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l'cfté venu ,' il y gaigna contre eux encore vne bataille nauale J" Sur le fubicd de vcftir,le Roy de la M exique changeoit qua- tre fois par iour d'accoullremensjiamais ne les rciteroit , em- ployant fa desferre à Tes cotinuellcs libcralitez & recompcn- les:comme auffi iiifliois ny pot,ny plat, ny vtenfile de fa cuifi- nc,& de fa table ne luy cftoient feruis à deux fois.

. Ditieune Caton. Chap. XXXVII.

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-, fe^Trtfftt vertueuîe^: belles qui en portet le vilage.elle.s n'en ont ,^/.<£<...vw '-^'^^ >-paspourtant 1 eflencertar le ptont,la gJoire,la crainte,! accou^^^^^y %,, z/^- «^«Z •' a tumancc, & autres telles caufeseftrangcres nous aclu'minenc*'^>/^TJ^*^t^^ ; aies produire. Laiufticej la vaillance, bdcbonnairctc, que/<';^/^^;x^'''^^^"/ Tnous exerçons lors, elles peuuentcltiediéteGteîks, pour \3.]/7u.^ rcrr^tni^^;: confidcrationd'aurruy, ÔJduvifige qu'elles portent en pu-i2p

blic, mais chez l'ouurier ce n'eft aucunement venu : -fl y a y ne *^'^-a>*-^ «^z».-^^ '^"'['^

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LES ESSAIS

DE

MICHEL DE MONTAIGNE

rrBLIÉS D APRES I. EXEMPLAIRE DE BORDEAUX,

AVEC LES VARIAKTES MANUSCRITES & LES LEÇONS DES PLUS ANXIENNES IMPRESSIONS,

DES KOTES, DES NOTICES ET UN LEXIQUE.

VAK

FORTUNAT STROWSKI Professeur :idjoint à l'Université de Bordeaux

SOUS LES AUSPICES DE LA COMMISSION DES ARCH1\'ES MUNICIPALES

TOME PREMIER

BORDEAUX

IMPRIMERIE NOUVELLE F. PECH & C'

.M C M V I

.A/

.1

A MONSIEUR ALFRED DANEY

Maire de Bordeaux

Bordeaux, le iS avril i^Oj.

Monsieur le Maire,

Au temps de votre première Mairie, eu iSSy, la Commission de publication des Archives Municipales vous offrait le Tome premier des Inscriptions Romaines de Bordeaux, l'érudition de M. Camille JuUian faisait pieusement revivre la mémoire de nos ancêtres gallo-romains.

Dès les premiers mois de votre seconde Mairie, en iS<)2, vous demandiez à M. JuUian d'écrire une Histoire de Bordeaux depuis les origines jusq.u'en 1895. L'œuvre magistrale de Téminent professeur que la Faculté des Lettres se voit contrainte de céder au Collège de France a été publiée le i" mai i8<-}), au moment s'ouvrait notre Exposition Universelle. L'Histoire de Bordeaux se termine par cette phrase de conclusion : <( Aujourd'hui, eu face d'un État absolu et monotone, en jace d'idées internationales plus despotiques et plus froides encore, l'esprit municipal peut devenir, au même titre que la vie de famille et que l'amour du sol, la sauvegarde de la liberté et de la dignité humaines. »

Ces lignes, écrites en 18^^, n'ont, en k-Joj, rien perdu de leur vérité. Cette vérité, Monsieur le Maire, vous eu êtes pénétré, puisque, sur les instances unanimes de vos Collègues du Conseil Municipal, vous ave:^ consenti, en i')04, à vous remettre à la tête de l'Administration. Votre dévouonent êi << l'esprit municipal » ne vous a pas permis d'écouter les

VI

lâches propos de ïcpicuricu Horace, qui prétextait, pour ne plus descendre dans l'arène, les progrès de l'âge et le changement de ses dispositions d'esprit'. Vous vous êtes souvenu, au contraire, que le vieil Enfelle de /'Enéide jt'avait pas hésite, en des conjonctures son activité était nécessaire, à charger ses mains des cestes lourds, et qu'il n'avait renoncé à la lutte qu'après avoir réduit à l'impuissance ce présomptueux Darès, qui, dit le poète, « dressait sa tête aJlière, étalait ses larges épaules, déployait tour à tour ses deux bras, frappant l'air de coups redoid^lés » \

L'âge, sans doute, n'est plus le même non eadem est œtas que le i8 mai iSyi, alors que vous acceptie:^ pour la première fois de faire partie de l'Administration de notre ville; mais l'esprit « l'esprit municipal » est toujours le même, toujours aussi jeuiw, toujours aussi dévoué aux intérêts de Bordeaux.

Comme témoignage de cet esprit municipal qui nous anime tous et nous unit, la Commission de publication des Archives est heureuse. Monsieur le Maire, de vous ofrir, au début de votre troisième Mairie, le premier volume de /' <( édition muiricipale » des Essais de Montaigne, votre prédécesseur à l'Hôtel de ï'ille.

Il y a plus de deux mille ans, chacune des grandes cités de la Grèce continentale, des îles et des colonies, Chios connue Argos, Marseille comme Athènes, avait tenu à faire une rccension de /'Iliade. Ce furent les éditions municipales Q/.ol-.x ixç r.i'/.uç). Aucune d'elles ne réussit à être définitive, car il leur nuinquait à toutes de pouvoir se jonder sur un texte authentique. Plus heureuse que les anciennes cités helléniques, la l'ille de Bordeaux a le privilège de posséder les bonnes feuilles d'un exemplaire des Essais, corrigées par Montaigne lui-même en vue d'une édition nouvelle qui n'a jamais été publiée. C'est cette édition que la Commission de publication des Archives Municipales s'est chargée de préparer. La direction de cette œuvre difficile et délicate a été confiée à M. Strmuski, professeur adjoint

' HouACE, Kpitrcs, I, i, v. 3.

Virgile, Hnéidc, \', v. 375-379.

VIT

(/ la Facilite des Lettres, qui lia mciuigé ni sa jiiie habileté de critique, ni sou labeur acharné d'énidit, dans l'accomplissenienl d'une lourde tâche courageusement entreprise. L'éditeur a été utilement secondé par M. Bourcie^ professeur a la Faculté des Lettres, titulaire de la chaire miinicipale de Langues et Littératures du Sud-Ouest de la France, et par M. Courteault, successeur désigne de M. Jullian dans la chaire municipale d'Histoire de Bordeaux et du Sud-Ouest de la France. Les membres de la Commission ' ont tous collaboré à l'œuvre commune, soutenus dans un travail, souvent ingrat, par le souvenir de cet hémistiche du vieux poète bordelais Aiisone, qui a été. Monsieur le ALrire, la devise de toute votre vie municipale : Diligo Burdigalam.

Au nom de la Coininission de publication des Archives Municipales de Bordeaux, j'ai l'honneur de vous prier. Monsieur le Maire, d'agréer l'hommage de nos sentiments respectueux et dévoués.

H. DE LA Ville de Mirmont.

' La Coiiiiiiissioii de publication des Aiclnves Municipales se compose de :

MM. Louis DE Bordes de Portage, secrétaire général de l'Académie des Sciences, Belles- Lettres et Arts de Bordeaux, président de la Société des Bibliophiles de Guienne;

Edouard Bourciez, professeur ii la Faculté des Lettres de l'Université de Bordeaux;

Raymond Céleste, conservateur de la Bibliothèque municipale, membre de l'Académie;

Paul Courteault, professeur au Lycée, secrétaire général de la Société des Arctnves Historiques de la Gironde ;

Ariste Ducaunnés-Duval, conservateur des Archives Municipales, membre de l'Académie, vice-président de la Société des Archives Historiques, trésorier de la Société des Bibliophiles ;

Francisque Habasque, président de Chambre honoraire à la C^our d'Appel, président de la Société des Arctnves Historiques ;

Camille Julliax, professeur à la Faculté des Lettres, membre de l'Académie;

Gustave Labat, membre de l'Académie, vice-président honoraire de la Société des Arctnves Historiques ;

Henri de la Ville de Mirmont, professeur à ta Faculté des Lettres;

Marcel Marion, professeur à la Faculté des Lettres, membre de l'Académie, membre du bureau de la Société des Archives Historiques ;

Fortcnat Strowski, professeur adjoint à la Faculté des Lettres.

INTRODUCTION

L'ÉDITION MUNICIPALE DES « ESSAIS >>

Éditions des « Essais » publiées par Montaigne.

Au commencement de Tannée 1371, Michel de Montaigne, qui venait de vendre sa charge de conseiller au Parlement de Bordeaux, se retira dans son château de Montaigne.

Cette retraite, il la consacrait à sa liberté, à sa tranquillité, à son

repos : LIBERTATI SV^E TRAXaVILLITATiaVH ET OTIO DICAVIT'.

11 travailla en effet pendant neuf ans à conquérir, dans des temps troublés, parmi les passions religieuses et politiques, la liberté de l'esprit et la tranquillité de l'âme.

Montaigne eut quelque peine à s'habituer à la solitude; elle produisit en lui une « humeur mélancolique », et, pour la dissiper, il se mit en tête d'écrire. Sur le récit d'un apothicaire, sur un mot lu dans Plutarque, sur une anecdote des guerres d'Italie, sur tous propos, il « essave ses facultés naturelles » ; et, à la façon dont il discourt et dont il juge, nous suivons les changements de ses «conditions et humeurs», et les progrés de sa sagesse; à la vérité,

' Inscription de la bibliothiique de Montaigne.

X IXTRODUCTIOX.

il ne se peint pas : il vit devant nous. Ainsi il se trouve avoir été la « matière de son livre ».

Montaigne fit imprimer ces Essais à Bordeaux, en deux livres, chez Millanges, en 1580. Il ne les avait pas laissés dans leur ordre de composition : avec un art subtil et délicat, il diversifie les chapitres et il en rompt la suite chronologique. Chaque k Essai », en revanche, est d'une construction solide et nette; il n'y a point de grossièretés, ni de confidences indiscrètes. Un style «artiste», comme dit Montaigne, un stvle tout nourri de citations d'Amyot, ou de traductions de Sénèque, en même temps qu'une singulière élévation morale, donne du prix à ce livre, d'une inspiration à la lois stoïcienne et pyrrhonienne, l'histoire du temps tient beaucoup plus de place que les souvenirs de l'antiquité.

En 1 382, puis en 1587, Montaigne réédite les Essais. 11 en corrige çà et des phrases, il y ajoute quelques réflexions, qui se rapportent à ses vo\ages et aux remèdes de la « colique pierreuse » dont il souffre; il proteste de sa parfiiite soumission à l'Eglise catholique. Mais les éditions de 1382 et 1387 sont bien le même ouvrage que les Essais de 1380.

11 en va tout autrement de l'édition qu'il donna en 1388.

De 1580 à 1388, la vie de Montaigne a bien changé; il a tait à travers l'Allemagne, la Suisse, l'Italie, un long vovage; il a été maire de Bordeaux pendant quatre ans, il a vu un redoublement de la guerre civile, de l'anarchie et des passions politiques; il a joué un grand rcMc dans la crise provoquée par cette mort du duc d'Anjou qui laissait Henri 111 sans un parent direct, le trône sans un héritier nettement désigné. 11 ne s'agissait plus seulement d'affermir son âme contre des maux possibles, et d'apprendre à « bien mourir et à bien vivre ». A ce même moment, Du Vair écrivait à un ami : « Réser\e/ le dessein de vivre en solitude et vous retirer au repos, lorsque tous ensemble nous aurons amené le navire au port, ou que, vaincus par l'opiniâtre imprudence de ceux qui se veulent perdre.

INTRODUCTION. XI

nous nous serons sauvés sur quelque table de naufrage. » Montaigne était sorti de la solitude et du repos. Il va nous dire maintenant à quels devoirs nouveaux il sest vu obligé, quels principes ont gouverné sa politique, quelle fut la régie et l'inspiration de sa conscience; et c'est très beau. En même temps, et comme par rançon, il se laisse aller à la tendance de son temps et au penchant naturel de son esprit : il parle beaucoup de lui et d'une fiiçon quelquefois indiscrète; il se complaît à se regarder lui-même. Il cite davantage les anciens; il répand à profusion ses notes de lecture. Enfin son imagination moins sévère s'abandonne un peu trop. Vieux, à l'abri des passions, et « tombé de l'excès de la gaieté en celuv de la sévérité », il tâche, pour être « maître de luv à tous sens », de s' « csbatre en des pensements fols et jeunes ».

Tel est l'apport de 1588.

Dans l'édition de 1 388, cet apport s'ajoute au fonds de [580-82-87, et il s'y mêle; il forme d'abord dans l'ouvrage total un troisième Hvre qui a les mêmes proportions que les deux premiers; puis il s'insinue sous forme d'additions plus ou moins importantes dans le corps même des deux premiers livres, désarticulant les chapitres, coupant la suite des idées, confondant deux inspirations, deux problèmes et deux hommes. L'édition de 1 3 88, plus riche, plus \ariée, plus profonde que les éditions de 1380-82-87, est obscure pour le lecteur qui veut y chercher une pensée systématique, mais pleine de clarté pour le lecteur qui sait, en distinguant les apports, discerner les mouvements divers, la « volubilité » d'une pensée vivante.

L'Exemplaire de Bordeaux.

Après l'année 1388, la santé de Montaigne le condamne à la retraite. L'heure du recueillement était venue. Les témoins de ses dernières années, Pierre de Brach et Florimond de Rxmond, disent qu'elles furent pleines de résignation et de gravité. Cependant,

XII INTRODUCTION.

quoiqu'il ait renonce à bien des choses, Montaigne ne renonce pas à ses Essais. Il continue à les augmenter et à les égayer.

Il avait avec lui les bonnes feuilles de l'édition de 1388; il les relisait, il les corrigeait minutieusement, il en chargeait les marges d'additions manuscrites, il corrigeait ces additions à leur tour avec le même soin méticuleux, il les enrichissait d'autres additions, indéfiniment. Que le lecteur veuille bien se reporter à l'héliogravure par laquelle s'ouvre ce volume, il verra une de ces feuilles. Il y suivra le travail de Montaigne.

Montaigne relisant cette page le recto du folio 96 et voyant que le mot « autruy » est répété deux fois à deux lignes d'intervalle, le remplace une des deux fois par « un autre ». En même temps il s'arrête à ce passage : « Rampant au limon de la terre, je ne laisse pas de remerquer la hauteur d'aucunes âmes héroïques. C'est beaucoup pour mov d'avoir le jugement réglé si les effets ne le peuvent estre. » Il .s'aperçoit qu'il n'en dit pas assez; s'il « remerque » la hauteur d'aucunes âmes héroïques, il remarque aussi « par quel moien elles s'v sont montées, quel tour elles se donent pour s'eslever ». Il l'écrit, et du même coup il ajoute qu'il n'admire ainsi que les âmes nobles, d'où il conclut : « J'ay et reconois en mon ame les semances de tous ces mouvemans. » Plus tard, en se relisant, il n'est pas satisfait de sa phrase. «Tous », c'est trop dire maintenant, et il efface « tous »; mais il remplace « mouvemans » par « progrès », qui est plus précis.

Les semaines .se passent, peut-être les mois. Montaigne a changé de plume, d'encre et d'idée. Il efface cette addition manuscrite il affirmait la noblesse de son âme. A la suite, à la place, il écrit un long développement, 011 il fait profession de dilettantisme. « Pour me sentir engagé a une forme, je n'y oblige pas le monde, come

chacun fiiict, et crois et conçois mille contreres façons Pour

n'estre continant je ne laisse d"ad\-ouer sinceremant la continance des

INTRODUCTION'. XIII

Feuillens et des Capuchins Je minsinue par imagination fort bien

en leur place. » C'est explicite. Pourtant Montaigne (un peu plus tard, comme le montre la différence des encres) y revient pour écrire : « Et si les aime et les honore d'autant plus qu'ils sont autres que moi. »

Dans le haut de la page les additions manuscrites sont d'une autre sorte. Ce sont des récits. En feuilletant Tite-Live, Montaigne }- voit les souffrances des Romains « au combat qu'ils eurent contre les Carthaginois prés de Plaisance ». 11 les transcrit, en travers, dans la partie encore libre de la marge gauche. Une autre tois, il trouve dans Xénophon le tableau de souffrances analogues; il joint ce récit au précédent. Comme la place lui manque, il écrit, non à la suite, mais dans la marge supérieure, reliant les deux fragments par un double X qui lui sert de signe de renvoi. Et ainsi du reste.

Entre temps il ajoute des citations, des réflexions brèves, il lait des corrections patientes. Il reprend par trois tois la première phrase du chapitre xxxnii, et il n'est satisfait qu'à la quatrième fois. Il met deux points à la place d'une virgule, et un point à la place de deux points; il remplace des minuscules par des majuscules. Une faute d'impression a pourtant échappé à son attention : à la ligne 26 on lit « ptofit » pour « profit » ; il ne la corrige pas. 11 ne l'a pas vue. D'ordinaire il voit ces fautes et il les corrige.

Cette page permet de juger des autres : toutes ne sont pas ainsi chargées, toutes ont été revues minutieusement par Montaigne.

Dans ce travail il se révèle écrivain difficile et consciencieux : il évite les moindres négligences de style; il y a des corrections d'orthographe qu'il fiiit systématiquement; il a, jusqu'à l'excès, le souci de rendre avec exactitude sa pensée, et s'il substitue un mot à un autre, quelquefois c'est pour éviter une répétition, c'est le plus souvent pour mieux traduire sa pensée qui a changé.

XIV IXTRODUCTIOX.

La pensée continue en effet à changer; ce qui préoccupe à cette heure Montaigne, c'est de juger et de rectifier de rectifier en le contredisant ce qu'il a dit autrefois. Le nouvel apport de ces quatre années de travail pourrait s'intituler : Montaigne, juge de Montaigne. Comme s'il se trouvait trop tendu jadis, trop volontaire, trop stoïcien, Montaigne affecte à cette heure un abandon, un épicuréisme il entre beaucoup d'humour.

Ces feuilles précieuses, Montaigne a travaillé pendant quatre ans, ne furent pas envoyées à l'imprimeur. Montaigne mourut avant de s'en être séparé. Sa veuve en fit don aux Religieux Feuillants. Le corps de Montaigne reposait dans leur église; son livre reposa dans leur bibliothèque. A la Révolution, ce trésor inestimable passa, avec le fonds des Feuillants, à la Bibliothèque municipale de la Ville de Bordeaux. Au xvni^' siècle, on ne sait si ce fut avant ou après cette translation, les feuilles furent reliées, et malheureusement l'ouvrier les rogna, taisant disparaître des mots et des fragments de mots, voire des lignes entières.

C'est r « Exemplaire de Bordeaux ».

L' « Art de lire l'Exemplaire de Bordeaux ».

Ce n'était pas pour lui seul que Montaigne rédigeait ses dernières pensées et revovait ses phrases : c'était pour le public. Et ce n'était pas pour son secrétaire ou pour un copiste, qu'il écrivait si soigneusement et si lisiblement ses corrections ou ses additions : c'était pour l'imprimeur. Pour l'imprimeur il recopiait dans la marge, en les disposant comme il convient, des vers imprimés en 1)88 dans le texte, comme de la prose. Pour l'imprimeur il diversifiait à l'infini les signes de raccord et de renvoi; on en voit de curieux exemples dans notre héliogravure. Pour l'imprimeur il notait, et à diverses reprises, sur le verso du titre, quelle orthographe,

INTRODUCÏIOX. XV

quelle ponctuation il taudrait suivre, et quels soins le correcteur devrait prendre.

Aussi ne taut-il pas croire que ces pages soient un brouillon. Montaigne s'y reprend souvent, mais ce n'est pas à la manière des gens qui hésitent sur le mot ou sur l'idée. La formule est tout arrêtée dans sa tète ou vraisemblablement dans un brouillon ; il la transcrit posément sur les marges de l'exemplaire de 1388. S'il efface et s'il corrige, c'est qu'il a trouvé ultérieurement une nouvelle formule, complète, achevée elle aussi, et arrêtée. Et à l'avance il combine la disposition matérielle de ses corrections : il conservera telle partie de mot, il utilisera telle lettre, ou tel jambage. Au folio loi (l'édition de 1)88 est numérotée par folio et non par page), Montaigne avait écrit « luy voir user », et il veut substituer à cette formule la suivante : « le sçavoir avoir usé »; de « luy » il fait « le »; dans l'interligne il écrit le mot « sçavoir »; devant « voir » il introduit habilement un a et il efflice l'r de « user ». Combinaison vraiment économique.

Cette minutie et cet ordre semblent s'être tournés en habitude et presque en manie. Les procédés de Montaigne sont constants. Et cette constance nous permet de distinguer avec une sûreté toute scientifique les différentes rédactions et la suite du travail de Montaigne.

Montaigne se sert d'un seul trait, ou d'un double trait continu, pour effacer plusieurs mots qui se suivent. Si le trait n'est pas continu, la correction a été faite en deux fois ; il y a donc eu deux variantes. Le trait est tracé très proprement, le mot barré n'est jamais illisible; presque toujours il est lisible fort aisément.

La chronologie des différentes additions est également marquée, sans parler de la différence des encres et des écritures', par des

' L'écriture de Montaigm.', d.uis le court tsp;icc de quatre ans, a eu bien des variations. (\'oir le spécimen 111 de la planche III.)

XVI INTRODUCTION.

signes certains. La graphie cesse-t-elle d'être régulière, les lignes sont-elles à la fin plus tassées : ce n'est pas un caprice, c'est que la place au dessous était déjà prise, et l'addition qui occupe cette place inférieure est donc une addition antérieure. De même une addition n'est pas en face de la ligne elle doit s'insérer, comme il arrive folio 96 sur le passage : « Pour me sentir engagé... » Cette dérogation à une habitude prouve elle aussi que la place était prise.

En multipliant ces observations, l'éditeur moderne se constitue une méthode, un « art de lire l'Exemplaire de Bordeaux. ».

L'Edition Municipale des « Essitis».

La Commission des Archives Municipales publie aujourd'hui intégralement, texte et variantes, l'Exemplaire de Bordeaux.

Le texte d'abord. L'Exemplaire de Bordeaux est lait d'un fonds imprimé et d'additions ou corrections manuscrites. Cette différence est maintenue dans notre édition, nous nous servons de caractères romains pour reproduire la partie imprimée, et de caractères italiques pour les parties manuscrites. Dans ces parties manuscrites elle-mêmes, il y avait des arrêts et des reprises : tantôt des développements, tantôt de brèves réflexions, tantôt une série de réflexions distinctes, écrites à de longs intervalles. Ces arrêts et ces reprises sont marqués d'une façon tangible par l'alinéa. Chaque fois que dans une suite en italiques le lecteur sera arrêté par un alinéa, c'est que Montaigne s'était arrêté là. D'ailleurs, pour appliquer aux parties imprimées la même méthode, nous distinguons l'apport particulier de 15,88 du fonds de 1380-87, en mettant dans la marge A lorsque commence le tonds 1380-87, et lorsque commence l'apport 1588.

Passons aux \ ariantes : elles comprennent tout ce que Montaigne a effacé. enct)re nous nous servons exclusivement des caractères romains pour l'imprimé, des italiques pour le manuscrit, et nous

INTRODUCTION. XVII

donnons à part ce qui est du texte de 1 588, à part ce qui est nouveau et manuscrit. Pour ces dernières variantes, le lecteur trouvera du Montaigne inédit, il a fallu user de deux systèmes : nous l'avons dit, chaque variante constitue d'ordinaire une rédaction complète, et que Montaigne, à un moment donné, a considérée comme définitive; c'est une variante ordinaire; mais outre cela il y a des «repentirs», rédactions incomplètes, mots inachevés, que Montaigne efface au moment même il les écrit, pour continuer d'une autre manière sa phrase. Ces « repentirs » sont représentés ici par des caractères italiques barrés.

Les variantes sont disposées suivant les règles habituelles, le premier et le dernier mot de chacune d'elles la raccordent au texte. Seuls les « repentirs » en caractères barrés ne tiennent au texte que par le premier mot.

Nous avons naturellement reproduit 1' « orthographie » de Montaigne : elle est à la fois très constante sur certains points importants, et, sur d'autres, très capricieuse; à la même ligne on trouvera « inutille » et «inutile», «fouuant» et «fouuent». Mais malgré tout elle est plus claire, et souvent plus moderne, que l'orthographe des imprimeurs de son temps. Nous avons de même respecté l'orthographe du texte imprimé. Si ce n'est pas celle de Montaigne, c'est du moins celle qu'il a acceptée, puisqu'il sait bien y corriger les mots qui lui déplaisent. Pour le même motif, nous donnons les citations grecques telles quelles avec leurs barbarismes et leur accentuation bizarre'.

Seule la ponctuation de Montaigne ne sera pas reproduite ici. Elle est certes curieuse et significative, mais tellement éloignée de notre

* Les corrections manuscrites d'orthographe et de ponctuation sont réunies dans un appendice à la fin de chaque volume. Nous introduisons partout les apostrophes que Montaigne oublie souvent. Dans le texte imprimé nous distinguons et à de ou et a. Nous ne corrigeons les fautes d'impression du texte de 1588 que lorsqu'elles sont tout à fait grossières et, partant, non douteuses, comme « ptofit » pour «profit».

XVIII INTRODUCTION.

usage que nous avons cru devoir en traduire les indications dans une ponctuation plus moderne, comme l'ont fait tous les éditeurs de Montaigne.

De cette façon notre édition n'est pas seulement celle les qualités de l'écrivain et de l'artiste se trahissent le mieux, se discerne sans peine le mouvement de la pensée et l'image vivante de l'homme; ce n'est pas seulement le testament littéraire de Montaigne, c'est un document capital pour l'histoire de la langue, de la grammaire et de l'orthographe françaises à la fin du xvi--' siècle.

Le texte et l'appareil critique formeront trois volumes, un quatrième volume contiendra une biographie et une bibliographie critiques, un lexique et des notes. Ces notes auront pour objet : i"^ de déterminer, lorsqu'il sera possible, la date de composition de chaque «Essai»; 2*^ d'indiquer les sources de Montaigne; d'expliquer les allusions historiques. En plus, chacun des trois premiers volumes donnera, à la suite du texte, les variantes significatives des plus anciennes impressions, 1580-82-87. On y trouvera aussi les leçons les plus importantes de l'édition de 1593.

Ce dernier point mérite quelque explication.

L'Édition de i)^).

Le texte des éditions courantes des Essais a pour base l'édition posthume que M"« de Gournay donna en 1595.

Aussi longtemps qu'on n'a connu l'Exemplaire de Bordeaux que par la copie de Naigeon, on a cru qu'il n'était qu'une manière de brouillon sans valeur, et que M"'-' de Gournay avait disposé d'un autre manuscrit, sérieux celui-là et définitif. M. R. Dezeimeris a montré que cette opinion était erronée. Une comparaison minutieuse de l'Exemplaire de Bordeaux avec l'édition de 1395 confirme, et, sur certains points, précise les conclusions de M. Dezeimeris.

M"*-" de Gournay a établi son édition d'après une copie de notre

INTRODUCTION. XIX

Exemplaire. En voici deux preuves entre mille. Montaigne écrit « des montagnes d'arène »; ayant oublié un mot, il met après « arène » un signe de renvoi qui ressemble à une s; le copiste s'y trompe, et l'édition de 1595 imprime « arènes ». Ailleurs, Montaigne écrit sans ponctuation toute une série d'adjectifs; l'édition de 1595 sépare ces adjectifs par une virgule, c'est régulier; mais au milieu de ces virgules, brusquement elle met deux points. C'est qu'à cet endroit précis, dans notre exemplaire est un point imprimé, le point qui surmonte un / de la signature. Le copiste a cru que ce point était de la main de Montaigne et traduisait une intention; il l'a noté, et l'édition de 1595 a reproduit à sa manière cette faute de lecture. Elle a donc bien pour base l'Exemplaire de Bordeaux.

Nous aurons en conséquence le droit de nous servir d'elle pour restituer les fragments que le relieur maladroit a rognés. Elle nous aidera encore à restituer d'autres fragments plus longs, inscrits sur des morceaux de papier aujourd'hui perdus, sur des « brevets » que Montaigne avait insérés çà et dans ses feuillets, et dont on reconnaît le raccord, la place, et jusqu'au pain azyme qui fixait le « brevet » sur la page. Mais avons-nous le droit de demander davantage à l'édition de 1 3 9 5 ? Quel compte faut-il tenir des différences nombreuses qu'on trouve entre elle et notre manuscrit?

Pas mal d'omissions, transpositions et changements, particuliers à l'édition de 1595, sont des fautes visibles du copiste ou de l'éditeur; la critique verbale les dénonce, il nous suffira d'en signaler, au passage, les plus caractéristiques.

Des transformations et des additions plus importantes doivent encore être mises au compte du copiste ou de l'éditeur, et par conséquent n'ont point de valeur pour nous; celles-ci sont voulues; elles ont pour objet de rendre le style de Montaigne plus correct ou plus moderne, de corriger une tournure elliptique; de réparer un oubli; quelquefois d'atténuer une allusion trop directe, ou un jugement trop sommaire.

XX INTRODUCTION.

Restent des additions et des rédactions qui ne peuvent appartenir à l'initiative de l'éditeur; il y en a de toutes sortes : ici un détail ajouté, ailleurs un récit bouleversé, ou bien tout un chapitre transposé. D'où viennent ces changements ?

L'Exemplaire de Bordeaux n'étant qu'une mise au net, les gens qui ont eu en main les manuscrits de Montaigne, c'est-à-dire son ami Pierre de Brach, sa veuve, sa fille, ont retrouvé sans doute des brouillons, et sans doute aussi des projets de futures corrections. N'est-il pas arrivé plus d'une fois à Montaigne, dans notre Exemplaire, de reprendre un passage qu il avait bel et bien biffé'? Peut-être dans ses papiers indiquait-il de même de recourir à tel ou tel brouillon, qu'il avait mis en réserve. C'est axcc ces indications probablement que l'éditeur de 1393 a refait, sur certains points, le texte de l'Exemplaire de Bordeaux.

A ce titre, ces leçons de l'édition de 1595 sont précieuses; elles devaient trouver place dans notre édition; nous les avons signalées, sou en note au bas des pages, soit dans le commentaire qui termine chaque volume.

L'édition que nous publions ici a profité des éditions de MM. Motheauet Jouaust pourletextede i388et pour le commentaire; Courbet et Royer pour le texte de 1393 et pour toutes les variantes. Mais nous avons à remercier particulièrement trois savants bordelais.

M. Reinhold Dezeimeris a depuis longtemps étudié et précisé les conditions auxquelles devra répondre toute édition vraiment scientifique et complète des Ess.\is. En plus, il a donné, avec M. Barckhausen, une réimpression de l'édition de 1 380 enrichie des variantes de 1 382 et 1 387 : un chef-d'œuvre d'exactitude et de goût ; pour nous c'était un modèle. M. Cagnieul, sous-bibliothécaire de

' Wiir plnnchc III, spécimen II.

INTRODUCTION. XXI

la Bibliothèque municipale, avait été charj^c par la Municipalité d'établir une copie tigurée de notre exemplaire. Ce n'est pas lui qui a le premier lu les variantes, elles avaient déjà été déchiffrées, et par M. Routhier, pour l'édition Courbet et Rover, et par M. Manchon pour la future édition Guizot'. Mais outre que M. Cagnieul a mieux lu que ses devanciers les variantes et les ratures, il est le premier qui les ait classées méthodiquement, qui ait démêlé leur succession, qui ait hxé la méthode et établi cet « art de lire le manuscrit de Montaigne » dont nous avons parlé. C'est un initiateur et un maître. La copie tigurée, qui est en bonne voie d'achèvement, est à la fois fidèle, pénétrante et ingénieuse. Elle a servi à contrôler la nôtre, et l'accord à peu près constant des deux transcriptions fiiites séparément est une garantie pour le lecteur. M. Barckhausen, professeur honoraire de l'Université de Bordeaux, s'est intéressé à notre travail; l'émincnt éditeur des Lettres pers.\nes a bien voulu nous prodiguer les bienveillants conseils d'une très haute compétence.

Remercions aussi notre plus intime collaborateur, M. Elies, qui a composé de bout en bout tout ce premier volume. M"^' de Gournay disait dans la préface de l'édition de 1636 : « Ce livre est en vérité d'une correction très particulièrement difficile, en sorte qu'un compositeur et un correcteur ordinaires v perdent leur Ourse. » Avec le temps la difficulté s'est accrue, il a fallu toute l'habileté et toute lintatigable attention de M. Elies pour en triompher. Il a été secondé par l'excellent correcteur qu'est M. Moésan. D'ailleurs nous avons trouvé auprès de M. Pech et dans la maison qu'il dirige, les traditions d'aménité, de dévouement et de savoir, qui depuis le xvi*" siècle sont l'honneur des imprimeries bordelaises.

11 y a bien des années que le projet d'une Edition Municipale des

' La très belle copie de Manchon est entre les mains de .M. Auguste Salles, qui a bien voulu non seulement nous communiquer quelques leçons fort curieuses, mais encore revoir lui-même une bonne partie de nos épreuves. Nous avons eu plus d'une fois recours à son 2;oCit et à sa science.

XXII INTRODUCTION.

Essais, publiée par la Ville de Bordeaux à la gloire de Montaigne, avait été conçu. Mais après plusieurs échecs il avait été comme abandonné. L'adjoint au Maire délégué à l'Instruction publique, qui préside la Commission de publication des Archives Municipales, et qui joint à l'autorité de ses hautes fonctions l'autorité personnelle qu'il doit à son talent, à l'étendue de son érudition et à ses beaux travaux, a repris avec M. Camille Jullian l'idée abandonnée. Ayant publié lui-même magnifiquement la Moselle d'Ausone, il connaît toute la science difficile d'éditer un texte. Il a fait revivre le projet de l'Édition Municipale, il en a surveillé l'exécution; il a maintenu inflexiblement ce travail, auquel il a pris une part très active, dans les limites de la clarté, de la simplicité, de la rigueur scientifique. Enfin le Tome I"-'"' paraît aujourd'hui.

Montaigne disait de son livre : « Je ne dresse pas ici une statue à planter au carrefour d'une ville, ou dans une égUse ou place publique, c'est pour le coin d'une librairie, pour en amuser un voisin, un parent, un amy, qui aura plaisir à me racointer & repratiquer en cette image. » La statue au carrefour de sa ville, ^Montaigne la possédait. L'image intime à mettre en une bibliothèque, la voici, digne, non du coin, mais de la place d'honneur, grâce à la noble générosité de la Ville de Bordeaux et de la Municipalité bordelaise, grâce à l'énergique et tenace volonté de M. de la Ville de Mirmont, professeur à l'Université de Bordeaux, adjoint au Maire, et président de la Commission de publication des Archives .Municipales.

r. Strowski.

Qu'il me soit permis d'exprimer nia profonde reconnaissance au Président, aux Membres de la Commission des .\rchives .Municipales, surtout à .M. Ducaunnès-Duval, à .M. de Bordes de Portage, à M. Paul Courteault, à M. Camille Jullian. Tout est leur dans cet ouvrage, il n'y a rien de mien que « le fil et l'éguille ». Je nomme à part M. Bourciez, qui a été pour ainsi dire ma conscience vivante. Il n'y a pas une ligne de ce livre que je ne lui aie soumise, sauf celle-ci. Je voudrais mettre dans le remerciment que je lui adresse, une nuance particulière de respect et d'affection.

V. S.

INDICATIONS ET SIGNES

TEXTE

Le caractère romain représente le texte de l'édition de 1588.

Le Cdractcrc italique les corrections et additions manuscrites.

La lettre A dans la marge indique la ligne commence le fonds 1580-87.

La lettre B l'apport 1588.

Lorsque le commencement ne coïncide pas avec un alinéa ou un point, il est indiqué par un astérisque (*).

Dans une suite en italique, les alinéas indiquent les arrêts et reprises du manuscrit.

Les lettres ou mots rognés, restitués d'après l'édition de 1595, sont mis entre crochets; on n'a pas indiqué les restitutions d'une ou deux lettres, à moins de doute.

APPAREIL CRITIQUE

Le caractère romain représente les variantes qui faisaient partie du texte de l'édition de 1588.

Le caractère italique représente les variantes manuscrites.

L'italique ham représente les « repentirs » .

Les variantes sont groupées sous les titres : Texte 88 et Var. ms.

Les variantes d'un même passage sont classées par ordre chronologique et numérotées : 1°, 2°, etc.

On a reproduit exactement dans les variantes la ponctuation de l'Exemplaire de Bordeaux.

ERRATA

p. 117, 1. 13, au lieu de parce Usez par ce

P. 181, 1. 18, Montaigne a corrigé fames (Texte 88) par f('mes

P. 202, i. 24, lisez fouuiene

p. 228, 1. 24, lisez corne

p. 240, 1. 2, Var. ms. au lieu dt force Q) ]hez Jorge

AV LECTEVR.

Cdl icv vn liurc de bonne tov, lecteur. 11 t'aduertit dés l'entrée, que ie ne m'y luis propolé aucune tin, que doniertique & priuée. le n'y av eu nulle conlideration de ton feruice, nv de ma gloire. Mes forces ne font pas capables d'vn tel delTein. le Fav voué à la 5 commodité particulière de mes parens & amis : à ce que m'avant perdu (ce qu'ils ont à faire bien tort) ils v puiflent retrouuer aucuns traits de mes conditions & humeurs, & que par ce moven ils nourrirent plus entière & plus vifue, la connoilfance qu'ils ont eu de mov. Si c'eurt ert;é pour rechercher la faueur du monde, ie me [o tufle miens pure el me presiiiiteivis en une iiunrbe eshuliee. le veus qu'on m'y voie en lîia façon fimple, naturelle .ic ordinaire, lans eonUintiou ik artifice : car c'eft mov que ie peins. Mes défauts s'y liront au vif, îx ma forme naïfue, autant que la reuerence publique me l'a permis.

Texte 88. lo) fullc parc de bcautcz ciiipruntccs, ou me luli'c tciulu & bande en ma meilleure dcmarcliL.' ii) lans ellude & artifice 12) vit, mes imperlec- tidns & ma

1 .\vnnt Je refaire celle plir.ise, .Montaigne s'était contenté J'eHacer : & bandé

2 HSSAIS DE MOXTAIGXE.

Que 11 iV'ulTo clK' ciilir ces nations qu'on dict viurc encore l'ous la douce liberté des premières loix de nature, ie taffeure que ic m"v fuiïe trel-volontiers peint tout entier, 6c tout nud. Ainlî, lecteur, ie iuis moy-melmes la matière de mon Hure : ce n'eft pas railon que tu employés ton loilir en vn fuhicct tViuole 6c H vain. A Dieu donq, de Montaigne, ce premier de Mars mille eiiiq eeiis qmiltre iiiiis.

Texte 88. i) cftij p.irniy ces 6) ce 12. luin. 1588. Var. >rs. 6) Murs ijSo

ESSAIS

DE

MICHEL DE MONTAIGNE.

LIVRE PREMIER.

Chapitre I.

PAR DIVERS MOYENS 0\ ARRIVE A PAREILLE FIN.

La plus commune fiiçon d'amollir les cœurs de ceux qu'on a

ofFenfez, lors qu'avant la vengeance en main, ils nous tiennent à

leur mercv, c'eft de les efmouuoir par siiiiiiiiissioii à commileration

& à pitié. Toutesfois la brauerie, cf la confiance, moyens tous

S contraires, ont quelquefois ierui à ce melme effect.

Edouard prince de Galles, celuy qui régenta fi long temps noftre Guienne, perfonnage, duquel les conditions & la fortune ont beau- coup de notables parties de grandeur, ayant efté bien tort offencé par les Limofins, & prenant leur ville par force, ne peut eftre arrefté

Texte 88. 4) la brauerie, la conftance, & la relblution, moyens

4 ESSAIS DH MONTAIGNE.

par les cris du peuple, ^i des femmes, <S; enfans abandonnez à la boucherie, luv criants mercv, & le iettans à l'es pieds, iulqu à ce que pafliint toufiours outre dans la ville, il apperceut trois gentils- hommes François, qui d'vne hardiefle incroyable fouftenoyent feuls l'effort de fon armée victorieufe. La confideration & le refpect d'vne 5 Il notable vertu, reboucha premièrement la pointe de la cholere : & commença par ces trois, à faire milericorde h. tous les autres habitans de la ville.

Scanderberch, prince de FKpire, luyuant vn loldat des liens pour le tuer, (bk; ce loldat avant effavé par toute efpeçe d'humilité & de ro fupplication, de Fappaifer, le relblut à toute extrémité de l'attendre l'elpee au poing. Cette Tienne refolution arrefla fus bout la furie de Ion maiftre, qui pour luv auoir \eu prendre vn honorable party, le receut en grâce. Cet exemple pourra louffrir autre interprétation de ceux, qui n'auront leu la prodioiciisc force & vaillance de ce prince là. 1 5

_ L'Empereur Conrad troiliefme, avant allîegé Guelphe duc de Bauieres, ne voulut condefcendre à plus douces conditions, quel- ques viles & lâches flitisfactions qu'on luv offrit, que de permettre feulement aux gentils-femmes qui ertovent affiegées auec le Duc, de fortir leur honneur fiiuue à pied, auec ce qu'elles pourroyent 20 emporter fur elles. Elles d'vn cœur magnanime s'auiferent de charger fur leurs efpaules leurs maris, leurs enfitns & le Duc mefme. L'Empe- reur print 11 grand plailir à voir la gentilleffe de leur courage, qu'il en pleura d'aife : & amortit toute cette aigreur d'inimitié mortelle iS; capitale, qu'il auoit portée contre ce Duc : & dés lors en auant le 25 traita humainement luy & les fiens.

L'vn & l'autre de ces deux movens m'emporteroit avlement. Car i'ay vne merueilleufe lafcheté vers la mifericorde & lu inausuctiuk. Tant y a qu'à mon aduis, ie ferois pour me rendre plus naturelle- ment à la compaffion, qu'à l'eftimation : li eft la pitié paffion vitieufe :în

Ti-XTi- S8. 15) 1.1 inonflmculc force 28) & le p.irdon : tant

LIVRE I, CHAPITRE I. 5

aux Stoiques : ils veulent qu'on lecoure les affligez, mais non pas qu'on flechifle & compatifle auec eux.

Or ces exemples me lemblent plus à propos : d'autant qu'on voit ces âmes alTiullies & efTavées par ces deux moyens, en fouftenir 5 Y\n lans s'elbranler, & courber fous l'autre. Il fe peut dire, que de rompre son ceiir à la eoiiniiiserdlioii, c'eft l'effect de la facilité, debon- naireté, & mollefle, d'où il adulent que les natures plus foibles, comme celles des femmes, des entans, & du vulgaire y font plus fubiettes; mais avant eu à defdaing les larmes & les prières, de fe

10 rendre à la feule reuerence de la faincte image de la vertu, que c'eft l'eftect d'vne ame forte 6v imployable, ayant en affection & en honneur vne iiigeur mafle, & obftinée. Toutesfois es âmes moins genereufes, l'eftonnement & l'admiration peuuent taire naiftre vn pareil cft'ect. Tefmoin le peuple Thebain : lequel ayant mis en iuftice

I) d'accufation capitale fes capitaines, pour auoir continué leur charge outre le temps, qui leur auoit efté prefcript & preordonné, ablolut à toutes peines Pelopidas, qui plioit fous le foix de telles obiections, (S; n'emplovoit à fe garantir que requeftes & fupplications : & au contraire Epaminondas, qui vint à raconter magnifiquement les

20 chofes par luy taites, & à les reprocher au peuple, d'vne façon fiere ei arrogante, il n'eut pas le cœur de prendre feulement les balotes en main; & le départit l'aflemblée, louant grandement la hauteffe du courage de ce perfonnage.

Dioiiisius le iiieil, après des loiigiirs el ilifficiiUe:^ extrêmes aiaiit pris la

25 /////(• lie Rege, et en icelJe Je eapitene Pbyfon grand home de bien, qui i'auoii si ohstineemant defandiie, uohii e)i tirer un tragique exemple de uaniance. Il lux dict preniierenuint. eomaiit le iour auant il ainnl Jaiet

Texte 88. 5) & fléchir fous 5) que de le lailTer aller .1 la compallion & à la pitié, c'eft 9) & les pleurs, de 10) reuerence & refpect de 12) vne vertu viue, mafle 20) fiere & .ilTeurée, il

VaR. MS. 16) Montaigne a d'ahord corrigé abfolut à en llhsoilll lic : puis i! a rctjHi

nholut a 24) Diomsins après granités tnni^iirs el itiffinillei aiaiil

6 HSSAIS Dl: MONTAIGXH.

iioycr son filx & Ions cens Je sa pantiilc. A quoi Phxlon irsjxiinlil siilciiitiiil, qu'ils ai cstoiul ii'[uu' iour plus burcus que luy. Apres il le /// dépouiller el sesir a des bourreaus el le irainer par lu uille eu le joitiiul Ires /r'v/o////- uieiiseuieul el eruellemeul, el eu oulre le elniroeaul de Jeloues paroles el ù'ulunielieuses. Mais il eul le eorii^^e lousuvirs eousiaul saus se perdre : et 5 d'un uisao^c fcnue, alloit au eoulrere raniauleuaul a haule uoix l'hoiiorahle & i^'lorieuse cause de sa mort, pour u'auoir uolu rendre son pais cuire les mains d'un tirant : le nienaeani d'une proeheine punition des Dieus. Dionisius lisant dans les veus de la coniniune de son année que au lieu de s'aninwr des hrauadcs de cet eneini ueincn, au nu\^pris de leur chej et 10 (/(' son trionije elV aloit s'ajuollissant par restonenieni d'une si rare ncrtu el n/archandoil de se mutiner, estant a inesmes d'arracher Pvibou d 'cuire les mains de ses scnj^ens, fil cesser ce nuirlvre, el a cachetés l'enuoia nover en la nwr.

Certes c'ell vn lubiect nieriieilleulement vain, diuers, (ic ondovant, 15 que l'homme. 11 ert malaiié d"y tonder iui;enient confiant & vniforme. X'ovla Ponipeius qui pardonna à toute la ville des Mamcrtins contre laquelle il elloit fort animé, en conlideration de la vertu & magnanimité du citoven Zenon, qui le chargeoit feul de la faute publique, (^ ne requeroit autre grâce que d'en porter leul la peine. 20 Ht .l'hofte de Sylla ayant vie en la ville de» Perufe de femblable vertu, ny gaigna rien, nv pour lov ny pour les autres.

Et directement contre mes premiers exemples, le plus liardi des hommes et si gratieux aux vaincus, Alexandre, forçant après beaucoup de grandes difficulté/, la Ville de Gaza, rencontra Betis 25 qui y commandoit, de la valeur duquel il auoit, pendant ce lîege,

Texti- 88. 16) foiuicr & cftahlir iiigcmciit 23) le plus courageux homme qui fut onqucs & le plus gratieux

Var. ms. 2) luy II ot^nHii Âpres 3) villclc fessant el Joitaul .() île hroeais el paroles eoiiliniielieuses 9) yetis de ses soldats quelque eomaiteemnnl d'alleratiou et que eet esample de rare ncrtu fleehissoit leur eorage a pitié : de manière qu'ils Inv pourruU aryael^er pur forée esloint a niesnie de se mutiner à d'aller par forée arraelier 9) que quelque au lieu

LIVKH 1, CHAIMTRH 1. y

Icnly des prcuucs mcrucillculcs, lors Icul, abandonne des liens, les armes delpecées, tout couuert de lang & de plaves, combatant encores au milieu de plulieurs Macédoniens, qui le chamailloient de toutes parts : & luy dict, tout piqué d'vne fi chère victoire, car 5 entre autres dommages, il y auoit receu deux frelches blelTures fur la perlonne : Tu ne mourras pas comme tu as voulu, Betis; fois ertat qu'il te laut IbufFrir toutes les fortes de tourmens qui fe pourront inuenter contre vn captif. L'autre, d'vne mine non leulement alTeuree, mais rogue & altiere, fe tint fans mot dire à ces

10 menaces. Lors Alexandre, vovant son fier et obstine silence : A-il liechy vn genouil ? luy eft-il efchappé quelque voix fuppliante ? \'rayment ie vainquerav ta tdcitnrnité : & Il ie n'en puis arracher parole, ien arrachera\- au moins du gemiflement. Et tournant la cholere en rage, commanda qu'on luy perçart les talons : & le ht ainh

15 traîner tout vif, delchirer & defmembrer au cul d'vne charrete. Seroit-ce, que la hardiesse luv tut 11 commune, que pour ne l'admirer point, il la refpectall moins? Ou qu'il l'estiniat si propreinèl siene qu'en ecltc bautur \il\ ne peut souffrir de la noir en un autre sans le despit d'une passion enuieuse, ou que l' impétuosité naturelle de sa cholere

20 //// incapable d'opposition. De urai si cH' eut receu la\ bride, il est a croire qu'en la prinse et désolation de \la \ uille de Thebes elle l'eut rcceue, a noir cruel Icnuint mettre au fil de l'espee tant de uaillans homes perdus

Texte 88. 10) voyant l'obllinatiou à le taire : a il 12) vainquerav ce lilencc, & û 14) talons, & qu'on v trauerfaft vue corde : & le lit 16) la force de courage luy fut fi naturelle & commune, - 17) point, il l'ellimaft & refpectaft

VaR. MS. lo) ion cl'SlilU- cl jicy silcihC i;) Mom.iignc a Jabord rcmpLicc la

cholere p.ir son despit, puis il a rétabli su cholere. 17) 1°: moins? ou cl (ju'il Jïl hcsotiin une Iropfork opposition pour arrêter l'impehiosile de sa iialurcllc cholere. : moins ? Ou qu'il l'euuiat en un autre. Ou qu'il fit... cholere.^ 20) hride qu'-eu la pduse cl dcsclaUoH de' thebes elle l'-eui rcceue il est a croire qu' elle qu'en la prinse 22) de l'espee m'.v mill' ho

I l'rimitivcmont les additions manuscrites Je ce chapitre se terminaient l.i. La suite est d'une autre époque.

5 HSSAIS DE MONTAIGNE.

6 ii'aiivit l^liis iiioifit lie dcsjciiicc publique. Car il en Jiit tue hieii six mille des quels uul ue fui ueu ny Juiaul ny deuniudaut luerei, \iUi\ rebours eherelhiiis qui ai qui la [par] les rues a ajf rouler les eueniis uiclorieus, les prouoquaut a les faire mourir d'une uiorl honorable. Nul ne fut ueu si abatu de blessures qui nessaial en son dernier soupir de \se] uanger eueores, 5 (7 (/ tout les armes du desespoir eonsoler sii mort en la mort de quelque enemi. Si ne Iroiiua l'ajjlielion de leur uerlu aucune pitié, et ne suffit la loni^ur d'un iour a assouuir sa nanianee. Dura ce ear)iai:;c iusques a la dernière i^oulte île saut:; qui se trouua espaudable, el ne s'arrêta que ans persones desarnues, uieillars, famés el oijans, pour en tirer Iraule mille u esclaues.

\'ar. ms. 5) pdii Teins nii.< 5) asaiat a ioii 6) dacspoir coiiipanser sti mort par la iiioii 8) Dura celle boucherie iasiiues 9) se Irouua digne despandrc el iusques ans personnes 10) en/ans de quoi il s\ii fit hante

Chapitre II.

DE LA TRISTESSK,

le luis des plus exempts de cette pallion. /:/ ne WiiiiK iiv l'csliiiic, quoi que le monda ave prias eoiiw a pris faiet de l'honorer de faneur parti- eiiliere. Ils en babillent la sagesse, la \ iiertii, la conscianee : sol el nions- Inieiis ornement. Les Italiens ont plus sortableinent hahtisé de son nom la 5 malignité. Car c'est une qualité lousiours nuisible, tousiours foie, et conte^ lousionrs couarde et basse. Les Stoïciens [en \ defandèt le sentimàt a leur sage. Mais le conte dit, que Plammenitus Roy d'Egypte, ayant efté dcffiiit & pris par Camhil'ez Roy de Perle, voyant palier deuant luy fa fille prilbnniere habillée en leruante, qu'on enuoyoit puiler de

lu l'eau, tous les amis pleurans & lamentans autour de luy, le tint coy fans mot dire, les yeux fichez en terre : è^ voyant encore tantoll qu'on menoit l'on fils à la mort, le maintint en cette melme conte- nance; mais qu'ayant apperçeu vn de les domelHques conduit entre les captifs, il fe mit à battre fa teÛe, & mener vn dueil extrême.

I) Cecv fe pourroit apparier à ce qu'on \id dernièrement d'vn Prince des noftres, qui ayant ouy à Trante, il ertoit, nouuelles de la mort de fon frère aifné, mais vn frère en qui confiftoit l'appu}-

\'ar. ms. 2) quoi que la ttomcs aïeul prius 5) cl corne lousiours basse

' Et corne tousiours... Saae est une additiuii ultcricurc.

10 ESSAIS DH MOXTAIGXK.

& l'honneur de toute l'a mailbn, & bien toft après d'vn puil'né, l'a féconde cfperance, & ayant louftenu ces deux charges d'vne conftance exemplaire, comme quelques iours après vn de fes gens vint à mourir, il le lailTa emporter à ce dernier accident, & quittant la refo- kition, s'abandonna au dueil & aux regrets, en manière qu'aucuns 5 en prindrent argument, qu'il n'auoit efté touché au \il que de cette dernière fecoulTe. Mais à la vérité ce fut, qu'eftant d'ailleurs plein & comblé de triftelTe, la moindre fur-charge brifa les barrières de la patience. 11 s'en pourroit (di-ie) autant iuger de noftre hiftoire, n'eftoit qu'elle adioufte, que Cambifes s'enquerant à Pfammenitus, 10 pourquoy ne s'eftant el'meu au malheur de l'on lils <S; de la tille, il portoit li impatiemment celuy d\n de fes amis : C'eft, refpondit il, que ce l'eul dernier defplaifir le peut lignifier par larmes, les deux premiers furpalîiins de bien loin tout moyen de le pouuoir exprimer.

A l'auenture reuiendroit à ce propos l'inuention de cet ancien 15 peintre, lequel avant à reprelenter au lacrifice de Iphigenia le dueil des allîftans, félon les degrez de l'intereft que chacun apportoit à la mort de cette belle fille innocente, avant elpuifé les derniers efforts de Ion art, quand le vint au père de la fille, il le peignit le vilage couuert, comme li nulle contenance ne pouuoit reprelenter ce degré 20 de dueil. \'ovla pourquov les poètes feignent cette milerable mère Xiobé, avant [lerdu premièrement lept fils, 6^ puis de fuite autant de filles, lur-chargée de pertes, auoir eflé en fin tranfmuée en rochier,

Dirij^uill'e malis,'

pour exprimer cette morne, muette ^; fourde fiupidité, qui nous 25 tranfit, lors que les accidens nous accablent furpalfans noftre portée. De vray, l'effort d'\n defplaiiir, pour eftre extrême, doit eftonner toute l'âme, & lui empelcher la liberté de l'es actions : comme il nous aduient à la chaude alarme d'vne bien mauuaile nouuelle, de

' I.u nis. Jcpl.wc vers l.i gauclic cette citation disposée J;iiis le leste de i jSS LOinme une lin de vers.

LIVRI: I, CHAIMTRH II. II

nous l'entir l'ailis, tranlis, & comme perclus de tous mouucmcns, (Je façon que Famé le relafchant après aux larmes & aux plaintes, lemble le del'prendre, le demefler & le mettre plus au large, & à fon aile, 5 Et via vix tandem voci laxata dolore eft.

Eli la _<,'//('/7r que le Rov l'cnliiiuiiJ fit contre lu ueujiie de Lin Roy de Hongrie autour de Biide, Ruïseiae, capiteiue Aleinand, iioïant raporter k i'orps d'un home de chenal, a qui chacun aiioit iteu exccssiiieinent bien faire [en] la meslec, le plcignoit d'une plante commune; mais curieiis atieq les lo autres de reconoistre qui il estait, après qu'on l'eut desarme, troiiua que c'estoit son jilx. [Et j parmi les larmes puhlicques luy sul se tint sans [es^paiidre ny uois ny pleurs, debout sur ses pieds, ses yens immobiles, le regardant fixeinèt, iusques a ce que l'effort de la tristesse iieiiât \a] glacer ses esprits iiitaus, i/ci porta en cet estai roide mort par terre'

1 5 Clii puo dir com' e<;li arde é in picciol fuoco

dilent les amoureux, qui veulent reprelenter vne paflîon infuppor- table :

mifero quod omnes Eripit fenfus mihi. Nam ilmul te 20 Lefbia afpexi, nihil eft fuper mi

Qiiod loquar amens.

\'ar. ms. 9) weslec (ui^ 11) sans mfil diiv

' i.ïdition de 159; donne la version suivante : En la gucri'e que le Roy Ferdinand mena contre la veufue du Roy lean de Hongrie, autour de Bude, vn gendarme fut particu- lièrement remerqué de chacun, pour auoir exceffiuement bien faict de fa pcrfonne, en certaine nieflee : & incognu, hautement loué, & plaint y eftant demeuré : mais de nul tant que de Raifciac feigneur Allemand, efprins d'vne fi rare vertu : le corps eftant rapporté, cetui-cy d'vne commune curiofité, s'approcha pour voir qui c'efloit : & les armes oftees au trefpafle, il reconut fon fils. Cela augmenta la conipaffion aux affiltans : luy feul, fans rien dire, fins fillcr les yeux, fe tint debout, contemplant fixement le corps de fon fils : iufques à ce que la véhémence de la trifteffe, aiant accablé les efprits vitaux, le porta roide mort par terre.

12 ESSAIS DK MOXTAIGXE.

Lingua led torpet, tenuis fub artus Flanim.i dimanat, fonitu fuopte Tinniunt aures, gemina teguntur Lumina nocte.

Jiissi n'eft ce pas en la viue & plus cuylante chaleur de Taccés que 5 nous Ibmmes propres à defplover nos plaintes & nos perl'ualions : l'âme eft lors aggrauee de profondes penfees, & le corps abbatu & languilTiint d'amour.

Et de s'engendre par fois la défaillance fortuite, qui furprent les amoureux li hors de laifon, (S: cette glace qui les lailit par la 10 force d'vne ardeur extrême, au giron mefme de la ioùyflance. Toutes paflîons qui fe laifîent goufter & digérer, ne font que médiocres,

Cunç leues loquuntur, ingénies ftupent.

La furprife d'\n plaifir inelpcré nous eftonne de mefme, 15

Vt me confpexit venientem, & Troïa circum Arma amans vidit, magnis exterrita monftris, Diriguit vifu in medio, calor ofla reliquit, Labitur, & longo vix tandem tempore fiitur.

Outre la femme Romaine, qui mourut furprile d'aife de voir fon 20 fils reuenu de la route de Cannes, Sophocles & Denis le Tvran, qui trefpaflerejit d'aife, & 'l'alua qui mourut en Corfegue, lilant les nouuelles des honneurs que le Sénat de Rome luv auoit décernez, nous tenons en noftre fiecle que le Pape Léon dixiefme ayant effé aduerty de la prinfe de Milan, qu'il auoit extrêmement Ibuhaitée, 25 entra en tel excez de ioye, que la lieure l'en print & en mourut. Et

Texte 88. 5) De vray ce ii'cll pas 11) ioùvlTancc : accident qui ne ni'cft pas incogncu. 'l'outes (au giron... incogncu .iddition de i;S8)

LIVRl- I, CHAPITRI: 11. I3

pour vn plus notable telmoignage de rimbecilité humaine, il a efté remarqué par les anciens, que Diodorus le Dialecticien mourut Un- ie champ, efpris d'vne extrême pallîon de honte, pour en ion elchole & en public ne fe pouuoir defuelopper d'vn argument qu'on luy auoit faict.

le fuis peu en prife de ces violentes paflîons. l'ay l'apprehenfion naturellement dure; & l'encroufte & efpeffis tous les iours par difcours.

Texte 88. i) imbecilité naturelle, il

Chapitre m.

NOS AFFECTIONS S EMPORTEXT AV DELA DE \OVS.

Ceux qui acculent les hommes d'aller touilours béant après les chofes futures, & nous aprennent à nous lailir des biens prefens, .S; nous raffoir en ceux-là, comme n'avant aucune pril'e fur ce qui ert à venir, voire affez moins que nous n'auons lur ce qui ell pafle, touchent la plus commune des humaines erreurs, s'ils ofent appeller 5 erreur cliofe à quov nature mehne nous achemine, pour le leruice de la continuation de Ion ouurage, nous iiiipriiiniiil coiiic ûsscs d'autres aie iiii(ii:;i)hilioii jaucc : plus iaJoiise de nostir action que de iiostrc sciaiicc. Nous ne fommes iamais chez nous, nous lommes toufiours au delà. La crainte, le defir, l'efperance nous eflancent vers l'aduenir, & nous 10 delrobent le fentiment & la confideration de ce qui ell:, pour nous amufer à ce qui fera, voire quand nous ne ferons plus. « Cahuuitosiis est aiii)>ius fiitiiri aiixiiis. »

Ce grand praxepte est saunant allégué en Platon : Faicts ton faict & le eonois. Chacun de ses dcus numhres enuclope généralement tout nostre 15 deuoir, et sei)d'lahlenient enuclope so)i conipaignoii. Oui aroit a jaire son jaict, uerroit que sa première leson c'est conestre ce qu'il est et ce qui luy est propre. Et qui se conoit, ne prend plus l'cstrangicr faict pour le sien :

\'ak. ms. 8) ialouse lie iioslir profil ijiic de 11 oiis. 14) atlegiii' par Ptatoii

17) /((/("/ // fimihfil eu pnm'uT lieu qu'il siHsiruiilt de m 4 de fts diviUj pour ne pretutre l'eilrtiuaiei: pt>ui^ le siett uUxtniudgm'r eu fceupiitwuf mperjlues et eu peusees et pfvpmtiouf iuutihf. lit qui tirnit iipria a ne eout>itr<', aroit apm a s'aimer a .«; (ultiuer 1 7) teiou seroil

18) I-'l qui eu seroil la, ne preiuhoil plus l'eslraiigierpoiir. . . s'niiiieroil. . . eiilliiieroil.. . refiiseroil

LIVRE I, CHAPITRE III. I5

ùiiiiic et se ciiltiiic aiuiiit toute autre ehose : rejitse les oeeupatious superJJues et les pensées et propositions inutiles. « ï't stullitiu et si adepta est quod eoneupiuit luinqiuvn se tamen satis eonseeutivn putat : sie snpientid seniper eo eonteiita est quod adest, ueque eain unquuni sui pœnitet. » S Hpieurus dispense son sage de la preuoianee et sollieitude de l'aiienir.

Entre les loix qui regardent les trelpalTez, celle icv me l'emble autant lolide, qui oblige les actions des Princes à ertre examinées après leur mort. Ils font compaignons, h non mairtres des loix : ce que la lurtice n"a peu fur leurs telles, c'elt raifon qu'elle favt fur leur

10 réputation, ^: biens de leurs lucceffeurs : chofes que fouuent nous préférons à la vie. Ceil; vne vlance qui apporte des commoditez lîngulieres aux nations elle ert obferuee, 6t defirable à tous bons princes [qui ont à se plaindre de ee, qu'on traitte la mémoire des niesebants eonie la] leur. Nous deuons la subieetion et l'obeissanee esgaleniant a tous

15 Roys, car elle regarde leur office : mais l'estimation non plus que l'affection nous fie la deuons qu'a leur uertu. Douons a l'ordre politique de les souffrir paliainniant indignes, de celer leurs uices, d'aider de nostre recouuindation leurs actions indifférantes pendant que leur authorite ha besoin de nostre appui. Mais nostre coninierce fini, ce n'est pas raison de refuser a la iustice

20 & a nostre liberté l'expression de //o.s- urais ressentimans, et nomeemant de refuser aus bons subiets la gloire d'auoir reuerammant [et] fidckmanl senti un nmistre, les imperfections du quel leur estoint si bien couues : Jrustrant la postérité d'un si < ut il le exemple. Et cens qui par respect de quelque obligation prince esp(.nisèt iniquement la mémoire d'un prince

2) \neslouable, font iustice particulière aus despens de la iustice publique.

rite Liue dict urai, que le langage des honws nourris sous la royauté est

tousiours plein de folles ostentatiôs I et \ nains tesnuntignages : chacun esleuât

indifféremment son roy a l'extrême ligne de ualur [et] grandur souuereine.

[On] peut reprouuer la magnanimité de ces deus soldats qui respondirent

Tlmk 88. 10) lucccllcurs, qui lont choies

\'.\R. MS. Ç) preuoianee de 16) leur nui ile. Douons 21) lagb 22) quct lity 23) publique. Un antien âict 27) et] ueings{})lesnionigmigci : clmun edeuc imUfferenimenl

ESSAIS DE MONTAIGNE.

Il Xcroii irtj sa barbe. L'un cihiiiis \dc\ hiy pourquoi il luv uouloit mal : le t'cimois quand tu le ualies ; mais despuis que tu es ne nu parricide, boutefu, batelur, cahier, ie le bai corne tu mérites. L'autre, pourquoi il le uouloit tuer : Parce que , ie ne treuue autre remède i a] tes continuelles mescbancete:^. Mais les publiques et uniuersels tesmouignages qui après [sa\ 5 mort ont este randus [et] le scro)it a tout ut mais [de] ses tiranniques et uilains despi)rtenuins, qui de sain entandeinàt les] peut reprouuer ?

'Il me desplait qu'en une si saiiicte police que la Lacedemoniene se Jut mesie une si feinte cérémonie. A Ja] mort des Roys tous les confedere:^^ & uoisins, tous les I Ilotes, lx)mes, femmes, pesie mesle, se descoupoint le 10 front pcnir tesnuniigiiage de deuil et disoint en leurs cris et lamentations que celuv la, quel qu'il eut este, estoil le iiwillur Roy de tous les leurs : attribuans au ranc le los qui apartenoit au mérite, & qui apartenoit au premier mérite au postreme et dernier ranc. Aristote qui remue toutes cl.K)ses, s'enquiert sur le mot de Solon que lud auant sa )iiort ne peut estre 1 3 (//("/ hureus, si eelux la Dwsnics qui a ucscit et qui est mort selon ordre, peut estre dict hureus. si sa renomee ua mal, si sa postérité est misérable. Pandant que nous nous reniuons, luvis nous portons par prawcupation ou il nous plait : mais estant hors de l'estre, nous ii'auijs aucune commu- nication aueq ce qui est. Ht seroit nuillur de dire a Solon, que ianutis home 20 ;/V.v/ (/('//(/ l'iircus, puis qu'il ne l'est que après qu'il n'est plus.

Quifquani \'ix ladicuus c vita lu toUit, & eiicic : Sed lacit elle lui quiddam fuper infcius ipfe, Nec remouet latis à proiecto corpore lele, & 25

Vindicat.

\'ar. ms. i) ;( reniperur ^a su 6) luorl fureul iiimliis di\ ut m ses iiramiitiucs 8) se soit mise une si sotie ccretiioiiie lo) uoisins eki lo) pesle mesle et des if>a>: mtiurels Spartiates emore se deseoupoint ii) deuil disant eu ii) lamentations, quel qu'il ave eut este que e'esl e'estoil le meillur Roy qu'ils eurent onques (iiorrigc ainsi : lamentations, que eehiy la estoit le meillur Ro\ de tous les leurs : quel qu'il eut este) attri- buant au demter rane le los qui se doit au de^ ruier (?) merik apartenoit 14) qui tasie toutes 17) hureus ueu que sa renomee peut mal ater sa postérité estre misérable si ses amis haïssent sa mémoire. Fondant 19) mais n'estant plus nous n'auons aueune eominn- uaute aueq 21) hureus s'il ne l'est que quand il n'est filus.

LES ESSAIS

DE

MICHEL DE MONTAIGNE

// (/ clé tiré de ici otivrai^e chiite cciils cxciiiphiircs.

Cinqnanle sur papier de Hollande numérotés de i à jo. On:^e cent cinquante sur papier à bras numérotés de ji à 1200.

Exemplaire N"^ oJl'T

L1\RH 1, CHAPITRE 111. IJ

IkTlrand du (ilcfquin mourut au licgc du chaûcau de Rançon,

près du Puy en Auucrgne. Les alficgcz s'crtant rendus après, furent

obligez de porter les clefs de la place fur le corps du trefpalTé.

Barthélémy d'Aluiane, General de l'armée des Vénitiens, ellant

5 mort au feruice de leurs guerres en la Brefle, & fon corps ayant à

eftre raporté à Venife par le Veronois, terre ennemie, la plufpart

de ceux de l'armée eltoient d'aduis, qu'on demandaft laufconduit

pour le pallage à ceux de \'erone. Mais Théodore Triuolce v

contredit; & choifit pluftoft de le paffer par \'iue force, au hazard

10 du combat : N'ertant conuenable, difoit-il, que celuy qui eu fa vie

n'auoit iamais eu peur de les ennemis, eil;ant mort fift demonftration

de les craindre.

De vray, en choie voiline, par les loix Grecques, celuy qui

demandoit à l'ennemv vn corps pour l'inhumer, renonçoit à la

15 victoire, & ne luy eftoit plus loifible d'en drefTer trophée. A celuy

qui en eftoit requis, c'eftoit tiltre de gain. Ainfi perdit Nicias l'auan-

tage qu'il auoit nettement gaigné fur les Corinthiens. Et au rebours,

Agefilaus aflcura celuy qui luy eftoit bien doubteufement acquis

fur les Bx'otiens.

20 Ces traits fe pourroicnt trouuer eftranges, s'il n'eftoit receu de

tout temps, non feulement d'eftendre le foing que nous auons de

nous au delà cette vie, mais encore de croire que bien louuent les

faueurs celeftes nous accompaignent au tombeau, & continuent à

nos reliques. Dequov il v a tant d'exemples anciens, laiffant à part

25 les noftres, qu'il n'eft befoing que ie m'y eftende. Edouard premier

Roy d'Angleterre, ayant elTa\'é aux longues guerres d'entre luy

& Robert Roy d'EfcofTe, combien ia prefence donnoit d'aduantage

à fes afîiiires, rapportant toulîours la victoire de ce qu'il entreprenoit

en perfonne; mourant, obligea fon fils par folennel ferment, à ce

30 qu'eftant trefpafte, il fift bouillir fon corps pour defprendre la chair

d'auec les os, laquelle il fit enterrer; &: quant aux os, qu'il les releruaft

pour les porter auec luv & en fon armée, toutes les lois qu'il luy

l8 ESSAIS DE MONTAIGNE.

aduicndroit d'auoir guerre contre les El'coflbis. Comme li la dellinée auoit fatalement attaché la victoire â les membres.

lean Xilcha qui troubla la Bohême pour la deflfence des erreurs de W'iclef, voulut qu'on l'elcorchaft après la mort, & de l'a peau qu'on tirt vn tabourin à porter à la guerre contre les ennemis : efti- 5 mant que cela avderoit à continuer les auantages qu'il auoit eu aux guerres par liiv conduites contre eux. Certains Indiens portoient ainlln au combat contre les Elpagnols, les offemens de l'vn de leurs Capitaines, en conlideration de l'heur qu'il auoit eu en viuant. Et d'autres peuples en ce melme monde, traînent à la guerre les corps 10 des vaillans hommes, qui font morts en leurs batailles, pour leur leruir de bonne fortune 6c d'encouragement.

Les premiers exemples ne referuent au tombeau, que la réputation acquile par leurs actions pafTées : mais ceux-cy v veulent encore meller la puilTance d'agir. Le tait du capitaine Bavard ell; de meilleure 1 5 .compolition. lequel le fentant blelTé à mort d'vne harquebufade dans le corps, conleillé de le retirer de la niellée, refpondit, qu'il ne com- menceroit point fur la fin à tourner le dos à l'ennemy : & ayant combatu autant qu'il eut île force, le fentant défaillir & efchapper du cheual, commanda à Ion maiftre d'hortel, de le coucher au pied 20 d'vn arbre, mais que ce fut en façon qu'il mourut le vilage tourné vers l'ennemy, comme il fit.

Il me faut adioufter cet autre exemple auili remarquable pour cette conlideration, que nul des precedens. L'Empereur Maximilian. bifayeul du Roy Philippes, qui ert à prelent, eftoit Prince donc de 25 tout plein de grandes qualitez, & entre autres d'vne beauté de corps finguliere. Mais parmy ces humeurs, il auoit cette-cy bien contraire à celle des princes, qui pour delpecher les plus importants affaires font leur throlne de leur chaire percée : c'ell qu'il n'euft lamais valet

Texte 88. 6) auoit eus .lux guerres, qu'il auoit conJuitcs 25) Prince i^arny de

LIVRE I, CHAPITRE III. I9

de chambre, li priué, à qui il permit de le voir en fa garderobbe. 11 fe defroboit pour tomber de l'eau, aufli religieux qu'vne pucelle à ne defcouurir nv à médecin nv à qui que ce tut, les parties qu'on a accouftumé de tenir cachées. 'Moy, qui ay la bouche li effrontée, fuis

5 pourtant par complexion touché de cette honte. Si ce n'eft à vne grande fuafion de la neceflîté ou de ht volupté, ie ne communique guiere aux veux de perfonne les membres & actions, que noftre couftume ordonne eftre couuertes. l'y fouffre plus de contrainte, que ie n'eftime bien feant à vn homme, & fur tout, à \m homme de

10 ma profefiion. Mais luv, en vint* à telle fuperftition, qu'il ordonna par paroles exprefles de fon teflament, qu'on luy attachai des caleflbns, quand il feroit mort. 11 deuoit adioufter par codicille, que celuv qui les luv monteroit eut les veux bandez. L'ordoiiaiice que Cxnis fdict a ses eiifâs, que uy eus ny autre tie uoie et touche sou cors après

15 que l'auie eu sera séparée, ie l'attribue a quelque sieue deuotiou. Car et sou hisiorieu & luy eutre leurs grandes qualités ont semé par tout le cours de leur [uic] un singulier soin & reuerence a la relligion.

Ce conte me defpleut qu'vn grand me fit d'vn mien allié, homme aflez cogneu & en paix & en guerre. Ceft que mourant bien vieil

20 en fa court, tourmenté de douleurs extrêmes de la pierre, il amufa toutes fes heures dernières auec vn foing véhément, à diipoler l'honneur & la cérémonie de fon enterrement, & somma toute la nobleffe qui le vifitoit, de luv donner parole d'affifler à fon conuoy. A ce prince mefme, qui le vid fur ces derniers traits, il fit vne

25 infiante fupplication que fa maifon fut commandée de s'y trouuer, emplovant plufieurs exemples & raifons à prouuer que c'eftoit chofe,

Texte 88. 2) qu'vne fille à 18) fframi Prince me fit 22) enterrement. & preffa toute

Var. ms. 13) bandez. Vatlnbue a quelque denotioii corne d'un prime entre ses autres perfections admirables singulièrement relligieus : l'ordonance qui- Cyrus Jtiict a ses enfi'is, que n\ eus n\ autre ne uid sea fw* api^es qu'-il serml deeedé ne uoie et touche son cors après que l'ame en sera séparée. Ce conte

20 ESSAIS DE MONTAIGNE.

qui appartcnoit à vn homme de fa forte : & fembla expirer content, avant retiré cette promeffe, & ordonné à fon gré la dilb-ibution, & ordre de fa montre. le n'ay guiere \-eu de vanité fi perfeuerante. Cette autre curiolîté contraire, en laquelle ie n'ay point aulîi faute d'exemple domeftique, me femble germaine à cette-cy, d'aller ie 5 joignant & paiîionnant à ce dernier poinct à régler fon conuoy, à quelque particulière & inufitee pariimonie, à vn leruiteur & vne lanterne. le vov louer cett' humeur, & l'ordonnance de Marcus /Emilius Lepidus, qui deffendit à fes héritiers d'employer pour luy les cerimonies qu'on auoit accoulKimé en telles choies. Eil;-ce encore 10 tempérance & frugalité, d'euiter la defpence ils; la volupté, delquelles fvfage & la cognoilTance nous eft inperceptible? W^ila vn' ailée retor- mation & de peu de couft. 5/7 estait hcsoiiiii d'en ordoiicr, ic serais d'unis qu'en celé lu came en tante uelions de lu nie, chucnn en ruportut lu règle u lu farnic de su fortune. Et le philosaphe Lycon pra'scrit sugemèt u ses 1 5 lUiiis de mettre son earps an ils uniseront panr le miens, et quund uns fnneruilles de les juire nv superflues nv nnxuniqnes. le lairrai pnremuut la couftume ordonner de cette cerimonie; & m'en remettrav à la (.iifcretion des premiers à qui ie tomberai en churge. « Totns hic locns est contenincndns in nohis non )iegligendns in nostris. » Et est suiiictenuint 20 dict a \ nu I suinct : « Cnrulia fnneris, condilia sepnltunr, pampu exequiuruni mugis snnt uinarnni salutiu. qnum sid'sidiu nntrtnaruin. » Panr tunt Socrutes \a] Crito qui sin- l'heure de \su\Jin luv demunde coin\unt\ il nent estre enterre. Corne nous uondre:^, respond il.' Si i'auois à m'en empefcher

Temk 88. 17) le lainois plulloft la couftume ordonner de cefte cerimonie, & fauf les chofcs rcquifes au feruice de ma religion, fi c'eft en lieu il foit befoing de l'enioindre, m'en remettrav volontiers à la difcretion des premiers à qui cette folli- citude tombera en part.ige. Si i'auois

Var. ms. 13) .V'/7 «/ Iwsoiiiii 16) (iiiiis de l' enterrer iiv superiluemët ny mcca- uiquemeul. le lairrai 17) fiiiicraUles qu'ils les faeeiU ii\ 20) /:"/ e'esl 525) fin </ 24) respond il. Xiais s'il en faut dire

' Cette .addition est laite Je trois reprises : la première, Ht est... WOrhliVIIin ; la deuxième, ToluS... nosiris; la troisième, Prilir... il.

LIVRl- 1, CHAPITRE III. 21

plus auant, ie troiuicrois plus galand, d'imiter ceux, qui ciilrcpirnciil viuans & rel'pirans, iouyr de Tordre e^ honneur de leur fepulture, & qui fe plaifent de voir en marbre, leur morte contenance. Heureux, qui fçachent refiouyr & gratifier leur l'ens, par Tinlenfibilité, & viure de 5 leur mort.

.7 peu que ie n'eut re eu ha'uie irreeoueilliihJe eoutre toute doiuliiation populere, quoi qu'elle me semble ht plus uaturelle et équitable, quand \ il ] iiw soiiuieiit de cette inhumaine iniiistice du peuple Athénien, de faire mourir sans rémission \ &^ sans les uouloir salement o^jdr~\ en leurs

lo defauees, ses braues capitenes, uenans de guigner contre les Lacedemoniens la bataille nauale près des isles Argiinises : la plus contestée, la plus forte bataille que les grecs aient onques donc en mer de leurs jorces : par ce qu'après la uictoire ils auoint suiui les occasions que la loi de la guerre leur presan- toit, plus tost, que de s'arrêter a receuillir et inhumer leurs morts. Et

i) /'('//[/ 1 cete exécution plus odieuse le j'aici de Diomedon. Celui cv est l'un [des] condamnés, home de notable uertu, et militere et politique : lequel se tirant auant pour parler, après auoir oui l'arrest de leur coudemuation, et trouuant sulem[ent1 lors, temps de paisible audiance, au lieu de s'en seruir au bien de sa cause et a descouurir l'euidante iniustice d'une si cruelle

20 conclusion, ne représenta qu'un souiii de la conseruation de ses iuges : priant les dieus de tourner ce iugement a leur bien; et afjin qu'a faute de rendre les ueus que luy et ses compaignons auoint noue en reconoissance d'\iinc] si illustre fortune, ils n'attirassent l'ire des dieux sur eus, les aduertissant quels ueus c'est: oit : et sans dire autre chose et sans marchander,

Tf.xte 88. i) qui veulent viu.ins

Var. ms. 5) mort. Oua'ih quo iacein poit ohilum toco Qiio invi iinla iiiiriil' 7) elle semble 11) Argiinises : la plus diffieiUe ,1a] plus aiiau 15) aiioiiil plus tfst 18) lors, lieu de paisible 21) tourner a leur bien 22) les neus qu'ils auoiul que lu\ et... noue ans dieus eu recoiioissauce

' Dans un premier état du ms, l'Essai III se terminait .1 cette citation; elle a ctc insérée ensuite (p. 2î, I. 9) dans le développement : A peu... dont elle formait encore la fin danfs un second état du ms.

22 HSSAIS DH MONT A IGN h.

s'achcmiiui de ir ptis coiinigeiisiiiiciil au supplice. \ La Jorliiiie quelques iinuees après les punit de iiiesuie pain souppe. Car Chahrias, capiteue i^eneral de l'armée de mer des Athéniens, aïant eu le dessus du condmt contre Pollis (kl m irai de Sparte en l'isle de Xaxe, perdit le fruit tout net et contant de sa uictoire, 1res important a leurs affaires, pour n'encourir le malheur de cet example. Et pour ne perdre peu des corps niors de ses amis qui ftotoint en nier, laissa noij^uer en sauuete un monde d'enemis niuans, qui desf^uis leur firent bien acheter cete importune snperstitiô.

Oiiii'ris qiio iaccas posl ol'ilù loco Oiio lion nata iàcenl.

Cet autre redone le sentimant du repos a un corps sans anie :

^Neqiie sepiil ^cbriiiii qiw recipiat, habeat porliiiii avporis, [Ubi, remissa Imiiiaiia iiita, corpus requiescal a iiialis.

\Tout ainsi que nature nous faict uoir, que plusieurs chines mortes ont encore des relations occultes à la uic. Le uiii s'altère ans canes, selon aucunes mutations des saisons de sa uigne. Et la chair de iwnaisou chan'^e estât aux saloirs & de goiist, selon les hix de la chair uiue, à ce qu'on <//V/.]'

\'ar. ms. i) siippliii'. La pi'iiie siiiiiil qiiflqiii's tiiniirsapiTf cetlf iiiiijiii' ■^ifpi'istilitni. Car 6) perdre des corps iiwrs qui t^oloha en mer, laissn se retirer en sniiiiele 7) qui t}ieiilosl leur

' qui... siipersiitiô v\ cet autre... dict addition ultérieure.

Chapitre W

COMML LAME DLSCHARGi; SLS PASSIONS SVR DES OIHLCTS FAVX, QVAN'D LLS VRAIS LVV Dlil AILLLXT.

\'n gentil-homme des nortres merueilleulement fubiect à la goutte, ertant prefle par les médecins de laifler du tout Tviage des viandes lalées, auoit accouftumé de relpondre fort plailamment, que l'ur les efforts & tourments du mal, il vouloit auoir à qui s'en prendre,

5 & que s'elcriant & maudiflant tantoft le ceruelat, tantoft la langue de bœuf & le iambon, il s'en lentoit d'autant allégé. Mais en bon efcient, comme le bras eftant haufle pour frapper, il nous deult, ii le coup ne rencontre, & qu'il aille au vent; aulîi que pour rendre vne veuë plailante, il ne faut pas qu'elle foit perdue ^: efcartée dans

10 le vague de fair, ains qu'elle ave bute pour la louûenir à raifonnable dirtance,

W'iUUh vc aniittit vires, nili robore dcnht Occurrant lilu;v fpatio diffufus in.mi;

de mefme il fenible que famé elbranlée & efmeuë le perde en loy- I) mefme, il on ne luv donne prinfe : iSc faut toufiours luy lournir d'obiect elle s'abutte & agifle. Plutarque dit à propos de ceux, qui s'affectionnent aux guenons & petits chiens, que la partie amoureule, qui eft en nous, à faute de prife légitime, plurtoÛ que de demeurer en vain, s'en forge ainfm vne faulce & friuole. Ht nous voyons que

24 ESSAIS Di; MOXTAIGXL.

Tanic en les paiîîons le pipe plurtoll elle mefme, le drelTaiit vn faux lubiect (:<c tantartique, voire contre la propre créance, que de n"agir contre quelque choie.

Ainfin emporte les bertes leur rage à s'attaquer à la pierre & au 1er, qui les a blelTees, iv à le venger à belles dents fur soi mefmes 5 du mal qu'elles lentent,

Pannonis liaud aliter poli ictum Ix'uior vrla

Cum iaculum parua Lvbis amentauit iiabena,

Se rotat in vulnus, telùmque irata receptum

Impetit, & fecuni fugientem circuit Iiaftam. 10

Quelles caules n'inuentons nous des malheurs, qui nous aduien- nent? A qiioy no nous prenons nous à tort ou à droit, pour auoir ou nous efcrimer? Ce ne font pas ces trèfles blondes, que tu defchires, ny la blancheur de cette poictrine, que defpite tu bas li cruellement, T-jui ont perdu d'\n malheureux plomb ce Irere bien avmé : prens 13 t'en ailleurs. Liiiiiis parlant de Varmcc Roiiiciiic en Espaigiie aptes la perte [des] deus frères, ses grans capitenes : «flere oinnes repente et offensare capita.» C'est [inf] usage commun. [£"/]' Je phiJosofe Bion de ee Roy qui de deuil s'arrachoit les poils, fut il pas plaisant : Cetiiiei pense il que la pelade soulage le deuil. Qiii n'a veu mâcher & engloutir les cartes, fe gorger 20 d'\ne baie de dets, pour auoir ou le venger de lu perte de fon argent? -Xerxes foita la mer de l'Helespoiil, l'en forgea et hiv fit dire mille iiillanies, ik efcriuit vn cartel de deffi au mont Athos : & Cvrus amula toute vne armée plulieurs iours à le venger de la riuiere de Gvndus, pour la peur qu'il auoit eu en la pafl!"ant : & Caligula ruina \ne très 25 belle mailon, pour le plaifir que fa mère y auoit eu.

Texte 88. 5) fur elles niefnies 8) Cul iaciiluiii... libis 26) y auoit rcceu.

\'ar. ms. \y) fraes, leurs grniis i8) aipitti ni 18) 1": /;'/ /<■ iiiûI de Jiioii a celui Ki'y 2": Lt le iiicl du pljili'.wj'e Hioii sur ee Ro\ : y) poils ne fut pus

' /:"/ le... deuil n.IJiiion ultcriciirc.

I.IVRI-: 1, r.nAPiTRi-: iv. 25

Le peuple iJisoil en iinwsse, qu'un Rov île nos noisins, nviinl reeen ile Dieu une hastonade, iitni de s'en uani^er : ordonant que de dix ans on )ie le priât, ny pariai de Iny, nv, autant qu'il estait en son authorite, qu'on ne c\reut^ en Iny. Par ou on uoidoit peindre non tant la sottise que la ^loire 5 naturelle a la nation de quoi estoit le conle. Ce sont uices tonsiours eoiu'oinls, mais telles aetions tienent a la uerite l'n peu plus eneore d'oulrecnidanee que de hestise.

Auguftus Cclar ayant clic battu lIc la tampeftc fur mer, fc print à dcffier le Dieu Neptunus, & en la pompe des ieux Circenfes fit ofter

10 l'on image du reng elle eftoit parmy les autres dieux, pour fe \cnger de luy. En quoy il eft encore moins excufoble que les prece- dens, & moins qu'il ne fut depuis, lors qu'ayant perdu vne bataille fous Quintilius Varus en Allemaigne, il alloit de colère & de defef- poir, choquant fa tefte contre la muraille, en s'efcriant : Varus rens

1 5 moy mes foldats. Car ceux la iiirpaffent toute follie, .d'autant que fimpietc y ell ioincte, qui s'en adrelî'ent à Dieu mefmes, ou à la fortune, comme fi elle auoit des oreilles fubiectes à noftre batterie, a l'exemple des Thraces qui quand il tone ou eselaire, se mettent a tirer contre le ciel d'une nangence tytaniene, pour ranger dieu a raison a coups

20 de flesche. Or, comme dit cet ancien poëte chez Plutarque,

Point ne fe faut courroucer aux affaires. Il ne leur cliaut de toutes nos choleres.

Mais nous ne dirons iamais affez d'iniures au dcfrcgicment de noftre cfprit.

Texte 88. i6) mefmes à belles iiiiures, ou ;'i la

Var. ms. 2) Dieu un' coup de uei^e foel iura 3) le prierai ni iiy parleroil on de luy, en h[ieti] ny en mul autant... autl.'orite ne eroiroiut on en luy. 6) encore de gloire qiu- de sottise. 19) ciel des flesches et des irnicts d'une uans^ence corageuse, pour

' Montaigne en écrivant au dessus Je la ligne une bastondde, a oublié d'effacer un

Chapitre V.

SI LE CHEF DYNE PLACE ASSIEGEE DOIT SORTIR POVR PARLEMENTER.

Lucius Marcius Lcgat des Romains, en la guerre contre Perfeus Roy de Macédoine voulant gaigner le temps, qu'il luv talloit encore à mettre en point ion armée, fema des entregets d'accord, defquels le Roy endormi accorda trefue pour quelques iours, tourniffiint par ce moyen fon ennemy d'oportunité & loilir pour s'armer : d'où 5 le Rov encourut fa dernière ruine. Si ert-ce, que les iiicils du Sciuil, niciiioralijs des meurs de leurs pères, aceusareiit cette pratique corne eiieniie de leur slile autien : qui fut, disoiut ils, couihatre de iiertu uou de Ji)U'sse : uy par surprinses et rcucoutres de uuict : 11 v par fuites apostees, & recharges iuopiuces : n'entrcpreuaut guerre qu'après l'auoir demmcee, et souuaut après 10 auoir assigué l'heure et lieu de la bataille. De cette edsciaiiee, ils reuuoiareut a Pyrrus sou Irahistre mcdcin, et aus Falisques leur un-schaul luuistre d'escolle. C'estoiiit les formes uraiemaut Romeiucs, non de la Grecque subtilité et astuce Puuiqm, ou le ueiucre par force est moins glorieus que par fraude. Le tromper peut sentir [xvir le coup, mais celuy sul se tient 15

Texte 88. 6) Si cft-cc, que le Sénat Romain, à qui le leul aduantage de la vertu fembloit moyen iufte pour acquérir la victoire, trouua cette pratique laide & dedion- nefte, n'ayant cncores ouy Tonner à fes oreilles cette belle fentence, dolus an

\'ar. ms. 8) fut LOinhiilir 15) fraude. Elle pe

LIVRE I, CHAPITRE V. 27

pour surmonte, qui sçail Vauoir este uy par ruse ny de sort, mais par uaillance, de trope a Irope, en une loyalle et iustc guerre. Il appert bien par h langage de ces boues gens, qu'ils n'auoint eneores reeeu cette belle sentance ■'

dolus an virtus quis in hofte requirat?

Les Acha'icns, dict Polibc, detestoint toute noie de tromperie en leurs guerres, n'estimant uictoire si)ion ou les corages des enemis sont abalus. w Eam uir sanetus et sapiens sciet ueram esse uietoriam, qmv salua Jide et intégra dignitate parabilur », dict un autre.

Vos ne uelit an me regnare hera quidtie ferai jon Virtute experiainur .

[Au royaume de Ternatc, parmi ces nations que si a pleine bouche nous apclons barbares, la costume porte qu'ils nentreprcnent guerre sans Vauoir premièrement dénoncée, y adioutant ample déclaration des moïens qu'ils ont a V emploier, quels, combien d'homes, quelles munitions, quelles armes offansiues ! et] defansiues. Mais cela faict aussi, si leurs enemis ne cèdent & uienent a accort, ils [se] donêt loy au pis faire et [ne] pensent pintuoir cstre reproches de trahison, de finesse [et] de tout moïen qui sert a ueincre.

Les aniiens Florentins estoint si eslouignes de uouloir guigner aduàtage sur leurs enemis [par] surprinse, qu'ils les aduertissoint un mois auant que de mettre leur exercite ans champs par [le] côtinuel son de la cloche qu'ils nomoint Martinella.

Quand à nous moings lupcrrtitieux, qui tenons ccluy auoir l'hon- neur de la guerre, qui en a le protît, & qui après Lylander, dilbns

\'ar. ms. i) /;v pny arl ii\ de soil iiiaii de unillaiiec 2) guerre Ces gens ii'itiioiiil eneores oui souer a leurs oreilles cette 12) Tiirnate... qu'a pleine bouet}e nous apelon s si barbares la lo\'] porte 14) adioutans les déclarations 15) a emploier a cette guerre quels 16) aussi, ils fit pemiel 17) loy par frrce 'ef 19) uouloir prendre aduàtage 21) sou de leur cloche

28 LSSAIS DE MOXTAIGXi;.

que la peau du lion ne peut l'uffire, il v taut coudre vn lopin de celle du renard, les plus ordinaires occallons de furprinl'e le tirent de cette praticque : & n'eÛ heure, dilons nous, vn chet doiue auoir plus l'œil au guet, que celle des parlemens & traités d'accord. Et pour cette caufe, c'eft vne reigle en la bouche de tous les hommes 5 de guerre de noftre temps, qu'il ne huit iamais que le gouuerneur en \ne place aflîegée forte luy mel'mes pour parlementer. Du temps de nos pères cela fut reproché aux feigneurs de Montmord & de rAlîigni, deflfendans Moufon contre le comte de Nanfaut. Mais aulfi à ce conte, celuy la feroit excuûthle, qui fortiroit en telle façon, que lu la feureté & Faduantage demeuraft de l'on cofté : comme fit en la ville de Regge le comte Guy de Rangon (s'il en laut croire du Bellay, car Guicciardin dit que ce fut luy mefmes) lors que le Seigneur de l'Efcut s'en approcha pour parlementer : car il aban- donna de fi peu fon fort, qu'vn trouble s'eftant efmeu pendant ce 13 parlement, non feulement Monfieur de l'Efcut 6t la trouppe, qui efloit approchée auec luy, fe trouua la plus foible, de façon que Alexandre Triuulce y tut tué, mais luy mefmes fufi contrainct, pour le plus leur, de fuiure le Comte, & fe iettcr fur fa foy à l'abri des coups dans la ville. 20

Eumenes en la \'ille de Xora prelfé par Antigonus qui rafiiegeoit, de fortir parler à luy, 6c qui après plufieurs autres entremiles alleguoit, que c'ertoit raifon qu'il vint deuers luy, attendu qu'il efioit le plus grand eS: le plus fort, après auoir faict cette noble refponce : le nerti- meray iamais homme plus grand que moy, tant que i'aurav mon -5 efpee en ma puifHmce, ;/'v confentit, qu'Antigonus ne luv euft donné Ptolomx'us Ion propre nepueu ofiage, comme il demandoit.

Si eft-ce que encores en v a il, qui le font très bien trouuez de

Texte 88. 1) que où... Lyon... luffirc, qu'il 12) croire Mtnilicur du 26) puifl'ancc, iit s'y confenlil

\'ar. ms. 27) iK-pucu (■;; oftagc

LIVRK I, CHAPITRE V. 29

Ibrtir liir la parole de l'allaillant. "^Iclmoing Henry de Vaux, cheualier Champenois, lequel ertant alfiegé dans le chafteau de Commercy par les Anglois, & Barthélémy de Bonnes, qui commandoit au ilege, ayant par dehors faict lapper la plus part du Chafteau, Il qu'il ne

5 reftoit que le feu pour accabler les ailiegez fous les ruines, l'omma ledit Henry de Ibrtir à parlementer pour fon profict, comme il fit luv quatrielme; <^ fon euidentc ruyne luy ayant elle monftrée à l'œil, il s'en ientit fmgulierement obligé à l'ennemy : à la dilcretion duquel après qu'il le fijt rendu & la trouppe, le feu eftant mis à la mine, les

o efianlons de bois venus à faillir, le Chafteau fut emporté de tons en comble.

le me fie ayfeement à la foy d'autruy. Mais mal-aifeement le tairoy ie lors que ie donnerois à iuger, l'auoir plufioil faict par deielpoir & faute de cœur, que par franchife, & fiance de fa loyauté.

Texte 88. 10) bois venant à 15) ic donroib à

Chapitre VI.

LHEVKE DES PARLEMENT DAXGEREVSE.

Toutcs-tois ic vis dcrnicremcnt en mon voirmagc de Mulîîdan, que ceux qui en furent délogez à force par noftre armée, (i<c autres de leur partv crioient comme de trahifon, de ce que pendant les entremifes d'accord, (Se le lirtc fe continuant encores, on les auoit furpris & mis en pièces : chofe qui eull eu à Tauanture apparence 3 en vn autre fiecle. Mais, comme ie viens de dire, nos façons lont entièrement elloignées de ces reigles : 6c ne fe doit attendre fiance des vns aux autres, que le dernier feau d'obligation n'v loit palTé : encore y a il lors alïés affaire.

El a toiisioiirs este conseil iMSiinleus de fier a la licence d'un' iirniec 10 uicloricnse robserucillon de la joi qu'on a donee a une uille qui uieni de se rendre par douce cl fauorable composition, et d'en laisser sur la chaude r entrée libre aus soldats. L. .Enivlius Rci^illus prœtur Romein aiant perdu son temps a essaier de prandre la uille de Phocars a force, pour la singulière prouesse des habitans a se bien dcsfandre, fit pacbe aucq eus de les rcccuoir 1 5 pour amis du peuple Roiiwin, & d'y entrer comc en uille côfederee : leur oslant toute creinte d'action hostile. Mais v aianl quand et luy introduit

Ti-\TE 88. .j) & le Parlement (c

\'ar. ms. 11) ri'bsdiKilioii iifi 15) l>roiit'SiC & obsliiialioii des... fit aucq eus nunrljc de

LIVRE I, CHAPITRE VI. :; I

son armée, pour s'y fitire noir en pins de pompe, il ne fnt en sa piiissanee, qnelqne effort qn'il v emploial, de tenir ht bride il ses i^ens : et nid diinuni ses yens fonrruoer hone partie de la aille : les droits de l'anariee et de la uangeuee snppeditant eens de son aathorité & de la idiscipline militaire. 5 Clcomencs difoit, que quelque mal qu'on peut faire aux ennemis en guerre, cela eftoit par deffus la iuftice, & non fubiect à icelle, tant enuers les dieux, qu'enuers les hommes. Et ayant faict treue auec les Argiens, pour fept iours, la troifielme nuict après il les alla charger tous endormis & les défict, alléguant qu'en fa treue il n'auoit

lo pas efté parlé des nuicts. Mais les dieux vengèrent cette perfide fubtilité.

Pendant le parlement [et] qu'ils mnsoint snr lenrs surte^ la uille de Casilinnm fut sesie par snrprinse/ et eela ponrtant ans siècles \&] des plus instes capiteines & de la plus parfette milice Romeine. Car il n'est pas dict,

15 que [en] temps et lieu, il ne soit permis de nous prenaloir de la sottise de

nos enemis, come nous faisons de leur lâcheté. Et certes la guerre a natu-

rellemàt beaucoup de prinileges raisonablcs au preindice de la raison ; et icy

faut la règle : « neminem id agere ut ex alterius pnvdetur inscitia. »

Mais ie m'estone de Vestendue que Xenopbd leur donc, et par les propos

20 ('/ par diuers exploits de son parfaict emperur : anthenr de merneillus pois en telles choses, corne grand capitcm [et] philosoje des premiers disciples de Socrales. lEt] ne consens pas a la mesure de sa dispance, [en\ tout et par tout.

Monfieur d'Auhigny aflîegeant Cappoùe, 6c après y auoir fait vne

2) furieufe haterie, le Seigneur Fabrice Colonne, Capitaine de la \'ille, avant commancé à parlementer de deffus vn baftion, & les gens

\'ar. ms. 2) teu'ir ta main a 4) uan^^t'iicc siipplaiilaiit cens de son aultwrilc. Cleomenes 12) mnsoint a demander tcnrs i?) poiirlani du temps '&] des 16) come de 17) prinileges eoutiv la iudiee raisonahtes au preindice de ï équité & de la raison. Mais ie 19) propos de .«« parfaicl emperitr et par diuers si eus exploits

' Cette traduction a remplacé le texte latin que Montaigne donnait primitivement : " Cnsiluui

inter coltbquia, cunclalioiiemq^ petentium Jidem, per occasionem captum est. »

^2 HSSAIS DR MOXTAIGXF.

tailant plus molle i^artlc, les noÛres s'en aniparercnt ^; mirent tout en pièces. Et de plus frelche mémoire à Yuoy le Seigneur lullian Rommero, avant tait ce pas de clerc de fortir pour parlementer auec Monfieur le Conneftable, trouua au retour fa place faifie. Mais afin que nous ne nous en aillions pas fans reuanche : le marquis de 5 Pefquaire aiïiegeant Gènes, le Duc Octauian Frcgofe commandoit foubs noftre protection, & l'accord entre eux ayant efté pouffé W auant, qu'on le tenoit pour fait, fur le point de la conclufion, les F.fpagnols s'eftans coullés dedans, en vferent comme en vne victoire planiere. Et depuis en Ligny en Barrois, le Comte de Brienne m commandoit, l'Empereur l'ayant aflîegé en perfonne, & Bertheuille Lieutenant dudict Comte eftant forty pour parler, pendant le marclx la ville fe trouua faifie.

Fu il vincer fempre mai laudabil cofa,

Vincafi o per fortunn 11 pcr ingeqno, 15

difent-ils. Mais le philofophe Chrifippus n'euft pas efté de cet aduis, & mov aufli peu : car il difoit que ceux, qui courent à l'enuy, doiuent bien employer toutes leurs forces à la viftelTe; mais il ne leur eft pourtant aucunement loifible de mettre la main fur leur aduer- faire pour Farrefter, ny de luy tendre la iambe, pour le faire cheoir. 20

Et plus genereufement encore ce grand Alexandre à Polvpercon, qui luv luadoit de fe leruir de fauantage que l'oblcurité de la nuict luv donnoit pour affaillir Darius : Point, fit-il, ce n'eft pas à moy d'employer des victoires defrobées; « malo me fortun;v pœniteat, quam victoria; pudeat. » 25

Atquc iiiciii fugiciitcm liaud eft dignatus Orodem Sternere, ncc iacta ctcum dare cufpide vulnus : Obuius, adiierfôque occurrit, feque viro vir Contulit, liaud ûirto meliiir, (cd fortihiis armis.

Tfati-; 88. 9) en vfarcnt 12) pour p.irlemantcr, peiulant le parlcinant In

Chapitre VII

QVE L INTENTION' IVGE NOS ACTIONS.

La mort, dict-on, nous acquitte de toutes nos obligations. l'en Içay qui l'ont prins en diucrfe laçon. Henry leptiel'mc Roy d'An- gleterre fift compofition auec Dom Philippe fils de l'Empereur Maximilian, ou pour le confronter plus honnorablement, père de 5 l'Empereur Charles cinquiefme, que ledict Philippe rcmettoit entre les mains le Duc de Suffolc de la rofe blanche, fon ennemy, lequel s'en eftoit fuy & retiré au pays bas, moyennant qu'il promettoit de n'attenter rien fur la vie dudict Duc : toutesfois venant à mourir, il commanda par fon teftament à fon fils, de le faire mourir, fou-

lo dain après qu'il feroit decedé. Dernièrement en cette tragédie, que le Duc d'Albe nous fit voir à Bruxelles es Comtes de Horne & d'Aiguemond, il y euft tout plein de chofes remarquables, & entre autres que ledict Comte d'Aiguemond, foubs la foy & alîcurance duquel le Comte de Horne s'eftoit venu rendre au Duc d'Albe,

15 requit auec grande inftance, qu'on le fit mourir le premier : affin que fa mort l'affranchit de l'obligation, qu'il auoit audict Comte de Horne. Il femble que la mort n'ait point defchargé le premier de la foy donnée, & que le fécond en eftoit quite, mefmes liuis mourir. Nous ne pouuons eftre tenus au delà de nos forces & de nos

Texte 88. 9) teft.iment cxprcfTcmcnt ;i 16) mort le o;arantit de

54 ESSAIS DE MONTAIGNE.

mo\'ens. A cette caufe, par ce que les effects ô;: exécutions ne font aucunement en noftre puiffance, & qu'il n'y a rien en bon cfcient en noftre puiflance, que la volonté : en celle fe fondent par neceflité, 6c s'eftabliflent toutes les reigles du deuoir de l'homme. Par ainfi le Comte d'Aiguemond tenant fon ame & volonté endebtée à fil promeffe, bien que la puiflance de l'effectuer ne fut pas en fcs mains, eftoit lans doute abfous de fon deuoir, quand il cuft furucfcu le Comte de Horne. Mais le Roy d'Angleterre faillant à fa parolle par fon intention, ne fe peut excufer pour auoir retardé iufques après fa mort l'exécution de fa defloyauté : non plus que le maflbn de Hérodote, lequel avant loyallement conferué durant fa vie le fecret des threfors du Roy d'Egypte fon maiftrc, mourant les defcouurit à fes entans.

l'ay lien plusieurs de iiioii temps eoiiiieineiis par leur eoiisciaiice retenir de l'aiitriii, se disposer a y satisfaire par leur testamaiit, [rf] après leur dece:^. Ils ne font rien qui iiaille, iiy de prandre terme a chose si pressante, ny de uouloir restahlir un' iniure aueq si peu de leur ressanti niant et iuterest. [Ils] doiuent du plus leur. [Et] d'autant qu'ils paient plus poi- sainmant, et [in]coniinodee niant : d'autant en est leur satisfaction plus iiistc [et] méritoire. La pœnitance demundc a se charger.

Cens la font encore pis qui reseruent la [reue]lation de quelque haineuse iiolante eniiers le proche [a le]ur dernière uolonté, l'aiant cachée pendant la nie; et montrent auoir \_peu] de soin du propre Jmieur, irritant l'offancé \a ]'e]nconire de leur mernoire, [et] moins de leur consciance, n'aiant pour le respect de la mort mesme sceu faire mourir [leur] maltalant, et en eslen- dant la nie outre la leur. Iniques iuges qui remettent a iuger alors qu'ils n'ont plus de conoissance de cause.

le me garderai, si ie puis, que ma mort die cime que ma nie n'ait pre- wierement dict.

\'ar. ms. 20) pa'iiilniice cJwd'e a 22) ciiuersteur proct'c... uolmilè mmtlmitU peu de foiu de leup] boneuH ifuUh ithaHdi^ t'aiant mcliee pautant leur nie. 23) soin de }eu>: hfHui: 26) iiiger \ttii Ifiiips <jii'ils

Chapitre Vlii.

DH L OISIVETE.

Comme nous voyons des terres oyilues, li elles lont graffes & fertilles, foilbnner en cent mille fortes d'herhes lauuages & inutiles, li^ que pour les tenir en office, il les faut affuhiectir & employer à certaines femences, pour noilre feruice; & comme nous voyons,

5 que les femmes produilent bien toutes feules, des amas & pièces de chair informes, mais que pour taire vne génération bonne & naturelle, il les faut embefoigner d'vne autre femence : ainfui eft-il des efpris. Si on ne les occupe à certain fuiet, qui les bride ^ contreigne, ils fe iettent defreiglez, par-cy par la, dans le vague

lo champ des imaginations,

Sicut aqua; tremulum labris vbi lumen aheiiis Sole repercuirum, aut radiantis imagine Lunx- Omnia peruolitat latè loca, iàmque l'ub auras Erigitur, fummique ferit laquearia tecti.

i) Et n'eft folie ny réuerie, qu'ils ne produilent en cette agitation,

velut :t'gri fomnia, vanx' Finguntur l'pecies.

Texte 88. 2) ftrtillcs, qu'elles 11c ccH'cnt Je foilbnner

36 ESSAIS Di: mo\tai(;nh.

L'amc qui n'a point de but ellably, elle le perd : car comme on dict, cclt nclb'c en aucun lieu, que d'eftre par tout.

Quifquis vhique habitat, Maxime, nufquam liabitat.

Dernièrement que ie me retira\- chez moy, délibéré autant que ie pourroy, ne me mefler d'autre choie, que de palTer en repos, & à 5 part, ce peu qui me relk de vie : il me fembloit ne pouuoir faire plus _i:;rande faueur à mon efprit, que de le lailTer en pleine oyliueté, s'entretenir Iby mel'mes, & s'arrefter & ralTeoir en Iby : ce que iefperois qu'il peut meshuv faire plus aifément, deuenu auec le temps, plus poifant, ^: plus meur. Mais ie trouue, 10

vaiiam l'eniper dam otia mentem,'

que au rebours, fuilant le cheual efchappé, il le donne cent lois plus d'affaire à fov mefmes, qu'il n'en prenoit pour autruy; & m'enfante tant de chimères & monftres fantafques les vns fur les autres, fans ordre, & fans propos, que pour en contempler à mon aife l'ineptie 15 (S; l'eftrangeté, i'ay commancé de les mettre en rolle, efperant auec le temps luy en faire honte à luy mefmes.

Teml 88. 5) pourroy. de ne

' A droito de cette cit.ition disposée dans le texte de 1 588 comme uu commencement de vers, cette recommandation de Montaigne i l'imprimeur : tircs Cil (a j c'cst IIIIC fin dc liers

Chapitre IX.

DES MHXTEVRS.

11 n'cft homme à qui il iiefe li mal de fc méfier de parler de mémoire. Car ie n'en reconnoy quaû trafle en moy, & ne penfe qu'il V en ave au monde vne autre ii monftreufe en défaillance, l'av toutes mes autres parties viles & communes. Mais en cette-là 3 ie penle eftre fingulier i^: très-rare, & digne de gaigner par nom & réputation.

Outre l'inconuenient naturel que i'en Ibuffre, air certes iieii su nécessite Phitoii < a '■ niisoii de hi iionier une 'grande et puissante déesse li en mon pais on veut dire qu'vn homme n'a poinct de lens, ils dilent

lo qu'il n'a point de mémoire : & quand ie me plains du défaut de la mienne, ils me reprennent & mel'croient, comme fi ie m'acculbis d'eflre infenfe. Ils ne voyent pas de chois entre mémoire & enten- dement. C'eft bien empirer mon marché. Mais ils me font tort, car il fe voit par expérience pluftoft au rebours, que les mémoires

I ) excellentes le ioignent volontiers aux iugemens débiles. Ils me font tort aufîi en ccc\, qui ne fçay rien li bien faire qu'efire amy, que les mefmes paroles qui acculent ma maladie, reprelentent l'ingratitude.

Texte 88. 2) mc-moirc, qu'à moy. Car Var. ms. S) iitressite Ls gu-

38 ESSAIS DE MONTAIGNE.

On fe prend de mon affection à ma mémoire; î^ d'\n défaut naturel, on en faict vn défaut de confcience. Il a oublié, dict-on, cette prière ou cette promeffe. Il ne fe fouuient point de fes amys. Il ne s'eft point fouuenu de dire, ou faire, ou taire cela, pour l'amour de moy. Certes ie puis aiféement oublier, mais de mettre à nonchalloir la charge que mon amy m'a donnée, ie ne le fay pas. Qu'on fe contente de ma mifere, iiins en faire vne efpece de malice, & de la malice autant ennemve de mon humeur.

le me coniole aucunement. Premièrement sur ce que c'est un mal duquel principaleiiuiiit i'uv lire Ici raison de corriger un mal pire lqiii\ se fui facilement produit ; en \ moy, sçauoir est l'ambition^ car c'est une desfail- lance insupportable a qui s'empescbe des negotiations du monde; que come disent plusieurs pareils exemples du progrès de nature, elV a uolontiers fortifie d'autres faculté:^ \ en : nu)i a mesure que cettccy s'est ajjoiblie, et irois facilement couchant cl alanguissant mon esprit & mon iugemct sur les traces d'autruy, conie jaict le monde, sans exercer leurs propres Jorces, si les inuitntions cl opinioiis estrangieres m'esloint presantes par le bénéfice de la niemoire; que mon parler en ell; plus court, car le magafin de la mémoire, eil: volontiers plus fourny de matière, que n'efi: celuy de Finuention .■ si elle m'eut tenu bon, l'eusse assourdi tous nws amis de babil, les subicis esueillanl cette telle quelle faculté que i'av de les manier cl cm- ploier, eschaujfaul et atirant mes discours. C'eff pitié. le l'efLive par la preuue d'aucuns de mes priue/ amys : à melure que la mémoire leur lournil la choie entière «S; prelente, ils reculent fi arrière leur narration, &. la chargent de vaines circonthmces, que li le conte ell bon, ils en eftouffent la bonté; s'il ne l'efl; pas, vous eftes à maudire ou riieur de leur mémoire, ou le malheur de leur iugement. \El\

'l'iiXTE 88. y) l'rcmicrcmciu de ce que mon p.iilcr

\'ar. ms. 16) .unis (•siicillcr li i:\ci\rr 21) siibich cmicHIûiiI li lititiuldiil luc.-i <y».<( ■»'«/•>■. icUi' Ifllc... cinptoiir ta p icdiil l'cuijiiiijjdHl li

I l'riiiiilivcmtm i;cUl- addition s'arrillail l.i.

LIVRE 1, CHAPITRE IX. ^^

c'est chose difficile lie jeniier un propos & de le couper despuis qu'on est iirrouté. [Et n\'esf rien ou la force d'un chenal se conesse plus qu'a faire un arrest ront et net. Entre les pertinans mesmes l'en uoi qui ueulent [et iw] se peuuent desfaire de leur course. Cependàt qu'ils cherchët \le paient 5 de clorre le pas, [ils s\'en uont haliucrnant & treinàt [corne] des homes qui desfaillèl defo^iblesse. Sur tout les uieillars sont dangernis, [a qui] la souuenance des chscs passées deni\ure, et ont perdu [la] souuenance de leurs redictes. I l'ay] veu des récits bien plesans deueiur tresennnieus en lu bouche d 'un seignur : chacun de l'assistàce en ayant esté ahbreuc cent fois.

lo Secondement,' qu'il me fouuient moins des offences receuës, ainsi que dilbit cet ancien; il me fandroit un protocolk, corne Darius pour n'oblier l'offance qu'il auoit receu des Athéniens, faisoit qu'un page a tous les coups qu'il se mettoit a table, luy iiinf rechanler par tj:ois fois a l'oreille : Sire souuienc nous des Athéniens; & que les lieux & les Hures que ie reuov

1 5 me rient toufiours d'vne trefche nouuelleté.

Ce n'efl; pas Hms railbn qu'on dit, que qui ne le lent point aiïez ferme de mémoire, ne fe doit pas méfier d'eftre menteur. le fçay bien que les grammairiens font différence entre dire menfongc, & mentir : & difent, que dire menfonge, c'eft dire choie fauce, mais

2o qu'on a pris pour vraye, & que la définition du mot de mentir en Latin, d'où noftre François eft party, porte autant comme aller contre fa confcience, & que par confequent cela ne touche que ceux qui difent contre ce qu'ils fçauent, defquels ie parle. Or ceux icy, ou ils inuentent marc & tout, ou ils déguifent & altèrent vn

2) fons véritable. Lors qu'ils déguifent & changent, à les remettre

Texte 88. lo) .\ufli, qu'il me fouuient... rcccuiis, come difoit

Var. ms. 5) roui et ferme m lani 5) qui ie ueiiteiit 4) peinieiil iirrekr A^;:]<i»w 5) de J^nlete et plaiidite [ils s 'en uoiil luislelaiit & treinàt 6) a qui la mémoire des contes dem' ure entière et n'ont perdu [que la] mémoire de leurs rediftes [l'ax (H la heu 9) d'un fb 12) faisait to qu'un page toutes les fois qu'il

' Secondement correction .intérieure aux additions de cet alinéa.

40 ESSAIS Dt MOXTAIGXH.

lOLiuont en ce mcl'me conte, il mal-ailé qu'ils ne ie deslerrent, par ce que la chofe, comme elle ert, s'ertant logé'e la première dans la mémoire, & s'y eftant empreincte, par la voye de la connoilîiince, & de la fcience, il eft mal-aifé qu'elle ne fe reprefente à l'imagination, délogeant la fauceté, qui n'y peut auoir le pied fi ferme, ny i\ raflis, 5 & que les circonftances du premier aprentill;ige, fe coulant à tous coups dans Fefprit, ne facent perdre le louuenir des pièces raportées, faulfes ou abâtardies. Kn ce qu'ils inuentent tout à taict, d'autant qu'il n'y a nulle imprelîion contraire, qui choque leur tauceté, ils femblent auoir d'autant moins à craindre de fe mefconter. Toutes- m fois encore cecv, par ce que c'ert vn corps vain, & fiins prife, efchappe volontiers à la mémoire, fi elle n'eft bien alTeurée.

Dequov i'av fouuent veu fexperience, & plaifammant, aux delpens de ceux qui font profeflîon de ne former autrement leur parole, que félon qu'il fert aux affaires qu'ils negotient, & qu'il plaift aux grands 15 à qui ils parlent. Car ces circonftances à quov ils veulent alTeruir leur fov & leur confcience, eftans fubiettes à plufieurs changements, il faut que leur parole fe diuerfihe quand & quand; d'où il adulent que de mefme chofe ils difent gris tantoft, tantoft iaune; à tel homme d'vne forte, à tel d'vne autre : & il par fortune ces hommes 20 raportent en butin leurs inftructions \\ contraires, que deuient cette belle art ? Outre ce qu'imprudemment ils fe desferrent eux-mefme i\ fouuent : car quelle mémoire leur pourroit fuffire à fe louuenir de tant de diuerfes formes, qu'ils ont forgées à vn mefme lubiect. I'av veu plufieurs de mon temps, enuier la réputation de cette belle forte 25 de prudence, qui ne voyent pas que, li la réputation v eft, l'eflect n'y peut eftre.

1 Hii uciilc le iiiciillr csl iiii iintinllt iiicc. Xous ne soniiiics homes, el ne lions tenons les uns nus autres que pur In pinroJe. Si nous en eonessions l'hornir et le pois, nous le ponrsuiurions n jen plus insteinniit que tl'iinlres 30 eriiiies. le Ireuiie qu'on s'iiinuse onlinereinenl a ehnstier ans eiijans Jes errurs iiiiHk'enles Iresinal a propos, el qu'on les louriuanle pour îles aelioiis

I.IVRn I, CHAPITRF. IX. 4I

iancrcrcs qui n'ont nv impression ny suite. La nuinicric suie et un peu au dessous Vopiniatrcte me semblent esirc celles des quelles [o«] deuroit a toute instance combattre h naissance et le progrès. Elles croissent quand [et \ eus. Et despuis qu'on a donc ce faus trein a la langue, c'est merueille combien [il] est impossible de l'en retirer. [Pan ou il adulent que Jioiis uoions des honcstes homes d'ailleurs, y estre subiet::^ et asseruis. l'ay un bon garçon de tailleur a qui lie] n'ouis ianiais dire une uerite, non pas quand elle s'offre pour luv seruir ufilenuint.

Si comc la uerite le mansonge n'auoit qu'un uisage nous serions | en j meillurs termes. Car nous prenderions pour certein l'oppose de ce que dirait [le] mantur. Mais le reuers [de] la uerite a cent mille figures et un champ indéfini.

Les Pvthagoriens font [le bi\en certein et fini, le [mal] infini et incertein. Mille routes desuoïent du blanc, une y ua. Certes ie [ne] m'assure pas que ie [peus]se uenir a bout de moi, [a] garantir un dangicr [euide]nt et [extre]me par un' effrontée [et so]lemne mansonge.''

Vn antien père dict que nous somes miens en [la~] conipaignie d'un chien comi qu'en celle d'un home du quel le langage nous est inconu. « [Vt] externus aliéna non sif hominis uicc. » \ Et] de combien est le langage faus moins sociable que le silance.

Le Roy François premier fe vantoit d'auoir mis au rouet par ce moven Francifque Tauerna, ambafliideur de François Sforce Duc de Milan, homme tres-fameux en Icience de parlerie. Cettuy-cy auoit efté depelché pour excufer fon maiftre enuers la xMajefté, d'vn fait de i^rande confequence, qui eftoit tel. Le Roy pour maintenir touliours quelques intelligences en Italie, d'où il auoit efté dernièrement chalTé, mefme au Duché de Milan, auoit aduilc d'v tenir près du Duc vn

Var. ms. 10) ccrfeiii If coiihrir ili- iv 15) daii^ier exhe iiif 17) ^£/' esl iinii ce qti'ini aiilicii

' Les PylliagOrieilS... mansonge a cté écrit i b suite Je : Vil tllltii-n... sililiur; nuh sa phce était marquée par un renvoi ms. après indepill.

ESSAIS DK MONTAIGNE

gentil-homme de ia part, ambafladeur par effect, mais par apparence homme priiié, qui fit la mine d'y eftre pour fes affiiires particulières : d'autant que le Duc, qui dependoit beaucoup plus de l'Empereur, lors principalement qu'il eftoit en traicté de mariage auec fa niepce, fille du Roy de Dannemarc, qui eft à prefent douairière de Lorraine, 5 ne pouuoit defcouurir auoir aucune praticque & conférence auecques nous, fans fon grand intereft. A cette commiflîon fe trouua propre vn gentil'homme Milanois, efcuyer d'efcuric chez le Roy, nommé Merueille. Cettuy-cy defpefché auecques lettres fecrettes de créance & inflructions d'ambaflitdeur, & auecques d'autres lettres de recom- 10 mandation enuers le Duc en faueur de fes afïiiires particuliers pour le mafque & la montre, fut fi long temps auprès du Duc, qu'il en vint quelque refentiment à l'Empereur, qui donna caufe à ce qui s'enfuiuit après, comme nous penfons : qui fut, que foubs couleur de quelque meurtre, voila le Duc qui luy faict trancher la tefte de 1 5 belle nuict, & fon procez faict en deux iours. Meflîre Francifque eftant venu preft d'vne longue déduction contrefaicte de cette hiftoire, car le Roy s'en eftoit adreffé, pour demander raifon, à tous les princes de Chreftienté «Se au Duc mefmes, fut ouy aux affaires du matin, & ayant eftably pour le fondement de fa caufe, 30 iSc dreffé à cette fin, plufieurs belles apparences du faict : que fon niaiftre n'auoit iamais pris noftre homme, que pour gentil-homme priué, ic fien iuiect, qui eftoit venu faire fes affaires à Milan, & qui n'auoit iamais velcu foubs autre vil'age, deladuouant mefme auoir fceu qu'il fut en eftat de la maifon du Roy, ny connu de luy, 2) tant s'en faut qu'il le prit pour ambafîiideur; le Roy à fon tour le prefî\int de diuerfes obiections & demandes, & le chargeant de toutes pars, l'accula en lin fur le point de l'exécution faite de nuict, & comme à la defrobée. A quoy le pauure homme embarrafix' refpondit, pour faire l'honnefte, que pour le rcfpcct de la Majeftc 30

Texie 88. 28) pars, l'accufa en

LIVRK I, CHAPITRH IX. 45

le Duc eull elle bien niarry, que telle exécution le l'ut t'aicte de iour. Chacun peut penler, comme il fut releué, s'eftant 11 lourdement couppé, & à l'endroit d'vn tel nez, que celuy du Roy François.

Le pape Iule fécond ayant enuoyé vn ambafladeur vers le Roy d'Angleterre, pour l'animer contre le Roy François, l'ambafladeur ayant elle ouy fur la charge, & le Roy d'Angleterre sellant arrellé en fil relponce aux difficultez qu'il trouuoit à drefler les préparatifs, qu'il faudroit pour combatre vn Roy fi puiflant, & en alléguant quelques railbns, l'ambafladeur répliqua mal à propos, qu'il les auoit aufli confiderées de la part, & les auoit bien dictes au Pape. De cette parole li elloingnée de fa propofition, qui elloit de le poufler incontinent à la guerre, le Roy d'Angleterre print le premier argu- ment de ce qu'il trouua depuis par effect, que cet ambalTadeur, de fon intention particulière, pendoit du collé de France. Et en avant aduerty Ion maillre, l'es biens furent contîfquez, 6^ ne tint à guère qu'il n'en perdit la vie.

Chapitre X.

DV PARLER PROMPT OV TARDIF.

OiK ne furent à tous, toutes grâces données.

Auiîî vovons nous qu'au don d'cloquence, les vns ont la facilite & la promptitude, & ce qu'on dict, le boute-hors fi ailé, qu'à chaque bout de champ ils font prefts; les autres plus tardifs ne parlent iamais rien qu'élabouré & prémédité. Comme on donne des règles 5 aux dames de prendre les ieux & les exercices du corps, félon Taduantage de ce qu'elles ont le plus beau, il i'auois à confeiller de mehnes, en ces deux diucrs aduantages de l'éloquence, de laquelle il femble en noftre liecle, que les prefcheurs «S: les aduocats lacent principale profelfion, le tardif feroit mieux prefcheur, ce me 10 femble, ^c l'autre mieux aduocat : par ce que la charge de celuv-là luy donne autant qu'il luy plaiÛ de loifir pour le préparer, & puis fa carrière fe pafle d'vn fil 6c d'vne fuite, fans interruption, les commoditez de l'aduocat le preflent à toute heure de fe mettre en lice, i^ les refponces improuueues de fa partie adueri'e le reiettent hors de 15 Ion branle, il luv faut fur le champ prendre nouueau partv.

Si eft-ce qu'à lentreueue du Pape Clément \ du Roy François à Marfeille, il aduint tout au rebours, que monlieur Povet, homme toute la \ie nourrv au barreau, en grande réputation, avant charge de faire la harangue au Pape, & l'avant de longue main pourpenfée, 20 voire, à ce qu'on dict, apportée de Paris toute preflc, le iour niclmc

LIVRH I, CHAPlTRli X. 4)

quelle dcuoit clb'o pronoiiccc, le Pape le craignant qu'on luy tint propos, qui peut ofFencer les ambafladeurs des autres princes, qui ertoient autour de luy, manda au Roy l'argument, qui luy lembloit eflre le plus propre au temps & au lieu, mais de fortune tout autre 5 que celuy fur lequel monfieur Poyet s'ertoit trauaillé : de façon que fa liarangue demeuroit inutile, & luy en falloit promptement refoire \ n autre. Mais s'en fentant incapable, il fallut que Monfieur le Car- dinal du Bellay en print la charge.

La part de l'Aduocat cil plus difficile que celle du Prefclieur,

10 ,!s: nous trouuons pourtant ce )iù'st liiiis plus de paffiibles x\duocats que Prefcheurs, au moins en France.

Il femble que ce foit plus le propre de l'efprit, d'auoir fon opération prompte & foudaine, & plus Je propre du iugement, de l'auoir lente & pofée. Mais qui demeure du tout muet, s'il n'a loillr de fe préparer,

1 5 & celuy auffi, à qui le loifir ne donne aduantage de mieux dire, ils font en pareil degré d'eilrangeté. On recite de Seuerus CaflTius, qu'il difoit mieux fans y auoir penfé; qu'il deuoit plus à la fortune, qu'à fa diligence; qu'il luy venoit à profit d'eflre troublé en parlant, & que fes aduerlaires craignoyent de le picquer, de peur que la colère ne

2u luy fit redoubler fon éloquence. le cognois, par expérience, cette condition de nature, qui ne peut fouflenir vue véhémente prémédi- tation & laborieufe. Si elle ne va gayement & librement, elle ne va rien qui vaille. Nous difons d'aucuns ouurages qu'ils puent l'huyle & la lampe, pour certaine afpreté & rudelTe, que le trauail imprime

2) en ceux il a grande part. Mais outre cela, la folicitude de bien faire, & cette contention de l'ame trop bandée & trop tendue à fon entreprife, Jii met au rouci, la rompt, & Yempeehe, iiiusi qu'il culuienl a l'eau qui par force de fe prefTcr de fa violence & abondance, ne peut trouuer ifîuë en vn gouJei ouuert.

Texte 88. y) celle d'vii Prelclieur, lu) pDurtaiU ce me lemble plus 12) plus le rollc de 15) & plus celuy du 25) puent à l'huyle & à l;i lampe 27) entreprife, la rompt, & la trouble : comme l'eau 29) vn palFaye ouuert

46 ESSAIS DE MONTAIGNE.

En cette condition de nature, de quoy ie parle, il y a quant i^ quant auflî cela, qu'elle demande à élire non pas elbranlée & piquée par ces pallîons fortes, comme la colère de Caiïius (car ce mouue- ment leroit trop alpre), elle veut eftre non pas fecoùée, mais folicitée : elle veut eftre elchaufée .is; reueillée par les occafions eftrangeres, 5 prefentes & fortuites. Si elle va toute feule, elle ne fait que traîner 6\: languir. L'agitation eft fa vie & fa grâce.

le ne me tiens pas bien en ma poflefTion et dilpolition. Le hazard V a plus de droict que moy. L'occalion, la compaignie, le branle mefnie de ma voix, tire plus de mon elprit, que ie n'y trouue lors 10 que ie le fonde, & employé à part moy.

Ainli les paroles en valent mieux que les efcripts, s'il \- peut auoir chois il n'v a point de pris.

Ceci iiùiiiiciil aussi : que [ie] ne me l renne pas on ie me cherche; et /;/<• Irenne phis par rencontre qne par l'inqnisilion de mon ingénient, {fa irai 13 cslance qnclqnc subtilité en escrinant (i'cntans bien : mornee pour [un antre, affilée pour moy; laissons tontes ces honestcte:^ : cela se dict par chacun selon [sa\jorce); ie l'ai [si\ bien perdue qiw ie ne sçai ce que i'ay uolu dire : cl l'a l'eslrangier dcsconuerte parfois anant mov. Si ie portois le rasoir par tout ou cela m'auieni, ie me des/crois tout. \_Le I rencontre m'en 20 ojjrira le ioiir quelqu' autre fois pins apparant que celuy du midi :

[et\ nw Jaira estoner \de\ mon hésitation.

\'ak. ms. 15) plus par lorhiiu' (juc i6) csliiiice une poiiile [d'i^muuilum eu escriuaul. 17) cela s'-enk se dict a chacun selon [sa] force. Cette pointe la ie la treuue ,_si\ bien perdue qu'il m'en faut respoudre ; que] ne sçai ce que i'ay uolu dire : et l'a l'estraugier d'csicrrce parfm souiuiul auaul uw\ 22) cl m'-cslcne

Chapitre XI.

DES PROGN'OSTICATION'S.

Quant aux oracles, il eft certain que bonne pièce auant la venue de lefus-Chrirt, ils auovent commencé à perdre leur crédit : car nous voyons que Cicero le met en peine de trouuer la caule de leur défaillance; cl ces mots s(Vil a Iiiv : « Ciir isio modo iiiiii oniciihi 5 Dclpbis non cduntur non nioilo iiostra aiatc scd iiintdiii ut modo nihil possit esse contenipsiiis. » Mais quant aux autres prognoftiques, qui fe tiroyent de l'anatomie des belles aux facrifices, ans quels Platon attri- bue en partie la constitution naturelle des membres internes [d'ic^,elles, du trépignement des poulets, du vol des oyfeaux, « aues quasdam rerum

m augurandarum causa natas esse putamus » ,^ des foudres, du tournoie- ment des riuieres, « multa cernunt aruspiees, multa augures prouident, multa oraculis declarantur, multa uaticinationibus, multa \so\ninijs, nndta porteniis », & autres fur lefquels l'ancienneté appuioit la plus part des entreprinfes, tant publiques que priuées, noftre religion les a

i) abolies. Et encore qu'il refte entre nous quelques moyens de diui- nation es aftres, es efprits, es figures du corps, es fonges, & ailleurs,

Var. ms. 8) h cniislitulioi! des iiatiircllea

< Citation écrite d'abord après WelleS, effacée, puis récrite au-dessous.

48 ESSAIS DF MOXTAIGXE.

notable exemple de la forçLiiée curiolité de nortre nature, s'amu- fant à préoccuper les chofes futures, comme li elle n'auoit pas aflez affaire à digérer les prelentes :

cur liane tibi rector Olympi Sollicitis vilum mortalibus addere curam, 5

Nofcant venturas vt dira per omina clades, Sit iubitum quodcunque paras, fit cxca futuri Mens hominum fati, liceat fperare timenti,

«Ne utile quideiii est scire qiiid fntitniiii sit. Misera m est eiiiiii uihil pro- fieienteiii aiigi », fi eft-ce qu'elle eft de beaucoup moindre auctorité. m

\'oyla pourquoy l'exemple de François Marquis de Salluffe m'a femblé remarcable. Car lieutenant du Roy François en l'on armée de la les monts, infiniment fauorifé de noftre cour, & obligé au Roy "du MarquiliU mefmes, qui auoit efté confil'qué de fon frère, au refte ne fe prefentant occafion de le fixire, fon affection mefme v contredi- 1 5 fant, fe laiffa fi fort efpouuanter (comme il a efté adueré) aux belles prognoffications qu'on fiiifoit lors courir de tous cofiez à l'aduantagc de l'Empereur Charles cinquiefme, & à noftre def-aduantage, mefmes en Italie, ces folles prophéties auoyent trouué tant de place, qu'à Rome fut baillé grande fomme d'argent au change, pour cette opinion 20 de noftre ruine, qu'après s'eftre fouuent condolu à fcs priuez, des maux qu'il voyoit ineuitablcment préparez à la couronne de France, & aux amis qu'il y auoit, fe rcuolta, & changea de party : à fon grand dommage pourtant, quelque conftellation qu'il y eut. Mais il s'y conduifit en homme combatu de diuerfes paffions. Car ayant 25 & villes & forces en fa main, l'armée ennemye foubs Antoine de Leue à trois pas de luv, & nous liuis foubfçon de fon taict, il eftoit en luv de f;iire pis qu'il ne fift. Car pour fa trahifon, nous ne perdifmes nv homme, nv ville que Foffan : encore après l'auoir longtemps conteftée. 30

LlVKl: 1, CHAIMTKI: XI. 49

Prudens futuri tcmporis exituni Caliginoili nocte premit Deus, Ridétque li niortalis vitra Fas trépidât.

5 Illo potens lui

L;ttiilque deget, cui licet in diem Dixilîc, vixi, cras vel atra Nube poluni pater occupato \'el foie puro.

10 Lxtus in pr;vlens animus, quod vitra eft,

Oderit curare.

Et cens qui croient ce mot un conlrere, le croieiil a tort : « hla sic reci- proca)ititr, ut et, si cliuiiuilio sit, tlij siiit; cl, si dij siiil, sil diuiinilio.» Beaucoup plus sugcuieiil Pacuuius :

15 Naiii islis qui lingiiain aiiiiiiu inltllis^iiiil,

Pliisqiif ex aliéna iecore sapiiiiit quain ex sno, Magis andicnduni qiiam auscultandum censeo.

Celle tant célébrée art de diuiiier des Tboscuiis luisquit ainsi. Vu laboureur perçant de son eoullre projondenunit la terre, eu uid sourdre Tasj^es denii-

20 dieu d'un uisage enfant iu mais de scnilc prudancc. Chacun y accourut et furent ses paroles et sciance receiiillie et conseruec a plusieurs siècles, conte- nant les principes & nioïcns de cette art. Naissance conforme a son progrès.' l'avmcrois bien mieux régler mes affaires par le lort des dez que par ces longes.

25 El de urai en toutes republiques on a lousiours laisse bone part d'aiilbo- ritc au sort. Platon en la police qu'il forge a discrelion luy attribue la décision de plusieurs cjfaicls d'iniporlance. Et ueut entre autres choses que les nniriages se faeenl par sort cuire les bons : cl doue si grand pois a celle

Var. ms. 12) qui croient Ciccro au 19) Tagcs d'un 27) ucul que les 28) enire les meill

' Wlissdllie... propres adJilion ultcricurc.

50 ESSAIS DU MONTAIGNE.

cslcclioii fortuite que les eiifuns qui eu miisseut, il ordoue qu'ils soit nourris au pais; ceus qui naissent des nuiuues, en soint mis hors : toutesfois si queleun de ees luDiis uenoit par cas d'aua)iture a montrer en croissant quelque bone espérance de soi, qu'on le puisse rapeler et exiler aussi celuy d'entre les retenus qui montrera peu d'espérance de son adolescence. 5

l'en voy qui eftudient ..^ glofent leurs Almanachs, & nous en allèguent l'authorité aux chofes qui le paflent. A tant dire, il taut qu'ils dient & la vérité & le menlonge : » Ouis est enim qui totuni dient iaculans non aliquando conlineet ? » le ne les ellime de rien mieux, pour les voir tomber en quelque rencontre : ce feroit plus de certi- 10 tude, s'il \- auoit règle & vérité à mentir touliours. loint que piersonc ne tient registre de leurs mescontes, d'autant qu'ils sont ordineres et infinis ;] ('/ fiiicf ou ualoir leurs diuinations de ce qu'elles sont rares, incroiables & prodigieuses. Ainsi respondit Diagoras qui fut surnome l'Athée, estant en la Samothrage, a celuy qui en luy montrant au temple force ucus et 15 Jableaus de ceus qui auoint escbapé le naujrage, luy dict : Et bien, nous qui penses que les dieus mettent a nonchaloir les choses hui)iai)ws, que dictes uons de tant d'homes saunes par leur grâce? Il se faict alsi, respondit il; ceus la ne sont pas peints qui sont dentures noyés, en bien plus grand nombre. Ciccro dict que le sul Xenophaiws Colophonius entre tons les 20 philophes^ qui ont aduoue les dieus, a essaie desraciner toute sorte de diuiualion. D'autant lest] il moins de merueille si nous auons veu par fois à leur dommage, aucunes de nox âmes principeiques s'arrefter à ces vanitez.

le noudrois bien a noir reconu de mes yeus ces dcus mcrncilles : du Hure 25 [de] loachim, abbe calabrois, qui predisoit tous [/c.?] papes futurs, leurs

Texte 88. 22) l'ay veu par fois

Var. .MS. i) naissent soinl nourris 3) d'auaniure m 15) mon Iran l force ucus ci tabicaus (ui temple de cens 17) dieus me 18) saunes de leur 21) ont recoiiii les dieus ii essaie de desyiieiner 26) nhl'e de Cahtl're

' Sic.

LIVRE I, CHAPITRE XI. 5I

iioi>is \jcf] formes; et eehiy de Léon [I'e]i)ipenir, qui prcdisoil les ei)ipenirs [et] patriarches de grare. Cecy ai ie recoiiii de mes yens, qu'es eoufusious publiques les hoiiws estone:^ [de] leur fortune se uoiit rcietiinl coinc a tonte superstition, a rechercher au ciel les ciinses et niciuurs cintienes de leur 5 inalhnr. Et [y s]ont si estrangcmani hnrens de mou temps, qu'ils [m'\ùut persuade, qu'ainsi que c'est un amusement [d'e]sperits aigus & oisifs, cens qui sont dnits a cette subtilité, de les replier & desnouer, serai ut eu tous escris capables de trouuer tout ce qu'ils y demandent. Mais sur tout leur preste beau ieu le parler obscur, a)id'igu et fantastique du iargon profectique, [au]

10 quel leurs autheurs [ne\ douent ancu)i sens cler, affiu que la postérité [ v^ eu pinsse appliquer de tels qu'il luy plairra.

Le démon de Socrates eftoit à l'aduanturc certaine impulfion de volonté, qui fe prefentoit à luv, fons atandre le confeil de fon difcours. En vne ame bien efpurec, comme la fienne, & préparée par continuel

15 exercice de ûigefle & de vertu, ileft vray femblable que ces inclina- tions, quov que téméraires et indigestes, eftoyent toufiours importantes & dignes d'eftre fuyuies. Chacun sent en foy quelque image de telles agitations d'u}ie opiiu'on pronipte, uehenniute et fortuite. C'est a )iu)y de leur douer quelque authorité, qui en donc si peu a uostre prudance. Et en

20 ai eu de pareillement faibles eu raison et uiolentes en persuasion : ^ni eu dissuasion, qui estoint plus ordineres en Socrates, aufquelles ie me laiiïixy emporter fi vtilement & heureufement, qu'elles pourroyent eftre iugées tenir quelque chofe d'infpiration diuine.

Texte 88. 12) eftoit à mon aduis certaine 14) par continuer exercice 16) quoy que fortuites, eftoyent toufiours bonnes & dignes 17) Chacun a en foy, quelque image de telles agitations. l'en ay eu, aufquelles ie 23) iugées auec quelque

\'ar. ms. i) tes empcnirs de gi^fc Uui^ miU /t] semhlitbhmâl- ks patriarches 2) reconu, qu'es 4) rectierder de toutes pars tes menaces 5) Et [y] out este si 7) de replier 8) ce qu'ils y chcrcheroiiit. Mais sur tout leur doue beau 9) iargoii progmsticatur : [au quel nul 10) aucun certein sens, ajpu 11) appliquer tels [quj'elh vmd 18) agitations. l'en ay eu de pareillement /cibles en fnudemeut raison et uiolentes en incilalion, aufquelles 19) a la prudance 23) iugées rtHo;V f" quelque

Chapitre XII.

DE LA COXSTAN'CE,

La Lov Je la rcfolution & de la conllancc ne porte pas que nous ne nous deuions couurir, autant qu'il eft en nortre puilLince, des maux & inconueniens qui nous menaiTent, nv par confequent d'auoir peur qu'ils nous lurpreignent. Au rebours, tous moN'ens honneftes de fe garentir des maux font non feulement permis, mais louables. Et le ieu de la conlLmce fe iouë principalement à porter patiemment les inconueniens, il n'v a point de remède. De manière qu'il n'v a louppleffe de corps, n\- mouuement aux armes de main, que nous trouuion.s mauuais, s'il fert à nous garantir du coup qu'on nous rue.

Plusieurs nations très hcUiqeuses se seruoint en leurs faicts d'armes de la fuite pour aduanta^ie principal [d^] niontroint le dos a [^e^nen!i plus dangcreuscnièt que leur uisage.

Les Turcs len] retienent quelque chose.

Et Sacrâtes \cii'] Platon, se moquant de L(icl.k\ qui auoit défini Ja] fortilude : se tenir ferme en sou rauc contre les encinis : Quoi, fit [//], scroit ce donq Jacbcte de- les battre en leur faisant place? Et lux allègue

Texte 88. -) paticmnicnt, & de pic ferme, les

\'ar. .ms. II) hdtiqeuiei en tciin faicls d'armes se senioiiil île In fuite i.j) relieiieiil eiieore ijiietqiie i6) forlihiile : se k»ii^ ferme s«tt urne et iii efiilR' les tenir f<ii4 cl en son

I.lVKi; 1, IMIAIMTKH XI 1. j^

Honicic qui loue en .Eiidis la sciiiinr de jiiir. ' Et \ purée que Lieber^ se riiiiisdiil iiuoiie cet usage aus Seilhes et enfin generaleinàl ans gens de ehenal, il hiy allègue encores l'exaniple des gens de pied Laeedeinoniens, }ialion sur toutes duite a comhatrc de pied ferme, qui en la iournee de Platées,

5 //(' pouuant ouurir la phalange Persiene, saduisarent de s'escarter {et'] sier arrière, pour par l'opinion de leur fuite faire rompre & dissoudre cette mctsse en les poursuiuât. Par ou ils se donarent la uietoire.

Touchant les Scithes on diet d'eus, quand Darius alla pour \!es] sid>iu- guer, qu'il manda a leur Roy force reproches pour le noir tousiours reculât

10 dauant luy & gaucbissàt la meslee. {A] quoi Indathyrse, car ainsi se nonwit il, fit responee que ce n estait pour auoir p-ur ny de Iny uy d'home uiuaiit, mais que c'estoit la façon de marcher de sa luition, n'ayant ny terre cultiuee, iiv uille, nv maison a dcjandre et a creindre que l'enemi en peut faire profit. Mais s'il auoit si grand faim d'y mordre, qu'il apro-

1 5 chat pour u.oir, le lieu de leurs anlienes sépultures, et que la il Irouiierroil a qui parler.

Toutes-fois aux canonadcs, depuis qu'on leur eft planté en bute, comme les occalions de la guerre portent Ibuuent, il eft melTeant de s'elbranler pour la menafle du coup : d'autant que pour la violence

2o & vitefle nous le tenons ineuitable. Et en y a meint vn, qui pour auoir ou haufle la main, ou baifle la tefte, en a pour le moins apprefté à rire à les compagnons.

Si eft-ce qu'au voyage que l'Empereur Charles cinquielme lit contre nous en Prouence, le Marquis de Guaft eftant allé recognoiftre

2) la Ville d'Arle, & s'eftant ietté hors du couuert d'vn moulin à vent, à la faueur duquel il s'eftoit approché, tut apperceu par les Seigneurs de Bonneual & Scnefchal d'Agenois, qui le promenoient fus le

\'ar. ms. 2) raiiisaiil anoiwU bien cet tisnge ans Seill.'es et eu gênerai nus 5) Lacedenwuiens gens sur ims duih n eumluili^ Je j^ied fe 4) Jeiine en son mue (jui cil 5) pounaul rompre la pl)nlange MiKeJmicue 6) ilissondrc ee et)i:ps p celle masse pour les poursuiurc & par la se donarent gaigué. 9) pour les uoir tousiours reculer... & gauchir delà meslee 12) c'estoit sa façon 14) faim de laster du eonihal qu'il aproclml uoir.

54 ESSAIS DE MONTAIGNE.

théâtre aux arènes. Lefquels l'ayant monllrc au Seigneur de \'illier Commiflliire de l'artillerie, il braqua à propos vne colouurine, que lans ce que ledict Marquis voyant mettre le feu fe lança à quartier, il fut tenu qu'il en auoit dans le corps. Et de mefmes quelques années auparauant, Laurens de Médicis, Duc d'yrbin, père s de la Rovne, mère du Roy, affiegeant Mondolphe, place d'Italie, aux terres qu'on nomme du Vicariat, voyant mettre le feu à vne pièce qui le regardoit, bien luy leruit de fiiire la cane. Car autrement le coup, qui ne luv rafa que le defTus de la tefte, luv donnoit fans doute dans l'eftomach. Pour en dire le vrav, ie ne croy pas que lo ces mouuemens fe fiffent auecques dilcours ; car quel iugement pouuez vous fiiire de la mire haute ou baffe en chofe fi foudaine ? Et eft bien plus aifé à croire, que la fortune fiuiorila leur traveur, & que ce feroit moven vn' autre fois auffi bien pour fe ietter dans le coup, que pour l'euiter. 15

. le ne me puis deffendre, fi le bruit efclattant d"\ne harquebufade vient à me frapper les oreilles à l'improuueu, en lieu ie ne le deuffe pas attendre, que ie n'en treffaillc : ce que i'ay veu encores aduenir à d'autres qui valent mieux que mov.

Ny n'cniauâcni les Stoicicm que J'aiiie de leur sage puisse résister aus 20 premières uisions et fantasies qui luv suruieiieiit : aius corne a nue suhicctiou naturelle conseil teut qu'il cale au orand bruit du ciel ou d'une ruine pour example iusques a la pallur et contraction. Ainsin aus autres passions, pourueu que son opinion de[mure] sauue et entière et que l'assiete de son discours n'en souffre atteinte n\ altération quelconque et qu'il ne preste nul 25 consentemen a son effroi et souffrance. De celluy qui n'est pas sage il en ua de nh'smcs en la première partie, mais tout autremant en la seconde. Car l'impression des passions ne deinurc pas en luv superficielle, ains ua

Var. ms. 21) fiiiil<ifii:< (fimf a une ml'itftwu miiuuiU unis... naliirctti' quih cedeul a un araud Inuit pmi: cxamplc du ciel eu d'-une t:uim consciiieul qu'il cedc au grand hruil pour examplc du cid ou d'mic ruine iusques 26) De cens qui vc soûl pus sages il eu un de mesmes qu'nus suges en lu première 28) en eus superfwieUe

LIVRE I, CHAPITRE XII. 5 5

penchant iusqucs au sicge de sa raison, l'infectanl et lu eonvnipant. Il hige selon icelles et s'[y\ conforme. Voye^ bien disertemenl et pleimmant l'cstat du sage Stoiquc

Mens immola maïui, lachrïmx iioluunlur iiuines.

•5 Le sage Peripaleticieii ne s'exeinple pas des pcriurhatkms, mais il les modère.]

\'ar. ^[s. i) de lair raison... Ils iiigenl... s'j] conforment. 2) bien plus disertemenl

Chapitre XIII,

CHRH.MOXIH DE LEXTRliVliVÉ DES ROYS.

11 neft fubicct li vain, qui ne mcritc \n rang en cette raplodie. A nos règles communes, ce feroit vne notable dil'courtoifie & à l'endroit d'vn pareil & plus à l'endroict d'vn grand, de faillir à vous trouuer chez vous, quand il vous auroit aduerty dy deuoir venir. A'oire adiouftoit la Royne de Xauerre Marguerite à ce propos, que 5 c'eftoit inciuilité à vn Gentil-homme de partir de la mailbn, comme il le laict le plus louuent, pour aller au deuant de celuy qui le vient trouuer, pour grand qu'il foit : <bc qu'il eft plus relpectueux 6c ciuil de l'attendre, pour le receuoir, ne fufl: que de peur de faillir fa route : <S; qu'il fufîit de l'accompagner à fon partement. 10

Pour moy l'oublie fouuent l'vn & l'autre de ces vains oUices, comme ie retranche en ma mailbn toute cérémonie. Quelqu'vn s'en offence : qu'y ferois-ie? Il vaut mieux que ie l'oftence pour vne fois, que à mov tous les iours : ce feroit vne fubiection continuelle. A quov faire fuvt-on la feruitudc des cours, li on l'en îraine iuf'ques 15 en fa tanière.

Cell aufli vne reigle commune en toutes affemblées, qu'il touche aux moindres de fe trouuer les premiers à l'afllgnation, d'autant qu'il eft mieux deu aux plus apparans de fe faire attendre. Toutes- fois à lenlrcueue qui fe dreffa du Pape ClenKin, eX du Roy 1 lançois 2u à .Marfeille. le Rov \' avant ordonné les apprêts necellaires. s'efloigna

LIVRE I, CHAPITRL XUI. 57

de la ville, t<c donna loilir au Pape de deux ou trois iours pour Ion entrée & refrefchilTement, auant qu'il le vint trouuer. Et de mel'mes à l'entrée aulli du Pape & de l'Empereur à Bouloigne, l'Empereur donna moven au Pape d'y eftre le premier, & y luruint après luy. S C'eft, difent-ils, vne cérémonie ordinaire aux abouchemens de tels Princes, que le plus grand foit auant les autres au lieu afligné, voyre auant celuv chez qui le taict l'affemblée; & le prennent de ce biais, que c'eft, affin que cette apparence tefmoigne, que c'eft le plus grand que les moindres vont trouuer, & le recherchent, non

10 pas luy eux.

Non sulciiunil chaque païs, iiiciis chaque cité a sa ciuilitc particulière, et chaque uacatioii. l'y ai este asses souigueuseiiwnt dresse eu mou enfance et av uescu eu asses boue coiiipaiguie, pour n'ignorer pas les loix de la nostre françoise, et en tiendcrois cscolc. l'aime a les cnsuiure : mais non pas si

15 couardemenf que nui nie en demure contreinte. Elles ont quelques jormes pénibles, les quelles pourueu qu'on oblic par discrétion, non par errur, on n'en a pas moins de grâce. l'ai ueu sonnant des homes iucinils par trop de ciuilité, et importuns de courtoisie.

C'est au demurant une tresutile sciance que la sciancc de l'entregent.

20 Elle est, come la grâce et la béante, conciliatrice des premiers abbors de la société et [familiarité'; & par conseqnant nous ouure la porte a nous instruire par les examples d'autruy, & a exploiter \et produire nostre example, s'il a quelque chose] d'instruisant et communicable.

Var. ms. 1 1) partkutu'vc. l'ai (isu'i iieuii en asses boue 14) fraii(oisc {>i> eu i^) formes scniilks, les ijneltes 18) imporliiiis a force de em^ieisie tioiiesielé.

Chapitre XIV

aVE LE GOVST DES BIENS ET DES MAVX DEPEND EN BONNE PARTIE DE l'opinion, QVE NOVS EN AVONS.

Les hommes (dit vne fentence Grecque ancienne) font tour- mentez par les opinions qu'ils ont des chofes, non par les chofes mefmes. Il y auroit vn grand poinct gaigné pour le foulagement de noftre miferable condition humaine, qui pourroit eftablir cette propofition vrayc tout par tout. Car fi les maux n'ont entrée en s nous que par noftre iugement, il femble qu'il foit en noftre pouuoir de les mefpril'er ou contourner à bien. Si les choies fe rendent à noftre mercy, pourquoy n'en cheuirons nous, ou ne les accommo- derons nous à noftre aduantage? Si ce que nous appelions mal & tourment, n'eft ny mal ny tourment de foy, ains feulement que lo noftre tantalle luy donne cette qualité, il eft en nous de la changer. Et en avant le choix, fi nul ne nous force, nous fommes eftrange- ment fols de nous bander pour le partv qui nous eft le plus ennuyeux, it de donner aux maladies, à l'indigence & au mefpris vn aigre & mauuais gouft, il nous le leur pouuons donner bon, 15 & il la fortune fourniftant llmplcment de matière c'eft à nous de

Texte 88. 8) nicrcy & dcuotion, pourquoy

< Ce chapitre est devenu lu XL"' de l'édition de i;9; et des éditions suivantes; les chapitres XIV- X.XXI.X de la "Vulgate" correspondent donc respectivement .iux chapitres XV-XL de notre édition. Kien dans le nis. ne jusiitie cette transposition.

LIVKK 1, CHAPITRE XIV. 59

luy donner la forme. Or que ce que nous appelions mal, ne le foit pas de foy, ou au moins tel qu'il foit, qu il dépende de nous de luy donner autre faueur, & autre vifage, car tout reuient à vn, voyons s'il fe peut maintenir. 5 Si l'eftre originel de ces choies que nous craignons, auoit crédit de fe loger en nous de fon authorité, il logeroit pareil & femblahle en tous : car les hommes font tous d'\'ne cspixc, & fauf le plus & le moins, fe trouuent garnis de pareils outils e\: inrtrumens pour conceuoir & iuger. Mais la diuerfité des opinions, que nous auons

10 de ces choies là, montre clerement qu'elles n'entrent en nous que par compofition : tel à l'aduenture les loge chez foy en leur vray eftre, mais mille autres leur donnent vn eftre nouueau & contraire chez eux.

Nous tenons la mort, la pauureté & la douleur pour nos prin-

15 cipales parties.

Or cette mort que les vns appellent des chofes horribles la plus horrible, qui ne fçait que d'autres la nomment l'vnique port des tourmens de cefte vie? le fouuerain bien de nature? leul appuy de noftre liberté? & commune & prompte recepte à tous maux? Et

20 comme les vns l'attendent tremblans & effrayez, d'autres la suppcvtciit plus aiseenmnt que la nie.

Celuy-la le plaint de la facilité :

Mors vtinam pauidos vita fubJucerc nollcs, Sed virtus te Ibla daret.

25 Or laissons ces glorietis corages : Thcodonis respoiidit a Lysimachus

Texte 88. 7) d'vne façon, & 20) d'autres ne la reçoiuent-ils pas de tout autre vifage? Celuy-Ia 22) de fa vilité & facilité.

\'ar. ms. 20) d'autres la désirent & supporteiit 21) uie. Le premier article de ce beau serinant que la grxce tara en la guerre medoise ee fut que chacun postposeroil sa uie a la liberté de son pais. Celuy-la (Reporté avec corrections p. 62, 1. 10). 25) corages et Thcodorus qui respondit

60 ESSAIS DU MONTAIGNE.

meihiçiiiit ilc le hier : Tu feras un gnnul eoup d'arriuer a hi force d'une câtbaride. La plus part des phihsofes se treuuent auoir ou preueuu par dessein ou hastc & secouru leur mort.

Combien voit-on de perfonnes populaires, conduictes à la mort, & non à vne mort fimple, mais méfiée de honte & quelque fois de 5 griefs tourmens, y apporter vne telle afleurance, qui par opiniâtreté, qui par fnnplefle naturelle, qu'on n'v apperçoit rien de changé de leur eftat ordinaire : eftablifTans leurs afïliires domefliques, fe recom- mandans à leurs amis, chantans, prefchans & entretenans le peuple : voire y mellans quelque-fois des mots pour rire, & beuuans à leurs 10 cognoiiïims, auflî bien que Socrates. ^^n qu'on menoit au gibet, difoit que ce ne fut pas par telle rué, car il y auoit danger qu'vn marchant luv lill; mettre la main fur le collet, à caufe d'vn vieux debte. \n autre difoit au bourreau qu'il ne le touchaft pas à la gorge, de peur de le foire treffaillir de rire, tant il eftoit chatouilleux. 15 . L'autre refpondit à fon confefleur, qui luv promettoit qu'il loupperoit ce iour auec noffre Seigneur : Allez \ous v en, vous, car de ma part ie ieufne. Vn autre avant demandé à boire, e\: le bourreau ayant beu le premier, dict ne vouloir boire après luv, de peur de prendre la verolle. Chacun a ouv taire le conte du Picard, auquel eftant 20 à l'efchelle on prefenta vne garfe, & que (comme noftre iuftice permet quelque fois) s'il la vouloit efpoufer, on luy fauueroit la vie : luy, l'ayant vn peu contemplée, & apperçeu qu'elle boitoit : Attache, Attache, dit-il, elle cloche. Et on dict de mefmes qu'en Dannemarc vn homme condamné à auoir la tefte tranchée, eftant fur l'efchaffaut, 25 comme on luy prefenta vne pareille condition, la refufa, par ce que la fille, qu'on luy offrit, auoit les ioùes auallées, & le nez trop pointu. Vn valet à Thouloufe accufé d'herefie, pour toute raifon de fa créance se rapportoit à celle de fon maiftre, ieune efcholier prifonnier auec

Tknte 8S. ,|) populaires & coinimines, conduictes 24) on conte de

\'AIi. MS. 2) icVhtviiI(\ Hl que Ici plui pari (El que la... Iliorl. ndJition ullt-rieme^.

LIVRH I, CHAPITRE XIV. 6l

luv; & ayma mieux mourir, que se laisser pcrsiunlcr qiw son iiuiislrc peut faillir. Nous liions de ceux de la ville dArras, lors que le Roy Loys vnziefme la print, qu'il s'en trouua bon nombre parmy le peuple qui fe laiflerent pendre, pluftoft que de dire : Viue le rov. 5 Alt Royaitinc de Narsiiiqiie eneores aiiiounVlniy les jeiiies de leurs presires sont iiiues eiiseiiclics atieq leurs uuirls morts. Toutes autres Jciiies saut hrulees uiiies non eoustauiinât suleiiuint, iiuiis oaienieut aus juuerailles de leurs uiaris. Et quand on brûle le eorps de leur Roy trespassé, toutes ses Jenies et eoneubiiies, ses nii^^nons & toute sorte d'offieiers & seruitnrs qui font lo ///; peuple, accourent si allegremant a ce feu pour .s'y ietter quant et leur inaistre, qu'ils semblent tenir a honeur d'est re compaignons de son trespas. Et de ces viles âmes de bouffons, il s'en ert trouué qui n'ont voulu abandonner leur gaudisserie en la mort melme. Celuv a qui le bourreau donnoit le branle, s'efcria : X'ogue la gallée, qui eiloit 15 Ion refrain ordinaire. Et l'autre qu'on auoit couché iur le point de rendre la vie le long du foier fur vne paillaffe, à qui le médecin demandant le mal le tenoit : Entre le banc & le teu, refpondit-il. Et le preftre, pour luv donner l'extrême onction, cherchant fes pieds, qu'il auoit referrez & contraints par la maladie : Vous les trouuerez, 20 diî-il, au bout de mes iambes. A l'bonw qui l'exhortoit de fe recom- mander à Dieu : Qui y va? demanda-il; & l'autre refpondant : Ce fera tantofl vous mefmes, s'il luy plait; Y fuffe-ie bien demain au foir, replica-il. Recommandez vous feulement à luy, fuiuit l'autre, vous y ferez bien tofl. 11 vaut donc mieux, adiourta-il, que ie lux- as porte mes recommandations moy-mefmes.

Pendant nos dernières guerres de Milan & tant de priles & récouffes, le peuple impatient de i\ diuers changemens de fortune, print telle

Texte 88. i) que fc JL-pcirtir de fes opinions, quelles qu'elles fuffent. Nous lifons 15) abandonner leur meftier à la mort mcfnie, tefmoing celuy qui comme le bourreau luy donnoit 13) Ht ccluy qu"'on 20) A celuy qui

\'ar. ms. i) que dccroin' de ses opinions (Teste 88) 6) l'iiilù-f iiui-tj /."« miw II) scmhteut estimer a

62 ESSAIS DE MONTAIGNE.

refolution à la mort, que i'ay ouy dire à mon père, qu'il y veift tenir conte de bien vingt & cinq maiftres de maifon, qui s'eftoient deffaits eux mefmes en vne sepmaine. Accident approchant à celuy de la ville des Xantiens, lefquels afliegez par Brutus le précipitèrent pelle méfie hommes, femmes, & entans à vn ii furieux appétit de 5 mourir, qu'on ne fait rien pour fuir la mort, que ceux-cy ne tiflent pour fuir la vie : en manière qu'à peine peut Brutus en lauuer vn bien petit nombre.

Tout' opinion est asscs forte pour se faire espoiiser an pris de la nie. [Le] premier article de ce hean sermant que h [G] raxc iiira et maintint [_en] 10 la guerre Medoise, ce fut que chacun changeroit plus tost [la] mort a la nie, que les loix Persienes ans leurs. Combien uoit on de monde en la guerre des Turcs et des Grecs, accepter plus tost la mort tresapre, que de '[se] descirconcire pour se hahtiser. Exemple de quoi nulle sorte de relligion [n']est incapable. 15

Les Roys de Castille ayant bani ide] leurs terres les luifs, [le] Ro)' lan de Portugal leur uandit a huit escus pour teste la retrete ans siencs, en condition que dans certein iour ils ciroint a les uuider : & luy, prometoit leur fournir de uesseaus a les traiecter en Afrique. Le iour uenu, lequel passe il estoit dict que cens qui n'aroint obéi demureroint esclaues, les 20 uesseaus leur feurent fournis escharccmant, [et] ceus qui s'y embarquarent rudement & uileinement traite:^ par les passagiers qui, outre plusieurs autres indignités, les amusarent [sur] mer tantost auant tantost arrière, iusques a [ce] qu'ils eussêt càsomttu leurs uittoailles & fussent contreins d'en acheter d'eus si chcremant & si longuement [qu']il s furent randus [a] bort après 25 aiioir este du tout mis en chemise. La nouuelle de cette inhumanité raportee

VaR. MS. 10) Voir la variante de la p. 59, 1. 21. 12) uoil 011 de IlOlIlhre de peuples

en la 14) de quoi toiile sorte de relligion est irescapahle. 15) incapable. Quoties non modo ductores nostri dict Cicero sed uniiiersi etiam exercitus ad non duhiani niortem concur- rerunt. (Addition ultérieure. Reporté p. 65, 1. 27). 19) fournir dcs uesseaus 20) esclaues s'ils sohstinoint a ne uoîoir eslre Chrestiens les uesseaus 21) fournis si escharccmant 24) & fussent fussent contrcint d'en acheter si 25) [qu]ils ne furent randus '.a]» bort qu'après

LIVRE I, CHAPITRE XIV. 63

a cens qui csloint en krre, la plus part se résolurent a la seruitude : aueuiis firent contenance de changer de [rel]ligion. Enianuel uenu a la corane les mit premièrement en liberté : et cbanoeant d'auis despuis, leur dona temps de uuider ses pais, assignant trois ports a leur passage. Il espérait, dict 5 l'euesque Osorius, le meillur historien Latin de nos siècles, que la faneur [de] la liberté qu'il leur auoil rendue ayant failli de les conuertir au Chris- tianisme, la difficulté de se commettre corne leurs compaignons a la uolerie des mariniers, d'abandoner un pats ou ils estoint habitues aueq grandes richesses, pour saler ietter en région iuconue et estrangiere, les y rameneroit.

10 Mais se uoiant descheu de son espérance et eus tous délibères au passage, il retrancha deus des ports qu'il leur auoit promis, afiin que la loiigur & incômodite du traiet en rauisast aucuns : ou pour les amonceler tous a [un] lieu pour une plus grande commodité de l'exécution qu'il auoit destinée. Ce fut qu'il ordona qu'on arrachât [d'] entre les mains des pères & des

15 uKres tous les enfans au dessous de quatorse ans, pour les transporter hors de leur ueue et conuersation en lieu ou ils fussent instruits a nostre relligion. Ils disent que cet effaict produisist un horrible spectacle : la naturelle affection d'entre les pères & les enfans et de plus le :^ele a leur antiene créance combatant [a l'e]ncontrc de cette uiolante ordonance. Il y fut ueu commu-

20 neement des pères et nieres se desfaisans eus nu^snws et d'un [plus rude example encores preci]pitant par amour et compassion leur innés enfans dans des puits pour fuir a la loy. [Au demeurant le terme qu'il leur aiwit prefix, expiré, par faute de moiens, ils se remirent en seruitude. Quelques uns se firent Chrestiens : de la foi des quels] ou de leur race encores

25 auiourd'huy cent ans après peu de Portugais s'assurent, quoi que la costume & la longur du temps saint bien plus fortes conseillieres que tout' autre contreinte. « Qitoties non nuxlo ductores nostri, dict Cicero, sed uniuersi etiam exercitus ad non dubiani mortem concurrcrunt. »

\'ar. ms. i) sernitulc : aucuns pniid 3) Osorius rff* p le premier Jnslorieii Lalin de nos siècles qui a eseril ses faicts que la 6) Onislianisinc les difficulles de 10) passage il s'auisa de retrancher deus ly) ordonance. Ma 21) leur peli 24) des quels] eworvs amcurd'-huy ee cl de leur

64 HbSAlS DE MONTAIGNE.

Tav veu quclqirvn de mes intimes amis courre la mort à iorce, d'vne vraye affection, & enracinée en l'on cueur par diuers vilages de difcours, que ie ne luy fceu rabatre, & à la première qui s'offrit coiffée d'vn luftre d'honneur s'y précipiter hors de toute apparence, d'vne faim al'pre & ardente. 5

Nous auons pluiïeurs exemples en noftre temps de ceux, iniques aux enfans, qui de crainte de quelque legiere incommodité, le font donnez à la mort. Et à ce propos, que ne crddcroiis nous, dict \n ancien, li nous cirigiioiis ce que la couardile mefme a choifi pour la retraite? D'enliler icv \n grand rolle de ceux de tous lo lexes & conditions & de toutes lectes es liecles plus heureux, qui ont ou attendu la mort conffamment, ou recherchée volontairement, & recherchée non leulement pour fuir les maux de cette vie, mais aucuns pour fuir fimplement la fatieté de viure, 6t d'autres pour l'efperance d'vne meilleure condition ailleurs, ie n'aurov iamais faict. 15 •Ht en ert le nombre fi infin\-, qu'à la vérité i'aurov meilleur marché de mettre en compte ceux qui l'ont crainte.

Cecy feulement. Pvrrho le Philofophe, le trouuant vn iour de grande tourmente dans vn batteau, montroit à ceux qu'il vovoit les plus effrayez autour de luy, & les encourageoit par l'exemple 20 d'vn pourceau, qui y effoit, nullement fbucieux de cet orage. Olerons nous donc dire que cet auantage de la railon, dequov nous lailons tant de lefte, & pour le refpect duquel nous nous tenons maillrcs ^; empereurs du refte des créatures, ait efté mis en nous pour noffre tourment? A quov faire la cognoilfance des choies, Il 25 nous en perdons le repos & la tranquillité, nous ferions fans cela, & fi elle nous rend de pire condition que le pourceau de Pvrrho? L'intelligence qui nous a elle donnée pour noffre plus grand bien, l'employerons nous à noffre ruine, combatans le deffein de nature.

'I'knti-; S8. ^ (S) i]uc ne l'uvioiis iiou--... liiious luxons ce quu 21) nullcnicnl ertVayc ny foucicux

LIVRE I, CHAPITRE XIV. 65

& rvniuerll'l ordre des choies, qui porte que chacun vfe de les vtils & niovens pour \\i commodité?

Bien, me dira Ion, vollre règle férue à hi mort, mais que dire/ vttus de l'indigence ? Qiie direz vous encor de la douleur, que Arislippii.s,

S Huroiiiniiis ci la plufpart des lages ont eftimé le dernier mal; i5c ceux qui le nioient de parole, le confeflbient par effect? Poffidonius ertant extrêmement tourmenté d'vne maladie aiguë & douloureule, Pompeius le fut voir, & s'excula d'auoir prins heure fi importune pour l'ouvr deuifer de la Philofophie : la à Dieu ne plaife, luy dit

0 Poflidonius, que la douleur gaigne tant fur moy, qu'elle m'empefche d'en diicourir & d'en parler! & fe ietta fur ce mefme propos du mefpris de la douleur. Mais cependant elle ioûoit fon rolle & le preflbit incelliuiiment. A quoy il s'efcrioit : Tu as beau faire, douleur, fi ne dirav-ie pas que tu fois mal. Ce conte qu'ils font tant valoir,

!) que porte-il pour le mefpris de la douleur? Il ne débat que du mot, i:^ ce pendant fi ces pointures ne l'efmeuuent, pourquoy en rompt-il fon propos? Pourquoy penfe-il faire beaucoup de ne fappeller pas mal ?

Icv tout ne confiée pas en l'imagination. Nous opinons du

20 refte, c'ell; icv la certaine fcience, qui iouë Ion rolle. Nos lens melme en lont iuges.

Qui nifi funt vcri, ratio quoquc lalla ht omnis.

Terons nous a croire à noll;re peau que les coups d'eftriuiere la chatouillent? Et à noftre gouft que l'aloé foit du vin de graues? 25 Le pourceau de Pyrrho eft icy de noftre efcot. Il eft bien ûrns effrov à la mort, mais ii on le bat, il crie & fe tourmente. Porce- rons nous la générale habitude de nature, qui le voit en tout ce qui eft viuant fous le ciel, de trembler fous la douleur? Les arbres mefmes feniblent gémir aux ofFences qu'on leur faict. La mort

Tevie 88. 2) cominoditC' & ;ulu,inuigc ? BiLii, 5) le fouuurain mal

66 i:SSAIS DE MOXTAIGXH.

ne le lent que par le dilcours, d'autant que c'ell le niouuement d'vn inlLmt :

Aut fuit, aut vcniet, nihil eft pnL-fentis in illa, Morfcjue minus pœnœ quam mora mortis habet.

Mille belles, mille hommes l'ont plultort mors que menallés. Et à 5 la vérité ce que nous disons crcindrc principalement en la mort, c'eft la douleur, fon auant-coureufe couftumiere.

Toiitcsfois s'il en faut croire un siiiiict pcrc : » Mahiiu ntorlciii non jacil, nisi quod sequiUir moHeni. » Ht ir dirois cncorcs plus unùscunhlahlcnutt que \ny] ce qui ua deuant, n\ ce qui nient après, n'est des apartcmtces [Jcj 10 la inorl. Nous nous exeusons faneeinant. Ht ie treuiie par experiance que c'est plus tost l'inipatiance de l'inutgi nation de la mort qui nous rent impatians de la dolur, et que nous la santons douhlemant griejue de ce qu'elle nous nienace de numrir. Mais i la ] raison accusant nostre lâcheté de creindre chose [si] soudeine, si i)ieui table, si inscjisihle, nous prenons cet 15 autre prétexte plus excusable.

Tous les nuuis qui n'oint antre dauoicr que du nuil, nous les disons sans dangier : celuy des dans ou de la goutte, pour grief qu'il soit, \d'a]îitant qu'il n'est pas homicide, qui le m et en conte de maladie? Or bien prx- supposons le, qu'en la nuirt nous regardons principalemàt la dolur. Come 20 aussi la pauureté n'a rien à craindre que cela, qu'elle nous iette entre ses bras, par la foif, la faim, le froid, le chaud, les veilles, qu'elle nous fait fouftrir.

Textk 88. 6) ce que les Sages craignent principalement 20) Comme aufli biffe puis rétabli 21 ) entre les bras de la (.iouleur par

Var. ms. 8) : Toutes/ois il est dict par un plus sage Mcilaiii 2" : Toulesfois corne escrit un siiinct pcrc 9) .wy ////»;■ biffé puis rétabli. 11) mort quand a clic. Nous 12) mort d 16) prctc.xtc de creindre plus 16) i" : e.\cusahlc. Il est bien dict

lirai que la pauureté : à la suite de la variante précédente effacée : Mais : Or pra'supposoiis

qu'il soit vrai que ttous ik'gaïkioHs ils regardent en la mort principalemàt la dolur. Come aussi la pauureté : Montaigne efface ils regardent principalemàt la dolur. Come aussi et il ajoute noils regardes principalemant la dolur. Conic aussi 17) disons peu dangereus : ccliix des dans pour

I.IVRK I, CHAPITRH \IV. (^-

Ainfi n'ayons affaire qu'à la douleur. le leur donne que ce Ibit le pire accident de noftre eftre, & volontiers : car ie fuis l'homme du monde qui luv veux autant de mal, & qui la jiiis autant, pour iufques à prefent n'auoir pas eu. Dieu mercy, grand commerce auec elle. ) Mais // ('.s7 en nous, fi non de l'anéantir, au moins de l'amoindrir par la patience, cl quand bien le corps s'en efmouueroit, de maintenir ce neantmoins l'ame & la railbn en bonne trampe.

Et s'il ne l'eftoit, qui auroit mis en crédit parmy nous la vertu, la vaillance, la force, la magnanimité & la refolution ? iouëroyent

10 elles leur rolle, s'il n'v a plus de douleur à deffier : « auida ell: periculi virtus. »' S'il ne faut coucher fur la dure, souflenir armé de toutes pièces la chaleur du midv, fe pailTire d'vn chenal, & dvn aine, le voir détailler en pièces, et arracher vne balle d'entre les os, fe fouftVir recoudre, cauterizer & fonder, par s'acquerra l'aduantage

15 que nous voulons auoir fur le vulgaire? Ccll bien loing de tuir le mal & la douleur, ce que difent les Sages, que des actions égallement bonnes, celle-là el\ plus fouhaitable à taire, il y a plus de peine. «Non ciiiiii hilariUUc, iiec Jiisciiiia, iwc risii, aut ioco comité laiitatis, scd sa'pe eiiivii tristes fiDiiitiite [f/^ constautia siiiit beati. » Et à cette caufe il

20 a efté impoflihle de perfuader à nos pères que les conquelfes laites par viue force, au hazard de la guerre, ne fuffent plus aduantageufes, que celles qu'on faict en toute feureté par pratiques & menées :

Lxtius eft, quoties magno libi conft.it honeftum.

D'auantage, cela doit nous conibler : que naturellement, fi la

25 douleur eft violente, elle eft courte; fi elle eft longue, elle eft legiere,

(( si (^rrcniis hreiiis, si Jongiis leitis. » Tu ne la fentiras guiere long temps.

Texte 88. 3) qui la craints autant 5) mais qu'il ne Ibit pourtant en nous 6) patience : qu'il ne foit en nous, quand bien 7) trampe, ie ne le croy pas. Et s'il

' Montaigne écrit à la suite : c'tSl proSC. La citation est, en effet, disposée dans Tédition de i;S8 comme le premier hcmisticlie d'un vers.

68 KSSAIS DH MOXTAIGXK.

li tu la l'ens trop; elle mettra fin à lov, ou à toy : Tvii & l'autre reuient à vn. 5/ /// iic la portes, die t'eniporfera. <( Meiiiineris maximos morte fîniri; pariios nnilta babere intcriialla reqiiietis; iiicdiocriiim nos esse dominos : ut si tolcrahiles siut feranius, sin mi mis. e uita, qun ea non plaeeat, tanquani [e \ theatro exeannis. » 5

Ce qui nous f;iit fouffrir auec tant d'impatience la douleur, c'ell: de n'eltre pas accouftumez de prendre nollre principnl contentement en lame, tie ne nous aiandre point asses a elle : qui est suie et soniiereine nuiistresse de nostre condition et conduite. Le corps na, sauf le plus et le moins, qu'un treiii et qu'un pli. Elle est nariahle en tonte sorte de formes, 10 (■/ renge a soi et a son estât, quel qu'il soif, les soitimans du cors & tous autres accidans. Pour tant la faut il estudier et enquérir, et esuciller en elle ses ressors tout puissans. Il n'y a raison, nv prcvscription, nv force, qui puisse contre son inclination et son chois. De tant de milliers de biai:^ qu'clV a en sa disposition, douons lux en un propre a nostre repos et conseruation, nous 1 5 .uoila non couuers sulenunit de toute offaiice nuiis gratitiie:^ niesnu\^ & flaic:^, si bon luy semble, des offances et des niaus.

Elle faict son profit de tout indifjerêmaui. L'errur, les songes luv sèment utillemant. corne une loyale matière a nous mettre a garant et en contanteniant. 20

// ('5/ aisé a noir que \cc^ qui aiguise en nous la dolur et la uolupte, c'est la pointe de nostre esperit. Les bestcs qui le tienent sons boucle, laissent ans

Texte 88. 8) rame, c'cfl: d'auoir eu trop de commerce auec le corps. Tout ainfi

\'ar. ms. 5) ll'etiliv biiïc puis rctabli. 8) l'amc (7 (/(■ iioiif armer d'elle eoulrc la mollesse du corps. Tout ainfi (p. 69, 1. i;.) 9) ;/'<; i}u'-uh /»-• 12) esliidier et emploier (1 esiiciller 14) el son plaisir. De 18) profil du tiiaiisoiige et de la uerile iiidiffe- rêmaiit. 19) matière si elle l'-culikpmtU. a vous melire a garant de toutes inconimodilei el mettre eu plein contanteniant, si elle l'cntrcpraut. Il est 21) noir que c'est h pointe de nostre esperit qui aiguise en nous la dolur et uolupte, ici vient cette première rèd.-iction

que Moiit.iipnc a abandonnée sans l'achever : d'ou nait UUC si infinie diucrsilc dc HOS goul a les

reccnoir -.Ans hesies nulle r qui est uniforme nus hestes : eom'il se U4>it coniectnre par la pareille application de leurs mouuemeus : en chaque espèce. Tout corps nalurcllemanl conslUuc eut s(eu les rcceuoir en leur naturelle mesure et iustc Les hestes 22) tienent plus sous boucle laissent au corps ses scntimcns

I.IVRH I, CHAPITRE XIV. 69

corps leurs sciillnn'iis libres cl inills, et par coiiscqiuiiil uns u peu près en chaque espèce, coine nous uoions par la semblable application de leurs niouucnians. Si nous ne troblions pas en nos membres la inriscJiction qui leur apartient en cela, il est a crere que nous en serions miens, et que 5 nature leur a tlone un iw^tc et modère leinperanntnt enuers la uolupte Ic/^ enuers la dolur. Ut ne peut laillir d'estre iuste, estant esgal et connnun. Mais puis que nous nous sonws émancipe:^ de ses règles, pour nous aban- doner a la nagabonde liberté de nos fantasies, au moins aidons nous a les plier du costé le plus agréable.

10 Platon creint nostre engagement aspre a la dolur & a la uolupte, d'autant qu'il oblige et atachc par trop l'aine au corps. Moi plus tost au rebours, d'autant qu'il l'en desprent et descloue.

Tout ainfi que rcnnemv le rend plus aigre à noftre fuite, auflî s'enorgueillit la douleur à nous voir trembler foubs elle. 1:11e le

I) rendra de bien meilleure compolition à qui luy fera telle. Il fe huit oppofer & bander contre. Hn nous acculant & tirant arrière, nous appelions à nous & attirons la ruine qui nous menafTe. Conte le corps est plus ferme a la charge en le roidissant, aussi est l'ame.

Mais \-enons aux exemples, qui l'ont proprement du gibier des

20 gens foibles de reins, comme moy, nous trouuerons qu'il va de la douleur, comme des pierres qui prennent couleur ou plus haute ou plus morne félon la feuille l'on les couche, & qu'elle ne tient qu'autant de place en nous, que nous luy en faifons. « Tantum doluerunt, dict S. Auguftin, quantum doloribus fe inferuerunt. »

TrxTic 88. 13) plus afpre ;i 22) no prend qu'.iutant

V.\R. MS. i) en dniiune espèce 2) cte leur niouuemaul. Si 4) nous ni en muerions de bien nieillure condition et que 5) iuste i^oul et modère enuers 6) iuste puisqu'il ed seroit commun.^ Puis que nous 7) ahuiidoncr a lu tyrminte de nos 9) le plus salntere. Ptiilflii 10) creint nu cn<iin^enient

' Ici semble se rattacher par un renvoi, dailleurs pew cl.iir, ce passage hifl'é : C est jolie. Poiir

rendre un estât complet d'home il faut & qu'il se pliiise du phiisii^ et que la dolur luy deulle sente cowpcicmwent du mal et du bien.

yo ESSAIS D1-; moxtaigxe.

Nous feulons plus vn coup de raloir du Chirurgien, que dix coups d'efpée en la chaleur du combat. Les douleurs de l'enfantement par les médecins & par Dieu mefme eftimées grandes, & que nous paflbns auec tant de cérémonies, il v a des nations entières qui n'en font nul conte, le laiiTe à part les femmes Lacedemonienes; 5 mais aux SouilTes, parmv nos gens de pied, quel changement v trouuez vous? Sinon que trottant après leurs maris, vous leur vovez auiourd'huv porter au col l'enfant, qu'elles auovent hier au ventre. Et ces Egyptiennes contre-hxictes, ramaflees d'entre nous, vont, elles niefmes, lauer les leurs, qui \iennent de naiftre, & prennent leur baing 10 en la plus prochaine riuiere. Outir tant de garses ; qui dcswhent toits les ioitrs leurs eiijans tant eu la génération i qu'eu la conception, cette houeste feme de Sahinus, patritieu Roiuein, pour l'iuterest d' autrui supporta le trauail \ de] Venfanteuicnt de detis iuiueaus, suie, sans assistance, et sans noix & gémissement. Vn fimple garçonnet de Lacedemone, ayant defrobé 15 .vn renard (car ils creignoint encore plus la honte de leur sottise an larre- cin que nous ne creiguds sa peine) & l'ayant mis fous fa cape, endura pluftofl: qu'il luy eut rongé le ventre, que de fe découurir. Et vn autre donnant de Fencens à vn lacriiice, le charbon luy eftant tombé dans la manche, le laifla bruller iufques à l'os, pour ne troubler le 20 myftere. Et s'en cfl \'eu \n grand nombre pour le feul elïav de . vertu, luiuant leur inllitution, qui ont fouffert en l'aage de fept ans d'eftre toëtez iufques à la mort, lans altérer leur vifage. Et Ciccro les a uens se battre a troupes : de poins, de pieds & de dens, insques a \s'e]uanouir auant que d'adnouer estre neincns. « Xuiujnani naturain 25 inos uinceret : \ est] enim ea seniper innicta; sed nos nmhris, delicijs, otio, languore, desidia a ni mu m infecimus; opinionihus maloque more

Texte 88. 10) lauer leurs cnfans, qui i6) renard (car le larrccin y eftoit action de vertu, mais par tel fi, qu'il efloit plus vilain qu'entre nous d'v eftre furpris) & l'avant

\'ak. ms. i^) siipporlii l'nifivilnnail 15) gciiiisscnu'iil quelemiifue 17) nous ne fai.uvis de iwslir mescJmiicetc) & l'avant

LIVRE 1, CHAPITRE XIV. yi

(Icliiiilniii iiioUiliiiiius. » Chacun l'çait l'hilloire de Sceuola qui, s'eftant coule dans le camp ennemy pour en tuer le chef & ayant failli d'attaincte, pour reprendre Ion effect d'une plus eftrange inuention & defcharger la patrie, confeffa à Porlenna, qui eftoit le' Roy qu'il 5 \ouloit tuer, non feulement fon defleing, mais adioulla qu'il v auoit en fon camp vn grand nombre de Romains complices de fon entre- prife tels que luv. Et pour montrer quel il eftoit, s'elknt taict apporter vn bralîer, veit & fouffrit griller & roftir fon bras, iniques à ce que l'ennemv mefme en ayant horreur coiiuiiula aster le brafier.

lo Quov, celuv qui ne daigna interrompre la lecture de Ion Hure pen- dant qu'on l'incifoit? Et celuy qui s'obllina à le mocque'r & à rire à l'enuy des maux qu'on luy failbit : de laçon que la cruauté irritée des bourreaux qui le tenoyent, & toutes les inuentions des tourmens redoublez les vns fur les autres luy donnèrent gaigné. Mais c'eftoit

15 vn philolbphe. Quov? vn gladiateur de Cœlar endura touliours riant qu'on luy fondât Se détaillât les playes. « Oiiis iiiediocris a^ladiator iiic^cniiiit; qiiis iiuJfuiir iniitaiiit unquam? Ouis non modo stetit, iicriiiii ctiaiii dccithuit tiirpiter. Ouis citin dccubuissct, fcrrimi nripere iussiis, coUiini coiitnixit? » Méfions y les femmes. Qiii n'a ouy parler à Paris de

20 celle qui fe fit efcorcher pour feulement en acquérir le teint plus frais d'vne nouuelle peau? Il y en a qui se font fait arracher des dents viues & laines, pour en former la voix plus molle & plus grafle, ou pour les ranger en meilleur ordre. Combien d'exemples du mefpris de la douleur auons nous en ce genre? Qiie ne peuuent

25 elles? Que craignent elles? pour peu qu'il y ait d'agencement à efperer en leur beauté :

Vellere quels cura cil albos à llirpc capillos, '*

Et faciem denipta pcllc rcfcrrc nouani.

l'en av veu engloutir du fable, de la cendre, & le trauailler à poincl A

Texte 88. 9) liorivur luy olb le bralkr 15) tciiDycnt en main, &

y2 ESSAIS DH MOXTAIGXH.

nommé de ruiner leur cftomac, pour acquérir les pâlies couleurs. Pour faire vn corps bien el'paignolc quelle geine ne louflrent elles, guindées & ûmglées, à tout de grofles coches fur les cortez, iniques à la chair viue? Ouv quelques lois à en mourir.

// csl onliiicrc a hcaucoup de nations de uostrc loups de se blesser a eseiiinl, 5 pour douer foi a leur parole, el uosire Rov en reeite des iioluNes exemples de ce qinl eu a veu eu Polouigue et en l'endroit de lux niesmes. Mais outre ce que ie seul en auoir este imite en Jrance par aucuns, i'ay -ir//' une fille, pour tesnum ligner l'ardur de ses promesses, & aussi sa constance, se douer du poinçon qu'elle portoit en son poil, quatre ou cinq bons coups dans le lo bras, qui luv faisoint craqueter la peau et la seii^noint bien en bon escianl. Les turcs se font des grandes escarres pour leurs dames; 6" ajjin que la marque x deinure, ils portent soudein du Ju sur la plaie el l'y licnenl un temps incroiable pour arrêter le sang cl former la cicatrice. Gens qui l'ont ueii, l'ont esc rit & nw l'ont iuré. Mais pour di\ aspres, il se treuue tous 15 les iours entre eus qui se donrra une bien profonde taillade dans le bras ou 'dans les cuisses.

le fuis bien avfe que les tefmoins nous font plus à main, nous en auons plus affiiire : car la Chrétienté nous en fournit à futiifance. Et après l'exemple de noftre fainct guide, il y en a eu lorce qui par -o deuotion ont voulu porter la croix. Nous apprenons par lefmoing tres-digne de foy, que le Roy S. Loys porta la hère iniques à ce que, fur la vieilleffe. Ion confefleur l'en difpenfa, & que, tous les \-endredis, il fe taifoit battre les efpaules par fon prertre de cinq chainettes de 1er, que pour cet eflet il portoit touliours dans \ ne -5

'l'j;.\ri; 88. 19) fournit plus qu'à

\'.\]{. Ms. 9) pivnicssfS & ik son (ijfalioii se tloiiciik son poiiiÇiVi 15) y dcniuic ils lii porlciil soiiilciii tliiiis la plaie nue ehaiiilellc hr niante et l'y lienenl 15) hcnnc des _i;ens Ions les ionrs entre ens qni se ilonneinl nne 16) hras et dans

' L'cditioii de 1595 dit ici : Quand ic vcins do CCS lanicux Hllats de Blois, i'.uiois vcu peu auparnunnt \ ne tille en Picardie...

I.nUH I, CHA1MTR1-: XIV. y 5

boite. Guillaume noftre dernier Duc de Gu venue, père de cette Aliéner, qui tranfniit ce Duché aux mailons de France & d'Angle- terre, porta les dix ou douze derniers ans de la vie, continuellement, vn corps de cuiralTe, Ibubs vn habit de religieux, par pénitence. 5 l'oulques Comte d'Anjou alla iniques en lerulalem, pour le faire foëter à deux de les valets, la corde au col, deuant le Sepulchre de noftre Seigneur. Mais ne voit-on encore tous les iours le Vendrcdv S. en diuers lieux vn grand nombre d'hommes & femmes fe battre iniques à le déchirer la chair & percer iniques aux os? Cela av-ie veu

10 fouuent & fans enchantement : & difoit-on (car ils vont mafquez) qu'il y en auoit, qui pour de l'argent entreprenoient en cela de garantir la religion d'autruv, par vn mefpris de la douleur d'autant plus grand, que plus peuuent les éguillons de la deuotion, que de l'auarice.

15 IQ.] Maxiiinis enterra son fils coiisulere; \M. Otto le sien Prêteur designé;] et L. Paulns les siens deus en peu de iours, d'un uisage rassis & ne portant ausenn tesnu^ignage de deuil. le disois en mes iours de quelqun en gossant, qu'il auoit ehoué la diuine iustiee : ear la mort uiolante de trois grands èfans luy aiant este enuoiee en un iour pour un aspre eoup de uerge,

20 coni' il est a croire : peu s'en fidut qu'il ne la print a gratification. El l'en ai perdu, tuais en nourrisse, deus ou trois, si non sans regret, au i>u)ins sans fiu'herie. \ Si] n'est il guère aeeidant qui touche plus au uif les homes. le uois asscs d'autres communes occasions d'affliction qu'a peine sentirais \ie], si elles me uenoint, et en ai mesprise quâd elles me sont uenues, de celles aus-

25 quelles le monde clone une si atroce figure, que ie n' oserai m'en uanter au peuple sans rougir. «Ex quo intelligitur non in natura, sed in opinione esse a'gritudiiiem. »

L'opinion eft vne puilTante partie, hardie, & lans mefure. Qui rechercha iamais de telle taim la feurté 6c le repos, qu'Alexandre

Var. ms. 16) Paiilusdctix 17) tesnwigiiagcd'afflictwu. le disoisdc mes 18) car luv esUjut eimeiepeut: «» gnef eoup dtfieau ta mort 19) coup d'-i»sirit(iio» de chiisliemeul- 21) regrc! ce rtes(}) nu uioiiis 22) guère d'uciiddul 2.|) ueuoinl. Ex quo

74 ESSAIS Di; .MONTAIGNE.

& Cœlar ont foict Tinquietude & les difficultés. Terez le Père de Sitalcez Ibuloit dire que quand il ne tailbit point la guerre, il luy eftoit aduiz qu'il n'v auoit point difterence entre luv & ion palletrenier.

Catoii consul pour s'assurer d'aucunes villes en Hespaignc aiant sulemât interdit ans hahiians d'icelles de porter les armes, grand nombre se iuarèt : s «ferox gens nuUam nitam rafi sine armis esse. » Combien en Içauons nous qui ont fuv la douceur d'vne vie tranquille, en leurs mailons, parmi leurs cognoilTans, pour fuiure l'horreur des defers inhabitables; & qui le l'ont iettez à l'abiection, vilité, & meipris du monde, & s'y font pleuz iufques à l'affectation. Le Cardinal Borromé qui mourut lo dernièrement à xMilan, au milieu de la deftauche, à quoy le conuioit & la nobleffe, & fes grandes richeffes, & l'air de l'Italie, & {a ieuneffe, fe maintint en vne forme de vie 11 aullere, que la melme robe qui luv leruoit en elle, luv leruoit en hvuer; n'auoit pour Ion coucher que la paille; & les heures qui luy reftoyent des occupations de fa 15 . charge, il les paffoit effudiant continuellement, planté fur fes genouz, avant \n peu d'eau & de pain à cofté de l'on Hure, qui eftoit toute la prouilion de fes repas, & tout le temps qu'il y employoit. l'en l'çay qui à leur efcient ont tiré iv- proffit & auancement du cocuage, dequov le leul nom effravc tant de gens. Si la veuë n'eft le plus 20 necelTaire de nos lens, il eft au moins le plus plailant; mais & les plus plaifans & vtiles de nos membres, lemblent eftre ceux qui feruent à nous engendrer : toutesfois affez de gens les ont pris en hayne mortelle, pour cela feulement, qu'ils eftoyent trop aymables, & les ont reiettez à caufe de leur pris 1^ valeur. Autant en opina 25 des yeux celuy qui fe les creua.

La plus commune \ et \ plus saine par! des bonies tient a graïuî heur \j'a]hondance des en/ans, moi ci quelques autres, a pareil heur le dejaul.

Texte 88.— 3) point de diflcrcncc 11) au traucrs de la 15) que de la 2}) nous cntr'engendrer :

Var. ms. 5) tiiarcl eus mcsiius : ferox 27) pari edime des bornes esii 28) moi et ijuel

LIVRE I, CHAPITRl- XIV. 75

El quand on dcuiaudi' a Tbiilcs pour quoi il ne se marie point : il rcspont qu'il n'aime point a Jaiser lignée de soi.^

Que nostre opinion done pris ans choses, il se uoit par celles en grand nondire ans quelles nous ne regardojis [^as sulenieni pour les estimer, ains 5 (/ nous: el ne considérons nv leurs qualités ny leurs utilités, uuiis sulement nostre cousl a les recouurer : eonw si c'estoil quelque pièce de leur substance; et appelons ualeur en elles non ce qu'elles aportent, mais ce que nous y aportons. Sur quoi ie m'aduise que nous somes grands mesnagiers de nostre mise. Selon qu'elle poise, elle sert de ce mcsmes qu'elle poise. Nostre

10 opinion ne la laisse ianuiis courir a fans frait. L'achat done titre au diamant, et la difficulté - a ^ la uertu, et la dolur a la deuotion, et l'asprete a la médecine

Tel pour arriuer à la pauurcté ietta les cfcuz en cette melmc mer, que tant d'autres fouillent de toutes pars pour \- pelcher des

15 richelTes. Epicurus dict que l'eftre riche n'eft pas foulagement, mais changement d'affaires. De vray, ce n'eft pas la disette, c'eft pluftoft l'abondance qui produict l'auarice. le veux dire mon expérience autour de ce fubiect.

l'av vefcu en trois fortes de condition, depuis eftre lortv de

20 l'enfance. Le premier temps, qui a duré près de vingt années, ie le paffay, n'aiant autres moyens, que fortuites, & defpendant de l'ordon- nance & fecours d'autruy, fans eftat certain & iiins prefcription. Ma defpence le failbit d'autant plus allègrement o; auec moins de foing, qu'elle eftoit toute en la témérité de la fortune. le ne fu iamais

25 mieux. Il ne m'eft oncques aduenu de trouuer la hourçe de mes amis clofe : m'eftant enioint au delà de toute autre neceftité, la neceflîté de ne taillir au terme que i'auoy prins a in'acquiter. Lequel

Texte 88. 16) pas la nccefntc, c'eft

\'ar. ms. 2) ii'aiiiic point li'-ailoireiifdiii.Olu' 4) estimer cl ne 6) suhsianee. Regardons en nous lenr uatur non en elles et appelons 10) a fausfR-lfrail. LaigenI done

' /■.'/ miaïul... soi inicrc.Tli- iiltcricurcment entre Us deux alinc^is.

-jG ESSAIS DE MONTAI GN'i:.

ils m'ont mille fois alongc, voyant l'eftort que ic me failoy pour leur fatistaire : en manière que i"en rendoy vue loyauté mefnagcre & aucunement piperefle. le lens naturellement quelque volupté à payer, comme fi ie defchargeois mes efpaules d'vn ennuyeux poix, & de cette image de feruitude; auffi qu'il y a quelque contentement 5 qui me chatouille à taire vue action iul^e, & contenter autruv. l'excepte les payements il faut venir à marchander & conter, car fi ie ne trouue à qui en commettre la charge, ie les elloingne honteufement & iniurieufement tant que ie puis, de peur de cette altercation, à laquelle & mon humeur <ic ma forme de parler eft du 10 tout incompatihle. 11 n'eft rien que ie haifle comme à marchander. C'eft vn pur commerce de fricbotcric ik d'impudence : après vne heure de débat & de barquignage, \\n ik l'autre abandonne fa paroUe & fes fermens pour cinq fous d'amandement. Et li empruntois auec deûiduentage : car n'ayant point le cœur de requérir en prelence, 15 l'en renuoyois le hazard fur le papier, qui ne faict guiere d'effort, & qui prefte grandement la main au refufer. le me remettois de la conduitte de mon befoing plus gayement aux aftres, & plus libre- ment, que ie n'ay faict depuis à ma prouidence & à mon fens.

La plus part des mefnagers eftiment horrible de viure ainfm en 20 incertitude, (S; ne s'aduiient pas, premièrement que la plus part du monde \it ainli. Combien d'honnefles hommes ont reietté tout leur certain à l'abandon, ^: le font tous les iours, pour cercher le vent de la faueur des Roys & de la fortune? Caviar s'endebta d'vn million d'or outre fon vaillant, pour deuenir Ca^far. Et combien de 23 marchans commencent leur trafique par la vente de leur métairie, qu'ils enuoyent aux Indes

Tôt pcr impotcntia frcta ? En vne 11 grande iiccité de deuotion, nous auons mille & mille

Tfatf. 8S. j) fois L'ftcndii, vovant 12) de mcnicric &

LIVKF. I, CKAPITUl-: XIV. yy

collèges, qui la palTcnt commodeenient, attendant tous les iours de la libéralité du ciel, ce qu'il faut à /(•///■ dilher. Secondement, ils ne s'aduifent pas, que cette certitude fur laquelle ils se fondent, n'ert guiere moins incertaine & hazardeufe que le hazard mefme. le vov 5 d'aufli près la mifere, au delà de deux mille efcuz de rente, que i\ elle eftoit tout contre moy. Car outre ce que le sort a dequoy ouurir cent brèches à la pauureté au trauers de nos richefles, ?/'v uicuil soiiiunit nul moien entre la suprême et infiwe fortune :

Fortiina uiirca csl ; tinic en m splciidd friingititv :

10 & enuoyer cul fur pointe toutes nos deffences & leuees, ie trouue que par diuerfes caufes l'indigence fe voit autaut ordiuereincut logée chez ceux qui ont des biens, que chez ceux qui ncu ont point : c\: qu'à l'auanture eft elle aucunement moins incommode, quand elle eft leule, que quand elle fe rencontre en compaignie des richelïes.

15 Elles uieueiit plus île l'ordre que de lu reeetle : » Jaher est siuv quisque jorluiuv. )) Et me femble plus miferable vn riche malaifé, neceflîteux, afîaireux, que celuy qui ell hmplement pauure. «lu diuitijs inopes, quod geiuis egestatis grauissimuni est. »

Les plus gras princes et plus riches sont par poureté et disette pousses

20 ordiiwremant a \l'ex]treme nécessite. Car en [_est'\ il de plus extrême que d'en deueuir tirans et iniustes usurpaturs [des^ biens de leurs subiects?

Ma féconde forme, c'a efté d'auoir de l'argent. A quoi m'eslaut prins, l'en fis bien toft des rcferues notables félon ma condition : n'ei^imant

Texte 88. 2) huit i\ cuk difncr. 6) ce que la fortune a 11) le voit aufli fouuent logée 22J (.l'aimir Jes iiieiis, aiifqucls ie me prins fi chaudement, que i'en fis

^'AR. MS. 6) contre moy. Foiliiun iiilrca csl lune euiii spiciidel J'rniigiliir. Cette

citation, préccJcc de l'indication : J'ci'S, est biffée .1 cette place, et reportée plus bas, 1. 9. 7) ricnclies,

safc iiiter fortunà tiiaximam cl ulUmaiii iiihil iiitcrest. & enuoyer 19) disette (outwiui it>Ui coiiuiei tous iours a user d'imusliee. Ma féconde 20) de pire que d'en 22) aroeut eu a quoi ie me prins fi chaudement, que i'en

yS KSSAIS D1-; MOXTAlGXi:.

que ce fut auoir, Tmon autant qu'on poffedc outre la delpencc ordi- naire, ny qu'on se puilTe fier du bien qui eft encore en efperance de recepte, pour claire qu'elle foit. Car quoy, difoy-ie, Ii i'eftois furpris d'vn tel, ou d\-n tel accident? Et à la fuite de ces vaines & vitieufes imaginations, i'allois faifant l'ingénieux à prouuoir par cette fuperflue 5 referue à tous inconueniens : & fçauois encore refpondre à celuv qui m'alleguoit que le nombre des inconueniens efloit trop infinv, que fi ce n'eftoit à tous, c'eftoit à aucuns & plufieurs. Cela ne fe paflbit pas fons pénible follicitude. l'en faisais ini secret : \&\ moi qui ose tant dire de moi, ne parlais de mon argent qu'en me)isange, came faut 10 les autres, qui s'apaurisseiit riches, s'enrichissent poures, et dispansent leur cousciancc de ianiais tesmauigiier sincereuwnt de ce qu'ils ont : Ridicule et honteuse prudance. Allois-ie en voyage, il ne me fembloit eftre iamais fuffifamment prouueu. Et plus ie m'ellois chargé de mouaie, plus aufli ie lu'cstais chargé de creiute : tantoft de la feurté des chemins, 15 .tantoft de la iidelité de ceux qui conduiioient mon bagage : duquel comme d'autres que ie cognovs, ie ne m'affeurois iamais affez fi ie ne l'auois deuant mes veux. LaifToy-ie ma bovte chez moy, combien de foubçons & penfements efpineux, èv, qui pis eft, incommuni- cables.' l'auois toufiours l'efprit de ce cofté. Tout conté, il y a plus de 20 peine a garder l'argent qu'a l'acquérir. Si ie n'en faifois du tout tant que l'en dis, au moins il me couftoit à m'empefcher de le faire. De commodité, l'en tirois peu ou rien : pour auair plus de niaicu de despance, elle ne m'en paisait pas moins. Car, comme difoit Bion, autant fe tache le cheuelu comme le chauue, qu'on luv arrache le poil : 25 & depuis que vous eiles accouftumé & auez planté voftre fantafie fur certain monceau, il n'eft plus à voftre feruice, lums n'oseries l'escaruer.

Texte 88. i) defpcncc & fon vfage ordinaire 2) qu'on puifTc prendre affeurance du bien 15) aufîi i'auois d'alarme : tantoft

\'ar. ms. 10) (lire ioulcs cl.'oscs de moi : ne kinwu parloU ' & qui pis eft, incommunicables. biiTc- pui'; R-taWi.

L1\R1-; I, CHAPITRE XIV. -9

C'ert; vn hal^mt-nt qui, comme il vous icmble, croUera tout, li vous y touchez. Il fliut que la ncceflité vous prenne à la gorge pour l'entamer. Et au parauant i'engageois mes hardes, & vendois vn cheual auec bien moins de contrainte, & moins enuys, que lors ie 5 ne tailois brelche à cette bourçe fauorie, que ie tenois à part. iMais le danger eftoit, que mal ayféement peut-on eftablir bornes cer- taines à ce defir (elles sont dijfîcilles a troiiiicr es choses qu'on eroil boues) & arreiler vn poinct à l'elpargne. On \a toullours grolfiffiuit cet amas & l'augmentant, dvn nombre à autre, iulques à le priuer

10 vilainement de la iouylîance de les propres biens, & l'ertablir toute en la garde, & à n'en vfer point.

Selon cette espèce d'usage, ce sont les plus riches gens de nionoie, ceus qui ont charge de la garde des portes el murs d'une bone uille. Tout home pecunieus est auaritieus a mon gre.

15 Platon range ainsi les biens corporels ou humains : la saute, la béante, la force, la richesse. Et la richesse, dict il, n'est pas aneugle nuiis t rescier noiante, quand elle est illuminée par [la~\ prudauce.

Dionifius le fils, euft fur ce propos bonne grâce. On l'aduertit que l'vn de fes Syracufains auoit caché dans terre vn threlor. 11 luy

20 manda de le luy apporter, ce qu'il fit, s'en releruant à la defrobbée quelque partie, auec laquelle il s'en alla en vne autre ville, où, ayant perdu cet appétit de thefaurizer, il le mit à viure plus liberallement. Ce qu'entendant Dionvfius luv fit rendre le demeurant de Ion threlor, difant que puis qu'il auoit appris à en Içauoir vler, il le luv rendoit

25 volontiers.

le fus quelques années en ce point, le ne Içay quel bon dcvmon m'en

Texte 88. 26) le fus quatre- ou cinq minces un ce point : ie ne fçay quelle bonne fortune m'en

Var. ms. 7) : defir (iiiodi'i rctume dtjjicile csl lu (o quod boin'i esse crcdidcrh.) & arreftcr : Jefir (Elles sont difficiles a garder es choses qu'on civil boues.) cuticrcnicnt biffe. II) point. Toiil home pecunieus est auaritieus a mon gre. biffe puis transporte j h fin de l'alinéa. 12) de ceUt fi>rme di te Selon 12) monoie qu 15) le faii Platon

8o ESSAIS DE MONTAIGNE.

ictta hors tivs-vtilement, comme le Siracufain, l\: m'cnuova toute cette conlerue à l'abandon, le plailir de certain \ovage de grande defpence, avant mis au pied cette lotte imagination. Par ie luis retombé à vne tierce forte de vie (ie dis ce que i'en fens) certes plus plail'ante beaucoup & plus reiglée : c'elt que ie fliits courir 5 ma defpence quand & ma recepte; tantoll Tvne deuance, tantoll l'autre : mais c'eft de peu qu'elles s'abandonnent. le vis du iour à la iournée, & me contente d'auoir dequoy fuffire aux befoings prelens & ordinaires : aux extraordinaires toutes les prouilions du monde n'y fçauroyent baster. Et est jolie de saUvidre que fort une elle luesnies 10 nous cinne ieimah suffistinuintut eoiitre soi. C'est de nos aunes qu'il la faut cdhattre. Les fortuites nous trahiront au bon du faiet. Si i'amalTe, ce n'eft que pour l'efperance de quelque voillne emploite : non pour acheter des terres de quoi ie n'ay que faire, mais pour acheter du plaifir. (fNon esse eupiduin pecunia est, non esse enmeeni uectigal est.» le n'ay 15 ny f;uere peur que bien me faille, nv nul delir qu'il m'augmente : (( Diuitiaruni Jruetus est in \eop\ia, eopiani deelarat satielas.» Et me gratilie lingulierement que cette correction me foit arriuee en vn aage naturellement enclin à l'iiuarice, ^: que ie me vois desfaict de cette maladie 11 commune au\ vieux, (^ la plus ridicule de toutes 20 les humaines folies.

Ferauh\, qui auoil [lasse par \'s deus fortunes, et Irouué que t'aceroit de cheuanee nestoit pas aeeroit d'appétit au boire, nianoer, dormir et embrasser sa famé; et qui d'autre pari sanloit poiser sur ses espaules l'im- portunile de l'axouoniie, eiiisi qu'elle faiel a moi : délibéra de eontanler 25 //// /////(' home piuire, son fidelle am\, ahhoianl après les riehesses, et lux fil

Ti;.\Ti; 88. ^ i) comme au Siracufain 6) quand & quand ma icccptc 10) Içauroyent fuffire. Si 15) emploite & non 20) vieux, laquelle i'.u- toufiours tenu la moins excufable, & la plus

\'\v.. MS. 10) s'aldiulrc wuf que forliiiic nous 12) côhiUlrc, J-A-i foi^luikê h'-v Hh'u da, ffUuiki. Les 26) i/wv i/<' lii Inini ijn'U aiioit îles riel'esses

LIVRli I, CllAPlTRi; Xl\-. Si

fiirstinl de UhiIcs les siciics, gniiidcs cl cxccssiiics, cl tic celles encore qu'il csloil Cl! Irciii d'accumuler tous les iours par la libéralité de Cynis sou hou iiiaisire, cl par la i;;uerrc : inoicitaul qu'il priai la charge de l'enireteiiir et nourrir hoiiestemant corne son boste et son ami. Ils uescnrent einsi despuis 5 Ireshureusemauî, et esgalemant conians du changemant de leur condition. Voila un tour que i'iiiiiterois de grand corage.

Et loue grandement la fortune d'un iiicil prélat que ie uois s'estre si puremant desniis de sa bourse, de sa recette \& de sa mise, tantost a un seruiteur choisi, tantost a\ un autre, qu'il a coule un long espace d'années,

lo aulât ignorant celte sorte [d'affaires de son mesnage corn un estrangier. hi fiance de la bonté d'autruy est un non léger tesmouignage] de la bonté [propre : partant la fauorise Dieu uoloniiers. Et pour son regart, ie ne uoy point d'ordre de maison, ny plus dignement, ny plus] constamment conduit que le sien. Hureus qui aye règle a si iuste mesure son besouin que

1 5 ses richesses y puissent suffire sans son soin et empeschemàt, et sans que leur dispensalion ou assamblage interrompe d'autres occupations qu'il suiL plus sortables, tranquilles, et selon son ceur.

L'ailancc donc & l'indigence delpendent de l'opinion d'vn chacun; & non plus la richefle, que la gloire, que la lanté, n'ont qu'autant

20 de beauté & de plailir, que leur en prerte celuy qui les poflede. Chacun

est bien ou mal selon qu'il s'en treuue. Non de qui on i le] croit, mais qui le

croit de soi, [est] contant. Et en cela sul la créance se donc essance et uerilé.

La fortune ne nous faict nv bien inv\ mal : elle nous en offre suie mât

la matière [et] la semàce, la quelle nostre a me plus puissâte [qu] 'elle, tourne

2) et applique coin' il luv plaît, suie cause cl inaislresse de sii côdilioii biirciise ou maihureusc.

\'ar. ms. - i) cxccssiues presanks cl de 3) priiil le soiiin de 5) conians de la iHH 7) d'un prêtai 9) qu'il a lantost passe lui long espace d'annccs quasi aussi ignoranl de cette sorte de ses 'affaires] 13) constant ment conduite que la sicnc. Et si le treuue bien plus riche de s'estre deschargé du soin d'accumuler & dispanser ses richesses et de n'y chercher autre dmse fin que le sul usage presaid. L'aifancc 16) plus douces tranquilles 20) pofTede. Chacun est hureus & malhureus selon qu'il se treuue. Les acccfTions 22) la pirniicre tieance 25) en doue suleniàt 24 qu 'elle app

82 KSSAIS D1-; MOXTAIGNH.

Les iiccdrions externes prennent saiiciir & couleur de l'interne conrtitution, comme les accouûremens nous elchauffent, non de leur chaleur, mais de la nortre, laquelle ils font propres à couuer & nourrir; qui en abrieroit vn corps t'roit, il en tireroit melme feruice pour la froideur : ainli fe conferue la neige & la glace. 5

Certes tout en ht manière qu'à vn fainéant l'eftude fert de tourment, à vn vurongne l'ahftinence du vin; la frugalité eft fupplice au luxu- rieux, & l'exercice geine à vn homme délicat & oifif : ainfin eil-il du relie. Les chofes ne font pas fi douloreufes, ny difficiles d'elles mefmes : mais noftre foiblefle & lafcheté les fait telles. Pour iuger 10 des choies grandes & haultes, il faut vn' ame de melme, autrement nous leur attribuons le vice, qui eft le noftre. Xn auiron droit femble courbe en l'eau. Il n'importe pas feulement qu'on voye la chofe, mais comment on la voye.

Or fus, pourquoy de tant de difcours, qui perluadent dincnciuatit 1 5 les hontes de mefprifer la mort, ^: de porter la douleur, n'en Iroiitioits nous quelcun qtii faee pour nous? Et de tant d'efpeces d'imaginations, qui l'ont perfuadé à autruy, que chacun n'en applique il a soi utie le plus félon fon humeur? S'// ne peut digérer la drogue forte & abfterfiue, pour defraciner le mal, au moins qu'il la preigne lenitiue, pour le 20 foulager. «Opiiiio est qninlani elf'iviniitata ae leiiis, née in dolore inagis, quant eadeni in iioliiptate : qita, eiiiit liqneseititiis jUiiimisqne iiiollitia, apis aetileuiit siite elantore ferre itoit possniitns. Totnnt in eo est, ni tiln iinperes. » Au demeurant, on n'efchappe pas à la philolophie, pour taire valoir outre mefure l'afpreté des douleurs et rimnieiite Joiblessc. Car 25

Texte 88. i) prennent gouft & 6) toui de niefmc qu'i 12) fcnible toutes-fois courbé dans l'eau 15) difcours, qui nous perluadent de mefpriler la mort, & de ne nous tourmenter point de la douleur, n'en empoingnons nous quelcun pour nous? 18) que chacun n'en prend il celle qui eft le plus 19) humeur? Si ce n'eft vne drogue

Var. .\is. .}) mefme «></ 18) n'en (4^^ 21) foulager. Ohuascutur spccks hoiiesLr itiiiiiw Xu demeurant 22) iiiollitia, npim 25) et n<>div

L1VK1-: I, CHAIMTKH XIV. <S ^

on la contraint de .sr reicttcr ii ces iiiuincihlcs répliques. S'il ci\ mauuais de \-iure en neceflité, au moins de viure en neceflîté, il n'eft aucune neceflité.

Nul n'est mal longtemps qu'a sa faute.

Oui n'a le ceur de souffrir iiv la mort )iv la nie, qui hu'\ ueut nv résister ny fuir, que luv fairoit on ?

Texte 88. i) contraint de iKuis donner en pavement cecv. S'il

V.\R. MS. i) a cette illuilicil'lc réplique. 3) neccfCai:. Xeiiio iiisi siui ciilpa diii dolet. remplacé p.ir sa traduction. 4) W ftW^ Nul... a .W Couîpf. 5) i" : Qui n'a le corage de morir qu'il u aye le corage de uiure. : Oui n'a le conige de iouffrir... uie a quoi eut il houi qui 'iie^ ueut... fuir a quoi est il hou ?

Chapitre XV.

ON EST PVKY POVR S OPINIASTRI-R A VXl: PLACE SAXS RAISON'.

La vaillance a fes limites, comme les autres vertus : lefquels franchis on le trouuc dans le train du vice; en manière que par chez elle on le peut rendre à la témérité, obftination & tolie, qui n'en Içait bien les bornes ; malaileez en vérité à choifir sur leurs confins. De cette confideration eft née la couftumc, que nous 5 auons aux guerres, de punir, voire de mort, ceux qui s'opinial- trent à défendre vue place, qui par les reigles militaires ne peut cftre fouftenuë. Autrement, Ibubs Telperance de l'impunité il n'y auroit pouillier, qui n arreftaft vn' armée. Monfieur le Conneftablc de Mommorencv au fiege de Pauie, ayant erté commis pour pafler 10 le Tefin, & le loger aux fauxbourgs S. Antoine, eftant empelché d'vne tour au bout du pont, qui s'opiniaftra iniques à le taire battre, feift pendre tout ce qui eftoit dedans. Et encore depuis accompai- gnant Monfieur le Dauphin au voyage delà les monts, ayant pris par force le chafteau de \"illane, & tout ce qui c\\o'n dedans ayant 15 efté mis en pièces par la furie des Ibldats, hormis le Capitaine & l'enfeigne, il les fit pendre 6c eftrangler, pour cette mefme railbn : comme fit auffi le Capitaine Martin du Bellay lors gouuerneur de

Texte 88. 2) franchis & outrcpafTcz, on 1) malaifcz à la vérité a clioifir en l'endroit lic leurs

i.ivKr. I, (.iiAi'irin: xv. 83

Turin en cette nicfme contrée, le capitaine de S. Bonv, le reûe de l'os gens ayant erté malTacré à la prinl'e de la place. Mais d'autant que le iugement de la valeur & foiblefle du lieu fe prend par l'efti- niation & contrepois des forces qui l'afliiillent, car tel s'opiniatreroit

5 iuftement contre deux couleuurines, qui feroit l'enragé d'attendre trente canons; ou i'e met encore en conte la grandeur du prince conquérant, fa réputation, le refpect qu'on luy doit, il y a danger qu'on preffe vn peu la balance de ce collé là. Et en adulent par ces mefmes termes, que tels ont fi grande opinion d'eux 6c de leurs

10 moiens, que ne leur femblant point raifonnable qu'il v ait rien digne de leur faire tefte, paflent le coufteau par tout, ils trouuent refif- tance, autant que fortune leur dure : comnV il fe voit par les formes de fommation & deffi, que les princes d'Orient, (S: leurs fuccefleurs, qui font encores, ont en vfage, fiere, hautaine & pleine d'vn com-

15 mandement barbarefque.

Et au quartier par [0// 1 les Portugalois cscornereut les Indes, ils trouua- rent des etasis aueq cette loy iiiiiiierselle & inuiolahk, que tout eiieiui ueiiicu du Roy en presance, [ou] de son lieutenant, est hors de composition de rançon [et] de merci.

20 Ainfi fur tout il fe faut garder, qui peut, de tomber entre les mains d'vn luge ennemy, victorieux & armé.

. Tentr 88. 13) d'Orient, les T.imburlans, Mahumets, & leurs \'.\n. Ms. 17) eiiciiii qui

Chapitre XVl

DE LA PVXITIOX DE LA COVARDISE.

l'ouv autrefois tenir à vn Prince .S; trefgrand Capitaine, que pour lafcheté de cœur vn foldat ne pouuoit eftre condamné à mort : luy eftant, à table, tait récit du procez du Seigneur de W'ruins, qui fut condamné à mort pour auoir rendu Boulogne.

A la vérité c'eft raifon qu'on face grande différence entre les fautes 5 qui viennent de noftre foihleflc, & celles qui viennent de noflre malice. Car en celles icv nous nous fommes bandez à noftre elcient contre les rcigles de la raifon, que nature a empreintes en nous; & en celles là, il femble que nous puiflîons appeller à garant cette mefme nature, pour nous auoir laiffé en telle imperfection & defîail- 10 lance : de manière que prou de gens ont penfé qu'on ne le pouuoit prendre à nous, que de ce que nous faifons contre noftre confciencc; (S: fur cette régie eft en partie fondée l'opinion de ceux qui condam- nent les punitions capitales aux hérétiques & melcreans, & celle qui eftablit qu'vn aduocat & vn iuge ne puiffent eftre tenuz de ce que 15 par ignorance ils ont faillv en leur charge.

Mais quant à la coùardife, il eft certain, que la plus commune façon eft de la chaftier par honte & ignominie. Et tient on que cette règle a efté premièrement mife en vi'age par le legillateur Charondas; & qu'auant luv les loix de (irece puniffovent de mort ceux qui s'en 20

Tknte 88. II) que peu de fjens

LIVRL 1, CHAl'lTRii XVI. 87

cftoyent fuis d'vnc bataille, il ordonna feulement qu'ils fuffent par trois iours aflis emmy la place publique, vêtus de robe de femme, efperant encores s'en pouuoir feruir, leur ayant fait reuenir le courage par cette honte. « Siijfiindere iiuilis boiiii)tis saiigiiiiiein qiiani effiindcrc.» 5 II femble auflî que les loix Romaines condamnoient anciennement à mort, ceux qui auoient fuy. Car Ammianus Marcellinus raconte, que l'Empereur lulien condamna dix de les foldats, qui auoyeni tourné le dos en vne charge contre les Parthes, à eftrc dégradez, & après à fouffrir mort, luyuant, dict-il, les loix anciennes. Toutes-fois

10 ailleurs pour vne pareille faute il en condemne d'autres, feulement à fe tenir parmy les prifonniers fous l'enfeigne du bagage. L'aspic côdànatioii du peuple Romeiii contre les soldats eschapc::;^ de Cannes et è cetc mesme guerre contre cens qui acconipaignarcnt Cn. Fiilnins en sa desfaicte, ne uint pas a la mort.

13 5/ est [//] a creindre que la boule les désespère et les raude non Jroits sulemàt mais ciwniis.

Du temps de nos Pères le Seigneur de Franget iadis Lieutenant de la compagnie de Monfieur le Marefchal de Chartillon, ayant efté mis par Monfieur le Marefchal de Chabanes Gouuerneur de Fontar-

20 rabie au lieu de Monfieur du Lude, & l'ayant rendue aux Efpagnols, fut condamné à eftre dégradé de noblefle, & tant luy que l;i pofterité déclaré roturier, taillable, & incapable de porter armes : & fut cette rude fentence exécutée à Lyon. Dépuis Ibufîrirent pareille punition tous les gentils-hommes qui le trouuerent dans Guyfe, lors que

25 le Comte de Nanfau y entra : & autres encore depuis.

Toutes-fois quand il y auroit vne li groffiere & apparente ou ignorance ou coûardife, quelle furpafliit toutes les ordinaires, ce feroit railbn de la prendre pour fuffilante preuue de melchancctc & de malice, & de la chaisier pour telle.

Texte 88. 8) dos à vue 20) .Monlkur Je LuJc

V.\R. MS. i.() ne uimtrèl pas 15) non iiiiililfi nili'iiu'il iiiuis Joiiuignihlis.

CHAPITRE XVII.

VX TKAICT DE Q.VHLaVHS AMBASSADH\RS.

l'oblcruc en mes voyages cette practique, pour apprendre toufiours quelque choie, par la communication d'autruy (qui ert vne des plus belles efcholes qui puilTe eftre), de ramener touliours ceux auec qui ie confère, aux propos des choies qu'ils Içauent le mieux.

Balti al nocchiero ragionar de' venti, 5

Al bitbko dei toii, & le lue piaghe Conti'l i^uerrier, conti'l paftor gli arnieiui.

Car il adulent le plus Ibuuent au rebours, que chacun choifit pluf- toft à difcourir du meftier d'//// autre que du lien, ertimant que c'eft autant de nouuelle réputation acquile : tefmoing le reproche lo qu'Archidamus feit à Poriander, qu'il quittoit la gloire de bon médecin, pour acquérir celle de mauuais poète.

J'oii's iviiibii'ii (A'Siir se ilcsplolc htroriiiciil a nous Jitlir ciildinlrc ses iiiiiàtioiis II bcistir pans et engins; et combien ait pris il iia se serrant, ou il parle des offices de sa profession, de sa uaillàce et eoudiiite de sa iiiilice. 15

Ses exploits le iieri fient asses capitciiie excellant : il se iieiit faire coiiestre

Tkxth 88. 9) iiK'fticr d'aiuruy que 12) poctc, & p.ir ce train, vous ne faictcs iamais rien qui vaille. Optav ephippia

\'.\R. Ms. 13) (Icsptoie plus Inrgi'iiiciil 14) nigiiis de bntU-rif Ht conil'icii 16) iissi'S, iMelhml capitaine il cxicltaiit

LIVRli I, CHAl'lTKl- XVII. 89

i'.wrihiiit ciigilliciir, qualité iiiiciiiiciiiêt esIniHf^icre. Vu home de iioaitiun iur'uUque, mené ces ioiirs passes tioir tiii' estiuie journie de toute sorte de Hures de sou uiestier et de tout autre sorte, u'v trouua ludle oeeasioii de s'entretenir. Mais H s'arrête a gloser rudement & luagistralenient une 5 barrieade logée sur la uis de Vestude, que cent capitenes & soldats reneontrct tous les iours, sans remarque & sans offauee.

Le uieil Diouisius estoit tresgrand ehej de guerre, corne il eonuenoit a sa fortune; >nais il se trauailloit a douer principale recomandaiion de soi par la poésie, et si n'y sçauoit rien.'

10 Optât ephippia bos piger, optât arare caballus.

Par ce train nous ne faictes jamais rien qui uaille.

x\infin, il faut reietter touliours l'architecte, le peintre, le cor- donnier, & ainli du refte, chacun à l'on gibier. Et à ce propos, à la lecture des hirtoires, qui eft le fubiet de toutes gens, i'ay accoutumé

1) de conliderer qui en font les efcriuains : fi ce font perfonnes qui ne lacent autre profefîion que de lettres, l'en apren principalement le ilile & le langage; fi ce font médecins, ie les croy plus volontiers en ce qu'ils nous dilent de la température de l'air, de la lanté & complexion des Princes, des blelTures & maladies; û lurilconlultes,

20 il en faut prendre les controuerfes des droicts, les loix, l'eftabliflement des polices 6c chofes pareilles; fi Théologiens, les aflliires de l'Eglile, cenfures Ecclefialliques, difpenfes & mariages; li courtilans, les meurs & les cérémonies; fi gens de guerre, ce qui eft de leur charge, (bv principalement les déductions des exploits, ils le font

2) trouuez en perfonne; Il Ambafllideurs, les menées, intelligences (i^ practiques, 6c manière de les conduire.

Texte 88. lo) cab.illus. Par ainiî, il faut trauaillcr de reietter Var. ms. i) excellant in 3) (iiilfc meider 5) Jn uis ^ai^m il aUnl moiUc 6) offance. Diouisius

' Les deux aliiiOas Voies combien... ei Le uieil Diouisius... somJu mcme tcmpsci se suiv.iiciit.

L'alinéa Ses CXploilS... a été introduit ultérieurement.

90 ESSAIS DE MONTAIGNE.

A cette caufe, ce que ieufle paiïe à vn autre, lans m'y arrefter, ie l'ay poilé & remarqué en Fhiftoire du Seigneur de Langey, tres- entendu en telles choies. C'ell: qu'après auoir conté ces belles remonftrances de l'Empereur Charles cinquiefme, faictes au confif- toire à Rome, prelent l'Euefque de Mafcon et le Seigneur du Velly s nos Ambaflcideurs, il auoit meilé plulleurs parolles outrageules contre nous, & entre autres que, Il les Capitaines, Ibldats & fubiects n'eftoient d'autre tidelité & luffiûince en l'art militaire, que ceux du Roy, tout fur l'heure il s'attacheroit la corde au col, pour luy aller demander mifericorde (& de a^cy il lemble qu'il en creut quelque lo choie, car deux ou trois fois en fa vie depuis il luv aduint de redire ces melmes mots) ; auffi qu'il défia le Rov de le combatre en chemile auec l'efpée & le poignard, dans vn bateau, ledit feigneur de Langey, fuiuant fon hirtoire, adioufte que lefdicts Ambafliideurs, f;\ilans vne defpefche au Rov de ces chofes, luv en diffimulerent la plus grande 15 partie, mefmes luv celèrent les deux articles precedcns. Or i'av trouué bien eftrange qu'il fut en la puilTiince d'vn Ambaffadcur de dilpenfer lur les aduertiffemens qu'il doit faire à ion maillrc, melmc de telle confequence, venant de telle perfonne, iSc dites en il grand' alTemblée. Et m'eut femblé l'otîice du feruiteur eftre de fidèlement reprefenter 20 les choies en leur entier, comme elles font aduenûes : affin que la liberté d'ordonner, iuger & choifir demeurait au maiftre. Car de luy altérer ou cacher la vérité, de peur qu'il ne la preigne autrement qu'il ne doit, & que cela ne le pouffe à quelque mauuais partv, i\; ce pendant le laiffer ignorant de les affaires : cela m'eut femblé 25 appartenir à celuv qui donne la loy, non à celuv qui la reçoit, au curateur .S: maiftre delchollc, non à celuv qui fe doit penfer inférieur, non en authorité ieulement, mais auffi en prudence 0^ bon confeil. Qliov qu'il en foit, ie ne voudrov pas eltre ieruv de cette façon, en mon petit taict. 30

Nous )ioiis soiist niions \si] iioliuilicrs il 11 coiiukicniciit sous quelque pra'texte, cl usurpons sur 'la\ nuiistrisc; ilkuun aspire si naturcUenuiit

LIVRE I, CHAPITRE XVII. 9I

[a] la Jibcrfc et aiithoritc, qu'au supérieur nulle utilité ne doit estre si ehere, iiemnt de eeus qui Je serueut, corne luy doit estre chère leur naïfue et simple obéissance.

On corrôpl [l'o] fficc du comander, quand [o//] y obéit par discrétion, non 5 par subiection. Et P. Crassus, celuy que les Roineins estiinarent cinq Jois hurcus, lors qu'il csloit en Asie consul, àiài mande a vu enginieur grec de luy faire mener [le] plus grand des deus mas de nauire qu'il auoit ueu a Athènes, pour quelqu engin de batterie qu'il [en~] uouloit faire, cetuicy, sous litre de sa sciance, se dona loi de choisir autremant, [et~\ mena le plus petit,

10 &, selon la raison de son art, le plus côniode. Crassus aiant patiamnmnt oui ses raisons, luy fit tresbien douer lefoit : estimant J'interest de la discipline plus que l'interest de l'ouurage.

D'autre part, pourtant, on pour roi t aussi considérer que cet' obeissàce si contreinte n 'apartienf qu'ans comandcmans précis et prefix. Les ambassadurs

15 ont une charge plus libre, qui en plusieurs parties despant sonuereineiiuinl de leur disposition : ils n'execntèt pas siinplemâf, mais forment aussi et dressent par leur conseil la nolanté du maistre. l'ai ueu en mon temps des persoms de comandemant repris d'auoir plus tost obéi ans parolles des lettres du Roy qu'a l'occasion des affaires qui estai ni près d'eus.

20 Les homes d'entandemât accusent encores l'usage des Roys de Perse de tailler

les mourceaus si cou\rts'\ a leurs agens et lientenans, qu'ans nmi mires choses

ils eussent a recourir a leur ordonance : ce délai en une si longue estendue

de domination aiant sonnant aporte des [notables] domages a leurs affaires.'

Et Crassus, escriuani a un home du niestier et luy douant aduis de

25 l'usage auquel il destinoit ce nuis, sambloil il pas entrer en conféra nce de sa délibération & le conuicr a interposer son décret ?

Var. ms. 6) iugrniciir 8) ImUcric a quoi il (•)l^ aiicit affaire : cetuicy 12) de son oimr âge. 13) pari ou pounvil considérer 14) comandenmui iinauUerJi exprei cl 17) l'en ai 22) délai aiant aporte sonnant nolalde doinagc a leurs affaires ueu la grande estendue de leur domination. 24) niestier sambloit le conuicr a interposer son décret luy 25) mas et entrer en côferance de sa délibération. 26) a y interposer

' Alinia :ijoutc ultérieurement et insère par un renvoi d.ins le cours du Jéveloppement.

Chapitre XVIII,

DE LA PEVR.

Obftupui, fteten'intque comx, & vox faucibus hxfn.

le ne fuis pas bon naturalifte (qu'ils difent) & ne fçay guiere par quels reffors la peur agit en nous; mais tant y a que c'eft vne eftrange paflîon : & difent les médecins qu'il n'en eft aucune qui emporte ■pluftofl noflre iugement hors de (a deuë afliette. De vray, i'ay vcu 5 beaucoup de gens deuenus infenfez de peur; & ans plus raflîs, il eft certain, pendant que fon accès dure, qu'elle engendre de terribles elblouiflemcns. le laifle à part le \ulgaire, à qui elle reprefente tantoft les bilaveulx fortis du tombeau, enueloppez en leur fuaire, tantoft des Loups-garous, des Lutins, & des chimères. Mais parmy les 10 soldats mefme, elle deuroit trouuer moins de place, combien de fois a elle changé vn troupeau de brebis en efquadron de corfelets ? des rofeaux & des cannes en gens-d'armes & lanciers ? nos amis en nos ennemis ? & la croix blanche à la rouge?

Lorsque Monficur de Bourbon print Rome, vn port' enfeignc, 15 qui eftoit à la garde du bourg fainct Pierre,//// scsi de tel cft^rov à la première alarme, que par le trou d'\ne ruine il fe ietta, l'enfeigne au poing, liors la ville, droit aux ennemis, penlunt tirer vers le dedans de

Texte 88. 6) & .lu plus lo) les guerriers niefme i6) Pierre, print tel Var. ms. 12) fois inclii inlerpirh- a

MVKI-: !, CHAPITKI: XVII! . c;3

l;i ville, & à peine en fin, voyant la troupe de Monfieur de Bourbon le renger pour le Ibuftenir, ertiniant que ce fut vne Ibrtie que ceux de la ville fident, il le recogneurt, &, tournant telle, r'entra par ce mefnie trou, par lequel il ertoit forty plus de trois cens pas auant en 5 la campaigne. 11 n'en aduint pas du tout fi heureufement à Tenfeigne du Capitaine luille, lors que S. Pol fut pris fur nous par le Comte de Bures & Monfieur du Reu : car eftant fi fort efperdu de la frayeur que de fe ietter à tout l'on enfeigne hors de la ville par vne canon- nière, il tut mis en pièces par les alTaillans. Et au mefme fiege fut

10 mémorable la peur qui ferra, laifit & glaça li fort le cœur d'vn gentil-homme, qu'il en tomba roide mort par terre à la brefche, liins aucune blelTure.

Pareille peur laifit par toys toute une multitude. En l'vne des ren- contres de Germanicus contre les Allcmans, deux groffes trouppes

i) prindrent d'efiroy deux routes oppofites, l'vne fuvoit d'oii l'autre partoit.

Tantoll: elle nous donne des aifles aux talons, comme aux deux premiers; tantofi elle nous cloue les pieds & les entraue, comme on lit de l'Empereur Théophile, lequel, en vne bataille qu'il perdit

2o contre les Agarenes, deuint fi eftonné & fi tranfi, qu'il ne pouuoit prendre party de s'cnfuvr : «adeo' pauor etiam auxilia tormidat», iufqucs à ce que Manuel, l'vn des principaux chefs de fon armée, l'ayant tiralTé & fecoûé, comme pour l'elueiller d'vn profond fomme, luy dit : Si vous ne me fuiue/, ie vous tueray; car il vaut mieux

2) que vous perdiez la vie, que fi, eftant prilbnnier, vous veniez perdre l'Empire.

Lors exprime elle sd dernière forée, quaud pour son seruiee elle nous reiette a la uaillunee qu'elle a soustrait a uostre deuoir et it nostre honeur.

Texte 88. 15) Pareille rage faifit par foys des arniccs entières : en 14) Allc- mans, la frayeur s'eftant mise en leur armée, deux 25) à ruyner l'Empire.

' adeô... formidat, aJaitlon de 15RS.

94 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Eli la prciiilcrc iiistc hataiUe que les Roiiieiiis perdirent eoiilre AiiiiibaJ soits le consul Senipronius, nue irope de bien dix mille homes de pied, aicint pris Vcspouuante, ne uoiant ailleurs par ou faire passade a sa lâcheté, sala ieter au trauers le i^ros des enemis, le quel elle perça d'un incrneillus ejjort aueq o;raud meurtre de Carthaginois, achetant une honteuse fuite au nusmc pris 5 quelle eut eu d'une glorieuse uictoire. C'est ce de quoi i'ay le plus de peur que la peur.

Aussi surmonte elle en aigrur tous antres accidans.

[Quelle affection^ peut estre plus aspre & plus iuste, que celle des amis de Pompeius, qui estoient en son naiiire, spectateurs de cet horrible massacre? 10 5/ est-ce que la peur des voiles Egyptiennes, qui coninwnçoicnt à les approcher, l'estouffa, de manière qu'on a rcmcrqué qu'ils ne s'amusèrent qu'à haster les mariniers de diligenter, & de se sauner à coups d'auiron; iusqucs à ce qu'arriue:^ à Tyr, libres de crainte, ils eurent loy de tourner leur pensée à la perte qu'ils venoient de faire, & lascher la bride aux lamentations & aux 15 larmes, que cette autre plus forte passion auoit suspendiies.

Tmii panor sapienliam oiuueni iiiihi fx animo expectorât.^

Cens qui aront este bien frote:^ en quelque estour [de] guerre, tous blesse:^ mcorcs [et] ensanglante:^, on les rameine bien landemein a [la] charge : mais cens qui ont coiiceu quelque hone peur des enemis, uôus ne les leur 20 fairies pas siilement regarder [en] face. Cens qui sont en pressante creinte de perdre leur bien, d'cstre exile::^, d'estre subiugue:^, niucut en continuelle angoisse, en perdant le boire, [le | manger et le repos : la ou [les] poures, les hanis, les serfs uiuent sonnât aussi ioyeusement que les autres. Et tant

\'aR. MS. 5) n teur plïtc s'ilta 4) lequel... effort bilK-, sans doute à cause d'un

lapsus : le qu'elle perça, puis rétabli 4) effort et grainl Dieiirtre achetn)il 6) ce qui 21) regarder au 24) qu'autres

< Le passage : Quelle nffectioil... aililUO expectorât, n'existe plus dans le manuscrit; mais le point doit se faire l'intercalation est signalé par un renvoi, de la main de l'auteur. En outre, au bas de la marge gauche de la page en regard (f° 27 r»), on remarque un fragment de pain azyme qui a servi à fixer une feuille ajoutée, pouvait se trouver le passage en question. Nous le rétablissons d'après l'édition de 159;.

LIVRE I, CHAPITRE XVIII. 93

de gens qui de [J'i]iiipati(iiice des peintures de ila] peur se sont pendus, noye:^^ [et] précipite::^, nous ont bien apris qu'elle est encores plus importune et insupportd'le que la mort.

Les Grées en reeonessent une autre espèce qui est outre [re]rrur de nostre discours, uenant, disent-ils, sans cause apparante et d'une impulsion céleste. Des peuples entiers s'en uoicul sonnant sesis, cl des arnwcs entières. Telle fut celé qui apporta a Carthage une merueilleuse désolation. On n'y oioil que cris et uoix effraiees. On uoioit [/«] hahitans sortir de leurs maisons conte a [Tdjlarme, et se charger, blesser et entretuer [les] uns les autres, corne \si^ ce fussent enemis qui ni usent a occuper leur uille. Tout y estoit en desordre et en tumulte : iusques a ce que, par oraisons et sacrifices, ils eussent appaisé l'ire des Dicus. Ils iwnièt cela terrurs Paniques.

Var. ms. 3) mort et que bute autre exlreiiiilc. 5) sans raison '' ny] cause apparante d'une 11) en continuel desordre

Chapitre XIX.

Q.V1L XE I-'AVT IVGHR DH XOSTRH HEVR, aV APRIiS LA MORT.

Scilicet vltima feniper Expectanda dies hoinini eft, dicique beatus Ante obitum nemo, fupremdque funera débet.

Les cntans Içauent le conte du Rov Crœfus à ce propos : lequel, ayant efté pris par Cvrus & condamné à la mort, lur le point de 5 l'exécution, il s'efcria : O Solon, Solon! Cela rapporté à Cyrus, & s'eflant enc]uis que c'cftoit à dire, il luy fift entendre qu'il verifioit lors à les defpens l'aduertiflement qu'autrefois luy auoit donné Solon, que les hommes, quelque beau viliige que fortune leur foce, ne le peuuent appeller heureux, iufques à ce qu'on leur ave veu paffer le 10 dernier iour de leur vie, pour l'incertitude & variété des choies humaines, qui d'vn bien léger mouuement le changent d'vn eftat en autre, tout diuers. Et pourtant Agelilaus, à quelqu'vn qui difoit heureux le Roy de Perfe, de ce qu'il elloit venu fort icune à vn 11 puilTant eftat. Guy mais, dit-il, Priam en tel aage ne fut pas mal- 15 heureux, l'antoft, des Rovs de Macédoine, fuccelîeurs de ce grand Alexandre, il s'en faict des menuiliers & greffiers à Rome; des tvrans de Sicile, des pédantes à Corinthe. \y\n conquérant de la

Texti; 88. 9) face, quelques ricliefles, Royaulez & Empires qu'ils le \oyenl entre mains, ne fe 15) eftal, voire mais

LIVRE I, CHAPITRi; XIX. 97

moitié du monde, & Empereur de tant d'armées, il s'en taict vn miierable fuppliant des belitres officiers d'vn Rov d'Egypte : tant courta à ce grand Pompeius ht prolongation de cinq ou lix mois de vie. Et du temps de nos pères, ce Ludouic Storce, dixiel'me Duc de 5 Milan, loubs qui auoit li long temps branllé toute l'Italie, on l'a veu mourir prifonnier à Loches; mais après y auoir vel'cu dix ans, qui eft le pis de l'on marché. La plus belle roine, ueufue du plus grand Roy de la Cbrestiente, nient elle pas de mourir par main de bourreau ? Et mille tels exemples. Car il femble que, comme les orages & tem- 10 pertes le piquent contre l'orgueil & hautaineté de nos baftimens, il y ait auffi la haut des elprits enuieux des grandeurs de ça bas,

Vfque adeo res humanas vis abdita qucedam Obterit, & pulchros fafces Ixuàfque lecures Procukare, ac ludibrio fibi habere videtur.

15 Et femble que la fortune quelquefois guette à point nommé le der- nier iour de noftre vie, pour montrer fa puiflimce de renuerfer en vn moment, ce qu'elle auoit bafty en longues années; & nous tait crier après Laberius : «Nimirum hac die vna plus vixi, mihi quam viuendum fuit. »

20 Ainfi fe peut prendre auec raifon ce bon aduis de Solon. Mais d'autant que c'eft vn philofophe, à l'endroit defqucls les faneurs & difgraces de la fortune ne tiennent rang ny d'heur, ny de mal'heur; «is: lont les grandeurs, (Inc puilTances, accidens de qualité à peu près indifférente : ie trouue vrav-femblable qu'il aye regardé plus auant,

25 & voulu dire que ce mefme bon-heur de noftre vie, qui dépend de la tranquillité & contentement d'vn efprit bien né, & de la relolution & afleurance d'vn' ame réglée, ne fe doiue iamais attribuer à l'homme,

Texte 88. 3) Pompeius ralongcmcnt de ^5) grandeurs, richelles, & puiflances,

Var. ms. 7) marché. /;/ lu

■98 ESSAIS DE MON'TAIGXE.

qu'on ne luv ave veu ioûer le dernier acte de ûi comédie, îs; lans doute le plus difficile. En tout le relie il v peut auoir du mafque : ou ces beaux difcours de la Philofophie ne font en nous que par contenance; ou les accidens, ne nous efîiivant pas iufques au vif, nous donnent loyfir de maintenir touliours noftre vifage raffis. Mais 5 à ce dernier rolle de la mort & de nous, il n'y a plus que taindre, il faut parler François, il taut montrer ce qu'il y a de bon & de net dans le fond du pot,

Xani vers voces tum demum pectore ab imo

Eiiciuntur, & eripitur perfona, manet res. 10

\'oyla pourquoy fe doiuent à ce dernier traict toucher & efprouuer toutes les autres actions de noftre vie. C'eft le maiftre iour, c'eft le iour iuge de tous les autres : c'eft le iour, dict vn ancien, qui doit iuger de toutes mes années pafl'ées. le remets à la mort Yciïay du fruict tle mes eftudes. Nous verrons 11 mes difcours me partent 15 de la bouche, ou du cœur.

l'av veu plufieurs donner par leur mort réputation en bien ou en mal à toute leur vie. Scipion, beau père de Pompeius, rabilla en bien mourant la mauuaife opinion qu'on auoit eu de luy iufques lors. Epaminondas, interrogé lequel des trois il eftimoit le plus, ou 20 Chabrias, ou Iphicrates, ou fov-mefme : 11 nous faut voir mourir, fit-il, auant que d'en pouuoir refoudre. De vray, on defroberoit beaucoup à celuy là, qui le poiferoit ûins l'honneur & grandeur de fa fin. Dieu l'a voulu comme il luy a pieu : mais en mon temps trois les plus exécrables perfonnes que ie cogneufle en toute abomi- 25 nation de vie, & les plus intames, ont eu des mors réglées vs: en toute circonftance compofées iufques à la perfection.

// est ih's mors hnuics [ci] jortmiccs. le luy ai ueii trancher le Jil d'un

\'ar. ms. 22) refoudre. Jamais home ne le dict mieus a propos : cl c'est vu merueilleus eueiicmaiit. De vray 28) wors glorieuses et^ forliiiiccs. Elle i-vw/'rt a Iraucha un de tes iours despuis, le fil

LIVRK I, CHAPITRK XIX. 99

progrès de merucillciis auancemant, \ct \ cJaiis Ja flair de son croit, a quckiiu, d'une fin si pompeuse, qu'a mon auis ses amhiiicus & corageus desseins [n'](iuoinf rien de si haut que fut leur interruption. Il arriiia sans v aller ou il pretandoit : plus grandement & glorieusement que ne portoit son désir S et espérance. Et deuança par sa chute le pouuoir et le nom ou il aspirait par sa course.

Au lugemcnt de la vie d'autruy, ie regarde toufiours comment s'en eft porté le bout; & des principaux eliudes de la mienne, c'eft qu'il le porte bien, c'efl: à dire quietement & sourdenwnt.

Texte 88. ^ 9) quietement & feurement.

Var. ms. t) fleur de sa anirsf a qiielctiii : flu poiiU 2) pompeuse 'eC\ ricl'e qu'a 3) allermieui qu'4l lùipeivit au nom el a la gloire qu'il pretivuloit : pins grauile- menl & r'ictiemeut qu'Ai u'-esper^il que ne 5) pouuoir et la gloire ou il aspirait par son effaiet ses ejfaicls. Au

Chapitre XX.

QVE PHILOSOPHER C EST APPRENDRE A MOVRIR.

Cicero dit que Philofophcr ce n'ell autre chofc que s'aprcfter à la mort. Ceft d'autant que Fertude & la contemplation retirent aucune- ment noftre ame hors de nous, & l'embefongnent à part du corps, qui eft quelque aprentilTage & reflfemhlance de la mort; ou bien, c'eft que toute la lagelTe & difcours du monde fe reloult en fin à ce 5 point, de nous apprendre à ne craindre poiiil à mourir. De vray, ou la raifon fe mocque, ou elle ne doit viier qu'à noftre contentement, & tout Ion trauail tendre en fomme à nous taire bien viure, & à noftre aile, comme dict la Saincte cscritiirc. Toutes les opinions du monde en font là, que le plaisir est iiostre hti, quov qu'elles en prennent diuers 10 moyens; autrement on les chafleroit d'arriuée : car qui elcouteroit celuv qui pour fa fin eftabliroit noftre peine et niesciise?

Les dissa lit ions [iles seetes philosophiques, en ee eas, sont uerhales?\ « Trans- (urramus solertissiinas niigas. » Il y a plus d'opiniâtreté et de picoterie

Texte 88. 9) Saincte parollc. Toutes 12) eftabliroit noftre tourment? Or il eft hors de moyen d'arriuer à ce point, de nous former vn Iblide contentement, qui ne franchira la crainte de la mort. \'ovla (première corr. ms. celte crainte. \'o_vla) p. 102, 1. 6.

Var. ms. 12) celuv qui piMUtli-iinl pour 15) unhides plus tosi ijiie trt'les. Tramcurramu!.

LIVRIZ 1, CHAPITRE XX. lOI

qti il ii'itpdrlii'iil a une si sciiicte projcssioii. Mdis quelque pcrso)ui^c que l'Ijowe entrepraigne, il iouc toiisioiirs le sien panny. Quoi qu'ils client, eu la ueriu meswe le dernier but de nostre uisee c'est la uohiptc. Il nie plait de battre leurs oreilles de ce mot qui leur est si fort a contreceur. Et s'il S signifie quelque suprenw plaisir et excessif contentemant, il est niieus deu a l'assistance de la nertu qu'a nulV antre assistance. Cette uolupte, pour estre plus gaillarde, nerueuse, robuste, uirile, n'en est que plus serieusenu'ut uoluptuense. Et luy dénions douer le nom du plaisir, plus fauorable, plus dons et naturel : non ecluy de la uigur, duquel nous l'auons denomee.

lo Cctt'autre uolupté plus basse, si elle meritoit ce beau nom, ce deuoit esire eu coucurraucc, non par priuilege. le la treuue inoins pure d'incommodité:^ & de trauerses que n'est la uertu. Outre que son goust est plus nunnentanee, fluide & caduque, ell'a ses ueillees, ses iunes, & ses tranaus, & la sueur, et le sang; & en outre particulierenuiit ses passions tranchantes de tant de

I) sortes, & a son coste nue satiété si lourde qu'elle equipoUc a pcvnitâee. Nous auons grand tort d'estinwr que ces incommodité:^ luy seruent d'eguillon et de coudinuint a sa douceur, come en nature le coutrere se uiui^c par sou contrcre, et de dire, quand nous uenons a la nertu, que pareilles suites & difficulté:;^ V accablent, la rendèt austère & inaccessible, la ou, beaucoup

20 plus propremant qu'a la uolupte, elles annoblissent, esguisent, et rehaussent le plaisir diuin et parfaict qu'elle nous moienc. Celuy la est certes bien iiuligue de son acointance, qui contrepoise son coust a son fruit, et n'en conoit ny les grâces n\ l'usage. Cens qui nous uont instruisant que sa queste est scabreuse et laborieuse, sa iouissance agréable, que nous disent ils par la, si non qu'elle

25 est tousiours désagréable. Car quel moien humain arriua iamais a sa iouis- sance? Les plus parfaicts se sont bien contante:; d'\ aspirer et de l'aprocher sans la posséder. Mais ils se trompent : neu que de tous les plaisirs que nous conessons, la poursuite mesme en est plaisante. L'entreprinse se seul de la qualité de la cime qu'elle regarde, car c'est une bone portion de l'cffaict

Var. .ms. i) projesiion. Quelque 7) que plus uotitptueuse 8) plaisir plus tosi, plus 9) naturel : que celuy 15) equipolle a repeiiUiee. Xous 23) nous ueuUi 28) L'entreprinse et le dessein se sentent de 29) qu'elUs ils regardent. L'heur

102 ESSAIS DH MONTAIGNE.

et consuhstauticUc. L'bciir et la hcatUiidc qui reluit eu la iiertii, raniplit toutes ses apartemnces & aueuues iusques a la preuiiere entrée et extrême barrière. Or des principaus bieufaiets de la uertu est le nuspris de la mort, Dioieii qui fournit nostre nie d'une molle tranquillité, nous en done le goust pur et amiable, sans qui tout' autre uolupté est esteinte. 5

\'ovla pourquov toutes les règles fe rencontrent & conuiennent à cet article. Et bien qu'elles nous conduilent aufli toutes d'vn commun accord à mefprifer la douleur, la pauureté, & autres accidens à quoy la vie humaine eft fubiecte, ce n'eft pas d'vn pareil foing, tant par ce que ces accidens ne font pas de telle neceffité (la lo piufpart des hommes paflent leur vie liins goufter de la pauureté, & tels encore lans fentiment de douleur & de maladie, comme Xenophilus le Mulîcien, qui vefcut cent & fix ans d'vne entière fanté) qu'aufli d'autant qu'au pis aller la mort peut mettre fin, quand il nous plaira, & coupper broche à tous autres inconuenients. Mais 15 quant à la mort, elle eft ineuitable,

Omnes eodem cogimur, omnium \'erfatur vrna, ferius ocius

Sors exitura & nos in œter-

Num exitium impofitura cymbs. 20

Et par confequent, fi elle nous faict peur, c'eft vn fiibiect continuel de tourment, & qui ne fe peut aucunement foulager. // n'est lieu d'où elle ne nous uieigne; nous pointons tourner sans cesse la teste ça & la covie en pais suspect : « qua' quasi saxum Tantalo seniper impendet ». Nos parlemens renuovent fouuent exécuter les criminels au lieu le 25

Texte 88. 6) toutes les fectes des Philofophes fe rencontrent & conuiennent à c'eft article de nous inftruire à la mefprifer. Et bien

\'ar. ms. 2) premicrc et 3) mort savs lequel tout' autre uolupté est esteinte. El qui 4) tranquillité et sul nous 23) tourner ça H la lu Udc sans cesse, tome f>iiïs iuspet la teste 24) suspect. Nos

LIVRE I, CIIAPITRH XX. IO5

crime crt commis : durant le chemin, promenez les par des belles maifons, faictes leur tant de bonne chère qu'il vous plaira,

non SiculiC dapes Dulcem elaborabunt faporem, 5 Non auium cytharaeque cantus

Somnum reducent,

penfez vous qu'ils s'en puiflent refiouir, & que la finale intention de leur \oyage, leur eftant ordinairement deuant les yeux, ne leur ait altéré & affadi le goufl à toutes ces commoditez?

10 Audit iter, numeràtque dies, Ipaciôque viarum

Metitur vitam, torquetur perte futura.

Le but de noflre carrière c'ell: la mort, c'eft l'obiect nece(latire de

noilre vifée : fi elle nous effraye, comme eft il poffible d'aller vn

pas auant, lans fiebure ? Le remède du vulgaire c'eft de n'y penler

15 pas. Mais de quelle brutale fiupidité luy peut venir vn fi groffier

aueuglement ? Il luy faut faire brider l'afne par la queue,

Qui capite ipfe fuo inftituit veftigia rétro.

Ce n'efl: pas de merueille s'il eft fi fouuent pris au piège. On laict peur à nos gens, feulement de nommer la mort, & la plulpart s'en

20 feignent, comme du nom du diable. Et par-ce qu'il s'en taict mention

aux teflamens, ne vous attendez pas qu'ils y mettent la main, que le

médecin ne leur ait donné l'extrême fentence; & Dieu fçait lors, entre

la douleur & la frayeur, de quel bon iugement ils vous le patiffent.

Parce que cette fyllabe frappoit trop rudement leurs oreilles, & que

25 cette voix leur fembloit malencontreufe, les Romains auoyent apris de ramollir ou de l'eftendre en perifrazes. Au lieu de dire : il eft mort; il a ceffé de viure, difent-ils, il a vefcu. Pourueu que ce foit

Texte 88. i) p.ir toutes les belles niailbiis de France, faictes 27) vel'cu, vixerunt. Pourueu

104 ESSAIS DE MONTAIGNE.

vie, l'oit elle paflee, ils se consolent. Nous en auons emprunté nortre feu Maiftrc-Iehan.

A Faduenture eft-ce que, comme on dict, le terme vaut l'argent, le nafquis entre' vnze heures & midi, le dernier iour de Feburier mil cinq cens trente trois, comme nous contons à cette heure, com- 5 mençant l'an en lanuier. Il n'y a iullement que quinze iours que i'ay franchi 3 9 ans, il m'en faut pour le moins encore autant : cependant s'empefcher du penfement de chofe fi efloignée, ce feroit folie. Mais quoy, les ieunes & les vieux laissent la nie de mcsme condition. Nul n'en sort autreniant que corne si tout presantemant il y entroit. loint qu'il 10 neft homme fi décrépite, tant qu'il voit Mathulalem deuant, qui ne penfe auoir encore ///'/;/ ans dans le corps. D'auantage, pauure loi que tu es, qui t'a eftably les termes de ta vie ? Tu te fondes fur les contes des Médecins. Regarde pluftoft l'effect & l'expérience. Par le commun train des chofes, tu vis pieça par faueur extraordinaire. 15 Tu as pafle les termes accouflumez de viure. Et qu'il foit ainfi, conte de tes cognoifïiuis combien il en eft mort auant ton aage, plus qu'il n'en y a qui l'ayent atteint; & de ceux mefme qui ont annobli leur vie par renommée, fais en regiftre, & i'entreray en gageure d'en trouuer plus, qui font morts auant, qu'après trente cinq ans. 11 eft 20 plein de raifon & de pieté de prendre exemple de l'humanité mefme de lefus-Chrift : or il finit lii vie à trente & trois ans. Le plus grand homme, Amplement homme, Alexandre, mourut aufli à ce terme.

Combien a la mort de fiiçons de furprise ?

Quid quifque vitet, nunquam homini l'atis 25

Cautum eft in horas.

Texte 88. i) ils font contents. Nous 9) les vieux, y penfent auffi peu les vns quclcs autres. Et n'eft homme 12) encore vn an dans 15) tu vis defia pieça

\'ar. ms. 9) les vieux sorleni de la nie en mesme coiniilwii : miuo non ila exil c iiilu iaihfuam modo iiilraiierit. El n'eft 10) eiitroil. Et n'eft

' entre... midi et comme... lanuier .idditions de ij8«.

LIVRE I, CHAPlTRi; XX. lO)

le lailTc à part les fîcburcs & les pleureiies. Qui eut iamais pcnlc qifvn Duc de Bretaignc dcut eftre cftouffé de la prefle, comme fut celuy à l'entrée du Pape Clément mon voilîn, à Lyon ? N'as tu pas veu tuer vn de nos rovs en le louant? Et vn de fes anceftres 5 mourut il pas choqué par vn pourceau? .Eichilus, menafle de la cheute d'vne maifon, a beau le tenir à WiirU', le voyla affommé d'vn toict de tortue, qui elchappa des pâtes d'vn' Aigle en l'air. L'autre mourut d'vn grcin de railin; vn Empereur, de l'elgratigneure d'vn peigne, en le tellonnant; .Emilius Lepidus, pour auoir hurté du pied

10 contre le l'euil de l'on huis; & Aufidius, pour auoir choqué en entrant contre la porte de la chambre du confeil; & entre les cuifles des femmes, Cornélius Gallus prêteur, Tigillinus Capitaine du guet à Rome, Ludouic fils de Guy de Gonlague, Marquis de Mantoûe, &, d'vn encore pire exemple, Speulippus Philofophe Platonicien,

i) & l'vn de nos Papes. Le panure Bebius, iuge, cependant qu'il donne delav de huictaine à vne partie, le voyla laifi, le lien de \iure eftant expiré. Et Caius Iulius, médecin, grefl^int les yeux d'vn patient, vovla la mort qui cloft les liens. Et s'il m'y taut nieller : \n mien frère, le Capitaine S. Martin, aagé de vint & trois ans, qui auoit

20 défia faict aflez bonne preuue de fa valeur, louant à la paume, receut vn coup d'efteuf qui l'aflena vn peu au defilis de l'oreille droite, lans aucune apparence de contufion, ny de blelTure. Il ne s'en alfit, ny repola, mais cinq ou fix heures après il mourut d'vne Apoplexie que ce coup luy caula. Ces exemples fi frequens & li ordinaires nous

2) pafîant deuant les veux, comme eft-il polîible qu'on le puiiîe deffaire du pcnfement de la mort, & qu'à chaque inftant il ne nous femble qu'elle nous tient au collet ?

QLi'import'il, me direz vous, comment que ce loit, pourueu quon ne s'en donne point de peine? le fuis de cet aduis, & en quelque

30 manière qu'on fe puilTe mettre à l'abri des coups, fut ce loubs la peau

Texte 88. 6) à l'airre, le

I06 KSSAIS DE MONTAIGNE.

d'vn veau, ie ne fuis pas home qui y reculalTe. Car il me luffit de pafler à mon aile; & le meilleur ieu que ie me puifle donner, ie le prcns, li peu glorieux au reik' î\: exemplaire que vous voudrez,

prietulerim deiirus inérfque videri, Dum mea délectent mala me, vel denique fallant, 5

Quam fapere & ringi.

Mais c'eft folie d"v penfer arriuer par là. Ils vont, ils viennent, ils trottent, ils danfent, de mort nulles nouuelles. Tout cela eft beau. Mais auffi quand elle arriue, ou à eux, ou à leurs femmes, enfans & amis, les furprenant cii dessoude & à decouuert, quels tourmens, 10 quels cris, quelle rage, & quel defefpoir les accable? Vites vous iamais rien fi rabaifle, fi changé, fi confus ? Il v faut prouuoir de meilleur heure : & cette nonchalance beftiale, quand elle pourroit loger en la telle d'vn homme d'entendement, ce que ie trouue entièrement impolîîble, nous vend trop cher l'es denrées. Si c'ertoit ennemv qui 15 le peut euiter, ie confeillerois d'emprunter les armes de la coûardife. B "Mais puis qu'il ne fe peut, 'puis qu'il vous attrape tu vaut & poltron aulfi bien qu'honefte homme,

A Nempe & fugaceni perfequitur virum,

Nec parcit imbellis iuuentx 20

Poplitibus, timidôque tergo,

B <S: que nulle trampe de cuirafle vous couure,

Ille licet ferro cautus ie condat ;tre,

Mors tamcn indufuni protraliet inde caput,

A aprenons à le foutenir de pied ferme, & à le combattre. Et pour 25 commencer à luy ofter l'on plus grand aduantage contre nous, pre- nons voye toute contraire à la commune. Oftons luy l'ertrangeté,

'lï;\iic SS. 10) iurprcnam à riniproucu & .lu decouuert,

LIVR1-: I, cHAPiTRi-: XX. 107

pratiquons le, accoutumons le, n'avons rien il ibuuent en la telU' que la mort. A tous inllans reprelentons la à noflre imagination & en tous vifages. Au broncher d'vn cheual, à la cheute d'vne tuille, à la moindre piqucure d'elpleingue, remâchons Ibudain : Et bien, 5 quand ce feroit la mort mefme? & deffus, roidiiîons nous, & eftbr- çons nous. Parmv les tell:es & la ioye, avons toufiours ce retrein de la louuenance de noflre condition, & ne nous laiflbns pas li fort emporter au plaifir, que par fois il ne nous repaffe en la mémoire, en combien de fortes cette noilre allegrefTe efi; en bute à la mort, 10 (ic de combien de prinfes elle la menafle. Ainfi faifoyent les Egyp- tiens, qui au milieu de leurs feftins & parmy leur meilleure chère failoient aporter TAnatomie feche d'vn corps d'homme mort, pour ieruir d'aduertifTement aux conuiez.

Omnem crede diem tibi diluxilTe iupremum. 15 Grata fuperueniet, qu.-e non fperabitur hora.

Il eft incertain la mort nous attende, attendons la par tout. La préméditation de la mort efi préméditation de la liberté. Qui a apris à mourir, il a defapris à feruir. Le fçauoir mourir nous afran- chit de toute fubiection & contrainte. // /;'v u rien de mal en [lii\ nie

20 pour cehty qui a bien comprins que la priuation \ de] la uie n'est pas mal. Paulus ^î^milius refpondit à celuy que ce miferable Roy de Macédoine, fon prifonnier, luv enuovoit, pour le prier de ne le mener pas en ion triomphe : Qu'il en flice la requefte à foy mefme.

A la vérité, en toutes chofes, i\ nature ne prefte vn peu, il ert mal-

25 aifé que l'art & l'induftrie aillent guiere auant. le fuis de moy-mcfme non melancholique, mais fongecreux. 11 n'eft rien dequoy ie me foye des toufiours plus entretenu que des imaginations de la mort : voire en la faifon la plus licentieufe de mon aage,

lucunduiii cum .-etas florida ver ageret, 30 parmy les dames & les ieux,.tel me penfoit empefché à digérer à par

I08 ESSAIS DE MONTAIGNE.

mov quelque ialoulic, ou l'incertitude de quelque elperance, cepen- dant que ie m'entretenois de ie ne fçay qui, lurpris les iours precedens d'vne lieure chaude & de sa fin, au partir d'vne fefle pareille, & la telle pleine d'oiliueté, d'amour & de bon temps, comme mo\-, & qu'autant m'en pendoit à l'oreille : 5

lam fuerit, ncc poft vnquam reuoc;ire licehit.

le ne ridois non plus le front de ce penlement là, que d'vn autre. Il ell: impoffible que d'arriuée nous ne l'entions des piqueures de telles imaginations. iMais en les maniant & irpassuiit, au long aller, on les apriuoife fiins doubte. Autrement de ma part ie tuffe en lo continuelle frayeur & frenefie : car iamais homme ne le défia tant de ûi vie, iamais homme ne feit moins d'eftat de fa durée. Ny la ûtnté, que i'ay iouy iufques à prefent trefuigoureufe & peu fouuent interrompue, ne m'en alonge l'efperance, nv les maladies ne me l'acourciflent. A chaque minute il me femble que ie m'efchape. Et iiic 1 5 rcchitnlc sans cesse : Tout ce qui peut estre faict une autre iour, le peut estre aiiiounl'hui. De vrav les hazards & dangiers nous approchent peu ou rien de noftre fin; & fi nous penfons combien il eu refle, fans cet accident qui femble nous mcnaffer le plus, de millions d'autres fur nos tefles, nous trouuerons que, gaillars & fieureus, en la mer & en 20 nos maifons, en la battaille & en repos, elle nous efl égallement près. (( Neiim altéra fraf^ilior est : uciuo iu crastiuu})i sui certior. » Ce que i'ay aflfiiire auant mourir, pour Facheuer tout loifir me femble court, fut ce d'vn' heure. Quelcun, feuilletant l'autre iour mes tablettes, trouua vn mémoire de quelque chofe, que ie vouloy eftre faite après 25 ma mort, le luy dy, comme il eftoit vrav, que n'eftant qu'à vne lieue de ma maifon, & fain & gaillard, ie m'efloy hafté de l'efcrire là, pour ne m'alTeurer point d'arriuer iufques chez mov. Couie cclhiy

Tf.xte 88. 3) & Je 1.1 mort, au 9) m.iniant & pr.itiquniit au \'ar. ms. 16) rectiaiiie tousiours : tout... autre fois h

r.iVRi-: I, cHAPiTRi- XX. 109

qui cotitinuclhitiitiil nie couiic tic iiit's pcii.ws, cl les couche eu uiov, ic suis (i tout' heure préparé euuiron ce que ie le puis esire. El ne uùuiuerliru de rieu de uouueau la surueuaucc de la luorl.

Il faut cftrc toufiours hotc & prcll à partir, en tant qu'en nous 5 eft, & lur tout le garder qu'on n'ave lors affaire qu'à foy :

Quid breui fortes iaculamiir œuo Multa ?

Car nous y aurons aflez de befongne, ûins autre furcroit. L'vn fe pleint plus que de la mort, dequov elle luv rompt le train d'vne

10 belle victoire; l'autre, qu'il luv faut delloger auant qu'auoir marié la fille, ou contrerolé l'inftitution de fes entans; l'vn pleint la com- pagnie de la femme, l'autre de fon fils, comme commoditex princi- pales de Ion ertre.

/(' suis pour celle heure en lel eslat, dieu nwrcy, que ie puis deslos;er

15 quand il luv plairra, sans regrel de chose quelconque, si ce \nesl\ de la nie, si sa perle uienl a me poiser. le un- desnoue par loul; mes adieus sont a demi prias de chacun, sauf de niov. laniais home ne se prépara 1 (/ 1 quiller le inonde plus puremenl cl pleinenwnl, et ne s'en dcsprint plus uniuersellement que ie m' a tas de faire. ^

20 Mifer ô mifer, aiunt, omnia ademit

Vna dics infefta mihi tôt pr;Emia vita.\

Et le baftifffeur

Manent (dict-il) opéra interrupta, minxque' Murorum ingentes.

\'ar. ms. i) ie m 14) Ijeure dieu merci cii tel esUa que ie i6) le me suis desuouè... sout prias de tout le monde sauf 19) que i' espère faire.

' Cette addition s'arrêtait d'abord il prillS, puis i uniuersellemeul. L'édition de lîq; la complète

parla phrase suivante : Les plus mortes morts font les plus laines.

- A droite de cette fin de vers Montaigne écrit : plus eu ça, pour en rectifier la disposition typographique.

IIO ESSAIS DE MOXTAIGNE.

Il ne faut rien deflcigner de li longue haleine, ou au moins auec telle intention de fe paflîonner pour n'en voir la fin. Nous fommes nés pour agir :

Cum moriar, médium foluar & inter opus.

le veux qu'on agifle, et qu'on aloiige les offices de ht nie tant qu'on peut, 5 ci que la mort me treuue plantant mes chous, mais nonchalant d'elle, & encore plus de mon iardin imparfait. l'en vis mourir vn, qui, eftant à l'extrémité, fe plaignoit inceffamment, de quoy fa deftinée coupoit le fil de l'hiftoire qu'il auoit en main, fur le quinziefiiie ou feiziefme de nos Roys. 10

B Illud in his rébus non addunt, nec tibi earum

lam deliderium rerum fuper infidet vna.

A II faut fe defcharger de ces humeurs vulgaires & nuifibles. Tout

ainfi qu'on a planté nos cimetières ioignant les Eglifes, & aux lieux les plus fréquentez de la ville, pour accouilumer, difoit Lycurgus, le bas 1 5 populaire, les femmes & les enfans, à ne s'effaroucher point de voir vn homme mort, & affin que ce continuel fpectacle d'offemens, de tombeaus & de conuois nous aduertiffe de noftre condition :

B Quin etiam exhilarare viris conuiuia cxde

Mos olim, & mifcere epulis fpectacula dira 20

Certantum ferro, fa;pe & fuper ipfa cadentuni Pocula refperfis non parco fanguine menfis;

et corne les yEgiptieiis, après leurs festiits, faisoiiit presaiiter aus assisians une grand ' image de hi mort par iin' qui leur crioit : Boy et ^ t'es j iouy, car, A mort, tu seras tel : auffi ay-ie pris en couftume, d'auoir non feulement 25 en Timagination, mais continuellement la mort en la bouche; l\: n'ell

Texte 88. 5) agir : & ie fuis d'.iduis que non feulement vn empereur, comme difoit \'efpafien, mais que tout gallant homme doit mourir debout. C'.um moriar, 5) agifle fans cefle, que la mort

LIVRE I, CHAPITRE XX. III

rien dcquoy ic nVintorme li volontiers, que de la mort des hommes :

quelle parole, quel viûige, quelle contenance ils y ont eu; ny endroit

des hiftoires, que ie remarque il attantifuement. // _v pani a la farcis-

siire de nws cxciniplcs : et que i'ciy en particulière afection cette rnattiere.

5 Si \i'es]toi faisiir de Hures, [îV] fairoi un registre connnaiilé des nuvs

diuerses. Oui apranderoit les homes [ a] mourir, leur apraïuieroit a uiure.

Dicivarchus en fit un, de \ pareil tiltre, mais d'autre & moins utile [fin].

On me dira que l'tffect furmonte de Ci loing l'imagination, qu'il

n'y a li belle elcrime qui ne se perde, quand on en vient là. Laiflez

lo les dire : le préméditer donne fans doubte grand auantage. Et puis n"eft-ce rien, d'aller au moins iniques fans altération 6c fans fiéure? Il y a plus : Nature meime nous prefte la main, & nous donne courage. Si c'eft vne mort courte & violente, nous n'auons pas loilir de la craindre; li elle eft autre, ie m'apperçois qu'à mefure que ie

15 m'engage dans la maladie, l'entre naturellement en quelque defdein de la vie. le trouue que i'av bien plus affiiire à digérer cette refolution de mourir, quand ie fuis en lanté, que quand ie fuis en fieure. D'autant que ie ne tiens plus il fort aux commoditez de la vie, à raifon que ie commance à en perdre l'vfage & le plaifir, l'en voy la mort d'vne

20 veuë beaucoup moins effrayée. Cela me fait efperer que, plus ie m'eflongneray de celle-là, & approcheray de cette-cv, plus aifément i'entreray en compofition de leur efchange. Tout ainii que i'ay effayé en plulieurs autres occurrences ce que dit Celar, que les choies nous paroiffent fouuent plus grandes de loing que de près, i'av trouué que

25 fain i'auois eu les maladies beaucoup plus en horreur, que lors que ie les ay fenties : l'alegreffe ie fuis, le plailir ii: la force me font

Texte 88. 9) qui ne s'y perde 12) plus. le reconnoy par expérience, que nature 15) m'engage dans fes auenues, & dans la... naturellement & de nioy mefme en quelque 17) fuis en vigueur & en pleine fanté, que ie n'ay quand ie fuis malade : d'autant

Var. ms. 4) cxiimpics, que i'ay... matlierc. Et si 5) des belles mors. 7) mais de différante & moins

112 ESSAIS DE MONTAIGNE.

paroiftre Tautrc eftat li difproportionné à celuy-là, que par imagi- nation ic groflis ces incommoditez de moitié, & les conçov plus poifantes, que ie ne les trouue, quand ie les av fur les efpaules. l'eipere qu'il m'en aduiendra ainli de la mort.

Voyons à ces mutations ô^c declinailons ordinaires que nous 5 Ibuffrons, comme nature nous delrobhe le goull; de noftre perte & empirement. Qiie refte-il à vn vieillard de la vigueur de la ieunelTe, & de la vie palîée,

Heu ienibus vit.t portio quanta inanct.

César a -vu soldat de sa i:;arde, reereii et casse, qui iiiiil en la rue lux 10 demander congé de se jaire mourir, regardant son maintien décrépite, respondit plesanimant : Tu penses donq estre en aie. Qiii y tomberoit tout à vn coup, ie ne crois pas que nous fulîîons capables de porter vn tel changement. Mais conduicts par l'a main, d'vne douce pente îs; comme inlenlible, peu à peu, de degré en degré, elle nous roule 15 dans ce miferable eftat, & nous v appriuoile : 11 que nous ne fentons Uucune fecoufle, quand la ieunefle meurt en nous, qui ell en eflence & en vérité vne mort plus dure que n'eft la mort entière d'vne vie languilTante, cs: que n'efl: la mort de la vieillelïe. D'autant que le fault n'ell pas 11 lourd du mal eftre au non eilre, comme il ell d"vn 20 eftre doux & fleurilîlmt à vn eftre pénible ix douloureux.

Le corps, courbe (i;c plié, a moins de force à fouftenir vn fais; aulîl a noftre ame : il la fout drefler & efleuer contre l'effort de cet aduerliiire. Car comme il eft impofllble qu'elle fe mette en repos, pendant qu'elle le craint : li elle s'en affeure aufli, elle fe puit 25 venter, qui eft choie comme furpaffant l'humaine condition, qu'il ell

Texte 88. 2) de l;i moitié 16) fentons on nous aucune 18) plus forte : que 24) repos & à fon aife pendant

\'ar. ms. 10) soldiU uiilesagardv iiii'iis et anse... nicdcniiuhiùl iwigc ii) ifi;ai- (liiiit [w; dei-i^pik iV SOI maititien dccrepiicluy respcndil (Cc passage : Ccsar... nie, ct.iii insC-rc

au chapitre XUI Ju livre III, f 190 r°, il a été bitVé pour être transporté ici.) 17) fccOufle

en nous : quand la ieuneffe meurt qui

LIVRE I, CHAPITRH XX. II3

impolilhlc que l'inquictudc, le tourment, la peur, non le moindre del'pliiiiir loge en elle,

Non vultus inftantis tyranni

Mente quatit folida, neque Aufter 5 Dux inquiet! turbidus Adriiv,

Nec fulminantis magna louis manus.

Elle cfl rendue maiftrelTe de les paflions & concupifcences, maif- trefle de l'indigence, de la honte, de la pauureté, & de toutes autres iniures de fortune. Gaignons cet aduantage qui pourra : c'efl icy la 10 vrave & Ibuueraine liberté, qui nous donne dequo}' faire la figue à la force & à Tinluilice, ^ nous moquer des priions & des ters :

in manicis, & Compedibus, l";tuo te lub cuftode tenebo. Ipfe Deus lîmul atque volani, me foluet : opinor, 15 Hoc fentit, moriar. Mors vltima linea rerum eft.

Noftre religion n'a point eu de plus alTeuré fondement humain, que le mefpris de la vie. Non feulement le difcours de la raifon nous y appelle, car pourquoy craindrions nous de perdre vne chofe, laquelle perdue ne peut eftre regrettée ; &, puis que nous fommes

20 menalTez de tant de façons de mort, n'v </ il [^tts plus de mal à les craindre toutes, qu'cà en fouftenir vne?

Que chaut il quand ce soit, [puis] qu'elle est ineiiilahle. A celuy qui disait a Socrates : Les tranle [tira\ns i'onl condamne a la niorl. Lt nature a eus, rcspondict il.

25 Quelle sottise de nous peiner sur le point du passai^e a l'exani piton de toute peine!

Texte 88. i) tourment, & la 2) loge chez elle. 20) mort, ne voyons nous pas qu'il y a plus

Var. ms. 17) de la wt);^ /(/V. Xun 21) vne? Quelle soUiu' de iwiis peiner sur le point de l'exemptiou de tonte peine : mais nature /p. u 1, I. ix.) 22) il qnelle elle soU 2}) mort : Luy soitdein : cl

114 ESSAIS Dl- MONTAIGNE.

(a)iiic iioslir luiissancc nous aporla Ici luiissûiicc de ioiilcs choses, aussi fuira la )iiorl ilc loulcs choses iioslir iiiorl. Parquai c'est pareille folie cle pleurer de ce que d'iey a cent ans nous [iw\ uiurons pas, que de pleurer de ce que nous ne uiuioiis pas, il y a eeiii ans. La mort est origine d'un autre uie. Einsi plurames nous : einsi nous coûta il d'entrer en cetecy : einsi nous 5 despouillames nous de nostre entien uoile, en y entrant.

Rien ne peut estre grief, qui n'est qu'une fois. Est ce raison de ereiiulre si long temps chose de si hrief temps? Le long temps uiure '[et\ le peu de temps uiure est randu tout un par la mort. Car le long et le court n'est point ans choses qui ne sont plus. Aristote dicf qu'il y a des petites bestes 10 sur la riuiere de Hypanis, qui ne uiuent qu'un iour. Celé qui nniut a huit heures du matin, elle meurt en iunesse; celle qui meurt a cinq heures du soir, meurt en sa décrépitude. Qui de nous }ie se nmque de noir mettre en côsideration d'heur ou de nnil heur ce moment de durée? Le plus et l/c] moins en la nostre, si nous la comparons a V éternité, ou encores a la durée des 15 mùtaignes, des riuieres, des esfoiles, des \ arbres, & nn'smes d'iiucuns ani- maux, n'est pas moins ridicule.

Mais nature nous y force. Sortez, dit-elle, de ce monde, comme vous V eftes entrez. Le melmc pafliige que vous fîtes de la mort à la \ie, fans paiîion & fans frayeur, refaites le de la vie à la mort. 20 Voftre mort vne des pièces de l'ordre de l'vniuers; c'ell vne pièce de la vie du monde,

inter le niortales nuitua viuuiit Et quafi curfores vitaï lampada tradunt.

Var. ms. i) Le dclnit de ralinij.-i ct.iit : fieui <:(-' t:div imemmodik que la mtiftj puif iju'^Ue ue tcmlii'j dm qui sfil. One peut ojjnncer la iiwrt, elle ne touche rien, qui soit. C'est toute pareille folie 4) ans. L'un temps \n'\esl non plus nostre que l'autre.^ La mort est naissance de d'un autre 5) Einsi pleurâmes nous conta... cetecy : einsiu y despoui 6) nostre uoile 8) chose de hrief kmps 9) mort. Le mal cl le bien le loni; et le court n'aparlicnl point ans 10) des bestes 12) heures elle - 13) décrépitude. Nous twus moquons de leur uoir mett 14) durée : la uosire 16) esloiks et des

' Au dessus de cette vari.nntc bili'ée, Montaigne .1 écrit, puis effacé La cit.ition suiv.inte dont Li traduction lui a fourni ensuite le conimeiiccnient de l'aliné.i sous sa forme définitive : Ul lUlhum

omnium rerum nohis reruin omnium ortus noster ajjert sic exitum mors.

LIVRIZ I, CHAl'lTRl-: XX. II j

Changcrav-ic pas pour vous cette belle contexture des choies? Ceft la condition de voilre création, c'eft vne partie de vous que la mort : vous vous fuyez vous mefmes. Cettuy voftre eftre, que vous ioùyflez, eft également party à la mort &.à la vie. Le premier iour de voftre 5 naiiïinice vous achemine à mourir comme à viure,

Prima, qus vitam dédit, hoia, carpfit. Nafcentes morimur, finifque ab origine pendet.

Toiif ce que nous iiiues, vous le desrohes a la nie; c'est a ses despans. Le

continuel otinrage de uostre [irie] c'est hastir la mort. Vous estes en la mort lo pendant que nous estes en nie. Car nous estes après la mort quand nous

n'estes plus en nie.

Ou si nous aimes miens ainsi, nous estes mort après la aie; mais pandant

la nie nous estes mourant, et la mort touche bien plus rudcnu-nl le mourant

que le mort, [et"] plus uiucmcnt et essentiellement. i) Si vous auez faict voftre proufit de la vie, vous en eftes repeu,

allez vous en fatisfaict,

Cur non vt plenus vitx' conuiua recedis ?

Si vous n'en auez Içeu vfer, fi elle vous eftoit inutile, que vous chault-il de l'auoir perdue, à quoy fiiire la voulez vous encores?

20 Cur amplius addere qu;tris

Rurfum quod pereat maie, & ingratum occidat omne ?

La nie n'est de soi ny bien uv mal : c'est la place du bien et du nnil selon que nous [la ' leur faictes.'

\'.\R. MS. 8) que nous uiuoits, nous le clesro})oiis a la uie. Le 11) nie. Apres lu uie nous estes mort mais uous estes niottrniit pendtml durant la uie. Si vous 12) uoiis l'aimes 13) 1°: louehe bien mieus au le mourant que le mort 2°: agit bien miens sut: enuers le mourant que enuers le mort : agit bien plus rudement contre le mourant que cotre le mort Si vous

' La phrase : La uie... faictes insiirce en premier lieu .iu chapitre XIII du livre III (i" 494 r«) a été transportée ici avec variantes.

Il6 ESSAIS DE MONTAIGNE.

A Et fi VOUS auez velcu vn iour, vous auez tout veu. \n iour cft

égal à tous iours. Il n'y a point d'autre lumière, ny d'autre nuict. Ce Soleil, cette Lune, ces Eftoilles, cette dilpofition, c'eft celle mefme que vos ayeuls ont iouye, & qui entretiendra vos arrierc-ncpucux :

Non aliiini uidcre paires : aliiiiiuic ncpolcs 5

Aspicieni.

Et, au pis aller, la diftribution & variété de tous les actes de ma comédie le parfournit en vn an. Si vous auez pris garde au branle de mes quatre ûiilbns, elles embraffent l'enfance, l'adolefcence, la virilité & la vieillelTe du monde. Il a ioûé ion icu. Il n'y fçait autre lo finefle, que de recomencer. Ce fera toufiours cela melme,

B verlamur ibidem, atque infumus vfque,

Atque in fe fua per vefligia voluitur annus.

A le ne luis pas délibérée de vous forger autres nouueaux pafle-

temps, iS

Nam tibi prsterea quod machiner, inuenidmque Quod placeat, nihil eft, eadcm funt omnia femper.

Faites place aux autres, comme d'autres vous l'ont faite. L'cqiialite csl la proiiicrc piccc de ] 'équité. Qui se peut pleiuâre â'eslre eoinprins, ou tous sont edprius? .Au{\\ auez vous beau viure, vous n'en rebattrez 20 rien du temps que vous auez à eftre mort : c'eft pour néant : aufli long temps ferez vous en cet eftat là, que vous craignez, comme il vous eftiez mort en nourrifle,

licet, quod vis, viuendo vinccre fccla, Mors itterna tanien niiiiKmiinus illa manebit. 25

Texte 88. 8) au bc.iu branle 10) fou rollc : il

LIVRE I, CHAPITRH XX. II7

Et il VOUS mettcray en tel poinct, auquel vous n'aurez aucun mefcontentement,

In vera nefcis nullum fore morte alium te, Qui pofTit viuus tibi te lugere peremptum, 5 Stanfque iacentem.

Ny ne defirerez la vie que vous plaingnez tant,

Nec iîbi enim quitquani tum le vitàmque requirit, Nec defiderium noftri nos afficit vllum.

La mort eft moins à craindre que rien, s'il y auoit quelque choie de 10 moins,

multo mortem minus ad nos efle putandum Si minus efle poteft quam quod nihil effe videmus.

Elle [ne] VOUS concerne ny mort [//_)'] //;/; uif, parce que nous estes; mort, par ce que nous [n']estes plus. 15 Nul ne meurt auant fon heure. Ce que vous laiflez de temps, A n'eftoit non plus voftre, que celuy qui s'ell pafle auant voftre naiffance : *& ne vous touche non plus, B

Refpice enim quam nil ad nos ante acta vetuftas Temporis itterni fuerit.

20 que voftre vie finifle, elle y eft toute. L'utilité du uiure n'est A pas en l'espace, elV est en l'usage : tel a uescu long temps, qui a peu uescu : attande:^ nous [r] pamlant que nous y estes. Il gist en uostre uolonte, non au nombre des ans, que nous aies asses uescu. Penfiez vous iamais n'arriuer là, vous alliez uns celTe? encore n'y a il chemin qui naye

Texte 88. i) tel eft.u, duquel vous 10) moins, que rien, multo 14) plus. D'auantage nul ne

V.\R. MS. « i) 1°: tel /)0(Hd, duquel 2°: \q\ cslat, duquel 12) videmus. Pourquoi la creigues nous, elle n'est iamais lia] ou nous estes. Nul ne

Il8 ESSAIS DE MONTAIGNE.

SOU issHC. Et la compagnie vous peut Ibulagcr : le monde ne va-il pas mefme train que vous allez ?

B omnia te vita perfuncta fequentur.

A Tout ne branle-il pas voftre branle? Y a-il chose qui ne vieillifle

quant & vous? mille hommes, mille animaux & mille autres créa- 5 tures meurent en ce mefme instant que vous mourez :

B Nam nox nulla diem, neque noctem aurora fequuta efl,

Quas non audierit miftos vagitibus asgris Ploratus, mortis comités & funeris atri.

A quoi faire v nriiie:^ nous, si nous lU' ponues tirer arrière. Vous en aues 10 asses mu, qui se sont bien trouue:^ de mourir, escheuât par la des grandes misères. Mais quelcun qui s'en soit nui! tronné, en aues nous ueu ? Si est ce grand simplesse de condamner chose que nous n'aues esprouuee )iy par nous, Il V par autre. Pourquoi te pleins tu de moi et de la destinée? tefesons nous tort? Est ce a toi de nous gouuerner, ou nous a toi ? Encore que ton cage ne soit 1 5 pas acheue, ta uie l'est. Vu petit home est home ètier, coine un grand.

Ny les homes, ny leurs nies ne se mesurent a l'aune. Chiron' refusa l'immortalité, informé des conditions d'icelle par le Dieu mesmes du temps et de la durée, Saturne son père. Imagines de urai combien seroit une uie perdurable, moins supportable a l'home & plus pénible, que ncsl la uie que 20 ie liiv ai donee. Si nous n'auie:, la mort, nous me maudiries sans cesse

Texte 88. 4) Y a-il rien qui 6) en cette mefme heure, que

\'ar. ms. ïo) faire nous renilei 14) de moi 4 U fcis U t«i4 16) l'est. Corne un petit home est liome pai^ êlier lé) : grand : aussi est la nie. Que ie ie doue une uie perdurable elle te sera bien moins supportable que n'est la mort ueu ta condition. Voila les bons : grand. Et la uie pour estre plus longue n'en vaut pas mieus non plus (ju'unc pantoufle. \'o\h les bons 18) informé de la condition d'icelle 19) Imagines de la condition que nous estes combien nous seroit... supportable & plus pénible que n'est la mort. Si nous ne l'auics pas nous me 19) combien a l'home seroit... supportable & plus

' Chiron... père .iddition ullirieure.

I.IVR1-: 1, cHAi'iTRi: XX. 119

de nous eu aiioir priué. l'y ciy a eseiant inesié quelque peu d'anurlunie pour nous enipescher, uolaul la côinodité de son usage, de l'embrasser trop auide- nutiit et indiseretemant. Pour uoiis loger en cette modération, ny de fuir la uie, nv de refuir a la mort, que ie deuutnde de nous, i'ay tempère l'une

5 et l'autre entre la douceur et l'aigrur.

l'aprins' a Thaïes, le premier de nos sages, que le uiurc cl le mourir estoit indifférant; par ou, a ccluy qui luy demanda pour quoi donq il ne mouroit, il respondit fressagcmcnl : Par ce qu'il est iiulifferant.

L'eau, la terre, l'air, le feu & autres mâhres de ce mien bastinult ne sont

10 non plus insirumâs de ta nie qu'insirnmàs de ta mort. Pourquoi creins tu ton dernier iour? il ne conicrc non [^lus a la nu>rt que chacun des autres. Le dernier pas nefaict pas la lassitude : il la déclare. Tous les iours uont a la mort, le dernier y arriue.

Voila les bons aduertiffemcns de iiortre mère nature. Or i'ay penlé

15 fouuent d'où venoit cela, qu'aux guerres le vilage de la mort, loit que nous la voyons en nous ou en autruy, nous femble lans com- paraifon moins eflfroyable qu'en nos maifons, autrement ce feroit vn' armée de médecins & de pleurars; &, elle eftant toufiours vne, qu'il y ait toutes-fois beaucoup plus d'afleurance parmy les gens de

20 village & de baffe condition qu'es autres. le croy à la vérité que ce l'ont ces mines & appareils effroyables, dequoy nous l'entournons, qui nous font plus de peur qu'elle : vne toute nouuelle forme de viurc, les cris des mères, des femmes & des entans, la vifitation de perfonnes eftonnees & tranfies, l'affiftance d'vn nombre de valets

25 pafles & éplorés, vne chambre fans iour, des cierges allumez, noftre cheuet affiegé de médecins & de prefcheurs : fomme, tout horreur & tout effrov autour de nous. Nous voyla des-ia enfeuelis & enterrez. Les enfans ont peur de leurs amis mefmes quand ils les voyent

\'ar. ms. 5) l'aigrur. fl^alts 6) premier ilc umi 7) imlijfcraiil a I'Imwc par ou II) mort que lU*n 12) Tous nos iours

' licrit aprws l'alinCa suivant, nuis reporlc i cette place par un signe de renvoi.

120 ESSAIS DE MONTAIGNE.

mafquez, aufli auons nous. Il faut orter le malque aufli bien des choies, que des perfonnes : ofté qu'il fera, nous ne trouuerons au deffoubs que cette mefme mort, qu'vn valet ou fimple chambrière pafferent dernièrement fans peur. Heureufe la mort, qui ofte le loilir aux apprefts de tel équipage. 5

Texte 88. 4) mort & heureufe trois fois, qui ofte

Chapitre XXI.

DH LA FORCE DH L IMAGINATION' .

« Fortis imaginatio gcncrat caluni », diknt les clercs. le luis de ceux qui l'entent très-grand eftort de l'imagination. Chacun en ell biirtc, mais aucuns en font iriiiicrsc:^. Soit impression nie perse. [El \ mon art est de hiv esehaper, non pas de liiy résister. le uinrois de la snJe ) assistanee de persones saines '.et] gayes. La neue des eiii^'oisses d'aairny m'engoisse materiellemêf, et a mon sentiniàt sonnant usurpe le sentimât d'un tiers, l'n tousseur eontinnel irrite mon poulmon et mon gosier. [Ie\ nisite pins mal nolontiers les \ malades ansquels le deuoir [m' intéresse, que eeus ansquels /V m'attans moins et que ie eôsidere moins. le se .sis le

10 mal que i'^eslndie, & le eouche en inoy. \Ie\ ne t renne pas est range qu'elle doue et les fienres & [/«] mort a eeus qni la laissent faire el qui Iny applandissèt. Simô Thomas estait un grand médecin de son temps. Il me sonuient que, me rencôtrant [///;] iour cbes un riche uieillarl pnlmoniqne, el Iraictant aucq [luy] des nuùens de sa guerison, \jl^ luydicl que c'en estait

15 /'///( [de me douer occasion de me plaire \eii] sa càpaignie, 6" que, jichanl

Texte 88. 2) en eft féru, mais aucuns en font transformez. Gallus

\'ar. ms. 4) pas de la comhallrc. le iiiiiiois d giierirois de l'as sisltince 5) gaycs. Li's a 6) m'eiigoisseui cl\ a s^muiut mon seutimàl a souuaiil usurpe les maus du senlimâl d'aulruy un tousseur coulinuel me piiise le gosier 9) el eôsidere lo) mal eu l't:4miinul 10) eouclje sur moy 12) de mou temps.

122 ESSAIS DE MONTAIGNE.

SCS Ycits sur la freschur de mou uisage, ci sa peusee sur cette allégresse & uigeur qui regorgeait [ilc\ mon adolesccucc, et remplissant tous ses sens de cet estât fleurissant en quoi i'estois, son habitude s'en pourrait anuindcr. Mais il ol'liait a dire que la niieue s'en pourrait empirer aussi. Gallus Vibius banda li bien fon ame à comprendre l'eflence & les mouue- s mens de la folie, qu'il emporta l'on iugement hors de fon fiege, Il qu'onques puis il ne l'y peut remettre : & fe pouuoit vanter d' élire deuenu fol par sagesse. Il y en a qui, de fraveur, anticipent la main du bourreau. Et celuy qu'on debandoit pour luy lire la grâce, fe trouua roide mort fur Feichataut du feul coup de l'on imagination. Xous lo treffuons, nous tremblons, nous palliffons & rougiffons aux fecoufles de nos imaginations, 6c renuerfez dans la plume fentons noftre corps agité à leur branfle, quelques-fois iufques à en expirer. Et la ieuneffe bouillante s efchauffe fi auant en fon harnois tout' endormie, qu'elle aflbuuit en longe fes amoureux deiîrs, 15

\t quall tranfactis l;tpe omnibus rébus protundaiit Fluminis ingénies fluctus, veftémque cruentent.

Et encore qu'il ne foit pas nouueau de voir croiûre la nuict des cornes à tel qui ne les auoit pas en fe couchant : toutestois l'euenement de Cyppus, Roy d'Italie, eft mémorable, lequel pour auoir alTifté le 20 iour auec grande affection au combat des taureaux, iS: auoir eu en longe toute la nuict des cornes en la telle, les produifit en l'on front par la lorce de l'imagination. La paflion donna au lîls de Crœl'us la voix, que nature luy auoit refufée. Et Antiochus print la heure de la beauté de Stratonicé trop viuement empreinte en l'on ame. Pline 25 dict auoir veu Lucius ColFitius de femme changé en homme le iour

Tkxii-: 88. 5) ame, & la tcndy, à coniprcndrc & imaginer rclFencc 6) iuge- ment mefnie hors 8) fol par difcours. Il 15) iufques à la mort. Ht 24) Et Antigonus print

\'ar. ms. i) pciisce cl ceUe gnye attegrcsse d uigeur de mon aiiolcscciicc remptUsaiil 4) empirer. Gallus

I.1VR1-: I, CHAP1TR1-; XXI. 123

de fes nopces. Pontanus .it d'autres racontent pareilles metamor- phofes aduenuës en Italie ces liecles paflez. Et par véhément defir de luv 6^; de la mère,

Vota puer foluit, qus fœmina vouerat Ipliis.

5 Pafïiint à Victry le Françoys, ie peuz voir vn homme que l'Euelque de Soiflbns auoit nommé Germain en confirmation, lequel tous les hahitans de ont cogneu & veu fille, iufques à l'aage de vingt deux ans, nommée Marie. Il estait à cett' heure la tort barbu, & \'ieil, (.\: point marié. Faifant, dict-il, quelque effort en fautant, fes membres

lo virils le produifirent : & ell encore en vlage, entre les filles de là, vne chanfon, par laquelle elles sentraduertiffent de ne taire point de grandes eniambees, de peur de deuenir garçons, comme Marie Germain. Ce n'eft pas tant de merueille, que cette lorte d'accident le rencontre fréquent : car fi l'imagination peut en telles choies, elle

ij ert fi continuellement & fi vigoureufement atachcc a ce fubiect, que pour n'auoir fi ibuuent à rechoir en mefme penfée & alpreté de defir, elle a meilleur compte d'incorporer, vne fois pour toutes, cette virile partie aux filles.

Les vns attribuent à la force de l'imagination les cicatrices du Roy

2o Dagobert & de Sainct François. On dict que les corps s'en-enleuent telle fois de leur place. Et Celfus recite d'vn Prebfi:re, qui rauiffoit fon ame en telle extafe, que le corps en demeuroit longue efpace fans refpiration & iiins fentiment. Sainct Aui:;iistin en nome an antre, a qat il ne fahil qnc faire onir des cris lamentables & pieiiitijs, soudcin il dejaiUoit

2) (7 s'emportait \si\ nifucment hors de soi, qa'on auoit beau le tem pester et hurler, et le pincer, et le i^riller, insques a ce qu'il fut resnscité : lors il disait auair oui des noix, mais corne nenani de louiit; et s'aperceuail de ses

Texte 88. 8) II eft à cctt' heure fort barbu, & vieil, & ne s'eft point marié. 13) merueilles, fi cette 15) vigoureufement exercée en ce 17) compte d'atta- cher & incorporer

\'ar. .ms. 25) auoit U tcmpedci: d le hudiT

124 ESSAIS DE .MO\TAIG\E.

eschaiulurcs & iiiiirtrissiiirs. Et que ce iw fut uut obstination apostcc contre son sentiniant, cela le motif roit, qu'il n'ciuoit cepandant uy pous ny haleine.

11 cil vray femblable, que le principal crédit des miracles, des vilions, des enchantemens, & de tels effects extraordinaires, vienne de la puilTance de l'imagination agiffant principalement contre les 3 âmes du vulgaire, plus molles. On leur a fi fort laili la créance, qu'ils penfent voir ce qu'ils ne voyent pas.

le fuis encore de cette opinion, que ces plaifantes liaifons, dequov nostre monde fe voit i\ entraué, qu'il ne fe parle d'autre chofe, ce font iiolontiers des impreflions de l'apprehenfion & de la crainte. Car ie 10 fçav par expérience, que tel, de qui ' ie puis relpondre, comme de mov mefme, en qui il ne pouuoit choir foupçon aucune de foibleiîe, & aufli peu d'enchantement, ayant ouy fiiire le conte à vn fien compagnon, d'vne défaillance extraordinaire, en quov il eftoit tombé fur le point, qu'il en auoit le moins de befoin, fe trouuant en pareille 15 occafion, l'horreur de ce conte luy vint a coup fi rudement frapper l'imagination, qu'il en encourut vne fortune pareille; et de la en hors fut subiet a v rechoir : ce uilain sounenir de son incoiuteuiaut le gounuan- dant et tirannisant. Il trouua quelque remède a cette resuerie par vu autre resuerie. C'est que, aduouant luy niesmes [et~] preschant auant la main cette 20 sicne subiection, la contantion [de] son ame se solaf[eoit sur ce, qu'aportani ce nml corne aiandu, son obligation en amoindrissait & hiv en poisoit moins. Qiiand il \a^ eu loi, a son chois, [sa] pensée desbrouillee U'/l desbandee, son cors [se] trouuant en son deu, [de] le faire lors premièrement tenter, sesir et surprendre a la conoissance d'autruv, [il] s'est guéri tout net a \ ^^eudroit 25 (/(• ce subiet.

Tfatk 88. 6) vulijaiic, il y a moins de rcfiftance. On 8) liaifons des mariages, dequov le monde fc voit fi plein, qu'il 12) pouuoit efchoir 15) ùire vn conte

\'.\R. MS. 8) liaifons ('.( mariages dcquoy 18) smitienir ImiuntiaHl sfn amc 18) •;oiirnwiiihiiil cl tM»siff(i»l 2.\) preiiiiciriiiciil scsir 25) s'csl poiiridiiiins giifii

.le qui... nioy mefme, addition Je ijSS.

I.IVRK I, CHAI'lTRn XXI. 12)

\A] qui on a este une fols ciipdhle, ou n'est plus liieujkihle, si non par iuste faiblesse.

Ce malheur n'cfi: à craindre qu'aux cntrcprinlcs, nortrc amc fe trouuc outre meliiro tanduc de dciîr 6s; de rcfpoct, & uoteninient si les

5 commoditcz le rencontrent improueues (i^ preflantes : on n'a pas inoleu de le rauoir de ce trouble, l'en fçav, à qui il a feruv d'y apporter le corps melme eoumncé a ressasier d'ailleurs, pour einhruilr l'ardur de cette fureur, et qui par l'eaa^e se treuue uioius iuipuissani de ce qu'il est moins puissant. Et tel autre a qui il a serai aussi que un ainv

io l'uyc assure d'estre fourni d'une coutrehaterie d'cuchantemetis cer teins a le preseruer. Il uaut mieus que le die coiuant ce fut. Vu compte de treshon lieu, de qui i'estois fort priué, se mariant aiieq une belle dame qui auoit este poursuiuie de tel qui assistoit a la feste, mettoit en f^raïui peine ses amis et nonmiuent nue uieille dame, sa parante, qui presidoit a ces iiopces et

[5 les Jaisoit ches elle, creiutifue de ces sorcelleries : ce qu'elle me fit entandrc. le la priai s'en reposer sur moi. l'auois de fortune en iiu's coffres certeine

Texte 88. 5) Cela n'eft à craindre 4) & notamment les 5) prelTlmtes. A qui a alTez de loifir pour fe rauoir & remettre de ce trouble, mon confeil eft qu'il diuertiiïe ailleurs fon penfement, s'il peut, car il eft difficile, & qu'il fe defrobe de cette ardeur & contention de fon imagination. l'en fçay, à qui il a ferui d'y apporter le corps mefme, amolly & atfoibly d'ailleurs. Et à celuy qui fera en alarme des liaifons, qu'on luy perfuade hors de là, qu'on luy fournira des contre-enchantemens d'vn effcct merueilleux et certain. Mais il faut auiïi que celles, à qui légitimement on le peut demander, oftent ces façons ceremonieufes & affectées de rigueur & de refus, & qu'elles fe contraignent vn peu, pour s'accommoder à la neceifité de ce liecle malheureux : car l'ame de l'aflaillant (p. 127, 1. 15.) Avant le remaniement total de ce qui prcccde, le ms. fait les

modifications suivantes : rauoir & desToher dc... diuertiftc fon penfement, s'il peut, mats il eft... cette ardeur de fon imagination... certain. Or il... fiecle. L'ame

Var. ms. i) I" : incapable corne ou [ne] dénient guère capahle entiers qui on a este pretnieremeiil incapable. Ce maltjeur 2" : incapable que par iuste 4) & nomeement si

7) : le corps mefme aff"oibly d'ailleurs et a demi ressasié pour endormir un peu l'ardur de cette fureur imaginaire. Et à celuy (voir ci-dessus texte 88.) : le corps mefme ressasié d'ailleurs pour endortttir l'ardur de cette fureur : et en qui l'affoyblissenianl de l'eage a utilkinant ouuré despuis. Et tel a qui 9) que quelqu'amy 11) de he» fort bon lieu

14) nopces maisirtfS4 de la maisen m M 15) entatidre. Et la

126 ESSAIS DE MONTAIGNE.

petite pièce d'or plate, ou cstoiiif grauees quelques figures célestes contre le coup du soleil et oster la dolur de teste : la logeant a point sur la cousture du test; et, pour l'y tenir, elle estoit cousiw a un ruban propre a ratacher sous le manton. Resuerie gernieine a celle de quoi nous parlons. laques Peletier^ ni'aiioit faict ce presant singulier. Vaduisai d'ioP tirer quelque usage. Et 5 dicts au compte qu'il pourroit courre fortune conie les autres : y aiant la des Ijonus pour luy en uouloir prestcr d'une; mais que hardimant il s'allât coucher; que ie luy fairois un tour d'ami, et n'espargnerois a son hesouin un miracle qui estoit en ma puissance, pour vcu que, sur son honeur, il me promit d( le tenir tresfidelemant secret; sulemant, come sur la nuit on irait 10 luy porter le resueillon, s'il lu\ estoit niai allé, il me fit un tel signe. Il auoit eu l'ame et les oreilles si battues, qu'il se trouua lié du trouble de son imagi- nation, et me fit son signe. le luy dis lors, qu'il se leuat sous colur de nous chasser, et print en se iouant la robe de nuit que i'auois sur min' (nous estions de taille fi)rt uoisinc) et s'en uestit, tant qu'il aroit exécuté mon 15 ordonance, qui fut : quand nous serions sortis, qu'il se retirât a tùhcrde l'eau; dict trois fois telles oraisons, et fit tels mouuemens; qu'a chacune de ces trois fois, il ceignit le ruban que ie luy mettols en mein, et couchât bien souigneu- semant la medale qui v estoit atachee, sur ses rouignons, la figure en telle posture; cela faict, ayant biè estreint ce ruban pour qu'il ne se peut iiy 20 desnouer, nv mouuoir de sa place, que eu toute assurance il s'en retournât a son pris faict, & n'obliat de reieter ma robe sur son lict, en manière qu'elle les aî'riat tous deus. Ces singeries sont le principal de l'effaict : nostre pansée ne se pouuant demesler que moyens si estrangcs ne uienent de quelqu abstruse sciance. Leur inanité leur donc pois & reuerance. Somme, il lut certein 25

\'ar. ms. 1) : célestes pour endormir h pointe au soleil el chusser la dolur : célestes pour endormir et pour chasser la dolur 2) logeant pi^pt^-mani a point sur la coupure, et pour 6) dicis au couvre (}) é) autres : et auoit la des 11) resueillon et Utfjit son ftgtie (ces cinq derniers mots en interligne, insérés ici p.ir erreur, sont biffés et reportés plus Kis.) 12) trouua entraué du 13) disquil 16) /«/«i 16) V eau se mit en deuoiion . Dict 17) tels signes. Qu'a 24) que mcyettnaiU Çou mouuemmt) 25) & autho

' L'édition de 159; ajoute ici : viuailt chez moy

LIVRK I, CHAPITRH \XI. I27

que lues earacteres se troitiiarèf plus Vénériens que Soleres, plus en ciel ion qu'en prohibition. Ce fut un humeur prompte et \curieuse qui nu'\ eonuia cl tel effiiiet eslouigne de inci nature. le suis enenii des actions subtiles & feintes [& hay la finesse, en mes mains, non seulement recréât lue, )nais 5 aussi] profitable. Si l'action {n'est vicieuse, la routte l'est].

[Amasis Roy d\-Eovptc espousa Laodice Iresbellc fille Grecque : & luy, qui se] montroit gentil compaignon par tout ailleurs, se trouua court a ioiiir d'elle, et menaça de la tuer, estimant que ce fut quelque sorcerie. Conie es choses qui consistent en fiintasie, elle le reieta a la deuotion, et, aïani faict

10 ses ueus et promesses a Venus, il se trouua diuinement remis des la première nuit d'empres ses oblations et sacrifices.

Or elles ont tort de nous receuillir de ces contenances mineuses, quereleuses et fuiardes, qui nous esteignent en nous alumant. La bru de Pythagoras disait que la famé qui se couche aueq un home, doit aiieq la cote laisser aussi

15 /(/ honte, et la rcprandre aueq le cotillon. L'amc de l'alTaillant, troublée de plufieurs diuerfcs allarmcs, le perd ail'ement : & à qui l'imagination a faict vne fois fouffrir cette honte (& elle ne le fait foufîrir qu'aux premières accointances, d'autant qu'elles font plus bouillantes ik afpres, & aulîi qu'en cette première connoiiïitnce, on craint beaucoup plus

20 de faillir) avant mal commencé, il entre en lieure & delpit de cet accident qui luy dure ans occaiions fuiuantes.

Les marie:^, le temps estant tout leur, [ ne] doiuent ny presser, \jiy] taster leur étreprinse, s'ils ne sont pret:;^; [et] luiut miens faillir indeammanl

Texte 88. 16) allarmes elle fe perd aifement : & ce n'eft pas tout, car celuy à qui 17) elle ne l'a fait guicrc fouffrir 18) plus ardantes & 19) connoif- fance qu'on donne de foy, on 20) il entre en fi grande ficure & dcfpit de cet accident, que cette frayeur s'en augmente & luy redouble à toutes les occafions fuiuantes : & fans quelque contre-mine on n'en vient pas aifement à bout. Tel à l'aduenture (p. 130, 1. 8.)

\'ar. .ms. 2) qu'en deféiuei'. 3) effiiiii Ireseslcuiisriic de ma iialurcllc coiidilioii. Ie...subliles&MHmi4eslrompeiises[&hay 7) coiirt a pi^uJiv sa («lulmiamfi 8) Conte es aeeùiauf tfui eo 14) tjome detioil aueq son colilton laisser 22) Les marie-^ oui nieillur ieii, le temps estant tout leur et ne doiuent

12-8 ESSAIS DE .MOXTAIGXE.

a estrener la couche mipi'uiJc pleine d'agitation et de fleure, attâdant une et un autre commodité plus priuee et moins allarmee, que de tumher en une perpétuelle misère, pour s'estre estoué et désespéré du premier refus. Auant la possession prinse, le patiant se doit a saillies & diuers tamps legieremant essaïer et offrir, sans se piquer & opiniatrer a se conueincre definitiuenult soimesmes. Ceus qui sçauent leurs membres de nature dailes, qu'ils se souignent sulement de contrepiper leur fantasie.

On a raison de remarquer l'indixile liberté de ce numbre, s' ingérant si importuneemant, lors que nous n'en auons que faire, et deffaillant si impor- tuneement, lors que nous en auons Je plus a faire •, et contestant de l'autborité si impérieusement aueq nostre uoloiité, refusant aueq tant de fierté et d'obsti- nation nos sollicitations et mentales et )nanuelcs. Si toutesfois en ce que on gourmande sa ' rébellion, & qu'on en tire prenne de sa condemnation, il m'auoit pavé pour plaider sa cause : a^ l'auanture mettrois ie en supçon nos autres numbres, ses compaignons, de luv estre aile dresser, par belle enuie de l'importance et douceur de son usage, cette querelle aposiee, et a noir par complot arnw le monde a l'encontre de luy : le chargeant malignement sul de leur faute commune. Car ie nous donc a penser, s'il y a une suie des parties de nostre corps, qui ne refuse a nostre uolonté sonnant son opération, et qui sonnant )U' l'exerce contre nostre uolanlé. Elles ont chacune des passions propres, qui les esucillent et endorment sans nostre congé. A quant de fois tesmouigiwnt les mouuemens Jorce:;^ de nostre uisage les pensées que nous tenions secrètes, et nous trahissent ans assistans. Cette nwsnw cause qui anime ce mend>re, anime aussi sans nostre sceu le ccur, le poidnuvi et le pous, la ueue d'un ohiect agréable respandant inperceptiblement en nous la jlanune d'un' enu^tion peureuse. X'v a il que ces muscles et ces ueines qui s'eleuent et se couchent sans l'adueu, non sulement de nostre uolonté, mais aussi de nostre pensée? Xoits ne conuindons pas a nos cbeneus de se hérisser, et a nostre peau de frémir de désir ou de creinte. La nniin se porte sonnant ou nous

\'ar. ms. i) a la couche 5) esloué cl irrémédiablement condamné du premier 4) prinse il se faut a saillies 5) dcfinitiuemâl en soimesmes 8) membre s' offrant si Il) uoloulc. Si toutesfois 12) en ce que si on 20) ne s'exerce

LIVRE I, CHAl'ITRi: XXI. I29

//(' rciluoiolis pets. La langue se transit el la noix se Jigc a son heure. Lors niesme que n'ayant de quoi frire nous le luy dejandcrions uolantiers, V appétit de manger et de boire ne laisse pas d'esniounoir les parties qui lux sont suhiectes, nv plus ny moins que eet autre appétit : et nous ahandone de niesnws, 5 hors de propos quand bon luv se}id'le. Les utils qui sèment a descharger le neutre, ont leurs propres dilatations et compressions, outre et contre nostre auis, coine ceuscv destiiw:;^ a descharger nos rouignons. Ll ce que, pour aulhoriser la toute puissance de nostre uolonfé, Saincf Augustin allègue aiioir ucu quelcun qui comandoit a son derrière autant de pet:^ qu'il en uouloit,

10 el que Viues, son glosai ur, enchérit d'un autre example de son temps, dcpet:^ organise:^ suiuans le ton des uers qu'on leur prononçoil, ne suppose non plus pure l'obéissance de ce membre : car en est il ordiiwrenmnt de plus indiscret et tumultuere. louint que t'en sçai un si lurbidant et reiwsche, qu'il y a quaran[te ans, qu'il tient son maistre a peter d'vnc haleine & d'vnc obli-

15 gatioii constante & irremittcnte,\ et le niaiiw ainsin a la morl.^

Mais nostre uolonle,pour les droits de qui nous ntettons en aiuint ce reproche, combien plus uraiscniblablement la pouuons nous marquer de rébellion et sédition par son desreglcment et désobéissance. l'eut elle tousiours ce que nous iiotulrions qu'elle uoiisit ? Ne neut elle pas sonnant ce que nous luy

20 prohibons de uouloir : et a itostre euidant domage ? Se laisse elle non plus mener ans conclusions de nostre raison ? En fin ie dirois pour monsieur ma partie, que plaise a considérer qu'en ce jaicl, sa cause estant insépara- blement conioinnte a un consort et indistinctenwnl, on ne s'adresse pour] tant] qu'a lux, cl par des argunums cl charges telles, ucu la coiulilion des parties,

\'ak. ms. 2) h- tciiy dcfiimkrioiis. uoUiiiliiis Ll fuim H( liiiii,4 pas 6) ditaUillous el reslrhhiwiis oulic 11) qu'où luy proiioiiçoit... 12) tic ces membres: car 1 3) //;/ si lub 15) irremilleiite,] et pelleia iusques a lu mort en tlespil qu'il en aye. Mais 21) Eu fiu les adiweais et les iuges etU beau seu quet^elei^ et senieneiei: ; nature eepaudaut tim sen tmu 24) par des charges telles iieu la nature des

Ici icUitiou de 159; ajoute : Et pleuft à Dieu, que ie ne le fceufle que par les hiftoircs, combien de fois noftre ventre par le refus d'vn feul pet, nous nienne iufqucs aux portes d'vne mort tres-angoilleufe : & que Tl-jupereur qui nous donna liberté de peter par tout, nous en cuft donné le pouuoir.

150 ESSAIS DE MONTAIGNE.

(jiicllcs ne pcmtcui lUtcuminaut apartenir )iy concerner son dict consort.' Piirhinl se uoit Vanimositc et illeo;c!lité manifeste des accnsaturs. Quoi qu'il en soit, protestât que les adnocats et iuges ont beau quereler et sentancier, nature tirera cependant son trein : qui n'aroit faict que raison, quand eir aroit doué ce membre de quelque particulier primlei^e, autheur du sul 5 ouurage immortel des mortels. Pour tant est a Socrates action diuine que la génération; et amour, désir d'immortalité, et Dation imnuvtel luy mesmes.

Tel à l'adiicnture, par cet effect de l'imagination, laifle icy les elcruelles, que fon compagnon raporte en Efpaigne. Voyla pour- quov, en telles chofes, l'on a accouftumé de demander vne ame 10 préparée. Pourquov praticquent les médecins auant main la créance de leur patient auec tant de tauces promefles de la gueriion, il ce n'ell; atin que Teffect de l'imagination l'upplilTe l'impofture de leur apoleme? Ils l'çauent qu'vn des maiftres de ce mellier leur a lailTé par efcrit, qu'il s'ell trouué des hommes à qui la leule veûe de la Médecine 15 failbit l'opération.

Et tout ce caprice m'eil tombe prelentement en main, lur le conte que me failbit vn domeftique apotiquaire de teu mon père, homme limple 6c SouylTe, nation peu vaine & menlongiere, d'auoir cogneu long temps vn marchand à Touloufe, maladif (^ lubiect à la pierre, 20 qui auoit louuent befoing de clifteres; & le les tailoit diuerlement ordonner aux médecins, lelon l'occurrence de ion mal. Apportez qu'ils eftovent, il n'v auoit rien obmis des formes accouftumées : louuent il tartoit s'ils ellovent trop chauds. Le vovla couché, renuerié, & toutes les approches faictes, fauf qu'il ne s'y tailoit aucune iniection. 25 L'apotiquaire retiré après cette cérémonie, le patient accommodé,

Texte 88. 25) faifoit nulle iniection.

\'ar. ms. 2) illcgalilc ilcs 3) proteste que 5) priiiitege iieii son tliiiiii offiic d'une imtiioildk propagation . Pour laut

< r.'cditioii de ii9; ajoute ici : Car l'cticct li'iccluv c(l bien de conuicr inDpportunciiK'iU par lois, mais rcfiifcr ianiais : & lie coiuiicr tncon.- laciteniciU & quietcnK-iU.

LIVRE I, CHAPITRI- XXI. I3I

comme s'il auoit véritablement pris le clvlU-re, il en fentoit pareil efFect à ceux qui les prennent. Et li le médecin n'en trouuoit l'opé- ration fuffifante, il luv en redonnoit deux ou trois autres, de mefme forme. Mon tefmoin iure que, pour efpargner la defpence (car il les 5 pavoit, comme s'il les eut rcceus), la lemme de ce malade avant quelquefois efllivé d'v faire feulement mettre de l'eau tiède, l'effect en delcouurit la tourbe, & pour auoir trouué ceux inutiles, qu'il faulit reuenir à la première laçon.

\"ne femme, penlant auoir aualé vn' elplingue auec l'on pain, crioit

10 it fe tourmentoit comme avant vne douleur inlupportable au goiier, elle penfoit la fentir arrertée; mais, par ce qu'il n'v auoit nv enileure nv altération par le dehors, vn habif homme, avant iugé que ce n'ertoit que lantafie & opinion, prile de quelque morceau de pain qui l'auoit piquée en pafliuit, la fit vomir <;<>: ietta à la defrobée dans ce

I) qu'elle rendit, vne efplingue tortue. Cette femme, cuidant l'auoir rendue, fe fentit foudain defchargée de la douleur. le fçav qu'vn gentil'homme, ayant traicté chez luv vne bonne compagnie, fe vanta trois ou quatre iours après par manière de ieu (car il n^:n eftoit rien) de leur auoir faict menger vn chat en pafle : dequov Mie damovfelle

20 de la troupe print telle horreur, qu'en eftant tombée en vn grand déuovement d'eftomac & fieure, il tut impotlîble de la l'auuer. Les beftes mefmes le voyent comme nous fubiectes à la force de l'ima- gination. Tefmoing les chiens, qui fe laifTent mourir de dueil de la perte de leurs maiftres. Nous les voyons auffi iapper & tremoulTer

25 en longe, bannir les cheuaux & fe débatte.

Mais tout cecy fe peut raporter à l'eftroite coufture de l'efprit & du corps s'entre-communiquants leurs tortunes. C'ell; autre choie que l'imagination agiffe quelque fois, non contre Ion corps feulement, mais contre le corps d'autruy. Et tout ainfi qu'vn corps reiette Ion

Texte 88. 8) façon. Ces iours paflfez vne 27) fortunes. Mais c'eft bien autre

1^2 HSSAIS Di; ^lOXTAIGXE.

mal à l'on voilin, comme il le voit en la perte, en la verolle, \ au mal des veux, qui le chargent de Fvn à l'autre :

Dum fpectant oculi Lvfos, Leduntur & ipfi : Multdque corporibus tranfitione nocent,

pareillement l'imagination ell>ranlée auecques véhémence, ellance 5 des traits, qui puilTcnt offencer l'obicct ertrangier. L'ancienneté a tenu de certaines femmes en Scythie, qu'animées et courrouflecs contre quclqu'vn, elles le tuoient du feul regard. Les tortues & les autruches couuent leurs œufs de la feule veuë : figne qu'ils y ont quelque vertu ejaculatrice. Et quant aux forciers, on les dit auoir 10 des yeux offenfifs & nuifans,

Nefcio quis teneros oculus niilii nikinat agnos.

Ce font pour mov mauuais refpondans, que magiciens. Tant y a que nous voyons par expérience les femmes enuoyer aux corps des enfiins qu'elles portent au ventre, des marques de leurs lan- 15 tafies, tefmoing celle qui engendra le more. Et il tut prclenté à Charles Roy de Bohême & Empereur vne fille d'auprès de Pile, toute velue (i^ herilïée, que fa mère difoit auoir erté ainfi concciie, à caulc d"vn' image de Sainct lean Raptirte pendue en l'on lit. Des animaux il en ert de mel'mes, tefmoing les brebis de Licob, & les perdris 20 & les Heures, que la neige blanchit aux montaignes. On vit dernière- ment chez mov vn chat gueftant vn ovleau au haut d'vn arbre, \-, s'ertans fichez la veuë ferme fvn contre fautre quelque efpace de temps, l'oyleau s'eftre laiiïe choir comme mort entre les pâtes du chat, ou ennyuré par l'a propre imagination, ou attiré par quelque 25 force atractiue du chat. Ceux qui avment la volerie, ont ouy taire le conte du tauconnier qui, arreftant obrtinément l'a veùe contre vn milan en l'air, gageoit de la feule force de l'a veiie le ramener

Tf.xtf. 88. 7) que aninices 12) agiios. Mais ce 28) milan, i^ui eftoit amont, M<;i.'oit

F.lVRi; I, CUAI'ITRI-; XXI. 135

contre-bas : & le failbit, à ce qu'on dit. Car les Hirtoires que i'oiipniiih; ie les renuoye fur la confcience de ceux de qui ie les prciis.

Les difcours font à nioy, & le tienent par la preuue de la railbn, non de l'expérience : chacun y peut ioindre l'es exemples : & qui 5 n'en a point, qu'il ne lailTe pas de croire qu'il en eft, vcu le nombre (X: variété des accidens.

5/ ic lie coiiic bien, ijinin autre coiiic pour moi. Aussi en Vestuile que ie traiele de nos meurs et moiiiiemeiis, les tesmoui- gndgcs fahiikiis, pounieu qu'ils soit possibles, y sentent eoine les urais.

10 Adiienu ou non dduenu, a Paris ou a Rome, a lan ou a Pierre, e'esl loiisioiirs un tour de l'humeine eapaeité, duquel ie suis utillement ad aisé par ee reeil. le le uois el en fois mon profit esgaleinent en ombre que en eorps. Et nus diuerses leçons qu'ont sonnant les histoires, ie prens a me sentir de celle qui est la plus rare et mémorable. Il v [a] des authenrs, desquels la fin

iS c\est] dire les enenemans. La miene, si i'v sçauois auenir, seroit dire sur ce qui peut auenir. Il est instemant permis ans eseoles de supposer des similitudes, quand ils n'en ont point. le n'en fois pas ainsi pourtant, et surpasse de ce costé la en relligion superstitieuse toute foi historialle. Ans exemples que [ie] tire céans de ce que i'ay oui, faict ou diet, ie me suis

20 desfeiidu d'oser altérer iusques ans plus legieres et inutiles circonstances. Ma côsciance ne falsifie pas un ïoia, ma sciance ie ne sçai. Sur ce propos. Ventre par fois en pensée qu'il puisse asse:^ bien conitenir a un Théologien, a un philosofe, et telles gens d'exquise et exacte consciance et pritdance.

Texte 88. i) Hiftoircs que ic rccitc, ic 2) ic les tiens : les difcours 5) cft afTez, veu 6) accidens liumains.

Var. ms. 6) accidens humains. Dainnitiu^c en t'ciludc de (jiioi if nie iiicsic le plus, de nos 7) pour moi : ee ii'esl pus niai piirler (jiie iiuil eoiiier. Aussi 10) Rome pur hiii ou par Pierre 12) uois el le iiige esgalemeui... eorps. Nous supposons des eonies, quand nous n'en auons pas. Elans 14) mémorable quoi que son tesmouignage ne soit si ferme [et a] l'auanlure du tout si eler. Il y a] 15) sçauois arriuer dire 16) des eonies quand 18) historialle eu mes pr«pf4saus narations qui soûl mienes en ee Hure. En eeus que [jVj tire 20) cireonslanees. Sur ce propos, quand parfois i'y pense de près l'entre en double qu'il puisse 23) consciance d'-tsiRn l'Hisleire

134 ESSAIS DE MOXTAIGXE.

d't'scriir l'histoire. Cornant pcuucut ils engager lenrfoi sur une foi popuJere? Cornant respondre des pensées de persanes inconues et douer pour argent eontant leurs conieetures? Des actions a diuers numhres qui se passent en leur presance, Us refuseroint d'en rendre tesniouignage, asser))uiite:^par un iuge: et n'ont home si familier, des intantions du quel ils entreprencnt de pleinemant 5 respondre. le tiens moins hasardeus d'escrire les choses passées que presantes : d'autant que l'cscrinein n'a a rendre conte que d'une uerite empruntée. Aucuns me conuient d'escrire les affaires de mon temps, estimant que ie les uois d'une ucue moins blessée de passion qu'un autre, et de plus près, pour l'accc::^ que fortune m'a donc aus chefs de diuers partis. Mais ils ne disent 10 pas que, pour la gloire de Salluste, ie )i\'en \ pranderois pas la peine : enemi iure d'obligation, d'assiduité, de consta)ice; qu'il n'est rien si contrere a mon stile qu'une narration estendue : ie nu' recoupe si souua)it a faute de halei)ie, ie n'ay ny composition, ny explication qui uaille, ignorant au delà d'un enfant des frases et uocahles qui sèment aus choses plus communes; pourtant 1 5 ai ie pris a dire ce que ie sçai dire, accommodât la matière a ma force; si {'en prenais qui me guidast, nui mesure pourrait faillir a la siene; que ma liberté estant si libre, l'eusse publié des iugenwus, a mon gré mesme et selon raismi, UkgitinKS et punissables. Plutarquc nous dirait uolantiers de ce qu'il en a faict, que c'est l'aKurage d'autruy que ses examp les saint 20 en tout & par tout véritables; qu'ils saint vtiles à la postérité, & présente:, d'vn lustre qui luvis esclaire a la vertu, que c'est son ouurage. Il n'est pas dangereux, came en vue drogue nnrliciiuile, en vu compte ancioi, qu'il soit ainsin ou ainsi. \

Var. ms. 5) comcciures : uni que def arlioiis 12) ricii si ntewi de nuiii

Chapitre XXII,

LE PROFIT Dli LVX EST DOMMAGE DE L AVTRE.

Dcnîadcs Athénien condamna vn homme de l'a ville, qui faifoit meftier de vendre les chofes necefïliires aux enterremens, Ibuhs tiltre de ce t]u'il en demandoit trop de profit, & que ce profit ne luy pouuoit venir fans la mort de beaucoup de gens. Ce iugement 5 lemble eflre mal pris, d'autant qu'il ne fe fait aucun profit qu'au dommage d'autruy, & qu'à ce conte il taudroit condamner toute forte de guein.

Le marchand ne fait bien l'es affaires qu'à la débauche de la ieuneffe ; le laboureur, à la cherté des bleds ; l'architecte, à la ruine

lo des maifons; les officiers de la iuftice, aux procex & querelles des hommes; l'honneur mefme & pratique des minières de la religion fe tire de noftre mort & de nos vices. Nul médecin ne prent plaifir à la lanté de fes amis mefmes, dit l'ancien Comique Grec, ny foldat à la paix de la ville : ainfi du relfe. Et qui pis eft, que chacun le fonde

I) au dedans, il trouuera que nos fouhaits intérieurs pour la plus part nailfent & fe nourrifl'ent aux defpens d'autruy.

Texte 88. 3) l'ail nul pmlit S) ne fc fait

136 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Ce que confiderant, il m'eft venu en fantalie, comme nature ne le dément point en cela de la générale police : car les Phvlîciens tiennent que la naiflance, nourriflement & augmentation de chaque chofe, eft l'altération .^ corruption d'vn" autre :

Nam quodcunque fuis mutatum tinihus exit, Continuo hoc mors eft illius, quod fuit ante.

Chapitre XXIII,

DK LA COVSTVMH & DE Xli CHAXGLR AISLMENT VXE LOY RECEVE.

Ccluv me femblc auoir trcs-bicn conceu la torcc de la couihime, qui premier forgea ce conte, qu'vne femme de village, ayant apris de careffer & porter entre fes bras vn veau des l'heure de h naifliuice, & continuant toufiours à ce faire, gaigna cela par l'accouftumance, 5 que tout grand beuf qu il eftoit, elle le portoit encore. Car c'crt à la vérité vne violente & traiftrelTe maiftrefle d'efcole, que la courtume. Elle eftablit en nous, peu à peu, à la defrobée, le pied de ion autho- rité : mais par ce doux & humble commencement, l'ayant raflis 6c planté auec l'avde du temps, elle nous defcouure tantoft vn furieux 10 ^; tvrannique vifoge, contre lequel nous n'auons plus la liberté de haufler feulement les yeux. Nous luy voyons forcer tous les coups les reigles de nature. « J^siis cfficacissimiis reniiii oniniiiiii iiiagister. »

l'en croi [Va]ntre de Platon eu sa République, et croy les médecins, qui quitcnt i\ fouuent à fon authorité les raifons de leur art; & ce i) Ro\- qui par fon moyen rengea l'on ellomac à le nourrir de poilbn; ix la fille qu'Albert recite s'eftre accouftumée à viure d'araignées.

Et en ce monde des Indes nouvelles on trouua des grands peuples & en fort diuers climats, qui en viuoient, en fiiifoient prouilion, & les apaftoient, comme aufli des fauterelles, formiz, laizards, chauueflburiz,

Texte 88. 12) n.nurc : i'cn croy

138 ESSAIS DE MONTAIGNE.

& fut vn crapault vendu fix elcus en vne neceflîté de viures; ils les cuilent ^: appreftent à diuerles fauces. Il en fut trouué d'autres aufquels no/ chairs & noz viandes eftovent mortelles & venimeules. « Coiisiictudiiiis luci'^tia itis est. Pcnioctaiit iiciuitorcs iii iiiiic : in iiioiilihiis iiri se piitiiiiilur. Ptigiles ca'stibus coiitiisi ne iiigeniiseimt qiiidetu. » 5

Ces exemples estmiigiers ne sont pas estninoes, si nous eonsiiierons, ee que nous essûioiis onlinerement, eomhien l'aeostumanee hebele nos sens. Il ne nons faut pas aller ebercher ce qu'on dict des uoisins des cataractes du Nile, et ee que les philosophes esti)nèt de la musique céleste, que les corps de ces cercles, estant solides cl ueiians a se lécher & f roter l'un a l'autre en roulant, 10 ne peuuent faillir de produire une merueilleuse harmonie, aux coupures et muances de la quelle se nuinient les contours et changenwns des enrôles des astres; iintis qu'uniuerselenuvit les ouïes des créatures, endormies come celles des .-Egiptiens parla continuation de ce son, ne le peuuent aperceuoir, pour graïul qu'il soit. Les nuirechaus, ntusiiiers, armuriers ne sauroint 15 durer au bruit qui les frapc, s'ils s'en estonoint conw nous. Mon^ colet de Jkur sert a mon »(- , nniis après que ie m'en suis uestu trois iours de suite, 'il Jie sert qu'ans )ie:i assistans. Cecy est plus rstrange que non obstaut des longs internai les et intermissions Vacostaumnee puisse iouindre et establir l'ejfaict de son impression sur nos sens : come essaient les uoisins des 20 elochiers. le loge ebes moi en uiw tour ou, a la diane et a la retretc, une fort grosse cloche soiw tous les iours l'aue maria. Ce tintanuirre effraie nui tour niesmes : et, ans premiers iours me semblant insuportable, en peu de temps m'appriuoise, de nuiniere que ie l'ois sans ojfance et sonnât sus m'en csueiller.

Var. ms. 6) eslraiiges d a considérer ce 7) orditicreiiieid que l'acoslumance

8) des jEgipItens uoishis 10) f un et l'autre 12) niauiciil d 17) iieipfuf:

imsimi^ 18) des iuterualles 20) nos oreilles conic 25) insuportable m)4t>ui au

matin, heure de nwn ineillur sommeil, en peu 24) souuàt ne m'en esucille pas et

.Mon colcl de Jtcur cl mes giiuU sert aus ne:^ edivu^ier^ assistans, mais au mien après trois

,. > 1 -, que ie m'en suis serai de suite ^ .,

ou quatre wurs que le m-CH </*««; ', ., . , . , "- il ne me sert

rie suite que le m en suis uestu

plus Platon au matin 1)eure de mon meillur (piirase inachevce.) Platon

' .Mon... assistans, .niJition ultiriture. primitivement pl^icOc- ;iprcs CSUcitlcr (cf. viiri.mtc 1. 2.^.)

I.IVRÏÏ I, CHAPITRi: XXIII. I^i^

Platon hiiisti un cnjanl qui iuuoil aus nais. Il luy respoiulit : Tu me tanscs de peu de chose. L'acosiuinance, replica Platon, n'est pas clx>sc de peu.

le treuue que nos plus (grands uices preucnl leur pli de nostre plus tendre 5 eujance, et que nostre principal gouuernenwnt est entre les mains des nour- risses. C'est passetevips aus mères de noir un enfant tordre le col a un poulet et s'eshatlre a blesser un chien et un chat; et tel père est si sot de prendre a bon augure d'un' aine martialle, quand il uoit son fis gourmer iniurieuseineni un paisan ou un laquai qui ne se défaut pouiul, et a ian-

lo ti liesse, quàd il le uoit affiner sou compaignon par quelque nialitieuse desloiaute et tromperie. Ce sont pourtant les u raies semances et racines de la cruauté, de la tirannie, de la trahison : elles se germent la, et s'esleueni après gaillardement, et profitent a force entre les mains de la costume. Et est une tresdangereuse institution d'excuser ces uileincs inclinations

i) par la joihlesse de l'eage et legierete du siiUet. Premierenwit c'est nature qui parle, de qui la iu)ix est lors plus pure & plus forte qu'ell' est plus gresle. Secondement la laidur de la piperie ne despent pas de la dilference des escus aus esplingues. Elle despant de \_sox. le trouue bien plus iuste de conclu rre ainsi : Pourquoy] ne tromperoit il aus escus, puis qu'il trompe aus

20 esplingiu's? que corne [ils font : Ce n'est qu'ans esplingues, il n'ait roi t garde de le faire ans escus. Il faut apprendre soiiigneusement \ aus en fans de hair les uices de leur propre contexture, et leur en faut aprandre la naturelle difformité, a ce qu'ils les fuient, non en leur action sulemeiit, mais sur tout en leur ceiir; que la pensée mesme leur en soit odieuse, quelque masque

2) qu'ils portèt. le sçai bien que, pour m'est re du il en ma puérilité de marcher tousiours mon grand et plein chemin, & auoir eu a cotre cenr de mesler ny trichoterie ny finesse a mes ieux enfantins, coine de lirai il faut noter que les l'eus des enfans ne sont pas ieiis, et les faut iuger en eus coine leurs

\'ar. ms. 4) pli en nostre 6) eiifara et tordre le col a un poulet et baUw un Mm

s'esbattre a battre & blesser 11) sont les 12) germent ta. Et est une 16) lors

plus puisante & plus pure qu'elle 22) la nature & difformité. Il faut qu'ils les fuient 25) qu'il porte. le

140 ESSAIS Di; MONTAIGNE.

plus sérieuses aeiious, il n'est passeieuips si Icgier ou ie lùipcvie du dedans, d'une propansion naturelle & sans estudc, un extrême contradiction a tromper. le manie les cartes pour les doubles & tiens coule, conw pour les doubles doublons, lors que le gaiiiner et le perdre contre ma jame et ma fille m'est indifférant, conie lors qu'il y na de bon. En tout et par tout 5 il V a asses de mes veus a me tenir eu ofjice : il n'y en a point qui me veillent de si près, >iy que ie respecte plus.

le viens de voir chez moy vn petit homme natif de Nantes, lans bras, qui a li bien façonné fes pieds au leruice que luv deuoycnt les mains, qu'ils en ont à la vérité à demy oublié leur office naturel, ro Au demourant il les nomme fes mains, il trenche, il charge vn piflolet & le lâche, il énlille Ion eguillc, il coud, il efcrit, il tire le bonnet, il le peigne, il iouë aux cartes & aux dez, & les remue auec autant de dextérité que fçauroit faire quelqu'autre; l'argent que ie luv av donné (car il gaigne la vie à le taire voir), il l'a emporté 15 en l'on pied, comme nous taifons en noftre main, l'en vy vn autre, ertant entant, qui manioit vn' efpée à deux mains & vn' hallebarde, du pli du col, à faute de mains, les iettoit en l'air & les reprenoit, lançoit vne dague. & faifoit craqueter vn toét auffi bien que char- retier de France. 20

Mais on decouure bien mieux les effets aux el^ranges imprellîons, qu'elle tait en nos âmes, elle ne trouue pas tant de relîll:ance. Que ne peut elle en nos iugemens & en nos créances ? Y a il opinion Il /'/--^//-^i' (ie lailTe à part la grolTiere impofture des religions, dequoy tant de grandes nations &: tant de fuffifans perlbnnages le font veux 25 envurez : car cette partie ellant hors de nos rail'ons humaines, il ell: plus exculahle de s'v perdre, à qui n'v ell extraordinairement elclairé par taueur diuine) mais d'autres opinions v en a il de li eftranges,

'I r.XTK SS. 24) il fiintafquc (ie 28) par vue taueur

\'ar. ms. i) dedans & d'une 2) sans niniin soin un' extrême ?) caries & l 4) double ducats : lorsque... et le perdre est du du tout indifferaiU, conie lors qu'il est du plus oraud pois. En tout 7) ueillenl plus, »;v

IlVRi: I, CHAI'ITRH XXIII. I4I

qu'elle n'ave planté i^ eftably par loix es régions que bon luy a femblé ? Et est frcsitistc cette aiitiene exchtmation : « Non piuiei physkiim, id est speculatoreni uemtoremque iiatuiw, ah aiiiuns eonsiielinliiie iiiiluills qtiaTere testiimviiiim iierihifis. » 5 l'ertimc qu'il ne tombe en l'imagination humaine aucune tantalie Il forcenée, qui ne rencontre l'exemple de quelque vlage public, & par conlequent que noftre iliseoiirs n'ertaie (^ ne tonde. Il eft des peuples on tourne le doz à celuy qu'on lalue, & ne regarde l'on iamais ccluv qu'on veut honorer. Il en ell: où, quand le Roy crache, la plus

To fauorie des dames de la Cour tend la main; & en autre nation les plus apparents qui font autour de luy, le baillent à terre pour amalTer en du linge l'on ordure.

Desroho)is iev la place d'un conte. J'n oentilbome frances se mouchait lousiours de sa main : chose tresenemie de nostre usavc. Défendant la dessus

15 son faici (et estoit faniens en bons rencontres) il me demanda quel pnuilege auoit ce sale excremant que nous allassions luy aprestant un beau linge délicat a i le] receuoir, et puis, qui plus est, a {l'e^mpaqueter & serrer soui- o)uiisenhint sur luvis; que cela deuoit faire plus de horrur 6~ de mal au ceur, que de le uoir uerser ou que ce fut, come nous Jaisons tous autres

20 excrennnis. le trouuai qu'il ne parloit pas du tout sans raison : et m'auoit la costume oste l'aperceuance [de''\ cette est ra acheté, laquelle pourliil nous Irouuons si hideuse, quand ell' est récitée d'un autre pais.

Les miracles sont selon l'is^norance en quoi nous somes de la nature, non selon l'est re de la nature. L'assuefaciion endort la ueiw de nostre iugenuint.

25 Îa's barbares ne nous sont de rien plus merueilleus, que nous somes a eus, n\ aueq plus d'occasion : conw chacun aduouëroii, si chacun sçauoit, après s'estre promené \par] ces nouueaus examples, se coucher sur les propres, cl

Texte 88. 7) noftre raifon n'cftaic

\'ar. .ms. 13) fiaihcs de hoiu- maison .«• \.\) main sans mouchoir chose 22) recilee d'un pais autre. le m'en retourne. faut (p. ip, 1. 4.) 23) selon nostre ignorance de la nature non selon nature. 25) plus eslranges que 26) plus de rais 27) [par' ses. . . sur s^i

142 ESSAIS DE MONTAIGNE.

[les] conférer saiuemaui. La raison humaine est une teinture infuse cnuiron di pareil pois a toutes nos opinions et meurs, de quelque forme quelles saint : infinie [en] matière, infinie en diuersite. le m'en retourne. Il est des peuples ûiuf (a. femme & fes enfans aucun ne parle au Roy que par larbatane. En vne mefme nation & les Vierges montrent à del- 5 couuert leurs parties honteules, & les mariées les couurent & cachent foigncufement; à quoy cette autre couftume qui eft ailleurs, a quelque relation : la chafteté n'y eft en pris que pour le feruice du mariage, car les filles fe peuuent abandonner à leur porte, &, engroiflees, fe faire auorter par medicamcns propres, au veu d'vn chacun. Et ailleurs, 10 fi c'eft vn marchant qui fe marie, tous les marchans conuiez à la nopce couchent auec Fefpoufee auant luv; & plus il y en a, plus a elle d'honneur & de recommandation de fermeté & de capacité; fi vn officier fe marie, il en va de mefme; de mefme fi c'eft vn noble, & ainfi des autres, lauf fi c'eft vn laboureur ou quelqu'vn du bas 15 peuple : car lors c'eft au Seigneur à taire; & fi, on ne laifl'e pas d'y recommander eftroitement la lovauté, pendant le mariage. Il en eft il fe void des bordeaux publiez de malles, voire & des mariages; les femmes vont à la guerre quand & leurs maris, 6: ont rang, non au combat feulement, mais auffi au commandement. non 20 feulement les bagues fe portent au nez, aux leures, aux ioues, & aux orteils des pieds, mais des verges d'or bien poilantes au trauers des tetins & des feffes. en mangeant on s efi!"uye les doigts aux cuiflies & à la bourfe des genitoires & à la plante des pieds. les enfans ne font pas héritiers, ce font les frères & nepueux; & ailleurs les ncpucux 25 feulement, fauf en la fucceflîon du Prince. pour reigler la communauté des biens, qui s'v obferue, certains Magiftrats fouue- rains ont charge vniuerfelle de la culture des terres & de la diftri- bution des truits, félon le befoing d'vn chacun. Ton pleure la

Texte 88. 9) engreflccs 12) l'cfpoufc \'ar. ms. i) La raison (fi

LIVRI- I, CIIAIMTKI-; XXlll. I_|5

mort des cnfans, & fcftoyc Fon celle des vicillarts. ils couchent en des licts dix ou douze enlemble auec leurs femmes. les femmes qui perdent leurs maris par mort violente, fe peuuent remarier, les autres non. l'on eftime fi mal de la condition des 5 femmes, qu'on y tue les femelles qui y naiffent, & achepte l'on des voifms des femmes pour le befoing. les maris peuuent répudier fans alléguer aucune caufe, les femmes non pour caufe quelconque. les maris ont loy de les vendre, fi elles font fteriles. ils font cuire le corps du trefpaffé, & puis piler, iufques à ce qu'il fe forme

lo comme en bouillie, laquelle ils méfient à leur vin, & la boiuent. la plus defirable fepulture cil d'eftre mangé des chiens, ailleurs des oifeaux. l'on croit que les âmes heureufes viuent en toute liberté, en des champs plailans, fournis de toutes commo- ditez; & que ce font elles qui font cet écho que nous oyons. ils

i) comhatent en l'eau, & tirent feurement de leurs arcs en nageant. pour figne de fuhiection il faut hauffer les efpaules & baifler la terte, & defchaulTer fes fouliers, quand on entre au logis du Roy. les Eunuques qui ont les femmes religieufes en garde, ont encore le nez & leures à dire, pour ne pouuoir eftre ayniez;

20 it les preftres fe creuent les yeux pour accointer leurs démons, & prendre les oracles. chacun faict vn Dieu de ce qui luy plaift, le chaffeur d'vn lyon ou d'vn renard, le pefcheur de certain poiflbn, <^ des Idoles de chaque action ou paffion humaine : le foleil, la lune, & la terre lont les dieux principaux; la forme de iurer c'eft toucher

2) la terre, regardant le foleil; & y mange l'on la chair & le poiflbn crud. ()// k gntiid scniianl, c'est iurer le nom de quelque hcmu trespasse qui cl csie eu boue réputation au pals, touchant de la iiuiiii sa lumhe. Ou les est renés auuuelles que le Kov euuoïe aus princes ses uassaus, c'est du Jeu. L'ainbassadur qui l'apporte, arriiuiul, l'autieu Jeu est esleiut tout par

Xar. ms. 27) tuinbc. Ou le peuple adore tel cerleiiis Dieus Mars Bucchus Diane Le Roy un dieu particulier pour soi Mercure. Ou les (La phrase : Ou le... Mercure bitFéc :i ctttc

place, est reportée, avec variantes, liv. I, ch. Xl.ll, <■ 108 V.) 29) iirriuailt U feu

144 ESSAIS DE MOXÏAIGNE.

ioiil en la maison. Et de ee feu nouucau, k peuple despcmlant de ce prince en doit nenir prendre chacun pour soi, sur peine de crime de /q' maieste. Ou quand Je Rov, pour sadoner du tout a la deuotlon (com' ils font sonnent), se retire de sa charge, son premier successur est oblige d'en faire autant, et passe Je droit du Royaunu- au troisième successur. Ou Von diucr- 5 sifie la jornw de Ja police, seJon que les affaires le requièrent : on dépose le Rov quàd il seiid^le bon, & substitue l'on des antiens a prendre Je gonuer- nement de l'estat, et Je Jaisse l'on par fois aussi es mains de la commune. Ou homes et jcmes sont circoncis & [pareillement baptises. Ou le soldat qui en un ou diuers conduits est arriué a présenter a son Rov sept testes d'enemis, 10 est faict nolde. ] l'on vit loubs cette opinion 5/ rare et inciuiJe de la mortalité des âmes. les lemmes s'accouchent lans plaincte &; fans effrov. ()// Jes femmes en l'une \et\ l'autre iatnbe portent des greues de cuiure; et, si vu pouil les )nort, sont tenues par deuoir [de] magnanimité de Je remordre; [et] n'osent espouser, qu'eJJes n'avent offert a 15 leur Roy, s'il ueut de leur pucelage. l'on laluë mettant le doigt à terre, & puis le haulTant vers le ciel. les hommes portent les "charges iur la telle, les femmes fur les efpaules; elles piffent debout, les hommes accroupis. ils enuoient de leur lang en figne d'amitié, & encenient comme les Dieux, les hommes qu'ils veulent honnorer. 20 non Iculement iniques au quatriefme degré, mais en aucun plus elloingné, la parenté nell foufterte aux mariages. les enfans font quatre ans en nourrilïe, es; fouuent douze : & la mefme, il eft ellimé mortel de donner à l'entant à tetter tout le premier iour. les pères ont charge ilu chaftiment des malles; «:x les mères à part, des 25 lemelles : & ell le challiement de les fumer, pendus par les pieds. on laict circoncire les lemmes. l'on mange toute forte d'herbes, lans autre dilcretion que de refuler celles qui leur lemblent auoir mauuaile lenteur. tout eft ouuert, & les maifons pour belles & riclies quelles lovent, lans porte, lans teneilre, fans coflre

30

Texte 88. 11) opinion defnatuicc de 19) hommes croupis. \'ar. ms. 5) Un ils itiiicrsificiil la 15) qu'ttta vc se soUil offertes a ttiir

LivRi; [, ciiAi'iTRi-: xxiii. 145

qui ferme; èv; l'ont les larrons doublement punis qu'ailleurs. ils tuent les pouils auec les dents comme les Magots, & trouuent hor- rible de les voir efcacher loubs les ongles. l'on ne couppe en toute la vie nv poil nv ongle; ailleurs l'on ne couppe que les 5 ongles de la droicte, celles de la gauche le nourriffent par gentillelle. Ou ils nourrissent tout [h'\ poil du corps du cosk droit, tant qu'il peut croitrc, ci ticncnt ras le poil de l'autre coslé. Et en iioisines prouinees ceir iiv nourrit [le] poil de dauant, cette la \Je\ poil de derrière, et rasent l'opposite. les pères preftent leurs entans, les maris leurs femmes,

10 à iouyr aux hoftes, en payant. on peut honneftement faire des

enfans à fa mère, les pères le meiler à leurs filles, & à leurs fils.

()// ans assanûdees des festins, Us s'entreprestent les enfans les uns aus autres.

Icy on vit de chair humaine; la c'ell office de pieté de tuer fon

père en certain aage; ailleurs les pères ordonnent des entans encore

15 au ventre des mères, ceux qu'ils veulent eflre nourris & conferuez, 6c ceux qu'ils veulent élire abandonnez & tuez; ailleurs les vieux maris preftent leurs femmes à la ieunelTe pour s'en feruir; & ailleurs elles font communes fans péché : \oire en tel pays portent pour merque d'honneur autant de belles houpes frangées au bord de leurs

20 robes, qu'elles ont accointé de mafles. N'a pas taict la couftume encore vne chofe publique de femmes à part? leur a elle pas mis les armes à la main? faict drelTer des armées, <S; iiurer des batailles? Et ce que toute la philofophie ne peut planter en la tefte des plus fiiges, ne l'apprend elle pas de lit feule ordonnance au plus groffier

25 vulgaire ? car nous fçauons des nations entières, non feulement la mort eftoit mefprilée, mais feftovée; les enfans de lept ans

Texte 88. 4) nj' poils ny ongles 25) non feulement l'horreur de la mort eftoit mcfprifée, mais l'heur (Montaigne corrige : heurt") de fa venue h l'endroict des plus chères pcrfonnes qu'on eut, feftoyéc auec grande allegrefle : & quant à la douleur, nous en fçauons d'autres, les enfans

\'ar. ms. 7) croilre et cotifieiit l'autre. les pères 7) pivuiiias l'une iiounil le poil de dauaiit l'aïUic eeliiy de derrière et rasent laiilre. les pcrcs

146 ESSAIS DH MONTAIGNE.

fouffrovcnt à dire focttcz iniques à la mort, lans changer de vilage; la richelTe eftoit en tel mefpris, que le plus chetii citoyen de la ville n'euil daigné baifler le bras pour iiiiiasscr vne bource d'elcus. Et l'çauons des régions tres-tertiles en toutes façons de viures, toutesfois les plus ordinaires méz 6c les plus fauoureux, c'eftoyent 5 du pain, du nalitort 6^ de l'eau.

Fit elle pas encore ce miracle en Cio, qu'il s'v pafTa fept cens ans, fans mémoire que femme ny tîlle y eut faict faute à Ion honneur?

Et fomme, à ma fantalie, il n'eft rien qu'elle ne face, ou qu'elle ne puifle : <S: auec raifon l'appelle Pindarus, à ce qu'on m'a dict, la 10 Royne & Emperiere du monde.

Celiiy qu'on rencontra hâtant son pcrc, nspondit que c'estoit la costume de sa niesoii; que son pcrc auoit ainsi hatu son aïeul; son aïeul, son hisaieul; & montrant son fis : Et cetuici me battcra quand il sera ucini au terme de l'eage ou ie suis. 15

Ht le père que le filx tirassoii cl sahouloit emmi la rue, luy comanda de s'arrêter a certein huis, car lux n'auoit treine son pcrc que iusques la; que c'estoit la borne des i ni u riens Irclcntans hcredilcrcs, que les enjans auoiiit en usage Jaire ans pères en leur janiillc. Par costume, dict Aristote, aussi sonnant que par maladie, des lenuncs s'arracbèt le poil, rongent leurs ongles, 20 mangent des charbons et de la terre; & autaiil par costume que par nature les nuisles se meslent ans niasles.

Les loix de la consciance, que nous disons naistre de nature, naissent de la coslunie : chacun aianl en ucncralioii interne les opinions cl meurs approuuecs & rcceues autour de lux, ne s'en peut desprendre sans remors, 25 ny s'y appliquer sans applaudissenwnl.

Texte 88. i) fouftVoycnt pour l'eiTiiy du leur confiance, ;i eftre... changer de liéniarche ny de vilage : îs: la 3) pour rcleuer vne 8) y ayt faict

Vah. ms. 12) Celiiy (fue KtiU Âi^ik'U cil Arislotc qu'on 13) nicsoii son père 14) iicini a son adotesceme . Quand ceux (p. 147, 1. i.) 17) n'auoit tirasse son 19) Aristote des femmes 21) : terre & par costume st^u-uimt plus sonnant que par nature : terre & que moitié par costume moitié par nature 25) consciance ne naissent qnc de ta 25) s'en ponuant desprendre

I.IVRn I, CHAPITRE XXIII. I47

Quand ceux de Crcto vouloycnt au temps pafl'é maudire quelqu vn, ils prioyent les dieux de l'engager en quelque mauuail'e coullume.

Mais le principal effect de la puiflance, c'eft de nous laiiir & empiéter de telle forte, qu'à peine foit-il en nous de nous r'auoir de ûi prinfe 5 & de r'entrer en nous, pour difcourir & raifonner de fes ordonnances. De vray, parce que nous les humons auec le laict de noftre naiiïance, (bt que le vifitge du monde le prefente en cet eftat à noftre première veuë, il femble que nous l'oyons nais à la condition de fuvure ce train. Et les communes imaginations, que nous trouuons en crédit

10 autour de nous, & infufes en noftre ame par la femence de nos pères, il femble que ce foyent les generalles & naturelles.

Par ou il \ adulent que ce qui est hors des gons de costume, ou le croit l)\ors des gons de raison : Dieu sçalt combien desralsonahlement, le plus sonnant. SI, corne nous, qui nous estndlons, auons aprls de faire, chacun

15 qui oit une lusfe sentance, regardolt Incontlnant par ou elle luv apartlent en son propre, chacun trouuerrolt que cettecy [n'e^^st pas tant un bon mot, qu'un bon coup de fol t a la bestlse ordlnere de son lugemcnt. Mais on reçoit les aduls de la uerlte et ses préceptes come adresser^ au peuple, invi lamals a sol; [ct\ au lieu de les coucher sur ses tueurs, chacun les couche en \sa~\

20 mémoire, tressotemeni et treslinitllement. Reiienôs a l'empire de la costume.

Les peuples nourris a la liberté et a se comander eus mesnus, estlnuiit

toute autre forme de police monstrueuse \et^ contre nature. Cens qui sont

diilts a la monarchie, \ en'] font de inesme. Et quehp, facilite que leur preste

fortune au changenwnt, lors niesmes qu'ils v so)it, aueq grandes difficultcr^,

2) desjalcts de l'importunlte \d'\un malstre. Ils courent a \en\ replanter un nouueau aueq pareilles difficulté:^, pour ne se ponuolr résoudre de prandre en haine la nuilstrlse.^

Var. ms. II) naturelles. Les peuples (i. 21.) 12) // n'est pas merueilte que 15) di la rnisoii 17) la soUise ordiiiere 22) forme iiwnslnieiise 26) diffuiilte^ jm]a*U que

' I.cdition de 159; ajouti; ici ; C'eft par l'entrcmife de la couftume que chafcun eft contant du lieu nature l'a planté : & les (;tuuages d'Efcoflc n'ont que faire de la Touraine, nv les Scvtlies de la ThelTalie.

148 ESSAIS Dl- MOXTAIGXK.

Darius demandoit à quelques Grecs, pour combien ils voudroient prendre la couftume des Indes, de manger leurs pères trelpalTez (car c'eftoit leur forme, eftimans ne leur pouuoir donner plus tauo- rable fepulture, que dans eux-melmes), ils luy refpondirent que pour choie du monde ils ne le feroient; mais sellant auffi eflayé de 5 perluader aux Indiens de laill'er leur façon & prendre celle de Grèce, qui elloit de bruiler les corps de leurs pcres, il leur lit encore plus d'horreur. Chacun en fait ainfi, d'autant que Tviage nous defrobbe le vrav vifage des choies,

Xil adeo magnum, ncc tam mirabile quicquam 10

Principio, quod non miniiant mirarier omnes

Paiilatim.

Autrefois, avant à taire valoir quelqu'vne de nos obleruations, & receùe auec relolue authorité bien loing autour de nous, & ne voulant point, comme il le taict, l'ertablir feulement par la force 15 des loix ^L des exemples, mais quellant touliours iniques à Ion "origine, i'v trcniuai le fondement foible, qu'à peine que ic ne m'en dégoutalïc, mov qui auois à la confirmer en autruv.

C'est cette reccple, de quoi Phi ton eiilrepraiit \de\ chasser les ciiiioiirs dcsnatiirees de son temps, \qii^'il estime souuereine et principale : u sciiiioir 20 que Vopinioti publique les condamne, que les poètes, que chacun eu face des inauues contes. Recette par le moien de laquelle les plus belles pilles n'attirent plus l'amour des pères, ny [les] frères plus c.xcellans en beauté l'amour des seurs, les fables nwsmc de Thvestes, d'Œdippus, de Macareus aiant aueq [_le] plaisir de leur chant injiis cette utile créance en la tendre ceruclk des 25 enfans.

Texte 88. 16) qil'cftanl faute d'impression corrigée pnr Mont.iigne. I j) fondcilicnt

n clunif& fi

\'^v.. Ms. 19) amours uitieiiscs df sou 20) soiiuciciiie » A si^uuoii^ et suie A sçauoir 22) Recette qui a gaiguc que les plus belles filles u'attireul point l'amour 2}) ny [les] plus h 24) failles de Thwstes... Macareus au

I.1VRI-: 1, c.HAPiTRi-; xxiii. 149

Di' iinii, la pmlicitc est une belle iiertii, & de ht quelle l' utilité est asses eonue : mais de la traicler [et] faire ualoir selon nature, il est autant malaise, eom' il est aise de la faire ualoir selon l'usage, les hix et les préceptes. Les premières et uniuerselles raisons sont de difjicille perscrutaiion. Et les passent 5 nos maîtres en escunuint, ou, ne les osant pas sulemeni laster, se iettent d'abordée dans la franehise de la eostume, ou ils s'enflent & trionipbèt a bon eonte. Cens qui ne se uenlent laisser tirer hors de cette orioinelle source, fitillèt encore plus et s'obligêt a des opinions saunages, corne Chrysippus qui senui en tant de lieus de ses escris le peu de conte en quoi il tenoit [les]

10 conionctions incestueuses, quelles qu'elles fussent. Qui \'Oudra fc desfiiirc de ce violent preiudice de la couftume, il trouuera plufieurs chofes receues d'vne relblution indubitable, qui n'ont appuy qu'en la barbe chenue & rides de l'vlage qui les accompaigne ; mais, ce mafque arraché, rapportant les chofes à la vérité & à la raifon, il fentira l'on

15 ingénient comme tout bouleuerle, & remis pourtant en bien plus leur ertat. Pour exemple, ie luv demanderay lors, quelle chofe peut crtrc plus eftrange, que de voir vn peuple obligé à fuiure des loix qu'il n'entendit onques, attaché en tous fes afliiires domertiques, mariages, donations, teftamens, ventes & achapts, à des règles qu'il

20 ne peut fçauoir, n'eftant efcrites ny publiées en h langue, & defquelles par neceflîté il luy faille acheter l'interprétation & l'vlage? non selon ringenieusc opinion d'IscKrates, qui conseille a son Rov de rendre les trafiques & negotiations de ses subiets libres, franches et lucratif ues, et leurs débats cl querelles onéreuses, les charg[eant] de poisans subsides; nuiis selon un' opinion

25 monstrueuse, de mettre en trafique la raison mesme, & douer aus loix cours ide] nuirchandise. le fçay bon gré à la fortune, dequoy, comme difent nos hiftoriens, ce fut vn gentil'homme Gafcon & de mon pays, qui

Texte 88. 10) fussent. Et qui fe voudra cfTaycr de mcfme, & fc desfairc 17) eftre de plus

\'ar. ms. 2) il est bien plus malaise 3) préceptes et exemples Les 4) passent mus 7) tirer hiff.:-, puis rétabli. 22) Roy de laisser les 23) libres et franches et lucratif ues mais leurs 24) onéreuses Us et charg ees\ de

130 ESSAIS DE MONTAIGNE.

le premier s'oppofa à Charlemaigne, nous voulant donner les loix Latines & Impériales. Qu'eft-il plus farouche que de voir vne nation, par légitime courtume la charge de iuger le vende, & les iugemens fovent pavez à purs deniers contans, & légitimement la iuftice foit retufée à qui n'a dequoy la payer, & ave cette marchandile li '5 grand crédit, qu'il le face en vne police vn quatrielme eftat, de gens maniants les procès, pour le ioindre aux trois anciens, de l'Eglile, de la NoblelTc & du Peuple; lequel eftat, ayant la charge des loix & l'ouueraine authorité des biens & des vies, lace vn corps à part de celuv de la noblelTe : d'où il auienne qu'il v avt doubles loix, 10 celles de l'honneur, & celles de la iurtice, en plulieurs choies lort contraires (aufli rigoureufement condamnent celles-là vn démanti Ibuflfert, comme celles icv vn démanti reuanché); par le deuoir des armes, celuv-là foit dégradé d'honneur & de noblefle qui fouftVe vn' iniure, &, par le deuoir ciuil, celuv qui s'en venge, encoure vne 15 peine capitale (qui s'adrelîe aux loix, pour auoir raifon d'vne olîence fiiite à fon honneur, il le deflionnore; & qui ne s'v adrclfe, il en efl; punv & chaftié par les loix); &, de ces deux pièces li diuerfes, fe raportant toutesfois à vn feul chef, ceux-là ayent la paix, ceux-cy la guerre en charge; ceux-là avent le gaing, ceux-cv l'honneur; ceux-là 20 le fçauoir, ceux-cv la vertu; ceux-là la parole, ceux-cv l'action; ceux-là la iuftice, ceux-cy la vaillance; ceux-là la raifon, ceux-cy la force; ceux-là la robbe longue, ceux-cv la courte en partage?

Quant aux chofes indifférentes, comme veftemens, qui les voudra ramener à leur vraye fin, qui eft le feruice & commodité du corps, 25 d'où dépend leur grâce & bien feance originelle, pour les plus monl- trueux à mon gré qui fc puiffent imaginer, ie luy donrav entre autres nos bonnets carrez, cette longue queue de veloux plilTé qui pend aux teftes de nos femmes auec fon attirail bigarré, ^n; ce vain modelle & inutile d'vn membre que nous ne pouuons feulement honnefte- 30 ment nommer, duquel toutesfois nous faifons montre & parade en public. Ces conliderations ne deftournent pourtant pas vn homme

LIVRE I, CHAPITRE XXIII. 1)1

d'entendement de lliiure le ftille commun; dns, au rebours, il me l'emble que toutes façons cfcartées & particulières partent plulloft de folie ou d'affectation ambitieufe, que de vraye raifon; & que le ûige doit au dedans retirer fon ame de la prefle, & la tenir en liberté 5 & puilîiince de iuger librement des choies; mais, quant au dehors, qu'il doit fuiure entièrement les fiiçons & formes receues. La focieté publique n'a que fiiire de nos penfées; mais le demeurant, comme nos actions, noftre trauail, nos fortunes & noftre vie propre, il la faut prêter & abandonner à fon feruice & aux opinions communes, comme lo ce bon & grand Socrates refuia de lauuer la vie par la delobeiffance du magil^rat, voire d'vn magiftrat tres-iniulle & tres-inique. Car c'eft la règle des règles, & générale loy des loix, que chacun obferuc celles du lieu il ell; :

I) En voicy d'vn' autre cuuée. Il y a grand doute, s'il fe peut trouuer il euident profit au changement d'vne loy receue, telle qu'elle ioit, qu'il V a de mal à la remuer : d'autant qu'vne police, c'eft comme vn baftiment de diuerfes pièces iointes enfemble, d'vne telle liailon, qu'il cft impofllble d'en eibranler une, que tout le corps ne s'en fente.

20 Le legiflateur des Thuriens ordonna que quiconque voudroit, ou abolir vne des vieilles loix, ou en eftablir vne nouuelle, le preien- teroit au peuple la corde au col : afin que si la nouuelleté n'eftoit approuuée d'vn chacun, il fut incontinent eftranglé. Et celuy de Lacedemone employa fa vie pour tirer de fes citoyens vne promelTe

25 afleurée, de n'enfraindre aucune de fes ordonnances. L'ephore qui coupa û rudement les deux cordes que Phrinys auoit adioufté à la mufique, ne s'efmaie pas fi elle en vaut mieux, ou fi les accords en font mieux remplis : il luy fiiffit pour les condamner, que ce foit

Texte 88. 19) Llbrankr l.i moiiuirc, que 22) que hi iiouui.-lli.-te n'eftoit approuuée d'vn chacun 11 il tut

1)2 KSSAIS DU MOXTAlGXi:.

vnc altcration de la vieille façon. C'ell ce que lignifioit cette el'pée roùillée de la iuftice de Madeille.

le luis defgourté de la nouuelleté, quelque vilage qu'elle porte, & ay raifon, car l'en av veu des effets très-dommageables. Celle qui nous prefle depuis huit d'ans, elle n'a pas tout exploicté, mais on 5 jieut dire auec apparence, que par accident elle a tout produict & engendré : voire & les maux & ruines, qui fe font depuis fans elle, 6c contre elle : c'eft à elle à s'en prendre au nez.

Heu patior telis vulnera facta meis.

Cens qui donnent le branle à vn eftat, font volontiers les premiers 10 abforbez en fa ruvne. Le fruit dit trouble ne deinure guiere et eelltiy qui l'a esiiieu, il bat et brouille l'eau, pour d'autres pesebeiirs. La liaifon & contexture de cette monarchie & ce grand baftiment ayant efté defmis & diffout, notamment fur les vieux ans, par elle, donne tant qu'on veut d'ouuerture 6t d'entrée à pareilles iniures. La luaiesle 15 Royalle, dict un antien, s'auale plus difjieileiiiant du soniinet au inilieii qti'lelle] ne se précipite du milieu \a]fons.

Mais si les inuantiirs sont plus doniageables, les iinitaturs sont plus tiilietts, de se ietter en des exainples, des quels ils ont senty et puny l'horrur et le mal. Et s'il | _vl a quelque degré d'honiir, inesines au mal faire, eettscy 20 doiticnt ans autres la gloire de l'inuantion, et le eorage du premier effort.

Toutes fortes de nouuelle defbauche puifent httreusemant en cette première & kvconde fource, les images i5t patrons à troubler noftre |H)lice. On lict en nos loix mefmes, faites pour le remède de ce premier mal, l'aprentiffage & l'excufe de toute forte de mauuaifes 25

Te.kte 88. i) cette vieille efpée 5) depuis vingt cinq ou trente ;ins, elle 9) meis. Les premiers qui donnent

Var. ms. II) abforbex biilc puis rùiaWi. II) ruyne. L'cjfaict du tivnblc 12) pour lin (iiiln-j'csdieiir. I.a 15) iniures : nviiin niiiii iiinieflas iUfficilius ah siiiiiniû fiisligio ad médium dctratnlur, qiiaiii a inedijs ad ima pi:rcipilalur. Toutes fortes 17) uf prcàpilc iS) sont iiiliciis 19) hiil\ li nroiiii rivrnir

LIVRE I, CHAPITRE XXIII. I33

cntrcprifcs; & nous aduicnt, ce que Thucididcs dict des guerres ciuiles de fon temps, qu'en faueur des vices publiques on les battilbit de mots nouueaux plus doux, pour leur excufe, abaftardiffant & amoliffiint leurs vrais titres. C'eft, pourtant, pour reformer nos 5 confciences & nos créances. « Honefta oratio eft. » xMais le meilleur prétexte de nouuelleté eft trcs-dangereux : « adco nihil inotuni ex antiquo prohahik est. » Si me femblc-il, à le dire franchement, qu'il v a grand amour de fov & prefomption, d'eftimer fes opinions iulque-là que, pour les eftablir, il faille renuerfer vne paix publique, & introduire

10 tant de maux ineuitables, & vne fi horrible corruption de meurs que les guerres ciuiles apportent, & les mutations deftat, en choie de tel pois; & les introduire en fon pays propre. Est ce' pas iiinl niesnagé, d'aduencer tant de vices certains et cogiins, pour comhatre des erreurs contes- tées et debatables? Est il quelque pire espèce de vices, que ceux qui choquent

15 ht propre consciatice, et naturelle cognoissance?

Le sénat osa douer en paicnnuit cette desfaicte, sur le diferant d'entre luy et [ le] peuple, pour le ministère de leur religion. « fAd] deos id iiuigis quant ad se perli Itère, [ipsos] uistiros ne sacra sua polluant tir », coitjorineeiiteut a ce qtw respondit l'oracle [a] cetis de delphes en la guerre Medoise. Creigitaits

20 l'inuasion des Perses ils deinaitdarent ati Dieu ce qu'ils auoiitt [a] faire des tbresors sacre::;^ de son temple, ou les cacher, ou les emporter. [//] leur respoitdit qti'ils ite bougeasseitt rien; [qti'^ils se souigitasseitt d'eus; qu'il estoit stiffisât pour pourtioir a ce qtti luy estoit propre.

La religion Chreftienne a toutes les marques d'extrême iuftice

2) & vtilité : mais nulle plus apparente, que l'exacte recommandation

Texte 88. 5) meilleur tiltrc de nouuelleté 25) nulle il apparente

V'ar. ms. 17) peuple, toiicljanl le 17) religion. Que cela touchoit les dieus plus

qu'eus, qui aroiut asscs l'cuil que leur seruicc ue fut poilu. Ad deos... poUiutiilur. La

religion

' On s'accorde :'i reconnaître l'écriture Je .\I"' de Gournay dans le p.issage : Lst ce pas. . . COgllOIS- sauce ? .Mais ce passage n'a pas été inséré dans le manuscrit à l'insu de Montaigne, ou après sa mort ; car Montaigne a ajouté de sa main, immédiatement à la suite, dans la même ligne, la phrase : Le SCIwl osa etc.

1)4 ESSAIS DE .MOXTAIGXE.

de l'obcilTance du Magiftrat, & manutention des polices. Quel merueilleux exemple nous en a laiffé la lapience diuine, qui, pour eflablir le falut du genre humain, & conduire cette lienne glorieule victoire contre la mort & le péché, ne Fa voulu taire qu'à la merc}- de noflre ordre politique; & a foubmis Ion progrez, & la conduicte 5 d"vn li haut eftect & li falutaire, à l'aueuglement & iniuftice de nos obleruations et vlances : \- laifllmt courir le lang innocent de tant d'elleuz les tauoriz, & fouftrant vne longue perte d'années à meurir ce fruict inellimablc.

11 y a grand à dire, entre la caufe de celuy qui liiyt les formes & les 10 loix de fon pavs, & celuy qui entreprend de les régenter & changer. Celuv allègue pour fon excufe la hmplicité, TobeilTance & /'exemple:- quov qu'il lace, ce ne peut élire malice, cell:, pour le plus, malheur, (' Qiiis est eiiiiit qiicm non nioiwat clarissiniis monuineiitis testata œnsi- giiataquc iUiiiquilas. » 15

Outre ce que dict Isocraks que la defecliiosite a plus Je pari a la modé- ration, que n'a l'excès. L'autre efi: en bien plus rude partv.

Car qui se nwsle de choisir et de changer, usurpe Vauthorite de iuger, et se doit Ja ire fort de noir la faute [de] ce qu'il chasse, et le bien de ce qu'il introduit. Cette si uulguere considération ni'afernn [en] mon siège, et 20 /('//// /;/(/ iunesse i)u\snu% plus teinerere, en bride : de ne charger mes espaules d'un [si\ lourd fais, que de me rendre respomlant [d']unc sciancc [de] telle importance, et oser en cetecv [ce] qu'en sein ingéniant ie \ ne^ pour rois oser en la plus Jacile de celles ans quelles [on\ m'auoit instruit, et ans quelles la lenierite de iuger est de nul preiudice : me semblant tresinique ide\ uouloir 25 sousnu'ttre les constitutions et obseruances publiques & immobiles a l'insta- bilité d'une prince jantasie (la raison prince n'a qu'une iurisdiction prince)

Texte 88. 7) lang nicfnic innocent 17) paiiv : on no ptut ch.ingcr qu'on ne iuge du mal qu'on Kiiirc, & du bien qu'on prend. Ht Dieu (p. 155, 1. 17.)

Var. ms. 19) fort ou il est un fol de uoir ia faute cl le uicc [del ce 20) Cette si clere et naturelle considération 21) de ne nie charger les espaules d'un si lourd pois que de 22) (/' une si hduU scinncc de telle Imulur et importance

LIVRE I, CHAPITRI- XXIir. T)5

('/ cntrcpraïuhr sur les loix diuiiics ce que nulle police ne supporterait (tus ciuiles, ausquellcs encore que l'humaine raison ayc beaucoup plus de commerce, si sont elles sonuereinennint iuç^es de leurs iuges; et Vextremc suffisance sert a expliquer et esta mire l'usai:;e qui en est receu, non a Je 5 destourner et innotier. Si quelque fois la prouidance diuine a passe par dessus les rei^les ans quelles elle nous a necesse renia ut astreint, ce n'est pas pour nous en dispanscr. [Q] sont coups de sa main diuine, qu'il nous faut, non pas imiter, mais admirer, et examples extraordiiieres, marque- d'un cxpre:;^ et particulier adueu, du i^enre des miracles qu'elle nous offre pour

10 tesnwuignaiie de sa toute puissance au dessus de nos ordres & de nos forces, qu'il est folie & impiété \d']essaier a represanter, et que nous ne deuons pas suiure, mais contempler aueq estonemaut. Actes \de^ son personai^e, non pas du nostre.

Cotta proteste bien opportuuei>ient : « Quum de relii^uoue agitur

15 [T. Coruncaniiim, P. Scipionem, P.] Sca'uolam, pont if ces niaxinms, non Zenonem aut Cleanthem aut Cljrysippum sequor. »

Dieu le fçachc, en noftre prefente querelle, il y a cent articles à ofter <Sc remettre, grands & profonds articles, combien ils iont qui fe puiflent vanter d'auoir exactement recogneu les railons & tonde-

20 ments de l'vn & l'autre party? Ceft vn nombre, c'eft nombre, qui n'auroit pas grand moven de nous troubler. Mais toute cette autre prefle, va elle? Ibubs quell' enseigne le iette elle à quartier? 11 aduient de la leur, comme des autres médecines foibles & mal appliquées : les humeurs qu'elle \ouloit purger en nous, elle les a elchaufées,

2) exal'perées & aigries par le conflict, & li nous eft demeurée dans le corps. Elle n'a Iceu nous purger par fa foibleffe, & nous a cependant affoiblis, en manière que nous ne la pouuons vuider non plus, & ne receuons de fon opération que des douleurs longues & inteftines.

Texte 88. 22) foubs quel tiltrc le

Var. ms. 2) encore ij lie H 4) suffisance s' estant ii expliquer et cslandre[^lu^ g 5) destourner cl corrompre. Si 8) examples marifue^ d'un 11) Jolie & Icmcri... represanter (jiir nous 12) eslonenwnt. Onurages \dc] son

1)6 ESSAIS DE MOXTAIGXE.

Si cft-cc que la tbitunc, rclcruant touiiours fon autlioritc au delTus de nos dilcours, nous prefente aucunetois la neceflité vrgente, qu'il eft hefoing que les loix luy fiKent quelque place.

Et quand on relîfte à l'accroilTance d'vne innouation qui vient par violence à s'introduire, de le tenir, en tout & par tout, en bride 5 & en reigle, contre ceux qui ont la clef des champs, aulquels tout cela eft loillble qui peut auancer leur deflein, qui n'ont ny loy ny ordre que de luyure leur aduantage, c'eft vne dangereule obligation & inequalité : « Adiium iioeeiidi perjido prœsiat Jîdes. » D'autant que la dilcipline ordinaire d'vn Eftat qui eft en la liinté, ne pouruoit pas 10 à ces accidens extraordinaires : elle preluppole vn corps qui le tient en fes principaux membres & offices, & vn commun conlcntement à Ion obferuation & obeifliUice. L'itler légitime est un aller Jroit, poisunt et coiitreiiit, et n'est pas pour tenir bon a un aller licentieus et ejfrené.

On l'çait qu'il eft encore reproché à ces deux grands perfonnages, 15 Octauius & Caton, aux guerres ciuiles l'vn de Sylla, l'autre de Celar, d'auoir pluftoft lailTé encourir toutes extrémités à leur patrie, que de la lecourir aux defpens de fes loix, & que de rien remuer. Car, à la vérité, en ces dernières necelîitez il n'y a plus que tenir, il leroit à l'auanture plus lagement fait, de bailler la tefte & prefter vn 20 peu au coup, que, s'ahurtant outre la poffibilité à ne rien relafcher, donner occalion à la violance de touler tout aux pieds; & vaudroit mieux faire vouloir aux loix ce qu'elles peuuent, puis qu'elles ne peuucnt ce qu'elles veulent. Ainfi feit celuy qui ordonna qu'elles dormilTcnt vint & quatre heures, & celuy qui remua pour cette lois 25 vn iour du calendrier, 6c cet autre' qui du mois de luin ht le fécond May. Les Lacedemoniens mefmes, tant religieux obleruateurs des ordonnances de leur pais, eftans preffez de leur loy qui defendoit

Trxte 88. 5) place : comme quand 3) s'introduire : car de fe \'ar. ms. ]}) froil coiilrcitil limilé. Et n'est

' & cet autre... May. .idJition de 1588.

I.IVR1-; I, CHA1MTR1-: XXII I. Ijy

dcllirc par deux tois Admirai vn md'mc pcrlbnnagc, <b^ de Tautrc part leurs affaires requcrans de toute neceffité que Lyfander print de rechef cette charge, ils firent bien vn Aracus Admirai, mais Lyûinder furintendant de la marine. Et de mefme fubtilité, vn de leurs ambaffadeurs, eftant enuové vers les Athéniens, pour obtenir le changement de quelqu'ordonnance, & Pericles luv alléguant qu'il eftoit défendu dofler le tableau vne loy eftoit vne fois pofée, luy confeilla de le tourner feulement, d'autant que cela n'eftoit pas détendu. Ceft ce dequoy Plutarque loue Philopa^men, qu'eftant pour commander, il fçauoit non feulement commander félon les loix, mais aux loix mefme, quand la neceffité publique le requeroit.

Chapitre XXIV.

DIVERS EVEXEMENS DE MES.ME COXSEIL.

lacques Amiot, grand Aumofnier de France, me recita vn iour cette Hiftoire à l'honneur d'vn Prince des noftres (& noftre eftoit-il à très-bonnes enfeignes, encore que fon origine fut eftrangere), que durant nos premiers troubles, au fiege de Rouan, ce Prince ayant efté aduerti par la Roync, mère du Roy, d'vne entreprinfe qu'on 5 faifoit fur fa vie, & inftruit particulièrement par fes lettres de celuy qui la deuoit conduire à chef, qui eftoit vn gentil'homme Angeuin ou Manceau, fréquentant lors ordinairement pour cet effect la maifon de ce Prince, il ne communiqua à perfonne cet aduertiflement ; mais fe promenant l'cndemain au mont faincte Catherine, d'où fe 10 filifoit noftre baterie à Rouan (car c' eftoit au temps que nous la tenions aflîegée) ayant à fes coftez ledit Seigneur grand Aumofnier & vn autre Euefque, il apercent ce gentil'homme, qui luv auoit cftc remarqué, & le fit appeller. Comme il fut en la prefence, il luy dict ainfi, le voiant défia pallir & frémir des alarmes de fa confcience : 15 Monfieur de tel lieu, vous vous doute/ bien de ce que ie vous veux, & voftre viûige le montre. Vous n'aue/ rien à me cacher, car ie fuis inftruict de voftre afïliire fi auant, que vous ne feriez qu'empirer voftre marché d'eflltyer à le couurir. \'ous Içauez bien telle chofe & telle (qui eftovent les tenans .s^ aboutiffans des pkis 20

I.IVRH 1, CIIAITIRU XXIV. 1)9

fccrctcs picccs de cette menée); ne tailler iur volh'e \ ie à me contelïer la vérité de tout ce deffein. Quand ce panure homme le trouua pris & conuaincu (car le tout auoit efté delcouuert à la Royne par Tvn des compliffes) il n'euit qu à ioindre les mains <iic requérir la grâce 5 (S: mifericorde de ce Prince, aux pieds duquel il le voulut ietter; mais il l'en garda, l'uyuant ainfi fon propos : Venez ça; vous ay-ic autres-fois fait defplaifir? ay-ie ofïencé quelqu'vn des voftres par haine particulière? 11 n'v a pas trois femaines que ie vous congnois, quelle railbn vous a peu mouuoir à entreprendre ma mort? Le

10 gentil'homme refpondit à cela d'vne voix tremblante, que ce n'eftoit aucune occafion particulière qu'il en euft, mais l'intereft de la caufe générale de fon party ; & qu'aucuns luy auoyent perfuadé que ce feroit vne exécution pleine de pieté, d'extirper, en quelque manière que ce fut, vn 11 puilliuit ennemy de leur religion. Or, fuyuit ce Prince,

1 5 ie vous veux montrer combien la religion que ie tiens eft plus douce que celle dequoy vous faictes profelTion. La vortre vous a confeillé de me tuer lans m'ouir, n'ayant receu de moy aucune oftence; & la mienne me commande que ie vous pardonne, tout conuaincu que vous eftes de m'auoir voulu homicider fans railbn. Aile/ vous en,

20 retirez vous, que ie ne vous voye plus icy; &, Il vous elles lage, prenez dorefnauant en voz entreprinles des confeillers plus gens de bien que ceux la.

L'Empereur Augufte, ellant en la Gaule, reçeut certain aduertille- ment d'vne coniuration que luy braflbit Lucius Cinna; il délibéra

25 de s'en venger, <^ manda pour cet effect au lendemain le Conleil de fes amis; mais la nuict d'entredeux il la palTa auec grande inquiétude, confiderant qu'il auoit à faire mourir vn ieune homme de bonne maifon, & nepueu du grand l^ompeius; & produilbit en fe pleignant plulieurs diuers difcours : Qiioy donq, failbit-il, fera il dict que ie

30 demeurerav en crainte & en alarme, \ que ie lairray mon meurtrier

Texte 88. 25) pour cV-ft cU'cct

léo ESSAIS DE MONTAIGNE.

le promener cependant à fon ayfe? S'en ira il quitte, ayant alTailly ma tefte que i"av lauuée de tant de guerres ciuiles, de tant de batailles, par mer & par terre? & après auoir eftably la paix vniuerlelle du monde, fera il ablbuz, ayant délibéré, non de me meurtrir feulement, mais de me facrifier? Car la coniuration eftoit faicte de le tuer, 5 comme il feroit quelque facritice. Apres cela, s'eftant tenu coy quelque efpace de temps, il recommençoit d'vne vois plus forte, (S; s'en prenoit à foy-mefme : Pourquoy vis tu, s'il importe à tant de gens que tu meures? N'y aura-il point de fin à tes vengeances & à tes cruautez? Ta vie vaut elle que tant de dommage le face pour la 10 conleruer? Liuia ûi femme le fentant en ces angoilTes : Et les conleils des femmes y feront ils receuz, luy fit elle? Fais ce que font les médecins, quand les receptes accoutumées ne peuuent feruir : ils en elliiyent de contraires. Par feuerité tu n'as iniques à cette heure rien profité : Lepidus a fuiuy Saluidienus; Murena, Lepidus; Cxpio, 15 Murena; Egnatius, Cajpio. Commence à expérimenter comment te luccederont la douceur 6c la clémence. Cinna efi conuaincu : pardonne /v'; de te nuire dcsoniiais il ne pourra, & profitera à ta gloire. Augulk fut bien ayfe d'auoir trouué vn Aduocat de Ion humeur, &, avant remercié la femme & contremandé les amis qu'il 20 auoit aflîgnez au Confeil, commanda qu'on fit venir à luy Cinna tout feul; 6c, ayant fait Ibrtir tout le monde de fa chambre 6c tait donner vn fiege à Cinna, il luy parla en cette manière : En premier lieu ie te demande, Cinna, paifible audience. N'intcrrons pas mon parler, ie te doiicniy temps 6v loifir d'y refpondre. Tu fçais, Cinna, 25 que t'ayant pris au camp de mes ennemis, non feulement t'efiant faict mon ennemv, mais eftant tel, ie te fauuav, ie te mis entre mains tous tes biens, 6i; t'av en fin rendu fi accommodé 6c fi ailé, que les victorieux font enuicux de la condition du vaincu. L'office

Texte 88. 18) pardonne le. Je te nuire nics-huy il ne . 25) te donniy temps

ly semble eue uti lapsus plutôt qu'une lurnie archaïque.

I.IVRK I, CHAPITRE XXIV. l6l

du faccrdocc que tu mo demandas, ic te l'ottroiay, rayant rcfulé à d'autres, defquels les pères auoyent touliours combatu aueo mow T'avant 11 fort obligé, tu as entrepris de me tuer. A quoy Cinna s'eftant elcrié, qu'il ertoit bien elloigné d'vne 11 mel'chante penlee : 5 Tu ne me tiens pas, Cinna, ce que tu m'auois promis, luyuit Augufte; tu m'auois alTeuré que ie ne l'erois pas interrompu : ouy, tu as entre- pris de me tuer, en tel lieu, tel iour, en telle compagnie, & de telle façon. Et le voyant tranli de ces nouuelles, &; en lllence, non plus pour tenir le marché de le taire, mais de la prefle de fa confcience :

lo Pourquoy, adiouta il, le fais tu? Eft-ce pour eftre Empereur? Vraye- ment il va bien mal à la chofe publique, s'il n'y a que moy, qui t'empefche d'arriuer à l'Empire. Tu ne peus pas feulement deffendre ta maifon, & perdis dernièrement vn procez par la faueur d'vn ilmple libertin. Quov, n'as tu moyen ny pouuoir en autre choie, qu'à entre-

I) prendre Ciefar? le le quitte, s'il n'y a que moy qui empelche tes efperances. Penfes tu que Paulus, que Fabius, que les Cosscciis, ik Seruiliens te Ibuffrent? & vne fi grande trouppe de nobles, non feulement nobles de nom, mais qui par leur vertu honorent leur noblelTe? Apres plulleurs autres propos (car il parla à luy plus

20 de deux heures entières) : Or va, luy dit-il; ie te donne, Cinna, la vie, à traiftre it à parricide, que ie te donnay autres-tois à ennemy : que l'amitié commence de ce iourd'huy entre nous; effayons qui de nous deux, de meilleure foy, moy t'aye donné ta vie, ou tu l'ayes receiie. Et fe defpartit d'auec luy en cette manière. Quelque temps

25 après il luv donna le confulat, fe pleignant dequoy il ne le luy auoit ofé demander. Il l'eut depuis pour tort amy, & fut feul taict par luv héritier de les biens. Or depuis cet accidant, qui aduint à Augulle au quarantiefme an de l'on aage, il n'y eut iamais de coniu- ration nv d'entreprinfe contre luy, & receut vne iufte recompenle

30 de cette fienne clémence. Mais il n'en aduint pas de melmes au

Texte 88. 16) les ColTcs, &

l62 ESSAIS Di: MONTAIGNE.

noflrc : car la douceur ne le fceut garentir, qu'il ne chcut depuis aux lacs de pareille trahifon. Tant c'est choie vaine & frîuole que l'humaine prudence; & au trauers de tous nos proiects, de nos conseils & précautions, la fortune maintient toulïours la polTelTion des euenemens. 5

Nous appelions les médecins heureux, quand ils arriuent à quelque bonne fin : comme s'il n'y auoit que leur art, qui ne fe peut main- tenir d'elle mefme, & qui euff les fondcmcns trop frailes, pour s'appuyer de Hi propre force; & comme s'il n'y auoit qu'elle, qui aye belbin que la fortune prefte la main à l'es opérations. le croy lo d'elle tout le pis ou le mieux qu'on voudra. Car nous n'auons, Dieu mercy, nul commerce enlemble : ie fuis au rebours des autres, car ie la mefprife bien toufiours; mais quand ie fuis malade, au lieu d'entrer en compofition, ie commence encore à la haïr & à la craindre; & refpons à ceux qui me preffent de prendre médecine, 15 qu'ils attendent au moins que ie fois rendu à mes forces & à ma fanté, pour auoir plus de moyen de fouftenir l'effort et le hazart de leur breuuage. le laiffe faire nature, & prefuppofe qu'elle fe foit poiinieue de dents & de griffes, pour fe deffendre des affiux qui luy viennent, & pour maintenir cette contexture, dequoy elle fuit la 20 diffolution. le crain, au lieu de l'aller fecourir, ainfi comme elle eft aux prifes bien eftroites &: bien iointes auec la maladie, qu'on fecoure fon aduerfaire au lieu d'elle, & qu'on la recharge de nouucaux affiires.

Or ie dy que, non en la médecine feulement, mais en plufieurs 25 arts plus certaines, la fortune y a bonne part. Les faillies poétiques, qui emportent leur authcur & le rauiffent hors de foy, pourquoy ne les attribuerons nous à fon bon heur? puis qu'il confcffe luy mefme qu'elles furpaffent fa fuffiHuice & fes forces, & les reconnoit venir

Tkxïi; 88. 2) 'raiit cet cliofc lo) que le ha^art & l.i loilunc i8) fuit "arnic de dents

LIVRI- I, CHAPITRE XXIV. l6^

d'ailleurs que de Iby, & ne les auoir aucunement en fa puiflfancc : non plus que les orateurs ne difent auoir en la leur ces mouuemens & agitations extraordinaires, qui les pouffent au delà de leur deffein. Il en cft de mefmes en la peinture, qu'il efchappe par lois des traits 5 de la main du peintre, lurpaffins la conception & la fcience, qui le tirent luy mefmes en admiration, & qui l'eftonnent. Mais la fortune montre bien encores plus euidemment la part qu'elle a en tous ces ouurages, par les grâces & beautez qui s'y treuuent, non feulement fans Vinleiilloii, mais lans la cognoiffance mefme de l'ouurier. \'n

10 fuffîûuit lecteur dclcouure fouuant es cfcrits d'autruv des perfections autres que celles que l'autheur y a mifes & apperceûes, & y prefte des fens & des vilages plus riches.

Quant aux entreprinles militaires, chacun void comment la fortune y a bonne part. En nos confeils mefmes & en nos délibérations, il

15 faut certes qu'il v ait du lort & du bonheur méfié parmy : car tout ce que noftre fageffe peut, ce n'efl pas grand chofe; plus elle eft aiguë lis: viue, plus elle trouue en foy de foibleffe, & fe deffie d'autant plus d'elle mefme. le fuis de l'aduis de Sylla; & quand ie me prens garde de prez aux plus glorieux exploicts de la guerre, ie voi, ce me

20 femble, que ceux qui les conduifent, n'y employent la délibération & le confeil que par acquit, & que la mcUlurc part de l'entreprinfe ils l'abandonnent à la fortune, &, fur la fiance qu'ils ont à l'on fecours, paffent a tous les coups au delà des bornes de tout difcours. Il furuient des allegreffes fortuites & des fureurs eflrangeres parmy

25 leurs délibérations, qui les pouffent le plus louuent à prendre le partv le moins fondé en apparence, & qui groffiffent leur courage au deffus de la raifon. D'où il eft aduenu à plufieurs grands Capi- taines anciens, pour donner crédit à ces confeils téméraires, d'aleguer à leurs gens qu'ils y eftoyent conuiez par quelque infpiration, par

30 quelque figne & prognoftique.

Texte 88. 9) fans l'inucntion, mais 21) & que la plufpart de

164 ESSAIS D1-: MONTAIGNE.

\'ovla pourquov, en cette incertitude & perplexité que nous aportc l'impuilTance de voir & choilîr ce qui eft le plus commode, pour les difficultez que les diuers accidens & circonftances de chaque chofe tirent, le plus leur, cjuand autre conlideration ne nous y conuieroit, eft, à mon aduis, de le reietter au parti, il y a plus d'honnefteté 5 & de iuftice; & puis qu'on eft en doute du plus court chemin, tenir toufiours le droit : comme, en ces deux exemples que ie vien de propofer, il n'y a point de double, qu'il ne lut plus beau & plus i;enereux à celuv qui auoit receu l'olTence, de la pardonner, que s'il euft fait autrement. S'il en eft mes-aduenu au premier, il ne s'en 10 laut pas prendre à ce lîen bon delTein; & ne Içait on, quand il euft pris le partv contraire, s'il euft elchapé la lin à laquelle l'on deftin l'appeloit; & ft euft perdu la gloire d'vne li notable bonté.

Il fe void dans les hiftoires lorce gens en cette crainte, d'où la plus part ont luiui le chemin de courir au deuant des coniurations 15 qu'on failoit contr'eux, par vengeance & par lupplices; mais l'en vov fort peu aulquels ce remède ait leruv, telmoing tant d'iimpereurs Romains. Celuv qui le trouue en ce dangier, ne doibt pas beaucoup elperer nv de fa lorce, nv de la vigilance. Car combien eft-il mal aile de le garentir d'vn ennemy, qui eft couuert du vifage du plus officieux 20 amv que nous avons? & de connoiftre les volonté;^ & penfemens intérieurs de ceux qui nous afllftent? Il a beau employer des nations eftrangieres pour la garde, & eftre toufiours ceint d'vne bave d'hommes armez : quiconque aura la vie à mefpris, fe rendra toufiours maillre de celle d'autruy. Et puis ce continuel foupçon, qui 25 met le Prince en doute de tout le monde, luy doit feruir d'un merueilleux tourment.

Pourtant Dion, eftant aduerty que Callipus efpioit les moyens de le faire mourir, n'euft iamais le ctvur d'en informer, dilant qu'il avmoit mieux mourir que viure en cette milere, d'auoir à le 30

Texte 88. 4) ihcnt quant & clic, le 25) foupçon. cette defli.incc, qui

I.1VRI-: 1, CHAI'ITKl- XXIV. 165

garder non do les cnncmys l'culcmcnt, mais aulli do les amis. Ce qu'Alexandre reprelenta bien plus viuement par effect, & plus roichkiiiciit, quand, avant eu aduis par vne lettre de Parmenion, que Philippus, Ion plus cher médecin, elloit corrompu par l'argent de 5 Darius pour l'empoilbnner, en melme temps qu'il donnoit à lire la lettre à Philippus, il auala le bruuage qu'il luv auoit prelenté. Fut ce pas exprimer cette relblution, que, li fes amvs le voiiloiiit tuer, il conlentoit qu'ils le peulî'ent taire? Ce prince eil le Ibuuerain patron des actes hasardeux; mais ie ne fçay s'il y a traict en la

ro vie, qui ayt plus de fermeté que ceftuy-cy, ny vne beauté illuftre par tant de viûiges. Ceux qui prefchent aux princes la deffiance li attentiue, foubs couleur de leur prefcher leur feurté, leur prefchent leur ruyne & leur honte. Rien de noble ne fe faict lirns hazard. foi fçay vn, de corû^c ires martial de sa coiiiplexioii, et entreprenant, de qui tous les iours

15 on corrompt la bonne fortune par telles perfualions : qu'il le refferre entre les liens, qu'il n'entende à aucune reconciliation de fes anciens ennemys, le tienne à part, & ne fe commette entre mains plus fortes, quelque promeffe qu'on luy face, quelque vtilité qu'il y \ove. l'en sçai' vu antre, qui a inesperéiiient aduencé sa fortune, pour auoir pris

20 conseil tout contraire. La hardiesse, de quoy ils cherchent si auidement la gloire, se represante, quant il est besoin, aussv inaonifiquenuiit en pourpoinct qu'en armes, en vu cabinet qu'eu vu camp, le bras pendant que le bras leuc. La prudence fi tendre & circonfpecte, eft mortelle ennemye de hautes exécutions. Scipion sceut, pour pratiquer la uolanté de Svphax, quitani son

Texte 88. 2) & plus couragcufcment, quand 7) le vouloit tuer, 8) faire? La vaillance n'eft pas feulement à la guerre : ce prince 11) princes le foubçon & la 13) hazard. le fçay vn grand, de qui

Var. ms. 14) coniplcxioii, et Itaiardeus de qui 19) iiiilir ;';•((;/</, qui 19) auoir vne fois d deux, pris 24) c\QCViXion%. Annihal fut mort ramigcanl l'ilatic si Scipion n'eut sceu pour

' Le passage : l'en SÇai... leué est Je Iccriuire de M"' de Gournay, mais les mots rayés y sont biffes d'un seul trait liorizontal, selon l'habitude de .Montaigne, et probablement de sa main.

l66 ESSAIS DE MOXTAIGXE.

armée, et ahniidonât Vhespaigne douhteuse eiicores sous sa nouuelle conquestc, passer en Aphriqiie dans deiis simples ucsseaus, pour se commettre, en terre enemie, a la puissance d'un Roy barbare, a une foi inconuc, sans obligation, sans hostagc, sous la suie surete de la grandur de son propre corage, de son bonheur, et de la promesse de ses hautes espérances : « habita fides ipsain 5 plerumque fidem obligat. »

A vne vie ambitieuse & fameufe il fliut, au rebours, prefler peu, & porter la bride courte aux foubçons : la crainte & la deffiance attirent l'offence & la conuient. Le plus deffiant de nos Roys eftablit fes affaires, principallement pour auoir volontairement abandonné 10 &: commis fa vie & fa liberté entre les mains de fes ennemis, mon- trant auoir entière fiance d'eux, affin qu'ils la prinfent de luy. A fes légions, mutinées & armées contre luy, Cœlar oppofoit feulement l'authorité de fon vifage & la fierté de fes paroles; & fe fioit tant à foy & à fa fortune, qu'il ne craingnoit point de l'abandonner & commettre 1 5 à vne armée feditieufe & rebelle.

[Stetit aggere fulti] Cespitis, intrepidus iiullu, wcriiitqttc tiiiieri Nil metncns.

Mais il eft bien vray que cette forte affeurancc ne fe peut repre- 20 fenter bien entière & naifue, que par ceux aufquels l'imagination de la mort <^ du pis qui peut aduenir après tout, ne donne point d'effroy : car de la prefenter tremblante, encore doubteufe ii; incer- taine, pour le feruice d'vne importante reconciliation, ce n'eft rien fiire qui vaille. Ceft vn excellent moyen de gaigner le cœur 25 & volonté d'autruy, de s'y aller foubfmettre & fier, pourueu que ce foit librement & fans contrainte d'aucune neceflité, & que ce foit en condition qu'on y porte vne fiance pure & nette, le front au moins defchargé de tout fcrupulc. le vis en mon enfance vn Gentil-bomme,

Texte 88. 7) vie loyalle &

\'ar. ms. 3) eiiemic. cti la .)) enrage, & de

LIVRE I, CHAPITRE XXIV. 1 67

commandant à vnc grande iiillc, cmpreffé à l'elmotion d'vn peuple furieux. Pour efteindre ce commencement de trouble, il print party de Ibrtir d'vn lieu tres-alTeuré il eftoit, & le rendre à cette tourbe mutine : d'où mal luy print, îs: y fut miferablement 5 tué. Mais il ne me iemble pas que fil faute fut tant d'efhe fortv, ainfi qu'ordinairement on le reproche à fa mémoire, comme ce fut d'auoir pris vnc vove de siiiiiiiiissioii ik de mollefTe, & d'auoir voulu endormir cette rage, pluftoft en siiiuaui que eu guidant, & en requérant pluftoll: qu'en remontrant; &: eftime que une gralicusc scucritc, aucq un

10 awhiudciucvit m il itère pleiu de sécurité, de confiance, conuenable à fon rang & à la dignité de fa charge, luy euft mieux fuccedé, au moins auec plus d'honneur & de bien-feance. Il n'efl rien moins efperable de ce monftre ainfin agité, que l'humanité & la douceur; il reccura bien pluflofl la reuerencc 6i: la craincte. le luy reprocherois aufli,

15 qu'ayant pris vnc refolution, plus tost braue a mou gre, que temerere, de fe ietter foible & en pourpoint, emmy cette mer tempertueufe d'hommes inlenfe/, il la deuoit aualler toute, ik n'abandonner ce personage, la il luv aduint, après auoir recogncu le danger de près, de scigner du ne:^, et d'altérer eucores [despuis] cete contenance desniise

20 & flateuse qu'il auoit entreprinse, en une contenance ejjraiee : chargeant sa uoix et ses yeus d'cstoueniant et de pœuitance. Cherchant a coniUer et se desroher, il les enjiannna & appela sur soi.

Texte 88. i) grande prouince empreffc 7) voyc de douceur, d'humilité, & de 8) pluftoft en flatant que commandant, & en 9) cftime que la fermeté, l'authorité, & vne contenance de parole conuenable 15) vne fi hazardeufe & belle refolution, de 17) aualler entière, & n'abandonner fa confiance : la 18) près, de fe remplir l'ame & le front de repentance, n'ayant plus autre foing que de fa confem.ation : fi qu'abandonnant fon premier rolle de régler & guider, & cédant pluftofl que s'oppofant, il attira cet orage fur foy, employant tous moyens de le fuyr

& efchaper. On dcliberoit Av.iiu de rcf.iire cette phrase, Montaigne y introduit les corrections

suivantes: repentance et d'cffrai. n'ayant... premier ojjit'c de... il apela cet... employant iiicomidereeiiiciit tous

V'ar. ms. 9) eftime que la seiicyili', l'authorité, & vne contenance cl parole (•o/HrtH</crf.M(?, conuenable 10) plein d'une aayc sccurilc et confiance 15) plin brauc

l68 ESSAIS DI£ MONTAIGNE.

On deliberoit de faire vne montre generalle de diucrfes trouppes en armes, (c'eil le lieu des vengeances lecretes, & n'eft point où, en plus grande feurté, on les puiffe exercer). Il y auoit publiques ('/ notoires apparences, qu'il n'y foilbit pas fort bon pour aucuns, aufquels touchoit la principalle & neceffaire charge de les recognoiftre. 5 11 s'y propofa diuers confeils, comme en chofe difficile, & qui auoit beaucoup de poids & de fuyte. Le mien fut, qu'on euitall; fur tout de donner aucun tefmoignage de ce doubte, & qu'on s'y trouuaft cS; mellafl; parmv les iiles, la terte droicte (it le vifoge ouuert, i^ qu'au lieu d'en retrancher aucune chofe quoy les autres opinions 10 vifovent le plus) qu'au contraire on follicitaft les capitaines d'aduertir les foldats de faire leurs fiilues belles & gaillardes en l'honneur des affiftans, & n'efpargner leur poudre. Cela feruit de gratihcation enuers ces troupes fufpectes, & engendra dés lors en auant vne mutuelle & vtile confience. 15

La vove qu'v tint Iulius Caviar, ie trouue que c'eft la plus belle qu'on y puifle prendre. Premièrement il efliiya, par clémence &. douceur, à fe faire aymer de fes ennemis mefmes, fe contentant, aux coniu- rations qui luy eftoient defcouuertes, de déclarer fimplement qu'il en eftoit aduerty : cela f;iict, il print vne tres-noble reiblution 20 d'attendre, lans effroy & fons folicitude, ce qui luy en pourroit aduenir, s'abandonnant & fe remettant à la garde des dieux & de la fortune; car certainement c'elf l'eftat il eftoit quand il tut tué.

Vn eftranger, ayant dict & publié par tout qu'il pourroit inftruire Dionyfius, Tyran de Svracufe, d'vn moyen de fentir & delcouurir 25 en toute certitude les parties que fes fubiets machineroyent contre luy, s'il luy vouloit donner vne bonne pièce d'argent, Dionyfius, en eftant aduerty, le fit appeller à foy pour l'efclarcir d'vn art fi necelLiire à fa conferuation ; cet eftrangier luy dict qu'il n'y auoit pas d'autre

Textk 88. 2) & n'en cft 6) propol'.i plullcurs & iliucrs 14) lulpcctcs, & nous engendra 15) vtile conlidence. La

LIVRE 1, CHAPITRE XXIV. 169

art, finon qu'il luy fit dcliurcr vn talent, îSc le vcntaft d'auoir apris tic luv vn fingulier kcrct. Dionvfius trouua cette inuention bonne, & luv lit compter fix cens cl'cus. Il n'elloit pas vray-femblable qu'il euft donné fi grande romnie à vn homme incogneu, qu'en recom- 5 penl'e d'vn tres-vtile aprentillage; & feruoit cette réputation à tenir les ennemis en crainte. Pourtant les Princes lagement publient les aduis qu'ils reçoiuent des menées qu'on drefle contre leur vie, pour faire croire qu'ils l'ont bien aduertis, & qu'il ne le peut rien entreprendre dequoy ils ne fentent le vent. [Le] duc d'Athènes fit plusieurs sottises en

10 \l'c]stiih}issenient de sa fresebe tininnie sur Florence : mais ceteci la plus notable, qu'aïant receu le premier aduis des monopoles que [ce] peuple dressoit contre [hiy], par Matleo di Moro:^o, complice d'icclles, il le fil mourir, pour supprimer cet aduertissement et ne faire sentir qu'aucun en la uille se peut ennnïer de son iuste gouuernemenl.

15 11 me Ibuuient auoir leu autrefois l'hiftoire de quelque Romain, perlbnnage de dignité, lequel, fuyant la tyrannie du Triumuirat, auoit efchappé mille fois les mains de ceux qui le pouiiuiuoyent, par la fubtilité de l'es inuentions. Il aduint vn iour, qu'vne troupe de gens de cheual, qui auoit charge de le prendre, palTa tout ioignant vn

20 halier il s'eftoit tapy, & laillit de le defcouurir; mais luy, lur ce point là, confiderant la peine &; les difficultez aufquelles il auoit défia fi long temps duré, pour fe ûiuuer des continuelles & curieufes recherches qu'on faifoit de luy par tout, le peu de plaifir qu'il pouuoit efperer d'vne telle vie, & combien il luy valoit mieux paffer vne fois

25 le pas que demeurer touliours en cette tranfe, luy mefme les r'apella & leur trahit la cacheté, s'abandonnant volontairement à leur cruauté, pour olkr eux & luy d'vne plus longue peine. D'appeller les mains ennemies, c'ert vn confeil vn peu gaillard; 11 croy-ie qu'encore

Texte 88. 15) Ibuuient d'auoir 24) mieux de palier... que de demeurer 28) gaillard & liardv : Il

\'\u. .\is. 9) cil lu 11) iiolahlc qit'iiUiiU 15) qH'aïuitii se

liSSAIS DE MONTAIGNE.

vaudi'oit-il mieux le prendre que de demeurer en la fieure continuelle d'vn accident qui n'a point de remède. Mais, puilque les prouillons qu'on V peut aporter, font pleines d'inquiétude & d'incertitude, il vaut mieux d'vne belle aiïeurance le préparer à tout ce qui en pourra aduenir, «In: tirer quelque confolation de ce qu'on n'eil pas alTeuré 5 qu'il aduiennc.

Texte 88. 3) d'iiiquicUide, du tourment &

CHAPITRE XXV

nv PEDANTISME.

le me fuis Ibuucnt defpité, en mon enfance, de voir es comédies Italiennes toufiours vn pédante pour badin, & le furnom de magiiler n'auoit guiere plus honorable lignification parmy nous. Car, leur eftant donné en gouuernement & en garde, que pouuois-ie moins 5 taire que d'eftre ialous de leur réputation ? le cherchois bien de les excufer par la difconuenance naturelle qu'il y a entre le vulgaire & les perfonnes rares & excellentes en iugement & en Içauoir : d'autant qu'ils vont vn train entièrement contraire les vns des autres. Mais en cecy perdois ie mon latin, que les plus galans hommes 10 c'eftoient ceux qui les auoyent le plus à mefpris, tefinoing noilre bon du Bellay :

Mais ie liay par fur tout vn fçauoir pedantefque.

Et cft cette couftume ancienne : car Plutarque dit que Grec & efcholier eftoient mots de reproche entre les Romains, & de 15 mefpris.

Depuis, auec l'eage, i'ay trouué qu'on auoit vne grandiflime raifon, & que «magis magnos clericos non funt magis magnos fapientes». Mais d'où il puifle aduenir qu'vne ame riche de la connoifli^nce de

Texte 88. 18) amc ijarnii; de

172 ESSAIS DE MONTAIGNE.

tant de choies n'en deuiennc pas plus viue & plus cfueilléc, & qu'vn efprit groflier & vulgaire puifle loger en foy, fans s'amender, les dilcours & les iugemens des plus excellens efprits que le monde ait porté, l'en fuis encore en doute.

A receuoir tant de ceruelles eftrangeres, & fi fortes, & fi grandes, 5 il eft necelliiire (me dilbit vne fille, la première de nos PrincefTes, parlant de quelqu'vn), que la fienne fe loule, fe contraingne & rape- tilTe, pour faire place aux autres.

le dirois volontiers que, comme les plantes s'eftouffent de trop d'humeur, et les lampes de trop d'huile : aufli l'action de l'efprit, par trop 10 d'eftude cl de matière, lequel, ûtifi & emharalTé à'uue graude diuerfité de chofes, perde le moyen de fe defmefler; & que cette charge le tienne courhe & croupi. Mais il en va autrement : car noftre ame s'eflargit d'autant plus qu'elle fe remplit; & aux exemples des vieux temps il fe voit, tout au rebours, des luffifans hommes aux manie- 1 5 mens des chofes publiques, des grands capitaines & grands confeillers aux affaires d'elkt auoir efté enfemble très fçauans.

Et, quant aux philofophes retirez de toute occupation publique, ils ont efté aufli quelque fois, à la vérité, mefprifez par la liberté Comique de leur temps, [leurs opinions et façons les rendu ns ridieules'.] 20 Les uoules nous faire iuges des droits d'un procès, des aelions d'un Ijonie? Ils en sont bien pret::^! Ils cherehèt eucores s'il y a nie, s'il y a monnenient,

Texte 88. ii) d'eftude, & que l'ame faifie & embaraffée.de tant de diuerfité 12) cette grande charge la tienne comme courbe & croupie. Mais 15) rebours, que les plus fuffifans 16) publiques, les plus grands capitaines, & les meilleurs confeillers 17) cftat, ont efté enfemble les plus fçauans. 20) temps : mais au rebours des noftres : car on enuioit ceux-là, comme (p. 17;, 1. li.)

\'ar. .ms. 13) croupi. ■?()«(! aiufi tfuf la hmpea qui hc peuueul c-selan'v l'dcuft'a; de trop de Imile [Ne] plus ne moins que nous upïflus les lampes ne nous ppuuoir ed esclaver suffoquées de trop d'huile. Mais

' I.a ligne se trouv.iient ces mots, a été rognée. I..i lin de cette ligne ct.iit occupée par une phrase, qui était tout entière effacée, puisque l'édition de 1595 n"en a rien conservé, mais dont il reste, à la

ligne suivante, ces mots biffés : (f que come la chamheiiere reproelmt a Thaïes qu'il ignorait

ce qui estait a ses pieds. Cf. liv. Il, chap. xii, f' 244 f.

I.IYRH I, c:H.\PITRF. XXV

si l'iwnie est autre chose qu'un heiij; que e'esl qu'iii^ir et souffrir; quelles hestcs se sont que loix & iustiee. Parlent ils du magistrat, ou parlent ils a luy ? C'est [d]'un€ liberté irreuerente et inciuille. Oyct ils louer leur prince ou un roy? c'est un pastre pour eus, oisif came un pastre, occupe a pressurer

5 (7 tondre ses bestes, mais bien plus rudenwnl qu'un pastre. En estimes nous quelqun plus grand, pour posséder deus mille arpans de terre? eus s'en moquent, acostunu^ d'embrasser tout le monde corne leur possession. Fous uantes nous de uostre noblesse, pour coter sept ayeuls riches? ils nous estiment de peu, ne conceuant l'imcige uniuerselle de nature, et combien chacû \dè\

lo nous a eu de predccessurs : riches, poures, roys, ualets, grecs \et^ barbares. Et quand nous séries cinquàiieme descendant de Hercules, ils nous trouuêt uain de faire ualoir [ce^ presant de la fortune. Ainsi les desdeignoit le uulguere, corne ignorans les premières choses et communes, come presomp- lueus et insolens. Mais cette peinture Platonique est bien eslouignee de celle

15 qu'il faut [a~'\ nos gens. On enuioit cens la comme eftans au defliis de la commune taçon, comme mefprilans les actions publiques, comme avans dre(Té vne vie particulière èv inimitable, réglée à certains dilcours hautains & hors d'vfage. Ceux-cy, on les defdeigne, comme eftans au deflbubs de la commune façon, comme incapables des

\'ar. ms. i) quetlfs gais se 5) libelle Insupportable cl im-iiiillf. OU il louer sou ... pressurai . ,

prwcc 4) pour luy Oisif connue un pastre : et < ^„ pressurât et loiiâât " ""'" "" ^'"^'''

sauf qu'un peu plus rudement qu'un pastre^ ses bestes. En estimes 6) terre ils eslimit eus prisent cela rien acostume\ 8) estiment un [sot] et- ne rien conceuant de grand .ne]

regardant pas a l'image 11) séries ui (commencement du mot uint; Platon dit en effet dans le Théétète (17; a) dont ce passage est traduit : vingt-cinquième ou même cinquantième.) II) Hercules il uous trouue 13) ignorans des premières 14) insolens cerne 15) cens la [come] estans libres el oisifs comme efizns ilm 18) defdeigne : come serfs Ires affaireus comme 2" : come homes uenaus et affaireus comme

' qu'un pastre biffé puis rétabli.

* [sot] et lecture douteuse. Montaigne suit ici de près la traduction du Théétète de Marsilc Ficiii ; hebetis nihilque magnum propter ignorantùim cogitantis animi laudes Iiujusmodi censet, quasi ad totius mundi naturam respicere nequeat. Le mot disparu que nous avons essayé de reconstituer était donc une traduction de animi hebetis •. D'ailleurs ce mot ne pouvait avoir guère plus de trois lettres, et l'on reconnaît sur le bord extrême de la marge le prolongement de la barre d'un /.

174 ESSAIS DP. MONTAIGNE.

charges publiques, comme trainans vue vie & des meurs baffes & viles après le vulgaire.

Oiii bomincs igtiaua opéra, pbilosofa sentent ia.'

Quant à CCS philofophes, dis-ie, comme ils eftoient grands en fcience, ils eftoient encore plus grands en tout' action. Et tout ainfi 3 qu'on dit de ce Geometrien de Siracufe, lequel ayant efté deftourné de fa contemplation pour en mettre quelque chofe en practique à la defïence de son pais, qu'il mit foudain en train des engins efpouuan- tables & des effets furpaflans toute créance humaine, defdaignant toutefois luv mefme toute cette fiennc manufacture, & penfant en 10 cela auoir corrompu la dignité de fon art, de laquelle fes ouurages n'eftoient que l'aprentifTage & le iouet : auflî eux, fi quelquefois on les a mis à la preuue de l'action, on les a veu voler d'vne aille fi haute, qu'il paroifToit bien leur cœur & leur ame s'eftre merueil- leufement grofîîe it enrichie par l'intelligence des chofes. Mais 15 aucuns, notant la place dit goitttcnicntèt politiijtte se sic par homes incapables, s'en sont rectiles; et celttv cjtti dentaiida a Cfates insqttes a qttaiit il faudfoit plnlosofer, eu receitt celte responce : Iiisqnes a tant que ce itc soiitt plits des asttiers qiti conduisent nos armées. Hcraclytits résigna la royauté [a\ son frère; et ans Ephesietts qtti luv reprochoiitt a quoi il passait sou temps a ioiter 20 aueq les eitfans deiiàt le temple : Vaut il pas ntieits faire cecy, qtte gotitierner [les] affaires eu itostre côpaignie ? D'atitres, a'iant leur imagination logée au defTus de la fortune &: du monde, troiitiereitt les lièges de la iuftice & les thrones mefmes des Roys, bas & viles. Et refusa Empedoclcs la

Texte 88. 5) tout' autre perfection & cxcellance. Et 8) de fa patrie, qu'il Il) corrompu & gaft(!: la 22) leurs imaginations logées... monde, leur faifoient tiouucr les fieges - 24) viles. Vn d'entr' eux, 'l'hales

\'ak. ms. 16) tioimil les d 17) Crates eemt'ie 19) armées, d'-auitvs itiaiU et Herneliliis nus Fpljesicns 20) reproetioiul de quoi

' .Au-ikssiis di- ijclK- cit.itioii, Momai^iK' icrit : / ers

LIVRli I, CHAPITRH XXV. IJ)

Royiiiitc que les Jgrigi'iitiiis liiy ojfrirent. Thaïes acculant quelque l'ois le l'oing du mel'nage (S; de s'enrichir, on luy reprocha que certoit à la mode du renard, pour n'y pouuoir aduenir. Il luy print enuie, par palTetemps, d'en montrer l'expérience; is:, ayant pour ce coup 5 raualé Ion l'çauoir au leruice du proffit & du gain, dreffa vne trafique, qui dans vn an rapporta telles richeffes, qu'à peine en toute leur vie les plus expérimentez de ce meftier en pouuoient faire de pareilles. Ce qu'Aristotc récite d'aucuns qui apellolt et cchiy la ci Anaxagoras et leurs semblables, sages et non prudaus, pour n'auoir asses de soin des choses

10 plus utiles, outre ce que ie ne digère pas bien cette diferance de mots, cela ne sert point d'excuse [il] nws gens : et, a uoir la basse et nécessiteuse Jortune de quoi ils se paient, nous arions pluslost occasion de prononcer tous les deus, qu'ils sont & non sages & non prudans.

le quitte cette première railon, èv croy qu'il vaut mieux dire que ce

13 mal uiene de leur mauuaile façon de fe prendre aux fciences; &, qu'à la mode dequov nous l'ommes inftruicts, il n'eft pas merueille fi nv les elcholiers ny les maillres n'en deuiennent pas plus habiles, quov qu'ils s'v lacent plus doctes. De urav, le loing & la dcfpcnce de nos pères ne vile qu'à nous meubler la telle de fcience; du ingénient

20 & de la vertu, peu de nouuellcs. C/'/c" d'un passant a nostre peuple : 0 le sçauanl home! El d'un antre : 0 le bon home! Il ne faudra pas de tourner les yens et son respet vers le premier. Il y faudroit un tiers crieur : 0 les lourdes testes! Nous nous enquerons volontiers : Sçait-il du Grec ou du Latin ? efcrit-il en vers ou en profe? Mais s'il eft deuenu meilleur

25 ou plus aduilé, c'efioit le principal, îs: c'eft; ce qui demeure derrière. Il falloit s'enquérir qui efi mieux fçauant, non qui eft plus Içauanl.

Texte 88. 7) pareilles. Par ainfi ic quitte cette raifon, & 14) dire que cela vienne à nos maiftres d'efcole de leur - 18) plus fçauants. De vay le 19) nous garnir la 20) vertu, nulles nouuelles.

Vak. ms. S) Arhlûle apelle et ccltty la 9) sages f>lui 9) soin de leur profil oulrc 12) de dire qu'ils ne soiU tiy sages lotts les dfiis& iioii sages 15) mal leur uiene 20) nouuelles. Oui eriera dnu imt a uosire 25) O les folles gens. Nous

176 ESSAIS DE MOXTAIGXE.

Nous ne trauaillons qu'à remplir la mémoire, & laiflbns l'enten- dement et la comciaucc vuidc. Tout ainli que les ovfeaux \'ont quelquefois à la quelle du grein, c\: le portent au bec l'ans le taller, pour en taire bêchée à leurs petits, ainii nos pédantes vont pillotant la fcience dans les Hures, & ne la logent qu'au bout de leurs léures, 5 pour la dégorger feulement ^; mettre au vent.

C'est mcrueiUe comlnen proprement la sottise se loge sur mon exemple. Est ee pas faire de mesmes, ee que iefois en la plus part de cette composition ? le m'en uois, escorni fiant par cy par la des Hures les seutances qui me plaisent, non pour les garder, car ie n'ay point de gardoires, mais pour les 10 transporter en cetuicy, ou, a urai dire, elles ne sont non plus micncs qu'en leur première place. Nous ne somes, ce crois ie, sçauans que de la sciance presante, non de la passée, aussi peu que de la future.

Mais qui pis eft, leurs efcholiers & leurs petits ne s'en nourrilTent & alimentent non plus; ains elle paffe de main en main, pour cette 15 feule fin d'en faire parade, d'en entretenir autruy, & d'en faire des contes, comme vne vaine monnoye, inutile à tout autre vfage 6c emploite qu'à compter 6c ietter. « Apud alios loqui didicerunt, non ipsi sec uni. »

«Non est loquendii, sed guhernandù. » 20

Nature, pour montrer qu'il n'y a rien de saunage en ce qui [est\ conduit par elle, faict naistrc es nations moins cultiuees par art, des production d'esprit sonnant, [cqui] hâtent les plus artistes productions. Corne sur nmi propos le proucrhe Gascon [est ] // délicat : « Bouha prou houha, nias a remuda lous dit^ qu'eni ; souffler prou souffler, mais nous en souies [a] 25 remuer les doits », tiré d'une chalemie.

Nous fçauons dire : Cicero dit ainfi; voila les meurs de Platon; ce font les mots mefmes d'Ariftote. Mais nous, que difons nous

Texte 88. 27) voila l'opinion de

Var. ms. 6) vent. Non esl loijiicintiiiii sal i;uhcnuiiuhiiii. Mais qui cit.uion ciVacéc

ici et iraiisporicc 1. :o. 9) <h'S aulhcufS IfS I 5) pilfSiY : & illlSii pt'll itc Ici

LIVRE I, CHAPITRE XXV. I77

nous mcl'ir.cs? que iugcons nous? que faisons nous? Autant en diroit bien vn perroquet. Cette façon me foit Ibuuenir de ce riche Romain, qui auoit efté foigneux, à fort grande delpence, de recouurer des hommes luffiians en tout genre de fciences, qu'il tenoit continuelle- 5 ment autour de luy, affin que, quand il elcherroit entre les amis quelque occalion de parler d'vne choie ou d'autre, ils iuppliffent ia place, & fuflent tous prêts à luy fournir, qui d'vn dilcours, qui d'vn vers d'Homère, chacun félon l'on gibier; & penlbit ce fçauoir eftre lîen par ce qu'il elloit en la telle de fes gens; & comme font auffi

10 ceux defquels la fuffilance loge en leurs fomptueufes librairies.

l'eu conois, a qui quand ic demande ce qu'il sçait, il me demande un liurc

pour me Je montrer; et n'oseroit me dire qu 'il a Je derrière galus^s'il [ne] ua sur

le champ estudier en \son^ lexicon, que c'est que gains, & que c'est que derrière.

Nous prenons en garde les opinions & le fçauoir d'autruy, & puis

15 c'ert tout. Il les faut faire noftres. Nous femblons proprement celuy qui, ayant belbing de feu, en iroit quérir chez fon voilin, &, y en ayant trouué vn beau & grand, s'arreftcroit à le chauffer, fans plus fe fouuenir d'en raporter chez foy. Que nous fert-il d'auoir la panle pleine de viande, fi elle ne le digère? Il elle ne fe trans-forme en

20 nous? elle ne nous augmente & fortifie? Penfons nous que Lucullus, que les lettres rendirent & formairent û grand capitaine fans l'expérience, les eut prifes à noftre mode?

Nous nous laifTons ii fort aller fur les bras d'autruy, que nous aneantiflbns nos forces. Me veus-ie armer contre la crainte de la

25 mort? c'cft aux defpens de Seneca. Veus-ie tirer de la conlolation pour moy, ou pour vn autre? ie l'emprunte de Cicero. le l'eufle prife en moy-mefme, fi on m'y euft exercé. le n'ayme point cette fuffifance relatiue & mendiée.

Texte 88. i) niefmes? qu'opinons nous? que iugeons nous? Autant en feroit bien 2) fait iuftement fouuenir 14) Nous de niefmes, nous prenons 21) & formarent fi grand capitaine & Ci aduifé, fans l'effay & fans

\'ar. ms. 13) jailli & ikrricrc Nous

lyS ESSAIS DE MOXTAIGXE.

Quand bien nous pourrions eftre fçauans du Içauoir d'autruy, au moins fages ne pouuons nous ertre que de noftre propre fagefl'e.

« Ex qiio Eiiiiiiis : Neqiiicqiunn sapcrc sapicnkiii, qui ipsc sibi prodcsse lion quint. » 5

li cupidus, fi' Vanus & Euganea quamtumuis vilior agna.

« Non cniin pitraiida nohis sol uni, sed jrucnda sapicntia est. »

Dionisius se inoquoil des gratniiieriens qui ôt soin de s'enquérir des inaus dl'lysses, et ioiiorèt les propres; des musiciens qui accordent leurs flûtes lo & n'accordèt pus leurs meurs; des Oraturs qui estiidieni a dire iusticc, \jion\ a la faire.

Si noflre ame n'en va \n meilleur branlle, nous n'en auons le iugement plus lain, i'aymeroy aufli cher que mon efcolier eut pafle le temps à ioùer à la paume; au moins le corps en leroit plus 15 allègre. \'oyez le reuenir de la, après quinze ou leze ans employez : il n'ell rien fi mal propre à mettre en befongne. Tout ce que vous y recognoiflez d'auantage, c'ell que fon Latin & l'on Grec l'ont rendu plus fier & plus outrecuidé qu"il n'ertoit party de la mailbn. // en deiioii raporter l'ame pleine, il ne l'en raporte que bouflie; et l'a sulemant 20 enflée [au \ lieu de la grossir.

Ces maistres iey, conte Platon dict des sophistes, leurs germains, sont de tous les homes cens qui promettent d'estre les plus iitilles ans homes, et,

Texte 88. 5) (709,0c. le hai, dict-il, le Sage qui n'ell pas lage pour Iby-mermes. fi cupidus

\'ak. ms. 4) Ncquicqiiam sibi snpeic 8) csl : dicl Cicero. Si noftrc 9) qui (iiwiiil soin... il ignoroiut les 10) propres :& des 11) dire mm a faire iustice : Si noftrc 20) houjjie cl euflee au lieu de la a;:p»/F, l'a enflée. 22) sophistes sont

' en ça eetc fin de uers écrit Montaigne i la droite Je CCS mots, pour en reciilier la disposition typographique.

r.IVRl- I, CHAPITRF XXV. I79

suis entre fous les homes, qui non suJeweut u'amauâent point ce qu'où leur couuuet, corne fait un \ charpciutier & uu unisson, mais l'einpirent, & se fout païer de Vauoir empiré.

Si kl loi que Protûf^oras proposoit a ses disciples, esioit suiuie : ou qu'ils

5 le paiasseut selon so)i nml, ou qu'ils inrasseut au temple combien ils eslimoinl

k profit qu'ils auoinl receu de ses disciplines, et selon iceluy satisfissent sa

peine, nn^s pxdagogues se trouuerroint choue:^, s'estant remis au sermant

de mon experiance.

Mon vulgaire Perigordin appelle fort plaifamment « Lcttreferits »

10 ces sçauanteaus, comme fi vous difiez « lettre-ferus », aufquels les lettres ont donné vn coup de marteau, comme on dict. De vrav, le plus fouuent ils femblent eftre raualez, mefmes du fens commun. Car le paifant & le cordonnier, vous leur voiez aller fimplemcnt & naïfucment leur train, parlant de ce qu'ils fçauent; ceux cy, pour

1 5 fe vouloir efleuer & gendarmer de ce fçauoir qui nage en la fuperficie de leur ceruelle, vont s'ambarraflant & enpeftrant fans cefle. Il leur efchappe de belles parolles, mais qu'vn autre les accommode. Ils cognoiflent bien Galien, mais nullement le malade. Ils vous ont des-ja rempli la tefte de loix, et fi n'ont encore conçeu le neud de la

20 caufe. Ils fçauent la théorique de toutes chofes, cherchez qui la mette en practique.

l'ay veu chez moy vn mien amy, par manière de pafletemps, ayant affaire à vn de ceux cy, contrefaire vn iargon de galimatbias, propos fans fuite, tiffu de pièces rapportées, fauf qu'il eftoit fouuent

25 entrelardé de mots propres à leur difpute, amufer ainlî tout vn iour ce fot à debatrc, penfant touliours refpondre aux obiections qu'on

Texte 88. 9) Perigordin les appelle 15) &iandarmcrdc 25) iargon de propos fans fuite, & tiffu de toutes pièces

\'ar. ms. i) les aiilres qui 2) fait uu ccrâoiikr [un] ctiarpautii-r 3) paur pour Vauoir 5) temple a eoinhicu 6) sa peine ie iurerois selon le seniiaul que ie fnirois mes... choue^. Mon vulgaire 7) ctjouei s'î'ils] se fioiiil au 9) F.ettrcfcrits : comme... lettre-ferus (CH.t, aufquels 25) galinuitljins qui soûl propos

l8o ESSAIS DE MOXTAIG\E.

luy failbit; & fi clloit homme de lettres & de réputation, *& qui auoit vne belle robe.

\'os, ô patritius languis, quos viuere par eft Occipiti c;çco, poftics occurrite fanns.

Qui regardera de bien près à ce genre de gens, qui s'eftand bien loing, 5 il trouuera, comme mov, que le plus fouucnt ils ne s'entendent, ny autruv, & qu'ils ont la fouuenance aflez pleine, mais le iugement entièrement creux, linon que leur nature d'elle mefme le leur ait autrement façonné : comme i'ay veu Adrianus Turnebus, qui, n'ayant faict autre profeflion que des lettres, en laquelle c'eftoit, 10 à mon opinion, le plus grand homme qui fut il y a mil' ans, n'auoit toutesfois rien de pedantelque que le port de fa robe, & quelque façon externe, qui pouuoit n'eftre pas ciuilifée à la courtifane, qui font chofes de néant. Et hai nos gens qui fupportent plus mal- ayfement vne robe qu'vne ame de trauers, & regardent à fa reuercnce, 1 5 à fon maintien & à les bottes, quel homme il eft. Car au dedans c'eftoit l'ame la plus polie du monde. le I'ay fouuent à mon efciant ictté en propos eflongnez de fon vlage : il y voyoit li cler, d'vne apprehenfion fi prompte, d'vn iugement ii ûiin, qu'il fembloit qu'il n'eut iamais faict autre meftier que la guerre & affaires d'Eftat. Ce 20 font natures belles &; fortes,

quels arte benigna Et meliorc luto finxit pra.>corclia l"itan,

qui fe maintiennent au trauers d\nc mauuailc inftitution. Or ce n'eft pas afl'e/ que noftre inftitution ne nous gafte pas, il faut qu'elle 25 nous change en mieux.

Il y a aucuns de nos Parlemens, quand ils ont à receuoir des officiers, qui les examinent feulement fur la Icience; les autres y

Texte 8S. i8) cflongiiez de fon gibier & do fon 26) mieux, & qu'elle nous .imcnde, ou elle ci\ vainc & inutile. Il v a

I.IVRH I, CHAI'ITUH XXV. l8l

adioutcnt cncorcs l'cflay du Iciis, en leur pixlcntant le iugenient de quelque caufe. Ceux cy me l'emblent auoir vn beaucoup meilleur ftile; & encore que ces deux pièces foyent neceflliircs, & qu'il faille qu'elles s'y trouuent toutes deux, fi efl ce qu'à la vérité celle du fçauoir efl moins prillible que celle du iugement. Cette cy fe peut paffer de l'autre, i^ non l'autre de cette cv. Car, comme dict ce vers grec,

à quoy faire la fcicncc, fi l'entendement n'y cft? Pleut à Dieu que pour le bien de noftre iuftice ces compagnies fe trouuaflcnt aufli bien fournies d'entendement & de confcience comme elles font encore de fcience! « Non uiix sed schola' disant iis. » Or il ne faut pas attacher le fçauoir à l'ame, il l'y faut incorporer; il ne l'en fliut pas arroufer, il l'en fiiut teindre; &, s'il ne la change, & meliorc fon eftat imparfoict, certainement il vaut beaucoup mieux le laifler là. C'eft vn dangereux glaiue, & qui empefche & offence fon maiftre, s'il efl en main foible & qui n'en fçache l'vûige, «utfiierit nielius non didicissc.»

A l'aduenture eft ce la caufe que & nous & la Théologie ne requérons pas beaucoup de fcience aux famés, & que François, Duc de Bretaigne, filz de lean cinquiefme, comme on luy parla de fon mariage auec Ifabeau, fille d'Efcofîe, & qu'on luy adioufta qu'elle auoit efté nourrie fimplement & fans aucune inflruction de lettres, rcfpondit qu'il l'en aymoit mieux, & qu'vne fiime eftoit aifez fçauantc quand elle fçauoit mettre différence entre la chemife & le pourpoint de fon mary.

Auffi ce n'eft pas fi grande merueille, comme on crie, que nos anceftres n'ayent pas faict grand eftat des lettres, & qu'encores auiourd'huy elles ne fe trouuent que par rencontre aux principaux confeils de nos Roys; &, fi cette fin de s'en enrichir, qui feule nous

Texte 88. 5 et 6) cette icy... cette icy 13) change, & amende fon premier eftat 15) maiftre mefme, s'il

l82 ESSAIS DH MONTAIGXE.

eft auiourd'huy proposée par le moyen de la lurifprudcnce, de la Médecine, du pedantifme, & de la Théologie encore, ne les tenoit en crédit, vous les verriez l;ins doubte auffi marmiteufes qu'elles furent onques. Quel dommage, si elles ne nous aprenent nv à bien penfer, ny à bien foire? « Postquaiu docii prodienH, boni desuut. »

Toute cintre seiaiiee est doniagecihle a eeJiiy qui n'a la seiance de h bonté. Mais la raison que ie cherchais tantost, seroit elle pas aussi de la : que, nostre estude en france n'ayant quasi autre but que le profit, moins de cens que nature a faict naistrc a plus genereus offices que lucratifs, s'adonans ans lettres ou si courtemant (retires, auant que d'en auoir prins le goût, a une profession qui n'a rien de commun aueq les Hures) il ne reste plus ordine- rement, pour s'engager tout a faict a l'est ude, que les gens de basse fortune qui y questent des moiens a uiure. Et de ces gens la les âmes, estant et par nature et par domestique institution et example du plus bas aloy, raportent faucemant le fruit de la seiance. Car elle n'est pas pour douer iour a l'ame qui n'en apouint, ny pour faire uoir un aueugle : son mestier est, non de luy fournir de ueue, mais de la luy dresser', de luy régler ses allures pour ueu qu'elV aye de soi les pieds et les iambes droites & capables. C'est une bouc drogue, que la seiance; mais nulle drogue n'est asses forte pour se preseruer sans altération et corruption, selon le uicc du uase qui l'cstuïe. Tel a la imie clere, qui ne l'a pas droite; et par consequant uoit le bien et ne le suit pas; et uoit la sciame, et ne s'en sert pas. La principale ordonâee de Platon en- sa reptdjlique, c'est doner a ses citoïens, selon leur nature, [leur charge. Nature peut tout & fait tout.] Les boiieus sont mal propres aus exercices du

Texte 88. i) auiourd'huy en bute, par 4) dommage, puis qu'elles

Var. ms. 8) n'ayant atUrc 8) profil i" : cens... lucratifs sa vc s'adotiain pas aus : peu de ccus... lucratifs s'adonans aus 10) auoir sauonré te goût a des 11) reste quasi a nostre m' all.'ur] pour... V estude plus connnuncenicnt que les gens de plus basse 13) qui y cherclieul de quoi uiuN des nioïens 14) institution de du plus bus alloi 16) pouint : ce seroit faire 18) qu'ell' est de 20) du ucsseau qui 23) doner aus âmes de ses citoïens selon leur naturelle 24) sont im

Au-dessus de dreSSCr qui n'est p.is efface, Montaigne a écrit, puis efl'acé instruire. De même au-dessus de moins reforme (p. 18;, 1. ;) il écrit et elWwc plu.

LIVRE I, CHAPITRH XXV. 183

corps; [cl aux exercices de l'esprit les mites boileiises; les lutslardes et viiloaires sont indignes] de la philosophie. Qnaiid nous noions un home nicd chausse, nous disons que ce n'est pas nwrueille, s'il est chaussetier. De nu'snie il semble que l'experianec nous offre souuant un médecin plus mal médecine,

5 un théologien moins reforme, un sçauani moins suffisant que tout autre. Aristo Chius auoit aulieiwmant raison de dire que les philosofes nuisoint ans audit urs, d'autât que la plus part des âmes ne se treuuent propres a faire leur profit de telle instruction, qui, si elle ne se met a bien, se met a mal : « asotos ex Aristippi, acerbos ex Zenonis schola cxire. »

10 En cette belle inflitution que Xenophon prefte aux Perfes, nous trouuons qu'ils apprenoient la vertu à leurs enfans, comme les autres nations font les lettres. Platon dict que le [fils aisnc, en leur succession royale, esloit ainsi nourry. Apres sa naissance, ou] le douait non a des famés mais a des Eunuches de la première authorite autour des Roys a cause

15 de leur uertu. Ceusci prcuoiut charge de luy randre le corps beau & sain, et après sept ans le duisoint a monter [a] chenal et aller a la chasse. Quand il esloit arriue au qualorsienw, ils le deposoint entre les mains de quatre : le plus sage, le plus iuste, le plus tempérant, le plus uaillâl de la nation. Le premier luy aprenoit la relligion; le secont a estre tousiours ueri table;

20 le tiers a se rendre maislre des cupidité^; le quart a ne rien creindre.

Texte 88. 12) lettres. Et m'a femblé chofe digne (p. 184, l. i.)

Var. ms. 3) disons die m s... mcrueille car il 3) mesmc d'un mcdeciii s^lesl malade d'un tlieologicn uiieitui uicieus d'un phrase inachevée. 4) offre un 4) médecine qu'un autre un llieologieii 7) des natures ne 8) de leur instruction 14) autour de leurs Roys 17) qualorsieme cens ci le 20) creindre. : Et si ïay hone mémoire [de] ce qui me demura de la leçon des loix en Platon ou [il] traicte de l'inslilulion de \ la] inncsse de sa uille il donc peu de part ou nulle f>iii4 a la sciancc des lettres De la luitc [de] la musique de la chasse il doue infinis préceptes cl ueut que l'ame s'exerce et profile en ces corporels exercices. Ses gymnases diU il [sonl]^ toutes instructions militeres [et] sihle ne doue): rane qu'il donc a l'estude de lapoisie \ il] samblc le faire pour le seruice principalemêl de la musique. C'est (ho chofe digne : Et si i'ay quelque nicnioire du lieu de Platon ou \il] Iraicle... Litres De la danse de la course escrime sauterie chenaucberie chasse il faict infinis...

principalemêl du chanter. C'est (bo (transporté en partie et .-ivcc des modifications, p. 215, 1. 17.)

' Marsilc Ficin avait traduit ainsi le passage correspondant de Platon (de Leg. 8lj d) : « Gymnasia onines eliam cxcrcitationcs bellicas appellamus. «

184 liSSAlS DE MONTAIGNE.

C'est chofe digne de très-grande confideration que, en cette excel- lente police de Licurgus, & à la vérité monftrueufe par fa perfection, li fongneufe pourtant de la nourriture des enfans comme de h principale charge, & au gifte mefmes des Mufes, il s'y face fi peu de mention de la ilocfriiie : comme fi cette genereufe ieuneffe, defdai- 5 gnant tout autre ioug que de la vertu, on luy ave deu fournir, au lieu de nos maiftres de fcience, feulement des maiftres de vaillance, prudence & iuftice, exemple que Platon en ses hix a suiiii. La fiiçon de leur difcipline, c'eftoit leur faire des queftions fur le iugement des hommes &: de leurs actions; &, s'ils condamnoient & loiioient ou ce 10 perfonnage ou ce faict, il falloit raifonner leur dire, & par ce moyen il aiguifoient enfemble leur entendement & apprenoient le droit. Alliages, en Xenophon, demande à Cyrus conte de la dernière leçon : Ceft, dict-il, qu'en noftre efcole vn grand garçon, ayant vn petit fave, le donna à vn de fes compaignons de plus petite taille, 15 & luy ofta fon laye, qui eftoit plus grand. Noftre précepteur m'ayant faict iuge de ce différent, ie iugeay qu'il falloit laiffer les chofes en cet eftat, & que l'vn & l'autre fembloit eftre mieux accommodé en ce point : lur quoy il me remontra que i'auois mal fait, car ie m'eftois arrefté à confiderer la bien feance, & il falloit premièrement auoir 20 proueu à la iuftice, qui vouloit que nul ne fuft forcé en ce qui luy appartenoit. Et dict qu'il en fut foité, tout ainfi que nous fommes en nos vilages pour auoir oublié le premier Aorifte de tjztw. Mon régent me teroit vne belle harengue « in génère Demonftratiuo », auant qu'il me perfuadat que fon efcole vaut cette là. Ils ont voulu 25 couper chemin; &, puisqu'il eft ainfi que les fciences, lors mefmes qu'on les prent de droit iil, ne peuuent que nous enseigner la prudence, la prud'hommie & la refolution, ils ont voulu d'arriuée mettre leurs

Texte 88. 5) de l'apprentiflagc des lettres : coiiimc u) il failloit 12) apprenoient l.i iuftice. .\fti;iges 27) nous apprendre la

\'ar. m s. 8) loix sembk

LIVRE I, CHAPITRE XXV. 183

cnfiins au propre des cffccts, & les inftruire, non par ouïr dire, mais par l'elLiy de l'action, en les formant ^: moulant vifuemcnt, non feulement de préceptes & parolles, mais principalement d'exemples & d'œuures, afin que ce ne fut pas vne fcience en leur ame, mais fa 5 complexion & habitude; que ce ne fut pas vn acqueft, mais vne naturelle pofTeflion. A ce propos, on demandoit à Agefilaus ce qu'il leroit d'aduis que les enfans apprinfent : Ce qu'ils doiuent taire, eftants hommes, refpondit-il. Ce n'eil pas merueille fi vne telle inflitution a produit des eftects fi admirables.

10 On alloit, dict-on, aux autres Villes de Grèce chercher des Rhetoriciens, des peintres & des Muficiens; mais en Lacedemone, des legiflateurs, des magiftrats & empereurs d'armée. A Athènes on aprenoit à bien dire, & icy, à bien faire; la, à fe defmeler d'vn argument fophillique, & à rabattre l'impofture des mots captieu-

15 fement entrelaflez; icy, à fe defmeler des appâts de la volupté, & à rabatre d'vn gniiid courage les menaffes de la fortune (it de la mort; ceux s'embefongnoient après les parolles; ceux cv, après les choies; là, c'efloit vne continuelle exercitation de la langue; icv, vne continuelle exercitation de l'ame. Parquoy il n'efl pas eftrange

20 fi, Antipater leur demandant cinquante enfans pour oftages, ils refpondirent, tout au rebours de ce que nous ferions, qu'ils aymoient mieux donner deux fois autant d'hommes faicts, tant ils eflimoient la perte de l'éducation de leur pais. Q.uand Agefilaus conuie Xenophon d'enuoyer nourrir fes enfans à Sparte, ce n'eft pas pour y apprendre

25 la Rhétorique ou Dialectique, mais pour apprendre (ce dict-il) la plus belle fcience qui foit : afçauoir la fcience d'obéir & de commander.

// est tirsplaisaiif de noir Socnilcs, a sa mode, se iiioquiinl de Hlppius qui liiy reeile eoDianl il a guigne, speeictieiiieiil en certeiies petites nilettes de

Texte 88. 2) l'eflay mclmcs de 7) faire encore eftants 16) d'vn courage inuincible les

\'\R. MS. 27) plaisant m Pkiou SofMki 28) gaigiic tels el kli tlfsiivis uomccmàt de la Sieilk en certenes

l86 ESSAIS DE MONTAIGNE.

la Sicille, bouc somme d'argent a régenter; et qu'a Sparte il n'a gaignê pas lin soûl : que ce sont gens idiots, qui ne sçaucnt nv mesurer iiy conter, ne font estai nv de grammere ny de rithme, s'amusans siileineiit a sçauoir la suite des Roys, estahlisseinans et decadances des estais, et tels fatras de contes. Et au bout de cela Socrafes, hiy fesant ad nouer par Je menu l'excel- 5 lance de leur forme de goiiuerneinent publique, l'beur et uertii de leur nie, liiy laisse deuiner la conclusion de l'inutilité de ses ars.

Les examples nous aprenent, et en cette martiale police et en toutes ses semblables, que l'estude des sciances amollit et cffcrniine les coragcs, plus qu'il ne les fermit & aguerrit. Le plus fort estât qui paroisse pour le prcsanl ro au inonde, est celiiy des Turcs : peuples esgaicment duits a l'estimation des armes et mespris des lettres. L treuiie Rome plus uaillanle auanf qu'elle Jiit sçauante. Les plus belliqueuses nations en nos iours sont les plus grossières et ignorantes. Les Scithes, les Partbes, Tamburlan nous sèment a cette prenne . Quand les Gots rauagerent la Grèce, ce qui sauna toutes les libreries d'cstrc 15 passées au fu, ce fut un d'entre eus, qui sema cette opinion, qu'il faloit laisser ce meuble entier ans encmis, propre a les destourner de l'exercice mililere & amuser a des occupations sedenteres et oisifues. Quand nostre Roy Charles hiiiclieme, sans tirer l'espee du fourreau, se uii maistre du Royaume de Naples & d'une boue partie de la Thoscane, les seignurs de 20 sa suite attribuarenl cette inespérée facilite de conqueste a ce que les princes & la noblesse d'italie s'ainusoint plus a se rendre ingcnieus & sçanans, que uisoreus et i^uerriers.

Var. ms. 5) riltjwc ^ulemaul- 5) coules d'histoires El au boni S 18) oceii- paiioiis ucincs cl 19) Clmrlcs sans

Chapitre XXVI.

DV. I. IXSTITVTIOX Dl^S EXFAXS.

A .Mad.iiiiL' Diane lii; Foix, Contessi; de Gurson.

le ne \i.s iamais pore, pour Icigiiciix ou bossé que lut fon fils, qui laifîiill: (Je rauoùer. Non pourtant, s'il n'efl du tout cnyuré de cet' affection, qu'il ne s'aperçoiue de fa défaillance; mais tant y a qu'il eft ficn. Auffi moy, ie voy, mieux que tout autre, que ce ne font icy 5 que relueries d'homme qui n'a goufté des fcienccs que la croufte première, en Ion enfance, & n'en a retenu qu'vn gênerai <!s: informe vifage : vn peu de chaque chofe, & rien du tout, à la Françoife. Car, en fomme, ie fçay qu'il y a vne Médecine, vne lurifprudence, quatre parties en la Mathématique, & f^rossie renient ce à quoy elles 10 vilent. Et a Vauàture encore sçai ie la prêtant ion des seianees en mènerai an seruicc de nostre nie. Mais d'y enfoncer plus auant, de m'ellre rongé les ongles à l'eftude d'Ariftote, nionarehe de la doctrine moderne, ou opiniâtre après quelque fcience, ie ne l'ay iamais faict; ny n'est art de quoi ie scenssc peindre snlenient les premiers lineamàs. Et n'est enfant

Texte 88. i) pour bolTc ou boiteux que 9) & en gros ce 11) Mais de y 12) eftude de Platon, ou d'Ariftote 13) fcience folide, ie ne l'ay iamais faict : ce n'cft pas mon occupation. L'Hiftoire (p. 188, 1. 9.)

Var. ms. i) pour : borguc ou boiteux que : teigneux ou botteus que 10) pretaiilioii que les seianees ont en 12) .\riftote sut inonnrel.ie de lii sein

l88 ESSAIS DE .MOXTAIGXE.

des dusses moicih's, qui ne se puisse dire plus sçaiutui que moy, qui n'ay sukment pas de quoi Vexamiuer sur sa première leçon : au moins selon ieelJe. Ei, si Von m'y forée, ie suis eontreint, asses ineptemeni, d'en tirer quehf^ niafiere de propos uniuersel, sur quoi i'examine son iu^eiinvit naturel : leçon qui leur est autant inconue, conie a moi la leur. 5

/(' n'ay dresse eommeree aueq aucun Hure solide, sinon Plutarque et Seiwque, ou ie puise eome les Danaides, remplissant et uersant sans cesse, l'en ataclx quelque chose a ce papier; a moi, si peu que rien.

L'Hiftoire, c'cfl: plus mon gibier, ou la pociie, que i'avme d'vne particulière inclination. Car, comme difoit Cleantes, tout ainfi que 10 la voix, contrainte dans l'étroit canal d'vne trompette, fort plus aiguë & plus forte, ainfi me femble il que la fentence, preflee aux pieds nombreux de la poëfie, s'eflance bien plus brufquement & me fiert d'vne plus viue fecoufle. Quant aux facultez naturelles qui font en mov, dequov c'eft icy l'effay, ie les fens fléchir fous la charge. 15 Mes conceptions & mon iugement ne marche qu'à tastons, chance- lant, bronchant & chopant; &, quand ie fuis allé le plus auant que puis, fi ne me fuis-ie aucunement ûitisfaict : ie vov encore du païs au delà, mais d'vne veuë trouble & en nuage, que ie ne puis defmeler. Et, entreprenant de parler indifféremment de tout ce qui 20 fe prefente à ma fantafie & n'y employant que mes propres & naturels movens, s'il m'aduient, comme il faict sonnant, de rencontrer de

Texte 88. 9) gibier en matière de Hures, ou la 16) qu'à tâtons, 20) defmeler : & puis entreprenant 22) faict à tous coups, de

Var. ms. 4) i' examine leur iugemail 5) conte la leuy a moi . L'Histoire 6) le n'ay commerce aueq aucun Hure matériel : que par secousses, tanlost a Plutarque iantosl a Sencque. L'Hiftoire : sinon a Plutarque et a Seneque par uenues L'Hiftoire : A 1.1 v.iriant<; prcccdemc .Montaigne, après uenues, ajoute : réitérées car cc quc ic ne Us qu'uuc fois ie le lis

pour néant. LHiuoire 4°" Mont.iigne introduit dans la première partie de sa phr.isc les modifications

qui sont restées dans la rédaction définitive : ay dresse... Uure solide, sinon Plutarque et Seneque; et il en corrige et en complète ainsi la fin : par ucnues rcilcrccs cn faueur de ma maudite mémoire El y puise corne les Danaides, remplissant et uersant sans cesse, l'en atachc quelque chose a mon Uure cc papier. A moi. ^i peu que rien.

T.TVRr I. ciiAPiTRi-: XXVI. 189

fortune dans les bons authcurs ces mclmcs lieux que i'ay entrepris de traiter, comme ie vien de faire chez Plutarque tout prefentement Ion difcours de la force de l'imagination : à me reconnoirtre, au prix de ces gens là, Il foible & i'\ chetif, fi poifont & fi endormy, ie me

5 lav pitié ou defdain à moy mefmes. Si me gratifie-ie de cecy, que mes opinions ont cet honneur de rencontrer sonnant aux leurs; & que ie nais an moins de loin après, disant qne noire. Anssi que i'ay cela, qu'vn chacun n'a pas, de connoifire l'extrême différence d'entre eux & mov. Et laifle ce neant-moins courir mes inuentions ainfi foibles

10 & baffes, comme ie les ay produites, lans en replaftrer & recoudre les defaux que cette comparailbn m'y a defcouuert. Il fant anoir les reins bien fermes pour entreprandre de marcher front a front aueq ces gens la. Les efcriuains indifcrets de noftre fiecle, qui, parmy leurs ouurages de néant, vont femant des lieux entiers des anciens autheurs pour

1 5 fe faire honneur, font Je contraire. Car cett' infinie diffemblance de luftres rend vn vifage fi pafle, fi terni & fi laid à ce qui eft leur, qu'ils V perdent beaucoup plus qu'ils n'y gaignent.

C'estoit dens contreres faiitasies. Le pbihsofe Chrysippus mesloit a ses hures, non les passages salement, mais des ouurages entiers d 'autres autheurs,

20 et, en un, la Medee d'Euripides : et disoit ApoUodorus que, qui en retran- cheroit ce qu'il y auoit d'estrangier, so)t papier demureroit en blanc. Epicuriis an rebours, en trois cens uolumes qu'il laissa, n' auoit pas sente une side allégation estrâ^iere.

Texte 88. 6) leurs, & dcquoy auflî i'ay au moins cela 11) defcouuert : car autrement i'cngendrerois des monftres : comme font les efcriuains 15) honneur de ce larrecin : & c'eft au contraire : car

Var. ms. 7) & dequoy ic uois de loin après disant que noire. Aussi ai ie eela 18) C'estoit une cstrange Jantasic du philosofe Chrysippus de meski^ qui mestoit 20) un d'ieeus ta Medee d'Euripides entière et Jpollodorus uoulant uerifier que Epicurus auoit eseril plus que Ghmippus luy se sert de cet argument que qui retranchera de feus dt Chrysippus ses Hures ce qu'il y a insère d'estrangier son papier demurera en btanc La ou en tous les trois cens cylindres d'Epicurus il n'y auoit pas une suie allégation « 22) cens Hures n'auoit

190 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Il m'aduint l'autre iour de tomber fur vn tel pafliige. l'auois traîné languilTant après des parolles Françoifes, fi exangues, fi defcharnées & Il vuides de matière & de fens, que ce n'eftoient voirement que paroles Françoifes : au bout d'vn long & ennuyeux chemin, ie vins à rencontrer vne pièce haute, riche & efleuée iufques aux nues. Si 5 i'euffe trouué la pente douce & la montée vn peu alongée, cela euft efté excufable : c'cftoit un précipice fi droit & fi coupé que, des fix premières paroles, ie conneuz que ie m'enuolois en l'autre monde. De la ie defcouuris la fondrière d'où ie venois, fi baffe & fi profonde, que ie n'eus onques plus le cœur de m'y raualer. 5/ i'cstoffois l'vn de 10 mes difcours de ces riches despoiiiJlcs, il efclaireroit par trop la beftife des autres.

R''preiidir en autrui mes propres fautes ne me semble non plus ineompa- tihle que de reprendre, corne ie fois souuant, celles d'autruy en moi. Il les faut accuser par tout et leur oster tout lieu de franchise. Si sçai ie bien 1 5 combien audacieusement i'entrcprans moi rnesmes a tous coups de m'esgaler a mes kirrecins, d'aller pair a pair quand et eus, non .sans une lenwrere espérance que ie pui.<;!;e tromper les veus des iuf^es a les di.woier. Mais c'est autant par le bénéfice de mon application que par le bénéfice de mon iuuan- tion et de ma force. Et puis ie ne lui te point en gros ces uieus champions la, 20 (7 corps a corps : c'est par reprinses, nwnues et legieres atteintes. le ne m'y ahurie pas; ie ne fois que les taster; et ne uois point tant came ie marchande d'aller.

Texte 88. 10) raualer. Si ie fardois l'vn 11) riches peintures, il Var. ms. 1-^) propres II ices lie 14) reprendre ccitid'aulruy i^) fiiiil cl.uirger par 16) combien : Jîercmciit cl temcrereiiieiil i'ciilrepraiis sonnant de m'esgaler a mes tarrecins de tes soutenir cl m'y iouindre inesconoissablcmcnt et de tromper : fièrement aucune fois et temererement i'entrcprans de m'esgaler a mes tarrecins et iouindre mes iniiantions ans antienes nieseonoissahlement si que ie puisse tromper 3" : ficrement aucune fois i'entreprans moi inesmes de m'esgaler a mes tarrecins de ineslcr indistinctemiinl mes traicts et mes iniiiintions ans traicts cl inuantions antienes si que ie puisse tromper 4" : fiercinciil i'enlrepnins moi mesnies a tous coups de m'esgaler a mes tarrecins d'aller pair a pair qu quand et eus et de présenter indistincteinant mes traicts ans traicts anlicns non sans une lemercre espérance que ie puisse tromper 19) autant ou plus par... que par la uigur de ma force 20) Inite pas en... la : c'est 22) taster et m'x présenter. le ne uois

LIVRE I, CHAPITRi; XXVI. I9I

5/ ie leur poiitiois kiiir palot, ic serais hoiiesic home, car ic iic les ciilrcpreiis que par ou ils sont les plus roiddes.

Défaire ce que i'ay descouuert d'aucuns, se couurir des [armes d'autruy, iusques a ne montrer pas] sulement le bout de ses doits, conduire son dessein, ) coni' il est aise aus sçauans en une [matière commune, sous les inuentions anciennes rappiecees par cy par la : | a cens [qui les ueulent cacher et faire propres, c'est premièrement iniustice et lascheté, que, n'ayans rien en leur vaillanl par ou se produire, ils cherchent a se présenter par\ une ualur estrangiere, et puis grande sottise, se contantant par piper ie de s'acquérir

10 l'ignorante approbation du uulgucre, se descrier enuers les gens d'enian- denièt qui hochent du ne:^ nostre incrustation empruntée, des quels suis la loange a du pois. De nui part il n'est rien que ie ueuille nwins faire. [le ne dis les autres, sinon pour d'autant] plus me dire. Cecy ne touche pas des cenlons qui se publient pour cenions : et l'en ai veu [de tres-ingenieux en

ï 5 mon temps, entre autres vu, sous le nom de Capilupus, outre les] antiens. Ce sont des esprits qui se font uoir \_ei par ailleurs et par la, comnw Lipsius en ce docte et laborieux tissu de ses Politiques. \

Quoy qu'il en foit, vcux-ic dire, & quelles que Ibyent ces inepties, ie n'ay pas délibéré de les cacher, non plus qu'vn mien pourtraict

20 cliauue & grilbnnant, le peintre auroit mis, non vn vilage parfaict, mais le mien. Car auffi ce font icy mes humeurs & opinions; ie les donne pour ce qui eft en ma créance, non pour ce qui eft à croire, le ne vife icy qu'à découurir mov mefmes, qui feray par aduenture autre demain, li nouueau apprentiflage me change. le n'ay point

25 l'authorité d'eftre creu, ny ne le délire, me fentant trop mal inftruit pour inil;ruire autruy.

Quelcun donq' ayant veu l'article précédant, me difoit chez moy, l'autre iour, que ie me deuov eilre \n peu eftendu fur le difcours de l'inftitution des enlans. Or, Madame, ii i'auoy quelque fuffilance

Var. ms. i) les appelle a ma compaioiiic que pav la ou .|) bout des deils leuvs ses doits ^) piperie d'-tiCifutw ^eu>: st> 10) du sot se descriaiit euiiers 10) enlau- deinêl des quels 13) dire le ue parle pas des

192 ESSAIS DE MONTAIGNE.

en ce fubiect, ie ne pourroi la mieux, employer que d'en faire vn prefent à ce petit homme qui vous menafle de faire tantoft vne belle lortie de chez vous (vous eftes trop genereufe pour commencer autrement que par vn mafle). Car, ayant eu tant de part à la conduite de voftre mariage, i'ay quelque droit & intercft à la grandeur 5 & profperité de tout ce qui en viendra, outre ce que l'ancienne pofleflîon que vous auez fur ma leruitude, m'obligent affez à dcfirer honneur, bien & aduantage à tout ce qui vous touche. Mais, à la vérité, ie n'y entens linon cela, que la plus grande difficulté & impor- tante de l'humaine fcience femble eftre en cet endroit il le traite 10 de la nourriture è^ inflitution des entans.

Tout ainsi qu'en l'agriculture les façons qui uont auât [le] planter sont certeines et aisées, et le planter niesnics; mais despuis que ce qui est plante nient a prandre aie, [a] l'eslener il y a vne grade uaricte de façons et difficulté : pareilleniant ans homes, [il y] a pen d'industrie a les planter; 1 5 mais, despnis qu'ils sont nais, on se charge d'un soin diuers, plein d'enhe- souigneuwnt et de creintc, a les dresser et nourrir.

La montre de leurs incHnations eft il tendre en ce bas aage, & ii obfcure, les promeflcs fi incertaines & tauces, qu'il eft mal-ailé d'y eftablir aucun folide iugement. 20

Voyez Cimon, voyez Themiftocles & mille autres, combien ils fe font difconuenuz à eux mefme. Les petits des ours, des chiens, montrent leur inclination naturelle; mais les hommes, fe iettans incontinent en des accouftumances, en des opinions, en des loix, fe changent ou le deguifent facilement. 25

Si eft-il difficile de forcer les propenlions naturelles. D'où il adulent que, par faute d'auoir bien choifi leur route, pour néant le trauaille on fouuent îs: employé l'on beaucoup d'aage à dreffer des

Texte 88. 5) genereufe Madame pour 7) auez de tout temps fur 25) deguifent & mafqucnt facilement

V'ar. ms. 15) difficulté [L^cs peu de façon il 16) nais 9U cul-t^. a vu s^oum [a] (iluîicHt^ ui.iiigi'i on se d'argc d'un soin a plusieurs uisagcs plein 17) creinte. La

LIVRE I, CHAPITRE XXVI. I95

cnfans aux choies aulqucllcs ils ne peuucnt prendre pied. Toutes- fois, en cette difficulté, mon opinion ell de les acheminer toufiours aux meilleures chofes & plus profitables, & qu'on fe doit peu appliquer à ces legieres diuinations <S: prognoftiques que nous 5 prenons des mouuemens de leur enfance. Platon luesiue, en sa répu- blique, me semble leur douer beaucoup d'authorite.

Madame, c'efl vn grand ornement que la fcience, & vn vtil de merueilleux feruice, notamment aux perfonnes éleuées en tel degré de fortune, comme vous eftes. A la vérité, elle n'a point fon vray

10 vfage en mains viles & baffes. Elle ell: bien plus liere de prêter les movens à conduire vne guerre, à commander vn peuple, à pratiquer l'amitié d'vn prince ou d'vne nation eftrangiere, qu'à dreffer vn argviment dialectique, ou à plaider vn appel, ou ordonner vne maffe de pillules. Ainll, Madame, par ce que ie cro}^ que vous n'oublierez

I) pas cette partie en Finftitution des voftres, vous qui en auez lauouré la douceur, & qui eftes d'vne race lettrée (car nous auons encore les efcrits de ces anciens Comtes de Foix, d'où monlieur le Comte, voftre mary, èc vous eftes defcendus; & François, monlieur de Candale, voftre oncle, en faict naiftre tous les iours d'autres,

20 qui eftendront la connoiffance de cette qualité de voftre famille à plufieurs fiecles), ic vous veux dire deffus \ne feule lantafie que i'av contraire au commun vlage : c'eft tout ce que ie puis conterer à voftre feruice en cela.

La charge du gouuerneur que vous luy donrez, du chois duquel

25 dépend tout l'effect de fon inftitution, ell' a plulîeurs autres grandes parties; mais ie n'y touche point, pour n'y fçauoir rien apporter qui vaille; & de cet article, fur lequel ie me mefle de luy donner aduis, il m'en croira autant qu'il y verra d'apparence. A vn enfant de

Texte 88. i) prendre gouft. Toutes-fois 3) qu'on ne Joit s'appliquer aucunement à 8) feruice, & notamment 16) encore en main les

Var. ms. 5) enfance. £/ Wrt/tm <.() 6) douer de beaucoup trop de pris. Uaàamc

194 ESSAIS DE MOXTAIGXE.

maifon qui recherche les lettres, non pour le gaing (car vne fin fi abiecte eft indigne de la grâce & faueur des Mules, ^: puis elle regarde li;»: dépend d'autru}-), n\- tant pour les commoditez externes que pour les fienes propres, èv pour s'en enrichir & parer au dedans, ayant pluftoft enuie d'en tirer vn habil' homme qu'vn homme 5 fçauant, ie voudrois aufli qu'on fiit foigneux de luy choifir vn conducteur qui eull pluftoft la telle bien faicte que bien pleine, & qu'on y requit tous les deux, mais plus les meurs & l'entendement que la fcience; & qu'il fe conduisist en fa charge d'vne nouuelle manière. 10

On ne celle de criailler à nos oreilles, comme qui verferoit dans vn antonnoir, & noilre charge ce n'eft que redire ce qu'on nous a dict. le voudrois qu'il corrigeaft cette partie, & que, de belle arriuée, félon la portée de l'ame qu'il a en main, il commençaft à la mettre fur la montre, luy faifant goufter les chofes, les choifir 15 (^ difcerner d'elle mefme : quelquefois luy oiuiraiit chemin, quelque- fois Je luy laiffant oiiiirir. le ne veux pas qu'il inucnte & parle feul, ie veux qu'il efcoute l'on difciple parler à fon tour. Socrates et, despuis, Arcbesilas faisoiiit preniieremêt parler leurs disciples, et puis [ils] parloint a eus. « Ohest plcriimque ijs qui discere uoluut authoritas eorum 20 [çMî] docct. »

Il est bon qu'il le face troter dauant luy pour iuger de son treiu, et iuger iusques a quel point il se doit raualer pour s'accommoder a sa force. A faute de cette proportion nous gastons tout; et de la sçauoir choisir, et s'y conduire bien mcsureement \j:'est~\ l'um des plus ardues hesouignes que ie sache : 25 et est Veffaict d'une haute ame [f/] bien forte, sçauoir condescendre a ses

Texte 88. i) lettres & la difcipline, non 9) conduifit 13) corrigeaft vn peu cette 15) fur le trottoër, luy 16) luy monftrant chemin, quelquefois luy laiffant prendre le deuant. le

Var. .ms. 18) Sacrales en quoi Archesïlas r imita faisoit pi cniieremîi 21) qui] se docere profileiilur dcsiiiunl ciiiiu suimi iudiciû adhihcrc : id habait ratum quod ab eo quaii prohaut indicaium uideut. Qu'il ne luy (p. 195, 1. S.) 26) cl est selon [inoi] Veffaict

LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 19)

allures puériles lei] les i^uider. le marche plus seur el] plus ferme a moni qu'a ual.

Ceus [qui], corne poric nosire usage, entrepreneut \d']une mesme leçon

et pareille mesure de conduite régenter plusieurs esprits [de\ si diverses

5 nusures el formes, [ce] n'est pas merueille si, [en \ foui un peuple d'en fans,

ils en rencontrent a peine deus ou trois qui raportent quelq:, iiisle fruit de

lur discipline.

Qu'il ne luv demande pas feulement compte des mots de ù leçon, mais du fens & de la fubftance, &; qu'il iuge du profit qu'il

10 aura fait, non par le tefmoignage de fa mémoire, mais de sa nie. Que ce qu'il viendra d'apprendre, il le luy (ace mettre en cent vifages & accommoder à autant de diuers fubiets, pour voir s'il l'a encore bien pris & bien foict fien, prenant' l'instruction de son progre:^ des pa-dagogismcs de Platon. C'eft tefmoignage de crudité & indigeftion

15 que de regorger la viande comme on l'a auallée. L'eftomac n'a pas faict fon opération, s'il n'a faict changer la façon & la forme à ce qu'on luy auoit donné à cuire.

Nostre ame ne branle qu'à crédit, liée & contrainte a l'appétit des fantafies d'autruy, serue & captiuee Ibuhs l'authorité de leur leçon. On

20 nous a tant aflubiectis aux cordes, que nous n'auous plus de franches allures. Nostre vigueur & liberté efl efteinte. (( Nunquani tutehv su:v fiunt. » le vy priuéement à Pife vn honnefle homme, mais fi Ariftotelicien, que le plus gênerai de fes dogmes eft : que la touche & règle de toutes imaginations foHdes & de toute vérité c'eft la

Texte 88. 10) mais de fon iugement. Que 17) cuire. On ne cherche réputation que de fcience. Quand ils difent c'eft vn homme fçauant, il leur fembJe tout dire : leur ame 18) contrainte au feruice des 19) autruy, bafle & croupie foubs... On les a 20) cordes, qu'ils n'ont plus 21) allures : leur vigueur

Var. ms. i) marcfie plus firme 5) iioslrc [coslii me, ciilrepreuciil 5) maures, [ce] n'est... si en] un 6) rnportciit nu iiislc

' prenant... Platon. Co passage acte ajoutt avant que ne fût écrit ralinil-a : Il est bon qu il...

a nal. (p. 194, 1. 22.)

19e ESSAIS DE MONTAIGNE.

conformité à la doctrine d'Ariliote; que hors de ce ne font que chimères & inanité; qu'il a tout veu & tout dict. Cette propofition, pour auoir efté vn peu trop largement & iiiiquciiiciit interprétée, le mit autrefois & tint longtemps en grand accelToire a J 'inquisition à Rome.

Qiril luv tace tout palier par l'eftamine & ne loge rien en ûi tefte s par simple authorité & à crédit; les principes d'Ariftote ne luy foyent principes, non plus que ceux des Stoïciens ou Epicuriens. Qii'on luy propofe cette diuerlité de iugemens : il choilira s'il peut, finon il en demeurera en doubtc. // n'y a que les fols ccrtcins et résolus.'

Che non men che faper duhbinr m'aggrada. i<

Car s'il embralTe les opinions de Xenophon & de Platon par fon propre difcours, ce ne feront plus les leurs, ce feront les Tiennes. Qui suit nu cintre, il ne suit rien. Il ne trenne rien, uoire \iï] ne cherche rien. « No>! siniius sub rege; sihi quisque se uiiulicet.» Qu'il sache qu'il sçctit, au moins. 11 faut qu'il emboiue leurs humeurs, non qu'il i aprenne leurs préceptes. Et qu'il oublie hardiment, s'il veut, d'où il les tient, mais qu'il fc les fçache approprier. La vérité & la raifon font communes à vn chacun, & ne font non plus à qui les a dites premièrement, qu'à qui les dict après. Ce u'est non plus selon Platon que selon moi, puis que luv et moi reutendons Ô-' notons de iin'smes. Les 2- abeilles pillotent deçà delà les fleurs, mais elles en font après le miel, qui ell tout leur; ce n'eft plus thin ny mariolaine : ainfi les pièces empruntées d'autruy, il les transformera & confondera, pour en f;iire vn ouurage tout fien : à fçauoir fon iugemcnt. Son inftitution, fon trauail «i;^ eftude ne vife qu'à le former. 2

Qu'il celé tout ce de quoi il a este secoru, et ne produise que ce qu'il en a faicl. Les pilleurs, les eupruntl urs ' mettent en parade leurs hasiinnius,

TrxTi; 88. 2) Cotte fienne propofition ?) ^ iniuricufcmeni intcrpictco \'au. ms. 14) Non suiit sub 20) moi f^l 26) Qu'il aid>c loiil

^ Celte plinisc .1 été effacée d'un tr.iil encore visible; mais ce trait a été annulé par un grattage; aussi la maintenons-nou'î quoiqu'elle manque ilans l'édition de IS9>. Cf. p. 200, var. de la 1. 7.

LIVRH I, CHAPITRH XXVI. I97

leurs cuhat::^ non pas ce qu'ils tirciil d'autruy. Vous uc uoks pas ks cspiccs d'un l}omc de parlement, nous uoies les alliances qu'il a gaignees & honurs a ses enfans. Nul ne met en compte publique sa recette : chacîiy met son acquest. Le guein de nostre esfude, c'est en estre deuenu mcillur & plus sage. 5 C'eft, dilbit Epicharmus, rentendcment qui vovt & qui oyt, c'cft rentondement qui approfite tout, qui difpofe tout, qui agit, qui domine & qui règne : toutes autres chofes font aueugles, fourdes & fans ame. Certes nous le rendons feruile & couard, pour ne luy laiffer la liberté de rien faire de foy. Qui demanda iamais à fon

10 difciple ce qu'il luy femble de la Rethorique & de la Grammaire, de telle ou telle fentencc de Ciceron? On nous les placque en la mémoire toutes empennées, comme des oracles les lettres & les fyllabcs font de la fubftancc de la chofe. Sçauoir par ceur n'est pas sçauoir : c'est tenir ce qu'on a donc en garde a sa mémoire. Ce qu'on sçait

1 5 droitemcnt, on en dispose, sâs regarder au patron, sans tourner ks yeus uers son Hure. Fâcheuse suffisance, qu'une suffisance pure liuresquc! le [^m']atans qu'elle serne [d']ornernant, non de fondemant, suiuant [l']auis de Platon, qui dict la fermeté, la foi, la sincérité estre la uraye philosoffi'; les autres sciances & qui uisent ailleurs, n' estre que fard.

20 le voudrois que le Paluël ou Pompée, ces beaux danfeurs de mon temps, apprinfent des caprioles à les voir feulement faire, fans nous bouger de nos places, comme ceux-cy veulent inftruire noftre entendement, fans Felbranler; ou qu'on nous aprint a manier un cheual, ou une pique, ou un lut, ou la uoix, sans nous y exercer, came cens icy

25 nous ueulent aprandre a bien iuger et a bien parler, sans nous exercer ny a parler ny a iuger. Or, à cet apprentiifagc, tout ce qui fe prefente

Texte 88. 23) l'efbranler & mettre en befongnc. Or

Var. ms. i) leurs acquêt^ 11011... qu'ils lieiiêt d^ntilniy... cspiics : cl apresdisnces : el les contredit^ 30 : et les escriiurcs d'un 2) i" : qu'il a achetées & : qu'il a ofq 3) son emploile. C'eft 4) dcueiiu d 16) Fâcheuse suffisance a mon gre qu'une... liuresque. EUe dt>ii s^f4tti^ d'-inimfmaui twu [de] fcudemftU 19) uisent aill ailleurs n estre introduites que peur la parade . le voudrois 24) uoix par musique sans

198 ESSAIS DE MONTAIGNE.

à nos yeux fert de Hure fuffilant : la malice d'vn page, la fottife d'vn valet, vn propos de table, ce font autant de nouuelles matières.

A cette caufe, le commerce des hommes y eft merueilleufement propre, & la vifite des pays eftrangers, non pour en rapporter feulement, à la mode de noftre noblefle Françoife, combien de pas 5 a Santa Rotonda, ou la richeffe des caleflbns de la Signora Liuia, ou, comme d'autres, combien le vifage de Néron, de quelque vieille ruvne de là, eft plus long ou plus large que celuy de quelque pareille médaille, mais pour en raporter principalement les humeurs de ces nations & leurs façons, & pour frotter & limer noftre ceruelle contre 10 celle d'autruy. le voudrois qu'on commençaft à le promener des fa tendre enfance, & premièrement, pour faire d'vne pierre deux coups, par les nations voifmes le langage eft plus efloigné du noftre, & auquel, ft vous ne la formez de bon' heure, la langue ne fe peut plier. 15

Aufli bien eft-ce vne opinion receuë d'vn chacun, que ce n'eft pas raifon de nourrir vn enfant au giron de fes parents. Cette amour naturelle les attendrift trop & relafche, voire les plus fages. Ils ne font capables ny de chaftier fes fautes, ny de le voir nourry groflîe- rement, comme il faut, & basardeusewciit. Ils ne le fçauroient fouffrir 20 reuenir fuant & poudreux de fon exercice, boire chaut, boire froit, ny le voir fur vn cheual rebours, ny contre un rude tireur, le floret au poing, ny la première harqueboufe. Car il n'y a remède : qui en veut faire vn homme de bien, fans doubte il >ie le faut espargiier en cette ieuneffe, & fouuent choquer les règles de la médecine : 25

vitàmque fub dio & trepidis agat In rébus.

Texte 88. 14) peut façonner. Aufli 20) faut, & fans delicatclTe : ils ne 21) exercice, ny le voir bazarder tantoft fur vn cheual farouche, tantoft vn floret au poing, tantoft vn' harqueboufe. 24) il le faut bazarder vn peu en Av.int de refaire ce

membre de phrase Montaigne se contente d'effacer vn peu

LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 199

Ce n'est pas asses [de luy roidir l'amc; il luyfaui aussi roidir les muscles. Elle est] trop pressée, si elle n'est secondée, et a trop a faire de suJe fournir a deus offices. le sçai condnen ahane la niiene en conipaignie d'un cors si tendre, si sensible, qui se laisse si fort aller sur elle. El aperçois 5 souuaut en ma leçon, qn 'en leurs escris mes niaistres font ualoir, pour magnanimité et force de corage, des examples qui lieuent uolontiers plus de l'espessissure de la peau et durté des os. l'ay ueu des homes, des famés & t/t'i" enfans einsi nuis, qu'une hastonade leur est moins qu'a moi une chiquenaude : qui lu remuent nv langue ny sourci ans coups qu'on leur

10 donc. Quand les Athlètes contrefont les philosophes en patiance, c'est plus tost uigeur de nerfs que de ceur. Or Vacostumaiice a porter le Irauail est acostumance a porter la dolur : « labor calluni ohducil dolori. » Il le Jaul rompre a la peine et aspreté des exercices, pour le dresser a la peine et aspretc de la desloucure, de la cholique, du cautère, et de la geôle, & de la

I s torture. Car de ces dernières icy encore peut il estre en prinse, qui regardèt les bons selô le temps, corne les meschans. Nous en somes a l'espreuue. Quicôque combat les loix, menace les plus gens de bien d'escorgees et de la corde.

Et puis, l'authorité du gouuerneur, qui doit eftre fouueraine fur

20 luy, s'interrompt i;: s'empefche par la prefence des parens. loint que ce refpect que la famille lu}' porte, la connoiflance des moyens & grandeurs de fa maifon, ce ne font à mon opinion pas legieres incommoditez en cet aage.

En cette efchole du commerce des hommes, i'ay fouuent remarqué

25 ce vice, qu'au lieu de prendre connoiflance d'autruy, nous ne trauail- lons qu'à la donner de nous, & fommes plus en peine d'emploiter noftrc marchandife que d'en acquérir de nouuelle. Le filence & la

Var. ms. 2) faire de souUm»: }) combien la mieue 6) plus de stupidité tt pi^mcte de membres 10) contrefont einsi les 11) uigeur de nef 12) dolur. Il 14) aspreté des desloueures delà cholique de l'incision cautère de la geôle prison & : de la torture Car : torture Car i S) «^ celés icy encore peut il estre en bute : qui 17) Quicôque fomb... et de corde

200 ESSAIS Dl£ MOXTAIGKE.

modcftie font qualitcz tres-commodes à la conuerfation. On dreflcra cet entant à eltre elpargnant & melnagier de la fuffilance, quand il l'ara acquife; à ne le formalizer point des Ibttiles & fables qui le diront en fa prefence, car c'eft vne inciuile importunité de choquer tout ce qui n'eft pas de nollre appétit. Ou 'il se côtaitlc de se eorrii^er soi 5 niesmes, et ne semble pas reprocher a aiitruy tout ce qu'il refuse a faire, iiy co)itraster aus meurs publiques. «Lieet sapere sine pompa, sine iuuidia.» Fuye^ ces images regenteuses et iiiciuiiks, et cette puérile ambitioi} de uoloir paraître plus fin pour estre autre, et tirer nom par reprehansious et nouuelete:^. Corne il n'affiert qu'aus grands poètes d'user des licoices de l'art, 10 aussi [)i'est] il supportable qu'aus grandes âmes & illustres de se priuilegicr au dessus de la costume. (( Si quid Socrates et Aristippus contra moreni et consiictudinem fecerint, idem sibi ne arbitretur liccre : magnis enim illi et diuinishonis banc licentiam assequebantur . n On luy apprendra de n'entrer en difcours ou conteftation que il verra vn champion digne de 15 la luite, & mefmes à n'emploier pas tous les tours qui luy peuuent feruir, mais ceux-là feulement qui luy peuuent le plus feruir. Qu'on le rende délicat au chois & triage de fes railons, & aymant la perti- nence, & par confequcnt la briefueté. Qii'on l'inftruife fur tout à le rendre & à quitter les armes à la vérité, tout aufli tofl; qu'il l'apper- 20 ceura : foit qu'elle nailTe es mains de l'on aduerfaire, foit qu'elle naifle en luy-mefmes par quelque rauifement. Car il ne fera pas mis en chaife pour dire vn roUe prefcript. 11 n'eft engagé à aucune caufe, que par ce qu'il l'appreuue. Ny ne fera du meftier fe vent à purs

Texte 88. i) conuerfation des hommes. On 5) noftre gouft. On luy

^'AR. MS. 6) aiitruy ce qu'il n'eime pas afiiirc 7) iiniidia. Qu'on luy inculque soutmtil qu'il n'y a que les fols bien cerleins el bien résolus. Si quid Socnitcs Cf. p. 196, 1.9. 12) contra ee

* Fuye... IlOUUelctCl addition ultérieure insérée par un renvoi .i cette place. L'édition de 1595

en modifie ainsi h fin : pour cftrc autrc ; & Comme fi ce fuft marchandifc malaizcc, que icprebenfions & nouuelletcz, vouloir tirer de l;'i, nom de quelque peculiere valeur.

LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 20I

deniers contans la liberté de fe pouuoir /r/)tv;//V& reconnoiftre. ((Ncijiu;

ut omnhi qiuv privscripta et impcrata siiit, dcfcndal, mxessitalc ulla cogitur. »

Si son gomiermir tient de mon humeur, il luy formera la uoloute a estre

tresloïal seruitur de son prinee et tresaffeelione & trescorageus ; mais il luy

5 refroidira l'enuie de s'y atacher autrement que par un deuoir publique.

Outre plusieurs autres ineonucnians qui blessent nostre franchise par ces

obligations particulières, le ingénient d'un honw gage et acheté, ou il est

moins entier et moins libre, ou il est tache et d'imprudence et d'ingratitude.

Vn courtisan ne peut auoir ny loi ni uolontc de dire & penser quefauora-

10 blement d'un niaistrc qui, parmi tant de milliers d'autres subiect:^, l'a clmisi pour le nourrir et esleuer de su main. Cette faneur & utilité corrompent non sans quelque raison sa franchise, et l'esblouissent. Pour [tant] uoit on costumierement le langage de ces gens la diuers a tout autre [langage] d'un estât, et de peu de foi en telle matière.

15 Que fa confcience & fa vertu reluifent en fon parler, et n'aient que la raison pour guide. Qu'on luy face entendre que de confefler la fiiute qu'il defcouurira en fon propre difcours, encore qu'elle ne loit aperceuë que par luy, c'eft vn effet de iugement & de fincerité, qui font les principales parties qu'il cherche; que l'opiniatrer & contester

20 sont qualités communes, plus apparantes ans plus basses âmes; que se rauiser [et] se corriger, abandoner [un] mauues parti sur le cours [de] son ardur, ce sont qualité:^ rares, fortes et philosofiques.

On Yaduertira, eftant en compaignic, d'auoir les yeux partout; car ie trouue que les premiers fieges font communément faifis par

25 les hommes moins capables, & que les grandeurs de fortune ne fc trouucnt guieres méfiées à la fuffifance. l'ay vcu, cependant qu'on s'entretenoit, au haut bout d'vnc table, de la beauté d'vne tapifferie

Texte 88. i) pouuoir rauifer & 15) reluifent iufqucs à fon 19) prin- cipales qualitez qu'il 23) On l'aduifera, eftant

V.\R. MS. 3) il le div 4) prince mais cl L-'^itiiiic scniiltir mais non que légitime et tresuolonterc & IreSiOiagcus 5) s'y tenir autrement 6) hiesscnl un Imnc i" : llhe par 2»; franc par 8) tache d'i»gmUtudc lo) milliers d'autres l'a 11) ulililc esU 13) tout U i^sU

202 ESSAIS DE MONTAIGNE.

OU du gouil de la maluoiûe, fe perdre beaucoup de beaux traicts à l'autre bout. Il fondera la portée d'vn chacun : vn bouuier, vn maflbn, vn paffant; il faut tout mettre en befongne & emprunter chacun félon fa marchandife, car tout fert en mefnage; la fottife mefmes & foibleffe d'autruy luy fera inftruction. A contreroller les s grâces & façons d'vn chacun, il s'engendrera enuie des bonnes, & mefpris des mauuaifes.

Qu'on luy mette en fantafie vne honelle curiofité de s'enquérir de toutes chofes; tout ce qu'il y aura de finguUer autour de luy, il le verra : vn baftiment, vne fontaine, vn homme, le lieu d'vne lo bataille ancienne, le pafTage de Ccefar ou de Charlemaigne;

Qua' tellus fit lenta gelu, qua: putris ab ;ïftu, Ventus in Italiam quis bene vêla ferat.

Il s'enquerra des meurs, des moyens & des alliances de ce Prince, & de celuy-là. Ce font chofes tres-plaifimtes à apprendre, & très- 15 vtiles à fçauoir.

. En cette practique des hommes, i'cntends v comprendre, & prin- cipalement, ceux qui ne viuent qu'en la mémoire des liures. Il practiquera, par le moyen des hiftoires, ces grandes âmes des meilleurs fiecles. C'eft vn vain eftude, qui veut; mais qui veut 20 aufli, c'eft vn eftude de fruit ineftimable : et le su! estude, coine dict Platoi, que les Lcicedeiiioiiieiis eussent resenié a leur pari. Quel profit ne fera-il en cette part là, à la lecture des vies de noftrc Plutarque? Mais que mon guide fe fouuienne vife fa charge; <bt qu'il n'im- prime pas tant à fon difciple la dalle de la ruine de Carthage que les 25 uicurs de Hainiibal et ' de'^i Seipioii, iiy tant mourut Marcellus, que pourquoy il fut indigne de fon deuoir qu'il mourut là. Qu'il ne luy apprenne pas tant les hiftoires, qu'à en iuger. C'est a mon gré, entre toutes, la matière a la quelle nos esprits s'appliqnèl de plus d inerse mesure.

^^\R. .MS. 29) ta quelle Vciptit s'appVuiuc de plus tliiierse mesure, h lis en TUe ee q plusieurs elfoms le lis eu Tile Liuc

r.IVRE r, CHAPITRE XXVI. 20^

7'(rt/] kit en Tik Liuc cent choses que tel n'y a pas leii. PUilarque en y a leu cent, outre ce que i'y ai sceu lire, &, a l'auanture, outre ce que Vaut\Jmr\ y auoit mis. A d'aucuns c'est un peur estude grammerien; a d'autres, l'anatomie de la pbilosofie, en la quelle les plus abstruses parties de nosire 5 nature se pénètrent. Il y a dans Plutarque beaucoup de dilcours eftandus, tres-dignes d'eftre fceus, car à mon gré c'cft le maiflre ouuricr de telle befongne; mais il y en a mille qu'il n'a que touché fimplement : il guigne feulement du doigt par nous irons, s'il nous plaift, (S: le contente quelquefois de ne donner qu'vne attainte dans le plus vif

lo d'vn propos. Il les faut arracher de & mettre en place marchande. Comme ce fien mot, que les habitans d'Afie feruoient à vn feul, pour ne fçauoir prononcer vne feule fillabe, qui eft Non, donna peut efire la matière & l'occafion à la Boitie de ûi Seruitude Volon- taire. Cela mefme de luy voir trier vne legiere action en la vie d'vn

15 homme, ou vn mot, qui femble ne porter pas : cela, c'eil vn difcours. C'efI; dommage que les gens d'entendement ayment tant la briefueté : fans doute leur réputation en vaut mieux, mais nous en valons moins : Plutarque aime mieux que nous le vantions de fon iugement que de fon fçauoir; il ayme mieux nous laifler defir de foy que

20 fatieté. Il fçauoit qu'es chofes bonnes mefmcs on peut trop dire, & que Alexandridas reprocha iuftement à celuy qui tenoit aux Ephores des bons propos, mais trop longs : O eftrangier, tu dis ce qu'il faut, autrement qu'il ne faut. Cens qui ont le corps tyresle, le gros- sissent d'embourrures : cens qui ont la matière exile, l'enflent de paroles.

25 II fe tire vne merueilleufe clarté, pour le iugement humain, de la fréquentation du monde. Nous fommes tous contraints & amonceliez en nous, & auons la veuë racourcie à la longueur de noftre nez.

Texte 88. 5) dans cet .lutheur beaucoup 14) mefme de voir Plutarque tirer vne 18) le vantons de 25) de ce commerce des hommes. Nous 27) nous mefmes, &

Var. ms. 2) leu deus fois autant outre 3) wh. C'est nus uns nu peur 4) lie lu phw phihwl'ie ou les plus n) ^ /ï^<''V"f (/'' 'a Boitie

204 ESSAIS DE MONTAIGNE.

On deman doit à Socratcs d"où il cftoit. Il ne rcfpondit pas : D' Athènes; mais : Du monde. Luy, qui auoit l'on imagination plus plaine & plus eftanduë, embraflbit l'vniuers comme fa ville, iettoit l'es connoiffances, fa focieté & fes affections à tout le genre humain, non pas comme nous qui ne regardons que sous nous. Quand les vignes gèlent en 5 mon village, mon prebftre en argumente l'ire de Dieu fur la race humaine, & iuge que la pepic en tienne des-ia les Cannibales. A voir nos guerres ciuiles, qui ne crie que cette machine fe bouleuerfe & que le iour du iugement nous preiit au collet, fans s'auifer que plulîeurs pires chofes fe font veuës, & que les dix mille parts du 10 monde ne lailfent pas de galler le bon temps cependant ? Moy, félon leur licence & impunité, admire de les voir 11 douces & molles. A qui il grefle fur la tefle, tout l'hemifphere femble eftre en tempelle & orage. Et difoit le Sauoïart que, i\ ce fot de Roy de France eut fceu bien conduire fa fortune, il eftoit homme pour deuenir maiftrc 1 5 d'hoftel de fon Duc. Son imagination ne conceuoit autre plus efleuée grandeur que celle de ion maiflre. Nous soivcs iiiscnsiNcDwiil tous ai àilc crrur : crrur de grande suite \ct\ praiudke. Mais qui fe prcfente, comme dans vn tableau, cette grande image de noftre mère nature en fon entière magefté; qui lit en fon vifage vne fi générale & confiante 20 variété; qui fe remarque la dedans, & non foy, mais tout vn royaume, comme vn traict d\ne pointe tres-delicatc : ccluv-là feul eftimc les chofes félon leur iufte grandeur.

Ce grand monde, que les vns multiplient encore comme elpeces foubs vn genre, c'eft le miroùer il nous faut regarder pour nous 25 connoiftre de bon biais. Somme, ie veux que ce Ibit le Hure de mon efcholier. Tant d'humeurs, de fectes, de iugemens, d'opinions, de loix & de couftumes nous apprennent à iuger foinement des nollres, & apprennent noftre iugement à reconnoiftre fon imperfection & fa

Texte 88. 5) regardons qu'à nos pieds. Quand 9) nous tient au

\'ar. ms. 18) celle errur de giiind' cslcmhic 'cl' de grand pi^is ' c/ 1 ifuporiniire. Mais

I.IVRR I, CHAPITRE XXVI. 20)

naturelle foiblcfTc : qui nd\ pas vn Icgicr apprcntilTagc. Tant de remuements d'eftat & changements de iortunc piibliquc nous inllruil'ent à ne faire pas grand miracle de la noftre. Tant de noms, tant de victoires & conqueftes enfeuelies foubs l'oubliancc, rendent ridicule 5 Fefperance d'eternifer noftre nom par la prife de dix argolets & d'vn pouillier qui n'eft conneu que de fa cheute. L'orgueil & la fiereté de tant de pompes ertrangieres, la mageflé fi enflée de tant de cours & de grandeurs, nous fermit & afleure la veûe à fouftenir l'efclat des noftres fans filler les yeux. Tant de milliafles d'hommes,

10 enterrez auant nous, nous encouragent à ne craindre d'aller trouuer fi bonne compagnie en l'autre monde. Ainfi du refte.

Nosirt' nie, disoit PvtJMgoras, retire <? ht grande & populeuse itsstlblee des ieiis OJiinpiqiies. Les uns s'y exereenl le eorps pour en aeqnerir In gloire des iens; d'antres y portent des imirehandises a nandre ponr le gnein. Il en

1 5 est, et qni ne sont pas les pires, les qnels ne cherchent antre Jrnit qne de regarder cornant et pourquoi chaque chose se faict, et cstre spectatnrs de la nie des antres homes, ponr en inger et régler la lenr.

Aux exemples fe pourront proprement aflbrtir tous les plus profitables difcours de la philofophie, à laquelle fe doiuent toucher

20 les actions humaines comme à leur reigle. On luy dira,

quid fas optare, quid afper' \'tile nummus habet; patria; charifque propinquis Quantum elargiri deceat ; quem te Deus efle luflit, & humana qua parte locatits es in re; 2) Quid fumus, aut quidnam victuri gignimur ;

que c'efl: que fçauoir & ignorer, qui doit eftre le but de l'ellude; que c'eft que vaillance, tempérance & iuftice; ce qu'il y a à dire entre

Textr 88. 5) pas grande reccpte de la 24) parte locauerit in

Var. ms. II) refte. f.a nie df<: homes disoil 15) pires qui n'y e1<ereth-ut 16) regarder te qui f'v faift 17) nie des l'oiiies pour res;ler In leur. .\ux exemples

' plus en ça ùvrit Montaigne i droite de cette i\n de vers pour en rectilicr la disposition typographique.

2o6 ESSAIS DE MONTAIGNE.

l'ambition & l'aiiarice, la leruitude & la fubiection, la licence & la liberté; à quelles marques on connoit le vray & folide contentement; iufques il faut craindre la mort, la douleur & la honte,

Et quo quemque modo fugiàtque ferdtque laborem ;

quels reffors nous meuuent, & le moyen de tant diuers branles en 5 nous. Car il me femble que les premiers difcours dequoy on luy doit abreuuer l'entendement, ce doiuent eftre ceux qui règlent fes meurs & fon fens, qui luy apprendront à fe connoiftre, & à fçauoir bien mourir & bien viure. Entre les ars liheraus, comançom par l'art qui nous faict libres. 10

Elles sentent toutes aucunement a l'instruction de nostrc uie et a son usage, corne toutes autres choses y seruent aucunement. Mais choisissons celle qui y sert directenuint et professoiremcnt.

Si nous sçauions restreindre les apartcnances [d/\ nostrc uie a leurs justes et naturels limites, nous trouuerrions que la meillure part des sciâmes qui 1 5 sont en usage, est hors de nostrc usage; et en celles nusmes qui le sont, qu'il y a des estendues et enfonccures tresinutilles, que nous fairions mieus de laisser la, et, suiuant l'institution de Socraies, borner le cours de nostrc estudc en icelles, ou faut l'utilité.

fapere aude, 20

Incipe : viuendi qui rectè prorogat horam, Rufticus expectat dum defluat amnis; at ille Labitur, & labetur in omne volubilis œuum.

Ceft vne grande fimpleffe d'apprendre à nos enfiins

Quid moueant pifces, animofàque figna leonis, 25

Lotus & Hefperia quid capricornus .aqua,

Var. ms. II) loiiles uoireiiMiit en quelque luaiiiere a riiislnuiioii 12) : cimes Mais 2°: choses y serueut. Mais 15) directemani et coniouinlcincnt fapcrc 16) eu usage nous est de nul usage

LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 207

la fcience des artrcs & *lc mouucmcnt de la huitielnie fphere, auant A que les leurs propres :

T{ TAîiiScGct xxiJ.oi ;

5 [Anaximenes escnuant a Pythagoras : De quel sens j puis ie m 'amuser au secret des estoiles, aïaut la mort ou la seruitude tousiours presante aus yeiis (car lors les Roys de Perse preparoint la guerre contre son pais). Cbaci'i doit dire aisin : Estant battu d'ambition, d'auaricc, de témérité, de supers- tition, et aïant au dedans tels autres encmis de la nie, irai ie songer au

10 branle du monde ?

Apres qu'on luy aura dict ce qui fert à le faire plus fage & meilleur, on l'entretiendra que c'eft que Logique, pbisique, Géométrie, Rhéto- rique; (S: la fcience qu'il choifira, ayant des-ja le iugement formé, il en viendra bien tofl à bout. Sa leçon fe fera tantoft par deuis, tantoft

15 par liure; tantoft fon gouuerneur luy fournira de l'auteur mefme, propre à cette lin de fon inftitution; tantoft il luy en donnera la moelle & la fubftance toute mafchée. Et fi, de foy mefme, il n'eft aflez familier des Hures pour y trouuer tant de beaux difcours qui y font, pour l'effect de Ion deflein, on luy pourra ioindre quelque

20 homme de lettres, qui à chaque befoing fournisse les munitions qu'il faudra, pour les dilbùbuer îs: difpenfer à fon nourriflbn. Et que cette leçon ne foit plus aifée & naturelle que celle de Gaza, qui y peut faire doute? Ce font la préceptes efpineux & mal plaifans, & des mots vains & defcharnez, il n'y a point de prife, rien qui vous

25 efueille l'efprit. En cette cy l'ame trouue mordre et fe paiftre. Ce fruict eft plus grand, liuis comparaifon, 6c li fera pluftoft meury.

Texte 88. ii) aura apris ce 12) Logique, Mufiquc, Géométrie 13) des-ja, le gouft & iugement 20) lettres, de qui à chaque befoing il retire les 21) qu'il luy faudra, pour après a fa mode les diftribuer 25) l'efprit, rien qui vous chatouille : en cette cy 23) paiftre, & fe gendarmer. Ce fruict

\'ar. ms. 5) m'amiiscr aus sccreli tlu ciel des

208 KSSAIS DH MONTAIGNE.

Ccll grand cas que les chofes en ibyent en nortre lîecle, que la philolbphie, ce foit, iufques aux gens d'entendement, vn nom vain i\; lantaftique, qui se ircitue de nul vfage & de nul pris, et par opinion et par effaiet. le crov que ces crgotifmes en l'ont caufe, qui ont faili fes auenues. On a grand tort de la peindre inacceflible aux enfans, 5 & d'vn vifage renfroigné, Iburcilleux & terrible. Qui me l'a mafquéc de ce faux vifiige, palle & hideux? Il n'eft rien plus gay, plus gaillard, plus enioué, & à peu que ie ne die follaftre. Elle ne prelche que fefte & bon temps. Vne mine trifte & tranfie montre que ce n'eft pas la fon gifte. Demetrius le Grammairien, rencontrant dans le 10 temple de Delphes vne troupe de philolbphes aflis enfemble, il leur dit : Ou ie me trompe, ou, à vous voir la contenance fi pailible 6c 11 gave, vous n'eftes pas en grand dilcours entre vous. A quoy l'vn d'eux, Heracleon le Megarien, refpondit : C'eft à laire à ceux qui cherchent il le futur du verbe ^i/.Ao) a double )., ou qui cherchent 1 5 la deriuation des comparatifs yv.pz-i & ,3é/.-:;;v, èc des fuperlatifs •/=•?•.":■/ & i3s/,t;jt:v, qu'il fiiut rider le front, s'entretenant de leur fcience. Mais quant aux dilcours de la philofophie, ils ont accouftumé d'efgayer 6^ rcfiouir ceux qui les traictent, non les rentroigner & contrifter. 20

Dcprendas animi tormenta latentis in .^gro .

Corpore, deprendas & gaudia : fumit vtrumque Inde habitum faciès.

L'ame qui loge la philolbphie, doit par la lanté rendre lain cncores le corps. Elle doit taire luire iufques au dehors fon repos & fon 25 aife; doit former à fon nioiile le port extérieur, & \ armer par confequent d'vne gratieufe fierté, d'vn maintien actif & allègre, & d'vne conte- nance eontente 6c débonnaire. La plus expresse marque de ht sa^^esse, c'est

Texti; 88. 6) fourcillcux & horrible : qui me 25) dehors l'on conicii- tcnicnt, fon repos 26) Ion mole le... & le gnriiir par 27) contenance radile it débonnaire.

LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 209

une cioiiiisance constante: son estât est conie des choses au dessus de la Lune: tonsiours serein. C'cll « Barroco » 6c « Baralipton » qui rendent leurs fuppofts ainfi civte:^ & enfumés, ce n'eft pas elle; ils ne la connoiflent que par ouïr dire. Comment ? elle fliict eftat de fcrainer les tempeftes S de l'anie, & d'aprendre la fain & les iiebures à rire, non par quelques Epicycles imaginaires, mais par railbns naturelles & palpables. EH' a pour son but la uertu, qui n 'est pas, conie dict l'cscole, plantée a la teste d'un mont eope, rahoteus & inaccessible. Cens qui l'ont aprochee, la ticncnt, au rebours, logée dans une belle pleine fertile & fleurissente, d'où elle uoit

10 bioi sous soi tontes choses; mais- si peut on y arriuer, qui en sçait l'adresse, par des routes ondirageuses, gasonces & dousfleurantes, plesaniniant et d'une pente facile et polie, corne est celle des uoutes célestes. Pour n'auoir hante cette uertu suprême, belle, triomfante, amoureuse, délicieuse pareillement et corageusc, cnemie professe et irréconciliable d'aigrur, de desplaisir, de

I) creintc et de contreinte, aiant pour guide nature, fortune et uolupte pour compaignes : ils sont ailes, selon leur foiblesse, feindre cette sotte image, triste, qnereleuse, despite, mcnaceuse, mineuse, et la placer sur vu rochier, a l'cscart, emmi des ronces, fantosme a estoner les gens.

Mon gonuernur, qui conoit deuoir ramplir la uolonte de son disciple

20 autant ou plus d'affection que de rcuerance enuers [ht uertu, luy sçaura dire que les poètes suiuent les humeurs communes, et luy faire toucher au doigt que les Dieux ont mis plustost la sueur aux aduenues des cabinet:;^ de Venus que de Pallas. Et quand H commencera de se sentir, luy présentant Bradamant ou Angélique pour maistressc a ioi'iir, & d'une beauté nahie,

25 actiue,] généreuse, non homasse mais nirile, au pris d'une beauté molle, affetee, [délicate, artificielle; l'une] trauestie en garçon, coiffée d'un morrion

Texte 88. 5) ainfi niai-mitcux& 4) tempeftes de la fortune, & 6) raifons

groflieres, maniables & palpables Montaigne s'est d'abord contente d'ctlaccr maniables ;iv.int de

remplacer groflieres par tuilurdtcs

Var. ms. 8) aprocticc, : au ivht>ui^ l'oiil ucu logce au t^ch rebours dans 2°: ta tienent logée au rebours dans 10) si y peut on arriuer 11) roules unies gasouees dousfleurantes & ombragées plesammaul tl d'une pente iummible impereeplibte. Pour 1 5) uertu belle hiomfuule

2IO ESSAIS DE MONTAIGNE.

liiysant, l'aiilrc mshie en garct, coiffée d'un attiffet enperU : il ingéra masle son amour mesmc, s'il choisit [toui] diucrseniant a cet effrninc pastur de Pljrygie. Il Juy faira cette iiouuelle leçon, que le pris & hautur de la uraïe uertu est en la facilité, utilité et plaisir de son exercice, si eslouigiw de difficulté, que les enfans y peuucnt corne les homes, les simples corne les 5 subtils. Le regkmant c'est [son] util, non pas la force. Socrates, son premier mignon, quitte a esciant sa force, pour glisser en la naïfuete et aisance de son progre:^. C'est la maire )iourrisse des plaisirs humains. En les rendant iustes, elle les rant surs et purs. Les modérant, elle les tient en haleine et en goust. Retranchant cens qu'elle refuse, elle nous \aiguMse enuers cens qu'elle 10 nous laisse; et nous laisse ahondammant tous cens que ueut nature, et iusques a la satiété, maternellemàt, sinon iusques [a la~\ lassete (si d'auanture nous ne uolons dire que le régime qui arrête le heuueur auant l'iuresse, le mangeur auant la crudité, le paillart auant la pelade, soit enemi de )ios plaisirs). Si la fortune commuiie luy faut, elle luy eschape ou elle s'en passe, et s'en forge 1 5 ;///' autre toute siene, non plus flvtante & roulante. \Elle'] sçait estre riche vt puissante et sçauante, et coucher dans des matelas musque:^^. Elle aime la im, elle aime la beauté et la gloire et la santé. Mais son office propre et particulier c'est sçauoir user de ces biens la regleemant, et les sçauoir perdre constammant : office bien plus noble qu'aspre, sans lequel tout cours de nie 20 est desnaturé, turbula)it et difforme, et y peut on iustemani atacher ces esceuils, ces haliers et ces monstres. Si ce disciple se rencontre de si diuersc condition, qu'il aime mieus ouir une fable que la narration d'un beau uoiage ou un sage propos quand il l'entandera; qui, au son du tabourin qui arme la iunc ardur de ses compaignons, se destourne a un autre qui 25 l'apelle au ieu des batelurs; qui, par souhet, ne treuue plus plesant et plus dous rcuenir poudreus et uictorieus d'un combat, que de la paume ou du bal aueq le pris de cet exercice : ie n'y trenuc autre remède, sinon que de'

\'ak. ms. 4) cl iwhtple de 15) faut cii clic luy 18) niiiic la gloire 25) ouir le babil d'une fanic que

' (jue de... ou manque dans rédition de i>9).

LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 211

hfliic h'iiir son ^rfliiucniiir l'est ni ih^lc, s'il [csl] sans tcsiiioiiis, on qu'on le mette pattissier duns quelque boue nille, fut il fil. \ d'un duc, sniuant le prxupte de Platon qu'il faut colloquer les enfans non selon les faculté^ de leur père, mais selon les faculté:^ de leur amc. 3 Puis que ^7 philosophie cft celle qui nous inftruict à viuro, & que l'enfance v a lix leçon, comme les autres aages, pourquoy ne la luy communique l'on?

Vdum & molle lutum eft; nunc nunc properandus, & acri Fingendus fine fine rota.

10 On nous aprent à viure quand la vie eft paflee. Cent efcoliers ont pris la verolle auant que d'eftre arriuez à leur leçon d'Ariftote, de la tempérance. Cicero disoit que, quand il uiuroit la nie de deus homes, il ne pranderoit pas le loisir [d^'estudier les poètes lyriques. Et ie treune ces ergotistes plus tristement encores inntilles. Nostre cnfât est bien pins

1 5 pressé : il [ne'] doit au ppedagisme que les premiers quinse ou sese ans de sa nie; le demurant est deu a l'action. Emploions un temps si court ans instructions necesseres. Ce font abus : oftez toutes ces fubtilitez efpi- neufes de la Dialectique, dequoy noftre vie ne fe peut amender, prenez les fimples difcours de la philofophie, fçachez les choifir

20 & traitter à point : ils font plus aifez à conceuoir qu'vn conte de Boccace. Vn enfant en eft capable, au partir de la nourrifle, beaucoup mieux que d'aprendre à lire ou efcrire. La philofophie a des difcours pour la naiflance des hommes, comme pour la décrépitude.

le fuis de l'aduis de Plutarque, qu'Ariftote n'amufa pas tant fon

25 grand difciple à l'artifice de compofer fyllogifmes, ou aux Principes de Géométrie, comme à l'inftruire des bons préceptes touchant la vaillance, proùefle, la magnanimité & tempérance, & l'aflcurance de

Texte 88. 5) Puis que c'cft clic qui

Var. ms. 2) duc. Puis que 14) ces crgolismes plus 15) doit a l'cftmlf toute fcpte d'-tstude Vescolage que les

212 ESSAIS DH MONTAIGNE.

ne rien craindre; &, auec cette munition, il l'enuoya encores enfiint fubiuguer l'Empire du monde a tout feulement 30 000 hommes de pied, 4 000 chenaux & quarante deux mille efcuz. Les autres arts & fciences, dict-il, Alexandre les honoroit bien, & loùoit leur excellence & gentilleffe; mais, pour plaifir qu'il y prit, il n'eftoit pas 5 facile à le laifler furprendre à l'affection de les vouloir exercer.

Petite hinc, iuuenéfque fenefque. Finem animo certum, miferifque viatica canis.

C'est ce que dict Epicunis an comâccmct | âe"\ sa lettre a Meiiieeus : [Ny] k plus iunc refuie [a] philosofer, ny le plus uieil s'y hisse. Oui faict 10 autrcmant, [il] semble dire ou qu'il n'est pas encore seson [d']hureuseweut uiure, [0//] qu'il n'en est plus seson.

Pour tout cecy, ie ne veu pas qu'on cmprifonne ce o;arçon. le ne veux pas qu'on l'abandonne à l'humeur mclancholique d'vn furieux maiflre d'efcole. le ne veux pas corrompre l'on efprit à le tenir à la 15 gehene & au trauail, à la mode des autres, quatorze ou quinze heures par iour, comme vn portefaiz. A^' "c trouuerois bon, quâd par quelque coinplexiou soliterc et mclancholique on le ucrroit adone d'une application trop indiscrète [ci] l'estude des Hures, qu'on [la] luy nourrit : cela les rend ineptes a la cotuiersation ciuille, et les destourne de meilleures 20 occupations. Et comlticn ai ie veu de mon temps [d']l}omes abestis par temererc auidite de sciancc? Carneades s'en trouua si a foie, qu'il n'eut plus le loisir de se faire le poil et les ongles. Ny ne \-eux gafter fes meurs gcnereufes par l'inciuilité & barbarie d'autruy. La lageffe Françoife a efté anciennement en prouerbe, pour vne iiigeffe qui prenoit de 25 bon' heure, & n'auoit guieres de tenue. A la vérité, nous voyons encores qu'il n'eil rien fi gentil que les petits enfans en France;

Text)-. 88. 2) monde aucc feulement n) cmprifonne cet eiifnnt dans vn collège, ie ne veux 14) à. la colère & Innneur

Var. ms. 17) quâd[on l]elnniuerroil par... mclancliotiquc aitonc Cf. p. 21,1, variante de h ligne 13. 2o) ct de 22) qu'il Vf Ircuuoil pitis

•■)

I.1VR1-: I, CHAIMTRI-: X.WI. 21^

mais ordinairement ils trompent rcl'pcrancc qu'on on a conccuë, &:, hommes faicts, on n'y voit aucune excellence, l'ay ouy tenir à gens d'entendement que ces collèges on les enuoie, dequoy ils ont tbil'on, les abrutilTent ainiin.

Au noftrc, vn cabinet, vn iardrin, la table (i>c le lit, la i'olitude, la compaignie, le matin & le vefpre, toutes heures luy feront vnes, toutes places luy feront eftude : car la philofophie, qui, comme formatrice des iugements & des meurs, fera fa principale leçon, a ce priuilege de fe méfier par tout. Ifocrates l'orateur, eftant prié en vn feftin de parler de fon art, chacun trouue qu'il eut raifon de refpondrc: Il n'eft pas maintenant temps de ce que ie fçay faire; & ce dequoy il eft maintenant temps, ie ne le fçay pas faire. Car de prefenter des harangues ou des difputes de rhétorique à vne compaignie alïemblée pour rire & faire bonne chère, ce feroit vn meflange de trop mauuais accord. Et autant en pourroit-on dire de toutes les autres fciences. Mais, quant à la philofophie, en la partie elle traicte de l'homme & de fes deuoirs & offices, c'a efté le iugemcnt commun de tous les lages, que, pour la douceur de (a conucrflition, elle ne deuoit cftre refufée ny aux feftins ny aux ieux. Et Platon l'ayant i nuitée à fon conuiue, nous voyons comme elle entretient l'affil^cnce d'vne façon molle & accommodée au temps & au lieu, quoy que ce foit de fes plus hauts difcours & plus falutaires :

^Eque pauperibus prodeft, locupletibus aeque; Et, neglecta, neque pueris fenibùfque nocebit.

Ainfi, fans doubte, il chômera moins que les autres. Mais, comme les pas que nous employons à nous promener dans vne galerie, quoy qu'il y en ait trois fois autant, ne nous laflent pas comme ceux que nous mettons à quelque chemin delTcigné, aufli noftrc

Texte 88. 15) pourroit-on quafi dire 19) l'ayant conuice à

VaR. MS. 4) Monuignc efface foifon, le rempl.ice par aboiltiatice, puis rcublit foifon.

214 ESSAIS DE MONTAIGNE.

leçon, le palLint comme par rencontre, fons obligation de temps & de lieu, & fe meflant à toutes nos actions, fe coulera fans fe faire fentir. Les ieux mefmes & les exercices feront vne bom partie de l'eftude : la courfe, la luite, la mtisig), la danfe, la chafle, le manie- ment des cheuaux & des armes. le veux que la bienfeance extérieure, s & l'entre-gent, et la disposition de la persone, fe façonne quant & quant l'âme. Ce n'eft pas vne ame, ce n'eft pas vn corps qu'on dreffe : c'eft vn homme; il n'en faut pas faire à deux. Et, comme dict Platon, il ne faut pas les dresser l'vn fans l'autre, mais les conduire également, comme vne couple de cheuaux attelez à mefme timon. lo Et, a l'ouir, semble il pas prester plus de temps et plus de sollicitude ans exercices du cors, et estimer que l'esprit s'en exerce quand et quant, et non au rebours.

Au demeurant, cette inftitution fe doit conduire par vne feuere douceur, non comme // se faict. Au lieu de conuier les enfans aux 1 5 lettres, on ne leur prefente, à la vérité, que horreur & cruauté. Oftez moy la violence & la force : il n'eft rien à mon aduis qui abaftar- diffe & eftourdifle fi fort vne nature bien née. Si vous auez enuie qu'il craigne la honte & le chafliement, ne l'y endurciflez pas. EndurciiTez le à la fueur & au froid, au vent, au foleil & aux hazards 20 qu'il luy faut mefprifer; oftez luy toute molleffe & delicateffe au veftir & coucher, au manger & au boire; accouftumez le à tout. Que ce ne foit pas vn beau garçon & dameret, mais vn garçon vert & vigoureux.

Texte 88. 9) pas les exercer l'vn 14) Au demeurant, toute cette 1 5) comme aux collèges, ou au lieu de conuier les enfans aux lettres, & leur en donner gouft, on ne

Var. ms. 6) disposition du cors, (e 11) pas qu'il preste et plus de temps el

I ° '. cete 12) cors est i?) rebours. Ouoiieuite ^ , , . , "^ indiscrète auidite

' '■' ~ ^ : de les induire a cete "^

d'estude des Hures qui leur este toute grâce en la comiersation ciuile el les destourne de tout' autre

•II ^ 7 1 /7-I. .-i ^ trotifoit ^ , . .

nieillurcs occupations Larneadts en deumt SI affole au il ne C , ^1 S^ loisir a se

^ ■" ' ^ : Irouua plus

faire les ongles & le poil. Combien d'homes ai ic ucu de mon temps abestis par l'estude. .\u

demeurant Cf. p. 212, 1. 17.

LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 21)

Eiifiiiil, Ixinic, itici], i'ay toiisiours ci eu et iiigc de iiiesmcs. Mais, entre autres choses, cette police de la plus part de nos collieges m'a tousioiirs despieu. On eut failli a l'auaniure moins domageablenunt, s'inclinant tiers l'indulgence. C'est une uraye geôle de iunesse captiue. On la rent dcsbauchee, 5 l'en punissàt auant qu'elle le soit. ArriiicT^ y sur le poinct de leur office : nous n'oyes que cris et d'enfans suppliciei, et de maistres enyiire^^ en leur cholere. Quelle manière pour esueiller l'appétit enuers leur leçon, a ces tendres âmes et creintiues, de les y guider d'une trouigne effroiahle, les mains armées de fouet'^? Inique et pernicieuse forme. loint d que Quintilien en a Ires-

lo bien remarqué, que cette impérieuse authorité tire des suites périlleuses, et nomeemant a nostre façon de chatiemant. Combien leurs classes seroint plus décemment iotichees de fleurs et defeuillee que de tronçons d'osier sanglans. l'y fairois portraire la ioye, l'alegresse, et flora, et les grâces, come fit en son escole le pin lofe Speusippus. Ou est leur profit, que ce fut aussi leur esbat.

i) On doit ensucrer les uiandes salubres a l'enfant, et enfieler celés qui luy sont nuisibles.

C'est merueille combien Platon se nwntre souigneus, en ses loix, de la gayete et passetemps de la iunesse de sa cite, et combien il s'arrête a leurs courses, ieus, chançons, sans et danses, des quelles il dict que l'antiquité a donc la

20 conduite et le patronage aus dieus mesmes : Apollo, les Muses et Minerue. Il l'estant a mille pra'ceptes pour ses gymnases : pour les sciances lettrées, il s'y amuse fort peu, & sêble ne recortiander particulièrement la poisie que pour la musiq^.'

Var. ms. i) mesmes a peu près. Mais (Mais entre autres a été biffé puis rétabli.)

7) manière d' esueiller .. . leçon, de ces 9) ce qu'un antien eu a 12) décemment et ingénieusement ionchees de roses et de feuillee 13) portraire le ieu la gayete et flora

13) grâces. Ou 17) gayete des eufans de sa 18) s'arrête m> a leurs : exer- cices ieus chançons et danses des quelles : ieus chançons danses et courses des quelles 3°: exe courses ieus chançons et danses des quelles 20) 1°: Apollo les Muses et Bacchus des (phrase inachevée.) : Apollo et les Muscs pour cens de plus bas cage bacchus pour l'cagc plus auance. Il l'estant : Apollo les Muscs et Minerue pour cens de tout cage bacchus pour l'eage bien auance. Il l'estant

' Cf. p. 185, variante Je la ligne 20.

2l6 ESSAIS DE MONTAIGXE.

Toute cilrangetc & particularité en nos meurs & conditions eft euitable, comme ennemie de communication ibc de locieté ci aviic môstnicuse. Qui lie s'cstoiieivif de Ja eôpJexioii de Deinopboii, maistre d'hostel d'Alexandre, qui siioit a l'ombre & trâbloit au soleil? l'en ay veu fuir la lenteur des pommes plus que les harquebulades, d'autres 5 s'effraver pour vne fouris, d'autres rendre la gorge à voir de la crefme, d'autres' à voir brasser vn lict de plume, comme Germanicus ne pouuoit souffrir ny la veue ny le chant des coqs. 11 y peut auoir, à l'auanture, à cela queftjue propriété occulte; mais on l'efteindroit, à mon aduis, qui s'y prendroit de bon' heure. L'inftitution a gaigné 10 cela fur mov, il vray que ce n'a point efté fans quelque Ibing, que, fauf la bière, mon appétit eft accommodable iiidifferammanl à toutes choies dequoy on fe pait. Le corps encore fouple, on le doit, à cette caufe, plier à toutes façons & couftumcs. Et pourueu qu'on puiffe tenir l'appétit & la volonté foubs boucle, qu'on rende 15 hardiment vn ieune homme commode à toutes nations & com- paignies, voire au defreglement & aus excès, fi befoing eft. Son cxercitation siiiiie l'usage. Qu'il puiffe faire toutes chofes, & n'ayme à faire que les bonnes. Les philofophcs mefmes ne trouuent pas louable en Califthenes d'auoir perdu la bonne grâce du grand 20 Alexandre, fon maiftre, pour n'auoir voulu boire d'autant à luy. 11 rira, il follaftrera, il le dell«auchera auec fon prince. le veux qu'en la deffiauche mefme il lurpaffe en vigueur & en fermeté fes compa- gnons, & qu'il ne laiffe à faire le mal ny à faute de force ny de fcience, mais à fsute de volonté. « Multuiii interest utriiin pea'are 25 aliquis iiolit aut nesciaf. » le penfois foire honneur à vn feigneur auffi eflongné de ces débordemcns qu'il en ibit en France, de m'enquerir à luv, en bonne compaignie, combien de fois en la vie il s'eftoit

Texte 88. 7) voir branfler vn 12) mon gouft eft

Var. ms. 3) wôsirucusc kfmouiu 18) cxircUnlwit âcH en pu future l'usage.

' d'à ut as... coqs. nJilition de liSS.

LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 217

cnyurc pour la ncccflitc des affiiircs du Roy en Allemagne. 11 le print de cette façon, & me relpondit que c'cftoit trois fois, lefquelles il recita. l'en Içay qui, à faute de cette faculté, fe font mis en grand peine, ayans à pratiquer cette nation, l'ay fouuent remarqué auec grand' 5 admiration hi merueilleufe nature d'Alcibiades, de fe transformer û aifément à façons û diuerfes, fans interell de iii fanté : furpaflant tantoft la Ibmptuolité & pompe Perfienne, tantoft l'aurterité & fruga- lité Lacedemoniene; autant reformé en Sparte comme voluptueu.\ en lonié,

10 Oninis Ariftippuni dccuit color, & ftatus, & res.

Tel voudrois-ie former mon difciple,

quem duplici panno patientia velat Mirabor, vitse via li conuerfa decebit, Perfonamque feret non inconcinnus vtrdmque.

i) Voicy mes leçons. Cclluy ht y a miens projilc, qui les faicl, que qui les sçaif. Si nous le uoïes, uous l'oies; si nous Voies, nous le uoies.

In [a] dieu ne plaise, diet queleuu eu Plulou, que philosofer ee soit upniiidre plusieurs eboses et tniieter les ars !

(( Haue amplissimam ouiiiiuiu urtiuui heue uiuendi diseipliuciui uila 20 magis quam literis persequuti suut.»

Léon, prince des Phliasiens, s'enquerant a Heraclides Pouiicus de quelle sciance, de quelle art il faisoit profession : le ne sçai, diet il, ny art ny sciance; mais ie suis philosophe.

Texte 88. 2) cette mefmc façon 5) admiration cette merueilleufe 15) leçons, le faire va auec le dire. Car à quoy fert il qu'on prefche l'efprit, fi les etfects ne vont quant & quant ? On verra à fes entreprinfes, s'il y a de la prudence, s'il y a de la bonté en fes actions, de l'indifférence (p. 218, I. lo.)

Var. ms. 15) leçons. Qui les fuict a iiiicus profité que celtiy qui les sçail. 25) philosophe. Suiuiit le dogme Je Aulislhciies iiiaiiileiiiiiit que la uertu u'auoil besouiii uy lies diseipliiies v\ des paroles u\ des effaiels, qu'elle sujjisoit a soi Hegesias (p. 218, I. j.)

2l8 ESSAIS DE MONTAIGNE.

0)1 reprochait a Diogciws cotnanl, estant ignorant, il se inesloit de la philosofie. le m'en mesle, dict il, d'autant miens a propos.

Hegesias le prioit de Iny lire quelque Hure : Fous estes i plaisant, luy] respondit il, nous choisisses les figues uraies \et naturelles, non peintes : que ne choisisses vous aussi les exercitations naturelles, vrayes & non escrites ?] s

// ne dira pas tant sa leçon, corne il la jaira. Il la répétera en ses actions. On uerra s'il a de la prudance en ses oitreprinses, s'il a de la honte et de la iustice en ses desportemans, s'il a du iugement & de la grâce en son parler, de la uigeur en ses maladies, de la modestie en ses icus, de tempérance en ses uolupte:^, de l'indifférence en fon gouft, foit chair, poiffon, vin lo ou eau, de l'ordre en son cvconomie :

(( Ouidisciplinam suam, non ostentationent scientiiv,sed legem uit.r putet, quique obtemperet [ipse\ sihi, et decretis pareat. »

Le urai miroir de nos discours est le cours de nos nies.

Zeuxidamus refpondit à vn qui luy demanda pourquoy les Lace- 15 demoniens ne rcdigeoient par efcrit les ordonnances de la proueffe, & ne les donnoient à lire à leurs ieunes gens : que ceftoit par ce qu"'ils les vouloient accouftumer aux faits, non pas aux paroUes. Comparez, au bout de 15 ou 16 ans, à cettuy cy vn de ces latineurs de collège, qui aura mis autant de temps à n'aprendre fimplement 20 qu'à parler. Le monde n'ell: que babil, & ne vis iamais homme qui ne die pluftoft plus que moins qu'il ne doit; toutesfois la moictié de noftre aage s'en va la. On nous tient quatre ou cinq ans à entendre les mots & les coudre en claufes; cncores autant à en proportionner vn grand corps, eftendu en quatre ou cinq parties; & autres cinq, 25 pour le moins, à les Içauoir brefuement mefler & entrelaffer de quelque llibtile façon. Lailîbns le à ceux qui en font profeflion expreffe.

Texte 88. 11) eau. Il ne faut pas feulemcni qu'il die la leçon, mais qu'il la face. Zeuxidamus 18) pas aux cfcritures. Comparez 27) Laiflbns cela à

Var. ms. 3) IIei;csi(is priait Divgciies de 7 et 8) .('/7 \' a au lieu Je s'il a 12) sciciiliœ ijni ohliiiipcrci ipsc sihi cl ili'cirtis piimil. Zeuxidanius

I.IVRF. 1, CHAPITRE XXVI. 219

Allant vil iour à Orléans, ic trouuay, dans cette plaine au deçà de Clery, deux regens qui venoyent à Bourdeaux, enuiron à cinquante pas l'vn de l'autre. Plus loing, derrière eux, ie delcouuris vne trouppe & vn mailtre en tefte, qui eftoit feu Monfieur le Comte de 5 La Rochetoucaut. Vn de mes gens s'enquit au premier de ces régents, qui eftoit ce gentU'homme qui venoit après luv. Luv, qui n'auoit pas veu ce trein qui le fuyuoit, & qui penfoit qu'on luv parlaft de fon compagnon, refpondit plail'amment : Il n'eft pas gentil'homme; c'eft vn grammairien, & ie fuis logicien. Or, nous qui cerchons icy,

10 au rebours, de former non vn grammairien ou logicien mais vn gentiFhomme, laiflbns les abufer de leur loillr : nous auons affliire ailleurs. Mais que noftre difciple foit bien pounicu de chofes, les parolles ne fuiuront que trop : il les traînera, li elles ne veulent fuiure. l'en oy qui s'excufent de ne fe pouuoir exprimer, & font

15 contenance d'auoir la tefte pleine de plulieurs belles chofes, mais, à faute d'éloquence, ne les pouuoir mettre en euidence : c'eft vne baye. Sçauez vous, à mon aduis, que c'eft que cela ? Ce font des ombrages qui leur viennent de quelques conceptions informes, qu'ils ne peuuent defmeler & efclarcir au dedans, nv par confequant

20 produire au dehors : ils ne s'entendent pas encore eux mefmes. Et voyez les vn peu bégayer fur le point de l'enfanter, vous iugez que leur trauail n'eft point à l'acouchement mais a hi coiurptioii, et qu'ils ne tont que lécher cette matière imparfiiicte. De ma part, ie tiens, et Socrates Vordom, que, qui a en l'efprit vne viue imagination (Se claire,

25 il la produira, foit en Bergamafque, foit par mines, s'il eft muet :

Verbâque prœuifam rem non inuita fequentur. Et comme difoit cehiy hi, aufli poétiquement en fa profe, « cum rcs

Texte 88. 12) bien garny de 25) lécher encores cette 27) difoit cet autre, aufli

\'ar. ms. 24) Socrales aussi l'ordoirc

220 ESSAIS DE MONTAIGNE.

animum occupaucrc, vcrba ambiant. » Et cet autre : « Ipsœ res iierha mpiiint. » 11 ne fçait pas ablatif, coniunctif, fubilantif, ny la gram- maire; ne faict pas l'on laquais ou vne harangiere du petit pont, & fi vous entretiendront tout voftre foui, vous en auez enuie, & fe desferreront aufli peu, à Taduenture, aux régies de leur langage, 5 que le meilleur maiftre es arts de France. Il ne fçait pas la rhétorique, nv, pourauant-ieu, capter la beniuolence du candide lecteur, ny ne luy chaut de le fçauoir. De vray, toute cette belle peincture s'effiice aifément par le luftre d'vne vérité limple & naifue. Ces gentilleffes ne feruent que pour amufer le vulgaire, incapable de prendre la viande 10 plus mafliue & plus ferme, comme Afer montre bien clairement chez Tacitus. Les Ambaffadeurs de Samos eiloyent venus à Cleomenes, Rov de Sparte, préparez d'vne belle & longue oraifon, pour l'efmouuoir à la guerre contre le tyran Policrates. Apres qu'il les euft bien laiffez dire, il leur refpondit : Quant à voftre commencement & exorde, il 15 ne m'en fouuient plus, ny, par confequent, du milieu; & quant h voftre conclufion, ie n'en veux rien taire. Voyla vne belle refponce, ce me femblc, & des harangueurs bien cameus.

Et quov cet autre? Les Athéniens eftoyent à choiiir de deux architectes, à conduire vne grande fabrique. Le premier, plus afîeté, 20 fe prefenta auec vn beau difcours prémédité lur le lubicct de cette befongne, & tiroit le iugement du peuple à fa faneur. Mais l'autre, en trois mots : Seigneurs Athéniens, ce que cetuy a dict, ie le feray.

Au fort de l'éloquence de Cicero, plufieurs en eiitroliii en admi- ration; mais Caton, n'en faiûnt que rire : Nous auons, difoit-il, vn 25 plaifant conful. Aille deuant ou après, loi' utile sentanee, vn beau traict eft touiours de faifon. 5'/7 ii'est pas bien [a] ce qui iia cleuaiit, ny [a] ce qui aient après, [//] est bien en soi. le ne fuis pas de ceux qui penfent la bonne rithme faire le bon poème : lailTez luy allonger

Texte 88. 10) de gouftcr la 24) en eftoyent tirez en 26) après : vn vif aroTjmcnt, vn beau

I.IVRn I, CHAPITKi; \XVI. 221

vnc courte l'yllabc, s'il veut; pour cela, non force; li les inuentions y rient, Il l'efprit & le iugemcnt y ont bien faict leur office, voyla vn bon poète, diray-ic, mais vn mauuais verfificateur,

Emunct.^ naris, durus componere verfus.

5 Qu'on fiice, dict Horace, perdre à fon ouurage toutes fcs coufturcs & mefurcs,

Tempora certa modofque, & quod prius ordinc verbum eft, Pofterius facias, prasponens vltima primis, Inuenias etiam difiecti menibra poet.t,

lo il ne fe démentira point pour cela; les pièces mcfmcs en feront belles. Ceft ce que refpondit Menander, comme on le tenlat, appro- chant le iour auquel il auoit promis vne comédie, dequoy il n'y auoit encore mis la main : Elle eft compofée & prefte, il ne reftc qu'à y adioufter les vers. Ayant les chofes & la matière difpolée eu

i) l'auic, il mettoit en peu de compte le demiinvit. Depuis que Ronûtrd & du Bellay ont donc crédit a noflrc poefie Françoife, ie ne vois li petit apprentis qui n'enfle des mots, qui ne renge les cadences à peu prés comme eux. « Plus sonat qiiûin luilef. » Pour le vulgaire, il ne fut iamais tant de poètes. Mais, comme il leur a efté bien aifé de

20 rcprefenter leurs rithmes, ils demeurent bien aufli court à imiter les riches defcriptions de l'vn & les délicates inuentions de l'autre.

Voire mais, que fera-il fi on le prefTe de la fubtilité fophiftique de quelque fyllogifme : le iambon fait boire, le boire deliiltere, parquoy le iambon defaltere ? Qu'il s'en moque. II [est] plus subtil de s'en moquer

2) que d'y respondre.

Texte 88. 2) bien iouc leur rollc, voyl.i 14) matière en l'amc difpofce & rangée, il 15) compte les mots, les pieds, & les cefures, qui font à la vérité do fort peu, au pris du refte. Et qu'il foit ainfi, depuis que 16) ont mis en honneur noftre 18) eux mcfmes. Pour

\'ar. ms. 25) respondre. Voies ce qu'il eu semble a Platou eu l'Eulbydewe : et piir tout la guerre iuree de Sacrales a Feuçoulre des SepbisUi SopJnsmes. Qu'il (p. jiî, L 1.)

222 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Qu'i] emprunte d'Aristippiis cette plaisante cont refinesse : Poiirqucri k deslierai ie, puis que, tout lie, il m'empesche? Ouekun proposai t contre Cleanthes des finesses dialectiques, a qui Chrysippus dict : loue toi de ces hateJages aueq les en/ans, et ne destourne a cela les pensées sérieuses d'un home d'eage. Si ces fottes arguties, << contorta et aculeata sophisniata », 5 luv doiuent perfuader vne menfongc, cela eft dangereux; mais fi elles demeurent fons efFect & ne l'efmeuuent qu'à rire, ie ne voy pas pourquoy il s'en doiue donner garde. Il en eft de fi fots, qui fe deftournent de leur vove vn quart de lieuë, pour courir après vn beau mot; <( aut qui non ucrha rébus aptant, sed res extrinsecus arcessunt, 10 quihus uerha conueniant. » Et l'autre : « Sunt qui alicuius uerhi décore placentis uocentur ad id quod non proposuerant scribere. » le tors bien plus uolontiers une boue sentance pour la coudre sur moi, que ie ne tors mon fil pour l'aler quérir. Au rebours c'eft aux paroles à feruir & à fuyure, & que le Gafcon y arriue, fi le François n'y peut aller. le veux que 15 les chofes furmontent, & qu'elles rempliffent de façon l'imagination de celuv qui efcoute, qu'il n'ave aucune fouuenance des mots. Le parler que i'ayme, c'eft vn parler fimple & naif, tel fur le papier qu'à la bouche : vn parler fucculent ^: nerueux, court & ferré, non tant délicat et peigné corne uehement et brusque : 20

Hœc demum sapict dictio, quœferiet,

pluftoft difficile qu" ennuieux, efloingné d'affectation, defreglé, defcoufu & hardy : chaque lopin y face fon corps; non pedantéfque, non fratefque, non pleiderefque, mais pluftoft foldatefque, comme Suétone appelle celuy de Iulius Cœfar; et si ne sens pas bien pour 25 quoi il l'en apele.

Texte 88. 5) fottes finefles luy 22) nflectation & d'artifice, defreglé

\'ar. ms. i) plaisante ftsponcg desjaicte. Pourquoi desiwuerai ie cet argitiiiêt & le deslierai puis que tout lie il nous donc de l'affaire. Si ces 2) m'empesche asses. Ouelcuu proposait des finesses d'mlcctiques a Cleanthes a qui 10) mot : res extrinsecus arcessunt quihus uerba côueniant : au rebours : aui qui res extrinsecus arcessunt quihus ucrha côucniant : au rebours 12) scribere. Au 13) la coucher sur 25) pas pour

LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 223

l'ay volontiers imite cette delbauche qui le voit en noftre ieunefle, au port de leurs veftemens : //;/ luantcau eu cscharpc, la cape sur uue cspaulc, vn bas mal tendu, qui représente vne fierté defdaigneufe de ces paremens eflrangers, & nonchallante de l'art. Mais ie la trouue S encore mieus employée en la forme du parler. Toute affectatiou, nomeemaul eu la gaieté et liberté frauçoise, est mesadueuautc au cortisan. Et, en uue uwuarchie, tout geutilhome doit cstre dresse a la façou d'un cortisan. Parquoi nous faisons bien de gaucinr un peu sur le naïf [et] mesprisant.

10 le n'ayme point de tiflure les liaifons & les coutures paroiflent, tout ainli qu'en vn beau corps, il ne faut qu'on y puifTe compter les os & les \eines. « Qiuv ueritati operani dat oratio, incomposita sit et simplex. »

« Ouis accurate loquitur, uisi qui uult putidè loqui ? »

1 5 L'eloquance faict iniure aus choses, qui nous destourue a soi.

Couic aus acoustremaus c'est pusillanimité de se uouloir marquer par quelque façon particulière et inusitée : de mesmes, au langage, la recherche des frases nouuelks & des mots peu conus nient d'un' ambition puérile et pedantcsque. Peusse ie ne me seruir que de cens qui sèment aus haies

20 a Paris! Aristophanes^ le gramnuricn n'y entaudoit rien, de reprendre en Epicurus la simplicité de ses mots et la fin de son art oratoire, qui estoit perspicuite de langage sulement. L'imitation du parler, par sa jacilile, suit incontinant tout un peuple; l'imitation du iugcr, de l'inuanter ne tui pas si uiste. La plus part des lecturs, pour auoir trouué une pareille robe, pansent

25 tresfaucemant tenir un pareil corps.

Texte 88. 2) veftemens, de laifler pendre l'on reiftre, de porter la cape en efcharpe, & vn bas

Var. ms. 2) veftemens i" : de lailTer pendre fon reiftre, une cape en efcharpe & vn bas 2" : tiu manteau pciidàl en escharpe la cape sur une espaule, & vn bas 5) parler. Non est ornamenlum uirile concinnitas. le n'ayme 7) dresse pour cortisan 18) mois inconus est un ambition

' AristDptmiieS... Slllenicnl iijoiUc ultcricurcmcm et reporte .1 cette place par un si^ne de renvoi.

224 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Lit force cl les nerfs ne s'cmprunlenl poiiil; les atours et le iiuuileau s'emprunte.

La plus part de cens qui nie hantent, parlent de inesines les essais : mais te ne sçai s'ils [pensent de inesmes.]

Les Athéniens (dict Platon) ont pour leur part le l'oing de 5 l'abondance & élégance du parler; les Lacedemoniens, de la briefueté, & ceux de Crète, de la fecundité des conceptions plus que du langage : ceux-cy font les meilleurs. Zenon difoit qu'il auoit deux fortes de difciples : les vns, qu'il nommoit 9'./.îa:--:u;, curieux d'apprendre les choies, qui eftoyent les mignons; les autres, \:,',w:/,o-jç, qui n'auoyent 10 foing que du langage. Ce n'eft pas à dire que ce ne foit vne belle & bonne chofe que le bien dire, mais non pas li bonne qu'on la faict; & fuis defpit dequoy noftre vie s'embefongne toute à cela, le voudrois premièrement bien fçauoir ma langue, & celle de mes voifins, i'ay plus ordinaire commerce. C'cfl vn bel & grand 15 agencement fans doubte que le Grec & Latin, mais on l'achepte trop cher. le diray icy vne façon d'en auoir meilleur marché que de couftume, qui a efté effayée en moymefmes. S'en feruira qui voudra.

Feu mon père, ayant fait toutes les recherches qu'homme peut faire, parmy les gens fçauans & d'entendement, d'vne forme d'infli- 20 tution exquife, fut aduifé de cet inconuenient qui elV')it en vlage; & luv difoit-on que cette longueur que nous mettions à apprendre les langues, qui ne leur coustoini rien, eil la feule caule pourquoy nous ne pouuions arriuer à la grand ur d'aine et de conoissancc des anciens Grecs èc Romains. le ne croy pas que ce en foit la feule 25 caufe. Tant y a que l'expédient que mon père y trouua, ce fut que, en nourrice & auant le premier defnouement de ma langue, il me

Texte 88. 8) les miens. Zenon 23) langues, clloii la 24) àla peikciion de fcicnce, des 25) Romains, d'autant que le langage ne leur coutoit rien : ie ne les en croy

\'ak. ms. 1) poiiil, les oiitfiiiciis cl tu rcbc i'iiiipniiilciil. La plm 5) pari qui iHf 1.1... piirldil ivwc /('.< (■.<>■«?.<

I.IVRK !, CHAPITRE XXVI. 22)

donna en charge à vn Allcman, qui dépuis cft mort tamcux mcdccin en France, du tout ignorant de noftre langue, ic trellnen verfé en /(/ Latine. Cettuv-cv, qu'il auoit faict venir exprès, <bc qui ei1:oit bien chèrement gagé, m'auoit continuellement entre les hras. Il en euft S auffi auec luy deux autres moindres en Içauoir pour me siiiiirc, ik Ibulager le premier. Ceux-cy ne m'entretenoient d'autre langue que Latine. Quant au relk de fa mailbn, c'eftoit vne reigle inuiolable que ny luy mefme, ny ma mère, ny valet, ny chambrière, ne parloyent en ma compaignie qu'autant de mots de Latin que chacun

10 auoit apris pour iargonner auec moy. C'eft merueille du fruict que chacun y fit. Mon père 6c ma mère y apprindrent allez de Latin pour l'entendre, & en acquirent à fuffifance pour s'en leruir à la neceflité, comme firent aufli les autres domefliques qui eftoient plus attachez à mon leruice. Somme, nous nous Latinizames tant qu'il en regorgea

15 iniques à nos villages tout autour, il y a encores, & ont pris pied par l'viiige plufieurs appellations Latines d'artilans & d'vtils. Quant à moy, i'auois plus de fix ans auant que i'entendifie non plus de François ou de Pcrigordin que d'Arabefque. Et, ians art, ûms liure, iiuis grammaire ou précepte, fans fouet & Ians larmes, i'auois

20 appris du Latin, tout aufli pur que mon maiftre d'elchole le fçauoit : car ie ne le pouuois auoir méfié ny altéré. Si, par eflity, on me vouloit donner vn thème, à la mode des collèges, on le donne aux autres en François; mais à moy il me le Atlloit donner en mauuais Latin, pour le tourner en bon. Et Nicolas Groucchi, qui a elcrit

25 « de comitiis Romanorum », Guillaume Guerente, qui a commenté Ariftote, George Bucanan, ce grand poëte EfcofTois, Marc ^Antoine Muret, que la france et l'italie recouoil pour le lucillur onitur du [temps], nu's précepteurs domeftiques, m'ont dict fouuent que i'auois ce langage, en mon enfance, fi preft & fi à main, qu'ils craingnoient

Texte 88. 5) pour m'accompagncr & feruir, & foulagcr 19) & fans contrainte, i'auois 27) Muret, qui m'ont efté précepteurs 29) craingnoient eux mefnies à

226 ESSAIS DE MONTAIGNE.

à m'accofter. Bucanan, que ie vis depuis à la fuite de feu monfieur le Marefchal de BrifTac, me dit qu'il eftoit après à efcrire de l'infti- tution des enians, & qu'il prenoit Yexamplaire de la mienne : car il auoit lors en charge ce Comte de Briflac que nous auons veu depuis fi valeureux & fi braue. 5

Quant au Grec, duquel ie n'ay quafi du tout point d'intelligence, mon père desscigiui me le faire apprendre par art, mais d'vne voie nouuelle, par forme d'ébat & d'exercice. Nous pelotions nos declinaifons à la manière de ceux qui, par certains ieux de tablier, apprennent l'Arithmétique & la Géométrie. Car, entre autres chofes, lo il auoit elle confeillé de me faire goufter la fcience & le deuoir par vne volonté non forcée (lie de mon propre defir, & d'elleuer mon ame en toute douceur & liberté, fans rigueur & contrainte. le dis iufques à telle fuperflition que, par ce que aucuns tiennent que cela trouble la ceruelle tendre des enfans de les efueiller le matin en 15 furfaut, & de les arracher du fommeil (auquel ils font plongez beaucoup plus que nous ne fommes) tout à coup & par violence, il me faifoit efueiller par le fon de quelque inftrument; & ne lus iamais fans homme qui m'en feruit.

Cet exemple fuflîra pour en iuger le relie, & pour recommander 20 aufli & kl pnidititce & l'affection d'vn 11 bon pcre, auquel il ne le laut nullement prendre, s'il n'a recueilly aucuns fruits refpondans à vne fi exquife culture. Deux choies en furent caufe : le champ llerile & incommode; car, quoy que i'euffe la fanté ferme & entière, & quant & quant vn naturel doux ii: traitable, i'eflois parmy cela li poilant, 25 mol & endormi, qu'on ne me pouuoit arracher de l'oiliueté, non pas pour me faire iouer. Ce que ie voyois, ie le voyois bien, îs: foubs

Texte 88. ^- 5) prenoit le patron de 7) père dclTcignoit me 11) confeillé fur tout, de 15) matin en cflVoy & en 21) aulfi & le ingénient & 27) pas mcfme pour me mener iouer. Ce que ie voyois, ie le voyois d'vn ingénient bien feur

& OUUert, & foubs Les mots d'vn iugement et feur & OUUert ont été biffés, puis rétablis, puis de nouveau biffés. Cf. p. 229, 1. i^.

LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 227

cette complexion lourde, nourriffois des imaginations hardies & des opinions au deffus de mon aage. Uefprit, ie l'auois lent, & qui n'alloit qu'autant qu'on le menait; l'apprehenfion, tardiue; l'inuention, lâche; & après tout vn incroiable défaut de mémoire. De tout cela il n'eft 5 pas merueille s'il ne fceut rien tirer qui vaille. Secondement, comme ceux que prefle vn furieux defir de guerifon, fe laiflent aller à toute forte de confeil, le bon homme, ayant extrême peur de faillir en chofe qu'il auoit tant à cœur, fe laiflli en fin emporter à l'opinion commune, qui fuit toufiours ceux qui vont deuant, comme les

10 grues, & fe rengea à la couftume, n'ayant plus autour de luy ceux qui luy auoient donné ces premières inftitutions, qu'il auoit aportées d'Italie; & m'enuoya, enuiron mes fix ans, au collège de Guienne, tres-floriflant pour lors, & le meilleur de France. Et là, il n'eft poflible de rien adioufter au foing qu'il eut, & à me choifir des

I ) précepteurs âe chambre fuffifans, & à toutes les autres circonftances de ma nourriture, en laquelle il referua plufieurs façons particulières contre l'vfage des collèges. Mais tant y a, que c'eftoit toufiours collège. Mon Latin s'abaftardit incontinent, duquel depuis par defa- couftumance i'av perdu tout vfage. Et ne me feruit cette mienne

20 nouuelle infiitution, que de me faire eniamber d'arriuée aux premières classes : car, à. treize ans que ie fortis du collège, i'auoy acheué mon cours (qu'ils appellent), & à la vérité fans aucun fruit que ie peufle à prefent mettre en compte.

Le premier gouft que \eus aux Hures, il me vint du plaifir des

25 fables de la Metamorphofe d'Ouide. Car, enuiron l'aage de fept ou huict ans, ie me defrobois de tout autre plaifir pour les lire : d'autant que cette langue eftoit la mienne maternelle, & que c'eftoit le plus

Texte 88. i) complexion endormie, nourriffois des imaginations bien hardies, & des opinions eflcuécs au 2) auois mouffc, & Avant de remplacer moufle par leiil, Montaigne efface l'accent sur le 3) ie guidoit : l'apprehenfion tardiue : l'inuention ftupide, & 10) rengea à l'vfage & à la 19) tout l'vfage 20) premières chaffes : car 24) i'euz aux

228 F.SSAIS DE MONTAIGNE.

aile liurc que ie cogneufle, & le plus accommodé à la foiblcflc de mon aage à caufe de la matière. Car des Lancelots du Lac, des Amadis, des Huons de Bordeaus, & tels fatras de liures à quoy l'oifaiicc s'amufe, ie n'en connoiflbis pas feulement le nom, ny iic fais encore le corps, tant exacte cftoit iiia àisciplim. le m'en rendois 5 plus iioncbalanf à Feftude de mes autres leçons prcscripics. Là, il me vint fmgulierement à propos d'auoir affiiire à vn homme d'enten- dement de précepteur, qui fçeut dextremcnt conniuer à cette mienne defbauche, & autres pareilles. Car, par là, i'cnfilay tout d'vn train Vergile en LLneide, & puis Terence, & puis Plante, & des comédies 10 Italienes, lurré toufiours par la douceur du fubiect. S'il eut efté fi fol de rompre ce train, i'eftime que ie n'eufle raporté du collège que la haine des liures, comme fait quafi toute noilre noblefle. Il s'y goiiiicnia ingcmcuscmcnt. Faifant femblant de n'en voir rien, il aiguifoit ma foim, ne me laiiLuit que à la defrobée gourmander ces liures, 15 & me tenant doucement en office pour les autres eftudes de la rcglc. Car les principales parties que mon père cherchoit à ceux à qui il dbnnoit charge de moy, c'eftoit la debonnaireté & facilité de com- plcxion. Auffi n'auoit la mienne autre vice que hvigiir & parelTc. Le danger n'eftoit pas que ie fiiTe mal, mais que ie ne fiffe rien. 20 Nul ne prognofliquoit que ie deufle deuenir mauuais, mais inutile. On y preuoyoit de hfninctuilisc, non pas de la malice.

le sens qu'il eu est adueuu de iiiesiues. Les pleiiites qui me eornent dus oreilles soit eounue eela : Oisif; /mil [aus] offices d'amitié el de parante [el\ aus offices publiques; trop particulier. 'Les] plus iuiurieus ne disèt 25

Texte 88. 5) quoy la ieuncfR; s'amufe 5) cftoit le foing qu'on auoit à mon inftitution. le 6) plus lâche à... leçons contraintes. Là, 15) !• s'y porta bien dextrement, faifant 16) eftudes plus necelTaires. Car 19) que la pefanteur & 22) preuoyoit de la ftupidité, non

A'ar. ms. 24) cela : Oisif : iwiiclmlâl [des] siens froit a ses amis : niiarc a ses

, , ^ i" : [lie] ce qui se passe , ^. ,.

pnraiis : mvichaïal C ., r j 1 /• , j- i ^ hop paiiiciUier. ' ^ : au jnu't cl autrui . ' '

I.IVRH I, CHAPITRH XXVI. 229

pas : Pourquoi a il prius? Pourquoi n'a il pciïc? Mais : Pourquoi ;/<■

quitte il ? ne doue il ?

[le] receiierois a faneur [qtî] 'on ne désirât en moi que tels effaicis de

supererogiition. Mais ils sont iniustes d'exiger ce que ie ne dois '\pas\, plus 5 rigoreusemcnt beaucoup qu'ils \n'ex\igent d'eus ce qu'ils doiuent. En m'y

condamnant ils effacent la gratification de l'actio)! & la gratitude qui m 'eu

seroit due : la ou [le] bien faire actif deuroit plus poiser de ma main, en

considération de ce que ie n'en ay passif nul qui soit. le puis \d'\autant

plus librement disposer [de] ma fortune qu'elle est plus niiene. Toutesfois, 10 si i'estois grand enlumineur de mes actions, a l'auàturc rembarrerois ie bien

ces reproches. [Et a] quelques uns aprandcrois, qu 'ils ne sont [pas si] offance:^

que ie ne face pas asses, [que] de quoi ie puisse faire asses [plus j que ie

ne fois.

Mon ame ne laiffoit pourtant en mefme temps d'auoir à part loy i) des remuemens fermes et des' iugemaiis scurs & ouucrs autour des obiets

qu'elle conessoit, et les digeroit feule, lans aucune communication.

Et, entre autres choses, ie croy à la vérité qu'elle euft efté du tout

incapable de fe rendre â la force & violence.

Mettray-ie en compte cette taculté de mon enfance : vnc aflcu- 2o rance de vifage. & fouppleffe de voix & de gefte, à m'appliquer aux

relies que i'entreprenois ? Car, auant l'aage,

Alter ab vndecimo tum me vix ceperat annus,

Ti-XTE 88. 15) fermes qu'elle digeroit feule, & fans 18) & A la violence

V'ar. ms. i) Mais pourquoi m doue 3) [le] prendetois a... on me ne désirai de moi 4) iniustes de les exiger et de ' m']ohliger a ce a quoi nul [d'\eus n'aspire. En m'y 4) ce qu'a la rigur ie ne 6) ils oslent la 7) due. El : le] bien faire actif deuroit plus [fai]re en moi qui hUh ai tml passif d'autant que ie n'en ay : nul passif : de passif 8) soit. l'arois (?) d'autant plus librement a disposer 9) est plus quite. Toutesfois 10) mes bienfaicls a 11) reproches. [Et leur apranderois

' et des... et les Cette addition est .intérieure aux deux alinéas précédents : le Sens qu'il et le receuerois a cf. p. 226, variante de la 1. 27.

230 ESSAIS DE MONTAIGNE.

i'ai fouftcnu les premiers perfonnages es tragédies latines de Bucanan, de Guercnk & de Muret, qui fe rcprcsentairent en noftre collège de Guienne auec dignité. En cela Andréas Goueanus, noftre principal, comme en toutes autres parties de ûa charge, fut fans comparaifon le plus grand principal de France : & m'en tenoit-on maiftre ouurier. C'eft vn exercice que ie ne meflouë poinct aux ieunes enfans de maifon : & ay veu nos Princes s'y adonner depuis en perfonne, à l'exemple d'aucuns des anciens, honneftement & louablement.

// cstoiV loisible mcsme d'en faire mcsticr ans gens d'bomir en gréa : « Aristoni tragico aetori rem aperit : huic et genus etforttwa honesta erant; nec [flr^], qnia nibil taie apud Graros pudori est, ea deformahctt. »

Car i'ay toufiours accufé d'impertinence ceux qui condemnent ces efbattemens, & d'iniuftice ceux qui refufent l'entrée de nos bonnes villes aux comédiens qui le valent, & enuient au peuple ces plaifirs publiques. Les bonnes polices prennent foing d'affembler les citoyens & les rallier, comme aux offices ferieux de la deuotion, auffi aux exercices & ieux; la focieté & amitié s'en augmente. Et puis on ne leur fçauroit concéder des pafTetemps plus réglez que ceux qui fe font en prefence d'vn chacun & à la veuë mefme du magiflrat. Et trouue- rois raisonahle que le magiftrat, & le prince, à fes defpens, en gratifiaft quelquefois la commune, d'vne affection & bonté comme paternelle;

Texte 88. 2) de Pucrcnte & de... fe reprefent.irent en 5) dignité : En quoy Andréas 5) grand, & plus noble principal 19) fç.iuroit condonner des 20) trouuerois iufte que

\'ar. ms. 5) grand, & dig»

> Montaigne écrit d'abord : Il estoit loisible mcstlIC cTcil faire llICStief. Plus tard, sans avoir biffé ces mots, il reprend à la suite, d'une encre et d'une écriture différentes : il CStoil t'XfUse loisible

aux gens d'-houup d'bomir mesme d'en faire mestier en grecc : Aristoni... dcformabai. Dans

cette nouvelle phrase, il biffe les mots qui font double emploi avec la première : tl t'stoit loisible et mesme d'en faire mestier. Puis il efface tout l'ensemble de ce passage par un trait en diagonale; mais il se ravise, et au-dessus il écrit Bon,

LIVRE I, CHAPITRE XXVI. 23I

et qu'ans uilks populeuses il y eut des lieus destine^ et dispûse:^^ pour ces spectacles : quelque diuertissement de pires actions & occultes.

Pour reuenir à mon propos, il n'y a tel que d'allécher l'appétit & l'affection, autrement on ne faict que des aines chargez de liures. On leur donne à coups de loùet en garde leur pochette pleine de fcience, laquelle, pour bien faire, il ne faut pas feulement loger chez Iby, il la fout elpoufer.

\'ar. ms. i) nus g|■lllld^;s uilles cl pt'piiliuscs 2) diucrtisicmcnl des pins

Chapitre XXVII,

C EST rOLIli DE RAPPORTER LE VRAY ET LE FAVX A NOSTRE SVFFISANCE.

Ce n'eft pas à l'aduenture fans raifon que nous attribuons à fim- plcfle & ignorance la fiicilité de croire & de fe laifler perfuader : car il me kmble auoir apris autrefois que la créance, c'eftoit comme m' impreflion qui fe faifoit en noftre ame; &, à mefure qu'elle fe trouuoit plus molle & de moindre refiflance, il eftoit plus ayfé à y 5 empreindre quelque chofe. « Vt necesse est lanccm in lihra poiideribiis iiiipositis deprimi, sic animitm pcrspiciiis ccdcrc. » D' aida ni que rame est plus uuidc cl sans cont repois, elle se baisse plus faeileinent sous la charge de la première persuasion. Voyla pourquoy les enfans, le vulgaire, les femmes & les malades sont plus fubiects à eftre menez par les oreilles. 10 Mais auflî, de l'autre part, c'efl: vne fotte prefumption d'aller defdai- gnant & condamnant pour fliux ce qui ne nous fcmble pas vray- femblable : qui eft vn vice ordinaire de ceux qui pcnfcnt auoir quelque fuflifance outre la commune, l'en faifoy ainfm autrefois, lis: fi i'oyois parler ou des efprits qui reuiennent, ou du prognortique 13

TiiXTE 88. 10) malades eftoyoïit plus \'ak. ms. 8) plus nue uuidc

LIVRE I, CHAPITRE XXVII. 233

des chofes futures, des cnchantemens, des forcelerics, ou foire quelque autre compte ie ne peufle pas mordre,

Somnia, terrores magicos, niiracula, i'agas, Nocturnes lémures portentàque Theffala,

5 il me venoit compaflion du pauure peuple abulé de ces tolies. Et, à prefent, ie treuue que i'eftoy pour le moins autant à plaindre moy mefme : non que l'expérience m'aye dépuis rien fait voir au dcfTus de mes premières créances, & fi n'a pas tenu à ma curiofité; mais la raifon m'a inflruit que de condamner ainli refoluement vne choie

10 pour fauce & impoflîble, c'eil le donner l'aduantage d'auoir dans la telle les bornes & limites de la volonté de Dieu & de la puiflance de noftre mère nature; & qu'il n'y a point de plus notable folie au monde que de les ramener à la mefure de noftre capacité & luffiliince. Si nous appelions monftres ou miracles ce noftre raifon ne peut

15 aller, combien s'en prefente il continuellement h noftre veuë? Confi- derons au trauers de quels nuages & commant à taftons on nous meine à la connoilTance de la plufpart des chofes qui nous font entre mains : certes nous trouuerons que c'eft pluftoft accouftumance que fcicnce qui nous en ofte l'eftrangeté,

20 i^m nemo, feflus latiate videndi,

Sufpicere in cœli dignatur lucida templa,

& que ces choies là, li elles nous eftoyent prefentées de nouueau, nous les trouuerions autant ou plus incroyables que aucunes autres,

fi nunc primuni niortalibus adfint 25 Ex improuifo, ceu fuit obiecta repente,

Nil magis his rébus poterat mirabile dici,

Aut minus antc quod audercnt fore crederc gentcs.

Texte 88. 16) de combien de nuages

234 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Ccluv qui n'auoit iamais veu de riuiere, à la première qu'il ren- contra, il penla que ce fut l'Océan. Et les chofes qui font à noftre connoiffance les plus grandes, nous les iugeons eflre les extrêmes que nature face en ce genre,

Scilicet & fluuius, qui non eft maximus, eij eft 5

Qui non ante aliquem maiorem vidit, & ingens Arbor homôque videtur; *& omnia de génère omni Maxima quse vidit quifque, hxc ingentia fingit.

(( ConsuetudiiK ocidonmi assiicscuiit aiiinii, iicque admirantur, neque requirùf ratioms ciinnii rcnim qiias scmpcr iiidêt. » lo

La noinidctc des choses nous incite plus que leur grandur a eu rechercher les causes.

Il taut iuger auec plus de reuerence de cette infinie puiffance de nature & plus de reconnoiffance de noftre ignorance & foibleffe. Combien y a il de chofes peu vray-femblables, tefmoignées par 15 gens dignes de foy, defquelles fi nous ne pouuons eftre perfuadez, au moins les flmt-il laifler en fufpcns : car de les condamner impoflibles, c'eft le faire fort, par vne téméraire prefumption, de fçauoir iufques va la poflîbilité. Si Von entandoit bien la differance qu'il y a mire l'impossible et l'inusité, et entre ce qui est contre l'ordre du 20 cours de nature, et contre la commune opinion des homes, en ne croyant pas temererement, ny aussi ne descroyant pas facilement, on obserueroit la règle de : Rien trop, comandec par Chilou.

Quant on trouue, dans Froiffard, que le conte de Foix Içcut, en Bearn, la défaite du Roy lean de Caftille, à luberoth, le lendemain 25 qu'elle fut aduenue, & les moyens qu'il en allègue, on s'en peut moquer; i^; de ce mefme que nos annales difent que le Pape Honorius, le propre iour que le Roy Philippe Augufte mourut à Mante, fit fiiire

Texte 88. 13) iugcr des chofes auec... puifi.ince de Dieu, &

\'ar. ms. 10) tiidcl proiiiâe quasi iwiiitas nos magis quaw niagiiiliido rcniiii debeal ad cxquireudas causas excitarc. 11 faut 19) hieu, dkl] un aiitieii, la 21) en ae

LIVRE I, CHAPITRE XXVH. 2^)

fcs funérailles publiques & les manda h'nc par toute l'Italie. Car l'authorité de ces tel'moins n"a pas à l'aduenture aflez de rang pour nous tenir en bride. Mais quoy? fi Plutarque, outre plufieurs exemples qu'il allègue de l'antiquité, dict fçauoir de certaine fcience, 5 que, du temps de Domitian, la nouuelle de la bataille perdue par Antonius en Allemaigne, à plufieurs iournées de la, fut publiée à Rome & femée par tout le monde le mefme iour qu'elle auoit efté perdue; & fi Caîfiir tient qu'il eft fouuent aduenu que la rcnomce a deuancé l'accident : dirons nous pas que ces fimples gens la fe

lo font laifTez piper après le vulgaire, pour n'eftre pas clair-voyans comme nous? Eft-il rien plus délicat, plus net & plus vif que le iugement de Pline, quand il luy plaift de le mettre en ieu, rien plus efloingné de vanité? ie laifle à part l'excellence de fon fçauoir, duquel ie fay moins de conte : en quelle partie de ces deux le furpaflbns

I) nous? Toutesfois il n'eil fi petit efcolier qui ne le conuainque de menfonge, & qui ne luy iiciiiJk faire leçon fur le progrez des ouurages de nature.

Quand nous lifons, dans Bouchet, les miracles des reliques de fainct Hilaire, paffe : fon crédit n'eft pas aflez grand pour nous ofler la

20 licence d'y contredire. xMais de condamner d'vn train toutes pareilles hiftoires me femble finguliere impiideme. Ce grand fainct Auguftin tefmoigne auoir veu, fur les reliques Sainct Geruais & Protaife, à Milan, vn enfant aueugle recouurer la veùe; vne femme, à Carthage, eftrc guérie d'vn cancer par le figne de croix qu'vne femme nouuelle-

25 ment baptifée luv fit; Hefperius, vn fien familier, auoir chafle les efprits qui infefloient ûi maifon, auec vn peu de terre du Sepulchre de noft;re Seigneur, &, cette terre dépuis tranfportée à l'Eglile, vn paralitique en auoir eflé foudain guéri; vne femme en vne procefiion, ayant touché à la chafle Sainct Ellienne d'vn bouquet, & de ce

Texte 88. 8) la nouuelle a 16) luy face fa leçon 21) finguliere impru- dence. Ce 28) pamlitique v cftant apporté, auoir

2-\6 ESSAIS DE MONTAIGNE.

bouquet s'eftant frottée les yeux, auoir recouuré la veuë, pieça perdue; & plufieurs autres miracles, il dict luy mefmes auoir aflifté. Dequoy accuferons nous & luy & deux Saincts Euefques, Aurelius & Maximinus, qu'il appelle pour fes recors? Sera ce d'ignorance, lîmplelTe, focilité, ou de malice & impofture? Eft-il homme, en noftrc 5 fiede, fi impudent qui penfe leur eftre comparable, foit en vertu & pieté, foit en fçauoir, iugement & fuffifance ? « Oui, ut rationan mtJlam affcrrent, ipsa autboritate me frangèrent. »

C'eft vne hardiefle dangereufe & de confequence, outre l'abfurde témérité qu'elle traine quant & foy, de mefprifer ce que nous ne 10 conceuons pas. Car après que, félon voftre bel entendement, vous auez eftably les limites de la vérité & de la menfonge, & qu'il fe treuue que vous auez neceflairement à croire des chofes il y a encores plus d'eftrangeté qu'en ce que vous niez, vous vous eftez des-ja obligé de les abandonner. Or ce qui me femble aporter autant de 15 defordre en nos confciences, en ces troubles nous fommes, de la religion, c'eft cette difpenfation que les Catholiques font de leur créance. Il leur femble faire bien les modérez & les entenduz, quand ils quittent aux aduerfaires aucuns articles de ceux qui font en débat. Mais, outre ce, qu'ils ne voyent pas quel auantage c'eft à celuy qui 20 vous charge, de commancer à luy céder & vous tirer arrière, & combien cela l'anime à pourfuiure h poincte, ces articles la qu'ils choififlent pour les plus legiers, font aucunefois tres-importans. Ou il faut fe fubmettre du tout à l'authorité de noftre police eccle- fiaftique, ou du tout s'en difpenfer. Ce n'eft pas à nous à eftablir 25 la part que nous luy deuons d'obeïftiince. Et dauantagc, ie le puis dire pour l'auoir eflayé, ayant autrefois vfé de cette liberté de mon chois & triage particulier, mettant à nonchaloir certains points de l'obferuance de noftre Eglife, qui femblent auoir vn vifage ou plus vain

Texte 88. i) vcuc qu'elle auoit pieç.i lo) nous n'entendons pas. 18) femble qu'ils font bien 19) quittent & cèdent aux 22) fa victoire : ces

LIVRn I, CHAPITRE XXVII. 257

OU plus cftrangc, venant à en communiquer aux hommes Içauans, i'ay trouué que ces chofes ont vn fondement maflif & treffolide, & que ce n'eft que beftife & ignorance qui nous fait les receuoir auec moindre reuerence que le refle. Que ne nous fouuient il combien nous fentons de contradiction en noftre iugement mefmes? combien de chofes nous feruoyent hier d'articles de foy, qui nous font fables auiourd'huy? La gloire & la curiofité font les deux fléaux de noftre ame. Cette cy nous conduit à mettre le nez par tout, &: celle nous defant de rien laifler irrefolu & indécis.

Texte 88. i) fçauans & bien fondez, i'av 6) font auiourd'huv vaincs menfonges ? La

Chapitre XXVIII.

DE L AMITIE.

Confiderant la conduite de la belbngne d'vn peintre que i'ay, il m'a pris enuie de l'enfuiure. Il choifit le plus bel endroit & milieu de chaque paroy, pour y loger vn tableau élabouré de toute fa fuffifance; &, le vuide tout au tour, il le remplit de crotefques, qui font peintures fiintafques, n'ayant grâce qu'en la variété & eftrangeté. 5 Que font-ce icy auffi, à la vérité, que crotefques & corps monftrueux, rappiecez de diuers membres, fans certaine figure, n'ayants ordre, fuite ny proportion que fortuite ?

Définit in pifcem mulier formofa fuperne.

le vay bien iufques à ce fécond point auec mon peintre, mais ie 10 demeure court en l'autre & meilleure partie : car ma fuffifance ne va pas fi auant que d'ofer entreprendre vn tableau riche, poly & formé félon l'art. le me fuis aduifé d'en emprunter vn d'Eftienne de la Boitie, qui honorera tout le refte de cette befongne. C'cft vn difcours auquel il donna nom La Servitvde Volontaire; mais 15 ceux qui l'ont ignoré, l'ont bien proprement dépuis rebaptifé Le Contre Vn'. Il l'efcriuit par manière d'eflliy, en fa première

Texte 88. 2) plus noble endroit

' Ce titre : Le CoMTRE V\ est imprimé en romain, tandis que La SeRVITVDE Voi.OKTAIRE est en italique; aussi Montaigne le souligne et écrit dans la marge : eit (Itllrc Ictlre.

LIVRE 1, CHAPITRE XXVllI. 259

ieunefle, à l'honneur de la liberté contre les tyrans. 11 court pieça es mains des gens d'entendement, non lans bien grande & méritée recommandation : car il eft gentil, & plein ce qu'il ell poffible. Si y a il bien à dire que ce ne Ibit le mieux qu'il peut faire; & fi, en l'aage que ie l'ay conneu, plus auancé, il eut pris vn tel defleing que le mien, de mettre par efcrit fes fantafies, nous verrions plufieurs choies rares & qui nous approcheroient bien près de l'honneur de l'antiquité : car, mtemmeni en cette partie des dons de nature, ie n'en connois point qui luy foit comparable. Mais il n'eft demeuré de luy que ce difcours, encore par rencontre, & croy qu'il ne le veit onques depuis qu'il luy efchapa, & quelques mémoires fur cet edict de lanuier, fameus par nos guerres ciuiles, qui trouueront encores ailleurs peut estn leur place. C'eft tout ce que i'ay peu recouurer de fes reliques, moi qu'il laissa, d'une si amoureuse recomandation, la mort entre le dents, par son testament, heretier de sa bibliothèque [et] de ses papiers, outre le liuret de fes œuures que i'ay fait mettre en lumière. Et fi fuis obligé particulièrement à cette pièce, d'autant qu'elle a feruy de moyen à noilre première accointance. Car elle me fut montrée longue pièce auant que ie l'eufle veu, & me donna la première connoiffance de fon nom, acheminant ainfi cette amitié que nous auons nourrie, tant que Dieu a voulu, entre nous, fi entière & fi parfaite que certainement il ne s'en lit guiere de pareilles, &, entre nos hommes, il ne s'en voit aucune trace en vfage. Il faut tant de reiuontres a la baflir, que c'eft beaucoup fi la fortune y arriue vne fois en trois fiecles.

Il n'eft rien à quoy il femble que nature nous aye plus acheminé qu'à la focieté. Et dict Aristote que les bons Icgislaturs ont eu plus [de]

Texte 88. i) ieuncffe, n'ayant pas attaint le dixhuitiefmc an de fon aage, à l'honneur 8) car notamment en 23) Il faut que tant de chofes fe rencontrent pour la baftir,

Vak. ms. 8) car iiomiiianenl en 14) recomamiatioii eu son 15) ses en

240 ESSAIS DE MOXTAIGXE.

soin de J'aniitie que de la iusfice. Or le dernier point de fa perfection, eft cetu\'-c}'. Car, en gênerai, toutes celles [que] la uoliipte ou le profit, le besoin publique ou priue forge et nourrit, en sont d'autant moins belles et généreuses, et d'autant moins aniilie:^, qu'elles iiwslent autre cause et but et fruit en l'amitié, qu'elle nwsine. 5

Ny ces quatre espèces antienes : naturelle, sociale, hospitalière, ueneriene, particulièrement n'y conuienent, ny coioinctement.

Des enfans aux pères, c'eft pluftoft refpect. L'amitié fe nourrit de communication, qui ne peut fe trouuer entre eux pour la trop grande difparité & ofFenceroit à Taduenture les deuoirs de nature. 10 Car ny toutes les fecrettes penfées des pères ne fe peuuent commu- niquer aux enfans pour n'y engendrer vne meffeante priuauté, ny les aduertiffemens & corrections, qui eft vn des premiers offices d'amitié, ne fe pourroyent exercer des. enfans aux pères. Il s'eft trouué des nations où, par vfage, les enfans tuoyent leurs pères, 15 & d'autres les pères tuovent leurs entans, pour euiter l'empefche- ment qu'ils fe peuuent quelquefois entreporter, & naturellement l'vn dépend de la ruine de l'autre. 11 s'eft trouué des philofophes defdai- gnans cette coufture naturelle, tefmoing Aristippus : quand on le preflbit de Yaffection qu'il deuoit à l'es enfons pour eftre fortis de luy, 20 il fe mit à cracher, disant que cela en estoit auffi bien forty; que nous engendrions bien des pouz & des vers. Et cet autre, que Plutarque vouloit induire à s'accorder auec fon frère : le n'en fais pas, dict-il,

Texte 88. i) perfection c'eft cetuy-cy. Car des enfans aux 8) refpect qu'amitié : l'amitié fe 18) l'autre : l'amitié n'en vient iamais là. Il s'eft trouué iufques à des 19) tefmoing celuy qui quand on le preflbit de l'affect.ition qu'il 21) cracher : Et* cela, dict-il, en eft aufli bien forty : nous engendrons auflî bien

^'AK. Ms. i)soii!qudc : iwslte accoit cl coiiuciiaiicc que de : noslre conuenaiice que de : l'amitié entre nous que de 2) Car celles que les loix que [le] uoisiiiage le sang ou le hcsoin et utilité publique ou priuee force (?) ." en sont d'autant moins libres cl généreuses qu'elles mcslcut en autre cause et bui autre but et autre fruit 7) conuienent ny a l'anàture & coioinclciuent.

' Et bille puis rétabli.

LIVRE I, CHAPITRE XXVllI. 24I

plus grand eftat, pour eftrc Ibrty de melme trou. Ccft, à la veritc, vn beau nom & plein de dilection que le nom de frère, & à cette caufe en fifmes nous, luy & moy, noftre alliance. Mais ce nieflange de biens, ces partages, & que la richelîe de l'vn loit la pauureté de 5 l'autre, cela detrampe merueilleufement ik relalche cette foudure fraternelle. Les frères ayants à conduire le progrez de leur auance- ment en mefme fentier & mefme train, il eft force qu'ils fe hurtent & choquent fouuent. D'auantage, la correfpondance & relation qui engendre ces vrayes & partaictes amitiez, pourquoy fe trouuera elle

10 en ceux cy? Le père & le lils peuuent eftre de complexion entière- ment eflongnée, & les frères aulTi. C'ell: mon fils, c'eft mon parent, mais c'efl vn homme farouche, vn mefchant ou vn fot. Et puis, à mefure que ce font amitiez que la loy & l'obligation naturelle nous commande, il y a d'autant moins de noftre chois & liberté volontaire.

15 Et noftre liberté volontaire n'a point de production qui foit plus proprement fienne que celle de l'affection & amitié. Ce n'eft pas que ie n'aye efliiyé de ce cofté la tout ce qui en peut eftre, ayant eu le meilleur père qui fut onques, & le plus indulgent, iulques à Ion extrême vieilleflc, & eftant d'vnc fomille fameufe de père en fils,

20 & exemplaire en cette partie de la concorde fraternelle,

& ipfc Notus in fratres animi paterni.

D'y comparer l'affection enuers les femmes, quoy qu'elle naiffc de noftre choix, on ne peut, ny la loger en ce roUe. Son teu, ie le 25 confefle,

neque enini efl: dea iificia iiollri Q.LUC Julcem curis mifcet amaritiem,

eft plus actif, plus cuifant & plus afpre. Mais c'eft vn feu téméraire Texte 88. 23) iiaiirc .1 l.i vcrito Je nollrc

242 ESSAIS DE MONTAIGNE.

& volage, ondoyant & diuers, feu de fiebure, lubiect à accez & remiles, & qui ne nous tient qu'à vn coing. En l'amitié, c'ell: vne chaleur générale .i;c vniuerlelle, tempérée au demeurant & égale, vne chaleur confiante & raflize, toute douceur & polliffure, qui n"a rien d'afpre & de poignant. Qui plus eft, en l'amour, ce n'ei^ qu'vn defir forcené s après ce qui nous tuit :

Corne fegue la lèpre il cacciatore

Al freddo, al caldo, alla montagna, al lito;

Ne piu l'eftima poi che prefa vede.

Et fol dietro a chi fugge afFretta il piede. 10

Auffi toft qu'il entre aux termes de l'amitié, c'eil à dire en la conue- nance des volontez, il s'efuanouift & s'alanguift. La iouyflance le perd, comme avant la fin corporelle & fuiecte à facieté. L'amitié, au rebours, eft iouve à mefure qu'elle eft defirée, ne s'efleue, le nourrit, nv ne prend accroilî^ince qu'en la iouylïiince comme eftant 15 fpirituelle, & l'ame s'affinant par l'vfage. Sous cette parfaicte amitié ces affections volages ont autrefois trouué place chez moy, affin que ie ne parle de luy, qui n'en confeffe que trop par ces vers. Ainfi ces deux paffions font entrées chez moy en connoiffance l'vne de l'autre; mais en comparaifon, iamais : la première maintenant fa 20 route d'vn vol hautain & fuperbe, & regardant defdaigneulement cette cv paffer l'es pointes bien loing au delToubs d'elle.

Quant aux mariages, outre ce que c'eft vn marché qui n'a que l'entrée libre (fa durée eftant contrainte & forcée, dépendant d'ailleurs que de noftre vouloir), & marché qui ordinairement le fait à autres 25 fins, il v furuient mille fufées eftrangeres à defmeler parmy, fuffilantes à rompre le fil iSc troubler le cours d'vne viuc affection; où, en l'amitié, il n'v a affiire nv commerce, que d'elle nielme. loint qu'à dire vrav la fuffifance ordinaire des femmes n'eft pas pour relpondre

I'kxti: SS. 15) fuicctc la facictti 29) ilirc le vray

LIVRE I, CHAPITRE XXVIII. 243

à cette conférence & communication, nourriflc de cette laincte couture; ny leur ame ne lemble aflez ferme pour fouftenir l'eftreinte d'vn neud fi prefle 6t fi durable. Et certes, fans cela, s'il le pouuoit drefler vne telle accointance, libre & volontaire, où, non feulement 5 les âmes euffcnt cette entière iouyffance, mais encores les corps enflent part à l'alliance, ou l'home fui ciioagc tout entier: il est eerlein que l'amitié en feroit plus pleine & plus comble. Mais ce fexe par nul exemple n'y ell; encore peu arriuer, et par le commun eousuiitenuil des eschoks antienes en est reietté.

ro Et cet' autre licence Grecque eft iuflement abhorrée par nos meurs. La quelle pourtant, pour auoir, selon leur usage, une si necesserc disparité d'eages [efj differance d'offices entre [les~\ amans, ne respondoit non plus asses a la parfaicte union et conuenance qu'icv nous denutndons : (( Quis est enim iste amor aniicitia' ? Cur twque déforment adolescenteni

15 quisquani amat, neque formosum senem?» Car la peinture nwsnies qu'eu faict l'Académie ne me desaduouera pas, corne ie pense, de dire ainsi de sa part : que cette première furur inspirée par le fil.x de Fenus au ceur de l'amant sur l'ohiet de la flur d'une tendre iunesse, a la quelle ils permet teni tous les insolens et passioue::^ ejfors que peut produire un' ardu r immodérée,

20 estait simplemant fondée en une beauté externe, fauce image de la génération corporelle. Car en l'esperit elle ne pouuoit, du quel la montre estait encores caclxe, qui n'estoit qu'en sa naissance, et auant l'eagc de germer. Qiw si cette furur sesissoit un bas corage, les moiens de sa poursuite c'estoint

Texte 88. 6) l'alliance, il eft vray-femblablc que

Var. ms. 8) arriuer, : et par les esclwlcs île lu plnlosopliie en a esté reicllé. Et cet' autre : et* aianl est et phrase inadicvce. 3" : et par le eommuii eoiisaiitemàt des eschoks delà philosophie en est reiel lé. Et ctt' Aulrc 11) usage : une par trop necessere disparité : et une uefisure si necessere disparité 12) amans ne responl non plus asses e.xactemaiit a la parf parfaicte 1 5) demandons. Cette tendrur d'eage ans et cette si imu fleur de beauté tant recherchée montre par effaict en la description mesme de V Académie quoi quelle s'en defande que le eor^ps que, le corps y tenait une part bien bien principale et que le dangier y estoit grâd de uariation et d'inconstance. Au demeurant, p. 245, 1. 5. 18) sur l'-obei 19) tous les iuseltus 22) Que quand cette

244 ESSAIS DE MONTAIGNE.

richesses, présents, faneur a Vauauceinatii des dignités, et telle antre basse marchandise, qu'ils repronuent. Si elle tnnûxnt en nn corage plus generns, les entremises cstoint gencruscs de mesme : instructions philosophiques, enseigncmcns a rcucrer la religion, obéir ans loix, mourir pour le bien de son pais, cxamples de uaiUance, prndance, justice : s'est udiant l'amant de s se rendre acceptable par la bone grâce et beauté de son anie, celle de son corps estant pieç a fanie, et espérant par cette société mentale establir un marché pins ferme & durable . Quand cette poursuite arriuoit a l'effaict en sa saison (car ce qu'ils ne requièrent point en l'amant, qu'il aportat loisir [& discrétion en son\ entreprinse, ils le requièrent exactemant en l'aimé : lo d'autant qu'il luy faloit juger d'une beauté interne, de difficile conoissancc et abstruse descouuertc) lors naissoit en l'aymé le désir d'une conception spirituelle par l'entremise d'une spirituelle beauté. Cettecv estojt ic\ prin- cipale; la corporelle, accidentale [et] seconde : tout le rebours de l'amant. A cette cause préfèrent ils l'aime, et uerifent que les dieus aussi le préfèrent, 15 et ta usent grandemant le poète Jzschilus d'à noir, en î 'amour d'Achilles et de Patroclus, doné la part de [llamant a Jchilles qui estoit en la première et imberbe uerdur de son adolescence, et le plus beau des Grecs. Apres cette communauté générale, la maistresse et plus digne partie d'icelle exerçant ses offices & prédominant, ils disent [qu] 'il en prouenoit dts fruits tresutilles 20 au priué et au pnbliq; que c'estoit la force des pais qui en receuoint l'usage, [et~\ la principale defance de l'équité et de la liberté : tesmoin les sahiteres amours de Hermodius et d'Aristogiton. Pourtant la tioment ils sacrée et diuine. Et n'est, a leur conte, que la uiolance des tirans & lâcheté des peuples qui luy soit aduersere. En fin tout ce qn 'on peut douer a lafaueur de 25 l'Académie, c'est dire que c'estoit un anwur se terminant en amitié : chose

V'ar. ms. 2) tiianlmiidisc .■ Quand Me tumlmi e qu'ils irprciitienl. Quand elle 5) ramant de s'en rendre 7) cette conueiiaiicc spiriludli: mentale rendre son marché 8) asoiicffaicl 17) de Patrocles doné 18) cette mixtion générale 26) c'est de dire 26) amitié. le reuiens a ma description : : qui est de tonte autre façon et plus pure & plus conforme. Au demeurant, p. 245, 1. 5. : qui est d'autre façon plus pure esgale

et conforme»*' l'amour eut este plus décemment a (Cette rcMaction est restée inachevée; plusieurs

mots en sont illisibles.) : de façon plus équitable plus equal'k. Au demeurant.

I.IVRl- I, CHAPITKi; XXVIII. 245

qui iw se rapork pus mal a la dcliiiilioii Sloiqiic ik l'amour : « Amorcm œnalum cssc amicitia' JaciciuLr ex pulchritudinis spccic.» le \rcuicn a ma description, de façon plus équitable & plus equahlc] : « Omniiio amicitia', corroboratis [jam confirmatisque iiigeiiijs et aiatihus, judicandcv sunt.]» 5 Au demeurant, ce que nous appelions ordinairement amis & amitiez, ce ne font qu'accoinctances & fiimiliaritez nouées par quelque occaiion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s'entretiennent. En l'amitié dequoy ie parle, elles le meflent & confondent l'vne en l'autre, d'vn mélange fi vniuerfel, qu'elles

10 efïiicent & ne retrouuent plus la couture qui les a iointes. Si on me prefTe de dire pourquoy ie l'aymois, ie fens que cela ne le peut exprimer, qu'eu respomlaut : Par ce que c'estoit lu\; par ce que c'estoit moy\

II y a, au delà de tout mon difcours, & de ce que l'en puis dire

I ) particulièrement, ne Içay quelle force inexplicable & fatale, médiatrice de cette vnion. Nous iwus cherchions auani que de [nous estre veiis, & par des rapports que nous oyions l'un de l'autre,] qui faisoint en nostre affection plus d'effort que ne porte la raison des rappors, ie croi par quelque ordo- nance du ciel : nous nous enhrassions par nos noms. Et a nostre première

20 rencontre, qui fut par hasard en une grande feste & compaignie de uile, nous nous trouuames si prins, si conus, si oblige^ entre nous, que rien des lors ne nous fut si proche que l'un a l'autre. Il escriuit une Suivre Latine excellante, qui est publiée, pur la quell' il excuse et explique [la] praxipitation de nostre intellijunce, si promptemunt puruenue u sa perfection. Aiant si

25 peu u durer, et u'iant si turd comunce, cur nous estions tous deus homes faicts, [et] luy plus de quclqu' unnee, elle n'uuoit point a perdre temps, [et]

Texte 88. 14) Il y a ce femble au 15) force diuine &

Var. ms. i) pas trop [mal 3) Omnino enim amicilix 12) qu'en disant : Par ce que 18) par l'iti finance de quelque constellaliou : vous 20) en tw une [gra]nd feste 21) trouuames si sesis si conus 25) comance : estant homes tous deus [et] luy plus qu4 moi a l'auanture de quelqu année :

' Par ce que c'estoit moy. addition ultérieure.

246 ESSAIS DE MONTAIGNE.

a se regJer an patron des amitiés molles & régulières, ans quelles il faut tant de praxautions de longue [ei'] préalable côuersation. Ceteci n'a point d'autre idée [que] d'elle mesme, et ne se peut raporter qu'a soi. Ce n'eft pas vne spéciale confideration, ny deux, ny trois, ny quatre, ny mille : c'eft ie ne Içay quelle quinte eflence de tout ce mellange, 5 qui, ayant faifi toute ma volonté, l'amena fe plonger & fe perdre dans la fienne; qui, aiant sesi toute sa uolante, l'amena se plonger et se perdre en [la] miene, d'une faim, [d'aune concurrance pareille, le dis perdre, à la vérité, ne nous referuant rien qui nous fut propre, ny qui fut ou sien ou mien. 10

Quand Lœlius, en prefence des Confuls Romains, lefquels, après la condemnation de Tiberius Gracchus, pourfuiuoyent tous ceux qui auoyent eflé de Ion intelligence, vint à s'enquérir de Caius Blofius (qui eftoit le principal de les amis) combien il eut voulu faire pour luy, & qu'il eut refpondu : Toutes chofes; Comment, toutes 15 chofes ? fuiuit-il. Et quoy s'il t'eut commandé de mettre le feu en nos temples ? Il ne me l'eut iamais commandé, replica Blofius. -^ Mais s'il l'eut fait? adiouta Lœlius. l'y eufTe obey, refpondit-il. S'il eftoit fi parfiiictement amy de Gracchus, comme difent les hiftoires, il n'auoit que faire d'offenfer les confuls par cette dernière 20 & hardie confeflion; & ne fe deuoit départir de l'afleurance qu'il auoit de la volonté de Gracchus. Mais, toutefois, ceux qui accufent cette refponce comme feditieufe, n'entendent pas bien ce myftere, & ne prefuppofent pas, comme il eft, qu'il tenoit la volonté de Gracchus en la manche, & par puiflance & par connoiflance. [Ils] 25 estoint plus amis que citoiens, plus amis [qu']amis et qu'enemis de leur

Texte 88. 4) vue particulière confideration 9) ne luy referuant rien qui luy fut 10) fut fien. Quand 22) Gracchus, de laquelle il fe pouuoit refpondre, comme de la fienne. Mais 25) connoiflance : & qu'ainfi la refponce ne fonne p. 247, 1. 7.

Var. ms. i) des amours molles 7) sesi sa... et perdre 20) hiftoires 01/ pour miens dire corne est ma peinture il n'auoit 25) connoiflance, C'est un ame eu deus corps dict singulièrement bien Aristote Et qu'ainfi fa refponce ne fonne p. 247, 1. 7. 26) citoiens : plus amis entre eus [qu'](tmis qu'enemis

LIVRE I, CHAPITRE XXVllI. 247

pais, {qii']aniis d'ambition et de trouble. S'estant piirfaictemcnt commis l'un a l'antre, ils tenoint parjaictement les renés [de l']inclination l'un de l'autre; [d] faictes guider cet Imrnois [par] la uertu et conduite de [la] raison (corne aussi est il du tout impossible de l'atteler sans cela), la responcc [de | S Blosius est telle qu'elle deuoit estre. [Si] leurs actions se desmancharent, ils n'estoint ny amis selon ma mesure l'un [de l']autre, ny amis a eus mesmes. Au demurant cette responce ne fonne non plus que feroit la mienne, à qui s'enquerroit à moy de cette façon : Si voûre volonté vous commandoit de tuer vollre fille, la tueriez vous? & que ie l'accor-

10 dafle. Car cela ne porte aucun tefmoignage de confentement à ce faire, par ce que ie ne fuis point en doute de ma volonté, & tout auflî peu de celle d'vn tel amy. Il n'eft pas en la puiffance de tous les dilcours du monde de me defloger de la certitude que i'ay, des intentions & iugemens du mien. Aucune de l'es actions ne me

15 fçauroit eftre prefentée, quelque vifage qu'elle eut, que ie n'en trouuafle incontinent le reflbrt. Nos âmes ont charrié fi uniement enfemble, elles le font confiderées d'vne li ardante affection, & de pareille affection defcouuertes iufques au fin fond des entrailles l'vne à l'autre, que, non feulement ie connoiflby la fienne comme la

20 mienne, mais ie me fuffe certainement plus volontiers fié à luy de moy qu'à moy.

Qu'on ne me mette pas en ce reng ces autres amitiez communes : l'en ay autant de connoiflance qu'vn autre, & des plus parfaictes de leur genre, 'mais ie ne conleille pas qu'on confonde leurs règles :

25 on s'y tromperoit. Il faut marcher en ces autres amitiez la bride à la main, auec prudence & précaution; la liailon n'eft pas nouée en manière qu'on n'ait aucunement à s'en deffier. Aymés le (diloit Chilon) comme ayant quelque iour à le haïr; haïflez le, comme

Texte 88. 16) le vray rcffort... li long temps cnrcniblc 21) qu'à moy mefme. Qu'on 22) communes : car l'en

Var. ms. 2) 'di'lauoïanUruii 4) l'alleler aulivw 5) estre Au demuniiil elle ne fonne 6) amis sur iiostre mesure 7) demurant elle ne fonne

24bv ESSAIS DE MONTAIGNE.

ayant à raymer. Ce précepte qui eft 11 abominable en cette Ibuueraine & maiftrelTe amitié, il eft falubre en l'vfage des amitiés ordinaires et costumières, a l'endroit des quelles il faut emploïer le mot qu'Aristoie auoit tresfamilier : 0 mes amis, il n'y a nul ami.

En ce noble commerce, les offices & les bienfaits, nourriffiers des 5 autres amitiez, ne méritent pas feulement d'eftre mis en compte : cette confufion fi pleine de nos volontez en eft caufe. Car, tout ainfi que l'amitié que ie me porte, ne reçoit point augmentation pour le fecours que ie me donne au befoin, quoy que dient les Stoïciens, & comme ie ne me fçay aucun gré du feruice que ie me fay : auffi 10 l'vnion de tels amis eftant véritablement parfaicte, elle leur faict perdre le fentiment de tels deuoirs, & haïr & chafler d'entre eux ces mots de diuifion & de différence : bien faict, obligation, recon- noiffance, prière, remerciement, & leurs pareils. Tout eftant par effect commun entre eux, volontez, penlemens, iugemens, biens, 15 femmes, enfans, honneur & vie, et leur conucnancc n'estant qu'un ame en deus cors selon la trespropre définition d'Arislole', ils ne ie peuuent ny prefter ny donner rien. Voila pourquoy les faifeurs de loix, pour honorer le mariage de quelque imaginaire reffemblance de cette diuine liaifon, défendent les donations entre le mary & la femme, 20 voulant inférer par que tout doit eftre à chacun d'eux, & qu'ils n'ont rien à diuifer & partir enfemble. Si, en l'amitié dequoy ie parle, l'vn pouuoit donner à l'autre, ce feroit celuy qui receuroit le bien-fait, qui obligeroit fon compagnon. Car cherchant l'vn & l'autre, plus que toute autre chofe, de s'entre-bien faire, celuy 25 qui en prefte la matière & l'occafion eft celuy-là qui faict le libéral, donnant ce contentement à fon amy, d'effectuer en fon endroit ce qu'il délire le plus. (2uand le philosofe Dioi^encs auoit faute {d'^ari^ellt,

Ti;\Ti: 88. 2) rvHii^c ordin.iirc. I-"n ce 1;) dill'cix-iicc, coniiiK, bien f.iicl, 26) l'aict l'honnc'ftc & le courtois, donnnnt

' Cf. p. 2.|6, var. nis. de la 1. 2;.

I.IVKH I, CHAl'lTKi: XXVllI. 249

// disait qu'il le\ rcdiimiiidoit a ses amis, non qu'il le deniaiidoil. Et, pour montrer comment cela le practique par effect, l'en reciteray vn ancien exemple, llngulier.

Eudamidas, Corinthien, auoit deux amis : Clnirixenns, Svcionien, 5 & Aretheus, Corinthien. Venant à mourir eftant pauure, 6c l'es deux amis riches, il fit ainli l'on teftament : le lègue à Aretheus de nourrir ma mère & l'entretenir en l'a vieillelTe; à Charixenus, de marier ma fille & luy donner le douaire le plus grand qu'il pourra; &, au cas que l'vn d'eux vienne à dehiillir, ie luhftitue en la part celuv qui

lo l'uruiura. Ceux qui premiers virent ce tefiament, s'en moquèrent; mais fes héritiers, en ayant efié aduertis, l'acceptèrent auec vn finguHer contentement. Et l'vn d'eux, Charixenus, ellant trel'paffé cinq iours après, la luhftitution eftant ouuerte en faueur d'Aretheus, il nourrit curieulement cette mère, &, de cinq talens qu'il auoit en

15 les biens, il en donna les deux & demy en mariage à vne fienne fille vnique, & deux & demy pour le mariage de la fille d'Eudamidas, defquelles il fit les nopces en melme iour.

Cet exemple eft bien plein, fi vne condition en ertoit à dire, qui eft la multitude d'amis. Car cette parfiiicte amitié, dequoy ie parle,

20 eft indiuifible : chacun le donne fi entier à l'on amy, qu'il ne luy refte rien à départir ailleurs; au rebours, il eft marry qu'il ne loit double, triple, ou quadruple, & qu'il n'ait plufieurs âmes <Sc plufieurs volontez pour les conférer toutes à ce lubiet. Les amitiez communes, on les peut départir : on peut aymer en cettuy-cy la beauté, en cet

25 autre la fixcilité de l'es meurs, en l'autre la libéralité, en celuy-là la paternité, en cet autre la fraternité, ainfi du refte; mais cette amitié qui poflede l'ame & la régente en toute fouueraineté, il eft impolfible qu'elle foit double. Si deux en niesine temps denuiiidoient à estre seeotirus,

Textk 88. 3) exemple, tiui y eft (ingulitrcmcnt propre. Kudaniidas 4) amis, Chariexenes Sycionicn, 12) l'vn d'entr'cux

\'.\R. .MS. i) (L-iiinihhil. Ili /.' luy ilciioiiil piir ihoil il'iimUic. El pour

250 ESSAIS DE MONTAIGNE.

iiiiqiieJ] coiirries nous? S'ils requcroint de nous des offices confrères, quel ordre y trouuerries vous? Si l'un commetoit a uostre siJance chose qui fut utille a Vautre de sçauoir, cornant nous en desmesleries nous ? L'unique et principale amitié descoiit toutes autres obligations. Le secret que i'ay iurc ne déceler a nul autre, ie le puis, sans pariure, communiquer a celuy qui 5 n'est pas autre : c'est moy. C'est un asses grand miracle [de] se doubler; et n'en conessent pas la hauteur, cens qui parlent de se tripler. Rien n'est extrême, qui a son pareil. Et qui présupposera que de deus i'en aime autant l'un que l'autre, et qu'ils s'entraiment et m'aiment autant que ie les aime, il mtdtiplie [en] confrérie la chose la plus une et unie, et de quoi une suie 10 est encore la plus rare a trouuer au monde.

Le demeurant de cette hiftoire conuient très-bien à ce que ie difois : car Eudamidas donne pour grâce & pour faueur à les amis de les employer à fon befoin. Il les laiflc héritiers de cette tienne libéralité, qui confifte à leur mettre en main les moyens de luy 15 bien-taire. Et, lans doubte, la force de l'amitié le montre bien plus richement en fon foit qu'en celuy d'Aretheus. Somme, ce font effects inimaginables à qui n'en a goufté, et qui me fout honorer a mcrucilles la responce de ce ieune soldat a Cyrus s'enqueranl a luv pour côbien il uoudroit douer un chenal, par le nioien du quel il venait de guigner le pris 20 (/(' ht course, et s'il le voudroit eschanger a vu Royaume : Non certes, Sire, mais bien le lairrois ie uolontiers pour en acquérir un ami, si ie trouuois home digne [de] telle alliance.

Il ne di soit pas mal : si i'en trouuois; car on treitue facilemant des Imncs propres a une superficielle acointancc. Mais eu ceteci, en la quelle on uegolie 25

Texte 88. 18) goufté : & tout ainfi p. 251, 1. 16.

Var. ms. i) de nous choses contrercs 5) déceler a un autre... comtiiuiiiquer a un qui 8) Et qui euiatidera que 9) ui'ainieul cfiun ic les a 10) la plus nue et de quoi une et suie 11) monde. L'encheineurc amouruse de ces trois philosofes Polemon Craies Crantor, iuge[ans] de mesme, uiuans & mourons ensemble Cette phrase, restée in.ichevéc, est une .iddition ultérieure. 22) mais bien pour en 25) honic de uerlu digne de telle alliance. Ht tout ainfi p. 251, 1. 16. 24) mal s'il s'en trouuoil : car 23) une (ouuer- salio» conionction superficielle mais

LIVRE I, CHAPITRE XXVIII. 251

du fin foyvs] de son coragc, qui >ic fiiict rien de reslc, certes il est besoin que tous les ressors soint neti et surs parfaictemanl.

Ans confédérations qui [ne] tienent que par un bout, on n'a a pouruoirs qu'ans iniperfirtions qui particulièrement intéressent ce bout [la.] Il ne peut 5 chaloir de quelle rclligion soit mon médecin et mon aduocat. Cette considé- ration n'a rien de commun aiieq les offices de l'amitié qu'ils me doiueut. Et, en Vacouintance domestique que dressent aueq moi cens qui me seruenl, l'en fois de mesmes. Et m'enquiers peu, d'un laquai, s'il est chaste; ie cherche s'il est diligent. Et ne crcins pas tant un muletier loueur que imbécilk, ny 10 ;/;/ cuisinier inreur qu'ignorant. le ne me mesie pas de dire ce qu'il faut faire au monde, d'autres asses s'en meslent, mais ce que l'y fois.

Mihi sic usas est ; tiH, ut opiis est facto, face

A la familiarité de la table i' associe le plesant, non le pendant; au licl, la beauté auant la bonté; en la société du discours, la sufiisancc, noire sans

15 la preud'homie. Pareillement ailleurs.

Tout ainfi que cil qui fut rencontré à cheuauchons iur vn bâton, fe iouant auec fes enfans, pria l'home qui l'y lurprint, de ncn rien dire, iufques à ce qu'il fut père luy-mefme, eftimant que la paflion qui luy naiflroit lors en l'ame, le rendroit iuge équitable d'vne telle

20 action : ie fouhaiterois aufli parler à des gens qui euflent effayé ce que ie dis. Mais, fçachant combien c'efl chofe ellongnée du commun vfage qu'vne telle amitié, & combien elle eft rare, ie ne m'attcns pas

Texte 88. 16) que celuy qui 17) pria ccluy qui

Var. ms. i) corage qui emploie tout qui ne 3) Ans spéciales alliances qui \ne] se tienent 4) particulièrement les l'intéressent. Il 7) domestique de 9) que foible : ny un secretere iureur qu'ignorant. le ne dis pas que ie fois bien mais ie dis que ie fois ainsi : Miln sic usus est, tihi ut opus est facto face.' D'autres diront sur ce premier article. A la familiarité 10) de prescher ce 11) monde mais 13) plesant plus tost que le prudant 14) en l'acointance du discours qu'il soii pnud'-home s^il ueut mais qu^ seii s aduisé la suffisance auant la preud'homie.

' Cette citation a été ajoutée dans l'interligne. '

^)-^

HSSAIS DE MONTAIGNE.

d'en trouuer aucun bon iuge. Car les dilcours melmcs que Fantiquité nous a laifle fur ce fubiect, me lemblent lâches au pris du scniimcnt que i'en ay. Et, en ce poinct, les effects furpaflent les préceptes mefmes de la philofophie :

Nil ego contulerim iucundo fanus amico. 5

L'ancien Menander difoit celuy-là heureux, qui auoit peu ren- contrer feulement l'ombre d'vn amy. 11 auoit certes raifon de le dire, mefmes s'il en auoit tailé. Car, à la vérité, fi ie compare tout le refle de ma vie, quoy qu'aueq la grâce de Dieu ie l'aye paflee douce, aifée &, fauf la perte d'vn tel amy, exempte d'affliction poifante, pleine 10 de tranquillité d'efprit, ayant prins en payement mes commoditez naturelles & originelles fans en rechercher d'autres: fi ie la compare, dis-ie, toute aux quatre années qu'il m'a efté donné de iouyr de la douce compagnie & focieté de ce perfonnage, ce n'eft que fumée, ce n'efl qu'vne nuit obfcure & ennuyeufe. Depuis le iour que ie le 15 perdy,

quem femper acerbum', Semper honoratum (fie, Dij, voluiftis) haheho,

ie ne fiiy que trainer languilfant; <:\: les plaifirs mefmes qui s'offrent

à moy, au lieu de me confoler, me redoublent le regret de la perte. 20

Nous eftions à moitié de tout; il me femble que ie luy defrobe fa

part,

Nec fas efTc vUa me voluptate hic frui

Decreui, tantifper dum illc abeft meus particcps.

Texte 88. i) trouuer nul bon 2) du a;ouft que 3) ce feul poinct 9) quoy que par la 10) pleine de contentement & de tranquillité 15) quatre ou cinq années

' A droite de cette lin de vers Momaione écrit : plin: ni ça, pour en reciitier In disposition typographique.

L1VR1-: 1, CHAl'lTKU XXVlll. 2)^

l'eftois delîa li tait i^; accoulUinic à cl\rc dcuxicfmc par tout, qu'il me l'cmblc n'eftrc plus qu'à deniy.

Illam mca- li partcm animée tulit Maturior vis, quid moror altéra, 5 Nec charus :equè, nec fuperftes

Integer? Ille dies vtramque Duxit ruinam.

Il n'cft action ou imagination ie ne le trouue à dire, comme fi eut-il bien faict à moy. Car, de melme qu'il me lurpaffoit d'vne lo diftance infinie en toute autre luffilance & vertu, aulîi failoit-il au deuoir de l'amitié.

Quis defiderio fit pudor aut modus Tarn chari capitis ?

O mifero frater adempte niihi!' ij Omnia tecum vna perierunt gaudia noftra,

Quï tuus in vita dulcis alebat amor. Tu mea, tu moriens fregifti commoda, frater;

Tecum vna tota eft noftra fepulta anima, Cuius ego interitu tota de mente fugaui 20 Hœc ftudia atque omnes delicias animi.

Alloquar ? audiero nunquam tua verha loquentcm ?

Nunquam ego te, vita frater amabilior, Afpiciam pofthac? At certè femper amabo.

Mais oyons vn peu parler ce garlon de scsc ans.

25 Parce que i'av trouué que cet ouurage a efté depuis mis en lumière, & à mauuaile fin, par ceux qui cherchent à troubler & changer l'eftat de noftre police, lans fe Ibucier s'ils l'amenderont, qu'ils ont niellé

Texte 88. 24) de dixhuict ans

' A droite de celte lin de vers Montaigne écrit : plus Cil Ça, pour en rcctilicr la disposition typographique.

254 ESSAIS DE MONTAIGNE.

à d'autres clcris de leur farine, ie me fuis dédit de le loger icy. Et affin que la mémoire de l'auteur n'en foit intereflee en l'endroit de ceux qui n'ont peu connoiftre de près fes opinions & fes actions, ie les aduife que ce lubiect fut traicté par luy en fon enfance, par manière d'exercitation feulement, comme fubiet vulgaire & tracaffé en mille 5 endroits des Hures. le ne fliy nul doubte qu'il ne crciist ce qu'il efcriuoit, car il eftoit aflez confcientieux pour ne mentir pas mefmes en fe iouant. Et fçay d'auantage que, s'il eut eu à choifir, il eut mieux aimé eftre nay à Venife qu'à Sarlac : & aucq raifon. Mais il auoit vn' autre maxime fouuerainement empreinte en fon ame, d'obeyr 10 & de fe foubmettre tres-religieufement aux loix fous lefquelles il eftoit nay. 11 ne fut iamais vn meilleur citoyen, ny plus affectionné au repos de son pats, ny plus ennemy des remuements & nouuelletez de fon temps. Il eut bien pluftoft employé fa fuffifance à les efteindre, que à leur fournir dequoy les émouuoir d'auantage. Il auoit fon 15 efprit moulé au patron d'autres fiecles que ceux-cy.

Or, en efchange de cet ouurage ferieux, l'en fubftitueray vn autre, produit en cette mefme faifon de fon aage, plus gaillard & plus enioué.

Texte 88. 6) ne creut ce 9) & auoit raifon. 15) repos de fa patrie, ny 19) enioué. Ce font 29. fonnets que le fieur de Poiferré homme d'aftaires, & d'entendement, qui le connoiffbit long temps auant moy, a retrouué par fortune chez luy, parmy quelque autres papiers, & me les vient d'enuoyer : dequoy ie luy fuis tres-obligé, & fouhaiterois que d'autres qui détiennent plufreurs lopins de fes efcris, par-cy, par-là, en fiflent de mefmes.

Chapitre XXIX.

VINGT ET NEVF SONNETS DESTIENNE DE LA BOETIE.

A Madame de Granimont, Comtesse de Guissen.

Madame, ie ne vous offre rien du mien, ou par ce qu'il eft délia voftre, ou pour ce que ie n'y trouue rien digne de vous. Mais i'ay voulu que ces vers, en quelque lieu qu'ils le viflent, portalTent voftre nom en tefte, pour l'honneur que ce leur fera d'auoir pour guide S cette grande Corifande d'Andoins. Ce prefent m'a lemblé vous eftre propre, d'autant qu'il eft peu de dames en France qui iugent mieux & fe feruent plus à propos que vous de la poëlie : & puis qu'il n'en efl point qui la puilfent rendre viue & animée, comme vous foites par ces beaux & riches accords dequoy, parmy vn million d'autres

10 beautez, nature vous a eftrenée'. Madame, ces vers méritent que vous les cherilfcz; car vous ferez de mon aduis, qu'il n'en eft point forty de Gafcoigne qui eulfent plus d'inucntion & de gentillelfe, & qui tefmoignent eftre lortis d'vne plus riche main. Ht n'entrez pas en ialoufie dequov vous n'auez que le reftc de ce que pieç' a l'en

15 ay faict imprimer fous le nom de monlîeur de Foix, voftre bon

* Les éditions de 1580, 1582 et 1587 mettent une virgule après CSlrenée, et l'édition de 1595 deux points, ce qui change le sens. Le point est peut-être une faute d'impression de l'éditeur de 1 588. .Monlaignc ne l'a pas corrigé. 11 n'a fait, il est vrai, aucune correction nianuscriic dans le corps de cet Essai.

2)6 ESSAIS DE .MOXTAIGNE.

parent : car certes ceux-cy ont ie ne l'çay quoy de plus vif & de plus bouillant, comme il les fit en fa plus verte ieunefle, & efchaufé d'vne belle & noble ardeur que ie vous diray, Madame, vn iour à l'oreille. Les autres furent faits depuis, comme il eftoit à la pourfuite de fon mariage, en laueur de fii femme, & fentent défia ie ne fçay 5 quelle froideur maritale. Et moy ie fuis de ceux qui tiennent que la poëfie ne rid point ailleurs, comme elle faict en vn fubiect folâtre it defreglé'.

Ces tiers se uoieiil ailleurs.

' A la suite venaient les vingt-neuf sonnets d'Esticnuc de la Boetic. Montaigne les a rayés d'un grand trait en diagonale, du haut en bas de chaque page.

CHAPITRE XXX.

DE LA MODERATION'.

Commt; li nous auions rattouchcment infect, nous corrompons par noftrc maniement les choies qui d'elles melmes lont belles & bonnes. Nous pouuons laillr la vertu de façon qu'elle en deuiendra vicieule, si nous l'embraflbns d'vn deiir trop afpre & violant. Ceux 5 qui dil'ent qu'il n'y a iamais d'excès en la vertu, d'autant que ce n'ell plus vertu 11 l'excès y eft, le louent des parolles :

Infiini fapiens nonien tenit, iequus iiiiqui, Vitra quam latis eft virtutem û petat ipfam.

C'eft vne lubtile confideration de la philolbphie. On peut & trop 10 aimer la vertu, & le porter cxcessiiieincnt en vne action iulle. A ce biaiz s'accommode la noix diuine : Ne l'oyez pas plus lages qu'il ne faut, mais foyez fohremcnt fages.

l'ay lieu kl grand blesser la réputation de sa religion pour se montrer relligieus outre tout exatnpk des homes de sa sorte.

Texte 88. 4) vicicufc : conmiL- il aduioiU quand nous (.Momaignc se conicnu J'aborJ J'ciTacer il aduicMit) 4) & trop violant 6) eft, ils fe ioucnt de la fubtilitédcs 10) porter immodérément en... iuftc & vcrtueufe. A 11) biaiz fe peut accom- moder la parollc diuine,

Var. ms. 13) tel blesser

33

2)8 ESSAIS DE MONTAIGNE.

l'ciiDic des iialiiirs tempérées et moienes. L'inimoderalioii tiers le bien mcsme, si elle ne ni'offanee, elle m'estone et me met eu peine de la hahtiser. Nv la mère de Paiisanias, qui dona la première instruetion et porta la première pierre a la mort de son Jilx, ny le dictatur Posthiimius qui fit mourir le sien que l'ardur de iunesse auoit pousse hureusement sur les euemis, 5 //// peu a lia ut sou ranc, lie me semble si i liste eonie est range. Et n'aime ny a conseiller \jiy\ a siiiure une uertu si saunage et si chère.

L'archer qui outrepasse le blanc, fitut corne celliiy qui n'y arriiie pas. Et les veiis me troublent a monter a [coup] uers une grande lumière egalemêt come a deualer a l'ombre. [Callicle:^, en Platon, dit l'extrémité de la philo- 10 Sophie estre dommageable, et conseille de ne s'y] enfoncer outre les bornes du [profit]; que, prinse aiieques modération, elV est plaisante et commode, [mais qu'en fin elle] rant un home saunage et ni tiens, desdeigneiis des religions et loix communes, enemi de la conucrsation eiiiile, enemi des iioluptes humaines, incapable de tout' administration politique et de secourir aiitruy 15 et de se secourir a soi, propre a estre impiineemaiit souffleté. Il dict urai, car, en son exce:^, elle esclaue nostre naturelle franchise, et nous destioie, par un' imporliinc subtilité, du beau et plein chemin que nature nous a tracé.

L'amitic que nous portons à nos femmes, elle efl: tres-legitime : la théologie ne laifTe pas de la brider pourtant, & de la reftraindre. 20 11 me femble auoir leu autresfois chez fainct Thomas, en vn endroit il condamne les mariages des parans es degrez deffandus, cette raifon parmy les autres, qu'il y a danger que l'amitié qu'on porte à vne telle femme loit immodérée : car, li l'affection maritalle s'y trouue entière & perfaite, comme elle doit, & qu'on la furcharge 25 encore de celle qu'on doit à la parantelle, il n'y a point de doubte

Texte 88. 22) des parantes es

Vak. ms. 3) incrc de Mt^ 4) pierre pouf: 5) muni porte suf^ hi M^tuis Ijureusemciil 6) si piirciiieiil iiisle 7) « prescticr [ny'\ 9) monter a [/rtj lumière 11) honies de V utilité : que 15) polUique el de loul commerce cl de secourir 1 6) secourir soi mesmes : capable d'csirc foulé nus pieds sam se pleindiv iiiipinieciiiaiil . . . urai : iju'eu son excei elle gourmande el esclaue

LIVRK I, CHAPITRE XXX. 259

que ce lurcroift n'emporte vn tel mary hors les barrières de la raifon.

Les fciences qui règlent les meurs des hommes, comme la thcohgie & la philofophie, elles fe méfient de tout. 11 n'eft action fi priuée S & fecrette, qui fe defrobe de leur cognoilîance ix iurifdiction. Bien aprantis sœit cens qui syndiquent leur liberté. Ce sont les femmes qui communiquent tant qu'on ueut leurs pièces a garsoner; a medeciner la honte le défaut. le veux donc, de leur part, apprendre cecy aux maris, s'il s'en treuue encores qui y soint trop acharne^ : c'eft que les plaifirs melmes

10 qu'ils ont à l'acointance de leurs femmes, font reprouuez, fi la modération n'y eft obferuée; & qu'il y a dequoy faillir en licence & defbordement, comme en vn fubiet illégitime. Ces encherimans desJmite:^ que la chalur première nous suggère en ce ieu, sont, non indccem- mant sulemant, mais domageahlemenl emploie:^ enuers nos famés. Qu'elles

15 aprenncnt Vimpudance au moins d'un' autre main. Elles sont tousiours asses esueillees pour nostre besoin. le ne m'y suis serui que de l'instruction naturelle et simple.

C'eft vne religieufe liaifon & deuote que le mariage : voila pour- quov le plaifir qu'on en tire, ce doit eftre vn plaifir retenu, ferieux

20 & méfié à quelque feuerité; ce doit eftre vne volupté aucunemant prudente & confcientieufe. Et, parce que fa principale fin c'eft la génération, il y en a qui mettent en doubte fi, lors que nous fommes fans l'efperance de ce fruit, comme qiuind elles font hors d'aage, ou enceinte, il eft permis d'en rechercher l'enbrassemant. Ces! un homicide

Texte 88. 2) raifon, foit en l'amitic, foit aux cftects de la iouïlTance. Les 5) la religion & 8) apprendre encore cecy aux maris (car il y a grand dangicr qu'ils ne fe perdent en ce débordement) c'eft que 10) femmes, ils font merueilleu- fement reprouuez 12) defbordement en ce fubiet là, comme en vn fubiet eftranger &illegitime. 20) quelque peu de feuerité 25) de cet vfige, comme lors que les femmes font 24) rechercher cette accointancc : cela tiens ie pour certain qu'il eft beaucoup plus fainct de s'en abftenir. Certaine nation abomine la conionction p. 260, 1. 2.

Var. ms. 5) iurifdiction. Vrais ueaus el bien aprantis qui symiiqucni 7) pièces a m 13) nous fetttm 24) rechercher /'accointance.

260 ESSAIS DH MONTAIGNE.

a lit mode de Philoii. Certaines nations, et entre cintre la Mabiiiiietuiie, ahonriiièt la conionction auec les femmes enceintes; plusieurs auflî, auec celles qui ont leurs flueurs. Zenobia ne receuoit fon mary que pour vne charge, &, cela fait, elle le laiffoit courir tout le temps de fa conception, luy donnant lors feulement loy de recommencer : hraue s & généreux exemple de mariage.

C'est de quelque poète diseteus & affamé de ee déduit, que Platon eiipruiita cette narration, que luppiter fit a sa fiinie une si chahtreuse charge un iour que, ne poiniât auoir paiiance qu'eW eut gaigné son lict, il la uersa sur le planchier, et, par la uehemance [du^^ plaisir, oblia les resolutions grandes lo et importantes qu'il uenoit de prandre aueq les autres dieus en sa court céleste : [se] uantant qu'il l'auoit trouué aussi bon ce coup la, que lors que premieremant il la dépucela [a] cachettes de leurs parans.

Les Roys de Perfe appelloient leurs femmes à la compaignie de leurs feftins; mais quand le vin venoit à les cfchaufcr en bon efcient 15 & qu'il falloit tout à fait lafcher la bride à la uolupté, ils les r'enuoioient en leur priué, pour ne les faire participantes de leurs appétits immo- derez, & faifoient venir, en leur lieu, des femmes aufquelles ils n'euflent point cette obligation de refpect.

Tous plaifirs & toutes gratifications ne font pas bien logées en toutes 20 gens : Epaminondas auoit foit emprifonner vn garfon defbauché; Pelopidas le pria de le mettre en liberté en fa laueur : il l'en refufa, & l'accorda à vne fienne garfe, qui aufli l'en pria : dilant que c'eftoit vne gratification deuë à vne amie, non à vn capitaine. Sophocles, estant compaignon \_en] la Fracture aueq Pericles, uoiant de cas de jortune 25 passer [»//] hemi garçon : 0 le beau garçon que uoila, fit il a Pericles. Cela serait bon a un autre qu'a un Praiur, luy dict Pericles, qui doit auoir, I non i les mains sulenmnt, mais aussi les veus chastes.

Tf.xti; 88. 2) enceintes, comme elle Hiict aufll 3) recommencer : noble & 16) à la (iefbauche, ils 17) participantes des excez de leurs appétits defres^lez & immoderez, 19) obligation & ce refpect. 20) bien emploiées à toutes

\'ar. ms. 7) poêle diseU... déduit : que Platon : de qui PJalou

I.IVKH I, CHAPriKl- XXX. 261

yElius Vcrus, riimpcrcur, rclpondit à la Icmmc, comme clic le plaignoit dequoy il le lailToit aller \ Xamoiir d'autres femmes, qu'il le fiiilbit par occafion confcientieule, d'autant que le mariage eftoit vn nom d'honneur & dignité, non de folaftre & lalciue concupisccmc. Et S nos àtum iiiitbciirs ecclésiastiques font aiieq Ijoiuir nmnlioii d'une [famé] qui répudia son mari pour ne uouhir seconder ses trop lasciues et immodérées amours. Il n'eft en lomme aucune li iufte volupté, en laquelle l'excc/ & l'intempérance ne nous foit reprochable.

Mais, à parler en bon elcient, efl-ce pas vn milerable animal que

10 l'homme? A peine elHl en fon pouuoir, par l'a condition naturelle,

de goûter vn leul plaifir entier & pur, encore fe met-il en peine de

le retrancher par dilcours : il n'eft pas afle/ chetif, fi par art & par

cftude il n'augmente la mifere :

Fortunx miferas auximus arte vias.

15 La sagesse hunuine faict lyien sotlcmant \J'\ingenieuse de s'exercer [a] rabattre le nombre & Ja] douceur des iiolupte:^ qui nous apartieiu')il, couk elle faict fauorableiiult & iudustrieusemàt [d'ymploier ses artifices a nous peigner et farder les maus & [en] alléger le sentimant. Si l'eusse esté chef de part, l'eusse pris autre uoye, plus naturelle, qui est a dire uraïe, commode

20 & saincte; et nw fusse peut estre randu asses fort pour la borner.

Quoy que nos médecins fpirituels & corporels, comme par complot tait entre eux, ne trouuent aucune voyc à la guerilon, ny remède aux maladies du corps & de l'ame, que par le tourment, la douleur & la peine. Les veilles, les ieufnes, les haires, les exils

25 lointains & folitaires, les priions perpétuelles, les verges &: autres afflictions ont efté introduites pour cela; mais en telle condition

Texte 88. i) femme fur ce propos, comme 2) .i l'amitié d'autres 4) lafciue volupté. Il n'cft 23) par le torment, la

Var. ms. 5) nos autheurs 15) sagesse fai 17) d'emptoier d'tmphiei: ses arf artifices 18) peigner el caclier les 19) autre route plus... urai et commode

262 ESSAIS DE MONTAIGNE.

que ce lovent véritablement afflictions & qu'il y ait de l'aigreur poignante; '& qu'il n'en aduienne point comme à vn Gallio, lequel ayant efté enuoyé en exil en l'ifle de Leftos, on fut aduerty à Romnie qu'il s'y donnoit du bon temps, & que ce qu'on luy auoit enioint pour peine, luy tournoit à commodité : parquoy ils 5 fe rauiferent de le rappeler près de fa femme & en fa maifon, & luy ordonnèrent de s'y tenir, pour accommoder leur punition à fon reffentiment. Car à qui le ieufne aiguiferoit la fanté & l'alegrefle, à qui le poiffon feroit plus appetiffant que la chair, ce ne feroit plus recepte falutaire; non plus qu'en l'autre médecine les drogues 10 n'ont point d'effect à l'endroit de celuy qui les prend auec appétit & plaifir. L'amertume & la difficulté font circonftances feruants à leur opération. Le naturel qui accepteroit la rubarbe comme familière, en corromproit l'vfage : il faut que ce loit chofe qui blefle noftre eftomac pour le guérir; & icy faut la règle commune, que les 15 chofes fc gueriffent par leurs contraires, car le mal y guérit le mal. Cette impreffion fe raporte aucunement à cette autre fi ancienne, de penfer gratifier au Ciel & à la nature par noftre maifacre & homi- cide, qui fut vniuerfellement embraflee en toutes religions. Encore du temps [del nos pères, Amurat, en [la] prinse de l'Istme, immola six cens 20 iunes Immes grecs a l'ame de son père, affin que ce sang seruit de propiiiafion a l'expiation des pèches du trespassé. Et en ces nouuelles terres, del- couuertes en noftre aage, pures encore & vierges au pris des noftres, l'vfage en eft aucunement receu par tout : toutes leurs Idoles s'abreuuent de fang humain, non fans diuers exemples d'horrible 25 cruauté. On les brûle vifs, &, demy rôtis, on les retire du brafier pour leur arracher le cœur & les entrailles. A d'autres, voire aux femmes, on les efcorche vifues, & de leur peau ainfi fanglante en

Texte 88. 4) ce que l'on luy 7) leur chafticment à 11) auec gouft & 19) religions. Car en ces

\'ar. ms. 21) rt l'omhre de... sang luy sentit de propitiatiou et a

LIVRE I, CHAPITRF. XXX. 265

rcucft on & mafque d'autres. Et non moins d'exemples de confiance is; refolution. Car ces pauures gens facrifiablcs, vieillars, femmes, enfans, vont, quelques iours auant, queftant eux mefme les aumofnes pour l'offrande de leur facrifice, & fe prefentent à la boucherie 5 chantans & dançans auec les affiftans. Les ambaffadeurs du Roy de Mexico, faifant entendre à Fernand Cortez la grandeur de leur maiftre, après luy auoir dict qu'il auoit trente vaffaux, defquels chacun pouuoit affembler cent mille combatans, & qu'il fe tenoit en la plus belle & forte ville qui fut foubs le ciel, luy adioufterent

10 qu'il auoit à facrifier aux Dietix cinquante mille hommes par an. De vray, ils difent qu'il nourriffoit la guerre auec certains grands peuples voifms, non feulement pour l'exercice de la ieuneffe du païs, mais principallement pour auoir dequoy fournir à fes facrifices par des prifonniers de guerre. Ailleurs, en certain bourg, pour la

15 bien venue du dit Cortez, ils facrifierent cinquante hommes tout à la fois. le diray encore ce compte. Aucuns de ces peuples, ayants efté batuz par luy, enuoyerent le recognoillre & rechercher d'amitié; les meffagers luy prefenterent trois fortes de prefens, en cette manière : Seigneur, voyla cinq efclaues; fi tu es vn Dieu fier, qui te

20 paiffes de chair & de fang, mange les, & nous t'en amerrons d'auan- tage; fi tu es vn Dieu débonnaire, voyla de l'encens & des plumes; fi tu es homme, prens les oileaux & les fruicts que voicy.

Chapitre XXXL

DES CANNIBALES.

Quand le Rov Pvrrhus pafla en Italie, après qu'il eut reconneu l'ordonnance de l'armée que les Romains luy enuovoient au deuant : le ne fçay, dit-il, quels barbares font ceux-ci (car les Grecs appelloyent ainsi toutes les nations eftrangieres), mais la difpofition de cette armée que ie voy, n'eft aucunement barbare. Autant en 5 dirent les Grecs de celle que Flaminius fit palTer en leur païs, et Philippiis, ndiant d'un tertre l'ordre et distribution du camp Romein en [son'\ roxaume, sous Puhlius Sulpicius Galba. Voyla comment il fe faut garder de s'atachcr aux opinions vulgaires, & les faut iuger par la voye de la raifon, non par la voix commune. 10

l'ay eu long temps auec moy vn homme qui auoit demeuré dix ou douze ans en cet autre monde qui a efté defcouuert en nofl:re fiecle, en l'endroit Vilegaignon print terre, qu'il furnomma la France Antartique. Cette defcouuerte d'vn païs infini femble estre de confideration. le ne fçav fi ie me puis refpondre que il ne s'en 15 face à l'aducnir quelqu'autre, tant de perfonnages/)///.s\<,''/v//;(/.s- que nous ayans elle trompez en cette-cy. l'ay peur que nous auons les yeux

Texie 88. 4) cftrangiercs barbares) mais 9) iuger les choies par 10) non de la i |) infini de terre ferme, l'enible de grande confideration. 16) tant de grands perfonnages ayans

\'ar. ms. 7) h-tivc 1(1 di!:f>i>!ii

LIVRE I, CHAPITRE XXXI. 26)

plus grands que le ventre, cl plus de curiofité que nous n auons de capacité. Nous embralTons tout, mais nous n'étreignons que du vent. Platon introduit Solon racontant auoir apris des Preflres de la ville de Sais en ^Egypte, que, iadis 6c auant le déluge, il v auoit vne 5 grande Ille, nommée Athlantide, droict à la bouche du deftroit de Gibaltar, qui tenoit plus de pais que l'Afrique & l'Afie toutes deux eniemble, (b^ que les Roys de cette contrée la, qui ne pofledoient pas leulement cette ille, mais s'eftoyent eftendus dans la terre ferme fi auant qu'ils tenovent de la largeur d'Afrique iniques en ^Egypte,

10 & de la longueur de l'Europe iniques en la Toicane, entreprindrent d'eniamber iniques lur l'iAlle, & lubiuguer toutes les nations qui bordent la mer Méditerranée iul'ques au golfe de la. mer Maiour: 6c, pour cet effect, trauerferent les Efpaignes, la Gaule, l'Italie, iufques en la Grèce, les Athéniens les fouilindrent : mais que, quelque

15 temps après, & les Athéniens, & eux, & leur ifle furent engloutis par le déluge. Il eft bien vray-femblable que cet extrême rauage d'eaux ait faict des changemens eftranges aux habitations de la terre, comme on tient que la mer a retranché la Sycile d'auec l'Italie,

Hœc loca, vi quondam & vafta conuuH'a ruina, 20 DiffiluiiTe ferunt, cùm protinus vtrdque tellus

Vna foret ;

Chipre d'auec la Surie, Fille de Negrepont de la terre terme de la Bœoce; & ioint ailleurs les terres qui efloyent diuifees, comblant de limon & de fable \cs fosses d'entre-deux,

25 fterlHfque diu palus aptdque remis

\'icinas vibes alit, & "rauc fentit aratruni.

Texte 88. i) ventre, comme on dict, & le dit on de ceux, aufqucls l'appétit & la faim font plus defirer de viande, qu'ils n'en peuuent empocher : le crains aulTi que nous auons beaucoup plus de curiofité 2) mais ic crains que nous n'étrei<!;nons rien que du 5) apris de Preflres 2 |) les foffez d'entre-deux

266 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Mais il n'y a pas grande apparence que cette Ille loit ce monde nouueau que nous venons de defcouurir : car elle touchoit quafi l'El'paigne, & ce feroit vn effect incroyable d 'inundation de l'en auoir reculée, comme elle eft, de plus de douze cens lieues; outre ce que les nauigations des modernes ont des-ja prefque delcouuert 5 que ce n'efl point vne ifle, ains terre ferme & continente auec l'Inde orientale d'vn cofté, & auec les terres qui font foubs les deux pôles d'autre part; ou, fi elle en eft feparée, que c'eft d'vn fi petit deftroit & interualle qu'elle ne mérite pas d'eftre nommée ifle pour cela. 10

11 femble qu'il y aye des mouuemens, naturds les uns, les autres fieureux, en ces grands corps, comme aux noftres. Quand ie confldere l'impreffion que ma riuiere de Dordoigne faict de mon temps vers la riue droicte de fa delcente, & qu'en vingt ans elle a tant gaigné, & defrobé le fondement à plufieurs baftimens, ie vois bien que c'eft 15 vne agitation extraordinaire : car, fi elle tut toufiours allée ce train, ou deut aller à l'aduenir, la figure du monde feroit renuerfée. Mais iMeur prend des changements : tantoft elles s'efpendent d'vn cofté, tantoft d'vn autre; tantoft elles fe contiennent. le ne parle pas des foudaines inondations de quoy nous manions les caules. En Medoc, 20 le long de la mer, mon frère, Sieur d'Arfac, voit vne fiene terre enfeuelie foubs les fables que la mer vomit deuant elle; le fefte d'aucuns baftimens paroift encore; fes rentes & domaines fe font éfchangez en pafquages bien maigres. Les habitans difent que, depuis quelque temps, la mer fe pouffe fi fort vers eux qu'ils ont 25 perdu quatre lieues de terre. Ces fiibles font fes fourriers : et uoions des gniiulcs inoiiioies d'areiie mou uu nie, qui iiuireheiil d'une demi lieue dauant elle, el indignent païs.

Texik 88. II) niouucniens maladifs & lifurcux 26) terre, & marche ainfi : ces fables

Yak. ms. 26) uoions de granâcs 27) d'iiifiic qui marchent ihmaiU elle

LIVRE I, CHAPITRE XXXI. 267

L'autre tefmoignage de l'antiquité, auquel on veut raportcr cette delcouuerte, ell; dans Ariltote, au moins li ce petit liuret des mcrueilles inouies eft à luy. Il raconte que certains Carthaginois, s'eilant iettez au trauers de la mer Athlantique, hors le deftroit de Gibaltar, 5 & nauigué long temps, auoient delcouuert en fin vne grande ifle fertile, toute reueftuë de bois & arroufée de grandes & profondes riuieres, fort efloignée de toutes terres fermes; 6c qu'eux, & autres dépuis, attirez par la bonté & fertilité du terroir, s'y en allèrent auec leurs femmes & enfans, & commencèrent à s'y habituer. Les Seigneurs

10 de Carthage, voyans que leur pays fe dépeuploit peu à peu, firent deffence exprefle, fur peine de mort, que nul n'eut plus à aller là, & en chaflerent ces nouueaux habitans, craignants, à ce que l'on dit, que par fucceflion de temps ils ne vinfent à multiplier tellement qu'ils les fupplantaffent eux mefmes, & ruinaffent leur eftat. Cette

15 narration d'Ariftote n'a non plus d'accord auec nos terres neufues.

Cet homme que i'auoy, efloit homme fimple & groflier, qui eft

vne condition propre à rendre véritable tefmoignage : car les fines

gens remarquent bien plus curieufement & plus de chofes, mais ils

les glofent; &, pour faire valoir leur interprétation & la perfuader,

20 ils ne fe peuuent garder d'altérer vn peu l'Hiftoire : ils ne vous reprefentent iamais les chofes pures, ils les inclinent & mafqucnt félon le vifage qu'ils leur ont veu; &, pour donner crédit à leur iugement & vous y attirer, preftent volontiers de ce cofté la à la matière, l'alongent & l'amplifient. Ou il faut vn homme tres-fidelle, ou fi

25 fimple qu'il n'ait pas dequoy baftir & donner de la vray-femblance à des inuentions fauces; & qui n'ait rien cfpoufé. Le mien eftoit tel; &, outre cela, il m'a faict voir à diuerfes fois plufieurs matelots & marchans qu'il auoit cogneuz en ce voyage. Ainfi ie me contente de cette information, fiins m'enquerir de ce que les colmographes

30 en difent.

Il nous faudroit des topographes qui nous filîent narration parti- culière des endroits ils ont efté. Mais, pour auoir cet auantagc

208 ESSAIS DE MONTAIGNE.

fur nous d'auoir veu la Paleftine, ils veulent ioiiir de ce priuilege de nous conter nouuelles de tout le demeurant du monde. le voudroy que chacun elcriuit ce qu'il fçait, & autant qu'il en içait, non en cela feulement, mais en tous autres fubiects : car tel peut auoir quelque particulière fcience ou expérience de la nature d'vne riuiere ou d'vnc 5 fontaine, qui ne fçait au refte que ce que chacun fçait. Il entreprendra toutes-fois, pour faire courir ce petit lopin, d'efcrire toute la phyfique. De ce vice fourdent plufieurs grandes incommoditez.

Or ie trouue, pour reuenir à mon propos, qu'il n'y a rien de barbare & de lauuage en cette nation, à ce qu'on m'en a rapporté, 10 finon que chacun appelle barbarie ce qui n'eft pas de Ion vfage; comme de vrav il femble que nous n'auons autre mire de la vérité & de la raifon que l'exemple & idée des opinions & vûinces du païs nous fommes. La cil touliours la parfaictc religion, la parfoicte police, perfect & accomply vlage de toutes choies. Ils lont iauuages, 15 de mefmes que nous appelions Iauuages les fruicts que nature, de foy & de fon progrez ordinaire, a produicts : où, à la vérité, ce font ceux que nous auons altérez par noftre artifice & détournez de l'ordre commun, que nous deurions appeller plutoft Iauuages. En ceux font viues & vigoureuies les vrayes, & plus vtiles liic naturelles vertus 20 & proprietez, lefquelles nous auons abaftardies en ceux-cy, & les auons feulement accommodées au plaifir de noftre gouft corrompu. Et si pourtant la saiicur mesiiie et delieatesse se trémie a mstre goût excellante, a Venui des nosires, en diuers fruits de ces contrées la, sans culture. Ce n'eft pas raifon que l'art gaigne le point d'honneur fur 25 noftre grande & puiftante mère nature. Nous auons tant rechargé la beauté & richefte de fes ouurages par nos inuentions, que nous l'auons du tout eftouff^ée. Si eft-ce que, par tout la pureté

Texte 88. i) veulent auoir ce 12) autre touche de

Var. ms. 22) coxrom^M : et ta fa saueur 25) liriiiw sans nrl & sans culture, se tienne excellante... eiî pi fruits des ces contrées la. Ce n'eft pas

I.IVRK I, CHAIMTRI: XXXI. 269

reluit, L'Ile tait vnc nierueillculc honte à nos vaines & triuoles entreprinles,

Et veniunt cdenv fponte fua melius, Surgit & in folis formoilor arbutus antris, 5 Et volucres nulla dulcius arte canuiit.

Tous nos efforts ne peuuent feulement arriuer à reprefenter le nid du moindre oyfelet, fa contexture, fa beauté & l'vtilité de fon vlage, non pas la tiflure de la chetiue araignée. Toutes choses, liicl Platon, sont produites par la nature, ou par la fortune, ou par l'art; les plus

10 faraudes et plus belles, par l'une ou l'autre des deus premières; les moindres et imparfaictes, par la dernière.

Ces nations me femblent donq. ainfi barbares, pour auoir rcceu fort peu de foçon de l'efprit humain, & élire encore fort voifmes de leur naifueté originelle. Les loix naturelles leur commandent encores,

15 fort peu abaftardies par les noflres; mais c'eft en telle pureté, qu'il me prend quelque fois defplaifir dequoy la cognoifllmce n'en foit venue plutoft, du temps qu'il v auoit des hommes qui en euffent fceu mieux iuger que nous. Il me defplait que Licurgus & Platon ne l'ayent eue; car il me femble que ce que nous voyons par expe-

20 rience en ces nations la, furpafle, non feulement toutes les peintures dequoy la poëfie a embelly l'âge doré, & toutes ses inuentions

Texte 88. 8) chetiue & vile araignée.

V'ar. ms. 8) cIjoscs : selon Platon produites : selon eei^* rédaction iiuchevce. : dit Platon sont produites : selon Platon sont 5" : dict Platon sont 9) nature la fortune ou l'art 10) belles choses sont produises par l'une... premières ca uses les moindres et moins parfaictes par l'art. Ces nations

' Cer lecture Jouteuse. Ce pass.agc est pris aux Lois (888 1;). La tr.iduction de Marsilc l'icin, dont Montaigne s'est ser\i, porte dans la marge : » Iles onines vel natura vcl fortuna vel arte fieri » ; Montaigne .ittribue cette pensée à Platon, et écrit : Selon Platon. Mais, en se reportant au texte, il s'aperçoit que cette pensée est attribuée par Platon lui-même .i d'autres sages. « Res omnes nonnuUi aïunt ■>, etc., et plus loin « non absurdum est viros sapientes probe dixisse ». Il rectifie donc sa preniiire formule, efface le nom de Platon pour le remplacer par un équivalent de . nonnulli et de viros sapientes», probablement par : Certains fages ; mais il se ravise, et, sur le mot commencé, il met en surcharge dit ()• variante).

270 ESSAIS DE MONTAIGNE.

à feindre vne heureufe condition d'hommes, mais encore la concep- tion & le defir mefme de la philofophie. Ils n'ont peu imaginer vne nayfueté fi pure & fimple, comme nous la voyons par expérience; ny n'ont peu croire que noftre focieté fe peut maintenir auec fi peu d'artifice & de foudeure humaine. C'efl; vne nation, diroy ie à Platon, 5 en laquelle il n'y a aucune efpece de trafique; nulle cognoiflance de lettres; nulle fcience de nombres; nul nom de magiftrat, ny de fuperiorité politique; nul usage de feruice, de richefle ou de pauureté; nuls contrats; nulles fijcceflions; nuls partages; nulles occupations qu'oyfiues; nul refpect de parenté que commun; nuls vefl;emens; 10 nulle agriculture; nul métal; nul vfage de vin ou de bled. Les paroles mefmes qui fignifient la menfonge, la trahifon, la diflîmulation, l'auarice, l'enuie, la detraction, le pardon, inouies. Combien trouue- roit il la republique qu'il a imaginée, efloignée de cette perfection : « uiri a dijs récentes ». 15

Hos natura modos primum dédit.

. Au demeurant, ils viuent en vne contrée de pais tres-plaifante & bien tempérée : de façon qu'à ce que m'ont dit mes tefmoings, il efi: rare d'y voir vn homme malade; & m'ont affeuré n'en y auoir veu aucun tremblant, chaflieux, edenté, ou courbé de vieilleffe. Ils 20 font afiîs le long de la mer, & fermez du cofté de la terre de grandes & hautes montaignes, ayant, entre-deux, cent lieues ou enuiron d'eftendue en large. Ils ont grande abondance de poiflbn & de chairs qui n'ont aucune reflemblance aux noflres, & les mangent fans autre artifice que de les cuire. Le premier qui y mena vn cheual, quoi qu'il 25 les eut pratiquez à plufieurs autres voyages, leur fit tant d'horreur en cette afliete, qu'ils le tuèrent à coups de traict, auant que le pouuoir recognoiftre. Leurs baftimens font fort longs, & capables de deux ou trois cents âmes, eftoffez d'efcorfe de grands arbres,

Texte 88. 8) nul gouft de 25) cheual, qui les auoit pratiquez 26) voyages, il leur

LIVRE I, CHAIMTRR XXXI. 27I

tenans à terre par vn bout & le fouftenans & appuyans l'vn contre l'autre par le fefte, à la mode d'aucunes de noz granges, defquelles la couuerture pend iulques à terre, & fert de flanq. Ils ont du bois fi dur qu'ils en coupent, & en font leurs efpées & des grils à cuire 5 leur viande. Leurs lits font d'vn tiflu de coton, fufpenduz contre le toict, comme ceux de nos nauires, à chacun le fien : car les femmes couchent à part des maris. Ils fe leuent auec le foleil, & mangent foudain après s'eflre leuez, pour toute la iournée; car ils ne font autre repas que celuy là. Ils ne boyuent pas lors, comme' Suidas

10 dict de quelques autres peuples d'Orient, qui beuuoient hors du manger; ils boiuent à plufieurs fois fur iour, &. d'autant. Leur breuuage efl faict de quelque racine, & efl de la couleur de nos vins clairets. Ils ne le boyuent que tiède : ce breuuage ne fe conferue que deux ou trois iours; il a le gouft vn peu piquant, nullement fumeux,

15 falutaire à l'eftomac, & laxatif à ceux qui ne l'ont accoullumé; c'eft vne boiflbn tres-agreable â qui y est duit. Au lieu du pain, ils usent d'vne certaine matière blanche, comme du coriandre confit. l'en ay tafté : le gouft en est doux & vn peu fiide. Toute la iournée fe pajffe à danccr. Les plus ieunes vont à la chafle des beftes à tout

20 des arcs. Vne partie des femmes s'amufent cependant à chauffer leur breuuage, qui eft leur principal office. Il y a quelqu'vn des vieillars qui, le matin, auant qu'ils fe mettent à manger, prefche en commun toute la grangée, en fe promenant d'vn bout à autre, & redifant vne mefme claufe à plufieurs fois, iufques à ce qu'il ayt acheué le

25 tour (car ce font baftimens qui ont bien cent pas de longueur). Il ne leur recommande que deux chofes : la vaillance contre les ennemis is; l'amitié à leurs femmes. Et ne faillent iamais de remerquer cette

Texte 88. 5) flanq & du paroy. Ils 4) dur & li ferme qu'ils... à cuyure leur 15) boyuent pas que 15) l'ont guiere accouftunié 16) tres-agreable à ceux qui y font duits. Au... ils mangent d'vne 18) tafté, il a le gouft doux 2!) qui eft le principal office qu'ils reçoiuent d'elles. Il y a

' comme... liors du manger addition de 1588.

2-j2 ESSAIS DE .MOXTAIGXE.

obligation, pour leur refrein, que ce l'ont elles qui leur maintiennent leur boiflbn tiède & alTailbnnée. Il ie void en plufieurs lieux, & entre autres chez moy, la forme de leurs lits, de leurs cordons, de leurs efpées & braflelets de bois dequoy ils couurent leurs poignets aux combats, & des grandes cannes, ouuertes par vn bout, par le Ion 5 defquelles ils fouftiennent la cadance en leur dancer. Ils font ras par tout, & fe font le poil beaucoup plus nettement que nous, lans autre ralbuër que de bois ou de pierre. Ils croyent les âmes éternelles, & celles qui ont bien mérité des dieux, élire logées à l'endroit du ciel le foleil fe leue; les maudites, du collé de l'Occident. 10

Ils ont ie ne fçay quels preflres .:>c prophètes, qui le prelentent bien rarement au peuple, ayant leur demeure aux montaignes. A leur arriuée il le faict vne grande felle 6c affemblée folennelle de plufieurs \ilages (chaque grange, comme ie l'ay delcrite, faict vn vilage, & font enuiron à vne lieuë Françoile l'vne de l'autre). Ce 15 prophète parle à eux en public, les exhortant à la vertu & à leur deuoir; mais toute leur fcience éthique ne contient que ces deux articles, de la relblution à la guerre & affection à leurs femmes. Cettuy-cv leur prognoflique les chofes à venir & les euenemens qu'ils doiuent efperer de leurs entreprinfes, les achemine ou dellourne 20 de la guerre ; mais c'ell par tel si que, ou il fout à bien deuiner, & s'il leur adulent autrement qu'il ne leur a prédit, il eil haché en mille pièces s'ils l'attrapent, & condamné pour faux prophète. A cette caufe, celuy qui s'eft vne fois mefconté, on ne le void plus.

C'est don de dieu que \]a\ diuimtiou : uoih pourquoi ce deuroit estrc une 25 imposture punissable, \d'^en abuser. Entre les Scythes, quand les diuins auoinl failli de rencontre, [on'] les couchoit, enforgei [de] pieds et de mains, sur des eharriotes pleines de brniere, tirées par des beufs, en quoi on les faisoit brûler. Cens qui manient les choses sulnecies | a'] la conduite de

TiATK S8. 21) c'uft 11 uUc condition, que s'il faul

\'ar. ms. 26) Scythes u 27) triiamhr [ils] les couchoiiil ciifoigci 28) hciifs a quoi ou mcUoU le ftu

LlVRi: I, CHAPITRE XXXI. 275

l'hiinuiiih' suffisance, sont exriisitblcs \d\'y faire ce qu'ils peuueiit. Mais ces autres, qui nous uiencnt pipant des assurances d'une faculté exiraordiuere qui est hors de nostre conoissance, faut [il] pas les punir de ce qu'ils ne uuiintienent l'effaict de leur promesse, et de la témérité de leur imposture! S Ils ont leurs guerres contre les nations qui l'ont au delà de leurs montaignes, plus auant en la terre ferme, aulquelles ils vont tous nuds, n'ayant autres armes que des arcs ou des efpées de bois, apointées par vn bout, à la mode des langues de nos elpieuz. C'eft chofe efmerueillable que de la fermeté de leurs combats, qui ne

10 finilTcnt iamais que par meurtre &: effufion de fang; car, de routes & d'effroy, ils ne fçauent que c'eft. Chacun raporte pour fon trophée la tefte de l'ennemy qu'il a tué, & l'attache à l'entrée de fon logis. Apres auoir longtemps bien traité leurs prifonniers, & de toutes les commoditez dont ils fe peuuent auifer, celuy qui en ell; le

15 maiftre, faict vnc grande affemblée de fes cognoiflans : il attache vne corde à l'vn des bras du prifonnier, par le bout de la quelle il le tient, eslouignê de quelques pas, de peur d'en estre offancé, & donne au plus cher de fes amis l'autre bras à tenir de mefme; & eux deux, en prefence de toute l'aflemblée, l'aflbmment à coups d'efpée. Cela faict,

20 ils le roftifîent & en mangent en commun & en enuoient des lopins à ceux de leurs amis qui font abfens. Ce n'eft pas, comme on penfe, pour s'en nourrir, ainfi que fiiifoient anciennement les Scythes : c'eft pour représenter vne extrême vengeance. Et qu'il foit ainiî, ayant apperceu que les Portuguois, qui s'eftoient r'alliez à leurs aduertaires,

25 vfoient d'vne autre forte de mort contre eux, quand ils les prenoient, qui eftoit de les enterrer iufques à la ceinture, & tirer au demeurant du corps force coups de traict, «Se les pendre après : ils pcnferent que CCS gens icy de l'autre monde, comme ceux qui auoyent femé la connoiftancc de beaucoup de vices parmy leur voiftnage, & qui

Texte 88. 18) plus fidellc de 19) cfpcc. Apres cela, ils Var. ms. 2) pipant ila promesses 'et' assuraiiees 3) punir s'ils

274 ESSAIS DE MONTAIGNE.

cftoient beaucoup plus grands maiftres qu'eux en toute forte de malice, ne prenoient pas fans occafion cette iorte de vengeance, & qu'elle deuoit eftre plus aigre que la leur, commencèrent' de quitter leur façon ancienne pour fuiure cette-cy. le ne fuis pas marry que nous remerquons l'horreur harbarefque qu'il v a en vne telle action, 5 mais ouy bien dequoy, iugeans bien de leurs foutes, nous foyons fi aueuglez aux noftres. le penfe qu'il y a plus de barbarie à manger vn homme viuant qu'à le manger mort, à defchirer, par tourmens & par geénes, vn corps encore plein de fentiment, le faire roftir par le menu, le faire mordre & meurtrir aux chiens & aux pourceaux 10 (comme nous l'auons, non feulement leu, mais veu de treiche mémoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voifins & concitovens, &, qui pis eft, fous prétexte de pieté & de religion), que de le roftir & manger après qu'il eft trefpalTé.

Chryfippus & Zenon, chefs de la fecte Stoicque, ont bien penfé 15 qu'il n'y auoit aucun mal de fe feruir de noftre charoigne à quoy que ce fut pour noftre befoin, & d'en tirer de la nourriture : comme nos anceftres, eftans aftiegez par Caviar en la ville de Alexia, fe refolurent de fouftenir la faim de ce fiege par les corps des vieillars, des femmes & autres perfonnes inutiles au combat. 20

Vafcones, fama efi:, alimentis talibus vfi Produxere animas.

Et les médecins ne craignent pas de s'en feruir à toute lortc d'viage pour noftre fanté, foit pour l'appliquer au dedans, ou au dehors; mais il ne se trouua iamais aucune opinion fi defreglée qui excufat la trahiion, 25 la defloyauté, la tyrannie, la cruauté, qui font nos fautes ordinaires. Nous les pouuons donq bien appcllcr barbares, eu efgard aux règles de la raifon, mais non pas eu clgard à nous, qui les lurpaft"ons

Texte 88. 20) & loulcs nulrcs 24) ne s'y trouua

' l-'édition de ij9; iIoiiik- : dont ils ConiIlK'ncclL'lU

LIVRH 1, CHAIMTRH XXXI. 275

en toute forte de barbarie. Leur guerre eft toute noble & genercufe, & a autant d'excufe & de beauté que cette maladie humaine en peut receuoir : elle n'a autre fondement parmy eux que la feule ialoufie de la vertu. Ils ne font pas en débat de la conquefte de nouuelles 5 terres, car ils iouyifent encore de cette vberté naturelle qui les fournit fans trauail & fans peine de toutes chofes neccflaires, en telle abondance qu'ils n'ont que faire d'agrandir leurs limites. Ils font encore en cet heureux point, de ne defirer qu'au tant que leurs neceffitez naturelles leur ordonnent : tout ce qui eft au delà, eft

10 fuperflu pour eux. Ils s'entr'appellent généralement, ceux de mcfme aage, frères; enfans, ceux qui font au deffoubs; & les vieillards font pères à tous les autres. Ceux-cy laiflent à leurs héritiers en commun cette pleine pofleflion de biens par indiuis, lans autre titre que celuy tout pur que nature donne à fes créatures, les produifant au monde.

15 Si leurs voiftns pafl'ent les montaignes pour les venir affaillir, & qu'ils emportent la victoire fur eux, l'acqueft du victorieux c'eft la gloire, & l'auantage d'eftre demeuré maiftre en valeur & en vertu : car autrement ils n'ont que fiire des biens des vaincus, & s'en retournent à leur pays, ils n'ont faute de aucune chofe necefliiire, ny faute

20 encore de cette grande partie, de fçauoir heureufement iouyr de leur condition & s'en contenter. Autant en font ceux-cy à leur tour. Ils ne demandent à leurs prifonniers autre rançon que la confefllon & recognoiflance d'eftre vaincus; mais il ne s'en trouue pas vn, en tout vn fiecle, qui n'ayme mieux la mort que de relalcher, ny par

25 contenance, ny de parole, vn feul point d'vne grandeur de courage inuincible : il ne s'en void aucun qui n'ayme mieux eftre tué & mangé, que de requérir feulement de ne l'eftre pas. Ils les traictent en toute liberté, affin que la vie leur foit d'autant plus chère; & les entretiennent communément des menaftcs de leur mort future, des

Texte 88. 19) de nulle chofe 28) liberté, & leur fournifTcnt de toutes les commoditcz, dequoy ils fe peuuent aduifer, aflin

276 ESSAIS DE MONTAIGNE.

tOLirmens qu'ils y auront à l'ouffrir, des apprcfts qu'on drefle pour cet cffect, du detranchement de leurs membres, è;^ du teftin qui le fera à leurs defpens. Tout cela le faict pour cette feule lin d'arracher de leur bouche quelque parole molle ou rabaiflee, ou de leur donner enuie de s'en fuyr, pour gaigner cet auantage de les auoir elpouuantez, 5 & d'auoir taict force à leur confiance. Car auflî, à le bien prendre, c'eft en ce feul point que conlifte la vrave victoire :

iiictoria nu lia csl Ouaiii quœ confessas an'nno quoque suhiugat hosics.

Les Hoiif^irs, ircshclUqucus conihahvis, ne poiirsiiiuoint idâis leur pointe, 10 outre auoir reudu l'cueiui a leur uwrei. Car, eu aiaut arraehe eette eoiijessiou, ils le Jaissoiut aller sans offauee, sans rançon, sauf, pour le plus, d'eu tirer parole de ne s'arnuv des lors en auant contre eus.

Asses r/'auantages gaignons nous fur nos ennemis, qui lont auan- tages empruntez, non pas noftres. C'eft la qualité d'vn portefaix, non 15 de la vertu, d'auoir les bras & les iambes plus roides; c'eft vne qualité morte & corporelle que la difpofition; c'eft vn coup de la fortune de fiiire broncher noftre ennemy, & de luy eshlouir les yeux par la lumière du Soleil; c'eft vn tour d'art & de fcience, & qui peut tomber en vne perfonne lâche & de néant, d'eftre fuffifant à l'efcrime. 20 L'eftimation & le pris d'vn homme conlîfte au cœur & en la volonté; ■c'eft gift fon vray honneur; la vaillance, c'eft la fermeté, non pas des iambes & des bras, mais du courage & de l'ame; elle ne confifte pas en la valeur de noftre cheual, ny de nos armes, mais

Texte 88. 6) force à leur vertu & leur confiance. 7) vraye & folide victoire : tous les autres auantages que nous gaignons fur nos ennemis, ce font auan-

tages empruntez, ils ne font pas noltres (A\nnt de r^-l'aire cette phr.isc, Montaigne se contente d'effacer Ics autres) 1 8) luy faire fillcr les yeux

Var. ms. lo) ne poursuiiieni iamais tciir ii) a sa mem leur merei sans meurtre sans rançon. Car en aiant tire cette 12) ils le laissent aller 13) parole ne... ens. Tous autres auantaoes

LIVRH I, CHAl'ITRi; XXXI. 277

en la noftre. Celuy qui tombe obrtinc en Ion courage, «si siuxiikiil, ik a;i'iiii piigiuit ». Qui pour quelque dangier de la mort voifme ne relalche aucun point de son alTcurancc; qui regarde encores, en rendant Famé, Ion ennemy d'vne veuë ferme & dei'daigneule, 5 il eft battu, non pas de nous, mais de la fortune; il cft tue, itoit pus iiaiiicii.

Les plus vaillans font par fois les plus infortunée. Aussi y a il des pertes triomphantes a l'eniii des iiietoires. Ny ces quatre uictoires seurs, les plus belles que le soleil ayc onques ueu de ses ycus, de

10 Sala mi ne, de Flattées, de Mvcale, de Sicille, osarent onques opposer toute leur gloire ensemble a la gloire de [la] desconfiture du Roy Leonidas et des siens, au pas des Thcrmopyles.

Qui courut ianiais d'une plus glorieuse enuie et plus andntieuse au guein d'un combat, que le capiteine Ischolas a [la] perte ? Qui plus ingenieuseniàt

15 [et] curieusemant s'est assuré de son salut, que luv de sa ruine? Il estoit commis a dejandre certein passage du Peloponesse contre les Arcadiens. Pourquoi faire se trouuant du tout incapable, ueu la nature du lieu et inégalité des forces, et se rcsoluant que tout ce qui se presanteroit ans enemis, aroit de nécessite a y demurer; d'autre part estimant iiuligne et de sa propre

20 uertu et magnanimité & du nom lacedemonien, de faillir a sa charge : il print entre ces deus extrémité:^ un moicn parti, de telle sorte. Les plus innés et dispos de sa trope, il [les] conserua a la tuition et seruice de leur pais, & les y renuoia; et aucq cens desquels lle\ défaut estoit moindre, il délibéra de soutenir ce pas, &, par leur nuvt, en faire acheter ans enemis l'entrée

25 la plus chère qu'il luy seroit possible : come il aduint. Car, estant tantost cnuirone de toutes pars par les Arcadiens, après en auoir jaict une grande boucherie, luy et les siens furent tous )nis au fil de l'espee. Est il quelque

Texte 88.— 3) point de fa confiance & afleuraiicc 5) il cft vaincu par effcct, & non pas par raifon : c'eft fon mal'heur qu'on peut accufer, non fa Ikheté : les plus vaillans

Var. ms. II) descoiifiture el perle du Roy Leonidas [et] de ses compaigiwns au pas de T 20) magnanimité & de la 22) les] couserue a

270 ESSAIS DE MONTAIGNE.

trophée assigne pour les ueincurs, qui ne soit miens den ci ces nciucus? Le urai neincre ha pour son roUe î'estour, non pas le salut; et consiste l'honur de la iiertu a combattre, non a battre.

Pour reuenir à noftre hiftoire, il s'en faut tant que ces prifonniers fe rendent, pour tout ce qu'on leur fait, qu'au rebours, pendant ces 5 deux ou trois mois qu'on les garde, ils portent vne contenance gaye; ils preffent leurs maiflres de fe hafter de les mettre en cette efpreuue; ils les deffient, les iniurient, leur reprochent leur lâcheté & le nombre des batailles perdues contre les leurs. l'ay vne chanfon faicte par vn prifonnier, il y a ce traict : qu'ils viennent hardiment 10 tretous & s'affemblent pour difner de luy; car ils mangeront quant & quant leurs pères & leurs ayeux, qui ont feruy d'aliment & de nourriture à fon corps. Ces mufcles, dit-il, cette cher & ces veines, ce font les voflres, pauures fols que vous eftes; vous ne recognoiffez pas que la fubftancc des membres de vos anceflres s'y tient encore : 1 5 fauourez les bien, vous y trouuerez le gouft de voflre propre chair. Inuention qui ne fent aucunement la barbarie. Ceux qui les peignent mourans, & qui reprefentent cette action quand on les aflbmme, ils peignent le prifonnier crachant au vifage de ceux qui le tuent & leur faifant la moue. De vray, ils ne ceflent iniques au dernier foufpir 20 de les brauer & deffier de parole & de contenance. Sans mentir, au pris de nous, voila des hommes bien fauuages; car, ou il faut qu'ils le foyent bien à bon efcient, ou que nous le foyons : il y a vne merueilleufe diftance entre leur /orme & la noftre.

Les hommes y ont plufieurs femmes, & en ont d'autant plus grand 25 nombre qu'ils font en meilleure réputation de vaillance : c'eft vne beauté remerquable en leurs mariages, que la mefme ialoufie que nos femmes ont pour nous empefcher de l'amitié & bien-veuillance d'autres femmes, les leurs l'ont toute pareille pour la leur acquérir.

Texte 88. 24) leur confiance & la

Var. ms. 2) rolle le combattre non pas l'eschapcr et m consiste pas Vbonur

LIVRE I, CHAPITRE XXXI. 279

Eftans plus Ibigneules de l'honneur de leurs maris que de toute autre chofe, elles cherchent & mettent leur lolicitude à auoir le plus de cûmpaigiies qu'elles peuuent, d'autant que c'eft vn tefmoignage de la vertu du mary. 5 Les nostrcs crieront au mirade; ce m l'est pas : c'est une uertu proprement matrimoniale, mais du plus haut estage. Et, en la Bible, Lia, Rachel, Sara et les famés de lacop fournirent leurs belles seruantes a leurs maris; et Liuia seconda les appétits d'Auguste, a son interest; et la fanw du Roy Deiotarus, Stratonique, presta non sulemant a l'usage de son mari une fort

10 belle iune file de chambre qui la seruoit, mais en nourrist souigneusement les enfans, & leur fit espaule a succéder ans estais de leur père.

Et, afin qu'on ne penfe point que tout cecy fe face par vne fimple & feruile obligation à leur vfance & par l'impreflion de l'authorité de leur ancienne couftume, fans difcours & fans iugement, & pour

15 auoir l'ame fi ftupide que de ne pouuoir prendre autre party, il faut alléguer quelques traits de leur fuffifance. Outre celuy que ie vien de reciter de l'vne de leurs chanfons guerrières, l'en ay vn' autre, amoureufe, qui commence en ce fens : Couleuure, arrefte toy; arrefte toy, couleuure, afin que ma fœur tire fur le patron de ta peinture

20 la façon & l'ouurage d'vn riche cordon que ie puiffe donner à m'amie : ainfi foit en tout temps ta beauté & ta difpofition préférée à tous les autres ferpens. Ce premier couplet, c'eft le refrein de la chanfon. Or i'ay affez de commerce auec la poëfie pour iuger cecy, que non feulement il n'y a rien de barbarie en cette imagination, mais qu'elle

25 eft tout à fait Anacreontique. Leur langage, au demeurant, c'eft //// doux langage & qui a le l'on aggreable, retirant aux terminailons Grecques.

Texte 88. 3) de compagnes qu'elles 25") c'eft le plus doux langage du monde, & qui a le fon le plus aggreable à l'oreille, il retire fcnt aux terniinaifons

Var. ms. 4) marj'. Ce n'est nullement miracle corne diront les nosires : c'est 7) leurs seruantes 8) Auguste iusques a son 10) mais Us n 11) succéder a l'csiat de 26) fon très aggreable à l'oreille, retirant aux

280 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Trois d'entre eux, ignorans combien coûtera vn iour à leur repos & à leur bon heur la connoilîiince des corruptions de deçà, & que de ce commerce naiftra leur ruyne, comme ie preluppofe qu'elle Ibit defia auancée, bien milerables de s'eilre laiflez piper au dellr de la nouuelleté, & auoir quitté la douceur de leur ciel pour venir voir 5 le noftre, turent à Rouan, du temps que le feu Rov Charles neufielme y eftoit. Le Roy parla à eux long temps; on leur fit voir nortre façon, noftre pompe, la forme d'vne belle ville. Apres cela quelqu'vn en demanda leur aduis, ôt voulut Içauoir d'eux ce qu'ils v auoient trouué de plus admirable : ils refpondirent trois choies, d'où i'ay 10 perdu la troilîefme, & en luis bien marrv; mais l'en av encore deux en mémoire. Ils dirent qu'ils trouuoient en premier lieu fort el1:range que tant de grands hommes, portans barbe, forts ix armez, qui etfoient autour du Roy (il eft vray-femblable que ils parloient des SuifTes de fa garde), fe foubs-miffent à obeyr à vn enfant, & qu'on ne choifilToit 15 plus tofl quelqu'vn d'entr'eux pour commander; fecondement (ils ont vne fiiçon de leur langage telle, qu'ils nomment les hommes moitié les vns des autres) qu'ils auoyent aperçeu qu'il y auoit parmy nous des hommes pleins & gorgez de toutes fortes de commoditez, & que leurs moitiez el1;oient mendians à leurs portes, décharnez de 20 faim & de pauureté; & trouuoient effrange comme ces moitiez icv necefTiteufes pouuoient l'ouffrir vne telle iniuftice, qu'ils ne prinfent les autres à la gorge, ou milTent le feu à leurs mailons.

le parlay à l'vn d'eux fort long temps; mais i'auois vn truchement qui me fuyuoit fi mal, & qui efloit fi empefché à receuoir mes 25 imaginations par fii beftifc, que ie n'en peus tirer guiere de plaifir. Sur ce que ie luv demandav quel fruit il receuoit de la luperiorité qu'il auoit parmv les liens (car c'elfoit vn Capitaine, & nos matelots le nommoient Rov), il me dict que celloit marcher le premier à la guerre; de combien d'hommes il eÛoit kivuv, il me montra \nc 30

Te.xte 88. 19) CDiiiiiioditcz & bien fouis, & que leurs

L1VK1£ I, CHAPITRE XXXI. 281

clpacc de lieu, pour llgniticr que c'eûcit autant quil en pourroit en vne telle elpace, ce pouuoit élire quatre ou cinq mille hommes; fi, hors la guerre, toute l'on authorité eftoit expirée, il dict qu'il luy en reftoit cela que, quand il vifitoit les vilages qui dépendoient de luy, on luy drelîbit des fentiers au trauers des hayes de leurs bois, par il peut pafler bien à l'aile.

Tout cela ne va pas trop mal : mais quoy, ils ne portent point de haut de chaufles.

Chapitre XXXII.

Q.V IL lAVT SOBREMENT SE MESLER DE IVGER DES ORDONNANCES DIVINES.

Le vray champ & fubiect de l'impofture font les chofes inconnues. D'autant qu'en premier lieu l'eflrangeté mefme donne crédit; & puis, n eflant point iubiectes à nos difcours ordinaires, elles nous oflent le moyen de les combatre. A cette cause, âkt Platon, est il bien plus aise de satisfaire, parlant de la nature des dicus, que de la nature des homes, 5 par ce que l'ignorance des auditeurs preste une belle et large carrière et toute liberté au inanieiuent d'une matière cachée.

Il adulent de la qu'il n'eft rien creu i\ fermement que ce qu'on fçait le moins, ny gens fi affeurez que ceux qui nous content des fables, comme Alchimiftes, Prognoftiqueurs, ludiciaires, Chiroman- 10 tiens. Médecins, «id genus omne». Aufquels ie ioindrois volontiers, fi i'olois, vn tas de gens, interprètes & contrerolleurs ordinaires des deflains de Dieu, failans eftat de trouuer les caufes de chaque accident, & de veoir dans les lecrets de la volonté diuine les motifs incomprehenfibles de fes œuures; ik. quoy que la variété & difcordance 15

Textk 88. 4) combatre, d'où il adulent qu'il n'eft 15) fes opérations, &

T \ 1 .-i /, NI ^ ^" '■ il'<"iltiiil ^

\ AK. Ms. 4) combatre /:/ rt a'//f 5) bonus C (iiic I nviornitce

■' ■' : a cause ' ' -^

^>uuu une bcUii et- ^eili eamei^ des audiieun 7) matière imenu-t

LIVRE I, CHAPITRH XXXII. 28^

continuelle des euenemcns les reiette de coin en coin, & d'orient en occident, ils ne laiffent de fuiure pourtant leur efteuf, &, de mefme creon, peindre le blanc & le noir.

En vne nation Indienne, il y a cette louable obferuance : quand il

5 leur mcs-aduient en quelque rencontre ou bataille, ils en demandent

publiquement pardon au Soleil, qui eft leur Dieu, comme d'vne

action iniufte, raportant leur heur ou malheur à la raifon diuinc,

& luy fubmettant leur lugement & difcours.

Suffit à vn Chreftien croire toutes chofes venir de Dieu, les

10 receuoir auec reconnoiflance de fa diuine & infcrutable fapience, pourtant les prendre en bonne part, en quelque vifage qu'elles luy loient enuoyees. Mais ie trouue mauuais ce que ie voy en vfage, de chercher à fermir & appuyer noftre religion par le bon-heur & profperité de nos entreprifes. Noftre créance a aflez d'autres

15 fondemens, fans l'authorifer par les euenemens : car, le peuple accouftumé à ces argumens plaufibles & proprement de fon gouft, il eft dangier, quand les euenemens viennent à leur tour contraires & delauantageux, qu'il en eltranle fii fov. Comme aux guerres nous fommes pour la religion, ceux qui eurent Faduantage au

20 rencontre de la Rochelabeille, faifans grand fefte de cet accident, & le leruans de cette fortune pour certaine approbation de leur party, quand ils viennent après à excufer leurs defortunes de Mont-contour & de larnac fur ce que ce font verges & chaftiemens paternels, s'ils n'ont vn peuple du tout à leur mcrcv, ils luy font

25 aflez aifément fentir que c'eft prendre d'vn fac deux mouldures, & de mefme bouche fouffler le chaud & le froid. Il vaudroit mieux l'entretenir des vrays fondemens de la vérité. C'eft vne belle bataille nauale qui s'eft gaignée ces mois paflez contre les Turcs, loubs la conduite de don loan d'Auftria; mais il a bien pieu à Dieu en taire

30 autres-fois voir d'autres telles à nos defpens. Somme, il eft mal-aylé de ramener les chofes diuines à noftre balance, qu'elles n'y fouftrent du defchet. Et qui voudroit rendre raifon de ce que Arrius & Léon,

284 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Ion Pape, chefs principaux de cette herefie, moururent en diuers temps de mors fi pareilles & Il eftranges (car, retirez de la difpute par douleur de ventre à la garderobe, tous deux y rendirent lubitement l'ame), & exagérer cette vengeance diuine par la circonftance du lieu, y pourroit bien encore adioufter la mort de Heliogabalus, qui 5 fut aufli tué en vn retraict. Mais quoy? Irenée fe trouue engagé en mefme fortune. Dieu nous uoulant aprcindre que les bons ont autre chose a espérer, & les mauues autre cljose a creindre que les fortunes ou infortunes de ce monde, [il] les manie et applique selon sa disposition occulte, et nous oste le moïen d'en faire sottement nostre profit. Et se moquent cens qui s'en 10 ueulcnt preualoir selon l'humaine raison. Ils n'en douent iamais une touche, qu'ils n'en refoiuent deus\ S. Augustin en faict une belle prenne sur ses aduerseres. C'est un conflict qui se décide par les armes de la mémoire plus que par celles de la raison. Il fe faut contenter de la lumière qu'il plait au Soleil nous communiquer par fes rayons; &, qui efleuera fes yeux 15 pour en prendre vne plus grande dans fon corps mefme, qu'il ne trouue pas eftrange fi, pour la peine de fon outrecuidance, il y perd h. veue. «Qiiis Jmniiunn potcst scire consiliuni dei? aut quis potcrit cogitare quid uelit doniiuus? »

Yak. ms. 8) fortunes et 9) sa raison occulte el impetielraHe et se moquent II) touct'c a leur aduersere qu'ils 12) deus mm celuy qui a plus de raison mais cchty qui a plus de mémoire y gaigne sa cause. Il fe faut 12) faict sentir une belle preuue a ses 19) dominus? Ou la ueue de son entaudement pour corne il auit a Anaxagoras pour trop hautemant uouloir pénétrer les choses célestes.

1 Peut-être faut-il lire dueS

Chapitre XXXIII.

DE FVIR LES VOLVPTEZ AV PRIS DE LA VIE.

l'auois bien vcu conuenir en cccv la plufpart des anciennes

opinions : qu'il eft heure de mourir lors qu'il y a plus de mal que

de bien à viure; & que, de conferuer noftre vie à noftre tourment

& incommodité, c'eft choquer les Joix mefmes de nature, comme

5 difent ces vieilles règles :

H Zr,'i x.'/.\)-::(i):, r, Oxvîîv £Ù9a!;xsvu>ç. KaXsv Ovr,îX£'.v oîç ûSptv to Çv^v sÉpï'.. Kpîtsîîv t: [jly] ÇtJv Irr'tv ■^ Çr,v aÔAÎur.

Mais de pouflcr le melpris de la mort iniques à tel degré, que de lo l'employer pour fe diftraire des honneurs, richefles, grandeurs & autres faueurs & biens que nous appelions de la fortune, comme fi la raifon n'auoit pas aflez affiiire à nous perfuader de les aban- donner, fans y adiouter cette nouuelle recharge, ie ne l'auois veu ny commander nv pratiquer, iufques lors que ce paffiige de Seneca 15 me tomba entre mains, auquel confeillant à Lucilius, perionnage puiflant & de grande authorité autour de l'Empereur, de changer cette vie voluptueufe & pompeuse, & de fe retirer de cette ciiiihitioit du

Texte 88. 4) les reigles niefmcs 17) voluptueufe & lunniltuairc, &... cette preffe du

286 ESSAIS DE MONTAIGNE.

monde à quelque vie folitaire, tranquille & philofophique, furquoy Lucilius alleguoit quelques difficultez : le fuis d'aduiz (dict-il) que tu quites cette vie la, ou la vie tout à faict; bien te confeille-ie de fuiure la plus douce voye, & de deftacher plufloft que de rompre ce que tu as mal noué, pourueu que, s'il ne fe peut autrement 5 deftacher, tu le rompes. Il n'y a homme fi couard qui n'ayme mieux tomber vne fois que de demeurer toufiours en branle. l'eufle trouué ce confeil lortable à la rudefle Stoïque; mais il eft plus eftrange qu'il foit emprunté d'Epicurus, qui efcrit, à ce propos, chofes toutes pareilles à Idomeneus. 10

Si eft-ce que ie penfe auoir remarqué quelque traict femblable parmy nos gens, mais auec la modération Chreftienne. S. Hilaire, Euefque de Poitiers, ce fameux ennemy de l'herefie Arriene, eftant en Syrie, fut aduerti qu'Abra, la fille vnique, qu'il auoit laifTée par deçà auecques fa mère, eftoit pourfuyuie en mariage par les plus 15 apparens Seigneurs du païs, comme fille très-bien nourrie, belle, riche & en la fleur de fon aage. Il luy efcriuit (comme nous voyons) qu'elle oftat fon affection de tous ces plaifirs & aduantages qu'on luy prefentoit; qu'il luy auoit trouué en fon voyage vn partv bien plus grand «Se plus digne, d'vn mary de bien autre pouuoir & magnificence, 20 qui luy feroit prefens de robes & de ioyaux de pris ineftimable. Son deffein eftoit de luy faire perdre l'cippefit & l'vfage des plaifirs mondains, pour la ioindre toute à Dieu; mais, à cela le plus court «Se plus certain moyen luy femblant eftre la mort de fa fille, il ne cefla par veux, prières & oraifons, de faire requefte à Dieu de l'ofter 25 de ce monde & de l'appeller à foy, comme il aduint : car bien-toft après fon retour elle luy mourut, dequoy il montra vne finguliere ioye. Cettuy-cy femble enchérir fur les autres, de ce qu'il s'adrcfle à ce moyen de prime face, lequel ils ne prennent que fubfidieremcnt, «Se puis que c'eft à l'endroit de la fille vnique. Mais ie ne veux obmettre 30

Texte 88. 22) perdre le gouft & 27) fingiiliere allegrelTe. Cettuy-cy

LIVRE 1, CHAPITRE XXXIII. 287

le bout de cette hiftoire, encore qu'il ne loit pas de mon propos. La femme de Sainct Hilaire, ayant entendu par luy comme la mort de leur fille s'eftoit conduite par l'on deflein & volonté, & combien elle auoit plus d'heur d'eftre deflogée de ce monde que d'y eftre, print vne fi viue apprehenfion de la béatitude éternelle & celefle, qu'elle folicita fon mary auec extrême infiance d'en faire autant pour elle. Et, Dieu à leurs prières communes l'ayant retirée â foy bientoft après, ce fut um mort embraflee auec singulier contentement commun.

Texte 88. 8) après, il ne fut iamais mort cmbraffée auec fi grand contentement.

Chapitre XXXIV.

LA FORTVXE SE RENCONTRE SOV\"ENT AV TRAIN DE LA RAISON.

L'inconftance du branflc diuers de la fortune fait qu'elle nous doiue prefenter toute efpece de vifages. Y a il action de iuftice plus expreffe que celle cy? Le Duc de Valentinois, ayant refolu d'empoi- fonner Adrian, Cardinal de Cornete, chez qui le Pape Alexandre lixiefme, fon père, & luy alloyent louper au Vatican, enuoya deuant 5 .quelque bouteille de vin cmpoifonné, & commanda au lommelier qu'il la gardafl bien loigneulement. Le Pape y eftant arriué auant le fils & ayant demandé à boire, ce lommelier, qui penfoit ce vin ne luy auoir elle recommandé que pour la bonté, en leruit au Pape; & le Duc melme, y arriuant fur le point de la collation, & fe fiant 10 qu'on n'auroit pas touché à la bouteille, en prit à fon tour : en . manière que le père en mourut foudain ; & le fils, après auoir efté longuement tourmenté de maladie, fut referué à vn' autre pire fortune.

Quelquefois il femble à point nommé qu'elle fe ioiic à nous, is Le Seigneur d'Eflrée, lors guidon de Monfieur de \'andome, & le Seigneur de Liques, lieutenant de la compagnie du Duc d'Alcot, efians tous deux leruiteurs de la kvur du Sieur de Lounguelelles, quoy que de diuers partis (comme il adulent aux voifins de la

Texte 88. 5) celle icy? Le

LIVRE I, CHAPITRE XXXIV. 289

fronticrc), le Sieur de Licques l'emporta; mais, le mefme iour des nopces, &, qui pis eit, auant le coucher, le marié, ayant enuie de rompre vn bois en taueur de la nouuelle elpoul'e, fortit à l'efcar- mouche près de Sainct Omer, le Sieur d'Eftrée, le trouuant le S plus fort, le feit l'on prilbnnier; &, pour laire valoir ion aduantage, encore faufit il que la Damoifelle,

Coniugis ante coacta noui dimittere colluni,

Quam veniens vna atque altéra rurfus liyems Noctibus in longis auidum faturalTet amorem,

10 luy fit elle melme requefle par courtoifie de luy rendre ion prilbnnier,

comme il fift : la noblelTe Françoife ne refuûint iamais rien aux Dames.

Sciiihlc il pas que ce soit un sort artiste ? Constantin, Jilx de Helcine,

fonda [V\empire de Constantinopk; et, tant de sieeJes après, Constantin,

Jilx [de'\ Helcine, le finit.

15 Quelque fois il luy plait enuier l'ur nos miracles. Nous tenons que le Roy Clouis, aflîegeant Angoulefme, les murailles cheurent d'elles mefmcs par fiiueur diuine; & Bouchet emprunte de quelqu' autheur, que le Roy Robert, aflîegeant vue ville, & s'eftant delrobé du fiege pour aller à Orléans Iblemnizer la fefte Sainct Aignan, comme il

20 eftoit en deuotion, fur certain point de la mefle, les murailles de la ville aflîegée s'en allèrent lans aucun effort en ruine. Elle fit tout à contrepoil en nos guerres de Milan. Car le Capitaine Renie afl!îegeant pour nous la ville d'Eronne, & ayant fait mettre la mine foubs vn grand pan de mur, & le mur en eftant brufquement enleué

25 hors de terre, recheut toutes-fois tout empanné, fi droit dans fon fondement que les alTiegez n'en vaufirent pas moins.

Qiielquefbis elle faict la médecine, lafon Phereus, etlant aban- donné des médecins pour vne apoflume qu'il auoit dans la poitrine, ayant enuie de s'en défaire, au moins par la mort, fe ietta en vne

30 bataille à corps perdu dans la prefîe des ennemis, il fut blefTé à trauers le corps, fi à point, que fbn apoffume en creua, & guérit.

290 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Surpafla elle pas le peintre Protogenes en la Icience ele Ion art? Cettuv-cy, ayant parfaict l'image d'vn chien las & recreu, à Ion contentement en toutes les autres parties, mais ne pouuant repre- fenter à fon gré l'efcume & la baue, defpité contre la befongne, prit fon efponge, &, comme elle eftoit abreuuée de diuerfes peintures, 5 la ietta contre, pour tout effacer : la fortune porta tout à propos le coup à l'endroit de la bouche du chien, & y parfournit ce à quoy l'art n'auoit peu attaindre.

N'adreffe elle pas quelquefois nos confeils & les corrige? Ilabel, Royne d'Angleterre, avant à repafler de Zelande en ion Royaume, 10 auec vne armée en taucur de fon fils contre fon mary, eftoit perdue, fi elle fut arriuée au port qu'elle auoit proieté, y eftant attendue par fes ennemis; mais la fortune la ietta contre fon vouloir ailleurs, elle print terre en toute feurté. Et cet ancien qui, ruant la pierre à vn chien, en afl"ena <:s; tua la maral^rc, eui^ il pas raifon de prononcer 15 ce vers :

la fortune a meilleur aduis que nous?

Icctes auoit pratiqué deus soldats pour hier Timokou, seiouriiant a Adrane, en la SicilJe. Us prindrent heure sur le point qu'il fairoit quelque 20 sacrifice; et, se mtslans parmi la multitude, corne ils se guignoint l'un l'autre que l'occasion estoit propre a leur hcsouigne : uoicy un tiers qui, d'un grand coup d'espee, en assené l'un par la teste, et le rue nwrl par terre, [et] s'en fuit. Le compaignon, se tenant pour decouuert et perdu, recourut a l'autel, requérant franchise, aiieq promesse de dire toute la uerite. Ainsi 25 (/;('// faisoil le conte de la eoniuration, uoicy le tiers qui auoil este airapé, lequel, come ninrtrier, le peuple pousse et saboule autrauers la presse, uers Tinioleon ci les plus apparans de l'assamhlec. La, il crie merci, et dici auoir

Texte 88. 2) Ccttuv-cy eftoit peintre, & avant 6) à point le Var. ms. 27) peuple poff... autriuien de la

LIVRK 1, CHAPITRH \XX1V. 29I

iiiskim'iit tue l'assassin de son père, uerifiant sur le ehanip, par des tesnioins que son bon sort luy fournit tout a propos, qu'en la uillc des Leontins son père, de vray, auoit este tue par celuy sur lequel il s'estoit uan\gé]. On luy ordona dix mines Attiques pour auoir eu cet heur, prenant raison de la S mort de père, d'atioir retire de mort le père commun des Siciliens. Cette fortune surpasse en règlement les règles [de] l'humaine prudance.

Pour la fin. En ce faict icy fe defcouure il pas vnc bien cxpreflc application de fa faueur, de bonté & pieté finguliere? Ignatius Père & fils, profcripts par les Triumuirs à Romme, fe refolurent à ce

10 généreux office de rendre leurs vies entre les mains l'vn de l'autre, & en fruftrer la cruauté des Tyrans : ils fe coururent fus, l'efpee au poing; elle en drelTa les pointes & en fit deux coups elgallement mortels, & donna à l'honneur d'vne fi belle amitié, qu'ils enflent iuftement la force de retirer encore des playes leurs bras fanglants

15 & armés, pour s'entrembraflTer en cet eftat d'vne fi forte eflrainte, que les bourreaux coupèrent enfemble leurs deux teftes, laiflîint les corps toufiours pris en ce noble neud, & les playes iointes, humant amoureufement le fang & les reftes de la vie l'vnc de l'autre.

Texte 88. 16) bourreaux couparent enfemble \'ar. ms. i) lue le iiniririer de

Chapitre XXXV.

D V\ DEFAVT DE NOS POLICES.

Feu mon père, homme, pour n'ertre avdé que de l'expérience (Is: du naturel, d'vn iugement bien net, ma dict autrefois qu'il auoit déliré mettre en train qu'il v eull; es iiillcs certain lieu deligné, auquel ceux qui aiviiit beloin de quelque choie, le peulTent rendre & faire enregiftrer leur affaire à vn officier eftably pour cet effect, comme : 5 /(' cherche a uaiidre des perles, ic cherche des perles a iiendre. Tel lient compagnie pour aller à Paris; tel s'euqiiiert d'xn feruiteur de telle qualité; tel J'vn maiilre; tel demande vn ouurier; qui cecy, qui cela, chacun lelon Ion beloing. Et lemble que ce moven de nous entr' aduertir apporteroit non legiere commodité au commerce 10 publique : car à tous coups il v a des conditions qui s'entrecherchent, •&, pour ne s'entr'enieiidre, laiflent les hommes en extrême neceffité.

l'entens, auec vne grande honte de noihe liecle, qu'à noflre veùc deux tres-excellens perfonnages en fçauoir l'ont morts en eftat de n'auoir pas leur foui à manger : Lilius Gregorius Giraldus en Italie, 15 & Sebaftianus Caftalio en Allemagne; & croy qu'il y a mil' hommes

Texte 88. 2) autrefois, qu'es comni.iiidenicns qui luv eftoyent tombez en main, il auoit dcfirc de mettre 4) qui cuflcnt bcfoin 6) tel cherche compagnie 7) tel cherche vn feruiteur 8) tel clicrche vn maiftre 12) pour ne fe pouuoir rencontrer, laiflent

LivRi- I, ciiAriTRi; XXXV. 293

qui les eulïcnt appelle/ auec tres-aduantageules conditions, o/nrroz/n/.s- ()// ils i'stoint, s'ils l'euflent fçeu. Le monde n'efl pas 11 généralement corrompu, que ie ne l'çache tel homme qui fouhaiteroit de bien grande affection que les moyens que les liens luy ont mis en main, 5 le peuffent employer, tant qu'il plaira à la fortune qu'il en ioûiffe, à mettre à l'abry de la necelTité les perfonnages rares 6c remarquables en quelque espar de valeur, que le mal'heur combat quelquefois iniques à l'extrémité, & qui les Dwttrdït pour le moins en tel eftat, qu'il ne tiendroit qu'à taute de bon difcours, s'ils n'eftoyent contens.

10 Eii la police aroiiomiqiie mon pcrc auoit cet ordre, que ie sçcu louer, mais miUemant ensuiure. C'est qu'outre [le] registre des négoces [du] nu'snage ou se logent [les] menus contes, paiemàs, marche::^, qui ne requièrent lu main du notere, le quel registre un receueur a en charge, il ordonoit a celuy de ses gens qui lux scruoit a escrire, un papier iournal a insérer

1 5 toutes les suruenances de quelque remarque, [et] iour par iour les mémoires de l'histoire de sa maison, tresplcsante a uoir quand le temps comance [a] en effacer la somicnance, et tresapropos pour nous oster sonnant de peine : quant fut entamée telle hesouigne? quand acheuee? quels treins y ont passe? combien arreste? nos uoiagcs, nos ahsances; mariages; mors; la réception

20 des hureuses [ou] malancôtreuses nouuelles; changemant des seruiturs prin- cipaus; telles matières. Vsagc antien, que ie treuue bon a refrcschir, chacun en sa chacuniere. [Et] me treuue un sot d'y anoir failli.

Texte 88. 7) quelque forte de (lorie faute dimpassion.) S) les nietlroii pour

V'ar. ms. ^ i) secourus m kuf: lo) œcimomique il auoil 15) iwlere eeluy de ses gens qui senwit a csenm 15) remarque i«ui^ 16) temps animnçoit a 17) soiiueimiice el tresutillc a lu'us 18) fui conuincce telle 21) hou de refreschir

Chapitre XXXVI.

DE LVSAGE DE SE VESTIR.

Ou que ie vueille donner, il me fout forcer quelque barrière de la couftume, tant elF a loigneulcment bridé toutes nos auenues. le deuifoy, en cette faifon frileule, li la façon d'aller tout nud de ces nations dernièrement trouuées, eft vne façon forcée par la chaude température de l'air, comme nous difons des Indiens & des Mores, 5 ou II c'eft Foriginele des hommes. Les gens d'entendement, d'autant que tout ce qui efl; foubs le ciel, comme dit la laincte parole, eft fubiect à mefmes loix, ont accouftumé, en pareilles confiderations à celles icy, il faut diflinguer les loix naturelles des controuuées, de recourir à la generalle police du monde, il n'y peut auoir 10 rien de contrefaict. Or, tout eftant exactement fourny ailleurs de filet & d'éguille pour maintenir fon élire, il eft, à la vérité, mécreable que nous foyons feuls produits en eftat deffectueux & indigent, & en eftat qui ne fe puifTe maintenir fans lecours efl;rangier. Ainfi ie tiens que, comme les plantes, arbres, animaux <S: tout ce qui vit, fe treuue 15 naturellement equippé de fuffifante couuerture, pour fe deftendre de l'iniure du temps,

Proptereàque ferè res omnes aut corio funt,

Aut fêta, aut concliis, aut callo, aut cortice tect;v,

LIVRE I, CHAPITRE XXXVI. 295

aufli cftions nous; mais, comme ceux qui efteignent par artiticicUc lumière celle du iour, nous auons efteint nos propres moyens par les moyens empruntez. Et eft aile à voir que c'eit la couftume qui nous taict impoflîble ce qui ne l'eft pas : car, de ces nations qui 5 n'ont aucune connoilTance de vertemens, il s'en trouue d'aflii'es enuiron Ibubs mel'me ciel que le noftre; în: puis la plus délicate partie de nous eft celle qui le tient toufiours del'couuerte : les vcits, la bouche, le ne:^ les oreilles ; a nos eontadius, corne a nos ayeuls, la partie pectoralk et le neutre. Si nous fuflions nez auec condition de cotillons & de 10 greguelques, il ne faut taire doubte que nature n'euft armé d'vne peau plus elpoilTe ce qu'elle euft abandonné à la baterie des lailbns, comme elle afaict le bout des doigts & plante des pieds.

Pourquoi semble il difficile a croire? Entre ma façon d'estre uestu, et celle d'un paisan de mon pals, ie treuue bien plus de distance qu'il n'y a de 15 sa façon a un home qui n'est uestu que de sa peau.

Combien d'homes, et en Turquie sur tout, vont nuds par deuolion.

le ne fçay qui demandoit à vn de nos gueux qu'il \ovoit en

chemife en plain hyuer, aulîî fcarrebillat que tel qui fe tient emmitoné

dans les martes iulques aux oreilles, comme il pouuoit auoir patience :

20 Et vous, monlieur, relpondit-il, vous auez bien la face delcouuerte;

or moy, ie fuis tout face. Les Italiens content du fol du Duc de

Florence, ce me lemble, que ion maiftre s'enquerant comment, ainli

mal veftu, il pouuoit porter le froid, à quoy il eftoit bien empefché

luy-mefme : Suiuez, dict-il, ma recepte de charger fur vous tous

25 vos accouftremens, comme ie lay les miens, vous n'en louffrirez

non plus que moy. Le Roy Mafliniflii iufques à l'extrême vieillefTe

ne peut eftre induit à aller la tefte couuerte, par froid, orage & pluye

qu'il lit. Ce qu'on dicl aussi de [l'jemperur Seuerus.

Texte 88. 2) cfteint & eftoufté nos 3) empruntez & c-ftrangiers. Et 12) a garny le 18) tient ammitoné dans

Var. ms. 12) pieds. Poiirifui 15) croire. Ul If 14) plus de di^iMHn 1 5) home iiiid. le

2^6 ESSAIS DH .MONTAIGNE.

Ans luitaiUcs douces entre les .Egiptiens et les Perses, Hérodote dict aiioir este remarque et par d'autres & par liiy, que, [di\ cens qui y demuroini mors, Je test estait sans comparaison plus dur aus ^Jzgiptiens qu 'ans Persiens, a raison que cens icy portent leur testes tousiours couucrtes de béguins &puis [de] turbans, cens la rases des [l'^enfancc & dcscouucrtes. 5

Et le roy Agefilaus obferua iufques à l'a décrépitude de porter pareille vefture en hyuer qu'en efté. Crelar, dict Suétone, marchoit toullours deuant fa troupe, & le plus fouuent à pied, la tefte defcouuerte, loit qu'il fit Soleil ou qu'il pleut; & autant en dict on de Hannibal, 10

tum vertice nudo Excipere infanos imhres cœlique ruinam.

/'// ucniticn qui s'v est tenu long temps, & qui ne faict que d'en uenir, escrit qu'an Rovauine du Pcgu, les autres parties du cors ucstues, les hotms et les famés udt tousiours les pieds nuds, mesme \jf\ chenal. 15

Et Platon conseille merueilleusemât, pour la sàte de tout le corps, Uie] ' ne douer aus pieds [et] a la teste autre couuertnrc que celle que natura y a mise.

Celuv que les Polonnois ont choifi pour leur Roy après le noftre, qui eft à la vérité vn des plus grands Princes de noftre llecle, ne 20 porte iamais gans, ny ne change, pour hyuer & temps qu'il tace, le mefine bonnet qu'il porte au couuert.

Comme ie ne puis fouffrir d'aller defboutonné & deftaché, les laboureurs de mon voilinage le lentiroient entrauez de l'eftre. \'arro tient que, quand on ordonna que nous tinfions la tefte defcouuerte 2j en prefence des Dieux ou du Magiftrat, on le fit plus pour noftre

Texte 88. 24) .\arro Jict que

V.\R. MS. i) aiioir eUi^ m 2) tu\ iiicsiuc que 5) test des lestes csloit... /i/w _/*)... ans .Egiplieiies qu'ans Pcrsieiies et que la raison estait qnc tes Pemem Perses portent 5) turbans tes .Egipliens rases 15) famés marctiêt tousiours les pieds nnds cl tes portêt [^de] niesnie dans tes estriefs. Ccluy 1 7) natura y a uo lu

LIVRE I, CHAPITRE XXXVl. 297

lanté, & nous termir contre les iniurcs du temps, que pour compte de la reuerence.

Et puis que nous l'ommes lur le froid, 6c François accouftumez à nous higuarrer (non pas' moy, car ie ne m'habille guiere que de 5 noir ou de blanc, à l'imitation de mon père), adiourtons, d'vne autre pièce, que le Capitaine Martin du Bellay dict, au voyage de Luxembourg, auoir veu les gelées il alpres, que le vin de la munition fc coupoit à coups de hache & de coignée, le debitoit aux Ibldats par poix, & qu'ils l'emportoient dans des paniers. Et Ouide, à deux 10 doigts prez :

Nuddque confiftunt forinam leruantia tefta; Vina, nec haufta meri, l'ed data frufta bibunt.

Les gelées font û afpres en Xcinhouchcurc des Palus Mo^otides, qu'en la mefme place le Lieutenant de Mithridates auoit liuré i) bataille aux ennemis à pied fec & les y auoit destaicts, l'efté venu il y gaigna contre eux encore vne bataille nauale.

\Lcs Romains souffrirent grciiul iksaduantagc an] combat qu'ils curent contre les Carthaginois près de Plaisance, de ce qu'ils alarent a la charge le sang fige et les membres contreins de froit, la ou Annibal auoit faict 2o espandre du feu par tout son ost, pour eschauffer ses soldats, et distribuer de l'Jniile par les bandes, affin que, s'ouignant, ils randissent leurs nerfs plus soupples cl desgourdis, et encroustassent les pores contre les coups de l'air et du uent gelé qui tirait lors.

[La reirailte des Grecs, de Babylone en leurs pais, est fameuse des diffi-

25 cullci] et mesaises qu'ils eurent a surnumter. Ccttecy en fut, qu'accueillis

ans montaignes d'Arnuiùe d'un horrible rauage de neges, ils en perdirent

Texte 88. 15) en l'enibouchcrc des

Var. ms. 20) tûui pour cscbauffcr les skiis il 21) affui qu'en s'cnouigiiaut 25) qu'il eiireiil a !,upp9i4ei:

' non pas... perc addiiioii de ij88.

298 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Ja conoissancc du pais ci des chenils, et, en estant assiège:;^ tout court, furent un iour et une nuit sans boire et sans manger, la plus part de leurs testes mortes; d'entre eus plusieurs morts, plusieurs aueugles du coup du grésil et lueur de la nege, plusieurs stropiei par les extrémité:^, plusieurs roidcs, transis et immobiles d{ froit, aïant encore le sens entier.

Alexandre nid une nation en laquelle on enterre les arbres fruitiers en Muer, pour les defandre de la gelée.

Sur le fubiect de veflir, le Roy de la Mexique changeoit quatre fois par iour d'accouftremens, iamais ne les reiteroit, employant fa desferre à fes continuelles liberalitez & recompenfes; comme auflî ny pot, ny plat, ny vtenfile de fa cuifme (it de la table ne luy eftoient fcruis à deux fois.

Texte 88. 10) auffi iamais nv pot,

\'.\R. MS. 1) lOiwissaiicc qu ittt puis cl tks iviila li cslaiit 3) coup du uciil cl

Chapitre XXXVII.

DV lEVXE CATO\.

le n'ay point cette erreur commune de iuger d'un nuire félon que ie suis. l'eu croy ayfément des chofes diuerses a luoy. Pour tue sentir engagé a une forme, ie n'y oblige pas le monde, come chacun faict; cl crois et conçois mille contreres façons de nie; ci, au rebours du coinmii, reçois 5 plus facilement la differâcc que la rcssamblancc en nous. le descharge tant qu'à ueut un autre estre de mes conditions & principes, et le considère simplemât en luy mesme, sans relation, l'esioffant sur son propre modelle. Pour n'est re continant, ie ne laisse d'aduouer sinceremant la conlinance des FeniUens et des Capuclnns, et de bien treuucr l'air de leur trein : ie m 'insinue, 10 par imagination, fort bien en leur place.

Texte 88. i) iuger d'autruy félon moy, & de rapporter la condition des autres hommes à la mienne : ie croy ayfément d'autruy beaucoup de chofes, mes forces ne peuuent attaindre : la foihleffe (p. 500, 1. 4.)

Var. ms. i) : félon que ie suis & de rapporter la condition des autres hommes à la mienne : ie croy ayfément des chofes, mes forces ne peuuent attaindre : La foiblefle (p. 500, 1. 4.) : félon que ie suis Et ue louer qu'autant que ie sçai imiter : ie croy ayfément des chofes, mes forces ne peuuent attaindre. La foibleffe : félon que ie suis Et ne louer qu'autant que ie sçai imiter : t'en croy ayfément des chofes diuerses 2) me uoir engagé 4) contreres figures de uie : en nous : et aus rehours 5) plus aiseemàt la... ressamhlauce en nos estres : ie descharge aiseemât un autre 6) principes et la considère puremant en elk mismc mm luy mesme, 7) = relation a mon modelle et l'cstoffant : relation et l'estoffanl

500 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Et si les aime et les honore d'autàt plus qii 'ils sont autres que moi. le désire singulièrement qu'on nous iuge [cbascun a part soy, et qu'on ne\ me tire en conscquance [des communs exemples.]

Ma foiblefle n'altère aucunement les opinions que ie dois auoir de la force & uigeur de ceux qui le méritent. « Sunt qui nihil laudent, 5 )iisi quod se imitari posse confidunt.^ » Rampant au limon de la terre, ie ne laifle pas de remerquer, iufques dans les nues, la hauteur inimitable d'aucunes âmes héroïques. Ceft beaucoup pour moy d'auoir le iugement réglé, fi les effects ne le peuuent eftre, & main- tenir au moins cette maiflreffe partie exempte de corruption, C'efl 10 quelque choie d'auoir la volonté bonne, quand les iambes me foillent. Ce fiecle auquel nous viuons, au moins pour noftre climat, ell fi plombé que, ie ne dis pas l'exécution, mais l'imagination mesme de la vertu en eft à dire; & femble que ce ne loit autre chofe qu'vn iargon de colliege : iS

iiirtiilciii uiihn pulant , ut Lvcnm ligua.'

« Qjutm uereri dehereni, etiamsi pereipere non possent. » C'est un ajjiquet a pendre en un cabinet, ou au bout de la langue, conie au bout de l'oreille, pour parement. 20

Texte 88. 4) foiblefle que ie fens en moy, n'altère 5) de la vertu & valeur

de 10) exempte de la corruption & débauclie : c'eft (Montaigne efface la avant d'effacer & débauche) 13) que le gouft melhic de la vertu

\'ar. ms. 1) El en outre les aime 5) de la vertu & »i"fiu/r de 8) héroïques et par quel inoien elles s'y sont montées quel tour elles se douent pour s'esleuer corne ie n'admire aucune action ou pansée pour sa bassesse, ic i'ay et rcconois en mon anie, les semâces i" : de tous CCS nwuuemàs. 2": de ces mouucinàs. 3°: i/i' /ro^'rr:;. C'eft beaucoup

' Cette citation, écrite une première fois dans l'interligne, est rayée et récrite dans la marge. Voir l'héliogravure qui est en tête de ce volume.

2 Cette citation fai-sait partie du texte de 1 588 ; mais elle était imprimée comme Je la prose. Montaigne l'a récrite en marge sous la forme de vers.

LIVRE I, CHAPITRK XXXVII. 5OI

Il ne le recogm)it plus d'action vertueule : celles qui en portent le vilage, elles n'en ont pas pourtant l'effence, car le profit, la gloire, la crainte, l'accoutumance & autres telles caules eftrangeres nous acheminent à les produire. La iuflice, la vaillance, la debonnaireté, 5 que nous exerçons lors, elles peuuent eftre ainsi iioniccs pour la confideration d'autruy, & du vilage qu'elles portent en public, mais, chez l'ouurier, ce n'ell aucunement vertu; il y a vne autre lin propolée, antre cause inonnante. Or la iiertii n'aduoue rien que ce qui fe faict par elle & pour elle feule.

10 En ccte grande \ bataille de Pot idée que les Grecs sous Pausanias] gai- gnarent contre Mardonius et les Perses, les uictorieus, suiuant leur costume, uenans a partir entre eus la gloire de l'exploit, attribuareiit a la nation Spartiate la prarellance de nalur en ce combat. Les Spartiates, excellans iuges de la uertu, quand ils nindrent décider a quel particulier deuoil

15 deniurer l'honur de auoir [/f] mieus jaict en cette iournee, Ireuuarent qu' Aristodeme s'estoit le plus corageusement hasarde; mais pourtant ils [ ne] hiy eu douarenl point le pris, par ce que 'isa j uertu auoit este incitée du désir de se purger [dti] reproche qu'il auoil encorii au faict des Thermopiles, et d'un appétit \de^ mourir corageusement pour garantir sa honte passée.

20 Nos iugemens font encores malades, & luyuent la depraualiou de nos meurs. le voy la plufpart des efprits de mon temps faire les ingénieux à obfcurcir la gloire des belles & genereules actions anciennes, leur donnant quelque interprétation vile, & leur con- trouuant des occafions & des caufes vaines.

25 Grande fubtilité! Qu'on me donne l'action la plus excellente &: pure, ie m'en vois y fournir vraylemblablenient cinquante vitieules

Texte 88. i) d'action purement vertueufe 5) eftre dictes telles, pour 8) propofée : elle n'aduoue 9) faict en fa confideration & pour elle feule. Qui plus eft, nos iugemens (1. 20.) 20) fuyuent la corruption de nos

Var. ms. 10) grande h Ç:) 12) uemus a iugei^ 12) aUrihiiareiit aus Ijnedemonieiis la pnecellaiice de ueUu 14) iiitidreiil 1°: rt /nVc /w«« (phrase inaclievcc.) : a décider a quel 17) pris d'aulaut que i8) au (i>

302 ESSAIS DE MONTAIGNE.

intentions. Dieu fçait, à qui les veut eftendre, quelle diuerfité d'images ne Ibuffre noftre interne volonté. Ils m' font pas tant maliticuscmèt que lourdement et grossièrement les ingenieus a tout leur mcsdisancc.

[La] mesme peine qu'on prent [a] detraeter de ces grands noms, et h mesme licence, [zV] la prandcrois uolantiers \a] leur prester quelque tour 5 [d']espaule a les hausser. Ces rares figures, et triées pour [l'ex]ampk du motidepar le consantemant des sages, ie [ne] me feinderois pas de les recharger d'honur, autàt que mon inuantion pourroit [en] interprétation et fauorahle circmistana. Mais [if] faut croire que les effors de nostre conceptiô sont loin au dessous de leur mérite. C'est l'office des gens de Inen de peindre [la] uertu 10 /(/ plus belle qui se puisse; et ne nous messieroit pas, quant la passion nous transporter oit a la faneur de si sainctes formes. [Ce] que cens ci font au contrere, ils le font ou par malice, ou par ce vice de ramener leur créance à leur portée, dequoy ie viens de parler, ou, comme ie penfe pluftoft, pour n'auoir pas la veuë affez forte & aflez nette pour 15 conceuoir la fplendeur de la vertu en fa pureté naifue, ny dressée a cela : comme Plutarque dict que, de fon temps, aucuns attribuoient la caufe de la mort du ieune Caton à la crainte qu'il auoit eu de Cnsfar : dequoy il fe picque auecques raifon; & peut on iuger par combien il fe fut encore plus offencé de ceux qui l'ont attribuée à l'ambition. 20 Soties gens! Il eut bien faict une belle action, généreuse et iuste, plus tost aueq ignominie, que pour la gloire. Ce perfonnage fut véritablement vn patron que nature choifit pour montrer iufques l'humaine uertu et fermeté pouuoit atteindre.

Texte 88. 15) font foit par 14) parler : foit, comme 15) pour imaginer & conceuoir 17) temps, il y en auoit qui attribuoient 23) l'humaine fermeté & confiance pouuoit

\'ar. ms. 2) Ih foui bien lourdement 4) peine qu'ils prenent \a\ detrader des 10) au dessous deus. 11) belle qu'ils peuueni et ne leur messieroit pas quant

I** '. UCTS

la passion les emporleroit «<•■« (eUe d'affection C ^ <•'« \s*\>*i '" sainctes

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21) action aueq la honte plus tost que pour la gloire.

LIVRE I, CHAPITRF. XXXVII. 505

Mais ie ne luis pas icy à mcl'mes pour traictcr ce riche argument. le veux feulement fixire luiter enlemble les traits de cinq poètes Latins fur la louange de Caton, et pour l'interest de Caton, et, par incident, pour le leur aussi. Or deura l'enfant bien nourri trouuer, [au] 5 pris des autres, les deus premiers treinans, le troisième plus uert, mais qui s'est ahatu par l'extrauagance de sa force; estimer que \la\ il y aroit place a un ou deus degre:^ l d l 'inuantion encores, pour arriuer au quatriesme, sur le point du quel il iouindera ses mains par admiration. Au dernier, premier de quelque espace, mais la quelle espace il iurera m pouuoir estre remplie

10 par nul esperit humain, il s'estonera, il se transira. Voicy merueille : nous auons Inen plus de poètes, que de iuges et interprètes de poésie. Il est plus aise de la faire, que de la conoistre. A certeine mesure basse on la peut iiiger par les pra'ceptes et par art. Mais la bone, l'excessiue, la diuine est audessus des règles & de la raison. Quiconque en discerne la beauté d'une

1 5 ueue ferme et rassise, il ne la uoit pas, non plus que la splandur d'un esclair. Elle ne pratique point nostre ingénient : elle le rauist et rauage. La furur qui espoiiiçone celuy qui la sçait pénétrer, fart encores un tiers a la luy ouir traicter & reciter : come l'aimant, non sulement attire un eguille, mais infont encores en icelle sa faculté d'en attirer d'autres. Et il se uoit plus

20 cleremant ans théâtres, que l'inspiration sacrée des muses, aiant premiercmèt agité le poète a la cholere, au deuil, a la heine, et hors de soi, ou elles ueulent, frape encores par le poète l'actur, et par l'actur consecutiuement tout un peuple. C'est l'enjîlure de nos eguilks, suspendues l'une de l'autre. Des ma première enfance, la poésie a eu cela, de me transpercer et transporter. Mais

25 ce ressentiment bien uif qui est naturellement en moi, a este diuersemcnt manie par diuersite de formes, non tant plus hautes et plus basses (car

\'ar. ms. 4) trouuer la 6) cxirauagauce : ik Ui^ sa force : de sa pointe. Estimer 6) place pour deus ou trois in» dci^re^ d'innnntion a les atacher. Au quatriesme il iouindera 8) premier de si longue espace 16) pratique pas nostre... furur et la rage qui 17) ouir Iml 20) inspiration uiolanle des... premieremêt transporte le poète 21) ou elle neut frape encores l'actur et par l'actur Tiu terprele, tout un peuple. Et se faict ainsi l'enfilure de plusieurs eguilles pendantes l'une

304 ESSAIS DE MONTAIGNE.

c'estoiiil toiisioltrs des plus hautes en ehiiqite espeee) coine dilferaiites en coliir : preiuiereuieiit une fluidité gaye et ingénieuse; despuis une subtilité [aigiie] et relleuee; enfin une foire meure et eonstante. L'exaniple le dira micus : Guide, Lueain, J'ergile. [Mais voyla nos gens sur la earrierc]

Sit Cato, Jum viuit, lane vel Cxlare maior. 5

dict l'vn.

Et inuictum, deuicta morte, Catonem,

dict l'autre. Et l'autre, parlant des guerres ciuiles d'entre Cx-far et Pompeius,

Victiix caul'a diis placuit, led victa Catoni. 10

Et le quatrielme, lur les louanges de Cxlar :

Et cuncta terrarum fubacta, Prœter atrocem animum Catonis.

Et le maillre du ehivur, après auoir étalé les noms des plus grands Romains en la peinture, finit en cette manière : 15

liis dantein iura Catonem.

Texte 88. 14) du cœur après

Var. ms. i) cil fbif 2) ingciiicusc qui me flalasl Dfspuis 5) lyllaifc qui me picast. Enfui... meure avislaiile solide L'cxample

Chapitre XXXVIII.

COMML NOVS PLEVRONS ET RIONS D VXE MESME CHOSE.

Qiiand nous rencontrons dans les hiftoires, qu'Antîgonus kcut tres-mauuais gré à l'on fils do luy auoir prelcntù la tcftc du Roy Pyrrhus l'on cnnemy, qui venoit l'ur l'heure melme d'eftre tué combatant contre luy, & que, l'ayant veuë, il le print bien fort ) à pleurer; & que le Duc René de Lorraine pldiisit aufl'i la mort du Duc Charles de Bourgoigne qu'il venoit de deffaire, (^ en porta le deuil en l'on enterrement; & que, en la bataille d'Auroy que le Comte de Montfort gaigna contre Charles de Blois, la partie pour le Duché de Bretaigne, le victorieux, rencontrant le corps de Ion 10 ennemy trelpalTé, en mena grand deuil, il ne laut pas s'elcrier loudain :

Et cofi auen che l'animo ciafcuna Sua palTion fotto el contrario manto Ricopre, con la vida hor' chiara hor bruiia.

15 Quand on prel'enta k Civl'ar la telle de Pompeius, les hilloires dil'ent qu'il en détourna la veué comme d'vn vilain <S: mal plailant fpectacle. 11 y auoit eu entr' eux vue i\ longue intelligence ^: locieté au manie- ment des affaires publiques, tant de communauté de iortunes, tant

Texte 88. 5) I.orrainc, pleura aulTi

30é ESSAIS DE MONTAIGNE.

d'offices rcciproqucs & d'alliance, qu'il ne faut pas croire que cette- contenance lut toute tauce & contretaicte, comme eftime cet autre :

tutùmque putauit' lam bonus efle focer; lachrimas non fponte cadentes Effudit, gemitûfque expreffit pectore lœto. 5

Car, bien que, à la vérité, la plufpart de nos actions ne foient que mafque & lard, & qu'il puilTe quelquefois eftre vray,

Hseredis fletus fub perfona rilus eft,

û efl-ce qu'au iugement de ces accidens il fiiut confiderer comme nos âmes le trouuent iouuent agitées de diuerles paffions. Et tout lo ainfi qu'en nos corps ils difent qu'il y a vne aflemblée de diuerfes humeurs, deiquclles celle eft maiftreffe qui commande le plus ordinairement en nous, lelon nos complexions : auffi, en nos âmes, bien qu'il y ait diuers mouuemens qui l'agitent, fi faut-il qu'il y en ait vn à qui le champ demeure. Mais ce n'eft pas auec fi entier 15 auantage que, pour la volubilité & foupplelîe de noftre ame, les plus foibles par occafion ne regaignent encor la place & ne lacent vne courte charge à leur tour. D'où nous voyons non leulement les enfans, qui vont tout naifucment après la nature, pleurer 6v rire Iouuent de melme chofe; mais nul d'entre nous ne fe peut vanter, 20 quelque voyage qu'il lace à Ion louhait, que encore au départir de la lamille tk de les amis il ne fe fente friflbnner le courage; &, Il les larmes ne luy en efchappent tout à faict, au moins met-il le pied à Vestrié d'vn vifage morne & contrifté. Et, quelque gentille llamme qui efchaufe le cœur des filles bien nées, encore les dcsprciid on 25

Thnih 88. iS) feulement aux enfans 24) à Teftiieu d'vii 25) les defpend on

' tires cil Ç<l Lcrit Mom.iignc à droite de cette lin de vers.

LIVRE I, CHAPITRl- XXXVIII. 507

à force du col de leurs mercs pour les rendre à leur efpous, quoi- que die ce bon compaignon :

Eft ne nouis nuptis odio venus, anne parentum Fruftrantur falfis gaudia lachrimulis, 5 Vbertim thalami quas intra limina fundunt ?

Non, ita me diui, vera gemunt, iuuerint.

Ainlîn il n'eft pas eftrange de plaindre celuv-là mort, qu'on ne voudroit aucunement eftre en vie.

Quand ic tance auec mon valet, ie tance du meilleur courage

10 que i'aye, ce lont vrayes & non feintes imprécations; mais, cette fumée paflee, qu'il ayt befoing de moy, ie luy bien feray volontiers : ie tourne à l'inftant le fueillet. Quand ie l'appelé un badin, un ueau, ic [n']entreprans pas de luy coudre a ianiais ces tiltrcs; nv ne pense me desdire pour le notner tantost }x)neste home. Nulle qualité nous entrasse piircmant

15 et uniucrsellemant . Si ce nestoii la contenance d'un fol de parler sul, il n 'est iour au quel on ne ni'ouit grofider en moi mesmes et contre mox : Bran du fat. Et si n'entans pas que ce soit ma définition.

Qui pour me voir vne mine tantoft froide, tantoft amoureufe enuers ma femme, eftime que l'vne ou l'autre foit feinte, il efl vn

20 fot. Néron, prenant congé de fa mère qu'il enuoyoit noyer, fentit toutesfois l'émotion de cet adieu maternel, & en cuft horreur & pitié.

On dict que la lumière du Soleil n'eft pas d'vne pièce continue, mais qu'il nous élance fi dru fans cefTe nouueaux rayons les vus fur

25 les autres, que nous n'en pouuons apperceuoir l'entre deux :

Largus enim liquidi fons luminis, ;i.tlierius fol Inrigat aflidue cœluin candore recenti, Suppeditdtque nouo confeftim luniine lumen;

\'ar. ms. 12) had'w nu sol if 14) pour le iuoei: 1 5) t»/ cl ii pari soi il u'esl 16) ouil crier a moi mesmes O le badin O le sol. Qui pour

5o8 ESSAIS DE MONTAIGNE.

ainlin ellancc noftre amc ics peintes diucrlcmcnt & impercepti- blement.

JrIcilHiiiiis surprit Xerxcs, sou iwiieu, cl le tança de ht soucleiue uiutatiou de sa contenance. Il estoit a considérer la orandur desincsiircc de ses jorces au passage de l'Helespont pour l'eut reprinse de la Graxe. Il lity print 5 premieremct vu tressaillimant d'aise a voir tant de milliers d'homes a son seruice, et le tesmouigua par l'alegresse et Jeste de son uisage. Et, tout Soudan, eu mesme instant, sa pensée lux suggérant corne tant de aies auoint a défaillir au plus louin dans un siècle, il refrouigna son front, et s'attrista iusqu' ans larmes. 10

Nous auons pourl'uiuy auec rel'oluë volonté la vengeance d'vne iniure, & refenty vn fingulicr contentement de la victoire, nous en pleurons pourtant; ce n'efl pas de cela que nous pleurons; il n'y a rien de changé, mais noftrc ame regarde la choie d'vn autre œil, & le la reprelente par vn autre vilage : car chaque choie a plufieurs 15 biais & plufieurs luftres. La parenté, les anciennes accointances & amitié/ laififTent nostre imagination & la paffionnent pour l'heure, ■félon leur condition; mais le contour en eft li bruique, qu'il nous cfchappe.

Nil adeo fieri céleri ratioiie videtur 20

Quam fi mens fieri proponit & inchoat ipfa. Ocius ergo animus quam res fe perciet vila, Alite oculos quarum in promptu natura videtur.

Et, à cette caufe, voulans de toute cette luite continuer vn corps, nous nous trompons. Quand Timoleon pleure le meurtre qu'il auoit 25^ commis d'vne li meure & genereufe délibération, il ne pleure pas la liberté rendue à fa patrie, il ne pleure pas le Tyran, mais il pleure fon frère. L'vne partie de l'on deuoir eft iouée, lailfons luy en iouer l'autre.

Tkxte 88. 17) faififlent fon imagination

\'ar. ms. 3) ncucu et le repriiit de 6) Iresfnillirinvil de ccui- d de d'aise de voir

Chapitre XXXIX.

DE LA SOLITVDE.

Lailîons à part cette Ionique comparail'on de la vie folitairc à l'actiiie; & quant à ce beau mot dequoy le couure l'ambition (^ l'auarice : Qiie nous ne fommes pas nez pour noflre particulier, ains pour le publicq, rapportons nous en hardiment à ceux qui font en la danfe; & qu'ils 5 fe battent la conlcience, fi, au rebours, les eftats, les charges, è^ cette tracaflerie du monde ne le recherche plutoll; pour tirer du publicq l'on profit particulier. Les mauuais moyens par on s'y poufle en noftre fiecle, montrent bien que la fin n'en vaut gueres. Relpondons à l'ambition que c'eft elle mefme qui nous donne gouft de la folitude: 10 car que fuit elle tant que la focieté? que cherche elle tant que les coudées franches? Il y a dequoy bien & mal faire par tout : toutefois, fi le mot de Bias efl vray, que la pire part c'eft la plus grande, ou ce que dit l'Ecclefiaftique, que de mille il n'en eft pas vn bon,

Rari quippe boni : numéro vix funt totidem, quot 'S Thebarum portœ, vel diuitis oftia Nili,

la contagion eft tres-dangereufe en la prefle. Il laut ou imiter les vitieux, ou les haïr. Tous les deux font dangereux, & de leur

Texte 88. 5) battent fur la

3IO ESSAIS DE MONTAIGNE.

reflembler, par ce qu'ils sont beaucoup; & d'en hair beaucoup, parce qu'ils font diflemblables.

Et les manhans qui iioiit en nier, ont raison de regarder que cens qui se mettït en mesnie ucsseau, ne soint dissolus, hlasphematurs, meschans : estimans telle société infortunée. 5

Parquoi Bias, plaisammant, a cens qui passoint aucq luy le dangier d'une grade tourmante, et apeloint le secours des dieus : Taises nous, fit il, qu'ils ne sentes point que nous soies icy aueq moi.

Et, d'un plus pressant exemple, Albuquerque, niceroy en l'indc pour le Roy Emanuel de Portugal, en un extrême péril de fortune de mer, print 10 sur ses espaules un ieune garçon, pour cette suie fin, qu'en la société de leur fortune son innocence luy seruit de garant & de recomâdation emiers la faneur diuine, pour le mettre a sanuete.

Ce n'efl; pas que le fage ne puifle par tout viure content, voire & feul en la foule d'vn palais; mais, s'il eft à choifir, il en fuira, 15 dit-il, mefmes la veue. Il portera, s'il efl; befoing, cela; mais, s'il eft en luy, il eflira cecy. Il ne luy femble point fuffilamment s'eftre "desfait des vices, s'il faut encores qu'il contefte auec ceux d'autruv.

Charondas chaftioit pour mauuais ceux qui eftoient conuaincus de hanter mauuaife compaignie. 20

// n'est rien si dissociable et sociable que l'home : l'un par son uice, l'autre par sa nature.

Et Antisthoies ne me semble auoir satisfaict a cclux qui lux reprochoit ' sa conucrsation aueq les meschans, en disant que les médecins uiuoint Inen entre les malades, car, s'ils seruct a la saute des malades, ils détériorent 25 la leur par la eôtagion, la mue continuelle et pratiij^ des maladies.

Texte 88. i) ils font beaucoup 19) chaftioit de griefues punitions ceux

Var. ms. 3) marcJjaiis qui se mettent en 4) soint irrcligkus dissotiis 6) Bias a cens... luy en le 10) perd de lormante print 20) compaignie. Sninct Augustin did tresbien qu'il n'est rien si dissociable par son uice que l'home : rien si sociable par sa nature. 25) auoir suffisaniniant salisfaict 24) médecins hantoint bien les malades 26) eôtagion du mauues air & de la ueue mcsnie continuelle et gouuerucmêt des maladies.

LIVRE I, CHAPITRE XXXIX. 51I

Or lii fin, ce crois-ie, en cft tout' vnc, d'en viure plus à loifir iS: à Ion aile. Mais on n'en cherche pas toufiours bien le chemin. Souuent on penle auoir quitté les affaires, on ne les a que changez. Il n'y a guiere moins de tourment au gouuernement d'vne famille 5 que d'\n eifat entier : que famé foit empefchée, elle y eil toute; &, pour eftre les occupations domelfiques moins importantes, elles n'en lont pas moins importunes. D'auantage, pour nous elfre deffaits de la Cour & du marché, nous ne fommes pas detfaits des principaux tourmens de noftre vie,

10 ratio & prudentia curas,

Non locus effufi latè maris arbiter, aufert.

L'ambition, l'auarice, l'irrefolution, la peur & les concupifcences ne nous abandonnent point pour changer de contrée,

Et poft equitem fedet atra cura.

1 5 Elles nous fuiuent louuent iulques dans les cloillres & dans les efcoles de philolbphie. Ny les defers, ny les rochers creufez, ny la hère, ny les ieunes ne nous en démeflent :

h«ret lateri letalis arundo.

On difoit à Socrates que quelqu'vn ne s'eftoit aucunement amendé 20 en fon voyage : le croy bien, dit-il, il s'eftoit emporté auecques foy.

Quid terras alio calentes Sole mutamus ? patria quis exul Se quoque fugit ?

Si on ne fe defcharge premièrement & fon ame, du fais qui la 25 prelTe, le remuement la fera fouler dauantage : comme en vn nauire

Texte 88. 4) famille qu'en vn cftat \'ar. ms. 24) premièrement soy &

312 ESSAIS CE MONTAIGNE.

les charges empelchent moins, quand elles font ralliles. Vous faictes plus de mal que de bien au malade, de luy faire changer de place. Vous enfachez le mal en le remuant, comme les pals s'enfoncent plus auant & s'affermilTent en les branlant & fecouant. Parquoy ce n'eil pas aflez de s'eftre efcarté du peuple; ce n'eft pas alTez de changer s de place, il fe faut efcarter des conditions populaires qui font en nous : il fe faut fequeftrer & r'auoir de foy.

Rupi iam vincuLi dicas : Xam luctata canis nodum arripit; attanien illi, Ciim tugit, à collo trahitur pars longa catens. lo

Nous emportons nos fers quand .^ nous : ce n'eft pas vne entière liberté, nous tournons encore la veuë vers ce que nous auons laifle, nous en auons la fontafie plaine.

Xili purgatum eft pectus, qu.t pra;lia iiobis Atque pericula tune ingratis iniinuandum ? Ij

Quant^e confcindunt hominem cuppedinis acres Sollicitum cura;, quantique période timorés ? Quidue fuperbia, fpurcitia, ac petulantia, quantas Elîiciunt clades ? quid luxus defidiéi'que ?

Xoftre mal nous tient en Famé : or elle ne fe peut échapcr à elle 20 mefme.

In culpa eft aninius qui le non effugit vnquam.

Ainiin il la faut ramener i:x retirer en ibv : c'eil la vraie lolitude, & qui le peut ioùir au milieu des villes & des cours des Roys; mais elle le iouyt plus commodément à part. 25

Or, puis que nous entreprenons de viurc leuls iv de nous palier de compagnie, failons que noftre contentement delpende de nous; delprenons nous de toutes les liailons qui nous attachent à autruy,

LIVRH I, CHAl'lTKH XXXIX. 313

gaignons fur nous du pouuoir à bon cfcicnt viurc kuls 6c v viurc à noftr' aile.

StiJpon cftant cfchappc de rembralement de l'a ville, il auoit perdu femme, enlans ai: cheuance, Démetrius Poliorcetes, le voyant 5 en vne grande ruine de la patrie le vilage non effrayé, luy demanda s'il n'auoit pas eu du dommage. Il relpondit que non, & qu'il n'y auoit. Dieu mercy, rien perdu de lien. C'est ce que le pbilosofcAntislheiics disoit plaisiiiiiiiniiit : que Vhome [se^i deuoit pouruoir de muni lions qui flottisseut sur Ij'u^iu et peiisseiil ci lutge eschaper aueq luy du naufrage.

lo Certes l'homme d'entendement n'a rien perdu, s'il a foy mefme. Quand la ville de Xole fut ruinée par les Barbares, Paulinus, qui en efloit Euélque, y avant tout perdu, & leur prifonnier, prioit ainli Dieu : Seigneur, garde moy de fentir cette perte, car tu fçais qu'ils n'ont encore rien touché de ce qui eft à moy. Les richelTes qui le

15 tailoyent riche, & les biens qui le faifoient bon, cftoyent encore en leur entier. \'oyla que c'ell de bien choifir les threlors qui le puiffent affranchir de l'iniure, & de les cacher en lieu perlonne n'aille, & lequel ne puilTe eftre trahi que par nous melmes. Il faut auoir femmes, enfans, biens, & fur tout de la lanté, qui peut; mais non

20 pas s'y attacher en manière que noflre heur en defpende. Il le faut releruer vne arriereboutique toute noftre, toute franche, en laquelle nous eftablilTons noffre vrave liberté & principale retraicte 6c lolitude. En cette-cy iaut-il prendre noftre ordinaire entretien de nous à nous mefmes, & fi priué que nulle acointance ou communication eftran-

25 giere y trouue place; difcourir îx y rire comme fans femme, fans enfans & fans biens, lans train 6c fans valet/, afin que, quand l'occafion aduiendra de leur perte, il ne nous loit pas nouueau de nous en palier. Nous auons vne ame contournable en loy melme; elle le

Texte 88. 16) puillcnt garantir de 20) que tout noftre ^4) eftrangiere n'y

\'ak. ms. 9) peufsciil cKimpcr... naufrage a vagc. Certes

314 ESSAIS DE MONTAIGNE.

peut taire compagnie; elle a dequoy aflaillir & dequoy défendre, dequoy receuoir .!■ dequov donner : ne craignons pas en cette lolitude nous croupir d'oilîueté ennuyeule,

in folis fis tibi turba locis.'

hi iicrtit, dicl Jntisthenes, se contante de soi : sans disciplines, sans paroles, 5 sans effaicts.

En nos actions accouftumées, de mille il n'en efl pas vne qui nous regarde. Celuy que tu vois grimpant contremont les ruines de ce mur, furieux & hors de foy, en bute de tant de harquebuzades; & cet autre, tout cicatrice, tranfi (bi; palle de faim, délibéré de creuer 10 plutoft que de luy ouurir la porte, penfe tu qu'ils y foyent pour eux? Pour tel, à l'aduenture, qu'ils ne virent onques, & qui ne fe donne aucune peine de leur faict, plongé cependant en l'o^-fiueté & aux délices. Cettuy-cy, tout pituiteux, chaflîeux & craffeux, que tu vois fortir après minuit d'vn eflude, penfes tu qu'il cherche parmy les 15 liures comme il fe rendra plus homme de bien, plus content & plus fage? Nulles nouuelles. Il y mourra, ou il apprendra à la pofterité la mefure des vers de Plaute & la vraye orthographe d'vn mot Latin. Qui ne contre-change volontiers la fanté, le repos & la vie à la réputation & à la gloire, la plus inutile, vaine & fauce monnoye qui 20 foit en noflre vfage? Noftre mort ne nous faifoit pas affez de peur, chargeons nous encores de celle de nos femmes, de nos enfans & de nos gens. Nos affaires ne nous donnoyent pas affez de peine, prenons encores à nous tourmenter & rompre la tefte de ceux de nos voifins & amis. 25

Vah ! quemquamne hominem in aninium inftituere, aut Parare, quod lit cliarius quam ipfc cil fibi ?

Tt\TE 88. 18) vrayc orthographie d'vn

Eli ça ijcrit .Montaigne à droite de cette tin de vers.

LIVRE I, CHAPITRF XXXIX. 315

La sflJlliitc nie semble ciiioir plus d'iippnniuee et \ de] raison a eeiis qui oui doue an monde leur eage plus actif & fleurissant, suiuant l'exemple de Thaïes. Ceft affez vefcu pour autruy, viuons pour nous au moins ce bout de vie. Ramenons à nous iic à noilre aise nos pensées 6c nos intentions. 5 Ce n'cfl; pas vne Icgiere partie que de taire leurement fa retraicte; elle nous empefche affez fans y méfier d'autres entreprinles. Puis que Dieu nous donne loifir de difpoler de noftre dellogement, préparons nous v; plions bagage; prenons de bon' heure congé de la compaignie; defpetrons nous de ces violentes prinles qui nous engagent ailleurs

10 & efloignent de nous. Il faut defnoùer ces obligations li fortes, & melliuv avmer ce-cy & cela, mais n'elpouler rien que foy. Ceft à dire : le refte foit à nous, mais non pas ioint & colé en taçon qu'on ne le puiffe defprendre fans nous cfcorcher & arracher enfemble quelque pièce du noftre. La plus grande choie du monde, c'eft de

15 fçauoir eftre à loy.

// est temps de nous desnouer de la société, puis que nous n'y pouuons rien apporter. Et, qui ne peut presler, qu'il se défende d'emprunter. Nos forces nous faiUent; retirons les et resserrons en nous. Oui peut reuuerser et côfondre en soi les offices de l'amitié et de [la\ compaii^nie, qu'il le face.

20 En celé chute, qui le rant inutil le, poisant et importun ans autres, qu'il se garde d'estre importun a soi mesuws, et poisant, et inutile. Qu'il se flate, et caresse, et surtout se régente : respectât et creignant sa raison et sa côsciance, si qu'il ne puisse sans honte broncher en leur présence. «Rarum est enini ut satis se quisque uereatur. »

25 Socrates dict que les innés se doiucnt faire instruire, les homes s'exercer a bien faire, les uieils se retirer de tout ' occupation ciuile et militere, uiuans a leur discrétion, saiis obligation a nul certeiu office.

Texte 88. 2) TImles. Or c'eft .1) noftre vr.iy profit nos cogitations & nos

Var. ms. 2) actif & florissant suiiiaiil 19) face qu4l se 20) ivulille cl importun 21) mesmes. Qu'il se flate se chatouille et sur tout qu'il se régente : et iustmise qu'il respecte et creigne sa raison 22) côsciance et »^* si qu'il n'ose clocher en sa leur presance Rarum est ut 25) instruire Homes s'exercer... faire J'ieus se

3l6 ESSAIS DK MONTAIGNE.

11 V a des complexions plus propres ces préceptes de Iii relrete les vues que les autres. Celles qui ont l'apprehenfion molle & lâche, & vn' affection & volonté dcUcaie, & qui ne s'asscruist uy s'onphye pas aylément, delquels ie fuis & par naturelle condition & par difcours, ils se plieront wicus h ce conleil que les âmes actiues & occupées qui s embraffent tout & s'engagent par tout, qui le paflîonnent de toutes choies, qui s'offrent, qui le prefentent & qui fe donnent à toutes occalions. Il fe faut feruir de ces commoditez accidentales & hors de nous, en tant qu'elles nous font plaifantes, mais (ans en faire noftre principal fondement : ce ne l'eft pas; ny la raifon ny la nature lo ne le veulent. Pourquoy contre fes loix afferuirons nous noftre contentement à la puiffance d'autruy? D'anticiper auffi les accidcns de fortune, le priuer des commoditez qui nous font en main, comme plufieurs ont faict par deuotion & quelques philofophes par difcours, fe feruir foy-mefmes, coucher fur la dure, le creuer les 15 yeux, ietter fes richeffes emmy la riuiere, rechercher la douleur (ceux pour, par le tourment de cette vie, en acquérir la béatitude d'un autre; ceux-cy pour, s'eftant logez en la plus baffe marche, fe mettre en feurté de nouuelle cheute), c'eft l'action d'vne vertu exceffuie. Les natures plus roides & plus fortes fiicent leur cacheté 20 mefmes, glorieule & exemplaire :

tuta & paruul.T laudo, Cum res deficiunt, fatis inter vilia fortis : Verùm vbi quid melius contingit & vnctius, idem Hos fapere, & lolos aio henè viuere, quorum 25

Confpicitur nitidis fundata pecunia villis.

Il V a pour moy affez affaire fans aller fi auant. Il me fuffit, fous la laueur de la fortune, me préparer à fa défaueur & me reprefenter.

Texte 88. i) à ce précepte les 3) volonté difficile, & qui ne fc prciul pas ayfémcnt 5) plieront plus aifément à... actiues & tendues, qui

i.iVKi: I, CHAi'iTRi: XXXIX. 317

cftant à mon aile, le mal aducnir, autant que Timagination y peut attaindro : tout ainli que nous nous accouftumons aux ioutes & tour- nois, & contretailons la guerre en pleine paix.

le ii'cstiiuc point Arccsihuts le philosophe moins reforme, pour Je sçaitoir 5 aitoir lise d'ntaiisiles d'or & d'argent, selon que la condition de sa fortune Je luv pennetoit; et l'estime inieiis que s'il s'en fut desniis, de ee qu'il en usoit modereement et libéralement.

le vov iniques à quels limites va la necedlté naturelle; &, confi- derant le panure mendiant à ma porte louuent plus enioué & plus

10 lain que mov, ie me plante en la place, i'elîiiyc de chauffer mon ame à fon biaiz. Et, courant ainfi par les autres exemples, quoy que ie penl'e la mort, la pauureté, le mcfpris & la maladie à mes talons, ic me relous aifément de n'entrer en effroy de ce qu'vn moindre que mov prend auec telle patience. Et ne puis croire que la balTelTe

15 de l'entendement puilTe plus que la vigueur; ou que les effects du dilcours ne puiffent arriuer aux effects de l'accourtumance. Et, connoiffint combien ces commodité/ acccffoires tiennent à peu, ie ne laiffe pas, en pleine iouvffance, de lupplier Dieu, pour ma louueraine requefte, qu'il me rende content de mov-melme & des

20 biens qui naiffent de moy. le vov des ieunes hommes gaillards, qui ne laiffent pas de porter dans leurs coffres vne maffe de pillulcs pour s'en leruir quand le rheume les preffera, lequel ils craignent d'autant moins qu'ils en penfent auoir le remède en main. Ainfi faut il lairc : & encore, fi on fe lent fubiect à quelque maladie plus

25 forte, fe garnir de ces medicamens qui affopiffent & endorment la partie.

L'occupation qu'il faut choifir à vne telle vie, ce doit eftre vne occupation non pénible ny ennuveule; autrement pour néant terions nous eftat d'y eftre venuz chercher le feiour. Cela dépend du gouft

\'ar. ms. 4) pnhil lu nie (rArce.^iliius... imiin: refùrnice pour liiy noir user des iinses d'or d & d'ari'cul

3l8 ESSAIS DE MONTAIGNE.

particulier d"vn chacun : le mien ne s'accommode aucunement au ménage. Ceux qui l'aiment, ils s'y doiuent adonner auec modération,

Conentur fibi res, non le fubmittere rébus.

C'efl autrement vn office feruile que la mefnageric, comme le nomme Saluftc. Eir a des parties plus excufables, comme le foing des iardi- 5 nages, que Xenophon attribue à Cyrus; & fe peut trouuer vn moyen entre ce bas & vile foing, tandu & plein de folicitude, qu'on voit aux hommes qui s'y plongent du tout, & cette profonde & extrême nonchalance laifllint tout aller à l'abandon, qu'on voit en d'autres,

Democriti pecus edit agellos 10

Cultdque, dum peregre eft animus fine corpore velox.

Mais oyons le confeil que donne le ieune Pline à Cornélius Rufus, fon amy, fur ce propos de la folitude : le te confeille, en cette pleine & graffe retraicte, tu es, de quiter à tes gens ce bas & abiect foing du mefnage, & t'adonner à l'eftude des lettres, pour en tirer quelque 1 5 chofe qui foit toute tienne. Il entend la réputation : d'vne pareille humeur à celle de Cicero, qui dict vouloir employer fa folitude & feiour des affaires publiques à s'en acquérir par fes efcris vne vie immortelle :

vfque adeo ne 20

Scire tuum nihil eft, nifi te fcire hoc fciat alter ?

[// semble que ce soit raison, puis qu 'ou parle de se retirer du uuvide, qu'on regarde hors de'\ luy : ccusci ne le font qu'a demi. [Us] dressent bien leur partie, pour quand ils n'y seront plus : mais le fruit de leur dessein, ils pretandent le tirer encore lors du monde, absans, par une ridicule contra- 25 diction. L'imagination de cens qui, par deuotion, recherchent la solitude.

Texte 88. 5) plus nobles & cxcufiiblcs

LlVRli 1, CHA1'ITR1£ XXXIX. ^19

rcniplissans leur coragc de la eertitiide des promesses diuines en l'autre uie, est bien plus seinenuint assortie. Ils se proposent dieu, obiect infini et en bonté et en puissanee : l'ame a de quoi \ ressasier ses désirs en toute liberté. Les afflictions, les dolurs leur uiencnt a profit, emploices a l'acquêt d'une 5 santé et reiouissance éternelle; la mort, a souhet, passage a un si parfaict estât. L'asprete de leurs règles est inconlinant applanie par l'acoslumance; et les appetis charnels, rebute:^ et endormis par leur refus, car rien ne les entretient que l'usage et exercice. Cette suie fin d'une autre uie hureusemant immortele, mérite loialement que nous abandonons les commodité^ et douceurs

10 de cette uie nostre. Et qui peut embraser son ame de l'ardur de cette uiue foi et espérance, reelenuiut et constammant, il se bastit en la solitude une uie uoluptueuse et délicate au delà de tout' autre fornu: de uie.

Ny la fin donq, ny le moyen de ce confeil ne me contente : nous retombons tous-iours de fieure en chaud mal. Cette occupation des

15 Hures eft aufll pénible que toute autre, & autant ennemie de la fanté, qui doit eftre principalement conllderée. Et ne ic faut point laifTer endormir au plaifir qu'on y prend : c'ell; ce melme plaifir qui perd le mefnagier, l'auaricieux, le voluptueux (:>: l'ambitieux. Les fages nous apprennent affez à nous garder de la trahifon de nos appétits,

20 & à difcerner les vravs plaifirs, & entiers, des plaifirs meflez & bigarrez de plus de peine. Car la plulpart des plaifirs, difent ils, nous chatouillent & embraffent pour nous efl;rangler, comme faifoyent les larrons que les ^Egyptiens appelloient Philifl:as. Et, fi la douleur de tefte nous venoit auant l'yurefle, nous nous garderions

25 de trop boire. Mais la volupté, pour nous tromper, marche deuant & nous cache fa fuite. Les Hures font plailans; mais, (\ de leur fréquentation nous en perdons en fin la gayeté & la ianté, nos meil- leures pièces, quittons les. le fuis de ceux qui penfent leur Iruict ne

Texte 88. 14) de la fieuro en chaud mal. Prcmicrcmcnt cette occupation 28) penfent que leur fruict ne fçauroit contrepoifcr

\'ar. ms. 8) d'ittie uie 12) aulre nie. Ny 15) confeil de Pline ne

320 ESSAIS DE MONTAIGNE.

pomioir contrepoifer cette perte. Comme les hommes qui le l'entent de long temps aft'oiblis par quelque indilpolition, le rengent à la lin à la mercv de la médecine, & le tont delTeigner par art certaines règles de viure pour ne les plus outrepalTer : aulTi celuv qui le retire, ennuie & dégoufté de la vie commune, doit lormer cette-cy au.\ 5 règles de la railon, l'ordonner èc renger par préméditation & dilcours. Il doit auoir prins congé de toute elpece de Iniiiail, quelque vilage qu'il porte; & fuir en gênerai les palTions qui empelchent la tran- quillité du corps & de lame, '& choiiir la route qui efl; plus lelon Ion humeur, 10

Vnul'quirque fua nouerit ire via.

Au ménage, à leftude, à la chalTe (b;: tout autre exercice, il finit donner iniques aux derniers' limites du plaifir, & garder de s'engager plus auant, la peine commence à le nieller parmy. Il faut releruer d'emheloignement & d'occupation autant feulement qu'il en ell 15 beloing pour nous tenir en haleine, & pour nous garantir des incommodité/ que tire après lov l'autre extrémité d'vne JacJx ovliueté & aflbpie. Il y a des Iciences lleriles (Se épineules, & la plus part forgées pour la prefle : il les faut lailTer à ceux qui lont au leruice du monde, le navme, pour mov, que des Hures ou plailans & taciles, 20 qui me chatouillent, ou ceux qui me conlolent & conleillent à régler ma vie <S; ma mort :

tacitum fyluas intcr rt-jitaïc falubics, Curantcm quidquid di_>;num lapientt bonoqut eft.

Les gens plus fages peuuent le forger vn repos tout Ipiritucl, ayant 25 l'ame forte iv vigoureule. Moy qui fay commune, il huit que i'ayde

Texte 88. 7) cfpccc de tourment, quelque 17) d'vnc molle ovliueté 19) pour le feruice de la prelTe 26) l'ay molle 6c commune

' derniers .idaition de 158S.

LIVRE I, CHAPITRE XXXIX. 52I

à me l'outcnii" par les commoditcz corporelles; &, l'aage m'ayant tantort del'robé celles qui eftoyent plus (/ ma fcuitcisic, i'inftruis & aiguile mon appétit à celles qui reftent plus l'ortahles à cette autre l'aifon. Il faut retenir à tout nos dents & nos griffes l'vlage des plaifirs 5 de la vie, que nos ans nous arrachent des poingts, les vns après les autres :

carpamus dulcia; iioftrum eft Quod viuis : cinis & mânes & fiibula fies.

Or, quant à la lin que Pline & Cicero nous propolent, de la gloire, 10 c'eft bien loing de mon compte. La plus contraire humeur à la retraicte, c'eft l'ambition. La gloire & le repos l'ont choies qui ne peuuent loger en mefme gifle. A ce que ie voy, ceux-cy n'ont que les bras & les iambes hors de la prefle; leur ame, leur intention y demeure engagée plus que iamais :

15 Tun', vetule, auriculis alienis colligis efcas?

Ils le font feulement reculez pour mieux fauter, & pour, d'vn plus fort mouuement, laire vne plus viue faucée dans la trouppe. Vous plaift-il voir comme ils tirent court d'vn grain? Mettons au contre- pois l'aduis de deux philofophes, & de deux fectes tres-differentes,

20 efcriuans, l'vn a Idomeneus, l'autre à Lucilius, leurs amis, pour, du maniement des affaires è^c des grandeurs, les retirer à la Iblitude. Vous auez (dilent-ils) velcu nageant & flotant iufques à prefent, venez vous en mourir au port. Vous auez donné le refle de voftre vie à la lumière, donnez cecy à l'ombre. Il ell impoffible de quitter

25 les occupations, fi vous n'en quittez le fruit : à cette caule, défaites vous de tout Ibing de nom & de gloire. Il eft dangier que la lueur de vos actions paffées ne vous efclaire que trop, & vous fuiue iulques dans voftre tanière. Quitez auecq les autres voluptez celle qui vient

Texte 88. 2) plus fclon mon goiift, i'inftruis

322 ESSAIS DE MONTAIGNE.

de l'approbation d'autruv; &, quant à voftre fcience 6c luffifance, ne vous chaille, elle ne perdra pas l'on effect, fi vous en valez mieux vous melme. Souuienne vous de celuv à qui, comme on demandait à quoy faire il fe pénoit li fort en vn art qui ne pouuoit venir à la cognoiffance de guiere de gens : l'en ay aiTez de peu, refpondit-il. 5 l'en ay affez d"vn, l'en av affez de pas vn. Il difoit vrav : vous & vn compagnon eftes affez fuffifant théâtre l'vn à l'autre, ou vous à vous- melmes. Que le peuple vous l'oit vn, & vn vous foit tout le peuple. C'eft vne lafche ambition de vouloir tirer gloire de l'on oyliueté & de sa cachette. Il faut faire comme les animaux qui effacent la trace, 10 à la porte de leur tanière. Ce n'eft plus ce qu'il vous faut chercher, que le monde parle de vous, mais comme il faut que vous parliez à vous mefmes. Retirez vous en vous, mais préparez vous première- ment de vous y receuoir : ce l'eroit folie de vous lier à vous mefmes, li vous ne vous Içauez gouuerner. Il v a moven de taillir en la 15 lolitude comme en la compagnie. Iniques à ce que vous vous l'oiez rendu tel, deuant qui vous n'oliez clocher, & iufques à ce que vous ayez honte & relpect de vous mefmes, « obseniciitur spccics honestx animo», prelentez vous touliours en l'imagination Caton, Phocion 1^ Arillides, en la prefence defquels les fols mefme cacheroient leurs 20 fautes, & eftabliffez les contrerolleurs de toutes vos intentions : fi elles fe détraquent, leur reuerence les remettra en train. Ils vous contiendront en cette voie de vous contenter de vous mefmes, de n'emprunter rien que de vous, d'arrefter & fermir voftre ame en certaines & limitées cogitations elle fe puiffe plaire; &, ayant 25 entendu les vrays biens, delquels on iouit à melure qu'on les entend, s'en contenter, lans delir de prolongement de vie ny de nom. \'oyla le conleil de la vraye & naifue philofophie, non dvne philolophie oftentatrice & parliere, comme eft celle des deux premiers.

Texte 88. 10) & de fon repos : il faut

\'ar. .ms. 17) clocher ranim est eiiim iil salis si- qiiistjiii- ucrcatur (citation reportée p. ji;, 1. 25.)

Chapitre XL.

CONSIDERATION SVR CICERON.

Encor' vn traict à la comparaifon de ces couples. Il fc tire des efcris de Cicero & de ce Pline Çpeii retirant, à mon aduis, aux humeurs de fon oncle), infinis tefmoignages de nature outre mefure ambitieufe : entre autres qu'ils follicitent, au fceu de tout le monde, 5 les hiftoriens de leur temps de ne les oublier en leurs regiftres; & la fortune, comme par defpit, a faict durer iufques à nous la vanité de ces requeftes, & pieça faict perdre ces hiftoires. Mais cecy furpaflc toute balTefle de cœur, en perfonnes de tel rang, d'auoir voulu tirer quelque principale gloire du caquet & de la parlerie, iufques à y

10 employer les lettres priuées écriptes à leurs amis : en manière que, aucunes ayant failly leur foifon pour eftre enuoyées, ils les font ce neantmoins publier auec cette digne excufe qu'ils n'ont pas voulu perdre leur trauail & veillées. Sied-il pas bien à. deux confuls Romains, fouuerains magiflrats de la chofe publique emperiere du monde,

15 d'employer leur loifir à ordonner & fagoter gentiment vne belle miflîue, pour en tirer la réputation de bien entendre le langage de leur nourriffe? Que feroit pis vn fimple maiftre d'école qui en gaignat fa vie? Si les gelles de Xenophon & de Ca.'far n'euflent de

Texte 88. 2) Pline (nullement retirant

324 ESSAIS DE MONTAIGNE.

bien loing furpaiïc leur éloquence, ie ne cro}- pas qu'ils les euflent iamais efcris. Ils ont cherché à recommander non leur dire, mais leur faire. Et, fi la perfection du bien parler pouuoit apporter quelque gloire fortable à vn grand perfonnage, certainement Scipion & Lcelius n'euflent pas refigné l'honneur de leurs comédies & toutes les 5 mignardifes & délices du langage Latin à vn ferf Afriquain : car, que cet ouurage foit leur, fa beauté & fon excellence le maintient aflez, & Terence l'aduoùe luy mefme. On me feroit defplaifir de me delloger de cette créance.

C'eft vne efpece de mocquerie & d'iniure de vouloir fiiire valoir 10 vn homme par des qualitez mes-aduenantes à fon rang, quoy qu'elles foient autrement louables, & par les qualitez aufTi qui ne doiuent pas eftre les Tiennes principales : comme qui loûeroit vn Roy d'eflre bon peintre, ou bon architecte, ou encore bon arquebouzier, ou bon coureur de bague; ces louanges ne font honneur, fi elles ne 15 font prefentées en foule, & à la fuite de celles qui luy font propres : à fçauoir de la iuftice & de la fcience de conduire fon peuple en paix •& en guerre. De cette façon faict honneur à Cyrus l'agriculture, & à Charlemaigne l'éloquence & connoiflance des bonnes lettres. l'ay ueii de mon temps, en plus fors termes, des pcrsonages qui tiroiiit 20 d'escrire et leurs titres et leur uocation, dcsaduouer leur aprantissage, corrôpre leur plume et affecter l'ignorance de qualité si uulguere et que nos trc peuple tient ne se rècontrer gutre en mains sçauaiites : se recomaudaus par meillurcs ' qualité:^.

Les compaignons de Demofthenes en Fambafllide vers Philippus 25 loùoient ce Prince d'eftre beau, éloquent & bon beuueur : Demofthenes

Texte 88. 8) mefine, & on

^'AR. MS. 20) temps des 21) lilrcs cl leurs richesses âcsaduouer 1": leur sciaiicc corne iiile cl populcre corrôpre 2" : leur aprantissage et corrôpre 22) si uulguere : ê^ peu fwemaudabk pour 2°: cl que neslre peuple iieul sur ec 3°: que vostre peuple lient cette qualité ne se rècontrer 23) Au dessus de sçauniiles sont trois lettres eflacées,

peut-être le commencement du mot che:^

LIVRE I, CHAPITRi: XL. :; 2 )

dilbit que cVitoicnt louanges qui appartcnoicnt mieux à vue femme, à vn aduocat, à vue efponge, qu'à vn Roy.

Imperet bellante prior, iacenteni Lenis in hoftem.

5 Ce n'eft pas la profeflîon de fçauoir ou bien chafTer ou bien dancer,

Orabunt caufas alij, cœlique meatus Defcrihent radio, & fulgentin fidera diccnt; Hic regerc imperio populos fciat.

Plutarque dict d'auantage, que de paroiftre li excellent en ces 10 parties moins necelTiiires, c'efi; produire contre foy le telmoignage d'auoir mal difpencé Ion loilir & l'eftude, qui deuoit eftre employé à chofes plus neceffaires & vtiles. De façon que Philippus, Roy de Macédoine, ayant ouy ce grand Alexandre, fon fils, cbanter en vn feftin à l'enuy des meilleurs muficiens : N'as tu pas honte, luy 15 dict-il, de chanter li bien? Et, à ce mefme Philippus, vn muficien contre lequel il debatoit de fon art : la à Dieu ne plaife, Sire, dit-il, qu'il t'aduienne iamais tant de mal que tu entendes ces chofes mieux que moy.

Vn Roy doit pouuoir refpondre comme Iphicrates refpondit

20 à l'orateur qui le preflbit en fon inuectiue, de cette manière : Et bien,

qu'es-tu, pour faire tant le braue? es-tu homme d'armes? es-tu

archier? es-tu piquier? le ne fuis rien de tout cela, mais ie luis

celuy qui fçait commander à tous ceux-là.

Et Antifthenes print pour argument de peu de valeur en Ifmenias, 25 dequoy on le vantoit d'eflre excellent ioûeur de flûtes.

le sçai bien, quand [i']oi quckïi qui s'amtc au langage des essais, que [i']aimerois mieus qu'il [s''\en teust. Ce n'est pas tant esleuer les mots, corne

Var. ms. 27) lavt : eslciicr les : déprimer les

326 ESSAIS DE MONTAIGNE.

c'est déprimer le sens, d'autant plus piqua nnnant que plus obliquement. Si suis ie trompé, si guère d'autres donct plus a prendre en la matière; et, cornant que ce soit, mal ou bien, si nul escriiœin [/'a] semée ny guère . plus matérielle ny au moins plus drue en son papier. Pour en ranger dauantage, [ie'] n'en entasse que les testes. Que i'y atache leur suite, ie s multiplierai plusieurs fois ce uolume. Et combien y ai ie espendu d'histoires qui ne disent mot, les quelles qui uoudra esplucher un peu ingénieusement, en produira infinis essais. Ny elles, ny mes allégations ne seruent pas tousiours simplement d'exemple, d'authorite ou d'ornement. le ne les regarde pas sulement par l'usage que t'en tire. Elles portent souuant, hors de mon 10 propos, la semancc d'une matière plus riche et plus hardie, et sonent a gauche un ton plus délicat, et pour moi qui n'en ueus exprimer dauantage, et pour cens qui rencontreront mon air. Reuenant a la uertu parliere, ie ne treum pas grand chois entre ne sçauoir dire que mal, ou ne sçauoir rien que Inen dire. «Non est ornamentum uirilc concinnitas.» 15

Les fages disent que, pour le regard du fçauoir, il n'efi: que la philofophie, &, pour le regard des effets, que la vertu, qui genera- "lement foit propre à tous degrez & à tous ordres.

Il y a quelque chofe de pareil en ces autres deux philofophes, car ils promettent auffi éternité aux lettres qu'ils elcriuent à leurs amis; 20 mais c' eft d'autre façon, & s'accommodant pour vne bonne fin à la vanité d'autruy : car ils leur mandent que fi le foing de le faire connoift;re aux fiecles aduenir îs: de la renommée les arrefte encore au maniement des affaires, & leur fiiit craindre la folitude & la retraicte ils les veulent appeller, qu'ils ne s'en donnent plus de 23

Texte 88. 15) coiicinnitas. Et difent les fages que

\'ar. ms. i) c'est ahhaUre la matière. Ex à\itnx\tsitigts (1. i6.) i) piquammani : que suhUltmeni plus subtilement. Si suis ie : que plus courtoisement et plus subti- lement. Si : que plus courtoisement et couuertement . Si 2) (z mordre en 3) bien a tort ou a droict si nul 4) matérielle ny plus : riche en : drue au moins en 5) n'en assamble que les teste. N^n est «fnamenlum uiriU cencinnitas que i'y atache leur suite ' ie triplerai ce uolume Ne» est oi^uamentum uidU mnciumUis le ne ireuue (1- '5-) 9) d'exemple ny d'authorite 10) tire. Ge 12) délicat pour

LIVRE I, CHAPITRU XL. 327

peine : d'autant qu'ils ont aflez de crédit auec la pollerité pour leur refpondre que, ne fut que par les lettres qu'ils leur efcriuent, ils rendront leur nom auflî conneu & fameus que pourroient faire leurs actions publiques. Et, outre cette différence, encore ne font ce pas S lettres vuides & defcharnées, qui ne fe foutiennent que par vn délicat chois de mots, entaffez & rangez à vne iufte cadence, ains farcies & pleines de beaux difcours de fapience, par lefquelles on fe rend non plus éloquent, mais plus fage, & qui nous aprcnnent non à bien dire, mais à bien faire. Fy de l'éloquence qui nous lailîe enuie

10 de foy, non des chofes; fi ce n'eft qu'on die que celle de Cicero, eftant en fi extrême perfection, fe donne corps elle mefme.

l'adioufteray encore vn conte que nous lifons de luy à ce propos, pour nous faire toucher au doigt fon naturel. Il auoit à orer en public, & eftoit vn peu prefTé du temps pour fe préparer à fon aife.

15 Eros, l'vn de fes ferfs, le vint aduertir que l'audience eftoit remife au lendemain. Il en fut 11 aife qu'il luy donna liberté pour cette bonne nouuelle.

Sur ce fubiect de lettres, ie veux dire ce mot, que c'eft vn ouurage auquel mes amys tiennent que ie puis quelque chose. Et eusse prins

20 plus uolontiers cette forme a publier nies uerucs, si i' eusse eu a qui parler. Il me f al oit, corne ie l'ai eu autresfois, un certein commerce qui m'attirast, qui rue soustint et sousleuat. Car de negotier au ucnt, corne d'autres, ie ne saurais que de songes, ny forger des ueins noms a entretenir en chose sérieuse : encmi iure de toute falsification. l'eusse este plus attantif et plus

25 seur, aïant un' adresse forte et amie, que ie ne suis, regardant les diuers uisages d'un peuple. Et suis dcceu, s'il ne m'eut micus succède. l'ay natu- rellement vn ftilc comique & priué, mais c'eft d'vnc forme mienne, inepte aux negotiations publiques, comme en toutes façons eft mon

Texte 88. i) peine, car ils 19) cliofc : i'ay naturcllcmeiU

Var. .ms. 20) ucrues que celle que i' ai prinsc si 21) commerce qui fut et sorlnhle el ueritable qui m'ultirasl qui me soustint qui me sousle sousleuat. (qui fut est une »dJiiioii ultérieure.) 24) serieuse. l'eusse

328 HSSAIS DE MONTAIGNE.

langage : trop ferré, delordonné, couppé, particulier; !k ne m'entens pas en lettres ceremonieufes, qui n'ont autre luhftance que d'vne belle enfileure de paroles courtoifes. le n'ay ny la faculté ny le gouft de ces longues offres d'affection & de feruice. le n'en crois pas tant, & me defplaift d'en dire guiere outre ce que i'en crois. C'eft bien 5 loing de l'vlage prefent : car il ne fut iamais li abiecte & feruile proftitution de prefentations; la vie, l'ame, deuotion, adoration, lert, efclaue, tous ces mots y courent li vulgairement que, quand ils veulent faire fentir vne plus expreffe volonté & plus refpectueufe, ils n'ont plus de manière pour l'exprimer. 10

le hay à mort de fentir au flateur : qui taict que ie me iette naturellement à vn parler fec, rond et criid qui tire, à qui ne me cognoit d'ailleurs, vn peu vers le dédaigneux. l'honore le plus cens que i'honore le moins; et, ou mon arne marche d'une grande allégresse, i'ohlie les pas de la contenance. Et m'offre maigrement & fièrement à ceux 15 à qui ie luis. Et me presante moins a qui ie me suis le plus donc : il me femble qu'ils le doiuent lire en mon cœur, & que l'expreffion de mes paroles fait tort à ma conception.

A hienueigner, a prandre co)igé, a remercier, a saluer, [rt] presanter mon seruice, et tels complinwns uerheus des loix cérémonieuses de nostrc 20 ciuilite, ie ne conois persone si sottement stérile de langage que moi.

Et n'ai iamais este emploie a faire des lettres de fauur et recomandatiô, que celuy, pour qui c'estoit, n'axe trouuees sèches et lâches.

Ce iont grands imprimeurs de lettres que les Italiens. l'en ay, ce crois-ie, cent diuers volumes : celles de Annihale Caro me femblent 25

Texte 88. i) couppù, & difficile : & 12) fec, & qui 13) dédaigneux : Ceux que i'ayme me mettent en peine, s'il faut que ie le leur die, & m'offre 15) & fièrement ciTacé puis rétabli 25) de Hannibal Caro

\'ak. ms. 9) plus scricusc, ils 20) icruicc, ic iic coiwissc pcnoiic si soUviiiaiil

Stcrilc de tailgai^e que moi. Ce font (En ref.-iis.-im plus t.iul ccltc plir.ise. Mom.iigiic a Wffc tout ce qui prcccde, i partir de seruice') 2o) lieibetlS de HCsii:f (iu 22) recotiiaiidiitiô pour un autre qu'it ue les ayc Irouuecs secljcs et stériles. Ce font

LIVRE I, CHAPITRE XL. 329

les meilleures. Si tout le papier que i'ay autresfois barbouillé pour les dames, eftoit en nature, lors que ma main eftoit véritablement emportée par ma palfion, il s'en trouueroit à l'aduenture quelque page digne d'eftre communiquée à la ieuneffc oyfiue, embabouinée 5 de cette turcur. l'elcris mes lettres toulîours en pofle, & fi precipi- teulement que, quoy que ie peigne inkipportablement mal, i'ayme mieux efcrire de ma main que d'y en employer vn' autre, car ie n'en trouue poinct qui me puifle fuyure, & ne les tranfcris iamais. l'ay accouftumé les grands qui me connoiflent, à y fupporter des litures

10 & des trafleures, & vn papier fans plieure & fans marge. Celles qui me couftent le plus font celles qui valent le moins : depuis que ie les traine, c'efl figne que ie n'y fuis pas. le commence: volontiers fans proiect; le premier traict produict le fécond. Les lettres de ce temps font plus en bordures & préfaces, qu'en matière. Comme

15 i'ayme mieux compofer deux lettres que d'en clorre & plier vne, 6c refigne toufiours cette commission à quelque autre : de melme, quand la matière eft acheuée, ie donrois volontiers à quelqu'vn la charge d'y adioufter ces longues harengues, offres & prières que nous logeons fur la fin, & defire que quelque nouuel vfage nous en

20 defcharge; comme auflî de les infcrire d'vne légende de qualitez & tiltres, pour aufquels ne broncher, i'ay maintesfois laiffé d'elcrire, & notamment à gens de iuftice & de finance. Tant d'innouations d'offices, vne fi difficile difpenfation & ordonnance de diuers noms d'honneur, lefquels, eftant fi chèrement acheptez, ne peuuent eftre

25 efchangez ou oubliez fans offence. le trouue pareillement de mauuaile grâce d'en charger le front & infcription des Hures que nous tailons imprimer.

Texte 88. 16) celte charge à

Chapitre XLI.

DH NE COMMVXiaVER SA GLOIRE.

De toutes les refueries du monde, la plus receuë & plus vniuer- felle eft le foing de la réputation & de la gloire, que nous efpoufons iufques à quitter les richeffes, le repos, la vie & la iluité, qui font bien effectuels & fubftantiaux, pour l'uyure cette vaine image & cette fimple voix qui n'a ny corps ny pril'e : S

La lama, ch' inuaghisce a vn dolce fuono

Gli fuperbi mortali, & par fi bella,

E vn écho, vn fogno, anzi d'vn Ibgno vn ombra

Ch' ad ogni vento 11 dilegua & fgombra.

Et, des humeurs des-raifonnables des hommes, il femble que les lo philofophes mel'mes fe défacent plus tard & plus enuis de cefte-cy que de nulle autre.

Ceft la plus rcuelche & opiniaftre : « Quia ctiaiii hcnc pwficicutcs auimos kutarc non cessai.» Il n'en eft guiere de laquelle la railbn accule fi clairement la vanité, mais elle a les racines fi vifues en nous, que 15 ie ne içav fi iamais aucun s'en eft peu nettement descharger. Apres que vous auez tout dict & tout creu pour la dcladuouer; elle produict contre voftre difcours vue inclination li intcftinc que vous aucz peu que tenir à l'encontre.

Texte 88. 6) ch' inuahifcc a 16) ncticnitiu dcrt'airi:. .\prcs

LIVRE I, CHAPITRI-; XLI. 33I

Car, comme dit Ciccro, ceux mclmcs qui la combatcnt, cncorcs veulent-ils que les Hures qu'ils en el'criuent, portent au front leur nom, & fe veulent rendre glorieux de ce qu'ils ont mefprifé la gloire. Toutes autres chofes tombent en commerce : nous preftons nos 5 biens & nos vies au beloin de nos amis; mais de communiquer l'on honneur 6i; d'eftrcner autruv de la gloire, il ne fc voit guicres. Catulus Luctatius, en la guerre contre les Cymbres, ayant laict tous fes efforts d'arreftcr les Ibldats qui fuyoient deuant les ennemis, fe mit luy-mefmes entre les fuyards, & contrefit le couard, affin

10 qu'ils femblaffent pluftoft fuiure leur capitaine que fuyr l'ennemy : c'effoit abandonner fa réputation pour couurir la honte d'autruy. Quand l'Empereur Charles cinquiefme paffa en Prouence, l'an mil cinq cens trente fept, on tient que Anthoine de Leue, voyant l'on maiftre rel'olu de ce voiage & l'eftimant luy eftre merueilleufement

15 glorieux, opinoit toutefois le contraire & le defconfeilloit, à cette fin que toute la gloire & honneur de ce confeil en fut attribué à l'on maiftre, & qu'il fut dict fon bon aduis & (a preuoiance auoir elle telle que, contre l'opinion de tous, il euft mis à fin vne fi belle entreprinfe : qui eftoit l'honnorer à fes defpens. Les AmbalTiideurs

20 Thraciens, confolans Archileonide, mère de Brafidas, de la mort de Ion fils, & le haut-louans iufques à dire qu'il n'auoit poiiil laiffé fon pareil, elle refuûi cette louange priuée & particulière pour la rendre au pubhc : Ne me dites pas cela, fit-elle, ie fçay que la ville de Sparte a plufieurs citoyens plus grands & plus vaillans qu'il

25 n'eftoit. En la bataille de Crecy, le Prince de Gales, encores fort ieune, auoit l'auant-garde à conduire : le principal effort du rencontre fuft en cet endroit : les feigneurs qui l'accompagnoicnt, le trouuans en dur party d'armes, mandarent au Roy Edouard de s'approcher pour les fecourir : il s'enquit de l'eftat de fon fils, &, luy ayant efté

30 refpondu qu'il eftoit viuant & à cheual : le luy ferois, dit-il, tort de

Texte 88. 21) n'auoit pas laiffil-

532 ESSAIS DE MONTAIGNE.

luy aller maintenant delVober l'honntur de la victoire de ce combat qu'il a fi long temps fouftenu; quelque hazard qu'il v ait, elle fera toute fienne. Et n'y voulut aller ny enuoier, fçacliant, s'il y fuft allé, qu'on euft dict que tout efloit perdu fans fon fecours, & qu'on luy eut attribué l'aduantage de cet exploit : « sempcr eiiiin qiiod postre- 5 nium adiectiiin est, id rem totaiu iiidetur traxisse. »

Plufieurs eftimoyent à Romme, & fe difoit communément, que les principaux beaux-foits de Scipion eftoyent ai partie deus à Lcelius, qui toutesfois alla toufiours promouuant & fécondant la grandeur & gloire de Scipion, lans aucun foing de la fienne. Et Thcopompus, 10 Roy de Sparte, à celuv qui luv diloit que la chofe publique demeu- roit fur fes pieds, pour autant qu'il Içauoit bien commander : Ceft plufloft, dict-il, parce que le peuple fçait bien obeyr.

Corne les famés qui sitecedoint ans pairies, auoiiit, nonobstant leur sexe, droit d'assister et opiner aus causes qui apartieiieiit a la iurisdiction des 15 pairs : aussi les pairs ecclésiastiques, nonobstant leur profession, estoint tenus d'assister nos roys en leurs guerres, non sulemaiit de leurs amis et seruiturs, 'niais de leur persone aussi. L'euesque de Beauuais, se trouuant aueq Philippcs Auguste en la bataille de Bouuincs, participoit bien fort coragcusemant a l'effaict; nuiis il luv scnû'loit ne deiioir toucher an fruit et gloire de cet 20 exercice, senglant et iiiolant. Il mena, de sa main, plusieurs des eneniis a raison ce iour la; et les donoit au premier gentillhome qu'il trouuoit, a csgosiller ou prendre prisoniers : luv en résignant toute l 'exécution; et le fit eiusiii de guillaume conte de Salsberv a messire lan de Nesle : d'une pareille subtilité de consciancc a cet t' autre : il uonloit bien assoiner, mais 25 non pas blesser, et pourtant ne combatoit que de masse. Quelciin, en mes ioiirs, estant reproche par le Ro\ d'aiioir mis les mains sur un prestre, \le nioit fort et ferme : c'estoit qu'il Vauoit i battu et foule aus pieds.

Texte 88. 5) de tout cet

Vau. ms. 14) auoiiil droit i6) profession pacifique cl nerhatc csloiiil 22) trouuoit prcs de luy a 25) prisoniers : t^ome si luy en resignaiil loul l'exploit : et le fil 27) estant w

Chapitre XLII.

DE L IXRQVALITK QVI EST ENTRE XOVS.

Plutarquc dit en quelque lieu qu'il ne trouue point i\ grande diftance de hefte à befte, comme il trouue d'homme à homme. II parle de la fuffifance de l'ame & qualités internes. A la vérité, ie trouue fi loing d'Epaminundas, comme ie l'imagine, iufques à tel 5 que ie connois, ie dy capable de fens commun, que i'encherirois volontiers fur Plutarque; & dirois qu'il y a plus de diftance de tel à tel homme qu'il n'y a de tel homme à telle befte :

hem tiir iiiro quid prœstat ;^

Et qu'il y a autant de def^n'i d'esprits qu'il y a d'icy au ciel de brasses, 10 et autant inmtmerahks.

Mais, à propos de l'eftimation des hommes, c'cft merueille que,

Texte 88. 6) & pcnfe qu'il 7) befte : c'eft à dire, que le plus excellent animal, eft plus approchant de l'homme, de la plus baffe marche, que n'eft cet homme, d'vn autre homme grand & excellent. Mais

\'ar. ms. 9) d'esprits qu'il y en a d'icy aufsi ciel el aillant

' .\u dessus de cette citation .Montaigne écrit tiers

334 ESSAIS DE MOXTAIGXE.

faut nous, aucune choie ne s'eftime que par fes propres qualitez. Nous louons vn cheual de ce qu'il eft vigoureux & adroit,

volucrem' Sic laudamus equum, facili cui plurima palma Feruet, & exultât rauco Victoria circo, 5

non de fon harnois; vn leurier de fa viteffe, non de l'on colier : vn oyfeau de fon aile, non de fes longes & fonettes. Pourquoy de mefmes n'ellimons nous vn homme par ce qui eft fien ? Il a vn grand train, vn beau palais, tant de crédit, tant de rente : tout cela eft autour de luy, non en luy. Vous n'achetez pas vn chat en poche. 10 Si vous marchandez vn cheual, vous luy oftez fes bardes, vous le voyez nud & à defcouuert; ou, s'il eft couuert, comme on les prefentoit anciennement aux Princes à vandre, c'eft par les parties moins neceffaires, afin que vous ne vous amufez pas à la beauté de fon poil ou largeur de fa croupe, & que vous vous arreftez 15 principalement à confiderer les iambes, les yeux & le pied, qui font "les membres les plus vtiles,

Regibus hic mos eft : vbi equos mercantur, opertos

Infpiciunt, ne, fi faciès, vt fœpe, décora

Molli fulta pede eft, emptorem inducat hiantem, 20

Quod pulchrs clunes, hreue quod caput, ardua cervix.

Pourquoy, eftimant vn homme, Feftimez vous tout enueloppé & empacqueté? Il ne nous f;nct montre que des parties qui ne font aucunement liennes, & nous cache celles par Icfquelles feules on peut vrayement iuger de fon eftimation. C'eft le pris de l'efpée que 25 vous cherchez, non de la guaine : vous n'en donnerez à l'aduenture pas vn quatrain, fi vous l'auez delpouillé. Il le laut iuger par luy

Texte 88. 17) membres les plus nobles & les plus vtiles

' en ça écrit Monuigne i droite de ce mot.

LIVRE I, CHAPITRE XLII. 335

mefmc, non par les atours. Et comme dit trcs-plaifamment vn ancien : Sçauez vous pourquoy vous l'ellimez grand? Vous y comptez la hauteur de fes patins. La bafe n'eft pas de la ftatue. Mefurez le fans fes efchaces : qu'il mette à part fes richeffes & honneurs, qu'il fe prefente

5 en chemife. A il le corps propre à fes functions, iain & allègre'? Quelle ame a il ? eft elle belle, capable & heureufement pourmue de toutes fes pièces? Eft elle riche du fien, ou de l'autruy? la fortune n'y a elle que voir? Si, les yeux ouuerts, elle attend les efpées traites; s'il ne luy chaut par luy forte la vie, par la bouche ou par le

10 gofier; fi elle eft raflife, equable & contente : c'eft ce qu'il fiiut veoir, & iuger par la les extrêmes différences qui font entre nous. Eft-il

fapiens, fibique imperiofus, Quem neque pauperies, neque mors, neque vincula terrent, Refponfare cupidinibus, contemnere honores 15 Fortis, & in feipfo totus teres atque rotundus,

Externi ne quid valeat per Isue morari, In quem manca ruit (emper fortuna?

vn tel homme eft cinq cens bralTes au defliis des Royaumes & des duchez : il eft luy mefmes à foy fon empire.

20 Sapiens pol ipse Jingit fortunam sibi.'

Que luy reste il a désirer?

Non ne videmus" Nil aliud fibi naturam latrare, nifi ut quoi Corpore feiunctus dolor abfit, mente fruatur, 25 lucundo fenfu cura femotus metûque ?

Tkxte 88. 6) heureufement garnie de 19) empire & fes richelTes : il vit fatis-fait, content & allègre. Et à qui a cela, que refte-il? Non ne videmus

' Au dessus Je celle cilation, Moiit.iignc écrit tlCt'S

- A droite de cette hii Je vers, .Montaigne écrit : /</-' Cil fil

330 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Comparez luy la tourbe de nos hommes, flupide, bafle, feruile, inftable ts: continuellement flotante en l'orage des paffions diuerfes qui la pouffent & repoussent : pendant toute d'autruy; il y a plus d'efloignement que du Ciel à la terre : & toutefois l'aueuglement de noftre vfage eft tel, que nous en faifons peu ou point d'eftat, où, 5 fi nous confiderons vn paifan & vn Roy, //// iiohlc et un uiJlaiii, un magistrat et un home priue, un riehe et un poure, il le prefente Ibudain à nos yeux vn' extrême difparité, qui ne font différents par manière de dire qu'en leurs chauffes.

En Thrace le Roy [estoit] distingue de sou [peuple d'une plaisante 10 manière,^ et bien rencherie. Il auoit une religion a part, un dieu tout a luy qu'il napartenoit a ses suhiets d'adorer : c'estoit Mercure; et luy dcsdeiguoit les leurs, Mars, Bacclnis, Diane.

Ce ne so)it pourtât que peintures, qui ne font aucune dissemblance essentielle. 1 5

Car, comme les loueurs de comédie, vous les voyez fur l'efchafîiiut faire vne mine de Duc & d'Empereur; mais, tantoft après, les voyia 'deuenuz valets & crocheteurs miferables, qui eft leur nayfue îx origi- nelle condition : auffi l'Empereur, duquel la pompe vous eiblouit en public, 20

Scilicet & grandes viridi cuiii luce fmaragdi Auro includuntur, teriti'irque Tlialalîlma veftis Affiduè, & Veneris fudorem exercita potat,

voyez le derrière le rideau, ce n'eft rien qu'vn homme commun, &, à l'aducnture, plus vil que le moindre de fes fuhiects. «Ille beatus 25 introrsuni est. Istius bracteata Ja'licitas est. »

Texte 88. i) comp.art-z à ccluy là, la... honinics, ignorante, llupidc&cndoniiic, balTc, fcruilc, plcini.' de fic-burc & de tVaicur, inftabic 5) & lenipcftent, pendant

\'ar. .ms. 7) magistrat un... riil.'c li I' y) cliauffes. Bradcala isla f.rlicilas csl. Car comme 10) Roy est ilislinguc 11) loiil u s 14) aucune dislhiclum cssentictte. 25) fubiccts. Mmckala ida f^lidUii al. llle... csl. Smckaia isla jadUikn eut. Islius

LIVRE I, CHAPITRK XLII. 337

La coùardile, l'irrclblution, rambition, le dcfpit & l'cnuic l'agitent comme vn autre :

Xon enini gaz>t neque confularis Siinimouet lictor niiferos tumultus 5 Mentis & curas laqueata circuiii

Tecta volantes;

& le l'oing & la crainte le tiennent à la gorge au milieu de l'es armées, B

Re veràque nietus hominum, eunuque fequaces, Nec metuunt fonitus armorum, nec fera tela; 10 Auiiactérque inter reges, rerûnique potentes

\'erfantur, neque fulgorem reuerentur ab auro.

La fiebure, la niicntinc & la goutte lelpargnent elles non plus que A nous? Quand la vieillefle luy fera fur les efpauies, les archiers de fa garde l'en defchargeront ils? Quand la frayeur de la mort le 15 tranfira, fe r'affeurera il par ralfillance des gentils-hommes de (a chambre ? Quand il fera en ialoufie & caprice, nos bonnettades le remettront elles? Ce ciel de lict tout enflé d'or & de perles, n'a aucune vertu à rappaifer les tranchées d'vne verte colique :

Nec calid;c citius decedunt corpore febres, 20 Textilibus fi in picturis oftrôque rubenti

lacteris, quam fi plebeia in verte cubanduni eft.

Les flateurs du grand Alexandre luy faifoyent à croire qu'il eftoit fils de lupiter : vn iour, eftant blefle, regardant efcouler le fang de fa plaie : Et bien, qu'en dites vous? fit-il, efl-ce pas icy vn fang 25 vermeil & purement humain ? Il n'efl pas de la trampe de celuy que Homère fait efcouler de la playe des dieux. Hermodorus, le poète, auoit fait des vers en l'honneur d'Antigonus, il l'appelloit fils du

Texte 88. 12) la migraine & 17) lict de velours tout 25) la façon de

3^8 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Soleil; & luv au contraire : Celuy, dit-il, qui vuide ma chaize percée, Içait bien qu'il n'en efl: rien. C'eft vn homme pour tous potages; & fi, de Iby-mefmes, c'eft vn homme mal né, l'empire de l'vniuers ne le fçauroit rahiller :

puelkt 5

Hune rapiant; quicquid calcauerit hic, rofa fiât,

quoy pour cela, li c'eft vne amc grofliere & ftupide? La volupté meftîic & le bon heur ne se pcrçoiuciil point fans vigueur (S; sans esprit :

L-EC perinde funt, vt illius aninius qui ea poffidet. Qui vti fcit, ei bona; illi qui non vtitur rectè, mala. lo

Les biens de la fortune, tous tels qu'ils font, encorcs faut il auoir du sentinuiiit pour les fauourer. C'eft le iouir, non le pofl"eder, qui nous rend heureux :

Non domus & fundus, non sris aceruus & auri

^groto domini deduxit corpore febres, 15

Non animo curas : valeat poffelTor oportet,

Qui comportatis rébus benè cogitât vti.

Qui cupit aut metuit, iuuat illum fie domus aut res,

\'t lippuni pictïe tabulœ, fomenta podagram.

Il eft vn fot, fon gouft eft moufle & hebeté; il n'en iouit non plus 20 qu'un morfondu de la douceur du vin Grec, ou qu'vn cheual de la richeffe du harnois duquel on l'a paré; tout ainsi, corne Platon dict, que la santé, la beauté, la force, les richesses, et tout ce qui s'apele bien, est egalemant mal a l'iniustc corne bien au iuste, et le mal au rebours.

Et puis, le corps & l'efprit font en mauuais eftat, à quoy faire 25 ces commoditcz externes? veu que la moindre picqueure d'elpingle.

Texte 88. 8) ne s'aperçoiuent point fans vigueur & fuffifance : hiKC 12) du gouft pour 19) podagram. Sinccrum eft nifi vas, quodcunque infiindis aceflit. Il eft 26) efpingle, veu que la moindre palFion

Var. ms. 23) et es 24) et du mal

LIVRE I, CHAIMTRH XLII. 3}9

('/ paflion de l'ame cil: luffiûmtc à nous oÛcr le plaifir de la monarchie du monde. A h pixiiiiiir ftrette que luy donne la goutte', il a beau élire Sire & Majerté,

Totus & arqcnto confl:itus, totus & auro,

5 'perd il pas le fouuenir de l'es palais & de fes grandeurs? S'il eft en colère, la principauté le garde elle de rougir, de paflir, de grincer les dents, comme vn fol? Or, li çeft vn habile homme & bien né, la royauté adioute peu à fon bonheur :

Si ventri bene, fi lateri eft pedibûfque tuis, ni! lO Diuitis poterunt regales addere maius;

il voit que ce n'eft que biffe & piperie. Oui, à Taduenture il lera de l'aduis du Rov Seleucus, que, qui fçauroit le poix d'vn fceptre, ne daigneroit l'amalTer, quand il le trouueroit à terre; il le difoit pour les grandes & pénibles charges qui touchent vn bon Roy. Certes, ce

I) n'eft pas peu de choie que d'auoir à régler autruy, puis qu'à régler nous mefmes il le prefente tant de difficultez. Quant au commander, qui femble eftre 11 doux, conliderant l'imbécillité du ingénient humain ix la difficulté du chois es choies nouuelles & doubteufes, ie fuis fort de cet aduis, qu'il eft bien plus aifé & plus plaifant de

20 fuiure que de guider, & que c'eft vn grand feiour d'efprit de n'auoir à tenir qu'vne voyc tracée & à refpondre que de loy :

Vt latiùs multo iam lu parère quietum, Quam regcre iniperio res velle.

joint que Cyrus difoit qu'il n'appartenoit de commander à homme 25 qui ne vaille mieux que ceu\ à qui il commande.

Texte 88. 2) A la moindre ftrette S) royauté n'aJioutc rien à 1 1) piperie : voire à

340 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Mais le Roy Hieron, en Xenophon, dict dauantage : quen la iouyflance des voluptez mefmes, ils font de pire condition que les priuez, d'autant que l'ayfancc ix la facilité leur olfc l'aigrc-douce pointe que nous y trouuons,

Pinguis amor nimiûmque potens, in tœdia nobis 5

Vertitur, & ftomacho dukis vt efca nocet.

Penfons nous que les enfans de cœur prennent grand plaifir à la mufique? la facieté la leur rend plufloft ennuyeufe. Les feftins, les danfes, les mafquarades, les tournois, reiouyfTent ceux qui ne les voyent pas fouuent & qui ont defiré de les voir; mais, à qui en faict 10 ordinaire, le gouft en dénient fade & mal plaifant; ny les dames ne chatouillent celuy qui en ioyt à cœur faoul. Qui ne fe donne loifir d'auoir foif, ne fçauroit prendre plaifir à boire. Les farces des bateleurs nous res-iouilTent, mais, aux loueurs, elles feruent de coruée. Et qu'il foit ainfi, ce font délices aux Princes, c'ei^ leur ferte, de fe 15 pouuoir quelque fois traueftir & démettre à la façon de viure baffe & populaire,

Pleri'imque gratae principibus vices, Munda;que paruo fub lare pauperum

Cœnœ, fine aulseis & oftro, 20

Solicitam explicuere frontem.

// n'est rien si empeschant, si desgouté, que l'abondance. Quel appétit ne se rehuteroil a noir trois cens femmes a sa merci, corne les ha le grand seign[eur^ en son serrail? Et quel appétit et uisage de chasse s'estait reseruc celuy de ses ancestres qui n'aloit ianniis ans champs a mois de sept mille 25 fauconiers ?

Texte 88. i) qu'à la 15) Princes, & c'eft Var. ms. 24) chasse celuy

LIVRE I, CHAPITRE XLII. 34I

Et, outre cela, ie croy que ce lullre de grandeur apporte non legieres incommodités à la iouylTance des philsirs plus dons : ils font trop elclairez ^; trop en butte.

Ht, ie ne Içay comment, on requiert plus d'eux de cacher & couurir 5 leur faute. Car ce qui à nous indilcretion, à eux le peuple iuge que ce loit tyrannie, melpris & deldain des loix; &, outre rinclination au vice, il lemble qu'ils v adiouftent encore le plaiiir de gourmander & loulmettre à leur pieds les ohleruances publiques. De iinii Platon, en son Gorgias, definil Ivntn cehty qni ci liù-)ur en nne cite de faire tout

10 ce qui luy pJait. Et louuent, à cette caufe, la montre & publication de leur uice blefle plus que le vice melme. Chacun craint à ertre elpié & contrerollé : ils le l'ont iuiques à leur contenances & à leurs penlees, tout le peuple ertimant auoir droict & interert d'en iuger; outre ce que les taches s'agranditTent l'elon l'eminence (\: clarté

I) du lieu elles lont afliles, & qu'vn leing & vue verrue au front paroillent plus que ne taict ailleurs vue balafre.

N'oyla pourquoy les poètes feignent les amours de lupitcr conduites loubs autre vilage que le fien; îx, de tant de practiques amoureufes qu'ils luy attribuent, il n'en ell qu'vne feule, ce me lemble, il fe

20 trouue en ia grandeur & Majellé.

Mais reuenons à Hyeron : il recite aufli combien il fcnt d'incom- moditez en la royauté, pour ne pouuoir aller & vovager en liberté, eftant comme prifonnier dans les limites de l'on pais; & qu'en toutes les actions il fe trouue enueloppé d'vne facheule prelTe.

25 De vray, à voir les noftres tous feuls à table, aflîegez de tant de parleurs' & regardans inconnuz, l'en ay eu louuent plus de pitié que d'enuie.

Texte 88. i) croy à dire la vérité, que 2) des principales voluplez : ils Il) leur vie, blefle 15) au vifage, paroiflcnt \'ar. ms. 9) lyrati eduy a qui l«u

' parleurs & addition de Ij8«.

342 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Le Rov Alphonfe dilbit que les afncs eftoyent en cela de meilleure condition que les Rovs : leurs maiftres les laiffent paiflre à leur aife, les Roys ne peuuent pas obtenir cela de leurs feruiteurs.

Et ne m'eft iamais tombé en fantafie que ce fut quelque notable commodité a la vie d'vn homme d'entendement, d'auoir vne vingtaine s de contrerolleurs à fa chaife percée; ny que les feruices d'vn homme qui a dix mille Hures de rente, ou qui a pris Cafal, ou défendu Siene, luy Ibyent plus commodes & acceptables que d'vn bon valet & bien expérimenté.

Les auantages principefques font quafi auantages imaginaires. lo Chaque degré de fortune a quelque image de principauté. Caîfar appelle Roytelets tous les Seigneurs ayant iuftice en France de fon temps. De vray, fauf le nom de Sire, on va bien auant auec nos Rovs. Et voyez aux Prouinces efloingnées de la Cour, nommons Bretaigne pour exemple, le train, les fubiects, les officiers, les occu- 15 pations, le feruice & cerimonie d'vn Seigneur retiré & cafanicr, nourry entre fes valets; & voves auffi le vol de fon imagination : il n'eft "rien plus Roval; il ovt parler de fon maiftre vne fois l'an, comme du Rov de Perle, & ne le recognoit que par quelque vieux couiinage que fon fecretaire tient en regiftre. A la vérité, nos loix font libres 20 affez, & le pois de la fouueraineté ne touche vn gentil-homme François à peine deux fois en fa vie. La fubiection eflentielle & effec- tuelle ne regarde d'entre nous que ceux qui s'y conuient & qui avment à s'honnorer & enrichir par tel feruice : car qui le veut tapir en fon fover, & fçait conduire h maifon fans querelle & fans procès, 25 il eft aufli libre que le Duc de Venife : « Paucos scniitiis, pliircs scnii- iiikm Iciicnl. »

Mais fur tout Hieron faict cas dequoy il fe voit priué de toute amitié & focieté mutuelle, en laquelle confifte le plus partait iS: doux fruict de la vie humaine. Car quel tefmoignage d'affection & de 30 bonne volonté puis-ie tirer de celuy qui me doit, veuille il ou non, tout ce qu'il peut? Puis-ie faire eftat de fon humble parler & courtoile

LIVRE 1, CHAPITRE XI. II. 343

reuerencc, veu qu'il n'cft pas en luy de me la rcfulcr? L'honneur que nous rcceuons de ceux qui nous craignent, ce n'efl; pas honneur; ces refpects le doiuent à la royauté, non à moy :

maximum lioc regni honum cft, 5 Quod facta domini cogitur populus fui

Quam ferre tam lauJarc.

Vois-ie pas que le melchant, le bon Roy, celuy qu'on hait, celuy qu'on ayme, autant en a l'vn que l'autre : de melmes apparences, de melme cerimonie eftoit l'eruy mon predeceiïeur & le fera mon

H) fucceiïeur. Si mes lubiects ne m'oftencent pas, ce n'eil; telmoignage d'aucune bonne aftection : pourquov le prendray-ie en cette part-là, puis qu'ils ne pourroient quand ils voudroient ? Nul ne me luit pour l'amitié qui foit entre luy & mov, car il ne s'v Içauroit coudre amitié il y a peu de relation & de correfpondance. Ma hauteur m'a

I) mis hors du commerce des hommes : il y a trop de dilparité & de dilproportion. Ils me luiuent par contenance & par coultume ou, plus tost que niov, ma forluuc, pour eu aceroistre la leur. Tout ce qu'ils me dient et font, ce n'ert que fard. Leur liberté eftant bridée de toutes pars par la grande puilTance que i'ay lur eux, ie ne voy rien autour

20 de moy, que couuert & malqué.

Ses courtiliins loiioient vn iour lulien l'Empereur de faire bonne iuftice : le m'en orgueillirois volontiers, dict-il, de ces louanges, fi elles venoient de perlonnes qui ozaiïent acculer ou melloiier mes actions contraires, quand elles v leroient.

25 Toutes les vraies commoditez qu'ont les Princes, leur lont communes auec les hommes de moyenne fortune (c'eit à taire aux Dieux de monter des chenaux aillez & le pairtre d'Ambrolie) : ils n'ont point d'autre lommeil & d'autre appétit que le nollre; leur

Texte 88. lé) ou pour en tirer leurs aggrandifTemeiis & commoditez parti- culières, tout ce 18) dient, tout ce qu'ils me font... fard & piperie, leur liberté eftant toute bridée, par

344 ESSAIS DE MONTAIGNE.

acier n'eft pas de meilleure trempe que celuy dequoy nous nous armons; leur couronne ne les couure nv du foleil ny de la pluie. Diocletian, qui en portoit vne fi reuerée & ii fortunée, la refigna pour fe retirer au plaifir d'vne vie priuée; &, quelque temps après, la neceffité des affaires publiques requérant qu'il reuint en prendre 5 la charge, il refpondit à ceux qui l'en prioient : \'ous n'entreprendriez pas de me perfuader cela, û vous auiez veu le bel ordre des arbres que i'ay movmefme planté chez moy, & les beaux melons que i'y ay femez.

A l'aduis d'Anacharfis, le plus heureux eftat d'vne police l'eroit 10 où, toutes autres choies eftant eigales, la precedence ie iiicsitroil à la vertu, 1^ le rebut au vice.

Quand le Roy Pyrrhus entreprenoit de paffer en Italie, Cvneas, Ion lage confeiller, luy voulant faire fentir la vanité de ion ambition : Et bien! Sire, luv demanda-il, à quelle lin dreffez vous cette grande 15 entrcprinle? Pour me laire mairtre de l'Italie, relpondit-il loudain. Et puis, luvuit Cvneas, cela fiiict? le pafferav, dict l'autre, en "Gaule & en Elpaigne. Et après? le m'en irav lubiuguer l'Afrique; & en hn, quand i'aurav mis le monde en ma lubiection, ie me repoferav & viuray content & à mon aile. Pour Dieu, Sire, 20 rechargea lors Cyneas, dictes moy à quov il tient que vous ne foyez dés à prefent, fi vous voulez, en cet eftat? pourquov ne vous logez vous, des cette heure, vous dictes alpirer, 6c vous efpargnez tant de trauail & de hazard que vous iettez entre deux?

Nimirum quia non hene norat qiut eiret liabeiidi 25

Finis, & omnino qiio.id crcfcat vera voluptas.

le m'en vais clorre ce pas par ce verlet ancien que ie trouue lingulierement beau à ce propos : « Mores cuique fui fingunt fortunam. »

Texte 88. 11) fe mcfurcroit à 20) Sire, fit lors

Chapitre XLIII.

DES LOIX SOMPTVAIRES.

La façon dequoy nos loix eflayent à régler les foies & vaines defpences des tables & veftemens, femble eftre contraire à fa fin. Le vray moyen, ce feroit d'engendrer aux hommes le mefpris de l'or & de la foye, comme de chofes vaines & inutiles; & nous leur S augmentons l'honneur & le prix, qui eft vne bien inepte façon pour en dégonfler les hommes : car dire ainfi, qu'il n'y aura que les Princes qui mangent du turbot et qui puilTent porter du velours & de la treffe d'or, & l'interdire au peuple, qu'eft-ce autre chofe que mettre en crédit ces choses là, & faire croiftre l'enuie à chacun d'en vfer ?

10 Que les Roys quittent hardiment ces marques de grandeur, ils en ont aflez d'autres : tels' excez font plus excufables à tout autre qu'à vn prince. Par l'exemple de plufieurs nations, nous pouuons apprendre aflez de meilleures façons de nous diftinguer extérieu- rement ik nos degrez (ce que i'eftime à la vérité élire bien requis

15 en vn eftat), fans nourrir pour cet effiect cette corruption & incom- modité i\ apparente. C'eft merueille comme la couflume, en ces chofes indifférentes, plante aifément & foudain le pied de fon authorité.

Texte 88. 9) ces vanitez ' tels... prince, addition de 1588.

346 ESSAIS DE MONTAIGNE.

A peine fuimes nous vn an, pour le dueil du Roy Henry lecond, à porter du drap à la cour, il eft certain que defia, à l'opinion d'vn chacun, les foyes eûoient venues à telle vilité que, li vous en voyez quelqu'vn veftu, vous en faifiez iiicotitiiiant quelque homme de iiWc. Elles eftoient demeurées en partage aux médecins & aux chirurgiens; 5 &, quoy qu'vn chacun fuft à peu près veftu de melme, fi y auoit-il d'ailleurs aflex de diftinctions apparentes des qualitez des hommes.

Combien Ibudainement viennent en honneur parmy nos armées les pourpoins craffeux de chamois & de toile; (^ la polliffeure c\: richefTe des veftements, à reproche & à mefpris! 10

Que les Rois commencent à quitter ces deipences, ce lera taict en vn mois, fans edict & lans ordonnance : nous irons tous après. La Lov deuroit dire, au rebours, que le cramoify & l'orfeuerie eft défendue à toute efpece de gens, fauf aux hafteleurs & aux courtiianes. De pareille inuention corrigea Zeleucus les meurs corrompues des 15 Locriens. Ses ordonnances eftoient telles : que la femme de condition libre ne puifle mener après elle plus d'vne chambrière, finon lors qu'elle fera vure; nv ne puifle fortir hors de la ville de nuict; ny porter iovaux d'or à l'entour de fa perlbnne, ny robbe enrichie de broderie, fi elle n'eft publique & putain; que, fauf les ruffîens, 20 à l'homme ne loife porter en ion doigt anneau d'or, ny robbe délicate, comme font celles des draps tilTus en la ville de Milet. Et ainfi, par ces exceptions honteufes, il diuertilfoit ingenieufement SCS cHoicns des fuperfluitez & délices pernicieufes.

C'eftoit vne tres-vtile manière d'attirer par honneur & ambition 25 les hommes à Fobeiflance. Nos Roys peuuent tout en telles refor- mations externes; leur inclination y fert de loy. iiQuidqiiid principes

Texte 88. 4) faifiez foudain argument, que c'eftoit quelque homme de peu, elles eftoient il) Rois & les Princes commencent 12) irons treftous après. 1}) dire tout au 23) ingenieufement les perfonnes, des 27) loy, car le refte

Var. ms. 27) loy, : quidquid principes facial pr^cipere uideiitur : Le refte : car corne dici un atitien tout ce que le prime faici il semhlea uoir qu'il le comaude. Le refte

LIVRE I, CHAPITRE XLIIl. 347

faciinil, praxipcre iiidcnliir. » Le relie de la France prend pour règle la règle lic la court. Qu'ils le delplailent de cette vilaine chaulTure qui montre fi à defcouuert nos membres occultes; ce lourd grolîîlTement de pourpoins, qui nous fiiict tous autres que nous ne l'omines, fi 5 incommode à s'armer; ces longues trelTes de poil efTeminées; cet vfage de baifer ce que nous prelentons à nos compaignons & nos mains en les faluant, cérémonie deuë autresfois aux feuls Princes; & qu'vn gentil-homme fe trouue en lieu de relpect, lans efpée à Ion cofté, tout eltraillé & deftaché, comme s'il venoit de la garderobbe;

10 & que, contre la forme de nos pères & la particulière liberté de la noblefle de ce Rovaume, nous nous tenons defcouuerts bien loing autour d'eux en quelque lieu qu'ils foient; & comme autour d'eux, autour de cent autres, tant nous auons de tiercelets & quartelets de Roys; & ainlî d'autres pareilles introductions nouuelles & vitieules :

1 5 elles le verront incontinent efuanouyes & defcriées. Ce font erreurs fuperficielles, mais pourtant de mauuais prognoftique; & fommes aduertis que le malTif fe defment, quand nous voyons fendiller l'enduict & la croufte de nos parois.

Platon, eu ses loix, u 'estime peste du monde plus domageahlc a sa cite,

20 que de laisser prendre liberté a la iuuessc de changer en acoustremens, en gestes, en danses, en exercices et en chançons, d'une forme a autre : remuant son ingénient tantost en cete assiete, tantost en cetela, courant après les nouuelete::^, Imiorant leurs inuanturs; par ou les meurs \se] corrompent, et toutes antiencs institutions uienent a desdein & a inespris. En toutes

25 cijoses, sauf simplemcnl ans mauucses, la mutation est a crcindre : la mutation des saisons, des uens, des uiures, des bunwurs; et nulles loix ne

Texte 88. i) pour patron, ce qui fe faict à la court : ces façons vitieules naiflent près d'eux : qu'ils fe 3) membres plus honteux, ce monftrueux grolTilTe- menl 5) incommode à ceux qui ont à s'armer

Var. ms. 20) que de dDUfi^ lUeute a II mnci!.( 21) danses el en cl>aiiçoiis 22) iiigenuiit d'une en nuire assicle courant a(ires tes nouuclelei cl leurs inuanturs

348 ESSAIS DE MONTAIGNE.

sont en leur uray crédit, que celles ans quelle dieu a done quelqu antiene durée, de mod[e] que pcrsone ne sache leur naissance, ny qu'elles ayent iamais este autres.

Var. ms. i) en crédit ... dieu donc 2) mod[e] que nul sache qu'elles aient iamais este autres. 2) naissance et qu'elles

Chapitre XLIV.

DV DORMIR.

La rail'on nous ordonne bien d'aller toufiours mefme chemin, mais non. toutesfois mefme train ; & ores que le fage ne doiue donner aux paflions humaines de le fouruoier de la droicte carrière, il peut bien, fans intereft de l'on deuoir, leur quitter aufli, d'en hafter

5 ou retarder fon pas, & ne fe planter comme vn Colofle immobile & impaflible. Quand la vertu mefme feroit incarnée, ie croy que le poux luy battroit plus fort, allant à l'aflaut, qu'allant difner : voire il eft neceffaire qu'elle s'efchauflfe & s'efmeuue. A cette caufe, i'ay remarqué, pour chofe rare, de voir quelquefois les grands perion-

o nages, aux plus hautes entreprinfes & importans affaires, le tenir fi entiers en leur afTiette, que de n'en accourcir pas feulement leur fommeil.

Alexandre le grand, le iour afligné à cette furieufe bataille contre Darius, dormit fi profondement & fi haute matinée, que Parmenion

5 fut contraint d'entrer en ûi chambre, &, approchant de fon lit, l'appeller deux ou trois fois par fon nom pour l'efuciller, le temps d'aller au combat le preffant.

L'Empereur Othon, ayant refolu de fe tuer, cette mefme nuit, après auoir mis ordre à fes affaires domefliques, partagé fon argent

330 ESSAIS DE MONTAIGNE.

à fes l'eruiteurs & affile le tranchant d'vnc elpée dequoy il fe vouloit donner, n'attendant plus qu'à fçauoir fi chacun de fes amis s'eftoit retiré en feureté, fe print 11 profondement à dormir, que les valets de chambre l'entendoient ronfler.

La mort de cet Empereur a beaucoup de choies pareilles à celle 5 du grand Caton, & mefmes cecy : car Caton eftant prefl; à fe deffaire, cependant qu'il attendoit qu'on luy rapportait nouuelles fi les fenateurs qu'il faifoit retirer, s'eftoient eflargis du port d'X'tique, fe mit fi fort à dormir, qu'on l'ovoit fouffler de la chambre voifine; &, celuv qu'il auoit enuové vers le port, l'ayant efueillé pour luy dire que la 10 tourmente empefchoit les fenateurs de faire voile à leur aile, il y en renuova encore vn autre, &, fe r'enfonçant dans le lict, le remit encore à Ibmmeiller iniques à ce que ce dernier l'afTeura de leur partement. Encore auons nous dequoy le comparer au faict d'Alexandre, en ce grand & dangereux orage qui le menaflbit par 15 la fedition du Tribun Metellus voulant publier le décret du rappel de Pompeius dans la ville auecques Ion armée, lors de l'émotion "de Catilina; auquel décret Caton feul inlîfloit, & en auoient eu Metellus & luv de grolTes paroles & grands menaffes au Sénat : mais ceftoit au lendemain, en la place, qu'il tailloit venir à l'exécution, 20 Metellus, outre la faueur du peuple & de Cxfar confpirant lors aux aduantages de Pompeius, fe deuoit trouuer, accompagné de force efclaues eftrangiers & elcrimeurs à outrance, & Caton fortifié de ia feule confiance : de forte que fes parens, fes domeftiques & beaucoup de gens de bien en ertovent en grand foucv; & en 25 y eut qui paflerent la nuict enfemble fans vouloir repofer, ny boire, nv manger, pour le dangier qu'ils luv voiovent préparé; mcfme la femme & les fœurs ne faifovent que pleurer & fe tourmenter en fa maifon, luv au contraire recontortoit tout le monde; &, après auoir louppé comme de coullume, s'en alla coucher & dormir de tort 30 profond fommcil iufques au matin, que Y\n de fes compagnons au Tribunat le vint elueiller pour aller à l'efcarmouche. La connoiflance

LIVRE I, CHAPITRE XLIV. 35I

que nous auons de la grandeur de courage de ccl homme par le rerte de sa vie, nous peut taire iuger en toute leureté que cecv lui partoit d'vne ame li loing csiciicc au deiïus de tels accidents, qu'il n'en daignoit entrer en ccnwUc, non plus que d'accidens ordinaires. 5 En la bataille nauale que Auguilus gaigna contre Sextus Pompeius en Sicile, fur le point d'aller au combat, il fe trouua preOe d'vn li profond fommeil qu'il taulît que les amis l'efueillalTent pour donner le figne de la bataille. Cela donna occalion à M. Antonius de luv reprocher depuis, qu'il n'auoit pas eu le cœur leulement de regarder,

10 les yeu.K ouuerts, l'ordonnance de fon armée, iS; de n'auoir ofé fe prelenter aux foldats iniques à ce qu'Agrippa luy vint annoncer la nouuelle de la victoire qu'il auoit eu iur les ennemis. Mais quant au ieune xMarius, qui fit encore pis (car le iour de la dernière iournée contre Svlla, après auoir ordonné Ion armée (b^ donné le mot & ligne

I ) de la bataille, il fe coucha delToubs vn arbre à l'ombre pour le repofer, (S: s'endormit fi ferré qu'à peine fe peut-il efueiller de la route & fuitte de fes gens, n'ayant rien veu du combat), ils diient que ce fut pour eftre fi extrêmement aggraué de trauail & de taute de dormir que nature n'en pouuoit plus. Et, à ce propos, les médecins

20 aduiferont fi le dormir eft il neceflaire, que noilre vie en dépende : car nous trouuons bien qu'on fit mourir le Roy Perfeus de Macédoine prifonnier à Rome, luv empefchant le fommeil; mais Pline en allègue qui ont vefcu long temps fans dormir.

Chs Hérodote, il y a des tmiioiis ans quelles les homes dornieiil et ueillciil

25 par demi années.

Et eeiis qui eseriueiit la nie du sa^e Epinienides, disent qu'il dornut cinqna)ite sept ans de suite.

Texte 88. i) courage, de ces trois hommes, par le rcfte de leur vie 2) cecy leur partoit 3) loing enleuée au... qu'ils n'en daignoient entrer en limotion, non

\'ar. ms. 4) I" : en ceruelte, non 2" : en nllenilion, non 26) du p1)Uouipl>f Epimenidei

Chapitre XLV.

DE LA BATAILLE DE DREVX.

Il y eut tout plein de rares accidens en noftre bataille de Dreux; mais ceux qui ne tauorifent pas fort la réputation de monfieur de Guife, mettent volontiers en auant qu'il ne le peut excufer d'auoir foict alte & temporile auec les forces qu'il commandoit, cependant qu'on enfonçoit monfieur le Conneflable, chef de l'armée, auecques 5 l'artillerie, & qu'il valoit mieux fe bazarder, prenant l'ennemy par flanc, qu'attendant l'aduantage de le voir en queue, fouffrir vne li lourde perte; mais outre ce, que l'iffuë en tefmoigna, qui en débattra fans paflîon, me confeffera aifément, à mon aduis, que le but & la vifée, non feulement d'vn capitaine, mais de chafque foldat, doit 10 regarder la victoire en gros, & que nulles occurrences particulières, quelque intereft qu'il y ayt, ne le doiuent diuertir de ce point là.

Philopœmen, en vne rencontre contre Machanidas, ayant enuoyé deuant, pour attaquer l'efcarmouche, bonne trouppe d'archers & gens de traict, & l'ennemy, après les auoir renuerfez, s'amufant à les 15 pourfuiure à toute bride & coulant après fa victoire le long de la bataille eftoit Philopœmen, quoy que fes foldats s'en émeufTent, il ne fut d'aduis de bouger de fa place, ny de fe prefenter à l'ennemy pour fecourir fes gens; ains, les ayant laifTé chafler & mettre en pièces à fa veue, commença la charge fur les ennemis au bataillon 20

LIVRE I, CHAPITRE XLV. 353

de leurs gens de pied, lors qu'il les vit tout à fait abandonnez de leurs gens de cheual; &, bien que ce fuflent Lacedemoniens, d'autant qu'il les prit à heure que, pour tenir tout gaigné, ils commençoient à fe defordonner, il en vint aifément à bout, &, cela tait, fe mit 5 à pourfuiure Machanidas. Ce ats eft germain à celuy de Moniieur de Guife.

En cette alpre bataille d'Agefilaus contre les Bœotiens, que Xenophon, qui y efloit, dict élire la plus rude qu'il euft onques veu, Agefilaus refufa l'auantage que fortune luy prefentoit, de laiffer

10 paffer le bataillon des Bœotiens & les charger en queue, quelque certaine victoire qu'il en preuift, eftimant qu'il y auoit plus d'art que de vaillance; &, pour montrer fa proëffe d'vne merueilleufe ardeur de courage, choilit pluftoft de leur donner en tefte : mais auflî y fut-il bien battu & blefle, & contraint en fin de fe demefler & prendre le

15 party qu'il auoit refufé au commencement, taifant ouurir fes gens pour donner pafTage à ce torrent de Bœotiens; puis, quand ils furent paffez, prenant garde qu'ils marcheoyent en defordre comme ceux qui cuidoient bien eftre hors de tout dangier, ils les fit fuiure 6c charger par les flancs; mais pour cela ne les peut-il tourner en

20 fuite à val de route; ains fe retirarent le petit pas, montrant toufiours les dens, iufques à ce qu'ils le furent rendus à fauueté.

Texte 88. 5) Ce faict cft

Chapitre XLVl.

DES NOMS.

Quelque diuerfité d'herbes qu'il y ait, tout s'enueloppe fous le nom de fiilade. De mcfme, fous la confideration des noms, ie m'en vov taire icy vne galimafrée de diuers articles.

Chaque nation a quelques noms qui fe prennent, ie ne fçay comment, en mauuaife part : ^- à nous Ichan, Guillaume, Benoit. 5

Item, il femble y auoir en la généalogie des Princes certains noms fatalement affectez : comme des Ptolomées à ceux d'vîigypte, de Henris en Angleterre, Charles en France, Baudoins en Flandres, & en noftre ancienne Aquitaine des Guillaumes, d'où l'on dict que le nom de Guienne eft venu : par vn froid rencontre, s'il n'en y auoit 10 d'aulTi cruds dans Platon mefme.

Item, c'eft vne chofe legiere, mais toutefois digne de mémoire pour fon eftrangeté & efcripte par tefmoing oculaire, que Henrv, Duc de Normandie, fils de Henry fécond, Roy d'Angleterre, faifant vn feflin en France, l'affemblée de la noblelTe v fut fi grande que, 15 pour pafle-temps, s'eftant diuifée en bandes par la relTemblance des noms : en la première troupe, qui fut des Guillaumes, il fe trouua cent dix Cheuaiiers aflis à table portans ce nom, ians mettre en conte les fimples gentils-hommes & feruiteurs.

Il eft autant plaiûint de diftrihuer les tables par les noms des 20 allirtans, comme il eftoit à l'iùiipereur (ieta de faire diftribuer le

LIVRF: I, CHAIMTKU XI. VI. 3)3

fcruicc de les mets par la coniîdcration des premières lettres du nom des viandes : on leruoyt celles qui le commençoient par M : mouton, marcaflin, merlus, marlbin; ainll des autres.

Item, il le dit qu'il faict bon auoir bon nom, ceft à dire crédit 5 cS; réputation; mais encore, à la vérité, eft-il commode d'auoir vn nom beau & qui ailément le puilTe prononcer tk retenir, car les Rovs & les grands nous en connoiflent plus aifément & oublient plus mal volontiers; &, de ceux melmcs qui nous feruent, nous commandons plus ordinairement & employons ceux delquels les noms le prelen-

10 tent le plus facilement a la langue, l'ay veu le Roy Henry fécond ne pouuoir iamais nommer à droit vn gentil-homme de ce quartier de Gascouigne; <S;, à vne fille de la Royne, il fut luy mefme d'aduis de donner le nom gênerai de la race, parce que celuy de la mailon paternelle luy fembla trop reuers.

15 /:/ Sivrales estime digne du soin palernel de douer un beau nom uns en/ans.

Item, on dit que la fondation de noftre Dame la grand à Poitiers prit origine de ce que vn ieune homme débauché, logé en cet endroit, ayant recouuré vne garce & luy ayant d'arriuée demandé fon nom,

20 qui eftoit Marie, fe fentit fi viuement efpris de religion & de refpect, de ce nom Sacrofainct de la Vierge mère de noftre Sauueur, que non feulement il la chaffa foudain, mais en amanda tout le refte de fa vie; & qu'en conlideration de ce miracle il fut bafti, en la place eftoit la maifon de ce ieune homme, vne chapelle au nom de

2) noftre Dame, 6., depuis, l'Eglife que nous y voyons.

Cette correction uoïeUe et auriculere, deuoticuse, lira droit a l'ame; cet t' autre, de mesmc genre, s'insinua par les sens corporels : Pytbagoras, estant en compaignie de iunes homes, les quels il sentit comploter, eschauffe:^

Texte 88. 6) puifTc comprendre, & mettre en mémoire : car lo) facilement en la bouche. l'ay 12) de Gafcougne, & 14) trop diuers. Item

\'ar. ms. I)) estime du 26) auriculere, reUi^ieuse, doua droit

356 ESSAIS DE MONTAIGNE.

de la fcsk, d'ciUcr niolcr une uunson pudique, eomauda a ht ineueslriere de changer de ton, et, par une iinisique poisante, seuere et spondaique, enchanta tout douceniant leur ardur, et l'endormit.

Item, dira pas la pofterité que noftre reformation d'auiourd'huy ait efté délicate & exacte, de n'auoir pas leulement combatu les 5 erreurs & les vices, & rempli le monde de deuotion, d'humilité, d'obcïiïiince, de paix & de toute elpece de vertu, mais d'auoir pafle inique à combatre ces anciens noms de nos baptelmes, Charles, Loys, François, pour peupler le monde de Mathufalem, Ezechiel, Malachie, beaucoup mieux Icntans de la foy? Vn gentil'homme 10 mien voifin, cftimant les commoditez du vieux temps au pris du noftre, n'oublioit pas de mettre en conte la fierté & magnificence des noms de la noblefle de ce temps. Don Grumedan, Quedragan, Agefilan, & qu'à les ouïr feulement fonner, il le fentoit qu'ils auoyent efté bien autres gens que Pierre, Guillot & Michel. 15

Item, ie fçay bon gré à lacques Amiot d'auoir laifTé, dans le cours d'vn' oraifon Françoife, les noms Latins tous entiers, lans les bigarrer "& changer pour leur donner vne cadence Françoife. Cela fembloit vn peu rude au commencement, mais des-ia l'vfage, par le crédit de fon Plvtarqve, nous en a ofté toute l'eftrangeté. l'ay fouhaité 20 fouuent que ceux qui efcriuent les hiftoires en Latin, nous laiflaffent nos noms tous tels qu'ils font : car, en faifant de Vaudemont, Vallemontanus, & les Metamorpholant pour les garber à la Grecque ou à la Romaine, nous ne Içauons nous en fommes & en perdons la connoifïlince. 25

Pour clorre noftre conte, c'eft vn vilain vfage, & de trefmauuaifc confequence en noftre France, d'appeller chacun par le nom de fa terre & Seigneurie, & la choie du monde qui faict plus mefler & mefconnoiftre les races. Vn cabdet de bonne maifon, ayant eu pour fon appanage vne terre ious le nom de laquelle il a efté connu 30 & honoré, ne peut honneftement l'abandonner; dix ans après fa mort, la terre s'en va à un eftrangier qui en faict de mefmes : deuinez

LIVRE 1, CHAPITRE XLVl. T^-^-j

nous fommes de la connoi(î;incc de ces hommes. II ne faut pas aller quérir d'autres exemples que de noftre maifon Royalle, autant de partages, autant de furnoms : cependant l'originel de la tige nous eft efchappé. 5 II y a tant de liberté en ces mutations que, de mon temps, ic n'ay veu perfonnc, cfleué par la fortune à quelque grandeur extraordinaire, à qui on n'ait attaché incontinent des titres généalogiques nouueaux & ignorez à fon père, & qu'on n'ait anté en quelque illuftre tige. Et, de bonne fortune, les plus obfcures familles font plus idoyncs

lo à falfification. Combien auons nous de gentils-hommes en France, qui font de Royalle race félon leurs comptes ? Plus, ce croys-ie, que d'autres. Fut-il pas dict de bonne grâce par vn de mes amys? Ils eftoyent plufieurs aflemblez pour la querelle d'vn Seigneur contre vn autre, lequel autre auoit à la vérité quelque prerogatiue de titres

15 & d'alliances, efleuées au deffus de la commune nobleffe. Sur le propos de cette prerogatiue chacun, cherchant à s'efgaler à luy, alleguoit, qui vn' origine, qui vn' autre, qui la refTemblance du nom^ qui des armes, qui vne vieille pancarte domeftique : & le moindre fe trouuoit arrière fils de quelque Roy d'outremer. Comme ce fut

20 à difner, cettuy cy, au lieu de prendre fa place, fe recula en profondes reuerences, fuppliant l'afliftance de l'excufer de ce que, par témérité, il auoit iufques lors vefcu auec eux en compaignon; mais, qu'ayant efté nouuellement informé de leurs vieilles qualitez, il commençoit à les honnorer félon leurs degrez, & qu'il ne luy appartenoit pas de

25 fe foir parmy tant de Princes. Apres fa farce, il leur dict mille iniures : Contentez vous, de par Dieu, de ce de quoi nos pères se sont contante^, et de ce que nous fommes; nous fommes aflez, fi nous le fçauons bien maintenir; ne defaduouons pas la fortune ik condition de nos ayciils, & oftons ces fotes imaginations qui ne peuuent faillir

30 à quiconque a l'impudence de les alléguer.

Texte 88. 7) incontinent de titres 29) nos pères, &

3)8 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Les armoiries n'ont de l'eurté non plus que les kirnoms. le porte d'azur lemé de trèfles d'or, à vne pâte de Lyon de melme, armée de gueules, mife en face. Quel priuilege a cette figure pour demeurer particulièrement en uni mailon? Vn gendre la tranfportera en vne autre famille; quelque clietif acheteur en fera les premières armes : 5 il n' eft chofe il le rencontre plus de mutation & de confufion.

Mais cette coniideration me tire par force à vn autre champ. Sondons vn peu de près, ik, pour Dieu, regardons à quel fondement nous attachons cette gloire & réputation pour laquelle le bouleuerfe le monde. alTcons nous cette renommée que nous allons queftant 10 auec li grand peine? C'efi: en lomme Pierre ou Guillaume qui la porte, prend en garde, & à qui elle touche. 0 la' courageuse faculté, que Vesperance qui, en un subiet mortel et eu un moment, iia usurpant l'infinité. Fini ma usité, Va'ternilé : nature nous ha la doué un plaisant iouet. Et ce Pierre ou Guillaume, qu'eft ce, qu'vne voix pour tous potages? 15 ou trois ou quatre traicts de plume, premièrement fi aifez à varier, que ie demanderois volontiers à qui touche l'honneur de tant de victoires, à Guelquin, à Glefquin ou a Gueaquin ? 11 y auroit bien plus d'apparence icv qu'en Lucien, que ï. mit T. en procez, car

non leuia aut ludicra petunlur 20

Prxmia ;

. il y va de bon : il eft queftion laquelle de ces lettres doit eftre payée de tant de fieges, batailles, blefTures, priions & feruices faits à la couronne de France par ce fien fameux conneftable. Nicolas Denifot n'a eu loing que des lettres de Ion nom, ^: en a changé toute la 25 contexture, pour en baftir le Conte d'Alfinois qu'il a eftrené de la gloire de la poéfie îs; peinture. Et l'Hiftorien Suétone n'a aymé que

Texte 88. i) furnoms. 11 porte 4) en vne maifon

' O la... iouet. Cette phrase était primitivement insérée après peine (1. il).

LIVRE I, CHAPITRE XI.VI. 359

le lens du fien, &, en ayant priué Lénis, qui ertoit le lurnom de l'on père, a lailTé Tranquillus lucceffeur de la réputation de fes el'crits. Qui croirait que le Capitaine Bayard neut honneur que celuy qu'il a emprunté des faicts de Pierre Terrail? i;c qu'Antoine Efcalin ie laiflc S voler à la \-euë tant de nauigations & charges par mer & par terre au Capitaine Poulin & au Baron de la Garde?

Secondement, ce font traicts de plumes communs à mill' hommes. Combien y a il, en toutes les races, de perfonnes de mel'mc nom & furnom? Et en diiicrses races, siècles & pais, combien? [L']histoire a

10 coiiii trois Socrales, cinq Piatons, hnici Arislotes, sept Xenophons, iiint Demetrius, uint Theodores : et diuines combien elle n'en a pas conii. Qui empefche mon palefrenier de s'appeller Pompée le grand? Mais, après tout, quels moyens, quels reflbrs v a il, qui attachent à mon palefrenier trefpaffé, ou à cet autre homme qui eut la tefte tranchée

15 en /Egypte, & qui ioignent à eux cette voix glorifiée & ces traicts de plume ainfin honorez, ajjin qu'ils s'en aduentagent?

Id cinerem & mânes credis curare fepultos ?

Quel ressentimant ont les deiis compaignons en principale uahtr entre les Ikvnes, Epaminondas de ce glorieus ners qui court pour liiv en )ios bonches :

20 Cousit ijs nostris tans est allonsa Lacoiniiii ?

[et] Aphricanns de cet antre :

\A ! sote exorietUe supra Mœolis pattides Neiiio est qui Jadis un- œquiparare queat?

Texte 88. 3) Qui coroit que 9) furnom? Et puis qui cnipcfchc 16) honorez, pour qu'ils

\'ar. ms. 9) races combien ? 10) Socrales, deus six Auaximaudres Craies, quatre Amxagores, sept Xeiwptjovs, uint Tlieodores : et 18) ont les premiers homes qui lurent onques. h'paminonJin de ce gol glorieus & niaiinifique ners... pour s

360 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Les suruiuam se chatouillent de [la] douceur de ces uoix, et, par icelles sollicites [de] ialousie et désir, transmetU iiiconsidereemeut par fantasie aus très passeTi cettuy leur propre ressentiment, et d'une pipeuse espérance se douent a croire [d']en estre capables a leur tour. Dieu le sçait!

Toutesfois,'

ad haec fe Romanus, Graii'ifque, & Barbarus Induperator Erexit, caufas difcriminis atque laboris Inde habuit, tanto maior famit fuis eft quam Virtutis.

^'AR. MS. i) uoix pour les trespasses a qui elles ne uieiiêt plus et sont par icelles... désir transmetât pai^ ftiHiuiii' iiiconsidereemenl 5) et se pipant 1": [de] l'espérance : {pa]r espérance

' Toutesfois eftacé puis rétabli.

Chapitre XLVII.

DE L INCERTITVDK DK NOSTRE IVGEMENT.

C'eft bien ce que dict ce vers :

Ezîojv T.sVj^ ''i;j.;ç è'vOz v.x: îvGa,

il V a prou loy de parler par tout, & pour & contre. Pour exemple

Vinfe Hannibal, & non feppe vdir' poi Ben la vittoriofa fua ventura.

qui voudra eftre de ce party, &: faire valoir auecques nos gens la faute de n'auoir dernièrement pourfuiuy noflre pointe à Montcontour, ou qui voudra accufer le Roy d'Efpagne de n'auoir fçeu fe feruir de l'aduantage qu'il eut contre nous à Sainct Quentin, il pourra dire

lo cette faute partir d'vne ame enyurée de fa bonne fortune, & d'vn courage, lequel, plein & gorgé de ce commencement de bon heur, perd le gouft de l'accroiftre, dcs-ia par trop empelché à digérer ce qu'il en a; il en a fa brallée toute comble, il n'en peut iaifir dauantage, indigne que la fortune luy aye mis vn tel bien entre mains : car

15 quel profit en fent-il, fi neantmoins il donne à fon ennemy moyen de fe remettre fus? quell' efperance peut on auoir qu'il ofe vn' autre fois attaquer ceux-cv ralliez &: remis, & de nouueau armez de defpit

362 ESSAIS DE MONTAIGNE.

& de vengeance, qui ne les a ol'c ou fçeu pourfuiurc tous rompus & effrayez?

Duin fortuiia calet, dum conticit oninia terror.

Mais en fin, que peut il attendre de mieux que ce qu'il vient de perdre? Ce n'eft pas comme à l'efcrime, le nombre des touches 5 donne gain : tant que l'ennemy eft en pieds, c'eft à recommencer de plus belle; ce n'eft pas victoire, fi elle ne met fin à la guerre. En cette efcarmouche Caefar eut du pire près la Ville d'Oricum, il reprochoit aux Ibldats de Pompeius qu'il euft efté perdu, fi leur Capitaine euft Içeu vaincre, & luy chaufla bien autrement les efperons 10 quand ce fut à Ion tour. Mais pourquov ne dira l'on auflî au contraire, que c'eft l'eftect d'vn efprit precipiteux & inlatiable de ne fçauoir mettre fin à fa conuoitife; que c'eft abuler des faneurs de Dieu, de leur vouloir faire perdre la mefure qu'il leur a prefcripte; & que, de fe reietter au dangier après la victoire, c'eft la remettre 15 encore vn coup à la mercy de la fortune; que l'vne des plus grandes fagefles en l'art militaire c'eft de ne poufler fon ennemy au delefpoir. Sylla & Marius en la guerre fociale ayant défaict les Maries, en vovant encore vne trouppe de refte, qui par defefpoir le reuenoient ietter à eux comme beftes furieules, ne furent pas d'aduis de les 20 attendre. Si l'ardeur de Monfieur de Foix ne l'eut emporté à pourfuiure trop afprement les reftes de la victoire de Rauenne, il ne l'eut pas fouillée de la mort. Toutesfois encore feruit la récente mémoire de fon exemple à conleruer Monfieur d'Anguien de pareil inconuenient à Serifoles. Il faict dangereux alT;iillir vn homme 25 à qui vous auez ofté tout autre moven d'elchaper que par les armes : car c'eft vne violente maiftrefle d'elcole que la iiccellité : « i^'idiiissiiiii siiiil iiiorsiis irriUila' iicccssiUilis. »

\'incitur liaud gratis iugulo qui prouocat iioflcm. \Fovhi pouvijuox Plhinix ouprscl.ui Ir Rov de l .accdomuic, ijiii iioioil de ^0

LIVRE I, CHAI'ITKI-. XLVII. 563

i^tiii^iicr 1(1 loiinnr coiilir les Miiiitlnccs, de n'aller dlfroiilci mille Aif^iciis qui cstoiiit «r/.w/)é'^ cntieis de la deseoiifitnre, aiiis les hiisser eoiiler en Hherle pour ne uenir a essaier la nertu piquée & despilee par le nuil heur. Clodomire, Roy d'Aquitaine, après la victoire pourl'uyuant (iondemar, Rov de 5 Bourgogne, vaincu & tuiant, le força de tourner telle; mais fon opiniâtreté luv ofta le truict de la victoire, car il v mourut.

Pareillement, qui auroit à choilir, ou de tenir les loldats richement i!s: lomptueulement armez, ou armez leulement pour la neceUité, il le prelenteroit en faueur du premier party, duquel elloit Sertorius,

10 Pliilopremen, Brutus, Caelar & autres, que c'efl: touliours vn éguillon d'honneur & de gloire au loldat de le voir paré, & vn' occafion de le rendre plus obftiné au combat, avant à lauuer l'es armes comme fes biens (N: héritages : Raison, diet Xemphon, pourquoi les Asiatiques nuiioint en leur guerres james, eoncuhines, aueq leurs ioxeaus i et i richesses

15 plus chères. Mais il s'oftViroit aulîi, de l'autre part, qu'on doit pluftoft oller au loldat le loing de le conleruer, que de le luv accroiftre; qu'il craindra par ce moyen doublement à le bazarder : ioint que c'ell augmenter à l'ennemv l'enuie de la victoire par ces riches delpouilles; & a l'on remarqué que, d'autres fois, cela encouragea merueilleu-

20 fement les Romains à l'encontre des Samnites. Antiochus montrant à Hannibal l'armée qu'il preparoit contr' eux, pompeule & magnifique en toute forte d'équipage, & luy demandant : Les Romains fe conten- teront ils de cette armée? S'ils s'en contenteront? refpondit-il; vravement c'eft mon, pour auares qu'ils lovent. Licurgus deftendoit

2) aux fiens, non leulement la lumptuolité en leur équipage, mais encore de delpouiller leurs ennemis vaincus, voulant, diloit-il, que la pauureté & frugalité reluilit auec le relk de la bataille.

Aux fieges & ailleurs, l'occafion nous approche de Tennemy, nous donnons volontiers licence aux foldats de le brauer, defdaigner

Textk 88. 20) Samnites. Car Antiochus 22) demandant ainli : Les \'.\R. MS. i) (/<• l'aller

364 ESSAIS DE MONTAIGNE.

& iniurier de toutes façons de reproches, & non fans apparence de raifon : car ce n'eft pas faire peu, de leur ofter toute efperance de grâce & de compofition, en leur reprefcntant qu'il n'y a plus ordre de l'attendre de celuy qu'ils ont fi fort outragé, & qu'il ne refte remède que de la victoire. Si eft-ce qu'il en mefprit à Vitellius : car, a^-ant 5 affaire à Othon, plus foible en valeur de foldats, des-accouftumez de longue main du taict de la guerre & amollis par les délices de la ville, il les agaflli tant en fin par tes paroles picquantes, leur repro- chant leur pufillanimité & le regret des Dames & fefU-s qu'ils venoient de laiffer à Rome, qu'il leur remit par ce moyen le cœur au ventre, 10 ce que nuls enhortemens n'auoient fceu faire, & les attira luymefme fur fes bras, l'on ne les pouuoit pouffer : &, de vrav, quand ce font iniures qui touchent au vif, elles peuuent faire ayféement que celuy qui alloit lâchement à la hefongne pour la querelle de fon Roy, y aille d'vn autre affection pour la fienne propre. 15

A confiderer de combien d'importance efl la conferuation d'vn chef en vn' armée, & que la vifée de l'ennemv regarde principalement "cette teffe à laquelle tiennent toutes les autres & en dépendent, il femble qu'on ne puiife mettre en doubte ce confeil, que nous voions auoir elfe pris par plufleurs grands chefs, de fe traueftir & defguifer 20 fur le point de la méfiée; toutefois l'inconuenient qu'on encourt par ce moyen n'efl pas moindre que celuy qu'on penfe fuir : car le capitaine venant à eflre mefconu des flens, le courage qu'ils prennent de fon exemple & de fa prefence, vient aufTi quant & quant à leur faillir, &, perdant la veuë de fes marques & enfeignes accoufliumées, 25 ils le iugent ou mort, ou s'effre defrobé, defefperant de Faffaire. Et, quant à l'expérience, nous luy voyons fauorifer tantofl l'vn, tantofl l'autre party. L'accident de Pyrrhus, en la bataille qu'il eut contre le conful Leuinus en Italie, nous fert à l'vn & l'autre vifage : car, pour seÛTC voulu cacher fous les armes de Demogacles & luy auoir donné 30

Texte 88. 29) l'vn & à l'autre

LIVRE I, CHAPITRE XLVII. 365

les fienncs, il lauua bien fans tloutc fa vie, mais aufli il en cuida encourir l'autre inconuenient, de perdre la iourncc. Alexandre, Ca'sar, Liieiilliis ei 1)10! lit a se iiiarqnei- au eoiiihai par des aeostreiiiaiis& armes riehes, de eoliir reluisante o~ parlieidiere : Agis, Agesilaiis et ce grand Gylippiis, S an rebours, aloint a la guerre obscurément couuers et sans alour impérial. A la bataille de Pharlale, entre autres reproches qu'on donne à Pompeius, c'efl d'auoir arrefté fon armée pied cov, attendant l'enneniv : pour autant que cela (ie des-roberay icy les mots mefmes de Plutarque. qui valent mieux que les miens) affoiblit la violence

lo que le courir donne aux premiers coups, &, quant & quant, ofte l'eflan- cement des combatans les vns contre les autres, qui a accouftumé de les remplir d'impetuofité & de fureur plus que autre choie, quand ils viennent à s'entrechoquer de roideur, leur augmentant le courage par le cry & la courle, & rend la chaleur des loldats, en manière

15 de dire, refroidie & figée. Voila ce qu'il dict pour ce rolle : mais fi Cseiar eut perdu, qui n'eufi peu auffi bien dire qu'au contraire la plus forte & roide alfiette efi celle en laquelle on fe tient planté fans bouger, & que, qui eft en fa marche arrefté, reflerrant & efpargnant pour le befoing fa force en foymefmes, a grand auantage contre

20 celuv qui eft efbranlé & qui a défia consommé à la courle la moitié de ion haleine? outre ce que, l'armée eftant vn corps de tant de diuerfes pièces, il eft impoffible qu'elle s'elmeuue en cette furie d'vn mouuement li iufte, qu'elle n'en altère ou rompe ion ordonnance, & que le plus dilpoft ne foit aux prifes, auant que Ion compagnon

25 le fecourc. En cette uileine bataille des deus frères perses, Ckarchus, Lace- demonien, qui comandoit les grecs du parti de Cirus, les mena tout beUemant a la charge sans soi haster; mais, a cinquante pas près, il les mit a la course, espérant par la briefuete de l'espace mcsnager et leur ordre & leur haleine.

Tf-XTE 88. 2) la bataille. A la 18) fa dcmarche arreftc 20) défia employé à

Var. ms. 3) armes de 5) guerre uilemanl eouuers et au dessous du commun soldai. A la 25) uileine et malancoiilreuse Imtaille 26) tout le pas a

366 ESSAIS DE MONTAIGNE.

leur clomiiil ccpitmhuit \ya\ii(iuiitgc de rimpcliiosiU' pour leurs persanes et pour leurs armes a trait. D'autres ont réglé ce douhte en leur armée de cette manière : li les ennemis vous courent lus, attendez les de pied cov; s'ils vous attendent de pied cov, courez leur lus.

Au paflage que l'Empereur Charles cinquielme fit en Prouence, 5 le Roy François fuft au propre d'eflire ou de luy aller au deuant en Italie, ou de l'attendre en les terres; &, bien qu'il coniiderall combien c'eft d'auantage de conleruer la mailon pure & nette de troubles de la guerre, afin qu'entière en les forces elle puilTe continuellement fournir deniers & lecours au beloing; que la neceffité des guerres 10 porte à tous les coups de faire le gal1:, ce qui ne le peut faire bonnement en nos biens propres, & fi le paifant ne porte pas fi doucement ce rauage de ceux de Ion partv que de l'ennemv, en manière qu'il s'en peut avlément allumer des feditions & des troubles parmv nous; que la licence de defrober & de piller, qui ne peut el^re 15 permife en Ion pays, ell vn grand lupport aux ennuis de la guerre, iS:, qui n'a autre el'perance de gaing que la Ibide, il efi mal aile qu'il loit tenu en office, efl:ant à deux pas de fa femme & de fa retraicte; que celuv qui met la nappe, tombe toufiours des delpens; qu'il y a plus d'allegreffe à affaillir qu'à deffendre; & que la fecoulTe de la 20 perte d'vne bataille dans nos entrailles ell fi violente qu'il efl malaile qu'elle ne crolle tout le corps, attendu qu'il n'efl pafTion contagieufe comme celle de la peur, ny qui fe preigne fi avféement à crédit, & qui s'efpandc plus brufquement; & que les villes qui auront ouv l'efclat de cette tempefk' à leurs portes, qui auront recueilly leurs 25 (Capitaines & foldats tremblans encore & hors d'haleine, il efl dange- reux, fur la chaude, qu'ils ne fe iettent à quelque mauuais party : fi efl-ce qu'il choifit de r'appeller les forces qu'il auoit delà les monts, & de voir venir l'ennemv : car il peut imaginer au contraire, qu'eftant chez luy & entre les amis, il ne pouuoit faillir d'auoir planté de 30 toutes commoditez : les riuieres, les paffages, à fa deuotion, luv conduiroient & viurcs & deniers en toute leureté & fans befoinc

LIVRE I, CHAPITRE XLVII. 367

(J'efcorte; qu'il auroit les lubiects d'autant plus atiectionnez, qu'ils auroient le dangicr plus prcs; qu'ayant tant do villes is; de barrières pour la leureté, ce leroit à luy de donner lov au combat félon l'on opportunité & aduantage; &, s'il luv plailoit de teniporifer, qu'à

5 l'abrv & à Ion aile il pourroit voir morfondre Ion ennemv, & le défaire loy mefmes par les difficultés qui le combatrovent, engagé "en vne terre coiitrere, il n'auroit deuant, nv derrière luv, nv à cofté, rien qui ne luy fit guerre, nul moven de refréchir ou ellargir fon armée, fi les maladies s'v mettoient, nv de loger à couuert les blefiez;

10 nuls deniers, nuls viures qu'à pointe de lance; nul loifir de le repofcr 6.: prendre haleine; nulle Icience de lieux /;v de pavs, qui le Içeut deft'endre d'embufches & furpriles; &, s'il venoit à la perte d'vne bataille, aucun moven d'en lauuer les reliques. Et n'auoit pas laute d'exemples pour l'vn .S: pour l'autre partv. Scipion trouua bien

I) meilleur d'aller affaillir les terres de Ion ennemv en Afrique, que de défendre les fiennes (S; le combatre en Italie oii il efioit, d'où bien luv print. Mais, au rebours, Hannibal, en cette melme guerre, le ruina d'auoir abandonné la conquefte d'vn pays elfranger pour aller deffendre le fien. Les Athéniens, avant lailTé l'ennemv en leurs terres

20 pour palTer en la Sicile, eurent la fortune contraire; mais Agathocles, Rov de Siracufe, l'euft fauorable, avant palfé en Afrique & laifie la guerre chez lov. Ainfi nous auons bien accouflumé de dire auec railon que les euenemens & iffuës dépendent, notamment en la guerre, pour la plulpart, de la tortune, laquelle ne le veut pas renger

25 & afTuiectir a notre difcours (!>>: prudence, comme diient ces vers :

Et maie confultis pretium eft : prudentia fallax, Nec fortuna probat caufas fequitûrque merentcs; Sed vaga per cunctos nulio difcrimine fertur; Scilicet cft aliud quod nos cogdtquc rej^àtquc 30 Maius, & in proprias ducat niortalia legcs.

Texte 88. 7) terre eftrangierc, 11) lieux, & Ju pays 17) luy en print : mais au contraire, Hannibal 22) (o\. ;\in(in nou^

368 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Mais, à le bien prendre, il femble que nos confeils & délibérations en dépendent bien autant, è>: que la fortune engage en soi trahie et incertitude aussi nos dilcours.

Nous raisonons hasardeiisenient et inconsidereement, dici Tirna'us en PJatoii, par ce que, came nous, nos discours ont grande participation au hasard.

Texte 88. 2) fortune n'eft pas plus incertaine & téméraire que nos difcours.

Chapitre XLVIII,

DES DESTRIES.

Me voicv dcLiciiLi Grammairien, mov qui n'apprins iamais langue que par routine, & qui ne l'çay encore que c'eft d'adiectif, coniunctif & d'ablatif : il me femhle auoir ouy dire que les Romains auoient des cheuaux qu'ils appelloient fvnales ou dextrarios, qui le 5 menoient à dextre ou à relais, pour les prendre tous frez au befoin : & de vient que nous appelions deûriers les cheuaux de feruice. Et nos Romans difent ordinairement adeftrer pour accompaigner. Ils appcllovent aufli desvltorios eq.vos, des cheuaux qui eftoyent dreflez de façon que, courans de toute leur roideur, accouplez cofté

lo à cofté l'vn de l'autre, lans bride, ians felle, les gentils-hommes Romains, voire tous armez, au milieu de la courfe le iettoient & reiettoient de l'vn à l'autre. Les Niiiiildes gendarmes mcnoint en main un seamt cbeual pour changer au plus chaut de la mesh'c : « quitus, desuhorù in inodiim, lu nos trabenlihus equos, inter acerrinuim sa'pe pugnam

1 5 in recentein eqnum ex fcsso armatis transsnltare nios eral : tanla uelocitas ipsis, lani \ que] docile equoruin goius. »

Il se treuue plusiurs cheuaus dresse::^ a secourir leur maislre, courir sus a qui leur presantc un' espee nue, se iefter des pieds & des dans sur cens qui les ataquenl et affrontent; mais il leur auient plus souuàt de nuire ans amis

Var. ms. 17) w/.î s'ili V fi ou leur

370 ESSAIS DE MONTAIGNE.

qu'ans enemis. loiiif que nous m les desprem\pas a iiosire poste, quand ils soi une fois haipex^; et deniure::^a Ja miséricorde de leur combat. Il mesprit lourdcmant a Artihie, gênerai de V armée de Perse, comhatàt contre Onesile Roy de Salamis, de persone a persone, d'est rc monte sur un chenal façone en cette escole, car il fut cause de sa mort : le coustiller d'Onesile l'a'iant 5 aaeuilli d'une Jauls entre les deus espaules, come il s'estoit cabre sur sou maistre.

Et ce que les Italiens disent, qu 'en la bataille de Formtoue le chenal du Roy^ le deschargea, a ruades et coups de pied, des enemis qui le pressoint, et qu'il estoit perdu sans cela : ce Jut un grand coup de hasard, s'il est urai. 10

Les Mammelus se nantent d'auoir les plus adroits chcuaus de gendarmes du monde. Et dict on que, par nature et par costume, ils sont faicts par certeins signes & noix, a ramasser aueq les dans les lances et les darts, et a \ks offrir a leur] maistre en pleine meslee et a conoistre et discernera *^

On dict de Caefar, & auflî du grand Pompeius, que, parmy leurs 15 autres excellentes qualitez, ils eftoient fort bons hommes de cheual; & de Cœlar, qu'en fa ieunefTe, monté à dos fur vn cheual & lans bride, il luy tailoit prendre carrière, les mains tournées derrière le dos. Comme nature a voulu taire de ce perfonnage & d'Alexandre deux miracles en l'art militaire, vous diriez qu'elle s'eft aufli 20 efforcée à les armer extraordinairement : car chacun fçait du cheual d'Alexandre, Buccfal, qu'il auoit la tefte retirant à celle d'\n toreau,

\'ar. ms. 2) etdgmuse... miséricorde hup... combat . Ariibie 3) Perse eombairt de persmte a persiine 4) un iet cljcuat qui fui cause 9) le descluiri'c a 10) cela : c'est un 12) dicl que cl par nature i.() connistre les enemis

' L'édition de 1595 ajoute : Charles

* La suite de cette phrase se trouvait sur une partie de la page qui a été rognée; on distingue cependant le dernier mot qui est délits. L'édition de 159$ donne de ce passage la rédaction suivante :

Les Mammelus fc vantent, d'auoir les plus adroits chcuaux de genfdarmes du monde. Que par nature & par couftumc, ils font faits a cognoiftre & diftingiier l'ennemy, fur qui il faut qu'ils fe ruent de dents & de pieds, félon la voix ou fignc qu'on leur fait. Et pareillement, à rcleuuer de la bouche les lances & dards cminv la place, & les offrir au maiftre, félon qu'il \e.\ir commande.

LIVRE 1, C.HAIMTR1-: X1.\I11. 57]

qu'il ne le l'ouffroit monter à perlbnnc qu'à Ion maiftre, ne peut élire drefle que par luy mefmc, fut honoré après fa mort, & vue ville baftie en fon nom. CxfAr en auoit aufli vn autre qui auoit les pieds de deuant comme vn homme, ayant l'ongle coupée en forme S de doigts, lequel ne peut eflre monté ny drefle que par Cx'far, qui dédia fon image après fa mort à la déeffe Venus.

le ne démonte pas volontiers quand ie fuis à cheual, car c'eft l'alîiette en laquelle ie me trouue le mieux, & fain 6c malade. Phikm ht raviinuidc pour ht sctnte; auffi dict Pline qu'elle eft falutaire

lo à l'eftomach 6< aux iointures. Pourluiuons donc, puis que nous V iommes.

On lict en Xenophon la lov deflendant de voyager ;i pied à homme qui eufl cheual. Trogus & luftinus dilent que les Parthes auoient accouftumé de faire à cheual non ieulement la guerre, mais

1 5 auffi tous leurs affaires publiques & priuez, marchander, parlementer, s'entretenir & le promener; & que la plus notable différence des libres 6c des ferfs parmy eux, c'eft que les vns vont à cheual, les autres à pié : iiislitulion uec du Roy Cxrus.

Il y a plufieurs exemples en l'hiftoire Romaine (& Suétone le

2() remarque plus particulièrement de Ca:far) des Capitaines qui com- mandoient à leurs gens de cheual de mettre pied à terre, quand ils le trouuoient preffez de l'occafion, pour ofter aux foldats toute elperance de fuite, et pour Vauantai^e qu'ils csperoiut eu cette sorte de combat, (f quo haud duhie superat Ronuiuus, » dict Tite Liue.

2), Si est il que \la] première prouision de quoi ils se seruoint a brider la rebeUiou des peuples de uouucUc conqueste, c'estoit leur oster âmes' et

Texte 88. 9) eft trcs-faluiaire 12) loy de Cyius, dt-ftciidani 17) clicunl & les 23) fuite : mais nos anceftres (p. ;72, 1. 5.)

\'ar. ms. 24) conilml i" : qtio haud duhie supeial Romaiiiis dict Tite Liue: Nos : (jui ciloit plus propre et aduautageus aus R«nieius corne dict Tite Liue. Nos 25) la l^wmicre... quoi les Roiiieins se

' âmes lapsus pour armes

372 ESSAIS DE MONTAIGNE.

cheiMus : pcnir tant iioïons nous si sonnent en César : (.( arma proferri, iwnenta produci, obsides dari iuhet. » Le grand Seignur ne permet auioiir- d'hui nv a Cbrestien u\ a Iiiif d'aiioir eheiial a soi, a eeiis qui sont sous son empire.

Nos anceilres, & notammant du ttnips dt la guerre des Anglois, 5 en tous les combats folennels & iournées aflîgnées, le mettoient la plus part du temps tous à pié, pour ne le lier à autre chofe qu'à leur force propre & vigueur de leur courage & de leurs membres, de choie fi chère que l'honneur & la vie. Vous engagez, quoi que die Chrysante:ien Xenophon, voftre valeur & voftre fortune à celle de voftre 10 cheual : fes playes & la mort tirent la voftre en conlequence; ion effray ou fa fougue vous rendent ou téméraire ou lâche; s'il a fiiute de bouche ou d'efperon, c'eft à voftre honneur à en relpondre. A cette cauie, ie ne trouue pas eil:range que ces combats fuiîent plus fermes & plus iurieux que ceux qui fe tout à cheual, 15

ccdebant pariter, paritérque ruehant Victores victique, neque his fuga nota neque illis.

Leurs batailles se noient bien miens contestées; ce ne sont asture que roules : « primus clamor atxj} impctns rem decernit.» Et chofe que nous appelions à la focieté d'vn fi grand hazard, doit eftre en noftre puiflance le 20 plus qu'il fe peut. Comme ie confeilleroy de choifir les armes les plus courtes, & celles dequoy nous nous pouuons le mieux relpondre. Il eft bien plus apparent de s'afleurer d'vne efpée que nous tenons au poing, que du boulet qui efchappe de noftre piftole, en laquelle il y a plufieurs pièces, la poudre, la pierre, le rouët, delquelles la 23 moindre qui viendra à faillir, vous fera faillir voftre fortune. On assené peu fcurement le coup que l'air vous conduict,

Ht quo ferre velint permittere vulnera ventis :

Enfis habet vires, & gens quxcuiiquc virorum eft,

Bella gerit gladiis. 30

Texte 88. 12) fa fureur vous 27) On alfcurc peu

LIVRE- I, CHAPITRE XLVIII. 373

Mais, quant à cett' arme là, i'cn paricray plus iiiupkmcul ie fera}' comparailon des armes anciennes aux noftres; &, faut' l'efton- nement des oreilles, à quoy désormais chacun eft appriuoifé, ie croy

que c'eft \n arme de fort peu d'etfect, & efpcre que nous en 5 quitterons ///; iour l'vlage.

Celle de quai les j Italiens \ se senioiiU, de iel el a feu, esloil plus effiotable. Ils nomoint phalariea une certeinc espèce de iauelitie, armée par le haut d'un fer de trois pieds, affin qu'il peut percer d'outre en outre un home arme; et se lançait lantost de la main en la câpaigne, tantost a tout des engins

10 p(vir defandre les liens assiège:^ : la hante, reuestue d'cstaupc empaixec et huilée, s'enflammait de sa course; et, s'atachant au \cars^^ ou au bouclier, ostoit tout usage d'armes et de numbres. Toutes/ois il me samble que, pour ucnir au ionindre, elle portât aussi empeschemant a l'assaillant, et que le champ, ionchc de ces tronçons bruslans, produisit en la nieslee une commune

15 incommodité,

iiiagniini sir'ukns loiilorin plinlarica ncnil Fui mini s acta modo.

Ils auoint d'antres maieus, a quoi l'usage les adressait, & qui nous semblent incroïables par imxperiance, par ou ils suppleoint au défaut de

20 nostre poudre & de nos boulet:;^. Ils dardoini leurs piles de telle roidur que sonuàt ils en enfiloint deus boucliers & deus homes arme:^, et les cousoint. Les coups de leurs fondes n 'estoint pas moins certeins & loninteins : « saxis glohosis funda mûre apertum incessenies : coronas modici circuli, nuigno ex internallo loci, assueti traijcere : non capita modo hostium uulnerabant,

25 sed quem locum destinassent. » Leurs pièces de batterie represantoinl, come l'effaict, aussi le tintamarre des nosires : « ad ictus mœniuni cuin Icrribili sonitu editos paiior et trepidatio cepit. » Les gaulois nos cousins en Asw,

Texte 88. i) plus largement, 5) quoy mcshuy cliacuii 5) quitterons bien toft l'vfagc

Var. ms. 6) Romeins se 8) percer de part en pari un 9) de la m

20) leurs pilles de U 21) homes et 22 à 25 et 26 i 27) Citations cffjcics puis rétablies.

374 ESSAIS DE MONTAIGNE.

baïssoiiit CCS ciniics tntbist cesses et iiohiiitcs : diiits a cuiiihcihc main a tnaiu aiiec plus de corage. «Non Uiin pcileutihus plagis moucntiic : ubi lalior qiiani allior plaga est, etiarn gbnosiiis se pugnace piiUiiil : idem, cuiii aciilcus sagitta' cuit glaiidis abdiix intcorsus teuui uuhicce lit spcciem ucii, tuiii, iii cahicui cl piidocein tam parux periinentis pestis uccsi, pcosUrmmt 5 cocpora hunii : »

pcintucc bien uoisi)ic d'une acquchusade.

Les dix mille gceqs, en leuc longue ci fameuse rciraiclc, cencontrerct [ ////(' nation qui les endommagea merueilkusemeni] a coups de grands arcs et fors, et des sagcttes si longues qu'a les reprandre a la main on les pouuoit 10 reieter [a] la mode d'un dart, et perçoint de part en part le bouclier & un bomc armé. Les engins que Dionisius inuanta a Siracuse a tirer gros traicts massifs & des pierres d'horrible grandur, d'une si longue uoice cl impé- tuosité, represantoint de bien près nos inuantions.

Encore ne faut-il pas oublier la plaifante afliette qu'auoit sur sa 15 mule vn maiftre Pierre Pol, Docteur en Théologie, que Monftrelet recite auoir accouftumé fe promener par la ville de Paris, aflis de collé, comme les temmes. Il dit aufli ailleurs que les Gafcons auoient des cheuaux terribles, accouftumez de virer en courant, dequoy les François, Picards, Flamens & Brabançons foifoient grand miracle : 20 pour n'auoir accouflumé de le voir, ce font ces mots. Caefar, parlant de ceux de Suéde : Aux rencontres qui fe font à cheual, dict-il, ils le iettent fouuent à terre pour combattre à pié, ayant accouftumé leurs cheuaux de ne bouger ce pendant de la place, aufquels ils recourent promptement, s'il en ell befoing; &, félon leur courtume, 25 il n'ell rien û vilain & lâche que d'vfer de felles & bardelles,

Texte 88. 15) auoit à chenal vn 17) Paris, & ailleurs, affis 21) mots, le ne fçay quel maniement ce pouuoit cftre, fi ce n'eft celuy de nos paflades. Qcfar

Var. ms. 2) corage. Quemadmodù commùius ubi iiiukem pati ac inferre uuliicra licet, acceiidil ira aiiimos : ila ubi ex occullo uuhicravtur quo ruant cœco iiiipetu non habeitl. Celte autre raison est plus Inmiie. Non tant 7) bien expresse d'une 10) fors de ifuci ik les 13) uolee et si Imrible impétuosité 14) de pi bien près nostre effaici . Encore

LIVRE I, CHAPITRE XLVIII. 375

& mefprifent ceux qui en vient, de manière que, fort peu en nombre, ils ne craignent pas d'en aflaillir pluiieurs.

Ce que i'ay admiré autrestbis, de voir vn cheual drefle à le manier à toutes mains auec vne baguette, la bride auallée fur l'es oreilles, S eftoit ordinaire aux Malfiliens, qui le feruoient de leurs chenaux lans lelle & lans bride.

Et gens qu>t iiudo refidens Mallilia dorfo Ora leui flectit, fr;enorum nefcia, virga. El Nuiiiidœ infnviii cinginil :

10 (( equi sine jicuis, dcjorniis ipsc cursus, riificld ccniicc cl cxlcnlo Ciipitc currentiuw'. »

Le Roy Alphonce, celuy qui dreiïa en Elpaigne l'ordre des cheualliers de la Bande ou de L'efcharpe, leur donna, entre autres règles, de ne monter ny mule ny mulet, fur peine d'vn marc

I) d'argent d'amende, comme ie viens d'apprendre dans les lettres de Gueuara, defquelles ceux qui les ont appellées dorées, fliifoient ingénient bien autre que celuy que i'en fay.

Le cortisan dici qu'aitant son temps \c\'estoit repnxhe a un genliWmne d'en cheuaucher. Les Abyssins, a mesure qu'ils sont plus grands & pins

20 nuances près le Preteian, leur tnaistre, affectent au rebours des mules a monter par Imieur. Xenofon, que les Assyriens tenoint leurs cheuaus tousicntrs entraue:;^ au logis, tant ils estoint facheus & farouclxs, & qu'il faloit tant de temps j a ] les destacher et harnacher que, pour que cette longur a la guerre ne leur aportat domage, s'ils uenoint [a] estre en dessoude surpris

25 par les enemis, ils ne logeoint iamais j en i camp qui ne fut jossoié & reniparc.

\'ar. ms. 8) virga. El les Niimidieiis : equi 9) infrarni terrent : equi 18) geutilthome de les cheuaucher. Xenofou dict que les Assyriens Montaigne efface dict avant

dTnsérer, au dessus de la rédaction primitive, la phrase Les AbySStlIS... houeur, qui est une addition ultérieure, et il oublie ensuite de le rétablir. L'édition de 1595 donne ; Xcnopnon rCClte.

' Un peu i la suite vient dans la marge une citation antérieure qui a été biffée et Joui le signe de raccord a disparu : generosisiinuiium geuliuiH (quiles Jreiuiloi cl iiifrenaloi

376 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Son Cirus, si grand maistre au faict de chcualeric, mettait les cbeiunis de son escot, [et] ne leur faisait bailler \a\ manger, qu'ils [)ie l'jeussent gaigné par la sueur de queh]^ exercice.

Les Scythes, la neceffité les preffoit en la guerre, tiroient du l'ang de leurs cheuaux, & s'en abreuuoient & nourriflbient, 5

Venit & epoto Sarniata paftus equo.

Ceux de Crotte, aflîegéz par Metellus, fe trouuerent en telle difette de tout autre breuuage qu'ils eurent à le leruir de l'vrine de leurs cheuaux.

Pour uerifier combien les armées Turquesques se conduisêt et maintienent 10 (/ meillure raison que les nostres, ils disent qu'outre ce que les soldats ne hoiuent que de l'eau et ne )nû agent que ris et de la cher salée mise eu poudre, de quoi chacun porte aiseement sur soi prouision pour un mois, ils sçauent aussi uiure du sang de leurs cheuaus, come les Tartares & Moscouites, & le salent. 15

Ces nouueaux peuples des Indes, quand les Efpagnols v arriuerent, cftimerent, tant des hommes que des cheuaux, que ce tulïent ou Dieux ou animaux, en nobleffe au-dclTus de leur nature. Aucuns, après auoir efté vaincus, venant demander paix & pardon aux hommes, & leur apporter de l'or & des viandes, ne faillirent d'en 20 aller autant offrir aux cheuaux, auec vne toute pareille harengue à celle des hommes, prenant leur hannilTcmcnt pour langage de compofition & de trefue.

Aux Indes de deçà, c'eftoit anciennement le principal & rc^yal honneur de cheuaucher vn éléphant, le fécond d'aller en coche, 25 trainé à quatre cheuaux, le tiers de monter vn chameau, le dernier & |ihis vile degré d'élire porté ou charrié par vn cheual leul.

Texte 88. 6) cpoto Sarmatus paftus

Var. ms. 1) iiHihIri' fil d'eimlene -- 12) stitcc p 14) niissi itii

LIVRE I, CHAPITRE XLVIII. 377

Qiickun de nosfre tunips cscrit aiioir mu, en ee elinuit la, des pats ou l'on cheuauche les heufs aueq hasiines, estriei et brides, et [s'^eslre bien trouué de leur porture.

Quintus Fabius Maxiinus Rufilianus, contre les samnites, uoiàt que ses 5 i^ens de chenal a trois on quatre chari^ns auoint failli d'enfoncer le bataillon des enemis, print ce conseil, qu'ils débridassent leurs cheuaus et [bouchassent a toute force des espérons, si que, rien ne les pouuant arrêter, autrauers des armes et des homes renuerse^ ouurirent le pas a leurs gens de pied, qui parjirèt une tressanglante desfaicte.

10 Jutant en comâda Quintus Fuluius Flaccus contre les Celtiberiens : (( Id cum inaiore ni equornm Jacielis, si effrenaios in hostes equos immittitis; quoil sa^pe romatios équités cum lande fecisse sua, ma:morix proditum est. Detraclisque jrenis, \bis ultro cil roque cum magna strage hostium, infractis omnibus hastis, transcurrerunt. ]

15 Le Duc de Molcouie deuoit anciennement cette reuerence aux Tartares, quand ils cnuoioyent vers luy des AmhafTadeurs, qu'il leur alloit au deuant à pié & leur prefentoit vn gobeau de lait de iunient (breuuage qui leur ci\ en délices), lSc fi, en beuuant, quelque goutte en tomboit lur le crin de leurs chenaux, il eftoit tenu de la

20 lécher auec la langue. lin Rulîie, larmée que l'Empereur Baiazet y auoit enuoyé, fut accablée d'vn fi horrible rauage de neiges que, pour s'en mettre à couuert & sauner du froid, plufieurs s'aduiferent de tuer & euentrer leurs cheuaux, pour le getter dedans & iouyr de cette chaleur vitale.

25 Paia:{et, après cet aspre estour ou il fut rompu par Tamburlan, se sauuoit beir erre sur une iumant Arabesque, s'il n'eut este contrcinl de la laisser boire son soiil au passage d'un ruisseau, ce qui la rendit si facque et refroidie, qu'il jut bien aiseemanl après aconsuiui par cens qui le poursuiuoint.

Texte 88. 22) & garcntir du

Var. ms. 2) aueq boues Inislines 5) trois q 6) print cet estrange conseil 10) Autant en fit Fuluius Flaccus pt^ 10) les Celtiberiens ifu<^ mf>e Romatws équités Il) Id cum maiore... proditum est. Cii.itiDn birtïc puis rcublie.

378 ' ESSAIS DE MONTAIGNE.

On dict bien qu'on les hube, les laissant pisser; mais le boire, i 'eusse plus tost estime qu'il l'eut refrechie et r'enforeee.

Crœsus, passant le long de la uille de Sardis, v trouua des pastit:^ ou il y auoit grande quantité de serpans, des quels les eheuaus de son armée mangeoint de bon appétit, qui fut un mauues prodige a ses affaires, diet 5 Hérodote.

Nous appelions vn cheual entier, qui a crin & oreille; & ne pafTent les autres à la montre : les Lacedemoniens, ayant desfiiit les Athéniens en la Sicile, retournans de la victoire en pompe en la ville de Siracule, entre autre brauades, tirent tondre les chenaux ro vaincus & les menèrent ainfin en triomphe. Alexandre combatit vne nation Dahas : ils alloyent deux à deux armez à cheual à la guerre; mais, en la méfiée, l'vn defcendoit à terre; & combatoient ore à pied, ore à cheual, l'vn après l'autre.

[le n'estime point, qu'en suffisance et en grâce a cheual, )iulle nation 15 vous emporte. I Bon home de cheual, a l'usage de nostre parler, samble plus regarder au corage qu'a l'adresse. Le plus sçauant, le plus seur et miens 'aduenant a nwner un cheual a raison que i'ave conu, fut a mon gré le sieur de Carneualet, qui en seruoit nostre Roy Henry secont. Vax ueu home douer carrière a deus pieds sur sa selle, démonter sa selle, &, au retour, la relleuer, 20 reaccommoder & s'y rassoir, juiant tousiours a bride auallee; aiant passe par dessus un bonet, y tirer par derrière des bons coups de son arc; amasser ce qu'il uouloit, se iettani d'un pied a terre, tenât l'autre en l'estrie : et autres pareilles siiigeries, de quoi il uiuoit. On a \cu de mon temps, à Conlhui- tinople, deux hommes fur vn cheual, lefqucls, en fa plus roide courfe, 25 le reiettoyent à tours à terre iv puis fur la felle. Et vn qui, feulement des dents, bridoit (^ harnachoit fon cheual. Vn autre qui, entre deux chenaux, vn pied lur vne lelle, l'autre fur l'autre, portant vn fécond

Texte 88. 11) les nienarent ainiln 15) comb.iioieiit alturc à pied, alhiie à cheual

\'ar. .ms. 5) de in âd appétit, el foi ce d'oii il piinl un i6) emporte, l'ii km 23) uoultiit a terre se

LIVRK I, CHAPITRE XLVIII. 379

lur les bras, couroit à toute bride : ce l'econd, tout debout sur Iiiv, tirant en la courle des coups bien certains de Ion arc. Plulieurs qui, les iambes contre-mont, couroyent la telle plantée fur leurs felles, entre les pointes des limeterres attachez au harnois. En mon enfance le Prince de Sulmone, à Naples, maniant vn rude cheual de toute forte de maniemens, tenoit foubs fes genouz & foubs fes orteils des reaies, comme fi elles y euffent efté clouées, pour montrer ht fcrmeic de son assick.

\'ar. ms. 7) realcs (vu/:... cloutes : mauli^i^

Chapitre XLIX.

DES COVSTVMES ANCIENNES.

l'excuferois volontiers en noflre peuple, de n'auoir autre patron & règle de perfection que i'es propres meurs <S: viances : car c'eft vn commun vice, non du vulgaire feulement, mais quafi de tous hommes, d'auoir leur viiée & leur arreft fur le train auquel ils lont nais. le fuis content, quand il verra Fabritius ou LxHus, qu'il leur 5 "trouue la contenance & le port barbare, puis qu'ils ne font ny veftus ny façonnez à noitre mode. Mais ie me plains de la particulière indilcretion, de fe laiffer li fort piper & aueugler à l'authorité de l'vlage prefent, qu'il foit capable de changer d'opinion & d'aduis tous les mois, s'il plait à la courtume, & qu'il iuge fi diuerfement 10 de foy melmes. Quand il portoit le bulc de Ion pourpoin entre les mamelles, il maintenoit par viues railons qu'il eftoit en son mai lieu; quelques années après le voyla aualé iniques entre les cuiffes, il le moque de Ion autre vfage, le trouue inepte & infupportable. La façon de fe veftir prefente luy faict incontinent condamner l'ancienne, 15 d'vne refolution fi grande & d'vn conlentement fi vniuerfel, que vous diriez que c'eft vne espèce de manie qui luy ioiirnehonle ainli

Texte 88. 5) ou Scipion, qu'il 12) eftoit trefbien : quelques 15) condamner & mefprifer l'ancienne 17) vne vraye manie, qui luy roule ainfi

LIVRE I, CHAPITRE XLIX. 381

rentcndement. Par ce que noftrc changement ell fi fubit & fi prompt en cela, que l'inuention de tous les tailleurs du monde ne Içauroit fournir affez de nouuelletez, il eft force que bien fouuent les formes mefprifées reuiennent en crédit, & celles mefmes tombent en

5 mel'pris tantoft après; & qu'vn mefme iugement preigne, en l'efpace de quinze ou vingt ans, deux ou trois, non diuerfes feulement, mais contraires opinions, d'vne inconftance & légèreté incroyable. // n'va si fin d'entre nous qui ne se laisse enihahouiner de eelle eontradiction, & esbiouir tant les xeus internes que les externes insensiblement.

[o le veux icy entafler aucunes fiiçons anciennes que i\iv en mémoire, les vnes de mefme les noftres, les autres différentes, afin qu'ayant en l'imagination cette continuelle variation des choies humaines, nous en ayons le iugement plus efclaircy & plus ferme.

Ce que nous dilons de combalre à l'efpce & la cape, il s'vfoit

1 5 encores entre les Romains, ce dict Cajfar : « Siniftris fagos inuoluunt, gladiôlque diftringunt. » Et remerque des lors en noftre nation ce vice, qui v ell encore, d'arrefter les paffans que nous rencontrons en chemin, & de les forcer de nous dire qui ils font, & de reeeuoir à iniure & occafion de querelle, s'ils refuient de nous refpondre.

îo Aux bains, que les anciens prenoyent tous les iours auant le repas, & les prenoyent auflî ordinairement que nous faiions de l'eau à lauer les mains, ils ne le lauoyent du commencement que les bras & les iambes; mais dépuis, & d'vne coulhime qui a duré plufieurs fiecles & en la plus part des nations du monde, ils fe lauoyent tous

55 nudz d'eau mixtionnée & parfumée, de manière qu'ils eniploioint pour telmoignage de grande fimplicité de fe lauer d'eau limple. Les plus affetez & delicatz fe parfumoyent tout le corps bien trois ou quatre fois par iour. Ils fe faifoyent fouuent pinceter tout le poil.

Texte 88. 10) aucunes couftumes anciennes 18) & de prendre à 25) qu'ils prenoyent pour 27) parfumoyent bien... iour tout le corps. Ils 28) pinceter le poil par tout, comme

382 ESSAIS DE MONTAIGNE.

comme les tcmnics l'iançoilcs ont pris en viage, depuis quelque temps, de laire leur front,

Quod pectus, quLid crura tibi, quod br.icliia vcllis,

quov qu'ils eulTent des oignemens propres à cela :

Pfilotio nitft, aut arida latet oblita creta. 5

Ils avmoient à fe coucher mollement, & allèguent, pour preuue de patience, de coucher lur le matelas. Ils mangeoyent couchez lur des lits, à peu prez en mehne alhete que les l'urcs de noftre temps,

Inde tboro pater iEncas fie orfus ab alto. 10

Et dit on du ieune Caton que, depuis la bataille de Pharfale, eflant entré en deuil du mauuais eftat des affaires publiques, il mangea toufiours aflis, prenant vn train de vie plus auftere. Us bailoyent les mains aux grands pour les honnorer ibc careffer; &, entre les amis, ils s'entrebaifoyent en le laluant, comme font les \'enitiens : 15

Gratatiifque darem cum dulcibus olcula verbis.

Et toucholt iiits gcnoiis pour requérir ou saluer un grand. Pasicles Je philosofe, frère de Crûtes, au lieu de porter la main au genou, la porta aus genitoires. Celui a qui il s'adressoit Valant rudenièl repousse : Cornant, dit il, eeev n'est il pas uostre aussi bien que les gênons? ^ci

Ils mangeoyent, comme nous, le fruict à l'yffue de table. Us le torchoyent le cul (il faut laiffer aux femmes cette vaine fuperftition des parolles) auec vne elponge : vovla pourquov spongia efl vn

Texte 88. 4) oignemens, qui feruovent .i cela, de faire tomber le poil, l'filotro

\'ar. ms. 17) giaiid : El Ptuidcs

LIVRH I, CHAPITRK XI.IX. 383

mot obfcœne en Latin; & clloit cette el'ponge attachée au bout d'vn ballon, comme telmoigne l'hilloirc de celuv qu'on menoit pour eftre prelenté aux belles deuant le peuple, qui demanda congé d'aller à les affaires; &, n'ayant autre moyen de le tuer, il le fourra ce 5 ballon & efponge dans le gofier & s'en eftouffli. Ils selluvoient le catze de laine perfumée, quand ils en auovent laict :

At tihi nil t'aciani, fed Iota mentula lana.

Il y auoit aux carrefours à Rome des vailTeaux & demv-cuues pour y appreller à piffer aux palTans,

10 Pufi ktpe lacuni propter, fe ac dolia curta

Somno deuincti creduiit cxtollere vertcm.

Ils lailoyent collation entre les repas. Et y auoit en elle des vendeurs de nege pour retréchir le vin; & en y auoit qui le feruoyent de nege en hyuer, ne trouuans pas le vin encore lors aflez froid. Les grands 15 auoyent leurs efchançons & trenchans, & leurs fols pour leur donner plailîr. On leur leruoit en hyuer la viande fur des fouyers qui fe portoient lur la table; & auoyent des cuiiines portatiues, conie l'en ai //('//, dans lelquelles tout leur leruice le traint)it après eux,

Has vobis epulas liabcte lauti ; 20 Nos offendiniur ambulante civiia.

Et en eflé ils faifoyent fouuent, en leurs fales baffes, couler de l'eau frefche & claire dans des canaus, au deffous d'eux, il y auoit force poilTon en vie, que les alfiftans choififlbyent & prenoyent en la main pour le faire aprefter chacun à sd poste. Le poiffon a touliours 25 eu ce priuilege, comme il a encores, que les grans le niellent de le f^auoir aprelkr : aulîi en ell le goull beaucoup plus exquis que

Te.vte 88. 15) donner Ju plailir 24) à fon gouft : car le poiiron

584 ESSAIS DE MONTAIGNE.

de la chair, au moins pour moy. Mais, en toute forte de magni- ficence, de defbauche & d'inuentions voluptueufes, de moliefle & de lumptuofité, nous faifons, à la vérité, ce que nous pouuons pour les égaler, car noftre volonté efl bien auflî gaftée que la leur; mais noftre iuffifance n'y peut arriuer: nos forces ne font non plus capables 5 de les ioindre en ces parties la vitieufes, qu'aux vertueufes : car les vues & les autres partent d'vne vigueur d'efprit qui eftoit fans comparaifon plus grande en eux qu'en nous; & les âmes, à mefure qu'elles font moins fortes, elles ont d'autant moins de moyen de fiiire ny fort bien, ny fort mal. 10

Le haut bout d'entre eux, c'eftoit le milieu. Le deuant & derrière n'auoyent, en efcriuant & parlant, aucune fignification de grandeur, comme il fe voit euidemment par leurs efcris : ils diront Oppius & Cc-efiU- auflî volontiers que Caviar & Oppius, & diront moy & toy indifféremment comme toy & mov. Vovla pourquoy i'ay autrefois 1 5 remarqué, en la vie de Flaminius de Plutarque François, vn endroit il femble que l'autheur, parlant de la ialoufic de gloire qui eftoit entre les vEtoliens & les Romains pour le gain d'vne bataille qu'ils auoyent obtenu en commun, tace quelque pois de ce qu'aux chanfons Grecques on nommoit les ^Ltholiens auant les Romains, s'il n'v a de 20 l'Amphibologie aux mots François.

Les Dames, eftant aux eftuues, y receuoyent quant & quant des hommes, & fe feruoyent la mefme de leurs valets à les frotter (iSc oindre,

Inguina fucciiictus nigra tibi feruus aluta 25

Stat, quoties calidis nuda foueris aquis.

Elles fe fliupoudrovent de quelque poudre pour reprimer les fueurs. Les anciens Gault)is, dict Sidonius ApoUinaris, portovent le poil long par le deuant, ^i le derrière de la tefte tondu, qui eft cette façon qui vient à cllre reiu)uuclléc par rvfage efteminé ^\; lâche de 30 ce liecle.

LIVRE I, CHAPITRE XLIX. 385

Les Romains payoient ce qui eftoit deu aux bateliers pour leur noUeage, des l'entrée du bateau; ce que nous faifons après eftre rendus à port,

dum as exigitur, duni inula ligatur', 5 Tota abit hora.

Les femmes couchovent au lict du col1;c de la ruelle : voyla pourquoy on appelloit Cx'tar « Ipondam Régis Nicomedis. »

Ils prenoyent aleine en beuuant. Ils baptiloient le vin, B

quis puer ocius 10 Reftinguet ardentis falerni

Pocula praetereunte lympha ?

Et ces champiflTes contenances de nos laquais v eftovent aufli,

O lane, à tergo quem nuUa ciconia pinfit, Ncc manus auriculas imitata eft mobilis albas, 15 Nec lingua; quantum iitiet canis Apula tantum.

Les Dames Argienes & Romaines portoyent le deuil blanc, comme les noftres auoient accouftumé, & deuoyent continuer de faire, fi i'en eftois creu.

Mais il y a des Hures entiers faits fur cet argument. A

Texte 88. i) leur voiture, des

' En ça L-cril .Montaigne à droite de cette fin de vers imprimée trop à gauche.

Chapitre L.

DE DEMOCRITVS ET HERACLITVS.

Le iugcment eft vn vtil à tous lubiects, & fe mefle par tout. A cette caufe, aux effais que i'en fay ici, i'y employé toute forte d'occalion. Si c'eft vn fubiect que ie n'entende point, à cela niefme ic l'ciïiiye, fondant le gué de bien loing; & puis, le trouuant trop profond pour ma taille, ie me tiens à la riue : & cette reconnoiflance de ne pouuoir 5 pafler outre, c'eft vn traict de fon effect, voire de ceux dequov il fe vante le plus. Tantoft, à vn fubiect vain & de néant, i'eflaye voir s'il trouuera dequoy luy donner corps, & dequov l'appuyer & eftançonner. Tantoft ie le promené à vn fubiect noble & tracafle, auquel il n'a rien à trouuer de foy, le chemin en eftant l\ frayé qu'il 10 ne peut marcher que fur la pifte d'autruy. il fait fon icu à eilire la route quy luy femble la meilleure, &, de mille fentiers, il dict que cettuy-cy, ou celuy là, a efté le mieux choili. le preiis de la fortune Je

Texte 88. 9) noble & fort tracaffc lo) foy-mcfmc, k-,.. iVavé & fi b.itu, qu'il 13) choifi. Au demeurant ic lailTe la fortune me fournir les fubiects, d'autant qu'ils me font également bons : & fi n'entrcprens pas de les (p. 587, 1. 2.) Dms une première

correction m.-muscritc Mont.iigne efface d'autant qu' et met une majuscule i ils. Hn même temps il remplace bons : & par bons. Et et il efface fi. Du reste ces corrections qui clicvanclieni du verso du folio 125 :iu r.'ctd Jii folio 126, sont extrêmement confuses.

LIVRE 1, CHAPITRE I.. 387

premier (Vi^uiiicnt. Ils me font également bons. Et ne ilessei^^iie iamais de les produire entiers. [Crtr ie ne ti([v le tant de rien : Ne font pas,] cens qui promettent de nous le faire noir. De eeni membres et iiisages qu'a ehaque el.wse, t'en praus un taniost a leseher sukmanl, tantost a efflorer,

S et par fois a pinser iusq[u'a\ l'os. l'y doue une poincle, non pas Je plus ' largement, mais le plus profoudennint que ie sçay. Et aime plus souuant a les sesir par quelque lustre inusité, le me hasarderois de Iraieler a fous quelque matière, si ie me eonessois moins. Semant iev un moi, icv un autre, esehantillons despris de leur pièce, escarte:^, .'sans dessein et sans promesse,

to ie ne suis pas tenu d'en faire bon, nv de m'y tenir nn>i mesine sans naricr quand il me plait; et me randre au double et ineerlilude, & a uni maistresse forme, qui est l'ignorance.

Tout nuviuemanl nous descouure'. Cette mefme ame de Civfar, qui

liiXTE S8. 2) de Ic^ traictcr entiers & à Ions de cuue : de mille vifages qu'ils ont chacun, i'eu prens celuy qu'il me plait : ie les f'aifis volentiers par quelque luftre extraordinaire : i'en trieroy bien de plus riches & pleins, fi i'auoy quelque autre fin propofée que celle que i'ay. Toute action eft propre à nous faire connoiftre : cette mefme ame (le mot entiers a été effacé puis rétabli; les mots & a fons de cuue ont été effacés, rétablis, puis dérmitivement effaces.}

\'aR. MS. 2) En s'aidant de ce qui reste des lettres rognées de cette ligne, M. (^agnleul conjecture avec beaucoup de vraisemblance la variante suivante : pOS guerc tllieuS quC lltoy ceilS

3) promelleiit de le uoir et traicter. De mille membres et uisages qu'ils ont i'en

: quelque brin . ,,n , , ,■ . ^

plans r , , , 2: a cscorcber et t>ms(r (0 teschcr par ois. par fois piiisi-r

' ^ : un iautost -^ i \ j t j t j t

iusques au sang, sinon te plus largement que ie sçai an moins le f^lus profondemant et] inte-

rieuremant . Et aime (1. 6.) 7) quelque poinct inusité plus souuaui 4 de mille vifages

qu'ils ont chacun, i'en prens celuy qu'il me plait, et n'en dis que qu'autant qu'il me

plait. le me tiasarderois par fois a des matières riches et grattes Ci i'auoy quelque autre fin

propofée, et si ie nie eonessois moins. Si l'v tumbe c'est acccssoirentant. En semant icy

8) autre Ese^hatiiillom des hors de leur Iheme 9) escarle^. Sans corps, sans preposilieu ;

ie den suis pas Umt dessein et mus promesse. Partant ne suis ie- pas tenu

' Pour bien marquer le raccord, .Montaigne écrit deux fois cette phrase : une première fois dans le corps du texte de 1588 avant Cette mefmc ame et il orthograpliie moUUement ; une seconde fois dans la marge à la suite de l'addition manuscrite précédente. (Voir la reproduction phototypique de cette page de l'Exemplaire de Bordeaux dans Jullian, Histoire de Bordeau.x, in-4"', Bordeaux, 1895, p. 385.)

' En corrigeant cette variante, Montaigne a oublié d'effacer ce IC; aussi lit-on sur le ms. te ne SUIS te, le premier le étant ajouté dans l'interligne.

388 ESSAIS DE MONTAIGNE.

ie faict voir à ordonner & dreffcr la bataille de Pharfale, elle fe faict aufli voir à drefler des parties oyfiues & amoureufes. On iuge vn cheual, non feulement à le voir manier fur vne carrière, mais encore à luy voir aller le pas, voire & à le voir en repos à l'eftable.

Entre les fumtions de l'aivc il en est de basses : qui ne la iioit encores 5 par la, n'acheue pas de laconoistre. \Et^^ a l'auantitre la remarque l'on miens ou elle ua son pas simple. Les uans des passions la prenent plus en ces hautes assietes. loint qu'elle se couche entière sur chaq^ nmtiere, et s'y exerce entière, et n'en trete iamais plus d'uiw [a] la fois. Et la traicte, mn selon elle, mais selon soy. Les choses [a~\ par elles ont peut estre leurs pois et mesures et 10 conditions; mais au dedans, en nous, elle [les] leur taille corne elle l'entant. La mort est effroiahle a Ciceron, désirable a Caton, iruiifferante a Socrates. La santé, la consciance, l'authorite, la sciance, la richesse, la beauté et leurs contrcres se despouillent a l'entrée, et reçoiiœnt de l'anu: nouuelle uesture, et [ài\ la teinture qu'il luy plait : brune, uerte, clere, obscure, aigre, douce, 15 profonde, superficielle, et qu'il plait a chacune d'elles : car elles n'ont pas uerifie en commun leurs stilles, /rj^'^/n" et formes : chacune est roinc en son •estât. Parquoi ne prenons plus excuse des externes qualité:^ des clmses : c'est a nous a nous en rendre conte. Nostre bien et nostre nml ne tient qu'a nous. Offrons y )U)s offrandes et nos mus, non pas a la fortune : elle ne peut rien 20 sur nos meurs : au rebours, elles l'entreinent a leur suite, et la moulent a leur forme. Pourquoi ne iugcrai ie d'Alexandre a table, deuisant et heuuant d'autant; ou s'il manioit des eschet:^. Quelle corde de son esperit m touche et n'emploie ce niais et puerille ieu. le le bai et fuis, de ce qu'il n'est pas asses ieu, et qu'il nous esbat trop serieusemant, ayant honte d'\ 25 fournir l'attantion qui suffiroit a quelque bom chose. Il ne fut pas plus enbesotiigné a dresser son glorieus passage aus Indes; ny cet autre, a desnouer un passage du quel despant le salut du genre humain. Foies combien nostre

Var. ms. 2) amoureufes : et n'est non plus ouuerte et entière a faire les aproches d'un siège qu'a un ieu d'esche^ ou autre pareil ieu de son usage : On iuge 7) pas. Les 8) matière : et n'en trete 15) luy brune utrle (kre (j/wm« uigre dcufe pp«fe»de superficielle 17) chacune roiite 23) ou maniant des

LIVRE I, CHAPITRE L. 389

aine >;rossit li cspcssil ccl tuiiiisfnunil ridicule; si lotis ses nerfs ne kindenl; combien (iniplenianl elle doue u chacun loi en cela, de se eonoistre, et de iiii^H-r droicleniant de soi. le ne nie iiois cl retasle plus uniiiersellcmanl en null' autre posture. Quelle passion ne nous v exerce? la cholere, le despit, ) la heine, l'inipatiance et une ueheniante anihition de ueincre, en chose en la quelle il seroll plus excusable d'est re âbilieus d'estre ueincu. Car la prarel lance rare et audessus du commun messict a vn home d'honur en clx)sc friuole. Ce que ie dis en cet exaniple, se peut dire en tous autres : clmp, parcelle, chaque occupation [de l'home l'accuse | et le montre esgallemant

10 qu'un' autre.

Dcmocritus & HcraclyUis ont elle deux philofophes, defquels le premier, trouuant vainc & ridicule riuiniaine condition, ne ibrtoit en public qu'auec vn vilage mocjueur & riant; Heraclitus, avant pitié & compadion de cette melmc condition noftre, en portoit le vifagc

15 continuellement atrifté, & les yeux chargez de larmes,

alter Ridebat, quoties à limine mouerat vnum Protuleràtque pedeni; flebat contrarius alter.

l'ayme mieux la première humeur, non par ce qu'il ell plus plaifant 20 de rire que de pleurer, mais par ce qu'elle cil: plus deldaigneule, & qu'elle nous condamne plus que l'autre : & il me lemble que nous ne pouuons iamais eftre allez melprilez lelon noftre mérite. La plainte & la commileration font niellées à quelque ellimation de la chofe qu'on plaint; les choies dequov on le moque, on les ellime fans 25 pris, le ne penle point qu'il y ait tant de malheur en nous comme il y a de vanité, ny tant de malice comme de fotile : nous ne lommes pas si pleins de mal comme d'inanité; nous ne lommes pas

Texte 88. 21) nous accufe plus 24) eftimc vaincs & fans 27) fommes pas tant pleins... pas tant mifcrablcs

V'ar. ms. 5) de un siirtmmler, en 6) âhilieuf de perdre. Car 10) autre. Otrniin omiiiuw rerum '•••!

390 . ESSAIS DE MONTAIGNE.

si mifcrablt'S comme nous fommcs viles. Ainfi Diogenes, qui bague- naudoit apart foy, roulant fon tonneau & hochant du nez le grand Alexandre, nous eftimant des mouches ou des veflies pleines de vent, eftoit bien iuge plus aigre & plus pouignant, & par conséquent plus iufte, à mon humeur, que Timon, celuy qui fut furnomme 5 le haifleur des hommes. Car ce qu'on hait, on le prend à cœur. Cettuy-cy nous fouhaitoit du mal, eftoit paflîonné du delir de noftre ruine, fuioit noftre conuerfation comme dangereufe, de mefchans & de nature deprauée; l'autre nous eftimoit fi peu que nous ne pourrions ny le troubler ny l'altérer par noftre contagion, nous ro laiflbit de compagnie, non pour la crainte, mais pour le defdain de noftre commerce : il ne nous eftimoit capables nv de bien, ny de mal faire.

De mefme marque fut la refponce de Statilius, auquel Brutus parla pour le ioindre à la confpiration contre Qtfar : il trouua 15 l'entreprinie iufte, mais il ne trouua pas les hommes dignes pour Iclquels on ie mit aucunement en peine : coiifoninriiiciil a la discipline •de Hegesias qui disait le sage ne deiioir rien faire que pour sov : \d]'autant que sul il est digne pour qui on face; {ei\ a eelle de Theodorus, que c'est iniustice que le sage se hasarde pour \le] bien de son pn'is, et qu'il mette en 20 péril la sagesse pour des fols.

Nostre propre et peculiere condition est autant ridicule que risihle.

Texte 88. 5) Lllilliant Ircllous des Av.mi JVtr.Kcr treftous, Montaigne iest contente

d'effacer trcf 4) & plus piquant, & par

Var. ms. 17) peine. Nostre (l. 22.) iS) tt 'aulaiil i" : qu'il n'y a que luy qui mérite qu'on face pour luy Nostre 2" : que sut il mérite qu'on face pour luy Nostre 20) sage hasarde sa

Chapitre LI.

DE LA VANIT1-: DES PAROLES.

Vn Rhctoricicn du temps pa(Té difoit que Ion nieftier cftoit, de choies petites les faire paroiftre & trouuer grandes. Cci\ \n' cordonnier qui Içait faire de grands louliers à vn petit pied. On luy eut taict donner le fouet en Sparte, de faire profefTion d'vn' art

5 piperefTe .i^ menfongere. Et crov que Archidamus, qui en elloit Roy, n'ouit pas fans eftonnenient la refponce de Thucidide/:, auquel il s'enqueroit qui elloit plus fort à la luicte, ou Pericles ou luy : Cela, fit-il, feroit nial-ayfé à vérifier; car, quand ie fay porté par terre en luictant, il perfuade à ceux qui l'ont veu qu'il n'eft pas

10 tombé, & le gaigne. Ceux qui mafquent & fardent les temmes, font moins de mal; car c'efi; chofe de peu de perte de ne les voir pas en leur naturel; ceux-cy font eûat de tromper, non pas nos yeux, mais noftre iugement, & d'abaftardir & corrompre l'eflence des choies. Les republiques qui fe font maintenues en vn eftat réglé & bien

15 policé, comme la Cretenfe ou Lacedemonienne, elles n'ont pas laict grand compte d'orateurs.

Arision dcfiiiit siif^t'iinll la rh'torujiw : sciaiice a pcruiiukr le peuple;

' C'cft vn... pied. aJdilion de 1588.

392 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Socrates, Platon, art de tromper et de flater; et cens qui le nient en la générale description, le uerijient par tout en leurs préceptes.

Les nmhunietans en defandoit l'instruction a leurs enfans, pour son inutilité.

Et les Athéniens, s'aperceuens combien son usage qui auoit tout crédit 5 (7/ leur uille, estoit pernicieus, ordonarent que sa principale partie, qui est emouuoir les ajfections, en Jut ostee ensawhlc les exordes et perorations.

C'eft vn vtil inuenté pour manier & agiter vne tourbe & vne commune deireiglée, & est vtil qui ne s'emplove qu'aux ertats malades, comme la médecine; en ceux le uulguere, les 10 ignorans, tous ont tout peu, comme celuy d'Athènes, de Rhodes & de Rome, & les chofes ont efté en perpétuelle tempefte, ont ajjlué les orateurs. Et, à la vérité, il fe void peu de perfonnages, en ces republiques là, qui fe foient pouffez en grand crédit fans le fecours de l'éloquence : Pompeius, Caefar, Craffus, Lucullus, Lentulus, 15 Metellus ont pris de la leur grand appuy à fe monter à cette grandeur d'authorité ils lont en fin arriuez, lïc s'en font avdez plus que des armes : contre l'opinion des meilleurs temps. Car L. Volumnius, parlant en puhliq en faneur de l'élection au côsulat faicte des persanes de Q. Fabius & P. Decius : Ce sont gens nais a la guerre, grans ans efaicts; au conduit 20 du babil, rudes : esperits uraiement consuleres; les subtils, eloquans et sçauans sont bons pour la uille, prœturs a faire iustice, dict il.

l'éloquence a fleury le plus a Rome, lors que les affiiires ont efté

Texte 88. 10) ceux le peuple, les 12) ont foifonné les 18) armes. On remarque auffi que l'art d'éloquence (I. 2;.)

Var. ms. i) Platon Celsus Jll.'œiwus art 2) préceptes. Socrates disait sa fui 11' estre qu'adulation. Cii^ 4) inutilité conie Postel escrit. C'cfi 6) que la principale 18) temps. La sciance et le bien dire on l'assignait ans iuges & praiurs : ans consuls la uerlii & le bien faire : L. Volumnius consul parlant 20) Decius : Esse p>^ prxterea uiros natos militiœ, faclis magnos ad uerharù linguœ que ccrtaniina rudes : ea ingénia consu- laria esse : callidos salertesque, iuris atque elaquentia' consultas urhi acforo pnvsides hahendos, prœioresque ad reddenda iura creandos esse. On remarque aufli que l'art d'éloquence 20) guerre propres aus 21) esperits consuleres 22) iustice /.'éloquence

LIVRE I, CHAPITRE LI. 393

en plus mauuais cftat, .S: que l'orage des guerres ciuiles les agitait : comme vn champ libre it indompté porte les herbes plus gaillardes. 11 femble par que les polices qui dépendent d'vn monarque, en ont moins de befoin que les autres : car la beftife & facilité qui 5 fe trouue en la commune, & qui la rend fubiectc à eftre maniée & contournée par les oreilles au doux l'on de cette harmonie, fans venir à poifer & connoiftre la vérité des choies par la force de la raifon, cette facillité, dis ic, ne le trouue pas li aifément en vn feul; & eft plus ailé de le garcntir par kvic iusiitulion et bon confeil de

10 l'impreflion de cette poifon. On n'a pas veu iortir de Macédoine, ny de Perfe, aucun orateur de renom.

l'en ay dict ce mot iur le fubiect d'vn Italien que ie vien d'entre- tenir, qui a feruv le feu Cardinal Carafte de maiftre d'holU-l iufques à fa mort, le luy taifoy compter de la charge. Il m'a fait vn difcours

I ) de cette fcience de gueule auec vne grauité & contenance magiftrale, comme s'il m'euft parlé de quelque grand poinct de Théologie. II m'a dechifré \ne différence à\ippctis : celuy qu'on a à ieun, qu'on a après le fécond & tiers leruice; les moyens, tantoll de luy plaire fimplement, tantoft de l'eueiller & picquer; la police de fes fauces,

20 premièrement en gênerai, & puis particulariiant les qualitez des ingrediens c\; leurs effects; les différences des lalades félon leur faifon, celle qui doit eftre refchaufée, celle qui veut eftre feruie froide, la façon de les orner & embellir pour les rendre encores plaifantes à la veuë. Apres cela, il eft entré fur l'ordre du leruice,

25 plein de belles 6v importantes confiderations,

nec niinimo fane difcriniine refert Quo geftu lepores, & quo i^allina fecetur.

Et tout cela enflé de riches & magnifiques parolles, & celles mcfmes

Texte 8S. i) les a agitez : comme 3) les eftais, qui 17) différence de goufts : celuv

394 ESSAIS DE MONTAIGNE.

qu'on employé à traiter du gouuernement d'vn Empire. Il m'eft fouuenu de mon homme :

Hoc falfum eft, hoc aduftum eft, hoc lautum eft parum,

Illud rectè; iterum fie mémento; fedulo

Moneo qux poflum pro mea fapientia. 5

Poftremo, tanquam in fpeculum, in patinas, Demea.

Infpicere iubeo, & moneo quid focto vfus fit.

Si eft-cc que les Grecs mefmes louèrent grandement l'ordre & la difpofition que Paulus ^Emilius ohlerua au feftin qu'il leur iit au retour de Macédoine; mais ie ne parle point icy des effects, ie parle 10 des mots.

le ne Içay s'il en aduient aux autres comme à moy; mais ie ne me puis garder, quand i'oy nos architectes s'enfler de ces gros mots de pilaftres, architraues, corniches, d'ouurage Corinthien & Dorique, & femblables de leur iargon, que mon imagination ne fe faififle 15 incontinent du palais d'Apolidon; &, par eftect, ie trouue que ce font "les chetiues pièces de la porte de ma cuifine.

Oyez dire metonomie, métaphore, allégorie, & autres tels noms de la grammaire, Icmble-il pas qu'on lignifie quelque forme de langage rare & pellegrin? Ce font titres qui touchent le babil de 20 voflre chambrière.

C'eft vne piperie voifine à cettecy, d'appeller les offices de noilre eftat par les titres luperbes des Romains, encore qu'ils n'avent aucune reflemblance de charge, (!^ encores moins d'authorité & de puilTance. Et cette-cy auffi, qui feruira, à mon aduis, vn iour de 25 tefmoignage d'vne fînguliere iiieplic de noflre fiecle, d'employer indignement, à qui bon nous lemble, les furnoms les plus glorieux dequoy l'ancienneté ait honoré vn ou deux perfonnages en plufieurs

Texte 88. 26) fînguliere vanité di'... d'employer vainement iS: fins confule- ration à qui

LIVRH I, C.HAIMTRl; II. 593

ficcIes. Platon a cin}iortc ce l'urnom de diuiii par vn confentement viiiucrrd, que aucun n'a effayé luy enuier; & les Italiens, qui fe vantent, & auecques railon, d'auoir communément l'efprit plus efueillé & le dilcours plus fain que les autres nations de leur temps,

5 en viennent d'eftrener l'Aretin, auquel, lauf vne façon de parler bouffie 6c bouillonnée de pointes, ingenieules à la vérité, mais recherchées de loing & fantafques, (S; outre l'éloquence en fin, telle qu'elle puifTe eftre, ie ne vov pas qu'il y ait rien au dessus des communs autheurs de fon fiecle; tant s'en faut qu'il approche de

10 cette diuinité ancienne. Et le furnom de grand, nous l'attachons à des Princes qui n'ont rien au deffus de la grandeur popiilcrc.

Texte 88. 11) n'ont eu rien... grandeur commune.

Chapitre LU.

DE LA PARSliMONIE DES ANCIENS.

Attilius Regulus, gênerai de l'armée Romaine en Afrique, au milieu de fa gloire & de fes victoires contre les Carthaginois, . efcriuit à la chofe publique qu'vn valet de labourage qu'il auoit laifle feul au gouuernement de fon bien, qui eftoit en tout fept arpents de terre, s'en efloit enfuy, ayant defrobé fes vtils de labou- 5 rage, & demandoit congé pour s'en retourner & y pouruoir, de peur que fa femme & fes enfans n'en enflent à fouff^rir : le Sénat pourueut à commettre vn autre à la conduite de fes biens & luy fift reftablir ce qui luy auoit efté defrobé, & ordonna que fa femme & enfans feroient nourris aux defpens du public. 10

Le vieux Caton, reuenant d'Efpaigne Conful, vendit fon cheual de feruice pour efpargner l'argent qu'il eut coûté à le ramener par mer en Italie; &, eftant au gouuernement de Sardaigne, faifoit fes viiîtations à pied, n'ayant auec luy autre fuite qu'vn officier de la choie publique, qui luy portoit fa robbe, (S; vn vafe à f^iire des 15 ûicrifices; & le plus fouuent il pourtoit fa maie luy mefme. Il fe vantoit de n'auoir iamais eu robbe qui euft courte plus de dix efcus, ny auoir enuoyé au marché plus de dix fols pour vn iour; &, de fes maifons aux champs, qu'il n'en auoit aucune qui fut crépie

Texte 88. 14) que d'vn

LIVRE I, CHAPITRE LU. ^97

& enduite par dehors. Scipion iiimilianus, après deux triomphes & deux Conlulats, alla en légation auec fept feruiteurs feulement. On tient qu'Homère n'en euft iamais qu'vn; Platon, trois; Zenon, le chef de la fccte Stoique, pas vn.

11 ne' tut taxé que cinq lois cV demv, pour iour, à Tvberius Gracchus, allant en commiflion pour la chofe publique, eftant lors le premier homme des Romains.

' Il ne... Romains. Dans l'éJition de i ,X8 celte- plir.isc était pLicic entre leuleniCIlt cl On tient (ï. 2 cl 3.) Montaigne, d.ins l'Exemplaire de Bordeaux, reni'ernie entre crochets, cl écrit dans la

marge : Mellei celle clause enfermée, a la fin du chapitre.

Chapitre LUI.

D VN MOT DE CitSAR.

Si nous nous amufions par fois à nous confiderer, & le temps que nous mettons à contreroller autruy & à connoiftre les chofes qui font hors de nous, que nous l'emploiflîons à nous fonder nous mefmes, nous fentirions aifément combien toute cette noftre contexture eft baftie de pièces foibles & défaillantes. N'eft-ce pas 5 vn fmgulier tefmoignage d'imperfection, ne pouuoir r'aflbir noflre contentement en aucune chofe, & que, par defir mefme & imagi- nation, il foit hors de noflre puiflance de choifir ce qu'il nous faut? Dequoy porte bon tefmoignage cette grande dilpute qui a toufiours efté entre les Philofophes pour trouuer le louuerain bien de l'homme, 10 «Se qui dure encores & durera éternellement, ians refolution & fans accord :

duni aheft iiuod auennis, id cxuperare videlur Cittera; poft aliud cùm contigit illud auenius, Et fuis ivqua tenet. 15

Quoy que ce foit qui tombe en noftre connoifTimce & ioutdance, nous fentons qu'il ne nous latistaict pas, & allons béant après les chofes aduenir 6c inconnues, d'autant que les prelentes ne nous

Texte 88. 6) imperfection, de ne 9) grande & noble difpute

LIVRE I, CHAPITRE LUI. 399

foulent point : non pas, à mon aduis, qu elles n'avent afTez dequoy nous louler, mais c'eft que nous les lailllTons d\ne prife malade & defregléc,

Nam, ciim vidit hic, ad vfum qu;t flagitat vfus, 5 Omnia iani ferme mortalibiis elle parata,

Diuitiis homines & honore & laude potentes Affluere, atque bona natoriiin excellere fama, Nec minus elle domi cuiquam tamen anxia corda, Atque animum infeftis cogi feruire querelis : 10 Intellexit ibi vitium vas efficere ipfum,

Omnidque illius vitio corrumpier intus, Qu;c collata foris & commoda qu;vque venirent.

Noftrc appétit eft irrelolu & incertain : il ne Içait rien tenir, ny rien iouyr de bonne façon. L'homme, ertimant que ce foit le vice de ces 1 5 chofes, ie remplit ^: le paift d'autres chofes qu'il ne fçait point & qu'il ne cognoit point, il applique fes defirs & fes efperances, les prend en honneur & reuerence : comme dict Caefar, « communi fit vitio naturœ vt inuifis, latitantibus atque incognitis rébus magis confidamus, vehementiùfque exterreamur. »

Texte 88. 13) Noftre gouft eft 19) exterreamur. Il fe fait par vn vice ordinaire de nature, que nous ayons & plus de fiance, & plus de crainte des chofes, que nous n'auons pas veu, & qui font cachées & inconnues. Passage biflé par Montaigne

de quatre barres transversales.

Chapitre LIV.

DES VAINES SVBTILITEZ.

Il eft de ces lubtilitez friuolcs & vaines, par le moven defquelles les hommes cherchent quelquesfois de la recommandation : comme les poètes qui font des ouurages entiers, de vers commençans par vne mefme lettre : nous voyons des œufs, des boules, des aifles, des haches façonnées anciennement par les Grecs auec la mefure 5 ■de leurs vers, en les alongeant ou accourfiffant, en manière qu'ils viennent à reprél'enîer telle ou telle figure. Telle eftoit la fcience de celuy qui s'amufii à conter en combien de fortes fe pouuoient renger les lettres de l'alphabet, & y en trouua ce nombre incroiable qui fe void dans Plutarque. le trouue bonne l'opinion de celuv 10 à qui on prefenta vn homme apris à ietter de la main vn grain de mil auec telle induftrie que, fans faillir, il le pafToit toufiours dans le trou d'vne efguille, & luy demanda l'on, après, quelque prefent pour loyer d'vne fi rare fuffifance : furquov il ordonna, bien plai- famment, & iufiement à mon aduis, qu'on fit donner à cet ouurier 15 deux ou trois niinots de mil, atfin qu'vn fi bel art ne demeurafi fans exercice. C'ert vn tefmoignage mcnicilkus de la foiblefle de nollre iugement, qu'il recommande les chofes par la rareté ou

I'extk SS. 18) iugement, de icconinuiuler les

LIVRE I, CHAPITRE LIV. 4OI

nouuelleté, ou encore par la difficulté, li la bonté & vtilité n'y font ioinctes.

Nous venons prefentement de nous iouër chez nioy à qui pourroit trouuer plus de chofes qui le tiennent par les deux bouts extrêmes : 5 comme Sire, c'eft vn tiltre qui fc donne à la plus efleuée perfonne de noftre eftat, qui eft le Roy, & le donne aullî au vulgaire, comme aux marchans, & ne touche point ceux d'entre deux. Les femmes de qualité, on les nomme Dames; les movennes, Damoifelles; & Dames encore, celles de la plus balTe marche.

10 Les dez qu'on eftend fur les tables, ne font permis qu'aux maifons des princes & aux tauernes.

Democritus diloit que les dieux & les belles auoient les fentimens plus aiguz que les hommes, qui font au moyen eftage. Les Romains portoient mefme accoutrement les iours de deuil & les iours de

1 5 lefte. Il eft certain que la peur e.xtreme & l'extrême ardeur de courage troublent également le ventre & le lafchent.

Le suiibriquel de tremblant, du quel le 12 Roy de Nauarre, Sancho, fut surnome, aprant que la hardiesse aussi bien que la peur font Iresmousser nos membres. Et eeluv a qui ses ians qui l'armoint, uoiant frissoner la

20 peau, s'essaioint de le r' assurer en apetissant le hasard au quel il s'aloit presanter, leur dict : Vous me conesses mal. Si ma cher sçauoit ou mon corage la portera tantost, elle s'en tràsiroit tout a plat.

La foiblefle qui nous vient de froideur et defgoutement aux exercices de Venus, elle nous vient auffi d'vn appétit trop véhément

2) & d'vne chaleur defreglée. L'extrême froideur & l'extrême chaleur cuifent & rotiffent. Ariftote dict que les cueus de plomb fe fondent & coulent de froid & de la rigueur de l'hyuer, comme d'vne chaleur véhémente. Le désir et la satietc remplissent de dolur les sièges audessus et audessous de la uolupte. La beftife & la fagefle fe rencontrent en

Var. ms. 17) Lemulili 18) suriwme nous apraiil... font frissoner et treniwusscr 19) frissoner lii f>e4tu le corps s'essaioint 20) r'tissurer et 22) tout a fiiicl. La 28) vchcniciili.-. I. Il soif et lu

402 ESSAIS DE MONTAIGNE.

mefme point de sentiment & de relolution à la fouffrance des accidens humains : les Sages gourmandent .^ commandent le mal, & les autres l'ignorent : ceux-cy font, par manière de dire, au deçà des accidens, les autres au delà; lel quels, après en auoir bien poifé & confideré les qualitez, les auoir melurez & iugez tels qu'ils l'ont, 5 s'eflancent au delîus par la torce d'vn vigoureux courage : ils les defdaignent & foulent aux pieds, ayant vne ame forte & folide, contre laquelle les traicts de la fortune venant à donner, il eft force qu'ils reialiflent & s'émoufTent, trouuant vn corps dans lequel ils ne peuuent faire impreflion : l'ordinaire & movenne condition des 10 hommes loge entre ces deux extremitez, qui eft; de ceux qui apper- çoiuent les maux, les sentent, 6v ne les peuuent fupporter. L'enfance & la décrépitude le rencontrent en imbécillité de cerueau; l'auarice & la profulion, en pareil defir d'attirer & d'acquérir.

Il fe peut dire, auec apparence, qu'il y a ignorance aheeedere, qui 15 ua deucint la scianee, un' autre, doctorale, qui nient après la sciance : ignorance que la sciance faict et engendre, tout aisi corne elle desfaict et ' destruit la première.

Des elprits fimples, moins curieux & moins instruits, il s'en fliict de bons Chreftiens qui, par reuerence & obeifTance, croient simplement 20 & fe maintiennent loubs les loix. En la movenne vigueur des efprits & moyenne capacité s'engendre l'erreur des opinions : ils fuvuent l'apparence du premier iens, & ont quelque tiltre d'interpréter à fimplicité & hcstise, de nous voir arrefter en l'ancien train, regardant

Texte 88. i) point de gouft & de refolution 12) maux, les gouftent, & ne 15) apparence, que des efprits 19) moins fçauans, il 22) moyenne fciLiice, s'engendre 24) & ignorance, de

^'AR. Ms. 1 5) apparence : que l'infime estage est le giste de l'igiioratice le secoiit de la sciance. Le suprême de l'ignorance encores. Et se peut dire aussi que des efprits

Montaigni; efface ensuite Et Se peut dire auSsi que, et met une ni.ijusculc ù des : qu'il y « uue ignorance aheeedere qui précède la sciance un'aulre doctorale et Socratique qui suit la sciance.

Des efprits (Ces deux v.iriantes, enchevêtrées Tune dans l'autre, ont été complètement effacées. La le^ou

définitive a été écrite à la suite.) ij) qui deuance la i6) doctorale et Socrutiquc qui suH la sciance 17) faict et dicte tout... desfaict la 22) moyenne doctrine s'engendre

LIVRE I, CHAIMTKK I.IV. 4OJ

à nous qui n'y fonmies pas inllruicis par clludc. Les <;rands cfprits, plus raflîs & clairuoians, font vn autre genre de bien croyans; lefquels, par longue & religieule inuertigation, pénètrent vne plus profonde 6\; abftrule lumière es elcriptures, & l'entent le mifterieux 5 eS: diuin i'ecret de noftre police Ecclefiartique. Pourtant en voyons nous aucuns eftre arriuez à ce dernier eflage par le fécond, auec nierueilleux fruict 6;; confirmation, comme à l'extrême limite de la Chreftienne intelligence, & iouyr de leur victoire auec confoiation, action de grâces, reformation de meurs ix grande modeflie. Et en

10 ce rang n'entens-ie pas loger ces autres qui, pour fe purger du foubçon de leur erreur pafle & pour nous alTeurer d'eux, le rendent extrêmes, indifcrets & iniuftes à la conduicte de noftre caufe, & la talchent d'infinis reproches de violence.

Les paisans simples sont honestes gens, et honesles gens les philosophes,

I) ('//, selon nostre temps, des natures fortes [f/] cleres, enrichies d'une large instruction de sciances utilles. Les niestis qui ont desdeigné le premier siège d'ignorance de lettres, et n'ont peu iouindre l'autre (le cul entre dcus selles, des quels \ie\ suis, et tant d'autres,) sont dangereus, ineptes, importuns: cens icy Iroblèt [le] monde. Pourtant de ma part ic me recule tant que

20 ie puis dans le premier & naturel siège, d'où ie me suis pour néant essaie de partir.

La poésie populere et purement naturelle a des naïfuetei et grâces par ou elle se compare a la principale beauté de la poésie parfaictc selon l'art; come il se uoit es uillanelles \de] gascouigne et ans chançons qu'on nous

25 raporte des nations qui n'ont conoissance d'aucune sciance, ny mesmcs d'escriture. La poésie médiocre qui s'arrête entre deus, est desdcignee, sans honur et sans pris.

Var. ms. I.}) I": l^aisaiis sont 2": paisans Ions cens (jui uiiienl sans lellres sont 3" : paisans tous cens en fin qui uiuenl sans lellres sont i6) ont [pe\iuiu U pt^... siège et n'ont peu 20) naturel \sie]gk siège d'où ie suis pour néant parti. Mais parce que (p. 404, 1. I.) 22) purement a 25) conoissance de nulle sciance 26) est mesprisee des maistrcs. Mais 26) desdeignee des

404 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Mais parce que, après que le pas a efté ouucrt à l'efprit, i'ay trouué, comme il aduient ordinairement, que nous auions pris pour vn exercice malaifé & d'vn rare liibiect ce qui ne l'eft aucunement; & qu'après que noftre inuention a efté efchaufée, elle defcouure vn nombre infiny de pareils exemples, ie n'en adiouftcray que cettuy-cy : que fi ces effays eftoyent dignes qu'on en iugeat, il en pourroit aduenir, à mon aduis, qu'ils ne plairoient guiere aux efprits communs & vulgaires, ny guiere aux fmguliers & excellens : ceux-là n'y enten- droient pas aflez, ceux-cy y entendroient trop; ils pourroient viuoter en la moyenne région.

Chapitre lv.

DES SENTEVRS.

Il fe dict d'aucuns, comme d'Alexandre le grand, que leur Tueur A efpandoit vn' odeur fouefue, par quelque rare & extraordinaire complexion : dequoy Plutarque & autres recherchent la caufe. Mais la commune taçon des corps el1; au contraire; & la meilleure condition 5 qu'ils aient, ceft d'cstrc cxcinps de sciitur. La douceur mei'mcs des halaines plus pures n'a rien de plus excellent que d'eftre lans aucune odeur qui nous offence, comme l'ont celles des enfans bien fains. Voyla pourquoy, dict Plaute,

Mulier tum benc olet, vbi nihil olet :

10 la plus parfaicte fenteur d'vne femme c'eft ne fentir à rien, 'comme R on dict que la meilleure odeur de fes actions ceft qu'elles lovent infenfibles & lourdes. Et les bonnes fenteurs eftrangieres, on a raifon A de les tenir pour fufpectes à ceux qui s'en feruent, & d'eflimer qu'elles foyent employées pour couurir quelque défaut naturel de

Texte 88. 4) condition qui foit en cela, c'cft de ne fentir rien de mauuais. Et la douceur 6) halaines les plus pures, elle n'a... eftrc fimplc & fans

406 ESSAIS DE MONTAIGNE.

ce cortc-la. D'où naiffcnl ces rencontres des Poêles anciens : c'efi; puïr que de fantir bon,

Rides nos, Coraciiie, ni! olentes. M.ilo quam bene olere, nil olere,

Et ailleurs : 5

Pulliiunif, non benc olet, qui benc lemper olet.

1 avilie pourtant bien tort à élire entretenu de bonnes lenteurs, & hav outre mefure les mauuailes, que ie tire de plus loing que tout autre :

Namque fagacius vnus odoror, lo

Polypus, an grauis hirl'utis cubet liivcus in alis, Quam canis acer vbi lateat fus.

Les senilirs plus simples et iniliirelles me senibleiil pJtis agréables. Et 'touche ce soiu priueipalemeut les dames. Eu la plus espaisse barbarie, les James Scitbes, après s'estre lauecs, se saupoudrent et encrousteut tout le cors 15 et le uisagc de certeine drogue qui liait eu leur terroir, odoriférante; et, pour aprochcr les homes, aiaut osle ce fart, elles s'en treuuent et polies et parfumées.

Quelque odeur que ce loit, c'eft merueille combien elle s'attache a niov, & combien i'av la peau propre à s'en abreuuer. Celuv qui fe plaint de nature, dequoy elle a lailTé l'homme fans inftrument 20 à porter les lenteurs au nez, a tort, car elles fe portent elles mefmes. Mais à mov particulièrement, les mouftaches, que i'ay pleines, m'en feruent. Si l'en approche mes gans ou mon mouchoir, l'odeur y tiendra tout vn iour. Elles accusent le lieu d'où ie viens. Les eftroits baifers de la ieunelTe, fauoureux, gloutons et gluans s'y colloyent 25

Texte 88. 25) mouchoir la fcntcur y 24) elles rcl'poiuiciit du lieu 25) fauoureux & gourmans, s'y

LIVRE I, CHAPITRE LV. 4.O7

autresfois, & s'y tenoient pluiicurs heures après. Et fi pourtant ie me trouue peu lubiect aux maladies populaires, qui ie chargent par la conuerfation, & qui naiffent de la contagion de l'air; & me fuis saiiiic de celles de mon temps, dequoy il y en a eu plulieurs fortes en nos ) villes & en noz armées. On Ut de Socrates que, n'estant iamais parti d'Athènes, panda nt plusieurs rechutes de peste qui h tourmantarent tant [de] fois, luy su! ne s'en trouua iamais plus mal. Les médecins pourroient, croi-ie, tirer des odeurs plus d'vfage qu'ils ne font : car i'ay fouuent aperçeu qu'elles me changent, & agilTent en mes efprits félon qu'elles

ro font : qui me fiiict approuuer ce qu'on dict, que l'inuention des

encens & parfuns aux Eglifes, û ancienne & efpandue en toutes

nations & religions, regarde à cela de nous refiouir, efueiller

& purifier le lens pour nous rendre plus propres à la contemplation.

lie \ uodroi bien, pour en iuger, auoir eu ma part [de] l'art de ces cuisiniers

1 5 qui sçauent assaisoner | les] odurs estrangieres aucq la saueur des uiandes, corne singulièrement on remerqua au seruice de ce Roy de Thunes, qui, de nostre eage,prini terre a Naple s pour s'aboucher aueq [l']Empereur Charles. On farcissoit ses uiandes de drogues odoriférantes, de telle sumptuosité [qu]'un Paon & deus faisans reuenoint \a] cent ducats, pour les aprester

20 selon leur manière; et, quâd on les despeçoit, remplissoint, non sulement [la] sale, mais toutes les châbres [de] son palais, & iusques aus maison du uoisinage, d'une tressouefue uapur qui ne se perdoit pas si tost.

Le principal foing que i'aye à me loger, c'eft de fuir l'air puant i<: poifant. Ces belles villes, Venife & Paris, altèrent la faueur que

25 ie leur porte, par l'aigre fenteur, l'vne de fon niarels, l'autre de la boue.

Texte 88. 3) fuis garantv de celles 8) plus d'vfagcs qu'ils 11) Eglifes, qui cft (i 25) c'eft à fuir

\'ar. ms. 5) On licl ce nu- semble île 14) \dc, l'cippresl de ces 1 5) (nuiiunier titif ly) Jiiiuins se tnuiiiiirêl iiuoir cosie eeiil dncnis a nprester n ■■ii ninile

Chapitre LVI,

DES PRIERES.

le propofe des fantafies informes & irrefolues, comme font ceux qui publient des queftions doubteufes, à débattre aux efcoles : non pour eftablir la vérité, mais pour la chercher. Et les foubmets au iugement de ceux à qui il touche de régler, non feulement mes actions & mes efcris, mais encore mes penfées. Efgalement m'en fera acceptable & vtile la condemnation comme l'approbation, tenant ■pour exécrable, s'il se treuue chose dicte par moy ignorament ou inaduer- tanict contre les sainctes prescriptions de l'église catJjolique, apostolique et Rornciiie, en la quelle ie meurs et en la quelle ie suis nai. Et pourtant, me remettant toufiours à l'authorité de leur cenfure, qui peut tout fur moy, ie me méfie ainfin témérairement à toute forte de propos, comme icy.

le ne fçay fi ie me trompe, mais, puis que, par vne laueur parti- culière de la bonté diuine, certaine façon de prière nous a efté prefcripte & dictée mot à mot par la bouche de Dieu, il m'a toufiours femblé que nous en deuions auoir l'vfage plus ordinaire que nous n'auons. Et, fi l'en eftov creu, à l'entrée \- à l'iffue de nos tables,

'Ikme 8S. i) propofe icv Jcs

V AR. MS. 6) teimiil sérieusement pour yj dklc par mon ignorance ou inaducr- tauce couircre ans sainctes prescriptions de l'eolise eu lu quelle ie meurs et eu lu tfuelle ie suis H'// cathotique

LIVRE I, CHAPITRE LVI. 4O9

à nortre Icucr & coucher, & à toutes actions particulières aufquelles on a accourtunié de meller des prières, ie voudroy que ce fut le patenortre que les Chrelliens y emplovalîent, sinon snlenicnl, du moins toitsiours. L'Eglife peut eÛendre & diuerfitier les prières félon le 5 befoing de noflre inflruction : car ie fçav bien que c'eft toufiours mefme fubÛance & mefme chofe. Mais on deuoit donner à celle ce priuilege, que le peuple l'euft continuellement en la bouche : car il eft certain qu'elle dit tout ce qu'il faut, ik qu'elle eft trefpropre à toutes occalions. C'est l'unique prière de quoi ie me sers par tout, et la

10 répète au lieu d'en changer.

D'où il adulent que ie n'en ai aussi bien en mémoire que cellela. l'auov prefentement en la penfée d'où nous vcnoit cett' erreur de recourir à Dieu en tous nos deffeins & entreprinfes, ' ik. l'appeller à toute forte de befoing & en quelque lieu que noftre foiblefle ueut

15 de l'aide, ûms confiderer fi Foccafion eft iufte ou iniufte; & de efcrier fon nom & fa puifliince, en quelque eftat & action que nous foyons, pour vitieufe qu'elle foit.

Il eft bien noftre feul & vnique protecteur, et peut toutes choses a nous aider; mais, encore qu'il daigne nous honorer de cette douce aliance

20 paternelle, il eft pourtant autant iufte comme il eft bon et corne il est puissant. Mais il use bien plus sonnant de sa iustice que de son poinioir, ik nous fauorife félon la raifon d'icelle, non félon nos denumdes.

Platon, en ses loix, faict trois sortes d'iniurieuse créance des Dieus : Quil n'y en aïe pouint; qu'ils ne se meslent pas de nos affaires; qu'ils ne

25 refusent rien a nos uens, offrandes et sacrifices. La première errur, selon son auis, ne dura iamais immuable en home despuis son enfance iusques a sa uieilksse. Les deus suinantes peniièt souffrir de la constance.

Texte 88. 2) fut le fcul patenoftre 8) ce qui nous fert, & 14) foiblefle requiert de 15) & defcrier fon 22) raifon de fa iuftice, non félon nos incli- nations & volontés. Sa iuftice (p. 410, 1. i.)

Var. ms. 3) employaflent d en use ainsi. I,'F^glife 10) irpele j' - 2(1) ianuiis fn tiome m>ii es 27) suiuanles oui. S;i

410 ESSAIS DE MONTAIGNE.

Sa iuftice & ûi puiffance font infeparables. Pour néant implorons nous fa force en vne mauuaife caufe. Il taut auoir l'amc nette, au moins en ce momcut auquel nous le prions, & defchargée de pallions vitieufes; autrement nous luy prefentons nous mefmes les verges dequoy nous chaftier. Au lieu de rabiller noftre fiiute, nous la 5 redoublons, prefentans à celuv à qui nous auons à demander pardon, vne affection pleine d'irreuerence & de haine. Voyla pourquoy ie ne loue pas volontiers ceux que ie voy prier Dieu plus fouuent 6c plus ordinairement, fi les actions voifines de la prière ne me tefnioignent quelque amendement & reformation, 10

ii, nocturnus adulter, Tempora Sanctonico vêlas adoperta cucullo.

Et Vassicte cl 'un home, mcslàl a une uie exécrable lu deuotion, semble estre aucunement 1)1 us coiukimuable que celle d'un home conforme a soi, et dissolu par tout. Pourtant refuse nostre esglise tous les iours la Jaueur de son entrée 1 5 et société ans nwurs obstinées a quelque insii^nie malice.

Nous prions par vfage & par couftume, ou, pour mieux dire, nous lifons ou prononçons nos prières. Ce n'eft en fin que mine.

Et me defplait de voir faire trois fignes de croix au benedicite, autant à grâces (& plus m'en dcfplaiil: il de ce qi c'est un si»ue que i'av 20 en reuerance et continuel usa^^e, mesmcmant au bailler), ik ce pendant, toutes les autres heures du iour, les voir occupées à la haine, l'auarice, l'iniustice. Aux vices leur heure, fon heure à Dieu, comme par compenfation & compofition. C'eft miracle de voir continuer des actions fi diuerfes, d'vne fi pareille teneur qu'il ne s'y fente point 25 d'interruption & d'altération aux confins mefme & partage de l'vne à l'autre.

Texte 88. 3) ce temps là, auquc-l i8) que contenance : & me 20) grâces (& d'autant plus m'en defplaift il, que ce font façons que i'honore & imite fouuent) & ce pendant 22) occupées a vfuies, veniances & paillaidifcs : aux vices

\'ak. ms. 15) luisliït iiii-'iiInnU 20) iS: d'aut.int plus... il que ( Vv/ ini

LIVRE I, CHAPITRE LVI. 4II

[Qiu'Ui' (yrodii^ieitsc loiisiit'iur se pciil donner repos, noiirrlssaiil en inesnic ^isk, d'une siKieté si \ aceordanle & si paisible le crime et le iui^e? Vn home de qui la paillardise sans cesse i regenle la teste, et qui la iui^e Iresodieuse a la neue diuine, que dici il a dieu, quand il lux en parle? Il se rameine; 5 nuiis soudein il reclxnt. Si l'obiect de la diuine iustice et sa presance frapoint coin' il dict, et chastioini son ame, pour courte qu'en fut la pa-nitance, la creinte mesmes v reieteroit si saunant sa pensée, qu'incontinàt il se uerroii maislre de ces uices qui sont habitue:^ et acharne:^ en luv. Mais quov! cens qui couchent une nie entière sur le fruit et esniolument du péché qu'ils

10 scaiwnt mortel? Combicns anons nous de nwstiers et uacations receucs, de quoi l'essancc \ «/] uiticuse. El celuv qui, se confessant a moi, me récitait auair tant un cai!;c faict profession \et' les effaicts d'une religion damnahie selon lu\, & contradictoire a celle qu'il auait \cn\ son ceur, pour ne perdre son crédit & l'Ixmur de \ ses | charges : comant pastissait il \ ce j discours en son

15 corage? De quel langage entretienent ils sur ce snbicct la iustice diuine? Leur repentance consistant en uisible \et^ nniniable réparation, ils perdit \el\ enuers dieu et enuers nous le moyen de l'alléguer. Sont ils si hardis de demander pardon sans salisfactian et sans repanlance? le tiens que de \ces\ premiers il [en | ua comede cens icv; mais Vabstination n'y j est] pas si aisce a

20 canueincrc. Cette contraritc [f/] uolubilite d'opinion si soudeine, si nialanle, qu 'ils nous feignent, sent pour inay au miracle. Ils nous represantcnt l'estat ïd' \un' indigestible agonie. Que l'imagination [nu] scmbloit fantastique, de cens qui, ces années passées, auaint \ en] usage de reprocher a tout chacun [en]

\'ar. ms. 5) la ptiillardc fDuduiUQ) mumougn {^), uaiiiaiice regenle... qui les lieiil Iresodieuses a 7) meamei meUivi 9) de leur pèche qu'ils liment m sçnil mortel [hrig]ans : uolurs : achelurs et uciidurs de bénéfices : usuriers : et c. Tout le monde en fin. [Vn]se 12) damnable pour liiy... a celle de son ame (juil 14) crédit mondein & 18) pardon sans repantance le tiens que de celte première repanlance qu'il 'en] ua corne de celtecy a peu près mais p 19) si descomtepU 20) uiolante 1°: ha pour moy quelqu image de miracle. le pense auoir dresse mon trein aueq un peu plus de conformité Ils nous represantcnt : sent pour moy au miracle et U suite comme dans la première variante. 22) agonie ne faisant qu'aller et uentr come pois en pot. Que 23) reprocl)er aus esptdts [un] ptu elainfaisa

412 ESSAIS DE MONTAIGNE.

qui il reliiisoit quelque clarié [d'cs 'périt, professant la reUigion Catholique, que c'estoit a feinte, [et] teuoint mcsmes, pour luy faire honeur, quoi qu'il dici par apparance, [qii']il ne pouuoit faillir au dedans [d'jauoir sa créance reformée a leur pied. Fâcheuse maladie, [de] se croire si fort, qu'on se persuade qu'il ne se puisse croire [au] confrère. Et plus fâcheuse encore s qu'on se persuade d'un tel esperit, qu'il préfère ie ne sçai quelle disparité de fortune presante, ans espérances et menaces de la nie éternelle. Ils m 'en peuuent croire. Si rien eut deu tenter ma iunesse, \r\amhition du hasard et difficidte^ qui suiuoint cette récente entreprinse, y eut eu hone part.

Ce n'efl; pas fans grande raifon, ce me femble, que l'Eglife défend ro l'vfage promifcue, téméraire & indifcret des fainctes & diuines chanfons que le Sainct Elprit a dicté en Dauid. 11 ne tant meiler Dieu en nos actions quauecque reuerence & attention pleine d'honneur & de refpect. Cette voix eli trop diuine pour n'auoir autre vfage que d'exercer les poulmons & plaire à nos oreilles : c'efl; de la 15 confcience qu'elle doit eftre produite, lit non pas de la langue. Ce n'eft pas raifon qu'on permette qu'vn garçon de boutique, parmy ces vains & friuoles penfemens, s'en entretienne & s'en iouë.

Nv n'eft certes raifon de voir tracaffer par vne fale & par vne cuyfine le Sainct liure des facrez myfteres de noftre créance. C'estoint 20 autresfois mystères; ce sont a presant desduif:;^ et esbat:^. Ce n'eft pas en paffiint & tumultuairement qu'il faut manier vn eftude fi ferieuz & vénérable. Ce doiht eftre vne action deftinée & ralftfe, à laquelle on doibt toufiours adioufter cette préface de noftre office : «Surium corda», ii: y apporter le corps mefme difpolé en contenance qui 25 tefmoigne vne particulière attention <^ reuerence.

Ce n'est pas l'cstude de tout [le] monde, c'est l'estude des persones qui

Texte 88. 10) Eglifc Catholique défend 14) Cette vois eft 19) tracaffer entre les mains de toutes pcrfonncs, par vne fale 26) reuerence. Et croi d'auantage, que la liberté (p. 413, 1. 9.)

Var. ms. 3) apparance ne 8) 51 i^fusse

LIVRE I, CHAPITRE LVI. 4IJ

V sont iioinrs, que dieu y a pelé. Les inesebuus, les ii^iiontns s'v empire ni. Ce n'est piis une histoire a conter, c'est une histoire \a\ reuerer, ereldre, et adorer. Plesùtcs gens, qui pensent l'auoir rendue maniable au peuple, pour l'auoir mise en langage populere! Ne tient il qu'ans mots, qu'ils 5 n'entandent tout ce qu'ils trenuent par eserit? Dirai ic plus? Pour l'en aprocher de ce peu, ils l'en recnlèt. \L' [ignorance pure et remise tonte en autruy estoil bien plus salulere et plus sçauanle que u 'est ccte sciance uerbale \et\ ueine, nourrisse de présomption et de lemerite.

le croi aussi, que !a liberté à chacun de difTiper vue parole

10 religicufe & importante à tant de lortes d'idiomes, a beaucoup plus de danger que d'vtilité. Les luifs, les Mahometans, & quafi tous autres, ont elpoufé & reuerent le langage auquel originellement leurs mvfteres auovent efté conceu/; (S; en eft défendue l'altération & changement : non lans apparance. Sçauons nous bien qu'en

15 Bafque & en Bretaigne, il v ayt des luges affez pour eftablir cette traduction faicte en leur langue ? L'Eglife vniuerfelle n'a point de lugement plus ardu à taire, et plus folenne. Hn prelchant (S: parlant, l'interprétation eft vague, libre, niuable, & d'vne parcelle; ainfi ce n'eft pas de mefme.

20 [L'un de no:;^ historiens Grecs accuse iustemcnt son siècle, de ce qiw les secrets de la religion Chrestienne estoieul cspandus emmx la place, es mains des nwindres artisans; que chacun cn\ peut débattre et dire selon son sens; et que ce nous deuoit esire grande honte, qui, par la grâce de Dieu, iouissons des purs mystères de la pieté, de les laisser profaner en la bouche de persanes

25 ignorantes et populeres, ueu que les Gentils interdisoint a Sacrâtes, a Platon et ans plus sages, de parler et s'enquérir des choses commises aus Prcstres de Delphes. Dicl aussi que les factions des Princes sur le subiect de la

Texte 88. 9) chacun de le traduire & difTiper

Var. ms. 2) af*eUtPf-*sl 6) aprocher ù peu 9) aussi que cette loi ite la quelle Platon Jaicl la première des sienes qui défaut aus iunes gens de mettre eu question et phrase inachevée, antérieure à Ce u'est pas l'estude.. . 24) delautHU... bouche des persoues

414 ESSAIS DE MONTAIGNE.

TIxologic sont aiDurs, non de -(7/f, iiutis de cbolere; que le ::s^le tient de la diuine raison et iustice, se conduisant ordoneenient et niodtreenunt ; mais qu'il se change en haine et enuie, & produit, au lieu du froment et du raisin, de l'yuraïe et des horties, quand il est conduit d'une passion humaine. Et iustemant aussi cet autre, conseillant l'Empereur Theodose, disait les 5 disputes n'endormir pas tant les scisnu^s de l'Eglise, que les esueiller et animer les Hxresies; que pourtant il faloit fuir toutes contantions et argu- mentations dialectiques, et se raporter nueiuant aus prescriptions et formules de la foi establies par les antiens. Et l'Empereur Androdicus, aïant rencontre en son palais deus grands homes ans prises de parole contre Lopadius w sur un de nos poins de grande importance, les tança iusques a menacer de les ietter en la riuiere s'ils conlinuoinl.

Les enfans et les femmes, en nos iours, régentent les plus uieus et experi- nuinte:^ sur les loix ecclésiastiques, la ou la première [de^ celles de Platon leur défaut de s'enquérir sulement de la raison des loix ciuilles qui doiuent 1 5 tenir lieu d'ordonances diuines; et, permeiant ans uieus \iî]'en communiquer entre eus & aneq le magistrat, il adioute : pourueu que ce ne soit pas en presance des iunes et persanes profanes.

Vn euesque a laisse par escrit que, en l'autre haut du mande, il v a un Isle que les anciens namoint Diascaride, commode en fertilité de toutes sortes 20 d'arbres & fruits et salubrité d'air : de la quelle le peuple est Chrestien, aiant des esglises et des autels qui ne sont pare:^ que de croix, sans autres images; grand obseruatur de iusnes & de festcs, exacte païeur de dismes ans prestres, et si chaste que nul d'eus ne peut conestre qu'une feme en sa uie; au demurant si contant de sa fortune qu'au milieu de la mer il ignare 25 l'usage des nanires, et si simple que, de la relligion qu'il ahserue si souigueu- sonent, il n'en entant un seul )nat : chose iiicroiable a qui ne saurait les

\"ar. ms. 10) Lopadius s' eu fcuf^ikm 13) ciifaus m 14) sur les poiiis de lu ffliawn l'esglise et en lieiieiil escolc La ou la première to\ de Plaloii 15) loix : receties eu sa police et défaut aus uieillan de sulemaui eu pai^kt: eu leui: la presauee des iuuei gfut^ les receuoir corne ordouauces diuiues sans s'amuser a eu iuger et permetaiit : ciuilles et les receuoir et b suite comme ci-dessus. 1 8) iuues gens. Vn 20) en leu

LIVRE I, CHAPITRE I.VI. 415

païens, si deuots idolâtres, ne eonoisire de leurs dieiis que simpkmenl le nom & hi statue.

L'autieu [eoniuieinriiieiil de Meiialippe, Irai^n'die il'l'uripides, portait

ainsi

O hippiter, car de toy rien sinon le ne cognais seulement que le now.J

l'ay veu aufli, de mon temps, faire plainte d'aucuns el'cris, de ce qu'ils font purement humains & philofophiques, fans meflange de Théologie. Qui diroit au contraire, ce ne feroit pourtant fans

II) quelque railon : Que la doctrine diuine tient mieux fon rang à part, comme Royne & dominatrice; Qu'elle doibt eftre principale par tout, poinct fuftVagante & fublidiaire; Et qu'a i'auanture se tireroint les exemples à la grammaire, Rhétorique, Logique, plus fortablement d'ailleurs que d'vne fi fiiinte matière, comme aufli les arguments

15 des Théâtres, ieuz & fpectacles publiques; Que les raifons diuines fe confiderent plus venerablement & reueramment feules & en leur rtile, qu'appariées aux difcours humains; Qu'il fe voit plus louuent cette faute que les Théologiens efcriuent trop humainement, que cett' autre que les humaniftes efcriuent trop peu theologalement :

20 la Fhilofophie, dict Sainct Chryfoftome, eft pieça banie de l'efcole fainte, comme feruante inutile, & eftimee indigne de voir, leulement en paiTant, de l'entrée, le facraire des faints Threfors de la doctrine celefte; Que le dire humain a fes formes plus baffes & ne fe doibt feruir de la dignité, majefté, régence, du parler diuin. le luy laifle,

25 pour moy, dire, « ucrbis indisciplinatis, » fortune, d'eftinée, accident, heur & malheur, & les Dieux & autres frafes, félon fa mode.

Texte 88. 12) fubûdiairo. Que les exemples 13) Logique, i"e tirent plus 26) mode vulgaire. Et ne

Var. .ms. i) païiui lie

4l6 ESSAIS DE MONTAIGNE.

le propose les fantasies humaines et micms, simpJemant corne humaines fantasies, et separeemant considérées, mm corne arrêtées et réglées par Vordonance céleste, incapables de double et d'altercation : matière d'opinion, non matière de foi; ce que ie discours selon moi, non ce que ie crois selon dieu, côme les enfans proposent leurs essais : instruisables, non instruisans; 5

d'une^ manière laïque, non cléricale, mais très religieuse tousiours.

Et ne diroit on pas aufli lans apparence, que l'ordonnance de ne s'entremettre que bien referueement d'efcrire de la Religion à tous autres qu'à ceux qui en font exprefle profeflion, n'auroit pas faute de quelque image d'vtilité & de iuftice; &, à moy aucq, à l'auanture, 10 de m'en taire?

On m"a dict que ceux mefmes qui ne font pas des nostres, défendent pourtant entre eux l'vlagedu nom de Dieu en leurs propos communs. Ils ne veulent pas qu'on s'en férue par vne manière d'interiection ou d'exclamation, ny pour tei'moignage, nv pour comparaifon : en 15 quoy ie trouue qu'ils ont raifon. Et, en quelque manière que ce foit que nous appelions Dieu à noftre commerce & focieté, il faut que Ce foit ferieufement & religieufement.

II y a, ce me lemhle, en Xenophon vn tel difcours, il montre que nous deuons plus rarement prier Dieu, d'autant qu'il n'ell pas 20 aifé que nous puiflions fi ibuucnt remettre nortre ame en cette aflîete réglée, reformée & deuotieufe, il faut qu'elle foit pour ce taire; autrement nos prières ne font pas ieulemcnt vaines ^; inutiles, mais vitieules. Pardonne nous, difons nous, comme nous pardon- nons à ceux qui nous ont offencez. Que difons nous par là, finon 25 que nous luy offrons noffre ame exempte de vengeance & de

Texte 88. 10) moy mcfme à 12) p.is de noftrc aduis, défendent

\'ar. .ms. 1) d Us miciies, d^ 4) foi. Ce que ie crois selon moi... dieu. El côme 6) manière non (leneaU mais laïque

' d'une... lousiours. adJiiion ulttricurc. I.VJition Je ijg? I.i pl.nce av.int CÔme les enfanS

LIVRE I, CHAPITRE LVI. 4iy

rancune? Toutesfois nous appelions Dieu et son ayde au complot de nos fautes, et le conuiom a l 'iiiiustice.

Qux, nifi feductis, nequeas committere diuis.

L'auaricieux le prie pour la confcruation vaine & fuperflue de fes S threfors; l'ambitieux, pour fes victoires & conduite de fa passion; le voleur l'employé à fon ayde pour franchir le hazart & les difficultez qui s'oppofent à l'exécution de fes mefchantes entreprinfes, ou le remercie de l'aifance qu'il a trouué à defgoliller vn paflant. Au pied de la maison qu'ils iiont escJxUer ou petarder, [//i] font leurs prières, lo l'intâtion et l'espérance pleine \de] cruauté, de luxure, d'auarice.

Hoc ipfum quo tu louis aurem inipellere tentas, Die agedum, Staio, pro luppiter, ô bone clamet, luppiter, at fe fe non clamet luppiter ipfe.

La Royne de Nauarre, Marguerite, recite d'vn ieune prince,

15 &, encore qu'elle ne le nomme pas, fa grandeur l'a rendu affez

connoiflable, qu'allant à vne aflignation amoureufe, & coucher auec

la femme d'vn Aduocat de Paris, fon chemin s'adonnant au trauers

d'vne Eglife, il ne paflbit iamais en ce lieu faint, alant ou retournant

de fon entreprinfe, qu'il ne fit fes prières & oraifons. le vous lailîe

20 à iuger, l'ame pleine de ce beau penfement, à quoy il employoit la

faueur diuine : toutesfois elle allègue cela pour vn tefmoignage de

finguliere deuotion. Mais ce n'efi; pas par cette preuue feulement

qu'on pourroit vérifier que les femmes ne font guieres propres

à traiter les matières de la Théologie.

25 Vne vraye prière & vne religieufe reconciliation de nous à Dieu,

elle ne peut tomber en vne ame impure & foubmiie lors niefmes

Texte 88. i) Toutesfois ie voy qu'en nos vices mefmes, nous appelions Dieu à noftre ayde & au 5) fa fortune : le 24) les myfteres de

\'a\{. ms. m) rinlâtimi f'iiiui- Ji' ii^uiiuk th- iHKure d'autiruf H l'-eipertmte

4l8 ESSAIS DE MONTAIGNE.

à la domination de Satan. Celuy qui appelle Dieu à fon affillancc pendant qu'il eft dans le train du vice, il fait comme le coupeur de bourfe qui appelleroit la iuftice à fon ayde, ou comme ceux qui produifent le nom de Dieu en tefmoignage de menfongc :

tacito mala iio/a fururro 5

Concipimus

Il efl peu d'hommes qui ozaflent mettre en euidance les requeftes fecretes qu'ils font à Dieu,

Haud cuiuis proniptuiii cft murmurque humilelque iuiuiros

Tollere de remplis, & aperto viuere voto. 10

Voyla pourquoy les Pythagoriens vouloyent cruelles fulTent publiques & ouyes d'vn chacun, afin qu'on ne le requit de chofe indécente & iniurte, comme celuv là,

clare cuni dixit : Apollo ! Labra mouet, metuens audiri : pulchra Lauerna, 15

Da mihi fallere, da iuftum fanctùmque videri. Noctem peccatis & fraudihus obiice iiuhem.

Les lUcus punirent i^riejuenianl les iniques uœus d'Œdippus en les liiv ûttrcnant. Il auoit prie ijue ces enjans uuidassent par armes entre eus la succession de son estât. Il fut si misérable de se noir prins au mot. Il ne 20 Jaut pas demander que toutes choses suiuent nostre uoloiité, mais qu'elle suiue la prudance.

Texte 88. 5) mala nota fufurro 7) euidance & prclenter en public les requeftes, & prières fecretes 11) vouloyent que les prières qu'on tailoit à Dieu, t'uffent 12) requit pas de 15) comme faifoit celuy là,

\'ar. MS. 19) Il Ici auoit prieuie faire ijiie cei 20) wiscialilc iVi-sIrf ptiiis 21) nostre opinion mais

LiVRK I, c:n.\PiTRn Lvi. 419

Il lemble, à la vcritc, que nous nous Icruons de nos prières conic d'un iiiro;oii et comme ceux qui employent les paroles fainctes & diuines à des l'orcelleries & efFects magiciens; & que nous facions noftre conte que ce foit de la contexture, ou fon, ou fuite des motz, 5 ou de noftre contenance", que dépende leur efFect. Car, avant l'ame pleine de concupilccnce, non touchée de repentance ny d'aucune nouuelle reconciliation enuers Dieu, nous luv alons prefenter ces parolles que la mémoire prelk à nt)i1re langue, & elperons en tirer vne expiation de nos fautes, il n'ert rien fi aifé, fi doux & l"i iauorable

10 que la loy diuine : elle nous appelle à foy, ainfi fiiutiers iS: detef^ables comme nous fommes; elle nous tend les bras & nous reçoit en ion giron, pour vilains, ords & bourbeux que nous iovons & que nous ayons à eflre à l'aduenir. Mais encore, en recompenfe, la faut il regarder de bon œuil. Encore faut-il receuoir ce pardon auec action

15 de grâces; &, au moins pour cet inlUnt que nous nous addrefTons à elle, auoir l'ame defplaifante de i'es iautes & ennemie des passions qui nous ont poussé à l'ofTencer : jVv les dicus, uv les gens dt bien, diet Platon, n'aeeeptenl le presanl d'un nwsebàl.

Immunis aram fi tetigit nianus, 20 Non fomptuofa blandior iioftia

Molliuit auerfos Pénates, Farre pio & faliente mica.

Texte 88. 9) cxpi.irion générale de 16) des concupifcences qui 17) ont pouffez à

' Ou de noflre contenance, aJdiiion Je 1588.

Chapitre LVII.

DE LAAGE.

le ne puis receuoir la façon dequoy nous eflabliflbns la durée de noitre vie. le voy que les fages l'acourfiffent bien fort au pris de la commune opinion. Comment, dict le ieune Caton à ceux qui le vouloyent empefcher de fe tuer, fuis ie à cette heure en aage l'on me puiffe reprocher d'abandonner trop toft la vie ? Si n'auoit il 5 que quarante & huict ans. Il eilimoit cet aage la bien meur & bien auancé, confiderant combien peu d'hommes y arriuent : & ceux qui s'entreiienent de ce, que ie ne fçay quel cours, qu'ils nomment naturel, promet quelques années au delà, ils le pourroient faire, s'ils auoient priuilege qui les exemptaft d'vn fi grand nombre d'accidents aufquels 10 chacun de nous eft en bute par vne naturelle fubiection, qui peuuent interrompre ce cours qu'ils fe promettent. Quelle refuerie efl-ce de s'attendre de mourir d'vne défaillance de forces que l'extrême vieillefle apporte, & de fe propofer ce but à noflre durée, veu que c'eft l'espèce de mort la plus rare de toutes & la moins en vfage? 15 Nous l'apellons feule naturelle, comme fi c'eiloit contre nature de voir vn homme fe rompre le col d'vne cheute, s'eftoufer d'vn naufrage, fe laiffer furprcndrc à la perte ou à vne pleurefie, & comme

Texte 88. 7) qui fe confolent en ce, que 15) c'cft la façon de

LIVRE I, CHAPITRE LVU. 421

fi noflrc condition ordinaire ne nous prcfentoit à tous ces inconue- nients. Ne nous flatons pas de ces beaux mots : on doit, à l'auenture, appeller pluftofl naturel ce qui eft gênerai, commun & vniuerfel. Mourir de vieillefle, c'eft vne mort rare, finguliere & extraordinaire, 5 & d'autant moins naturelle que les autres; c'eft la dernière & extrême forte de mourir : plus elle eft efloignée de nous, d'autant eft elle moins efperablc; c'eft bien la borne au delà de laquelle nous n'irons pas, & que la loy de nature a prelcript pour n'eftre poinct outre- paflee; mais c'eft vn fien rare priuilege de nous faire durer iufques là.

10 C'eft vne exemption qu'elle donne par faueur particulière à vn feul en l'efpace de deux ou trois fiecles, le defchargeant des trauerfes & difficultez qu'elle a ietté entre deux en cette longue carrière.

Par ainfi, mon opinion eft de regarder que l'aage auquel nous fommes arriuez, c'eft vn aage auquel peu de gens arriuent. Puis que

15 d'vn train ordinaire les hommes ne viennent pas iniques là, c'eft figne que nous fommes bien auant. Et, puis que nous auons paffé les limites accouftumez, qui eft la vraye mefure de noftre \-ie, nous ne deuons efperer d'aller guiere outre : ayant eichappé tant d'occa- fions de mourir, nous voyons trébucher le monde, nous deuons

20 reconnoiftre qu'vne fortune extraordinaire comme celle-là qui nous

maintient, & hors de l'vfage commun, ne nous doit guiere durer.

C'eft vn vice des loix mefmes d'auoir cette fauce imagination :

elles ne veulent pas qu'vn homme foit capable du maniement de

fes biens, qu'il n'ait vingt cS: cinq ans; & à peine conferuera-il iufques

25 lors le maniement de ia vie. Augufte retrancha cinq ans des anciennes ordonnances Romaines, & déclara qu'il luffiioit à ceux qui prenoient charge de iudicature, d'auoir trente ans. Seruius Tullius difpenfa les cheualiers qui auoient paffé quarante fept ans, des couruées de la guerre; Augufte les remit à quarante & cinq. De

30 renuoyer les hommes au feiour auant cinquante cinq ou foixante

Texte 88. i) prcfeiuoil poinct ;i 25) le manimcni de

422 ESSAIS DE MdXTAlGNE.

ans, il me iemble n"v auoir pas grande apparence. le lerois daduis qu'on eftandit nortre vacation & occupation autant qu'on pourroit, pour la commodité publique; mais ie trouue la faute en l'autre cofté, de ne nous v embelongner pas aflez tort. Cettuv-cv auoit efté iuge vniuerlel du monde à dix & neuf ans, 6^ veut que, pour iuger de la 5 place dvne goutiere, on en ait trente.

Quant à mov, i'eftime que nos âmes font denoiiées à vingt ans ce quelles doiuent crtre, & qu'elles pivmclloil tout ce quelles pourront, lamais ame, qui n'ait donné en cet aage iinr bien euidente de {a force, /; 'fil donna depuis la prenne. Les qualitez & vertus naturelles cmcigucnt 10 dans ce terme là, ou iamais, ce qu'elles ont de vigoureux & de beau :

Si refpine nou pique quand nai, A pêne que pique iamai,

difent-ils en Dauphiné.

De toutes les belles actions humaines qui font venues à ma 15 connoirt^ince, de quelque forte qu'elles foient, ie penferois en auoir plus grande part, à nombrer celles qui ont efté produites, & aux fiecles anciens & au noftre, auant l'aage de trente ans, que après; Ouï, en la nie de mesmes homes sonnant. Ne le puis ie pas dire en tonte surté de celle de Hannihal, & de Scipion son grand adnersere ? 20

La belle moitié de leur nie, ils h neseurent de la gloire aeqnise en lenr ieniiesse : graiis homes despnis an pris de tons antres, mais nnllemant au pris d'eusmesmes. Quant à moy, ie tien pour certain que, depuis cet aage, & mon efprit & mon corps ont plus diminué qu'augmenté, & plus reculé que auancé. Il eft pofTible qu'à ceux qui emploient 25 bien le temps, la fcience & l'expérience croifTent auec la vie; mais

Texte 88. 8) & qu'elles peuucnt tout 9) aage, là, preuue bien euidente & certaine de (ii force, ne la donna depuis. Les lo) naturelles produilent dans 18) que celles qui l'ont efté après.

\'ar. ms. 19) Hi'f cffiici; puis rC-Libli 2o) SOU gai^ 2i) leur cagc ih la uiuciit de 22) homes lousiours au

LIVRE I, CHAPITRE I.VII. 403

la viuacitc, la promptitude, la fermeté, & autres parties bien plus noftres, plus importantes & eflentielles, fe tanifTent & s'alani^uifTent.

Vbi iam validis qu.ifiatuni eft viribus aui Corpus, & obtufis cecideruiit viribus artus, 5 Claudicat ingenium, dclirat lingu;iquc mcnl'quo.

Tantoft c eft le corps qui fe rend le premier à la vieillelTe, par fois auflî c'eft l'ame; & en ay affez veu qui ont eu la ceruelle affoiblie auant l'eftomac & les iambes; & d'autant que c'eft vn mal peu ienlîble à qui le fouffre & d'vne obfcure montre, d'autant eft-ii plus dange-

10 reux. Pour ce coup, 'ic me plains des loix, non pas dequoy elles nous laifl"ent trop tard à la befongne, mais dequoy elles nous v employent trop tard. Il me femble que, conlîderant la foiblefle de noftre vie, & à combien d'efcueils ordinaires & naturels elle eft exposée, on n'en deuroit pas faire fi grande part à la naifliince, à roilîueté,

I) & à l'apprentiflage.

Texte 88. 11) tri)p long temps à 13) efl oppoféc, on

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APPENDICE 1.

VARIANTES D'ORTHOGRAPHE

ET DE PONCTUATION.

NOTE DE MONTAIGNE

Sur le verso du titre de l'Exemplaire de Bordeaux Moiuaigin: a écrit, à ditt'éreiites reprises, les recommandations suivantes pour l'imprimeur.

Les alinéas sont de Montaigne. Les intervalles que nous laissons entre certains alinéas, marquent les arrêts et les reprises de rédaction que nous indiquent dans le manuscrit les différences d'encre et d'écriture.

I Mon tic montrer remontrer etc. escriiies les sans /s/ ci la i dif Jeruncc de monstre momtrueiis

[Cet] home cette famé escriiies le sans jsj a la differâce de c'est c' estait

Ainsi mettes te sans /;//' ijitàd une iiovelle suit et aneq jnj'- si c'est une côsonàte ainsi marcha ainsiii alla"

. Câ\paigne espaigne gascouigne &c. mette^^ vn /i/ dauàl le /g, corne a montaigne non pas sans jij campagne espagne

Mette:;^ mon tout du long sur chaque face Essais de niichet de [M onlaiguc lin. /.'

Ne mettei en grande lettre que les noms propres ou au moins' ne diuersifies pas'' corne en cet exâplere que vu mesnw mol soit làlost en grande lettre tantost en petite

Ij.1 prose Latine grecque ou autre estrâgiere il la Jaiit mettre parmi la prose françoise eu caractère différant Les tiers a part et les placer selon

' sans jtij autt * aiuq jnj aiui'm

■■' Montaigne i dit Ici le contraire Uc ce tiuil voulait dire, mais l'eNeiuplc rectilie l'erreur Je la règle.

' En effet, .i titre deseniple, au v du l' i et au du f" 2 portant : ESSAIS DE M. DE MONTA. (l v) LIVRE PREMIER (2 r) Montaigne efface M. DE MOS'TA. LIVRE PREMIER et écrit au-dessus en grandes capitales MICHEL DE (i v MONTAIGNE LIV. I. (2 r").

'■ moins ftui qu( " pas lu

Jcur nature pentainettirs sapbiqucs Les demi uers les comancemâs an bout de la ligne la fin sur la fin en eet examplere il y a mille finîtes en ' tout cela

Mettes règles régler non pas reigles reigler

Suives l'orthografc antienc

Outre les corrections qui sont en cet exàplaire il y a infinies autres a faire de quoi [l'i^niprimur se pourra auiser, mais regarder de près' a us pouints qui sont en ce [sti]le de grande importance

[S']il treuue une mcsnic chose en mesme sens' deus fois qu'il en oste l'une ou il ucrra qu 'elle sert le moins

[C']est un langage coupé / qu'il n'y espargne les poulets & lettres maiuscules. Moimesme ai failli [souquant a les oster & a mettre des conima ou il faloit un poinct.

Qu'il noie e plusieurs lieus ou il y a des parâtheses s'il ne suffira de distinguer [le'] sens aueq des poincts.

Qu'il mette tout au long les dates & sans chiffre

Qu'il serre les mots autremàt qu'icy les vus ans autres.

' en eela

' tmis ne se Imsarder guiere ans

^ treuue un allesatiô deus

VARIANTES D'ORTHOGRAPHE ET DE PONCTUATION

L'Exemplaire de Bordeaux contient beaucoup de corrections d'orthographe et de ponctuation. Nous les donnons toutes, sauf la correction de test et de cesie en cet et celle, qui est constante.

On remarquera que l'emploi des majuscules ou des minuscules, auquel Montaigne apporte une extrême attention, est en grande partie indépendant des signes de ponctuation, et forme une ponctuation supplémentaire. On remarquera en outre que la ponctuation ne joue pas pour Montaigne le rôle qu'elle joue pour nous; elle ne suit pas le mouvement de la période, elle n'est pas une analyse logique; elle sépare, clic met en relief les différentes parties de la pensée, parfois contrairement à la construc- tion de la phrase, et elle indique l'intonation, et non les pauses de la voix.

Nous représentons par des caractères romains , : . les signes de ponctuation du texte de 1588 que Montaigne n'a pas corrigés; nous représentons par de petits caractères placés un peu au-dessous de la ligne , . . les signes de ponctuation de ce texte, qu'il a effacés ; nous représentons enfin par des caractères ég}i'ptiens , : . les ponctuations manuscrites qu'il a introduites. Une majuscule ou une minuscule italique en tête d'un mot qui est imprimé en romain « £t, prince», signifie que .Montaigne a, dans ce mot, remplacé une minuscule initiale par une majuscule ou réciproquement.

Ainsi «l'homme., /l » signifie que le texte de 1588 portait «l'homme : il»; que Montaigne a effacé les deux-points, les a remplacés par un point, et a substitué dans le mot « il » une majuscule à une minuscule.

Comme dans le reste de l'ouvrage, le romain représente le texte de 1 588, YiUiliquc, les additions ou corrections manuscrites.

Le lecteur aura donc ici les ponctuations (ponctuation proprement dite, et majus- cules ou minuscules initiales) que Montaigne a corrigées sur l'Exemplaire de Bordeaux, et aussi celles qu'il a substituées définitivement a ces ponctuations supprimées. En revanche pour les corrections d'orthographe, nous n'inscrivons ici que les leçons effacées, et non les bonnes leçons puisque celles-ci se trouvent dans le corps du texte.

AV LEGTEVR. = P. i, 1. 2) priuéc.. 7e 4) gloire : Aies

CHAPITRE I. = P. 3, 1. 3) mercy., 4) pitié., '/"outcsfois 6) prince

7) Guienne,:

P. 4, 1. 6) cholere,» Ex 7) trois, 9) /)rince 10) tuer.j 11) fuppli-

cation, 12) poing.. Cette 15) pnncc 16) <fuc 24) aife,« £t

25) Duc : Ex 27) ayfement,. Car 30) effimation : S\

430 APPENDICE J.

P. 5.1. i) Stoiques.. /Is affligez,: Afais 3) propos.: Z)'autant 7) mol- leffe : D'où 9) fubicttes,: Mais 13) admiration, 14) eftect.. Tefmoin Thebain,: 17) obiections, 18) fupplications : El 20) peuple. 22) main; Et fe départit l'aflemblée.

P. 6, 1. 5) I" (7 2'' /•;/ 16) riiomme.. I\ 21) ;nllc 25, \"ak. 88) onques. 25) difficultez,

P. 7, 1. i) merueilleufes,: 4) parts -.El 6) perlbnne. . 7'ii Betis : /-'ais

8) L'autre, 10) Alexandre, silence : //-il 13) gcmifTement : 7{t 16) Seroit-ce.

CHAPITRE II. = P. y. I. 7) dit, 8) Cambilcs 11) terre : Z:"t 12) conte- nance : Mais 16) noftres, Oui

P. 10, 1. i) maifon, El 2) efperance, El 3) exemplaire. Comme 4) accident, El refolution, 5) regrets, £n 7) lecouffe : Mais 9) hiftoire, -V'eftoit 12) amis,: C'eft r6) Iphigenia, 18) innocente,: 19) art.: 20) couuert, Comme 21) poêles 24) malis : Pour 28) actions : Comme

P. Il, 1. i) mouuemcns, i)e 4) aife., 8) iieiis 16) infupportable. :

P. 12, 1. 6) perfuafious : L'amc 8) amour.. £t 10) faifon, £t 11) e.\- treme, 13) mefme.. 17) vidit, 22) aife : El 23) décerne;:; A'ous

P. 1 3, 1. 7) dure; £t

CHAPITRE III. = P. 14, 1. 2) futures, £t 4) venir.: 5) erreurs : .Vils

7) imprimeni 10) aduenir,: 17, Var.) qu'ih

P. 15, 1. 8) mon.. 71s loix : Ce 10) fucceffeurs.: Choies -— 13) /irinces

P. 16, 1. 18) prœoeeupatioiif

P. 17, 1. 2) Auuergne : Les 8) Vérone.. Mais 10) combat : Alertant 15; trophée.. A 17) Corinthiens : El 22) vie,: 29) mourant,

P. 18, I. i) EfcolTois,. Comme 5) ennemis : fftimant 6) eus 14) palTées : Mais 15) capitaine 17) refpondit, 18) enncmv : El 21) arbre.. Mais

27) fmguliere : Mais 29) percée : C'eft

P. 19, 1. i) garderobbe.. 71 3) fut, 4) Moy, 5) celle honte.. .S'i 6) volupté, 8) couuertes : 7'y contrainte, 9) homme.: £t fur tout, 10) profelFiou : Mais 18) allié,: 23) vifitoit, 25) trouuer, £mplovant

P. 20, 1. i) forte,: £t content, 3) meurtre 5) cefte-cv. D'aller 12) Hoila Foila 18) cerimonie, £t

P. 21, 1. i) ceux, 2) refpirans, fepulture, £t 3) marbre. Heureux, 4) fens. par l'infenfibilité, 13) premntoini

CHAPITRE IV. --^ P. 23. !. 4) prendre,. 7:t 8) vent : .^uOi 11) diftance.,

15) prinfe : £t

P. 24, 1. 5) blefl'ees, 7;t 6) fentent.. ^- 11) aduiennent? A 15) ayme : Prens 22) mer, 25) Athos : £t 25) paflant : Et

P. 25, I. r,^) s'efcriant,. \'arus 15) Ibldats : Car 17) fortune, Comme

CHAPITRE V. P. 26, 1. \) iours : Z-'ourniU'ant 5) s'armer : D'oix P. 27, I. 24) profit, £t

AIM'KXDICI-: 1. 431

P. 28, 1. 5) praticquc : i't 5) caule, 8) seigneurs 9) i:onnc 10) conte,

11) coftc : Comme i2,Var. 88) /Honficiir 14) parlementer : Car lé) />ar- lement 20) \'îllc.. 24) fort : .-/près 26) confentit. 27) ncpueu. demandoit..

P. 29, 1. i) l'aflaillani.. 'fefmoing iheualier 2) chafteau (■>) protict, i Comme 7) quatriefmc,: 8) ennemy : .^ 9) mine. 12) autriiv,. .Uais

15) fairoi iu!:;er.

CHAPITRE VI. = F. 50, 1. 4, \'ar. 88) /)arlemcni 5) pièces : Chofe 6) fiecle,. Mais 7) reigies : Et 8) pafle : Encore

P. 31, I. 7) hommes.. Et 9) délîct, .■alléguant 10) nuicls : .\/ais

12) parhiimiil

P. 32, 1. 5) reuanche.: Le /marquis 10) planiere : Et 14) cofa., 16) ils : wiais aduis. Et 17) peu : Car 18) vifteffe,. Mais 20) cheoir.. Et 23) Darius.: i"/)oint Point 24) defrobées : .Walo

CHAPITRE VII. = P. 55, I. i) obligations., /'en 6) rofc 8) Duc : 7'outesfois 12) remarquables -.Et 13) premier : Jffin 18) donnée, £t P. 54, 1. 10) delloyauté.. -Von 22) ttoJaities

CHAPITRE VIII. = P. 55, I. 2) inutiles, i't 7) femence : .-/infin S) efpris.. S\ 9) contraigne 10) imaginations.,

P. 56, 1. i) perd : Car 6) vie,: 8) fov : Ce 10) meur : .\/ais

13) autruy : Et 16) rolle, £fperant

CHAPITRE IX. = P. 57, 1. 2) en moy,. £t 4) communes,. Mais en

10) mémoire : Et 12) infenfé,. 71s 13) marché : .V/ais tort,. Car

P. 58, 1. i) mémoire,. £t 5) promeffe.. 71 aniys.. 71 7) malice : £t 18) court,. Car 22) pitié,. 7e 23) amys,. A 26) bonté,. 5'il

P. 39, 1. 19) mentir : £t difent, 20) vraye,. £t 22) confcience,. £t

P. 40, 1. i) desferrent : Par 5) raflîs : Et 8) faict,: 13) l'expérience.. El defpens, 15) negotient, Et 18) quand,. D'où 19) iaune : A 20) autre : Et 23) fouuent : Car 26) prudence,. Qui

P. 41, I. 10) termes, car termes. Car

P. 42, I. 2) particulières : D'autant 10) ambaffadeur, Et 12) montre. Eut

13) Empereur,. Oui 14) penfons : Qui 18) hifloire,: 19) mcimes,:

21) faict : Que 24) vifage, Defaduouant

P. 13, 1. 9) raifons,. 7. 'ambaffadeur 14) Prance,. Et

CHAPITRE X. = P. 44, 1. 4) prefts : 7^es 7) beau,. S\ 11) aduocat : Par

12) préparer, £t 13) interruption, 14) lice : Et 18) rebours, Que P. 45, I. 4) lieu,. Mais 5) trauaillé.. De 9) Prefcheur, £t

11) Prefcheurs,. A\x 14) préparer. Et 17) penfé, Qu'il 18) diligence. Qu'il parlant.. Et 22) laborieufe : .Si

P. 46, 1. 2) cela,. Qu'elle 4) félicitée : Elle 6) prefentes, & fortuites. 1 SX S\ 7) languir.. 7,'agitation S) difpofition.. Le 9) moy,. L'oc- cafion 11) fonde, 12) efcripts,. -S'il 14) i" </;/<■ 2" Que

432 APPENDICE I.

CHAPITRE XI. ;= P. 47, I. 2) crédit : Car 4) ses 6) cotilcmpsiiis ; Mais

16) ailleurs,. .Votable

P. 48, 1. 5) prefentes.: 12) remarcable.. Car /ieutenant 14) frère : Au 15) faire,: 21) ruine : Qu'après 25) party -.A 25) paflions : Car 28) fift. : rar Car

P. 30, I. 6) Almanach 10) rencontre.: ce Ce certitude,

P. 51, 1. 13) luv, fonfeil 14) fienne.,

CHAPITRE XII. = P. 52, 1. 3) menaffent,. Ny 4) rebours,

P. 53, 1. 3, \'ar.) tout 19) coup : D'autant 20) ineuitable,. £t

P. 54, 1. i) arènes.. Lefquels 8) cane,. Car 11) difcours : Car

12) foudaine? Et 18) treffaille : Ce 26) sagc^ il

CHAPITRE XIII. = P. 56. 1. 2) reigles 4) venir.. Foire 8) foit ; £t 9) route : £t 11) offices : Comme 15) offence : Qu'y 14) iours : Ce P. 57, 1. 3) cerimonie 6) afiigné.. Foyre 7) affemblée : £t 8) biais.

Que 14) cnsuiurc, etisiiiiire : 18) ciuilité, citiilité :

CHAPITRE XIV. = P. 38, 1. Il) changer,: Et 14) ennuyeux : Et 15) bon,. £t

P. 59, 1. 7) tous : Car 9) iuger.. Mais 11) compofition : Tel 22) fa- cilité.,

P. éo, 1. 6) affeurance, . Qui , qui 8) ordinaire,: £ftabliflans 9) peu- ple : Foire 15) chatouilleux : L'autre 22) vie,. Luy

P. 61, 1. i) luy, £t 13) mefme,: Celuy 14) s'efcria. Fogue la gallée,. Qui

17) tcnoit, £ntre refpondit-il. : et Et 19) maladie,. Fous 20) iambes. : fa A 21) Dieu, Qui demanda-il : £t refpondant, Ce 22) plait,. Y 23) replica-il : iJecommandez 24) toft.. 71

P. 62, 1. 3) fepmaine.. accident 4) Xantiens,. Lefquels 7) vie : £n

P. 64, 1. 3) rabatre, : £t 6) temps, 12) volontairement,: £t 13) vie,

Afais 14) viure, £t 15) faict : et . £t 18) feulement : .

Philofophe, 19) monftroit 25) chofes, 27) cela, El

P. 63, 1. 4) indigence? Que 3) mal,: 9) Philofophie.: 11) parler : £t

12) douleur,. Mais 13) inceffamment : A s'efcrioit.. Tu 15) douleur? 71 17) propos? Pourquoy 20) rolle : Nos 21) iuges., 24) chatouillent? £t oriaues 25) efcot, . I\ 26) tourmente : forcerons

P. 66, 1. 2) inftant., 11) et Et 21) cela, 21, Var. 88) douleur,

P. 67, 1. 2) volontiers.: rar Car 4) elle. Mais 6, Var.) Qu'il

7) trampe,: 9) refolution : 10) deffier. : rtuida 11) dure,. 5ouftenir

12) midy, .5e afne, .Se 13) pièces, £t correction effacée .iv.int que l'encre ne fut sèclic.

OS,. 5e 22) menées., 24) confoler : Que P. 68, 1. i) trop, £lle toy : L'vn

P. 69, 1. r) naïfs : & Et 2) espèce : conte Coiiie 4) et Et

6) dolur. et Et 13) tefte.. /l 20) moy : 22) couche, £t P. 70, 1. 7) vous? 5inon 8) ventre : £t

APPKNDICK I. 435

P. 71, 1. 7) nionftrer 12) faifuii : /Je 13) Cvfar. 26) beaiiù-., 29) point

P. 72, I. 2) elles. 5) nmglées. colk/, 4) viuc? Oiiy 19) affaires lar 24) Hendredis

P. 75, 1. 4) religieux, 10) enchantement.: £t 12) autruv,. Par 13) grand, 28) partie, hardie, 29) repos, qu'Alexandre,

P. 74, 1. i) Teres 2) Sitalces 7) maifons, 8) inhabitables,: 9) qui le font 14) hyuer.. A''auoit 15) paille : £t 17) liure,: Oui 21) plai- fant.: Mais 23) engendrer.. Toutesfois 24) mortelle,. Pour - avniables,. El

25) valeur.: autant voûtant

P. 75, 1. 21) fortuites,. Ex 26) clofe : .Vfeftant 27) m'acquilei\. Lequel P. 76, 1. 2) fatisfaire : £n 4) payer.. Comme 5) feruitude,: i" nulfi ^urtî 6) autruy. i" : 2". 9) puis.. De 11) marchander: C'eft 12) impudence.: i" flpres 2" .4pres 15) defaduentage. : i" car Car car 4" Car lé) papier. Qui i8~) aftres. librement. 20) horrible,

21) incertitude,. Et

P. 77, 1. i) collèges 2) ciel 5) pas, certitude, 5) niifere, 7) n'y N'y 9) fraiigilur : Et 12) point : £t - 15) elUs Elles

22) prins. 23) condition.. .V'eftimant

P. 78, 1. i) ordinaire.. N'v 4) accident? £t 6) inconueniens : £t ^

7) infiny,: 14) prouueu,. £t 15) cmnU\. ïantoft chemins, îantoft 19) efpineux,: incommunicables,. 7'auois 23) commodité. 24) Bion. 25) poil.. £t 27) feruice.: c'eft p. 79, 1. i.

P. 79, 1. 2) touchez.. 71 3) entamer : £t 4} cheual, 8) efpargne : On

10) biens., £t 19) threfor,. 71 - 20) apporter.. Ce 2O partie,, .-/uec

25) threfor, Difant 26) point., h

P. 80, 1. i) Siracufain, £t 2) abandon, 7.e 3) imagination.. Par

4) vie (/e 5) reiglée.: C'eft 6) recepte, Tantoft 7) l'autre.. Afais

8) iournée.. £t 9) ordinaires.: au\ 12) i'amafle. 15) emploite. s lé) m'augmente,. 19) auarice,: 20, V'ar. 88) vieux,. Laquelle

P. 81, 1. 18) chacun,. £t

P. 82, 1. 2) conftitution,. Comme efchauftent, 5) noftre.. Laquelle 4) nourrir : Qui 5) froideur : A\n(\ 6) tourment,. A ~) vin.. La luxurieux, £t 8) oifif : ^infm 10) mefmes.: 20) lenitiue. 24) demeu- rant. — 25) humaine

CHAPITRE XV. = P. 84, 1. i) vertus.: 2) vice : En 4) bornes.: malaife/

13) dedans : £t 17) raifon : Comme

P. 8), 1. i) Bony,: 3) lieu. 4) l'afLullent,: - 6) canons,: - 12) dure : Comme

CHAPITRE XVI. = P. 86, 1. 8) nous : £t 10) deffaillance : De 12) confcience : £t 14) mefcreans : £t 15) nduocat - l'uge - 17) coiiardife, P. 87, 1. i) bataille,, 7.à 22") armes : £t - 25) entra.:

434 APPENDICE I.

CHAPITRE XVII. = P. 88, 1. 9) fien,. TTftimant 10) acquife.. refmoing 12, Var. 88) poote,: Par... vaille.:

P. 89, 1. 15) refte, 15) efcriuains : Si (de même pour tous les Si de cette phrase).

P. 90, 1. 5) Maçon 7) nous, Ex. 12) mots : ^uffi 18) maiftre,: 24) party.i 25) affaires,: 29) façon, 32) chacun Chacun

CHAPITRE XVIII. P. 92, 1. 4) pafTion : ft 6) raffis, 7) dure, P. 95, 1. 1) ville, Et 7) Reu.: car 9) pièces, par les aifaillans,. El II) brefche, 13) multitude.. En 18) premiers., Tantoft entraue, Comme

21) s'enfuyr., formidat, ; 24) dit,. S\ tueray.,

CHAPITRE XIX. = P. 96, 1. 4) propos : Lequel 6) Solon : Cela 8) Solon, Que 11) vie,. Pour 15) eftat,. ouy 2" Ou\ 17) Rome : Dos

18) Corinthe : D'vn

P. 97, 1. 3) Egj'pte. . Tant 6) Loches : Mais 11) bas., 16) monftrer

17) années, JEt 18) Laberius,. 22) mal'heur : Et

P. 98, 1. 2) mafque : Ou 4) contenance,. Ou 7) monftrer 8) pot., CHAPITRE XX. P. 100, 1. 4) mort : Ou 11) arriuée.: car P. 102, 1. 8) accord, to) foing. . Tant neceflité, La 12) maladie, Comme 13) fanté : (2u'auflî 16) ineuitable. ,

P. 103, 1. i) commis : Durant 2) plaira., 6) reducent., i°^enfez Penfez"

Il) futura.. 15) vifée : Si 19) gens, 22) fentence.: 1" et 2'= £t

26) perifrazes.: rtu Au 27) vefcu.: /^ourueu Pourueu

P. 104, 1. 5) trois., 7) autant. : cependant 9) quoy, Var. 88) autres.: et lé) viure : Lt 18) atteint : Et 19) gageure, 20) mors 22) lefus- Chrift, : 23) Alexandre,

P. 105, 1. i) pleurefis 4) iouant : Et 7) l'air : L'autre 8) raifm : J'n

10) huis : £t 15) Papes. Le Bebius, l'uge 17) expiré : Et 18) mefler :

19) S. Martin, 22) bleifure..71 23) repofa.,

P. loé, 1. i) reculaffe : Car 2) aife,: 3) voudrez., 8) beau : A/ais

10) tourmens», crisi, ragei, 13) heure : Et 16) coûardife., A/ais 18) homme., 22) couure., 24) caput., «prenons 25) combattre.. Et

27) commune., oftons Oftons

P. 107, 1. i) accouftumons le, ATayons 2) mort : A 3) vifoges : Au 4) foudain,. £t 6) ioye, 9) allegreffe, 11) feftins, chère, 18) mou- rir, — 23) triomphe,. Qu'il ?6) fongecreux.. 71 27) mort,: Toire

28) aage., 29) ageret., ï° parmy Parmy

P. 108, 1. 5) oreille.: 9) imaginations.. Afais lo) doubte : ^Jutrement

11) frenefie : Car 18) fin : Lt 21) repos, 26) mort.. le

P. 109, 1. 5) eft,: £t foy.: 8) furcrois 10) victoire,: L'autre 11) en- fans : L'vn 13) eftre.: 22) £t

P. 110, 1. 3, Var.) debout., é) chous,: 8) extrémité, 17) mort : £t

18) condition.: 22) parco, 23) coma 26) bouche.: et £t

P. III, 1. i) hommes,: 9) : Laiffez 10) auantage : £t 12) plus.: Nature main, 14) craindre -.Si 15, Var. 88) l'édition de 1588 porte auennes,

APPExniCE I. 453

17) fieure.. D'autant 26) fenties : L'alegrclTe

P. 112, 1. 5) efpaules.. /'efpere 14) changement : Mais 16) £t correction

cflFacce avant que l'encre ne fut sèche. appriuoife,. Si 17) fccouire., 18) dure., 19) vieille(Tc. . D'autant 25) amc. : il 24, Var. 88) aife,

P. II}, 1. 2) elle., 7) concupifcences,» 9) pourra : C'eft 11) fers., 18) appelle, Car 19) regrettée : £t 20, \'ar. 88) pas,

P. 114, 1. 2i) vniucrs, C'eft 22) monde.,

P. 115, 1. i) chofes? C'eft 5) viure., 16) fatisfaict.,

P. n6, I. i) veu.. Vn 4) arrierc-nepueux : £t au (1. 7) 10) ieu.. h II) recomencer,. Ce mefme., 14) pafte-temps., 21) mort : C'eft pour néant,: AvlGx 25) nourrifle.,

P. 117,1. 2) mefcontentement., 5) te, 4) peremptum, 6) tant., 10, \'ar. 88) rien., 15) heure,. Ce 17) plus., 24) cefte.i

P. 118, 1. 6) Mourez.:

P. 119, 1. 18) plcurars : El 22) qu'elle : /'ne

P. 120, 1. 2) perfonnes. : ofté

CHAPITRE XXI. =r P. 121. 1. 2) imagination,. Chacun

P. 122, 1. 7) remettre : £t 9) bourreau,. £t 12) imaginations, £t I)) defirs., 20) mémorable,. Lequel

P. 123, 1. i) d'autres, 3) mère., 5) Françoys, 6) Germain, 10) produifirent,: 14) fréquent : Car 19) imagination,

P. 124, 1. 2^) seiitimaiit : , 6, ^'AR. 88) refiftance.: on 2" On 8, \'ar. 88) plein, 14) compagnon, lé) occafion,: 18) rechoir i" , 2'> :

20) resueric , c'est . C'est P. 125, 1. 5) prenantes.:

P. 126, 1. 14) moi

P. 127, 1. 16) allarmcs, aifement : £t 18) afpres,:

P. 130, 1. 8) imagination, lo) chofes, 16) l'opération : £t 19) men- fongiere : D'auoir 22) mal : .-apportez 25) accouftumées : 5ouuent 24) chauds.. Le

P. 151,1. 22) l'imagination.. Tefmoing 24) maiftres : A'ous 25) debatre : .\/ais 27) chofe,. Que 29) autruy : £t

P. 132, 1. 9) veuë,: 11) nuifans., 14) expérience, 15) fantafies, refmoing 20) mefmes,. Tefmoing

P. 133, 1. 2) preiis.. Les 4) l'expérience,: Chacun exemples,: £t 8) moiiiienicnl

P. 134, 1. 4) iuge : et Et 14) iiaille s ignorant . Ignorant

CHAPITRE XXII. P. 136, 1. 2) police : Car 4) autre., CHAPITRE XXm. = P. 157, 1. 14) art : £t 15) poifon : £t 16) arai- gnées : £t

P. 138, 1. 7) sens il 2" . //

P. 140,1. 18) col,

P. 141, 1. 18) nous : i" que 2" Que 19) tout 27) ses

436 APPENDICH I.

F. 1^2, 1. 5) inonlbcnt 7) ailleurs. 10) ailleurs, 14) marie. F. 145, 1. 4) remarier, 20) démons., 24) principaux,: F. 144, 1. 14) teiiii.<: 17) terre.. 22) efloingné, 28) herbes, 30) foyent,

P. 145, 1. 2), \'ar. 88) mefpriféc,: aliegreffe.. Ex

P. 146, 1. 14) > i°c/ Et

P. 147, 1.18) adresses

P. 148, 1. 9) cliofes, 14) nous..

F. 149, 1. 14) arraché, 19) achapts,

P. 150, I. 14) nobleffe, 15) venge, 16) capitale» i 17) defhonnore.,

18) loix.. Et 19 à 23) L'édition de 1588 met deux-points nous mettons point-virgule. M.tis une virgule .lyant étù laissée p.ir erreur .iprès vaillance et après force, Montaigne a corrigé la faute en y substituant deux-points. 23) partaige 26) Originelle., 27) autres,

F. 151, 1. 9) feruice, lo) vie, 13) eft., 16) receue, 18) enfemble, 23) chacun, 27) mieux,

P. 152, 1. 3) porte,: 6) apparence, que par accident, 7) engendré,: 14) ans,

P. 153, 1. i) cntreprilcs -.Ex 5) doux, 5) créances,. Honefta 12) poix

P. 154, 1. 5) progrez, 7) innocent, S) anneees (faute d'impression.) 10) dire, 13) face,

P. 155, 1. 17) fçache,

P. 156, 1. 5) s'introduire, par tout. 6) reigle. 16) Calon, 20) tefl:e,

25) heures : Et 26) calendrier: et £t P. 157, 1. 5) ambafnideurs, 9) Philopaîmen.

CHAPITRE XXIV. ::= P. 159, 1. 24) Cinna,: F. 160, 1. lé) Cœpio.: commence 18) /y,: P. 161, I. 4) efcrié, 14) Qucv, que à 21) vie,

F. 162, 1. 6) appelions (faute d'impression).

F. 165, 1. 15) perfuafions, : Qu'il

P. ié6, 1. Il) monflrant 14) paroles,: 25) vaiJle.. C'ert

P. 167, 1. 2) furieux : Pour 3) eftoit., 5) tué.. Mais 9) remontrant.:

18) perfonage : La 21) pœininucc cherchant Cherchant P. 168, 1. 2) ou, 23) fortune.: car 24) tout,

P. 169,1. 28, V.AR. 88) hardy^, P. 170, I. 2) remède.. Mms

CHAPITRE XXV. = P. 171. I. i) enfance. 2) badin, £t 7) fçauoir : D'autant 15) ancienne : Car

F. 172, 1. i) efueillée, 7;t 12) defuiefler,. Et 14) remplit, Et

P. 173, 1. 18) vfage : Ceux-cy

P. 174, 1. 10) manufacture,:

P. 175, 1. 4) expérience,: 13) fciences : Et

P. 176,1. 15) plus,: 17) contes,:

P. 177, 1. 15) tout.. 71 26) Cicero. . /e

APPENDICK I. 45 j

P. 178) 1. 2) lageire., 17) befongnc, fout

P. 179, 1. 6) satisfisceiit lé) enpetrant 17) accommode : /Is 18) malade.. /Is 20) caule. . /Is

P. 180,1. i) faifoit, Et 2") robe,: 14) neain,: Ex 18) vCage.: 21) fortes..

P. 181, 1. 2) ftile : ift 5) iugemcin.. Cette 12) incorporer,: 15) teindre.:

14) là,.C"eft— 18) lames,: At 21) lettres,: 22) mieux,: 26) lettres,:

28) Roys : £t

P. 184, 1. 4) gitte 14) leçon.:

P. 185, I. 21) refpondirent, 26) l'oit,: 27) sacrâtes

CHAPITRE XXVI. P. 1S7, 1. 2) laiflaift auoùer.. .Von

P. iSS, 1. 8) papier i" t a . A 5" . a 10) inclination : Car - 13) charge : Afes 17) chopant : £t 20) dçfmeler : Fi

P. 189, 1. 3) imagination.: a 9) moy : £t 15) contraire.: Car

P. 190, 1. i) paflage.. /'auois 3) nues : Si 7) excufable : Celloit 8) monde : De

P. 191, 1. 21) opinions : le 22) croire : le

P. 192, 1. 6) viendra : Outre 8) touche.. .V/ais 19) obfcure,: 25) monftrent 26) naturelles : D'où

P. 193, 1. Il) peuple,: 15) dialectique,: appel,: 16) lettrée : Car 18) defcendus : £t 21) fiecles.. 7e 22) vfagc : C'eft

P. 194^ 1- 15) partie,: 16, \'aR.) Montaigne avant J'efl'accr celte v.iriante corrige

monftrant en montrant

P. 195, I. 8) Qu'il i)) auallée : L'crtomac 17, \"ar. 88) dire : Leur 18) crédit,: 21, Var. 88) allures : Leur 24) reigle

P. 196, 1. 7) Epicuriens : Qu'on 8) peut,: 9) double., 16) préceptes : L't qu'il oblie 22) mariolaine : ^^infi 24) iugement : 6on

P. 198, 1. 1) fuftifant : La 4) eftrangers, . .Yon 12) enfance : £t 17) parents : Cette 18) fages. . /Is 19) hasardeusemail.. /Is 23) icuneffe, :

médecine.,

P. 199, 1. 19) puis, 23) vice. Qu'au

P. 200, 1. 3) acquife : A 4) prefence.. Car 6) i" et Et 16) luitc : £t

20 apperceura : Soit '23) prefcript, : 71 24) appreuue, . Ny P. 201, 1. 21) corriger : abandoner 2" Abandoner 23) tout : Car

P. 202, 1. 2) chacun,: 3) partant,: 4) mefnage : La 9) chofes.. Tout

10) verra : Vn 11) Charlemaignc.. 13) ferat,. 24) charge.. £t 27) : Qu'il

P. 203, 1. 5) eftandus, 7) befongne.. A/ais fmiplement.. /l S) plaift,:

15) pas,: difcours,. C'eft 16) briefueté : 5ans 19) fçauoir,: 20) dire.:

P. 204, 1. 3) ville,: 4) humain : -Von 9) collet : 5ans 14) orage : £t

21) variété.: 22) tres-delicate, : 28) noftres,:

P. 203, 1. Il) monde : y^infi 19) philofophie,: 20) dira., 25) gigni- mur : i/ue 2" Que 26) eftude, : Que 27) iuftice : Ce

438 APPENDICE I.

P. 206, 1. 2) libertc : A contentement : /ufques 3) honte.: 4) laborem.: çuel Quel 8) fens,. Qui 9) viure.i 19) icelles : 2°icelles; 21) !/iucndi 25) a;uum.. 24) enfans., 26) aqua., /a

P. 207, I. 2) propres., 8) ahiii i" cstiinl Estant 12) Rhétorique : El 2)) cfprit : En

P. 20S, 1. 6) terrible : Oui 9) temps.. Fne 12) dit,. Ou 14) refpondit : C'eft 17) fcience. . Mais 20) contriftcr. : 25) corps : £lle 26) aife : Doit

P. 209, 1. 3) enfumes, Ce elle,: 4) dire». 5) rire.. Won

P. 211, 1. 13) /vr((/;/« : i" et Et

P. 212, 1. i) craindre -.Et 8) ccrtum, milerifque, 15) garçoii^^ /c

13) d'efcole. . /e 20) rent 25) Ny

P. 21}, 1. i) conceuë, : é) compagnie 7) eftude : Car 10) refpondre : I\ 12) faire : Car 16) fciences. . Mais -^ 19) ieux : £t 22) falutaires.:

25) autres.. Mais

P. 214, 1. 4) eftude : La lé) cruauté : Oftez 18) née,: Si 19) pas : fndurcifTez 21) mefprifer : Oftez 22) tout : Que

P. 2ié, 1. 5) harquebufades,: 6) fouris,: 14) couftumcs : El 16) com- paignies, . Foire 22) prince : /e 23) compagnons,: Ex

P. 217, 1. i) Allemagne.. I\ 6) (iinté,. 5urpaflant 8) Lacedemoniene, :

9) lonië.,

P. 218, 1. 10) poilîbn, 17) gens,: 24) claufes,. /incores 25) parties,. Et P. 219, 1. 3) l'autre.. Plus 5) La Rochefoucaut. . Vn 6) luy, Luy

8_) plaifamment,. 71 16) euidence : C'eft 17) cela? Ce 20) dehors : j'is

2" /Is mefmes : Et 25) muet.,

P. 220, 1. 2) grammaire.: 9) naifue : Ces 11) ferme,: monftrc

14) Policrates : ^pres 15) refpondit : Quant 17) vieux 20) fabrique,: Le

22) faueur : Mais 25) mots : Seigneurs

P. 221, 1. 4) verfus,. 13) main : Llle 18) eux t plus .Plus 19) poètes : Mais 22) mais, que fera-ii, 24) i" (pi'il s'en moque : il Qu'il s'en moque. Il

P. 222, 1. 5, Wr. 88) finiffe 19) bouche : Fn 22) Pluftoft que cnnuieus,. Efloingné affectation; Defreglé 23) hardy : Chaque corps : Non

P. 223, 1. 2) veftemens,. un Vn 4) l'art : Mais 7) i" et Et

10) paroiffeut (faute d'impression).. Tout

P. 224, 1. 7) langage : Ceux-cy 15) commerce : C'eft i8) moymefmes,. 5"en 21) vfage : Lt

P. 225, 1. 6) premier : Ceux-cy 11) fit.. Mon 12) l'entendre,: neceflité, Comme 15) autour,: - 18) Arabefque : Lt 20) fçauoit : Car 23) Fran- çois,:

P. 226, 1. 3) mienne : Car - 7) art, Mais 8) d'exercice : Nous 9) déclinai- fons I", 2" : 12) forcée, 13) contrainte,: /e 15) tandre 23) caufc, Le 24) incommode : Car 27) bien, Lt

P. 227, 1. 3) mcnoit : L'apprehenfion tardiue : L'inuention laehe : Et

APPENDICE I. 459

5) Secondement,* 10) grues,» 12) d'Italie : El 16) nourriture,:

17) collèges.. Afais iS) incontinent,» 19) vfage, Fa 21) classes : Car 25) Ouidc.: CAT Car

P. 228, I. 2) matière : Car 10) l'jEneide, 14) iiigfiiieusciiicnt^. Faifant

18) complexion : AxifCi 21) inutile : On

P. 229, 1. 16) conessoil, cotiessoit t 19) enfance.: /'ne 21) aage, 22) annus,

P. 250, 1. 5) dignité.» 1°*;;; En 5) France,» £t 6) me loue (ûme dim- pression). 7) maifon,» El 14) efbattcmens, s £t 15) valent,» 18) ieux : La augmente, i El 20) magiftrat, » El

P. 231, 1. i) I" et qu'ans Et qu'ans destines 5) propos, 71 4) liures : On 6) fcience,»

CïIAPITRE XXVU. = P. 232, 1. 2) perfuader : Car 4) anie,s 7) l'amc et plus 1 2) vray-femblable : Qui

P. 235, 1. 5) Theffala, il 7) mefme : Non 8) curiofité : Mais 12) na- ture : £t 19) eftrangeté., 23) autres.,

P. 234, 1. 2) rOcean,. £t 4) genre., 17) fufpens : Car 27) moquer : £t

P. 235, 1. 8) perdue : £t 9) l'accident : Dirons 12) ieu,» 13) vanité,»

15) nous,. Toutesfois 18) dens 19) Hilaire : Pafle 20) contredire,. Afais 23) veùe.. Fae 25) fit.. 28) guéri.. Tne

P. 25e, 1. i) veuë, perdue » £t 4) recors : Scn ce 18) créance.. 71 25) difpenfer : Ce

P. 257, 1. 2) treffolide,»

CHAPITRE XXVIU. = P. 258, 1. 4) fuftifance,» £t 11) partie : Car 15) VoLOXTAiRE : A/ais

P. 239, 1. 8) antiquité : Car 22) pareilles,

P. 240, 1. 8) refpect. L'amitié 10) nature : Car 15) pères,» 18, Var. 88) l'autre : L'amitié 19) naturelle,» Aristippus , » 23) frère,» le

P. 241, I. 3) alliance : Mais é) fraternelle.. Les 11) auflï : Ceft 14) volontaire : £t 17) eftre, .4yant 20) fraternelle., 25) confeffe, «eque

27) amaritiem,

P. 242, I. 12) s'alanguift : La 20) iamais : La 22) cy. 25) vouloir,» £t 27) affection..

P. 243, 1. 2) couture : Ny 7) comble.. Mais

P. 245, 1. 10) retOUruent (faute d'impression). I2) /îOV I9) et Et

21) obliges 26) perde

P. 246, I. 15) luy,: & 17) Blofius : Mais 18) Lœlius : i'y 21) con- fefTion., £t 23) myftere., £t 24) pas, 25, Var. 88) connoiflance., £t

P. 247, 1. 8) façon : 5i 9) l'accordaffe. , Car 14) mien., vifucune 24) genre., règles,» 25) tromperoit.. /l 26) précaution : La 27) Aymes

28) haïr,»

P. 248, 1. 6) compte : Cette 7) caufe.. Car 8) porte, 12) deuoirs, El

13) différence,» 19) refemblance 20) femme,. Foulant

440 APPENDICE I.

P. 249, 1. 2) monltrur 5) Corinthien : Tenant 8) pourra.: et lo) mo- quèrent., — 19) amis : Car 20) indiuifible : Chacun 21) ailleurs : Au rebours, 23) communes, 24) départir. On 26) refte : Mais P. 250, I. 13) difois : Car 14) befoin.. 71 lé) monftre P. 251, 1. 13) au An 18) luy-mefme_: 20) action.. 7e 22) vlage, P. 252, 1. 3) ay : Et poinct, 7) amy.. 71 8) tafté : Car 1 1) d'efprit, ^)-ant 12) d'autres, ^i 19) languiffant, i Et P. 255, 1. 8) dire_: ~ 9) moy : Car

P. 254, 1. 3) actions : 7c 7) efcriuoit., 8) iouant. : 7^t 9) Sarlac.s raifon : Mais 14) temps : 71 15) d'auantage.. 71

CHAPITRE XXX. = P. 257, 1. 6) parolles.: 11) diuine,: P. 258. 1. 23) autres : Ou'il 24) immodérée : Car P. 239. 1. Il) obferuée : Ex 18) mariage,: Foila 20) feuerité : Ce P. 260, 1. 22) faueur, :

P. 261, 1. 9) efcient., 10) l'homme? A 26) cela.. Afais P. 262, 1. 2) poignante.. El é) rauilerent. 14) Tvlage : 71 15) guérir : Ex (correction eft'acée).

P. 263, 1. 6) Merico Fernaud 9) ciel,: 21) débonnaire.

CHAPITRE XXXI. = P. 265, 1. 2) capacité : .Vous iS) Italie.. 21) foret., 24) d'entre-deux.,

P. 266, 1. 14) gaigné,: El 15) baftimens,:

P. 267, 1. 20) l'Hiftoire : ;ls 23) collé la, 27) cela. 31) narration,

P. 268, 1. i) priuilege, P. 269, 1. 2) entreprinfes.. i;t 13) façon.

P. 270, I. 14) perfection.:

P. 271, 1. 16) pain, 17) confit.: l'en

P. 272, 1. 18) articles, 25) cette, caufe, 24) mefconté,

P. 273, 1. 15) cognoiffans. : /Is 18) niefme,: 22) Scythes,: 23) ven- geance. . £t

P. 275, 1. 6 ncceflaires.. 8) point. 10) généralement. 11) enfans, deffoubs,: 26) inuincible. : i\ P. 27e, 1. 13) noftres : C'eft 18) fortune, 21) homme.

P. 277, 1. i) conriLot, si... pngnat. Qm 4) l'ame, 25) car 1" Cm

P. 279, 1. 18) fens : couleuure 22) chanfon.: or

P. 280, 1. 10) chofes, 16) commander : .secondement 17) langage, telle,

CHAPITRE XXXII. = P. 282, 1. i) inconnues,. D'autant 2) crédit,: 9) moins,: 10) fables,:

P. 283, 1. 18) foy.. Comme 22) party..

CHAPITRE XXXIU. = P. 283, 1. 8) a9).iwt.:

P. 286, 1. 14) aduerti, 21) ineftimable.. Son 27) monilra

CHAPITRE XXXIV. = P. 288, !. 2) vifages,: 9) Pape,: u) tour,: P. 289. 1. 3) prifonnier,: 17) diuine : Ex

ApPEXDici-; I. 441

p. 290, 1. 2) las, 17) pou>6vtT«., Iz

P. 291, I. 8) finguliere.: 11) Tyran,: 13) mortels., i.j) plavcs, 15) eftat,: 18) amoureufement,

CHAPITRE XXXV. P. 292, 1. 5) comme,: 8) ouurier.: P. 295, 1. 5) fortune,

C2LAPITRE XXXVI. = P. 295, 1. 8) oreillei a 2" .4 17) qui.

P. 296, 1. 10) Haiinibal..

P. 297, 1. 10) prez., 15) desfaicls,:

CHAPITRE XXXVU. = P. 299, 1. 3) fntcl : et El 4) nie : i" cl Et

7) modelh pour . Pour

P. 300, 1. 8) héroïques: Cetl 9) eftre, : 10) corruption : C'ell 14) dire, Et

P. 501, 1. i) vertueufe : Celles 2) l'elTence : Car 7) vertu : 1\ 17) le prins 21) meurs., /e temps, 24) vaines : Grande 25) fubtilité.. Qu'on

P. 302, I. lé) conceuoir. naïfue. «v dressée a cela. Comme 18) Ca;far : Dequoy 19) raifon : £t 23) monftrer 24) atteindre.. A/ais

P. 503, 1. i) argument., /c 3) Caton,. 4) iiicidaut 26) formes i" non . Non

P. 304, 1. 6) l'vn,. 8) l'autre.. £t l'autre. 11) Cœfar., 14) chœur, 15) peinture. manière.,

CHAPITRE XXXVIII. = P. 305. 1. 10) trefpafle. 11) foudain,

P. 506, 1. 2) autre, /utùmque

P. 307, 1. i) force, 10) i'aye, : imprécations,: 11) volontiers,: 25) l'entre deux., 28) lumen,:

P. 308. 1. 12) victoire.: 19) efchappe., 22) vlla.

CHAPITRE XXXIX. = P. 309, 1. i) l'actiue : £t 8) monftrcnt 9) Ibli- tude, Car 12) Biais 15) portas, Xili., 16) preffc.: 17) haïr.. 7bus

P. 310, 1. 4) soit r6) veue. . /l

P. 311, 1. 2) chemin : 5ouuent 3) changez.. Il 5) entier : Ou toute : £t 9) vie., 15) contrée., 14) equidem 17) démeflent., r8) haret

lïetalis 20) voyage.. le foy. , : 25) dauantage. Comme

P. 312, 1. i) raflifes : Fous 2) place,: Fous 3) remuant : Comme 10) calena;.: «ous A'ous 11) nous : Ce 23) foy : C'eft 27) nous : Defprenons 28) autruy : Gaignons

P. 513, 1. 6) dommage. 71 25) place : Difcourir

P. 514, 1. Il) eux? Pour 17) fage? .VuUes 19) vie, 21) vfage.. iVoftre 25) amis.,

P. 515,1. 4) vie: Ramenons 10) fortes., 11) cela.. 13) efcorcher,

14) monde, 25) i" si Si

P. 316, 1. 5) confeil,: 9) plaifantes, Afais 10) fondement : Ce 11) veu- lent : Pourquov 16) douleur : Ceux 27) auant, 71

442 APPENDICE I.

P. 317,1. 2) attaindre.. Tout 14) patience : Ex 13) vigueur^: Ou 24) faire : £t

P. 318, 1. i) chacun : Le 2) l'aiment, 5) Salufte : EWz 6) Cyrus : i't

8) tout_: 9) d'autres., lé) tienne.. Il réputation : D'vne 19) im- mortelle.:

P. 319, 1. 3) puissance : l'ame L'amc 5) eterncUe : i" la 2" La 13) contente.: «ous 17) prend : Ceft 24) Philiftas : £t 25) boire,. Mais 28) les, . /e

P. 320, 1. 8) porte_. Et 10) humeur, 21) chatouillent,: 22) mort.:

26) vigoureufe : A/oy

P. 321, 1. i) corporelles : Et 10) compte : La. 11) l'ambition : La

12) gifte : A 14) iamais.: 18) grain : A/ettons 23) port.. T'eus 24) l'ombre.. 71 26) gloire.. 71 28) tanière : Quitez

P. 322, 1. i) d'autruv : 7:t 3) mefrae : Jouuienne 5) gens : Len 6) vn. . 71 8) peuple ; Ceft 10) cachette.. 71 11) tanière : Ce

13) mefmes : i?etirez 14) receuoir : Ce 15) gouuerner. . 71 16) compa- gnie : 7ufques 21) intentions : Si 22) train.. 71s 25) plaire : Lt

CHAPITRE XL. = P. 323, 1. i) couples.. 71 4) ambitieufe : TTntre 5) regiftres : £t 7) hiftoires : Mais 10) amis : En

P. 324, 1. 2) efcris.. 71s 3) faire,. Et 6) Afriquain : Car 8) mefme,. On

12) louables,. Lt 13) principales : Comme 15) bague : Ces lé) pro- pres : J 18) guerre : De 23) ce recomandant

P. 325, 1. 14) muficiens, ATas 16) art, 7a 20) manière : TTt 26) hngadcQ') - P. 32e, 1. 19) philofophes : Car 20) amis,. Afais 22) autruy : Car 23) renommée, 25) appeller, :

P. 327, 1. 4) différence,: 6) cadence,: 7) fapience, : 9) dire., 10) chofes : 51 lé) lendemain.. 71 27) priué.. Mais

P. 328, 1. i) langue.. Trop 7:t 2) cerimonieufes 3) courtoifes.. 7e 4) feruice.. 7e 5) crois : Ceft 7) prefentations : La 11) flateur, Qui faict,

12) tire, 13, \'ar. 88) die,: £t 24) Italiens., L'en 25) volumes : Celles P. 329, 1. 7) autre, Car 8) iamais : 7'ay 10) marge.. Celles 11) moins.:

depuis 7)epuis 14) matière.. Comme 20) defchargc.. Comme 22) finance.. /ant Tât

CHAPITRE XLI. = P. 330, 1. 2) gloire, Que 12) autre : Ceft 14) 71

15) vanité.,

P. 332, 1. 7) Romme, communément, 9) promouuent 11) Spartes, 26) blesser i": 2°;

CHAPITRE XLII. = P. 333, 1. u) merueille,

P. 334, 1. 10) poche -.Si 12) defcouuert : Ou 23) monftre 24) (ienncs..

26) cherchez, guaine : Fous 27) defpouillé.. 71

P. 335, 1- i) ancien., Sçauez 3) patins : La 4) efchaces : Qu'il $) che- mife : \" a A allègre? Qu'elle (faute d'impression). 6) il? cft 7) autruy? l.\

11) il. 17) fortuna.: un 19) foy, 22) «on

APPENDICE I. 44',

P. îj6, 1. 5) repoussent j 8) difparité.:

P. 557, 1. 6) volantes : £t 7) armées., 14) ils? Quand 18) colique.»

24) plaie.: Et 26) pocte,

P. 338, I. 4) rabiller.s 6) fiât., i/uoi 12) fauourer : C'cft 15) heureux.: 20) hebeté,:

P. 559, 1. 2) monde : a 20 A 4) auro., 7) dents, 11) pipcrie.: i^ oui Oui 17) doux.: 20) guider,: 22) quietum, 25) velle..

P. 340, 1. i) dauantage,: 5) priuez,, 4) trouuons. , 8) mufiquc? h 17) populaire., 20) cœnœ, oftro,

P. 541, 1. 5) faute., car ii) plus, 15) penfces,: luger 15) alFifes.,

18) fien :

P. 342, 1. 10) imaginaires : Chaque 13) auant, 17) valets,: 19) Perle,: 22) vie.. La

P. 343, 1. 3) moy. : 10) lucceireurs.. Si 11) affection : Pourquoy

15) moy., lé) difproportion.. 71s 17) Tout 18) fard,: Leur 19) eux.,

20 moy»

P. 344, 1. 7) arbres, 10) Anacharfis. feroit, 22) eftat? /lourquoy 28) propos.,

CHAPITRE XLIII. = P. 345, 1. 16) apparente : C'eft

P. 546, 1. 4) tiilh\. Elles 12) moins, (faute d'impression). ordonnance,:

P. 347, 1. 2) court.. Qu'ils 3) occultes^z 14) vitieufes.,

CHAPITRE XLIV. = P. 349, 1. 4) quitter, aufli,

CHAPITRE XL V. = P. 353, 1. 12) vaillance.: monftrer 14) bleffeS

20) monrtrant

CHAPITRE XLVI. = P. 355, 1. 8) volontiers.: 11) droit,

P. 356, 1. 12) par une faute d'impression visible, le texte de 1588 donne niagnificncé. Montaigne efface l'accent sans rétablir le C. 2o) eftrangeté.. /'ay 23) Vallemontanus,

P. 357, 1. 8) tige : El

P. 358, 1. 5) famille.: 21) prjemia, il

P. 359, 1. lé) aduentagent.,

P. 360, 1. 5) Toutesfois.

CHAPITRE XLVII ('). = P. 361, 1. 5) ventura, qui 15) dauantage,

16) fus? ^uell'efperance

P. 362, 1. 10) vaincre., 12) contrairei, infatiable, 27) ncceflité., P. 363, 1. 3) Clodomite (faute d'impression). 22,\'.\R. 88) ainfi.: /es 25) armée? 5'ils 24) mon, 25) fiens,

P. 364, l. 2) raifon.: car 11) faire., 28) party.. L'accident P. 365, 1. 2) inconuenient, 14) courfe., 25) ordonnance..

' Ce chapitre dans les éditions publiées du vivant de Montaigne est divisé en alinéas. C'est le seul qui présente cette particularité.

444 APPENDICE I.

P. 366, 1. 4) coy.. 16) guerre., 29) rcnnemv.: rar

P. 567, 1. lé) Italie. 17) print : Mais 25) dépendent. 24) fortune..

CHAPITRE XL VIII. = P. 370, 1. 5) cousteillier P. 371, 1. 17) cheual, 23, Var. 88) fuite : Mais

P. 372, 1. Il) cheual,: confequence,: 12) lâche_: 13) refpondre, . -■/ 15) cheual., 21) peut.. Comme 28) ventis,:

P. 374, 1. 12) aiigiiis 18) cofté, 20) Piccards 22) Suéde : .-fux

P. 375, 1. i) vfent., 6) bride.,

P. 576, 1. 18) nature. . aucuns

P. 377, 1. 4) ces 16) Ambaffadeurs ; 26) coiilrciiis 27) sou

P. 378, 1. 12) Dahas,: 26) selle,. El

P. 379, 1. 7) clouées.:

CHAPITRE XLIX. = P. 380, 1. 1) peuple, 4) arreft,

P. 381, 1. 16) lors, 22) mains,: 26) fimplicité, 27) parfumoyent,

P. 382, 1. 9) temps., 15) Vénitiens.,

P. 383, 1. 9) paflans., 24) poste : Le

P. 384, I. 23) mefme, 24) oindre.,

P. 385, 1. 3) port., 3) Tota 12) aulfi.,

CHAPITRE L. = P. 38e, 1. 4) loing, £t 5) riue,: El 12) meilleure., P. 387, 1. i) argument^: 71s bons : £t 2, \'ar. 88) volentiers corrigé en volontiers 6) sçai eimc 9) eschaiitilloiis 2" Eschaiilillons 15) Cette P. 388, I. 2) amoureufes. . On 22) Alexaiide P. 389, 1. 15) larmes.,

CHAPITRE LI. = P. 391, 1. 2) grandes.: t'eft 16) orateurs,: P. 392, 1. 10) médecine : £n 18) contre 2" Contre 21) les Les P. 593, 1. 8) raifon,: 12) mot, 19) fauces,: 25) confiderations. , P. 394, 1. 9) iEmilius, 14) corniches, 20) pellegrin, : 27) femble,

CHAPITRE LU. P. 396, 1. 16) mefmc : 71 P. 397, 1. 5) demy, par iour,

CHAPITRE LUI. = P. 598. 1. 12) accord.: P. 399, 1. 3) dcfreglée.,

CHAPITRE LIV. = P. 400, 1. 5) entiers, de vers, 14) phiifomment,

P. 401, I. 8) moyennes,

P. 402, 1. 6) courage : /Is 11) e.Ktremitez.,

CHAPITRE LV. = P. 405, 1. 8) Plante.,

P. 406, 1. i) anciens.: c'eft 2) bon., 9) autre., 21) tort., car elle (faute d'impression). 23) feruent : Si mouchoir, 24) iour : 7:lles P. 407, 1. 3) air, : & 6) pestes 10) font : Qui 18) ces

CHAPITRE LVI. = P. 408, 1. 2) efcoles : A'on 3) chercher: ft 11) pro- pos : Comme 13) trompe., Mais 17) n'auons : £t

APPENDICE 1. 44)

P. 409, 1. 6) choie.. jVfais 7) bouche : Car 15) aide,. Sms iniufte.. /:t

18) protecteur,: 20) bon,:

P. 410, 1. i) infeparables.. Pour 2) caufe : I\ 6) redoublons,, frefentans

10) retormation., 12) ^anctonico 17) couftume : Ou 18) prières : Ce

22, Var. 88) vaniance corrigé en vengeance 23) Dieu.,

P. 411, 1. 8) {jiioi I)) de De lé) uisibks iitaiiiablea

P. 412, 1. 15) oreilles.: c'eft 2" C'eft

P. 413, 1. Il) Mahometants 14) changement,. A'on 16) langue : L'Eglife

17) folenne : £n

P. 414, 1. 6) egliie Eglise 11) point 15) raisons 18) prcsances P. 415, 1. 14) matière,. Comme 15) publiques). 17) ftile, 18) humai- nement,: que 19) theologalement : La 23) baffes,:

P. 41e, 1. 10) iuftice,: & 15) communs.. /Is 15) comparaifon : En 25) faire^,

P. 417, 1. 7) entreprinfes., 21) diuine : Toutestois

P. 418, 1. 4) menfonge.: 8) Dieu., Haud 13) celuy là.,

P. 419, 1. 14) œuil : fncore 15) grâces : £t

CHAPITRE LVII. = P. 421, 1. lé) auant,. E\.

P. 422, 1. Il) beau.: 14) Dauphiné,. 25) auancé : 71

P. 423, 1. 14) l'oihueté.

APPENDICE 11,

LEÇONS DES ÉDITIONS DE 1380 & 1382.

LEÇONS DES ÉDITIONS DE 1580 & 1382.

Quoique l'édition de 1588, à laquelle appartient I'Exempiaire de Bordeal'x, porto le titre de ciiujuiesme, nous n'en connaissons que trois qui l'aient précédée; la première en 1580; la seconde, rcucuc & aiiginciitce, en 1582; la troisième en 1587. Les travaux de M. P. \'illey et nos recherches nous ont convaincu que cette troisième édition est une réimpression fautive de la seconde, elle n'en diffère que pat quelques fautes d'impression corrigées et par beaucoup de fautes d'impression nouvelles. Il nous parait inutile de donner ces leçons que l'on retrouvera d'ailleurs dans l'excellente édition du texte de 1580 publiée par MM. Dezeimeris et Barckhausen. En revanche, nous avons recueilli des éditions de 1580 et 1582 toutes les leçons qui diffèrent du texte de 1588.

Nous désignons par a les leçons de 1580, et par /' celles de 1582.

Pour les leçons communes à a et /', nous suivons l'orthographe de celle des deux éditions qui a été revue et corrigée par Montaigne, celle de 1582.

AV LECTEVR. = P. i, 1. 2) a, b : propofé nulle fin P. 2, 1. 6) a, b : ce premier de Mars. 1580.

CHAPITRE I. = P. 5, 1. 2) a : ayant vengeance

P. 4, 1. 2) il, /' : iufques a 9) c, fr : Scanderbech 17) (7, b : a nulles plus

P. 5, 1. 8) rt, i : celle

P. 6, 1. et Var. 1. lé) n, h : eftablir nul ingénient 22) a, b : pour aulruy.

CHAPITRE II. = Dans a, b ce chapitre commence par Le COnte (1. 7).

P. 10, I. 8) rt, /> : comble

P. II, i. 16) a, b : infupportable. Ce qu'exprime naifuement le diuiii poème. mifero

P. 12, 1. 9) a, b : de la fe peut engendrer par 24) a, b : que Pape

CHAPITRE III. = P. 17, 1. 4) a, b : Berthelemi 25) a, b : que l'en fuurnilfe. Edouard 27) a, b : combien la prefence

P. 18, 1. 13) a, b : premiers ne 14) a, b : mais cetuy cy y veut encore traîner la 2;) rt : cet exemple 27) a : parmy fes humeurs

P. 19, 1. 2) rt, /' : defroboit & cachoit pour 4) a, b : cachées : & iufques a telle (I. 10).

450 APPENDICE II.

CHAPITRE IV. = P. 23, 1. 2) a : ne donne ni du tOUt (1- 2), ni foit (1. 3).

P. 24, 1. 12) a, b : OU droit P. 25, 1. 16) (7 : ou la

CHAPITRE V. = P. 26, 1. 6) a : dernier P. 28, 1. 13) a, b : Guichardin P. 29, 1. 3) fl : Berthelemy

CHAPITïlE VI. = P. 30, I. 3) a, b : leur part, cryoient

CHAPITRE VII. = P. 33, 1. 5) rt : Philippe lui remettroit /' : luy remettoit 7) a, b : eftoit enfuy 12) a,b : d'Aiguemond, aufquels il fit trancher la tefte, il

CHAPITRE VIII. = P. 56, 1. 2) a, b : en nul lieu 10) a : trouue comme vanam lemper b : trouue comme variam

CHAPITRE IX. = P. 37, 1. 1) a, b : de la mémoire, qu'a moy. Car 2) a, b : quafi nulle traffe chez moy : 3) ^, ^ : vue fi 6) a,b : réputation. l'en pourrois faire des contes merueilleux, mais pour cefte heure il vaut mieux fuiure mon thème. Ce n'eft pas (p. 39, ]. 16).

P. 40, 1. 6) rt, /' : tous les coups 11) a, b : prife, il cfchape

CHAPITRE X. P. 44, I. i) a : Onques 14) a, b : toute heurte de 15) a, b : Ex puis les

P. 45, 1. 2) a. b : d'autres Princes 13) «, b : donne nul aduantage 20) a, b : le cognois bien priuement & par ordinaire expérience, cefte condition de nature, qui ne peut fouftenir vne véhémente préméditation, tant pour le défaut (i : pour défaut) de la mémoire & difficulté du chois des chofes & de leur difpofition, que pour le trouble qu'vne attention véhémente luy aporte d'ailleurs. Nous difons 24) a, b : imprime es ouurages, ou 25) rt : il y a 27, \"ar.) a, b : trouble. En (p. 46, 1. I).

P. 46, 1. 3) a, b : par ("es paflîons i} C '■ recueillie (dans quelques exemplaires).

y) a, b : l'agitation, c'eft la vie & la grâce de fon langage : fes efcris le monftrent au pris de fes paroles : au moins s'il v peut auoir du chois, ou il n'y a point de valeur.

CHAPITRE XI. = P. 47, 1. 9) rt : trepillement 10) des foudres... riuieres

(addition de 1588).

P. 48, 1. 19) a, b : en l'Italie

P. 49, 1. 5) a : ne donne p.is fui

CHAPITRE XII. = P. 53, 1. 25) a, b : molin

P. 54, 1. i) a, b : théâtre des arcnes 2) a, b : colluurine 13) ii : fortune ait ia fauorifé leur

CHAPITRE XIII. = P. 57, 1. 3) (7 : a l'entreuë aufli

CHAPITRE xrv. = P. 58, \. 12) a, b : eftrangement fous de

P. éi, 1. I, Var. 88) a : que de fc

P. 62, I. 7) a : pour finir la a : Brutus a tout fon armée on

P. 64, 1. 8) a, b : donnez la 13) a, b : pour finir les

P. 65, 1. 6) û : par l'eft'ect 9) « : l'a Dieu 24) a, b : que de l'aloé

APPEXDICE II. 4jl

P. 69, 1. 20) a, h : foibles des reins

P. 71, 1. 21) a, b : peau? & l'en furnommoit on Madame refcorclicc. Il 22) a, b : en acquérir la

P. 72, 1. 3) a : coftcs 24) (7, b : preftre a tout cinq

P. 82, 1. 6) a, b : tout ainfi qu'a 7) a, b : aux luxurieux 9) a, b : ne font ny doulorcufes, nv 13) " courbé /' : courbe

CHAPITRE XV. P. 84, 1. 9) ((, /; : poullailler

CHAPITRE XVI. = P. 86, 1. 12) a : contre confcience

P. 87, 1. 22) (ï, /' : roiturier

CHAPITRE XVII. = P. 88, 1. 5) Bafti... armenti addition de 1582. P. S9, 1. 18) (I : température, de 23) a, b : cerimonies P. 90, 1. 15) a : poingnard

CHAPITRE XVIII. = P. 92. 1. 4) a, b : cft nulle, qui 17) /' : première a l'arme

P. 93, 1. 8) « ; hors la ville 25) a. b : fomnc 25) a, b-. perdez (LVditioii

de liS; donne perdiez)

. CHAPITRE XIX. = P. 96, 1. 17) a, b : menufiers 18) a, b : Cicile P. 97, 1. 27) a, b : réglée & bien aliénée, ne P. 98, I. 7) a, /' : parler bon François

CHAPITRE XX. = P. 102, 1. iij a, b : hommes paffant leur

P. 104, 1. )) tj : 1553 /' : 1532 - 25) a, b : terme, & ce fameux Mahumet aufli. Combien

P. 105, 1. 6, \'.\R.) a, b : a l'airte i8) a : qui luv cloft 22) a, b : bleflure, & qui l'eftonna Ci peu, qu'il ne s'en affit, ny repofa, iufqu'a ce que le voyla perdu cinq ou fix heures après d'vne Apoplexie. Ces exemples

P. loé, 1. j) a, b : c'eft vne folie 9) a, b : eux mefmes, ou 12) a : meilleur' heure

P. 107, 1. 7) a : condition : ne

P. 108, 1. 13) a, b : prefent heureufe, ne m'en 21) a : en bataille

P. iio, 1. 9) 17 : le 15. ou 16. de b : \e quinziefme ou 16. de

P. 112, 1. 2) (7 : fes 5) fl : les en trouue 22) /' : courbé 25) a : qu'elle le craint

P. Il), 1. i) a, /' : pas par vous 7) a, b : pendet. Et ne mourez iamais trop toft. Si (p. 116, 1. i).

P. 116, 1. 8) rt : parfournit, & en 20) rt : rabatrez 25) a, b : manebit. Dauantage nul (p. 117, 1. 15).

P. 119, 1. 21) a, b : elFrayables 26) & de prefcheurs addition de 1582.

CHAPITRE XXI. = P. 121, 1. 2) a, b : de l'aprehention, chacun

P. 122, 1. -) a,b : ne l'y peut 12) a, b : plume nous fentons 22) a : les produit en

P. 123, 1. 20) a, b : s'en enleuent

P. 124, I. 12) a, b : pouuoit efchoir nul foupçon

452 APPENDICE II.

P. 12), I. 5) a : & notamment cela eft a craindre, ou les commoditez fe rencontrent improueues & preffantes. A qui a affez de loifir pour fe rauoir & remettre de ce trouble, mon confeil eft qu'il diuertiffe ailleurs fon penfement, ou qu'on luy perfuade, qu'on luy fournira des contreenchantemens (1. 5, Var. 88). b est identique au texte 88

sauf les variantes suivantes : difficile, qu'il fe (faute d'impression probablement)... feruy, a y...

contrenchantemens. . . cerimonieufes.

P. 127, 1. 15) de l'affaillant addition de 1588. lé) a, b : diuerfes al'armes elle

Ï-) a, b : ne les faict 20, \'ar. 88) luy addition de 1588.

P. I 30, 1.8) a: imagination en raporte les efcruelles en Efpaigne, que fon compai- gnon laiffe icy. Voila 10) rt : a l'on 14) a, b : apofime 18) domeftiquc addition de i;S8.

P. 131, 1. 9) a : efplingue quant & quant fon

P. 152, 1. 9) a, b : veuë, c'eft figne 21) a : montaignes. Mon parc vit vn iour vn chat 28) a, b : veùe de le

CHAPITRE XXIII. = P. 137, 1. 16) a, b : araignes

P. 140, 1. 13) a: cartes, aux dez 14) « : quclqu'vn autre 17) « : mains, vne hallebarde 23) a, b : il nulle opinion

P. 145, 1. 20) a, b : N'a elle pas faict encore 23) a, b : ce que la raifon & toute

25, Var. 88) a, b : l'heure

P. 149, 1. lé) a, b : lors, qu'il peut

P. 150,1. 2) fl, & : Qu'eft-il de plus 6) «,/>: eftat des gens 15) rt, />: venge il encoure

P. 151, 1. 2) fl : toutes ces façons 9) comme... tres-inique addition de 1582. II) d'vn magiftrat addition de 1588. 17) a, b : police bien inftituée c'eft

22) a, b : afin que fi la... chacun il fut

P. 15e, 1. 25) a, b : dormiffent pour vint P. 157, 1. 9) a, b : loue Flaminius qu'eftant

CHAPITRE XXTV. = P. 159, 1. 10) a, b : n'eftoit nulle occafion 19) a, b : eftoz

23) a, b : pour c'eft eftect a lendemain (a : cet)

P. léo, 1. 9) a, fc : n'y aura il nulle fin (a : ara) 27) a, b : entre les mains P. léi, 1. 13) a, b : procès en la lé) a, b : Fabius Maximus, que 2-2) a, b : commence des ce

P. 162, 1. 27) a, b : authcur mefnic &

P. 163, 1. i) a, b : auoir nullement en 18) le... Sylla addition de 1582.

23) fl, b : difcours de raifon. Il 26) a, b : fondé en difcours & apparence

P. 164, 1. 4) a,b: tirent quant & elle, le a : y conduiroit, eft 6) & puis... le droit addition de 1582. 18) a, b : dangier, il ne

P. 169, 1. 15) fl, b : autresfois ccfte hiftoirc i6) a, b : Triumuirat de Rome, auoit 19) fl : chaual, qui auoient 23) a, b : tout le monde, le

24) fl, b : mieux de pafler... que de demeurer 25) n, b : cefte trampc, luy P. 170, \. 2) a, b : remède : & puifque

CHAPITRE XXV. = P. 171, 1. 2) /' : de mon magifter i.mtc din.pr«sion. 5) a : n'auoir guiere

APPENDICE II. _|j3

P. 172, 1. 15) a, b : au maniemens

P. 174, 1. 22, Var. 88) a, b : faifoit

P. 175, 1. 18, Var. 88) a, b : vray

P. 177, 1. I, Var. 88) a : qu'opinions nous )) a: cfoheoit 22) a, b : prifci:

P. 178, 1. 3, Var. 88) le haï... foy-mefmcs est de 1580.

P. 179, 1. 12) b : reualez

P. 184, l. 6) a, b : vertu nieimes, on 20) a : failloit

P. 185, 1. 21) a, b : aymeroient

CaHAPITRE XXVI. ^ P. 188, 1. 20) a, b : defmeler, & puis me niellant de parler P. 1S9, 1. 10) d : refouder b : recoudre L'édition de 1587 donne recoudre

16) a, b : ett. du leur

P. 190, 1. 7) a : efté vn peu excul'able

P. 192, 1. 19) a, b : obfcure, & les 20) a, b : eftablir nul folide

P. 195, 1. I, Var. 88) a, b : prendre nul gouft 15) a, b : aucz bien auant

fauouré 18) a, fr : eftez

P. 194, 1. i) a, t : car vne fi vile fin & fi abiectc 12) a, b : que de redire P. 195, 1. 14) a, b : &. d'indigeftion 17) a, b : cuire. Q.u'il (p.ige 196, 1. 5). P. 196, 1. 10) Che... m'aggrada addition de 1582. 25) a, b : confondra P. 197, 1. 9) b : laiiTer fa liberté 10) de la Rhétorique & de la Grammaire

addition de 1588. 2o) de mOn temps addition de 1588.

P. 198, 1. 4) b : pais effranges 13) a, i : voifines qui ont le

P. 200, 1. 14) a, b : apprendra a n'entrer en difcours & conteflation 23) a, b : a nulle caufe

P. 202, 1. 4) a, b : fcrt a mcfnage 20) a, b : cftude qui veut, & qui ne fe propofe autre fin, que le plaifir : mais

P. 203, 1. 7) a b : mille & mille qu'il 8) a, h : feulement au doigt 14, Var. 88) a, b : Plutarque trier vne 22) a, b : Ephores de bons

P. 204, 1. 5) a, i : en fon vilage 16) a, b : conceuoit nulle plus

P. 205, \. 6) a b : poullailler

P. 206, 1. 5) a, fc : tant de diuers

P. 207, 1. 13, Var. 88) a, b : des-ia gouft 22) a, h : leçon qui eft la philofo- phie, ne 24) a, b : a nulle prife

P. 208, 1. 4) a, b : faifi toutes fes

P. 209, 1. 5) a, /) : rire, & non

P. 212, 1. 13) a : la ghene &

P. 213, 1. 2) a, b : voit nulle excellence

P. 214, 1. 6) a, b : l'entre-gens fe façonnent 20) a, b : vent & au foleil

P. 216, 1. 6) a : rendre leur gorge

P. 219, 1. 22) a, b : n'efl nullement a

P. 220, 1. 7) a : beneuolance

P. 221, 1. 5) a, fc : ces 17) a, b : a plus près

P. 222, 1. 17) a, b : n'aie nulle fouuenance 24) a, b : non fratrcfque, non 25) a, b : Gefar. Qu'on luy reproche hardiment ce qu'on reprochoit a Scnecque, Q.ue fon langage eftoit de chaux viue, mais que le fable en efloit a dire. le (p. 225, 1. 10).

454 APPENDICE II.

P. 224, 1. 26) a, h : ce fut que iuftement au partir de la nourrice il me donna

P. 225, I. 2) a, h : en la Latine 3) a : qu'on auoit 26) Marc Antoine Muret addition de 1582. 28) (ï, /) : précepteurs, m'ont dict fouuent defpuis, que

P. 226, 1. i) fl, /;: am'acointer. Bucanan lé) /' : furfaut, de 18) a: inftru- ment : & auoit vn loueur d'efpinette pour cet effect. Cet exemple b : inftrunient. Ceft exemple 22) a, b : recueilli nuls fruitz

P. 227, 1. 2, \'ar. 88) a : mouffe 15) «, /' : précepteurs tres-fuffifans 20, Var. 88) a, b : premières claffes : car 22) a, h : fans nul fruict

P. 228, 1. 2) des Amadis addition de i;88. 4) a, b : ny ne fais 13, Var. 88) a, b : dextrement, car faifant 18) a, h : c'eftoit la douceur & facilité des meurs : auffi n'auoint les miennes autre 19) a, /' : & molleffe. Le

P. 229, 1. 18) a, b : violence. Il n'y a (p. 2;i, 1. ;).

CHAPITRE XXVII. = P. 252, 1. 2) a, /' : & a ignorance

P. 233, 1. 19) a, b : que la fcience 23) a, b : que nulles autres

P 234, 1. 28) a Mante addition de 1588.

P. 235, 1. 21, \'ar. 88) a, b : impudence 25) a, b : fit deffus : Hefperius 26) a : qu'infefl:oient fa

P. 236, 1. Il) a, b : voftre beau entendement 28) a, b : particulier, en mettant P. 237, 1. j) a, b : curiofité ce font

CHAPITRE XXVXII. = P. 238, 1. 13) a, b : nom De la

P. 239, 1. 3) a, b : plein tout ce 9) a, b : connois nul qui 11) a,b: onques puis qu'il 22) a, b : pareilles. Entre 23) a, b : voit nulle trace

P. 240, 1. 19, \'ar. 88) a, b : de l'affection qu'il 21) a, b : fort}'. Et ceft autre P. 241, 1. 8) fl : & fe choquent

P. 242, 1. 15, Var. 88) a, b : fubiecte a facieté 26) a, b : fins : comme de la génération, alliances, richeffes, il

P. 243, 1. 2) a, b : femble eftre aflez 10) a, b : ceft autre

P. 245, 1. 9) a, b : Sz fe confondent 14) a : dire, le ne

P. 247, 1. 10) a, b : porte nul tefmoignage 11) a, b : fuis en nul doute 14) fl, b : mien : nulle de 15) a, b : fçaroit

P. 248, 1. 8) a, b : reçoit nulle augmentation 10) a, b : fçay nul gré 26) a, b : l'occafion, c'eft

P. 249, 1. 4, Var. 88) a, b : Charixenus

P. 254, 1. 9, \'àr. 88) & auoit raifon addition de 1582. 15) /' : émouuoir : dauantage il (L'édition de 1580 ponctue comme l'édition de 1588.)

CHAPITRE XXIX. P. 255, 1. 2) a, b : ou par ce

P. 256, 1. 3) b : Madame, vn' autrefois. Les L'édition de 1580 donnait déjà : vn iour a l'oreille

CHAPITRE XXX. = P. 257, 1. 4) a, b : &i trop violant

P. 259, 1. 4) a. b : n'eft null' action 5) a,b: &. fi fecrette 20) a, b : volupté aucunement confcientieufe 24, Var. 88) Le texte Je a et b s'arrête .i s'en abftenir pour

reprendre i Les Roys (p. 260, L 14).

P. 261, 1. 7) a, b : fomme nulle fi 22) a, b : trouuent nulle voye

AHPEND1C1-: 11. .(^j

CHAPITRE XXXI. = P. 264, I. 4) a, b : nations barbares) mais 1 5) <i : que céte cy roit eiiciire la dernière qui fe fera, tant 17) a : en l'autre. l'ay

P. 265, 1. 5, Var. 88) rt, h : apris des preftres

P. 267, 1. 22) a, b : viHige qu'ils les ont gouftées : & pour 51) d, fc : filTent des narrations particulières

P. 270, 1. 5) rt, fc : & fi fimple 6) <;, /> : a nulle efpece 18) a,b: Si très-bien

20) a,b : veu nul tremblant 25) a : chair 24) a, b : n'ont nulle reflemblance -r- a, b : fans aucun autre 27) a, b : qu'ils le mirent en pièces a coups

P. 271, 1. 4, Var. 88) a, b : a cuyre leur 9) a, h : lors mais ils boiuent 13) a, b : boyuent pas autrement que 22) a, b : manger, les prefche 25) a, b : toute vne grangée

P. 272, 1. i) a : font celles qui 6) n, b : cadancc de leur dance. Ils 7) a,b : fans rafouër. Ils 15) a,b : aflemblée folenne de 21 , \"ar. 88) a, b : c'ert en telle

P. 275, 1. 7) (I : ou ces efpées 12) ii,b : & la plante a 16) n : atache vn cordon a

P. 274, 1. lé) a, b : auoit nul mal 25) a, b : iamais nulle opinion

P. 27s, 1. 9) a, fc : eftdela 12) a, b : leurs fuiuans & enfans en 26) a, b : void nul qui 30) a : communément de menaifes

P. 276, 1. 7) a : c'eft a ce

P. 277, 1. ï) a, b : courage, qui pour 3) a, b : relafche nul point 5, Var. 88) a : accufer non pas fa

P. 278, 1. 16) a, b : chair. Qui eft vne inucntion 17) a, b : fent nullement la

19) '' : qui les tuent 23) a : foions : car il

P. 279, 1. 4) a, b : la valeur du a : mary, d'auoir plufieurs efpoufées. Et afin P. 280, 1. 8) a, /; : quelqu'vn leur en 13) a, /) : barbe, roides, forti:

CHAPITRE XXXII. = P. 285, 1. il) a, b : vifage & gouft qu'elles 31) a, : noflre kiffifance, qu'elles

P. 2S4. 1. 6) a, b : quoi? le martyr Irenée y) a, b : fortune. Somme il fe faut

CHAPITRE XXXIU. = P. 286, 1. 29) a, b : face, qu'il;:

CHAPITRE XXXIV. = P. 288, I. 2) a, b : il nulle action 5) a, b : ayant enuie d'empoifonner

P. 289, 1.9) a,b: amorem, Poffet vt abrupto viuere coniugio, luy 19) a : telle de Sainct 24) a, b : de muraille, &

P. 290, 1. 13) a : fortune la print en mer, la ietta /' : mer, & la

CHAPITRE XXXV. = P. 295, 1. 6) a : les perfonnes rares

CHAPITRE XXXVI. = P. 294, 1. 2) a : couftume, (i foij^neufement a elle bridé

P. 295, 1. 18) a : fcarrabillat b : fcarbillat

P. 296, 1. 19) Celuy... au couuert addition de i>82.

CHAPITRE XXXVII. = P. 300, 1. 16) virtutem... ligna .iddiiion de 1582. P. 301, 1. 24) a, b : vaines foit par malice (p. 302, I. 15).

4)6 APPENDICE II.

P. 502, 1. 20) a, h : l'ambition : & de ceux qui font l'honneur la fin de toutes actions vertueufes. Ce perfonnage

P. 504, 1. 6) b : dict vn 14, \'ar. 88) a : chœur

CHAPiTRE XXXVIII. := P. 305, 1. 8) a : pour la Duché

P. 506, 1. 25, \'ar. 88) a, b : defprend

P. 307, 1. 8) a, b : voudroit nullement eftre

CHAPITRE XXXIX. = P. 309, 1. Il) a, b : franches & point de compaignon? Il

P. 310, 1. I, \'ar. 8S) a, b : font

P. 311, 1. 7) a, b : importunés (b : importunes) pourtant. Dauantage 19) a, b : s'eftoit nullement amendé a fon 22) a : patriîe

P. 312, 1. 3) comme... fecouant addition de 1582. ' 23) a, b : Ainfi

P. 313, 1. 7) a, b : perdu du fien 18) a,b : & qui ne 20) a, b : que noftre bon heur 24) a : priuée

P. 314, 1. 12) a : tel aduenture a, b : donne nulle peine

P. 317, 1. 15) a, b : vigueur, ny que 25) a, b : remède plus a main

P. 518, 1. i) a, b : s'accomode nullement au 13) a, b : propos. le

P. 319, 1. 15) a, b : liures fi elle a faute de règle & de mefure, elle eft a, b : que nulle autre & auili ennemie 18) a : l'auaricieus, & le voluptueux, &

P. 320, 1. 18) a, b : fciences feches &

P. 321, 1. 6) a, b : autres : & les alonger de toute noftre puiffance. Quamcumque Deus tibi fortunauerit horam, Grata fume manu, nec dulcia differ in annum. Or 19) a : & des deux fectes

P. 322, 1. 7) a, b : eftez

CHAPITRE XL. = P. 324, 1. 16) a, b : font plus propres

P. 325, I. 15) H, b : muficien auecques qui il 16) a : la Dieu a, h : Sire,

luy dit-il

CHAPITRE XLI. = a : de commvkiqver

P. 330, 1. 6) La fama... fgombra addition de 1582. 6, \'ar. 88) inuaghifce

P. 331. 1. I S) a : en fin 20) a, b : Achileonide

CHAPITRE XLII. = P. 333, 1. 3) a : internes. Car quant a la forme corporelle il eft bien euident, que les efpeces des beftes font diftinguées de bien plus apparente différence, que nous ne fommes les vns des autres. A la vérité 5) a : commun (car les folz & infenfez par accident ne font pas hommes entiers) que i'encherirois P. 334, 1. i) a, b : nous, nulle chofe s'eftime 23) a, b : font nullemeat fiennes P. 337, 1. 17) a, /' : n'a nulle vertu P. 342, 1. 29) a, b : mutuele. En laquelle amitié confifte P. 343, 1. 10) a, b : n'eft pas tefmoignage 22) a, b : orguillerois P. 344, 1. 19) a, b ponctuent ainsi : l'Afrique. Et en fin? Quand, mettant Et en fin

dans la boucliu de Cyneas.

CHAPITRE XLIII. = P. 345, 1. n) a, /' : d'autres : & par l'exemple

APPENDICE II. 4)7

P. 546, I. 4) a, b : de néant. Elles 6) n : a plus près 11) a ponctue ainsi : faict en vn... ordonnance : nous b ponctue faict : en vn... ordonnance nous 15) (j, /' : corrigea ce grand Zeleucus 23) a : par fes exceptions

CHAPITRE XLIV. = P. 549, 1. 2) a, b : doiue pas donner 5) a, h : planter pas comme 18) (i, /' : tuer, & cefte 19) a, b : domeftiques, party fon P. 350, 1. 19) a : paroUes & menalTes 30) « : & dormit de P. 551, 1. 25) a, b : dormir vne feule goûte.

CHAPITRE XLV. = P. 552, 1. 2) a. b : fort a la ii) a, b : regarder feu- lement la

CHAPITRE XL VI. P. 354, 1. 6) a : generalogie

P. 5)5, I. 8) a, b : volontiers (a : volentiers) : outre ce qu'a la vérité de ceux mefmes 12) a : Guafcogne b : Gafcogne

P. 356, I. 13) a : Grumegan

P. 558, 1. 15) a : voix par tous 18) a : ou a Gueaquin

P. 559, 1. 3, Var. 88) a, b : Qui croiroit que 17) Id... fepultos addition de i;82.

CHAPITRE XL VII. ^= P. 361, 1. 9) a,b: duintin l'y) a,b : fi-ce neantmoins

P. 562, 1. 12) (7, b : efprit précipitant & 14) a, b : Dieu, que de 1 1-) a, b : pouffer pas fon 19) a, fc : reuenoit

P. 363, 1. 16) a : accroiftre : & qu'il 18) o : fes 27) a, Zi : de fa bataille

P. 364, 1. 2) a, b : peu que de

P. 365, I. 9) a, t : de noftre Plutarque 12) a, /' : que nulle autre 17) a, b : afliete c'eft

P. 366, 1. Il) a,b: le degaft, ce 30) a, b : plante (L'édition de 1587 donne planté)

32) a, b : conduiroient fans ceffe &

P. 367, 1. Il) a : fcience des lieux 25) a : les aduenemens & a, b : dépen- dent mefme en

CHAPITRE XL VIII. ;= P. 569, 1. i) a, b : iamais nulle langue

P. 370, 1. 16) a, h : fort bien a cheual 22) a : Bucefal, qui auoit... d'vn toreau, qui ne

P. 371, 1. 5) a,b: doigts, qui ne a,b: Ca;far, lequel dédia 17) a, b : cheual &les

P. 372, 1. 6) a, b : affignées ils fe 7) a, /> : a nulle autre 23) a, /' : plus feur de

P. 374, 1. 21) a, b : fes 26) & bardelles addition de 1582.

CHAPITRE XLIX. = P. 380, 1. 17) a, b : ainfi fon entendement

P. 381, 1. 14) a, b : combatre l'efpée

P. 382, 1. 4, Var. 88) a, b : poil qu'ilz appelloint Psilotrv.vi Pfilotro 8) a, b: fur des materaz. Hz a : Turs 15) comme... Vénitiens addition de 1582.

P. 383, 1. 4) a, b : Se la n'aj'ant 13) a, b : feruoint mefme de cefte nege 19) a : lautas 26) a, b : aprefter. Car auffi

P. 384, 1. 3) a : nous y faifons 4) a : mais la fuffifance ne les peut égaler : nos

30) a, b : vient eftre

4)8 APPENDICE II.

CHAPITRE L. = P. 586, \. 11) a, h : a trier la 15, \'ar. 88) a, h : fournir elle mefme les

P. 587, 1. 2, Var. 88) a, b : extraordinaire & fantafque. l'en

P. 589, 1. 12) a, h : fortoit guiere en 23) a, b : commiferation elles font

P. 390, 1. 4) a, i : vent, il eftoit

CHAPITRE LI. := P. 391, 1. 15) (I, & : ou la Lacedemonienne

P. 392, 1. lé) a, b : leur plus grand

P. 393, 1. &) a, b : cefte défaillance ne 11) a, b : Perfe nul orateur

25) a, b : de mille belles

P. 594, 1. 14) a, b : cornices 23) a, b : n'ayent nulle reffemblance

26) a, b : d'employer vainement & fans aucune confideration les furnoms... fiedes, a qui bon nous femble. Platon (p. 39;, 1. i).

P. 395, 1. 2) a, b : que nul n'a effayé de luy

CHAPITRE LII. = P. 39e, 1. 6) fl : retourner y poumoir 14) a, b : luy nulle autre 15) «, ft : qui le fuiuoit, luy portant fa 17) a, b : iamais porté robe 18) û. b : & des maifons qu'il auoit aux 19) a, b : auoit nulle qui

CHAPITRE LUI. = P. 398, 1. 7) a, b : en nulle chofe

P. 399, 1. i) a, b : foulent pas. Non 14) a, b : vice des chofes, il fe 15) rt : & fe plait d'autres

CHAPITRE LIV. = P. 400, 1. 16) a, b : vne fi belle art 18) a, b : rarité

P. 402, 1. 5) a : font, ils s'eflancent 6) a, b : par force

P. 404, 1. 7) a : efpritz groffiers & ignorans, ny guiere aus delicatz et fauans. Ceux la 9) « : trop : ils trouueroint place entre ces deux extrémités.

-CHAPITRE LV. = P. 405, 1. 2) rt : vne odeur fc : vn odeur 4, Var. 88) a, b : fentir a rien

P. 40e, 1. 2) a, b : fantir a bon

CHAPITRE LVI. = P. 408) le propofe... icy (1. 12.) addition de 15S2. b : propofe icy des

P. 410, 1. 3) a, è : defchargée des paillons

P. 412, 1. 17) a : parmy fes vains

P. 416, 1. 12, Var. 88) a, b : aduis en cela, defindent 24) a, b : vitieufcs & deteftables. Pardonne

P. 417, 1. 18) a : Eglife, qu'il 19) a, b : lailfe a penfer l'ame 20) a, b : beau defir, a 26) a, b : fubmife

P. 418, 1. 4) fl : en tefmoing de

CHAPITRE LVn. = P. 420, 1. 3) a : \e veulent empefcher 4) a, b : ou on 6) 1;, b : quarante huict iS) a, b : a. \n pleurefi, &

P. 421, 1. 2) fl, 6 : flatons point de 24) a, b : vingt cinq 29) a, b : quarante cinq

P. 422, 1. 5) a, b : dixneuf 8) « : qu'elles le doiuent a, b : pourront iamais. Iamais 9, Var. 88) a : céte aage la preuue plus euidentc b : ceft aage, la preuue bien euidente 25) a : cet' aage b : ceft' aage

P. 423, 1. 10) a, b : pleins donc des

APPENDICE III

LEÇONS DE L'ÉDITION DE 1593,

LEÇONS DE L'ÉDITION DE 1595.

Avant de donner un choix de leçons de l'Édition de 1595, qu'on me permette de compléter ce que j'en ai dit dans I'Introdvctiox.

Des renseignements mêmes que M"'^ de Gournay nous donne dans la préface de l'édition de 1595, il suit : qu'il a existé deux copief du livre préparé par Montaigne (copie ne voulant pas dire transcription d'un manuscrit, mais manuscrit préparé pour l'impression); que l'une des deux a été faite après la mort de Montaigne par les soins de M""' de Montaigne et de Pierre de Brach; 3" que l'autre, faite d'original, est restée en la maison de Montaigne et qu'elle était sans doute écrite de la main de l'auteur, puisque c'est cette copie que M"*^ de Gournay appelle en témoignage ; 4" que la copie seconde ou transcription, envoyée à Paris, a été imprimée sous la surveil- lance de M""^ de Gournay avec une minutieuse fidélité.

Or la «copie» originale ne peut être que I'Exemplaire de Bordeaux'. Quant à l'autre «copie» elle devait, comme le modèle, être faite sur un exemplaire de 1588; le copiste y transcrivit les corrections et les additions manuscrites de Montaigne, mais avant sans doute une écriture plus large, il recourut plus souvent que Montaigne à des pages intercalées qui suppléèrent à l'insuffisance des marges.

En résumé, de I'Exemplaire de Bordeaux à l'édition de 1595, il y a eu les étapes suivantes : déchiffrement, revision et transcription, à Bordeaux, de I'Exemplaire; 2" revision à Paris par M"= de Gournay et impression de la transcription de Bordeaux, chez L'Angelicr. par les soins de M''^ de Gournay.

Les différences qui existent entre l'Exemplaire de Bordeaux et l'édition de 1593 proviennent donc ou du travail fait à Paris, et Montaigne n'y est pour rien; ou du travail fait à Bordeaux, et dans ce cas le transcripteur et les personnes qui l'ont surveillé, ont pu avoir des notes et des indications de Montaigne.

' Aux arguments que j'ai donnes dans l'Introduction, et i ceux que je donne ici, s'ajouteraient ceux que fournit l'examen de l'Édition de 1598, » prise, dit le titre, sur l'exemplaire trouvé après le décis de l'auteur.. Sans parler de ce titre, pourtant assez significatif, V.lvis au Lecteur, de .Montaigne, l'épigraphe Vireit/ue acquirit eundo et quelques autres détails, montrent que pour cette édition M"" de Gournay a recouru à l'ExEMPLAtHE de Bordeaux, comme au manuscrit original.

462 APPENDICE III.

M"'^ de Gournay a prétendu qu'a elle a secondé les intentions de Montaigne jusqu'à l'extrême superstition». Cependant elle n'est pas à l'abri de tout soupçon d'erreur. Par exemple, elle avait égaré la page qui contenait l'Avis de Montaigne au lecteur; elle l'a retrouvée sans doute, mais cet Avis manque dans un certain nombre d'exem- plaires et eût pu manquer dans tous. De même en est-il arrivé pour un autre long passage (de p. 154, 1. 18, à p. 155, 1. 17. de notre édition) : au verso du folio 21 de l'Exemplaire de Bordeaux, les additions manuscrites qui occupent les marges étant considérables, l'auteur de la transcription avait mis sur une feuille détachée une partie de ces additions; la feuille détachée s'égara, fut retrouvée, mais trop tard, et M"= de Gournay dut faire, pour restituer cette omission, un carton qui n'existe que dans quelques exemplaires. Ces omissions sont certes réparées, mais parle hasard; elles nous font légitimement craindre que d'autres aient été commises, qui n'ont pas été si heureusement réparées. Voici enfin un dernier exemple plus caractéristique : au verso du folio 17 (p. 62, 1. 16, de notre édition) Montaigne nous dit que le « Roy lan de Portugal uandit» aux Juifs, «a huit efcus pour tefte», la «retrete» dans ses terres, «a condition que dans certein iour ils aroint a les vuider»; net luy, prometoit, continue Montaigne, leur fournir de uesseaus a les traiecter en Afrique». La virgule qui sépare luy de prometoit, rend le texte très clair. Mais l'imprimeur de 1595 ou peut- être le copiste de Bordeaux oublie cette virgule, et prenant sans doute «luy» pour un datif, estime que luy fait double emploi avec leur, si bien qu'il supprime leur; et nous avons dans l'édition de 1595 : & luy promeltoit fournir. M"'= de Gournay s'étonne à son tour; ce luy est bien incorrect; elle le remplace par leur; désormais c'est le texte courant : « & leur promettait fournir de ivsseaux » .

.Gardons-nous donc de prendre pour des corrections de Montaigne des erreurs de M"*^ de Gournay.

Mais le plus grand nombre des leçons nouvelles que fournit l'édition de 1595, est soit à des erreurs, soit à des modifications volontaires, commises par la personne qui a transcrit l'Exemplaire de Bordeaux ou par ceux qui ont dirigé son travail. Des notes ou des indications laissées par Montaigne y auraient-elles été utilisées?

Mille fautes proviennent de ponctuations négligées ou omises. Le lecteur a vu dans l'appendice I la quantité de ponctuations que Montaigne sème dans son livre : ponc- tuations très irrégulières, quoique très expressives. Il y en a tant que le copiste les a oubliées quelquefois; il v en a de si singulières qu'il s'est cru autorisé à les corriger; et la phrase autrement coupée change de sens. «Il (le peuple) n'eut pas le cœur, dit l'édition de 1588, de prendre feulement les balotes en main; & fe départit rafTcmblée louant grandement la hauteffe du courage de ce perfonnage» (p. 5 de notre édition); Montaigne a renforcé le point-virgule en remplaçant & par El; mais le point-virgule est une ponctuation rare au temps de Montaigne et dans le livre de Montaigne ; le copiste ne la connaît sans doute pas; il la remplace par une simple virgule; il ne s'explique pas pourquoi cet Et est substitué à &, il ne tient pas compte de cette majuscule; il écrit main, et se départit l'assemblée. Départit semble rapproché de i7; le contre-sens devient facile; le voilà fait et lourdement appuyé : l'édition de 1595 imprimera : « il n'eut pas le cœur de prendre feulement les balotes en main, & fe

APPENDICH 111. ^65

départit : l'aiTeniblee louant grandement la liautefTe du courage de ce perlbnnane. » De même, p. 16, 1. 16 de notre édition, le manuscrit porte : « Donons a l'ordre politique de les ibuffrir patiammant indignes, de celer leurs vices.» L'édition de 1595 imprime : «de les fourtrir patiammant, indignes de celer leurs vices. »

De telles fautes quelquefois entraînent la modification d'une phrase entière, comme nous l'avons vu plus haut avec .\1"' de Gournay.

D'autres erreurs sont de simples confusions et proviennent d'une lecture rapide : à une ligne d'intervalle (p. 153 de notre édition, 1. 22 et 23), l'édition de 1595 donne souciassent pour sottignassent et substitue prouiioir à poiinioir.

Voici maintenant d'autres cas il nous semble qu'une intervention réfléchie a volontairement altéré le texte de Montaigne.

A la page 124 de notre édition, ligne 3, Montaigne nous dit : « Il cft vray femblable que le principal crédit des miracles, des vifions, des enchantemens, & de tels effccis extraordinaires, vienne de la puiflance de l'imagination.» L'édition de 1595 supprime «des miracles», et cela nous indique que M"" de Montaigne, sinon Pierre de Brach, était d'une dévotion un peu timorée. A la page 401, 1. 17, Montaigne dit encore : «Et celuv a qui fes ians qui l'armoint, voïant friflbner la peau, s'eflaioint de le r'affurer en apetiffant le hafiird au quel il s'aloit prefimter, leur dict : Vous me coneflcs mal. Si ma cher fçauoit ou mon corage la portera tantoft. elle s'en tranfiroit tout a plat.» L'allusion est claire; les éditeurs de 1595 y trouveront trop de hardiesse; ils impriment : «Ceux qui armoient ou luy (Montaigne vient de parler de Sancho de Navarre) ou quelque autre de pareille nature, à qui la peau friffonoit, effayercnt à le raffeurer; appetiflans le danger auquel... »

Enfin il existe une série de corrections systématiques, qu'on peut tout aussi bien attribuer à M"= de Gournay qu'à Pierre de Brach et aux hommes de lettres que consulta probablement .M""= de Montaigne, mais nullement à Montaigne. Estienne Pasquier et d'autres délicats, reconnaissaient dans les Essais «je ne sçav quoy du ramage gascon »; de fait, si, comme l'a démontré M. Lanusse, les gasconismes sont en somme assez rares dans les Essais, il n'y manque pas de termes et de tours qui sentent leur vieux temps, qui sentent la province, l'Italie, Rome, et dont le ww siècle naissant se défera. Montaigne ne redoutait pas ces archaïsmes et ces locutions; c'est sur eux que s'est exercée systéma- tiquement la sévérité des éditeurs de 1595. Faiisil est remplacé par fallut. L'indicatif dans certaines propositions subordonnées ou incidentes est remplacé par le subjonctif. fay peur que nous auous est corrigé en que nous ayons (p. 264, 1. 17). Il se faut reseruer vue arrière boutique... en laquelle nous eslablissons devient II se faut... en laquelle nous establissions (p. 515, 1. 20); mérite que nous abandonons devient que nous abandonions (p. jig, 1. 9); et afin que vous ne vous amuseipas, que vous ne vous amusiei pas. Le conditionnel est substitué à l'indicatif avec les verbes indiquant une obligation : les Dames... dcuoycnt sera les Dames... deuroienl (p. 385, 1. 17); et cette dernière correction se reproduit à chaque instant.

En tout cela encore, rien de Montaigne.

Quant on a fait la somme de ces erreurs et de ces modifications qui sont purement et simplement des altérations du texte vrai de .Montaigne, on s'aperçoit qu'on

464 APPENDICE III.

a expliqué la plupart des leçons par l'édition de 1595 diffère de ['Exemplaire de Bordeaux. Et le peu qui restera alors de ces leçons, à la rigtieur on y peut voir la mise en valeur de quelque brouillon de Montaigne; mais on y peut voir aussi ou quelque glose des gens qui ont eu en mains le manuscrit de Montaigne, ou un essai de restitution d'un passage mal transcrit, déchiré peut-être et maculé par l'envoi à Paris.

Je ne veux pas en conclure que toutes les leçons nouvelles apportées par l'édition de 1595 sont des erreurs ou des falsifications; seulement j'ai le droit d'affirmer que presque toutes sont en effet des erreurs ou des falsifications. Dans cette Edition Municipale, nous nous flattons de ne donner que du Montaigne authentique, et nous avons rapporté toutes les leçons des éditions de 1580 et 1582, nous ne traiterons pas avec le même respect l'édition de 1595; si le lecteur est curieux de la connaître intégralement, il recourra à la belle et parfaitement exacte réimpression de MM. Courbet et Royer. Nous n'insérerons ici que les leçons qui ajoutent quelque chose au texte de Montaigne, et qui l'éclairent d'un renseignement nouveau, d'une indication imprévue. Déjà nous en avons reproduit quelques-unes en note : les plus précieuses et les plus importantes. En voici d'autres; elles sont sans doute intéres- santes, elles demeurent suspectes, du moins à mes yeux.

CHAPITRE III. = P. 15,1.2) inutiles. Comme la folie quand on luy octroyera ce qu'elle defire, ne fera pas contente : auffi eft la fageffe contente de ce qui eft prefent, ne fe defplait iamais de foy. Epicurus (1. 5.)

P. lé, 1. 6) iamais, à luy, & à tous mefchans, comme luy, de fes

CHAPITRE VII. = P. 34, 1. 29) dit & apertement.

CHAPITRE XII. = P. 53, 1. 16) parler tout fon faoul. Toutes-fois

CHAPITRE XXII. = P. 56, 1. 12) maifon autant que ie puis de la cerimonie. P. 57, 1. n) cité & chafque vacation a

CHAPITRE XIV. = P. 63, 1. 2) Emmanuel fucceffeur de lehan, venu 5) Oforius, non mefprifable hiftorien 27) contreinte. En la ville de Castelnau Darr}-, cinquante Albigeois hérétiques, fouffrirent à la fois, d'vn courage déterminé, d'eftre bruflez vifs en vn feu, auant defaduouer leurs opinions. Quoties P. 65, 1. 27) générale loy de nature

P. 72, 1. 25) effet on portoit emmy fes befongnes de nuict. Guillaume P. 73, 1. 20) print à faueur & gratification finguliere du ciel. le n'enfuis pas ces humeurs monftrueufes : mais l'en ay perdu en nourrice, deux ou trois, finon

CHAPITRE XIX. = P. 97, 1. 8) bourreau : indigne & barbare cruauté! Et mille P. 109, 1. 13) L'édition de 1595 supprime fi cc n'eft de la vie, fi fa perte vient à me poifer.

P. III, 1. 8) loing la penfee, qu'il

APPENDICE III. 46)

CHAPITRE XXI. = P. 121, 1. 4) elchapper, par faute de force à luy icfifter 15) iour à Thouloul'e chez

P. 124, l. 3) L'édition de 159; supprime des miracles 8) encore en ce double, que P. 126, 1. 20) ayant à la dernière fois bien P. 135, I. 19) i'av leu, ouï

CHAPITRE XXIU. = P. 138, 1. 10) folides, polis, & 13) créatures de çà bas, endormies

P. 145, 1- 12) s'entrepreftent fans diftinction de parenté les

P. 146, 1. 21) & plus par

P. 148, l. 19) les des-naturces & prepofteres amours de

P. 154, 1. l8) Le passage Car qui... fequor (p. 155, 1. 16) manque dans la plupan des exem- plaires de l'édition de 1595; quelques-uns le donnent dans un carton qui a été annexé à la page 6j.

CHAPITRE XXIV. P. 164, 1. 15) d'vne telle humanité. Il

CHAPITRE XXV. = P. 176, 1. 24) Gafcon tiré d'vne chalemie, eft-il 25) mais à remuer les doits, nous en fommes là. Nous fçauons P. 183, I. 5) reformé, & couftumierement vn P. i8é, 1. 19) huictieme, quafi fans

CHAPITRE XXVI. = P. 188, 1. 2) L'édition de 1595 supprime au moins felon icelle.

P. 201, 1. 9) \'n pur Courtifan

P. 223, 1. 18) ambition fcholaftique & puérile. Peufle-ie

CHAPITRE XXX. = P. 261, 1. 4) concupifcence. Etnoftre hiftoire Ecclefiaftique a confcrué avec honneur la mémoire de cette femme, qui répudia fon mary, pour ne vouloir féconder & fouftenir fes altouchemens trop infolens & defbordez. II

CHAPITRE XXXI. = P. 280, 1. 26) tirer rien qui vaille. Sur

CHAPITRE XXXVI. = Page 295, 1. 6) noftre, & foubs bien plus rude ciel que le noftre; Et

P. 298, 1. 7) gelée : & nous en pouuons aulTi voir. Sur

CHAPITRE XXX'VII. = P. 301, 1. 14) particulier de leur nation debuoit

CHAPITRE XXX"VIII. = P. 307, 1. 16) iour ny heure à peine, en laquelle on

CHAPITRE XL VI. P. 358, 1. 14) l'immenfité, & rempliffant l'indigence de fon maiftre, de la poITeffion de toutes les chofes qu'il peut imaginer & defirer, autant qu'elle veut! Nature

P- 359, 1. 19) court tant de fiecles pour

CHAPITRE XL VII. = P. 368, 1. 5) participation à la témérité du hazard

CHAPITRE XL'VIII. = P. 375, 1. 19) Les Abyflins au rebours : à mefure qu'ils font les plus aduancez près le Pretteian leur prince, affectent pour la dignité & pompe, de monter des grandes mules. Xenophon

CHAPITRE LIV. = P. 402, 1. 25) àniaiferie&beftifeque nous foyonsarreftezen

466 APPENDICE m.

CHAPITRE LV. = P. 407, 1. 19) Faifans, fe trouuerent fur fes parties, reuenir à cent ducats, pour les apprefter félon leuj manière. Et quand on les defpeçoit, non la falle feulement, mais toutes les chambres de fon Palais, & les rues d'autour, efl:oient remplies d'vne très foûefue vapeur qui ne sefuanouiflbit pas fi foudain. Le

CHAPITRE LVI. = P. 408, 1. 7) pour abfurde & impie, fi rien fe rencontre ignorammcnt ou inaduertamment couché en cette rapfodie contraire aux fainctes refolutions & prefcriptions

TABLE DE CONCORDANCE

DES PAGES DE L'EXEMPLAIRE DE BORDEAUX

AVEC

LES PAGES DE L'ÉDITION MUNICIPALE

X. B. Les exemplaires de l'édition de 1588 sont numérotés par folio : aussi indiquons-nous le recto (r°) et le verso (v°). Il y a des fautes nombreuses dans la numérotation. Elles ont été corrigées à la plume sur I'Exemplaire de Bordeaux, à une époque assez récente. Nous donnons ces chiffres ainsi rectifiés, mais nous maintenons, au dessous du chiffre rectifié, entre parenthèses, le chiffre erroné.

Pour I'Edition" Municipale, les chiffres en romain indiquent la page, les chiffres en italique, la ligne.

I

Chap. I.

toute

2

ver- 1 tu

yO

frefches

3

r"

féconde

yO

aux larmes

4

Cor- 1 fegue

yo

ap- 1 porte

5

r"

premier

yo

Maximilian

6

r"

veu

yo

nous

7

r"

Gyn- 1 dus

yo

dolus

8

r"

en- 1 cores

yo

treue

9

vie- 1 toires

yo

efcient

.Mu

nicip.

Ix. de Bordeaux.

2

10

L'ame

4,

10

yo

d'eftre

5,

10

II

r"

porte

7>

5

yo

cette

10,

2

12

r"

&

II)

2

yo

Chap. X.

12,

22

13

j-o

demeuroit

i5>

II

yo

&

17,

2/

14

r"

con- 1 fifqué

18,

24

yo

paf- 1 fent

20,

}

15

r"

rire

23.

7

yo

il

24,

24

16

r"

Chap. XIV.

27>

/

yo

autres

28,

28

17

r"

vn

31.

7

yo

appro- 1 chant

32,

24

18

ro

fe- 1 rions'

34,

2

yo

qu'on

Éd. Municlp

36,

/

57>

12

39,

21

40,

25

42,

21

44

45.

6

46,

S

48,

14

S''.

7

5 5.

22

56.

4

58

59.

12

éo,

2}

62,

}

64,

26

65,

29

La tin de l'addition manuscrite (pages 62 et 63) qui occupe le verso du folio 17, déborde sur le recto du folio tS, à partir de SU{9V4i p. 6;, I. 24, Var.

468

TABLE DE CONCORDANCE.

E.1. de Bordea

ux.

Éd. Mu

nkip.

Es. de Borde

UX.

Éd. M

UDicip

19

r"

que

67,

22

34

ro

Tout

118,

4

prochai- | ne

70,

II

yO

Chap. XXI.

121

20

Combien

71,

2i

35

r"

Vota

123,

4

V"

grand

73>

13

yO

&■-

124,

13

21

la

73,

16

vne

130,

10

mefna- | gers

7é,

20

yo

ietta

I3Ï,

14

22

ima- ! ginations

78,

5

37

aux

132,

14

quel- 1 que

79,

21

yO

ieunef- [ fe

135,

9

23

Car- 1 tes

82,

6

38

r"

nour- 1 rir'

137,

iJ

yO

auroit

84,

9

yo

humaine

141,

3

24

Chap. XVI.

86

39

r"

Prince

142,

26

yO

contre

87

S

(29^

yo

fans

144,

1}

25

r"

reproche

88,

10

40

frangées

145,

19

redi- | re'

90,

II

yo

crédit

147,

9

26

fortis

92,

9

41

ro

qu'il

149,

19

Manuel

93,

22

yo

les

150,

26

27

Ce

97,

4

42

La- 1 cedemone

151,

24

yO

Nam

98,

9

yo

eftablir

153,

9

28

de

100,

6

43

r"

& aigries

155,

25

\'°

non

103,

3

yo

preffez

15e,

28

29

lanuier

104,

6

44

pallir

158,

15

yO

huis

105,

10

yo

pour

159,

25

30

decouuert

loé,

10

45

ie

léo,

2;

yO

Omnem

107,

14

yo

il luy

161,

2J

31

approchent

108,

U

46

a

162,

26

yO

le

IIO,

;

yo

la

165,

27

32

mefu- 1 re

m,

14

47

Pourtant

164,

28

yO

que le

112,

19

yo

l'autho- 1 rite

166,

14

33

r"

vous

114,

19

48

auoir

167,

18

yO

le

116,

14

yO

ma- 1 chineroyent

ié8,

26

' L'addition mmuscrite de la page 91 occupe le verso du folio 2; et, à partir de nUllS (1. 16) le recto du folio 26.

■■î Les additions manuscrites des pages 124-130 sont disposées de la façon suivante : el de la...

subiei (p. 124, 1. iy-26) pour endormir... puissant (p. 125,1. 7-9) Les marie:;^... membres (p. 127,

1. 22 p. 128, 1. 15) occupent les marges du verso du folio 35. tel autre... fut (p. 125, 1. 9-11) et Or... cotillon (p. 127, 1. 12-15) ^ont écrits en interligne au verso du même folio. Tout le reste occupe le recto du folio 36.

3 L'addition manuscrite des pages Ij8 et 139 occupe le recto du folio 38,~mais la tin à partir de Uices (p. 159, 1. 22) est rejetée sur le verso du folio 37.

TABLE DK CONCORD AXCH .

469

Ex. de Bordeaox

Ed M

inicip.

E>. de BorJcJiu

Éd. Municip

49

d'in- 1 quictudc

170,

i

67

r"

quelque- | fois

230, 22

volontiers

172,

9

yO

ainfi

235, 9

50

groflîe

174

';

68

r"

igno- 1 rancc

234, 14

V"

autre

176

17

yo

Ce

235, 2/

51

Mtait

178

i

69

pour- 1 fuiure

236, 22

V

auoit

180

2

yo

le vay

238, 10

52

pièces

181

i

70

rencontrent 239

2j(Var.88)

V

aux

18;

10

yo

père

241, 10

53

refolution

18.,

2,S

71

ro

iouyflance*

242, 12

yO

Chap. XXVI.

187

yo

l'autre

245, 9

54

dans

189

I

72

r"

de celle

247, J2

V"

veux- 1 ie

191

18

yo

fe

248, 17

55

r"

dif- 1 ficile

192

26

75

qu'il

249, 27

yO

pour

194

I

V"

poifante

232, ro

56

franches

195

20

74

Tecum

253, is

Ion

197

9

yo

par fortune 254,

19 (Var. 88)

57

qui

198

2i

75 ;i

81

occupe par les sonnets d'Esticnne de

vertu

201

^;

l.n Boeiie.

58

r"

charge

202

24

82

r"

Infani

257, 7

yo

vi- 1 gnes

204

;

yo

que 259,

2) (Var. 88)

59

enflée

205

7

85

ro

complot

261, 22

la fcience

207

/

(53)

yo

vifues

262, 2<V

60

tran- | fie*

208

9

84

ic

264, ;

(50.)

yO

ont

211

10

yo

vray-fem- | blable

265, 16

61

en

212

27

85

d"Ar-fac

266, 27

(48)

v

coulera

214

2

yo

tres-fidelle

267, 24

62

Et pourueu

216

u

86

r"

au

268, 22

poif- 1 fon

218

10

yC

nul

270, S

r"

que c'eft

219

u

87

s'eftre

271, S

(50)

aftctc

220

20

yo

le

272, 70

64

r"

inuen- | tiens

221

21

88

r"

qui

273, 27

mi- 1 gnons

224

in

yo

Vafcones

274, 2/

65

r"

feruir

225

12

89

deman- | dent

275, 22

v"

que, par

226

1-4

yo

qui

277, J

66

r"

il

227

j6

90

r"

leurs

278, 29

la

228

"J

yo

cho- 1 fes

280, 70

« L'addition manuscrite de la page 209 EU'a (1. 6) est écrite sur le recto du folio 60, mais i partir de Angélique (1. 29) toute la suite jusqu'à ame (p. 211, 1. 4) a éli rejetée sur la marge gauche du verso du folio $9.

« La fin deladdition manuscrite (pages 24), 24.) et 245 jusqu'à la ligne 4) ^ été rejetéc au verso du folio 70 à partir de d'une (p. 244, 1. 11).

470

TABLE DE CONCORDANCE.

Ex. de Bordeaux

Éd. Mu

nidp.

Es. de Bordeau

Éd. Ml

n.cip

91

1-0

Chap. XXXII.

282

109

lacteris

337,

21

yO

argu- 1 mens

283,

16

yo

com- 1 moditez

338,

26

92

Chap. XXXIII.

28s

IIO

r"

\'ertitur

340,

6

eft-ce

28e,

II

yo

ail- 1 leurs

341,

16

93

Chap. XXXIV.

288

III

r"

que

342,

20

yo

luy fit

289,

10

yo

que

343,

18

94

nnry

290,

II

112

pourquoy

344,

22

qui cela

292,

S

yo

foudain 346,

4 Var.

88

95

naturelles

294,

9

113

r"

ce

547,

6

comme

295>

2J

yo

par

349,

16

96

liuré

297.

14

114

que

350,

28

autre

301,

7

yo

Chap. XLV.

352

97

Et

304,

12

115

r"

le

353,

10

Hîeredis

306,

8

yo

paf- 1 fe-temps

554,

16

98

1-0

feinte

307,

19

lié

d'auiour- | d'huy

55e,

4

(89)

Chap. XXXIX.

309

yo

partages

557,

}

99

bien

311,

2

117

fO

pour

558,

}

VO

faut

312,

7

yo

Combien

559,

8

100

fentir

313.

n

118

ro

quel

561,

iS

Nulles

314,

17

yo

d'ef- 1 cole

362,

27

lOI

r"

toutes

5ié,

6

119

compo- 1 fition

364,

J

n'en- | trer

3i7>

I)

yo

perdre

565,

2

102

r"

cette

318,

13

120

faire

36e,

II

yo

preme- | ditation

320,

6

yo

refréchir

367,

8

103

r"

gloire

321,

9

121

r"

Chap. XLVIII.

369

yo

chercher

322,

II

yo

aux

571,

10

104

par- 1 lerie

323.

9

122

I-o

plufieurs '

372,

25

yo

&

324,

26

yo

Et

375,

7

105

r"

d'au- 1 tre

326,

21

123

r"

mettre

377,

22

yo

&

328,

5

yo

la

380,

6

106

cette

329,

16

124

prehoyent

381,

20

(89)

VO

auez

330,

17

yo

celuy

385,

2

107

trouuans

331.

27

125

de

384,

6

yo

par

534,

I

yo

pre- 1 noyent

385,

8

108

r"

efcha- 1 ces

335,

4

126

en- 1 tiers'

387,

2

yo

chauffes

33e,

9

yo

mou- 1 ches

390,

i

La fin de l'addition manuscrite qui occupe les pages 573 et 574 a été rejetée sur le verso du folio 121 à partir de d des Sagettes (p. J74, 1. 10).

' La fin de l'addition manuscrite qui occupe les pages 588 et 589 a été rejetée sur le verso du folio 12; il partir de SOn (p. 388, 1. 27).

Hx. de Bordeaux.

127

noftre

Théologie

128 r"

ra- 1 re

\o

com- 1 mettre

129

qui

v

Chap. LI\'.

150 r"

auoient

(122)

à

131 r"

eft

vo

fauoureux

TABLE DE CONCORDANCE.

Éd. Municip. Ex. de Borde.

391,

1}

132 r"

n auons

393.

16

fi

394,

20

133 ro

diffipcr

396,

8

vo

fans

398,

9

134 r

luppiter

400

v

Noctem

401,

12

135 r"

confi- 1 dcrant

403,

I

vo

d'aller

405,

4

136

ans

406,

-S

4

71

Ëd. M

iDÎcip

408,

17

410,

II

413,

9

416,

7

417.

1}

418,

J7

420,

7

421,

18

422,

18

TABLE DES MATIÈRES

DU PREMIER VOLUME

Lettre de M. de la ^'lLLE de Mirmont, a M. le Maire de Bordeaux. i

Introduction , \-

Indications et Signes xxiii

Errata xxiii

Av Lectevr r

LRRE PREMIER

Chapitre I. Par diuers moyens on arriue à pareille fin 3

II. De la triftefle 9

III. Nos affections s'emportent au delà de nous 14

I\'. Comme l'ame defcharge Tes paflions fur des obiects laux,

quand les vrais luy défaillent 23

\'. Si le chef d'vne place affiegée doit lortir pour parlementer 26

\l. L'heure des parlemens dangereufe 30

VIL Que l'intention iuge nos actions 3 3

VIII. De l'oifmeté 35

IX. Des menteurs 37

X. Du parler prompt ou tarait 44

XL Des prognoftications 47

XII. De la confiance 52

Xni. Cérémonie de l'entreucuë des Roys 5^

XIV. Que le gouft des biens & des maux dépend en bonne

partie de l'opinion, que nous en auons 58

474 TABLE DES MATIERES.

Chapitre XV. On eft pun}- pour s'opiniaftrer à vne place fans

laifon 84

X\l. De la punition de la couardile 86

XVII. Vn traict de quelques ambaffadeurs 88

X\^I. De la peur 92

_XIX. Qu'il ne faut iuger de noftre heur, qu'après la

mort 96

XX. Que philofopher c'eft apprendre a mourir 100

XXI. De la force de l'imagination 121

XXn. Le profit de l'vn eft dommage de l'autre 135

XXni. De la couftume & de ne changer aifément vne loy

receùe 137

XXIV. Diuers euenemens de mefme confeil 158

XXV. Du pedantifme 171

XXVI. De l'inftitution des enfans 187

XXVII. C'eft folie de rapporter le vray et le taux à noftre

fuffifance 232

XXVIII. De l'amitié 238

XXIX. Vingt & neuf fonnets d'Eftienne de la Boetie 255

XXX. De la modération 257

XXXI. Des cannibales 264

XXXII. Qu'il faut fobrement fe meller de iuger des ordon-

nances diurnes 282

XXXni. De fuir les voluptez au pris de la vie 285

XXXIV. La fortune fe rencontre fouuent au train de la raifon 288

XXXV. D'vn défaut de nos polices 292

. XXXVI. De l'vfage de fe veftir 294

XXX\'TI. Du ieune Caton 299

XXXVIII. Comme nous pleurons & rions d'vne mefme chofe. 305

XXXIX. De la folitude 309

XL. Confideration fur Ciceron 323

XLI. De ne communiquer fa gloire 330

XLII. De l'inequalité qui eft entre nous 333

XLin. Des loix fomptuaires 345

XLIV. Du dormir 349

XLV. De la bataille de Dreux 352

XLVI. Des noms 354

TABLE DES MATIÈRES. 475

Chapitre XLVII. De l'incertitude de noftre iugement 361

XLVin. Des deftries ^ 369

> XLIX. Des couftumes anciennes 380

L. De Democritus & Heraclitus 38e

LI. De la vanité des paroles 391

LU. De la parfimonie des anciens 396

LUI. D'vn mot de Qular 398

LIV. Des vaines fubtilitez 400

L\'. Des fenteurs 405

L\"L Des prières 408

L\'IL De l'aage 420

Appendice L Variantes d'oitlxigraphe et de ponctuation.

Note de Montaigne 427

Variantes 429

Appendice IL Leçotis des Éditions de i)So et 1^82 447

Appendice IIL Leçons de l'Édition de ij^j 459

Table de Concordance 467

TABLE DES GRAVURES

Une page de l'Exemplaire de Bordeaux (hélivgravure) m

Page du Titre de l'Exemplaire de Bordeaux (pljototypie) xxiv

Trois Fragments (plx)totypie) , 424

1

Bordeaux. Imprimerie Nouvelle F. Pech et G'', 7, rue de la Merci.

La Bibliothèque Université d'Ottawa Echéance

The Library University of Ottawa Date Due

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