITIONS ET CORRECTIONS

p. 26. Une inscription récemment découverte à Carthage, et que M. R. Gagnât a étudiée dans une communication à l'Académie des Inscrip- tions et Belles-Lettres, nomme un [flamen] Jalialis, [SJex. Appuleiu[s Sex. f. ..]... Comptes-rendus de l'Académie des Inscriptions, 1906, p. 470 et suiv.

P. 31. Note 2. —Ajouter : Plus récemment, dans les Beitrlige ziir alten Geschichte, Korneniann a combattu Topinion, à laquelle nous nous rallions. Les arguments de l'érudit allemand nous ont paru vraiment trop peu objectifs pour être pris en sérieuse considération [Beitrâge zur alten Geschichte, I, 1902, p. 124 et suiv.) L'auteur de cet article ne cite aucun des travaux qui ont été consacrés en France à l'inscription de Narbo. Il ignore ou parait ignorer les conclusions de Guiraud, Héron de Villefossc, Mis- poulet, Carretto, Beurlier.

P. 44. Note 1. Ajouter : Ephem. Epigr., IX, p. 102 n. 269 : Imp.

Aiigusto divi f. sacrum publiée (Aquae Flaviae, en Tarraconaise).

Note 2. Ajouter : Ti{berio) Augusto sacrum. Secc. Aelanius Pisinus d. s. p. d. : Comptes-rendus de l'Académie des Inscriptions, 1903, p. 358 et suiv.

P. 155. Note 10. Ajouter : à Thala, Bull, des Anliq., 1898, p. 116.

P. 158. Après A. Afrique Proconsulaire :

Carpis. Sextilius Marlialis flamen perpetuus aedilis [C. I. Lat., VIII, 993).

P. 233. Note 2. Ajouter : P. Monceaux, Histoire littéraire de l'Afrique chrétienne, t. III, p. 58.

P. 249, Note 10. Ajouter: A. Merlin, L'.4.ventin, p. 163 et suiv.

Le Puy, Imp. R. Marchessou. Peyriller, Rouchon et G.\mon, suce".

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